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Maquette de couverture :

Le Petit Atelier
Maquette intérieure :
www.atelier-du-livre.fr
(Caroline Joubert)

© Dunod, 2021
11 rue Paul Bert – 92240 Malakoff
ISBN 978-2-10-082285-0
Table des matières
Introduction
1. Objectifs
2. Le psychologique et le social
3. Notre perspective
4. Plan de l’ouvrage

CHAPITRE 1 – Les traditions de la pensée groupale


1. De l’esprit du peuple à la psychologie des peuples
2. La psychologie des foules
3. Psychologie des instincts et béhaviorisme
4. Les attitudes
5. Les changements d’attitude
6. La dimension imaginaire et inconsciente des groupes
7. L’importance du contexte social

CHAPITRE 2 – Le groupe comme lieu d’intégration


1. Socialisation et sociabilité
2. Les groupes de référence
3. Conformisme, normalisation, polarisation

CHAPITRE 3 – Le groupe comme lieu de différenciation


1. Comparaison avec les membres de son groupe d’appartenance
2. Comparaison avec les membres d’un autre groupe : la catégorisation
sociale
3. Conclusion

CHAPITRE 4 – Les groupes lieux de changement


1. Un point de vue philosophique : la perspective sartrienne
2. La perspective lewinienne
3. Les minorités actives
4. Enjeux identitaires et participation à des actions collectives

CHAPITRE 5 – Le groupe comme producteur de sens


1. La construction de sens
2. Les quatre niveaux de médiation
3. Théorie et sens commun
4. Le fonctionnement du sens commun dans la vie de tous les jours
5. L’aspect dilemmatique de la pensée sociale
6. Les stratégies d’immunisation cognitive
7. La pensée conspirationniste

CHAPITRE 6 – Le pouvoir dans les groupes


1. Meneurs et chefs, influence et pouvoir : recouvrements et distinctions
2. Leaders et leadership
3. Le pouvoir
Conclusion
Bibliographie
Index des notions
Index des auteurs
Table des encarts
Introduction

1. Objectifs
Ce livre a une double visée :
• d’une part une étude des groupes dans une perspective psychosociale ;
• d’autre part une initiation à la psychologie sociale, une familiarisation à
son projet, à ses problématiques, à ses méthodes, par un regard porté sur la
manière dont elle appréhende les groupes.
Il s’adresse donc aux étudiants qui découvrent les sciences humaines (et
plus particulièrement la psychologie et la sociologie) et à ceux qui,
impliqués dans la gestion et l’animation de groupes, sont à la recherche
d’outils théoriques susceptibles d’enrichir et de renouveler l’approche et
l’analyse de la réalité dans laquelle ils sont plongés, et des problèmes qu’ils
y rencontrent.
L’idée que la psychologie sociale serait la science de l’interaction
commence à être familière. Mais la simplicité de la formule traduit mal la
complexité des processus à l’œuvre, et la variété des situations et des
niveaux d’investigation qu’elle implique, même si le projet est clair. Il
s’agit, en effet, de comprendre et d’expliquer comment se conjuguent le
psychologique et le social, l’individuel et le collectif, dans la mesure où il
apparaît impossible de se limiter à une de ces dimensions pour rendre
compte des conduites humaines.
Pour vous en persuader, essayez un instant de vous définir dans votre
singularité, par ce que vous vous sentez être en ce moment, vos expériences
passées ou les projets qui sont les vôtres.
Vous allez être ainsi amenés à évoquer toute une variété de situations,
caractérisées par leurs finalités, les règles qui les organisent, les conduites
qui y sont encouragées ou interdites, les valeurs qui y sont défendues, les
espaces et les temps réglés dans lesquels elles s’actualisent.
Et, dans ces situations, les autres sont toujours présents, comme
partenaires, alliés, empêcheurs de tourner en rond ou ennemis ; comme
modèles, héros, repoussoirs, concurrents, toujours là à vous encourager ou
vous faire des reproches, à vous faire confiance, vous ignorer ou vous
combattre.
Tous ces gens que votre mémoire ou votre imagination animent,
s’imposent à vous, non seulement avec leurs visages, leurs hobbies, leurs
statuts et leurs rôles, mais aussi avec leurs plaintes et leurs enthousiasmes,
les idées qu’ils défendent ou celles qu’ils combattent, ce à quoi ils croient et
ce dont ils se moquent, les groupes auxquels ils appartiennent ou auxquels
ils se réfèrent.
Vous définir vous-même, c’est prendre la mesure de l’influence qu’ont eue
ces personnes sur vous à travers leurs conduites et leurs idées, la manière
dont vous l’avez subie ou recherchée, ou comment vous vous y êtes
opposés.
Ce que vous êtes s’est forgé et se forge dans ces situations définies
socialement, au contact des autres, et vos projets (qui parlent de vous aussi)
se précisent à partir des groupes auxquels vous avez envie d’appartenir, des
pratiques professionnelles et sociales qui sont les leurs, des positions
sociales auxquelles ils vous permettront, pensez-vous, d’accéder, des gens
que vous êtes susceptibles d’y rencontrer, et du « genre de vie » qu’ils
valorisent.
Après ce détour sur vous qui vous a renvoyé sur les autres et sur les
situations sociales où vous les rencontrez, sans doute êtes-vous mieux à
même de saisir le domaine de la psychologie sociale : sensible aussi bien
aux déterminismes internes des conduites sociales qu’à leurs déterminismes
externes, elle cherche à établir les modalités et les effets de leur interaction.
C’est dire qu’elle tente d’expliquer non seulement comment les individus
s’adaptent aux normes, adhèrent à des croyances, s’intègrent à leur milieu,
et les régulations sociales que cela suppose ; mais aussi comment les
individus participent à la création des normes et des croyances, exercent de
l’influence, et parviennent à modifier les contextes et les rapports sociaux.
Dans cette optique psychosociale, la « réalité sociale » est à la fois le cadre
qui rend possibles et oriente les conduites humaines, et un produit de celles-
ci.

2. Le psychologique et le social
Ces quelques considérations ont suffi, on l’espère, à vous faire renoncer à
l’idée que la psychologie sociale se définirait par la taille de son objet
(comme la psychologie s’intéresse à l’individu, la sociologie aux grands
groupes et aux institutions, le domaine de la psychologie sociale serait « les
petits groupes »). L’interaction entre le psychologique et le social existe à
tous les niveaux : les systèmes sociaux n’existent pas indépendamment des
individus qui s’y meuvent, et inversement quand vous êtes seuls, les autres
sont présents, et déterminent la manière dont vous vivez votre solitude.
Ainsi, si vous n’êtes pas sortis ce week-end et que vous n’avez vu personne,
imaginez votre état d’esprit dans les deux cas suivants :
• soit vous l’aviez choisi, vous aviez décroché votre téléphone pour avoir
enfin la paix, vous en aviez assez de tous ces gens qui vous sollicitent,
attendent de vous quelque chose, ne vous laissent pas souffler ;
• soit on vous a « laissé tomber », la fête prévue chez un tel a été annulée,
tel autre qui devait passer s’est décommandé, quant à elle… vous avez
attendu tout le week-end son coup de fil sans pouvoir rien faire d’autre…
et en vain.
Comment ont procédé les chercheurs en psychologie sociale pour mettre
en évidence et étudier les effets de cette intrication du psychologique et du
social ?
L’un d’eux, Doise (1982), a cherché à répondre à cette question en portant
un regard à la fois bienveillant et critique sur la production scientifique de
la psychologique sociale. Il y distingue quatre niveaux d’explication et
d’analyse.
Certains travaux cherchent à rendre compte de la manière dont l’individu
organise ses perceptions et son expérience de l’environnement social et par
quels mécanismes cognitifs il y parvient. Il s’agit donc d’un niveau
d’explication intra-individuel.
D’autres recherches renvoient à l’étude des processus interindividuels.
Elles visent à rendre compte de ce qui se passe entre les individus dans une
situation donnée, quelles dynamiques relationnelles et organisationnelles
s’y développent. Il s’agit d’un niveau d’explication interindividuel ou intra-
situationnel.
Dans certains travaux, les chercheurs prennent en compte les différences
de positions sociales entre les individus et entre les groupes. Ils cherchent à
identifier et à préciser les effets de ces différences (de statut, de catégorie
sociale, etc.) sur les interactions que les individus et les groupes sont
amenés à avoir entre eux, sur leurs perceptions mutuelles, sur les jugements
qu’ils portent les uns sur les autres, et sur leurs conduites. Il s’agit d’un
niveau d’explication positionnel.
Enfin, il existe des recherches qui font intervenir les systèmes de normes,
d’idées, de croyances d’un groupe social donné, et qui cherchent à mettre
en évidence leurs fonctions et leurs effets sur les interactions qui se
développent entre individus et entre groupes, et sur les pensées et les
actions de ceux qui adhèrent soutiennent ou combattent ces idées ou ces
croyances. Il s’agit d’un niveau d’explication idéologique.
Les travaux sur les groupes se sont longtemps prioritairement situés au
niveau interindividuel et intra-situationnel, les chercheurs s’intéressant à la
dynamique engendrée par la situation groupale et à ses produits. Mais les
travaux évoqués dans la suite de cet ouvrage montreront qu’il existe en fait
deux approches des groupes (Wilder et Simon, 1998 ; Oberlé, Testé et
Drozda-Senkowska, 2006) : parallèlement à l’approche dynamique des
groupes, s’est développée une approche catégorielle qui se penche sur
l’impact très important qu’a sur l’individu la connaissance de son
appartenance à telle catégorie par rapport à d’autres. Ces travaux, qui
prennent en compte les rapports asymétriques entre les groupes, se situent
au niveau positionnel.
À chacun de ces niveaux d’explication, sont repérés des mécanismes, sont
élaborées des grilles d’analyse, qui captent certains aspects de la réalité. Et
c’est en essayant d’articuler ces différents niveaux qu’on parvient à
construire une explication plus globale et à saisir plus complètement les
intrications du psychologique et du social, ainsi que les dynamiques
individuelles et collectives auxquelles elles aboutissent.
Tenter cette articulation implique, comme Moscovici (1970) l’avait déjà
signalé il y a plusieurs années, une lecture ternaire de la réalité (et non
binaire comme le terme d’interaction pourrait le laisser entendre). L’étude
des interactions sociales, en effet, (où qu’on les repère, entre individus,
entre individus et groupes, entre groupes) nécessite qu’on cherche à rendre
compte de ce qui les médiatise – systèmes de normes, d’idées, de croyances
– et des régulations sociales qui les orientent et les organisent.
Cette démarche, qui informe du projet actuel de la psychologie sociale (en
particulier européenne) implique, comme le fait remarquer Deconchy
(1989) qu’on n’isole pas les conduites et les interactions sociales qu’on
cherche à étudier, des systèmes socio-idéologiques qui les rendent possibles
et signifiantes, et que par ailleurs elles contribuent à mettre en place, à
conserver ou à transformer.

3. Notre perspective
L’étude des groupes que nous proposons, élaborée à partir de recherches
désormais classiques, mais aussi récentes, s’inscrit dans cette perspective.
Elle cherche :
• à mettre en évidence les effets réciproques constants entre les dynamiques
personnelles et collectives ;
• à montrer que si les groupes façonnent et socialisent les individus, leur
imprimant leur mode de faire et de penser, ils sont aussi produits par eux ;
• que les individus n’y sont pas seulement asservis, mais qu’ils s’en servent,
et que si les groupes dans lesquels les hommes vivent, déterminent les
conditions sociales de leur existence et les représentations qu’ils s’en font,
il leur arrive aussi de vouloir transformer ces conditions d’existence (et
parfois d’y réussir).
Cette étude ne passera pas par une revue détaillée de toutes les formes de
groupes existantes. D’une part, ce sont les fonctions du groupe que nous
voudrions mettre en évidence, et celles-ci nous paraissent exister quelle que
soit la variété des formes groupales. D’autre part, ces fonctions, et le sens
de ce qui se passe dans et entre les groupes ne sont pas donnés seulement
dans ce qui apparaît au niveau visible. Les aspects concrets des groupes,
directement observables (et qui servent la plupart du temps à établir des
typologies) permettent de décrire leur variété, mais ne sont pas suffisants
pour dégager les mécanismes selon lesquels se mêlent et se soutiennent les
dynamiques individuelles et collectives.
Les groupes auxquels nous nous référons ont en commun de renvoyer à un
collectif par opposition à une collection. C’est dire que leur principe de
groupement des individus n’est pas la juxtaposition mais le rapport, réel ou
symbolique, dans lequel se tissent des communautés d’action et de pensée
qui orientent les conduites, dans un champ social où d’autres groupes
existent. Ils ne se limitent pas à ceux, concrets, qui correspondent à la
réunion effective de plusieurs personnes, mais renvoient également à une
forme mentale, à travers laquelle se structurent les identités personnelles et
collectives, et qu’on peut désigner par groupalité.
Dans ce cadre, ce qui devient déterminant, c’est le sentiment
d’appartenance qui lie l’individu à un ou plusieurs groupes, et la possibilité
de repérer et délimiter différents groupes dans un champ social comme
découpé par des frontières réelles ou symboliques.
Dans cette perspective, on peut parler de groupe quand des personnes s’y
définissent elles-mêmes comme membres (sentiment d’appartenance) et
qu’en même temps, elles sont définies par d’autres comme membres dudit
groupe (visibilité sociale, Brown, 2000).
C’est dans cette désignation à la fois interne et externe que se constitue le
groupe, qui peut référer aussi bien à un petit groupe concret (équipe de
football, groupe d’amis, etc.), à une communauté de pensée ou de croyance
(religion, mouvement artistique, parti politique, etc.), à une catégorie
sociale, un groupe ethnique ou une organisation (entreprise, hôpital, etc.).

4. Plan de l’ouvrage
Dans un premier chapitre, nous nous livrerons à une rétrospective, pour
montrer comment la problématique propre à la psychologie sociale, s’est
progressivement dégagée à partir d’un débat, qui prit souvent la forme
d’une controverse, et qui portait sur la manière d’expliquer la genèse des
groupes et les faits sociaux. Fallait-il les étudier à partir de données
psychologiques ou de données sociales ? Nous évoquerons quelques-uns
des auteurs qui ont animé ce débat, leurs « thèses » et comment la
psychologie sociale s’est progressivement constituée en refusant
l’alternative entre ces deux types d’explications, et en cherchant au
contraire à les articuler.
Dans un deuxième chapitre, nous dégagerons la fonction d’intégration des
groupes. Partant du fait que, dès son départ dans la vie, l’individu se
retrouve membre d’une communauté, qui lui préexiste et lui transmet ses
normes, ses valeurs, ses modèles de conduite, nous chercherons à montrer
que la socialisation de l’individu ne peut cependant être réduite à un simple
façonnage de celui-ci par son milieu, et qu’elle correspond au contraire à
une dynamique interactive et souvent conflictuelle entre l’homme et son
environnement social. Celle-ci s’effectue par la médiation des groupes
auxquels l’individu appartient ou auxquels il se réfère ; et nous verrons que
si l’individu se conforme, dans bien des cas, à ce qui y est attendu, il
participe aussi à la création des normes qui orientent les conduites et les
opinions dans un groupe.
Dans le troisième chapitre, nous mettrons en évidence le fait que les
processus décrits à l’instant, et qui aboutissent à une certaine uniformité
dans les groupes, ne sont pas les seuls à l’œuvre. Les groupes sont aussi des
lieux de différenciation. Qu’on situe la réflexion dans une perspective intra
ou intergroupes, on verra que l’individu se sert aussi des groupes pour se
différencier, affirmer sa singularité, et, souvent, sa supériorité. La
différenciation repose sur des comparaisons entre groupes ou entre les
membres d’un groupe et consiste dans la création d’une asymétrie entre
eux. Elle peut entraîner des phénomènes de discrimination et de
compétition entre groupes et entre membres d’un groupe, mais elle peut
aussi être une émulation pour créer et inventer.
Par leur intégration dans les groupes, les individus satisfont leur besoin de
sécurité, et espèrent conquérir ou préserver des avantages ; un grand
nombre des processus et des régulations qui se développent dans les
groupes, en effet, ont pour finalité leur conservation et leur perpétuation.
Sous cet angle, c’est autour d’un impératif de permanence que s’organisent
les groupes. Mais à l’évidence celui-ci n’est pas le seul à l’œuvre (sinon il
n’y aurait pas d’histoire), et les groupes sont aussi constamment travaillés
par une problématique du changement.
Dans le quatrième chapitre, nous aborderons cette problématique de
changement sous deux angles :
• d’une part les changements qui sont envisagés pour améliorer les systèmes
sociaux, et qui contribuent donc, en fait, à leur préservation (ces
changements sont programmés par les instances de pouvoir de ces
systèmes et s’appliquent à ses membres) ;
• d’autre part les changements qui aboutissent à la transformation ou au
remplacement des systèmes en place. Nous verrons qu’ils peuvent résulter
de l’action d’individus et de groupes démunis de pouvoir au départ.
Les groupes ne constituent pas seulement des communautés d’action, mais
aussi des lieux où sont produites des significations du monde, de ce qui s’y
passe, de ce qui s’y projette. C’est cet aspect de la groupalité qui fera l’objet
du cinquième chapitre.
On montrera en particulier par quels mécanismes cognitifs les individus se
réapproprient et réorganisent des idées et des représentations élaborées par
des groupes particuliers, et comment ils les utilisent, pour donner du sens à
ce qu’ils font ou à ce dont ils sont les témoins, pour s’évaluer et évaluer les
autres, pour justifier dans l’après-coup leurs actes ou les anticiper.
On verra en outre que si dans la plupart des situations quotidiennes,
l’individu utilise et confronte intérieurement plusieurs « logiques », avant
de prendre des décisions par exemple, il existe cependant des contextes
sociaux qui s’immunisent contre tous types de pensées, de croyances ou de
représentations, qui ne correspondent pas à celles qu’ils valorisent, et autour
desquelles ils se constituent.
Dans le sixième chapitre, nous aborderons la question du pouvoir dans les
groupes. On constatera qu’il est souvent confondu avec l’influence
lorsqu’on cherche à le repérer dans des situations groupales éphémères, peu
formalisées, sans structure institutionnelle. Or les faits de pouvoir
caractérisent les systèmes sociaux structurés et organisés, dans lesquels la
distribution des statuts le long d’une ligne hiérarchique correspond à un
système de délégation du pouvoir. Dans ce cadre apparaît l’essence du
pouvoir : sa dimension institutionnelle, et dans ce cadre peuvent être étudiés
les mécanismes de régulation et de contrôle dans lesquels il s’actualise.
Nous verrons que la psychologie sociale a oscillé entre plusieurs
approches du pouvoir (qui impliquent différents niveaux d’investigation),
suivant qu’il est considéré comme une fonction nécessaire à la bonne
marche des groupes, comme une relation, comme l’ensemble des
mécanismes qui régulent et contrôlent un groupe social. Cette dernière
perspective fera plus particulièrement apparaître que le pouvoir a toujours à
faire avec l’idéologie ou les croyances qui le légitiment.
Cette étude sur les groupes ne se veut pas exhaustive, ni dans les thèmes
abordés, ni dans la manière de les traiter. Il nous a semblé plus stimulant,
pour ceux qui approchent la psychologie sociale pour la première fois, de
leur faire découvrir comment la psychologie sociale aborde quelques
questions cruciales concernant le rapport de l’homme à la société, comment
elle les problématise, et au-delà de la diversité des approches et des niveaux
d’appréhension, la spécificité des explications qu’elle tente d’y apporter.
D’une manière transversale à l’ensemble de l’ouvrage devraient ainsi
apparaître, comme des leitmotivs et leurs contrepoints, les jeux dialectiques
du semblable et du différent, du consensus et du conflit, de la permanence
et du changement, de la clôture des groupes sur eux-mêmes et de leur
ouverture, des processus qui aboutissent à la reproduction des systèmes et
des rapports sociaux, et de ceux qui favorisent leur transformation.
Pour faciliter cette initiation à l’approche psychosociale, on a inséré dans
le texte un certain nombre d’encarts dans lesquels les notions ou les
mécanismes, décrits par ailleurs, servent d’outils d’analyse de situations
quotidiennes, de faits divers ou d’événements récents. D’autres relatent des
expérimentations. Il est possible d’entamer le livre par la lecture des
encarts.
Par ailleurs, un index par notions permet de retrouver différents éléments
renvoyant à une même thématique psychosociale (par exemple l’influence)
et qui ont été « éclatés » dans cet ouvrage.
Enfin, un index des auteurs et une bibliographie devraient permettre
d’assouvir vos envies de lecture (que ce livre aura, nous l’espérons,
stimulées) et qui devraient combler les lacunes de cet ouvrage.
Dans le corps du texte, lorsque seront citées des œuvres déjà anciennes,
mais rééditées, on donnera entre parenthèses, en italiques, la date de
première parution de l’ouvrage, en deuxième lieu la date de l’édition qui
renvoie à la bibliographie.
L’idée de ce livre est née d’une situation psychosociale particulière, la
rencontre régulière avec des étudiants tour à tour goguenards et passionnés,
dans des amphis pleins à craquer. Leurs questions, leurs remarques, leurs
critiques en fin de séances nous ont puissamment stimulées. Nous les
remercions ainsi que tous nos collègues sans les recherches desquels ce
livre n’aurait pu voir le jour.
Chapitre 1
Les traditions
de la pensée groupale

Sommaire
1. De l’esprit du peuple à la psychologie des peuples
2. La psychologie des foules
3. Psychologie des instincts et béhaviorisme
4. Les attitudes
5. Les changements d’attitude
6. La dimension imaginaire et inconsciente des groupes
7. L’importance du contexte social

Pour comprendre l’esprit de l’approche du groupe, les directions dans


lesquelles elle s’est engagée, il est utile de la voir se développer depuis ses
racines. Ainsi ressortent les tâtonnements et les malentendus aussi bien que
les éclaircissements et les mises au point. En ce sens, le passé et le présent
s’éclairent réciproquement.
Remontons un peu dans le temps afin de voir comment les penseurs
d’autrefois ont appréhendé la nature du lien social matérialisé aujourd’hui
dans l’idée et la notion de groupe. Nous nous apercevons alors qu’hier
comme aujourd’hui ces appréhensions divergent selon que les auteurs qui se
penchent sur la question envisagent ce lien du point de vue de l’individu ou
du point de vue de la société.
Le point de vue individuel privilégie la vision d’un individu, soit libre et
indépendant, décidé à s’associer à autrui dans son intérêt personnel, soit
poussé par ses instincts à rechercher la proximité de ses congénères.
Le point de vue sociétal en revanche, « dessaisit » l’individu de ses
capacités de sujet pour le considérer comme plus ou moins prisonnier des
forces d’une société qui lui impose ses contraintes.
La tension entre ces deux pôles extrêmes, et la réflexion qu’elle a
provoquée, marque alors l’avènement d’une pensée psychosociale
contemporaine, et ceci en particulier dans son approche du groupe.

1. De l’esprit du peuple à la psychologie


des peuples
La période des Lumières voit se développer, en Europe, l’idée de la
primauté de la raison de l’individu sur les forces obscures (transparaissant
par exemple dans les religions) et souterraines qui le poussent à agir de
façon irrationnelle et affective. Selon cette vision, l’homme est un être
rationnel porté par une aspiration : celle de s’affranchir des servitudes
auxquelles il est assujetti par des « maîtres », à l’intérieur d’un système
resté, à bien des égards, féodal.
Cette pensée émancipatrice des Lumières marque fortement les penseurs
de l’époque ; elle vient cependant en contrepoint au sentiment national1
naissant, notamment dans une Allemagne qui n’existe pas à l’époque.
Éclatée, avant 1800 en un nombre incalculable de petites principautés, aux
pouvoirs indépendants et souverains, elle a une aristocratie qui parle
français, et des souverains qui imitent les coutumes françaises, exacerbant
ainsi des ressentiments d’une population qui, elle, parle surtout des
dialectes allemands. L’émergence d’un sentiment national est portée par les
penseurs de l’époque, repris et amplifié ensuite par les Romantiques, et se
traduit par un retour au passé, aux coutumes et aux traditions d’antan avec
lesquels il s’agit alors de renouer, pour épurer la langue allemande de ses
influences françaises. Le lien social est matérialisé par le Volk (= le peuple),
entité sociale ou groupale qui réunit les individus d’une même race, parlant
la même langue et partageant une même culture. Il est établi par le fait de
parler une langue commune2 qui assure la transmission des traditions3 et des
attitudes des individus d’un groupe, et garantit le maintien des cultures
primitives (dans le sens de cultures d’origine).
1.1 L’esprit du peuple
Selon ce point de vue, le lien social s’incarne dans une entité spirituelle, le
Volk, irréductible aux individus qui la constituent, et il est gouverné par le
Volksgeist, l’esprit du peuple. Celui-ci transparaît dans les lois d’une
nation4, dans ses arts, ses coutumes, sa philosophie, sa religion.
Il est intéressant de voir que c’est sur cette toile de fond idéaliste et
affective qu’ont pu émerger les premières approches « scientifiques » de la
relation de l’individu à son environnement. Dans sa Psychologie als
Wissenschaft (La Psychologie comme science) publiée en 1824-1825, le
philosophe Johann Friedrich Herbart (1770-1841) pensait pouvoir
l’exprimer en termes mathématiques. Selon lui, les mêmes méthodes
pouvaient être utilisées pour étudier tout aussi bien les lois et les règles qui
gouvernent les relations entre les individus que pour décrire le Volksgeist,
l’esprit du peuple. Ce philosophe y introduit une première perspective
psychosociale en affirmant que l’homme est modelé par la société et non
par des caractéristiques qui seraient innées.

1.2 La psychologie des peuples


Dans la suite de ces réflexions, on assiste, vers 1850, à l’éclosion de la
Völkerpsychologie (la « psychologie des peuples ») qui était une première
tentative pour établir une psychologie sociale empirique centrée sur l’étude
de la communauté mentale5. La notion de communauté mentale suscita un
très fort intérêt et de vives controverses parmi les intellectuels du monde
entier qui venaient visiter les laboratoires de sciences nouvellement créés à
Berlin, Leipzig, Hambourg, etc. et pour assister aux cours magistraux des
spécialistes de cette nouvelle discipline.
L’étude de la communauté mentale suppose que chaque collectivité a une
vie mentale que l’on peut cerner et analyser par des méthodes spécifiques.
Ainsi le père de la psychologie expérimentale individuelle, Wilhelm Wundt
(1832-1920) estima que l’étude de la communauté mentale était à tel point
spécifique et différente de l’étude de l’esprit individuel que des méthodes
nouvelles s’imposaient. Selon lui les aspects plus complexes de l’esprit, la
pensée et le langage, étaient socialement déterminés et devaient faire l’objet
d’une étude différente de la psychologie individuelle. Si celle-ci pouvait
faire l’objet d’expérimentations6, la psychologie des peuples ne pouvait
recourir qu’à des méthodes familières aux historiens comme l’observation
et l’étude de documents.
La Völkerpsychologie peut être considérée comme une première tentative
d’établir une psychologie sociale empirique et systématique7. Curieusement,
alors qu’elle était à son apogée, des idées positivistes gagnèrent peu à peu
du terrain. Elles devaient cependant être supplantées, momentanément, par
l’attrait d’une nouvelle approche du lien social, proche de la
Völkerpsychologie, venant de la France et de l’Italie : la psychologie des
foules. Propulsée surtout par Gustave Le Bon, l’idée que les foules
induisaient chez leurs membres des comportements irrationnels provoqua
une adhésion immédiate chez l’homme de la rue et chez les politiciens et
suscita quelques tentatives pour tester le phénomène des foules de façon
expérimentale8. Les scientifiques se sont cependant de plus en plus départis
de cette approche du lien social, inaugurée par la psychologie des peuples et
la psychologie des foules, principalement pour des raisons de méthodologie.
En effet, les méthodes d’observation préconisées par Wundt ne furent
jamais vraiment mises en application. Ses conceptions, au moment de leur
élaboration, se sont trouvées dépassées par l’émergence d’une psychologie
sociale américaine qui, dès ses origines, fut expérimentale, dont l’alliance
était plus forte avec la psychologie générale expérimentale qu’avec la
sociologie. Aussi la psychologie en Allemagne (comme ailleurs) perd-elle
pour un temps sa dimension sociale, en se tournant vers l’étude
expérimentale de l’individu.

2. La psychologie des foules


L’émergence de la pensée psychosociale en France est marquée par une
certaine mise en question de la rationalité de l’homme en tant qu’être social.
La psychologie sociale française est née à partir du paradoxe suivant : seul,
l’individu semble doué de raison, pris dans l’engrenage social, ses
comportements deviennent incontrôlés, irrationnels et régressifs.
À partir de ce constat, l’optimisme des premiers penseurs sociaux, Jean-
Jacques Rousseau, Auguste Comte, Charles Fourier, le comte de Saint-
Simon, devait progressivement faire place à un pessimisme général vis-à-
vis de la nature humaine. L’homme, dans cette représentation pessimiste,
n’était plus alors le noble sauvage, en harmonie avec la nature, mais pouvait
se transformer en une bête furieuse et destructrice. Comte, Fourier, Saint-
Simon étaient formés par l’esprit des Lumières, les « pessimistes » furent
les témoins plus ou moins directs d’une époque fortement secouée par des
transformations radicales à la fois au plan social, économique et politique.
En cent ans, après la Révolution française, la population européenne avait
plus que doublé, les centres urbains, les villes et les capitales avaient
considérablement augmenté leur nombre d’habitants, attirant sur un espace
relativement réduit, une population grandissante d’origine rurale et « peu
éduquée ».
Aussi les éruptions sociales qui marquèrent le siècle, particulièrement en
France, devaient-elles prendre une ampleur sans précédent et frapper, en les
effrayant, l’esprit des contemporains. Dans un contexte d’instabilité
politique sans précédent (on ne compte plus les changements de régime qui
ont eu lieu en quatre-vingts ans) et d’événements impressionnants et parfois
dramatiques (la guerre franco-prussienne de 1870 et 1871 culminant dans la
Commune, l’épisode Boulanger, les premières démonstrations du Premier
mai, les campagnes anarchistes et l’affaire Dreyfus), il n’est pas étonnant de
voir les penseurs et intellectuels de l’époque tourner leur attention vers ces
foules, capables de se déchaîner en descendant dans les rues, pour
s’interroger sur la nature du lien social qui les unit. Ce faisant, ils donnent
naissance à une discipline : la psychologie des foules.
Les auteurs ayant le plus contribué à la constitution de la psychologie des
foules sont sans doute les quatre Français : Hippolyte Taine (1828-1893),
Henri Fournial (1866-1932), Gustave Le Bon (1841-1931) et Gabriel Tarde
(1843-1904). Tandis que Taine, l’aîné, développe surtout des arguments
historiques et politiques, Fournial et Le Bon considèrent la foule d’un point
de vue psychopathologique, avec un substrat physico-organique, du moins à
leurs débuts. Tarde, en revanche, s’inscrit dans une perspective
interactionnelle. Les théories de Fournial, Le Bon et Tarde devaient sans
doute beaucoup (Van Ginneken, 1991) aux écrits de Scipio Sighele, un
criminologue italien qui, quatre ans avant la publication de Psychologie des
foules de Le Bon (1895), sortit en italien La folla delinquente (La Foule
criminelle) (Sighele accusa d’ailleurs Fournial et Le Bon de l’avoir plagié).
En quatre-vingt-dix pages, l’auteur italien explique comment les mauvaises
prédispositions de l’individu, inhérentes à son inconscient, se libéraient
dans des situations de foule pour entraîner l’individu sur la pente de la
criminalité.
Ces auteurs partageaient une même vision négative des foules. Pour eux,
en foule, les comportements deviennent excessifs, incontrôlés,
pathologiques et criminels et entraînent la régression de la civilisation. À
partir de ce point de vue commun, chacun a cependant développé une
approche particulière.

2.1 Hippolyte Taine


Taine (1828-1894) s’appuie pour son étude de la psychologie des foules
sur les causes et les origines de la Révolution française. Il les situe dans la
faiblesse du roi, incapable de remplir vis-à-vis du peuple les devoirs qui lui
incombaient en tant que chef naturel. Et le peuple, vivant dans la misère,
était alors particulièrement réceptif aux doctrines révolutionnaires.
Pour Taine, les gens du peuple, peu instruits, ont un cerveau qui
fonctionne de façon élémentaire. Leur imagination, comme celle des
enfants, se nourrit de légendes, et ils sont incapables de discernement. Aussi
acceptent-ils facilement les histoires qui circulent sur le roi et la reine
dépeignant ces derniers comme des vampires. Réunis en foule, ils
deviennent irresponsables, impulsifs et sous la totale emprise de forces
inconscientes.
La foule libère ces forces sauvages, et favorise l’expression d’émotions
violentes et irrationnelles. Cette perte de contrôle est surtout observable,
selon Taine, auprès de ceux qui « n’en ont pas beaucoup pour
commencer » : chez les ivrognes et les criminels, les femmes et les enfants.
Il suffit alors d’un rien pour que la foule se dresse contre ses chefs naturels
pour les détruire. En les décapitant, elle se retrouve alors sans tête et sans
organisation. Ainsi, elle n’est plus qu’une horde, prête à se soumettre aux
incantations de nouveaux chefs qui émergent en son sein, et qui sont
généralement les pires et les plus violents des criminels : des hors-la-loi.
Ceux-ci, en suivant leurs intérêts personnels, ne savent entraîner la foule
que vers la souffrance en lui demandant des sacrifices sans fin.
Selon Taine, la foule est donc incapable de produire quelque chose de
positif. Il convient de ne pas l’idéaliser et de la dépeindre dans toute son
horreur pour empêcher l’histoire de se répéter et pour prévenir de nouvelles
révolutions. Naturellement inégaux entre eux, les individus d’une société
doivent être gouvernés par les meilleurs. Si les élites s’en montrent
incapables, elles sont balayées. Mais en cédant aux masses, elles cèdent au
pire. Il est donc du devoir de l’élite et des chefs naturels, d’éduquer le
peuple en lui « refaisant une tête » pour empêcher de nouvelles révolutions
d’avoir lieu.
Les idées de Taine eurent un impact important sur ses contemporains, au-
delà des frontières même de la France, et des implications politiques9. Elles
inspirèrent les psychologues des foules (Van Ginneken, 1991) qui devaient
reprendre ses thèses pour s’interroger sur la nature – biologique,
physiologique et psychologique – du lien social qui unit les individus dans
la foule. Fournial et surtout Le Bon les ont reprises, développées et
popularisées non seulement auprès des politiciens qui y cherchèrent
inspiration et un mode d’emploi pour leur action politique, mais aussi
auprès du grand public. Le Bon les a enrichies en s’inspirant d’autres idées
véhiculées dans les milieux intellectuels de son époque. Et c’est à partir
d’observations effectuées dans le laboratoire le plus explosif de l’époque, la
société française de la Troisième République, qu’il les a illustrées.

2.2 Gustave Le Bon


Médecin militaire, Le Bon cherche d’abord à expliquer le comportement
des foules d’un point de vue physiologiste10. Progressivement, il s’en
détache (pas tout à fait cependant) pour conférer aux phénomènes de foule
une réalité psychodynamique.
Deux théories prépondérantes de l’époque l’inspirent particulièrement :
• d’une part, le modèle de l’évolution/dissolution dont l’un des
protagonistes en France fut son ami Théodule Ribot ;
• d’autre part, la théorie de la suggestion hypnotique.
Selon Ribot et ses disciples, l’homme civilisé des sociétés modernes est le
résultat d’une évolution à travers les siècles qui l’amène à développer ses
fonctions mentales supérieures (la pensée rationnelle, la volonté consciente)
et à s’élever au-dessus de la pensée de l’homme « primitif », des femmes et
des enfants qui eux, sont restés sous l’emprise de réflexes inconscients et de
l’émotion. Cependant, dans des situations particulières, quand il est plongé
dans une foule, par exemple, les fonctions mentales supérieures de l’homme
se dissolvent pour faire place à des comportements primitifs. Cette
diminution des fonctions mentales serait alors comparable, voire identique à
ce qui se passe dans le cadre de la suggestion hypnotique.
Ainsi, Le Bon établit-il des parallèles entre la suggestion hypnotique et le
comportement des foules. Comme tous ses contemporains, Le Bon assiste
avec intérêt au débat qui se développe à ce moment en France à propos de
la réalité et la nature de la suggestion hypnotique.
L’histoire de la suggestion verbale et de l’hypnose commence, en effet,
avec le médecin autrichien Franz Anton Mesmer (1734-1815) qui, frappé
d’ostracisme dans son pays natal, se rend à Paris où il savait émerveiller le
public parisien par des guérisons spectaculaires de patients (et surtout de
patientes) grâce à son « magnétisme animal ». Mesmer a en effet découvert
que des « fluides » qu’il avait tout d’abord attribués aux effets d’un aimant
provenaient en fait de sa seule intervention pour provoquer dans le face-à-
face avec des malades, des crises cathartiques suivies d’une rémission
presque instantanée. Malgré le scepticisme de la médecine officielle, une
petite minorité de praticiens, en France surtout, se lance sur les traces de
Mesmer pour expérimenter le magnétisme animal. Ils découvrent
successivement les effets de la transe somnambule, de l’hypnose et de la
suggestion verbale. L’hypnose devait connaître ses heures de gloire à La
Salpêtrière avec le médecin Jean-Martin Charcot, connu pour ses travaux
sur les maladies nerveuses. Celui-ci définit la suggestion hypnotique
comme l’acte qui introduit une idée ou un ordre dans le cerveau d’une autre
personne qui l’accepte et l’exécute comme un automate. Cette idée se
transforme ensuite en une sensation, une image, un mouvement suivi d’un
acte. Selon Charcot, seuls les hystériques, en raison de certaines
prédispositions organiques, étaient hypnotisables. Ce point de vue devait
fortement être contesté, par un autre médecin, Hippolyte Bernheim, de
Nancy, donnant ainsi naissance à une controverse reprise et discutée par le
grand public et dans des revues spécialisées en France, mais aussi à
l’étranger. Pour Bernheim, la suggestion verbale relève d’un pur mécanisme
mental. Il s’agit d’une influence psychique et non d’une influence physique
ou fluidique. Elle s’observe chez tous les individus, sans être liée à des
prédispositions organiques, et ne se limite pas aux seuls hystériques.
Le Bon qui suit intensément cette controverse, intègre les notions de
magnétisme, d’hypnose et de suggestion dans la théorie qu’il était en train
d’élaborer sur le comportement des foules11. Pour lui, le fait d’être dans une
foule fait ressortir l’élément suggestible de l’homme. C’est dans la foule
que l’individu obéit comme un automate à des ordres qui lui viennent de
l’extérieur et comme dans le cas d’une contagion, ces suggestions passent
de l’un à l’autre pour se répandre à l’ensemble. Sous l’effet de la
suggestion, les foules font preuve d’une « unité mentale », d’un lien social,
et suivent les injonctions de meneurs qui peuvent les amener à se comporter
de façon irrationnelle, émotionnelle, voire criminelle. Ne reconnaissant plus
leur intérêt personnel, ne vivant plus qu’à travers la foule, les individus
peuvent être poussés au pire, mais aussi faire preuve de sacrifice et de
comportements héroïques.
De ce fait, la foule cédant facilement aux suggestions et aux sentiments
violents, est perpétuellement à la limite de l’inconscience, incapable de se
raisonner. Sans facultés et sans esprit critique, la foule peut se montrer
extrêmement crédule (Le Bon se réfère pour illustrer cette crédulité à
l’affaire Boulanger et aux miracles de Lourdes) et créer ainsi ses propres
mythes.
Selon Le Bon, les meneurs entretiennent avec la foule une relation de
fascination magnétique. En exposant les foules aux bonnes suggestions, ils
ont dans leur pouvoir d’empêcher qu’elles ne succombent à l’irrationalité
(par exemple à « la menace socialiste »). Cette description du
comportement des foules servait autant d’analyse de ce qui était en train de
se passer en France que de guide de conduite pour les politiciens. En effet,
les livres de Le Bon, et en particulier celui consacré à la Psychologie des
foules, se vendirent à plusieurs millions d’exemplaires et furent traduits en
seize langues12. La Psychologie des foules devait devenir le livre de chevet
de nombreux hommes politiques du xxe siècle, alors même que le concept
de suggestion était progressivement abandonné. Ne pouvant se plier aux
exigences de la canonicité scientifique dominante, la psychologie collective
se trouve en grande partie réduite à la psychologie individuelle ou
interindividuelle des émotions (Rouquette, 2006). Cependant, elle n’a pas
dit son dernier mot. On peut observer ici et là un regain d’intérêt pour les
thèmes abordés naguère, en les mettant en rapport avec des comportements
collectifs comme des émeutes raciales, des mouvements sociaux, ou des
génocides, tantôt pour souligner le comportement régressif et nocif des
foules (Moscovici, 1985, 1986 ; Staub, 1989 ; Worchel, 2003), tantôt pour y
voir les prémisses de l’affirmation d’une identité sociale commune (Drury
et Reicher, 2000, 2005, 2009 ; Reicher, 1996, 2001).

2.3 Sigmund Freud


C’est à partir d’une analyse critique du livre de Le Bon, et au moment où
il réélabore profondément sa conception de l’appareil psychique, que
l’Autrichien Sigmund Freud, fondateur de la psychanalyse, développe son
étude sur la psychologie des foules (1921, 1970). Notant la finesse des
descriptions de Le Bon, il critique cependant son élaboration théorique en
faisant remarquer que la notion de suggestion n’est pas explicative.
Acceptant par contre le lien de similitude établi par Le Bon entre ce qui se
passe entre l’hypnotiseur et l’hypnotisé, et entre le chef et les membres
d’une foule, il s’appuie sur ses propres conceptions de l’appareil psychique
pour proposer une analyse explicative.
Le lien qui s’établit entre les membres d’une foule (ou entre l’hypnotiseur
et l’hypnotisé) lui apparaît en fait comme étant de nature libidinale. La
seule différence entre ce lien libidinal et le lien amoureux, c’est que le
premier est détourné de son but sexuel. Comment cela est-il possible ?
Chacun des membres d’une foule13, malgré son désir d’être l’objet d’amour
exclusif du chef, est forcé d’y renoncer, car ce dernier manifeste un amour
égal pour chacun d’eux. Ne pouvant « avoir » le chef pour soi, chacun va
s’efforcer « d’être » comme lui, c’est-à-dire qu’ils vont tous le constituer
comme leur « idéal du moi » ; et, c’est à partir de ce point commun (le
même « idéal du moi ») qu’ils vont pouvoir s’identifier les uns aux autres.
Freud voit dans ce processus d’identification l’origine du lien groupal, à
travers laquelle peuvent être surmontées les jalousies, les hostilités, les
attirances exclusives qui s’opposent à la création d’un collectif. Pour Freud,
un groupe peut s’organiser en tant que tel quand, à partir de ce double
processus (chef mis à la place de l’idéal du moi de chacun, identification
mutuelle des membres), les rivalités se transforment en solidarité. C’est en
ce sens que Freud (1970, p. 147) a pu écrire :
« L’esprit commun, l’esprit de corps, découlent
incontestablement de la jalousie […]. Le sentiment social
repose ainsi sur la transformation d’un sentiment
primitivement hostile en un attachement positif qui n’est au
fond qu’une identification. »
Ainsi pour Freud, la liaison qui s’établit entre les membres d’un groupe
n’est pas directe, elle est médiatisée par un troisième élément, dans les
exemples cités par Freud, le chef ; mais il fait remarquer que ce sont aussi
des idées ou des croyances, qui peuvent constituer l’idéal du moi des
membres d’une foule, idées ou croyances communes, à partir desquelles
une identification mutuelle est possible.

2.4 Gabriel Tarde


Tandis que Le Bon appréhendait la foule comme un ensemble organique
doté d’une âme et mû par des suggestions hypnotiques, pour un autre
Français, Gabriel Tarde (1890), elle constitue une réalité interindividuelle
ayant pour ciment l’imitation.
Surtout dans ses premiers écrits, Tarde décrit l’imitation comme une
espèce d’état de somnambulisme dans lequel les meneurs exercent de
l’influence, de manière unilatérale, sur les individus d’une foule comme
d’une société. Pour lui, les individus imitent les actes, les paroles, les
inventions de leurs supérieurs fondant ainsi les règles de la vie sociale. La
cohésion de la foule ne repose donc pas sur les règles de la terreur, mais sur
la relation de prestige qu’un meneur entretient avec ses suiveurs. Cette
vision unilatérale des processus d’imitation, et donc du lien social, devait
progressivement faire place à une approche interindividuelle : l’imitation
devient alors un processus continu et mutuel qui se détache petit à petit des
paradigmes anciens de la psychologie des foules. Son champ d’étude
s’étend alors de la foule dans son sens restreint au public et à l’opinion
publique en passant par les mouvements sociaux14. Tarde maintient
cependant sa perspective individualiste selon laquelle « un mot d’une
langue, un rite d’une religion, un secret de métier, un procédé d’art, un
article de loi, une maxime de morale, se transmet et passe, non pas du
groupe social pris collectivement à l’individu, mais bien d’un individu
parent, maître, ami, voisin, camarade, à un autre individu et que, dans ce
passage d’un esprit dans un autre esprit, elle se réfracte » (Tarde, 1898, cité
par Lubek, 1981). La définition tardienne, qui fonde la psychologie
collective et sociale sur les relations entre « les esprits » des individus, et
qui la décrit comme la science de la relation entre différentes consciences,
va très fortement s’opposer à la perspective sociologique d’Émile Durkheim
(1858-1917) dans un débat qui devait évoluer entre 1893 et 1905.
Comme Durkheim, Tarde était opposé aux explications biologiques des
phénomènes sociaux, popularisées par les « évolutionnistes », Darwin,
Spencer…, et leur préférait des explications « mentales ». Mais tandis que
pour Tarde seul l’individu compte, la société n’est qu’une abstraction, aux
yeux de Durkheim, cette dernière est irréductible au psychisme individuel.
Pour celui-ci les faits sociaux, les représentations collectives existent en
dehors de l’esprit individuel déterminant ses pensées et ses actions.
Les faits sociaux, exerçant une contrainte collective sur les individus, ne
peuvent s’expliquer que par d’autres faits sociaux irréductibles à des faits
psychologiques ou biologiques.
De ce débat, qui devait polariser sa position sociologisante, Durkheim
sortit vainqueur. Il propulsera le développement de la sociologie française,
tandis que la psychologie sociale entrera dans une période de no man’s
land1. Ce n’est que plusieurs décennies plus tard que l’animosité entre
disciplines devait être surmontée en France et se synthétiser dans la théorie
des représentations sociales (Moscovici, 1961, 1976).
La psychologie des foules focalise sur le contraste entre le comportement
individuel et les manifestations de panique et de violence de la foule. Pour
comprendre l’influence de la foule sur l’individu, elle se sert de concepts
comme « suggestion », « hypnose », « imitation », qui devaient
progressivement être abandonnés au profit d’une psychologie sociale
expérimentale, presque entièrement centrée sur l’individu. Ce n’est qu’en
1935 que les études sur l’influence sociale furent reprises et conduites sur
des bases expérimentales, avec les travaux de Sherif, en ne ciblant plus le
comportement du collectif, mais les cognitions et comportements des
individus impliqués dans la situation (cf. chapitre 2).

3. Psychologie des instincts et


béhaviorisme
Nous venons d’évoquer l’importance du modèle évolutionniste dans la
pensée de Le Bon et de certains de ses contemporains. Selon ce modèle,
l’homme civilisé est le produit d’une longue évolution. Le modèle
évolutionniste le plus influent fut sans doute celui du naturaliste anglais
Charles Darwin (1809-1882) qui publia en 1859 The Origin of Species
(L’Origine des espèces). Darwin y développe l’idée d’une modification des
espèces par la loi de la sélection naturelle avec survie de celles qui sont
capables de s’adapter aux conditions de vie changeantes. Guidées par des
instincts, elles adoptent les comportements qui leur permettent de survivre.
Les idées de Darwin ont inspiré la formulation du lien social par William
James (1842-1910), qui, sous l’influence d’auteurs comme Baldwin et
Cooley, évoluera progressivement vers l’école de l’interactionnisme social.
Pour James (1890)15, les instincts de l’enfant se transforment au contact
d’autrui en habitudes sociales. La construction d’un moi social est le
résultat de cette évolution où l’autre est toujours présent. James Mark
Baldwin (1861-1934) accentuera ce point de vue évolutionniste mêlé à une
perspective interactionniste en affirmant que ce qui conditionne l’évolution
du développement de l’enfant, c’est son interaction constante avec autrui.
Le lien social se construit et se développe ainsi dans le contexte du petit
groupe, et en particulier au sein de la famille. Cette perspective
interactionniste du développement du moi social est approfondie par le
fondateur de l’école de l’interactionnisme social, Charles Horton Cooley
(1864-1929). Pour lui, le « moi » a partie liée avec le « toi », car sans
reconnaissance du « toi » comme entité distincte, le « moi » n’existe pas.
Aussi l’individu ne peut-il être étudié en dehors de son lien social qui se
matérialise à travers ses relations de personne à personne au sein de
« groupes primaires » comme la famille.
Le philosophe américain, George Herbert Mead (1863-1931) précise les
modalités de cette interaction, ses étapes, ses effets.
Dès le début, l’enfant interagit avec son entourage, dans la mesure où ses
expressions émotionnelles qui sont innées comme pleurer, crier, etc.,
provoquent des réponses de celui-ci. À partir de cette forme élémentaire de
l’interaction sociale, vont se développer des « conversations par gestes »
dans lesquelles l’enfant et ses proches élaborent progressivement des
significations communes. C’est à partir de celles-ci qu’une interaction
symbolique qui permet le langage va progressivement se mettre en place,
développant du même coup la pensée de l’enfant.
À travers ces interactions constantes, l’enfant prend petit à petit
conscience de l’existence des autres, de ce qu’ils attendent de lui, et de ce
qu’il peut leur demander. C’est le début de la « conduite de rôles » dans
laquelle l’enfant apprend tout à la fois à s’adapter à son entourage, tout en
cherchant à en obtenir ce qu’il désire. À travers des prises de rôles de plus
en plus diversifiées, l’enfant intériorise non seulement les rôles qu’on attend
de lui, mais les rôles d’autrui en lui. Son moi social se construit ainsi par
l’intériorisation d’un « autrui générique », c’est-à-dire à partir des attentes
et des valeurs de son groupe social.
Le déplacement du centre d’intérêt de l’étude de la société en tant que
collectivité mentale, vers des unités plus petites, constitue une des réponses
« pragmatiques » dont les Américains ont le secret, pour gérer l’étude de la
vie sociale d’un point de vue empirique. Son impact sur la psychologie
sociale devait cependant être limité16. Dans les universités américaines, elle
s’est trouvée très vite supplantée par une conception « béhavioriste » du
lien social considéré sous l’angle de la simple réaction comportementale
d’un individu suscitée par le comportement ou par la simple coprésence
d’un congénère. La pensée béhavioriste a ensuite été systématisée et
popularisée par le psychologue social américain, Floyd Allport (1924), qui
l’associa étroitement à l’approche expérimentale17. Sa définition quelque
peu restreinte de la psychologie sociale devait marquer tout un courant
psychosocial prédominant particulièrement dans les universités. Celui-ci,
pendant des décennies, a étudié le lien social presque uniquement sous
l’angle de la coprésence d’un autrui générique, passif et neutre.
4. Les attitudes
L’approche théorique évoquée précédemment, pratiquée dans le cadre
étroit de laboratoires universitaires, ne doit pas faire oublier que les
problématiques psychosociales abordées jusqu’alors en Europe et aux États-
Unis, continuaient de faire l’objet de discussions et de débats, dans d’autres
secteurs des sciences sociales, et en particulier dans le domaine de la
sociologie. Ces problématiques, sur lesquelles se greffaient des controverses
méthodologiques, étaient d’autant plus brûlantes, que les bouleversements
économiques et sociaux que l’Amérique connut alors, fournissaient
largement matière à réflexion et obligeaient à appréhender la vie sociale
autrement pour la comprendre.
En ce début du XXe siècle, l’Amérique connaît des bouleversements
sociaux et économiques liés, entre autres, à son double statut de nation
industrialisée et de terre promise. Pourtant, ce pays connaît des problèmes
importants que l’on peut résumer en trois mots : massification,
paupérisation, risque de désintégration. L’industrialisation bien plus
massive aux États-Unis qu’en Europe, amène avec elle une concentration
sans précédent dans les centres urbains et une paupérisation grandissante de
larges parties de la population. Avec l’arrivée massive d’immigrés qui, par
vagues successives, débarquent en provenance de l’Europe, de nouveaux
problèmes se posent. L’Amérique doit non seulement faire face à des
tensions interethniques, mais à des risques de désintégration constante. Elle
cherche à déployer tous les moyens disponibles pour mettre en marche sa
« machine d’intégration », à la fois d’une population « autochtone » qui doit
s’adapter aux bouleversements de l’époque, mais aussi de toutes ces
populations étrangères qui ne parlent pas la langue et qui ne se sont pas
départies de leurs coutumes.
Un grand nombre de chercheurs, sensibles à ce qui se passe alors en
dehors des universités, et fortement sollicités par des officines
gouvernementales, des fondations privées et d’autres associations, quittent
leurs laboratoires pour devenir spécialistes de terrain.
C’était particulièrement le cas des sociologues, mais aussi, de philosophes,
de politologues, qui s’engagent dans la recherche de méthodes empiriques
inédites permettant de cerner des problématiques de nature psychosociale,
en particulier dans le domaine des attitudes.

4.1 Approches qualitatives


L’étude des attitudes18 en tant que préparation à l’action a particulièrement
été popularisée par les publications, dès 1918, des travaux du sociologue
américain William Isaac Thomas et du sociologue polonais Florian
Znaniecki, sur les changements d’attitudes et de vie des immigrants
polonais d’origine paysanne. Ils fondent une grande partie de leur étude sur
l’analyse de lettres d’immigrants polonais envoyées à leurs familles restées
en Pologne et sur les lettres qu’ils recevaient de leur part. Ils analysent en
particulier le changement progressif de leurs attitudes par rapport aux États-
Unis et par rapport à leurs pays d’origine. Pour Thomas, l’étude des
attitudes était primordiale pour la psychologie sociale, parce qu’elles
révèlent l’aspect subjectif d’une culture et parce qu’elles ont une valeur
explicative des comportements.

4.2 Approches quantitatives


Son travail sur les attitudes des paysans polonais était encore
essentiellement une étude de cas. Progressivement la notion d’attitude
devait être reprise dans le but de la mesurer à travers des questionnaires qui
permettent non seulement de recueillir les attitudes d’une population plus
large, mais qui permettent également de les quantifier. Dans le souci de
mesurer les phénomènes sociaux et, sans doute, sous l’influence des
statistiques naissantes, on a progressivement introduit la mesure dans les
réactions attitudinales de larges groupes et sous-groupes de la population,
en particulier par le développement d’échelles d’attitude. La construction de
ces échelles d’attitude devait permettre non seulement de connaître les
attitudes favorables ou défavorables à l’égard de sujets de plus en plus
variés, mais aussi de mesurer leur intensité. Les échelles classiques ainsi
développées19 permettent une bonne discrimination entre les populations
favorables et les populations défavorables à l’égard de questions
fréquemment débattues dans l’opinion publique : les attitudes religieuses,
les attitudes à l’égard des étrangers, à l’égard de minorités ethniques, de la
ville, du divorce, des enfants.
Les travaux sur les attitudes, amènent les chercheurs ainsi que leurs
commanditaires, à connaître les opinions de fractions de plus en plus larges
de l’opinion publique et débouchent en 1935 sur la création de l’Institut
américain de l’opinion publique sous l’instigation d’un certain George
Gallup qui, donnant son nom aux célèbres Gallup-Polls (sondages de
Gallup), inaugure la pratique des sondages.
Par ailleurs, on ne s’intéresse pas seulement à l’étude des attitudes, mais
aussi à leur changement. En effet, pendant la première guerre mondiale, une
propagande politique s’était développée. Pratiquée aussi bien par les
Allemands que par les Alliés, elle a infiltré différents journaux et tracts
envoyés aux États-Unis, cherchant à atteindre une population récemment
immigrée. Il s’agissait donc, non seulement de découvrir les techniques de
propagande utilisées (et pour cela une nouvelle méthode vit le jour,
l’analyse de contenu), mais aussi de mesurer son influence potentielle sur
l’opinion publique.

5. Les changements d’attitude


Les travaux évoqués à l’instant, amènent à une nouvelle question :
comment provoquer des changements d’attitudes ?, et à un nouveau terrain :
les groupes restreints.
Déjà les travaux de Baldwin, Cooley et Mead avaient provoqué le passage
de l’étude de la société dans son ensemble à l’étude des groupes et sous-
groupes qui la composent.
Par ailleurs, dans les milieux industriels, les problèmes posés par
l’absentéisme, les accidents du travail, les divers freins à une productivité
optimale, avaient suscité un certain nombre d’enquêtes dont la plus célèbre,
celle de Mayo (1933), avait abouti elle aussi à braquer les projecteurs sur
les petits groupes.

5.1 Elton Mayo


Cette enquête s’est développée dans une grande firme industrielle, très
prospère, et dont les dirigeants cherchaient à mesurer les effets des
conditions de travail sur la productivité des ouvrières. Mayo isole quelques
ouvrières volontaires pour l’expérience dans une pièce équipée de différents
appareils d’enregistrements, destinés à établir les incidences de conditions
matérielles (éclairage, humidité, température) sur le rendement des
ouvrières. L’enquête mit en évidence que ce n’était pas l’amélioration des
conditions de travail qui était à l’origine de l’amélioration du rendement,
puisque quand on les ramenait aux mauvaises conditions initiales, le
rendement obtenu lors de leur amélioration se maintenait.
Mayo analyse ce surprenant résultat, en considérant que les ouvrières de
l’expérience, rassemblées dans une pièce spéciale, constamment consultées
sur les changements projetés, repérées par les autres, objets d’attention de la
part de la direction, avaient progressivement constitué un groupe avec ses
propres objectifs, ses propres normes, sa propre solidarité, et qu’il fallait
voir, dans la constitution de ce groupe et du bon climat qui y régnait la
véritable cause des résultats de l’enquête. C’était mettre en évidence que les
individus ne réagissent pas aux conditions matérielles de leur
environnement, seulement telles qu’elles sont mais telles qu’ils les
ressentent, et que la manière dont ils les ressentent, dépend des normes et
du climat du groupe auquel ils appartiennent, et de leur degré
d’appartenance à ce groupe20.
On redécouvrait ainsi, sur le terrain, l’importance du groupe primaire tel
que Cooley bien des années plus tôt l’avait dégagée.
Cet intérêt pour les petits groupes s’accroît quand, aux prises avec des
problèmes concrets et urgents, des hommes politiques ou des hommes
d’affaires s’adressent à des chercheurs en sciences sociales, pour qu’ils les
aident à les résoudre. Ceux-ci viennent sur le terrain et découvrent qu’en
créant des petits groupes (ou en utilisant ceux qui existent, ateliers,
équipes), et en instaurant des discussions entre leurs membres, on provoque
des changements d’attitude.

5.2 Kurt Lewin et la recherche-action


Le psychologue social Kurt Lewin (1890-1947) et ses collaborateurs
développent un ensemble de recherches sur les habitudes alimentaires
(cf. chapitre 4), commandité par la Croix Rouge et le gouvernement
américain.
Lewin affirme que c’est en intervenant auprès des hommes qui veulent
produire des changements (agents de décision et d’action, chefs
d’entreprise, agents de gouvernement, responsables d’associations) que les
psychologues sociaux peuvent à la fois les aider efficacement et produire du
savoir. Une nouvelle approche prenait forme, celle de la recherche-action.
La recherche-action s’inscrit dans le monde réel de la vie courante et
consiste à intervenir au sein d’un milieu naturel. Elle introduit la recherche,
et par conséquent la théorisation, dans les processus de l’action : que ce soit
au sein d’ateliers, de bureaux, d’écoles, de foyers domestiques, etc., ou que
ce soit dans des situations de formation au sein de « groupes de base » ou
de « diagnostic », où l’expérience du groupe, la découverte et la
compréhension de sa dynamique permettent l’analyse des conduites et la
mise en place d’un processus évolutif.
Ce type d’interventions s’inscrit dans le courant de la « dynamique de
groupes21 ». On nomme ainsi le champ de recherches et d’interventions
développé dans les groupes restreints, avec une visée de changement. Il
introduit la recherche dans le processus de l’action :
• soit pour contrôler les effets de l’action dans l’enseignement ou dans la
publicité, la recherche étant alors destinée à vérifier si une action a atteint
ses buts ;
• soit pour choisir, en fonction d’un objectif déterminé, la meilleure solution
entre plusieurs modes d’actions possibles ;
• soit pour aider un groupe à préciser ses objectifs. La recherche-action peut
alors s’attacher à résoudre des conflits sociaux (discrimination,
préjugés, etc.) et amener le changement de certains comportements.
Comme la recherche-action s’inscrit dans le monde réel, les actes posés
par les agents prennent le caractère d’événements pour tous ceux qui sont
concernés. Chaque opération a donc un caractère irréversible.

6. La dimension imaginaire et inconsciente


des groupes
L’approche psychanalytique des groupes a proposé une compréhension
spécifique des processus groupaux en rappelant que ceux-ci ne peuvent être
réduits aux aspects opératoires, et qu’une part importante de ce qui se passe
dans un groupe, des liens qui s’y tissent, est de nature affective et pour une
part inconsciente.

6.1 Deux niveaux de fonctionnement


Le psychanalyste anglais Bion (1961), utilisateur dès 1942 de la situation
groupale dans une optique thérapeutique, a mis en évidence, à partir de
cette expérience, l’existence de deux niveaux de fonctionnement des
groupes, le niveau des tâches, le niveau des émotions.
• Le niveau des tâches, du travail à faire, est un niveau manifeste, rationnel,
conscient, en rapport avec la réalité objective.
• Le niveau des émotions, des états affectifs du groupe est implicite,
irrationnel, irréaliste, souvent inconscient et dominé par les fantasmes22.
Les participants d’un groupe entrent en contact les uns avec les autres et
agissent de façon spontanée et involontaire en fonction de ces états
affectifs et de ces fantasmes qui ne sont pas toujours adéquats avec ce qui
est attendu du groupe au niveau de la tâche, mais qui déterminent les
modalités de la rencontre selon trois schèmes possibles, la dépendance,
l’attaque-fuite, le couplage (cf. p. 198).
Les travaux de Bion ont particulièrement bien mis en évidence la
dimension affective et fantasmatique des groupes, ses répercussions sur leur
« climat » et leur capacité à atteindre leurs objectifs.

6.2 La vie fantasmatique des groupes


Dans le prolongement des travaux de Bion, des études sur les fantasmes de
groupe se sont développées aussi bien en Angleterre (Foulkes et Anthony,
1957) qu’en France. Dans une première étude, Anzieu (1966) a établi un
parallèle entre le groupe et le rêve : comme ce dernier, le groupe permet la
réalisation de désirs non satisfaits ; d’où l’importance des « bandes » par
exemple pour les adolescents, de certains clubs ou cercles plus ou moins
fermés pour les adultes. Puis, dans un travail sur « l’illusion groupale »
(1971), il a montré comment les individus, pour se protéger des angoisses
que peut provoquer la situation de groupe, s’illusionnent en fantasmant
collectivement un groupe idéal et en projetant à l’extérieur du groupe ce
qu’ils ressentent comme négatif et redoutent. Ce qu’ils éprouvent alors c’est
que leur groupe est un bon groupe, avec des participants formidables et un
bon moniteur, ce qui n’est pas le cas de leur point de vue des autres groupes
de leur environnement.
C’est ce ressenti et cette perception idéalisée de leur groupe qu’Anzieu
qualifie d’illusoires tout en considérant que c’est une étape tout à fait
intéressante de la construction groupale. Finalement, Anzieu à la suite de
Foulkes avance l’idée que le fondement du lien social est (outre celui qui
dérive de la technique, qui aboutit à la fabrication d’objets et d’œuvres, et à
des liens matériels et fonctionnels) l’échange de fantasmes. Ainsi dans un
groupe, c’est à partir du moment où il y a « résonance fantasmatique »
autour du fantasme dont est porteur à un moment donné tel membre que le
sentiment du « nous » commence à se développer23.
Les fantasmes sont donc des organisateurs du groupe. Kaës (1976, 1993)
développe ce point de vue. Pour lui, tout processus groupal est tributaire à
la fois de sa base concrète et matérielle, du modèle socioculturel de
référence, et des constructions imaginaires auxquelles donne lieu le groupe.
La notion d’appareil psychique groupal désigne la fiction d’un groupe
psychique, construction imaginaire commune des membres d’un groupe à
travers laquelle ils se constituent en groupe. Le groupe, en effet, n’a de
« corps » que fantasmé, et l’une des fonctions de l’appareil psychique
groupal est précisément de fournir un simulacre : le corps groupal manque,
il ne peut être que représenté comme unité imaginaire. Il est le résultat
d’une créativité fantasmatique.

7. L’importance du contexte social


Alors qu’aux États-Unis le souci méthodologique semble de plus en plus
l’emporter sur des considérations théoriques, en France, mais aussi dans les
autres pays européens, on se perd dans des spéculations abstraites sur le
comportement social de l’homme, et la psychologie sociale ne produit
pratiquement pas de travaux empiriques. Par exemple, en 1954, on compte
à peu près cinquante manuels de psychologie sociale aux États-Unis, alors
qu’il n’y en a pas un seul en France (Haines, 1980).
7.1 Le retour vers l’Europe
Cette situation change suite à la Seconde Guerre mondiale et aux ruptures
d’équilibres qu’elle a provoquées. L’Europe, au sortir de la guerre, remet en
question ses modèles culturels. De nouvelles questions, de nouvelles
interrogations surgissent : on s’interroge sur les influences socioculturelles
qui modélisent les conduites individuelles, sur la signification qu’un
comportement revêt pour l’individu, sur la possibilité qu’ont ces
comportements d’évoluer, sur les problèmes de communication entre les
individus, et sur l’ébranlement des identités sociales et nationales. Dans la
recherche de nouvelles réponses, on se tourne vers les modèles développés
par la psychologie sociale américaine et surtout vers leur apport de
techniques et méthodes empiriques nouvelles. Bien que la nouvelle
discipline soit seulement accessible à travers des écrits en langue
américaine, elle semble aborder des problématiques qui, a priori, trouvent
en Europe un terrain fertile.
En France, dès 1941, l’un des premiers à attirer l’attention du public et des
étudiants français sur cette nouvelle discipline américaine, la psychologie
sociale, fut sans doute le sociologue Jean Stoetzel. Ce qui intéresse surtout
Stoetzel, c’est que cette discipline semble démontrer que tous les domaines
du comportement humain, individuel et collectif, peuvent être soumis à
l’étude empirique, à l’observation et même à l’expérimentation.
En 1943, Stoetzel publie le premier ouvrage en langue française de
psychologie sociale proprement dite : Théorie des opinions. Dès 1947, alors
nommé à la faculté de Bordeaux, dans la chaire de sociologie inaugurée par
Durkheim, il présente le premier enseignement de psychologie sociale. Il le
développera ensuite à Paris, à partir de 1956, quand la première chaire de
psychologie sociale sera créée. Vers le milieu des années cinquante, il crée
le Centre d’études sociologiques qui devient le lieu d’une très grande
créativité, réunissant des chercheurs d’horizons divers, psychologues
sociaux, cliniciens aussi bien qu’expérimentalistes, ethnologues,
sociologues, etc. Peu de temps après se crée le Laboratoire de psychologie
sociale, rue de la Sorbonne, sous l’impulsion de Robert Pagès, qui s’oriente
surtout vers l’approche expérimentale et vers la réflexion épistémologique.
En 1964, la VIe section de l’École pratique des hautes études crée un
laboratoire de psychologie sociale dont la direction est confiée à Serge
Moscovici. En 1966, la deuxième chaire de psychologie sociale en France
est créée à l’université de Nanterre. Son titulaire sera Jean Maisonneuve.
De plus en plus florissante, la nouvelle discipline occupe les créneaux les
plus divers, à la fois dans les laboratoires universitaires et du CNRS mais
aussi dans les domaines du travail, de la formation, de la pédagogie des
adultes, des instituts de sondage. Les approches sont à la fois
expérimentales, sociocliniques, ou relevant de la recherche-action. Le
champ d’application concerne essentiellement l’étude des groupes restreints
et l’étude des attitudes.

7.2 La crise
Après une période de croissance certaine, qui a donné naissance à un
grand nombre de travaux, et suscité de grands espoirs, l’euphorie cède
progressivement la place à la désillusion et à l’impression que la nouvelle
discipline n’a pas vraiment su tenir sa promesse. Fortement calquée sur les
travaux américains et les modèles culturels que ceux-ci véhiculent, elle n’a
pas vraiment su capter l’individu dans son contexte social et culturel. Et
l’on critique la non-adéquation des modèles utilisés pour rendre compte de
la réalité européenne dont l’histoire et les interrogations sont spécifiques.
Deux personnalités européennes marquent particulièrement ce mouvement
de « contestation » : Serge Moscovici, directeur d’étude à l’École des
hautes études en sciences sociales, à Paris, et Henri Tajfel, professeur à
l’université de Bristol en Grande-Bretagne. Questionnant la validité des
modèles américains que les Européens avaient « importés » avec tant
d’enthousiasme, les idées et les régularités que ces modèles proposent, ils
ont su mobiliser autour d’eux et à partir de leurs travaux, des écoles de
pensée, marquées par l’étude du conflit plutôt que du consensus, du
changement plutôt que du statu quo (Israël et Tajfel, 1972). Celles-ci ont
proposé des modèles d’explication dans lesquels « le social » n’est pas
réduit à l’interindividuel, mais prend en compte les rapports entre les
groupes, la hiérarchisation des rapports sociaux, et les régulations qui les
organisent. Par ailleurs, renouant avec la tradition européenne, ils ont
réintroduit dans leur champ d’études le domaine des représentations et plus
largement les aspects cognitifs des conduites humaines.
7.3 Vers une psychologie sociale
pluriculturelle
Ce renouvellement de l’approche théorique est allé de pair avec une
réflexion méthodologique, afin de ne plus cantonner l’expérimentation à
l’étude d’interactions sociales minimales étudiées au laboratoire. Deconchy
(1980), professeur à l’université Paris-X, a montré avec sa recherche sur
l’orthodoxie religieuse qu’il était possible de pratiquer des expérimentations
sur le terrain, dans lesquelles les conduites individuelles et
interindividuelles ne sont pas isolées du champ social qui les organise.
Cependant, force est de constater que sous l’influence de modèles
théoriques qui empruntent aux sciences informatiques leur analogie entre le
fonctionnement de l’ordinateur et celui de l’esprit humain, l’étude
d’interactions sociales minimales est largement ce qui domine non
seulement la psychologie sociale outre-Atlantique, mais aussi celle en
Europe et en France.
À regarder l’évolution de la psychologie sociale depuis les années 2000,
on doit se rendre à l’évidence que les modèles théoriques proposés ne
parviennent pas vraiment à dépasser le cadre de conduites individuelles et
individualistes. Le champ social qui les organise reste essentiellement celui
de personnes éduquées et occidentalisées, d’autant que ces modèles
reposent souvent sur les réponses données par des échantillons d’étudiants
et d’étudiantes.
Comme le fait remarquer Joseph Henrich (2020)24, la psychologie sociale
(et la psychologie en général) que nous étudions est W.E.I.R.D25. Autrement
dit, elle concerne des personnes avec un niveau de littératie26 important, des
personnes individualistes et dans le contrôle, préoccupées par leurs intérêts
et leurs motivations, centrées sur elles-mêmes, leurs attributs propres et
leurs réalisations et aspirations bien plus que sur leurs relations à autrui et
leurs rôles sociaux.
En effet, à partir de tests psychologiques, les recherches de Henrich
montrent que les gens W.E.I.R.D., qui ont grandi dans un contexte Western,
Educated, Industrial, Rich, Democratic, ne sont souvent pas représentatifs
des humains en général.
En se basant à la fois sur de très nombreuses recherches en anthropologie
culturelle, en psychologie, en histoire, en économie et en biologie
évolutionniste, Henrich montre que beaucoup de concepts clés de la
psychologie sociale, comme la conformité ou la dissonance cognitive, n’ont
pas le même statut et la même signification ailleurs dans le monde. Il existe
encore de nombreuses populations en Asie, en Amérique du Sud, en
Afrique et en Australie qui, non seulement ne sont pas alphabétisées, mais
qui ont des relations de parenté très différentes des populations
W.E.I.R.D. La façon d’approcher ces questions par les populations
W.E.I.R.D. ne fait tout simplement pas sens pour elles.
Selon Henrich, ce qui est considéré comme de la psychologie universelle
en Europe et aux États-Unis est en fait une psychologie culturelle
(occidentale). Pour qu’elle soit plus englobante et moins W.E.I.R.D., on
devrait questionner ses modèles et ses concepts considérés comme
universels en s’ouvrant davantage aux recherches réalisées dans des
disciplines en contact avec les préoccupations de populations non-
W.E.I.R.D., d’hier et d’aujourd’hui, et envisager la prise en compte de
perspectives différentes. Bref, la psychologie sociale mériterait d’être
pluriculturelle.
Dans cet esprit, la théorie des représentations sociales conceptualisée par
Serge Moscovici (1976, cf. chapitre 5) a ouvert un vaste champ d’études
appliquées aux domaines les plus variés de la vie quotidienne, avec des
pôles de spécialité dans de nombreux pays européens et de l’Amérique
latine notamment. Et la théorie de l’identité sociale élaborée par Henri
Tajfel (1986, cf. chapitre 3), avec John Turner, continue à inspirer de
nombreux étudiants et chercheurs dans le monde entier, intéressés par
l’étude de systèmes sociaux complexes et chargés d’enjeux pour les
individus. Les recherches de Stephen Reicher (2017) proposant de multiples
voies et approches, par exemple de l’action collective, en sont également un
bon exemple (cf. chapitres 3). La suite de cet ouvrage devrait en témoigner.

Pour aller plus loin


ARONSON J., ARONSON E. (2011). Reading about The Social Animal,
11e éd. New York : Worth/Freeman.
LUBEK I., APFELBAUM E., PAICHELER H. (éd.) (1993). La psychologie
sociale et ses histoires, Sociétés contemporaines, 13. Paris :
L’Harmattan.
MAISONNEUVE J. (1981). Naissance et développement d’une
discipline en France : la psychologie sociale. In Science et théorie
de l’opinion publique. Hommage collectif à Jean Stoetzel. Paris :
Retz, 13-29.
MOSCOVICI S. (1985). L’Âge des foules. Édition entièrement
refondue. Bruxelles : Éditions Complexe.
VAN GINNEKEN J. (1991). Crowds, Psychology and Politics 1871-
1899. New York : Cambridge University Press.
Chapitre 2
Le groupe comme
lieu d’intégration

Sommaire
1. Socialisation et sociabilité
2. Les groupes de référence
3. Conformisme, normalisation, polarisation

Le développement des sciences sociales correspond à la prise de


conscience du passage d’une société traditionnelle à une société
industrielle. Le débat sur la nature du rapport de l’homme à la société s’en
trouve renouvelé, et provoque un regain d’intérêt pour les lieux où
s’effectue concrètement ce rapport, c’est-à-dire les groupes. Tout individu,
par le biais de son intégration dans différents groupes, se trouve inséré dans
un tissu social touffu, qui participe à sa socialisation et oriente sa
sociabilité.
Nous faisons tous partie de groupes, et ce statut de « membre de groupe »
n’est pas secondaire, il est constitutif de notre identité sociale1.
À quoi renvoie la notion d’intégration ? On dit, suivant les cas : « Il a bien
fallu qu’il s’intègre (il n’avait pas le choix) », « Il s’est bien intégré (à
l’université) », « Il a intégré telle ou telle école », comme si l’intégration
renvoyait soit à des pressions qui s’exercent sur l’individu, soit à des
dispositions personnelles, soit à un contrat réussi entre les exigences d’un
groupe et les capacités d’un individu.
Effectivement, l’intégration est un processus qui se développe à travers un
double mouvement, qui implique non seulement de prendre en
considération les contraintes de la société sur l’individu d’une part, les
besoins et les aspirations qui poussent quelqu’un à s’affilier et s’intégrer
dans des groupes d’autre part, mais aussi l’articulation entre ces deux ordres
de phénomènes.
On a coutume de considérer comme équivalentes les notions d’intégration
sociale et d’adaptation sociale.
Or, dans le rapport de l’homme aux autres et à son environnement, ce qui
est tout aussi frappant, ce sont les efforts qu’il déploie pour transformer son
milieu, comme si une part primordiale du processus adaptatif consistait non
seulement à s’adapter au monde, mais à adapter le monde à soi, à ses
propres conceptions. Cela ne va pas toujours sans mal, et implique conflits
et ruptures. Il n’empêche, il y a une part dans l’homme qui s’active à
combler l’écart entre le monde tel qu’il est et tel qu’il le souhaite. Qu’il
prépare son mariage ou son divorce, qu’il participe à une manifestation ou
qu’il adhère à un syndicat, qu’il crée une association pour la défense de
l’environnement, qu’il signe une pétition, ou envoie un chèque à telle ou
telle association humanitaire, l’homme passe une grande partie de sa vie à
essayer de changer l’état existant ; et ce, la plupart du temps, de manière
plus ou moins distanciée ou impliquée selon les cas, dans le cadre de
groupes dont il partage les finalités.
Ainsi les dynamiques sociales ne se développent pas indépendamment des
individus qui y participent et les dynamiques personnelles sont elles-mêmes
structurées et orientées par les champs sociaux et culturels dans lesquels
elles s’inscrivent. Penser les processus d’intégration, c’est tenter de saisir et
de spécifier les articulations entre ces dimensions psychologiques et
sociales et mettre à jour les processus interactifs et souvent conflictuels
entre l’homme et la société. C’est devenu une banalité de dire que l’homme
est un être social. Mais cette expression n’est pas si claire. Ainsi que l’a
montré Maisonneuve (1969, 1993), elle renvoie :
• tantôt à la socialisation du « petit d’homme », comprise comme les
mécanismes par lesquels il est amené à adhérer et participer aux normes,
aux valeurs, aux modèles de conduites de son groupe d’appartenance ;
• tantôt à sa sociabilité, c’est-à-dire à son besoin des autres, à sa tendance à
les utiliser, les rechercher, à s’associer à eux et aux effets sur son propre
développement de ce contact avec les autres.
1. Socialisation et sociabilité
1.1 La socialisation
Les travaux sur la socialisation, largement tributaires des apports de
l’ethnologie, mettent l’accent sur l’influence des différents systèmes
normatifs et référentiels, et des modèles de comportement d’une société
donnée sur la formation de la personnalité de ses enfants. C’est le chercheur
qui dégage dans l’après-coup, l’existence des normes et modèles d’une
culture donnée. Si on se place du point de vue de l’enfant, ce qu’il apprend,
ce qu’il intériorise, ce sont les règles de conduite qui organisent les
interactions avec autrui (« dis bonjour au monsieur », « demande la
permission », « sois gentil avec ton petit frère »).
C’est d’abord dans et par le groupe familial que les systèmes normatifs
s’actualisent, à travers la manière dont celui-ci vit concrètement, et les
pratiques qui les découvrent. Naître, c’est se retrouver membre d’un groupe
qu’on n’a pas choisi, qui lui-même s’inscrit dans un contexte social et
culturel particulier, qui détermine ses conditions d’existence, spécifie sa
place par rapport à d’autres groupes sociaux, et propose un certain nombre
de valeurs et de modèles qui orientent ses conduites.
Ainsi chaque enfant n’a pas accès d’emblée à toute la culture de la société
à laquelle il appartient (Linton, 1945, 1968), mais à un segment de celle-ci,
auquel est rattachée sa famille et dont les différents ingrédients sont
élaborés en complémentarité ou en opposition avec ceux d’autres groupes.
La classe sociale de la famille notamment est déterminante. Selon Kraus et
ses collègues (2012), celle-ci n’est pas simplement une catégorie
d’appartenance, c’est un véritable contexte de vie qui résulte de conditions
objectives d’existence (ressources financières, niveau d’instruction…) et
qui implique aussi des aspects subjectifs comme la place que les membres
estiment avoir dans la hiérarchie sociale. On n’est donc pas étonné
d’apprendre que certains des modèles culturels transmis au cours de la
socialisation diffèrent selon la classe sociale où ils s’élaborent (Stephen,
Markus et Townsend, 2007). Ainsi, les conditions matérielles et sociales des
membres de classes favorisées induisent des modèles valorisant la
distinction selon Bourdieu (1979), c’est-à-dire la tentative de se distinguer
des autres en s’en différenciant. Celles des classes populaires caractérisées
par des ressources plus faibles et plus d’incertitude valorisent la similarité
plutôt que la différenciation, l’interdépendance et la solidarité.
Dans votre famille, récitait-on le bénédicité avant le repas, allait-on tous
ensemble tous les ans à la fête de l’Humanité, ou au défilé du 14 juillet ?
Votre mère était-elle, au moment des repas, toute seule à s’activer, debout
derrière la table, vous encourageait-on à lire avant de vous endormir ? etc.
Pensez à toutes ces manifestations d’un « esprit de famille » et réfléchissez
deux minutes à l’impact qu’elles ont eu pour vous, et à la façon dont vous
vous en êtes débrouillés par la suite.
La famille est la première expérience sociale de l’enfant, car c’est un
groupe institutionnalisé, impliquant une spécialisation des rôles et des
attentes liées à ceux-ci, c’est aussi un système normatif, en liaison avec le
système social et culturel ambiant, qui régit les rapports entre ses membres
et avec l’extérieur. Membrane de protection pour une part, par rapport à cet
extérieur, la famille est aussi la courroie de transmission d’un certain
nombre de valeurs, d’idéaux, de modes de pensée et d’action de la société
dans laquelle elle se trouve insérée.

1.1.1 L’éducation
Les types de comportement, les performances qu’on attend d’un enfant,
dépendent des contextes sociaux et culturels dans lesquels il est inséré, et
lui sont transmis par les techniques de soin dont il fait l’objet, et grâce aux
processus d’apprentissage et à l’éducation auxquels il est soumis.
La manière dont on traite et dont on s’occupe d’un nourrisson, par
exemple, est fixée par les mœurs, reflète et présente la culture à celui-ci, et
le marque de son impact, en colorant de manière particulière ses premières
expériences de vie. Ce n’est pas la même chose d’être souvent seul ou
constamment entouré, libre de ses mouvements ou emmailloté, contraint ou
non à des rythmes précis (sommeil, alimentation, propreté).
Mais, comme le fait remarquer Margaret Mead (1947), chaque épisode de
l’apprentissage ne prend son sens que parce qu’il est renforcé et confirmé
par d’autres manifestations de la culture. Être sevré et cajolé en même
temps n’a pas la même signification pour l’enfant qu’un sevrage qui va de
pair avec une attitude maternelle brutale.
Toutes les impressions qu’il reçoit, d’abord diffuses et éparpillées,
s’organisent petit à petit en significations, qui orientent progressivement ses
comportements et son style relationnel avec les autres, récompenses et
punitions venant renforcer le processus. Ainsi dans notre culture,
l’obéissance a été longtemps valorisée auprès des enfants ; chez les Indiens
depuis toujours, c’est l’indépendance… Dans certains groupes, c’est la
compétition, dans d’autres, la coopération, etc. Quoi qu’il en soit, l’enfant
devient petit à petit apte à discerner et adopter des comportements
désirables, c’est-à-dire ceux qui sont prescrits par les normes de son milieu
(Dubois, 2003).
Enfin, ce n’est pas seulement du traitement particulier dont il est l’objet
que l’enfant reçoit ses premières impressions. Il est aussi témoin de la vie
des adultes ; il participe dès qu’il grandit un peu à des actes collectifs, fêtes,
cérémonies, défilés, manifestations qui produisent sur lui de fortes
impressions à travers lesquelles il commence à découvrir et partager les
valeurs de son groupe d’appartenance.
C’est particulièrement à l’occasion de ces manifestations collectives où
l’emmène sa famille, qu’il découvre plus ou moins confusément les idéaux
auxquels elle aspire, et pour lesquels beaucoup de monde s’est rassemblé.
L’école ensuite, vient renforcer ce processus de socialisation, elle offre à
l’enfant un nouveau groupe où s’intégrer, où il découvrira une nouvelle
palette de rôles, de nouveaux modèles de comportement, de nouvelles
valeurs. Durkheim (1922, 1968, p. 2) attribuait explicitement à l’école cette
fonction de transmission des valeurs d’une société quand il déclarait :
« L’éducation est l’action exercée par les générations adultes
sur celles qui ne sont pas encore mûres pour la vie sociale.
Elle a pour objet de susciter et de développer chez l’enfant un
certain nombre d’états physiques, intellectuels et moraux que
réclament de lui et la société politique dans son ensemble, et
le milieu spécial auquel il est particulièrement destiné. »
Bourdieu et Passeron (1970) reprennent cette analyse, mais en font le
noyau de leur critique sociale, en stigmatisant la fonction de reproduction
sociale qui est ainsi dévolue à l’école.
1.1.2 L’apprentissage des rôles
On peut définir le rôle « comme la manière d’être et d’agir que l’individu
assume au moment précis où il réagit à une situation donnée, dans laquelle
d’autres objets ou personnes sont engagés » (Moreno, 1965, p. 81). C’est
dans les prises de rôle que s’actualisent les règles de conduite d’une culture
donnée.
On trouve dans cette définition un des aspects essentiels du rôle sur lequel
l’ensemble des auteurs (Rocheblave-Spenlé, 1969 ; Brown, 2000) qui ont
travaillé sur cette notion sont d’accord, c’est sa dimension interactive. Le
rôle s’inscrit dans une relation, et implique d’autres rôles qui lui sont
complémentaires. Il s’agit là de sa dimension interindividuelle et nous
allons voir qu’à partir de cette situation interactive, l’enfant va apprendre à
développer des conduites de rôles qui intègrent progressivement des aspects
positionnels et différenciés (les rôles dépendent des positions respectives
des partenaires de l’interaction) et qui reflètent les mœurs et les valeurs de
son groupe social.
p En famille
Dès le début de la vie, la plupart des comportements concernent des
situations interpersonnelles : celles-ci vont servir de cadre à l’apprentissage
des rôles, qui vont se développer en rapport avec les attentes de l’entourage
de l’enfant. Ainsi, à partir des fonctions vitales comme manger et dormir,
l’enfant est inséré dans un réseau interactif et socialisant. En effet, son
entourage a des attentes par rapport à ces activités élémentaires et s’occupe
du bébé pour que tout se passe bien. Sa mère va à sa manière et selon les
usages de son milieu le nourrir, le changer, l’endormir, déterminant pour lui
un rôle de mangeur, de dormeur, etc. Dans l’interaction qui se noue alors,
ces fonctions se socialisent, dans la mesure où elles s’inscrivent dans une
relation, et donnent lieu à des pratiques spécifiques, qui dépendent des
modèles « d’élevage des bébés » dans la culture de la mère.
C’est dans ce cadre que, progressivement, le bébé va apprendre à agir sur
son entourage pour provoquer les réactions désirées, et aussi à agir en
fonction de l’attitude d’autrui, et à s’adapter à ce que les autres attendent de
lui. C’est cette capacité à s’adapter aux demandes de l’autre qui constitue
selon Mead (1934, 1963) le début de la conduite de rôle, et qui va permettre
dans le même mouvement, le développement de la pensée et celui de la
socialisation. En effet, dans la « conversation par gestes » qui s’établit alors
entre la mère et l’enfant, il y a recherche d’adaptation de l’un à l’autre,
c’est-à-dire interprétation des gestes de l’autre et construction progressive
de significations communes, qui préparent l’acquisition du langage,
fondement d’une communication plus développée.
p En jouant
C’est tout particulièrement comme l’a montré Piaget (1945, 1976) à
travers l’imitation, puis par le jeu, que l’enfant développe ensuite ses
conduites de rôle.
Déjà, ces tous premiers jeux dans lesquels l’enfant et l’adulte se cachent et
se découvrent l’un à l’autre, impliquent une complémentarité des conduites
et des attentes. Mais il ne s’agit là encore que de conduites très
fragmentaires.
Plus tard, l’enfant va se placer activement dans le rôle de l’autre. Il essaie
par exemple de mettre la table comme sa mère, de lire le journal comme son
père (même s’il le tient à l’envers !). Il parvient aussi à se mettre à la place
d’un autre dans le cadre d’une interaction. Ainsi une petite fille va se mettre
à parler à son petit frère comme le ferait sa mère. Ceci l’amène à envisager
la réciprocité des actions et des rôles entre soi et autrui. Dans ce processus,
l’enfant n’intériorise pas seulement le comportement et l’image de l’autre,
mais également les conduites que l’autre attend de lui, et les images
qu’autrui lui renvoie.
Ensuite, les jeux de fiction élargissent encore cette expérience, multipliant
la palette des rôles et des situations où ils interviennent, par l’intégration de
personnages extérieurs à la famille (le gendarme, l’épicier, le docteur, etc.)
et des éléments normatifs et modélisants qui les déterminent. Dans ces jeux,
l’enfant peut se placer successivement dans chacun des rôles
complémentaires d’une situation donnée (maman/bébé,
acheteur/vendeur, etc.) découvrant ainsi différents degrés de compatibilité
ou d’incompatibilité entre ses diverses prises de rôle, et la manière dont ils
se spécifient en fonction des statuts (c’est la maman qui commande,
l’enfant qui obéit, etc.). Ces jeux de fiction permettent aussi l’instauration
d’une aire intermédiaire entre le monde intérieur des joueurs et la réalité
extérieure, une zone neutre d’expérience où il n’y a pas conflit mais
continuité entre réalité interne et réalité extérieure, zone dans laquelle la
créativité a sa source (Winnicott, 1971 ; Oberlé, 1989).
p Dans les groupes
Enfin, dans les jeux collectifs qui impliquent plusieurs partenaires (jeux de
fiction, ou jeux organisés selon un système de règles), il découvre des
complémentarités plus complexes et les régulations qui les organisent dans
un contexte qui n’est plus seulement la relation interindividuelle mais le
groupe. Il y a donc, dans l’apprentissage des rôles, deux aspects
complémentaires. D’une part, à partir de sa dimension interactive, l’enfant
intériorise autrui en lui et l’image qu’autrui a de lui. C’est par ce processus
que se constitue progressivement selon Mead (1934, 1963) la conscience de
soi, dans la mesure où l’individu ne peut s’éprouver lui-même que par le
détour du regard et du jugement d’autrui sur lui2. D’autre part, ce sur quoi il
faut mettre l’accent, c’est que c’est en fonction des normes et des valeurs à
l’œuvre dans un groupe donné que les différents rôles sont spécifiés. Les
rôles sont des modèles de comportements déterminés par ces normes et ces
valeurs, et par la manière dont celles-ci organisent les rapports entre les
gens, leurs positions réciproques, dans un système social donné. Le rôle du
père autoritaire ne peut exister que dans une société patriarcale, celui du
« gagneur » que dans un groupe qui valorise la compétition.
Ainsi, à travers les différents rôles que l’enfant découvre et auxquels il
s’essaie, il prend contact et intériorise les normes et les valeurs de sa
culture, il se familiarise et intègre le système de classification sociale, les
différentes positions qu’il implique d’où découlent les droits et les devoirs
de chacun dans un milieu social donné. C’est dire aussi qu’à travers ses
prises de rôle, l’enfant va apprendre à se comporter comme membre d’un
groupe, allié ou concurrent à d’autres groupes.
Il ressort d’un certain nombre des travaux que nous avons évoqués que la
socialisation de l’enfant, par l’intégration dans ses premiers groupes, est
une sorte de modelage qui s’effectue en rapport avec les valeurs et les
attentes du groupe qui cherche à l’intégrer. Ce n’est là qu’une vision
partielle de l’ensemble d’un processus dans lequel l’intégration de
l’individu qui se constitue progressivement comme une personne entière,
différenciée des autres, s’effectue à partir d’impératifs sociaux certes, mais
aussi biologiques et pulsionnels, dont certains lui font rechercher les autres.
Abordons donc la question de la sociabilité avant de revenir sur la part
respective des influences sociales et des données personnelles qui
contribuent au développement d’une personne et à son intégration dans et
par les groupes (cf. encart 1).

Encart 1 – Khalil Gibran, Le prophète


« Et une vieille femme qui portait un enfant dans les bras dit,
Parlez-nous des enfants.
Et il dit :
Vos enfants ne sont pas vos enfants,
Ils sont les fils et les filles de l’appel de la vie à elle-même Ils
viennent à travers vous mais non de vous
Et bien qu’ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas.
Vous pouvez leur donner votre amour mais non point vos
pensées, Car ils ont leurs propres pensées.
Vous pouvez accueillir leurs corps mais non pas leurs âmes
Car les âmes habitent la maison de demain, que vous ne pouvez
visiter, pas même dans vos rêves.
Vous pouvez vous efforcer d’être comme eux, mais ne tentez pas
de les faire comme vous
Car la vie ne va pas en arrière, ni ne s’attarde avec hier. »
Ce poème met en évidence que les processus de socialisation se
développent selon un système familial et ses valeurs. Mais aussi
qu’ils ne correspondent pas à un simple modelage, car l’enfant y
participe activement en lui imprimant son empreinte propre.

1.2 La sociabilité
Nous allons partir d’un fait que vous connaissez bien, mais dont vous
n’avez peut-être pas tiré toutes les conséquences : c’est ce qu’on appelle la
prématuration du petit d’homme. Alors que quelques minutes après sa
naissance, un veau, fragile sur ses pattes, commence à se lever et à
découvrir son monde, alors qu’un caméléon, à peine plus grand qu’une
mouche à sa naissance, part immédiatement à la recherche d’insectes plus
petits que lui sans aucune aide de sa mère, le bébé humain arrive au monde
dans un tel état de non-finition, d’immaturation biologique, qu’il se trouve
immédiatement pour survivre, dans une dépendance absolue à ceux qui sont
prêts à s’en occuper. Ainsi, son existence biologique dépend de l’aide qu’il
va trouver dans son environnement, et si celui-ci n’est pas humain, c’est sa
dimension proprement humaine qui ne pourra se développer, comme nous
le rappellent certains « cas » tristement célèbres : l’enfant Loup de la Hesse,
l’enfant mouton d’Irlande, Victor de l’Aveyron, Gaspar Hauser, etc. La
contrepartie de cette impuissance du petit d’homme et de sa prématuration,
c’est son extrême sensibilité à ceux qui s’occupent de lui et sa plasticité qui
le rendent, comme on l’a vu, perméable aux influences de son milieu, et
font de lui un être « essentiellement social » (Wallon, 1959, p. 284). Cette
incomplétude du bébé et ses conséquences ont contribué à en forger une
représentation passive, celle d’un être assujetti aux soins maternels et
soumis à l’influence familiale. On a vu que cette influence trouve à
s’exercer certes, mais des travaux plus récents, qui se sont développés
autour de la notion d’attachement, nous font découvrir un bébé d’emblée
avide de contacts et de relations, et actif dans la recherche et l’établissement
de liens avec son entourage.
À vrai dire, la psychologie génétique, avec des auteurs comme Wallon et
Piaget, nous avait déjà fait connaître ce bébé conquérant, et qui à partir de
ses perceptions, de ses mouvements et des émotions qu’ils lui procurent,
s’active à s’approprier le monde par des actions sensorimotrices
élémentaires certes, mais où nos auteurs voient l’origine de l’intelligence
dans son développement spontané. Les théories de l’attachement en
découvrant le caractère essentiel, voire vital de la relation à autrui dès le
tout premier âge, ont eu un impact assez important pour que nous nous y
attardions un moment.

1.2.1 L’attachement
C’est le psychanalyste anglais Bowlby (1958, 2002) qui a proposé cette
notion pour définir l’existence de conduites primaires de recherche de
l’autre. Déjà les travaux de Spitz (1948), par des observations rigoureuses
avaient dégagé l’existence de relations très précoces entre le bébé et sa
mère, et souligné leur importance pour le développement et l’équilibre du
nouveau-né ; leur carence ou leur rupture entraînant au contraire de graves
troubles de son développement. Lorsque l’enfant, parce qu’il est hospitalisé,
par exemple, ou à cause d’une catastrophe, est privé de son entourage qui,
d’habitude, réagit à ses sollicitations, il a l’impression que, quoi qu’il fasse,
il est abandonné. Autrement dit, il apprend qu’il ne contrôle plus ce qui lui
arrive et qu’au contraire, il est impuissant (learned helplessness, Ric, 1996).
Crier, sucer, s’accrocher, sont des comportements de sollicitation de
l’autre. Il faut les comprendre comme des signaux qui fondent l’échange
(Montagner, 1988) car ils induisent l’entourage à réagir. L’attachement
apparaît donc comme une conduite interactive dans laquelle les
comportements de l’enfant influencent les adultes, les amènent à lui
répondre, et à partir de laquelle une dimension affective va se développer
(tendresse, amour, mais aussi mécontentement, colère quand les réponses
d’un des partenaires ne satisfont pas l’autre).
D’autres recherches ont mis en évidence les rapports entre les conduites
d’attachement et celles d’exploration. Paradoxalement, à première vue,
l’attachement est la condition de l’indépendance future : c’est que le
sentiment de sécurité qu’il procure, donne l’audace à l’enfant de partir à la
conquête de son environnement (Ainsworth, 1983), ce que des
psychanalystes comme Winnicott avaient déjà souligné.
D’autre part, on a pu montrer que le comportement social ultérieur de
l’enfant dépendait de la « qualité » de l’attachement. Ainsi, des liens
d’attachement anxieux (qui impliquent les affects de la mère) inhibent les
compétences sociales ultérieures (faible taux d’échange dans des groupes
d’enfants du même âge ; Main, 1973).
Il ressort de l’ensemble de ces travaux deux conclusions importantes :
• Dès un âge très précoce, le nourrisson non seulement s’adapte à son
environnement, mais s’active pour qu’il s’adapte à lui.
• Ces compétences précoces du bébé dépendent de son environnement ;
elles se développent à partir de l’attention, des attentes, des sollicitations,
des réactions de son entourage, en interaction avec celui-ci, c’est-à-dire
dans un constant feedback où les attitudes de l’un viennent modifier les
attitudes de l’autre. Dans ce cadre, l’adulte et l’enfant ont un rôle actif.
Il ne faudrait pas conclure des travaux qui viennent d’être évoqués, que les
notions d’attachement et d’intégration sociale peuvent être confondues. Le
problème est plutôt de savoir par quels processus, dans quelles conditions,
les conduites d’attachement préparent aux conduites sociales, qui
impliquent un autre plan de réalité que le lien interpersonnel.
Finalement, l’attachement premier n’a de valeur que parce qu’il prépare au
détachement progressif : une expérience d’attachement réussie permet que
le relâchement du lien premier ne soit pas vécu sur le mode de l’abandon
(qui provoque le repli), mais conditionne au contraire, par l’acquisition
d’une confiance suffisante dans l’environnement, une curiosité à son égard,
et des démarches d’exploration de plus en plus larges.
Cette question du passage de l’attachement à l’intégration sociale est loin
d’être totalement expliquée, cependant, le concept d’identification fournit là
un pont qui à titre d’hypothèse est intéressant. À partir de l’attachement
premier, la mère présente le monde et les autres à son petit ; médiatrice
entre l’enfant et son milieu, elle lui offre la possibilité de diverses
identifications.
1.2.2 L’identification
L’identification est une notion freudienne. Il s’agit donc d’un concept qui
n’a pas été construit à partir d’observations ou d’expérimentations, mais qui
participe d’une construction hypothétique à partir de l’expérience de Freud
avec ses patients.
Sans entrer dans le détail des différentes formes d’identification que Freud
(1921, 1970) a distinguées, on peut dire que celle-ci est le processus selon
lequel l’individu, depuis l’enfance, tend à construire sa personnalité sur le
modèle de quelqu’un d’autre. C’est la tendance à se réaliser dans une forme
personnelle (l’identité propre), construite en interaction avec certaines
personnes privilégiées qui sont prises comme modèles. Ce processus se
développe à partir des premiers attachements affectifs, ou de la découverte
de points communs avec une autre personne, selon deux directions
possibles : soit le sujet s’identifie à l’autre, soit il identifie l’autre à une
partie de lui-même en le « plaçant » en lui.
Les identifications aux parents, puis aux éducateurs, aux figures
d’autorité, aux idéaux collectifs sont à l’origine de l’idéal du moi (ce que je
veux être) et du surmoi (ce que je ne dois pas être), à partir des valeurs et
des interdits transmis par eux. Ceux-ci proviennent d’une tradition et sont
partagés par une communauté, c’est dire que l’identification permet
l’intériorisation de valeurs sociales.

1.3 L’intégration : psychologique et sociale


De l’ensemble des connaissances disponibles sur la sociabilité et la
socialisation de l’individu, il ressort que, si la maturation de l’enfant ne peut
s’effectuer sans les apports du milieu social et si la personnalité se forme
dans les relations interpersonnelles, on est loin cependant d’un simple
façonnage de l’individu par son milieu. Cette maturation au contraire est le
fruit de la dynamique interactive qui se développe entre eux (Marc et
Picard, 1989).
On peut dire alors que l’individu non seulement s’intègre dans le groupe
mais qu’il se l’intègre. En effet les modalités et les ressorts du groupement
ou de la groupalité, intériorisés, deviennent une dimension constitutive de
son psychisme, tant au niveau imaginaire et inconscient, qu’au niveau de la
pensée opératoire et rationnelle.

1.3.1 Niveau imaginaire


La théorie freudienne de l’appareil psychique (qu’il considéra lui-même
comme une « fiction ») est proche de la façon imaginaire dont les gens se
conçoivent, et cette représentation imaginaire du fonctionnement
intrapsychique s’ancre dans le modèle du groupe : dans cette représentation,
les différentes instances psychiques et les phénomènes intrasubjectifs
fonctionnent à l’image des relations intersubjectives (Kaës, 1976). Ainsi,
l’appareil psychique a plusieurs parties comme le groupe a plusieurs
membres et, à l’instar de ce qui se passe entre ces derniers, les différents
systèmes de l’appareil psychique se trouvent régulièrement en conflit. C’est
bien une imagerie groupale qui est à l’œuvre, marquée
d’anthropomorphisme puisque les différentes instances y sont considérées
comme des personnes au point qu’on peut dire par exemple que « le surmoi
se comporte de façon sadique avec le moi ». Cette fiction dans laquelle les
différentes instances psychiques sont comme les différents protagonistes
d’un théâtre intime, rend bien compte de ces « débats intérieurs » qui
souvent nous agitent quand nous nous parlons à nous-même, comme si nous
nous adressions à un autre (« tu ne devrais pas avoir peur » ou « tu aurais dû
faire ceci ou cela »).
1.3.2 Niveau opératoire
D’autre part, les recherches sur le développement sociocognitif ont pu
montrer que l’interaction sociale est une condition fondamentale du
développement de l’intelligence. Plus précisément, grâce à une série
d’expériences, Doise et Mugny (1981) ont mis en évidence les mécanismes
par lesquels s’articulent les dynamiques cognitives et sociales : l’interaction
sociale n’est pas seulement source de développement cognitif du fait qu’elle
permet des processus d’imitation, mais au contraire parce qu’elle met
souvent en évidence des divergences de points de vue, qui produisent des
conflits sociocognitifs, impliquant pour leur résolution des restructurations
cognitives : c’est l’opposition sociale de points de vue opposés qui amène à
leur intégration dans des systèmes d’ensemble qui les dépassent en les
coordonnant. En coordonnant ses actions ou ses jugements avec ceux des
autres, l’enfant accède à la maîtrise des mécanismes de coordination qui,
intériorisés, lui permettront de participer à des interactions sociales plus
élaborées (et qui à leur tour sont à l’origine de nouvelles progressions
cognitives).
Certes c’est par la médiation sociale que l’individu prend petit à petit
possession de soi et de son univers, mais il s’agit d’un rapport polémique
entre l’individu et son milieu, qui n’exclut ni les tiraillements, ni les crises.
Ce constat ne doit pas aboutir à minimiser le poids des déterminants
sociaux des conduites, mais à souligner que la construction de l’identité
n’est pas un mécanisme automatique mais un processus actif et conflictuel.
Nous l’avons envisagée jusqu’à maintenant en nous centrant sur l’enfance,
mais cette construction se poursuit à l’âge adulte, à travers, comme nous
allons le voir, les groupes dans lesquels ou vers lesquels l’individu se trouve
engagé.
2. Les groupes de référence

Encart 2 – Lorsque d’autres groupes que les nôtres nous


attirent
Pierre rentre d’une soirée, assez déprimé. Il va à la cuisine boire
un verre de lait, et là il rencontre son frère.
— Ça va ?
— Bof…
— Et cette soirée ?
— Bof…
— C’est plus tes potes ou quoi ?
— Si, c’est mes potes, c’est mon petit groupe de la Fac quoi…
Mais quand je les compare aux tiens…
— Et alors ?
— Les miens, ils sont tristes, les filles moches, la musique
ringarde…
— Eh, qu’est-ce qui t’arrive, frérot, tu t’es assez moqué de mes
potes, tu les trouves frimeurs, prétentieux, qu’est-ce que je sais
encore !
— Oui, c’est vrai… mais finalement… avec eux au moins on rigole
à ce que tu dis… et pas que ça… on parle aussi politique, on
s’intéresse à ce qui se passe… regarde cette discussion que vous
avez eue l’autre soir à propos de l’Europe ! Ce soir, avec eux, pas
un mot, ils sont complètement branchés psycho, il n’y a que ça.
— Eh, quoi, ça ne t’intéresse plus ?
— Si, mais il y a autre chose dans la vie… et puis il y a l’avenir…
tu es parti pour mieux réussir que moi, c’est sûr !
— Bon frérot, arrête… Ça va comme ça… Écoute il y a une soirée
lundi à l’amicale de l’école, tu veux venir ?
— Oh, j’aimerais bien…
— D’accord, mais mon vieux, il faut que tu fasses quelque chose
alors. Tu peux pas y aller comme ça, il va falloir que tu te fringues
un peu ; et puis d’ici là, sors de tes bouquins, lis Le Monde pour
pouvoir suivre la conversation, OK ?
— OK… j’essaierai. Bonne nuit !

Ce qui se passe pour Pierre dans cette histoire (cf. encart 2), peut-être
l’avez-vous déjà éprouvé. Il y a des moments dans l’existence où, plus ou
moins brusquement, on prend du recul par rapport à ses groupes
d’appartenance, ou certains d’entre eux. On commence à s’y sentir moins
bien, à remettre en question la signification qu’ils avaient pour nous, à les
critiquer, et parfois à vouloir les quitter. Quand on y réfléchit, on s’aperçoit
que c’est par comparaison avec un autre groupe qui attire et fait référence
que ce remue-ménage intérieur se développe. Et alors, la perspective
d’essayer d’entrer dans ce nouveau groupe fait envisager qu’il va falloir
changer quelque chose dans sa manière d’être, d’agir, peut-être même de
penser.
Autrement dit, les groupes de référence nous fournissent des repères de
comparaison qui nous permettent de nous évaluer (Smith et Leach, 2004) ;
d’autre part, ils nous proposent des normes et des modèles qui influencent
nos attitudes et nos opinions (Stangor, 2004). Il s’agit là des deux fonctions
des groupes de référence (Kelley, 1952, 1965) auxquelles nous allons
revenir dans un instant.
Parfois cependant, la comparaison avec d’autres groupes que ceux
auxquels on appartient aboutit au résultat inverse : elle confirme que tel ou
tel groupe d’appartenance est bien un groupe auquel on tient, qui a de
l’importance pour nous, auquel nous avons envie de continuer à nous
référer.
On peut donc dire (Sherif, 1956, p. 175) que « les groupes de référence
sont les groupes auxquels l’individu se rattache personnellement en tant que
membre actuel ou auxquels il aspire à se rattacher psychologiquement ; ou
en d’autres termes, ceux auxquels il s’identifie ou désire s’identifier ».
Cependant dans l’expression « groupe de référence », le mot « groupe »
peut renvoyer à des réalités différentes. Ce peut être un groupe concret
(comme dans le cas de Pierre) ou une catégorie sociale. Quelquefois même
la référence n’est pas un groupe mais une personne ou une idée qui est
détachée du groupe spécifique dans lequel elle a pris naissance (par
exemple la religion). Mais l’habitude s’est prise dans le milieu scientifique
de parler de « groupe de référence », d’autant plus que c’est bien
essentiellement à des groupes concrets, à des appartenances catégorielles
actuelles ou désirées que l’individu se réfère dans ses jugements, ses
opinions, les valeurs auxquelles il adhère, ou quand, se projetant dans
l’avenir, il cherche à définir ses aspirations.

2.1 La fonction comparative des groupes de


référence
C’est en découvrant son importance que Hyman (1942) a introduit la
notion de groupe de référence. En faisant des recherches sur le statut socio-
économique, il s’est rendu compte que le statut subjectif d’une personne
(celui qu’elle pensait avoir) ne correspondait pas forcément à son statut
objectif (celui qu’on pouvait déduire directement de facteurs tels que le
revenu, le niveau d’études, la profession, la situation familiale, l’âge, etc.),
mais dépendait pour une bonne part des groupes auxquels l’individu se
comparait. Ces groupes étaient divers, et les individus n’en étaient pas
forcément membres, d’où l’idée d’appeler ces groupes « groupes de
référence ». C’est-à-dire des groupes que l’individu choisit comme base de
comparaison pour son auto-estimation, et qui peuvent être différents des
groupes d’appartenance.
Ce processus de comparaison sociale intervient d’après Festinger (1971)
chaque fois que l’individu a des difficultés à s’évaluer, se trouve dans
l’incertitude quant à ses capacités (sont-elles suffisantes ou non ?) et à ses
opinions (sont-elles justes ou erronées ?). Il a besoin de réduire cette
incertitude pour des raisons affectives (estime de soi, besoin d’affiliation
sociale, de reconnaissance sociale) et pour des raisons cognitives (besoin de
cohérence, besoin de validation). Festinger pense que cette tendance à
évaluer ses opinions et aptitudes existe en chacun de nous et que, lorsque
nous manquons de critères objectifs d’évaluation, c’est en nous comparant
aux autres que nous y parvenons.
Ceci dit, pour obtenir des évaluations les plus stables possible, et pas trop
désagréables pour soi, on choisit de préférence comme termes de
comparaison ceux dont l’aptitude ou l’opinion sont les plus proches des
nôtres.
Par ailleurs, remarque Festinger, ces processus de comparaison ne se
développent pas à propos de toutes les aptitudes ou de toutes les opinions,
mais à propos de celles qui, à un moment donné, dans une situation donnée,
sont importantes pour soi ou pour la collectivité dans laquelle on se trouve.
Ainsi, c’est essentiellement pendant les périodes de campagnes électorales
que se développent des comparaisons entre opinions politiques, ou encore,
l’évaluation de l’endurance physique a de l’importance pour un coureur
cycliste qui cherchera à s’évaluer sur cette dimension, et non pour un
étudiant qui cherchera plutôt à évaluer ses capacités intellectuelles.
Enfin, en s’appuyant sur plusieurs recherches, Festinger montre que plus
un groupe exerce de l’attraction pour les individus, plus ceux-ci le
considéreront comme un pôle de comparaison important. Et alors, à
l’intérieur de ce groupe, les pressions vers l’uniformité seront d’autant plus
fortes puisque chacun juge la validité de ses opinions au fait qu’elles sont
partagées par les autres.
Il ressort de cet ensemble théorique et des expériences qui ont été faites à
son propos, que la comparaison sociale pousse à la recherche du consensus
et favorise les conduites de conformisation. On verra cependant dans le
chapitre 3 de ce livre que ce n’est pas toujours le cas.
Ce que met en lumière l’étude du processus de comparaison sociale, c’est
que les perceptions que nous avons des choses, des événements et d’autrui,
la manière dont nous les jugeons et dont nous les vivons (dans la joie, la
déception ou la frustration) sont en grande partie relatives aux groupes (ou
aux personnes qui les représentent) servant à la comparaison (cf. encart 3).
Si pour vos vacances, vous avez décidé d’aller camper en Bretagne avec des
amis et que ce projet vous réjouit, ce sentiment sera renforcé quand,
rencontrant votre voisine de palier qui ne part pas en vacances, vous aurez
l’impression de faire partie des privilégiés. Ce ne sera pas le cas si vous
trouvez dans votre boîte aux lettres une carte postale d’un de vos amis en
vacances à Tahiti.
Encart 3 – Balzac, Le Père Goriot
« Eugène avait subi cet apprentissage à son insu, quand il partit
en vacances, après avoir été reçu bachelier ès lettres et en droit.
Ses illusions d’enfance, ses idées de province avaient disparu.
Son intelligence modifiée, son ambition exaltée lui firent voir juste
au milieu du manoir paternel, au sein de la famille… La
comparaison qu’il fut forcé d’établir entre ses sœurs qui lui
semblaient si belles dans son enfance et les femmes de Paris qui
lui avaient réalisé le type d’une beauté rêvée, décuplèrent son
désir de parvenir et lui donnèrent soif de distinctions. »
Rastignac avait toujours trouvé ses sœurs si belles. Depuis qu’il a
découvert les beautés parisiennes, il ne les voit plus de la même
manière.

Les travaux de Merton et Kitt (1950) mettent bien en évidence ce


phénomène à partir de l’analyse des résultats de la grande enquête sur les
soldats américains pendant la deuxième guerre mondiale (Stouffer et al.,
1949). L’un des aspects importants de cette enquête concernait le moral des
soldats : on s’aperçoit que les jugements des soldats sur les privations dues
à leur présence au front dépendaient moins de la situation objective dans
laquelle ils se trouvaient, que des groupes de référence pris en compte pour
évaluer cette situation. Ainsi :
• la majorité des soldats mariés mobilisés étaient plus mécontents que les
soldats célibataires avec lesquels ils partageaient les mêmes épreuves,
parce qu’ils se comparaient aux gens mariés qui avaient obtenu des
dispenses ;
• les soldats noirs venant du sud des États-Unis éprouvaient la situation de
manière moins négative que les Noirs venus du nord car ils se comparaient
aux Noirs restés au pays dont la vie était très difficile (racisme) alors que,
dans le Nord, les conditions de vie pour les Noirs (auxquels se
comparaient les Noirs venus du nord) étaient plus favorables ;
• les soldats stationnés outre-mer à l’arrière du front n’éprouvaient pas trop
de mécontentement : c’est qu’ils se comparaient à ceux qui étaient sur le
front, ce qui relativisait leur mécontentement d’avoir dû quitter leur pays
et leur famille.
Il est évident qu’à l’heure actuelle, ce jeu de comparaisons est à l’œuvre
dans les multiples revendications qui se font jour dans différents secteurs.
Les autorités d’ailleurs l’utilisent aux dépens des acteurs sociaux en leur
renvoyant l’argument « si on donne aux uns, il faudra donner aux autres ».

2.2 La fonction normative des groupes de


référence
Il s’agit du processus selon lequel l’individu adhère aux normes, aux
modèles, aux valeurs d’un groupe qui fait référence pour lui : pour en être
accepté, il cherche à régler ses attitudes sur ce qu’il perçoit être le
consensus de ce groupe.
Dans l’enquête sur le soldat américain que nous avons déjà évoquée,
plusieurs résultats analysés par Merton mettent en évidence cette fonction
normative des groupes de référence (cf. encart 4).

Encart 4 – L’analyse de Merton


Trois groupes de soldats ont été interviewés sur leur
« empressement à partir au combat » :
– un groupe de jeunes recrues inexpérimentées ;
– un groupe de vétérans qui avaient déjà fait la Première Guerre
mondiale, en avaient conclu : « Le combat, c’est l’enfer », et dont
les attitudes correspondaient à la norme : « Pas de précipitation !
il sera toujours temps d’y aller » ;
– un groupe mélangé de vétérans et de jeunes recrues.
À la question : « Êtes-vous prêts à vous rendre dans une zone de
bataille réelle ? », les réponses positives furent les suivantes :
– 45 % des jeunes recrues issues du premier groupe ;
– 15 % des vétérans, quel que soit leur groupe ;
– 25 % des jeunes recrues en remplacement chez les vétérans du
troisième groupe. Ainsi, ces derniers avaient en partie assimilé les
normes des vétérans. Merton explique ce fait par leur besoin
d’affiliation à un groupe détenteur de prestige et d’autorité.
Trois autres groupes de recrues furent interrogés sur leur plus ou
moins grande adhésion aux normes et à la discipline militaires,
avec l’hypothèse que plus ils étaient conformes à ces normes,
plus ils avaient des chances de recevoir de l’avancement.
Effectivement, parmi ceux qui déclarèrent ne pas trouver la
discipline militaire trop stricte, 19 % furent nommés sous-officiers
quelques mois après, 12 % seulement parmi les autres.

Un autre chercheur, Newcomb (1943), a pu lui aussi observer, dans un


collège où il était enseignant, un changement d’attitudes et d’opinions
politiques chez les étudiantes Or celui-ci avait lieu pour celles des
étudiantes qui avaient choisi le groupe des professeurs comme groupe de
référence. Dans ce cas, elles renonçaient progressivement aux opinions
conservatrices de leurs familles, pour adopter celles plus libérales des
professeurs. Newcomb fait l’hypothèse que c’est l’attrait du prestige
(adopter les mêmes opinions que le groupe des professeurs et être perçues
comme telles par les camarades), qui a produit cette évolution.
Plus près de nous, Gatto, Dambrun, Kerbrat, De Oliveira (2010) ont mis
en évidence que la fonction normative des groupes de références s’exerce
quelle que soit l’orientation de la norme dans le groupe en question. Auprès
de policiers, les chercheurs ont comparé la propension à développer des
préjugés négatifs sur les Arabes et les Roms de policiers nouvellement
recrutés et de ceux qui avaient un an d’exercice. Ce sont ces derniers qui
développaient le plus ces préjugés : quand on rejoint un groupe (dans ce cas
le groupe des policiers), le fait d’être exposé à des valeurs et des normes
spécifiques à ce groupe influence de manière profonde et produit un
changement d’attitude : après une année seulement, les jeunes policiers
avaient intériorisé ces préjugés comme étant la norme du groupe des
policiers.
Merton, lui, a réfléchi non seulement aux causes, mais aussi aux effets de
cette fonction normative des groupes de référence, en particulier quand
ceux-ci sont différents des groupes d’appartenance. Il faut remarquer que
l’adoption des normes d’un groupe de non-appartenance, implique une non-
conformité plus ou moins importante selon les cas, au groupe
d’appartenance, et que si l’individu prend ce risque, c’est qu’il espère
changer de groupe et faciliter son intégration dans un nouveau groupe.
Il optera pour cette démarche d’autant plus volontiers :
• s’il estime qu’un groupe de non-appartenance est susceptible de lui
apporter plus de prestige et de reconnaissance sociale que le groupe
d’appartenance auquel il le compare ;
• si dans son groupe d’appartenance, il n’occupe pas une position centrale.
Dans cette optique, le choix d’un groupe de référence différent du groupe
d’appartenance, est à mettre en rapport avec la mobilité sociale, c’est-à-dire
avec la plus ou moins grande facilité qu’il y a dans une société donnée à
changer de catégorie sociale et s’élever dans l’échelle sociale3. Pour faciliter
cette mobilité sociale, un processus de socialisation anticipée (cf. encart 5)
est souvent mis en place qui consiste à se conformer par avance aux normes
du groupe convoité. Ainsi, on a été frappé il y a quelques années de la
rapidité avec laquelle des Bretons, travaillant dans une usine japonaise
implantée en Bretagne, avaient accepté certains usages tout à fait
« exotiques » pour eux, comme boire moins, se livrer à des exercices de
gymnastique matinaux et collectifs avant le travail, etc. C’est que,
escomptant pour leur région de nouvelles richesses et pour eux une
amélioration de leur statut grâce à l’implantation des Japonais, ils en
avaient adopté certains modèles de comportement.
Cette enquête montre que le choix des groupes de référence correspond à
un processus de socialisation anticipée et dépend des projets des individus
et des modèles culturels disponibles (Amblard, Bernoud, Herre, 2005).

Encart 5 – Pour des travailleurs immigrés, à qui se référer ?


À partir d’une enquête participative, dans une entreprise
industrielle, voici ce que Philippe Bernoux (1985, p. 275) a pu
mettre en évidence.
Quand les travailleurs tunisiens choisissaient de n’être là que de
passage et projetaient de retourner en Tunisie, ils adoptaient les
comportements d’un groupe le plus proche possible de leur
modèle d’origine, « le groupe paysan ». Il s’agissait d’ouvriers
habitant dans les villages de la banlieue où était implantée l’usine,
et qui cultivaient, en plus de leur travail à l’usine, plusieurs
hectares de culture ou de gros jardins. Ils se caractérisaient par
une attitude fataliste et soumise, avec le respect de la hiérarchie,
et le souci de « ne pas avoir d’histoire avec le chef ».
Pour eux, l’usine était un accessoire, ils valorisaient la terre et le
travail agricole.
Quand au contraire, un projet de mobilité sociale se mettait en
place (accéder à une position supérieure dans la structure
hiérarchique de l’usine), les Tunisiens choisissaient comme
groupe de référence les ouvriers les plus éloignés de leur modèle
d’origine, ceux, d’origine ouvrière, qui avaient une attitude
d’implication critique : manifestant un grand intérêt pour l’usine,
son fonctionnement, son organisation, ils dénonçaient avec
véhémence ses machines en mauvais état, ses incohérences, et
pratiquaient le freinage de la productivité. Philippe Bernoux a pu
observer le changement de certains travailleurs tunisiens : dans
un premier temps soumis et respectant les cadences, ils sont
passés ensuite à une attitude critique sur le fonctionnement de
l’atelier, pratiquant le freinage, et ceci à l’époque où ils
commencèrent à préparer l’examen qui devait leur permettre de
passer d’OS à P1 (ouvrier professionnel).

Tout cela semble couler de source et pourtant, qu’en est-il quand cette
socialisation anticipée est activée dans un contexte social où la mobilité
sociale est restreinte ? C’est-à-dire quand le groupe de référence fait
obstacle à l’intégration d’un nouveau membre ? Merton a bien vu le
problème : non accepté dans un groupe auquel il a aspiré et en rupture de
ban plus ou moins dramatique avec son groupe d’appartenance, il y a
beaucoup de chance pour qu’un individu dans ce cas se trouve marginalisé
avec toutes les incidences de cet échec sur son image de soi (cf. encart 6).

Encart 6 – Le cas des étudiants étrangers en France


Sous le titre « La France tu l’aimes mais tu la quittes quand
même », le journal Le Monde du 13 novembre 2011 évoque la
mésaventure de nombreux étudiants étrangers, diplômés de
grandes écoles d’ingénieur ou de commerce françaises (HEC,
Polytechnique, Sciences Po, etc.) qui, après avoir décroché un
CDI dans des entreprises françaises, ont vu leurs demandes de
permis de travail rejetées et qui ont été priés de rentrer chez eux.
C’est une circulaire du 31 mai 2011 qui restreint la possibilité des
étudiants étrangers, hors Union européenne, de travailler sur le
territoire après leur formation en France4. Pourtant pour étudier en
France et donc obtenir un visa étudiant, ils avaient dû s’engager à
rester en France après leurs études ! Ce nouveau règlement a
déclenché une vague de contestations non seulement de la part
des étudiants étrangers mais d’universitaires, de directeurs de
grandes écoles et de chefs d’entreprise.
Ces jeunes qui avaient quitté leur pays d’origine dès leur bac en
poche avaient commencé une démarche de socialisation
anticipée en parvenant à faire leurs études en France et en les
réussissant. Ils vivent très difficilement le rejet dont ils font l’objet.
L’un d’eux témoigne : « Je me sens comme si on m’avait traîné
dans la boue. »
(Source : France-24, 17 novembre 2011.)

Allport (1954, p. 36) cite le cas d’un pasteur d’origine arménienne


pratiquant dans une petite ville de la côte est des États-Unis. Son nom est
d’origine arménienne. Les villageois le considèrent comme un Arménien.
Pourtant, ses références à lui sont celles de l’église, de la famille et de la
communauté dans laquelle il vit et non pas celles de ses ancêtres.
Malheureusement pour lui, les gens du village persistent dans leur façon de
le considérer comme quelqu’un ne faisant pas vraiment partie de leur
groupe, en attribuant une valeur bien plus importante à son groupe
d’appartenance ethnique que lui-même.
L’impossibilité dans laquelle se trouve alors l’individu de s’intégrer
réellement dans le groupe auquel il aspire peut l’amener à intérioriser
totalement les valeurs du groupe de référence pour regarder son groupe
d’appartenance d’un œil défavorable. Il développe alors ce que Kurt Lewin
a appelé : la haine de soi (via la haine de son groupe d’appartenance), et
devient un homme marginal (Lewin, 1935, 1940). Ressentant son groupe
d’appartenance comme un obstacle à l’assimilation avec le groupe de
référence, et n’étant pas reconnu à part entière par celui-ci, l’homme
marginal a tendance à s’auto-accuser.
Aujourd’hui (Dubet, Duru-Bellat et Veretout, 2010) par exemple, plus
encore qu’hier (Bourdieu, 1979), le décalage entre les aspirations produites
par une scolarité prolongée, et les chances qu’elle offre réellement dans un
contexte de mutations économiques et de chômage (Bourdieu, 1979),
affecte profondément une partie importante de la jeunesse et leurs parents.
Il produit de la désillusion, qui est à la racine de fuites, de renoncements, ou
de refus et de révoltes, de sorte qu’on assiste à la constitution d’une
« contre-culture » adolescente qui prend la forme d’une remise en question
des valeurs qui fondent et justifient un certain ordre social : travail-effort-
avancement-promotion.

2.3 Besoin d’appartenance


À quoi répond ce besoin d’appartenance ?
Une première réponse a été donnée il y a déjà longtemps par Schachter
(1959) dans ses recherches sur ce qu’il nomme le désir d’affiliation. Par une
série d’expériences, il a démontré qu’en se regroupant avec d’autres,
l’individu cherche à se protéger de l’anxiété. Cependant, c’est seulement de
la compagnie de gens qui partagent le même sort que lui qu’il escompte un
tel bienfait, car c’est par rapport à eux qu’il pourra s’engager dans un
processus de comparaison pour évaluer ce qu’il ressent. Ce point de vue a
été, depuis, nuancé (Van Duüren et Di Giacomo, 1997).
On découvre une seconde réponse dans des recherches plus récentes qui
portent sur l’existence d’un besoin fondamental d’appartenance
(Baumeister et Leary, 1995 ; Carvallo et Pelham, 2006). En effet, c’est dans
le regard d’autrui que nous nous sentons exister, c’est pourquoi la solitude
source de divers maux (Hirigoyen, 2007) est redoutée (cf. encart 7). Le
sentiment de notre propre valeur, notre estime de nous, dépend dans une
large mesure du fait de nous sentir ou non acceptés par autrui. Ces désirs
d’acceptation, et de reconnaissance sont des motivations sociales qui nous
poussent à rechercher l’appartenance à des groupes.

Encart 7 – Meurt-on de solitude ?


On le sait, les personnes âgées dans les Ehpad et les
établissements médico-sociaux, sont particulièrement exposées à
la Covid-19. Beaucoup en sont morts.
Mais nos aînés sont aussi, en ces périodes de confinement,
confrontés à la solitude et à l’isolement. « Le risque qui va après
la dépression, c’est de se laisser aller, ne plus s’alimenter et là, le
risque vital est très important », prévient un psychiatre spécialiste
en géronto-psychiatrie. Perte d’appétit ou d’intérêt, repli sur soi,
mutisme, tristesse, il peut s’agir de signaux d’alerte révélant un
syndrome de glissement. Ce syndrome évoqué pour la première
fois par le gériatre Jean Carrié correspond à une dégradation de
l’état du patient qui laisse se « glisser » peu à peu. On le qualifie
même de « suicide inconscient ».
On évoque les morts liés à la Covid-19, mais les résidents qui se
laisseront mourir d’ennui et de solitude seront peut-être plus
nombreux encore…

La troisième réponse, c’est que l’intégration dans des groupes et


l’appartenance catégorielle, participent de la définition de soi qu’élabore
l’individu. L’identité sociale renvoie à cette partie du soi qui dérive de nos
appartenances groupales, d’où la facilité avec laquelle les informations
concernant les groupes de références sont remémorées (Johnson, Gadon,
Carlson, Southwick, Faith et Chalfin, 2002). Dans leur mémoire les gens
associent fortement leurs idées à propos d’eux-mêmes et leurs idées à
propos de leurs groupes (Smith et Henry, 1996), comme si ces groupes
devenaient une partie d’eux-mêmes. Dans ce processus, l’appartenance ou
l’aspiration d’appartenance à un groupe va de pair avec la différenciation
avec d’autres ; et l’auto-évaluation par rapport à un groupe, passe par
l’évaluation de son propre groupe par rapport à d’autres5. En effet
l’appartenance à un groupe valorisé par rapport à d’autres rehausse l’estime
et l’image de soi. C’est pourquoi les gens évaluent d’autant plus
négativement des conduites déviantes qu’elles sont produites par les
membres de leur groupe (Marquez, Abrams, Paez et Hogg, 2001). Ce
phénomène appelé « effet brebis galeuse » (cf. encart 8) vise à protéger
l’image de son groupe, il est d’autant plus marqué que le besoin
d’appartenance de ceux qui le mettent en œuvre est fort (Sanquirgo, Oberlé,
Chekroun, 2012). C’est aussi pourquoi, c’est vis-à-vis des membres
déviants de leur endogroupe qu’ils manifestent le plus leur réprobation et
exercent du contrôle social (Chekroun, 2008).

Encart 8 – L’effet « brebis galeuse »


Voilà comment l’effet « brebis galeuse » a été mis en évidence
(Marques et Yzerbyt, 1988) : des étudiants de droit entendaient la
lecture d’un texte faite soit par des étudiants de droit (leur
endogroupe), soit par des étudiants de philosophie (un de leurs
exogroupes). La lecture était soit bonne soit mauvaise. On
demandait ensuite à ces étudiants d’évaluer la prestation. Quand
la lecture était bonne, celle exécutée par un membre de
l’endogroupe (identique à celle exécutée par un membre de
l’exogroupe) était jugée la meilleure ; quand la lecture était
mauvaise, la prestation de l’endogroupe (identique à celle de
l’exogroupe) était jugée la plus mauvaise. C’est cette plus grande
sévérité vis-à-vis d’un membre de l’endogroupe quand celui-ci a
un comportement contre normatif qui est appelé l’effet « brebis
galeuse ».
Cet effet manifeste que pour préserver la bonne image de notre
groupe, nous jetons l’opprobre sur ceux des membres de notre
groupe dont les conduites risquent d’aboutir à la dépréciation de
celui-ci.

2.4 La peur du rejet, de l’ostracisme


L’importance du besoin d’appartenance (Baumeister et Leary, 1995)
s’impose en particulier lorsqu’il est brusquement contrecarré, comme dans
le cas de l’ostracisme6, plus largement lors de la mise à l’écart du pouvoir
d’un homme ou d’un groupe politique et plus largement encore lors de
l’exclusion effectuée par un groupe à l’encontre d’un de ses membres.
Celle-ci peut correspondre à un rejet brutal et formel (être exclus de son
lycée, être excommunié de l’Église catholique) ou être plus insidieuse (ne
pas parler à quelqu’un, ne pas l’inviter, ne pas le regarder, en somme faire
comme s’il n’existait pas). Les études sur la solitude chronique montrent
que celle-ci engendre des effets qui peuvent être désastreux à trois niveaux,
aussi bien sur les plans psychologique, physiologique que comportemental.
Sur le plan psychologique, les individus exclus expriment une
augmentation de la tristesse, de la colère par rapport à ceux inclus dans le
groupe, une baisse de l’estime de soi, du sentiment d’appartenance, une
perte de contrôle et du sens de l’existence (William, 2007). On n’est donc
pas étonné d’apprendre que le rejet provoque une désidentification au
groupe (Matschke et Sassenberg, 2010).
Sur le plan physiologique, la solitude chronique a des effets néfastes sur la
santé. Elle augmente le risque de maladies graves et la mortalité (Lecovich,
Jacobs et Stessman, 2011).
Sur le plan comportemental, on constate deux cas de figure. Soit la
réponse d’un membre ostracisé répond à une tentative de restaurer son
besoin d’appartenance et des liens sociaux, ce qui l’entraîne vers des
comportements prosociaux. On constate ainsi que des individus ostracisés
sont plus susceptibles d’être influencés ou d’obéir à autrui (Riva, Williams,
Torstwick et Montali, 2014). Soit dans le but de réaffirmer leur existence et
le contrôle sur ce qui leur arrive, ils s’engagent dans des comportements
antisociaux et agressifs (Warburton Williams et Cairns, 2006).
Différentes motivations sont sous-jacentes à l’exercice de l’ostracisme.
Williams et Sommer (1997) relèvent ainsi trois formes d’ostracisme :
• l’ostracisme punitif est exercé dans le but explicite de punir ceux des
membres qui transgressent une norme du groupe (Elliot est exclu du lycée,
à cause de son absentéisme jamais justifié) ;
• l’ostracisme défensif se manifeste en prévention de la menace que
représente un individu (un lanceur d’alerte par exemple) pour le groupe ;
• l’ostracisme ignorant consiste à ignorer un membre, donnant l’impression
qu’il est invisible, qu’il n’existe pas (cf. la « mise au placard » dans une
entreprise) si sa personnalité et/ou son comportement ne correspond(ent)
pas aux standards normatifs de l’entreprise en question.
L’ostracisme dans ses différentes formes, exercé à l’égard d’un membre
d’un groupe, sert aussi d’exemple aux autres en leur rappelant les exigences
normatives du groupe. Il s’agit donc d’un outil de contrôle social servant à
renforcer l’adhésion aux normes, à prévenir leurs transgressions et renforcer
la cohésion.

2.5 L’autocatégorisation
Lorsque, grâce au contexte, l’appartenance groupale est rendue saillante,
c’est-à-dire que l’individu peut facilement s’autocatégoriser comme
appartenant à tel groupe par opposition à d’autres, la perception de soi tend
à devenir « dépersonnalisée » (Hogg, 1996) : l’individu se définit alors
comme membre de ce groupe, s’en attribue les caractéristiques, et se perçoit
comme similaire aux autres membres du groupe plus que comme personne
unique différant des autres (Turner, 1999). L’importance qu’il accorde alors
au groupe en question l’amène à en cerner les normes, les modèles de
conduite qui y sont valorisés et ce qu’il convient en son sein de faire ou de
dire ou au contraire d’éviter. Dans ce cadre, il s’attend à être d’accord avec
ceux avec qui il partage une appartenance groupale, c’est-à-dire avec les
membres de l’endogroupe, tandis que le désaccord avec les membres de
l’exogroupe lui paraît être dans l’ordre des choses. En revanche, si un
désaccord survient avec des personnes du groupe propre, il en résultera
trouble et incertitude qui amèneront l’individu à changer son point de vue
pour se rapprocher de ceux avec qui la relation lui paraît devoir être de
l’ordre de la similarité et qui lui servent de référence.
Ce sont donc ces personnes qui, à un moment donné, constituent un
groupe de référence pour l’individu, qui sont le plus susceptibles de
l’influencer (Turner, 1991). Ce ne sont pas toujours les mêmes personnes,
car la manière dont l’individu s’autocatégorise dépend du contexte. Selon
celui-ci, vous aurez tendance à vous autocatégoriser ou selon votre sexe, ou
comme étudiant, ou comme amateur de musique celte, etc., et les personnes
que vous constituerez comme groupe de référence varieront en fonction de
cette autocatégorisation.
C’est dire que nous ne cataloguons pas forcément les gens une fois pour
toutes, mais plutôt selon les circonstances qui nous amènent, selon les cas, à
considérer tel individu ou tel groupe d’individus comme similaire ou
étranger à nous.
Une réflexion sur les groupes de référence et sur les dynamiques
psychosociales qu’ils supposent et entraînent, implique donc la prise en
considération des relations et des antagonismes entre groupes, des
régulations sociales plus ou moins strictes qui orientent l’appartenance et
l’exclusion dans les groupes. Cette réflexion se situe à l’articulation des
options et motivations personnelles, d’une part, et des logiques sociales et
des valeurs qui les sous-tendent, d’autre part, et permet ainsi, en mettant
l’accent sur les processus interactifs entre l’homme et son milieu,
d’échapper à une conception trop simpliste des déterminismes sociaux.

3. Conformisme, normalisation,
polarisation
3.1 Conformisme et soumission
Il ressort de tout ce qui a été évoqué précédemment que l’intégration dans
les groupes implique un processus de conformisation.
Le conformisme est une des modalités de l’influence sociale et se
manifeste par le fait qu’un individu (ou un sous-groupe) modifie ses
comportements, ses attitudes, ses opinions, pour les mettre en harmonie
avec ce qu’il perçoit être les comportements, les attitudes, les opinions, les
normes d’un groupe dans lequel il est inséré ou souhaite être accepté.
La conformisation se développe sous l’effet conjugué, et dans des
proportions variables selon les cas, d’une pression du groupe sur l’individu
et de l’adhésion volontaire de celui-ci.
Cependant, il y a différentes formes de conformisme, qui impliquent plus
ou moins profondément la personne. Parmi les différents facteurs qui
modulent la conformisation, plusieurs recherches ont mis en évidence les
caractéristiques de la cible d’influence, celles de la source, et le contexte
normatif global dans lequel a lieu leur interaction (il y a des groupes
sociaux où la conformité est valorisée, d’autres où ce n’est pas le cas). Mais
il faut tenir compte aussi du type de rapport qui s’établit entre la cible et la
source et qui définit leur relation.
Ainsi, Kelman (1958) a pu mettre en évidence trois formes de
conformisme, en rapport avec les conditions sociales où elles émergent
(cf. encart 9).

Encart 9 – L’expérience de Kelman (1958)


L’expérience a lieu au moment où la Cour suprême, aux États-
Unis, s’apprête à faire voter une loi contre la ségrégation des
Noirs dans les écoles publiques américaines. Les sujets sont des
étudiants noirs, majoritairement antiségrégationnistes. On leur fait
écouter une soi-disant émission radiophonique, dans laquelle
l’orateur défend le point de vue qu’il faut maintenir quelques
établissements noirs, pour préserver la culture et l’histoire des
Noirs.
Dans une première condition, on dit aux étudiants que l’orateur
est le président pour la Fondation des collèges noirs et celui-ci
annonce sa décision de supprimer les aides financières aux
collèges qui s’opposeraient à la décision. Il s’agit donc d’une
condition où le contrôle social de la source est élevé.
Dans une deuxième condition, on dit aux étudiants que l’orateur,
également un Noir, est le président d’une organisation qui a joué
un grand rôle dans la décision de la Cour suprême. Celui-ci insiste
sur le fait qu’il représente l’opinion de l’ensemble des membres de
son organisation. Il s’agit donc d’une condition dans laquelle
l’attrait de la source est élevé.
Dans une troisième condition, on dit aux étudiants que l’orateur,
cette fois-ci un Blanc, est un historien prestigieux. Celui-ci appuie
son argumentation sur ses (soi-disant) recherches scientifiques.
Dans cette condition, c’est la crédibilité de la source qui est mise
en évidence.
Après avoir entendu la bande, les étudiants devaient répondre à
trois questionnaires : au premier, juste après l’écoute, et ils y
notaient leur nom ; au deuxième qui était anonyme juste après le
premier ; au troisième, trois semaines après l’écoute. C’est
seulement à propos du premier, qu’on leur disait que les résultats
seraient communiqués à l’orateur.
Voici les résultats :
– Lorsque l’orateur est présenté comme ayant des moyens de
contrôle et de sanction, on constate son influence, mais
uniquement quand le questionnaire est nominal (conformisme de
complaisance).
– Lorsque l’orateur est présenté comme le président d’une
association qui fait référence pour les sujets, son influence se
manifeste tant que celui-ci et le groupe qu’il représente sont
visibles, existants à leurs yeux (deux premiers questionnaires).
Trois semaines plus tard, ils ne se conforment plus (conformisme
dû à l’identification à la source d’influence).
– Lorsque l’orateur est présenté comme un scientifique
prestigieux, son influence se développe dans les trois conditions
de récolte des réponses, y compris trois semaines plus tard (c’est
l’intériorisation du contenu du message qui produit le
conformisme).
Cette expérience met en évidence que les différentes modalités
du conformisme (par complaisance, identification ou
intériorisation) dépendent des caractéristiques de la relation entre
la source et la cible d’influence.

3.1.1 La complaisance
Dans ce cas, le conformisme est utilitaire. L’individu souhaite « ne pas
avoir d’histoires » ou « avoir la paix », il se conforme pour pouvoir
préserver l’approbation du groupe sur lui, et continuer d’y être accepté. Les
propres croyances du sujet ne sont pas atteintes (différence entre opinion
publique et opinion privée). Cette forme de conformisme apparaît en
particulier quand la relation d’influence est fondée sur des relations de
pouvoir dans lesquelles celui qui cherche à influencer est celui qui a le
pouvoir.
3.1.2 L’identification
Dans ce cas, le sujet désire maintenir ou établir des relations positives
avec un groupe qui l’attire, qui est important pour lui. Le sujet croit
éventuellement ce qu’il affiche, mais ce qui lui importe, c’est sa relation au
groupe. Nous retrouvons ici la problématique que nous avons développée
pour les groupes de référence. Cette forme de conformisme se développe si
un groupe attractif existe dans l’environnement socioaffectif du sujet, s’il
est suffisamment « visible » pour lui, au moins symboliquement.
3.1.3 L’intériorisation
Dans ce cas, le conformisme ne vient ni du contrôle social, ni de la
visibilité d’un groupe valorisé, mais du fait que le contenu évoqué par la
source d’influence est intégré dans le système de valeurs du sujet. Celui-ci
alors modifie ses croyances indépendamment de la source d’influence. Pour
Kelman, c’est possible quand celle-ci a une haute crédibilité (notoriété,
compétence, prestige), de sorte que son message a pour le sujet valeur de
vérité ou d’objectivité, mais il nous faudra envisager le cas, où ce processus
d’intériorisation, qui aboutit à des conversions, n’est pas le fait d’une
dépendance, à un individu ou un groupe prestigieux, mais le résultat d’une
restructuration cognitive du sujet (cf. chapitre 4).
Dans tous les cas, il faut bien voir (Moscovici, Ricateau, 1972) que le
conformisme est le résultat d’une négociation tacite entre les points de vue
d’un groupe ou d’un individu qui fait autorité et ceux qui s’y trouvent
confrontés. Cette négociation a lieu pour résoudre le conflit provoqué par
leur divergence. La solution choisie dans le cas du conformisme,
correspond à une réduction de ce conflit par l’adoption de la norme qui fait
autorité.

3.1.4 Pression implicite à se conformer


Depuis l’expérience princeps de Salomon Asch (1951) (cf. encart 10),
dans la plupart des expériences sur le conformisme, la pression du groupe
est implicite : à propos d’une tâche quelconque, portant sur des perceptions,
des jugements ou des opinions, un individu est mis en présence d’un groupe
dont les membres proposent des réponses différentes de celles que le sujet
s’apprête à donner : ainsi par sa simple présence, le groupe provoque un
conflit chez l’individu entre les deux termes d’une alternative (les réponses
du groupe, les siennes propres). Le conformisme est une manière
particulière de traiter ce conflit, et de diminuer l’incertitude et le
désagrément qu’il a provoqués, sans que les membres du groupe aient
exercé de pression explicite pour ce faire.
Dans le cas de la complaisance, évoqué plus haut, la pression est
indirectement explicite, car la personne qui ne se conforme pas, sait que son
non-conformisme peut aboutir à une sanction réelle (suppression des
moyens financiers, contravention, etc.) ou symbolique (désapprobation,
perte d’estime, etc.).
Quand l’individu ne subit pas de pression pour se conformer, comment se
fait-il qu’il ressente un conflit lorsqu’il découvre que ses réponses ou ses
opinions diffèrent de celles d’autrui, et qu’il le résolve en se conformant ?
Depuis les travaux de Deusch et Gerard (1955), la réponse à cette question
renvoie à l’existence de deux types de dépendance. La dépendance
informationnelle provient de notre recherche d’exactitude : nous avons à
cœur d’évaluer correctement la réalité et d’effectuer sur les choses et les
gens des jugements exacts. Pour nous en assurer, nous nous tournons
facilement vers les autres, prêts à nous en remettre à ceux que nous
considérons comme experts en la matière, et avec l’idée (souvent erronée)
que le consensus est un gage de vérité (Oberlé et Drozda-Senkowska,
2002). D’où notre propension à adopter la position de la majorité (Martin,
Gardikiotis et Hewstone, 2002). La dépendance normative renvoie à des
motivations sociales : le besoin d’être accepté par les autres. Cependant,
selon la théorie du référent informationnel (Turner, 1991), la distinction
entre ces deux types de dépendance est discutable. En effet si pour asseoir
la validité de nos comportements, jugements et raisonnements, nous
dépendons de l’avis d’autrui, il ne s’agit pas de n’importe quel « autrui »
mais de gens à qui nous faisons confiance. Or ce sont les membres de nos
groupes de références par qui nous souhaitons par ailleurs être reconnus,
que nous jugeons dignes de foi.
Encart 10 – L’expérience princeps de Asch
Dans cette expérience de Asch, qui est devenue la référence pour
toutes les études sur le conformisme, la tâche expérimentale
consiste à comparer des lignes entre elles, et à déterminer
lesquelles sont de longueur égale. Plus précisément (voir infra),
au cours de plusieurs essais, on présente aux sujets deux cartes.
L’une comporte une ligne et l’autre trois de longueurs inégales, et
le sujet doit dire à laquelle des trois lignes celle qui est présentée
seule est égale.
Pour répondre à cette question, les sujets de l’expérience sont
intégrés dans des groupes de 7 à 9 personnes. Tous les membres
de ces groupes, sauf les sujets expérimentaux, sont des
compères de l’expérimentateur, qui vont proposer des réponses
erronées dans douze essais sur les dix-huit que comporte
l’expérience.
3.1.5 Pression explicite
Il est des cas où la pression pour se conformer est claire, c’est quand il y a
injonction, ordre d’obéir, dans le cadre d’une relation asymétrique dans
laquelle celui qui donne l’ordre a un statut supérieur à l’autre, et qui fait
autorité. Ce sont les célèbres expériences de Milgram (1974)
(« vulgarisées » par le film français I comme Icare) qui font référence en ce
domaine. Milgram a imaginé une procédure expérimentale permettant
d’observer à quelles conditions un individu se soumettrait à l’ordre
d’infliger des chocs électriques douloureux à un autre individu (bien sûr, le
dispositif électrique est fictif, mais les sujets l’ignorent).
Les résultats ont paru effarants aux expérimentateurs. Dans une condition
expérimentale de feedback à distance (le sujet ne voit ni n’entend la
victime, mais seulement les coups qu’elle envoie dans la paroi), 65 % des
sujets envoient des chocs électriques d’une intensité moyenne de 405 volts.
Les autres conditions expérimentales permettent de mettre en évidence les
facteurs qui diminuent le taux d’obéissance. Ce sont ceux qui touchent :
• à la relation du sujet à la « victime » ; la proximité de celle-ci (en
particulier avec vue et contact physique) diminue l’obéissance ;
• à la relation à l’autorité : quand l’expérimentateur s’en va, ou qu’il laisse
libre le sujet de fixer le voltage du choc, ou quand ils sont deux
expérimentateurs qui manifestent un désaccord, le taux d’obéissance
diminue ;
• à l’existence d’un support social : quand le sujet se retrouve avec des
compères de l’expérimentateur qui jouent le rôle de sujets naïfs refusant
de continuer, le taux d’obéissance diminue également.

Encart 11 – La transposition de Milgram à la télévision


En mars 2010, on a pu voir à la télévision française un
documentaire7 sur les dérives des jeux télévisés au cours duquel
le paradigme de Milgram avec sa procédure des chocs électriques
a été pour la première fois transposé dans l’univers télévisuel. Les
sujets expérimentaux croyaient participer à un pilote d’un futur jeu
destiné à tester sa qualité et son efficacité, et à apporter des
améliorations éventuelles. Il n’y avait pas d’enjeu de gain d’argent.
Ce pilote de jeu impliquait deux joueurs dont l’un (les sujets
expérimentaux) devait envoyer des chocs électriques (bien
entendu fictifs) à l’autre (compère des expérimentateurs) quand
ce dernier donnait des réponses erronées aux questions qu’on lui
posait.
50 ans après les premières expériences de Milgram, et dans un
contexte régi non par l’autorité scientifique mais par l’autorité
télévisuelle, le taux d’obéissance fut équivalent à celui obtenu par
Milgram. La seule condition où ce taux baissait correspondait au
cas où l’animatrice du jeu annonçait qu’elle devait pour un
moment quitter le plateau.
Ces résultats soulignent le pouvoir prescriptif de l’animatrice du
jeu, représentante de l’autorité télévisuelle, et l’impact de sa
présence physique auprès des participants.

3.1.6 « État agentique »


Pour interpréter ses résultats, Milgram avance l’idée que tout individu
(aussi autonome se sent-il par ailleurs) subit une modification quand il
s’insère dans une structure sociale hiérarchique. Le sujet passerait alors à un
« état agentique », c’est-à-dire qu’il ne se vivrait plus comme quelqu’un
d’autonome mais comme l’agent exécutif d’une autorité qui le dépasse. Ces
résultats jusqu’à récemment (Reicher, Haslam et Smith, 2012 ; Hollander et
Turowetz, 2017 ; Haslam et Reicher, 2018) ont été régulièrement retrouvés,
commentés, analysés dans de nouvelles perspectives à la lumière de
nouveaux cadres théoriques (cf. la théorie de l’engagement, la théorie de
l’identité sociale). Et même si l’existence de « l’état agentique » n’est plus
la seule explication proposée, elle est toujours à l’œuvre. Milgram en
rendait compte en évoquant la socialisation au cours de laquelle est effectué
l’apprentissage du respect de l’autorité et de l’obéissance et qui attribue de
la valeur à l’obéissance. En effet, dans de nombreuses sociétés, dont la
nôtre, et quelles que soient par ailleurs les incitations à la rébellion, le
respect de l’autorité et de l’obéissance est une norme valorisée pour elle-
même, que les institutions familiales, scolaires, professionnelles s’efforcent
de nous transmettre et de nous faire respecter.
Cette soumission à l’autorité aboutit à un phénomène (bien connu dans les
organisations) de diffusion des responsabilités, car il amène chacun à
considérer qu’« il ne fait qu’obéir », rejetant ainsi la responsabilité de son
acte sur son supérieur. C’est aussi cette argumentation qui a été utilisée par
certains tortionnaires nazis lors du procès de Nuremberg. Beaucoup plus
récemment (cf. Howery et Dobbs, 2000) on a pu montrer que des sujets
acceptaient de servir de témoins à propos d’un vol auquel ils n’avaient en
fait pas assisté, sur la simple demande d’une autorité.
Ces considérations amènent à problématiser la question du conformisme :
beaucoup d’études à son propos ont mis en évidence ses aspects positifs ; il
facilite la socialisation de l’individu, répond à ses besoins de repères et de
sécurité, et permet à l’individu de s’affirmer. Il renforce la cohésion des
groupes, facilite l’interaction de ses membres, et, par l’adhésion à un cadre
de référence commun qu’il suppose, les rend plus opératoires par rapport
aux buts qu’ils se donnent. Cependant, force est de constater aussi que le
conformisme peut contribuer à la diffusion des théories du complot
(Douglas, Sutton et Cichocka, 2017 ; Von Prooijen, Douglas et De
Innocencio, 2018), provoquer l’adhésion à croyances fausses ou
malfaisantes, engendrer des comportements que les individus intimement
réprouvent (cf. encart 11) et que, impliquant la valorisation du consensus et
du statu quo, il se révèle être, dans bien des cas, un frein à des changements
nécessaires et/ou souhaités.
La plupart des expériences menées sur le conformisme l’ont été à partir du
paradigme de Asch (1951, 1971) (cf. encart 10, p. 71). Pendant longtemps,
on n’a retenu de ses recherches que ses résultats, et non la question cruciale
qui les avait motivées : dans quelle mesure l’homme est-il capable de
résister à des influences néfastes ?

3.2 La normalisation
Il faut distinguer le conformisme d’une autre forme d’influence sociale,
avec laquelle pourtant on le confond souvent, c’est la normalisation. Cette
modalité de l’influence renvoie à des situations où il n’y a pas de norme
établie, pas de groupe ou de sous-groupe qui propose un modèle ou un
système normatif et exerce une pression plus ou moins implicite pour
amener à son adoption. La normalisation renvoie donc à la création de
normes, et au fait que celles-ci se mettent progressivement en place à partir
de l’influence réciproque des individus en interaction.
3.2.1 Le processus
Si vous vous référez à votre expérience, vous aurez peut-être une certaine
difficulté à comprendre à quoi renvoie ce processus. En effet, la plupart des
groupes auxquels nous appartenons nous préexistent, et nous proposent un
système de normes plus ou moins fixées. Cependant, vous avez peut-être
participé à la création d’une association ou d’un groupe politique, ou d’un
orchestre, et là, vous avez dû vivre ce processus qui touche à des facteurs
matériels, comme l’aménagement des horaires, du lieu de rencontre, mais
aussi à des facteurs relationnels (la manière dont on s’adresse la parole,
dont on se dit bonjour et au revoir, etc.) et aux idées, aux idéaux, à ce que
finalement le groupe considérera comme « ses priorités » et pour lequel il
est prêt à se mobiliser. Plus banalement, il a dû vous arriver de partir en
vacances avec des amis. Les premiers jours, vous avez observé un certain
flottement, on s’attend beaucoup, les uns dorment tard, les autres se
réveillent tôt, certains vont faire des courses à un moment qui paraît
incongru aux autres, etc., et petit à petit, les choses se normalisent, les
différents événements de la journée deviennent prévisibles (c’est plutôt en
fin de matinée qu’on va se baigner, il y a « l’heure du pastis » où tout le
monde se retrouve, etc.) car un cadre de référence commun a été trouvé, qui
peut diverger plus ou moins profondément selon les cas des habitudes
personnelles de chacun, mais qui permet la vie en commun.
Tout groupe en formation passe par une phase de normalisation, les
usages, les opinions, les croyances communes qu’elle produit devenant par
la suite, si le groupe dure, l’ensemble des modèles auxquels les nouveaux
arrivants devront se conformer.
3.2.2 Les paramètres
De nombreuses expériences ont mis en évidence ce processus de
normalisation. Quelle que soit la tâche expérimentale (évaluer l’amplitude
des déplacements d’un point lumineux (Sherif, 1935, 1965), évaluer le
nombre de pastilles collées sur un carton (Montmollin, 1966), les réponses
des sujets, lorsqu’ils sont en groupe ou informés des réponses des autres,
tendent à converger, même si comme dans l’expérience de Sherif, les sujets
ont d’abord eu l’occasion d’élaborer des réponses individuellement. On
assiste donc à la création d’une norme collective, qui sert de cadre de
référence aux réponses de chacun, et dont on a remarqué qu’elle
correspondait toujours à un nivellement des réponses, à un compromis. On
s’est demandé pourquoi, et plusieurs réponses ont été apportées.
Cette convergence a été expliquée :
• par l’égalité des statuts (French, 1956) ;
• par la tentative de réduire l’incertitude : quand nous ne savons pas
comment répondre, nous avons tendance à nous référer aux réponses des
autres. Mais si tous font la même chose, cette « ignorance plurielle »
entraîne la convergence des différentes réponses (Miller et McFarland,
1987) ;
• par le désir de chacun de se rendre acceptable pour autrui en étant
relativement similaire à lui, ce qui amène à des concessions réciproques
(Allport, 1962) ;
• par la tendance des sujets à renoncer aux positions extrêmes, pour se
rapprocher d’une valeur centrale « plus vraisemblable » (Montmollin,
1966) ;
• par la volonté d’éviter le conflit intra et intersubjectif provoqué par les
réponses différentes, sans pour autant résoudre la divergence au profit
d’un partenaire (Moscovici, Ricateau, 1972). En effet, le processus de
normalisation apparaît lorsque, dans un groupe, plusieurs positions
différentes se font jour, sans qu’une norme préexistante, interne au groupe,
incite à penser que celle-ci est meilleure que celle-là : pour Moscovici, la
simple présence des points de vue différents fait prendre conscience d’un
désaccord possible, d’un conflit. La négociation implicite qui s’ensuit,
aboutit dans le cas de la normalisation à éviter ce conflit par la recherche
du plus petit dénominateur commun.
Ce processus de normalisation est bien entendu renforcé lorsqu’il se
développe dans une situation sociale où le consensus est valorisé. Ainsi,
Doise (1982) fait l’hypothèse que dans les situations expérimentales dans
lesquelles on cherche à mettre en évidence la normalisation, les différents
sujets se constituent en groupe, à partir de l’envie commune de répondre à
l’attente de l’expérimentateur, de l’aider à établir une vérité scientifique. Or
dans une conception courante (véhiculée en particulier par l’école), celle-ci
correspond à l’établissement d’un consensus.
Différents facteurs cependant peuvent moduler, affecter, orienter la
convergence dans les processus de normalisation. Ainsi on s’est demandé
(Lemaine, Lasch, Ricateau, 1971-1972), comment réagiraient des sujets,
amenés à connaître, avant l’expérience, les différentes opinions
idéologiques des uns et des autres, à propos d’un thème (la femme et la
société par exemple) sans lien avec l’expérience.
Quand au cours de l’expérience, les réponses sont très éloignées les unes
des autres, il y a convergence, quelle que soit par ailleurs la similitude ou la
différence entre les opinions idéologiques. En revanche, quand l’écart entre
les réponses est moindre, on s’aperçoit que les sujets ont tendance à
converger plus vers quelqu’un d’idéologiquement proche d’eux. Enfin, si
les sujets découvrent que leurs réponses sont proches de quelqu’un qui a
une opinion idéologique différente d’eux, ils essaient de s’en différencier,
en donnant par la suite des réponses différentes de leurs premières
estimations.
Enfin, on s’est aperçu que, lorsque l’appartenance des sujets
expérimentaux à des catégories différentes est rendue saillante, ils tendent à
rapprocher leurs réponses de celles des membres de leur catégorie. Ainsi,
des sujets blancs convergent plus vers les réponses d’un compère blanc
plutôt que noir, quand la couleur de la peau est un critère de catégorisation à
partir duquel ils développent des préjugés (Abrams, Wetherell et al., 1990).
3.2.3 Le contexte
Cependant un groupe aussi nouveau soit-il, n’est jamais imperméable aux
courants de pensée de la société globale dans laquelle il est inséré et aux
valeurs que ces courants véhiculent. Ainsi, pendant ces vacances dont nous
parlions tout à l’heure, la normalisation peut aboutir au fait que chacun fait
la vaisselle à tour de rôle ou que, « ça s’est trouvé comme ça », ce sont les
femmes qui s’en chargent.
Celles-ci bien entendu peuvent aussi refuser cet état de fait. Elles seront
amenées alors à poser le problème, à préciser leur point de vue, et
éventuellement à assumer un conflit avec leurs camarades. Le consensus
alors sera brisé, car ce qui conditionne son existence, c’est que le conflit
soit évité.
C’est pourquoi le processus de normalisation qui se réalise par la
convergence des points de vue vers le centre de leur distribution initiale, est
considéré comme un processus de modération des prises de position.
Cependant, comme l’avait déjà souligné Sherif (1935), la norme qui résulte
de ce processus ne correspond pas forcément à la moyenne des positions
individuelles de départ. La convergence peut même s’opérer non vers le
centre de la distribution des opinions initiales mais vers un de ses extrêmes.
On parle alors de polarisation.

3.3 La polarisation en groupe


Par polarisation en groupe8, on entend l’accentuation constatée à l’issue
d’une discussion de groupe, d’une tendance attitudinale préexistante chez
les membres (Moscovici et Doise, 1992). Pour mettre en évidence la
polarisation, on demande à des sujets d’exprimer leur opinion sur tel ou tel
sujet, d’abord en situation individuelle (préconsensus). Puis ils doivent
aboutir après discussion à une réponse groupale (consensus) dont on vérifie
l’impact en interrogeant à nouveau les sujets individuellement (post-
consensus) (Moscovici et Zavalloni, 1969). Quand un effet de polarisation
est présent, on constate que :
• les attitudes du groupe sont plus extrêmes que celles des individus qui le
composent ;
• les individus après une phase de discussion collective restent sur la
position commune ;
Pour que la polarisation ait lieu, trois conditions semblent nécessaires :
• que la discussion soit effective et puisse se développer sans entraves ;
• qu’au départ, il y ait une certaine divergence entre les points de vue ;
• que les participants soient impliqués et s’engagent personnellement dans
le débat.
Dans les expériences classiques qui avaient mis en évidence la
convergence des réponses par normalisation, les sujets ne discutaient pas
mais entendaient simplement les réponses des autres ; de plus ce qui leur
était demandé (évaluer le déplacement d’un point lumineux, compter des
pastilles, etc.) n’était pas particulièrement impliquant.
La découverte de la polarisation a modifié l’idée qu’on se faisait des
groupes : pendant longtemps on a cru qu’ils incitaient à la prudence et à la
modération et que les consensus qui s’y développaient ne pouvaient être
obtenus qu’au prix de concessions mutuelles aboutissant à des compromis
plus ou moins formels et satisfaisants. La polarisation montre que ce n’est
pas toujours le cas, et que les propos tenus en groupe peuvent être plus
risqués, plus affirmés que ceux qui sont tenus individuellement.

Pour aller plus loin


BRUNER J. (1991). Car la culture donne forme à l’esprit. De la
révolution cognitive à la psychologie culturelle, trad. fr. Paris :
Eshel.
FESTINGER L. (1971). Théorie des processus de comparaison
sociale. In C. Faucheux et S. Moscovici (éd.), Psychologie sociale
théorique et expérimentale. Paris/La Haye : Mouton.
INSENBERG D.J. (1986). Group polarization : A critical review and
meta-analysis. Journal of Personality and Social Psychology, 50,
1141-1151.
GUÉGUEN N. (2014). Psychologie de la soumission et de la
manipulation. Paris : Dunod, 2e éd.
MALEWSKA-PEYRE H., TAP P. (éd.). (1991). La Socialisation. De
l’enfance à l’adolescence. Paris : PUF.
MEAD G.H. (1963). L’Esprit, le soi, et la société. Paris : PUF.
MERTON R., KITT A. (1965). La théorie du groupe de référence et la
mobilité sociale. In A. Lévy (éd.). Psychologie sociale. Textes
fondamentaux. Paris : Dunod.
MOSCOVICI S., NÈVE P. (1973). Studies on polarization of judgments,
III, Majorities and social judgments. European Journal of Social
Psychology, 3, 479484.
STANGOR C. (2004). Social Groups in Action and Interaction. New
York : Psychology Press.
Chapitre 3
Le groupe comme
lieu de différenciation

Sommaire
1. Comparaison avec les membres de son groupe
d’appartenance
2. Comparaison avec les membres d’un autre groupe : la
catégorisation sociale
3. Conclusion

1. Comparaison avec les membres de son


groupe d’appartenance

Encart 12 – Se sentir différent des autres


Assis à une terrasse de café, Pierre se surprit à observer les
passants. Bizarrement, il ressortait de cette masse une étonnante
uniformité : était-ce le quartier estudiantin qui voulait cela ? Il avait
l’impression de connaître, ou de reconnaître cette jeunesse en
jeans-blouson, jusqu’aux visages eux-mêmes, qui lui étaient
familiers. Lui aussi était étudiant, il portait justement un jean et un
blouson ce jour-là, pourtant, il ne put s’empêcher de penser qu’il
se différenciait du lot par son amour de la solitude, alors que tous
se déplaçaient en groupe, à deux, trois ou quatre… C’est alors
qu’il rencontra Marc et Valérie qui le tirèrent de ses pensées ; il
était temps de retourner en cours.

Arrêtons-nous un instant sur Pierre (cf. encart 12) et les pensées qui
l’animent.
Pierre est étudiant ; entre les cours, il aime s’asseoir à une terrasse de café
pour discuter ou pour observer les passants qui généralement sont des
étudiants comme lui. Ceux-ci, s’ils prennent le temps d’observer Pierre, le
reconnaîtront probablement comme étant l’un d’entre d’eux : par son âge,
sa tenue vestimentaire, les livres qu’il porte dans la main, sa démarche qui
se différencie de celle des autres passants toujours pressés. Malgré cette
multitude de points communs avec un grand nombre d’étudiants, Pierre
aime cultiver son jardin secret. À la différence de la plupart de ses
camarades, pense-t-il, il y a des moments où il ressent le besoin de se
retrouver seul et de réfléchir à ce qu’il veut, à sa place dans la vie.
Dans le chapitre précédent, l’accent a été mis sur les processus qui, dans
les groupes, aboutissent à une certaine uniformité. Mais ces processus ne
sont pas les seuls à l’œuvre, les groupes permettent aussi de se différencier.
Comme on l’a vu, l’appartenance à un groupe, en donnant le sentiment d’un
« nous », socialise l’individu par rapport aux valeurs défendues par son
groupe, ses caractéristiques, ses particularités et ses objectifs. Le groupe lui
donne des repères qui lui permettent de s’y référer, de se comparer et,
partant, de valider ses attitudes et opinions. Toutefois, cette façon de se
fondre dans un groupe, d’adopter ses valeurs, de s’y conformer et pour ainsi
dire se standardiser ne signifie pas nécessairement que l’individu
abandonne sa personnalité et qu’il se désindividue. Il se sert du groupe aussi
pour lui-même ; d’une part, il l’inclut dans ses stratégies personnelles pour
réaliser des objectifs qu’il ne pourrait réaliser seul et pour tirer avantage de
l’« image de marque » du groupe ou de certains aspects de celle-ci ; d’autre
part, il s’en sert pour s’affirmer dans sa singularité.
En effet, l’individu ne se contente pas d’établir des bilans comparatifs
entre lui et les autres pour pouvoir apprécier les ressemblances. Il y trouve
aussi le ressort pour se distinguer, pour ne pas agir comme tout le monde et
pour se faire reconnaître en tant qu’être unique. Cherchant ainsi à éviter la
confusion entre lui et autrui, il tente d’affirmer son identité propre. L’échec
de cette tentative aboutit à un sentiment de perte d’unité du moi, et
provoque des émois très désagréables et de l’angoisse. Le groupe est alors
vécu comme une menace pour l’individu, comme l’attestent les expériences
de début de réunion, où personne ne se connaît, et de groupe de diagnostic
ou de base1. Chacun essaie alors de préserver son moi, soit en se retirant
dans le silence, quitte à se rattraper ensuite à la pause ou dans les couloirs,
soit en meublant à tout prix les silences par ses remarques et des questions
incessantes aux autres, soit en faisant des propositions de pistes de travail et
d’organisation du groupe. On peut aussi se sentir embarrassé par ses
compatriotes qui, lors de voyages à l’étranger, se font remarquer par leurs
conversations bruyantes. Pour ne pas être confondu avec eux ou ne pas être
interpellé par eux comme leur semblable, on se mettra alors à parler à voix
très basse ou à s’éloigner discrètement de leur champ d’action.

1.1 La dépréciation de la ressemblance


Moins abordée dans la littérature psychosociale que l’intégration, la
différenciation sociale ou processus d’individuation intervient également
dans la constitution de l’identité sociale de l’individu. Cette quête de la
différence, de l’unicité personnelle, s’intègre dans la recherche d’un
équilibre entre l’individuation et la désindividuation (Maslach, 1974) qui se
manifeste quand la perception de soi se réduit à la perception qu’en ont les
autres (Ziller, 1964). Sartre déjà, à travers l’analyse de l’expérience du
regard, avait bien montré comment le regard de l’autre peut déposséder une
personne, et la réduire à l’état d’« un objet pour autrui » dans lequel sa
liberté de sujet et sa spécificité disparaissent. C’est pourquoi l’individu
cherche une issue pour échapper à une trop grande similarité avec ses
congénères et à l’anonymat. La notion d’unicité désigne alors la motivation
à faire la différence entre soi et les autres individus en préférant des
activités auxquelles les autres sujets ont difficilement accès (Fromkin,
1970) ou qui sont inhabituelles ou insolites (Ganster, McCuddy et Fromkin,
1977). Dans une étude de Duval (1972), il ressort clairement que si l’on dit
aux gens qu’ils sont semblables à un grand nombre d’autres personnes, leur
conformisme peut diminuer de façon marquée.
Cependant, quand ils se sentent trop fortement exposés parce que
différents des autres, en particulier dans un environnement qui semble trop
incertain ou trop hostile (Ziller, 1964), la similitude est alors recherchée.
La différenciation sociale, autre versant de la quête identitaire, a fait
l’objet d’un certain nombre de recherches en France, à commencer par
celles de l’équipe aixoise sur la perception des relations de similitudes (voir
en particulier Codol, 1975, 1979, 1984a, 1984b). Dans une expérience
(Codol et Jarymovicz, 1984) qui plaçait des sujets expérimentaux dans une
situation où le degré de similitude entre eux pouvait être objectivement
mesuré, on a observé que les sujets percevaient la similitude d’autant moins
fortement que la similitude objective était forte. Tant que la similitude
objective était faible, la similitude subjectivement perçue par les sujets lui
correspondait sensiblement. Cette dernière diminuait progressivement à
mesure que la similitude objective devenait forte. Il en ressort que plus la
similitude objective est grande, plus les sujets manifestent de la difficulté à
la reconnaître. L’expérience nous rappelle l’histoire des frères jumeaux qui
tout en passant l’un pour l’autre, ne se reconnaissaient pas dans la rue. Nul
doute qu’on est là en présence d’un phénomène de défense, de la part des
sujets, de leur identité propre dans des situations où celle-ci risque de n’être
pas reconnue.
En outre, il y a similitude et similitude. Celle qu’un individu peut
percevoir entre les membres de son groupe n’est pas la même selon que cet
individu se considère lui-même à l’intérieur de cet ensemble ou au contraire
s’il s’en exclut. La similitude est perçue comme plus faible dans le premier
cas que dans le second (cf. encart 13).

Encart 13 – L’expérience de Codol


Dans le cadre d’une passation de questionnaires (Codol, 1984a,
p. 45-47), 53 sapeurs-pompiers et 43 employés des pompes
funèbres devaient estimer le degré de ressemblance entre :
a) les membres de leur propre groupe professionnel, l’enquêté
compris (question : « Est-ce que vous pensez qu’entre vous, vous
vous ressemblez ? ») ;
b) les autres membres de leur groupe professionnel à l’exclusion
de l’enquêté lui-même (question : « Est-ce que vous pensez
qu’entre eux, vos collègues se ressemblent ? ») ;
c) les membres de l’autre groupe professionnel (question : « Est-
ce que vous pensez qu’entre eux, ils se ressemblent ? »).
Résultats des estimations moyennes du degré de
ressemblance (N = 96)
a) Entre nous :
b) Entre les autres c) Entre les membres
mon groupe, moi
membres de mon groupe. de l’autre groupe.
compris.
m = 3,89 m = 4,48 m = 6,10

Les sujets devaient estimer sur des échelles en 9 points le degré


de ressemblance perçue (de 1 : « pas du tout » à 9 : « tout à
fait »). m = moyenne des réponses, N = nombre total des sujets.

Les différences entre ces moyennes sont statistiquement


significatives. Quand l’individu interrogé se considère lui-même à
l’intérieur de son groupe d’appartenance, il perçoit
significativement moins de ressemblance que lorsqu’il n’est pas
impliqué dans la comparaison. La similitude des membres du
groupe d’appartenance est donc perçue comme plus grande
quand le sujet ne s’inclut pas dans cette comparaison.
Remarquons cependant que la similitude perçue entre les
membres de l’autre groupe est bien plus massive encore.

La propension à ne pas se percevoir comme ressemblant à ses congénères


peut conduire à un manque de réalisme quand on pense être moins
influencé que les autres gens, par exemple par des messages télévisuels
(Davison, 1983), notamment quand ces messages portent sur des contenus
antisociaux (Innes et Zeitz, 1988). Cet « effet troisième personne » (third
person effect en anglais, third person ou « troisième personne » référant aux
autres gens) semble servir à des fins d’auto-amélioration (Hoorens et Ruiter,
1996). Dans la même ligne de pensée, on a pu observer que les gens
manquent de perspicacité dans des situations où il s’agit d’évaluer les
risques qu’on est susceptible d’encourir au moment de s’engager dans des
conduites dangereuses ou quand il s’agit d’évaluer la probabilité de
bénéficier de circonstances heureuses. Cette tendance à l’optimisme
comparatif, que l’on a surtout observée dans les pays d’Amérique du Nord
et d’Europe, fait envisager des événements fâcheux comme moins
probables pour soi que pour autrui et inversement de considérer des
événements comme positifs plus probables pour soi que pour autrui. Il en
résulte un sentiment d’invulnérabilité relative qui peut constituer un frein à
la prévention dans la mesure où il diminue la peur liée à des risques que
l’on est susceptible d’encourir, par exemple dans le domaine de la santé, de
l’environnement ou des accidents de la route. L’optimisme comparatif
semble notamment atteindre les préadolescents, qui ne voient pas de danger
en ce qui les concerne (Albery et Messer, 2005), mais on l’observe aussi
chez des adolescents qui, comparés à leurs pairs, ont le sentiment d’être
invulnérables, quand ils prennent des risques occasionnels (par exemple au
moment de beuveries collectives) et chez des adultes qui s’estiment
davantage à l’abri de maladies et d’accidents que leurs congénères (Cohn,
MacFarlane, Yanez et Imai, 1995).
Le sentiment d’invulnérabilité n’est pas indépendant de la croyance que
les sujets ont d’être en mesure d’exercer davantage de contrôle sur leur
environnement que leurs congénères (ce sont les autres qui ont une
mauvaise hygiène de vie, pas moi) ou de prendre bien plus de précautions
qu’eux (les autres conducteurs sont des chauffards, pas moi) afin d’éviter
des événements négatifs (Desrichard, Verlhiac et Milhabet, 2001 ; Milhabet,
Desrichard et Verlhiac, 2002). Il convient également de préciser que
l’optimisme comparatif n’est pas systématique. Il diminue jusqu’à
disparaître en cas d’imminence d’un risque ou d’événement incontrôlable,
comme un tremblement de terre (Helweg-Larsen et Shepperd, 2001), voire
lorsque l’anxiété des sujets est importante (Helweg-Larsen et Shepperd,
2001 ; Verlhiac, Desrichard, Milhabet et Arab, 2005).

1.2 L’individu modèle de référence à


l’intérieur de son groupe
La dépréciation de la ressemblance entre soi et autrui amène le sujet à se
poser comme différent plutôt que comme semblable. C’est ce qui est
clairement ressorti d’une autre expérience de Codol (1984a) conduite
auprès d’un échantillon d’étudiants qui répondaient beaucoup plus
positivement à la question : « Pensez-vous que vous-même,
personnellement, vous êtes différent(e) des autres étudiants ? » qu’à la
question : « Pensez-vous que vous-même, personnellement, vous
ressemblez aux autres étudiants ? » L’individu, dans ce cas, surestime les
différences avec autrui et minimise les similitudes, se percevant clairement
comme différent plutôt que comme ressemblant (cf. encart 14, 2e colonne).
Dans ce jeu de comparaison, il ne s’agit pas seulement d’être différent
pour ne pas être semblable. Il s’agit aussi d’être unique. Un individu
accepte plus facilement une relation de similitude entre lui-même et
d’autres personnes si cette similitude est définie en référence à lui-même,
c’est-à-dire si le sujet devient le modèle auquel l’autre est comparé. Il est
bien plus affirmatif à la question : « Pensez-vous que les autres étudiants
vous ressemblent à vous, personnellement ? » qu’à la question mentionnée
précédemment : « Pensez-vous que vous-même, personnellement, vous
ressemblez aux autres étudiants ? » (cf. encart 14, 2e ligne).

Encart 14 – Résultats des estimations moyennes du degré


de ressemblance et de différence (N = 140)
Modèle de
Les autres Moi
comparaison
Je ressemble aux autres Les autres me ressemblent
Similitude
m = 4,00 m = 5,09
Je suis différent des Les autres sont différents de
Différence autres moi
m = 5,51 m = 4,53

Les sujets devaient estimer sur des échelles en 9 points le degré


de ressemblance et de différence perçue (de 1 : « pas du tout », à
9 : « tout à fait ») ; m = moyenne des réponses, N = nombre total
des sujets.
Quand les autres étudiants sont définis en relation avec lui-même,
l’étudiant montre beaucoup moins de résistance à la similitude
avec autrui que quand on le compare avec ceux-ci.
Mais on constate aussi que la différence, quand elle est le fait des
autres étudiants, est moins bien perçue.
Enfin, on peut constater qu’il y a valorisation de la différence
quand cette différence permet à l’individu d’affirmer sa différence,
c’est-à-dire son unicité personnelle plutôt que quand elle renvoie à
un processus de différenciation actif d’autrui (cf. encart 14,
3e ligne).

1.3 L’effet PIP (Primus inter pares)


Les processus dont il vient d’être question sont des processus purement
cognitifs. Si la singularisation de l’individu se traduit dans les actes, il attire
l’attention, devient visible et repérable pour les autres. À partir d’un certain
seuil, sa différence peut être perçue comme une déviance, et entraîner des
sanctions. Au pire, ce sera l’exclusion.
En effet, la plupart des situations sociales sont normées et se traduisent
concrètement par des panoplies de comportements que doivent adopter les
acteurs sociaux, car leur respect conditionne l’appartenance au groupe.
Ainsi dans le milieu de la publicité, il s’agit d’être créatif, entre adolescents
il faut être « cool », les mannequins se doivent d’être minces et
sophistiqués, et les hommes d’affaires « battants ». Si un individu s’écarte
trop de ces modèles de comportement, il peut perdre l’évaluation sociale
positive dont il a pu bénéficier jusqu’alors en tant que membre de son
groupe.
L’individu qui souhaite bénéficier de « l’image de marque » de son groupe
doit donc se montrer conforme aux normes qu’imposent la situation et le
groupe auquel il appartient ou qui lui sert de référence. En même temps que
s’exerce alors une certaine pression vers le conformisme, vers une
soumission aux exigences d’une situation, le degré de son autonomie
personnelle se trouve réduit et son auto-évaluation risque d’en être affectée,
d’être moins positive. Le conflit qui résulte du désir de plaire et de la
détermination de protéger sa singularité peut pousser l’individu vers la
recherche simultanée du conformisme et de la différence. Il manifestera
alors une « conformité supérieure du soi » : celle-ci consiste à se valoriser
par rapport aux normes en vigueur dans un ensemble social, en s’attribuant
les caractéristiques valorisées positivement et en se décrivant comme plus
conforme aux normes requises par la situation que les autres individus
(même si objectivement cela ne correspond pas à la réalité). Cette façon de
résoudre le conflit entre le désir d’être comme les membres de son groupe
et la recherche de singularité par rapport aux membres de ce groupe est un
processus purement cognitif et se passe dans la tête de l’individu.
La conformité supérieure de soi pour le punk est de considérer sa crête
plus destroy que celle des autres membres de sa bande, l’homme de
publicité estimera son imagination plus débordante que celle de ses
collègues, le mannequin se percevra comme ayant le « petit plus »
nécessaire pour bien représenter les couleurs de sa maison de couture.
Chacun pense alors incarner le plus parfaitement les caractéristiques
valorisées et prototypiques de son groupe d’appartenance.
Cette conformité supérieure de soi, qui est le moyen de se percevoir
comme différent des autres dans le respect de la conformité aux normes
sociales, a été mise en évidence par Codol (1973, 1975) sous l’intitulé
d’effet PIP (Primus inter pares), c’est-à-dire « le premier d’entre les pairs ».
Dans une série d’expériences, Codol (1979) a alors pu montrer que dans
une situation qui exige la coopération entre plusieurs personnes, celles-ci
tendront à se considérer comme plus coopératives que les autres membres
du groupe ou plus compétitives quand la compétitivité est la norme du
groupe.
Alors que les travaux de Codol abordent la conformité supérieure de soi
ou effet PIP sous l’angle identitaire, pour de nombreux chercheurs,
notamment outre-Atlantique, le même phénomène relève d’un biais
cognitif. De leur point de vue, il s’agirait d’un sentiment de supériorité
illusoire, parfois aussi appelé effet Lake Wobegon2. Leurs travaux relèvent
la tendance des gens à se trouver meilleurs que les autres. Cross (1977), par
exemple, a trouvé que 94 % des enseignants interrogés dans une université
américaine estimaient faire un bien meilleur travail que leurs collègues. Des
résultats analogues ont été obtenus chez des étudiants (Dunning, Johnson,
Ehrlinger et Kruger, 2003 ; Ehrlinger, Johnson, Banner, Dunnung et Kruger,
2008), des étudiants de médecine (Hodges, Regehr et Martin, 2011) et chez
des employés de bureau (Edwards, Kellner, Sistrom et Magyari, 2003).
1.4 Le minoritaire innovateur
Les stratégies de différenciation décrites à l’instant ont pour cadre le statu
quo autour d’une norme dominante, elles se développent dans les marges
(plus ou moins étroites selon les groupes) de la norme majoritaire. Mais ce
n’est pas toujours le cas. Elles peuvent se développer hors ce statu quo,
contre lui, ce qui est spécifiquement le propre des stratégies minoritaires
(Moscovici, 1979).
Ce que cherche le minoritaire3, c’est à se rendre visible aux yeux des
autres, afin qu’ils reconnaissent la spécificité du point de vue qu’il défend.
C’est le besoin de faire accepter son point de vue alternatif qui pousse une
personne à s’engager dans une action minoritaire malgré les risques
encourus. Il y a là une urgence à développer et faire exister une autre façon
de voir les choses, qui fait passer au second plan le besoin de plaire, et cette
urgence est d’autant plus forte que son existence est niée par d’autres.

1.4.1 De l’importance du style de comportement


minoritaire
C’est par son style de comportement, c’est-à-dire par la manière dont il va
se présenter aux autres, interagir avec eux et dire ce qu’il a à dire, que le
minoritaire va être repéré. Le repérage du minoritaire dépend en particulier
de sa consistance, c’est-à-dire de sa capacité à affirmer son point de vue de
manière ferme, assurée, cohérente, de telle sorte que celui-ci devienne
saillant pour les autres. Cette consistance peut être intra-individuelle, c’est-
à-dire interne à une personne ou interindividuelle quand les membres d’une
minorité défendent le même point de vue, fermement, et selon un
argumentaire qui a une cohérence interne. Comme tous les comportements,
ceux-ci font l’objet d’interprétations de la part de ceux qui y sont
confrontés, et font apparaître le minoritaire comme sûr de soi, autonome,
compétent et peu apprécié. Ces caractéristiques comportementales vont être
perçues et interprétées comme des informations à la fois sur les personnes
qui adoptent une telle attitude et sur le point de vue qu’elles défendent.
On voit que ces caractéristiques comportementales impliquent à la fois des
dimensions cognitives et relationnelles, qui aboutissent à prendre en
considération le point de vue de la minorité ; il arrive un moment où on ne
peut plus ne pas en tenir compte, car son assurance force l’attention et
amène à l’envisager. Le minoritaire en assumant sa différence amène les
autres à le reconnaître.
1.4.2 De la création d’un conflit
Pour obtenir cette reconnaissance, si essentielle à leurs yeux, les individus
minoritaires doivent créer et assumer un conflit avec la majorité. Car c’est à
cette condition que leur existence et leur position vont pouvoir être
identifiées. Quand la majorité commence à se demander « mais pourquoi
voient-ils les choses comme cela ? », c’est qu’un désaccord est clairement
perçu entre les points de vue majoritaire et minoritaire, grâce auquel le
point de vue minoritaire devient visible.
Évidemment, par le conflit qu’il instaure, le minoritaire rompt le
consensus dans le groupe. Cette rupture du consensus s’établit à deux
niveaux :
• d’une part la nouvelle norme proposée par le minoritaire n’est pas
compatible avec celle de la majorité ;
• d’autre part, en la proposant, le minoritaire rompt avec l’usage selon
lequel il n’y a que la majorité ou l’autorité qui définit les normes.
En maintenant le conflit, en restant intransigeant, le minoritaire révèle
qu’on peut résister aux pressions sociales, à l’uniformité, et sa différence
ainsi affirmée est l’équivalent symbolique qu’une alternative est possible là
où jusqu’alors on admettait qu’il est impossible de faire ou de penser
autrement. Les différents enjeux dont les minoritaires sont porteurs, sont si
importants pour eux qu’ils prennent le risque de se faire haïr, conspuer et
parfois massacrer. Leur identité se forge dans la conscience et la
revendication de leur différence, et dans les démarches qu’ils entreprennent
pour devenir visibles et obtenir de la reconnaissance sociale.

2. Comparaison avec les membres d’un


autre groupe : la catégorisation sociale
La distinction entre soi et autrui décrite dans le paragraphe précédent
procède d’un processus de comparaison avec les membres de son groupe
d’appartenance et s’inscrit dans la quête d’une reconnaissance sociale de
son identité, dans ce que celle-ci comporte de particulier et de singulier
relativement aux autres membres du groupe. La différenciation se
caractérise par le contraste que l’individu établit entre soi et autrui par
rapport à un critère qui est soit accepté, voire valorisé (effet PIP), soit
contesté (minoritaire innovateur).
Or la socialisation de l’individu n’a pas lieu en vase clos. L’appartenance à
un ou plusieurs groupes donnés implique l’existence d’entités sociales,
d’exogroupes, dont il ne fait pas partie. Leur existence n’est pas en
permanence présente à l’esprit de chacun. Dans la vie de tous les jours, il
existe beaucoup de situations où la multiplicité des groupes et des
catégories sociales n’est pas prégnante. L’équilibre sociologique, par
exemple, d’un quartier, d’une ville ou d’un pays repose sur la diversité
sociale et culturelle de sa population. Des familles immigrées y côtoient des
familles françaises dans des cafés, immeubles, à l’école ou au supermarché,
et des cadres moyens y vaquent à leurs occupations quotidiennes en croisant
des ouvriers, des directeurs de banque ou le clochard du coin. Les règles de
conduite sont alors celles de respect, de tolérance, de politesse ou
d’indifférence. Une étincelle peut cependant suffire, par exemple sous
forme d’un comportement incompréhensible, aux yeux des autres, de l’un
ou de plusieurs des membres d’un sous-groupe, pour réveiller en filigrane
ou violemment des tendances souterraines que la vie quotidienne avait
jusque-là dissimulées, et activer des conduites de différenciation entre
groupes et de surestimation de la ressemblance des individus à l’intérieur
des groupes. La nouvelle de la mort d’une jeune fille dans votre voisinage,
par exemple, suite à une excision, provoque des remarques d’abord presque
anodines sur les pratiques culturelles des Africains, qui glissent ensuite sur
le nombre d’habitants dans leurs appartements et la polygamie, et qui
aboutissent finalement à jeter l’opprobre sur tous les membres du groupe.
Les conduites de différenciation et de stéréotypisation ne sont, cependant,
pas toujours négatives (cf. encart 15).

Encart 15 – Catégoriser pour expliquer !


La jeune sœur de Pierre est une élève moyenne. Dans sa classe,
deux élèves d’origine chinoise sont particulièrement bonnes en
mathématiques, et elles distancient largement les autres élèves
de la classe. Les commentaires de ces exploits à la table des
parents de Pierre débouchent rapidement sur l’évocation des
pratiques culturelles des Chinois qui incluent leur sens du travail,
leur sérieux et passent à l’importance qu’ils accordent à la famille,
au respect des aînés et à l’entraide.
Raisonner en termes de catégories signifie que l’on assigne à
chaque catégorie des caractéristiques ou traits qui sont censés
qualifier les membres faisant partie de cette catégorie et qui les
différencient des autres catégories.

L’existence d’exogroupes devient saillante par le processus de


catégorisation sociale qui fait intervenir à la fois le contraste et
l’assimilation : le contraste renvoie à la différenciation entre endogroupe et
exogroupe, tandis que l’assimilation renvoie à l’homogénéisation des
membres du même groupe, c’est-à-dire à la surestimation de la
ressemblance des individus à l’intérieur des groupes. Autrement dit
l’individu opère un découpage entre l’endogroupe et l’exogroupe qu’il
perçoit comme des catégories distinctes4. La perception de catégories
distinctes l’amène ensuite à surestimer les différences entre les catégories
(différenciation intergroupes) et à minimiser les différences à l’intérieur de
chaque catégorie (homogénéisation intragroupe). Il perçoit alors les
éléments de deux catégories distinctes comme plus dissemblables qu’ils ne
le sont peut-être en réalité et les éléments à l’intérieur d’une catégorie
comme plus semblables qu’ils ne le sont véritablement.
Cette façon de percevoir et de décrire son environnement social en termes
de catégories sociales a été mise en évidence par Henri Tajfel et développée
par ses collaborateurs (Tajfel, 1981 ; Tajfel et al., 1964, 1971 ; Turner,
1975 ; Turner et al., 1979, 1987). Ils ont dégagé deux fonctions essentielles
de la catégorisation sociale : la fonction cognitive et la fonction identitaire.
p La fonction cognitive
La catégorisation sociale a, comme toute catégorisation, une fonction
cognitive, c’est-à-dire de connaissance. En catégorisant, nous systématisons
notre environnement, nous l’ordonnons, nous le simplifions de telle sorte
que nous pouvons maîtriser la masse des informations et des événements
qui nous assaillent chaque jour. En cela, la catégorisation sociale ressemble
à une méthode de classement ou « rangement ». Les significations que nous
en construisons dépendent du type de classement opéré et des critères qui
l’ont orienté. Ainsi, l’empressement avec lequel un adepte de l’astrologie
essaie de détecter chez ses congénères les qualités ou défauts de leur
zodiaque est-il une conséquence de l’acte de catégorisation. Celui-ci lui
procure instantanément des informations sur ses interlocuteurs qui le
guideront dans sa façon d’interagir avec eux. Un autre découpage, par
exemple à partir des critères de l’astrologie chinoise, lui fera rechercher
d’autres informations.
L’activité de catégorisation est donc une activité de connaissance qui nous
permet de nous orienter dans notre environnement et de nous y repérer. Elle
suppose une sélection des informations qui sont triées, agencées, ordonnées
et regroupées en fonction de catégories, pertinentes pour un individu à un
moment donné, et de critères définissant celles-ci.
p La fonction identitaire
La catégorisation sociale a aussi une fonction identitaire, qui consiste à
nommer les catégories repérées. Elle repose sur la distinction que nous
faisons entre l’endogroupe, c’est-à-dire le groupe d’appartenance et
l’exogroupe, c’est-à-dire le groupe de non-appartenance. Le découpage en
un « nous » et un « eux » signifie que l’on s’identifie à un groupe sur la
base d’un critère que l’on partage avec ce groupe. C’est sur la base de ce
même critère que l’on se différencie des membres de l’exogroupe.
L’appartenance à des groupes sociaux identifiés, nommés et différenciés
confère à l’individu son identité sociale. On est bon élève par rapport aux
mauvais élèves, manuel par rapport aux intellectuels, étranger par rapport
aux nationaux, enfant par rapport aux parents, etc.
Les critères de différenciation qui qualifient les membres du groupe
d’appartenance et excluent les membres d’un autre groupe sont variés. Ils
peuvent reposer sur le sexe des individus, leur âge, leur statut, leur
nationalité, leurs préférences, leurs activités, la couleur de leurs cheveux et
ainsi de suite. Certains critères comme le sexe sont stables, d’autres peuvent
être fluctuants. Pour un adolescent qui s’oppose aux « vieux », être jeune,
c’est d’avoir son âge à lui : peut-être 14, 15 ans ou un peu plus. Au-delà, on
n’est plus vraiment jeune. Or une étudiante de 24 ans ne se considérera
probablement pas comme faisant partie des « vieux ». Et elle situera la
barre de séparation plus loin.
Une identité sociale positive : la différenciation entre groupes et catégories
implique leur inscription dans une hiérarchie sociale, car certaines
appartenances sont prestigieuses, d’autres le sont moins. L’appartenance à
des catégories valorisées contribue à une identité sociale positive et elle est
de ce fait recherchée. Comme toutes les appartenances ne sont pas d’emblée
et également positives, les individus vont déployer une multitude de
stratégies pour rendre la leur positive.
Une identité prototypique : comme la délimitation d’une catégorie peut
être plus ou moins subjective et ses contours plus ou moins flous,
l’appartenance à une catégorie n’est pas subordonnée à la possession par
l’individu de tous les traits et dimensions qui la caractérisent, mais par leur
plus ou moins grande possession. En effet, les catégories sont structurées
suivant un gradient de prototypie (Rosch, 1981) et les membres d’une
catégorie les représentent plus ou moins bien, à leurs yeux ou à ceux des
autres. Ils en sont plus ou moins prototypiques. Le prototype des rock stars
n’est probablement pas cette mère de famille grisonnante qui joue de la
basse dans un groupe de rock le samedi soir. Ou bien tel cadre moyen
cravaté, qui prépare une licence de psychologie, n’incarne pas vraiment le
prototype de l’étudiant parisien. Pourtant les deux font partie de ces
catégories, ils en sont tout simplement un peu moins typiques.
Le prototype peut être une abstraction ou une idéalisation à partir de la
réunion de caractéristiques que peut-être personne ne possède dans leur
intégralité. Il peut aussi être représenté par des individus « exemplaires »
qui vous viennent immédiatement à l’esprit quand une catégorie donnée est
évoquée, parce que ces individus semblent l’incarner le plus parfaitement.
Cette conceptualisation de l’appartenance à une catégorie dans le sens
d’une plus ou moins grande ressemblance avec le prototype de la catégorie
affine et précise la notion d’appartenance sociale. On est membre d’un
groupe ou d’une catégorie sur la base d’un critère les définissant, et on en
est plus ou moins prototypique. Plus on en est prototypique et plus ce
critère semble vous définir exclusivement. Moins on en est prototypique et
plus d’autres critères définissant d’autres groupes ou catégories entrent en
jeu pour vous définir.

2.1 Accentuation des différences entre


groupes
L’établissement de distinctions entre le groupe d’appartenance et les
groupes de non-appartenance est un phénomène bien connu, surtout dans
des situations de conflit ou de concurrence entre les groupes (Sherif et al.,
1961). Le conflit influe fortement sur les perceptions, représentations et
attitudes des acteurs en présence. Dans ce contexte, chaque groupe se fait
de l’autre une image défavorable par rapport à la sienne et surévalue ses
propres qualités et performances.
2.1.1 Différenciation sociale et biais pro-endogroupe
Le conflit et la concurrence ne sont cependant pas des conditions
nécessaires pour que se créent des évaluations positives du groupe
d’appartenance (Ferguson et Kelley, 1966) et négatives des groupes de non-
appartenance. Les expériences de Tajfel et al. (1971) ont montré que le
simple acte de catégorisation, basée sur un critère fantaisiste et induit par
l’expérimentateur, peut par lui-même sans que d’autres facteurs
interviennent, sans qu’existe une hostilité auparavant entre les groupes,
conduire à un comportement de discrimination qui tend à favoriser son
propre groupe (cf. encart 16). Ce phénomène de favoritisme pour son propre
groupe est désigné par le terme de biais pro-endogroupe (favoritisme
intragroupe). La tendance qu’ont les gens à favoriser leur propre groupe se
trouve dans les cultures à travers le monde (Aberson, Healy et Romero,
2000 ; Brewer, 1999).
Le simple fait de faire partie d’un groupe et non pas d’un autre, le
sentiment de « nous », est suffisant pour induire un biais pro-endogroupe et
provoquer des attitudes ou des comportements négatifs envers l’autre. Le
favoritisme vis-à-vis de son groupe induit chez l’individu un sentiment de
supériorité dans la mesure où il peut s’attribuer les caractéristiques
valorisées qui distinguent son groupe d’un autre. Il implique également
l’hypothèse que les individus qui n’appartiennent pas à ce groupe ne les
possèdent pas ou alors à un moindre degré. La différenciation envers les
membres d’un autre groupe jouera alors sur la possession de traits ou de
qualités qui servent de référence pour justifier ou non une appartenance.

Encart 16 – Le paradigme du groupe minimal


On a projeté à un groupe d’élèves des diapositives de Klee et
Kandinsky, deux peintres abstraits. Les élèves, de la même école
et qui se connaissaient bien, étaient invités à émettre des
jugements esthétiques et indiquer leurs préférences pour l’un ou
l’autre de ces deux peintres. Le but était de former un groupe
« Klee » et un groupe « Kandinsky ». Chaque élève a été informé
individuellement de son appartenance, prétendument basée sur
ses préférences pour l’un des deux peintres. En réalité, les
expérimentateurs avaient constitué les groupes de façon tout à
fait arbitraire. L’élève ne savait d’ailleurs pas à quelle catégorie
appartenaient les autres élèves. Tous les élèves étaient ensuite
invités à participer à une étude sur des prises de décision. À l’aide
de plusieurs matrices, les sujets devaient décider de la
rémunération que recevraient leurs camarades pour la
participation à l’expérience. Chaque matrice portait sur des
rémunérations à donner à deux autres élèves : soit de la même
catégorie, soit de la catégorie différente.
Plutôt que de répartir l’argent pour donner une récompense
globale maximale aux deux élèves, ou pour donner une
récompense maximale à l’élève de leur groupe, ils recherchèrent
une solution qui ne donnait pas beaucoup d’argent aux élèves,
mais qui établissait la plus grande différence entre eux. 91,5 %
des élèves choisirent la différence maximale plutôt que le gain
maximal pour leur groupe, et pour 72,3 % des élèves, la
différence était en faveur de l’élève de leur propre groupe. Ils
montrèrent systématiquement un biais favorable pour le camarade
de leur groupe dont ils ignoraient par ailleurs l’identité.
L’expérience de Tajfel et al. (1971), introduisant le paradigme du
groupe minimal, a montré que le simple fait de catégoriser peut
conduire à un comportement de différenciation avec l’autre groupe
et un biais pro-endogroupe. L’expérience montre aussi que l’on
peut discriminer sans avoir de préjugés.

Cette différenciation qui consiste en une mise à distance de l’autre groupe,


et qui peut apparaître sous forme de discrimination ou de préjugés, a
longuement retenu l’intérêt des psychologues sociaux. Ainsi, se sont-ils dit,
le racisme ou la xénophobie, attitudes et comportements que l’on a toujours
considérés comme des accidents de l’histoire, comme des manifestations
irrationnelles de l’homme, sont en fait la conséquence normale, et pour
ainsi dire inévitable, du processus de catégorisation sociale, et en particulier
du processus de différenciation qui y intervient. Parce qu’elle fait intervenir
un jeu de comparaison avec d’autres groupes sur la base de critères
distinctifs, la différenciation entre un endogroupe et un exogroupe conduit
les individus non seulement à vouloir être différents, mais aussi à être
meilleurs que les autres. Aussi, le biais pro-endogroupe permet-il à
l’individu d’établir une identité sociale positive.
Cette ligne de pensée, inaugurée par Henri Tajfel et formalisée dans la
théorie de l’identité sociale (Tajfel, 1972 ; Tajfel et Turner, 1986 ; Turner
et al., 1994) a donné naissance à un vaste programme de recherche, peut-
être l’un des plus importants aujourd’hui, non seulement en Europe, mais
aussi en Asie, en Amérique du Nord et du Sud et en Australie. Pour
beaucoup de chercheurs, il était non seulement important de tester et
vérifier la théorie de Tajfel, mais aussi de voir quelles conditions pouvaient
empêcher la formation de préjugés et de la discrimination. Le fait de
différencier entre groupes, entre catégories d’individus ou entre entités
sociales amène l’individu catégorisant à instaurer des hiérarchies entre les
catégories qui seront différemment évaluées selon les critères sur lesquels
repose la différence. Vouloir creuser l’écart entre son groupe et d’autres
groupes selon des dimensions censées être présentes dans l’un et absentes –
ou moins bien représentées – dans l’autre peut conduire à des préjugés à
l’encontre du ou des groupes de non-appartenance, à la discrimination ou à
la compétition sociale.
p Les préjugés
Le terme de préjugés (cf. encart 17) dans l’usage caractéristique qu’en font
les psychosociologues, ne se rapporte pas tant à des pré-jugements envers
des individus qu’envers des groupes tout entiers. La personne à préjugés
tend à évaluer les membres de l’endogroupe plus favorablement que les
membres de l’exogroupe (Brewer et Kramer, 1985 ; Howard et Rothbart,
1980). C’est dire qu’elle exhibe ce que Sumner (1906) a été le premier à
identifier comme de l’ethnocentrisme. La personne à préjugés tend à
ressentir de l’antipathie, du mépris, du dégoût, voire de l’écœurement5
(Plous, 2003) envers, par exemple, les homosexuels, les végétariens ou les
étrangers. La différenciation se fait sur la base d’un critère considéré
comme pertinent pour séparer les groupes, par exemple sur la base de leur
préférence sexuelle, ou alimentaire ou de leur lieu de naissance et pour les
juger négativement ou positivement sur la base de ce critère.

Encart 17 – Lord Chesterfield


Dans ses lettres à son fils, Lord Chesterfield enjoignait à ce
dernier de mener une vie guidée selon les principes de la raison
plutôt que sur la base de préjugés. Ce qui ne l’empêchait pas de
le mettre en garde contre les femmes :
« Les femmes, écrivit-il, ne sont pas autre chose que de grands
enfants ; leur bavardage est amusant, et elles ont parfois même
de l’esprit. En ce qui concerne, cependant, leur bon sens ou leur
capacité de raisonnement, je dois dire que de ma vie je n’en ai
jamais rencontré chez une femme. Elles ne savent pas raisonner
et agir en conséquence pendant ne serait-ce que 24 heures. Un
homme qui a gardé son bon sens ne s’en occupe que pour
s’amuser ou pour jouer en les mettant de bonne humeur et en les
flattant, comme il le ferait avec un enfant enjoué et éveillé. Jamais
il ne les consulte pour des affaires sérieuses pas plus qu’il ne leur
fait confiance ; tout en leur faisant croire qu’il fait les deux puisque
c’est ce dont elles sont le plus fières au monde.
Les femmes se ressemblent bien plus entre elles que les
hommes ; en réalité, elles n’ont que deux passions : la vanité et
l’amour, ce sont leurs qualités universelles » (passage traduit
dans Allport, 1954, p. 32).
On peut lutter contre un certain type de préjugés et en conserver
un autre. L’auteur de la lettre a visiblement un préjugé négatif
envers les femmes. Le préjugé repose sur la différenciation et
traduit une attitude de supériorité de l’homme par rapport à la
femme. En même temps, l’auteur homogénéise, et donc
stéréotypise les femmes, et celles-ci uniquement, en les résumant
à partir de leurs deux passions : la vanité et l’amour.

Aussi, les préjugés correspondent-ils à des attitudes positives ou négatives


envers les membres d’un exogroupe considérés comme différents des
membres du groupe d’appartenance. Ils amènent à percevoir les individus
en fonction de leur assignation à une catégorie et à formuler des jugements
catégoriels et catégoriques sur ses membres avant d’attendre de voir quelles
preuves permettent éventuellement de réfuter ou de confirmer le préjugé
(notion de sélection dans la prise en compte des informations).
p La discrimination
La discrimination, quant à elle, consiste à traduire en actes la mise à
distance des membres de l’exogroupe. Autrefois, en Afrique du Sud, par
exemple, la discrimination envers la majorité de la population par une
minorité de Blancs a été légalisée par les lois de l’apartheid. Et on oublie
parfois qu’aux États-Unis, il n’y a pas si longtemps, tous les citoyens
américains ne pouvaient pas jouir des mêmes droits. Malgré l’abolition de
l’esclavage, un certain nombre de règles et lois interdisaient les relations
sexuelles entre une femme blanche et un homme noir. Elles interdisaient
aux Noirs d’interrompre la conversation entre Blancs ou le port d’un
chapeau en présence de Blancs. Le conducteur d’un véhicule, quand il était
noir, devait céder la priorité à un conducteur blanc. Dans de nombreux pays
européens, régulièrement, l’accès à l’université ou à certains métiers a été
interdit à des citoyens de confession juive. Dans de nombreux pays
démocratiques, les femmes, à travail égal, touchent des salaires inférieurs
aux hommes. Et le favoritisme pour des membres de son propre clan
préside aussi systématiquement à la nomination de nouveaux P.-D.G. dans
des groupes Fortune 500 (Westphal et Zahac, 1995), bien qu’il ait pu être
démontré que ce type de favoritisme peut être une des causes principales
qui fait échouer des projets de fusion entre entreprises (Terry et Callan,
1998 ; Terry, Carey et Callan, 2001). Cependant, les comportements de
discrimination ne s’observent pas seulement chez des Occidentaux. Ils ont
périodiquement fait l’objet d’articles de presse, par exemple sur la chasse
aux Chinois en Indonésie, le massacre des Tutsis dans la région des Lacs ou
le « nettoyage ethnique » des Croates en Serbie.
Dans de nombreux pays, la prise de conscience de l’injustice subie
notamment par les minorités a parfois amené le législateur à décréter des
lois rendant toute forme de discrimination ou de ségrégation illégale. Elle a
aussi amené l’Union européenne, à instituer, en 1997, par l’intermédiaire de
l’Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes tout
d’abord, puis par sa transformation en 2007 en Agence des droits
fondamentaux de l’Union européenne6, des observatoires dans chacun de
ses vingt-huit États membres pour répertorier et rendre publics les actes de
discrimination, notamment raciale, en matière de logement, d’accès à la
santé, à l’éducation et à l’emploi et pour garantir la sauvegarde des droits de
l’homme et des libertés fondamentales. En effet, la discrimination de
certains groupes sociaux peut se traduire par l’inégalité de l’accès à ces
services. Il s’agit là de formes de discrimination plus subtiles, qui ne sont
pas clairement perceptibles ou forcément ressenties comme telles par la
plupart des gens. Le taux de mortalité des enfants de certaines minorités,
largement au-dessus de la moyenne dans certains pays ou régions, le
nombre de crèches ou d’écoles par quartier, le degré de propreté, l’état de
son infrastructure, etc., sont autant d’indicateurs de la discrimination qui
frappe certains groupes sociaux.

Encart 18 – La discrimination à l’emploi


En Suisse, un grand nombre de jeunes travaillent dès la fin de
leur scolarité obligatoire comme apprentis dans une entreprise.
Les places sont très recherchées, parce qu’elles sont le billet
d’entrée dans la vie professionnelle. La demande pour trouver une
place d’apprenti est très grande et dépasse largement l’offre.
Dans ce contexte d’offre tendue, on constate qu’à compétences
égales, les jeunes d’origine étrangère de première et de deuxième
générations ont significativement moins de chances de trouver
une place que les jeunes dont les deux parents sont suisses.
72 % des demandes de jeunes Suisses ont pu être satisfaites en
avril 2016 contre 49 % de jeunes étrangers. Bon nombre de ces
jeunes ont envoyé entre cinquante et cent candidatures sans
même décrocher un entretien. Deux causes sont invoquées : les
jeunes étrangers ne bénéficient pas du même réseau de relations
que les jeunes Suisses, mais, surtout, les futurs employeurs ne
leur font pas autant confiance qu’aux jeunes Suisses (source :
Lehrstellenbarometer 2016, baromètre des places d’apprentis en
2016 : http://www.bbt.admin.ch/berufsbi/projekte/barometer/d/).
Souvent nés en Suisse ou arrivés très jeunes, ces jeunes
étrangers sont de toute évidence victimes de préjugés et de
discrimination de la part des employeurs. Il convient aussi de
noter qu’à cette discrimination plus ou moins directe s’ajoutent
d’autres inégalités moins directement perceptibles, comme des
logements peu insonorisés ou construits avec des matériaux bon
marché, des rues peu éclairées la nuit et des poubelles qui
attendent leur ramassage. Enfants de parents parfois peu
instruits, leurs réseaux sont surtout constitués de compatriotes,
jeunes et âgés, difficilement en mesure de les « pistonner »
autrement que pour des petits boulots.

La discrimination défavorise les groupes en question sur un plan


économique, politique ou social (cf. encart 18). Pour combattre l’injustice
qui en résulte pour les catégories ou groupes concernés, de nombreux pays
ont instauré des mesures dites de « discrimination positive », par exemple
par l’instauration de quotas favorisant la participation des femmes dans le
monde politique. La discrimination positive, tout en ayant pour objectif
l’égalité, passe par une différence de traitement des groupes ainsi favorisés.
Aussi, la préférence systématique donnée au candidat d’un groupe
minoritaire quel qu’il soit, pour pourvoir un poste à l’université ou dans une
entreprise, la mise sur pied de programmes d’éducation particuliers pour
une minorité quelconque doivent-elles servir de moyen pour intégrer des
groupes historiquement et socialement défavorisés. Dans certains pays, la
discrimination positive repose sur des dispositions légales, dans d’autres sur
des recommandations plus générales.
p La relation entre discrimination et préjugés
La discrimination en tant que comportement est souvent renforcée ou
justifiée par des préjugés, c’est-à-dire des attitudes négatives à l’encontre du
groupe défavorisé. Toutefois, la discrimination n’est pas nécessairement
fondée sur des préjugés tout comme les préjugés à l’encontre d’un groupe
ne conduisent pas nécessairement à la discrimination. Ainsi, une personne
possédant un commerce dans un quartier peuplé majoritairement par des
sympathisants du Front national et craignant de perdre une partie de sa
clientèle si elle admettait dans son magasin des clients étrangers, peut se
croire obligée de pratiquer une certaine discrimination envers ces
« indésirables » sans ressentir de préjugés à leur encontre. Et une personne
à préjugés peut ne pas passer à l’acte de discrimination de peur d’être
désavouée par son entourage, ou de faire l’objet de sanctions légales ou
parce que sa religion le lui interdit.
Ainsi que l’a montré Merton (1957) cette dissonance entre attitude et
comportement peut s’expliquer par des pressions sociétales qui, dépassant
le simple cadre de la comparaison intergroupes, prescrivent ou proscrivent
la discrimination. Préjugés et discrimination vont cependant souvent main
dans la main. Ils sont moins marqués et peuvent même disparaître quand il
y a croisement des catégories, c’est-à-dire quand nous faisons partie de
plusieurs groupes simultanément (e.g. Deschamps et Doise, 1979) et quand
les appartenances catégorielles cessent d’être prégnantes.
p La compétition sociale
La notion de compétition est omniprésente dans nos sociétés. Elle s’exerce
dans le domaine sportif entre individus et entre groupes, dans le domaine
politique entre hommes et entre partis politiques, dans le domaine
économique entre entreprises et entre nations, dans le domaine éducatif
entre élèves, entre enseignants, entre disciplines et entre établissements, sur
la base de critères plus ou moins objectivables et explicités. Quand les
individus, équipes, partis ou autres entités valorisent une même série de
critères, une compétition s’engage entre eux pour savoir qui les incarnera le
plus parfaitement. Chaque entité va chercher à atteindre non pas quelque
degré absolu de valeur, mais plus que les autres. Quand elle est en position
de force, elle va chercher à maintenir l’écart en sa faveur, quand elle est en
position de faiblesse, elle va chercher à rattraper, puis à dépasser le
concurrent. Cette compétition entre concurrents ne peut s’épuiser puisque
leur action a pour but la différenciation. On assiste donc à une rivalité qui se
construit en spirale, celle-ci ne s’arrêtant, et la compétition du même coup,
que si une inégalité entre les concurrents venait à se stabiliser. Dans les
exemples qui viennent d’être cités on parlera de compétition sportive,
politique, économique ou universitaire. Certes, le concept de compétition
sociale (Turner, 1975 ; Tajfel et Turner, 1986) en psychologie sociale
comprend ces différentes formes de compétition dans la mesure où elles
sont motivées par la volonté d’améliorer la position sociale ou matérielle de
son groupe d’appartenance et que la compétition rend possible
l’établissement ou le maintien d’une distinction positive face aux
concurrents. Cependant, le concept renvoie notamment à des processus
cognitifs dont l’objectif principal est de parvenir à positivement différencier
son endogroupe à la suite d’un processus de comparaison sociale soit en
valorisant son endogroupe soit en dévalorisant l’exogroupe.
Valoriser son endogroupe : la compétition dans le but de se différencier
peut amener les membres d’un groupe favorisé, qui voient menacées leur
position de suprématie et donc leur identité sociale positive, à redéfinir
progressivement les critères distinctifs, jusqu’alors en leur faveur, en les
affinant de telle sorte que les lanceurs du défi ne puissent les attraper. Un
exemple de cette course-compétition nous est fourni dans l’histoire de
l’informatique (Burch et Aebischer, 1987). Quand, à la suite de
l’introduction des premiers ordinateurs, leurs constructeurs ont commencé à
systématiquement étendre et transférer la conception de l’intelligence
humaine à toutes les opérations d’un ordinateur électronique jusqu’à voir de
l’intelligence dans les machines à laver, équipées de microprocesseurs, les
philosophes, sociologues et autres spécialistes de l’intelligence humaine se
sont mis à redéfinir le concept d’intelligence. La capacité de mémorisation
et de calcul, qui a longtemps été considérée comme l’apanage de gens
intelligents, renvoie maintenant à l’intelligence artificielle, tandis que
l’intelligence de l’homme est plutôt associée à sa capacité d’adaptation et
de création.
Dévaloriser l’exogroupe : la redéfinition des critères distinctifs peut aussi
amener le groupe menacé à mettre en doute les conditions dans lesquelles
les membres d’un groupe jusqu’alors défavorisé, ont réussi à réduire l’écart
qui les séparait. Aussi voit-on les vieilles fortunes s’opposer à l’entrée dans
leurs cercles de « nouveaux riches » ayant gagné leur fortune à la force du
poignet, ou certains croyants orthodoxes mettre en doute l’authenticité de la
foi des convertis.
Un très bon exemple de cette stratégie de dépossession qui permet de
dévaloriser les résultats positifs d’un membre de l’exogroupe a été mis en
évidence dans une expérience conduite en Angleterre (Hewstone, Jaspars et
Lalljee, 1982) auprès d’élèves d’une école privée qui devaient évaluer des
élèves d’une école publique et expliquer les causes de leur réussite (ou de
leur échec) à une série d’examens très valorisés. Les élèves des écoles
privées sont généralement issus des classes moyennes et supérieures et ont
fortement intériorisé des qualités comme « capacité intellectuelle »,
« réussite dans la vie », etc. Face à la réussite des garçons de l’école
publique, généralement issus de milieux plus modestes, les élèves
privilégiés réagissent avec dédain : quand les élèves de l’école publique
réussissent à un examen prestigieux, les élèves de l’école privée attribuent
cette réussite au travail acharné que ceux-là auront dû fournir pour y
parvenir et non à leurs capacités intellectuelles. En revanche, quand les
élèves de l’école publique échouent, leur échec ne fait que conforter une
idée reçue : les élèves des écoles publiques sont incapables
intellectuellement de réussir. Inversement, la réussite des élèves de leur
groupe d’appartenance est attribuée à leurs capacités intellectuelles, tandis
que, pour expliquer leur échec, ils évoquent le manque de travail.
Attribuant ainsi la réussite des élèves de l’exogroupe à des causes internes,
mais instables (la quantité de travail fournie) et non à des causes internes,
mais stables (les capacités intellectuelles), et en procédant dans le sens
inverse pour eux-mêmes, non seulement ils parviennent à dévaluer la
réussite des membres de l’exogroupe, mais ils leur ôtent aussi toute
possibilité intrinsèque de posséder le critère valorisé par les deux groupes,
qui, selon eux, ne revient qu’à eux.
La dynamique de la compétition implique que certaines conditions soient
remplies :
• L’individu doit pouvoir se définir comme membre d’une catégorie. Dans
la réalité, il peut appartenir à plusieurs groupes qui se chevauchent ou sont
en conflit. Il ne s’agit donc pas d’une simple assignation, mais d’un choix
du sujet qui suppose qu’il a intériorisé son appartenance à un groupe
donné, comme un des aspects de son identité. L’identité d’une femme-
agent des forces de l’ordre, par exemple, peut être plutôt en rapport avec la
catégorie des femmes (et elle peut adhérer à une association féministe) ou
plutôt en rapport avec son appartenance au groupement professionnel de la
police (elle peut s’inscrire à un syndicat professionnel), ou en rapport avec
les deux appartenances. Cela dépend de ce qu’elle a intériorisé comme
étant constitutif de son identité.
• La dimension de la comparaison doit être reconnue et convoitée par les
groupes en présence. La comparaison s’effectue alors à propos de critères
jugés pertinents pour les groupes. Par exemple la taille physique peut être
un critère de comparaison important pour deux équipes rivales de
basketteurs, mais non pour une comparaison-compétition entre les
étudiants en droit et ceux de psychologie.
• Enfin, il est nécessaire que la situation n’apparaisse pas comme bloquée
aux groupes en question, afin que le jeu de la compétition et de la
différenciation puisse avoir lieu. Si un obstacle ou un handicap trop
important fait considérer l’action comme inutile, il est probable que la
compétition ne persiste pas comme moyen d’auto-évaluation positive. Un
soudra sait qu’il ne peut rien à son sort et ne prétend pas obtenir les
prérogatives du brahmane. Aussi ne s’engagera-t-il pas dans un processus
de compétition avec un brahmane de qui tout le sépare. Et celui-ci n’aura
pas besoin de rechercher activement à se distinguer de celui-là.

2.1.2 Faire face à la stigmatisation


Au fur et à mesure que les recherches sur le biais pro-endogroupe ont
progressé, les premières conclusions ont dû être nuancées. En effet, la
différenciation intergroupes n’est pas inévitablement couplée au favoritisme
pour son propre groupe. Paicheler et Darmon (1977-1978) ont pu montrer
que la catégorisation en « nous » et « eux » ne produit le biais pro-
endogroupe que lorsqu’elle est neutre ou lorsque la supériorité du groupe
est établie. Dans une expérience où ils ont fait croire aux participants qu’ils
appartenaient à un groupe minoritaire ou à un groupe majoritaire, le biais
pro-endogroupe apparut chez les « majoritaires ». Les minoritaires, en
revanche, ont fait montre d’un jugement défavorable pour leur propre
groupe.
On peut alors se demander, comment des minoritaires, membres de
groupes défavorisés, victimes de discrimination ou autrement stigmatisés
parviennent à se protéger contre ce qui constitue une menace pour une
identité sociale positive. En effet, c’est la présence même des majoritaires,
membres de groupes favorisés les tenant à distance, qu’ils ne parviennent
souvent pas à rattraper, qui les empêchent de se distinguer positivement.
Quelles stratégies les membres de groupes défavorisés vont-ils pouvoir
déployer pour rendre leur identité plus positive ?
On a pu observer que les membres de groupes stigmatisés peuvent avoir
recours à des stratégies auto-protectrices, en s’imaginant, par exemple, être
la victime d’une conspiration organisée au niveau gouvernemental contre
les Noirs (Crocker, Luhtanen, Broadnax et Blaine, 1999) ou en se
désidentifiant de leur groupe d’appartenance (Branscombe et Ellemers,
1998 ; Deaux et Ethier, 1998). Mathison (1986), par exemple, a trouvé que
quand il s’agit de juger les qualités de candidats seniors à un emploi vacant,
des évaluateurs, eux-mêmes seniors, les jugent plus négativement et bien
moins utiles d’un point de vue économique que des évaluateurs plus jeunes
(Finkelstein et Burke, 1998). Nous sommes là en présence de stratégies
individuelles et collectives qui peuvent se manifester de différentes
manières.
p Stratégies identitaires individuelles
Les individus qui se considèrent comme des membres de groupes sociaux
subordonnés peuvent manifester de l’ethnocentrisme inversé (Brown,
1986). L’attitude des évaluateurs seniors en est un bon exemple (cf. aussi
l’encart 19). Cet ethnocentrisme inversé a aussi été observé chez des
enfants de groupes minoritaires. Corenblum et Annis (1993) ont trouvé que
les enfants de groupes minoritaires (il s’agit d’enfants amérindiens qui sont
minoritaires dans les écoles non seulement du point de vue numérique, mais
aussi social) évaluent plus favorablement les enfants blancs que les enfants
de leur groupe ; ils les choisissent comme partenaires pour jouer et
recherchent aussi leur proximité. En cela ils adoptent exactement le
comportement des enfants blancs, qui préfèrent les autres enfants blancs.

Encart 19 – Mais qu’est-ce qu’elles sont bavardes !


Quelques femmes de carrière, ayant très bien réussi
professionnellement, ont été interviewées sur ce qu’elles
pensaient de la façon dont les femmes parlent entre elles. Elles
ont donné des réponses comme celles-ci : « Une réunion de
femmes est toujours une réunion de poules caquetantes » ;
« C’est rare que des femmes, à moins d’être avec des hommes,
aient des sujets de conversation qui pourraient être
intéressants » ; « Les femmes parlent beaucoup. Comment
certaines femmes peuvent-elles parler et en fait dire des âneries »
(Aebischer, 1985, p. 98-102).
Visiblement, ces évaluations sur leur endogroupe ne sont pas
positives. En manifestant des préjugés négatifs à l’encontre des
femmes et en endossant le stéréotype de la femme bavarde, les
interviewées jugent les femmes en général avec les yeux d’un
membre d’un exogroupe. Ce faisant, elles s’extraient mentalement
de la catégorie « les femmes » et se rapprochent dans leurs
jugements du groupe de référence « hommes ». On pourrait aussi
s’imaginer qu’elles pensent faire partie de la catégorie des
femmes intelligentes : très loin des autres femmes en général et
plus proche des hommes supposés être intelligents.

Un autre phénomène intéressant a été observé dans une expérience


conduite par Yee et Brown (1992) : 70 % des enfants ayant été assignés à un
statut bas décident de quitter ce groupe pour joindre le groupe de statut
élevé. Ils ne dévalorisent pas les enfants de statut bas, et ils ont aussi bien
réussi aux tâches expérimentales que les élèves assignés à des groupes à
statut élevé. Néanmoins, ils souhaitent quitter leur groupe pour rejoindre
l’autre.
Ces résultats caractérisent deux stratégies individuelles déployées par les
membres de groupes défavorisés pour réduire l’écart entre eux et les
membres du groupe favorisé. L’une consiste à quitter son groupe pour faire
partie de l’autre. Cette stratégie, qui sert la mobilité sociale (Merton, 1957),
peut prendre forme quand une structure sociale est perméable (cf. le
paragraphe 2.2 du chapitre 2). L’autre stratégie (cf. Tajfel et Turner, 1986)
consiste à se rapprocher du groupe favorisé en endossant ses préjugés. En
les reprenant à leur compte, les membres de groupes défavorisés minimisent
la distance qui les sépare des membres du groupe favorisé. C’est une façon
de se rapprocher du groupe prestigieux.
p Stratégies identitaires collectives de créativité
sociale
La mobilité sociale et l’ethnocentrisme inversé ne sont pas les seules
réponses possibles des membres d’un groupe défavorisé à une recherche
d’identité sociale positive. Si le résultat de la comparaison intergroupes est
insatisfaisant pour un des groupes et que la compétition sur les critères en
vigueur paraît impossible, une autre possibilité de différenciation existe
cependant : le groupe défavorisé peut chercher à se rendre plus positif en
changeant les critères de comparaison, notamment quand les critères de
comparaison leur paraissent illégitimes. On parle alors de créativité sociale
(Turner et Brown, 1978). Celle-ci consiste à mettre en place des stratégies
qui, changeant les termes de la comparaison, réactivent une dynamique de
la compétition sociale, à travers laquelle la recherche d’une identité sociale
positive peut de nouveau se développer. Ces stratégies consistent à inverser
certaines valorisations ou à introduire de nouvelles dimensions de
comparaison et de nouveaux critères. Ici, l’individu n’agit pas en tant
qu’individu, mais s’implique en tant que membre d’un groupe. Il tend vers
le changement social dans la mesure où il bouleverse le statu quo dans les
rapports entre groupes.
Inverser certaines valorisations : un exemple très souvent cité pour
illustrer ce processus (cf. Bourhis, Gagnon et Moïse, 1994 ; Brown, 1986 ;
Gergen, Gergen et Jutras, 1992 ; Plous, 2003) concerne les militants noirs
aux États-Unis, qui, dans les années soixante-dix, ont redéfini d’une façon
positive des caractéristiques physiques et culturelles qui ont été dénigrées et
qui ont servi à les discriminer. En revendiquant que Black is beautiful, ils
ont relancé la lutte pour leur émancipation et la valorisation d’une culture
« noire » dont l’influence dépasse aujourd’hui largement leur communauté
pour pénétrer toutes les sphères de la vie intellectuelle et culturelle. Bien
qu’il n’y ait pas de lien direct avec ce mouvement culturel, il est intéressant
de noter que des styles musicaux aujourd’hui considérés dans le monde
entier comme quintessentiels de la musique états-unienne, comme le blues
ou le jazz, ont leur origine dans la musique afro-américaine qui est
étroitement liée à l’histoire de l’esclavage, la musique restant pour les
esclaves l’un des seuls liens avec leurs origines. Un phénomène comparable
de revalorisation de l’identité sociale peut être observé parmi des minorités
linguistiques comme les Bretons, les Corses ou les Basques. C’est en
valorisant ce qui faisait leur différence, et qui était jusqu’alors considéré
comme la preuve de leur infériorité, que certains mouvements contestataires
issus de groupes minoritaires, ont relancé la compétition avec des groupes
rivaux et ont ainsi contribué à se forger une identité sociale positive.
Il est aussi intéressant de pouvoir observer qu’au sein d’une même
communauté linguistique, une certaine manière de prononcer des mots, qui
dénote une origine géographique et sociale (lire « standard » versus
« populaire et relâchée »), par exemple la façon de prononcer le suffixe -ing
dans la région de Norwich, en Angleterre (Trudgill, 1992) ou d’utiliser des
voyelles ouvertes dans « pot », « vélo » ou « télé » en France (Houdebine,
1992), peut être gommée quand on est dans une logique d’ascension sociale
(stratégie individuelle) ou au contraire affirmée et exhibée quand le locuteur
revendique son origine populaire ou paysanne (stratégie collective).
Introduire de nouvelles dimensions de comparaison : cette stratégie a été
mise en évidence par Lemaine (1974). Pour lui, le but poursuivi à travers
ces stratégies de différenciation, c’est la visibilité. C’est lorsque par rapport
à d’autres, leur position leur apparaît comme incertaine ou mal reconnue
que les individus se sentent menacés dans leur identité sociale. C’est alors
qu’ils tentent de mener une stratégie de différenciation, dans le sens que
Lemaine a donné à cette notion, c’est-à-dire, non seulement en discriminant
les autres, mais en essayant de se distinguer eux-mêmes.
Lemaine a pu mettre en évidence ce processus par une étude en milieu
naturel, dans un centre de vacances. Différents groupes d’enfants furent mis
en compétition, deux à deux, la manipulation expérimentale consistant à
« inférioriser » l’un des deux groupes. Ainsi à l’occasion d’un concours de
cabanes, les groupes « à inférioriser », contrairement aux autres, ne
recevaient pas de ficelles. Dans les groupes ainsi défavorisés, se mettait
progressivement en place une stratégie d’incomparabilité : l’observation des
constructions de leurs concurrents les amenant à penser qu’ils seraient
perdants, ils commençaient à les contester en disant « ce n’est pas des
cabanes, c’est des maisons ». Ils mettaient en doute le critère sur lequel
portait la comparaison « qu’est-ce qu’une cabane ? » et alors se mettaient à
porter tous leurs efforts sur l’aménagement d’un jardinet (qui ne nécessitait
pas l’utilisation de ficelle). Puis ils tentaient de faire admettre aux autres
que le jardinet fasse partie de l’évaluation de la construction.
Ainsi le groupe défavorisé dépasse son handicap :
• en introduisant une nouvelle dimension, non utilisée par les autres, ce qui
le rend dans un premier temps incomparable ;
• puis il essaie de faire accepter cette nouvelle dimension, ce qui amène à
une nouvelle définition de la situation dans laquelle ils ont des chances,
puisque le nouveau critère qu’ils imposent correspond à une dimension
nouvelle qu’ils sont les seuls à avoir exploitée.
Une autre recherche sur le terrain (Oberlé, 1989a, 1989b) a pu mettre en
évidence comment, dans un contexte institutionnel (hôpital psychiatrique),
des membres d’une catégorie socio-professionnelle infériorisée (les
infirmiers psychiatriques comparés aux médecins psychiatres) tentent de se
revaloriser, en changeant les critères de comparaison habituels. Alors que la
comparaison entre les deux groupes et l’infériorisation des infirmiers qui en
découle s’établit habituellement sur le critère des diplômes, certains
infirmiers mettent en avant un nouveau critère « le temps passé avec les
malades » pour obtenir le droit de développer des activités thérapeutiques
habituellement réservées aux médecins.
Par les différentes stratégies de différenciation sociale, les membres d’un
groupe tendent à la recherche d’une identité sociale positive (Shinnar,
2008). Pour les groupes dominants ou favorisés, il s’agit de maintenir la
différence. Pour les groupes dominés ou défavorisés, il s’agit de réduire
l’écart avec le groupe avec lequel ils sont en compétition, soit en se
rapprochant du groupe lui-même (mobilité sociale, ethnocentrisme
renversé) soit en se rapprochant de leur statut (créativité sociale) pour
éventuellement les dépasser (relance de la compétition sociale). D’autres
stratégies collectives sont possibles, mais pour qu’elles puissent se
concrétiser, un certain nombre de conditions doivent être remplies.

2.1.3 Sentiment d’injustice, privation relative et


actions collectives
Pourquoi des individus défavorisés s’engagent-ils dans des actions
collectives, alors que d’autres, partageant les mêmes conditions, ne font
rien ? Qu’est-ce qui pousse les victimes de discrimination et de préjugés à
percevoir que leur sort est juste ou injuste ? Depuis les années 1970, une
notion spécifique, la privation relative, semble pouvoir donner des éléments
de réponse à ces questions en posant que les gens protestent ou se révoltent
non pas quand ils sont objectivement privés ou démunis, mais lorsqu’ils se
sentent privés ou démunis relativement à d’autres personnes ou groupes
auxquels ils se comparent. Aussi, le concept renvoie-t-il au sentiment
éprouvé à la suite d’une comparaison sociale désavantageuse. Guimond et
Tougas (1994, p. 203) font remonter l’origine du concept de privation
relative à l’étude de Stouffer, Suchman, DeVinney, Star et Williams (1949),
menée auprès de soldats américains au cours de la Seconde Guerre
mondiale. Les chercheurs étaient frappés par l’insatisfaction des aviateurs
quant à leurs possibilités d’avancement comparé à la satisfaction exprimée
par les soldats de la police militaire dont les chances de promotion étaient
en réalité beaucoup moins fortes. Ces résultats étaient inattendus, parce
qu’on suppose généralement que les évaluations individuelles reposent sur
des faits objectifs et que si les gens ont peu de chances d’avancement, ils
seront moins heureux que s’ils en ont beaucoup. Et les chercheurs
d’expliquer que les soldats de la police militaire se comparaient
probablement aux autres soldats plus majoritairement non promus, alors
que dans l’armée de l’air, les aviateurs n’ayant pas obtenu d’avancement se
comparaient vraisemblablement au grand nombre de promus. Les résultats
de cette étude ne sont pas sans rappeler le concept de groupe de référence
(Merton et Kitt, 1968) traité dans le chapitre précédent sur les groupes
comme lieu d’intégration. Le sentiment de privation relative n’est donc pas
le simple reflet de conditions objectives, mais dépend de certaines
comparaisons sociales (Crosby, 1976) et exprime un sentiment de
mécontentement, d’injustice ou de frustration (Cook, Crosby et Hennigan,
1977).
On doit à Ruciman (1966) la distinction entre deux types de privation
relative. La privation relative personnelle résulte d’une comparaison
désavantageuse pour la personne elle-même, la privation relative collective
est provoquée par la comparaison de la situation de son groupe à celle d’un
groupe plus favorisé, mais pas plus méritant. C’est uniquement le sentiment
de privation relative collective qui favoriserait l’émergence d’attitudes ou
de comportements protestataires en faveur de l’endogroupe (cf. encart 20).
En effet, lorsque les privations relatives personnelle et collective sont
évaluées, seule la privation relative collective a un effet significatif sur les
attitudes militantes. Autrement dit, un individu doit être insatisfait, non
seulement de ses propres conditions de vie, mais aussi de la situation de son
groupe pour favoriser des comportements protestataires (Veilleux, Tougas et
Rinfret, 1992).

Encart 20 – Le sentiment de privation relative collective


et la discrimination positive
L’hypothèse que le sentiment de privation relative collective
puisse favoriser l’émergence d’attitudes ou de comportements
revendicatifs en faveur de l’endogroupe a été vérifiée à propos
des réactions de femmes aux programmes de lutte contre le
sexisme dans les entreprises. La privation relative collective
développe des attitudes favorables aux politiques d’action
positives (Tougas et Veilleux, 1987). Mais, si elles soutiennent
alors diverses mesures visant à l’élimination des obstacles à
l’égalité et se déclarent prêtes à s’engager dans des
comportements collectifs de revendication, elles émettent des
réserves à l’égard du traitement préférentiel (Tougas et Veilleux,
1988). Leur réticence stigmatise l’aspect compensatoire de cette
mesure qui ne supprime pas la discrimination, mais la rend
seulement positive. Mais lorsque les femmes interrogées ont
concrètement vécu le sexisme dans leur travail, en dépit de
l’introduction de stratégies d’action positive, elles deviennent plus
favorables au traitement préférentiel (Tougas, Beaton et Veilleux,
1991), tout en considérant que c’est seulement un moindre mal.
Certaines études ont par ailleurs montré que ce type d’action mine
la confiance en elles-mêmes des bénéficiaires (Howard et
Hammond, 1985) et génère chez elles du doute sur elles-mêmes
(Nacoste, 1989). Cependant, des études qualitatives tout comme
des sondages d’opinion indiquent que ces réactions sont rares
(Taylor, 1994). Des politiques de discrimination positive peuvent
même augmenter la satisfaction au travail et l’engagement en
faveur de l’organisation qui les a ainsi encouragés (Graves et
Powell, 1994).

2.1.4 Élaboration d’une identité sociale radicalisée


dans l’action collective
Le sentiment d’injustice par rapport à une situation ressentie comme
illégitime (Tajfel, 1978) est aussi à la base du « Modèle de l’identité sociale
élaborée »7 (Drury et Reicher, 2000, 2009). Dans l’un des cas étudiés par
ces auteurs, l’action collective réunit au départ des groupes de citoyens
d’horizons différents, qui estiment qu’il est de leur devoir d’agir contre
l’arbitraire de la décision d’abattre un châtaignier centenaire au milieu d’un
grand espace vert pour construire une autoroute. Ils s’installent autour et sur
le châtaignier pour empêcher son abattage et la destruction de l’espace vert.
Certes, il peut y avoir des éléments plus radicaux parmi ces militants, mais
la majorité d’entre eux est venue pour protester paisiblement, en toute
légalité, contre cette décision anti-écologique. Les troupes de policiers qui
sont envoyées pour les déloger en ont une représentation tout à fait
différente. Pour eux, ces manifestants sont potentiellement dangereux, ce
sont des ennemis de l’État qu’il convient de mater par la force. C’est au
contact de ces troupes de policiers déterminées à les déloger que les
manifestants vont progressivement prendre conscience de leur force pour
agir8 ensemble, dans un but commun, contre l’arbitraire et la violence
policière. L’interaction avec ce qui est ressenti comme un exogroupe
menaçant et l’intensification du conflit vont avoir un impact durable sur
leur positionnement identitaire. Comme le montrent les entretiens réalisés
avec nombre de ces manifestants, beaucoup estiment qu’ils sont devenus
plus radicaux au cours de cette confrontation et se sont déclarés prêts à
s’engager dans d’autres batailles contre l’injustice. Reicher et Haslam
(2016) prolongent cette réflexion en s’interrogeant sur ce qui peut amener
de jeunes citoyens sur le terrain du terrorisme. Ils estiment que le sentiment
d’une identité sociale commune peut se construire parmi ces jeunes, face à
des attitudes de suspicion ou de surveillance à cause de leurs origines
ethniques ou religieuses, et qu’il serait à la base de la désidentification,
c’est-à-dire la fragilisation de leur lien d’appartenance avec le pays où ils
sont nés. Cette désidentification les rendrait plus réceptifs aux discours
radicaux qui soutiennent que l’Occident les déteste.

2.1.5 L’immobilité sociale ou la mobilité sociale


contrariée
Des mouvements de protestation sont souvent une réponse au racisme et à
la réaction policière mais aussi, plus largement, une révolte contre un
système qui a trahi les espoirs de mobilité sociale (cf. le paragraphe 2.2. du
chapitre 2).
Le meurtre de l’Afro-Américain George Floyd après une arrestation
violente à Minneapolis, le 25 mai 2020, un drame qui a déclenché la plus
grande manifestation antiraciste aux États-Unis depuis le mouvement des
droits civiques dans les années 1960, a suscité une onde de choc mondiale.
Cette onde de choc est entrée en résonance avec la réalité de nombreux pays
occidentaux et autres. Les manifestations, parfois violentes, reflètent un
ressentiment contre le racisme et les violences policières aux États-Unis et
ailleurs, mais, selon l’économiste américain Nouriel Roubini9 (2020), elles
reflètent plus largement un ressentiment par rapport à l’immobilité sociale
pour les démunis, marqués par l’absence d’opportunités sociales et
économiques, ainsi que le fossé incommensurable qui les sépare des autres,
des nantis, plus riches et avec toutes les possibilités pour prospérer.
Sont donc concernés par cette immobilité sociale non seulement les
minorités racialisées, mais ce que l’économiste britannique Guy Standing
(2011) appelle le « précariat10 » en général. Il s’agit notamment des
travailleurs pauvres qui, consécutifs à une guerre aux salaires conduite au
nom de la recherche de « compétitivité » et de la chasse au « coût du
travail », sont payés au compte-gouttes, à temps partiel, à l’heure, à la
journée, en indépendant, à durée déterminée. Ces travailleurs pauvres se
sentent délaissés et méprisés par la puissance publique du fait de la
disparition des services publics dans un grand nombre de zones dites
« périphériques » et dans des territoires qui créent le moins de travail. En
effet, chassés des centres-villes par la hausse des prix, les Français les plus
modestes se sont repliés vers les banlieues les plus périphériques, puis vers
les zones dites « campagnardes ». Mais en territoire rural, l’offre de
transports en commun est pratiquement inexistante ou inadaptée aux
besoins, et il devient impératif de posséder une voiture par adulte, tandis
qu’en ville moyenne, il faut une voiture par ménage. C’est ainsi que
l’annonce de l’instauration d’une nouvelle taxe carbone pour 2019 a mis le
feu aux poudres (cf. encart 21).

Encart 21 – Les gilets jaunes


Du côté du gouvernement, on a taxé leur mouvement de
« poujadisme », on a contesté qu’ils puissent se réclamer du
« peuple », on les a assimilés à « une foule haineuse » qui s’en
prendrait « aux juifs, aux étrangers, aux homosexuels ». Un
ministre les décrivait comme des « séditieux » infiltrés par « l’ultra-
droite », Pourtant, malgré ces tentatives de disqualification, la
popularité du mouvement dans l’opinion ne s’est pas démentie.
L’émergence des gilets jaunes en novembre 2018 a effectivement
surpris la classe politique autant que nombre de commentateurs
dans les médias. En réalité, depuis plusieurs années, des
chercheurs en géographie sociale (Dumont, 2019) avaient alerté
sur le déni des réalités territoriales en haut lieu : entêtement des
gouvernements à imposer des logiques définies et décidées sans
tenir compte des réalités territoriales, des réglementations
porteuses d’inégalités, des références à des modèles territoriaux
désuets, des décisions s’appuyant systématiquement sur le big is
beautiful, (Dumont, 2015), comme s’il existait une corrélation entre
la taille démographique d’un territoire et son attractivité
économique. Or, selon Dumont et ses collègues, ce lien n’existe
pas. Ces modèles portés par une technostructure (Morin, 2020)
conduiraient à étouffer le besoin de proximité et allaient
inévitablement engendrer des réactions éruptives.
Au-delà des manifestations et des affrontements rituels avec les
forces de l’ordre, les gilets jaunes se sont approprié les ronds-
points périurbains (Gwiazdzinski, 2019) devenus en quelques
semaines des lieux de vie et d’échanges intenses. Base arrière du
mouvement et lieux de socialisation, d’entraide et d’élaboration
politique, les revendications se sont élargies et le désir d’une
société nouvelle, plus démocratique, s’est précisé.

Le mouvement des « gilets jaunes », qui a agité la France depuis mi-


novembre 2018, a laissé apparaître une fracture territoriale et mis en
exergue un véritable clivage social dans le pays. Il est une conséquence de
l’appauvrissement des classes populaires, avec des fins de mois difficiles, et
la disparition des services publics dans un grand nombre de zones dites
« périphériques ». Le clivage cadres et classe moyenne versus catégories
populaires s’est même exacerbé à mesure que le mouvement se poursuivait.
La fronde dépassant le monde rural et touchant l’ensemble des catégories
modestes.
Aux travailleurs pauvres du précariat, dont les « gilets jaunes » font partie,
on peut ajouter les NEET11, fortement exposés à la crise économique. Selon
le portail officiel du Fonds social européen en France auprès du ministère
du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion12, ce sont des jeunes de 15-24 ans,
qui ne sont ni en emploi, ni en études ni en formation. Cette population de
14 millions de jeunes en Europe comprend les jeunes diplômés exposés à
un risque de chômage prolongé, mais, surtout, les jeunes ayant quitté
précocement le système éducatif et ne parvenant pas à s’insérer sur le
marché du travail, non seulement faute de qualification et de compétences
adéquates, mais parce qu’il n’y a plus de travail pour eux.
En l’absence d’ascenseur social, ce précariat est exposé au risque de
pauvreté permanente, voire d’exclusion sociale. La frustration et la colère
qui peuvent en résulter ont contribué à des mouvements comme celui des
« gilets jaunes ». Elles peuvent aussi favoriser le populisme avec, dans son
cortège, la haine ou le rejet de tout ce qui est étranger associée à la
recherche de boucs émissaires prétendument à l’origine de tous les
problèmes.
La frustration et la colère peuvent aussi constituer un terreau fertile pour le
décrochage de la République, une désidentification du groupe national qui
les a, de toutes façons, abandonnés, avec, dans son cortège, le terrorisme et
la haine de l’Occident (Ziegler, 2008) et des mécréants. Qui dit mieux cette
réalité que les cent cinquante maires, présidents d’agglomérations et
d’associations représentant près de 10 millions d’habitants qui, trois ans
après l’annonce d’un « plan de mobilisation nationale », resté lettre morte,
pour les quartiers populaires par le gouvernement publient, le
14 novembre 2020, une « Lettre ouverte au Président de la République pour
l’égalité républicaine de nos quartiers prioritaires ».
L’extrait suivant de leur appel au secours ne peut être plus clair :
« Le virus du décrochage républicain
Au regard de la situation actuelle, force est de constater que
l’ambition que vous aviez formulée de “changer le visage de
nos quartiers […] d’ici la fin du quinquennat” a fait long feu. En
outre, la crise sanitaire du Covid-19 et les attentats terroristes
de ces dernières semaines ont bousculé nos vies ; face à ce
nouveau contexte, le sentiment qui domine est celui de non-
assistance à territoires en danger.
En dépit des alertes, les villes et quartiers populaires restent
un angle mort du plan de relance : aucune mesure ambitieuse
n’a été prise pour répondre à la détresse sociale et
économique qui frappe nos communes. Pire, la surmortalité
Covid y est malheureusement démontrée (selon l’étude
menée par Guy Burgel13 de l’université de Paris-Nanterre). La
précarité du travail s’accélère alors même que les habitants
ont été en première ligne (personnels soignants, caissières,
logistique, déchets…)
Cette inertie se paie cash. Aujourd’hui, un autre virus se
développe dans nos quartiers et même au-delà : celui du
décrochage à la République.
Il serait injuste de pointer du doigt l’ensemble de nos
concitoyens qui, comme tout un chacun, se battent
quotidiennement pour travailler, se loger dignement, élever
leurs enfants et se construire un avenir. Mais de la même
manière, Monsieur le Président, il serait irresponsable de nier
que la haine et le repli sur soi prospèrent à mesure que la
rupture sociale et la pauvreté augmentent. Partout sur le
terrain, les signaux sont au rouge. »

2.1.6 La stratégie du bon prince


Il faut remarquer que c’est à propos de groupes socialement favorisés que
l’on a pu constater une confirmation du modèle classique de Tajfel et à
propos de groupes défavorisés que l’on a pu constater des exceptions au
modèle classique de la catégorisation, en particulier l’existence d’un biais
pro-exogroupe (Blanz, Mummendey, Mielke et Klink, 1998 ; Taylor et
Moghaddam, 1987).
Toutefois, il existe des situations où l’absence d’un biais pro-endogroupe
peut s’observer également dans des groupes favorisés. En effet, quand un
écart important existe entre deux groupes et quand la relation structurelle
favorisant le groupe dominant est perçue comme légitime et stable, le biais
pro-endogroupe est bien moins prononcé. Il peut même disparaître (Turner
et Brown, 1978), ou céder la place à un biais pro-exogroupe. Et c’est
notamment sur des dimensions secondaires, ou jugées importantes pour le
seul exogroupe, que le biais pro-exogroupe produit par des groupes
dominants a pu être mis en évidence (Mummendey et Schreiber, 1983,
1984). Quand la suprématie de son groupe n’est pas susceptible d’être
menacée par un exogroupe, le fait de concéder des qualités positives à ses
membres peut même être valorisant et apparaître comme le geste du « bon
prince ». Il fait freiner le jeu de la compétition sociale et légitime un statu
quo qui est à l’avantage du groupe favorisé.
Dans les premiers travaux de Tajfel (Tajfel et al., 1971) utilisant le
paradigme du groupe minimal pour des groupes à statut égal, on n’a
généralement prêté attention qu’aux réponses des élèves favorisant leur
propre groupe. Or, si l’attraction pour la différence intergroupes peut être
observée auprès de 91,5 % des élèves, seuls 72,3 % parmi eux utilisent pour
ce faire le biais pro-endogroupe (tandis que 8,5 % sont parfaitement
équitables).
Il est même raisonnable de penser que quand un écart important existe
entre deux groupes et que le groupe socialement favorisé est à l’abri d’une
mise en question de sa supériorité par l’exogroupe, son intérêt pourrait être
de ne pas afficher sa supériorité et de concéder, dans un geste de « bon
prince », des qualités positives importantes à ses membres, et ainsi
maintenir son ascendant. Ce jugement équitable constituerait ainsi une
façon non compétitive d’asseoir une identité sociale positive.
C’est effectivement ce qui a pu être observé dans une expérience conduite
en Guyane auprès d’un groupe d’étudiants créoles (Aebischer et Oberlé,
2002). Ces étudiants peuvent être considérés comme faisant partie d’un
groupe non seulement numériquement majoritaire, mais fortement
privilégié du point de vue social, économique, culturel et politique. Une très
grande distance sociale les sépare d’un autre groupe, les Noirs marrons,
Guyanais comme eux, mais socialement, économiquement et politiquement
défavorisés. Quand on leur a demandé de décrire les membres de leur
groupe et les membres de l’exogroupe à partir d’une liste d’adjectifs portant
sur une dimension d’action très valorisée, une dimension relationnelle,
également très valorisée et considérée comme décrivant typiquement les
Créoles, ainsi qu’une dimension « absence de contrôle » très peu valorisée,
ils se sont appliqués, certes, les deux dimensions très valorisées et très peu
la dimension peu valorisée, mais ils ont considéré que la dimension d’action
s’applique bien plus encore et la dimension « absence de contrôle » bien
moins encore aux membres de l’exogroupe défavorisé. Aussi, tout en
faisant preuve de favoritisme pour les membres de l’exogroupe, mettent-ils
l’accent sur la différence qui les en sépare. Pour ce qui concerne la
dimension relationnelle, il n’y avait ni biais pro-endogroupe ni biais pro-
exogroupe.

2.2 Accentuation des ressemblances des


membres à l’intérieur d’un groupe
2.2.1 La perception d’un air de famille entre les
membres d’un groupe
Une autre conséquence de la catégorisation sociale consiste à percevoir les
membres à l’intérieur d’un groupe ou d’une catégorie comme relativement
semblables. Le regroupement des individus dans une même catégorie (dans
la catégorie propre comme dans la catégorie de non-appartenance)
provoque leur « homogénéisation », qui simplifie et généralise notre façon
de les appréhender (cf. Doise, Deschamps et Meyer, 1978), de les évaluer et
de les juger.
Imaginez que l’on vous demande de départager une pile de photos pour
faire un tas avec les photos de personnes dont vous pensez qu’elles sont
françaises et un autre tas avec les photos représentant des étrangers. À partir
de ce critère de distinction, il est probable que lorsque vous regardez chaque
tas séparément, vous avez l’impression que les personnes à l’intérieur de
chaque tas se ressemblent. À y regarder de plus près, vous leur trouvez
aussi des caractéristiques particulières plus ou moins positives. Si on vous
avait demandé de départager la pile selon l’âge des personnes
photographiées ou selon un autre critère, il est probable que d’autres
caractéristiques auraient surgi pour caractériser les groupes formés. On voit
ce qui leur est commun plutôt que ce qui les sépare. En « cataloguant » les
individus de cette sorte, on produit une vision stéréotypée des membres
d’un groupe. La vision stéréotypée consiste à les décrire à partir de
quelques traits localisés et distinctifs et à les trouver semblables, avec de
nombreuses caractéristiques communes. Contrairement à ce que des
recherches américaines antérieures (cf. Katz et Braly, 1933 et 1935) ont pu
laisser penser, le fait de stéréotyper n’est pas tant un trait de personnalité
partagé par les gens qui ont des représentations stéréotypées que le résultat
de la catégorisation sociale, quand notre impression à l’égard d’autrui
provient de son groupe d’appartenance. Le ou les stéréotypes sont partagés
par l’ensemble des membres d’un groupe vis-à-vis de l’ensemble des
membres d’un autre groupe ou du sien propre (Leyens, Aspeel et Marques,
1987). Ils attribuent des caractéristiques semblables aux membres de ces
groupes sans tenir compte des différences interindividuelles (Deschamps et
Clémence, 1987).
On a souvent tendance à confondre le stéréotype avec le préjugé. Certes,
ils résultent tous les deux de la catégorisation sociale et tendent à se
produire souvent simultanément dans la vie quotidienne. Cependant, ils
constituent deux processus différents. Le stéréotype est le résultat de
l’homogénéisation intragroupe : d’un autre groupe ou du sien propre. Le
préjugé est le résultat de la différenciation intergroupes.

2.2.2 L’homogénéisation intragroupe : la


surestimation des ressemblances à l’intérieur
d’une catégorie
On voit les Allemands travailleurs et rigides, les Français bons vivants et
chauvins (avec un béret et une baguette sous le bras), les Italiens impulsifs
et passionnés, les Espagnols fiers, etc. ; les hommes sont perçus comme
rationnels et logiques et les femmes comme émotionnelles et bavardes ; les
étudiants de psychologie remarquent chez les étudiants de droit surtout leur
raideur et leur manque d’ouverture d’esprit, tandis que ceux-ci pensent que
ceux-là ne sont pas tout à fait sérieux. Les caractéristiques attribuées à une
catégorie, et par conséquent à ses membres, se structurent et se
matérialisent en images et facilitent notre capacité à former un jugement sur
la personne. Ces « images dans notre tête » (Lippmann, 1922) nous
permettent de sélectionner les informations qui confirment nos attentes et
nous amènent à ne pas percevoir celles qui les contredisent. Ces images ne
sont donc pas une simple reproduction de l’objet, mais le résultat d’une
élaboration à partir d’éléments empruntés à la perception, aux souvenirs, à
l’imagination et à notre position groupale. Cette matérialisation sous forme
d’images des femmes, des Latins, des chasseurs, des informaticiens, etc.
peut être rapprochée de l’objectivation, processus qui intervient dans les
représentations sociales (cf. chapitre 5). Elle nous conduit à voir et même à
« toucher du doigt » les traits et dimensions censés caractériser les groupes
ainsi identifiés.
En effet, des « images » dans la tête ne caractérisent pas seulement les
membres des exogroupes, elles concernent aussi les membres de
l’endogroupe. Cependant, quand une personne est en face de membres d’un
exogroupe et que cette appartenance catégorielle apparaît prégnante, elle a
tendance à les homogénéiser bien plus qu’elle ne le fait pour les membres
de son propre groupe. Quand on lui demande, par exemple, d’estimer la
similitude entre les membres de son groupe et celle d’un exogroupe, le
degré de ressemblance de celui-ci est perçu comme significativement plus
important que celui de l’endogroupe (Codol, 1984a et cf. encart 13, p. 82).
En homogénéisant de cette sorte, on ne considère pas les individualités qui
composent l’exogroupe un par un, on ne les voit qu’à partir de l’entité
constituée par ce groupe. C’est ainsi que les hommes estiment parfois que
« toutes les femmes sont pareilles » et que les femmes sont résignées par
rapport à ces hommes, « tous les mêmes ».
L’homogénéisation plus grande de l’exogroupe que de l’endogroupe ne
s’observe pas seulement quand on pose des questions concernant la
ressemblance ou différence des membres d’un groupe. Elle opère également
quand il faut décrire les membres d’un groupe à partir d’une liste
d’adjectifs. Quand on a demandé (Doraï et Deschamps, 1990) à des
étudiants de décrire, à partir de 24 échelles à orientation positive, deux
séries de quatre photos, l’une représentant deux jeunes garçons noirs de
10 ans et deux hommes noirs de 35 ans, l’autre représentant, pour les
mêmes âges, deux jeunes garçons et deux hommes, tous les quatre blancs,
on a constaté que les dimensions pour décrire les enfants et les adultes noirs
sont pratiquement les mêmes tandis que des dimensions différentes sont
utilisées pour décrire les enfants blancs et les adultes blancs. Ce qui veut
dire que le groupe d’appartenance est perçu de façon plus nuancée que le
groupe de non-appartenance.
L’exogroupe est donc perçu comme moins diversifié et plus simplifié que
l’endogroupe. Ce type de simplification dans la perception d’un autrui
catégorisé est, nous l’avons déjà dit, une façon de traiter la quantité
d’informations dont peut disposer un sujet. En même temps, la
simplification suit une certaine direction qui, elle, n’est jamais neutre. Une
plus grande simplification de l’exogroupe peut aller de pair avec le
sentiment de faire partie d’une majorité (Simon et Mummendey, 1990). Ce
qui veut dire qu’elle peut aller de pair avec le statut de son endogroupe
(Badea et Deschamps, 2009).
Effectivement, on peut constater que ce sont les groupes socialement
favorisés qui ont tendance à percevoir leur propre groupe comme bien plus
diversifié que d’autres groupes. Une catégorie sociale comme celle des
cadres décideurs ou des entrepreneurs valorise l’individualité de ses
membres, leur esprit d’entreprise ou leur capacité à innover. Si ses membres
ne veulent pas être en contradiction avec ces critères, qui définissent leur
groupe et qui les distinguent de la masse des salariés, ils ne peuvent que se
percevoir comme peu ressemblants entre eux. La perception de leur
singularité et de leurs caractéristiques personnelles a, de ce fait, une origine
sociale : leur positionnement à l’intérieur d’une structure sociale (Lorenzi-
Cioldi, 1988, 1994). Inversement, l’homogénéisation de son groupe
d’appartenance s’observe surtout parmi les membres de groupes ou de
catégories socialement défavorisés. Dans une étude qui a mis en présence
plusieurs catégories de personnels travaillant dans une boulangerie, les
chercheurs britanniques, Brown et Williams (1984), observent des
différences importantes entre les réponses des travailleurs. C’est chez les
travailleurs du groupe placé au niveau inférieur de la hiérarchie de
l’entreprise que les similitudes à l’intérieur de l’endogroupe sont le plus
fortement perçues. Les réponses des membres des autres groupes montrent
que la perception de leur endogroupe est marquée par une grande
hétérogénéité qui va de pair avec une forte différenciation avec les autres
groupes. C’est que tout en se différenciant des travailleurs placés à des
niveaux inférieurs de la hiérarchie de l’entreprise, ils ne se rapprochent pas
pour autant des membres de leur propre groupe. En revanche, quand le
statut social se modifie dans le temps, que d’un statut social équivalent on
passe à un statut social inférieur, les individus dont le groupe
d’appartenance perd en statut perçoivent plus d’homogénéité intragroupe
par rapport à la situation précédente (Badea et Deschamps, 2009).
Le processus d’accentuation des ressemblances intracatégorielles n’est
donc pas indifférent au statut social des groupes en présence. Il apparaît de
façon plus prononcée chez les membres d’un groupe défavorisé et a partie
liée avec une solidarité de sort. En ce qui concerne les groupes favorisés, on
peut penser que le refus de leurs membres de la similitude entre eux
correspond à une négation de toute tentative qui contredit l’émergence de
leur singularité. En effet, l’appartenance à un groupe favorisé quel qu’il soit
repose souvent sur la reconnaissance de la spécificité individuelle, de la
distinction et de la visibilité de ses membres. Un éventuel sentiment de
supériorité qui résulte de cette appartenance porte alors sur le critère de la
singularité de chacun et entraîne la perception de leur hétérogénéité plutôt
que de leur similitude. Effectivement, plus on monte dans la hiérarchie
sociale, plus la distinction, l’unicité, la singularité de chacun, et donc sa
rareté, deviennent constitutives de son appartenance sociale (cf. encart 22).

Encart 22 – Les happy few


Les happy few étaient autrefois les quelques rares personnes
dont les noms étaient associés à quelques familles immensément
riches. Ces familles représentaient des empires construits par des
pères fondateurs, la vie de chacun d’entre eux faisant aujourd’hui
partie de la légende et du mythe de l’Amérique. Le statut de ces
happy few tenait au petit nombre de gens qui en faisaient partie et
qui se distinguaient du commun des mortels. La notion de happy
few a depuis connu des extensions, elle s’est « démocratisée »
pour désigner toute distinction réservée à un petit nombre de
personnes. Parmi les « branchés » et les noctambules, les happy
few sont ceux qui entrent dans la boîte de nuit la plus en vue sans
faire la queue, alors que tel ou tel, fût-il directeur de banque, a dû
patienter pendant plusieurs heures ou s’est même vu refuser
l’entrée. Et se distingueront, parmi les privilégiés, les quelques
rares « élus » qui sont admis sans avoir à payer d’entrée. Peu de
gens sont « élus » pour accéder au sommet d’une hiérarchie
quelle qu’elle soit, et le fait d’y être les singularise.
Des hiérarchies sociales opposent non seulement les riches aux
pauvres ou les patrons aux salariés. Elles peuvent traverser
toutes les structures sociales en fonction d’autres critères
valorisés et pertinents organisant d’autres symétries et asymétries
entre les gens.

2.2.3 Le stéréotype peut s’exprimer dans les


conduites
L’ubiquité des stéréotypes et la relative constance de leurs caractéristiques
démontrent leur caractère d’orientation, voire de prescription non seulement
de ce qui est vu et interprété, mais de ce qu’il est acceptable de faire. Une
panoplie de comportements est associée aux membres d’un groupe qui,
quand elle ne se déroule pas selon les attentes, peut provoquer des réactions
négatives. On attend généralement des jeunes qu’ils aient le goût de
l’aventure, qu’ils soient actifs et qu’ils bougent. Les personnes âgées, en
revanche, devraient se retirer de la vie active et tranquillement attendre leur
fin. Aussi est-on choqué quand on apprend que des sexagénaires, des
septuagénaires, voire des octogénaires, au lieu de profiter dignement de leur
retraite, s’adonnent à des ébats amoureux avec des partenaires de leur âge.
p La menace du stéréotype
L’impact négatif des stéréotypes sur les membres de groupes minoritaires
ou défavorisés a été montré dans de nombreuses recherches. Les travaux de
Steele et Aronson (1995, Steele, Spencer et Aronson, 2002) sur la menace
du stéréotype ont montré que des étudiants américains noirs ont eu des
performances moins bonnes à un test quand ce test leur a été présenté
comme un test d’intelligence que lorsque le même test n’a pas été présenté
comme tel. Selon Steele, la menace de confirmer le stéréotype négatif selon
lequel les Américains noirs seraient moins intelligents que les Américains
blancs affecte leur performance dans un sens négatif. Le fait de connaître ce
stéréotype et de se savoir dans une situation qui pourrait le confirmer peut
produire des performances plus faibles dans les activités consistantes avec
le stéréotype (Aronson et al., 1998). La menace du stéréotype affecte aussi
les membres d’autres groupes sociaux affublés de stéréotypes, par exemple
les étudiants socio-économiquement défavorisés (Croizet et Claire, 1998).
Les stéréotypes affectent le comportement quand le membre d’un groupe
stéréotypé est placé dans une situation dans laquelle une mauvaise
performance serait interprétée et évaluée comme une confirmation que
l’individu en question a les déficiences typiques de son groupe. Cette
menace situationnelle interfère alors avec la performance de l’individu et
produit la performance déficiente crainte. La menace est d’autant plus forte
que l’individu a intériorisé ce stéréotype (Bonnot et Croizet, 2011), c’est-à-
dire qu’il s’est auto-stéréotypisé (O’Brien et Hummert, 2006).
p Faire face au stéréotype
Plusieurs recherches ont également pu montrer que la menace du
stéréotype peut être contrecarrée quand, avant la performance à un test
censé mesurer l’intelligence, on invite les participants menacés par le
stéréotype de se concentrer sur les aspects fluides et multiples de
l’intelligence plutôt que de la considérer comme une aptitude que l’on ne
pourrait modifier (Aronson, Fried et Good, 2002). La menace peut aussi
être levée quand les gens sont invités à se rappeler un ou plusieurs membres
de leur groupe, qui se sont distingués par leur compétence et qui font figure
de modèles d’identification positive (Marx et Roman, 2002 ; McIntyre,
Paulson et Lord, 2003) ; ou quand on leur demande d’énumérer les
caractéristiques et valeurs qui sont particulièrement importantes pour eux,
puis de décrire dans le menu détail les situations dans lesquelles ces valeurs
ont beaucoup compté pour eux (Martens, Johns, Greenberg et Schimel,
2005).
Selon la théorie de l’auto-affirmation (Steele, 1988) et en continuation
avec des théories et recherches sur les processus de compensation
(cf. Allport, 1961 ; Murphy, 1947), le fait de pouvoir atteindre et maintenir
le sens de sa valeur est une des motivations humaines primordiales. Quand
les gens sont confrontés à des informations stéréotypées les concernant, ils
savent mettre en branle de nombreuses stratégies qui leur permettent de se
considérer comme des personnes décentes, morales et compétentes
(cf. Steele, Spencer et Lynch, 1993). Ou encore, pour faire face à la menace
du stéréotype, ils vont dénigrer ou nier l’importance du trait stéréotypé.
Dans une étude conduite par Hippel, Hippel, Conway, Preacher, Schooler et
Radvansky (2005), des étudiants américains, sous la menace de moins bien
réussir à un test mesurant leur QI que des étudiants asiatiques, ont estimé
qu’être intelligent n’était finalement pas aussi important que cela.
p User du stéréotype
Se comporter en conformité avec le stéréotype définissant son groupe
d’appartenance et jouer ce que Pettigrew (cité dans Levin et Levin, 1982,
80) appelle le rôle social, peut, dans les relations avec les membres de
l’exogroupe s’avérer profitable. Pettigrew évoque l’exemple de l’Américain
noir qui, quand il a affaire aux Blancs, « porte le masque » et joue le rôle de
quelqu’un qui se considère comme inférieur. C’est ainsi que du temps de
l’esclavage aux États-Unis, l’esclave qui faisait preuve, ou savait faire
semblant, d’une obéissance aveugle aux maîtres blancs, qui les faisait rire et
savait les flatter, parvenait à obtenir des avantages personnels (Silberman,
1964) (cf. encart 23).
Encart 23 – Faire l’objet d’un stéréotype peut parfois être
profitable
Les femmes sont souvent perçues comme passives, soumises,
gentilles, dépendantes, ayant le sens de la famille, émotionnelles,
sentimentales et idéalistes14. La perception de la catégorie
« femmes » est d’ailleurs à tel point homogène que l’on entend
souvent parler de la femme. Quand certains mouvements
féministes s’étaient mis à contester cette façon « uniformisante »
de voir les femmes, quand elles avaient appelé celles-ci à rejeter
le rôle social qui leur était traditionnellement dévolu pour assumer
des responsabilités (et en particulier des emplois rémunérés) en
dehors de la maison familiale ou conjugale, la réaction ne s’était
pas fait attendre. Aux États-Unis, cette réaction a trouvé une
porte-parole influente en Marabel Morgan, qui a appelé les
femmes à rester au foyer afin de sauvegarder leur statut privilégié
de femmes choyées et prises en charge par leur mari. Auteur d’un
livre sur la vraie femme, la « femme totale » (Morgan, 1975), qui
s’est vendu à plusieurs millions d’exemplaires, elle a appelé les
femmes à défendre « leur » rôle en leur conseillant ceci :
« Femmes, soyez soumises à vos maris comme à Dieu… La
femme totale se passionne pour ce qui intéresse son mari et
cherche à le satisfaire, qu’il s’agisse de sauce, de sexe ou de
sport ».
Non seulement nos jugements peuvent être stéréotypés, mais
aussi nos comportements. La persistance des stéréotypes peut
tenir au fait que les personnes qui en sont affublées les partagent
ou en tirent un certain bénéfice.

3. Conclusion
Les réflexions et les travaux évoqués dans ce troisième chapitre montrent
à l’évidence que la recherche de la singularité est un élément constitutif et
primordial du développement de l’identité sociale. Ils montrent combien les
individus, à travers des stratégies complexes, se servent des groupes pour
affirmer ce qu’ils ont de singulier.
La construction (toujours fragile et à confirmer) de l’identité sociale
apparaît finalement comme le résultat d’un processus dialectique entre deux
impératifs : d’une part une exigence d’appartenance pour laquelle c’est le
principe de similitude qu’on trouve à l’œuvre (cf. le chapitre 2 de ce
livre) et d’autre part une exigence de distinction, qui valorise et fait
rechercher la différence.
Les différents dosages entre ces deux pôles, et le sentiment d’identité
positive qui peut ou non en résulter, dépendent eux-mêmes des valorisations
qui en sont faites, dans une société donnée, ou dans les différents groupes
ou secteurs de celle-ci.

Pour aller plus loin


BOURHIS R.Y., LEYENS J.-P. (éd.). (1994). Stéréotypes, discrimination
et relations intergroupes. Liège : Mardaga.
DOISE W. (1976). L’articulation psychosociologique et les relations
entre groupes. Bruxelles : De Boeck.
OBERLÉ D. (2013). L’individu et le groupe. In L. Bègue et
O. Desrichard, Traité de psychologie sociale, p. 35-64.
STAPEL D.A., BLANTON H. (éd.). (2007). Social Comparison Theories.
New York : Psychology Press.
Chapitre 4
Les groupes
lieux de changement

Sommaire
1. Un point de vue philosophique : la perspective
sartrienne
2. La perspective lewinienne
3. Les minorités actives
4. Enjeux identitaires et participation à des actions
collectives

De tout temps, les hommes se sont rassemblés en groupes, car c’est avec
d’autres qu’ils ont trouvé les moyens de survivre, qu’ils se sont pris à rêver
de mondes meilleurs, et qu’ils ont mené des actions pour ce faire. C’est
avec les autres et dans des groupes que l’homme cherche à agir sur son
environnement et à le transformer.
Ce simple constat comporte plusieurs implications.
• La propension chez l’homme à se projeter dans le futur
Pour une bonne part, la manière dont l’individu s’oriente dans le présent,
dépend de la façon qu’il a d’anticiper l’avenir. Celui-ci « pénètre au cœur
de chacun comme une motivation réelle de ses conduites » (Sartre, 1960,
p. 66). C’est l’image du futur qui fait vivre au présent, et quand celle-ci
échoue à se construire, c’est le goût de vivre qui est atteint.
• L’importance de la dimension imaginaire
La dimension imaginaire se développe à partir de l’incomplétude et du
manque, et vise à combler l’écart entre ce qui existe et ce qui est souhaité.
Certes, les hommes peuvent se réfugier dans l’imaginaire et rêver leur vie
au lieu de la construire. Mais l’imaginaire ne comporte pas qu’un
caractère d’irréalité, il implique aussi une dimension de potentialité, tel
que ce qui n’est pas encore réel est entrevu comme pouvant le devenir.
• C’est par l’action que se réalise ce devenir
L’action permet le dépassement et la transformation de l’état actuel des
choses. Elle se développe dans l’articulation du monde tel qu’il est
imaginé, représenté et tel que, pour l’instant, il est (avec ses
déterminismes et ses pesanteurs sociales, économiques et culturelles).
L’action manifeste donc l’existence d’un imaginaire devenu imaginable
c’est-à-dire qui cherche à se réaliser.
• Les groupes sont des lieux de réalisation des projets humains
Les groupes font, eux aussi, l’objet d’investissements imaginaires. Leur
destin et leur efficacité comme lieux de transformation des systèmes
sociaux sont tributaires de ces investissements imaginaires. Ceux-ci
privilégient selon les cas les dimensions protectrices et sécurisantes du
groupe, ou ses capacités de résistance et de lutte, ses possibilités d’actions
porteuses d’espoir, et contribuent donc à ce que celui-ci soit ferme ses
frontières, soit les laisse poreuses, ouvertes sur l’extérieur. La dimension
imaginaire portée sur les groupes les constitue donc soit comme refuge
contre une réalité insatisfaisante, soit comme des lieux de transformation
de cette réalité.
• L’importance du sentiment d’efficacité
Selon le psychologue A. Bandura (2003), ce qui conditionne l’engagement
dans l’action est la croyance des individus en leur efficacité. Les hommes
en effet sont peu incités à agir s’ils ne croient pas que leurs actes peuvent
produire les effets qu’ils souhaitent. Si « l’efficacité personnelle perçue »
concerne la croyance de l’individu en sa capacité à organiser et exécuter la
ligne de conduite requise pour les résultats souhaités, « l’efficacité
collective perçue » concerne les croyances d’efficacité partagées par les
membres de communautés, de groupes, d’institutions pour contrôler ce qui
leur arrive et améliorer leur existence collective par un effort commun.
1. Un point de vue philosophique : la
perspective sartrienne

Encart 24 – Le groupe en fusion selon Sartre illustré par


l’aventure des usagers d’un autobus
À la station de l’autobus 643, il y a plusieurs personnes. De
l’extérieur (si on les regarde par la fenêtre d’un immeuble qui
donne sur le boulevard par exemple), on peut parler de
rassemblement, car elles sont regroupées autour du poteau.
Pourtant, elles ne se parlent pas, ne se regardent pas, sont
indifférentes les unes aux autres.
Ce rassemblement cependant n’est pas le fruit du hasard ; il
existe par le fait que tous ces individus ont un intérêt en commun,
ils veulent tous prendre l’autobus ; il y en a peu, ils subissent
ensemble la rareté des transports en commun. En attendant, et
comme l’attroupement augmente (si ça continue, il n’y aura pas
de place pour tout le monde), ils prennent un numéro d’ordre,
c’est-à-dire qu’ils deviennent chacun un numéro de série, le
regroupement se trouvant caractérisé par cette sérialité, par sa
résignation aussi… ils continuent d’attendre… L’un d’eux
cependant commence à s’impatienter, un autre hèle un taxi, un
autre encore s’en va à pied, mais aucune de ces actions
individuelles ne change quoi que ce soit à la situation. Dans cette
sérialité, ils sont tous frappés d’impuissance face à la rareté des
transports en commun. Soudain l’un d’eux s’exclame : « Il y en a
marre, ils exagèrent à la RATP, on est tous là comme des c…, ça
ne peut plus durer. » Et voilà que les autres le regardent,
l’approuvent, certains applaudissent, tous se retrouvent dans ce
qu’il vient de dire, de sorte que quand l’un d’eux propose : « on va
au dépôt d’à côté prendre un bus », il a à peine fini sa phrase
qu’ils sont tous en marche. Un groupe est en train de se constituer
(le groupe des usagers du 643) à travers l’action qu’ils mènent
ensemble et par laquelle ils surmontent leur impuissance. Quand
ils se seront emparés d’un autobus vide, et que chacun sera
arrivé à destination, le groupe va probablement se désagréger,
chacun retournant dans la série à laquelle il appartient (le bureau,
l’usine, l’université, etc.).
Ou bien ils décideront de former une association des usagers de
la ligne 643, autrement dit ils demeureront sur le terrain de l’intérêt
commun et s’organiseront en conséquence.

L’aventure des usagers du 643 (cf. encart 24) est l’extrapolation d’un des
exemples que le philosophe Jean-Paul Sartre (1960, p. 306 et sqq.) propose
à l’appui de son analyse sur la formation des groupes. Cette analyse est
particulièrement stimulante, aussi nous allons nous y arrêter un instant,
avant de revenir à des points de vue plus spécifiquement psychosociaux sur
le changement.
Pour Sartre, les groupes ont pour objet même le changement. Ils se
constituent dans l’action, dans un monde caractérisé par la rareté (de la
nourriture, des femmes, du travail, de l’air non pollué, de la reconnaissance
sociale, etc.) et par la répartition inégale des objets convoités (qui peuvent
être aussi des objets symboliques), pour dépasser l’état de fait et pour le
transformer. Voyons par quelle dynamique la force agissante des groupes se
met en place.

1.1 L’inertie initiale


La plupart des situations de la vie quotidienne sont caractérisées par
l’inertie et l’impuissance. Chacun, inséré dans ce que Sartre appelle des
« collectifs » (qui sont en fait des collections caractérisées par la sérialité),
se sent seul, numéro anonyme dans une série, et qui plus est, dans le
contexte de la rareté, un « gêneur » pour les autres. Que l’individu subisse
cette situation passivement, ou qu’il essaie par des actions individuelles d’y
remédier, rien n’y fait ; il ne peut changer seul la situation. Ainsi l’ouvrier
qui, pour avoir une prime (c’est-à-dire plus que les autres), choisit
d’augmenter sa norme de production, ne change rien à la situation des
cadences infernales. Il la renforce au contraire, car cette nouvelle
performance va devenir l’exigence qui sera attendue de tous les ouvriers.
De même, l’étudiant qui travaille avec acharnement ne change rien au
système de sélection, auquel il continuera d’être confronté. Quand l’action
individuelle se découvre ainsi comme piège, l’impuissance de chacun
apparaît comme le ciment qui unit les membres d’une série car ils
découvrent que cette impuissance c’est ce qu’ils en commun. Cette prise de
conscience crée le « nous » du groupe.

1.2 La découverte de l’interdépendance


Ainsi, la prise de conscience de leur impuissance commune s’établit
comme une liaison entre les individus d’une série. Elle est la première
condition qui peut transformer un rassemblement sériel en groupe. Ce qui
devient saillant alors, dans le rapport des uns aux autres, c’est ce qu’ils ont
en commun (l’impuissance) et non plus ce qui les oppose, de sorte que
chacun voit en l’autre son propre avenir. Alors, les intérêts en commun et
concurrentiels (dans le contexte de la rareté) deviennent intérêt commun, et
les membres de la série découvrent leur interdépendance. Ils prennent
conscience que c’est en comptant les uns sur les autres et en agissant
ensemble qu’ils pourront lutter contre leur impuissance.
Cette condition cependant n’est pas suffisante ; ce n’est pas dans tous les
cas, par exemple, que la famine provoque la formation d’un groupe pour
lutter contre elle. On a vu au contraire les hommes se disputer la nourriture
« comme des chiens » dit Sartre.

1.3 L’existence d’autres groupes


La formation d’un groupe suppose une deuxième condition, c’est
l’existence dans la société globale d’autres groupes, qui défendent des
intérêts particuliers et antagonistes, et qui appellent à la lutte contre eux. Si
les usagers du 643 s’organisent en association, c’est pour faire valoir des
intérêts antagonistes à ceux de la RATP qui cherche à faire des économies.
De même, la situation dramatique de Paris au début juillet 1789, ne conduit
pas en soi à la prise de la Bastille. Un grand désordre règne, et
l’impuissance de la population se manifeste soit dans la résignation (on
subit la faim…) soit dans des explosions inorganisées de colère (émeutes,
pillages).
C’est l’ordre du roi du 12 juillet d’encercler Paris par les troupes, qui
transforme ces actions individuelles et concurrentielles en acte collectif.
L’encerclement définit le groupe ; « c’est le peuple de Paris » qui s’est armé
contre les armées du roi désignées comme l’ennemi contre qui les Parisiens
vont se mobiliser. Ainsi, il faut une cause à un groupe pour s’engendrer, et
cette cause est hors de lui, dans d’autres groupes.

1.4 La logique de l’action


La naissance des groupes correspond à un moment de cette « logique de
l’action » par laquelle les hommes font leur histoire. C’est, pour Sartre, la
démarche de la pensée humaine pour transformer la nature et la société,
démarche dans laquelle ce sont les significations de l’expérience singulière
(elle-même conditionnée par la place et la situation sociale de l’individu)
qui sont déterminantes et orientent l’action.
Les groupes se constituent dans l’action (dans la « praxis » dit Sartre),
contre « l’inertie des collectifs », dans un dépassement qui n’est autre que la
relation qui s’établit entre un existant et un possible, par où les membres du
groupe naissant découvrent qu’ils peuvent transformer leurs conditions
d’existence et non les subir, et dont l’action s’affirme comme négation de
l’impuissance.
Il ressort de cette analyse sartrienne que :
• c’est à partir des significations qu’ils donnent aux situations et aux
événements dans lesquels ils sont plongés que les hommes agissent ;
• ces significations concernent la relation entre l’homme et le monde,
appréhendé à partir des situations sociales concrètes où l’homme se trouve
inséré ;
• ces situations étant différentes et inégales et impliquant des intérêts et des
valeurs antagonistes, le changement est l’enjeu et parfois l’issue de
dynamiques où la lutte et le conflit sont toujours présents.
Il s’agit là de trois constats essentiels que la psychologie sociale s’efforce
de prendre en compte, et dont elle cherche à préciser les mécanismes. C’est
en particulier le cas dans l’analyse de ce que Bandura (2003) appelle
l’« agentivité humaine », c’est-à-dire l’aptitude humaine à transformer par
l’action son environnement, et dont le socle est la croyance d’efficacité.
C’est la raison pour laquelle ce détour par Sartre nous a paru utile.
La psychologie sociale a oscillé entre deux approches du changement :
• d’une part le changement est posé en termes d’adaptation, de réduction
des résistances et des conflits, dans le contexte d’un système en évolution
qu’il s’agit de préserver et d’améliorer, par l’organisation et la
planification du changement. Dans ce cadre, les hommes et les groupes
sont considérés comme objets du changement. On se demande comment
faire changer les gens ? Nous aborderons cette perspective à travers les
travaux de Kurt Lewin (1940, 1947, traduction française : 1975a, 1975b) ;
• d’autre part, le changement est considéré comme une rupture, une remise
en cause d’un système (de ses pouvoirs et de ses valeurs), à qui il en est
opposé un autre. Il ne s’agit donc plus d’une amélioration d’un système
donné, mais de son remplacement par un autre système, voulu par des
acteurs sociaux sujets du changement. C’est par les travaux initiés par
Serge Moscovici (1979) sur les minorités actives que nous découvrirons
cette approche. Dans celle-ci, la question est « comment s’y prennent ceux
qui provoquent des changements lors même qu’ils n’ont ni supériorité
numérique ni pouvoir reconnu pour le faire ? » Dans cette perspective, le
changement est l’aboutissement éventuel de l’influence des minorités
actives, et l’ensemble de travaux que nous évoquerons portent sur les
conditions, les modalités, les effets de cette influence.

2. La perspective lewinienne
Lewin (1931, trad. fr. 1975b) a transposé dans l’étude des comportements
individuels et des processus groupaux, les découvertes de la théorie de la
Gestalt (psychologie de la forme). Dans le domaine de la perception, celle-
ci démontre que ce qui est important, ce n’est pas seulement les
caractéristiques de chaque élément pris en compte, mais la façon dont l’acte
perceptif les structure et les organise entre eux.
Pour pouvoir rendre compte de la totalité d’un phénomène et de ses
déterminants à un instant donné (daté et situé), Lewin pense que, plutôt que
de mettre l’accent sur les caractéristiques des différents éléments entrant en
ligne de compte, et d’établir des lois en fonction de la régularité de
l’apparition de ces caractéristiques, il est nécessaire d’étudier les processus
qui se développent à partir de l’interaction de ces éléments.
L’accent alors n’est plus mis sur les objets mais sur leurs relations, et c’est
l’interdépendance, sa mise en évidence, la recherche de ses modalités et de
ses effets, qui devient le pivot de son épistémologie.
C’est dans ce cadre qu’il faut appréhender son approche du changement,
qui découle de la prise en compte de plusieurs ordres de phénomènes.

2.1 Le champ dynamique de la personne


On ne peut expliquer un comportement humain, sans prendre en compte
les différents facteurs qui le déterminent, à partir de leur interaction. Ces
différents facteurs, internes ou externes à l’individu constituent pour Lewin
« le champ dynamique de la personne ». Les facteurs internes sont
constitués par ses représentations, ses affects, ses aspirations…, les facteurs
externes sont les différents éléments, réels ou symboliques de son
environnement. Ces différents éléments du champ, interdépendants,
aboutissent à un certain équilibre à un moment donné. Quand celui-ci est
rompu, il y a tension chez l’individu et recherche d’un nouvel équilibre.
Dans ce cadre, la notion d’action est primordiale, car elle se trouve à
l’articulation des aspects subjectifs et objectifs de l’expérience du sujet. Par
ses travaux sur les niveaux d’aspiration (Lewin, Dembo, Festinger, Sears,
1944, trad. fr. 1975c), Lewin a montré que l’action est le fruit de
l’intentionnalité d’un sujet qui cherche à intervenir sur son environnement,
et dont le résultat (échec ou réussite) ébranle ou conforte l’intention, le long
d’un processus circulaire entre action, effets de l’action sur
l’environnement, et représentation-anticipation de l’effet escompté. L’action
en effet implique la capacité de l’individu à se projeter dans le futur (c’est
un des éléments du champ), c’est-à-dire que le lien ne soit pas rompu entre
réalité et imaginaire (par quoi on se représente ce qui n’est pas là). Cela
suppose que réalité et irréalité s’établissent sur un même continuum,
l’action permettant le passage de l’une à l’autre. Dans le cas contraire, on
assiste à un rétrécissement de l’« espace de vie » du sujet, qui se manifeste
par des comportements amorphes et un repli sur soi.
Mais ni l’intention ni l’imagination ne suffisent pour déterminer l’action,
celle-ci dépend d’une décision, qui sera facilitée ou entravée par différents
facteurs (autres éléments du champ). Se trouvent là impliquées l’expérience
antérieure du sujet (les actions qu’il a déjà menées, et qui ont été à ses yeux
et aux yeux des autres ratées ou réussies), ses relations avec autrui (qui
selon les cas peuvent rendre sa décision plus ou moins conflictuelle), les
normes, les valeurs et l’idéologie partagées avec d’autres et qu’il a faites
siennes, et qui peuvent être un frein ou un moteur à l’action envisagée.

2.2 Le champ dynamique du groupe


Les champs dynamiques personnels qui viennent d’être évoqués, sont des
éléments du champ du groupe. Les autres éléments sont les différents rôles,
les canaux de communication, la manière dont le groupe est commandé, les
normes, les valeurs du groupe, les buts qu’il se donne, les actions qu’il
mène, et les différents facteurs économiques, sociaux, culturels et
idéologiques qui déterminent ses relations à son environnement. Tous ces
éléments du champ social du groupe sont interdépendants de telle sorte que
la modification de l’un entraîne celle des autres. Ainsi, si on modifie le style
de commandement d’un groupe, en le faisant passer d’une modalité
autoritaire à une modalité démocratique ou laisser-faire, on modifie le
climat du groupe, et en particulier le degré d’agressivité et ses modalités
d’expression (Lewin, Lippitt et White, 1939, trad. fr. 1965) (cf. encart 25).

Encart 25 – Les styles de commandement


Lippitt et White, collaborateurs de Lewin (1943, 1965), s’appuient
sur la théorie dynamique des groupes qui prédit que si, dans un
groupe, un des éléments constitutifs du groupe est modifié,
d’autres en seront affectés. Ils ont donc construit l’hypothèse
suivante : « La modification du style de commandement fait varier
l’agressivité et donc le climat social du groupe. »
Ils ont mené leur expérimentation auprès d’enfants américains
participant à des clubs de loisirs sous la responsabilité d’un
adulte. Selon les groupes, ils ont demandé à ces adultes de
développer :
– soit un style autoritaire : dans ce cas, l’adulte prenait seul les
décisions concernant les objectifs du club, les moyens à mettre en
œuvre, la répartition des tâches entre les enfants ;
– soit un style démocratique : dans ce cas, l’adulte faisait des
propositions, mais les décisions concernant les objectifs, les
moyens à mettre en œuvre étaient prises d’un commun accord
avec les enfants. Ceux-ci se répartissaient les tâches et
constituaient librement les sous-groupes nécessaires ;
– soit un style laisser-faire : dans ce cas, l’adulte n’intervenait pas
de lui-même, ne faisait aucune proposition, mais répondait aux
demandes des enfants en fournissant des informations ou du
matériel.
Résultats :
Avec un leader autoritaire, deux types de réactions ont pu être
observés : des séances sans aucune agressivité (apathie) et des
séances avec forte explosion d’agressivité.
Avec un leader démocratique, l’agressivité n’était pas nulle, mais
elle se déchargeait au fur et à mesure, sans atteindre de
paroxysme.
Avec un leader laisser-faire, le taux d’agressivité était le plus
élevé et les décharges explosives les plus fréquentes.
Par ailleurs, c’est dans les groupes démocratiques que la
satisfaction des enfants était la plus grande, et l’intérêt pour la
tâche et sa réussite les plus importants. L’hypothèse est donc
vérifiée : le climat des groupes dépend de la manière dont ils sont
commandés. Au moment où commençait la deuxième guerre
mondiale, cette expérience connut la célébrité. On considéra
qu’elle validait l’idéal démocratique des nations qui s’opposaient
aux dictateurs.
Cependant, plusieurs expériences ultérieures (en particulier
Fiedler, 1967) ont montré que l’efficacité d’un style de
commandement dépendait des caractéristiques des situations
dans lesquelles ils se développent (en particulier du contexte
institutionnel qui les organise, et de la nature des tâches à
effectuer).

C’est le système d’interdépendance propre à un groupe donné, qui le


caractérise et qui explique son fonctionnement et sa conduite, aussi bien à
un niveau intragroupe (ce qui se passe à l’intérieur du groupe) que dans ses
relations aux autres groupes et à son environnement.

2.3 Le changement comme rupture


d’équilibre
La notion d’équilibre (et la tension que provoque le déséquilibre) est pour
Lewin un élément explicatif déterminant, non seulement de la conduite
individuelle et des groupes, mais du changement.
Les différents éléments d’un groupe interviennent avec des forces
différentes et contradictoires, de sorte que considéré à un moment donné,
celui-ci se présente comme un système d’équilibre. Il ne s’agit pas là de
quelque chose de statique. L’équilibre est au contraire le résultat de la
complémentarité des mouvements des forces en présence (pour arriver à
faire du surplace avec une bicyclette, il faut constamment amorcer des
pédalages dans un sens puis dans un autre). Quand l’équilibre tend à se
rompre, il y a tension, et recherche de sa préservation.
L’équilibre d’un groupe, ce qu’on appelle le statu quo dans la vie sociale,
correspond donc à un « état quasi-stationnaire » qui manifeste des
fluctuations autour d’un niveau moyen. Il y a ainsi une marge, à l’intérieur
de laquelle la structure du champ de forces en présence ne se modifie pas :
c’est la zone de résistance au changement. À l’intérieur de cette marge,
l’accroissement de certaines forces ne modifie pas l’équilibre mais entraîne
seulement l’accroissement de la tension (Lewin, 1947).
Ainsi, dans une usine où une norme implicite de groupe est à l’œuvre pour
limiter le taux de productivité des travailleurs, toute tentative de certains
ouvriers pour s’écarter de cette norme, aura pour résultat de les soumettre
aux pressions de leurs camarades, pour les ramener au niveau de la norme.
Cependant, si certaines « forces » s’intensifient au-delà de la marge qui
définit l’« état quasi-stationnaire de l’équilibre », alors celui-ci est rompu,
c’est un changement qui s’amorce, qui se traduira par un nouvel équilibre,
un nouveau type d’interdépendance entre les facteurs en présence.
On voit que, selon cette analyse, le changement dans un système
correspond à la recherche d’un nouvel équilibre à partir de la rupture de
l’ancien. Il implique que les résistances au changement inhérentes à tout
système stabilisé aient pu être surmontées.
À partir de cette analyse théorique, Lewin s’est demandé comment on
pouvait introduire du changement dans les groupes, c’est-à-dire, dans sa
perspective, amener les membres d’un groupe à modifier leurs attitudes
dans un domaine donné. Introduire un changement c’est, en fonction de
l’analyse précédente, modifier l’équilibre du groupe dans le sens prévu par
ceux qui l’ont souhaité (directeurs, responsables, experts) qui ne sont pas
ceux sur qui il va s’appliquer.
Vu l’interdépendance et la variété des différents facteurs à l’œuvre, il est
nécessaire avant de chercher à modifier un équilibre social, d’en faire
soigneusement l’inventaire, pour repérer les lieux, les sous-groupes ou les
personnes ayant une position stratégique (pouvoir, informations, statut,
compétence, etc.), c’est-à-dire dont on peut penser que c’est par eux, par les
décisions qu’ils prendront, et leurs propres attitudes à l’égard de l’objet du
changement, que celui-ci pourrait advenir.
Pour Lewin, le changement peut s’obtenir par une augmentation des
« forces » qui vont dans le sens voulu, ou par une réduction de l’intensité de
celles qui s’y opposent. Mais l’intensification des forces dans le sens du
changement augmente la tension alors que la diminution des forces qui s’y
opposent la réduit, ce qui facilite le changement (cf. encart 26).

Encart 26 – Comment s’y prendre pour obtenir un


changement ?
La direction d’une usine désire élever le niveau de productivité ;
elle constitue ainsi un champ de forces qui s’opposent à celles de
la base, qui cherche à limiter ce taux de productivité (pour éviter
cadences infernales, stress, etc.).
Deux solutions pour la direction (ou un mixte des deux) :
– ou bien accroître les forces qui favorisent le changement :
nouvelles machines, cadences obligatoires, vérifications
supplémentaires par un système informatique des cadences de
chacun ;
– ou bien réduire les forces qui s’opposent à une plus grande
productivité : licenciement des « meneurs », augmentation des
primes ou des salaires si la raison invoquée est : « vous ne nous
payez pas assez pour le travail que vous nous demandez ».
(Analysez quelques conflits sociaux récents à la lumière de cette
grille.)
La première solution revient à intensifier les forces qui vont dans
le sens du changement, la deuxième à réduire celles qui s’y
opposent.

Pour Lewin (1947, trad. fr. 1965), le conformisme constitue l’une des
principales sources de résistance au changement : si on essaie de changer
les habitudes d’un individu, sans changer celles de son groupe, on se heurte
à sa crainte d’être ridicule, montré du doigt ou exclu de son groupe. C’est
pourquoi, de nombreuses expériences l’ont mis en évidence (cf. encart 27) :
il est plus facile de changer les normes, les habitudes, les opinions des gens
lorsqu’ils sont en groupe, que lorsqu’ils sont isolés.
Le conformisme est d’autant plus fort que la valeur accordée à la norme
est grande : plus la norme est valorisée, plus l’individu hésitera à s’en
écarter : c’est pourquoi il est judicieux de s’« attaquer » d’abord à la norme
groupale, de la « décristalliser » et d’amener le groupe à en changer. Alors
l’individu pourra l’adopter, c’est-à-dire changer lui-même, tout en restant
conforme !

Encart 27 – Expériences sur le changement des habitudes


alimentaires
L’expérience des abats est la plus connue : en 1942, le
gouvernement américain en guerre, désireux d’utiliser au
maximum les ressources de la nation, cherche à convaincre les
Américains de manger des abats de bœuf (rognons, cœur,
museau, etc.). Dans l’ensemble, les consommateurs boudaient
ces bas morceaux qui représentent 15 % à 20 % de ce qui est
mangeable dans l’animal. Les abattoirs faute de pouvoir les
écouler comme aliments, les transformaient en gélatine ou
engrais, ce qui n’était pas rentable.
Deux méthodes (A et B) furent alors utilisées parallèlement pour
tenter de modifier les habitudes alimentaires. Dans les deux cas,
ce furent des ménagères qui furent convoquées, car c’est d’elles
que dépendait ce qui arrivait sur la table de leurs familles.
Méthode A
Les ménagères étaient amenées à assister à une conférence bien
menée et intéressante au cours de laquelle une experte en
diététique exposait les raisons de consommer des bas morceaux,
rappelait les contraintes économiques du pays, insistait sur la
nécessité de participer aux efforts de la guerre, et aussi sur la
valeur nutritive de ces morceaux riches en vitamines et sels
minéraux. À la fin, des recettes ronéotypées étaient distribuées.
Méthode B
Les ménagères participaient à des réunions-discussions chez
l’une d’entre elles. L’animateur exposait brièvement le problème
de la nutrition lié à l’effort de guerre, puis laissait s’engager
librement la discussion à partir de la question : « est-ce que des
ménagères comme vous envisageraient de cuisiner et présenter,
à table, des bas morceaux ? », après avoir demandé si quelqu’un
l’avait déjà fait, et dans le but d’arriver à une décision commune.
Un contrôle effectué quelque temps plus tard montra que 3 % des
femmes qui avaient assisté à une conférence s’étaient mises à
cuisiner des bas morceaux. Chez celles qui avaient participé à
des discussions collectives, elles étaient 32 %.
La même tendance significative a été systématiquement retrouvée
quel que soit le type d’aliment en jeu (lait, huile de foie pour
bébés, remplacement du pain blanc par du pain de seigle).
Le changement effectif des habitudes alimentaires est bien plus
important quand on a essayé de le provoquer par une discussion
suivie d’une décision que par une conférence ou un conseil
individuel. Dans le premier cas en effet, c’est la norme qui est
modifiée, et chacun peut continuer à s’y référer.

Ce sont les discussions de groupe qui facilitent le plus cette évolution :


l’implication dans un débat sur les problèmes posés par le changement
prévu, l’échange d’informations, l’expression des craintes, la proposition de
suggestions font intervenir de nouvelles données dans le champ cognitif des
participants et transforment la relation imaginaire qu’ils avaient à l’objet du
changement. Celui-ci devient alors possible, et la décision prise à son sujet
étant collective, l’individu s’y sent d’autant plus engagé.

2.4 Portée et limites de la perspective


lewinienne
Nous nous sommes attardés sur ces travaux déjà anciens pour plusieurs
raisons. D’une part, le point de vue dynamique adopté par Lewin, les
rapports réflexifs et correctifs qu’il établit entre l’action et les processus
cognitifs, sa recherche d’une articulation entre les variables individuelles,
interindividuelles, groupales, font de lui un véritable précurseur de la
psychologie sociale la plus actuelle.
D’autre part, la conception lewinienne du changement a largement
contribué au développement du courant des « relations humaines » dans les
organisations initié à la suite des études d’Elton Mayo1. Ce courant, qui
s’inscrit en faux contre les conclusions des théories rationalistes (dont la
plus connue est l’organisation scientifique du travail, OST), a sensibilisé les
managers à la nécessité de prendre en compte les dimensions
psychologiques et socio-affectives de l’homme au travail. Alors, les
psychosociologues entrent dans les entreprises et les organisations pour
pratiquer des interventions dans le cadre de changements planifiés. Forts
des conclusions de Lewin selon lesquelles il est plus aisé de modifier les
habitudes d’un groupe que celles d’individus isolés, et quelle que soit par
ailleurs la diversité des pratiques (Dubost, 1987), ils préconisent des
réunions de groupe et l’association des intéressés au processus du
changement.
Cependant, la participation collective et ses implications sont plus
problématiques que ne l’avaient envisagé les lewiniens, car il s’agit au fond
d’une participation limitée, qui a pour but de renforcer l’adhésion des
membres d’une organisation à ses buts et à ses valeurs, et qui laisse intacts
les structures et les pouvoirs en place. Elle peut donc être utilisée et/ou
vécue comme une manipulation, à moins que sa portée et les domaines
qu’elle vise n’aient fait l’objet d’une négociation préalable, qui ne la réduit
pas à l’adhésion mais qui la transforme en processus d’échange
(cf. Guienne, Oberlé, 1989) dans lequel les intéressés cherchent à la fois des
garanties et des contreparties à leur participation.
Il faut dire que dans la conception évoquée jusqu’à maintenant, le
changement, voulu et initié par une partie des membres d’un groupe social,
s’applique sur d’autres qui ne l’ont pas choisi au départ, et vise à la
préservation du système et des rapports sociaux qui le fondent.
Il est temps de se placer dans une autre perspective et de considérer les cas
où le changement est susceptible de produire la transformation de ces
rapports, en envisageant les hommes et les groupes qui souhaitent cette
transformation, et à quelles conditions ils y parviennent.

3. Les minorités actives

Encart 28 – Quand le cours des choses change sous l’effet de


l’action des minorités
« Ce jeudi 24 août restera gravé dans l’histoire de la Pologne et
de l’Europe. Après quarante ans de règne sans partage du Parti
communiste à Varsovie, l’investiture par la Diète polonaise d’un
président du conseil issu des rangs de ce qu’il était convenu
d’appeler il y a peu encore « la dissidence », même pas
l’opposition, revêt une importance qui dépasse de loin les
frontières de la seule Pologne » (Le Monde, 26 août 1989).
« Le 27 décembre 2010, des centaines de manifestants défilent à
Tunis pour exprimer leur soutien aux mouvements de protestation
dans la région de Sidi Bouzid. »
(Source : lemonde.fr, 14 novembre 2011).
Ces deux évènements considérables, l’un ancien et l’autre plus
récent résultent de l’influence et de l’action de minorités actives.
C’est sous la pression d’un groupe d’abord minoritaire, le syndicat
Solidarnosc, suivi par une grande partie de la population, que le
premier a eu lieu. Plus près de nous, les évènements de « la
révolution du jasmin », s’élevant contre le manque de libertés
individuelles et publiques, la corruption, le coût de la vie élevé, et
revendiquant l’instauration d’une véritable démocratie ont été
initiés par une minorité en Tunisie avant de s’étendre au reste du
pays.

À travers ses recherches sur les minorités actives, le mérite de Moscovici


(1979) est d’avoir posé la question du changement du point de vue des
acteurs sociaux qui le souhaitent et agissent en ce sens, et non de ceux à qui
il est imposé dans le contexte d’un changement programmé par un
responsable ou un expert.
Quand on parle de minorité à l’heure actuelle, la référence n’est plus
uniquement quantitative (Tajfel, 1979). Si les premières recherches ne
prenaient en compte que les dimensions numériques de la minorité, on
s’accorde aujourd’hui sur une référence comparative et donc relative, en
désignant par minorité ceux qui disposent de moins de ressources, en
pouvoir, en compétence, en légitimité, en prestige, etc., que d’autres. Une
minorité est relative à un groupe dominant, pas forcément supérieur en
nombre.
C’est dans le cadre d’une réflexion sur l’influence sociale que Moscovici a
mené ses recherches sur les minorités. Ses travaux se développent à partir
d’une analyse critique des recherches classiques sur l’influence sociale.
Nous allons nous y attarder un instant, car c’est d’abord à travers cette
critique, et les nouvelles élaborations qui en découlent, que nous serons à
même de saisir comment la perspective du changement, abordée du côté de
ceux qui en sont les sujets, a profondément modifié le regard psychosocial
sur les groupes.
Les recherches classiques, fait-il remarquer, ont étudié l’influence sous
l’angle des effets consensuels qu’elle provoque dans les groupes. L’histoire
passée et présente montre cependant à l’évidence qu’on ne saurait réduire
les processus d’influence à ceux qui aboutissent à la conformité et au
maintien du statu quo. À travers les mouvements historiques
(révolutions…) et culturels (les mouvements de femmes, des étudiants, des
écologistes, etc.), des hommes et des femmes ont imposé de nouvelles
façons de se comporter, de penser et de faire. Bien que n’ayant à l’origine
aucun pouvoir ni légitimité, ils ont grandement influencé leurs concitoyens
et sont parvenus à les entraîner dans des processus de changement, attestant
que les individus peuvent se soustraire à l’influence ambiante et tenter de
garder ou de reconquérir leur indépendance et qu’ils peuvent réagir aux
pressions à l’uniformité en tentant à leur tour d’imposer leurs propres
convictions, leur propre vision des choses.
Plusieurs recherches (Milgram, 1974 ; Allen, 1975) avaient d’ailleurs déjà
mis en évidence une condition de résistance aux pressions à l’uniformité :
quand un sujet, dans une situation où son opinion s’oppose à l’opinion
majoritaire, se sent soutenu par quelqu’un dont les réponses divergent de
celles de la majorité, il résiste à la pression vers la conformité. Cependant,
ces recherches sur les effets de ce qu’on a appelé « le soutien social »
consistent en quelque sorte à repérer les exceptions qui confirment la règle,
comme si la seule modalité de l’influence était la conformité.

3.1 Deux modèles pour expliquer l’influence


sociale
Moscovici a cherché à renouveler la problématique de l’influence sociale,
mais pour ce faire (Doms et Moscovici, 1984), il a dû mettre en question le
modèle sous-jacent, les conceptions implicites sur les rapports de l’individu
à la société, à l’œuvre dans les recherches traditionnelles sur l’influence
sociale. Dans celles-ci, les comportements individuels et sociaux auraient,
pour fonction première, l’adaptation des individus à la réalité de leur
groupe, ce qui suppose la connaissance la plus exacte possible de cette
réalité. Dans tous les cas où pour la validation de sa perception, de son
jugement, de ses opinions, l’individu manque de repères précis, il se tourne
vers les autres, et aura tendance alors à penser qu’il est dans le vrai si son
point de vue rejoint celui des autres. On voit, dans ce cadre, la grande
valeur qui est attribuée au consensus, qui produit lui-même une pression à
l’uniformité et valorise la conformité : celle-ci permet de réduire les
divergences entre les gens, impose des réponses uniformes qui sont censées
être les plus aptes à une adaptation réussie, et stigmatise comme
« déviants » les individus qui ne se soumettent pas aux modèles de
comportement et aux normes qu’elle valorise.
À cette conception, Moscovici en oppose une autre : les individus ne
cherchent pas seulement à s’adapter à leur milieu mais à le transformer pour
l’adapter à leurs exigences, à leurs aspirations, à leurs croyances, et dans ce
cas, les solutions diverses sont les bienvenues. Du même coup, on peut
envisager que l’influence sociale n’a pas pour unique fonction de réduire les
différences entre les membres d’une communauté et d’imposer une vision
unique de la réalité, mais de promouvoir des idées, des projets nouveaux et
contradictoires, dans le but de modifier cette réalité. Une telle perspective
en effet, intègre les différents degrés d’incompatibilité et de conflictualité
de ces différents projets, car ils émanent de groupes divers aux aspirations
et valeurs différentes (et parfois antinomiques), et dont les ressources ne
sont pas équivalentes.
De ce premier renversement conceptuel en découlent d’autres : Moscovici
(1979) est amené à critiquer les propositions sur lesquelles s’est bâtie la
conception traditionnelle de l’influence et à en proposer de nouvelles dont
voici les principales.
3.1.1 L’influence est un processus bilatéral
Chaque membre d’un groupe, indépendamment de son statut, est
potentiellement source et cible de l’influence. Celle-ci est un processus
réciproque, où chacun est simultanément émetteur et récepteur d’influence.
Dans la conception traditionnelle au contraire, dans laquelle le consensus
est valorisé, l’influence n’est envisagée que comme s’exerçant de façon
unilatérale : c’est dans la majorité que se définissent les critères qui
permettent de juger ce qui est juste et souhaitable, et l’influence s’exerce de
la majorité à la minorité pour éviter l’erreur ou la déviance. Dans cette
tradition de pensée, la passivité conformiste est considérée positivement
comme le signe d’une adaptation réussie, l’activité contestatrice, l’attitude
individualiste connotent péjorativement l’inadaptation. C’est bien entendu
ce dernier point que conteste Moscovici et qui l’amène à poursuivre son
analyse.

3.1.2 Le changement social est un des objectifs de


l’influence
Cette proposition s’oppose à celle contenue dans le modèle traditionnel
qui n’envisage comme fonction de l’influence que le maintien et le
renforcement du contrôle social : si c’est la majorité qui détient la vérité et
qui définit les normes, l’influence qu’elle exerce a pour but le maintien du
consensus. Il y a d’un côté ceux qui imposent la norme, qui veillent à ce que
personne ne s’en écarte, et de l’autre, ceux qui se conforment ou dévient.
Dans ce cadre, l’influence est un attribut de ceux qui ont du pouvoir.
Or il est manifeste que le maintien du statu quo n’est pas le seul but de
l’influence. Dans beaucoup de domaines (comme les sciences, les arts, les
nouvelles technologies, la politique), la recherche de nouvelles idées, de
nouvelles méthodes et de nouveaux modèles est une nécessité ou une
aspiration et une exigence, et constitue un enjeu essentiel de l’influence,
porté souvent par des mouvements sociaux et des acteurs sociaux sans
pouvoir, et qui contestent les pouvoirs établis (cf. encart 29).

Encart 29 – « Contre la pensée unique » altermondialistes et


indignés
Depuis la fin des années 1990, les grands sommets
internationaux sont régulièrement (2011, 2013, 2016) la cible de
manifestations organisées par des mouvements altermondialistes.
Ces mouvements qui s’opposent au libéralisme économique et à
la mondialisation économique des pratiques financières et qui a
pour but de favoriser une économie plus sociale et mieux
répartie affirment : « Nous refusons de laisser aux puissants le
droit d’imposer leurs solutions à des crises qu’ils ont
engendrées. » Le 15 octobre 2011, dans 951 villes de 82 pays,
des milliers d’indignés reprenaient le slogan altermondialiste :
« Un autre monde est possible. »
(Source : France Culture, émission « Le grain à moudre » du
26 octobre 2011).
Quelles que soient les différences entre ces deux mouvements, ils
ont en commun de proposer une alternative au modèle de société
dominant. Leurs membres sont sans pouvoir aucun et pourtant
leur influence grandit dans l’opinion.

3.1.3 La production et la résorption des conflits


Cette proposition s’oppose à la conception traditionnelle de l’influence
selon laquelle les processus d’influence peuvent se développer à partir
d’états d’incertitude, par le besoin de réduire cette incertitude, qui conduit à
une relation de dépendance vis-à-vis de ceux qui sont dotés de pouvoir ou
de compétence reconnus.
En particulier, on a considéré comme acquis que :
• moins le stimulus, l’objet ou la situation sont structurés, plus grande est
l’influence ;
• plus une personne est incertaine dans ses opinions et ses jugements, plus
sa propension à être influencée est grande.
Il ne s’agit pas de contester ces affirmations, mais de se demander si :
• dans une situation où deux partenaires sont certains de leurs jugements ou
de leur opinion, l’influence n’a pas de place puisqu’il n’y a pas
d’incertitude à réduire ;
• quand des groupes ou des individus sont certains de quelque chose, il est
inutile d’essayer de les faire changer d’avis.
À l’évidence, non. Nous avons tous assisté à des discussions, où des
partenaires sûrs d’eux-mêmes, cherchent passionnément à s’influencer
mutuellement.
Pour Moscovici, l’incertitude n’est donc pas la cause de processus
d’influence, elle n’est qu’un effet du désaccord qui est rendu flagrant
lorsque, entre des individus ou dans un groupe, des réponses divergentes
apparaissent.
Ce sont en revanche les divergences qui provoquent les tentatives
d’influence, car elles aboutissent à des situations de conflit, qu’il s’agit dans
la plupart des cas de traiter (sinon c’est la rupture entre les membres du
groupe) et mettent donc en branle des processus de négociation entre les
différents protagonistes.
De ce point de vue, l’influence sociale peut être considérée comme un
processus de négociation tacite, et la forme qu’elle prendra et ses effets
dépendront du type de négociation engagé, c’est-à-dire de la manière dont
le conflit sera résolu.
On a vu précédemment (cf. chapitre 2) que la normalisation correspondait
à l’évitement du conflit, le conformisme à sa réduction. Il faut ajouter
maintenant que l’innovation introduite par des minorités actives, les
changements sociaux auxquels leur action peut aboutir, impliquent la
création de conflits.
Dans un contexte où c’est le consensus qui est valorisé, on comprend que
tout sera fait pour minimiser le conflit, car il laisse entrevoir qu’un autre
point de vue que le point de vue dominant est possible. C’est pourquoi la
majorité préfère faire des concessions, « passer l’éponge », etc. pour
préserver la vision uniforme, et considérée comme seule juste, dont elle se
sent garante. Pour la minorité au contraire, il est primordial de créer et de
maintenir le conflit, car c’est la seule façon qu’elle a d’obtenir la
reconnaissance de son existence et de son identité (cf. encart 30), et de se
proposer comme une alternative dans le champ social. C’est quand le
conflit est possible, que l’innovation et le changement social peuvent
advenir.

Encart 30 – Conflits sociaux et reconnaissance sociale


« En pleine reprise de l’épidémie de la Covid-19, une nouvelle
journée de grève et de manifestations était organisée, le jeudi
15 octobre 2020, par des syndicats et des collectifs hospitaliers »
(publié le 15 octobre 2020 par Le Monde avec l’AFP).
Ces journées d’action propres au personnel hospitalier s’ajoutent
à toutes celles, nombreuses, qui depuis l’automne 2017 ont
contesté la réforme du code du travail par ordonnances, la
réforme des retraites, la réforme Blanquer, et qui parallèlement au
mouvement des Gilets jaunes ont donné lieu à de nombreuses
grèves (SNCF, RATP, étudiants, enseignants, avocats…).
Ces journées d’action et ces grèves officialisent et rendent visibles
les conflits mis en place par ces groupes pour obtenir une
reconnaissance sociale via la reconnaissance de leur utilité
sociale et l’amélioration de leurs conditions de travail et de leurs
rémunérations.

3.2 La double dimension du conflit


De quelle nature est ce conflit créé par la minorité ? Il est à la fois cognitif
et interpersonnel, c’est-à-dire qu’il porte sur un contenu et implique des
personnes en interaction. L’influence de la minorité dépendra comme on va
le voir, du poids relatif de ces deux dimensions et de la manière dont elles
s’articulent.
3.2.1 La dimension cognitive
Dans le processus de négociation du conflit engagé entre une minorité et
une majorité, qui est motivé par l’espoir que le consensus pourra être
retrouvé, et à cause de la consistance de la minorité qui reste sur ses
positions, les interlocuteurs de celle-ci vont être amenés à centrer leur
attention sur le point de vue minoritaire, ne serait-ce que pour chercher des
contre-arguments. La fermeté et la conviction des minoritaires en effet
ébranlent la croyance selon laquelle les idées sont d’autant plus justes que
la majorité des gens la partagent, c’est pourquoi les personnes confrontées à
une minorité, engagent une activité cognitive importante, à partir du
problème soulevé, en cherchant dans quelle mesure le point de vue
minoritaire peut être validé. Or cette activité cognitive n’est pas de même
nature que celle qui est provoquée par un point de vue majoritaire (Nemeth
et Wachtler, 1983 ; Nemeth, 1995 ; Nemeth, Brown, Rogers, 2001) : alors
que ce dernier favorise une forme de pensée convergente, c’est-à-dire une
pensée qui se développe dans une seule direction (celle de la majorité), un
point de vue minoritaire induit une pensée divergente, dans le sens où,
excitée par le point de vue original de la minorité, elle se développe dans
plusieurs directions, prenant en compte plus de faits, envisageant la
question sous plusieurs angles, examinant plusieurs solutions. Autrement
dit, étant en désaccord avec un point de vue majoritaire, nous aurions
tendance à vouloir le valider (vérifier sa justesse ou sa fausseté) en nous
concentrant sur le problème du seul point de vue de cette majorité. Au
contraire, face à un point de vue minoritaire opposé au nôtre, nous
commencerions peut-être par ne pas en faire grand cas mais l’obstination
minoritaire nous pousserait à chercher à en comprendre la raison, et alors à
réévaluer le problème en prenant en compte différentes possibilités.
Mais pourquoi l’activation de la pensée divergente est-elle
particulièrement vive en face d’une minorité ? Nemeth (1987) explique ce
constat par le fait qu’un désaccord avec un point de vue majoritaire
provoque une grande tension : c’est très désagréable et inquiétant de se
retrouver « seul contre tous » et ce d’autant plus que nous avons pris
l’habitude de considérer qu’un point de vue est d’autant plus juste qu’il est
partagé par la plupart. Cette tension affective forte inhibe notre pensée.
Quand un désaccord survient avec un point de vue minoritaire, la tension
est bien moins grande : ce sont des gens dont le point de vue n’est pas
légitimé et, dans un premier temps, tout porte à croire qu’ils sont dans
l’erreur. La tension provoquée par le désaccord avec eux est suffisante pour
stimuler notre curiosité mais, contrairement au cas précédent, n’entrave pas
notre pensée, et la laisse plutôt se développer librement. Vous voyez que
cette explication fait intervenir le niveau interpersonnel, et les significations
que les partenaires lui attribuent, à partir desquelles une définition de la
relation est progressivement construite. Elle implique en outre que l’activité
cognitive ne se développe pas seulement à propos de l’objet du litige, mais
du rapport qu’entretiennent avec lui, et entre eux, les différents partenaires
engagés dans l’interaction conflictuelle.
3.2.2 La dimension interpersonnelle
Cette dimension du conflit se développe donc en rapport avec la relation
qui s’instaure entre les partenaires, et en fonction des significations qu’elle
prend.
p Perdre la face
Il arrive que nous nous laissions convaincre du bien-fondé de la position
d’autrui, mais que nous rechignions à le reconnaître publiquement, en
particulier devant lui, car alors nous aurions le sentiment de « perdre la
face ». En son absence, libérés de l’obligation d’avoir l’air « sûr de soi » ou
de ne pas céder, il en va tout autrement. Ainsi, on a pu montrer
expérimentalement que lorsque sous un prétexte quelconque, la source
d’influence s’absente, les réponses du sujet à propos de la tâche qu’ils
effectuaient ensemble, convergent vers elle (Moscovici et Nève, 1971). Il en
est de même quand la source est explicitement minoritaire : son influence
augmente quand elle quitte la pièce où a lieu l’expérience (Moscovici et
Personnaz, 1980).
p Le désir d’approbation sociale
Accepter l’influence d’un minoritaire, c’est encourir le risque d’être
assimilé à lui, et de se voir attribuer les stéréotypes négatifs dont on
l’affuble. On peut préférer ne pas se démarquer de la majorité, et afficher
des jugements conformes au point de vue majoritaire plutôt que se
singulariser, et risquer alors de perdre l’approbation sociale. Ainsi, dans une
expérience déjà ancienne (Perez, 1985), lorsqu’une minorité défend une
position favorable à l’avortement, on constate chez des jeunes une
résistance à l’influence, du moins dans ses effets manifestes, lorsqu’on les a
confrontés à des jugements négatifs d’adultes vis-à-vis de cette minorité : la
simple évocation des jugements d’une catégorie sociale, censée fixer les
conditions de l’approbation sociale, suffit à freiner l’influence de la
minorité.
p Prendre ses distances par rapport à la minorité
La nécessité de se différencier de la minorité pour n’être pas assimilé à
elle, est d’autant plus nécessaire que par ailleurs on s’en sent proche. Ainsi,
au cours d’une expérience (Mugny et Papastamou, 1982-1983), on fait lire à
des sujets un plaidoyer xénophobe en le présentant comme le programme
d’un groupe politique minoritaire. C’est chez les sujets les plus proches de
la position idéologique défendue par la minorité que la résistance à
l’influence est la plus marquée.
Dans une autre expérience (Aebischer, Hewstone et Henderson, 1984) les
sujets sont des adolescents particulièrement friands de hard-rock. Mais on
peut distinguer deux groupes :
• « les imperméables » qui sont des inconditionnels du hard-rock à
l’exclusion de toute autre musique ;
• « les perméables » qui ont aussi signalé un choix de musique New Wave.
Quand on fait savoir à ces adolescents que 80 % des élèves d’un LEP
(statut plus bas que le CES des adolescents, donc minorité sociale) préfèrent
la musique New Wave, ce sont les « perméables », les plus proches d’eux
par le goût musical, qui cherchent le plus à s’en distancier dans leurs
nouveaux choix.
p Psychologiser
L’établissement d’un lien causal entre le comportement et le discours
d’une minorité d’une part, et ses particularités psychologiques d’autre part
amène à dénigrer la minorité et à résister à son influence (Papastamou,
1993). En effet, penser qu’une personne défend un point de vue minoritaire
parce qu’elle est paranoïaque, rigide, irréaliste, etc., lui ôte toute crédibilité.
Voilà comment on a vérifié expérimentalement cet effet de résistance de la
psychologisation (Mugny, Kaiser et Papastamou, 1983) : on faisait lire à
des sujets un texte attribué à une minorité, favorable aux travailleurs
étrangers. À la moitié des sujets, on demandait qu’au cours de leur lecture,
ils essaient de deviner les caractéristiques psychologiques des auteurs du
texte, pouvant rendre compte d’un tel texte. Dans ce cas, on constatait un
affaiblissement notable de l’influence minoritaire (par rapport à ceux qui ne
s’étaient pas livrés à une description psychologique des auteurs du texte).
3.2.3 À quelles conditions devient-on perméable à
l’influence minoritaire ?
C’est dans la mesure où les sujets parviennent à se décentrer des aspects
relationnels du conflit (provoquant les différentes réactions évoquées à
l’instant), qu’ils deviennent perméables à l’influence minoritaire. Alors en
effet, la confrontation à des points de vue divergents ne les laissant pas
inertes, ils développent une activité cognitive qui vise à reconsidérer
l’ensemble du problème et les différents points de vue à son sujet. Dans
quelles circonstances cette décentration est-elle facilitée, avec quelles
conséquences ?
p Est-ce la minorité endogroupe ou exogroupe qui
a le plus d’influence ?
Pour Perez et Mugny (1993), si la minorité est endogroupe, l’influence
risque de n’être qu’apparente ; les convictions intimes ne sont pas alors
atteintes. Une influence durable a plus de chances de provenir d’une
minorité exogroupe. En effet, dans ce cas, la cible d’influence n’est pas en
état de dépendance normative vis-à-vis de la source. Elle peut donc entamer
librement une véritable élaboration cognitive de la divergence amenée par
la proposition minoritaire qui peut provoquer sa conversion au point de vue
minoritaire.
Pour David et Turner (1996), au contraire, c’est l’influence minoritaire
endogroupe qui a le plus de chances de succès. En effet, alors que nous
nous attendons à être d’accord avec les gens de notre propre groupe et à
modifier notre point de vue dans ce sens si ce n’est pas le cas, un point de
vue divergent d’un exogroupe est en quelque sorte « dans l’ordre des
choses ». Il ne provoque donc pas de trouble, de doute, et n’entraîne donc
pas d’activité cognitive de révision du point de vue propre.
Ainsi, dans la gestion du conflit provoqué par la minorité, deux
dimensions coexistent : d’un point de vue motivationnel, relationnel et
affectif, les sujets visent à protéger leur identité sociale ; d’un point de vue
sociocognitif, ils s’engagent à partir de l’opposition interpersonnelle et en
l’intériorisant, dans une construction cognitive, à partir de la coordination
des différents points de vue, et qui ont trait non seulement au message de la
minorité, mais aux représentations de celle-ci.
p L’influence minoritaire se développe en privé, de
manière différée ou indirecte
C’est cette double dimension du conflit qui peut permettre de comprendre
que, dans de nombreuses circonstances, l’influence de la minorité ne se
manifeste pas en public mais en privé (cf. encart 31), non de manière
immédiate, mais différée, ou de manière indirecte, c’est-à-dire dans un
domaine d’opinion proche du domaine évoqué par la minorité (Moscovici
et Mugny, 1986).
Encart 31 – L’influence à retardement
Pierre a assisté ce matin à une discussion pour le moins très
animée. C’était avec des camarades de la fac, la conversation
était venue sur le danger pour la santé des téléphones portables
du fait des ondes électromagnétiques. Ils sortaient tous du même
TD et tous ceux qui parlaient avaient l’air du même avis : « C’est
incroyable le tapage qu’on fait là-dessus ! Il paraît que les débuts
de l’électricité et la vitesse des trains ont provoqué le même genre
de peurs, totalement irrationnelles ! Mais là les médias en
rajoutent ! » Ils renchérissaient tous, se renforçant mutuellement
dans leur opinion quand Frédéric, qui sortait d’un autre TD
déclara : « Pas si sûr, il y a peut-être du vrai dans tout ça, même
les scientifiques sont partagés paraît-il ; moi, je préfère être
prudent. »
Quel tollé il a provoqué ! Il était stupide ! Il se laissait manipuler !
Frédéric bien que minoritaire ne s’est pas démonté, et a continué
à développer ses arguments. Pierre quant à lui n’a rien dit
pendant tout ce temps ; d’abord il n’allait pas se mettre à dos des
types de son T.D. et puis, de les voir si sûrs d’eux, ça l’avait
convaincu. Mais tout de même… les arguments de Frédéric n’ont
pas cessé de lui trotter dans la tête toute la journée, lui aussi était
convaincant… D’ailleurs, c’est décidé : ce soir, il ne laissera pas
son portable sur sa table de nuit. Il ne s’en vantera pas auprès
des camarades de son TD bien sûr, mais il fera attention
maintenant.
Ce n’est pas immédiatement et publiquement qu’on accorde du
crédit à un point de vue minoritaire, mais plus tard et en privé.

De nombreuses expériences ont mis ce fait en évidence et, entre autres,


quelques-unes que nous avons déjà évoquées. Ainsi dans l’expérience à
propos de l’avortement (Perez, 1985), on se souvient que la minorité n’avait
pas d’influence directe sur les jeunes quand le jugement d’un adulte à son
propos était évoqué. En revanche elle a bien une influence indirecte : les
sujets confrontés à son plaidoyer deviennent plus favorables à la
contraception (dont la problématique a des liens de proximité avec celle de
l’avortement).
Dans l’expérience sur les goûts musicaux (Aebischer, Hewstone,
Henderson, 1984), c’est finalement pour le groupe « perméable » qui s’était
montré le plus résistant à l’influence directe de la minorité que l’influence
indirecte est la plus forte (mesurée par le nombre de choix de musique
contemporaine, proche de la musique New Wave).
Cette mise en évidence d’une influence sournoise, mais qui produit des
effets durables, qu’on appelle « conversion », montre bien les ébranlements
profonds et les restructurations cognitives importantes que la confrontation
avec les minorités peut provoquer.
Ce n’est pas toujours le cas, certes ! Ainsi, la résistance à l’innovation
minoritaire provoquée par la psychologisation, ne semble pas pouvoir être
contournée : celle-ci met en échec non seulement l’influence immédiate,
mais la conversion (Papastamou, 1987). En fait l’issue d’une tentative
d’influence minoritaire dépend de plusieurs facteurs que nous allons
envisager, et de leur interaction.

3.3 Les différents ingrédients dans une


situation sociale d’influence
On ne prête pas attention à un point de vue nouveau, surtout s’il est
minoritaire, sans considérer aussi les caractéristiques de celui qui l’émet, la
source. Et la réponse à une tentative d’influence minoritaire ne dépend pas
seulement de l’accord ou du désaccord, mais de considérations sur cette
source, comme si adopter son point de vue, c’était un peu devenir comme
elle, à ses propres yeux et aux yeux des autres.
Ce qui est en cause au fond, c’est le degré selon lequel le sujet est prêt à
assumer une identification aux caractéristiques attribuées à la source
d’influence. C’est pourquoi les situations d’influence mettent en branle
simultanément et de manière imbriquée, des processus de validation, de
catégorisation et de comparaison, à partir des éléments rendus saillants par
la situation (cf. encart 32).
Encart 32 – L’enjeu des débats politiques à la télévision
Un certain nombre de débats télévisés opposent des
représentants de la majorité politique à des représentants de
l’opposition. Ces débats mettent souvent en évidence le fait
suivant : alors même qu’on peut repérer entre les protagonistes
un accord sur certaines questions (politique étrangère, nécessité
d’avoir une monnaie forte, etc.), ceux-ci cherchent à se
différencier et à montrer en quoi ils s’opposent.
À travers ces débats, les intervenants cherchent à influencer les
téléspectateurs, en provoquant chez eux une activité cognitive
dans laquelle « les questions de fond » sont considérées à travers
le prisme des jeux de la catégorisation, de la comparaison, de la
différenciation.

3.3.1 Les styles de comportements de la source


Nous avons déjà vu précédemment (cf. chapitre 3) à quel point la
consistance de la minorité est déterminante pour instaurer un conflit avec la
majorité, inférer chez ses membres une image de la minorité déterminée et
convaincue de telle sorte que la distinctivité de la position minoritaire
apparaisse clairement et puisse être finalement considérée comme une
alternative intéressante.
Des expériences déjà anciennes (Schachter, 1951) avaient cependant mis
en évidence qu’un déviant, restant sur sa position, serait finalement rejeté
d’un groupe. Comment comprendre que la consistance puisse être d’une
part une condition de l’influence et, de l’autre, la cause de son refus ?
Pour répondre à cette question, il faut la replacer dans le contexte des
rapports sociaux (Mugny, 1975). Alors que, dans le laboratoire, seuls deux
sous-groupes (une majorité, une minorité) sont en présence, dans la réalité il
y en a trois : la majorité, porteuse de la norme dominante, la minorité qui
s’oppose à la norme dominante et propose une contre-norme, la « majorité
silencieuse » qui d’habitude subit la norme dominante, et qui constitue la
cible d’influence de la minorité.
Il faudrait alors distinguer la consistance qui caractérise la relation de la
minorité avec la majorité au pouvoir, et qui la rend visible aux yeux de tous,
des styles de négociation à avoir avec la population cible. Avec celle-ci, la
minorité élabore une définition de leur relation ; elle peut insister soit sur
l’irréductibilité du conflit en maintenant sa position de manière rigide, soit
sur sa relativité, en se montrant plus flexible, c’est-à-dire plus équitable aux
yeux de la source, car dans ce cas, tout en affirmant avec force sa position,
la minorité fait aussi savoir qu’elle comprend qu’en l’état actuel des choses,
ses interlocuteurs puissent en avoir une autre, et laisse entrevoir
qu’éventuellement les positions ne sont pas si éloignées. On a ainsi pu
montrer qu’avec un style flexible, une minorité peut avoir plus d’influence
qu’avec un style rigide (Mugny, 1975). En effet, à partir de la rigidité
minoritaire, sa cible peut psychologiser et attribuer des caractéristiques
négatives à la minorité (dogmatique, bornée, etc.), ce qui rend difficile
l’adoption de son point de vue, car celle-ci va de pair avec une auto-
attribution des caractéristiques de la source. Les effets des styles de
négociation dépendent donc des significations qui en sont élaborées, et
celles-ci se construisent en fonction des autres facteurs que la situation rend
saillants.

3.3.2 Les caractéristiques de la cible


Face à la tentative d’influence minoritaire, la majorité ne reste pas inerte ;
elle peut faire front en restant elle-même consistante, ou certains de ses
membres peuvent commencer à être hésitants, soutenant tantôt la position
majoritaire, tantôt la position minoritaire, manifestant ainsi que ce qui était
jusqu’alors une certitude, et la seule option possible, n’est peut-être qu’une
réponse parmi d’autres, une préférence, ou une convention arbitraire.
On a ainsi pu montrer que lorsque les sujets d’une majorité sont certains
qu’aucun des leurs ne changera d’avis, la minorité consistante n’a pas
d’influence ; dans le cas contraire, les membres de la majorité deviennent
plus vulnérables (Doms, Van Avermaet, 1983).

3.3.3 L’impact des tensions sociales


Le conflit provoqué par le message et la consistance minoritaires a un
enjeu social, qui concerne l’asymétrie du rapport entre majorité et minorité :
la majorité est dans une position dominante et cherche à maintenir cette
position, tandis que la minorité la remet en question. La découverte du
caractère bilatéral de l’influence ne doit pas faire oublier qu’elle se
développe à l’intérieur de rapports sociaux asymétriques.
Tout sujet cible d’influence minoritaire va chercher à se situer dans ce
contexte de tensions sociales. Pour ce faire, il va s’activer dans une
démarche de catégorisation et de comparaison, pour repérer les différents
groupes (ou catégories sociales) impliqués, se catégoriser lui-même comme
membre de certains groupes et envisager dans quelle mesure le conflit
présent remet ou non en question ses appartenances, ses attachements, et
des convictions qui sont toujours partagées avec d’autres. Il se demande au
fond à quel groupe il peut s’identifier, c’est-à-dire quelles sont les
caractéristiques de ces groupes qu’il a envie de s’attribuer, pour préserver
ou améliorer son identité.
L’impact de la minorité sur un sujet cible va dépendre de ce processus
d’autocatégorisation (Turner, 1991).
Plus la situation rend saillantes des appartenances partagées avec la source
minoritaire, plus celle-ci aura d’influence. Dans une expérience à propos de
la pollution (Mugny, Papastamou, 1982), on a fait croire aux sujets qu’ils
partageaient soit au moins cinq identités catégorielles avec la source (sexe,
âge, appartenance politique, statut étudiant, milieu socioculturel,
religion, etc.), soit seulement une. D’une manière générale, l’influence de la
minorité est plus importante dans la condition de multiples appartenances
partagées que lorsqu’il n’y en a qu’une.

Encart 33 – Quand nous avons des points communs avec


une source d’influence minoritaire
Dans le cadre d’une recherche-action impulsée par la
Commission des Communautés européennes, pour inciter les
jeunes filles à s’orienter davantage vers les sciences et les hautes
technologies, une série d’interventions ont été mises en œuvre en
France (Aebischer, 1988), pour amener des jeunes filles de 14-
15 ans à modifier leurs projets professionnels en les diversifiant.
En effet, en France, comme dans l’ensemble des pays
occidentaux, les adolescentes, contrairement aux adolescents,
n’envisagent que rarement de s’engager dans des filières
techniques et scientifiques, et préfèrent des orientations plus
« féminines » centrées sur la relation d’entraide, le contact, le
service. Une de ces interventions consistait à leur faire entendre
un point de vue minoritaire dans ce contexte. On leur faisait
rencontrer des femmes exerçant des métiers dans des secteurs
de pointe. Ces femmes décrivaient leur vie professionnelle et
l’intérêt qu’elles y trouvaient. C’est quand, par ailleurs, elles
évoquaient aussi leur vie personnelle, montrant leur souci d’allier
vie professionnelle et vie familiale qu’on a pu constater, à la suite
de ces rencontres, des changements de projets professionnels
allant de 1 % à 10 %.
Pendant les rencontres avec les adolescentes, c’est lorsque ces
femmes mettaient en avant des préoccupations partagées (dans
l’anticipation) avec les jeunes filles qu’elles ont eu de l’influence. Il
s’agissait de l’importance de la vie amoureuse, du désir d’être une
« bonne mère » et une « bonne épouse ».

Cependant, ceci n’est vrai que si les caractéristiques de la source


minoritaire sont connotées positivement de telle sorte que la cible puisse s’y
identifier (cf. encart 33).
Ainsi pour avoir de l’influence, la minorité doit faire découvrir des
appartenances et des préoccupations communes avec sa cible, qui
bouleversent les premières catégorisations effectuées par elle, et l’amènent
à remettre en question la « carte sociale » qu’elle s’était construite, et les
stéréotypes attachés aux différents groupes.
Ceci est facilité quand les cibles peuvent projeter sur les minorités des
attributs valorisés par elles. Mais ces connotations positives dépendent pour
une bonne part du contexte normatif ambiant.
3.3.4 Les contextes normatifs
Les contextes normatifs peuvent être plus ou moins favorables aux
minorités : quand c’est une norme d’objectivité qui prédomine, qui valorise
le consensus et l’uniformité, les propositions minoritaires sont considérées
comme déviantes et connotées négativement. Dans un contexte normatif
d’originalité au contraire (par exemple dans le monde des arts et des
sciences, et aujourd’hui dans des secteurs de plus en plus nombreux de
l’activité économique et sociale), le minoritaire est considéré plus
positivement, dans la mesure où il est porteur de solutions nouvelles.
L’identification à la minorité, qui, on l’a vu, conditionne pour une bonne
part son influence, et partant l’innovation, est facilitée par un contexte
normatif dans lequel elle est perçue positivement.
Ainsi dans une expérience (Mugny, Rilliet et Papastamou, 1981), après
avoir répondu à un questionnaire d’opinion sur la pollution, les sujets
lisaient un texte minoritaire à ce propos qui incriminait la société
industrielle, puis répondaient à nouveau à un questionnaire d’opinion. Dans
une condition, on induisait un contexte normatif d’originalité, définie
comme la tendance à accepter des idées nouvelles allant dans le sens d’un
progrès, dans l’autre, un contexte normatif d’objectivité, où la déviance
était définie comme la tendance à accepter des idées et des valeurs
socialement rejetées. Les résultats montrent que l’influence minoritaire est
plus forte dans le contexte normatif d’originalité (cf. encart 34).

Encart 34 – Proposition minoritaire et contexte normatif


Au cours de la recherche-action évoquée précédemment
(encart 32), une phase de sensibilisation au problème du choix
professionnel fut mise en place. Dans le cadre scolaire (des
collèges de la région parisienne), on demandait à des petits
groupes d’adolescents d’imaginer et de jouer devant leurs
camarades des situations dans lesquelles la question de leur
orientation se posait (rencontres avec les conseillers d’orientation,
discussions familiales, etc.).
Dans certains cas, on suggérait de ne pas hésiter à mettre en
place des situations et propositions originales. Dans d’autres, on
leur disait qu’il était possible que ce qu’ils allaient imaginer ne soit
pas conforme aux attentes de leurs professeurs ou de leurs
parents.
Quand, dans ce cadre, il arrivait qu’un point de vue minoritaire soit
mis en scène (des adolescentes défendant le projet de devenir
camionneur par exemple, ou mécanicien, ou ingénieur
électronique), ce point de vue était largement repris et soutenu
par d’autres membres de la classe, lors de la discussion qui
suivait le jeu improvisé, lorsqu’on avait induit une norme
d’originalité. Ce n’était pas le cas lorsqu’on avait problématisé la
question sous l’angle de la conformité aux attentes des adultes.
Par ailleurs, c’est dans un contexte d’originalité que les
propositions minoritaires, évoquant pour les adolescentes des
projets professionnels non traditionnels, étaient les plus
nombreuses.
L’influence minoritaire et le changement qui peut en résulter sont
plus importants dans un contexte normatif d’originalité.

3.4 Les différentes issues de l’influence


minoritaire
L’ensemble des travaux sur l’influence minoritaire aboutit finalement à
des résultats diversifiés : la minorité peut soit échouer dans sa tentative
d’influence, soit réussir.
Les différents facteurs que nous avons évoqués interfèrent dans les
situations d’influence de telle sorte que les effets des uns peuvent être
renforcés ou contredits par les effets des autres, venant conforter ou
menacer l’identité des sujets, ou encore les amener à une nouvelle
élaboration de cette identité, à partir du conflit sociocognitif provoqué par
la situation.
Voici un exemple. Nous avons évoqué des travaux (Mugny, 1975) qui
avaient mis en évidence l’avantage d’un style de négociation flexible pour
une minorité. Or, si on croise ce facteur avec la catégorisation de la minorité
en endogroupe et exogroupe, on est amené à remettre en question la
généralité de cette assertion : catégorisée comme endogroupe, la minorité a
intérêt à être intransigeante. Ainsi, dans une expérience sur l’attitude face
aux étrangers (Mugny, Perez, 1985), la minorité était soit autochtone
(endogroupe), soit étrangère (exogroupe) ; et, d’autre part, elle présentait
son argument soit de manière rigide en qualifiant « d’indispensable »
l’adhésion à sa position, soit de manière flexible en la présentant comme
« souhaitable ». On s’aperçoit alors que si le style flexible est bien
favorable à une minorité exogroupe, ce n’est pas le cas pour une minorité
endogroupe : avec les membres de son propre groupe, la minorité peut se
permettre d’intensifier le conflit ; vis-à-vis d’autres groupes, elle a intérêt à
le doser. De la sorte, elle attire l’attention sans être cependant trop
menaçante, ce qui permet la mise en place d’un processus de validation de
la position minoritaire. Dans le cas contraire, ce sont essentiellement des
activités cognitives défensives qui se développent à travers les processus
classiques de différenciation et de discrimination, de sorte que les processus
de validation n’ont plus de place.
Par leur consistance, par la fermeté et le courage dont elles font preuve
(malgré la désapprobation qu’elles provoquent, la discrimination dont elles
font l’objet) et parfois au risque de leur vie, les minorités actives forcent
leurs concitoyens à sortir de leur vision habituelle des choses.
C’est pourquoi, si les processus de catégorisation et de différenciation
permettent de comprendre comment les caractéristiques d’une société se
produisent et se reproduisent, la théorie de l’influence des minorités
constitue une brèche, une ouverture dans ce modèle psychosocial de la
reproduction des rapports sociaux, puisqu’elle assigne aux rapports entre
groupes une autre fonction essentielle : celle de l’innovation et du
changement, via l’influence et l’action collective de certains groupes.

4. Enjeux identitaires et participation à des


actions collectives
Des études récentes (Fox-Cardamone, Hinkle, Hogue, 2000 ; Drury et
Reicher, 2000) montrent que la participation à des actions collectives de
contestation de l’ordre établi en vue de changements sociaux, lorsqu’elles
aboutissent à un résultat, permettent de surmonter des sentiments
d’impuissance et de manque de contrôle, et au contraire, de faire
l’expérience de sa propre efficacité à travers celle du groupe qui a
enclenché le mouvement social. Ce qui caractérise cette expérience, c’est
d’une part qu’elle est accompagnée d’affects positifs (Benford et Hunt,
1995 ; Barker, 1999). À travers leur participation à une action collective, les
individus s’éprouvent eux-mêmes comme des acteurs sociaux efficaces, qui
ont prise sur leur propre vie. D’autre part, cette expérience reflète l’impact
de se définir et d’agir comme membre d’un groupe. En effet c’est toujours
dans un contexte intergroupe que se développent les luttes sociales,
auxquelles les individus participent au nom de leur groupe contre un autre
(les industriels pollueurs, les défenseurs de l’énergie nucléaire, le
patronat, etc.). C’est donc à partir de l’autocatégorisation dans tel groupe ou
telle association, que l’individu s’engage dans une action collective. Cette
analyse, qui s’appuie sur la théorie de l’identité sociale, souligne que
l’action collective n’est possible que lorsque les participants partagent et
savent qu’ils partagent une commune identité sociale (Veenstra et Haslam,
2000 ; Drury et Reicher, 2009 ; Drury, Novelli et Stott, 2015), et qu’ils
s’identifient au mouvement social auquel ils prennent part. Ceci étant dit,
toute lutte sociale n’aboutit pas systématiquement à un succès, et l’échec est
accompagné chez les participants de forts affects négatifs. Mais ceux-ci ne
sont pas forcément démobilisateurs : au contraire comme le montre une
étude récente (Drury et Reicher, 2005), ils peuvent amener à redéfinir les
buts de la lutte, à « resserrer les rangs » et à rationaliser la défaite pour en
faire une « victoire morale ». On voit le rôle central des émotions associées
à l’expérience d’(in)efficacité : c’est à partir de ces affects que les
participants s’engagent dans un travail cognitif qui leur permet de préserver
leur sentiment d’efficacité et de se préparer à des actions futures dont la
finalité est le changement social.

Pour aller plus loin


BANDURA A. (2003). Auto-efficacité : le sentiment d’efficacité
personnelle. Bruxelles : De Boeck.
BUTERA F., PEREZ J. (1995). Les modèles explicatifs de l’influence
sociale. In G. Mugny, D. Oberlé, J.-L. Beauvois (éd.). Relations
humaines, groupes et influence sociale. Grenoble : Presses
Universitaires de Grenoble.
LEWIN K. (1965). Décisions de groupe et changement social. In
S. Lévy (éd.). Psychologie sociale. Textes fondamentaux. Paris :
Dunod, 498-519.
MOSCOVICI S. (1979). Psychologie des minorités actives. Paris :
PUF.
MOSCOVICI S., DOISE W. (1992). Dissensions et consensus. Paris :
PUF.
MUGNY G., PEREZ J.-A. (1986). Le Déni et la Raison. Fribourg :
DelVal.
MUGNY G., BUTERA F., PEREZ J.-A., HUGUET P. (1993). Les routes de
la conversion : influences minoritaires et majoritaires. In J.-
L. Beauvois, J.-M. Monteil, R.-V. Joule (éd.). Perspectives
cognitives et conduites sociales, vol. 4. Neuchâtel : Delachaux et
Niestlé, 195-218.
PEREZ J.A., MUGNY G. (éd.). (1993). Influences sociales. La théorie
de l’élaboration du conflit. Neuchâtel : Delachaux et Niestlé.
Chapitre 5
Le groupe comme
producteur de sens

Sommaire
1. La construction de sens
2. Les quatre niveaux de médiation
3. Théorie et sens commun
4. Le fonctionnement du sens commun dans la vie de
tous les jours
5. L’aspect dilemmatique de la pensée sociale
6. Les stratégies d’immunisation cognitive
7. La pensée conspirationniste

1. La construction de sens

Encart 35 – Faire des inférences pour donner du sens


Vers quatre heures du matin, Pierre sursaute dans son lit, réveillé
par un bruit qui arrive de l’extérieur. Pierre se lève et va vers la
fenêtre. Il fait encore très chaud. C’est à peine si la nuit réussit à
refroidir quelque peu la température élevée d’un été
particulièrement torride. Dehors, M. Higgins, le voisin, s’applique à
creuser un trou énorme dans son jardin. Il bêche la terre avec
acharnement. À peine s’arrête-t-il un instant pour essuyer la sueur
qui perle de son front. « Mais qu’est-ce qu’il a à bêcher la terre de
cette sorte ? » se demande Pierre avant de retourner s’endormir.
M. Higgins, son voisin, est un homme malade, d’un aspect
physique émacié et en proie à des crises de toux répétées. Pour
des raisons de santé, il a dû prendre sa retraite il y a une semaine
à peine. Là il passe ses journées entières sur sa terrasse et
n’arrête pas de se quereller avec sa femme Rose.
Le lendemain matin, un large parterre de géraniums roses orne le
jardin de M. Higgins. La terre est encore toute fraîche. M. Higgins
semble contempler son œuvre avec satisfaction. Un parterre de
géraniums, dit-il en substance à Pierre qui l’interroge à ce sujet, il
aurait souhaité en avoir un depuis longtemps. Rose avait toujours
été opposée à ces dépenses inutiles. Maintenant, ayant pris sa
retraite, il voulait s’offrir ce plaisir. Rose ne semble pas avoir
apprécié cet acte, et ce matin, elle serait partie sans dire un mot. Il
ne restait absolument plus rien d’elle dans la maison, comme si
elle avait préparé son départ depuis longtemps déjà.
Pensivement, Pierre rentre dans sa maison et décroche son
téléphone : « Allô la police ? Je pense qu’il y a eu un meurtre chez
mon voisin… »

Comment peut-on s’expliquer le comportement de Pierre (cf. encart 35) ?


En fait, deux éléments ont retenu l’attention de Pierre, l’un dont il a été
témoin, l’autre rapporté : tout d’abord le trou creusé par M. Higgins
pendant la nuit et recouvert le lendemain matin, ensuite la disparition de
Rose. À partir de ces deux éléments, Pierre tire une conclusion : il y a eu
meurtre. M. Higgins a tué sa femme, et il l’a enterrée dans le trou qu’il a
creusé pendant la nuit.
Si Pierre n’avait pas rencontré M. Higgins le lendemain, il n’aurait pas pu
établir de lien entre le trou creusé pendant la nuit et la disparition de Rose.
Il aurait probablement oublié l’aventure nocturne de M. Higgins ou se la
serait expliquée par l’extraordinaire chaleur de l’été ou l’excentricité de
M. Higgins. Ceci dit, au lieu de conclure au meurtre, il aurait pu soupçonner
Rose d’avoir quitté M. Higgins pour un autre homme. Au lieu d’un meurtre,
il y aurait eu infidélité. Les deux conclusions impliquent encore autre
chose : si Pierre conclut au meurtre, c’est qu’il met en doute les dires de
M. Higgins selon lesquels Rose est partie. Ce n’est pas le cas s’il conclut
qu’il y a eu infidélité de la part de Rose.

1.1 Faire des inférences à partir de quelques


éléments observés…
Quelle que soit la conclusion adoptée par Pierre, chacune permet aux
éléments observés d’être lestés de sens. Chaque conclusion organise les
éléments observés ou entendus dans un rapport temporel différent et repose
sur des inférences différentes : soit le trou a été creusé pour faire disparaître
le corps de Rose, et M. Higgins n’a pas dit la vérité, soit le fait d’avoir
creusé la terre pour la recouvrir de géraniums a motivé le départ de Rose, et
M. Higgins a dit vrai.
Chaque conclusion va être le point de départ pour un certain traitement de
l’information et générer le développement d’un récit différent. À partir de la
conclusion de meurtre, Pierre va chercher d’autres « indices » et un mobile
pour expliquer ce qui s’est passé et pour justifier sa conclusion. Par
exemple, que dans l’emplacement du jardin où M. Higgins a planté les
géraniums roses, il n’y a aucun rayon de soleil, qu’il n’était pas nécessaire
de creuser un trou aussi grand pour planter de simples géraniums, que les
époux se sont continuellement disputés et que Mme Higgins avait un
caractère acariâtre et querelleur. Par des inférences et des mises en rapport
entre les éléments observés et inférés, il peut colorer un récit qui se trouve
progressivement enrichi et stabilisé. À partir de la conclusion de l’adultère,
Pierre aurait pu enrichir son récit en inférant que Rose avait dû en avoir
assez de son mari vieillissant et toussotant, avec des lubies de géraniums
plantés pendant la nuit, et qu’elle avait décidé de refaire sa vie avec un autre
homme.

1.2 Le contexte d’interprétation et d’action


Quel que soit le scénario adopté et développé par Pierre, chacun d’eux
renvoie à un espace relationnel particulier. Il prend une tournure différente,
selon que les éléments observés et ainsi particularisés sont ancrés dans une
relation de meurtre ou dans une relation d’infidélité. Cet espace relationnel
en constitue le contexte et confère un sens différent aux éléments observés
ainsi qu’à leur position. L’identité de chacun est structurée par sa position
dans cet espace relationnel et façonne son mode de raisonnement, ses
jugements et ses évaluations ainsi que son mode d’action et d’interaction.
Face à une victime et son assassin, Pierre devient le témoin d’un meurtre,
face à une épouse adultère et un mari délaissé, Pierre devient un voisin
cancanier ou compatissant.
En effet, le type de relation définit et caractérise non seulement un
contexte d’interprétation, mais aussi un contexte d’action. Le
positionnement de Pierre dans cet espace relationnel lui indique son mode
d’action. Témoin d’un meurtre, il téléphone à la police ; voisin cancanier
d’un adultère, il se contentera probablement de raconter ses conjectures aux
autres voisins. Ou encore, compatissant avec la mésaventure de M. Higgins,
il évitera dorénavant de mentionner le nom de Rose en sa présence. Selon la
conclusion adoptée, Pierre, en tant que narrateur, va construire un récit de
tournure, de style et de structure différents. Le style du premier récit
consiste à procéder par déduction pour dévoiler le coupable et accumuler
les preuves de sa culpabilité, le style du deuxième à rechercher les causes
ayant motivé l’infidélité de Rose. Le récit obéit pour ainsi dire aux règles
du genre qui « font tenir » une histoire, ici soit celles du roman policier soit
celles du roman de gare. C’est pourquoi, et quel que soit le récit développé
par Pierre, on a l’impression de l’avoir déjà entendu quelque part. Tout en
construisant un récit unique, Pierre reconstruit une histoire qui nous est
familière. Même si l’on n’est pas particulièrement porté sur les romans
policiers ou sur les romans de gare qui mettent en scène les histoires de la
femme, du mari et de l’amant, on en connaît le style et on partage la
connaissance du type de relation entre les protagonistes, puisque
précisément ils sont matérialisés dans ces romans sous une forme
clairement codifiée et connue par tous.

2. Les quatre niveaux de médiation


Pour arriver à ses conclusions, Pierre a activé des processus cognitifs qui
sont courants et auxquels nous recourons tous pour construire du sens à
partir de ce qui nous arrive ou de ce que nous pouvons voir. Ce ne sont pas
les quelques éléments observables à eux seuls qui fournissent ce sens. Par
rapport à la multitude d’événements dont nous sommes témoin
quotidiennement, nous faisons, comme Pierre, des inférences. Nous les
faisons à partir de « l’ancrage » des éléments observés dans « quelque chose
de connu », à partir de quoi ces éléments se recomposent et prennent sens.
On peut donc dire que le « quelque chose de connu » médiatise notre
relation avec ce qui est observé. Cette médiation va imposer à la pensée une
certaine orientation et réguler notre façon de comprendre, d’évaluer et
d’utiliser les éléments observés. On voit que ce ne sont pas les stimuli
sensoriels qui contiennent en eux-mêmes leur sens ou leur signification ; il
n’y a pas une ontologie de l’observable.
L’idée de médiation n’est pas nouvelle ; elle intervient non seulement en
psychologie sociale, mais dans le champ psychologique dans son ensemble.
Cependant, sur cette toile de fond commune se dessinent des oppositions de
taille dans la façon de conceptualiser cette médiation. Une des principales
oppositions réside dans les réponses apportées à la question de savoir si les
éléments médiateurs régulateurs sont seulement dans la tête de l’individu,
s’ils sont partagés ou distribués sur plusieurs individus, ou s’ils ont une
existence propre et quasiment indépendante des individus qui les déploient.

2.1 La médiation est dans la tête des


individus
Beaucoup de chercheurs font l’hypothèse que la socialisation de l’individu
et les expériences qu’il a pu faire au cours de sa vie lui ont permis
d’acquérir, de mémoriser et de posséder des concepts, schèmes cognitifs,
représentations mentales, scripts et autres théories implicites qui lui
permettent de percevoir et de comprendre le monde et d’interagir avec lui.
Pour des auteurs comme Schank et Abelson (1977), par exemple, le script
agit comme un brouillon qui rappelle en les suggérant une séquence
d’événements, d’intentions et de comportements convenant à la situation
présente. Dans un script, tout se déroule selon un canevas préétabli qui
permet à l’individu de comprendre ce qu’il est en train de voir ou de vivre,
et qui lui fournit des règles de pensée (pour donner du sens à des éléments
observables en soi disparates) et de conduite (qui l’amènent, par exemple, à
appeler la police).
Cette approche est typique d’une approche de niveau intra-individuel,
selon la classification établie par Doise (cf. Introduction), à l’œuvre dans la
plupart des travaux de la cognition sociale. Le point de mire du chercheur y
est l’individu et lui uniquement. Doté de schèmes, concepts, scripts et
motivations, qui médiatisent son rapport au monde (par exemple pour
savoir commander un repas au restaurant, se comporter à table, séduire le
jeune homme assis à côté de vous dans l’amphi, etc.), l’individu n’a besoin
de personne pour s’orienter. Il est autosuffisant.

2.2 La médiation est portée par le groupe


À cette vision d’un individu solitaire, s’opposent les approches de niveaux
interindividuel, positionnel et socio-idéologique. Au niveau interindividuel,
le chercheur étend son unité d’analyse à l’activité de l’homme ou de la
femme en interaction avec autrui (ou à ce qui en tient lieu). Les individus
interagissent au sein d’une même culture ou d’un même groupe social pour
construire conjointement leurs connaissances du monde. Les habiletés,
connaissances et savoir-faire ne sont pas localisables en eux comme leur
possession, mais émergent de leur communication et de la mise en commun
de leurs ressources. De ce point de vue, les significations attribuées aux
mots et aux choses sont produites dans l’interaction et ne se trouvent pas
seulement dans la tête de l’individu1.
Les recherches de niveau positionnel prennent en compte les insertions
des individus dans des rapports sociaux spécifiques, ce qui n’est pas le cas
au niveau interindividuel. C’est leur positionnement respectif par rapport à
un objet qui détermine le type de lien qui les relie entre eux : on est enfant
par rapport aux parents ou frère par rapport aux autres frères. Dans un cours
de français ou dans une salle de classe, on est élève par rapport aux
enseignants ou élève par rapport aux autres élèves. Il est évident que selon
ce positionnement, les conduites, interprétations et jugements ne vont pas
être les mêmes. Par exemple, quand on demande à une population
d’étudiants d’expliquer leur réussite ou leur échec, ils ne vont pas construire
le même type d’explication suivant qu’elle est destinée à un enseignant ou à
un camarade (Gosling, 1997). Pour les premiers, ils ne vont pas invoquer
une absence d’efforts, mais plutôt un manque de capacités, ce qui ne sera
pas le cas vis-à-vis de leurs pairs. De même la chance est plus souvent
employée quand ils expliquent leur réussite à un camarade plutôt qu’à
l’enseignant. Selon que les étudiants sont positionnés dans une relation
hiérarchique ou égalitaire, leurs explications vont être différentes, comme si
elles obéissaient à d’autres codes ou règles : aux enseignants, on dit qu’on a
beaucoup travaillé, aux copains, qu’on n’a pas travaillé du tout.
Ces codes ou règles renvoient à ce que beaucoup de psychologues sociaux
appellent un peu indistinctement des normes, des valeurs, des croyances,
des principes organisateurs ou autres méta-systèmes, pour se référer à ce qui
régule les conduites et interactions dans un espace relationnel donné, les
rend possibles et signifiantes. À ce niveau d’analyse socio-idéologique, on
présuppose que les individus, s’ils réalisent individuellement des
procédures (des gestes, dires et pensées2), suivent en fait des codes ou des
règles qui s’appliquent à l’espace relationnel dans lequel ils se trouvent : la
famille, l’école, le travail, une association de protection des baleines ou une
autre communauté de gens. Ces règles peuvent être l’aboutissement d’une
négociation plus ou moins tacite, comme lorsqu’un groupe d’amis se
retrouve le soir au café pour bavarder et va payer l’addition en la divisant
par le nombre de personnes présentes, au lieu que ce soit chacun qui paie sa
consommation personnelle. Très souvent, cependant, l’individu est inséré et
positionné dans des espaces relationnels institutionnalisés, qui sont
gouvernés par des règles dont il n’est pas l’artisan.
Dans l’un comme dans l’autre des cas, ces règles ne sont pas l’émanation
d’un seul cerveau et ne sont pas non plus tombées du ciel, mais ont été
élaborées, négociées, enrichies et transformées socialement, par un groupe
de gens, une institution ou des représentants de cette institution pour
organiser et réguler leur vie en commun. Leur construction et élaboration
fait alors partie de l’histoire de ce groupe de gens ou de cette institution et,
qu’elles soient explicites ou implicites, plus ou moins codifiées, écrites ou
orales, elles en constituent le ciment.

2.3 Les supports de la médiation


Informelles ou formelles, ces règles ne flottent pas dans l’air. Les règles
qui régissent, par exemple, l’espace relationnel du médecin et du malade
sont fixées dans la doctrine hippocratique, celui de l’automobiliste et des
autres usagers de la route dans le Code de la route, celui du croyant et de
Dieu dans la Bible, le Coran ou autre livre fondateur d’une religion.
« L’homme du monde » ou celui qui voudrait l’être, ira chercher des règles
de conduite dans des livres de savoir-vivre. Tout comme le fait le roman
policier pour le récit de Pierre, la doctrine hippocratique, le Code de la
route, la Bible et les manuels de savoir-vivre assignent leur place à chacun
et prescrivent ce qu’il convient de faire, de penser ou de dire à l’intérieur
d’un contexte donné. Ce qu’il convient de faire est aussi continuellement
rappelé à la mémoire des gens à travers des rituels, des sermons, des
commémorations, des slogans, adages, aphorismes et proverbes de la
sagesse populaire et répété par les injonctions des parents, enseignants ou
supérieurs hiérarchiques. Même l’architecture des lieux contribue au rappel
et au renforcement des relations entre les gens et aux règles qui les
gouvernent. Par exemple l’architecture scolaire, qui, contrairement à
l’architecture militaire ou religieuse, est une invention récente dans
l’histoire, est influencée par la pédagogie. En effet, dans le cadre scolaire,
l’enfant ou l’adolescent devient un élève et apprenant. De ce fait il est
positionné dans une relation asymétrique par rapport à l’institution et par
rapport aux enseignants qui transmettent le savoir. Son rapport au savoir
transmis est médiatisé par cette relation asymétrique. Le bâtiment, les
horaires, la salle de classe, l’agencement des bancs scolaires, les punitions
sont autant d’éléments du contexte qui définissent, rappellent et orientent la
position de l’élève par rapport à la hiérarchie et lui rappellent
continuellement son identité d’élève.
On voit de ce qui précède, combien il est important pour une personne de
reconnaître son positionnement dans un contexte et un espace relationnel
donné pour savoir comment penser et agir. Les procédures qu’elle y déploie
sont étroitement liées à la compréhension de ce positionnement et des règles
qui gouvernent cet espace. D’où l’importance pour le psychologue social,
qui veut rendre les conduites des individus intelligibles, d’articuler les
différents niveaux d’analyse pour saisir plus complètement les intrications
du psychologique et du social, ainsi que les dynamiques individuelles et
collectives auxquelles elles aboutissent.
3. Théorie et sens commun
Dans la vie quotidienne, l’individu se débrouille plutôt bien, il a plus ou
moins bien appris à réaliser un certain nombre de procédures selon des
règles qui gouvernent les espaces relationnels dans lesquels il est inséré et
positionné : il a appris à faire des multiplications, à respecter la priorité à
droite, à mettre de l’argent de côté pour un achat futur et à se brosser les
dents avant de se coucher. On lui a mille fois répété « qui vole un œuf, vole
un bœuf » ou « qui ment sur un détail, ment sur tout ». L’individu qui se
trouve inséré et positionné dans ces espaces relationnels va suivre plus ou
moins étroitement les règles qui s’y appliquent. Cependant, tout en
respectant à peu près les règles de morale, de droit, d’hygiène ou de savoir-
vivre, qui ont cours au sein de sa culture, tout en jugeant les autres sur la
base de leur respect ou non de ces règles, il est plus que probable qu’il ne
puise pas ses références dans un savoir expert ou une théorie scientifique,
mais dans ce qu’on appelle communément le sens commun, en faisant appel
à son entourage et amis et à son bon sens.

3.1 Les représentations sociales comme


mode de connaissance
Cette façon particulière du sens commun de s’approprier les multiples
événements de notre vie quotidienne et de les expliquer a été conceptualisée
par Serge Moscovici dans sa théorie des représentations sociales (1961,
1976). C’est à partir de travaux qui cherchaient à saisir comment une
théorie à prétention scientifique, la psychanalyse, était diffusée et vulgarisée
dans la société française, et comment le public se la représentait, que
Moscovici a pu préciser cette notion. Il envisage les représentations sociales
comme la manifestation d’une activité de connaissance grâce à laquelle se
construit un savoir, que l’on considère comme un savoir de sens commun.
S’inspirant du concept de représentations collectives élaboré par
Durkheim (cf. aussi chapitre 1), Moscovici s’en éloigne sur au moins deux
aspects : d’une part, il en récupère le sens psychologique et cognitif, d’autre
part, il distingue les représentations sociales d’autres formes sociales de la
connaissance, comme la science, la religion, l’art, les mythes, le droit, etc.
Chez Durkheim, les représentations collectives transcendent les
subjectivités individuelles pour s’imposer à l’individu comme une
contrainte à laquelle il ne peut échapper tandis que Moscovici insiste sur la
structure psychique et cognitive des représentations, c’est-à-dire sur le fait
qu’elles sont activées et construites par les individus. Cette activité
psychique se manifeste dans les raisonnements et dans les échanges entre
individus.
Moscovici réserve le terme de représentations sociales à ce mode de
connaissance qui relève du sens commun et qui fait l’enjeu des
conversations quotidiennes et banales. En prenant l’exemple de la
psychanalyse, il explique que les écarts que l’on peut constater entre les
représentations sociales de la psychanalyse, élaborées par le grand public et
la théorie freudienne, ne signifient pas pour autant que l’homme de la rue
ne pense pas logiquement, qu’il commet des erreurs et que le travail qu’il
fait sur l’information disponible est mauvais (Moscovici, 1986, p. 44). Il
s’agit de deux modes de connaissance différents, aux règles de
fonctionnement différentes, à la fois en ce qui concerne le style de pensée
(le type de raisonnement, le langage utilisé), et les communautés qui les
portent.
La théorie psychanalytique, par exemple, part de prémisses ou
présupposés sur l’appareil psychique de l’homme et sur l’espace relationnel
(le père, la mère et l’enfant) dans lequel il se forme. Elle a développé une
manière de les expliquer et forgé des concepts et un langage pour s’y
référer. La théorie psychanalytique est étroitement liée à une communauté
de pensée composée de médecins, thérapeutes et psychologues qui
échangent, discutent, écrivent, s’accordent et se disputent à travers des
séminaires, colloques, livres et revues spécialisées et au sein d’associations
et cercles constitués autour de l’objet qui les unit.
Le sens commun, lui, ne repose pas sur une théorie fondatrice et ne
s’exprime pas à travers des revues spécialisées. Il s’exerce dans les mille
conversations, rencontres, rumeurs, lectures, c’est-à-dire dans l’ensemble de
nos interactions quotidiennes, qui tissent la plupart de nos relations.
Lorsqu’il s’empare de concepts, par exemple de la psychanalyse, ce n’est
pas pour les référer à la théorie psychanalytique, mais pour les
« accrocher » à quelque chose de familier, à la fois pour créer du sens et
pour pouvoir en parler.
Aucun individu, serait-il le plus grand spécialiste d’une discipline
scientifique, aucun groupe social, ne se situe de ce point de vue dans un
terrain d’extraterritorialité. Comme le fait remarquer Beauvois (1997, 296),
non sans une pointe d’humour en évoquant le savoir scientifique du
psychologue :
« À peine ont-ils d’ailleurs quitté leur laboratoire qu’ils y
renoncent avec infiniment de plaisir. Les chercheurs en
psychologie expérimentale en savent quelque chose, eux qui
doivent changer, et changer radicalement, de mode de
pensée et de conceptualité aussitôt qu’ils discutent
psychologie dans le bus, chez le coiffeur ou en famille. »
Ceci étant, le sens commun peut aussi être présent dans le raisonnement
scientifique et théorique. Beaucoup de modèles théoriques, par exemple sur
l’intelligence humaine, partent d’observations du sens commun que l’on
revêt ensuite d’un habit scientifique.
La notion de représentations sociales3 a engendré un grand nombre
d’études qui ont appliqué la conceptualisation et la démarche de Moscovici
à d’autres domaines thématiques comme la santé (Herzlich, 1969), le savoir
scientifique (Roqueplo, 1974), le corps (Jodelet, 1976), le langage des
femmes (Aebischer, 1985), le savoir économique (Vergès, 1989),
l’intelligence (Mugny et Carugati, 1985), le sida (Lage, 1996), les droits de
l’homme (Doise, 2001), ou plus récemment, le terrorisme (Ernst-Vintila,
Delouvée et Roland-Lévy, 2011). Beaucoup de ces recherches, souvent de
terrain, ont cherché à décrire comment l’homme de la rue s’empare de
théories scientifiques ou de faits sociaux, souvent véhiculés et vulgarisés
par les médias, et comment il en construit des représentations. Ces
recherches montrent que le sens ainsi construit, les interprétations qu’en
donnent les uns et les autres, ne sont pas nécessairement consensuelles. Les
représentations sociales ne sont pas également partagées par tous les
individus d’une société. Elles sont produites, partagées et portées par des
sous-groupes qui socialisent leurs membres à partir d’enjeux et d’intérêts
parfois conflictuels (cf. encart 36).
Encart 36 – Les représentations sociales véhiculées par les
médias
Dans son ouvrage, La Psychanalyse, son image et son public,
S. Moscovici (1976) a mis en évidence, à partir d’une analyse de
contenu de la presse de l’époque, les différentes représentations
de la psychanalyse véhiculées par plusieurs organes de presse et
destinées à des publics différents.
Ainsi, alors que la presse catholique était en général favorable et
intéressée par la psychanalyse, la presse communiste se montrait
à son égard défavorable et très critique. Pour la première, la
psychanalyse était une discipline dont les notions pouvaient
trouver une place dans la conception catholique de l’organisation
psychique de la personnalité ; elle pouvait faciliter la
compréhension des relations entre le corps et l’âme. Pour la
seconde, la psychanalyse était une pseudo-science qui, avec
l’appui de la bourgeoisie, trompait et paralysait les hommes dans
leur lutte pour un avenir meilleur.

C’est ainsi qu’à l’intérieur de chaque société, un même phénomène peut


faire l’objet d’interprétations et donc de représentations différentes, qui
peuvent s’opposer sans jamais cesser d’être sociales. Je peux avoir un
certain point de vue, différent de celui de mon voisin, quant à la politique
que la France devrait adopter face à l’arrivée de réfugiés politiques venant
de pays non européens ou pour déterminer les critères de la citoyenneté
française. Aussi individuels et indépendants que nous soyons, le voisin et
moi-même, chacun s’est approprié son point de vue après de longues
réflexions, lectures et discussions, peut-être au café du commerce. C’est
dire que cette appropriation se fait à partir d’éléments de connaissance
élaborés au sein de groupes sociaux (familles politiques, organismes
humanitaires, associations) qui, tout en pouvant adopter des points de vue
différents, parlent néanmoins de la même chose.
Mais comment ces représentations sociales sont-elles construites et
reconstruites ? Moscovici a mis en évidence deux processus fondamentaux :
le processus d’ancrage et le processus d’objectivation.
3.2 Le processus d’ancrage
Les événements qui surviennent dans la vie de chacun, qu’ils soient
heureux ou malheureux, ou les phénomènes auxquels on est exposé ou dont
on a entendu parler le sida, la mondialisation, internet, la maladie de la
vache folle, la pauvreté ne s’expliquent souvent pas par eux-mêmes. Pour
les comprendre on cherche à les raccrocher à des événements ou
phénomènes que l’on connaît déjà, c’est-à-dire, qu’on les « ancre » dans des
connaissances préexistantes. Par ce processus d’ancrage, on s’approprie des
informations de notre environnement (une nouvelle théorie, un accident de
la route, les agissements de notre voisin) en les intégrant dans un réseau de
catégories plus familier. Pierre, par exemple, a incorporé les agissements de
M. Higgins dans l’espace relationnel du roman policier et non dans celui du
roman de gare, ce qui a eu une incidence sur sa façon d’interpréter la
situation, puis d’agir. Les catégories plus familières qui sont utilisées ne
sont pas nécessairement celles d’une théorie scientifique ou d’un genre
littéraire, souvent elles sont proposées par le sens commun lui-même et se
trouvent matérialisées dans des proverbes ou autres croyances populaires.
L’incorporation de nouveaux éléments peut passer par l’établissement
d’analogies, c’est-à-dire par l’établissement de ressemblances entre deux ou
plusieurs objets de pensée différente (cf. encart 37 ci-après). En établissant
des analogies, nous généralisons d’une réponse ou d’un concept ancien à
une réponse ou à un concept nouveau par le transvasement de leur contenu.
Quand on affirme : « La confession est une psychanalyse à condition de ne
pas être déformée » (Moscovici, 1976, p. 264), l’idée de psychanalyse est
associée par analogie à la confession, elle-même extraite et dissociée de son
contexte religieux. En particularisant dans chaque domaine la relation
intersubjective (la relation du psychanalyste avec le patient et la relation du
confesseur avec le pécheur), on procède à un groupement entre des termes
que l’on dépouille de certaines propriétés particulières. On ne retient pas la
nature laïque ou la nature religieuse de l’acte. Le rôle propre des
personnages et le caractère spécifique de chaque relation s’estompent pour
faire place à un échange simplifié. Entre l’ancien et le nouveau, on ne
considère plus que ce qui est similaire.
L’appropriation de nouveaux éléments peut aussi passer par le fait que l’on
en extrait un aspect particulier et l’associe à un sens différent. Lorsque la
sexualité est le signe sous lequel est placée la psychanalyse, la cure est
réputée se dérouler dans une chambre noire, la patiente étendue sur le
divan, et le rôle du psychanalyste devient douteux : « La patiente s’étend
sur un divan dans une chambre noire, elle raconte son histoire. Les femmes
aiment qu’on les écoute. On peut tomber amoureux du psychanalyste »
(propos recueillis par Moscovici, 1976, p. 267).

Encart 37 – Les métaphores de Pavlov


Bien qu’Ivan P. Pavlov, un physiologiste russe, soit surtout connu
par ses travaux sur le conditionnement classique, ce sont ses
recherches dans le domaine de la physiologie de la digestion qui
lui ont valu le prix Nobel en 1904. Pour expliquer le
fonctionnement complexe du système digestif à ses doctorants,
futurs médecins et souvent peu familiers de la physiologie, et pour
expliquer les différentes étapes de transformation des aliments
lors de la digestion et l’intervention des enzymes, Pavlov a utilisé
la métaphore d’une usine chimique composée de
« compartiments » et « d’ateliers » connectés avec le « laboratoire
principal » par un système de « tubes transmetteurs », chaque
composante intervenant, de façon spécifique, au traitement de
l’aliment (I.P. Pavlov, « Excepts from the Work of the Digestive
Glands », American Psychologist, 52, 1997, p. 936-940).
En utilisant la métaphore de l’usine chimique qui traite et
transforme de la matière première, et en associant, terme à terme,
les étapes de la digestion à l’organisation matérielle et spatiale de
cette usine chimique, Pavlov a ancré un savoir abstrait et
complexe dans quelque chose de plus imagé et plus imaginable
pour les étudiants.

3.3 Le processus d’objectivation


Le processus d’ancrage qui consiste à ancrer des éléments ou faits
observés ou entendus dans un système de catégories familières est
étroitement associé au processus d’objectivation. Le fait de dissocier ces
éléments de leur contexte d’origine, pour les ancrer dans quelque chose de
différent et de familier, les transforme et va conduire à une recomposition
de ce qui a été dissocié, avec un sens différent et nouveau. Ainsi l’essentiel
de la théorie psychanalytique (Moscovici, 1976, p. 116) s’est trouvé réduit à
quatre éléments recomposés et mis en images sous forme d’un noyau
figuratif : le conscient évoquant ce qui est apparent, l’inconscient ce qui est
caché, les deux exercent une action de pression l’un sur l’autre, exprimée
par les notions de répression ou de refoulement produisant le complexe. En
revanche, la notion fondamentale de la libido, qui est la force organisatrice
de la vie psychique, a disparu. Par cette transformation d’un savoir
théorique et construit en un savoir du sens commun, le complexe est devenu
une entité quasi physique, visible et repérable. Il permet de mettre un sens
sur les mots et s’en servir dans la vie quotidienne. C’est ainsi que l’on pense
pouvoir « détecter » et expliquer par des « complexes d’infériorité » ou
« complexes de supériorité » certains comportements de nos congénères
qui, sans cette « connaissance psychanalytique » imagée, seraient restés
énigmatiques.
Par le processus d’objectivation, l’individu concrétise et matérialise des
concepts abstraits et particularisés, en se les représentant sous forme
d’images. Ces images dissocient de leur contexte théorique les notions
extraites et les font apparaître comme une réalité concrète, presque
palpable, prête à être communiquée. Le complexe, l’inconscient, la
psychanalyse sont ainsi devenus des vocables qui « parlent » aux gens et
font partie de la conversation courante.
On peut aussi évoquer des exemples d’objectivation de connaissances qui
n’ont pas eu pour référent une théorie scientifique, mais des expériences
partagées et élaborées avec d’autres. À des expressions comme « métro,
boulot, dodo » ou « bobo », on associe immédiatement des images d’un
style de vie et d’être particulier.
La représentation d’un style de vie particulier associé à un vocable n’est
pas très éloignée d’un stéréotype qui consiste à identifier un groupe de gens
à partir de quelques traits distincts et localisés (cf. chapitre 3). Le stéréotype
constitue ainsi une objectivation d’un groupe ou d’une catégorie de gens. Il
s’agit d’une élaboration sous forme de recomposition synthétique
d’éléments observés, entendus ou inférés, associés à une nationalité, un
groupe d’âge ou un autre critère de catégorisation. Les images évoquées par
des mots ou expressions comme « une bimbo » ou « un plouc » deviennent
presque palpables, comme une réalité que l’on peut toucher du doigt et dont
on peut parler. En cela, le stéréotype ou la représentation stéréotypée sont à
la conversation courante et au sens commun ce que les slogans sont au
discours politique : un raccourci.

4. Le fonctionnement du sens commun


dans la vie de tous les jours
Le sens commun et les représentations sociales ne servent pas seulement à
s’approprier des théories scientifiques, ils permettent aussi d’agir et de
vivre : on doit prendre des décisions ou évaluer la qualité de son travail ou
de quelqu’un d’autre, on veut comprendre pourquoi un ami est fâché, ou
défendre une bonne cause. C’est dire, que dans la vie de tous les jours, on
cherche constamment à comprendre ; on est constamment en train d’arguer,
de résoudre des problèmes ou de ruminer, même si apparemment on ne fait
rien. Probablement, on essaie tous de nous y prendre le mieux possible – le
mieux pour nous et peut-être pour les autres – sans avoir de réponses toutes
tracées à l’avance.
L’individu agit et pense à partir des ressources qui lui sont accessibles à un
moment donné. Nous avons vu précédemment que l’une des ressources
importantes, qui lui fournit ses règles de conduite, est constituée par
l’espace relationnel dans lequel il est inséré, qui constitue son contexte
d’action et d’interaction. Son positionnement dans ce contexte, et ce qu’il
doit ou veut faire dans ce contexte, façonne son mode de raisonnement, ses
pensées, jugements, évaluations et comportements.
Les chercheurs se sont particulièrement intéressés à la façon dont le sens
commun nous amène à élaborer des réponses dans les contextes
d’évaluation et les contextes de résolution de problèmes.

4.1 Contextes d’évaluation


Imaginez que vous êtes amenés à observer derrière une glace sans tain des
étudiants, Bill et Tom, pendant qu’ils composent ensemble un certain
nombre d’anagrammes à partir d’un stock de mots qui leur a été donné par
l’expérimentateur. Chacun participe de façon rigoureusement égale à la
réalisation de ces anagrammes. Vous ne savez pas que Bill et Tom sont des
compères de l’expérimentateur.
À un moment donné, l’expérimentateur vous informe que vu l’état
problématique des finances de l’université, seul l’un des deux étudiants
pourra être payé, et ceci en vertu d’un tirage au sort. Bill et Tom
ignoreraient encore tout de cette fâcheuse situation tandis que vous,
observateur parmi d’autres observateurs derrière la glace sans tain, êtes
informé que l’heureux élu est Bill (pour éliminer les effets de sympathie
« spontanée » que pourrait susciter l’un ou l’autre des compères, on a prévu
des situations d’observation où Tom était l’heureux élu).
Si, à la fin de l’observation, on vous demande d’évaluer la part de travail
effectuée par Bill et Tom, que constatons-nous ? Ferez-vous comme les
observateurs dans l’expérience de Lerner (1965) ? Ceux-ci ont en effet
estimé que Bill a réalisé la plus grosse part du travail (ou Tom quand il est
l’heureux élu du tirage au sort), alors qu’objectivement les deux ont réalisé
la même part de travail.
Selon Lerner, à l’origine de cette expérience, les sujets ont établi un lien
causal en situant l’origine de l’événement fâcheux en la personne de Tom.
Ils le rendent responsable de son désavantage. Si Tom n’a pas été rémunéré
pour son travail, c’est qu’il ne l’a pas mérité. Or nous savons que Tom et
Bill ont participé de façon égale à la réalisation des anagrammes. Dans cette
expérience, comme dans une série d’autres expériences effectuées par
Lerner et de nombreux autres chercheurs, qui confirment souvent cette
tendance à dévaluer dans une « victime innocente » soit sa contribution au
travail réalisé soit la personne elle-même, les sujets semblent mettre en
application une règle morale et du sens commun, selon laquelle les gens
obtiennent ce qu’ils méritent et ils méritent ce qui leur arrive ; bref, qu’ils
sont responsables de leur sort. Lerner fait l’hypothèse que les gens usent
dans leur perception de ces situations expérimentales d’une croyance en un
« monde juste », qui renvoie à un arrière-fond culturel d’imagerie et de
sagesse populaire, plus ou moins mythologique, qui veut que Cendrillon et
la vertu soient récompensées. Cette interprétation de Lerner, effectuée a
posteriori, pour rendre ses résultats intelligibles, permet de rendre compte
du fait que les sujets introduisent une asymétrie entre Tom et Bill, qui
justifie l’inégalité de leur rémunération.
On peut se demander si les étudiants auraient perçu la situation de la
même manière si l’étudiant lésé avait été l’un de leurs amis. Ou ce qui se
serait passé, si les sujets avaient pu modifier le résultat du tirage au sort.
Autrement dit, on peut se demander si un autre type de relation à la
« victime innocente » n’amènerait pas les étudiants évaluateurs à porter un
autre regard sur sa contribution et sur sa personne.
C’est en partie ce que l’on peut observer dans une série de travaux
(cf. Chalot, 1980, p. 59-61, pour une revue de la question) dans lesquels
l’expérimentateur induit chez le sujet expérimental le sentiment d’une
certaine proximité avec la personne lésée en s’imaginant, par exemple,
comment il réagirait s’il se trouvait dans la même situation ou en anticipant
une interaction avec elle ou en mettant l’accent sur des positions politiques
communes. Les évaluations de la victime et de son travail deviennent alors
très positives.
Ces résultats montrent que pour construire du sens, l’individu n’agit pas
simplement selon un script ou un schéma préexistant ou selon une croyance
en un « monde juste » bien établie, qu’il déploierait de façon uniforme.
Parmi les multiples informations dont il dispose, et qui constituent les
ressources à partir desquelles on lui demande de faire une évaluation, le
type de relation qui le lie à la personne lésée (anonyme versus proche) et
son positionnement dans cette relation semblent être déterminants dans sa
façon de juger une même situation. Quand la « victime innocente » est
quelqu’un de proche, il prend son parti et juge la situation injuste, ce qui
n’est pas le cas, quand c’est une personne anonyme.

4.2 Contextes de résolution d’un problème


Le type de relation qui nous lie à une autre personne peut totalement
changer la représentation que nous avons de la situation et, partant, le
regard que nous portons sur ses protagonistes. Cela peut affecter non
seulement nos évaluations de la situation et de ses protagonistes, mais aussi
affecter nos propres conduites. Nous avons vu précédemment
(cf. paragraphe 2.2.3 du chapitre 3) combien les performances des membres
d’un groupe stigmatisé, minoritaire ou autrement défavorisé, peuvent être
affectées négativement, quand ces performances sont censées exprimer leur
intelligence, et combien ils risquent ainsi de confirmer le stéréotype négatif
selon lequel leur groupe serait moins intelligent que ceux ne faisant pas
partie de leur groupe. C’est dire que la menace du stéréotype débilite leurs
performances. C’est dire aussi que la place qu’on occupe à l’intérieur d’une
structure sociale – donc dans un espace relationnel – a une incidence sur
nos comportements.
Quand il est dit à des bons et mauvais élèves (cf. Monteil et Bavent, 1990,
pour une condition particulière de leur expérience) qu’à la fin d’un cours de
mathématiques, ils allaient être interrogés sur ce qu’ils avaient retenu du
cours, les élèves, lors d’une épreuve de restitution, organisée plus tard,
produisent les performances habituelles (les bons élèves ont de bons
résultats, les mauvais élèves de mauvais résultats). En revanche, quand il
leur est dit que nul ne sera interrogé, bons élèves et mauvais élèves
produisent des résultats différents, inférieurs à la normale pour ce qui est
des premiers, supérieurs pour les seconds. C’est dire que quand le type de
relation habituel entre élèves par rapport à une matière considérée comme
prestigieuse est changé, quand la condition d’anonymat ne permet plus de
rendre visible l’opposition entre bons et mauvais élèves, leurs rapports à
l’objet et, partant, leurs performances, se trouvent changés.
Dans une autre expérience (Morin et Aebischer, 1996 ; Morin, 1997), on a
demandé à des collégiens, filles et garçons, de résoudre une série
d’exercices qui étaient présentés à la moitié des élèves comme des exercices
de géométrie et à l’autre moitié des élèves comme des exercices en arts
plastiques. Préalablement à l’arrivée des élèves dans leur classe, les tables
de la salle de cours avaient été aménagées de manière à constituer deux
groupes de travail. Par salle de classe, il y avait soit deux groupes mixtes
(filles et garçons) soit deux groupes non mixtes (seulement des garçons ou
seulement des filles).
Les résultats des garçons, aussi bien quand les exercices étaient
prétendument des exercices d’art plastique que de mathématiques, étaient
significativement et systématiquement meilleurs quand la composition de
leur groupe et celle de l’autre groupe étaient mixtes que quand ils étaient
entre garçons uniquement. Chez les filles, les performances n’étaient pas
affectées par la composition du groupe : leurs résultats étaient les mêmes
quand elles étaient entre filles uniquement ou quand leur groupe et l’autre
groupe étaient mixtes.
Pour mettre à l’épreuve ces résultats, cette expérience a été répétée avec
d’autres collégiens du même âge (Aebischer, 1998 ; Aebischer et Morin,
1997), répartis également dans des groupes mixtes et non mixtes pour la
même tâche présentée comme une tâche de géométrie. Après la réalisation
des exercices, chaque élève devait estimer le pourcentage de réussite à la
tâche de son groupe de travail et de l’autre groupe de travail. Cette
deuxième expérience a confirmé point par point les résultats précédents : les
résultats des garçons sont toujours significativement supérieurs quand ils
travaillent en groupes mixtes plutôt que non mixtes. Les filles,
imperturbables, n’ont pas été affectées par les variations dans la
composition sexuelle des groupes.
Quand on regarde les estimations de réussite en pourcentage de son
groupe et de l’autre groupe, on observe un fort favoritisme pour son propre
groupe chez les garçons qui ont travaillé avec d’autres garçons face à un
autre groupe de garçons. Lorsqu’ils ont travaillé en mixité, ils ne
« défavorisent » quasiment pas l’autre groupe. Un léger favoritisme pour
son propre groupe peut être observé chez les filles ayant travaillé en
groupes mixtes plutôt que non mixtes.
Chez les filles, tout se passe comme si les implicites de la relation de
l’élève à l’école qui valorise de bons résultats, l’emportaient sur toutes les
autres considérations. Chez les garçons, tout se passe comme si leur rapport
à l’école, qui, en condition mixte, semble être le même que pour les filles,
était « bruité ». Comme si, entre garçons, il fallait ne pas faire montre d’un
excès de zèle pour la tâche scolaire et comme si deux groupes de garçons
devaient forcément se percevoir comme des adversaires et en compétition.
L’école définit un certain espace relationnel entre les élèves et les
hiérarchise selon leurs performances, surtout dans les matières
prestigieuses. Cependant, les règles qu’elle applique ainsi peuvent être
traversées ou contredites par d’autres règles, informelles, qu’elle ne
contrôle pas forcément, celles, par exemple, qui régissent les relations entre
pairs.

5. L’aspect dilemmatique de la pensée


sociale
On pourrait croire que notre positionnement dans un contexte, dans un
type de relation avec autrui, est toujours clair pour tout le monde, et que ce
positionnement – qui nous confère notre identité – nous fournirait des
réponses toutes prêtes à l’emploi : pour construire du sens, pour interpréter
et pour agir.

5.1 Les conversations intérieures


Si les choses étaient ainsi, on ne pourrait que s’imaginer un monde qui
tournerait en rond pour se reproduire sans jamais changer. Cependant, à
cause de son inscription dans plusieurs groupes, dans plusieurs espaces
relationnels possibles, l’individu peut se trouver placé devant plusieurs
possibilités d’agir et de penser différentes, et le choix n’est souvent pas très
simple et évident à faire parce qu’il place les personnes devant un dilemme.
L’aspect dilemmatique de la « pensée sociale » a été particulièrement
souligné, approfondi et développé par le psychosociologue Michael Billig
(1987 ; Billig et al., 1988) à l’université de Loughborough. D’autres
chercheurs, notamment aux Pays-Bas et aux États-Unis, ont depuis
développé la notion d’un soi qui serait un assemblage de voix multiples
(Gergen, 2005) et d’un soi en dialogue avec lui ou avec elle-même
(Hermans, Kempen et van Loon, 1992 ; Hermans, Imminl, de Jong et van
der Lans, 2001).
Prenons l’exemple d’une jeune mariée, institutrice, qui vient d’avoir un
enfant. Son mari gagne suffisamment d’argent pour qu’elle puisse arrêter de
travailler. Va-t-elle le faire, ne va-t-elle pas le faire ? La décision que la
jeune femme va prendre coule-t-elle de source ? Évidemment non. Tantôt
elle se positionne comme mère par rapport à l’enfant, tantôt comme jeune
femme dans le monde du travail. Elle va peser le pour et le contre : « Je ne
suis pas vraiment obligée de travailler » ; « c’est un sacrifice que d’arrêter
un travail que j’aime » ; « je ne voudrais pas partager l’enfant avec une
autre personne (la nourrice par exemple) » ; « je préfère travailler plutôt que
de rester chez moi » ; etc. Plusieurs espaces relationnels sont alors
convoqués et entrent en « conversation », voire en conflit : celui de la
femme qui voudrait se consacrer entièrement à l’enfant et celui de la femme
qui pense que son ouverture sur le monde passe par le travail. Ce conflit fait
réfléchir la jeune femme, c’est-à-dire qu’il mobilise une activité cognitive et
affective intense d’où sortira finalement sa décision. Autrement dit,
l’histoire d’une vie n’est pas écrite d’avance. Elle s’écrit au moment même
où nous la vivons (Shotter, 2008).

5.2 Les discussions collectives


Prenons aussi l’exemple des expériences sur « la prise de risque », qui
comparent les décisions prises par des individus à celles prises en groupe.
Les sujets sont généralement placés dans des situations hypothétiques où ils
ont le choix entre une solution qui implique de grands risques pour obtenir
un résultat certain, mais qui est moins attrayant que le premier. Doit-on, par
exemple, tenter l’opération chirurgicale d’un malade, dans l’espoir d’une
guérison sans récidive, mais avec le risque que le malade y laisse sa peau,
ou opter pour une solution dans laquelle le patient ne risquerait pas sa vie,
mais resterait handicapé pour le reste de ses jours ? Un grand nombre de ces
expériences montrent (Kogen, Wallach, 1964) qu’après une discussion
collective, les décisions prises en commun sont nettement plus risquées que
les décisions prises par les individus isolément, mettant en évidence une
radicalisation des opinions.
On peut penser que lors de la discussion, les sujets sont amenés à échanger
non seulement les décisions qu’ils envisagent (cf. à ce propos les remarques
de Billig et al., 1988, 12-13), mais à extérioriser et à confronter dans la
discussion les éléments d’information observés et inférés qui ont conduit à
la décision. D’ailleurs, si on réduit cette possibilité de confrontation, en
limitant le temps de discussion par exemple (Moscovici, Doise, Dulong,
1972), la radicalisation est moindre.
C’est justement la confrontation des arguments, du pour et du contre, la
mise à plat et en balance de l’ensemble des éléments d’information et leur
réorganisation et recomposition, qui donnent au dilemme sa spécificité, et
c’est par ce processus que se développe la connaissance sociale. Celle-ci
évolue dans la confrontation entre deux perspectives portées par le sens
commun, perpétuellement pesées selon le contexte éventuel de leur
application. Celui-ci sert de cadre à la confrontation, l’oriente puisque c’est
par rapport à lui qu’une solution est recherchée. Quand, par rapport à un
problème donné, l’individu peut envisager des positionnements différents, il
en résulte un conflit sociocognitif. C’est l’existence de celui-ci qui stimule
sa réflexion et l’amène éventuellement à des solutions nouvelles.

6. Les stratégies d’immunisation cognitive


Les idées ne surgissent pas de façon aléatoire ou individuelle. Le monde et
ses événements deviennent intelligibles aux individus, parce qu’ils en
parlent entre eux, parce qu’ils lisent, réfléchissent et ruminent ce qu’ils
viennent d’entendre et d’apprendre au contact avec les autres. Ce faisant ils
activent une multitude de processus pour ancrer, objectiver, attribuer,
évaluer, différencier les événements observables sélectionnés. Ces
processus leur permettent de donner du sens aux situations et contextes dans
lesquels ils sont insérés et leur indiquent des règles d’action et d’interaction.
Nous avons essayé de montrer que le sens des événements, des contextes
et situations ne s’imposent pas à l’individu comme une chape de plomb.
Dans la vie de tous les jours, l’individu se trouve confronté à des situations
où plusieurs interprétations sont possibles. En pesant le pour et le contre, il
clarifie ses propres positions avant d’opter pour une solution et avant de se
mettre en action.
On peut cependant observer des communautés de pensée et d’action qui
exercent une emprise sur l’individu telle qu’elle exclut toute
« conversation » entre contenus dilemmatiques. Ces systèmes de pensée,
qui tendent vers une homogénéisation, emprisonnent l’activité de pensée et
d’action de l’individu condamné à produire et à reproduire les mêmes
comportements et les mêmes raisonnements. Le fonctionnement de tels
systèmes de pensée a été mis en évidence par Deconchy (1980) à propos de
l’orthodoxie religieuse (cf. chapitre 6). Ces systèmes de pensée sont
généralement réglés par des doctrines telles que nous les voyons à l’œuvre
dans certaines églises ou dans certains partis politiques. Ils n’admettent
qu’une seule perspective et sont capables de s’immuniser pendant de
longues périodes contre toute information ou connaissance qui viendrait
contredire la validité de la perspective d’origine. Mais on les voit aussi à
l’œuvre au plus haut niveau politique et décisionnel, où ils peuvent avoir
des effets néfastes, voire catastrophiques.

7. La pensée conspirationniste
Des processus d’immunisation sont également à l’œuvre dans la pensée
conspirationniste. Celle-ci consiste dans l’affirmation de « vérités
alternatives » sans preuves aucunes pour l’attester4 et dans le rejet et la
négation de tout argument ou toute information la contredisant. Il ne s’agit
pas de défendre une doctrine religieuse, politique ou artistique, comme c’est
le cas dans la pensée orthodoxe, mais de dénoncer des groupes qui
comploteraient dans le secret ainsi que leurs complices pour réaliser des
objectifs sinistres (e.g., Goertzel, 1994), contre les intérêts de la majorité de
la population.
Près de huit Français sur dix adhèrent à au moins l’une des multiples
« théories du complot », révèle une étude de l’IFOP réalisée en
décembre 2018 pour la Fondation Jean-Jaurès et l’observatoire Conspiracy
Watch5. À titre d’exemple, on peut citer l’idée que « le ministère de la Santé
est de mèche avec l’industrie pharmaceutique pour cacher au grand public
la réalité sur la nocivité des vaccins » ou l’affirmation que « la CIA est
impliquée dans l’assassinat du président John F. Kennedy à Dallas » ou
encore que « l’immigration est organisée délibérément par nos élites
politiques, intellectuelles et médiatiques pour aboutir à terme au
remplacement de la population européenne par une population immigrée ».
Serge Moscovici (1987, 2020), s’appuyant sur l’exemple des persécutions
religieuses dont de nombreuses confessions ont été victimes, quand elles
n’en étaient pas les instigatrices6, estime que la pensée conspirationniste est
un mode de pensée collective qui non seulement prépare des persécutions,
elle sert aussi à les justifier. Il est essentiel de préparer les masses pour
qu’elles participent à la chasse à l’homme et à la chasse à l’âme.
Les réseaux sociaux d’aujourd’hui facilitent la propagation de rumeurs, de
campagnes de désinformation, de mensonges et de fake news dans le but
d’une chasse à l’homme, mais ici comme là, le but est d’exclure, voire de
détruire, par des discours de peur et des discours racistes. Qu’on songe aux
manifestations pro-Trump qui ont éclaté dans de nombreuses villes
américaines après la proclamation de la victoire de Joseph Biden comme
46e président des États-Unis. « Biden est un menteur et compromis avec les
Chinois ; on va devenir un pays socialiste », crie l’un des nombreux
manifestants à Atlanta, Georgia.
Suite aux affirmations : « Ils essayent de VOLER l’élection »,
ouvertement répétées depuis la Maison Blanche sur Facebook et sur Twitter,
mercredi 4 novembre 2020, alors que l’issue de l’élection présidentielle
était encore pendante, un groupe « STOP THE STEAL7 » s’était créé sur
Facebook, à 15 heures (heure de New York). Moins de 22 heures plus tard,
le groupe a compté plus de 320 000 utilisateurs – gagnant, à un moment
donné, 100 nouveaux membres toutes les dix secondes. Quelques heures
plus tard, les dirigeants de Facebook ont fermé le compte pour cause
d’incitation à la violence.
La présentation de « vérités alternatives » (Moscovici, 2020), sans aucune
preuve pour l’attester, est ce qui caractérise la pensée conspirationniste.
Trois principes la sous-tendent selon Moscovici (2020, p. 5) :
1. Rien n’arrive par accident. Tout ce qui arrive est le résultat
d’intentions ou de volontés cachées. Autrement dit, des groupes cachés
et qui ne disent pas leur nom, cherchent à infléchir le cours de l’histoire
pour des objectifs sinistres et peu avouables.
2. Rien n’est tel qu’il paraît être. Les apparences sont trompeuses, donc
il faut les démasquer. Autrement dit, ces objectifs sinistres et peu
avouables bénéficient de l’aide de personnes bien placées, apparemment
respectables. Il s’agit de les dénoncer (cf. encart 38).
3. Tout est lié, mais de façon occulte. Et si tout est lié, on peut donc
expliquer jusqu’au moindre événement en le déduisant d’une seule
cause. Autrement dit, comme toute représentation sociale, la pensée
conspirationniste se constitue comme un processus dont on peut repérer
l’origine, mais elle reste toujours inachevée, dans la mesure où d’autres
faits et discours viendront l’alimenter ou l’altérer.
Encart 38 – Le Pizzagate
Cette théorie du complot s’est développée durant la campagne
présidentielle américaine de 2016, et elle est devenue virale sur le
Web. L’histoire est invraisemblable : la candidate à la
présidentielle de 2016, Hillary Clinton, et son directeur de
campagne, John Podesta, seraient à la tête d’un réseau pédophile
basé dans le sous-sol d’une pizzeria de Washington.
L’histoire a failli conduire à un drame bien réel, lorsqu’un homme
lourdement armé, E.M. Welch, a fait irruption dans la pizzeria
incriminée pour « libérer les enfants », victimes de pédophiles, et
pour traquer des rituels sataniques. Le tout impliquant Hillary
Clinton. Se précipitant dans la cuisine, E.M. Welch a tiré sur une
porte fermée pour ne découvrir que des ustensiles de cuisine. Il
n’a trouvé aucun enfant. En fait, le restaurant n’avait pas de sous-
sol.

Le fiasco d’E.M. Welch n’a aucunement impressionné les adhérents au


complot du Pizzagate. Selon eux, l’information passée sur les réseaux
sociaux n’aurait tout simplement pas été bonne. E.M. Welch serait en réalité
un petit acteur jouant la victime d’attaques au couteau dans un sous-genre
de film d’horreur. Le tout serait une mise en scène bien calculée par ce
réseau pédophile et montrerait jusqu’où ils étaient prêts à aller pour cacher
leur vice.

Pour aller plus loin


BILLIG M. (1987). Arguing and Thinking: A Theoretical Approach to
Social Psychology. Cambridge : Cambridge University Press.
GERGEN K.J. (2005). Construire la réalité. Paris : Le Seuil.
JODELET D. (éd.). (1989). Les Représentations sociales. Paris : PUF.
MOSCOVICI S. (2e éd. 1976). La Psychanalyse, son image et son
public. Paris : PUF.
ROUQUETTE M.-L. (éd.) (2009). La Pensée sociale. Toulouse : Érès.
Chapitre 6
Le pouvoir dans les groupes

Sommaire
1. Meneurs et chefs, influence et pouvoir :
recouvrements et distinctions
2. Leaders et leadership
3. Le pouvoir

« Le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours maître,
s’il ne transforme sa force en droit et l’obéissance en devoir. »
(J.-J. Rousseau, Du contrat social, 1792).
Cette remarque de Jean-Jacques Rousseau nous plonge directement au
cœur de la problématique du pouvoir, en soulignant que son existence est
indissolublement liée à celle de l’obéissance. Pourtant son étude est
régulièrement associée à celle du leadership qui n’implique pas obéissance
mais adhésion.
En fait, l’intérêt pour l’étude du leadership et du pouvoir et le fait qu’ils
soient si régulièrement liés, provient pour une grande part de l’idée selon
laquelle l’efficacité d’un groupe dans l’atteinte de ses objectifs dépend de la
manière dont il est conduit. Cette idée est bien ancrée dans le sens commun
comme l’attestent ces proverbes populaires : « abeilles sans reine, ruche
perdue », « c’est par le chef que la bande est forte », « les brebis sans berger
ne font pas un troupeau ». Elle est aussi un thème central de la réflexion
philosophique et politique depuis Platon, et plus largement des penseurs qui
comme les historiens et les chercheurs en sciences humaines et sociales se
sont penchés sur les grandes étapes de l’histoire de l’humanité, et sur les
« grands hommes » qui les ont promues. Mais c’est parfois pour le pire que
certains se sont laissé entraîner… (par Hitler ou Mussolini par exemple), et
il ne fait guère de doute que le regain d’intérêt pour les phénomènes de
leadership observés dans les milieux scientifiques dans les années 1940-
1950 a eu pour ancrage idéologique la volonté de se prémunir contre les
horreurs de la Seconde Guerre mondiale et d’affirmer la valeur de la
démocratie.
La psychologie sociale quant à elle a été motivée par des préoccupations
pragmatiques. Il s’agissait d’abord de connaître ce qui constitue les qualités
d’un bon chef pour pouvoir prédire, et donc sélectionner, les personnes
susceptibles d’en être et former à bon escient les chefs nommés. Ce sont en
particulier les praticiens du courant des relations humaines qui s’attelèrent
à cette tâche avec enthousiasme à la suite de découvertes d’Elton Mayo.
Celles-ci furent effectuées entre 1927 et 1932 dans une entreprise
d’Hawthorne près de Chicago. Il s’agissait d’étudier l’impact de facteurs
environnementaux propres aux situations de travail sur le rendement des
ouvriers. Ainsi, une première série de recherches porta sur les effets que
peut avoir l’éclairage sur les performances. Alors que les ouvrières d’un
atelier de bobinage, observées par les chercheurs, subissaient des variations
d’éclairage devant gêner leurs performances, elles réalisèrent au contraire
des gains de productivité inattendus. Mayo et son équipe cherchèrent une
explication plausible à ces résultats absurdes (comme si de mauvaises
conditions de travail étaient un atout pour un meilleur rendement !). Voilà
leur conclusion : le simple fait d’observer ces ouvrières et, ce faisant, de
manifester de l’intérêt pour leur activité, avait eu des effets positifs sur leur
rendement ! Pour l’équipe de Mayo, il devenait indispensable de vérifier
cette hypothèse, ce qui fut fait à l’issue de deux années d’observation dans
un autre atelier de l’usine, l’atelier de montage des relais téléphoniques.
Tandis que cet atelier était formellement organisé en trois équipes,
l’observation fit apparaître une structure informelle faite de deux cliques
affinitaires, ayant des attitudes au travail, des habitudes et des
comportements contrastés entre les deux cliques. Surtout, dans chacune, se
développaient un sentiment d’appartenance, de la camaraderie, de la
solidarité, autrement dit des liens affectifs. Comme le constatait Mayo
quand il relata son intervention à la Western Electric (Mayo, 1933),
« l’expérience transforma une horde de solitaires en un groupe social ». Et
il fallut se rendre à l’évidence : la production des ouvriers augmentait avec
le temps, indépendamment des variations des facteurs environnementaux
introduits par les chercheurs.
En fait, deux découvertes inattendues caractérisent le travail de Mayo et
de son équipe, découvertes qui allaient profondément modifier les
conceptions de l’homme au travail. Il s’agit de l’existence dans les
organisations, d’une part de motivations sociales, d’autre part de structures
informelles. Pour bien saisir l’effet de surprise provoqué par ces
découvertes, il faut rappeler qu’elles s’inscrivent dans un contexte (l’après-
guerre, la grande crise économique de 1930) où, dans la nécessaire
réflexion sur l’organisation du travail, dominaient le propos de penseurs
comme Taylor (1911) auteur de l’Organisation scientifique du travail (OST)
et Max Weber (1921) qui cherchaient à rationaliser le travail, seul moyen
selon eux d’augmenter la productivité. Ils avançaient par ailleurs que la
supériorité d’une organisation réside dans un contrôle plus grand, dans une
prévisibilité plus forte et que ces résultats sont obtenus par la
dépersonnalisation.
p Les motivations sociales
Les théories de l’Organisation scientifique du travail tenaient à l’époque
de Mayo le haut du pavé, avec un leitmotiv : pour les travailleurs n’existent
que les motivations économiques. Comment les motivations sociales
allaient-elles trouver à s’exprimer dans le monde travail ainsi conçu ? Et
pourtant, c’est un fait aujourd’hui à la fois largement reconnu mais parfois
aussi ignoré : au travail, les salariés veulent satisfaire non seulement des
motivations économiques (gagner de l’argent), mais aussi des motivations
sociales. Les gens y recherchent des relations interpersonnelles
chaleureuses, empreintes de camaraderie, grâce auxquelles ils développent
des réseaux d’affinités et de solidarité. Ils recherchent aussi de marques
d’estime, de reconnaissance, de considération.
p Les structures informelles
Tandis que les tenants des théories que nous venons d’évoquer avançaient
que l’irrationnel n’entrerait plus dans les organisations dans lesquelles, par
des moyens rationnels et du contrôle, les comportements individuels
seraient rendus prévisibles, Mayo mettait en évidence que l’organisation
nourrit inévitablement en son sein un système de relations non prévues et
que c’était dans ces structures informelles, que les travailleurs satisfaisaient
leurs motivations sociales. Dans ces structures informelles (des petits
groupes), les travailleurs y trouvaient des copains, des leaders aussi, qui
concouraient au bon climat. Ensemble ils créaient leurs propres normes de
fonctionnement tant au regard leurs relations que de leur rapport au travail
et aux chefs, Dans ce dernier cas, ces normes avaient pour but soit de faire
accepter les standards de l’organisation soit au contraire de s’y opposer
fermement (cf. encart 39).

Encart 39 – Norme de freinage


C’est Max Weber (1908) qui a mis en évidence la norme de
freinage. Il s’agit de la réduction volontaire des cadences grâce à
laquelle les ouvriers, sans un mot, luttent et combattent contre les
cadences infernales et pour un salaire décent.
Le freinage est une stratégie individuelle ou de groupe insidieuse,
implicite. Dans un groupe informel (existant dans un atelier, une
équipe de travail, une équipe de sport, un service administratif,
etc.), le freinage est une norme qu’il est impératif de respecter
sous peine d’être exclu du groupe.
L’application de cette norme permet de s’opposer aux cadences
parfois excessives, aux entraînements trop intensifs, aux
surcharges des dossiers à traiter, en réponse aux règles
imposées par la direction, la hiérarchie de l’entreprise de
l’administration ou du club.

Les praticiens du courant des relations humaines ont dû être bien séduits
par les découvertes de Mayo, eux qui cherchaient à améliorer le climat
social dans le monde du travail, très détérioré par la perte de confiance due
à la crise de 1929. Ils tentèrent alors, dans les entreprises et les
organisations, de faire coïncider structures formelles et informelles de sorte
que les ateliers dans les usines, les classes dans les écoles, les escouades
militaires, les services dans les hôpitaux, etc., deviennent de véritables
groupes, cohésifs, et les chefs des leaders capables de provoquer, au-delà de
l’obéissance, l’assentiment. Il s’ensuit qu’une confusion théorique s’est
établie entre le rôle de leader comme meneur, qui émerge spontanément
dans un groupe où au départ toutes les positions sont équivalentes (Bales,
1958), et le leader comme chef, qui d’emblée a un statut différencié, qu’il
soit nommé – et alors ce statut correspond à une délégation de pouvoir
(cf. le monde du travail) – ou qu’il soit élu (monde politique).

1. Meneurs et chefs, influence et pouvoir :


recouvrements et distinctions
On vient de le voir, le terme de « leadership » recouvre des réalités très
différentes en s’appliquant aussi bien aux structures formelles,
hiérarchisées, qui fonctionnent avec des chefs et des subordonnés qu’aux
structures informelles où meneur et suiveurs appartiennent au même groupe
de pairs. Pourtant, sous ces acceptions différentes, on découvre un noyau
commun : l’idée que le leader, meneur ou chef, est celui qui obtient la
modification du comportement d’autres personnes, dans le sens qu’il
souhaite. Mais comment ? La réponse à cette question oblige à surmonter la
confusion entre influence et pouvoir sur laquelle repose celle entre leader et
chef. Mais d’abord interrogeons-nous : d’où vient cette confusion ?

1.1 Soumission et adhésion


Au niveau empirique, cette confusion découle du constat que si ce qui
institue le chef c’est certes sa casquette, symbole de son pouvoir, ce qui fait
le bon chef, c’est qu’il provoque non seulement la soumission à ses
injonctions, mais l’adhésion à ce qu’il propose. Sans cette adhésion, le bien-
fondé des demandes du chef n’est pas reconnu par ses subordonnés alors
même qu’ils lui obéissent (souvent à reculons), puisqu’il a le pouvoir
d’imposer sa volonté. Ainsi s’il n’est pas nécessaire qu’un chef soit bon
pour rester chef, son pouvoir suffit, l’idéal du bon chef implique que
comme les leaders il ait de l’influence pour convaincre, d’où la confusion
entre pouvoir et influence sur laquelle s’établit celle entre chef et leader. On
est là en présence de l’occultation de la différence entre la potestas, qui
renvoie au pouvoir légal, et l’autoritas, qui renvoie à l’ascendant personnel.
Pourtant, lorsqu’on se demande comment s’y prennent leaders et chefs pour
entraîner le consentement, la différence apparaît clairement. Les leaders
n’ont que leur influence pour essayer de convaincre, et c’est par leur force
de persuasion que celle-ci devient effective. Les chefs eux ont les moyens
de contraindre par la distribution de renforcements positifs (récompenses)
ou négatifs (sanctions). Les premiers, quand ils réussissent, entraînent
conformisme et adhésion, les seconds, soumission et obéissance. C’est que
les premiers, les meneurs, s’adressent à leurs suiveurs, les seconds, les
chefs, ordonnent à leurs subordonnés.

Encart 40 – Chef et leader émergent : les différences


Le chef Le leader
– Il est imposé au groupe. – Il émane du groupe.
– Son pouvoir vient d’une délégation le – Son ascendant trouve son assise
pouvoir de sa direction. dans son intra groupe.
– Sa stabilité dépend de sa direction. – Sa stabilité dépend de l’appréciation
– Il peut agir sur les autres par la distribution son propre groupe.
de récompenses et punitions. – C’est uniquement par son influence
qu’il peut agir sur les autres.

1.2 Aller au-delà d’une approche


psychologisante des rapports sociaux
Partir des structures sociales ou au contraire des relations
interindividuelles pour étudier les conduites humaines implique des
modèles différents. L’un recherche la détermination de ces conduites dans
les structures, les normes sociales et les rapports sociaux qui en découlent,
l’autre dans les caractéristiques individuelles et les relations
interpersonnelles1. L’engouement, sous l’influence du courant des relations
humaines, pour les processus informels qui ont pour base les processus
affinitaires entre les gens relève du second modèle. Celui-ci, s’il rend bien
compte de l’émergence spontanée d’un leader dans un groupe comme
conséquence de la dynamique des relations interindividuelles en son sein,
rend aveugle au fait que le chef résulte, lui, du fonctionnement des
structures formelles, impliquant des dissymétries statutaires et des conflits
d’intérêts. Ce modèle propose donc une approche psychologisante des
rapports sociaux, où le pouvoir, considéré comme une relation
interpersonnelle est du même coup assimilé à l’influence. C’est ce que
montre cette définition du politologue Dahl (1957) : « Capacité d’une
personne A d’obtenir d’une personne B qu’elle fasse quelque chose qu’elle
n’aurait pas fait sans l’intervention de A », assez large pour englober les
deux phénomènes, jugez-en : elle s’applique aussi bien au fait que, parce
que votre patron l’exige, vous allez rester tard au bureau ce soir pour traiter
ce dossier supplémentaire, qu’à ce qu’il s’est passé l’autre soir, lorsque ce
n’est pas le film que vous aviez envie de voir, mais celui vanté par vos deux
copains que vous avez vu ensemble. Cette approche, qui a pour
conséquence d’assimiler chefs et leaders, détourne donc l’attention du fait
que le pouvoir est socialement institué et concrétisé dans la stratification
sociale et les inégalités statutaires. Nous y reviendrons. Mais avant,
commençons par nous intéresser à la manière dont les chercheurs ont essayé
d’appréhender les phénomènes de leader et de leadership.
Un regard même rapide sur la littérature scientifique sur le leadership met
en évidence des approches très différentes du phénomène suivant en
particulier qu’on appréhende le leadership comme une caractéristique
personnelle, comme dépendant de la situation, comme une relation avec les
suiveurs, comme reflet d’une identité sociale partagée.

2. Leaders et leadership
2.1 Le leader, c’est un grand homme, un
chef-né, ou l’homme de la situation ?
2.1.1 Approche personnologique ou le pouvoir comme
attribut personnel
Ce qui motive cette approche, c’est l’idée que la performance d’un groupe
est déterminée par la valeur de son chef. Dans les décades qui ont suivi la
Seconde Guerre mondiale, la source du leadership a été recherchée dans des
traits de personnalité et des qualités personnelles que seuls certains
posséderaient et pas d’autres et qui différencieraient donc les leaders du
reste de la population (Stogdill, 1948 ; Mann, 1959). Sont à l’œuvre dans
cette approche l’image du « grand homme », au destin prédestiné, et la
fascination (et/ou l’horreur) qu’il exerce. De nombreuses études ont été
effectuées pour identifier l’impact d’une quantité de facteurs, objectifs
(l’âge, la taille, le niveau d’études, etc.) ou plus subjectifs (l’énergie,
l’intelligence, l’ambition, l’initiative, la confiance en soi, l’humour, etc.),
avec des méthodologies variées : observations de personnes en position
hiérarchique (directeurs d’entreprise, capitaines d’équipes sportives, etc.) et
aussi émergeant spontanément comme leaders dans des groupes informels
ou dans des groupes ad hoc constitués pour les besoins de la recherche ;
analyses de bibliographies ; tests ; questionnaires ; interviews auprès des
leaders et auprès des membres de leurs groupes.
Ces études n’ont pas été concluantes. Leurs résultats sont contradictoires,
et même lorsque des caractéristiques différencient clairement les leaders des
non-leaders ce qui est rare (c’est le cas par exemple pour l’aisance à prendre
la parole (Borg, 1960) et pour la confiance en soi (Guisselli, 1971)), elles ne
sont pas prédictives, dans la mesure où de nombreuses personnes peuvent
posséder ces traits sans jamais devenir leaders. Pourtant, malgré ces
résultats peu probants, on assiste aujourd’hui à un renouveau d’intérêt pour
l’approche personnologique (Avolio, 2007 ; Yukl, 2005 ; Zaccaro, 2007). Si
on peut penser qu’il est dû au moins en partie au biais dispositionnel2
particulièrement actif dans les sociétés libérales et individualistes où ont
précisément lieu ces recherches, il reflète aussi la persistance à vouloir
résoudre cette énigme : y a-t-il un noyau commun dans le « hors du
commun » de leaders aussi divers que Jehanne d’Arc, Mao, Mère Teresa,
Obama, etc. ?
Quoi qu’il en soit, le point critique de ces études, c’est qu’elles
décontextualisent les caractéristiques personnelles. Or « c’est l’occasion qui
fait le larron », les caractéristiques des gens sont une production du contexte
où ils sont plongés (Turner, Reynolds, Haslam et Veenstra, 2006). En fait,
ces études ont montré que tel ou tel trait du leader, probant dans une
situation, ne l’était pas dans une autre, la recherche s’est alors engagée sur
dans une approche situationnelle du leadership.
2.1.2 Approche situationnelle
« Être a la bonne place au moment », c’est ainsi qu’on peut résumer le
propos de cette approche, qui accorde toute son importance aux
circonstances dans lesquelles émerge le leader, d’où l’attention portée aux
facteurs situationnels du leadership. Sa version la plus soft, issue du
renouveau de l’approche personnologique, consiste à reconnaître que tous
les traits de personnalité ne sont pas fixés une fois pour toutes mais
dépendent du contexte (Avolio, 2007). Dans sa version la plus hard, cette
approche considère que c’est la situation uniquement qui crée le leader. Les
recherches de Bavelas (1950), de Leavitt (1951), de Flament (1965) sur les
réseaux de communication ont ainsi montré que, dans les réseaux
décentralisés où chacun a un accès égal à l’information, aucun leader ne se
dégage. En revanche, dans les réseaux centralisés c’est l’individu quel qu’il
soit qui occupe la position centrale où transite toute l’information qui assure
le rôle de leader.
Ces résultats soulignent que dans une situation donnée le leader est celui
qui permet au groupe d’atteindre ses objectifs. Dans un groupe de travail,
c’est celui qui dispose de l’ensemble de l’information nécessaire qui est
effectivement le mieux placé pour devenir leader. Mais ce constat est
généralisable à d’autres groupes. Imaginez par exemple une réception où
sous l’éclat des lustres un grand nombre d’invités gravitent, un verre de
champagne à la main, autour de la maîtresse de maison. Lorsque le drame
arrive et que l’incendie se déclare, très vite, c’est l’invité passé inaperçu
jusque-là et par ailleurs pompier volontaire qui, organisant les secours,
devient le leader.
La plupart des psychologues sociaux cependant n’ont pas adopté une
position aussi extrême. Ils remarquent en effet que lorsqu’un grand nombre
de personnes se retrouve dans la même situation et souhaitent y réagir, ce
n’est pas n’importe qui qui prend les choses en main et entraîne l’action
déterminante. En 1789, il y a eu un grand nombre de révolutionnaires mais
un seul Mirabeau ; dans les années 1990, un grand nombre de militants anti-
OGM mais un seul José Bové, etc. Il ne s’agit donc pas de nier l’impact des
facteurs personnels, mais de considérer qu’ils ne sont qu’une des variables
qui entrent en jeu dans l’émergence et l’exercice du leadership, l’autre
facteur déterminant étant la situation. Cette option interactionniste dont
Gibb (1947, 1958) est un des principaux promoteurs est en phase avec le
postulat lewinien selon lequel les conduites humaines sont à envisager
comme la résultante de l’interaction de variables psychologiques
individuelles et de variables contextuelles renvoyant aux situations dans
lesquelles les conduites se développent. Selon cette option, ce sont certaines
circonstances sociales et situationnelles qui font de certains attributs de la
personnalité des attributs de leader, dans ces circonstances spécifiques et
pas dans d’autres. C’est déjà ce qu’avait observé Trasher (1927) dans son
étude sur les gangs de jeunes à Chicago. Ainsi, rien n’est jamais certain et
fixé par avance, d’où la nécessité d’étudier comment et à quelles conditions
s’opère le l’ajustement entre données personnologiques et facteurs
contextuels d’où émerge le leader comme « homme de la situation ».
Vous le voyez, on ne naît pas leader. « L’étoffe du chef » n’est pas donnée
au berceau par une fée bienveillante mais résulte d’un tissage complexe où
s’entremêlent facteurs personnels et facteurs situationnels. Une telle
perspective rend bien sûr obsolètes, inappropriées et réductrices les
analyses qui rendent compte des grands évènements de l’histoire par la
seule psychologie de leurs meneurs. Une telle perspective rend au contraire
complètement nécessaire de prendre en considération un des éléments
essentiels de la situation, les suiveurs, sans lesquels les meneurs
n’existeraient pas.

2.2 Pas de leaders sans suiveurs


Énoncer cette évidence introduit de plain-pied à une analyse du leadership
comme relation, et plus particulièrement comme nous l’évoquions dès le
début de ce chapitre comme relation d’influence. Cette influence est
mutuelle, car si le leader apparaît comme la personne la plus influente, les
suiveurs en exercent également au point qu’on a pu considérer que ce sont
les suiveurs qui font le leader puisque ce dernier n’existe que dans la
mesure où il incarne leurs attentes (cf. encart 41).

Encart 41 – Les leaders dépendent des suiveurs : le cas des


prisons
Plusieurs films, dont Le Prophète de Jacques Audiard (2008), ont
mis en scène l’emprise et la violence des « caïds » dans les
prisons. Mais une approche scientifique déjà ancienne (Schrag,
1954) a pu mettre en évidence qu’il n’existe pas un prototype
unique du leader en milieu carcéral, car celui-ci varie en fonction
des attentes des prisonniers, étant en quelque sorte « à leur
image ». Ainsi dans une prison pour criminels endurcis, les
leaders étaient ceux qui avaient commis des crimes violents,
étaient impliqués dans des bagarres de prisonniers, avaient fait
l’objet d’une condamnation pour une longue période, etc. Dans
une prison où l’accent était mis sur la réhabilitation, les leaders
n’étaient pas les prisonniers les plus violents mais ceux qui
faisaient preuve d’une bonne conduite et d’un esprit de
coopération avec les autorités.

2.2.1 Le rôle des perceptions


C’est donc le fait d’être reconnu par les suiveurs comme la personne qui
sait répondre à leurs attentes qui fait d’elle le leader. À ce propos l’approche
cognitive (Fiske et Taylor, 1991) appliquée au leadership a mis en évidence
un phénomène intéressant : bien souvent ce n’est pas tant sur les conduites
et les actions effectives de la personne qu’est appuyée cette reconnaissance
que sur les perceptions plus ou moins réalistes des suiveurs. En effet, ces
perceptions s’appuient sur les théories implicites du leadership3 et les
stéréotypes que les suiveurs ont des leaders c’est-à-dire sur des structures de
connaissance stockées en mémoire, « prêtes à servir » et qui, appliquées à
un donné, guident le traitement de l’information à propos de ce donné et
orientent très rapidement la perception (Hollander, 1992). C’est en ce sens
que le leadership a pu être défini comme le fait d’être perçu par les autres
comme un leader (Lord, Foti et Phillip, 1982 ; Lord et Maher, 1990, 1991).
Dans les groupes de travail par exemple, l’émergence de rôles différenciés,
dont celui de leader, peut être très rapide, avoir lieu dès le début de la
rencontre entre les partenaires (Barchas et Fisek, 1984), donc avant que les
uns et les autres aient pu fournir les preuves de leur compétence par rapport
au travail à faire. En fait, en s’appuyant sur leurs théories implicites et à
partir d’indices perceptifs tels que la manière de s’habiller, de s’exprimer, le
sexe ou l’âge, etc., les partenaires font des prévisions sur les contributions
probables de chacun (Berger et Zelditch, 1985) à partir desquelles la
différenciation des rôles dont celui de leader se met en place. Ce qui est
intéressant à noter, c’est que, petit à petit, les comportements s’adaptent aux
perceptions : ainsi, par exemple, ceux qui sont vus comme capables
d’initiative le deviennent. Ce phénomène aboutit à une relative stabilisation
de la structuration du groupe autour de son leader, même si la qualité des
contributions ultérieures peut faire bouger les lignes… sauf pour ceux qui
au départ n’avaient pas provoqué de fortes attentes et qui ont beaucoup de
mal à prouver leur valeur…
Ce qui frappe dans cette approche, c’est qu’elle aboutit à considérer le
leadership comme un phénomène assez rigide puisque préformaté en
quelque sorte par les attentes préalables des suiveurs. Mais, comme il
apparaît dans des recherches plus récentes (Shondrick et Lord, 2010), les
suiveurs eux aussi sont la cible de théories implicites de la part des leaders !
Le leadership apparaît alors comme un phénomène structuré par les théories
implicites des deux parties, avec ce que ces théories peuvent contenir d’a
priori plus ou moins rigides, certes, mais qui impliquent nécessairement
pour être effectives un processus d’ajustement mutuel. Voyons ce qu’il en
est en nous focalisant sur l’interaction concrète entre leader et suiveurs, à
propos de laquelle les recherches ont mis en particulier en évidence deux
types de leaders.

2.2.2 Le leadership transactionnel


Le leader transactionnel ne se maintient comme tel que s’il répond aux
attentes aux objectifs particuliers aux valeurs de ses coéquipiers. Il se met
donc en phase avec les membres du groupe, en respectant leurs attentes, en
les soutenant au jour le jour dans la tâche attendue d’eux (Judge, Bono, Ilies
et Gerhart, 2002). En fait selon le modèle de l’échange social (Homans,
1961) très prégnant dans cette approche, si les choses se passent ainsi c’est
que le leadership est le résultat d’une sorte de transaction implicite entre les
membres d’un groupe, qui porte sur les profits que les uns et les autres
espèrent tirer de leur participation au groupe. Plus un individu apporte de
bénéfices à un groupe en respectant ses normes et usages et en contribuant à
l’atteinte de ses objectifs, plus le groupe le récompense en acceptant son
influence et en faisant de lui un leader. Dans la transaction ce dernier gagne
une position distinctive, les autres le confort et la sécurité de se reposer sur
lui, d’être guidé par lui. Mais la position de leader n’est pas acquise une fois
pour toutes : s’il se conforme moins aux attentes du groupe il perd de son
influence, à moins qu’il ait pu par ses contributions antérieures se constituer
une réserve de crédit personnel (idiosyncrasy credit, Hollander, 1958) qui
lui permet momentanément de s’écarter de ce que ses co-équipiers
attendent.(cf. encart 42).

Encart 42 – Comment rester leader dans un groupe ?


Une étude expérimentale s’appuyant sur le modèle de l’échange
social montre que c’est une question de dosage entre les
bénéfices et les coûts apportés au groupe, et de crédit que le
leader a pu se constituer.
Des groupes de cinq personnes travaillaient à une tâche difficile
qui impliquait plusieurs prises de décisions (Hollander, 1958) en
fonction desquelles le groupe recevait plus ou moins d’argent.
Préalablement au travail lui-même des règles concernant les
modalités de la communication et de la prise de décision ont été
établies. Un des membres (en fait en compère de
l’expérimentateur) fournissait régulièrement les meilleures
solutions, mais il déviait régulièrement des règles établies, en
n’attendant pas son tour de parole par exemple. Au début du
travail de groupe, ses écarts à la règle provoquaient des réactions
négatives. Ensuite, malgré ses écarts, les autres suivaient
volontiers les propositions de ce participant qui, de fait, leur faisait
gagner de l’argent. Mais progressivement, et comme le
comportement déviant persistait, ses solutions furent moins
acceptées, indice de sa perte d’influence, alors même qu’elles
restaient les plus pertinentes.
Cet exemple de la vie courante renvoie au même phénomène :
Max, dont l’humour ravageur fait tellement rire, est depuis
longtemps le leader de ce groupe d’amis… Et on lui passe bien
des caprices. Pourtant, on apprécie de moins en moins que,
contrairement à l’usage, il arrive toujours les mains vides aux
soirées organisées chez les uns et les autres. Du coup, depuis
quelque temps il fait moins rire, il perd de son ascendant.
Certains chercheurs (Bass, 1985 ; Judge et Piccolo, 2004) ont recherché
les manifestations de ce mode de leadership en entreprise. La transaction
concerne alors les récompenses les avertissements et punitions que le chef
distribue selon que les employés atteignent ou non les objectifs qu’il a
préalablement clairement présentés. On voit bien dans ces études la
confusion conceptuelle signalée au début de ce chapitre, puisqu’il y est
moins question de l’influence du leader que du pouvoir de récompense et de
punition du chef.
2.2.3 Le leadership transformationnel
Alors que le leader transactionnel se caractérise par une gestion
contractuelle à court terme et la capacité à apporter des réponses aux
attentes des membres, le leader transformationnel conceptualisé pour la
première fois par Burns (1978)4 cherche à transformer ces attentes en
s’inscrivant dans le long terme et en encourageant à transcender les intérêts
et besoins individuels par des espoirs et aspirations collectives. La mise en
œuvre de ce type de leadership implique en particulier quatre composantes
(Bass et Riggio, 2006 ; Judge et Piccolo, 2004) :
• proposer une vision créatrice qui jette un pont entre le présent et l’avenir
et constitue un idéal collectif dans lequel les suiveurs peuvent se projeter ;
• susciter l’adhésion à cette vision, aux valeurs qui la sous-tendent et la
mobilisation des énergies pour s’y engager (voir encart 43).

Encart 43 – L’idéal collectif comme moteur de l’engagement


« Elle nous faisait sentir qu’on se battait pour une cause qui nous
dépassait. » Voilà comment un jeune homme exprime son
admiration pour Florence Scala, qui dans le sillon de la sociologue
Jane Addams fondatrice de l’Aide sociale américaine et de Jessie
Binford présidente de la Juvenile Protection Association,
s’engagea activement dans les années 1960 dans la vie
associative à Chicago et mobilisa les habitants d’un des plus
vieux quartiers populaires de cette ville dans la lutte contre la
destruction de ce quartier, programmée sous prétexte de
rénovation urbaine.

• donner l’exemple de la constance et de l’opiniâtreté dans l’action, de la


résistance aux difficultés. Susciter ainsi la confiance des suiveurs leur
identification au leader et l’internalisation de l’idéal. L’effet Wallenda est
un des aspects de cette opiniâtreté exemplaire (voir encart 44).
• stimuler intellectuellement les suiveurs, c’est-à-dire les encourager à être
créatifs, à remettre en question les façons habituelles d’agir et de penser et
en envisager de nouvelles.

Encart 44 – L’effet Wallenda


En référence à Wallenda, le célèbre funambule qui marchait sur
son fil en s’efforçant de ne pas penser à la chute possible, « l’effet
Wallenda » est la capacité du leader de ne pas se laisser
déstabiliser par les difficultés et les échecs possibles (Bennis et
Nanus, 1985).

Le leadership transformationnel apparaît très différent du leadership


transactionnel au regard, en particulier, du rôle inexistant des récompenses
et des punitions, et de la composante émotionnelle de la relation suiveurs-
leader, caractéristiques du seul leadership transformationnel. De plus, en
accord avec l’approche situationnelle du leadership, il apparaît que les
époques instables et de crises sont particulièrement favorables au leadership
transformationnel. Mais l’interaction concrète leader/suiveur ne peut durer
que si elle rend capable de réagir à l’imprévu, c’est-à-dire si les partenaires
sont suffisamment flexibles pour s’adapter les uns aux autres et aux
évènements. Cette flexibilité est particulièrement nécessaire pour le
leadership transformationnel dont le terreau n’est pas la réalité sociale telle
qu’elle est mais telle qu’elle est souhaitée, ce qui implique l’abandon des
cadres de pensée et d’action habituels.
Cette dimension visionnaire de leaders transformationnels est également
ce qui caractérise les leaders charismatiques (Marturano et Arsenault, 2008)
qui parviennent à provoquer l’enthousiasme de ceux qui les suivent, et à les
entraîner au-delà de buts habituels du groupe, dans de grands projets censés
représenter l’intérêt collectif. Il faut dire que les dimensions inconscientes
et émotionnelles de la relation entre un leader et les suiveurs sont
particulièrement prégnantes dans le cas du leader charismatique.

Encart 45 – Le charisme
C’est Max Weber (1921) qui le premier donna un nom, le
charisme, à cette force mystérieuse, originellement considérée
comme un pouvoir magique ou un don des dieux, et qui permet à
certaines personnes de provoquer l’enthousiasme, l’admiration,
l’attachement, voire une dévotion irrationnelle, et d’être suivies
dans leurs entreprises. Il est intéressant de noter que la définition
du charisme a évolué chez et depuis Max Weber, et que cette
évolution a suivi les grandes étapes de l’étude du leadership.
Ainsi, d’abord considéré comme un attribut personnel réservé à
des hommes hors du commun, à la suite de Max Weber, de
nombreux chercheurs ont décrit le charisme comme résultant non
de qualités objectives mais de la croyance des suiveurs en ces
qualités extraordinaires, croyance qui agit, selon la formule
frappante de Moscovici dans sa belle analyse du charisme5,
comme un « placebo symbolique ». Puis c’est sur la spécificité de
la relation leader charismatique/suiveurs que l’accent a été mis,
relation irrationnelle dont les soubassements sont inconscients.
Enfin, sous l’angle de la théorie de l’identité sociale, le leader
charismatique est la personne capable de transformer une
collection de personnes disparates en une force sociale, qui se
constitue en partageant une identité et un projet communs, un
« nous » orienté vers le futur, dont l’ambition est de surmonter la
pesanteur du monde tel qu’il est pour créer un monde tel qu’il est
souhaité. Ce sont les circonstances et le contexte social qui
déterminent, comme l’a montré l’approche situationnelle, la
spécificité de ce que le leader charismatique propose et la
manière dont il le propose : de Gaulle créa la Résistance en
partageant avec une partie de ses concitoyens sa conviction que
la France vaincue était une aberration. Son ton était grave, sa
posture héroïque. C’est alors que les États-Unis étaient
confrontés à la Grande Dépression que Roosevelt mit en œuvre
son programme de relance de l’économie et de lutte contre le
chômage qui redonna espoir aux pauvres, aux travailleurs, aux
minorités ethniques, à qui il s’adressait directement par le biais
d’émissions radiophoniques (les fireside chats, « causeries au
coin du feu »).

2.3 Le groupe comme matrice commune du


leader et des suiveurs
Pour poursuivre notre analyse du leadership, il nous faut maintenant
« mettre les pieds dans le plat » en rendant explicite ce qui dans les pages
précédentes n’est évoqué qu’entre les lignes : le fait que la relation
leadeur/suiveurs se développe toujours à l’intérieur de quelque formation
collective, de quelque groupe, quelle que soit sa nature – équipe de sport,
parti politique, groupe de travail, bande d’amis, groupe national,
syndicat, etc. –, que l’entité soit déjà existante ou en train de se former.
Leader et suiveurs sont donc liés par la même appartenance groupale (cf.
encart 40). Il est temps de prendre la mesure d’un tel constat, en sachant
que l’appréhension du leadership à ce niveau groupal s’est développée
selon trois axes, disparates quant à leurs angles d’approche, et dont les
apparitions se sont succédé dans le temps.

2.3.1 L’approche psychanalytique


On a coutume d’associer la psychanalyse à l’étude du psychisme
individuel. C’est oublier qu’une part importante de l’œuvre de Freud6
concerne les processus collectifs, la psychologie des foules, la nature et les
modalités du lien social dans la constitution duquel il fait jouer au meneur
un rôle majeur. C’est pourquoi, bien qu’il ne soit pas courant pour des
psychologues sociaux expérimentaux de l’évoquer7, il nous paraît judicieux
de le faire. D’ailleurs cette approche, depuis la Seconde Guerre mondiale, a
nourri l’approche clinique des groupes et dans son sillage bon nombre de
pratiques de formation, de thérapie de groupe et d’intervention dans les
organisations. Ses apports les plus remarquables concernant le leadership
sont les suivants :
• Elle a identifié le leader comme étant celui qui suscite le processus de la
formation du groupe à travers les réactions émotionnelles à son égard
(Freud, 1921).
• Elle a établi que l’identification était le mécanisme constitutif des liens
groupaux et montré le rôle moteur de l’idéal dans la formation d’un
groupe autour de son leader (Freud, 1921).
• Elle a décelé que l’un des éléments primaires de la cohésion reliant des
individus dans des associations humaines institutionnalisées est la défense
contre l’anxiété (Jaques, 1955).
• Elle a montré (Bion, 1965) que la dépendance au leader est à comprendre
comme un schème de fonctionnement inconscient du groupe qui renvoie à
son besoin de sécurité.
• Elle a eu le mérite de mettre en évidence et d’explorer la composante
imaginaire8 de la relation entre le groupe et la réalité (« le groupe c’est un
rêve », Anzieu, 1975, p. 146), entre les différents membres du groupe,
entre les membres et le leader.

Encart 46 – L’approche freudienne du leadership


Freud a initié l’approche psychanalytique de leadership à travers
l’analyse du rapport des membres d’un groupe et leur chef. Il en a
fourni une compréhension spécifique en le considérant comme un
phénomène de groupe à part entière et en mettant l’accent sur sa
dimension inconsciente et affective. Freud (1921) considère que
le lien groupal est de nature affective et qu’il a pour enjeu l’amour
du chef. En effet, pour lui, « l’homme est un animal de horde,
c’est-à-dire un élément constitutif d’une horde conduite par un
chef ».
Pour Freud le lien groupal a pour origine la rivalité entre les
enfants pour obtenir l’amour du père et la jalousie qui en découle.
En effet, le lien groupal se développe pour surmonter cette
jalousie à partir de l’illusion que chacun est aimé d’un amour égal.
L’exigence d’égalité permet ainsi de surmonter la déception de
n’être pas le préféré. Et pour Freud toutes les manifestations dont
on constate l’efficacité dans la vie sociale (esprit de corps,
solidarité, souci du bien commun) découlent de cette jalousie
première.
On peut considérer qu’une formation collective est une
communauté affective constituée inconsciemment par le lien qui
rattache chacun au chef. Aussi, précise Freud, si la nouvelle de sa
disparition, vraie ou fausse, se propage, cela provoque la panique
qui aboutit le plus souvent à la désagrégation du groupe.
Cette analyse qui met l’accent sur les aspects irrationnels
émotionnels et inconscients du lien entre leader (chef) et suiveurs
est susceptible de lever le voile sur ce que d’aucuns considèrent
comme le « mystère » du charisme.

2.3.2 L’approche fonctionnaliste


Dans cette approche, le pouvoir est appréhendé au niveau du groupe
(Stolte, Fine et Cook, 2001), avec des travaux non plus centrés
exclusivement sur le leader ou le chef, mais sur le groupe et son
fonctionnement. Dans la lignée des fameuses recherches de Lewin et de ses
collaborateurs Lippit et White sur l’impact des styles de commandement su
les climats du groupe (voir chapitre 4, encart 23), on cherche alors à repérer
les différents éléments qui interfèrent dans une situation de groupe et
comment la manière dont il est conduit joue sur cette interférence (Blank,
Weitzel et Green, 1990). Sont particulièrement pris en compte et étudiés :
• la nature de la tâche (Ayman, Chemers et Fiedler, 1995) ;
• l’état d’esprit des membres du groupe (Hersey et Blanchard, 1993) ;
• la composition du groupe (Keinan, Koren, 2002) ;
• les attentes et les perceptions des membres du groupe (Kenney,
Blascovitch et Shaver, 1994), leurs émotions (Oberlé, 2016) et leurs
théories implicites en particulier vis-à-vis du leader et/ou chef (Epitropaki
et Martin, 2004) ;
• les styles de leadership (Fiedler, 1971 ; Northouse, 2007 ; Ayman,
Chemers et Fiedler, 2007) et de commandement (Foels, Driskell, Mullen
et Salas, 2000).
Dans cette optique, on n’est plus centré sur les caractéristiques du leader
et/ou du chef mais sur la pertinence de ses actes et de ses attitudes – en
particulier au regard des attentes de ses collaborateurs – et sur les variations
de son influence, compte tenu des différents éléments qui entrent en ligne
de compte.
Plus fondamentalement, c’est progressivement la conception du leadership
qui évolue. Celui-ci n’est plus considéré comme l’attribut d’un seul, mais
comme l’ensemble des fonctions nécessaires pour qu’un groupe puisse
atteindre ses objectifs, et celles-ci ne sont pas forcément assumées par un
seul individu, mais peuvent être réparties entre plusieurs. Les travaux qui se
sont développés dans cette perspective se sont appuyés sur des observations
de petits groupes éphémères, constitués pour les besoins de la recherche.
Mais leurs retombées pratiques (comment améliorer les performances d’un
groupe ?) ont amené à leur reprise ou leur prolongement dans des groupes
naturels plus stables et dans les organisations.
p Les deux fonctions du leadership
En fait, comme le montre un nombre important de travaux effectués
notamment dans les années 1950 dans les universités de l’Ohio et du
Michigan, on découvre que deux fonctions doivent être prises en charge par
un (ou deux) leader(s) pour que le groupe fonctionne bien. L’une concerne
l’atteinte des buts du groupe et ce qui peut être mis en œuvre en ce sens. On
touche là aux aspects opératoires, techniques et méthodologiques centrés
sur la production du groupe (que celle-ci concerne le bilan d’un conseil
d’administration ou la préparation d’une fête, autrement dit, quel que soit
l’objectif). L’autre concerne la conservation du groupe et regroupe les
comportements par lesquels le leader préserve ou développe la cohésion et
un climat qui donne envie aux participants de rester dans le groupe et de s’y
investir. Ce sont ici les aspects relationnels, émotionnels et affectifs qui sont
concernés.
Mais, en définitive, la mise en œuvre de ces deux fonctions, à elle seule,
ne permet pas à tous les coups de préjuger de l’efficacité et de la
satisfaction des membres d’un groupe car d’autres éléments en rapport avec
le contexte entrent en jeu : les moyens mis à disposition, la flexibilité et
l’adaptabilité des membres du groupe et du leader à ce qui arrive (voir page
suivante) et bien sûr le degré d’adhésion des membres à l’objectif. Dans la
section 2.3.3, on verra à quelles conditions cette adhésion peut advenir.

Encart 47 – Pour un groupe attelé à une tâche : les différentes


fonctions à mettre en œuvre
Fonction de production
– Fournir des idées.
– Partager des informations.
– Proposer des solutions, etc.
Fonction de facilitation
– Exposer clairement l’objectif.
– Définir clairement les étapes.
– Proposer une procédure.
– Utiliser tableaux, vidéos, etc.
Fonction de régulation
– Rechercher une participation équilibrée.
– Soulager les tensions, proposer des pauses.
– Utiliser les compétences de chacun, etc.
Fonction d’élucidation
– Élucider le fonctionnement du groupe.
– Faire émerger le non-dit.
– Expliciter les conflits latents.

p La nécessaire adaptabilité
Cette nécessaire adaptabilité est en effet la conclusion qu’on doit tirer des
résultats obtenus dans le cadre des modèles de contingence. Arrêtons-nous-
y un instant. Leur postulat est le suivant : l’efficacité du leader/chef est
contingente, car dépendant de l’interaction entre sa manière de s’y prendre
et les caractéristiques de la situation. Fiedler (1967) qui a initié cette
approche considère que trois éléments de cette situation sont déterminants :
• les rapports affectifs entre le leader/chef et les suiveurs/subordonné plus
ou moins bons ou médiocres, et qui déterminent sa popularité ;
• la structure de la tâche à laquelle le groupe s’attelle qui dépend de la clarté
des objectifs, de la précision de sa définition, du plus ou moins grand
nombre de moyens possibles pour arriver au but, de la spécificité des
solutions (unique ou plurielle) ;
• la dose de pouvoir dont dispose le leader/chef en ayant ou non les moyens
de récompenser ou de punir.
Grâce à de nombreuses observations dans des groupes divers (officiers de
marine, orchestre, joueurs de basket, comités directoriaux, etc.), dans
lesquelles ils distinguent les leaders orientés vers la tâche de ceux orientés
vers le groupe, Fiedler et ses collaborateurs concluent que le leader orienté
vers la tâche facilite l’atteinte des objectifs du groupe quand la situation lui
est très favorable, c’est-à-dire quand il a de bonnes relations avec les
participants que la tâche est bien structurée et qu’il a à sa disposition des
renforcements positifs ou négatifs à distribuer, et aussi quand la situation lui
est défavorable (mauvaise popularité, tâche peu structurée, pas de pouvoir
de récompense ou de punition). En effet, dans ce cas, c’est parce qu’il
oriente clairement et cadre les membres vers l’objectif, que tout ne part pas
à vau l’eau. Quant au leader centré sur les personnes et sur le groupe, il
n’est efficace que dans les situations intermédiaires, c’est-à-dire qui lui sont
a priori ni très favorables ni très défavorables. Plusieurs conclusions
s’imposent. L’une est triviale, car elle n’est un scoop pour personne :
lorsqu’un responsable dispose d’un fouet et d’une carotte, point n’est besoin
qu’il prenne du temps (d’aucuns diront donc « qu’il perde du temps ») à
écouter, à réguler, à respecter et à motiver ses troupes. Il s’agit là d’un
constat qui bat en brèche l’espoir qui avait été mis, en pleine guerre
mondiale, dans le leadership démocratique par Lippit et White. Ce constat,
appliqué à la lettre, fait des ravages humains comme le montre aujourd’hui
la triste série des suicides en entreprise.
2.3.3 L’approche identitaire
La théorisation du leadership la plus récente et aussi la plus novatrice
trouve son inspiration dans la théorie de l’identité sociale (Haslam, Reicher
et Platow, 2011) et a donc pour cadre l’approche catégorielle des groupes.
Rappelons que cette théorie stipule que nos appartenances groupales sont
essentielles à notre définition de nous-mêmes, et que c’est un contexte
intergroupe qui les rend saillantes. Ainsi, ceux qui dans un contexte donné
se perçoivent comme partageant une identité sociale avec d’autres, forment
avec eux un « nous », sont prêts à se rapprocher d’eux, à se mettre d’accord
sur ce qui est important pour eux, à se coordonner pour atteindre des
objectifs qu’ils se donnent ensemble, à court moyen ou long terme. En effet,
l’identité sociale partagée ne concerne pas seulement ce que nous sommes
en tant que groupe ou formation collective, mais aussi ce que nous voulons
être, c’est-à-dire qu’elle engage le futur et, dans ce futur, la place et la
spécificité de ce qui est voulu pour l’entité en question. Pensez à l’évolution
du rôle de la femme, à la conquête de sa liberté, à toutes les luttes qui ont
accompagné cette évolution et au rôle majeur qu’y ont joué Gisèle Halimi
et Simone Weil, et vous comprendrez qu’identité sociale et leadership
peuvent aller la main dans la main, le leader étant celui qui orchestre et
fabrique une version attractive de l’identité groupale. Haslam et al. (2011)
étayent cette nouvelle conception du leadership sur les quatre conditions
grâce auxquelles ce leadership devient effectif. Il vaut la peine de s’y
attarder un instant.
1. Devient leader celui qui correspond le mieux au prototype du groupe.
Plus un individu est représentatif d’une identité sociale donnée, plus il est
clairement perçu comme « l’un des nôtres », plus il est influent et plus il
va être suivi. On est là aux antipodes de l’approche traditionnelle dans
laquelle le leader est caractérisé par le fait d’être différent (et supérieur)
des (aux) suiveurs. Pourtant des recherches démontrent clairement que la
prototypicalité, qui dépend d’une différenciation entre groupes (et non pas
entre membres d’un même groupe), est une condition sine qua non du
leadership et plus précisément du charisme (Platow, van Knippenberg,
Haslam, van Knippenberg, et Spears, 2006).
2. Va rester leader celui qui agit comme le champion du groupe. En effet, il
ne suffit pas au leader d’être dans et du groupe. Il lui faut agir pour ce
dernier, dans le sens de ses valeurs et de ses intérêts. Émanant du groupe,
le leader est aussi celui qui s’en fait le champion en manifestant par ses
actes qu’il défend non pas ses intérêts personnels où ceux d’un groupe
extérieur mais ceux du groupe propre. C’est à cette condition que peuvent
prendre forme et être défendus avec enthousiasme une vision collective et
un projet distinctif du groupe.
3. Pour être effectif, le leader doit être un « entrepreneur d’identité ». Il doit
préciser en quoi, ce qu’il est, ce qu’il fait, ses idées, la vision qu’il
propose, sont créateurs d’une identité pour le groupe, donnent corps à
cette identité. Ce faisant, il précise ce que signifie le « nous » (ce que
signifie être français, socialiste, antimondialiste, cinéaste de la « nouvelle
vague », écologiste, etc.). C’est en rendant saillantes les normes et les
valeurs sur lesquelles se fonde cette identité commune qu’il le fait. Il rend
alors possible sur la base de l’identification à ces normes et valeurs un
comportement de groupe, grâce auquel les membres peuvent surmonter
leur isolement et leur impuissance et devenir acteurs de leur histoire (voir
aussi à ce propos l’analyse de Sartre au chapitre 4).
4. Pour être effectif et perçu comme légitime, le leader doit traduire dans la
réalité sociale les aspirations du groupe. Ses outils sont :
– le maniement du langage, de la rhétorique pour convaincre de la
consonance entre lui, ses propositions et l’identité du groupe ;
– la mise en œuvre de shows, de rituels, de meetings etc. qui symbolisent
et incarnent l’identité du groupe ;
– la constitution d’une structure (parti politique, association) qui constitue
ses suiveurs en une force sociale pour combattre les projets concurrents,
qui coordonne l’action collective et matérialise l’identité partagée dont
elle procède.
Or, comme nous l’avons vu, toute structuration engendre une
différenciation des statuts avec, la plupart du temps, une concentration du
pouvoir en haut de la hiérarchie. À cette étape, cruciale, la condition du
maintien du leader et du pouvoir qui lui est alors reconnu est qu’il continue
d’être perçu comme le représentant de l’identité du groupe et son pouvoir
comme le pouvoir du groupe (et non sur le groupe)…
Cette nouvelle approche du pouvoir, aux antipodes de l’approche
classique, est une critique radicale de celle-ci. Selon Turner (2005) en effet,
la conception classique ne considère qu’un aspect du pouvoir, celui qui
s’exerce sur les gens. Or il estime qu’il ne s’agit là que d’une vision limitée
car on doit distinguer ce « pouvoir sur » du « pouvoir par », dont l’action ne
s’impose pas d’en haut sur le groupe, mais qui a son origine dans le
« nous » du groupe, dans la volonté commune de parvenir ensemble au but
fixé. Ce but et les actions choisies pour l’atteindre sont typiques du groupe
en question, de sa vision du monde et de la place qu’il revendique dans ce
monde par rapport à d’autres groupes (Simon et Oakes, 2006). Ainsi, dans
cette nouvelle conception du pouvoir (Haslam, Reicher et Platow, 2011),
celui-ci peut être appréhendé, non plus seulement comme l’action d’un seul
sur des individus atomisés, mais aussi comme le propre d’un « nous », d’un
groupe engagé dans l’action collective pour son propre bénéfice et les
changements auxquels il aspire (Drury et Reicher, 2009).

3. Le pouvoir
Au tout début de ce chapitre, nous faisions remarquer que l’assimilation
des notions de chefs et de leaders omniprésente dans les travaux classiques
sur le leadership détourne l’attention du fait que le pouvoir est socialement
institué et concrétisé dans la stratification sociale. Il est temps de prendre
toute la mesure de ce constat en abordant les notions de rôle et de statut.
Puis nous nous pencherons sur les sources du pouvoir et sur les conditions
de sa légitimité. Ensuite, nous verrons que, mise à part l’approche
identitaire évoquée à l’instant, les approches classiques du pouvoir
l’envisagent essentiellement comme un pouvoir sur les groupes et sur les
gens, et qu’alors il a pour corollaire la soumission. Enfin, nous suivrons les
auteurs qui envisagent le pouvoir comme un système.

3.1 Statuts, rôles et pouvoir


3.1.1 Statuts
Dans tout groupe social structuré, les doses et les domaines de
responsabilité et de pouvoir de chacun sont fonction de leur statut. Ces
statuts spécifient les positions des individus les uns par rapport aux autres,
et les droits et les devoirs associés à chaque position sont, suivant
l’ancienneté du groupe et son degré de structuration, plus ou moins
strictement définis. Dans les groupes en formation, dans les groupes
informels, cette définition s’établit par tâtonnements et négociations
implicites entre les membres, et c’est en particulier en fonction de la plus ou
moins grande capacité à prendre des initiatives productives par rapport aux
buts du groupe que la hiérarchie des statuts y compris dans des groupes
d’enfants et d’adolescents s’organise spontanément (Sherif et Sherif, 1969).
Dans les groupes dont la structure est stabilisée, droits et devoirs font
l’objet de règlements, de cahiers des charges, de décrets ou d’arrêtés (dans
la fonction publique) qui formalisent et institutionnalisent la structure
hiérarchique du pouvoir et transforment les différentes fonctions nécessaires
pour l’atteinte des objectifs en obligations pour ceux qui les assument. Dans
tous les cas, les statuts impliquent deux dimensions, l’une évaluative et
l’autre prescriptive (Maisonneuve, 2006).
• La dimension évaluative implique une hiérarchie des statuts telle qu’elle
se manifeste, par exemple, dans l’échelle des statuts socio-économiques,
et renvoie à une stratification sociale. Dans cette perspective, le statut
apparaît essentiellement comme un certain rang dans une échelle de
prestige et de pouvoir qui aboutit à distinguer les bas statuts ou statuts
inférieurs des hauts statuts ou statuts supérieurs (Sachdev et Bourhis,
1987 ; Wagner et Berger, 2002). Bien sûr, les critères utilisés pour
positionner les gens sur cette échelle renvoient aux normes et valeurs de la
société, de la culture ou du groupe en question. Ainsi, le terme « bling
bling » utilisé par certains rappeurs (Cash Money Millionnaires) en
référence au bruit que font les chaînes portées autour du cou, renvoie
aujourd’hui de manière plus large à l’affichage ostentatoire de signes
extérieurs de richesse et est associé aux segments de la société et aux
groupes pour lesquels la valeur étalon de toute chose est l’argent. Dans
d’autres cas (soldats au combat, civils bravant les forces de police dans
une manifestation), l’échelle de prestige et les statuts afférents dépendent
du courage. Dans des groupes de TD d’étudiants, c’est en intervenant
souvent par des questions pertinentes que le prestige s’acquiert. Dans les
groupes de travail, le prestige et le statut qui s’ensuivent viennent de la
compétence relative à la tâche et/ou des compétences en management.
• La dimension prescriptive renvoie au fait que le statut désigne l’ensemble
des attributs liés à la position des individus dans un système social donné,
les comportements auxquels le détenteur peut légitimement s’attendre de
la part des autres et ceux qu’il se doit d’avoir étant donné son statut. Ainsi,
un professeur d’université peut, d’une part, légitimement attendre du
respect de ses étudiants et des collègues plus jeunes que lui et, d’autre
part, la conduite prescrite relative à son statut implique qu’il soit ponctuel,
dévoué à ses étudiants, actif dans la recherche et qu’il prenne sa part de
responsabilités dans la gestion de l’université qui l’emploie. Cette
actualisation du statut dans des conduites spécifiques correspond à une
prise de rôle.

3.1.2 Rôles
Les rôles sont les aspects dynamiques des statuts, c’est-à-dire les
conduites attendues des personnes en fonction de leur statut. De même que
les statuts, les rôles ne prennent leur sens que par rapport à d’autres ; ils
correspondent à des faisceaux d’attentes, qui peuvent rendre la prise de rôle
plus ou moins conflictuelle, en particulier quand les attentes proviennent de
sous-groupes aux intérêts antagonistes (cf. l’exemple classique du
contremaître sur qui convergent les attentes contradictoires de la direction et
de la base) ou tout du moins divergents (les attentes des étudiants vis-à-vis
de leurs professeurs ne sont pas les mêmes que celles des autorités
universitaires ou celles de leurs collègues).
De plus, la prise de rôle ne se réduit pas à l’application de prescriptions :
même si la définition d’un poste ou d’une fonction ne change pas, un
nouveau titulaire ne l’exécute pas exactement de la même manière que
l’ancien. Entrent là en ligne de compte ses propres intérêts, l’importance
qu’il accorde aux différentes tâches contenues dans la définition de sa
fonction, la représentation plus ou moins idéalisée qu’il a de ce rôle et son
système de valeurs. En d’autres termes, le rôle est toujours sujet à
interprétation.
3.1.3 Hiérarchie des statuts et structure de pouvoir
Il découle de ces quelques considérations que le pouvoir ne s’exerce pas
dans une organisation de manière mécanique ou automatique. S’il est en
partie régulé par le jeu des statuts et des rôles, il est en fait la résultante
complexe des prescriptions de l’organisation, des attentes des supérieurs,
des subordonnés et des pairs, des conflits d’intérêt et aussi des
représentations du pouvoir qui sont élaborées par ceux qui l’exercent, qui le
revendiquent ou qui s’y opposent. Il reste que, dans tout système
organisationnel, certains, par la position qu’ils occupent, ont un pouvoir sur
les autres et ce pouvoir est socialement institué. La hiérarchie des statuts
reflète donc la structure de pouvoir et celle-ci détermine pour une grande
part le comportement des individus (encart 48).

Encart 48 – Niveaux hiérarchiques et comportements


Pierre effectue son premier stage en entreprise dans le service
formation d’une grande administration. Un soir, en sortant, il
trébuche malencontreusement et se fait une entorse grave. Le
lendemain matin, il téléphone à la première heure pour s’excuser
de son absence car, pour l’instant, il ne peut plus marcher. Il
tombe sur le sous-chef de son service qui lui répond
cordialement : « C’est entendu Pierre, mais oui, prenez le temps
de vous rétablir ! À bientôt. » Deux jours après, Pierre clopin-
clopant retourne à son travail ; il se réjouit, c’est intéressant, les
gens sont sympas, et ses chefs compréhensifs. À peine est-il
rentré dans le bureau, où se trouvent présents le sous-chef et le
chef que celui-ci furieux s’exclame :
— Mais vous auriez pu prévenir de votre absence !
— Mais…
— C’est inadmissible.
Et le chef s’en va en claquant la porte. Pierre, interloqué, se
retourne vers le sous-chef qui n’a pas dit un mot pendant
l’altercation.
— Mais je vous avais appelé ! Vous m’aviez donné votre accord !
— Oui, enfin… ce n’était pas si clair…
Et lui aussi quitte la pièce avec un rictus gêné.
Pierre s’était forgé ses premières impressions, à travers les
relations interpersonnelles qu’il avait eues avec les uns et les
autres. C’est seulement après cet incident qu’il mesure l’impact de
la structure de pouvoir sur ces interactions. Ce sous-chef qu’il
voyait comme un « type sympa » a profité de la présence d’un
stagiaire pour se comporter en chef libéral et compréhensif mais,
devant son propre chef, il n’a pas assumé son acte. Pierre s’est
rendu compte que les traits de caractère qu’il lui avait attribués et
ceux dont maintenant il a envie de l’affubler (lâche, lavette, etc.)
sont en fait des comportements produits par la structure de
pouvoir dans laquelle les différents protagonistes sont insérés.

3.2 Sources du pouvoir et légitimité


3.2.1 Les bases du pouvoir social selon French et
Raven
Commençons par présenter rapidement l’analyse des sources du pouvoir
de French et Raven (1959), car bien que déjà ancienne, il s’agit d’une
référence quasi incontournable des travaux psychosociaux sur le pouvoir. Et
surtout elle présente un bel exemple du fait que sans un positionnement
clair du côté des structures dans lesquelles et par lesquelles le pouvoir
s’exerce, il y a confusion possible avec l’influence, alors même que le
propos affiché des auteurs est bien le pouvoir (voir le terme power dans leur
titre).
Voici selon ces auteurs les sources du pouvoir :
• Pouvoir de récompense. C’est une des prérogatives du pouvoir (par
exemple, accorder une augmentation) mais qui existe aussi dans une
relation interindividuelle où la récompense peut s’inscrire dans une
relation affective ou de chantage.
• Pouvoir de punition. C’est aussi une prérogative du pouvoir qui existe
aussi dans une relation interindividuelle (par exemple, le racketteur et sa
victime).
• Pouvoir légitime. Si cette légitimité procède de la position occupée dans
une structure hiérarchique, c’est une source de pouvoir.
• Pouvoir d’expertise. Il s’agit typiquement de l’influence qui se
développe couramment dans des groupes de pairs ou de la part de
techniciens sur leur chef… qui reste nonobstant leur chef.
• Pouvoir de référence. Il est basé sur l’identification à une personne
attractive ; il s’agit d’influence entraînant adhésion et conformisme.
3.2.2 Pouvoir et légitimité selon Max Weber
Pour Max Weber (1947 1965), le pouvoir correspond à l’usage légitime de
la violence, et l’autorité est ce qui justifie aux yeux d’une communauté
l’exercice du pouvoir. L’autorité est donc synonyme de pouvoir légitime, et
si Max Weber définit trois types d’autorité, c’est qu’il est amené à identifier
trois types de légitimité (cf. encart 37).

Encart 49 – Les trois types de légitimité du pouvoir selon Max


Weber
L’autorité charismatique
Elle est fondée sur les qualités exceptionnelles du chef, que
celles-ci soient réelles ou prétendues. Ce qui amène les
subordonnés à obéir au chef, ce qui légitime son autorité, c’est
leur croyance en ses dons exceptionnels (cf. les prophètes, un
certain nombre de révolutionnaires ou de chefs politiques, et aussi
des chefs d’entreprise comme Henry Ford). Ce type d’autorité est
instable et s’effondre si la croyance s’affaiblit et n’est pas
confirmée par les victoires, les miracles, les succès et la
prospérité des gouvernés. Dans ce contexte, la question de la
succession est toujours problématique, car la légitimité de ce
pouvoir n’est pas organisée dans un système de normes et
dépend uniquement de la croyance dans les capacités magiques
et surhumaines du chef.
L’autorité traditionnelle
Elle repose sur la norme selon laquelle ce qui a existé est
légitime. Elle s’enracine donc dans les usages et les coutumes, et
elle est renforcée par la succession héréditaire. « Ça a toujours
été comme ça » suffit à légitimer l’autorité du père sur ses
enfants, de l’époux sur sa femme, du contremaître sur ses
ouvriers, etc. Ce type d’autorité pérennise de grandes inégalités.
L’autorité rationnelle-légale
La légitimité de cette autorité s’appuie sur le respect, par le chef et
les subordonnés, de règles établies selon des procédures
rationnelles et formelles. Elle implique une stricte délimitation de
l’autorité de chacun à travers un système hiérarchique et une
dépersonnalisation des rapports : l’accent n’est plus mis sur les
personnes mais sur des fonctions qui impliquent pour ceux qui les
assument des droits et des devoirs clairement établis par des
règlements et des lois.

Ce que propose Max Weber n’est évidemment qu’une typologie et dans la


réalité, on ne trouve jamais un de ces types d’autorité à l’état pur, mais des
combinaisons variables entre elles.
Ainsi, les entreprises et les administrations aujourd’hui sont caractérisées
par la prédominance de l’autorité rationnelle-légale. Mais René Sainsaulieu
(1981) fait remarquer à juste titre qu’une des fonctions des services du
personnel ou des relations humaines est d’entretenir ou de rénover l’esprit
charismatique, à travers lequel on tente de remédier à l’impersonnalité et à
la passivité qu’engendre la stricte observance des règles, et à revaloriser la
notion de chef. De même, l’autorité traditionnelle n’y est pas absente, qui
s’appuie sur la notion de métier par opposition à celle d’emploi et fait
l’objet de stratégies et revendications spécifiques.
La légitimité est donc le pôle antithétique de la force et tout système de
pouvoir se constitue à partir de ces deux références, la force et la légitimité.
La première n’a pas forcément à s’exercer, il suffit qu’elle existe comme
menace. Quant à la seconde, elle est ce par quoi un pouvoir se donne
comme « bien-fondé ». Elle a toujours partie liée avec des systèmes de
représentation et d’explication (idéologies et croyances) qui le légitiment et
qui justifient le type d’organisation sociale qui assure son maintien et son
emprise.
C’est parce qu’il ne peut être réduit à l’exercice de la force (bien que celle-
ci soit un de ses éléments constitutifs) que le pouvoir est un phénomène
complexe et ambigu, qui provoque selon les cas soumission ou révolte,
acquiescement ou même adhésion enthousiaste et qui peut être en même
temps accepté en tant que garant de l’ordre et de la cohésion sociale, envié
ou recherché comme signe de puissance et de reconnaissance sociale, et
contesté car il justifie et entretient les inégalités.

3.3 Le corollaire du pouvoir : la soumission


Une bonne manière d’entrer dans le vif du sujet du pouvoir, c’est de
prendre acte de son corollaire : la soumission. Ce n’est pas seulement dans
des expérimentations spectaculaires comme celles bien connues de Milgram
(1963, 1974)9 que celle-ci est flagrante. Pensez à une de vos journées
ordinaires, n’est-elle pas constituée pour une très grande part d’une
succession d’actes de soumission ? Arriver à l’heure, s’arrêter puisque
l’agent de police fait un signe en ce sens, ne pas prendre l’ascenseur réservé
aux VIP, se rendre à la réunion annoncée, suivre les consignes, remettre le
dossier dans les délais, acquiescer à telle décision du boss alors qu’on est
contre, etc.
On a vu que Milgram rend compte de ses résultats par deux commentaires.
D’une part, il souligne que l’obéissance est le résultat de la socialisation :
on apprend à l’enfant l’obéissance, on la valorise. Pour Mendel (1971), cet
apprentissage prend même la forme d’un chantage affectif : « Oh ! comme
tu fais de la peine à papa et maman quand tu désobéis ! », provoquant chez
l’enfant la crainte de n’être plus aimé s’il manifeste sa volonté propre. À
l’âge adulte, selon cet auteur, c’est la fixation anachronique à ce niveau
psycho-familial (hiérarchisé) qui est le soubassement de la soumission et
rend incapable, au sein d’un groupe de pairs, d’exercer le pouvoir social qui
revient à ce groupe par rapport à d’autres plus élevés dans la hiérarchie.
L’autre commentaire de Milgram renvoie à son concept « d’état
agentique ». Pour Milgram, tout individu, aussi autonome se sent-il par
ailleurs, change d’état psychologique dès qu’il est inséré dans une structure
sociale hiérarchisée. Il ne se vit plus alors que comme l’agent d’exécution
d’une autorité et se contente donc de faire ce qu’on lui demande. Ainsi, il
apparaît que c’est bien dans le cadre des structures formelles que
soumission et pouvoir peuvent être conjointement appréhendées, dans le
rapport nécessairement dissymétrique qu’implique la structuration
hiérarchisée des statuts, où le détenteur de pouvoir commande et le
subordonné obéit.

Encart 50 – Illustrations expérimentales de l’obéissance à


l’autorité
Entre 1960 et 1963, Milgram (1974) mena une série
d’expérimentations pour savoir ce que font les gens lorsqu’ils
reçoivent l’ordre d’avoir un comportement immoral. Des
Américains lambda, sous prétexte de participer à une soi-disant
expérimentation sur le rôle des punitions sur la mémoire,
recevaient l’ordre d’un scientifique présent à leurs côtés d’envoyer
des décharges électriques à un concitoyen inconnu d’eux, chaque
fois qu’il donnait une réponse erronée à une tâche de rappel. Les
décharges allaient de 15 à 450 volts, et à chaque nouvelle erreur,
les sujets devaient administrer un voltage plus élevé que le
précédent. Les résultats furent effarants : 62,5 % des sujets
allèrent jusqu’au voltage maximum ! Cependant, lorsque
l’expérimentateur n’était pas présent et donnait ses ordres par
téléphone le taux d’obéissance diminuait à 20 %. Lorsque deux
expérimentateurs étaient présents et faisaient mine d’être en
désaccord sur le fait de poursuivre l’expérimentation, le taux
d’obéissance chutait à 0 %. Quand deux autres personnes (soi-
disant lambda mais en fait compères de l’expérimentateur),
participant avec le sujet, refusaient de continuer, le taux
d’obéissance descendait à 10 %. Lorsque ce n’était pas
l’expérimentateur mais un des sujets lambda (en fait un compère)
qui donnait les ordres, alors seuls 20 % allaient jusqu’à la
décharge maximale. L’ensemble de ces résultats montrent
clairement que ce qui provoque la soumission n’est pas l’ordre en
lui-même mais le fait qu’il soit donné par une autorité, en
l’occurrence ici une autorité scientifique.
Le fait que les sujets reçoivent une consigne de « libre choix » ne
change pas la donne : comme l’ont montré les chercheurs
travaillant sur la soumission forcée (dans laquelle on amène les
gens à agir contrairement à leurs attitudes ou leurs motivations),
les sujets font ce que demande l’expérimentateur : manger des
mets répugnants, argumenter en faveur d’une cause qu’ils
réprouvent, exécuter une tâche parfaitement ennuyeuse, etc.

3.4 Le pouvoir comme système


Dans cette perspective, on considère qu’on ne peut réduire les
phénomènes de pouvoir à leur dimension relationnelle et que leur étude ne
peut être entreprise sans tenir compte des systèmes sociaux qui les rendent
possibles. C’est donc au niveau de la régulation et du contrôle social qu’ils
organisent qu’il faut chercher à les saisir, dans leur dimension
institutionnelle.
Dans cette optique, le pouvoir, considéré essentiellement comme une
notion sociopolitique, peut être défini comme l’ensemble des processus et
des rôles sociaux par lesquels sont prises et exécutées les décisions qui
obligent et engagent une collectivité et assujettissent ses membres. Cette
définition n’interdit pas une approche psychosociale du pouvoir, centrée
alors sur les mécanismes sociocognitifs selon lesquels s’articulent les
conduites singulières et les logiques sociales.
La mise en évidence de ces mécanismes qui règlent les activités des sujets
dans un système social donné, implique que soient appréhendées
conjointement les régulations institutionnelles (et leurs harmoniques
idéologiques), les conduites sociales et les activités cognitives qui les
guident ou les justifient.

3.4.1 Le système d’emprise


Si ce niveau d’appréhension du pouvoir comme système peut sembler bien
abstrait, la notion de système d’emprise et son étude cherche au contraire à
montrer les multiples répercussions sur les individus de ces mécanismes de
régulation et de contrôle qui, bien qu’organisés dans des sphères de plus en
plus éloignées de l’individu, touchent leur vie quotidienne et les
contraignent.
p Emprise et répercussion
Ainsi le chercheur français Robert Pagès (1973), situant d’emblée la
notion de système d’emprise au niveau des structures macrosociales
contemporaines, insiste cependant sur la nécessité d’une étude
psychosociale à leur sujet. Celle-ci devrait être l’étude des différentes
variables, y compris non psychologiques, qui déterminent les
comportements humains, même si c’est de manière diffuse ou indirecte,
c’est-à-dire au-delà de la sphère où l’action sur autrui s’exerce directement,
par la menace de sanctions ou la persuasion.
Ce qui caractérise les systèmes d’emprise (qui comprennent et les centres
d’emprise et leur mode, et les sujets atteints par l’emprise), ce sont les effets
d’impuissance, de dessaisissement qu’ils produisent sur ceux qui sont
affectés par leur activité, en ce sens qu’ils ne peuvent intervenir sur ce qui
les affecte (par exemple, les retombées radioactives).
On devrait pouvoir caractériser les différents systèmes d’emprise par leur
source, leurs moyens de diffusion, leur zone spatiale, leur durée, leur
population, qui peuvent être aussi virtuels et concerner les futures
générations (cf. certaines répercussions écologiques). En effet un système
d’emprise est d’autant plus puissant, qu’il n’agit pas seulement dans
l’espace mais dans la durée, ses répercussions se propageant dans un avenir
plus ou moins lointain.
Pagès évoque différents types de problèmes qui gagneraient à être étudiés
dans cette optique, et qui montreraient que les systèmes d’emprise orientent
les comportements des individus et les atteignent selon des modes d’impact
variés, non seulement psychologiques, mais aussi physiologiques,
économiques (mode de circulation et de distribution des biens et des
ressources), spatio-temporels (organisation des espaces et du temps),
institutionnels (organisation, hiérarchisation et régulation des groupes
sociaux).
Dans cette perspective, les systèmes d’emprise correspondent à des
champs d’interaction, qui déterminent les comportements humains et sont
produits par eux et dont les effets ne sont pas seulement à considérer d’un
point de vue synchronique, mais aussi d’un point de vue diachronique qui
implique la durée.
p Emprise et dépersonnalisation
Pour le psychosociologue Max Pagès et ses collaborateurs (1979), ce qui
caractérise les systèmes d’emprise, c’est la dépersonnalisation des rapports
de pouvoir qui s’y déploient et qui rendent ce dernier plus impalpable mais
incontournable.
Il s’appuie pour développer son point de vue sur l’analyse de grandes
entreprises multinationales, caractérisées selon lui, non plus par le
gouvernement des ordres, mais par le gouvernement des règles. Celui-ci est
la pierre de touche d’un pouvoir qui doit s’exercer à distance, pour
permettre aux dirigeants de maintenir leur contrôle sur des ensembles de
plus en plus étendus10. C’est donc une direction mondiale qui élabore les
politiques et définit les objectifs. Les conditions de réalisation de ces
objectifs sont très précisément définies par des règles, consignées dans des
manuels, qui codifient les champs d’activité et les champs relationnels de
chacun.
Cependant, un tel système n’est pas vécu comme contraignant, pourquoi ?
• Séparation de la conception, de l’application, du contrôle des règles.
Les promoteurs des règles ne sont pas ceux qui contrôlent leur application,
de sorte qu’ils disparaissent comme principe fondateur, donnant l’illusion
que le système fonctionne tout seul. Comme, de plus, ils tiennent compte,
pour les ériger, des suggestions de ceux qui sont chargés de leur
application, le système n’apparaît pas imposé, mais il semble être le
résultat d’une œuvre collective, construit dans les limites de ce qui
apparaît comme « normal » et qui n’est en fait que le produit de la
structure.
• Illusion de la liberté de choix. La « règle du jeu » étant ainsi posée et
banalisée, il existe une certaine latitude pour l’interpréter qui donne une
impression de liberté et d’autonomie. Mais c’est seulement sur les
modalités d’application des règles que celle-ci peut s’exercer, la logique
qui la fonde ne pouvant être contestée.
• Adhésion aux finalités de l’entreprise. Ainsi mis en place, le système de
règles n’est pas vécu comme contraignant mais protecteur. Il contribue à
faire apparaître comme indissociables les intérêts et la survie de la firme,
ainsi que les intérêts et la sécurité des individus, et favorise donc leur
adhésion aux finalités de l’entreprise. Dès lors, l’efficacité du système ne
vient pas tant de sa rationalité technique, que des représentations que cette
rationalité suscite, autrement dit de sa transformation en valeur, en
système idéologique.

3.4.2 La régulation orthodoxe


Les travaux de Deconchy (1980) sur « l’orthodoxie » mettent en évidence
que, sauf à être vidés de ce qui les constitue, les processus d’influence et de
pouvoir ne sauraient être étudiés en dehors des systèmes institutionnels et
idéologiques dans lesquels ils se développent. Ces systèmes, non seulement
leur servent de cadre, mais, comme s’attache à le démontrer Deconchy, les
rendent possibles et les régulent.
À travers ses travaux, Deconchy vise les groupes dont le consensus s’est
organisé autour d’une croyance ou d’une représentation idéologique, dont
les contenus ne peuvent être ni explorés, ni authentifiés par la démarche
rationnelle, mais qui, aux yeux de ceux qui adhèrent, ont une valeur
informative potentiellement universelle (c’est-à-dire que ces contenus, bien
qu’invérifiables, sont tenus pour vrais, et considérés comme devant être
tenus pour vrais par les adhérents).
Ses recherches portent sur les processus de régulation et de contrôle social
et cognitif à l’œuvre dans ces groupes, à partir d’un ensemble définitionnel
en trois points, développés ci-après, qui caractérise l’orthodoxie.
p Définitions et hypothèse principale
• On peut dire d’un sujet qu’il est orthodoxe lorsque celui-ci accepte et
même demande que sa pensée et ses actes soient régulés par le groupe
idéologique auquel il appartient et, en particulier, par les appareils de
pouvoir de ce groupe.
• On peut dire d’un groupe qu’il est orthodoxe, lorsque ces régulations y
sont effectivement assurées, et qu’elles font partie de la doctrine propre au
groupe.
• L’ensemble des dispositifs sociaux et psychosociaux qui règlent l’activité
du sujet orthodoxe dans le groupe orthodoxe, constitue le système
orthodoxe.
On voit qu’ainsi défini, à partir d’une appréhension conjointe du sujet et
du groupe orthodoxes, le concept d’orthodoxie renvoie à un champ social
organisé et institutionnalisé, à propos duquel Deconchy énonce et vérifie
l’hypothèse suivante :
« En système orthodoxe, la fragilité rationnelle de l’information
est compensée par la vigueur de la régulation » (Deconchy,
1980, p. 16).
Dans cette formulation, la fragilité rationnelle renvoie à l’écart éventuel
que le sujet orthodoxe peut percevoir entre la croyance à laquelle il adhère
(sans pouvoir en vérifier la justesse) et les normes de la rationalité (qui
impliquent la possibilité d’une vérification).
La régulation concerne la plus ou moins forte tendance d’un sujet
orthodoxe à estimer que le respect des croyances qu’il atteste est une
condition pour appartenir au groupe, tandis que l’adhésion à celles qu’il
rejette doit entraîner l’exclusion.
Deconchy a vérifié cette hypothèse auprès des membres de l’Église
catholique et de son appareil de pouvoir dans ses couches inférieures
(prêtres, religieux) grâce à une série d’expériences effectuées dans leur
cadre institutionnel, au cours de cycles de formation.
Si l’expérimentation a été effectuée en milieu religieux, la
conceptualisation de la notion d’orthodoxie et les mécanismes mis en
évidence s’appliquent à toutes les orthodoxies, qu’elles soient religieuses,
politiques, artistiques, etc.
p Expérience princeps
Une première expérience permet à Deconchy de constater qu’après avoir
été amenés à percevoir les écarts entre les croyances qu’ils attestent et les
normes de la raison (grâce à une confrontation à un soi-disant compte rendu
d’une réunion d’un Centre catholique des scientifiques français), les sujets
considèrent, de manière plus rigoureuse qu’avant, que le respect de ces
croyances doit être une condition de l’appartenance à l’Église
(cf. encart 51).

Encart 51 – Le réglage de l’appartenance dans un système


orthodoxe
Pour évaluer dans quelle mesure un énoncé de croyance sert ou
non à régler l’appartenance au groupe, voilà comment s’y prend
Deconchy. Il propose aux sujets une liste de ces énoncés (par
exemple, pour des sujets appartenant à l’Église catholique :
« Dieu a créé tous les êtres » ; « Le croyant sera récompensé
dans l’au-delà » ; « Le baptême fait entrer dans la vie de
Dieu », etc.) et il leur demande de les classer dans une des
catégories suivantes :
– en A pour les propositions qu’ils prennent à leur compte, et dont
ils estiment que toute personne voulant appartenir à l’Église doit
accepter ;
– en B pour les propositions qu’ils prennent à leur compte et dont
ils estiment que quelqu’un qui ne les accepterait pas pourrait
pourtant, le cas échéant, faire partie de l’Église ;
– en C pour les propositions qu’ils ne prennent pas à leur compte
et dont ils estiment que quelqu’un qui les accepterait pourrait
pourtant, le cas échéant, faire partie de l’Église ;
– en D pour les propositions qu’ils ne prennent pas à leur compte
et dont ils estiment qu’il est impossible que quelqu’un qui les
professe reste dans l’Église.
Les positions A et D correspondent à des positions extrêmes, les
positions B et C à des positions libérales. Cette mesure est prise
avant et après la manipulation expérimentale (qui consiste, par
exemple, à mettre en évidence la fragilité rationnelle des
croyances).

C’est dans la mesure où, lors de la deuxième prise de mesures, on constate


des déplacements significatifs des positions libérales aux positions extrêmes
qu’on peut dire que les énoncés de croyance servent à régler l’appartenance
au groupe.
Cette expérience a été suivie de beaucoup d’autres. Toutes confirment
l’hypothèse en montrant que l’adhésion à des croyances interfère avec des
régulations sociales : la mise en évidence de la fragilité rationnelle des
croyances aboutit à un renforcement de la régulation et quand celle-ci
apparaît plus faible, c’est la fragilité rationnelle des croyances qui devient
évidente.
On voit que contrôle qui s’exerce en système orthodoxe est à la fois social
et cognitif, de sorte que l’adhésion à un ordre social et l’adhésion au corpus
de croyances qui le régule et qui est régulé par lui, sont les deux faces
imbriquées d’un même processus (cf. encart 52).

Encart 52 – À propos des idéologies


« Les idéologies ne sont pas des façons de voir le monde mais de
s’organiser dans le monde […] Le principe d’explication des
croyances ne fait qu’un avec le principe générateur des
communautés de croyance » (R. Debray, Critique de la raison
politique, Gallimard, 1981, p. 255).
Pour expliquer les idéologies, ce n’est pas tant sur leur contenu
qu’il faut s’appesantir, c’est sur les régulations sociales par
lesquelles s’organise la communauté qui s’y réfère.

La démarche de Deconchy qui articule les conduites individuelles au


champ social dans lequel elles se déploient, met en évidence la dimension
institutionnelle, constitutive du pouvoir, qui d’ordinaire, n’apparaît pas
directement à la surface des rapports humains.

3.5 Pouvoir, abus de pouvoir, contre-


pouvoirs
3.5.1 Pouvoir
« Le pouvoir est le fait de ceux qui le détiennent et qui
l’exercent sur d’autres qui eux ne l’ont pas, ou en ont
nettement moins » (Beauvois, 2005, p. 355).
C’est dire qu’à l’inverse de l’influence, le pouvoir n’est pas une variable
distribuée. Par ailleurs, comme nous l’évoquions au début de ce chapitre, le
pouvoir est le fait des structures formelles dans lesquelles et par lesquelles
il s’exerce. Pourquoi lier si strictement pouvoir et structure ? Parce que ce
qui caractérise le pouvoir, contrairement à la domination ou à l’influence,
c’est qu’il est délégable :
« A du pouvoir celui qui est dans la capacité sociale de
déléguer son pouvoir, ou de l’avoir reçu d’une délégation
socialement organisée » (Beauvois, 2005, p. 357).
C’est pourquoi le pouvoir est générateur de structures à l’intérieur
desquelles s’organise la délégation. La question qui vient alors est : qu’est-
ce qui est délégué ? Ce sont les prérogatives du pouvoir grâce auxquelles
celui-ci fonctionne. Ces prérogatives renvoient donc aux fonctions
suivantes : fonction de décision, fonction de commandement, fonction de
responsabilité, fonction d’évaluation, et concrétisant cette dernière, la
fonction de prendre des sanctions (positives ou négatives).
Le pouvoir étant un fait de structure, il n’est pas étonnant que le statut
détermine son niveau, ni étonnant non plus de constater avec quelle facilité
les gens endossent facilement leur statut en exerçant le pouvoir que celui-ci
autorise. C’est ce qu’a montré la fameuse expérience menée par Zimbardo
et ses collègues (Haney, Banks, et Zimbardo, 1973), appelée expérience de
la prison de Standford du nom de l’université où elle eut lieu. Des étudiants
furent répartis aléatoirement, en gardiens et prisonniers, pour jouer ces rôles
dans une prison fictive. Ce qui frappa les chercheurs à l’époque, ce fut
l’incroyable brutalité des gardes, à peine avaient-ils endossé leur uniforme
symbole de leur statut.

3.5.2 Abus de pouvoir


En fait, dans l’expérience de la prison de Standford, ce ne furent pas tous
les gardiens qui se conduisirent de manière incroyablement brutale. On
observa beaucoup de différences comportementales entre eux. Comme le
précise Zimbardo, (2007), c’est surtout un gardien qui se faisait appeler
« John Wayne » et ses quelques suiveurs qui prenaient plaisir à humilier les
prisonniers. D’autres gardes agirent fermement mais avec équité, et d’autres
se rangèrent ouvertement du côté des prisonniers. Dans le second cas, il
s’agit de participants qui assument le pouvoir qui leur incombe. Mais dans
le premier, il s’agit d’abus de pouvoir. Sans même parler de ceux qui aiment
le pouvoir pour lui-même (Forsyth, 2010) et qui sont prêts à tout pour
l’exercer et le garder, on explique cet abus, par le fait que la possession du
pouvoir tend à se développer comme un contrôle incessant et
inassouvissable sur les autres (Kipnis, 1972), avec plusieurs conséquences :
un détenteur de pouvoir cherche à l’utiliser, or plus il l’utilise, plus il a
tendance à attribuer à son contrôle les résultats de ses subordonnés (Kipnis,
Castell, Gergen, et Mauch, 1976). Du coup, il les dévalorise, crée une
distance de plus en grande avec eux et, alors qu’il les contrôle de plus en
plus, il a d’eux une image de plus en plus négative et de lui une image de
plus en plus positive (Georgesen et Harris, 1998). Cette évolution mène
d’autant plus inéluctablement aux abus que le détenteur de pouvoir est
autocentré, et non préoccupé par le collectif qu’il dirige (Chen, Lee-Chai et
Bargh, 2001) and, last but not least, comme nous le font régulièrement
savoir la une des journaux, un de ces abus les plus terribles a trait aux
comportements sexuels des puissants (Mac Kinnon, 2003).

3.5.3 Les contre-pouvoirs


Mais passons à des aspects de la question du pouvoir plus réconfortants !
Même si c’est difficile, souvent risqué, terriblement risqué, on peut
s’opposer au pouvoir. C’est ce qui arrive en particulier lorsque le détenteur
de pouvoir en abuse et ne pense plus au bien commun11. On pourrait penser
que les personnes se révoltent lorsque, ayant perdu tout contrôle sur leur
propre vie, elles sont confrontés à leur propre impuissance pour que leur vie
devienne meilleure. Ce n’est pas une condition suffisante. En effet, selon le
sociologue Alain Touraine (1982), la résistance implique une prise de
conscience du pouvoir propre, c’est-à-dire de sortir de l’aliénation où
conduit l’impuissance, aliénation que Touraine définit précisément comme
une privation de la conscience. C’est alors seulement qu’une révolte peut
produire une action organisée, lorsque les membres d’une entité collective
prennent conscience de leur pouvoir social. Cela implique que l’entité en
question se rassemble autour d’une identité sociale, en train de se partager
et de se fortifier dans l’action (Turner, 2005 ; Haslam, Reicher, Platow,
2011).
Voilà qu’on a soudain une autre vision du pouvoir, une vision positive,
celui-ci devenant la base de l’organisation et de l’action collective. Le
pouvoir ainsi envisagé donne aux membres d’une collectivité la possibilité
de mener des actions pour contrôler ce qui leur arrive, envisager des
améliorations de leur sort. On retrouve la dynamique de changement
invoquée un peu plus haut, pleine d’espérance et tournée vers l’avenir, un
avenir imaginé et construit en commun.
Nous arrivons à la fin de ce long mais passionnant chapitre qui nous a fait
cheminer sur la trace des plus belles ou des plus terribles aventures
humaines. Aujourd’hui, alors que le e-leadership se développe, d’autres
études sont à entreprendre pour saisir en quoi les nouvelles pratiques de
travail en groupe à distance modifieront certains aspects du leadership
(Avolio, Walumbwa et Weber, 2009 ; Coovert et Burke, 2005).

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Conclusion
La psychologie sociale a pour objet de mettre en évidence les processus de
la conjugaison du psychologique et du social. Pourtant les résistances et les
incompréhensions vis-à-vis de cette approche demeurent nombreuses.
L’apprenti en psychologie sociale a souvent tendance à considérer la
socialisation comme un simple rajout ou supplément à l’individuel. Quand
il prend la mesure du poids social, il rechigne à l’idée des déterminations
des conduites humaines qu’il implique. C’est dire que la présentation des
résultats expérimentaux qui mettent en évidence des comportements
conformistes, voire de soumission, soulève des tollés d’indignation. Les
individus de l’expérience, s’exclament les étudiants, sont faibles, et peu sûrs
d’eux. Et ils se reconnaissent plus volontiers dans ceux qui, autonomes et
libres, ont su résister à une autorité ou à la pression d’un groupe.
Les nombreuses expériences et observations relatées dans ce livre, les
éléments théoriques qui concourent à leur donner du sens et à les expliquer,
permettront, nous l’espérons, de surmonter ces résistances et d’ébranler
cette représentation individualiste de l’homme qui préserve, croit-on, l’idée
de sa liberté.
En développant tout au long de ce livre la problématique du lien social,
dans ses aspects réels, imaginaires et symboliques, nous avons voulu
montrer que l’homme est à la fois pris dans les raies des groupes et partie
prenante de ceux-ci. Lieux de sa socialisation, ils lui donnent aussi les
moyens de s’en affranchir. En se différenciant des membres de son groupe
d’appartenance ou en s’opposant à leurs modèles et lois, l’individu fait
preuve non seulement d’une connaissance de ces modèles et lois, mais aussi
des stratégies qui lui permettent de s’en distancier, de s’y opposer ou d’en
créer d’autres.
C’est dans ses relations aux groupes auxquels il appartient ou auxquels il
aspire que l’homme construit son identité, toujours en devenir.
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Index des notions
A
action collective 39, 108, 153, 200-201, 215
ancrage 159, 166-168
attachement 25, 51-53, 150, 219, 221
attitude 18, 30-32, 37, 46-47, 52, 56, 59-61, 67, 77, 81, 89, 94-95,
97, 99, 103, 107-109, 133-134, 140, 152
auto-affirmation 119
autocatégorisation 67, 150, 154
autorité 53, 58-59, 70, 72-73, 89, 203, 205-206, 217
B
biais pro-endogroupe 94-95, 102, 113-114
biais pro-exogroupe 113-114
C
catégorisation sociale 91-92, 95, 114-115
changement 12-14, 20, 30-33, 37, 61, 74, 127, 129-130, 133-138,
150, 152-153, 201
— d’attitude 30-31, 60
— social 105, 141-142, 153-154
commandement 131-132
comparaison 12, 55-58, 63, 84-85, 90, 95, 99, 102, 104-107, 148-
149
— sociale 57, 100, 107
compétition 12, 46, 49, 100, 102, 104-106, 173
— sociale 96, 100, 104, 106, 113
comportement 19-24, 27, 29-30, 33, 36, 44-49, 51-52, 61, 65, 67, 71,
74, 86, 88, 90, 94-95, 97, 99, 103, 107-108, 118-120, 130-131, 139,
145, 157, 160, 168-169, 172, 176, 203-204, 209, 217
conflit 14, 37, 43, 54, 70, 75-77, 87, 89, 93-94, 102, 109, 129, 141-
143, 145-146, 148-150, 152-153, 174-175, 203
— social 33, 134
conformisme 67-71, 73-74, 83, 87, 134-135, 141
consensus 14, 37, 57, 59, 70, 74, 76-78, 89, 139-142, 151, 211
conspirationniste 176-177
contexte 8, 13, 20, 28, 37, 44-45, 48, 62-63, 66-68, 73, 94, 98, 106,
127, 129, 132, 137, 141, 148-153, 158-159, 162-163, 167-170, 173,
175, 205, 210
D
dépersonnalisation 205, 209
désidentification 65, 109, 112
différenciation 12, 64, 86, 88, 90-97, 100, 102, 104-105, 117, 148,
153
— intergroupes 91, 102, 115
— sociale 82-83, 106
discrimination 12, 31, 33, 94-100, 102, 107-108, 153
— positive 99, 108
E
effet PIP 87, 90
émotion 21, 23-24, 34, 51, 154
emprise 21, 23, 175, 206, 208-209
endogroupe 64-66, 91-92, 95-96, 100, 103, 107-108, 116-117, 145-
146, 152-153
exogroupe 64-66, 90-92, 95-97, 100-101, 104, 109, 113-114, 116,
120, 145-146, 152-153
G
groupe 7-14, 17-18, 25-26, 28, 31-35, 37, 43-47, 49, 52-57, 59-71,
73-78, 81-84, 86-108, 113-119, 121, 125-129, 131-139, 141-142,
144, 146-151, 153-154, 160, 162, 165-166, 169, 171-174, 186,
200-201, 203, 209, 211-212, 217
— d’appartenance 44, 46, 55-57, 60, 62-64, 84, 87, 90, 92-94, 97,
100-101, 103, 115-117, 120, 217
— de référence 56, 58-64, 67, 69, 71, 104, 107
— primaire 28, 32
H
homogénéisation intragroupe 91, 115
I
identification 25, 52-53, 69, 119, 148, 151
identité 11, 53-54, 82-83, 89-90, 93, 95, 102-103, 121, 142, 150,
152, 158, 163, 173, 217
— sociale 24, 36, 39, 43, 64, 82, 92-93, 95, 100, 103-106, 108-109,
113, 121, 146, 154
immobilité sociale 109-110
influence 8, 13-14, 18, 23, 26-27, 31, 36, 38, 44, 51, 60, 68-69, 74,
105, 129, 137-142, 144-153, 210
— sociale 27, 49, 67, 74, 138-139, 141
intégration 12, 29, 43-44, 48-49, 54, 60, 62, 64, 67, 82, 107
— sociale 43, 52
interdépendance 128, 130, 132-134
L
leadership 181, 184, 186, 189
lien social 17-20, 22, 24, 26-29, 35, 217
M
médiation 12, 54, 159-160
minoritaire 88-90, 99, 102-103, 105, 118, 137, 142-153, 171
minorité 23, 31, 88-89, 97-99, 105, 137-138, 140, 142-153
— active 129, 137, 141, 153
N
normalisation 74-77, 141
norme 8-10, 12, 32, 44, 46, 49, 56, 59-61, 66-67, 70, 73-75, 77, 86-
89, 127, 131, 133-135, 139-140, 148, 151-152, 161, 205, 211-212
O
objectivation 115, 166, 168-169
optimisme comparatif 84-85
orthodoxie 38, 176, 210-212
ostracisme 23, 65-66
P
paradigme du groupe minimal 94
pensée sociale 174
persuasion 209
polarisation 77-78
pouvoir 13, 17, 24, 69, 73, 109, 129, 134, 136, 138, 140-141, 148,
181, 200-201, 203-206, 208-211, 213
précariat 110-111
préjugés 33, 60, 76, 95-97, 99-100, 103-104, 107
privation 58
— relative 107-108
psychologie des foules 19-21, 24-27
R
représentations sociales 27, 39, 115, 163-166, 169
rôle 7, 28, 45-49, 52, 68, 72, 76, 120, 131, 154, 167, 203, 208
S
sociabilité 43-44, 49, 53
socialisation 12, 43-44, 46-47, 49-50, 53, 61-62, 73, 90, 160, 217
soumission 87, 206, 217
— à l’autorité 73
statuts 7, 13, 48, 75, 203
stéréotype 104, 115, 118-120, 144, 151, 169, 171-172
stratégie 81, 88, 93, 101, 103-106, 108, 119, 121, 206, 217
système 8-10, 12-14, 17, 30, 39, 44-45, 48-50, 54, 60, 69, 74, 96,
125, 127, 129, 132-134, 137, 161, 167-168, 175-176, 203, 205-206,
208-211, 213
T
tensions sociales 149
terrorisme 109, 112, 165
V
valeur 7, 12, 28, 30, 44-47, 49-50, 52-53, 56, 59-60, 62-63, 67, 69-
70, 75-76, 81, 100, 119, 129, 131, 135-136, 139, 151, 161, 203,
210-211
Index des auteurs
A
Abelson 160, 234
Aebischer 100, 103, 113, 144, 147, 150, 165, 172, 219, 222, 226,
229-230, 236
Allen 138
Allport 29, 62, 75, 97, 119
Anzieu 34-35, 195, 220
Asch 70-71, 74
Augustinova 220
B
Bales 183, 220
Bandura 125, 129, 154, 220
Bass 191-192, 220, 222
Beauvois 154, 165, 221, 231-232
Bion 34, 221
Bourhis 105, 121
Branscombe 103, 221
Brown 11, 47, 103-105, 113, 117, 143, 221-222, 231, 236-237
Burch 100, 222
C
Cartwight 222
Chalot 171, 222
Codol 83, 85, 87, 116, 222
Crozier 223
D
Darmon 102, 232
Debray 213
Deconchy 10, 38, 176, 210-213, 223
Deschamps 100, 114-117, 220, 223-224
Doise 9, 54, 76-77, 100, 114, 121, 154, 160-161, 165, 175, 223, 230
Drozda-Senkowska 9, 32, 70, 224, 232
Drury 24, 108, 153-154, 201, 224
Dumont 110
Durkheim 19, 26-27, 36, 46, 164, 224
E
Ellemers 103, 221, 233, 236
Enriquez 224
F
Festinger 57, 78, 130, 225
Fiedler 132, 196, 198, 225
Fox-Cardamone 153, 225
French 75, 225, 233
Freud 24-25, 52-53, 225
Friedberg 223
Fromkin 82, 225
G
Ganster 82, 225
Goertzel 176
Gosling 161, 225, 229
Guienne 137, 225
H
Haslam 109, 154, 201, 233, 236-237
Henrich 38-39
Hogg 64, 66, 219, 233, 236-237
Hopkins 228, 233
J
Jarymovicz 83
K
Kelman 68-69, 227
Kipnis 214, 227
Kitt 58, 78, 107, 229
L
Lage 165, 227, 230
Le Bon 19, 21-27, 227
Lemaine 76, 105-106, 227
Lévy-Leboyer 234
Lewin 33, 63, 129-134, 136, 154, 228
Lippitt 131-132, 228
Lord 96, 119, 189-190, 228
M
Maisonneuve 37, 39, 44, 202, 228
Mathison 103
Mayo 32, 136, 181-183, 229
McCuddy 82, 225
Mead 28, 31, 46-47, 49, 78, 229
Mendel 207, 229
Merton 58-60, 62, 78, 99, 104, 107, 229
Meyer 114, 223
Milgram 72-73, 138, 206-207, 229, 232
Monteil 154, 172, 228-229, 232
Moreno 47, 230
Morin 111, 172, 219, 230
Moscovici 10, 24, 27, 37, 39, 70, 75, 77-78, 88, 129, 137-141, 144,
146, 154, 163-168, 175, 178, 220, 223, 225, 230-233, 235
Mugny 54, 144-146, 148-152, 154, 165, 221, 223, 230-232
Mulder 231
N
Nemeth 143, 231
Newcomb 60, 220, 232
O
Oberlé 9, 32-33, 64, 70, 72, 106, 113, 137, 154, 219, 221, 224, 231-
232, 234
P
Pagès 37, 208-209, 232
Paicheler 39, 102, 232
Papastamou 144-145, 147, 150-151, 231-232
Perez 144-145, 147, 152, 154, 231-232
Piaget 48, 51, 232
Platow 199, 201, 215, 233
Plous 96, 105, 233
Poitou 233
R
Raven 225, 233
Redl 233
Reicher 24, 108-109, 153-154, 201, 224, 233, 236
Ricateau 70, 75-76, 227, 231
Rocheblave-Spenlé 47
Roubini 109
S
Sainsaulieu 206, 233
Sartre 82, 125, 127-129, 234
Schachter 63, 148, 234
Schank 160, 234
Sherif 27, 56, 75, 77, 93, 201, 234
Shinnar 106, 234
Standing 110
Steele 118-119, 234-235
Stogdill 186, 235
Sunshine 235
T
Taine 20-22
Tajfel 37, 39, 91, 94-95, 100, 104, 108, 113, 138, 222-223, 235-236
Tarde 21, 26, 235
Touraine 215, 236
Turner 39, 66-67, 71, 91, 95, 100, 104, 113, 146, 150, 200, 219, 223,
235-236
Tyler 235-236
W
Wachtler 143, 231
Weber 205-206, 237
White 131-132, 222, 234
Wundt 19, 29
Y
Yee 104, 237
Yukl 187, 237
Z
Zander 222
Zavalloni 77, 231
Ziegler 112
Table des encarts
Encart 1 – Khalil Gibran, Le prophète
Encart 2 – Lorsque d’autres groupes que les nôtres nous attirent
Encart 3 – Balzac, Le Père Goriot
Encart 4 – L’analyse de Merton
Encart 5 – Pour des travailleurs immigrés, à qui se référer ?
Encart 6 – Le cas des étudiants étrangers en France
Encart 7 – Meurt-on de solitude ?
Encart 8 – L’effet « brebis galeuse »
Encart 9 – L’expérience de Kelman (1958)
Encart 10 – L’expérience princeps de Asch
Encart 11 – La transposition de Milgram à la télévision
Encart 12 – Se sentir différent des autres
Encart 13 – L’expérience de Codol
Encart 14 – Résultats des estimations moyennes du degré
de ressemblance et de différence (N = 140)
Encart 15 – Catégoriser pour expliquer !
Encart 16 – Le paradigme du groupe minimal
Encart 17 – Lord Chesterfield
Encart 18 – La discrimination à l’emploi
Encart 19 – Mais qu’est-ce qu’elles sont bavardes !
Encart 20 – Le sentiment de privation relative collective
et la discrimination positive
Encart 21 – Les gilets jaunes
Encart 22 – Les happy few
Encart 23 – Faire l’objet d’un stéréotype peut parfois être profitable
Encart 24 – Le groupe en fusion selon Sartre illustré par l’aventure des
usagers d’un autobus
Encart 25 – Les styles de commandement
Encart 26 – Comment s’y prendre pour obtenir un changement ?
Encart 27 – Expériences sur le changement des habitudes alimentaires
Encart 28 – Quand le cours des choses change sous l’effet de l’action
des minorités
Encart 29 – « Contre la pensée unique » altermondialistes et indignés
Encart 30 – Conflits sociaux et reconnaissance sociale
Encart 31 – L’influence à retardement
Encart 32 – L’enjeu des débats politiques à la télévision
Encart 33 – Quand nous avons des points communs avec une source
d’influence minoritaire
Encart 34 – Proposition minoritaire et contexte normatif
Encart 35 – Faire des inférences pour donner du sens
Encart 36 – Les représentations sociales véhiculées par les médias
Encart 37 – Les métaphores de Pavlov
Encart 38 – Le Pizzagate
Encart 39 – Norme de freinage
Encart 40 – Chef et leader émergent : les différences
Encart 41 – Les leaders dépendent des suiveurs : le cas des prisons
Encart 42 – Comment rester leader dans un groupe ?
Encart 43 – L’idéal collectif comme moteur de l’engagement
Encart 44 – L’effet Wallenda
Encart 45 – Le charisme
Encart 46 – L’approche freudienne du leadership
Encart 47 – Pour un groupe attelé à une tâche : les différentes fonctions à
mettre en œuvre
Encart 48 – Niveaux hiérarchiques et comportements
Encart 49 – Les trois types de légitimité du pouvoir selon Max Weber
Encart 50 – Illustrations expérimentales de l’obéissance à l’autorité
Encart 51 – Le réglage de l’appartenance dans un système orthodoxe
Encart 52 – À propos des idéologies
1. Porté par une philosophie idéaliste et métaphysique.
2. Cette idée est fortement présente dans les écrits, par exemple, du philosophe Johann Gottfried
Herder (1744-1803).
3. C’est ainsi que l’on se mit à rechercher et à redécouvrir la poésie populaire et les contes de fées,
l’exemple le plus connu étant sans doute celui des frères Grimm.
4. Hegel bâtit sa philosophie de l’État à partir de la notion de Volksgeist.
5. En ce sens, la psychologie des peuples se distingue de la psychologie individuelle qui est
considérée comme étant l’étude de l’esprit individuel.
6. Pour l’étude des processus mentaux individuels, Wundt développe la méthode de
« l’introspection ».
7. Même si l’idée d’une vie mentale collective fut insupportable aux yeux de beaucoup de penseurs
du XIXe siècle et surtout au XXe, elle marque fondamentalement la pensée de Durkheim.
8. On peut citer le travail de Walter Moede sur la Experimentelle Massenpsychologie (« psychologie
expérimentale des masses »).
9. Taine propose, par exemple, de limiter le suffrage universel.
10. Un peu comme Fournial ou Lombroso, le célèbre criminologue italien et inspirateur de la théorie
des foules de Sighele.
11. La même année, Freud, avec Breuer, incorpore ces notions dans ses études sur l’hystérie.
12. Le livre se trouve actuellement à la 45e édition française.
13. En fait, Freud développe et analyse à partir de ce qu’il appelle « des foules organisées », l’État,
l’armée, et que nous nommons aujourd’hui des « organisations ».
14. De ce point de vue, Tarde devait préfigurer les études d’opinion popularisées en France après la
Seconde Guerre mondiale.
15. Notons, en passant, que dans ce livre, James essaie aussi de populariser la nouvelle psychologie
expérimentale venue d’Allemagne.
16. Son impact est surtout sensible dans la sociologie américaine.
17. Nous avons vu précédemment que la démarche expérimentale pour explorer des phénomènes
mentaux simples vient du psychologue allemand Wundt. Les Américains, tout en la reprenant à leur
compte, l’ont totalement transformée. Rejetant les notions de « mental » et d’« introspection », ils
n’en ont retenu que l’aspect instrumental pour étudier des comportements.
18. Avoir une attitude signifie être pour ou contre, faire preuve d’une orientation globale par rapport à
un objet donné. Il s’agit donc d’un système relativement stable de dispositions cognitives d’un sujet
vis-à-vis d’un objet ou d’une situation dont il évalue le contenu comme vrai ou faux, bon ou mauvais,
désirable ou indésirable.
19. Il s’agit en particulier des échelles de Thurstone, Likert et Guttman (Alexandre, 1971).
20. Pour une discussion sur la notion de climat, cf. Drozda-Senkowska et Oberlé, 2006.
21. Cf. D. Oberlé, La dynamique des groupes, 2015.
22. Le fantasme est un scénario imaginaire auquel le sujet en proie au fantasme participe, même si ce
n’est pas à une place stable et immédiatement repérable. Dans la théorie psychanalytique, ce scénario
figure de manière plus ou moins déformée par des processus défensifs, l’accomplissement d’un désir.
23. « La résonance fantasmatique est le regroupement de certains individus autour de l’un d’eux qui a
donné à voir ou à entendre, à travers ses actes, sa manière d’être ou ses propos, son (ou un de ses)
fantasme individuel inconscient. Regroupement veut dire non pas tant accord qu’intérêt,
convergence, écho, stimulation mutuelle », c’est-à-dire le fait qu’un fantasme de l’un en réveille chez
les autres (Anzieu, 1975, p. 267). C’est parce qu’il est porteur d’un désir refoulé qu’un fantasme
individuel dès lors qu’il trouve à s’exprimer est susceptible de provoquer des réactions chez d’autres.
Celles-ci peuvent être de fascination ou de répulsion mais, par ces répliques, quelque chose
commence à circuler, à s’échanger entre les participants.
24. Professeur de biologie évolutive humaine à l’université de Harvard.
25. Il s’agit d’un acronyme pour Western (occidental), Educated, Industrialised, Rich, Democratic,
qui se prononce comme un seul mot, weird, et qui veut dire, en anglais, bizarre.
26. Le terme « littératie » renvoie à l’ensemble des connaissances en lecture et en écriture permettant
à une personne d’être fonctionnelle dans le monde occidental ou occidentalisé. C’est cette littératie
qui aurait rendu les Occidentaux psychologiquement particuliers.
1. Pour vous en convaincre, essayez d’abord de répondre à la question : « Qui suis-je ? » (Kuhn et
McPartland, 1954). Il est probable que les premières réponses qui vont vous venir aux lèvres
renvoient à des appartenances de groupe (« je suis étudiant », « je suis juif », « je suis d’une famille
nombreuse », etc.).
2. Voir aussi à ce sujet l’analyse que fait le psychanalyste Lacan du « stade du miroir ».
3. Alors qu’en Inde, le système de castes bloque la mobilité sociale, les sociétés occidentales sont
réputées pour la faciliter. Mais une des inquiétudes suscitées par la crise de 2008 et par celle liée aux
conséquences économiques des mesures de confinement contre la Covid, c’est que les nouvelles
générations n’accéderont plus à un niveau de vie supérieur à celui de leurs parents.
4. Cette circulaire a été récemment abrogée par le nouveau ministre de l’Intérieur, conformément à la
promesse du candidat socialiste, François Hollande, pendant la campagne présidentielle du printemps
2012.
5. Le groupe d’appartenance est aussi appelé endogroupe ; les autres groupes : hors groupes ou
exogroupes.
6. La pratique de l’ostracisme date de la Grèce antique (Ve avant J.-C.). Il s’agissait d’une procédure
politique qui permettait à Athènes de bannir un citoyen de la vie de la cité pendant dix ans et qui
s’appliquait particulièrement aux citoyens trop avides de pouvoir.
7. Diffusé sur France 2 sous le titre « Jusqu’où va la télévision ? Le jeu de la mort ». Pour de plus
amples développements et réflexion critique, cf. Beauvois, Courbet, Oberlé, 2012 ; Oberlé, Beauvois,
Courbet, 2011 ; Bègue, Beauvois, Courbet, Oberlé, Lepage, Duke (2015).
8. La polarisation peut exister au niveau individuel. Elle renvoie alors à l’extrêmisation des attitudess
personnelles (Brauer, Judd, Gliner, 1998).
1. Expérience de groupe « centré sur le groupe » dont l’objectif est une sensibilisation des
participants aux processus relationnels et groupaux. Il n’y a dans ces groupes ni ordre du jour, ni
tâche spécifique à accomplir. C’est à travers des discussions libres, par l’implication dans la situation
et l’élucidation des processus qui s’y développent, que l’objectif est poursuivi.
2. En référence au village fictif, Lake Wobegon, d’une émission de radio diffusée chaque samedi soir
« A Prairie Home Companion », où les hommes sont beaux, les femmes fortes et les enfants plus
intelligents que la moyenne.
3. Il faut distinguer le minoritaire du déviant. Si tous deux refusent la norme majoritaire, seul le
minoritaire adopte et propose aux autres une alternative, et s’engage activement dans la défense de
cette norme de rechange, qui lui paraît mieux correspondre à ses aspirations et qui va lui permettre
d’exister dans sa spécificité aux yeux des autres.
4. De manière un peu laxiste, les termes « catégorie » et « groupe » sont souvent utilisés comme des
synonymes. En psychologie sociale, on les distingue cependant : on considère que les individus ayant
une ou des caractéristiques communes font partie d’une même catégorie sociale. En revanche, les
membres d’un groupe ont une histoire commune plus ou moins longue, et ils ont la conscience d’agir
en commun et de subir un sort commun. Ce que les groupes et les catégories ont en commun et qui
explique qu’on utilise indifféremment l’un ou l’autre terme, c’est que les gens attachent une grande
importance à l’appartenance à ces groupes et/ou catégories, et utilisent cette appartenance dans les
définitions qu’ils ont d’eux-mêmes.
5. Le préjugé qui frappe les membres de l’exogroupe n’est pas forcément négatif. On peut avoir des
préjugés positifs et se dire, par exemple, que les gens du Sud savent prendre la vie du meilleur côté
que nous, que le café est meilleur en Italie qu’en France ou que le système scolaire est moins
contraignant et autoritaire dans les pays scandinaves qu’en France.
6. http://fra.europa.eu.
7. Elaborated Social Identity Model (ESIM).
8. Les auteurs utilisent le terme de empowerment que l’on peut définir comme l’octroi de davantage
de pouvoir aux individus pour agir sur les conditions économiques, sociales et politiques.
9. Au début des années 2000, Roubini a été surnommé Dr. Doom (Dr Catastrophe) à cause de ses
prédictions économiques notablement plus pessimistes que la plupart des économistes. Selon lui, la
crise économique mondiale des années 2008, qu’il avait annoncée, conduirait inévitablement à un
ralentissement du commerce international, à une hausse du chômage et une baisse des prix des
produits de base.
10. Néologisme de la sociologie formé à partir des mots « précarité » et « prolétariat ».
11. Neither in Employment nor Education or Training.
12. http://www.fse.gouv.fr/dossiers-thematiques/neet.
13. Les auteurs de cette lettre ouverte font probablement référence à une étude menée en 2020 par
Guy Burgel, Maxime Schirrer, Raymond Ghirardi et Pierre-Régis Burgel. Se fondant sur des données
de l’INSEE, les auteurs constatent, en comparant les décès des six premiers mois de 2020 aux
premiers semestres 2018 et 2019, que les taux de surmortalité s’envolent sur la plus grande partie de
la Seine-Saint-Denis, alors que la banlieue ouest et les arrondissements centraux et occidentaux de
Paris connaissent une surmortalité beaucoup plus basse.
14. Cf., pour la liste des qualités énumérées, Eitzen, (1970).
1. Cf. chapitre 1.
1. Un point de vue complémentaire, qui n’est pas directement abordé par Doise, est tenu par des
chercheurs venant de la cognition sociale (e.g. Brown, Collins et Duguid, 1989 ; Lave et Wenger,
1991 ; Cole et Engeström, 1993 ; Salomon, 1993 ; et dans une certaine mesure, Sternberg et Wagner,
1994) selon lesquels les cognitions sont sociales, parce qu’elles sont distribuées non seulement sur
une pluralité d’individus, mais aussi véhiculées par des outils comme des livres, des lettres,
ordinateurs et autres produits culturels. Ces outils servant d’intermédiaires, favoriseraient l’activité
commune et la communication entre les individus.
2. Apprendre à dire « merci » quand on a reçu un cadeau ou à dire « pardon » quand on a bousculé
quelqu’un dans le métro, c’est apprendre à réaliser des procédures de politesse.
3. Plusieurs courants de recherche ont été développés à partir des travaux de Serge Moscovici sur les
représentations sociales. Les plus identifiables dans la littérature sont l’approche structurale des
représentations sociales développée par Jean-Claude Abric (1987, 1994, 2003) et ses collègues de
l’université d’Aix-en-Provence autour du noyau central (Lahlou et Abric, 2011) et celle des principes
organisateurs proposée par Willem Doise (1990).
4. Par exemple en dénonçant le comptage légal du vote par correspondance comme une fraude.
5. https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2019/02/115960-Pr%C3%A9sentation-version-
publi%C3%A9e.pdf.
6. L’empereur Néron accuse les chrétiens d’être à l’origine de l’incendie éclaté dans la nuit du
18 juillet 64 et ravageant Rome pour les livrer à la vengeance du peuple. Les chrétiens sont à ce
moment-là les victimes, mais quand en 1208, le pape Innocent III lance la croisade contre les
Cathares, considérés comme des hérétiques, parce qu’ils avaient coupé les liens avec l’Église de
Rome, ce sont les chrétiens qui sont les instigateurs de la chasse à l’homme.
7. « Arrêtez le vol » (de l’élection).
1. La spécificité de la psychologie sociale c’est qu’elle n’opte pas pour l’un ou l’autre modèle mais
tente de les articuler (Doise, 1982).
2. Biais dispositionnel : tendance à voir dans les caractéristiques des personnes plutôt que dans les
circonstances la cause de ce qui arrive (par exemple, ce n’est pas parce qu’il pleuvait qu’il a eu un
accident mais parce qu’il est imprudent).
3. Conceptions de ce que devrait être un leader, des caractéristiques qui le distinguent d’un non-
leader.
4. James Mac Gregor Burns n’est pas psychologue ! Mais son livre Le Leadership est un ouvrage de
référence dans les sciences humaines et sociales. Dès son doctorat en sciences politiques à Harvard,
James Mac Gregor Burns, passionné par l’histoire des États-Unis, s’est spécialisé dans l’étude du
leadership dans la vie politique américaine. Il a écrit plusieurs bibliographies dont Roosevelt: The
Lion and the Fox (1956) and Roosevelt: The Soldier of Freedom (1970) qui ont été récompensées par
le Prix Pulitzer et le National Book Award.
5. Dans Moscovici S., L’Âge des foules, Fayard, 1981.
6. Voir en particulier Totem et tabou, 1912 ; Psychologie collective et l’analyse du moi, 1921 ;
L’Avenir d’une illusion, 1927 ; Malaise dans la civilisation, 1930.
7. Parmi les exceptions, l’une, de taille, est à signaler, c’est l’ouvrage fondamental et passionnant de
Serge Moscovici, L’Âge des foules, 1981.
8. Cf. introduction et chapitre 1.
9. Cf. chapitre 2.
10. Dans ce contexte, des responsabilités locales et limitées peuvent s’exercer, dans le cadre d’une
« autonomie contrôlée » en ce sens que, par exemple, la politique commerciale d’une filiale se
développe à partir de la gestion autonome de sa clientèle et de ses réseaux commerciaux, mais dans le
cadre des règles édictées par la direction mondiale.
11. Là encore l’actualité et là pour le rappeler… Tunisie, Égypte, Lybie, Syrie et d’autres qui ne se
reconnaissent plus dans leur pouvoir

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