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Titre original
A SECURE BASE
CLINICAL APPLICATIONS OF ATTACHMENT THEORY
© R.P.L. Bowlby, R.J.M. Bowlby and A. Gaitling, 1988
Postface
© Jeremy Holmes, 2005
Traduction française
LE LIEN, LA PSYCHANALYSE ET L’ART D’ÊTRE PARENT
© Albin Michel, 2011
Publiée avec l’accord de l’éditeur original, Routledge,
membre de The Taylor & Francis Group.
Tous droits réservés.
ISBN : 978-2-226-47277-9
En 1979, sous le titre The Making and Breaking of Affectional Bonds *1,
j’ai publié un petit ensemble de conférences que j’avais données à des
publics variés au cours des vingt années précédentes. Dans ce volume, je
présente une autre sélection d’interventions faites depuis. Les cinq
premières ont eu un public ciblé dans un cadre spécifique, dont les détails
sont brièvement rapportés en préambule. Les trois dernières sont des
versions étoffées de présentations improvisées à l’intention de
professionnels de la santé mentale d’Europe et des États-Unis. Comme dans
l’ouvrage précédent, j’ai pensé qu’il était préférable de leur conserver ici
une forme proche de celle d’origine.
La théorie de l’attachement servant de base à chacune d’elles, des
passages ont été omis pour éviter trop de répétitions. Celles qui ont été
gardées permettront, je l’espère, d’éclaircir et de mettre en relief les
caractéristiques majeures de la théorie, par la présentation des mêmes idées
dans différents contextes.
Par ailleurs, je suis quelque peu surpris, en tant que clinicien ayant
formulé la théorie de l’attachement pour améliorer le diagnostic et le
traitement de patients et de familles émotionnellement perturbés, que celle-
ci n’ait essentiellement servi jusqu’ici qu’à faire avancer la recherche en
psychologie du développement. Même si je me réjouis des résultats de ces
travaux, car ils permettent de bien mieux comprendre le développement de
la personnalité et celui de la psychopathologie, ce qui est indispensable à
une meilleure prise en charge, je suis néanmoins déçu que les cliniciens
mettent autant de temps à les intégrer dans leur pratique. Il y a sans doute
plusieurs raisons à cela. D’un côté, les données livrées à l’appui de la
théorie sont initialement apparues comme un peu trop comportementales.
De l’autre, les cliniciens sont des gens très occupés, naturellement réticents
à consacrer du temps à la maîtrise d’un cadre conceptuel nouveau, étranger
à leurs habitudes, jusqu’à ce qu’ils aient de bonnes raisons de croire que
faire cet effort améliorera leur compréhension clinique, ainsi que leur
compétence thérapeutique. Pour ceux qui ont aujourd’hui décidé de franchir
le pas, les conférences rassemblées ici constitueront, je l’espère, une bonne
introduction à cette nouvelle approche.
1.
Dans les premiers mois de 1980, j’ai donné des conférences aux États-
Unis. Parmi les invitations qui me sont parvenues en figurait une du
personnel du service psychiatrique de l’hôpital Michael Reese de Chicago
me demandant de parler de la fonction de parent *2.
L’ANGOISSE DE SÉPARATION
Par exemple, il offre un nouvel éclairage au problème de l’angoisse de
séparation *8, à savoir la peur de perdre quelqu’un qu’on aime, ou de s’en
trouver séparé. La raison pour laquelle la « simple séparation » cause de
l’inquiétude est un mystère. Freud s’est battu avec ce problème et a avancé
plusieurs hypothèses 23. Tous les autres leaders de la psychanalyse ont fait
de même. Sans aucun moyen de les évaluer, de nombreuses écoles de
pensée divergentes se sont multipliées.
Le problème réside, à mon sens, dans une hypothèse non remise en
cause, faite non seulement par des psychanalystes mais aussi par des
psychiatres plus traditionnels, selon laquelle la peur est provoquée chez une
personne saine d’esprit uniquement par des situations que tout le monde
perçoit comme intrinsèquement douloureuses ou dangereuses, ou qui sont
considérées comme telles par un seul individu uniquement parce qu’il a été
conditionné à les percevoir ainsi. Comme la peur de la séparation et de la
perte ne correspond pas à cette formule, les analystes en ont conclu que ce
qui est craint est en fait une tout autre situation ; et un grand nombre
d’hypothèses variées ont été proposées.
Les difficultés disparaissent, cependant, dès qu’on adopte une approche
éthologique. Car il devient alors évident que l’homme, comme les autres
animaux, réagit par la peur à certaines situations, non en raison du risque
élevé de douleur ou de danger qu’elles comportent, mais en raison de
l’augmentation du risque qu’elles indiquent. Ainsi, les animaux de
nombreuses espèces, y compris l’homme, ont tendance à répondre par la
peur à un mouvement soudain ou à un changement brutal de niveau sonore
ou lumineux parce qu’une telle réaction a une valeur de survie, tout comme
ils ont tendance à réagir de la même façon à la séparation d’avec un tiers
susceptible de s’occuper d’eux, et ce exactement pour les mêmes raisons.
Lorsqu’on envisage l’angoisse de séparation sous cet angle, en tant que
disposition humaine de base, un seul petit pas est nécessaire pour
comprendre pourquoi les menaces d’abandonner un enfant, souvent
utilisées comme moyens de contrôle, sont à ce point terrifiantes. De telles
menaces, ainsi que les menaces de suicide d’un parent, sont, nous le savons
maintenant, des causes courantes d’angoisse de séparation exacerbée.
L’extraordinaire négligence de ces faits dans la théorie clinique classique
est due, je présume, non seulement à une conceptualisation inappropriée de
l’angoisse de séparation, mais à l’absence de valeur accordée aux puissants
effets, à tout âge, des événements de la vie réelle.
Non seulement les menaces d’abandon engendrent une anxiété intense,
mais elles provoquent de la colère, souvent très intense aussi, en particulier
chez les enfants et les adolescents. Cette colère, dont la fonction est de
dissuader la figure d’attachement de mettre sa menace à exécution, peut
facilement devenir dysfonctionnelle. C’est dans cette perspective, je pense,
que nous pouvons comprendre le comportement si absurdement paradoxal
de cet adolescent, cité par Burnham 24 qui, après avoir assassiné sa mère,
s’est exclamé : « Je ne pouvais pas supporter qu’elle me quitte. »
D’autres situations familiales pathogènes sont faciles à expliquer dans
les termes de la théorie de l’attachement. Un exemple assez courant est
celui de l’enfant qui a une relation si étroite à sa mère qu’il a des difficultés
à avoir une vie sociale hors de la famille, relation parfois décrite comme
symbiotique. Le plus souvent, la cause du trouble peut être rapportée à la
mère qui, ayant développé un attachement anxieux en raison d’une enfance
difficile, cherche maintenant à faire de son propre enfant sa figure
d’attachement. Loin d’être trop gâté, comme on l’affirme parfois, l’enfant
porte le poids de devoir s’occuper de sa mère. Ainsi, dans de tels cas, la
relation normale d’un enfant attaché à un parent caregiver *9 se trouve-t-elle
inversée.
LE DEUIL
Alors que l’angoisse de séparation est la réponse habituelle à une
menace de perte ou à tout autre risque du même ordre, le deuil est celle qui
fait suite à une perte effective. Dans les premiers temps de la psychanalyse,
plusieurs analystes ont repéré que les pertes, au cours de l’enfance ou plus
tard dans la vie, jouaient un rôle causal dans les troubles émotionnels, en
particulier dans la dépression ; et dès 1950 un certain nombre de théories
sur la nature du deuil, et des autres réactions à la perte, ont été proposées.
Par ailleurs, la controverse faisait déjà rage. Elle avait débuté dans les
années 1930, en raison des divergences théoriques sur le développement du
bébé, entre Vienne et Londres. Des exemples représentatifs de ces
différences de point de vue sur le deuil se trouvent dans l’article d’Hélène
Deutsch « Absence of grief 25 » et dans celui de Melanie Klein « Le deuil et
ses rapports avec les états maniaco-dépressifs 26 ». Deutsch soutenait qu’en
raison d’un développement psychique incomplet, les enfants n’étaient pas
en mesure de vivre le deuil, tandis que Klein affirmait que non seulement ils
en étaient capables, mais qu’ils le faisaient. Dans la logique de l’accent
qu’elle plaçait sur l’alimentation, cependant, elle estimait que l’objet du
deuil était la perte du sein ; et elle attribuait en outre une vie fantasmatique
complexe au bébé. Quoique opposées, ces deux positions théoriques étaient
fondées sur la même méthodologie, à savoir des inférences quant aux
phases précoces du développement psychologique sur la base
d’observations recueillies au cours de l’analyse de sujets plus âgés et
émotionnellement perturbés. Aucune de ces deux théories n’avait été
vérifiée par l’observation directe de la manière dont des enfants normaux
d’âges divers réagissent à la perte.
Aborder la question de manière prospective, comme je l’ai fait, m’a
conduit à des conclusions différentes. Au début des années 1950, Robertson
et moi avions pu généraliser les réactions observées chez de jeunes enfants
lors de séparations temporaires d’avec leur mère, en une séquence de
protestation, de désespoir, et de détachement 27. Quelques années plus tard,
en lisant une étude de Marris 28 sur la manière dont les veuves réagissent à la
perte de leur époux, j’ai été frappé par la similitude entre les réactions qu’il
décrivait et celles des jeunes enfants. Cela m’a conduit à une étude
systématique de la littérature sur le deuil, en particulier celui des adultes en
bonne santé. Il est devenu clair pour moi que la séquence de réactions
généralement présente était très différente de ce que supposaient les
théoriciens de la clinique. Non seulement le deuil, chez des adultes en
bonne santé, dure plus longtemps que les six mois souvent estimés à
l’époque, mais plusieurs de ses composantes largement considérées comme
pathologiques s’observent couramment dans un deuil sain. Parmi celles-ci,
on trouve la colère, dirigée contre des tiers, contre soi-même et parfois
contre la personne décédée, une incrédulité quant à la réalité de la perte
(appelée « déni », de manière trompeuse), et une tendance souvent
inconsciente, même si ce n’est pas systématique, à rechercher la personne
perdue dans l’espoir d’une réunion avec elle. Plus le tableau des réactions
de deuil des adultes se précisait, plus les similarités avec les réactions
observées dans l’enfance m’apparaissaient clairement. Cette conclusion a
fait l’objet de nombreuses critiques lors de sa présentation 29 ; mais elle se
trouve aujourd’hui largement soutenue par un certain nombre d’études
effectuées depuis 30.
Une fois que l’on dispose d’une image exacte du deuil sain, il devient
possible d’identifier les indicateurs réels de pathologie. Il devient aussi
possible de discerner la plupart des conditions favorisant une évolution
saine de ce deuil, et celles menant à la pathologie. Croire que les enfants
sont incapables de deuil apparaît alors comme issu de généralisations sur la
base d’analyses d’enfants dont le deuil a suivi un cours atypique. Dans de
nombreux cas, cela est dû soit à ce que l’enfant n’a jamais eu
d’informations exactes sur ce qui s’est passé, soit à ce qu’il n’a pu
bénéficier de la présence de quelqu’un de compatissant l’ayant aidé à
accepter progressivement la perte subie, sa nostalgie vis-à-vis du parent
perdu, sa colère et son chagrin.
PROCESSUS DÉFENSIFS
La recherche
Rien ne s’est révélé plus satisfaisant que la multitude de recherches
minutieuses inspirées par les premiers travaux sur la privation d’attention.
La littérature actuelle est considérable, et impossible à résumer dans le
cadre d’une présentation comme celle-ci. Il s’avère heureusement, par
ailleurs, que cela n’est pas nécessaire, une revue critique complète du sujet
ayant été publiée par Rutter 41, qui se conclut par une référence à
« l’accumulation constante de preuves quant à l’importance de la privation
et de son impact négatif sur le développement psychique des enfants »,
exprimant l’opinion que les arguments d’origine « ont été amplement
confirmés ». Une des principales découvertes des travaux récents est
l’ampleur de l’interaction entre deux expériences négatives ou davantage,
qui multiplie le risque de troubles psychologiques, souvent de manière très
élevée. Un exemple de ces effets cumulés des expériences négatives
s’observe dans les travaux de Brown et Harris 42 sur les troubles dépressifs
chez les femmes. (Ces dix dernières années, ce groupe a publié beaucoup
d’autres résultats du plus grand intérêt 43.)
Non seulement les expériences négatives ont cet important effet
cumulatif, mais il existe encore une probabilité accrue chez quelqu’un ayant
vécu une épreuve par le passé d’en rencontrer d’autres par la suite. Par
exemple, « les personnes élevées dans des familles malheureuses ou
désorganisées sont davantage susceptibles d’avoir des enfants illégitimes,
de devenir mères à l’adolescence, de nouer des unions malheureuses et de
divorcer 44 ». Ainsi, le vécu négatif de l’enfance a des effets d’au moins
deux sortes. D’abord, il rend l’individu plus vulnérable à de futures
épreuves. Ensuite, il accroît la probabilité pour lui de faire à nouveau ce
type d’expériences. Ce qui s’est mal passé dans l’enfance est généralement
totalement indépendant de la volonté des personnes concernées, par contre
ce qui se produit après résulte le plus souvent de leurs propres actes, actes
découlant des troubles de la personnalité engendrés par les expériences
passées.
Parmi les nombreux types de troubles psychologiques que l’on peut
rapporter, en tout ou partie, à la privation d’attention, les plus préoccupants
sont sans doute ses effets sur le comportement parental et donc sur la
génération suivante. Ainsi, une mère qui, à la suite d’expériences négatives
dans l’enfance, devient une adulte à l’attachement anxieux risque fort de
chercher à ce que son propre enfant s’occupe d’elle, le conduisant par là
même à développer de l’anxiété, de la culpabilité, et peut-être une phobie 45.
Une mère qui, enfant, a souffert de négligence et de fréquentes menaces
graves d’abandon ou de coups risque plus que les autres de maltraiter
physiquement son enfant 46, avec les conséquences négatives sur le
développement de sa personnalité enregistrées entre autres par George et
Main 47. La recherche systématique sur l’impact des expériences du passé
des parents sur le traitement de leurs enfants en est seulement à ses débuts,
mais elle semble être une des plus prometteuses pour l’avenir. D’autres
pistes sont décrites dans un récent symposium publié par Parkes et
Stevenson-Hinde 48.
Si j’ai accordé autant de place dans cette présentation au développement
de la théorie, c’est non seulement parce qu’il a occupé une part très
importante de mon temps, mais aussi parce que, comme Kurt Lewin en a
fait la remarque il y a longtemps, « il n’existe rien de plus pratique qu’une
bonne théorie », et bien entendu, rien de plus handicapant qu’une mauvaise.
Sans le guide d’une bonne théorie, la recherche n’est pas facile à planifier,
elle a des chances de se révéler improductive, et ses résultats seront
difficiles à interpréter. Sans une théorie suffisamment correcte de la
psychopathologie, les techniques thérapeutiques restent grossières et d’un
bénéfice incertain. Sans une théorie suffisamment correcte de l’étiologie,
les mesures systématiques de prévention qui font consensus ne seront
jamais subventionnées. Mon espoir est qu’à long terme, la plus grande
valeur de la théorie que je propose se révèle être l’éclairage qu’elle apporte
sur les conditions les plus favorables au développement sain de la
personnalité. Ce n’est que lorsque ces conditions ne feront plus aucun doute
que les parents sauront ce qui est le mieux pour leurs enfants, et que les
pouvoirs publics seront disposés à les aider pour qu’ils puissent le leur
apporter.
3.
La psychanalyse :
un art et une science
Champ d’étude
L’objectif du praticien, par rapport à chaque problème clinique auquel il
est confronté, est d’en retenir un maximum d’aspects possibles. Cela lui
demande non seulement d’appliquer tout principe scientifique qui semble
adapté, mais aussi de s’appuyer sur l’expérience personnelle qu’il a pu
acquérir de ce trouble et, en particulier, de prêter attention à la configuration
unique de caractéristiques présentée par chaque patient. Au vu des grandes
différences entre les patients, le clinicien expérimenté reconnaît que la
forme de traitement qui convient à l’un serait totalement inappropriée pour
l’autre. La prise en compte de tous les facteurs, et le poids exact à accorder
à chacun, est tout l’art du jugement clinique.
La perspective du chercheur est tout à fait autre. Dans ses efforts pour
discerner les schémas généraux qui sous-tendent la variété individuelle, il
néglige le particulier et s’efforce de simplifier, courant alors le risque d’un
excès en ce sens. S’il est sage, il se concentrera sans doute sur un aspect
limité d’un problème limité. S’il se montre perspicace dans son choix, ou
qu’il a simplement de la chance, il peut non seulement élucider le problème
sélectionné, mais aussi développer des idées applicables à un domaine plus
large. Si son choix ne s’avère pas judicieux ou qu’il manque de chance, il
peut se retrouver à acquérir de plus en plus de connaissances dans un champ
de plus en plus restreint. C’est le risque que court chaque chercheur. L’art
de la recherche réside dans la sélection d’un problème gérable limité, et de
la méthode qui permettra de le résoudre au mieux. Cela me conduit à mon
deuxième point.
Le scepticisme et la foi
Dans son travail au quotidien, un scientifique doit faire preuve d’un
niveau élevé de sens critique et d’autocritique : et dans l’univers dans lequel
il évolue, ni les données ni les théories d’un leader, quelle que soit
l’admiration que l’on puisse lui vouer sur le plan personnel, n’échappent à
la remise en question et à la critique. Il n’y a pas de place pour l’autorité.
Cela n’est pas vrai dans l’exercice d’une profession. Pour être efficace,
un praticien doit être prêt à agir sans interroger la validité de certains
principes et de certaines théories, et dans le choix de ceux qu’il adopte, il se
laissera probablement guider par les personnes d’expérience dont il reçoit
l’enseignement. Par ailleurs, comme nous avons tous tendance à être
impressionnés par le succès apparent de l’application d’une théorie, les
praticiens risquent particulièrement d’avoir foi en une approche, au-delà de
ce que peuvent justifier les preuves disponibles.
Du point de vue de la pratique clinique, cela n’est pas une mauvaise
chose. Au contraire, il est grandement avéré que l’immense majorité des
patients sont aidés par la foi et l’espoir qu’un praticien met dans son
travail ; alors que c’est souvent l’absence même de ces qualités qui rend
tant d’excellents chercheurs tristement mal équipés pour être thérapeutes.
Cependant, bien que la foi en la validité de données spécifiques et de
théories spécifiques ne soit pas de mise chez un scientifique, je ne souhaite
pas sous-entendre que celui-ci n’est qu’un sceptique. Au contraire, toute sa
manière de vivre est fondée sur la foi, celle de croire qu’à long terme, le
meilleur accès à des connaissances fiables est dans l’application de la
méthode scientifique.
Je suis, bien entendu, conscient que nombre de psychanalystes ne
partagent pas cette foi, et croient que les types de problèmes auxquels ils
sont confrontés sont très éloignés du champ de la science. C’est un point de
vue que je respecte, bien que je ne le partage pas : pas plus que ne le
partageait Freud, bien entendu. Cela étant, même ceux qui parmi nous sont
les plus enthousiastes quant à l’application de la méthode scientifique dans
notre domaine doivent admettre qu’il existe certainement des problèmes
qu’elle ne pourra jamais résoudre. Nous avouons simplement notre
ignorance. Notre tâche, telle que je la conçois, consiste à appliquer notre
méthode aussi habilement que possible, en croyant d’un côté que l’étendue
des connaissances fiables en sera augmentée, et en acceptant de l’autre que
demeureront probablement toujours de plus vastes zones inaccessibles à
tout mode d’investigation scientifique existant.
Pour beaucoup d’entre vous, j’en ai peur, engagés dans une pratique
thérapeutique, mais espérant aussi contribuer à l’avancée de la science
psychanalytique, la distinction que j’opère entre le rôle de praticien et celui
de scientifique ne sera guère la bienvenue. Pourtant, je pense que c’est
seulement en reconnaissant ces différences et en agissant en conséquence
que les atouts de chacun de ces rôles pourront au mieux être mis à profit –
ou qu’une personne pourra espérer occuper les deux avec un quelconque
succès. En tant que praticiens, nous sommes confrontés à la complexité ; en
tant que scientifiques, nous nous efforçons de simplifier. En tant que
praticiens, la théorie nous sert de guide ; en tant que scientifiques, nous
remettons en question cette même théorie. En tant que praticiens, nous
acceptons des modes d’investigation restreints ; en tant que scientifiques,
nous nous approprions toute méthode à notre disposition.
J’ai fait remarquer plus haut que chaque science en développement a
besoin de concevoir de nouveaux outils pour obtenir des données. Cela est
dû au fait que toute méthode a ses limites, même si elle peut se révéler très
fructueuse par ailleurs, et il existe toujours la perspective qu’un autre outil
comble ces lacunes. Ainsi, la nouvelle méthode peut n’être en rien
supérieure à la précédente ; elle peut même être très limitée. Son utilité
réside simplement dans le fait que ses atouts et ses faiblesses sont
différents. Sans doute puis-je illustrer ce point en prenant exemple de mes
propres travaux.
Quand je me suis qualifié comme psychanalyste en 1937, les membres
de la Société britannique de psychanalyse étaient occupés à explorer le
monde des fantasmes des enfants et des adultes, et il était considéré comme
quasiment hors du ressort d’un analyste de prêter une attention
systématique au vécu réel de la personne. C’était une époque où la célèbre
volte-face de Freud en 1897 concernant l’étiologie de l’hystérie *1 avait
conduit à l’idée que quiconque accordant de l’importance à ce qu’un enfant
avait pu réellement vivre et était peut-être encore en train de vivre était
d’une naïveté pitoyable. Par définition presque, il était établi que quiconque
intéressé par l’univers extérieur ne pouvait se préoccuper du monde
intérieur, et était presque certainement en train de le fuir, en réalité.
En tant que biologiste, cette opposition intérieur versus extérieur,
organisme versus environnement, ne m’a jamais personnellement attiré. De
plus, en tant que psychiatre engagé dans un travail avec les enfants et les
familles, et profondément influencé par la clairvoyance des conclusions de
deux travailleurs sociaux d’orientation analytique, j’étais quotidiennement
confronté à l’impact sur les enfants des problèmes affectifs dont souffraient
leurs parents. Voici deux exemples qui m’ont laissé un vif souvenir. Le
premier est celui d’un homme profondément soucieux de la masturbation de
son fils de 8 ans, et qui, en réponse à mes questions, m’a expliqué que
chaque fois qu’il le surprenait la main sur le sexe, il le mettait sous un
robinet d’eau froide. Cela m’a conduit à demander au père si lui-même
avait jamais eu des problèmes avec la masturbation, et il s’est lancé dans le
long et pathétique récit de son combat contre cette pratique depuis toujours.
Le deuxième est celui du traitement punitif infligé par une mère à son
enfant de 3 ans pour sa jalousie envers le nouveau bébé, qui a été aussi
rapidement rapporté au problème jamais réglé chez elle de ce même
sentiment envers un frère plus jeune.
Des observations de ce genre m’ont conduit à la conclusion qu’il est
tout aussi nécessaire pour un analyste d’étudier la manière dont un enfant
est réellement traité par ses parents que d’étudier la représentation interne
qu’il se fait d’eux, et qu’en réalité la principale cible de notre attention
devrait être l’interaction de l’une avec l’autre, de l’intérieur avec l’extérieur.
Pensant que cela ne serait possible que grâce à une connaissance bien plus
systématique des effets sur les enfants des expériences vécues pendant leurs
jeunes années au sein de la famille, je me suis concentré sur ce domaine. Il
y a eu de multiples raisons à mon choix de retenir comme champ d’étude
spécifique le retrait d’un jeune enfant de son foyer, envoyé en pouponnière
ou à l’hôpital, plutôt que le domaine plus large des interactions parent-
enfant. Premièrement, c’est un événement qui, à mon sens, pouvait avoir de
graves répercussions sur le développement de la personnalité de l’enfant.
Deuxièmement, il ne pouvait y avoir aucun débat quant au fait que cela ait
eu lieu ou non, ce qui contrastait fortement à cet égard avec la difficulté
d’obtention d’informations fiables sur la manière dont un parent traite son
enfant. Troisièmement, cela semblait être un domaine où la prévention
pouvait s’envisager. Et sans doute devrais-je ajouter, quatrièmement, que
j’étais stimulé par la totale incrédulité avec laquelle mes vues avaient été
accueillies par mes collègues, du moins par certains d’entre eux, lorsque
j’en avais pour la première fois fait état, juste avant la guerre.
Les résultats des études qui ont suivi, entreprises par deux chercheurs
qui se sont par la suite qualifiés comme analystes, James Robertson et
Christoph Heinicke, sont aujourd’hui bien connus ; et je pense qu’ils ont eu
un impact significatif sur la réflexion psychanalytique. Ce que je souhaite
faire comprendre maintenant, néanmoins, concerne la stratégie de
recherche. En dépit des travaux pionniers d’analystes distingués comme
Anna Freud, René Spitz, Ernst Kris, Margaret Mahler et d’autres, il existe
depuis longtemps dans les cercles analytiques une tendance à considérer
l’observation directe des jeunes enfants et l’enregistrement de ce qu’ils
disent comme une simple méthode de recherche auxiliaire, dont les résultats
ont de l’intérêt lorsqu’ils confirment les conclusions auxquelles on est déjà
parvenu par la méthode traditionnelle de traitement des patients, mais qui
sont incapables d’apporter quoi que ce soit d’original. L’idée que
l’observation directe des enfants – dans le cadre familial ou en dehors –
constitue non seulement un outil valable pour l’avancement de la science
psychanalytique, mais qu’elle lui est indispensable, est très lente à se voir
accepter.
Les principales contributions de ces études directes sont, je crois, de
mettre en lumière la manière dont les enfants se développent sur le plan
émotionnel et social, l’étendue des variations en fonction d’un très grand
nombre de paramètres pertinents, et le type d’expériences familiales qui
tendent à influer sur ce développement dans un sens plutôt que dans un
autre. Permettez-moi de donner quelques exemples de résultats obtenus par
des collègues des sciences apparentées à la nôtre que sont l’éthologie et la
psychologie du développement, et qui sont tout à fait en lien avec notre
compréhension clinique.
Le premier exemple est extrait des travaux de Mary Salter Ainsworth 3,
anciennement à l’université Johns Hopkins, et aujourd’hui à l’université de
Virginie. Psychologue clinicienne à l’origine, Mary Ainsworth a travaillé
avec nous à la Tavistock Clinic au début des années 1950, puis elle a passé
deux ans à étudier des mères et leur bébé en Ouganda. Son étude
fondamentale porte sur le développement de l’interaction mère-enfant
pendant la première année de vie dans des familles blanches de classe
moyenne de Baltimore, Maryland. Elle a été en analyse, et elle est très au
fait des types de problèmes considérés comme importants par les analystes.
Lors de son étude sur les mères et leur bébé en Ouganda, Ainsworth a
été frappée par la manière dont les enfants, une fois mobiles, utilisent
généralement leur mère comme base à partir de laquelle explorer. Quand les
conditions sont favorables, le bébé part à la découverte à distance de sa
mère, et revient vers elle de temps à autre. Dès 8 mois, presque tous les
enfants qui avaient une figure maternelle stable à laquelle ils pouvaient
s’attacher ont fait preuve de ce comportement ; mais, dès que la mère
s’absentait, ces excursions organisées devenaient beaucoup moins évidentes
ou cessaient. Au vu de ces observations et d’autres du même ordre, à la fois
chez les humains et chez les bébés singes, on a élaboré l’idée qu’une mère
suffisamment bonne sert à son enfant de base sécure à partir de laquelle il
peut partir à l’aventure, et à laquelle il revient dès qu’il est bouleversé ou
effrayé. Des observations semblables, bien sûr, ont été réalisées par
Margaret Mahler 4, même si son interprétation s’est faite dans un cadre
théorique différent de celui qu’Ainsworth et moi-même utilisons. Ce
concept de base personnelle sécure, à partir de laquelle un enfant, un
adolescent, ou un adulte part en exploration, et à laquelle il revient de temps
à autre, est un élément que j’en suis venu à considérer comme crucial dans
la compréhension de la manière dont une personne stable sur le plan
émotionnel se développe et fonctionne tout au long de sa vie.
Dans son projet à Baltimore, Ainsworth a pu non seulement étudier ce
type de comportement de plus près, mais aussi en décrire de nombreuses
variations individuelles dans un échantillon de vingt-trois bébés de 12 mois.
Elle a observé leur comportement exploratoire et celui d’attachement, ainsi
que l’équilibre entre les deux, à la fois lorsque les enfants étaient chez eux
avec leur mère et quand ils étaient placés dans une situation expérimentale
légèrement étrange. De plus, ayant recueilli des données sur le type de
maternage dont chaque bébé avait fait l’objet pendant sa première année
(par des séquences d’observation prolongées toutes les trois semaines à
domicile), Ainsworth a été en mesure de formuler des hypothèses quant à la
relation entre certains types de développement émotionnel et
comportemental à 12 mois et certaines formes de maternage vécues
précédemment.
Les résultats de cette étude d’Ainsworth 5 montrent que la manière dont
un bébé de 12 mois se comporte à la maison en la présence ou en l’absence
de sa mère, et ce qu’il fait dans les mêmes circonstances dans une situation
expérimentale légèrement étrange, ont beaucoup en commun. En
s’appuyant sur les observations comportementales dans ces deux types de
contextes, il est alors possible de classer les bébés en trois groupes
principaux, en fonction de deux critères : (a) le degré d’exploration selon la
présence ou non de la mère, et (b) la manière dont ils traitent celle-ci –
lorsqu’elle est présente, lorsqu’elle s’en va et particulièrement, lorsqu’elle
revient.
Il y avait huit enfants dont le comportement global à leur premier
anniversaire était, selon Ainsworth, de bon augure pour l’avenir. Ils
faisaient preuve d’une exploration active, en particulier en présence de leur
mère, et ils utilisaient celle-ci comme une base, attentifs à l’endroit où elle
se trouvait, échangeant avec elle des regards, et revenant vers elle de temps
à autre pour partager leur expérience dans le plaisir d’un contact mutuel.
Lorsque la mère s’absentait un instant, elle était chaudement accueillie à
son retour. Je nommerai ces enfants le groupe X.
Il n’y avait pas moins de onze enfants dont le comportement global était
source de préoccupation, et que j’appellerai le groupe Z. Trois d’entre eux
étaient passifs, à la maison et lors du test expérimental ; leur exploration
était faible et ils suçaient leur pouce ou se balançaient à la place.
Constamment inquiets de l’endroit où se trouvait leur mère, ils pleuraient
beaucoup en son absence, mais se montraient contrariants et difficiles à son
retour. Les huit autres enfants de ce groupe faisaient preuve d’une
alternance entre un comportement en apparence très indépendant, ignorant
complètement leur mère, et une anxiété subite les conduisant à essayer de la
retrouver. Cependant, lorsqu’ils la rejoignaient, ils ne semblaient pas
apprécier son contact et luttaient souvent pour s’éloigner à nouveau. En fait,
ils présentaient le tableau classique de l’ambivalence.
Les quatre derniers enfants parmi les vingt-trois étudiés ont été jugés
être à leur premier anniversaire dans une position intermédiaire entre ceux
au pronostic favorable et ceux pour lesquels l’avis était réservé. Je les
appellerai le groupe Y.
Étant donné que toutes les trois semaines durant la courte vie de ces
bébés, les chercheurs avaient passé trois heures à domicile à observer le
comportement de la mère et de l’enfant, ils disposaient de nombreuses
données de première main pour servir de base à l’évaluation de l’attitude
maternelle. Pour ces évaluations, Ainsworth a utilisé quatre échelles
distinctes en neuf points ; mais au vu des corrélations fortes de ces échelles
entre elles, une échelle suffit pour notre propos – celle qui mesure le degré
de sensibilité ou d’insensibilité de la mère aux signaux et aux
communications de son enfant. Tandis qu’une mère sensible semble
constamment « sur la fréquence » de réception des signaux de son bébé,
qu’elle a tendance à les interpréter correctement, et à y répondre sans
attendre et de façon appropriée, une mère insensible ne remarque souvent
pas ces signaux, les interprète mal lorsqu’elle les repère, et elle y répond
avec délai, de manière inappropriée ou pas du tout. Lorsque l’on examine
les scores à cette échelle des mères des bébés de chacun des groupes, on
trouve que celles des huit enfants du groupe X ont toutes des notes élevées
(entre 5,5 et 9,0), celles des onze bébés du groupe Z, des notes faibles (entre
1,0 et 3,5) et celles des quatre bébés du groupe Y sont entre les deux (scores
de 4,5 à 5,5). Ces différences sont statistiquement significatives.
Il est clair que davantage de recherches sont nécessaires avant de
pouvoir conclure de manière fiable. Cependant, le schéma global de
développement de la personnalité et d’interaction mère-enfant visible à
12 mois est suffisamment proche de celui qu’on observe à un âge plus
avancé pour qu’il paraisse plausible de croire que l’un est le précurseur de
l’autre. Pour le moins, les résultats d’Ainsworth montrent qu’un bébé, dont
la mère est sensible, accessible et réceptive, qui accepte son comportement
et se montre coopérative avec lui, est loin d’être l’enfant exigeant et
malheureux suggéré par certaines théories. Au contraire, un tel maternage
est de toute évidence compatible avec le développement chez un enfant
d’une certaine dose d’assurance *2 dès son premier anniversaire, combinée à
une grande confiance en sa mère et au plaisir non dissimulé d’être en sa
compagnie.
À l’inverse, les mères insensibles aux signaux de leur enfant, sans doute
en raison d’autres préoccupations et d’autres soucis, qui ignorent leur bébé
ou interfèrent avec ses activités de manière arbitraire, ou encore qui les
rejettent tout simplement, risquent d’avoir des enfants malheureux, ou
anxieux, ou difficiles. Toute personne ayant travaillé dans une clinique
accueillant des enfants ou des adolescents perturbés ne sera guère surprise
par cette découverte.
Bien que la corrélation trouvée par Ainsworth entre la sensibilité de la
mère à son bébé et le comportement de celui-ci envers elle à 12 mois soit
fortement significative sur le plan statistique et ait été confirmée dans les
études qui ont suivi, il est toujours possible de soutenir que c’est le bébé, et
non la mère, dont le rôle est prépondérant dans le développement
d’interactions heureuses ou non. Certains bébés sont d’un tempérament
difficile à la naissance, argumente-t-on, et on ne peut s’attendre à autre
chose qu’à des réactions négatives de leurs mères à leur encontre.
Je ne pense pas que les données confirment ce point de vue. Par
exemple, les observations faites lors des trois premiers mois de vie des
enfants de l’étude n’ont montré aucune corrélation entre la quantité de
pleurs d’un bébé et la manière dont sa mère le traitait ; tandis qu’à la fin de
la première année, les mères qui s’étaient empressées de s’occuper de leur
bébé en pleurs avaient des enfants qui pleuraient beaucoup moins que ceux
dont les mères n’avaient pas réagi.
Il existe encore d’autres résultats, dont certains sont mentionnés dans la
sixième conférence, qui corroborent l’idée que dans tous les cas, à quelques
rares exceptions près, c’est la mère la principale responsable de la manière
dont l’interaction évolue.
En s’appuyant sur ses propres observations à domicile, Ainsworth fait
une description saisissante de ce qui peut arriver. Par exemple, elle rapporte
être restée sans bouger dans des maisons, au milieu des pleurs d’un bébé,
comptant les minutes avant que la mère ne réagisse. Dans certains cas,
celle-ci restait assise aussi longtemps qu’elle pouvait le supporter, croyant
que ce ne serait pas bon pour l’enfant et que cela le ferait pleurer davantage
si elle s’occupait de lui – croyance que les résultats d’Ainsworth réfutent
formellement. Dans d’autres cas, la mère pouvait être trop occupée à faire
autre chose pour se déplacer. Dans d’autres cas encore, elle semblait n’avoir
pas du tout enregistré que son bébé pleurait – situation extrêmement
difficile à supporter sans réagir pour l’observateur. Généralement, ces
femmes souffrent d’anxiété et de dépression, et sont véritablement
incapables de porter attention à quoi que ce soit d’autre.
Maintenant, il apparaît certainement à tous que des observations aussi
détaillées et aussi précises, montrant des différences considérables dans le
vécu de divers enfants, ne peuvent être recueillies que par les méthodes
utilisées par ces chercheurs. Si les observateurs n’avaient pas été là pour
voir et entendre ce qui se passait, mais s’étaient fiés à la place au discours
des mères, l’image qu’ils auraient obtenue aurait dans de nombreux cas été
complètement fausse ; et tous les espoirs de découvrir des corrélations
significatives entre la manière dont un enfant se développe et la manière
dont il est traité par sa mère et par son père se seraient évanouis. Pourtant,
comme nous l’avons vu, lorsque des méthodes d’observation fiables sont
utilisées, même sur de petits échantillons, des corrélations hautement
significatives apparaissent.
Il ne s’agit pas pour moi de blâmer les mères lorsque je souligne leur
rôle déterminant dans la mise en place des schémas d’interaction avec leurs
bébés, ce que les données montrent clairement à mon sens. S’occuper d’un
bébé, ou d’un enfant un peu plus âgé, n’est pas seulement un travail
d’expert, mais aussi une tâche très rude et exigeante. Même pour une
femme qui a eu une enfance heureuse et qui bénéficie actuellement de
l’aide et du soutien de son mari, et peut-être aussi de sa propre mère, et qui
n’a pas la tête pleine de conseils erronés sur les dangers de gâter son bébé,
c’est un travail éprouvant. Qu’une femme ne bénéficiant d’aucun de ces
avantages se retrouve dans une tourmente émotionnelle peut difficilement
surprendre, et ne justifie certainement pas de la blâmer. Pourtant, il est
maintenant relativement indiscutable que lorsque les bébés et les jeunes
enfants font l’objet d’un maternage insensible, associé sans doute à des
épisodes de rejet total, suivis plus tard de séparations ou de menaces de
séparation, les effets sont déplorables. De telles expériences augmentent
grandement chez l’enfant la peur de perdre sa mère, elles accroissent chez
lui l’exigence de sa présence ainsi que la colère envers son absence, et elles
peuvent encore le conduire à désespérer de jamais avoir une relation sécure
et aimante avec quiconque.
Bien que de telles idées soient bien plus familières et aussi davantage
acceptables dans les cercles analytiques aujourd’hui qu’il y a une
génération, grâce à l’influence de Balint, Fairbairn, Winnicott et bien
d’autres, j’ai tendance à penser que leurs implications, pour la théorie
comme pour la pratique, sont encore très loin d’être digérées.
Permettez-moi d’illustrer ce point par l’examen des problèmes
thérapeutiques et étiologiques présentés par le type de patients le plus
souvent diagnostiqués au Royaume-Uni comme ayant une personnalité
schizoïde 6 ou un faux self 7 et en Amérique du Nord, une personnalité limite
ou un narcissisme pathologique 8.
Une telle personne offre l’image d’une indépendance affirmée et d’une
autosuffisance affective. En aucun cas elle ne doit se sentir redevable, et
pour peu qu’elle finisse par s’engager dans une relation, elle s’assure de
garder le contrôle. La plupart du temps, elle semble s’en sortir
merveilleusement bien, mais par moments elle déprime ou développe des
symptômes psychosomatiques, souvent sans aucune justification à ses yeux.
Ce n’est que lorsque ses symptômes ou son épisode dépressif s’aggravent
qu’il existe une possibilité qu’elle vienne consulter, et il est plus probable
alors qu’elle préfère les médicaments à une thérapie.
Lorsqu’une telle personne débute vraiment une analyse, elle prend soin
de maintenir l’analyste à distance et de contrôler ce qui se passe. Ses propos
sont lucides, mais toute référence aux émotions est évitée, sauf peut-être
pour dire combien elle s’ennuie. Les vacances ou autres interruptions sont
accueillies comme un gain de temps. Elle peut trouver que l’analyse est un
« exercice intéressant » ; mais elle n’est guère convaincue de son utilité. Et
dans tous les cas, elle pense qu’elle serait plus efficace si elle s’analysait
toute seule !
Il existe, bien entendu, une vaste littérature sur la psychopathologie de
tels états et les problèmes thérapeutiques qu’ils présentent ; mais, quels que
soient les points sur lesquels un accord est trouvé, il n’en existe pas quant à
l’étiologie. Pour reprendre deux perspectives divergentes : Winnicott 9
attribue sans conteste cet état à un défaut de l’environnement précoce avec
« une mère pas suffisamment bonne », alors que Kernberg 10 dans son traité
systématique sur le sujet n’offre que quelques paragraphes faciles à
manquer sur l’influence possible du maternage sur le développement, et
seulement quelques références rapides à un maternage inadéquat peut-être
subi par certains de ses patients. Que les expériences précoces puissent
jouer un rôle clé dans l’origine de ces troubles ne fait pas chez lui l’objet
d’un examen sérieux.
Il est clairement de la plus grande importance qu’à terme nous soyons
en mesure de parvenir à un consensus en la matière ; et lors du débat, je
crois qu’il serait insensé de ne pas prendre en compte les données de toute
source à notre disposition. Pour certains troubles, les études
épidémiologiques apportent actuellement des informations, mais je doute
qu’elles aient à ce jour quoi que ce soit à nous dire sur ce sujet. Pour
l’instant, il nous faut nous contenter des données issues de nos deux sources
familières : (a) le traitement analytique des patients, (b) l’observation
directe des jeunes enfants avec leur mère.
En ce qui concerne les informations obtenues lors de l’analyse, il serait
fructueux, me semble-t-il, qu’une personne sans parti pris recense la
littérature psychanalytique et rassemble toutes les études de cas porteuses
de détails sur les expériences d’enfance de ces patients. Je ferais le pari,
lorsque ces informations existent, qu’elles viendront fortement corroborer le
point de vue de Winnicott selon lequel ces patients ont vécu une enfance
troublée, où un maternage inadéquat sous une forme ou sous une autre –
elles peuvent être multiples – occupe une place centrale. Ne m’étant pas
livré à une telle recension, je ne peux faire davantage qu’illustrer le genre
de résultats auxquels je m’attendrais assurément. Les détails qui suivent
sont extraits d’études de cas publiées par trois analystes très influencés par
le point de vue de Winnicott.
La première étude est signée de Clare Winnicott 11, la veuve de Donald
Winnicott. La patiente, une femme active de 41 ans, offrait l’image
classique d’une personnalité autosuffisante sur le plan affectif, qui avait
récemment développé une série de symptômes psychosomatiques. Ce n’est
qu’après un bon moment en analyse qu’elle a dévoilé les événements de son
enfance. Comme sa mère était employée à plein temps, une jeune
Allemande s’occupait d’elle, qui disparut brutalement alors que la patiente
avait 2 ans et demi. Ensuite, après six mois d’incertitude, elle a été
emmenée par sa mère pour prendre le thé chez une amie, et elle s’est
aperçue plus tard que sa mère avait disparu et qu’elle se retrouvait seule
dans un lit inconnu. Le lendemain, elle a été envoyée à l’internat où l’amie
de sa mère travaillait comme surveillante, et elle y est restée jusqu’à l’âge
de 9 ans, y passant aussi généralement ses vacances. Elle semblait s’y être
très bien adaptée (termes de mauvais présage !) et s’en sortir très
brillamment ; mais depuis lors, sa vie affective s’était éteinte.
La deuxième étude, de Jonathan Pedder 12, rapporte le cas d’une jeune
enseignante d’une vingtaine d’années, dont la personnalité et les
symptômes ressemblent beaucoup à ceux de la patiente de Clare Winnicott.
Bien qu’au premier entretien, elle ait fourni une image idéalisée de son
enfance, il est apparu rapidement qu’à l’âge de 18 mois, elle avait été
envoyée chez une tante pendant la nouvelle grossesse de sa mère. Au bout
de six mois, elle s’était mise à considérer sa tante comme une vraie mère
pour elle, davantage que sa propre mère, et elle avait trouvé son retour à la
maison particulièrement douloureux. Par la suite, jusqu’à l’âge de 10 ans,
elle s’était montrée terrifiée à l’idée d’une nouvelle séparation ; mais un
jour, elle avait « interrompu le flot » de son anxiété « comme un robinet
qu’on ferme », selon ses termes, et avec l’anxiété avait disparu aussi la
majeure partie de sa vie émotionnelle.
La troisième étude, d’Elisabeth Lind 13, concerne un jeune diplômé de
23 ans qui, bien que gravement dépressif et suicidaire, soutenait que cet état
d’esprit était plus chez lui une « philosophie de vie » qu’une maladie. Il
était l’aîné d’une grande famille ; et il avait déjà deux frères et sœurs
lorsqu’il avait 3 ans. Ses parents, disait-il, avaient de fréquentes et violentes
disputes. Lorsqu’ils étaient jeunes, le père travaillait tard loin de la maison
pour sa formation professionnelle. Leur mère était totalement imprévisible.
Souvent, elle était tellement poussée à bout par les disputes de ses enfants
qu’elle s’enfermait dans sa chambre des jours d’affilée. Plusieurs fois, elle
avait quitté la maison, emmenant ses filles avec elle, mais pas ses fils.
On lui avait raconté qu’il était un bébé malheureux, qui mangeait mal et
dormait peu, qu’on laissait souvent pleurer seul pendant de longs moments.
Ses pleurs, disait-on, n’étaient que des tentatives pour contrôler ses parents
et pour être gâté. Une fois, il avait eu l’appendicite et il se rappelait être
resté éveillé à gémir toute la nuit ; mais ses parents n’avaient rien fait et le
lendemain matin, il était gravement malade. Plus tard, au cours de la
thérapie, il s’est souvenu d’avoir été perturbé chaque fois qu’il entendait ses
frères et sœurs pleurer sans fin, et de la haine qu’il ressentait envers ses
parents pour leur inaction, avec une envie de les tuer.
Il s’était toujours senti comme un enfant perdu, et il n’arrivait pas à
comprendre pourquoi il avait été rejeté. Son premier jour d’école avait été
le pire de sa vie. Cela lui avait semblé être un rejet final de la part de sa
mère. Toute la journée, il s’était senti désespéré, et il n’avait pas arrêté de
pleurer. Après cela, il en était progressivement venu à dissimuler tout désir
d’amour et de soutien ; il refusait de demander de l’aide, ou que quiconque
fasse quoi que ce soit pour lui.
Aujourd’hui, pendant la thérapie, il avait peur de s’effondrer et de
pleurer et de vouloir être materné. Cela conduirait sa thérapeute, il en était
sûr, à le juger importun et à considérer son comportement comme une
simple recherche d’attention ; et, s’il lui disait quoi que ce soit de personnel,
il s’attendait à ce qu’elle en soit offensée et sans doute qu’elle s’enferme
hors d’atteinte.
Dans les trois cas, l’effondrement récent du patient avait fait suite à la
rupture d’une relation significative mais fragile, au sujet de laquelle chaque
partenaire émettait des réserves, et qu’il avait, lui-même, de toute évidence
contribué à briser.
Dans le traitement de ces patients, les trois analystes ont adopté la
technique de Winnicott consistant à permettre la libre expression de ce qui
est traditionnellement appelé les « sentiments de dépendance », avec pour
résultat le développement à terme d’un attachement anxieux intense à leur
analyste – pour utiliser la terminologie que je préfère 14. Cela a permis à
chacun des patients de retrouver la vie affective qu’il avait perdue pendant
son enfance, et de récupérer à cette occasion une sensation de vrai self. Les
résultats furent bons sur le plan thérapeutique.
Je dois admettre que ces trois études de cas ne prouvent rien.
Néanmoins, elles apportent des idées, et dans leurs limites respectives,
corroborent la thèse de Winnicott sur l’étiologie. Malgré cela, les critiques
ont toujours la liberté de jeter le doute sur la fiabilité des souvenirs
d’enfance d’un patient, et de remettre en cause l’idée selon laquelle
l’enchaînement des événements rapportés a bien eu sur sa vie affective
l’effet qu’il lui attribue si explicitement. (Il est important de noter que les
événements considérés par chacun des trois patients comme des tournants
dans leur vie s’étaient produits après leur deuxième anniversaire.)
Maintenant, il semble clair que les controverses sur l’étiologie seront
sans fin tant que nous nous appuierons uniquement sur des preuves
rétrospectives, et peut-être biaisées, issues de l’analyse de patients, qu’ils
soient adultes ou enfants. Ce dont nous avons besoin, ce sont de preuves
d’un type différent pour servir en quelque sorte de recoupement. C’est en
cela que je tiens les observations directes de jeunes enfants et de leur mère
pour potentiellement si utiles. Cette source offre-t-elle des preuves que la
vie affective d’un enfant puisse être engourdie par des expériences de ce
genre ? La réponse est, bien sûr, qu’il en existe de très nombreuses.
Ici, naturellement, je me tourne d’abord vers les observations faites par
James Robertson 15, confirmées ensuite par Christoph Heinicke et Ilse
Westheimer 16, sur la manière dont les enfants entre 12 et 36 mois se
comportent lorsqu’on les retire de leur foyer pour les placer entre les mains
de personnes inconnues dans un lieu inconnu, comme une pouponnière ou
un hôpital, en l’absence d’un référent unique servant de substitut maternel.
Dans de telles conditions, l’enfant en vient avec le temps à agir comme si ni
le maternage ni le contact avec des humains n’avaient véritablement de sens
pour lui. Avec la multiplication de ceux qui s’occupent de lui, il cesse de
s’attacher, et après son retour à la maison, il se maintient à distance de ses
parents pendant des jours, et sans doute plus longtemps encore s’il est traité
sans compassion.
Il est des raisons de croire, par ailleurs, qu’un jeune enfant peut
développer ce genre d’engourdissement défensif en réaction à une mère
rejetante, et ce en l’absence de séparation majeure. Des exemples en sont
fournis par les observations de Mahler 17. Des résultats plus indiscutables
sont rapportés par Mary Main 18, une collègue de Mary Ainsworth, qui a fait
une étude spécifique sur un groupe d’enfants de 12 à 20 mois, qui non
seulement n’avaient pas accueilli leur mère à son retour après qu’elle les eut
laissés quelques minutes avec une étrangère, mais qui l’avaient
délibérément évitée. En regardant les enregistrements vidéo faits par Main,
j’ai été étonné de découvrir jusqu’à quelles extrémités certains de ces
enfants étaient prêts à aller. L’un s’approchait de sa mère brièvement, mais
la tête tournée de côté, puis il s’éloignait. Un autre, au lieu de rejoindre sa
mère, se plaçait face à l’angle de la pièce, comme s’il obéissait à une
punition, puis il s’agenouillait le visage contre le sol. Dans tous ces cas, les
vidéos des mères, enregistrées plus tard alors qu’elles jouaient avec leur
enfant, ont révélé chez elles des attitudes différentes de celles des mères
d’enfants non évitants ; elles semblaient « en colère, inexpressives et
n’appréciant pas le contact physique avec leur bébé ». Certaines les
grondaient sur un ton irrité, d’autres se moquaient, d’autres encore
s’adressaient à leur enfant ou parlaient de lui de manière sarcastique. Une
possibilité évidente, c’est qu’en se tenant éloigné ainsi de sa mère, l’enfant
évitait de nouvelles marques d’hostilité de sa part.
Donc, pour ce qui concerne les recoupements permis par l’observation
directe des jeunes enfants et de leurs mères, ils vont dans le sens d’une
théorie du type de celle de Winnicott. En résumé, et dans mes propres
termes, l’enfant et plus tard l’adulte finit par craindre de s’autoriser à
s’attacher à quiconque par peur d’un nouveau rejet avec toute la souffrance,
l’anxiété et la colère qui l’accompagneraient. En conséquence s’opère un
blocage massif de l’expression, voire du ressenti, de son désir naturel de
partager une intimité confiante, de recevoir attention, réconfort et amour –
que je tiens pour les manifestations subjectives d’un système
comportemental instinctif de première importance.
Une explication de ce type, malgré sa simplicité par rapport à certaines
de celles proposées dans la littérature, rend bien compte de la manière dont
ces individus se comportent dans le monde en général, et avec nous-mêmes
en tant qu’analystes. Inévitablement, ils apportent dans l’analyse leur peur
d’entrer dans une relation de confiance, ce que nous vivons comme une
résistance massive. Puis, lorsqu’ils retrouvent leurs émotions à la longue, ils
sont plus qu’à demi convaincus que nous allons les traiter comme ils se
souviennent de l’avoir été par leurs parents. En conséquence, ils vivent dans
la crainte d’être rejetés, et ils ressentent une colère intense au moindre
soupçon de désertion de notre part. Par ailleurs, il n’est pas rare que la
manière dont ils nous traitent – avec agression et rejet – se révèle être une
version du traitement qu’ils se rappellent avoir subi, enfants.
Il ne vous a pas échappé que dans l’explication de la manière dont ces
patients se comportent en analyse, j’ai présenté un certain nombre
d’hypothèses entrecroisées. Dans un programme de recherche, chacune
d’entre elles doit être examinée et testée à la lumière de nouvelles données.
Parmi les nombreuses méthodes qui devraient, selon moi, s’avérer
pertinentes est l’étude, dans un cadre thérapeutique, de parents et d’enfants
en interaction. De plus, il est aussi fondamental de se livrer, lors de
l’analyse de patients individuels, à de nouvelles observations bien plus
systématiques et ciblées qu’elles ne l’ont été jusqu’ici, si nous voulons que
la recherche clinique porte tous ses fruits.
Par exemple : il serait très utile d’avoir l’enregistrement détaillé des
réactions d’un ou de plusieurs de ces patients avant et après chaque week-
end, chaque période de vacances et chaque interruption imprévue dans les
séances, accompagné d’un compte rendu tout aussi détaillé de la manière
dont le thérapeute les a gérées. Cela nous permettrait de connaître le
répertoire de réponses d’un patient donné en ces occasions, ainsi que les
changements repérés au cours du temps. Il serait aussi particulièrement utile
d’avoir un récit détaillé des conditions dans lesquelles une évolution
thérapeutique majeure se produit. Si de tels dossiers pouvaient être
conservés sur un certain nombre de patients de ce type, peut-être dans le
cadre d’un programme de collaboration, il serait possible de découvrir si
une discussion franche et détaillée des expériences douloureuses que le
patient se rappelle avoir vécues dans sa relation à ses parents et de l’impact,
passé et présent, qu’elles semblent avoir sur la manière dont il traite les
autres, nous y compris, incite au changement thérapeutique, comme je le
prédis, ou lui est nuisible, comme certains analystes le croient.
Naturellement, s’il se lance dans un tel programme de recherche ou
dans un autre, l’analyste doit garder ses responsabilités professionnelles en
vue ; car avec des patients qui présentent un faux self, celles-ci peuvent être
très coûteuses. Winnicott décrit la « période de dépendance extrême » que
traversent ces patients au cours de la thérapie, et avertit du fait que « les
analystes qui ne sont pas prêts à répondre aux énormes besoins de patients
qui deviennent dépendants de la sorte doivent prendre soin de choisir les
cas qu’ils traitent en excluant ceux qui présentent un faux self ».
Et cela me ramène à l’art de la thérapie. Fournir, en étant nous-mêmes,
les conditions dans lesquelles un patient de ce type peut découvrir et
s’approprier ce que Winnicott appelle son vrai self, et ce que je nomme ses
désirs et ses émotions d’attachement, n’est pas facile. D’un côté, nous
devons réellement être dignes de confiance, et nous devons aussi
authentiquement respecter toutes les envies d’affection et d’intimité
ressenties par chacun de nous, mais que ces patients ont perdues. D’un autre
côté, nous ne devons pas offrir davantage qu’il nous est possible, et nous ne
devons pas avancer plus vite que le patient ne le supporte. Parvenir à cet
équilibre nécessite toute l’intuition, l’imagination et l’empathie dont nous
sommes capables. Mais cela demande aussi une bonne compréhension des
problèmes du patient et de ce que nous essayons de faire. C’est la raison
pour laquelle il est si important que les questions d’étiologie et de
psychopathologie soient éclaircies autant qu’il est possible par l’application
de la méthode scientifique et, de plus, que les analystes soient
complètement informés de l’ensemble des expériences familiales qui, de la
naissance à la fin de l’adolescence, affectent le développement de la vie
affective d’un enfant, comme le prouvent de plus en plus d’études. Ce n’est
que lorsque nous serons armés d’une telle connaissance, et de bien
davantage encore, que nous nous trouverons en situation de répondre à
l’exigence présentée par Freud dans l’un des derniers articles qu’il a
rédigés, dans lequel il attire l’attention sur le « noyau de vérité » dans les
symptômes d’un patient et sur la valeur thérapeutique des constructions en
analyse 19. Il écrit : « Ce que nous souhaitons, c’est une image fidèle des
années oubliées par le patient, image complète dans toutes ses parties
essentielles. »
4.
La psychanalyse :
une science naturelle ?
Introduction
Il me semble qu’en tant que psychanalystes et psychothérapeutes, nous
nous sommes montrés effroyablement lents à ouvrir les yeux sur la
prévalence et sur les conséquences immenses des comportements violents
entre membres de la famille, en particulier la violence des parents envers
leurs enfants. Dans la littérature analytique et dans les programmes
d’enseignement, ce thème brille par son absence. Il existe pourtant
aujourd’hui de nombreuses preuves montrant non seulement que c’est un
phénomène plus courant qu’on ne pouvait le penser jusqu’ici, mais qu’il est
déterminant dans bon nombre de syndromes psychiatriques suscitant
désarroi et interrogation. Puisque, en outre, la violence engendre la
violence, la violence dans les familles tend à se perpétuer d’une génération
à l’autre.
La raison pour laquelle la violence familiale comme facteur causal en
psychiatrie s’est trouvée autant négligée par les cliniciens – bien que de
toute évidence pas par les travailleurs sociaux – constituerait une étude en
soi et ne peut être abordée ici. Mais la focalisation des cercles analytiques
sur le fantasme et leur réticence à examiner l’impact des événements
réellement vécus y sont pour beaucoup. Depuis que Freud a opéré en 1897
sa volte-face célèbre et à mon sens désastreuse, lorsqu’il a décidé que les
séductions de l’enfance qu’il pensait de grande valeur étiologique n’étaient
rien d’autre que le produit de l’imagination de ses patients, il est devenu
extrêmement démodé d’attribuer la psychopathologie à des expériences
réelles. Il n’appartient pas au travail de l’analyste, ainsi va la sagesse
conventionnelle, de prendre en considération la manière dont les parents
d’un patient peuvent réellement l’avoir traité, encore moins d’envisager la
possibilité, ni même la probabilité, qu’un patient donné puisse avoir été la
cible de propos violents et d’actes violents de la part d’un de ses parents, ou
des deux. Centrer son attention sur de telles possibilités, m’a-t-on souvent
dit, revient à être séduit par les histoires biaisées des patients, à prendre
parti, et à transformer en boucs émissaires des parents parfaitement bien
sous tous rapports. Et dans tous les cas, affirme-t-on, se comporter ainsi ne
serait d’aucune aide au patient, et serait de fait antithérapeutique. C’est en
réalité en grande partie parce que les comportements négatifs des parents
envers leurs enfants étaient un sujet aussi tabou dans les cercles analytiques
au début de ma carrière que j’ai décidé de consacrer mes recherches aux
effets sur les enfants d’événements réellement vécus d’un autre type, à
savoir la séparation et la perte.
Bien sûr, Karen Horney, en l’honneur de laquelle nous sommes réunis
aujourd’hui, ne partageait pas ces préjugés. Au contraire, elle attribue tout à
fait explicitement nombre des problèmes de ses patients aux influences
négatives qu’ils ont subies lorsqu’ils étaient enfants. Comme elle l’écrit
dans les premières pages de son livre, Neurosis and Human Growth *2 1, ces
influences négatives « se résument au fait que les personnes de
l’environnement sont trop enfermées dans leur propre névrose pour être
capables d’aimer l’enfant, ou même de le concevoir dans son individualité
propre… » et elle poursuit en énumérant les diverses manières dont,
malheureusement, les parents peuvent exercer une influence nocive sur
leurs enfants. Mais j’ai pleinement conscience que ces conceptions n’ont
pas toujours été bien accueillies par ses collègues.
Aujourd’hui, le paysage évolue – bien que beaucoup trop lentement
encore. Par exemple, il faut être aveugle pour ne pas reconnaître que
beaucoup trop d’enfants sont maltraités par leurs parents, verbalement,
physiquement ou les deux, et que beaucoup trop de femmes sont maltraitées
par leur mari ou leur petit ami. Par ailleurs, l’horreur que nous ressentons à
l’idée que des parents puissent se comporter ainsi est aujourd’hui atténuée
par les informations de plus en plus nombreuses dont nous disposons sur le
type d’enfance que ces parents ont eux-mêmes vécue. Même s’il est
inévitable d’être scandalisé par de tels actes, une meilleure compréhension
de la manière dont ils en sont arrivés à se comporter avec une telle violence
suscite davantage la compassion que le blâme. Donc, loin de vouloir
transformer les parents en boucs émissaires, nous souhaitons les aider.
Ainsi, loin de vouloir ignorer que les parents ont parfois des comportements
horribles, nous cherchons des manières de secourir les victimes, enfants
comme adultes, blessées psychologiquement comme physiquement. Et par-
dessus tout, nous cherchons des moyens d’empêcher que les schémas
violents se mettent en place dans de nouvelles familles. Espérons que la
politique de l’autruche appartient au passé.
Cadre conceptuel
Pour comprendre les cas les plus extrêmes de violence familiale, il est
utile de s’attarder d’abord sur ce que nous savons des exemples plus
modérés et plus quotidiens de colère entre membres d’une famille. Les
jeunes enfants – et souvent aussi les plus âgés – sont classiquement jaloux
de l’attention que maman accorde au nouveau bébé. Les amoureux se
disputent lorsque l’un pense que l’autre regarde ailleurs – et cela reste vrai
après le mariage. Par ailleurs, une femme peut se mettre très en colère après
son enfant s’il fait quelque chose de dangereux, comme se précipiter sur la
route en courant, de même après son mari s’il risque sa vie ou un accident
en s’exposant inutilement. Ainsi, il va pour nous de soi que, lorsque la
relation à une personne aimée est en danger, nous nous sentons non
seulement inquiets *3, mais aussi généralement en colère. En tant que
réactions à un risque de perte, anxiété et colère vont de pair. Ce n’est pas
pour rien qu’elles ont la même racine étymologique *4.
Dans les situations décrites ici, la colère est souvent fonctionnelle.
Lorsque l’enfant ou le conjoint se comportent de manière dangereuse,
protester avec colère a toutes les chances d’être dissuasif. Lorsque le
partenaire amoureux va voir ailleurs, un rappel acerbe de l’intérêt qu’on lui
porte peut faire des merveilles. Quand un enfant se trouve relativement
négligé en faveur d’un nouveau bébé, l’affirmation de ses revendications
peut redresser la balance. Ainsi, au bon endroit, au bon moment et à la
bonne dose, la colère n’est pas seulement appropriée, mais est sans doute
indispensable. Elle sert à empêcher des comportements dangereux, à faire
fuir un rival ou à faire pression sur un partenaire. Dans chaque cas, se
mettre en colère a le même objectif – protéger un lien d’une valeur toute
particulière pour la personne en colère.
Cela étant, il est nécessaire d’être clair sur les raisons pour lesquelles
certaines relations spécifiques, souvent qualifiées de libidinales, en viennent
à revêtir une importance si grande dans la vie de chacun d’entre nous.
Dans ses tentatives pour résoudre ce problème, Freud s’est tourné vers
la physique et la biologie de son époque. Les relations libidinales, propose-
t-il, sont une conséquence des besoins alimentaires et sexuels d’un individu.
Par la suite, pour rendre compte de certaines manifestations de colère plus
paradoxales, il s’est écarté de la biologie pour proposer un instinct de mort.
Ces hypothèses, conçues en termes d’accumulation et de décharge
d’énergies psychiques, ont conduit à une métapsychologie si éloignée de
l’observation et de l’expérience cliniques qu’un très grand nombre de
praticiens d’orientation analytique l’ont implicitement ou explicitement
abandonnée. En réaction au vide qui en a résulté, s’est développée d’un côté
une école de pensée qui a fait le choix, non seulement de détacher la
psychanalyse de la biologie, mais encore de se dispenser de toute méthode
scientifique en la remplaçant par l’herméneutique. D’un autre côté, une
réaction opposée a consisté à explorer les principes jugés utiles en biologie
moderne, principes totalement différents de ceux de l’époque de Freud,
pour voir s’ils s’accordent mieux avec nos observations cliniques et s’ils
pourraient donc être utilisés pour élaborer une nouvelle métapsychologie,
ou un nouveau cadre conceptuel comme on dirait aujourd’hui. C’est la voie
que moi-même, et un certain nombre d’autres, avons choisie.
Les relations spécifiques, qui peuvent engendrer de la colère
lorsqu’elles sont menacées, sont de trois grands types : lien à un partenaire
sexuel (petit ami, petite amie, ou conjoint), lien aux parents et lien aux
descendants. Chacun de ces types de relation est fortement chargé
émotionnellement. Dans une très large mesure, toute la vie affective d’une
personne – la tonalité sous-jacente à la manière dont elle se sent – est
déterminée par l’état de ces relations d’implication à long terme. Tant
qu’elles se déroulent sans heurt, la personne est satisfaite ; lorsqu’elles sont
menacées, elle se sent anxieuse et sans doute en colère ; quand elle les a
mises en danger par ses propres actes, elle se sent coupable ; lorsqu’elles
sont rompues, elle se sent triste ; et lorsqu’elles reprennent, elle éprouve de
la joie.
Pour nous aider à comprendre pourquoi l’état de ces relations a un
impact aussi profond sur la vie affective d’une personne, deux branches de
la biologie moderne – l’éthologie et la théorie de l’évolution – offrent des
perspectives très éclairantes. Non seulement les trois types de relations en
question ont leur équivalent dans un grand nombre d’espèces, mais tous
trois sont intimement associés aux fonctions biologiques vitales de
reproduction et, tout particulièrement, à la survie des petits. Il est donc plus
que probable que la puissante tendance de l’être humain à établir ces liens
profonds à long terme soit le résultat d’un déterminisme génétique
important, lui-même sélectionné au cours de l’évolution. Dans ce cadre de
référence, la forte propension de l’enfant à s’attacher à sa mère et à son
père, ou à quiconque veille sur lui, peut être entendue comme ayant pour
fonction de réduire le risque qu’il lui arrive quelque chose. Car rester très
proche ou à portée de voix de quelqu’un susceptible de vous protéger est la
meilleure de toutes les assurances possibles. De même, le souci d’un parent
de veiller sur ses petits a de toute évidence pour fonction de contribuer à
leur survie. Que le succès dans le maintien de ces liens à long terme apporte
généralement de la satisfaction et du bonheur, et que son échec induise
frustration, anxiété et parfois désespoir, constituent dans cette optique les
récompenses et les sanctions sélectionnées par l’évolution pour nous guider
dans nos activités en la matière.
C’est dans cette perspective d’évolution que nous pouvons, selon moi,
comprendre le caractère souvent fonctionnel de la colère entre membres
d’une même famille. Car, comme je le disais précédemment, au bon endroit,
au bon moment, et à la bonne dose, la colère protège ces relations à long
terme qui nous sont vitales. Cependant, à l’évidence, elle peut être
démesurée. Je soutiens simplement qu’une grande partie de la violence
inadaptée rencontrée dans les familles peut être considérée comme une
version déformée et exagérée de comportements potentiellement
fonctionnels, en particulier du comportement d’attachement d’une part et
d’attention à autrui *5 de l’autre.
Il existe aujourd’hui une littérature importante sur la nature des liens de
l’enfant à sa mère, traditionnellement appelée « dépendance », et ici conçue
en termes d’attachement et de recherche d’attention. Si on généralise, le
comportement d’attachement consiste pour un individu, habituellement
celui qui est le moins apte à gérer les choses, à maintenir une proximité
et/ou une communication avec une autre personne, perçue comme plus à
même d’y faire face. Ce comportement est déclenché en particulier par la
douleur, la fatigue, ou toute situation effrayante, ainsi que par
l’inaccessibilité réelle ou présumée du caregiver. Bien que considéré
comme en partie préprogrammé, il est aujourd’hui largement démontré que
son mode d’organisation spécifique au cours du développement est
grandement influencé par la manière dont les principaux caregivers de
l’enfant y répondent, dans l’immense majorité des cas, sa mère et son père.
En bref, il apparaît clairement qu’une attention faite de sensibilité et
d’amour conduit l’enfant à se sentir assuré d’obtenir l’aide d’autrui en cas
de besoin, à avoir de plus en plus confiance en lui dans son exploration sans
frayeur du monde, à se montrer coopératif avec les autres, et aussi – point
très important – à ressentir de l’empathie envers ceux qui sont en détresse et
à avoir envie de les aider. À l’inverse, lorsque l’on réagit à son
comportement d’attachement avec retard, mauvaise volonté et qu’on le
trouve gênant, l’enfant risque de développer un attachement anxieux, c’est-
à-dire d’avoir peur que son caregiver lui fasse défaut ou ne l’aide pas en cas
de besoin ; il n’aura donc aucune envie de s’éloigner, obéira par peur et à
contre-cœur, et se montrera indifférent aux difficultés d’autrui. Si, en prime,
ses caregivers le rejettent activement, il développera sans doute un schéma
de comportement où sa prise de distance par rapport à eux entrera en
compétition avec son désir de proximité et d’attention, et où la colère risque
de prévaloir. J’en dirai davantage sur ce thème ultérieurement.
Un autre point que je souhaite souligner à propos du comportement
d’attachement est qu’il est caractéristique de la nature humaine tout au long
de la vie – du berceau à la tombe. Certes, il se manifeste généralement de
manière moins intense et moins exigeante chez les adolescents et les adultes
que lors des premières années. Cependant un désir impérieux d’amour et
d’attention est tout à fait naturel lorsque l’on est inquiet ou en détresse. Il
est donc des plus malencontreux qu’à cause d’une théorie trompeuse, les
adjectifs péjoratifs « infantile » et « régressif » soient aujourd’hui si
largement répandus dans les cercles cliniques. Ce sont des termes que je
n’utilise jamais.
Alors que l’étude systématique du comportement d’attachement, et en
particulier des conditions qui influencent son évolution, est en cours depuis
une vingtaine d’années, celle du rôle de caregiver, ou du parentage, et de
son développement, n’en est qu’à ses débuts. L’approche que je considère
comme la plus prometteuse à cet égard est à nouveau celle de l’éthologie.
Elle part du principe que chez les humains tout comme dans d’autres
espèces, le comportement de parentage, comme celui d’attachement, est
préprogrammé jusqu’à un certain point, et donc prêt à se manifester sous
une forme spécifique lorsqu’il est déclenché. Cela signifie que dans le cours
normal des choses, le parent d’un bébé ressent une forte envie d’adopter des
réactions types, par exemple bercer l’enfant, le calmer lorsqu’il pleure, lui
fournir chaleur, protection et nourriture. Un tel point de vue, bien entendu,
n’implique pas que les schémas comportementaux appropriés se
manifestent intégralement, dans leurs moindres détails, dès la première fois.
Ce n’est clairement pas le cas, ni chez l’homme ni chez les autres
mammifères. Tous les détails sont appris, certains d’entre eux lors de
l’interaction avec des bébés et des enfants, une majeure partie par
l’observation de la manière de faire d’autres parents, qui débute dès
l’enfance du futur parent avec la manière dont ses parents l’ont traité, lui et
ses frères et sœurs.
Mesures préventives
Après cette description des problèmes que l’on rencontre dans les
familles violentes et de l’approche théorique que je trouve utile de retenir
pour les aborder, il est bon de s’interroger sur les mesures à prendre.
Un important travail de qualité est consacré à l’aide aux familles où des
agressions ont déjà eu lieu, et les problèmes de prise en charge alimentent la
réflexion 35. Chaque étude montrant à quel point un tel travail est long et
difficile, l’espoir semble résider dans la prévention. Dans ce qui suit, je
décris un programme initié au Royaume-Uni, dont le gouvernement
encourage actuellement l’extension dans tout le pays. Je ne doute pas que
des initiatives semblables existent aussi dans différentes parties des États-
Unis ; mais naturellement je les connais moins bien.
Ce programme si prometteur, au moins pour certaines familles,
s’appelle Home-Start (il a démarré à Leicester) *13 36. C’est un service
indépendant de visite à domicile qui propose soutien, amitié et assistance
pratique à de jeunes familles en difficulté. Il est organisé par des bénévoles
qui travaillent en liaison étroite avec les services administratifs concernés,
et qui reçoivent aussi un soutien et des conseils de la part d’un
professionnel. Toutes les visites sont effectuées à l’invitation de la famille et
selon ses termes. Il n’y a pas de contrat, ni de limite dans le temps.
Chaque bénévole est une mère qui décide de faire des visites régulières
à une famille, ou à deux au maximum, dans le but d’établir une relation
permettant de passer du temps ensemble et de se comprendre. Tous les
efforts sont faits pour encourager les points forts des parents et pour les
rassurer en soulignant qu’il n’est pas inhabituel de rencontrer des difficultés
lorsqu’on s’occupe d’un enfant, et aussi que la vie de famille peut avoir de
bons côtés. Les bénévoles nouvellement recrutées, qui ont essentiellement
entre 30 et 45 ans, assistent à une formation préparatoire, un jour par
semaine pendant dix semaines, et continuent à être régulièrement formées
par la suite.
Il y a beaucoup d’avantages à ce que les visites soient faites par des
bénévoles. Premièrement, une bénévole a du temps : concrètement, dans le
projet de lancement, on a observé que le temps passé par chaque bénévole
au domicile des familles était de six heures par semaine en moyenne.
Deuxièmement, elle rencontre la mère de famille sur un pied d’égalité, et
elle se sent libre de participer aux activités de la maison de la manière qui
lui semble appropriée. Troisièmement, elle peut faire des comparaisons, et
parler de son expérience avec ses propres enfants. Quatrièmement, et point
très important, elle peut parfois se rendre disponible pour un contact
pendant la soirée ou le week-end.
Les familles qui bénéficient des visites sont, bien entendu, celles dans
lesquelles des problèmes se posent déjà ou paraissent imminents. Le
programme n’étant pas spécifiquement destiné aux familles maltraitantes,
elles ne se sentent pas nécessairement étiquetées par leur participation. Cela
étant, bon nombre d’entre elles ont un ou plusieurs enfants signalés comme
en risque de maltraitance. Ainsi, au cours des huit premières années du
projet pilote, pas moins d’un quart des familles visitées entrait dans cette
catégorie.
Souvent, les visites commencent alors que la mère est encore enceinte.
La plupart des femmes concernées sont jeunes, impulsives, et terriblement
isolées, et elles n’ont jamais connu l’affection, l’attention ou la sécurité.
Dans ces cas-là, le principal rôle de la bénévole est de materner la mère et
ainsi, par l’exemple, de l’encourager à materner son propre enfant. Elle
parle et joue avec les enfants aussi, fournissant à nouveau un exemple que
la mère n’a jamais eu. Plus tard, une fois la confiance installée, la bénévole
peut aider la mère à acquérir ce qu’elle n’a jamais appris des compétences
de base pour tenir une maison. La clé de la relation, c’est que la bénévole
est elle-même une mère qui connaît tous les problèmes de l’intérieur.
Toutes les familles en difficulté ne sont pas éligibles à ce type de
programme *14. Quand elles peuvent y participer, le taux de réussite
enregistré est des plus encourageants, comme le montre l’évaluation des
quatre premières années d’intervention du programme pilote, menée par un
chercheur indépendant dont la monographie 38 offre un compte rendu
complet du projet. Dans un échantillon pris au hasard d’une famille sur cinq
parmi les deux cent quatre-vingt-huit ayant bénéficié de l’expérimentation,
il a demandé aux participants d’évaluer le résultat à la fin des visites de la
bénévole, sur une échelle en trois points : pas de changement, un certain
changement, un changement considérable. Les résultats ont montré que les
bénévoles étaient les plus pessimistes, jugeant seulement la moitié des
familles comme faisant preuve de changement considérable et une sur dix
comme en échec. Les travailleurs sociaux qui avaient signalé les cas étaient
plus optimistes, estimant que plus de la moitié présentaient un changement
considérable, et le reste un minimum d’évolution. Les plus enthousiastes
quant au chemin parcouru ont été les intervenants médicaux (infirmières
des services publics) et les familles elles-mêmes. Sur les cinquante-huit
familles qui se sont autoévaluées, quarante-sept (85 %) ont affirmé qu’un
changement considérable s’était produit, six qu’il y avait eu du changement,
et seulement deux que rien n’avait bougé.
Dans un domaine reconnu pour sa difficulté et son caractère
profondément perturbant, de tels résultats nous donnent de bonnes raisons
d’espérer.
6.
Il est assez fréquent pour des enfants d’observer des scènes que leurs
parents préféreraient qu’ils n’aient pas vues ; ils ont des impressions que
leurs parents préféreraient qu’ils n’aient pas ; et ils vivent des choses que
leurs parents aimeraient croire qu’ils n’ont pas vécues. On a la preuve que
beaucoup de ces enfants, conscients du ressenti de leurs parents, se mettent
à se conformer aux souhaits de ces derniers, en excluant de tout traitement
approfondi ces informations qu’ils détiennent ; et qu’après cette opération,
ils cessent consciemment d’avoir l’idée qu’ils ont un jour observé de telles
scènes, eu de telles impressions, ou vécu de telles expériences. C’est là,
selon moi, une source de troubles cognitifs, aussi commune que non
reconnue.
Il est également avéré que les parents insistent parfois pour que leurs
enfants ne traitent pas consciemment les connaissances qu’ils ont
d’événements qu’ils souhaiteraient les voir ignorer. Le fait le plus marquant
se rapporte sans doute aux efforts d’un parent survivant pour faire oublier à
son enfant ce qu’il sait du suicide de son conjoint.
Cain et Fast 2 présentent les résultats obtenus auprès d’un groupe de
quatorze enfants, de 4 à 14 ans, qui avaient tous perdu un parent par suicide
et qui présentaient tous des troubles psychiatriques, graves pour certains.
Sur l’ensemble de leurs données, les auteurs ont été frappés par l’impact
symptomatique majeur pour les enfants du fait d’avoir été exposés à des
situations pathogènes ayant entraîné soit une culpabilité intense (non
discutées ici), soit une communication totalement faussée entre parent et
enfant.
Environ un quart des enfants étudiés avaient été personnellement
témoins de certains aspects du suicide parental, et avaient ensuite fait
l’objet de pressions de la part du conjoint survivant pour les amener à croire
qu’ils s’étaient trompés sur ce qu’ils avaient vu ou entendu, et que la mort
n’était pas due au suicide, mais à une maladie ou à un accident. « Un garçon
qui avait vu son père se tirer un coup de fusil […] s’est entendu raconter par
sa mère plus tard cette nuit-là que son père était mort d’une crise
cardiaque ; on a dit à une fille qui avait trouvé le corps de son père pendu
dans un placard qu’il était mort dans un accident de voiture ; et à deux
frères qui avaient trouvé leur mère les poignets tailladés qu’elle s’était
noyée en allant se baigner 3. » Lorsque l’enfant avait décrit ce qu’il avait vu,
le parent survivant avait cherché à discréditer ses dires, soit par le ridicule,
soit en insistant sur le fait qu’il confondait avec ce qu’il avait vu à la
télévision ou dans un cauchemar. En outre, une telle confusion était parfois
aggravée chez l’enfant par les diverses versions du décès rapportées par
différentes personnes, voire par son parent survivant.
De nombreux symptômes psychologiques chez les enfants se
rapportaient directement, semble-t-il, à leur exposition à ce type de vécu,
comme une méfiance chronique envers autrui, une inhibition de leur
curiosité, un manque de confiance dans leurs propres sens et une tendance à
trouver les choses irréelles.
Rosen 4 décrit un patient adulte, un homme de 27 ans, qui avait
développé des symptômes aigus après que sa fiancée l’avait quitté, car elle
le trouvait d’humeur trop changeante et imprévisible. Il commença à sentir
que le monde autour de lui, mais aussi sa propre personne, se morcelaient et
que tout devenait irréel. Il sombra dans la dépression et devint suicidaire ; et
il avait toutes sortes de sensations corporelles bizarres, y compris un
sentiment d’étouffement. Ses pensées, disait-il, étaient comme du coton. À
un moment au cours de sa deuxième année de thérapie, l’analyste, frappé
par une série d’associations et gardant à l’esprit le vécu de son patient,
proposa une reconstruction, selon laquelle sa mère avait pu faire une
tentative de suicide pendant son enfance et qu’il en avait été témoin. À
peine cette suggestion faite, l’homme fut pris de sanglots convulsifs. Cette
séance marqua un tournant. Ensuite, il raconta comment il lui avait semblé,
lorsque le thérapeute avait fait cette suggestion, qu’il ne s’agissait pas tant
de lui avoir fait retrouver un souvenir que de lui avoir permis de parler de
quelque chose qu’il avait toujours su d’une certaine façon.
L’authenticité du souvenir a été attestée par le père du patient, qui a fini
par admettre que sa femme avait fait plusieurs tentatives de suicide pendant
l’enfance de son fils. Celle à laquelle le patient avait assisté s’était produite
quand il avait 3 ans. Sa nounou avait entendu des bruits dans la salle de
bains, et elle était arrivée à temps pour empêcher sa mère de mourir par
strangulation. Ce que l’enfant avait réellement vu n’était pas clair. Mais,
chaque fois que, par la suite, il avait évoqué la scène, son père et sa nounou
avaient tous deux démenti ses souvenirs, en soutenant que c’était quelque
chose qu’il avait dû imaginer ou que c’était simplement un mauvais rêve.
Le père affirmait aujourd’hui qu’il avait senti que ce serait trop douloureux
pour son fils de se souvenir d’un tel incident ; mais il a admis aussi que son
attitude était dictée en partie par son souhait de garder le secret par rapport
aux amis et aux voisins. Un an plus tard environ, la nounou avait été
renvoyée, car la mère trouvait que sa présence constituait un rappel trop
pénible de l’incident.
Lors d’une des séances précédant celle où la reconstruction capitale
avait été proposée, le patient s’était rappelé le renvoi de sa nounou bien-
aimée comme un événement dont il s’était toujours senti d’une certaine
façon responsable. Parmi les nombreuses associations à ce sujet, il
rapportait régulièrement qu’enfant, il avait été témoin de quelque chose qui
avait changé sa vie, mais il ne savait pas quoi. Il avait aussi l’idée que sa
nounou avait été le seul témoin en sa faveur. Ainsi, bien que le souvenir ait
été bloqué de l’accès à la conscience, il continuait à influencer à la fois ce
qu’il pensait et la manière dont il se sentait.
Ailleurs 5, j’ai attiré l’attention sur l’incidence non négligeable des
tentatives de suicide des parents, et celle probablement plus forte encore de
leurs menaces de suicide, qui ne suscitent que peu d’intérêt dans la
littérature psychiatrique et psychothérapeutique. Sans doute existe-t-il donc
bien davantage de cas semblables à celui de Rosen qu’on ne le conçoit à ce
jour.
Parmi les nombreuses autres situations dont les parents peuvent
souhaiter que leur enfant ne les ait pas observées, et dont ils cherchent à
masquer la réalité avec insistance, figurent celles qui ont trait à leurs
activités sexuelles. Un exemple m’en a été donné par un orthophoniste qui
tentait d’aider une petite fille extrêmement perturbée qui s’exprimait à
peine. Qu’elle fût tout à fait capable de parler se révélait pourtant dans des
conditions spectaculaires. Elle plaçait un nounours sur une chaise dans un
coin, puis se penchant sur lui en agitant l’index, elle le grondait sur un ton
d’une très grande sévérité : « Tu es vilain – vilain Nounours – tu n’as pas
vu ça – tu n’as pas vu ça, je te dis ! » Paroles qu’elle répétait encore et
encore, avec une véhémence croissante. La teneur des scènes que Nounours
n’était pas censé avoir vues n’était pas difficile à deviner : la mère de la
petite fille était une adolescente qui se prostituait.
De toute évidence, les pressions exercées par les parents ont pour but de
s’assurer que leurs enfants aient d’eux une image totalement favorable sans
exception. Dans les exemples donnés jusqu’ici, leur forme est grossière.
Plus fréquents sans doute, et tout aussi dommageables, sont les cas où elles
se font plus subtiles.
Ces vingt dernières années, une attention accrue a été accordée à
l’inceste, à la fois à son incidence élevée longtemps ignorée et à ses effets
pathogènes sur les enfants. La forme de loin la plus courante concerne les
relations père-fille ou beau-père/belle-fille. Parmi les problèmes et les
symptômes divers des enfants et des adolescents concernés et que l’on peut,
semble-t-il, attribuer à ces expériences, les plus courants sont le retrait par
rapport à toute relation d’intimité, les troubles du sommeil et les intentions
suicidaires 6. Un compte rendu des conditions susceptibles d’entraîner des
troubles cognitifs m’a été communiqué par un collègue, Brendan
MacCarthy, mais n’a jamais été publié. Il soupçonnait que les risques de
troubles étaient nettement plus importants si l’enfant était prépubère. Je
m’appuie sur ses conclusions dans ce qui suit.
Lorsqu’une relation sexuelle se met en place entre un père et sa fille
adolescente, rapporte MacCarthy, la liaison est généralement entérinée par
le père au cours de la journée par des coups d’œil furtifs, des contacts
discrets, et des sous-entendus. Dans le cas d’une enfant plus jeune,
cependant, un père ne se risque pas à une telle reconnaissance. Il se
comporte au contraire dans la journée comme si les épisodes nocturnes
n’existaient pas ; et ce démenti absolu se maintient généralement longtemps
même après l’adolescence de la fille.
MacCarthy décrit le cas d’une femme mariée, Mme A., qu’il traitait
pour dépression, dépendance aux tranquillisants et à l’alcool. Elle ne
mentionna les dix années de promiscuité sexuelle imposées par son père
adoptif qu’après quatre mois de thérapie. Cela avait commencé alors qu’elle
avait 5 ou 6 ans, peu de temps après le décès de sa mère adoptive, et cela
avait duré jusqu’à ses 16 ans, âge auquel elle s’était enfuie. Elle souffrait de
nombreux troubles, dont une frigidité, un dégoût vis-à-vis de l’acte sexuel
et un sentiment de noirceur intérieure, de « tache noire ». Ses difficultés
s’étaient amplifiées au moment des 4 ans de sa fille. Chaque fois que celle-
ci montrait de l’affection à son père et s’asseyait près de lui, Mme A. se
sentait agitée, protectrice et jalouse ; à ces moments-là, il lui était
impossible de les laisser seuls ensemble. Au cours de la thérapie, elle s’est
montrée obséquieuse et terrifiée, et d’une vigilance extrême par rapport au
moindre mouvement du thérapeute.
Concernant la relation incestueuse, Mme A. a raconté que son père
adoptif ne faisait jamais aucune allusion pendant la journée à ses visites
nocturnes dans sa chambre, qui restait toujours dans le noir. Au contraire, il
lui faisait régulièrement la leçon sur les dangers d’autoriser les garçons à
aller trop loin, et sur l’importance de la chasteté avant le mariage. Quand
elle a quitté la maison à l’âge de 16 ans, non seulement il a insisté pour
qu’elle n’en dise mot à personne, mais il a ajouté sur un ton sarcastique :
« Et si tu le fais, personne ne te croira. » Ce qui aurait très bien pu être le
cas, vu que son père adoptif était directeur d’école et maire de la ville.
Dans son commentaire sur ce cas et sur d’autres similaires, MacCarthy
insiste sur la dissociation cognitive entre le père respecté, et peut-être aimé,
perçu le jour, et le père très différent des événements étranges de la nuit.
Enjointe de n’en souffler mot à personne, sa mère y compris, l’enfant se
tourne vers son père pour obtenir une quelconque confirmation de ces
événements, et elle se trouve naturellement désorientée de ne pas avoir de
réponse. Est-ce que ça s’est réellement produit ou ai-je rêvé ? Est-ce que
j’ai deux pères ? Pas étonnant dans ces conditions que plus tard, les
hommes ne suscitent que méfiance, et que l’attitude professionnelle d’un
thérapeute masculin soit interprétée comme une simple façade dissimulant
une intention de prédateur. Pas étonnant non plus que l’interdiction d’en
parler à quiconque demeure efficace, et que l’idée selon laquelle dans tous
les cas personne ne vous croira assure le silence. Combien de fois, pouvons-
nous nous demander, des thérapeutes mal informés découragent-ils leurs
patientes de dire la vérité, et si elles persistent néanmoins, confirment-ils
leur attente selon laquelle personne n’accordera foi à leur histoire ?
Dans les exemples décrits jusqu’ici, les informations qu’un parent incite
un enfant à exclure concernent des événements du monde extérieur. Dans
d’autres situations, il s’agit de ce qui se passe dans le monde privé du
ressenti de l’enfant, et c’est extrêmement courant, surtout dans les situations
de séparation et de perte.
Au décès d’un parent, le conjoint survivant ou d’autres proches peuvent
non seulement fournir à l’enfant des informations fausses ou trompeuses,
mais il ou elle peux aussi indiquer qu’il n’est même pas convenable qu’il
fasse preuve de détresse. L’injonction peut être explicite : A. Miller 7 décrit
comment, à la mort de la mère d’un enfant de 6 ans, sa tante lui a dit : « Tu
dois être courageux ; ne pleure pas ; maintenant va dans ta chambre et joue
sagement. » Dans d’autres cas, elle est seulement implicite. Il n’est pas rare
que veuves et veufs, effrayés à l’idée d’exprimer leur propre détresse,
encouragent de fait leurs enfants à bloquer tout ce qu’ils ressentent face à la
perte. Palgi 8 raconte comment un petit garçon que sa mère grondait parce
qu’il ne pleurait pas la mort de son père lui répondit : « Comment est-ce que
je peux pleurer alors que je n’ai jamais vu tes larmes ? »
Il y a en réalité de nombreuses situations où l’on demande expressément
à un enfant de ne pas pleurer. Par exemple, on dit à un petit de 5 ans que sa
nounou est en train de quitter de ne pas pleurer car ça rendra les choses
encore plus difficiles pour elle. Un gamin laissé à l’hôpital ou à la
pouponnière s’entend répéter par ses parents qu’il ne doit pas pleurer,
autrement ils ne viendront pas le voir. Un autre dont les parents ne sont pas
souvent à la maison, laissé aux mains d’une jeune fille au pair parmi une
longue série, n’est pas encouragé à reconnaître combien il se sent seul, et
sans doute en colère, à cause de leur absence constante. Lorsque le couple
se sépare, on fait souvent comprendre clairement à l’enfant que le parent
qui n’est plus là n’est pas censé lui manquer, et qu’il n’est pas censé se
languir de son retour. Non seulement le chagrin et les pleurs sont
condamnés comme inconvenants dans de telles situations, mais les enfants
plus grands ainsi que les adultes peuvent se moquer d’un petit en détresse
en le traitant de pleurnichard. S’étonnera-t-on encore que dans ces
circonstances tout ressenti se retrouve exclu ?
Dans cette présentation, comme dans presque tous mes travaux, j’ai
concentré mon attention sur la psychopathologie et sur certaines des
conditions qui en sont à l’origine. La raison qui me conduit à le faire, c’est
que je crois que seule une meilleure compréhension de l’étiologie et de la
psychopathologie permettra de développer des techniques thérapeutiques, et
plus particulièrement des mesures préventives, qui seront à la fois efficaces
et économiques en termes de main-d’œuvre qualifiée.
Mon approche thérapeutique est loin d’être originale. L’hypothèse de
base peut être formulée de manière simple. Tant que les modes de
perception et d’interprétation des situations présentes, ainsi que le ressenti
et les actions qui en découlent, sont déterminés par des événements et des
expériences émotionnellement significatifs exclus d’un traitement
conscient, la personnalité aura tendance à produire des cognitions, des
affects et des comportements inadaptés à la situation en cours. Quand le
désir d’amour et d’attention est bloqué, il devient à jamais inaccessible.
Quand c’est la colère, elle demeure dirigée vers des cibles inappropriées.
De la même façon, l’anxiété continue à être provoquée par des situations
sans rapport, et un comportement hostile est sans cesse attendu de sources
inoffensives. La tâche thérapeutique consiste donc à aider le patient à
découvrir la teneur de ces événements et de ces expériences pour que les
pensées, les émotions et les comportements suscités par les situations
actuelles, et qui continuent à être si perturbateurs, puissent enfin être reliés
aux situations passées qui en sont à l’origine. Alors, les véritables cibles de
ce désir et de cette colère, et les véritables sources de l’anxiété et de la peur,
deviendront évidentes pour lui. Non seulement de telles découvertes lui
révéleront que ses modes de cognition, de ressenti et de comportement sont
bien plus intelligibles, compte tenu des circonstances qui les ont vus naître,
qu’elles ne le paraissaient auparavant mais, une fois qu’il aura saisi
comment et pourquoi il réagit de la manière dont il le fait, il sera en mesure
de réévaluer ses réactions et, s’il le souhaite, d’entreprendre leur
restructuration radicale. Cette réévaluation et cette restructuration ne
pouvant être réalisées que par le patient lui-même, la tâche du thérapeute
consiste donc, selon moi, à aider le patient, dans un premier temps, à
découvrir pour lui-même la teneur probable de ces scènes et de ces
expériences passées, puis, dans un second temps, à l’amener à réfléchir à la
manière dont elles continuent à l’influencer depuis. Et c’est seulement une
fois ce travail réalisé qu’il sera en mesure d’entreprendre la réorganisation
appropriée de sa manière d’interpréter le monde, d’y réfléchir et d’y agir.
La conception du processus thérapeutique exposée ici est semblable à
celle décrite bien plus en détail par d’autres. À titre d’exemple, on peut citer
les publications de Peterfreund 25 et de Guidano et Liotti 26. Bien que les
auteurs de ces deux ouvrages aient débuté leur pratique thérapeutique sur la
base d’approches radicalement différentes, à savoir des versions
traditionnelles de la psychanalyse et de la thérapie comportementale
respectivement, les principes guidant aujourd’hui leur travail sont d’une
convergence frappante. De même s’aperçoit-on que les formes actuelles de
thérapie du deuil, qui se concentrent sur les événements éprouvants d’un
passé relativement récent, sont fondées sur ces mêmes principes, bien que
développées au sein de traditions également différentes 27. Quelle que soit la
divergence apparente des tactiques, la réflexion stratégique en arrive donc
au même point.
7.
Trajectoires de développement
de la personnalité
Un autre point encore sur lequel la théorie de l’attachement diffère des
approches psychanalytiques traditionnelles, c’est qu’elle conçoit le
développement non comme une série de stades avec des individus bloqués
ou pouvant régresser à certains d’entre d’eux, mais comme une trajectoire
donnée parmi une gamme de possibilités. Certaines de ces trajectoires sont
compatibles avec un développement sain ; d’autres s’en écartent dans un
sens ou dans l’autre et ne le sont pas.
Toutes les variantes du modèle traditionnel partent du principe qu’à un
stade donné du développement normal, un enfant présente des
caractéristiques psychologiques considérées comme pathologiques chez un
individu plus âgé. Ainsi, un adulte chroniquement anxieux et collant sera
présenté comme ayant une fixation ou ayant régressé à une supposée phase
d’oralité ou de symbiose ; alors qu’un individu profondément renfermé sera
censé avoir fait retour à une supposée phase d’autisme ou de narcissisme.
Les études systématiques et attentives des bébés humains, comme celles
rapportées par Stern 28, ont rendu ce modèle intenable. Les observations
montrent que les nourrissons ont une réceptivité sociale dès la naissance.
Les bébés au développement sain ne se révèlent pas anxieusement collants,
sauf lorsqu’ils sont effrayés ou en détresse ; le reste du temps, ils explorent
avec confiance leur environnement.
Le modèle des trajectoires de développement considère que le
nourrisson à la naissance a une multiplicité de trajectoires qui s’ouvrent à
lui, la suite étant déterminée à chaque instant par l’interaction de l’individu
tel qu’il est à ce moment-là avec l’environnement dans lequel il se trouve
alors. Chaque bébé dispose de son propre potentiel de trajectoires
développementales qui, sauf cas de dommages neurologiques congénitaux,
en comporte de nombreuses compatibles avec la santé psychique, mais
aussi d’autres qui ne le sont pas. La trajectoire particulière empruntée par
chaque individu est déterminée par l’environnement qu’il rencontre, en
particulier la manière dont ses parents (ou ses substituts parentaux) le
traitent, et la manière dont il leur répond. Les enfants qui ont des parents
sensibles et réceptifs peuvent suivre une voie saine. Ceux qui ont des
parents insensibles, qui ne réagissent pas, les négligents ou les rejettent,
courent le risque d’emprunter une trajectoire déviante, jusqu’à un certain
point incompatible avec la santé psychique, et qui les rend vulnérables à un
effondrement en cas de confrontation à des événements très défavorables.
Mais même dans ce cas, comme le cours ultérieur du développement n’est
pas fixe, des changements dans la manière dont l’enfant est traité peuvent
modifier la trajectoire dans le sens d’une amélioration ou d’une
dégradation. Bien que cette capacité de modification développementale
faiblisse avec l’âge, le changement existe tout au long de la vie, et des
évolutions pour le meilleur ou pour le pire sont donc toujours possibles. Ce
potentiel permanent d’évolution signifie qu’à aucun moment de la vie,
personne n’est invulnérable à tous les malheurs, mais aussi qu’à aucun
moment de la vie, personne n’est imperméable aux influences favorables.
Et c’est justement ce qui permet l’efficacité thérapeutique.
8.
Attachement, communication
et processus thérapeutique
« Mais ce qui est ainsi demeuré incompris revient toujours, telle une
âme en peine, jusqu’à ce que se soient trouvées solution et
délivrance 1. »
Sigmund Freud, 1909
Il est facile pour une mère de dire à son enfant qu’elle ne l’aimera plus
s’il se comporte de telle ou telle façon. Elle le menace ainsi de ne pas lui
apporter son affection ou son réconfort à des moments où il est bouleversé,
effrayé ou en détresse, et de lui refuser aide et encouragements à d’autres
moments. Lorsque cette stratégie est systématiquement utilisée par l’un des
parents ou par les deux, l’enfant grandit inévitablement dans l’anxiété
intense de faire plaisir et la culpabilité extrême.
MENACES D’ABANDON
Les menaces d’abandon sont un degré au-dessus dans la peur qu’elles
engendrent chez l’enfant par rapport à celles de ne plus être aimé. C’est tout
particulièrement le cas lorsque le parent passe à l’acte, par exemple en
disparaissant pendant plusieurs heures, ou en faisant la valise de l’enfant et
en l’emmenant au bout de la rue, prétendument pour la maison de
correction. Comme de telles menaces ont souvent des formes très
personnalisées, un patient peut très bien soutenir n’y avoir jamais été
confronté. Dans ce cas, la vérité ne peut surgir avec son cortège d’émotions
qu’au rappel de la manière spécifique dont la menace était formulée. Par
exemple, une mère avait mis au point l’histoire selon laquelle un camion
jaune viendrait pour emmener son fils. Ou encore, un père racontait à sa
fille qu’elle serait envoyée dans une école sur un rocher isolé entouré de
requins 10. Ainsi, dans le premier cas, il suffisait à la mère de dire : « Eh
bien, le camion jaune va venir », et dans le second le père n’avait qu’à
indiquer : « Alors, ce sera l’école sur le rocher », pour que l’enfant cesse
immédiatement ce qu’il était en train de faire. Dans un troisième cas, le
nom de code était « margarine », la mère ayant assorti sa menace d’envoyer
son fils à l’internat de la précision maintes fois répétée qu’il devrait manger
de la margarine là-bas. Pour ces patients, une formulation aussi générale
que « menace d’abandon » n’avait rien évoqué. Ce n’est qu’une fois le nom
de code mis au jour que la terreur d’origine a été à nouveau vécue, et que
l’origine de l’angoisse de séparation a été découverte.
MENACES DE SUICIDE
DÉSAVEU ET DÉMENTI
La position du thérapeute
Dans cette présentation des principes thérapeutiques, les cliniciens
auront reconnu des concepts qui leur sont familiers depuis longtemps,
même s’ils apparaissent sous des appellations différentes. L’alliance
thérapeutique est ici la base sécure, l’objet interne est le modèle de
représentation ou de travail d’une figure d’attachement, la reconstruction
est l’exploration des souvenirs, la résistance (parfois) est la profonde
réticence à désobéir aux ordres de ne rien dire ou de ne pas se rappeler,
imposés dans le passé par les parents. Parmi les différences figure l’accent
mis sur le rôle du thérapeute en tant que compagnon du patient dans
l’exploration de lui-même et de son vécu, plus que sur son travail
d’interprétation. On peut décrire certains thérapeutes traditionnels comme
adoptant la position « Je sais, je vais vous dire », tandis que celle que je
préconise est « Vous savez, vous me dites ». Le patient est ainsi encouragé à
penser qu’avec du soutien et occasionnellement des conseils, il peut
découvrir par lui-même la véritable nature des modèles sous-jacents à ses
pensées, à ses émotions et à ses actions, et qu’en examinant la nature de ses
expériences d’enfance avec ses parents ou ses substituts parentaux, il sera à
même de comprendre ce qui l’a conduit à mettre en place les modèles
aujourd’hui actifs chez lui, devenant ainsi libre de les restructurer.
Heureusement, le psychisme humain, à l’image des os, a une forte tendance
à l’autoguérison. Le travail du psychothérapeute, comme celui de
l’orthopédiste, est de fournir les conditions les plus favorables à cette
autoguérison.
Peterfreund 12 et Casement 13 figurent parmi ceux qui ont récemment
présenté des comptes rendus détaillés de l’intérêt qu’il peut y avoir à
adopter une approche réservée qui suggère plus qu’elle n’affirme.
Dans la description présentée jusqu’ici, le rôle du thérapeute a été
assimilé à celui d’une mère servant à son enfant de base sécure à partir de
laquelle il peut explorer. Cela signifie, d’abord et avant tout, qu’il accepte et
qu’il respecte son patient, avec ses défauts et le reste, comme un être
humain en difficulté au même titre que lui, et que ce qui l’emporte chez lui
est sa préoccupation à améliorer le bien-être de celui-ci par tous les moyens
dont il dispose. Dans cette optique, le thérapeute s’efforce d’être fiable,
attentif, empathique et compatissant, et d’encourager son patient à explorer
l’univers de ses pensées, de ses sentiments et de ses actes, non seulement
dans le présent, mais aussi dans le passé. Même s’il incite toujours son
patient à prendre l’initiative, le thérapeute n’est nullement passif. D’une
part, il essaie d’être attentif et de réagir avec sensibilité. D’autre part, il
admet qu’il existe des moments où c’est à lui de prendre l’initiative.
Par exemple, lorsqu’un patient perd son temps à parler de tout et de
n’importe quoi, à l’exception de ce qu’il pense et de ce qu’il ressent au sujet
des gens, il est indispensable d’attirer son attention sur le fait qu’il évite ce
domaine, et sans doute aussi sur sa profonde méfiance envers les efforts du
thérapeute pour l’aider ou envers sa capacité à garder des confidences. Avec
un autre patient qui se montre, lui, tout à fait disposé à explorer ses
souvenirs d’enfance, le thérapeute aura cette fois de nombreuses occasions
où il lui sera utile de demander des détails ou de poser des questions sur les
situations passées qui n’ont pas encore été directement mentionnées, mais
qui paraissent probables au vu de ce que le patient a déjà raconté, et au vu
aussi des problèmes spécifiques dont il souffre. Ce faisant, le thérapeute ne
doit par ailleurs jamais oublier que son patient peut être encore fortement
influencé par des injonctions parentales le sommant d’ignorer ce qu’il n’est
pas censé savoir, et de ne pas éprouver des sentiments qu’il n’est pas censé
ressentir.
Une interruption dans la thérapie engendre sans doute toujours une
réaction chez le patient, parfois consciente, parfois inconsciente, mais
néanmoins évidente. Lorsque celle-ci est consciente, il peut se plaindre
ouvertement ou protester avec colère ; lorsqu’elle est inconsciente, il peut
dénigrer la thérapie ou manquer une séance ou deux avant l’absence du
thérapeute. La manière dont celui-ci évalue ces réactions et dont il y répond
reflète sa position théorique. S’il adopte la théorie de l’attachement, il
respectera la détresse et la colère de son patient au sujet de la séparation, et
il considérera ces manifestations comme les réactions naturelles de
quelqu’un qui s’est attaché à quelqu’un d’autre – un respect qui apparaîtra
implicitement dans tout ce qu’il dit ou ce qu’il fait.
En même temps, il sera attentif à la forme prise par la réaction de son
patient. Si celle-ci est ouvertement exprimée, il se montrera compatissant et
il pourra atténuer la détresse de ce dernier en lui fournissant des
informations sur la manière de le joindre pendant son absence. De plus, le
thérapeute prendra en compte le sens que son patient donne à l’interruption
et, en cas d’indices d’incompréhension, il tentera de découvrir d’où ils
peuvent provenir. Si, par exemple, le patient craint que son thérapeute ne
revienne pas, il est judicieux d’explorer la possibilité que le patient ait subi
des menaces d’abandon de la part d’un parent. Dans le cas où il s’absente
pour des problèmes de santé, il doit envisager la possibilité que son patient
craigne d’en être responsable du fait de ses actes ou de ses propos. S’il en
est ainsi, il lui appartient d’explorer si la mère ou le père de son patient ont
cherché à le contrôler en affirmant que son comportement les rendait
malades.
De même, lorsqu’un patient réagit à une interruption en dénigrant la
thérapie ou en manquant une séance, le thérapeute qui adopte la théorie de
l’attachement doit se demander si son patient a peur d’exprimer ses
émotions ouvertement, et ce qui, dans son enfance, peut justifier un tel
manque de confiance.
Cette manière du thérapeute de répondre aux réactions de son patient à
une interruption contraste avec celle d’un partisan d’une des nombreuses
approches psychanalytiques traditionnelles. Par exemple, un psychanalyste
classique aura plutôt tendance à considérer les réactions de son patient
comme enfantines, voire infantiles, indiquant une fixation à la phase orale
ou symbiotique. Ce qu’il pourrait alors dire, et tout particulièrement la
manière dont il le formulerait, pourrait très bien être vécu par le patient
comme un manque de respect pour ses sentiments actuels d’attachement, sa
détresse et sa colère. Ici encore, il y aurait danger que le thérapeute semble
répondre avec froideur et sans compassion, d’une façon bien trop semblable
à celle de la mère ou du père du patient. Dans un tel cas, l’échange serait
antithérapeutique.
Jusqu’où est-il sage pour le thérapeute d’aller en réponse au désir du
patient de rester en contact pendant ses absences, par téléphone par
exemple, et à son besoin de réconfort lorsqu’il se sent en détresse pendant
une séance ? Cela dépend de nombreux facteurs au sein de leur relation.
D’un côté, on peut craindre que le thérapeute semble manquer d’empathie
pour la détresse de son patient, voire qu’il semble rejetant. D’un autre côté,
le risque est qu’il paraisse offrir davantage que ce qu’il est prêt à donner. Il
est des occasions où il serait inhumain d’interdire à un patient en détresse
un contact physique quelconque : explicitement, il y a alors le rôle de celui
qui réconforte et le rôle de celui qui est réconforté. Il existe cependant
toujours un risque que le contact physique suscite un émoi sexuel, en
particulier entre personnes du sexe opposé. En fonction des situations,
chaque thérapeute doit faire ses propres choix et fixer ses propres limites.
Plus un thérapeute sera averti de ces questions, mieux il sera à même d’en
éviter les pièges.
Communication émotionnelle
et restructuration des modèles de travail
Lorsqu’un thérapeute utilise le type de technique préconisée ici, il arrive
parfois que la thérapie s’enlise dans une situation où le patient persiste sans
fin à décrire les malheurs qu’il a vécus, enfant, et les mauvais traitements
que ses parents lui ont infligés, sans progresser au-delà. Je soupçonne
qu’une des raisons à cette persévération réside dans la conviction du patient
que le thérapeute n’accepte pas la vérité de ce qu’il rapporte ; d’où une
répétition sans fin de ces propos. Le patient peut agir ainsi parce qu’il a
toujours essuyé les moqueries de ceux à qui il a raconté son histoire par le
passé, et sans doute plus couramment du thérapeute lui-même qui aura fait
preuve de scepticisme ou d’incrédulité. Cela peut se traduire d’une myriade
de façons, par le ton de la voix, en interrogeant les détails, ou en n’attachant
pas de valeur particulière aux descriptions du patient.
Évidemment, quand le problème réside dans l’incrédulité du thérapeute,
la porte de sortie consiste pour celui-ci à établir clairement qu’il ne sait que
trop bien que ce genre de choses arrive véritablement aux enfants et qu’il
n’a aucune raison de douter de ce que son patient lui rapporte. Cela fait, la
thérapie peut tout de même rester dans l’impasse : l’histoire est racontée et
re-racontée sur un ton morne et cynique sans aucune manifestation
quelconque d’émotions.
Cette situation a été analysée par Selma Fraiberg qui, avec ses
collègues, a entrepris de venir en aide à des mères vulnérables qui
risquaient de faire subir négligence ou violence à leur bébé 14. Elles
décrivent leurs visites au domicile de deux de ces mères, et les histoires
pénibles que ces femmes leur ont racontées. Chacune a fait le récit de cruels
sévices subis dans l’enfance – être violemment battues, être enfermées hors
de la maison dans le froid, souvent abandonnées par leur mère, être
ballottées d’un endroit à un autre, ou n’avoir personne vers qui se tourner
pour obtenir de l’aide ou du réconfort. Ni l’une ni l’autre n’offraient le
moindre signe de ce qu’elles avaient pu ressentir, ou de ce qu’elles avaient
pu avoir envie de faire. L’une d’elles, une jeune fille de 16 ans qui évitait de
toucher ou de tenir son bébé (qui hurlait désespérément) insistait : « Mais, à
quoi ça sert de parler ? J’ai toujours tout gardé pour moi. Je veux oublier. Je
ne veux pas penser. » C’est à ce moment qu’est intervenue la thérapeute –
exprimant elle-même toutes les émotions attendues de tout enfant exposé à
de telles situations : la peur, la colère, le désespoir que n’importe qui
ressentirait, et aussi le désir d’avoir quelqu’un qui comprend, vers qui se
tourner pour obtenir réconfort et protection. En agissant ainsi, elle a non
seulement montré qu’elle comprenait comment la patiente avait pu se sentir,
mais elle lui a aussi communiqué par son attitude qu’elle répondrait par le
réconfort et la compassion à l’expression de ces émotions et de ce désir
chez elle. Ce n’est qu’à ce moment-là que la jeune mère a pu manifester
tout le chagrin, les larmes, « et l’angoisse indicible pour l’enfant rejetée
qu’elle avait été » qu’elle avait toujours ressentie mais n’avait jamais osé
exprimer.
Dans cet exposé des méthodes utilisées par Fraiberg pour aider une
patiente à manifester les émotions qu’elle n’ose pas montrer, j’ai
délibérément souligné le lien entre émotion et action. L’absence
d’expression des émotions est très grandement due à une peur inconsciente
que l’action dont l’émotion est une constituante mène à une issue redoutée.
Dans de nombreuses familles, la colère envers un adulte est sanctionnée par
des punitions qui peuvent être très sévères. Par ailleurs, demander en larmes
du réconfort et de l’aide peut conduire au rejet et à l’humiliation. Les
cliniciens oublient sans doute trop souvent que de nombreux enfants,
lorsqu’ils expriment de la détresse et se mettent à pleurer, cherchant à être
réconfortés, sont repoussés comme étant d’intolérables petits pleurnichards.
Au lieu du réconfort offert par un parent affectueux et compréhensif, ces
enfants ne rencontrent que rebuffades critiques et sans compassion. Il n’est
pas étonnant, dans ces conditions, que l’enfant apprenne à ne jamais
montrer de détresse ou à ne jamais chercher de réconfort et, s’il entreprend
une thérapie, qu’il parte du principe que son thérapeute ne tolérera pas
davantage sa colère et ses pleurs que ses parents l’ont jamais fait.
A Secure Base est paru pour la première fois en 1988, alors que Bowlby
était dans sa quatre-vingt-et-unième année. Bien qu’il y eût encore,
étonnamment, un ouvrage à venir – la biographie de Darwin *2 –, c’est sa
dernière contribution à la théorie de l’attachement, discipline qu’il avait
fondée, avec l’aide de Mary Ainsworth, près d’un demi-siècle plus tôt.
Ainsi, A Secure Base résonne comme un adieu – la synthèse du travail
d’une vie, mais aussi un hommage et une transmission à la nouvelle
génération de chercheurs et de cliniciens de l’attachement.
On y trouve tous les thèmes familiers de Bowlby – la théorie,
l’étiologie, la méthodologie, la clinique et la politique. Il y réaffirme les
concepts fondateurs de son approche : la primauté de la réaction
comportementale d’attachement et son rôle dans la protection contre les
prédateurs ; la sensibilité dans l’attention portée à l’enfant comme base de
la santé psychologique ; et la permanence de l’importance de l’attachement
au cours du cycle de la vie dans son entier. Il argumente avec force en
faveur du rôle des malheurs réellement vécus – la privation affective, le
deuil non réalisé, le rejet, la confusion, la négligence, les agressions
physiques et sexuelles – dans le déclenchement ultérieur de la
psychopathologie, par opposition à celui d’entités endopsychiques
présumées comme l’« instinct de mort ».
Sur le plan méthodologique, il souligne l’importance de l’observation
scientifique systématique des enfants et des parents, par opposition à des
reconstructions spéculatives à partir du divan. Sur le plan clinique, il
conçoit le thérapeute comme servant de base sécure à ses patients, tremplin
leur permettant de s’ouvrir au discours émotionnel fluide, caractéristique de
ceux dont l’attachement est sécure.
Enfin, on y trouve le fond de bon sens de la philosophie sociale de
Bowlby au cœur de son travail : « La main-d’œuvre féminine et masculine
consacrée à la production d’enfants heureux, en bonne santé et autonomes
[…] ne compte absolument pas. Nous avons créé un monde qui marche sur
la tête. »
Ces vingt-cinq dernières années ont vu l’explosion de l’intérêt pour la
théorie de l’attachement, qui a culminé avec l’ouvrage de référence
Handbook of Attachment 1, synthèse tonifiante de la manière dont les
graines semées par Bowlby et Ainsworth ont donné naissance par leur soin
à un jeune arbre vigoureux qui s’est multiplié en une forêt entière de
développements, d’applications et d’idées. Dans cette brève introduction, je
sélectionnerai trois de ces points de croissance, ou « avancées récentes »
dans la théorie de l’attachement, auxquelles Bowlby a fait allusion, mais qui
se sont vus largement développés depuis la première sortie de A Secure
Base : le rôle des pères dans la création d’un attachement sécure, la
mentalisation et la « théorie de l’esprit » comme accomplissement
développemental, et la psychothérapie comme entreprise interpersonnelle.
L’attachement aux pères. Comme cela est sous-entendu dans la citation
ci-dessus, Bowlby a toujours insisté sur l’importance des mères et des pères
pour servir de base sécure. Un des points essentiels de l’argument selon
lequel un attachement sécure est un phénomène interpersonnel et interactif,
et pas simplement une question de tempérament inné de l’enfant, est étayé
par le fait qu’un seul et même enfant peut être classé dans la situation
étrange comme ayant un attachement sécure à un parent et insécure à
l’autre. Néanmoins, la théorie de l’attachement, du côté à la fois de la
recherche et de la clinique, a tendance à se montrer quelque peu materno-
centrée, et il n’a pas été facile d’identifier précisément les contributions des
pères à un attachement sécure.
Des travaux récents 2 ont commencé à éclaircir ce point. À l’époque où
Bowlby rédigeait les essais et les conférences composant cet ouvrage dans
les années 1980, les recherches longitudinales sur le phénomène de
l’attachement en étaient elles-mêmes à leurs débuts. Nous disposons
aujourd’hui d’études prospectives sur vingt ans portant sur des mesures de
l’attachement, de la sensibilité parentale, de l’exploration, des compétences
relationnelles, et de leurs représentations psychiques au cours de l’enfance.
Celles-ci peuvent aujourd’hui être corrélées avec la disposition à
l’attachement des jeunes adultes telle qu’elle se manifeste dans les attitudes
vis-à-vis des relations amoureuses et lors de l’Adult Attachment
Interview *3.
Ces études montrent que la contribution des pères est essentielle à la
mise en œuvre à l’âge adulte de dispositions d’attachement sécures, stables,
équilibrées, s’exprimant librement dans le discours et favorisant
l’exploration. Néanmoins, cette contribution à la santé psychologique ne
s’exerce pas à titre principal par la médiation de la sécurité *4 de
l’attachement tel qu’elle est évaluée par la situation étrange. Le rôle des
pères intervient plutôt par l’intermédiaire de la dimension d’exploration au
sein de la dichotomie attachement/exploration, et elle apparaît dans les
mesures du SCIP (Sensitive and Challenging Interactive Play) *5 3 qui
observe et évalue les parents dans des interactions avec leurs enfants lors de
périodes de jeu de dix minutes.
En général, des scores combinés sur plusieurs dimensions de
l’attachement aux deux parents dans l’enfance sont de bien meilleurs
prédicteurs des représentations d’attachement sécure ou insécure à l’âge
adulte que ceux obtenus avec un seul parent. Cependant, la dimension
préoccupée – des adultes qui fournissent des réponses déstructurées,
confuses et surchargées d’affect aux questions posées – est fortement
corrélée avec un rejet et une insensibilité du père au milieu de l’enfance, la
contribution maternelle s’avérant relativement faible. Ainsi, il semble que
des pères suffisamment bons aident leurs enfants à développer une clarté de
pensée et une capacité à faire face aux émotions négatives sans se sentir
submergés.
Comme les mères, les pères se doivent d’être sensibles, mais cela prend
la forme de compliments, d’encouragements et d’une aptitude à soutenir les
affects positifs chez leurs enfants. Dans l’aide apportée pour gérer le conflit
curiosité-méfiance, ce père protecteur, stimulant, qui persuade que « tu peux
le faire », diffère considérablement de l’image castratrice de la théorie
psychanalytique classique, qui correspond sans doute plus précisément aux
pères insensibles qui ne parviennent pas à saisir intuitivement le message de
fond de l’attachement selon lequel la réussite se fonde toujours sur
l’assurance *6.
La mentalisation et la théorie de l’esprit. Bowlby a vécu suffisamment
longtemps pour apprécier la valeur considérable de la contribution de Mary
Main à la théorie de l’attachement, et en particulier les possibilités offertes
par la création de l’Adult Attachment Interview (AAI) 4. Il cite ses résultats,
confirmés par d’autres, qui montrent que les mères dont l’attachement se
révèle insécure dans l’AAI ont bien plus souvent des enfants insécures, tels
qu’évalués par la situation étrange. Il concevait l’attachement insécure en
termes de défenses psychologiques – nécessaires à la survie émotionnelle
(et dans l’environnement d’adaptation lié à l’évolution dans lequel notre
espèce s’est développée, à la survie physique) – mais aussi comme une
entrave interdisant à l’individu insécure l’accès au traitement des
expériences négatives.
Une découverte essentielle de ces travaux pionniers a été que la
« fonction réflexive 5 » évaluée par l’AAI semble constituer un facteur de
protection qui, en dépit d’expériences négatives d’enfance comme la
séparation des parents, le deuil, voire la négligence et les abus, permet aux
individus de demeurer eux-mêmes sécures et de fournir un tel type
d’attachement à leurs enfants. Pour faire simple, la capacité d’« en parler »
atténue les conséquences négatives à long terme des traumatismes de
l’enfance. La fonction réflexive peut être conçue comme se rapportant au
discours intérieur, ou à la représentation psychique de l’expérience sous-
tendant cette capacité à la narration interactive externe.
Fonagy et ses collègues 6 ont élargi ces premiers résultats avec leur
nouveau concept de « mentalisation ». S’appuyant sur la tradition
philosophique de la « théorie de l’esprit », ils proposent l’existence de
processus développementaux cruciaux permettant aux bébés de commencer
à concevoir le fait qu’eux-mêmes et ceux qui les entourent ont un « esprit »
– c’est-à-dire la capacité à se représenter le monde et à avoir des projets,
des croyances et des désirs. La mentalisation nous rend capables de faire la
différence entre la « réalité » et notre perspective ou notre appréciation de la
réalité, et aussi de saisir le fait que différentes personnes voient diversement
le monde. Ainsi, la mentalisation, que l’on peut concevoir comme une
extension de la notion de modèles de travail de Bowlby, est antinarcissique
et, comme l’affirment Fonagy et al., elle est une composante essentielle de
notre compétence aux interactions sociales, qui inclut la capacité à survivre
aux défauts d’accordage, aux ruptures d’alliances, et à tous les défauts
mineurs normalement constitutifs d’un « parentage suffisamment bon »,
voire à celui qui ne l’est pas.
Cette approche conduit à une perspective assez différente de la
signification de l’attachement sur le plan de l’évolution qui, selon Bowlby
qui s’appuyait sur un point de vue éthologique, constitue essentiellement
une protection contre les prédateurs. Fonagy et ses collègues 7 suggèrent que
la proximité physique et émotionnelle qu’assure l’attachement dote aussi les
bébés de la capacité à se comprendre eux-mêmes et ceux qui les entourent.
Un attachement sécure nous permet de « lire » autrui – y compris nous-
mêmes. Les travaux récents en psychopathologie du développement ont
commencé à étudier les processus développementaux menant à une
mentalisation réussie – la « relation en miroir » entre mère et enfant,
l’établissement de limites claires entre le « semblant » et la réalité – et la
manière dont ces processus peuvent être défaillants. Ces études indiquent
que l’attachement insécure, en particulier l’attachement désorganisé 8,
constitue un facteur de prédisposition probable au développement ultérieur
de problèmes de personnalité chez l’adulte 9, en particulier de troubles de la
personnalité limite (décrits dans ce volume par Bowlby sous l’appellation
psychanalytique traditionnelle de faux self, personnalité schizoïde ou
narcissisme pathologique).
Composantes interpersonnelles de la psychothérapie. Bowlby a
régulièrement souligné le parallèle entre parentage sécure et bonne
psychothérapie (voir chapitre 8). Tout comme il a réhabilité le rôle du
traumatisme réel, par opposition au fantasme, comme facteur pathogène
dans les problèmes psychologiques, il a insisté pour que « l’accent [soit]
mis sur le rôle du thérapeute en tant que compagnon du patient dans
l’exploration de lui-même et de ses expériences, plus que sur son travail
d’interprétation ».
Bowlby lui-même avait clairement la capacité de servir de base sécure à
ses patients, à ses collègues et à ses étudiants, leur inspirant une grande
affection et une grande admiration. Ses écrits et l’histoire de sa vie sont
imprégnés du pouvoir qui était le sien de conserver un équilibre entre les
qualités « maternelles » de sensibilité et de réceptivité, et la stimulation et le
soutien « paternels » (notez que je désavoue ici complètement ma
précédente description impertinente et inexacte faisant de lui un
« évitant 10 »). Il se peut cependant qu’il n’ait sans doute pas pris toute la
mesure de la difficulté pour certains thérapeutes à acquérir ces qualités. Des
travaux récents ont commencé à dégager la contribution spécifique du
thérapeute et du patient à la dyade thérapeutique, et à indiquer que la qualité
de la thérapie, et probablement au final son issue, est fonction non de
chacun individuellement, mais de l’interaction ou de l’« ajustement » qui
existe entre eux. Dozier et ses collègues 11 ont étudié le type d’attachement
de thérapeutes et de leurs clients, et ils ont trouvé que les thérapeutes
insécures ont tendance à renforcer les schémas d’attachement insécure de
leurs patients, conduisant les évitants à une plus grande hypoactivation
encore de leurs comportements d’attachement, et les préoccupés à se
montrer plus collants et à faire preuve d’une plus grande dérégulation
affective. Les thérapeutes sécures, en revanche, ont tendance à rééquilibrer
la balance entre évitement et préoccupation, et à pousser leurs patients vers
des schémas relationnels plus sécures.
Avec la création du Patient-Therapist Adult Attachment Interview *7
(PT-AAI), Diamond et ses collègues 12 ont fait progresser la recherche dans
cette direction. Ici la procédure de l’AAI est appliquée à la relation
thérapeutique elle-même – thérapeute et patient sont invités à fournir des
adjectifs les décrivant mutuellement, accompagnés d’anecdotes pour les
étayer, et il leur est demandé d’imaginer les raisons pour lesquelles leur
patient ou leur thérapeute se comporte de telle ou telle façon. L’entretien est
ensuite retranscrit et évalué de la même manière que l’AAI, produisant des
catégories d’attachement ainsi que des mesures de la fonction réflexive en
rapport avec le processus thérapeutique. Un certain nombre de résultats
intéressants commencent à apparaître.
Premièrement, comme on peut l’espérer et comme on peut s’y attendre,
la fonction réflexive s’améliore au cours de la thérapie. Deuxièmement, les
issues favorables semblent associées à des thérapeutes qui ne se situent ni
trop loin derrière ni trop loin devant leurs clients dans leurs scores au PT-
AAI. Une certaine distance entre thérapeute et client est nécessaire, mais
elle ne doit pas être trop importante – car une thérapie efficace ne doit être
ni trop confortable ni trop caustique. Troisièmement, la capacité du
thérapeute à exercer sa fonction réflexive varie d’un patient à l’autre.
Chaque couple thérapeute-patient semble engendrer sa propre atmosphère
d’attachement et sa propre capacité à la mentalisation ou à son absence.
Tout cela implique une culture relationnelle beaucoup plus complexe et
dynamique entre caregiver et care-receiver (parent et enfant ou thérapeute
et patient) que les indications de Bowlby au dernier chapitre de ce volume
ne l’impliquent sans doute. Suivre les vicissitudes de cette relation est un
énorme défi pour les développementalistes, les chercheurs en
psychothérapie, et les cliniciens souhaitant pratiquer et enseigner leur art.
Bowlby était un esprit éclectique par excellence. Il avait une capacité
remarquable pour rassembler différentes disciplines – psychanalyse,
sciences cognitives, développement de l’enfant, éthologie, cybernétique – et
pour les fondre en une histoire cohérente.
Cet éclectisme rend la théorie de l’attachement extrêmement attrayante
pour certains, mais aussi déstabilisante pour des cliniciens à la recherche de
vérités émanant d’un seul « dieu ». Pour que notre discipline progresse
davantage, un nouvel effort de synthèse devra être fourni, assemblant les
idées de la neurobiologie, de la neuro-imagerie, de la linguistique, de
l’écologie, et des mathématiques des systèmes complexes comme celles de
la théorie du chaos. Établir des liens aussi créatifs est une tâche pour le
futur – tâche à laquelle Bowlby se serait certainement attelé avec joie et
qu’il serait triste d’avoir manquée.
Notes
1. Freud S. (1925), Sigmund Freud présenté par lui-même, trad. F. Cambon, Paris, Gallimard,
1984.
2. Efron A. (1977), « Freud’s self-analysis and the nature of psychoanalytic criticism »,
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4. Mahler M.S., Pine F. et Bergman A. (1975), op. cit., note 36, chap. II.
5. Ainsworth (1977), op. cit., note 3, chap. III.
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7. Winnicott D. W. (1960), op. cit., note 32, chap. II.
8. Kohut H. (1971), The Analysis of the Self, New York, International Universities Press. Le
Soi, trad. M. André Lussier, Paris, PUF, 1974. Kernberg O. (1980), Internal World and External
Reality : Object Relations Theory Applied, New York, Jason Aronson ; Kernberg O. (1975),
Borderline Conditions and Pathological Narcissism, New York, Jason Aronson. La
Personnalité narcissique, préface de D. Widlöcher, trad. D. Marcelli, Toulouse, Privat, 1981.
9. Winnicott D.W., op. cit., et La Crainte de l’effondrement et autres situations cliniques, trad.
J. Kalmanovitch et M. Gribinski, Paris, Gallimard, 2000.
10. Kernberg O. (1975), op. cit., note 8, chap. III.
11. Winnicott C. (1980), « Fear of breakdown : a clinical example », International Journal of
Psycho-Analysis, 61.
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13. Lind E. (1973), « From false-self to true-self functioning : a case in brief psychotherapy »,
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14. Bowlby J., Attachement et Perte, vol. 1 et 2, op. cit., notes 3, chap. I et 45, chap. II.
15. Robertson J. (1953), « Some responses of young children to loss of maternal care »,
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16. Heinicke C. et Westheimer I. (1966), op. cit., note 10, chap. II.
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6. DeLozier P. (1982), op. cit., note 39, chap. I.
7. Hansburg H.G. (1972), Adolescent Separation Anxiety : a Method for the Study of Adolescent
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8. Bowlby J., L’Attachement, vol 2., op. cit., note 45, chap. II.
9. Mitchell M.C., « Physical child abuse in a Mexican-American population », in K.E. Pottharst
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19. Zahn-Waxler C., et al. (1979), op. cit, note 30, chap. I.
20. Lynch M.A. et Roberts J. (1982), Consequences of Child Abuse, Londres, Academic Press.
21. Martin H.P. et Rodeheffer M.A. (1980), « The psychological impact of abuse in children »,
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23. Bloch D. (1978), « So the witch won’t eat me », Boston, Houghton Mifflin ; Comme ça, la
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27. Frodi A.M. et Lamb M.E. (1980), « Child abusers’ responses to infant smiles and cries »,
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28. Mattinson J. et Sinclair I. (1979), Mate and Stalemate, Oxford, Blackwell.
29. Marsden D. et Owens D. (1975), « The Jekyll and Hyde marriages », New Society, 32.
30. Ibid.
31. Gayford J.J. (1975), « Wife-battering ; a preliminary survey of 100 cases », British Medical
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32. Farrington D.P. (1978), « The family backgrounds of aggressive youths », in Hersov L. et
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33. Gayford J.J., op. cit., note 31, chap. V.
34. Mattinson J. et Sinclair, op. cit., note 28, chap. V.
35. Helfer R.E. et Kempe C.H. (eds) (1976), Child Abuse and Neglect : the Family and the
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11. L’enfant, bouc émissaire de la famille : voir Gillett R. (1986), « Short-term intensive
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L’utilisation de techniques de culpabilisation par le parent : voir Griffin P. (1986), Along with
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L’enfant, cible de violence physique, études sur le développement : voir Crittenden P. (1985),
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approach, avoidance and aggression », Child Development, 50 ; (1985), « Responses of abused
and disadvantaged toddlers to distress in age mates : a study in the day-care setting »,
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Études sur la thérapeutique : voir Hopkins J. (1984), « The probable role of trauma in a case of
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Review of Psychoanalysis, 11 ; (1986), « Solving the mystery of monsters : steps towards the
recovery from trauma », Journal of Child Psychotherapy, 12. Lanyado M. (1985), « Surviving
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L’enfant, cible de violence sexuelle : voir Bass E. et Thornton L. (eds) (1983), I never told
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12. Peterfreund E. (1983), op. cit., note 10, chap. IV.
13. Casement P. (1985), op. cit., note 4, chap. VIII.
14. Fraiberg S., Adelson E. et Shapiro V. (1975), « Ghosts in the nursery : a psychoanalytic
approach to the problems of impaired infant-mother relationships », Journal of the American
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15. Hinde R.A., Perret-Clermont A.-N. et Stevenson-Hinde J. (eds) (1985), Social
Relationships and Cognitive Development, Oxford, Clarendon Press ; Relations
interpersonnelles et développement des savoirs, Fribourg, Fondation Tyssen-Del Val, 1988.
Postface
1. Cassidy J. et Shaver P. (1999), Handbook of Attachment, Londres, Guilford.
2. Grossman K., Grossman K. et Zimmerman P. (1999), « A Wilder view of attachment and
exploration : stability and change during the years of immaturity », in Cassidy J. et Shaver
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H. (2005), « Early care and the roots of attachment and partnership reperesentation in the
Bilefeld and Regensburg longitudinal studies », in Attachment from Infancy to Adulthood : the
Major Longitudinal Studies, New York, Guilford.
3. Grossman K., Grossman K. et Kindler H. (2005), op. cit.
4. Hesse E. (1999), « The adult attachment interview : historical and current developments », in
Cassidy J. et Shaver P. (eds), Handbook of Attachment, Londres, Guilford.
5. Fonagy P., Gergely G., Jurist E. et Target M. (2002), Affect Regulation, Mentalization, and
the Development of the Self, New York, Other Press.
6. Fonagy P. et al. (2002), op. cit., note 4, postface. Bateman A. et Fonagy P. (2004),
Psychotherapy for Borderline Personality Disorder, Oxford, Oxford University Press.
7. Fonagy P. et al. (2002), op. cit.
8. Holmes J. (1993), John Bowlby and Attachment Theory, Londres Routledge.
9. Bateman A. et Fonagy P. (2004), op. cit., note 6, postface.
10. Holmes J. (1993), op. cit., note 8, postface.
11. Dozier M., Chase Stowall K. et Albus K. (1999), « Attachment and psychopathology in
adulthood », in Cassidy J. et Shaver P. (eds), op. cit.
12. Diamond D., Stovall-McClough C., Clarkin J. et Levy K. (2003), « Patient-therapist
attachment in the treatment of borderline personality disorder », Bulletin of the Menninger
Clinic, 76.
Remerciements
Ces dix dernières années, il a été pour moi d’un grand bénéfice d’être en
communication régulière avec le personnel et les étudiants de la Tavistock
Clinic, ainsi qu’avec un certain nombre de collègues engagés dans des
études innovantes sur la manière dont les schémas d’attachement se
développent au cours de la petite enfance et de l’enfance. À tous, je dois
une profonde gratitude, souvent pour des suggestions utiles, parfois pour
des corrections nécessaires, et toujours pour la stimulation et
l’encouragement qu’ils m’ont apportés. Je suis aussi profondément
redevable à ma secrétaire, Dorothy Southern, pour les nombreuses années
de service dévoué durant lesquelles elle a fait siens mes propres intérêts.
Pour son aide dans la préparation et la rédaction de ces conférences en
vue de leur publication, et pour l’élaboration de l’index, mes remerciements
vont à Molly Townsend.
Les six premières conférences de cet ouvrage ont été éditées dans
d’autres publications, et je remercie les éditeurs concernés pour leur
permission de les reproduire ici. La première conférence est le chapitre XVIII
de Parenthood : A Psychodynamic Perspective par Rebecca S. Cohen,
Bertram J. Cohler, et Sidney H. Weissman, The Guilford Press, New York
(1984) ; la deuxième conférence, « Attachment and loss : retrospect and
prospect », American Journal of Orthopsychiatry 52 (1982) ; la troisième
conférence, « Psychoanalysis as art and science », International Review of
Psychoanalysis 6 (1979) ; la quatrième conférence, « Psychoanalysis as a
natural science », International Review of Psychoanalysis 8 (1981) ; la
cinquième conférence, « Violence in the family as a disorder of the
attachment and caregiving systems », The American Journal of
Psychoanalysis 44 (1984) ; la sixième conférence est le chapitre VI de
Cognition and Psychotherapy de Michael J. Mahoney et Arthur Freeman,
Plenum Publishing Corporation, New York et London (1985), version
étoffée de l’article « On knowing what you are not supposed to know and
feeling what you are not supposed to feel », Canadian Journal of
Psychiatry 24 (1979).
DU MÊME AUTEUR
Attachement et Perte
Copyright
Influence des expériences vécues par les parents dans leur enfance
La recherche
Champ d’étude
Le scepticisme et la foi
Introduction
Cadre conceptuel
Mesures préventives
6. Savoir ce que l’on n’est pas censé savoir et ressentir ce que l’on n’est pas censé ressentir
Notes
Remerciements
*1. Amour et Rupture, Les destins du lien affectif (N.d.T.).
*1. Le titre d’origine est Caring for children. Mais care et ses dérivés (caretaking, caregiving,
careseeking…) n’ont pas d’équivalents uniques en français. Care signifie s’occuper de, veiller
sur, faire attention à, se soucier de, en fait aimer dans ses composantes concrètes. Son contraire
est le mépris. Le traduire par la seule notion de soin en réduit considérablement le sens, c’est
pourquoi le terme attention a été privilégié dans cet ouvrage. Pour une discussion sur le sujet et
ses implications, voir Yvane Wiart, L’Attachement, un instinct oublié, Paris, Albin Michel, 2011
(N.d.T.).
*2. Parenting, l’art d’être parent et la fonction de parent, rendu ensuite par parentage pour faire
bref (N.d.T.).
*3. Self-reliant, qui sait qu’il peut compter sur lui-même, qui a confiance en ses propres
capacités, sans pour autant refuser d’avoir recours à autrui en cas de besoin (N.d.T.).
*4. Celui ou celle qui s’occupe de l’enfant, qui fait attention à lui, qui l’aime (voir note 1)
(N.d.T.).
*5. Un besoin accru d’attention, attendu du mari ou de la mère, a été observé dans des études de
groupes représentatifs de femmes par Wenner 4 et Ballou 5.
*6. Security, faux ami dont le sens est plus proche de celui de tranquillité d’esprit, d’absence
d’inquiétude que ne l’évoque le terme sécurité en français, dont l’équivalent anglais est safety.
Voir Wiart, op. cit. (N.d.T.).
*7. Voir en particulier les travaux de Stern 8, Sander 9, Brazelton, Koslowski et Main 10 et
Schaffer 11. Pour d’excellents comptes rendus, voir Schaffer et Stern 12. L’état de sensibilité
exacerbée qui se développe chez une femme pendant sa grossesse et plus particulièrement vers
la fin, et qui lui permet de « s’adapter délicatement et avec sensibilité » aux besoins de son bébé,
est un processus sur lequel Winnicott 13 a attiré l’attention.
*8. His base is secure (N.d.T.).
*9. Autonomy (N.d.T.).
*10. Dans une autre étude sur un échantillon plus important, menée aussi au Guatemala par la
même équipe de recherche, tous les résultats ont été dupliqués. Les échantillons étaient de
279 femmes dans le groupe sans soutien et de 186 dans le groupe avec. Non seulement la durée
du travail a diminué de moitié, mais l’incidence des complications périnatales aussi 27.
*11. Étant donné que des études plus récentes 28 n’ont pas retrouvé les premiers résultats quant
aux effets du contact précoce mère-bébé, le problème reste entier. Il se peut que dans ce
domaine sensible, les détails de la manière dont ce contact précoce est organisé et par qui
puissent expliquer les divergences.
*12. Caring (N.d.T.).
*13. Le rôle du contact physique étroit avec la mère pendant la petite enfance a été
particulièrement étudié par Ainsworth qui trouve que les enfants qui développent un
attachement sécure à leur mère sont ceux qui, lors des premiers mois, sont tenus le plus
longtemps dans les bras, d’une façon tendre et aimante 31.
*14. La prudence s’impose dans l’interprétation des résultats de ces deux études, car dans
aucune d’elles il n’est certain que la mère ait chaque fois été le parent maltraitant.
*1. Le décès prématuré de Ronald Hargreaves en 1962, alors qu’il était professeur de
psychiatrie à Leeds, a été une très grande perte pour la psychiatrie préventive.
*2. Version française de l’OMS : Soins maternels et Santé mentale. Pour les problèmes
soulevés par cette traduction du titre pour care, voir note 1. On peut y ajouter celui lié à mental
qui renvoie à psychique en opposition à physique, et non au sens strict de maladie mentale ou
psychiatrique (N.d.T.).
*3. Le Chagrin : un danger dans la petite enfance et John, 17 mois : séparation brève en
pouponnière, Paris, Copes, 2004.
*4. Deprivation of maternal care est habituellement traduit par carence de soins maternels, voir
à nouveau Wiart, op. cit. L’expression plus globale de privation d’attention a été préférée, qui ne
se limite pas à l’absence de la mère, mais fait référence à toute forme de violence psychologique
et physique exercée sur l’enfant, le privant de l’attention et de l’amour dont il a besoin pour se
développer harmonieusement. Bowlby la définit ainsi : « L’enfant dans ses jeunes années devrait
vivre une relation chaleureuse, intime et sans ruptures avec sa mère (ou substitut maternel stable
– une personne qui le “materne” de façon régulière), dont ils retirent tous deux joie et
satisfaction, […] une relation complexe, fertile et enrichissante, étoffée de multiples manières
par les liens avec le père et avec les frères et sœurs. Une situation dans laquelle l’enfant ne
bénéficie pas d’une telle relation est appelée “privation d’attention” 13. » (N.d.T.)
*5. Extrait de Maternal Care and Mental Health (N.d.T.).
*6. C’est l’expression actuellement employée par Thomas Kuhn 15 pour remplacer celui de
« paradigme », terme qu’il utilisait auparavant 16.
*7. Security, voir note 6 (N.d.T.).
*8. Traduction courante de separation anxiety, celle-ci pose ici un problème car
traditionnellement l’angoisse est définie comme une peur sans objet, or le propos de Bowlby est
de montrer qu’elle a bien un objet. Anxiety signifie inquiétude, peur, sans connotation théorique
particulière, il a été le plus souvent traduit ici par anxiété, et l’adjectif correspondant par
anxieux, ou encore inquiet, plus proche de son sens habituel en anglais (N.d.T.).
*9. Il s’agit ici de rendre l’opposition careseeker/caregiver, celui qui recherche de l’attention et
de l’amour, et celui qui en donne : l’enfant est ainsi attaché au donneur, son parent, sauf lorsque
les rôles s’inversent (N.d.T.).
*10. Comme Spiegel 35 l’a fait remarquer, l’expression « exclusion défensive » que j’utilise a
un sens très proche de l’« inattention sélective » de Sullivan.
*1. Efron 2 rapporte les circonstances dans lesquelles cet abrupt changement d’idée a eu lieu
chez Freud.
*2. Self-reliance (N.d.T.).
*1. Concernant l’adhésion de Freud aux idées de Lamarck, voir le volume III, chapitre X, de la
biographie de Freud par Ernest Jones 23. Pour l’influence de la loi biogénétique de Haeckel,
consulter la longue note éditoriale de James Strachey à sa traduction de Moïse et le
Monothéisme de Freud 24 et plus particulièrement l’enquête de Frank Sulloway sur les origines
de la métapsychologie freudienne 25.
*2. Ou les systèmes comportementaux.
*3. Family care (N.d.T.).
*4. La technique d’analyse adoptée par Mintz semble très proche de celle de Donald
W. Winnicott au Royaume-Uni ; voir la présentation de Guntrip 36.
*5. Care (N.d.T.).
*6. Le critère de réfutabilité sur lequel Popper a beaucoup insisté au départ n’est plus autant
mis en avant aujourd’hui ; même si la comparaison constante de prédictions dérivées de la
théorie avec une gamme de plus en plus étendue de données observées demeure centrale.
*7. Child care (N.d.T.).
*1. Voir note 2.
*2. Névrose et Croissance humaine (N.d.T.).
*3. Voir note 8.
*4. En anglais anger et anxiety (N.d.T.).
*5. Caregiving (N.d.T.).
*6. Dans une étude réalisée par Baldwin 5 portant sur trente-huit enfants ayant subi des mauvais
traitements physiques d’une exceptionnelle gravité, deux cinquièmes des parents avaient subi
des violences physiques dans leur enfance, et plus de la moitié des violences psychiques graves
ou prolongées. Baldwin attire l’attention sur la tendance marquée chez beaucoup de ces parents,
lors des entretiens, à recourir à de grandes généralisations sur leur enfance offrant une image
idéalisée, en contraste prononcé avec les épisodes sombres rapportés lorsqu’ils sont interrogés
en détail. Dans ce domaine, cliniciens et enquêteurs inexpérimentés risquent de se voir
sérieusement induits en erreur.
*7. Separation Anxiety Test, pour la traduction d’anxiety, voir note 8 (N.d.T.).
*8. L’étude de DeLozier a actuellement été dupliquée par Mitchell 9 sur une population de
mères hispano-américaines, aboutissant à des résultats quasi identiques.
*9. Parce qu’il est moins ambigu, je trouve le terme « redirigé » des éthologistes préférable à
son équivalent clinique de « déplacé ». Rediriger un comportement hostile en épargnant un
animal davantage dominant est un phénomène bien connu dans d’autres espèces.
*10. On sait aujourd’hui de source sûre que, moyennant un maternage sensible aux signaux du
bébé, les nouveau-nés difficiles se développent sans heurt, à seulement quelques exceptions
près 14 et qu’à l’inverse, un bébé potentiellement facile risque de rencontrer des problèmes de
développement si l’on est insensible à ses besoins 15.
*11. Je suis redevable à Pat Crittenden pour cet apport (communication personnelle), qui a
observé de tels comportements apparemment d’apaisement chez de jeunes enfants maltraités,
dont certains avaient moins de 2 ans. Des comportements similaires ont été observés aussi chez
de jeunes enfants dont les mères souffraient de dépression grave 16.
*12. Caregivers.
*13. Une autre initiative desservant une zone sérieusement défavorisée du centre de Londres, et
appelée Newpin, est aussi très prometteuse 37.
*14. Harrison 39 dresse la liste suivante : lorsqu’un parent souffre de troubles mentaux
chroniques reconnus, qu’il est atteint d’une maladie dégénérative grave, qu’il est récidiviste ou
qu’il tient à ce que l’enfant soit pris en charge par l’Assistance. Sont aussi exclues les familles
dans lesquelles les enfants courent le risque de mauvais traitements de la part du concubin de la
mère.
*1. Un long extrait du compte rendu de McCann est présenté dans le tome 3 d’Attachement et
Perte 14.
*2. Voir aussi Bliss 20. D’autres preuves du fait que les troubles de personnalités multiples se
développent durant l’enfance comme défense contre un traumatisme insurmontable,
généralement de graves abus, sont rapportées par Kluft 21.
*1. Dans des publications antérieures, j’ai parfois utilisé le terme « modèle de représentation »
comme synonyme de « modèle de travail » parce que la représentation est un concept plus
familier en littérature clinique. En psychologie dynamique, cependant, « modèle de travail » est
davantage approprié et c’est aussi le terme de plus en plus utilisé actuellement en psychologie
cognitive 1. Dans le cadre de l’attachement, le concept de modèle de travail d’une figure
d’attachement équivaut grandement et remplace le concept psychanalytique traditionnel d’objet
interne.
*2. Sur le couple indissociable careseeker et caregiver, voir aussi note 9 (N.d.T.).
*3. Secure (N.d.T.).
*4. Secure home base, port d’attache, base de repli au sens militaire, reprise dans la notion de
base sécure, environnement où l’on se sent en confiance. Voir ici (N.d.T.).
*5. Un examen supplémentaire des données a montré que toutes ces corrélations se vérifiaient
aussi avec les pères (Main, communication personnelle).
*1. Dans l’approche traditionnelle, ce changement de rôle endossé par le patient est
généralement appelé « identification à l’agresseur ».
*2. Ayant accordé beaucoup d’attention aux effets négatifs sur le développement de la
personnalité des deuils et des séparations prolongées dans des publications précédentes, ces
thèmes ne sont pas présents dans ce qui suit.
*3. Dans le cadre de la recherche, cependant, les critères d’acceptation des informations
rétrospectives comme fiables sont bien plus stricts.
*1. Préface à l’édition Routledge Classics.
*2. Dans ce livre, Bowlby applique la théorie de l’attachement à l’explication du
déclenchement de maladies et de symptômes physiques dont Darwin a souffert toute sa vie,
illustrant aussi la transmission transgénérationnelle de la violence psychologique et du blocage
des affects dans cette famille (N.d.T.).
*3. Entretien d’attachement adulte.
*4. Security, voir note 6, et Wiart, op. cit., sur les questions de la mesure de l’attachement et des
noms de variables associées, ainsi que sur les problèmes posés par la dérive actuelle consistant à
réduire la théorie de l’attachement à une théorie de la sécurité, au sens d’absence de danger
(N.d.T.).
*5. Jeu interactif sensible et stimulant.
*6. Security, voir note 4 (N.d.T.).
*7. Entretien d’attachement adulte patient-thérapeute (N.d.T.).