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Psychologie

Nouvelle édition au format de poche


© Albin Michel, 2022

Titre original
A SECURE BASE
CLINICAL APPLICATIONS OF ATTACHMENT THEORY
© R.P.L. Bowlby, R.J.M. Bowlby and A. Gaitling, 1988

Postface
© Jeremy Holmes, 2005

Traduction française
LE LIEN, LA PSYCHANALYSE ET L’ART D’ÊTRE PARENT
© Albin Michel, 2011
Publiée avec l’accord de l’éditeur original, Routledge,
membre de The Taylor & Francis Group.
Tous droits réservés.

ISBN : 978-2-226-47277-9

Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo.


À Mary D.S. Ainsworth,
à l’origine du concept de « base sécure ».
Préface
de John Bowlby

En 1979, sous le titre The Making and Breaking of Affectional Bonds *1,
j’ai publié un petit ensemble de conférences que j’avais données à des
publics variés au cours des vingt années précédentes. Dans ce volume, je
présente une autre sélection d’interventions faites depuis. Les cinq
premières ont eu un public ciblé dans un cadre spécifique, dont les détails
sont brièvement rapportés en préambule. Les trois dernières sont des
versions étoffées de présentations improvisées à l’intention de
professionnels de la santé mentale d’Europe et des États-Unis. Comme dans
l’ouvrage précédent, j’ai pensé qu’il était préférable de leur conserver ici
une forme proche de celle d’origine.
La théorie de l’attachement servant de base à chacune d’elles, des
passages ont été omis pour éviter trop de répétitions. Celles qui ont été
gardées permettront, je l’espère, d’éclaircir et de mettre en relief les
caractéristiques majeures de la théorie, par la présentation des mêmes idées
dans différents contextes.
Par ailleurs, je suis quelque peu surpris, en tant que clinicien ayant
formulé la théorie de l’attachement pour améliorer le diagnostic et le
traitement de patients et de familles émotionnellement perturbés, que celle-
ci n’ait essentiellement servi jusqu’ici qu’à faire avancer la recherche en
psychologie du développement. Même si je me réjouis des résultats de ces
travaux, car ils permettent de bien mieux comprendre le développement de
la personnalité et celui de la psychopathologie, ce qui est indispensable à
une meilleure prise en charge, je suis néanmoins déçu que les cliniciens
mettent autant de temps à les intégrer dans leur pratique. Il y a sans doute
plusieurs raisons à cela. D’un côté, les données livrées à l’appui de la
théorie sont initialement apparues comme un peu trop comportementales.
De l’autre, les cliniciens sont des gens très occupés, naturellement réticents
à consacrer du temps à la maîtrise d’un cadre conceptuel nouveau, étranger
à leurs habitudes, jusqu’à ce qu’ils aient de bonnes raisons de croire que
faire cet effort améliorera leur compréhension clinique, ainsi que leur
compétence thérapeutique. Pour ceux qui ont aujourd’hui décidé de franchir
le pas, les conférences rassemblées ici constitueront, je l’espère, une bonne
introduction à cette nouvelle approche.
1.

L’art d’être parent *1

Dans les premiers mois de 1980, j’ai donné des conférences aux États-
Unis. Parmi les invitations qui me sont parvenues en figurait une du
personnel du service psychiatrique de l’hôpital Michael Reese de Chicago
me demandant de parler de la fonction de parent *2.

Un rôle social indispensable


La plupart des êtres humains désirent avoir des enfants à un moment de
leur vie, je pense, et ils désirent aussi leur permettre d’accéder à la santé, au
bonheur et à l’autonomie *3. Ceux qui parviennent à ce résultat en sont
grandement récompensés ; mais pour ceux qui ont des enfants et qui
échouent dans cette tâche, le prix à payer en termes d’anxiété, de
frustration, de conflits, et sans doute de honte et de culpabilité, peut être
élevé. Devenir parent n’est donc pas à prendre à la légère. Il est d’autant
plus important d’en apprendre un maximum sur la nature d’un parentage
réussi et sur ce qui peut l’influencer pour le meilleur et pour le pire qu’il
conditionne grandement la santé psychique de la génération suivante. L’art
d’être parent est donc un thème très vaste et tout ce que je peux faire dans
cette conférence, c’est esquisser l’approche que j’adopte moi-même pour
réfléchir à ces questions. Celle-ci s’appuie sur l’éthologie.
Avant d’entrer dans les détails, je veux ajouter quelques remarques
d’ordre général. Réussir en tant que parent implique un travail considérable
et très difficile. S’occuper d’un bébé ou d’un petit enfant est une occupation
à plein temps, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, et
qui cause souvent beaucoup de soucis, par-dessus le marché. Et même si la
charge s’allège un peu à mesure que les enfants grandissent, si l’on veut
qu’ils soient en pleine forme, on doit continuer à leur consacrer beaucoup
de temps et d’attention. Pour de nombreuses personnes aujourd’hui, ce sont
là des vérités difficiles à avaler. Accorder du temps et de l’attention à ses
enfants veut dire sacrifier d’autres intérêts et d’autres activités. Pourtant, je
pense que les preuves de ce que j’avance sont irrécusables. Étude après
étude, à commencer à Chicago par celles de Grinker 1, poursuivies par celles
d’Offer 2, tout atteste que les adolescents et les jeunes adultes en bonne
santé, heureux et autonomes sont le produit de foyers stables où les deux
parents consacrent beaucoup de temps et d’attention à leurs enfants.
Je veux aussi souligner, malgré les voix qui s’élèvent pour affirmer le
contraire, que s’occuper de bébés et de jeunes enfants n’est pas une tâche
pour une personne seule. Pour que le travail soit bien fait et que le
caregiver *4 principal de l’enfant ne soit pas trop épuisé, cette personne a
besoin d’être largement aidée. Cette aide peut provenir de différentes
sources : très souvent elle est fournie par l’autre parent ; dans de
nombreuses sociétés, y compris dans la nôtre plus souvent qu’on ne le
pense, elle vient d’une grand-mère. Des adolescentes ou de jeunes femmes
sont aussi susceptibles d’être sollicitées. Dans la plupart des sociétés dans le
monde, cela va de soi, aujourd’hui comme par le passé, et l’organisation
sociale se fait en conséquence. Paradoxalement, il a fallu l’essor des
sociétés les plus riches du monde pour en venir à négliger ces vérités. La
main-d’œuvre féminine et masculine consacrée à la production de biens
matériels constitue un atout dans tous nos indices économiques. Celle
consacrée à la production dans leurs propres foyers d’enfants heureux, en
bonne santé et autonomes ne compte absolument pas. Nous avons créé un
monde qui marche sur la tête.
Mais je ne veux pas entrer dans des polémiques politiques et
économiques complexes. Je soulève ces questions dans le but de vous
rappeler que la société dans laquelle nous vivons n’est pas seulement en
termes d’évolution le produit du passé, mais qu’elle est très spécifique sur
de nombreux points. Nous sommes donc en grand danger d’adopter des
normes erronées. Car, exactement comme une société où sévit un manque
chronique de nourriture peut considérer qu’un niveau déplorablement
inadéquat d’alimentation est normal, une société où les parents d’enfants en
bas âge sont livrés à eux-mêmes, confrontés à une insuffisance chronique
d’aide, risque de prendre cette situation comme norme.

Une approche éthologique


J’ai précisé plus tôt que mon approche de la compréhension du
parentage en tant qu’activité humaine s’inspire de l’éthologie. Je
m’explique.
Quand je me suis penché sur la nature du lien de l’enfant à sa mère,
classiquement appelé « dépendance », concevoir celui-ci comme un
ensemble spécifique de schémas comportementaux en partie
préprogrammés m’a été d’un grand secours. Ces schémas se mettent en
place au cours des premiers mois de la vie, quand l’environnement est
ordinairement prévisible, et ils ont pour effet de maintenir l’enfant dans une
proximité plus ou moins grande de sa figure maternelle 3. Vers la fin de la
première année, ce comportement acquiert une organisation cybernétique,
ce qui signifie, entre autres, qu’il se déclenche chaque fois que certaines
conditions apparaissent et qu’il cesse avec d’autres. Par exemple, le
comportement d’attachement d’un enfant est activé par la douleur, la fatigue
et les situations effrayantes, ainsi que par l’inaccessibilité réelle ou
présumée de sa mère. Ce qui y met fin dépend de l’intensité à laquelle il a
été activé. Si elle est faible, simplement voir ou entendre sa mère suffit, plus
particulièrement si elle s’adresse à lui. À un niveau plus élevé, il aura
besoin de la toucher ou de rester près d’elle. Lorsque l’intensité de
l’activation est maximale, quand l’enfant est en détresse et inquiet, seul un
câlin prolongé fera l’affaire. Selon moi, la fonction biologique de ce
comportement est la protection, en particulier contre les prédateurs.
Dans l’exemple ci-dessus, les individus concernés sont un enfant et sa
mère. Il est évident, cependant, que le comportement d’attachement ne se
limite nullement à l’enfance. Bien que généralement moins facilement
activé, nous l’observons aussi chez les adolescents et les adultes des deux
sexes chaque fois qu’ils sont inquiets ou stressés. Personne ne devrait donc
être surpris qu’une femme enceinte ou la mère de jeunes enfants ressente
fortement le désir que l’on veille sur elle et qu’on la soutienne. L’activation
du comportement d’attachement dans ces circonstances est probablement
universelle, et elle doit être considérée comme la norme *5.
Une caractéristique du comportement d’attachement des plus
importantes sur le plan clinique, présente indépendamment de l’âge de
l’individu concerné, est l’intensité de l’émotion qui l’accompagne, le type
d’émotion déclenchée dépendant de l’état de la relation entre la personne
attachée et sa figure d’attachement. Si celle-ci est au beau fixe, c’est la joie
et un sentiment de quiétude *6 qui sont ressentis. Si elle est menacée, c’est la
jalousie, l’anxiété et la colère. En cas de rupture, c’est le chagrin et la
dépression. Enfin, il existe des preuves formelles que le mode
d’organisation du comportement d’attachement d’un individu dépend
fortement du type d’expériences qu’il a vécues dans sa famille d’origine,
ou, s’il n’a pas eu de chance, en dehors d’elle.
Ce genre d’approche présente, selon moi, de nombreux avantages par
rapport à celles qui ont actuellement cours dans notre domaine. Car non
seulement elle fait coïncider la théorie avec les données observées, mais
elle fournit un cadre compatible avec celui de la biologie moderne et de la
neurophysiologie.
Je pense que le parentage peut lui aussi être utilement abordé selon ce
point de vue d’inspiration éthologique. Cela implique d’observer et de
décrire l’ensemble des schémas comportementaux qui lui sont spécifiques,
les conditions d’activation et d’extinction de chacun de ces schémas,
comment ces derniers évoluent en fonction de l’âge de l’enfant, les
différentes manières dont le comportement global s’organise selon les
personnes, et la diversité des expériences qui l’influencent chez un individu
donné.
On sous-entend implicitement dans cette approche que le comportement
de parentage, comme celui d’attachement, est préprogrammé jusqu’à un
certain point, et donc prêt à entrer en jeu sous une forme donnée lorsqu’il se
trouve déclenché. Cela signifie que dans le cours normal des choses, le
parent d’un bébé ressent une forte envie de se comporter de façon type, par
exemple de bercer l’enfant, de le calmer lorsqu’il pleure, de lui fournir
chaleur, protection et nourriture. Un tel point de vue, bien entendu,
n’implique pas que les schémas comportementaux appropriés se
manifestent intégralement, dans leurs moindres détails, dès la première fois.
Ce n’est clairement pas le cas, ni chez l’homme ni chez les autres
mammifères. Tous les détails sont appris, certains d’entre eux lors de
l’interaction avec des bébés et des enfants, une majeure partie par
l’observation de la manière de faire d’autres parents, qui débute dès
l’enfance du futur parent avec la manière dont ses parents l’ont traité, lui et
ses frères et sœurs.
Cette vision moderne du développement comportemental se différencie
nettement des deux autres paradigmes plus anciens, dont l’un invoquant
l’instinct a surévalué l’aspect de préprogrammation, et l’autre, en réaction, a
trop valorisé l’acquisition. Le comportement de parentage chez l’homme
n’est certainement pas le produit d’un instinct parental invariant, mais il
n’est pas non plus raisonnable de le considérer comme le résultat du simple
apprentissage. Ce comportement, tel que je le conçois, est fortement ancré
dans la biologie, ce qui rend compte des émotions très intenses qui lui sont
associées ; mais la forme spécifique qu’il revêt chez chacun de nous dépend
de nos expériences – celles de notre enfance en particulier, celles de notre
adolescence, notre vécu avant et pendant le mariage, et celui que l’on a avec
chaque enfant pris individuellement.
Ainsi, il me paraît utile de concevoir le comportement de parentage
comme un des éléments d’un ensemble limité de types de comportements
biologiquement déterminés, au même titre que le comportement
d’attachement, le comportement sexuel, le comportement exploratoire et le
comportement d’alimentation. Chacun de ces types de comportement
contribue de manière spécifique à la survie de l’individu ou de sa
progéniture. C’est d’ailleurs parce que chacun a une fonction aussi vitale
qu’ils sont préprogrammés jusqu’à un certain point. Laisser leur
développement au seul caprice de l’apprentissage individuel serait le
summum de la folie sur le plan biologique.
Il ne vous aura pas échappé qu’en présentant ce cadre, j’ai mis un point
d’honneur à distinguer conceptuellement chacun de ces types de
comportement les uns des autres. Cela diffère, bien entendu, de la théorie
traditionnelle de la libido qui les a envisagés comme des variations
d’expression d’une seule et unique pulsion. Je les distingue pour plusieurs
raisons. La première, c’est que chacun des types de comportement
mentionnés remplit sa propre fonction biologique spécifique – la protection,
la reproduction, la nutrition, la connaissance de l’environnement. Une
deuxième raison est que leurs détails comportementaux sont spécifiques
pour la plupart : s’accrocher à un parent est différent de calmer et de
réconforter un enfant ; sucer ou mâcher de la nourriture est différent d’avoir
un rapport sexuel. En outre, les facteurs qui influent sur le développement
de l’un de ces types de comportement ne sont pas nécessairement les
mêmes que ceux qui en influencent un autre. En maintenant leur distinction,
nous pouvons étudier non seulement la manière dont ils se différencient,
mais aussi les points sur lesquels ils se rejoignent et interagissent – comme
ils le font de toute évidence.

Mise en place du lien mère-enfant


Ces dix dernières années, on a assisté à des progrès spectaculaires dans
notre compréhension des phases précoces de l’interaction mère-enfant,
grâce à des recherches innovantes des deux côtés de l’Atlantique. Les
études de Klaus et Kennell sont actuellement bien connues. Leurs
observations du comportement des mères envers leur nouveau-né juste
après l’accouchement, quand on les laisse libres de faire ce que bon leur
semble, sont particulièrement intéressantes. Klaus, Trause et Kennell 6
décrivent la manière dont une mère, immédiatement après la naissance de
son bébé, le prend dans ses bras et commence à lui caresser le visage du
bout des doigts. Le bébé se calme aussitôt. Puis elle lui touche la tête et le
corps de la paume de la main et, au bout de cinq à six minutes, elle le met
au sein. Le bébé réagit en léchant longuement le mamelon.
« Immédiatement après l’accouchement, notent-ils, les mères semblent être
dans une sorte d’extase », et, fait intéressant, les observateurs sont aussi
transportés de joie. Dès l’instant de la naissance, tous les yeux sont rivés sur
le bébé. Quelque chose chez lui attire, non seulement la mère et le père,
mais aussi tous ceux qui sont présents pour l’événement. Si on lui en laisse
la possibilité, la mère va passer de nombreuses heures dans les jours
suivants à contempler son nouveau trésor, à le câliner et à apprendre à le
connaître. Il arrive généralement un moment où elle sent que le bébé est
bien le sien. Pour certaines, cela arrive vite : la première fois qu’elles le
tiennent ou qu’il les regarde dans les yeux. Pour une importante minorité de
primipares accouchant à l’hôpital cependant, cela peut prendre jusqu’à une
semaine, souvent jusqu’à ce qu’elles rentrent à la maison 7.
Un phénomène de la plus haute importance sur lequel la recherche
récente a attiré l’attention est le potentiel du nouveau-né en bonne santé à
s’engager dans une forme élémentaire d’interaction sociale et celui de la
mère ordinairement sensible d’y participer avec succès *7.
Lorsqu’une mère et son bébé de 2 ou 3 semaines sont en face à face, ils
ont des phases d’interaction sociale très vivantes, qui alternent avec des
phases de désengagement. Chaque phase d’interaction débute par une
entrée en contact et un salut mutuel, se poursuit par des échanges animés
d’expressions faciales et de vocalisations, au cours desquels le nourrisson
s’oriente vers sa mère en agitant les bras et les jambes ; puis ces activités se
calment progressivement et se terminent par le détournement du regard du
bébé pendant un moment, avant le début d’une nouvelle séquence. Lors de
ces cycles, le bébé se montre généralement aussi spontanément actif que sa
mère. Leur rôle diffère dans le timing de leurs réponses. Alors que l’entrée
en communication du bébé et son retrait de l’interaction suivent plutôt son
rythme indépendant à lui, une mère sensible régule son comportement à elle
de façon à le faire concorder avec celui de son enfant. De plus, elle modifie
la forme de son comportement pour s’adapter à lui : sa voix est douce mais
plus haut perchée que d’habitude, ses mouvements sont ralentis, et chaque
nouvelle action est ajustée dans sa forme et son timing en fonction des
réactions du bébé. Elle le laisse ainsi mener la danse, et par un habile
entrelacs de ses réponses avec celles de son enfant, elle crée un dialogue.
La rapidité et l’efficacité avec lesquelles ces dialogues se mettent en
place, et le plaisir mutuel qu’ils procurent, sont clairement le signe d’une
préadaptation de chacun des participants à leur mise en œuvre. D’un côté,
on trouve l’empressement intuitif de la mère à laisser son bébé gérer le
rythme de ses interventions à elle. De l’autre, les rythmes du nourrisson se
modifient progressivement pour prendre en compte les interventions
maternelles. Dans une relation heureuse, chaque partenaire s’adapte à
l’autre.
Des séquences d’alternance très semblables ont été enregistrées dans
d’autres échanges très différents entre mère et enfant. Par exemple, Kaye 14
observant les comportements durant l’allaitement a trouvé que les mères ont
tendance à interagir avec leur nourrisson en se synchronisant précisément
sur son rythme de succion et de pause. Pendant les phases de succion, la
mère est généralement calme et inactive ; pendant les pauses, elle caresse
son bébé et elle lui parle. Un autre exemple de mères suivant le signal de
leur bébé, cette fois âgé de 5 à 12 mois, est rapporté par Collis et Schaffer 15.
Une mère et son enfant sont placés dans une pièce remplie de gros jouets de
couleurs vives qui attirent rapidement leur attention. L’observation de leur
comportement montre alors deux choses. La première, c’est qu’en règle
générale, les deux partenaires regardent le même objet au même moment.
La seconde, c’est que l’examen du timing montre presque invariablement
que c’est le bébé qui mène et la mère qui suit. L’intérêt spontané de l’enfant
pour les jouets est de toute évidence surveillé de près par la mère qui,
presque automatiquement, regarde alors dans la même direction. Un centre
d’intérêt mutuel ayant été établi, la mère va plus loin, elle fait des
commentaires sur le jouet, elle le nomme, le manipule. « Une expérience de
partage s’établit alors, initiée par l’attention spontanée du bébé pour son
environnement, mais consolidée par la mère qui s’autorise à se laisser
guider par l’enfant. »
Un autre exemple encore, rapporté aussi par Schaffer 16, concerne les
échanges vocaux entre mère et enfant à un niveau préverbal. En comparant
deux groupes d’enfants, de 12 et 24 mois, ils ont observé que la capacité de
la dyade à respecter les tours de parole et à éviter les chevauchements était
non seulement étonnamment efficace, mais tout aussi caractéristique des
bébés les plus jeunes que des plus âgés. Ainsi, longtemps avant l’apparition
des mots, le principe des tours de parole si caractéristique de la
conversation humaine est déjà présent. Ici encore, les données montrent que
les transitions sans heurt d’un « interlocuteur » à l’autre sont principalement
le fait de la mère.
Je présente ces exemples en détail parce que je pense qu’ils en disent
long sur la nature du parentage ainsi que sur celui ou celle qui en est l’objet.
Ce qui ressort de ces études, c’est que la mère ordinairement sensible
s’accorde rapidement aux rythmes naturels de son bébé et qu’en veillant
aux détails du comportement de celui-ci, elle découvre ce qui lui convient et
s’adapte en conséquence. En agissant ainsi, non seulement elle provoque
son contentement mais elle s’assure aussi sa coopération. Car, bien
qu’initialement sa capacité d’adaptation à lui soit limitée, elle n’est pas
totalement absente, et si elle est autorisée à suivre son propre tempo, elle
devient rapidement source de satisfaction. Ainsworth et ses collègues ont
remarqué que les bébés dont la mère réagissait avec sensibilité à leurs
signaux pendant leur première année de vie non seulement pleurent moins
pendant la seconde moitié de cette même année que ne le font les enfants de
mères moins réceptives, mais qu’ils se montrent davantage enclins à
exaucer les désirs de leurs parents 17. Les bébés humains, peut-on en
conclure sans risque, comme les petits d’autres espèces, sont
préprogrammés pour développer une coopération sociale ; qu’ils y
parviennent ou non dépend grandement de la manière dont ils sont traités.
C’est là une vision de la nature humaine, vous l’aurez remarqué,
radicalement différente de celle qui a cours depuis longtemps dans les
sociétés occidentales, et qui a si profondément imprégné la théorie et la
pratique cliniques dont nous avons hérité. Elle suggère, bien entendu, une
conception radicalement différente du rôle de parent.

Ressemblances et différences entre


les rôles de la mère et du père
Dans les exemples présentés jusqu’ici, le parent concerné est la mère.
Cela est presque inévitable car, à des fins de recherche, il est relativement
facile de recruter des échantillons d’enfants à la charge principale de leur
mère, alors que les bébés dont le père s’occupe seul sont rares en
comparaison. Je décrirai donc brièvement une des récentes études qui, avec
d’autres du même ordre, tendent à redresser la balance.
Des centaines de bébés ont été observés à ce jour avec la procédure de
« situation étrange » créée par Ainsworth 18 qui permet de voir comment
l’enfant réagit, d’abord en présence de son parent, puis lorsqu’il est laissé
seul, et enfin au retour du parent. Il en résulte que les bébés peuvent être
classés comme présentant envers leur mère soit un schéma d’attachement
sécure, soit une des deux formes principales d’attachement insécure. On a
montré la stabilité considérable de ces schémas au cours des premières
années de la vie, permettant de prédire le comportement d’enfants de
maternelle entre 4 ans et demi et 6 ans vis-à-vis de personnes nouvelles et
de tâches inconnues 19 : la valeur de cette procédure comme méthode
d’évaluation du développement émotionnel et social de l’enfant n’a pas
besoin d’être précisée.
Jusqu’ici, presque toutes les études utilisant cette procédure ont porté
sur des bébés avec leurs mères. Main et Weston 20, cependant, ont élargi ces
travaux par l’observation d’une soixantaine d’enfants d’abord avec un
parent, et six mois plus tard avec l’autre. Ils ont trouvé qu’au niveau du
groupe, les schémas d’attachement présentés avec les pères sont très
proches de ceux observés avec les mères, avec à peu près les mêmes
pourcentages de distribution des différents types. Mais ils ont aussi
découvert un second résultat encore plus intéressant. Quand ils ont examiné
les schémas présentés par chaque enfant pris individuellement, ils n’ont
trouvé aucune corrélation entre les types d’attachement à chacun des
parents. Ainsi, un enfant peut avoir une relation sécure avec sa mère et pas
avec son père, pour un autre c’est l’inverse, un troisième peut être sécure
avec ses deux parents et un quatrième avec aucun. Pour ce qui est de leur
approche de personnes nouvelles et de tâches inconnues, on observe une
graduation. Ceux qui ont une relation sécure à leurs deux parents se
montrent les plus confiants et les plus compétents, ceux qui ne sont sécures
ni avec l’un ni avec l’autre ont les résultats les plus faibles sur ces deux
dimensions ; et ceux qui bénéficient d’une telle relation avec un seul de
leurs parents se situent entre les deux.
Comme il a été montré que le schéma d’attachement à sa mère d’un
enfant sain à la naissance est le produit de la manière dont celle-ci le
traite 21, il est plus que probable que, de la même façon, le schéma mis en
place avec le père résulte de la manière dont celui-ci le traite.
Cette étude, avec d’autres, indique qu’en servant de figure
d’attachement à son enfant, un père remplit sans doute un rôle très proche
de celui d’une mère ; même si dans la plupart des cultures, voire dans
toutes, les pères ont cette fonction bien moins fréquemment que les mères,
au moins quand les enfants sont encore petits. Dans la plupart des familles
avec de jeunes enfants, le rôle du père est différent. Il a tendance plus que la
mère à se lancer dans des activités physiques, à proposer des choses
nouvelles, et il devient souvent le compagnon de jeu favori de l’enfant, en
particulier pour les garçons 22.
Servir de base sécure
Ce qui me permet d’en arriver à un point fondamental du parentage,
selon moi, à savoir que les deux parents servent de base sécure à leur enfant
ou à leur adolescent, à partir d’où il peut faire des sorties dans le monde
extérieur et où il revient avec la certitude qu’il sera bien accueilli à son
arrivée, qu’on lui offrira une nourriture tant physique qu’émotionnelle, qu’il
sera réconforté s’il est en détresse et rassuré s’il est effrayé. L’essence de ce
rôle consiste à se montrer disponible, prêt à réagir en cas de demande pour
encourager et peut-être aider, mais à n’intervenir activement qu’en cas de
nécessité évidente. À ce titre, il équivaut à celui d’un officier commandant
une base militaire à partir de laquelle un corps expéditionnaire part en
mission et où il peut se replier, en cas de revers. La majeure partie du
temps, le rôle de la base est d’être en attente, mais il n’en est pas moins
vital pour autant. Car c’est seulement lorsque l’officier à la tête du corps
expéditionnaire a confiance dans le fait que ses arrières sont assurés *8 qu’il
peut aller de l’avant et prendre des risques.
Dans le cas des enfants et des adolescents, nous les voyons en
grandissant s’aventurer progressivement de plus en plus loin de leur base et
de plus en plus longtemps. Plus elle est sûre à leurs yeux, prête à répondre
en cas de besoin, plus elle va de soi pour eux. C’est surtout en cas de
maladie ou de décès de l’un des parents que l’immense enjeu de cette base
pour l’équilibre affectif de l’enfant, de l’adolescent ou du jeune adulte saute
immédiatement aux yeux. Dans les conférences qui suivent, seront
présentées des études menées auprès d’adolescents et de jeunes adultes,
ainsi que d’enfants de tous âges dès la crèche, dont les résultats montrent
que ceux qui présentent la plus grande stabilité émotionnelle et qui se
saisissent au mieux des opportunités sont ceux dont les parents se montrent
disponibles et prêts à réagir en cas de besoin, tout en encourageant toujours
leur autonomie *9. Malheureusement, bien entendu, l’inverse est aussi vrai.
Aucun parent ne peut servir de base sécure à son enfant qui grandit s’il
ne comprend pas intuitivement son comportement d’attachement et s’il ne
le respecte pas, en le considérant, ainsi que je le fais, comme un bien
précieux inhérent à la nature humaine. C’est ici que l’appellation
traditionnelle de « dépendance » est d’une influence si pernicieuse. La
dépendance a toujours une connotation négative, et on a tendance à la
considérer comme une caractéristique des plus jeunes années uniquement,
dont il faut rapidement se débarrasser. En conséquence, dans les cercles
cliniques, il arrive souvent que, chaque fois qu’un comportement
d’attachement se manifeste à un âge plus avancé, il est non seulement
considéré comme regrettable, mais se voit même qualifié de régressif. Je
pense qu’il s’agit là d’une effroyable erreur de jugement.
Dans cette présentation du parentage, je me concentre sur le rôle des
parents comme servant de base sécure à leur enfant parce que cette idée,
bien que largement reconnue intuitivement, a jusqu’à présent été, je pense,
mal conceptualisée. Mais un parent doit, bien entendu, jouer de nombreux
autres rôles. L’un d’entre eux a trait à l’influence qu’il exerce sur le
comportement de son enfant dans un sens ou un autre, et à l’ensemble des
techniques qu’il utilise pour y parvenir. Bien que certaines d’entre elles
soient nécessairement restrictives, et certaines autres disciplinaires, la
plupart consistent à l’encourager, par exemple en attirant son attention vers
un jouet ou un autre élément de l’environnement, ou en lui donnant des
astuces sur la manière de résoudre un problème qu’il ne peut pas
complètement gérer seul. De toute évidence, le répertoire des techniques
utilisées varie considérablement d’un parent à un autre – largement
composé d’aide et d’encouragements ou de restrictions et de punitions, avec
toutes les combinaisons intermédiaires. Une première étude prometteuse sur
ces ensembles de techniques utilisées par les parents de jeunes enfants en
Écosse a été faite par Schaffer et Crook 23.
Conditions périnatales et postnatales
favorables ou défavorables
Jusqu’ici, mon objectif dans cette conférence a été de présenter certains
comportements relationnels observés chez des parents dont les enfants sont
épanouis sur le plan affectif et social. Heureusement, la plupart de ces
comportements viennent naturellement à de nombreuses mères et à de
nombreux pères pour qui les échanges avec leurs enfants sont source de joie
et de satisfaction. Et pourtant, il est évident que, même dans des situations
économiques et sociales favorables, de telles relations mutuellement
satisfaisantes n’existent pas dans toutes les familles. Penchons-nous sur ce
que nous savons des conditions psychologiques qui favorisent leur
développement et de celles qui l’entravent.
À plusieurs reprises, j’ai mentionné la mère ordinairement sensible
accordée aux signaux et aux actions de son bébé, qui y répond de manière
plus ou moins appropriée, et qui est alors capable de repérer les effets de
son comportement sur son enfant et de le modifier en conséquence. La
même description s’appliquerait sans doute à un père ordinairement
sensible. Maintenant, il est clair que pour qu’un parent se comporte de la
sorte, il faut qu’il dispose de temps et d’une atmosphère détendue. C’est là
qu’un parent, en particulier la mère qui porte généralement le poids du
parentage lors des premiers mois et des premières années, a besoin de toute
l’aide possible – non pas pour s’occuper du bébé, ce qui est son travail,
mais pour toutes les corvées de la maison.
Une de mes amies, anthropologue sociale, a observé que dans les îles
des mers du Sud où elle travaillait, la coutume, pour la future mère, pendant
la grossesse et après l’accouchement, est d’être prise en charge par deux
femmes de la famille, qui s’occupent d’elle pendant le premier mois, lui
laissant alors le temps de consacrer toute son attention à son bébé. Mon
amie a été si impressionnée par cette humanité dans l’organisation que,
lorsque son propre enfant est né sur l’île, elle a accepté de recevoir ce
traitement VIP, et elle n’a pas eu à le regretter. En plus d’une aide pratique,
une compagne sympathique a toutes les chances d’apporter à la jeune mère
le soutien émotionnel ou, dans ma terminologie, de lui servir du type de
base sécure dont nous avons tous besoin en situation de stress et sans
laquelle il est difficile de se détendre. Dans presque toutes les sociétés, ce
genre d’arrangements est de règle. Ainsi, dans toutes les cultures sauf une
sur les cent cinquante étudiées par les anthropologues, un membre de la
famille ou une amie, généralement une femme, reste avec la mère pendant
la durée du travail et de l’accouchement 24.
Pour parler de notre propre société, des résultats préliminaires qui, s’ils
se confirment, sont du plus grand intérêt et d’une importance clinique
majeure, ont récemment été rapportés par l’équipe de Klaus et Kennel dans
le cadre d’une étude menée dans la maternité d’un hôpital au Guatemala 25.
Les femmes d’un groupe ont suivi la routine de l’hôpital pour le travail et
l’accouchement, qui consiste en fait à être laissées seules la majeure partie
du temps. Les femmes de l’autre groupe ont bénéficié du soutien amical
constant d’une personne extérieure à l’hôpital sans formation spécifique,
depuis le moment de leur admission jusqu’à leur accouchement, une
personne le jour, une autre la nuit. Dans le groupe avec soutien, le travail a
été plus de deux fois plus court que dans l’autre groupe, 8,7 heures contre
19,3 heures *10. Par ailleurs, la mère est restée éveillée pendant plus
longtemps lors de la première heure de vie du nourrisson, et elle s’est
montrée alors bien davantage disposée à le caresser, à lui sourire et à lui
parler.
De telles conséquences sur l’attitude d’une mère envers son bébé à la
suite d’un contact accru juste après sa naissance sont aujourd’hui bien
connues. Parmi les différences observées par Klaus et Kennell à 1 mois, on
trouve que les mères à qui l’on a accordé davantage de contact avec leur
enfant le réconfortent plus lors des visites stressantes du médecin et,
pendant l’allaitement, le cajolent plus et le regardent davantage dans les
yeux. Des différences comparables ont été retrouvées à 12 mois, puis à
nouveau à 2 ans. Dans ces études, le contact supplémentaire était d’une
heure seulement pendant les trois heures après l’accouchement, et de
cinq heures en plus chaque après-midi, les trois jours suivants *11 26.
Peterson et Mehl 29 se sont demandé dans quelle mesure ce type
d’expériences péri- et postnatales étaient susceptibles d’aider une mère à
développer une relation sensible et aimante avec son bébé ou de l’en
empêcher. Dans une recherche longitudinale portant sur quarante-six
femmes et leurs maris, interrogés et observés pendant la grossesse, le
travail, et à quatre reprises pendant les six premiers mois du bébé, la
variable la plus significative permettant de prédire les différences de lien
maternel était la durée pendant laquelle la mère avait été séparée de son
enfant pendant les heures et les jours suivant sa naissance. D’autres
variables avec un rôle significatif, mais moindre, étaient l’expérience de la
naissance, ainsi que les attitudes et les attentes exprimées par la mère lors
de sa grossesse.

Influence des expériences vécues


par les parents dans leur enfance
Bien entendu, la clinique démontre largement aussi la profonde
influence sur les sentiments et le comportement de la mère envers son bébé
des expériences personnelles antérieures de celle-ci, en particulier son vécu
passé, voire toujours actuel, avec ses propres parents ; et bien que les
informations sur l’attitude du père soient plus rares, celles dont on dispose
invitent clairement à une conclusion similaire.
Dans ce domaine, les preuves apportées par les études systématiques de
jeunes enfants sont impressionnantes : elles montrent que l’influence des
parents sur le schéma d’attention à autrui *12 adopté par leurs enfants se
développe très tôt. Par exemple, Zahn-Waxler, Radke-Yarrow et King 30 ont
découvert non seulement que l’aide et le réconfort apportés à un autre
individu en détresse est un schéma comportemental qui intervient
généralement dès la deuxième année de l’enfant, mais que la forme qu’il
revêt est très influencée par la manière dont sa mère le traite. Les enfants
dont les mères réagissent avec sensibilité à leurs signaux et qui leur
apportent un contact physique réconfortant sont ceux dont les réactions sont
les plus promptes et les plus appropriées vis-à-vis de la détresse des
autres *13. Par ailleurs, il est fréquent que la manière de réagir d’un enfant
dans ces circonstances soit une réplique nette de ce qu’il a vu sa mère faire
et/ou de ce qu’elle lui a fait. Le suivi d’un groupe d’enfants présentant de
telles différences précoces serait du plus grand intérêt.
Un autre type de preuves concernant l’influence des expériences
d’enfance sur la manière dont une femme materne son bébé provient
d’études menées à Londres. Par exemple, une recherche de Frommer et
O’Shea 32 révèle que des femmes qui, lors de leur grossesse, rapportent
avoir été séparées de l’un de leurs parents ou des deux avant l’âge de 11 ans
risquent particulièrement d’avoir des difficultés psychologiques et
conjugales après la naissance du bébé, et que celui-ci présente également
des troubles du sommeil et de l’alimentation. Une autre étude, toujours à
Londres, par Wolkind, Hall et Pawlby 33, prolonge ces résultats en montrant
que les femmes avec une enfance bouleversée interagissent
significativement moins avec leur premier-né de 5 mois que celles qui n’ont
pas vécu ce genre de drame. Ces observations, qui ont été faites par un
éthologiste, se sont étendues sur une période suffisamment longue pour
enregistrer cinquante minutes de vie éveillée du bébé, en dehors des
moments où il était nourri ; cela nécessitait généralement que l’observateur
reste sur place toute la matinée. Non seulement les mères issues de familles
désorganisées passaient en moyenne deux fois plus de temps que les autres
hors de vue de leur bébé, mais, même lorsqu’elles étaient avec lui, elles
avaient tendance à passer moins de temps à le tenir, à le regarder et à lui
parler. Par ailleurs, lorsqu’on leur a demandé : « Cela prend un peu de
temps pour commencer à considérer un bébé comme une personne, en êtes-
vous déjà là ? », les mères issues de familles désunies avaient nettement
moins tendance à dire qu’elles y parvenaient 34. Ce que je souhaite
souligner, c’est que cette étude ne laisse aucun doute sur le fait que les
mères dont l’enfance a été perturbée ont tendance à moins interagir avec
leur bébé que celles dont l’enfance a été plus heureuse – à un moment de la
vie de celui-ci où la quantité d’interactions est presque intégralement
déterminée par la mère.
Les preuves les plus nettes du rôle considérable joué par les expériences
d’enfance dans le comportement ultérieur d’un parent viennent d’études
d’adultes connus pour avoir physiquement maltraité leurs enfants 35. La
configuration type est celle d’une enfance où l’attention de la part des
parents était au mieux erratique et au pire complètement absente, où les
critiques et les reproches étaient fréquents et acerbes, et où parents ou
beaux-parents avaient des comportements violents l’un envers l’autre et
souvent, mais pas toujours, envers les enfants. Une caractéristique qui
ressort d’une étude de DeLozier sur des mères ayant brutalisé leur enfant
(étude décrite en détail dans la cinquième conférence) est le nombre élevé
d’entre elles à avoir vécu dans la crainte permanente d’être abandonnées par
l’un de leurs parents ou par les deux et donc d’être placées dans un foyer
adoptif ou dans une institution, et à avoir aussi fréquemment été menacées
de coups, voire pire. Sans surprise, ces filles devenues adultes ont
perpétuellement peur que leur mari ou leur petit ami les quitte, considèrent
la violence physique comme dans l’ordre des choses, et attendent peu, voire
rien du tout, en termes d’amour et de soutien d’où qu’ils viennent.
Toutes les femmes avec ce genre de vécu n’agressent pas leurs enfants,
cependant ; pas plus qu’une femme qui maltraite l’un de ses enfants ne
maltraite nécessairement les autres. Comment expliquer ces différences ?
Les données suggèrent que les personnes qui, en raison d’expériences
antérieures, ont une forte prédisposition à des attitudes parentales
défavorables sont plus sensibles que la moyenne à ce qui leur arrive
pendant l’accouchement et après la naissance de leur bébé. Il semble que
pour ces femmes, des expériences négatives à cette période-là constituent la
dernière goutte qui fait déborder le vase.
Dans une étude faite à Oxford, par exemple, Lynch 36 a comparé les
histoires de vingt-cinq enfants physiquement maltraités avec celles de leurs
frères et sœurs qui ne l’étaient pas. Il existait une différence significative
entre les enfants maltraités et les autres membres de la fratrie quant au fait
d’être issus d’une grossesse, d’un travail ou d’un accouchement anormaux,
d’avoir été séparés de leur mère pendant quarante-huit heures ou plus juste
après la naissance, et d’avoir vécu des séparations d’un autre ordre au cours
de leurs six premiers mois. Lors de leur première année, en outre, les
enfants maltraités avaient plus souvent été malades que leurs frères et sœurs
épargnés ; et il était plus fréquent que leur mère ait été malade aussi pendant
la première année de leur vie. Dans cette étude, la personnalité et le passé
des parents étant les mêmes dans le cas des enfants maltraités et de ceux qui
ne l’étaient pas, le sort de chacun d’entre eux semble avoir largement
dépendu du vécu de leur mère avec eux pendant la période périnatale et
postnatale précoce. Les conclusions de l’étude de Cater et Easton 37 vont
dans le même sens *14.
Parmi les nombreux schémas de parentage perturbés que l’on peut
rapporter, au moins en partie, à des expériences d’enfance, il en est un autre
qui a aussi été beaucoup étudié chez les mères maltraitantes 38. Il s’agit de
leur tendance à attendre et à exiger de leurs propres enfants qu’ils
s’occupent d’elles et leur prêtent attention, en d’autres termes de leur
tendance à inverser la relation. Dans les entretiens, elles décrivent
régulièrement la manière dont, enfants, elles avaient, elles aussi, eu la
responsabilité de s’occuper de leurs parents au lieu que ce soit eux qui
s’occupent d’elles.
La plupart, voire tous les parents qui s’attendent à ce que leurs enfants
s’occupent d’eux ont eux-mêmes fait l’objet d’un parentage inadéquat.
Malheureusement, bien trop souvent, ils créent alors des problèmes
psychologiques majeurs à leurs enfants. Ailleurs 39, j’ai soutenu l’idée
qu’une inversion de rôles parent-enfant se cache derrière un nombre
important de cas de refus d’aller à l’école (phobies scolaires) et
d’agoraphobie, ainsi que de dépression probablement.

Comment aider au mieux


Dans cette présentation, mon attention a porté principalement sur ce que
nous savons d’un parentage réussi et sur certaines des variables qui
permettent ou non à de jeunes hommes et femmes de devenir des parents
sensibles qui s’occupent bien de leurs enfants. En conséquence, je n’ai que
très peu abordé les multiples variantes de parentage défaillant et perturbé
que nous rencontrons en clinique. Un autre vaste thème dont je n’ai pas
parlé concerne la meilleure aide à apporter à ces jeunes gens pour qu’ils
deviennent les bons parents que la majorité, selon moi, souhaite être. Pour
conclure, donc, laissez-moi vous présenter ce qui, selon moi, devrait être à
la base de telles interventions – toujours s’efforcer d’enseigner par
l’exemple et non par des préceptes, par la discussion et non par des
consignes. Plus nous permettons à des jeunes de rencontrer et d’observer en
direct des parents qui s’occupent de leurs enfants avec sensibilité, plus ils
seront susceptibles de suivre leur exemple. Apprendre directement de ces
parents les difficultés qu’ils rencontrent, et les satisfactions qu’ils
obtiennent, discuter avec eux de leurs erreurs comme de leurs succès,
valent, selon moi, des centaines d’heures de cours. Pour un tel programme,
qui à certains endroits pourrait venir enrichir les groupes d’entraide des
mères qui commencent à avoir du succès, il faudrait s’assurer la
coopération active de parents sensibles, s’occupant bien de leurs enfants.
Heureusement, il en existe encore beaucoup dans notre société, et je pense
que nombre d’entre eux seraient tout disposés et fiers d’apporter leur
concours.
2.

Les origines de la théorie


de l’attachement

Au printemps 1981, la Société américaine d’orthopsychiatrie m’a invité


à New York à recevoir le quatrième Blanche Ittleson Award et à présenter
aux membres de l’association l’historique de mes travaux dans le domaine
de l’attachement et de la perte. Après avoir remercié mes hôtes pour cet
honneur, j’en ai aussi profité pour exprimer ma profonde gratitude envers
les trois fondations américaines, la fondation Josiah Macy Junior, la
fondation Ford et celle des Fonds pour la recherche en psychiatrie pour
avoir subventionné nos travaux à la Tavistock Clinic pendant la décennie
déterminante qui a débuté en 1953.
Après la conférence, le rédacteur en chef du journal de l’association
m’a demandé de prolonger mes remarques par un compte rendu de nos
connaissances de l’époque dans ce champ de recherche qui est le mien, de
la manière dont nous avons acquis ces connaissances, et des directions
envisagées pour les travaux à venir. En réponse, je lui ai expliqué que je
n’étais pas en position d’être un historien objectif d’un domaine depuis
longtemps objet de controverse et que tout ce que je pouvais tenter, c’était
d’en faire le récit autant que je m’en souvienne et d’indiquer quelques
études empiriques et quelques-unes des notions théoriques qui ont influencé
notre approche. Mes biais personnels, ai-je ajouté, seraient inévitablement
évidents dans l’ensemble de mes propos.

Durant les années 1930 et 1940, un certain nombre de cliniciens de part


et d’autre de l’Atlantique, la plupart travaillant indépendamment les uns des
autres, ont fait des observations sur les effets nocifs sur le développement
de la personnalité du placement prolongé en institution et/ou des
changements fréquents de figure maternelle au cours des premières années
de la vie. Des publications décisives ont suivi. Par ordre alphabétique des
auteurs, on peut citer : Lauretta Bender 1, John Bowlby 2, Dorothy
Burlingham et Anna Freud 3, William Goldfarb 4, David Levy 5, et René
Spitz 6. Chacun de ces auteurs étant analyste qualifié (excepté Goldfarb qui
s’est formé ultérieurement), il n’est pas surprenant que leurs découvertes
aient suscité peu d’émoi en dehors des cercles analytiques.
C’est dans ce contexte que, fin 1949, un jeune psychiatre britannique à
l’esprit créatif, d’orientation analytique et récemment nommé chef de la
section de santé mentale à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), est
entré en scène. À la suite d’une demande de contribution à une étude des
Nations unies sur les besoins des enfants sans foyer, Ronald Hargreaves *1 a
décidé de nommer un consultant pour une brève mission sur les aspects de
santé psychique de cette question et, connaissant mon intérêt en la matière,
il m’a invité à entreprendre cette tâche. Cela a été pour moi une occasion en
or. Après cinq années passées comme psychiatre des armées, j’étais
retourné à la pédopsychiatrie, déterminé à explorer plus avant les problèmes
que j’avais commencé à étudier avant la guerre ; et j’avais déjà engagé mon
premier assistant de recherche James Robertson, un travailleur social en
psychiatrie récemment diplômé, qui avait travaillé avec Anna Freud aux
Hampstead Nurseries pendant la guerre.
Les six mois que j’ai passés à l’OMS en 1950 m’ont donné l’occasion,
non seulement de lire la littérature et d’en parler avec ses auteurs, mais
aussi de rencontrer bien d’autres personnes en Europe et aux États-Unis
avec de l’expérience dans le domaine. Peu après la fin de mon contrat, j’ai
rendu mon rapport, qui a été publié début 1951 comme monographie de
l’OMS sous le titre Maternal Care and Mental Health *2 7. Dans ce rapport,
j’ai passé en revue les preuves, loin d’être négligeables à l’époque, de
l’influence négative sur le développement de la personnalité d’une attention
maternelle inadéquate pendant la petite enfance, en soulignant la détresse
aiguë des jeunes enfants qui se trouvent séparés de ceux qu’ils connaissent
et qu’ils aiment, et j’ai fait des recommandations sur la meilleure manière
d’éviter, ou au moins d’atténuer, ces effets nocifs à court et à long terme.
Pendant les quelques années qui ont suivi, ce rapport a été traduit dans une
douzaine de langues, et il est paru dans une version abrégée grand public en
anglais.
Quelle que soit l’influence que peut souvent avoir l’écrit, elle n’est
jamais aussi puissante que l’impact émotionnel des images. Au cours des
années 1950, le film précurseur de René Spitz Grief, A Peril in Infancy
(1947) et celui de James Robertson A Two-Year-Old Goes to Hospital
(1952) *3 ont tous deux eu un écho considérable. Non seulement ils ont attiré
l’attention des professionnels dans l’immédiat sur la détresse et l’anxiété
des jeunes enfants dans un cadre institutionnel, mais ils se sont révélés être
de puissants instruments de promotion du changement dans les pratiques.
Dans ce domaine, Robertson devait jouer un rôle de premier plan 8.
À la fin des années 1950, bon nombre de travailleurs sociaux et
d’intervenants en pédopsychiatrie et en psychologie, ainsi que certains
pédiatres et infirmières auprès des enfants malades, avaient intégré les
résultats des recherches et modifié leurs façons de faire. Néanmoins, la
polémique soulevée par les premières publications et par les films était
toujours vive. Les psychiatres formés à la psychiatrie traditionnelle et les
psychologues adeptes de la théorie de l’apprentissage continuaient plus que
jamais à souligner les défauts des études, et le manque d’explication
adéquate quant à la manière dont les expériences impliquées pouvaient
avoir les effets revendiqués sur le développement de la personnalité. De
nombreux psychanalystes, quant à eux, en particulier ceux dont l’approche
théorique était centrée sur le rôle du fantasme en psychopathologie, à la
relative exclusion de l’influence des événements réels de l’existence,
n’étaient toujours pas convaincus et continuaient à se montrer parfois très
critiques. Pendant ce temps, la recherche avançait. Par exemple, à Yale,
Sally Provence et Rose Lipton faisaient une étude systématique des bébés
en institution, où elles comparaient le développement de ceux-ci avec celui
de bébés vivant dans une famille 9. À la Tavistock Clinic, les membres de
ma petite équipe de recherche étaient occupés à recueillir des données
supplémentaires sur les effets à court terme sur un jeune enfant du
placement auprès de personnes étrangères dans des endroits non familiers
pendant des semaines et parfois des mois d’affilée 10, tandis que je me
penchais sur les problèmes théoriques soulevés par nos données.
Pendant ce temps, le champ était en pleine évolution avec une première
influence majeure, celle de la publication en 1963 par l’OMS d’un
ensemble d’articles réaffirmant les multiples effets des divers types
d’expériences rassemblés sous l’appellation « privation d’attention *4 ». Sur
les six articles, celui de ma collègue Mary Ainsworth 11 était de loin le plus
complet. Non seulement elle y passait en revue les nombreuses et diverses
preuves recueillies et présentait les différentes questions ayant fait
polémique, mais elle y détaillait aussi un grand nombre de points
nécessitant de plus amples recherches.
Une deuxième influence importante a été celle de la publication, qui a
débuté à la fin des années 1950, des études de Harry Harlow sur les effets
de la privation d’attention sur les singes rhésus et, là encore, les images ont
joué un rôle majeur. Le travail de Harlow aux États-Unis avait été stimulé
par les observations de Spitz. Au Royaume-Uni, les études
complémentaires de Robert Hinde l’ont été par nos travaux à la Tavistock.
Dans la décennie qui a suivi, un flot de résultats expérimentaux de la part de
ces deux scientifiques 12, venant s’ajouter à la revue de littérature
d’Ainsworth, ont affaibli l’opposition. À la suite de cela, le silence s’est fait
sur l’invraisemblance intrinsèque de nos hypothèses ; et les critiques sont
devenues plus constructives.
De nombreux aspects, bien entendu, restaient incertains. Même si la
réalité de la détresse à court terme et des troubles comportementaux est
avérée, quelle preuve y a-t-il de la persistance de ces effets nocifs ? nous
demandait-on. Quelles caractéristiques de cette expérience, ou quelle
combinaison de caractéristiques, sont responsables de la détresse ? Et, s’il
était démontré que dans certains cas les effets nocifs persistent, comment
peut-on l’expliquer ? Comment se fait-il que certains enfants semblent
traverser des expériences très défavorables avec relativement peu de
dommage ? En quoi était-ce important qu’un seul caregiver principal
s’occupe d’un enfant la majeure partie du temps ? Dans les sociétés moins
développées, le maternage multiple est courant, nous affirmait-on (à tort
finalement). Outre toutes ces questions légitimes, il y avait par ailleurs des
malentendus. Certains supposaient que les défenseurs de l’idée selon
laquelle une figure maternante principale doit s’occuper de l’enfant la
majeure partie du temps, vouaient strictement ce rôle à la mère biologique –
la soi-disant théorie des liens du sang. D’autres supposaient qu’en prônant
l’idée qu’un enfant devrait « vivre une relation chaleureuse, intime et sans
interruption avec sa mère (ou son substitut maternel permanent) *5 », les
partisans ordonnaient un régime où la mère devait s’occuper de son enfant
vingt-quatre heures sur vingt-quatre, jour après jour, sans aucun répit. Dans
un domaine qui mobilise de très fortes émotions et où presque tout le
monde a quelque intérêt en la matière, il n’est pas toujours facile de
réfléchir en évitant les biais.
La théorie sous un nouveau jour
La monographie Maternal Care and Mental Health est en deux parties.
La première partie présente les données sur les effets négatifs de la
privation d’attention, la seconde discute des moyens de prévention. Ce qui
manquait, et plusieurs critiques l’ont souligné, c’était une explication de la
manière dont cette privation agissait sur le développement de la
personnalité, comme on l’affirmait. La raison de cette omission était
simple : aucune théorie de l’époque ne permettait de rendre compte des
données et lors de mon court séjour à l’OMS, il ne m’avait pas été possible
d’en développer une.

LA NATURE DU LIEN DE L’ENFANT À SA MÈRE

À cette époque, il était communément admis que la raison pour laquelle


un enfant établit des liens étroits avec sa mère, c’est parce qu’elle le nourrit.
On fait l’hypothèse de deux types de pulsions, primaire et secondaire. La
nourriture est considérée comme primaire ; la relation personnelle, qualifiée
de « dépendance », comme secondaire. Cette théorie ne me semblait pas
correspondre aux faits. Par exemple, si elle était vraie, un bébé de 1 ou
2 ans devrait se lier facilement à toute personne qui le nourrit et ce n’est
clairement pas le cas. Une autre théorie, issue de l’école psychanalytique
hongroise, fait l’hypothèse d’une relation d’objet primitive dès le départ.
Dans sa version la plus connue, cependant, celle prônée par Melanie Klein,
le sein de la mère constitue le premier objet, et une importance
fondamentale est accordée à la nourriture et à la nature infantile de la
« dépendance ». Aucune de ces deux caractéristiques ne correspondait à
mon expérience des enfants.
Mais si les théories de l’époque n’étaient pas appropriées, quelle était
l’alternative ?
Pendant l’été 1951, un ami m’a parlé des recherches de Lorenz sur la
réaction de suite des canetons et des oisons. La consultation de ces travaux
et d’autres du même ordre sur le comportement instinctif m’a ouvert la
porte d’un nouveau monde, où des scientifiques de haut niveau étudiaient
chez des espèces animales nombre de problèmes auxquels nous étions
confrontés chez les humains, en particulier celui des relations relativement
durables qui se développent dans de nombreuses espèces, d’abord entre les
petits et leurs parents et ensuite entre mâles et femelles, ainsi que certaines
des perturbations que l’on rencontre dans ce domaine. Ces travaux
pouvaient-ils éclairer cette question au centre de la psychanalyse, celle de
« l’instinct » chez les humains ? me suis-je alors demandé.
A suivi une longue phase pendant laquelle je me suis attelé à tenter de
maîtriser les principes de base de cette approche et de les appliquer à nos
problèmes, en commençant par la nature du lien de l’enfant à sa mère. Là,
le travail de Lorenz sur les réactions de suite des canetons et des oisons 14
s’est révélé particulièrement intéressant. Il montre que dans certaines
espèces animales, un lien fort à une figure maternelle spécifique peut se
développer sans l’intermédiaire de la nourriture : car ces jeunes oiseaux ne
sont pas nourris par leurs parents, mais ils s’alimentent eux-mêmes en
attrapant des insectes. Je trouvais là un modèle alternatif à l’approche
traditionnelle, qui présentait un certain nombre de caractéristiques pouvant,
semble-t-il, se rapporter à l’homme. Par la suite, quand ma compréhension
des principes éthologiques s’est approfondie et que je les ai appliqués à un
problème clinique puis à un autre, j’ai été de plus en plus sûr qu’il s’agissait
là d’une approche prometteuse. Ayant ainsi adopté ce nouveau point de vue,
j’ai décidé de « poursuivre avec ces notions aussi longtemps que leur
application semblait fournir des résultats » (pour emprunter une des phrases
de Freud).
De 1957, date de la première présentation de « La nature du lien de
l’enfant à sa mère », à 1969 où L’Attachement est paru, et jusqu’en 1980
avec la publication de La Perte, je me suis consacré à cette tâche. Le cadre
conceptuel *6 qui en est résulté avait pour objectif de rendre compte de tous
ces phénomènes sur lesquels Freud a attiré l’attention – par exemple, les
relations amoureuses, l’angoisse de séparation, le deuil, la défense, la
colère, la culpabilité, la dépression, le traumatisme, le détachement
émotionnel, les périodes sensibles du début de la vie –, offrant ainsi une
alternative à la métapsychologie traditionnelle de la psychanalyse, et
ajoutant une variante clinique à toutes celles alors en vigueur.
Comme l’a souligné Kuhn, tout cadre conceptuel nouveau est difficile à
saisir, en particulier pour ceux qui sont depuis longtemps familiarisés avec
un modèle plus ancien. Parmi les nombreuses difficultés que l’on peut
rencontrer dans la compréhension de celui qui est défendu ici, je n’en
décrirai que quelques-unes. Par exemple, au lieu de prendre pour point de
départ un syndrome clinique présent à un âge avancé et de tenter de retracer
ses origines rétrospectivement, je suis parti d’un type de traumatismes de
l’enfance et j’ai essayé d’en repérer les séquelles de manière prospective.
Autre exemple, au lieu de démarrer avec les pensées et les sentiments
intimes d’un patient, tels qu’ils s’expriment dans les associations libres ou
dans le jeu, et d’essayer de bâtir une théorie du développement de la
personnalité à partir de ces éléments, j’ai commencé par l’observation du
comportement des enfants dans certains types de situations définis, en
enregistrant aussi les émotions et les pensées qu’ils expriment, et j’ai essayé
de construire une théorie du développement de la personnalité à partir de là.
D’autres difficultés viennent de mon utilisation de concepts comme celui
des systèmes de contrôle (au lieu d’énergie psychique) et des trajectoires de
développement (au lieu des phases libidinales) qui, en dépit de leur
reconnaissance indiscutable comme concepts clés dans l’ensemble des
sciences biologiques aujourd’hui, sont toujours étrangers à la pensée d’un
très grand nombre de psychologues et de cliniciens.
Ayant rejeté la théorie de la dépendance et de la pulsion secondaire dans
la relation de l’enfant à sa mère, ainsi que l’alternative kleinienne, la
première tâche a consisté à proposer une nouvelle formulation. Cela a
conduit au concept de comportement d’attachement, doté de sa propre
dynamique, distinct du comportement et de la dynamique de l’alimentation
ou de la sexualité, deux sources de motivation humaine considérées depuis
longtemps par la plupart comme à la base de tout. Un soutien important
dans cette étape m’a bientôt été apporté par les travaux de Harlow qui a
découvert, chez une autre espèce de singes – les macaques rhésus –, que les
petits montraient une préférence nette pour une « mère » mannequin au
contact doux, bien qu’elle n’apporte aucune nourriture, par rapport à une
autre au contact dur qui, elle, en procurait 17.
Le comportement d’attachement consiste en n’importe quel type de
comportement permettant à un individu de se rapprocher ou de rester à
proximité d’un tiers clairement identifié, considéré comme mieux à même
de faire face au monde extérieur. Il est particulièrement manifeste chaque
fois que la personne est effrayée, fatiguée, ou malade, et il s’apaise avec le
réconfort et l’attention d’autrui. À d’autres moments, le comportement
apparaît moins nettement. Cela étant, savoir qu’une figure d’attachement est
disponible et réceptive procure un fort sentiment de quiétude *7 globale,
encourageant ainsi à valoriser cette relation et à la préserver. Bien que le
comportement d’attachement soit le plus visible lors des premières années,
il s’observe tout au long de la vie, en particulier en cas d’urgence. Puisqu’il
se manifeste théoriquement chez tous les êtres humains (bien que dans des
styles variables), il est considéré comme partie intégrante de la nature
humaine, partie que nous partageons (jusqu’à un certain point) avec les
membres d’autres espèces. La fonction biologique qu’on lui attribue est
celle de protection. Pouvoir accéder facilement à une personne familière
que l’on sait prête et disposée à venir à notre secours en cas d’urgence
constitue clairement une bonne police d’assurance – quel que soit notre âge.
En conceptualisant l’attachement de cette manière, comme une forme
fondamentale de comportement avec sa propre motivation interne, distincte
de l’alimentation et de la sexualité, et tout aussi importante pour la survie,
ce comportement et cette motivation accèdent à un statut théorique qui ne
leur a jamais été accordé jusqu’ici – même si cliniciens et parents sont
depuis longtemps intuitivement conscients de leur importance. Comme je
l’ai déjà fait remarquer, les expressions « dépendance » et « besoin de
dépendance », qui ont jusqu’à présent été utilisées pour y faire référence,
présentent de graves inconvénients. Pour commencer, « dépendance » est
péjoratif ; ensuite, cela n’implique pas une relation affective forte avec une
personne ou un petit nombre d’individus clairement préférés ; et enfin,
aucune fonction biologique d’importance ne lui a jamais été attribuée.
Cela fait maintenant trente ans que la notion d’attachement a été
introduite pour conceptualiser efficacement un type de comportement d’une
importance essentielle, non seulement pour les cliniciens et les
psychologues du développement, mais aussi pour tous les parents. Au cours
de ces années, la théorie de l’attachement a été grandement éclaircie et
précisée. Parmi ceux qui y ont notablement contribué, on peut citer Robert
Hinde qui, outre ses propres publications 18, m’a constamment guidé dans
ma réflexion, et Mary Ainsworth qui, à partir de la fin des années 1950, a
été la première à entreprendre des recherches empiriques sur le
comportement d’attachement en Afrique 19 et aux États-Unis 20, et qui a aussi
largement participé au développement de la théorie 21. Ses travaux, ainsi que
ceux de ses étudiants et d’autres personnes influencées par son approche
(qui ont pris une ampleur spectaculaire depuis la date de cette conférence et
que je détaille en partie dans la septième conférence), ont conduit la théorie
de l’attachement à se voir considérée comme la théorie probablement la
mieux étayée du développement socio-émotionnel disponible à ce jour 22.
Parce que le point de départ de mes élaborations conceptuelles a été
l’observation du comportement, certains cliniciens en ont conclu que le
résultat n’est rien d’autre qu’une version du behaviourisme. Une telle erreur
est en grande partie due à un manque de familiarité avec le cadre théorique
proposé, et elle est pour une autre part liée à mon propre échec dans les
premières formulations à établir clairement la distinction entre
l’attachement et le comportement d’attachement. Dire d’un enfant (ou
d’une personne plus âgée) qu’il est attaché à quelqu’un, ou qu’il a un
attachement à quelqu’un, signifie qu’il est fortement disposé à rechercher la
proximité et le contact de cette personne, et qu’il le fera tout
particulièrement dans certaines conditions spécifiques. La disposition à agir
ainsi est un attribut de la personne attachée, un attribut persistant qui
n’évolue que lentement au cours du temps et qui n’est pas affecté par la
situation du moment. Le comportement d’attachement, par contre, se réfère
à n’importe quel élément d’un ensemble de divers comportements que la
personne est susceptible de mettre en œuvre par moments pour obtenir et/ou
préserver la proximité désirée.
Il est largement démontré que presque tous les enfants ont généralement
une préférence pour une personne, le plus souvent leur figure maternelle,
vers laquelle ils se tournent lorsqu’ils sont en détresse, mais qu’en son
absence, ils se contentent de quelqu’un d’autre, de préférence quelqu’un
qu’ils connaissent bien. En de telles occasions, la plupart des enfants
présentent une hiérarchie de préférences claire qui aboutit à ce qu’en
dernière extrémité, et si personne d’autre n’est disponible, même un gentil
inconnu pourra être approché. Ainsi, alors que le comportement
d’attachement est susceptible, selon les circonstances, de s’adresser à des
individus variés, un attachement durable, ou lien d’attachement, est réservé
à un très petit nombre d’élus. Lorsqu’un enfant ne fait pas clairement cette
distinction, il est probable qu’il soit gravement perturbé.
La théorie de l’attachement constitue une tentative d’explication, à la
fois du comportement d’attachement, avec ses apparitions et ses
disparitions épisodiques, et des attachements durables que les enfants et les
plus grands établissent avec des personnes spécifiques. Dans cette théorie,
le concept clé est celui de système comportemental. Celui-ci est conçu en
analogie avec un système physiologique doté d’un principe homéostatique
faisant en sorte qu’un certain paramètre, comme la température du corps ou
la pression artérielle, reste dans des limites appropriées. En proposant un
concept de système comportemental pour rendre compte de la manière dont
un enfant ou une personne plus âgée maintient sa relation à sa figure
d’attachement dans certaines limites de distance et d’accessibilité, je ne fais
rien d’autre qu’utiliser ces principes bien établis pour expliquer une forme
différente d’homéostasie, à savoir une homéostasie où les limites fixées
concernent la relation de l’organisme à des personnes clairement identifiées
dans l’environnement, ou à certaines caractéristiques de celui-ci, et où les
limites sont maintenues par des moyens comportementaux et non
physiologiques.
En faisant ainsi l’hypothèse de l’existence d’une organisation
psychologique interne aux caractéristiques hautement spécifiques, comme
les modèles représentationnels de soi et de la (des) figure(s) d’attachement,
cette théorie présente toutes les propriétés de base des approches
structurales, dont la psychanalyse et ses variantes sont parmi les plus
connues, se différenciant ainsi nettement du behaviourisme sous toutes ses
formes. Historiquement, la théorie de l’attachement a été élaborée comme
une variante du concept de la relation d’objet.
Si j’accorde autant de place dans cette présentation à l’attachement et à
ce qui le sous-tend, c’est parce qu’une fois ces principes compris, il n’est
pas difficile de saisir comment ce cadre permet de rendre compte de
nombreux autres phénomènes au centre des préoccupations des cliniciens.

L’ANGOISSE DE SÉPARATION
Par exemple, il offre un nouvel éclairage au problème de l’angoisse de
séparation *8, à savoir la peur de perdre quelqu’un qu’on aime, ou de s’en
trouver séparé. La raison pour laquelle la « simple séparation » cause de
l’inquiétude est un mystère. Freud s’est battu avec ce problème et a avancé
plusieurs hypothèses 23. Tous les autres leaders de la psychanalyse ont fait
de même. Sans aucun moyen de les évaluer, de nombreuses écoles de
pensée divergentes se sont multipliées.
Le problème réside, à mon sens, dans une hypothèse non remise en
cause, faite non seulement par des psychanalystes mais aussi par des
psychiatres plus traditionnels, selon laquelle la peur est provoquée chez une
personne saine d’esprit uniquement par des situations que tout le monde
perçoit comme intrinsèquement douloureuses ou dangereuses, ou qui sont
considérées comme telles par un seul individu uniquement parce qu’il a été
conditionné à les percevoir ainsi. Comme la peur de la séparation et de la
perte ne correspond pas à cette formule, les analystes en ont conclu que ce
qui est craint est en fait une tout autre situation ; et un grand nombre
d’hypothèses variées ont été proposées.
Les difficultés disparaissent, cependant, dès qu’on adopte une approche
éthologique. Car il devient alors évident que l’homme, comme les autres
animaux, réagit par la peur à certaines situations, non en raison du risque
élevé de douleur ou de danger qu’elles comportent, mais en raison de
l’augmentation du risque qu’elles indiquent. Ainsi, les animaux de
nombreuses espèces, y compris l’homme, ont tendance à répondre par la
peur à un mouvement soudain ou à un changement brutal de niveau sonore
ou lumineux parce qu’une telle réaction a une valeur de survie, tout comme
ils ont tendance à réagir de la même façon à la séparation d’avec un tiers
susceptible de s’occuper d’eux, et ce exactement pour les mêmes raisons.
Lorsqu’on envisage l’angoisse de séparation sous cet angle, en tant que
disposition humaine de base, un seul petit pas est nécessaire pour
comprendre pourquoi les menaces d’abandonner un enfant, souvent
utilisées comme moyens de contrôle, sont à ce point terrifiantes. De telles
menaces, ainsi que les menaces de suicide d’un parent, sont, nous le savons
maintenant, des causes courantes d’angoisse de séparation exacerbée.
L’extraordinaire négligence de ces faits dans la théorie clinique classique
est due, je présume, non seulement à une conceptualisation inappropriée de
l’angoisse de séparation, mais à l’absence de valeur accordée aux puissants
effets, à tout âge, des événements de la vie réelle.
Non seulement les menaces d’abandon engendrent une anxiété intense,
mais elles provoquent de la colère, souvent très intense aussi, en particulier
chez les enfants et les adolescents. Cette colère, dont la fonction est de
dissuader la figure d’attachement de mettre sa menace à exécution, peut
facilement devenir dysfonctionnelle. C’est dans cette perspective, je pense,
que nous pouvons comprendre le comportement si absurdement paradoxal
de cet adolescent, cité par Burnham 24 qui, après avoir assassiné sa mère,
s’est exclamé : « Je ne pouvais pas supporter qu’elle me quitte. »
D’autres situations familiales pathogènes sont faciles à expliquer dans
les termes de la théorie de l’attachement. Un exemple assez courant est
celui de l’enfant qui a une relation si étroite à sa mère qu’il a des difficultés
à avoir une vie sociale hors de la famille, relation parfois décrite comme
symbiotique. Le plus souvent, la cause du trouble peut être rapportée à la
mère qui, ayant développé un attachement anxieux en raison d’une enfance
difficile, cherche maintenant à faire de son propre enfant sa figure
d’attachement. Loin d’être trop gâté, comme on l’affirme parfois, l’enfant
porte le poids de devoir s’occuper de sa mère. Ainsi, dans de tels cas, la
relation normale d’un enfant attaché à un parent caregiver *9 se trouve-t-elle
inversée.

LE DEUIL
Alors que l’angoisse de séparation est la réponse habituelle à une
menace de perte ou à tout autre risque du même ordre, le deuil est celle qui
fait suite à une perte effective. Dans les premiers temps de la psychanalyse,
plusieurs analystes ont repéré que les pertes, au cours de l’enfance ou plus
tard dans la vie, jouaient un rôle causal dans les troubles émotionnels, en
particulier dans la dépression ; et dès 1950 un certain nombre de théories
sur la nature du deuil, et des autres réactions à la perte, ont été proposées.
Par ailleurs, la controverse faisait déjà rage. Elle avait débuté dans les
années 1930, en raison des divergences théoriques sur le développement du
bébé, entre Vienne et Londres. Des exemples représentatifs de ces
différences de point de vue sur le deuil se trouvent dans l’article d’Hélène
Deutsch « Absence of grief 25 » et dans celui de Melanie Klein « Le deuil et
ses rapports avec les états maniaco-dépressifs 26 ». Deutsch soutenait qu’en
raison d’un développement psychique incomplet, les enfants n’étaient pas
en mesure de vivre le deuil, tandis que Klein affirmait que non seulement ils
en étaient capables, mais qu’ils le faisaient. Dans la logique de l’accent
qu’elle plaçait sur l’alimentation, cependant, elle estimait que l’objet du
deuil était la perte du sein ; et elle attribuait en outre une vie fantasmatique
complexe au bébé. Quoique opposées, ces deux positions théoriques étaient
fondées sur la même méthodologie, à savoir des inférences quant aux
phases précoces du développement psychologique sur la base
d’observations recueillies au cours de l’analyse de sujets plus âgés et
émotionnellement perturbés. Aucune de ces deux théories n’avait été
vérifiée par l’observation directe de la manière dont des enfants normaux
d’âges divers réagissent à la perte.
Aborder la question de manière prospective, comme je l’ai fait, m’a
conduit à des conclusions différentes. Au début des années 1950, Robertson
et moi avions pu généraliser les réactions observées chez de jeunes enfants
lors de séparations temporaires d’avec leur mère, en une séquence de
protestation, de désespoir, et de détachement 27. Quelques années plus tard,
en lisant une étude de Marris 28 sur la manière dont les veuves réagissent à la
perte de leur époux, j’ai été frappé par la similitude entre les réactions qu’il
décrivait et celles des jeunes enfants. Cela m’a conduit à une étude
systématique de la littérature sur le deuil, en particulier celui des adultes en
bonne santé. Il est devenu clair pour moi que la séquence de réactions
généralement présente était très différente de ce que supposaient les
théoriciens de la clinique. Non seulement le deuil, chez des adultes en
bonne santé, dure plus longtemps que les six mois souvent estimés à
l’époque, mais plusieurs de ses composantes largement considérées comme
pathologiques s’observent couramment dans un deuil sain. Parmi celles-ci,
on trouve la colère, dirigée contre des tiers, contre soi-même et parfois
contre la personne décédée, une incrédulité quant à la réalité de la perte
(appelée « déni », de manière trompeuse), et une tendance souvent
inconsciente, même si ce n’est pas systématique, à rechercher la personne
perdue dans l’espoir d’une réunion avec elle. Plus le tableau des réactions
de deuil des adultes se précisait, plus les similarités avec les réactions
observées dans l’enfance m’apparaissaient clairement. Cette conclusion a
fait l’objet de nombreuses critiques lors de sa présentation 29 ; mais elle se
trouve aujourd’hui largement soutenue par un certain nombre d’études
effectuées depuis 30.
Une fois que l’on dispose d’une image exacte du deuil sain, il devient
possible d’identifier les indicateurs réels de pathologie. Il devient aussi
possible de discerner la plupart des conditions favorisant une évolution
saine de ce deuil, et celles menant à la pathologie. Croire que les enfants
sont incapables de deuil apparaît alors comme issu de généralisations sur la
base d’analyses d’enfants dont le deuil a suivi un cours atypique. Dans de
nombreux cas, cela est dû soit à ce que l’enfant n’a jamais eu
d’informations exactes sur ce qui s’est passé, soit à ce qu’il n’a pu
bénéficier de la présence de quelqu’un de compatissant l’ayant aidé à
accepter progressivement la perte subie, sa nostalgie vis-à-vis du parent
perdu, sa colère et son chagrin.

PROCESSUS DÉFENSIFS

L’étape suivante dans cette reformulation de la théorie analytique a


consisté à envisager une meilleure conceptualisation des processus
défensifs, point crucial puisqu’ils ont toujours été au cœur de la
psychanalyse. Même si, en tant que clinicien, je me suis inévitablement
préoccupé de l’ensemble des mécanismes de défense, en tant que chercheur,
je me suis intéressé spécifiquement au comportement d’un jeune enfant
envers sa mère après un moment passé à l’hôpital ou dans une pouponnière,
sans recevoir de visites. À son retour, il est courant que l’enfant commence
par traiter sa mère presque comme une étrangère, puis, après un moment,
généralement quelques heures ou quelques jours, il devient extrêmement
collant, inquiet de la perdre à nouveau, et en colère contre elle à cette idée.
D’une certaine façon, toutes ses émotions envers sa mère ainsi que
l’ensemble du comportement qui nous semble aller de soi, rester non loin
d’elle et plus précisément se tourner vers elle lorsqu’il a peur ou qu’il est
blessé, disparaissent tout à coup – pour ne réapparaître qu’au bout d’un
certain temps. C’est cet état que James Robertson et moi avons appelé
« détachement » et que nous pensons être le résultat d’un processus défensif
à l’œuvre chez l’enfant.
Alors que Freud, dans ses théorisations scientifiques, était limité à un
cadre expliquant tous les phénomènes, d’ordre physique ou biologique, en
termes de configuration d’énergie, aujourd’hui nous disposons d’une plus
grande variété de modèles. La plupart font appel à des concepts
interdépendants tels que les notions d’organisation, de schéma et
d’information ; tandis que les activités motivées des organismes biologiques
sont conçues en termes de systèmes de contrôle dotés de structures
spécifiques. Avec l’apport de l’énergie physique dont ils disposent, ces
systèmes s’activent à la réception d’un certain type de signaux et se
désactivent lorsqu’ils en reçoivent d’autres. Ainsi, le monde des sciences
dans lequel nous vivons est radicalement différent de celui dans lequel
évoluait Freud à la fin du XIXe siècle, et les notions dont nous disposons sont
infiniment mieux adaptées à nos problèmes que les concepts limités
disponibles à son époque.
Si nous revenons maintenant au comportement étrangement détaché du
jeune enfant à son retour, après avoir été placé pour un temps avec des
personnes inconnues dans un endroit inconnu, ce qu’il a de si particulier,
bien sûr, c’est l’absence de comportement d’attachement dans des
circonstances où on s’attendrait assurément à l’observer. Même en cas de
blessure grave, un tel enfant ne montre aucun signe de recherche de
réconfort. Ainsi, les signaux qui activeraient normalement son
comportement d’attachement n’ont pas cet effet. Cela suggère que d’une
certaine manière et pour une quelconque raison, ces signaux ne parviennent
pas au système responsable du comportement d’attachement, qu’ils se
trouvent bloqués, et que le système comportemental lui-même s’en trouve
immobilisé. Cela signifie qu’un système contrôlant un comportement aussi
crucial que celui d’attachement peut, dans certaines circonstances, être mis,
de manière temporaire ou permanente, dans l’impossibilité de s’activer, et
qu’avec lui, l’ensemble des émotions et des désirs l’accompagnant
normalement sont aussi inhibés.
Pour aborder la manière dont s’effectue cette désactivation, je me tourne
vers les travaux des psychologues de la cognition 31 qui, ces vingt dernières
années, ont révolutionné nos connaissances sur la manière dont nous
percevons le monde et dont nous construisons les situations dans lesquelles
nous nous trouvons. Parmi beaucoup d’autres éléments sympathiques sur le
plan clinique, cette révolution des théories cognitives non seulement
accorde aux processus mentaux inconscients la place centrale dans la vie
psychique que les analystes lui ont toujours revendiquée, mais elle offre une
image de l’appareil psychique comme tout à fait capable d’exclure des
informations de certains types spécifiques, et de faire cela de manière
sélective en dehors de toute conscience du sujet.
Chez les enfants émotionnellement détachés présentés plus tôt et aussi,
je pense, chez les adultes qui ont développé le type de personnalité décrit
par Winnicott 32 sous le nom de « faux self » et de « narcissique » par
Kohut 33, l’information bloquée est d’un genre très particulier. Loin d’être
l’exclusion de routine d’informations sans pertinence susceptibles de
distraire l’attention, à laquelle nous nous livrons à tout moment et qui est
aisément réversible, ce qui est exclu dans ces conditions pathologiques, ce
sont les signaux, en provenance de l’intérieur et de l’extérieur, qui activent
chez la personne son comportement d’attachement, et qui la rendent capable
à la fois d’aimer et d’être aimée. En d’autres termes, les structures
psychiques responsables de l’exclusion sélective de routine sont employées
– on pourrait dire exploitées – dans un but spécial et potentiellement
pathologique. Cette forme d’exclusion est nommée par moi – pour des
raisons évidentes – « exclusion défensive », et elle n’est, bien entendu,
qu’une autre manière de décrire la répression. Et, tout comme Freud
considérait la répression comme le processus clé dans toute forme de
défense, j’en fais de même pour l’exclusion défensive *10. Une présentation
plus détaillée de ce point, une approche du concept de défense au moyen du
traitement de l’information, dans laquelle les défenses sont rassemblées en
processus défensifs, croyances défensives, et activités défensives, est faite
dans un chapitre du début de La Perte, Tristesse et dépression 34.

UNE ALTERNATIVE THÉORIQUE

Pendant la période nécessaire à l’élaboration du cadre théorique décrit


ici, Margaret Mahler s’est intéressée à bon nombre de problèmes cliniques
identiques ainsi qu’à certaines caractéristiques similaires du comportement
des enfants ; et elle a aussi conçu un cadre conceptuel révisé permettant
d’en rendre compte, présenté en détail dans son livre La Naissance
psychologique de l’être humain 36. Comparer des alternatives théoriques
n’est jamais facile, comme le souligne Kuhn 37, et ce n’est pas ce que je
tente de faire ici. Ailleurs 38, j’ai décrit ce qui, selon moi, constitue les forces
du cadre que je défends, ce qui inclut sa grande proximité avec les données
empiriques, à la fois cliniques et développementales, et sa compatibilité
avec les idées actuelles en biologie de l’évolution et en neurophysiologie ;
tandis que ce que je considère être les défauts de l’approche de Mahler a été
fermement critiqué par Peterfreund 39 et Klein 40.
En résumé, ils montrent que les théories du développement normal de
Mahler, qui incluent les phases censées être normales d’autisme et de
symbiose, ne sont pas basées sur l’observation, mais sur des idées
préétablies fondées sur la théorie psychanalytique traditionnelle et que, ce
faisant, elles négligent presque entièrement l’ensemble remarquable
d’informations nouvelles sur la petite enfance, constitué à partir des études
empiriques minutieuses de ces vingt dernières années. Bien que certaines
des implications cliniques de la théorie de Mahler soient assez proches de
celles de la théorie de l’attachement, et que sa notion de retour à la base
pour se « ressourcer » soit semblable à celle de l’utilisation de la figure
d’attachement comme base sécure à partir de laquelle explorer, les concepts
clés dans la construction de ces deux cadres sont très différents.

La recherche
Rien ne s’est révélé plus satisfaisant que la multitude de recherches
minutieuses inspirées par les premiers travaux sur la privation d’attention.
La littérature actuelle est considérable, et impossible à résumer dans le
cadre d’une présentation comme celle-ci. Il s’avère heureusement, par
ailleurs, que cela n’est pas nécessaire, une revue critique complète du sujet
ayant été publiée par Rutter 41, qui se conclut par une référence à
« l’accumulation constante de preuves quant à l’importance de la privation
et de son impact négatif sur le développement psychique des enfants »,
exprimant l’opinion que les arguments d’origine « ont été amplement
confirmés ». Une des principales découvertes des travaux récents est
l’ampleur de l’interaction entre deux expériences négatives ou davantage,
qui multiplie le risque de troubles psychologiques, souvent de manière très
élevée. Un exemple de ces effets cumulés des expériences négatives
s’observe dans les travaux de Brown et Harris 42 sur les troubles dépressifs
chez les femmes. (Ces dix dernières années, ce groupe a publié beaucoup
d’autres résultats du plus grand intérêt 43.)
Non seulement les expériences négatives ont cet important effet
cumulatif, mais il existe encore une probabilité accrue chez quelqu’un ayant
vécu une épreuve par le passé d’en rencontrer d’autres par la suite. Par
exemple, « les personnes élevées dans des familles malheureuses ou
désorganisées sont davantage susceptibles d’avoir des enfants illégitimes,
de devenir mères à l’adolescence, de nouer des unions malheureuses et de
divorcer 44 ». Ainsi, le vécu négatif de l’enfance a des effets d’au moins
deux sortes. D’abord, il rend l’individu plus vulnérable à de futures
épreuves. Ensuite, il accroît la probabilité pour lui de faire à nouveau ce
type d’expériences. Ce qui s’est mal passé dans l’enfance est généralement
totalement indépendant de la volonté des personnes concernées, par contre
ce qui se produit après résulte le plus souvent de leurs propres actes, actes
découlant des troubles de la personnalité engendrés par les expériences
passées.
Parmi les nombreux types de troubles psychologiques que l’on peut
rapporter, en tout ou partie, à la privation d’attention, les plus préoccupants
sont sans doute ses effets sur le comportement parental et donc sur la
génération suivante. Ainsi, une mère qui, à la suite d’expériences négatives
dans l’enfance, devient une adulte à l’attachement anxieux risque fort de
chercher à ce que son propre enfant s’occupe d’elle, le conduisant par là
même à développer de l’anxiété, de la culpabilité, et peut-être une phobie 45.
Une mère qui, enfant, a souffert de négligence et de fréquentes menaces
graves d’abandon ou de coups risque plus que les autres de maltraiter
physiquement son enfant 46, avec les conséquences négatives sur le
développement de sa personnalité enregistrées entre autres par George et
Main 47. La recherche systématique sur l’impact des expériences du passé
des parents sur le traitement de leurs enfants en est seulement à ses débuts,
mais elle semble être une des plus prometteuses pour l’avenir. D’autres
pistes sont décrites dans un récent symposium publié par Parkes et
Stevenson-Hinde 48.
Si j’ai accordé autant de place dans cette présentation au développement
de la théorie, c’est non seulement parce qu’il a occupé une part très
importante de mon temps, mais aussi parce que, comme Kurt Lewin en a
fait la remarque il y a longtemps, « il n’existe rien de plus pratique qu’une
bonne théorie », et bien entendu, rien de plus handicapant qu’une mauvaise.
Sans le guide d’une bonne théorie, la recherche n’est pas facile à planifier,
elle a des chances de se révéler improductive, et ses résultats seront
difficiles à interpréter. Sans une théorie suffisamment correcte de la
psychopathologie, les techniques thérapeutiques restent grossières et d’un
bénéfice incertain. Sans une théorie suffisamment correcte de l’étiologie,
les mesures systématiques de prévention qui font consensus ne seront
jamais subventionnées. Mon espoir est qu’à long terme, la plus grande
valeur de la théorie que je propose se révèle être l’éclairage qu’elle apporte
sur les conditions les plus favorables au développement sain de la
personnalité. Ce n’est que lorsque ces conditions ne feront plus aucun doute
que les parents sauront ce qui est le mieux pour leurs enfants, et que les
pouvoirs publics seront disposés à les aider pour qu’ils puissent le leur
apporter.
3.

La psychanalyse :
un art et une science

Pendant l’été 1978, j’ai été invité à donner un certain nombre de


conférences au Canada. Parmi ces invitations figurait celle de la Société
psychanalytique canadienne pour une intervention plénière lors de leur
convention annuelle dans la ville de Québec. Le thème que j’ai choisi
d’aborder est un sujet qui me préoccupe depuis quelques années et qui, je
pense, fait encore l’objet d’une grande confusion intellectuelle.

En choisissant comme thème la psychanalyse en tant qu’art et en tant


que science, je souhaite attirer l’attention sur ce que je crois être deux
aspects très différents de notre discipline – l’art de la thérapie
psychanalytique et la science de la psychologie psychanalytique – et ce
faisant, je désire souligner d’une part la valeur distinctive de chacun de ces
aspects et d’autre part le gouffre qui les sépare – au vu à la fois de leurs
critères spécifiques d’évaluation et de la différence de perspective
psychique nécessaire à chacun. En soulignant ces distinctions, je ne peux
m’empêcher de regretter que le terme psychanalyse ait très tôt été utilisé de
façon ambiguë, comme l’a écrit Freud lui-même. « Ayant désigné à
l’origine un procédé thérapeutique spécifique, précise-t-il dans son
autobiographie 1, il est aussi devenu actuellement le nom d’une science,
celle du psychique inconscient. »
La distinction que j’opère n’est, bien entendu, pas limitée à la
psychanalyse. Elle s’applique à tout domaine où la pratique d’une
profession ou d’une technique donne naissance à un corpus de
connaissances scientifiques – le forgeron à la métallurgie, l’ingénieur en
travaux publics à la mécanique des sols, le fermier à la physiologie des
plantes, et le médecin aux sciences médicales. Dans chacun de ces
domaines, les rôles se différencient. D’un côté, on trouve les praticiens, de
l’autre les scientifiques, avec un nombre limité d’individus qui tentent de
combiner les deux. Comme le montre l’histoire, le processus de
différenciation est souvent douloureux et les incompréhensions fréquentes.
Notre propre domaine ne pouvant, à mon sens, échapper à cette évolution
qui n’a sans doute déjà que trop tardé, penchons-nous sur les difficultés et
les malentendus auxquels elle pourrait si aisément donner naissance, dans
l’espoir de les éviter ou d’en atténuer les conséquences.
Je commence par distinguer les rôles de praticien et de chercheur, en
abordant trois grands points, avec la médecine pour exemple.

Champ d’étude
L’objectif du praticien, par rapport à chaque problème clinique auquel il
est confronté, est d’en retenir un maximum d’aspects possibles. Cela lui
demande non seulement d’appliquer tout principe scientifique qui semble
adapté, mais aussi de s’appuyer sur l’expérience personnelle qu’il a pu
acquérir de ce trouble et, en particulier, de prêter attention à la configuration
unique de caractéristiques présentée par chaque patient. Au vu des grandes
différences entre les patients, le clinicien expérimenté reconnaît que la
forme de traitement qui convient à l’un serait totalement inappropriée pour
l’autre. La prise en compte de tous les facteurs, et le poids exact à accorder
à chacun, est tout l’art du jugement clinique.
La perspective du chercheur est tout à fait autre. Dans ses efforts pour
discerner les schémas généraux qui sous-tendent la variété individuelle, il
néglige le particulier et s’efforce de simplifier, courant alors le risque d’un
excès en ce sens. S’il est sage, il se concentrera sans doute sur un aspect
limité d’un problème limité. S’il se montre perspicace dans son choix, ou
qu’il a simplement de la chance, il peut non seulement élucider le problème
sélectionné, mais aussi développer des idées applicables à un domaine plus
large. Si son choix ne s’avère pas judicieux ou qu’il manque de chance, il
peut se retrouver à acquérir de plus en plus de connaissances dans un champ
de plus en plus restreint. C’est le risque que court chaque chercheur. L’art
de la recherche réside dans la sélection d’un problème gérable limité, et de
la méthode qui permettra de le résoudre au mieux. Cela me conduit à mon
deuxième point.

Modes d’acquisition des informations


En ce qui concerne les méthodes d’acquisition des informations, le
praticien est grandement avantagé sur certains points par rapport au
chercheur, mais aussi désavantagé sur d’autres. Commençons par les
avantages.
Apporter de l’aide autorise le praticien à avoir accès à certains types
d’informations qui demeurent interdits au chercheur : comme aime à le dire
un de mes amis, il n’y a que les chirurgiens qui sont autorisés à vous ouvrir
pour voir ce qu’il y a à l’intérieur. De la même façon, c’est seulement en
traitant un patient sur le plan thérapeutique qu’un psychanalyste a accès à
ce qui a de l’importance dans l’esprit d’une personne. Dans les deux
professions, en outre, les praticiens sont autorisés à intervenir de manière
spécifique, et ils ont le privilège d’observer les conséquences de leurs
interventions. Cela constitue d’immenses avantages et les psychanalystes se
sont empressés de les exploiter.
Cependant, aucune science ne peut prospérer longtemps sans
développer de nouvelles méthodes de recoupement des observations déjà
obtenues et des hypothèses issues des théories plus anciennes. Ici, le
chercheur a sans doute l’avantage. Dans les sciences médicales, les
physiologistes et les pathologistes ont réalisé d’immenses avancées grâce à
l’expérimentation animale, à la culture tissulaire, aux analyses
biochimiques et à des centaines d’autres techniques ingénieuses. C’est la
marque même d’un scientifique créatif que de concevoir de nouveaux
moyens d’observation, sous un nouvel angle, de phénomènes peut-être déjà
bien étudiés avec d’autres méthodes.
C’est dans ce domaine, je crois, que l’usage ambigu du terme
psychanalyse a fait le plus de mal. Car il a conduit certains analystes à
supposer que la seule méthode d’investigation appropriée à l’avancement de
la science psychanalytique est celle du traitement psychanalytique d’un
patient. Comme je pense que cela résulte d’une profonde incompréhension,
je vais m’arrêter longuement sur le sujet. Avant d’y arriver, cependant, je
souhaite dire un mot sur la place du scepticisme et de la foi dans les univers
respectifs du scientifique et du praticien.

Le scepticisme et la foi
Dans son travail au quotidien, un scientifique doit faire preuve d’un
niveau élevé de sens critique et d’autocritique : et dans l’univers dans lequel
il évolue, ni les données ni les théories d’un leader, quelle que soit
l’admiration que l’on puisse lui vouer sur le plan personnel, n’échappent à
la remise en question et à la critique. Il n’y a pas de place pour l’autorité.
Cela n’est pas vrai dans l’exercice d’une profession. Pour être efficace,
un praticien doit être prêt à agir sans interroger la validité de certains
principes et de certaines théories, et dans le choix de ceux qu’il adopte, il se
laissera probablement guider par les personnes d’expérience dont il reçoit
l’enseignement. Par ailleurs, comme nous avons tous tendance à être
impressionnés par le succès apparent de l’application d’une théorie, les
praticiens risquent particulièrement d’avoir foi en une approche, au-delà de
ce que peuvent justifier les preuves disponibles.
Du point de vue de la pratique clinique, cela n’est pas une mauvaise
chose. Au contraire, il est grandement avéré que l’immense majorité des
patients sont aidés par la foi et l’espoir qu’un praticien met dans son
travail ; alors que c’est souvent l’absence même de ces qualités qui rend
tant d’excellents chercheurs tristement mal équipés pour être thérapeutes.
Cependant, bien que la foi en la validité de données spécifiques et de
théories spécifiques ne soit pas de mise chez un scientifique, je ne souhaite
pas sous-entendre que celui-ci n’est qu’un sceptique. Au contraire, toute sa
manière de vivre est fondée sur la foi, celle de croire qu’à long terme, le
meilleur accès à des connaissances fiables est dans l’application de la
méthode scientifique.
Je suis, bien entendu, conscient que nombre de psychanalystes ne
partagent pas cette foi, et croient que les types de problèmes auxquels ils
sont confrontés sont très éloignés du champ de la science. C’est un point de
vue que je respecte, bien que je ne le partage pas : pas plus que ne le
partageait Freud, bien entendu. Cela étant, même ceux qui parmi nous sont
les plus enthousiastes quant à l’application de la méthode scientifique dans
notre domaine doivent admettre qu’il existe certainement des problèmes
qu’elle ne pourra jamais résoudre. Nous avouons simplement notre
ignorance. Notre tâche, telle que je la conçois, consiste à appliquer notre
méthode aussi habilement que possible, en croyant d’un côté que l’étendue
des connaissances fiables en sera augmentée, et en acceptant de l’autre que
demeureront probablement toujours de plus vastes zones inaccessibles à
tout mode d’investigation scientifique existant.
Pour beaucoup d’entre vous, j’en ai peur, engagés dans une pratique
thérapeutique, mais espérant aussi contribuer à l’avancée de la science
psychanalytique, la distinction que j’opère entre le rôle de praticien et celui
de scientifique ne sera guère la bienvenue. Pourtant, je pense que c’est
seulement en reconnaissant ces différences et en agissant en conséquence
que les atouts de chacun de ces rôles pourront au mieux être mis à profit –
ou qu’une personne pourra espérer occuper les deux avec un quelconque
succès. En tant que praticiens, nous sommes confrontés à la complexité ; en
tant que scientifiques, nous nous efforçons de simplifier. En tant que
praticiens, la théorie nous sert de guide ; en tant que scientifiques, nous
remettons en question cette même théorie. En tant que praticiens, nous
acceptons des modes d’investigation restreints ; en tant que scientifiques,
nous nous approprions toute méthode à notre disposition.
J’ai fait remarquer plus haut que chaque science en développement a
besoin de concevoir de nouveaux outils pour obtenir des données. Cela est
dû au fait que toute méthode a ses limites, même si elle peut se révéler très
fructueuse par ailleurs, et il existe toujours la perspective qu’un autre outil
comble ces lacunes. Ainsi, la nouvelle méthode peut n’être en rien
supérieure à la précédente ; elle peut même être très limitée. Son utilité
réside simplement dans le fait que ses atouts et ses faiblesses sont
différents. Sans doute puis-je illustrer ce point en prenant exemple de mes
propres travaux.
Quand je me suis qualifié comme psychanalyste en 1937, les membres
de la Société britannique de psychanalyse étaient occupés à explorer le
monde des fantasmes des enfants et des adultes, et il était considéré comme
quasiment hors du ressort d’un analyste de prêter une attention
systématique au vécu réel de la personne. C’était une époque où la célèbre
volte-face de Freud en 1897 concernant l’étiologie de l’hystérie *1 avait
conduit à l’idée que quiconque accordant de l’importance à ce qu’un enfant
avait pu réellement vivre et était peut-être encore en train de vivre était
d’une naïveté pitoyable. Par définition presque, il était établi que quiconque
intéressé par l’univers extérieur ne pouvait se préoccuper du monde
intérieur, et était presque certainement en train de le fuir, en réalité.
En tant que biologiste, cette opposition intérieur versus extérieur,
organisme versus environnement, ne m’a jamais personnellement attiré. De
plus, en tant que psychiatre engagé dans un travail avec les enfants et les
familles, et profondément influencé par la clairvoyance des conclusions de
deux travailleurs sociaux d’orientation analytique, j’étais quotidiennement
confronté à l’impact sur les enfants des problèmes affectifs dont souffraient
leurs parents. Voici deux exemples qui m’ont laissé un vif souvenir. Le
premier est celui d’un homme profondément soucieux de la masturbation de
son fils de 8 ans, et qui, en réponse à mes questions, m’a expliqué que
chaque fois qu’il le surprenait la main sur le sexe, il le mettait sous un
robinet d’eau froide. Cela m’a conduit à demander au père si lui-même
avait jamais eu des problèmes avec la masturbation, et il s’est lancé dans le
long et pathétique récit de son combat contre cette pratique depuis toujours.
Le deuxième est celui du traitement punitif infligé par une mère à son
enfant de 3 ans pour sa jalousie envers le nouveau bébé, qui a été aussi
rapidement rapporté au problème jamais réglé chez elle de ce même
sentiment envers un frère plus jeune.
Des observations de ce genre m’ont conduit à la conclusion qu’il est
tout aussi nécessaire pour un analyste d’étudier la manière dont un enfant
est réellement traité par ses parents que d’étudier la représentation interne
qu’il se fait d’eux, et qu’en réalité la principale cible de notre attention
devrait être l’interaction de l’une avec l’autre, de l’intérieur avec l’extérieur.
Pensant que cela ne serait possible que grâce à une connaissance bien plus
systématique des effets sur les enfants des expériences vécues pendant leurs
jeunes années au sein de la famille, je me suis concentré sur ce domaine. Il
y a eu de multiples raisons à mon choix de retenir comme champ d’étude
spécifique le retrait d’un jeune enfant de son foyer, envoyé en pouponnière
ou à l’hôpital, plutôt que le domaine plus large des interactions parent-
enfant. Premièrement, c’est un événement qui, à mon sens, pouvait avoir de
graves répercussions sur le développement de la personnalité de l’enfant.
Deuxièmement, il ne pouvait y avoir aucun débat quant au fait que cela ait
eu lieu ou non, ce qui contrastait fortement à cet égard avec la difficulté
d’obtention d’informations fiables sur la manière dont un parent traite son
enfant. Troisièmement, cela semblait être un domaine où la prévention
pouvait s’envisager. Et sans doute devrais-je ajouter, quatrièmement, que
j’étais stimulé par la totale incrédulité avec laquelle mes vues avaient été
accueillies par mes collègues, du moins par certains d’entre eux, lorsque
j’en avais pour la première fois fait état, juste avant la guerre.
Les résultats des études qui ont suivi, entreprises par deux chercheurs
qui se sont par la suite qualifiés comme analystes, James Robertson et
Christoph Heinicke, sont aujourd’hui bien connus ; et je pense qu’ils ont eu
un impact significatif sur la réflexion psychanalytique. Ce que je souhaite
faire comprendre maintenant, néanmoins, concerne la stratégie de
recherche. En dépit des travaux pionniers d’analystes distingués comme
Anna Freud, René Spitz, Ernst Kris, Margaret Mahler et d’autres, il existe
depuis longtemps dans les cercles analytiques une tendance à considérer
l’observation directe des jeunes enfants et l’enregistrement de ce qu’ils
disent comme une simple méthode de recherche auxiliaire, dont les résultats
ont de l’intérêt lorsqu’ils confirment les conclusions auxquelles on est déjà
parvenu par la méthode traditionnelle de traitement des patients, mais qui
sont incapables d’apporter quoi que ce soit d’original. L’idée que
l’observation directe des enfants – dans le cadre familial ou en dehors –
constitue non seulement un outil valable pour l’avancement de la science
psychanalytique, mais qu’elle lui est indispensable, est très lente à se voir
accepter.
Les principales contributions de ces études directes sont, je crois, de
mettre en lumière la manière dont les enfants se développent sur le plan
émotionnel et social, l’étendue des variations en fonction d’un très grand
nombre de paramètres pertinents, et le type d’expériences familiales qui
tendent à influer sur ce développement dans un sens plutôt que dans un
autre. Permettez-moi de donner quelques exemples de résultats obtenus par
des collègues des sciences apparentées à la nôtre que sont l’éthologie et la
psychologie du développement, et qui sont tout à fait en lien avec notre
compréhension clinique.
Le premier exemple est extrait des travaux de Mary Salter Ainsworth 3,
anciennement à l’université Johns Hopkins, et aujourd’hui à l’université de
Virginie. Psychologue clinicienne à l’origine, Mary Ainsworth a travaillé
avec nous à la Tavistock Clinic au début des années 1950, puis elle a passé
deux ans à étudier des mères et leur bébé en Ouganda. Son étude
fondamentale porte sur le développement de l’interaction mère-enfant
pendant la première année de vie dans des familles blanches de classe
moyenne de Baltimore, Maryland. Elle a été en analyse, et elle est très au
fait des types de problèmes considérés comme importants par les analystes.
Lors de son étude sur les mères et leur bébé en Ouganda, Ainsworth a
été frappée par la manière dont les enfants, une fois mobiles, utilisent
généralement leur mère comme base à partir de laquelle explorer. Quand les
conditions sont favorables, le bébé part à la découverte à distance de sa
mère, et revient vers elle de temps à autre. Dès 8 mois, presque tous les
enfants qui avaient une figure maternelle stable à laquelle ils pouvaient
s’attacher ont fait preuve de ce comportement ; mais, dès que la mère
s’absentait, ces excursions organisées devenaient beaucoup moins évidentes
ou cessaient. Au vu de ces observations et d’autres du même ordre, à la fois
chez les humains et chez les bébés singes, on a élaboré l’idée qu’une mère
suffisamment bonne sert à son enfant de base sécure à partir de laquelle il
peut partir à l’aventure, et à laquelle il revient dès qu’il est bouleversé ou
effrayé. Des observations semblables, bien sûr, ont été réalisées par
Margaret Mahler 4, même si son interprétation s’est faite dans un cadre
théorique différent de celui qu’Ainsworth et moi-même utilisons. Ce
concept de base personnelle sécure, à partir de laquelle un enfant, un
adolescent, ou un adulte part en exploration, et à laquelle il revient de temps
à autre, est un élément que j’en suis venu à considérer comme crucial dans
la compréhension de la manière dont une personne stable sur le plan
émotionnel se développe et fonctionne tout au long de sa vie.
Dans son projet à Baltimore, Ainsworth a pu non seulement étudier ce
type de comportement de plus près, mais aussi en décrire de nombreuses
variations individuelles dans un échantillon de vingt-trois bébés de 12 mois.
Elle a observé leur comportement exploratoire et celui d’attachement, ainsi
que l’équilibre entre les deux, à la fois lorsque les enfants étaient chez eux
avec leur mère et quand ils étaient placés dans une situation expérimentale
légèrement étrange. De plus, ayant recueilli des données sur le type de
maternage dont chaque bébé avait fait l’objet pendant sa première année
(par des séquences d’observation prolongées toutes les trois semaines à
domicile), Ainsworth a été en mesure de formuler des hypothèses quant à la
relation entre certains types de développement émotionnel et
comportemental à 12 mois et certaines formes de maternage vécues
précédemment.
Les résultats de cette étude d’Ainsworth 5 montrent que la manière dont
un bébé de 12 mois se comporte à la maison en la présence ou en l’absence
de sa mère, et ce qu’il fait dans les mêmes circonstances dans une situation
expérimentale légèrement étrange, ont beaucoup en commun. En
s’appuyant sur les observations comportementales dans ces deux types de
contextes, il est alors possible de classer les bébés en trois groupes
principaux, en fonction de deux critères : (a) le degré d’exploration selon la
présence ou non de la mère, et (b) la manière dont ils traitent celle-ci –
lorsqu’elle est présente, lorsqu’elle s’en va et particulièrement, lorsqu’elle
revient.
Il y avait huit enfants dont le comportement global à leur premier
anniversaire était, selon Ainsworth, de bon augure pour l’avenir. Ils
faisaient preuve d’une exploration active, en particulier en présence de leur
mère, et ils utilisaient celle-ci comme une base, attentifs à l’endroit où elle
se trouvait, échangeant avec elle des regards, et revenant vers elle de temps
à autre pour partager leur expérience dans le plaisir d’un contact mutuel.
Lorsque la mère s’absentait un instant, elle était chaudement accueillie à
son retour. Je nommerai ces enfants le groupe X.
Il n’y avait pas moins de onze enfants dont le comportement global était
source de préoccupation, et que j’appellerai le groupe Z. Trois d’entre eux
étaient passifs, à la maison et lors du test expérimental ; leur exploration
était faible et ils suçaient leur pouce ou se balançaient à la place.
Constamment inquiets de l’endroit où se trouvait leur mère, ils pleuraient
beaucoup en son absence, mais se montraient contrariants et difficiles à son
retour. Les huit autres enfants de ce groupe faisaient preuve d’une
alternance entre un comportement en apparence très indépendant, ignorant
complètement leur mère, et une anxiété subite les conduisant à essayer de la
retrouver. Cependant, lorsqu’ils la rejoignaient, ils ne semblaient pas
apprécier son contact et luttaient souvent pour s’éloigner à nouveau. En fait,
ils présentaient le tableau classique de l’ambivalence.
Les quatre derniers enfants parmi les vingt-trois étudiés ont été jugés
être à leur premier anniversaire dans une position intermédiaire entre ceux
au pronostic favorable et ceux pour lesquels l’avis était réservé. Je les
appellerai le groupe Y.
Étant donné que toutes les trois semaines durant la courte vie de ces
bébés, les chercheurs avaient passé trois heures à domicile à observer le
comportement de la mère et de l’enfant, ils disposaient de nombreuses
données de première main pour servir de base à l’évaluation de l’attitude
maternelle. Pour ces évaluations, Ainsworth a utilisé quatre échelles
distinctes en neuf points ; mais au vu des corrélations fortes de ces échelles
entre elles, une échelle suffit pour notre propos – celle qui mesure le degré
de sensibilité ou d’insensibilité de la mère aux signaux et aux
communications de son enfant. Tandis qu’une mère sensible semble
constamment « sur la fréquence » de réception des signaux de son bébé,
qu’elle a tendance à les interpréter correctement, et à y répondre sans
attendre et de façon appropriée, une mère insensible ne remarque souvent
pas ces signaux, les interprète mal lorsqu’elle les repère, et elle y répond
avec délai, de manière inappropriée ou pas du tout. Lorsque l’on examine
les scores à cette échelle des mères des bébés de chacun des groupes, on
trouve que celles des huit enfants du groupe X ont toutes des notes élevées
(entre 5,5 et 9,0), celles des onze bébés du groupe Z, des notes faibles (entre
1,0 et 3,5) et celles des quatre bébés du groupe Y sont entre les deux (scores
de 4,5 à 5,5). Ces différences sont statistiquement significatives.
Il est clair que davantage de recherches sont nécessaires avant de
pouvoir conclure de manière fiable. Cependant, le schéma global de
développement de la personnalité et d’interaction mère-enfant visible à
12 mois est suffisamment proche de celui qu’on observe à un âge plus
avancé pour qu’il paraisse plausible de croire que l’un est le précurseur de
l’autre. Pour le moins, les résultats d’Ainsworth montrent qu’un bébé, dont
la mère est sensible, accessible et réceptive, qui accepte son comportement
et se montre coopérative avec lui, est loin d’être l’enfant exigeant et
malheureux suggéré par certaines théories. Au contraire, un tel maternage
est de toute évidence compatible avec le développement chez un enfant
d’une certaine dose d’assurance *2 dès son premier anniversaire, combinée à
une grande confiance en sa mère et au plaisir non dissimulé d’être en sa
compagnie.
À l’inverse, les mères insensibles aux signaux de leur enfant, sans doute
en raison d’autres préoccupations et d’autres soucis, qui ignorent leur bébé
ou interfèrent avec ses activités de manière arbitraire, ou encore qui les
rejettent tout simplement, risquent d’avoir des enfants malheureux, ou
anxieux, ou difficiles. Toute personne ayant travaillé dans une clinique
accueillant des enfants ou des adolescents perturbés ne sera guère surprise
par cette découverte.
Bien que la corrélation trouvée par Ainsworth entre la sensibilité de la
mère à son bébé et le comportement de celui-ci envers elle à 12 mois soit
fortement significative sur le plan statistique et ait été confirmée dans les
études qui ont suivi, il est toujours possible de soutenir que c’est le bébé, et
non la mère, dont le rôle est prépondérant dans le développement
d’interactions heureuses ou non. Certains bébés sont d’un tempérament
difficile à la naissance, argumente-t-on, et on ne peut s’attendre à autre
chose qu’à des réactions négatives de leurs mères à leur encontre.
Je ne pense pas que les données confirment ce point de vue. Par
exemple, les observations faites lors des trois premiers mois de vie des
enfants de l’étude n’ont montré aucune corrélation entre la quantité de
pleurs d’un bébé et la manière dont sa mère le traitait ; tandis qu’à la fin de
la première année, les mères qui s’étaient empressées de s’occuper de leur
bébé en pleurs avaient des enfants qui pleuraient beaucoup moins que ceux
dont les mères n’avaient pas réagi.
Il existe encore d’autres résultats, dont certains sont mentionnés dans la
sixième conférence, qui corroborent l’idée que dans tous les cas, à quelques
rares exceptions près, c’est la mère la principale responsable de la manière
dont l’interaction évolue.
En s’appuyant sur ses propres observations à domicile, Ainsworth fait
une description saisissante de ce qui peut arriver. Par exemple, elle rapporte
être restée sans bouger dans des maisons, au milieu des pleurs d’un bébé,
comptant les minutes avant que la mère ne réagisse. Dans certains cas,
celle-ci restait assise aussi longtemps qu’elle pouvait le supporter, croyant
que ce ne serait pas bon pour l’enfant et que cela le ferait pleurer davantage
si elle s’occupait de lui – croyance que les résultats d’Ainsworth réfutent
formellement. Dans d’autres cas, la mère pouvait être trop occupée à faire
autre chose pour se déplacer. Dans d’autres cas encore, elle semblait n’avoir
pas du tout enregistré que son bébé pleurait – situation extrêmement
difficile à supporter sans réagir pour l’observateur. Généralement, ces
femmes souffrent d’anxiété et de dépression, et sont véritablement
incapables de porter attention à quoi que ce soit d’autre.
Maintenant, il apparaît certainement à tous que des observations aussi
détaillées et aussi précises, montrant des différences considérables dans le
vécu de divers enfants, ne peuvent être recueillies que par les méthodes
utilisées par ces chercheurs. Si les observateurs n’avaient pas été là pour
voir et entendre ce qui se passait, mais s’étaient fiés à la place au discours
des mères, l’image qu’ils auraient obtenue aurait dans de nombreux cas été
complètement fausse ; et tous les espoirs de découvrir des corrélations
significatives entre la manière dont un enfant se développe et la manière
dont il est traité par sa mère et par son père se seraient évanouis. Pourtant,
comme nous l’avons vu, lorsque des méthodes d’observation fiables sont
utilisées, même sur de petits échantillons, des corrélations hautement
significatives apparaissent.
Il ne s’agit pas pour moi de blâmer les mères lorsque je souligne leur
rôle déterminant dans la mise en place des schémas d’interaction avec leurs
bébés, ce que les données montrent clairement à mon sens. S’occuper d’un
bébé, ou d’un enfant un peu plus âgé, n’est pas seulement un travail
d’expert, mais aussi une tâche très rude et exigeante. Même pour une
femme qui a eu une enfance heureuse et qui bénéficie actuellement de
l’aide et du soutien de son mari, et peut-être aussi de sa propre mère, et qui
n’a pas la tête pleine de conseils erronés sur les dangers de gâter son bébé,
c’est un travail éprouvant. Qu’une femme ne bénéficiant d’aucun de ces
avantages se retrouve dans une tourmente émotionnelle peut difficilement
surprendre, et ne justifie certainement pas de la blâmer. Pourtant, il est
maintenant relativement indiscutable que lorsque les bébés et les jeunes
enfants font l’objet d’un maternage insensible, associé sans doute à des
épisodes de rejet total, suivis plus tard de séparations ou de menaces de
séparation, les effets sont déplorables. De telles expériences augmentent
grandement chez l’enfant la peur de perdre sa mère, elles accroissent chez
lui l’exigence de sa présence ainsi que la colère envers son absence, et elles
peuvent encore le conduire à désespérer de jamais avoir une relation sécure
et aimante avec quiconque.
Bien que de telles idées soient bien plus familières et aussi davantage
acceptables dans les cercles analytiques aujourd’hui qu’il y a une
génération, grâce à l’influence de Balint, Fairbairn, Winnicott et bien
d’autres, j’ai tendance à penser que leurs implications, pour la théorie
comme pour la pratique, sont encore très loin d’être digérées.
Permettez-moi d’illustrer ce point par l’examen des problèmes
thérapeutiques et étiologiques présentés par le type de patients le plus
souvent diagnostiqués au Royaume-Uni comme ayant une personnalité
schizoïde 6 ou un faux self 7 et en Amérique du Nord, une personnalité limite
ou un narcissisme pathologique 8.
Une telle personne offre l’image d’une indépendance affirmée et d’une
autosuffisance affective. En aucun cas elle ne doit se sentir redevable, et
pour peu qu’elle finisse par s’engager dans une relation, elle s’assure de
garder le contrôle. La plupart du temps, elle semble s’en sortir
merveilleusement bien, mais par moments elle déprime ou développe des
symptômes psychosomatiques, souvent sans aucune justification à ses yeux.
Ce n’est que lorsque ses symptômes ou son épisode dépressif s’aggravent
qu’il existe une possibilité qu’elle vienne consulter, et il est plus probable
alors qu’elle préfère les médicaments à une thérapie.
Lorsqu’une telle personne débute vraiment une analyse, elle prend soin
de maintenir l’analyste à distance et de contrôler ce qui se passe. Ses propos
sont lucides, mais toute référence aux émotions est évitée, sauf peut-être
pour dire combien elle s’ennuie. Les vacances ou autres interruptions sont
accueillies comme un gain de temps. Elle peut trouver que l’analyse est un
« exercice intéressant » ; mais elle n’est guère convaincue de son utilité. Et
dans tous les cas, elle pense qu’elle serait plus efficace si elle s’analysait
toute seule !
Il existe, bien entendu, une vaste littérature sur la psychopathologie de
tels états et les problèmes thérapeutiques qu’ils présentent ; mais, quels que
soient les points sur lesquels un accord est trouvé, il n’en existe pas quant à
l’étiologie. Pour reprendre deux perspectives divergentes : Winnicott 9
attribue sans conteste cet état à un défaut de l’environnement précoce avec
« une mère pas suffisamment bonne », alors que Kernberg 10 dans son traité
systématique sur le sujet n’offre que quelques paragraphes faciles à
manquer sur l’influence possible du maternage sur le développement, et
seulement quelques références rapides à un maternage inadéquat peut-être
subi par certains de ses patients. Que les expériences précoces puissent
jouer un rôle clé dans l’origine de ces troubles ne fait pas chez lui l’objet
d’un examen sérieux.
Il est clairement de la plus grande importance qu’à terme nous soyons
en mesure de parvenir à un consensus en la matière ; et lors du débat, je
crois qu’il serait insensé de ne pas prendre en compte les données de toute
source à notre disposition. Pour certains troubles, les études
épidémiologiques apportent actuellement des informations, mais je doute
qu’elles aient à ce jour quoi que ce soit à nous dire sur ce sujet. Pour
l’instant, il nous faut nous contenter des données issues de nos deux sources
familières : (a) le traitement analytique des patients, (b) l’observation
directe des jeunes enfants avec leur mère.
En ce qui concerne les informations obtenues lors de l’analyse, il serait
fructueux, me semble-t-il, qu’une personne sans parti pris recense la
littérature psychanalytique et rassemble toutes les études de cas porteuses
de détails sur les expériences d’enfance de ces patients. Je ferais le pari,
lorsque ces informations existent, qu’elles viendront fortement corroborer le
point de vue de Winnicott selon lequel ces patients ont vécu une enfance
troublée, où un maternage inadéquat sous une forme ou sous une autre –
elles peuvent être multiples – occupe une place centrale. Ne m’étant pas
livré à une telle recension, je ne peux faire davantage qu’illustrer le genre
de résultats auxquels je m’attendrais assurément. Les détails qui suivent
sont extraits d’études de cas publiées par trois analystes très influencés par
le point de vue de Winnicott.
La première étude est signée de Clare Winnicott 11, la veuve de Donald
Winnicott. La patiente, une femme active de 41 ans, offrait l’image
classique d’une personnalité autosuffisante sur le plan affectif, qui avait
récemment développé une série de symptômes psychosomatiques. Ce n’est
qu’après un bon moment en analyse qu’elle a dévoilé les événements de son
enfance. Comme sa mère était employée à plein temps, une jeune
Allemande s’occupait d’elle, qui disparut brutalement alors que la patiente
avait 2 ans et demi. Ensuite, après six mois d’incertitude, elle a été
emmenée par sa mère pour prendre le thé chez une amie, et elle s’est
aperçue plus tard que sa mère avait disparu et qu’elle se retrouvait seule
dans un lit inconnu. Le lendemain, elle a été envoyée à l’internat où l’amie
de sa mère travaillait comme surveillante, et elle y est restée jusqu’à l’âge
de 9 ans, y passant aussi généralement ses vacances. Elle semblait s’y être
très bien adaptée (termes de mauvais présage !) et s’en sortir très
brillamment ; mais depuis lors, sa vie affective s’était éteinte.
La deuxième étude, de Jonathan Pedder 12, rapporte le cas d’une jeune
enseignante d’une vingtaine d’années, dont la personnalité et les
symptômes ressemblent beaucoup à ceux de la patiente de Clare Winnicott.
Bien qu’au premier entretien, elle ait fourni une image idéalisée de son
enfance, il est apparu rapidement qu’à l’âge de 18 mois, elle avait été
envoyée chez une tante pendant la nouvelle grossesse de sa mère. Au bout
de six mois, elle s’était mise à considérer sa tante comme une vraie mère
pour elle, davantage que sa propre mère, et elle avait trouvé son retour à la
maison particulièrement douloureux. Par la suite, jusqu’à l’âge de 10 ans,
elle s’était montrée terrifiée à l’idée d’une nouvelle séparation ; mais un
jour, elle avait « interrompu le flot » de son anxiété « comme un robinet
qu’on ferme », selon ses termes, et avec l’anxiété avait disparu aussi la
majeure partie de sa vie émotionnelle.
La troisième étude, d’Elisabeth Lind 13, concerne un jeune diplômé de
23 ans qui, bien que gravement dépressif et suicidaire, soutenait que cet état
d’esprit était plus chez lui une « philosophie de vie » qu’une maladie. Il
était l’aîné d’une grande famille ; et il avait déjà deux frères et sœurs
lorsqu’il avait 3 ans. Ses parents, disait-il, avaient de fréquentes et violentes
disputes. Lorsqu’ils étaient jeunes, le père travaillait tard loin de la maison
pour sa formation professionnelle. Leur mère était totalement imprévisible.
Souvent, elle était tellement poussée à bout par les disputes de ses enfants
qu’elle s’enfermait dans sa chambre des jours d’affilée. Plusieurs fois, elle
avait quitté la maison, emmenant ses filles avec elle, mais pas ses fils.
On lui avait raconté qu’il était un bébé malheureux, qui mangeait mal et
dormait peu, qu’on laissait souvent pleurer seul pendant de longs moments.
Ses pleurs, disait-on, n’étaient que des tentatives pour contrôler ses parents
et pour être gâté. Une fois, il avait eu l’appendicite et il se rappelait être
resté éveillé à gémir toute la nuit ; mais ses parents n’avaient rien fait et le
lendemain matin, il était gravement malade. Plus tard, au cours de la
thérapie, il s’est souvenu d’avoir été perturbé chaque fois qu’il entendait ses
frères et sœurs pleurer sans fin, et de la haine qu’il ressentait envers ses
parents pour leur inaction, avec une envie de les tuer.
Il s’était toujours senti comme un enfant perdu, et il n’arrivait pas à
comprendre pourquoi il avait été rejeté. Son premier jour d’école avait été
le pire de sa vie. Cela lui avait semblé être un rejet final de la part de sa
mère. Toute la journée, il s’était senti désespéré, et il n’avait pas arrêté de
pleurer. Après cela, il en était progressivement venu à dissimuler tout désir
d’amour et de soutien ; il refusait de demander de l’aide, ou que quiconque
fasse quoi que ce soit pour lui.
Aujourd’hui, pendant la thérapie, il avait peur de s’effondrer et de
pleurer et de vouloir être materné. Cela conduirait sa thérapeute, il en était
sûr, à le juger importun et à considérer son comportement comme une
simple recherche d’attention ; et, s’il lui disait quoi que ce soit de personnel,
il s’attendait à ce qu’elle en soit offensée et sans doute qu’elle s’enferme
hors d’atteinte.
Dans les trois cas, l’effondrement récent du patient avait fait suite à la
rupture d’une relation significative mais fragile, au sujet de laquelle chaque
partenaire émettait des réserves, et qu’il avait, lui-même, de toute évidence
contribué à briser.
Dans le traitement de ces patients, les trois analystes ont adopté la
technique de Winnicott consistant à permettre la libre expression de ce qui
est traditionnellement appelé les « sentiments de dépendance », avec pour
résultat le développement à terme d’un attachement anxieux intense à leur
analyste – pour utiliser la terminologie que je préfère 14. Cela a permis à
chacun des patients de retrouver la vie affective qu’il avait perdue pendant
son enfance, et de récupérer à cette occasion une sensation de vrai self. Les
résultats furent bons sur le plan thérapeutique.
Je dois admettre que ces trois études de cas ne prouvent rien.
Néanmoins, elles apportent des idées, et dans leurs limites respectives,
corroborent la thèse de Winnicott sur l’étiologie. Malgré cela, les critiques
ont toujours la liberté de jeter le doute sur la fiabilité des souvenirs
d’enfance d’un patient, et de remettre en cause l’idée selon laquelle
l’enchaînement des événements rapportés a bien eu sur sa vie affective
l’effet qu’il lui attribue si explicitement. (Il est important de noter que les
événements considérés par chacun des trois patients comme des tournants
dans leur vie s’étaient produits après leur deuxième anniversaire.)
Maintenant, il semble clair que les controverses sur l’étiologie seront
sans fin tant que nous nous appuierons uniquement sur des preuves
rétrospectives, et peut-être biaisées, issues de l’analyse de patients, qu’ils
soient adultes ou enfants. Ce dont nous avons besoin, ce sont de preuves
d’un type différent pour servir en quelque sorte de recoupement. C’est en
cela que je tiens les observations directes de jeunes enfants et de leur mère
pour potentiellement si utiles. Cette source offre-t-elle des preuves que la
vie affective d’un enfant puisse être engourdie par des expériences de ce
genre ? La réponse est, bien sûr, qu’il en existe de très nombreuses.
Ici, naturellement, je me tourne d’abord vers les observations faites par
James Robertson 15, confirmées ensuite par Christoph Heinicke et Ilse
Westheimer 16, sur la manière dont les enfants entre 12 et 36 mois se
comportent lorsqu’on les retire de leur foyer pour les placer entre les mains
de personnes inconnues dans un lieu inconnu, comme une pouponnière ou
un hôpital, en l’absence d’un référent unique servant de substitut maternel.
Dans de telles conditions, l’enfant en vient avec le temps à agir comme si ni
le maternage ni le contact avec des humains n’avaient véritablement de sens
pour lui. Avec la multiplication de ceux qui s’occupent de lui, il cesse de
s’attacher, et après son retour à la maison, il se maintient à distance de ses
parents pendant des jours, et sans doute plus longtemps encore s’il est traité
sans compassion.
Il est des raisons de croire, par ailleurs, qu’un jeune enfant peut
développer ce genre d’engourdissement défensif en réaction à une mère
rejetante, et ce en l’absence de séparation majeure. Des exemples en sont
fournis par les observations de Mahler 17. Des résultats plus indiscutables
sont rapportés par Mary Main 18, une collègue de Mary Ainsworth, qui a fait
une étude spécifique sur un groupe d’enfants de 12 à 20 mois, qui non
seulement n’avaient pas accueilli leur mère à son retour après qu’elle les eut
laissés quelques minutes avec une étrangère, mais qui l’avaient
délibérément évitée. En regardant les enregistrements vidéo faits par Main,
j’ai été étonné de découvrir jusqu’à quelles extrémités certains de ces
enfants étaient prêts à aller. L’un s’approchait de sa mère brièvement, mais
la tête tournée de côté, puis il s’éloignait. Un autre, au lieu de rejoindre sa
mère, se plaçait face à l’angle de la pièce, comme s’il obéissait à une
punition, puis il s’agenouillait le visage contre le sol. Dans tous ces cas, les
vidéos des mères, enregistrées plus tard alors qu’elles jouaient avec leur
enfant, ont révélé chez elles des attitudes différentes de celles des mères
d’enfants non évitants ; elles semblaient « en colère, inexpressives et
n’appréciant pas le contact physique avec leur bébé ». Certaines les
grondaient sur un ton irrité, d’autres se moquaient, d’autres encore
s’adressaient à leur enfant ou parlaient de lui de manière sarcastique. Une
possibilité évidente, c’est qu’en se tenant éloigné ainsi de sa mère, l’enfant
évitait de nouvelles marques d’hostilité de sa part.
Donc, pour ce qui concerne les recoupements permis par l’observation
directe des jeunes enfants et de leurs mères, ils vont dans le sens d’une
théorie du type de celle de Winnicott. En résumé, et dans mes propres
termes, l’enfant et plus tard l’adulte finit par craindre de s’autoriser à
s’attacher à quiconque par peur d’un nouveau rejet avec toute la souffrance,
l’anxiété et la colère qui l’accompagneraient. En conséquence s’opère un
blocage massif de l’expression, voire du ressenti, de son désir naturel de
partager une intimité confiante, de recevoir attention, réconfort et amour –
que je tiens pour les manifestations subjectives d’un système
comportemental instinctif de première importance.
Une explication de ce type, malgré sa simplicité par rapport à certaines
de celles proposées dans la littérature, rend bien compte de la manière dont
ces individus se comportent dans le monde en général, et avec nous-mêmes
en tant qu’analystes. Inévitablement, ils apportent dans l’analyse leur peur
d’entrer dans une relation de confiance, ce que nous vivons comme une
résistance massive. Puis, lorsqu’ils retrouvent leurs émotions à la longue, ils
sont plus qu’à demi convaincus que nous allons les traiter comme ils se
souviennent de l’avoir été par leurs parents. En conséquence, ils vivent dans
la crainte d’être rejetés, et ils ressentent une colère intense au moindre
soupçon de désertion de notre part. Par ailleurs, il n’est pas rare que la
manière dont ils nous traitent – avec agression et rejet – se révèle être une
version du traitement qu’ils se rappellent avoir subi, enfants.
Il ne vous a pas échappé que dans l’explication de la manière dont ces
patients se comportent en analyse, j’ai présenté un certain nombre
d’hypothèses entrecroisées. Dans un programme de recherche, chacune
d’entre elles doit être examinée et testée à la lumière de nouvelles données.
Parmi les nombreuses méthodes qui devraient, selon moi, s’avérer
pertinentes est l’étude, dans un cadre thérapeutique, de parents et d’enfants
en interaction. De plus, il est aussi fondamental de se livrer, lors de
l’analyse de patients individuels, à de nouvelles observations bien plus
systématiques et ciblées qu’elles ne l’ont été jusqu’ici, si nous voulons que
la recherche clinique porte tous ses fruits.
Par exemple : il serait très utile d’avoir l’enregistrement détaillé des
réactions d’un ou de plusieurs de ces patients avant et après chaque week-
end, chaque période de vacances et chaque interruption imprévue dans les
séances, accompagné d’un compte rendu tout aussi détaillé de la manière
dont le thérapeute les a gérées. Cela nous permettrait de connaître le
répertoire de réponses d’un patient donné en ces occasions, ainsi que les
changements repérés au cours du temps. Il serait aussi particulièrement utile
d’avoir un récit détaillé des conditions dans lesquelles une évolution
thérapeutique majeure se produit. Si de tels dossiers pouvaient être
conservés sur un certain nombre de patients de ce type, peut-être dans le
cadre d’un programme de collaboration, il serait possible de découvrir si
une discussion franche et détaillée des expériences douloureuses que le
patient se rappelle avoir vécues dans sa relation à ses parents et de l’impact,
passé et présent, qu’elles semblent avoir sur la manière dont il traite les
autres, nous y compris, incite au changement thérapeutique, comme je le
prédis, ou lui est nuisible, comme certains analystes le croient.
Naturellement, s’il se lance dans un tel programme de recherche ou
dans un autre, l’analyste doit garder ses responsabilités professionnelles en
vue ; car avec des patients qui présentent un faux self, celles-ci peuvent être
très coûteuses. Winnicott décrit la « période de dépendance extrême » que
traversent ces patients au cours de la thérapie, et avertit du fait que « les
analystes qui ne sont pas prêts à répondre aux énormes besoins de patients
qui deviennent dépendants de la sorte doivent prendre soin de choisir les
cas qu’ils traitent en excluant ceux qui présentent un faux self ».
Et cela me ramène à l’art de la thérapie. Fournir, en étant nous-mêmes,
les conditions dans lesquelles un patient de ce type peut découvrir et
s’approprier ce que Winnicott appelle son vrai self, et ce que je nomme ses
désirs et ses émotions d’attachement, n’est pas facile. D’un côté, nous
devons réellement être dignes de confiance, et nous devons aussi
authentiquement respecter toutes les envies d’affection et d’intimité
ressenties par chacun de nous, mais que ces patients ont perdues. D’un autre
côté, nous ne devons pas offrir davantage qu’il nous est possible, et nous ne
devons pas avancer plus vite que le patient ne le supporte. Parvenir à cet
équilibre nécessite toute l’intuition, l’imagination et l’empathie dont nous
sommes capables. Mais cela demande aussi une bonne compréhension des
problèmes du patient et de ce que nous essayons de faire. C’est la raison
pour laquelle il est si important que les questions d’étiologie et de
psychopathologie soient éclaircies autant qu’il est possible par l’application
de la méthode scientifique et, de plus, que les analystes soient
complètement informés de l’ensemble des expériences familiales qui, de la
naissance à la fin de l’adolescence, affectent le développement de la vie
affective d’un enfant, comme le prouvent de plus en plus d’études. Ce n’est
que lorsque nous serons armés d’une telle connaissance, et de bien
davantage encore, que nous nous trouverons en situation de répondre à
l’exigence présentée par Freud dans l’un des derniers articles qu’il a
rédigés, dans lequel il attire l’attention sur le « noyau de vérité » dans les
symptômes d’un patient et sur la valeur thérapeutique des constructions en
analyse 19. Il écrit : « Ce que nous souhaitons, c’est une image fidèle des
années oubliées par le patient, image complète dans toutes ses parties
essentielles. »
4.

La psychanalyse :
une science naturelle ?

À l’automne 1980, j’ai été nommé professeur de psychanalyse invité au


Mémorial Freud du University College de Londres. Dans ma conférence
inaugurale, je suis revenu sur un thème sur lequel je m’étais exprimé au
Canada, deux ans auparavant. Ayant toujours pensé que le corpus de
connaissances étiqueté psychanalyse devrait être intégré aux sciences
naturelles, j’ai été affligé de la pression de l’opposition. Accepter que la
psychanalyse abandonne son objectif de devenir une science naturelle et se
considère à la place comme une discipline herméneutique me semble non
seulement être le résultat d’idées obsolètes sur la science, mais aussi avoir
été conseillé par le désespoir ; parce que, dans une discipline
herméneutique, il n’existe aucun critère applicable pour régler les
désaccords.
Un problème rencontré par tout analyste proposant de nouvelles
conceptions théoriques est de s’entendre reprocher que la nouvelle
approche « n’est pas de la psychanalyse ». Une telle critique dépend, bien
entendu, de la manière dont on définit la psychanalyse. Fort
malheureusement, il n’est que trop courant qu’elle le soit en termes des
théories de Freud. Cela contraste avec les définitions adoptées par les
disciplines universitaires qui sont toujours exprimées en relation avec le
phénomène à étudier et les problèmes à résoudre. Et le progrès s’y fait
souvent par des évolutions conceptuelles parfois révolutionnaires. Aussi
longtemps que les analystes continueront à définir la psychanalyse comme
les idées d’un homme, ils ne doivent pas se plaindre que leur discipline soit
boudée par les universitaires. De plus, en maintenant cette optique, ils la
condamnent à une inertie glacée.
La version de la conférence présentée ici diffère sur plusieurs points de
l’original ; les discussions sur des questions déjà traitées dans les
conférences précédentes ont en particulier été abrégées.

De 1895, date à laquelle Freud a commencé à esquisser un cadre


théorique pour la psychanalyse, jusqu’en 1938, un an avant sa mort, il s’est
montré déterminé à ce que sa nouvelle discipline se conforme aux
exigences d’une science naturelle. Ainsi, dans les premières phrases de son
Esquisse, il écrit : « L’intention est de fournir une psychologie relevant des
sciences de la nature 1… » ; tandis que dans l’Abrégé, il affirme que « la
conception d’après laquelle le psychique est en soi inconscient a permis de
faire de la psychologie une branche, semblable à toutes les autres, des
sciences naturelles 2 ».
Certes, dans l’entre-deux, ses idées sur le domaine couvert par sa
science ont considérablement changé depuis sa première ambition en 1895
« de représenter les processus psychiques comme des états de particules
matérielles discrètes quantitativement déterminés 3 » jusqu’à sa dernière
définition de la psychanalyse en tant que « science des processus mentaux
inconscients 4 ». Mais du début à la fin, il n’y a aucun doute possible sur son
idée du genre de discipline qu’était pour lui la psychanalyse.
Néanmoins, malgré son intention constante en la matière, le statut
scientifique de la psychanalyse reste équivoque. D’une part, les philosophes
des sciences l’ont qualifiée de pseudo-science au motif que, quel que soit le
degré de vérité qu’elles contiennent, les théories psychanalytiques ont une
formulation si élastique qu’il est impossible de les réfuter. D’autre part, de
nombreux psychanalystes, déçus par les inadéquations de la
métapsychologie freudienne et préoccupés par la perspective individuelle
incontestablement exigée dans le travail clinique, ont abandonné les
objectifs et les revendications de Freud, pour déclarer que la psychanalyse
n’appartient pas au domaine des sciences mais plutôt à celui des lettres,
avec Home 5, Ricœur 6, et d’autres en Europe. Schafer 7 et George Klein 8,
suivant cette voie, ont tous deux proposé des alternatives aux conceptions
de Freud : mais chacune de leurs reformulations, quoique différentes,
semble être une version d’Hamlet sans le Prince. En ont disparu toute
notion de causalité et la théorie des pulsions enracinées dans la biologie, et
dans la version de Schafer, les concepts de répression et d’activité mentale
inconsciente, aussi.
Melanie Klein a avancé une conceptualisation très différente, qui ne
souffre certes pas de ces défauts ; mais il serait difficile de soutenir que sa
forme et les recherches auxquelles elle a donné lieu satisfont aux exigences
scientifiques.
Cela étant, il serait faux de dire que tous les analystes désespèrent de
développer leur discipline en tant que science naturelle. Conscients des
défauts de la métapsychologie freudienne, en particulier des notions
d’énergie psychique et de pulsion, quelques-uns tentent de la remplacer par
un nouveau cadre conceptuel compatible avec la pensée scientifique
actuelle. Au centre de ces nouvelles approches figurent des notions issues
de la théorie des systèmes et de l’étude du traitement de l’information chez
l’homme. Parmi ceux qui se livrent à cette entreprise, on compte
Rubinstein 9, Peterfreund 10, Rosenblatt et Thickstun 11, Gedo 12, et moi-
même 13. Pendant ce temps, il y a aussi un certain nombre d’analystes qui
cherchent à étendre la base de données de la discipline par l’étude du
développement émotionnel et social grâce à l’observation directe. Certaines
de ces études sont athéoriques, comme celle de Offer 14. Les auteurs des
autres, Spitz 15, Mahler 16, tentent de faire entrer le nouveau vin empirique
dans les anciennes bouteilles théoriques ; tandis que d’autres encore,
comme Sander 17, Stern 18, et moi-même 19, avons recherché de nouveaux
modèles théoriques. Ma propre quête m’a mené non seulement à la théorie
du contrôle et au traitement de l’information, mais aussi aux disciplines
ancrées dans la biologie que sont l’éthologie et la psychologie comparée.
Ainsi, les nouvelles initiatives ne manquent pas, et il faudra du temps pour
déterminer celle qui, seule ou peut-être en combinaison avec d’autres,
produira la meilleure avancée scientifique. Mon objectif est ici de décrire
une de ces initiatives, la mienne, et d’expliquer pourquoi je la crois
prometteuse.
Dans la conférence précédente, j’ai présenté les circonstances qui m’ont
conduit à sélectionner, comme domaine de recherche, les réactions du jeune
enfant lorsqu’il est retiré à sa mère et placé pour un certain temps dans un
environnement inconnu avec des personnes inconnues, et la manière dont
ces observations ont abouti à l’élaboration de la théorie de l’attachement.
Parmi les caractéristiques essentielles de cette approche, on trouve l’idée
que le bébé humain vient au monde génétiquement programmé pour
développer un ensemble de schémas comportementaux qui, moyennant un
environnement approprié, résultent dans le maintien chez lui d’une
proximité plus ou moins étroite avec la personne qui s’occupe de lui. Cette
tendance au rapprochement a pour fonction de protéger le bébé mobile et
l’enfant plus âgé d’un certain nombre de dangers, le principal ayant sans
doute été celui des prédateurs pour l’homme dans son environnement
d’adaptation liée à l’évolution.
Un concept, qui a émergé très tôt des études d’orientation éthologique
sur les relations mère-enfant 20 et qui s’est révélé d’une grande valeur
clinique, est l’idée que la mère, ou le substitut maternel, sert à son enfant de
base sécure à partir de laquelle il peut explorer. Dès les derniers mois de sa
première année de vie, un bébé élevé dans un foyer normalement affectueux
est très clair quant à la personne dont il préfère recevoir l’attention, cette
préférence étant particulièrement évidente lorsqu’il est fatigué, effrayé, ou
malade. Qui que soit cette personne, et c’est généralement la mère, elle
permet par sa simple présence, ou par sa facilité d’accès, de créer les
conditions pour qu’il puisse se lancer dans l’exploration de son univers en
toute confiance. À son deuxième anniversaire, par exemple, un enfant en
bonne santé dont la mère se repose dans le jardin, s’aventurera à quelque
distance, revenant près d’elle entre chaque nouvelle excursion. À certains
moments, lorsqu’il la rejoint, il se contente de lui sourire et de faire le pitre ;
à d’autres, il vient s’appuyer contre sa jambe, ou encore il demande à
monter sur ses genoux. Mais il ne reste jamais longtemps, sauf s’il est
effrayé ou fatigué, ou s’il pense qu’elle est sur le point de s’en aller.
Anderson 21, qui a fait une étude de ce genre dans un parc londonien, a
observé que pendant sa deuxième et sa troisième année, il est très rare
qu’un enfant s’éloigne de plus d’une cinquantaine de mètres avant de
rebrousser chemin. Dès qu’il perd sa mère de vue, l’exploration est oubliée.
Sa seule priorité est alors de la retrouver, en la cherchant s’il est assez grand
et en se mettant à hurler s’il est plus petit.
Il est évident qu’il est impossible d’expliquer ce type de comportement
en termes d’accumulation d’énergie psychique qui serait alors déchargée.
Une alternative (déjà décrite dans les conférences précédentes) consiste à
envisager la recherche de proximité d’un enfant comme arbitrée par un
ensemble de systèmes comportementaux avec une organisation
cybernétique. Son activation est intensifiée en situation de douleur, de
fatigue ou de frayeur ; et réduite par la proximité ou le contact avec la
figure maternelle. Nous pouvons alors faire l’hypothèse que le
comportement qui conduit l’enfant à s’éloigner de sa mère pour s’aventurer
dans le vaste monde, commodément appelé « comportement exploratoire »,
est incompatible avec le comportement d’attachement, et qu’il dispose d’un
niveau de priorité plus faible. Ainsi, ce n’est que lorsque le comportement
d’attachement est relativement inactif que l’exploration a lieu.
À mesure qu’il grandit, la vie d’un individu continue à s’organiser de la
même façon, même si ses excursions se font progressivement plus longues,
en termes de temps comme de distance. À son entrée à l’école, elles
dureront des heures, puis des jours. À l’adolescence, elles peuvent s’étaler
sur des semaines ou des mois, et s’y ajoute généralement la recherche de
nouvelles figures d’attachement. Tout au long de la vie adulte, c’est grâce à
la disponibilité d’une figure d’attachement réceptive qu’un individu se sent
sécure. Du berceau à la tombe, notre bonheur le plus grand à tous se réalise
lorsque notre vie est organisée comme une série d’excursions, longues ou
brèves, à partir de la base sécure fournie par notre (nos) figure(s)
d’attachement.
Dans notre modèle, les évolutions du comportement d’attachement au
cours du développement individuel sont liées, d’une part, à l’élévation de
leur seuil d’activation (peut-être due à des modifications endocriniennes) et,
d’autre part, à la sophistication croissante des systèmes de contrôle. Ceux-ci
intègrent ainsi des modèles représentationnels de plus en plus précis, de
l’environnement et des personnes importantes qui y évoluent, ainsi que de
soi-même en tant qu’acteur de sa vie.
On attribue à la sélection naturelle le développement de ce type de
systèmes, décrit chez les humains comme chez les représentants de
nombreuses autres espèces. Cela signifie que des individus disposant d’un
fort potentiel de développement ont survécu et se sont reproduits avec
davantage de succès que les autres, selon une évolution darwinienne,
autrement dit. Cette disposition à faire preuve d’un comportement
d’attachement dans certaines circonstances étant considérée comme
intrinsèque à la nature humaine, y faire référence sous l’appellation de
« dépendance » est donc non seulement trompeur, mais gravement
inapproprié en raison des connotations péjoratives du terme.
La théorie du contrôle permet d’expliciter l’objectif et la causalité de
catégories de comportements biologiquement déterminés, comme celui
d’attachement. Elle éclaire également la distinction entre causalité et
fonction, tristement négligée dans la théorie psychanalytique traditionnelle.
L’activation du comportement, c’est-à-dire essentiellement l’excitation
émotionnelle, son expression, puis son extinction et le retour au calme, est
déclenchée par des informations spécifiques reçues à un moment donné par
un système dédié. Quant à sa fonction biologique, elle correspond selon
nous à celle qui a présidé à l’évolution du système au cours de la
phylogenèse, telle qu’on peut l’observer. Il s’agit ici de diminuer les risques
de mise en danger de l’individu.
À ce niveau d’analyse, la question de savoir si un individu a conscience
de ce qu’il fait, sans parler des raisons qu’il a d’agir ainsi, n’a aucune
pertinence, en réalité ce n’est pas plus pertinent que de se demander s’il est
conscient de respirer et, s’il l’est, des raisons pour lesquelles il devrait le
faire. Les systèmes biologiques remplissant une fonction vitale, que ce soit
au niveau comportemental ou physiologique, doivent pouvoir fonctionner
automatiquement. Néanmoins, dans le cas d’un enfant humain, la
conscience de ses actions – et plus spécifiquement celle des conditions qui
mettront un terme à son comportement – émerge rapidement, sans aucun
doute vers la fin de la première année, ce qui constitue un facteur de la plus
grande importance. Car, dès qu’il est clair qu’un enfant est conscient des
conditions d’extinction de son comportement, nous commençons à parler
d’intention, de son désir d’atteindre un certain objectif, de sa satisfaction et
de son bonheur à y parvenir, et de sa frustration, de son anxiété et de sa
colère lorsqu’il échoue, de la satisfaction qui conduit au plaisir et de la
frustration qui engendre son contraire.
À ce point de la discussion, je souhaite souligner la profonde distinction
entre les conditions nécessaires à l’extinction d’un certain comportement,
habituellement appelée son « but », et la fonction biologique de ce
comportement. Dans le cas de celui d’attachement dans l’enfance, alors que
nous nous attendons généralement à ce que la mère et l’enfant soient
conscients des conditions nécessaires à son extinction, une certaine
proximité, par exemple, nous n’attendons pas de conscience de sa fonction.
Il en est de même des comportements alimentaires et sexuels. Nous nous
rendons compte, pour la plupart, que manger de la nourriture assouvit notre
faim et nous avons plaisir à le faire, mais seuls les plus avertis se soucient
de sa fonction nutritionnelle. De même, le désir sexuel peut être assouvi
sans aucune conscience de sa fonction reproductrice. Dans les deux cas,
hormis pour les spécialistes, nous ne nous préoccupons que de notre envie
de nous comporter d’une certaine façon et du plaisir anticipé et obtenu
lorsque les conditions d’extinction sont atteintes (le but), et pas de la
fonction biologique que remplit ce comportement. En réalité, souvent,
lorsque nous nous sentons émotionnellement incités à agir d’une certaine
façon, aisément explicable en termes de fonction biologique, nous nous
concoctons des « raisons » d’agir ainsi qui n’ont pas grand-chose, voire rien
à voir, avec les causes de notre comportement. Par exemple, un enfant ou
un adulte qui, pour réduire les risques, est biologiquement déterminé à
réagir à des bruits étranges dans l’obscurité en recherchant sa figure
d’attachement, donne comme raison à cela qu’il a peur des fantômes. Cela
équivaut aux « raisons » de son comportement invoquées par quelqu’un
agissant, sans le savoir, sous l’emprise d’une suggestion posthypnotique.
La distinction que j’opère entre la fonction que remplit un
comportement et notre connaissance des conditions qui y mettront un terme
ainsi que nos efforts pour les atteindre est ce qui différencie la biologie de la
psychologie. Il en va de même de la distinction entre un système
comportemental, conçu comme biologiquement inné avec certaines (pas
toutes) de ses conditions d’activation et d’extinction, et notre conscience de
l’envie d’atteindre un certain but et les moyens déployés pour y parvenir.
J’ai fait remarquer plus tôt que pour comprendre le développement d’un
individu, il est tout aussi nécessaire de tenir compte de l’environnement
dans lequel il évolue que des potentialités issues de son bagage génétique.
Le cadre théorique le plus adapté à cet objectif est, cette fois, celui des
trajectoires développementales proposé par le biologiste
C.H. Waddington 22.
Selon cette approche, la personnalité humaine est une structure en
constant développement qui suit un certain chemin parmi une variété de
trajectoires individuelles possibles. Toutes ces trajectoires sont conçues
comme ayant des points de départ très proches qui font qu’à la conception,
un individu a accès à un large éventail de possibilités permettant un
cheminement sur n’importe laquelle d’entre elles. Celle qui est retenue
dépend à chaque étape de l’interaction entre l’organisme et son niveau de
développement à ce moment-là et l’environnement dans lequel il se trouve
alors. Ainsi, à la conception, le développement dépend de l’interaction entre
le génome nouvellement assemblé et l’environnement intra-utérin ; à la
naissance, il dépend de l’interaction entre la constitution biologique du
nouveau-né, y compris sa structure psychique naissante, et la famille, ou la
non-famille, dans laquelle il est né ; et à chaque âge successivement, il
dépend des structures de sa personnalité présentes à ce moment-là, et de sa
famille, puis de l’environnement social plus large de l’époque.
À la conception, l’ensemble des trajectoires potentiellement offertes à
un individu est déterminé par le contenu de son génome. Avec le
développement et la différenciation progressive des structures, le nombre de
trajectoires disponibles diminue.
Une variable essentielle dans le développement de la personnalité d’un
individu est, selon moi, la trajectoire d’organisation de son comportement
d’attachement, et je pense aussi que celle-ci est très fortement déterminée
par la manière dont ses figures parentales le traitent, non seulement dans sa
prime enfance, mais aussi au cours de toute son enfance et de son
adolescence. Ces expériences influent sur le développement de la
personnalité, par l’impact qu’elles ont sur la manière dont la personne
conçoit le monde autour d’elle, et sur ses attentes quant au comportement
de ceux auxquels elle pourra s’attacher, tout cela étant dérivé des modèles
représentationnels des parents élaborés dans l’enfance. Les données
montrent que ces modèles tendent à persister sans grande modification à un
niveau inconscient, et qu’elles sont le reflet bien plus exact de la manière
dont cette personne a réellement été traitée par ses parents que ne le
suppose l’opinion traditionnelle. Dans ce cadre, les aberrations
comportementales et les symptômes névrotiques sont conçus comme des
conséquences d’interactions passées, et parfois encore présentes, entre la
personnalité de l’individu telle qu’elle s’est développée jusque-là, et la
situation dans laquelle il se trouve.
Arrêtons-nous un instant. Dans cette présentation jusqu’ici du cadre
conceptuel que je défends, j’en ai sans aucun doute dit suffisamment pour
que vous voyiez un certain nombre de points de divergence par rapport à
l’approche traditionnelle. Par exemple, la théorie de la motivation que
j’avance est radicalement différente de celle d’énergie psychique et de
pulsion proposée par Freud, de même la notion de trajectoires de
développement se démarque de sa conception de phases libidinales, de
fixation et de régression. De plus, le comportement d’attachement est conçu
comme distinct, mais de statut égal, par rapport au comportement
alimentaire ou sexuel, et comme se manifestant tout au long de la vie.
Quelles sont les origines de ces différences ?
Au cours de l’élaboration de ses conceptions, Freud s’est montré
profondément intéressé par la biologie et soucieux de formuler une théorie
psychologique en des termes compatibles avec la pensée d’alors dans cette
discipline. Cela l’a conduit à explorer les idées de Darwin et d’autres
évolutionnistes de son temps. À l’époque, en cette fin de siècle, la théorie
darwinienne de la variation et de la sélection naturelle en tant qu’agents de
l’évolution était loin d’être aussi dominante qu’elle l’est aujourd’hui. Au
contraire, les conceptions de Lamarck sur l’hérédité des caractères acquis et
sur l’influence du « besoin interne » de l’animal sur la structure de son
organisme étaient très en vogue. La loi biogénétique de Haeckel l’était
aussi, qui, affirmant que l’ontogenèse récapitule la phylogenèse, négligeait
le fait que les pressions de la sélection interviennent à toutes les phases du
cycle de vie, et que de nouvelles espèces émergent souvent des formes
immatures d’espèces plus anciennes (néoténie). Freud, nous le savons, a été
profondément influencé par Lamarck et par Haeckel, et il faisait
régulièrement l’éloge de leurs idées à ses étudiants *1. Il en résulte qu’une
grande partie de sa métapsychologie et toute sa psychologie du
développement sont fondées sur des principes abandonnés depuis
longtemps par les biologistes.
Si, donc, la psychanalyse veut devenir la science naturelle fondée sur
des principes biologiques solides, selon le dessein de Freud, au moins
certaines de ses hypothèses de base doivent être radicalement revues. Le
cadre que je propose, fondé sur des principes néodarwiniens et sur les
travaux actuels en psychologie du développement et en traitement de
l’information chez l’homme, est une tentative en ce sens.
Bien que la psychanalyse se déclare être une discipline
développementale, son plus gros point faible réside, à mon sens, dans ses
concepts relatifs au développement. Nombre de ceux qui sont les plus
influents, par exemple les phases libidinales, sortent tout droit de Haeckel.
Ainsi, dans son Introduction à la psychanalyse de 1916-1917, Freud
souligne que le développement du moi ainsi que celui de la libido doivent
être conçus comme des « répétitions en raccourci de l’évolution que
l’humanité dans son entier a parcourue depuis les premiers temps 26 », tandis
qu’il considère la libido aussi en termes de phylogenèse et des diverses
formes prises par l’appareil génital chez les animaux. Dans une étude de cas
publiée vers la même époque, il attribue les idées d’une personne
concernant « l’observation de l’acte sexuel entre ses parents, la séduction
infantile ou la menace de castration… [à] un legs, un héritage
phylogénétique » ; et il affirme aussi que le complexe d’Œdipe fait partie de
« l’héritage phylogénétique 27 ». Toutes ces notions sont reprises dans ses
derniers textes 28.
Maintenant, il est possible que peu d’analystes aujourd’hui souscrivent
aux formulations originales de Freud ; leur influence diffuse ne fait pourtant
aucun doute, non seulement sur ce qui est enseigné, mais sur les hypothèses
dominantes sous-tendant nos avancées dans la compréhension du
développement émotionnel et social. Une place d’honneur continue ainsi à
être réservée aux reconstructions fondées sur ce qui est observé et inféré
lors des séances thérapeutiques. De même, on peut déplorer la persistance
d’une certaine réticence à prendre au sérieux les travaux d’une importance
considérable menés en psychologie du développement, même si cette
tendance faiblit. Ayant attiré l’attention sur la pertinence de ces recherches
dans de nombreuses publications précédentes, il me suffit de dire ici que,
selon moi, tous les concepts développementaux de la psychanalyse doivent
être réexaminés. Je suis convaincu que la plupart d’entre eux seront, à
terme, remplacés par des notions actuellement communément acceptées par
ceux qui étudient le développement des liens affectifs chez les bébés et les
jeunes enfants en les observant directement. La réserve compréhensible de
nombreux cliniciens quant à ce type de travail par le passé s’évanouirait, je
crois, s’ils se familiarisaient avec les observations et les conclusions des
leaders actuels dans ce domaine, comme Mary Ainsworth 29, John et
Elizabeth Newson 30 et Colwyn Trevarthen 31.
Bien que de nombreux théoriciens de la psychanalyse semblent encore
ignorer la valeur, voire l’existence même de ces études, il existe un nombre
de plus en plus grand de thérapeutes analytiques, je suis heureux de le
préciser, qui s’en inspirent dans le traitement de leurs patients. Tournons-
nous donc vers le champ clinique et vers le compte rendu présenté par un
analyste californien de son intervention auprès d’une femme, dont il
attribue les problèmes, à raison je pense, à des événements qui ont suivi le
divorce de ses parents et à la longue période où elle a été placée en
institution, pendant sa cinquième et sa sixième années. Cette étude de cas
vient non seulement illustrer le type de difficultés personnelles engendrées
par de telles expériences, dont une ambivalence intense, mais elle permet
aussi de s’interroger sur la manière dont les questions de défenses et
d’affects sont abordées dans le cadre de la théorie que je propose.
Mme G. a entrepris une analyse parce qu’elle se sentait irritable,
déprimée, emplie de haine et de méchanceté, comme elle le disait. De plus,
elle était frigide avec son mari, émotionnellement détachée, et elle se
demandait si elle était capable d’aimer quelqu’un.
Mme G. avait 3 ans lorsque ses parents ont divorcé. Son père a quitté la
maison et sa mère, qui a commencé à travailler jusque tard le soir, avait peu
de temps pour sa fille. Un an plus tard, alors que Mme G. avait 4 ans, sa
mère l’a placée dans un orphelinat où elle est restée dix-huit mois. Ensuite,
bien qu’elle fût à nouveau avec sa mère, les relations familiales ont
continué à être perturbées et malheureuses. Cela a conduit Mme G. à quitter
la maison à l’adolescence, et avant ses 21 ans, elle s’était déjà mariée et
avait divorcé deux fois. Son époux actuel était le troisième.
Dans les premières phases de l’analyse, Mme G. était extrêmement
réticente à se remémorer les événements douloureux de son enfance ; et
lorsqu’elle accepta de le faire, elle s’effondra en larmes et en profonds
sanglots. Néanmoins, son analyste l’encouragea à réfléchir davantage sur
ses souvenirs et à en examiner minutieusement les détails, car il pensait que
cela l’aiderait. En même temps, il accordait une attention au moins égale à
la relation entre eux dans laquelle, sans surprise, se rejouaient toutes les
difficultés interpersonnelles que sa patiente avait rencontrées dans d’autres
relations intimes.
Parmi beaucoup de souvenirs douloureux de son enfance, Mme G. se
rappelait sa tristesse lorsqu’elle avait été séparée de ses animaux favoris à
son départ pour l’orphelinat. Il lui arrivait de rêver à la période qu’elle avait
passée là-bas, avec un sentiment d’accablement. Elle se souvenait de s’être
sentie très petite au milieu de tous ces enfants, et qu’il n’y avait pas de
jouets, des mauvais traitements infligés et des bêtises qu’elle avait parfois
volontairement faites pour être giflée [au moins elle obtenait ainsi de
l’attention – J.B.].
Au bout de quatre ans d’analyse, des difficultés financières ont conduit
Mme G. à décider d’arrêter le traitement dans les six mois. Inévitablement,
les conflits émotionnels présents dans sa relation à son thérapeute se sont
faits plus aigus. Ses rêves et ses rêveries diurnes le concernaient maintenant
plus ouvertement. Dès le départ, elle s’était rendu compte qu’il lui serait
pénible de le quitter. Les séparations l’avaient toujours mise en colère et,
comme elle le disait maintenant, « la colère me rend triste parce qu’elle
signifie la fin… J’ai peur que vous me quittiez ou que vous me jetiez dehors
ou que vous me fassiez enfermer ». L’analyste lui rappela comment elle
s’était sentie quand elle avait été envoyée à l’orphelinat. « J’ai essayé de me
croire autosuffisante, expliqua-t-elle. Je me raccroche à moi-même… Je
m’occupe de moi toute seule. »
Quelques mois plus tard, alors que l’échéance approchait, elle a relié ce
qu’elle ressentait envers son analyste à ses émotions d’avant à propos de sa
mère. « Je ne veux pas lâcher ma mère – je ne veux pas la laisser partir –
elle ne va pas se débarrasser de moi. » À cette étape de son analyse, son vif
désir d’amour et d’attention avait refait surface, accompagné d’une colère
envers ceux qui lui en avaient interdit l’expression.
Le changement radical vécu par cette femme s’est confirmé dans
d’autres épisodes. Par exemple, au début de son analyse, son chat était
mort, mais cela l’avait laissée indifférente. Comme elle l’avait alors
expliqué : « Si je laisse ça me blesser, tout me rendra triste. Ça va
déclencher le reste. » Mais maintenant, vers la fin de son analyse, lorsqu’un
autre chat est mort, elle a pleuré.
Bien que la thérapie ait restauré la vie affective de cette patiente et l’ait
conduite à être capable d’établir des relations de meilleure qualité, y
compris avec sa mère, le suivi cinq ans plus tard a révélé, comme on
pouvait s’y attendre, qu’elle demeurait vulnérable à des situations créatrices
d’anxiété ou de tristesse, comme la séparation et la perte.

Examinons le changement intervenu chez cette femme qui pourrait être


diagnostiquée comme schizoïde par Fairbairn 32 ou dotée d’un faux self par
Winnicott 33 ou narcissique selon Kohut 34. Avant son analyse, elle se sentait
émotionnellement détachée et se demandait si elle était capable d’aimer
quelqu’un ; une perte la laissait indifférente. Aujourd’hui, elle avait pris
conscience de son profond désir d’amour et d’attention, et de la colère
qu’elle ressentait à en être privée ; et une perte la faisait pleurer. Ainsi, dans
des situations où elles étaient auparavant absentes, des réactions
profondément chargées d’affects apparaissaient désormais.
Pour rendre compte d’un tel changement, les explications traditionnelles
font plutôt appel à une métaphore hydraulique : l’affect a été retenu et il se
déverse maintenant. Le barrage est considéré comme une défense contre un
excès d’excitation qui menace de submerger le moi. On évoque encore des
processus censés intervenir dans les toutes premières années, par exemple
une fixation à une phase narcissique ou le clivage du moi résultant de la
projection d’un instinct de mort.
Une explication de l’état de cette femme, que je pense beaucoup plus
proche de nos connaissances actuelles sur le développement précoce des
liens affectifs et en cohérence avec ce que nous savons sur le traitement de
l’information chez l’homme, est la suivante : en raison de l’intense douleur
causée pendant ses jeunes années par la frustration prolongée et
probablement répétée de son comportement d’attachement, vécue comme le
rejet d’un pressant désir d’amour et d’attention, le système
comportemental *2 en charge de son comportement d’attachement s’est
désactivé, et s’est maintenu dans cet état malgré les souhaits qu’elle avait
du contraire. En conséquence, les désirs, les pensées, et les sentiments qui
composent le comportement d’attachement étaient hors d’atteinte de sa
conscience. La désactivation en elle-même peut se comprendre comme
étant le résultat de l’absence de traitement de toute information qui, si elle
était acceptée, conduirait à l’activation du système.
L’exclusion sélective postulée ici qui, comme le montrent de récents
travaux expérimentaux, est tout à fait dans les aptitudes de notre appareil
cognitif 35 et que j’appelle exclusion défensive, nécessite une activité
cognitive constante au niveau inconscient. Le fait que les systèmes
comportementaux demeurent intacts et susceptibles en principe d’être
mobilisés, et qu’ils peuvent donc à l’occasion montrer une activation
naissante ou brève, peut rendre compte de tous les phénomènes qui ont
conduit Freud à ses conceptions d’un inconscient dynamique et de la
répression. En réalité, l’exclusion défensive dont je fais l’hypothèse n’est
rien d’autre que la répression appelée autrement, une appellation davantage
en accord avec le cadre conceptuel adopté ici.
Le processus de changement thérapeutique chez cette patiente peut alors
se comprendre comme étant occasionné par le développement chez elle de
suffisamment de courage, grâce à la base relativement sécure offerte par son
analyste, pour permettre à des informations jusqu’ici exclues d’accéder à un
traitement plus complet. Cela concerne des informations issues de la
situation présente, par exemple des preuves de l’implication authentique de
son analyste dans l’aide qu’il lui apporte, et des pensées, émotions et
comportements conflictuels que cela déclenche chez elle. Cela implique
également des informations stockées en mémoire, par exemple les
souvenirs des événements très douloureux de son enfance et les pensées, les
émotions et les comportements qu’ils ont suscités. En règle générale, les
informations en provenance de ces deux sources sont récupérées sous la
forme d’une chaîne, où celles issues du présent, en particulier le transfert,
alternent avec celles venues du passé, chaque maillon conduisant au
suivant. Une fois que les informations pertinentes sont acceptées, le
comportement d’attachement est réactivé, en même temps que les envies,
les désirs, les pensées et les émotions qui y sont liés. En termes
traditionnels, l’inconscient est parvenu à la conscience, et les pulsions et les
affects réprimés sont libérés.
Il n’est pas rare, comme dans ce cas, qu’il incombe à l’analyste d’attirer
l’attention du patient sur des souvenirs qu’il pense importants, et de
l’encourager à réfléchir à leur sujet au lieu de les ignorer. Pour ce faire,
l’analyste est guidé, bien entendu, par la théorie du développement et de la
psychopathologie qu’il fait sienne. C’est le point sur lequel divergent les
analystes des différentes écoles. Pour certains, les événements jugés
importants se rapportent à l’allaitement et au sevrage et aux fantasmes
auxquels ils donnent naissance lors des premiers mois de la vie ; pour
d’autres, ils se rapportent à l’apprentissage de la propreté ou au fait d’être
témoin de la scène primitive lors de la deuxième année ; pour d’autres
encore, il s’agit de la situation et des désirs œdipiens des troisième et
quatrième années. Dans le cas de Mme G., son analyste s’est appuyé sur sa
connaissance des réactions des petits enfants aux événements entourant une
séparation prolongée d’avec leur mère au cours de leurs jeunes années.
Il est parfaitement admis que tous les enfants ayant été placés dans une
institution pendant dix-huit mois au cours de leurs cinquième et sixième
années ne suivent pas un développement psychologique selon la trajectoire
empruntée par Mme G. Dans son cas, d’autres facteurs sont presque
certainement entrés en jeu. Dans mes hypothèses à ce sujet, je suis
influencé par des remarques de Mme G. lors des dernières phases de son
analyse, par exemple sa peur que son analyste la « jette dehors » ou la
« fasse enfermer » et le souvenir de sa détermination à ce que sa mère « ne
se débarrasse pas » d’elle. Cela suggère que, comme méthode de discipline,
sa mère a sans doute régulièrement utilisé des menaces de la renvoyer à
l’orphelinat, menaces que nous savons loin d’être exceptionnelles, et qui,
non seulement terrifient un jeune enfant, mais risquent encore d’engendrer
une haine intense chez lui. Ainsi, plus grandes sont les connaissances d’un
analyste sur les conditions familiales susceptibles de conduire à un
développement perturbé, mieux il est à même de comprendre et d’aider ses
patients.
Inévitablement, les remémorations spontanées ou guidées d’un patient
sur son enfance ne constituent que des suggestions pour venir étayer les
théories du développement de la personnalité. Ce qu’un patient nous
raconte de son enfance, et en particulier ce qu’un analyste rapporte ensuite
du discours de son patient, est probablement autant, voire davantage
influencé par les opinions préconçues de l’analyste que par ce que le patient
peut en réalité avoir dit ou fait ; c’est pourquoi je considère l’étude
systématique par observation directe du développement des enfants avec
différents types d’éducation *3 comme indispensable au progrès. Cela étant,
je pense que les observations faites au cours de la thérapie recèlent un
potentiel considérable pour la recherche, qui ne se révélera que lorsque les
études seront organisées de façon bien plus systématique qu’on ne l’a fait
habituellement jusqu’ici, et que les données obtenues seront constamment
comparées à celles d’autres sources.
Le point fort de la situation thérapeutique en ce qui concerne la
recherche ne réside pas dans ce qu’elle nous dévoile du passé du patient,
mais dans ce qu’elle nous dit des troubles du fonctionnement de sa
personnalité au présent, en particulier les difficultés qu’il peut avoir à
établir des liens d’attachements sécures, et la manière d’y remédier. Le cas
de Mme G. peut être utilisé comme introduction à un projet de recherche,
car les troubles de la personnalité qu’elle présente et le déroulement de son
analyse sont assez typiques, selon nous.
Ainsi, on pourrait s’appuyer sur des études de cas déjà publiées pour
généraliser des hypothèses à tester dans de nouveaux travaux thérapeutiques
avec des patients présentant le même tableau clinique. Ces hypothèses,
variables selon le style spécifique de thérapie envisagée *4, seraient
formulées en fonction de ce qui peut être directement observé, par exemple
le comportement attendu du patient envers l’analyste, les sujets que l’on
s’attend à le voir aborder ou plus spécifiquement ceux dont il évite de
parler, les émotions attendues ou non de sa part et les situations concernées.
Il serait particulièrement intéressant de noter les changements de
comportement, de sujet et d’affect censés intervenir dans la relation en
réponse à certains types d’événements actuels, à la fois ceux de la vie
quotidienne du patient et ceux intervenant dans l’analyse. Parmi ceux-ci, on
peut penser à la manière de se comporter de l’analyste, ce qu’il dit, la
manière dont il le dit, en référence plus spécifiquement aux interruptions
dans l’analyse liées aux vacances, à la maladie ou à d’autres circonstances.
L’enregistrement des séances pour éviter les biais serait, bien entendu,
nécessaire.
En suivant de telles procédures, il serait possible sur un certain laps de
temps d’obtenir des ensembles de données comparables en provenance de
deux sources. Le premier serait recueilli par l’observation directe du
développement et de la structuration des liens affectifs pendant la petite
enfance et l’enfance auprès d’enfants recevant différents types
d’éducation *5. Le second serait issu, par l’observation directe aussi, des
changements de structuration des liens affectifs au cours de certains types
de thérapie. Du moment que le cadre conceptuel utilisé pour recueillir les
deux ensembles d’observation et que les questions auxquelles chacun
répond sont les mêmes, on peut comparer les résultats et tester les
hypothèses développementales.
C’est là une des nombreuses manières dont la psychanalyse, en tant que
corpus de connaissances sur le développement de la personnalité et sur la
psychopathologie, peut se rapprocher de l’objectif de science naturelle que
Freud lui a toujours assigné.
Le cadre conceptuel esquissé ici permet, je pense, d’intégrer une part
substantielle des données que la psychanalyse a sélectionnées comme
entrant dans son champ, et il sert déjà de guide à de fructueux programmes
de recherche tels ceux de Parkes et Stevenson-Hinde 37. Ce cadre a
l’avantage d’être compatible avec la biologie de l’évolution et la
neurophysiologie, et il promet davantage d’économie et de cohérence
interne que les modèles traditionnels. Néanmoins, ses forces et ses
faiblesses n’apparaîtront qu’à partir du moment où il fera l’objet de
nombreux tests de ses capacités à résoudre des problèmes non encore
abordés, comme ceux par exemple du développement sexuel et de ses
déviances, ainsi que d’un examen encore plus approfondi qu’il ne l’est
actuellement de son utilité pour résoudre des problèmes déjà étudiés.
Pour finir, intéressons-nous aux questions soulevées par ceux qui
maintiennent que la psychanalyse n’est pas, et ne pourra jamais être, une
science naturelle. Leur argumentation, trouvons-nous, repose sur la
croyance selon laquelle la méthode scientifique est inséparable du
positivisme logique et du réductionnisme. Ce modèle de la science, défendu
avec assurance et souvent avec dogmatisme au début du XXe siècle, est
aujourd’hui battu en brèche et remplacé par une philosophie de
l’épistémologie évolutionniste 38. Celle-ci soutient que toute connaissance
est conjecturale, et que la science progresse par la substitution de nouvelles
théories aux anciennes, lorsqu’il apparaît qu’une nouvelle théorie est
capable de rendre compte d’un plus grand ensemble de phénomènes que
ceux embrassés et expliqués par l’ancienne, et qu’elle peut aussi en prédire
de nouveaux avec davantage de précision *6. Cette même méthode est
censée s’appliquer à toutes les sciences théoriques ou généralisantes,
qu’elles se rapportent au domaine physique, biologique ou social. De plus,
puisque la compréhension des faits à un niveau de complexité donné exige
des concepts appropriés à ce niveau, l’idée que des phénomènes complexes
doivent s’expliquer en des termes adaptés à un niveau inférieur, autrement
dit, le réductionnisme, est aujourd’hui reconnue comme erronée. La
manière dont ces nouvelles idées s’appliquent à notre domaine est discutée
avec pertinence par Holt 39, Blight 40 et Radford 41.
Bien que la méthode scientifique s’avère inestimable pour acquérir des
connaissances relativement fiables, résoudre des divergences d’opinion et
faire des prédictions utiles, elle souffre cependant de limitations
considérables. L’une d’elles est que la science se préoccupe de généralités
et qu’elle a peu à dire sur des événements singuliers spécifiques. C’est une
distinction capitale, comme le souligne le physicien Weisskopf (1981).
Dans les sciences physiques, elle est de peu d’importance car les physiciens
et les ingénieurs ne s’intéressent pas au futur d’un atome ou d’une molécule
quelconque. Dès que nous touchons à la biologie, cependant, cela importe
car les biologistes étudient souvent des organismes individuels, qui sont
tous différents les uns des autres. Dans certaines sciences humaines, en
outre, le cas unique est l’essence même de la question. L’histoire par
exemple, que ce soit celle des sociétés, des personnes ou des idées, porte
toujours sur des séquences terriblement complexes d’événements
éminemment spécifiques en interaction, qu’aucune science ne nous permet
d’expliquer correctement, et encore moins de prédire. Ainsi, la distinction
entre les sciences naturelles et les sciences historiques ne réside pas dans
leur utilisation de méthodes différentes d’acquisition de connaissances,
mais dans le fait que les problèmes qu’elles s’efforcent de comprendre et les
critères qu’elles adoptent ne sont pas du tout les mêmes. L’une se préoccupe
de formuler des lois générales en termes de probabilités, l’autre de
comprendre des événements singuliers spécifiques en entrant le plus
possible dans les détails. Cette distinction est essentielle à tout le débat.
Sous l’étiquette psychanalyse, il est clair que deux disciplines
complémentaires s’efforcent de survivre et d’avancer. Lorsque nous
essayons de comprendre les principes généraux qui rendent compte du
développement de la personnalité et de la psychopathologie, indispensables
par exemple à notre connaissance des formes d’éducation *7 susceptibles de
produire tel ou tel type de structure de personnalité, nous adoptons les
critères des sciences naturelles. Et nous faisons de même lorsque nous
essayons de déterminer les caractéristiques essentielles d’une thérapie
efficace. Dans ces domaines, nous nous intéressons à des probabilités
statistiques. Quand nous nous soucions de comprendre les problèmes
personnels d’un individu donné et quels événements ont pu contribuer à
leur développement, compréhension nécessaire (même si elle est loin d’être
suffisante) si nous voulons l’aider, nous adoptons les critères des sciences
historiques. Chaque approche contribue à notre intelligence des faits ; mais,
comme je l’ai fait remarquer dans la conférence précédente, ce n’est que
lorsque nous aurons l’esprit clair quant à ce qui relève de chacune que nous
serons à même de faire des progrès.
5.

Violence dans la famille

Au printemps 1983, j’ai été invité à donner la 31e conférence annuelle


Karen Horney à l’Association pour la promotion de la psychanalyse lors de
son assemblée à New York. J’avais choisi la violence dans la famille comme
thème d’intervention principalement parce que la recherche liée à la
théorie de l’attachement commençait à faire sortir de l’ombre ce problème
tragique mais difficile à cerner qui, jusqu’alors, avait été presque
totalement ignoré par les spécialistes de la santé mentale *1 , moi compris.

Introduction
Il me semble qu’en tant que psychanalystes et psychothérapeutes, nous
nous sommes montrés effroyablement lents à ouvrir les yeux sur la
prévalence et sur les conséquences immenses des comportements violents
entre membres de la famille, en particulier la violence des parents envers
leurs enfants. Dans la littérature analytique et dans les programmes
d’enseignement, ce thème brille par son absence. Il existe pourtant
aujourd’hui de nombreuses preuves montrant non seulement que c’est un
phénomène plus courant qu’on ne pouvait le penser jusqu’ici, mais qu’il est
déterminant dans bon nombre de syndromes psychiatriques suscitant
désarroi et interrogation. Puisque, en outre, la violence engendre la
violence, la violence dans les familles tend à se perpétuer d’une génération
à l’autre.
La raison pour laquelle la violence familiale comme facteur causal en
psychiatrie s’est trouvée autant négligée par les cliniciens – bien que de
toute évidence pas par les travailleurs sociaux – constituerait une étude en
soi et ne peut être abordée ici. Mais la focalisation des cercles analytiques
sur le fantasme et leur réticence à examiner l’impact des événements
réellement vécus y sont pour beaucoup. Depuis que Freud a opéré en 1897
sa volte-face célèbre et à mon sens désastreuse, lorsqu’il a décidé que les
séductions de l’enfance qu’il pensait de grande valeur étiologique n’étaient
rien d’autre que le produit de l’imagination de ses patients, il est devenu
extrêmement démodé d’attribuer la psychopathologie à des expériences
réelles. Il n’appartient pas au travail de l’analyste, ainsi va la sagesse
conventionnelle, de prendre en considération la manière dont les parents
d’un patient peuvent réellement l’avoir traité, encore moins d’envisager la
possibilité, ni même la probabilité, qu’un patient donné puisse avoir été la
cible de propos violents et d’actes violents de la part d’un de ses parents, ou
des deux. Centrer son attention sur de telles possibilités, m’a-t-on souvent
dit, revient à être séduit par les histoires biaisées des patients, à prendre
parti, et à transformer en boucs émissaires des parents parfaitement bien
sous tous rapports. Et dans tous les cas, affirme-t-on, se comporter ainsi ne
serait d’aucune aide au patient, et serait de fait antithérapeutique. C’est en
réalité en grande partie parce que les comportements négatifs des parents
envers leurs enfants étaient un sujet aussi tabou dans les cercles analytiques
au début de ma carrière que j’ai décidé de consacrer mes recherches aux
effets sur les enfants d’événements réellement vécus d’un autre type, à
savoir la séparation et la perte.
Bien sûr, Karen Horney, en l’honneur de laquelle nous sommes réunis
aujourd’hui, ne partageait pas ces préjugés. Au contraire, elle attribue tout à
fait explicitement nombre des problèmes de ses patients aux influences
négatives qu’ils ont subies lorsqu’ils étaient enfants. Comme elle l’écrit
dans les premières pages de son livre, Neurosis and Human Growth *2 1, ces
influences négatives « se résument au fait que les personnes de
l’environnement sont trop enfermées dans leur propre névrose pour être
capables d’aimer l’enfant, ou même de le concevoir dans son individualité
propre… » et elle poursuit en énumérant les diverses manières dont,
malheureusement, les parents peuvent exercer une influence nocive sur
leurs enfants. Mais j’ai pleinement conscience que ces conceptions n’ont
pas toujours été bien accueillies par ses collègues.
Aujourd’hui, le paysage évolue – bien que beaucoup trop lentement
encore. Par exemple, il faut être aveugle pour ne pas reconnaître que
beaucoup trop d’enfants sont maltraités par leurs parents, verbalement,
physiquement ou les deux, et que beaucoup trop de femmes sont maltraitées
par leur mari ou leur petit ami. Par ailleurs, l’horreur que nous ressentons à
l’idée que des parents puissent se comporter ainsi est aujourd’hui atténuée
par les informations de plus en plus nombreuses dont nous disposons sur le
type d’enfance que ces parents ont eux-mêmes vécue. Même s’il est
inévitable d’être scandalisé par de tels actes, une meilleure compréhension
de la manière dont ils en sont arrivés à se comporter avec une telle violence
suscite davantage la compassion que le blâme. Donc, loin de vouloir
transformer les parents en boucs émissaires, nous souhaitons les aider.
Ainsi, loin de vouloir ignorer que les parents ont parfois des comportements
horribles, nous cherchons des manières de secourir les victimes, enfants
comme adultes, blessées psychologiquement comme physiquement. Et par-
dessus tout, nous cherchons des moyens d’empêcher que les schémas
violents se mettent en place dans de nouvelles familles. Espérons que la
politique de l’autruche appartient au passé.
Cadre conceptuel
Pour comprendre les cas les plus extrêmes de violence familiale, il est
utile de s’attarder d’abord sur ce que nous savons des exemples plus
modérés et plus quotidiens de colère entre membres d’une famille. Les
jeunes enfants – et souvent aussi les plus âgés – sont classiquement jaloux
de l’attention que maman accorde au nouveau bébé. Les amoureux se
disputent lorsque l’un pense que l’autre regarde ailleurs – et cela reste vrai
après le mariage. Par ailleurs, une femme peut se mettre très en colère après
son enfant s’il fait quelque chose de dangereux, comme se précipiter sur la
route en courant, de même après son mari s’il risque sa vie ou un accident
en s’exposant inutilement. Ainsi, il va pour nous de soi que, lorsque la
relation à une personne aimée est en danger, nous nous sentons non
seulement inquiets *3, mais aussi généralement en colère. En tant que
réactions à un risque de perte, anxiété et colère vont de pair. Ce n’est pas
pour rien qu’elles ont la même racine étymologique *4.
Dans les situations décrites ici, la colère est souvent fonctionnelle.
Lorsque l’enfant ou le conjoint se comportent de manière dangereuse,
protester avec colère a toutes les chances d’être dissuasif. Lorsque le
partenaire amoureux va voir ailleurs, un rappel acerbe de l’intérêt qu’on lui
porte peut faire des merveilles. Quand un enfant se trouve relativement
négligé en faveur d’un nouveau bébé, l’affirmation de ses revendications
peut redresser la balance. Ainsi, au bon endroit, au bon moment et à la
bonne dose, la colère n’est pas seulement appropriée, mais est sans doute
indispensable. Elle sert à empêcher des comportements dangereux, à faire
fuir un rival ou à faire pression sur un partenaire. Dans chaque cas, se
mettre en colère a le même objectif – protéger un lien d’une valeur toute
particulière pour la personne en colère.
Cela étant, il est nécessaire d’être clair sur les raisons pour lesquelles
certaines relations spécifiques, souvent qualifiées de libidinales, en viennent
à revêtir une importance si grande dans la vie de chacun d’entre nous.
Dans ses tentatives pour résoudre ce problème, Freud s’est tourné vers
la physique et la biologie de son époque. Les relations libidinales, propose-
t-il, sont une conséquence des besoins alimentaires et sexuels d’un individu.
Par la suite, pour rendre compte de certaines manifestations de colère plus
paradoxales, il s’est écarté de la biologie pour proposer un instinct de mort.
Ces hypothèses, conçues en termes d’accumulation et de décharge
d’énergies psychiques, ont conduit à une métapsychologie si éloignée de
l’observation et de l’expérience cliniques qu’un très grand nombre de
praticiens d’orientation analytique l’ont implicitement ou explicitement
abandonnée. En réaction au vide qui en a résulté, s’est développée d’un côté
une école de pensée qui a fait le choix, non seulement de détacher la
psychanalyse de la biologie, mais encore de se dispenser de toute méthode
scientifique en la remplaçant par l’herméneutique. D’un autre côté, une
réaction opposée a consisté à explorer les principes jugés utiles en biologie
moderne, principes totalement différents de ceux de l’époque de Freud,
pour voir s’ils s’accordent mieux avec nos observations cliniques et s’ils
pourraient donc être utilisés pour élaborer une nouvelle métapsychologie,
ou un nouveau cadre conceptuel comme on dirait aujourd’hui. C’est la voie
que moi-même, et un certain nombre d’autres, avons choisie.
Les relations spécifiques, qui peuvent engendrer de la colère
lorsqu’elles sont menacées, sont de trois grands types : lien à un partenaire
sexuel (petit ami, petite amie, ou conjoint), lien aux parents et lien aux
descendants. Chacun de ces types de relation est fortement chargé
émotionnellement. Dans une très large mesure, toute la vie affective d’une
personne – la tonalité sous-jacente à la manière dont elle se sent – est
déterminée par l’état de ces relations d’implication à long terme. Tant
qu’elles se déroulent sans heurt, la personne est satisfaite ; lorsqu’elles sont
menacées, elle se sent anxieuse et sans doute en colère ; quand elle les a
mises en danger par ses propres actes, elle se sent coupable ; lorsqu’elles
sont rompues, elle se sent triste ; et lorsqu’elles reprennent, elle éprouve de
la joie.
Pour nous aider à comprendre pourquoi l’état de ces relations a un
impact aussi profond sur la vie affective d’une personne, deux branches de
la biologie moderne – l’éthologie et la théorie de l’évolution – offrent des
perspectives très éclairantes. Non seulement les trois types de relations en
question ont leur équivalent dans un grand nombre d’espèces, mais tous
trois sont intimement associés aux fonctions biologiques vitales de
reproduction et, tout particulièrement, à la survie des petits. Il est donc plus
que probable que la puissante tendance de l’être humain à établir ces liens
profonds à long terme soit le résultat d’un déterminisme génétique
important, lui-même sélectionné au cours de l’évolution. Dans ce cadre de
référence, la forte propension de l’enfant à s’attacher à sa mère et à son
père, ou à quiconque veille sur lui, peut être entendue comme ayant pour
fonction de réduire le risque qu’il lui arrive quelque chose. Car rester très
proche ou à portée de voix de quelqu’un susceptible de vous protéger est la
meilleure de toutes les assurances possibles. De même, le souci d’un parent
de veiller sur ses petits a de toute évidence pour fonction de contribuer à
leur survie. Que le succès dans le maintien de ces liens à long terme apporte
généralement de la satisfaction et du bonheur, et que son échec induise
frustration, anxiété et parfois désespoir, constituent dans cette optique les
récompenses et les sanctions sélectionnées par l’évolution pour nous guider
dans nos activités en la matière.
C’est dans cette perspective d’évolution que nous pouvons, selon moi,
comprendre le caractère souvent fonctionnel de la colère entre membres
d’une même famille. Car, comme je le disais précédemment, au bon endroit,
au bon moment, et à la bonne dose, la colère protège ces relations à long
terme qui nous sont vitales. Cependant, à l’évidence, elle peut être
démesurée. Je soutiens simplement qu’une grande partie de la violence
inadaptée rencontrée dans les familles peut être considérée comme une
version déformée et exagérée de comportements potentiellement
fonctionnels, en particulier du comportement d’attachement d’une part et
d’attention à autrui *5 de l’autre.
Il existe aujourd’hui une littérature importante sur la nature des liens de
l’enfant à sa mère, traditionnellement appelée « dépendance », et ici conçue
en termes d’attachement et de recherche d’attention. Si on généralise, le
comportement d’attachement consiste pour un individu, habituellement
celui qui est le moins apte à gérer les choses, à maintenir une proximité
et/ou une communication avec une autre personne, perçue comme plus à
même d’y faire face. Ce comportement est déclenché en particulier par la
douleur, la fatigue, ou toute situation effrayante, ainsi que par
l’inaccessibilité réelle ou présumée du caregiver. Bien que considéré
comme en partie préprogrammé, il est aujourd’hui largement démontré que
son mode d’organisation spécifique au cours du développement est
grandement influencé par la manière dont les principaux caregivers de
l’enfant y répondent, dans l’immense majorité des cas, sa mère et son père.
En bref, il apparaît clairement qu’une attention faite de sensibilité et
d’amour conduit l’enfant à se sentir assuré d’obtenir l’aide d’autrui en cas
de besoin, à avoir de plus en plus confiance en lui dans son exploration sans
frayeur du monde, à se montrer coopératif avec les autres, et aussi – point
très important – à ressentir de l’empathie envers ceux qui sont en détresse et
à avoir envie de les aider. À l’inverse, lorsque l’on réagit à son
comportement d’attachement avec retard, mauvaise volonté et qu’on le
trouve gênant, l’enfant risque de développer un attachement anxieux, c’est-
à-dire d’avoir peur que son caregiver lui fasse défaut ou ne l’aide pas en cas
de besoin ; il n’aura donc aucune envie de s’éloigner, obéira par peur et à
contre-cœur, et se montrera indifférent aux difficultés d’autrui. Si, en prime,
ses caregivers le rejettent activement, il développera sans doute un schéma
de comportement où sa prise de distance par rapport à eux entrera en
compétition avec son désir de proximité et d’attention, et où la colère risque
de prévaloir. J’en dirai davantage sur ce thème ultérieurement.
Un autre point que je souhaite souligner à propos du comportement
d’attachement est qu’il est caractéristique de la nature humaine tout au long
de la vie – du berceau à la tombe. Certes, il se manifeste généralement de
manière moins intense et moins exigeante chez les adolescents et les adultes
que lors des premières années. Cependant un désir impérieux d’amour et
d’attention est tout à fait naturel lorsque l’on est inquiet ou en détresse. Il
est donc des plus malencontreux qu’à cause d’une théorie trompeuse, les
adjectifs péjoratifs « infantile » et « régressif » soient aujourd’hui si
largement répandus dans les cercles cliniques. Ce sont des termes que je
n’utilise jamais.
Alors que l’étude systématique du comportement d’attachement, et en
particulier des conditions qui influencent son évolution, est en cours depuis
une vingtaine d’années, celle du rôle de caregiver, ou du parentage, et de
son développement, n’en est qu’à ses débuts. L’approche que je considère
comme la plus prometteuse à cet égard est à nouveau celle de l’éthologie.
Elle part du principe que chez les humains tout comme dans d’autres
espèces, le comportement de parentage, comme celui d’attachement, est
préprogrammé jusqu’à un certain point, et donc prêt à se manifester sous
une forme spécifique lorsqu’il est déclenché. Cela signifie que dans le cours
normal des choses, le parent d’un bébé ressent une forte envie d’adopter des
réactions types, par exemple bercer l’enfant, le calmer lorsqu’il pleure, lui
fournir chaleur, protection et nourriture. Un tel point de vue, bien entendu,
n’implique pas que les schémas comportementaux appropriés se
manifestent intégralement, dans leurs moindres détails, dès la première fois.
Ce n’est clairement pas le cas, ni chez l’homme ni chez les autres
mammifères. Tous les détails sont appris, certains d’entre eux lors de
l’interaction avec des bébés et des enfants, une majeure partie par
l’observation de la manière de faire d’autres parents, qui débute dès
l’enfance du futur parent avec la manière dont ses parents l’ont traité, lui et
ses frères et sœurs.

Résultats des recherches


Pour examiner ce que l’on sait aujourd’hui des individus impliqués dans
la violence familiale, et des circonstances dans lesquelles elle apparaît, je
vais commencer par parler des femmes qui maltraitent physiquement leurs
enfants, puis des effets sur les enfants de telles agressions. Je fais ce choix
parce que dans ces deux domaines, les recherches sont suffisamment
nombreuses et concluantes. Ensuite, à la lumière de ces données, on pourra
aborder ce que l’on sait des hommes qui maltraitent leur femme ou leurs
enfants, problématique tout aussi essentielle, mais actuellement moins bien
étudiée.
Les multiples recherches sur les femmes connues pour avoir maltraité
leurs enfants fournissent des résultats tout à fait convergents 2.
Probablement plus courante dans les familles des milieux défavorisés, la
violence à enfant existe cependant aussi dans les foyers des classes
moyennes, où elle se cache le plus souvent derrière une façade d’hyper-
respectabilité.
En apparence, les personnes agressives vont de froides, rigides,
obsessionnelles et très critiques à passives, malheureuses et désorganisées.
Pourtant, sur le plan émotionnel, toutes ont beaucoup en commun. Parmi les
traits rapportés comme particulièrement fréquents chez les mères
maltraitantes, on trouve celui-ci : sujettes à des périodes d’anxiété intense
ponctuées d’explosions de colère violente, elles sont qualifiées d’impulsives
et d’« immatures ». Bien que leurs « besoins de dépendance » soient décrits
comme exceptionnellement forts, elles sont extrêmement méfiantes et donc
incapables, ou fort peu disposées, à établir des relations intimes. Elles sont
isolées sur le plan social. N’ayant personne d’autre vers qui se tourner,
nombre d’entre elles recherchent attention et réconfort auprès d’un de leurs
enfants, qu’elles traitent comme s’il était beaucoup plus âgé qu’il ne l’est en
réalité 3.
En ce qui concerne leur expérience d’enfant, de nombreux chercheurs
ont remarqué que la plupart de ces femmes ont eu une enfance malheureuse
et, dans les termes d’une des équipes de recherche, qu’elles « ont été
privées du maternage de base 4 ». Elles sont une minorité non négligeable à
avoir elles-mêmes été des enfants maltraitées *6.
Pour quiconque raisonne selon la théorie de l’attachement, vient
immédiatement à l’esprit que ces femmes souffrent d’un degré extrême
d’attachement anxieux, et donc que des expériences de séparations longues
et répétées et/ou de menaces récurrentes d’abandon devraient être une
caractéristique commune de leur enfance. Dans une étude à l’effectif
relativement réduit, ces hypothèses ont aujourd’hui été testées par Pauline
DeLozier 6, qui travaille à Los Angeles. Son échantillon était constitué de
dix-huit femmes de la classe ouvrière, connues pour avoir agressé
physiquement leur enfant, et de dix-huit autres femmes de même origine
sociale, du même âge (la plupart avaient la trentaine) et avec le même
nombre d’enfants, qui ne s’étaient pas livrées à ce type de violence. Tous
les sujets ont passé un entretien semi-directif et rempli un questionnaire, et
elles ont fait le test d’anxiété de séparation *7 de Hansburg 7. Dans celui-ci,
est présentée une série d’images montrant des scènes soit d’un enfant qui
quitte ses parents, soit de parents quittant un enfant, et on invite la
participante à décrire ce qu’elle ressentirait et ce qu’elle ferait dans la
situation en question.
Les résultats du test d’anxiété de séparation ont montré, comme on s’y
attendait, que la plupart des mères maltraitantes sont extrêmement sensibles
à toutes formes de situation de séparation, même les plus quotidiennes et les
plus banales, avec des réponses signalant un niveau élevé d’anxiété et/ou de
colère. Leurs réactions indiquent en outre qu’alors que ces femmes ont soif
d’attention, elles ne s’attendent qu’à être rejetées. À l’appui d’une autre
hypothèse de recherche, elles font largement preuve d’une préoccupation
anxieuse pour le bien-être des parents. Dans le groupe contrôle, l’incidence
de ces caractéristiques, quoique non négligeable, est significativement plus
faible. Par exemple, alors que douze des dix-huit mères maltraitantes
présentent le niveau le plus élevé d’attachement anxieux, seules deux des
mères du groupe contrôle reçoivent une telle évaluation.
En ce qui concerne les expériences d’enfance de ces femmes, les
résultats des entretiens comme ceux des questionnaires corroborent
certaines hypothèses de départ, mais pas toutes. Par exemple, au regard
d’études précédentes, DeLozier s’attendait à une plus grande fréquence de
séparations d’avec les parents dans l’enfance des mères maltraitantes, mais
tel n’était pas le cas. Elle s’attendait également à ce qu’un grand nombre de
ces femmes aient été régulièrement menacées d’abandon par leurs parents
et cela s’est vérifié, cette fois, conformément à l’idée que des menaces
d’abandon répétées sont aussi pathogènes que des séparations effectives,
voire peuvent l’être davantage 8. De la même façon, bien que les violences
réelles des parents aient, semble-t-il, été plutôt rares, de nombreuses mères
maltraitantes avaient subi la menace répétée d’être battues, estropiées ou
même tuées.
Un autre trait marquant de leur enfance, conforme aussi aux attentes, est
que seule une minorité d’entre elles (sept) sentaient qu’elles pouvaient se
tourner vers leur mère en cas de détresse. Parmi celles qui ne le pouvaient
pas, certaines ont évoqué quelqu’un d’autre, un parent ou un voisin, qui
aurait pu apporter son secours, mais quatre de ces dix-huit femmes
n’avaient absolument personne vers qui se tourner. Dans le groupe contrôle,
par contre, toutes sauf trois sentaient qu’elles pouvaient recourir à leur
mère, et les trois restantes connaissaient au moins une personne susceptible
d’aider.
Ainsi, contrairement à une fille qui grandit dans un foyer ordinaire
plutôt heureux et qui peut compter sur sa mère en cas d’urgence, une
majorité de ces femmes n’avaient jamais pu compter sur un tel soutien. En
réalité, et à nouveau conformément aux hypothèses, pour nombre d’entre
elles, la relation mère-fille avait été inversée, et c’était à elles qu’il
incombait de prendre soin de leur parent *8.
Étant donné les expériences que ces femmes ont vécues dans leur
enfance, il n’est pas difficile de comprendre pourquoi elles sont devenues
maltraitantes. Menacer un enfant d’abandon induit chez lui une anxiété
intense à l’idée de toute séparation, quoique routinière pour d’autres, et
aussi une colère intense envers le parent pour l’avoir ainsi menacé. Par
ailleurs, ne pas venir en aide à un enfant en détresse, et faire preuve de
manifestations répétées d’impatience et de rejet, le conduisent à se méfier
profondément de tout le monde. Alors, bien que rêvant constamment de
l’amour et de l’attention qu’il n’a jamais eus, il n’a aucune confiance dans
l’idée qu’il en recevra un jour, et il se méfiera de toute offre en la matière. Il
est donc peu surprenant, lorsqu’une femme avec un tel passé devient mère,
qu’il y ait des moments où, au lieu d’être prête à materner son enfant, elle
se tourne vers lui pour qu’il la materne, elle. Il est donc peu surprenant
encore, lorsque son enfant se révèle peu disposé et qu’il se met à pleurer,
exigeant qu’elle s’occupe de lui et fasse attention à lui, qu’elle se montre
impatiente et en colère après lui.
C’est dans ce contexte, je crois, que peuvent se comprendre les
agressions violentes d’une mère envers son enfant. Bien que je n’aie jamais
eu comme patiente une femme ayant réellement physiquement agressé son
enfant, j’en ai traité une qui est passée dangereusement près de le faire.
J’ai commencé à voir cette femme, que j’appellerai Mme Q., parce que
le médecin de la PMI qui la suivait se faisait du souci pour son fils de
18 mois ; il refusait de manger et perdait du poids. Quand je les ai vus tous
les deux, il m’est immédiatement apparu que Mme Q. était extrêmement
anxieuse et déprimée, et que cela durait depuis la naissance du bébé. En
l’interrogeant, j’ai appris qu’elle était terrifiée à l’idée que son fils meure, et
qu’elle le harcelait donc pour qu’il mange. Elle me raconta aussi qu’il lui
prenait parfois l’envie de jeter son bébé par la fenêtre. Bien plus tard
seulement, elle finit par me dire qu’il lui arrivait de devenir hystérique, de
casser la vaisselle et de démolir le landau du bébé. Elle se montrait
extrêmement anxieuse lorsqu’elle me parlait, et elle s’attendait vraiment à
ce que je me mette en colère contre elle. À ma suggestion, elle vint me voir
pour une psychothérapie une fois par semaine.
L’image qu’elle a dressée de son enfance, rapportée par bribes, à
contrecœur mais toujours avec cohérence, correspond, je le sais
aujourd’hui, à une image typique. Elle se souvenait des disputes féroces
entre ses parents pendant lesquelles ils s’agressaient mutuellement et se
menaçaient de meurtre, et de la pression que sa mère faisait régulièrement
peser sur la famille en menaçant de tout quitter. À deux reprises,
Mme Q. est rentrée de l’école pour trouver sa mère la tête dans le four à
gaz, et plusieurs fois, elle a prétendu être partie en disparaissant pendant
une demi-journée. Naturellement, Mme Q. a grandi terrifiée à l’idée que si
elle faisait quelque chose de mal, sa mère s’en irait. Par ailleurs, les choses
ont été rendues encore plus difficiles par l’insistance de cette dernière pour
qu’elle ne souffle mot à l’extérieur de ces événements terrifiants.
Mme Q., qui avait travaillé comme technicienne qualifiée avant son
mariage, avait la réputation d’être une voisine très serviable, elle faisait tout
son possible pour être une bonne épouse et une bonne mère – et elle y
parvenait le plus souvent. Cependant, elle était sujette à ces crises de
violence destructrice, effrayantes et incompréhensibles pour elle, et qui la
rendaient extrêmement honteuse.
Au bout d’un moment, je n’eus plus guère de doute qu’il fallait
comprendre ces crises comme étant l’expression d’une colère intense en
réaction régulière aux menaces maternelles d’abandonner la famille,
répétées sur de nombreuses années, colère que Mme Q. avait dès son jeune
âge détournée de sa mère vers des cibles moins dangereuses. Terrifiée à
l’époque, et depuis, par toute expression directe de sa colère, elle la
redirigeait *9 vers quelque chose ou quelqu’un qui ne pouvait pas riposter.
Mme Q. se rappelait qu’enfant, elle se réfugiait parfois dans sa chambre et
s’en prenait à ses poupées. Aujourd’hui, c’était à la vaisselle et au landau,
épargnant le bébé de peu. Je soupçonnais que chaque crise actuelle était
déclenchée par sa mère qui, dominatrice et intrusive comme toujours,
continuait à venir la voir quotidiennement.
Cette explication s’accorde aux faits dont nous disposons et a le mérite,
pas toujours apprécié des cercles cliniques, de la simplicité. Sans surprise,
d’autres chercheurs dans le domaine l’ont aussi proposée, par exemple
Feinstein, Paul et Pettison 10. Dans d’autres cas, il s’agit clairement de la
colère intense d’une femme, déclenchée par les agressions violentes de son
mari, et qu’elle redirige sur leur enfant.
Si l’on se tourne maintenant vers les effets des agressions sur le
développement de la personnalité des enfants qui en sont victimes, nous
devons garder à l’esprit que les atteintes physiques ne sont pas les seules
manifestations d’hostilité subies par ces enfants de la part de leurs parents.
Dans de très nombreux cas, en réalité, les agressions physiques ne
constituent que la partie émergée de l’iceberg – signes manifestes
d’épisodes répétés de rejet virulent, tant verbal que physique. On peut donc
considérer que dans la plupart des cas, les effets psychologiques résultent
d’un rejet et d’une négligence hostiles prolongés. Cela étant, les enfants ne
vivent pas tous la même chose. Quelques-uns, par exemple, peuvent
recevoir une attention assez correcte, et ne subir que très occasionnellement
une crise de violence parentale. Dans ces conditions, il n’est guère étonnant
que le développement socio-affectif de ces enfants soit aussi variable. Je
présente ici des résultats qui semblent relativement typiques.
Ceux qui ont observé ces enfants chez eux ou ailleurs les décrivent
diversement comme déprimés, passifs et inhibés, comme « dépendants » et
anxieux, et aussi comme furieux et agressifs 11. Gaensbauer et Sands 12, en
souscrivant à cette image, soulignent combien un tel comportement peut se
révéler perturbant pour un caregiver. Les enfants refusent de participer aux
jeux, et ne montrent que peu, voire pas du tout de plaisir. Les expressions
émotionnelles sont si faibles qu’il est facile de passer à côté, ou encore elles
sont ambiguës et contradictoires. Les pleurs peuvent se prolonger et résister
à tout réconfort ; la colère est facilement provoquée, intense et difficile à
calmer. Une fois mis en place, ces schémas tendent à persister.
Une question qui soulève de nombreux débats dans la littérature
concerne la contribution potentielle de la prématurité, de l’état de santé, ou
du tempérament difficile du nouveau-né, aux problèmes de la mère et donc,
au final, aux mauvais traitements qu’il subit. Dans certains cas, ces facteurs
jouent un rôle, mais seulement si la mère réagit défavorablement à son
bébé, instaurant ainsi un cercle vicieux *10. Bien entendu, ce risque est très
grand lorsque la mère a elle-même vécu une enfance difficile, qu’elle a
grandi en étant émotionnellement perturbée, et qu’elle reçoit peu, ou pas du
tout, de soutien affectif ou d’aide après la naissance de son bébé.
Dans la relation à son parent, la petite victime de mauvais traitements
frappe souvent par son immobilité attentive et son hypervigilance à ce qui
pourrait se produire. Mais certains montrent aussi une sensibilité
inhabituelle aux besoins de leurs parents 13. Il existe en fait de bonnes
raisons de penser que certains enfants apprennent très tôt qu’il est possible
d’apaiser une mère perturbée et potentiellement violente en se souciant
constamment de ce qu’elle souhaite *11.
À la crèche, les enfants maltraités ont la réputation d’avoir des
difficultés à créer des liens, que ce soit avec le personnel *12 ou avec les
autres enfants, et aussi d’être très agressifs. Ces dernières années, ces
observations ont été confirmées et élargies par des recherches plus
systématiques portant à la fois sur les spécificités des comportement
présentés et sur les détails des situations dans lesquelles ils se produisent.
Les résultats qui suivent sont issus d’une étude menée à Berkeley par Main
et George 17.
L’objectif était de comparer les comportements en crèche de deux
groupes de dix enfants âgés de 1 à 3 ans. Ceux du premier groupe étaient
connus pour avoir été physiquement maltraités par un parent. Ceux du
second, comparables quant aux autres variables pertinentes, n’avaient, eux,
pas subi de mauvais traitements, mais fréquentaient des établissements
venant en aide aux familles en difficulté. Les enfants ont été observés
chacun pendant quatre séances de trente minutes, quatre jours différents
répartis sur trois semaines. Les observateurs ont reçu la consigne
d’enregistrer tous les comportements socialement pertinents, y compris des
petits mouvements comme tourner la tête ou reculer.
Pour l’analyse des données, le comportement social des enfants a été
classé en quatre catégories : l’approche, l’évitement, l’approche-évitement
et l’agression. Il a aussi été codé en fonction du destinataire – un autre
enfant ou un membre du personnel. Les comportements émis à l’initiative
de l’enfant observé ont encore été distingués de ceux produits en réaction à
une approche amicale de la part d’un pair ou d’un adulte. Les résultats sont
exprimés en fréquence moyenne de comportements de chaque type dans un
groupe, ou encore en nombre d’enfants du groupe présentant ce type de
comportements.
En ce qui concerne les occasions où l’enfant prend l’initiative du
contact social avec un pair ou un adulte, aucune différence notable n’est
relevée entre les deux groupes. Par contre, des différences tout à fait
remarquables sont observées dans la manière dont les enfants répondent à
l’approche amicale d’un tiers. Les réactions caractéristiques des enfants
maltraités consistent soit à faire un mouvement direct d’évitement, soit à
présenter une succession rapide ou un mélange de comportements à la fois
d’approche et d’évitement. Par exemple : « Elle rampe vers lui, mais
s’éloigne brusquement » et « Elle avance à quatre pattes vers l’adulte, mais
en détournant la tête ». Ainsi, quand l’initiative vient d’un adulte, les
enfants maltraités réagissent par l’évitement trois fois plus souvent que
ceux du groupe contrôle ; tandis que sept d’entre eux, contre seulement un,
présentent cette curieuse combinaison consistant à alterner approche et
évitement. Lorsque l’initiative vient d’un pair, les différences sont encore
plus nettes. Par exemple, alors qu’aucun des enfants du groupe contrôle ne
fait preuve d’approche-évitement, les dix enfants du groupe maltraité
réagissent tous de cette façon.
Les comportements agressifs sont assez courants chez les enfants,
même si, comme prévu, ils le sont bien davantage dans le groupe maltraité.
Non seulement les enfants maltraités agressent leurs pairs deux fois plus
souvent que ne le font ceux du groupe contrôle, mais cinq d’entre eux ont
agressé ou menacé d’agresser un adulte, un comportement nullement
observé dans le groupe contrôle. En outre, les enfants maltraités s’illustrent
par une forme particulièrement désagréable d’agression, appelée
« harcèlement 18 ». Celui-ci est constitué de comportements méchants, dont
le seul objectif semble être d’amener la victime à montrer de la détresse.
Presque toujours, cela intervient brutalement sans cause évidente,
contrastant ainsi avec l’hostilité en réaction à une provocation. De telles
attaques, qui surgissent de nulle part sans prévenir, sont effrayantes et
invitent à la riposte. Des études cliniques, citées plus loin, rapportent
qu’elles sont tout particulièrement dirigées vers un adulte auquel l’enfant
est en train de s’attacher.
Au vu des réactions décrites jusqu’ici, il n’est pas surprenant de
découvrir que les enfants maltraités manquent singulièrement d’empathie
vis-à-vis de leurs camarades en détresse. Les études de Zahn-Waxler et
Radke-Yarrow ont montré que les bébés et les enfants d’âge préscolaire qui
ont des parents affectueux et attentifs se soucient généralement de la
détresse d’un autre enfant et ont souvent des gestes de réconfort envers
lui 19. Ce type de comportement a aussi été observé au moins une fois chez
cinq des enfants du groupe contrôle de l’étude de Main et George ; mais pas
une fois un des enfants maltraités n’en a montré le moindre signe. À la
place, et contrairement aux enfants du groupe contrôle, ils ont réagi avec un
mélange de frayeur, de détresse ou de colère ; et trois d’entre eux ont fait
preuve d’un comportement hostile envers l’enfant en larmes. Par exemple,
un petit garçon de 2 ans et 8 mois a giflé une petite fille qui pleurait,
répétant sans cesse : « Ça suffit, ça suffit. » Ensuite, il s’est mis à lui tapoter
le dos, puis il a émis des sifflements dans sa direction, toutes dents dehors ;
avant que quiconque ait pu intervenir, son tapotement s’était transformé en
coups.
Les raisons pour lesquelles j’accorde autant d’attention à ces
observations de jeunes enfants sont tout à fait évidentes, j’en suis sûr. Elles
montrent, clairement et sans ambiguïté, la précocité d’émergence dans les
comportements sociaux de certains schémas caractéristiques – de bon ou de
mauvais augure pour l’avenir. Elles ne laissent aucun doute encore sur les
types d’expérience familiale qui influencent le développement dans un sens
ou dans l’autre. On observe sans arrêt des détails dans le comportement
d’un petit enfant, ou dans ce qu’il dit, qui sont clairement des répliques
directes de la manière dont il a, lui-même, été traité. Il est de fait
profondément ancré dans la nature humaine de traiter les autres de la même
manière que nous avons nous-mêmes été traités ; et à aucun moment cela
n’est plus évident que dans les jeunes années. Parents, s’il vous plaît,
retenez-le !
Les certitudes quant au développement ultérieur de ces enfants devront
attendre la mise en œuvre d’une étude longitudinale appropriée. Des
éléments montrent cependant que si l’on fait davantage attention à eux,
certains enfants se remettent suffisamment pour passer pour normaux 20 ;
d’autres non. Certains souffrent de graves dommages au cerveau, et
finissent avec un diagnostic de handicap mental 21. Pour beaucoup d’autres,
les conditions négatives d’éducation se maintiennent. De plus, une fois
qu’un enfant a mis en place les types de comportement désagréable décrits
ici, il n’est pas facile pour un adulte, qu’il soit parent, famille d’accueil, ou
professionnel, de lui apporter sans interruption l’attention affectueuse dont
il a besoin, sachant que le traitement psychothérapeutique de tels enfants est
extrêmement ardu. Les attaques soudaines et gratuites qui, avec les enfants
plus âgés, peuvent aisément faire des dégâts, sont particulièrement difficiles
à supporter.
Certains de ces enfants émotionnellement perturbés, nous le savons, se
retrouvent en service psychiatrique où l’origine de leurs troubles est, je le
soupçonne, le plus souvent ignorée. Parmi ceux qui ont eu l’occasion de
traiter ces enfants, dont certains sont psychotiques, et qui ont retracé
l’origine de leurs difficultés, figurent Stroh 22, Bloch 23 et Hopkins 24. Chacun
de ces auteurs souligne le degré extrême d’ambivalence auquel il faut
s’attendre : l’enfant embrasse le thérapeute et l’instant d’après, il lui donne
des coups de pied. À l’adolescence et au début de l’âge adulte, certains, des
garçons pour la plupart, sont diagnostiqués comme psychopathes agressifs
et/ou délinquants violents 25. D’autres, davantage des filles peut-être, sont
repérées comme souffrant de personnalités multiples 26. Le jour où les
psychiatres prendront conscience de la portée et de la profondeur de
l’impact des agressions et du rejet envers l’enfant, de l’ampleur du déni et
de la falsification des informations pertinentes de la part des parents, ainsi
que de l’inattention des cliniciens à ce sujet, on peut être sûr que beaucoup
de nouveaux cas seront identifiés.
Un nombre significatif d’enfants rejetés et agressés perpétue le cycle de
la violence familiale, une fois adultes, en continuant à réagir aux situations
sociales avec les mêmes schémas de comportement qu’ils ont mis en place
dans leur petite enfance.
Un type de réaction repéré comme caractéristique de nombreux parents
maltraitants, et qui correspond à ce qui a déjà été trouvé chez les enfants
maltraités, a été décrit par Frodi et Lamb 27 par exemple. Dans une
recherche en laboratoire, où sont passées des vidéos de nourrissons en
pleurs, les mères maltraitantes réagissent avec moins de compassion au
bébé qui pleure qu’un groupe de mères non maltraitantes, montrant aussi
davantage d’agacement et de colère. En outre, ces mêmes réactions
négatives sont enregistrées chez les mères maltraitantes, y compris
lorsqu’elles visionnent des vidéos de bébés souriants, ce qui suggère
qu’elles éprouvent de l’aversion pour toute forme d’interaction avec un
petit enfant.

Tournons-nous maintenant, un peu tardivement, vers le comportement


des hommes qui maltraitent leur petite amie ou leur femme.
Deux de mes collègues, travailleurs sociaux à la Tavistock Clinic, Janet
Mattinson et Ian Sinclair 28, ont dressé le portrait d’un homme, M. S., auquel
il arrivait, de manière imprévisible et inexplicable, de se jeter violemment
sur sa femme. À l’époque où il a demandé un rendez-vous, celle-ci venait
de le quitter ; elle venait d’avoir leur premier enfant. Bien que réticent au
départ, M. S. a assez rapidement fini par expliquer au travailleur social
combien il craignait sa propre violence. Il aimait sa femme, disait-il, et
trouvait son comportement violent tout à fait injustifié, proche de la folie.
Ensuite, abordant son enfance, il a raconté qu’il était membre d’une famille
nombreuse d’origine ouvrière, au sein de laquelle il n’avait guère rencontré
que rudesse et manque d’empathie. Ses parents, disait-il, étaient
constamment en train de se disputer violemment. Dans des séances
ultérieures, alors qu’il explorait ce qu’il avait ressenti, enfant, quand il
luttait pour obtenir un amour qu’il n’a jamais eu, il a été frappé par la
suggestion qu’il s’agissait sans doute d’un mélange de colère et de
désespoir. Cela avait du sens pour lui, a-t-il dit : cela le soulageait de la
crainte que sa violence soit inexplicable. Les crises qui avaient conduit au
départ de sa femme, pouvait-on remarquer, s’étaient produites peu de temps
après la naissance du bébé. Comme on sait d’après d’autres études,
Marsden et Owens 29 par exemple, qu’une jalousie intense envers l’attention
portée par la femme aux enfants précipite très souvent la violence du mari,
il est plus que probable que les crises de M. S. aient été déclenchées par
l’arrivée du bébé.
Des crises de violence soudaines et inexplicables en apparence,
semblables à celles de M. S., sont caractéristiques d’un nombre important
d’hommes qui battent leurs femmes ; c’était le cas par exemple dans cinq
des dix-neuf situations étudiées par Marsden et Owens 30. L’hypothèse que
la plupart de ces hommes sont des enfants battus et maltraités aujourd’hui
devenus adultes est confirmée par plusieurs résultats. Dans une recherche
portant sur une centaine d’hommes violents 31, les informations recueillies
auprès de leurs femmes ont dévoilé que cinquante et un d’entre eux avaient
eux-mêmes été battus dans leur enfance. En outre, trente-trois avaient déjà
été condamnés pour d’autres délits de violence et, comme on l’a déjà
remarqué, les études montrent que les criminels les plus violents sont issus
de foyers où ils ont été victimes de brutalité et de cruauté 32.
Enfin, on s’aperçoit que nombre de femmes battues viennent de foyers
perturbés où elles ont été rejetées, et qu’une minorité significative d’entre
elles ont été des enfants battus 33. Ces expériences les conduisent à quitter la
maison à l’adolescence, à se lier au premier homme ou presque qu’elles
rencontrent, provenant bien souvent d’un milieu semblable, et à se retrouver
rapidement enceintes. Pour une jeune fille à l’attachement anxieux, non
préparée à une telle situation, devoir s’occuper d’un bébé engendre mille
problèmes ; en plus, l’attention qu’elle porte à celui-ci provoque une
jalousie intense chez son partenaire. Ce sont là quelques-uns des
mécanismes de perpétuation du cycle intergénérationnel de la violence.
Revenons maintenant à l’étude de Mattinson et Sinclair 34 qui décrit les
schémas d’interaction communément retrouvés dans certaines familles.
Les entretiens avec M. S. faisaient partie d’une étude dont l’objectif
était d’en savoir davantage sur ce qui se passait dans le genre de familles
extrêmement perturbées qui créent des problèmes sans fin aux services
médicaux et sociaux, et qui sont réputées extraordinairement difficiles à
aider. Dans ces familles, semble-t-il, la violence ou les menaces de violence
se produisent quotidiennement. Régulièrement, les couples se séparent,
pour se remettre ensemble après quelques jours ou quelques semaines.
Parfois, après des mots durs de la part de la femme, le mari s’en va de son
côté, pour rentrer au bercail peu de temps plus tard. Ou la femme,
physiquement agressée par son mari, part avec les enfants, mais revient au
bout de quelques jours sans que rien n’ait changé. Ce qui paraissait si
extraordinaire aux travailleurs sociaux, c’était la durée de certains de ces
mariages – ils se demandaient ce qui pouvait bien faire tenir ces couples.
Ce qu’ils ont découvert, c’est qu’alors que la violence d’un mari ou les
menaces furieuses d’une femme semblaient dominer la scène, chaque
partenaire éprouvait un attachement profond, quoique anxieux, à l’autre, et
avait développé une stratégie visant à le contrôler et à l’empêcher de partir.
Diverses techniques étaient employées, la plupart coercitives, dont
beaucoup seraient apparues à un observateur extérieur comme non
seulement extrêmes, mais encore contre-productives. Par exemple, les
menaces d’abandon ou de suicide étaient courantes, et les tentatives loin
d’être inhabituelles. Celles-ci étaient généralement efficaces à court terme
en garantissant une mobilisation de l’attention du partenaire, même si elles
suscitaient aussi sa culpabilité et sa colère. La plupart des tentatives de
suicide, a-t-on découvert, étaient des réactions à des événements
spécifiques, en particulier des abandons, effectifs ou sous forme de menace.
Une autre technique, utilisée particulièrement par les hommes,
consistait à « emprisonner » leur femme par des moyens tels que l’enfermer
à clé dans la maison, cadenasser l’accès à ses vêtements, ou encore garder
tout l’argent et faire les courses de façon à l’empêcher de voir quiconque.
L’intensité de l’ambivalence de l’attachement d’un homme qui avait adopté
cette technique était telle que non seulement il enfermait sa femme à
l’intérieur, mais il l’empêchait aussi de rentrer. Il la jetait dehors en lui
disant de ne jamais revenir, mais dès qu’elle avait atteint la rue, il lui courait
après pour la ramener dans leur appartement.
Enfin, il y avait les coups. Comme le disait un homme, dans sa famille,
demander quelque chose se faisait toujours avec les poings. Aucune des
conjointes n’appréciait ce traitement, mais certaines en retiraient une
satisfaction grinçante. Par exemple, une des femmes, expliquant pourquoi
elle ne souhaitait pas la séparation, annonça avec une pointe de triomphe
dans la voix que son mari avait menacé de venir la « récupérer » si elle
déménageait. Il avait aussi besoin d’elle, insistait-elle. Dans la plupart de
ces mariages, a-t-on trouvé, chacune des parties était capable de souligner
combien l’autre avait besoin d’elle, tout en niant son propre besoin du
partenaire. Par besoin, bien sûr, elles entendaient ce que je nomme le désir
d’avoir un caregiver. Ce qu’elles craignaient le plus, c’était la solitude.

Mesures préventives
Après cette description des problèmes que l’on rencontre dans les
familles violentes et de l’approche théorique que je trouve utile de retenir
pour les aborder, il est bon de s’interroger sur les mesures à prendre.
Un important travail de qualité est consacré à l’aide aux familles où des
agressions ont déjà eu lieu, et les problèmes de prise en charge alimentent la
réflexion 35. Chaque étude montrant à quel point un tel travail est long et
difficile, l’espoir semble résider dans la prévention. Dans ce qui suit, je
décris un programme initié au Royaume-Uni, dont le gouvernement
encourage actuellement l’extension dans tout le pays. Je ne doute pas que
des initiatives semblables existent aussi dans différentes parties des États-
Unis ; mais naturellement je les connais moins bien.
Ce programme si prometteur, au moins pour certaines familles,
s’appelle Home-Start (il a démarré à Leicester) *13 36. C’est un service
indépendant de visite à domicile qui propose soutien, amitié et assistance
pratique à de jeunes familles en difficulté. Il est organisé par des bénévoles
qui travaillent en liaison étroite avec les services administratifs concernés,
et qui reçoivent aussi un soutien et des conseils de la part d’un
professionnel. Toutes les visites sont effectuées à l’invitation de la famille et
selon ses termes. Il n’y a pas de contrat, ni de limite dans le temps.
Chaque bénévole est une mère qui décide de faire des visites régulières
à une famille, ou à deux au maximum, dans le but d’établir une relation
permettant de passer du temps ensemble et de se comprendre. Tous les
efforts sont faits pour encourager les points forts des parents et pour les
rassurer en soulignant qu’il n’est pas inhabituel de rencontrer des difficultés
lorsqu’on s’occupe d’un enfant, et aussi que la vie de famille peut avoir de
bons côtés. Les bénévoles nouvellement recrutées, qui ont essentiellement
entre 30 et 45 ans, assistent à une formation préparatoire, un jour par
semaine pendant dix semaines, et continuent à être régulièrement formées
par la suite.
Il y a beaucoup d’avantages à ce que les visites soient faites par des
bénévoles. Premièrement, une bénévole a du temps : concrètement, dans le
projet de lancement, on a observé que le temps passé par chaque bénévole
au domicile des familles était de six heures par semaine en moyenne.
Deuxièmement, elle rencontre la mère de famille sur un pied d’égalité, et
elle se sent libre de participer aux activités de la maison de la manière qui
lui semble appropriée. Troisièmement, elle peut faire des comparaisons, et
parler de son expérience avec ses propres enfants. Quatrièmement, et point
très important, elle peut parfois se rendre disponible pour un contact
pendant la soirée ou le week-end.
Les familles qui bénéficient des visites sont, bien entendu, celles dans
lesquelles des problèmes se posent déjà ou paraissent imminents. Le
programme n’étant pas spécifiquement destiné aux familles maltraitantes,
elles ne se sentent pas nécessairement étiquetées par leur participation. Cela
étant, bon nombre d’entre elles ont un ou plusieurs enfants signalés comme
en risque de maltraitance. Ainsi, au cours des huit premières années du
projet pilote, pas moins d’un quart des familles visitées entrait dans cette
catégorie.
Souvent, les visites commencent alors que la mère est encore enceinte.
La plupart des femmes concernées sont jeunes, impulsives, et terriblement
isolées, et elles n’ont jamais connu l’affection, l’attention ou la sécurité.
Dans ces cas-là, le principal rôle de la bénévole est de materner la mère et
ainsi, par l’exemple, de l’encourager à materner son propre enfant. Elle
parle et joue avec les enfants aussi, fournissant à nouveau un exemple que
la mère n’a jamais eu. Plus tard, une fois la confiance installée, la bénévole
peut aider la mère à acquérir ce qu’elle n’a jamais appris des compétences
de base pour tenir une maison. La clé de la relation, c’est que la bénévole
est elle-même une mère qui connaît tous les problèmes de l’intérieur.
Toutes les familles en difficulté ne sont pas éligibles à ce type de
programme *14. Quand elles peuvent y participer, le taux de réussite
enregistré est des plus encourageants, comme le montre l’évaluation des
quatre premières années d’intervention du programme pilote, menée par un
chercheur indépendant dont la monographie 38 offre un compte rendu
complet du projet. Dans un échantillon pris au hasard d’une famille sur cinq
parmi les deux cent quatre-vingt-huit ayant bénéficié de l’expérimentation,
il a demandé aux participants d’évaluer le résultat à la fin des visites de la
bénévole, sur une échelle en trois points : pas de changement, un certain
changement, un changement considérable. Les résultats ont montré que les
bénévoles étaient les plus pessimistes, jugeant seulement la moitié des
familles comme faisant preuve de changement considérable et une sur dix
comme en échec. Les travailleurs sociaux qui avaient signalé les cas étaient
plus optimistes, estimant que plus de la moitié présentaient un changement
considérable, et le reste un minimum d’évolution. Les plus enthousiastes
quant au chemin parcouru ont été les intervenants médicaux (infirmières
des services publics) et les familles elles-mêmes. Sur les cinquante-huit
familles qui se sont autoévaluées, quarante-sept (85 %) ont affirmé qu’un
changement considérable s’était produit, six qu’il y avait eu du changement,
et seulement deux que rien n’avait bougé.
Dans un domaine reconnu pour sa difficulté et son caractère
profondément perturbant, de tels résultats nous donnent de bonnes raisons
d’espérer.
6.

Savoir ce que l’on n’est pas censé savoir


et ressentir ce que l’on n’est pas censé
ressentir

Au début de l’année 1979, j’ai été invité à contribuer à un numéro


spécial du Canadian Journal of Psychiatry en l’honneur d’Eric Wittkower,
professeur émérite titulaire d’une chaire en psychiatrie à l’université
McGill de Montréal de 1952 à 1964, qui fêtait alors ses 80 ans. J’ai été très
heureux de lui rendre cet hommage. L’article qui en a résulté, avec le titre
ci-dessus, a aussi été à la base de conférences que j’ai données à plusieurs
reprises dans les années qui ont suivi. À l’une de ces occasions, à Rome,
j’ai rencontré deux spécialistes de la thérapie cognitive, Giovanni Liotti et
Vitorrio Guidano, et j’ai été surpris et enchanté de découvrir combien nous
avions en commun. Une des conséquences de notre rencontre a été une
invitation à contribuer à un volume de Cognition and Psychotherapy édité
par Michael Mahoney et Arthur Freeman. Cela a été l’occasion d’étoffer le
bref article d’origine pour en faire la version qui suit.

Nombreuses sont aujourd’hui les preuves, telles que celles présentées


dans la conférence précédente, de l’importance des expériences familiales
négatives de l’enfance dans l’origine des troubles cognitifs. Par exemple, on
peut affirmer qu’au moins certains cas de troubles de la perception et de
l’attribution, et certains états amnésiques, mineurs et majeurs, parmi
lesquels on trouve les personnalités multiples, résultent de telles
expériences. Cependant, la recherche systématique de ces relations causales
demeure limitée, et constitue clairement un domaine où un important effort
de recherche devrait être engagé sans attendre. Pourquoi donc est-il si
déplorablement négligé ?
À l’encontre de cette démarche, comme on l’a vu dans la conférence
précédente, s’inscrit la tradition fortement ancrée dans la pensée
psychanalytique de focalisation sur le fantasme, au détriment des
expériences réelles vécues dans l’enfance. Un autre obstacle réside dans
l’indubitable difficulté à mener des recherches systématiques dans le
domaine. Par exemple, ceux qui ne voient que des patients adultes sont
généralement mal placés pour étudier des événements censés avoir eu lieu
de nombreuses années auparavant. Ceux dont l’enfance s’est déroulée dans
des familles plutôt stables, et qui, comme de trop nombreux psychiatres et
psychothérapeutes, ne sont pas au fait de la littérature récente sur la famille
et le développement de l’enfant, ne disposent d’aucune norme leur
permettant d’évaluer les récits de leurs patients. Et, par-dessus tout, les
cliniciens sont souvent confrontés à un mur de silence, de la part du patient
comme de la famille, que ni leur formation ni leur expérience ne les a
entraînés à briser. Il est donc peu étonnant que psychiatres, et même
psychothérapeutes, écartent voire ignorent complètement la probabilité que
de nombreux cas de troubles psychiatriques, bénins ou graves, trouvent leur
origine dans les événements négatifs de l’enfance. Même les agressions
physiques et sexuelles répétées, et sur de longues périodes, d’enfants par
leurs parents sont absentes des réflexions étiologiques en psychiatrie.
Le paysage est enfin en train de changer. Tout d’abord, grâce à une
systématisation de la recherche, nous avons de plus en plus de
connaissances sur les interactions parent-enfant, en particulier sur les
relations et événements pathogènes, dont les conséquences psychologiques
pour les enfants sont de mieux en mieux comprises et documentées. Un
clinicien est donc aujourd’hui de plus en plus à même de tirer des
conclusions étiologiques raisonnablement fondées. Cela est tout
particulièrement le cas lorsque (a) son patient présente des problèmes et des
symptômes qui ressemblent aux conséquences connues de certains types
d’expérience et que (b) celui-ci lui rapporte avoir eu ce type de vécu, lors
du recueil attentif de son histoire en début de thérapie, voire beaucoup plus
tard dans les séances. Le raisonnement fait par le psychiatre ne diffère alors
aucunement de celui du médecin qui, ayant diagnostiqué une sténose
mitrale chez un patient, n’hésite pas à en faire la conséquence d’une crise
de rhumatisme articulaire aigu intervenue plusieurs années auparavant.

Pour examiner les troubles cognitifs et leurs antécédents dans l’enfance,


il est intéressant de commencer par l’amnésie.
Dans un de ses articles classiques sur la technique analytique, Freud 1 a
opéré une généralisation importante, dont la véracité est reconnue par
probablement tous les psychothérapeutes : « L’oubli d’impressions, de
scènes, d’événements vécus se réduit généralement à une “dissociation” de
ceux-ci. Lorsque le patient vient à parler de tous ces faits oubliés, il omet
rarement d’ajouter : “À vrai dire, je n’ai jamais cessé de savoir tout cela,
mais je n’y pensais pas.” »
De telles observations appellent au moins trois types de questions.
Premièrement, ces impressions, ces scènes et ces expériences, objets
d’exclusion, ont-elles des caractéristiques particulières ? Deuxièmement,
quelle est la meilleure manière de concevoir les mécanismes qui président à
l’exclusion de ces souvenirs et à leur oubli apparent ? Troisièmement,
quelles sont les causes, internes ou externes à la personnalité, qui activent
ce processus ?
Les scènes et les expériences qui tendent à être exclues, bien que
demeurant d’une influence extrême sur la pensée, le ressenti, et le
comportement, appartiennent à trois catégories distinctes au moins :
(a) celles que les parents souhaitent que leurs enfants ignorent ; (b) celles où
les parents les ont traités de manière telle qu’il est trop insupportable pour
les enfants d’y penser ; (c) celles où les enfants ont fait, ou peut-être pensé,
des choses pour lesquelles ils ressentent une culpabilité et une honte
insupportables.
Comme beaucoup d’attention a depuis longtemps été accordée à la
troisième catégorie, je ne parlerai ici que des deux premières. Commençons
par la première.

Il est assez fréquent pour des enfants d’observer des scènes que leurs
parents préféreraient qu’ils n’aient pas vues ; ils ont des impressions que
leurs parents préféreraient qu’ils n’aient pas ; et ils vivent des choses que
leurs parents aimeraient croire qu’ils n’ont pas vécues. On a la preuve que
beaucoup de ces enfants, conscients du ressenti de leurs parents, se mettent
à se conformer aux souhaits de ces derniers, en excluant de tout traitement
approfondi ces informations qu’ils détiennent ; et qu’après cette opération,
ils cessent consciemment d’avoir l’idée qu’ils ont un jour observé de telles
scènes, eu de telles impressions, ou vécu de telles expériences. C’est là,
selon moi, une source de troubles cognitifs, aussi commune que non
reconnue.
Il est également avéré que les parents insistent parfois pour que leurs
enfants ne traitent pas consciemment les connaissances qu’ils ont
d’événements qu’ils souhaiteraient les voir ignorer. Le fait le plus marquant
se rapporte sans doute aux efforts d’un parent survivant pour faire oublier à
son enfant ce qu’il sait du suicide de son conjoint.
Cain et Fast 2 présentent les résultats obtenus auprès d’un groupe de
quatorze enfants, de 4 à 14 ans, qui avaient tous perdu un parent par suicide
et qui présentaient tous des troubles psychiatriques, graves pour certains.
Sur l’ensemble de leurs données, les auteurs ont été frappés par l’impact
symptomatique majeur pour les enfants du fait d’avoir été exposés à des
situations pathogènes ayant entraîné soit une culpabilité intense (non
discutées ici), soit une communication totalement faussée entre parent et
enfant.
Environ un quart des enfants étudiés avaient été personnellement
témoins de certains aspects du suicide parental, et avaient ensuite fait
l’objet de pressions de la part du conjoint survivant pour les amener à croire
qu’ils s’étaient trompés sur ce qu’ils avaient vu ou entendu, et que la mort
n’était pas due au suicide, mais à une maladie ou à un accident. « Un garçon
qui avait vu son père se tirer un coup de fusil […] s’est entendu raconter par
sa mère plus tard cette nuit-là que son père était mort d’une crise
cardiaque ; on a dit à une fille qui avait trouvé le corps de son père pendu
dans un placard qu’il était mort dans un accident de voiture ; et à deux
frères qui avaient trouvé leur mère les poignets tailladés qu’elle s’était
noyée en allant se baigner 3. » Lorsque l’enfant avait décrit ce qu’il avait vu,
le parent survivant avait cherché à discréditer ses dires, soit par le ridicule,
soit en insistant sur le fait qu’il confondait avec ce qu’il avait vu à la
télévision ou dans un cauchemar. En outre, une telle confusion était parfois
aggravée chez l’enfant par les diverses versions du décès rapportées par
différentes personnes, voire par son parent survivant.
De nombreux symptômes psychologiques chez les enfants se
rapportaient directement, semble-t-il, à leur exposition à ce type de vécu,
comme une méfiance chronique envers autrui, une inhibition de leur
curiosité, un manque de confiance dans leurs propres sens et une tendance à
trouver les choses irréelles.
Rosen 4 décrit un patient adulte, un homme de 27 ans, qui avait
développé des symptômes aigus après que sa fiancée l’avait quitté, car elle
le trouvait d’humeur trop changeante et imprévisible. Il commença à sentir
que le monde autour de lui, mais aussi sa propre personne, se morcelaient et
que tout devenait irréel. Il sombra dans la dépression et devint suicidaire ; et
il avait toutes sortes de sensations corporelles bizarres, y compris un
sentiment d’étouffement. Ses pensées, disait-il, étaient comme du coton. À
un moment au cours de sa deuxième année de thérapie, l’analyste, frappé
par une série d’associations et gardant à l’esprit le vécu de son patient,
proposa une reconstruction, selon laquelle sa mère avait pu faire une
tentative de suicide pendant son enfance et qu’il en avait été témoin. À
peine cette suggestion faite, l’homme fut pris de sanglots convulsifs. Cette
séance marqua un tournant. Ensuite, il raconta comment il lui avait semblé,
lorsque le thérapeute avait fait cette suggestion, qu’il ne s’agissait pas tant
de lui avoir fait retrouver un souvenir que de lui avoir permis de parler de
quelque chose qu’il avait toujours su d’une certaine façon.
L’authenticité du souvenir a été attestée par le père du patient, qui a fini
par admettre que sa femme avait fait plusieurs tentatives de suicide pendant
l’enfance de son fils. Celle à laquelle le patient avait assisté s’était produite
quand il avait 3 ans. Sa nounou avait entendu des bruits dans la salle de
bains, et elle était arrivée à temps pour empêcher sa mère de mourir par
strangulation. Ce que l’enfant avait réellement vu n’était pas clair. Mais,
chaque fois que, par la suite, il avait évoqué la scène, son père et sa nounou
avaient tous deux démenti ses souvenirs, en soutenant que c’était quelque
chose qu’il avait dû imaginer ou que c’était simplement un mauvais rêve.
Le père affirmait aujourd’hui qu’il avait senti que ce serait trop douloureux
pour son fils de se souvenir d’un tel incident ; mais il a admis aussi que son
attitude était dictée en partie par son souhait de garder le secret par rapport
aux amis et aux voisins. Un an plus tard environ, la nounou avait été
renvoyée, car la mère trouvait que sa présence constituait un rappel trop
pénible de l’incident.
Lors d’une des séances précédant celle où la reconstruction capitale
avait été proposée, le patient s’était rappelé le renvoi de sa nounou bien-
aimée comme un événement dont il s’était toujours senti d’une certaine
façon responsable. Parmi les nombreuses associations à ce sujet, il
rapportait régulièrement qu’enfant, il avait été témoin de quelque chose qui
avait changé sa vie, mais il ne savait pas quoi. Il avait aussi l’idée que sa
nounou avait été le seul témoin en sa faveur. Ainsi, bien que le souvenir ait
été bloqué de l’accès à la conscience, il continuait à influencer à la fois ce
qu’il pensait et la manière dont il se sentait.
Ailleurs 5, j’ai attiré l’attention sur l’incidence non négligeable des
tentatives de suicide des parents, et celle probablement plus forte encore de
leurs menaces de suicide, qui ne suscitent que peu d’intérêt dans la
littérature psychiatrique et psychothérapeutique. Sans doute existe-t-il donc
bien davantage de cas semblables à celui de Rosen qu’on ne le conçoit à ce
jour.
Parmi les nombreuses autres situations dont les parents peuvent
souhaiter que leur enfant ne les ait pas observées, et dont ils cherchent à
masquer la réalité avec insistance, figurent celles qui ont trait à leurs
activités sexuelles. Un exemple m’en a été donné par un orthophoniste qui
tentait d’aider une petite fille extrêmement perturbée qui s’exprimait à
peine. Qu’elle fût tout à fait capable de parler se révélait pourtant dans des
conditions spectaculaires. Elle plaçait un nounours sur une chaise dans un
coin, puis se penchant sur lui en agitant l’index, elle le grondait sur un ton
d’une très grande sévérité : « Tu es vilain – vilain Nounours – tu n’as pas
vu ça – tu n’as pas vu ça, je te dis ! » Paroles qu’elle répétait encore et
encore, avec une véhémence croissante. La teneur des scènes que Nounours
n’était pas censé avoir vues n’était pas difficile à deviner : la mère de la
petite fille était une adolescente qui se prostituait.
De toute évidence, les pressions exercées par les parents ont pour but de
s’assurer que leurs enfants aient d’eux une image totalement favorable sans
exception. Dans les exemples donnés jusqu’ici, leur forme est grossière.
Plus fréquents sans doute, et tout aussi dommageables, sont les cas où elles
se font plus subtiles.
Ces vingt dernières années, une attention accrue a été accordée à
l’inceste, à la fois à son incidence élevée longtemps ignorée et à ses effets
pathogènes sur les enfants. La forme de loin la plus courante concerne les
relations père-fille ou beau-père/belle-fille. Parmi les problèmes et les
symptômes divers des enfants et des adolescents concernés et que l’on peut,
semble-t-il, attribuer à ces expériences, les plus courants sont le retrait par
rapport à toute relation d’intimité, les troubles du sommeil et les intentions
suicidaires 6. Un compte rendu des conditions susceptibles d’entraîner des
troubles cognitifs m’a été communiqué par un collègue, Brendan
MacCarthy, mais n’a jamais été publié. Il soupçonnait que les risques de
troubles étaient nettement plus importants si l’enfant était prépubère. Je
m’appuie sur ses conclusions dans ce qui suit.
Lorsqu’une relation sexuelle se met en place entre un père et sa fille
adolescente, rapporte MacCarthy, la liaison est généralement entérinée par
le père au cours de la journée par des coups d’œil furtifs, des contacts
discrets, et des sous-entendus. Dans le cas d’une enfant plus jeune,
cependant, un père ne se risque pas à une telle reconnaissance. Il se
comporte au contraire dans la journée comme si les épisodes nocturnes
n’existaient pas ; et ce démenti absolu se maintient généralement longtemps
même après l’adolescence de la fille.
MacCarthy décrit le cas d’une femme mariée, Mme A., qu’il traitait
pour dépression, dépendance aux tranquillisants et à l’alcool. Elle ne
mentionna les dix années de promiscuité sexuelle imposées par son père
adoptif qu’après quatre mois de thérapie. Cela avait commencé alors qu’elle
avait 5 ou 6 ans, peu de temps après le décès de sa mère adoptive, et cela
avait duré jusqu’à ses 16 ans, âge auquel elle s’était enfuie. Elle souffrait de
nombreux troubles, dont une frigidité, un dégoût vis-à-vis de l’acte sexuel
et un sentiment de noirceur intérieure, de « tache noire ». Ses difficultés
s’étaient amplifiées au moment des 4 ans de sa fille. Chaque fois que celle-
ci montrait de l’affection à son père et s’asseyait près de lui, Mme A. se
sentait agitée, protectrice et jalouse ; à ces moments-là, il lui était
impossible de les laisser seuls ensemble. Au cours de la thérapie, elle s’est
montrée obséquieuse et terrifiée, et d’une vigilance extrême par rapport au
moindre mouvement du thérapeute.
Concernant la relation incestueuse, Mme A. a raconté que son père
adoptif ne faisait jamais aucune allusion pendant la journée à ses visites
nocturnes dans sa chambre, qui restait toujours dans le noir. Au contraire, il
lui faisait régulièrement la leçon sur les dangers d’autoriser les garçons à
aller trop loin, et sur l’importance de la chasteté avant le mariage. Quand
elle a quitté la maison à l’âge de 16 ans, non seulement il a insisté pour
qu’elle n’en dise mot à personne, mais il a ajouté sur un ton sarcastique :
« Et si tu le fais, personne ne te croira. » Ce qui aurait très bien pu être le
cas, vu que son père adoptif était directeur d’école et maire de la ville.
Dans son commentaire sur ce cas et sur d’autres similaires, MacCarthy
insiste sur la dissociation cognitive entre le père respecté, et peut-être aimé,
perçu le jour, et le père très différent des événements étranges de la nuit.
Enjointe de n’en souffler mot à personne, sa mère y compris, l’enfant se
tourne vers son père pour obtenir une quelconque confirmation de ces
événements, et elle se trouve naturellement désorientée de ne pas avoir de
réponse. Est-ce que ça s’est réellement produit ou ai-je rêvé ? Est-ce que
j’ai deux pères ? Pas étonnant dans ces conditions que plus tard, les
hommes ne suscitent que méfiance, et que l’attitude professionnelle d’un
thérapeute masculin soit interprétée comme une simple façade dissimulant
une intention de prédateur. Pas étonnant non plus que l’interdiction d’en
parler à quiconque demeure efficace, et que l’idée selon laquelle dans tous
les cas personne ne vous croira assure le silence. Combien de fois, pouvons-
nous nous demander, des thérapeutes mal informés découragent-ils leurs
patientes de dire la vérité, et si elles persistent néanmoins, confirment-ils
leur attente selon laquelle personne n’accordera foi à leur histoire ?
Dans les exemples décrits jusqu’ici, les informations qu’un parent incite
un enfant à exclure concernent des événements du monde extérieur. Dans
d’autres situations, il s’agit de ce qui se passe dans le monde privé du
ressenti de l’enfant, et c’est extrêmement courant, surtout dans les situations
de séparation et de perte.
Au décès d’un parent, le conjoint survivant ou d’autres proches peuvent
non seulement fournir à l’enfant des informations fausses ou trompeuses,
mais il ou elle peux aussi indiquer qu’il n’est même pas convenable qu’il
fasse preuve de détresse. L’injonction peut être explicite : A. Miller 7 décrit
comment, à la mort de la mère d’un enfant de 6 ans, sa tante lui a dit : « Tu
dois être courageux ; ne pleure pas ; maintenant va dans ta chambre et joue
sagement. » Dans d’autres cas, elle est seulement implicite. Il n’est pas rare
que veuves et veufs, effrayés à l’idée d’exprimer leur propre détresse,
encouragent de fait leurs enfants à bloquer tout ce qu’ils ressentent face à la
perte. Palgi 8 raconte comment un petit garçon que sa mère grondait parce
qu’il ne pleurait pas la mort de son père lui répondit : « Comment est-ce que
je peux pleurer alors que je n’ai jamais vu tes larmes ? »
Il y a en réalité de nombreuses situations où l’on demande expressément
à un enfant de ne pas pleurer. Par exemple, on dit à un petit de 5 ans que sa
nounou est en train de quitter de ne pas pleurer car ça rendra les choses
encore plus difficiles pour elle. Un gamin laissé à l’hôpital ou à la
pouponnière s’entend répéter par ses parents qu’il ne doit pas pleurer,
autrement ils ne viendront pas le voir. Un autre dont les parents ne sont pas
souvent à la maison, laissé aux mains d’une jeune fille au pair parmi une
longue série, n’est pas encouragé à reconnaître combien il se sent seul, et
sans doute en colère, à cause de leur absence constante. Lorsque le couple
se sépare, on fait souvent comprendre clairement à l’enfant que le parent
qui n’est plus là n’est pas censé lui manquer, et qu’il n’est pas censé se
languir de son retour. Non seulement le chagrin et les pleurs sont
condamnés comme inconvenants dans de telles situations, mais les enfants
plus grands ainsi que les adultes peuvent se moquer d’un petit en détresse
en le traitant de pleurnichard. S’étonnera-t-on encore que dans ces
circonstances tout ressenti se retrouve exclu ?

Toutes ces situations sont assez évidentes, bien qu’étant, je crois,


sérieusement négligées comme causes d’exclusion des informations et du
ressenti hors de la conscience. Il existe cependant encore d’autres
situations, plus subtiles et plus dissimulées, mais non moins courantes, qui
ont le même effet, comme quand une mère ayant vécu une enfance sans
affection recherche auprès de ses propres enfants l’amour dont elle a
manqué jusque-là. De ce fait, elle inverse la relation normale parent-enfant,
exigeant de celui-ci qu’il agisse en parent tandis qu’elle devient l’enfant.
Pour quelqu’un qui n’a pas conscience de ce qui est en jeu, l’enfant peut
apparaître comme « trop gâté », mais à y regarder de plus près, on
s’aperçoit que la mère fait peser sur lui un lourd fardeau. Ce qui est d’un
intérêt tout particulier dans ce cas, c’est que la plupart du temps, il est
attendu de l’enfant qu’il se montre reconnaissant pour l’attention qu’il
reçoit, et qu’il ne remarque pas ce que l’on exige de lui. En conséquence,
premièrement, conformément aux souhaits de sa mère, il se construit d’elle
une image unilatérale, faite d’un amour et d’une générosité sans faille,
excluant ainsi de tout traitement conscient les nombreuses informations qui
lui parviennent aussi, selon lesquelles elle se montre souvent égoïste,
exigeante et ingrate. Deuxièmement, toujours conformément aux vœux
maternels, ne sont admis à sa conscience que de l’amour et de la gratitude
envers elle, et il bloque toute once de colère qu’il pourrait éprouver à son
encontre pour attendre de lui qu’il veille sur elle, et pour l’empêcher d’avoir
ses propres amis et de vivre sa propre vie.
Une situation approchante est celle d’un parent qui, ayant vécu une
enfance traumatisante, craint de se voir rappeler ses malheurs passés et de
sombrer dans la dépression. Il demande donc à ses enfants de toujours se
montrer heureux et d’éviter toute expression de chagrin, de solitude ou de
colère. Comme me l’a confié un patient après de nombreuses séances de
thérapie : « Je m’aperçois maintenant que j’étais terriblement seul lorsque
j’étais enfant, mais que je n’ai jamais eu le droit de m’en rendre compte. »
La plupart des enfants sont indulgents envers leurs parents, préférant les
voir sous un jour favorable, et ils se montrent tout disposés à fermer les
yeux sur beaucoup de défauts. Cela étant, ce n’est pas de bonne grâce qu’ils
acceptent de considérer leur parent uniquement sous le jour qu’il exige, ou
de ressentir envers lui les seules émotions qu’il supporte. Pour s’assurer un
tel résultat, il faut faire pression. Cette pression peut prendre plusieurs
formes, dont l’efficacité repose néanmoins sur le seul désir insistant
d’amour et de protection qu’éprouve l’enfant. Alice Miller 9, qui a accordé
une grande attention à ces questions, rapporte les propos d’une patiente
adulte, fille aînée d’une femme insécure toute à sa carrière : « J’étais le
joyau de la couronne de ma mère. Elle disait souvent : “On peut faire
confiance à Maja, elle va se débrouiller.” Et je me débrouillais, j’ai élevé
mes frères et sœurs à sa place, de façon qu’elle puisse poursuivre sa
carrière. Elle est devenue de plus en plus connue, mais je ne l’ai jamais vue
heureuse. Combien de fois j’ai eu hâte qu’elle rentre le soir ! Les petits
pleuraient et je les consolais, mais moi je n’ai jamais versé une larme. Qui
aurait voulu d’une enfant qui pleure ? Je ne pouvais gagner l’amour de ma
mère qu’en étant compétente, compréhensive et en me contrôlant, en ne
remettant jamais ses actes en question, et en ne lui montrant pas combien
elle me manquait ; cela aurait limité la liberté dont elle avait tant besoin.
Cela m’aurait fait perdre ses faveurs. »
Dans d’autres familles, les pressions sont moins subtiles. La menace
d’abandon comme moyen de contrôle est une arme extrêmement puissante,
en particulier avec un jeune enfant. Confronté à de telles menaces, celui-ci
a-t-il d’autre choix que se conformer aux souhaits de ses parents en
bloquant le traitement complet de tout ce qu’à sa connaissance ils veulent le
voir oublier ? Ailleurs, j’ai présenté les raisons qui me portent à croire que
les menaces de ce genre sont responsables de beaucoup d’anxiété aiguë et
chronique 10 et aussi de la dépression persistante en réaction à un deuil plus
tard dans la vie, dépression où domine la croyance en un abandon délibéré
de la part du défunt, vécu comme une punition 11.
L’hypothèse avancée ici que divers troubles cognitifs, repérés dans
l’enfance comme plus tard, sont le résultat de ce qui s’est joué avant
l’adolescence, va dans le sens d’une sensibilité particulière des jeunes
esprits aux influences extérieures. Preuve en est la vulnérabilité, déjà
soulignée, des petits enfants aux menaces de leurs parents de les rejeter,
voire de les abandonner. Avec l’adolescence, ce type de chantage a
clairement moins de prise.

L’influençabilité des préadolescents vis-à-vis de leurs parents est bien


mise en évidence par une expérience de Gill 12. L’échantillon était constitué
d’enfants de 10 ans d’une école primaire de Londres, et de leurs parents.
Sur les quarante familles non immigrées invitées à participer à l’étude,
vingt-cinq ont accepté. Les chercheurs se sont rendus au domicile de
chaque famille, et leur ont présenté sur un écran une série de dix scènes,
pendant deux minutes chacune.
Cinq de ces scènes étaient extraites de livres d’images ou de films, et les
autres de tests projectifs. Certaines avaient un contenu émotionnel positif,
par exemple une mère regardant une petite fille avec un bébé dans les bras.
D’autres avaient un contenu agressif et/ou effrayant. Trois avaient un thème
sexuel : une femme visiblement enceinte allongée sur un lit ; un couple qui
s’étreignait dans l’herbe ; et une femme agrippant les épaules d’un homme
qui semblait fuir, avec l’image d’une autre femme à moitié nue à l’arrière-
plan.
La série de dix images a été présentée à trois reprises. La première fois,
on a demandé au père, à la mère et à l’enfant d’écrire séparément ce qu’ils
avaient vu. La deuxième fois, on a demandé aux membres de la famille de
discuter ensemble de chaque scène pendant les deux minutes de
présentation. Au troisième passage, on a à nouveau demandé à chaque
membre de la famille d’écrire de son côté ce qu’il avait vu.
L’examen des premières réponses des enfants aux trois images à thème
sexuel a révélé que la moitié des enfants (douze) avaient décrit ces thèmes
de manière assez directe et factuelle, alors que les autres non. Par exemple,
pour l’image de la femme visiblement enceinte, la réponse franche d’un
enfant a été : « Elle se repose. Je vois qu’elle attend un bébé. Elle dort, je
pense. » La description de la même image par d’autres enfants omettait par
contre toute référence au fait qu’elle soit enceinte : « Quelqu’un dort dans
un lit » et « Il y a un homme sur un lit. Il dort ».
Un psychologue ne connaissant pas les réponses des enfants a ensuite
analysé la manière dont les parents avaient discuté les images pendant la
seconde présentation. Là encore, il est apparu clairement que certains
parents étaient francs quant au contenu des scènes, alors que d’autres n’y
faisaient pas référence et/ou exprimaient du dégoût. Par exemple, dans le
cas de la femme enceinte, la mère d’un enfant remarqua ouvertement et à
trois reprises que la femme attendait un bébé et qu’elle faisait une sieste. À
l’inverse, les parents d’un autre enfant ont terminé leur discussion de deux
minutes sans aucune référence de cet ordre. À la place, ils se sont
concentrés sur des détails émotionnellement neutres, comme la coiffure de
la femme, le tissu de sa robe de chambre, et la qualité des meubles. Sans
surprise, il y avait une forte corrélation entre la manière dont les enfants
avaient réagi aux scènes et la manière dont les parents en ont ensuite parlé.
À la troisième présentation, les descriptions fournies par tous les enfants
avaient gagné en précision ; mais celles des douze enfants qui avaient
répondu franchement la première fois étaient encore meilleures que celles
des treize autres qui n’avaient pas rapporté la teneur exacte de la scène la
première fois.
Il n’y a pas de doute que pendant leur discussion des images, certains
parents avaient consciemment ou inconsciemment évité de faire référence à
leur contenu. On pouvait raisonnablement conclure aussi que le fait pour les
enfants de ne pas aborder les thèmes sexuels à la première présentation était
d’une certaine manière influencé par le « climat » qui régnait chez eux. Ce
que l’expérience ne pouvait montrer bien sûr, c’est si les enfants n’avaient
réellement pas perçu le contenu de la scène, ou s’ils l’avaient perçu mais
n’avaient pas voulu parler de ce qu’ils avaient vu. Étant donné qu’avant
l’adolescence les enfants ont tendance à être lents et à souvent manquer de
confiance dans leurs perceptions, mon hypothèse est qu’au moins certains
des enfants de l’expérience n’ont réellement pas enregistré la nature exacte
des faits. D’autres ont pu savoir intuitivement que la scène concernait un
sujet dont ils étaient censés ne rien savoir, et qu’ils ont donc évité de voir.

Au premier abord, l’idée qu’une information avec une certaine


signification puisse être bloquée, ou sélectivement exclue de la perception,
semble paradoxale. Comment, demande-t-on, une personne peut-elle
exclure sélectivement du traitement un stimulus particulier, à moins de
percevoir d’abord le stimulus qu’elle souhaite éliminer ? Cette pierre
d’achoppement disparaît cependant, dès l’instant où l’on conçoit la
perception comme un processus à plusieurs niveaux, comme on le fait
aujourd’hui. Il est indéniable que les travaux expérimentaux sur le
traitement de l’information chez l’homme entrepris ces dix dernières années
nous offrent une bien meilleure idée de la nature des processus d’exclusion
dont nous avons discuté, qu’il n’était possible d’avoir à l’époque où Freud,
et d’autres dans la tradition psychodynamique, ont commencé à formuler
leurs théories des défenses dont l’influence a été si prépondérante jusqu’à
aujourd’hui. Voici maintenant un rapide survol de cette nouvelle approche.
Les recherches sur la perception humaine 13 ont montré qu’avant qu’une
personne ait conscience de voir ou d’entendre quelque chose, le signal
perceptif en provenance des yeux ou des oreilles a déjà traversé de
nombreuses étapes de sélection, d’interprétation, et d’évaluation, au cours
desquelles une grande partie du signal d’origine a été exclue. Cette
importante perte s’explique par la capacité limitée des canaux chargés des
traitements les plus avancés, qui doivent donc être protégés de la surcharge.
Pour être sûr de conserver les éléments les plus pertinents et d’exclure
uniquement les autres, la sélection du signal est sous contrôle central, ou
celui du moi pourrait-on dire. Bien que ce traitement s’effectue à des
vitesses extraordinaires et presque totalement en dehors de la conscience,
une bonne partie du signal parvient cependant à une étape très avancée du
processus avant d’être éliminée. Les résultats des expériences d’écoute
dichotique en sont des exemples révélateurs.
Ici, deux messages différents sont envoyés simultanément à chaque
oreille du sujet. On lui demande alors de ne prêter attention qu’à un seul de
ces messages, disons celui reçu par l’oreille droite. Pour s’assurer qu’il y
porte une attention continue, on lui demande de « pister » ce message en le
répétant mot à mot, au fur et à mesure qu’il l’entend. Garder les deux
messages distincts est assez facile, et à la fin de la séance, le sujet n’a
généralement aucune conscience du message auquel il n’a pas prêté
attention. On rencontre cependant des exceptions notables. Par exemple, si
son nom ou un mot important pour lui est présent dans le message ignoré, il
peut tout à fait le remarquer et s’en souvenir. Cela montre que, même s’il ne
parvient pas à la conscience, ce message fait l’objet d’un traitement continu
et relativement avancé au cours duquel sa signification est contrôlée et son
contenu évalué en fonction de sa pertinence ; et tout cela sans que la
personne ait la moindre idée de ce qui est en train de se faire.
Dans le cours ordinaire de la vie, ce qui détermine les informations à
accepter ou à exclure est clairement fonction de ce qui est dans le plus
grand intérêt de la personne à un moment donné. Ainsi, lorsqu’elle a faim,
les signaux sensoriels se rapportant à la nourriture deviennent prioritaires,
alors que la majeure partie de ce qui pourrait autrement être pertinent pour
elle est exclue. Pourtant, à la moindre menace, les priorités changent sur-le-
champ, pour privilégier tout ce qui concerne le danger et la sécurité, et
exclure momentanément ce qui se rapporte à la nourriture. Cette
modification des critères quant aux signaux à accepter et ceux à rejeter est
l’œuvre de systèmes d’évaluation essentiels à la personnalité.
Ce résumé des découvertes d’une discipline voisine me permet de
souligner premièrement que, tout au long de sa vie, un individu passe son
temps à exclure ou à rejeter une grande partie de toutes les informations qui
l’atteignent ; deuxièmement que ce processus n’intervient qu’une fois
évaluée leur pertinence pour lui ; et troisièmement que cette exclusion
sélective se produit généralement sans qu’il ait la moindre conscience de
son déroulement.
Il faut reconnaître que jusqu’à présent, la plupart de ces expériences ont
concerné le traitement des signaux sensoriels en cours, c’est-à-dire la
perception, et non l’utilisation d’informations déjà enregistrées en mémoire,
c’est-à-dire le rappel. Il semble cependant probable que les mêmes
principes généraux s’y appliquent. Dans les deux cas, des critères sont fixés
par un ou plusieurs systèmes d’évaluation centraux, et ce sont ces critères
qui dictent le choix des informations acceptées en vue d’un traitement plus
avancé, accédant à la conscience, et de celles qui en sont exclues. Ainsi,
grâce aux travaux des spécialistes en psychologie cognitive, il n’est
aujourd’hui plus difficile d’imaginer, et de décrire en termes opérationnels,
un appareil psychique capable d’exclure des informations de types
spécifiques, et qui le fait sans que la personne soit consciente de ce qui se
passe.

Penchons-nous maintenant sur la seconde catégorie de scènes et


d’expériences qui tendent à être exclues et oubliées, alors même qu’elles
continuent à influencer plus ou moins activement les pensées, le ressenti et
le comportement de l’individu. Il s’agit de situations où les parents ont
traité leurs enfants de manière telle qu’il est trop insupportable pour ces
derniers d’y penser ou de s’en souvenir. Là encore, on rencontre non
seulement une amnésie, partielle ou complète, de la séquence des faits, mais
aussi une exclusion hors conscience des pensées, émotions et mouvements
qui constituent les réactions naturelles à de tels événements. Il en résulte
des troubles majeurs de la personnalité qui, sous leur forme la plus courante
et la moins grave, reçoivent généralement le diagnostic de narcissisme ou
de faux self, et sous leurs formes les plus extrêmes, peuvent être reconnus
comme des cas de fugue, de psychose ou de personnalités multiples. Les
expériences qui engendrent ces troubles ont été continues ou
sporadiquement répétées au cours de l’enfance, elles ont probablement
débuté dans les deux ou trois premières années pour se poursuivre
généralement quatre, cinq, six, sept ans, et sans aucun doute souvent bien
plus longtemps encore. Il s’agit d’expériences de rejet répété de la part des
parents, associé à un mépris vis-à-vis des désirs d’amour, d’attention et de
réconfort de l’enfant, et en particulier dans les cas les plus graves, de
violence physique (des coups), réitérée et parfois systématique, et
d’exploitation sexuelle par le père ou le petit ami de la mère. Il n’est pas
rare qu’un enfant dans une telle situation soit victime de tous ces sévices à
la fois à des degrés divers.
Commençons par l’extrémité la moins grave de ce qui semble constituer
une gamme de syndromes apparentés.
Un exemple de patient doté d’un faux self a déjà été présenté dans une
autre conférence (voir ici). Il s’agissait d’un jeune étudiant gravement
dépressif et suicidaire qui s’est rappelé pendant l’analyse que sa mère
l’avait constamment rejeté, qu’elle avait ignoré ses pleurs, qu’elle
s’enfermait des journées entières dans sa chambre, et qu’elle avait plusieurs
fois déserté la maison. Heureusement, il était entre les mains d’une
thérapeute qui comprenait ses problèmes et accordait un complet crédit aux
expériences d’enfance qu’il décrivait. Elle apportait aussi une
reconnaissance empathique à ses désirs jamais satisfaits d’amour et
d’attention, tout autant qu’aux sentiments violents envers sa mère suscités
par la manière dont elle l’avait traité, et qui étaient au départ dirigés contre
elle (la thérapeute). Une patiente avec des problèmes assez similaires mais
dont l’expérience comportait aussi une période de dix-huit mois dans une
institution impersonnelle, alors qu’elle avait 4 ans, est présentée à la
quatrième conférence. Bien que ces deux patients aient fait des progrès très
satisfaisants au cours du traitement, ils sont demeurés tous deux plus
sensibles que les autres à de nouveaux revers.
Par ailleurs, un certain nombre de patients, enfants et adultes, dont les
troubles semblent trouver leur origine dans des expériences du même ordre,
bien que plus graves, avec pour conséquence une dissociation de la
personnalité encore plus extrême, ont été décrits par des thérapeutes ces dix
dernières années. Par exemple, Géraldine, 11 ans, retrouvée errante et
hébétée, avait perdu tout souvenir, et de la maladie incurable de sa mère, et
des événements des trois années suivantes. Au terme d’une longue période
de thérapie, décrite en détail en 1974 par McCann, Géraldine a résumé ainsi
les expériences qui avaient précédé son amnésie : « Avec Maman, j’étais
morte de peur de faire un pas de travers. Je voyais de mes propres yeux
comment elle s’en prenait, en paroles et en actes, à mon père et à ma sœur
et après tout, je n’étais qu’une petite fille, complètement impuissante…
comment j’aurais pu en vouloir à Maman – elle était ma seule protection…
j’ai effacé toute émotion – il se passait des choses qui dépassaient ce que je
pouvais supporter – je devais continuer à avancer. Si j’avais réellement
laissé les choses m’atteindre, je ne serais pas là aujourd’hui. Je serais morte
ou en hôpital psychiatrique *1. »
L’état psychologique complexe de Géraldine, ainsi que les expériences
de son enfance tenues pour en être responsables, sont très proches de ce que
l’on rencontre chez les patients souffrant de personnalités multiples.
Dans un article de Bliss 15, fondé sur des évaluations cliniques et sur une
thérapie utilisant l’hypnose, on trouve ainsi la description de quatorze
patientes, toutes des femmes, ayant reçu un diagnostic de personnalités
multiples. L’hypothèse avancée par Bliss est que les personnalités
secondaires qui prennent de temps à autre possession d’une patiente sont
des créations cognitives de la personnalité principale, mises en place entre 4
et 7 ans lors de longues périodes de stress intense. Selon Bliss, chacune de
ces personnalités est à l’origine créée dans un but ou pour un rôle distinct.
À en juger par les exemples qu’il donne, ces rôles sont principalement de
trois types. Le plus simple et le plus positif est de servir de compagnon ou
protecteur lorsque la personnalité créatrice se sent seule ou isolée, par
exemple quand les parents se montrent régulièrement hostiles et/ou absents
et qu’elle n’a personne d’autre vers qui se tourner. Un deuxième rôle est
celui d’anesthésiant vis-à-vis d’événements insupportablement éprouvants,
comme dans le cas d’une enfant de 4 ou 5 ans qui partageait une chambre
avec sa mère qui, mourant d’un cancer, passait des heures à hurler de
douleur. Le troisième rôle est plus complexe, et consiste à endosser la
responsabilité de pensées, d’émotions et d’actes que la patiente ne peut
supporter d’accepter comme siens. Dans les exemples donnés par Bliss, on
trouve : éprouver une haine violente envers une mère qui avait tenté de tuer
la patiente quand elle était enfant, haine qui a été jusqu’à l’intention de
l’assassiner réellement ; ressentir des désirs et avoir des comportements
sexuels après que l’on a été violée, enfant ; avoir peur et envie de pleurer
après que les larmes ont fait l’objet de punitions et de menaces de la part
des parents.
Les découvertes faites sous hypnose étant controversées, il est important
de noter qu’un groupe de recherche en clinique de l’université de Californie
à Irvine, ayant utilisé des méthodes conventionnelles et étudié un bon
nombre de cas (Reagor, communication personnelle), est arrivé à des
conclusions très similaires à celles de Bliss *2. Les techniques thérapeutiques
proposées ont aussi beaucoup en commun et sont, en outre, dans la droite
ligne des concepts de thérapie exposés dans la dernière conférence.
Pour finir, un certain nombre de pédopsychiatres et de
psychothérapeutes d’enfants (par exemple, Stroh 16, Rosenfeld 17, Bloch 18,
Hopkins 19, ont décrit des petits patients dont les pensées et les
comportements les font paraître, soit quasi, soit totalement psychotiques,
qui ont des idées nettement paranoïdes, et dont l’état, selon toute
vraisemblance, peut être attribué à des mauvais traitements persistants de la
part de leurs parents. De tels enfants se montrent souvent charmants et
attachants, puis d’une hostilité sauvage l’instant d’après, ce changement
intervenant brutalement et sans raison apparente. De plus, leur plus grande
violence est généralement dirigée à l’encontre de la personne même à
laquelle ils semblent, et à laquelle ils sont, de fait, le plus étroitement
attachés. Il n’est pas rare que ces enfants soient tourmentés par la peur
intense d’un monstre qui viendrait les attaquer, et auquel ils passent leur
temps à essayer d’échapper. Dans certains de ces cas au moins, il existe des
preuves valables permettant d’affirmer que ce qui est redouté est une
agression de la part de l’un ou l’autre parent, mais que cette perspective
causant une frayeur insupportable, l’attaque attendue est attribuée à un
monstre imaginaire.
À titre d’exemple, intéressons-nous au cas de Sylvia, 6 ans, rapporté par
Hopkins 22, dont l’un des principaux symptômes était une terreur que les
chaises et autres meubles, qu’elle appelait Daleks, volent à travers la pièce
pour l’attaquer. « Sa terreur était intense et quand elle se tapissait à terre et
se baissait comme si elle était sur le point d’être frappée par un Dalek ou
tout autre monstre, je la croyais en pleine hallucination. » Dès le début,
Sylvia a aussi exprimé la peur d’être frappée par sa thérapeute tout comme
sa mère le faisait. Non seulement attaquait-elle constamment sa thérapeute,
mais elle menaçait aussi souvent de la tuer.
Le père était mort dans un accident de voiture deux ans auparavant.
Pendant de nombreux mois d’entretiens bihebdomadaires avec un
travailleur social, la mère était restée extrêmement prudente et avait peu
parlé des relations familiales. À la longue, cependant, au bout de près de
deux ans, le voile s’est levé. Elle a reconnu son rejet massif de Sylvia dès sa
naissance, et les envies de meurtre qu’elle et le père nourrissaient à son
encontre. La manière dont elle traitait Sylvia, avoua-t-elle, était
« totalement brutale ». Le père avait un tempérament extrêmement violent
et dans ses rages, loin d’être exceptionnelles, il fracassait les meubles et les
balançait tout autour. Il battait fréquemment Sylvia et l’avait même jetée à
travers la pièce.
Ainsi, l’identité des Daleks ne faisait pas de doute. Le « fantasme »
d’une attaque de Daleks dissimulait l’anticipation non fantaisiste
d’agressions par le père ou la mère, fondée sur la réalité. Comme le précise
Bloch 23, un des principes de base de l’approche thérapeutique qu’elle, et
d’autres comme elle, préconisent pour ce type de cas consiste à reconnaître
comme reflet d’une sinistre réalité ce qui est trop aisément qualifié de
fantasme, une des tâches thérapeutiques de première heure étant pour elle
d’identifier les expériences de vie réelle juste derrière le camouflage
trompeur.
Non seulement les expériences précoces de ces enfants quasi
psychotiques sont identiques à celles jugées caractéristiques des patients
adultes aux personnalités multiples, mais leurs manières d’être décrites par
leurs thérapeutes respectifs se ressemblent aussi de façon frappante. Il
semble donc fort probable que ces deux états soient intimement liés. On
notera en outre que ces observations accréditent l’hypothèse avancée par
Niederland 24 que les délires paranoïdes du juge Schreber, sur lesquels Freud
a fondé sa théorie de la paranoïa, constituaient des versions déformées du
régime pédagogique singulier auquel le père du patient l’avait soumis dès
les premiers mois de son existence.

Dans cette présentation, comme dans presque tous mes travaux, j’ai
concentré mon attention sur la psychopathologie et sur certaines des
conditions qui en sont à l’origine. La raison qui me conduit à le faire, c’est
que je crois que seule une meilleure compréhension de l’étiologie et de la
psychopathologie permettra de développer des techniques thérapeutiques, et
plus particulièrement des mesures préventives, qui seront à la fois efficaces
et économiques en termes de main-d’œuvre qualifiée.
Mon approche thérapeutique est loin d’être originale. L’hypothèse de
base peut être formulée de manière simple. Tant que les modes de
perception et d’interprétation des situations présentes, ainsi que le ressenti
et les actions qui en découlent, sont déterminés par des événements et des
expériences émotionnellement significatifs exclus d’un traitement
conscient, la personnalité aura tendance à produire des cognitions, des
affects et des comportements inadaptés à la situation en cours. Quand le
désir d’amour et d’attention est bloqué, il devient à jamais inaccessible.
Quand c’est la colère, elle demeure dirigée vers des cibles inappropriées.
De la même façon, l’anxiété continue à être provoquée par des situations
sans rapport, et un comportement hostile est sans cesse attendu de sources
inoffensives. La tâche thérapeutique consiste donc à aider le patient à
découvrir la teneur de ces événements et de ces expériences pour que les
pensées, les émotions et les comportements suscités par les situations
actuelles, et qui continuent à être si perturbateurs, puissent enfin être reliés
aux situations passées qui en sont à l’origine. Alors, les véritables cibles de
ce désir et de cette colère, et les véritables sources de l’anxiété et de la peur,
deviendront évidentes pour lui. Non seulement de telles découvertes lui
révéleront que ses modes de cognition, de ressenti et de comportement sont
bien plus intelligibles, compte tenu des circonstances qui les ont vus naître,
qu’elles ne le paraissaient auparavant mais, une fois qu’il aura saisi
comment et pourquoi il réagit de la manière dont il le fait, il sera en mesure
de réévaluer ses réactions et, s’il le souhaite, d’entreprendre leur
restructuration radicale. Cette réévaluation et cette restructuration ne
pouvant être réalisées que par le patient lui-même, la tâche du thérapeute
consiste donc, selon moi, à aider le patient, dans un premier temps, à
découvrir pour lui-même la teneur probable de ces scènes et de ces
expériences passées, puis, dans un second temps, à l’amener à réfléchir à la
manière dont elles continuent à l’influencer depuis. Et c’est seulement une
fois ce travail réalisé qu’il sera en mesure d’entreprendre la réorganisation
appropriée de sa manière d’interpréter le monde, d’y réfléchir et d’y agir.
La conception du processus thérapeutique exposée ici est semblable à
celle décrite bien plus en détail par d’autres. À titre d’exemple, on peut citer
les publications de Peterfreund 25 et de Guidano et Liotti 26. Bien que les
auteurs de ces deux ouvrages aient débuté leur pratique thérapeutique sur la
base d’approches radicalement différentes, à savoir des versions
traditionnelles de la psychanalyse et de la thérapie comportementale
respectivement, les principes guidant aujourd’hui leur travail sont d’une
convergence frappante. De même s’aperçoit-on que les formes actuelles de
thérapie du deuil, qui se concentrent sur les événements éprouvants d’un
passé relativement récent, sont fondées sur ces mêmes principes, bien que
développées au sein de traditions également différentes 27. Quelle que soit la
divergence apparente des tactiques, la réflexion stratégique en arrive donc
au même point.
7.

Le rôle de l’attachement dans


le développement de la personnalité

Au cours des années 1980 se sont rapidement accumulées des preuves


sur le rôle de l’attachement dans le développement de la personnalité. Les
résultats des études plus anciennes ont été retrouvés sur des populations
d’origine diverse ; les méthodes d’observation ont été affinées et de
nouvelles techniques introduites ; et on a relevé l’importance, pour un
développement émotionnel sain, de la souplesse dans la communication
réciproque entre parent et enfant. Étant donné la portée clinique, selon moi,
de ces récentes découvertes, j’ai choisi dans cette conférence d’en faire une
présentation à destination de ceux qui exercent comme psychothérapeutes
dans le champ de la santé psychique.
Par souci du lecteur, je commencerai par une synthèse des points
principaux de la théorie de l’attachement.

Points principaux de la théorie


de l’attachement
Rappelons que la théorie de l’attachement a été conçue pour expliquer
certains schémas comportementaux, caractéristiques non seulement des
bébés et des jeunes enfants mais aussi des adolescents et des adultes,
jusqu’alors conceptualisés en termes de dépendance et de ses excès. Sa
formulation d’origine a été particulièrement influencée par l’observation
des réactions de jeunes enfants placés dans un lieu inconnu en compagnie
de personnes inconnues, et par les effets immédiats d’une telle expérience
sur leur relation avec leurs parents. Par la suite, la théorie est restée
étroitement liée à des observations détaillées et à des entretiens sur les
réactions des individus à des situations spécifiques. Sur le plan historique,
elle est issue de la tradition psychanalytique de la relation d’objet ; mais elle
s’inspire aussi de concepts empruntés à la théorie de l’évolution, à
l’éthologie, à la théorie du contrôle et à la psychologie cognitive. Elle
constitue donc une reformulation de la métapsychologie psychanalytique en
des termes compatibles avec la biologie et la psychologie modernes, et
conformes aux critères classiquement attendus d’une science naturelle (voir
quatrième conférence).
La théorie de l’attachement met l’accent sur :
(a) le statut primaire et la fonction biologique des liens affectifs intimes
entre individus, avec l’hypothèse que leur création et leur maintien sont
contrôlés par un processus cybernétique piloté par le système nerveux
central, au moyen de modèles de travail de soi et de la figure d’attachement
en étroite relation *1 ;
(b) la puissante influence dans le développement de l’enfant de la
manière dont il est traité par ses parents, et tout particulièrement par sa
figure maternelle ;
(c) et la nécessité, liée aux connaissances actuelles sur le
développement du bébé et de l’enfant, de remplacer par la notion de
trajectoires développementales les conceptions prônant des phases
spécifiques où une personne peut se trouver bloquée et/ou régresser.
Primauté des liens émotionnels intimes
La théorie de l’attachement considère la tendance à établir des liens
affectifs intimes avec certaines personnes comme une composante
fondamentale de la nature humaine, en germe dès la naissance et active tout
au long de la vie adulte jusqu’aux âges les plus avancés. Pendant la petite
enfance et l’enfance, ces liens concernent les parents (ou les substituts
parentaux) vers lesquels l’individu se tourne pour obtenir protection,
réconfort et soutien. Lorsque tout va bien, ces liens persistent à
l’adolescence et à l’âge adulte, mais se voient complétés par de nouvelles
relations, généralement de nature hétérosexuelle. Bien que l’alimentation et
la sexualité jouent parfois un rôle important dans la relation d’attachement,
celle-ci existe de plein droit et remplit une fonction clé à part entière dans la
survie, à savoir la protection. Au départ, les seuls moyens de
communication entre le bébé et sa mère passent par l’expression affective et
le comportement qui l’accompagne. Bien que s’y ajoute ensuite la parole,
cette communication par le biais de l’émotion reste néanmoins une
caractéristique essentielle des relations intimes au cours de l’existence.
Donc, dans le cadre de l’attachement, les liens affectifs intimes ne sont
considérés ni comme subordonnés ni comme dérivés de l’alimentation et de
la sexualité. Le désir impérieux de réconfort et de soutien face à l’épreuve
n’est pas davantage considéré comme infantile, comme l’implique la
théorie de la dépendance. Au lieu de cela, la capacité à créer des liens
affectifs intimes avec d’autres personnes, dans le rôle de careseeker *2 ou
celui de caregiver selon les occasions, est considérée comme une
caractéristique essentielle du fonctionnement efficace de la personnalité et
de la santé psychique.
En règle générale, la recherche d’attention est le fait de celui qui se sent
faible et moins expérimenté vis-à-vis d’un autre qu’il considère plus fort
et/ou plus sage. Un enfant ou un individu plus âgé dans le rôle de
careseeker reste non loin du caregiver, le degré de proximité ou
d’accessibilité immédiate variant selon les circonstances : d’où la notion de
comportement d’attachement.
Être caregiver, rôle majeur des parents, complémentaire du
comportement d’attachement, est considéré de la même façon qu’être
careseeker, c’est-à-dire comme une composante fondamentale de la nature
humaine (voir la première conférence).
L’exploration de l’environnement, qui inclut le jeu et diverses activités
avec les pairs, constitue la troisième composante de base, à l’antithèse du
comportement d’attachement. Quand un individu (quel que soit son âge) se
sent en confiance *3, il a tendance à explorer l’environnement en s’éloignant
de sa figure d’attachement. En cas d’alerte, d’inquiétude, de fatigue ou de
malaise, il ressent un besoin de proximité. Nous voyons là le schéma
typique d’interaction entre enfant et parent appelé « exploration à partir
d’une base sécure », qu’Ainsworth a été la première à décrire 2. Pour un
enfant bien portant, savoir que son parent est accessible et qu’il réagira au
moindre appel, lui permet de se sentir suffisamment en confiance pour
explorer l’environnement. Au départ, ces explorations sont limitées à la fois
dans le temps et dans l’espace. Vers le milieu de la troisième année
cependant, un enfant sécure commence à se sentir suffisamment sûr de lui
pour s’éloigner davantage et plus longtemps – d’abord des demi-journées,
puis des journées entières. Avec l’adolescence, il peut rester à distance
pendant des semaines, voire des mois, mais un port d’attache sûr *4 demeure
indispensable à son fonctionnement optimal et à sa santé psychique. Notez
que la notion de base sécure est centrale à l’approche psychothérapeutique
proposée.
Pendant les premiers mois de sa vie, un bébé manifeste de nombreuses
réactions qui composeront ultérieurement son comportement d’attachement,
mais le schéma ne s’organise véritablement qu’au bout de six mois. Dès la
naissance, il fait preuve d’une capacité embryonnaire à s’engager dans des
interactions sociales et il montre du plaisir à le faire 3 : il n’existe donc pas
de phase autistique ou narcissique. De plus, en quelques jours, il est capable
de reconnaître spécifiquement sa mère à son odeur et au son de sa voix, et
aussi en fonction de la manière dont elle le tient. La discrimination visuelle
n’est fiable qu’à partir du deuxième trimestre. Au départ, pleurer est pour
lui le seul moyen de signaler son besoin d’attention, et l’apaisement la seule
manière de montrer qu’il est satisfait. Au cours du deuxième mois,
cependant, son sourire social devient un puissant encouragement pour sa
mère à s’occuper de lui, et son répertoire de communication affective
s’élargit rapidement 4.
Le développement du comportement d’attachement en système
organisé, qui a pour but le maintien de la proximité ou de l’accessibilité
d’une figure maternelle spécifique, exige que l’enfant dispose de la capacité
cognitive de garder à l’esprit sa mère en son absence : cette compétence
s’acquiert au deuxième semestre. Ainsi après neuf mois, la grande majorité
des bébés réagissent en protestant et en pleurant quand on les laisse avec
quelqu’un qu’ils ne connaissent pas, ils manifestent aussi une irritabilité et
un rejet plus ou moins prolongés vis-à-vis de la personne étrangère. De
telles observations montrent que pendant cette période, un bébé devient
capable de représentation, et qu’un modèle de travail de sa mère lui est
progressivement disponible à des fins de comparaison pendant son absence
et de reconnaissance lors de son retour. Complémentaire de ce modèle de sa
mère, se développe chez lui un modèle de lui-même en interaction avec
elle ; idem pour son père.
Un des fondements de la théorie de l’attachement réside dans
l’hypothèse que le comportement d’attachement est régi par un mécanisme
de contrôle au sein du système nerveux central, semblable aux processus de
contrôle physiologique qui maintiennent dans des limites données les
paramètres vitaux tels que la pression artérielle et la température corporelle.
Ainsi est avancée l’idée que d’une manière analogue à l’homéostasie
physiologique, le système de contrôle de l’attachement maintient la relation
d’une personne à sa figure d’attachement au sein de certaines limites de
distance et d’accessibilité, par un recours à des modes de communication de
plus en plus sophistiqués. En tant que tels, les effets de sa mise en œuvre
constituent un exemple de ce que l’on peut utilement appeler l’homéostasie
environnementale 5. L’hypothèse d’un tel mécanisme de contrôle (avec des
systèmes analogues régulant d’autres types de comportement) conduit la
théorie de l’attachement à inclure une conception de la motivation
susceptible de remplacer les approches traditionnelles fondées sur le
postulat d’une accumulation d’énergie ou de pulsion. Une théorie du
contrôle présente de multiples avantages, dont l’accent mis autant sur les
conditions d’extinction d’une séquence comportementale que sur ses
déclencheurs, et elle offre un cadre fécond à la recherche empirique.
L’existence d’un système de contrôle de l’attachement, et son lien avec
les modèles de travail de soi et de la (ou des) figure(s) d’attachement
élaborés dans le psychisme au cours de l’enfance, sont considérés comme
essentiels au fonctionnement de la personnalité, la vie durant.

Schémas d’attachement et ce qui influence


leur développement
Le deuxième domaine auquel la théorie de l’attachement porte une
attention particulière est le rôle joué par les parents dans la manière dont un
enfant se développe. On dispose d’une quantité impressionnante de données
prouvant, chaque jour davantage, que les schémas d’attachement mis en
place par un individu au cours de ses années d’immaturité – petite enfance,
enfance, et adolescence – sont profondément influencés par la manière dont
ses parents (ou d’autres figures parentales) le traitent. Ces informations
proviennent de plusieurs recherches systématiques, dont les plus
convaincantes sont les études prospectives du développement socio-
émotionnel au cours des cinq premières années, menées par des
psychologues du développement dotés aussi d’une culture clinique. Initiées
par Ainsworth 6 ; et poursuivies, entre autres, par Main 7 aux États-Unis et
par les Grossmann 8 en Allemagne, ces recherches se multiplient
aujourd’hui rapidement. Leurs résultats sont d’une cohérence remarquable,
et des plus clairs quant à leur importance clinique.
Trois principaux schémas d’attachement, initialement décrits par
Ainsworth et ses collègues en 1971, sont aujourd’hui identifiés avec
certitude, ainsi que les conditions familiales qui y contribuent. On trouve
d’abord le schéma d’attachement sécure où l’individu est sûr de la
disponibilité, de la réceptivité et de l’aide de son parent (ou de sa figure
parentale) en cas de situation difficile ou effrayante. Cette assurance lui
permet de s’aventurer sans crainte dans ses explorations du monde. Ce
schéma est favorisé par un parent, en particulier la mère dans les premières
années, qui se montre immédiatement disponible, sensible aux signaux de
son enfant, et qui réagit avec amour lorsqu’il recherche sa protection et/ou
son réconfort.
Un deuxième schéma est celui de l’attachement anxieux résistant où
l’individu n’est pas certain de la disponibilité, de la réceptivité ou de l’aide
de son parent s’il fait appel à lui. Cette incertitude le conduit à être toujours
enclin à l’angoisse de séparation, il a tendance à se montrer collant et il a
peur d’explorer le monde. Ce schéma, où le conflit est évident, est suscité
par l’irrégularité de la disponibilité et de l’aide du parent, par les
séparations et, comme le montrent les données cliniques, par les menaces
d’abandon utilisées comme moyen de contrôle.
Le troisième schéma est l’attachement anxieux évitant où l’individu
n’est nullement assuré de la bienveillance d’autrui lorsqu’il recherche de
l’attention, mais s’attend au contraire à être repoussé. Contraint de vivre sa
vie sans l’amour et le soutien des autres, il essaie de devenir autosuffisant
sur le plan affectif, et il peut ultérieurement être diagnostiqué comme
narcissique ou porteur d’un faux self tel que le décrit Winnicott 9. Ce
schéma, où le conflit est davantage masqué, est la conséquence de
rebuffades par la mère des demandes de réconfort et de protection. Les cas
les plus extrêmes sont engendrés par des rejets répétés.
Bien que dans la plupart des cas, le schéma observé soit assez
précisément conforme à l’un ou l’autre de ces trois types bien identifiés, des
exceptions laissent perplexe. Lors de la procédure d’évaluation utilisée dans
ces recherches (la situation étrange d’Ainsworth), où les interactions mère-
bébé sont observées au cours d’une série de brefs épisodes, certains enfants
sont apparus désorientés et/ou désorganisés. L’un se montre hébété ; un
autre s’immobilise, figé ; un troisième se lance dans des stéréotypies, un
quatrième entame un mouvement, puis s’arrête sans raison. Après examen,
Main et ses collègues ont finalement attribué ces formes particulières de
comportement à une version désorganisée de l’un des trois schémas types,
le plus souvent le schéma anxieux résistant 10. On en trouve des exemples
chez des bébés ayant, de source sûre, subi des violences physiques et/ou des
négligences graves de la part d’un parent 11. D’autres ont des mères
souffrant d’une forme sévère de dépression bipolaire et qui réagissent à leur
enfant de manière irrégulière et imprévisible 12. D’autres encore ont des
mères toujours absorbées par le deuil d’une figure parentale perdue pendant
leur propre enfance ou qui ont elles-mêmes été victimes de violence
physique ou sexuelle lorsqu’elles étaient jeunes 13. Ces cas de schémas
déviants sont évidemment très préoccupants sur le plan clinique, et ils font
actuellement l’objet d’une grande attention.
La connaissance des origines de ces schémas déviants confirme au-delà
de tout doute possible l’impact sur le schéma d’attachement d’un enfant de
la manière dont son parent le traite. Cependant, des éléments
supplémentaires à l’appui de cette thèse se dégagent des observations
détaillées de la manière dont différentes mères se comportent avec leur
enfant de 2 ans et demi lors d’une expérience en laboratoire 14. Dans cette
étude, on donne à l’enfant une petite tâche à réaliser, dont la difficulté
requiert qu’il demande un peu d’aide pour parvenir à la solution, et sa mère
est laissée libre de ses interactions avec lui. Cette situation montre que la
manière dont elle le traite est en étroite corrélation avec le schéma
d’attachement présenté par lui envers elle, dix-huit mois plus tôt. Ainsi, la
mère d’un enfant à l’attachement auparavant évalué comme sécure se
montre attentive et sensible à la performance de celui-ci, et réagit à ses
succès et à ses difficultés par de l’aide et des encouragements. A contrario,
la mère d’un enfant à l’attachement auparavant évalué comme insécure se
montre moins attentive et/ou moins sensible. Dans certains cas, ses
réponses n’interviennent pas au bon moment et sont inefficaces ; dans
d’autres, elle n’accorde que peu d’attention à ce qu’il est en train de faire ou
à ce qu’il ressent ; dans d’autres encore, elle désavoue et rejette activement
ses demandes d’aide et d’encouragements. Remarquons au passage que le
schéma d’interaction adopté par la mère d’un bébé sécure fournit un
excellent modèle à celui des interventions thérapeutiques préconisé ici.
Lorsque l’on souligne ainsi l’immense influence exercée par une mère
sur le développement de son enfant, il est indispensable aussi de tenir
compte de ce qui la conduit à adopter le style de maternage qui est le sien.
Ce qui a un impact notable à ce niveau est la dose de soutien affectif dont
elle dispose ou non à ce moment-là. D’un autre côté intervient le type de
maternage qu’elle a elle-même reçu, enfant. Une fois ces facteurs reconnus,
comme ils le sont depuis fort longtemps par de nombreux cliniciens
d’orientation analytique, l’idée de blâmer les parents s’évanouit et se voit
remplacée par une approche thérapeutique. Puisque les problèmes affectifs
des parents, issus du passé, et leurs effets sur leurs enfants, sont aujourd’hui
devenus un champ de recherche systématique, on trouvera une brève
description des travaux actuels à la fin de la huitième conférence.
Persistance des schémas
Pour revenir maintenant aux schémas d’attachement observés chez les
petits de 1 an, les études prospectives ont montré qu’une fois mis en place,
ils ont tendance à perdurer. Une des raisons à cela est que la manière dont
un parent traite un enfant, pour le meilleur ou pour le pire, évolue rarement.
Une autre en est le caractère d’autoperpétuation de chaque schéma. Ainsi,
s’occuper d’un enfant sécure apporte davantage de bonheur et de
satisfaction que de veiller sur un enfant anxieux qui se montre aussi plus
exigeant. Un enfant anxieux ambivalent a tendance à pleurnicher et à être
collant, alors qu’un enfant anxieux évitant garde ses distances et se montre
souvent agressif envers ses pairs. Dans ces deux derniers cas, le
comportement de l’enfant a des chances de provoquer une réaction négative
chez le parent, instaurant ainsi un cercle vicieux.
Cela étant, bien que ces schémas, une fois mis en place, se maintiennent
plutôt en l’état, ce n’est en aucun cas une fatalité. Les résultats des
recherches révèlent qu’au cours des deux ou trois premières années, le
schéma d’attachement est une propriété de la relation, par exemple, mère-
enfant ou père-enfant, et que si le parent traite son enfant différemment, le
schéma se modifie en conséquence. De telles évolutions, entre autres
preuves passées en revue par Sroufe 15, démontrent que la stabilité d’un
schéma, lorsqu’elle s’observe, ne peut être attribuée au tempérament inné
de l’enfant, comme on l’a parfois affirmé. Néanmoins, au cours des années,
le schéma devient progressivement une propriété de l’enfant lui-même, ce
qui signifie qu’il a tendance à l’imposer, en tout ou partie, dans ses
nouvelles relations, avec un enseignant, une mère adoptive ou un
thérapeute, par exemple.
Les résultats de ce processus d’internalisation apparaissent clairement
dans une étude prospective montrant que le schéma d’attachement
caractéristique d’une dyade mère/enfant, évalué lorsque celui-ci avait
12 mois, est un bon prédicteur de son comportement en crèche (en
l’absence de sa mère), trois ans et demi plus tard. Ainsi les enfants qui
avaient un schéma sécure avec leur mère à 12 mois sont le plus souvent
décrits par le personnel de la crèche comme coopératifs, populaires auprès
des autres, résilients et débrouillards. Ceux qui avaient un schéma anxieux
évitant sont décrits comme isolés sur le plan affectif, hostiles ou
antisociaux, et paradoxalement comme excessivement à la recherche
d’attention. Ceux dont le schéma était anxieux résistant ont aussi tendance à
présenter ce même excès, et à être jugés soit tendus, impulsifs et facilement
frustrés, soit passifs et désemparés 16. À la lumière de ces résultats, il est peu
surprenant que dans deux autres études prospectives, une étude princeps en
Californie 17, et sa duplication en Allemagne 18, le schéma d’attachement
repéré à 12 mois soit aussi apparu comme un bon prédicteur des types
d’interaction avec la mère, cinq ans plus tard.
Bien que le répertoire comportemental d’un enfant envers son parent
soit largement plus étoffé à 6 ans qu’à 1 an, les schémas d’attachement
observés à cet âge demeurent néanmoins aisément perceptibles
ultérieurement à un œil averti. Ainsi, les enfants classés sécures sont à 6 ans
ceux qui traitent leurs parents d’une manière détendue et amicale, et qui
montrent une familiarité complice souvent subtile au cours de conversations
fluides. Les enfants classés anxieux résistants font preuve d’une certaine
instabilité émotionnelle, manifestant tristesse et peur, et d’une alternance de
complicité et d’hostilité, hostilité parfois subtile et parfois patente. Dans
certains de ces cas, le comportement de l’enfant frappe l’observateur par
son aspect contraint, voire artificiel. Comme s’il anticipait en permanence
une réaction négative de son parent, il essaie de gagner ses bonnes grâces
par une mise en scène, par exemple en se montrant mignon ou tout
particulièrement charmant 19.
Les enfants de 6 ans classés anxieux évitants maintiennent
tranquillement leur parent à distance. Lorsqu’ils en prennent la peine, ils
l’accueillent de manière formelle et sans insister, et leurs sujets de
conversation restent impersonnels. Ils ne se détournent pas de leur activité
ou de leurs jouets, et ils ignorent, voire rejettent les initiatives de l’adulte.
Les enfants qui, à 12 mois, semblaient désorganisés et/ou désorientés se
distinguent cinq ans plus tard par leur tendance à contrôler et à dominer leur
parent. Une façon de faire consiste à le traiter de manière humiliante et/ou
rejetante, une autre à se montrer protecteur et plein de sollicitude. Ce sont là
des exemples nets de ce que les cliniciens appellent une inversion, ou un
renversement, de rôles entre parent et enfant. Les conversations entre eux
sont hachées, avec des phrases laissées en suspens, et de brusques
changements de sujets.
Concernant la persistance du schéma d’interaction avec les parents et
d’autres figures parentales chez un enfant de 6 ans, se posent une question
essentielle : dans quelle mesure les schémas sont-ils intégrés à la
personnalité à cet âge, et dans quelle mesure sont-ils le reflet de la manière
dont le parent continue à le traiter ? L’expérience clinique suggère que les
deux influences sont alors à l’œuvre, ce qui implique que les interventions
les plus efficaces sont celles qui tiennent compte des deux, par exemple une
thérapie familiale, ou la prise en charge parallèle des parents et de l’enfant.
Actuellement, on a encore trop peu d’informations pour comparer les
effets respectifs sur le développement de la personnalité des interactions
avec la mère et avec le père. Mais ce ne serait guère surprenant qu’elles
aient un impact spécifique sur des facettes différentes de la personnalité, qui
ne s’expriment pas dans les mêmes contextes. De plus, on peut imaginer
que ces influences respectives ne soient pas identiques entre garçons et
filles. C’est clairement un domaine complexe qui demandera beaucoup de
recherches. En attendant, il semble probable qu’au moins pendant les
premières années de la vie, le modèle de soi en interaction avec la mère soit
le plus déterminant des deux, étant donné que dans toutes les cultures
connues, la grande majorité des bébés et des jeunes enfants interagissent
bien davantage avec leur mère qu’avec leur père.
Il faut reconnaître que jusqu’ici, les études prospectives sur la relative
persistance des schémas d’attachement et des caractéristiques de
personnalité propres à chacun d’entre eux n’existent pas au-delà de la
sixième année. Cela étant, deux études transversales sur de jeunes adultes
ont montré que les traits de personnalité typiques de chaque schéma dans
l’enfance se retrouvent aussi chez eux 20 ; et il est plus que probable qu’en
l’absence de modifications majeures des relations familiales dans
l’intervalle, ces traits sont demeurés inchangés. Toute notre expérience
clinique va nettement dans ce sens.

Une théorie de l’internalisation


Pour rendre compte de la tendance des schémas d’attachement à devenir
progressivement une propriété de l’enfant lui-même, la théorie de
l’attachement a recours au concept de modèles de travail de soi et des
parents, précédemment décrits. Les modèles de travail, élaborés par un
enfant, de sa mère d’un côté et de sa manière de communiquer et de se
comporter avec lui, et de son père de l’autre, ainsi que les modèles
complémentaires de lui-même en interaction avec chacun d’eux, se mettent
en place pendant les toutes premières années de sa vie et, soutient-on, se
constituent rapidement en structures cognitives influentes 21. Leur forme,
comme l’indiquent nettement les recherches présentées ici, est déterminée
par la réalité des expériences quotidiennes d’interactions de l’enfant avec
ses parents. Ultérieurement, le modèle de lui-même qu’il construit reflète
aussi les images que ses parents ont de lui, images communiquées non
seulement par la manière dont chacun d’eux le traite, mais aussi par ce que
chacun lui dit. Ces modèles régissent alors son ressenti envers chacun de
ses parents et envers lui-même, la manière dont il s’attend à être traité par
chacun d’eux, ainsi que ses anticipations de comportement vis-à-vis d’eux.
Ils régissent aussi et les peurs et les désirs, qu’il exprime dans ses rêveries.
Une fois en place, la recherche montre que ces modèles d’un parent et
de soi en interaction mutuelle ont tendance à demeurer inchangés, et qu’ils
vont tellement de soi qu’ils finissent par intervenir à un niveau inconscient.
La croissance d’un enfant à l’attachement sécure, qui voit ses parents
évoluer dans leur manière de le traiter, conduit à une mise à jour
progressive des modèles. Cela signifie que, malgré un décalage inévitable
dans le temps, ses modèles opérationnels à un instant donné sont toujours
une assez bonne simulation de lui-même et de ses parents dans leur
interaction. Chez l’enfant à l’attachement anxieux, par contre, cette mise à
jour progressive des modèles est, à des degrés divers, bloquée par
l’exclusion défensive d’expériences et d’informations non compatibles.
Cela signifie que les schémas d’interaction engendrés par les modèles,
devenus habituels, généralisés et largement inconscients, perdurent plus ou
moins sans correction ni modification aucune, y compris lorsque,
ultérieurement, l’individu se trouve face à des personnes qui le traitent
d’une manière totalement différente de celle de ses parents quand il était
enfant.
La clé pour une compréhension de ces différences de degré dans la mise
à jour des modèles réside dans le profond contraste dans la liberté de
communication mère/enfant qui caractérise les dyades des deux types
d’attachement anxieux. C’est une variable sur laquelle Bretherton 22 a tout
particulièrement attiré l’attention.
On remarquera que dans l’étude longitudinale de Main décrite plus
haut, le style de communication entre un enfant de 6 ans et sa mère, observé
dans une dyade évaluée cinq ans auparavant comme sécure, est très
différent de celui d’une dyade à l’attachement insécure. Les dyades sécures
ont des conversations fluides agrémentées d’expressions affectives, et
portant sur une variété de sujets, y compris personnels, alors que les dyades
insécures non. Dans certaines d’entre elles, la conversation est hachée avec
de brusques changements de sujets. Dans d’autres, notamment évitantes,
elle est limitée, les sujets sont impersonnels, et toute référence affective est
absente. Ces différences frappantes dans le degré de liberté ou de contrainte
dans la communication sont considérées comme fondamentales dans la
compréhension des raisons pour lesquelles un enfant se développe de
manière saine, et un autre se trouve perturbé. Par ailleurs, il n’aura échappé
à personne que cette même variable, à savoir le degré de contrainte ou de
relative liberté dans la communication entre deux individus, est reconnue
depuis longtemps comme une question centrale dans la pratique de la
psychothérapie analytique.
Pour qu’une relation entre deux personnes se déroule harmonieusement,
chacun doit être conscient du point de vue de l’autre, de ses objectifs, de
son ressenti et de ses intentions, et chacun doit ajuster son propre
comportement de façon à trouver un terrain d’entente quant aux objectifs.
Cela requiert que chacun possède des modèles de soi et de l’autre plutôt
exacts, régulièrement mis à jour par une communication libre entre eux.
C’est en cela que les mères des enfants à l’attachement sécure excellent, et
que celles des enfants insécures montrent de profondes lacunes.
Une fois que l’on s’intéresse au degré de fluidité dans la communication
entre un parent et son enfant, il devient rapidement évident que, dès les
débuts de la vie, la liberté de communication dans les dyades qui
développeront un attachement sécure est bien plus grande que dans les
autres 23. Il est ainsi caractéristique d’une mère dont le bébé deviendra
sécure de surveiller constamment l’état de son enfant et, lorsqu’il manifeste
son besoin d’attention, d’en enregistrer les signaux et d’agir en
conséquence. À l’inverse, la mère d’un bébé ultérieurement jugé insécure a
tendance à ne surveiller l’état de son enfant que sporadiquement et, quand il
lui arrive de remarquer ses signaux, elle y répond tardivement et/ou de
manière inappropriée. Quand le bébé atteint son premier anniversaire, ces
différences dans la liberté de communication s’observent, qui plus est, de
manière évidente dans le paradigme de la situation étrange d’Ainsworth 24.
Dès l’épisode introductif, lorsque mère et enfant sont seuls ensemble, les
dyades sécures sont plus nombreuses que les insécures à s’engager dans une
communication directe, par le contact visuel, l’expression faciale, les
vocalisations, les jouets montrés ou offerts. À mesure qu’augmente le stress
de l’enfant, le fossé se creuse aussi entre les dyades. Ainsi, lors de l’épisode
de réunion après la seconde séparation, les seize dyades sécures
communiquaient toutes de manière directe, sauf une, tandis qu’elles
n’étaient qu’une minorité à le faire chez les insécures. Il existait en outre
une autre différence frappante. Alors que chaque bébé classé sécure était
observé comme étant en communication directe avec sa mère, non
seulement lorsqu’il était content mais aussi lorsqu’il était en détresse, les
bébés classés évitants, quand ils s’engageaient de fait dans une
communication directe, le faisaient uniquement lorsqu’ils étaient contents.
Ainsi, dès l’âge de 12 mois, il y a déjà des enfants qui n’expriment plus
à leur mère une de leurs émotions les plus profondes ou allant de pair, le
désir tout aussi profondément ancré d’être réconforté et rassuré. Il n’est pas
difficile de voir quelle rupture très grave dans la communication
mère/enfant cela représente. Qui plus est, parce que le modèle de soi d’un
bébé est profondément influencé par la manière dont sa mère le voit et le
traite, ce qu’elle refuse de reconnaître chez lui, il ne va pas non plus être
capable de le reconnaître en lui-même. C’est ainsi, soutient-on, que des
parties importantes de la personnalité en développement d’un enfant en
viennent à se dissocier, c’est-à-dire à ne plus être en communication avec
d’autres parties de lui-même suscitant, elles, reconnaissance et réactions de
la part de sa mère, et qui incluent dans certains cas des traits de personnalité
qu’elle lui attribue à tort.
Le résultat de cette analyse, c’est que le blocage dans la communication
entre différentes parties, ou différents systèmes, au sein d’une personnalité,
que Freud a considéré dès l’abord comme le principal problème à résoudre,
est désormais envisagé comme étant le reflet de discriminations dans les
réactions et les communications de la mère envers son enfant. Lorsque
celle-ci ne répond favorablement qu’à certains messages affectifs de sa part,
et en ignore ou en décourage activement d’autres, cela crée chez l’enfant
une identification aux réponses préférées et un désaveu des autres.
C’est de cette façon que la théorie de l’attachement explique les
différences de développement entre les personnalités résilientes et
psychiquement saines, et celles sujettes à l’anxiété et à la dépression, ou à la
mise en place d’un faux self ou d’une autre forme de vulnérabilité à la
mauvaise santé psychique. Sans doute n’est-ce pas un hasard si certains de
ceux qui approchent les problèmes du développement de la personnalité et
de la psychopathologie sous l’angle cognitif, mais qui accordent aussi du
poids au pouvoir de l’émotion, par exemple Epstein 25 et Liotti 26, ont
formulé des théories fondamentalement compatibles avec celle-ci.

Du côté des mères : différentes manières


de se rappeler leur enfance
La conclusion à laquelle nous sommes parvenus jusqu’ici concernant
l’impact sur la santé psychique d’une communication sans contrainte sur le
plan émotionnel et cognitif est corroborée par une importante découverte
faite récemment par Main dans son étude longitudinale. Les entretiens
menés auprès des mères des enfants de l’étude ont conduit à repérer une
corrélation forte entre la manière dont une mère décrit sa relation à ses
parents pendant sa propre enfance et le schéma d’attachement que son
enfant a aujourd’hui avec elle 27. Alors que la mère d’un bébé sécure est
capable de parler librement et avec émotion de son passé, la mère d’un bébé
insécure ne l’est pas.
Dans cette partie de l’étude, on demande à la mère de décrire ses
relations d’enfance et des événements liés à l’attachement, ainsi que ce
qu’elle pense de la façon dont ils ont marqué sa personnalité. Ses propos
sont ensuite analysés en portant autant, voire davantage d’attention à la
manière dont elle raconte son histoire et dont elle réagit aux questions
posées qu’aux faits qu’elle décrit. On découvre alors que la mère d’un bébé
sécure rapporte avoir vécu une enfance plutôt heureuse et qu’elle est
capable d’en parler sans réticence et dans les détails, accordant leur
importance aux éventuels événements malheureux autant qu’à ceux qui ont
été heureux. Les mères d’enfants insécures résistants décrivent, quant à
elles, une relation difficile et malheureuse avec leur propre mère, qui
continue clairement à les perturber et dont elles ne sont toujours pas
libérées sur le plan psychique, ni dans la réalité, lorsque leur mère est
encore de ce monde. Pour ce qui est des mères d’enfants insécures évitants,
elles affirment de manière générale et neutre qu’elles ont eu une enfance
heureuse, et non seulement elles se montrent incapables de fournir des
détails à l’appui d’une telle affirmation, mais elles peuvent raconter des
épisodes illustrant exactement le contraire. Souvent, elles insistent sur le
fait qu’elles n’ont aucun souvenir de leur enfance ou de la manière dont
elles ont été traitées. Ainsi se trouve clairement étayée l’impression forte
chez les cliniciens qu’une mère qui a eu une enfance heureuse aura
probablement un enfant à l’attachement sécure envers elle, et qu’une
enfance malheureuse, plus ou moins masquée par une absence de souvenir,
rend les choses difficiles.
Néanmoins, une seconde découverte, tout aussi intéressante et d’une
pertinence particulière pour notre propos, émerge de l’étude des exceptions
à la règle générale. Il s’agit des mères qui décrivent une enfance très
malheureuse, mais dont les bébés présentent cependant un attachement
sécure envers elles. La caractéristique de chacune de ces mères, qui les
distingue de celles au bébé insécure, est que bien qu’elles rapportent
beaucoup de rejet et de malheur dans leur enfance, parfois même en
pleurant, chacune est capable de raconter son histoire avec aisance et
cohérence, histoire dans laquelle les éventuels aspects positifs figurent à la
place qui leur revient et semblent intégrés aux côtés de tous les aspects
négatifs. Par cette capacité d’équilibre, elles ressemblent aux autres mères
d’enfants sécures. Il est apparu aux personnes chargées des entretiens, ainsi
qu’à celles chargées de les coder, que ces mères exceptionnelles avaient
beaucoup réfléchi sur leurs expériences malheureuses passées et sur la
manière dont cela les avait affectées à long terme, et aussi sur les raisons
pour lesquelles leurs parents les avaient traitées de la sorte. En fait, elles
semblaient avoir accepté leur vécu.
À l’inverse, les mères de bébés à l’attachement insécure qui décrivaient
aussi une enfance malheureuse tenaient un discours manquant et d’aisance
et de cohérence : les contradictions abondaient et passaient inaperçues à
leurs yeux. Par ailleurs, une mère répétant avec force et détermination son
incapacité à se rappeler son enfance, avait bien un enfant insécure envers
elle *5.
Ces résultats ont conduit Main et ses collègues à conclure que la liberté
d’accès aux informations relatives à l’attachement, ainsi que la cohérence
de leur organisation, jouent un rôle déterminant dans le développement
d’une personnalité sécure à l’âge adulte. Une enfance heureuse ne produit
aucun obstacle risquant d’entraver la liberté d’accès aux aspects tant
cognitifs qu’émotionnels de ces informations. Par contre, quelqu’un qui a
été très malheureux ou dont les parents lui ont interdit de remarquer ou de
se rappeler les événements négatifs y a un accès douloureux et difficile,
voire impossible sans aide extérieure. Cela étant, lorsqu’une mère parvient
d’une manière ou d’une autre soit à préserver soit à retrouver la mémoire de
ces souvenirs malheureux et qu’elle les retravaille afin de pouvoir les
accepter, ses réactions au comportement d’attachement de son enfant sont
telles qu’il peut devenir sécure avec elle, exactement comme pour une
femme dont l’enfance a été heureuse. Un tel résultat constitue un immense
encouragement aux nombreux thérapeutes qui depuis longtemps cherchent
à aider les mères dans cette optique. Nous reviendrons plus longuement sur
les techniques d’aide aux mères en difficulté à la fin de la huitième
conférence.

Trajectoires de développement
de la personnalité
Un autre point encore sur lequel la théorie de l’attachement diffère des
approches psychanalytiques traditionnelles, c’est qu’elle conçoit le
développement non comme une série de stades avec des individus bloqués
ou pouvant régresser à certains d’entre d’eux, mais comme une trajectoire
donnée parmi une gamme de possibilités. Certaines de ces trajectoires sont
compatibles avec un développement sain ; d’autres s’en écartent dans un
sens ou dans l’autre et ne le sont pas.
Toutes les variantes du modèle traditionnel partent du principe qu’à un
stade donné du développement normal, un enfant présente des
caractéristiques psychologiques considérées comme pathologiques chez un
individu plus âgé. Ainsi, un adulte chroniquement anxieux et collant sera
présenté comme ayant une fixation ou ayant régressé à une supposée phase
d’oralité ou de symbiose ; alors qu’un individu profondément renfermé sera
censé avoir fait retour à une supposée phase d’autisme ou de narcissisme.
Les études systématiques et attentives des bébés humains, comme celles
rapportées par Stern 28, ont rendu ce modèle intenable. Les observations
montrent que les nourrissons ont une réceptivité sociale dès la naissance.
Les bébés au développement sain ne se révèlent pas anxieusement collants,
sauf lorsqu’ils sont effrayés ou en détresse ; le reste du temps, ils explorent
avec confiance leur environnement.
Le modèle des trajectoires de développement considère que le
nourrisson à la naissance a une multiplicité de trajectoires qui s’ouvrent à
lui, la suite étant déterminée à chaque instant par l’interaction de l’individu
tel qu’il est à ce moment-là avec l’environnement dans lequel il se trouve
alors. Chaque bébé dispose de son propre potentiel de trajectoires
développementales qui, sauf cas de dommages neurologiques congénitaux,
en comporte de nombreuses compatibles avec la santé psychique, mais
aussi d’autres qui ne le sont pas. La trajectoire particulière empruntée par
chaque individu est déterminée par l’environnement qu’il rencontre, en
particulier la manière dont ses parents (ou ses substituts parentaux) le
traitent, et la manière dont il leur répond. Les enfants qui ont des parents
sensibles et réceptifs peuvent suivre une voie saine. Ceux qui ont des
parents insensibles, qui ne réagissent pas, les négligents ou les rejettent,
courent le risque d’emprunter une trajectoire déviante, jusqu’à un certain
point incompatible avec la santé psychique, et qui les rend vulnérables à un
effondrement en cas de confrontation à des événements très défavorables.
Mais même dans ce cas, comme le cours ultérieur du développement n’est
pas fixe, des changements dans la manière dont l’enfant est traité peuvent
modifier la trajectoire dans le sens d’une amélioration ou d’une
dégradation. Bien que cette capacité de modification développementale
faiblisse avec l’âge, le changement existe tout au long de la vie, et des
évolutions pour le meilleur ou pour le pire sont donc toujours possibles. Ce
potentiel permanent d’évolution signifie qu’à aucun moment de la vie,
personne n’est invulnérable à tous les malheurs, mais aussi qu’à aucun
moment de la vie, personne n’est imperméable aux influences favorables.
Et c’est justement ce qui permet l’efficacité thérapeutique.
8.

Attachement, communication
et processus thérapeutique

« Mais ce qui est ainsi demeuré incompris revient toujours, telle une
âme en peine, jusqu’à ce que se soient trouvées solution et
délivrance 1. »
Sigmund Freud, 1909

« Ceux qui sont incapables de se rappeler le passé sont condamnés à le


répéter 2. »
George Santayana, 1905

Dans la seconde partie de ma conférence Maudsley de 1976, « Création


et rupture des liens affectifs » (1977), j’ai abordé certaines de mes idées sur
les implications thérapeutiques de la théorie de l’attachement. Ma
confiance dans cette approche est renforcée aujourd’hui par la somme des
connaissances acquises depuis. La présentation qui suit doit donc être
envisagée comme une amplification de mes propos antérieurs. J’y prête une
attention plus détaillée aux manières dont les expériences précoces d’un
patient affectent la relation transférentielle, et je développe plus avant
l’objectif du thérapeute comme devant permettre à son patient de
reconstruire ses modèles de travail de lui-même et de sa (ou ses) figure(s)
d’attachement pour échapper à l’emprise de ses malheurs oubliés et être
mieux à même de reconnaître ses compagnons actuels pour ce qu’ils sont.

Les cinq tâches du thérapeute


La théorie du développement de la personnalité et de la
psychopathologie présentée précédemment peut s’utiliser comme cadre
pour guider chacune des trois principales formes de psychothérapie
analytique en usage actuellement – la thérapie individuelle, la thérapie
familiale et la thérapie de groupe. Je ne parlerai ici que de la première.
Un thérapeute qui applique la théorie de l’attachement considère que
son rôle consiste à fournir au patient les conditions dans lesquelles il peut
explorer ses modèles représentationnels de lui-même et de ses figures
d’attachement, en vue de les réévaluer et de les restructurer à la lumière de
la nouvelle compréhension qu’il en acquiert, et de ses nouvelles expériences
au sein de la relation thérapeutique. Dans cette optique, le rôle du
thérapeute peut se résumer en cinq tâches.
La première consiste à servir au patient de base sécure à partir de
laquelle il lui est possible d’explorer les divers aspects malheureux et
douloureux de sa vie, passés et présents, qu’il trouve pour la plupart
difficiles, voire impossibles, à penser et à reconsidérer sans un compagnon
de confiance lui offrant soutien, encouragement, empathie, et
éventuellement conseil.
La deuxième consiste à assister le patient dans ses explorations en
l’encourageant à examiner la manière dont il noue actuellement des
relations avec des personnes importantes pour lui, ce qu’il s’attend à
ressentir et à faire, ainsi que ce à quoi il s’attend de la part de l’autre. Il sera
également amené à considérer ses biais inconscients dans le choix de la
personne avec laquelle il espère établir une relation intime, et dans la
création des situations qui tournent mal pour lui.
Une relation toute particulière que le thérapeute encourage son patient à
examiner, et c’est la troisième tâche, est celle qui existe entre eux deux.
Dans celle-ci le patient ne manque pas d’apporter toutes les perceptions, les
constructions et les attentes quant au ressenti et au comportement d’une
figure d’attachement envers lui, dictées par ses modèles de travail de ses
parents et de lui-même.
Une quatrième tâche est d’encourager le patient à examiner la manière
dont ses perceptions et ses attentes actuelles, ainsi que les émotions et les
actions qu’elles engendrent, sont le produit soit d’événements et de
situations rencontrées pendant son enfance et son adolescence, en
particulier avec ses parents, soit de ce qui lui a été régulièrement répété par
ceux-ci. Ce processus est souvent difficile et douloureux, et requiert
généralement que le thérapeute autorise son patient à considérer comme
possibles des idées et des sentiments concernant ses parents, qu’il
considérait jusqu’alors comme inimaginables et impensables. Ce faisant, le
patient peut se sentir mû par des émotions fortes le poussant à l’action,
certaines envers ses parents, d’autres envers le thérapeute, et qu’il trouve
pour la plupart effrayantes et/ou étrangères à lui, et inacceptables.
La cinquième tâche du thérapeute est de rendre son patient capable de
reconnaître si ses images (modèles) de lui-même et d’autrui, issues soit
d’expériences passées douloureuses, soit de messages trompeurs de la part
d’un parent, bien trop souvent étiquetées comme fantasmes dans la
littérature, sont adaptées ou non à son présent et à son avenir ; ou si elles
n’ont, en réalité, jamais été justifiées. Une fois qu’il a saisi la nature des
représentations qui le gouvernent et retracé leur origine, il peut commencer
à comprendre ce qui a induit sa manière de se percevoir et de percevoir le
monde, et donc son ressenti, ses pensées et ses actes habituels. Il a alors les
moyens de réfléchir à la justesse et à l’adéquation de ces modèles avec les
idées et les actes qu’ils engendrent, repérables à ce qu’il vit actuellement
avec les personnes importantes pour lui sur le plan affectif, y compris le
thérapeute et ses propres parents, et à l’image qu’il se fait de lui-même en
relation avec chacune de ces personnes. Une fois ce processus enclenché, il
commence à voir les anciennes représentations pour ce qu’elles sont, le
produit non fantaisiste de ses expériences passées ou de ce qui lui a été
régulièrement répété, et donc à se sentir libre d’imaginer des alternatives
mieux adaptées à sa vie actuelle. C’est ainsi que le thérapeute permet à son
patient de ne plus être esclave d’anciens stéréotypes inconscients, et de
ressentir, de penser et d’agir de manière nouvelle.
Les lecteurs auront sans doute remarqué que les principes présentés ici
ont de nombreux points communs avec ceux d’autres psychothérapeutes
d’orientation analytique, qui considèrent les conflits au sein des relations
interpersonnelles comme la clé de la compréhension des problèmes de leur
patient, qui se concentrent sur le transfert, et qui accordent aussi de
l’importance, même à des degrés divers, aux expériences de jeunesse de ce
dernier avec ses parents. Parmi les nombreuses personnalités connues que
l’on peut citer dans ce cadre, on trouve Fairbairn, Winnicott et Guntrip en
Grande-Bretagne, et Sullivan, Fromm-Reichmann, Gill et Kohut aux États-
Unis. Parmi les travaux récemment publiés qui relaient une grande partie
des idées soutenues ici, figurent ceux de Peterfreund 3, Casement 4, Pine 5 et
Strupp et Binder 6, ainsi que ceux de Malan 7 et Horowitz et al. 8 dans le
champ des thérapies brèves. Horowitz et ses collègues, en particulier,
décrivent le traitement de patients souffrant de syndrome de stress aigu en
des termes très proches de ceux utilisés ici. Bien que leur technique ait pour
objectif d’aider des personnes à se remettre d’un événement récent
extrêmement stressant, je pense que les principes qui guident leur pratique
sont également applicables à des interventions en cas de troubles
chroniques, consécutifs à des événements stressants très anciens, dont ceux
qui se sont produits pendant l’enfance.
Même s’il est commode pour cette présentation d’isoler cinq tâches du
thérapeute, elles sont tellement interconnectées qu’en pratique, une séance
fructueuse en rassemble généralement plusieurs en alternance. Cependant,
le travail ne peut s’engager que si le thérapeute permet à son patient de se
sentir un minimum en confiance. Ainsi, la première étape consiste pour lui
à servir de base sécure à son patient, un rôle très semblable à ce que
Winnicott appelle le portage, et Bion la fonction contenante.
En tant que base sécure permettant au patient d’explorer, d’exprimer ses
pensées et ses émotions revient, le thérapeute joue le même rôle que la mère
encourageant son enfant à découvrir le monde. Il s’efforce d’être fiable,
attentif et compatissant vis-à-vis des investigations de son patient, et autant
que possible, de voir et de ressentir les choses avec ses yeux, c’est-à-dire
d’être en empathie. Ce faisant, il est conscient qu’en raison de ses
expériences négatives passées, son patient peut avoir des doutes sur sa
gentillesse et sa compréhension de la difficulté de sa situation. D’un autre
côté, l’attention et la compassion que le patient reçoit de manière inattendue
peuvent le conduire à penser que son thérapeute va lui offrir tout l’amour et
l’affection qu’il a toujours désirés, mais qu’il n’a jamais obtenus. Dans le
premier cas, le thérapeute est donc vu sous un jour excessivement critique
et hostile, dans l’autre comme prêt à donner bien plus que le réalisme ne le
permet. Ces deux types d’incompréhension et de fausse interprétation, ainsi
que les émotions et les comportements qu’elles engendrent, sont considérés
comme au centre des problèmes du patient. Il est donc nécessaire que le
thérapeute ait une connaissance la plus étendue possible de ces erreurs
d’interprétation et de leur variété d’expression, ainsi que des nombreux
types d’expériences précoces susceptibles d’en être à l’origine. Sinon il est
mal placé pour voir et pour ressentir le monde comme le fait son patient.
Cela étant, la manière dont le patient construit la relation à son
thérapeute n’est pas uniquement déterminée par son histoire : elle l’est tout
autant par la manière dont le thérapeute le traite. Ainsi, celui-ci doit-il
toujours s’efforcer d’être conscient de la nature de sa propre contribution à
la relation qui, parmi d’autres influences, risque de refléter, d’une manière
ou d’une autre, les expériences qu’il a lui-même vécues dans sa propre
enfance. Cet aspect de la thérapie, le contre-transfert, est une question
importante en elle-même, qui a fait l’objet de très nombreux écrits.
Puisqu’il n’est pas possible de développer le sujet plus avant ici, je veux
souligner non seulement l’importance de ce contre-transfert, mais aussi que
la thérapie doit avoir pour point de mire les interactions patient-thérapeute
dans l’ici et maintenant. Donc, ce qui conduit à encourager par moments le
patient à explorer son passé n’est justifié que par l’éclairage ainsi apporté à
ses manières actuelles de ressentir et de réagir à la vie.
Sans oublier ce point fondamental, penchons-nous sur les erreurs
d’interprétation les plus courantes chez les patients et sur leur probable
origine. C’est l’aspect de la thérapie où la pratique d’un clinicien adoptant
la théorie de l’attachement risque de différer le plus de celle de ses
collègues, partisans des approches traditionnelles du développement de la
personnalité et de la psychopathologie. Ainsi, par exemple, un thérapeute
qui considère les erreurs de perception et de compréhension de son patient
comme le produit non fantaisiste de ce qu’il a réellement vécu dans son
passé ou de ce qu’on lui a régulièrement répété, diffère grandement d’un
clinicien qui voit ces mêmes erreurs en tant qu’expressions irrationnelles de
fantasmes inconscients autonomes.
Je m’appuie dans ce qui suit sur diverses sources d’information : des
études épidémiologiques, de psychologie du développement déjà citées ;
des observations faites au cours de thérapies familiales ; et non des
moindres, de ce que j’ai appris de patients que j’ai moi-même pris en
charge, ou traités par d’autres thérapeutes que j’avais en supervision.
Influences des expériences précoces
sur la relation transférentielle
Il n’est pas rare qu’un patient ait extrêmement peur du rejet, des
critiques et des humiliations de son thérapeute. Puisque nous savons que
bien trop d’enfants sont traités de la sorte par leur mère, leur père ou leurs
deux parents, il est raisonnable de penser que tel a été le vécu de la
personne que nous recevons. Lorsque celle-ci semble consciente de ses
émotions et de ses attentes vis-à-vis du thérapeute et de ses réactions, ce
dernier ne doit pas manquer d’en tirer parti. La rapidité avec laquelle il
pourra relier ces attentes au vécu familial de son patient, dans le passé mais
aussi peut-être dans le présent, repose en effet sur la bonne volonté de celui-
ci à envisager une telle possibilité. Si le patient persiste, au contraire, à
considérer le traitement qu’il a reçu comme au-dessus de toute critique,
alors se présente au thérapeute le problème d’essayer de comprendre les
raisons de cette insistance à conserver une image familiale favorable, alors
que les éléments d’information disponibles indiquent qu’elle est erronée.
Il arrive ainsi dans certaines familles que la mère ou le père insiste pour
se définir comme un parent admirable qui a toujours fait tout son possible
pour son enfant, et pour faire porter la faute exclusivement sur ce dernier en
cas de friction. Une telle attitude du parent ne dissimule que trop souvent
des comportements qui, selon la norme ordinaire, sont loin d’être parfaits.
Cependant, puisque le parent affirme avec insistance qu’il a offert à son
enfant une affection constante et que celui-ci a dû naître avec un
tempérament mauvais et ingrat, l’enfant n’a guère d’autre option que
d’accepter cette image, malgré la conscience qu’il peut avoir dans un recoin
de son esprit que celle-ci est passablement injuste.
Une complication supplémentaire intervient lorsque, enfant, un patient a
été soumis à l’injonction de ne souffler mot de certains événements
familiaux. Il s’agit généralement de disputes au cours desquelles le parent
est conscient d’avoir eu un comportement critiquable ; par exemple, des
scènes de ménage, ou entre un parent et l’enfant, où des choses terribles ont
été dites ou faites. Plus le thérapeute insiste pour que son patient révèle tout,
plus celui s’enfonce dans un éprouvant dilemme. La contrainte au silence
n’est pas rare dans les familles, et constitue une source largement négligée
de ce qui est traditionnellement appelé « résistance ». Il est souvent utile au
thérapeute de demander à son patient s’il a été soumis à une telle pression et
si oui, de l’aider à surmonter ce conflit.
Jusqu’ici, nous avons considéré le cas de personnes relativement
conscientes de s’attendre à être rejetées, critiquées ou humiliées. Il arrive
souvent cependant que les patients semblent n’avoir aucune idée de tels
sentiments malgré leur attitude envers leur thérapeute, transpirant la
méfiance et l’évitement. Les données montrent que cet état d’esprit est tout
particulièrement le fait de personnes qui, ayant développé un schéma
d’attachement anxieux évitant dans leurs jeunes années, s’efforcent depuis
d’être autosuffisantes sur le plan affectif et imperméables aux contacts
intimes avec autrui. Ces patients, qui sont souvent décrits comme
narcissiques ou ayant développé un faux self, évitent la thérapie aussi
longtemps que possible, et lorsqu’ils en entreprennent une, ils maintiennent
leur thérapeute à distance. Si on les laisse faire, certains parlent sans relâche
de tout et de n’importe quoi, tout sauf de leurs relations à forte charge
affective, passées ou présentes. D’autres expliquent qu’ils n’ont rien à dire.
Une jeune femme, dont chaque mouvement indiquait une profonde défiance
à mon égard, passait son temps à se vanter d’exploits de délinquance, que je
pensais fictifs pour la plupart, et n’exprimait que mépris pour mon
existence morne et étriquée à ses yeux. Le traitement de personnes à la
méfiance aussi ancrée a été comparé il y a plusieurs années par Adam
Stephen 9 à la tentative de rapprochement avec un poney timide et effrayé :
les deux situations nécessitent de faire preuve d’une patience amicale et
discrète sur la durée. Ce n’est que lorsque le thérapeute a conscience des
rebuffades constantes auxquelles le patient a probablement été exposé,
enfant, chaque fois qu’il recherchait réconfort ou aide, et de sa terreur de
subir un traitement similaire de sa part, qu’il est en mesure de voir la
situation entre eux de la manière dont son patient la voit.
Une autre cause tout à fait différente de méfiance envers le thérapeute
est la crainte du patient d’être piégé dans une relation dont l’objectif est de
servir les intérêts de l’autre plutôt que les siens. Une telle crainte a
généralement pour origine une enfance où un parent, presque toujours la
mère, a cherché à faire de son enfant sa propre figure d’attachement et son
caregiver, c’est-à-dire qu’elle a inversé les rôles. Cela se produit souvent
inconsciemment, et par des techniques qui, pour un œil non averti, peuvent
s’apparenter à un excès de complaisance, mais qui reviennent en réalité à
acheter l’enfant pour qu’il conserve un rôle de caregiver.
Il n’est pas rare, par ailleurs, qu’en cours de thérapie un patient passe
d’une attitude envers son thérapeute où il assimile celui-ci à son père ou à
sa mère, à un comportement envers lui correspondant à la manière dont il a,
lui, été traité. Par exemple, un patient qui a subi des menaces hostiles dans
son enfance peut en faire usage contre son thérapeute. Le mépris
dédaigneux dont il a fait l’objet peut être rejoué en séance, ainsi que les
avances sexuelles d’un parent. Voici comment on peut le comprendre. Au
cours de son enfance, un individu élabore mentalement deux types de
modèles, reflétant deux modes de comportements principaux. Le premier
est, bien entendu, celui d’un enfant, en l’occurrence lui-même, en
interaction avec un parent, sa mère ou son père. Le modèle de travail
correspondant est donc celui de lui-même en interaction avec chacun de ses
parents. Le second mode de comportement est celui du parent, à savoir sa
mère ou son père, en interaction avec lui, l’enfant. Les modèles
correspondants sont cette fois ceux de chaque parent en interaction avec lui.
Donc, chaque fois qu’un thérapeute éprouve perplexité ou ressentiment vis-
à-vis de la manière dont il est traité par un patient, il est toujours sage pour
lui de demander quand et de qui celui-ci a appris cette manière de traiter les
autres. Dans la grande majorité des cas, cela vient d’un des parents *1.
Avec certains patients, la relation thérapeutique est dominée par des
démonstrations ouvertes d’anxiété, de méfiance et de critique et aussi
parfois de colère et de mépris, le thérapeute étant considéré de manière très
négative. Des sentiments tels que la gratitude envers ses efforts ou le
respect de sa compétence brillent par leur absence. La tâche est alors pour
lui d’aider son patient à saisir que son ressentiment actuel envers lui est en
grande partie la conséquence de mauvais traitements infligés par d’autres et
que, bien que la colère qui en résulte soit compréhensible, continuer à livrer
d’anciens combats ne mène à rien. Accepter qu’un passé malheureux ne
puisse être changé est généralement une pilule difficile à avaler.
Avec d’autres patients, la situation est inverse : dans le transfert
s’exprime volontiers une gratitude, une admiration et une affection
manifestes, et le thérapeute est auréolé d’une perfection toute rose.
Mécontentement et critiques sont notablement absents, et la colère envers
les défauts du thérapeute, en particulier envers ses absences, est
inimaginable. Une telle idéalisation trouve son origine, je pense, pour une
part dans les espoirs et les attentes irréalistes quant à ce que le thérapeute
peut et veut bien apporter dans la relation, et pour une autre part dans une
enfance où toute critique du parent était interdite et la soumission obtenue,
soit par une méthode quelconque de culpabilisation, soit par des sanctions
telles que des menaces de ne plus aimer, voire d’abandonner, l’enfant. Avec
ce type d’expérience familiale, le présupposé inconscient du patient est que
son thérapeute attend nécessairement le même degré d’obéissance que ses
propres parents par le passé, et qu’il l’obtiendra en utilisant des méthodes et
des menaces semblables à celles qu’il a déjà vécues.

Malheureusement, on a pu constater une tendance chez certains à


confondre la théorie présentée ici, qui considère le traitement des enfants
par leurs parents comme cause majeure de mauvaise santé psychique, avec
une tournure d’esprit qui ne fait que blâmer ces derniers. Aucun intervenant
dans le domaine de la psychiatrie de l’enfant et de la thérapie familiale ne
risque de commettre une telle erreur. Au contraire, comme on l’a déjà fait
remarquer, il est admis depuis longtemps que les comportements
malencontreux des parents sont dans leur grande majorité le produit des
difficultés et des malheurs de leur propre enfance. En conséquence, lors des
interventions, un temps important est consacré à aider ceux-ci à échapper
aux influences négatives de leur propre passé.
De plus, lors du traitement d’un individu (quel que soit son âge) qui a
souffert aux mains de ses parents, le thérapeute accepte le récit de son
patient en évitant de porter des jugements moraux. Bien au contraire,
chaque fois que l’occasion se présente, il l’encourage à examiner la manière
dont le parent en question s’est comporté, avec les raisons qui pouvaient le
pousser à le faire. En soulevant ces questions, il est toujours utile au
thérapeute de demander à son patient ce qu’il connaît du passé de ce parent.
Souvent, cela le conduit à acquérir une certaine compréhension de la
manière dont les choses se sont mises en place, et à partir de cette
compréhension, de passer à une dose de pardon et de réconciliation. En
thérapie familiale, il peut être particulièrement profitable d’encourager un
parent à raconter son enfance. Cela permet à tous ceux qui sont présents – le
parent lui-même, le conjoint, les enfants et le thérapeute – d’avoir un aperçu
de la manière dont la vie familiale a évolué et des raisons pour lesquelles
elle l’a fait de cette façon, ainsi que des solutions que chacun peut apporter
pour aider à une amélioration. Comme je l’ai déjà mentionné (ici), la forte
tendance à la transmission intergénérationnelle des problèmes
d’attachement, par le biais de l’influence sur le comportement de parentage
des difficultés relationnelles issues de la propre enfance du parent, reçoit
enfin actuellement l’attention qu’elle mérite.
Situations et événements pathogènes
de l’enfance
Un thérapeute ne peut jamais être trop informé, selon moi, sur les
relations déguisées et faussées ayant cours dans certaines familles, ainsi que
sur les choses terribles qui se produisent dans d’autres, car c’est seulement
s’il dispose de telles connaissances qu’il peut avoir une idée assez claire de
ce qui se cache probablement derrière les défenses de son patient, ou de
l’origine de l’anxiété, de la colère et de la culpabilité de celui-ci. Il est alors
en mesure non seulement d’apprécier la véracité des récits de son patient,
mais aussi de lui suggérer la probabilité de son exposition à certains types
de situations qu’il est incapable ou fort peu désireux de reconnaître. Dans la
liste qui suit, j’en propose un certaine nombre, courantes, et pourtant
négligées dans la littérature psychothérapeutique jusqu’à récemment *2.

MENACES DE NE PLUS AIMER UN ENFANT UTILISÉES COMME


MOYEN DE CONTRÔLE

Il est facile pour une mère de dire à son enfant qu’elle ne l’aimera plus
s’il se comporte de telle ou telle façon. Elle le menace ainsi de ne pas lui
apporter son affection ou son réconfort à des moments où il est bouleversé,
effrayé ou en détresse, et de lui refuser aide et encouragements à d’autres
moments. Lorsque cette stratégie est systématiquement utilisée par l’un des
parents ou par les deux, l’enfant grandit inévitablement dans l’anxiété
intense de faire plaisir et la culpabilité extrême.

MENACES D’ABANDON
Les menaces d’abandon sont un degré au-dessus dans la peur qu’elles
engendrent chez l’enfant par rapport à celles de ne plus être aimé. C’est tout
particulièrement le cas lorsque le parent passe à l’acte, par exemple en
disparaissant pendant plusieurs heures, ou en faisant la valise de l’enfant et
en l’emmenant au bout de la rue, prétendument pour la maison de
correction. Comme de telles menaces ont souvent des formes très
personnalisées, un patient peut très bien soutenir n’y avoir jamais été
confronté. Dans ce cas, la vérité ne peut surgir avec son cortège d’émotions
qu’au rappel de la manière spécifique dont la menace était formulée. Par
exemple, une mère avait mis au point l’histoire selon laquelle un camion
jaune viendrait pour emmener son fils. Ou encore, un père racontait à sa
fille qu’elle serait envoyée dans une école sur un rocher isolé entouré de
requins 10. Ainsi, dans le premier cas, il suffisait à la mère de dire : « Eh
bien, le camion jaune va venir », et dans le second le père n’avait qu’à
indiquer : « Alors, ce sera l’école sur le rocher », pour que l’enfant cesse
immédiatement ce qu’il était en train de faire. Dans un troisième cas, le
nom de code était « margarine », la mère ayant assorti sa menace d’envoyer
son fils à l’internat de la précision maintes fois répétée qu’il devrait manger
de la margarine là-bas. Pour ces patients, une formulation aussi générale
que « menace d’abandon » n’avait rien évoqué. Ce n’est qu’une fois le nom
de code mis au jour que la terreur d’origine a été à nouveau vécue, et que
l’origine de l’angoisse de séparation a été découverte.

MENACES DE SUICIDE

Parfois un parent à bout de nerfs menace de se suicider si les problèmes


persistent. Cela peut se produire au cours de scènes entre les parents,
surprises par l’enfant, ou cela peut lui être directement adressé, à lui. Dans
les deux cas, de telles menaces le terrorisent. Une des leçons à en retenir est
que chaque fois qu’un patient fait référence aux querelles de ses parents, le
thérapeute devrait toujours lui demander : « Qu’est-ce qu’ils se disaient ? »
Il n’est pas rare qu’il bloque sur cette question. Sous le coup de la colère,
des parents qui se disputent peuvent se dire des choses épouvantables. C’est
déjà affreux. Mais ce qui est bien pire, c’est quand, une fois calmés, ils ne
reconnaissent pas avoir tenu de tels propos.

DÉSAVEU ET DÉMENTI

Des exemples de démentis d’un parent concernant ses propos ou ses


actes et d’efforts persistants pour désavouer ce que l’enfant a vu ou entendu
ont été présentés en détail dans la sixième conférence, où les effets négatifs
de telles pressions sur le développement de la personnalité ont été
soulignés. Au cours de la thérapie, ces effets apparaissent sous forme d’une
grande incertitude chez le patient quant à savoir si tel épisode familial a
bien eu lieu, et d’une culpabilité à son évocation. Ici, comme très souvent,
le rôle clé du thérapeute consiste à approuver son patient dans l’exploration
de toutes les possibilités, à la fois celles favorables à ses parents et celles
qui ne le sont pas, et à l’encourager à peser les informations disponibles,
tandis qu’il (le thérapeute) demeure résolument ouvert à ce qui pourrait être
vrai, dans un sens comme dans l’autre.

Jusqu’ici, dans cette présentation, je n’ai pas abordé le problème crucial


du degré de confiance que nous pouvons, ou que nous devons, accorder à la
fiabilité des récits de nos patients. Les souvenirs sont certainement
faillibles, et il existe de nombreuses occasions où un thérapeute
expérimenté a raison de mettre en doute la véracité de ce que lui dit son
patient. Quels sont alors les critères qui permettent de juger ?
Premièrement, de grandes généralisations sur le genre de parent qu’était
sa mère ou son père et sur le type d’éducation reçue ne doivent jamais être
accréditées, à moins – mais pas avant – qu’elles ne soient étayées par des
exemples détaillés de la manière dont le patient a été traité dans son enfance
dans des situations précises. Par exemple, l’évocation élogieuse d’une mère
merveilleuse peut très bien n’être confirmée par aucun exemple disponible.
Les récits fiables de parentage affectueux fourmillent non seulement de
détails favorables, mais présentent aussi des critiques occasionnelles,
conduisant à un portrait du parent sous toutes ses faces. De même, le
dénigrement systématique des parents en des termes uniformément négatifs
requiert un examen attentif. Des descriptions non fiables de ce genre ont
tendance à être hâtives et extrêmes, toutes noires ou toutes blanches. Soit
les détails manquent, soit lorsqu’ils sont fournis, ils ne vont pas dans le sens
du portrait dépeint. Par contre, chaque fois que de nombreux détails
cohérents sont apportés, et que l’image qui en émerge est conforme à la
connaissance que nous avons, à partir d’autres sources, de ce qui se passe
réellement dans d’autres familles, et aussi de ce qui constitue des
antécédents connus aux types de problème rencontrés par le patient, il est
absurde de douter de sa fiabilité globale, même si quelques points restent
obscurs.
De tels extrêmes ont souvent pour origine une pression extérieure. Par
exemple, la mère ou le père a insisté pour que l’enfant prenne son parti
contre l’autre parent présenté sans nuance comme mauvais. Ou encore il ou
elle insiste pour être considéré(e) comme au-dessus de toute critique,
malgré ses nombreux défauts.
Il existe une autre situation où le thérapeute a raison de douter du récit
de son patient, c’est lorsqu’il y a de quoi le suspecter d’être un menteur
pathologique. De tels cas sont comparativement rares et peuvent donc ne
pas être détectés immédiatement. Tôt ou tard, cependant, avec les
incohérences et les invraisemblances qui s’accumulent, ainsi que par la
manière dont le patient raconte son histoire, le doute surgit, puis se mue en
certitude d’avoir affaire à des fabulations.
Hormis ces exceptions, je pense que les récits des patients sont
suffisamment fiables pour qu’un thérapeute les accepte en tant
qu’approximations relativement exactes de la vérité *3, et je pense en outre
qu’il est antithérapeutique de ne pas agir ainsi. Interroger en permanence la
fiabilité de l’histoire du patient, ne serait-ce qu’implicitement, et insister sur
le rôle de déformation de l’imagination ou du fantasme, est tout le contraire
de l’empathie. Cela communique au patient l’incompréhension du
thérapeute, et peut même le convaincre que celui-ci se comporte exactement
comme le parent l’avait prédit. Ainsi, certains parents, ayant insisté pour
que l’enfant taise un fait dont ils avaient honte, peuvent ajouter que même
s’il en parlait, personne ne le croirait.
Parmi le nombre important d’événements et de situations négatives
qu’un thérapeute doit avoir à l’esprit comme susceptibles d’avoir été vécus
par un patient, figurent encore ceux-ci, qui n’ont pas été abordés jusqu’ici :
– Un enfant peut n’avoir jamais été désiré par sa mère, son père ou par
les deux.
– Il peut ne pas être du sexe souhaité dans une famille où les parents
avaient une idée bien arrêtée sur la question.
– Il peut devenir le bouc émissaire de la famille, parfois à cause d’une
tragédie familiale dont, plus ou moins à tort ou à raison, il a toujours été
rendu responsable.
– Le parent a eu recours à des techniques de culpabilisation pour
contrôler l’enfant, en répétant fréquemment, par exemple, que le
comportement de celui-ci rend sa mère malade.
– Le parent a cherché à transformer un de ses enfants en figure
d’attachement, en décourageant ses explorations du monde loin de lui, et en
l’empêchant de croire qu’il pourra être capable de s’en sortir par lui-même.
– Le rôle inhabituel joué par un enfant dans une famille peut avoir pour
origine une liaison extraconjugale de la mère, qui fait que le père présumé
n’est pas le vrai père de l’enfant.
– Un autre rôle inhabituel consiste à identifier l’enfant à un proche,
souvent à un des grands-parents, avec lequel la mère ou le père avaient des
relations difficiles qu’il ou elle reporte alors sur l’enfant.
– Un enfant peut être la cible de violences physiques plus ou moins
graves de la part d’un parent ou d’un beau-parent.
– Il peut être victime de sévices sexuels sur des périodes plus ou moins
longues de la part d’un parent, d’un beau-parent ou de frères et sœurs plus
âgés.
Pour ceux qui ne sont pas au fait des effets les plus courants sur le
développement de la personnalité d’une exposition à des situations de ce
type, un certain nombre de références sont présentées en note 11.
Il est inévitable que les événements influents des deux premières années
d’un individu, voire de la troisième, n’aient pas été enregistrés dans sa
mémoire ou encore qu’il ne lui soit pas possible de s’en souvenir
actuellement. Dans ce cas, bien entendu, le mieux que puisse faire le
thérapeute, ce sont des suppositions sur la nature de ces événements, sur la
base de la situation transférentielle et des informations que le patient a pu
récolter concernant cette période de sa vie, que le thérapeute combine avec
les connaissances plus générales sur le développement de la personnalité
dont il dispose. En d’autres termes, il a recours à la reconstruction, sachant
qu’à l’avenir il pourra s’appuyer sur un savoir plus étendu et plus fiable
quant aux influences de la famille sur le développement de la personnalité
que celui dont disposaient traditionnellement les psychothérapeutes
d’orientation analytique.

La position du thérapeute
Dans cette présentation des principes thérapeutiques, les cliniciens
auront reconnu des concepts qui leur sont familiers depuis longtemps,
même s’ils apparaissent sous des appellations différentes. L’alliance
thérapeutique est ici la base sécure, l’objet interne est le modèle de
représentation ou de travail d’une figure d’attachement, la reconstruction
est l’exploration des souvenirs, la résistance (parfois) est la profonde
réticence à désobéir aux ordres de ne rien dire ou de ne pas se rappeler,
imposés dans le passé par les parents. Parmi les différences figure l’accent
mis sur le rôle du thérapeute en tant que compagnon du patient dans
l’exploration de lui-même et de son vécu, plus que sur son travail
d’interprétation. On peut décrire certains thérapeutes traditionnels comme
adoptant la position « Je sais, je vais vous dire », tandis que celle que je
préconise est « Vous savez, vous me dites ». Le patient est ainsi encouragé à
penser qu’avec du soutien et occasionnellement des conseils, il peut
découvrir par lui-même la véritable nature des modèles sous-jacents à ses
pensées, à ses émotions et à ses actions, et qu’en examinant la nature de ses
expériences d’enfance avec ses parents ou ses substituts parentaux, il sera à
même de comprendre ce qui l’a conduit à mettre en place les modèles
aujourd’hui actifs chez lui, devenant ainsi libre de les restructurer.
Heureusement, le psychisme humain, à l’image des os, a une forte tendance
à l’autoguérison. Le travail du psychothérapeute, comme celui de
l’orthopédiste, est de fournir les conditions les plus favorables à cette
autoguérison.
Peterfreund 12 et Casement 13 figurent parmi ceux qui ont récemment
présenté des comptes rendus détaillés de l’intérêt qu’il peut y avoir à
adopter une approche réservée qui suggère plus qu’elle n’affirme.
Dans la description présentée jusqu’ici, le rôle du thérapeute a été
assimilé à celui d’une mère servant à son enfant de base sécure à partir de
laquelle il peut explorer. Cela signifie, d’abord et avant tout, qu’il accepte et
qu’il respecte son patient, avec ses défauts et le reste, comme un être
humain en difficulté au même titre que lui, et que ce qui l’emporte chez lui
est sa préoccupation à améliorer le bien-être de celui-ci par tous les moyens
dont il dispose. Dans cette optique, le thérapeute s’efforce d’être fiable,
attentif, empathique et compatissant, et d’encourager son patient à explorer
l’univers de ses pensées, de ses sentiments et de ses actes, non seulement
dans le présent, mais aussi dans le passé. Même s’il incite toujours son
patient à prendre l’initiative, le thérapeute n’est nullement passif. D’une
part, il essaie d’être attentif et de réagir avec sensibilité. D’autre part, il
admet qu’il existe des moments où c’est à lui de prendre l’initiative.
Par exemple, lorsqu’un patient perd son temps à parler de tout et de
n’importe quoi, à l’exception de ce qu’il pense et de ce qu’il ressent au sujet
des gens, il est indispensable d’attirer son attention sur le fait qu’il évite ce
domaine, et sans doute aussi sur sa profonde méfiance envers les efforts du
thérapeute pour l’aider ou envers sa capacité à garder des confidences. Avec
un autre patient qui se montre, lui, tout à fait disposé à explorer ses
souvenirs d’enfance, le thérapeute aura cette fois de nombreuses occasions
où il lui sera utile de demander des détails ou de poser des questions sur les
situations passées qui n’ont pas encore été directement mentionnées, mais
qui paraissent probables au vu de ce que le patient a déjà raconté, et au vu
aussi des problèmes spécifiques dont il souffre. Ce faisant, le thérapeute ne
doit par ailleurs jamais oublier que son patient peut être encore fortement
influencé par des injonctions parentales le sommant d’ignorer ce qu’il n’est
pas censé savoir, et de ne pas éprouver des sentiments qu’il n’est pas censé
ressentir.
Une interruption dans la thérapie engendre sans doute toujours une
réaction chez le patient, parfois consciente, parfois inconsciente, mais
néanmoins évidente. Lorsque celle-ci est consciente, il peut se plaindre
ouvertement ou protester avec colère ; lorsqu’elle est inconsciente, il peut
dénigrer la thérapie ou manquer une séance ou deux avant l’absence du
thérapeute. La manière dont celui-ci évalue ces réactions et dont il y répond
reflète sa position théorique. S’il adopte la théorie de l’attachement, il
respectera la détresse et la colère de son patient au sujet de la séparation, et
il considérera ces manifestations comme les réactions naturelles de
quelqu’un qui s’est attaché à quelqu’un d’autre – un respect qui apparaîtra
implicitement dans tout ce qu’il dit ou ce qu’il fait.
En même temps, il sera attentif à la forme prise par la réaction de son
patient. Si celle-ci est ouvertement exprimée, il se montrera compatissant et
il pourra atténuer la détresse de ce dernier en lui fournissant des
informations sur la manière de le joindre pendant son absence. De plus, le
thérapeute prendra en compte le sens que son patient donne à l’interruption
et, en cas d’indices d’incompréhension, il tentera de découvrir d’où ils
peuvent provenir. Si, par exemple, le patient craint que son thérapeute ne
revienne pas, il est judicieux d’explorer la possibilité que le patient ait subi
des menaces d’abandon de la part d’un parent. Dans le cas où il s’absente
pour des problèmes de santé, il doit envisager la possibilité que son patient
craigne d’en être responsable du fait de ses actes ou de ses propos. S’il en
est ainsi, il lui appartient d’explorer si la mère ou le père de son patient ont
cherché à le contrôler en affirmant que son comportement les rendait
malades.
De même, lorsqu’un patient réagit à une interruption en dénigrant la
thérapie ou en manquant une séance, le thérapeute qui adopte la théorie de
l’attachement doit se demander si son patient a peur d’exprimer ses
émotions ouvertement, et ce qui, dans son enfance, peut justifier un tel
manque de confiance.
Cette manière du thérapeute de répondre aux réactions de son patient à
une interruption contraste avec celle d’un partisan d’une des nombreuses
approches psychanalytiques traditionnelles. Par exemple, un psychanalyste
classique aura plutôt tendance à considérer les réactions de son patient
comme enfantines, voire infantiles, indiquant une fixation à la phase orale
ou symbiotique. Ce qu’il pourrait alors dire, et tout particulièrement la
manière dont il le formulerait, pourrait très bien être vécu par le patient
comme un manque de respect pour ses sentiments actuels d’attachement, sa
détresse et sa colère. Ici encore, il y aurait danger que le thérapeute semble
répondre avec froideur et sans compassion, d’une façon bien trop semblable
à celle de la mère ou du père du patient. Dans un tel cas, l’échange serait
antithérapeutique.
Jusqu’où est-il sage pour le thérapeute d’aller en réponse au désir du
patient de rester en contact pendant ses absences, par téléphone par
exemple, et à son besoin de réconfort lorsqu’il se sent en détresse pendant
une séance ? Cela dépend de nombreux facteurs au sein de leur relation.
D’un côté, on peut craindre que le thérapeute semble manquer d’empathie
pour la détresse de son patient, voire qu’il semble rejetant. D’un autre côté,
le risque est qu’il paraisse offrir davantage que ce qu’il est prêt à donner. Il
est des occasions où il serait inhumain d’interdire à un patient en détresse
un contact physique quelconque : explicitement, il y a alors le rôle de celui
qui réconforte et le rôle de celui qui est réconforté. Il existe cependant
toujours un risque que le contact physique suscite un émoi sexuel, en
particulier entre personnes du sexe opposé. En fonction des situations,
chaque thérapeute doit faire ses propres choix et fixer ses propres limites.
Plus un thérapeute sera averti de ces questions, mieux il sera à même d’en
éviter les pièges.

Communication émotionnelle
et restructuration des modèles de travail
Lorsqu’un thérapeute utilise le type de technique préconisée ici, il arrive
parfois que la thérapie s’enlise dans une situation où le patient persiste sans
fin à décrire les malheurs qu’il a vécus, enfant, et les mauvais traitements
que ses parents lui ont infligés, sans progresser au-delà. Je soupçonne
qu’une des raisons à cette persévération réside dans la conviction du patient
que le thérapeute n’accepte pas la vérité de ce qu’il rapporte ; d’où une
répétition sans fin de ces propos. Le patient peut agir ainsi parce qu’il a
toujours essuyé les moqueries de ceux à qui il a raconté son histoire par le
passé, et sans doute plus couramment du thérapeute lui-même qui aura fait
preuve de scepticisme ou d’incrédulité. Cela peut se traduire d’une myriade
de façons, par le ton de la voix, en interrogeant les détails, ou en n’attachant
pas de valeur particulière aux descriptions du patient.
Évidemment, quand le problème réside dans l’incrédulité du thérapeute,
la porte de sortie consiste pour celui-ci à établir clairement qu’il ne sait que
trop bien que ce genre de choses arrive véritablement aux enfants et qu’il
n’a aucune raison de douter de ce que son patient lui rapporte. Cela fait, la
thérapie peut tout de même rester dans l’impasse : l’histoire est racontée et
re-racontée sur un ton morne et cynique sans aucune manifestation
quelconque d’émotions.
Cette situation a été analysée par Selma Fraiberg qui, avec ses
collègues, a entrepris de venir en aide à des mères vulnérables qui
risquaient de faire subir négligence ou violence à leur bébé 14. Elles
décrivent leurs visites au domicile de deux de ces mères, et les histoires
pénibles que ces femmes leur ont racontées. Chacune a fait le récit de cruels
sévices subis dans l’enfance – être violemment battues, être enfermées hors
de la maison dans le froid, souvent abandonnées par leur mère, être
ballottées d’un endroit à un autre, ou n’avoir personne vers qui se tourner
pour obtenir de l’aide ou du réconfort. Ni l’une ni l’autre n’offraient le
moindre signe de ce qu’elles avaient pu ressentir, ou de ce qu’elles avaient
pu avoir envie de faire. L’une d’elles, une jeune fille de 16 ans qui évitait de
toucher ou de tenir son bébé (qui hurlait désespérément) insistait : « Mais, à
quoi ça sert de parler ? J’ai toujours tout gardé pour moi. Je veux oublier. Je
ne veux pas penser. » C’est à ce moment qu’est intervenue la thérapeute –
exprimant elle-même toutes les émotions attendues de tout enfant exposé à
de telles situations : la peur, la colère, le désespoir que n’importe qui
ressentirait, et aussi le désir d’avoir quelqu’un qui comprend, vers qui se
tourner pour obtenir réconfort et protection. En agissant ainsi, elle a non
seulement montré qu’elle comprenait comment la patiente avait pu se sentir,
mais elle lui a aussi communiqué par son attitude qu’elle répondrait par le
réconfort et la compassion à l’expression de ces émotions et de ce désir
chez elle. Ce n’est qu’à ce moment-là que la jeune mère a pu manifester
tout le chagrin, les larmes, « et l’angoisse indicible pour l’enfant rejetée
qu’elle avait été » qu’elle avait toujours ressentie mais n’avait jamais osé
exprimer.
Dans cet exposé des méthodes utilisées par Fraiberg pour aider une
patiente à manifester les émotions qu’elle n’ose pas montrer, j’ai
délibérément souligné le lien entre émotion et action. L’absence
d’expression des émotions est très grandement due à une peur inconsciente
que l’action dont l’émotion est une constituante mène à une issue redoutée.
Dans de nombreuses familles, la colère envers un adulte est sanctionnée par
des punitions qui peuvent être très sévères. Par ailleurs, demander en larmes
du réconfort et de l’aide peut conduire au rejet et à l’humiliation. Les
cliniciens oublient sans doute trop souvent que de nombreux enfants,
lorsqu’ils expriment de la détresse et se mettent à pleurer, cherchant à être
réconfortés, sont repoussés comme étant d’intolérables petits pleurnichards.
Au lieu du réconfort offert par un parent affectueux et compréhensif, ces
enfants ne rencontrent que rebuffades critiques et sans compassion. Il n’est
pas étonnant, dans ces conditions, que l’enfant apprenne à ne jamais
montrer de détresse ou à ne jamais chercher de réconfort et, s’il entreprend
une thérapie, qu’il parte du principe que son thérapeute ne tolérera pas
davantage sa colère et ses pleurs que ses parents l’ont jamais fait.

Tout thérapeute adoptant une approche psychanalytique reconnaît


depuis longtemps que, pour être efficace, une thérapie requiert du patient
non seulement qu’il parle de ses souvenirs, de ses idées et de ses rêves,
mais aussi qu’il exprime ses sentiments. La présentation de la technique
utilisée par Fraiberg pour aider une jeune femme cynique aux affects gelés à
découvrir la profondeur de ses émotions et à les exprimer librement à son
thérapeute, constitue donc une conclusion tout à fait appropriée à notre
propos.
En rédigeant le texte de cette conférence, j’ai été conscient de bout en
bout que l’utilisation de termes tels qu’« information », « communication »
et « modèles de travail » pourrait aisément conduire un lecteur non averti à
supposer que ces expressions appartiennent à une psychologie se
préoccupant uniquement de cognition, et dénuée d’intérêt pour les émotions
et l’action. Même si, pendant plusieurs années, il n’a été que trop courant en
psychologie cognitive d’omettre toute référence à l’affect, il est aujourd’hui
reconnu qu’une telle attitude est artificielle et infructueuse 15. Il n’existe en
réalité aucune autre communication plus importante entre deux êtres
humains que celle qui passe par les émotions, et aucune information plus
vitale à la construction et à la reconstruction des modèles de travail de soi et
d’autrui que celle qui concerne les sentiments que l’un ressent pour l’autre.
Lors de nos premières années, effectivement, l’expression émotionnelle et
la manière dont elle est reçue étant les seuls moyens de communication à
notre disposition, les bases de nos modèles de travail de nous-mêmes et de
notre figure d’attachement sont donc forcément établies à partir des
informations en provenance de cette seule source. Il n’est ainsi guère
étonnant que, lors de l’examen des relations d’attachement au cours d’une
psychothérapie et de la restructuration des modèles de travail, ce soit la
communication affective entre un patient et son thérapeute qui joue le rôle
crucial.
Postface
de Jeremy Holmes *1

A Secure Base est paru pour la première fois en 1988, alors que Bowlby
était dans sa quatre-vingt-et-unième année. Bien qu’il y eût encore,
étonnamment, un ouvrage à venir – la biographie de Darwin *2 –, c’est sa
dernière contribution à la théorie de l’attachement, discipline qu’il avait
fondée, avec l’aide de Mary Ainsworth, près d’un demi-siècle plus tôt.
Ainsi, A Secure Base résonne comme un adieu – la synthèse du travail
d’une vie, mais aussi un hommage et une transmission à la nouvelle
génération de chercheurs et de cliniciens de l’attachement.
On y trouve tous les thèmes familiers de Bowlby – la théorie,
l’étiologie, la méthodologie, la clinique et la politique. Il y réaffirme les
concepts fondateurs de son approche : la primauté de la réaction
comportementale d’attachement et son rôle dans la protection contre les
prédateurs ; la sensibilité dans l’attention portée à l’enfant comme base de
la santé psychologique ; et la permanence de l’importance de l’attachement
au cours du cycle de la vie dans son entier. Il argumente avec force en
faveur du rôle des malheurs réellement vécus – la privation affective, le
deuil non réalisé, le rejet, la confusion, la négligence, les agressions
physiques et sexuelles – dans le déclenchement ultérieur de la
psychopathologie, par opposition à celui d’entités endopsychiques
présumées comme l’« instinct de mort ».
Sur le plan méthodologique, il souligne l’importance de l’observation
scientifique systématique des enfants et des parents, par opposition à des
reconstructions spéculatives à partir du divan. Sur le plan clinique, il
conçoit le thérapeute comme servant de base sécure à ses patients, tremplin
leur permettant de s’ouvrir au discours émotionnel fluide, caractéristique de
ceux dont l’attachement est sécure.
Enfin, on y trouve le fond de bon sens de la philosophie sociale de
Bowlby au cœur de son travail : « La main-d’œuvre féminine et masculine
consacrée à la production d’enfants heureux, en bonne santé et autonomes
[…] ne compte absolument pas. Nous avons créé un monde qui marche sur
la tête. »
Ces vingt-cinq dernières années ont vu l’explosion de l’intérêt pour la
théorie de l’attachement, qui a culminé avec l’ouvrage de référence
Handbook of Attachment 1, synthèse tonifiante de la manière dont les
graines semées par Bowlby et Ainsworth ont donné naissance par leur soin
à un jeune arbre vigoureux qui s’est multiplié en une forêt entière de
développements, d’applications et d’idées. Dans cette brève introduction, je
sélectionnerai trois de ces points de croissance, ou « avancées récentes »
dans la théorie de l’attachement, auxquelles Bowlby a fait allusion, mais qui
se sont vus largement développés depuis la première sortie de A Secure
Base : le rôle des pères dans la création d’un attachement sécure, la
mentalisation et la « théorie de l’esprit » comme accomplissement
développemental, et la psychothérapie comme entreprise interpersonnelle.
L’attachement aux pères. Comme cela est sous-entendu dans la citation
ci-dessus, Bowlby a toujours insisté sur l’importance des mères et des pères
pour servir de base sécure. Un des points essentiels de l’argument selon
lequel un attachement sécure est un phénomène interpersonnel et interactif,
et pas simplement une question de tempérament inné de l’enfant, est étayé
par le fait qu’un seul et même enfant peut être classé dans la situation
étrange comme ayant un attachement sécure à un parent et insécure à
l’autre. Néanmoins, la théorie de l’attachement, du côté à la fois de la
recherche et de la clinique, a tendance à se montrer quelque peu materno-
centrée, et il n’a pas été facile d’identifier précisément les contributions des
pères à un attachement sécure.
Des travaux récents 2 ont commencé à éclaircir ce point. À l’époque où
Bowlby rédigeait les essais et les conférences composant cet ouvrage dans
les années 1980, les recherches longitudinales sur le phénomène de
l’attachement en étaient elles-mêmes à leurs débuts. Nous disposons
aujourd’hui d’études prospectives sur vingt ans portant sur des mesures de
l’attachement, de la sensibilité parentale, de l’exploration, des compétences
relationnelles, et de leurs représentations psychiques au cours de l’enfance.
Celles-ci peuvent aujourd’hui être corrélées avec la disposition à
l’attachement des jeunes adultes telle qu’elle se manifeste dans les attitudes
vis-à-vis des relations amoureuses et lors de l’Adult Attachment
Interview *3.
Ces études montrent que la contribution des pères est essentielle à la
mise en œuvre à l’âge adulte de dispositions d’attachement sécures, stables,
équilibrées, s’exprimant librement dans le discours et favorisant
l’exploration. Néanmoins, cette contribution à la santé psychologique ne
s’exerce pas à titre principal par la médiation de la sécurité *4 de
l’attachement tel qu’elle est évaluée par la situation étrange. Le rôle des
pères intervient plutôt par l’intermédiaire de la dimension d’exploration au
sein de la dichotomie attachement/exploration, et elle apparaît dans les
mesures du SCIP (Sensitive and Challenging Interactive Play) *5 3 qui
observe et évalue les parents dans des interactions avec leurs enfants lors de
périodes de jeu de dix minutes.
En général, des scores combinés sur plusieurs dimensions de
l’attachement aux deux parents dans l’enfance sont de bien meilleurs
prédicteurs des représentations d’attachement sécure ou insécure à l’âge
adulte que ceux obtenus avec un seul parent. Cependant, la dimension
préoccupée – des adultes qui fournissent des réponses déstructurées,
confuses et surchargées d’affect aux questions posées – est fortement
corrélée avec un rejet et une insensibilité du père au milieu de l’enfance, la
contribution maternelle s’avérant relativement faible. Ainsi, il semble que
des pères suffisamment bons aident leurs enfants à développer une clarté de
pensée et une capacité à faire face aux émotions négatives sans se sentir
submergés.
Comme les mères, les pères se doivent d’être sensibles, mais cela prend
la forme de compliments, d’encouragements et d’une aptitude à soutenir les
affects positifs chez leurs enfants. Dans l’aide apportée pour gérer le conflit
curiosité-méfiance, ce père protecteur, stimulant, qui persuade que « tu peux
le faire », diffère considérablement de l’image castratrice de la théorie
psychanalytique classique, qui correspond sans doute plus précisément aux
pères insensibles qui ne parviennent pas à saisir intuitivement le message de
fond de l’attachement selon lequel la réussite se fonde toujours sur
l’assurance *6.
La mentalisation et la théorie de l’esprit. Bowlby a vécu suffisamment
longtemps pour apprécier la valeur considérable de la contribution de Mary
Main à la théorie de l’attachement, et en particulier les possibilités offertes
par la création de l’Adult Attachment Interview (AAI) 4. Il cite ses résultats,
confirmés par d’autres, qui montrent que les mères dont l’attachement se
révèle insécure dans l’AAI ont bien plus souvent des enfants insécures, tels
qu’évalués par la situation étrange. Il concevait l’attachement insécure en
termes de défenses psychologiques – nécessaires à la survie émotionnelle
(et dans l’environnement d’adaptation lié à l’évolution dans lequel notre
espèce s’est développée, à la survie physique) – mais aussi comme une
entrave interdisant à l’individu insécure l’accès au traitement des
expériences négatives.
Une découverte essentielle de ces travaux pionniers a été que la
« fonction réflexive 5 » évaluée par l’AAI semble constituer un facteur de
protection qui, en dépit d’expériences négatives d’enfance comme la
séparation des parents, le deuil, voire la négligence et les abus, permet aux
individus de demeurer eux-mêmes sécures et de fournir un tel type
d’attachement à leurs enfants. Pour faire simple, la capacité d’« en parler »
atténue les conséquences négatives à long terme des traumatismes de
l’enfance. La fonction réflexive peut être conçue comme se rapportant au
discours intérieur, ou à la représentation psychique de l’expérience sous-
tendant cette capacité à la narration interactive externe.
Fonagy et ses collègues 6 ont élargi ces premiers résultats avec leur
nouveau concept de « mentalisation ». S’appuyant sur la tradition
philosophique de la « théorie de l’esprit », ils proposent l’existence de
processus développementaux cruciaux permettant aux bébés de commencer
à concevoir le fait qu’eux-mêmes et ceux qui les entourent ont un « esprit »
– c’est-à-dire la capacité à se représenter le monde et à avoir des projets,
des croyances et des désirs. La mentalisation nous rend capables de faire la
différence entre la « réalité » et notre perspective ou notre appréciation de la
réalité, et aussi de saisir le fait que différentes personnes voient diversement
le monde. Ainsi, la mentalisation, que l’on peut concevoir comme une
extension de la notion de modèles de travail de Bowlby, est antinarcissique
et, comme l’affirment Fonagy et al., elle est une composante essentielle de
notre compétence aux interactions sociales, qui inclut la capacité à survivre
aux défauts d’accordage, aux ruptures d’alliances, et à tous les défauts
mineurs normalement constitutifs d’un « parentage suffisamment bon »,
voire à celui qui ne l’est pas.
Cette approche conduit à une perspective assez différente de la
signification de l’attachement sur le plan de l’évolution qui, selon Bowlby
qui s’appuyait sur un point de vue éthologique, constitue essentiellement
une protection contre les prédateurs. Fonagy et ses collègues 7 suggèrent que
la proximité physique et émotionnelle qu’assure l’attachement dote aussi les
bébés de la capacité à se comprendre eux-mêmes et ceux qui les entourent.
Un attachement sécure nous permet de « lire » autrui – y compris nous-
mêmes. Les travaux récents en psychopathologie du développement ont
commencé à étudier les processus développementaux menant à une
mentalisation réussie – la « relation en miroir » entre mère et enfant,
l’établissement de limites claires entre le « semblant » et la réalité – et la
manière dont ces processus peuvent être défaillants. Ces études indiquent
que l’attachement insécure, en particulier l’attachement désorganisé 8,
constitue un facteur de prédisposition probable au développement ultérieur
de problèmes de personnalité chez l’adulte 9, en particulier de troubles de la
personnalité limite (décrits dans ce volume par Bowlby sous l’appellation
psychanalytique traditionnelle de faux self, personnalité schizoïde ou
narcissisme pathologique).
Composantes interpersonnelles de la psychothérapie. Bowlby a
régulièrement souligné le parallèle entre parentage sécure et bonne
psychothérapie (voir chapitre 8). Tout comme il a réhabilité le rôle du
traumatisme réel, par opposition au fantasme, comme facteur pathogène
dans les problèmes psychologiques, il a insisté pour que « l’accent [soit]
mis sur le rôle du thérapeute en tant que compagnon du patient dans
l’exploration de lui-même et de ses expériences, plus que sur son travail
d’interprétation ».
Bowlby lui-même avait clairement la capacité de servir de base sécure à
ses patients, à ses collègues et à ses étudiants, leur inspirant une grande
affection et une grande admiration. Ses écrits et l’histoire de sa vie sont
imprégnés du pouvoir qui était le sien de conserver un équilibre entre les
qualités « maternelles » de sensibilité et de réceptivité, et la stimulation et le
soutien « paternels » (notez que je désavoue ici complètement ma
précédente description impertinente et inexacte faisant de lui un
« évitant 10 »). Il se peut cependant qu’il n’ait sans doute pas pris toute la
mesure de la difficulté pour certains thérapeutes à acquérir ces qualités. Des
travaux récents ont commencé à dégager la contribution spécifique du
thérapeute et du patient à la dyade thérapeutique, et à indiquer que la qualité
de la thérapie, et probablement au final son issue, est fonction non de
chacun individuellement, mais de l’interaction ou de l’« ajustement » qui
existe entre eux. Dozier et ses collègues 11 ont étudié le type d’attachement
de thérapeutes et de leurs clients, et ils ont trouvé que les thérapeutes
insécures ont tendance à renforcer les schémas d’attachement insécure de
leurs patients, conduisant les évitants à une plus grande hypoactivation
encore de leurs comportements d’attachement, et les préoccupés à se
montrer plus collants et à faire preuve d’une plus grande dérégulation
affective. Les thérapeutes sécures, en revanche, ont tendance à rééquilibrer
la balance entre évitement et préoccupation, et à pousser leurs patients vers
des schémas relationnels plus sécures.
Avec la création du Patient-Therapist Adult Attachment Interview *7
(PT-AAI), Diamond et ses collègues 12 ont fait progresser la recherche dans
cette direction. Ici la procédure de l’AAI est appliquée à la relation
thérapeutique elle-même – thérapeute et patient sont invités à fournir des
adjectifs les décrivant mutuellement, accompagnés d’anecdotes pour les
étayer, et il leur est demandé d’imaginer les raisons pour lesquelles leur
patient ou leur thérapeute se comporte de telle ou telle façon. L’entretien est
ensuite retranscrit et évalué de la même manière que l’AAI, produisant des
catégories d’attachement ainsi que des mesures de la fonction réflexive en
rapport avec le processus thérapeutique. Un certain nombre de résultats
intéressants commencent à apparaître.
Premièrement, comme on peut l’espérer et comme on peut s’y attendre,
la fonction réflexive s’améliore au cours de la thérapie. Deuxièmement, les
issues favorables semblent associées à des thérapeutes qui ne se situent ni
trop loin derrière ni trop loin devant leurs clients dans leurs scores au PT-
AAI. Une certaine distance entre thérapeute et client est nécessaire, mais
elle ne doit pas être trop importante – car une thérapie efficace ne doit être
ni trop confortable ni trop caustique. Troisièmement, la capacité du
thérapeute à exercer sa fonction réflexive varie d’un patient à l’autre.
Chaque couple thérapeute-patient semble engendrer sa propre atmosphère
d’attachement et sa propre capacité à la mentalisation ou à son absence.
Tout cela implique une culture relationnelle beaucoup plus complexe et
dynamique entre caregiver et care-receiver (parent et enfant ou thérapeute
et patient) que les indications de Bowlby au dernier chapitre de ce volume
ne l’impliquent sans doute. Suivre les vicissitudes de cette relation est un
énorme défi pour les développementalistes, les chercheurs en
psychothérapie, et les cliniciens souhaitant pratiquer et enseigner leur art.
Bowlby était un esprit éclectique par excellence. Il avait une capacité
remarquable pour rassembler différentes disciplines – psychanalyse,
sciences cognitives, développement de l’enfant, éthologie, cybernétique – et
pour les fondre en une histoire cohérente.
Cet éclectisme rend la théorie de l’attachement extrêmement attrayante
pour certains, mais aussi déstabilisante pour des cliniciens à la recherche de
vérités émanant d’un seul « dieu ». Pour que notre discipline progresse
davantage, un nouvel effort de synthèse devra être fourni, assemblant les
idées de la neurobiologie, de la neuro-imagerie, de la linguistique, de
l’écologie, et des mathématiques des systèmes complexes comme celles de
la théorie du chaos. Établir des liens aussi créatifs est une tâche pour le
futur – tâche à laquelle Bowlby se serait certainement attelé avec joie et
qu’il serait triste d’avoir manquée.
Notes

1. L’art d’être parent


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2. Les origines de la théorie de l’attachement


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3. La psychanalyse : un art et une science

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4. La psychanalyse : une science naturelle ?

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2. Freud S. (1937), Abrégé de psychanalyse, trad. A. Berman, Paris, PUF, 2001, p. 21.
3. Freud S. (1895), op. cit., note 1, chap. IV.
4. Freud S. (1925), Sigmund Freud présenté par lui-même, op. cit., note 1, chap. III.
5. Home, H.J. (1966), « The concept of mind », International Journal of Psycho-Analysis, 47.
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5. Violence dans la famille

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33. Gayford J.J., op. cit., note 31, chap. V.
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6. Savoir ce que l’on n’est pas censé savoir et ressentir


ce que l’on n’est pas censé ressentir

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9. Miller A. (1979), op. cit.
10. Bowlby J., Attachement et Perte, vol. 2, op. cit., note 45, chap. II.
11. Ibid., vol. 3, op. cit., note 40, chap. I.
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13. Erdelyi, op. cit., note 35, chap. IV. Norman, op. cit.
14. Bowlby J., Attachement et Perte, vol. 3, op. cit., note 39, chap. I.
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7. Le rôle de l’attachement dans le développement


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8. Attachement, communication et processus


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Postface
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10. Holmes J. (1993), op. cit., note 8, postface.
11. Dozier M., Chase Stowall K. et Albus K. (1999), « Attachment and psychopathology in
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12. Diamond D., Stovall-McClough C., Clarkin J. et Levy K. (2003), « Patient-therapist
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Remerciements

Ces dix dernières années, il a été pour moi d’un grand bénéfice d’être en
communication régulière avec le personnel et les étudiants de la Tavistock
Clinic, ainsi qu’avec un certain nombre de collègues engagés dans des
études innovantes sur la manière dont les schémas d’attachement se
développent au cours de la petite enfance et de l’enfance. À tous, je dois
une profonde gratitude, souvent pour des suggestions utiles, parfois pour
des corrections nécessaires, et toujours pour la stimulation et
l’encouragement qu’ils m’ont apportés. Je suis aussi profondément
redevable à ma secrétaire, Dorothy Southern, pour les nombreuses années
de service dévoué durant lesquelles elle a fait siens mes propres intérêts.
Pour son aide dans la préparation et la rédaction de ces conférences en
vue de leur publication, et pour l’élaboration de l’index, mes remerciements
vont à Molly Townsend.
Les six premières conférences de cet ouvrage ont été éditées dans
d’autres publications, et je remercie les éditeurs concernés pour leur
permission de les reproduire ici. La première conférence est le chapitre XVIII
de Parenthood : A Psychodynamic Perspective par Rebecca S. Cohen,
Bertram J. Cohler, et Sidney H. Weissman, The Guilford Press, New York
(1984) ; la deuxième conférence, « Attachment and loss : retrospect and
prospect », American Journal of Orthopsychiatry 52 (1982) ; la troisième
conférence, « Psychoanalysis as art and science », International Review of
Psychoanalysis 6 (1979) ; la quatrième conférence, « Psychoanalysis as a
natural science », International Review of Psychoanalysis 8 (1981) ; la
cinquième conférence, « Violence in the family as a disorder of the
attachment and caregiving systems », The American Journal of
Psychoanalysis 44 (1984) ; la sixième conférence est le chapitre VI de
Cognition and Psychotherapy de Michael J. Mahoney et Arthur Freeman,
Plenum Publishing Corporation, New York et London (1985), version
étoffée de l’article « On knowing what you are not supposed to know and
feeling what you are not supposed to feel », Canadian Journal of
Psychiatry 24 (1979).
DU MÊME AUTEUR

Enfants sans famille, PUF, 1949

Soins maternels et Santé mentale, OMS-Masson, 1951

Attachement et Perte

– vol. 1 L’Attachement, PUF, 2002


– vol. 2 La Séparation, Angoisse et colère, PUF, 2007
– vol. 3 La Perte, Tristesse et dépression, PUF, 2002

Amour et Rupture, Les destins du lien affectif, Albin Michel, 2014


PSYCHOLOGIE

Amour et Rupture, Les destins du lien affectif, John Bowlby


Aiôn, Études sur la phénoménologie du Soi, Carl Gustav Jung
L’Âme et le Soi, Renaissance et individuation, Carl Gustav Jung
L’Éducation selon Dolto, Ce qu’elle a vraiment dit pour aider les parents, Elisabeth Brami et Patrick
Delaroche
Empathie et Manipulations, Les pièges de la compassion, Serge Tisseron
Père-Fille, Une histoire de regard, Didier Lauru
Le Harcèlement fusionnel, Les ressorts cachés de la dépendance affective, Eudes Séméria
Les Verrous inconscients de la fécondité, Joëlle Desjardins-Simon et Sylvie Debras
La Pornographie, Une agression sexuelle sur mineurs, Gérard Bonnet
L’Enfant cassé, L’inceste et la pédophilie, Catherine Bonnet
Pourquoi j’ai faim ? De la peur de manquer à la folie des régimes, Marie Thirion
TABLE DES MATIÈRES
Titre

Copyright

Préface de John Bowlby

1. L’art d’être parent

Un rôle social indispensable


Une approche éthologique

Mise en place du lien mère-enfant

Ressemblances et différences entre les rôles de la mère et du père


Servir de base sécure

Conditions périnatales et postnatales favorables ou défavorables

Influence des expériences vécues par les parents dans leur enfance

Comment aider au mieux

2. Les origines de la théorie de l’attachement

La théorie sous un nouveau jour

La recherche

3. La psychanalyse : un art et une science

Champ d’étude

Modes d’acquisition des informations

Le scepticisme et la foi

4. La psychanalyse : une science naturelle ?


5. Violence dans la famille

Introduction

Cadre conceptuel

Résultats des recherches

Mesures préventives

6. Savoir ce que l’on n’est pas censé savoir et ressentir ce que l’on n’est pas censé ressentir

7. Le rôle de l’attachement dans le développement de la personnalité

Points principaux de la théorie de l’attachement

Primauté des liens émotionnels intimes

Schémas d’attachement et ce qui influence leur développement

Persistance des schémas

Une théorie de l’internalisation

Du côté des mères : différentes manières de se rappeler leur enfance

Trajectoires de développement de la personnalité

8. Attachement, communication et processus thérapeutique

Les cinq tâches du thérapeute

Influences des expériences précoces sur la relation transférentielle

Situations et événements pathogènes de l’enfance


La position du thérapeute

Communication émotionnelle et restructuration des modèles de travail

Postface de Jeremy Holmes

Notes

Remerciements
*1. Amour et Rupture, Les destins du lien affectif (N.d.T.).
*1. Le titre d’origine est Caring for children. Mais care et ses dérivés (caretaking, caregiving,
careseeking…) n’ont pas d’équivalents uniques en français. Care signifie s’occuper de, veiller
sur, faire attention à, se soucier de, en fait aimer dans ses composantes concrètes. Son contraire
est le mépris. Le traduire par la seule notion de soin en réduit considérablement le sens, c’est
pourquoi le terme attention a été privilégié dans cet ouvrage. Pour une discussion sur le sujet et
ses implications, voir Yvane Wiart, L’Attachement, un instinct oublié, Paris, Albin Michel, 2011
(N.d.T.).
*2. Parenting, l’art d’être parent et la fonction de parent, rendu ensuite par parentage pour faire
bref (N.d.T.).
*3. Self-reliant, qui sait qu’il peut compter sur lui-même, qui a confiance en ses propres
capacités, sans pour autant refuser d’avoir recours à autrui en cas de besoin (N.d.T.).
*4. Celui ou celle qui s’occupe de l’enfant, qui fait attention à lui, qui l’aime (voir note 1)
(N.d.T.).
*5. Un besoin accru d’attention, attendu du mari ou de la mère, a été observé dans des études de
groupes représentatifs de femmes par Wenner 4 et Ballou 5.
*6. Security, faux ami dont le sens est plus proche de celui de tranquillité d’esprit, d’absence
d’inquiétude que ne l’évoque le terme sécurité en français, dont l’équivalent anglais est safety.
Voir Wiart, op. cit. (N.d.T.).
*7. Voir en particulier les travaux de Stern 8, Sander 9, Brazelton, Koslowski et Main 10 et
Schaffer 11. Pour d’excellents comptes rendus, voir Schaffer et Stern 12. L’état de sensibilité
exacerbée qui se développe chez une femme pendant sa grossesse et plus particulièrement vers
la fin, et qui lui permet de « s’adapter délicatement et avec sensibilité » aux besoins de son bébé,
est un processus sur lequel Winnicott 13 a attiré l’attention.
*8. His base is secure (N.d.T.).
*9. Autonomy (N.d.T.).
*10. Dans une autre étude sur un échantillon plus important, menée aussi au Guatemala par la
même équipe de recherche, tous les résultats ont été dupliqués. Les échantillons étaient de
279 femmes dans le groupe sans soutien et de 186 dans le groupe avec. Non seulement la durée
du travail a diminué de moitié, mais l’incidence des complications périnatales aussi 27.
*11. Étant donné que des études plus récentes 28 n’ont pas retrouvé les premiers résultats quant
aux effets du contact précoce mère-bébé, le problème reste entier. Il se peut que dans ce
domaine sensible, les détails de la manière dont ce contact précoce est organisé et par qui
puissent expliquer les divergences.
*12. Caring (N.d.T.).
*13. Le rôle du contact physique étroit avec la mère pendant la petite enfance a été
particulièrement étudié par Ainsworth qui trouve que les enfants qui développent un
attachement sécure à leur mère sont ceux qui, lors des premiers mois, sont tenus le plus
longtemps dans les bras, d’une façon tendre et aimante 31.
*14. La prudence s’impose dans l’interprétation des résultats de ces deux études, car dans
aucune d’elles il n’est certain que la mère ait chaque fois été le parent maltraitant.
*1. Le décès prématuré de Ronald Hargreaves en 1962, alors qu’il était professeur de
psychiatrie à Leeds, a été une très grande perte pour la psychiatrie préventive.
*2. Version française de l’OMS : Soins maternels et Santé mentale. Pour les problèmes
soulevés par cette traduction du titre pour care, voir note 1. On peut y ajouter celui lié à mental
qui renvoie à psychique en opposition à physique, et non au sens strict de maladie mentale ou
psychiatrique (N.d.T.).
*3. Le Chagrin : un danger dans la petite enfance et John, 17 mois : séparation brève en
pouponnière, Paris, Copes, 2004.
*4. Deprivation of maternal care est habituellement traduit par carence de soins maternels, voir
à nouveau Wiart, op. cit. L’expression plus globale de privation d’attention a été préférée, qui ne
se limite pas à l’absence de la mère, mais fait référence à toute forme de violence psychologique
et physique exercée sur l’enfant, le privant de l’attention et de l’amour dont il a besoin pour se
développer harmonieusement. Bowlby la définit ainsi : « L’enfant dans ses jeunes années devrait
vivre une relation chaleureuse, intime et sans ruptures avec sa mère (ou substitut maternel stable
– une personne qui le “materne” de façon régulière), dont ils retirent tous deux joie et
satisfaction, […] une relation complexe, fertile et enrichissante, étoffée de multiples manières
par les liens avec le père et avec les frères et sœurs. Une situation dans laquelle l’enfant ne
bénéficie pas d’une telle relation est appelée “privation d’attention” 13. » (N.d.T.)
*5. Extrait de Maternal Care and Mental Health (N.d.T.).
*6. C’est l’expression actuellement employée par Thomas Kuhn 15 pour remplacer celui de
« paradigme », terme qu’il utilisait auparavant 16.
*7. Security, voir note 6 (N.d.T.).
*8. Traduction courante de separation anxiety, celle-ci pose ici un problème car
traditionnellement l’angoisse est définie comme une peur sans objet, or le propos de Bowlby est
de montrer qu’elle a bien un objet. Anxiety signifie inquiétude, peur, sans connotation théorique
particulière, il a été le plus souvent traduit ici par anxiété, et l’adjectif correspondant par
anxieux, ou encore inquiet, plus proche de son sens habituel en anglais (N.d.T.).
*9. Il s’agit ici de rendre l’opposition careseeker/caregiver, celui qui recherche de l’attention et
de l’amour, et celui qui en donne : l’enfant est ainsi attaché au donneur, son parent, sauf lorsque
les rôles s’inversent (N.d.T.).
*10. Comme Spiegel 35 l’a fait remarquer, l’expression « exclusion défensive » que j’utilise a
un sens très proche de l’« inattention sélective » de Sullivan.
*1. Efron 2 rapporte les circonstances dans lesquelles cet abrupt changement d’idée a eu lieu
chez Freud.
*2. Self-reliance (N.d.T.).
*1. Concernant l’adhésion de Freud aux idées de Lamarck, voir le volume III, chapitre X, de la
biographie de Freud par Ernest Jones 23. Pour l’influence de la loi biogénétique de Haeckel,
consulter la longue note éditoriale de James Strachey à sa traduction de Moïse et le
Monothéisme de Freud 24 et plus particulièrement l’enquête de Frank Sulloway sur les origines
de la métapsychologie freudienne 25.
*2. Ou les systèmes comportementaux.
*3. Family care (N.d.T.).
*4. La technique d’analyse adoptée par Mintz semble très proche de celle de Donald
W. Winnicott au Royaume-Uni ; voir la présentation de Guntrip 36.
*5. Care (N.d.T.).
*6. Le critère de réfutabilité sur lequel Popper a beaucoup insisté au départ n’est plus autant
mis en avant aujourd’hui ; même si la comparaison constante de prédictions dérivées de la
théorie avec une gamme de plus en plus étendue de données observées demeure centrale.
*7. Child care (N.d.T.).
*1. Voir note 2.
*2. Névrose et Croissance humaine (N.d.T.).
*3. Voir note 8.
*4. En anglais anger et anxiety (N.d.T.).
*5. Caregiving (N.d.T.).
*6. Dans une étude réalisée par Baldwin 5 portant sur trente-huit enfants ayant subi des mauvais
traitements physiques d’une exceptionnelle gravité, deux cinquièmes des parents avaient subi
des violences physiques dans leur enfance, et plus de la moitié des violences psychiques graves
ou prolongées. Baldwin attire l’attention sur la tendance marquée chez beaucoup de ces parents,
lors des entretiens, à recourir à de grandes généralisations sur leur enfance offrant une image
idéalisée, en contraste prononcé avec les épisodes sombres rapportés lorsqu’ils sont interrogés
en détail. Dans ce domaine, cliniciens et enquêteurs inexpérimentés risquent de se voir
sérieusement induits en erreur.
*7. Separation Anxiety Test, pour la traduction d’anxiety, voir note 8 (N.d.T.).
*8. L’étude de DeLozier a actuellement été dupliquée par Mitchell 9 sur une population de
mères hispano-américaines, aboutissant à des résultats quasi identiques.
*9. Parce qu’il est moins ambigu, je trouve le terme « redirigé » des éthologistes préférable à
son équivalent clinique de « déplacé ». Rediriger un comportement hostile en épargnant un
animal davantage dominant est un phénomène bien connu dans d’autres espèces.
*10. On sait aujourd’hui de source sûre que, moyennant un maternage sensible aux signaux du
bébé, les nouveau-nés difficiles se développent sans heurt, à seulement quelques exceptions
près 14 et qu’à l’inverse, un bébé potentiellement facile risque de rencontrer des problèmes de
développement si l’on est insensible à ses besoins 15.
*11. Je suis redevable à Pat Crittenden pour cet apport (communication personnelle), qui a
observé de tels comportements apparemment d’apaisement chez de jeunes enfants maltraités,
dont certains avaient moins de 2 ans. Des comportements similaires ont été observés aussi chez
de jeunes enfants dont les mères souffraient de dépression grave 16.
*12. Caregivers.
*13. Une autre initiative desservant une zone sérieusement défavorisée du centre de Londres, et
appelée Newpin, est aussi très prometteuse 37.
*14. Harrison 39 dresse la liste suivante : lorsqu’un parent souffre de troubles mentaux
chroniques reconnus, qu’il est atteint d’une maladie dégénérative grave, qu’il est récidiviste ou
qu’il tient à ce que l’enfant soit pris en charge par l’Assistance. Sont aussi exclues les familles
dans lesquelles les enfants courent le risque de mauvais traitements de la part du concubin de la
mère.
*1. Un long extrait du compte rendu de McCann est présenté dans le tome 3 d’Attachement et
Perte 14.
*2. Voir aussi Bliss 20. D’autres preuves du fait que les troubles de personnalités multiples se
développent durant l’enfance comme défense contre un traumatisme insurmontable,
généralement de graves abus, sont rapportées par Kluft 21.
*1. Dans des publications antérieures, j’ai parfois utilisé le terme « modèle de représentation »
comme synonyme de « modèle de travail » parce que la représentation est un concept plus
familier en littérature clinique. En psychologie dynamique, cependant, « modèle de travail » est
davantage approprié et c’est aussi le terme de plus en plus utilisé actuellement en psychologie
cognitive 1. Dans le cadre de l’attachement, le concept de modèle de travail d’une figure
d’attachement équivaut grandement et remplace le concept psychanalytique traditionnel d’objet
interne.
*2. Sur le couple indissociable careseeker et caregiver, voir aussi note 9 (N.d.T.).
*3. Secure (N.d.T.).
*4. Secure home base, port d’attache, base de repli au sens militaire, reprise dans la notion de
base sécure, environnement où l’on se sent en confiance. Voir ici (N.d.T.).
*5. Un examen supplémentaire des données a montré que toutes ces corrélations se vérifiaient
aussi avec les pères (Main, communication personnelle).
*1. Dans l’approche traditionnelle, ce changement de rôle endossé par le patient est
généralement appelé « identification à l’agresseur ».
*2. Ayant accordé beaucoup d’attention aux effets négatifs sur le développement de la
personnalité des deuils et des séparations prolongées dans des publications précédentes, ces
thèmes ne sont pas présents dans ce qui suit.
*3. Dans le cadre de la recherche, cependant, les critères d’acceptation des informations
rétrospectives comme fiables sont bien plus stricts.
*1. Préface à l’édition Routledge Classics.
*2. Dans ce livre, Bowlby applique la théorie de l’attachement à l’explication du
déclenchement de maladies et de symptômes physiques dont Darwin a souffert toute sa vie,
illustrant aussi la transmission transgénérationnelle de la violence psychologique et du blocage
des affects dans cette famille (N.d.T.).
*3. Entretien d’attachement adulte.
*4. Security, voir note 6, et Wiart, op. cit., sur les questions de la mesure de l’attachement et des
noms de variables associées, ainsi que sur les problèmes posés par la dérive actuelle consistant à
réduire la théorie de l’attachement à une théorie de la sécurité, au sens d’absence de danger
(N.d.T.).
*5. Jeu interactif sensible et stimulant.
*6. Security, voir note 4 (N.d.T.).
*7. Entretien d’attachement adulte patient-thérapeute (N.d.T.).

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