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15 cas cliniques

en psychopathologie
du traumatisme
P S Y C H O S U P

Khadija Chahraoui

15 cas cliniques
en psychopathologie
du traumatisme
Vulnérabilités
et sens du trauma psychique
Illustration de couverture
Franco Novati

© Dunod, Paris, 2014


ISBN 978-2-10-070751-5
Table des matières

Introduction 1

CHAPITRE 1 PSYCHOPATHOLOGIE CLINIQUE


DES SYNDROMES PSYCHOTRAUMATIQUES 3

1. Introduction 5
2. Syndromes psychotraumatiques, états de stress
post-traumatique, névroses traumatiques 5
2.1 Intérêts et limites de la description de l’état de stress
post-traumatique dans le DSM 6
2.2 Le modèle psychanalytique des névroses traumatiques 9
3. Dimensions psychopathologiques et cliniques
des syndromes psychotraumatiques 11
3.1 Le traumatisme psychique 12
3.2 Le syndrome de répétition 13
3.3 La signification du syndrome de répétition 16
3.4 Remaniements et altération de la personnalité post-traumatique 16
3.5 Les troubles associés 17
3.6 Les conséquences psychosociales du trauma
et le traumatisme second 18
4. Trois cas cliniques 19
4.1 Observation n° 1 : Dina 19
4.2 Observation n° 2 : Florence 23
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

4.3 Observation n° 3 : Alice 26

CHAPITRE 2 EFFROI, RÉPÉTITION ET CO-CONSTRUCTION


DU SENS DU TRAUMATISME PSYCHIQUE 31

1. Introduction 33
2. Effroi et répétition traumatique 33
3. Traumatisme psychique et co-construction du sens 34
3.1 L’enjeu thérapeutique 34
3.2 Activité narrative, élaboration et dégagement du traumatisme 34
VIII 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

3.3 Une activité narrative partagée et communicable 35


3.4 Engagement du clinicien et contre-transfert 36
4. Observation n° 4 : Georges, « la mort en direct » 36
4.1 Présentation 36
4.2 L’accident 37
4.3 Syndrome de répétition et changement de caractère 37
4.4 Suivi psychologique et premières séries associatives 38
4.5 Deuxième série associative et sens du traumatisme psychique 38
4.6 Discussion et analyse : la co-construction du sens
du traumatisme psychique 40
4.7 Conclusion 43
5. Observation n° 5 : Thibaut, « culpabilité, mort
et répétition traumatique » 43
5.1 Présentation 43
5.2 Le choc traumatique 44
5.3 Traumatisme psychique et séquelles psychotraumatiques 46
5.4 Les premières associations : culpabilité et traumatisme 47
5.5 Suivi psychologique et résolution du traumatisme psychique 48
5.6 Discussion : culpabilité, rêve et élaboration psychique 49

CHAPITRE 3 TRAUMATISME, CRISE PSYCHIQUE ET CRISES DE VIE 53

1. Introduction 55
2. Traumatisme et crise psychique 55
2.1 La crise traumatique comme moment critique de changement :
entre désorganisation et réorganisation 55
2.2 Dimensions existentielle, phénoménologique et clinique
de la crise traumatique 56
2.3 Crise et interventions psychologiques 58
2.4 Difficultés de restauration psychique et redondance
entre crise traumatique et crise de vie 59
3. Observation n° 6 : « Ghislaine ou l’adolescence figée » 60
3.1 Présentation 60
3.2 L’accident 60
Table des matières IX

3.3 Les changements après l’accident 61


3.4 Premières associations 61
3.5 Première analyse et discussion 62
3.6 Suivi psychologique et résolution du traumatisme 65
3.7 Discussion : résolution de la crise traumatique
et de la crise adolescente 67
3.8 Conclusion 68
4. Observation n° 7 : « Béatrice, agression et crise familiale » 69
4.1 Présentation 69
4.2 L’agression 69
4.3 Les séquelles psychotraumatiques 70
4.4 Les séquelles physiques : douleur, handicap
et traumatisme second 70
4.5 La rupture dans l’organisation défensive 71
4.6 Ruptures et changements sur le plan professionnel 72
4.7 Les changements familiaux 72
4.8 Discussion : le traumatisme, un désorganisateur à long terme 73
4.9 Suivi psychologique et histoire personnelle 74
4.10 Conclusion 76

CHAPITRE 4 TRAUMATISME PSYCHIQUE ET MÉDECINE 79

1. Introduction 81
2. Troubles psychiques postopératoires et en réanimation 81
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

2.1 Les troubles psychiques postopératoires 81


2.2 Les troubles psychiques en réanimation médicale 82
2.3 Le vécu psychique en réanimation : une clinique de l’extrême 83
3. Observation n° 8 : Thiméo ou l’inquiétante étrangeté 86
3.1 Présentation 86
3.2 Le souvenir de la réanimation : « un film d’horreur » 86
3.3 Les symptômes psychotraumatiques 87
3.4 Le traumatisme psychique 88
3.5 La frayeur 88
X 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

3.6 Le vécu d’impuissance 88


3.7 « Rêves de réa » : la confusion entre réel et imaginaire et
l’inquiétante étrangeté 89
3.8 « Rêves de réa », narration et mise en sens 90
4. Observation n° 9 : « Naji, le survivant » 91
4.1 Présentation 91
4.2 Traumatisme psychique, intervention chirurgicale
et réanimation 91
4.3 Le traumatisme psychique : effroi, incompréhension
et imminence de la mort 93
4.4 Deuils enkystés, troubles de la filiation et étiologies
traditionnelles 94
4.5 Conclusion : du traumatisme médical à l’étiologie profane 96
5. Observation n° 10 : Miguel ou la quête compulsive du sens 97
5.1 Présentation 97
5.2 Discussion : médecine, quête compulsive du sens
et traumatisme relationnel 99

CHAPITRE 5 DEUIL TRAUMATIQUE, SYNDROME PSYCHOTRAUMATIQUE


ET RITUELS DE DEUIL 103

1. Introduction 105
2. Deuil traumatique, syndrome psychotraumatique
et rituels de deuil 105
2.1 Les morts traumatiques 105
2.2 Complications et pathologies du deuil 106
2.3 Deuil traumatique 106
2.4 Syndrome psychotraumatique et deuil traumatique 108
2.5 Le deuil : un processus de transformation 109
2.6 Deuil et rituels de deuil 111
3. Observation n° 11 : « Alya, la perte du double »,
un exemple de deuil traumatique au Maghreb 114
3.1 Présentation clinique 114
3.2 Discussion : deuil traumatique et perte 116
3.3 Deuil traumatique et changement du statut social 117
Table des matières XI

3.4 Discussion : processus de transformation et de changement


lié au deuil : le statut de veuve 118
4. Observation n° 12 : Denis, « comment enterrer
ses morts ? », syndrome psychotraumatique
et deuil traumatique 119
4.1 Présentation 119
4.2 L’événement traumatique 119
4.3 Aspects psychopathologiques et séquelles psychotraumatiques 121
4.4 Suivi psychologique et problématique de deuil traumatique 122
4.5 Discussion : du traumatisme psychique au deuil traumatique 123

CHAPITRE 6 TRAUMATISME ET EXIL 127

1. Introduction 129
2. Traumatismes psychiques chez les demandeurs d’asile 129
2.1 Vulnérabilité psychique et psychopathologique des populations
réfugiées 129
2.2 Effets psychiques des traumatismes extrêmes et intentionnels 130
2.3 Traumas extrêmes et attaques des contenants familiaux
et culturels 131
2.4 Exil, pertes et transmissions 132
3. Observation n° 13 : Paul et la folie meurtrière
des hommes 133
3.1 Présentation 133
3.2 L’exil : un parcours chaotique 134
3.3 La disparition des enfants, l’attente, le temps suspendu 135
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

3.4 Le récit des traumatismes 136


3.5 Panser les plaies 137
3.6 Discussion 138
4. Cliniques de l’exil 141
4.1 Migrations et exil intérieur 141
4.2 Exil, perte du cadre culturel et déchirements intérieurs 142
4.3 Exil, difficultés des processus de deuil
et de transmission psychique 144
XII 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

5. Observation n° 14 : Tawfik, traumatisme, pertes


et rupture de filiation 145
5.1 Présentation 145
5.2 Le suivi psychothérapeutique 146
5.3 Narration de l’événement traumatique et effet de surprise 148
5.4 Discussion 149

CHAPITRE 7 PSYCHOTRAUMATISMES : QUELLE ÉCOUTE DU CLINICIEN ? 153

1. Introduction 155
2. L’écoute clinique des psychotraumatismes 155
2.1 L’apport de Ferenczi dans l’écoute des psychotraumatismes :
place de la relation thérapeutique et du contre-transfert 155
2.2 Psychothérapies psychodynamiques brèves et « expérience
émotionnelle corrective » 157
2.3 De la sensibilité empathique à la question des enveloppes
psychiques 158
2.4 Les difficultés de l’écoute empathique et l’analyse
du contre-transfert dans les psychotraumatismes 160
3. Un exemple d’écoute : le cas du harcèlement
sexuel traumatique au travail 163
3.1 Le harcèlement sexuel au travail 163
3.2 Psychopathologie du harcèlement sexuel traumatique 163
3.3 Qualité de l’écoute du clinicien 165
4. Observation n° 15 : Andréa et les voix du passé 166
4.1 Le premier entretien 166
4.2 Discussion : harcèlement traumatique,
quelle écoute du clinicien ? 167
4.3 Le début du processus associatif : les voix du passé 169
4.4 Conclusion 171
Conclusion 173
Bibliographie 175
Index des notions 187
Introduction

Le traumatisme psychique a constitué depuis toujours une problé-


matique centrale en psychopathologie nous obligeant à penser les liens
complexes entre environnement et sujet dans une relation non causale,
mais constamment interactive. Sa capacité à transformer radicalement un
individu dans son équilibre somato-psychique, ses croyances, son iden-
tité, ses relations à autrui, interroge fondamentalement la question de
la vulnérabilité psychique et du sens que revêt pour chacun l’expérience
traumatique. C’est à cette question que nous essaierons de répondre dans
cet ouvrage à travers la présentation de 15 cas cliniques qui illustrent
différentes situations traumatiques où nous tentons de restituer à chaque
fois les dimensions de la vulnérabilité et du sens du trauma.
L’organisation de cet ouvrage se divise en 7 chapitres qui abordent
chacun une dimension psychopathologique ou une situation clinique
spécifique en rapport avec le traumatisme psychique. Chaque chapitre
commence par un bref point théorico-clinique permettant de mieux
appréhender les observations cliniques qui suivent.
Le premier chapitre présente les principales dimensions psychopatho-
logiques des syndromes psychotraumatiques avec une discussion sur les
critères DSM et sur les apports psychanalytiques. Trois cas viennent illus-
trer et interroger ces différentes dimensions cliniques avec des extraits
d’entretiens.
Le chapitre 2 questionne la signification du syndrome de répétition
en relation avec l’effroi dans le traumatisme psychique. Le sens de ce
dernier est abordé dans le cadre d’une dynamique de co-construction
impliquant le patient et l’engagement du clinicien, et comme le résultat
d’une activité narrative partagée et communicable. Deux suivis de cas
d’états de stress post-traumatique aigu viennent illustrer ces propos.
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

Le chapitre 3 propose de considérer les syndromes psychotraumatiques


comme des situations de crise psychique, ce qui introduit une dimension
dynamique dans la compréhension du trauma. Le problème de la chroni-
cité de ces syndromes est abordé sous l’angle d’une question essentielle,
qui n’est pas pourquoi les patients décompensent après un trauma, mais
plutôt pourquoi ils ne parviennent pas à se restaurer psychiquement
après plusieurs années. Nous faisons l’hypothèse d’une redondance entre
crise traumatique et crise de vie qui empêchent la résolution du trauma-
tisme, ce que nous illustrerons avec le suivi de deux cas.
2 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

Le chapitre 4 se penche sur une situation clinique et psychopatho-


logique assez peu connue, il s’agit du développement des syndromes
psychotraumatiques en milieu médical. Une brève revue de la littérature
et un point théorico-clinique permettront d’aborder ces traumas spéci-
fiques, en particulier en réanimation médicale et chirurgicale. Trois cas
cliniques seront ensuite développés pour comprendre la signification
individuelle de ces traumatismes.
Le chapitre 5 développe la question des liens entre deuil traumatique
et syndrome psychotraumatique ainsi que leur articulation clinique et
psychopathologique. La vulnérabilité est interrogée dans son rapport à
l’absence de contenants culturels, en particulier la place des rituels de
deuil, qui sont soulignés dans les deux observations présentées.
Le chapitre 6 aborde les spécificités du traumatisme psychique en situa-
tion d’exil et présente la psychopathologie des situations extrêmes vécues
par les populations réfugiées, puis est traitée la question des processus
de l’exil chez le migrant en relation avec les difficultés du deuil, de la
perte et de la transmission. Deux suivis cliniques permettront d’illustrer
ces points.
Enfin le chapitre 7 laisse une place centrale aux modalités d’écoute par
le clinicien du traumatisme psychique. Nous discuterons en particulier de
l’attitude technique et du contre-transfert chez le clinicien ainsi que des
aspects de la sensibilité empathique et des contenants thérapeutiques. Le
suivi et l’observation d’une situation de harcèlement sexuel traumatique
viendront illustrer ces différents points.
Tout au long de cet ouvrage, nous mettrons l’accent sur l’intérêt
d’adopter une démarche clinique qui permette de resituer et de restituer
l’interaction de différents niveaux pour saisir la vulnérabilité psychique :
les dimensions singulières et subjectives, les dimensions contextuelles
et collectives (sociales, familiales, médicales, culturelles), et enfin les
dimensions intersubjectives dans la relation avec le clinicien.
Chaque cas a fait l’objet d’une attention particulière pour veiller à
respecter l’anonymat tout en gardant les aspects psychopathologiques
et cliniques les plus spécifiques.
Nous espérons que cet ouvrage constituera un outil précieux de
compréhension et d’appréhension de ces psychopathologies trauma-
tiques à la fois pour les étudiants, et pour les cliniciens engagés dans le
suivi de ces personnes.
1
Cha
pi
tre

PSYCHOPATHOLOGIE
CLINIQUE
DES SYNDROMES
PSYCHOTRAUMATIQUES
aire
m
S o m

1. Introduction ................................................................................ 5
2. Syndromes psychotraumatiques, états de stress
post-traumatique, névroses traumatiques .............................. 5
3. Dimensions psychopathologiques et cliniques
des syndromes psychotraumatiques ........................................11
4. Trois cas cliniques .....................................................................19
Psychopathologie clinique des syndromes psychotraumatiques 5

1. Introduction

Pa
Les syndromes psychotraumatiques présentent des dimensions
cliniques et psychopathologiques bien spécifiques qui sont au nombre rt
de trois : 1) l’étiologie traumatique, 2) les symptômes de répétition et
3) l’altération de la personnalité. L’approche psychodynamique a proposé
une théorie cohérente du traumatisme et de ses différents effets qui reste
ie
une référence majeure aujourd’hui pour comprendre ces syndromes.

2. Syndromes psychotraumatiques,
états de stress post-traumatique,
névroses traumatiques

Les « syndromes psychotraumatiques » désignent l’ensemble des états


séquellaires consécutifs à un traumatisme psychique (Barrois, 1988 ;
Crocq, 1998). Ils sont décrits classiquement dans les suites d’une catas-
trophe collective (bombardements de guerre, attentats, tremblements de
terre, catastrophes naturelles ou technologiques, déportations) ou indi-
viduelle (accidents et agressions physiques ou sexuelles). Ces syndromes
ont connu différentes terminologies selon les époques et les classifica-
tions nosographiques. Les « états de stress post-traumatique » ont été
introduits en 1980 dans le DSM sous l’impulsion des vétérans américains
du Vietnam qui souhaitaient faire reconnaître leur souffrance et déve-
lopper le système de prise en charge de ces nombreuses psychopatholo-
gies d’après-guerre. Mais les syndromes psychotraumatiques sont connus
depuis longtemps sous différents termes : névrose d’effroi (Pinel, 1809),
névroses traumatiques (notion créée par Oppenheim en 1889), névroses
de guerres au cours des guerres du XXe siècle, névroses post-traumatiques
dans les années soixante. C’est notamment la notion de névrose trauma-
tique qui a fait l’objet de nombreux travaux chez les premiers psychana-
lystes qui ont contribué aux fondements de la compréhension clinique
et psychodynamique des traumatismes psychiques et de leurs effets.
6 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

2.1 Intérêts et limites de la description de l’état


de stress post-traumatique dans le DSM

Critères diagnostiques de l’état de stress post-traumatique –


DSM-IV-TR : 309.81 (APA, 2000)
A. Le sujet a été exposé à un événement traumatique dans lequel les deux
éléments suivants étaient présents :
1. Le sujet a vécu, a été témoin ou a été confronté à un événement ou à des
événements durant lesquels des individus ont pu mourir ou être très grave-
ment blessés ou bien être menacés de mort ou de grave blessure ou bien
durant lesquels son intégrité physique ou celle d’autrui a pu être menacée ;
2. La réaction du sujet à l’événement s’est traduite par une peur intense, un
sentiment d’impuissance ou d’horreur.
B. L’événement traumatique est constamment revécu, de l’une (ou de plusieurs)
des façons suivantes :
1. Souvenirs répétitifs et envahissants de l’événement provoquant un senti-
ment de détresse et comprenant des images, des pensées ou des perceptions ;
2. Rêves répétitifs de l’événement provoquant un sentiment de détresse ;
3. Impressions ou agissements soudains « comme si » l’événement trauma-
tique allait se reproduire (incluant le sentiment de revivre l’événement, des
illusions, des hallucinations, et des épisodes dissociatifs (flash-back), y compris
ceux qui surviennent au réveil ou au cours d’une intoxication) ;
4. Sentiment intense de détresse psychique lors de l’exposition à des indices
internes ou externes évoquant ou ressemblant à un aspect de l’événement
traumatique en cause ;
5. Réactivité physiologique lors de l’exposition à des indices internes ou
externes pouvant évoquer ou ressembler à un aspect de l’événement trau-
matique en cause.
C. Évitement persistant des stimuli associés au traumatisme et émoussement de
la réactivité générale (ne préexistant pas au traumatisme), comme en témoigne
la présence d’au moins trois des manifestations suivantes :
1. Efforts pour éviter les pensées, les sentiments ou les conversations associés
au traumatisme ;
2. Efforts pour éviter les activités, les endroits ou les gens qui éveillent des
souvenirs du traumatisme ;
3. Incapacité de se souvenir d’un aspect important du traumatisme ;
4. Réduction nette de l’intérêt pour des activités importantes ou bien réduc-
tion de la participation à ces mêmes activités ;
Psychopathologie clinique des syndromes psychotraumatiques 7

5. Sentiment de détachement d’autrui ou bien de devenir étranger par rapport


aux autres ;
6. Restriction des affects (p. ex., incapacité à éprouver des sentiments
tendres) ;
7. Sentiment d’avenir « bouché » (p. ex., pense ne pas pouvoir faire carrière,
se marier, avoir des enfants, ou avoir un cours normal de la vie).
D. Présence de symptômes persistants traduisant une activation neurovégé-
tative (ne préexistant pas au traumatisme) comme en témoigne la présence
d’au moins deux des manifestations suivantes :
1. Difficultés à s’endormir ou sommeil interrompu ;
2. Irritabilité ou accès de colère ;
3. Difficultés de concentration ;
4. Hypervigilance.
5. Réaction de sursaut exagérée.
E. La perturbation (symptômes des critères B, C et D) dure plus d’un mois.
F. La perturbation entraîne une souffrance cliniquement significative ou une
altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines
importants.
Aigu : durée des symptômes : moins de trois mois.
Chronique : durée des symptômes : plus de trois mois.
Différé : début des symptômes six mois après le facteur de stress.

La description clinique des états de stress post-traumatiques proposée


par le DSM-IV-TR s’appuie sur l’existence d’un événement qui a impliqué
une menace de mort ou d’intégrité physique et qui a provoqué des senti-
ments intenses de peur, de désespoir et d’horreur (critère A). Elle décrit le
syndrome de répétition pathognomonique de cette pathologie (critère B),
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

les diverses manifestations d’évitement des stimuli associés au trauma


(critère C), l’hypervigilance (critère D) et la réduction des fonctionne-
ments social et occupationnel (critère F).
La description des états de stress post-traumatique par le DSM a eu
l’intérêt de faire reconnaître sur le plan international une psychopatho-
logie fréquente dont les conséquences peuvent être redoutables pour la
santé et l’équilibre des sujets. D’autre part, elle a facilité les travaux de
recherche et la communication entre cliniciens à travers le monde grâce
au consensus sur les critères diagnostiques.
Mais cette description comporte aussi de nombreuses limites
d’un point de vue psychopathologique, car elle est trop centrée sur
8 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

l’observation de comportements et d’états, et elle ne laisse pas de place à


la compréhension des processus dynamiques ; un symptôme n’étant que
la partie visible d’une série de processus sous-jacents qu’il est important
de mettre en évidence sur le plan clinique.
On peut relever ainsi trois limites principales à la présentation de
l’ESPT dans le DSM :
− L’absence de référence aux remaniements de la personnalité chez les
sujets qui ont vécu un traumatisme psychique majeur, ce qui constitue
pourtant une donnée centrale dans ces psychopathologies. Il s’agit
par exemple de l’aspect de régression majeure sur le plan narcissique
qui avait été bien décrit par les premiers psychanalystes comme
Ferenczi (1934) et Fenichel (1945), qui soulignaient les dimensions
d’altération des fonctions du moi après un traumatisme psychique
(voir développement plus bas).
− L’absence de référence aux formes complexes des syndromes
psychotraumatiques : si dans plusieurs cas la symptomatologie peut
apparaître assez focalisée et aisée à reconnaître, dans d’autres, le tableau
peut être compliqué et associé à de nombreux troubles intriqués
(troubles dépressifs majeurs, addictions, somatisations, troubles
d’allure délirante, deuil pathologique…) qui peuvent camoufler et
aggraver le noyau psychotraumatique et retarder le diagnostic et une
prise en charge adaptée.
− L’ambiguïté de la notion de stress : la notion de stress introduite dans
la description du DSM pose trois ambiguïtés majeures. La première
concerne la confusion entre la réaction neurobiologique du stress
et le traumatisme psychique, tout à fait spécifique, lié à un vécu
d’effroi, de mort imminente et de sidération psychique (Barrois,
1988  ; Crocq, 1992  ; Lebigot, 2011). Le stress existe pourtant, il se
manifeste par des signes avec une dominante psychophysiologique
(pâleur, tachycardie, tremblements…) mais il constitue la base
physiologique du traumatisme. La deuxième confusion concerne
l’aspect immédiat ou différé de la réaction de stress (Crocq, 1999),
en effet les troubles psychotraumatiques apparaissent toujours après
un temps de latence allant de quelques jours à quelques semaines
ou mois ; celui-ci correspond au délai nécessaire à l’organisme pour
mettre en place un nouveau système de défense psychique pour
suppléer celui qui a été surpris et débordé (Crocq, 1999). La réaction
de stress est quant à elle toujours immédiate et ne peut rendre
compte des aspects psychopathologiques, stables et chroniques de
ces syndromes. Enfin la troisième ambiguïté ou imprécision du terme
de stress est qu’il ne laisse que peu de place à la dimension singulière
Psychopathologie clinique des syndromes psychotraumatiques 9

et subjective du vécu traumatique. En effet, les sujets qui ont vécu


un événement traumatique ne développent pas tous des séquelles
psychotraumatiques ; de 1 à 3 sujets sur 10 selon les études (Declercq
et al., 2001 ; Jehel et al., 2006 ; Jolly et al., 2000) et certains se sentent
même renforcés dans un sens positif après une épreuve traumatisante.
Ces changements ne sont pas réductibles à la réaction de stress initiale
et impliquent de nombreux facteurs psychodynamiques que nous
développerons tout au long de cet ouvrage.

2.2 Le modèle psychanalytique


des névroses traumatiques
Les premiers travaux psychanalytiques sont une référence majeure
dans la compréhension clinique des traumatismes psychiques et ils
ont été enrichis par de très nombreux apports plus actuels. Nous avons
souhaité faire une place ici au débat Freud-Ferenczi, qui a constitué
pendant plusieurs décennies un axe de réflexion riche pour tous les
cliniciens s’intéressant au champ du psychotraumatisme.

2.2.1 Le débat Freud-Ferenczi


Le modèle traumatique a constitué pour les premiers psychanalystes un
prototype étiologique de la formation d’une névrose. Ainsi les premiers
travaux de S. Freud (1890 à 1897) mettent-ils l’accent sur les expériences
traumatiques passées comme pouvant être à l’origine de la névrose ; le
traumatisme est défini ici comme un événement externe, datable dans
l’histoire du sujet et provoquant des affects pénibles ; « Tout incident
capable de provoquer des affects pénibles : frayeur, anxiété, honte,
peut agir à la façon d’un choc psychologique et c’est évidemment de la
sensibilité du sujet considéré que dépendent les effets du traumatisme »
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

(Freud et Breuer, 1895). Freud met sur le même plan un événement


anodin et un événement violent et considère que les effets traumatiques
dépendent de la sensibilité du sujet. Il souligne que c’est le souvenir de
l’événement qui est traumatique et agit dans le psychisme à la manière
d’un corps étranger, d’où la célèbre formule « c’est essentiellement de
réminiscences dont souffrent les hystériques » (Freud et Breuer, 1995).
Dans cette première élaboration freudienne, le traumatisme est essen-
tiellement de nature sexuelle et ne se comprend qu’à la lumière de la
théorie de l’après-coup, théorie temporelle qui est aussi une conception
complexe des phénomènes de refoulement qui n’interviennent que dans
un second temps ; ainsi la situation traumatique actuelle ne peut-elle
10 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

être comprise qu’en référence à un événement ancien qui n’a pas été
liquidé en son temps.
Mais dès 1897, Freud (1887-1902) confie dans ses lettres à Fliess qu’il
ne croit plus aux scènes de séduction racontées par ses patientes et
pense qu’il s’agit là de fantasmes. La théorie traumatique de type inte-
ractif s’estompe alors, pendant quelques années, au profit d’une théorie
psychanalytique qui accorde une importance plus grande aux fantasmes
inconscients, à la réalité psychique et à la sexualité infantile. Le danger
traumatique devient dans ce cadre théorique essentiellement interne et
d’ordre pulsionnel.
Ce n’est que dans les années vingt que Freud revient sur la théorie du
traumatisme. Les dégâts tant physiques que psychiques de la Première
Guerre mondiale, chez les soldats mais aussi dans la population, amènent
Freud et un bon nombre de psychopathologues à se pencher sérieuse-
ment sur l’étude des névroses traumatiques. Freud (1915, 1919, 1920)
reconnaît alors les spécificités de cette pathologie et pose, en 1920, les
éléments déterminants d’une métapsychologie du traumatisme. Du
point de vue topique, le traumatisme se définit comme une effraction
psychique étendue du pare-excitations provoquant au niveau écono-
mique un envahissement et un débordement du système par une quantité
importante d’énergie non liée. Le psychisme est débordé ici par absence
de préparation par l’angoisse (angoisse signal). Sur le plan clinique, le
sujet est fixé psychiquement au traumatisme, en témoignent les phéno-
mènes de répétition (rêves de répétition, ruminations mentales, réactions
de sursaut) qui le ramènent inlassablement à la situation traumatique
initiale. Pour Freud (1920), la répétition a pour fonction de tenter de
maîtriser la représentation de l’événement traumatique et d’abréagir la
force de cette première impression.
Sandor Ferenczi, psychanalyste contemporain de Freud, ne cessera
au cours de ses travaux de souligner la valeur traumatique des événe-
ments violents de la réalité. Concernant les traumatismes sexuels, il
critique l’abandon par Freud de sa neurotica et pense que les analystes
sous-estiment l’importance des expériences traumatiques réelles de la
toute première enfance (1933). Selon Ferenczi, le traumatisme sexuel a
bien une origine externe et a des conséquences immédiates au niveau
du moi, il fait partie de la réalité et non d’un processus inconscient : il
s’agit d’une séduction sexuelle par un adulte à l’encontre d’un enfant. Ce
traumatisme annihile toute possibilité de réaction chez ces enfants, il agit
comme un anesthésique, arrête toute espèce d’activité psychique, main-
tient chez les victimes un clivage de la personnalité, provoque l’anéan-
tissement du sentiment de soi, conduit l’enfant à une identification à
Psychopathologie clinique des syndromes psychotraumatiques 11

l’agresseur et à l’introjection du sentiment de culpabilité de ce dernier.


C’est tout l’intérêt des travaux de Ferenczi que d’avoir su montrer ces
atteintes narcissiques graves provoquées par les traumas sexuels.
Pendant la Première Guerre mondiale, Ferenczi a, du point de vue
clinique, une position privilégiée pour étudier les névroses traumatiques
puisqu’étant médecin chef d’un service de neurologie ; il a l’occasion
d’analyser quelque 200 cas de névroses de guerre. Selon Ferenczi (1916,
1919), le traumatisme psychique à l’origine des névroses de guerre se
traduit par sa soudaineté, sa brutalité et l’incapacité du sujet à se défendre
contre un choc qui implique une menace vitale. Les conséquences narcis-
siques d’un tel traumatisme psychique sont à nouveau soulignées : « il
s’agit d’une lésion du moi, d’une blessure de l’amour-propre, du narcis-
sisme, dont la conséquence naturelle est le retrait “des investissements
objectaux de la libido”, autrement dit la disparition de la capacité d’aimer
un autre que soi-même » (1916). Le danger traumatique n’est pas à
proprement parler sexuel, les troubles de la sexualité étant plutôt une
conséquence, mais il est lié à une menace vitale. Ferenczi (1919, 1934)
note également le changement de personnalité consécutif au choc trau-
matique ; les sujets traumatisés psychiques n’ont plus le même caractère,
ils deviennent « humbles » alors qu’ils étaient « vaniteux » ou perdent
leurs croyances religieuses ou idéologiques.
Ces premiers travaux de Freud et de Ferenczi ont été à l’origine d’un
long et riche débat sur le plan psychopathologique sur la part de la
réalité ou du fantasme (Bokanowski, 1988), de la prédisposition indivi-
duelle ou de la violence du contexte traumatique, du rôle des pulsions
sexuelles ou des pulsions d’autoconservation dans l’étiologie des troubles
psychotraumatiques.

3. Dimensions psychopathologiques et cliniques


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des syndromes psychotraumatiques

Les syndromes psychotraumatiques comportent des dimensions


cliniques et psychopathologiques spécifiques qu’il est nécessaire de
bien reconnaître pour engager une prise en charge adaptée : il s’agit de
1) l’étiologie traumatisante, 2) le syndrome de répétition et 3) l’altéra-
tion de la personnalité auxquels s’ajoutent des dimensions non spéci-
fiques comme les troubles associés et les conséquences psychosociales
du traumatisme.
12 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

3.1 Le traumatisme psychique


L’étiologie traumatisante se définit par l’existence d’un traumatisme
psychique qui est la réponse de l’individu à un événement hors du
commun et dont le caractère exceptionnel doit être souligné ; il s’agit
d’un accident de la vie imprévisible qui ne doit pas être confondu,
comme c’est souvent le cas, avec des événements de vie stressants comme
les ruptures, les conflits ou les situations de deuil non traumatiques.
Le traumatisme psychique comporte plusieurs caractéristiques :
− Le débordement des défenses psychologiques : le traumatisme psychique
est une réponse à un événement qui présente des aspects de
soudaineté, de violence et de surprise. Par son côté inattendu et
accidentel, l’événement traumatique entraîne un débordement des
défenses psychologiques du sujet. C’est ce débordement psychique
qui définit le trauma ; en effet, face à l’état d’impréparation, le sujet
traumatisé ne peut pas réagir, car il n’a pas pu anticiper la violence
de l’événement (défaut d’angoisse signal), ce qui le laisse sidéré sur le
plan psychique.
− La situation de violence psychique liée à une menace vitale ou à des visions
d’horreur  : le traumatisme psychique est associé à des situations où
le sujet a vécu un sentiment de menace vitale ou a été confronté à
des visions d’horreur. Selon Barrois (1988), la rencontre tragique avec
la mort agresse l’intégrité physique et mentale du sujet et fascine,
sidère et paralyse son appareil psychique. Cette rencontre crée
un désarroi qui tient «  à la brusque transformation de la mort en
donnée immédiate » (1988) alors qu’elle constituait auparavant une
pensée abstraite. Face à ce type de situations extrêmes impliquant la
proximité avec la mort, l’homme doit affronter et anticiper au plus
près, dans une solitude infinie, son propre anéantissement, ce qui ne
peut que provoquer une blessure psychique indélébile et transformer
radicalement un individu.
− L’effroi : la dimension de l’effroi est centrale dans le psychotraumatisme
et renvoie à un état de sidération et d’immobilité psychiques du sujet
confronté à la grande violence de l’événement traumatique. L’effroi
constitue ainsi une réaction caractéristique faisant suite à une vive
émotion et se traduit principalement par un état de sidération,
d’effraction psychique et de suspension de la pensée qui rend le sujet
incapable d’agir et de résister. Pinel (1809), un des premiers, avait
bien mis l’accent sur les conséquences considérables d’une brusque et
soudaine commotion, telle qu’une joie excessive ou une forte frayeur,
pouvant entraîner l’arrêt des fonctions psychiques  : «  Certaines
Psychopathologie clinique des syndromes psychotraumatiques 13

personnes, douées d’une sensibilité extrême, peuvent recevoir une


commotion si profonde par une affection vive et brusque, que toutes
les fonctions morales en sont comme suspendues ou oblitérées : une
joie excessive, comme une forte frayeur, peut produire ce phénomène
si inexplicable » (1809, p. 184).
− La rupture de l’enveloppe psychique et l’intrusion d’un « corps étranger » :
le traumatisme psychique se traduit d’un point de vue topique
comme une rupture de l’enveloppe psychique, du pare-excitation
(Freud, 1920), qui crée une désorganisation psychique durable et
facilite l’intrusion du traumatisme dans l’appareil psychique comme
un «  corps étranger  » qui ne peut être assimilé. L’incessant retour
de ce corps étranger à travers les symptômes de répétition peut être
compris comme une tentative d’assimilation par le sujet.
− Le non-sens et l’absence de représentation : d’un point de vue intellectuel,
cognitif ou représentationnel, le traumatisme doit aussi être envisagé
comme un non-sens total. En effet, les sujets traumatisés sont dans
l’incapacité de comprendre, de traiter et d’analyser ce qui leur arrive,
même longtemps après, et la question qui revient principalement
dans leur discours est : « Pourquoi ça m’est arrivé, pourquoi ce jour-
là  ?  » L’impossibilité de donner une signification au traumatisme
est centrale. Le trauma psychique correspond ainsi à une absence
de représentation et de fantasme associés à l’événement. Souvent,
chez ces patients, c’est toute leur théorie du monde qui se retrouve
bouleversée après de tels traumas, rendant incompréhensible ce qui
leur arrive.
− Traumatisme relationnel et logique : des travaux récents ont mis l’accent
sur les traumatismes relationnels de type logique et paradoxal, en
particulier chez les victimes de tortures ou de harcèlement sexuel chez
qui il est important de tenir compte de la nature de la relation entre
la victime et son agresseur, qui comporte des aspects d’emprise et des
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interactions paradoxales de type « double lien » (nous développerons


ces éléments dans les chapitres 5 et 7).

3.2 Le syndrome de répétition


Les symptômes de répétition constituent le noyau essentiel et patho-
gnomonique des syndromes psychotraumatiques. Ils apparaissent généra-
lement après un temps de latence de quelques jours à quelques semaines
et se traduisent par des reviviscences de l’événement traumatique.
14 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

Plusieurs auteurs ont surtout insisté sur les cauchemars répétitifs


(Barrois, 1988) mais, pour de nombreux sujets traumatisés, les mani-
festations de reviviscence peuvent prendre plusieurs formes qu’il est
important de reconnaître, ce qui nécessite une écoute et une observa-
tion cliniques attentives. La description la plus complète de ces formes
de répétitions est celle développée par Louis Crocq (1999) selon huit
variantes cliniques : la vision quasi hallucinatoire de la scène trauma-
tique, les illusions de reviviscence, les souvenirs intrusifs, les rumina-
tions mentales, les reviviscences émotionnelles, la répétition sous forme
d’actes moteurs, les conduites de répétition et les cauchemars de répé-
tition ; toutes ces manifestations constituent une reviviscence plus ou
moins mentalisée de l’événement traumatique et elles sont toujours
vécues dans une grande détresse psychique (peur, impuissance) accom-
pagnée de nombreux troubles neurovégétatifs (tachycardies, sueurs, etc.).
Nous reprenons ici cette classification en donnant quelques exemples :
− La vision quasi hallucinatoire de la scène traumatique  : cette forme
renvoie à des images intrusives ou flashs visuels (Crocq, 1999) qui
comportent des éléments principalement visuels mais aussi auditifs,
olfactifs et sensitifs. Il s’agit d’images qui surgissent brusquement
en dehors du contrôle du sujet et qui reproduisent visuellement
la scène traumatique. Cette reviviscence donne lieu à une intense
émotion et à une grande détresse avec des pleurs, un état d’agitation
et des symptômes neurovégétatifs (transpiration, tremblements).
Les patients les évoquent comme des flashs visuels qui se déroulent
comme dans un film. Par exemple, ce patient de 32  ans qui, après
un accident grave de la route, ne parvient plus à s’endormir car les
images de l’accident font irruption comme dans la réalité dès qu’il a
les yeux fermés. Il est alors obligé d’ouvrir les yeux et de se lever pour
éviter ces visions.
− Les illusions : pour Louis Crocq (1999), il s’agit de reviviscences qui
constituent non pas des images mais une interprétation erronée d’une
situation réellement perçue. Ainsi, ce patient de 57  ans, originaire
de Turquie, qui a connu dans sa vie quatre tremblements de terre
en trente ans. Ce n’est pourtant qu’après le dernier qu’il développe
un syndrome psychotraumatique. Il a vu sa maison s’écrouler, et
ne doit sa survie qu’à un appel de son frère qui lui avait demandé
de le rejoindre seulement quelques minutes avant le début de la
catastrophe. Il décrit en particulier des phénomènes d’illusion quand
il sort dans la rue, il voit les immeubles bouger et tourner autour de
lui comme si le tremblement de terre allait se reproduire. Cette vision
soudaine entraîne un état de terreur et une paralysie motrice avec
Psychopathologie clinique des syndromes psychotraumatiques 15

un cortège de manifestations neurovégétatives (tachycardies, sueurs,


tremblements) et de vertiges. Ces manifestations le conduisent à
rester confiné chez lui, de peur de revivre la même situation.
Souvenirs intrusifs : il s’agit de souvenirs et de pensées récurrentes qui
sont associés à l’événement et qui envahissent l’espace psychique du
sujet tout au long de la journée. Ces souvenirs sont davantage mentalisés,
mais ils surviennent aussi en dehors du contrôle du sujet.
Les ruminations mentales : ce sont des pensées, interrogations et discours
récurrents concernant : la sensation d’une coupure temporelle, l’impres-
sion d’être incompris et délaissé par les autres, le sentiment d’être déva-
lorisé, déçu et d’avoir profondément changé depuis le traumatisme.
Les reviviscences émotionnelles : elles sont déclenchées par un stimulus
(bruit, impression d’être suivi dans la rue…) avec un vécu de menace et
de danger imminents. Ces reviviscences se traduisent par des crises de
larmes, d’angoisse, de colère ou de mouvements de panique.
La répétition sous forme d’actes moteurs : il s’agit de répétition de gestes
pouvant avoir une valeur défensive, de tics, de réactions de recroquevil-
lement, de sursauts physiques. Ces symptômes peuvent être assimilés
parfois aux troubles de conversion. Une de nos patientes, à la suite d’un
accident de car, se recroquevillait terrorisée dans sa chambre d’hôpital
en pensant que son lit à roulettes allait la renverser. Ce trouble d’allure
pseudo-délirante s’était manifesté par une très vive angoisse, mais il
disparut spontanément après nos premiers entretiens cliniques.
Conduites de répétition : il peut s’agir du besoin de raconter l’événe-
ment sans cesse, des jeux répétitifs chez l’enfant, de l’attirance pour les
spectacles violents ou de la collection d’objets en lien avec l’événement
traumatique.
Les cauchemars de répétition représentent la symptomatologie la plus
connue. Il peut s’agir de cauchemars répétitifs de l’événement, mais aussi
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de rêves de fuite ou d’impuissance physique qui sont toujours suivis d’un


réveil en sursaut avec vécu d’angoisse et manifestations neurovégétatives
(sueurs, tachycardie…).
On peut ajouter à ces 8 variantes cliniques les plaintes somatiques
répétitives des patients dont la symptomatologie est essentiellement
focalisée sur le corps. Il s’agit de sujets qui s’adressent sans cesse au
monde médical avec des plaintes répétitives souvent d’ordre fonctionnel
et une mise en échec des différents traitements (voir développement de
cet aspect au chapitre 4).
16 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

3.3 La signification du syndrome de répétition


Le syndrome de répétition signe principalement la fixation tempo-
relle et psychique à l’événement traumatique et à son impact violent. Il
peut se comprendre comme l’absence d’intégration et d’assimilation du
traumatisme, qui continue d’agir comme un corps étranger à l’intérieur
du psychisme du sujet. C’est principalement l’impossibilité de représen-
tation, d’élaboration et de symbolisation de l’événement qui est en lien
avec les phénomènes de répétition. On peut toutefois aussi comprendre
la répétition de manière active et pas seulement passive en la considé-
rant comme une tentative de maîtrise de l’événement pour essayer d’y
échapper et également comme une tentative d’élaboration non aboutie
(voir chapitre 2).

3.4 Remaniements et altération de la personnalité


post-traumatique
L’altération et les remaniements de la personnalité représentent une
dimension centrale dans les psychotraumatismes. En effet, le trauma-
tisme psychique semble avoir cette capacité de modifier de manière
radicale à la fois l’état de santé, mais aussi le sentiment de continuité de
l’identité chez le sujet. Ce dont souffrent le plus ces patients, plusieurs
mois ou années après, c’est de ce vécu de rupture existentielle entre
l’avant et l’après du traumatisme et de changement profond de leur
équilibre : ils ne se sentent plus les mêmes et ces sentiments provoquent
une douleur intense.
Le traumatisme a des effets de désorganisation et de réorganisation
de la personnalité soulignés par de nombreux auteurs. Ferenczi (1916,
1919) les avait envisagés en intégrant la notion de régression narcissique.
Le trauma provoque une blessure du moi et de l’amour-propre et a pour
effet un retrait de la libido sur le moi. Ferenczi (1916, 1919) décrit ainsi
des sujets traumatisés qui deviennent narcissiques et développent une
attitude de détresse et de dépendance passive, avec des caractéristiques
orales comme au temps où ils étaient encore enfants et attendaient de
l’aide des adultes.
Pour Fenichel (1945) la personnalité est totalement réorganisée par le
traumatisme sous la forme d’une dépendance accrue, d’une régression
et d’une forte ambivalence. Il souligne la dimension d’altération de la
personnalité qui renvoie au blocage des fonctions du moi. En effet, toute
l’énergie du sujet est concentrée seulement sur une tâche unique : il
Psychopathologie clinique des syndromes psychotraumatiques 17

s’agit de l’énergie défensive pour maîtriser l’excitation envahissante, ce


qui a pour effets de bloquer les autres fonctions comme la perception
ou l’aperception et d’empêcher tout traitement de nouvelles excitations.
Chez Fenichel, le blocage du moi se manifeste à travers trois types de
blocage, qui ont été repris et développés dans les descriptions cliniques
de L. Crocq (1999) :
− Le blocage de la fonction de filtration de l’environnement
(correspondance DSM  : symptômes d’évitement). Il se manifeste
par des états d’hypervigilance et d’alerte permanents, des réactions
de sursaut, un sommeil léger, des réveils fréquents et un évitement
des stimuli rappelant le trauma. Un de nos patients décrivait sa tête
comme « une passoire » qui ne savait plus filtrer les stimuli venant
de l’extérieur  ; dans son travail, il s’enfermait ainsi dans sa voiture
pendant la pause du déjeuner car il ne supportait plus le bruit et les
conversations de ses collègues.
− Le blocage de la fonction de présence (correspondance DSM  :
émoussement de la réactivité générale) : il se manifeste par une perte
d’intérêt pour les activités et les loisirs, une impression de monde
lointain et d’avenir bouché. Le sujet est dans le retrait social avec une
perte de curiosité et d’intérêt pour tout ce qui l’entoure.
− Le blocage de la fonction d’amour et de relation à autrui
(correspondance DSM  : restriction des affects)  : on retrouve ici un
sentiment de détachement par rapport aux autres, une attitude de
régression narcissique avec dépendance, une incapacité d’aimer et
de comprendre les autres, un sentiment d’irritabilité permanent avec
repli sur soi.
À ces trois dimensions spécifiques (étiologie traumatisante, syndrome
de répétition et altération de la personnalité), on doit ajouter deux autres
dimensions non spécifiques :
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3.5 Les troubles associés


Il existe une association fréquente entre les troubles psychotrauma-
tiques et de nombreux troubles d’allures somatique, dépressive, pseudo-
délirante et des troubles des conduites. On retrouve ainsi :
− Des troubles somatiques avec asthénie physique et psychique,
difficultés sexuelles (impuissance, frigidité…), conversions,
céphalées, troubles fonctionnels digestifs, ulcères, aménorrhées,
troubles psychosomatiques (asthme, ulcère gastrique, hypertension,
eczéma, psoriasis, diabète), plaintes somatiques diverses. Ces troubles
18 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

somatiques sont bien souvent au premier plan et ces patients sont


fréquemment adressés par le corps médical.
− Des troubles névrotiques avec développement de phobies ou de
rituels protecteurs vérificatoires. Une de nos patientes avait présenté
un rituel de vérifications très particulier après son accident de voiture
qui a eu des effets psychotraumatiques ; tous les matins avant de partir
travailler et à chaque fois qu’elle ouvrait la portière de sa voiture,
des idées obsédantes l’envahissaient  : «  Avait-elle bien fermé le gaz
dans sa maison  ? Avait-elle bien éteint la lumière  ?  » Elle rentrait
alors systématiquement chez elle vérifier si tout était bien éteint puis
revenait vers son véhicule. On perçoit bien ici la fonction de ces
rituels qui visent à éviter et à conjurer l’angoisse en rapport avec la
conduite automobile.
• Des troubles des conduites avec anorexie, boulimie, tabagisme,
alcool, drogue, conduites violentes. Les troubles de l’irritabilité sont
très fréquents et peuvent se manifester par une forte agressivité avec
l’entourage, ce qui complique généralement le tableau clinique.
• Des troubles dépressifs qui se manifestent au travers d’épisodes
dépressifs majeurs, de deuils traumatiques ou d’idées suicidaires.
La co-morbidité avec la dépression est très fréquente, elle peut voiler
la spécificité du tableau psychotraumatique.
• Des délires post-traumatiques que l’on peut retrouver dans des situa-
tions très spécifiques et que nous avons particulièrement observés
en milieu médical (voir chapitre 4) et dans les contextes de l’exil
(voir chapitre 5).

3.6 Les conséquences psychosociales du trauma


et le traumatisme second
Les conséquences psychosociales du traumatisme doivent faire l’objet
d’une évaluation attentive. On peut retrouver chez les patients, en parti-
culier ceux avec des troubles chroniques, une altération importante de
la vie relationnelle et sociale et des risques de grave marginalisation.
En effet, ces patients vivent un bouleversement de leur équilibre avec
une impression de rupture existentielle et un sentiment profond d’être
incompris, rejeté par les autres, ce qui entraîne un repli sur soi et un
retrait par rapport à leur environnement. De nombreux sujets peuvent
aussi présenter à la suite du traumatisme des situations sociales et profes-
sionnelles dramatiques qui ont des conséquences néfastes sur le plan
Psychopathologie clinique des syndromes psychotraumatiques 19

personnel et familial comme la perte d’emploi, les arrêts maladie, le


licenciement ou le handicap.
La notion de traumatisme second (Barrois, 1998) doit également être
reconnue. En effet ces patients, qui ne se sentent pas écoutés dans leur
souffrance par les instances médicales, sociales ou judiciaires, vivent
cette non-reconnaissance comme une forme de rejet qui a pour effet
de réactiver le traumatisme initial, les symptômes de reviviscence et la
chronicisation de la psychopathologie.

4. Trois cas cliniques

Nous présenterons ici trois observations cliniques pour illustrer les


principales dimensions de la psychopathologie psychotraumatique.
Nous insisterons essentiellement dans ce chapitre sur l’observation et
la description de ces dimensions, ce qui constitue un préalable à toute
analyse, en laissant de côté la question du sens, qui sera traitée dans les
autres chapitres.
Nous avons privilégié la présentation d’extraits du premier entretien
avec ces patients afin de bien mettre en évidence le vécu du sujet tel qu’il
est amené la première fois.

4.1 Observation n° 1 : Dina


Dina est une jeune femme de 26 ans, hospitalisée pour un trouble
anxio-dépressif avec idées suicidaires ; quelques semaines avant son
hospitalisation, elle a découvert de manière brutale son oncle pendu à
son domicile et elle a dû effectuer, impuissante et terrorisée, les premiers
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gestes de secours, mais en vain, car la victime est décédée. Depuis, elle
a développé un état dépressif et anxieux avec un syndrome de répéti-
tion comprenant principalement des images intrusives. Nous l’avons
rencontrée à l’occasion d’un premier et unique entretien d’évaluation
à la demande de l’équipe avant de la réorienter vers un suivi de secteur.
Nous présentons ici quelques extraits d’entretien.
Psy. – Qu’est-ce qui vous est arrivé ?
Dina. – Disons l’événement perturbateur, le dernier parce qu’il y a eu
des tas de choses avant, mais celui qui a fini par me conduire ici, c’est
que j’ai découvert mon oncle qui s’est, disons… mon oncle nous a dit
qu’il allait se pendre et on y a pas cru avec mon père et mes frères, mais
20 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

on a quand même été vérifier, on a défoncé la porte de son appartement


et c’est de le retrouver pendu, de l’avoir dépendu, de faire les premiers
soins de secours qui me fait… on a découvert le corps, mon frère l’a tenu,
moi j’ai enlevé la corde, mon frère commençait à faire les premiers soins,
le bouche-à-bouche et… puis moi après j’ai été appeler les pompiers…
[…]
Psy. – Comment se traduisent vos difficultés depuis ?
Dina. – Ben disons que je le voyais partout… pendu partout, je me
retournais, je le voyais, la nuit j’en rêvais, j’avais peur des angoisses, me
mettre sous les draps comme une petite fille, peur de regarder puis de
croire qu’il était là. Et puis à la fin c’était comme je savais comme beau-
coup de personnes racontaient des bêtises, donc ça me… Là où j’habite…
comme si j’entendais des voix, des gens qui… deux vieilles dames qui
se parlaient entre elles comme si elles disaient : « Eh ben tu vois, c’est
elle ! » Je me sentais perpétuellement persécutée, je le voyais partout,
partout donc… donc avant de devenir complètement folle, je me suis
dit qu’il fallait faire quelque chose…
[…]
Psy. – Qu’est-ce que vous ressentez ?
Dina. – Eh bien c’est bizarre, mais pas de la peine du fait qu’il soit
mort, c’est vraiment le choc d’avoir vu tout ça… et ce que je ressens. Je
ne me pose pas de questions, je ne veux pas me les poser.
Psy. – Aujourd’hui, vous ne comprenez pas ce que vous ressentez ?
Dina. – Non, je ne comprends pas ce que je ressens… de la peur, plus
de la peur à la rigueur, un peu aussi beaucoup de regret, car on aurait
pu le croire… […]
[…]
Psy. – Et comment vous vous sentez aujourd’hui, triste, ralentie ?
Dina. – Plus agressive, ralentie non pas du tout, beaucoup plus speed…
je suis perpétuellement obligée de faire quelque chose pour ne pas le voir,
alors je m’occupe perpétuellement, tout le temps en train de m’occuper,
comme ça il y a que comme ça que j’arrive à faire le vide…
[…]
Dina. – Je me suis dit qu’il fallait que je vienne ici parce que je le
voyais là où il n’y avait pas lieu de le voir, j’avais l’impression de le
sentir, pourtant j’ai toujours la sensation de sa peau sous mes mains…
perpétuellement… […]
Psy. – Vous avez vécu un événement très grave et très violent, c’est un
grand choc pour vous…
Psychopathologie clinique des syndromes psychotraumatiques 21

Dina. – Oui, surtout que j’ai une phobie de la mort, j’ai vraiment très
peur des morts, tout ce qui est mort, puisque bon il y a 2 ans, j’ai vu mon
cousin pareil qui était jeune qui était décédé d’un accident de moto, donc
je l’ai vu mort chez mon oncle, quoi là aussi j’ai eu énormément de mal
à l’accepter, c’était très, très dur, un traumatisme, et j’ai une phobie de
la mort qui est terrible, je ne toucherais jamais un oiseau mort, euh je
pourrais avoir un poisson rouge mort, il pourrira dans le bocal, mais je
ne l’enlèverai pas. Ça, c’est… […]
Psy. – Il y a des cauchemars ?
Dina. – Non là je n’en fais plus… en fait tant que je m’occupe, il n’y a
pas de problème, ce n’est pas que des cauchemars, c’était tout au cours
de la journée et puis bien sûr j’étais très agressive et tout et ce qui allait
avec quoi, des pleurs, euh agressive, euh mais bon je me sentais persé-
cutée, c’est surtout qui ça me dérangeait encore plus que le fait de le voir.
Psy. – Vous aviez juste l’impression que les gens parlaient de vous ou
vous les entendiez ?
Dina. – Non je ne les entendais pas dire mais oui je savais qu’on parlait
de moi et, c’est sûr, il se racontait plein de choses… j’avais l’impression
que tout le monde ne parlait que de ça et que si je passais quelque part,
ils parlaient de ce qui se passait.
Psy. – Vous aviez l’impression de ne pas être reconnue dans votre
douleur à vous parce que les gens vous rajoutent encore autre chose. Vous
avez déjà souffert de voir un proche mort et les gens parlent de vous…
Dina. – Bon pour eux c’est parce que sur la lettre qu’il a laissée, il nous
a mis un mot comme quoi on avait qu’à vivre avec ça voilà… il espère
qu’on vivra toute notre vie avec ça… Alors…
Psy. – C’est difficile.
Dina. – Oui surtout qu’il n’y avait pas de raison, simplement il disait
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tout le temps qu’il allait se pendre et puis on ne l’a pas cru… C’est tout…
[…]
Psy. – Est-ce que ça va mieux depuis que vous êtes à l’hôpital ?
Dina. – Oui ça va mieux, mais depuis que je vais en permission, j’ai
peur de l’extérieur… c’est limite si je reviendrai pas tout de suite quoi.
Alors pareil, arrivée chez moi je m’occupe, je m’occupe et puis ça passe,
j’arrive à faire passer que si je m’occupe… mais je n’arrive pas à avoir
un moment de repos…
22 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

4.1.1 Discussion
Dina a été confrontée à un traumatisme extrême, la découverte du
suicide d’un proche et malgré les premiers soins, elle n’a pas pu sauver
son oncle. Cet événement a créé une véritable sidération de l’appareil
psychique et Dina ne comprend pas ce qui lui est arrivé. Quand je lui
demande ce qu’elle ressent, elle ne peut pas expliquer et cherche ses
mots ; ce n’est pas de la peine ou de la tristesse dit-elle ; c’est le « choc ».
En effet, il s’agit bien d’un choc traumatique qui se traduit chez elle
par un syndrome de répétition typique avec au premier plan des images
intrusives ou flashs visuels qui sont vécus dans une grande détresse. Elle
voit son oncle pendu partout et ces scènes de reviviscence entraînent
une angoisse massive ; elle a peur de devenir folle. Les images intrusives
sont si envahissantes qu’elle se met sous les draps, terrorisée comme une
petite fille. Les scènes de reviviscence sont également accompagnées de
sensations cénesthésiques (elle a perpétuellement la sensation de la peau
du corps de son oncle sur ses mains).
On perçoit bien le recours massif aux comportements d’évitement
pour ne pas voir et pour ne pas penser au traumatisme ; elle adopte
ainsi un comportement d’hyperactivité où elle s’occupe constamment,
ce qui lui permet de faire le vide et de ne pas penser. Cette observation
montre comment le traumatisme psychique et ses effets parviennent
à envahir complètement l’espace mental de cette patiente, qui a alors
recours à une lutte anxieuse pour ne pas être perturbée par ces images
obsédantes. Mais l’hyperactivité et les conduites d’évitement ne suffisent
plus à contrôler les images traumatiques, et l’hospitalisation apparaît
pour Dina la dernière solution pour se protéger de ces flashs visuels.
On constate également qu’elle développe secondairement des phobies
autour de la mort en relation avec l’impact de ce suicide, ce qu’elle relie
spontanément à un autre événement, le décès brutal, dans un accident
de moto, du fils de cet oncle. Ces deux événements traumatiques ont
sans doute une signification particulière dans l’histoire familiale qu’il
faudra interroger et élaborer.
La dimension d’altération de la personnalité est bien présente. Dina
ne se sent pas déprimée, contrairement au diagnostic établi par les
psychiatres ; au contraire, elle se décrit comme plus agressive, en état
d’hypervigilance constant : « Je me sens beaucoup plus speed. ». Elle
développe également une hypersensibilité (pleurs fréquents) avec un
état de méfiance vis-à-vis des autres et une tendance à se replier sur
elle-même.
Enfin, la culpabilité apparaît comme centrale dans le tableau clinique
et Dina l’exprime à plusieurs reprises. En effet, son oncle a écrit plusieurs
Psychopathologie clinique des syndromes psychotraumatiques 23

fois pour formuler son intention suicidaire, mais la famille ne l’a pas cru.
On peut sans doute comprendre les aspects de persécution présentés par
Dina, en particulier l’impression que tout le monde parle d’elle, comme
une projection de sa propre culpabilité, impossible à élaborer.

4.2 Observation n° 2 : Florence


Florence est une femme de 28 ans qui exerce le métier d’éducatrice pour
jeunes en difficulté. Elle est hospitalisée après une tentative de suicide
pour un état dépressif majeur. Ses troubles ont débuté il y a six mois, à
la suite d’une agression par un jeune dont elle avait la garde.
Psy. – Est-ce que vous pouvez me raconter ce qui vous a amenée à
cette hospitalisation ?
Florence. – Ce qui m’a amenée ici, c’est une suite d’événements depuis
le mois de décembre… je suis éducatrice et j’ai été agressée par un jeune
dont j’avais la charge, et puis j’ai essayé de dépasser l’événement en
changeant de lieu d’exercice.
Psy. – Oui.
Florence. – Mais je n’ai pas réussi à reprendre confiance, alors j’ai
essayé de voir un psychologue qui a plus en fait essayé de rechercher
des choses qui n’allaient pas mais j’ai eu du mal à aller de l’avant donc
j’ai arrêté.
[…]
Psy. – Oui, je comprends. Alors après l’agression, c’est quoi qui n’allait
plus ?
Florence. – Disons que j’ai perdu confiance, je n’avais déjà pas trop
confiance mais je… j’ai un peu peur de retourner dans les lieux, de revoir
les personnes… d’exercer mon métier aussi… certains de mes collègues
m’ont soutenue mais d’autres non, enfin c’est complexe, donc j’ai vrai-
ment très mal vécu les discussions dans le centre où je travaillais, j’ai eu
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

l’impression que c’est plus moi qui était jugée que ce jeune…
Psy. – Oui. Et cette agression, vous pouvez me dire comment ça s’est
passé ?
Florence. – Ben c’est vrai que cela a été un quiproquo et au départ, j’ai
surpris ce jeune qui avait un couteau… donc il aurait pu blesser les autres
jeunes du groupe… je l’ai pris en train de l’utiliser donc j’ai voulu… à un
moment donné, je lui ai pris et je savais pas comment faire, si je devais
le garder moi ou le donner à mon chef, et il s’est avéré que j’en ai parlé
à ma collègue, qui est allée voir mon chef. En fait, il a immédiatement
convoqué le jeune sans me le dire en le réprimandant en mon absence
24 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

sans me le dire, et moi j’ai continué mes activités avec le groupe le


lendemain sans le savoir…
Psy. – Oui, sans le savoir…
Florence. – Eh oui, c’est vrai que c’est ressorti et je m’en suis voulu
aussi parce qu’il l’a pris comme une trahison parce que moi je faisais
comme si rien ne s’était passé parce que je ne savais même pas qu’il
l’avait réprimandé, et puis je l’ai repris plusieurs fois parce qu’il faisait
tout pour m’embêter, pour me blesser… et je l’ai repris la fois de trop et
il a explosé, donc il m’a insultée de tous les noms qu’il pouvait trouver
sur le moment, quoi… et il m’a fortement bousculée…
Psy. – Oui, c’est blessant ces insultes… c’est un moment assez fort,
vous avez été agressée physiquement et verbalement.
Florence. – Oui, et puis ce qui m’a été le plus dur, ça a été [?] je ne
voulais rien dire, je ne voulais pas engendrer plus de violences, je ne
savais pas comment les autres jeunes allaient réagir, surtout qu’on était
isolé par rapport aux autres collègues et à la direction… et puis quand je
suis rentrée, j’ai rien dit du tout, je n’ai pas signalé ni à mes supérieurs, ni
à mes collègues, et puis le soir j’ai craqué parce qu’il a embêté une autre
de mes collègues… et je me suis dit : il va continuer comme ça avec tout
le monde. Et c’est vrai qu’on s’est revu parce que j’ai été le chercher, et je
me suis dit : c’est l’occasion de s’excuser. Je me suis dit quelque part : il
y a aussi un quiproquo entre nous, et c’est là qu’il m’a fait comprendre
que pour lui, il n’était pas en tort et que, toute façon, que là c’était rien,
et que de toute façon il me planterait, qu’il me… et puis après, il me dit
que je n’avais pas compris, qu’il avait voulu être violent, euh il aurait…
oh je crois que depuis ce moment, je ne comprends plus rien…
Psy. – Et vous vous avez réagi comment à toutes ces insultes ?
Florence. – Ben j’ai encaissé, je crois que j’ai rien dit…
Psy. – Vous n’avez rien dit…
Florence. – J’ai pas voulu riposter… euh… j’ai dit : “On arrête là, si tu
arrives à comprendre que tu es dans le bon chemin on arrête là”, parce
que je savais pas quoi dire…
Psy. – Et dans votre tête, vous avez réagi comment ?
Florence. – Quelque part, je me disais que c’était de ma faute parce
que je me disais : je n’ai pas su gérer la situation. J’avais du mal à gérer
ce groupe de jeunes en difficulté, j’avais du mal à les cadrer aussi, et vrai
qu’au fur et à mesure après cet événement, ben ça partait un petit peu
de travers quoi…
Psy. – Est-ce qu’il y a eu de la peur parce qu’il vous a dit qu’il pouvait
aller plus loin ?
Psychopathologie clinique des syndromes psychotraumatiques 25

Florence. – Oui, j’ai eu peur parce que j’habitais pas très loin du lieu
de mon travail, et donc je me suis dit que c’était pas que des menaces,
que ça pouvait aller plus loin… […]
Psy. – Et par la suite, est-ce que ces scènes sont revenues dans la tête ?
Florence. – Oui… oui… encore maintenant… par exemple, je me dis :
j’aurais dû faire ça, ou pourquoi on est arrivé là, ou qu’est-ce que j’aurais
pu faire pour ne pas en arriver là, ou… j’arrive pas à trouver de solution…
[…]
Psy. – Est-ce qu’il y a eu des rêves ?
Florence. – Oui, mais j’ai du mal à me souvenir… mais je me sens
oppressée la nuit… ce qui est le plus difficile, j’ai toujours peur la nuit…
c’est vrai que le soir, c’est toujours très difficile… j’étouffe, j’ai l’impres-
sion qu’on essaye de me poignarder et que je ne peux rien dire, je ne
peux pas crier, je ne peux rien dire, je ne peux rien dire et puis je me
rends compte que c’est pas la réalité, et puis j’ai vraiment mal, alors je
ne sais pas si c’est de me crisper ou de…

4.2.1 Discussion
Florence est hospitalisée pour un état dépressif majeur avec idées
suicidaires. Elle présente une grande détresse et a complètement perdu
confiance en elle. Les affects dépressifs sont particulièrement saillants
avec un net sentiment de culpabilité et une importante dévalorisation
de soi.
Mais cette symptomatologie est ici fortement intriquée avec une
problématique psychotraumatique qui est centrale. En effet, toutes
les difficultés de Florence ont commencé après son agression par ce
jeune. À ce premier entretien, elle a beaucoup de mal à exprimer et à
comprendre ce qui s’est vraiment passé et ce qu’elle a ressenti. Sa pensée
a l’air confuse, figée, tout se mélange pour Florence ; on observe ici les
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

effets de désorganisation psychique créés par le traumatisme. Ces aspects


devront faire l’objet d’un travail de narration pour réorganiser les événe-
ments et leur donner un sens.
L’agression physique et les insultes verbales dont a été victime Florence
semblent avoir été vécues avec une grande violence sur le plan psychique.
On note son état d’impuissance et d’absence de réaction, qu’elle justifie
dans l’après-coup comme un souhait de ne pas engendrer davantage de
violences. Le silence qu’elle s’impose autour de cette agression (« j’ai
encaissé, j’ai rien dit ») rend compte d’une impossibilité à comprendre
ce qui s’est passé mais aussi d’un vécu de culpabilité et de faute. Elle
n’ose pas parler de cette agression à sa hiérarchie, comme si elle en était
26 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

elle-même responsable. On perçoit ici toute la violence de l’événement


qui est retournée contre elle, qui n’a pas souhaité riposter. La culpabi-
lité semble centrale dans ce mouvement : « quelque part, je me disais
que c’était de ma faute parce que je me disais : je n’ai pas su gérer la
situation ». Florence se sent coupable face à ce jeune qu’elle n’a pas su
protéger, et cette situation la remet complètement en cause sur le plan
professionnel. Elle pense qu’elle ne peut plus exercer ce métier, et on
perçoit la blessure narcissique profonde provoquée par cet événement.
Les conséquences de cette agression sont marquées par des réactions
de peur omniprésentes qui doivent être reliées aux menaces de mort
proférées par ce jeune homme. Florence a ainsi constamment peur des
représailles, au point d’éviter de sortir dans son quartier. Le syndrome de
répétition est également caractérisé par des ruminations incessantes : « Je
me dis : j’aurais dû faire ça, ou pourquoi on est arrivé là, ou qu’est-ce que
j’aurais pu faire pour ne pas en arriver là, ou… j’arrive pas à trouver de
solution… » Les symptômes de reviviscence sont aussi présents à travers
le sentiment d’oppression permanent dans la nuit, les cauchemars et
impressions physiques où on essaie de la poignarder, et l’état d’impuis-
sance et de terreur dans lequel elle se retrouve chaque nuit.
Les comportements d’évitement sont nombreux, Florence évite tous
les lieux où elle pourrait rencontrer ce jeune homme, elle change d’ins-
titution mais, épuisée, elle finit par arrêter son travail.
On observe chez Florence les effets dramatiques de ce traumatisme qui,
au-delà des problèmes de santé, ont aussi un impact considérable sur sa
vie sociale et professionnelle. Elle doute maintenant de ses capacités et
pense que le métier d’éducatrice n’est pas fait pour elle. Le traumatisme
vient complètement modifier ses perceptions et son équilibre par rapport
à son environnement habituel, et c’est un tel déséquilibre qui la conduit
à la tentative de suicide, unique solution à son état de souffrance.
Il s’agira pour Florence de comprendre ce qui s’est réellement passé
intérieurement pour elle au cours de cette agression et de reconstruire
les événements pour leur donner un sens. La psychothérapie a eu des
effets positifs chez elle, ce qui lui a permis de retrouver une qualité de
vie sur un plan à la fois personnel et professionnel.

4.3 Observation n° 3 : Alice


Alice, 37 ans, mariée, deux enfants, a eu un grave accident de voiture,
elle est actuellement en rééducation car elle a encore beaucoup de diffi-
cultés pour marcher. Elle est adressée en consultation de psychotrau-
Psychopathologie clinique des syndromes psychotraumatiques 27

matologie par le psychiatre référent pour des problèmes de sommeil et


d’affects dépressifs.
Psy. – Qu’est-ce qui vous est arrivé ?
Alice. – J’ai eu un accident de voiture il y a quatre mois… oui donc
j’ai eu, euh contre une voiture, je me suis pris une voiture qui doublait
en fait au moment où j’arrivais, donc voilà j’ai rien pu faire, c’est elle
qui est en tort, et donc j’ai eu pas mal de fractures, donc voilà… donc
j’avais souhaité rencontrer quelqu’un au niveau psychologique parce que
c’est vrai que je ne dors pas bien la nuit, je ressasse pas mal, je fais un
peu la reconstitution dans ma tête… donc j’ai eu des montées de fièvre
les premières nuits, ça a été un peu compliqué pour moi, euh voilà,
donc au fur et à mesure, et puis l’angoisse que j’ai maintenant, c’est de
reprendre le volant et du coup c’est un peu par rapport à ça qu’il m’a
orientée vers vous…
[…]
Alice. – Oui… j’ai eu cette première phase-là. Après, j’ai eu une première
phase de reconstitution où j’y pensais tout le temps, j’en parlais tout le
temps parce que j’avais besoin de reconstituer l’événement… j’y repense
tout le temps mais ce n’est plus comme avant des flashs quoi, c’est moi
qui vais y repenser, mais j’ai aussi par moments des angoisses de mort
hein, des angoisses d’avoir un nouvel accident ou qu’il arrive quelque
chose à mes proches, dès que quelqu’un prend le volant, je dis : « Fais
attention ! »
Psy. – Oui vous avez peur.
Alice. – Oui, voilà mais c’est vraiment sur ce problème-là de prendre
la route qui génère encore une grande angoisse… je fais encore les allers-
retours pour ma rééducation. J’habite à X. donc ça me fait de la route
en passager, mais alors je suis souvent en train de freiner, euh (rire) bon
c’est un peu compliqué… ça me permet quand même de reprendre un
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

rythme plus normal…


[…]
Psy. – Comment s’est passé l’accident, qu’avez-vous ressenti ?
Alice. – Ben disons, je me souviens du choc, bon je me souviens avoir
vu arriver la voiture en face de moi comme ça, après j’ai eu une perte de
connaissance au moment de l’impact… je me souviens du bruit, je me
souviens du choc très, très fort… après je me souviens seulement quand
je me suis réveillée, euh je me souviens des gens autour de moi, que les
gens me parlaient, euh et ce qui était assez rigolo, c’est qu’en fait j’ai vu
des gens qui n’étaient pas là, j’ai vu des amis, pour moi c’était sûr que
28 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

c’était eux, je les ai vraiment identifiés tous, c’était… donc je me souviens


de tout mais avec des moments qui sont faux en fait… on m’a dit qu’ils
ont mis beaucoup de temps à me désincarcérer de la voiture…
[…]
Alice. – Les souvenirs les plus difficiles pour moi que j’ai, c’est euh
enfin tout ce qui est autour de la dépendance… j’ai un souvenir de la
douleur qui est pas… euh je me souviens que j’ai eu mal si vous voulez,
mais c’est pas, ce qui me traumatise le plus dans tout ça, c’est la dépen-
dance… au niveau de la toilette tout ça d’être complètement dépendante
des gens pendant un certain temps, donc c’était ça qui était vraiment
compliqué pour moi… J’ai eu plusieurs fractures au niveau du bassin…
Psy. – C’était donc un accident très grave.
Alice. – Oui et en fait par erreur ils ont annoncé mon décès, donc ce
qui a été compliqué pour moi au début, c’est d’entendre parler beaucoup
de mort. Tout le monde me disait, euh ah ben t’es une miraculée, vous
auriez dû. Un accident comme ça en gros, j’aurais dû y passer et ils ont
annoncé mon décès… donc mes proches ont pensé que j’étais décédée,
donc je vous dis pas l’ambiance quoi, il y a eu une espèce d’ambiance
comme ça au début… Donc du coup j’ai eu du mal à gérer ça au début,
que tout le monde me parle de mort alors que bon j’étais bien vivante,
et puis euh ça fait pas mal d’effets, ça remet pas mal de choses en ques-
tion euh… […]
Psy. – Aujourd’hui, c’est surtout la peur de remonter en voiture qui
est difficile pour vous ?
Alice. – Oui c’est là que ça me terrorise, je ne sais pas trop comment je
vais gérer ça ; donc c’est ça qui m’angoisse… oui alors en même temps j’ai
pas reconduit, donc peut-être quand je vais reconduire, tout le monde me
dit que quand on conduit, on a moins peur que quand on est passager.
[…]
Psy. – Et au niveau de votre vie familiale, est-ce qu’il y a des difficultés
depuis l’accident ?
Alice. – Disons que c’est difficile avec mes enfants et surtout avec mon
mari… c’est vrai que dans ma vie de couple, je me sens moins bien parce
que c’est vrai que je remets tout en cause… je ne supporte pas d’être
dépendante dans mon couple… ça remue aussi plein de choses, c’est vrai
que dans les premiers temps, il a été toujours très présent mais tout le
long de toute façon et on a eu aussi à gérer le fait que ce soit lui qui me
fasse les soins à la maison… c’est ça qui est plutôt difficile pour moi, je
me dis euh, cette proximité-là, elle m’a arrangé mais maintenant ça me
Psychopathologie clinique des syndromes psychotraumatiques 29

dérange quoi… enfin je suis peut-être pas très claire dans ce que je dis
mais… je supporte pas d’être redevable euh… je ne suis plus la personne
indépendante que j’étais avant et ça me dérange…

4.3.1 Discussion
Alice a vécu un très grave accident de la route où elle a failli mourir. Le
traumatisme psychique est lié à l’intensité et à la violence du choc, qui
survient de manière inattendue. Elle se rappelle encore avec vivacité ce
bruit assourdissant de la collision puis ce moment d’inconscience qu’il
est intéressant de souligner. En effet, Alice évoque des faux souvenirs
dans la période qui suit le choc et elle imagine tous ses proches près d’elle.
On peut faire l’hypothèse que ces faux souvenirs ont une fonction essen-
tielle, celle de reconstituer un moment de blanc, de vide et de rupture
psychiques lié à cet état ; c’est un aspect que l’on retrouve souvent chez
des patients qui ont eu une perte de connaissance prolongée ou une
période de coma (voir chapitre 4).
Le choc traumatique est aussi en relation avec l’annonce de sa propre
mort, ce qui a constitué un profond bouleversement pour elle et a remis
en question tout son équilibre. Ses proches l’ont imaginée morte, et tous
soulignent qu’elle est une miraculée. Ce vécu spécifique semble avoir
laissé des traces psychiques ineffaçables ainsi qu’une incompréhension
durable.
On observe chez Alice une évolution du syndrome de répétition avec
en premier lieu la place des images intrusives ou flashs visuels qui se
transforment progressivement en ruminations incessantes de l’événe-
ment traumatique. On perçoit bien les tentatives de maîtrise de celui-ci
à travers ce qu’elle appelle elle-même son besoin de reconstitution : « j’y
pensais tout le temps, j’en parlais tout le temps parce que j’avais besoin
de reconstituer l’événement ».
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

La répétition se manifeste également à travers des angoisses en relation


avec les voitures et la peur obsédante d’un autre accident, aussi bien pour
elle que pour ses proches : « des angoisses de mort… des angoisses d’avoir
un nouvel accident ou qu’il arrive quelque chose à mes proches. Dès que
quelqu’un prend le volant, je dis : “Fais attention !” » Ces angoisses sont
telles qu’elle développe des comportements phobiques.
On perçoit aussi la dimension d’altération de la personnalité à travers
les nombreux changements vécus par Alice : elle ne se sent plus la même
et se vit comme profondément modifiée dans son rapport à autrui.
L’accident et ses conséquences physiques ont ainsi transformé tout un
30 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

équilibre familial, professionnel et conjugal. C’est probablement cette


dernière dimension en lien avec sa vie conjugale qui est sa source de
souffrance principale. En effet, elle a développé au sein de son couple un
rapport soignant-soigné qui n’est plus basé sur l’intimité amoureuse. Cela
réactive chez elle une problématique complexe et douloureuse autour
de la dépendance qu’elle ne supporte pas. Cette problématique devra
être travaillée dans toutes ses significations actuelles et passées pour lui
donner un sens.

Pour aller plus loin


Barrois C. (1988). Les Névroses traumatiques. Paris, Dunod.
Crocq L. (1999). Les Traumatismes psychiques de guerre. Paris, Odile
Jacob.
De Clercq M. et Lebigot F. (2001). Les Traumatismes psychiques, Paris,
Masson.
Fenichel O. (1945). La Théorie psychanalytique des névroses, 2 vol., Paris,
PUF, 1974.
Ferenczi S. (1934). « Réflexions sur le traumatisme », in Œuvres complètes,
t. IV, Paris, Payot, 1982.
Freud S. (1920). « Au-delà du principe de plaisir », in Essais de psychanalyse.
Paris, Payot, 1981.
2
Cha
pi
tre

EFFROI, RÉPÉTITION
ET CO-CONSTRUCTION
DU SENS
DU TRAUMATISME
PSYCHIQUE
aire
m
S o m

1. Introduction ...............................................................................33
2. Effroi et répétition traumatique ..............................................33
3. Traumatisme psychique
et co-construction du sens ...................................................... 34
4. Observation n° 4 : Georges,
« la mort en direct » ................................................................. 36
5. Observation n° 5 : Thibaut, « culpabilité,
mort et répétition traumatique » ........................................... 43
Effroi, répétition et co-construction du sens du traumatisme psychique 33

1. Introduction

Pa
À partir de la clinique de l’effroi et de la répétition, nous montre-
rons comment les sujets confrontés à un traumatisme psychique majeur rt
tentent de donner un sens à leur vécu et comment celui-ci est co-construit
dans la psychothérapie. Deux suivis cliniques de patients présentant un
état de stress post-traumatique aigu permettent d’illustrer ces aspects.
ie
2. Effroi et répétition traumatique

Le traumatisme correspond à une réaction d’effroi et de sidération


psychique souvent liée à un vécu de mort imminente. Il s’agit là d’une
confrontation soudaine, brutale, violente et imprévisible avec le réel
de la mort, sans possibilité de se défendre ou d’anticiper la situation.
Cette rencontre a pour effet un état de véritable torpeur de l’appareil
psychique, qui se retrouve comme figé et immobilisé à l’instant trauma-
tique, comme en témoignent les symptômes de répétition qui ramènent
inlassablement le sujet à la scène initiale.
La clinique de l’effroi se révèle capitale pour appréhender les diffé-
rentes dimensions du traumatisme psychique et ses modalités de répé-
tition. L’effroi représente un moment de saisissement, d’anéantissement
et de vide au cours duquel les sujets sont comme dans un état second,
sans aucune possibilité de réagir ni d’exprimer leurs émotions ou leur
angoisse. C’est aussi un moment de déréalisation, de « blanc » (Lebigot,
2002), où le sujet n’a pas le temps de comprendre ce qui lui arrive et de
réaliser la situation, comme s’il n’en faisait pas partie. C’est dans cette
vulnérabilité extrême que l’on peut saisir la notion d’effraction. En effet,
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

par sa violence, le choc crée une rupture du pare-excitation ou de l’enve-


loppe psychique (Freud, 1920) et permet ainsi l’intrusion de l’image
traumatique comme un « corps étranger », qui fait alors éternellement
retour par défaut d’élaboration. C’est parce que le sujet ne parvient pas
à transformer ce percept en pensée et à l’associer à des mots et à des
émotions qui prennent sens pour lui que l’image traumatique revient
de manière incessante. Le traumatisme psychique correspond à une
absence d’élaboration, de mentalisation, d’associations et de représen-
tations significatives sur le plan subjectif. Les symptômes de répétition
marquent la prédominance du perceptif qui ne peut être lié à aucune
représentation mentale pour pouvoir être associé et intégré à la mémoire.
34 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

En tant que clinicien, on ne peut être que frappé par les récits des
patients où le temps semble s’être arrêté à l’instant traumatique. Le
sujet narre très souvent cet épisode comme s’il y était encore et dans les
moindres détails comme dans un cliché photographique : les odeurs, les
sons, les sensations sont présents et actuels comme si le temps s’était
immobilisé à jamais sans pouvoir reprendre son cours.

3. Traumatisme psychique
et co-construction du sens

3.1 L’enjeu thérapeutique


Par la répétition, le sujet reste dans la fascination traumatique et, par
son impossibilité à oublier, sa mémoire est comme aliénée ; le principal
et premier enjeu thérapeutique consiste donc à essayer de le dégager de
ce figement et de cette répétition. Ce travail nécessite au moins deux
éléments : 1) une bonne compréhension clinique et psychopathologique
des logiques du traumatisme et de ses différents effets sur le psychisme,
et 2) l’engagement du clinicien dans ce processus de reconstruction.

3.2 Activité narrative, élaboration et dégagement


du traumatisme
Il faut comprendre que l’effroi correspond non seulement à un vécu
de figement émotionnel, mais aussi de figement cognitif, car le trauma-
tisme est une expérience de non-sens, de perte de cohérence et de rupture
dans le sentiment de continuité existentielle. Le traumatisme constitue
ainsi une rupture dans la continuité du soi qui perturbe les croyances
et les représentations et en particulier la confiance que le sujet a dans le
monde. Ce non-sens se traduit souvent par une question principale chez
ces patients : « Pourquoi ça m’est arrivé à moi ? Pourquoi ce jour-là ? »
L’activité narrative qui va être déployée en psychothérapie a pour objectif
de répondre à cette question fondamentale : il s’agit de donner un sens
cohérent et acceptable à cette tragédie vécue par le sujet.
Le figement traumatique et son corollaire, la répétition, nécessitent
donc un travail d’élaboration psychique dont l’enjeu est de permettre
la transformation et la liquidation de l’énergie traumatique par un
processus d’associations et de liens avec un réseau de significations pour
Effroi, répétition et co-construction du sens du traumatisme psychique 35

le sujet. L’objectif de ce travail d’élaboration et de liaison est de mettre


fin à l’isolement du « corps étranger » avec une possible traduction en
mots transmissibles à autrui. C’est surtout cette possibilité de dire à un
autre qui est centrale, il s’agit ainsi de traduire par des mots, de partager
des représentations verbales, des images, des sensations, des émotions
pour tenter de « leur donner un sens communicable, compréhensible
par l’autre et pour soi » (De Tychey, 2001).

3.3 Une activité narrative partagée et communicable


C’est cette activité narrative partagée, communicable qui permet de
se dégager d’une réalité traumatique trop intrusive. Toutefois, il faut le
souligner, ce travail passe nécessairement par une activité associative qui
devra être fortement sollicitée chez le sujet. En effet, la plupart du temps,
les patients sont figés dans l’instant traumatique et il leur est impossible
de dérouler seuls cette activité associative, du moins au début. C’est pour-
quoi il est important que le clinicien accepte de s’engager de manière
active et soutenante pour permettre le développement d’un processus de
co-construction du sens. En effet, pour le clinicien, rester en dehors de ce
processus, dans une trop grande neutralité ou une trop grande distance,
conduit fréquemment à des échecs thérapeutiques avec ces patients, qui
ont besoin d’être accompagnés dans leur récit et soutenus.
Le thérapeute doit ainsi pouvoir entrer dans cette logique traumatique
à deux afin de jouer le rôle de contenant qui a failli lors du traumatisme.
Cela implique une attitude active, du moins au début, et d’accepter de
parler, d’accompagner et de développer une relation d’empathie. Il s’agira
par exemple d’accueillir l’émotion que le patient est en train de vivre
dans l’ici et maintenant et d’essayer de le lui formuler à ce moment par
des mots qu’il peut entendre, comprendre, ce qui nécessite d’être au plus
près de ce qu’il ressent et perçoit.
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

Cette perspective de travail qui s’appuie sur la contenance est ce que


Bion a appelé « être à l’unisson » (Bion, 1962), le développement du
contenant étant favorisé par cette somme d’expériences répétées de
« micro-unisson » (Saurer, 2010). Avec les traumatisés, dont le traitement
s’apparente souvent à celui des sujets somatisants, il s’agit de faire sentir
aux patients que nous reconnaissons leur réalité vécue et que leurs propos
ne sont pas de simples projections (Saurer, 2010). C’est cette dynamique
intersubjective forte qui permet de co-construire et de co-penser avec le
sujet pour l’aider à dépasser la sidération traumatique. Le clinicien doit
pour cela être souple et s’adapter aux profils cliniques et psychologiques
36 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

de chaque patient qui sont tous différents même s’ils présentent des
psychopathologies identiques.

3.4 Engagement du clinicien et contre-transfert


L’engagement du clinicien dans les problématiques psychotrauma-
tiques n’est pas toujours simple, car le traumatisme psychique a aussi
un impact sur lui, et il s’agira de se dégager de la fascination produite
par le récit traumatique. En effet, la sidération et la fascination par les
images de violence peuvent aussi le toucher et paralyser provisoire-
ment sa pensée, en particulier dans les situations de grande brutalité, ce
qui impose donc au clinicien un important travail d’élaboration et de
compréhension pour saisir toutes les dimensions psychiques du trauma.
L’abord de celui-ci demande une certaine distance, une réflexion et un
dégagement par rapport à la toute-puissance du réel traumatique, ce qui
permet d’envisager toute la complexité de la réalité psychique, qui n’est
jamais causale ni linéaire.

4. Observation n° 4 : Georges,
« la mort en direct »

4.1 Présentation
Georges, un homme de 40 ans, hospitalisé en service de rééducation-
réadaptation, est adressé à ma consultation par le psychiatre référent.
Georges a eu un accident de moto très grave où il a été percuté violem-
ment par une voiture. Cet accident a laissé des séquelles importantes,
de multiples fractures des deux jambes, qui l’immobilisent en fauteuil
roulant depuis de longues semaines. D’après le psychiatre, il est très
affecté par cet événement et il souffre de nombreuses reviviscences
traumatiques.
Quand je reçois Georges la première fois, c’est une personne agréable
et souriante, et je suis assez étonnée par un certain contraste entre l’appa-
rente carrure solide et forte de cet homme à la taille imposante et une
très grande sensibilité qu’il a du mal à maîtriser. Je lui demande de me
raconter ce qui lui est arrivé. Il m’explique qu’il ne va pas bien depuis son
accident ; il a manqué de mourir et il ne se remet pas de cela. Il ajoute
que ses enfants et sa femme ont failli le perdre, et il pleure longuement
à cette idée.
Effroi, répétition et co-construction du sens du traumatisme psychique 37

4.2 L’accident
À ma demande, Georges fait le récit de son accident. La scène est
demeurée gravée dans sa mémoire dans les moindres détails et quand
il la raconte, nous avons l’impression qu’elle est restée suspendue dans
le temps. Il roulait doucement à moto et une voiture qui doublait l’a
percuté de face. Il m’explique que sa grande chance est d’avoir été éjecté
de sa moto, car celle-ci a été entièrement pulvérisée par le choc. Lui a
fait un énorme bond et est venu s’écraser par terre. Il se souvient de ce
moment comme un film qui tourne au ralenti et toutes les images sont
présentes. En effet, il se rappelle le bruit du choc assourdissant, il se revoit
clairement être éjecté au-dessus de sa moto, son envolée qui dure à peine
quelques secondes, sa chute à terre très violente, ses jambes qui touchent
le sol en premier. Pas une seconde et pas une image ne lui échappent, et
à aucun moment il n’a perdu connaissance. Il n’a d’abord rien ressenti
sur le coup puis, après deux ou trois minutes, de vives douleurs dans les
jambes sont apparues. Les secours sont alors arrivés et on l’a transporté
en hélicoptère aux urgences.
Je demande à Georges ce qu’il a ressenti au cours de ce choc, il me
répond que cela a été extrêmement violent pour lui et qu’il s’est vu mort.
C’est cette image qui le marque le plus : pendant son envolée, il a cru
qu’il vivait sa mort en direct.
L’automobiliste responsable de l’accident n’a eu aucune blessure, et
Georges se rappelle avoir été profondément furieux contre lui.

4.3 Syndrome de répétition et changement


de caractère
Cinq à six semaines après, alors qu’il est toujours hospitalisé, les
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

premières difficultés apparaissent : Georges est envahi par les images et


les pensées de l’accident, qui reviennent sans cesse pendant la journée.
Elles l’empêchent de s’endormir et parfois il se réveille en sursaut, terro-
risé. Il sent qu’il a aussi beaucoup changé, il est devenu très émotif et
très sensible, il n’arrête pas de pleurer. Cet aspect le gêne beaucoup, et il
ne supporte pas une telle émotivité chez lui. Quand je lui demande s’il
a toujours été ainsi, il me répond que oui, mais qu’il ne l’avait jamais
montré. C’était comme si Georges avait toujours réussi à cacher cette
sensibilité profonde et à s’en protéger mais, avec l’accident, cette cara-
pace protectrice semble avoir été « pulvérisée » comme l’a été sa moto.
38 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

4.4 Suivi psychologique


et premières séries associatives
Pour Georges, c’est le premier accident de sa vie, un accident auquel
il ne s’attendait pas et qui survient de manière brutale et violente dans
son existence. Mais c’est surtout le premier dans lequel il est impliqué
personnellement, car il en a vu beaucoup dans sa carrière ; Georges est en
effet pompier professionnel. Ainsi, les premières associations s’orientent
vers ses souvenirs d’accidents antérieurs, que je sollicite chez Georges dès
le deuxième entretien. Il se rappelle effectivement beaucoup de situa-
tions, « des choses pas faciles », et ces souvenirs ressurgissent ces derniers
temps, dit-il. Ce sont des images terribles, en particulier celle d’une jeune
femme restée encastrée dans sa voiture qui brûlait. Il avait tenté de la
sauver, mais en vain. Il n’avait rien pu faire et avait assisté impuissant à
sa mort. Il souligne que ces accidents graves, il les vivait avant comme un
professionnel avec une armure, qu’il ne devait pas faiblir. Aujourd’hui, il
se sent profondément touché et ne parvient pas à s’en remettre. Tous ces
souvenirs lui sont devenus pénibles et insupportables. Des scènes brutales
ressurgissent de corps déchiquetés, de morts en direct dont il est même
difficile de faire la description… Georges se sent coupable d’avoir eu des
réactions cyniques à l’époque ; en effet, ses collègues et lui pratiquaient
la dérision. Lorsque je lui dis que c’était une manière de se défendre
contre ces images violentes, Georges se met à pleurer, il sanglote de façon
incontrôlée. Il est étonné par ces émotions qui l’envahissent à son insu,
il ne comprend pas ce qui se passe à l’intérieur de lui. Je l’accompagne
et lui dis que, sans doute, il a dû écarter beaucoup de choses difficiles et
douloureuses par le passé et qu’aujourd’hui elles reviennent.

4.5 Deuxième série associative


et sens du traumatisme psychique
Après 4 séances de suivi psychologique, l’état de santé de Georges
semble s’améliorer assez rapidement. Il est de plus en plus détendu. Les
médecins sont étonnés par son rétablissement physique aussi rapide et
remarquable. Il parvient déjà à faire quelques pas avec ses béquilles. Il
explique cette amélioration par sa forte volonté et sa détermination à
changer et à se prendre en charge.
Au cours des séances qui suivent, les contenus portent sur sa situation
à l’hôpital, sa santé, son traitement et sa famille avec qui, par ailleurs, il
n’existe pas de difficultés particulières, bien au contraire, celle-ci semble
Effroi, répétition et co-construction du sens du traumatisme psychique 39

bien présente et soutenante. Il évoque seulement la mort de son père il y


a deux ans qui a été difficile pour lui, mais il ne développe pas davantage.
Je perçois que ce décès est important pour Georges, mais il est encore
trop tôt pour verbaliser cette tristesse.
Progressivement, les images de l’accident s’estompent et Georges se
sent moins sensible, il pleure moins. Les moments de tristesse diminuent
et le souvenir de l’accident tend à s’éloigner. Les symptômes de revivis-
cence disparaissent et son sommeil se rétablit. Je suis étonnée par cette
amélioration rapide.
C’est dans ce contexte, à la sixième séance, que je demande à Georges
s’il a fait de nouveaux rêves. Il me répond qu’il en a fait plusieurs ; il
voit régulièrement sa moto en panne puis il fait des rêves fréquents de
son père. Ceux-là l’intriguent, en particulier un où il conduit un car
accompagné de ses collègues et de son père. Georges ne comprend pas
pourquoi il est aussi présent dans ses rêves. Je ne peux m’empêcher de lui
répondre que j’ai l’impression que son père lui manque beaucoup depuis
l’accident. Georges est très touché et se met à pleurer à gros sanglots. Ce
moment déclenche plusieurs souvenirs liés à la longue maladie de son
père puis à sa mort. Quand il est décédé, Georges n’a pas réagi, il n’a
pas pleuré, il est resté très distant. C’est alors l’occasion pour lui d’évo-
quer cette relation difficile avec ce père qu’il a toujours perçu comme
lointain et dont il s’est aperçu à quel point il lui manquait quand il
est parti. Aujourd’hui, Georges perçoit cette douleur intérieure comme
étant encore très vivace, il aurait voulu lui dire tant de choses. Il pleure
longuement et je lui signifie qu’il aurait sans doute aimé que son père
soit là après ce moment difficile lié à l’accident. En réponse, Georges
m’explique alors pour la première fois pourquoi il pense avoir survécu. Il
me dit : « j’aurais dû mourir dans cet accident, c’était trop grave… il y a
une raison à être encore là aujourd’hui ; j’ai pensé que mon père m’avait
sauvé de là-haut… c’est une idée bête, mais je l’ai pensé très fort… je
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

ne l’ai jamais dit à personne, c’est la première fois que j’en parle », il
sanglote à nouveau.
Ce fut un moment important de la thérapie qui a été vécu dans une
forte intensité émotionnelle à la fois sur le plan transférentiel et contre-
transférentiel. Georges venait effectivement de déposer quelque chose
d’essentiel pour lui et à la fois de très touchant. En même temps, il
semble qu’il avait enfin donné un sens à cet événement traumatique, à
la question pourquoi ça m’est arrivé ? Pourquoi n’était-il pas mort ? Il
avait une réponse : son père l’avait sauvé, et ne l’avait pas abandonné !
40 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

Peu de temps après cette séance, Georges décidait d’arrêter sa psycho-


thérapie. Son état physique et psychologique s’était amélioré et il devait
rentrer à son domicile terminer sa convalescence.

4.6 Discussion et analyse : la co-construction


du sens du traumatisme psychique
Cette observation montre comment le travail de co-construction du
sens du traumatisme psychique et d’activité narrative partagée permet
à Georges de s’améliorer et de se dégager des phénomènes de répétition.

4.6.1 Le traumatisme psychique chez Georges


Quand nous rencontrons Georges la première fois, il est fixé à cet
instant traumatique de « sa propre mort en direct », il s’agit d’une situa-
tion vécue qui semble comme irréelle ; il n’est pas seulement éjecté de sa
moto, mais aussi éjecté du monde des vivants, ou plutôt suspendu dans
ce moment d’envolée entre deux mondes, celui des morts et celui des
vivants. Dans cette expérience, Georges est comme dédoublé ; alors qu’il
est projeté, il s’imagine en même temps sur sa moto, qui est littéralement
pulvérisée. Ce vécu de dédoublement est sans doute très important à
comprendre pour appréhender la réaction d’effroi. Il peut être mis en
relation avec la notion de dissociation péri-traumatique soulignée par
de nombreux auteurs comme un élément de vulnérabilité au dévelop-
pement des états de stress post-traumatique (Birmes et al., 2004). La
dissociation se traduit ainsi comme une rupture immédiate ou post-
immédiate de l’unité psychique au moment du traumatisme, et peut inté-
grer différentes dimensions comme la torpeur, le détachement, la perte
de conscience de l’environnement, ou l’impression de déréalisation.
Georges est ainsi figé et fixé à ce moment incompréhensible pour lui,
et la violence psychique du choc est sidérante pour la pensée et rompt
tout processus associatif.
On comprend bien que le traumatisme ici rejoint la question du
non-sens, de l’anéantissement et du vide : comment penser ce temps
suspendu où l’on est entre deux entre la vie et la mort ?

4.6.2 L’engagement du clinicien et la co-construction du sens


Le point de départ de la construction du sens est sans doute la possi-
bilité de partager ce moment intense avec un autre, le clinicien. Cette
dimension est fondamentale, il faut un premier contact avec le sujet, une
Effroi, répétition et co-construction du sens du traumatisme psychique 41

rencontre, que le thérapeute soit touché par l’histoire de son patient pour
construire, co-construire une représentation significative du traumatisme
(Ciccone et Ferrant, 2009). Seul, le patient est pris dans cette angoisse de
mort qui tourne en boucle et dont il ne sait que faire.
En partant de ce contact et de cette proximité empathique, il s’agit de
donner un sens à l’événement qui consiste d’abord à rétablir le système
associatif et à rendre une cohérence à l’histoire de vie de Georges, histoire
qui a subi une rupture et une discordance. Le rétablissement du système
associatif passe par des inductions qui sont proposées par le clinicien
et qui ont deux objectifs. Le premier porte sur le contenu, il s’agira par
exemple de comprendre les contextes de vulnérabilité, les événements
passés qui contribuent à donner un sens au traumatisme présent. Le
deuxième porte sur un niveau plus formel, c’est-à-dire que les contenus
ont ici moins d’importance ; ce qui est fondamental, c’est davantage
la possibilité d’intégrer l’événement dans une suite associative et dans
une chronologie individuelle permettant de relier l’avant et l’après du
traumatisme psychique ; ce qui est en jeu ici, c’est l’activité narrative.

4.6.3 L’activité associative


Du point de vue des contenus, on perçoit assez rapidement le poids
des accidents antérieurs dans la vie professionnelle de Georges. On sait
que les professionnels du secours sont soumis comme les victimes à des
situations brutales multiples, intenses et répétées qui peuvent engendrer
des phénomènes de stress. L’exposition à la violence et à l’horreur de
certaines interventions comme le spectacle de cadavres mutilés ou défi-
gurés lors d’une explosion ou la souffrance de victimes d’accidents de la
route peuvent revêtir un caractère traumatique (Laurent et Chahraoui,
2007). Georges décrit bien ces scènes de violence passées qui semblent
devenir traumatiques dans l’après-coup. En effet, à l’époque, il avait
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

l’impression d’être protégé par l’armure professionnelle, et en particulier


par les défenses collectives mises en jeu au niveau groupal pour faire face
à ces tragédies. De nombreuses études ont montré le poids de ces straté-
gies adaptatives à la fois individuelles et collectives pour se protéger d’un
trop-plein d’émotions pendant les interventions, en particulier toutes les
défenses visant à une distanciation de la relation avec la victime (Laurent
et Chahraoui, 2007). Mais là, Georges est impliqué personnellement, sans
aucune possibilité de distanciation, il se retrouve seul, démuni et, cette
fois, l’armure se brise et fait éclater toutes ses défenses et sa sensibilité.
Dans la deuxième série associative, c’est un événement plus personnel
qui est réactivé, la place du décès récent du père qui semble douloureux et
42 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

lié à un sentiment d’abandon ancien. En effet, Georges peut enfin narrer


ce contexte de deuil qui a été difficile, il peut évoquer le manque, la tris-
tesse, le vécu d’abandon par rapport à ce père qui a toujours été distant.
La douleur est encore vive et intacte, et Georges en prend conscience
pendant les séances. Il découvre avec étonnement ses sentiments inté-
rieurs et leur actualité : c’est comme si son père venait juste de mourir me
dit-il. On peut penser que la problématique de l’abandon a été revécue
lors de l’accident ; en effet, les premières paroles de Georges ont été la
crainte que ses enfants puissent le perdre, cette image lui était insup-
portable. La possibilité de parler de la douleur de la perte du père a été
un moment sans doute crucial de ce suivi psychologique qui a conduit
à donner enfin un sens au traumatisme psychique : Georges a survécu,
car son père l’a sauvé. Cette croyance donne une cohérence interne à
l’insensé du traumatisme psychique et propose en même temps une issue
à l’incertitude et à l’insécurité du vécu d’abandon.

4.6.4 Activité narrative et rétablissement de la continuité du soi


Nous pensons que ce qui a été important dans le suivi avec Georges,
c’est la notion d’activité narrative : en effet, comment à partir d’un acci-
dent qui fait rupture dans la continuité de soi, continuité existentielle,
en ébranlant toutes les croyances et les certitudes, on peut retrouver une
identité cohérente. La notion d’identité narrative développée par Ricoeur
(1983-1990) peut nous apporter sans doute quelques éclaircissements
dans la mesure où elle tente de répondre à cette question fondamentale :
existe-t-il une continuité du sujet et de soi-même à travers la multiplicité
de ses expériences ? Ainsi, selon Ricoeur (1990), l’identité narrative se
définit comme la capacité de la personne à mettre en récit de manière
concordante les événements de son existence. Il s’agit à la fois, selon
les principes de concordance-discordance, de remettre de l’ordre dans
la chronologie et d’intégrer et d’agencer en même temps les disconti-
nuités pour donner un sens au récit. Le narratif permet ainsi d’intégrer
les ruptures et les continuités de manière à en faire un récit qui donne
la possibilité de raconter et de se raconter (Taïeb et al., 2005).
La notion d’activité narrative permet de sortir des logiques causales
et biomédicales. La question du sens est centrale et n’a rien de rationnel
ni de logique ; donner un sens, c’est créer une sorte de mythe personnel
plus ou moins ancré dans des réalités socioculturelles. Ainsi, dans son
parcours, le sujet soumis à un trauma extrême doit restituer et recons-
truire un sens à sa vie qui n’est pas forcément quelque chose de linéaire
ni de rationnel. Chez Georges, c’est cette idée irrationnelle d’avoir été
Effroi, répétition et co-construction du sens du traumatisme psychique 43

sauvé par son père mort qui fait et produit du sens et lui permet de
résoudre le traumatisme psychique.
La question du sens dans le traumatisme psychique est donc complexe
et non réductible à des dimensions causales ; elle est liée aux histoires et
imaginaires singuliers de chacun et elle se construit dans l’ici et main-
tenant de la psychothérapie. Cette construction et co-construction du
sens redonne une cohérence interne et externe à son histoire et à son
parcours de vie, ce qui permet de démarrer une nouvelle chronologie
avec d’autres projets et buts existentiels.

4.7 Conclusion
On peut être assez étonné par la rapidité de la prise en charge psycholo-
gique chez Georges. Pourtant, elle est assez classique avec des patients qui
souffrent d’un syndrome psychotraumatique aigu et qui ont été pris en
charge précocement après le traumatisme psychique. De plus, Georges ne
présente aucune autre psychopathologie majeure associée, ni de troubles
de la personnalité, ni d’antécédents psychiatriques. Ainsi, la sémiologie
observée est essentiellement focalisée sur le syndrome psychotrauma-
tique. À cela s’ajoutent différents facteurs qui jouent également un rôle
positif : un environnement social, familial et affectif très soutenant ainsi
qu’une détermination et un engagement personnel très importants dans
la volonté de s’en sortir. Avec ces patients, les psychothérapies psycho-
dynamiques brèves avec leur principe d’activité et de focalisation consti-
tuent de bonnes indications (Gilliéron, 2004).

5. Observation n° 5 : Thibaut, « culpabilité,


mort et répétition traumatique »
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

5.1 Présentation
Je rencontre Thibaut, 30 ans, trois mois après un accident de la route
qui a occasionné le décès d’un tiers. Il souffre d’insomnies, de difficultés
d’endormissement et d’un sentiment d’épuisement permanent. Il est
particulièrement perturbé par des « flashs » visuels répétitifs de l’accident
qu’il ne parvient pas à contrôler et qui l’empêchent de s’endormir. Il se
dit aussi très irritable, triste, et n’a plus de goût à rien. Il a du mal à se
concentrer dans son travail et a tendance à s’isoler, ce qui entraîne des
44 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

difficultés professionnelles. Depuis cet événement, Thibaut ne peut plus


conduire et a des manifestations d’angoisse associées aux transports. Il
présente un syndrome psychotraumatique assez classique et un vécu
dépressif avec irritabilité, repli sur soi, lassitude, perte de l’élan vital et
forte culpabilité.

5.2 Le choc traumatique


Lors de notre première rencontre, Thibaut apparaît abattu et triste,
mais le contact est de bonne qualité et il semble très motivé par cette
première consultation.
Je lui demande de me raconter ce qui lui est arrivé :
Thibaut. – Ben en fait fin avril, j’ai eu un accident de voiture et euh il
y a eu un mort… donc c’est vrai que j’ai appuyé le coup… j’ai eu un RV
par le Dr X, qui m’a conseillé de venir vers vous parce que j’ai… c’est
pas vraiment des cauchemars, c’est plus des images. Ben en fait la nuit,
j’ai du mal à m’endormir… j’ai eu plusieurs contusions et, la nuit si je
bougeais, ça me faisait mal, ça me réveillait, donc ça me rappelait l’acci-
dent et le monsieur qui était mort au volant, donc tout ça, ces images-là
qui me reviennent…
Psy. – Ce sont les images qui reviennent…
Thibaut. – Oui, ce sont les images, ce n’est pas les cauchemars, je n’en
ai pas. C’est plutôt les images et c’est vrai que c’est un petit peu énervant
la nuit, parce que si je suis réveillé, après j’ai du mal à… c’est ces images
qui viennent et après j’ai du mal à me rendormir, je suis obligé de, je
dirais, de me lever, de regarder la télé parce que…
Thibaut continue ensuite à raconter dans le détail ses nuits perturbées,
ses réveils fréquents. Je reviens sur les images et lui demande de me les
raconter plus précisément :
Thibaut. – Les images, c’est la voiture qui vient, qui traverse, qui vient
nous percuter, euh et puis après le monsieur qui est dans le fossé, qui
a la tête dans sur le volant, euh qui est décédé avec les images du petit
garçon qui était derrière blessé, ces images-là donc…
Psy. – Oui…
Thibaut. – Oui, on l’a vu venir et puis on n’a rien pu faire, c’était trop
tard… c’était…
Psy. – Vous conduisiez…
Thibaut. – Non, j’étais avec mon jeune frère, c’est lui qui conduisait,
il a perdu connaissance… euh…
Effroi, répétition et co-construction du sens du traumatisme psychique 45

À ce stade de l’entretien, Thibaut me décrit l’événement de manière


assez opératoire et factuelle. Il n’exprime aucune émotion. J’introduis
alors l’idée que ce choc a pu être violent sur le plan psychologique. Cette
induction a pour objectif d’avoir accès aux affects et aux sensations
éprouvés lors de l’accident et d’autre part de recentrer sur le vécu interne
alors que Thibaut est complètement envahi par le réel. Pour se dégager
de la fascination traumatique, il est important de pouvoir regarder et
comprendre ce qui s’est passé à l’intérieur de soi, c’est-à-dire remettre de
la subjectivité là où le traumatisme a créé l’anéantissement psychique.
C’est cette élaboration psychique qu’il faut développer, car elle a manqué
à Thibaut, qui est littéralement happé par l’image violente du réel.
Psy. – Vous avez dû avoir très peur pendant cet accident…
Thibaut. – C’est vraiment le véhicule, je sais pas… non, non… on a
vu la voiture partir et venir sur nous puis on n’a rien vu d’autre après le
choc, les airbags tout ça… non ça a été trop vite, tellement vite, on a vu
la voiture et puis j’ai dit : « Oh, qu’est-ce qui se » et puis pan, ça a tapé,
on n’a pas… non… c’est après, c’est plutôt après…
Psy. – Oui c’est après…
Thibaut. – Oui plutôt après. Il y avait mon frère qui était inconscient,
donc plutôt peur pour lui… oui, oui, je me suis pas senti euh mal, j’avais
pas mal, donc quand j’ai vu que la voiture en contrebas, personne ne
bougeait, je suis descendu… la gendarmerie, les pompiers sont venus
très vite, ils nous ont pris en charge et puis c’est dans l’ambulance, j’ai
senti que j’avais vraiment mal, j’avais un bleu ici, j’avais une tension
de 25-26 de tension après je redescendais… bon c’était peut-être un peu
le choc, donc du coup non, j’ai pas vraiment pensé à moi, j’ai surtout
pensé au… au conducteur, et puis je voyais que ça ne bougeait pas… et
puis mon frère est sorti vivant, il avait pas, bon un peu de sang sur le
visage à cause des éclats, mais euh… je sais pas si c’est…
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

Je demande à Thibaut comment a réagi son frère par rapport à ce


choc. Il me précise qu’il a eu des séquelles assez légères et qu’après
quelques jours d’hospitalisation, il s’est bien rétabli et va plutôt bien. Je
lui demande alors comment il comprend la différence de réaction entre
eux. Il me répond :
Thibaut. – Oui, oui, je pense, ben lui, il y a eu la voiture et après il
est tombé dans le… un peu dans les vaps, bon il est sorti, il y avait des
gens qui étaient derrière, des témoins qui l’ont pris en charge, pris la
couverture, donc il est pas descendu voir les autres personnes dans la
voiture, donc il n’a peut-être pas les mêmes images que moi, parce que
46 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

moi je vois vraiment le monsieur qu’a la tête contre le volant et puis le


petit garçon qui était derrière, ben c’est un peu ces images-là…

5.3 Traumatisme psychique et séquelles


psychotraumatiques
Ces premiers moments de l’entretien, sur lesquels nous nous sommes
volontairement attardé montrent de manière très claire comment
Thibaut a vécu l’accident. Ici, ce sont bien l’effroi et la sidération
psychique provoqués par la vision de la mort qui caractérisent cette
scène, et il est important de souligner que Thibaut n’a pas eu le temps
de ressentir de la peur. C’est le choc, violent, soudain, non préparé, qui
définit véritablement le traumatisme psychique et qui se manifeste par
la suite par toute une série de symptômes tout à fait typiques. En effet,
15 jours après l’accident, les scènes de reviviscence apparaissent sous
forme de « flashs visuels », d’images intrusives incontrôlables, la nuit,
mais aussi la journée, au moindre stimulus ou récit évoquant l’acci-
dent ou quand il est amené à monter dans un moyen de transport.
Ces images intrusives prennent la forme de « pseudo-hallucinations »
au sens perceptif du terme, c’est-à-dire des percepts non intégrés qui
s’imposent à lui. À ces images, s’ajoutent des troubles du sommeil, des
sursauts nocturnes, des difficultés d’endormissement et des comporte-
ments d’évitement phobique de la voiture. En effet, Thibaut est dans
l’incapacité de conduire, ne prend plus les transports sauf s’il y est obligé
et accompagné mais, même dans cette situation, il a très peur. Enfin les
premières dimensions d’altération de la personnalité apparaissent avec
des éléments dépressifs, une très grande fatigue morale présente surtout
le matin, une perte de goût et d’intérêt pour les loisirs et les relations,
un repli sur soi. Il développe également une irritabilité et de grandes
difficultés de concentration qui le handicapent sur le plan professionnel.
Tous ces troubles, et plus particulièrement les images intrusives ou
« flashs visuels », montrent l’impact violent de l’événement trauma-
tique. En effet, ils constituent les principaux marqueurs de la violence
du choc traumatique et de son impact sur le psychisme. Il s’agit d’une
situation brutale qui n’a pas pu être anticipée et préparée : « ça a été trop
vite, tellement vite […] ça a tapé […] pan […] non… c’est après, c’est
plutôt après… », dit Thibaut, qui ne parvient pas à trouver les mots pour
décrire la situation et est incapable de narrer le déroulement complet de
l’accident, sinon dans un discours très haché. Nous retrouvons bien ici la
rencontre traumatique avec le réel de la mort que ce patient comprend
Effroi, répétition et co-construction du sens du traumatisme psychique 47

bien quand il distingue sa réaction de celle de son frère, qui a pourtant


vécu le même accident que lui : « … mon frère est resté dans la voiture,
il était inconscient… il n’est pas descendu voir les personnes dans la
voiture, donc il n’a peut-être pas les mêmes images que moi parce que
moi j’ai vu… »
L’image répétitive renvoie bien ici chez ce patient à sa difficulté à
intégrer cette vision brutale. Il reste fixé sur cette image, fasciné et sidéré
par cette horreur sans pouvoir l’élaborer ou la traiter en la liant à des
représentations significatives pour lui. Nous reconnaissons ici l’impact
du traumatisme, sa violence et ses effets délétères pour le psychisme qui
ne se limitent pas aux images intrusives, mais aussi aux perturbations
générales sur la santé et l’équilibre social, professionnel et familial de
Thibaut.

5.4 Les premières associations :


culpabilité et traumatisme
Les premières associations apparaissent dès le premier entretien, et
en particulier la place de la culpabilité, qui sera centrale tout au long de
l’accompagnement psychologique.
La culpabilité est tout d’abord évoquée de manière banalisée et rationa-
lisée par Thibaut : « … j’ai les images qui me reviennent, donc sinon bon
ben j’essaie de relativiser… mais j’étais pas au volant donc je peux pas
dire « j’aurais fait ça ou ça »… c’est, je sais pas… par rapport ça… je peux
pas, bon ben je culpabilise peut-être plus parce que bon je me dis : est-ce
qu’on est passé à la mauvaise heure ? Euh, cet homme avait un enfant
qui se retrouve maintenant sans papa…, donc c’est par rapport à ça… »
L’expression de la culpabilité chez Thibaut est difficile, mais elle peut
être verbalisée et surtout elle est associée dès le premier entretien à un
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

autre accident, survenu il y a 10 ans :


Thibaut : « Oui, c’était, j’avais quoi une vingtaine d’années, je roulais
en voiture et il y avait un homme qui traversait la route et je ne l’ai pas
vu, et je l’ai percuté, et après c’est passé pareil au tribunal… à l’époque,
il n’y avait pas eu de suivi psychologique, j’avais mal, j’étais jeune, tout
ça euh… cet homme… J’avais été le voir, il m’avait envoyé euh balader…
il ne m’avait pas pardonné… et comme c’était un piéton… ça s’est un
peu retourné contre moi, heu voilà… »
Ce premier accident a semble-t-il déclenché un vécu intense de culpa-
bilité. Il a le souvenir d’une grande détresse sur le plan psychologique qui
s’est manifestée par un vécu dépressif accompagné d’isolement, de repli
48 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

sur soi et de nombreuses idées morbides. Il ne fut pas soigné à l’époque,


ce qu’il regrette aujourd’hui. Ce premier traumatisme non élaboré vient
faire collusion avec le deuxième avec une charge émotionnelle impor-
tante liée à une culpabilité non résolue provenant du premier trauma. En
ce sens, nous pouvons sans doute comprendre l’impossibilité de traiter
les images intrusives actuelles par la difficulté pour Thibaut de les intégrer
à des représentations qui soient acceptables pour lui. En effet, l’expé-
rience actuelle vient réveiller une autre scène traumatique identique qui
accentue le vécu de désarroi et de culpabilité. L’image intrusive peut être
considérée ici comme une forme de défense ou d’écran à un sentiment
de faute et de culpabilité douloureux et impossible à traiter.

5.5 Suivi psychologique et résolution


du traumatisme psychique
Au cours des séances qui suivent, c’est l’occasion pour Thibaut d’ex-
poser davantage ce vécu de culpabilité en relation avec ses deux accidents
présent et passé. Il souffre encore du fait que cette personne renversée il
y a 10 ans ne lui ait jamais pardonné. Et aujourd’hui, il pense à nouveau
à la douleur de cette famille et de cet enfant restés orphelins. C’est une
douleur très vive, profonde chez lui, qu’il arrive toutefois à exprimer au
fur et à mesure des entretiens.
Il essaie au cours de ces séances de donner un sens à ce terrible acci-
dent, en invoquant la malchance à plusieurs reprises. C’est aussi l’occa-
sion pour lui de revenir sur certaines situations de sa vie qui ont été
pénibles pour lui ces dernières années, en particulier une déception senti-
mentale qui a été douloureuse. Mais aujourd’hui, Thibaut est stable sur
le plan affectif et sa famille est très présente et soutenante.
Nous évoquons également pendant plusieurs séances ses difficultés
à exprimer ses sentiments, en effet, Thibaut est plutôt inhibé dans ses
émotions et il ne parle que très peu de lui, pourtant il narre quelques
moments de colère intense dans sa vie. Ce dernier point a été sans doute
un des éléments clés de la prise en charge sur lequel nous nous sommes
longuement attardés. Il était important d’accompagner Thibaut en l’ai-
dant à verbaliser ses différents ressentis.
Au bout de deux mois de suivi psychologique, Thibaut va beaucoup
mieux, il pense arrêter la prise en charge. Il se sent plus détendu. Il dort
bien, et ne pense plus constamment à l’accident. Il s’investit davantage
chez lui, et son épouse a remarqué ces changements positifs. C’est au
cours de cette séance où il verbalise son désir de stopper la prise en
Effroi, répétition et co-construction du sens du traumatisme psychique 49

charge qu’il me raconte pour la première fois un rêve : il est dans une
banque et arrivent deux malfaiteurs cagoulés qui veulent la caisse et le
prennent en otage. Il se retrouve ensuite au poste de police, car on le
croit complice des malfaiteurs puisqu’il a été retrouvé avec eux. Il doit
rester en garde à vue 48 heures. Il ressent un grand sentiment d’injustice.
Mais le lendemain matin, on finit par le libérer en lui signifiant qu’il
n’est pas coupable de ce qui est arrivé…
Quand je demande à Thibaut ses associations en rapport avec ce rêve,
il ne voit rien et ne fait aucun lien, il me dit seulement que ce dernier
l’a bien fait rire ! Nous échangeons un sourire et je lui réponds que c’est
sans doute un rêve de dénouement de son histoire, qu’il se sent peut-
être moins responsable aujourd’hui. Thibaut acquiesce en m’informant
qu’il a eu des nouvelles récemment du petit garçon blessé rentré chez lui
après sa période de convalescence et qu’il était étonné à ce moment de
ne pas penser à son père décédé. Toutefois, en racontant cela, on lit une
légère tristesse et crispation sur son visage. Thibaut a beaucoup avancé
dans l’élaboration de sa culpabilité, mais cet accident constituera sans
doute une blessure durable qui cicatrisera progressivement avec le temps.

5.6 Discussion : culpabilité, rêve


et élaboration psychique
5.6.1 Un rêve de dénouement du traumatisme psychique ?
Avec ce dernier rêve raconté par Thibaut, il semble que la culpabi-
lité profonde générée par le traumatisme ait enfin trouvé une possible
représentation psychique à travers ce scénario onirique riche de sens et
qui traduit un certain travail d’élaboration. En effet dans ce rêve, nous
retrouvons plusieurs dimensions :
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

• Une possibilité de symboliser le vécu traumatique de manière vivante


et dynamique, par des procédés de déplacement et de figuration de
la culpabilité.
• Un scénario comportant une histoire avec un début, un dévelop-
pement et un dénouement, qui marque la richesse associative et
l’élaboration complexe du traumatisme à travers un récit structuré.
• Une expression à la fois de la représentation et de l’affect (soulage-
ment) avec une association possible entre les deux. Non seulement
Thibaut est soulagé dans le rêve, mais en plus ce dernier l’a bien
fait rire.
50 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

L’apparition de ce rêve est concomitante avec une amélioration géné-


rale chez ce patient et on peut supposer qu’il signe une élaboration
psychique de sa culpabilité et une résolution du traumatisme dans une
dimension à la fois symbolique et cathartique. De plus, la narration de
ce rêve à ce moment de la psychothérapie semble être l’aboutissement
d’un long travail de co-construction du sens du traumatisme psychique
débuté depuis plusieurs séances.

5.6.2 Le rôle de la culpabilité et de son devenir


dans la progression thérapeutique
La culpabilité et son devenir ont joué un rôle essentiel dans ce travail
psychologique avec Thibaut. On pourrait sans doute concevoir ce rôle
comme un véritable opérateur de changement. En effet, la culpabi-
lité semble ici être une possibilité pour le sujet de changer et de faire
un travail psychique sur lui-même, comme le soulignent si justement
Ciccone et Ferrant (2009) à propos du travail de la culpabilité dans les
contextes traumatiques. Cette dimension nous semble être fondamen-
tale, car le clinicien pourrait avoir tendance à croire que la culpabilité
ne doit pas être dite, qu’elle doive être raisonnée ou encore banalisée,
mais il est important que le sujet puisse l’exprimer et en faire quelque
chose sur le plan de ses représentations psychiques. La culpabilité oblige
le sujet à s’inscrire dans une dimension intersubjective et à sortir ainsi
de lui-même.

Fantasmes de culpabilité
Ciccone (1999) a appelé « fantasmes de culpabilité » ces culpabilités conscientes
que l’on observe dans un contexte traumatique. Il s’agit selon lui de scéna-
rios reconstruits dans lesquels le sujet se désigne comme responsable de ce
qui arrive, même s’il n’y est pour rien. Pour Ciccone, ces fantasmes ont une
double fonction, d’une part ils permettent d’atténuer l’impact traumatique
du traumatisme, le sujet devenant actif là où il a subi l’événement de manière
passive. Et d’autre part, ce fantasme rend possible un mouvement d’appro-
priation, le sujet devenant sujet d’une histoire étrangère qui s’impose à lui.
Dans cette logique, la culpabilité permet alors de s’approprier, de contrôler,
de maîtriser et de penser le traumatisme. Elle participe d’un mouvement
d’appropriation psychique qui est très important alors que le traumatisme a
pour conséquences l’anéantissement et la perte de contrôle et de maîtrise.
Effroi, répétition et co-construction du sens du traumatisme psychique 51

Cette culpabilité ne prend tout son sens et sa pleine importance que


dans la relation intersubjective et quand elle peut faire l’objet d’une
narration. En effet, le sujet ne peut régler seul cette problématique ; on
perçoit bien cet aspect chez Thibaut, pour qui l’élaboration est impos-
sible et chez qui les symptômes de répétition, composés de percepts et
d’images, font sans cesse retour comme s’ils ne lui appartenaient pas.
Il faut absolument clarifier ici un malentendu possible : il n’est pas
question de signifier ou d’indiquer au sujet qu’il est coupable de quelque
chose. Bien au contraire, le mouvement d’empathie du clinicien serait
plutôt de lui exprimer qu’il n’y est pour rien et qu’il n’est pas respon-
sable. Ces paroles importantes ont un objectif de soutien, de réassurance
et de compréhension empathique que le sujet entendra de cette façon.
Toutefois, au-delà de ces paroles rassurantes, il est aussi nécessaire de
pouvoir entendre et « supporter » les affects violents de culpabilité du
patient quand il les exprime, ce qui l’aidera dans un mouvement d’iden-
tification à les supporter lui-même.
L’aspect de contenance du thérapeute est essentiel, la violence de la
culpabilité doit être contenue ; à la fois le sujet doit être rassuré, mais il
doit pouvoir aussi exprimer ses affects les plus profonds dans une visée
cathartique. C’est parce que le sujet aura pu exprimer et se délivrer de cet
affect qu’il pourra dépasser le traumatisme et s’en sortir. Selon Ciccone
et Ferrant (2009), « l’innocentation » est un vrai processus psychique,
c’est un travail psychique qui ne se décrète pas, et on voit dans le cas de
Thibaut combien celui-ci a été important au-delà de toute responsabilité
dans la réalité.
Dans le cas de Thibaut, on peut concevoir la culpabilité à la fois comme
un opérateur de changement qui permet un certain travail psychique
et également comme un affect traumatique d’une grande violence qui
fait lui-même effraction. En effet, comment penser que l’on puisse être
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

responsable de la mort de quelqu’un ? C’est une représentation impos-


sible, violente qui va à l’encontre de toutes nos valeurs et de nos règles
morales. Ainsi, la culpabilité ici est traumatique en elle-même et ne
peut être intégrée, car elle participe également d’une violence et d’une
catastrophe intérieures.
La restauration de l’enveloppe et de la contenance est capitale pour
permettre au sujet de supporter ces mouvements de violence intérieure.
C’est pour cela que le clinicien devra bien s’assurer avant d’effectuer ce
travail sur la culpabilité que l’enveloppe et la contenance sont suffisam-
ment solides et de bonne qualité pour développer le récit.
52 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

Enfin, la culpabilité ouvre aussi l’accès à une position dépressive et à


son dépassement dans la mesure où elle permet de vivre la perte et de
faire un travail de deuil.

5.6.3 Culpabilité traumatique et réélaboration du passé


Chez Thibaut, on perçoit comment le travail sur la culpabilité passe
par le rappel d’autres situations identiques non élaborées qui viennent
alimenter le trauma actuel. Il est important d’observer que le trauma-
tisme peut rouvrir des plaies et des blessures anciennes qui doivent être
élaborées ou réélaborées pour donner sens à ce qui arrive aujourd’hui.
La théorie du traumatisme est passionnante, car elle questionne la
notion de causalité. Le clinicien est souvent dans l’illusion rétrospective
qui est de penser que des événements anciens ont pu jouer un rôle dans
la trajectoire et la vulnérabilité actuelle des patients. Il nous semble que
la notion de traumatisme interroge cette idée et l’homme est confronté
tout au long de sa vie à des épreuves qui l’obligent à chaque fois à traiter
ces événements et à les élaborer en leur donnant des significations et de
nouvelles théories pour s’adapter au changement.
Dans ce sens, les épreuves traumatiques obligent à une réélaboration
constante du passé afin de mieux comprendre le présent et de lui donner
une cohérence pour maintenir la notion d’historicité.

Pour aller plus loin


Bion W.R. (1962). Aux sources de l’expérience, Paris, PUF, 1979.
Ciccone A. et Ferrant A. (2009). Honte, culpabilité et traumatisme, Paris,
Dunod.
Laurent A., Chahraoui K. et Carli P. (2007). « Les répercussions
psychologiques des interventions médicales urgentes sur le personnel
SAMU », dans Annales médico-psychologiques, 165, 570-578.
Lebigot F. (2002). « L’effroi du traumatisme psychique. Le regarder en
face ou s’en protéger », dans Revue francophone du stress et du trauma,
2 (3) : 139-146.
Ricoeur P. (1990). Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, coll. « Points
Essais », 1996.
3
Cha
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TRAUMATISME,
CRISE PSYCHIQUE
ET CRISES DE VIE
aire
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S o m

1. Introduction ...............................................................................55
2. Traumatisme et crise psychique ..............................................55
3. Observation n° 6 : « Ghislaine
ou l’adolescence figée »........................................................... 60
4. Observation n° 7 : « Béatrice, agression
et crise familiale » .................................................................... 69
Traumatisme, crise psychique et crises de vie 55

1. Introduction

Pa
La notion de crise psychique éclaire de manière singulière la clinique
psychotraumatique en introduisant un point de vue dynamique permet- rt
tant de donner un sens au vécu traumatique. Nous développerons dans
ce chapitre la clinique des syndromes psychotraumatiques chroniques,
sous l’angle d’une crise psychique non résolue, éventuellement redon-
ie
dante avec une autre crise de vie sous-jacente, ce que nous illustrerons
avec deux observations.

2. Traumatisme et crise psychique

2.1 La crise traumatique comme moment critique


de changement : entre désorganisation
et réorganisation
Appréhender les troubles psychotraumatiques comme une situation de
crise psychique nous permet de dépasser le niveau purement descriptif
des critères diagnostiques et pathologiques et de mieux comprendre ce
que vit le sujet dans cette expérience unique et complexe de boulever-
sements et de changements intérieurs.
Il est important de faire un rappel de l’évolution de la notion de crise
pour en comprendre toute la pertinence (Crocq, 1991 ; Beauchesne,
1995 ; Chahraoui, 2000). Ainsi, la vision uniquement pathogène de la
notion de crise est assez récente et date du XIXe siècle (Beauchesne, 1995),
et il faut revenir à la conception première et ancienne de la crise pour
retrouver tout son sens dynamique (Crocq, 1991). En effet, le terme
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

Krisis, introduit par Hippocrate (v. 460-v. 377 av. J.-C.) dans le domaine


médical, désignait la phase critique de la maladie et son point culminant,
qui pouvait être le prélude à trois types d’issue : guérison, aggravation
ou complication et mort. La crise était ainsi conçue comme un moment
de changement décisif et critique, de transition entre deux périodes
d’évolution et de véritable alternative pour le meilleur ou pour le pire.
Concevoir la crise de cette manière permet de sortir des logiques
pathogènes et de l’envisager d’un point de vue dynamique comme un
moment de transformation vers un changement, qu’il soit positif ou
négatif. C’est donc davantage cette notion d’alternative qui doit être
56 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

retenue dans la définition de la crise. Cette alternative se situe dans une


période charnière entre une désorganisation et une tentative de réorga-
nisation et de restauration. Si nous prenons en compte cette structure
formelle de la crise, alors il ne s’agit plus de considérer la maladie comme
seulement le signe d’une défaillance, mais aussi comme un moment
de lutte pour la guérison (Bolzinger, 1981). Ainsi, dans la crise trauma-
tique, on peut comprendre une série de signes typiques (syndrome de
répétition, plaintes répétitives, demandes incessantes adressées au corps
médical, besoin d’être compris…) comme des tentatives de la part du
sujet de résolution du traumatisme à travers une recherche de sens et
d’écoute. Ces signes doivent être décodés par le clinicien comme des
appels à l’aide et des tentatives de régler une souffrance qui ne peut
être exprimée autrement. Quand les sujets rencontrent chez le clinicien
une écoute attentive, une reconnaissance du vécu et une possibilité de
donner un sens à leur expérience traumatique, la répétition cesse, et peut
alors commencer le travail d’élaboration et de narration menant vers la
restauration psychique.

2.2 Dimensions existentielle, phénoménologique


et clinique de la crise traumatique
La notion de crise intègre plusieurs dimensions : existentielle, phéno-
ménologique et clinique (Beauchesne, 1995 ; Chahraoui, 2000), qui sont
importantes à considérer pour mieux appréhender la complexité du
psychotraumatisme et de ses effets :
1) L’apport de la philosophie existentielle à travers la notion de choix
existentiel développé par Minkowski (1966) permet de prendre en
compte les tensions générées par les difficultés que posent les choix
et les possibilités existentielles, ce qui engendre parfois de véritables
immobilisations dans les parcours de vie. Ainsi, les effets durables
du traumatisme psychique doivent aussi être considérés comme des
impasses sur un plan existentiel. Nous rencontrons ainsi souvent des
sujets bloqués dans leur parcours de vie sur un plan professionnel,
social ou familial. Par exemple, la question du handicap consécutif
à un traumatisme est souvent vécue par les sujets comme une véri-
table rupture, un échec dans les projets de vie et un bouleversement
du sens donné à l’existence. La résolution de cette crise psychique
passe alors souvent par l’élaboration lente, douloureuse, d’un chan-
gement profond dans le rapport à soi, à autrui et à son environne-
Traumatisme, crise psychique et crises de vie 57

ment. Celui-ci peut se traduire par des modifications de valeurs, de


croyances et d’investissements dans de nouveaux projets de vie qui
nécessitent de clarifier les choix existentiels.
2) L’apport phénoménologique développé à partir de la philosophie alle-
mande1 (Beauchesne, 1986) enrichit l’abord de la crise en mettant
l’accent sur l’expérience dans l’ici et maintenant (der Dasein2) afin
de mieux appréhender le contexte et le vécu subjectif de la crise.
La disponibilité et l’écoute du clinicien dans l’ici et maintenant
ainsi que l’attention portée sur les changements dans leur actualité
et leur réalité, permettent de mieux comprendre la problématique
psychotraumatique plutôt qu’une centration trop importante sur
le passé du sujet. Cette écoute « sans a priori3 », centrée sur l’expé-
rience présente vécue par le patient, permet une meilleure compré-
hension et résolution des situations de crise traumatiques où il est
nécessaire de prendre en compte le niveau de violence du réel. En
effet, le clinicien peut avoir tendance à rechercher trop rapidement
des éléments de causalité dans le passé pour expliquer le présent
alors que la focalisation sur le vécu actuel de la crise est porteuse
de nombreuses significations qui ne doivent pas être négligées. De
plus, ce décalage dans l’écoute du clinicien, parfois trop orienté par
sa théorie de référence, donne l’impression au patient de ne pas être
entendu dans l’expression de sa souffrance.
3) L’apport clinique (Anzieu, 1974) resitue les dimensions de la crise
selon plusieurs niveaux :
– La dimension conflictuelle : le traumatisme psychique a la particularité
de figer la dimension conflictuelle inhérente à l’homme. Il s’agira au
cours du travail thérapeutique de mettre en évidence cette notion de
conflit dans le rapport à soi et aux autres pour permettre la résolution
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

1. Courant de la philosophie allemande développé par Husserl (1859-1938).


2. Selon Heidegger (1889-1976), philosophe, disciple d’Husserl, der Dasein traduit une des-
cription des choses dans leur essence sans aucun présupposé théorique. Der Dasein, pour
Heidegger, pourrait être traduit par «  réalité humaine  »  ; il s’agit de s’intéresser à ce qui se
passe chez l’homme, à sa manière d’être dans le monde et de ne pas réduire l’observation
aux symptômes visibles du patient et à ses conduites pathologiques, mais plutôt d’essayer de
comprendre l’existence du malade dans ses rapports avec son passé, son avenir et avec autrui.
L’accent est mis sur l’intersubjectivité des rapports avec autrui. Cette approche philosophique
a été introduite en psychiatrie par Jaspers (1928) puis développée par Biswanger (1881-1966),
dont la pensée complexe a sans doute empêché une large diffusion de ses travaux chez les
cliniciens (Fedida, 1986).
3. Pour Biswanger (1881-1966), l’écoute sans a priori consiste à aller davantage dans la com-
préhension du malade là où il se trouve, plutôt que de comprendre un malade à partir de
théories préétablies qui appartiennent au thérapeute et non au malade.
58 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

de la crise. Quand l’accès à la dimension conflictuelle est possible,


cela signifie l’ouverture à la singularité et à la subjectivité du sujet qui
va généralement de pair avec la fin de l’état de sidération psychique.
– La dimension interactionniste  : l’attention portée à cette dimension
permet d’entrevoir le sujet dans la spécificité de ses rapports à son
environnement (famille, entourage, groupe social). Ce regard
est central, car le sujet traumatisé est en constante recherche de
reconnaissance et de mise en sens de ce qui lui arrive. L’absence
de réponses de l’entourage (familial, social, professionnel, médical,
judiciaire) peut alors être vécue comme un traumatisme second où le
sujet a l’impression de ne pas être reconnu, d’être rejeté et abandonné.
Ce qui généralement réactive les effets du traumatisme psychique et
participe à leur chronicisation.
– La dimension historique  : il s’agit là d’envisager la crise traumatique
dans son rapport à l’histoire comme une  étape de vie impliquant
des remaniements et des changements profonds. Dans cette vision
historique, c’est la capacité du sujet à intégrer le trauma dans une
chronologie de vie et à réussir le changement qui est importante à
considérer. Le vécu du traumatisme lors d’une étape de vie critique
peut comme nous le verrons constituer un élément de vulnérabilité
psychique, car les ressources du sujet ne sont pas disponibles pour
faire face au bouleversement créé par l’événement.

2.3 Crise et interventions psychologiques


La notion de crise a contribué à développer plusieurs modalités de prise
en charge spécifiques appelées interventions de crise, dont plusieurs dans
le champ du psychotraumatisme ; de nombreux travaux ont été consa-
crés à ces aspects (Lebigot, 2011). Dans l’approche psychodynamique,
les psychothérapies brèves (Gilliéron E., 1997, 2004) avec des objectifs
limités et prenant en compte le niveau de la réalité et le sens de la crise
peuvent être bénéfiques et constituer une bonne indication pour les
situations traumatiques (Chahraoui et Besse, 2000). Dans d’autres cas,
la crise psychotraumatique nécessite une prise en charge de plus longue
durée, dans le cadre d’une psychothérapie de soutien, en particulier chez
les sujets dont le narcissisme a été profondément perturbé et bouleversé
par le traumatisme, qui peut alors réveiller des failles personnelles impor-
tantes. Une réflexion doit toujours être menée au début de la prise en
charge sur les aspects de l’indication thérapeutique qui peuvent dépendre
Traumatisme, crise psychique et crises de vie 59

de plusieurs facteurs liés au sujet, à la qualité de l’interaction thérapeu-


tique et à l’environnement.
La prise en compte de la complexité de la crise nécessite une volonté
d’innovation chez le clinicien en matière d’intervention qui exclue toute
rigidité technique ou dogmatisme théorique, l’objectif principal étant
d’aider le sujet à dépasser le moment critique, de l’aider à changer et
d’éviter la chronicisation en n’ignorant pas le poids de la réalité.

2.4 D
ifficultés de restauration psychique
et redondance entre crise traumatique
et crise de vie
L’absence de résolution de la psychopathologie psychotraumatique,
tout particulièrement dans les formes chroniques, peut comporter une
valeur dynamique et défensive en figeant une autre crise de vie person-
nelle sous-jacente et non résolue. C’est souvent dans cette redondance
entre crise traumatique et crise de vie sous-jacente que l’on peut saisir
la vulnérabilité et les difficultés de réorganisation et de restauration du
sujet.
Ainsi, la question que doit se poser tout clinicien face à la chronicité
de ces syndromes et dans une perspective de changement thérapeutique
n’est pas seulement « pourquoi cette personne développe cette psycho-
pathologie psychotraumatique » (on trouvera toujours des éléments
de compréhension en rapport avec les spécificités du traumatisme
psychique). Ce qu’il faut interroger, c’est pourquoi le sujet ne parvient
pas à se rétablir et à se restaurer. Le décalage proposé dans ce type de
questionnements ouvre de nouvelles perspectives de compréhension et
d’accompagnement clinique pour ces sujets.
Ainsi, l’impossible restauration psychique de la crise traumatique peut
être liée à la non-résolution d’une autre crise de vie sous-jacente (crise
d’adolescence, crise conjugale, crise familiale…). L’accès à cette crise de
vie nécessite en premier lieu un travail de dégagement du sujet face à la
sidération traumatique. C’est ce que nous développerons dans les deux
observations suivantes.
60 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

3. Observation n° 6 : « Ghislaine
ou l’adolescence figée »

3.1 Présentation
Ghislaine est une jeune fille de 20 ans adressée à ma consultation à la
suite d’une hospitalisation en psychiatrie après une tentative de suicide.
Elle est décrite comme une personnalité schizoïde ayant des « appétences
médicamenteuses », et l’interne de psychiatrie suspecte une entrée dans
la schizophrénie. Ses troubles ont commencé il y a deux ans après un
accident de voiture. Toutes les tentatives psychothérapeutiques se sont
révélées jusque-là infructueuses, Ghislaine n’ayant jamais pu franchir le
cap du premier ou du deuxième entretien.
Ghislaine m’apparaît au premier entretien comme une grande adoles-
cente, mince, athlétique, et je suis très frappée par son extrême immobi-
lité et l’attitude figée de tous ses membres. Son regard est fixe et intense,
son visage pâle et triste. Elle parle lentement, ses réponses sont brèves,
mais précises, puis suivies de temps d’arrêt comme si tout se figeait sur
le plan psychique.

3.2 L’accident
Quand je lui demande de me raconter ce qui lui est arrivé, Ghislaine
m’explique que son accident a entièrement bouleversé son existence et
qu’elle ne se sent plus la même depuis. Elle se souvient des moindres
détails de cet accident, qu’elle narre longuement ; lors d’une journée très
pluvieuse, elle a perdu le contrôle de son véhicule. Le souvenir est encore
très vif. L’accident a provoqué de multiples fractures et d’importantes
lésions des jambes, qui ont nécessité de très nombreuses hospitalisa-
tions avec interventions chirurgicales, orthopédiques et greffes de tissus
pendant près de deux ans. Mais Ghislaine est complètement rétablie
maintenant sur le plan physique. Lorsque je lui demande si elle a eu
peur pendant cet accident, Ghislaine me répond qu’elle n’en a pas eu
le temps, et que c’est surtout la vision de ses jambes ensanglantées et
abîmées qui l’a marquée.
Traumatisme, crise psychique et crises de vie 61

3.3 Les changements après l’accident


Depuis cet accident, Ghislaine me fait part des nombreux changements
dans son existence ; cet événement a constitué pour elle une véritable
rupture. Elle ne se sent plus la même. Elle qui avait beaucoup d’amis est
très seule aujourd’hui. Elle se décrit comme une personne gaie, rieuse
et joueuse auparavant et maintenant très triste et angoissée. Elle n’aime
plus s’habiller ni prendre soin d’elle, complexée par ses jambes qu’elle
cache constamment et dont la vision n’est pas supportable à cause des
nombreuses cicatrices. De plus, l’échec dans ses études, à la suite de ses
absences répétées, l’a conduite à abandonner sa scolarité, ce qui contribue
à son vécu d’isolement. Depuis cet accident, Ghislaine ne quitte en effet
plus le domicile familial, ne cessant de ruminer, dans sa chambre, de
sombres idées, et n’en sort que pour ses fréquentes hospitalisations.
Elle développe également de nombreux troubles : perte d’appétit,
amaigrissement, asthénie, insomnie, affects dépressifs, tentatives de
suicide répétées avec ingestion de fortes doses de médicaments (pres-
crits par le psychiatre !). Elle fait de nombreux cauchemars répétitifs.
Ces cauchemars sont de deux types. Dans le premier, elle revoit presque
chaque nuit son accident en rêve, et en particulier, elle se voit gisant par
terre et horrifiée par ses jambes d’où sortent des vers. Dans le deuxième
cauchemar qui suit celui-ci, elle rêve que ses parents meurent dans un
accident de la route. Elle se réveille alors dans un état de grande angoisse.

3.4 Premières associations


Ghislaine semble donc fixée à l’accident traumatique et à ses consé-
quences, et l’objectif thérapeutique est de l’amener à redémarrer les
associations de l’appareil psychique, en particulier en rétablissant la
chronologie avant et après l’accident. Il est important de rappeler que ce
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travail associatif doit être réalisé avec l’accompagnement du clinicien, car


Ghislaine semble complètement figée psychiquement et doit être aidée
de manière active dans ce processus au moins au début de la thérapie.
Je demande donc à Ghislaine de me raconter le contexte de l’acci-
dent ; elle a peu de souvenirs de la période précédant l’accident, mais se
rappelle très bien d’un moment d’absence avant le choc où elle pensait
très fort à ses amis :
Psy. – À qui pensiez-vous ?
G. – Des copains… On devait sortir ensemble… ils m’attendaient…
(Arrêt.)
62 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

Psy. – Y avait-il quelqu’un en particulier que vous souhaitiez voir ?


G. – Oui… il y avait mon ex qui était là… (Arrêt.)
Psy. – Oui, votre ex-ami…
G. – Oui… (Arrêt, pensive.)
Psy. – C’est un ex-ami à qui vous semblez très attachée…
G. – Oui, on s’était séparés à peu près six mois avant l’accident, et je
ne m’en suis jamais remise… je tenais beaucoup à lui… Il n’était pas prêt
pour la vie de couple, il se sentait jeune, mais moi, je voulais continuer
avec lui…
Psy. – Vous vous êtes sentie comme abandonnée à ce moment ?
G. – Oui… j’ai beaucoup souffert… je n’arrivais pas à accepter cette
séparation… Mais au moment de l’accident, j’allais mieux, j’avais
oublié…
L’entretien se poursuit et je perçois que les relations sentimentales sont
un sujet important pour Ghislaine et je continue donc l’investigation :
Psy. – Vous avez un petit ami en ce moment ?
G. – J’ai vécu avec un garçon pendant six mois, maintenant on se voit
de temps en temps… Il y a des petits problèmes… je ne pense pas que
nous allons rester ensemble… Il est toxicomane… Mes parents ne sont
pas d’accord avec cette liaison…
Nous évoquons aussi au cours de ce premier entretien la famille de
Ghislaine. Elle est la dernière d’une fratrie de cinq enfants. Elle dit bien
s’entendre avec ses frères et sœurs, mais reproche à ses parents de trop
la couver, et elle a l’impression de se sentir encore comme une petite
fille avec eux.
À la fin de ce premier entretien, j’explique à Ghislaine comment nous
allons travailler ensemble. J’insiste sur le vécu traumatique lié à l’accident
et sur la nécessité de rétablir les associations de pensée. Je lui propose
aussi de travailler à partir de ses rêves. Ghislaine est plus détendue à la
fin de l’entretien et me dit son soulagement de dialoguer avec moi. Elle
m’avoue ne pas avoir supporté les consultations avec les autres cliniciens,
car ils ne lui parlaient pas.

3.5 Première analyse et discussion


3.5.1 Troubles psychotraumatiques et personnalité
Ce premier entretien avec Ghislaine est riche et complexe dans le sens
où il interroge la nature de la problématique psychopathologique : s’agit-
Traumatisme, crise psychique et crises de vie 63

il d’une situation de crise ou de l’entrée dans des troubles de la person-


nalité plus durables ? Cette question est particulièrement importante à la
fin de l’adolescence. Mais Ghislaine ne présentait aucune dimension schi-
zophrénique ; bien que très inhibée, le contact s’établit facilement et son
discours n’intégrait aucun élément incohérent ou dissociatif. Toutefois,
la marginalisation sociale progressive, le repli sur soi, les tentatives de
suicide répétées de Ghislaine pouvaient constituer pour tout clinicien
et à juste titre une réelle source d’inquiétude.
Les difficultés de Ghislaine relevaient d’une problématique psycho-
traumatique avec figement de la pensée après un événement vécu comme
psychiquement violent. Les séquelles psychotraumatiques se traduisent
ici par un syndrome de répétition avec des cauchemars répétitifs qui
reproduisent la scène de l’accident. Ghislaine décrit également une
dimension d’altération de la personnalité avec différents changements
vécus dans la continuité de soi, elle ne se sent plus la même, a le senti-
ment d’un monde étranger et lointain, se vit comme dépendante et se
replie sur elle-même. À cela s’ajoute une forte composante dépressive
avec inhibition, ralentissement et idées suicidaires.
On peut lier ces différents changements à l’accident, mais aussi à
ses conséquences. Ainsi, les nombreuses hospitalisations, les séquelles
physiques, l’échec de la scolarité et la désinsertion sociale progressive
laissent Ghislaine dans un devenir plus qu’incertain, tout particuliè-
rement à cette période qui marque l’entrée dans la vie adulte et où la
projection dans l’avenir est essentielle pour la construction de son iden-
tité. Ainsi, l’accident traumatique a ici pour effet majeur d’entraîner un
figement de cette étape de maturation cruciale qu’est la post-adolescence
en constituant une grave entrave dans l’intégration dans la vie adulte.

3.5.2 Cauchemars répétitifs et tentative de mise en sens :


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la problématique de fin d’adolescence


Les cauchemars répétitifs représentent ici des rêves de type trauma-
tique caractéristiques. En effet, il est important de souligner ces deux
types de rêves chez Ghislaine : dans l’un, elle se revoit gisant par terre,
effrayée par ses jambes ; et dans le second, c’est la vision de ses parents ou
de son frère qui meurent dans l’accident. On peut concevoir le premier
rêve comme une répétition pure du traumatisme alors que le deuxième
est une tentative de mise en liens avec une problématique plus person-
nelle, et sans doute un essai de représentation du trauma.
Ferenczi, l’un des premiers, avait souligné l’existence de ces deux types
de rêves chez les traumatisés et de leur fonction traumatolytique. En
64 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

effet, la fonction essentielle de ces rêves est de parvenir à une tentative


de maîtrise et de mise en sens du trauma, le deuxième type de rêve
assurant davantage un essai de représentation et de symbolisation alors
que le premier est souvent une répétition pure et émotionnelle du vécu
traumatique (Ferenczi, 1934).
L’attention du clinicien sur le contenu des rêves traumatiques est
essentielle, car ces derniers comportent souvent des éléments ou détails
significatifs qui peuvent constituer une piste et une aide dans le travail
thérapeutique. Ainsi, on peut faire l’hypothèse que Ghislaine, à travers
la mise en scène de manière répétitive de la mort de ses parents dans
un accident de la route, tente d’élaborer un autre traumatisme : la mort
« symbolique de ses parents », et donc toute la fin du travail de sépara-
tion-individuation propre à la période de la post-adolescence.
Chez Ghislaine, la crise psychotraumatique semblait effectivement
s’articuler avec une problématique tout à fait particulière de fin d’ado-
lescence (post-adolescence) avec une difficulté pour elle d’y donner une
issue définitive au niveau du travail de séparation et d’individuation
(Jeammet, 1994). Ainsi, les troubles psychotraumatiques durables avec
leurs effets sidérants pour l’appareil psychique figeaient aussi la crise
d’adolescence en cristallisant la dimension ambivalente : l’accident
évitait à Ghislaine toute séparation familiale douloureuse en maintenant
une dépendance infantile qu’elle refusait consciemment.

3.5.3 Le contre-transfert
Nous voulons souligner la nécessité de l’analyse du contre-transfert
dans les suivis avec ces patients qui provoquent souvent chez le clini-
cien, et c’est aucun doute une des raisons de l’échec thérapeutique, une
grande monotonie, lassitude et rejet. Les patients traumatisés entraînent
souvent une attitude contre-transférentielle spécifique qui est de figer
ou de sidérer la pensée du thérapeute. Cela implique pour le clinicien
de bien comprendre et analyser ces états de figement liés au processus
traumatique, puis de mobiliser activement le travail associatif par des
propositions dans une dimension contenante et empathique. L’enjeu
thérapeutique sera d’essayer de retrouver toute la singularité et la dyna-
mique psychique du sujet derrière ce figement traumatique qui peut
avoir une valeur défensive.
Traumatisme, crise psychique et crises de vie 65

3.6 Suivi psychologique et résolution du traumatisme


Le suivi de Ghislaine a été réalisé dans le cadre d’une psychothé-
rapie psychodynamique brève focalisée sur la crise psychotraumatique
et adolescente. Nous avons pu travailler plusieurs problématiques en
rapport avec la peur de la séparation, les vécus d’abandon, l’ambivalence
des sentiments dans les relations amoureuses et parentales et la place
de la féminité.

3.6.1 Problématique de séparation amoureuse et ambivalence


Dès le deuxième entretien et pendant plusieurs séances, Ghislaine
évoque sa séparation amoureuse d’avec son petit ami. Elle se montre
très ambivalente par rapport à cette liaison : elle souhaite la séparation,
mais elle en est aussi très affectée et la vit comme un abandon. Son
petit ami est toxicomane et elle ne veut plus fréquenter ce milieu, qui
lui semble dangereux. Ghislaine décrit pendant plusieurs séances des
rêveries incessantes sur son petit ami. D’autres cauchemars répétitifs
ont remplacé ceux de l’accident : elle se voit avec son petit ami qui lui
propose une seringue et elle se réveille à ce moment, très angoissée. Elle
explique qu’elle ne veut pas toucher au monde de la drogue.

3.6.2 Séparations et sentiments d’abandon dans l’enfance


Ces difficultés de séparation amènent à évoquer par association les
vécus d’abandon au cours de l’enfance. Le père de Ghislaine était régu-
lièrement absent pour son travail, et Ghislaine vivait ses départs comme
une séparation douloureuse et un abandon. Elle parle de moments de
complicité et de tendresse avec lui et semble en garder une certaine
nostalgie, car depuis l’adolescence, la relation avec son père est très
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conflictuelle. Ghislaine évoque aussi dans son enfance une mère très
occupée ayant peu de temps à lui consacrer. Elle exprime ainsi son senti-
ment de solitude dans l’enfance, sa peur d’être seule, ses phobies le
soir, ses difficultés d’endormissement, et sa mère qui ne la rassurait pas
suffisamment.

3.6.3 La problématique féminine


La problématique féminine est une dimension essentielle qui est
abordée au cours de ce suivi. L’identification masculine est soulignée par
Ghislaine à plusieurs reprises : elle préfère la compagnie des garçons, leur
jeu, leurs sports et se sent plus éloignée des filles, avec qui elle s’ennuie.
66 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

Sa difficulté à devenir femme, les problèmes d’image du corps engen-


drés par les lésions de ses jambes sont aussi évoqués pendant plusieurs
séances.

3.6.4 Place de l’accident dans l’histoire familiale


Elle exprime également au cours des séances une histoire familiale
difficile, en particulier du côté de sa mère dont le frère est décédé à
17 ans d’un accident, ce qui a conduit à une grave dépression chez
les grands-parents maternels. L’accident de Ghislaine prenait ainsi une
signification toute particulière dans l’histoire familiale et sur un plan
transgénérationnel.

3.6.5 Rêve de dénouement


Après trois mois de suivi psychologique, Ghislaine va beaucoup mieux,
elle est plus souriante et détendue. Je suis étonnée par sa métamorphose
physique, son apparence est plus féminine et coquette. Lors d’une séance,
elle m’apprend qu’elle a commencé à aider son père dans son entreprise.
Elle parle au cours de cette séance de plusieurs éléments de son enfance,
puis de sa relation amoureuse actuelle, et enfin elle me fait part d’un rêve
qui l’a fait beaucoup rire : « elle accouche de 7 chats ». Les associations
mènent sur des problématiques autour de la filiation, de sa curiosité
sexuelle étant enfant, des premières règles, qu’elle n’acceptait pas. Puis,
enfin, elle évoque pour la toute première fois un événement majeur et
très douloureux qui a eu lieu avant l’accident : elle était enceinte et avait
dû subir un avortement.
À l’entretien qui suit l’évocation de ce rêve, Ghislaine arrive à sa
séance de très bonne humeur, le regard vif et malicieux, et m’annonce
son souhait d’arrêter sa psychothérapie. Elle m’informe qu’elle se sent
beaucoup mieux, son sommeil s’est complètement rétabli ainsi que son
appétit. Elle a définitivement arrêté son traitement médicamenteux et
ressent un mieux-être depuis. Elle m’apprend qu’elle doit commencer un
stage en informatique prochainement afin de travailler dans l’entreprise
de son père comme secrétaire.
Traumatisme, crise psychique et crises de vie 67

3.7 Discussion : résolution de la crise traumatique


et de la crise adolescente
3.7.1 Crise psychotraumatique et crise de la post-adolescence
Le travail avec Ghislaine a permis une élaboration de la probléma-
tique psychotraumatique en lien avec la crise d’adolescence et tout parti-
culièrement de la post-adolescence, que plusieurs auteurs ont définie
(Lebovici, 1985 ; Bergeret, 1985) comme une période terminant l’adoles-
cence et représentant un début de vie adulte où les réalisations sociales
et sexuelles sont une préparation et un apprentissage de la maturité. Les
problèmes psychopathologiques rencontrés au cours de cette période
peuvent ainsi être les révélateurs d’une adolescence qui ne peut se finir
(Bergeret, 1985 ; Kestemberg, 1985). Chez Ghislaine, il était nécessaire
de resituer l’accident et ses conséquences dans cette étape de vie critique
qui semblait être marquée pour elle par des conduites ambivalentes
dans les relations sentimentales et familiales ainsi que par une dépen-
dance psychique. L’accident, avec sa violence psychique et corporelle,
semblait ainsi figer cette période de crise liée à la fin de l’adolescence en
empêchant toute résolution. D’autre part, l’accident et ses conséquences
maintenaient aussi une dépendance au milieu familial empêchant tout
processus d’autonomisation et d’indépendance. C’est dans le figement
de ce processus que l’on peut comprendre les difficultés de Ghislaine,
qui se perçoit alors comme une enfant auprès de ses parents sans possi-
bilité de s’émanciper dans le cadre des réalisations scolaires, sociales,
professionnelles et amoureuses.
Le désir d’autonomie chez Ghislaine était bien présent, mais accom-
pagné d’une réelle difficulté à rompre les liens de dépendance, ce qui se
traduisait dans ses relations sentimentales et familiales ambivalentes,
mais aussi dans un certain nombre de conduites addictives comme ses
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courtes expériences toxicomaniaques et ses tentatives de suicide répétées.

3.7.2 Progression thérapeutique et évolution des rêves


La progression des rêves chez Ghislaine a fourni un matériel inté-
ressant dans l’élaboration de ce rapport de dépendance. Dans le tout
premier rêve traumatique, elle imagine ses parents morts, ce que nous
avons interprété comme une volonté symbolique de se défaire de ses
liens de dépendance. Cette volonté apparaît de manière encore plus
explicite dans les cauchemars répétitifs et angoissants de la seringue qui
lui est tendue par son ami et qu’elle refuse en expliquant qu’elle a peur
68 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

de la dépendance à la drogue. Il est important de noter que ces derniers


remplacent les rêves traumatiques de l’accident et se répètent avec le
même vécu d’angoisse la conduisant à un réveil avec sursauts. Ces rêves
semblent ainsi mettre en évidence une problématique toute particulière
autour du lien, de la dépendance et de sa tentative de maîtrise à travers
la répétition.
Enfin, le dernier relaté par Ghislaine (donner naissance à 7 chats)
est un rêve de dénouement qui signe la fin de la répétition trauma-
tique et semble être le témoin d’une élaboration de la crise. Ce rêve et
les associations qui lui ont fait suite peuvent être compris comme une
nouvelle naissance donnant jour à une série de transformations, comme
l’a montré l’évolution de la psychothérapie.

3.8 Conclusion
Le travail thérapeutique entrepris avec Ghislaine a ainsi permis de
sortir de la sidération traumatique et de donner une issue à sa crise
adolescente. Elle a trouvé dans sa vie socioprofessionnelle une autre
forme de compromis à sa dépendance en travaillant avec son père, mais
on peut penser que celle-ci se joue cette fois sur le terrain d’une insertion
sociale dont on peut espérer qu’elle a été réussie et durable et qu’elle a
constitué une étape pour accéder à une définitive autonomie.
Il faut souligner pour conclure cette observation le danger et l’impasse
si l’on avait considéré la crise grave de Ghislaine comme une entrée
pathologique dans la schizophrénie. Kestemberg (1962) soulignait déjà
que devant toute crise grave de l’adolescent, il fallait être attentif à déceler
le début d’une schizophrénie et éviter l’erreur méthodologique « qui
consiste à prendre la partie (les symptômes) pour le tout (le moi) », c’est-
à-dire faire une analogie entre les symptômes présentés et les positions
psychotiques, névrotiques ou perverses, et qu’il fallait également éviter
l’erreur technique qui consisterait à « manier les adolescents comme des
psychotiques ou des pervers ». Le sujet adolescent doit être considéré
comme un sujet à part entière, c’est-à-dire un adolescent « en proie à
un remaniement évolutif remettant en cause ses investissements libidi-
naux » (Kestemberg, 1962).
Traumatisme, crise psychique et crises de vie 69

4. Observation n° 7 : « Béatrice, agression


et crise familiale »

4.1 Présentation
Béatrice est une femme de 45 ans qui m’est adressée pour une prise
en charge psychologique. Son parcours médical est dense, elle a eu de
très nombreuses consultations et investigations pour des douleurs très
violentes au bras et à la nuque. Elle souffre d’une algodystrophie de la
main gauche à la suite d’une agression physique, ce qui l’a conduite à
arrêter son activité professionnelle de sage-femme. Elle est orientée dans
le service de psychiatrie par son médecin rhumatologue qui diagnos-
tique un état dépressif. Dans ses multiples consultations psychiatriques
et médicales, elle est décrite comme une personnalité revendicatrice
ayant un rapport très conflictuel avec les médecins. Le dernier psychiatre
consulté diagnostique un état de stress post-traumatique et me l’adresse.
Béatrice est une grande femme brune avec une apparence très tonique.
Elle parle fort et se présente comme une personne très irritée et très en
colère contre le corps médical, qui n’a pas su la soigner.

4.2 L’agression
Elle m’explique spontanément que ses problèmes ont commencé il
y a deux ans. Elle a été victime d’une agression ; deux hommes l’ont
menacée avec un couteau pour lui retirer son sac à main, mais Béatrice
s’est défendue et les deux malfaiteurs se sont emparés du sac de manière
violente en la blessant gravement à la main. Elle raconte que sa main
« pissait le sang », « qu’elle ne pouvait pas la regarder… ». Elle a été
conduite en urgence par les secours vers la clinique la plus proche mais,
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

le chirurgien étant absent, elle a dû attendre de nombreuses heures avant


d’être opérée.
La colère de Béatrice à l’égard du monde médical date de ce moment,
car elle pense que l’origine de ses séquelles physiques actuelles (douleurs
violentes au bras, algodystrophie de la main avec impotence fonction-
nelle et enraidissement des articulations) est liée à une mauvaise prise
en charge médicale et chirurgicale initiale.
Ainsi, cette agression a été pour Béatrice à l’origine d’un certain nombre
de changements profonds dans sa vie. Il faut noter que le traumatisme
psychique ne renvoie pas seulement ici à des effets immédiats de peur,
70 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

de menace pour soi, mais aussi à une désorganisation durable dans le


temps. Celle-ci est vécue comme une véritable crise existentielle et une
rupture dans le parcours de vie.

4.3 Les séquelles psychotraumatiques


Les séquelles psychotraumatiques chroniques se traduisent par une
fixation à l’événement traumatique, toujours très présent chez Béatrice,
et par des symptômes de répétition : sursauts nocturnes, angoisses, senti-
ments d’une agression imminente, ruminations mentales incessantes
concernant les nombreux changements dans sa vie depuis ce moment.
Au niveau du sommeil, elle souffre de difficultés d’endormissement et
se réveille fréquemment au milieu de la nuit en sursaut, en sueur, très
angoissée. Elle relate deux types de cauchemars : un cauchemar « blanc »,
sans image, où elle a seulement le sentiment d’être agressée, et elle se
réveille alors très angoissée, en sueur. Un deuxième cauchemar comporte
une image : elle est dans une salle de la maternité, elle entend une jeune
mère sur la table d’accouchement crier et l’appeler, elle veut l’aider, mais
deux hommes cagoulés l’en empêchent, elle se réveille alors terrorisée. Ce
dernier rêve est important et résume bien la problématique de Béatrice :
ces deux hommes l’empêchent de réaliser ce qui lui tenait le plus à cœur
tout au long de sa vie et qui se trouve stoppé aujourd’hui : son activité
de sage-femme.
Le niveau d’altération de la personnalité est présent également chez
Béatrice ; elle se décrit comme une personne qui a beaucoup changé
et elle ne se reconnaît plus. Elle est devenue très irritable, agressive et
colérique. Elle présente aussi de nombreux changements d’humeur et
se sent déprimée parfois. Il n’y a en revanche pas de ralentissement
psychomoteur, ni d’inhibition.

4.4 Les séquelles physiques : douleur, handicap


et traumatisme second
L’agression et l’intervention chirurgicale ont été à l’origine d’un véri-
table handicap pour Béatrice, qui garde des séquelles physiques impor-
tantes ; elle souffre d’une algodystrophie de la main gauche qui provoque
des douleurs aiguës, lancinantes, tout à fait insupportables, avec une
impotence fonctionnelle de la main. Les très nombreuses consultations
et traitements médicaux n’apportent aucun soulagement. Les médecins,
régulièrement lassés par cette patiente décrite comme revendicatrice,
Traumatisme, crise psychique et crises de vie 71

finissent par la renvoyer vers la psychiatrie. Elle ressent un profond


sentiment d’injustice, car ce qui est encore plus traumatique pour
Béatrice, c’est le manque de considération de la part des soignants, du
corps médical et de la justice qui, selon elle, ne comprennent pas que
son agression représente un véritable bouleversement dans sa vie, une
rupture et un drame existentiel : « Mes mains représentent tout pour
moi… elles donnaient la vie… que vais-je faire maintenant ? » Béatrice
est donc très en colère contre les administrations, les médecins, et elle
attend une réparation judiciaire.
On peut considérer les réponses du corps médical et des administra-
tions comme une forme de traumatisme second pour Béatrice, qui ne
se sent pas écoutée dans sa douleur profonde et dans ce changement
existentiel qui est une véritable rupture dans sa vie. Le traumatisme
second fonctionne comme un nouveau traumatisme et chaque rejet ou
incompréhension déclenche des symptômes de reviviscence accompa-
gnés d’un vécu de colère, d’irritabilité, de douleurs qui rythment son
parcours depuis deux ans maintenant. De plus, Béatrice ne supporte pas
d’être malade, car cela la met, dit-elle, dans une situation passive ; c’est
elle qui avait l’habitude de donner des soins et non d’en recevoir. Elle
n’admet pas sa position de demandeuse de soins vis-à-vis des médecins.

4.5 La rupture dans l’organisation défensive


Le traumatisme psychique chez Béatrice représente une rupture dans
son projet de vie, mais aussi une « rupture » dans son organisation
psychologique et défensive ; en effet, elle a toujours été une femme
très active, autoritaire, très dévouée pour les autres, assez peu bavarde
sur ses sentiments et privilégiant l’action à la pensée. Elle se retrouve
aujourd’hui dans une situation inverse qui lui est insupportable : passive,
handicapée et trop fière pour demander de l’aide. Béatrice présente un
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fonctionnement assez opératoire avec des difficultés à verbaliser ses


émotions, ses pensées, ses rêves et sa vie intérieure. Ce n’est qu’à la troi-
sième séance de psychothérapie, après une induction de ma part, qu’elle
s’autorise enfin à pleurer.
Chez ces patients qui privilégient les dimensions d’hyperactivité, de
contrôle et d’efficacité au niveau de leur personnalité, le handicap est
toujours vécu comme un véritable traumatisme et un drame. En effet, la
situation de handicap ne permet plus ce fonctionnement hyperactif où
les défenses par la réalité dominent. Pour ces patients, l’étayage narcis-
sique se basait souvent sur la réalité externe et le corps propre ; quand
72 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

ces deux derniers sont atteints, les sujets sont déstabilisés et profondé-
ment blessés dans leur narcissisme et leur estime de soi, ce qui déve-
loppe une angoisse profonde et ingérable. Le changement passe par une
modification de cet équilibre et par la possibilité d’assouplir les défenses
antérieures. Ce qui implique de nouveaux investissements et un travail
d’élaboration psychique permettant de mobiliser autrement l’organisa-
tion défensive.

4.6 Ruptures et changements


sur le plan professionnel
Sur le plan professionnel, Béatrice vit sa rupture la plus importante,
comme en témoignent les rêves répétitifs des deux hommes cagoulés qui
l’empêchant de rejoindre la jeune mère qui accouche. En effet, son travail
à la maternité lui manque ; ses mains représentaient tout pour elle, elles
donnaient la vie. Elle a beaucoup de difficulté à accepter cet échec et ne
sait plus comment orienter sa vie. Béatrice a beaucoup investi son milieu
professionnel, sa relation avec les mères, les bébés et les soignantes, et
elle ne peut se résoudre à le quitter. Sa relation privilégiée avec ce monde
de femmes et de mères prend une résonance toute particulière dans son
parcours de vie personnelle, comme on le verra plus loin.

4.7 Les changements familiaux


L’agression de Béatrice conduit également à un certain nombre de
remaniements personnels et familiaux, alors qu’elle avait trouvé un équi-
libre depuis plusieurs années avec un travail agréable et très investi qui
lui permettait de prendre ses distances avec une vie familiale difficile
et complexe. Elle se retrouve aujourd’hui confrontée à de nombreuses
difficultés personnelles ; en effet, son beau-père vit chez elle et souffre
depuis quelques années de troubles de la mémoire et de défaut de recon-
naissance semblant s’apparenter à un début d’évolution de la maladie
d’Alzheimer. Béatrice ne supporte plus sa relation avec son beau-père
qui ne la reconnaît plus par moments, a des comportements agressifs
et manque parfois d’autonomie. Elle se querelle aussi souvent avec son
mari. Elle m’apprend assez tardivement dans le suivi clinique que son
mari a souffert d’un cancer de la prostate en rémission actuellement,
mais les effets secondaires des traitements ont entraîné des problèmes
d’impuissance sexuelle. Béatrice se retrouve ainsi dans un environnement
difficile, complexe et se sent très seule dans sa souffrance sans possibilité
Traumatisme, crise psychique et crises de vie 73

d’appui et de soutien familial. De plus, elle ne voit que rarement sa fille


unique, qui réside loin de chez elle.

4.8 Discussion : le traumatisme, un désorganisateur


à long terme
Cette observation montre l’intérêt de considérer le traumatisme
psychique comme un désorganisateur à long terme et de porter l’atten-
tion sur tous les changements vécus dans les différentes sphères de la
vie personnelle, affective, familiale, sociale et professionnelle. Il s’agit
d’observer finement le contexte de crise généré par le trauma dans toutes
ses dimensions psychopathologiques, cliniques et existentielles afin de
bien saisir tous les aspects du bouleversement créés par le traumatisme
psychique. Celui-ci ne représente ainsi pas seulement un moment brutal
et violent dans la vie du sujet, mais c’est aussi un perturbateur et un
désorganisateur qui peut entraîner des conséquences graves sur le long
terme. Certains patients vivent des marginalisations sociales progressives
après quelques années qui les conduisent à une série de pertes drama-
tiques pour leur équilibre (travail, vie familiale, etc.).
D’un point de vue théorique, peu d’auteurs ont abordé cette notion
de traumatisme durable sauf un médecin russe du début du XXe siècle :
Adam Cygielstrejch (1912), qui fait une distinction intéressante entre
les « émotions brusques » et les « émotions durables ». Les « émotions
brusques » ont des effets immédiats et peuvent être assimilées à la
« frayeur », elles surviennent de manière violente et soudaine lors de
tremblements de terre et d’accidents de chemin de fer. Les « émotions
durables » ont un mode d’action beaucoup plus lent et ont aussi, selon
Cygielstrejch, « un effet beaucoup plus funeste : si elles ne provoquent
pas d’accès brusque de folie, en revanche et par cela même, elles causent
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

une telle dépression de l’organisme qu’à la longue tout choc pourra


devenir le signal d’apparition d’un trouble mental. Et dans ces cas, le
pronostic ne sera pas toujours favorable : l’affection durera longtemps,
traversera des phases plus ou moins inquiétantes, et il se peut que le
malade ne guérisse jamais » (Cygielstrejch, 1912, p. 134.).
L’intérêt de la notion d’émotion durable ou de traumatisme durable
est de mettre l’accent sur le processus enclenché par le choc, assimilé
ici à une sorte de révolution politique ; processus qui marque l’histori-
cité, la chronologie et la pensée des individus et qui crée une rupture
profonde entraînant un bouleversement social et structural aux consé-
quences progressives.
74 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

Ainsi, chez Béatrice, ce n’est pas seulement le choc initial en tant


que tel qu’il faut appréhender, mais il s’agit aussi de comprendre la
logique traumatique engendrée par un tel choc qui déclenche toute une
série de modifications et de perturbations profondes que nous avons
soulignées ici dans cette observation à travers les différents niveaux de
changement (personnel, organisation défensive, santé physique, familial,
professionnel, etc.).
Mais, sans doute, le véritable traumatisme est aussi chez Béatrice l’at-
tente et le manque de prise en charge immédiate à la suite de son agres-
sion, ce qui a contribué pour elle à son handicap physique et à une colère
et à une méfiance intenses, toujours vives, vis-à-vis du corps médical.
C’est principalement cette dimension qui a été travaillée avec elle. Il
s’agissait de rétablir la confiance dans le milieu médical afin d’amener
Béatrice à une prise en charge clinique adaptée de son handicap. En effet,
elle avait refusé jusqu’à présent toute nouvelle intervention chirurgi-
cale qui pourtant pouvait mener à une nette amélioration de son état
fonctionnel.

4.9 Suivi psychologique et histoire personnelle


Le suivi psychologique avec Béatrice a pris en compte la reconnais-
sance et le soutien de cette femme dans les différents traumatismes
et changements vécus. Au cours de celui-ci ont pu être exprimées de
nombreuses problématiques qu’il n’est pas possible de développer ici,
mais nous retiendrons juste quelques points qui nous semblent avoir
été saillants au cours du processus thérapeutique.

4.9.1 La perte du groupe des mères


Béatrice a ainsi pu évoquer sa grande solitude et tout particulièrement
dans son rapport à la perte du monde de femmes et de mères qu’elle
avait tant investi sur le plan professionnel. Cet investissement semblait
réactiver la représentation d’un monde infantile perdu et idéalisé. En
effet, Béatrice me raconte avec beaucoup de nostalgie et de tristesse ce
monde exclusivement féminin dans lequel elle a grandi. Son histoire
est tout à fait exemplaire : sa famille, originaire d’Arménie, avait dû
fuir le génocide et s’était installée en France. Elle avait vécu toute son
enfance et sa jeunesse en compagnie de sa mère, ses sœurs, ses tantes et
sa grand-mère, qui semblaient avoir reconstitué une ambiance familiale
très chaleureuse, soutenante et solidaire. Elle se souvient de ces moments
de joie et de gaieté partagées qui ont forgé selon elle son caractère et sans
Traumatisme, crise psychique et crises de vie 75

doute son désir de travailler dans une maternité où elle retrouvait cette
ambiance du passé. Mais aujourd’hui, elles sont toutes décédées, Béatrice
pleure longuement à l’évocation de ces pertes. On peut penser que la
perte de sa profession en relation avec l’investissement affectif dont elle
a fait l’objet réactive ces deuils douloureux. En revanche, Béatrice décrit
un père absent, dépensier, marginal, qui avait quitté le domicile familial.
Elle ne parle que très peu de lui. Elle semble avoir reproduit ce schéma
familial en épousant un mari plus âgé et régulièrement absent à cause
de son travail à l’étranger.

4.9.2 Traumatisme et crise psychique


On comprend chez Béatrice que son agression physique est venue
rompre un équilibre de vie, et son incapacité à travailler la confronte
alors à une situation de crise familiale très complexe où elle est obligée
de s’occuper d’un beau-père décrit comme dément et où les relations
avec son mari se passent plutôt mal avec une perte totale d’intimité
amoureuse.
Cette crise familiale actuelle réactive probablement une problématique
spécifique au niveau de son histoire, mais ces aspects non résolus du
passé n’ont pas été traités en psychothérapie dans la mesure où Béatrice
n’avait aucune demande par rapport à cela. En effet, elle était surtout
envahie par des préoccupations dans le champ de la réalité, en rela-
tion avec son handicap et sa vie familiale compliquée. Ainsi, à chaque
séance, Béatrice avait besoin de raconter dans le détail ses difficultés
quotidiennes et, à la fin de chaque entretien, elle se sentait soulagée de
pouvoir parler et d’être écoutée. Ce long travail de soutien et de dispo-
nibilité psychique concernant le niveau de la réalité a permis à Béatrice
de s’appuyer sur notre relation de confiance pour renouer la relation
avec le corps médical. Ainsi, après une année de psychothérapie, Béatrice
acceptait enfin une première intervention chirurgicale délicate destinée
à retrouver un début de mobilité de la main. Le suivi psychologique s’est
centré ensuite sur l’accompagnement de Béatrice face à plusieurs opéra-
tions programmées qui déclenchaient toutes une angoisse importante
qui a pu être verbalisée à chaque séance. Ainsi, au bout de deux années de
soutien psychologique, Béatrice avait pu retrouver une certaine mobilité
de la main et une meilleure acceptation de son handicap.
76 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

4.10 Conclusion
Avec le cas de Béatrice, nous percevons comment le traumatisme
peut entraîner une désorganisation durable sur des niveaux différents
(psychique, physique, familial, conjugal, professionnel et social) qu’il
est important de bien observer pour comprendre le sujet dans toute sa
spécificité et sa singularité. Nous voyons comment les aspects descrip-
tifs et diagnostiques sont très insuffisants pour rendre compte de cette
révolution intérieure et de ce bouleversement profond liés au trauma-
tisme. Celui-ci ne peut être appréhendé qu’en intégrant un point de vue
dynamique dans le cadre d’une approche clinique et phénoménologique
permettant de resituer le sujet dans une subjectivité et intersubjectivité
donnant du sens à la situation de crise.
Le cas de Béatrice montre l’articulation complexe entre une crise trau-
matique et une crise de vie sous-jacente qui sont liées et redondantes,
qui empêche ainsi tout travail de restauration psychique.
Il s’agit aussi avec ces patients, comme nous l’avons déjà souligné
pour le cas Ghislaine, de s’attarder sur l’analyse contre-transférentielle.
En effet les défenses opératoires de ces sujets peuvent lasser le clinicien
et entraîner des attitudes de monotonie et de rejet. Ce dernier doit alors
comprendre les particularités de ce contre-transfert et développer une
certaine souplesse au niveau de l’attitude thérapeutique, et tout particu-
lièrement de la notion de contenance (au sens bionien, voir chapitre 2).
Avec certains de ces patients, ce n’est pas nécessairement l’élaboration
poussée des conflits sous-jacents qui permet la résolution de la crise, mais
l’écoute et la disponibilité du thérapeute dans la durée.
Envisager le traumatisme comme une situation de crise met l’accent
sur les possibilités et les capacités de réorganisation du sujet. Il s’agit de
travailler sur ce qui permet le changement, et pas seulement sur la vulné-
rabilité et la désorganisation. Autrement dit, il s’agit de travailler avec
les ressources et les compétences du sujet. Cette vision positive et opti-
miste, même si les situations cliniques sont autrement plus complexes,
est nécessaire pour un engagement conjoint du thérapeute et du patient,
ce qui facilite l’alliance thérapeutique, moteur essentiel du changement
(De Roten, 2011).
Traumatisme, crise psychique et crises de vie 77

Pour aller plus loin


Alleon A.M., Morvan O., Lebovici S. (1985). Adolescence terminée,
adolescence interminable. Paris, PUF.
Barrois C. (1998). « Le traumatisme second : le rôle aggravant des
milieux socioprofessionnel, familial, médical, dans l’évolution du
syndrome psychotraumatique », dans Annales médico-psychologiques,
156, 7, 487-491.
Chahraoui K. (1998). « Accident à la post-adolescence et traumatisme
psychique comme opérateur de changement », dans Neuropsychiatrie
de l’enfance et de l’adolescence, 46, n° 4, 264-269.
Chahraoui K., Besse P. (2000). « Les dimensions de la crise en
psychopathologie clinique », dans Perspectives Psy, 39, n° 4, 179-186.
Crocq L. (1991). « Krisis, crisis, crise. Les métamorphoses du concept »,
dans Revue de médecine psychosomatique, n° 27, 11-39.
4
Cha
pi
tre

TRAUMATISME
PSYCHIQUE
ET MÉDECINE
aire
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S o m

1. Introduction ...............................................................................81
2. Troubles psychiques postopératoires
et en réanimation......................................................................81
3. Observation n° 8 : Thiméo ou l’inquiétante étrangeté .......... 86
4. Observation n° 9 : « Naji, le survivant » ...................................91
5. Observation n° 10 : Miguel ou la quête compulsive du sens.... 97
Traumatisme psychique et médecine 81

1. Introduction

Pa
rt
Les traumatismes psychiques ont souvent été décrits dans des contextes
de grande violence collective (guerres, catastrophes) ou individuelle
(accidents, viols), mais très peu en milieu médical alors qu’ils sont assez
fréquents. Après une brève revue de la littérature et un point théorico-
clinique, nous illustrerons les dimensions cliniques et psychopatholo-
ie
giques spécifiques de ces traumatismes avec trois observations dans des
contextes médicaux liés à la réanimation et à la chirurgie.

2. Troubles psychiques postopératoires


et en réanimation

2.1 Les troubles psychiques postopératoires


Les troubles psychiques postopératoires et plus particulièrement
psychotraumatiques ont fait l’objet de rares études cliniques et psycho-
pathologiques, même si on relève quelques travaux dans le champ de la
psychiatrie qui ont surtout été développés dans les années soixante-dix
en France. Il existe depuis peu un regain d’intérêt pour ces troubles,
surtout dans les études médicales anglo-saxonnes.
Dupuytren, en 1819, avait été l’un des premiers à constater des troubles
nerveux consécutifs aux interventions chirurgicales, puis d’autres
auteurs ont fait état par la suite de manifestations postopératoires de
type psychotique, névrotique, et de troubles dépressifs (Koupernik et al.,
1962 ; Goldefy, 1968 ; Goldefy et al., 1973 ; Lefort G. et Oughourlian M.,
1979 ; Ferret et al., 1990).
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

Coldefy et Oughourlian (1979) décrivent par exemple des troubles


psychiques postopératoires qui peuvent apparaître du 2e au 15e jour après
l’intervention ; la complication la plus observée est le syndrome confu-
sionnel avec désorientation spatiale, confusion des idées, des personnes
et des lieux, agitation désordonnée et activité onirique importante
avec hallucinations visuelles. Ce syndrome disparaît généralement en
quelques semaines, mais on peut voir chez certains sujets s’installer un
état dépressif chronique. Coldefy (1968) notait que ce risque de compli-
cations, directement lié au geste opératoire et aux actes thérapeutiques,
était de 5 %. Plus récemment, Sognot-Berat et al. (2001) ont également
décrit après des chirurgies de nombreux troubles psychiques, allant
82 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

d’attitudes de régression à des syndromes confusionnels ou délirants


pendant la période postopératoire. Ces auteurs soulignent le rôle de
l’hypoxie postopératoire et de la diminution de la concentration en
tryptophane sérique à la suite de transfusions sanguines peropératoires
qui seraient en relation avec ce type de troubles.

2.2 Les troubles psychiques en réanimation médicale


C’est dans les services de réanimation que les troubles de stress post-
traumatique ont fait l’objet, ces dernières années, de quelques études,
essentiellement médicales et psychiatriques, et on retrouve de nombreux
troubles communs à ceux rencontrés en post-chirurgie. On a ainsi décrit
pendant les séjours en réanimation des troubles d’anxiété, dépression
et delirium (Pochard et al., 2007 ; 2010). Les troubles peuvent prendre
la forme d’état de stress aigu, avec rétrécissement du champ de la
conscience et de l’attention, incapacité à intégrer des stimuli, désorien-
tation temporo-spatiale, retrait vis-à-vis de l’environnement, agitation et
amnésie (Pochard et al. 2010). Ils peuvent aussi se manifester sous forme
de sidération psychique, régression, confusion, agitation et hallucina-
tions (Ampelas et al., 2002 ; Bironneau et al., 1998). Les troubles délirants
et confusionnels concerneraient entre 35 et 65 % de patients (Van Eijk
et al., 2009 ; Lat et al., 2009) et toucheraient davantage des patients plus
âgés, sous sédatifs et ventilés plus de sept jours (Pochard et al., 2010).
Ils peuvent prendre une forme très grave avec un effet sur la morbidité
et la mortalité (par exemple extubation accidentelle lors d’un épisode
d’agitation ou détresse respiratoire après une attaque de panique ; Ely et
al., 2001 ; Pochard et al., 1996).
De nombreux facteurs de stress ont été incriminés dans le dévelop-
pement de ces troubles et des modifications de l’état psychique du
patient (Pochard et al., 2007 ; Ampelas et al., 2002 ; Bironneau et al.,
1998) : 1) l’effet des traitements utilisés en réanimation (analgésiques
de type morphinique, benzodiazépines, corticoïdes, antibiotiques, etc.),
2) les désordres métaboliques (hypoperfusion cérébrale), 3) l’impact
des techniques médicales comme l’intubation ne permettant qu’une
communication réduite ; 4) la douleur, le manque d’informations, de
communication et de parole, les facteurs environnementaux de la réani-
mation (absence de repères temporo-spatiaux, les troubles du sommeil),
le bruit (nuisances sonores liées aux appareils et à l’activité du personnel
soignant), la lumière, l’isolement par rapport aux proches, auxquels il
faut ajouter également les facteurs de risque liés aux antécédents médi-
Traumatisme psychique et médecine 83

caux du sujet (pathologies chroniques métaboliques, cardiaques ou respi-


ratoires, intoxication alcoolique…).
Plusieurs mois après la sortie de réanimation, les études montrent
qu’environ un quart des patients souffrent encore d’au moins une morbi-
dité psychiatrique (Schnyder et al., 2001). Selon Pochard (2010), la préva-
lence des symptômes d’anxiété chez les malades se situe entre 12 et 47 %
alors que la prévalence estimée des symptômes dépressifs serait de 28 %.
La prévalence des états de stress post-traumatique serait de 14 à 41 %
(Stein et al., 1997 ; Schelling et al., 1998 ; Scragg et al., 2001 ; Cuthberson
et al., 2004 ; Kapfhammer et al., 2004) et elle se retrouverait davantage
chez des patients qui ont vécu des contextes de stress aigu, sidération
psychique, régression, confusion et agitation lors de leur hospitalisation.
Le développement des états de stress post-traumatique apparaît lié
pour certains auteurs aux problèmes de mémoire et à la qualité des souve-
nirs (faux souvenirs, faible niveau de souvenirs, souvenirs effrayants ou
expériences psychotiques ; Boer et al., 2001 ; Granja et al. 2008). Pour
d’autres (Davydow et al., 2008), il existe différents facteurs de risque :
les antécédents anxieux ou dépressifs, le niveau élevé de la sédation par
benzodiazépines, le souvenir d’expériences effrayantes ou psychotiques
lors du séjour en réanimation, le sexe féminin, un âge plus jeune, la
durée de la ventilation mécanique et de séjour, l’état d’agitation lors du
séjour, la contention physique et les doses d’opiacés.

2.3 Le vécu psychique en réanimation :


une clinique de l’extrême
Si la plupart des études qui viennent d’être citées représentent un
grand intérêt sur le plan des connaissances, l’utilisation fréquente de
méthodologies uniquement quantitatives (questionnaires) centrées
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

essentiellement sur les aspects descriptifs des troubles et menées souvent


par des médecins réanimateurs limite en revanche la compréhension
clinique du traumatisme psychique.
Les études de psychopathologique clinique qualitative centrées sur le
sens et le vécu traumatique doivent ainsi être développées afin de mieux
comprendre les aspects de vulnérabilité psychique liés à ces traumatismes.
Dans ce sens, il est important d’envisager le vécu de la réanimation
comme une clinique de l’extrême sur un plan subjectif (Grosclaude,
2002 ; Spoljar, 2002, 2005) qui peut comporter différentes dimensions :
− Extrêmes au niveau du vécu des confins de la vie et de la mort avec
un risque réel ou potentiel de mort pour le patient. En effet, les
84 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

services de réanimation accueillent des patients dans un contexte


d’urgence et de gravité des pathologies avec 20 à 25 % de mortalité
et 10  % de limitation thérapeutique (Ferrand et al., 2007). Cette
réalité entraîne un vécu d’incertitude pour le sujet caractérisé par des
limites floues entre le coma, la vie et la mort (Grosclaude, 2002). Mais
c’est le sentiment subjectif de menace vitale qui est l’élément le plus
important à prendre en compte, car de nombreux patients peuvent
aussi vivre ces situations extrêmes sans garder de traces traumatiques
et sont capables d’élaborer cette expérience limite en lui donnant un
sens.
− Extrêmes au niveau de l’agression vécue du corps  ; en effet, les
procédures de soins et de suppléance utilisées en réanimation pour
sauver la vie représentent des techniques très lourdes, invasives et
douloureuses (intubation, ventilation). Elles peuvent être ressenties
d’un point de vue psychique comme violentes et effractantes, créant
un état d’incertitude au niveau du sentiment d’intégrité corporelle.
Cette atteinte des limites corporelles peut être angoissante et vécue
dans un sentiment de persécution dans la relation avec les soignants.
Il est alors important pour le soignant d’accompagner, de sécuriser et
d’expliquer au patient ce qui lui arrive. Grosclaude (2002) et Spoljar
(2005) soulignent la place centrale de la parole dans ces services
même quand le patient a des niveaux bas de conscience.
− Extrêmes au niveau du vécu psychique du coma où le patient peut
expérimenter des éprouvés, des sensations, des vécus oniroïdes où
réalité et imaginaire se confondent, donnant lieu dans certains cas
à de véritables épisodes confusionnels, en particulier au moment
du réveil (Boer et al., 2001  ; Ganja et al., 2008). L’impact iatrogène
des traitements doit être considéré. Ainsi, les morphiniques ou les
hypnotiques utilisés dans l’état de coma artificiel plus ou moins
profond, qui permettent au sujet de supporter la ventilation artificielle
et l’intubation, ont aussi des effets secondaires importants.
− Extrêmes au niveau de l’appréhension de soi où l’état de dissociation
psychique, lié au coma ou au profond sommeil, peut engendrer une
distinction floue des limites entre dedans et dehors ainsi qu’une perte
des repères et du sens au niveau subjectif. L’altération du jugement de
la réalité peut s’accompagner provisoirement d’une déstructuration
de l’état psychique, avec altération de la conscience, épisodes
confusionnels ou hallucinatoires. Ces différents vécus interrogent
profondément la nature des productions psychiques liées à cette
expérience, et les traces psychiques que peut en garder le sujet. Cette
période peut ainsi être vécue comme une perte des repères sur le
Traumatisme psychique et médecine 85

plan subjectif avec une distinction floue entre imaginaire et réalité,


rêves et réalité. Selon Grosclaude (2002), ces états extrêmes peuvent
donner lieu à un état psychique provisoirement «  déstructuré  »
avec des expériences « psychotiformes » (hallucinations, confusion,
sentiments de persécution).
− Extrêmes au niveau de l’identité où l’absence de paroles, de
communication liée à l’état du sujet (endormi, intubé, ventilé, sédaté),
l’absence de désirs, la perte des affaires personnelles (vêtements,
bijoux…) peuvent s’apparenter à un effacement de la subjectivité
(Spoljar, 2005), rendant ainsi provisoirement incertaine l’identité
du sujet. En effet, les conditions difficiles de l’hospitalisation en
réanimation représentent un lieu extrême et parfois étrange  : lieu
cloisonné, fermé, lieu de haute technicité, appareils bruyants,
éclairage permanent, patients attachés, intubés, éloignement des
familles, absence de communication et de paroles, silence pesant…
Ainsi, les spécificités de la réanimation en font un lieu extrême au
niveau du vécu subjectif qui peut parfois conduire à des difficultés d’éla-
boration psychique. Pour Grosclaude, cette difficulté d’élaborer et d’inté-
grer cette situation particulière est en lien avec l’absence de parole dans
les lieux de réanimation qui produit un effacement de la subjectivité :
« La réanimation, lieu de l’urgence du faire, est aussi celui du silence de
la parole et du bruit des activités et des machines. Elle impose le silence
au profit du geste médical et technique qui requiert toute l’attention et
relègue la pensée, la relation, la parole au rang d’un luxe ou du moins
d’une priorité secondaire » (Grosclaude, 2002). Cet auteur met ainsi en
évidence le syndrome du « trou-réa » qui correspond à un vécu trauma-
tique avec une absence d’élaboration psychique et de contenu imaginaire
pouvant donner un sens à cette expérience extrême (Spoljar, 2002, 2005).
Toutefois, notre expérience clinique dans ce domaine montre que
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

les sujets ne développent pas tous des difficultés et que la réanimation


n’est pas nécessairement traumatique. En effet, il faut aussi considérer
les capacités de résilience et les facteurs protecteurs permettant au sujet
de dépasser ce moment comme la possibilité de donner un sens à l’expé-
rience vécue, le soutien familial et conjugal, qui joue un rôle de première
importance, la qualité de la relation soignant-soigné, les paroles rassu-
rantes et les explications fournies par l’entourage médical en fin de séjour.
Ainsi, la question de la vulnérabilité psychique mérite d’être posée
pour certains patients qui vont développer des troubles psychotrauma-
tiques, et cela nécessite d’adopter une démarche qualitative pour mieux
comprendre la complexité des phénomènes en jeu et leur articulation
86 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

avec l’histoire et la subjectivité des sujets. C’est ce que nous nous propo-
sons d’appréhender à travers les trois observations suivantes.

3. Observation n° 8 : Thiméo
ou l’inquiétante étrangeté

3.1 Présentation
Thiméo est un homme âgé de 58 ans, marié avec deux enfants, qui a
des antécédents de diabète ; il a été hospitalisé en service de réanima-
tion pour insuffisance rénale aiguë, choc septique, thrombose veineuse
compliquée d’embolie pulmonaire. Après une admission aux services
d’urgences par son médecin traitant pour l’apparition d’une paralysie
faciale et de troubles visuels avec vomissements, il a présenté un état
d’agitation avec épuisement respiratoire. Il a donc été transféré en réani-
mation et a fait l’objet d’une assistance respiratoire avec intubation,
ventilation artificielle et sédation le plongeant dans un coma artificiel.
Le dossier médical indique qu’après un état très instable, il s’est progres-
sivement amélioré et les sédatifs ont été arrêtés après 15 jours avec un
réveil favorable et une extubation au bout de trois semaines.
Je rencontre Thiméo trois mois après sa sortie d’hospitalisation dans
le cadre d’une consultation psychologique systématique que nous avons
mise en place en post-réanimation pour explorer les difficultés psycho-
logiques liées à un séjour en réanimation.

3.2 Le souvenir de la réanimation :


« un film d’horreur »
Quand je demande à Thiméo comment s’est passé son séjour en
réanimation, il me répond qu’il ne garde aucun souvenir, mais la seule
chose dont il se rappelle, ce sont des cauchemars « terribles » : « c’est
des horreurs, des films d’horreur, je pourrais en faire un film… je ne
me souviens que de ça… j’ai fait ces rêves-là à l’hôpital… je suppose
que c’était dans ma période de coma… c’était terrible ce que j’ai vu…
même 15 jours après mon hospitalisation je croyais encore que c’était
vrai… j’y crois encore maintenant… je pourrais raconter tout dans les
détails… pour moi c’est la réalité, j’y pense tout le temps… (?) c’est des
cadavres… c’est trop long je ne peux pas tout expliquer… c’est des crimes
Traumatisme psychique et médecine 87

et moi je ne pouvais rien faire… une mamie enfermée dans un frigo de


restaurant et on voyait une tête et un bras dépasser, et elle m’appelait au
secours, et moi je ne pouvais rien faire, je ne pouvais pas bouger, j’étais
immobilisé dans mon lit, et un papi qui était au-dessus du frigo, et il y
en avait encore un plus loin et un autre qui le guettait, je voyais un œil
qui me regardait… je ne pouvais pas bouger, je ne pouvais pas appeler au
secours… je trouvais le temps long… si je vous raconte tout, c’est un film
d’horreur… mais des films d’horreur comme cela je n’en ai jamais vu…
c’était terrible… je suis marqué par ça… ça fait très mal, je ne pouvais
pas bouger, c’était inimaginable ce que j’ai vécu… c’est terrible… C’est
toujours proche… j’y pense tout le temps… ça me marque encore, j’ai du
mal à croire que ces images ne sont pas vraies… pour moi, c’est réel ! »

3.3 Les symptômes psychotraumatiques


Thiméo a eu beaucoup de difficultés à évoquer ces « cauchemars »
et, dans les 15 premiers jours après l’hospitalisation, il n’osait pas en
parler, car il avait peur qu’on le prenne pour un fou. Puis, ces images
traumatiques devenant de plus en plus envahissantes, il a fini par en
parler à sa femme. Il est encore aujourd’hui très marqué par ces visions
cauchemardesques et il ne cesse d’y penser à longueur de journée. Tout
est gravé dans sa mémoire et il se souvient de chaque détail : « je vois
encore le moindre détail, comme si c’était encore là devant moi ».
Les symptômes de reviviscence sont présents sous forme de flashs
visuels qui reviennent constamment dans la journée et ils sont vécus
dans une grande et continuelle appréhension : « j’y pense tout le temps,
j’ai toujours peur que ça recommence ».
Thiméo souffre aussi de problèmes de sommeil. Depuis son séjour en
réanimation, il se réveille souvent au milieu de la nuit avec sursauts et
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

angoisse. Il a l’impression d’être encore attaché sur son lit comme il l’a
été pendant la période de coma artificiel. Il a très peur, dès que la nuit
tombe, de revivre ces moments à chaque fois. Il se sent très anxieux
depuis ce séjour, fatigué et puis surtout très irritable, ce que sa femme a
aussi constaté. Ainsi, il a l’impression toujours présente de ne « pas être
sorti de la réanimation ».
Thiméo présente les symptômes assez typiques d’un état de stress post-
traumatique aigu avec fixation à l’événement, symptômes d’intrusion et
de reviviscence, et irritabilité. Il n’a par ailleurs aucune autre psychopa-
thologie associée et n’a aucun antécédent psychiatrique.
88 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

3.4 Le traumatisme psychique


Qu’est-ce qui fait traumatisme chez Thiméo ? Ici, la situation trauma-
tique est plutôt atypique, car elle ne rend pas compte d’une expérience
vécue dans le réel, et il faut s’interroger sur la nature de ces « cauche-
mars » qui sont perçus comme des réalités ; nous reviendrons plus loin
sur cet aspect central, mais essayons avant de repérer les dimensions
classiques du traumatisme psychique : la frayeur, le sentiment de menace
vitale et le sentiment d’impuissance.

3.5 La frayeur
On pourrait imaginer que l’expérience de mort imminente vécue par
Thiméo a été à l’origine du trauma psychique, mais cela ne semble pas
être le cas, car elle n’a pas été ressentie comme un sentiment de menace
vitale. En effet, Thiméo est capable de narrer ce moment particulier
de manière construite en lui donnant un sens et en le verbalisant sans
expression d’angoisse : « Ben en fait, c’est comme quand on va à la
morgue… comme si on rentre dans une autre vie quoi… Ben ça, je l’ai
vu, ça… Là j’ai vu, j’étais pour rentrer heu, puis on m’a retenu, enfin je
me suis arrêté, j’étais juste à la limite de rentrer dans le tunnel si vous
voulez, et ça, je l’ai vu… Je sais qu’on m’avait déjà raconté des choses
comme ça, mais j’n’y croyais pas, mais là vraiment, je l’ai vu… mais enfin
c’est pas ce qui me marque le plus, ce qui me marque le plus, c’est…
l’horreur que j’ai vue… »
Les paroles de Thiméo définissent bien le caractère traumatique, il
peut donner un sens à l’expérience de mort imminente, mais pas aux
visions d’horreur. C’est donc l’aspect effrayant de ces images qui produit
un effet de fixation et de répétition chez lui. La dimension d’effroi et de
sidération devant ces horreurs et ces crimes auxquels il assiste impuissant
rend compte d’une composante centrale du traumatisme.

3.6 Le vécu d’impuissance


Il faut aussi souligner le vécu d’impuissance qui correspond dans la
réalité à la situation de Thiméo pendant l’hospitalisation. En effet, il a
été attaché pendant son sommeil profond provoqué par les sédatifs afin
de permettre la ventilation artificielle. La contention dans ces situations
a pour objectif d’éviter tout épisode d’agitation qui pourrait se révéler
dramatique. Celle-ci est vécue de manière douloureuse, et Thiméo en
Traumatisme psychique et médecine 89

garde des bribes de souvenirs : « ces images me faisaient mal parce que
je ne pouvais pas bouger, je ne pouvais ni appeler au secours ni rien du
tout… Puis je voyais personne arriver heu bon… j’ai trouvé le temps
long, j’ai trouvé le temps long, c’est… de pas bouger… De rien pouvoir
faire, c’est terrible… j’étais attaché, même la ceinture, les jambes, enfin
les bras, heu, là je suis marqué par ça… je me souviens encore que je
serrais les poings pour pouvoir me défaire heu, c’était vraiment la… et
je me souviens que je voulais… essayer de… tout casser quoi ».

3.7 « Rêves de réa » : la confusion entre réel


et imaginaire et l’inquiétante étrangeté
Les cauchemars de Thiméo posent de nombreuses questions : s’agit-
il de véritables cauchemars, de rêves, d’hallucinations, de souvenirs de
moments de confusion, ou encore de fragments de percepts liés à un
niveau de basse conscience en période de coma artificiel ?
Nous sommes bien ici au cœur d’interrogations centrales concernant
la nature et la signification de ces expériences psychiques particulières
qui peuvent être vécues lors d’un coma en réanimation. Pour Grosclaude
(2002), ces cauchemars ou « rêves de réa », fréquents chez ces patients, ne
sont pas de véritables rêves, mais plutôt des réminiscences oniroïdes qui
renverraient à un vécu d’éveil de coma et de réanimation. Généralement,
ces « rêves de réa » font référence à « des scènes persécutives ou à des
éprouvés d’angoisse et de terreur ». Il s’agirait en quelque sorte de frag-
ments de percepts et d’hallucinations, de réminiscences perceptives et
psychotiformes d’une expérience non élaborée par le sujet. La plupart du
temps, ces rêves de réa sont perçus comme s’ils étaient réels et le sujet a
toujours une incertitude sur leur nature : il ne peut les concevoir comme
totalement imaginaires.
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Ce que vit Thiméo relève donc d’une expérience de confusion entre la


réalité et l’imaginaire, d’une porosité des limites entre dedans et dehors
et d’un vécu d’incertitude entre réel et irréel qui est source d’une inquié-
tante étrangeté. Ce qui est sans doute traumatique ici est cette perte des
limites entre réel et imaginaire, qui est vécue comme un élément de
dissociation psychique.
Ces deux aspects, sentiment d’inquiétante étrangeté et expérience
de dissociation, doivent être soulignés pour rendre compte du trauma-
tisme psychique. Chez Freud (1919), le sentiment d’inquiétante étran-
geté trouve sa genèse dans la notion d’incertitude intellectuelle et serait
lié à tout ce qui se rattache à la vision de la mort : « ce qui est le plus
90 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

inquiétant, c’est tout ce qui se rattache à la mort, aux cadavres, à la réap-


parition des morts, aux spectres et aux revenants… ». Ce qui est encore
plus dérangeant pour Freud est le fait d’attribuer une activité indépen-
dante à des membres épars : « Des membres épars, une tête coupée, une
main détachée du bras, comme dans un conte de Hoffmann, des pieds
qui dansent tout seuls comme dans le livre de A. Schaeffer… Voilà ce
qui a quelque chose de tout particulièrement étrangement inquiétant,
surtout quand il leur est attribué, ainsi que dans ce dernier exemple, une
activité indépendante… » On retrouve bien ces aspects terrifiants chez
Thiméo. Par ailleurs, Freud souligne que l’inquiétante étrangeté survient
à chaque fois que les limites entre imaginaire et réalité s’effacent : « Ici
une observation générale qui nous semble mériter d’être mise en valeur :
c’est que l’inquiétante étrangeté survient souvent et aisément chaque
fois où les limites entre imagination et réalité s’effacent, où ce que nous
avions tenu pour fantastique s’offre à nous comme réel », et plus loin,
il conclut : « L’inquiétante étrangeté surgit quand quelque chose s’offre
à nous comme réel. »
On peut ainsi comprendre le vécu de Thiméo en référence à une disso-
ciation psychique, caractérisée par une rupture de l’unité psychique au
moment du traumatisme avec altérations de la conscience, de la percep-
tion du temps, du lieu et de soi qui entraînent un profond sentiment
d’irréalité.

3.8 « Rêves de réa », narration et mise en sens


Pourtant, ce vécu étrange présent dans ces rêves de réa est sans
doute l’unique moyen pour Thiméo de rendre compte d’une situation
psychique extrême. En effet, il a été hospitalisé dans un état très grave et
inquiétant et, pendant 15 jours, il a été très instable, avec un risque réel
de mourir. Comment penser cette situation extrême et limite ? Les rêves
de réa doivent certainement être considérés comme une représentation
possible de ce moment impensable, sorte de blanc psychique, de « trou »,
de rupture dans le sentiment de continuité existentielle. Ainsi, le rêve
de réa chez Thiméo est tout de même une possibilité d’assurer la conti-
nuité psychique entre avant et après le traumatisme. Grosclaude (2002)
souligne le besoin fréquent de ces sujets de faire part de ces « rêves de
réa » au clinicien dans un contexte de secret et de confiance et, d’autre
part, l’importance de ces récits comme des récits après coup permet-
tant de structurer une réalité réanimatoire extrême. Ces rêves ont avant
tout une fonction de soin et ils s’arrêtent quand le sujet peut élaborer
Traumatisme psychique et médecine 91

et ainsi se réapproprier ce moment de son existence. Ils auraient selon


Grosclaude une fonction autothérapeutique.
Ainsi, ces rêves correspondent sans doute à une possibilité de recons-
truction d’une expérience subjective extrême et il est donc important
pour le clinicien de pouvoir les écouter de manière empathique et
sensible afin de leur donner un sens. Pour Thiméo, l’expression de ces
cauchemars a été bénéfique. En effet, après l’avoir longuement écouté,
j’ai pu lui signifier et lui expliquer dans un langage simple l’existence
possible de ces rêves de réa en relation avec sa situation en réanimation
(coma, contention, frayeur, altération de la conscience…). Thiméo m’a
alors fait part de son sentiment d’apaisement. À la fin de l’entretien, il
était soulagé de comprendre ce qui s’était passé pour lui et de savoir que
d’autres personnes avaient eu la même expérience que lui.

4. Observation n° 9 : « Naji, le survivant »

4.1 Présentation
Naji est un homme de 44 ans, originaire d’Algérie, marié et père de
quatre enfants. Je le reçois la première fois en service de gastro-entéro-
logie, où il est hospitalisé pour des douleurs abdominales et épigastriques
rebelles. Il se plaint de fréquents vertiges qui entraînent souvent des
chutes et de violentes céphalées qui se calment difficilement. Il a un
sommeil très perturbé. Il dort très peu, avec des nuits agitées. Son état
général est très altéré et il souffre d’un amaigrissement important.

4.2 Traumatisme psychique, intervention chirurgicale


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et réanimation
Selon Naji, tous ces troubles sont consécutifs à une gastrectomie
partielle, pratiquée il y a 4 ans pour un ulcère décompensé. Il me raconte
ainsi son histoire médicale ; il a subi il y a 15 ans une intervention
chirurgicale pour une appendicite. Puis, peu de temps après, sont appa-
rues des douleurs à l’estomac qui restent stables pendant de nombreuses
années et ne demandent aucun traitement d’urgence. Mais 8 ans plus
tard, l’état de Naji s’aggrave et les lésions de l’estomac nécessitent le
recours à une gastrectomie partielle. Cette intervention est vécue dans
une totale incompréhension pour Naji, qui imagine que les médecins
ont introduit un objet en plastique à l’intérieur de son corps. Il ressent
92 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

depuis de curieuses et douloureuses sensations et pense que son état est


lié à cette intervention : « Je peux dire que ma maladie a débuté vraiment
à ce moment-là, je me sens très mal depuis, ça ne va pas bien, je ne me
sens plus le même, j’ai maigri… »
Je lui demande de me raconter le déroulement de cette intervention, et
Naji présente un véritable récit traumatique ; il est pris de gros sanglots
et d’une angoisse intense au moment où il narre cet épisode. Il a d’abord
eu très peur lors de sa conduite au bloc opératoire et là, au moment où
l’anesthésie générale a commencé à produire ses effets d’endormisse-
ment, l’image de son père mort lui est apparue. Il vit alors une terreur
extrême qui dure très peu de temps, car l’anesthésie le plonge rapide-
ment dans le sommeil. À son réveil, dans sa chambre, il se décrit comme
dans un état second, il ne sait pas ce qui lui arrive ; il est pris dit-il d’une
« soudaine folie », il arrache tous ses pansements et ses perfusions, ce qui
provoque une très grave hémorragie. Il perd connaissance et est conduit
en réanimation, où il reste 20 jours dans le coma : « J’avais une chance
sur cent de m’en tirer », ajoute-t-il. Là, il se souvient de moments déli-
rants où il se sentait encore très fiévreux. Il décrit de nombreuses visions
sur les murs de sa chambre où défilent toutes les images de son passé :
son enfance, ses amis, ses parents, des films vus quand il était jeune, son
arrivée en France. Ces images prennent aussi un caractère terrifiant : des
rats, des serpents, des créatures imaginaires envahissent sa chambre.
Naji a véritablement l’impression d’avoir côtoyé le monde des morts et
d’être revenu à la vie. Les sensations vécues avant et après l’intervention
chirurgicale ne le quittent plus, il dit : « J’ai toujours l’impression que je
viens de sortir de la table d’opération, je me sens toujours oppressé… »
Après cette intervention, les hospitalisations se multiplient ainsi que
les investigations médicales, car les douleurs ne font qu’augmenter. Naji
a été opéré à nouveau à deux reprises. Mais aucun de ces traitements
n’apporte d’amélioration de son état de santé. Chaque hospitalisation
déclenche une angoisse panique que nous avons pu observer dès le
premier entretien.
Traumatisme psychique et médecine 93

4.3 L e traumatisme psychique : effroi,


incompréhension et imminence de la mort
4.3.1 Effroi et troubles confusionnels et délirants
On peut repérer chez ce patient une réaction d’effroi initial puis le
développement de troubles confusionnels et délirants aigus. En effet,
Naji insiste en premier lieu sur ce moment d’anesthésie où il est envahi
par la terreur. Celle-ci se manifeste d’abord par une peur de mourir et
de ne pas se réveiller puis par la vision effrayante de son père mort qui
ne peut sans doute signifier qu’une chose pour lui : sa mort prochaine.
Nous apprendrons plus tard que son père est décédé lors d’une hospi-
talisation dont les raisons restent énigmatiques pour Naji. À son réveil
post-chirurgical, il présente un état de grande agitation et de confusion le
conduisant à un geste qu’il qualifie lui-même de « soudaine folie » (arra-
cher ses perfusions et pansements). Ce moment est suivi d’une période de
coma où il est hospitalisé en réanimation. Naji a présenté un syndrome
confusionnel agité à son réveil de chirurgie puis à nouveau un épisode
confusionnel et délirant au réveil de coma avec désorientation temporo-
spatiale, sentiment d’étrangeté, vécu oniroïde et hallucinatoire.

4.3.2 Non-sens et incompréhension


Chez Naji on retrouve une dimension de non-sens liée à l’expérience
traumatique. En effet, il exprime une incompréhension totale vis-à-vis
de l’acte chirurgical, et pense que les médecins ont introduit un élément
étranger dans son corps. L’incompréhension est d’autant plus importante
qu’il éprouve toujours les mêmes douleurs à l’estomac et que son état ne
fait que s’aggraver. Ceci le conduit à demander le renouvellement des
investigations, des traitements et des hospitalisations, mais à chaque
fois celles-ci ne font que réactiver le vécu traumatique initial avec une
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augmentation des douleurs et de l’angoisse. Naji est profondément déçu


par les réponses médicales qui lui sont apportées.

4.3.3 Syndrome psychotraumatique


et sens des rêves traumatiques
Naji développe un syndrome psychotraumatique et dépressif typique
à la suite de cette expérience médicale. Les symptômes de répétition
prennent la forme de ruminations incessantes de l’événement, d’im-
pression continuelle de « comme s’il venait juste de sortir de la table
d’opération », de rêves traumatiques répétitifs, de sursauts nocturnes
94 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

avec angoisse et sueurs. L’anxiété et l’hypervigilance sont omniprésentes.


L’altération de la personnalité se manifeste par le sentiment d’avoir
profondément changé et par un vécu d’étrangeté et de monde lointain.
Naji est aussi profondément déprimé ; le ralentissement psychomoteur
et l’inhibition sont caractéristiques, et l’altération de l’état général avec
amaigrissement est très importante.
Les cauchemars chez Naji ont été fréquents dans les premiers mois
après son séjour en réanimation, en effet il voyait régulièrement son père
mort lui parler en rêve et lui donner quelque chose. Naji se réveillait alors
dans un état d’angoisse, terrifié, en sueur. Ce qui était particulièrement
terrifiant pour lui était l’interprétation culturelle de ces rêves, qui sont
très codés dans les pays du Maghreb et qui signifient souvent pour le
rêveur sa mort prochaine et/ou l’appel d’un ancêtre mécontent (Kilborne,
1978). Puis, les cauchemars répétitifs ont cessé après quelques mois et
Naji a ensuite perdu tout souvenir onirique. Mais ses nuits sont restées
agitées, et il se réveille régulièrement dans un état d’effroi, le corps envahi
par des tremblements et des sueurs.
On peut remarquer que ces premiers rêves répétitifs sont sans doute
une tentative de résolution du traumatisme à travers l’appel à une étio-
logie culturelle traditionnelle codée au niveau du sens et à travers la
reviviscence du souvenir du père. Cette mise en scène répétitive de la
vision du père mort réactive chez Naji un deuil encore non résolu et sans
doute une culpabilité ancienne liée au fait de ne pas avoir pu voir son
père dans les derniers jours de sa vie et l’enterrer selon les usages. On
comprend ainsi que ces rêves puissent être interprétés traditionnellement
comme une dette vis-à-vis d’un défunt.

4.4 euils enkystés, troubles de la filiation


D
et étiologies traditionnelles
4.4.1 Deuils traumatiques, deuils enkystés
La suite du travail thérapeutique avec Naji et la connaissance de son
histoire permettent d’éclairer de manière singulière le vécu actuel avec
la présence de nombreux deuils traumatiques et enkystés qui semblent
avoir été réactivés au cours de cette expérience.
En premier lieu, le contexte de l’intervention chirurgicale a lieu à
peine 4 mois après le décès de sa petite fille âgée de 4 ans, atteinte de
leucémie. C’est un moment très douloureux et Naji a beaucoup de mal
à le verbaliser.
Traumatisme psychique et médecine 95

Quelques mois avant cette intervention naît également son premier


fils, avec toute la problématique impensable liée à cette coïncidence :
une vie pour une mort. Mais cette naissance réactive aussi chez Naji une
problématique très spécifique en rapport avec sa filiation. Normalement,
la naissance du premier fils est censée assurer la continuité et la trans-
mission de l’héritage psychique. Mais cela place Naji dans une filiation
où la mort est omniprésente.
En effet, quand je lui demande de me raconter son histoire familiale,
je suis surprise par le nombre de morts brutales et inexpliquées chez ses
frères et ses oncles paternels. Afin de mieux comprendre son histoire
transgénérationnelle, je décide de travailler avec lui à partir d’un géno-
gramme que nous construisons ensemble, et qui nous permet d’aborder
sa filiation complexe. Celui-ci met en évidence la complète disparition de
la lignée des hommes du côté de la famille paternelle. Tous les oncles et
frères de Naji sont en effet morts très jeunes, et il n’est pas très explicite
sur l’origine de ces décès répétitifs (pathologie héréditaire ?). Dans tous
les cas, Naji se retrouve l’unique survivant de la lignée des hommes du
côté paternel, et il s’inscrit naturellement dans cette filiation quand il
devient le père de son fils. Dans cette nouvelle situation familiale, il est
alors chargé, en tant que père, d’assurer la transmission. Mais ici, la trans-
mission et l’inscription dans la filiation comportent un risque extrême :
celui de mourir comme les autres hommes de la famille !

4.4.2 Morts et malédiction familiale


Naji est dans l’incapacité d’expliquer les causes de ces décès successifs
mais, après un certain nombre de séances de psychothérapie, il parvient, à
défaut de causes objectives, à leur donner un sens traditionnel et culturel
qui lui permet au moins de les penser. En effet, quand je lui demande si sa
famille a eu des étiologies particulières pour expliquer ces deuils succes-
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

sifs, Naji me répond que ces malheurs ont été interprétés comme une
malédiction dont l’origine remonterait au grand-père paternel. Il évoque
ainsi l’existence de conflits de famille et de problèmes de « jalousie » en
rapport avec ce grand-père. Cette malédiction familiale est exprimée à
travers une étiologie traditionnelle ayant cours dans les pays du Maghreb
et appelée tab’a. Ce terme signifie littéralement « poursuite », et tab’a
renvoie à la répétition des échecs et des malheurs qui peut concerner une
personne ou une famille (Aouttah, 1993). Ce type de malédiction a par
ailleurs tendance à se répéter et se transmet d’une génération à l’autre.
Parmi les causes de la tab’a, on retrouve une punition, une violation
d’endroits sacrés, un mauvais sort, la jalousie ou le non-paiement d’une
96 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

dette (Aouattah, 1993). Naji m’expliquera plus tard qu’en ayant quitté
son pays d’origine, il pensait pouvoir échapper à cette tab’a.
Mais le contexte de l’intervention chirurgicale, associé à la peur de
mourir, à la reviviscence du décès du père, à la perte récente de sa petite
fille et à la naissance de son premier fils est venu réactiver toute cette filia-
tion problématique et ces nombreux deuils enkystés auxquels il tentait
d’échapper depuis plusieurs années. Le traumatisme, par son action
d’effraction de l’enveloppe psychique, d’anéantissement de l’identité
et de véritable pulvérisation des défenses habituelles, est venu rappeler
avec une violence inouïe cette lourde réalité psychique liée à son histoire.

4.5 Conclusion : du traumatisme médical


à l’étiologie profane
Chez Naji, le traumatisme psychique s’enracine dans un moment
d’effroi et de sidération liée au sentiment de menace vitale. Le sens de
ce trauma doit être compris à la fois dans sa réalité externe et interne. En
effet, l’état de Naji était préoccupant dans sa réalité somatique, il a failli
mourir lors de son séjour en réanimation. Mais ce traumatisme apparaît
aussi dans un contexte de grande fragilité personnelle pour Naji, avec la
place des deuils cumulatifs et traumatiques. L’intervention chirurgicale
a aussi réactivé une série de frayeurs plus anciennes. Ainsi, Naji avait
aussi à affronter un grand danger sur le plan psychique : au moment où
naissait son premier fils, il s’inscrivait dans une lignée d’hommes frappés
par la mort ; il s’agit d’une problématique psychologique complexe et
ancienne qui est de plus aggravée en situation de migration.
Au cours de la psychothérapie, la possibilité de se référer à des étiolo-
gies traditionnelles de la maladie comme la tab’a (malédiction transgé-
nérationnelle) permet de donner un sens, partagé par le milieu familial
et culturel d’origine, à ces nombreux deuils traumatiques. On pourrait
se demander quel est l’intérêt d’évoquer de telles étiologies, qui peuvent
apparaître « irrationnelles » en psychothérapie. Or il ne s’agit pas pour
le clinicien de croire ou de ne pas croire à ces discours profanes, mais
d’accepter seulement que le patient puisse exprimer et dérouler ses repré-
sentations culturelles, qui ont la capacité de donner un sens à l’insensé.
L’expression de ces étiologies très codées peut fonctionner comme opéra-
teur thérapeutique, dans la mesure où ce discours profane, qui fait appel
aux références du groupe familial d’appartenance du sujet, est aussi impli-
citement une manière de renouer avec ce groupe, ce qui constitue une
dimension primordiale dans les contextes de rupture migratoire (voir les
Traumatisme psychique et médecine 97

aspects psychologiques de l’exil dans le chapitre 6). Ces représentations


culturelles doivent ainsi être appréhendées dans leur fonction et non pas
dans leur contenu, qui peut apparaître « irrationnel » ou « exotique ».
Comme toute étiologie, ces représentations de la maladie ont un rôle
central, car elles établissent des systèmes de causalité (Zempleni, 1985)
qui permettent d’apaiser et de redonner une cohérence interne au sujet
et un rétablissement de la continuité existentielle au-delà des ruptures
et des discontinuités.

5. Observation n° 10 : Miguel ou la quête


compulsive du sens

5.1 Présentation
Je reçois Miguel, lors d’un entretien psychologique, pendant son
hospitalisation dans un service de gastro-entérologie pour douleurs
abdominales, vomissements et vertiges. C’est un patient bien connu
de l’équipe médicale qui me l’adresse et qui diagnostique ses troubles
comme fonctionnels.
Miguel est un homme de 50 ans, de forte corpulence. Il est marié et a
deux enfants (de 23 et 18 ans). Il est originaire du Portugal et vit depuis
30 ans en France. Ouvrier du bâtiment pendant de nombreuses années,
il est aujourd’hui en arrêt maladie.
À ma demande, il relate volontiers l’histoire de sa maladie. Son discours
se présente d’abord comme assez factuel : il expose soigneusement son
parcours médical, décrivant avec minutie ses nombreuses hospitalisa-
tions et consultations et les effets négatifs de tous les traitements entre-
pris. Puis son discours prend la forme d’une véritable hémorragie de
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

paroles, impossible à stopper, marquée par des douleurs incessantes et


une intense colère contre la médecine.
Ses troubles ont débuté il y a huit ans lors d’un accident du travail,
qu’il présente comme mineur : une chute sur un objet métallique qui
occasionne une blessure sans gravité apparente du pied droit. À l’époque,
Miguel ne se préoccupe guère de cet accident : « À cette époque, j’étais
très fort et rien ne me perturbait ! », dit-il. Le lendemain, il reprend
donc normalement son travail mais, trois semaines plus tard, apparaît
une infection locale avec d’intenses douleurs et un gonflement du pied.
Il signale son état au médecin du travail, espérant une reconnaissance
98 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

de sa chute au titre d’un accident du travail, mais celle-ci lui est refusée,
car la déclaration est tardive. Miguel, contrarié, voit alors ses troubles
redoubler d’intensité ; il prend un congé maladie, jugé trop long par son
employeur, qui finit par le licencier.
Après plusieurs mois de difficultés s’ensuit une période de calme où
Miguel va mieux et il reprend une activité dans une entreprise de maçon-
nerie dirigée par un de ses cousins. Mais très rapidement, il s’aperçoit
que le travail ne lui convient pas, et les disputes fréquentes avec son
patron l’amènent à démissionner. Peu de temps après, les douleurs du
pied reprennent et, cette fois, il doit être hospitalisé pour subir une inter-
vention chirurgicale. Miguel explique maintenant, de manière presque
compulsive, que cette intervention est à l’origine de tous ses maux : il
ne l’a pas comprise, les médecins se sont trompés, il n’a pas été informé,
cette intervention a été inutile… Il décrit un réveil post-chirurgical trau-
matique sur le plan psychique : une grande angoisse s’empare de lui, il
est envahi par la peur de mourir, il se sent désorienté, perdu, dans l’inca-
pacité de donner un sens à ce qui lui arrive. Peu après cette première
intervention chirurgicale apparaissent d’autres troubles : asthénie, perte
d’appétit, dépressivité, irritabilité, impuissance sexuelle, altération du
sommeil avec terreurs et sursauts nocturnes. Miguel ne se sent plus le
même ; « si faible et maladif » alors qu’il était, avant, « si fort et si gai ».
À partir de ce moment, il commence à s’isoler, adresse à peine la parole
à sa femme et à ses enfants ; ses pensées sont dorénavant accaparées par
la douleur et la colère.
Ce n’est que le début d’un long parcours médical car, depuis huit
ans, Miguel souffre des mêmes troubles. Depuis huit ans, il est réguliè-
rement hospitalisé, il a subi sept nouvelles interventions chirurgicales
au pied, motivées par des infections répétitives. Ces interventions n’ont
fait qu’accentuer les douleurs initiales. Toutes les hospitalisations sont
vécues dans une angoisse intense. Il se plaint de ses nuits agitées, il a
peur, il croit entendre des bruits, il dort très peu, se réveille en sursaut,
avec de très forts battements de cœur et dans un état d’effroi. De plus,
il exprime son incompréhension et sa colère contre les médecins qui,
dit-il, se sont trompés et sont responsables de son état.
Après avoir longuement écouté Miguel dans son histoire médicale,
je lui demande de me parler de lui et de sa famille. D’abord étonné par
ma question, il y répond tout de même : son ton change, il devient
moins vif et son expression s’inhibe. Les relations avec sa femme sont
difficiles, ils se disputent très souvent, mais c’est surtout sa femme qui
se plaint : elle lui reproche d’avoir changé. Miguel explique alors que
Traumatisme psychique et médecine 99

depuis l’intervention chirurgicale, il n’a plus de désir sexuel et qu’il est


devenu impuissant. Avec ses trois enfants, Miguel ne parle pratiquement
jamais. À l’évocation de son fils aîné, il se tait et baisse les yeux ; il signale
seulement sa réussite universitaire exemplaire dans une grande école.
Son père est mort il y a quatre ans mais il n’a pu se rendre à ses obsèques,
et il n’exprime aucun sentiment de tristesse. Miguel explique qu’il n’a,
en réalité, que très peu de souvenirs de son père ; il ne l’a guère connu
pendant son enfance, car il avait migré en Espagne pour travailler comme
maçon : « il a eu une vie difficile… c’est lui qui m’a appris le métier »,
ajoute-t-il. Sa mère, malade, vit toujours au Portugal et elle se plaint du
départ et de l’absence de Miguel.
La fin de cet entretien se conclut par l’ébauche d’une demande psycho-
thérapeutique : Miguel évoque à nouveau une angoisse diffuse qu’il ne
parvient pas à relier à un événement précis et il aimerait comprendre son
état. Cette demande nous permet de l’orienter vers une prise en charge
psychologique.

5.2 Discussion : médecine, quête compulsive du sens


et traumatisme relationnel
Chez Miguel, l’intervention chirurgicale marque le début d’une
nouvelle et étonnante chronologie : celle d’un temps figé, immuable, où
les événements médicaux se répètent identiques à eux-mêmes. Nouvelle
chronologie qui marque aussi le début d’une désorganisation somatique
et psychique durable. Non seulement l’état de santé de Miguel s’est altéré,
mais en plus ni lui, ni sa famille ne se reconnaissent plus dans ce nouveau
personnage si silencieux, inhibé, faible, tourmenté et si dépendant de
la médecine.
Comme nous l’avons déjà souligné dans le chapitre précédent, nous
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

ne pouvons réduire la compréhension du traumatisme à ses effets immé-


diats de frayeur ou de sidération de l’appareil psychique, mais il faut
insister sur le fait que celui-ci provoque sur le long terme de véritables
bouleversements structuraux chez les patients.
Le choc traumatique de nature médicale est à l’origine, chez Miguel,
d’une quête compulsive de sens. Il ne cesse de réitérer des demandes
d’investigations, mais ne reçoit que des réponses médicales qui, non
seulement, ne correspondent jamais à son attente, mais en plus ne font
que réactiver le traumatisme initial. Sa colère, sa douleur, ses reproches,
son amertume et son discours hémorragique, adressés à la médecine, font
penser à une blessure irrémédiable et non fermée du corps et de la psyché.
100 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

Comment peut-on comprendre ces demandes répétées du sujet et


qu’est-ce qui peut expliquer l’échec thérapeutique médical ? :
• La demande de sens : beaucoup de patients migrants comme Miguel
semblent interpeller la médecine dans sa dimension mythique,
c’est-à-dire étiologique, et dispensatrice du sens (Biznar-Chahraoui,
1991 ; 1996). À travers leurs demandes réitérées d’investigation,
ils recherchent, implicitement, un sens au bouleversement drama-
tique de leur vie. Devant l’échec de leurs demandes, la médecine ne
pouvant fournir que des causes objectivables, la colère et le ressen-
timent envahissent ces patients, qui pensent que les médecins les
trompent ou les humilient comme cet homme qui, depuis plusieurs
années, est régulièrement hospitalisé pour divers troubles fonction-
nels et qui raconte son histoire ainsi : ouvrier du bâtiment, il est
tombé il y a 4 ans d’une hauteur de 8 mètres. Cette chute a provoqué
une perte de conscience de quelques minutes et, à son réveil, il décrit
un état de désorientation et de sidération psychique. Il est conduit
à l’hôpital, bouleversé et ne comprenant pas ce qui lui arrive. Là,
les médecins, après un bref bilan, l’informent qu’« il n’a rien ». Ce
patient, alors en ébullition complète, nous dit : « Comment ont-ils
pu me dire que je n’avais rien alors que j’ai failli mourir ? », et
il ajoute : « En me disant cela, c’est comme s’ils me tuaient une
deuxième fois ! » Cette première rencontre avec la médecine va alors
être pour lui le point de départ d’une course effrénée aux investiga-
tions médicales pour comprendre ce qui lui arrive.
• La demande de « tendresse » et d’affiliation : ces patients semblent
aussi demander à la médecine bien plus que du sens : souvent,
ils souhaitent du réconfort, de l’aide et sans doute même de la
«  tendresse  »  ; la plupart des équipes soignantes présentent ce
profil de patients comme dépendants, parfois « capricieux », ayant
toujours des difficultés à quitter le service médical. Cette demande
de tendresse est toutefois ambivalente, comme nous le dit un jour
un patient, avec une rare lucidité et après plusieurs mois de psycho-
thérapie : « Les médecins, ce sont comme des pères pour moi… sauf
qu’on peut les changer. » Inconsciente, cette identification de la
médecine au niveau de l’image paternelle ou familiale n’est percep-
tible que dans le cadre d’une longue psychothérapie. Elle explique
en partie la passion médicale de ces sujets, qui ont l’impression de
donner leur vie à la médecine : « J’ai mis ma vie entre les mains des
médecins, mais ils ne m’ont pas pris au sérieux. » Mais la médecine
Traumatisme psychique et médecine 101

peut-elle remplacer des liens affectifs et familiaux souvent fragiles


chez ces sujets ?, c’est sans doute là toute leur douleur.
• Réponses « passionnelles » de la médecine : face à cette demande de
tendresse et de sens, les médecins, d’abord conciliants, recherchent
des causes, puis ils finissent par être irrités, dépassés et lassés par ces
patients difficiles et par leur quête répétitive. Ils concluent parfois
« Vous n’avez rien », ce que les patients interprètent comme une
forme de rejet : « On ne m’a pas considéré… les médecins ne me
croient pas. » Ces paroles de médecins sont alors vécues comme un
traumatisme second qui perpétue le cycle traumatique.

Pour aller plus loin


Ampelas J.F,. Pochard F., Consoli S. (2002). « Les troubles psychiatriques
en service de réanimation », dans L’Encéphale, 28, 191-199.
Chahraoui K. (1996). « Aspects chroniques des névroses traumatiques,
logique traumatique et relation à la médecine », dans Nervure, 4, tome IX,
15-21.
Chahraoui K. (1997). « Syndrome psychotraumatique en chirurgie »,
dans Perspectives psychiatriques, 36, 4, 297-303.
Grosclaude M. (2002). Réanimation et coma, soin psychique et vécu du
patient. Paris, Masson.
Pochard F. (2010). « Reconnaître et traiter la souffrance psychique des
patients », dans Réanimation, 19, 236-242.
Pochard F., Kentish-Barnes N., Azoulay E. (2007). « Évaluation des
conséquences psychologiques d’un séjour en réanimation », dans
Réanimation, 16, 533-537.
Spoljar P. (2005). « La compliance du patient réanimé en soins intensifs :
une procédure d’ex-cription du sujet », dans Perspectives Psy, 3, 44 ; 234-
242.
5
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DEUIL TRAUMATIQUE,
SYNDROME
PSYCHOTRAUMATIQUE
ET RITUELS DE DEUIL
aire
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S o m

1. Introduction ............................................................................. 105


2. Deuil traumatique, syndrome
psychotraumatique et rituels de deuil .................................. 105
3. Observation n° 11 : « Alya, la perte
du double », un exemple de deuil
traumatique au Maghreb ........................................................114
4. Observation n° 12 : Denis, « comment enterrer ses morts ? »,
syndrome psychotraumatique et deuil traumatique ............119
Deuil traumatique, syndrome psychotraumatique et rituels de deuil 105

1. Introduction

Pa
Le décès d’un proche est sans doute l’événement le plus douloureux
qui soit dans la vie d’un individu, et plus particulièrement quand celui-ci rt
est soudain et brutal. La clinique nous amène à observer régulièrement
l’impact de ces morts violentes ou traumatiques qui peuvent donner lieu
à des pathologies du deuil, parfois compliquées de syndromes psycho-
ie
traumatiques. L’absence de rituels de deuil dans ces situations constitue
souvent un facteur de vulnérabilité dans la non-résolution du deuil.

2. Deuil traumatique, syndrome


psychotraumatique et rituels de deuil

2.1 Les morts traumatiques


Il est reconnu que les morts traumatiques provoquent souvent des
complications du deuil (Bacqué, 1992, 2006 ; Hanus, 2003, 2004, 2006 ;
Bourgeois, 2003, 2006) et peuvent être liés à différentes situations spéci-
fiques (Bacqué, 2006 ; Hanus, 2006) :
• morts violentes, brutales (accident, issue brutale d’une maladie) ;
• suicides ;
• homicides ;
• catastrophes collectives naturelles ou technologiques, guerres et
crimes de guerre (ici, on doit aussi concevoir en plus du trauma
extrême le niveau de désorganisation sociale lié à ces catastrophes) ;
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

• conséquences désastreuses pour la personne (perte de niveau écono-


mique, de rôle social) ;
• solitude extrême et absence de rites de deuil.
Ces morts violentes et brutales ont la particularité d’entraîner des effets
de sidération et des réactions de stupeur et d’hébétude à l’annonce du
décès qui rendent difficile tout travail de deuil ultérieur. Le sujet peut
rester longtemps dans son état de sidération initial, il ne parvient pas
à croire à la mort de son proche et continue à le chercher comme s’il
était toujours vivant, parfois avec des dimensions quasi délirantes. Le
sujet endeuillé reste dans un état de choc, et se trouve dans l’incapacité
106 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

d’exprimer du chagrin ou de pleurer. De plus, ces morts violentes


entraînent des sentiments d’injustice profonds, d’incompréhension, de
non-dit, qui peuvent retarder le deuil et le rendre complexe.

2.2 Complications et pathologies du deuil


Il n’y a pas de consensus sur la terminologie des différentes formes de
complications et de pathologies du deuil. On a décrit différentes formes
de deuils compliqués : déni du deuil, deuil gelé, retardé, différé, inhibé
(Deutsch, 1937), deuil enkysté (Abraham et Torok, 1959), deuil trau-
matique (Priergerson et al., 1995, 1997), traumatogène (Bacqué, 2006),
et deuil non résolu. Les complications du deuil concerneraient, selon
Bourgeois (2006), 20 % des endeuillés au cours de la première année qui
suit le décès.
Selon plusieurs auteurs, le deuil compliqué (Bacqué, 2006 ; Bourgeois,
2003 ; Hanus, 2006) marque une différence quantitative par rapport au
deuil normal (exacerbation des réactions de deuil normal avec déve-
loppement de maladie déjà présente) alors que le deuil pathologique
(mélancolique, maniaque, hystérique, délirant, obsessionnel…) marque
une différence et un changement qualitatif dans l’histoire du sujet, avec
l’apparition de troubles physiques ou mentaux qui n’existaient pas aupa-
ravant. Le deuil pathologique se caractérise par une exacerbation d’affects
tels que la culpabilité, la dépression, l’altération de l’estime de soi, l’iden-
tification au défunt, avec parfois des allures délirantes (Hanus ; 2003,
2006 ; Bourgeois ; 2004, 2006).

2.3 Deuil traumatique


Dans les complications du deuil, la notion de deuil traumatique a fait
l’objet d’une attention particulière chez certains auteurs (Priergerson et
al., 1995, 1997, 2001 ; Horowitz, 1993, 1997) qui en ont proposé des
critères diagnostiques afin de faciliter l’identification et le traitement de
ces troubles. Ainsi, cette notion a été développée par Priegerson et son
équipe (1995) qui ont voulu montrer la spécificité des réactions de deuil
traumatique en mettant en évidence deux dimensions : 1) les difficultés
de séparation à la suite du deuil, et 2) l’impact traumatique du décès.
Ces deux dimensions ont conduit à proposer des critères diagnostiques
précis (Angladette et Consoli, 2004 ; Tarquinio et al., 2009) qui ont été
formalisés de la manière suivante (Prigerson et al., 2001) :
Deuil traumatique, syndrome psychotraumatique et rituels de deuil 107

Critères diagnostiques des réactions de deuil traumatique


(d’après Prigerson et al., 2001)
Critère A1 : expérience d’une perte d’un autre significatif
Critère A2 (difficultés de séparation), présence d’au moins 3 des 4 symptômes
suivants :
1. intrusions répétitives de pensées concernant le disparu
2. sentiment que le disparu manque
3. comportement de recherche du disparu
4. sentiment excessif de solitude
Critère B (impact traumatique du décès), présence d’au moins 4 des 8 symp-
tômes suivants :
1. sentiment d’un avenir sans but ou vain
2. sentiment de détachement ou restriction des affects
3. difficulté à reconnaître la mort (incrédulité)
4. sentiment d’une vie vide ou dépourvue de sens
5. sentiment d’avoir perdu une partie de soi
6. bouleversement de la vision du monde (perte des sentiments de sécurité,
de confiance et de contrôle)
7. appropriation de symptômes ou de comportements du disparu
8. irritabilité, amertume ou colère vis-à-vis du décès
Critère C :
• Les symptômes (critères A et B) évoluent depuis au moins 6 mois
Critère D :
• Les symptômes induisent une altération cliniquement significative du fonc-
tionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines importants.
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

Dans la clinique du deuil traumatique, le sujet reste sidéré par la perte


et présente des manifestations proches de la reviviscence traumatique
comme les symptômes d’intrusion, l’irritabilité, la colère et la fixation
au choc initial. De plus, l’impact traumatique associe une dimension
de non-sens et d’incompréhension par rapport à la mort violente avec
une incapacité à intégrer et à croire en la réalité du décès. L’angoisse
de séparation est aussi présente, avec une dimension de manque très
importante et un vécu de nostalgie douloureux, impossible à dépasser.
La disparition du proche est aussi vécue comme une perte de soi avec un
véritable écroulement narcissique. Le sujet perd ainsi confiance dans le
monde, s’isole, et est dans l’incapacité de reprendre le cours normal de
108 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

son existence et de réinvestir autrui. Ces fixations traumatiques néces-


sitent un suivi psychologique spécifique afin de comprendre tous les
processus psychiques en jeu dans un tel vécu, et d’amener ainsi le sujet
à une élaboration et à une résolution de cette crise de deuil.
La clinique nous confronte souvent à des formes complexes de deuil
traumatique qui peuvent s’associer à d’autres psychopathologies comme
des états de stress post-traumatique, des idées délirantes, des crises d’agi-
tation, des somatisations, des épisodes de conversion, des états dépressifs
ou mélancoliques.

2.4 Syndrome psychotraumatique


et deuil traumatique
Dans les situations de mort violente et brutale, le deuil traumatique
peut se compliquer d’un syndrome psychotraumatique ou inversement,
car il semble exister une sorte de concurrence entre les deux probléma-
tiques (Bacqué, 2006). Cela arrive quand la personne a été elle-même
impliquée dans un événement traumatique avec une menace vitale pour
elle-même. C’est le cas par exemple de personnes qui ont vécu une catas-
trophe collective et qui ont vu des proches mourir. Ici, l’événement peut
constituer un traumatisme majeur avec effroi, sidération psychique, et
donner lieu au développement de symptômes de répétition typiques
avec reviviscences et altération de la personnalité. Ce syndrome peut
s’accompagner d’un deuil traumatique quand il y a eu perte de proches
dans ce contexte.
Comme nous l’avons noté, il existe une sorte de concurrence entre les
deux psychopathologies qui ne s’expriment pas en même temps, car très
souvent le psychotraumatisme cache et stoppe l’élaboration du travail
de deuil par ses effets de sidération et de stupeur de l’appareil psychique.
Par ailleurs, le sentiment de culpabilité du survivant peut être très
important et empêcher également le début du travail de deuil, c’est
pourquoi l’expression des affects de culpabilité sera nécessaire au cours de
la psychothérapie. Cela n’est généralement possible qu’après un certain
nombre de séances, car au début la pensée peut-être complètement figée
par l’effroi lié au traumatisme. La mise en évidence et le traitement initial
des différents aspects psychotraumatiques liés au sentiment de menace
de mort et à la répétition apparaissent nécessaires, car ils permettent de
dévoiler dans un second temps la problématique de deuil sous-jacente.
Ainsi, l’abord de la problématique de deuil n’apparaît possible qu’après
un dégagement de l’impact du traumatisme. En effet, ce dernier bloque
Deuil traumatique, syndrome psychotraumatique et rituels de deuil 109

la pensée et le processus associatif et empêche ainsi tout travail de deuil.


Il s’agit donc de dépasser le traumatisme pour pouvoir accéder au travail
de deuil en tant que tel qui est souvent long et difficile et où doivent être
élaborées la douleur de la perte et la culpabilité profonde.

2.5 Le deuil : un processus de transformation


2.5.1 Le travail de deuil
Pour mieux comprendre les pathologies du deuil, il faut se référer au
deuil normal. Un des premiers modèles de « travail du deuil » est celui de
Freud (1917), qui insiste sur la nécessité pour l’endeuillé de se dégager des
liens d’amour. Ainsi, dans le deuil normal, le sujet se soumet à l’épreuve
de réalité et retire progressivement tous ses investissements libidinaux de
l’objet aimé et perdu. Ce désinvestissement se fait au prix d’une grande
énergie psychique et, quand la libido est détachée, le moi redevient libre
et sans inhibitions. En revanche, quand l’endeuillé ne parvient pas à se
soumettre à ce principe de réalité, la fixation libidinale à l’objet perdu
demeure intense, et celui-ci est artificiellement maintenu en vie. La libido
ne peut plus alors investir autrui et est retournée contre le sujet avec une
dimension agressive, les reproches à l’objet aimé étant déplacés sur le
moi. Les fixations et les pathologies du deuil sont principalement expli-
quées selon Freud (1917) par deux conditions : l’ambivalence initiale et
la relation narcissique pour l’objet d’amour.
Ce modèle psychanalytique initial du deuil a été ensuite enrichi plus
tard par les modèles de l’attachement (Bowlby, 1980), qui ont mis l’accent
sur l’importance du travail de séparation dans le deuil et toute la place
de l’anxiété de séparation, qui peut prendre des formes diverses selon le
lien de proximité, mais aussi selon l’âge et le statut social (Molinié, 2008).
Si le travail de deuil est lié à la perte et à la séparation, il apparaît aussi
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

important de le concevoir comme un véritable processus dynamique


de transformation et de changement où il ne s’agit pas seulement de
se séparer d’avec le défunt, mais aussi de modifier les liens uniques qui
existaient avec lui ; il s’agit ici de la transformation de la relation inté-
rieure avec le défunt. Le changement de cette relation intérieure n’est
pas seulement de renoncer à l’avenir et aux projets communs, c’est aussi
parvenir à donner au défunt une place particulière à l’intérieur de soi,
dans le souvenir, dans l’inscription de la mémoire. Ainsi, après la vive
douleur de la perte, les souvenirs positifs ou encore la représentation
d’un ancêtre protecteur, ou même « d’ange gardien », pourront prendre
110 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

place dans la psyché, dans la mémoire, et assurer la longue chaîne du


roman familial et de la transmission psychique intergénérationnelle.
Hanus (2003, 2006) a bien décrit ces phases de deuil qui se succèdent
et se chevauchent, et participent de ce processus de transformation.
D’abord, la première phase de choc à l’annonce du deuil avec sa période
d’abattement et de sidération puis la deuxième phase de dépression avec
le développement des affects dépressifs, de l’inhibition et de la douleur
morale, puis la troisième phase de rétablissement des investissements
des relations, des intérêts et des activités personnels. Ces trois phases
jouent un rôle important dans la reconnaissance de la réalité de la perte
et le renforcement de la relation intérieure avec le défunt (Hanus, 2003).

2.5.2 Transformations sur le plan social et familial liées au deuil


Il est aussi difficile de comprendre l’impact traumatique du deuil si
l’on ne prend pas en considération également les séries de changements
dans le statut social et dans les configurations familiales liées à la perte.
Par exemple, le statut de veuve peut être très complexe à vivre dans
certaines sociétés, où il peut être accompagné de phénomènes de rejet ;
ailleurs, cela peut être le remariage qui peut être mal considéré, obligeant
ainsi les veuves à une solitude douloureuse. Autre exemple, le décès d’un
membre de la famille peut modifier le rang de fratrie pour les survivants
et ainsi transformer la question du mandat transgénérationnel. Nous
avions reçu en consultation une jeune fille qui avait perdu son unique et
grande sœur dans des circonstances dramatiques (assassinat). Elle avait
dû gérer cette mort traumatique avec tout ce qu’elle comporte de sidéra-
tion, de violence psychique, d’incompréhension, d’injustice et de colère,
mais aussi dans un deuxième temps toute sa place dans la famille était à
renégocier. Ainsi, elle s’était sentie dans l’obligation de remplacer sa sœur
dans son rôle d’aînée, de reprendre à son compte son mandat transgé-
nérationnel de réussite et en même temps elle devait aussi consoler ses
parents « j’ai une double chose maintenant sur mes épaules, ma réussite
et celle de ma sœur », me disait-elle. La charge psychique extrême de ce
drame et de ces remaniements a conduit cette jeune femme à développer
des angoisses insupportables et paralysantes qui ont nécessité un suivi
psychologique.
Ainsi la transformation du statut social et familial est un élément très
important à prendre en considération. Parfois, il faudra comprendre la
souffrance de l’individu et son accrochage au défunt par l’impossibilité
d’effectuer ce processus de changement, c’est ce que nous développerons
dans les deux observations suivantes.
Deuil traumatique, syndrome psychotraumatique et rituels de deuil 111

2.6 Deuil et rituels de deuil


2.6.1 Les rituels de deuil
Ce long de travail de transformation individuelle, familiale et sociale
est facilité par le rôle des rituels de deuil, qui constituent un accompa-
gnement collectif, social et culturel du travail de deuil (Thomas, 1985).
Ces rituels prennent la forme de pratiques codifiées (attitudes, compor-
tements) propres à une culture ou à un groupe social donné et sont
étroitement dépendants des croyances et des conceptions qui entouraient
la mort.
On peut constater aujourd’hui dans nos sociétés un net recul des
rituels traditionnels avec une forte symbolique, en particulier religieuse
(Hanus, 2002). Ce même mouvement se retrouve aussi dans d’autres
sociétés comme au Maghreb (Bouhdiba, 2001). Toutefois, si ces rituels
traditionnels ont tendance à disparaître, de nombreux auteurs (Hanus,
2004 ; Dartiguenave, 2012) décrivent, en France, de nouvelles ritualités
avec un mouvement de personnalisation des pratiques et des rites reli-
gieux (cérémonies de crémation dont les formes et contenus varient
selon les désirs de la famille et le statut du défunt, dispersion des cendres,
modifications apportées au service religieux des obsèques, en particulier
assouplissement du rituel officiel ; Hanus, 2004).
Ces nouvelles pratiques dans un monde en changement indiquent
que les personnes ont besoin de repères nécessaires stables là où l’uni-
vers de l’endeuillé est bouleversé (Hanus, 2004). Ainsi les rituels de deuil
apparaissent comme une nécessité profonde pour l’individu dans le sens
où les rites funéraires ont des valeurs symboliques essentielles. Ainsi, les
rituels de deuil ont pour principale fonction d’apaiser et de soulager la
souffrance de l’endeuillé à partir d’un sens collectif partagé (Thomas,
1985).
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

2.6.2 Les fonctions essentielles des rites funéraires


Pour plusieurs auteurs (Nathan, 1995 ; Thomas, 1985 ; Hanus, 2002),
les rites ont à la fois une fonction collective et intime. Sur un plan
collectif, ils assurent le resserrement du lien social et sont des régulateurs
de la détresse et du chagrin des endeuillés. Sur un plan intime et indi-
viduel, ces rites aident le sujet « à surmonter les souffrances dépressives
consécutives à la perte et ils permettent au groupe social de s’introduire
au cœur de la psyché de l’individu et par là même le socialiser davantage,
112 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

particulièrement dans des moments où la tentation est à l’isolement et


au retrait exacerbé » (Nathan, 1995).
Thomas (1985) a montré que les rites funéraires obéissaient schéma-
tiquement, et selon les croyances collectives, à trois finalités : 1) pour le
défunt, 2) pour les survivants et 3) pour le groupe.
1) Les devoirs rendus au mort : dans un certain nombre de rituels, une
attention toute particulière est portée sur le mort, qu’il faut préparer
à cette odyssée du passage entre la vie et la mort, faite d’épreuves
et d’espérances (Bouhdiba, 2001). Ainsi, un ensemble de rites ont
pour fonction d’assurer ce passage et on insiste alors sur les choses
bien faites à travers des rituels codifiés pour permettre au défunt
de reposer en paix (Thomas, 1985). Selon les cultures, il existe des
rites servant à honorer le mort, à le purifier et à le célébrer. Il s’agit
aussi d’accompagner les défunts vers leur dernière demeure (paradis,
pays des ancêtres…) là où les vivants ne vont pas et de permettre
d’installer le défunt parmi les ancêtres. La plupart de ces rites visent
à inscrire la réalité de la mort dans les symboles qui réunissent les
membres d’un groupe (Bouhdiba, 2001 ; Thomas, 1985).
2) L’accompagnement des proches endeuillés : c’est sans doute la fonc-
tion première et essentielle des deuils, celle de consoler l’endeuillé,
d’apaiser sa peine, qui est inévitable. Ainsi, pour Thomas (1985),
le but essentiel des funérailles demeure sans conteste la codifica-
tion et la réglementation du chagrin, donc la régulation du travail
de deuil. L’expression individuelle et collective des émotions dans
les rites est ainsi canalisée par le groupe afin d’éviter tout désordre
(par exemple à travers le rôle des pleureuses dans plusieurs sociétés
traditionnelles d’Afrique ou du Maghreb ; Bouhdiba, 2001). Dans
certains rites codés en Afrique noire (Thomas, 1988), on permet
une libération de l’angoisse par une expression adéquate comme
des mises en scène théâtrales où l’on plaisante à propos du mort.
Les prières jouent également un grand rôle dans l’apaisement de la
souffrance (Bouhdiba, 2001).
3) Le resserrement du lien social et le rétablissement de l’ordre : les rites
funéraires peuvent être considérés comme des stratégies collectives
qui sont mises en place par le groupe pour faire face à un événement
destructeur et désorganisateur comme l’est la mort. Il s’agira ainsi
de recourir à un système codifié partageable par tous pour s’opposer
au désordre créé par cet événement. Les défunts doivent ainsi rester
à leur place et ne doivent pas perturber l’équilibre psychique des
survivants. Les rituels assurent cette fonction de séparation entre les
Deuil traumatique, syndrome psychotraumatique et rituels de deuil 113

vivants et les morts. Ainsi, les rituels ont également une fonction
collective de socialisation, celle d’assurer la continuité du groupe ;
face à un élément perturbateur tel que la mort, le collectif joue un
rôle en tentant de remettre de l’ordre et de réorganiser la vie de
manière cohérente.

2.6.3 L’impossibilité d’effectuer les rites funéraires


Il existe un certain nombre de situations dans lesquelles les rituels de
deuil ne peuvent pas être effectués, et l’absence de ces ressources sociales
et culturelles peut constituer un facteur de vulnérabilité au développe-
ment de pathologies du deuil :
− Les situations d’exil : chez les demandeurs d’asile ou réfugiés, le parcours
traumatique et chaotique de l’exil, le départ du pays en guerre de
manière précipitée, la perte des proches dans des circonstances
dramatiques et traumatiques (tueries, assassinats) ont empêché tout
rituel social de deuil. Les psychothérapies avec ces patients montrent
les véritables dégâts psychiques d’une telle situation et l’importance
des problématiques de deuils enkystés qui se manifestent par une
co-morbidité très fréquente (états de stress post-traumatique, états
mélancoliques, somatisations ; Mazur et Chahraoui, 2011).
− Les situations de migration : la migration constitue une situation très
complexe au niveau de la possibilité d’effectuer l’ensemble des rites
funéraires de manière conforme. Là aussi, nous pouvons observer de
nombreux deuils enkystés chez les patients migrants de la première
génération qui n’ont pu revenir dans leur pays pour enterrer leurs
proches et participer aux principaux rites funéraires. Dans cette même
population, des questions fréquentes, sources d’intenses douleurs, se
posent quand il s’agit d’enterrer leurs enfants nés en France et morts
brutalement : où les inhumer, et comment ? Souvent, l’enterrement
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

en France est vécu dans une grande solitude avec un défaut de portage
du groupe familial resté au pays. Être enterré sur une terre loin de celle
de ses ancêtres est probablement l’un des plus grands dilemmes du
migrant, même si l’on constate ces dernières années des changements
dans l’organisation de ces rites, qui sont pris en charge de plus en plus
par les communautés d’appartenance.
− Les situations de catastrophe (tremblements de terre, inondations, guerres)
entraînent de nombreux morts et disparus qui ne pourront pas
bénéficier des cérémonies d’enterrement  ; l’impact psychique de la
disparition des corps et de l’empêchement des rites dans ces contextes
peut être considérable (Bacqué, 2003). Par ailleurs, dans de nombreux
114 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

pays très pauvres, ces catastrophes créent un tel bouleversement


structurel, social, politique et économique que l’ensemble des rituels
ne peut être réalisé (corps disparus, fosse commune…). Plusieurs
auteurs (Hanus, 2003) ont souligné, dans ces situations, l’importance
de pouvoir réaliser dans l’après-coup des commémorations collectives
qui jouent un grand rôle dans l’acceptation et l’apaisement de la
douleur de la perte.
− Les situations d’exil intérieur : on évoque souvent la difficulté des rites
funéraires pour des personnes exilées de leur pays d’origine. Mais il
faut aussi considérer les exilés intérieurs (voir chapitre 6) ; il s’agit de
sujets qui par leur trajectoire, leur parcours, se sentent isolés ou en
rupture avec leur communauté (familiale, sociale ou culturelle) et ont
le sentiment d’être des étrangers parmi leurs proches. Ces personnes
qui ont des attaches affectives particulièrement fragiles en lien avec
leur parcours de vie peuvent aussi développer des deuils compliqués
lors de la perte de leur unique confident (mari, frère, sœur,  etc.),
car elles vivent à ce moment une solitude très douloureuse et un
sentiment d’abandon profond. C’est cette dernière situation clinique
qui sera développée dans ce chapitre à l’aide de deux cas de deuil
traumatique.

3. Observation n° 11 : « Alya, la perte


du double », un exemple de deuil
traumatique au Maghreb

3.1 Présentation clinique


Alya est une femme de 45 ans hospitalisée en psychiatrie, à la suite
d’une tentative de suicide. Elle est décrite comme souffrant d’un état
dépressif majeur. C’est une belle femme, distinguée, qui s’exprime avec
beaucoup d’aisance et de facilité. L’entretien se déroule dans un pays du
Maghreb avec la présence d’une interprète.
Alya nous raconte spontanément ce qui l’a conduite à son état avec
beaucoup d’émotion. Tout a commencé 3 ans plus tôt. Un soir, au milieu
de la nuit, un coup de fil la réveille pour lui apprendre que sa sœur vient
d’avoir un accident mortel alors qu’elle était partie en voyage faire des
achats pour le mariage de son fils. Alya précise qu’elle aurait dû l’accom-
pagner, mais qu’elle n’a pas pu à cause de son travail. Après ce coup de
Deuil traumatique, syndrome psychotraumatique et rituels de deuil 115

fil, elle se décrit comme dans un état d’irréalité, elle marche au milieu
de la nuit jusqu’à la gare pour rejoindre sa sœur, mais elle ne trouve pas
de transport. Elle rentre alors à nouveau chez elle et rappelle la personne
qui lui a téléphoné en lui demandant si sa sœur est vraiment décédée. Il
lui répond seulement : « Que Dieu te donne la patience. » À ce moment,
Alya raconte qu’elle n’a pas crié, qu’elle n’a pas pleuré, et qu’elle a seule-
ment dit : « Nous sommes à Dieu et nous reviendrons à Dieu. » À ces
paroles, elle éclate en sanglots, et décrit sa grande affection et sa grande
proximité pour sa sœur : « On était comme des jumelles, on faisait tout
ensemble, c’était mon amie, ma confidente, ma sœur… »
Le corps est ramené après 5 jours et le jour de l’enterrement, c’est Alya
qui s’occupe de tous les préparatifs funéraires. Elle dépose le cercueil de sa
sœur dans le corbillard (contrairement aux habitudes, car ce sont plutôt
les hommes qui ont cette fonction) mais, juste après, elle perd l’usage de
la parole et est hospitalisée sans pouvoir assister à la suite des funérailles,
qui durent trois jours selon les coutumes musulmanes. Elle explique cet
état de mutisme par son incrédulité à croire en la mort de sa sœur : « Je
ne croyais pas à sa mort, parce que je n’ai pas vu l’accident, je n’ai pas
vu le corps. » En effet, le corps a été rapatrié dans un cercueil scellé et n’a
donc fait l’objet d’aucun préparatif conforme aux rites usuels (en parti-
culier la préparation du corps, la toilette du mort…). Après une semaine
d’hospitalisation, Alya reprend son travail, mais elle pleure tout le temps
et écoute sans arrêt les chansons nostalgiques d’Oum Khalthoum1, qui
chantait « mon histoire est terminée puisque tu n’es plus avec moi ».
Six mois après le décès de sa sœur, le mauvais sort semble s’acharner
sur Alya et, cette fois, c’est son mari qui meurt d’un accident vasculaire
cérébral. Là encore, Alya dit qu’elle n’a pas pleuré, ou plutôt précise qu’on
ne l’a pas laissée pleurer. Elle s’occupe à nouveau seule des funérailles de
son mari, dépose le cercueil dans le corbillard et, comme pour sa sœur,
elle est hospitalisée avant même la fin de l’enterrement en service de
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neurologie pour une hémiplégie du côté gauche. Alya explique qu’au


cours de cet enterrement, elle s’est sentie extrêmement seule malgré
la présence de sa famille (frères, sœurs et enfants), et que sa sœur lui
manquait. En neurologie, elle présente plusieurs états d’agitation et est
orientée en service de psychiatrie.
Après cette première hospitalisation, trois autres vont suivre. Lors de la
deuxième et troisième, elle décrit des épisodes d’errance, d’agitation et des
convulsions nerveuses avec évanouissements. La deuxième hospitalisation

1. Une grande diva égyptienne.


116 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

a lieu au moment des noces de son neveu, où elle avait refusé de se


rendre, tenant ce dernier pour responsable de la mort de sa sœur. Alya,
restée chez elle, s’était levée au milieu de la nuit et avait appelé sa famille,
présente au mariage, pour lui dire : « Ma sœur est revenue, elle est au
cimetière, et il faut que j’aille la rejoindre. » Malgré les tentatives de
la famille pour la raisonner, elle sort à 3 heures du matin, vêtue d’une
chemise de nuit et errant pieds nus dans la ville. Un proche la retrouve
et la ramène chez elle, mais elle téléphone à son neveu et lui dit : « Que
ta mère soit la bienvenue, ta mère est revenue ! » Alya était agitée, criait,
se tirait les cheveux, se lacérait le visage… Elle est alors hospitalisée en
psychiatrie avec une interdiction totale de liens avec sa famille.

3.2 Discussion : deuil traumatique et perte


Dans cette première partie de l’entretien, on perçoit bien chez Alya
l’impact violent de ces deux décès traumatiques qui surviennent de
manière cumulative. C’est d’abord la mort de sa sœur qui survient dans
un contexte brutal, violent et inattendu. Alya est sidérée et hébétée à
l’annonce du décès ; elle a des difficultés à croire en cette mort. Elle ne
parvient dans un premier temps ni à pleurer ni à exprimer son chagrin.
Cet état de sidération dure et Alya présente par la suite une probléma-
tique de deuil traumatique assez claire qui se manifeste de différentes
manières. Le refus de croire à la mort de sa sœur perdure et conduit à
des comportements d’errance où elle recherche le défunt. Ce premier
épisode d’errance est par ailleurs assez atypique et se caractérise par
un état d’agitation et une forme quasi délirante (rejoindre sa sœur au
cimetière). Pourtant, il n’y a eu chez Alya aucune hallucination, et elle
décrit cet épisode plutôt comme une croyance forte (« mon cerveau me
disait qu’elle était vivante ») dans un moment d’intense solitude et de
réactivation de la douleur lors des noces de son neveu qu’elle tient pour
responsable de la mort de sa mère (sa sœur était allée faire des achats
pour son mariage). Après le décès de sa sœur, Alya développe un état de
manque et de nostalgie profonde qu’elle exprime à travers son écoute
incessante de chants d’amour nostalgiques. La perte de la sœur est véri-
tablement vécue comme une perte de soi, une perte narcissique avec une
référence au double très explicite (« ma sœur était comme une jumelle »).
Les variantes cliniques et transculturelles du deuil traumatique doivent
être soulignées ici avec l’importance des états d’agitation et de l’agres-
sivité. Les formes agitées et agressives de la dépression dans les pays du
Maghreb et d’Afrique sont connues depuis longtemps par les cliniciens
(Ahyi et al., 1998 ; Berschy et al., 1991 ; Kleinman et al., 1985). En effet
Deuil traumatique, syndrome psychotraumatique et rituels de deuil 117

on y retrouve moins la dimension explicite de la culpabilité comme on


peut l’observer dans les sociétés occidentales. Pourtant la culpabilité est
bien présente chez Alya quand elle souligne qu’elle aurait dû accompa-
gner sa sœur lors de son voyage, et là elle n’était pas avec elle pour la
protéger. D’un point de vue psychopathologique, il faut aussi remarquer
la place des symptômes de conversion tout à fait typiques (mutisme,
hémiplégie fonctionnelle), qui en font un tableau tout à fait complexe
et montrent toute l’impossibilité d’Alya d’exprimer son ressenti et ses
affects, qui trouvent alors une voie d’expression par le corps. Il existe
probablement ici à la fois une dimension culturelle dans la forme de ces
troubles et sans doute également une dimension personnelle avec des
traits hystériques singuliers.
Enfin, on observe dans cette situation l’absence de portage par des
rites de deuil conformes. Alya ne voit pas le corps et toute la phase de
préparation du corps du défunt (toilette et enveloppement du corps…),
si importante pour inscrire la réalité de la mort, ne peut être réalisée. De
plus, Alya est hospitalisée au moment des principales cérémonies funé-
raires, celle du repas et d’offrandes au mort le jour de l’enterrement, à
trois jours et à 7 jours selon les rites funéraires musulmans. Elle n’assiste
pas non plus aux principales prières. Alya insiste aussi sur le fait qu’elle
ne pleure pas et surtout qu’on lui interdit de pleurer, elle fait référence ici
à une société en pleine mutation qui censure ce type de manifestations
trop vives avec la perte de certaines traditions comme le rôle des pleu-
reuses qui permettaient une expression possible et codée de la douleur
des endeuillés.

3.3 Deuil traumatique et changement du statut social


Dans la deuxième partie de l’entretien avec Alya, on observe une autre
problématique qui émerge et celle-ci concerne les modifications et les
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transformations liées à son nouveau statut de veuve. Après la mort de


son mari, Alya s’est retrouvée seule et, d’après elle, c’est son fils qui aurait
dû la prendre en charge, selon les coutumes au Maghreb ; seulement les
choses ne se passent pas comme prévu, et cela est probablement lié aux
mutations et à la modernité grandissantes des sociétés du Maghreb, qui
connaissent de nombreux changements dans les structures familiales
traditionnelles. Alya a ainsi le sentiment de vivre dans un monde qu’elle
ne reconnaît plus et où tout est inversé. Sa dernière hospitalisation a
ainsi eu lieu dans un contexte de conflit aigu avec son fils et sa belle-
fille. En effet, elle raconte que sa belle-fille ayant accouché, elle avait
souhaité s’occuper d’elle pendant les 40 jours suivant la naissance du
118 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

bébé (période où la jeune mère et le bébé sont considérés comme vulné-


rables et où les mères jouent un grand rôle dans l’accompagnement et
le portage de cette dyade). Ce moment était aussi celui du Ramadan où,
d’après Alya, les femmes veuves doivent être entourées selon les tradi-
tions. Comme son mari était décédé, elle devait donc naturellement
passer cette période chez son fils aîné, mais sa belle-fille n’avait pas
souhaité l’accueillir. Selon Alya, elle voulait rester en couple, et cela l’a
mise dans une très grande colère : « Elle veut rester en couple ! mais quel
couple ? je n’ai quand même pas envahi la chambre conjugale !!! Je ne
comprends pas ces bêtises-là ! » Ce rejet est alors ressenti intérieurement
comme un abandon de plus, sa sœur, son mari, et son fils maintenant
qui n’ose pas contredire sa femme. Les crises d’Alya sont devenues alors
de plus en plus fréquentes. Elle se sent étrangère à son environnement,
rien ne se passe selon les traditions. Elle dit : « C’est le monde à l’envers,
personne ne s’occupe de mon fils… elles [à propos de la famille de sa
belle-fille] se sont toutes liguées contre moi, elles ne m’ont pas laissée
m’occuper du bébé alors que je connais beaucoup de choses… » Le refus
de la laisser s’occuper du bébé est alors l’événement de trop et Alya tente
une opération suicidaire, elle dit : « J’ai avalé 42 comprimés et j’ai appelé
ma belle-fille, et je lui ai dit par téléphone : “Voilà, je te laisse en couple
maintenant !” »
C’est sur ce sentiment de solitude très important pour Alya que se
conclut l’entretien. Elle dit : « J’ai perdu tous ceux qui me sont chers,
je n’ai plus personne… je me sens toujours seule… » Et quand j’évoque
avec elle la difficulté à dire son chagrin, elle répond : « On ne me laisse
pas pleurer, les temps ont changé, même dans la maison du mort, on n’a
plus le droit de crier, on y pousse presque des youyous ! ».

3.4 Discussion : processus de transformation


et de changement lié au deuil : le statut de veuve
La deuxième partie de cet entretien est très intéressante, car on perçoit
comment les difficultés de transformation et de changement liées au
statut de veuve viennent compliquer la problématique de deuil trauma-
tique initiale. Ce qui nous permet de comprendre l’impossible rétablisse-
ment d’Alya, qui se retrouve confrontée sans cesse à travers ses relations
conflictuelles avec son fils et sa belle-fille au sentiment d’abandon
profond et non résolu lié aux deuils précédents. Ainsi, on ressent toute
la difficulté d’Alya et son impossibilité de retrouver un statut familial et
social valorisant. Elle est veuve et elle est dans un grand isolement affectif
Deuil traumatique, syndrome psychotraumatique et rituels de deuil 119

et sexuel. Ses rôles de mère, de belle-mère mais aussi de grand-mère ne


sont pas considérés, et elle se sent rejetée de tous, ce qui déclenche chez
elle de nombreuses réactions agressives qui se comprennent à la lueur des
sentiments d’abandon successifs. Alya se sent ainsi comme une étrangère
dans son propre pays : exilée de l’intérieur, ayant perdu son principal
support, son double, sa sœur, qui pouvait partager avec elle les bons et
les mauvais moments.
Ces pertes successives prennent aussi sens dans l’histoire personnelle
et ancienne d’Alya et en particulier avec la mort de sa mère, décédée
10 ans plus tôt et dont la douleur de la perte reste encore vive.

4. Observation n° 12 : Denis, « comment enterrer


ses morts ? », syndrome psychotraumatique
et deuil traumatique

4.1 Présentation
Denis est un patient âgé de 42 ans, hospitalisé en psychiatrie à sa
demande pour d’importants problèmes d’angoisse et une forte insomnie.
Il avait été régulièrement suivi il y a plusieurs années en addictologie pour
des conduites de dépendance (toxicomanie et alcoolisme). Ce patient
allait mieux depuis quelques années, il était stabilisé, avec un abandon
des prises de toxiques mais, depuis un an, il avait repris ses consomma-
tions d’alcool. Il m’est adressé par son psychiatre référent à cause d’une
problématique psychotraumatique récente. En effet, la dégradation de
son état fait suite à l’incendie qui a touché le foyer dans lequel il vivait
depuis une dizaine d’années et où il se sentait bien, car ce foyer jouait
un rôle de cadre familial contenant pour lui. Cet incendie a provoqué de
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nombreux morts et blessés graves, et Denis y a perdu plusieurs proches.

4.2 L’événement traumatique


Au premier entretien, Denis parle spontanément et facilement de cet
incendie, qui est selon lui à la source de ses différentes difficultés. Il appa-
raît profondément perturbé ; en effet, les images et les souvenirs trauma-
tiques se bousculent dans sa tête, tout est bouleversé, et il narre dans la
confusion la plus totale ce qui lui est arrivé. Ainsi, depuis cet événement,
il se sent complètement brisé, profondément malheureux, et n’a plus
120 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

envie de vivre. Ses journées et ses nuits sont hantées par le souvenir
de l’événement traumatique : les cadavres calcinés, la fumée noire, les
enfants qui crient, les personnes qu’il tente de sauver, ses voisins qu’il
aimait tant et qui ont disparu. Ces personnes perdues étaient comme sa
famille. Il est envahi par des flashs visuels et des cauchemars répétitifs,
et ne dort plus depuis un an. C’est dans ce contexte qu’il s’est remis à
l’alcool pour pouvoir dormir. La mairie l’a relogé dans un appartement,
mais il est seul et n’a plus goût à rien.
J’écoute longuement Denis et après un moment, face à ce discours
hémorragique, qui semble complètement déconnecté de son corps au
contraire très ralenti et face à ce déferlement d’images, de pensées et
de ressentis non structurés où tout se mélange, je lui propose de me
raconter comment s’est passé cet événement. Mon objectif était ici de
l’aider à réorganiser sa pensée et de commencer à réaliser un travail sur
le narratif pour permettre de réintroduire de la cohérence et un ordre
chronologique face à cette confusion psychique la plus totale.
Denis raconte alors longuement l’événement avec des détails très
précis, la scène est encore très présente et son déroulé et sa description
semblent interminables dans son récit. Denis se voit encore ce soir-là dire
au revoir à ses amis comme d’habitude. Et puis dans la nuit, l’alarme se
déclenche, il se réveille brusquement et ouvre sa porte d’entrée, mais la
fumée pénètre comme un souffle violent. Il regarde par la fenêtre, mais
il est au 6e étage ! Il ressort donc, prend une couverture, descend les
escaliers. Il essaie en même temps d’emmener un maximum de voisins ;
il en a aidé beaucoup, dit-il. Des scènes terribles refont surface : les vitres
qui éclatent, les cris des enfants dans le couloir, des personnes qui prient
et crient… Il se retrouve à un moment avec deux enfants dans les bras
qui crient, il les sauve et il est pris de douleurs en se demandant où sont
leurs parents. Enfin, alors qu’il remonte au premier étage pour tenter de
sauver une personne âgée qu’il connaît bien, la fumée et le feu sont trop
importants pour pouvoir descendre à nouveau au rez-de-chaussée et il
décide alors de lancer un matelas du premier étage et de sauter ensuite
avec cet homme. Denis dit qu’il était jeune et qu’il n’a pas pensé que
ce monsieur ne supporterait pas la chute, en effet ce dernier est décédé
en tombant.
Le vécu de culpabilité est intense et exprimé dès la première séance :
« si j’avais pu le sauver, il serait vivant aujourd’hui… je regrette je n’ai
pas pu sauver tout le monde… j’ai essayé… j’ai fait ce que j’ai pu… »,
dit-il complètement meurtri.
Deuil traumatique, syndrome psychotraumatique et rituels de deuil 121

J’insiste à cet entretien sur le fait qu’il ait essayé de sauver beaucoup
de personnes et que lui-même ait failli mourir, et qu’il en ait réchappé
de justesse. Il me répond qu’il a frôlé la mort de près et aussi celle des
autres et que depuis, il est envahi par les souvenirs des morts et n’a plus
goût à rien.

4.3 Aspects psychopathologiques


et séquelles psychotraumatiques
Denis présente un tableau psychotraumatique grave avec de nombreux
symptômes de reviviscence (images intrusives des corps calcinés, des cris
des enfants, flashs visuels de scènes terribles de l’incendie, cauchemars,
ruminations mentales…) et une altération de la personnalité (sentiment
d’être étranger au monde dans lequel il vit, agressivité, indifférence,
repli narcissique…). Le tableau clinique est lourd et le traumatisme a eu
des effets de désorganisation totale de la pensée ; Denis se sent perdu,
il ne sait plus où il est, il a parfois des épisodes d’errance, son récit est
déstructuré. Physiquement, il va très mal, il a développé récemment
une hépatite pour laquelle il est traité et il est épuisé physiquement
et psychiquement. L’état dépressif est profond, avec une vive douleur
morale, des affects de culpabilité intense, des idées suicidaires et un
ralentissement moteur. À ces troubles, se rajoutent des comportements
addictifs, l’alcoolisme depuis un an, et la prise de drogues de manière plus
récente. De plus, il faut noter que l’ensemble de ce tableau clinique (ESPT,
dépression, troubles somatiques, addictions) survient sur une personna-
lité qui a de nombreux antécédents de toxicomanie et d’alcoolisme avec
une problématique abandonnique centrale, sans doute dans un registre
de pathologie limite.
Le tableau clinique est donc sévère avec un traumatisme psychique
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

grave où ce patient a vécu une menace vitale pour lui-même et pour


autrui. Le sentiment de culpabilité du survivant est ici extrêmement
douloureux et central dans la problématique.
Nous commençons un suivi thérapeutique avec ce patient qui a pour
objectif de travailler de manière focalisée sur la problématique psycho-
traumatique. Les objectifs thérapeutiques sont plutôt modestes, il s’agit
à travers l’activité narrative autour du traumatisme de réorganiser la
pensée et de favoriser les associations pour éviter la fixation. Il s’agit
aussi d’aborder le vécu émotionnel intense lié à l’effroi de cette situa-
tion et aux affects de culpabilité. L’abord se veut donc très focal dans la
mesure où Denis a déjà une prise en charge parallèle et complète dans
122 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

le domaine de l’addictologie. Denis a de bonnes qualités relationnelles


et une bonne alliance thérapeutique avec les différents soignants qui le
suivent. Toutefois, le suivi avec ce patient qui présente une probléma-
tique profonde de rupture familiale et sociale ancienne dans un contexte
de précarité s’annonce particulièrement difficile.

4.4 Suivi psychologique et problématique


de deuil traumatique
Au deuxième entretien, Denis dort mieux et sent plus reposé, mais
les images intrusives des nombreux morts de l’incendie sont toujours
présentes. Il craint la date anniversaire prochaine de cet événement,
car il a peur de devenir fou. Il a surtout beaucoup de colère contre les
responsables de l’incendie. Celle-ci est intense et je l’amène à la verbaliser
davantage. Cela lui rappelle son enfance : il me dit qu’il a toujours eu
une grande colère à l’intérieur de lui depuis qu’il est enfant. Mais depuis
qu’il résidait dans ce foyer, il se sentait mieux, il aimait ces gens avec qui
il vivait. Il me raconte qu’ils se rencontraient régulièrement, discutaient
ensemble, mangeaient ensemble, comme une famille dit-il, comme la
famille qu’il n’avait jamais eue.
La colère l’amène également par associations à évoquer un événe-
ment subi dans l’enfance, un viol alors qu’il avait 8 ans par un membre
de sa famille. Il dit que cet événement l’a détruit et que sa haine et sa
colère proviennent de ce moment. Il raconte que sa famille n’a pas
voulu le croire, qu’on ne l’a pas écouté. Denis est originaire d’une famille
nombreuse et ses parents ne s’occupaient pas de lui. Très jeune, il a connu
une série de fugues, de fuites et de placements successifs. Il dit souvent :
« J’ai fait plein de conneries… j’ai la haine… ça m’a détruit. »
Dernièrement, il a rencontré sa mère qu’il n’avait pas vue depuis une
quinzaine d’années. On l’a informé qu’elle était très malade, il est donc
allé lui rendre visite mais, selon lui, elle l’a rejeté. En effet, d’après les
propos de Denis, il lui a parlé de cet événement de l’enfance (viol), mais
elle n’a pas voulu l’entendre, et lui a alors demandé de partir. Denis
n’évoque aucun sentiment et aucune colère en rapport avec sa rencontre
avec sa mère, et ne fait pas d’autres liens.
Au troisième entretien, Denis va très mal. Il est profondément déprimé
et semble dans un état d’abandon considérable. Son corps est extrême-
ment ralenti et il est blessé, car il a fait une chute sur la tête après une
perte de connaissance. Il n’a plus aucun intérêt pour la vie, aucun désir,
Deuil traumatique, syndrome psychotraumatique et rituels de deuil 123

et décrit un laisser-aller dans le quotidien. Il est lui-même inquiet de


son état.
Toutefois, les reviviscences traumatiques se sont fortement atténuées,
il n’y a plus de flashes visuels ni d’images intrusives, mais il fait de
nouveaux cauchemars qui l’angoissent profondément. Il s’agit de rêves
où il égorge des gens avec un couteau. Il les enterre ensuite, et cette scène
se répète sans cesse. Il se réveille alors dans un état de grande angoisse. Il
ne comprend pas ces cauchemars qui lui font peur et souligne qu’avant
l’incendie, il faisait de beaux rêves, des rêves normaux, dit-il. Mais depuis,
il ne voit plus que des morts. Nous associons ensemble sur les morts de
l’incendie et sur son sentiment de culpabilité très intense. Il décrit cette
fois la culpabilité de ne pas avoir pu sauver son voisin le plus proche
dans le foyer : « Pourquoi je ne l’ai pas sauvé… je l’ai oublié… pourquoi
l’ai-je oublié ? », martèle-t-il.
Je signifie de nouveau à Denis qu’il a failli lui-même mourir ; il pleure
et me dit que les larmes ont du mal à sortir, il garde tout à l’intérieur de
lui. Je l’accompagne en lui signifiant sa grande tristesse et son sentiment
de perte par rapport à ces personnes auxquelles il tenait tant, ce qui
entraîne un vécu profond de solitude chez lui. Il sanglote à nouveau et
me dit qu’habituellement, il a du mal à pleurer, comme si son cœur était
devenu une pierre. Je lui réponds que si la douleur est trop intense, le
cœur devient comme une pierre pour ne plus souffrir.
Nous continuons à évoquer tous ces morts et je lui demande naturel-
lement s’il a participé aux cérémonies d’enterrement de ses proches. Il
y a été invité, mais il n’a pas pu s’y rendre, c’était trop douloureux pour
lui. Je lui propose alors une interprétation en relation avec son rêve ; je
lui dis qu’il n’a sans doute pas encore enterré ses morts, et que c’est ce
qu’il tente de faire dans ses cauchemars. Il pleure à nouveau.
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

4.5 Discussion : du traumatisme psychique


au deuil traumatique
Il serait trop long de développer toute la problématique psychopatho-
logique complexe de Denis qui présente de nombreux liens de dépen-
dance et un profond vécu abandonnique qui prend ses racines dans des
carences affectives et familiales précoces. Nous voulons seulement souli-
gner ici l’articulation et l’intrication spécifiques entre les deux problé-
matiques psychotraumatique et de deuil traumatique qui font suite à
l’incendie alors que Denis était stabilisé depuis une dizaine d’années.
Elles apparaissent de manière décalée dans le temps avec une nécessité
124 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

première de permettre un récit sur le trauma avant d’envisager un travail


sur le deuil et la perte traumatiques.
Denis a ainsi perdu de nombreux proches dans cet incendie. Mais ce
qui apparaît au premier plan dans le premier entretien, c’est la problé-
matique psychotraumatique avec la dimension de figement et les symp-
tômes de reviviscence qui marquent l’impact psychique de cet événement
traumatique. Denis est très affecté par cet incendie dramatique comme
en témoigne son récit où il est hanté par les visions d’horreur. Nous
avons souligné toute la dimension de confusion psychique liée au trauma
et la nécessité de débuter le travail thérapeutique par une narration
réorganisatrice de l’événement avec une expression de l’ensemble des
ressentis liés au traumatisme (effroi, terreur, impuissance…) pour avoir
accès ensuite à la problématique de deuil sous-jacente.
Dès le deuxième entretien, le processus associatif peut ainsi débuter et
Denis évoque alors à partir d’un affect, la colère, les différentes ruptures
et blessures de son enfance. Il est intéressant de noter que la colère est un
affect qui, s’il est exprimé et vécu dans l’ici et maintenant, a la capacité
de mobiliser un processus associatif permettant de réactiver les blessures
du passé qui donnent sens au présent. La colère, comme la culpabilité,
permet de réaliser un travail psychique et, en ce sens, elle est un véritable
opérateur thérapeutique.
Les premières associations mènent vers l’évocation des ruptures et des
abandons précoces qui viennent donner un sens aux pertes actuelles. En
effet, ce qui a été traumatique pour Denis, c’est non seulement l’effroi
lié aux scènes de mort, mais aussi la perte des proches, qui a été vécue
comme un nouvel abandon familial. La problématique de deuil trau-
matique apparaît ainsi clairement au troisième entretien après ce début
de processus associatif concernant les abandons passés. Ce troisième
entretien est intéressant du point de vue de l’actualisation du deuil. En
effet, Denis est envahi par des affects dépressifs qui se traduisent dans
son corps, qui semble le laisser tomber ; il chute et perd connaissance.
En même temps, il faut noter l’apparition des nouveaux cauchemars de
morts et d’enterrement qui remplacent les premiers rêves répétitifs de
l’incendie. Ces derniers semblent caractéristiques de son impossibilité de
faire ce travail de deuil et marquent la progression de la problématique
psychotraumatique à celle du deuil traumatique. Ainsi, Denis tente dans
ses rêves d’enterrer ses morts, mais cette scène se répète à l’infini sans
dénouement possible. Nous pouvons comprendre ce rêve comme une
tentative d’élaboration solitaire du deuil. Et on perçoit bien ici l’absence
de portage groupal, le contexte de désaffiliation, l’absence de participa-
Deuil traumatique, syndrome psychotraumatique et rituels de deuil 125

tion à des rites funéraires qui auraient pu le contenir et le soulager dans


ce travail de deuil douloureux.
Toutefois, la difficulté pour Denis de faire ce travail de deuil est éminem-
ment complexe, car elle s’articule avec une problématique abandonnique
très ancienne, très ancrée et non résolue. On en perçoit la nature dans
sa relation avec sa mère qui le rejette et les affects dépressifs augmentent
après cet épisode sans que Denis puisse faire ce lien ou exprimer quelque
chose de cette situation. On voit ainsi chez Denis comment le trauma-
tisme s’articule avec une problématique de deuil non résolue, elle-même
dépendante d’une histoire abandonnique très ancienne.

Pour aller plus loin


Bacqué M.F. (2006). « Deuils et traumatismes », dans Annales médico-
psychologiques, 164, 357-363.
Bouhdiba A. (2001). « Perception de la douleur et de la mort dans les
sociétés du Maghreb », chapitre iii. Journal international de Bioéthique,
4, 12, 51-54.
Bourgeois M.-L. (2003). Deuil normal et deuil pathologique. Clinique et
pathologie. Paris, Doin.
Hanus M. (2002). « Évolution du deuil et des pratiques funéraires »,
Études sur la mort, 1, 121, 63-72, éd. L’Esprit du temps.
Hanus M. (2003). « Morts et deuils collectifs », Études sur la mort, éd.
L’Esprit du temps.
Hanus M. (2003). Les Deuils dans la vie, deuils et séparations chez l’adulte
et chez l’enfant. Paris : Maloine.
Nathan T. et al. (1995). Rituels de deuil, travail de deuil, éd. La Pensée
Sauvage.
Thomas L.V. (1985). Rites de mort. Pour la paix des vivants, Paris, Fayard.
6
Cha
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tre

TRAUMATISME ET EXIL
aire
m
S o m

1. Introduction ............................................................................. 129


2. Traumatismes psychiques
chez les demandeurs d’asile ................................................... 129
3. Observation n° 13 : Paul et la folie meurtrière des hommes....133
4. Cliniques de l’exil .....................................................................141
5. Observation n° 14 : Tawfik, traumatisme, pertes
et rupture de filiation ............................................................. 145
Traumatisme et exil 129

1. Introduction

Pa
La psychopathologie du traumatisme dans les situations d’exil repré-
sente une clinique spécifique, en particulier chez les demandeurs d’asile rt
qui ont vécu des événements extrêmes et des traumas cumulatifs qui ont
des effets graves sur le plan de la santé, auxquels s’ajoute un contexte de
grande précarité sociale qui augmente la vulnérabilité. Le traumatisme
ie
peut aussi mettre en évidence des problématiques autour du deuil, de la
perte et des difficultés de transmission psychique chez les sujets migrants.

2. Traumatismes psychiques
chez les demandeurs d’asile

2.1 Vulnérabilité psychique et psychopathologique


des populations réfugiées
Selon le rapport du Haut Commissariat des Nations unies pour les
Réfugiés publié en 2012, les déplacements forcés de populations à la
suite de crises humanitaires majeures ne cessent d’augmenter. À travers le
monde, 42,5 millions de personnes ont fini l’année 2011 soit en tant que
réfugiés (15,2 millions), soit en tant que déplacés internes (26,4 millions),
soit en ayant déposé une demande d’asile (895 000 personnes). Ainsi,
des milliers d’individus fuyant guerres et persécutions sont contraints
de s’exiler afin d’obtenir une protection internationale.
Les études cliniques et épidémiologiques sont unanimes pour affirmer
la grande vulnérabilité de cette population qui présente de nombreux
problèmes de santé tant psychiques que somatiques (Burnett et al., 2001).
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

Les deux tiers de ces sujets souffriraient ainsi de troubles anxio-dépres-


sifs et un sixième de troubles somatiques majeurs (ulcères, hyperten-
sion, etc. ; Burnett et al., 2001). Les états de stress post-traumatique
concerneraient, eux, près de la moitié de ces sujets (Burnett et al., 2001 ;
Westermeyer, 1989 ; Mazur et Chahraoui, 2010 ; Kinzie et al., 1990 ; Sack
et al., 1997).
Les critères du DSM sont bien insuffisants pour rendre compte de cette
psychopathologie complexe (Baubet, 2004) et les tableaux cliniques sont
particulièrement lourds et intriqués : troubles psychosomatiques, dépres-
sions réactionnelles graves, accompagnés de plaintes et d’inhibitions
130 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

massives, sentiments de dépersonnalisation, craintes de la folie, angoisses


de morcellement, angoisses paranoïdes, comportements addictifs, véri-
tables effondrements psychiques (Sironi, 1999, 2004 ; Bessoles, 2005).
Pour comprendre cette clinique spécifique, il est nécessaire de prendre
en compte la violence psychique des traumatismes extrêmes (guerres,
viols, massacres, tortures, déplacements forcés, meurtres de proches,
génocides, situations de précarité) vécus par ces populations (Burnett
et al., 2001 ; Baubet et al., 2004) et également toute la problématique
particulière de l’exil.

2.2 E
ffets psychiques des traumatismes extrêmes
et intentionnels
Les traumatismes extrêmes participent à une véritable déstructuration
de l’identité du sujet avec de profondes atteintes et effractions du corps et
de la psyché, en particulier dans les cas de torture (Bessoles, 2005 ; Sironi,
2004) et de viols. Ces derniers ont constitué de tout temps de véritables
armes de guerre utilisées de manière systématique dans les conflits armés
pour détruire physiquement et psychiquement non seulement la victime,
mais aussi des communautés et leurs valeurs (Guoguikian, 2010). Ces
actes de barbarie entraînent une véritable déshumanisation et ont des
effets très graves sur le long terme aussi bien à un niveau individuel que
collectif (Bessoles, 2005 ; Sironi, 2004).
Pour Sironi (1999, 2004), ces actes représentent des traumatismes
intentionnels délibérément provoqués par un humain ou un système sur
un sujet donné, ou sur un groupe d’individus. Ils se caractérisent par des
« processus spécifiques » qui sont induits par des systèmes persécuteurs
(tortionnaires, totalitaires, concentrationnaires, esclavagisants, etc.),
dans le but de provoquer des destructions psychologiques et des décul-
turations. La connaissance de ces processus, de leurs circonstances, struc-
tures et mécanismes est centrale dans le traitement thérapeutique pour
pouvoir déconstruire leurs effets délétères. Les symptômes présentés par
les sujets victimes de torture seraient ainsi organisés de manière logique
selon l’intentionnalité des persécuteurs (Sironi, 2004). Les actes de torture
s’inscrivent dans une interaction paradoxale de type « double lien »
qui contraint d’abord au dévoilement (« parle, sinon on continue ») et
ensuite au silence (« si tu parles, on recommence » ; Sironi, 2004). Cette
double injonction paradoxale empêche toute projection temporelle et
crée une clinique de l’aliénation très spécifique qui dépasse le tableau
classique des états de stress post-traumatique (Bessoles, 2008, 2005).
Traumatisme et exil 131

C’est d’abord une clinique de la dépersonnalisation qui détruit les liens


de filiation et d’affiliation, le passé, l’histoire, les racines, les valeurs, la
solidarité communautaire. Ces dépersonnalisation et altération de la
personnalité se traduisent dans des vécus spécifiques évoquant notam-
ment des éléments psychotiques : moments de déréalisation, clivages
du moi, états confusionnels et délirants (Bessoles, 2005).
Ces traumatismes extrêmes entraînent de véritables effondrements
psychiques (Bessoles, 2008), une sidération de l’activité de pensée et
un processus de déliaison psychique (Delage, 2003) rendant seulement
présents l’effroi et sa répétition, avec un effacement du passé, de l’histoire
et de la singularité de chacun. La symptomatologie somatique qui est
au premier plan chez ces patients rend également compte de la violence
des effets traumatiques (viols, tortures, attaques du corps, obscénités…)
et témoigne de l’effraction de l’enveloppe psychique et de l’atteinte de
l’image du corps (Bessoles, 2005).
Enfin, ce sont aussi les liens à autrui qui se retrouvent profondément
perturbés et affectés après ces expériences avec une perte de confiance
durable en son prochain et le développement d’un sentiment de méfiance,
parfois de persécution qui peut rendre difficile l’approche thérapeutique.

2.3 Traumas extrêmes et attaques des contenants


familiaux et culturels
Les traumatismes extrêmes détruisent non seulement les contenants
individuels, mais aussi les contenants socioculturels. C’est le cas lorsqu’un
groupe est agressé à cause de son appartenance ethnique, culturelle ou
religieuse. Les exemples de massacres de populations entières, de géno-
cides, ne manquent malheureusement pas au cours de notre histoire
humaine et sont encore tristement actuels. Ces attaques contre les liens
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sociaux ont pour objectif de déculturer l’individu, de briser son identité


sociale à travers un certain nombre de violences collectives (viols, inter-
dictions de parler sa langue maternelle, de réaliser des rites et coutumes
ancestrales ; Bessoles, 2005, 2008). Ici, c’est l’appartenance identitaire
même qui est visée. De même, les déplacements, déportations de popu-
lations, la perte des lieux géographiques et de la terre natale contribuent
à une déstructuration du tissu social et des contenants culturels qui
peuvent donner lieu chez les exilés à des vécus profondément mélanco-
liques autour de la perte de leur terre d’origine.
Après de telles expériences, c’est aussi tout l’équilibre familial qui
peut se retrouver désorganisé, disloqué, avec une altération des liens de
132 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

filiation et d’affiliation (Delage, 2003). Dans une famille, la folie de l’un


ou plusieurs de ses membres peut ainsi parfois apparaître comme une
sortie possible en apportant une sorte d’anesthésie aux effets aliénants
et douloureux de ces traumatismes extrêmes (Legendre et Ondongh-
Essalt, 2007).
Ainsi, selon Kirmayer (2002), « Les survivants de violation massive
des droits de l’homme témoignent d’une véritable aliénation et d’un
sentiment d’étrangeté non seulement vis-à-vis d’eux-mêmes, mais aussi
vis-à-vis des autres… Les expériences traumatiques, le déplacement, et la
migration forcée vécus par les réfugiés soulèvent des questions profondes
sur la relation entre le self et la communauté. La torture, la violence et
le génocide organisés par l’État détruisent le ciment social de la réalité
consensuelle » (Kirmayer, 2002).

2.4 Exil, pertes et transmissions


Au-delà de ces rencontres traumatiques, la santé des réfugiés est aussi
fortement fragilisée et mise à l’épreuve par les différentes conditions de
l’exil : fuite du pays dans des conditions extrêmes, souvent dans l’illéga-
lité avec un risque létal (conditions de voyage extrêmes, traumas, etc.),
conditions de vie et de séjour précaires et provisoires (centres d’accueil,
camps de réfugiés, foyers, etc.), obligation de s’adapter aux normes du
pays d’accueil, de faire face aux ruptures culturelles, communautaires
et familiales, aux pertes matérielles et financières, à la chute du statut
social ; l’urgence des démarches administratives, l’angoisse de l’attente
et du renvoi probable dans le pays d’origine (Mazur et Chahraoui, 2010).
On ne peut comprendre la clinique de ces populations sans prendre en
compte leur vécu d’isolement, de déracinement, de perte des réseaux
familiaux et sociaux, de remise en jeu du sentiment d’identité, de diffi-
cultés d’adaptation sociales, économiques, linguistiques ; ces différentes
incertitudes aggravent généralement le tableau psychopathologique
(Mouchenik et al., 2010, 2012 ; Piestre, 2010).
Cette situation de dénuement et d’incertitude profonds altère le sens
de l’existence et conduit ces réfugiés à se demander s’ils sont toujours
des humains « normaux ». Ainsi, ce patient ayant fui son pays d’origine
à la suite de persécutions. Ses parents et son épouse sont décédés, il ne
sait pas ce que sont devenus ses enfants. Il est en France depuis plusieurs
années et toujours en attente de son statut de réfugié. Il est hébergé
chez des amis, mais il ne peut pas travailler, faute de papiers, alors que
dans son pays, il était un cadre supérieur très respecté et considéré. Il
Traumatisme et exil 133

se retrouve dans le dénuement le plus total, trop fier pour demander de


l’aide. Il a l’impression de devenir un mendiant, ce qui représente pour
lui une insulte suprême. Il a le sentiment de n’être plus rien, comme
« un radeau à la dérive », dit-il.
Ce temps de l’exil et de l’attente de la reconnaissance du statut de
réfugié peut durer des années au cours duquel le réfugié vit dans un
temps suspendu, dans un pays où il n’est pas toujours bien accueilli,
ce qui conduit selon Piestre et Ben Slama (2011) à un véritable état de
« non-lieu territorial et psychique » : « Globalement inhospitalité pour
les étrangers et plus particulièrement les réfugiés qui sont condamnés
à survivre dans un état de non-lieu territorial et psychique, le réfugié
survivant ou descendant de survivant est ainsi acculé à se reterritorialiser
juridiquement, mais également subjectivement » (Piestre et Ben Slama,
2011).
Enfin, ces conditions d’exil traumatiques peuvent mettre à mal les
processus de transmission psychique entre les générations (Ben Slama,
2004 ; Douville, 2001), et se pose à long terme la question de la trans-
mission du traumatisme aux futures générations. Celles-ci peuvent s’ex-
primer dans le corps de l’enfant ou dans les interactions familiales (Moro,
1991 ; Baubet et al., 2004). Altounian (2000) a largement développé dans
son ouvrage ces aspects de transmission transgénérationnelle du trauma-
tisme à partir de sa propre expérience, en montrant comment ces vécus
non symbolisés et clivés pouvaient être transmis aux survivants. Elle y
relate la nécessité pour les descendants de réaliser un véritable travail
d’élaboration et de mise en sens permettant aux survivants d’assurer la
continuité de la filiation.

3. Observation n° 13 : Paul et la folie meurtrière


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des hommes

3.1 Présentation
Paul est un homme de 42 ans vivant en France depuis 3 ans. Il demande
l’asile après avoir fui son pays natal, en proie à une guerre brutale et
fratricide. Il a subi de graves violences physiques et sexuelles, mais aussi
un exil traumatique et chaotique avec la disparition de ses enfants.
Je le rencontre lors d’une première consultation où il est adressé par
le psychiatre référent à cause de ses nombreux troubles somatiques et
134 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

psychiques. La symptomatologie majeure est représentée par des maux


de tête violents, associée à un état dépressif avec inhibition massive,
insomnies, intense asthénie et plaintes somatiques. Le corps de Paul
apparaît comme profondément douloureux et abattu. Les différentes
investigations médicales n’ont décelé aucune organicité à ses troubles
physiques.

3.2 L’exil : un parcours chaotique


Paul évoque spontanément son parcours d’exil quand je lui demande
ce qui lui est arrivé. Mais ce parcours est narré de manière décousue,
confuse et chaotique, et j’ai des difficultés à le suivre et à le comprendre.
Les événements violents s’enchaînent les uns aux autres et semblent
tous dramatiques ; l’écoute de Paul provoque chez moi une sensation
d’épuisement et de lourdeur inhabituels, et je me demande comment il
est possible de penser et de contenir autant de violences et de ruptures.
Les premières séances avec lui ont pour objectif d’éclaircir et de réor-
ganiser son histoire complexe afin de retrouver une cohérence et une
fluidité à son récit.
Paul a été accusé par le régime en place dans son pays d’être un oppo-
sant et un traître, il a été arrêté, torturé et emprisonné pendant plusieurs
mois jusqu’à ce qu’il puisse s’enfuir avec l’aide de proches. Au début du
suivi, Paul ne parle que très peu de son incarcération et il insiste davan-
tage sur son long parcours d’exil chaotique fait d’obstacles et de craintes
permanentes : peur constante de mourir, d’être arrêté, d’être reconnu
et remis à ses geôliers. Il a ainsi dû partir de manière précipitée sans la
possibilité de revenir chez lui et d’informer sa famille. Des amis l’ont
aidé à fuir et il a pu rejoindre après de multiples péripéties la frontière.
Il raconte longuement ce périple interminable ; ses passages par diffé-
rents pays où il ne se sentait pas en sécurité, les nombreuses situations
précaires et dangereuses jusqu’à son arrivée en France.
Ce qui le peine le plus est d’avoir dû quitter son pays sans avoir eu
le temps de revoir sa femme et ses enfants ; ses amis lui avaient promis
que ces derniers seraient en sécurité. En arrivant en France, Paul n’avait
plus aucune nouvelle de sa famille restée au pays, il était tourmenté, ne
sachant pas s’ils étaient vivants, arrêtés ou morts. Pendant près de deux
ans, il est resté seul en France avec ses doutes terribles jusqu’à ce qu’enfin
il parvienne à établir des contacts avec des proches, qui lui apprennent
que sa femme a pu fuir son pays. Paul la retrouve comme « par miracle »,
dit-il, mais l’immense joie des retrouvailles du couple est assombrie par la
Traumatisme et exil 135

disparition de leurs enfants. En effet, dans sa fuite précipitée, sa femme


n’a pas pu les emmener et ces derniers ont été confiés à des membres
éloignés de la famille.

3.3 La disparition des enfants, l’attente,


le temps suspendu
La disparition de ses enfants représente pour Paul un véritable drame.
Pendant de nombreuses séances, il évoque cette absence traumatique,
ses angoisses et ses incertitudes par rapport à cette disparition. Il ne sait
pas s’ils sont vivants ou morts. Sont-ils en sécurité ? Auprès de qui ? Que
font-ils ? Est-ce qu’ils ne sont pas maltraités, malades ? Mangent-ils à
leur faim ? Vont-ils à l’école ? Ces questions qui n’ont aucune réponse
l’assaillent de jour comme de nuit. Il hurle sa douleur de ne pas savoir,
parfois il se réveille la nuit, en poussant des cris. Des maux de tête très
violents surgissent alors, et il se frappe la tête contre le mur ; il a l’impres-
sion que sa tête va exploser de « mille étincelles ». Le matin, son corps est
lourd et douloureux ; tout son malheur semble habiter son corps meurtri.
Chaque journée, Paul la consacre à la recherche de contacts pour
obtenir des nouvelles de ses enfants ; en vain. Il se retrouve ainsi comme
suspendu dans une attente qui l’immobilise, sans possibilité de faire le
deuil. La violence de ce vécu lui est insupportable. Toutes ces séances
sur le doute et l’absence des enfants sont aussi des épreuves sur le plan
contre-transférentiel pour le clinicien : comment rester neutre devant
tant de souffrances et tant de violences ? Comment ne pas être révoltée
devant les capacités de l’homme à tant de perversions ? Il y a pour le
clinicien une obligation de penser et d’élaborer ces traumatismes pour ne
pas être envahi par des vécus intenses. Cela impose, comme le souligne
bien Sironi (2004), d’avoir une théorie construite des phénomènes trau-
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matiques et extrêmes pour bien en comprendre les effets.


Avec les patients réfugiés, il est aussi nécessaire de travailler la question
de la temporalité dans le suivi clinique. En effet, l’important est de mettre
l’accent en premier lieu sur la relation de confiance et de laisser le temps
à ces patients d’exprimer leur vécu traumatique à leur rythme. Cette mise
en confiance est centrale, car ils vivent dans un climat de méfiance, d’ap-
préhension, parfois même de terreur, et d’incertitude constante dans leur
rapport au monde et aux autres. Cela nécessite donc de les assurer d’une
solidarité humaine face aux violences subies et à leur état de dénuement
parfois extrême. Il s’agit aussi de ne pas être trop intrusif et de prendre
le temps de restaurer les enveloppes et les contenants psychiques (nous
136 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

développerons ce point dans la discussion). Ainsi, pendant les premiers


mois du suivi, Paul n’évoque pas les tortures dont il a été victime, et
les séances sont centrées essentiellement sur son contexte de vie et ses
préoccupations actuelles et quotidiennes. Le clinicien n’est pas habitué
à travailler avec ce « réel » pourtant nécessaire à la mise en confiance et
constituant un point de départ obligatoire pour aborder les significations
les plus profondes. La question du changement et de la possibilité de
donner un sens subjectif à ces traumas extrêmes passe par ces niveaux
d’appréhension et de prise en considération de la réalité dans toutes ses
dimensions.
Chez Paul, c’est l’absence de ses enfants qui prend une grande place
dans les entretiens, mais aussi ses difficultés au quotidien : l’attente de
son statut de réfugié, son incertitude quant à son avenir, les difficultés
matérielles. Paul vit en foyer dans un petit studio avec sa femme, qui
est maintenant enceinte. Elle est aussi profondément déprimée, et le
bébé qu’elle porte lui rappelle sans cesse ses enfants perdus. Il est parfois
pénible pour Paul de rester avec sa femme ; sa souffrance est trop grande
et il se sent impuissant à l’aider. De plus, elle lui reproche souvent d’être
responsable de leur situation : « Pourquoi s’est-il intéressé à la politique ?
C’est de sa faute s’ils en sont là et si les enfants sont perdus. » Paul ne
répond pas, il sort, il pleure, se sent coupable. Ces reproches lui sont
insupportables.
La vie quotidienne de Paul est ainsi rythmée par ce temps d’attente
des nouvelles de ses enfants, de la procédure d’asile, les difficultés liées
à l’impossibilité de travailler et de se projeter dans l’avenir. Chaque jour
semble être un véritable combat, une véritable survie.

3.4 Le récit des traumatismes


Après plusieurs semaines de suivi clinique, Paul évoque les trauma-
tismes subis lors de son incarcération ; la situation extrême est celle où on
l’a contraint à tuer des personnes avec une arme à feu. C’est l’événement
le plus violent qu’il ait vécu. Il n’avait pas le choix, dit-il, sinon c’était
lui qui était tué. C’est un acte barbare auquel il ne donne aucun sens :
comment ont-ils pu lui demander cela, comment a-t-il pu faire cela,
lui un homme de paix, un croyant qui prône la fraternité et la solida-
rité entre les hommes ? Ce traumatisme le rend fou, sa pensée explose.
Quand il se remémore ces instants, ses maux de tête violents reprennent.
Il raconte aussi qu’il a été violemment battu à coups de bâton sur tout
son corps, qu’il a été torturé sur les parties intimes, mais là il s’arrête et
Traumatisme et exil 137

ne m’en dira pas plus. Quand il narre cet épisode, son regard est absent,
il n’est plus là avec moi, il est ailleurs. Je l’assure de mon soutien et nous
stoppons là l’évocation de ces traumatismes ; le plus important pour
Paul est de le ramener à la vie, dans l’ici-maintenant, et aussi dans ses
projets. En effet, la remémoration de ces instants traumatiques peut être
trop déstabilisante.
Depuis ces événements, Paul a perdu une totale confiance en l’autre,
et en particulier les personnes originaires du même pays que lui.
Dernièrement, il s’est montré très méfiant envers une femme exilée
vivant dans son foyer. Il l’a aperçue près de son studio et a trouvé de
l’eau devant la porte, il ne comprend pas, il pense qu’elle lui veut du
mal ; son discours apparaît à la limite d’un vécu persécutif et paranoïde.
Je le reprends en lui disant que les traces d’eau retrouvées devant une
porte ont généralement une signification particulière dans son pays. Paul
acquiesce en soulignant qu’il peut s’agir de sorcellerie, mais il n’adhère
pas à ces croyances traditionnelles. Nous continuons tout de même sur
cette étiologie et je lui demande si au pays il pense que des personnes
pouvaient lui en vouloir. Paul me répond qu’il avait très bien réussi dans
son pays, qu’il était heureux, qu’il avait fondé une famille, et que ceux
qui l’ont dénoncé en voulaient à son bonheur. L’abord de cette étiologie
traditionnelle permet ainsi pour la première fois, dans le suivi clinique,
de faire un lien entre l’histoire passée de Paul et le présent.

3.5 Panser les plaies


Après plusieurs mois de psychothérapie, l’état de Paul s’améliore
sensiblement, il est en particulier moins abattu et son corps est moins
douloureux. Des changements notables interviennent au niveau de ses
investissements dans la vie sociale et culturelle. En effet, Paul s’investit
dans plusieurs activités caritatives en relation avec l’église qui prennent
une place très importante dans sa vie. Cela le soulage, l’apaise et l’aide à
donner un sens à sa vie et la force de continuer à se battre. Nous pouvons
sans doute penser que Paul a retrouvé là un sentiment de cohérence
interne qui lui permet de mieux affronter et d’attribuer un sens aux aléas
traumatiques de sa vie et de son histoire.
138 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

3.6 Discussion
3.6.1 Complexité et cumul des traumatismes extrêmes
Cette observation montre la complexité de la clinique psychopatholo-
gique rencontrée chez les patients réfugiés ayant vécu des traumatismes
extrêmes. Ces derniers ont des effets d’anéantissement de l’individu dans
ses croyances et son identité, et rendent très difficile la reconstruction
psychique. Comme on peut le remarquer, les traumatismes extrêmes
sont toujours multiples et se cumulent avec de nombreux facteurs de
vulnérabilité associés à l’exil, aux pertes, aux ruptures et au contexte de
vie incertain liés aux procédures d’asile. Il est nécessaire de prendre en
compte toute cette complexité dans la compréhension et le suivi de ces
patients.
Chez Paul, la disparition des enfants est une problématique essentielle.
Elle est fréquemment rencontrée chez les exilés qui ont dû fuir rapide-
ment leur pays, de manière urgente, sans le temps de préparer leur départ,
d’informer leur famille, dans un contexte souvent dramatique où seule
la survie compte (Dutertre, 2011). Les enfants laissés au pays ou disparus
sont l’objet d’une souffrance et d’une douleur indescriptibles, violentes,
impossibles à penser. Elles imposent aux sujets de vivre dans un doute
et une attente interminables. La culpabilité est intense et centrale ; dans
certains cas, elle est indicible et peut faire l’objet de véritables censures
dans certaines familles qui imposent le silence sur ces morts au reste de
la fratrie, ce qui pose toute la question de la transmission du traumatique
(Dutertre, 2011).
Il faut certainement une grande dose d’humanité et d’énergie pour
survivre à ces traumatismes effroyables qui, sans doute, ne peuvent
être affrontés que par des théories ou des idéologies collectives solides.
Paul représente ainsi un exemple d’une évolution assez favorable par
son rattachement à une dimension spirituelle et altruiste qui donne un
nouveau sens et une cohérence à sa vie.
Le clinicien ne peut-être indifférent à ces souffrances extrêmes, et il
se sent parfois impuissant, confronté à de telles réalités. En ce sens, le
contre-transfert nécessite à chaque fois d’être élaboré, comme nous le
développerons plus loin.

3.6.2 Enjeux et aspects thérapeutiques


Avec ces patients, on peut souligner un certain nombre d’enjeux théra-
peutiques et de points techniques de la psychothérapie :
Traumatisme et exil 139

1) Il s’agit de donner un sens au traumatisme et à ses aspects insensés,


violents, en déroulant une activité narrative pour permettre au sujet
de sortir de la sidération et du figement traumatique. L’objectif est
de reprendre les processus de liaison et d’éviter les clivages drama-
tiques pour la santé des réfugiés. Beaucoup d’entre eux ne veulent
plus penser, ne pas se souvenir pour éviter de souffrir, mais ce clivage
est souvent associé à de douloureux processus de somatisation. Il est
donc important de mettre des mots sur le vécu afin de retrouver la
capacité de penser et de vivre (Piestre, 2010).
2) Il s’agit de lier le passé et le présent ; le fait de revenir sur le passé
ouvre une possibilité de dépasser le figement traumatique et de réta-
blir la chronologie et le sentiment de continuité existentielle. Ce
retour sur l’histoire permet également aux sujets de restaurer leur
identité, de ne pas se couper d’eux-mêmes et de leurs racines, qui
assurent leur survie psychique.
3) Il s’agit aussi de respecter le silence des patients dans plusieurs cas.
En effet, certains sujets ne peuvent pas parler de ce qu’ils ont subi,
c’est une modalité de faire face à ces traumas extrêmes qui leur
permet de survivre (Beiser, 1999). Le silence peut avoir comme fonc-
tion de clôturer une enveloppe psychique qui a été effractée par les
violences, les obscénités… La pudeur sur certains de ces événements
représente une valeur de fermeture de l’enveloppe psychique et évite
l’éclatement. Le respect et la compréhension par le clinicien de cette
valeur défensive adaptative et protectrice s’avèrent nécessaires. Ainsi,
l’abord de certains événements traumatiques violents sera réalisé
selon le rythme et la volonté du patient, et uniquement quand le
cadre thérapeutique aura été suffisamment contenant et quand la
restauration des enveloppes psychiques aura été suffisante.
4) Ceci passe par l’instauration d’un cadre thérapeutique contenant.
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Il sera ainsi nécessaire dans un premier temps de travailler et de


développer une très bonne alliance thérapeutique avec ces sujets,
qui ont souvent perdu confiance dans leur environnement.
5) Le développement de l’empathie chez le clinicien implique une
analyse du contre-transfert centrale avec les patients réfugiés. Il
s’agira en particulier d’analyser le contre-transfert dans ses rapports
à la culture et dans ses rapports à la violence extrême. La rencontre
avec un patient étranger oblige à se décentrer et à se défaire de
préjugés ou de stéréotypes qui enfermeraient les sujets dans telle ou
telle catégorie culturelle. Les modalités d’appartenance à une culture
sont toujours multiples, métissées, complexes, de plus les migrations
140 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

et les déplacements changent profondément les individus, et il faut


prendre en compte ces processus de transformation. Il s’agira donc
de s’intéresser au sujet dans toute sa singularité et sa complexité.
La rencontre avec ces patients constitue une formidable occasion
d’enrichissement mutuel, d’apprentissage et de décentrage culturel
pour le clinicien. L’analyse du contre-transfert culturel est ainsi spéci-
fique et concerne la manière dont nous percevons l’altérité. L’autre
dimension du contre-transfert à analyser est liée au traumatisme et
à la violence. Celle-ci comporte davantage un caractère universel et
pose des questions plus fondamentales sur le rapport à la violence
humaine que le clinicien devra clarifier. Il devra aussi disposer d’une
théorie élaborée et construite du traumatisme psychique, pour ne
pas être envahi par des affects intenses.
6) La restauration des enveloppes et des contenants peut être réalisée
avec un groupe thérapeutique utilisant les référents culturels. C’est
le cas des consultations transculturelles qui s’appuient sur un
groupe thérapeutique qui tient compte de l’expérience de l’exil, de
la dimension transculturelle et du vécu post-migratoire (Nathan,
1986 ; Moro et al., 2006 ; Baubet et Moro, 2009), la prise en compte
de ces différentes dimensions étant essentielle et nécessaire pour
le diagnostic comme pour le soin. Dans les soins transculturels, le
groupe thérapeutique a un rôle de contenance et de portage par le
biais de l’utilisation des représentations culturelles. Celles-ci ont
deux fonctions : 1) donner du sens, et 2) rattacher les liens brisés du
sujet à son groupe. La prise en compte des dimensions culturelles et
sociales est pertinente dans la mesure où le traumatisme détruit les
aspects de l’identité personnelle et collective.
7) Il s’agit aussi dans les suivis de lier à la fois l’histoire singulière de
chacun comme individu et comme membre d’un groupe familial
(Mouchehnik et al., 2010). Le renforcement de l’identité et de l’ap-
partenance familiale est central pour faire face aux traumatismes.
Delage, dans une perspective systémique, propose de renforcer les
liens familiaux dans un premier temps, puis de travailler sur les
processus d’élaboration et le travail autour des croyances (Delage,
2003).
8) La prise en compte des demandes et procédures sociales est néces-
saire, car celles-ci pèsent souvent lourdement sur le déroulement de
la thérapie. Elle peut être menée de manière étroite et complémen-
taire avec une prise en charge sociale.
Traumatisme et exil 141

9) Enfin, la présence d’un interprète peut-être indispensable dans


plusieurs situations. Le rapport à la langue est une dimension intéres-
sante : la langue est le lieu de l’altérité, et J. Altounian (2000) a insisté
sur la fonction « tiercéisante » de la langue étrangère comme une
possibilité de s’approprier une expérience traumatique. La langue
peut constituer le passage d’une culture à l’autre, d’un univers à
l’autre qui crée du lien et permet d’ouvrir une dimension d’altérité.
Pour Piestre et Benslama (2011), l’usage de la langue étrangère, en
tant que lieu d’altérité et de sécurité, facilite l’appropriation subjec-
tive et ouvrirait la voie aux processus de refoulement.

4. Cliniques de l’exil

4.1 Migrations et exil intérieur


Les migrations, quelle que soit leur origine, subie, forcée ou volon-
taire, et leur motif, social, économique ou politique conduisent toutes
à un processus d’exil intérieur qui s’inscrit toujours dans une histoire
singulière dont il faudra chercher les significations parfois bien avant le
départ pour un autre pays. Ainsi, même dans certaines migrations dont
le motif apparaît comme uniquement économique, on peut retrouver
la volonté d’échapper à une histoire familiale complexe qu’il s’agira de
restituer et de réélaborer en cas de traumatisme.
Les processus d’exil sont propres à tout migrant ayant quitté sa terre
natale et perdu son cadre de référence originaire. Ces processus peuvent
aussi être considérés pour les migrants de l’intérieur qui ont quitté leurs
provinces et leur famille et qui parfois ne se reconnaissent plus, après
un certain nombre d’années, dans le cadre socioculturel dans lequel
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ils ont grandi. Ces différences sociales et culturelles peuvent constituer


un vécu douloureux dans le sens où elles entraînent un sentiment de
solitude et de perte d’appartenance à un groupe. En effet, ce qui semble
spécifier le processus de l’exil, c’est cette nécessité de tout reconstruire,
référents, codes, cadres, amis (Nathan, 1986), avec une perte de soutien
et de rattachement au groupe d’origine social, familial ou culturel.
Il est important de bien distinguer les processus d’exil intérieur et les
problèmes d’intégration sociale et culturelle ; en effet, même les personnes
qui présentent les réussites et les intégrations les plus « exemplaires »
souffrent de cet exil intérieur. L’exil n’est toutefois pas une maladie, mais
il comporte des douleurs, des pertes, des nostalgies, des ruptures et des
142 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

renoncements nécessaires qui sont gérés plus ou moins bien par ceux qui
le vivent. Mais l’exil peut également constituer une occasion formidable
de transformation, de métissage, de développement et de richesse, aussi
bien pour l’individu que pour la société qui l’accueille.
Aujourd’hui, les problématiques de l’exil doivent aussi être perçues
dans le contexte de la modernité actuelle, en particulier la révolution
dans la communication qui a transformé sans doute radicalement les
rapports entre les individus et a permis à de nombreux migrants de garder
des liens de plus grande proximité avec leur famille d’origine, ce qui n’a
pas toujours été le cas.

4.2 Exil, perte du cadre culturel


et déchirements intérieurs
L’exil conduit à une perte du cadre culturel originaire. Selon Nathan,
la culture a une fonction indispensable et essentielle pour l’homme ; elle
constitue une sorte de double, de filtre et de cadre contenant permettant
d’appréhender la complexité du monde. Tobie Nathan (1986) avait ainsi
été un des premiers à souligner le rôle de la perte du cadre culturel dans la
compréhension de la psychopathologie des migrants : « sa propre culture
forme à chacun une sorte d’ombre, un double dont la perte ne peut-être
compensée que par la tentative de compréhension de la Culture, avec un
C majuscule, c’est-à-dire ce qui fait qu’un homme est capable d’acquérir
une culture. Le rapport de l’homme avec son ombre, avec ce double-la
culture, constitue une fonction psychique fondamentale » (1986, p. 32).
Ainsi, l’expérience de l’exil peut provoquer un sentiment d’appauvris-
sement, voire de défaut de monde (Ben Slama, 2004).
Cette notion de double assurant une fonction psychique indispensable
est une dimension centrale dans la compréhension de la psychopatho-
logie, qu’elle soit traumatique ou non. En effet, la manière dont la société
accompagne et reconnaît la souffrance mentale est un élément central
pour donner un sens au malheur privé. Par exemple, il faut se rappeler
que ce qui a conduit à l’intégration de l’état de stress post-traumatique
dans le DSM dans les années quatre-vingt a été le désir de reconnais-
sance sociale des vétérans américains qui se sont sentis abandonnés par
leur groupe social après leur retour de la guerre du Vietnam. Dans le
documentaire de J.-L. Andro L’Effroi des hommes (1991), voici comment
un vétéran ayant souffert d’un ESPT exprime cela : « Dans les sociétés
primitives quand le soldat revenait, il y avait une fête de communauté
et là il pouvait exprimer tout ce qui, dans son cœur et dans son âme,
Traumatisme et exil 143

l’avait torturé pendant la guerre. Il pouvait redevenir un civil parce que la


société tout entière avait compris ce qu’il avait enduré. À mon retour aux
États-Unis, la foule n’était pas là nous acclamant “Dieu vous bénisse !”,
mais c’était : “Assassins ! Tueurs d’enfants !” » Cet exemple souligne
comment un sujet en dissonance, à un moment donné de sa vie, avec
son cadre de référence et en absence de portage par son groupe social,
peut se sentir rejeté, ce qui peut conduire à une grande vulnérabilité sur
le plan psychique. On peut sans doute penser que ces vétérans étaient
d’une certaine manière des exilés dans leur propre pays ; la guerre et
l’exil les avaient profondément changés ; ils ne se reconnaissaient plus
et n’étaient plus reconnus par leur environnement.
Est-ce la perte du pays d’origine ou la perte du lieu où exister qui est
la problématique la plus importante chez les migrants ? C’est la ques-
tion pertinente que pose Fethi Ben Slama (2004) qui développe l’idée
que ce n’est pas tant la perte du pays qui pose problème chez ces sujets,
mais davantage la question de la territorialité psychique. En effet, de
quel habitat psychique le sujet dispose-t-il et quel regard les autres lui
renvoient-ils ? Le problème est l’impossibilité d’être psychiquement dans
un lieu, ce qui explique sans doute chez certains migrants de la première
génération cette recherche compulsive d’habitat au pays avec les rêves de
construction de grandes maisons censées accueillir leurs enfants qui ne
reviendront jamais. Il faut lire à ce propos le très beau roman de Tahar
Ben Jelloun Au pays, où il décrit comment un migrant est littéralement
possédé par ce désir de construction au pays et par l’attente du retour de
ses enfants, attente vaine qui le fera basculer dans la folie.
Cette douleur de l’exil, de la perte du lieu où exister, est souvent un
élément indicible ; comment parler du manque et de la perte quand on
ne sait pas soi-même ce qui est réellement perdu ? Mais l’exil produit
surtout une sorte de déchirement intérieur et de conflit passionnel avec
le pays d’origine. C’est à la fois l’amour et la nostalgie pour la terre, le
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village natal, les ambiances d’antan, les parfums, mais aussi la colère
pour la « terre-mère » qui n’a pas su garder et protéger ses enfants.
De nombreux migrants sont pris dans ce dilemme affectif. Pourtant,
tant que ce dilemme existe, il assure la survie psychique et les projets.
En effet, oublier, c’est mourir. Ce conflit interne est fort bien exprimé
par un de nos patients réfugié qui vient d’obtenir un titre de séjour en
France ; c’est une bonne nouvelle pour lui, c’est un cadre supérieur et
il peut enfin s’installer en France avec des projets de vie et de travail.
Pourtant, il se sent comme à la croisée d’un carrefour ne sachant quelle
voie emprunter. Cette incertitude est liée à un tiraillement interne avec
ce double de lui-même resté au pays et à un rêve de retour aussi bien
144 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

idéalisé qu’impossible. Quand je lui souligne ce tiraillement intérieur,


il répond avec une étonnante pertinence : « Tant qu’on est en contra-
diction avec soi et avec le pays, on est en vie… si on oublie c’est fini. »
Ce dilemme et cette conflictualité interne sont ce qui permet de garder
le lien et de continuer à exister et à vivre. La conflictualité est bien du
côté de la survie psychique. Au contraire, certains exilés ou migrants
tentent de nier ou d’oublier ce qu’ils ont été parce que ce souvenir est
trop douloureux à cause des nombreux deuils et exil traumatiques. Mais
l’oubli massif du passé et des racines rend aussi douloureux le présent,
et ce clivage mène à une impasse, et en particulier à des processus de
somatisation très invalidants. Ainsi, ce patient exilé qui dit : « Je ne veux
plus me souvenir du passé, cela me fait souffrir, je suis désespéré… je
veux juste mes papiers et trouver un travail. » Mais cet oubli massif, son
corps semble le lui refuser, et les douleurs lui rappellent à son insu les
nombreux deuils enkystés. On constate en effet souvent chez ces patients
un retour sur le corps propre avec d’importants troubles somatiques, et
les associations mènent fréquemment vers des deuils non résolus. L’oubli
et la rupture avec ses racines semblent aussi en lien fréquent avec des
problèmes d’impuissance sexuelle, ce qui met l’accent sur la nécessité
de rétablir et de réinvestir d’un point de vue libidinal les liens affectifs
du sujet avec ses attaches les plus profondes.

4.3 Exil, difficultés des processus de deuil


et de transmission psychique
Les deux problématiques principales auxquelles sont confrontés les
sujets migrants relèvent des difficultés dans les processus de deuil et dans
les processus de transmission psychique.
Les difficultés des processus de deuil sont spécifiques aux ruptures
migratoires comme le souligne T. Nathan (1988) : « Enfin, être exclu
de la terre qui contient ses morts, ses ancêtres, semble être une situa-
tion peu propice au fonctionnement des processus de deuil. Placé dans
une telle situation, le sujet rencontrera nécessairement des difficultés
à chaque étape de sa maturation, à chaque fois que doit être mobilisée
sa capacité à accomplir un deuil » (1988, p. 203). Ainsi, ces difficultés
peuvent se comprendre par l’empêchement de participer aux processus
de deuil sociaux, le deuil n’étant pas seulement une affaire individuelle,
mais surtout collective (voir chapitre 5). Ainsi, l’éloignement du groupe
communautaire, de la tombe, et l’impossibilité de participer aux rituels
Traumatisme et exil 145

collectifs de deuil retardent ou empêchent la reconnaissance de la mort,


donnant lieu parfois à de lourdes pathologies du deuil.
Enfin, la question de la transmission psychique est une dimension
particulière qui peut être problématique chez le migrant de la première
génération (Ben Slama, 2004). Cette problématique est sans doute encore
plus particulièrement douloureuse chez des patients qui ont des histoires
de transmission non réglées en rapport avec leur généalogie. Ainsi, les
empêchements dans la transmission psychique doivent être compris à
la lumière de l’histoire inter et transgénérationnelle du sujet. Nous déve-
lopperons cet aspect avec le cas de Tawfik, ci-dessous. De manière géné-
rale, cette question chez les sujets migrants interroge aussi les nouvelles
formes de transmission, qui ne sont pas nécessairement en lien avec le
passé traditionnel ; l’adaptation et la reconnaissance de la nouveauté
sont aussi des dimensions essentielles pour le migrant (Douville, 2001 ;
Ben Slama, 2004).

5. Observation n° 14 : Tawfik, traumatisme,


pertes et rupture de filiation

5.1 Présentation
Tawfik est un homme de 48 ans, originaire d’un pays du Maghreb. Il
vit en France depuis plus de 20 ans avec sa femme et ses enfants. Il est
adressé par un médecin de l’hôpital pour de nombreux troubles d’allure
fonctionnelle. Il se plaint de diverses douleurs épigastriques et muscu-
laires à type de picotements dans le dos et les épaules. Ses douleurs sont
associées à des vertiges, des chutes, une asthénie intense et des troubles
du sommeil.
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Tawfik se présente comme très las, les épaules tombantes, la tête


penchée en avant. Il montre une intense souffrance physique. De plus,
il est au chômage, car il a été licencié à cause de ses arrêts maladie.
Il explique que ses troubles ont commencé brutalement sans raison
apparente : « C’était un dimanche, je suis allé voir mon frère, il orga-
nisait une grande fête. Tout allait bien, j’ai dormi là-bas. Quand je me
suis réveillé, j’ai senti soudain des douleurs violentes à l’estomac, j’ai
perdu connaissance, et on m’a emmené à l’hôpital. Depuis je suis très
malade, je suis fatigué, je dors mal… Avant tout allait bien. » Depuis
cette première hospitalisation, Tawfik décrit une peur de mourir devenue
146 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

omniprésente, il a l’impression qu’une partie de lui-même l’a quitté. Il est


ainsi régulièrement hospitalisé depuis 4 ans pour les mêmes symptômes :
malaises avec douleurs dorsales et lombaires, vertiges et chutes, mais les
nombreuses investigations médicales ne décèlent aucune origine orga-
nique à ces troubles et l’état de Tawfik ne s’améliore pas. Au contraire,
chaque traitement et chaque nouvelle hospitalisation déclenchent chez
lui une accentuation des douleurs, une angoisse indescriptible, une peur
de mourir. Chaque fois, son corps semble le lâcher, il est chancelant,
abandonné et recroquevillé sur lui-même.

5.2 Le suivi psychothérapeutique


Nous décidons d’une prise en charge spécifique avec Tawfik qui
comprend la présence d’un co-thérapeute interprète, et une thérapie à
médiation corporelle lui est aussi proposée pour quelques séances, car
Tawfik a beaucoup de mal à verbaliser, les douleurs psychiques étant
profondément enkystées.
Les premiers entretiens nous permettent de faire connaissance avec
Tawfik et de mettre en évidence quelques points cliniques importants.
Il évoque d’abord des symptômes répétitifs à travers des cauchemars
récurrents : « il se voit poursuivi par des chiens, il court et tombe dans un
trou ». Ce rêve le réveille dans un état de sursaut et de grande angoisse,
il est trempé de sueur. Nous sommes étonnées avec ma co-thérapeute
par la présence de ces symptômes de répétition qui ne sont associés à
aucun traumatisme majeur. Mais Tawfik parvient tout de même à relier
le début de sa maladie à deux événements de vie personnels qui ont été
douloureux : le départ de son fils, qui a quitté le domicile familial pour
vivre avec une jeune Française. Tawfik garde une profonde colère contre
lui, car il aurait préféré un mariage traditionnel. Depuis ils ne se parlent
plus et son fils ne revient que rarement dans la maison familiale. Un
autre événement familial à la même période vient aussi éprouver Tawfik :
la mort brutale de sa sœur dans le pays d’origine, et il n’a pas pu aller à
l’enterrement. Il garde de ces événements une douleur vive et une colère
importante qui semblent l’avoir immobilisé.
Nous évoquons aussi, au cours de ces premières séances, quelques
éléments familiaux. Le père de Tawfik est décédé quand il avait moins
d’un an. Il ne sait rien de lui ; sa mère est décédée un an après son arrivée
en France et, là non plus, Tawfik n’avait pas pu se rendre à l’enterrement.
L’installation en France s’est plutôt bien passée pour Tawfik et il n’y a eu
semble-t-il aucune difficulté familiale ou sociale particulière.
Traumatisme et exil 147

Après ces premières séances, nous introduisons un suivi à l’aide d’une


technique de médiation corporelle (Training autogène de Schultz) pour
favoriser le processus associatif. Ainsi, avant le début de chaque entretien
en face-à-face, 5 à 10 minutes de technique de relaxation thérapeutique
sont effectuées pour permettre à Tawfik d’associer à partir des sensations
corporelles. Au début de ce travail, Tawfik ne rapporte que des sensa-
tions douloureuses puis, progressivement, des images nostalgiques appa-
raissent en relation avec le pays d’origine. Son pays lui manque et il a le
désir de rentrer chez lui après plusieurs années d’exil, pour se reposer de
ses problèmes de santé. Par association, d’autres images surgissent, encore
liées à des souvenirs d’enfance très importants pour lui. Il s’agit de rappels
agréables, en particulier des jeux avec les enfants de son village natal.
Les associations continuent à être développées au fur et à mesure des
séances et, cette fois, elles concernent une problématique de transmission
de la filiation. Ainsi, il se plaint un jour d’une douleur et d’une perte de
sensibilité au bras droit. Les associations mènent vers le fils aîné et sa
colère vive à l’égard de celui-ci. Tawfik nous dit : « Mon fils a choisi une
vie différente, alors bon vent ! Chacun est parti de son côté. » Nous lui
demandons s’il pense que son fils lui ressemble. Il répond que tout les
sépare, puis il songe à son père qu’il n’a jamais connu : « Moi, je n’ai pas
connu mon père, je ne sais comment il est… on ne m’a jamais parlé de
lui. Mon fils, c’est pareil… il ne me connaît pas… il n’y a pas de pères
dans cette famille ! »
L’expression de la colère devient de plus en plus importante et Tawfik
se plaint des médecins qui, selon lui, le méprisent, ne le considèrent pas
et ne comprennent pas ses douleurs. Il évoque à nouveau ses nombreux
traitements médicaux qui ont des effets néfastes sur sa santé. Devant
notre interrogation sur la multiplication des médecins, Tawfik répond
avec humour et ironie : « Vous savez, les médecins, on peut les changer,
mais pas les pères. »
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La colère est bientôt vécue sur le plan transférentiel. En effet, Tawfik


ne supporte pas le moindre retard de notre part et nous le fait remarquer.
Nous comprenons alors sa peur d’être abandonné par nous, et nous le
lui signifions. L’interprétation du transfert a un effet positif et déclenche
toute une série associative sur les nombreux abandons vécus et ressentis
par Tawfik. Ce sont d’abord les abandons actuels qui sont évoqués, ceux
de ses fils et de sa famille qui le négligent : il se sent désespérément seul.
Tawfik se sent apaisé à l’évocation de ce sentiment profond de solitude.
Il peut alors enfin évoquer les ruptures du passé. Il parle de la rancune
qu’il a toujours éprouvée à l’égard de sa mère, qui ne s’est pas occupée de
148 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

lui : « on me laissait toujours dans un coin », dit-il. Ses ressentiments sont
liés au fait que personne ne lui ait jamais parlé de son père. Tawfik est
désespéré de ne garder aucune image de lui. De plus, on lui a longtemps
caché la vérité sur la mort de son père. Il conclut de cette longue série
associative : « Les parents ne peuvent pas s’occuper de leurs enfants et les
enfants ne peuvent pas porter leurs parents… c’est ce qui m’est arrivé ! »
Ce moment de la psychothérapie est très important, car il me permet
de resituer dans la relation transférentielle les différents sentiments
d’abandon et de ruptures présentes et passées que Tawfik exprime pour
la première fois, et il semble aussi en prendre conscience. C’est après
ce moment précis de la psychothérapie que nous allons avoir accès au
véritable événement traumatique.

5.3 Narration de l’événement traumatique


et effet de surprise
À une séance qui suit l’évocation des sentiments d’abandon, nous
revenons sur la mort du père et demandons à Tawfik s’il lui arrivait de
pleurer en pensant à lui et s’il était triste de cette disparition. Il nous
répond alors de manière surprenante et inattendue : « Je ne suis pas
français pour être triste… même pour mon fils, je n’ai pas pleuré. Il avait
5 ans. On était dans la cité. Je lui ai dit : “Attends-moi ! Je vais chercher
des cigarettes.” Quand je suis sorti du bureau de tabac, il gisait par terre.
Une voiture l’avait renversé… je leur ai seulement dit : “Ne touchez pas
à mon fils, laissez-le !” »
Le récit de Tawfik provoque chez ma co-thérapeute et moi-même un
effet de sidération émotionnelle devant cet événement narré de manière
si inattendue alors que nous suivions Tawfik déjà depuis de nombreux
mois. Depuis longtemps, nous nous questionnions sur l’existence d’un
événement traumatique expliquant la clinique particulière de Tawfik.
Nous avions maintenant la réponse ; Tawfik, dans ce moment brutal
et traumatique, n’a pas pu exprimer ni sa douleur, ni sa tristesse, ni sa
colère envers cet homme responsable de la mort de son enfant. Il est
resté immobilisé et figé dans la douleur sans jamais pouvoir s’autoriser
à exprimer sa détresse, son chagrin profond et sans doute sa grande
culpabilité.
À la séance suivante, pour la première fois, Tawfik est détendu et
s’endort presque pendant les premières minutes de relaxation thérapeu-
tique. D’ailleurs, il souhaite maintenant arrêter ce moment de relaxation
et s’entretenir directement avec nous. La psychothérapie se prolonge
Traumatisme et exil 149

encore quelque temps et Tawfik semble plus authentique dans l’expres-


sion de ses émotions. Il n’a plus ce sourire permanent en faux self et se
permettait de se laisser aller davantage. À la fin de la psychothérapie, il
acceptait les visites de sa belle-fille et de son fils aîné.

5.4 Discussion
5.4.1 Spécificité du cadre thérapeutique
L’observation de Tawfik montre toute la complexité de ces tableaux
cliniques où seule la psychopathologie somatique est au premier plan,
sans aucune possibilité d’expression et d’élaboration de la probléma-
tique sous-jacente. On voit ici l’intérêt de penser, de créer, parfois de
«  bricoler  » des dispositifs techniques et thérapeutiques innovants
permettant que la parole se délie. Ici, le dispositif créé, associant un
co-thérapeute interprète, a facilité l’expression de la problématique du
patient par le passage d’une langue à une autre, à l’aide de nombreuses
métaphores culturelles. Le passage d’une langue à l’autre est symbolique-
ment important, car il signifie aussi le passage et le lien entre différents
univers culturels. La thérapie de relaxation a aussi permis à ce patient
de dérouler un discours associatif et un vécu singulier à partir de l’utili-
sation des métaphores. Ainsi, les nombreuses associations ont permis à
ce patient de se dégager progressivement des plaintes somatiques et de
l’enkystement des douleurs.

5.4.2 Déroulement associatif et problématiques de filiation


et de transmission
On peut observer la particularité du déroulement associatif ; la problé-
matique nostalgique, qui apparaît en premier lieu et débouche progressi-
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vement sur le matériel individuel et en particulier les vécus d’abandon et


de colère. Ainsi, Tawfik parvient à repérer les éléments de répétition liés à
son histoire personnelle ; il revit la même situation douloureuse créée par
l’absence de son père dans sa relation avec son fils aîné, ce qu’il résume
avec une étonnante clarté : « Il n’y a pas de pères dans cette famille. » Il
semble mettre en scène d’un côté le rapport nostalgique à son pays, et de
l’autre la séparation d’avec son fils ; la rupture entre un monde perdu (le
cadre culturel d’origine) et une nouvelle génération qui n’assure plus la
continuité et la transmission de l’héritage culturel et familial. Tawfik se
sent dans cette situation désespérément seul, en rupture de « chaîne »,
de filiation et de transmission. Le discours revendicatif en rapport avec
150 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

la médecine vient combler cette absence, mais on perçoit toute l’ambi-


valence dans cette recherche de médecins susceptibles de le comprendre.
C’est une quête de « pères », comme le souligne si bien Tawfik, mais une
recherche vouée à l’échec, car la médecine ne peut remplacer la famille
perdue, et les réponses médicales ne peuvent correspondre aux attentes
de Tawfik, celles de donner un sens à ses troubles et d’apporter le récon-
fort à une telle solitude. On comprend dans ce contexte que chaque inter-
vention médicale se révèle décevante et déclenche à nouveau colères,
angoisses et reviviscences du traumatisme.

5.4.3 Le traumatisme psychique


Le déroulement du processus associatif mène finalement au premier
traumatisme qui nous semble avoir été à l’origine de la décompensa-
tion de Tawfik : la perte de son petit garçon dans un contexte violent.
Il est intéressant de noter l’effet de surprise, de sidération et de fort
vécu émotionnel des cliniciens à l’écoute de ce récit inattendu, ce qui
signe probablement la valeur de pare-excitation et de contenance théra-
peutique. En effet, à l’entretien suivant, Tawfik peut enfin s’endormir,
soulagé d’avoir pu narrer ce moment si grave de sa vie qui vient remettre
en scène tant de pertes et de ruptures passées. On doit considérer cette
problématique de deuil traumatique et enkysté dans le contexte de vulné-
rabilité propre à la migration avec la perte des principaux supports fami-
liaux et culturels, et en particulier la difficulté d’accompagnement du
groupe social par des rituels de deuil conformes.

Pour aller plus loin


Baubet T., Abbal T., Claudet J., Le Du C., Heidenreich F., Lévy K.,
Mehallel S., Rezzoug D., Sturm G., Moro M.R. (2004). « Traumas
psychiques chez les demandeurs d’asile en France : des spécificités
cliniques et thérapeutiques », dans Journal international de Victimologie,
2 (2), 16 avril.
Baubet T. et Moro M.R. (2009). Psychopathologie transculturelle. De
l’enfance à l’âge adulte. Paris, Masson.
Ben Slama F. (2004). « Qu’est-ce qu’une clinique de l’exil ? », dans
L’Évolution psychiatrique, 69, 23-30.
Traumatisme et exil 151

Goguikian Ratcliff B., Strasser O. (2010). Clinique de l’exil, chroniques


d’une pratique engagée, Broché.
Mazur V., Chahraoui K. (2011). « Psychopathologie des demandeurs
d’asile accueillis en République slovaque. Étude portant sur 40
requérants », dans Annales médico-psychologiques, volume 169, issue 10,
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Moro M.R., De La Noe Q., Mouchenik Y. (2006). Manuel de psychiatrie
transculturelle, La Pensée sauvage.
Mouchenik Y., Baubet T., Moro M.R. (2012). Manuel des
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Piestre E. (2010). La Vie psychique des réfugiés, Paris, Payot.
Sironi F. (1999). Bourreaux et victimes : Psychologie de la torture, Odile
Jacob, 281 pages.
Vinay A., Mazur V., Chahraoui K. (2011). « Vécu intergénérationnel du
traumatisme dans les familles en exil », dans Revue francophone du
stress et du trauma, n° 2, tome XI, 101-111.
7
Cha
pi
tre

PSYCHOTRAUMATISMES :
QUELLE ÉCOUTE
DU CLINICIEN ?
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S o m

1. Introduction ............................................................................. 155


2. L’écoute clinique des psychotraumatismes .......................... 155
3. Un exemple d’écoute : le cas du harcèlement sexuel
traumatique au travail ............................................................ 163
4. Observation n° 15 : Andréa et les voix
du passé ...................................................................................166
Psychotraumatismes : quelle écoute du clinicien ? 155

1. Introduction

Pa
La psychothérapie des traumatismes psychiques nécessite de s’inté-
resser en premier lieu à la dimension de l’écoute du clinicien, en la consi- rt
dérant comme une modalité technique et thérapeutique centrale. Cela
nous amène à développer les modèles psychodynamiques de l’empathie
et du contre-transfert en soulignant la place centrale de l’intersubjecti-
ie
vité. Le cas d’une patiente victime de harcèlement sexuel traumatique
au travail sera présenté pour illustrer ces points.

2. L’écoute clinique des psychotraumatismes

2.1 L’apport de Ferenczi dans l’écoute


des psychotraumatismes : place de la relation
thérapeutique et du contre-transfert
Sandor Ferenczi, psychanalyste contemporain de Freud, a été le
premier à souligner comment le type d’écoute du clinicien pouvait
avoir un impact sur l’état du patient traumatisé au cours du traitement
analytique (1928, 1929, 1933). C’est à partir de l’étude des « réactions
thérapeutiques négatives » qu’il développe cet aspect. En effet, selon
la technique analytique préconisée à l’époque par Freud (1895, 1913),
les patients ayant vécu un traumatisme sexuel dans l’enfance devaient
revivre le rappel de l’événement en question au cours de l’analyse afin de
permettre une réaction cathartique. Celle-ci était obtenue par un rappel
des représentations et du souvenir traumatiques associé à une expres-
sion émotionnelle libératrice. Mais, selon Ferenczi, cette technique ne
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

provoquait guère le soulagement attendu. Au contraire, elle développait


chez le patient un état de désarroi et de détresse supplémentaires par
la reviviscence des affects liés à l’événement pénible (Ferenczi, 1933).
Dans cette situation, la réaction thérapeutique négative du patient était
principalement liée, selon Ferenczi, à l’attitude et au type d’écoute du
clinicien. Ainsi, dans ces moments de reviviscence de l’événement trau-
matique, si l’analyste garde une attitude froide, distante et trop neutre, il
ne fait que réactiver le traumatisme et augmenter le désarroi du patient
en brisant le lien thérapeutique. C’est une donnée fondamentale de la
psychothérapie des traumatisés et c’est donc un certain type d’écoute
et d’attitude technique que Ferenczi critiquait : la passivité objective
156 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

et bienveillante, la patience imperturbable et la non-intervention, qui


étaient alors les attitudes techniques préconisées dans la cure analytique.
Ces attitudes fonctionnent comme un désaveu de la réalité traumatique
et renvoient selon Ferenczi à une certaine forme d’« hypocrisie profes-
sionnelle » de l’analyste qui rappelle le double langage des agresseurs.
En effet, il compare l’attitude froide et distante des analystes de l’époque
à celle de l’agresseur sexuel qui a violenté l’enfant, mais fait comme
si rien ne s’était passé. Ce premier désaveu a des effets délétères sur le
développement de la personnalité, comme l’introjection du sentiment
de culpabilité de l’adulte et le clivage de la personnalité (1933), qui
empêchent le patient traumatisé de se révolter contre son agresseur. Le
patient face à un thérapeute trop neutre et trop distant revivrait donc
cette même situation psychologique complexe et pathogène, sans aucune
possibilité de réagir.
Ferenczi conseillait donc d’adopter une attitude plus active et plus
empathique à l’égard du patient : « La situation analytique, cette froide
réserve, l’hypocrisie professionnelle et l’antipathie à l’égard du patient qui
se dissimule derrière elle, et que le malade ressent de tous ses membres,
ne diffèrent pas essentiellement de l’état de choses qui autrefois, c’est-
à-dire dans l’enfance, l’avait rendu malade. À ce moment de la situation
analytique, si nous poussions de surcroît le malade à la reproduction
du trauma, l’état de fait devenait insupportable ; il ne faut donc pas
s’étonner qu’elle n’ait pu avoir de résultat ni meilleur, ni différent, que
le trauma primitif lui-même. Mais la capacité d’admettre nos erreurs et
d’y renoncer, l’autorisation des critiques, nous font gagner la confiance
du patient. Cette confiance est ce quelque chose qui établit le contraste
entre le présent et un passé insupportable et traumatogène » (1933).
Ce premier débat sur la technique analytique a conduit Ferenczi à
mettre au cœur de ses réflexions la question des interactions entre analysé
et analyste : en effet selon lui, tout acte, tout geste, toute amélioration
ou détérioration du patient est un signe de la relation transférentielle
ou un signe de résistance par rapport à cette relation. Il a ainsi préconisé
en particulier une technique active fondée sur l’empathie, l’observation
attentive du patient, l’attention pour la relation thérapeutique dans l’ici
et maintenant et la nécessité d’une analyse du contre-transfert. Dans ses
différentes réflexions techniques, il a aussi proposé de raccourcir la durée
de la cure analytique en focalisant l’écoute de l’analyste sur les problèmes
actuels du patient, la reconnaissance de la réalité traumatique avec un
travail de liens entre le passé et le présent. L’ensemble de ces travaux a
fait de Ferenczi, l’un des grands précurseurs des psychothérapies psycho-
dynamiques brèves qui se sont développées par la suite.
Psychotraumatismes : quelle écoute du clinicien ? 157

2.2 Psychothérapies psychodynamiques brèves


et « expérience émotionnelle corrective »
Plusieurs auteurs (Balint, 1962 ; Alexander, 1959) ont repris les idées de
Ferenczi dans le champ des psychothérapies psychodynamiques brèves
qui voient surtout leur essor pendant la Seconde Guerre mondiale, où il
s’agissait en particulier d’apporter une aide rapide aux blessés psychiques
de guerre avec une volonté d’efficacité du traitement (Gilliéron, 1997).
Ces psychothérapies se sont développées (Gilliéron, 1997) avec trois
dimensions principales : 1) une focalisation sur le problème essentiel
présenté par le sujet, 2) une plus grande activité dans l’écoute et dans
l’intervention auprès du patient, et 3) une place importante accordée à
la prise en compte du niveau de la réalité.
Les psychothérapies psychodynamiques brèves par leur situation
moins contraignante pour le sujet, leur abord plus important du registre
conscient et réel, peuvent être vécues par le patient comme davantage
structurantes et contenantes, les fonctions de soutien du clinicien étant
plus sollicitées dans ce type de thérapie.
Ces différents principes des psychothérapies psychodynamiques brèves
ont entraîné naturellement un raccourcissement de la durée du traitement
psychanalytique et les études ont montré que l’efficacité thérapeutique
était semblable quand on compare thérapies psychanalytiques brèves
et longues (Malan, 1963). Ces psychothérapies ont gardé de nombreux
principes de la théorie psychanalytique (attention à l’inconscient, au
conflit interne, méthode des associations libres) tout en réaménageant
certains points qui se réfèrent essentiellement aux dimensions inter-
subjectives (Alexander et French, 1959 ; Balint, 1960 ; Sifneos, 1972 ;
Gilliéron, 1997 ; Despland et al., 2000).
Parmi ces points essentiels, une place centrale est accordée au rôle
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dynamique du thérapeute, à son écoute, à la relation thérapeutique


et à ce qui se vit dans l’ici et maintenant de la thérapie. Cette façon
d’appréhender et d’écouter le patient traumatisé a une incidence consi-
dérable dans la technique thérapeutique. Elle implique que le clinicien
ne centre pas son écoute exclusivement sur le passé de l’individu et
sur les hypothèses explicatives rétrospectives, mais sur ce qui se passe
dans l’ici et maintenant de la relation thérapeutique, qui est conçue
comme une composante essentielle du changement. Alexander et French
(1959) développent la notion d’expérience émotionnelle corrective avec
l’idée que le changement ne réside pas dans la répétition du transfert,
mais dans la reviviscence d’une expérience corrective, l’expérience de la
158 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

psychothérapie : « Ce n’est pas la remémoration de l’expérience ancienne


qui guérit le patient, mais plutôt la reviviscence d’une expérience correc-
tive : l’expérience de la psychothérapie par exemple qui détruit l’effet de
l’expérience ancienne ou peut être fournie par la relation de transfert ou
par une nouvelle expérience de vie » (1959).
Dans ce type de psychothérapie, l’écoute, l’attention à la relation
présente et l’attitude du thérapeute sont fondamentales et doivent être
suffisamment souples pour s’adapter au cas par cas.

2.3 De la sensibilité empathique à la question


des enveloppes psychiques
La psychothérapie des traumatisés psychiques implique de s’intéresser
à la sensibilité et à l’écoute empathique et à leurs effets thérapeutiques.
Ainsi, Ferenczi soulignait, dans son écoute du patient, l’importance de la
notion de « tact » qui exprime une démarche subjective, une proximité
empathique qui relève de la « faculté de sentir avec » et de « deviner les
pensées retenues et inconscientes » du patient. Pour développer cette
faculté empathique et intuitive, il est nécessaire d’être attentif soi-même
à ses propres sensations. Cette manière d’être et de faire permet selon
Ferenczi de donner la bonne interprétation le moment venu : « le tact,
c’est la faculté de sentir avec. Si nous réussissons à l’aide de notre savoir,
tiré de la dissection de nombreux psychismes humains, mais surtout de
la dissection de notre soi, à nous présentifier les associations possibles ou
probables du patient qu’il ne perçoit pas encore, nous pouvons, n’ayant
pas comme lui à lutter contre des résistances, deviner non seulement ses
pensées retenues, mais aussi les tendances qui lui sont inconscientes »
(Ferenczi, 1928, t. IV).
La sensibilité empathique implique que le langage soit lié aux sensa-
tions du thérapeute, c’est-à-dire que le thérapeute soit touché par le
discours du patient, c’est cela qui permet la « résonance » (ce qui fait écho
pour le thérapeute ; Denis, 2009). Cette résonance permet de discerner
dans le discours du patient ce qui est important à traiter et à analyser.
Ainsi, la sensibilité empathique et intuitive est une manière d’accéder
aux représentations de l’autre et à la connaissance de son état mental.
On pourra retrouver cette dimension empathique comme essentielle
dans les travaux de Rogers (1942, 1966), où elle constitue le pilier de
la psychothérapie. Chez Rogers, l’écoute empathique se situe dans une
perspective humaniste et peut se définir comme une écoute centrée sur
le sujet dans laquelle le clinicien fait confiance dans les capacités d’au-
Psychotraumatismes : quelle écoute du clinicien ? 159

todirection, de changement et de possibilités personnelles du patient.


L’écoute empathique chez Rogers s’assimile à une attitude respec-
tueuse, compréhensive, congruente et confiante à l’égard du patient,
seule manière de changer le sujet pour Rogers. L’empathie dans ce cadre
« consiste à saisir, avec autant d’exactitude que possible, les références
internes et les composantes émotionnelles d’une autre personne et à les
comprendre comme si on était cette autre personne ».
Comme Ferenczi, Rogers pense que l’empathie est liée à la sensibilité
du thérapeute, à l’attention qu’il porte à ses sensations et à la percep-
tion de l’expérience actuelle. L’empathie implique ainsi de ressentir et
de percevoir l’expérience dans l’ici et maintenant sans idées préconçues
avec, chez le thérapeute, une nécessaire dimension d’authenticité, de
sincérité et de congruence avec lui-même. À ces aspects, Rogers ajoute
la notion de compréhension, qui est selon lui un élément déterminant.
En effet, la compréhension empathique d’autrui implique de dépasser
le risque du changement créé par la rencontre avec l’autre : « Si je
comprends l’autre, je risque d’entrer dans son monde de référence et alors
de changer. » Pour Rogers, il faut appréhender ce changement comme
source d’enrichissement de la relation interhumaine (Rogers, 1966).
La notion d’écoute empathique a été assez peu développée par les
psychanalystes mais, parmi ceux qui s’y sont penchés, on retrouve un
intérêt pour l’expérience émotionnelle, pour la fonction contenante du
thérapeute et pour la dimension intersubjective. Par ailleurs, les psycha-
nalystes qui ont pris en compte le concept d’empathie intuitive se sont
particulièrement intéressés sur le plan clinique aux psychopathologies
dans le champ somatique et narcissique. Ces dernières ont des niveaux
de fonctionnement très proches de ceux que l’on peut retrouver dans
les problématiques psychotraumatiques.
La préoccupation pour l’empathie est retrouvée chez Winnicott à
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travers le modèle mère/bébé. Il introduit (1966) la notion de « préoccupa-


tion maternelle primaire », qui correspond à un état d’hypersensibilité de
la mère qui permet de sentir les besoins du bébé et d’y répondre : « pour
une grande part elle [la mère] est le bébé et le bébé est elle ». Cet accom-
pagnement et cette profonde identification de la mère au bébé assurent
une fonction de contenant, d’enveloppe et de holding sécurisant ».
On retrouvera également la notion d’empathie chez Bion (1962) qui
renvoie à la faculté de capter les émotions d’autrui. Bion développe
aussi un modèle maternel de l’empathie à travers sa notion de « rêverie
maternelle » et de « fonction alpha » qui peut-être considérée comme une
« fonction de liaison symbolique des impressions sensorielles et des
160 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

ressentis émotionnels non liés ». Cette fonction contenante et de liaison


représente une dimension centrale de la fonction thérapeutique.
Chez Kohut (1971, 1984), la notion d’empathie représente aussi
une condition indispensable pour la relation thérapeutique, aussi bien
comme support de cette relation que pour ses effets thérapeutiques. Il l’a
développée en particulier chez les patients narcissiques, comme manière
d’entrer en relation avec eux, en étant proche de leur expérience et de
leur monde intérieur avec très peu de travail d’interprétation.
L’écoute thérapeutique avec les traumatisés psychiques s’apparente
également à celle des patients psychosomatiques, avec lesquels Marty
(1989) avait renoncé à l’analyse et préconisé une technique fondée sur
l’accompagnement empathique sans interprétation du transfert avec
un mode de relations visant surtout à tisser de nouveaux liens, et un
engagement important du clinicien, tourné vers le soin et la volonté de
guérir (Van Lysebeth-Ledent, 2004).
Ainsi, la notion de sensibilité empathique met au centre des préoc-
cupations la question des enveloppes contenantes qui doivent être
reproduites tout au long du traitement à travers le tact, le bain sonore
et rythmique (Castarede, 2007) et le regard bienveillant, mais aussi
sans doute également bien d’autres opérateurs techniques tels que les
représentations culturelles, comme nous avons pu le développer dans
le chapitre précédent (chapitre 6). L’écoute empathique permet d’avoir
un rôle de contenance qui a une valeur restructurante pour des patients
qui ont été effractés dans leur enveloppe (psychique, identitaire…).

2.4 L es difficultés de l’écoute empathique et l’analyse


du contre-transfert dans les psychotraumatismes
Si l’empathie profane est un phénomène universel qui relève de la
capacité de reconnaître les états mentaux d’autrui (voir à ce propos les
travaux dans le domaine des neurosciences sur les neurones miroirs :
Rizzolatti et al., 1996 ; Berthoz et al., 2004 ; Georgieff, 2005), il faut
la distinguer de l’empathie professionnelle, qui implique de travailler
en profondeur les phénomènes contre-transférentiels. En effet, toute la
question est de savoir comment le clinicien réagit, s’adapte à l’écoute des
situations de violence, de mort, de handicap, d’agressivité, de maladie,
de folie. Celles-ci peuvent engendrer des angoisses fondamentales contre
lesquelles le clinicien peut être amené à mettre en place des défenses
rigides, inadaptées, qui ne favorisent pas le processus empathique dans
la relation thérapeutique. Ainsi, l’écoute de la souffrance psychique, des
Psychotraumatismes : quelle écoute du clinicien ? 161

situations extrêmes, implique nécessairement un travail de distance,


d’analyse, d’élaboration qui doit être accompagné par des pairs (supervi-
sions, analyse personnelle…). Si l’on considère que l’écoute est centrale
dans le changement, elle implique que le clinicien analyse son propre
contre-transfert, développe une sensibilité, une réception et une ouver-
ture à soi pour pouvoir appréhender et comprendre l’état mental de
son patient. En effet, plus le clinicien aura effectué ce voyage vers une
compréhension intérieure, plus il sera en mesure de comprendre son
patient de manière approfondie sans trop de résistances ou de défenses
rigides.
Dans le champ du psychotraumatisme, un certain nombre de diffi-
cultés contre-transférentielles peuvent être rencontrées. Nous en donne-
rons deux exemples, l’un lié à l’effet produit sur le thérapeute par le mode
de fonctionnement psychologique du sujet et l’autre lié à la violence
psychique de l’événement.
− Difficultés en relation avec la pensée opératoire  : chez les patients
traumatisés, nous rencontrons souvent des profils psychologiques
avec une pensée dite « opératoire » ; il s’agit de sujets qui présentent
une tendance à raconter les faits de manière extrêmement factuelle,
avec une inhibition dans l’expression des émotions et des affects, un
accès réduit à la vie intérieure et une centration sur les événements
externes. Ces patients entraînent souvent des difficultés d’empathie
chez le clinicien, en particulier de l’ennui, de la monotonie, de
l’irritabilité, qui peuvent conduire à des phénomènes de rejet. Ce
sont des patients qui par exemple à chaque séance évoquent leurs
problèmes médicaux, leurs plaintes somatiques, leurs revendications
à l’égard du monde soignant, judiciaire. Ils donnent l’impression
de mettre constamment en échec les différents acteurs de leur prise
en charge, ce que les cliniciens interprètent comme une dimension
d’agressivité passive.
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¼ L’écoute empathique consiste à aller au-delà de ces plaintes superfi-


cielles et à entrer en contact avec la partie la plus cachée et la plus
profonde du sujet, celle où se trouve logée une douleur indicible.
Ceci implique un mode d’écoute décentré et en résonance sensible
avec ce qui ne peut être dit. Cette attitude est possible par une
observation attentive, une écoute et une disponibilité psychiques
et en particulier une attention pour le registre non verbal qui
donnent des informations pertinentes sur le vécu des émotions. La
place de la communication non verbale est sans doute un élément
central des modes d’interaction en situation thérapeutique dans
162 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

le face-à-face qu’il serait nécessaire de développer du point de vue


de nos connaissances (Roten et al., 2002).
¼ L’écoute implique aussi de comprendre les effets sidérants du trau-
matisme sur l’appareil psychique qui donnent lieu à une paralysie
associative. La pensée opératoire ne renvoie pas seulement au fonc-
tionnement intrapsychique d’un sujet, mais elle doit être consi-
dérée comme un élément de la dimension intersubjective dans le
sens où c’est au clinicien de créer un cadre propice permettant au
patient d’avoir accès à ses émotions les plus enkystées.
− Difficultés en relation avec la violence de l’événement : dans d’autres cas,
c’est la violence de l’événement traumatique et certains de ses aspects
destructeurs qui sont très difficiles à écouter. Je donnerai, pour illustrer
cette dimension, le cas d’un patient qui a tenté de mettre fin à ses jours
par défenestration après que sa femme lui avait annoncé qu’elle allait
le quitter. Il a été sauvé, mais il garde de très graves séquelles physiques.
Très passif au début de la prise en charge et encore très amoureux
de sa femme, cet homme s’est mis à développer des crises de colère
dans le service de médecine où il était hospitalisé. Ces manifestations
ont provisoirement entraîné un état de lassitude, de peur et de rejet
de l’équipe soignante, qui souhaitait son orientation en psychiatrie.
À travers ses crises de colère, ce patient tentait de signifier toute sa
douleur, ses sentiments d’abandon et d’impuissance, de plus il avait
lui-même peur de ses propres colères et qu’on le prenne pour un fou.
On comprend ici toute la dimension de répétition de la problématique
abandonnique et également l’identification projective, d’où la
nécessité de saisir la signification des manifestations transférentielles
et contre-transférentielles, ce qui a pu être discuté avec l’équipe. À
une séance de psychothérapie où il exprimait son malaise profond
qui se traduisait par d’impressionnants tremblements et rigidité de
tous ses membres, l’écoute empathique a été centrale. Il n’y a pas de
place pour l’interprétation dans ces moments, il s’agit simplement
d’être là, d’écouter cette détresse majeure, dans une bienveillance,
pour supporter jusqu’au bout l’expression de cette douleur sans en
avoir peur soi-même. Cette attitude permet au patient de se sentir
compris, et surtout de pouvoir exprimer cette détresse sans penser
qu’il se détruit ou qu’il va détruire l’autre. Ces moments de séance
passent par une attention pour ses propres sensations qu’il est ensuite
important de pouvoir analyser, élaborer, afin d’y donner sens. Cette
écoute empathique a permis à ce sujet d’avancer dans son travail de
deuil et de séparation.
Psychotraumatismes : quelle écoute du clinicien ? 163

3. Un exemple d’écoute : le cas du harcèlement


sexuel traumatique au travail

3.1 Le harcèlement sexuel au travail


La problématique du harcèlement sexuel traumatique au travail a été
assez peu traitée par les psychopathologues et nous disposons de peu
de données dans la littérature ; cette question semble rester un élément
tabou dans la société. Pourtant, il s’agit d’une population clinique que
nous recevons assez souvent. Ainsi, une étude menée par Thomassin et
al. en Seine-Saint-Denis en 2009 montre que près de 5 % des salariées de
Seine-Saint-Denis auraient subi une violence définie comme une agres-
sion sexuelle ou un viol au cours de l’année écoulée. Si l’on compte
également les situations de harcèlement sexuel, 22 % des salariées de
Seine-Saint-Denis auraient été victimes, et plus de la moitié des salariées
(56 %) auraient subi un harcèlement sexiste, un harcèlement sexuel, une
agression sexuelle ou un viol au cours de l’année écoulée.
Lepastier et Widlocher (2004) définissent le harcèlement sexuel comme
« une conduite faite de gestes et de propos tenus par un homme, le plus
souvent sur le lieu de travail, vis-à-vis d’une femme en position de subor-
dination hiérarchique afin de l’amener, grâce à cette contrainte morale,
à des relations ou plus généralement à des actes sexuels incomplets ».
Ils ajoutent que ce qui fait le harcèlement sexuel n’est pas seulement
l’attitude du séducteur, mais surtout le fait que la victime ne soit pas
en mesure de s’y opposer. Il existe ainsi une forte contrainte morale
qu’il faut prendre en compte. Par ailleurs, le harcèlement sexuel peut se
traduire par une agression unique, assimilable au viol, mais il peut s’agir
également de sollicitations répétées dans le temps, qui ont les mêmes
effets pathogènes qu’une seule agression massive.
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3.2 Psychopathologie du harcèlement


sexuel traumatique
La symptomatologie développée par certaines femmes peut s’appa-
renter au tableau clinique des états de stress post-traumatique rattaché
à une clinique dépressive intense qui est souvent au premier plan.
Les états de stress post-traumatique s’installent plutôt progressivement,
ils apparaissent ainsi de manière pernicieuse en lien avec la répétition
des humiliations (Chauvel, 2008). Il faut insister sur l’aspect répétitif et
164 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

quotidien de ces traumatismes et sur leurs effets cumulatifs, particulière-


ment marqués sur le long terme. La symptomatologie psychotraumatique
peut se manifester par un syndrome de répétition avec reviviscences des
scènes d’agression verbale ; les troubles du sommeil sont présents, avec
des insomnies ou des crises d’angoisse nocturnes. Certaines réactions de
stress non spécifiques peuvent aussi se développer (attaques de panique,
phobies).
Ce sont principalement les aspects de l’altération de la personnalité
qu’il faut noter et qui sont généralement très profonds. Ce sont des
personnes gravement atteintes sur le plan narcissique, elles se sentent
extrêmement humiliées, ont un sentiment de honte marqué qui les
empêche souvent de verbaliser et d’exprimer ce qui est arrivé. Certaines
femmes peuvent ainsi garder le secret pendant longtemps jusqu’à la
tentative de suicide, qui vient comme une solution à cette souffrance
intérieure extrême.
Il faut comprendre le processus de harcèlement comme un processus de
destruction psychique de la personne (Chauvel, 2008). On observe ainsi,
après un harcèlement répété, une atteinte forte de l’intégrité psychique
avec perte d’estime de soi, état d’impuissance, sentiment d’échec et de
tristesse allant jusqu’à la dépression avec perte des repères. La dépression
est généralement profonde, elle est marquée par un véritable effondre-
ment psychique, avec dévalorisation de soi, perte de confiance en autrui,
idées suicidaires, inhibition et dégoût pour la sexualité, forte culpabilité.
Le vécu de harcèlement conduit également à un repli sur soi qui peut être
très important. Les femmes victimes s’isolent sur le plan professionnel
puis social et familial avec des sentiments de honte et d’incompréhen-
sion des autres.
Ainsi, les situations de harcèlement sexuel peuvent conduire à des
syndromes psychopathologiques graves et il est nécessaire, pour les
comprendre, d’appréhender le processus de harcèlement comme un
traumatisme relationnel. Ce processus vise la destruction psychique de
la personne par la répétition des humiliations, que l’on peut envisager
comme des micro-traumatismes répétés qui ont des effets délétères sur
le long terme. La dimension logique et paradoxale de ce traumatisme
doit être soulignée. En effet, il y a une impossibilité pour la victime de
répondre aux attaques en raison des contraintes sociales (figure hiérar-
chique, peur de perdre son emploi), et la dimension agressive va se
retourner sur la victime elle-même avec une autoaccusation et un senti-
ment de honte. Le harceleur peut tirer profit de cette attitude pour rejeter
la responsabilité sur la victime (Lepastier et Allilaire, 2004).
Psychotraumatismes : quelle écoute du clinicien ? 165

Dans les phénomènes de harcèlement, il existe également une dimen-


sion plus inconsciente : l’abus commis par un responsable hiérarchique
peut réactiver une position infantile du sujet qui peut rappeler la position
de dépendance de l’enfant par rapport à l’adulte. La manière dont le sujet
peut se dégager de cette dépendance dépend sans doute de la manière
dont il a pu régler ses conflits infantiles. Dans certains cas, le harcèlement
peut aussi réveiller des traumatismes passés qui viennent rendre encore
plus douloureux le traumatisme présent. En effet, la reviviscence des
traumatismes passés augmente le sentiment de culpabilité du sujet, qui
se demande pourquoi les événements se répètent. C’est pourquoi l’écoute
du clinicien devra être particulièrement sensible à cet aspect en veillant à
ne pas culpabiliser davantage le sujet dans le rappel de ces traumatismes
qui doivent être évoqués avec tout le « tact » et l’adéquation nécessaires
face à la souffrance de ces patientes.

3.3 Qualité de l’écoute du clinicien


La qualité de l’écoute du clinicien face à ces situations de harcèlement
est fondamentale. Souvent, la fragilité du sujet face au vécu de harcèle-
ment est renvoyée à un diagnostic de personnalité pathologique anté-
rieure, ce qui est dramatique pour ces femmes dans la mesure où c’est
une façon de ne pas reconnaître la réalité traumatique, mais aussi leurs
qualités d’investissement professionnel. En effet, il s’agit très souvent de
femmes très actives et très dévouées dans leur vie professionnelle, parfois
sans antécédents psychopathologiques notoires. Dans d’autres cas, le
doute sur la réalité des faits entraîne une suspicion de mythomanie ou
d’attitudes provocatrices. La non-reconnaissance du vécu traumatique
a des effets psychiques considérables en augmentant la détresse et le
sentiment de culpabilité de ces femmes. Le regard et l’écoute que l’on
peut porter en tant que clinicien sont primordiaux et ont un effet sur le
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

regard de ces victimes sur elles-mêmes.


Le rétablissement et la reconstruction psychiques peuvent être très
longs et demandent un grand investissement de la part du clinicien ainsi
qu’une bonne alliance thérapeutique. Ces psychothérapies sont difficiles,
avec une résurgence de douleurs, de traumatismes passés, de moments
d’effondrement et parfois de processus de somatisation qui montrent la
destruction identitaire à la fois en tant qu’individu, mais aussi en tant
que femme. En effet, l’image féminine est toujours très nettement déva-
lorisée. La reconnaissance sociale du préjudice et une réparation sous
forme d’indemnisation ou de reclassement jouent généralement un rôle
important dans la reconstruction psychique.
166 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

4. Observation n° 15 : Andréa et les voix


du passé

4.1 Le premier entretien


Andréa est une femme de 40 ans qui a été hospitalisée en psychiatrie
pour troubles anxio-dépressifs après un passage à l’acte suicidaire. Elle se
présente comme une femme complètement effondrée et très amaigrie.
Les psychiatres sont inquiets par son état et évoquent une personnalité
pathologique.
À notre premier entretien, Andréa s’exprime aisément et associe facile-
ment, mais elle pleure beaucoup. Elle évoque spontanément un contexte
de harcèlement sexuel au travail qui semble avoir été traumatisant.
Andréa se décrit comme une femme autrefois très active qui s’est beau-
coup battue au cours de sa vie ; elle a élevé seule ses deux filles après une
séparation difficile avec son ex-mari. Son parcours professionnel a été
pénible ; peu diplômée, elle a souvent enchaîné des « petits boulots »
dans le cadre de contrats à durée déterminée mais, il y a trois ans, elle a
pu enfin obtenir un emploi stable dans un grand restaurant. Elle était très
reconnaissance envers son patron pour son soutien dans l’obtention de
son contrat de travail. Mais très peu de temps après, son patron se montre
très entreprenant et souhaite avoir des relations sexuelles avec elle.
Andréa, très choquée, ne comprend pas son attitude et se remet en
cause en se justifiant ; elle n’a jamais eu aucun comportement déplacé,
sa tenue vestimentaire n’a jamais été provocatrice.
À partir de ce moment, Andréa tente d’éviter son patron, lui fait
comprendre qu’il n’est pas question d’avoir de relations. Elle se sent très
vexée qu’on ait pu penser d’elle qu’elle pouvait être une femme facile,
alors que sur son lieu de travail, elle a toujours veillé à cacher sa féminité
pour ne pas attirer les hommes. Les sollicitations sexuelles de son patron
lui font honte et elle n’en parle pas à son compagnon.
Mais progressivement, son patron adopte des comportements gros-
siers : il la chahute dès qu’ils sont à proximité ; exprime des paroles
« crues » et humiliantes devant ses collègues de travail, en majorité des
hommes, qui, selon Andréa, ne réagissent pas. Au contraire, les paroles
du patron sont sources de plaisanteries salaces, « ce ne sont que des
machos », dit-elle. Mais rien ne semble arrêter le comportement harce-
lant de son patron, qui devient de plus en plus agressif, et les paroles
se font cette fois violentes. Selon Andréa, il commence à l’insulter avec
Psychotraumatismes : quelle écoute du clinicien ? 167

des termes qu’elle n’ose répéter, « traînée… bonne à rien… p… », et un


jour, alors qu’elle se refuse à lui, il la pousse violemment. Andréa finit
par « craquer » et ne peut plus revenir sur le lieu de son travail. Elle entre
alors progressivement dans une profonde dépression et est hospitalisée
à la suite d’une tentative de suicide.
Lorsque je demande à Andréa ce qui a été le plus difficile à vivre
dans le comportement de son patron, elle me répond que ce sont essen-
tiellement ses paroles insultantes, humiliantes, qui la rabaissaient sans
cesse. Elle avait l’impression de n’avoir aucune valeur, d’être comme un
« déchet ». Aujourd’hui, ce sont encore ces paroles qui ont une valeur
traumatique, elle ne cesse d’y penser. Ces paroles résonnent de manière
incessante dans sa tête comme si elle les entendait encore. Andréa se sent
profondément déprimée, dévalorisée, elle rumine sans cesse ses souve-
nirs de harcèlement, elle voit constamment le visage de son patron qui
se moque d’elle. Elle se sent profondément bouleversée, anéantie, elle a
l’impression de n’être plus rien, de n’avoir aucune valeur, alors qu’elle a
toujours été très forte dans sa vie, active et déterminée. Elle ne comprend
pas pourquoi aujourd’hui elle se sent aussi effondrée et fragile, les idées
suicidaires ne la quittent plus.

4.2 Discussion : harcèlement traumatique,


quelle écoute du clinicien ?
4.2.1 Une écoute empathique dans l’ici et maintenant
Dans un premier temps, il est nécessaire d’adopter une écoute dans
l’ici et maintenant pour Andréa, ce qui implique d’écouter sa détresse, ce
qu’elle vit, ce qu’elle ressent de la situation, en l’amenant à développer
son point de vue, son vécu, ses difficultés, et en lui montrant combien
cette expérience a été importante et éprouvante pour elle. Cette écoute
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active dans le présent et dans la réalité est à la base du partage de l’expé-


rience émotionnelle et du sentiment d’être compris pour le patient. C’est
un des éléments les plus importants du premier entretien qui permet
d’enclencher le processus thérapeutique. Le patient doit sentir que le
thérapeute est là disponible, prêt à l’écouter. Ce partage d’expérience
créé une relation de confiance et facilite le développement d’une bonne
qualité de l’alliance thérapeutique qui est la base essentielle et centrale
de tout processus thérapeutique. Il s’agit de constituer un appui pour le
patient et de l’amener à s’exprimer avec confiance, à dire ses affects, ses
colères, afin de permettre une certaine libération émotionnelle. L’aspect
168 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

cathartique des premières séances ne peut avoir lieu que dans un tel
climat de compréhension empathique.
Bien que ces dimensions puissent apparaître simples ou banales, elles
relèvent pourtant de la condition même du processus thérapeutique.
En clinique, nous sommes souvent amené à rencontrer des patients qui
n’ont parfois jamais verbalisé leurs difficultés, leurs angoisses, et la possi-
bilité de parler et d’être attentif à sa vie intérieure n’est pas un travail
qui va de soi. Pourtant, l’enjeu thérapeutique est d’amener ces patients à
retrouver des significations et une cohérence interne à ce qu’ils viennent
de vivre. Ainsi, l’écoute empathique sans jugement, positive, du clinicien
est ce qui permet au patient d’être accompagné dans ce voyage intérieur
et de ne pas en avoir peur.

4.2.2 L’écoute inférentielle


L’écoute empathique uniquement centrée dans l’ici et maintenant ne
suffit généralement pas et il faut également un deuxième niveau d’écoute
en relation avec l’activité inférentielle du clinicien.
Ce deuxième niveau dépasse les aspects manifestes et tente de s’inté-
resser au niveau latent de la problématique qui est présentée. Ici, ce qui
est écouté n’est pas seulement le récit en tant que tel, mais il va s’agir de
chercher à comprendre les réactions du sujet. Le clinicien opère ainsi une
activité de mise en sens qu’il ne signifie pas nécessairement au patient
dans l’immédiat. Ces inférences font partie de son système théorique et
de la manière dont il construit les objectifs thérapeutiques. Ainsi, chez
Andréa, au-delà de la nécessité de reconnaître la valeur traumatique du
présent, il s’agira aussi de s’interroger sur le pourquoi d’une réaction si
forte, pourquoi ce désir suicidaire, pourquoi se sentir comme un déchet,
pourquoi les paroles de cet homme l’ont-elle autant ébranlée ? Qu’est-ce
qui a pu faire résonance chez elle dans ces paroles violentes ? L’écoute
est un travail de pensée, d’analyse et d’association chez le clinicien qui
aide à mieux comprendre le patient. Ces associations permettent au
clinicien d’avoir une hypothèse et une théorie pouvant rendre compte
du problème du sujet puis d’avoir une stratégie thérapeutique pour
résoudre celui-ci. Ce travail de compréhension est long, il se construit
progressivement en fonction des éléments des entretiens. Il fait partie
des inférences du clinicien, qui se questionne sur les moments propices
de l’intervention thérapeutique elle-même. Est-il par exemple opportun
d’investiguer avec le patient un niveau de résonance avec son passé ?, si
oui, comment et à quel moment de la psychothérapie ? Comment cela
Psychotraumatismes : quelle écoute du clinicien ? 169

doit-il être traité ? Sinon, quelles sont les autres modalités de l’interven-
tion thérapeutique ?
Chez Andréa, les humiliations répétées sont en elles-mêmes sources
d’un processus traumatique et aliénant qui se comprend sans doute à
la lumière de sa relation particulière à son patron, et en particulier par
son admiration passée pour ce dernier. Il y a donc chez elle une lourde
déception qui doit être interrogée en fonction de ce qu’elle peut réactiver
dans son histoire, sans toutefois méconnaître les aspects traumatiques
de la situation de harcèlement. Il est important de s’interroger sur la
manière dont cet événement prend sens dans l’histoire d’un sujet, non
pas dans le cadre d’une théorie explicative et rétrospective, mais comme
un moyen de réappropriation subjective d’une histoire individuelle qui a
été effractée et qui nécessite d’être reconstruite en donnant de nouvelles
significations aussi bien au présent qu’au passé.

4.3 Le début du processus associatif :


les voix du passé
Nous commençons une psychothérapie de soutien avec Andréa et
nous décidons également avec mes collègues de la mise en place d’une
consultation psychiatrique parallèle pour le traitement médicamenteux
et le suivi de la procédure sociale et judiciaire.
Dès le deuxième entretien, Andréa fait part de son sentiment d’avoir
trouvé un réel soutien auprès du psychiatre référent et de moi-même ;
elle s’est sentie comprise et reconnue et elle pense que cela lui donne le
courage de se battre. En effet, lors de sa dernière permission, elle s’est
montrée plus active et a contacté les syndicats qui l’ont soutenue dans
son affaire et elle s’est décidée à porter plainte pour harcèlement contre
son patron.
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

Elle évoque ensuite à nouveau longuement son agression, son patron


qui la méprise, la considère comme une « moins que rien ». Elle pleure
à plusieurs reprises au cours de cet entretien. Andréa est envahie par les
paroles de son patron qui résonnent constamment dans sa tête, paroles
qu’elle n’ose pas prononcer. Elle ne parvient plus à se détacher et à
prendre de la distance par rapport à cette situation. Elle se sent complè-
tement effondrée.
Je l’écoute longuement dans cette souffrance actuelle et la soutiens
par mes interventions. Mais en même temps, mes activités associatives
mènent vers des questionnements relatifs à son enfance. Je ne peux
m’empêcher face à la souffrance extrême d’Andréa et à l’intensité de sa
170 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

culpabilité de faire l’hypothèse d’une réactivation d’un traumatisme de


l’enfance. Mais il est beaucoup trop tôt pour aborder ces éléments, et
Andréa est trop prise par le présent et la douleur actuelle, ce qu’il faut
respecter.
Je saisis l’occasion d’aborder ses relations familiales alors qu’elle me
raconte qu’elle a repris récemment ses activités de peinture. Je lui fais
part de mon intérêt pour ses qualités artistiques, et Andréa est très fière
de me décrire ses réalisations. Je lui demande alors si ce sont ses parents
qui lui ont transmis ce savoir-faire. Elle me répond qu’elle doit tout à
son père, à qui elle était très attachée. Celui-ci a semble-t-il eu une vie
rude en relation avec son travail et sa vie familiale, il n’a pas connu ses
parents. Son père n’était pas très présent sur le plan familial, bien qu’il
ait beaucoup compté pour elle.
Puis Andréa évoque sa mère. Je suis d’emblée surprise par son discours,
devenu soudain très cru : elle me fait part de son dégoût et de sa haine
pour sa mère. Elle me décrit sa mère comme une femme infidèle qui
faisait venir ses amants à la maison rendant Andréa complice, car elle
ne pouvait rien dire à son père. Andréa m’exprime son dégoût pour sa
mère, qui n’a jamais eu aucune affection pour elle. Sa mère l’insultait
régulièrement : « tu n’es qu’une traînée, une p… ! », et la frappait parfois
violemment. Andréa me dit qu’elle comprenait sa mère : elle ne faisait
que projeter ce qu’elle était elle-même. Elle ajoute qu’elle n’a jamais pu
s’identifier à sa mère et qu’adolescente, elle était un véritable garçon
manqué qui évitait la fréquentation des filles et n’appréciait que la rela-
tion avec les garçons.
Au troisième entretien, Andréa évoque d’importantes difficultés conju-
gales, car elle n’a plus aucun désir sexuel pour son compagnon, elle se
sent sale et pleure. Elle ne supporte plus les hommes. Cette situation la
rend profondément triste, car elle estime que son compagnon la soutient
et la rassure. Andréa a du dégoût pour elle-même et ne supporte même
plus de se regarder dans la glace.
Au cours de cet entretien, elle évoque à nouveau son enfance et son
père, auquel elle était très attachée. Son père lui manque, et elle lui
pardonne son peu d’affection, qu’elle relie à l’éducation rude de l’époque
et à sa vie difficile.
Andréa évoque à nouveau la profonde rancune à l’égard de sa mère,
qui n’a pas été disponible pour elle. Elle ajoute qu’elle s’est construite
en opposition à sa mère et que paradoxalement, ce sont ses difficultés
relationnelles avec sa mère qui l’ont armée dans la vie. Cette colère
vive a constitué un moteur de résilience pour elle. Andréa s’est éloi-
Psychotraumatismes : quelle écoute du clinicien ? 171

gnée de sa mère pour s’identifier aux hommes, considérés comme des


modèles, mais les hommes l’ont trahie. C’est sur ce sentiment profond
de déception que nous avons principalement travaillé avec Andréa, et
je lui signifie combien ces sentiments de trahison sont importants pour
elle. Elle peut alors associer sur les différentes trahisons vécues : trahi-
sons de son ex-mari volage, trahison de ses frères qui l’ont abandonné,
trahison du père qui n’a pas su l’aimer, et enfin trahison de son patron,
qu’elle admirait tant.
Dès le troisième entretien, Andréa fait le lien entre les paroles de ce
dernier et les paroles de sa mère : « Tu n’es qu’une traînée… » Mais
Andréa est effondrée par cette association, elle crie sa douleur, et se
demande pourquoi cela se reproduit, pourquoi elle n’a pas pu se défendre
contre son patron alors qu’elle avait la force de se défendre sa mère.
C’est la question profonde que nous avons eu à traiter avec Andréa au
cours de trois années de suivi psychologique difficile. Andréa a oscillé
entre des moments d’amélioration avec des capacités d’élaboration éton-
nantes qui permettaient un abord psychodynamique et des moments
d’effondrement complet. Dans ces périodes, il fallait seulement déve-
lopper une écoute et un soutien attentifs, une disponibilité psychique,
jouer un rôle de contenant et de pare-excitation. Il s’agissait seulement
d’être là et disponible, avec une écoute dans l’ici et maintenant, avec
une mise en suspens d’un travail plus profond sur les significations. C’est
avant tout une problématique abandonnique qui a été révélée au cours
de ces entretiens qui ont pu être travaillés dans le transfert et nous avons
pu évoquer à de multiples reprises sa peur d’être abandonnée par moi.

4.4 Conclusion
Andréa a pu se reconstruire après toutes ces années, l’accompagne-
ment psychologique a constitué une grande part de ce soutien, mais
cela a été aussi possible grâce à la reconnaissance du préjudice subi et
à la réparation qui ont été essentielles dans son parcours. À la fin de la
psychothérapie, malgré les blessures toujours présentes, Andréa avait
recouvré son tempérament actif, la force de se battre à nouveau, et elle
avait trouvé un nouvel emploi.
172 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

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Conclusion

Au-delà de cette variété clinique, indispensable à observer et à analyser,


il existe un noyau psychotraumatique commun à tous les sujets trau-
matisés qu’il est nécessaire d’identifier pour permettre un suivi adapté.
La question du traumatisme psychique et de ses effets ne doit pas être
considérée d’un point de vue uniquement descriptif et extérieur, mais
doit être envisagée comme un processus psychologique qui a des effets
de désorganisation et de perturbation sur le long terme à tous les niveaux
de la vie psychique et relationnelle.
Dans ce processus psychologique particulier, le positionnement et
l’attitude du clinicien sont essentiels, car son regard et son écoute ont
un impact considérable sur la manière dont le sujet se perçoit et peut
donner du sens à son traumatisme.
Cette question du sens est multiple et complexe ; le traumatisme
psychique s’enracine pour tous les sujets dans un vécu initial de menace
vitale, d’anéantissement de soi et de dissociation psychique impossibles
à penser et à élaborer, mais il s’agit ensuite pour chacun de donner son
propre sens, qui dépend de ce qu’il est ou de ce qu’il a été et de ce qu’il
a vécu. Le sens s’enracine ainsi profondément dans un vécu subjectif
et intersubjectif lié à l’histoire personnelle, familiale et socioculturelle,
et il permet de fournir une nouvelle représentation du monde afin de
donner une explication cohérente au malheur.
Pour que cela soit possible, la rencontre du clinicien avec le patient
est indispensable pour débuter ce travail de co-construction. L’étiologie
traumatique est ce qui permet cette rencontre, elle est productrice de
sens en elle-même en rétablissant une chaîne de causalités, et en cela le
traumatisme n’est pas seulement une psychopathologie, mais un formi-
dable opérateur thérapeutique que le clinicien doit saisir en tant que tel
comme début d’une histoire à construire avec le patient.
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Index des notions

A D
activité narrative 34, 42 demandeurs d’asile 129
altération de la personnalité 5, 11, désorganisation 55
22, 70 deuil compliqué 106
analyse contre-transférentielle 76 deuils enkystés 94
angoisse signal 10 deuil traumatique 94, 105, 106, 107
apport clinique 57 difficultés des processus de deuil
apport phénoménologique 57 109, 144
dimension transculturelle 140
B disparition des enfants 135
dissociation psychique 173
blocage de la fonction d’amour et double 142
de relation à autrui 17 douleur de l’exil 143
blocage de la fonction de filtration
de l’environnement 17
blocage de la fonction de présence
E
17 écoute empathique 158, 159, 167
écoute inférentielle 168
C effroi 12, 33
élaboration psychique 49
cauchemars 70 émotions brusques 73
– répétitifs 63 émotions durables 73
choc traumatique 29 empathie 139, 156, 159
clinique de l’extrême 83 – intuitive 159
co-construction du sens 40 – profane 160
colère 124 – professionnelle 160
complications et pathologies du enveloppes contenantes 160
deuil 106 enveloppes psychiques 158
conséquences psychosociales du état de stress aigu 82
trauma 18 étiologie profane 96
contenance 35, 76 exil 113, 129, 132
contre-transfert 36, 64 – intérieur 114, 141
– culturel 140 expérience émotionnelle corrective
corps étranger 9, 33 157
crise de vie 59 extrêmes 85
crise psychique 55
crise psychotraumatique 67
crise traumatique 55, 76
F
culpabilité 22, 43, 47 fantasmes de culpabilité 50
– traumatique 52 « flashs » visuels 43
188 15 cas cliniques en psychopathologie du traumatisme

fonction alpha 159 problématiques de filiation 149


fonction contenante 160 processus de deuil 144
fonctionnement 71 processus d’exil 141
frayeur 88 psychothérapies psychodynamiques
brèves 156, 157
H
harcèlement 165
R
– sexuel au travail 163 réactions thérapeutiques négatives
– sexuel traumatique 163 155
réanimation 81, 86
I redondance entre crise traumatique
59
ici et maintenant 156, 157, 167
relation thérapeutique 156, 157
identité narrative 42
remaniements de la personnalité 8
images intrusives 46
réorganisation 55
inquiétante étrangeté 86
interventions psychologiques 58 répétition traumatique 33, 43
rêverie maternelle 159
rêves 49, 67
M
– de réa 89
migration 113 – de répétition 10
mort 43 – traumatique 64, 67
morts traumatiques 105 rites funéraires 111, 113
rituels de deuil 105, 111
N ruminations mentales 10
rupture de filiation 145
névrose d’effroi 5
rupture du pare-excitation 33
ruptures migratoires 144
O
opératoire 71 S
organisation défensive 71
sensibilité empathique 158, 160
sentiment d’inquiétante étrangeté
P 89
perte du cadre culturel 142 séquelles psychotraumatiques 46
pertes 145 sidération psychique 33
philosophie existentielle 56 soins transculturels 140
populations réfugiées 129 stress 8
post-adolescence 63 symptômes de répétition 5
préoccupation maternelle primaire symptômes de reviviscence 87
159 syndrome de répétition 11
problématique de fin d’adolescence syndromes psychotraumatiques 5,
63 108
Index des notions 189

T traumatisme sexuel 10
traumatismes intentionnels 130
« tact » 158 travail de deuil 109
technique analytique 156 troubles délirants et confusionnels
théorie de l’après-coup 9 82
transmission 132, 149 troubles psychiques en réanimation
– psychique 133, 144 médicale 82
trauma extrême 42, 131 troubles psychiques postopératoires
traumatisme durable 73 81
traumatisme médical 96
traumatisme psychique 40
V
traumatisme relationnel 13, 99
traumatisme second 18, 70 vécu de mort imminente 33
traumatismes extrêmes 130 vécu post-migratoire 140
Composition : SoftOffice (38)

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