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La consultation avec l’enfant

Du même auteur
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Delion, P. (dir.), (1994). Actualité de la psychothérapie institutionnelle (en coll. avec
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Delion, P., (2006). L’enfant hyperactif : qu’en penser aujourd’hui ? Bruxelles :
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1001 bébés.
Delion, P., (dir.), (2008c). La pratique du packing avec les enfants autistes et
psychotiques en pédopsychiatrie. Toulouse : Erès.
Collection Les Âges de la vie
Dirigée par Pr Daniel Marcelli

La consultation
avec l’enfant
Approche psychopathologique
du bébé à l’adolescent
Pierre Delion
Professeur de pédopsychiatrie
Faculté de médecine de Lille 2
Chef du service de pédopsychiatrie du CHRU de Lille
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Abréviations
ADI Autism Diagnostic Interview
ADOS Autism Diagnostic Observation Schedule
AED action éducative à domicile
AEMO action éducative en milieu ouvert
ASE Aide sociale à l’enfance
AMM autorisation de mise sur le marché
AVSI auxiliaire de vie scolaire individuel
CAE centre d’action éducative
CAT Children Aperception Test
CAMSP centre d’action médico-sociale précoce
CARS Childhood Autism Rating Scale
CATTP centre d’accueil thérapeutique à temps partiel
CCAS centre communal d’action sociale
CIM Classification internationale des troubles mentaux et des troubles
du comportement
CIVI Commission d’indemnisation des victimes d’infractions
CFTMEA Classification française des troubles mentaux de l’enfant et de
l’adolescent
CLIS classe d’intégration scolaire
CLSH centre de loisirs sans hébergement
CMP centre médico-psychologique
CMPP centre médico-psycho-pédagogique
CP cours préparatoire
CRA centres de ressources autisme
CRDTA Centre régional des troubles des apprentissages
DESC diplôme d’études spéciales complémentaires
DGA direction générale de la Santé
DGAS direction générale de l’Action sociale.
DSM IV Diagnostic and Statistical Manual-Revision 4
EBM Evident Based Medicine
ECSP Échelle de communication sociale précoce
EDM épisode dépressif majeur
EEG électro-encéphalogramme
HAS Haute Autorité de santé
ICD International Classification of Diseases
IEM institut d’éducation motrice
IMC indice de masse corporelle
IME institut médico-éducatif
IMPro institut médico-professionnel
IOE mesure d’investigation et d’orientation éducative
IPP incapacité permanente partielle
IRM imagerie par résonance magnétique
ISRS inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine
VI

ITEP institut thérapeutique, éducatif et pédagogique


K-ABC Kaufman Assessment Battery for Children
MCDD MultiComplex Developmental Disorder
MDPH Maisons départementales des personnes handicapées
MMPI Minnesota Multiphasic Personality Inventory
MSN mort subite du nourrisson
NBAS Neonatal Behavioural Assessment Scale
OMS Organisation mondiale de la santé
ORL oto-rhino-laryngologiste
PEA potentiel évoqué auditif
PECS Picture Exchange Communication System
PEP-R Psychoeducational Profile- Revised
PJJ Protection judiciaire de la jeunesse
PMI protection maternelle infantile
QD quotient de développement
QI quotient intellectuel
RASED réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté
ROV relation d’objet virtuel
SAFEP service d’accompagnement familial et d’éducation précoce
SEAT service éducatif auprès du tribunal
SEGPA section d’enseignement général et professionnel adapté unité
pédagogique d’intégration
SAAAIS service d’aide à l’acquisition de l’autonomie et à l’intégration
scolaire
SESSAD service d’éducation spéciale et de soins à domicile
SSAD service de soins et d’aide à domicile
SSEFIS service de soutien à l’éducation familiale et à l’intégration scolaire
TAT Thematic Aperception Test
TED troubles envahissants du développement
THADA trouble d’hyperactivité, déficit de l’attention
WAIMH World Association for Infant Mental Health
WAIS Wechsler Adult Intelligence Scale
WPPSI Wechsler Preschool and Primary Scale of Intelligence
WISC-R Wechsler Intelligence Scale for Children- Revised
Remerciements

Écrire un manuel de pédopsychiatrie est un moyen intéressant pour, après


une expérience suffisamment longue, transmettre aux plus jeunes prati-
ciens de tous les métiers concernés par le bébé, l’enfant, l’adolescent, pré-
sentant une souffrance psychique, et par leurs parents, ce que l’on pense
utile et juste de leur confier afin de pérenniser une pratique nécessaire. Et je
remercie Daniel Marcelli de m’en avoir fourni l’opportunité. Mais la chose
n’est possible que parce que l’expérience nous en a été transmise par nos
aînés. Quitte à oublier quelques-uns d’entre eux, je prendrai le risque de
citer ici François Tosquelles, Jean Oury, Horace Torrubia, Jacques Schotte,
Roger Misès, Jacques Hochmann, André Bullinger, Geneviève Haag,
Salomon Resnik, Michel Soulé, Michel Balat, Bernard Golse, Jacques
Constant…, à qui je dois tant. Mais pour transmettre quelque chose,
encore faut-il l’avoir fait fructifier. Or, il est impossible de le faire seul et
c’est tout le sens d’un collectif d’en permettre l’émergence, la mise en forme
et l’expression. À ce titre, je remercie toutes les personnes avec lesquelles
j’ai travaillé depuis que j’exerce ce métier de psychiatre : elles m’ont appris
beaucoup plus qu’elles ne peuvent même l’imaginer. Car, si ce qui est écrit
là tente de transmettre une pratique de pédopsychiatre et les réflexions
qu’elle lui a inspirées, sans les multiples rencontres et échanges avec les
pratiques et les réflexions des autres professionnels de l’enfance, quels que
soient leurs statuts, sans les rencontres de très nombreux enfants et de leurs
parents, et sans tous les partenaires de la cité, cela ne serait qu’anecdotique.
Je veux dire ici ma dette aux équipes d’Angers, du Mans et de Lille, et à
chaque fois, aux très nombreuses personnes avec lesquelles les partenariats
se sont développés. Et enfin, je ne pourrais rien dire de ces consultations
sans la rencontre avec tous ces enfants en souffrance psychique et leurs
parents. Qu’ils sachent donc tous qu’ils ont participé à l’écriture d’une
œuvre commune dont je n’aurai été, tel l’oiseau de Prévert, que le
porte-plume(s).
Pierre Delion
Introduction

Peu d’ouvrages sont spécifiquement consacrés au premier entretien,


probablement parce qu’il est d’une extrême diversité apparente, mais
peut-être plus encore parce que parler du premier entretien revient
à parler de l’intimité du consultant, de l’intimité de sa pratique sous la
possible carapace des constructions théoriques.
Daniel Marcelli (2000, p. 214)
La consultation en pédopsychiatrie s’inscrit, par son appartenance à la
médecine, dans l’ensemble général des consultations médicales et plus pré-
cisément psychiatriques. Mais la rencontre avec l’enfant en modifie pro-
fondément l’exercice, le déroulement et les objectifs. Tout en restant dans
une dynamique rappelée par l’étymologie de « consultation », c’est-à-dire
délibérer, interroger et prendre conseil, sa pratique en psychiatrie de l’en-
fant requiert quelques aménagements sans lesquels elle pourrait perdre une
part importante de son intérêt.

Âge de l’enfant et importance des parents


D’autant que nous allons voir qu’à partir du domaine général de l’enfance,
elle s’est développée encore plus spécifiquement en direction de trois grands
axes qui nous imposent des modifications d’approche nécessaires pour res-
ter pertinent avec les âges en question : le bébé, l’enfant et l’adolescent ne
peuvent être accueillis, reçus, compris et traités de la même manière sous le
prétexte qu’ils appartiennent à l’enfance. Nous allons ainsi tenter de propo-
ser des abords spécifiques en fonction de l’âge de l’enfant, afin de pouvoir
se mettre à son niveau, ce qui est indispensable pour mieux percevoir les
symptômes qu’il présente ainsi que pour faciliter une qualité de relation
suffisamment proche, mais sans confusion.
Ce faisant, nous découvrirons que les partenaires, et en premier lieu les
parents ou leurs substituts, ne sont pas dans la même position par rapport
à un bébé, un enfant ou un adolescent, voire dans la situation de grossesse.
Il y a donc lieu d’en tenir compte, car l’importance de la consultation en
pédopsychiatrie tient en grande partie aux suites qui lui seront données
en matière de prévention et de soins quand ces derniers s’avéreront né-
cessaires. Aussi, la question essentielle des parents, et avec elle, celle de la
parentalité, sera-t-elle abordée et approfondie, tant il apparaît aujourd’hui
indispensable d’insister sur le fait qu’une pédopsychiatrie pensée et prati-
quée sans les parents n’aurait aucun sens. Et il ne suffit pas de le décréter :
encore faut-il leur proposer une approche spécifique pour notre travail avec

La consultation avec l’enfant


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2 La consultation avec l’enfant

eux et leur enfant, non pas comme auxiliaires thérapeutes, mais comme
parents présentant à la fois une souffrance spécifique à propos de leur en-
fant et des savoirs à son sujet, dont nous avons à tenir compte pour sa prise
en charge. Le moment de la consultation est un temps déterminant pour
s’engager dans une telle voie avec eux. Et assurément, l’expérience acquise
en psychiatrie d’adultes peut y contribuer, notamment, nous le verrons,
lorsque la psychopathologie parentale a besoin de répondant dans le travail
avec l’enfant.

Collégialité
Mais aujourd’hui, le pédopsychiatre ne travaille pas seul : il est entouré
d’une équipe et est en liens avec de très nombreux partenaires. Dans son
équipe, plusieurs personnes dotées de compétences diversifiées viennent
compléter son avis de pédopsychiatre-consultant. Et en fonction des si-
tuations des enfants venus en consultation, il sera intéressant de prendre
les avis complémentaires d’un ou de plusieurs d’entre eux. Les principaux
métiers qui collaborent avec le pédopsychiatre sont le psychologue, le psy-
chomotricien, l’orthophoniste, l’infirmier (infirmier de secteur psychia­
trique, infirmier DE et cadre-infirmier), l’éducateur (spécialisé ou de jeunes
enfants), la puéricultrice, l’assistant social, et les professions rencontrées
dans tout fonctionnement hospitalier ou de secteur (administratif, secré-
tariat, aides soignants…). Dans certaines circonstances, des instituteurs ou
des professeurs des écoles peuvent être détachés de l’Éducation nationale
sur un poste spécialisé, par exemple dans un hôpital de jour pour enfants
autistes ou un CATTP (centre d’accueil thérapeutique à temps partiel) pour
adolescents avec difficultés scolaires, et il n’est pas rare que nous ayons
besoin de leur avis de pédagogue sur les difficultés de tel ou tel enfant à ce
sujet. Dans d’autres situations, il est impératif de faire appel aux collègues
médecins d’autres spécialités, et ce sont évidemment les pédiatres qui sont
en première ligne, notamment les neuropédiatres. Mais il arrive aussi que
l’avis du généticien soit requis, voire celui du médecin rééducateur ou du
médecin de PMI (protection maternelle infantile). Tous ces avis peuvent
avoir un grand intérêt pour éclairer tel ou tel point de la consultation dans
une visée diagnostique, de bilan, ou pour préparer un suivi.
Mais dans nombre de situations, les liens avec d’autres partenaires encore
peuvent jouer un rôle facilitateur pour approcher de la façon la plus perti-
nente l’enfant qui présente des difficultés psychopathologiques. Ainsi, les
pédiatres de ville, les médecins généralistes et autres spécialistes de l’enfant
(ORL, ophtalmologues, obstétriciens et sages-femmes…), mais aussi les pé-
dagogues des écoles ordinaires ou spécialisées ainsi que les divers instituts
médico-sociaux (pédagogues et éducateurs du médico-social), les juges des
enfants et leurs « auxiliaires » (IOE, référents ASE…), les professionnels de
Introduction 3

la petite enfance (crèches, haltes-garderies, CLSH…), les travailleurs sociaux


des circonscriptions et du médico-social, peuvent prendre part à l’informa-
tion du pédopsychiatre pour améliorer la qualité de la consultation.
Nous verrons à ce propos que ces avis ne sont pas recueillis sans précau-
tions particulières. Il arrive que dans certaines situations, des dispositifs de
consultations singuliers soient requis pour dépasser des difficultés inter­
culturelles et langagières, et il sera utile de disposer de personnes qui peuvent
en favoriser la réalisation (traducteurs, personnes appartenant à la même
culture…) et ainsi d’éviter des évaluations ne tenant pas assez compte des
diversités culturelles. Dans tous les cas, au vu de la complexité de telles
approches complémentaires et en réseau autour d’un enfant, des problé-
matiques institutionnelles ne manquent pas de se poser, aussi bien dans
l’équipe de pédopsychiatrie elle-même qu’avec chacun des partenaires « ex-
térieurs », et il convient d’en tenir le plus grand compte, voire de les dépas-
ser en les repérant et en les traitant. Nous en développerons les principaux
points saillants.

Diagnostic et synthèse
Une (ou quelques) consultation(s) peut dans certains cas permettre rapi-
dement au pédopsychiatre de se faire une idée suffisamment claire de la
situation de l’enfant pour proposer une prise en charge adaptée à sa pro-
blématique. Mais dans d’autres circonstances, un temps plus long doit être
pris pour dégager, avec différents intervenants, les principaux points qui
peuvent éclairer le symptôme et la structure sous-jacente. Dans de tels cas,
toutes ces informations de nature et de statuts différents doivent être ana-
lysées et intégrées par le pédopsychiatre dans le cadre de ce que l’on appelle
couramment les réunions de synthèse, afin de pouvoir en proposer une res-
titution aussi complète et dynamique que possible, dans l’idée de proposer
à l’enfant et à ses parents une conduite à tenir à laquelle ils puissent adhé-
rer. Ce temps, fondamental, de restitution à l’enfant et aux parents consti-
tue une étape à part entière de la consultation et coïncidera souvent avec
le temps de l’annonce du diagnostic. Seront repris avec eux les éléments du
bilan réunis après synthèse avec l’ensemble de ceux qui y ont contribué, et
dans une dynamique de partage, ce diagnostic sera l’occasion de proposer,
si nécessaire, des indications de soins pédopsychiatriques pour l’enfant.

Indications de soins
La question des indications de soins sera également développée, dans la
mesure où ce sont elles qui donnent la réponse à l’inquiétude des parents
en regard de la souffrance de leur enfant ; si elles sont bien travaillées avec
4 La consultation avec l’enfant

eux, elles sont un gage de pérennité de leur déroulement dans de bonnes


conditions. En effet, il est aujourd’hui relativement fréquent de voir des
parents, confrontés à la multiplicité des avis de rangs différents accessibles
par exemple sur Internet, mais aussi par le canal de certaines associations
centrées sur une pathologie particulière, ne plus bien savoir comment réali-
ser une synthèse de toutes ces données et donc comment penser et accom-
pagner les soins de leur enfant. Un travail approfondi avec eux au cours de
la consultation est essentiel pour les aider à hiérarchiser ces informations.
Et ce faisant, c’est l’enfant qui bénéficiera de la stabilité de son cadre thé-
rapeutique. Nous verrons que quel que soit le type des soins proposés, de
l’ambulatoire à l’hospitalisation à temps plus ou moins partiel voire à temps
plein, la poursuite du travail avec l’enfant et ses parents dans le cadre de la
consultation constitue progressivement une sorte de lieu de rassemblement
repéré comme indispensable dans la dynamique des soins. En ce sens, la
consultation devient alors une consultation thérapeutique à long terme,
dont nous détaillerons les caractéristiques.

Cadre institutionnel
En fonction des possibilités de consultations, le tour que prendra cette ren-
contre particulière aura une grande importance puisqu’il peut s’agir de for-
mes très différentes d’exercice de la pédopsychiatrie. La consultation inter-
venant le plus souvent dans un cadre de service public, nous rappellerons
l’organisation de la psychiatrie de secteur dans sa composante infanto-
­juvénile et les dispositifs des centres médico-psychologiques, de pédopsy-
chiatrie de liaison et autres. Il arrive aussi que des enfants soient vus par des
pédopsychiatres installés en libéral, ou exerçant leur profession en milieu
associatif. Il existe enfin des pratiques de consultation sensiblement diffé-
rentes, notamment lors des hospitalisations en urgence, et des approches
expertales, comme dans le cas des adoptions, ou pour des raisons médico-
légales, ou à titre de conseil.
Aujourd’hui, les expériences d’un certain nombre de pédopsychiatres les
conduisent à expérimenter des formes nouvelles de consultation au service
d’une vision plus ouverte du champ de la pédopsychiatrie. C’est ainsi que
la pratique des consultations conjointes devient plus répandue, que ce soit
avec le médecin de PMI dans le cadre de son exercice clinique, avec le mé-
decin généraliste dans l’urgence avec un adolescent, ou avec l’oncopédiatre
ou le néonatalogue pour partager une expérience de consultation de liaison
à propos d’un enfant présentant un cas très complexe. Les consultations
conjointes entre le pédopsychiatre et le neuropédiatre correspondent, elles,
à une approche intégrative des éléments différents couverts par le champ
de l’un et de l’autre (par exemple dans les cas de THADA ou de syndromes
autistiques atypiques…) et pour lesquels une synthèse en situation présente
Introduction 5

de nombreux avantages théoriques et cliniques. Généticien clinicien,


­gynéco-obstétricien, spécialiste de la greffe… interviendront en fonction
des situations. Et dans tous les cas, l’intérêt sur les plans cliniques et thé-
rapeutiques vient rejoindre l’importance éthique de penser en présence et
avec les parents, et à partir de plusieurs points de vue, la pathologie de leur
enfant.
Enfin, la consultation préventive est aujourd’hui un concept qui doit re-
tenir notre attention, dans la mesure où un nombre non négligeable d’en-
fants peut bénéficier de cette pratique en une ou quelques consultations
pour « débloquer » un symptôme ou un problème qui paraissait auparavant
insurmontable.

Aspect synoptique de la consultation


Le point de vue de la consultation en pédopsychiatrie est donc une fenêtre
largement ouverte sur cette spécialité médicale, par laquelle nous serons
amenés à observer de plus près de très nombreux aspects de son exercice
et des bases théoriques sur lesquelles il repose aujourd’hui. Nul doute que
cette proposition d’approche synoptique soit l’occasion de revisiter à la lu-
mière des débats actuels un bon nombre des questions qui fécondent les
nouveaux enjeux de la pédopsychiatrie. Enfin, il est évident que la consul-
tation en pédopsychiatrie, par les ambitions qu’elle affiche, mais aussi par
les nombreux éléments qu’elle doit intégrer, possède des vertus soignantes
en elle-même, indiquant ainsi sa texture thérapeutique, fidèle à l’idée de
consultation thérapeutique largement promue en son temps par Winnicott
et reprise par différents auteurs, dont Lebovici.

Référence
Marcelli, D. (2000). La Surprise, chatouille de l’âme. Paris : Albin Michel.
1 La consultation
en pédopsychiatrie

Ce travail spécialisé prend appui sur la théorie selon


laquelle un patient – enfant ou parent – apportera au
premier entretien une certaine capacité de croire qu’il est
possible de trouver de l’aide et de se fier à celui qui l’offre.
On attend de la personne qui donne cette aide un cadre
strictement professionnel permettant au patient de profiter
librement de l’occasion exceptionnelle de communiquer
qui lui est fournie par la consultation. Le patient
communique au psychiatre ses tendances émotionnelles
spécifiques qui présentent une forme commune ; leurs
racines se situent dans le passé, dans la structure profonde
de la personnalité et dans la réalité interne du patient.
D. W. Winnicott (1968, p. 299)

Qu’est-ce qu’une consultation


en pédopsychiatrie ?
Classiquement aujourd’hui, la consultation en pédopsychiatrie (Constant
et al., 1983) se passe avec l’enfant et ses parents. Elle consiste à recevoir l’en-
fant le plus souvent à la demande des parents, à entendre le motif qui les
amène et à tenter de comprendre avec eux ce qui occasionne la souffrance
psychique de l’enfant ainsi que celle des parents. Pour ce faire, le consultant
doit instaurer un climat de confiance, à partir duquel il pourra recueillir de
façon à la fois accueillante et minutieuse les signes présentés par l’enfant
(les symptômes) en cherchant, à chaque fois que c’est possible, à préciser
leur nature, leurs circonstances de survenue, leur intensité, leur durée, leur
évolution et leurs conséquences. Puis, il demandera aux parents une biogra-
phie de l’enfant, sorte de récit anamnestique familial, à la recherche d’an-
técédents personnels et familiaux, d’événements traumatiques, ou de tout
autre élément ayant pu intervenir dans la constitution de la symptomato-
logie. Nous verrons que les signes présentés par l’enfant, les techniques uti-
lisées dans son examen et les références auxquelles comparer ces résultats
varient en fonction de l’âge de l’enfant, d’éventuelles comorbidités, et de
divers paramètres qui seront abordés avec chaque situation particulière.

La consultation avec l'enfant


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8 La consultation avec l'enfant

Puis, en fonction de ces éléments, le consultant proposera si possible un


diagnostic et si nécessaire des indications de soin. Un diagnostic si possible,
parce que la démarche médicale nous apprend à conclure la ou les consul-
tations par cette synthèse de tous les éléments qui sont apparus lors des
rencontres avec l’enfant et ses parents, et que le médecin a progressivement
mis en forme dans un raisonnement qui le conduit, sinon toujours vers un
diagnostic certain, du moins vers des hypothèses diagnostiques envisagea-
bles au vu des données recueillies. Il arrive même quelquefois que cette ou
ces quelques consultations « suffisent » à dénouer un problème porté par
l’enfant sans avoir besoin de proposer un diagnostic au strict sens médical,
le tableau restant globalement dans les variations de la norme. Et enfin des
indications de soin pour, tenant compte du diagnostic ou des hypothèses
diagnostiques, entreprendre la prise en charge qui permettra à l’enfant de
guérir de sa maladie quand c’est possible, ou à tout le moins de diminuer sa
souffrance psychique et celle de ses parents.

Temps et espaces de la consultation


Il est souvent utile de distinguer, au cours de la consultation, différents
temps : d’abord ensemble, puis les parents seuls lorsqu’ils le souhaitent,
­ensuite avec l’enfant seul quand c’est possible (quand ce n’est plus un bébé),
et enfin à nouveau ensemble. Dans certaines circonstances, notamment
dans les cas (fréquents) de conflits graves entre eux, les parents auront des
points de vue différents sur leur enfant, et il doit en être tenu compte, afin
de ne pas prendre indûment partie pour l’un ou pour l’autre, ce qui mettrait
l’enfant dans une position délicate. Il peut alors être nécessaire de recevoir
les parents séparément. Quand il s’agit d’un adolescent, le scénario peut
être très différent, l’adolescent devant être reçu seul, indépendamment de
ses parents dans un premier temps, afin de lui signifier que notre attention
est centrée sur lui. Mais les parents doivent aussi faire l’objet d’une atten-
tion particulière, et également être reçus, de façon à ce que « leur » adoles-
cent perçoive la réalité de sa situation de « mineur » sous leur responsabilité
(dans le cas d’un adolescent jusqu’à ses dix-huit ans). Il est nécessaire d’in-
sister sur l’importance de tenir compte de leur souffrance pour les aider à
retrouver auprès de cet adolescent la place parentale ajustée qu’ils avaient
des difficultés à préserver avant la consultation. Mais nous reprendrons ces
particularités en fonction de l’âge dans les chapitres consacrés respective-
ment au bébé, à l’enfant et à l’adolescent.
Pour les enfants, il peut être intéressant de disposer d’un bureau de consul-
tation divisé en deux parties, avec un « coin » qui lui soit destiné, compor-
tant des meubles à sa taille, une table, des petites chaises, du papier, des
crayons de couleur ou des feutres, quelques livres et quelques jouets simples.
C’est là qu’on installera l’enfant après l’avoir reçu avec ses parents, afin qu’il
La consultation en pédopsychiatrie 9

puisse les attendre sans trop s’ennuyer, en entamant une tâche ou un jeu qui
pourrait l’intéresser et avec la consigne qu’il peut venir à tout moment les
rejoindre. Après quoi, les parents se rendront dans la salle d’attente pendant
le temps consacré à l’enfant seul. Puis ce sera le temps de la reprise ensemble
des éléments déjà « récoltés » au cours de ce premier entretien.
Cette organisation de la consultation est une proposition de décomposi-
tion de ses temps et de ses espaces, mais le praticien doit s’adapter à chaque
enfant, en tenant compte de son observation lors des premiers temps de la
rencontre, de son intuition clinique et des réactions des uns et des autres, y
compris de la sienne. Il arrive souvent que lors de la première consultation,
l’enfant n’accepte pas si facilement de rester seul sans ses parents. Dans cer-
tains cas, il peut être utile de respecter cette difficulté et de recevoir l’enfant
seul à partir des consultations suivantes quand c’est possible. Le fait de le
prévoir avec lui et ses parents lui permettra souvent d’anticiper les difficul-
tés de séparation qu’elle peut mettre en scène. Par contre, il arrive que des
enfants ne souhaitant pas être reçus seuls par le consultant manifestent
à leur manière non seulement leur difficulté à se séparer, mais également
celle du parent à se séparer d’eux. Dans de telles circonstances, il est quel-
quefois intéressant d’insister un peu pour soulager les parents et l’enfant de
la douloureuse décision de se séparer. Mais, dans d’autres cas, l’insistance
du praticien peut aboutir au résultat inverse, et accentuer encore davantage
des signes d’opposition à cette expérience douloureuse qui préexistaient de
façon implicite, et qu’il nous reviendra de comprendre ensemble. C’est dire
si l’intuition clinique fait partie des outils à développer.
Il est donc essentiel d’envisager cette rencontre inhabituelle en fonction
de ce qui se présente, et de ne pas perdre de vue que l’objectif est d’accueillir
l’enfant et ses parents avec leur souffrance psychique, de poser un diagnos-
tic quand il existe une pathologie, puis de proposer une indication de soin
quand elle est nécessaire ; dans le cas où il n’existe pas de pathologie avérée,
la consultation assurera une fonction préventive. Mais quel que soit le scé-
nario, pour parvenir aux objectifs, c’est davantage le chemin, les éléments
de sa construction et les méandres suivis que la rectitude académique ou
idéalisée de son tracé qui importent.

Accueillir l’enfant et ses parents


En outre, ce dispositif simple de la consultation en pédopsychiatrie va per-
mettre d’accueillir l’enfant et ses parents et, plus précisément, de percevoir
les signes de sa souffrance psychique, pour lesquels les parents l’amènent.
S’il s’agit d’une démarche authentiquement sémiologique – rassembler les
symptômes d’une maladie –, elle se fait de telle sorte que l’enfant se mon-
tre sous ses différents aspects sans en être trop déstabilisé. D’abord, nous
l’avons vu, quelques instants avec ses parents qui vont préciser les raisons
10 La consultation avec l'enfant

pour lesquelles ils demandent un avis pédopsychiatrique, puis un temps


seul mais pas très loin d’eux pendant que les parents racontent plus en
détail l’histoire de cet enfant, puis seul avec le pédopsychiatre ou le psycho-
logue, et enfin à nouveau tous ensemble. Mais à chaque étape, le praticien
va voir, regarder, observer avec ses yeux et sa pensée, entendre, écouter et
tenter de décrypter avec ses oreilles, et aussi sentir, ressentir, jouer, dessiner
et partager des émotions avec l’enfant et ses parents.
C’est peu dire que le pédopsychiatre ou le psychologue sera également,
en tant que personne, invité à recevoir tous ces éléments au cours de l’expé-
rience relationnelle partagée lors d’une consultation. Et pour une part, ces
observations, auxquelles il pourra accorder une importance plus ou moins
grande variant avec son expérience, viendront remplir une fonction essen-
tielle dans le travail diagnostique. Cet enfant peut-il facilement parler de ses
difficultés à l’école ou bien est-il engoncé dans une carapace de tension et
de retenue qui l’inhibe dans sa relation aux autres ? Tel enfant fait éprou-
ver au consultant des idées dépressives, de découragement et arrive à lui
communiquer par ce canal des vécus émotionnels dont il ne peut rien dire
tout seul. Tel autre présente des troubles du comportement qui déclenchent
chez le consultant une envie de lui rappeler les règles de la vie sociale avec
vigueur, et il a bien du mal à se retenir de le faire, partageant ainsi une des
raisons possibles ou une conséquence de la dépression profonde de cette
maman restée seule avec son fils.
Nous verrons que la prise en considération et l’étude de ces impressions
cliniques font partie de la clinique de la pédopsychiatrie, et qu’il convient
d’en tenir le plus grand compte. La consultation va ainsi permettre de réu-
nir un grand nombre d’éléments d’origines diverses qui vont constituer
le matériau sur lequel l’avis du consultant va se forger progressivement et
contribuer à éclairer celui des parents. C’est dans ce sens que l’on peut
retenir avec Bernard Golse que, la clinique de pédopsychiatrie étant « inte-
ractive, contre-transférentielle et historicisante » (Golse, 2006), ces dimen-
sions cruciales doivent être abordées, quand c’est possible, dès la première
consultation : interactive, car la plupart des éléments recueillis le sont dans
le cadre de l’interaction1 entre les partenaires de la consultation, et cette
expérience particulière ne peut être isolée du contexte relationnel intersub-
jectif dans lequel elle se déroule nécessairement ; contre-transférentielle2

1 Les interactions feront l’objet d’un rappel spécifique dans le chapitre consacré à la
consultation du bébé.
2 Le contre-transfert caractérise l’ensemble des réactions conscientes et inconscientes du
thérapeute envers son patient, à l’inverse du transfert, qui concerne la relation du patient
vers le thérapeute. Ce concept peut être repris dans le travail de consultation dans la mesu-
re où, très souvent, c’est l’occasion pour l’enfant de montrer comment il fait connaissance
avec une personne nouvelle, et notamment en déclenchant chez elle une série de réponses
qu’il est intéressant de repérer et d’étudier.
La consultation en pédopsychiatrie 11

dans la mesure où un certain nombre d’éléments résultent d’une analyse


des ressentis du consultant qui seront particulièrement éclairés par l’appro-
che psychanalytique, et historicisante en raison du travail très vite entrepris
autour de la mise en récit des événements et des symptômes de cet enfant,
faisant ainsi appel à un fonctionnement spécifiquement humain, la capa-
cité de narrativité (Ricœur, 1985 ; Stern, 1993 ; Hochmann, 2006), aspect
fondamental de l’intersubjectivité.

Parler, observer, jouer, dessiner


Parler
Il est important de distinguer les manières d’entrer en contact avec l’enfant
en fonction de son âge. Car si les échanges avec les parents sont dans la
plupart des cas possibles en paroles, il n’en va pas de même avec l’enfant.
En effet, plus un enfant est petit et moins son aptitude à s’exprimer par le
langage articulé dans une parole est grande. Mais les productions sonores
du jeune enfant sont néanmoins importantes, puisqu’on sait maintenant
que cette longue période préparatoire au langage est marquée par ce qu’on
appelle les « précurseurs du langage ». Avec les vagissements du début de la
vie aérienne, les gazouillis constituent les vocalisations (sons végétatifs de
zéro à deux mois et jeux vocaux de deux à six mois), tandis que les babilla-
ges surviennent ensuite, permettant ainsi au bébé de mettre en place les
syllabes correspondant au répertoire prosodique et phonétique de sa langue
maternelle. À partir de douze mois environ apparaissent les premiers mots,
puis de seize à vingt mois une augmentation et une organisation du lexique
qui les répertorie en fonction de ses expériences interactives. Et c’est ensuite
que le jeune enfant produit ses premiers syntagmes et fait ses premières
phrases.
L’enfant ne peut vraiment communiquer en paroles avec des personnes
inconnues qu’à partir du moment où il est suffisamment à l’aise dans le
monde parolier, c’est-à-dire vers trente à trente-six mois. Auparavant, il fau-
dra donc mettre à sa disposition les moyens adéquats pour entrer en com-
munication avec lui. On peut retenir trois approches complémentaires :
l’observation, le jeu et le dessin. Et ces moyens seront utiles bien au-delà
de cet âge indicatif.

Observer
Observer est une des bases de la relation médicale. Là, il s’agira non seule-
ment d’observer ce qui se voit, mais aussi de prêter son attention psychique3 à
ce qui se passe, de façon à se laisser pénétrer par des éléments d’observation

3 Référence aux travaux d’Esther Bick sur l’observation des bébés dans leurs familles,
pour lesquels Didier Houzel propose de « traduire » observation par attention psychique.
12 La consultation avec l'enfant

qui ne sont pas dicibles par l’enfant, et notamment tout ce qui concerne
son tonus, son ajustement postural, ses capacités développementales et psy-
chomotrices et son accordage affectif (Stern, 1989) avec son ou ses parents,
ainsi qu’avec le consultant. Nous verrons plus loin et plus en détail qu’il
peut également être intéressant de s’intéresser à ce que la relation obser-
vée « déclenche » chez l’observateur. En effet, si Michel Foucault a évoqué
la spécificité de l’observation médicale dans son ouvrage Naissance de la
clinique (Foucault, 1963), puis en a souligné les travers et les vicissitudes
dans Surveiller et Punir (Foucault, 1975), la perspective psychopathologique
inventée par Freud, en insistant sur les mécanismes d’identification à l’œu-
vre dans toute rencontre, a permis d’utiliser ce que l’observateur ressentait
comme un des éléments essentiels de la relation, et ce, à partir des pre-
mières rencontres. La consultation en pédopsychiatrie, en acceptant ce sa-
voir fondamental, peut ainsi s’enrichir d’une qualité facilitant l’expression
de la souffrance de l’enfant, non seulement dans le but déjà louable de la
soulager, mais aussi d’en faire un élément clinique irremplaçable. Plusieurs
auteurs se sont intéressés à ces problématiques d’observation en psycho-
pathologie infantile, mais les travaux d’Esther Bick (Delion, 2008) nous
paraissent les plus à même de nous aider de façon adaptée dans notre travail
d’accueil et d’observation lors de la consultation.

Jouer
Le jeu est l’activité culturelle de base des petits enfants. Avant même qu’ils
ne s’expriment, ils peuvent jouer leurs expériences et progressivement en
maîtriser les imprévus et les représenter. Certes, avant dix-huit mois, il s’agit
plus de manipulation que de jeu ; toutefois, emboîter, transvaser, culbuter…
montrent les capacités du jeune enfant à représenter ses expériences par sa
psychomotricité. À partir de cet âge, il peut jouer d’une façon plus symbo-
lique avec des petits jouets familiers (poupées, animaux, maisons, voitu-
res…). Entre dix-huit mois et six ans environ, il pourra ainsi se retrouver
dans un milieu familier par l’intermédiaire des jouets, et ainsi participer à la
consultation avec les moyens représentatifs à sa disposition, aussi bien du
côté de l’évocation de scénarios de déplaisir (un poupon tape violemment
sur un autre) que de plaisir (jeux de dînette). Comme Melanie Klein nous
l’a appris, le jeu permet à l’enfant de raconter son histoire, et notamment ce
qui l’amène à souffrir, non pas toujours avec objectivité (le jeu serait l’exacte
copie des expériences rapportées), mais précisément avec subjectivité (le
jeu, ici et maintenant, dans la relation avec le consultant, raconte certains
éléments d’une certaine expérience ou d’un fantasme de l’enfant).

Dessiner
Puis vient l’âge du dessin. Vers cinq ou six ans, l’enfant, qui auparavant se
servait de crayons et de stylos pour gribouiller et réaliser des formes simples
La consultation en pédopsychiatrie 13

(balayage, rond, bonhomme têtard, bonhomme…), prend un plaisir très


grand à dessiner. Il ne s’agit pas pour lui de satisfaire à un désir esthétique,
mais plutôt de produire, souvent sans paroles, une activité fantasmatique,
directement reliée à son monde interne. Il va passer du corps du bonhomme
à la maison puis aux dessins plus élaborés au fur et à mesure qu’il grandit
et élargit son horizon, pour arriver vers le pubertaire à désinvestir le dessin
comme moyen privilégié de communication.

Prendre des notes


Nous avons vu que la consultation est une rencontre constituée d’un ensem-
ble de situations diverses au cours desquelles une relation s’est engagée. Cer-
tains consultants prennent des notes au fur et à mesure de l’évolution de ces
moments constitutifs de la consultation, d’autres préfèrent ne pas le faire, de
peur de perdre le fil d’une attention psychique qui est quelquefois difficile à
obtenir. Les premiers auront peut-être une description plus exacte de
ce qui s’est passé dans la réalité du déroulement, tandis que les seconds
pourront probablement plus facilement faire état de leurs éprouvés contre-
­transférentiels. Mais l’inverse peut se produire également, ce qui nous amène
à une grande modestie dans les conseils à ce sujet, dans la mesure où tous ces
éléments sont très dépendants de la manière dont chacun des consultants
fonctionne en relation avec le patient et ses parents. Et une attitude « suffi-
samment bonne » se situe peut-être à mi-chemin entre ces deux modalités.
Toujours est-il que lorsque tous les éléments ainsi décrits sont devenus des
expériences partagées, il va être important de les colliger sous forme de ­notes
qui resteront dans le dossier du patient, de façon à constituer une « mé-
moire » de cette consultation et à arriver à une « histoire » des consultations
à venir. Nous verrons que la « mise en récit » est fondamentale dans le mé-
tier de consultant. Car prendre des notes n’a pas qu’un aspect pratique, c’est
déjà une mise en forme de ces expériences partagées. Aussi, après chaque
consultation, est-il intéressant de se donner un peu de temps pour les rédi-
ger. De plus, dans notre pratique de la consultation, il nous arrive fréquem-
ment de constater qu’un travail continue de se produire à partir de la mise
en forme réalisée par les notes jusqu’à la consultation suivante. Il s’agit pour
partie de ce que Freud (1914) appelait la Durcharbeitung (« trans-travail » ou
« perlaboration »), c’est-à-dire un travail d’élaboration inconsciente, de dé-
cantation des éléments utiles dans la relation thérapeutique. C’est ainsi que
parfois, lors de la relecture du dossier d’une consultation précédente, des
effets de compréhension peuvent se produire qui vont aider à poursuivre
les investigations lors des suivantes. Les notes personnelles appartiennent
au consultant, car elles sont considérées comme un matériau avec lequel il
va construire le dossier du patient qui, lui, appartient en quelque sorte au
patient. Nous aurons l’occasion de traiter ces aspects législatifs plus avant.
14 La consultation avec l'enfant

Qui assure la consultation en pédopsychiatrie ?


La consultation en pédopsychiatrie est le plus souvent assurée par le psy-
chiatre d’enfant, que ce soit dans son cabinet en libéral, ou en tant que
salarié d’un établissement sanitaire ou médico-social. Nous allons voir
comment cette rencontre peut apporter un grand nombre d’éléments utiles au
diagnostic puis au traitement quand il est nécessaire. Dans certaines circons-
tances, notamment dans le cadre de la pédopsychiatrie de service public,
dite psychiatrie de secteur4, il est généralement admis que les psychologues
peuvent aussi recevoir des enfants en consultation. Nous aborderons donc
ce temps de la consultation sans préjuger de celui qui la réalise, pédopsy-
chiatre ou psychologue. Il est toutefois habituel que ces deux professions,
aux statuts sensiblement différents – le premier est un médecin spécialis-
te5, tandis que le second a d’emblée entrepris des études de psychologie à
l’université –, établissent entre elles un modus operandi pour se répartir les
enfants en fonction de leurs problématiques spécifiques, soit dès l’appel
téléphonique, soit lors des premières consultations. En effet, un enfant qui
présente une souffrance psychique évoluant sur un terrain de vulnérabilité
physique pourra bénéficier de l’approche médicale globale, tandis qu’un
enfant présentant manifestement une problématique psychopathologique
pourra sans difficulté être accueilli soit par un psychologue, soit par un
pédopsychiatre. Dans tous les cas, une instance très utile, la synthèse clini-
que, permet de parler entre collègues des enfants reçus après les premières
consultations et de l’adéquation entre le problème présenté par l’enfant et
les compétences de la personne qu’il consulte.
Enfin, la consultation suit un schéma de travail à la fois assez précis pour
celui qui la mène, mais qui doit aussi être suffisamment déformable pour
s’adapter aux différentes circonstances. En effet, le tempo de cette ren-
contre sera sensiblement différent selon qu’il s’agisse d’une consultation

4 La psychiatrie de secteur (cf. encadré dans ce chapitre) est le mode d’organisation légale
de la psychiatrie publique française (loi du 31 juillet 1985). Chaque partie d’un dépar-
tement (ou secteur) dispose d’une équipe de psychiatrie publique chargée d’accueillir et
de traiter les patients atteints de troubles mentaux et de les suivre le temps nécessaire à
l’amélioration de leur santé mentale. Ces soins peuvent être dispensés en centre médico-
psychologique, dans les services psychiatriques de l’hôpital ou dans différents autres lieux
de soins mis en place pour ce faire (maison de retraite, hôpital général, foyer de jeunes
travailleurs…). C’est le concept de continuité des soins qui prévaut dans cette organisation.
Il existe des secteurs de psychiatrie générale, de psychiatrie infanto-juvénile et d’autres spé-
cialités (médico-pénitentiaire, toxicomanies…). Cette doctrine de la psychiatrie a constitué
une véritable révolution culturelle dans la psychiatrie du xxe siècle.
5 Le pédopsychiatre fait d’abord sa médecine à la faculté, puis une fois l’internat des
hôpitaux (maintenant appelé examen national classant) passé, il effectue la spécialité de
psychiatrie ; au cours de ses études de psychiatrie générale au cours desquelles il devra faire
des stages pratiques et théoriques en pédopsychiatrie, il acquiert sa spécialité de pédopsy-
chiatrie en deux années. Le cursus universitaire dure donc au minimum douze années.
La consultation en pédopsychiatrie 15

demandée il y a quelques semaines ou quelques mois pour un symptôme


en rapport avec une scolarité difficile, ou de recevoir en urgence un adoles-
cent suicidant, ou encore un enfant victime de mauvais traitements…

Note sur la pédopsychiatrie de secteur


Les secteurs de pédopsychiatrie ont été créés dans le cadre général de la psychia-
trie de secteur. Celle-ci, en tant qu’organisation légale de la psychiatrie publi-
que française (loi du 31 juillet 1985 instaurant le secteur et son budget global),
a une longue histoire, que nous ne reprendrons pas ici, enracinée dans l’histoire
de la psychiatrie française (Murard et Fourquet, 1984). C’est notamment en par-
tant des méfaits survenus avant et pendant la Seconde Guerre mondiale que
ses concepteurs ont opté pour un dispositif radicalement différent des positions
hospitalocentriques précédentes, confiant au CMP, installé au plus près de la
population à desservir, la mission principale de l’accueil de toutes les demandes
concernant la souffrance psychique et la charge d’y répondre de la façon la
plus adaptée au maintien de la place du sujet dans son contexte familial, socio-
professionnel et citoyen. Les élaborations ont commencé par le livre blanc des
années 1945 à 1948, et se sont poursuivies par des textes réglementaires (circu-
laires de 1960 et 1972) à portée générale, mais autorisant, à partir de 1972, sa
mise en place progressive dans chaque département français.
La pédopsychiatrie dans la psychiatrie de secteur
Aspect institutionnel
Créés pour prendre en charge spécifiquement les enfants et les adolescents
souffrant de troubles mentaux (sous la houlette de Roger Misès, inspirateur
de la circulaire du 16 mars 1972), les secteurs de psychiatrie infanto-juvénile
ont pu apporter aux équipes des secteurs de psychiatrie générale une aide
complémentaire basée sur des connaissances plus précises dans le domaine de
l’enfance. À noter que, tout en restant dans le giron de la psychiatrie générale,
la pédopsychiatrie a vu le jour en tant que discipline universitaire en 19731. Au
départ de cette expérience, une équipe de psychiatrie infanto-juvénile devait
assurer ses missions sur un territoire correspondant à trois secteurs géodé-
mographiques de psychiatrie générale2, dans la mesure où la population des
enfants représentait environ le tiers de celle prise en charge par les psychiatres
d’adultes et leurs équipes. D’où son appellation d’origine « d’intersecteur » de
pédopsychiatrie.
Aspect pratique
À l’origine, une volonté partagée à la fois par les hauts fonctionnaires chargés
de la psychiatrie au ministère et par les praticiens hospitaliers de psychiatrie

1 Le diplôme d’études spéciales complémentaires (DESC) de pédopsychiatrie


date du décret du 4 mai 1988
2 Un secteur de psychiatrie générale représente, selon les recommandations
ministérielles, une population d’environ 70 000 habitants. Un « intersecteur »,
désormais appelé « secteur de psychiatrie infanto-juvénile », rassemble donc
environ 200 000 habitants x
16 La consultation avec l'enfant

x
eux-mêmes permettaient de garder vivante l’idée que les pédopsychiatres s’oc-
cupent des enfants et des adolescents en lien étroit avec les équipes de psychia-
trie d’adultes. Mais cette psychiatrie générale bien comprise, dans la lignée des
inventeurs du secteur (Bonnafé, Paumelle, Daumezon, Tosquelles… voir Ayme,
1995), a eu beaucoup de difficulté à se maintenir au-delà des bonnes intentions.
Les secteurs de pédopsychiatrie se sont ainsi recentrés sur les enfants et les ado-
lescents et ont, pour diverses raisons, laissé les relations avec les psychiatres
d’adultes se distendre. Dans de trop nombreuses équipes, des cloisonnements
existent et ont des effets sur les problématiques sinon communes, du moins
nécessairement convergentes : la périnatalité et les pathologies puerpérales,
les enfants de parents malades mentaux, les passages des jeunes adolescents
ayant besoin de soins au-delà de leurs seize ans, les suivis de certains parents
d’enfants très en difficulté… ne trouvent pas toujours les réponses qu’une har-
monie suffisante entre les équipes chargées des enfants et adolescents et celles
chargées des adultes pourrait apporter. Dans d’autres cas, la pensée commune
des problèmes concernant les deux modalités pratiques du secteur géodémo-
graphique permet d’innover et de mettre en place des dispositifs intéressants
pour les populations desservies (prises en charge des adolescents par des per-
sonnels soignants issus des équipes de pédopsychiatrie et de psychiatrie d’adul-
tes, unités d’accueil mère-bébé assurées en complémentarité…).
Toujours est-il que, malgré ces avanies inévitables, la pédopsychiatrie de sec-
teur est fondée sur les mêmes prémisses que sa grande sœur la psychiatrie de
secteur : une même équipe médico-psychosociale prend en charge sur un terri-
toire géodémographique donné la population des enfants et des adolescents
qui présentent une souffrance psychique (naguère une maladie mentale). Elle
dispose pour ce faire d’une panoplie de dispositifs de prises en charge qui va de
la consultation au CMP, le pivot du service sectorisé, à l’hospitalisation à temps
plein en passant par toutes les formules nécessaires pour assurer un accueil
thérapeutique à temps partiel (hôpital de jour, de nuit, CATTP, unité du soir…).
L’accent est mis sur la prévention et dans cette perspective, ce sont les soins
en ambulatoire qui sont privilégiés chaque fois que c’est possible. Toutefois,
lorsque des soins plus intensifs sont nécessaires en raison de la gravité de la
­pathologie, les autres modes de soins (hospitalisation) sont utilisés en fonction des
indications thérapeutiques. Les prises en charge, se dispensant dans la durée,
nécessitent une continuité des soins, qui est en quelque sorte la condition de
possibilité du suivi d’une relation thérapeutique (appelée aussi par les psycha-
nalystes « relation transférentielle »).
Pour permettre à l’enfant ou à l’adolescent de bénéficier des soins, l’équipe
soignante se doit d’être en lien de travail, sous l’égide des parents, avec les par-
tenaires exerçant une fonction de relais dans la cité (instituteurs, PMI, crèches,
pédiatres…). La pédopsychiatrie de secteur n’a donc d’autres ambitions que de
permettre de suivre dans les meilleures conditions les enfants et les adolescents
qui en ont besoin. À noter que le développement de la psychiatrie du bébé et
celui de la périnatalité ont permis de compléter à la fois les réflexions psychopa-
thologiques et le dispositif d’aide aux enfants très jeunes et à leurs parents.
La consultation en pédopsychiatrie 17

Accueil de la souffrance psychique


Le premier temps de la rencontre est beaucoup plus important qu’il y pa-
raît, d’après ce qu’en disent les enfants, les parents et également les prati-
ciens dans l’après-coup. Il n’est pas anodin de venir voir un pédopsychia-
tre ou un psychologue. Il s’agit en général de circonstances qui ont mis
en péril l’homéostasie familiale et peuvent manifester le débordement des
moyens habituels de régulation qu’elle a inventée depuis la survenue des
difficultés de cet enfant. Dans beaucoup de cas, la famille a essayé pendant
plus ou moins longtemps de trouver elle-même une solution qui satisfasse
aux difficultés de l’enfant. Et c’est souvent quand ces solutions n’ont pas
marché que l’idée longtemps écartée d’aller consulter un spécialiste, sur les
conseils ou non du médecin traitant ou du pédiatre, s’impose aux parents.
La démarche est à la fois difficile à faire, car on ne va pas voir un « psy » si
facilement qu’il y paraît, mais l’espoir vis-à-vis de cette consultation peut
être très important. C’est peu dire que l’attitude du professionnel qui
­recevra l’enfant et ses parents sera capitale dans l’instauration de l’alliance
thérapeutique. C’est pourquoi il faut insister sur la qualité de l’accueil
­réservé aux enfants et à leurs parents, en général mais plus particulièrement
lors de cette première rencontre souvent décisive. Et accueillir la souffrance
psychique n’est pas chose aisée.

Notion de souffrance psychique


Tout d’abord, cette notion récente de souffrance psychique a besoin d’être
définie afin de mieux cerner ce qui est en jeu. D’un certain point de vue, la
souffrance est l’équivalent sur le plan psychique de la douleur sur le plan
physique. Et pour l’une comme pour l’autre, seuls les travaux récents ont
permis de la mettre en évidence chez l’enfant d’une façon plus précise,
et d’en tirer toutes les conséquences sur le plan thérapeutique. Mais si ce
concept a pris récemment une grande importance, c’est en se démarquant
progressivement de la notion plus inquiétante de « maladie mentale ».

Souffrance psychique et maladie mentale


En effet, il y a quelques décennies encore, cette maladie, aux confins de la
médecine, avec ses médecins particuliers, les aliénistes devenus psychiatres,
et ses hôpitaux spécialisés, était chargée d’une connotation péjorative qui
aboutissait souvent au rejet de ceux qui en étaient les porteurs. Être ­malade
mental ne déclenchait pas les mêmes réactions autour de soi qu’être
diabétique ou cardiaque. Il aura fallu tout le déploiement d’une politique
de psychiatrie de secteur, un rapprochement de la discipline psychiatrique
de la médecine, et une sensibilisation du tissu social contemporain au fait
que chacun d’entre nous pouvait traverser des moments d’angoisse, de
­dépression ou de mal-être, pour mieux comprendre que la souffrance qui en
résultait, pouvait aussi, à côté des causes médicales classiques (biologiques,
18 La consultation avec l'enfant

physiologiques, génétiques…), être d’origine psychique, sans pour autant


donner à celui qui l’éprouvait l’impression d’être un malade mental avéré.
C’est dans ce contexte que le concept de santé mentale, en opposition à
celui de maladie mentale, a vu son extension rapide, appuyé notamment
sur une définition proposée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS)
englobant les aspects physiques, psychiques et sociaux de la santé humaine.
La souffrance psychique devient dès lors le symptôme qui révèle une diffi­
culté psychopathologique mettant en difficulté la santé mentale. Et la
­maladie mentale, dans ce contexte, peut être définie comme l’une des formes
graves d’une santé mentale altérée, à côté d’autres formes moins prégnantes
et même de formes constituant de simples « écarts à la norme » (Bullinger,
2004). Nous percevons mieux comment la souffrance psychique est deve-
nue le signe d’une difficulté, à vivre ou à être, qui peut amener un sujet
« porteur » à consulter son médecin, et s’il est enfant ou adolescent, son
­pédiatre, pour rechercher d’où ce malaise peut provenir. Et quand le praticien
de première ligne a fait le point, en éliminant notamment une pathologie
somatique, il peut l’adresser à la consultation de pédopsychiatrie pour avoir
un avis spécialisé, et éventuellement des propositions de prise en charge
lorsqu’elles s’avèrent nécessaires.
La souffrance psychique concerne donc toute manifestation révélant une
difficulté sous-jacente d’ordre psychique. Lorsqu’elle survient, dans beau-
coup de cas, la personne touchée va tenter de trouver en elle les ressources
pour y faire face. Mais parfois, et notamment chez les enfants, les adolescents
et a fortiori chez les bébés, il peut se faire que les parents ne disposent pas de
ces ressources et soient amenés à demander de l’aide à des professionnels.
Dans de tels cas, la consultation en pédopsychiatrie permettra de préciser,
s’il en est besoin, le diagnostic qui « explique » la souffrance psychique et,
quand c’est nécessaire, les modalités d’une prise en charge adéquate. Dans
tous les cas, la qualité de l’accueil de cette souffrance psychique compte
beaucoup, puisque celui qui en est atteint manifeste une demande implicite
d’aide pour en sortir. En effet, exprimer sa souffrance à quelqu’un, soit direc­
tement par la parole, soit indirectement par des actes en lieu et place de
­paroles, est l’équivalent d’une demande d’aide. Un des aspects spécifiques du
travail des professionnels au cours de la consultation est de « décoder » cette
demande quand elle n’est pas suffisamment « lisible » pour l’entourage.

Angoisse et souffrance psychique


Mais de quelle « étoffe » est faite cette souffrance psychique ? Il nous semble
utile de reprendre cette question à partir de l’angoisse, telle que les philoso-
phes (Kierkegaard, 1844 ; Heidegger, 1927 ; Sartre, 1943), puis les psychopa-
thologues, notamment d’inspiration psychanalytique, l’ont étudiée.
Au début de sa vie, l’enfant vit un certain nombre d’expériences qui se
répètent et lui donnent l’impression de régularités. C’est à partir de telles
La consultation en pédopsychiatrie 19

constatations qu’il va anticiper davantage chaque jour de son développement


ce qui peut lui arriver. Lorsqu’un enfant se développe dans un tel climat, les
théoriciens de l’attachement ont proposé de qualifier son environnement de
« sécure ». Dans le cas inverse, on parle de climat « insécure ». Mais quoi qu’il
en soit, lorsque le bébé se trouve devant une situation nouvelle, sa première
réaction va être celle de l’étonnement, puis une fois passée cette constatation
de la nouveauté, il va faire appel à ses capacités et à son expérience pour y
faire face. Il arrive souvent que le bébé ne puisse pas résoudre tout seul le
problème qu’il vient de rencontrer, et son entourage devra l’y aider. Mais il
­arrive également que ces conditions favorables ne soient pas remplies, et dans
ce cas, le bébé va éprouver un sentiment que nous pouvons, après Freud (qui
avait d’abord parlé de détresse primordiale) nommer « angoisse ».
Dans une telle situation, Freud décrit deux types d’angoisses : l’angoisse
automatique et l’angoisse signal (Freud, 1926). La première est une sorte de
réponse psychique à la disposition de l’enfant pour manifester sa désorgani-
sation devant l’imprévu : le bébé réagira automatiquement par une angoisse
dans de telles circonstances. La deuxième est une angoisse un peu plus éla-
borée, dans la mesure où il s’agit d’une situation dans laquelle le bébé a déjà
été plongé une première fois au moins, et qu’il en a retenu, sinon la solution
pour s’en sortir tout seul, du moins la possibilité de classer cette expérience
dans une catégorie relativement connue. L’angoisse signal n’est pas une
­manifestation de désorganisation, mais plutôt le signal d’une expérience
semblable déjà rencontrée et un peu oubliée. Le processus de névrose infantile
par lequel vont passer la plupart des enfants au cours de leur développement
est l’histoire des avatars de l’angoisse signal : la phobie, la conversion hysté-
rique et l’obsession en sont les manifestations les plus connues.
En complément de ces premières avancées, et ce, à la suite des travaux des
psychanalystes kleiniens et post-kleiniens, une vaste réflexion a été engagée
sur les angoisses primitives ou archaïques. Il s’agit de ces états psychiques
par lesquels passent les enfants autistes au cours de leurs expériences patho-
logiques. Elles ont été décrites par Winnicott sur le mode des « agonies pri-
mitives » (par exemple : ne pas cesser de tomber, se morceler ou ne pas avoir
de relation avec son propre corps ; Winnicott, 1963), ou sur celui des expé-
riences sensorielles brutes des premiers temps de la vie psychique (angoisse
de précipitation de Houzel, de démantèlement de Meltzer, de liquéfaction
de Tustin… ; Houzel, 2002, p. 197-209 ; Meltzer, 1980 ; Tustin, 1977). Dans
de tels cas, les potentialités désorganisatrices sont puissantes, et les patholo-
gies dans lesquelles elles apparaissent sont souvent graves. On comprendra
que suivant le type d’angoisse présentée par l’enfant, la souffrance psychi-
que varie en qualité et en intensité d’une façon très importante, nécessitant
logiquement une démarche diagnostique pour en évaluer la signification
et les conséquences dans le contexte de vie de l’enfant. La consultation en
pédopsychiatrie doit précisément répondre à ces exigences.
20 La consultation avec l'enfant

Transformer la souffrance psychique


Un des enjeux de la consultation va être non seulement d’accueillir la souf-
france psychique, mais de la transformer lorsque c’est possible. Pour ce
faire, nous avons vu que les niveaux d’angoisse décrits précédemment sont
importants à considérer. Le modèle de transformation proposé par Bion
(1965) (élément bêta et fonction alpha maternelle6) peut être repris pour
le travail de consultation de la manière suivante : les signes de souffrance
psychique de l’enfant comprennent deux aspects intimement mêlés. Une
partie, le symptôme, renseigne le consultant sur la pathologie rencontrée
et permet de la « classer » dans la nosographie qu’il utilise habituellement ;
une autre partie, la souffrance subjective, le renseigne sur la manière dont
l’enfant « habite » le symptôme en tant que sujet de son histoire person-
nelle, familiale et sociale. Pour aider cet enfant, le consultant doit se livrer
à ce double travail qui consiste à recevoir les deux faces de ce signe, et à les
traiter à la fois ensemble et chacun spécifiquement.
Le symptôme donnera lieu à une réflexion sémiologique et diagnostique
et permettra de distinguer les grandes orientations en matière de psycho-
pathologie, tandis que la manière de l’habiter conduira elle aux modalités
de sa prise en charge ultérieure. La consultation devient dès lors l’espace
et le temps d’observation, d’analyse et de transformation de ces éléments
constitués pour partie des angoisses sus-décrites. La synthèse est un temps
d’élaboration à plusieurs des éléments recueillis par chacun des participants
au bilan, et les indications de soins sont les réponses proposées pour la
transformation de ces angoisses en éléments assimilables par l’enfant et
ses parents. Dans cette succession, l’élaboration prend plusieurs formes qui
incluent l’attention psychique du consultant, sa mémoire, les hypothèses
qu’il fait au fur et à mesure, la perlaboration qui le traverse inconsciem-
ment, la prise de notes, qui va bien au-delà du simple recueil d’informations
pour constituer une mise en récit de l’histoire de l’enfant. La consultation
devient de ce fait un véritable travail de transformation de la souffrance de
l’enfant qui s’appuie sur l’enfant et sa famille et comprend le consultant et
ceux qui l’accompagnent dans cette rencontre singulière.

Bilan diagnostique
Le diagnostic en pédopsychiatrie, comme dans toutes les spécialités médi-
cales, comporte une démarche progrédiente constituée d’un certain nom-
bre d’éléments que nous allons passer en revue dans cet ouvrage. Mais
avant d’y arriver, nous voudrions insister sur le fait que cette démarche

6 Cf. le paragraphe consacré aux interactions affectives dans le chapitre « Consultation


d’un bébé avec ses parents ».
La consultation en pédopsychiatrie 21

diagnostique fondamentale ne doit en aucun cas être confondue avec celle


qui consiste à étiqueter les patients comme s’il s’agissait d’exemples d’une
collection définie par la science a priori, sur le modèle de Sydenham pour
les symptômes de maladies ou de Linné pour les espèces vivantes. L’étymo-
logie de diagnostic permet de retrouver les racines qui éclairent sa pratique :
connaître quelqu’un en avançant avec lui dans le temps et dans l’espace. Il
s’agit d’une rencontre interhumaine, et comme telle, nous considérons que
l’autre, « l’objet » du diagnostic, est avant tout un « sujet » de (re)connais-
sance. Ce sujet va accepter de partager un certain nombre d’éléments qui
lui appartiennent, à lui et à sa famille, avec le praticien qui le reçoit. À partir
de ces premiers échanges, une idée plus précise des liens entre la souffrance
psychique annoncée et d’autres données de la consultation va prendre pro-
gressivement consistance. C’est donc dans le cadre d’une telle relation que
la recherche des signes des pathologies va prendre tout son sens.

La question du signe diagnostique


Les signes ou symptômes qui résultent de l’analyse de la souffrance psychi­
que de l’enfant vont ainsi venir progressivement prendre place dans un
­ensemble de signes, le syndrome, défini en tant qu’« association de plusieurs
symptômes qui constituent une entité clinique définissable » (Rey, 1992),
qui peut se rencontrer dans plusieurs types de maladies.

Syndrome et maladie
Un exemple permet de comprendre cette distinction, celui du syndrome
autistique, réunissant des signes cliniques tels que la difficulté à être en
­interaction avec d’autres et à communiquer, à supporter les changements, la
présence de stéréotypies, et d’autres signes que nous envisagerons plus loin.
Cette forme grave de la souffrance psychique amène les parents à consulter
en pédopsychiatrie. Ce syndrome autistique doit faire l’objet d’une étude
clinique et paraclinique approfondie, car il peut s’observer dans des
­maladies sensiblement différentes comme une maladie de Bourneville, une
maladie de Rett ou un autisme de Kanner. Il importe de rechercher les
­maladies sous-jacentes au syndrome parce qu’il existe dans certains cas des
traitements spécifiques qui permettent des évolutions plus favorables : un
enfant autiste peut, par exemple, présenter une épilepsie améliorable par un
traitement médicamenteux.

Difficulté du diagnostic
Pour réunir les signes des syndromes et des maladies, le pédopsychiatre et
le psychologue doivent connaître les classifications qui leur permettront de
retrouver leur chemin dans le monde des maladies infantiles et juvéniles.
Mais si ces classifications sont très utiles pour la démarche diagnostique,
il n’est pas possible de réduire cette dernière à une approche uniquement
22 La consultation avec l'enfant

descriptive : il ne suffit pas de remplir les cases de grilles de classifications


pour aboutir à un diagnostic – sinon cette démarche profondément médi-
cale ne comporterait pas de grandes difficultés et ne demanderait pas de si
longues études universitaires.
Ce qui reste difficile et sujet à différences d’appréciations, c’est l’accord
sur les signes présentés par l’enfant à un moment donné, celui de l’examen
clinique, aussi bien avec les parents, qui peuvent ou non acquiescer à nos
propositions, qu’avec les autres partenaires du bilan diagnostique, qui peu-
vent être amenés à recevoir les enfants à un autre moment, avec la possibi-
lité que les signes observés à la première consultation ne se retrouvent pas à
la suivante, et inversement. Si certains signes conservent une stabilité dans
leur expression, d’autres peuvent être labiles, inconstants et survenir dans
telles ou telles circonstances.

Exemple de symptôme labile


Par exemple, un enfant angoissé vient en consultation pour des insomnies
rebelles après avoir été vu plusieurs fois par le médecin généraliste, avoir
reçu un ou plusieurs hypnotiques, et commencé à présenter des signes de
fatigue en milieu scolaire. Celui qui le reçoit en consultation voit rapide-
ment les différents problèmes que cette insomnie pose chez cet enfant, et
tente de partager son point de vue et ses hypothèses avec l’enfant et ses
parents. Et il peut arriver que, dès la première nuit suivant la consultation,
l’enfant dorme à nouveau sans difficulté.
Dans ce cas, l’insomnie est le signe à l’origine de consultations réitérées.
Mais sa valeur n’est pas la même pour tous les consultants et donne lieu
à des propositions thérapeutiques différentes. Il apparaît donc important
de pouvoir resituer le symptôme dans le contexte de vie de l’enfant pour
tenter de lui donner un sens dans son histoire et ainsi proposer la prise en
charge la plus pertinente. Mais il peut se faire aussi que la disparition de
cette insomnie ouvre le champ à d’autres symptômes que ce premier signe
massif cachait jusque-là. Et le travail d’approfondissement de la consulta-
tion consistera à remonter le processus mis en œuvre par la souffrance psy-
chique de cet enfant.
Les variations d’une consultation à l’autre peuvent devenir intéressantes
pour découvrir ce chemin. Il est donc souvent prudent de noter soigneuse­
ment les observations d’une première consultation et d’en comparer les
résultats avec ceux des suivantes. Il sera également utile de prévoir plusieurs
consultations avec un enfant pour lequel l’impression clinique est hésitante,
et nous verrons que cette impression, si elle semble peu scientifique en appa-
rence, est en fait un élément d’importance dans la consultation, parce qu’elle
manifeste l’utilité d’un concept propre à la relation, celui de relation transfé-
rentielle, que nous expliciterons à son heure. Enfin, tout ce travail d’appro-
che diagnostique ne peut se faire sans la présence, peu ou prou, des parents.
La consultation en pédopsychiatrie 23

Bilans complémentaires et autres avis spécialisés


Si le travail diagnostique est une approche médicale, il est souvent intéres-
sant de s’entourer d’autres avis pour approfondir une dimension particulière
pour laquelle un de nos collaborateurs est plus spécialisé. C’est ainsi que
vers la fin des premières consultations, nous pouvons proposer aux parents
et à leur enfant de rencontrer tel ou tel collègue afin de mieux évaluer les
difficultés et les potentialités dans son domaine spécifique.
Dans le cas par exemple d’un trouble du langage, et après avoir dans
un premier temps de consultation fait le point sur le développement et la
personnalité de l’enfant, ainsi que le retentissement de ce trouble sur sa vie
psychique, un bilan complémentaire doit être demandé à l’orthophoniste,
afin d’avoir son avis sur le niveau de ce retard de langage, sur sa conforma-
tion et sur les moyens de le prendre en charge. Mais il se peut que pour un
autre enfant qui présente une autre forme de trouble du langage, tel que le
bégaiement, l’avis du psychomotricien soit requis, pour mieux percevoir ses
difficultés de régulation du tonus et envisager les moyens d’y remédier.
Dans d’autres situations, l’enfant ou l’adolescent manifeste une difficulté
à comprendre ce qu’un enfant de son âge comprend habituellement, et il
sera alors intéressant d’avoir un bilan comportant un niveau d’efficience
intellectuelle, surtout si les parents viennent pour évoquer leurs incertitu-
des à propos d’une orientation proposée par l’école ne correspondant pas
à leurs attentes. Quelquefois enfin, un adolescent très angoissé présentant
des signes inquiétants de début de troubles graves de la personnalité faisant
évoquer le diagnostic de schizophrénie peut bénéficier d’une approche que
le psychologue va entreprendre avec lui sous la forme de tests projectifs.
Tous les éléments recueillis au cours de ces différents temps du bilan de
l’enfant ou de l’adolescent vont être rapportés dans la consultation soit
­directement par les collaborateurs qui ont reçu l’enfant, soit par l’intermé-
diaire de rapports écrits qui seront lus et mis à la disposition des parents. Nous
aurons là de nombreux éléments de nature à nous aider à mieux compren-
dre ce qui se passe dans la situation de cet enfant, et nécessaires à la décision
de prise en charge éclairée.
Nous ne détaillerons pas maintenant les autres éléments du bilan qui
sont nécessaires à la démarche diagnostique ordinaire, et qui concernent les
­aspects plus strictement médicaux que nous réalisons en collaboration avec les
pédiatres, et plus précisément les pédiatres spécialisés dans le domaine intéres-
sant la pathologie de l’enfant en question. Ainsi, la consultation avec une jeu-
ne adolescente anorexique au bilan somatique préoccupant nécessitera l’avis
d’un gastropédiatre ou de l’endocrinologue, tandis que pour un enfant autiste
présentant une épilepsie complexe, ce sera au neuropédiatre que nous deman-
derons un avis spécialisé ; de même avec d’autres spécialités pédiatriques telles
que la génétique, la néonatalogie, l’oncopédiatrie ou la néphropédiatrie.
24 La consultation avec l'enfant

Toute cette stratégie des avis complémentaires demande une bonne colla-
boration entre les spécialités pédopsychiatriques et pédiatriques et doit faire
l’objet de grandes attentions pour faciliter ces échanges dans des conditions
sereines pour les enfants et leurs parents. Le respect entre les différents spé-
cialistes est l’assurance d’une bonne qualité d’accueil de l’enfant et de ses
parents par les collègues. L’inverse conduit souvent l’enfant et ses parents
à se retrouver en position d’otages dans des conflits ou des rivalités qui ne
les concernent en rien.

La question des classifications en pédopsychiatrie


Les classifications sont des ensembles de signes réunis en syndromes, uti-
lisés pour donner une place à une maladie dans le grand ensemble des
­pathologies. Elles ont un intérêt scientifique en ce qu’elles permettent une
réflexion transversale sur les maladies et facilitent les recherches médicales
par une possibilité de consensus entre les chercheurs et les praticiens sur le
plan international.
Si les choses sont relativement aisées avec les maladies à caractère somati-
que, elles se compliquent singulièrement avec les maladies psychiatriques.
La tendance dominante actuelle des classifications est de se mettre d’accord
sur les signes présentés par les patients, mais sans prendre parti d’une façon
explicite sur la recherche des causes, l’étiologie, ce qui en fait officiellement
– c’est déclaré dans l’introduction des classifications internationales – des
outils athéoriques. Tel est le projet de ces classifications.

Les différentes classifications


Nous disposons actuellement en pédopsychiatrie de deux classifications inter-
nationales : la CIM-10 (Classification internationale des troubles mentaux et
des troubles du comportement) et le DSM-IV (Diagnostic and Statistical Manual
– Revision 4). La première est la classification proposée par l’OMS (1993), tan-
dis que la deuxième est celle de l’Association américaine de psychiatrie (1994).
Une classification française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent
(CFTMEA-R) a été rédigée par Roger Misès (Misès et Quémada, 2002) et consti-
tue une approche centrée sur la compréhension psychodynamique de l’enfant
en développement, qui comporte par ailleurs, ce qui est un critère de validité
important, des opérateurs de correspondance avec les classifications interna-
tionales.
CIM-10
Dans la classification de l’OMS, la CIM-10 (ou ICD : International Classification
of Diseases), consacrée à l’ensemble des pathologies et causes de mortalité, le
chapitre V est intitulé « Troubles mentaux et troubles du comportement ». Mais
dans ce chapitre, seules deux sections sont consacrées à l’enfant sous la forme
x
La consultation en pédopsychiatrie 25

x
des « troubles du développement psychologique » et des « troubles du compor-
tement et troubles émotionnels apparaissant habituellement dans l’enfance ».
Le « retard mental » est traité dans un chapitre autonome et comporte quatre
catégories : léger, modéré, sévère et profond.
Les troubles du développement psychologique comportent cinq types de trou-
bles : troubles spécifiques du développement de la parole et du langage (arti-
culation, langage expressif, langage réceptif, aphasie acquise avec épilepsie),
troubles spécifiques des acquisitions scolaires (lecture, orthographe, arithmé-
tique, mixtes), troubles spécifiques du développement moteur, troubles spéci-
fiques mixtes du développement et troubles envahissants du développement
(trouble autistique, autistique atypique, syndrome de Rett, autre trouble désin-
tégratif, trouble hyperkinétique avec retard mental et mouvements stéréoty-
pés, syndrome d’Asperger).
Les troubles du comportement et troubles émotionnels apparaissant habituel-
lement dans l’enfance comportent sept sections : troubles hyperkinétiques
(perturbation de l’activité et de l’attention, trouble hyperkinétique et trouble
des conduites), trouble des conduites (limité au milieu familial, type mal socia-
lisé, type socialisé, trouble oppositionnel avec provocation), troubles mixtes des
conduites et des émotions (troubles des conduites avec dépression), troubles
émotionnels débutant spécifiquement dans l’enfance (anxiété de séparation,
trouble anxieux phobique, anxiété sociale, rivalité fraternelle), troubles du
fonctionnement social (mutisme électif, trouble réactionnel de l’attachement,
trouble de l’attachement avec désinhibition), tics (tic transitoire, tic moteur ou
vocal chronique, syndrome de Gilles de la Tourette) et autres troubles du
comportement et troubles émotionnels apparaissant habituellement dans
l’enfance (énurésie non organique, encoprésie non organique, trouble de
l’alimentation, pica, mouvements stéréotypés, bégaiement, bredouillement).
CFTMEA, zero to three
La classification française comporte neuf catégories : autisme et troubles psy-
chotiques, troubles névrotiques, pathologies limites - troubles de la person-
nalité, troubles réactionnels, déficiences mentales, troubles spécifiques du
développement et des fonctions instrumentales, troubles des conduites et des
comportements, troubles à expression somatique et variations de la normale.
Pour chacun des diagnostics, une correspondance est proposée avec la CIM-10.
Dans la dernière révision (CFTMEA R. 2000, Misès et Quémada, 2002), un axe
spécifique pour les bébés a été introduit de façon à faciliter les diagnostics
portant sur cette population jusque là absente des classifications interna­
tionales, malgré le travail effectué par le groupe Zero to Three sous la direction
de Greenspan ; cette classification a été traduite et adaptée en français par
A. Guédeney (Zero to Three, 1998). Elle est issue de la réflexion approfondie de
cliniciens américains formés pour beaucoup à la psychopathologie d’inspiration
psychanalytique, dirigés par Stanley Greenspan. Elle propose un système provi-
soire de classification comportant cinq axes. L’axe I donne le diagnostic primaire
qui se doit de refléter les caractéristiques ressortant le plus du trouble considéré
x
26 La consultation avec l'enfant

x
(état de stress traumatique, trouble de l’affect, trouble de l’ajustement, trouble
de la régulation, trouble du comportement de sommeil, de l’alimentation, trou-
bles de la relation et de la communication). L’axe II concerne la classification
du trouble de la relation. L’axe III décrit les affections médicales et troubles du
développement. L’axe IV concerne les facteurs de stress psychosociaux et l’axe V
détaille le niveau fonctionnel du développement émotionnel.
DSM-IV
Classification multiaxiale issue de l’American Psychiatric Association, elle est en
grande partie semblable à la CIM-10, mais peut différer sur quelques points
particuliers faisant l’objet de débats entre spécialistes. En ce qui concerne la
pédopsychiatrie, elle propose un chapitre consacré aux troubles habituelle-
ment diagnostiqués pendant la première enfance, la deuxième enfance ou
l’adolescence. Elle comprend le retard mental, les troubles des apprentissages,
le trouble des habiletés motrices, les troubles de la communication, les trou-
bles envahissants du développement, les troubles avec déficit de l’attention
et comportement perturbateur, les troubles de l’alimentation et troubles des
conduites alimentaires de la première ou de la deuxième enfance, les tics, les
troubles du contrôle sphinctérien et les autres troubles de la première enfance,
de la deuxième enfance ou de l’adolescence. A noter dans l’introduction de ce
chapitre une précision pouvant expliquer l’attachement des pédopsychiatres
français à leur classification : « proposer une section à part pour les troubles
dont le diagnostic est habituellement porté dès la première enfance, la deuxième
enfance, ou l’adolescence, est un exercice de pure forme et n’est pas censé
suggérer qu’il existe une distinction claire entre les troubles de l’enfant et les
troubles de l’adulte ».

Il est important de connaître ces classifications dans une perspective


de réflexions et de recherches internationales à propos des pathologies
infantiles, et les publications doivent se faire selon ces références pour être
reconnues. Mais il est également important de rappeler qu’en aucun cas,
ces classifications ne peuvent éviter au clinicien la rencontre intersubjec-
tive avec les enfants et les adolescents, et ce, en appui sur les indications
proposées ci-dessus. Il ne serait pas admissible que le remplissage des grilles
classificatoires puisse remplacer un jour la démarche diagnostique telle que
nous nous appliquons dans cet ouvrage à la préciser.
Le grand problème qui résulte de cette présentation de la philosophie des
consultations de pédopsychiatrie est celui d’arriver à faire un travail de syn-
thèse qui délimite le périmètre au sein duquel le diagnostic va se situer en
tenant compte de toutes ces données parfois hétérogènes, et dans le même
mouvement de proposer une indication de soins quand elle est nécessaire,
prenant en compte d’autres types d’éléments tels que les capacités de
La consultation en pédopsychiatrie 27

r­ ésilience de l’enfant ou d’adaptabilité des parents, celles des soignants, les


ressources disponibles dans l’aire de vie quotidienne de l’enfant, ainsi que
les idées des uns et des autres sur le soin pédopsychiatrique et ses techni-
ques spécifiques. Enfin, en fonction de tout ce qui a déjà été avancé, il n’est
pas inutile d’insister sur le fait que ce travail des premières consultations et
bilans ayant été effectué, la relation entre l’enfant, ses parents et le pédopsy-
chiatre ou le psychologue est déjà engagée, et qu’il y a lieu d’en tenir le plus
grand compte dans les propositions qui vont être faites pour entreprendre
les soins à court et éventuellement à plus long terme.

Indications de soins si besoin


Comme nous l’avons déjà évoqué, la consultation de pédopsychiatrie va
permettre au praticien de donner un avis aux parents et aux médecins qui
les lui ont adressés, sur ce que présente l’enfant ou l’adolescent comme
difficulté psychique, proposer quand c’est possible un diagnostic et enfin
poser une indication de soin quand elle est nécessaire.
Généralement, à la fin des premières consultations, il est déjà possible de
proposer à l’enfant et à ses parents des orientations thérapeutiques, aux-
quelles ils souscriront ou non. Il est habituel de penser les indications de
soins comme des espaces-temps thérapeutiques au cours desquels l’enfant
va se saisir de cette proposition pour y exprimer sa souffrance psychique
particulière. Mais il arrive assez souvent que des réaménagements de ces
­espaces thérapeutiques soient nécessaires pour mieux répondre aux objectifs
fixés avec l’enfant et ses parents.
C’est ainsi qu’un soin peut commencer par une séance de psychothérapie
hebdomadaire avec un psychomotricien et une consultation thérapeutique
avec le pédopsychiatre toutes les deux ou trois semaines. L’enfant pour
lequel ce dispositif avait été pensé à la suite des premières consultations,
plutôt que d’aller mieux, continue de se déprimer ou d’avoir quelque trou-
ble du comportement. Il va alors être utile de refaire le point avec les pa-
rents pour comprendre ensemble ce phénomène, et y faire face. Une des
solutions peut être de proposer une modification du rythme des soins, ou
un accueil plus large de l’enfant sur des temps de groupes ou sur une jour-
née complète. Il peut arriver que l’enfant, enfin en position de « déverser »
sa souffrance, montre par cette attitude l’étendue des difficultés psychopa-
thologiques qu’il traversait depuis longtemps sans avoir jamais pu en parler
ouvertement.
Le renforcement des soins n’est pas toujours un signe inquiétant ; cela
peut indiquer au contraire que l’enfant a enfin « trouvé » des personnes
28 La consultation avec l'enfant

qui l’aident. Et, quelques mois plus tard, il peut se faire que l’évolution
plus favorable de ce même enfant autorise une réduction substantielle
de ses temps de soin. L’idée générale est de mettre en place pour chaque
­enfant, non pas un costume thérapeutique « prêt-à-porter », issu de
« standards » trop généraux, mais un costume thérapeutique « sur mesu-
re », qui variera en fonction d’un certain nombre de critères individuels,
dont l’évolution. Il nous paraît important de penser le dispositif de soin
d’une façon souple et modulable pour mieux suivre les aléas évolutifs
de l’enfant.
Si dans la plupart des cas, l’enfant est suivi en ambulatoire, c’est-à-dire
reste dans son milieu familial et scolaire habituel, les différents soins
proposés varient en fonction de chaque psychopathologie. Un enfant
pourra ainsi bénéficier d’une prise en charge hebdomadaire par un des
membres de l’équipe soignante : pédopsychiatre, psychologue, psycho-
motricien, orthophoniste ou autres. Quelquefois, ce temps hebdoma-
daire ne suffit pas et il peut être intéressant de lui adjoindre d’autres
temps de prises en charge, soit par le même thérapeute qui verra l’enfant
plusieurs fois dans la semaine, soit par plusieurs thérapeutes différents
du fait de ses difficultés spécifiques. Habituellement, un enfant peut
avoir jusqu’à trois séances hebdomadaires, quand l’équipe dispose de
moyens suffisants.
Dans d’autres cas plus préoccupants, l’enfant peut être accueilli sur des
temps plus longs au cours desquels il participe à un atelier thérapeutique
(atelier contes, atelier pataugeoire…), à un groupe (groupe d’écriture,
psychodrame…), à des activités thérapeutiques (avec les activités
piscine, cheval, théâtre… comme prétextes à une rencontre thérapeu-
tique). Il s’agit dans de tels cas d’une sorte d’hospitalisation de jour à
temps partiel.
Il arrive enfin que certains enfants ou adolescents présentant des patholo-
gies plus aiguës et graves (anorexie, bouffée délirante aiguë, suicide…) aient
besoin d’une hospitalisation dans un service de pédopsychiatrie à temps
complet, et ce, pendant plusieurs jours ou semaines. Nous voyons alors que
la consultation peut se conclure par une indication de soins qui peut entraî-
ner de profonds changements dans la vie de l’enfant et de ses parents. Dans
tous les cas, l’accord éclairé des parents est nécessaire, afin d’aider l’enfant
à s’engager dans une thérapeutique que ses parents demandent au décours
de la consultation qui l’a rendue possible.
Nous reprendrons les indications de soin d’une façon plus précise, en
fonction des diverses pathologies, au cours de cet ouvrage.
La consultation en pédopsychiatrie 29

La difficile question du pronostic


en pédopsychiatrie

Oui ou non, l’ensemble pathologique (l’enfant et ses


symptômes, la famille et ses transactions) est-il prêt
à se donner les moyens du changement, c’est-à-dire
à travailler sur soi-même, à modifier les relations, à
se mettre en cause ? Si oui, on est ramené dans un
contexte médical classique, et le choix thérapeutique
peut s’effectuer avec la participation des “clients”. Sinon,
le travail médical commence à cette constatation. Le
pronostic dépend alors de la capacité du médecin [du
consultant] à modifier l’équilibre pathologique et à faire
naître une demande de soins.
J. Constant (Constant et al., 1983, p. 254)

La grande tendance actuelle en médecine est d’attendre des médecins


qu’ils sachent ce qui attend le patient et puissent désormais le lui annoncer
« sans autre forme de procès ». Cela provient d’un certain nombre de para-
mètres correspondant à une évolution rapide des idées sociétales en matière
de santé : allongement de la vie humaine, égalité de l’accès aux soins, droit
à la santé, discours sur la prévention… Du côté médical, cette évolution est
pour une part due aux possibilités de colliger les résultats de l’efficacité des
thérapeutiques de façon uniformisée sur le plan international, dans le cadre
de ce qu’on nomme aujourd’hui l’EBM (Evident Based Medicine, la médecine
basée sur la preuve).
Ces avancées très importantes en ce qui concerne la médecine organique
ont permis de mieux soigner, de savoir pourquoi et comment le faire et,
in fine, de pouvoir établir un pronostic. Mais il ne faut jamais oublier que
les résultats de ces informations sont essentiellement d’ordre statistique :
dans telle forme de cancer, la courbe de Gauss donne une probabilité de tel
pourcentage de guérir à cinq ans. Mais on oublie facilement que la courbe
en question est asymptotique et ne croise jamais l’axe des abscisses ; cela
signifie que la probabilité d’être loin de la moyenne n’est jamais nulle, aussi
grand soit l’écart considéré. Or le travail médical implique de se soucier non
seulement d’appliquer le protocole prévu pour le plus grand nombre, mais
aussi de tenir compte de ceux de ses patients qui n’en sont pas. Et plus les
maladies possèdent des déterminants psychiques, plus le nombre de varia-
bles à prendre en compte est élevé, ce qui donne aux calculs statistiques
moins de pertinence dans la force du pronostic. En d’autres termes, et cela
ne surprendra pas, l’« effet personne » est important à prendre en considé-
ration, aussi bien du côté du patient que de celui qui le soigne.
30 La consultation avec l'enfant

La relation construite en pédopsychiatrie ne peut se réduire à la raison


statistique et, par conséquent, la question du pronostic relève beaucoup
plus de l’expérience subjective du praticien que de chiffres qui ne peuvent
jamais résumer les histoires de chacun des patients, leurs moyens de défen-
se face à la maladie, leurs ressources personnelles et environnementales et
les qualités des soignants qui les prennent en charge. Si les statistiques ont
en revanche toute leur place dans notre champ, c’est pour préciser l’impact
de telle variable sur tel problème posé. Mais la sagesse nous commande de
ne pas les importer telles quelles dans le pronostic délivré au patient et à
sa famille, sous peine de renforcer un des inconvénients majeurs de l’effet
Pygmalion : la prédictivité au détriment de la prévention.
La notion de pronostic est donc à utiliser avec une grande prudence avec
les enfants présentant une souffrance psychique, car la question de l’évo-
lution est intrinsèquement liée aux forces disponibles pour la conduire,
elles-mêmes dépendantes de l’idée, positive ou négative en termes narcis-
siques, que l’enfant se fait de lui, redoublée par celle que ses parents pro-
jettent sur son devenir. Tout figement dans une vérité statistique annoncée
comme scientifique dans un pronostic risquerait de contraindre l’enfant à
se conformer à l’image qu’on attend de lui, alors que la thérapeutique est
essentiellement un travail sur les possibilités de changement de l’enfant à
la mesure de ses propres « compétences » et ressources. L’avis du Comité
consultatif national d’éthique rendu en février 2007 est des plus éclairant
sur ce point : « De nombreuses études indiquent qu’un regard négatif porté
sur un enfant peut avoir des conséquences négatives sur ses capacités. Une
médecine préventive qui permettrait de prendre en charge, de manière pré-
coce et adaptée, des enfants manifestant une souffrance psychique ne doit
pas être confondue avec une médecine prédictive qui emprisonnerait,
­paradoxalement, ces enfants dans un destin, qui, pour la plupart d’entre eux,
n’aurait pas été le leur si on ne les avait pas dépistés. Le danger est en effet
d’émettre une prophétie autoréalisatrice, c’est-à-dire de faire advenir ce que
l’on a prédit du seul fait qu’on l’a prédit7. »

7 Cité par Giampino (2009, p. 102). Cet avis peut être trouvé sur le site :
http://www.ccne-ethique.fr.
Références
Association américaine de psychiatrie (1994, trad. 1996). DSM-IV, Critères diagnosti-
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Ayme, J. (1995). Chronique de la psychiatrie publique. Ramonville : Erès.
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2 La consultation d’un bébé
avec ses parents

La consultation avec un bébé


Depuis quelques années déjà, la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent
s’est développée en amont pour inventer la psychiatrie du bébé, puis la psy-
chiatrie fœtale. Nous allons envisager comment cette révolution culturelle
a pu avoir de nombreuses conséquences dans l’exercice de la pédopsychia-
trie, et notamment celle de mettre désormais en œuvre des consultations de
bébés avec leurs parents.
Lorsqu’un bébé infans, c’est-à-dire n’ayant pas encore la capacité de ­parler,
est accueilli dans sa famille lors de sa naissance, nous savons qu’il a été
« pensé » depuis plusieurs mois au moins par ses parents (le fantasme du
corps imaginé de Piera Aulagnier, 1964, ou la grossesse psychologique de Nadia
Stern, 2004). Ce faisant, la maman, dans le cadre de ce qu’on nomme
­habituellement la préoccupation maternelle primaire (Winnicott, 1969a), va
être capable de répondre intuitivement aux besoins de son bébé, alors même
qu’il ne dispose pas encore d’un langage articulé dans une parole pour
­s’exprimer. Progressivement, le bébé et la maman, mais aussi le papa, vont
construire un ensemble de signes pour les échanges de la vie quotidienne.
Mais il arrive que les bébés soient entraînés dans un style d’interactions ne
prenant pas suffisamment en considération leurs propres besoins et qu’ils de-
viennent au contraire les supports de projections parentales, le ou les parents
attribuant à certains signes une valeur qu’ils ne contiennent pas toujours. Par
exemple, un bébé ayant quelques difficultés à dormir va habituellement trouver
dans son entourage les réponses adéquates et le symptôme « insomnie » sera
temporaire : « Il n’a pas bien dormi pendant quelque temps parce qu’il préparait
la sortie de sa première dent. » Cette hypothèse, vraie ou fausse, émise par les
parents peut être suffisante pour apaiser l’atmosphère autour des changements
évolutifs du bébé. Mais dans d’autres cas, ce même symptôme peut devenir au
contraire un signe venant rappeler consciemment ou non à la maman que ce
bébé, s’il commence à ne pas dormir, vient montrer avec force qu’il appartient
bien à la lignée maternelle dans laquelle l’insomnie est un signe chargé d’his-
toires pathologiques pluri-générationnelles : la grand-mère et la tante mater-
nelles ont toutes les deux inauguré leur maladie bipolaire par ce symptôme.
Dans ce cas, l’insomnie peut s’enkyster et devenir le signe de l’expression d’une
souffrance psychique de la maman se projetant dans le bébé, venant « parler »
d’un événement ou de traumatismes survenus aux générations précédentes, et

La consultation avec l’enfant


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34 La consultation avec l’enfant

l’amenant à interpréter l’insomnie de son bébé comme la confirmation d’une


fatalité à laquelle elle ne peut échapper. Le bébé se situe dans la lignée mater-
nelle de cette maman, mais le prix à payer sera d’être porteur à son insu d’une
histoire réactualisée dans et par son symptôme. Les consultations parents-bébé
sont destinées à accueillir dans un cadre diagnostique et thérapeutique de ­telles
problématiques pour rouvrir des processus développementaux qui, sinon,
constitueront des « cercles vicieux transgénérationnels ».

Dispositif de consultation avec un bébé


et son ou ses parents
Le bureau du pédopsychiatre ou du psychologue est prévu pour accueillir
des parents avec leur bébé, aussi bien quant aux sièges de consultation, qui
doivent être confortables pour une maman qui est souvent très fatiguée par
la naissance relativement récente de son bébé, et qui peut avoir besoin de
l’allaiter, qu’aux objets de puériculture utiles en cas de change, de toilette
et de nourrissage du bébé.
Les objectifs de la consultation sont de préciser les symptômes du bébé,
la qualité des relations parents-bébé (le « bébé psychique » pendant la gros-
sesse, la place de l’enfant dans la famille-alliance1, dans la famille-lignage2,
le mandat transgénérationnel), et en ayant éventuellement recours à des
tests et situations standardisées tels que le Brunet-Lezine, le Bailey, les sta-
des de Piaget, la Strange Situation de Ainsworth, le Still Face de Tronick…
(Ainsworth et Waters, 1978 ; Tronick et al., 1978). Nous verrons également
qu’il est intéressant de saisir comment il est porté, déplacé, installé, pré-
senté à son nouvel interlocuteur.
Dès les premiers instants, il est classique d’éprouver une impression
(­praecox Gefühl de Rümke, 1941) au sujet de ce qui s’y déroule. Comment les
parents s’assoient-ils ? Où posent-ils le couffin ? Sont-ils très vite pris par la
situation qui peut se révéler anxiogène ? Sont-ils en harmonie ou en conflit
ouvert ? Quelles sont les plaintes prévalentes dans leur demande de rendez-
vous ? Autant de questions qui orientent progressivement la consultation
vers telle ou telle direction pour en approfondir les observations cliniques.
Il est important de rappeler que toutes ces observations sont accueillies par
le pédopsychiatre ou le psychologue, recueillies dans sa mémoire ou sous
forme de notes, et feront l’objet d’un compte-rendu à la fin de la consul-
tation. Quoi qu’il en soit, il est souhaitable de faciliter l’expression par les
parents des difficultés qui sont les leurs, et le cadre d’une conversation peut
aider ces parents à se mettre au travail ensemble autour de leur bébé.

1 Alliance : lien par mariage entre deux familles.


2 Lignage : ensemble des parents d’une souche commune.
La consultation d’un bébé avec ses parents 35

Au cours de cette consultation, il va être important d’observer les parte-


naires de l’interaction, le bébé puis ses parents. Il arrive que des personnes
de la fratrie ou un grand-parent accompagnent le bébé et ses parents. Il
nous semble important d’accueillir les personnes que le ou les parents ont
jugé utile d’amener avec eux, mais en prenant la précaution de demander
aux parents l’autorisation pour ces « accompagnants » de participer à ladite
consultation. Car si nous comprenons souvent ensuite qu’un des aspects
du problème pour lequel ils viennent à la consultation trouve dans cette
première rencontre un indice de solution, il n’est pas rare non plus que tel
grand-parent du bébé impose implicitement sa présence sans en laisser le
choix aux parents du bébé.

Rappel sur les compétences du bébé


À toutes fins utiles, il est important de connaître les compétences du bébé.
Visuelles
Perceptions visuelles dès la naissance : suit une cible adéquate, fixe la frontière
de deux zones très contrastées, expérience du visage (les trois orifices), accom-
modation fonctionnelle vers deux mois, distingue le vert, le rouge, le jaune et
le bleu.
Auditives
Dès les premières heures, le bébé préfère la voix de sa mère à celle des autres,
il tourne les yeux et la tête vers un son, il a les mêmes seuils auditifs que les
adultes.
Olfactives
À quatre jours, il sent comme les adultes, il préfère aux autres le coton qui porte
l’odeur du sein de sa mère…
Gustatives
Quatre saveurs à la naissance, réaction hédonique positive au sucre.
Motrices
Réflexes archaïques : succion, points cardinaux, grasping… motricité libérée
(Grenier, 1981) chez le nouveau-né de dix à trente jours.
Sociales
Imitations très précoces dès les premiers jours (protrusion de la langue, ouverture-
fermeture de la main).

Les parents
La mère du bébé est généralement présente à la consultation et montre sou-
vent ses difficultés concernant les symptômes l’ayant amenée à consulter.
Sa vulnérabilité sera mise en lien avec sa malléabilité psychique, et donnera
accès à la manière dont elle met en forme le processus de parentalisation.
36 La consultation avec l’enfant

Rappelons que la prévalence de la dépression post partum est, suivant les


études, estimée entre 8 et 16 % des mères dans la première année après la
naissance de leur bébé (entre 2 et 6 % pour les dépressions majeures, et en-
tre 6 et 10 % pour les dépressions mineures selon Benett ; voir Benett et al.,
2004). Cette dimension est désormais prise en compte dans la survenue de
pathologies fonctionnelles chez le bébé et donne un accès direct aux démar-
ches thérapeutiques, quand elles sont nécessaires et acceptées par la mère.
Le père du bébé, désormais souvent présent lors de ces consultations, par-
ticipe par sa qualité de présence à l’instauration d’interactions satisfaisantes
(triangulation primaire de Fivaz ; Fivaz et Corboz, 1999), et notamment en
étayant la mère de leur bébé lors des épisodes dépressifs qu’elle peut traverser,
ce qui limite souvent les effets sur le bébé de l’état dépressif de la maman.
Les autres partenaires contribuent aux interactions avec le bébé, qu’il
s’agisse de la fratrie qui va jouer et rejouer sur les plans conscients et
­inconscients la grande question de l’accueil d’un puîné sur fond de rivalité,
ou des grands-parents maternels et paternels qui peuvent venir vérifier la
« bonne exécution » du mandat transgénérationnel.

Le bébé
On observera le bébé afin de percevoir son état général, sa capacité à être
en contact avec ses parents, à manifester ses besoins et éventuellement à se
retirer quand cela paraît nécessaire. Il est classique de distinguer plusieurs
niveaux de vigilance, notamment à l’aide de la NBAS (Neonatal Behavioural
Assessment Scale, échelle d’évaluation comportementale néonatale) de
­Brazelton (1983), qui étudie les compétences du bébé dans les premiers jours
et semaines. Dans certaines conditions, le bébé est capable de montrer des
compétences que les parents n’imaginaient pas, ce qui a généralement pour
effet sur eux de les conforter dans leur confiance dans ce bébé, et ainsi de
contribuer à soutenir son narcissisme débutant. Par exemple, le port de la
tête par l’examinateur permet de libérer certaines compétences motrices de
façon spectaculaire (la motricité libérée d’A. Grenier, 1981).

La NBAS de Brazelton
Cet examen est habituellement réalisé par le pédiatre ou les puéricultrices lors
des premiers jours de vie du bébé (entre le 3e et le 28e jour), et peut être mis à
la disposition du pédopsychiatre qui s’en servira pour étayer son point de vue
concernant les compétences objectives du bébé.
Les états de vigilance du bébé sont évalués de 1 à 6 :
1 : sommeil sans mouvements oculaires, sans mouvements corporels, respiration
régulière
x
La consultation d’un bébé avec ses parents 37

x
4 : éveil calme et attentif, compétences optimales
6 : cris, pleurs, motricité intense, visage rouge et grimaçant
Dans l’échelle d’évaluation néonatale de Brazelton, les différents éléments
constituant les 27 items (irritabilité, capacité à être calmé, à se calmer, consola-
bilité, activité motrice, capacités sensorielles, comportement social) sont cotés
de 1 à 9.

Par ailleurs, on étudie les interactions entre le bébé et son ou ses parents.
Pour mieux en apprécier la qualité, on distingue plusieurs niveaux : les
­interactions biologiques, les interactions comportementales, les interactions
affectives, les interactions fantasmatiques et les interactions symboliques.
Nous passerons rapidement sur les premières et les dernières, dans la
­ esure où le bébé, une fois sorti de l’utérus maternel dans lequel ses inte-
m
ractions biologiques étaient essentiellement régies par la circulation fœto-
placento-maternelle continue, a des interactions biologiques toujours aussi
déterminantes, mais dominées par le nourrissage oral. Bien sûr, existent
entre lui et ses parents des échanges biologiques discrets, mais qui relèvent
désormais davantage d’un comportement (l’alimentation fractionnée) que
des seules lois biologiques naturelles. Quant aux interactions symboliques,
elles sont évidentes dans l’attribution d’un prénom, d’un nom, du bain de
langage, d’une culture, pour ne citer que quelques exemples, mais nous ver-
rons qu’elles sont en permanence travaillées par la qualité des trois autres
niveaux de relations.

Les trois niveaux d’interaction :


comportementale, affective et fantasmatique
L’examen clinique des interactions passe en revue ce que l’on voit, ce que
l’on ressent, et ce que l’on fait raconter.

Interactions comportementales
Elles correspondent à ce que nous voyons au cours de la consultation.
Ces interactions s’expriment par différents canaux :

Interactions visuelles
Dès le 15e jour, pendant la tétée, la mère et son bébé ont un regard mu-
tuel, et la qualité de cette mutualité, qui donne d’ailleurs tout son sens à
« l’envisagement » réciproque, permet déjà de dégager une structure de base
de ces interactions, la subtile dialectique de l’objet d’arrière-plan primaire
(Grotstein, 1981, p. 77-89) et de l’interpénétration des regards (Haag, 1988).
38 La consultation avec l’enfant

De cette première mise en forme des interactions « aériennes », succédant


aux interactions fœto-maternelles (arrière de la tête et dos du fœtus contre
face interne de l’utérus), vont découler les enchaînements permis par les
compétences du bébé dans l’interaction avec son parent. Dans les cas pré-
occupants, les réactions en hyperextension du bébé au moment de la mise
au sein ou les agrippements lors de la succion non nutritive au mamelon
(Bullinger, 2007) viennent désorganiser cette première matrice interactive
de façon rapidement pathogène.

Interactions vocales
Les interactions vocales, telles que les cris et pleurs, constituent une sorte de
cordon ombilical sonore avec la mère. Et le langage de la mère à son bébé est
souvent en synchronie avec la motricité du bébé, enveloppant ainsi dans
une comodalité (Stern, 1989) l’expression des besoins élémentaires du bébé.
Mais, dans le langage, ce sont les caractères prosodiques (rythme, timbre,
­intonation) qui influencent le bébé. Il est intéressant de remarquer comment
s’organisent ces prémisses du langage chez le bébé. Cette manière particu-
lière de parler au bébé, le « mamanais », se développe intuitivement chez
la mère de tout bébé. Pour D. Stern, chez le nouveau-né, la prosodie mater-
nelle a des pauses silencieuses plus longues que les émissions langagières,
le rythme est régulier, adapté au rythme du bébé ; à partir de quatre mois,
les mots sont souvent répétés, les bébés sont intéressés par la mimique, et la
mère exerce des variations prosodiques rythmiques importantes pour main-
tenir l’intérêt de l’enfant ; de six à vingt-quatre mois, le contenu du langage
de la mère change, elle désigne les objets (présentation des objets de ­Winnicott,
1972) de l’environnement de l’enfant et communique à leur propos, et
la parole maternelle soutient et facilite l’exploration de l’environnement.

Interactions corporelles
Les interactions corporelles et cutanées passent par l’ajustement corporel et
le holding (portage ; Winnicott, 1969b) / handling (manipulation ; ­Winnicott,
1970). L’ajustement corporel est la marque d’une bonne qualité d’inte-
raction entre un bébé et son parent, car il demande de la part des deux
partenaires une confiance réciproque encore dissymétrique, certes, mais
néanmoins indicative.

Holding
Le holding, décrit par Winnicott, est cette fonction de portage que les
­parents exercent avec leur bébé, de façon spécifique en fonction du sexe de
chacun des parents, et qui résulte de la néoténie du bébé. Ce portage, appelé
également « fonction phorique » (Delion, 2000) est assuré par les parents
tout le temps que le bébé ne pourra se porter lui-même ; puis par extension,
tout le temps qu’il ne pourra se porter ou se représenter dans le langage –
soit à peu près jusqu’à la réalisation de son individuation-séparation. La
La consultation d’un bébé avec ses parents 39

qualité du portage indique jusqu’à un certain point la qualité des échanges,


et le degré de sécurité que doit ressentir le bébé. Il arrive, en consultation,
que la manière dont une mère porte son bébé nous amène à constater que
sa tête n’est pas suffisamment tenue par une main large et enveloppante, et
que le bébé, en fonction de l’état de ses muscles du cou, nous fasse vivre une
situation délicate. Cette non-prise en compte suffisante de la réalité du bébé
par sa mère est un signe qui indique sa difficulté à s’ajuster à lui. Il peut être
intéressant de psychodramatiser cette scène en proposant avec tact : « Oh,
je suis encore un tout petit bébé, et j’ai beaucoup de mal à porter tout seul
ma tête, heureusement que maman peut m’y aider avec sa grande et large
main. » Souvent, la mère peut alors recevoir par ce commentaire identifica-
toire au bébé un élément qu’elle avait du mal à « voir » seule.

Handling
Le handling, ou manipulation du corps du bébé dans l’intersubjectivité, est
une manière tendre de présenter au bébé son propre corps et de favoriser
avec lui, dans une atmosphère de jeu, la découverte non seulement de la
géographie de son corps mais aussi de sa fonctionnalité. Le toucher « peau à
peau », par les caresses, les chatouillements et baisers, contribue également
au partage de plaisir en rapport avec la découverte du corps du bébé. Vers
sept à huit mois, âge de l’intersubjectivité secondaire (Stern 1992), le bébé
répond en tendant les bras, et à la fin de la première année, il amorce lui-
même un tel échange, qu’il complète par une étreinte ; ce circuit pulsionnel
montre alors que le bébé a accès à la reconnaissance de l’autre et commence
ses mécanismes d’introjection identificatoires (Laznik-Penot, 1992).
Tous ces éléments peuvent être observés à l’occasion d’une tétée, d’un
change, ou lors de moments d’échanges spontanés au cours de la consul-
tation. Il est intéressant de laisser les parents prendre possession de notre
bureau de consultation pour leur donner la possibilité de nous montrer ce
type d’échanges comportementaux si riches en informations cliniques.

Sourire
Le sourire est également un précieux indicateur. Nous savons depuis Spitz
(1979), qui le considère comme le premier organisateur du psychisme, que
le sourire à valeur d’échange social apparaît généralement après quelques
semaines et qu’il faut le distinguer du sourire réflexe, dit « sourire aux
anges », qui correspond dans les premiers jours après la naissance à la détente
musculaire post-réplétion. Ce sourire est un signe de la qualité des interactions
et témoigne, dans le cadre de l’intersubjectivité primaire (Trevarthen et Aitken,
2003), d’une première conscience d’un autre à qui le sourire vient signifier la
satisfaction d’un besoin. Il a une grande valeur pour les parents qui y lisent la
confirmation que le dialogue entre leur bébé et eux est désormais engagé, et
que les messages échangés, bien qu’ils soient encore dissymétriques (le parent
40 La consultation avec l’enfant

parle à son bébé et le bébé vocalise et babille vers son parent ou manifeste par
ses mimiques, gestes et postures encore élémentaires ses états émotionnels),
sont reçus et authentifiés. Il suffit de voir la désorganisation qui résulte de
l’absence d’apparition du sourire dans les problématiques de bébés à risque
autistique pour avoir une idée de l’importance de son existence. En outre, le
sourire, en deçà de sa dimension comportementale introduit directement par
les échanges qu’il permet, aux interactions affectives ».

Interactions affectives
Mais sous ces interactions comportementales apparentes, manifestes, le
bébé est animé d’une vie émotionnelle et affective qu’il convient d’appro-
cher par l’étude des interactions affectives en faisant appel à ce que nous res-
sentons de la qualité des échanges en consultation. Elles sont caractérisées
par l’influence réciproque de la vie émotionnelle du bébé et de celle de la
mère et du père.
Si les interactions comportementales servent de support aux interactions
affectives, la mère, grâce à ses capacités d’empathie, perçoit ce que ressent
le bébé et lui en propose une interprétation par des mots et des gestes ; en
­retour, le bébé peut percevoir si la mère est contente ou non, si elle se pré-
sente comme d’habitude ou non. En effet, plus que le sens des mots, c’est la
prosodie et l’ajustement tonico-postural qui sont autant d’indices de l’état
affectif de sa mère, et réciproquement. De la possibilité pour le bébé de
communiquer ses émotions à ses proches de façon authentique résultera la
qualité de l’adéquation entre ses états internes et ses moyens de les partager.
Dans les conditions favorables, il y a accordage affectif (affect atunment de
Stern, 1981) et le bébé peut exprimer avec son visage l’intérêt, le dégoût, la
tristesse, la surprise, puis, à quatre mois, la joie et la colère et, plus tard, la
peur. Quand un bébé peut facilement exprimer ses états affectifs dans l’in-
teraction, la capacité de transformation maternelle ou fonction alpha (Bion,
1965) va aider le bébé à psychiser ses sensations en retour.

La fonction alpha
La fonction alpha de Bion peut être définie (Athanassiou 1997) comme une
fonction symbolique primordiale permettant à l’enfant de se souvenir, d’éla-
borer et de transmettre l’ensemble des expériences qui le caractérisent. Cette
fonction, qui se construit par identification à celle de la mère, va transformer
les « vivances émotionnelles » – éléments bêta – en éléments alpha qui peuvent
être repris dans le système de pensée. Dans les cas où l’enfant ne peut trans-
former ses éléments bêta en éléments alpha, les premiers restent des « choses
en soi » et ne peuvent qu’être évacués par projection pour donner les objets
bêta-bizarres, caractéristiques du fonctionnement psychotique.
La consultation d’un bébé avec ses parents 41

Le bébé est ainsi sur le chemin d’un monde dans lequel ses questions
(sa curiosité) trouvent des réponses, même imparfaites. Or, parmi les états
affectifs, l’angoisse relève d’un statut particulier qu’il convient d’examiner
attentivement. En effet, lorsque les réponses parentales ne permettent pas
de solution, l’angoisse peut apparaître chez le bébé, et nous savons que
ces angoisses non transformées, non élaborées, restent sous la forme de
« grains d’angoisse », infiltrant la vie psychique des bébés et déclenchant
chez eux des tentatives d’évacuation préjudiciables à leur fonctionnement
psychique. Ces angoisses résultantes contribuent à dégrader les interactions
affectives et les moments de résolution plaisants, et aboutissent fréquem-
ment aux troubles fonctionnels tels que les insomnies. Les angoisses et les
symptômes qui résultent de leur non-transformation deviennent tout natu-
rellement des objets sur lesquels les projections parentales peuvent venir se
greffer, amenant lors de la consultation la nécessité du détour par l’explora-
tion de la vie fantasmatique des parents.

Interactions fantasmatiques
Elles peuvent devenir accessibles dans ce que nous allons faire raconter de
leur histoire aux parents. Elles sont la manière dont les fantasmes des parte-
naires trouvent leur expression dans l’interaction et, dans cette perspective,
on comprendra que les fantasmes de chaque partenaire répondent à et
­modifient ceux de l’autre. Elles permettent d’approcher notamment la ques-
tion de l’intergénérationnel et du transgénérationnel, mais aussi la place
que le bébé occupe dans la vie infantile de chacun des parents.

Marie, dix-sept mois


C’est l’histoire d’une petite fille de dix-sept mois, Marie, qui est amenée par ses
parents pour une insomnie rebelle durant depuis plusieurs mois, précisément à
la suite d’une hospitalisation à dix mois pour une arthralgie inflammatoire.
Dans le cours de la consultation, le pédopsychiatre apprend que la maman a
eu une enfance très difficile dont elle ne parlera pas facilement dans un pre-
mier temps. Sa mère est morte dans un hôpital psychiatrique à la suite d’une
nouvelle hospitalisation pour un épisode mélancolique. Au cours de sa vie, elle
a été hospitalisée de nombreuses fois, mais la première hospitalisation a eu lieu
lorsque cette maman avait environ cinq ans. Le père, invalide et très tyrannique,
considérait sa femme comme une servante, et la maman de Marie avait alors
pensé, étant enfant, que sa mère subissait des états d’épuisement en lien avec
la situation conjugale. Malgré une opposition active du père, c’est le médecin
généraliste qui avait néanmoins réussi à faire hospitaliser sa mère chaque fois
qu’il en était besoin, pour recevoir les soins psychiatriques que nécessitait son
état. Bien soignée, elle en sortait quelques semaines plus tard et reprenait sa po-
sition « masochiste » près de son mari. Au cours des dix années suivantes, cette
femme avait été réhospitalisée plusieurs fois en psychiatrie, mais à chaque fois x
42 La consultation avec l’enfant

x au terme d’un parcours de plus en plus difficile avec le mari. C’est ainsi qu’« il
ne la laissait pas dormir une nuit entière », qu’« il la maintenait dans la soumis-
sion la plus totale en la réveillant de nombreuses fois la nuit ». Passée voir ses
parents de retour de vacances, la maman de Marie, confrontée une nouvelle fois
à une situation de décompensation de sa mère, avait, toujours avec le médecin,
obtenu de haute lutte avec son père une nouvelle hospitalisation. C’est au cours
de cette hospitalisation que sa mère était décédée. La culpabilité, déniée, est très
importante pour cette maman et dès la première consultation, cette probléma-
tique envahit tout.
Pendant cette consultation, Marie reste assise sur le tapis et joue avec les dif-
férents jouets à sa disposition, mais passe beaucoup de temps à regarder sa
maman qui parle, en suçant son pouce avec un regard très avide dirigé vers elle.
Au bout d’un long temps, le pédopsychiatre commence à parler un peu avec la
maman et Marie tourne alternativement la tête vers celui qui parle. Vers la fin de
la consultation, elle lui sourit largement en laissant tomber son pouce et sa pelu-
che, comme dans un lâché du tonus ouvrant sur la relation avec lui. Elle prononce
quelques mots tels que « maman », « papa », « au oir », « boir », « patir » et
montre manifestement une grande intelligence. Lors de la fin de cette consulta-
tion, le pédopsychiatre insiste pour que le papa vienne la fois suivante. La maman
est un peu réticente, mais un créneau qui convient à tout le monde est trouvé.
Lors de la deuxième rencontre, le papa est là ; la maman dit que Marie a bien
dormi les nuits qui ont suivi la première consultation, mais que depuis peu, elle
s’est remise à ne pas très bien dormir. Elle dit au consultant : « C’est comme si
votre action s’estompait au fur et à mesure. Marie se réveille plusieurs fois la
nuit, pousse un grand cri, et veut les bras ; nous ne pouvons pas la recoucher
avant qu’elle ait pris un biberon. » Puis, à son tour, le papa raconte son histoire
familiale. Il est le seul fils dans une famille très traditionnelle et il a deux sœurs.
C’est le seul à avoir réussi brillamment des études supérieures. Il enseigne en
faculté et on le considère dans sa famille comme un « intello ». Sa façon d’éle-
ver sa fille a été longuement mûrie avec sa femme avant qu’ils aient ce premier
enfant. « Il n’est pas question de dresser les enfants, il ne faudra pas la stimuler
pour obtenir d’elle quelque chose qui n’est pas vraiment nécessaire pour elle,
mais serait seulement utile pour le plaisir des parents ; elle marchera quand
elle le décidera et elle mangera seule si elle le veut… » Mais cette façon de
« permettre à un enfant de devenir un sujet libre » semble bizarre à la famille
paternelle et « quand ils ont su qu’elle n’arrivait pas à dormir, cela leur a fait
bien plaisir de constater les résultats désastreux de la méthode, surtout ma sœur
aînée, elle est terrible ». Pendant cette consultation, Marie vient s’accrocher à
son papa en rampant et avec ses mains tendues vers lui, arrive à se faire mettre
debout et à tenir à peine devant lui. À certains moments, il est dans « sa mé-
thode éducative » et elle tombe sur ses fesses ; la maman se lève pour venir la
prendre sans la consoler et la repose sur le tapis ; Marie recommence dès lors
son ascension vers son papa.
Le pédopsychiatre essaye prudemment de reprendre ce qui a déjà été dit ensem-
ble de la vie de Marie en s’appuyant sur les éléments de son histoire : l’hospitali-
sation à l’âge de dix mois, considérée comme le point de départ de son insomnie x
La consultation d’un bébé avec ses parents 43

x rebelle, et l’entrecroisement avec les histoires familiales des ses deux parents.
Marie regarde ses deux parents qui se regardent et regardent le consultant,
alternativement, touchés, semble-t-il par le travail de miroir réfléchissant auquel
il se livre avec eux. Elle est entre eux trois et, prenant appui sur le divan proche
d’elle avec sa main droite et sur sa peluche de sa main gauche, elle se met de-
bout directement sur la moquette (elle a quitté le tapis) et commence à marcher
pour la première fois. Elle va vers son papa avec les deux bras écartés et sa pelu-
che tenue fermement dans sa main gauche, et, arrivée à un pas de lui, regarde
sa maman sur sa droite et finalement se jette dans ses bras à elle. Le papa est très
ému, la maman se met à pleurer de joie, en tenant près d’elle sa fille. Elle se love
dans son creux droit et en même temps, la mère se raidit très vite en repoussant
un peu sa fille. Le pédopsychiatre dit : « ça fait du bien de pouvoir manifester sa
joie à Marie alors qu’elle vient juste de marcher » et le papa répond : « on s’est
tellement dit que c’était pour elle et pas pour nous qu’elle marchait que comme
c’est arrivé, on a du mal à retenir notre émotion ». La maman tourne sa fille pour
qu’elle aille vers son papa ; elle y va et le papa la « reçoit » de ses mains, mais
sans la prendre dans ses bras. Marie le regarde et dit : « marche » très distinc-
tement ; le papa, à ces mots, dit en la prenant dans ses bras : « oui tu marches,
Marie, et toi, tu en es très contente ». La troisième consultation va montrer la
confirmation de la marche, mais surtout la disparition des insomnies. Mais un
long travail de consultations thérapeutiques sera nécessaire pour permettre aux
parents d’assouplir quelque peu leurs processus idéalisants…

Interactions précoces et clinique du bébé


Chez un bébé en bonne santé, les interactions se déroulant dans un climat
de disponibilité affective de l’adulte, une souplesse de ses réponses, une
continuité et une cohérence dans le temps, contribuent à la stabilité et au
développement harmonieux en instaurant ce que les théoriciens de l’atta-
chement ont nommé « attachement sécure » (Ainsworth, 1982).
Sinon, la consultation sera l’occasion d’observer l’apparition ou la pré-
sence de symptômes cliniques chez le bébé, dont les plus fréquents sont les
troubles à expression somatique et les dépressions. Mais les troubles précoces
souvent regroupés aujourd’hui sous l’expression de « bébés à risques » et
décrits par A. Carel dans le cadre du « syndrome d’évitement relationnel du
bébé » (Carel et Picco, 2002) ou par Guédeney sous celui de « retrait »
(­Guédeney, 1999) sont très importants à connaître car ils regroupent de nom-
breuses occurrences, dont le risque autistique. Nous en donnerons quelques
éléments cliniques qui peuvent guider la consultation en pédopsychiatrie.
Enfin, nous aborderons un aspect dramatique de la clinique du bébé, la mal-
traitance, dont la réalité est encore trop souvent mise à distance dans notre
société, et même chez certains professionnels de la petite enfance. La relation
avec le pédiatre est ici aussi déterminante pour une prise en charge adaptée.
44 La consultation avec l’enfant

Troubles à expression somatique


Ils sont essentiellement représentés par les troubles du sommeil et de l’ali-
mentation. D’autres troubles peuvent également exister dans cette sphère
de la pathologie.

Troubles du sommeil
L’insomnie du premier trimestre, puis de neuf à trente mois, l’insomnie
liée à l’hyperactivité motrice, puis les insomnies comme manifestation de
l’angoisse de séparation, à type de défense maniaque.

Troubles de l’alimentation
L’anorexie commune du deuxième semestre, les vomissements, le méry-
cisme, l’hyperphagie, la boulimie, le pica…

Autres troubles
Abdominaux et intestinaux (coliques du premier trimestre…), respiratoires
(spasme du sanglot, asthme précoce…), dermatologiques (urticaire, psoria-
sis, eczéma, pelade…), et le nanisme psycho-social.

Dépressions
Dépression anaclitique
La dépression anaclitique a été décrite par Spitz (1945) : un bébé de plus de
six mois est séparé brutalement de sa mère alors qu’il avait de bons liens
avec elle antérieurement. Il va s’ensuivre une phase de pleurs, de cris, et des
comportements d’accrochage à l’adulte. Puis, on observe l’installation en
quelques semaines d’un état d’apathie massive avec refus de contact et in-
différence à l’entourage, une conduite anorexique avec perte de poids, une
insomnie, un arrêt de développement, une régression des acquisitions mo-
trices et intellectuelles, et une grande sensibilité aux infections. L’évolution
est variable en fonction de ce qui est organisé autour du bébé : si on restitue
la maman à son bébé ou si un substitut convenable lui est trouvé avant trois
à cinq mois, la dépression régresse, mais le bébé reste hypersensible aux
séparations ultérieures. Sinon, l’évolution se fait vers le marasme de plus
en plus inquiétant sur le plan physique (infections pouvant aller jusqu’à la
mort) et sur le plan psychique (régression de l’état psychomoteur laissant
des séquelles indélébiles) et vers l’hospitalisme (Spitz, 1945).

Syndrome dépressif du bébé


Le syndrome dépressif du bébé comporte quatre séries de signes :
1. Atonie thymique :
a. la dépression du bébé est une athymie globale, plus indifférence affec-
tive que tristesse ;
La consultation d’un bébé avec ses parents 45

b. indifférence morne, sans plaintes ni larmes ;


c. sémiologie en creux : perte de l’appétit à se nourrir, se mouvoir, regar-
der, écouter.
2. Inertie motrice :
a. lenteur et monotonie des gestes et attitudes ;
b. mimiques pauvres, mobilité corporelle engluée, figement portant plus
sur le tronc et la racine des membres ;
c. tendances répétitives des rares activités ludiques.
3. Repli interactif :
a. appauvrissement progressif de la relation ;
b. chute des initiatives et des réponses aux sollicitations ;
c. fixité du regard, sans clignement, détournement à l’approche des bras.
4. Désorganisation psychosomatique :
a. communes : rhinopharyngites, bronchites, diarrhées…
b. sévères : état permanent pouvant évoluer vers la mort.

Maxime, quinze mois


Maxime, un bébé de quinze mois, est adressé à la consultation du CHU pour
dénutrition. Le pédiatre qui le reçoit aux urgences l’examine et entreprend aussi-
tôt un bilan, mais il est étonné que ce bébé soit accompagné par sa sœur aînée
et non par sa maman. La maman serait très occupée et a demandé à sa fille de
venir à sa place.
Pendant son examen clinique, il l’observe également en train de se balancer d’un
côté à l’autre de la table d’examen ; il fait des mouvements stéréotypés avec ses
mains, et dès qu’on le touche, il se rétracte encore davantage en accentuant son
comportement stéréotypé. La voix déclenche les mêmes signes, donnant au pé-
diatre un sentiment d’intrusion. D’après la fille aînée, sa maman n’en pourrait plus
de Maxime, car il ne mange pas, ne s’éveille pas, dort difficilement. Le pédiatre
obtient de la fille qu’ils téléphonent ensemble à sa mère. Il arrive à la convaincre
de venir en arguant du fait qu’elle n’est pas remplaçable auprès de Maxime. Il lui
propose un rendez-vous et ajoute qu’elle sera reçue aussi par le pédopsychiatre.
Entre-temps, il contacte le généraliste de la famille qui n’était pas au courant de
l’hospitalisation. Ce dernier décrit une famille en grande difficulté à la fois sociale-
ment et psychologiquement, avec de nombreux enfants présentant des difficultés
scolaires et même de prédélinquance pour un des fils. Le père est au chômage et
souffre d’un alcoolisme grave. Seule la sœur aînée semble s’en sortir un peu.
Lorsque la mère arrive quelques heures plus tard, le pédiatre la reçoit dans la
chambre dans laquelle Maxime a été hospitalisé ; la sœur est restée avec son
petit frère. Puis, après leur entretien, comme convenu, le pédiatre lui présente le
pédopsychiatre de liaison. La maman de Maxime présente un état dépressif très
important, survenant sur un terrain manifestement très carencé ; elle explique
que « comme c’est son neuvième, elle l’a confié à ses autres enfants » ; puis
elle ajoute de façon détachée : « j’ai jamais réussi à m’y attacher à ce bébé-là, je
l’avais dit à la sage-femme de faire quelque chose… ». x
46 La consultation avec l’enfant

x Le tableau clinique ressemble à un hospitalisme en phase de lutte, dans le


­cadre d’une carence affective très importante ; il faudra étudier l’évolution pour
vérifier que ce bébé ne présente pas une forme précoce d’autisme, un temps
d’évaluation sera nécessaire à cet effet. Mais trente-six heures seulement après
le début de son hospitalisation, et grâce à une présence attentive de quelques
soignantes qui se sont coordonnées à quatre pour la prise en charge de Maxime,
le regard est bien communicant, il fait quelques sourires à la puéricultrice, et les
mouvements stéréotypés sont moins importants. La mère ne reviendra pas voir
son bébé. Les services sociaux sont prévenus après information de la mère. Sur le
plan clinique, il s’agissait d’un état dépressif particulièrement grave et aigu mais
rapidement sensible à la prise en charge.

Ces tableaux cliniques oscillant entre l’hospitalisme à domicile et l’état


dépressif grave peuvent être significatifs soit d’une insuffisance dans l’at-
tachement, avec carences affectives, ce qui semble être le cas de Maxime,
soit d’un défaut de protection avec envahissement projectif de la relation
interactive par les angoisses de l’adulte. Il arrive en effet que des parents
présentent, soit l’un des deux, soit les deux, une pathologie mentale avérée
dans laquelle les mécanismes interprétatifs pathologiques viennent infiltrer
la relation interactive et transformer la « fonction alpha maternelle » (inter-
prétation normale de la réalité au bébé par sa mère) en « fonction oméga »
(interprétation pathologique3).
Lors des consultations, cela peut s’observer quand le bébé regarde sa mère
avec une qualité de regard qui déclenche chez elle une réponse inadaptée et
quelquefois cinglante, du genre : « pourquoi tu me regardes comme ça ? On
dirait mon frère ». Et le travail de la consultation permet d’apprendre quelque
temps après que ce grand frère était un véritable tyran avec elle pendant son
enfance. Ces attitudes parentales doivent être repérées, diagnostiquées et trai-
tées aussi par les psychiatres d’adultes, pour permettre au bébé d’échapper à un
monde interpersonnel dans lequel tout peut être interprété, l’obligeant à vivre
dans un univers paranoïde voire paranoïaque. La pratique de la psychiatrie du
bébé nous permet ainsi de voir que les mécanismes interprétatifs pathologi-
ques sont souvent en rapport avec les questions transgénérationnelles.

Bébés à risque
Un certain nombre de bébés peuvent présenter des signes de souffrance
psychique assez importants, faisant éventuellement penser à des signes pré-
curseurs d’une pathologie autistique.
Toutefois, la présentation de signes de type autistique ne peut être pré-
dictive de l’apparition ultérieure d’un syndrome autistique dans tous les cas

3 Mécanisme psychopathologique mis au jour par Gianna Williams (1997, p. 123).


La consultation d’un bébé avec ses parents 47

rencontrés, même si la plupart des parents viennent aujourd’hui avec ce


diagnostic en tête.
Par contre, beaucoup de ces enfants présentent une pathologie à risque
qu’il convient de prendre en charge d’une façon intensive et précoce, et
lorsqu’on y regarde de plus près, on se rend compte que ces enfants peu-
vent présenter un comportement qui interroge le praticien qui les reçoit,
mais dont les étiologies sont beaucoup plus vastes que les seuls syndromes
autistiques.
C’est pourquoi nous pourrions proposer, à l’instar de Guédeney (1999),
que ce comportement soit à l’intersection des tableaux suivants : les syn-
dromes autistiques, les troubles sensoriels, les troubles de la régulation, les
troubles de l’attachement, les dépressions, les syndromes douloureux, les
anxiétés, et les syndromes post-traumatiques. Mais de quel comportement
s’agit-il le plus souvent ?

L’évitement relationnel du nourrisson


C’est là que le concept d’« évitement relationnel du nourrisson » proposé par
André Carel (Carel et Picco, 2002) trouve toute sa pertinence. Il s’agit donc
de proposer une entité moyenne à la croisée des chemins du développe-
ment de l’enfant, qui permette aux professionnels de le prendre en compte
et éventuellement en soins, tout en laissant ouverts les destins qu’il offre
à l’enfant et à sa famille, non pas seulement par principe (afin d’éviter de
mettre un mot très lourd sur le plan pronostique au-dessus de sa tête), mais
aussi et surtout parce que peu deviendront effectivement autistes, choisis-
sant plutôt des voies proches de la normalité. Pour cet auteur, l’évitement
relationnel normal (Carel et Picco, 2002) vient jouer de la capacité d’un bébé
à quitter l’interaction lorsqu’il se trouve débordé par une excitation dépas-
sant son seuil de tolérance et résultant d’une stimulation inadéquate (hyper,
hypo ou dys). « L’évitement est donc d’abord une défense comportementale
visant à soustraire l’enfant à une situation désagréable » (Carel et Picco,
2002). Mais ce faisant, ce signe pourrait marquer sa capacité à se recons-
truire. À ce titre, l’évitement relationnel pourrait constituer « un prélude à la
capacité d’être seul décrite par Winnicott (1958) » (Carel et Picco, 2002).
Par contre, il en va tout autrement de l’évitement relationnel pathologique
(Carel, 1998). Cette description caractérise le comportement du nourrisson de
zéro à dix-huit mois, pour lequel on suspend le préjugé étiologique, dans la
mesure où le devenir psychique du bébé en question peut aller de la normale
à l’ensemble de la pathologie. Il est apprécié sur la qualité des fonctions ins-
trumentales impliquées et des interactions psychiques du bébé au sein de la
triade. Carel en décrit la sémiologie à partir de cinq séries de signes : la conduite
globale relationnelle, les troubles du regard, les troubles de l’écoute, les
troubles posturo-locomoteurs et les troubles de la préhension (Carel, 1998).
48 La consultation avec l’enfant

Rappel des signes d’évitement relationnel pathologiques


du bébé selon André Carel
1. Conduite globale relationnelle
• Sagesse particulière dès le premier trimestre : sérieux, gravité, pauvre en sou-
rire, déclenche peu les initiatives ;
• disposition à rester seul et tranquille malgré les sollicitations, mais sans dé-
plaisir manifeste.
La sagesse ne doit pas être confondue avec un ralentissement dépressif précoce,
ni avec un retard psychomoteur ordinaire.
2. Troubles du regard
• Dès le deuxième mois : regard absent, périphérique, en passe-muraille, stra-
bisme éphémère, regard flou, dur hyperpénétrant, cyclope, proximal.
Cela peut être compris comme un dysfonctionnement de l’attention partagée.
Le signe est à étudier en fonction des variations de la qualité du regard du par-
tenaire, du contexte intermodal : le regard du bébé change-t-il selon que l’on
chantonne ou pas, lors d’un toucher discret… ?
3. Troubles de l’écoute
• Dès le deuxième trimestre : absence ou faiblesse d’orientation à la voix fami-
lière, contrastant avec la sensibilité aux bruits mêmes menus, et l’attrait pour la
musique.
C’est à étudier en fonction de la qualité de l’accordage adulte-bébé et de la
structure narrative.
4. Troubles posturo-locomoteurs
Dès le troisième mois, lorsque le tonus axial augmente et que le tonus segmen-
taire baisse, il apparaît des anomalies de l’ajustement postural.
• Pauvreté et anomalies des attitudes anticipatrices du portage, voire un ­retrait
des bras en chandelier après le sixième mois ;
• évitement de l’appui palmaire en position assise à partir du septième mois, et
de l’appui ventral en position couchée et lors du retournement dos/ventre dès
le sixième mois ;
• évitement du ramper puis de la quadripédie à partir du neuvième mois ;
• marche retardée ou sur la pointe des pieds après un an, ou marche en pan-
tin ;
• stéréotypies positionnelles de type balancements après le sixième mois.
5. Troubles de la préhension
• À partir du huitième mois, inertie préhensive : les mains restent inertes, mais
parfois un frémissement du bras ou une légère avancée du buste vers l’objet
trahit l’intention et le conflit préhensifs ;
• approche hésitante suivie de reculade, signe du cube brûlant ;
• contact par effleurement du bout des doigts sur les contours de l’objet ;
• brièveté de la saisie palmaire de l’objet aussitôt rejeté ;
x
La consultation d’un bébé avec ses parents 49

x
• atypie de la pince fine : non pas entre le pouce et l’index, mais entre petit
doigt et annulaire ou en interdigital ;
• signe des oubliettes : l’objet est jeté sans poursuite oculaire ;
• Non-participation au jeu de tomber-ramasser ;
• stéréotypies gestuelles, jeux de mains avec fascination visuelle ;
• perte du pointage du doigt avec échange visuel vers neuf ou dix mois.
Devant ce tableau d’évitement relationnel, ou de retrait (Guédeney, 1999), la
consultation mettra en évidence les diagnostics possibles suivants et devra donc
s’appuyer sur des investigations complémentaires pour retenir un diagnostic.

Pathologies à l’origine des comportements de retrait1


1. Troubles sensoriels : surdité, cécité.
2. Syndromes autistiques : absence ou manque de contact visuel et de sourire
dans l’engagement social, d’attention partagée, de réponse à la voix familière,
de pointage du doigt, de jeu de faire-semblant et d’imitation, d’anticipation
posturo-motrice au moment d’être pris dans les bras.
3. Dysharmonies évolutives ou pathologies limites.
4. Troubles précoces de l’attachement : on distingue deux grands types
d’attachement, sécure et insécure ; ce dernier peut s’avérer anxieux, évitant, ou
désorganisé.
5. Syndrome post-traumatique : comportement de retrait du bébé après le
stress.
6. Dépression précoce : atonie thymique, inertie psychomotrice, repli interac-
tif et désorganisation psychosomatique.
7. Douleur : réactions émotionnelles, réactions défensives (antalgiques), ato-
nie psychomotrice pseudo-dépressive.
8. Anxiété : instabilité, troubles du tonus, regard spécifique, évitement rela-
tionnel.

1 Tiré de Guédeney, 1999

Les bébés à risque autistique


L. Kanner (1943) avait déjà décrit, à partir des onze enfants de sa première
publication, des signes précoces d’autisme infantile : un défaut d’ajustement
postural et d’attitude anticipatrice, des troubles des conduites alimentaires et
du comportement, un retrait et une indifférence au monde extérieur quelque-
fois très précoces. L’ajustement postural est l’adaptation posturo-tonique dans
un « confort » réciproque, du bébé à celui qui le porte, et vice versa ; cet état est
perceptible à partir de quatre mois environ. Le futur enfant autiste est décrit par
50 La consultation avec l’enfant

ses parents dans ces cas-là soit, assez rarement, comme une planche (hyperto­
nie), soit, plus souvent, comme une poupée de son (hypotonie). L’attitude
­anticipatrice, elle, s’observe habituellement lorsque le bébé de quatre mois envi­
ron tend ses bras vers celui qui se penche vers lui, montrant ainsi qu’il a inscrit
en lui les premières représentations motrices et psychomotrices des rythmes de
sa vie quotidienne interactive. Les troubles alimentaires peuvent se manifester
par des difficultés à téter, des vomissements et, quelquefois, une anorexie très
précoce. Les troubles du comportement peuvent se présenter sous la forme
d’une inactivité, d’un ralentissement et de comportements stéréotypés.
D. Houzel (2002) et M.-C. Abgrall (1978) avaient proposé une synthèse
qui a été très longtemps utile aux praticiens intéressés par la question du
dépistage précoce : sagesse particulière, retrait et indifférence aux personnes
et aux choses, non-apparition des organisateurs de Spitz, troubles tonico-
posturo-moteurs (défaut d’ajustement postural, d’attitude anticipatrice, sté-
réotypies, retards à la position assise, à la marche), troubles de l’audition,
du regard, troubles des conduites alimentaires (difficultés à téter, vomisse-
ments, anorexies précoces), troubles du sommeil. Mais si ces signes sont
effectivement retrouvés, et doivent attirer notre attention, ils sont difficiles
à différencier des manifestations d’autres états pathologiques du très jeune
enfant : dépression du bébé et carences affectives, troubles sensoriels de
l’audition et du regard, autres atteintes physiques avec signes autistiques
(métaboliques, génétiques, neurologiques…).
Une récente recension d’A. Baghdadli (2006) propose aux pédiatres, en
conformité avec les classifications internationales des troubles envahissants
du développement, des signes requérant leur attention aux trois niveaux
des sphères communicationnelles, sociales et comportementales chez un
enfant venant consulter pour des troubles inquiétant les parents :
• au niveau de la communication : un retard de langage ou la perte de
mots acquis, l’absence de réponse à son nom, un enfant qui ne peut pas dire
ce qu’il veut, l’absence de réponse aux ordres, un enfant qui semble sourd
par moments, un enfant qui ne pointe pas et en fait pas « au revoir » ;
• au niveau de la socialisation : l’absence de sourire social, peu de
contact oculaire, un enfant qui semble préférer jouer seul et reste dans
son monde, un enfant qui ignore ses parents et ne porte pas d’intérêt aux
autres enfants ;
• au niveau du comportement : colères, oppositions, hyperactivité, atta-
chement inhabituel à des objets, un enfant qui ne sait pas utiliser les jouets,
un enfant qui reste fixé sur certaines choses de manière répétitive, un enfant
qui marche sur la pointe des pieds ou effectue des mouvements bizarres.
On peut retenir, en bref, les éléments suivants : l’absence de babillage ou de
gestes sociaux conventionnels (au revoir, pointer…) à douze mois, l’absence
de mots à seize mois, l’absence d’association de mots à vingt-quatre mois, tou-
te perte de langage ou de compétences sociales quel que soit l’âge de l’enfant.
La consultation d’un bébé avec ses parents 51

Dans cette description, l’auteur insiste sur un cas particulier, l’autisme de haut
niveau ou syndrome d’Asperger : ce diagnostic est généralement posé tardive-
ment, à l’âge scolaire, en moyenne vers l’âge de dix ans, alors que les parents
s’inquiètent depuis que leur enfant a trois ans. Cette situation est due au fait que
ces enfants n’ont ni retard de langage ni retard mental, mais ont souvent une
­hyperlexie, des troubles du contact avec les pairs et des difficultés psychomotrices.
Didier Houzel (2003) a proposé récemment une bonne récapitulation des
différentes découvertes successives. Il a regroupé l’ensemble des signes pré-
coces dans les dix catégories suivantes :
• troubles des conduites sociales non linguistiques : défaut d’attitude an-
ticipatrice (Kanner), défaut d’ajustement postural (Kanner), aversion pour le
contact corporel, défaut d’attention conjointe (Baron-Cohen), défaut de jeu
de « faire semblant » (Baron-Cohen), défaut de pointage (Baron-Cohen) ;
• troubles du prélangage : défaut de lallation (Rutter), babillage mono-
tone (Ricks), vocalisation idiosyncrasique (Ricks) ;
• retard et anomalies du développement psychomoteur : hypotonie,
dystonie, mauvais contrôle postural, perte temporaire des acquisitions ;
• absence des organisateurs de Spitz : absence ou rareté du sourire au
visage humain, absence d’angoisse devant le visage non familier ;
• troubles des conduites perceptives : défaut du contact œil à œil, évi-
tement actif du regard, fascination par les mains, impression de surdité,
réactions paradoxales aux bruits ;
• troubles du comportement : retrait, indifférence au monde extérieur (Kan-
ner), absence d’intérêt pour les jouets, inactivité, ralentissement (Kanner),
­comportements répétitifs (Kanner), mouvements stéréotypés, maniements
étranges des objets (objets autistiques de F. Tustin), cris, colères, autoagressivité ;
• troubles fonctionnels : difficulté à téter, vomissements, anorexie très précoce
(Kanner), mérycisme (Sauvage), insomnies agitées ou calmes (Soulé et Kreisler) ;
• phobies précoces des bruits ménagers ;
• conduites d’agrippement (Bick4) ;
• conduites de démantèlement (Meltzer5).

4 Une conduite d’agrippement est une des défenses contre les angoisses archaïques qui
perpétuent, sur le plan psychique, la fonction des réflexes archaïques type grasping obser-
vés chez le bébé au tout début de la vie. Le concept vient de l’éthologue et psychanalyste
hongrois Imre Hermann (1943), collègue et ami de Ferenczi. Bowlby s’est appuyé sur ces
travaux pour développer la théorie de l’attachement et Esther Bick en a notamment extrait
la notion d’identité adhésive. (Bick, E. [1968], « L’expérience de la peau dans les relations
d’objets précoces », trad. G. Williams, in Les écrits de Martha Harris et Esther Bick, Larmor
Plage, Editions du Hublot, 1998).
5 Le concept de démantèlement a été proposé par D. Meltzer en 1975 (Meltzer 1975) à
partir de ses travaux sur l’autisme. Le démantèlement est un mécanisme psychique passif
coïncidant avec une suspension de l’attention qui a pour effet de réduire l’expérience de
l’enfant à une somme de sensations juxtaposées, à l’opposé du mantèlement favorisé par
les moments d’attraction consensuelle maximale.
52 La consultation avec l’enfant

Il peut s’avérer utile d’ajouter plusieurs éléments à ce tableau déjà très


complet : le manque de variation dans les objets choisis et dans les jeux,
qui est pour C. Gillberg (Van der Gaag, 2005) une des caractéristiques de
nature à dépister les bébés à risque autistique avant deux ans, les « difficultés
d’imitation » sur lesquelles J. Nadel a attiré notre attention, ainsi que
quelques signes décrits par A. Bullinger (2004), qui résultent du schéma en
hyperextension, notamment les « postures asymétriques » et la « perte de
la liaison visuo-manuelle » ; de même que le « tonus pneumatique », décrit
comme réaction défensive par rapport à l’hypotonie axiale, et retrouvé chez
certains bébés à risque autistique. Les postures asymétriques font l’objet
d’une compréhension psychopathologique par G. Haag (1985) lorsqu’elle
insiste sur « la mère et le bébé dans les deux moitiés du corps », allant
jusqu’à décrire un tableau d’hémiplégie autistique.
Enfin, M.-C. Laznik-Penot (1985) propose une relecture du circuit pulsion-
nel oral et décrit l’absence du troisième temps de la pulsion orale chez le
bébé à risque autistique. Les deux premiers temps sont facilement repérables.
Premier temps : un bébé cherche le sein de sa mère dès les heures qui suivent
la naissance. Deuxième temps : suce-t-il son pouce ou sa tétine ? En revanche,
le troisième temps existe aussi dans les interactions, mais doit être recherché
au cours du dépistage : la mère, par exemple au cours du change, fait-elle sem-
blant de manger les pieds du bébé et cela entraîne-t-il chez ce dernier une telle
jubilation qu’il lui en « redemande » ? Une vaste recherche est en cours à ce
sujet par l’équipe de PréAut (2006) pour en valider la pertinence. La recherche
PréAut (prévention de l’autisme) vise à l’évaluation d’un ensemble cohérent
d’outils de repérage des troubles précoces de la communication pouvant
présager un trouble grave du développement de type autistique. Elle
est menée par G.C. Crespin, M.C. Laznik, C. Bursztejn, J.P. Muyard,
J.L. Sarradet, M.H. Wittkowski. L’intérêt d’un diagnostic et d’une prise en
charge aussi précoce que possible pour minimiser les handicaps dus à l’autisme,
fait actuellement l’objet d’un très large consensus. Des études ont montré
une évolution bénéfique des enfants présentant un syndrome autistique
lorsqu’une prise en charge précoce a eu lieu. Or les signes caractéristiques
de ce syndrome sont rarement complets avant l’âge de 3 ans. L’ensemble
de données recueillies, et notamment l’analyse systématique des données
rapportées par les parents indiquent que dans 75 à 88 % des cas des signes
existent avant 2 ans et dans 31 à 55 % avant 1 an. Les recherches menées
sur l’évolution d’enfants pour lesquels on dispose de films familiaux
(Maestro et al., 1999), suggèrent l’existence de plusieurs modalités de
début de l’autisme. Etant donné le caractère incomplet et même souvent
discret de la symptomatologie très précoce de l’autisme, cette recherche
porte sur les indicateurs validés, simples à utiliser dans le cadre des examens
de santé habituels pour favoriser une meilleure et plus rapide orientation
des familles vers des soins adéquats.
La consultation d’un bébé avec ses parents 53

En tout état de cause, A. Baghdadli (2006) propose de retenir des items


éliminant le diagnostic d’autisme au neuvième mois : un contact œil à œil,
l’absence d’anomalie du regard, une expression appropriée des émotions,
un enfant qui regarde les objets qu’on lui tend, un enfant qui prend les
­objets qu’on lui tend, un enfant qui sourit à sa mère ou à une autre personne,
un enfant qui réagit quand on lui parle, un enfant qui a des réactions pos-
turales normales.
Dans tous les cas, la consultation peut se transformer en consultation thé-
rapeutique en permettant aux parents de bénéficier « ici et maintenant » de la
compréhension issue du travail effectué ensemble autour du bébé. Les psycho-
thérapies parents-bébés, en tant que traitement centré sur les relations entre
des parents et leur bébé visant à lever la surcharge conflictuelle exercée par la
problématique psychique des parents sur les symptômes du bébé, à la lumière
des travaux de pionniers tels que Selma Fraiberg (Fraiberg et al., 1983), Bertrand
Cramer (2000), Serge Lebovici (1986), et qui sont indiquées dans les troubles
fonctionnels (sommeil, alimentation…) et les troubles du comportement, sont
proposées ultérieurement lorsque l’ensemble des éléments sont réunis. En ce
qui concerne les troubles graves du bébé (signes précoces d’autismes et de psy-
choses…), les indications de soins « intensifs » font l’objet d’une démarche
approfondie et demandent davantage de temps pour être mises en place.

Moïse, quinze mois


Compte-rendu de l’observation de Moïse par le pédopsychiatre
Moïse est un petit garçon que je reçois à l’âge de quinze mois en neuropédiatrie
à l’occasion d’un bilan de dépistage. Le neuropédiatre pense qu’il présente des
signes évocateurs de bébé à risque autistique.
Pendant cette consultation, Moïse va rester très longtemps debout, immobile
devant la fenêtre de la salle, avec un grand mouchoir blanc tenu dans sa bouche
par ses dents de devant. Les deux bras sont eux aussi immobiles et pendant le
long de son corps. Le bras droit fait à certains moments des mouvements dis-
crets de se soulever vers la fenêtre, mais sans y arriver, et il retombe lourdement
le long du buste.
La maman de Moïse me raconte qu’elle est arrivée d’Afrique il y a deux ans, et
qu’elle a accouché de son fils en France. Le papa est resté dans son pays et la
maman ne dit pas ce qui s’est passé pour expliquer cette séparation. La nais-
sance s’est bien passée jusqu’à ce que la tête soit bien dégagée. Ensuite, le bras
n’a pas pu sortir comme cela s’annonçait, et après, la maman de Moïse se met à
pleurer. Moïse monte un peu plus son bras droit vers l’horizontale, laisse tomber
le mouchoir, et sa langue fait des mouvements très vifs de protrusion hors de sa
bouche, vers la gauche. Il ne se tourne pas vers sa maman. Elle dit alors : « J’ai
perdu connaissance, et quand je me suis réveillée, l’infirmière m’a dit que Moïse
[elle pleure à nouveau abondamment] ne pourrait jamais se servir de son bras
gauche. Il a une paralysie du plexus brachial gauche à cause des forceps. ». x
54 La consultation avec l’enfant

x La maman reste triste et dit qu’« il a été opéré de son bras, mais le chirurgien dit
que Moïse ne comprend rien, alors, il ne peut pas profiter de l’opération ».
Elle me dit alors avec une voix plus tonique : « Le docteur P., quand il m’a dit en
plus que peut-être Moïse, il est autiste, alors là j’ai craqué. » Elle pleure à nou-
veau, mais là, Moïse remet le mouchoir dans sa bouche et se met à faire d’une
voix monocorde assez basse, un son continu, presque une mélopée. Il tient le
bout inférieur de son grand mouchoir dans sa main droite et rythme cette pau-
vre mélodie avec le balancier de son bras. La maman me dit : « Ce qui me cha-
grine le plus, c’est que quand je l’appelle, il ne m’écoute pas, c’est comme si je
n’existais pas. Et pourtant, le docteur lui a regardé les oreilles. » Et comme si elle
voulait me démontrer quelque chose, elle se lève en disant à son fils : « Moïse,
Moïse », et vers moi, avec un regard désespéré : « vous allez voir », et elle quitte
aussitôt la pièce de consultation dans une sorte d’improvisation de la Strange
Situation6 que les théoriciens de l’attachement font passer à leurs patients.
­Moïse ne bouge pas pendant un moment, puis, à mon appel, il se tourne vers
moi avec une grande lenteur, son regard met quelques instants à me trouver.
Puis tout aussi lentement, il se recolle encore plus près de la fenêtre, et redevient
absent. La maman revient et me dit cette phrase terrible : « Vous voyez, docteur,
il ne me connaît pas. » La fin de la consultation permet de mieux apprendre
l’histoire de ce petit garçon et nous convenons de nous revoir.
L’évolution montrera chez Moïse un syndrome autistique typique, avec dans
ses antécédents, un traumatisme néonatal représenté par la paralysie du plexus
­brachial, et des conditions sociopsychologiques de vie précaires. La prise en charge
précoce a néanmoins permis une évolution relativement favorable de ce petit
patient.

Maltraitance à bébé
Si des textes législatifs et réglementaires (loi de juillet 1989, loi de mars
2007) aident désormais les équipes concernées à tenir compte de la réalité
clinique observée par les précurseurs dans ce domaine, la maltraitance à
bébé reste un phénomène étonnamment méconnu. Les manifestations les
plus fréquentes sont l’enfant battu (plaies cutanées et muqueuses, fractu-
res, hématome sous-dural), l’enfant secoué et le syndrome de Munchaüsen
par procuration (Dayan, 2000). Les statistiques sont pourtant éloquentes,
démontrant que plus l’enfant est jeune, plus il est non seulement vulné-
rable, mais surtout victime. On retrouve encore aujourd’hui que 80 % des
enfants victimes de maltraitance ont moins de trois ans et que sur cette
population, 40 % a moins d’un an (Strauss et Rouyer, 1982 ; Cummings
et al., 1994).

6 Strange Situation : expérience mise au point par Mary Ainsworth (1982) pour étudier le
type d’attachement du bébé à sa mère vers la fin de sa première année. Il s’agit d’une série
de huit épisodes de trois minutes chacun, permettant d’étudier le bébé en présence de sa
mère, à son départ, à son retour et en présence d’un autre observateur inconnu du bébé.
La consultation d’un bébé avec ses parents 55

C’est souvent le médecin de première ligne (médecin généraliste, pédia-


tre ou médecin de PMI) qui est amené à recevoir un bébé pour un avis sur
des signes graves d’emblée, mais qui peuvent être banalisés par les parents.
On notera leur ambivalence dès le début, puisque sachant que leur bébé
est maltraité, ils vont néanmoins demander de l’aide au médecin tout en
refusant dans la plupart des cas de décrire précisément les circonstances
de la maltraitance avérée. La nécessité d’un travail en partenariat est ici
évidente. Mais un grand nombre d’obstacles peuvent déjouer la stratégie
thérapeutique à mettre en place. Il est extrêmement important de tenir
compte de l’avis du praticien qui a examiné le bébé le premier et s’est fait
une idée de la situation familiale « à chaud ». Il va de soi que les liens en-
tre pédiatres et pédopsychiatres sont essentiels pour échanger sur de telles
situations lorsqu’elles se présentent, quand bien même le pédopsychiatre
ne peut voir en urgence tous les bébés en question. Il est néanmoins pré-
cieux pour le pédiatre de pouvoir en parler avec lui dans les cas les plus
graves. L’histoire d’Elias peut donner une idée des enjeux en question.

Elias, un mois
Elias est maltraité dés les premières semaines de vie
Premier bébé, il n’a pas d’antécédents néonataux particuliers. Le pédiatre le
­reçoit un soir en urgence à son cabinet pour un « hématome ». Il a un mois et
c’est la deuxième fois qu’il le voit. Une première consultation avait eu lieu quinze
jours auparavant, au cours de laquelle tout allait bien. Le pédiatre constate avec
une extrême émotion que le bébé présente un volumineux hématome de la joue
et du pavillon de l’oreille, une ecchymose conjonctivale et des lésions purpuriques
du cou. Il a beaucoup de difficultés à rentrer en contact avec Elias. À l’examen
complet, il découvre également un hématome du siège. Il fait alors part de sa
vive inquiétude aux parents et leur annonce que devant ce tableau clinique il va
hospitaliser Elias pour qu’il bénéficie d’un bilan, en particulier de la coagulation
sanguine. Pour lui, il s’agit d’abord de protéger le bébé au plus vite, dans la me-
sure où les lésions présentées ne font, pour lui, aucun doute sur la maltraitance.
Malgré la gravité de son état, les parents ne montrent pas d’émotion particulière
à l’annonce de l’hospitalisation de leur enfant. Après avoir averti les parents
de ses démarches, le pédiatre téléphone à son collègue du service hospitalier
pour s’assurer que son hospitalisation a bien été réalisée. Il a par ailleurs faxé
au substitut du procureur de la République un signalement décrivant les signes
de son examen clinique. Elias est resté hospitalisé une semaine, le temps prévu
pour mettre en place une AEMO (action éducative en milieu ouvert) et mobiliser
le service de PMI.
Ayant appris par son collègue hospitalier que le bébé allait sortir, le pédiatre
a adressé un nouveau fax au substitut pour lui faire part de son extrême ­inquiétude
à l’idée qu’il puisse ressortir chez ses parents. Entendu ensuite par la brigade des
mineurs, il a déclaré une fois encore qu’Elias serait en danger grave s’il sortait chez
ses parents. Pourtant Elias est sorti chez ses parents malgré tous les ­avertissements x
56 La consultation avec l’enfant

x des professionnels. Les conditions n’ayant pas changé entre-temps, Elias a été vic-
time à nouveau de violences à domicile et est décédé en réanimation pédiatrique
des suites d’un hématome cérébral à l’âge d’un mois et demi.

Outre le fait qu’un praticien de première ligne, ici le pédiatre, possède


une intuition clinique en rapport avec l’immédiateté de ce qu’il traverse
comme expérience avec le bébé et ses parents, et dont il faut absolument
tenir compte, cette histoire dramatique doit servir à sensibiliser tous les
intervenants auprès des bébés de la réalité de la maltraitance, de façon à
mettre en place des pratiques préventives qui permettent d’en conjurer
la ­force banalisante, y compris auprès des magistrats, voire des avocats
­entraînés, parfois sans en mesurer toutes les conséquences, dans la défense de
­parents thanatophores (Diet, 1995). Le pédopsychiatre et le psychologue, par
leur expérience de ces problématiques, doivent y contribuer absolument
en construisant des relations de travail régulières et soutenantes avec tous
ces professionnels.

Un bébé à venir
Dans la défense d’un dispositif de santé mentale périnatale, l’accompa-
gnement du processus de parentalisation dès l’anténatal a fait figure de
­révolution préventive. En effet, s’il est extrêmement important de proposer
des consultations en pédopsychiatrie pour les parents et leur bébé lorsque
les interactions sont difficiles ou dans toutes les situations que nous avons
abordées dans ce chapitre, les progrès récents dans la compréhension du
processus en question ont montré que la grossesse était un moment opportun
pour étendre les propositions préventives qui étaient faites à partir de la
naissance.
Nous ne pouvons citer ici tous les auteurs qui ont contribué à ces travaux,
mais Michel Soulé fait figure de penseur de la psychiatrie fœtale (Soubieux
et Soulé, 2005). Le groupe de travail créé par lui et Sylvain Missonnier au
sein de la WAIMH francophone (World Association for Infant Mental Health,
Association internationale pour la santé mentale du bébé), appelé le « pre-
mier chapitre », est un des lieux où ces chercheurs tentent d’allier les avan-
cées scientifiques avec le maintien d’une position psychodynamique dans
la compréhension des phénomènes en question. Par ailleurs, les formations
proposées par Françoise Molénat (2009) et ses collaborateurs pour penser la
périnatalité en réseau constituent la trame institutionnelle sur laquelle les
interventions anténatales vont pouvoir s’organiser. Des textes ministériels7

7 Circulaire DHOS/DGS/O2/6 C no 2005-300 du 4 juillet 2005, relative à la promotion de


la collaboration médico-psychologique en périnatalité.
La consultation d’un bébé avec ses parents 57

issus de cette philosophie de travail viennent en officialiser les pratiques.


C’est ce qu’un certain nombre de précurseurs de cette politique périnatale
ont mis en place, en utilisant toutes les opportunités offertes dans le suivi
de la grossesse.
Dans ce cadre des grossesses « tout-venant », « les procédures adminis-
tratives (déclaration de naissance, ouverture d’un dossier à la maternité),
les consultations de suivi de grossesse, les échographies, les groupes de
préparation à la naissance offrent une potentialité préventive des troubles
de la parentalité et des dysharmonies interactives précoces à investir plus
avant » (Missonnier, 2003, p. 80). Pour cet auteur, « c’est d’abord l’accueil
bienveillant du questionnement parental » qui semble la qualité à mettre
en œuvre pour contenir les angoisses inhérentes à la grossesse. Et Françoise
Molénat (2009) insiste sur l’importance de tout faire pour confier cette
fonction aux professionnels de première ligne. Ce n’est que lorsque ce
­dernier, connaissant à la fois ses limites propres et la compétence spécifique
de son correspondant psychologue ou psychiatre avec lequel il travaille en
réseau quotidiennement, jugera nécessaire de passer la main au professionnel
« psy » de seconde ligne que la consultation pourra être proposée à la maman
enceinte dans une continuité transférentielle avec le professionnel de
première ligne. Inutile d’insister sur le fait que les liens de travail entre les
deux lignes se construisent autour de discussions fréquentes sur les histoires
cliniques de patientes communes.

Serai-je compétente pour mon bébé ?


C’est à la suite de la consultation de fin du premier trimestre que la sage-femme
conseille à la future maman d’aller consulter la psychologue de la maternité avec
laquelle elle travaille habituellement. Il semble important de préciser que cette
sage-femme prend son rôle de soignante de première ligne très au sérieux, et
qu’elle assume de façon tout à fait intéressante la prise en charge, y compris psy-
chologique, de nombreuses femmes qu’elle suit pour leur grossesse. Lorsqu’elle
demande à la psychologue du réseau périnatalité de recevoir une personne,
c’est en général avec une idée assez précise des problèmes qu’elle pose, et parce
qu’elle connaît bien ses propres limites.
Là, il s’agit d’une femme de trente ans qui vit sa première grossesse tout en s’in-
quiétant beaucoup de la relation avec son compagnon qui n’est pas assez stable
à ses yeux. Elle se demande si elle a bien fait d’engager cette aventure avec cet
homme-là, qu’elle a connu il y a très longtemps pendant son adolescence et
qu’elle a retrouvé récemment alors qu’elle venait de traverser une période dif-
ficile sur le plan psychologique. Et puis, pour ce bébé qui va venir, va-t-elle être
à la hauteur ? D’ailleurs, ses réticences vis-à-vis de son ami sont aussi liées à ce
sentiment de doute sur ses compétences maternelles.
Sa mère est une femme de cinquante ans environ, avec laquelle elle a des
­relations très mouvementées. Quelquefois elle la trouve « acceptable », mais la x
58 La consultation avec l’enfant

x plupart du temps, elle la trouve « trop intrusive », et elle a très peur que l’arrivée
de cette petite fille n’« aboutisse à un rapt par sa propre mère ». De plus, son
père, d’avec lequel sa mère avait divorcé, est décédé l’an dernier ; or, elle a vécu
sous l’emprise de sa mère qui lui interdisait d’avoir des contacts avec lui. Mainte-
nant elle s’en veut de l’avoir écoutée… La consultation va mettre en évidence un
vécu à la fois douloureux et nostalgique de ce qu’elle a traversé antérieurement,
notamment pendant son adolescence.
À dix-sept ans, elle a quitté le foyer familial, la nuit consécutive à une énième
dispute, particulièrement violente, entre son père et sa mère, pour aller se
­réfugier chez une copine qui avait des parents « hypersympas ». C’est dans ces
circonstances qu’elle avait rencontré à l’époque son compagnon actuel. Si la
violence du père est l’argument qui justifie en premier cette quasi-fugue, la dis-
cussion fait apparaître le désir de « se sortir de l’emprise de sa mère ». Ayant
pris ainsi son indépendance relative, ses études ont été chaotiques, mais elle a
néanmoins réussi assez bien, et finalement a pu suivre des études universitaires
jusqu’à la licence. Et puis, ce parcours effectué, elle a connu quelques années
de dépression, dont un moment d’effondrement dont elle « garde un souvenir
stressant qui la réveille régulièrement ces derniers temps ». Elle n’a renoué que
plusieurs années plus tard avec sa mère.
Elle se dit que sa grossesse, d’un certain point de vue, lui fait craindre le retour
de cet effondrement. La préoccupation pour son futur bébé n’est pas très pré-
sente lors de cette première consultation ; elle en parle peu sauf pour exprimer
ses craintes de le décevoir et sa probable incompétence maternelle. Il faudra at-
tendre les consultations suivantes pour que progressivement, parallèlement aux
sensations qu’elle parvient à mieux exprimer dans cet espace, « son bébé prenne
naissance dans son esprit ». L’état anxiodépressif va s’amender progressivement
à mesure que le travail d’élaboration permettra de resituer à sa place chacun des
acteurs de sa vie quotidienne passée et présente. Les consultations postnatales
seront, pour cette femme très inquiète et angoissée pendant les deux premiers
trimestres de sa grossesse, l’occasion de se découvrir, beaucoup plus aisément
qu’elle ne s’y attendait elle-même, une « mère suffisamment bonne ». Les in-
teractions avec sa petite fille se sont avérées satisfaisantes pour cette maman,
qui « se surprenait à s’intéresser à un bébé alors qu’elle pensait cela tellement
inatteignable ». En même temps, elle découvrait sous un jour inattendu son
compagnon et le rôle qu’il allait jouer dans leur histoire commune. La démarche
de prévention des possibles distorsions interactives entre cette mère et son bébé
a conduit à une suite de quelques consultations thérapeutiques opérant une
fonction de soutènement des mécanismes de parentalisation.

Quelques éléments de réflexion


Il est utile de souligner l’importance du post-partum comme moment de
réorganisation psychique des parents et notamment de la mère, puisque
« c’est le bébé qui créé sa mère » (Winnicott 1969a). La consultation avec un
La consultation d’un bébé avec ses parents 59

bébé se situe par définition dans cette période cruciale, et au vu du nombre


de mamans qui connaissent une difficulté sinon une pathologie psychique
du post-partum, cette problématique constitue désormais non seulement
une question de santé publique, mais un formidable enjeu de prévention si
les possibilités d’intervention précoces, conjuguant souplesse, adaptabilité
et professionnalisme, peuvent se conduire dans le cadre d’une politique de
périnatalité bien comprise.
Le début de la parentalisation est une période de grands remaniements
puisque les jeunes parents quittent la position précédente d’enfants de leurs
parents. Mais, en même temps, ils s’y identifient pour devenir parents de
leur propre bébé. Ils ont ainsi à accomplir un travail d’accommodation en-
tre le « fantasme du corps imaginé » (Aulagnier, 1975) de leur bébé qu’ils
ont construit pendant la grossesse et le bébé réel, celui qu’ils vont devoir
« élever ». Nous avons vu par ailleurs que les interactions se construisant à
plusieurs niveaux – biologique, comportemental (ce que nous observons),
affectif (ce que nous ressentons), fantasmatique (ce qui est imaginé plus ou
moins consciemment) et symbolique –, c’est principalement au plan fantas-
matique que des projections vont avoir lieu : soit bonnes et structurantes,
les « projections empathiques » (Cramer et Palacio-Espasa, 1993), venant
contenir le bébé dans son développement, soit au contraire mauvaises et
déstructurantes, les « projections oméga » (Williams, 1997, p. 123), venant
infiltrer les autres niveaux d’interaction, et fragiliser la qualité des expériences
ainsi partagées entre parents et bébé.
Dans tous les cas, ces deux grandes catégories de motions pulsionnel-
les se trouvent mêlées dans le processus de parentalisation, et un subtil
dosage entre les deux est nécessaire pour favoriser un développement du
bébé en milieu sécure ; par contre, lorsque ces régulations seront mises en
difficulté pour toutes les raisons de la psychopathologie, la consultation
en pédopsychiatrie sera éventuellement nécessaire. L’exemple clinique
d’Elias est important pour montrer comment les symptômes ordinaires
d’un bébé (ses pleurs normaux) peuvent conduire à des ­comportements
parentaux inadaptés et aboutir à sa mort. Les réflexions sur les patholo-
gies limites de l’un ou des deux parents (Apter et Le Nestour, 2008) sont
intéressantes à cet égard pour construire une prise en charge suffisante.

Comment poser les indications de thérapies


mère-bébé ?
C’est en fonction de la qualité des conflits de la parentalité observés dans le
cadre de la consultation que ces indications seront posées. Il est important,
et c’est une des spécificités de la psychiatrie du bébé, de s’engager dès les
premières consultations dans ces propositions thérapeutiques de façon à
60 La consultation avec l’enfant

ne pas laisser le bébé évoluer défavorablement, en raison des changements


rapides qui interviennent tôt dans le développement.

Trois grands cadres


On décrit habituellement les difficultés de parentalisation selon trois grandes
catégories : les conflits de type névrotique, de type masochique et de type
narcissique.
Les conflits de la parentalité de type névrotique donnent plutôt des
troubles fonctionnels chez le bébé (insomnie, anorexie), les conflits de la
­parentalité de type masochique plutôt des troubles du comportement (enfant
tyran, parents victimes) et les troubles de la parentalité de type narcissique
aboutissent plutôt à des carences affectives.

Exemple d’indications
Pour les premiers, conflits de type névrotique, une proposition de psycho-
thérapie brève parents-enfant sera envisagée sur une dizaine de séances. Il
peut également être conseillé de recourir à un travail sur la séparation tel
qu’il est prôné par les expériences de « maisons (ou)vertes » (Dolto et al.,
2009). Pour les seconds, conflits de type masochiste, des psychothérapies
brèves sont envisageables, mais souvent prolongées par le travail psycho-
thérapique d’un des parents, lorsque l’opportunité se présente. Par contre
pour les troisièmes, conflits de type narcissique, les psychothérapies brè-
ves sont contre-indiquées, mais se fait jour la nécessité d’un travail au long
cours avec recours à un accueil en unité spécialisée dans les bébés et très
jeunes enfants permettant un travail avec les parents ou séparés d’eux, et
une reprise ensuite avec eux pour favoriser l’appropriation de leur fonc-
tion parentale, ou en tout cas accompagner la pathologie du lien (Myriam
David, inspirée de son expérience au Children Center de Boston, puis des
pratiques de Loczy, Françoise Jardin, Rosa Mascaro et son association Le
fil d’Ariane, Sophie Marinopoulos et son association Les pâtes au beurre ;
David, 2004 ; David et Appell, 1973 ; Jardin et Détry, 2003 ; Mascaro,
1999 ; Marinopoulos, 2007). Quelquefois, on pourra mener un travail
à domicile selon deux perspectives : celle de S. Fraiberg (Fraiberg et al.,
1983), avec notamment une approche de la crise, et celle de E. Bick
(1992), créatrice de l’observation directe du bébé, et dont les applications
aux bébés présentant des pathologies plus lourdes sont très intéressantes
(Houzel, 1995).
La consultation d’un bébé avec ses parents 61

Jessy, trois mois


Jessy entre la consultation et l’observation thérapeutique à domicile
Jessy est un petit garçon, le sixième enfant de Mme C., à laquelle les cinq premiers
enfants ont été retirés pour des raisons de carence affective et sociale.
L’observation thérapeutique de Jessy par une infirmière psychiatrique formée à
l’observation directe selon la méthode d’Esther Bick a commencé à la suite de
consultations au cours desquelles il est apparu qu’un travail intermédiaire réalisé
entre les consultations était requis pour son suivi. Les quatre premiers enfants
d’un premier mari ont été placés à chaque fois dès la sortie de la maternité par
ordonnance de placement provisoire. Pour Jason, le cinquième enfant, conçu
avec son deuxième mari, la maman commence à demander de l’aide auprès
des services de la Protection maternelle infantile. Mais la demande s’estompe,
d’autant que ce deuxième mari se révèle très violent, et que la PMI est amenée
à effectuer un signalement auprès des services compétents. Jason sera placé au
bout de quelques semaines de vie avec ses parents. C’est pour le sixième enfant,
avec un troisième mari, que la démarche va devenir effective auprès de l’équipe
soignante.
Les consultations avec les parents commencent pendant la grossesse de Jessy
et les observations thérapeutiques commenceront après sa naissance, à l’âge
de trois mois environ. À l’occasion de cette sixième grossesse, la maman va
­demander à ne plus avoir d’enfant ultérieurement, mais sa demande ne sera pas
suivie d’effet. Le nouveau couple est plus stable, mais vit dans des conditions
très précaires. Les visites des cinq premiers enfants ont lieu d’une façon assez
régulière, mais avec toute la fratrie réunie ensemble au domicile familial, ce qui
fragilise considérablement les retrouvailles.
Lors de la première consultation, Mme C. déclare au psychiatre d’enfants qui la re-
çoit qu’elle a toujours été très en difficulté avec les bébés : « Ma difficulté, c’est
de ne pas arriver à leur parler et à jouer avec eux ; c’est ridicule de parler avec
un bébé ; je leur parle comme à un adulte, on me le reproche. J’aidais ma mère
à s’occuper de mes frères et sœurs, à les garder, alors que j’avais envie de faire
autre chose, à quinze ans, c’était assez dur. Je veux m’en sortir, pour pouvoir
jouer avec eux et leur parler. Le bébé, lui, il répond pas, il parle pas, il est vide ;
je me sens ridicule à parler toute seule. Faut dire que j’ai peur de sortir dehors,
j’ai peur des menaces du père du cinquième, il m’avait mis un couteau sous la
gorge ; les parents et les beaux-parents, ils disaient que j’étais pas capable. »
Mais si la maman sent que cette grossesse est différente des précédentes, elle
y projette aussi ses inquiétudes personnelles ainsi que celles exprimées par sa
propre mère. Elle reproche à son nouveau compagnon d’être trop influençable,
perméable, de toujours dire « oui » à ce qu’elle décide, et par exemple, d’avoir
aussitôt donné son accord pour la proposition d’une observation de leur bébé à
domicile. Le papa, lui, est père pour la première fois, et se demande comment il
va arriver à s’en débrouiller.
Il est donc décidé que l’infirmière revoie le père pour s’assurer que son accepta-
tion de la proposition thérapeutique n’est pas le fruit d’un malentendu. Lors de
cette rencontre, le futur papa parlera de la fragilité de sa compagne, et montrera x
62 La consultation avec l’enfant

x qu’il a bien compris en quoi cette proposition pouvait les aider à élever leur
enfant. Ils confirmeront au cours d’une consultation commune leur demande
de cette visite à domicile hebdomadaire. Cette consultation montrera comment
la future maman, par le récit de la dernière échographie, tente d’exclure les
émotions de son compagnon, exprimées à l’échographiste par le commentaire :
« Oh, il a une bonne bouille », en lui répondant sèchement : « Il a une tête
normale, point à la ligne. » Puis, constatant qu’il bouge et se cache, elle ajoute :
« le bébé en a marre, il est bien énervé ». Lors de cette consultation, la maman
a un aspect assez renfermé, tandis que le papa regarde les deux soignants qui
les reçoivent avec une grande attention ; il est honteux lorsqu’elle le traite d’in-
capable devant eux, ce qui l’amène à répondre : « Si, si, je suis capable d’être
père, même si c’est difficile. » Il évoque alors son désir d’être porté lui aussi dans
le ventre d’une mère.
À ce jour, après deux ans d’observations thérapeutiques réalisées par l’infirmière,
Jessy a présenté un développement satisfaisant, et malgré quelques passages
difficiles dans les interactions entre lui et sa maman notamment, le pédiatre et
la puéricultrice de PMI, qui continuaient de suivre cet enfant et ses parents
­régulièrement, ont pensé qu’une indication de retrait ne semblait pas opportune.
Bien plus, lorsque la maman a été à nouveau enceinte d’un septième bébé, le
deuxième de son troisième mari, l’atmosphère de cette nouvelle grossesse en a
été sensiblement changée, comme si le déroulement assez différent de la vie de
Jessy avait redonné à sa maman une assise narcissique suffisante pour aborder
la grossesse d’Océane d’une façon nouvelle.
Nous voyons dans un tel exemple comment le travail de la consultation peut
­bénéficier d’un soutien intermédiaire de façon utile au déploiement d’une fonction
parentale « suffisamment bonne ». D’un certain point de vue, ces observations
thérapeutiques font partie intégrante de la consultation thérapeutique.

Une question cruciale : le bébé et la télévision


Il est une question qui n’est pas assez abordée au cours des consultations de
bébés avec leurs parents, par pudeur ou par dénégation, c’est la fonction de la
télévision dans la vie d’un bébé (Tisseron, 2008). Il nous paraît important de
profiter de l’occurrence de la consultation pour réaliser quand c’est possible
un travail de prévention de manière à attirer l’attention des parents sur les ef-
fets que la télévision pourrait avoir sur la qualité du développement du bébé.
Nous savons que pour se développer, le bébé a besoin d’interactions vi-
vantes lui permettant de se construire de façon harmonieuse. Il est dans
un monde de sensations et d’émotions et c’est dans l’interaction que ses
parents vont l’aider à penser ce qu’il éprouve. Pour Meltzer (1994), ces temps
privilégiés sont les moments « d’attraction consensuelle maximale » :
la tétée, le bain, le change, pendant lesquels cette fonction parentale
majeure s’exerce. Les représentations différentes (par des canaux sensoriels
La consultation d’un bébé avec ses parents 63

différents) d’un même objet (par exemple l’objet maternel) se lient dans
les comodalités lors de ces occasions, puis plus tard, une représentation de
mot vient donner la clé de voûte à l’objet représenté. Dans ce travail, la psy-
chomotricité a pour le bébé une importance capitale, car elle est à la base
de ses réponses interactives en attente de son accès à la parole. L’exemple
du sourire du bébé en réponse à une expérience de nourrissage satisfaisant
permet le partage émotionnel. Prendre un objet, et le lâcher, puis se lever et
marcher, jusqu’au pointage proto-impératif puis proto-déclaratif… chacune
de ces étapes constitue un ensemble d’expériences indispensables pour que
le bébé intériorise le cadre dans lequel se joue la vie quotidienne. Tout cet
enchaînement se rejoue dans le jeu de l’enfant, le jeu solitaire d’abord où
il prend les différentes places, imitations et rôles. Puis c’est le jeu avec les
autres où il accepte le partage des rôles et les échanges de places, dans un
premier « jeu de rôles » spontané.
C’est enfin parce que ses représentations internes sont bien stabilisées
qu’il va pouvoir accepter la séparation, par exemple pour aller à l’école.
Mais introduisez une télévision dans le système sus-décrit, et des chan-
gements notables ne tarderont pas à apparaître (Shram et al., 1961). Elle
existe dans les maternités dès le premier jour (et en anténatal à la maison) et
joue un rôle non négligeable dans la relation interactive lorsque la maman
revient à la maison : les échanges sont régulièrement « troués » par une
attention qui se détourne vers l’écran pour le parent et pour le bébé. Les
attitudes du bébé sont en général d’être « médusé » par l’écran. Puis quand
on l’éteint, la sidération est suivie d’une excitation pour obtenir sa restau-
ration. Parfois, le bébé sourit en réponse à un personnage de la télévision
qui sourit mais, brusquement, il y a un changement de plan ou de scène et
l’interaction ne se produit pas, laissant le bébé interloqué. Cela ne stabilise
pas les représentations, mais au contraire les fragilise.
Plutôt que de faciliter la séparation future des bébés et des jeunes enfants,
la télévision les entraîne sur le circuit de la dépendance qui durera pendant
leur enfance et donne des scénarios peu réjouissants comme le couplage en-
tre boulimie alimentaire et télévisuelle (Christakis et Zimmerman, 2006 et
2004), le conditionnement à la violence en fonction du temps passé devant
l’écran (Himmelweit et al., 1958 ; Jeffrey et al., 2002 ; Josephson, 2004), et,
quand l’enfant grandit, la précipitation vers les écrans de l’ordinateur, du
jeu vidéo et autres cybercommunications déjà sur le marché.

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3 La consultation
avec un enfant

La consultation avec un enfant est pour le pédopsychiatre et le psychologue


la situation la plus fréquente. Les raisons invoquées par les parents peuvent
être extrêmement diverses en fonction de ce qui arrive à l’enfant, mais aussi
en fonction de son âge. En effet, il est relativement important de considérer
qu’un enfant dans le début de son enfance, après le passage par l’état de bébé,
va traverser de nombreuses étapes qui le mèneront jusqu’à l’adolescence. Nous
conviendrons que l’enfant dont il est question dans ce chapitre a entre deux et
trois ans et prend possession du langage et de la parole (en tout cas, les enfants
de cet âge en ont la capacité en règle générale), et grandit tout en restant un
enfant jusqu’au début de sa puberté (son entrée dans l’adolescence fera l’objet
d’un chapitre spécifique). Le cadre de la consultation sera commun à toutes ces
situations différentes, sauf exceptions (par exemple l’enfant qui consulte sans
ses parents ou sans aucun membre de sa famille, ou les parents qui viennent
pour parler seuls de leur enfant, ou encore les consultations de liaison qui ont
souvent lieu « au lit » du petit patient, dans le service pédiatrique dans lequel
il est hospitalisé), et nous ne signalerons son âge que lorsque la nécessité en
apparaîtra. Un paragraphe sera consacré à la question de la période de latence.
Nous allons reprendre à notre compte la triade proposée par Jacques
Constant (Constant et al., 1983, p. 63-154), dans leur ouvrage sur la consul-
tation médicale en psychiatrie infanto-juvénile : parler, jouer, dessiner.
Les deux autres aspects abordés par ces auteurs expérimentés (bouger et
apprendre) feront l’objet de développements spécifiques, soit avec l’aide de
l’examen complémentaire du psychomotricien pour le premier (bouger),
soit avec l’aide de celui du psychologue et de l’enseignant spécialisé pour
le second (apprendre). En tout état de cause, ces modes d’approches ont
une portée générale et concernent tout enfant en consultation de pédopsy-
chiatrie. Cette présentation formelle est principalement due aux nécessités
pédagogiques de cet ouvrage, mais ne préjuge pas de l’art et de la manière
dont le praticien parviendra à les étudier, aussi bien en fonction de son style
personnel que des opportunités liées à la consultation et à ses participants.

Parler
Parler pour dire à un autre
La parole est le matériau de base utilisé lors des consultations. Nous avons vu
qu’elle résulte pour le bébé d’une longue et complexe mise en forme de l’air

La consultation avec l’enfant


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68 La consultation avec l’enfant

qui sort des poumons par les différents muscles qui en bordent le trajet, dans le
cadre d’interactions complexes avec son « bain de langage » et ceux qui en sont
la source. Ce n’est donc pas une création ex nihilo et l’enfant a déjà communi-
qué avec les moyens qu’il avait à sa disposition pendant cette période « avant
la parole ». Nul doute que les conditions dans lesquelles il a ainsi échangé
avec ses parents et son entourage ont un impact sur le développement de son
langage parlé, aussi bien dans la dimension émettrice que réceptrice. Parler
devient dès lors non seulement le moyen de communication spécifique de
l’homme, qu’il est certes en passe de stabiliser plus ou moins selon les normes
de son âge, mais également le reflet de la manière dont il a intégré progressive-
ment son appartenance à la communauté humaine. Il convient de faciliter l’ex-
pression par la parole lors de la consultation afin de permettre aux parents et
à l’enfant, chacun à leur niveau, de dire les raisons qui les ont conduits à venir
rencontrer le praticien, et dans le même temps, d’en observer le déploiement
dans la relation entre l’enfant, ses parents et le consultant. Lors des échanges
avec eux, le praticien verra l’enfant se saisir du langage et notamment les diffi-
cultés qu’il peut avoir à le faire. Il sera important de distinguer les conditions de
possibilité du langage, qui autorisent son expression, du contenu de celui-ci.
En effet, le langage est soumis au bon fonctionnement de systèmes mul-
tiples et complexes qui doivent chacun être indemnes et à l’articulation
de l’ensemble. Il est aujourd’hui admis que si le langage dispose de lois
propres sur les plans linguistique, cognitif et psychopathologique, il pos-
sède une base biologique qui fait de son exercice une propriété émergente
du système nerveux (Edelman, 1994). Il semble donc nécessaire de vérifier
devant toute difficulté d’un enfant à parler le fonctionnement dudit sys-
tème. Il conviendra éventuellement de vérifier également les capacités de
l’appareil auditif, des organes de la phonation, des circuits neurologiques et
musculaires périphériques commandant les praxies buccofaciales et les aires
cérébrales impliquées dans le langage, aussi bien au niveau expressif que
réceptif. Toutes ces explorations, quand elles s’avèrent nécessaires, doivent
être conduites par les spécialistes concernés qui, en fonction de leur examen
clinique et des symptômes présentés par l’enfant, compléteront leur bilan
par des examens spécialisés – PEA (potentiel évoqué auditif), scanner, IRM
(imagerie par résonance magnétique), EEG (électro-encéphalogramme)…
Une fois ces précautions prises, parler avec un enfant peut se faire avec
une liberté suffisante pour explorer ses intérêts, ses activités et ses difficultés
dans la vie quotidienne, afin de susciter ses possibilités d’échange tant sur
le plan informatif qu’affectif. Dans un bon nombre de cas, ces échanges
de paroles semblent donner du plaisir à l’enfant, et cet aspect est déjà un
élément favorable de la future prise en charge. Dans d’autres cas, l’enfant
ne répond pas ou trop difficilement, soit parce qu’il est inhibé ou déprimé,
soit parce qu’il n’a pas saisi l’importance de cette consultation par rapport
aux difficultés qu’il éprouve par ailleurs.
La consultation avec un enfant 69

Il nous faut alors distinguer les enfants qui parlent facilement de ceux qui
ne le font pas et, plus avant, de ceux qui le font avec difficulté. Dans tous les
cas, il sera utile de voir si la même chose se produit lorsque l’enfant est seul
ou au contraire, si cela permet de changer ses capacités langagières. Il n’est
pas anodin qu’un enfant parle facilement dans un contexte et pas dans un
autre, surtout si c’est dans le contexte familial que l’enfant ne peut le faire.
Par contre, si l’enfant exprime les mêmes difficultés quelque soit le milieu
où cela se produit, son trouble est davantage lié à une difficulté faisant par-
tie de son fonctionnement propre. On voit que ces difficultés d’expression
ouvrent deux grandes séries de troubles, ceux qui dépendent du contexte
socio-familial et ceux qui dépendent de ses capacités individuelles.

Parler avec difficulté


Parmi les enfants qui ne parlent pas ou avec difficulté, il convient de distin-
guer les enfants présentant soit un bégaiement, soit un trouble de l’articula-
tion, soit un retard de parole, soit un retard de langage, soit un mutisme.

Bégaiement
Le bégaiement est un trouble de la fluidité verbale sans anomalies des
organes phonateurs. Il est très souvent lié à la présence physique d’un autre,
et doit à ce titre, être considéré comme un trouble de la communication
intersubjective verbale source de difficultés relationnelles qui peuvent être
considérables, aboutissant parfois à de véritables comportements de phobie
sociale. Si l’enfant présente des répétitions brusques, saccadées et explosi-
ves de syllabes au début de mots ou de phrases, il s’agit d’un bégaiement
clonique. Si au contraire l’enfant est interrompu dans son élocution par
un blocage, il s’agit d’un bégaiement tonique. Ces signes sont souvent ac-
compagnés de troubles vasomoteurs, de syncinésies plus ou moins enva-
hissantes. L’enfant peut en revanche parler seul, chanter, lire correctement,
montrant ainsi qu’il peut ne pas bégayer. Il convient alors de différencier
ce bégaiement d’un bégaiement « normal » qui peut se manifester pendant
une courte période entre trois et cinq ans. Dans tous les cas, il conviendra
d’évaluer le retentissement du bégaiement de l’enfant sur son équilibre psy-
choaffectif, dans la mesure où cette difficulté de l’expression souvent spec-
taculaire nuit à la représentation que l’enfant se fait de lui-même.

Trouble de l’articulation
C’est la difficulté ou l’incapacité à prononcer un phonème correctement.
Quand l’enfant prononce le ch comme un s ou le j comme un z, il s’agit
d’un zézaiement ou sigmatisme interdental. Quand la prononciation de ces
consonnes entraîne un écoulement d’air entre dents et joues, il s’agit d’un
schlintement ou sigmatisme latéral.
70 La consultation avec l’enfant

Ces deux types de troubles sont régulièrement l’occasion de moqueries de


l’enfant par les autres, et il sera utile d’en parler ouvertement avec lui, afin
qu’il puisse exprimer sa souffrance à ce sujet.

Retard de parole
C’est la prolongation du « parler bébé ». L’enfant garde les simplifications
habituellement accueillies avec le sourire par les adultes qui écoutent un
jeune enfant parler. Il témoigne le plus souvent d’une immaturité affective
de l’enfant au-delà de cinq ans. Il convient alors d’explorer avec les parents
les raisons qui les conduisent plus ou moins consciemment à « maintenir »
leur enfant dans ce statut de bébé, et l’enfant à s’y complaire sinon à s’y
résoudre.

Retard de langage
Il peut être soit simple soit complexe. Lorsque l’enfant parle tardive-
ment, notamment lorsqu’il produit ses premières phrases après trois
ans, a un langage rudimentaire, un vocabulaire pauvre, confond les
mots, acquiert les notions de pronom, de temps, de grammaire simple
avec difficulté, et que ces troubles sont accompagnés ou non de troubles
articulatoires et d’un retard de parole, on peut évoquer un retard simple de
langage. Différents facteurs sont à explorer car, outre les aspects génético-
neurologiques et héréditaires, le milieu socio-familial, exploré par les
sociolinguistes, peut avoir une influence sur ce retard (Bernstein, 1976 ;
Labov, 1994). Mais il sera également utile d’explorer les facteurs du
développement psycho-affectif, à l’instar de ceux qui peuvent produire
un retard de parole.

Dysphasie
Par contre, lorsque l’enfant a très peu de langage oral après six ans, et que
ses difficultés portent à la fois massivement sur le versant expressif, mais
aussi sur le versant réceptif, sans toutefois que nous puissions retrouver
ni déficit intellectuel, ni troubles majeurs de l’audition, ni troubles de
la personnalité (TED et psychoses infantiles), le diagnostic de dysphasie
doit être évoqué. C’est la forme la plus grave des retards de langage,
et sa prise en charge doit être intensive le plus précocement possible.
La grande difficulté de ce diagnostic tient au fait que dans certains cas,
les formes de passage avec un autisme ou une psychose infantile sont
possibles, au point que des auteurs comme Diatkine (Diatkine et Denis,
1985) présentaient la dysphasie comme une forme minimale de patho-
logie autistique.
Dans de telles histoires, il convient d’approfondir la description clinique
de l’enfant à la recherche d’autres signes passés inaperçus dans un premier
temps, notamment dans les antécédents personnels de l’enfant, montrant
La consultation avec un enfant 71

de façon sous-jacente un processus envahissant du développement à l’œu-


vre. La définition de la dysphasie, qui exclut tout trouble de la personnalité,
permettra alors d’établir un diagnostic correspondant à la pathologie de
l’enfant, et avec les implications thérapeutiques sensiblement différentes
qui en découlent.

Signes cliniques de la dysphasie


Les signes retenus associent « un trouble dans la capacité de répétition
encore plus accentué pour les phrases longues, négatives et interrogati-
ves, des perturbations phonologiques importantes (erreurs, omissions,
simplifications, substitutions), une réduction du stock de vocabulaire
et un retard morphosyntaxique global » (Marcelli et Braconnier, 2006,
p. 126-127). Le niveau intellectuel montre classiquement « une absence
de retard aux tests non verbaux ». Le comportement présente des dif-
ficultés affectives associées donnant parfois des problèmes relationnels
notables. On retrouve également « des dyspraxies bucco-linguo-faciales
dans les formes sévères et des difficultés dans l’organisation temporo-
spatiale ».

Mutisme
Il résulte de la disparition du langage chez un enfant ayant parlé antérieure­
ment, et ceci en l’absence de tout trouble neurologique repéré (aphasie
de Landau-Kleffner). L’enfant peut présenter un mutisme total ou électif,
permanent ou transitoire. Lorsque l’enfant ne parle plus du tout, sou-
vent à la suite d’un traumatisme émotionnellement significatif (deuil,
guerre, violence, conflit familial ou scolaire, abus sexuels…), il s’agit d’un
mutisme total ou émotionnel qui peut être soit passager soit durable, et
s’accompagner ou non de troubles du comportement, d’encoprésie, de
cauchemars très anxiogènes, de passages à l’acte. Dans tous les cas, les
mécanismes défensifs de l’enfant le conduisent au mutisme et il convien-
dra de procéder avec tact dans la proposition psychothérapique afin de ne
pas renforcer le mécanisme phobique à l’œuvre dans l’organisation de sa
personnalité.
Mais le mutisme peut survenir électivement soit dans le cadre familial,
et il y aura lieu de préciser les circonstances de survenue de ce trouble
souvent en rapport avec un comportement inadéquat (qui peut varier
d’un abus sexuel avéré à la résolution difficile de la névrose infantile)
d’un membre de la famille, soit en « extra-familial », et notamment à
l’école, ce qui conduira à l’exploration des conditions de vie scolaire de
cet enfant, et plus précisément à la recherche de phénomènes de persécu-
tion objective (harcèlement, brimade, punition intempestive…) ou sub-
jective (troubles de la personnalité, phobie scolaire débutante, dépression
masquée…).
72 La consultation avec l’enfant

Parler : les caractéristiques dans les différentes


pathologies de l’enfant
Parler avec l’enfant peut aussi conduire le praticien à constater que d’autres
troubles, qu’il convient de resituer dans des ensembles plus vastes de la
psychopathologie, sont présents.

Troubles envahissants du développement (TED)


L’enfant présente des difficultés majeures de contact avec le consultant. Son
regard est fuyant, évitant, en passe muraille ; les parents insistent sur sa
tendance à rester seul, envahi de mouvements stéréotypés, et désaccordé
en permanence dans la relation à autrui. Son langage est souvent absent,
et quand il existe, est marqué de particularités notables, tant au niveau de
ses objectifs de communication, absents, que ceux de sa pragmatique diffi-
cilement compréhensible dans un premier temps. Parler relève du tour de
force, et rapidement le consultant comprend que l’enfant présente un syn-
drome autistique ou une des formes des troubles envahissants du dévelop-
pement. Le trouble autistique est caractérisé par « une altération qualitative
de la communication », dont nous allons voir plus précisément les signes
dans ce chapitre.
Dans quelques cas, l’enfant présente un langage exceptionnellement
développé dans certaines directions et une excellente mémoire visuelle ou
portant sur certains domaines (chiffres), tout en souffrant d’une difficulté
psychomotrice avec une maladresse et une gaucherie notables. Cet enfant
porteur d’un syndrome d’Asperger peut parler avec le praticien de façon
inhabituelle, se montre capable de véritables exploits dans des matières
limitées telles que l’annuaire du téléphone ou l’extraction de racines cubi-
ques de nombres gigantesques, mais est incapable de donner le moindre
élément adapté dès qu’il s’agit de décrire ses propres états affectifs. Quoi
qu’il en soit de la forme du trouble envahissant du développement, il est
important de procéder à des examens cliniques et paracliniques approfondis
et spécifiques, notamment à la recherche non seulement des difficultés, mais
surtout des compétences sur lesquelles s’appuyer pour la prise en charge.

Classification des TED


Classification française (Misès et Quémada, 2002) (avec transcodage CIM-10)
1.00 Autisme infantile précoce type Kanner [F. 84.0]
1.01 Autres formes de l’autisme [F. 84.1]
1.02 Psychose précoce déficitaire/retard mental avec troubles autistiques
[F. 84.1 + F. 70 - F. 79]
1.03 Syndrome d’Asperger [F. 84.5]
x
La consultation avec un enfant 73

x
1.04 Trouble du développement multiple et complexe (MCDD – MultiCom-
plex Developmental Disorder / Dysharmonie psychotique) [F. 84.8]
1.05 Trouble désintégratif de l’enfance [F. 84.3]
1.08 Autres TED ou psychoses précoces [F. 84.8]
1.09 TED ou psychoses précoces non spécifiées [F. 84.9]
CIM-10 et DSM-IV (AAP, 2000)
F. 84.0 [299.00] Trouble autistique
F. 84.2 [299.80] Syndrome de Rett
F. 84.3 [299.10] Trouble désintégratif de l’enfance
F. 84.5 [299.80] Syndrome d’Asperger
F. 84.9 [299.80] Trouble envahissant du développement non spécifié
Description du trouble autistique par le DSM-IV (AAP, 2000, p. 58-59)
A. Un total de six (ou plus) parmi les éléments décrits en (1), (2) et (3), dont au
moins deux de (1), un de (2) et un de (3) :
(1) altération qualitative des interactions sociales, comme en témoignent au
moins deux des éléments suivants :
(a) altération marquée dans l’utilisation, pour réguler les interactions so-
ciales, de comportements non verbaux multiples, tels que le contact oculaire,
la mimique faciale, les postures corporelles, les gestes ;
(b) incapacité à établir des relations avec les pairs correspondant au niveau
de développement ;
(c) le sujet ne cherche pas spontanément à partager ses plaisirs, ses intérêts
ou ses réussites avec d’autres personnes ;
(d) manque de réciprocité sociale ou émotionnelle ;
(2) altération qualitative de la communication, comme en témoigne au moins
un des éléments suivants :
(a) retard ou absence totale de développement du langage parlé (sans ten-
tative de compensation par d’autres modes de communication, comme le
geste ou la mimique) ;
(b) chez les sujets maîtrisant suffisamment le langage, incapacité marquée
à engager ou à soutenir une conversation avec autrui ;
(c) usage stéréotypé et répétitif du langage, ou langage idiosyncrasique ;
(d) absence d’un jeu de « faire semblant » varié et spontané, ou d’un jeu
d’imitation sociale correspondant au niveau du développement ;
(3) caractère restreint, répétitif et stéréotypé des comportements, des intérêts
et des activités, comme en témoigne au moins un des éléments suivants :
(a) préoccupation circonscrite à un ou plusieurs centres d’intérêt stéréo-
typés et restreints, anormale soit dans son intensité, soit dans son orienta-
tion ;
(b) adhésion apparemment inflexible à des habitudes ou à des rituels spé-
cifiques et non fonctionnels ;
x
74 La consultation avec l’enfant

x
(c) maniérismes moteurs stéréotypés et répétitifs ;
(d) préoccupations persistantes pour certaines parties des objets.
B. Retard ou caractère anormal du fonctionnement, débutant avant l’âge de
trois ans, dans au moins un des domaines suivants :
(1) interactions sociales ;
(2) langage nécessaire à la communication sociale ;
(3) jeu symbolique ou d’imagination.
C. La perturbation n’est pas mieux expliquée par le diagnostic de syndrome de
Rett ou de trouble désintégratif de l’enfance.

Gabriel, six ans


Un diagnostic tardif d’autisme infantile
Gabriel, six ans, est adressé par le médecin de famille à la consultation pour
une difficulté de communication grave et un problème d’intégration scolaire
majeure. De plus, la survenue d’une crise d’épilepsie quelques semaines
auparavant a donné lieu à une consultation avec le neuropédiatre. Ce dernier a
également recommandé une consultation en pédopsychiatrie pour un avis sur
un diagnostic d’autisme probable. Les parents sont très discrets et ne voient pas
très clairement pourquoi le médecin leur a conseillé de venir. Gabriel ne pose pas
de problème particulier à leurs yeux, et ils en ont parlé avec les grands-parents
maternels de Gabriel ; ils ne comprennent pas ce que leur fils et petit-fils va faire
chez un pédopsychiatre. Quant à l’autisme, ils ne savent pas très bien ce que
c’est, ils ont demandé à un voisin qui peut consulter Internet, mais cela ne les a
pas beaucoup éclairés.
Pourtant, lors de l’entretien, Gabriel va montrer des signes extrêmement préoc-
cupants, qui font d’emblée penser effectivement à un syndrome autistique. En
effet, il reste très en retrait pendant que le pédopsychiatre tente de rassembler
avec les parents les éléments de sa biographie. Il ne tentera pas de participer à
la reconstitution de son histoire, semblant absent de lui-même. Cependant, à
certains moments, notamment quand ses parents lui demandent de répondre à
une question, même banale, il se met en hypertonie avec les bras en chandeliers
et cela se conclut par quelques stéréotypies des mains, non pas comme s’il ne
voulait pas répondre, mais plutôt comme s’il ne le pouvait pas. Seuls quelques
mots simples dits tout bas seront échangés pendant cette consultation ; en
revanche, il acceptera de dessiner une maison très particulière, collée contre le
bord gauche de la feuille, tout en hauteur et avec des traits graciles, sans faire
aucun commentaire. Son regard est évitant et il ne peut regarder que son père
quand il élève la voix, mais juste un instant.
Selon les parents, Gabriel présente régulièrement des crises de colère lorsqu’il
est contrarié, ce qui, dans la famille, fait passer ce garçon plutôt gentil pour un
enfant capricieux. En outre, il faut le prévenir longtemps à l’avance pour tout
changement : l’imprévu est source d’une angoisse désorganisante. Après discus-
sion avec les parents, le pédopsychiatre met en évidence des crises de tantrum x
La consultation avec un enfant 75

x dès que l’immutabilité est remise en question. Gabriel peut passer des heures
dans sa chambre à faire tourner des roues de petites voitures. Il mange très peu
et ne mâche sa nourriture que depuis peu de temps. Les nuits sont agitées par
des cauchemars ponctués de cris qui réveillent régulièrement les parents. La sco-
larité a, de fait, posé des problèmes depuis son arrivée en maternelle dans l’école
catholique de son village. Il a commencé l’école à quatre ans parce qu’il n’était
pas propre et que les instituteurs ne voulaient pas le prendre ; ce sont donc
les grands-parents qui ont assuré l’accueil de Gabriel, en raison du travail des
deux parents. Depuis sa scolarisation, il n’a pratiquement pas de contact avec
les autres enfants ; il erre seul dans la cour de récréation, envahi par des manié-
rismes moteurs stéréotypés à type de battements des bras. Les instituteurs ont
essayé en vain de mobiliser les parents pour qu’ils fassent quelque chose, mais
rien n’y a fait. Même le psychologue de la direction diocésaine, invité à donner
son avis, n’a pas pu voir les parents : « Notre fils n’est pas fou… » En attendant,
Gabriel qui tourne autour de la cour de récréation en battant des ailes s’est fait
appeler « Gabriel l’archange » par le directeur de cette école maternelle.
La consultation permettra de faire un peu sortir ces parents de leur isolement
familial et de leurs réactions de déni de la réalité clinique de Gabriel. La survenue
de la crise épileptique a sans doute beaucoup compté pour déclencher chez eux
une demande d’aide pour leur fils. La confirmation du diagnostic d’autisme sera
complétée par un bilan réalisé à l’unité d’évaluation et de diagnostic du Centre
ressources autisme. L’équipe d’évaluation sera très étonnée de recevoir cet
enfant de plus de six ans, passé entre les mailles du dépistage précoce désormais
prôné par les pédopsychiatres et les différentes instances de santé publique.

Les troubles psychotiques (TED non spécifiés et dysharmonie


psychotique ou MCDD)
L’enfant peut parler de façon permanente, envahissant la conversation
avec les parents, ne leur laissant jamais la possibilité de finir une phrase ou
de présenter une idée. Il présente une excitation psychique et psychomo-
trice intense qu’il ne peut pas endiguer lorsque ses parents le lui deman-
dent, « embarqué » par un courant pulsionnel non maîtrisable. Les parents
présentent un enfant qui ne s’endort que par épuisement, prend des ris-
ques permanents dans son comportement, est souvent angoissé, amenant
son enseignant et les autres élèves à le considérer comme étrange, bizarre,
incohérent, et souvent agressif. Pourtant, son niveau intellectuel est consi-
déré comme bon et si son comportement ne venait pas empêcher toute
interaction pédagogique ou familiale, il serait considéré comme un enfant
hyperactif.
Les antécédents indiquent très tôt des troubles très précoces de la relation
avec les autres (par exemple, la nourrice qui l’a gardé n’a d’abord rien dit,
mais après quelques mois de garde elle a demandé aux parents de trouver
une autre solution. La crèche qui l’a alors accueilli a rapidement demandé
aux parents de prendre contact avec un pédopsychiatre, mais les parents
76 La consultation avec l’enfant

ont tardé, puis ce sont les enseignants de maternelle qui ont menacé les
parents de ne pas garder leur enfant…). L’urgence de la prise en charge
est criante, même pour les parents dès qu’ils peuvent trouver la force de
reconnaître que leur enfant ne présente pas seulement un trouble du lan-
gage. Le trouble du langage est immédiatement révélateur d’une pathologie
complexe qui engage l’ensemble de la personnalité de l’enfant, et plusieurs
investigations complémentaires vont alors être nécessaires pour préciser le
diagnostic et asseoir rapidement la prise en charge nécessaire.

Vincent, six ans


Vincent, son arc et la méchante flèche
Lorsque les parents de Vincent prennent rendez-vous avec le pédopsychiatre,
c’est en raison de la dérogation que leur a expressément demandée l’institutrice
de grande section de maternelle pour pouvoir accueillir l’enfant une année de
plus dans son école malgré son âge au-delà de la limite. Quand il entre dans le
bureau de consultation, Vincent est très excité et sourit avec une grande familia-
rité au consultant, comme s’il le connaissait déjà depuis longtemps. Il parle sans
arrêt, passant du coq à l’âne, et explorant les différents jeux disponibles sur les
étagères, sans s’attarder à aucun. Ses parents le suivent timidement et racontent
l’histoire suivante.
Vincent a présenté dès l’âge de trois ans une grande difficulté à supporter les
séparations avec ses parents et la première année à l’école maternelle a été très
problématique à cause de ses angoisses et d’un comportement un peu étrange,
quelques stéréotypies des mains, une relation exclusive avec la maîtresse et des
difficultés à respecter les consignes de la classe. Mais il avait un très bon lan-
gage et une excellente mémoire, et l’institutrice a finalement réussi à faire en
sorte que l’année se passe sans autres difficultés. Les années suivantes, Vincent
continuait de poser des problèmes relationnels avec ses petits camarades, se
faisant souvent exclure des jeux collectifs, et finissant par devenir quelquefois
relativement violent avec eux. La mère, institutrice elle-même, arrivait à tempérer
les remarques des autres enfants et de leurs parents, probablement en raison
de son excellente réputation d’enseignante dans l’école du village. Le père, très
en retrait, pris la semaine par son travail éloigné, avait un avis très référé à son
épouse pour juger de la situation de Vincent. L’année qui venait de s’écouler
avait vu une nette amélioration du comportement de cet enfant, à la suite d’une
prise en charge par un psychologue du RASED1, et les parents souhaitaient bé-
néficier d’une année supplémentaire de grande section de maternelle pour per-
mettre à leur fils de reprendre pied avec une participation plus sereine à l’école ;
mais Vincent devant atteindre ses sept ans au cours de l’année, une dérogation
x
était nécessaire.

1 Réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté ; réseau existant encore dans l’Édu-
cation nationale, constitué de psychologues scolaires, de psychomotriciens et de psycho-
pédagogues. Mais ces structures pourtant très importantes pour la prévention et les soins
primaires à l’école sont actuellement menacées de disparition.
La consultation avec un enfant 77

x Vincent, invité à dessiner un bonhomme et sa famille, réalise un Indien qui tient


un grand arc avec une flèche dont l’empennage part de la cible, la pointe se di-
rigeant vers son œil. Il regarde à deux fois son dessin et sa mère étonnée lui dit :
« Mais tu vas te faire mal Vincent ! » Et lui de répondre avec une désinvolture ap-
parente : « C’est les autres, ils me font toujours mal ! », montrant ainsi les mé-
canismes d’identification projective pathologique à l’œuvre chez lui. La consul-
tation a ensuite permis de mettre en évidence le diagnostic de psychose infantile,
et de compléter le traitement déjà entrepris par d’autres prises en charge.

L’instabilité psychomotrice et le faible investissement du langage


L’enfant est toujours en mouvement, agité, fébrile dans son comportement
quotidien. Ses parents, son instituteur se plaignent de cet enfant toujours
en mouvement qui les oblige à proférer sans cesse des consignes de retenue,
d’ordre, de calme. Ils n’en peuvent plus de voir un enfant intelligent mettre
son évolution en péril par son excitation. Son langage est opératoire, il prend
toujours la parole sans y être invité, pour dire, la plupart du temps, des choses
sans beaucoup d’intérêt ou hors contexte. Mais parfois, la pertinence de son
propos étonne son entourage. Il peut présenter cependant des difficultés dans
l’apprentissage du langage écrit (dyslexie et dysorthographie). Mais cet enfant
qui parle sans retenue peut avoir une personnalité attachante, bien que l’aga-
cement préside souvent à la manière de le décrire dans la vie ordinaire. Dans
de tels cas, son hyperactivité peut coïncider avec une difficulté d’attention et
une impulsivité, en faisant un enfant porteur du syndrome THADA (trouble
d’hyperactivité, déficit de l’attention avec ou sans impulsivité).

Classification
Classification française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent
(Misès et Quémada, 2002)
Hyperkinésie, instabilités psychomotrices (6.08)
Cet ensemble est caractérisé par :
• sur le versant psychique : des difficultés à fixer l’attention, un manque de
constance dans les activités, et un certain degré d’impulsivité ;
• sur le plan moteur : une hyperactivité ou une agitation motrice incessante.
Ces troubles, en décalage net par rapport à l’âge et au niveau de développe-
ment mental de l’enfant, sont plus importants dans les situations nécessitant
de l’application, en classe par exemple. Ils peuvent disparaître transitoirement
dans certaines situations, par exemple en relation duelle ou dans une situation
nouvelle. Inclure : les troubles de l’attention sans hyperactivité motrice propre-
ment dite. Exclure : l’activité excessive adaptée à l’âge (chez les petits enfants
notamment) ; l’instabilité psychomotrice liée à un déficit mental ou à des trou-
bles de la personnalité ; les manifestations à type d’excitation maniaque.
x
78 La consultation avec l’enfant

x
CIM-10 (OMS, 1993)
Troubles hyperkinétiques : ensemble de troubles caractérisés par : un début
précoce ; l’association d’une activité excessive et désorganisée, d’une inatten-
tion marquée et d’un manque de persévérance dans les tâches ; la présence de
ces caractéristiques comportementales dans de nombreuses situations et leur
caractère persistant (F. 90).
Quatre sous-groupes :
• F. 90.0 : perturbation de l’activité et de l’attention « quand l’ensemble des
critères du trouble hyperkinétique (F. 90) sont réunis alors que ceux de F. 91
(troubles des conduites) ne le sont pas » ;
• F. 90.1 : troubles hyperkinétiques et troubles des conduites « quand l’ensem-
ble des critères du trouble hyperkinétique (F. 90) et l’ensemble des critères d’un
trouble des conduites (F. 91) sont simultanément présents » ;
• F. 90.8 : autres troubles hyperkinétiques ;
• F. 90.9 : troubles hyperkinétiques sans précisions.

DSM-IV (AAP, 1993)


Troubles d’hyperactivité avec déficit de l’attention (THADA)
A. Présence soit de (1), soit de (2) :
(1) six des symptômes suivants d’inattention (ou plus) ont persisté pendant au
moins six mois, à un degré qui est inadapté et ne correspond pas au niveau de
développement de l’enfant :
Inattention
(a) souvent, ne parvient pas à prêter attention aux détails, ou fait des fau-
tes d’étourderie dans les devoirs scolaires, le travail ou d’autres activités ;
(b) a souvent du mal à soutenir son attention au travail ou dans les jeux ;
(c) semble souvent ne pas écouter quand on lui parle personnellement ;
(d) souvent, ne se conforme pas aux consignes et ne parvient pas à mener à
terme ses devoirs scolaires, ses tâches domestiques ou ses obligations profes-
sionnelles ;
(e) a souvent du mal à organiser ses travaux ou ses activités ;
(f) souvent évite, a en aversion, ou fait à contrecœur les tâches qui nécessitent
un effort mental soutenu (comme le travail scolaire ou les devoirs à la mai-
son) ;
(g) perd souvent les objets nécessaires à son travail ou à ses activités (jouets,
cahiers de devoirs, crayons, livres ou outils) ;
(h) souvent, se laisse facilement distraire par des stimulus externes ;
(i) a des oublis fréquents dans la vie quotidienne ;
(2) six des symptômes suivants d’hyperactivité-impulsivité (ou plus) ont per-
sisté pendant au moins six mois, à un degré qui est inadapté et ne correspond
pas au niveau de développement de l’enfant :

x
La consultation avec un enfant 79

x
Hyperactivité
(a) remue souvent les mains ou les pieds, ou se tortille sur son siège ;
(b) se lève souvent en classe ou dans d’autres situations où il est supposé
rester assis ;
(c) souvent, court ou grimpe partout, dans des situations où cela est inap-
proprié ;
(d) a souvent du mal à se tenir tranquille dans les jeux ou les activités de
loisir ;
(e) est souvent « sur la brèche » ou agit souvent comme s’il était « monté
sur ressorts » ;
(f) parle souvent trop ;
Impulsivité
(a) laisse souvent échapper la réponse à une question qui n’est pas encore
entièrement posée ;
(b) a souvent du mal à attendre son tour ;
(c) interrompt souvent les autres ou impose sa présence.
B. Certains des symptômes d’hyperactivité-impulsivité ou d’inattention ayant
provoqué une gêne fonctionnelle étaient présents avant l’âge de sept ans.
C. Présence d’un certain degré de gêne fonctionnelle liée aux symptômes dans
deux, ou plus de deux types d’environnement différents.
D. On doit mettre clairement en évidence une altération cliniquement significa-
tive du fonctionnement social, scolaire ou professionnel.
E. Les symptômes ne surviennent pas exclusivement au cours d’un trouble enva-
hissant du développement, d’une schizophrénie ou d’un autre trouble psycho-
tique, et ils ne sont pas mieux expliqués par un autre trouble mental (trouble
thymique, anxieux, dissociatif ou de la personnalité).

L’exemple clinique qui suit montre que les symptômes d’instabilité peu-
vent « cacher » des problématiques que la consultation doit s’attacher à
découvrir pour aider l’enfant et ses parents à sortir d’une impasse, souvent
constituée à leur insu.

Jordi, cinq ans


Une hyperkinésie pour survivre
Jordi est un petit garçon de cinq ans amené par ses deux parents pour une hyper-
kinésie avec instabilité psychomotrice importante sans troubles de l’intelligence.
La première consultation est tout entière « occupée » par les parents à parler
des difficultés d’intégration scolaire de Jordi en classe maternelle, tandis que
tout l’aspect de l’histoire familiale reste difficile à explorer avec eux. Beaucoup
de récriminations lui sont adressées en ce qui concerne son comportement à la
maison et la psychologue qui le reçoit ressent l’embarras profond dans lequel cet
enfant se trouve ; il s’agite de plus en plus et montre ainsi dans la consultation, x
80 La consultation avec l’enfant

x comment il fait pour « défléchir » vers l’extérieur de lui (appareil psychique et corps)
cette énergie submergeante dont il ne sait que faire. Jordi, sans doute touché par
l’accueil compréhensif de sa souffrance, accepte de revenir la voir une autre fois.
La seconde consultation se déroule avec Jordi et sa maman. La maman va parler
pendant pratiquement l’heure entière de son chagrin au sujet de son fils Jordi ;
elle pleure à plusieurs reprises, et à ces moments-là Jordi s’arrête instantanément
de s’agiter pour la regarder pleurer. La psychologue ne comprend pas très bien
ce qui se passe, et fait part à cette maman de ses interrogations sur les raisons
de son chagrin : aurait-elle mal entendu quelque événement morbide au sujet
de Jordi ? N’en a-t-elle pas parlé lors de la première consultation ? Elle la regarde,
étonnée, et lui dit en désignant du doigt son fils : « Je ne vous ai pas dit que
Jordi porte le prénom de “mon garçon” que j’ai perdu deux ans avant sa nais-
sance ? » La psychologue réalise alors que l’embarras qui l’avait envahie devant
le trouble de Jordi n’était qu’un aspect contre-transférentiel de ce que « Jordi
2 » devait vivre chaque jour pour faire vivre en lui le « Jordi 1 » dont sa maman
n’avait manifestement pas commencé ou au moins accompli le travail de deuil.
Un travail approfondi avec Jordi et ses parents a permis qu’il quitte son « rôle »
d’enfant de remplacement pour regagner sa place singulière dans une histoire
familiale dont il avait été exclu après la perte insupportable d’un frère aîné.

Les troubles névrotiques


Lorsque l’enfant peut parler de ses difficultés, il trouve habituellement les
moyens de les résoudre avec l’aide de son entourage. Mais il arrive que son
développement soit l’occasion de moments ou circonstances particulière-
ment problématiques qui le conduisent à « enfouir » dans son psychisme
des éléments de son histoire interpersonnelle qui peuvent venir traduire les
difficultés rencontrées en chemin. Freud en a élaboré progressivement les
scénarios en inventant la psychanalyse, notamment avec l’hystérie. Mais
c’est dans le cas du « petit Hans » (Freud, 1909 ; cf. chapitre 8), une névrose
phobique infantile, qu’il donne toute son importance à des notions qui
seront reprises par ses élèves sous la forme d’une distinction entre « névrose
infantile » et « névrose de l’enfant ».
La première correspond aux différentes étapes franchies par l’enfant en dé-
veloppement et au cours duquel il réagit aux aléas de sa rencontre avec la réa-
lité en mettant en place divers mécanismes de défenses et d’adaptation dits
« névrotiques » (refoulement, régression, formation réactionnelle, isolation,
sublimation…). Elle se manifeste par des défenses anxieuses, phobiques, obses-
sionnelles et hystériques. La seconde correspond à des pathologies avérées de
l’enfant qui organisent son existence sur un mode névrotique anxieux (anxiété,
panique…), phobique, obsessionnel et hystérique. Dans ces cas pathologiques,
parler avec l’enfant pourra donner des indications sur son mode privilégié de
rapport avec le monde environnant. Un enfant qui est angoissé (l’angoisse
La consultation avec un enfant 81

est décrite comme une peur sans objet), inquiet, soucieux, et qui présente des
manifestations somatiques fonctionnelles (à type de céphalées, de troubles di-
gestifs…), une insomnie d’endormissement, des cauchemars ou des terreurs noc-
turnes, des attaques de panique est organisé sur le mode névrotique anxieux.
Un autre enfant antérieurement angoissé en permanence s’est progres-
sivement stabilisé sur le mode phobique, la névrose phobique, en ne pré-
sentant plus ses symptômes anxieux que dans certaines circonstances pré-
cises, en présence d’objets phobogènes. Pour aménager son existence, il
met au point des comportements contre-phobiques, refusant d’aller dans
tel endroit sans être accompagné de tel objet ou de telle personne, et même
parfois ritualisant quelque peu ses rapports avec la situation angoissante
désignée. Allant plus loin dans cette direction, ses comportements subissent
une véritable ritualisation obsessionnelle de sa vie, en le soumettant à des
comptages (arithmomanie), à des actes conjuratoires (pensée magique) et
autres troubles obsessionnels du comportement (névrose obsessionnelle).
Enfin, des manifestations soit paroxystiques soit chroniques peuvent sur-
venir chez un enfant présentant des troubles conversifs majeurs (névrose
hystérique). Ces troubles qui peuvent débuter dès la période oedipienne
et durer pendant la « latence » ne doivent pas faire oublier la nécessaire
investigation par les collègues somaticiens de troubles somatoformes res-
semblants et parfois révélateurs de pathologies organiques.

Carence affective
L’enfant boude quelques instants au début de la consultation puis, trop
vite, vient demander de s’asseoir sur les genoux du consultant, ou de bé-
néficier d’un câlin sous le regard gêné de ses parents qui ont commencé à
raconter que vraiment tout se passe bien à la maison et qu’ils ne compren-
nent pas pourquoi l’instituteur leur a demandé de venir voir un pédopsy-
chiatre ou un psychologue. D’ailleurs quand ils étaient eux-mêmes enfants,
ils ont, quelquefois les deux parents, été accueillis à la DASS parce que leurs
parents avaient eu divers problèmes de précarité ou de violence conjugale.
Eux se sont promis de ne pas donner à leurs enfants la même éducation que
celle qu’ils avaient reçue de leurs parents. Et très rapidement, d’une absence
de compréhension du motif de la consultation, les parents en arrivent à
« déverser » l’immensité de leur souffrance et à manifester leurs difficultés
plus ou moins reconnues dans l’éducation de leurs propres enfants. Quel-
quefois au contraire, les parents semblent absents et ne peuvent s’inscrire
dans cette relation qui leur demande beaucoup. Que ce soient les problèmes
divers qui s’accumulent sur leurs épaules, les difficultés éducatives avec leurs
enfants, éventuellement même un ou des enfants déjà placés, et ces parents
correspondent à ce que Gilbert Diatkine (1979) a décrit comme « famille
sans qualité », autre dénomination pour « famille à problèmes multiples ».
82 La consultation avec l’enfant

Les parents vont osciller entre une grande envie de faire ce que nous leur
proposons et une impossibilité à s’y conformer, avec une difficulté à en com-
prendre les ressorts intimes. Il apparaît alors fréquemment que l’un des pa-
rents présente une pathologie limite, l’autre étant engagé avec lui ou elle
dans une relation de cumul des problématiques psycho-affectives. Que ce
soit l’alcool, la dépression chronique, les violences de tous ordres, le quoti-
dien de l’enfant est imprégné de ces éléments d’inorganisation progressive de
son développement qui aboutira à l’une des formes d’attachement décrites
par les théoriciens de l’attachement sous le nom d’attachement « insécure ».
Mais souvent, paradoxalement, l’enfant est très vite loquace, parle de cho-
ses intimes avant que la confiance ait pu être suffisamment établie dans la
consultation, montrant à l’envi que la régulation affective des relations est
problématique pour lui. La carence affective dont il est le témoin et le résultat
peut être de différentes sortes, soit quantitative, soit qualitative, soit mixte.
Ce qui va être important à effectuer dans la consultation est la possibilité
d’ouvrir à cet enfant un espace dans lequel il puisse en même temps profiter
de la présence de ses parents dans ce qu’ils peuvent lui apporter, tout en ne
méconnaissant pas les risques de leur demander trop pour ce qu’ils peuvent
donner. Les éléments de la clinique sont habituellement présentés comme
proches, voire similaires, de la dépression de l’enfant. La grande question
va être de départager ce qui peut être réactionnel du fait de l’apparition ré-
cente d’événements qui compliquent le développement de l’enfant, d’autres
éléments qui la constituent et se révèlent in fine pathogènes pour son déve-
loppement s’ils ne sont pas suppléés par des ressources en fonction parentale
« suffisamment bonnes » (Winnicott, 1965), y compris si elles doivent être
assurées par un placement familial, une famille d’accueil à temps plus ou
moins partiel, et dans certains cas, par un établissement d’accueil spécifique
pour ces problématiques (foyers de l’enfance, structures médico-sociales…).
Les indications d’orientations dépendront pour une grande part des
résultats de ces consultations chargées d’évaluer, si possible avec l’accord
des parents qui peuvent quelquefois convenir de leurs difficultés à assu-
mer leurs fonctions parentales, la psychopathologie de l’enfant. En effet,
si l’aspect réactionnel est prévalent, la stratégie visera à aider ces parents
à retrouver leurs fonctions parentales mises en difficulté en raison d’une
cause sur laquelle une amélioration peut être obtenue. Par contre, s’il s’agit
d’un scénario plus structuré, ayant infiltré la relation depuis longtemps déjà,
les solutions seront plutôt à trouver dans un aménagement des rencontres
parent(s)-enfant, quitte à prévoir des visites médiatisées dans les cas les plus
préoccupants (Berger et Bonneville, 2008).

Dépression de l’enfant
Chez l’enfant, cette forme de pathologie se présente souvent sous la for-
me d’un état dépressif survenant après un événement déclenchant que les
La consultation avec un enfant 83

parents et l’enfant « apportent » à la consultation. Il s’agit en règle générale


du deuil d’un parent proche (grand-parent, membre de la fratrie de l’enfant
ou de ses parents), ou d’une séparation plus ou moins traumatisante (divorce
des parents, déménagement peu anticipé), ou d’une conflictualité dans le
couple (violence conjugale), voire d’un événement passé inaperçu aux yeux
de l’entourage (disparition d’un animal domestique, dispute avec un cama-
rade de classe). Le ralentissement psychomoteur, l’inhibition motrice et la
pauvreté des expressions émotionnelles de l’enfant sont évidents, donnant
le tableau d’un enfant sage et grave. Quelquefois, c’est l’agitation et l’ins-
tabilité psychomotrice qui sont au contraire au centre du tableau clinique
et peuvent masquer le fond dépressif de l’enfant. Les deux aspects peuvent
alterner, et il faudra explorer l’estime que l’enfant a de lui-même, ainsi que
ses capacités d’attention et de concentration lors du travail scolaire, car
ces qualités sont la plupart du temps altérées au cours de l’état dépressif.
On retrouve également des troubles de l’appétit et du sommeil, ainsi que
des symptômes fonctionnels à type de maux de ventre ou des céphalées.
Il conviendra de demander son avis au pédiatre de l’enfant, afin de ne pas
passer à côté d’une douleur chez l’enfant (soit symptomatique, soit fonction-
nelle). Il arrive aussi que des troubles surgissent lors des autonomisations
réalisées récemment (toilette, habillage, propreté).
Lors de la consultation avec l’enfant, c’est la difficulté de réponse à la fois
orale et graphique qui est notable, sous-tendue par une véritable dépréciation
de ses capacités à produire quoi que ce soit. À noter que souvent la feuille de
dessin n’est pas tenue par la main controlatérale, signe témoin d’une sorte
d’abandon progressif des actes de la vie quotidienne. Jouer est difficile, bou-
ger est souvent impossible, et les renseignements fournis par l’instituteur
confirment le désengagement de l’enfant de son groupe de pairs. Il arrive
que l’enfant ait exprimé à un moment ou un autre de son état dépressif
l’idée de se suicider ou de se tuer en raison du fait qu’il ne se sent pas aimé
de son entourage, et y trouvant la confirmation de son manque d’estime
pour lui-même. Il s’agit alors de rejoindre l’inquiétude des parents pour
mobiliser autour de cet enfant une stratégie de « préoccupation parentale
primaire » visant à déclencher chez lui une réponse à l’abandon dépressif
dans lequel il s’était progressivement laissé enfermer.
Ces symptômes, moins inquiétants lorsqu’ils sont isolés, doivent absolu-
ment être pris en considération rapidement dès qu’ils sont regroupés, car le
risque est grand de laisser l’enfant s’installer dans une chronicité dépressive
qui l’amènera à désinvestir plus ou moins massivement son intégration
familiale et scolaire. En général, l’enfant sent dès la première consultation
la mobilisation que le praticien va déclencher autour de lui pour l’aider à
sortir le plus vite possible de cet état dépressif. Les moyens utilisés varieront
en fonction de nombreux critères mis au jour lors de ces rencontres, dont le
caractère thérapeutique doit être souligné d’emblée.
84 La consultation avec l’enfant

Déficience
Le retard mental est une cause fréquente de consultations en pédopsychia-
trie dans les cas présentant une pathologie associée. Dans de tels cas, l’en-
fant présente une difficulté structurale de langage dans la mesure où, nous
l’avons vu, le développement neurologique est la condition du langage à
venir. Nous observerons des variations entre les enfants en fonction du
niveau de déficience, mais aussi avec des compétences qui peuvent être
corrélées à d’autres facteurs, tels que l’investissement de l’enfant par ses
parents dans une interaction mobilisatrice. Souvent, l’enfant a d’abord été
vu par un pédiatre ou un neuropédiatre, et il est habituel que les parents
arrivent à cette consultation avec le diagnostic de la pathologie causale.
Dans de tels cas, l’observation clinique de l’enfant montre au niveau de son
comportement spontané une gestualité, une tonicité et des mouvements
souvent anormaux. L’examen neurologique effectué a mis en évidence une
anomalie du périmètre crânien, du tonus, un déficit moteur, une atteinte
sensorielle, une comitialité, des malformations particulièrement évocatrices
de la face, de la peau, des extrémités, ou autres. Les examens complémen-
taires demandés par le neuropédiatre (biologiques, génétiques, imagerie,
EEG…) ont contribué à mettre en évidence l’étiologie. Mais devant les trou-
bles relationnels présentés par l’enfant dans sa famille et dans l’établisse-
ment qui l’accueille en raison de sa pathologie, il convient de recueillir
les éléments de son histoire familiale et personnelle qui nous aideront à
améliorer son comportement et son bien-être. Cette anamnèse approfondie
sera complétée par des bilans complémentaires effectués par des collabora-
teurs en fonction du domaine à explorer : psychomotricité, langage, niveau
intellectuel. Il sera également très important de demander aux personnels
de l’établissement accueillant l’enfant de préciser les conditions de vie quo-
tidienne de l’enfant avec eux. Tous ces éléments contribueront à proposer
une prise en charge élaborée susceptible de répondre aux difficultés rencon-
trées par l’enfant dans son insertion institutionnelle.
Mais il peut se faire que l’enfant ne présente aucune anomalie retrouvée
par le pédiatre, et soit néanmoins en grande difficulté dans son apprentis-
sage de la vie, notamment scolaire, voire dans le médico-social. Dans de tels
cas, il sera important de procéder à une évaluation des capacités intellectuel-
les de cet enfant pour mettre en évidence non seulement ses difficultés, mais
aussi ses potentialités, et plus précisément celles qui sont en émergence. Car
c’est à partir d’elles que le travail de restauration pourra s’engager. Toutefois,
au-delà de ces évaluations nécessaires, il est également très important de
tenter de trouver avec les parents et l’enfant lui-même lorsque c’est possi-
ble, le chemin qui l’a conduit à ne pas comprendre le monde dans lequel il
vit. En effet, il peut s’agir dans un certain nombre de cas d’enfants présen-
tant une déficience relative, de symptômes névrotiques quelquefois ­massifs
La consultation avec un enfant 85

d’inhibition intellectuelle, les pseudodébilités (Jacquey, 1970). Dans ces


histoires, l’incompréhension, plutôt que d’être le résultat d’une déficience
d’origine organique et développementale, est plutôt un mécanisme défensif
visant à ne pas se confronter avec la réalité, source d’un déplaisir insuppor-
table. Ce mécanisme névrotique, compromis entre les instances de l’appareil
psychique de l’enfant, peut être traité comme tel et bénéficier d’une prise en
charge psychothérapique classique. C’est aussi pourquoi, avant de proposer
une réorientation à un enfant présentant une stagnation intellectuelle, il
convient de s’assurer qu’il ne s’agit pas d’un tel tableau. La réorientation
viendrait en effet confirmer le destin dévalorisant que les conduites d’échec
antérieures avaient inconsciemment poursuivi jusqu’alors. Les relations avec
les enseignants peuvent, dans de tels cas, être nécessaires. Il est convenu que
les relations entre les enseignants de l’enfant et ses thérapeutes ne peuvent
se mettre en place qu’avec l’accord de l’enfant et de ses parents.
Mais il arrive aussi que la déficience soit très profonde et que les échanges
parlés aient lieu essentiellement avec les parents. Le travail des consulta-
tions thérapeutiques qui suivront la première consultation consiste souvent
à aider les parents à toucher du doigt la réalité de la déficience de leur
enfant. Ce travail de « désidéalisation » peut demander des années.

Jordan, six ans


Parler avec Jordan ne peut se faire qu’en passant par les parents
Jordan est un garçon de six ans lorsque le pédopsychiatre le rencontre à la
demande du neuropédiatre pour un avis diagnostique et une éventuelle prise
en charge. Il est accompagné par ses parents qui le poussent dans un fauteuil
roulant. Il se balance la tête de droite à gauche et vice versa en roulant des yeux
dans tous les sens et en bavant quelque peu. Les parents sont très fermés : « On
nous a dit de venir voir un pédopsychiatre, mais on se demande bien pourquoi ;
Jordan n’est pas fou quand même ! » Peu à peu, en s’intéressant à Jordan et
en s’adressant à lui comme à un bébé de trois à quatre mois qui ne peut pas
tenir sa tête solidement, le pédopsychiatre voit les parents se détendre un peu et
accepter de lui parler de leur histoire.
Jordan est né à la maternité, mais dès la naissance par forceps, il a présenté des
troubles du tonus et de la déglutition que les parents mettent sur le compte d’une
mauvaise manœuvre de l’obstétricien. D’ailleurs, ils lui ont intenté un procès dont
l’instruction n’est pas finie. Les progrès de Jordan ont été lents et il n’a encore
jamais marché. Son équilibre tonique est très mauvais, et sa relation à l’autre est celle
d’un très jeune bébé qui fait des mouvements avec tout le corps. La mère, dans
un intense déni des graves troubles de son fils, insiste pourtant en disant qu’« il
­comprend tout ». Il a très tôt présenté des absences épileptiques avec une chute
totale de tonus à chaque crise. Les parents ont suivi quelque temps le traitement
antiépileptique, mais, devant son peu d’efficacité à leurs yeux, ont décidé – sans en
parler au neuropédiatre – de l’arrêter. À deux ans, un pédopsychiatre a rencontré
x
86 La consultation avec l’enfant

x Jordan et a proposé de l’adresser en hospitalisation de jour, ce qui a déclenché chez


les parents un sentiment de persécution très important non seulement vis-à-vis des
psychiatres, mais de tous les médecins, les amenant à cesser progressivement ­toute
relation avec eux, quelle que soit leur spécialité. La seule approche positive était
réalisée par la prise en charge hebdomadaire du kinésithérapeute. Les demandes
de renouvellement de prescriptions concernant ce seul praticien les ont amenés à
reprendre contact avec le neuropédiatre de l’Association des paralysés de France
(APF), qui leur a proposé de faire un bilan évolutif de Jordan. Ceux-ci ont accepté et
après un bilan étiologique négatif, notamment sans explications sur la paraplégie,
ils ont accepté une consultation auprès d’un pédopsychiatre avec lequel le neuro-
pédiatre travaillait habituellement pour des cas comme celui de Jordan.
Ces deux consultations (neuropédiatrie et pédopsychiatrie) ont permis de mettre
en évidence une encéphalopathie avec un retard considérable sur le plan psycho-
moteur (paraplégie), ainsi qu’une déficience mentale très importante. Toutefois,
le contact, pour lointain qu’il était, n’était pas nul, et c’est dans la perspective de
le développer que le pédopsychiatre a proposé aux parents de revoir Jordan et
de l’accueillir dans un groupe de travail thérapeutique hebdomadaire. Ce qui fut
fait. Jordan s’est ouvert à la communication et peut manifester plus précisément
ses désirs quand ils restent simples. Il jargonne un peu et commence à marcher,
spasmodiquement, tenu aux hanches d’abord, puis maintenant avec les mains,
le tout en corrélation avec le kinésithérapeute qui le fait travailler deux fois par
semaine dans sa piscine ; ses absences épileptiques restent nombreuses et ses
relâchements toniques préoccupants. Les parents refusent toujours les antié-
pileptiques, mais commencent à se faire à l’idée qu’un établissement de type
IME pourrait peut-être accueillir Jordan à temps très partiel d’abord, puis… Par
contre, leurs réticences sont toujours très présentes face au corps médical et ils
attendent toujours la tenue du procès avec l’obstétricien.

La question des hallucinations, des idées délirantes


et de la schizophrénie chez l’enfant2
Une double question est souvent abordée aujourd’hui dans les services de
pédopsychiatrie, celle des hallucinations et des idées délirantes de l’enfant, et
de leurs rapports avec la schizophrénie infantile. En effet, devant le compor-
tement difficilement compréhensible d’un enfant, il peut arriver que la ques-
tion vienne à l’esprit du pédopsychiatre ou du psychologue : et s’il était hallu-
ciné ? ou bien : imagination ou délire ? Il s’avère que dans un certain nombre
de cas, le fait même de poser la question à l’enfant, si possible lorsqu’on est
seul avec lui, permet d’obtenir des réponses positives plus souvent que la
tradition ne le laissait penser (Ajuriaguerra, 1973, p. 730-732). Il va falloir
comprendre la place que ce symptôme prend dans la psychopathologie de
l’enfant, et penser le traitement en conséquence. Car « la schizophrénie de

2 Ce paragraphe s’est inspiré du no 57 de Neuropsychiatrie de l’enfant et de l’adolescent,


dirigé par le docteur J.-L. Goeb (2009).
La consultation avec un enfant 87

l’enfant n’occupe pas encore une place bien définie au sein de la nosogra-
phie pédopsychiatrique actuelle. La clinique montre que les schizophrénies
à début très précoce, c’est-à-dire avant l’âge de douze ans, ont à voir avec les
troubles envahissants du développement dont certains symptômes sont re-
trouvés rétrospectivement, mais aussi avec les schizophrénies de l’adulte vers
lesquelles elles se montrent en continuité. » (Goeb et Delion, 2009).
La consultation va donc devoir insister sur l’étiologie multifactorielle, la
prise en compte des diagnostics différentiels à la fois psychiatriques et
médicaux, ainsi que sur l’importance d’un repérage précoce de la souffrance
de l’enfant et de sa famille. La littérature et la pratique quotidienne mon-
trent que les hallucinations et les idées délirantes sont observées dans des
populations cliniques très diverses (somatiques, neurologiques ou psychia-
triques) et dans des populations non cliniques (Larøi et al., 2006). Ainsi,
des enfants non psychotiques peuvent manifester des hallucinations dès
l’âge de 5 ans (Schreier, 1998 ; Edelsohn, 2006). Dans les populations non
cliniques, les études qui ont examiné la prévalence des hallucinations et des
idées délirantes chez des enfants et adolescents dans la population générale
en montrent une prévalence variant entre 6 et 33 %, selon les critères rete-
nus, notamment de durée et de complexité (Dhossche et al., 2002 ; McGee
et al., 2000 ; Yoshizumi et al., 2004 ; Altman et al., 1997). De nombreux
symptômes psychopathologiques sont généralement associés aux expérien-
ces hallucinatoires et délirantes dans ces populations : processus dissociatifs,
syndromes dépressifs, abus de toxiques, états de stress post-traumatique,
phobies sociales et troubles anxieux. Ces différents symptômes sont plus
nombreux en cas d’hallucinations multimodales, en particulier d’hallucina-
tions auditives associées à des hallucinations visuelles, et parmi les halluci-
nations visuelles, pour celles avec un contenu concret – en opposition aux
hallucinations visuelles plus abstraites ou sans contenu concret.
La présence d’hallucinations et d’idées délirantes chez les enfants et
adolescents augmente le risque de troubles psychopathologiques (schi-
zophrénies bien sûr, troubles bipolaires, mais également des troubles non
psychotiques) au cours de l’enfance et de l’adolescence, mais également à
l’âge adulte. Cependant, il est important de souligner que beaucoup de ces
hallucinations et idées délirantes sont de nature transitoire et peuvent ainsi
disparaître en peu de temps. Car l’expérience montre que nombre d’enfants
et d’adolescents présentant des hallucinations ou des idées délirantes ne dé-
velopperont pas de psychopathologie majeure au cours de leur vie. Il faudra
néanmoins s’enquérir du contexte dans lequel surgissent les hallucinations,
car il est fondamental : retard psychomoteur et de langage, difficultés socia-
les, émotionnelles ou comportementales. De même, en cas d’événements
de vie traumatiques : les abus sexuels ou physiques, les deuils et les sépara-
tions représentent des facteurs déclenchants importants chez des enfants et
88 La consultation avec l’enfant

adolescents par ailleurs en bonne santé (Murase et al., 2000 et 2002 ; Kauf-
man et al., 1997 ; Semper et McClellan, 2003 ; Escher et al., 2004). Dans la
grande majorité de ces cas, ces hallucinations et idées délirantes ne sont que
transitoires et ne nécessitent aucune médication : l’intervention n’implique
souvent que des consultations thérapeutiques pour l’enfant et sa famille.
Dans les populations cliniques, les hallucinations et les idées délirantes peu-
vent se manifester chez les enfants et les adolescents présentant des troubles
non psychiatriques, médicaux : troubles métaboliques (hypoglycémies),
mais surtout neurologiques (migraines, épilepsies temporales, frontales…).
Parmi les troubles psychiatriques, les hallucinations et les idées délirantes
ne signent pas la schizophrénie infantile, car elles peuvent aussi se mani-
fester au cours de troubles d’humeur (dépressions graves, mélancolies, accès
maniaques, troubles anxieux), et de certains troubles des conduites.
La question du délire chez l’enfant est complexe et déborde les seules
pathologies schizophréniques à début précoce, du fait des nombreux états
frontières avec les psychoses, comme les troubles réactionnels, les patholo-
gies de la personnalité, les états dépressifs ou déficitaires, et les états pré- ou
para-psychotiques, les dysharmonies évolutives, et les troubles envahis-
sants du développement non spécifiques (Bizouard, 1999). Lebovici évoque
des « comportements délirants » (Lebovici, 1989) dont il souligne la valeur
défensive momentanée et Michel Botbol parle de « nécessité développe-
mentale transitoire » (Botbol et al., 2001).
D’un point de vue sémiologique, alors que le délire chez l’adulte est carac-
térisé par sa durée, sa permanence, la conviction inébranlable et incroyable
(bizarrerie des thèmes), la pathologie imaginaire chez l’enfant malade est
différente. L’enfant semble vivre dans un rêve continu, autour duquel la
réalité semble s’effacer, mais la conviction n’est pas toujours absolue et les
thèmes sont très fluctuants, généralement inspirés de l’environnement sco-
laire ou télévisuel (jeux vidéo).
Indépendamment des cas où les thèmes délirants sont partagés ou induits
(délire en héritage), l’entourage est essentiel pour que l’enfant distingue
rêve et réalité.
Attribuer aux productions imaginatives de l’enfant un caractère patholo-
gique est très difficile avant « l’âge de raison » (autour de six ou sept ans), et
il convient de les situer dans le contexte du développement de l’enfant et
de son histoire, d’être sensible au degré d’envahissement de la vie de l’en-
fant par ses productions ludiques, leur persistance ou seulement leur non-
modification en présence de l’adulte, la disparition des repères d’espace et
de temps, l’indistinction des limites corporelles et psychiques, le retentis-
sement scolaire et familial, les répercussions sur le sommeil et l’alimen-
tation. Il importe également de rechercher les angoisses, les moments de
panique éprouvés par le sujet comme des anéantissements de sa personne.
La consultation avec un enfant 89

Pour P.-C. Racamier (1989), cette angoisse intense, précipitant le sujet dans
la psychose, émane d’un conflit intrapsychique ancien, réactualisé, dont
le délire est une solution qui permet de préserver la capacité de penser. Et
nous savons que les troubles du cours de la pensée sont fréquents dans les
cas les plus pathologiques. Une histoire clinique nous montrera les signes
qui peuvent se manifester en consultation.

Didier, sept ans


Le contact avec Didier est particulier, dans le couloir qui mène au bureau de
consultation. L’enfant marche lentement et s’en explique : « C’est quand j’ai peur.
C’est pourquoi je préfère aller avec une seule [sic]. » Didier a 7 ans, il s’agit du seul
enfant d’un couple séparé depuis qu’il a 7 mois. Didier nous dira avoir un frère,
« dans le futur », quand sa mère aura trouvé un autre homme. Il nous est adressé
par une psychologue libérale qui s’inquiète de ses constructions de phrases éton-
nantes et de ses associations d’idées, plutôt relâchées. Didier évoque d’emblée
un secret dont il ne peut parler, car il ne peut le dire qu’à une seule personne.
Au cours de la consultation, Didier posera plusieurs questions au pédopsychiatre
en supposant qu’il a accès à ses pensées. Il confondra le « je » et le « tu » à plu-
sieurs reprises. Son phrasé est très particulier, intellectualisé et rationalisé, avec
une recherche constante du mot juste. Il présente un intérêt très prononcé pour
le nom des personnes et la généalogie. Il ne tolère pas l’injustice et est très émotif,
faisant de nombreuses colères. Ses relations dans sa nouvelle école sont pauvres,
oscillant entre le collage et la distance. Il se plaint de deux enfants en particuliers
qui le « massacrent ». Ses repères dans l’espace et le temps ne sont pas bons.
Tout à coup, il se retourne, indiquant avoir entendu (seul) des bruits d’oiseaux
qui venaient de derrière. Ce n’est pas la première fois qu’il entend des bruits qu’il
est seul à entendre. Il lui arrive parfois d’entendre comme « l’enregistrement de
bruits » divers, de simples sons ou des paroles, parfois des ordres (comme la voix
de sa mère lui demandant de ranger sa chambre). Mais il entend aussi des insultes
prononcées par une voix glaciale, aiguë et méchante : « Bande de naveaux [sic],
toute ta gueule ! » Il vérifie alors auprès de sa mère si elle lui a parlé. Parfois il dit
tout haut : « Mais qui m’a dit ça ?! » L’enfant évoque des esprits qui viennent de
nulle part, mais qui passent et disent des méchancetés. « Ce sont des criminels
morts. C’est César qui me parle ! Il me dit des mots d’esprit en lumière. » Une
rationalisation délirante existe sous la forme d’un don qu’il possède avec les esprits
qui le visitent. Une tentative de contact avec la réalité est recherchée : « J’ai de bon-
nes oreilles. » Ses propos ne sont pas toujours directement compréhensibles, lorsqu’il
fait part de ses réflexions : « Aucun air n’est cousin, aucun sens n’est identique. » Il
dit adorer les farces et ajoute : « Quand étais dans le ventre de sa maman son esprit
est venu la voir, et quand je suis né je savais pas que j’étais déjà vivant. » Didier évo-
que alors la religion, imaginant un jour devenir un « vrai saint », c’est pourquoi il doit
aller à l’église tous les dimanches (sauf pendant les vacances). « J’entends Dieu, je
crois que je vais devenir un saint en sang. Comme Jeanne d’Arc. Peut-être que Dieu
commence à m’aimer ? » Parfois il entend Dieu et le Diable qui se disputent. Il expli-
que pouvoir ressentir comment les gens le regardent. Il évoquera la mort, disant que x
90 La consultation avec l’enfant

x « tous les ancêtres sont en lumière, dans le ciel ». Il existe également des éléments
phobiques inhabituels, comme la peur des bruits secs, et des matières « secs ».
Une proposition de traitement, dont les effets sur les hallucinations avaient donné
de bons résultats antérieurement, fut immédiatement refusée par Didier : « C’est
hors de question ! Il y a des voix qui me protègent ! Des réincarnations de vieux
savants. Ils me protègent et me donnent la réponse des exercices de maths. »
Au cours de cette consultation, la mère fut difficile à convaincre de la réalité des
hallucinations de son fils. Il faudra que l’enfant quitte la pièce et y revienne en
disant « … sinon, je vais désobéir aux ordres de Dieu » pour qu’elle comprenne
l’importance des contraintes psychiques subies par Didier. De manière intéres-
sante, on note que dès la maternelle, il présentait des troubles spatio-temporels
et une dyslexie au CP. Didier s’isolait beaucoup et se faisait attaquer par les autres
enfants. Didier était toujours dans la lune en classe. Le pédopsychiatre évoque
le diagnostic de schizophrénie infantile à la fin de la première consultation, mais
demande à la psychologue de recevoir Didier pour recueillir son avis.

Compte-rendu du TAT de Didier par la psychologue


Planche 1
« Je vois un enfant qui est en train de regarder quelque chose mais je sais pas
ce qu’il regarde…
il fait ça d’un air étonné et c’est comme on va dire… il regarde bien ça pour se
rappeler ce qu’il regarde. »
Planche 2
« Je vois comme des esclaves qui vont travailler dans un champ avec une femme
qui a deux livres… avec un homme avec un cheval à ventre nu et à dos nu, avec
un pantalon qu’on ne voit pas trop bien.
Un homme avec une tête chaude et avec des champs de je ne sais pas quoi. »
Planche 3BM
« Je vois quelqu’un qui fait la position qui pleure sur un canapé. C’est la seule
chose intéressante. »
Planche 4
« C’est un homme à l’air heureux, avec une femme qui est derrière lui. C’est la
seule chose intéressante. À part le fond qui ne compte pas trop. »
Planche 5
« Je vois une dame qui entre dans son salon, on va table à manger, c’est tout ce
qui est intéressant. »
Planche 6BM
« Je vois une vieille dame avec un homme, un bel homme derrière lui bien je
veux dire une dame avec les cheveux blancs. »
Planche 7BM
« Et là je vois deux hommes, l’un avec barbe et cheveux blancs et l’autre cheveux
noirs et brillants. » x
La consultation avec un enfant 91

x Planche 8 BM
« Là, je vois un ange… on dirait qu’il va faire quelque chose à l’homme – je ne
sais pas ce qu’il va faire – avec un autre homme devant – qu’on va dire qu’ils
vont couper en rondelles. »
Planche 10
« Je vois un homme et une femme ils sont dans la position où ils vont faire un
bisou sur la bouche. »
Planche 11
« Je ne comprends rien du tout. »
Planche 12BG
« Là je vois une barque on va dire une barque un peu rectangulaire dans un
jardin avec plein d’arbres. »
Planche 13B
« Je vois une maison, une grande porte de maison avec un enfant, il est blond
avec un jean et un tee-shirt. »
Planche 16
Didier rigole beaucoup.
« C’est plus que facile – je vois comme un bateau qui est sous en tempête, que
la mer est en tempête. »
Planche 19
« Je vois… il était une fois un joli petit garçon qui courait dans les bois, et que
le loup ne pouvait jamais manger tellement il était costaud, c’était un champion
de karaté, de boxe… il travaillait dans les Jeux olympiques, grand sportif, imbat-
table car mange beaucoup… »
Didier a aimé la planche 19 car « les autres », il ne les trouve pas très belles, « en
tout cas je ne les aime pas ».
Didier se débarrasse rapidement des planches qu’il ne regarde que très furti-
vement. Son regard plafonne souvent et il veut à tout prix toucher à la pâte à
modeler. Didier n’en fait qu’à sa tête. Il franchit l’interdit dès qu’il le peut, ce qui
a le don d’énerver sa maman.
Pendant la passation du test avec la psychologue, Didier se présente comme un
enfant charmant avec un langage précieux. Mais son discours occupe très vite
tout l’espace et ses précautions oratoires deviennent rapidement difficilement
supportables. Il en met plein les yeux et se présente ainsi comme un être à part,
comme un petit génie. On ne peut être qu’émerveillé par son discours avant de
découvrir qu’il est emprunté, imposant, très intellectualisé. Très vite, si on prend
le temps de l’écouter, on entend des mots jaculatoires, des confusions, des pas-
sages du coq à l’âne, manifestant ses troubles du langage de type schizophré-
nique. De plus, pendant la passation, Didier n’arrête pas de bouger, de parler et
il est difficile de lui demander quoi que ce soit qui ne va pas dans le sens de ce
x
qu’il fait.
92 La consultation avec l’enfant

x Conclusion de la passation du TAT


Les mécanismes de défense, l’inhibition et le contrôle, sont massivement présents
et étouffent les mouvements pulsionnels, ce qui empêche toute expression affec-
tive, fantasmatique et toute relation entre les protagonistes, notamment conflic-
tuelles. Didier doit dépenser beaucoup d’énergie pour vivre avec ses voix et, dans
le même temps, il ne veut pas qu’on les lui enlève, comme si, à certains moments il
jouait avec elles. Le protocole du TAT de Didier est inquiétant, car il révèle aussi bien
la massivité des émergences de ses processus primaires que son incapacité à pou-
voir y faire face. Les angoisses archaïques sont majeures et son Moi vulnérable ne
lui permet pas de se défendre suffisamment de ce flux pulsionnel. La quête identi-
taire en est puissamment entravée en raison d’une intellectualisation inefficiente.
Sa vie délirante et hallucinatoire le défend contre le rapport avec l’objet, mais laisse
libre cours à l’attaque de la pensée par les angoisses. Le lien entre objet et repré-
sentation n’est pas stabilisé. Ces différents éléments permettent de confirmer le
diagnostic de schizophrénie infantile déjà évoqué au décours de la consultation.
La synthèse des données de la consultation et de la passation du TAT va dans
le sens d’une confirmation du diagnostic de schizophrénie infantile. Malgré la
nécessité d’un traitement intensif et urgent, le suivi de l’enfant fut trop difficile à
organiser et fut mis rapidement mis en échec. Plus tard, devant la recrudescence
des signes d’angoisse archaïque, son équipe de secteur a pu mettre en place des
soins plus contenants.

Jouer

Il me semble que notre travail de réélaboration permanente


du jeu, du jouer, et de leurs enjeux dans le développement,
la pathologie et la thérapeutique, sont toujours, peu ou
prou, une sorte de partie de squiggle avec Winnicott
et avec la créativité ludique en nous et en l’autre.
F. Joly (2003, p. 16)

Jouer pour grandir


Jouer pour un enfant est une nécessité, et « son importance sociale et cultu-
relle est admise par tout le monde » (Ajuriaguerra, 1973, p. 81). Il s’agit
d’une « activité mentale accompagnée d’activité psychique, qui se structure
progressivement au cours du développement et qui témoigne d’une capa-
cité psychique de “concentration” à l’intérieur d’une aire psychique intime
d’illusion dans laquelle objets et phénomènes de la réalité extérieure sont
transformés au gré des désirs au service de la réalité interne, d’où un gain
de plaisir » (Kurts, 2000).
La consultation avec un enfant 93

Approches psychopathologiques du jeu


Le jeu a été l’objet de nombreuses approches psychopathologiques (Freud,
Hug von Helmuth, Klein, Winnicott, Diatkine, Soulé, Marcelli…) que nous
ne reprendrons pas ici, mais qui insistent chacune sur un aspect concer-
nant le développement de l’enfant, et plusieurs classifications en ont été
proposées (Erickson, Piaget, Caillois, Château, Greg, Gutton…). Une men-
tion doit être faite pour les travaux de Winnicott à propos de l’objet et de
l’aire transitionnels. Pour lui, « l’acceptation de la réalité est une tâche sans
fin et nul être humain ne parvient à se libérer de la tension de la mise en
relation de la réalité du dedans et de la réalité du dehors ; nous supposons
que cette tension peut être soulagée par l’existence d’une aire intermédiaire
d’expérience qui n’est pas contestée (art, religion…) ; et cette aire inter-
médiaire est en continuité directe avec l’aire de jeu du petit enfant “perdu
dans son jeu” » (Winnicott, 1969). D’un certain point de vue, le jeu chez
l’enfant est le mode d’expression privilégié de ses fantasmes, dans la mesu-
re où il met en scène les différents espaces psychiques qui le constituent. Il
y parle, sans dire, de son désir, de son imaginaire et de sa toute-puissance,
bref de son monde interne. Mais dans le jeu, il met aussi en scène son
image du corps et sa psychomotricité, et son rapport au monde et à l’autre,
notamment par le biais du langage. Enfin, il y fait apparaître ses instances
parentales soit sous forme directe dans leur représentation, soit sous forme
indirecte par les figures d’imagos parentales voire de surmoi en passe d’in-
tégration. C’est à partir de ces prémisses que Melanie Klein a utilisé le jeu
comme base de la psychothérapie.
Pour Freud, le jeu est à la fois un moyen utilisé par l’enfant pour supporter
les frustrations imposées par la réalité, mais également pour en représenter les
objets absents. La fameuse observation écrite à propos de son petit-fils Wilhelm
Ernest lorsque ce dernier avait dix-huit mois environ, parue dans « Au-delà du
principe de plaisir » (Freud, 1920), sous le nom de « jeu du fort-da » ou « jeu de la
bobine », nous montre à quel point le jeu comporte ces deux fonctions dans le
développement de l’enfant. En effet, le petit enfant est confronté au départ de
sa mère et doit en supporter la frustration. Mais plutôt que de se laisser aller à la
tristesse de cette constatation, il transpose sa situation dans un jeu qui modifie
singulièrement son rapport à la réalité : plutôt que d’en être la victime attristée,
il en devient l’acteur jubilant en envoyant par-dessus bord (celui de son berceau)
la bobine et en la faisant revenir activement. Il n’est plus cet enfant soumis à la
réalité, il a imaginé un jeu pour la transformer. Anna Freud insistera plus tard
sur cette révolution dans le développement de l’enfant qui consiste à quitter
la passivité régie par le masochisme pour l’activité liée à la possibilité sadique,
en inventant le concept d’« identification à l’agresseur ». Mais Freud va plus
loin, puisqu’il voit dans ce jeu de la bobine une autre articulation qui
témoigne des fonctions explorées par le jeu, celle qu’il permet avec le langage
94 La consultation avec l’enfant

par les jeux avec la parole. Quand le petit fils de Freud proclame son fameux
« ooo » (que Freud interprète fort, « loin ») en jetant la bobine et « aaa » (da,
« ici ») en la tirant avec la ficelle pour la rendre présente à son regard, il ne joue
pas seulement avec la figurine censée représenter sa mère in absentia, il joue
également avec les mots qui en qualifient la présence et l’absence. Nous voyons
dès lors que le jeu permet non seulement de se dégager de la frustration des
contraintes de la réalité en inventant une transposition imaginaire qui va de la
reconnaissance déprimante de cette réalité à la maîtrise jubilatoire de la situa-
tion, mais aussi son articulation avec le langage. C’est peu dire que sont conte-
nues dans ce jeu les conditions de la représentation sous ses différentes formes
qui vont des plus élémentaires (psychomotrices) aux symboles langagiers (mots
différents pour qualifier le même objet dans deux positions différentes).

Le jeu en consultation
Jouer avec un enfant reçu en consultation est donc un élément absolument
essentiel pour mieux le connaître sur ces différents plans. Le pédopsychia-
tre ou le psychologue doit donc pouvoir se mettre à la portée de l’enfant
pour entreprendre avec lui cette activité spécifique. Il arrive souvent que les
parents soient étonnés que nous puissions nous asseoir par terre pour jouer
à construire un château fort, voire nous allonger sur le sol pour récupérer
une petite balle qui est envoyée par l’enfant sous le divan ! Mais l’enfant lui
ne s’y trompe pas, et c’est quelquefois la seule solution pour franchir une
inhibition ou un désintérêt qu’il manifestait jusqu’alors. Dans certains cas,
l’enfant reste sans vie, cloué sur son siège par une dépression grave ; son
incapacité à nous rejoindre dans un jeu devient alors un signe de sa clinique
et de sa psychopathologie. Dans d’autres cas, l’enfant peut explorer tous les
jeux que nous avons à notre disposition dans le bureau de consultation, mû
par une curiosité insatiable et une impossibilité à se fixer sur l’un d’entre
eux, ce qui signifie un autre type de problématique, évocateur de patholo-
gies différentes de la précédente. Dans ce dernier exemple, il sera intéres-
sant de voir au moment de conclure la consultation comment l’enfant et
les parents se préoccupent ou pas du rangement des nombreux jeux ouverts
et répandus sur le sol. Nous pouvons souvent constater à ce moment où en
est la capacité effective de la puissance limitante parentale.

Jouer avec difficulté


L’enfant autiste
Dans son développement, le bébé passe, lors de sa deuxième année, par un
moment au cours duquel il est capable de jouer à faire semblant. Cette capa-
cité est le signe qu’il peut imiter les autres et isoler du contexte une action
qui l’intéresse pour se l’approprier sous la forme d’un jeu. Par exemple, un
enfant de dix-huit mois peut « faire semblant » de préparer un café en jouant
La consultation avec un enfant 95

à la dînette, et venir le servir au consultant qui le lui a demandé. Ce faisant,


l’enfant montre qu’il peut repérer un comportement relativement construit,
l’imiter et le reproduire sous la forme d’un jeu dans diverses circonstances de
la vie sociale. Pour passer de ce que Piaget nommait les jeux d’exercice (de la
période sensorimotrice) aux jeux symboliques (après deux ans), l’enfant doit
posséder, parmi d’autres (notamment le passage du pointage proto-impéra-
tif au proto-déclaratif dans une atmosphère d’« attention conjointe »), cette
compétence du « faire semblant » qui va lui ouvrir la voie de l’imaginaire et
des scénarios narratifs plus élaborés propres aux développements ultérieurs,
notamment du langage (Piaget in Marcelli : 2006, p. 22-23). Toujours est-il
que lorsqu’un enfant ne dispose pas de ces éléments cruciaux, sa capacité à
jouer va en être d’autant diminuée, voire anéantie. Tel est souvent le cas des
enfants présentant un autisme infantile. En effet, jouer ne peut résulter que
d’avoir pu jouer en interaction. Or ces enfants n’ont précisément pas pu le
faire suffisamment dans la plupart des cas. Car s’ils peuvent imiter (Nadel,
2005), ce qui est une première étape indispensable pour accéder au jeu, tout
se passe comme si cette modalité de l’identification primaire restait exté-
rieure à l’enfant autiste. On peut même comprendre un de leurs symptômes,
la stéréotypie, comme un jeu qui n’aurait pas abouti : les caractéristiques
sensorielles sont présentes, mais le scénario qui en organise la transforma-
tion et la sortie ne l’est pas ou plus, et le proto-jeu tourne court. L’autre de
l’interaction n’y a que très peu de place, quand il en a une. L’aspect ludique
du jeu n’apparaît pas et son caractère social reste absent.

L’enfant dysharmonique ou MultiComplex Developmental


Disorder
Dans les dysharmonies évolutives (Misès et Quémada, 2002), on distingue
deux formes principales : les dysharmonies psychotiques et les dysharmo-
nies cognitives (Gibello, 1984). Nous aborderons ici les premières. Chez
l’enfant présentant une dysharmonie psychotique, le jeu peut exister à cer-
tains moments, mais à d’autres se retrouver infiltré d’éléments archaïques
(Misès et Quémada, 2002) qui déboussolent le compagnon de jeu de l’en-
fant : d’un coup, le pays qu’ils venaient d’habiter ensemble n’est plus une
contrée imaginaire où d’un commun accord l’un était le gentil et l’autre le
méchant et vice versa, il devient un espace de projection des angoisses pro-
pres à ces enfants, et l’autre va alors se retrouver confronté à un enfant qui
le prend vraiment pour le méchant et s’en défend par tous les moyens dis-
ponibles. Au bout de quelques expériences, cet enfant ne trouvera plus de
copains pour jouer avec lui, et sa réputation est faite : il est utile de repérer
ces mécanismes de rejet (qui peuvent aboutir à des problématiques de bouc
émissaire à l’école ou dans diverses activités de jeux organisés) comme
autant de signes psychopathologiques qui requièrent une prise en compte
rapide. Chez l’enfant plus grand, tout se passe comme si les éléments du
96 La consultation avec l’enfant

jeu pouvaient faire l’objet d’interprétations quasi délirantes de sa part, et le


conduire à une très grande difficulté à jouer avec d’autres, ce qui revient à
accentuer son impression d’être à la fois seul et victime d’un rejet.

Les enfants sages, hypermatures et déprimés


Enfin, Marcelli et Cohen proposent trois situations dans lesquelles l’enfant
ne joue pas : l’enfant sage, souvent aux prises avec un surmoi contraignant,
l’enfant hypermature qui se conduit comme un adulte en miniature et n’a pas
de temps à perdre à jouer avec et comme les enfants, et l’enfant déprimé qui
peut masquer sa dépression en « jouant » à des activités anti-jeu, et notam-
ment la télévision utilisée sous la forme passive (Marcelli et Cohen, 2006,
p. 236) de l’« allaitement télévisuel » (Delion 2007).

Dessiner

S’il vous plaît… dessine-moi un mouton…


Saint-Exupéry (1943)

Dans la consultation avec un enfant, il est très rare de ne pas avoir recours
au dessin. Il ne s’agit pas pour lui de nous montrer à quel point il est doué
en dessin, et encore moins de lui faire passer un concours pour entrer aux
Beaux-Arts (Constant et al., 1983, p. 131), ni d’en déduire comme la pythie
de Delphes le sens caché des symptômes qui jusqu’alors, étaient restés énig-
matiques. Le dessin est une activité habituelle qui permet à l’enfant entre
trois à quatre ans et jusqu’à la puberté (exclue) d’exprimer ainsi ce qu’ils
ont à dire de leur rapport au monde et à leur entourage, sans se perdre dans
des explications langagières qu’ils maîtrisent moins facilement pour nombre
d’entre eux. C’est ce que Luquet (1927) avait proposé d’appeler la « narration
graphique ». Mais si le dessin demande à l’enfant d’avoir à sa disposition une
bonne maîtrise du système moteur (y compris des praxies fines), il est inté-
ressant de constater que cela lui permet d’exprimer ses états affectifs et ses
capacités représentatives. Dessiner sans paroles devant un pédopsychiatre
ou un psychologue permet de leur montrer ou quelquefois même de révéler
des éléments de son monde interne que la parole ne pourrait autoriser aussi
facilement. Pour ce faire, il convient de proposer à l’enfant un matériel de
base qui l’attire suffisamment, mais sans le presser de nous dire au fur et à
mesure tout ce que le dessin évoque pour lui. Dans certains cas, l’envie trop
évidente ainsi manifestée par le consultant aura un effet dissuasif sur l’en-
fant et pourra le pousser à se retrancher soit derrière un dessin dont la bana-
lité sera manifeste, soit à l’interrompre dans ses processus internes de pensée
et à manquer une occasion de rentrer en contact avec lui par ce média.
La consultation avec un enfant 97

Le dessin est le résultat d’une activité spontanée de l’enfant. C’est d’abord


« une gestuelle et il s’accompagne du plaisir du mouvement. Il révèle ensuite
une forme, comme par magie, et devient l’expression virtuelle d’un éprouvé
interne projeté dans l’espace » (Celié, 2000). À ce titre, c’est un mode d’ex-
pression qui vient confirmer sa possibilité de représenter sa pensée et de
la partager, mais également son affectivité et ses sentiments. Ce faisant, il
organise sa narration dans une communication intersubjective.

Pourquoi dessiner ?
Dessiner pour représenter
Comme nous l’avions décrit pour ses gestes imitant le comportement d’un
autre, le dessin donne à l’enfant une possibilité de représentation de ce qu’il
voit autour de lui puis également sur et en lui. Au fil de son évolution, d’abord
intéressé par les surfaces où projeter l’expression de sa proto-pensée, l’enfant
va dessiner des gribouillis informes, puis des petits fagots, des formes tournan-
tes ; puis, conquérant la troisième dimension, il va commencer à pointiller,
puis dessiner successivement les différentes formes de bonshommes ; lorsque
son image du corps sera stabilisée et que les dessins qu’il en produira seront
reproductibles formellement et progressivement modifiables, il modifiera
alors le corps qu’il habite (Jeangirard et De Graaf, 1998) en « corps-maison »
habitant le monde, faisant d’habiles transformations de sa tête en soleil, de
la robe de fille en toit de maison, et des yeux en multiples fleurs et papillons
peuplant le jardin idéal de son enfance. Divers éléments notables viennent
indiquer des mécanismes psychiques à l’œuvre dans son développement, tels
que la transparence des murs de la maison souvent aperçue grâce au dessin
de la lumière (une ampoule-soleil) de la salle à manger visible de l’extérieur, à
l’aune de l’incertitude de l’herméticité de sa tête et de ses pensées, ou la mul-
tiplicité des oiseaux-becs (à la Hitchcock) dans le ciel bleu venant indiquer
des imagos parentaux plus ou moins menaçants, racines de futures instances
surmoïques plus ou moins cruelles. Il conviendra bien entendu de ne faire de
commentaires sur ces invariants que si les « dires » de l’enfant le permettent
sans faire intrusion dans cet espace transférentiel en construction.
Luquet (1927) décrit cette progression en isolant successivement quatre
stades : réalisme fortuit à trois ans, réalisme manqué entre trois et quatre
ans, réalisme intellectuel entre quatre et douze ans et réalisme visuel après
douze ans. Mais si cet auteur a été un des premiers à s’intéresser à ce sujet,
de nombreux psychologues après lui ont apporté leur contribution à ce
moyen d’expression privilégié de l’enfant. En matière d’évaluation, le des-
sin est souvent utilisé comme matériel propice ; il fait partie des items pro-
posés dans la plupart des évaluations psychologiques (figure de Rey, dame
de Fay, bonhomme, Bender, Machover, Abraham…). Plus récemment, et
dans une perspective également psychothérapique, Virginie Martin-Lavaud
98 La consultation avec l’enfant

(2009) a proposé à l’enfant de dessiner un monstre. Cette proposition ouvre


sur la dimension imaginaire et symbolique de façon très intéressante pour
la dynamique de la consultation.

Dessiner pour exprimer


Arno Stern (1958) insiste sur la possibilité d’expression offerte par le dessin
et la peinture à l’enfant, indépendamment de toute imitation représenta-
tionnelle du monde des adultes, à la manière d’un peintre professionnel en
miniature. D’autres auteurs tels que Dolto (1985) et Resnik (1978) ont sig­
nifié l’importance à leurs yeux de la couleur utilisée par l’enfant pour dire
son affectivité (rouge = colère, bleu = dépression…) non comme une relation
univoque entre un affect et une couleur, mais en situation de consultation
thérapeutique.

Dessiner pour signifier


Le dessin trouve sa place dans le vaste système signifiant soit par la narra-
tion qu’il propose du rapport de l’enfant à son monde environnant, soit
par l’utilisation de la tablature signifiante du langage comme matrice de la
communication, associant ainsi au dessin le commentaire que l’enfant fait
au fur et à mesure de son expression graphique (Widlöcher, 1965). Nous
voyons ainsi comment le dessin ne peut être détaché du contexte dans
lequel il se « produit », et que toute généralisation à partir d’un dessin sin-
gulier ne pourrait aboutir qu’à des interprétations sauvages pour l’enfant
en consultation.
En tout état de cause, le dessin comporte toutes ces spécificités et doit
donc faire l’objet d’une étude approfondie lors de la consultation, en lien
avec les autres éléments retrouvés au cours de celle-ci. Le dessin peut ainsi
trouver une lecture psychopathologique pour les enfants reçus, et quelque-
fois même permettre l’expression indirecte des « objets parleurs » (Racamier
in Vidon, 1990), autorisant dans le cadre de la consultation des proposi-
tions d’interprétations notamment en matière de maison, d’image du corps
et de famille, voire de trauma.
Winnicott (1971) a créé une forme particulière de dessin interactif avec
l’enfant, le « squiggle ». Il utilise cette technique dans le cadre de ses consul-
tations pour lever les résistances de ses jeunes patients. « Le trait amorcé
par l’un est poursuivi par l’autre et donne forme à l’activité pulsionnelle
mettant en jeu ce qui se trame entre les deux. Winnicott conçoit cet es-
pace de projection comme une aire où se déroule une action qui facilite
la régression du patient à un état de dépendance. Celui-ci exprime dans la
représentation de formes symboliques son rapport inconscient à l’objet. Le
but est d’atteindre le “moment sacré” où tous les deux prennent conscience
La consultation avec un enfant 99

de la situation émotionnelle et psychique avec laquelle ils sont aux prises et


qui entrave la personnalité de l’enfant. Gestes et langage créent, dans une
réciproque, une réalité partagée qui introduit à l’intérieur du sujet un autre
que moi par le biais d’identifications croisées. L’objet projeté au dehors de
l’aire de contrôle du sujet peut ainsi survivre à sa destruction » (Celié, 2000).
Enfin, d’autres auteurs proposent à l’enfant un dessin libre portant sur l’évé­
nement dont il a éventuellement envie de parler ensuite.

Dessiner avec difficulté


Certains enfants peuvent présenter une difficulté à dessiner du fait de
troubles praxiques spécifiques ; l’avis du neuropédiatre pourra alors être
requis. Pour les troubles du langage de type dysphasique, il est habituel de
constater dans le dessin les mêmes difficultés que pour la parole, du fait
de troubles psychopathologiques. D’autres enfants présentent des troubles
psychopathologiques plus classiques et dans de tels cas, il sera intéressant
de distinguer les différentes pathologies.

Les enfants qui utilisent le dessin pour dire


Certains enfants vont se saisir du dessin pour dire leurs difficultés par-
ticulières, par exemple les scénarios de base auxquels ils sont contraints
par leur famille ou leur environnement scolaire, et ces enfants dessineront
des personnages soumis à un contexte de violence sous diverses formes,
insistant sur les taches de sang qui coulent de leurs chevaliers, sur les corps
meurtris qui résultent de leurs conflits incessants, sur le nombre de corps
laissés morts par les actions que leur dessin narre. Il conviendra de distin-
guer ce qui ressort de la carence affective, avec des problématiques mettant
en scène des personnages animaux victimes de rapts, de séparations
indues, d’enlèvements et de chasses meurtrières, des symptomatologies né-
vrotiques où c’est davantage la difficulté dans l’élaboration de l’identité, y
compris sexuelle, et la conflictualité intrafamiliale de l’enfant qui est expri-
mée que le manque de soutien dont il aurait pâti. Les dessins sont autant
de mises en scène des modalités relationnelles que l’enfant reproduit à
l’occasion de la consultation : recherche de soutien et de réassurance,
minauderies, séduction, inhibition avec dessin très petit dans un coin de
la feuille, ou au contraire dessin triomphant, débordant du cadre proposé,
racontant des aventures issues en droite ligne du dernier épisode télévisé,
avec une certitude que le consultant a bien entendu regardé aussi la même
chose que l’enfant.
Les experts s’accordent pour trouver dans les dessins des enfants victimes
d’atteintes sexuelles des signes de leur souffrance non dite, voire empêchée
(Lambert, 2005).
100 La consultation avec l’enfant

Un signe fréquent de dépression de l’enfant


Quelquefois, l’enfant déprimé dessinera du bout des doigts, avec sa seule
main dominante, sans appuyer sur son crayon, et en gardant soigneusement
son autre main dans sa poche ou sous la table, appelant chez le consultant le
besoin de lui prêter sa main d’adulte pour remplacer celle de l’enfant déprimé
en l’aidant à ce que sa feuille ne bouge pas avec le crayon qui poursuit un tracé
hésitant.

Les enfants avec troubles de la personnalité


Les dessins réalisés par les enfants porteurs de troubles de la personnalité sont
souvent des confirmations de troubles déjà explorés par les autres canaux au
cours de la consultation : une difficulté de communication avec l’entourage
marquée par l’autocentrement de l’enfant, préoccupé de lui seul, avec une
pensée infiltrée par les processus archaïques, utilisant les divers mécanismes
identificatoires adhésifs ou projectifs, une confusion et une difficulté d’orien-
tation et de mémoire, rendant la relation fragile et périlleuse. Les représenta-
tions graphiques sont travaillées par les mêmes phénomènes pulsionnels que
ceux qui caractérisent les processus de pensée et donnent aux productions un
tour variable, très dépendant de l’ambiance dans laquelle se trouve l’enfant
au moment du dessin. Il peut arriver que le dessin ait une fonction d’apai-
sement, contenant les projections de l’enfant dans le cadre de la feuille, en
appui sur la « fonction contenante » du consultant, ce dernier étant alors
vécu comme non persécuteur. Dans ce cas, l’enfant peut nous faire partager
une vision de son monde interne qui pourrait s’apparenter aux enfers décrits
par des peintres comme Jérôme Bosch ou quelques-uns de ses contempo-
rains. Les représentations de ces corps sont étranges, déshumanisées, mor-
celées, avec des inversions d’organes, et sans qu’on puisse trouver un sens
immédiatement perceptible. Le message souvent implicite dans les dessins
d’enfants est ici explicitement absent et, quand cela est possible, doit faire l’objet
d’un long travail de compréhension psychopathologique pour enfin émerger
de cette atmosphère saturée d’angoisses primitives. Mais il arrive également
que le dessin soit l’occasion pour l’enfant de manifester sa fragilité pour tout ce
qu’il ne connaît pas suffisamment et qu’il redoute par principe, amenant cet en-
fant à présenter quelquefois un véritable état d’angoisse psychotique dès qu’il
est mis en situation. Le dessin peut devenir le prétexte pour dire les angoisses
contenues que l’enfant n’avait pas pu exprimer jusqu’alors. La fonction du des-
sin semble quelquefois tellement défensive pour l’enfant qu’il peut arriver de
devoir lui rendre en fin de consultation, contrairement à ce qui se passe
habituellement dans ce domaine. Signalons les dessins « extraordinaires » de
quelques enfants présentant des syndromes d’Asperger, capables de reproduire
après quelques instants seulement d’observation des exemples de complexité
La consultation avec un enfant 101

remarquables (plan de la ville de Rome, plan de câblage d’un ordinateur…).


Ces talents utilisant une mémoire photographique hors du commun peuvent
pour une part être expliqués par un mécanisme d’identité adhésive qui serait
en tout ou partie au service d’une mémoire essentielle pour assurer la « conti-
nuité d’existence » par l’investissement massif des représentations visuelles.

Quelques éléments au sujet de la période


de latence
Rappel sur la latence
On appelle période de latence une époque de la vie de l’enfant située entre
la période œdipienne, qui la précède et l’adolescence, qui la suit. Elle corres-
pond en général à la période scolaire pendant laquelle l’enfant suit son cours
primaire, entre la fréquentation de l’école maternelle et celle du collège. La
qualification de latence concerne directement la sexualité de l’enfant qui
sort des découvertes et des mises au point œdipiennes et n’a pas encore un
corps pubère aux potentialités génitales, voire génitrices. Pour Freud (1905),
« c’est pendant cette période de latence totale ou partielle que se constituent
les forces qui plus tard feront obstacle aux pulsions sexuelles et, telles des
digues, limiteront et resserreront leurs cours (le dégoût, la pudeur, les aspi-
rations morales et esthétiques) ». Paul Denis, (2001) ajoute que « la période
de latence succède à la destruction du complexe d’Œdipe en tant que projet
et correspond à son assomption comme système de référence symbolique ».
L’enfant est donc amené au cours de cette période à s’identifier aux objets
œdipiens et ainsi à construire véritablement cette instance qui en marquera
l’héritage : le surmoi. Dans le même temps, les intérêts pour la sexualité,
quittant le flamboiement oedipien, prendront un autre chemin, plus « pri-
vé », mettant en scène activement les mécanismes de refoulement et les
formations réactionnelles, dialectiquement liées à la sublimation et à l’in-
vestissement des mécanismes cognitifs. Les phénomènes de masturbation
infantile, soit actifs, soit fantasmés, instaurent un jeu subtil entre excitation
et culpabilité. C’est dans ce contexte que les jeux moteurs et rythmiques,
prenant la figure d’investissements sportifs souvent massifs, viennent déri-
ver la sexualité vers des activités prenant le corps comme objet de satisfac-
tion : la fille peut passer des heures à sauter à la corde et le garçon à shooter
dans un ballon contre un mur, absorbé dans ses fantasmes, donnant ainsi
l’impression d’une latence qui est un aménagement nouveau de la sexualité
infantile. Mais si le corps est encore un objet autoérotique, il est déjà le théâ-
tre de scènes postœdipiennes qui se concrétisent dans les jeux sexuels infan-
tiles. Suivant la même direction, les investissements des parents laissent la
place à d’autres inventions fantasmatiques, telles que le roman familial dans
102 La consultation avec l’enfant

lequel l’enfant s’imagine d’autres parents que les siens. Nous pouvons voir
dans ce mécanisme un effet du refoulement des fantasmes oedipiens.
Mais pour faire face à ces modifications profondes de la constitution du
Moi, l’enfant va produire des mécanismes de défense et des symptômes
névrotiques transitoires déjà évoqués antérieurement. Les mécanismes de
défense de la période de latence, étudiés plus particulièrement par Anna
Freud (1936), sont l’identification à l’agresseur, la dénégation par la rêverie,
la restriction du Moi, la soumission altruiste et l’externalisation du conflit.
Tous ces mécanismes peuvent détourner l’énergie psychique de la subli-
mation, et entraîner l’enfant vers les difficultés scolaires, soit sous la forme
d’une inhibition, soit sous celle d’une phobie scolaire.

Inhibition et phobie scolaire en période de latence


Inhibition
Pour Christian Mille, elle est « le mécanisme inconscient le plus fréquem-
ment rencontré dans les situations d’échec scolaire en période de latence »
(Mille, 1993). Elle entre dans le cadre des restrictions du Moi, telle qu’Anna
Freud (1936) les a décrites, reprenant à la lumière de la période de latence
les formulations plus générales de Freud dans Inhibition, Symptôme, Angoisse
(1926). Plutôt que d’investir les fonctions intellectuelles par la sublimation,
celles-ci restent fortement « sexualisées », provoquant de fait une angoisse
de castration liée à l’apprentissage qui empêche l’épanouissement de l’en-
fant à l’école. Se met alors en action un cercle vicieux conduisant du désin-
vestissement du cognitif aux mécanismes autopunitifs et à la dépression
dévalorisante qui ajoutent au désinvestissement précédent.
La consultation avec l’enfant et ses parents permettra de déjouer ces
mécanismes entropiques, en mettant le plus souvent en évidence le bon
niveau intellectuel de l’enfant et les mécanismes défensifs œdipiens à l’œu-
vre. Toutefois, lorsque ces résultats attendus ne sont pas présents, et qu’au
contraire l’inhibition semble contenir une forte agressivité sous-jacente,
un approfondissement du bilan psychopathologique est nécessaire et peut
mettre en évidence une pathologie limite à forme de dysharmonie évolutive
cognitive (Gibello, 1995). D’ailleurs, Lacan, dans son séminaire sur « L’an-
goisse » (1964), insiste sur la force pulsionnelle en jeu dans l’inhibition
puisqu’il en fait le résultat de deux désirs contraires.

Phobie scolaire
Si le terme de phobie paraît bien choisi pour décrire cette pathologie de
l’enfant en forte progression ces dernières années, c’est par la constatation
d’une différence considérable entre la clinique des jours avec école et des
jours de congés scolaires. En effet, l’état clinique de l’enfant pendant les
La consultation avec un enfant 103

vacances, décrit à la fois par l’enfant et ses parents lors de la consultation,


n’a rien à voir avec celui qu’il présente lorsqu’il va à l’école. L’état de l’en-
fant est transformé dès que la date de la rentrée est proche : les insomnies
reprennent dès la veille et les nausées, céphalées et autres vomissements sur-
gissent sur le chemin de l’école. Les résolutions prises pendant les vacan-
ces, le changement d’établissement scolaire, les promesses de récompenses
n’y font rien. Seule l’éviction scolaire a raison de ces symptômes anxieux
spectaculaires. Quand l’angoisse est moins visible, la fugue de l’école et
le retour à la maison aux heures habituelles ne permettent que temporaire­
ment de déjouer la phobie, laissant la place, à l’aune de l’angoisse des
parents, à des moyens de rétorsion qui ne résolvent rien au problème. Les
inquiétudes sur l’avenir de l’enfant se mettant objectivement en situation
d’échec par absentéisme renforcent encore le climat d’insécurité affective qui
prévaut dans ces tableaux cliniques. La consultation va devoir résoudre le
problème du diagnostic sous-jacent à la phobie scolaire, et notamment la
question d’un comportement transitoire d’une décompensation névrotique
en lien avec une angoisse de séparation trop peu élaborée antérieurement,
ou d’une pathologie limite de l’enfance, caractérisée par « l’hétérogénéité des
modalités défensives et l’absence d’intégration de l’ambivalence relationnel-
le » (Mille, 1993, p. 228). Misès (1993) nous en rappelle la définition : « Cette
pathologie recouvre actuellement des formes qui se démarquent de la névrose
autant que de la psychose […]. Le terme de pathologie limite a été retenu afin
de souligner les potentialités évolutives plus diversifiées des troubles du jeune
âge, leur pronostic plus favorable si l’on intervient en temps opportun et avec
des moyens adaptés. » Pour lui, cette occurrence s’y retrouve fréquemment
accompagnée de troubles du comportement particuliers : « Une place notable
est tenue par les phobies, qui témoignent de la vulnérabilité à la perte d’objet.
Elles peuvent en particulier prendre la forme de phobies scolaires graves plus
tardives et alors inquiétantes, notamment lorsque des troubles des conduites
se reliant à l’échec scolaire surviennent au sein de l’école » (Misès, 1993).

Émile, dix ans


Émile et l’école « buissonnière »
L’institutrice a beaucoup insisté auprès des parents d’Émile pour qu’ils acceptent
une consultation avec le pédopsychiatre de secteur. En effet, voilà maintenant
presque une année que leur fils vient à l’école « en pointillé ». Les parents sont
là avec leur fils unique, et une ambiance très lourde s’installe rapidement dans la
consultation. Il a dix ans et demi et est en CM2 depuis la rentrée. Jusqu’au CM1,
Émile n’avait pas posé de problèmes particuliers aux instituteurs de son école, et
s’était montré plutôt un bon élève. Bien sûr, il était discret, un peu timide même,
et semblait souvent seul dans la cour de récréation. Mais à partir de la dernière
rentrée de septembre, il a commencé à présenter des inquiétudes diffuses le soir
avant de se coucher, des troubles du sommeil avec des cauchemars, quelquefois x
104 La consultation avec l’enfant

x même il vomissait sur le chemin de l’école. Quand la mère, qui assure habituel-
lement les transports scolaires, le laissait à l’école, il lui semblait si pâle qu’elle
rentrait chez elle en se demandant ce qui se passait. Et quelques semaines plus
tard, il a franchi une étape de plus, en demandant plusieurs jours de suite à
son instituteur de sortir pour aller aux toilettes ; et il partait se cacher dans les
buissons de la cour de l’école, sans revenir quelquefois avant la fin de la classe.
C’est là que les autres élèves ont commencé à dire des choses sur Émile, le
« traitant3 » (de qualificatifs plutôt désobligeants comme « lopette », « fayot »,
« branleur »), et lui donnant en quelque sorte des raisons de « ne pas aimer sa
classe ». Aux vacances de novembre, il a dit à ses parents qu’il ne « pouvait »
plus aller à l’école (et non pas qu’il ne voulait pas y aller), que « les autres lui en
voulaient », que « l’instituteur était méchant, et était de leur côté ». La rentrée
de ces vacances a été dramatique, et Émile n’y va plus depuis, sauf quelquefois
une demi-journée. La seule copine qu’il voit encore un peu est la fille d’amis de
ses parents qui accepte de lui faire passer les leçons et les devoirs. Émile continue
à travailler avec sa mère, et le directeur de l’école a demandé aux parents d’ob-
tenir un certificat médical pour officialiser les absences de leur fils.
La consultation est l’occasion de parler de tous ces éléments cliniques qu’ils
n’avaient jusqu’alors abordés avec personne d’autre. Le médecin généraliste
est-il au courant ? « Non, on ne lui fait pas tellement confiance ! » Avez-vous
parlé avec les grands-parents d’Émile ? « Non, on est fâchés avec eux des deux
côtés. » Et les amis dont la fille transmet les leçons et devoirs ? « Ça ne va pas
durer, elle en a marre ! »… Il apparaît rapidement que la famille est dans une
position sociale particulière, sans relations avec quiconque, sauf quelques rares
exceptions. La mère est centrée entièrement sur Émile et le père va à son travail
de préposé à la voirie et en revient sans jamais déroger de ses horaires très ré-
glés. Quand le consultant demande s’il y a eu un événement cet été qui pourrait
expliquer les changements notables survenus dans le comportement d’Émile. La
mère d’Émile répond d’abord évasivement : « Non, rien de bien grave. Ah ! si !
puisque vous le dites : j’ai été opérée d’une tumeur du sein au centre antican-
céreux et depuis je suis une chimiothérapie qui m’a mise sur le flanc. » Puis plus
vivement : « Mais vous savez, dans la famille, ma mère, ma grand-mère, elles en
ont eu un aussi et elles vont très bien. »
Le pédopsychiatre reçoit ensuite Émile seul et constate qu’il est en grande diffi-
culté dans son expression, son idéation est lente, son imagination pauvre et son
humeur très triste. Il va s’appesantir longuement sur le harcèlement dont il est
victime à l’école, aussi bien des élèves de sa classe que de son maître. Quand
le pédopsychiatre essaye de le faire parler sur ces ressentis, il finit par dire du
bout des lèvres que s’ils sont comme ça avec lui, c’est parce qu’ils sont jaloux de
lui, de sa mémoire, de ses rédactions qui sont toujours parfaites… Une ombre
de grandeur envahit quelque peu le bureau de consultation. Puis lorsqu’il peut
aborder ses craintes concernant le cancer de sa mère, il éclate en sanglots, et dit
que le plus dur « c’est quand il l’a vue sans aucun cheveu sur la tête (pendant x

3 « Il me traite », comme le disent désormais les enfants, oubliant le complément d’objet


indirect qui doit suivre ce verbe habituellement…
La consultation avec un enfant 105

x la chimiothérapie) ». Il ne voit pas d’issue à sa situation ; il pense qu’il va rester


à la maison pour aider sa mère ; il connaît un adolescent de sa cité qui n’a pas
été une seule année au collège et qui est maintenant au lycée après avoir suivi
le téléenseignement. Il se projette assez bien dans cette filière, et refuse toute
proposition de soin que le pédopsychiatre pourrait envisager pour l’aider.
Émile présente donc un état dépressif grave, mais avec des idées de persécu-
tion de la part de ses copains de classe et de son instituteur, et une fragilité
narcissique sous-jacente. Le diagnostic de pathologie limite sera retenu après un
approfondissement de son bilan clinique et psychologique. La prise en charge
sera très longue, et devra à certains moments faire appel à un CATTP pour dé-
passer des caps difficiles. Grâce au rôle stratégique important joué par le profes-
seur affecté au CATTP, les capacités cognitives d’Émile ont été bien préservées,
et des contacts ont pu être renoués avec son collège à partir de la cinquième.
Son évolution a permis d’obtenir un résultat plus mitigé en matière de relations
sociales, notamment avec les pairs. Les parents ont été très souvent reçus en
consultations eux-mêmes pour bénéficier d’un soutien dont ils ne pensaient pas
dans un premier temps avoir tant besoin.

L’enfant et la télévision
Dès qu’on parle de la télévision, la nuance est rarement de mise. Ceux qui
y voient l’une des sources principales d’une grande partie des maux actuels
font sans doute preuve d’exagération et de diabolisation. Bien sûr, certaines
émissions – y compris parmi les émissions enfantines – sont intéressantes et
réussies, mais, reconnaissons-le, par rapport à l’ensemble de la production,
elles font figure d’exceptions. Aux spectateurs, quel que soit leur âge, la
télévision impose une position de passivité telle qu’ils acceptent souvent
sans réagir les interruptions incessantes de leur programme, et se voient
imposer des tunnels de publicités. Cette passivité est inquiétante essentielle­
ment pour les enfants, souvent abandonnés devant la télévision. Et la
question que l’on peut se poser devant les symptômes présentés par certains
d’entre eux – insomnie, cauchemars, excitabilité, troubles de l’attention –
est celle de son influence sur leur développement et leur comportement.
Quand, au moment du coucher, papa ou maman prend quelques ins-
tants pour lui raconter une histoire, le jeune enfant « rentre en lui-même »
et, grâce à son imagination, va faire prendre corps aux différents héros du
récit. Il se met ainsi à inventer un nouveau monde, qui vient nourrir et
enrichir son monde interne de nouvelles représentations. Les personnages
qui s’y déploient, aussi bien les gentils que les méchants, seront les siens,
ses propres représentations psychiques. Durant cette lecture, l’enfant fait
retour sur lui, son regard se tourne vers l’intérieur de lui-même, il joue avec
son objet transitionnel (son doudou), mais d’une façon déjà un peu ­détachée.
En un mot, il s’absente pour mieux habiter son espace mental (Resnik, 1994),
106 La consultation avec l’enfant

il quitte progressivement le domaine des représentations motrices et


­psychomotrices pour celui des représentations psychiques. Devenu un
­enfant plus grand, se couchant lui-même, il pourra continuer cette activité
sublimatoire, et ainsi dompter les « menaces » de la nuit. Par contre, lorsque
l’enfant est devant l’écran, c’est la télévision qui lui raconte des histoires, et
tous les éléments de ces histoires, y compris la forme et les apparences des
personnages, lui sont imposés de l’extérieur. En premier lieu, cela appauvrit
sa capacité de participer à la création de ces personnages. Et surtout, cela
crée chez lui une excitation dont il ne sait que faire. Mais il ne s’agit pas
d’une excitation seulement positive ; elle devient même « phobogène »
et angoissante à certains moments4, notamment devant les programmes
qui ne sont pas conçus pour lui – à tel point que, dans ce cas, la passivité
apparente relève davantage de la sidération que de l’inhibition. L’excitation
télévisuelle tient en partie à la nature forcée de la prosodie des voix et au
rythme rapide voire accéléré du montage, mais aussi à la prévalence de la
fonction visuelle. Comme toutes les pulsions, ce que l’on appelle pulsion
scopique est à la recherche d’objets pour la représenter ; c’est dans l’espace
entre le besoin et la demande et les réponses qui leur sont apportées que va
se déployer le processus de la pensée. Celui-ci risque d’être court-circuité par
la télévision qui semble apporter des satisfactions immédiates à la pulsion.
Une autre question se pose : où va toute cette excitation emmagasinée du-
rant ce que nous pouvons décrire comme un « allaitement télévisuel prolongé »
(Delion, 2007, p. 149) ? Dans la mesure où les images ne favorisent pas le pas-
sage du moteur au psychique, elle n’a plus tellement d’autres voies de décharge
que motrices ou psychomotrices. Combien de troubles du sommeil, ou surtout
de troubles de type instabilité psychomotrice pourraient être expliqués ainsi ?
D’autre part, il est probable que les écrans d’aujourd’hui (vidéos, Internet,
webcams et autres cybercombinaisons) offriront à l’enfant des possibilités
démultipliées de s’exciter « autistiquement » plutôt qu’autoérotiquement.
Dans le premier cas, il est le réceptacle direct de l’image excitante sur laquel-
le il est branché (« je vibre avec la source de l’excitation »), dans le second,
il a dans la tête une représentation personnelle qui résonne avec celle qui
lui est offerte (« je pense à mon expérience émotive quand je vois une expé-
rience similaire à la télévision »). Voilà qui ouvre de nouvelles perspectives
dans l’extension des scénarios addictifs futurs (Tisseron et al., 2006, p. 36).
La dépendance aux jeux virtuels se mesure souvent à la difficulté à s’arrêter
de jouer. Cela s’explique par le fait que l’« objet addictif » (Corcos et al.,
2003) occupe une place centrale dans l’économie psychique des enfants
et qu’ils l’investissent massivement, souvent au détriment d’autres objets
d’investissement. Mais nous savons également que la consommation a une

4 Nous pensons notamment à ces films d’horreur que beaucoup d’enfants voient trop
tôt, avec une ambivalence réduite à l’impuissance par la sidération qui s’empare d’eux.
La consultation avec un enfant 107

fonction antidépressive, l’excitation jouant ici un rôle fondamental. Ainsi,


le cercle vicieux dépression-dépendance-addiction est mis en place et il
devient difficile de l’interrompre. Car si les jeux virtuels nécessitent une
part active chez l’enfant qui contrebalance sa passivité, la télévision, par
contre, par son trop-plein d’images excitantes coïncidant avec une passivité
maximale, ne court-circuiterait-elle pas le passage progressif de la motricité
à la psychomotricité et à la parole ?
Dans les consultations, il paraît important d’aborder ce sujet avec l’enfant
et ses parents, car si les effets négatifs de la télévision sont rarement au cen-
tre des problèmes présentés, les questions posées à son sujet sont souvent
l’occasion de constater la grande « liberté » dont l’enfant jouit dans le rap-
port avec ce désormais « quasi-personnage » intrafamilial. Entre les enfants
de milieux précaires dans lesquels la télévision trône dans chaque chambre
d’enfant comme le témoin de l’effort fait pour une bonne éducation, et
ceux de milieux plus favorisés où la question ne se pose jamais, le travail du
consultant est de permettre d’en parler, sans moralisation ni banalisation
excessives, comme d’un élément qui rentre dans l’équation du développe-
ment des enfants d’aujourd’hui. Dans un certain nombre de cas, l’enfant
présente un symptôme préoccupant ayant amené à la consultation (insom-
nie rebelle, cauchemars itératifs, crise d’angoisse panique, voire paréidolies
(Ey, 1973) ou hallucinations) et il sera utile de faire préciser à l’enfant et
aux parents les conditions dans lesquelles la télévision fonctionne dans
le milieu familial. Des surprises gisent parfois au détour de ces questions
apparemment anodines.

Nathalie, huit ans


Dès huit ans, Nathalie regarde le programme d’Arte
Nathalie est une petite fille de huit ans. Tout se passe bien dans son développe-
ment jusqu’à ce qu’un matin, elle présente à l’école une crise convulsive qui la
fait conduire d’urgence au CHU. Là, un neuropédiatre l’examine et conclut à une
pseudo-crise d’épilepsie. Nathalie rentre chez elle et va connaître une rapide dé-
gradation de son état, à la fois sur le plan de sa scolarité qu’elle met rapidement
en échec et sur le plan de son sommeil. Elle est alors hospitalisée en neuropédiatrie
pour explorer plus avant ces symptômes préoccupants. Le bilan réalisé conclut à
une pathologie pédopsychiatrique et l’enfant est hospitalisée en pédopsychiatrie.
Sa situation clinique se dégrade, et elle présente des fausses routes qui conduisent
le médecin à prescrire en urgence une nutrition parentérale. Son état se dégrade
encore et les parents reçus en consultation craignent pour la vie de leur fille. Le
pédopsychiatre travaille en étroite collaboration avec le neuropédiatre de façon à
ne pas passer à côté d’un processus cérébral à l’origine d’un tel tableau.
Alors que les éléments cliniques sont donc très alarmants, le pédopsychiatre
reçoit encore une fois les parents pour explorer avec eux l’histoire récente des
événements. Il apparaît que la veille de la crise convulsive, Nathalie a vu avec ses x
108 La consultation avec l’enfant

x parents une émission de télévision sur Arte, consacrée aux graves troubles du
sommeil et que les images présentées avaient pour les parents eux-mêmes un
caractère très choquant : on y voyait un patient hospitalisé en bilan de sommeil
chez lequel les réalisateurs de l’émission avaient réussi à montrer par un procédé
cinématographique les hallucinations très angoissantes dont ce patient souffrait.
Nathalie, choquée de ces images, avait commencé ce soir-là ses insomnies. La
reprise de cet événement avec la fille et ses parents a permis de sortir de l’im-
passe morbide dans laquelle elle se trouvait. L’évolution rapidement favorable a
permis de proposer un soutien psychothérapique à Nathalie de manière à l’aider
à dépasser les quelques fragilités qu’elle présentait préalablement. C’est l’appro-
fondissement des éléments concernant la télévision et ses potentialités traumati-
ques lors des consultations qui a permis d’amoindrir les troubles de cet enfant.

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4 La consultation
avec un adolescent

Plus que le repérage des conduites symptômes, le clinicien


devra tenter d’analyser le fonctionnement psychique
du patient, mais aussi relier ce fonctionnement aux
interactions familiales auxquelles cet adolescent participe.
D. Marcelli et A. Braconnier (2008, p. 68)

Position du problème : l’adolescence entre


défiance et confiance1
Que l’adolescence, au-delà ou en deçà de la violence dans les banlieues,
soit aujourd’hui un objet de préoccupation voire d’étude pour tous ceux
qui sont intéressés par les problématiques de la relation humaine est une
évidence, car la violence est loin de résumer la question de l’adolescence,
quand bien même elle gît souvent au creux de son processus. Situer l’ado-
lescence, ou plutôt les adolescences, entre défiance et confiance est une
manière d’indiquer les bornes du chemin que parcourent les adolescents.
Outre le fait que « fiance » est le substantif du verbe « se fier à », qui veut
dire « avoir confiance en », bref, laisser se dérouler les mécanismes d’iden-
tification en soi, voilà l’occasion de développer l’idée que les adolescences
sont pour partie les modes selon lesquels celui qui va « passer » ce gué
temporel va y rejouer avec de nouveaux acteurs une pièce qu’il a déjà
jouée antérieurement dans sa famille. Et, selon que prédomine l’aspect de
crise ou celui de processus, que soient ou non présentes des manifestations
psychopathologiques, qu’il y ait ou non mordançage avec les comporte-
ments de type délinquantiel, l’adolescence ne se conjuguera pas des mêmes
­façons ; sans compter que certains adolescents cumulent plusieurs de ces
possibilités. Ne pourrait-on pas considérer ce passage aux formes multi-
ples comme un des organisateurs psychiques du développement de l’enfant
« allant-devenant » adulte, au sens que Spitz (1965) donne à ce concept
lorsqu’il qualifie ainsi le sourire, l’angoisse du non-familier et le « non »
chez le petit enfant ?

1 Casanova et Vulbeau, 2008.

La consultation avec l’enfant


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112 La consultation avec l’enfant

Tout le monde s’accorde sur le fait que le pubertaire (Gutton, 1991) corres-
pond au travail de psychisation de la puberté physiologique. Et aujourd’hui,
il est admis de considérer que la psychopathologie ne concerne pas la seule
âme de la personne, mais qu’elle a aussi quelque chose à dire sur son corps,
ou plus précisément sur l’image de son corps (Schilder, 1935). Il est main-
tenant établi que les aspects complémentaires corporo-psychiques sont
à la fois différents et indissociables dans l’étude et la compréhension des
phénomènes concernant le développement humain. « Le corps est dans
le monde social, mais le monde social est dans le corps », déclarait Pierre
Bourdieu lors de sa leçon inaugurale au Collège de France2. Et dans cette
perspective, il semble que l’adolescence soit une voie d’entrée royale pour
en permettre la démonstration. Mais en outre, le rapport que l’adolescent
va entretenir avec le socius est une extension d’abord homothétique, puis
progressivement ou brutalement divergente du milieu familial, qu’il soit
classique ou « recomposé ». En effet, lors de son ouverture sur le monde
social, l’adolescent va transposer sur ce nouveau monde les manières qu’il
a apprises pour entrer en relation avec l’ancien monde, telles qu’il les a
mises au point dans son enfance, avec ses parents et sa famille nucléaire
puis élargie. La défiance et la confiance sont des catégories qui datent de la
construction de l’enfance familiale de ces adolescents. Comment séparer la
défiance que les adolescents vivent et font vivre à leurs partenaires – « pour-
quoi tu me regardes comme ça ? » – sans la relier aux types d’attachements
insécures décrits par Bowlby et ses élèves (Bowlby, 1978 ; Main et Cassidy,
1988) ? Comment ne pas comprendre les relations de confiance que cet
adolescent inspire à ses proches sans les mettre en rapport avec un attache-
ment sécure originaire ? Mais comment comprendre également, pour ne
pas restreindre cet exercice aux seules théories de l’attachement, que ce sont
les limitations successives de sa toute-puissance infantile qui vont amener
l’adolescent à établir un nouvel étalonnage et de nouvelles délimitations
en fonction des expériences que son corps pubère lui permet d’envisager
sinon de réaliser ? Toute la théorie de Françoise Dolto sur les castrations
symboligènes (Dolto, 1984) vient ici prendre une place qui est trop souvent
confinée à la petite enfance péri-œdipienne. Or l’adolescent, après la longue
traversée de la période de latence, revisite toutes ces expériences infantiles
pour en ajuster les premiers contours à la mesure de ses nouveaux gabarits.
De même que chez l’enfant, ces limitations successives, ombilicales, orales,
anales, de différenciation sexuelle et de résolution œdipienne avaient pour
conséquence l’intériorisation, ou pas, des interdits vampiriques, canniba-
liques, du meurtre, du parricide et de l’inceste, concourant à l’édification
d’une identité infantile, de même, chez l’adolescent, pourrait-on revisiter
avec lui ces différents niveaux en les actualisant à la lumière de sa nouvelle

2 Le 23 avril 1982.
La consultation avec un adolescent 113

géographie corporelle et psychique et en déduire à la fois les aspects qui


vont en être sublimés, ou bien, au contraire, devenir des possibilités d’an-
goisses assorties des pathologies spécifiques de l’adolescence, espoirs ou im-
pedimenta d’une identité adolescente ?
Quel que soit le niveau d’analyse de ces mécanismes psychopathologi-
ques, il ne peut être fait abstraction de leurs corrélations avec les autres
aspects sociologiques, anthropologiques, voire politiques, qui permettent
de redonner toute leur place aux concepts de groupes et d’institutions, et
tout son sens à l’entrée de l’adolescent dans le monde citoyen. Si l’ado-
lescence peut être entendue comme un organisateur psychique spécifique,
c’est bien par sa complexité singulière, celle qui la met au carrefour des
dimensions biologiques, psychologiques et anthropologiques3. Et si cette
complexité permet de mieux approcher la réalité de ce passage, elle nous
met également en demeure d’en tirer les conséquences en terme de prise
en charge et de philosophie de travail, notamment en ce qui concerne les
linéaments des politiques sociales et de santé publique, d’éducation, de for­
mation et de justice. Comment pourrait-on déduire d’une telle approche
une démarche de prévention en santé sans tenir compte de cette comple­
xité ? Que ce soit pour le tabac, l’alcool, et les dépendances en général,
que ce soit pour les maladies sexuellement transmissibles ou même pour la
délinquance, des actions « ciblées » sur l’adolescence ne peuvent faire abs-
traction des réflexions sur l’enfance et la parentalité qui les bornent à leur
tour. En matière de scolarité et de formation, comment intégrer ces don-
nées dans un plan qui vise à responsabiliser les adolescents, non pas d’une
façon moralisatrice, mais bien plutôt en leur « confiant » des responsabilités
concrètes dans la gestion de leur vie quotidienne, sur le modèle de ce que
la pédagogie institutionnelle (Pain, 1995 ; Pain et Villerbu, 1997) propose
comme théorico-pratique collective ?
Enfin, il ne serait pas pensable désormais de conduire la moindre ré-
flexion au sujet des adolescences, sans mettre l’accent sur l’importance de
la prise en compte de ce qui se passe au niveau des parents des adolescents,
et plus précisément de ceux dont les adolescents vont mal, mais également
à celui de tous les professionnels, et ils sont très nombreux, en lien avec les
adolescents.
Pour les parents, tout ce qui vient d’être dit va dans le sens d’une élabora-
tion avec eux dans la diachronie de leur histoire familiale, de la souffrance
qu’ils éprouvent soit originellement soit en écho à la souffrance de « leur »
adolescent. Et là, nous avons de multiples exemples de scénarios possibles
avec les parents, soit en individuel, soit en groupe, et dans de multiples
occurrences, thérapeutiques, sociales, politiques.

3 Au sens développé par Jacques Schotte dans son « anthropopsychiatrie » ; cf. Schotte,
1996.
114 La consultation avec l’enfant

Pour les professionnels, qui doivent assumer ces rencontres quelquefois


désorganisatrices dans le cadre « normal » de leur travail, il peut être inté-
ressant de réfléchir à des modes de réponses pertinentes par rapport aux
problèmes qui se posent : telle enseignante est découragée par les attaques
perpétuelles de certains adolescents pénibles et souvent dangereux de ses
classes, tel éducateur est persécuté par un jeune délinquant qu’il suit depuis
de nombreux mois tout seul, tel travailleur social est l’objet de rétorsions de
la part de la famille d’un adolescent toxicomane, tel pédopsychiatre ne sait
plus comment intervenir pour aider cet adolescent qui présente une pho-
bie scolaire grave… Des solutions sont possibles à condition de se mettre
autour d’une table et de penser ensemble des réponses pertinentes partagées
par les différents intervenants solidairement. Cela a généralement comme
effet de permettre à l’adolescent de pouvoir s’appuyer sur un objet collectif
stable qui bien souvent était celui à la recherche duquel il avait engagé ses
forces d’une façon entropique, et à ceux qui sont responsables de lui sans
pouvoir l’aider de retrouver quelque confiance dans leurs propres capacités
humaines.
Tout ce développement pour insister sur l’importance, pour celui qui va
recevoir l’adolescent en consultation, d’avoir mené ces réflexions en arrière-
plan, tout en tenant ensemble la position de pédopsychiatre ou de psycho-
logue et celle d’adulte, témoin et porteur engagé d’un processus civilisateur
que les parents ont entamé avec leur enfant très tôt, mais qui à certains
moments, a besoin d’être étayé par des rencontres humaines qui peuvent
compter. La consultation devrait en être une parmi d’autres.

Quelques éléments pour comprendre


la psychopathologie de l’adolescence
« Un adolescent, disait Françoise Dolto, c’est un homard pendant la mue :
sans carapace, obligé d’en fabriquer une autre, et, en attendant, confronté
à tous les dangers : découverte de soi, sexualité, révolte, tentations de la
violence, de la drogue ou de la dépression. » (Dolto et al., 2007.) L’adoles-
cence est un phénomène complexe aux confins de plusieurs dimensions :
les modifications pubertaires du corps avec la réorganisation psychique de
son image à la lumière de la sexualité génitale, l’augmentation de la dis-
tance psychique avec la famille, la prévalence de la pairie avec distanciation
critique du scolaire, les changements anthropologiques concernant l’ado-
lescence ressentie comme lieu de projection de phénomènes sociétaux et de
nombreux autres facteurs viennent jouer un rôle dans le réaménagement de
l’équilibre antérieurement plus ou moins stabilisé de l’enfant en période de
latence. À ce titre, l’adolescence peut aussi bien être un moment carrefour
au cours duquel les nouvelles donnes sont autant d’ouvertures que le sujet
La consultation avec un adolescent 115

en mutation peut saisir, qu’une période de vulnérabilité débouchant sur


un certain nombre de fragilités voire de décompensations possibles dans sa
trajectoire existentielle.
Dans cette perspective, des signes soit directement pathologiques, soit en
train de le devenir, peuvent conduire l’adolescent et ses parents à la consul-
tation en pédopsychiatrie. Les symptômes apparaissent soit sous forme de
crises (la crise à l’adolescence est à distinguer de la crise d’adolescence qui,
par définition, n’est pas pathologique), soit sous forme de processus. Si
dans le premier cas, il est relativement facile de cerner rapidement le pro-
blème posé (suicide, bouffée délirante aiguë, conduites violentes…), dans
le second, l’adolescent est souvent passif, commentant sa présence dans
le bureau de consultation d’un « ce n’est pas moi qui ai demandé à venir »
voire d’un « bof » qui résume en apparence son implication à l’absence de
demande explicite. Pourtant, nous savons bien que les absences de deman-
des explicites, quand elles font suite à divers actes préalables, peuvent être
considérées en soi comme des « actes de la demande » (Lacan ; voir Dor,
1985, p. 240). Il faudra décoder la demande latente de l’adolescent sous
la non-demande de surface, et lors de ces consultations il conviendra de
préciser le substratum psychopathologique sous-jacent de façon à l’intégrer
dans la stratégie thérapeutique à mettre en place. Un adolescent suicidaire
rencontré dans l’immédiat décours de son geste grave en réanimation ne
nécessite pas les mêmes réponses que cet autre qui, depuis quelques mois,
présente un repli progressif sur soi avec quelques comportements bizarres
et un désinvestissement scolaire inexplicable chez ce bon élève, ou qu’une
jeune fille intellectuellement brillante, s’adonnant au sport de façon quasi
addictive et commençant à inquiéter son entourage par ses préoccupations
centrées essentiellement sur son régime alimentaire qu’elle juge toujours
trop abondant.
Enfin, la question de la sexualité à l’adolescence est centrale, dans la
mesure où du fait des nouvelles possibilités offertes par le corps pubertaire à
l’adolescent, les liens antérieurs de sa psyché avec son corps infantile vont
en être profondément renouvelés. Ce sont ainsi les identifications adoles­
centes qui vont concourir à une nouvelle identité. Dans ces processus matu-
ratifs, la masturbation, les fantasmes sexuels, les premières relations sexuel-
les (hétéro- ou homosexuelles), et plus avant la contraception, l’avortement
et éventuellement la grossesse vont devenir autant de sujets extrêmement
importants dans la vie psychique de l’adolescent et dans ses comportements.
Ils pourront déterminer non seulement des pensées conscientes sous-
­tendues par des fantasmes inconscients, mais aussi des comportements
psychopathologiques nécessitant parfois des soins spécifiques (la prostitution
en lien ou non avec une toxicomanie, les agressions sexuelles, et les problé-
matiques de victimes adolescentes d’abus sexuels). La consultation devient
une possibilité de faire le point avec l’adolescent sur toutes les difficultés
116 La consultation avec l’enfant

qui en résultent. Mais en matière de sexualité, les approches seront souvent


« indirectes ». Il faut savoir l’accepter pour mieux aider l’adolescent à
construire une relation de confiance avec le consultant.

Recevoir un adolescent en consultation


La consultation aura à permettre une compréhension globale de la situation
en termes de clinique et de psychopathologie pour amener l’adolescent et
ses parents à réaliser ce qui se présente à eux, et les enjeux quelquefois
considérables qui peuvent en résulter.

La première consultation
La première consultation peut le plus souvent avoir lieu avec l’adolescent
seul. Les parents seront bien entendu reçus dans tous les cas, mais après
ces premiers contacts avec l’adolescent, de façon à lui adresser le message
que nous sommes d’abord à sa disposition pour l’aider à franchir une passe
difficile, et que ses parents constituent une « force d’appoint » nécessaire
pour le faire, même si, à première vue, c’est l’hostilité qui domine les rap-
ports entre eux. Il paraît intéressant de penser cette première consultation
comme une double rencontre, avec l’adolescent dans un premier temps,
puis aussitôt avec lui et ses parents. Cela permet de lui proposer le mode de
travail que nous allons entreprendre, respectant à la fois son point de vue,
mais prenant également en compte celui de ses parents, sans les laisser faire
trop intrusion dans son espace thérapeutique personnel, mais sans non plus
les abandonner à leurs angoisses inévitables, et parfois aggravantes de la
pathologie de leur adolescent. Et lors de cet entretien, il est fréquent que
les parents, contraints par cette angoisse qui les a submergés depuis les pre-
mières interrogations sur le comportement, pathologique ou non, de leur
adolescent, posent devant lui des questions au consultant portant sur son
intimité ou sa vie privée. La manière dont le consultant va alors réagir « en
direct » à ces tentatives des parents de reprendre le contrôle de la situation
sera déterminante dans la poursuite de la prise en charge. En répondant
aux parents sans agressivité que certains espaces concernant leur adolescent
sont maintenant garantis par sa présence vigilante, le consultant agit sur
les deux plans : aux parents, il demande de bien vouloir avoir la générosité
intellectuelle et affective de suspendre leur mode de fonctionnement anté-
rieur le temps qui sera nécessaire à la réorganisation « adolescente » non
pathologique de leur enfant, et ce, sous bénéfice d’inventaire ; à l’adoles-
cent, il signifie que leurs entretiens sont sous le sceau du secret, et que s’il lui
a demandé, malgré ses réticences, de les recevoir avec lui lors de cette pre-
mière consultation, il ne doit pas en redouter les effets dévastateurs, mais au
contraire en attendre certains qu’il n’imaginait plus possibles. Cependant,
La consultation avec un adolescent 117

il peut arriver que l’adolescent ne veuille absolument pas que le consultant


reçoive ses parents, pour diverses raisons, dont une des principales est le
sentiment de gêne ou de honte narcissique qu’il pourrait éprouver à l’issue
d’une telle rencontre, en rapport avec le peu d’estime qu’il a de lui-même,
et de lui pour eux. C’est pourquoi, quelle que soit la manière dont l’entre-
tien est prévu avec les parents, le consultant peut avoir intérêt à prévoir que
cette rencontre en compagnie de l’adolescent soit différée quelque peu. De
la lecture qu’il pourra faire des interactions ainsi mises en scène, et de sa
capacité à les partager avec l’adolescent lors des entretiens ultérieurs, pour-
ront résulter à la fois l’intégration de la réalité parentale dans le futur travail
thérapeutique ou psychothérapique, mais aussi l’élaboration ensemble des
sentiments projetés que cette proposition avait pu faire germer. Si d’aven-
ture un des parents semble lui-même en grande difficulté psychopathologi-
que, ce qui arrive parfois, il sera opportun de prévoir de le faire aider, quand
il le souhaite, par un autre soignant, afin de ne pas confondre les plans
thérapeutiques à entreprendre.
Généralement, plusieurs entretiens sont nécessaires pour à la fois éva-
luer la situation qui a conduit cet adolescent à la consultation, mais aussi
pour avoir une impression déjà relativement précise sur les capacités de
cet adolescent à s’engager dans une relation thérapeutique, sinon transfé-
rentielle. Il n’est pas rare que la première consultation soit centrée sur le
comportement qui en a provoqué l’occasion. Que le symptôme soit spec-
taculaire ou au contraire repéré depuis plus longtemps, les premiers échanges
vont s’organiser autour d’une mise en récit de ce phénomène, comme si
l’adolescent, et éventuellement ses parents quand ils sont présents aux
consultations ultérieures, cherchait plus ou moins explicitement un sens à
ces comportements inhabituels. C’est également l’occasion de reprendre les
éléments biographiques de la famille et de l’adolescent de façon détaillée,
lorsqu’on pense pouvoir le faire sans déclencher un agacement distancia-
teur trop important chez lui. Dans ces échanges d’informations médicales
apparentes sont très souvent contenus d’autres éléments qui sont sources
d’un intérêt inattendu pour l’adolescent. Il arrive en effet que l’adolescent
entende parler de certains aspects de la grossesse le concernant, de sa nais-
sance, de sa petite enfance, ou de sa famille, qu’il n’avait pas encore enten-
dus ou intégrés jusqu’alors. Il peut en résulter un intérêt partagé à chercher
dans l’histoire familiale des traces identificatoires, voire des « pistes trau-
matogènes », pour l’adolescent lui-même. Les rendez-vous suivants sont
pris, et la manière dont les uns et les autres vont « s’arranger » pour y venir
est souvent intéressante. Dans certains cas, l’adolescent est très disponible
alors que déjà l’ambivalence des parents se révèle de façon palpable, ils ne
peuvent se libérer pour aucun des rendez-vous proposés, montrant ainsi
que leur ­adolescent est le seul en cause dans ce désordre qu’il a occasionné,
­tandis que dans d’autres cas, c’est l’adolescent qui, terrassé par une ­passivité
118 La consultation avec l’enfant

de surface, ne semble pas pouvoir mobiliser le moindre atome d’intérêt pour


engager quoi que ce soit avec ce consultant qui, au demeurant s’est révélé,
comme il fallait s’y attendre, totalement incompétent… voire « carrément
débile ».

Consultations suivantes
La deuxième consultation va permettre de réaliser à quel point l’adolescent
et sa famille sont désireux de continuer cette relation dont ils ont entrevu
les possibilités d’ouvertures lors de la première rencontre. L’adolescent a
déjà réfléchi à certains aspects et en a produit quelques éléments qui mon-
trent son investissement dans ce travail, ou bien au contraire, il se redit par
rapport à la dernière fois, mettant son énergie au service d’une répétition
sans autre intérêt que conservatoire. Les parents, eux, ont également pu
entreprendre une première recherche à la suite des questions restées sans
réponses la fois précédente, indiquant ainsi leur souhait de se mobiliser
pour aider leur adolescent à changer. Quelquefois, l’adolescent vient seul,
amené par un parent qui reste dans sa voiture, avec l’impression qu’il porte
seul la malédiction familiale. Toutefois, cette impression partagée avec le
consultant peut déjà permettre, à condition de ne pas s’y enferrer, une pre-
mière alliance sur la piste familiale transgénérationnelle. On peut constater
dans certains cas que l’adolescent est retourné dans sa tour d’ivoire après
avoir quelque peu abaissé son pont-levis lors de la première rencontre, et
qu’il va falloir déployer beaucoup d’énergie pour le rejoindre à nouveau
par-delà les douves de sa forteresse. Ses mécanismes de défense sont à l’œu-
vre, sa résistance est entière, ses réponses sont minimalistes. Dans d’autres
cas, l’adolescent idéalise les pouvoirs du consultant, en attend beaucoup sur
le mode projectif, et se prépare, sans le savoir, à une désillusion quasi obli-
gatoire. L’art du consultant va consister à repérer ces lignes de force pour les
conjuguer au futur.
Ces consultations vont permettre de préciser les hypothèses diagnostiques
à partir des évaluations déjà réalisées, et éventuellement d’en approfondir
quelques aspects à l’aide de bilans complémentaires. Ces éléments permet-
tront en outre de déterminer les indications thérapeutiques, mais égale-
ment quelques éléments de pronostic. Cet aspect, souvent mis en avant
dans les préoccupations parentales en terme de poursuite de scolarisation
ou de réussite professionnelle à venir, est important mais aussi difficile à
avancer et aléatoire. Il peut dépendre de plusieurs facteurs, parmi lesquels
les plus saillants sont la capacité de l’adolescent à s’intéresser à son monde
interne, à faire des liens entre ses symptômes et ses fantasmes sous-jacents
et à les parler plutôt qu’à les agir, l’investissement conservé d’autres sphè-
res (scolaires, culturelles, sportives…) de sa vie intellectuelle et affective, et
enfin les possibilités d’adaptation (fiabilité, sécurité, souplesse, ouverture
La consultation avec un adolescent 119

sur le monde) des parents à ces modifications souvent importantes de leurs


propres processus antérieurs. Et ces éléments sont en lien avec la qualité du
travail d’élucidation psychopathologique et les perspectives de l’entreprise
psychothérapique proposées lors des consultations.

Comprendre le recours à l’agir


Il est classique d’insister sur la forme d’expression particulière que l’adoles-
cent utilise et notamment le recours à l’agir sous ses diverses modalités. On
distingue habituellement dans les formes de l’agir : l’acte et la mise en acte,
l’acte manqué, l’agir et le passage à l’acte. Le grand enjeu de la consultation
va être de trouver une signification à ces modalités de l’agir.

Acte et mise en acte


« Un “acte” désigne plutôt la face objective ou extérieure de ce dont on
parle, ce qui a été effectivement réalisé ; l’“action” vise plutôt la face sub-
jective ou intérieure, ce qui a été voulu et les conditions psychologiques
dans lesquelles la chose a été réalisée. » (Foulquié et Saint-Jean, 1969, p. 9.)
Pour Freud, la « mise en acte » est le « fait par lequel le sujet, sous l’em-
prise de ses désirs et fantasmes inconscients, les vit dans le présent avec un
sentiment d’actualité d’autant plus vif qu’il en méconnaît l’origine et le
caractère répétitif » (Laplanche et Pontalis, 1990, p. 240). L’acte peut être
impulsif, et surgir à l’occasion d’un brusque débordement émotionnel ; il
peut être compulsif, agi sous une contrainte interne à laquelle le sujet peut
difficilement résister.

Acte manqué
L’« acte manqué » est un « acte où le résultat explicitement visé n’est pas
atteint mais se trouve remplacé par un autre. On parlera d’actes manqués
non pour désigner l’ensemble des ratés de la parole, de la mémoire et de
l’action, mais pour les conduites que le sujet est habituellement capable de
réussir, et dont il est tenté d’attribuer l’échec à sa seule inattention ou au
hasard. Freud a montré que les actes manqués étaient, comme les symp­
tômes, des formations de compromis entre l’intention consciente du sujet et
le refoulé. » (Laplanche et Pontalis, 1990, p. 5-6.) Lacan commente joliment
la découverte freudienne avec ces mots : « Tout acte manqué est un discours
réussi » (1966).

Agir et passage à l’acte


L’agir prend ici son sens par opposition avec le « penser ». En effet, l’ado-
lescence est l’âge pendant lequel les conflits, les frustrations et les angoisses
120 La consultation avec l’enfant

peuvent se manifester plus souvent par l’agir, comme si la mentalisation


enfantine mise en place au décours du complexe d’Œdipe grâce à son mé-
canisme privilégié, la sublimation, devait à nouveau être « réétalonnée »
à l’aune du corps pubertaire. Les forces pulsionnelles nouvelles favorisent
ainsi l’agir tout le temps nécessaire à « repenser » les représentations rééla-
borées avec l’accession à la génitalité. Dans cette perspective, le passage à
l’acte est le résultat externalisé d’un conflit vécu encore en termes de rap-
ports de forces ne trouvant pas dans le monde interne la solution repré-
sentationnelle qui permettrait d’y trouver une autre issue, notamment en
termes d’attente et de patience. Le passage à l’acte est impulsif et au service
du seul adolescent, et la violence qui s’en dégage est de nature narcissique.
Les psychanalystes opposent le passage à l’acte à l’acting out qui, lui, se situe
dans une relation transférentielle et vient révéler en acte un élément qui ne
peut être dit au thérapeute. Le passage à l’acte, puisqu’il n’est pas a priori
adressé à quelqu’un qui pourrait le comprendre, reste lui, « hors scène ».
D’où la proposition de Jean Oury (2005) d’utiliser le travail psychothéra­
pique institutionnel pour transformer (au sens de la fonction alpha de Bion,
voir Athanassiou, 1997) les passages à l’acte en acting out. Rechercher la
signification de l’agir et du passage à l’acte reste un des principaux axes du
travail propre à effectuer avec l’adolescent en souffrance psychique.

Comportements pathologiques liés à l’agir


et leurs significations
Chez l’adolescent, les principaux comportements pathologiques liés à l’agir
et au passage à l’acte sont les suivants : les différentes manifestations de
la crise à l’adolescence, les comportements externalisés de l’adolescence
tels que le suicide ou la tentative de suicide, les actes délinquantiels, les
consommations excessives de produits toxiques, les conduites violentes et
impulsives, les prises de risques et les accidents, les scarifications, et enfin
la dépression. À chaque fois, il s’agira lors de la consultation de trouver
avec l’adolescent lui-même la signification de son agir à la lumière des hy-
pothèses de Marcelli et Braconnier (2008, p. 101-104). Ils proposent l’agir
soit comme stratégie interactive, soit comme mécanisme de défense, soit
comme entrave de la conduite mentalisée, soit enfin comme refus d’agir.
Schotte, pour sa part, proposait de comprendre ces troubles du comporte-
ment, comme les actes posés des adolescents « psychopathes », non pas au
sens de la nosographie classique, mais à celui qu’il avait réélaboré à partir
de Szondi (Schotte, 1990b, p. 13-20), la pulsion « contact » (Schotte, 1990a),
entendue comme le jeu dialectique précoce entre dépendance et séparation.
Pour aller plus loin, il peut être intéressant de choisir comme vertex de l’ap-
proche psychothérapique la scène figurée dans l’agir en question comme
actualisation d’une scène traumatique ancienne, qui se répète dans certai-
La consultation avec un adolescent 121

nes circonstances de la vie relationnelle de l’adolescent, jusqu’à ce qu’il en


ait compris le message implicite. D’un coup, l’agir n’est plus seulement un
élément négatif désagréable et répréhensible, mais aussi un matériau issu
des archives de l’adolescent dont il va falloir entreprendre la lecture avec
lui.
Les autres formes « d’agir » à l’adolescence pourront être retrouvées sous
les manifestations cliniques de fugues, d’errances, de vols ou de violences,
et être soumises à la même recherche.

Diane, quatorze ans


Diane et le camp militaire
Cette adolescente de quatorze ans est hospitalisée depuis plusieurs mois dans
une unité de pédopsychiatrie pour des troubles du comportement au foyer de
l’Aide sociale à l’enfance dans lequel elle était placée depuis plusieurs années.
Lors de la consultation d’urgence au cours de laquelle l’indication d’hospitalisa-
tion avait été posée, peu d’éléments sont rapportés. Tout se passe comme si sa
vie se résumait aux passages à l’acte qu’elle a « commis » et il est très difficile de
reconstituer sa biographie. On sait qu’elle a eu une mère déficiente, « toujours
enceinte », avec de très nombreux frères et sœurs, et un père alcoolique, violent,
ancien militaire de la Légion, « jeté hors de l’armée pour insubordination ». Dans
le service, elle passe par des moments où elle est très infantile, établissant avec les
soignants une relation de type mère - petit enfant, montrant à l’envi son niveau
de fonctionnement psychique ordinaire. À d’autres moments, et quelquefois
pour la moindre peccadille, elle s’enflamme tel un volcan et devient violente avec
les autres et parfois aussi avec elle-même, allant jusqu’à se scarifier les avant-bras
avec des morceaux de verres cassés. Les faces contrastées de ses comportements
sont peu éclairées par son histoire dont nous n’arrivons pas, au fur et à mesure
des consultations qui jalonnent son hospitalisation, à reconstituer nettement les
lignes de force. Elle participe peu à la vie institutionnelle, trouvant dérisoires « ces
réunions où on pompe de l’air ». Pourtant, elle entretient avec une infirmière une
relation privilégiée, connaissant, aussi bien qu’elle, ses horaires, et même quel-
ques éléments de sa vie personnelle par la collecte de confidences inappropriées
d’autres soignants, lors de moments plus sereins. Un jour, après avoir été déclarée
en fugue une fois de plus, elle revient fièrement accompagnée de deux militaires
du camp de parachutistes voisin. Ceux-ci viennent très gentiment expliquer à
la cadre de santé que « Diane vient depuis plusieurs semaines faire le pied de
grue » à l’entrée du camp militaire, « comme si elle attendait quelqu’un » et que
leur supérieur leur a demandé de « raccompagner cette jeune fille ; on ne sait
jamais ce qui peut arriver… ». Diane ne manque pas de présenter « ses militai-
res » aux adolescents du service qui sont présents et quelque peu ébahis de cette
résolution de fugue. Mais les fugues vont continuer, car Diane ne peut pas s’en
empêcher, découvrant le côté compulsif de ces comportements agis.
C’est l’infirmière avec laquelle elle a une relation privilégiée qui trouvera la
­solution pour transformer ce comportement pathologique. Responsable du
­journal des adolescents du service, elle demande à Diane si elle peut organiser x
122 La consultation avec l’enfant

x une interview du commandant de la caserne pour que les autres sachent ce que
les militaires y réalisent comme activités. Et lors de la rencontre prévue à cet
effet, elle demandera à la fin de l’interview du commandant si par hasard il ne
connaîtrait pas le caporal « X », son père ou s’il ne pourrait pas se renseigner sur
lui, car elle ne sait pas ce qu’il a fait quand il était à l’armée. « On m’a raconté
tellement de bobards à son sujet… » Il se trouve que le commandant a bien
connu le père de Diane et que des éléments de sa biographie laissés jusqu’alors
dans l’ombre vont pouvoir resurgir d’un passé incertain, grâce à ce témoin inat-
tendu. Un travail psychothérapique pourra alors être entrepris et Diane sortira
assez rapidement du service de pédopsychiatrie pour entrer dans un établis-
sement de formation pré-professionnelle. Son comportement essentiellement
constitué d’agir a pu se modifier par l’analyse et la prise en compte de certains
de ces actes.

Les formes de consultations : accueillir la crise


et/ou le processus
Les consultations avec les adolescents peuvent prendre des formes particu-
lières en fonction de la psychopathologie présentée. Il est habituel de les
distinguer en crises et processus. Mais quand nous regardons l’expérience
des praticiens de la pédopsychiatrie, il est souvent difficile de trancher entre
ces deux formes, dans la mesure où, sauf cas particuliers, l’adolescent vient
consulter dans un état de crise survenant sur un processus ayant débuté
quelque temps auparavant ; il va alors falloir en départager les différents
déterminants. C’est pourquoi nous allons décrire quelques exemples de
consultations en crises, dans lesquelles il est évident que la décompensation,
même quand elle est brutale, ne peut masquer les fragilités antérieures. Puis
nous donnerons quelques exemples cliniques de processus enracinés depuis
plus longtemps dans la construction de la personnalité adolescente, ce qui
n’implique pas une évolution dépourvue des à-coups de la crise.

La crise
On distingue, dans ces consultations, les situations dans lesquelles l’adoles-
cent et son entourage sont manifestement débordés par la survenue d’événe-
ments qui se traduisent dans son comportement par des signes l’amenant
à consulter « en crise ». Or dans bien des cas, il s’agit d’un problème qui
n’est pas à proprement parler médical, mais plutôt d’une difficulté éduca-
tive plus ou moins ancienne et qui surgit de façon aiguë à l’occasion d’une
frustration quelconque. Dans ces histoires, il convient de ne pas médicali-
ser le problème si le diagnostic ne le justifie pas selon les critères retenus
habi­tuellement. En effet, une réponse de type pédopsychiatrique dans un
tel cas risque de déclencher à la fois une lecture inadéquate, puisque par
La consultation avec un adolescent 123

définition les solutions médicales s’appliqueraient à des phénomènes qui


n’en relèvent pas directement, et dans le même temps d’en disqualifier la
valeur pour la fois où elle serait justifiée, illustrant dans ce domaine la fa-
meuse histoire de l’enfant criant : « Au loup ! Au loup ! » À l’adolescence, du
fait même de la crise d’adolescence, un certain nombre de comportements
sont accentués, voire paraissent pathologiques, alors qu’ils ne sont que l’ex-
pression dans les marges de la normalité d’une difficulté d’adaptation pas-
sagère. C’est pourquoi le médecin amené à recevoir en consultation les ado-
lescents en état de crise doit toujours, quand c’est réalisable, prendre l’avis
du collègue qui suit habituellement cet adolescent de façon à resituer son
avis dans une continuité que, par définition, l’urgence et la crise interrom-
pent ou font bifurquer. Par contre, les crises justiciables d’une intervention
du pédopsychiatre peuvent être très préoccupantes et demandent souvent
à prendre des mesures importantes. Trois exemples sensiblement différents
seront donnés pour en exposer les enjeux : une bouffée délirante aiguë, un
trouble du comportement et un état dépressif aigu sévère.

Bouffée délirante aiguë


L’adolescent ne vient pas seul : il est entouré de personnes (quelquefois
même sans la présence des parents) qui l’accompagnent, non seulement
parce qu’elles le souhaitent, mais surtout parce qu’elles le doivent. En effet,
cet adolescent n’est manifestement pas dans son état habituel, et le consul-
tant qui l’accueille sent nettement que s’il n’était pas accompagné, il serait
déjà en train de s’en aller. Plusieurs scénarios peuvent être envisagés dans
cette occurrence : l’adolescent est très angoissé, son regard cherche déses-
pérément quelque chose qu’il ne trouve pas, ou alors quelque chose que
lui seul peut voir, il se débat, crie, hurle, ne veut pas rester, et parle avec de
grands gestes adressés à on ne sait qui. Quand enfin on a pu obtenir un peu
d’apaisement dans son comportement, soit par une parole rassurante, soit
par une prescription d’anxiolytique d’action rapide, soit les deux, il raconte
alors ces choses bizarres que lui disent ses voix, son récit est un peu confus,
il est « chargé d’une mission… », « le monde doit être sauvé », et son agita-
tion psychomotrice est facilement réactivée par la restitution de ses vécus
délirants et surtout par les questions que son entourage, angoissé à son tour,
lui pose. Et pourtant, il a l’air épuisé, ses habits sont négligés, il semble sous
influence. L’interrogatoire des personnes qui l’accompagnent est important
quand celles-ci le connaissaient antérieurement : ils sont tout simplement
sidérés par les changements intervenus les jours derniers et quelquefois
même les heures récentes. Ceux qui ne le connaissent pas l’ont surpris fai-
sant des choses inhabituelles ou chaotiques, et c’est par les pompiers ou
Police secours que l’adolescent se retrouve aux urgences de l’hôpital à la
suite d’exactions qui frappent les témoins davantage par leur incongruité
que par leur caractère de vandalisme.
124 La consultation avec l’enfant

Devant un tel tableau, le consultant doit s’assurer d’un examen clinique


qui éliminera un syndrome neurologique – encéphalite, méningite aiguë,
tumeur… –, une intoxication par une substance dangereuse absorbée sur le
mode toxicomaniaque – alcool, toxiques divers (LSD, cocaïne, dérivés de
l’héroïne), médicaments ou autres –, ou encore un moment fécond d’une
psychose schizophrénique déjà antérieurement diagnostiquée mais inconnue
des accompagnants de l’adolescent. Le consultant pédopsychiatre des urgen-
ces est habituellement entouré de collègues spécialistes qui pourront l’aider
à préciser les diagnostics différentiels : le neurologue examinera l’adolescent
et demandera en fonction de la clinique des examens complémentaires lui
permettant de préciser ses hypothèses diagnostiques. Pour éliminer une
toxicomanie, il disposera de possibilités de dosages divers lui permettant de
prouver à la fois la présence ou l’absence et le dosage de substances toxiques
dans l’organisme. Une enquête anamnestique permettra dans un second
temps de faire le point sur une consommation éventuelle de ces substan-
ces dans le cadre d’une toxicomanie. Enfin, la recherche systématique des
antécédents permettra de retenir ou non l’existence d’une schizophrénie
apparue dans l’enfance ou plus généralement dans l’adolescence.
Sur le plan clinique, la prise de toxiques peut donner un tableau très
proche de l’état psychotique aigu (Braconnier et Schmit, 1979) : avec les
hallucinogènes (LSD, mescaline, peyotl), ce qui prédomine est la déper-
sonnalisation, les sensations de déstructuration de l’image du corps et la
perte des repères spatio-temporels ; avec les amphétaminiques, c’est l’aspect
persécutif du délire qui prédomine, avec quelquefois une véritable « phar-
macopsychose » (délire paranoïde de type schizophrénique) ; on décrit éga-
lement des accidents comparables avec les drogues douces (cannabis). La
question de savoir ce qui, du substratum psychopathologique conduisant
l’adolescent à la consommation de telles substances ou des effets directs
induits par ces drogues peut l’amener à décompenser sur le mode aigu, reste
difficile à trancher.
De même, en ce qui concerne l’hypothèse de la schizophrénie à début
aigu, qui rejoint d’ailleurs la bouffée délirante aiguë, puisque c’en est une
des formes d’entrée, l’étude de l’évolution de cet épisode permettra d’en
observer les éléments cliniques défavorables : une adhésion au délire,
l’absence de facteur déclenchant, des symptômes peu marqués par les troubles
thymiques.
Si toutes ces pistes diagnostiques sont éliminées, la bouffée délirante
aiguë pourra être retenue comme diagnostic positif principal. Il convient
de prévenir les parents immédiatement quand ils n’ont pas pu venir dès
l’arrivée à l’hôpital, car la thérapeutique immédiate est l’hospitalisation en
urgence dans un service disposant de capacités d’accueil à temps plein. Et
pour cet acte important, l’accord des parents est requis pour les mineurs.
La consultation avec un adolescent 125

Mais en tout état de cause, c’est la signification de l’hospitalisation à temps


plein qui porte en elle une valeur quelquefois traumatique pour les parents
avant qu’ils en aient perçu l’incontournable nécessité. On peut compren-
dre que dans ce cas, le changement radical entre la vie antérieure de cet
adolescent sans histoire particulière, et la survenue récente de cette décom-
pensation ne les ait pas préparés à une telle annonce. Le consultant devra
dès lors consacrer du temps non seulement à l’adolescent lui-même pour
organiser son hospitalisation dans de bonnes conditions, car il s’agit d’une
pathologie qui recèle des potentialités évolutives très différentes (qui vont
du retour à la quasi-normale à l’entrée dans la schizophrénie, en passant
par différentes formes intermédiaires avec troubles thymiques) suivant un
certain nombre de critères qu’il conviendra de préciser au fur et à mesure
de sa prise en charge, mais également à ses parents qui doivent percevoir les
enjeux de cette décompensation, et se préparer à en accompagner les aléas
évolutifs.

Rappel des signes cliniques de la bouffée délirante


aiguë
Début
La bouffée délirante aiguë survient brutalement, souvent précédée de
quelques troubles du comportement à type d’agitation, de céphalées,
d’insomnies et d’angoisse submergeante. Des facteurs déclenchants peu-
vent être retrouvés tels qu’un deuil, une séparation, une rupture, un insuccès
scolaire ou sentimental, un voyage.
Clinique
L’adolescent est envahi en quelque temps par un délire aigu qui va
­bouleverser profondément son existence. Sa conscience est altérée,
avec une relative désorientation temporo-spatiale et des troubles de la
­mémoire et de l’attention peu envahissants. Il est classique de situer l’état
de ­déstructuration de la conscience de l’adolescent entre celui du confus
(état très altéré) et celui des troubles thymiques (pas d’altération ou très
peu). Il est entièrement pris dans les thèmes imaginatifs et délirants et par
ses hallucinations. Il présente une agitation psychomotrice majeure mais
­variable (périodes de vociférations entrecoupées de moments de stupeur
et de mutisme) avec éventuellement des variations thymiques ­oscillant
entre une profonde dépression anxieuse et des moments d’euphorie
passagers. Le délire est polymorphe, et les thèmes sont non systématisés,
érotomaniaques, persécutifs, mégalomaniaques, messianiques. Les méca-
nismes délirants sont aussi bien imaginatifs qu’intuitifs, interprétatifs ou
hallucinatoires. Les phénomènes hallucinatoires peuvent envahir toutes
x
126 La consultation avec l’enfant

x
les sensorialités (visuelles, auditives, cénesthésiques, olfactives), et quel-
quefois atteindre à l’automatisme mental (devinement de la pensée,
conduites imposées par les hallucinations, héautoscopie), aboutissant ainsi
à un sentiment fréquent de dépersonnalisation avec, dans certains cas, des
phénomènes de dédoublement de la personnalité ou des sentiments de
transformation corporelle.
Évolution
Elle se fait généralement vers une évolution assez favorable en quelques
semaines. Dans la moitié des cas, elle restera une expérience unique, mais
les autres cas vont évoluer soit vers la récidive à l’identique, soit vers une
psychose maniaco-dépressive, soit enfin s’installer dans une chronicité de
type schizophrénique.

Un trouble du comportement
L’adolescent attend dans la salle d’attente de la consultation d’astreinte
de l’hôpital avec un éducateur. Il doit être reçu en consultation dès que
le psychiatre aura pu se libérer de ses tâches ordinairement program-
mées. Le comportement de cet adolescent est déjà problématique : il parle
avec véhémence à l’éducateur qui l’accompagne et se moque de l’enfant
déficient qui attend lui aussi son rendez-vous avec un autre pédopsychiatre.
Lorsque le psychiatre est libre, il propose à l’adolescent de venir dans son
bureau après avoir échangé quelques mots avec l’éducateur, et lu la lettre
que lui adresse son collègue le médecin généraliste du foyer où il est placé
depuis quelques mois : « Je vous adresse pour une hospitalisation fermée
le jeune X, âgé de 15 ans, qui a agressé deux éducateurs depuis quelques
jours, dont l’un est en arrêt de travail consécutif à sa blessure. Il est au foyer
depuis le tant, et a rapidement présenté des troubles des conduites qui sont
incompatibles avec la vie des autres adolescents. On ne note pas dans ses
antécédents d’éléments médicaux nécessitant d’être signalés, hormis son
passé d’enfant battu dans une famille violente, placé puis victime d’inceste
par son beau-père (ce dernier est d’ailleurs encore en prison actuellement),
et quelques épisodes récents d’alcoolisation massive avec violence à la suite
de frustrations mineures au foyer de l’enfance. Je vous remercie de ce que
vous ferez pour lui. »
Cet adolescent est agité, victime selon lui d’injustice depuis qu’il est dans
ce foyer ; s’il a été obligé de « cogner sur les éducateurs », c’est parce qu’on
l’y a contraint en « l’accusant à tort de faits qu’il n’avait pas commis » ; le
consultant tente de lui faire raconter sa vie, mais son enfance est manifeste-
ment une contrée à éviter, et les quelques éléments qu’il donne sont confus,
fluctuants, contradictoires. Il veut retourner chez sa mère comme ses frères
et sœurs qui, eux, y sont toujours ; il veut aller voir son père qui est dans
La consultation avec un adolescent 127

une autre région de France… L’entretien est laborieux, et si le courant peut


passer à certains moments, et même l’adolescent avoir recours à la séduc-
tion, à d’autres il reste hostile, rien ne trouve grâce à ses yeux, tout est de
« la faute des autres ». Lorsqu’il est question des actes qu’il a commis et qui
l’ont conduit à la consultation, il devient subitement à nouveau agressif,
n’éprouvant aucune culpabilité vis-à-vis de son geste ni d’empathie envers
ses victimes, et s’emporte contre les éducateurs. Il est alors utile de prendre
contact avec le responsable du foyer avec l’éducateur qui accompagne cet
adolescent pour les inciter à inscrire d’une manière ou d’une autre les actes
délictueux sur le registre de la loi, par exemple par un dépôt de plainte au
commissariat ou un rendez-vous en urgence chez le substitut du procu-
reur de la République chargé des mineurs, de façon à ce que la spirale de
la violence qui s’instaure avec lui ne tourne pas au cercle vicieux. Puis en
fonction de l’état clinique de l’adolescent, il peut être proposé soit une hos-
pitalisation courte d’observation si l’impression clinique est en faveur d’un
retournement possible de l’agressivité sur lui-même avec prescription d’un
traitement pour soulager cette tension, soit au contraire un retour dans son
foyer avec l’accord de ses éducateurs responsables, et une proposition de
rendez-vous rapprochés avec le consultant pour tenter de mettre en place
un suivi pédopsychiatrique qui aurait d’ailleurs dû être entrepris aupara-
vant, et tout en attendant la rapide intervention juridique, symbolique-
ment nécessaire, dans ce processus psychopathique en marche. Dans le cas
où le suivi pédopsychiatrique pourra se prolonger, il sera très important de
faire un point précis avec les services concernés par cet adolescent sur son
histoire, sa situation socio familiale et son statut juridique. En effet, sa prise
en charge ne peut résulter que d’une approche complémentaire effectuée
par les différents partenaires judiciaires, éducatifs et socio-familiaux que
sa situation psychopathologique rend nécessaire. Des réunions de travail
devront donc avoir lieu entre ces différentes composantes pour se répartir
les rôles de chacun dans cette histoire clinique complexe, et tenir bon dans
la durée de sa prise en charge.

Rappel du tableau clinique de la psychopathie


L’adolescent psychopathe ne consulte pas de lui-même, mais sous la
pression de ses victimes. Ce sont les autres qui décrivent les troubles du
comportement qu’il présente : agitation, agressivité (hétéro- et auto-),
opposition, menace, mensonge, destruction, vol, agression sexuelle…
Les passages à l’acte sont le plus souvent impulsifs, sans tenir le moin-
dre compte des ­limites habituellement définies dans son groupe social
d’appartenance. La moindre frustration peut déclencher un tel passage à
l’acte qui pourra aussi bien déboucher sur une tentative de suicide ou une
x
128 La consultation avec l’enfant

x
­automutilation que sur une agression ou une bagarre sanglante. L’ins-
tabilité est la règle et constitue l’état psychique de base sur lequel les
impulsions viennent cristalliser son incapacité à trouver la juste distance
avec l’autre, et sa soumission implicite à la seule loi qui vaille pour lui :
« tout ce que je veux et quand je veux ». Cette instabilité a des consé-
quences sur les plans affectif, intellectuel et scolaire en termes de ruptures
fréquentes d’investissements, ce qui aggrave ses difficultés d’intégration,
et le conduit souvent à appartenir à une bande dans laquelle se joue à la
fois la passivité de celui qui ne réussit pas ses entreprises individuelles et
la dépendance identificatoire à des meneurs sadiques, seul modèle accep­
table dans la lignée d’une toute-puissance infantile non limitée par son
éducation d’enfant. Le langage n’est qu’un moyen pour obtenir et non un
moyen de communication, ce qui renforce la tendance à utiliser la force
musculaire ou l’intimidation pour arriver à ses fins. L’anamnèse retrouve
dans la plupart des cas une biographie en « dents de scie », faite de rup-
tures et de séparations traumatiques dans la petite enfance et l’enfance,
et, que ces éléments du développement soient spectaculaires ou cachés,
les fonctions parentales semblent n’avoir pas eu d’impact socialisant sur
l’enfant, souvent en raison de la présence de pathologies limites chez les
parents eux-mêmes (alcoolisme, toxicomanie, violence conjugale, aban-
don plus ou moins objectif des enfants, emprisonnement d’un parent
pour acte délictueux violent…).

Dépression majeure
L’adolescent entre dans le bureau de consultation avec ses parents, et cha-
cun des trois présente une tristesse notable : le premier manifestement
dans le cadre d’un état dépressif majeur, les seconds, très inquiets pour
leur adolescent, sont dans un état de préoccupation anxieuse visible.
L’adolescent consent à s’asseoir malgré un ralentissement psychomoteur
marqué. Sa mimique et sa gestuelle sont également ralenties et lui don-
nent un air malheureux. Son apathie est telle que ce sont les parents qui
donnent spontanément les premières réponses aux questions posées par le
consultant. En effet, cet adolescent présente une lenteur dans ses processus
de pensée, un ralentissement idéique et une difficulté évidente à répon-
dre aux questions sur sa vie récente. L’impression du consultant est que
l’adolescent est obnubilé par quelque chose qu’il ne peut pas dire ou doit
taire. C’est sur cette « réponse dépressive de base » que peut prendre corps
l’humeur dépressive constituée de sentiments de tristesse et de désintérêt
pour le monde extérieur, surtout pour des activités ou des personnes proches
auxquelles, aux dires des parents, il était très attaché antérieurement. En
insistant de façon empathique, le consultant peut apprendre de l’adolescent
La consultation avec un adolescent 129

que sa scolarité est plutôt en perte de vitesse, et qu’en tout cas, si les ré-
sultats sont encore préservés, son investissement est nettement diminué.
Il peut exprimer son impression authentique que l’estime qu’il a pour lui-
même est médiocre, et quelquefois, c’est un sentiment de culpabilité qui
envahit le tableau. Si le dialogue le permet et que la question est abordée
sans tergiversations, la présence d’idées suicidaires explique en partie l’état
dans lequel on trouve les parents. L’interrogatoire auprès des parents per-
mettra de découvrir des symptômes somatiques fonctionnels tels que les
difficultés d’endormissement ou de réveils nocturnes, voire une insomnie
(quelquefois une hypersomnie), des troubles de l’alimentation (anorexie
plus ou moins prononcée, boulimie) avec perte ou prise de poids, et des
troubles du transit intestinal (constipation). Dans quelques cas, l’angoisse
peut être au-devant des signes de dépression, et se traduire par une agita-
tion anxieuse avec thymie triste.
Quoi qu’il en soit, et contrairement à ce qui se passe habituellement
avec un adolescent en consultation, la gravité de l’état dépressif peut
conduire le consultant à décider que l’entretien seul se fera ultérieu-
rement, et qu’il est utile de le recevoir lors de ce premier contact avec
eux. On peut retenir avec Braconnier (2000, p. 183) trois facteurs dont il
faut tenir compte dans l’évaluation de la dépression de l’adolescent : la
dysphorie est nettement plus fréquente que chez les adultes tandis que
l’émoussement affectif caractérise mieux la dépression de l’adulte ; et le
noyau affectif dépressif de l’adolescent comporte souvent une humeur
plus réactive.
Le consultant devra préciser la tonalité mélancolique du tableau dépres-
sif de l’adolescent, avec ses formes classiques (anxieuse, délirante, stupo-
reuse), dans lequel le risque suicidaire est très grand et impose souvent
une hospitalisation à temps plein dans un service de pédopsychiatrie.
En outre, cet état mélancolique peut être inaugural d’une psychose
maniaco-dépressive, et demande au consultant de veiller aux signes éven-
tuels d’inversion de l’humeur après quelque temps de traitement de l’état
dépressif. Mais un adolescent peut aussi présenter une dépression réac-
tionnelle, consécutive à une circonstance particulière ou un événement
dont il faudra faire préciser les contours pour mieux l’aider à le surmonter
ou le dépasser. En tout état de cause, l’adolescent semble mieux « armé »
contre la dépression lorsqu’il en connaît ou en pressent la raison. Et il est
important de distinguer dans cette optique un état dépressif d’un deuil
« normal ».
Les classifications internationales retiennent à cet effet les critères
­suivants :
130 La consultation avec l’enfant

Rappel de la clinique de l’épisode dépressif majeur


(EDM) (Braconnier, 2000, p. 259)
Au moins cinq des symptômes suivants doivent avoir été présents pendant
une même période d’une durée de deux semaines et avoir représenté un
changement par rapport au fonctionnement antérieur ; au moins un des
symptômes est soit (1) une humeur dépressive, soit (2) une perte d’intérêt
ou de plaisir. Ne pas inclure des symptômes qui sont manifestement impu-
tables à une affection médicale générale, à des idées délirantes ou à des
hallucinations non congruentes à l’humeur.
(1) Humeur dépressive présente pratiquement toute la journée, presque
tous les jours, signalée par le sujet (par exemple se sent triste ou vide) ou
observée par les autres (par exemple pleure). Éventuellement irritabilité
chez l’adolescent ;
(2) diminution marquée de l’intérêt ou du plaisir pour toutes ou presque
toutes les activités pratiquement toute la journée, presque tous les jours
(signalée par le sujet ou observée par les autres) ;
(3) perte ou gain de poids significatif en l’absence de régime (par exemple
modification du poids corporel en un mois excédant 5 %), ou diminution
ou augmentation de l’appétit presque tous les jours ;
(4) insomnie ou hypersomnie presque tous les jours ;
(5) agitation ou ralentissement psychomoteur presque tous les jours
(constaté par les autres, non limité à un sentiment de fébrilité ou de ralen-
tissement intérieur) ;
(6) fatigue ou perte d’énergie presque tous les jours ;
(7) sentiment de dévalorisation ou de culpabilité excessive ou inappro-
priée (qui peut être délirante) presque tous les jours (pas seulement se
faire grief ou se sentir coupable d’être malade) ;
(8) diminution de l’aptitude à penser ou à se concentrer ou indécision
presque tous les jours (signalée par le sujet ou observée par les autres) ;
(9) Pensées de mort récurrentes (pas seulement une peur de mourir), idées
suicidaires récurrentes sans plan précis ou tentative de suicide ou plan
précis pour se suicider.

Le processus
Nous prendrons les exemples du trouble des conduites alimentaires, et plus
précisément celui de l’anorexie mentale de l’adolescent, et de la dépen-
dance alcoolo-toxicomaniaque pour illustrer les aspects processuels de la
psychopathologie de l’adolescent accueillis dans la consultation.

Trouble des conduites alimentaires


Le trouble des conduites alimentaires est devenu un mal contemporain
très médiatisé. La prévalence de l’anorexie est très variable et va, selon les
La consultation avec un adolescent 131

auteurs (Ledoux et al., 1991), de 1 pour 800 à 1 pour 100, tandis que celle
de la boulimie est proche de 1 pour 100. Ce trouble peut se présenter sous
la forme d’une anorexie ou d’une boulimie, ou d’une forme mixte avec des
épisodes d’anorexie et de boulimie. Enfin, il paraît intéressant d’évoquer
l’obésité qui, bien ne faisant pas partie de ces troubles, devient un pro-
blème très préoccupant de santé publique, dans lequel les aspects psycholo-
giques ne sont pas négligeables (Kechid et al., 2010), et peuvent manifester,
conjointement aux facteurs organiques, un véritable trouble de la conduite
alimentaire.
Nous ne présenterons dans ce volume que le cas de l’anorexie mentale,
qui constitue une pathologie spécifique de l’adolescence, bien que le nom-
bre des anorexiques prépubères ne soit pas négligeable (entre 5 et 10 %, voir
Marcelli et Braconnier, 2008, p. 152).
« L’anorexie occupe une place particulière dans le champ de la patholo-
gie mentale : sa stéréotypie clinique, la prévalence du sexe féminin et un
âge de début assez caractéristique tranchent avec l’habituel polymorphisme
des troubles psychopathologiques, surtout à l’adolescence » (Marcelli et
Braconnier, 2008, p. 143). Si la fameuse triade symptomatique anorexie,
amaigrissement et aménorrhée est retrouvée depuis que cette entité a été
décrite, elle a conduit les médecins à rechercher des étiologies organiques
pendant longtemps. Sans passer à côté des diagnostics de pathologies neu-
roendocriniennes qu’il faudra rechercher devant certains signes évocateurs,
la lecture clinique d’aujourd’hui penche pour une compréhension psy-
chopathologique de la maladie. L’anorexie fait figure d’un des avatars des
problématiques de la dépendance. Son articulation relativement fréquente
avec la boulimie, parfois décrite comme une toxicomanie alimentaire, n’en
est qu’un des aspects illustratifs ; si bien que « l’anorexie est parfois incluse
parmi les nouvelles addictions rencontrées à l’adolescence » (Marcelli et
Braconnier, 2008, p. 145).

Tableau descriptif de l’anorexie mentale (Marcelli et


Braconnier, 2008, p. 144-154)

Caractéristiques épidémiologiques
La prédominance féminine est écrasante : 90 à 97 % des cas. Deux pics :
vers 15-16 ans et 18-19 ans. La prévalence est de 1 à 5 pour 1 000. La
famille appartient souvent aux classes socioprofessionnelles moyennes
ou aisées. Contrairement à de nombreuses autres pathologies psychiatri-
ques, divorces et séparations parentales ne sont pas plus fréquents. Cer-
tains milieux socioprofessionnels semblent plus à risque : mannequins,
danseuses.
x
132 La consultation avec l’enfant

x
Description clinique du syndrome anorexique
Le tableau se constitue en trois à six mois, après une période marquée
par un désir de suivre un régime pour perdre quelques kilos jugés superflus.
Un événement déclenchant peut être incriminé : conflit ou séparation
familiale, deuil, naissance, rupture sentimentale, qui prend le plus souvent
l’aspect d’une perte-séparation. La restriction alimentaire s’aggrave et le
syndrome anorectique devient évident. Il associe :
• la conduite anorectique : orgasme de la faim, véritable jouissance tirée
par l’anorectique de sa maîtrise sur le besoin physiologique ;
• l’amaigrissement : de 20 à 30 %, jusqu’à 50 % dans les formes cachecti-
santes ;
• l’aménorrhée.
• À côté de ces trois signes typiques, il y a trois autres signes qui peuvent
être retenus :
• l’hyperactivité intellectuelle ou physique ;
• la perception déformée de l’image du corps sous forme de dysmorpho-
phobies localisées ;
• le désintérêt pour la sexualité.
La famille de l’anorexique
On a dit que la mère de l’anorexique est anxieuse et hypocondriaque,
ambitieuse, utilisant sa fille comme valorisation narcissique, hyperprotectrice,
avec des difficultés à percevoir les besoins propres de sa fille et une tendance
à maintenir la confusion, froide, peu intéressée par l’imaginaire, valorisant
chez sa fille l’aspect opératoire. Le père est chaleureux, effacé, permissif,
« maternisé ». Le couple donne une impression superficielle d’aller bien,
mais supporte des conflits intenses non dits ; quelquefois, l’un des deux est
très perturbé par des traits psychotiques ou dépressifs. Mais comme dans
beaucoup de ces situations, est-ce une cause ou une conséquence ?
Aucun signe biologique spécifique n’est retrouvé
Il existe un dysfonctionnement de l’axe hypothalamo-hypophysaire non
entièrement explicable par l’amaigrissement, qui disparaît avec l’amélio-
ration clinique.
Formes cliniques
L’anorexie masculine représente entre 3 et 20 % des cas. Plus souvent
hypocondrie, psychose, et angoisses archaïques.
L’anorexie prépubère entre 5 et 10 % des cas. Souvent grave avec une
rigidité des mécanismes psychiques individuels et familiaux, et des trou-
bles graves de la personnalité (psychose). Il existe souvent un arrêt de la
croissance.
Diagnostic psychiatrique
État limite, psychose froide, relation fétichiste à l’objet, en comorbidité
avec des troubles de l’humeur, des troubles de la sexualité, des conduites
addictives, personnalité borderline. x
La consultation avec un adolescent 133

x
Évolution
La forme mineure, assez fréquente, présente tous les symptômes mais ne
dure que quelques mois et disparaît après quelques aménagements pro-
posés par le médecin de famille.
La forme grave cachectisante, comme le suicide, peut conduire à la mort,
en moyenne dans 5 à 7 % des cas selon les diverses études.
Il existe souvent des hospitalisations en réanimation ou aux urgences,
comme un déni de la dimension psychopathologique. L’évolution intermé-
diaire est ponctuée d’épisodes anorectiques avec des épisodes de reprise
de poids, soit lors de crises boulimiques, soit en raison des hospitalisations.
Pour Jeammet (1984), dans 70 % des cas les règles réapparaissent un an
après le dernier épisode, dans 80 % des cas le poids et les conduites ali-
mentaires se stabilisent à peu près ; 50 % peuvent être considérées comme
« guéries » avec un recul de dix ans. Dans les autres cas, une chronicisation
s’installe, marquée par l’alternance de phases anorexiques et de périodes
boulimiques, et l’apparition de troubles psychiques divers : dépressions,
suicides, phobies, obsessions, hypocondries, toxicomanies.

Éléments de réflexion psychopathologique (d’après Marcelli et


Braconnier, 2008, p. 154-157)
Le congrès de Göttingen en 1965 met en lumière plusieurs éléments qui
peuvent aider à mieux comprendre cette pathologie : l’anorexie exprime
une incapacité d’assumer le rôle sexuel génital et d’intégrer les transfor-
mations de la puberté ; le conflit se situe au niveau du corps qui est refusé
et maltraité et non au niveau des seules fonctions alimentaires et, enfin, la
structure de l’anorexie est différente d’une structure névrotique classique.
Une hypothèse ontogénique est proposée : le nourrisson aurait reçu des
réponses inadaptées, chaotiques, négligentes ou excessives à ses diverses
demandes. Ces apprentissages « trompeurs » ne permettent pas à l’enfant
puis à l’adolescent de reconnaître ses besoins propres. L’enfant apprendrait
à répondre exclusivement aux sensations et aux besoins corporels de la
mère et non aux siens ; donc les troubles de l’identité du corps propre sont
intimement corrélés à la dépendance. L’alimentation des bébés filles paraît
beaucoup plus conflictuelle que celle des bébés garçons, indiquant une
ambivalence dans les processus d’identification fille et mère.
L’idée d’une addiction anorexique surgit du fait de l’importance des sen-
sations cultivant une sorte d’érotisme primaire narcissique, au centre du
conflit narcissico-objectal de l’adolescence. Le besoin objectal est ressenti
comme une dépendance, or l’anorexique dénie toute dépendance à l’ob-
jet, parce que c’est une menace pour un équilibre narcissique fragile. La
sensation de faim crée un véritable « néo-objet » de substitution compa-
rable à l’objet addictif décrit par Corcos et al. (2003). De plus, grâce à cette
134 La consultation avec l’enfant

sensation intracorporelle l’anorexique se sent omnipotente puisqu’elle n’a


besoin de rien.
Voici l’exemple clinique de Bénédicte, reçue en consultation par un
pédopsychiatre puis un pédiatre, et dont l’état clinique alarmant va amener
les deux praticiens à prendre la décision d’une hospitalisation à l’issue de
cette double consultation.

Bénédicte, quinze ans


Bénédicte doit être hospitalisée en pédiatrie
Bénédicte est une adolescente de quinze ans, à la scolarité sans problèmes. Ses
parents sont très inquiets depuis l’été dernier, date à laquelle elle a commencé
à ne pas manger beaucoup pour ne pas « friser le ridicule en s’exhibant sur la
plage » en Bretagne. Les mois ont passé et Bénédicte continue sa descente vers
une maigreur qui ne trompe plus personne. Une de ses amies en a parlé à la
mère, et devant ce signe révélateur de la souffrance visible de sa fille, les parents
prennent un rendez-vous en urgence.
La consultation met en évidence ce qu’ils savent déjà. Bénédicte est elle-même
un peu déstabilisée de voir que le pédopsychiatre propose d’emblée une consul-
tation avec son collègue pédiatre hospitalier le soir même. Il l’appelle aussitôt
en présence de Bénédicte et de ses parents. Il est convenu qu’elle sera reçue
vers 19 h aux urgences de pédiatrie où le collègue est d’astreinte. Un nouveau
rendez-vous est proposé pour le lendemain, avec les résultats complémentaires
de la consultation du pédiatre. Le soir même, ce dernier rappelle dès qu’il l’a
reçue et examinée pour confirmer ce qui avait été évoqué avec Bénédicte et ses
parents, à savoir une indication d’hospitalisation. L’indice de masse corporelle 4
est catastrophique, l’ionogramme est inquiétant, et les signes habituels de reten-
tissement corporel de son anorexie sont tels que le pédiatre préfère, en accord
avec Bénédicte et ses parents, proposer une hospitalisation immédiate dans son
service de pédiatrie d’adolescents au CHU.
La consultation du lendemain a lieu en milieu hospitalier, dans la chambre de
Bénédicte ; le pédopsychiatre la voit longuement seule, puis reçoit ses parents
avec elle dans sa chambre hospitalière. Le pédiatre les rejoint et expose les règles
fixées lors de ces hospitalisations longues sous la forme d’un contrat que chacun
s’engage à respecter. La question de la sortie est posée par Bénédicte au pédiatre
qui lui explique sereinement pourquoi dans son expérience il y a un poids en deçà
duquel elle ne pourra pas sortir du fait des risques physiques encourus. Une fois
ces éléments de l’hospitalisation établis et acceptés par Bénédicte et ses parents,
la question du travail thérapeutique est abordée par le pédopsychiatre ; la psy-
chothérapie va être entreprise dès le début de cette hospitalisation à raison de
quatre à cinq entretiens hebdomadaires, et une réunion aura lieu mensuellement x

4 L’IMC ou indice de masse corporelle (BMI en anglais) résulte de la division du poids


par la taille élevée au carré. Lorsque cet indice est inférieur à 18, il indique une maigreur.
Lorsqu’il est inférieur à 16, l’amaigrissement lié à une anorexie nécessite une hospitalisa-
tion, en raison des graves troubles de dénutrition.
La consultation avec un adolescent 135

x avec l’équipe du service de pédiatrie pour faire le point sur l’évolution de Béné-
dicte. Le pédiatre recevra régulièrement les parents et des rencontres auront lieu
avec le pédopsychiatre pour travailler les questions qui surgissent au cours du
travail psychothérapique et par ailleurs les soutenir dans le long accompagnement
qui les attend.

Dépendance alcoolo-toxicomaniaque chez l’adolescent


La dépendance est un lointain rappel de ce qui s’est joué au début de la vie
de chacun, et de laquelle le travail de séparation/individuation décrit par
Mahler (1977) donne les éléments nécessaires pour s’affranchir. Pour réus-
sir le travail de la séparation d’avec la mère, il faut des représentations de
l’objet maternel qui puissent tenir le temps de son absence pour l’enfant.
La théorie pulsionnelle (Freud), avec son éclairage très important du déve-
loppement libidinal, enrichi par le concept de castrations symboligènes
(Dolto, 1984), permet de comprendre comment l’enfant fabrique ses re-
présentations dans l’interaction avec ses parents au cours de la découverte
progressive de l’image de son corps. La théorie de l’attachement, loin de
s’opposer à cette première version freudienne, la complète de façon fort
intéressante, notamment en insistant sur l’importance du lien sécure à la
mère et à l’environnement qui conditionne la solidité des représentations.
Dès lors, en appui sur les opérateurs de la séparation, les objets et espa-
ces transitionnels (Winnicott, 1969), mais aussi la « puissance d’hétérogé-
néité fondatrice » (A. Lemaire, 1976, p. 143 ; cf. Ortigues, 1962) incarnée
par la fonction paternelle, l’enfant peut accéder à l’adolescence en ayant
franchi les principales étapes allant de la dépendance à l’autonomie rela-
tive. Par contre, si, pour de multiples raisons, son objet transitionnel, ou
ses identifications paternelles, ne constituent pas pour lui un tremplin vers
la symbolisation, alors ce sera, suivant les cas, la sensation produite par le
contact avec l’objet ou les effets résultant de son utilisation compulsive qui
donneront l’illusion d’une certaine libération, sinon de la séparation. Telle
est la fonction de l’objet addictif décrit par Corcos et al. (2003) : compren-
dre comment l’objet toxicomaniaque peut maintenir l’adolescent dans la
relation de dépendance, tout au long de sa trajectoire pathologique. À côté
des objets autistique (Tustin, 1977) et psychotique, l’objet addictif est un
des modes de non-séparation, maintenant le sujet en deçà de l’espace tran-
sitionnel et de ses objets symboligènes appuyés sur la fonction limitante
parentale. Sa quête d’identité passera par des constructions précaires, telles
que les pathologies limites de l’enfant, appelées aussi personnalités en faux
self.
Avec l’arrivée du pubertaire, la fragilisation de l’image du corps, redon-
nant de l’importance aux sensations nouvelles et à leurs angoisses archaï-
ques corollaires, contribuera à instaurer un cercle vicieux bien décrit par
136 La consultation avec l’enfant

Jeammet (1994) : « plus l’adolescent est angoissé et plus il a besoin d’aide,


plus cela le met dans la dépendance d’un autre, et plus le coût narcissique
rendra son accès à une identité difficile ». Or la dépendance à un objet addic-
tif semble moins coûteuse qu’à une personne. Et la dépendance pathologi-
que peut désorganiser à son tour la personnalité de l’adolescent.
L’enjeu de la consultation est de faire barrage à ce processus en misant
sur le déplacement de la relation de dépendance alcoolo-toxicomaniaque
vers une relation thérapeutique accueillante, instaurant une prise en charge
pluridisciplinaire de nature à rouvrir les perspectives de la non-dépendance
sous d’autres auspices.

Roger, douze ans


Roger et les pseudo-fêtes alcoolo-toxicomaniaques
Cet adolescent très grand et très fort a douze ans lorsqu’il est accueilli aux
urgences de l’hôpital pour une « overdose à l’alcool ». Il est dans un foyer
de l’ASE depuis trois ans pour un comportement violent qui s’est transformé
en dépendance aux toxiques. Il peut prendre des médicaments (benzodiazépi-
nes, amphétaminiques…) en quantités impressionnantes sans que la corrélation
entre ses doses sanguines et la clinique soient concordantes. Plus récemment, il
a ajouté à ses toxiques la consommation d’alcool. Dans ses antécédents, lorsqu’il
avait huit ans, il a été retrouvé dans l’infirmerie du foyer en train d’inhaler de
l’éther. Sa biographie est en faveur d’une carence affective sévère qui résulte
en partie d’une enfance très perturbée par la vie avec une mère toxicomane
à l’héroïne, et qui l’aurait gardé avec elle pendant les douze premiers mois de
sa vie. Le père est inconnu, et la mère, qui est maintenant décédée, n’a jamais
voulu dire de qui il s’agissait. Les grands-parents maternels sont eux-mêmes
des personnes ayant connu des moments de clochardisation. Ils sont également
décédés. La première hospitalisation de Roger a eu lieu en même temps que
sa mère qui faisait une « overdose à l’héro ». Lorsque le SAMU est arrivé sur
place, alerté par les voisins qui entendaient Roger pleurer depuis plusieurs heu-
res, l’équipe médicale a découvert un taudis indescriptible. Son placement à
l’ASE date de cette époque. Sa petite enfance a donc été vécue dans un climat
insécure maximal, raison pour laquelle les services sociaux ont essayé à plusieurs
reprises de le placer dans une famille d’accueil, puis dans un placement familial
thérapeutique, mais sans succès.
Tout se passe comme si Roger ne voulait pas interrompre le « style » de vie qu’il
avait vécu jusque-là. D’ailleurs, lors de la consultation aux urgences, une fois
les effets des toxiques passés, Roger joue sur ces mots à fort potentiel trauma-
tique dans son existence : « overdose à l’héro (de ma mère), overdose à l’alcool
(de moi) », comme s’il voulait faire remarquer la continuité entre ce qu’il avait
vécu antérieurement et sa vie actuelle. La consultation a permis d’obtenir son
accord (ainsi que celui de son référent ASE) pour une hospitalisation prolongée
de façon à réaliser un véritable sevrage qui n’avait jusqu’alors jamais été réussi.
Puis une longue prise en charge a réussi à limiter quelque peu la dégradation x
La consultation avec un adolescent 137

x de cet ­adolescent qui suivait une pente entropique pour satisfaire à un des-
tin pulsionnel très chargé de déchéance et de mort. Plusieurs années après les
soins, il continue d’être reçu régulièrement en consultation thérapeutique. Il a
pu passer un BEP, et travaille dans une structure adaptée. Il reste solitaire, mais
son comportement alcoolo-toxicomaniaque a disparu. Il participe à des activités
thérapeutiques organisées dans le secteur psychiatrique de sa commune, ce qui
lui permet de rencontrer régulièrement d’autres personnes.

Autres problématiques processuelles


En dehors de ces deux exemples relativement fréquents d’adolescents pré-
sentant pour la première une pathologie anorectique et pour le second une
dépendance alcoolo-toxicomaniaque, il est un certain nombre d’adoles-
cents qui vont inaugurer à cet âge un processus psychotique et plus précisé-
ment schizophrénique. Nous allons en donner un exemple clinique. Mais à
côté de cette pathologie également fréquente dans la population générale,
il existe quelques cas d’enfants ayant présenté un trouble envahissant du
développement de type syndrome d’Asperger, qui peuvent évoluer assez
favorablement au cours de l’enfance et, à l’occasion de l’adolescence, pré-
senter des difficultés en lien avec celui-ci. Nous en présenterons également
un exemple clinique.

Forme processuelle de schizophrénie à l’adolescence


Présentation des modes progressifs de début
Si la schizophrénie infantile est décrite et a fait l’objet ces derniers temps
d’un regain d’intérêt (Goeb, 2009), elle présente des caractères sensiblement
différents de la schizophrénie dans ses formes plus habituelles, celle qui
est l’apanage de l’adolescent et du jeune adulte. Classiquement, les formes
de début connaissent deux grands types de pathologies : la forme à début
insidieux et la forme aiguë. Nous avons déjà vu cette dernière dans le cha-
pitre consacré aux consultations de crises avec la bouffée délirante aiguë.
Il s’agit maintenant de considérer ces formes progressives qui conduisent
l’adolescent à la schizophrénie à travers plusieurs tableaux possibles : soit le
passage d’une personnalité schizoïde à la schizophrénie en quelques mois,
soit les troubles d’allure névrotique, soit le délire évoluant à bas bruit avec
l’installation d’un syndrome d’automatisme mental.
La personnalité schizoïde est marqué par un retrait et une inhibition rela-
tionnelle, peu d’intérêts pour les autres, une indifférence sinon un émous-
sement affectif et une rigidité caractérielle, coexistant avec un engouement
pour une partie très spécialisée de la philosophie, ou pour une religion plu-
tôt de type sectaire. L’adolescent schizoïde peut progressivement accentuer
ces différents traits de caractère et présenter des angoisses prégnantes qui
le conduisent parfois à utiliser une drogue ou l’alcool comme un tranquil-
lisant indirect. Le passage à la schizophrénie se fait en plusieurs mois chez
138 La consultation avec l’enfant

cet adolescent connu pour son tempérament précédent, mais qui s’illustre
depuis plusieurs semaines ou mois par des bizarreries, une impénétrabilité
de ses motivations ou un détachement encore plus évident par rapport aux
autres, quand à l’occasion d’un évènement significatif pour lui, il « mon-
tre » franchement les signes positifs et négatifs de son syndrome schizoph-
rénique.
Les troubles pseudonévrotiques se manifestent par des symptômes qui
reprennent les grands tableaux classiques des névroses : angoisse, phobie,
hystérie, obsession. Mais par comparaison avec les névroses, les symptô-
mes sont marqués par la bizarrerie et la difficulté à rester dans la « rela-
tion névrotique au monde », notamment à tenir compte in fine du prin-
cipe de réalité. Ainsi, l’angoisse peut être très envahissante et la phobie
désorganisante, sans la présence habituellement retrouvée des phénomènes
contraphobiques et d’évitement anxiolytiques typiques des névroses ; les
manifestations qui pourraient faire pencher pour l’hystérie sont plutôt de
type hypocondriaque, et les obsessions quasi délirantes, sans la présence du
conflit intrapsychique avec sa lutte anxieuse pouvant se présenter sous la
forme d’un trouble obsessionnel compulsif. Dans la plupart des cas, l’image
du corps est gravement perturbée et peut être déjà marquée par un fonc-
tionnement délirant.
L’installation progressive du délire avec apparition d’un syndrome d’auto-
matisme mental peut être longtemps ignorée, car l’adolescent, relativement
conscient de sa désorganisation interne, lutte contre elle et peut y arriver
tout un temps. Mais, à l’occasion d’un événement particulier, il peut alors
perdre ses défenses et présenter des attitudes d’écoute, signes indirects de
ses hallucinations longtemps masquées.
Dans ces différents modes d’installation, l’adolescent présente souvent des
difficultés à rester intégré dans sa famille, dans son établissement scolaire,
avec ses pairs, sans que l’investissement qui régissait préalablement ses
comportements se modifie d’une façon ou d’une autre, et quand le tableau
de schizophrénie se manifeste, ses proches disent souvent qu’ils avaient
remarqué des changements chez lui, mais que cela s’étant passé insidieuse-
ment, ils n’en avaient pas tiré de conclusions.

Forme complète de schizophrénie (dissociation) paranoïde (délire)


Elle se rencontre après une évolution qui est en général assez longue. Elle
comporte deux tableaux distincts : un syndrome dissociatif et un syndrome
délirant.
Le syndrome dissociatif a été décrit par Bleuler dès 1911 pour caractériser le
processus schizophrénique, appelé antérieurement « démence précoce » par
Kraepelin (1962). Il comporte plusieurs éléments que nous ne détaillerons
pas ici, mais dont voici la description rapide. La dépersonnalisation vient
La consultation avec un adolescent 139

marquer le trouble grave de l’identité. Elle est corrélée avec quatre qualifi-
catifs qui en précisent le côté énigmatique : bizarrerie, détachement, ambi­
valence et impénétrabilité. La désagrégation de la vie psychique peut se
­définir comme « un désordre discordant des phénomènes psychiques qui ont
ainsi perdu leur cohésion interne » (Ey et al., 1962, p. 569). La dissociation
se traduit par des troubles du cours de la pensée (fading mental, barrages…)
et du champ de la conscience, des troubles du langage (néologismes), une
altération du système logique (pensée déréelle et archaïque), des troubles
psychomoteurs (stéréotypies, impulsions, syndrome catatonique…), et une
désorganisation de la vie affective (vide affectif, rires immotivés, indiffé-
rence, déchaînement pulsionnel…).
Le syndrome délirant paranoïde est caractérisé par un délire inorganisé, flou
et non systématisé qui peut d’abord être florissant puis peu à peu s’amenui-
ser. Les mécanismes sont hallucinatoires (hallucinations auditives, visuelles,
cénesthésiques…), intuitifs et interprétatifs. On note souvent la présence
d’un automatisme mental avec idées d’influence, d’emprise sur la pensée,
qui viennent accentuer la dépersonnalisation.
Classiquement, la schizophrénie évolue vers un autisme secondaire cor-
respondant à un retrait narcissique sur le monde interne.
À côté de cette forme princeps, il existe la forme hébéphrénique (sans
délire clairement exprimé), la forme hébéphréno-catatonique (avec un fort
négativisme catatonique), la forme héboïdophrénique (avec des troubles
du comportement pouvant aller jusqu’à des actes délictueux) et une forme
dysthymique (avec des troubles de l’humeur dominants).
Sur le plan psychopathologique, nous retrouvons les mécanismes patho-
logiques et défensifs typiques de la psychose : projection, clivage, identifi-
cation projective, déni de la réalité, reconstruction délirante de la réalité,
retrait autistique.

Gaël, quinze ans


Gaël ou « l’ensablement »
Lorsque Gaël, quinze ans, est accompagné par sa mère à la consultation de sec-
teur infanto-juvénile, il traîne derrière elle à plusieurs mètres. Elle a bien du mal
à le faire entrer dans le bureau de consultation. Il n’est pas activement opposant,
mais semble habiter sur une autre planète. La mère de Gaël raconte que depuis
plusieurs mois, son fils la préoccupe beaucoup, tant il semble s’éloigner d’elle.
Ses anciens copains de collège ont constaté la même chose et ses professeurs
aussi. Elle a deux filles qui sont plus âgées que lui. Son mari est mort depuis dix
ans, à la suite d’un suicide qui a toujours laissé une impression énigmatique à
sa famille et à son entourage. Gaël en avait été très affecté, mais semblait avoir
dépassé ce deuil qui reste difficile pour elle et ses filles. Il y a un an environ, il a
décidé de commencer à dessiner, et a obtenu une inscription aux cours du soir x
140 La consultation avec l’enfant

x des Beaux-Arts. Il a énormément investi cet enseignement, mais le professeur de


dessin l’a fait venir samedi dernier pour lui parler de son inquiétude qui remonte
à plusieurs semaines, rejoignant ainsi la sienne et la démultipliant d’autant. En
effet, il dessinait assez bien jusqu’à ce qu’une fille du cours, avec laquelle il
semblait en bons termes, le traite avec dédain lors de l’exposition annuelle des
œuvres, la semaine précédente. Et là, il s’est entaillé l’index et a répandu son
sang sur la toile de cette étudiante. Il semblait en proie à des voix, la fille a pris
peur et l’a traité de « fou furieux » ; il a alors crié puis, alors que tout le monde
se demandait comment allait se terminer cette crise inattendue, il a filé, laissant
tout le monde pantois et inquiet sur son état. Depuis il n’est pas revenu au cours.
Le professeur a un neveu schizophrène et, devant la ressemblance, a évoqué
cette hypothèse avec la mère. Elle a déjà entendu parler de cette maladie et
demande avec angoisse au pédopsychiatre ce qu’il en pense. En fait, elle ajoute
qu’elle a déjà été voir sur Internet et qu’elle a trouvé des signes qui lui paraissent
évocateurs. Cela fait plusieurs mois, elle doit le reconnaître maintenant, qu’il a
un comportement bizarre, il s’arrête sur les seuils des portes de la maison, et
semble écouter en faisant un drôle de regard à ces moments-là. Il a des troubles
du sommeil, se lève plusieurs fois la nuit, et une fois elle l’a surpris à genoux dans
le bureau de son mari décédé, à marmonner des prières incompréhensibles. Les
professeurs du collège confirment ses inquiétudes et disent que ce trimestre, il
décroche, il n’est plus au travail, et même ses copains se sont inquiétés de son
comportement à plusieurs reprises. Lui, pourtant plutôt discret et « bien élevé »
(sic), aurait tagué les toilettes, mais ce sont des signes étranges, ne correspon-
dant pas aux habitudes en matière de tags. La mère éclate en sanglots, ne dé-
clenchant pas chez son fils le moindre sentiment d’empathie pour elle. Une fois
ses pleurs apaisés, elle dit en le regardant longuement avec mélancolie : « J’ai
l’impression qu’il est en train de s’ensabler. » Puis après un temps de silence pen-
sif, elle ajoute : « Son père s’est suicidé dans la Loire, il a disparu dans les sables
mouvants, je n’ai jamais compris pourquoi il a fait ça… »
Après ces moments très chargés affectivement, il apparaît que les différents élé-
ments rapportés par la mère au sujet de son fils ne sont pas très rassurants, et
lorsque le pédopsychiatre voit Gaël seul, les tableaux des syndromes dissociatif
et délirant se confirment sans peine. Il fait de nombreux gestes cabalistiques, a
des attitudes d’écoute, et semble en proie aux hallucinations au moins auditives
(« écoutez, c’est mon père, c’est mon père… ») et cénesthésiques (il se palpe le
thorax en émettant des sons variés, préoccupé par leur résonance, il se gratte
farouchement l’avant-bras comme s’il voulait en faire sortir quelque chose qui
le gênait…), et la plaie de son index n’est pas rassurante. Après l’entretien seul
avec Gaël, le pédopsychiatre reçoit la mère et le fils et, devant l’état clinique
de Gaël, propose une hospitalisation dans son service, dès que possible, pour
compléter le bilan et entreprendre un traitement. Il évoque une pathologie grave,
sans confirmer à ce stade le diagnostic de schizophrénie, pour laquelle il va
falloir envisager des soins pédopsychiatriques intensifs et sans doute prolongés.
Une investigation aura lieu par le psychologue de l’équipe, à l’aide d’un test de
Rorschach, visant à approfondir les mécanismes psychopathologiques défensifs
de Gaël. Il s’agit à la fois d’apaiser les angoisses paranoïdes qui peuvent conduire
Gaël à des actes graves pour lui ou pour les autres, et donc de le protéger, x
La consultation avec un adolescent 141

x tout en poursuivant l’observation clinique et les premiers effets du traitement.


Ensuite, une proposition de prise en charge à plus long terme sera faite à Gaël
et à sa mère, de façon à aider cet adolescent à ne pas continuer à vivre dans le
monde très angoissant dont il parle peu mais qui a des effets évidents sur son
comportement et sa vie quotidienne.

L’évolution confirmera une schizophrénie paranoïde qui sera assez sensi-


ble au traitement proposé.

Évolution d’un enfant présentant un syndrome d’Asperger à


l’adolescence
Rappel sur le syndrome d’Asperger
Ce tableau clinique a été décrit par Lorna Wing (1981) pour rendre hommage
à Hans Asperger qui avait décrit en 1944 les « psychopathies autistiques »
(Asperger, 1944), sans connaître les travaux de Kanner (1943), à partir de
sa propre expérience psychopédagogique viennoise. Les signes cliniques
autistiques sont présents mais ne comportent pas de troubles du langage
aussi massifs que dans le syndrome autistique de Kanner. On retrouve des
troubles de la communication verbale (problèmes au niveau pragmatique)
et non verbale, des troubles des interactions sociales, des troubles psycho-
moteurs (gaucherie, maladresses…), des troubles intellectuels en secteur
avec parfois des capacités inattendues (hypermnésie, réussite aux tests de
la théorie de l’esprit), et des troubles de la vie émotionnelle (émoussement,
absence d’empathie…). Laurent Mottron, spécialiste reconnu de la ques-
tion, propose une alternative stimulante en présentant les personnes at-
teintes d’un syndrome d’Asperger comme des sujets possédant une autre
intelligence, et dont le caractère morbide n’est pas toujours aussi évident
qu’il y paraît (Mottron, 2004). Il est d’ailleurs question qu’il ne figure plus
dans le prochain DSM révisé.
Pour mémoire, voici la description qui en est donnée dans les classifica-
tions internationales.

Syndrome d’Asperger dans la CIM-10 et le DSM-IV


(F 84.5/[299.80] ; AAP, 2000)
A. Altération qualitative des interactions sociales, comme en témoignent
au moins deux des éléments suivants :
(1) altération marquée dans l’utilisation, pour réguler les interactions
sociales, de comportements non verbaux multiples, tels que le contact
oculaire, la mimique faciale, les postures corporelles, les gestes ;
(2) incapacité à établir des relations avec les pairs correspondant au
niveau du développement ;
x
142 La consultation avec l’enfant

x
(3) le sujet ne cherche pas spontanément à partager ses plaisirs, ses
intérêts ou ses réussites avec d’autres personnes ;
(4) manque de réciprocité sociale ou émotionnelle.
B. Caractère restreint, répétitif et stéréotypé des comportements, des
intérêts et des activités, comme en témoigne au moins un des éléments
suivants :
(1) préoccupation circonscrite à un ou plusieurs centres d’intérêt sté-
réotypés et restreints, anormale soit dans son intensité, soit dans son
orientation ;
(2) adhésion apparemment inflexible à des habitudes ou à des rituels
spécifiques et non fonctionnels ;
(3) maniérismes moteurs stéréotypés et répétitifs ;
(4) préoccupations persistantes pour certaines parties des objets.
C. La perturbation entraîne une altération cliniquement significative du
fonctionnement social, professionnel, ou dans d’autres domaines impor-
tants.
D. Il n’existe pas de retard général du langage significatif sur le plan cli-
nique.
E. Au cours de l’enfance, il n’y a pas eu de retard significatif sur le plan
clinique dans le développement cognitif ni dans le développement, en
fonction de l’âge, des capacités d’autonomie, du comportement adaptatif
(sauf dans le domaine de l’interaction sociale) et de la curiosité pour l’en-
vironnement.
F. Le trouble ne répond pas aux critères d’un autre TED spécifique ni à ceux
d’une schizophrénie.

Lorsque l’enfant devient adolescent, les troubles qu’il présentait antérieure­


ment le soumettent à des difficultés psychopathologiques pouvant accen-
tuer les problèmes relationnels. C’est ainsi que certains adolescents vont
décompenser sur le mode schizophrénique, tandis que d’autres vont tra-
verser un authentique état dépressif, en rapport avec un vécu relativement
lucide sur leur difficulté morbide à rentrer en relation avec autrui.

Éloi, quatorze ans


Éloi ou la dépression amoureuse
Cet adolescent de quatorze ans vient consulter le pédopsychiatre qui l’a suivi
pendant plusieurs années pour un syndrome d’Asperger. L’évolution avait été
très favorable et l’enfant avait pu rester intégré dans de bonnes conditions
dans son école primaire puis dans son collège, avec l’aide attentive des profes-
seurs mis au courant du diagnostic par ses parents. Sa vie familiale avait aussi
connu une évolution satisfaisante, hormis lors du décès d’un frère d’une tumeur
cérébrale trois ans auparavant, ce qui l’avait confronté à des parents totalement x
La consultation avec un adolescent 143

x désespérés, avec lesquels les échanges affectifs avaient été vécus de façon très
dissymétrique. Il avait toutefois pu verbaliser sa difficulté à leur montrer son
chagrin et la quasi-absence de sentiments correspondant habituellement à un
travail de deuil. Mais cette consultation a été demandée récemment par Éloi
lui-même pour parler d’un problème dont il ne veut pas parler avec ses parents.
D’ailleurs ceux-ci, une fois les quelques éléments sur les derniers événements
échangés, quittent le bureau et laissent leur fils seul avec le pédopsychiatre.
Éloi pose sur la table du pédopsychiatre un journal qu’il a rédigé et dans lequel
il raconte un événement récent qui l’a beaucoup affecté, parce qu’il a réalisé,
dit-il qu’il ne pourra jamais « avoir une femme comme c’est raconté dans les
histoires au cinéma ». Éléonore est une des élèves de sa classe. Depuis trois mois
déjà il la regarde souvent et tente de lui sourire. Elle a bien vu « son manège »
et ne le regarde plus du tout, comme si elle avait compris ce qu’il voulait sans
lui avoir jamais dit. Et puis n’y tenant plus, il lui envoie une lettre dans laquelle il
lui dit qu’elle « lui plaît beaucoup et voudrait qu’ils aillent au cinéma ensemble
le samedi suivant ». Il ajoute : « Non seulement elle n’a pas répondu à la lettre,
mais en plus elle en a parlé à ses copines et maintenant », il voit bien qu’« elles
se foutent de lui ». Au-delà de ce récit, ce qui frappe le pédopsychiatre, ce sont
les affects dépressifs dans l’expression d’Éloi. Il raconte ce qui lui arrive avec une
émotion contenue, manifestant de la tristesse à l’évocation de l’attitude d’Éléo-
nore, de l’agacement voire de la colère à celles de ses copines, et du pessimisme
quant à son avenir sentimental. Quelques consultations psychothérapiques vien-
dront à bout de cet état dépressif réactionnel survenant chez cet adolescent aux
antécédents d’Asperger, ainsi qu’une proposition d’aide par une association de
personnes avec Asperger, visant à instaurer des « habiletés sociales », de nature
à lui permettre d’échanger des expériences avec d’autres personnes dans des
situations comparables. Les parents ont aidé à la réalisation de ces aides, se
demandant si cet épisode dépressif n’était pas également en rapport « tardif »
avec la mort de leur fils trois ans auparavant.

L’adolescent et le virtuel
La télévision peut proposer des objets culturels dont on parle en consul-
tation avec un adolescent quand un ou plusieurs films, séries ou autres
émissions l’intéressent, et particulièrement ceux qu’il aime regarder quel-
quefois compulsivement. On se souvient que certains d’entre eux ont ainsi
connu un grand succès dans ce domaine (certains adolescents allant jusqu’à
le visionner plusieurs dizaines de fois), tel que le film de Luc Besson Le Grand
Bleu, ou les films d’horreur fantastique qui peuvent jouer pour certains
auteurs (Hendrickx, 2009) la fonction « d’organisateur psychique de l’ado-
lescence ». Or les études récentes (Christakis et Zimmerman, 2006) montrent
que l’adolescent désinvestit la télévision au profit des techniques qui le met-
tent en contact avec le virtuel. Il s’agira donc plutôt d’explorer avec l’adoles-
cent l’utilisation qu’il en fait, de façon à percevoir le rôle que le virtuel joue
dans son existence quotidienne et notamment dans sa vie imaginaire.
144 La consultation avec l’enfant

Le virtuel : rappel psychopathologique


Si « le virtuel est la présence de l’absent », alors nous sommes bien tous d’ac-
cord pour considérer, comme nous l’avons déjà évoqué, que Freud (1920),
lorsqu’il observe son petit fils en train de jouer à ce que nous appelons
tous désormais le jeu du fort-da, met le doigt sur une des plus significatives
articulations entre l’objet (au sens psychanalytique), un objet qui en tient
lieu (la bobine), et les différentes représentations que Wilhelm-Ernst a à sa
disposition pour l’évoquer : l’image, les sons organisés par la tablature lin-
guistique, peu à peu, le plaisir qui en résulte, et pour tout dire, la maîtrise
et la puissance que ce quasi-point organisateur de sa psyché vont lui pro-
curer. Nous ne sommes pas loin là, de l’étymologie de « virtuel » qui nous
arrive du latin scolastique virtutis, dérivant ainsi de la vertu, en signifiant
« qui n’est qu’en puissance ». Mais la différence essentielle avec la télévi-
sion qui donne elle aussi accès au monde virtuel, est la participation active
de l’adolescent au fonctionnement de la technologie informatique. Marie
Leclaire (2003) nous rappelle que le monde virtuel « se transforme sui-
vant les mouvements de l’utilisateur ». Pour elle, la réalité virtuelle illustre
l’émergence du « paradigme d’expérimentabilité de Weissberg ». L’image
virtuelle fait intervenir la motricité. Elle est une « image actée » (Weissberg,
1999). Dans ces conditions, « le Moi est et demeurera toujours participant à
une expérience virtuelle. Il ne dort pas, et en ce sens il continue à exercer sa
fonction d’inhibition sur les signes d’actualité qui pourraient surgir du côté
des représentations. […] Cette propriété du désir, la réalité virtuelle, par la
posture perceptive qu’elle permet, vient, plus que toute autre technologie,
l’objectiver. » (Leclaire, 2003). C’est sans doute principalement en raison de
la participation motrice que le virtuel peut être amplement distingué de la
« consommation télévisuelle ».
Pionnier dans l’usage du virtuel en thérapie, Michael Stora reçoit des ado-
lescents « addicts » au numérique (chat, Internet, etc.), et utilise les jeux
vidéo comme moyen thérapeutique auprès d’adolescents souffrant de trou-
bles du comportement. Il critique l’idée reçue que les jeux vidéo éveille-
raient la violence et étoufferaient la personnalité… Pour lui, le virtuel n’est
pas cette négation du réel dont on parle tant, mais plutôt « une re-création
de celui-ci, pouvant aider à gagner une confiance que le réel offre difficile-
ment. Un terrain de jeu où l’on dénouerait à la lumière de l’écran les “som-
breurs” du moi » (Stora et Dinechin, 2005). Décortiquant les peurs suscitées
par les images interactives, Michael Stora apporte des réflexions positives
sur ces obscurs objets de plaisir.
François Marty voit davantage dans le virtuel une manière de transformer
les angoisses pubertaires. « Si, pour la plupart des adolescents, la passion
de l’image ne les conduit pas à s’y aliéner, l’addiction au virtuel est, pour
d’autres, actuelle et non fictionnelle. Elle se rencontre chez ceux qui trouvent
La consultation avec un adolescent 145

dans ce nouveau support technologique un moyen de traiter, avec plus ou


moins de réussite, leur angoisse liée à ce que leur fait subir leur puberté. On
s’aperçoit que l’addiction n’élit pas un objet spécifique, mais peut trouver
matière à s’exprimer à partir de supports divers (objet toxicomaniaque,
objet sexuel, travail, sonore, virtuel). » (Marty, 2003).

L’adolescent, le virtuel et la consultation


L’adolescent nous fait souvent savoir son étonnement voire son intérêt
qu’un adulte puisse s’intéresser à la problématique du virtuel. Il profite alors
de cette occasion pour parler avec regret ou condescendance de l’attitude
de ses parents qui « n’y connaissent rien », le « traitent comme s’il avait
cinq ans », « manifestent une angoisse comparable à celle qu’une prise de
drogue pourrait expliquer » (sic). Poursuivre le dialogue ainsi ouvert, sans
disqualifier la position de parents inquiets, demande parfois une grande
habileté, mais amène souvent des éléments très importants pour compren-
dre le mode d’emploi de ces technologies par l’adolescent. Il nous revien-
dra dans le travail de consultation d’aider l’adolescent à nous indiquer la
manière dont il utilise le virtuel dans son rapport avec le monde, à nous
éclairer sur ce que Sylvain Missonnier nomme de façon très stimulante la
« relation d’objet virtuel » (ROV ; Missonnier, 2006). Car de cette perception
des mécanismes psychopathologiques à l’œuvre dans son fonctionnement
psychique pourront se déduire des propositions de prises en charge pou-
vant intégrer ces nouveaux modes de communication. Certaines équipes
spécialisées dans le traitement des adolescents disposent désormais d’ate-
liers équipés de ces technologies au service de la relation thérapeutique. Là
encore, il ne s’agit pas de former l’adolescent à ces technologies, mais plutôt
de les utiliser comme un moyen de connaissance et un prétexte à transfor-
mer la qualité de la relation engagée.
Il conviendra également de garder une distance nécessaire entre les éla-
borations entreprises avec l’adolescent et celles visant à permettre aux
parents de changer de point de vue par rapport aux technologies du virtuel.
Si généralement les parents ont tendance à adopter une attitude interdic-
trice après avoir « laissé couler » sans restriction, il va être intéressant de
les amener à mieux percevoir et comprendre les enjeux de ces technologies
dans le tissu de leurs relations intrafamiliales, et partant, d’en relativiser le
caractère dramatique.
146 La consultation avec l’enfant

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5 Le travail spécifique
avec les parents

« Une pédopsychiatrie sans parents, ça n’existe pas », pourrait-on avancer


en exergue de ce chapitre consacré au travail spécifique à entreprendre avec
eux. Les modalités de ce travail peuvent être multiples, car il est souhaitable
de tenir compte de nombreux facteurs pour le mener valablement. Depuis
les consultations les plus classiques, telles que nous les avons présentées
avec les bébés, les enfants ou les adolescents, jusqu’aux consultations de
liaison en pédiatrie en passant par celles qui sont demandées par certains
parents pour aborder sans leur enfant la question d’un secret de famille
ou celle de la conduite à tenir avec un enfant adopté, les circonstances
sont extrêmement différentes, et pourtant, dans chaque cas, la rencontre
et l’élaboration avec tous ces parents seront incontournables. Les travaux
de psychopathologie conduits par les théoriciens des thérapies familiales
nous aideront à nous guider dans ces contrées. Mais, avant de décrire le
travail spécifique effectué avec les parents lors des consultations, il convient
de rappeler les enjeux plus généraux, notamment l’éclairage anthropologi-
que de la parentalité. Puis nous aborderons le thème de la culpabilité qui
émerge chaque fois qu’un enfant présente une maladie, quelle qu’elle soit,
et l’importance de la « transformer » en responsabilisation pour conduire
la prise en charge avec les parents. Enfin, les questions de la fratrie et des
grands-parents seront abordées, car ils constituent, le cas échéant, deux
­aspects à prendre en considération.

Rappel succinct sur la parentalité


Pour mieux comprendre comment les parents peuvent être engagés en tant
que principaux co-acteurs de la consultation de leur enfant, il est nécessaire
de reprendre les ressorts de la parentalité, tels que Houzel les a définis dans
un ouvrage consacré à ce thème (Houzel, 1998). Ces études nous permettent
de repérer comment et en quoi les parents peuvent être aidés à retrouver leurs
fonctions parentales plurielles. Houzel distingue plusieurs axes : l’exercice,
qui renvoie à l’identité de la parentalité, l’expérience, qui renvoie aux fonctions
de la parentalité, et la pratique, qui renvoie aux qualités de la parentalité.

Exercice de la parentalité
Il correspond, au plan symbolique, à ce qui définit les cadres nécessaires pour
qu’un groupe humain, une famille et un individu puissent se développer.

La consultation avec l’enfant


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150 La consultation avec l’enfant

Mais s’il comporte un aspect non pas causal mais fondateur, l’exercice de
la parentalité a trait aux droits et devoirs qui sont attachés aux fonctions
parentales, à la place qui est donnée dans l’organisation du groupe social à
chacun des protagonistes, enfant, père et mère, dans un ensemble organisé
et, notamment, comme nous l’avons déjà vu, dans une filiation et une
généalogie. Enfin, l’exercice de la parentalité inclut l’autorité parentale mais
ne se résume pas à elle.

Expérience de la parentalité
Elle concerne l’expérience subjective de ceux qui sont chargés des fonctions
parentales. Elle représente le niveau de l’expérience affective et imaginaire de
tout individu impliqué dans un processus de parentification. Il s’agit de pro-
cessus psychiques conscients et inconscients, et c’est le niveau auquel se joue la
relation imaginaire et affective du parent avec son enfant, son conjoint, ses
parents, qui amène à plusieurs types de représentations : enfant réel, enfant
imaginaire et enfant fantasmatique.

Pratique de la parentalité
Elle englobe les tâches effectives, observables, qui incombent à chacun des
parents : aussi bien les soins à l’enfant, que les interactions comportemen-
tales, ou les pratiques éducatives. Chaque fois qu’un enfant est séparé de ses
parents, ces pratiques sont déléguées à d’autres adultes, que ce soit dans le
cadre d’une vie habituelle (assistante maternelle, crèche…) ou du fait d’une
séparation demandée ou imposée (justice, administration, précarité…).

L’enfant, porteur d’une pathologie personnelle


ou familiale
Dans la consultation de pédopsychiatrie, la question cruciale de savoir
­comment dépasser ce paradoxe – enfant porteur d’une pathologie personnel-
le ou familiale – se pose, et doit par conséquent être dépassée. « En clinique
infanto-juvénile, l’appareil psychique du patient désigné, l’enfant ou l’ado-
lescent, est, par définition, en phase de construction. Cet appareil psychique
se nourrit de représentations véhiculées par son milieu familial et culturel
concernant son fonctionnement. Ces éléments culturels et familiaux vien-
nent activer les ressources de l’équipement de base de cet enfant ou cet ado-
lescent et se combinent aux facteurs qui sont liés aux interactions sociales
et familiales pour contribuer à le désigner comme “porteur de symptôme” »
(Matot, 2008, p. 3).
Dans la mesure où, comme le rappelle Jean-Paul Matot, l’enfant est à la
fois un être en construction et un porteur de symptôme pour l’ensemble
Le travail spécifique avec les parents 151

f­ amilial, il est utile de considérer le travail spécifique avec les parents


­comme une partie incontournable de la consultation en pédopsychiatrie.
Mais si ce travail est important, il ne doit pas laisser penser que l’enfant
ne serait que le porteur de symptôme de la famille sans en être, pour une
part et selon les cas, un acteur plus ou moins actif, notamment en fonction
de sa problématique propre (facteurs génétiques, neurodéveloppementaux,
psychopathologiques, de précarité sociale…). Si nous ne retenions que cette
hypothèse, cela reviendrait à désigner à leur tour le ou les parents comme
origine, voire comme cause de ce symptôme. Or s’il est vrai que dans certai-
nes histoires cliniques, le ou les parents sont les responsables de la patho-
logie présentée par l’enfant, par exemple dans les cas d’enfants maltraités
ou abusés, c’est loin d’être toujours le cas, et il ne serait pas acceptable de
comprendre le travail à entreprendre avec les parents comme conséquence
de telles déductions. L’exemple de l’autisme infantile montre à quel point,
dans de nombreux cas, cette pathologie précoce, voire précocissime, peut
venir influer sur le climat des interactions parents-bébé et désorganiser rapi-
dement leurs fonctions humanisantes. Le travail spécifique avec les parents
d’un enfant autiste sera d’un tout autre type que celui entrepris avec des
parents maltraitants ou avec les parents d’un adolescent dépressif.
C’est pourquoi nous aborderons ce travail en tenant compte des diagnos-
tics retenus, de façon à rendre plus lisibles les approches spécifiques. Nous
pouvons retenir plusieurs scénarios pour aborder cette problématique.

Pathologies réactionnelles de l’enfant


Tout d’abord, nous avons le cas fréquent des enfants présentant des patho-
logies réactionnelles en lien avec la constitution de leur névrose infantile
« normale ». Dans de tels cas, il nous reviendra de travailler avec l’enfant
d’une part, les situations de la vie quotidienne dans lesquelles les scénarios
imaginaires viennent lui faire vivre ou revivre des difficultés qui peuvent
se traduire selon les grands schémas classiques définis par les psychopa-
thologues d’inspiration psychanalytique. Ce sont les expressions névro-
tiques de l’angoisse, les organisations hystériques, phobiques, ou obses-
sionnelles, reprises en termes compatibles avec la CIM-10 sous la forme
de : troubles anxieux et/ou panique, troubles moteurs dissociatifs, troubles
anxieux phobiques, phobies sociales, agoraphobies, et troubles obsession-
nels ­compulsifs. Mais d’autre part, dans ces cas relativement clairs sur le
plan de la symptomatologie, il revient aux parents d’accepter ces « stases »
psychiques avec les symptômes qui en dérivent comme autant de paliers,
voire de régressions, dans le développement de leur enfant, en sachant en
accueillir la réalité et les signes de souffrance psychique qu’ils traduisent,
mais sans céder sur les principes éducatifs de base qu’ils souhaitent trans-
mettre à leurs enfants.
152 La consultation avec l’enfant

Tous ces symptômes névrotiques pourraient être compris en terme d’évi-


tement de la castration (Ahmad, 2006) aux différentes étapes que l’enfant
franchit successivement. À chaque étape correspond un interdit qui résulte
de la limitation de sa toute-puissance infantile qui pourrait le faire stagner
du côté de la dépendance. C’est ainsi que le sevrage de la nourriture lactée
(sein ou biberon) peut être vécu par l’enfant comme l’impossibilité ou l’in-
terdiction de continuer à se nourrir de cette unique façon, alors qu’il l’ap-
préciait particulièrement. Mais si le parent fait accepter à l’enfant que cette
limitation va lui permettre d’aller de l’avant en devenant plus actif dans
son nourrissage, c’est-à-dire en mangeant « comme un grand » des nourri-
tures diversifiées avec son propre couvert, alors l’enfant travaillera pour son
autonomisation progressive. Mais il arrive que des parents cèdent, en raison
de déterminations inconscientes le plus souvent, sur de telles avancées, et
l’enfant pourra présenter des symptômes qui mettent l’accent sur leurs dif-
ficultés à « imposer » les étapes successives, ou en d’autres termes à limiter
progressivement sa toute-puissance infantile. C’est le début de l’engrenage
joliment décrit par Marcelli (2003) sous le nom « d’autorité de l’infantile »,
qui ne manque pas de survenir lorsque les parents ont quelques difficultés
à mettre en œuvre leur fonction limitante éducative. Les étapes suivantes
concernent les apprentissages qui symbolisent, bien au-delà de la seule
propreté sphinctérienne, l’acceptation des règles de base de vie en commu-
nauté et notamment les interdits concernant la violence musculaire. Puis
viennent la reconnaissance de la différence des sexes (je ne peux qu’être ou
une fille ou un garçon), et enfin l’acquisition des interdits de l’inceste et du
parricide, au fondement de tout groupe social.
La toute-puissance infantile est progressivement limitée par ces quelques
étapes structurantes au cours desquelles la fonction parentale est détermi-
nante en matière d’identification pour l’enfant. Cela va l’aider à constituer,
à partir des imagos parentales et de leurs avatars, un sur moi, instance lui
permettant de se guider non seulement dans son développement, mais éga-
lement dans son rapport aux autres. La clinique nous montre que lorsque
les parents ont des difficultés de divers ordres pour aider leur enfant à limi-
ter sa toute-puissance infantile, des symptômes psychopathologiques peu-
vent en résulter. Aider les parents à restaurer ces fonctions parentales pour
mieux les assumer permet dans beaucoup de cas d’en dépasser les travers.

Pathologies « héritées »
Dans certains cas cliniques, la composante génétique, neurodéveloppemen-
tale ou plus généralement biologique peut être prévalente lorsque l’enfant,
suivi par ailleurs pour ces pathologies, a besoin d’être reçu en consultation
de pédopsychiatrie pour des troubles spécifiques. Tels sont les syndromes
allant des anomalies génétiques classiques (Langdon-Down ou trisomie 21,
Le travail spécifique avec les parents 153

phacomatoses, déficiences mentales d’origine neurologique, épilepsies, etc.)


jusqu’aux troubles envahissants du développement (autismes, Asperger,
Rett…) en passant par les dysharmonies évolutives (Misès et Quémada,
2002), voire les troubles avec hyperactivité et déficit de l’attention (isolant
ce syndrome par rapport au cadre beaucoup plus général des « instabilités
psychomotrices »). Il ne s’agit pas de prendre parti sur un débat qui est
encore inachevé en raison des résultats partiels qui ne nous permettent en
aucun cas de trancher, mais plutôt de constater que ces éléments de recher-
che qui nous permettent aujourd’hui de penser ces pathologies de manière
complexe ont eu des effets dans beaucoup de consultations de pédopsy-
chiatrie sur la manière dont les parents peuvent engager un travail avec et
pour leur enfant. C’est ainsi que dans ces pathologies, la qualité du bilan
entrepris par les médecins pour faire la part des choses entre les différents
aspects présentés par l’enfant est devenue déterminante dans le ressenti et
le vécu des parents, et a des conséquences sur le suivi qu’ils peuvent accepter
ensuite. C’est d’ailleurs dans ce cadre de réflexion que prend place la prati-
que des consultations conjointes pédopsychiatrie-neuropédiatrie dont nous
reparlerons dans le chapitre 9. Toujours est-il que la problématique de la
culpabilité se joue très différemment dans certains cas, du fait même que
la composante génético-biologique est engagée. Par exemple, l’apparition
d’une anomalie génétique dont l’un des parents est porteur, peut tout aussi
bien avoir pour conséquence de diviser le couple parental que de resserrer
les deux parents en les soulageant de la crainte d’un trouble d’origine psy-
chogène. L’importance de l’histoire et du contexte de chaque enfant reçu
en consultation apparaît ici en pleine lumière. Ces exemples nous montrent
également que la question des articulations complexes entre corps et psy-
ché est au centre des préoccupations de notre spécialité, et qu’il y a lieu d’en
tenir le plus grand compte dans nos pratiques de consultations.

Autres pathologies de l’enfant


Entre les pathologies variantes de la normale et les pathologies à forte
composante génético-biologique se situent de très nombreuses pathologies
pédopsychiatriques qui vont de la dépression à la pseudo-débilité en passant
par les troubles du comportement, les carences affectives, les dysharmonies
psychotiques et les pathologies limites, jusqu’aux troubles résultant des
mauvais traitements et abus sexuels. Elles constituent un agrégat de patho-
logies aux déterminants multiples dans lesquelles les parents sont amenés à
repérer la souffrance psychique de leur enfant, à en accepter la signification
et à tenter d’y porter remède.
En fonction de chaque cas, il sera important de travailler avec eux sur les
dimensions qui les engagent personnellement dans l’aide de leur enfant, en
veillant toujours à constater avec eux l’existence de la culpabilité, non pas
154 La consultation avec l’enfant

comme un élément contre lequel il faudrait lutter, mais plutôt comme signe
d’une souffrance partagée avec leur enfant en difficulté. Dans cette direc-
tion, il conviendra de les aider à transformer cette culpabilité inévitable en
responsabilisation progressive.

Transformer la culpabilité « normale »


en responsabilisation
Nous voyons combien dans de telles consultations, le soutien des parents
dans leur fonction peut avoir d’importance pour passer un cap difficile.
Le travail avec eux consiste à instaurer un espace de réflexion dans lequel
ils puissent, grâce à un climat de confiance partagée, faire état de leurs
difficultés à être parents dans tel ou tel moment, sans redouter de se voir
culpabilisés ou vilipendés pour leurs erreurs ou leurs travers. En effet, la
maladie de l’enfant, quelle qu’elle soit, réveille chez les parents un senti-
ment de culpabilité d’autant plus tenace que les parents se jugent eux-mêmes
causes en tout ou partie de ce qui arrive à leur enfant. Pour certains, ce sera
l’annonce d’une maladie génétique qui confirmera leur impression d’avoir
transmis un « héritage familial » inavouable, devenant ainsi le terreau de
leur culpabilité, tandis que pour d’autres, c’est au contraire le sentiment de
ne pas s’y être pris « comme il fallait » avec leur enfant qui devient la raison
de leur faute. Il conviendra de procéder avec tact de façon à les amener à
trouver eux-mêmes les solutions aux problèmes que leur enfant présente. La
délivrance de conseils sans que ceux-ci ne soient compris, intégrés, partagés
authentiquement n’aurait aucune vertu dans le long terme. En revanche,
en les accompagnant dans leurs avancées réflexives, nous les aidons ainsi à
transformer leur culpabilité en responsabilisation.
Il arrive que la culpabilité soit également le ressort profond d’une agres-
sivité qui apparaît dans les rapports avec les parents. Dans ce cas, il est très
important qu’ils puissent nous l’exprimer, bien entendu dans des limites
acceptables, de façon à expérimenter avec nous la solidité dont ils ont
besoin pour retrouver un espoir. Le jeu subtil entre culpabilité et agressivité
se déploie dans le cadre des relations construites dans la consultation. Quoi
qu’il en soit, nous insistons beaucoup sur la qualité des échanges chaleu-
reux avec les parents, car beaucoup d’entre eux se souviennent encore long-
temps d’avoir rencontré des « psys » se comportant comme de véritables
sphinx, les laissant s’enfoncer progressivement dans leur culpabilité sous-
jacente, avec pour seul recours une agressivité justifiée par le vécu d’aban-
don. Il semble intéressant de penser la consultation non seulement comme
un lieu où les problèmes les plus préoccupants peuvent trouver des réponses
dans la discussion commune, mais également comme une expérience
partagée au cours de laquelle les identifications réciproques circulent entre
Le travail spécifique avec les parents 155

les acteurs qui y participent. À la fois l’identification du pédopsychiatre


aux parents pour mieux comprendre leur enfant dans son travail individuel
éventuel avec lui, mais aussi celle des parents au pédopsychiatre pour tenter
de traverser avec lui les difficultés autres qui ne manquent pas de survenir
avec leur enfant en dehors des temps de consultations, sans compter celles
de l’enfant au premier et aux seconds dans le cadre de son travail psycho-
thérapique.
Si ces précautions sont utiles en toutes circonstances, elles nous appa-
raissent particulièrement justifiées dans le cas des enfants ou adolescents
qui présentent des pathologies quelquefois dramatiques plongeant les
parents dans des affres très douloureuses ; dans ces histoires, nous savons
par expérience que leur soutien, à la recherche des forces narcissiques mises
à mal à l’occasion de la décompensation de leur progéniture, est essentiel à
la réorganisation de la structure familiale. C’est ainsi que lors des troubles
du comportement de l’enfant ou de l’adolescent, dans le cas de tentatives
de suicide graves ou au décours d’une bouffée délirante de l’adolescent,
les parents sont très souvent malmenés sur le plan psychique parce qu’ils
étaient auparavant dans une idée voire une idéalisation de leur enfant qui
ne tenait pas suffisamment compte de la réalité de son développement.
Des signes parfois nombreux auraient pu jouer en faveur d’une réalisation
des difficultés de l’enfant ou de l’adolescent, mais les forces dénégatives
ou déniantes à l’œuvre sont souvent considérables et empêchent de voir
la souffrance lorsqu’elle est encore peu visible. Dans de telles histoires, le
réveil est brutal et c’est souvent avec une traduction forte dans la réalité
qu’il a lieu : la police téléphone pour que les parents viennent chercher
leur fille de douze ans au commissariat parce qu’elle a volé dans un grand
magasin ; les urgences du CHU préviennent les parents que leur fils de qua-
torze ans a été hospitalisé en urgence cette nuit de samedi à dimanche pour
une overdose ; un ami de l’adolescente prévient les parents de son amie
qu’elle présente depuis quelques jours un comportement très bizarre et il
ne sait plus quoi faire pour aider… Les parents sont alors immédiatement
plongés dans une angoisse importante, voire débordante et peuvent passer
près de l’effondrement. Il est souvent utile de leur demander, une fois que
leur enfant ou adolescent est en milieu sûr, s’ils n’avaient vraiment rien vu
venir auparavant, car on constate souvent que des signes multiples étaient
déjà présents, mais objets d’un rejet normalisateur ou banalisant. Le travail
spécifique avec eux va alors consister à faciliter un contact plus « réaliste »
avec leur enfant, de façon à pouvoir l’aider plus précisément en fonction de
ses capacités, de ses besoins et désirs et de leurs ressources.
Mais si une bonne distance est nécessaire à repenser, cela ne veut pas
nécessairement dire que l’enfant ou l’adolescent doit revenir en arrière
pour recommencer une étape qu’il aurait manquée ! Il va falloir veiller avec
les parents à ce que cette juste distance retrouvée ne « tombe » pas trop
156 La consultation avec l’enfant

vite dans une surveillance rapprochée fortement corrélée à l’angoisse de la


rechute, qui aurait plus d’inconvénients que d’avantages.

Les parents dans les problématiques


chroniques
Enfin, d’autres cas problématiques sont ceux dans lesquels l’énergie des
parents est soumise à la nécessité de tenir dans la durée, notamment dans
les pathologies chroniques. En effet, lorsque des parents apprennent que
leur enfant est autiste dès l’âge de trois ans, ils savent qu’ils vont être mo-
bilisés toute leur vie durant, et le soutien que nous leur devons doit être à
cette aune. De même, quand à la suite d’une profonde dépression à la préa-
dolescence ou d’une expérience de toxicomanie grave à l’adolescence, le
psychiatre annonce aux parents que leur adolescent débute une schizoph-
rénie, il va leur dire également que cette pathologie est une maladie chro-
nique qui durera la vie entière et devra donc être accompagnée sans cesse,
même si des progrès ont eu lieu dans la prise en charge de ces maladies gra-
ves. Si l’enfant autiste ou l’adolescent schizophrène sont hospitalisés dans
le service du consultant, il va de soi que des rencontres régulières doivent
avoir lieu. Au cours de ces entretiens, le travail consiste à échanger avec les
parents sur les expériences que les parents ont avec leur enfant dans le cours
de la vie quotidienne (par exemple au cours des week-ends ou des vacances,
ou le soir), tandis que les soignants vont pouvoir faire part des leurs, dans
un souci de laisser dans une discrétion, non agressante pour les parents, les
dires que l’enfant leur a confiés dans l’intimité de la relation de soin. Il sem-
ble vraiment important que l’enfant ou l’adolescent puisse dire des choses
de sa vie aux soignants qui le prennent en charge en toute confiance, et
sans que tout soit retransmis à ses parents sans discrimination. Mais si cette
confiance entre un enfant ou un adolescent et « son » soignant est à la base
d’une relation psychothérapique (au sens large), il est essentiel de ne pas
l’asséner aux parents comme une conquête que leur enfant pourrait faire
enfin grâce aux seuls soignants, mais plutôt de leur dire le plus tôt possible,
que, comme ils peuvent le penser eux-mêmes, leur enfant pourra confier à
ses soignants référents des choses qui l’aideront à avancer, et que parmi ces
éléments, certains resteront discrets ou secrets. Et dans ce cas, il nous arrive
souvent de demander aux parents d’avoir la générosité d’autoriser une telle
pratique. Très rapidement, ces échanges d’expériences (avec ou sans l’en-
fant ou l’adolescent, cela dépend de beaucoup de critères convenus avec les
uns et les autres), aboutit à l’instauration d’une relation de confiance basée
sur le fait que les parents peuvent dire ce qui va et ce qui ne va pas dans
leurs relations complexes avec leur enfant, et que les soignants qui partici-
pent à la consultation peuvent également dire ce qui va et ce qui ne va pas.
Les parents sont à la fois rassurés de pouvoir parler de leurs difficultés dans
Le travail spécifique avec les parents 157

le vécu des retrouvailles avec leur enfant sans avoir l’impression que cela
ne dépend que d’eux, mais sont également touchés de voir que progressive-
ment les soignants connaissent très bien leur propre enfant, et que malgré
leur professionnalisme, il leur arrive aussi de ne pas mieux réussir avec lui.
Ces identifications croisées permettent aux parents de se « refabriquer » une
nouvelle énergie à notre contact à partir des expériences de réalité partagées.
Dans un certain nombre de cas, nous n’en restons pas là, et ces échanges
débouchent sur des hypothèses communes qui enrichissent notre réflexion
psychopathologique, et nos reprises contre-transférentielles. Il va de soi que
ces consultations avec les parents sont alors des moments extrêmement
importants pour la compréhension générale de la pathologie de l’enfant, et
pour la stratégie à suivre en fonction des ressources concrètes et psychiques
de l’enfant, mais aussi de celles des parents.

Un parent demande une aide pour lui-même


Il arrive que l’un des parents, au bout de plusieurs mois ou années de travail
ensemble, finisse par dire un jour qu’il souhaite faire un travail psychologi-
que, voire psychothérapique, personnel. Il a compris au fur et à mesure des
consultations comment son propre psychisme était engagé, avait souffert, lui
révélait des éléments qu’il avait jusqu’alors négligés… et que ces réflexions
l’amenaient à demander une adresse de soignant pour lui-même. Dans de
tels cas, nous proposons prudemment de voir ce parent en entretien une ou
plusieurs fois, de manière à ce que la décision qu’il va prendre ne soit pas
l’occasion d’en rajouter à la culpabilité que tout parent a dès lors qu’un de ses
enfants est malade. Si ce parent le souhaite, quelqu’un de recommandable
peut alors être proposé, avec qui il pourra peut-être aller plus loin dans sa
réflexion personnelle. Mais il semble utile d’attirer l’attention sur le fait qu’il
ne faudrait pas penser trop vite que les consultations avec les parents doivent
immédiatement déboucher sur une orientation vers une psychothérapie
pour eux-mêmes. Un tel dispositif nous semble antinomique au travail spéci-
fique que nous avons à mener avec eux pour mieux soigner leur enfant. Dans
cette hypothèse, les parents concourent à la prise en charge de leur enfant à
leur niveau essentiel de parent, mais ne sont pas pris eux-mêmes en soin par
l’équipe qui soigne leur enfant. Dans les cas où c’est nécessaire, ce qui arrive
plus fréquemment qu’on ne le croit, et notamment dans les histoires de
parents présentant des maladies mentales, il est important que ce ou ces parents
soient pris en charge par des psychiatres qui vont traiter avec eux leur propre
souffrance psychique d’adultes. Le pédopsychiatre se chargera quant à lui de
celle qui est en rapport avec la problématique de l’enfant. Si cette démarca-
tion est souvent difficile à établir dans un premier temps, ce n’est que si un
tel dispositif existe que nous pouvons contribuer à en clarifier les lignes de
force pour mieux accompagner les personnes concernées directement.
158 La consultation avec l’enfant

Fratrie
Le problème de la fratrie est également un chantier très important à prendre
en considération lorsque l’enfant ou l’adolescent soigné en a une. Dans ce
cas, il peut être utile de dire aux parents que les frères et sœurs souffrent
même s’ils ne le disent pas dans un premier temps, de façon à ce que les
parents sachent qu’il ne faut pas trop leur demander d’assumer seuls les désor­
ganisations résultant de la maladie d’un membre de la fratrie, notamment
pour protéger leur propre sécurité affective de base. En effet, lorsqu’il existe
par exemple un enfant autiste dans la famille, il arrive que les autres enfants
soient plus ou moins délaissés, non pas activement par leurs parents, mais
du fait de l’intense mobilisation que cette pathologie leur demande. Les
enfants de la fratrie vont alors surcompenser ce délaissement en laissant
penser à leurs parents que tout va bien. Or il n’en est rien, et les parents
doivent être aidés à en réaliser les conséquences. Ainsi, certaines équipes
ont pu organiser des réunions de fratrie pour y travailler ensemble de telles
problématiques, plutôt que de voir les frères et sœurs en consultation, ce
qui a souvent pour effet de leur laisser penser qu’eux aussi sont malades.
Il semble plus intéressant de les laisser exprimer, avec l’aide de personnes
formées à cet effet, leurs difficultés, en insistant sur le fait que ces dernières
sont habituelles voire « normales », et qu’elles ont été décrites comme tel-
les. De plus, leurs témoignages nous montrent qu’ils sont soulagés de savoir
que d’autres enfants partagent leur problème et ces « identifications laté-
rales » leur permettent souvent de se sentir appartenir à un groupe dont
les membres traversent des histoires semblables. Ces groupes peuvent être
utilisés par le consultant lorsqu’il sent que la fratrie de l’enfant qu’il reçoit
avec ses parents semble avoir besoin d’être aidée lors d’un moment parti-
culièrement difficile.

Grands-parents
Lorsque nous avons présenté le travail de consultation, il nous a semblé
important d’insister sur la construction de l’arbre généalogique. Les grands-
parents y jouent un rôle essentiel, puisque les parents de l’enfant reçu sont
chacun issus d’un lignage dont ils peuvent « témoigner ». Le travail consiste
alors à permettre aux parents et à leur enfant de revisiter avec notre aide
cette histoire constitutive de leur famille. Cette recherche rouvre habituelle-
ment des espaces imaginaires et symboliques que la psychopathologie avait
vu se figer progressivement sous l’effet de forces de diverses origines à l’œu-
vre. Et dans la plupart des cas, ces élaborations se passent sans la présence
physique des grands-parents. Pourtant, il peut arriver que leur présence
soit requise pour aller plus loin dans telle ou telle hypothèse concernant
la ­genèse des troubles de l’enfant. Dans ce cas, conformément aux
Le travail spécifique avec les parents 159

recommandations des thérapeutes spécialisés dans les approches familiales,


il peut être intéressant de les faire participer – avec l’accord des parents et
de l’enfant – à une ou plusieurs consultations. Dans d’autres cas, les grands-
parents peuvent tenter de prendre une place que les parents ne leur auraient
pas donnée spontanément. C’est ainsi que tel grand-parent habitué à ac-
compagner son petit enfant à un soin régulier peut, à un moment parti-
culier, demander à rencontrer le soignant, ou imposer son point de vue en
complète contradiction avec celui des parents devant l’enfant ou encore
faire intrusion dans la séance de l’enfant pour y « délivrer » un message
inattendu. Si ces actes inopportuns sont dans la plupart des cas objets de
reprises avec les partenaires légitimes de la situation de soin, il existe des
exemples dans lesquels la volonté de nuire est éclatante, et notamment
dans les cas d’enfants de parents eux-mêmes en difficulté de parentalité.
Les grands-parents peuvent alors se retrouver objectivement dans une si-
tuation de rapt de leurs petits enfants, rendant problématique la poursuite
des soins, sauf à y remédier rapidement par une mise au point sur le cadre
convenu.

Références
Ahmad, J. (2006). La Nouvelle Temporalité de la latence. Neuropsychiatrie de l’enfance
et de l’adolescence, 54 (5), 259–262.
Houzel, D. (1998). Les Enjeux de la parentalité. Ramonville : Erès.
Marcelli, D. (2003). L’Enfant chef de famille, l’autorité de l’infantile. Paris : Albin
­Michel.
Matot, J.-P. (2008). Les Premiers Entretiens thérapeutiques avec l’enfant et sa famille.
­Paris : Dunod.
Misès, R., & Quémada, N. (2002). Classification française des troubles mentaux de
­l’enfant et de l’adolescent, R. 2000. Paris : CTNERHI.
6 Les avis complémentaires

Psychologues, psychomotriciens, orthophonistes, infirmiers, éducateurs,


puéricultrices, assistants sociaux, cadres de santé, enseignants spécialisés,
secrétaires médicales… tous ces collaborateurs constituent l’équipe de
­pédopsychiatrie classique telle qu’elle existe dans chaque secteur de France,
mais également dans la plupart des équipes de CAMSP1 et de CMPP2. Un
nombre important d’équipes travaillant dans les hôpitaux, dans le champ
médicosocial et dans l’éducation spécialisée sont également composées de
ces spécialités médicales et paramédicales. Dans l’Éducation nationale, les
RASED3, constitués de psychologues, formés dans le cadre interne, et de
maîtres spécialisés en psychopédagogie et en psychomotricité, ayant reçu
eux aussi une formation interne à l’Éducation nationale, ont vu leur rôle
modifié ces derniers temps, ne permettant pas de les considérer, sauf cas
particuliers4, sur le même plan que dans le cadre général du soin ou du
médicosocial. Toutefois, leur rôle, à l’articulation entre les enseignants en
situation scolaire et les prises en charge « externes », est majeur pour les
­enfants. Et la pérennisation de leurs missions est absolument nécessaire pour
réussir la prise en compte de la souffrance psychique des élèves et faciliter la
bonne intégration des enfants handicapés.
Nous allons décliner pour ces professionnels les spécificités des appro­
ches et des bilans qu’ils peuvent effectuer grâce à leur formation. Mais sur­
tout, dans la pratique des équipes, tous les éléments qui vont résulter de
ces points de vue complémentaires feront l’objet d’une discussion clinique
lors des réunions de synthèse prévues dans le fonctionnement ordinaire des
CMP5, CMPP, CAMSP ou autres dispositifs.

Le psychologue
Avant d’aborder l’approche spécifique du psychologue, il est important
de rappeler son rôle essentiel dans la consultation de pédopsychiatrie,
puisqu’il peut dans les cas où la possibilité en a été discutée avec le pédo­
psychiatre, et la responsabilité assumée par les deux, également assurer les

1 Centre d’action médico-sociale précoce.


2 Centre médico-psycho-pédagogique.
3 Réseau d’aides spécialisées aux enfants en difficulté.
4 En effet, un certain nombre de ces postes de l’Éducation nationale sont occupés par des
personnes ayant suivi par ailleurs les formations universitaires ad hoc et obtenu le diplôme
pour exercer la psychologie.
5 Centre médico-psychologique.

La consultation avec l’enfant


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162 La consultation avec l’enfant

consultations en première ligne. Mais le psychologue apprend au cours


de ses études à réaliser une approche spécifique, l’examen psychologique.
Celui-ci s’appuie à la fois sur la pratique de l’observation, sur l’entretien
clinique et sur la méthode des tests, en utilisant « l’esprit de rigueur donné
par les bases scientifiques et profitant de l’éclairage que le mouvement
psychanalytique a apporté dans la compréhension de la relation et du
fonctionnement mental de l’individu » (Rausch de Traubenberg, 1983). Il
sera pratiqué en tenant compte des caractéristiques de la demande d’éva­
luation, de la formation du psychologue, et des règles de déontologie qui
président à son exercice. En effet, c’est le psychologue qui va décider lui-
même de l’utilisation de telle ou telle méthode ou référence pour conduire
son évaluation de l’enfant et cela garantit le recours à ses services dans une
dynamique respectueuse à la fois de l’enfant évalué et de sa famille, et de
son éthique professionnelle. Il s’agit de ne pas s’engager dans une direction
dans laquelle les résultats objectivables obtenus par ce genre d’évaluation
pourraient être utilisés indépendamment de la volonté de l’enfant ou de ses
parents lors d’une orientation, d’une expertise ou d’un conflit quelconque.
Dans cette perspective d’exploration de l’enfant portant aussi bien sur
ses difficultés que sur les potentialités qu’il recèle en lui, l’examen du
psychologue devient un temps extrêmement important de la consul­
tation en pédopsychiatrie. Les domaines abordés peuvent porter sur
plusieurs points (Emmanuelli, 2000) : tout d’abord, chez le bébé, le psy­
chologue pourra conduire « une évaluation du développement moteur,
cognitif, du langage et de la sociabilité ; chez l’enfant, apprécier les fonctions
intellectuelles, tant au niveau quantitatif que, surtout, qualitatif ». Ensuite,
cet examen permettra au psychologue d’approcher des attitudes spécifi­
ques, centrées sur divers aspects tels que le langage, l’organisation temporo-
­spatiale, l’organisation grapho-perceptive, le schéma corporel. Puis il
pourra évaluer les acquisitions et l’adaptation scolaire. Enfin, il pourra
aborder le « fonctionnement psychique sous l’angle des problématiques et des
conflits prévalents, des modalités de l’efficacité de l’organisation défensive, de
l’adaptation au réel et du jeu possible avec l’imaginaire » (Emmanuelli, 2000).
Les principales modalités consistent à recevoir l’enfant et ses parents pour
préciser lors de ces entretiens selon différentes dispositions (parents puis enfant,
puis ensemble ou autrement, en fonction des situations cliniques) les raisons
qui les ont amenés à venir consulter en pédopsychiatrie. Ce n’est qu’à partir
de ces éléments que le psychologue pourra proposer de réaliser son évaluation
selon tel ou tel modèle. On distingue habituellement plusieurs approches éva­
luatives : les tests de niveau et les tests projectifs ou épreuves de personnalité.
Les psychologues peuvent également se spécialiser dans un domaine plus
précis, tel que la neuropsychologie qui revêt une grande importance, mais
que nous n’aborderons pas dans cet ouvrage.
Les avis complémentaires 163

Tests de niveau
Les tests de niveau se divisent en deux grandes rubriques : les tests de
­développement intellectuel et les tests d’efficacité intellectuelle. Les tests de
développement intellectuel permettent de chiffrer le quotient intellectuel
(QI) de l’enfant examiné par rapport à une classe d’âge statistiquement défi­
nie par leur niveau moyen de développement. Ce chiffre mesure donc pour
cet enfant « l’avance ou le retard à l’aune de la performance attendue, qui
est fourni par le décompte en mois de l’âge réel de l’enfant testé » ­(Jeammet,
1994). On retrouve dans ces tests la NEMI de Binet-Simon revue par Zazzo,
initialement créée pour évaluer le niveau d’inadaptation scolaire. Le
Termann-Merill et le Borel-Maisonny sont également utilisés dans certains
cas (surdité). Le test important pour apprécier le niveau de développement
des bébés est le Brunet-Lézine, issu des travaux de Gesell, qui donne un
quotient de développement (QD) portant sur les quatre aspects suivants :
moteur ou postural, verbal, adaptation ou comportement avec les objets,
­relations interpersonnelles. Le test de Denver est également intéressant dans
la même perspective développementale, ainsi que le test de Bailey. La passa­
tion de l’échelle de Brazelton peut également apporter pour le nouveau-né
des éléments très intéressants pour mettre en évidence ses compétences ou
leur absence.
Les tests d’efficience intellectuelle obtiennent le QI non plus à partir d’un
rapport arithmétique entre la vitesse de développement de l’enfant et celle
qui est validée statistiquement au même âge, mais « à partir d’un indice de
dispersion par rapport à la moyenne d’un groupe d’âge » (Jeammet, 1994).
La WPPSI6 pour la période pré-scolaire (de quatre à six ans) et le WISC-R7
(échelle de Wechsler dans sa forme révisée) pour la période scolaire (jusqu’à
seize ans et demi) définissent un QI et des niveaux d’intelligence qui vont
du déficient (moins de 70) au très supérieur (plus de 130) en passant par
les variantes de la normale. À noter que la forme pour adultes (WAIS8) est
validée à partir de treize ans. Ce test comporte deux types d’épreuves, les
verbales (information, compréhension, arithmétique, similitude et voca­
bulaire) et les performances (complétion d’images, arrangement d’images,
épreuves de Kohs, assemblage d’objets, codes et labyrinthes). L’échelle de
pensée logique de Piaget et Longeot mesure le niveau de développement
de la représentation symbolique. Plusieurs tests complètent ces approches
fondamentales : ce sont le Benton (épreuve perceptivo-motrice), la figure
de Rey (épreuve également perceptivo-motrice portant sur la reconnaissan­
ce, la mémoire et la reproduction des formes spatiales et graphiques) et le

6 Wechsler Preschool and Primary Scale of Intelligence.


7 Wechsler Intelligence Scale for Children – Revised.
8 Wechsler Adult Intelligence Scale.
164 La consultation avec l’enfant

­ ender (troubles de nature instrumentale). Le test d’Inizan permet d’éva­


B
luer l’apprentissage de la lecture et le test de l’Alouette, d’en préciser les
difficultés.
De nombreuses controverses ont accompagné l’utilisation de ces tests
tout au long de leur histoire, et il ne faudrait pas confondre les résultats
­importants qu’ils permettent d’approcher et la manière dont certains pensent
ou fantasment de les utiliser. Comme en toute chose, les tests de mesure de
l’intelligence ne peuvent être détachés d’une approche globale et contex­
tualisée de l’enfant et de la souffrance psychique qu’il présente.

Tests projectifs ou épreuves de personnalité


Non thématiques
Depuis Rorschach, qui met son test au point dans les années 1920, l’intérêt
du test projectif en pédopsychiatrie a connu une expansion continue. En
effet, cette manière d’approcher l’appareil psychique de l’enfant permet de
conjuguer une réflexion psychopathologique avec l’observation des rapports
de cet enfant avec la réalité, et notamment centrée sur ses moyens corporo-
psychiques de défense. En effet, ce « test est particulièrement sensible à la
projection de l’image du corps et à celle des imagos parentales en tant que
supports d’identification » (Duplant, 2008). Le test de Rorschach, dit non
thématique, est constitué de dix planches composées de tâches non repré­
sentatives et symétriques de façon axiale : cinq noires, deux noirs et rouges et
trois polychromes. Ces planches sont soumises à l’enfant qui doit dire tout ce
qu’il y voit. Une grille de décodage permet d’en déduire plusieurs éléments :
le mode d’appréhension général global ou partiel, l’aspect formel (descrip­
tion simple, complexe, avec ou sans kinesthésie), le contenu humain, animal
ou inanimé. Le psychogramme qui en résulte est analysé en termes de
­mécanismes défensifs, de niveau de développement et de mode de relation à la
réalité. Puis, une réflexion sur la nature des processus psychiques et leurs rap­
ports avec les fantasmes sous-jacents de l’enfant est proposée de façon plus
qualitative que quantitative. Des points de fragilité ou lignes de vulnérabilité
sont alors présentés comme caractérisant la personnalité de l’enfant et don­
nant des indications précieuses pour sa prise en charge psychothérapique.

Thématiques
Des tests dits « thématiques » peuvent également être proposés. Plusieurs pos­
sibilités s’offrent au psychologue en fonction de l’âge et de son expérience
avec tel ou tel test. Le TAT (Thematic Aperception Test) et sa variété pour les
­enfants de moins de huit ans, le CAT (Children Aperception Test), sont des ensem­
bles de planches mettant en scène des personnages humains pour le premier
et animaux pour le second, dans des situations ouvertes, c’est-à-dire pouvant
être interprétées de diverses manières en fonction de l’état psychique interne
Les avis complémentaires 165

du patient, et notamment en lien avec ses conflits internes. On demande à


l’enfant de raconter l’histoire que cette planche lui évoque. Deux analyses des
résultats, d’abord suivant une grille pour la partie étalonnée, puis en référence
à la lecture clinique, sont ensuite effectuées, et donnent une idée précise du
fonctionnement psychique de l’enfant. On étudie également le rapport entre
le discours manifeste et le contenu latent de la planche.
Il existe également le test de Patte noire, proposé par Corman aux enfants
de moins de six ans. Il s’agit de planches mettant en scène une famille de
cochons dont l’un des membres a une tache noire à la patte. Les problé­
matiques abordées touchent aux conflictualités des jeunes enfants (auto­
rité, rivalité, œdipe…). D’autres tests projectifs sont intéressants, tels que
le scéno-test, le test du village d’Aarhus, et un test trop peu utilisé avec les
enfants, le test de Szondi. Enfin, le MMPI (Minnesota Multiphasic Personality
Inventory) est un questionnaire qui n’a été validé que pour les adolescents
de plus de seize ans.

Dessin de l’enfant
Les tests faisant appel au dessin de l’enfant sont également utiles et intéres­
sants. Tels sont les tests du bonhomme, de la famille, de l’arbre, de la dame
(Fay) qui permettent de mieux approcher les capacités de représentation du
monde par l’enfant et surtout les contenus qu’il peut ainsi laisser entrevoir
à l’observateur avisé.

Interprétation des tests


Les résultats de ces différents tests demandent au psychologue une longue
réflexion élaborative qui vient souvent enrichir considérablement les résul­
tats de la consultation clinique du pédopsychiatre, et proposer un point de
vue évaluatif complémentaire des autres examens pratiqués par les autres
collaborateurs. Là encore, des temps de discussion ensemble sont nécessaires
pour affiner nos représentations complémentaires de l’enfant et pouvoir
lui proposer les meilleures indications de soins. Il apparaît évident que
le travail d’élaboration entre le psychologue et le pédopsychiatre permet
de fonder une théorisation commune de la psychopathologie à la lumière
d’une clinique partagée, et constitue de ce fait, une des pierres angulaires
de la consultation en pédopsychiatrie. En outre, la formation du psycho­
logue le destine à l’exercice de la psychothérapie, ce qui va contribuer à
inscrire dans une diachronie transférentielle les éléments cliniques que la
passation des tests lui a apportés dans la synchronie des évaluations inau­
gurales. Le psychologue et le pédopsychiatre sont de fait les référents d’un
enfant pour la consultation, mais le premier peut également en assumer la
­fonction dans l’organisation d’un service sous la responsabilité du second et
en bonne intelligence avec lui.
166 La consultation avec l’enfant

Le psychomotricien

En identifiant la psychomotricité au prélude d’un


langage, c’est-à-dire en lui donnant le sens et la fonction
d’un certain langage, Wallon élève le phénomène moteur
au niveau de la totalité de la personne, ou au moins du
personnage.
Julian de Ajuriaguerra (2008, p. 189)

Le psychomotricien va procéder à l’examen psychomoteur de l’enfant,


mais aussi du bébé et de l’adolescent. Il s’agit pour lui de mieux appréhen­
der le niveau de développement de l’enfant en fonction des critères de nor­
malité statistique, tout en tenant compte de singularités de chaque enfant.
L’évolution de l’enfant se fait grâce à toutes les fonctions physiologiques
qu’il va développer en interaction avec son milieu, parmi lesquelles le sys­
tème neurologique occupe une place particulière. Les neuropédiatres ont
décrit de façon très précise les différents stades de ce développement, et les
psychomotriciens vont prendre en considération ces descriptions, mais en
les intégrant dans l’ensemble plus vaste de la psychomotricité. Pour
R. ­Lafon, la psychomotricité est le « résultat de l’interaction de l’éducation et
de la maturation des synergies et des conjugaisons des fonctions motrices
et psychiques, non seulement en ce qui concerne les mouvements et les
expressions observables, mais encore en ce qui les détermine et les accom­
pagne (volonté, affectivité, besoins, pulsions) » (Lafon, 1973, p. 699). Pour
Jean Bergès, l’examen psychomoteur porte à la fois « sur ce qui reflète l’état
des structures du système nerveux central, sur les diverses fonctions sous-
tendues par ces structures, et sur les modalités de fonctionnement de ces
fonctions. Ce fonctionnement est appréhendé dans la relation à l’exami­
nateur. Il s’agit donc d’une modalité d’examen du corps dans sa psycho­
motricité dans la mesure où il est engagé dans la relation à autrui. Il évalue
à la fois la maturation des structures et l’évolution du développement des
fonctions, toutes deux étroitement liées à l’âge du sujet » (Bergès, 2000,
p. 575). Si l’examen neurologique étudie avec précision les grands systè­
mes neurologiques pyramidaux, cérébelleux, extra-pyramidaux, sensoriels,
végétatifs et autres pour, à partir des symptômes présentés, en déduire un
diagnostic, en rechercher des étiologies et proposer un traitement, l’examen
psychomoteur porte sur « la motricité d’ensemble, le projet moteur, la façon
de s’y prendre, les rapports du corps avec l’espace ou la temporalité ». Les
troubles psychomoteurs sont davantage repérables dans l’attitude, la pos­
ture, le style moteur, l’engagement du sujet dans l’action, les conséquences
de celle-ci : « le trouble psychomoteur est d’emblée gnosopraxique, et
­engage le corps dans son image et dans son identité » (Bergès, 2000, p. 575).
Les avis complémentaires 167

­ ’examen psychomoteur lui-même passera en revue les différentes compo­


L
santes suivantes : le tonus, la posture, l’équilibre (statique et dynamique), la
latéralité, la coordination et les habiletés motrices, les praxies et les synciné­
sies (d’imitation et toniques), les repères spatiaux et la faculté d’orientation
dans l’espace, les repères temporels et la faculté de s’orienter dans le temps,
le schéma corporel, l’instabilité psychomotrice, le graphisme, la parole et
ses avatars (troubles articulatoires, bégaiement, dysphasie), la qualité rela­
tionnelle (contenance et prestance au sens de Wallon), la capacité de parta­
ger les émotions, et la relation à autrui.
Cette partie essentielle des examens complémentaires s’appuie sur la dis­
tinction utile à retenir entre le schéma corporel et l’image du corps. En
­effet, c’est souvent parce que l’enfant a des difficultés dans la représentation
de son corps et des fonctions qu’il peut assurer dans son rapport au monde
et à l’autre que sa psychomotricité est « parlante » et demande à celui qui
le reçoit d’en décoder les principaux signes pour ensuite l’accompagner
dans la prise en charge lorsque c’est nécessaire. Dans cette perspective,
le schéma corporel est l’ensemble des capacités qu’un enfant possède dans
« l’utilisation » de son corps en fonction de son âge, tandis que l’image
du corps en est la représentation engagée dans la relation au monde et à
l’autre depuis sa naissance. C’est ainsi que l’on peut voir un enfant ayant
acquis la propreté sphinctérienne à l’âge habituel redevenir énurétique à
l’arrivée d’un puîné. Son schéma corporel a la capacité de la propreté, mais
son image du corps marque sa souffrance de rival par la perte temporaire
de cette capacité fonctionnelle. L’examen psychomoteur peut donc don­
ner lieu à une riche articulation entre les troubles présentés par l’enfant,
les symptômes psychomoteurs qu’il présente et l’histoire personnelle et
familiale qu’il vit.
Dans la conclusion de cet examen on retrouve habituellement trois gran­
des classes de troubles (Epelbaum, 1993, p. 46) :
• des troubles touchant la mise en place du schéma corporel et des repères
spatio-temporels, se révélant par des difficultés à réaliser des gestes précis,
intégrés dans des séquences temporelles, spatiales et rythmiques détermi­
nées, gênant l’enfant dans sa vie quotidienne ;
• des retards de maturation psychomotrice ; le stade de développement est
inférieur à celui de l’âge chronologique de l’enfant, avec une paratonie, des
syncinésies, une maladresse générale ou une latéralisation instable ;
• des difficultés d’investissement du corps qui peuvent comprendre des
signes des deux catégories précédentes, mais sont souvent en lien avec des
troubles se situant au niveau affectif, générés par de multiples paramètres
qu’il s’agit d’explorer eux aussi.
Il est important de rappeler que dans le cas où le moindre doute existe à
propos d’un signe neurologique, un avis sera demandé au neuropédiatre.
168 La consultation avec l’enfant

Yann, six ans


Yann est un garçon de six ans présentant une instabilité psychomotrice impor-
tante se traduisant par des difficultés d’intégration scolaire. Les parents ont été
alertés par l’instituteur du CP quelques semaines après la rentrée en raison de
ses troubles de l’attention et de la concentration, et de son hyperactivité en
classe. Lors de la consultation, Yann est d’abord assez agité, mais rapidement,
lorsqu’on aborde l’histoire familiale, et notamment la mort d’un bébé in utero,
survenue au cours de l’été précédent, il s’apaise et pose des questions adaptées,
montrant à la fois sa grande sensibilité et son intelligence de la situation. Le
pédopsychiatre le reçoit ensuite seul et son impression clinique, alors qu’il reste
calme, est que cet enfant est anxieux, insomniaque et, pour peu qu’on lui laisse
l’occasion de l’exprimer, envahi par une tristesse depuis quelque temps. L’exa-
men réalisé par la psychomotricienne de l’équipe va confirmer ce diagnostic de
dépression en passant avec lui en revue les grandes fonctions, et mettre en évi-
dence l’utilisation hyperactive que cet enfant fait de son corps dans la relation,
notamment lorsqu’il est en groupe.
L’indication d’une thérapie psychomotrice pour cet enfant et de consultations
parents-enfant avec le pédopsychiatre va d’abord étonner les parents, qui pen-
saient devoir accepter une prescription de méthylphénidate, comme l’instituteur
le leur avait annoncé ; puis, avec le temps de la prise en charge, vont apparaître
deux séries d’éléments qui n’avaient pas été évoqués d’emblée : par les parents
d’abord, concernant leur projet de séparation à la suite de la perte du fœtus
in utero, projet qui n’avait jamais été encore verbalisé devant leur fils. Si Yann
n’avait rien su consciemment, il avait perçu intuitivement un changement dans
l’attitude de ses parents et sans doute déjà compris quelque chose de leur dés­
accord. En revanche, ce qui l’avait beaucoup touché, et était devenu pour lui la
« cause » de la mort du bébé, était la répétition insistante dans les conversations
entre adultes sur l’arrêt des mouvements de son futur petit frère dans le ventre
maternel. Par ailleurs, Yann, qui jusqu’alors n’avait pas de difficultés relationnel-
les particulières dans les classes maternelles, avait, dès la rentrée en CP, été mis
en position d’être rejeté par ses pairs, surtout lors des récréations, apparemment
en raison de son instabilité psychomotrice débordante. Or on sait à quel point
cette problématique du bouc émissaire relève d’origines diverses et complexes
(Catheline, 2006, p. 217). L’évolution rapidement favorable des symptômes de
cet enfant ne l’a pas empêché de poursuivre son travail psychothérapique avec
la psychomotricienne pendant deux ans, et Yann a retrouvé, malgré le divorce
tant redouté de ses parents, un développement intellectuel et psychoaffectif
satisfaisant.

Les classifications françaises et internationales situent les troubles psycho­


moteurs dans les troubles du développement et des fonctions instrumenta­
les. Ils peuvent se présenter sous les formes suivantes : troubles spécifiques du
développement moteur, tics (transitoire, moteur ou vocal chronique), mala­
die ou syndrome de Gilles de la Tourette, ou autres troubles psychomoteurs
Les avis complémentaires 169

ou du développement physiologique. Mais il est important de considérer


au-delà de ces troubles psychomoteurs identifiés spécifiquement, leur appar­
tenance aux grands syndromes de la pédopsychiatrie. En effet, dans de nom­
breuses pathologies pédopsychiatriques, les troubles psychomoteurs existent
et leur repérage est essentiel pour mieux affiner la future prise en charge.
C’est ainsi qu’ils peuvent apparaître dans les troubles envahissants du
­développement (autisme et troubles psychotiques), dans les troubles névroti­
ques (dans les principales organisations anxieuses, phobiques, hystériques
ou obsessionnelles), dans les pathologies limites, les troubles réactionnels,
les retards mentaux, les troubles des conduites et du comportement et dans
les troubles à manifestation somatique.
L’avis du psychomotricien sera souvent suivi d’une proposition de prise
en charge par ses soins, ce qui viendra enrichir les possibilités d’améliora­
tion de l’enfant. Des psychomotriciens ont souhaité se former pour appro­
fondir leurs connaissances et leurs pratiques dans tel ou tel domaine plus
spécialisé. Ainsi, certains se sont orientés vers la psychiatrie du bébé, tandis
que d’autres s’appropriaient les techniques de relaxation avec les adoles­
cents et d’autres encore, la pratique de la pataugeoire (Latour, 2008) avec
les enfants autistes. Les avis de ces praticiens sont dès lors précieux dans
l’approche d’un enfant qui présente un problème plus spécifique relevant
de leurs compétences.

Bilan sensorimoteur de l’enfant


selon André Bullinger (2004)
André Bullinger, pour mieux connaître l’enfant en développement, propose
de l’étudier dans le cadre de consultations thérapeutiques au cours des­
quelles il va utiliser ses capacités selon différents axes en fonction de son
âge. Bullinger, d’abord étudiant de Jean Piaget et de Julian de Ajuriaguerra,
puis professeur à la faculté de psychologie de Genève, va proposer une
relecture du stade sensorimoteur qui fera date dans la compréhension du
développement de l’enfant. Il propose une succession de moments structu­
raux dans ce développement qui remettent en perspective les périodes
­essentielles. Ses travaux donnent une description précise du développement
du jeune enfant, et permettent un examen sensorimoteur ouvrant sur de
nombreuses pistes cliniques, thérapeutiques et psychopathologiques. En
outre, sa description croise les travaux d’origine psychanalytique conduits
par Geneviève Haag (Haag et al., 1995), et leur convergence indique des
invariants structuraux dans le développement de l’enfant qui aident à une
meilleure approche non seulement lors de la consultation, mais également
lors du bilan psychomoteur.
170 La consultation avec l’enfant

L’orthophoniste
L’orthophoniste (ou logopède) est un professionnel qui prend en charge
les troubles du langage oral et écrit de l’enfant et de l’adulte, que ce soit
concernant son acquisition chez le premier, ou sa récupération chez le
­second. Un enfant peut avoir un retard dans l’acquisition du langage oral ou
écrit, et son orthophoniste fera d’abord un bilan approfondi pour l’aider
à mieux cerner où il en est de son développement et, à partir des résultats
de ce bilan, croisés avec ceux des autres spécialistes consultés, pourra lui
proposer une prise en charge spécifique. Un adulte ayant subi un trouble
neurologique peut perdre ses facultés langagières, et l’orthophoniste aura
également la mission de l’aider à récupérer, quand c’est possible, certaines
de ses facultés. Mais les deux champs sont sensiblement différents, dans la
mesure où pour les enfants en développement il s’agit d’un rapport avec
le langage qui est souvent problématique d’emblée. Et les orthophonistes
investissent aujourd’hui les conditions dans lesquelles le langage apparaît,
et surtout les signes avant-coureurs, ce que nous avons désormais l’habitude
de nommer les « précurseurs du langage » (Golse, 2005). Dans cette perspec­
tive, il est extrêmement utile d’avoir l’avis de ces professionnels pour mieux
aider un enfant en « délicatesse » avec le langage sous toutes ses formes.
Enfin, il existe chez l’enfant des formes de troubles du langage en rapport
avec des pathologies telles que les troubles de l’audition, les infirmités
­motrices d’origine cérébrale, l’épilepsie… Là encore, un avis des spécialistes
concernés sera requis.
Le langage est une fonction complexe qui se développe chez un enfant
en interaction avec ses parents, dans un milieu culturel donné et compor­
tant une langue maternelle parlée au moins par la mère de l’enfant, sinon
par son père et leur groupe d’appartenance culturel. Mais si ces aspects
­anthropologiques du langage sont fondamentaux, l’imbrication avec le
­développement neurologique et psychologique est évidente, et on ne pourra
donc pas isoler les symptômes qui concernent le langage et ses avatars de
l’ensemble du développement de l’enfant.

Langage et parole
Nous devons distinguer langage et parole, qui, à leur tour, renvoient à plu­
sieurs concepts. Le langage renvoie aux systèmes sémantique et syntaxique,
tandis que la parole renvoie aux systèmes phonétique et phonologique.
Concernant le langage, la sémantique prend le sens pour objet et la struc­
turation sémantique implique un codage et une mémorisation des mots
du vocabulaire de façon précise par l’enfant en développement. Le champ
sémantique est « l’aire couverte dans le champ de la signification par un
mot ou par un groupe de mots de la langue » (Dubois et al., 1994, p. 423).
Les avis complémentaires 171

La syntaxe est « la partie de la grammaire décrivant les règles par lesquel­


les se combinent en phrases les unités significatives » (Dubois et al., 1994,
p. 468). L’organisation syntaxique nécessite « la maîtrise de la combina­
toire extrêmement complexe qui régit les rapports entre les éléments du
discours » (Ranty, 1993, p. 37).
Concernant la parole, la phonétique concerne la branche de la linguis­
tique qui étudie la composante phonique du langage. Troubetskoï en pro­
pose la définition suivante : « la science de la face matérielle des sons du
langage humain » (Dubois et al., 1994, p. 361). La phonétique s’intéresse
à la maîtrise de la réalisation motrice des phonèmes. La phonologie est la
science qui étudie « les sons du langage du point de vue de leur fonction
dans le système de communication linguistique. Elle se fonde sur l’analyse
des phonèmes, opposée à la nature continue des sons » (Dubois et al., 1994,
p. 362), c’est-à-dire à la structuration de leur organisation interne permet­
tant le codage par l’enfant.
Ces distinctions sont importantes, car elles constituent ensemble le lan­
gage comme médiateur de la communication, et de ce fait, « un vecteur
de la vie relationnelle, un soutien de l’élaboration du raisonnement et un
support de l’accès au savoir » (Ranty, 1993, p. 37). Les chercheurs contem­
porains s’intéressant aux conditions d’apparition du langage chez le bébé
ont également beaucoup insisté sur l’importance de la prosodie dans le lan­
gage. En effet, les bébés ont la capacité très précoce de reconnaître et repro­
duire à des fins relationnelles certains schémas prosodiques, bien avant la
maîtrise du langage articulé dans une parole. La prosodie constitue d’un
certain point de vue la musique du langage. Cette étape du développement
du langage correspond chez la mère à la période du « mamanais »
(­Laznik-Penot, 1985).

Éléments théoriques sur le langage


Le langage a de multiples fonctions qu’il convient de connaître pour réaliser
un bon examen. Si pour Bühler (1934) les fonctions du langage se divisent
en fonction de représentation (relation de l’énoncé avec l’univers extralin­
guistique), fonction d’expression (relation avec l’émetteur du message) et
fonction d’appel (relation avec le récepteur), pour Jakobson, qui propose
une classification plus élaborée, il existe six fonctions différentes : « la fonc­
tion référentielle (ou dénotative ou cognitive) qui centre le message sur le
contexte, la fonction émotive qui le centre sur le destinateur ou locuteur, la
fonction conative sur le destinataire, la fonction phatique centre le message
sur le contact, la fonction métalinguistique sur le code et la fonction poéti­
que envisage le message pour lui-même. » (Dubois et al., 1994, p. 204.)
Enfin, la sémiotique comme théorie générale des modes de signifier
permet d’aborder les signes sous un angle très utile dans le champ de la
172 La consultation avec l’enfant

pédopsychiatrie (Delion, 2000). Peirce démontre que « toute sémiose est


une relation triadique entre un representamen, un interprétant et un objet ».
« Un signe, ou representamen, écrit Peirce, est quelque chose qui tient lieu
pour quelqu’un de quelque chose sous quelque rapport ou à quelque titre.
Il s’adresse à quelqu’un, c’est-à-dire crée dans l’esprit de cette personne un
signe équivalent ou peut-être plus développé. Ce qu’il crée, je l’appelle l’in­
terprétant du premier signe. Ce signe tient lieu de quelque chose : de son
objet. » (Deledalle, 1990.) Cette approche instaure un lien entre l’objet, ses
modes de présence au monde et les effets induits sur celui qui « reçoit » le
signe. Sa proximité épistémologique avec la situation de la consultation en
pédopsychiatrie en fait un dispositif pertinent pour penser la souffrance
psychique, notamment en matière de trouble du langage.

L’examen
En tout état de cause, les finalités du langage sont de communiquer avec
son entourage, non seulement sur les aspects informatifs et cognitifs, mais
aussi à partir des vécus émotionnels et affectifs que l’enfant traverse et
qu’il doit pouvoir donner à penser à un autre avant de les penser lui-­même
en son for intérieur. L’examen devra donc comporter plusieurs aspects
­complémentaires : la qualité de la communication, le degré de motivation
ou d’incitation et le niveau auquel est arrivé l’enfant dans la possession du
langage. Pour y parvenir, le consultant utilisera les échanges de paroles lors
de la consultation, que ce soit avec les parents ou avec l’enfant, mais aussi
les techniques indirectes telles que le dessin et le jeu. Certains enfants vont
pouvoir facilement parler en consultation quand d’autres se révéleront
­incapables de le faire, alors qu’ils peuvent parfaitement échanger lors d’un
dessin ou d’un jeu. Dans d’autres cas, seul le petit groupe thérapeutique
pourra vaincre l’inhibition de l’enfant. Quel que soit le style langagier de
l’enfant, il sera intéressant d’apprécier sa capacité à communiquer par la
parole, le dessin, le jeu, mais aussi par la communication non verbale : le
regard, la mimique, les gestes peuvent permettre à l’enfant de montrer qu’il
a le souhait de communiquer tout en ayant des difficultés à le faire de façon
ordinaire. L’examen de l’orthophoniste viendra compléter ces éléments
­récoltés lors des consultations en proposant son cadre spécifique dans lequel
tous ces éléments seront repris plus finement et en y associant des épreuves
systématiques. Son examen comporte une étude du langage oral, du langa­
ge écrit lorsque l’enfant y est parvenu, et doit s’intéresser aux troubles asso­
ciés. Cet entretien se fait souvent en présence des parents de façon à étudier
les interactions verbales et non verbales entre l’enfant et ses parents (avec
une attention particulière pour les familles non francophones), sa capacité
à investir une personne jusqu’alors inconnue, et ses possibilités d’attention
conjointe, de pointage proto-impératif puis proto-déclaratif, son « désir » de
Les avis complémentaires 173

communiquer, et enfin les caractéristiques du langage intrafamilial, à la fois


l’histoire du langage de l’enfant et celle du langage dans sa famille (retards
chez un parent ou chez les parents…).
L’étude du langage oral va passer en revue successivement la voix et la
phonation, la fluence, les gnosies auditives, la motricité bucco-pharyngée et
les praxies buccales, l’analyse psycholinguistique. Cette dernière fera l’objet
d’une attention particulière en détaillant les différents niveaux déjà évoqués
dans l’étude du langage9 : le niveau phonétique et phonémique (erreurs
motrices, schlintement, dévoisement, sigmatisme…), le niveau phonolo­
gique ou niveau d’agencement des sons de la langue avec les mots (erreurs
paradigmatiques et syntagmatiques, dissociation automatico-volontaire de
la dysphasie, jargon…), le niveau lexical, très en rapport avec la mémoire
d’évocation, le niveau morphosyntaxique ou grammatical, concernant la
formation et la combinaison des mots ainsi que leur ordre dans la phrase,
le niveau sémantique qui renvoie à la signification des énoncés et à leur
organisation, le niveau pragmatique qui caractérise la compétence commu­
nicative et l’utilisation de langage dans les interactions humaines, et ­enfin
la prosodie. En ce qui concerne le langage écrit, les troubles recherchés
portent sur la dyslexie, la dysorthographie, les troubles de l’écriture et les
troubles du calcul ou dyscalculie. À noter que, depuis la circulaire Ringard10
organisant le dépistage et la prise en charge de ces troubles dans le milieu
scolaire, des centres ressources des troubles de l’apprentissage se sont mis
en place dans certaines régions, où se pratiquent des bilans approfondis de
ces difficultés qui permettent aux équipes de prise en charge de bénéficier
d’avis complémentaires de qualité.
Il convient ensuite d’apprécier les troubles associés pouvant porter sur
les champs sensoriels (vision, audition), moteurs (d’origine neurologique
ou traumatique), psychomoteurs ou psychologiques (troubles du compor­
tement, de la relation, de la personnalité, traumas ou abus, carences…).
Cet examen conduira à des conclusions diagnostiques à condition
d’avoir évité les pièges que posent les difficultés de langage chez l’enfant.
C. Ranty (1993, p. 41-42) en propose quatre principaux : devant un enfant
qui parle mal, la confusion entre parole et langage dans une approche glo­
balisante ne permet pas d’apporter la réponse adaptée ; devant un enfant

9 Cette partie s’inspire de l’article de Marie-France Bresson « Orthophonie (examen) », dans


le Dictionnaire de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent de D. Houzel (Bresson 2000).
10 Le rapport Ringard, paru en 2000, développe l’idée que les dyslexies et les dysphasies
doivent être prises en considération dans le milieu scolaire et faire l’objet d’un dépistage
spécifique débouchant sur des modalités de diagnostic et de prises en charge qui vont être
précisées dans une circulaire organisant les Centres régionaux des troubles des apprentissa­
ges (circulaire du 31 janvier 2002 relative à la « Mise en œuvre d’un plan d’action pour les
enfants atteints d’un trouble spécifique du lange oral ou écrit »).
174 La consultation avec l’enfant

qui parle mal mais comprend tout (selon ses parents) la confusion compré­
hension verbale/compréhension globale donne l’illusion de l’intégrité de
la compréhension ; la mise en avant par les parents du seul problème du
langage peut faire commettre une erreur diagnostique dommageable, ce
qui conduit les équipes sollicitées à ne pas proposer un entretien avec l’or­
thophoniste en première intention ; la confusion entre le trouble du langa­
ge et l’échec scolaire amène souvent l’enfant chez l’orthophoniste comme
seule indication thérapeutique alors qu’il nécessiterait davantage une prise
en charge pluridisciplinaire.
Nous voyons à nouveau l’importance de ces approches complémentaires
du symptôme de l’enfant, qui justifient à la fois le point de vue du travail
en équipe et la rigueur de chacun de ses participants. Ce travail permettra
en outre la réflexion sur l’indication des soins orthophoniques lorsqu’ils
s’imposent en synthèse clinique, éventuellement corrélés à d’autres prises
en charge souhaitables.
Dans les classifications françaises et internationales, les troubles de la
­ arole et du langage font partie des troubles du développement et des fonc­
p
tions instrumentales. Nous y retrouvons successivement les troubles isolés
de l’articulation, les troubles du développement du langage, les retards de
parole ou simples de langage (troubles expressifs), les retards complexes ou
dysphasies (troubles expressifs et réceptifs), les aphasies acquises de l’enfant
avec épilepsie (Landau-Kleffner11) ou sans épilepsie, le mutisme (complet ou
électif) et le bégaiement. Mais il faut y ajouter les troubles cognitifs et des
acquisitions scolaires (dyslexie, dysorthographie, dyscalculie et autres trou­
bles du développement et des acquisitions scolaires). Enfin, il est important
de resituer la présence de troubles de la parole et du langage dans le cadre
des autres pathologies pédopsychiatriques. En effet, il s’agit d’un symptôme
qui traverse l’ensemble de ce champ, que ce soient les pathologies de la per­
sonnalité (autisme, syndrome d’Asperger, dysharmonies psychotiques…),
celles du développement (retards, déficiences, précocités…), ou celles du
comportement (instabilité psychomotrice, THADA…).
Les orthophonistes peuvent souhaiter se spécialiser dans une technique
de facilitation du langage. Certains vont utiliser la méthode Makaton12 ou

11 Le syndrome de Landau-Kleffner a été décrit en 1957. Il associe une aphasie acquise


et des anomalies paroxystiques constantes de l’EEG. Les crises épileptiques et les troubles
du comportement sont fréquents mais inconstants. Il est caractérisé par une détérioration
progressive du langage, en règle générale à partir d’une agnosie auditive verbale. Les diffi­
cultés de compréhension précèdent les difficultés d’expression et aboutissent au mutisme.
Voir Arthuis et al. 1990, p. 542-543.
12 Le Makaton est un programme d’aide à la communication et au langage, constitué d’un
vocabulaire fonctionnel utilisé avec la parole, les signes ou les pictogrammes. Les signes et
les pictogrammes illustrent l’ensemble des concepts. Ils offrent une représentation visuelle
du langage, qui améliore la compréhension et facilite l’expression. Voir Sarfaty 2001.
Les avis complémentaires 175

la méthode PECS13 pour une approche plus active de la communication


chez les enfants autistes, quand d’autres adopteront plutôt la technique
phonético-gestuelle de Borel-Maisonny avec les enfants dyslexiques ou la
langue des signes avec des enfants sourds. Toutes ces approches peuvent
permettre de mieux comprendre les enjeux lors d’une consultation avec un
enfant présentant l’une ou l’autre de ces difficultés.

L’infirmier

Le soir, tu retrouves toujours, avant de te coucher, la salle


d’étude des enfants, son silence, la lecture. Ces moments
de solitude, de méditation, te sont, comme aux premiers
jours de ton entrée à Bicêtre, indispensables. Tu essaies
de trouver un appui dans les livres trop rares qui sont à
ta portée, tu revois le fil de la journée : l’amélioration
de l’un, la dégradation de l’autre ; et sur chacun tu
reviens, tu t’interroges ; davantage sur le moyen qui
pourrait le guérir que sur le pourquoi de sa folie. Sans
le savoir tu ressembles ainsi au Sage d’Aristote plutôt
qu’au théoricien qui cherche la cause avant de chercher la
solution.
M. Didier (2007, p. 75).

Les infirmiers en psychiatrie, devenus infirmiers de secteur psychiatrique,


ont joué un rôle essentiel, en passe d’être oublié depuis qu’ils ont rejoint
les infirmiers diplômés d’État. Cette courte citation d’un texte écrit à la
mémoire de l’un d’entre eux, Jean-Baptiste Pussin, se veut un hommage à
l’importance de leur fonction dans la psychiatrie d’aujourd’hui.
L’infirmier participe au travail de l’équipe de pédopsychiatrie, et à ce titre,
possède une expérience précieuse dans l’accueil et la prise en charge de l’en­
fant. C’est ainsi que dans certaines équipes, il peut accueillir en première
intention des enfants avec leurs parents, de façon à opérer un premier tra­
vail d’orientation selon des critères de gravité et d’urgence. Dans de tels cas,
son approche diagnostique ne pourra s’exercer qu’en appui sur un partage
de son point de vue avec le pédopsychiatre ou le psychologue responsable
de son unité de soin. Toutefois, il arrive que des infirmiers particulièrement

13 Le PECS (Picture Exchange Communication System) est une méthode qui consiste à appren­
dre à l’enfant à initier spontanément une interaction de communication en lui montrant
comment s’approcher de l’adulte et lui donner l’image de l’objet qu’il désire en échange de
cet objet. Cette approche souligne l’importance chez l’enfant autiste de la partie iconique
(Peirce) du signe.
176 La consultation avec l’enfant

expérimentés puissent accompagner le pédopsychiatre ou le psychologue


en consultation, afin de permettre une sorte de répartition des rôles qui
facilite souvent l’apprivoisement de l’enfant. Pendant que le consultant
parle avec les parents de problématiques les concernant plus spécifique­
ment, l’infirmier peut entreprendre avec l’enfant une relation centrée sur
le jeu, le dessin ou toute autre médiation propice à mettre en évidence les
difficultés et les potentialités de l’enfant, tout en permettant l’instauration
d’une confiance qui peut aboutir dans certains cas à l’inscription, si l’indi­
cation en paraît utile, de cet enfant dans un groupe thérapeutique conduit
par l’infirmier ayant participé à ces premières rencontres. Là encore, ce qui
va présider à cette organisation des soins est la préservation de la continuité
des relations thérapeutiques. Dans le dispositif de pédopsychiatrie de sec­
teur, l’infirmier peut ainsi devenir un « opérateur de continuité », ou
comme le propose Jacques Hochmann, une « conjonction de coordination »
(Hochmann, 1997) pour l’enfant pris en charge par une équipe. En effet, sa
participation à l’ensemble des soins sectorisés, aussi bien dans la partie hos­
pitalisation que dans la partie extrahospitalière, lui permet de jouer ce rôle
d’accompagnateur, au sens fort du terme, et ainsi de faciliter le déploiement
d’une relation thérapeutique basée sur la continuité des soins. La formation
de l’infirmier, qui faisait autrefois l’objet d’un parcours spécifique (dans des
écoles d’infirmiers de secteur psychiatrique) est maintenant fondue dans
celle des infirmiers « généralistes », destinés aussi bien aux urgences qu’aux
personnes âgées ou aux services de chirurgie. Des voix s’élèvent pour
­demander qu’à l’instar des puéricultrices ou des infirmières anesthésistes, une
spécialité soit créée pour les infirmiers se destinant à la psychiatrie, de façon
à mieux les préparer à une profession où la part relationnelle ne se satisfait
pas seulement de bonnes intentions, mais nécessite une solide formation.
Dans les services de pédopsychiatrie, il est désormais possible de rencon­
trer des unités fonctionnelles de périnatalité orientées vers les pathologies
parents-bébés et travaillant en réseaux avec les partenaires susceptibles de
concourir à ces prises en charge complexes. Dans ce cas, il est maintenant
fréquent d’y rencontrer des puéricultrices qui vont mettre leur formation
au service des soins de puériculture dans une visée psychopathologique.
Il va de soi que lorsque la consultation de pédopsychiatrie porte sur un de
ces aspects, la puéricultrice peut y être associée en sorte de faciliter les liens
entre la famille et les soignants qui vont la prendre en charge.

L’éducateur
Les éducateurs appartiennent au service socio-éducatif dans les hôpitaux.
Avec une formation sensiblement différente, ne comportant notamment
que très peu d’aspects médicaux, ils peuvent s’inscrire dans la même
trajectoire que les infirmiers lorsqu’ils acceptent la responsabilité et
Les avis complémentaires 177

les enjeux de soins à venir contenus dans ces propositions de participation


à la consultation. À noter qu’il existe trois formations sensiblement diffé­
rentes : les éducateurs spécialisés, les moniteurs éducateurs et les éducateurs
de jeunes enfants, ces derniers se consacrant à la prise en charge des bébés
et très jeunes enfants. Les éducateurs permettent en général d’associer la
part éducative à la part thérapeutique des prises en charge pensées dans le
décours des consultations de pédopsychiatrie, et constituant de ce fait un
ensemble cohérent dans lequel les différentes approches complémentaires
seront proposées à l’enfant.
Depuis la mise en place de CATTP, d’unités du soir, et autres possibilités
d’assouplir les prises en charge des enfants en difficulté psychopathologi­
que et peut-être davantage encore des adolescents, ils ont occupé dans ces
structures un rôle important permettant un accueil soignant tout en ne
perdant pas de vue les aspects éducatifs qui deviennent, nous l’avons vu,
de plus en plus nécessaires à assumer auprès de ceux-ci. Les liens avec les
éducateurs de la Protection judiciaire de la jeunesse peuvent alors être
­déterminants pour la réussite d’une prise en charge complexe, comportant le
soin, d’une part, et, d’autre part, l’assistance éducative qui est prescrite par
le juge des enfants.

La puéricultrice
Dans les services de pédopsychiatrie ou de psychiatrie d’adultes compor­
tant des unités mères-bébés, les puéricultrices ont un rôle important pour
la prise en charge du bébé en interaction avec sa mère, de façon à l’aider,
chaque fois que c’est possible, à assurer sa fonction maternelle avec lui ;
mais les indications d’hospitalisation dans ces structures de soins spéciali­
sées sont portées principalement lorsque la mère présente une pathologie
psychiatrique avérée et a besoin pour ses propres soins psychiques d’un
soutien de ce type. L’ensemble de l’équipe soignante doit donc centrer son
attention sur les deux plans complémentaires du soin psychique à la mère
et de l’aide au bon développement et à la protection du bébé en interaction
avec elle. Les puéricultrices, en lien avec le pédiatre et le pédopsychiatre
avec lesquels elles participent à la consultation, veillent sur la bonne évo­
lution du bébé, et accordent leurs approches avec celles des soignants qui
prennent en charge plus spécifiquement la mère et ses problèmes puerpé­
raux. Mais lorsque l’équipe chargée de la périnatalité dans un service de
pédopsychiatrie développe toutes les dimensions de prévention telles que
la circulaire Molénat14 le suggère fortement, les puéricultrices ont un rôle
important dans le suivi à domicile de mères qui présentent des pathologies

14 Circulaire DHOS/DGS/O2/6 C no 2005-300 du 4 juillet 2005, relative à la promotion de


la collaboration médico-psychologique en périnatalité.
178 La consultation avec l’enfant

puerpérales ou postnatales ne nécessitant pas une hospitalisation, mais au


moins une aide sous la forme de visites à la maison. Elles réalisent alors, le
cas échéant, un véritable travail de consultation.

L’assistant de service social


Réglementairement, dans les hôpitaux, l’assistant de service socio-éducatif
appartient au même service que les éducateurs. Toutefois, son rôle et ses
missions sont sensiblement différents et nous l’abordons donc de façon
différenciée.
Dans l’ensemble des situations rencontrées dans le cadre de la consul­
tation en pédopsychiatrie, un nombre non négligeable d’entre elles pourra
bénéficier de l’apport de l’assistant de service social. En effet, lorsque la
famille de l’enfant vit dans des conditions de précarité importante, qu’elle
présente des difficultés à gérer ses affaires courantes, à remplir un dossier
d’orientation ou d’allocation, à assumer une décision médicale complexe,
à dialoguer avec l’école ou l’institut médico-éducatif, voire avec la maison
départementale des personnes handicapées, l’assistant de service social va
pouvoir l’aider en l’accompagnant à la bonne distance, c’est-à-dire avec
­efficacité mais sans s’y substituer purement et simplement. Il arrive aussi trop
fréquemment que la situation clinique mette en évidence, lors d’une consul­
tation, la nécessité de faire un signalement pour mauvais traitement ou abus
sexuel, et dans ce cas l’assistant pourra aider au suivi des signalements en
instaurant des liens avec les différents services concernés sur le plan juridi­
que. Enfin, il est également très utile que ce membre de l’équipe soignante
puisse assurer une coordination avec les services sociaux (circonscriptions
d’action sociale, Aide sociale à l’enfance, services sociaux du médico-social,
MDPH15…) dans toutes les situations où cela s’avère nécessaire.

L’enseignant spécialisé
Dans un grand nombre de situations, l’enfant est scolarisé, soit dans une
classe ordinaire correspondant à son âge et à son niveau, soit dans une
classe spécialisée de son école ou de son collège (CLIS, UPI, SEGPA16…),
soit encore dans l’établissement médicosocial correspondant à son niveau
intellectuel et psychoaffectif (IME, ITEP, IMPro, IEM17…), soit enfin dans

15 Maisons départementales des personnes handicapées.


16 Classe d’intégration scolaire, unité pédagogique d’intégration, section d’enseignement
général et professionnel adapté.
17 Institut médico-éducatif, institut thérapeutique, éducatif et pédagogique, institut
médico-professionnel, institut d’éducation motrice.
Les avis complémentaires 179

une classe insérée dans une structure de soins en pédiatrie (oncopédiatrie,


pathologies chroniques d’origine neurodégénérative…) ou en pédopsychia­
trie (hôpital de jour pour autiste, CATTP pour adolescents, unité du soir…).
Il est souvent intéressant de disposer de l’avis de l’enseignant qui accompa­
gne l’enfant vu en consultation, afin d’avoir un point de vue spécialisé sur
son niveau « scolaire » et d’apprentissage. Mais le préalable est que l’enfant
(quand il peut donner valablement son avis) et les parents soient d’accord
pour que ces informations soient partagées. D’après notre expérience, il
semble intéressant de proposer que les premières rencontres aient toujours
lieu à l’école, en présence de l’enfant, de ses parents, de l’instituteur concer­
né directement par l’enfant et de celui qui représentera les soignants quand
il y en a plusieurs. Dans le cas d’un avis contraire des parents ou de l’en­
fant, il n’est pas possible de mettre en communication l’enseignant et les
soignants, de façon à protéger le champ de chacun des intervenants autour
de l’enfant. Tout bien considéré, quand cette rencontre peut avoir lieu dans
de bonnes conditions, les éléments que l’instituteur spécialisé peut four­
nir sont souvent très importants pour faciliter la compréhension globale
des difficultés de l’enfant ainsi que les potentialités sur lesquelles s’appuyer
pour lui permettre de progresser.

La secrétaire médicale
Enfin, quels que soient les dispositifs de la pédopsychiatrie, la secrétaire
médicale a un rôle essentiel à jouer dans l’accueil des demandes de consul­
tations. C’est elle qui est en première ligne pour ce travail de décodage
souvent subtil qui vise à distinguer les urgences des autres appels, à orienter
vers des collègues spécialisés dans tel ou tel domaine pour éviter de faire
attendre en vain, à transmettre les éléments indispensables à la constitution
des dossiers, et à organiser les consultations et les bilans qui sont deman­
dés par le consultant dans les premiers temps. Il arrive fort souvent que les
parents parlent à la secrétaire de façon plus directe d’éléments qu’ils n’abor­
deront pas toujours avec le consultant. Elle peut même être la cible d’une
agressivité destinée au consultant qui est épargné plus ou moins consciem­
ment par le ou les parents. Il va sans dire que les liens professionnels entre
le consultant et la secrétaire sont déterminants dans la qualité des presta­
tions attendues.

Autres bilans (neuropédiatre, généticien,


pédiatre rééducateur, PMI…)
Les très nombreux autres bilans réalisables en fonction des situations clini­
ques particulières que le pédopsychiatre et le psychologue vont rencontrer
180 La consultation avec l’enfant

ne vont pas ici faire l’objet d’une étude approfondie, mais il paraît désor­
mais évident que ces avis complémentaires sont absolument nécessaires
quand ils peuvent ouvrir de nouvelles perspectives diagnostiques et thé­
rapeutiques. La collaboration entre ces divers spécialistes contribue à réar­
ticuler des champs de la médecine qui ont trop longtemps été cloisonnés.
C’est par ailleurs ce qui a conduit quelques-uns d’entre eux à proposer des
consultations conjointes dont nous parlerons plus avant.

Un partenariat pour faciliter la consultation


Pédiatrie, médecine générale et autres spécialités,
écoles, justice, social et médicosocial
La consultation d’un enfant en pédopsychiatrie est très souvent l’occasion
d’aborder plusieurs problèmes qui se condensent dans les symptômes qui
l’y ont conduit. Nous avons vu à de nombreuses reprises que l’école était
un révélateur des fragilités de l’enfant, et qu’il y avait lieu d’en tenir compte
par différentes voies. Mais plus généralement, l’enfant est en lien avec de
nombreuses personnes qui ont à voir avec lui : le pédiatre, le médecin géné­
raliste, la justice, le social, et tous les partenaires d’une situation donnée… Il
paraît donc tout à fait justifié d’en connaître l’existence pour en tenir compte
si nécessaire dans la consultation. Inutile de dire que toutes ces personnes
sont habituellement des alliés du consultant en pédopsychiatrie, et le pro­
blème sera souvent de savoir à quel titre elles peuvent ou doivent être infor­
mées (justice, aide sociale), ou aider à la reconstitution des difficultés (bouc
émissaire à l’école) ou à l’instauration d’un cadre thérapeutique à venir
­(articulation des prises en charge entre pédopsychiatrie et éducatif, ou en cas
de grave trouble sensoriel…). La qualité des relations développées avec ces
partenaires – toujours sous l’égide des parents – sera déterminante pour la
poursuite d’une aide à l’enfant. Les réunions entre partenaires doivent être
l’occasion de s’enrichir mutuellement pour le meilleur service rendu à l’en­
fant et non pas le prétexte d’affrontements entre tendances, idéologies ou
narcissismes professionnels fragiles, qui ne feraient qu’accentuer les lignes
de clivages déjà présentes dans la psychopathologie de l’enfant.

Consultations interculturelles
La consultation en pédopsychiatrie peut accueillir des enfants de familles
migrantes. Les motifs recoupent ceux des consultations habituelles, mais du
fait des origines de ces familles, les problèmes sont très souvent intriqués.
C’est ainsi qu’aux problèmes de souffrance psychique peuvent d’ajouter des
difficultés somatiques, des difficultés d’intégration dans le lieu d’accueil de
la famille, des troubles de la scolarité, sans compter les pesanteurs
Les avis complémentaires 181

é­ conomiques et d’insertion sociale des parents, voire les persécutions


politiques de leur pays d’origine continuant de sévir sur les membres de leur
famille restés dans leur contrée. À ces nombreuses et complexes difficultés,
viennent souvent s’ajouter le problème de la langue du pays d’accueil et toutes
les questions de représentations culturelles dont elle n’est qu’un des aspects
parmi beaucoup d’autres. Le consultant va devoir prendre en compte au
moins deux aspects déterminants pour l’entreprise des soins : l’influence de
la culture d’origine sur la représentation que les parents se font de l’enfant
qui souffre, et la partie traumatique que comporte toujours plus ou moins le
voyage migratoire. En effet, dans les sociétés traditionnelles, un enfant n’est
jamais isolé, et aussi bien son corps que son esprit appartiennent à la même
entité dans laquelle l’apparition de la maladie doit d’abord trouver un sens,
soit explicitement auprès des membres de la famille élargie, soit auprès
d’un guérisseur partageant les représentations du groupe d’appartenance.
La rencontre avec le consultant en pédopsychiatrie se situera peu ou prou
dans cette perspective, et à trop vouloir l’ignorer, les objectifs soignants
ne pourraient pas être remplis. L’enfant serait pris en otage entre les deux
cultures, l’amenant à un clivage entre ses deux mondes, celui du dedans
et celui du dehors. En revanche, le consultant, en s’ouvrant à ces aspects
culturels différents de l’enfant et de ses parents, et de leur groupe d’appar­
tenance, fait preuve à la fois de générosité pour son acceptation d’un savoir
qu’il ne possède pas, mais aussi d’un souci d’efficience en matière d’effets
thérapeutiques. La position habituelle de soutien de la fonction parentale
avec les enfants reçus à la consultation de pédopsychiatrie ne saurait se res­
treindre aux enfants d’une même culture : il y va au contraire d’une praxis
générale qui consiste, chaque fois que c’est possible, à proposer un cadre
thérapeutique en accord avec les éléments de culture des parents de l’enfant
pris en charge. Pour réaliser concrètement un tel cadre de consultation,
Marie-Rose Moro propose quelques règles qui guideront le consultant dans
ce travail particulier (Moro, 1993). Tout d’abord, il est important de « consi­
dérer l’enfant dans son contexte familial, c’est-à-dire avec sa famille et avec
un interprète », en élargissant la consultation à l’ensemble des personnes
accompagnantes lorsque les parents sont d’accord. Puis « considérer les
­représentations culturelles parentales », le sens culturel donné à ce dysfonc­
tionnement, et les intégrer dans le cadre de la consultation. Il y aura lieu dès
lors de respecter les médecines traditionnelles prescrites jusque-là dans le
cadre de ce qu’elle nomme des « négociations ». Tout soin, notamment lors
d’hospitalisations, doit tenir compte le plus possible des liens à préserver
entre l’enfant et sa famille, quitte à modifier les habitudes, en permettant
la présence des parents, des visites des personnes-clés dans le groupe cultu­
rel, etc. Les ruptures doivent être évitées à tout prix. Tout ce qui pourrait
concourir à renforcer les clivages entre les cultures considérées doit être
diminué pour faciliter l’intégration par l’enfant des éléments disparates au
182 La consultation avec l’enfant

milieu desquels il peut être amené à vivre sa maladie. C’est pourquoi l’inté­
rêt du consultant pour tout ce qui se passe à la maison aura des effets béné­
fiques sur l’alliance thérapeutique à venir, tandis que le mépris ou le rejet de
ces éléments pourra se révéler délétère pour sa structuration en renforçant
le clivage entre monde interne et monde externe. Enfin, un des leviers du
développement de l’enfant est son accès au monde symbolique et à l’un de
ses outils principaux, le langage. L’utilisation de la langue familiale est un
élément essentiel de cette première culture, qui facilitera l’intégration de
la deuxième. À ce titre, favoriser l’acquisition de la langue maternelle d’un
enfant auprès de ses parents est une « véritable prévention des dysfonction­
nements psychiques et cognitifs ultérieurs » (Moro, 1993).
Un des dispositifs pour accueillir ces demandes singulières est celui du
« cercle observant ». Tobie Nathan, élève de G. Devereux, a étudié dans
chaque peuple les réponses aux problèmes de la maladie mentale, quelle
que soit la manière dont on la dénomme dans les différentes civilisations.
Il a abouti sur le plan concret à des « cercles observants » (Nathan, 1994).
Quand un Béninois vient consulter parce que son enfant pleure toutes les
nuits, quand un Maghrébin fait une tentative de suicide alors que c’est rare
dans cette civilisation, les psychiatres de secteur des banlieues parisiennes
interpellés ne sont pas formés pour tenir compte de ces spécificités culturel­
les. Ces patients sont donc adressés à l’équipe de pédopsychiatrie. Dans ce
cercle observant avec l’enfant et sa famille sont réunis plusieurs praticiens
dont certains, sans être forcément de la même ethnie que le consultant, par­
lent sa langue maternelle. Il y a d’abord une discussion avec les « clients »,
puis dans un deuxième temps une reprise est effectuée dans le groupe de
praticiens. Ils vont ainsi faire une lecture de ce symptôme dans la culture
du consultant et aboutir à des propositions de compréhension et de prises
en charge spécifiques.

Des problématiques institutionnelles peuvent surgir


Elles sont abordées dans un livre important pour la compréhension des
phénomènes institutionnels, le Psychanalyste sans divan de P.-C Racamier,
R. Diatkine, S. Lebovici et Ph. Paumelle (Racamier et al., 1983), le groupe
qui a fondé, dans le XIIIe arrondissement de Paris, le premier secteur de
psychiatrie parisien, dans les années 1950. Ils ont beaucoup travaillé sur la
question des institutions, et notamment sur la qualité des rapports à l’inté­
rieur des équipes soignantes et sur ce que Tosquelles nommera les « constel­
lations transférentielles » (Tosquelles, 1965). Et cela peut prendre une portée
générale de nature à nous éclairer dans les fonctionnements des réunions
de synthèse des données de la consultation en pédopsychiatrie. Dans un de
leurs exemples, celui de « Stanton et Schwarz », que Jean Oury généralise
dans ses propres travaux (Oury, 1966 et 1986), ils montrent clairement ce
Les avis complémentaires 183

qui se passe quand deux ou plusieurs responsables de l’accueil et du soin


d’une même personne psychotique ont des sentiments différents sur les dif­
ficultés présentées par ce malade. Et, selon leur point de vue, « ce problème
ne peut être résolu que par une méthode d’observation multipersonnelle ;
il faut observer simultanément les conduites, les attitudes et les sentiments
des divers protagonistes de la situation et les noter sur le même plan, comme
on peut le faire dans un tableau à colonnes ; en somme, il convient de
traiter la situation concrète étudiée comme un tout dont le patient n’est
qu’une partie » (Racamier et al., 1983, p. 86-87). « Cette procédure rompt
délibérément avec nos habitudes d’observation traditionnellement centrées
sur le malade. À ma connaissance [Racamier], Stanton et Schwartz sont les
premiers qui se soient attaqués à ce problème. La situation qui s’est maintes
fois présentée à leur observation est une situation triangulaire dont le ma­
lade constitue tout à la fois l’axe et l’enjeu : deux médecins ensemble ont à
s’occuper du même malade ; admettons que l’un est le psychiatre et l’autre
le psychothérapeute, qu’ils aient à concevoir et adopter des attitudes diffé­
rentes à l’endroit de leur commun patient ; ce désaccord est très rarement
mis d’emblée au grand jour ; chacun des deux thérapeutes peut envisager
maintenant que leur patient le ressente pourtant, mais ceci ne le pousse
guère qu’à cristalliser et bientôt à caricaturer sa propre position ; il peut en
résulter une situation intensément compétitive animée du désir de chacun
de prouver son droit et le tort de l’autre ». Cela peut arriver entre psychia­
tres et administratifs, par exemple, et pas forcément seulement entre psy­
chiatres et psychothérapeutes ! Cela peut arriver aussi entre éducateurs et
infirmiers ; quant au restant de l’équipe thérapeutique il se sépare insidieuse­
ment en deux camps, rangés chacun derrière sa tête de liste, et Racamier
ajoute : « Ce qui est incontestable, c’est que ces processus réciproques ou
circulaires, qu’ils soient graves ou qu’ils le soient moins, consomment en
pure perte de grandes quantités d’énergie et entraînent beaucoup de pri­
vations et de souffrances pour les malades et aussi pour les soignants et les
médecins » (Racamier et al., 1983, p. 100). Si ce point mérite d’être exposé
dans cet ouvrage sur la consultation en pédopsychiatrie, c’est en raison de
l’importance des approches complémentaires qu’il faut approfondir, ce qui
recèle en soi le risque qu’un des domaines étudiés apparaisse prévalent par
rapport aux autres. Pour qu’une véritable synthèse des données puisse être
réalisée, il est primordial de « cultiver » la qualité des relations interperson­
nelles des intervenants.

Synthèse des différentes données


La synthèse des différents éléments se fait au cours de réunions de l’équipe
auxquelles participent les professionnels concernés, déjà mentionnées
précédemment. La notion de réunion mérite un éclaircissement, car cette
184 La consultation avec l’enfant

technique de la vie collective dans les professions prenant en charge les dif­
férents modes de la relation humaine est soumise à des considérations spé­
cifiques. On ne peut les comparer à des réunions d’information classiques,
car elles doivent pouvoir se pencher sur des éléments concernant l’histoire
de l’enfant et de sa famille, leur affectivité, les aspects traumatiques, et ­divers
éléments faisant habituellement l’objet d’échanges privés voire secrets.
Il est très important de rappeler aux participants de ces réunions qu’ils sont
tenus au secret médical partagé. La réunion est décrite comme faisant dialo­
guer concomitamment trois préoccupations : un premier niveau d’informa­
tion, un deuxième niveau d’échanges affectifs et un troisième de décision
(Rothberg, 1968).

Exemple de l’autisme : les recommandations


officielles
Sous l’autorité des instances ministérielles (DGS et DGAS18) et de la Haute
Autorité de santé, un texte a été publié en juin 2005 par la Fédération fran­
çaise de psychiatrie (Pr Aussilloux, Pr Bagdadli) recommandant les pratiques
professionnelles en matière de diagnostic d’autisme.

Recommandations 2 : Outils de diagnostic et


d’évaluation fonctionnelle de l’autisme (Aussilloux et
Bagdadli, 2005, p. 36)
• Le diagnostic d’autisme s’établit cliniquement grâce aux observations
pluridisciplinaires de professionnels formés et expérimentés complétant
les observations parentales. Le recueil des observations parentales est
­facilité par un guide d’entretien portant sur les différents domaines de
perturbations de l’autisme. L’ADI (Autism Diagnostic Interview) est le guide
d’entretien structuré avec les parents le mieux reconnu au plan interna­
tional. Dans le cas d’enfants de moins de trois ans, cependant, il est moins
sensible que le jugement d’un clinicien expérimenté. Sa durée de passa­
tion est longue et il est prévu que son enseignement, encore restreint en
France, se développe.
• L’observation du comportement permet de vérifier la présence des
­signes caractéristiques. L’usage de la vidéo est un support intéressant pour
la discussion clinique et pour rapporter les observations aux parents.
Elle peut se faire dans des situations structurées en utilisant des outils stan­
dardisés tels que l’ADOS (Autism Diagnostic Observation Schedule), qui est
le mieux reconnu internationalement.
x

18 Direction générale de la Santé, direction générale de l’Action sociale.


Les avis complémentaires 185

x
• La CARS (Childhood Autism Rating Scale) est une échelle diagnostique
d’utilisation simple qui permet aussi d’apprécier le degré de sévérité des
troubles autistiques.
• Différents domaines du développement doivent être systématiquement
examinés, mais il n’y a pas de procédure ou de test standard. L’adapta­
tion (contexte de passation, présentation des épreuves, interprétation des
résultats) des procédures ou des tests habituellement utilisés pour les
­enfants au développement typique est nécessaire en fonction des particu­
larités comportementales.
Observation clinique dans une situation semi-structurée (de jeux avec
un adulte par exemple) ou en situation non structurée (en situation de vie
quotidienne). — Une observation éventuellement répétée dans le temps
est indispensable pour permettre le recueil sur une période suffisante des
capacités et difficultés.
Examen psychologique. — Il est indispensable pour déterminer le profil
intellectuel et socio-adaptatif. Les tests non spécifiques de l’autisme sont à
adapter pour mesurer le niveau de fonctionnement (Brunet-Lézine, tests de
Weschler, K-ABC1…). L’échelle de Vineland est validée et disponible en fran­
çais ; elle permet d’apprécier les capacités socio-adaptatives. Elle fournit aussi
une estimation intéressante du fonctionnement global (en particulier chez les
enfants de bas niveau), car elle repose sur une estimation des capacités en
­situation ordinaire. Le PEP-R (Psychoeducational Profile – Revised), destiné spé­
cifiquement aux personnes autistes, permet aussi une description du compor­
tement et des compétences développementales dans différentes situations.
Une évaluation neuropsychologique peut être utile en complément.
Examen du langage et de la communication. — Il est indispensable
pour évaluer les aspects formels (parole et langage sur les versants expres­
sif et réceptif ainsi que les praxies) et pragmatiques (attention conjointe
et autres actes de communication) ainsi que le langage écrit si besoin,
voire le langage gestuel. Le choix des tests dépend du profil individuel de
l’enfant. L’ECSP (Échelle de communication sociale précoce) et la grille de
Whetherby peuvent être utilisées pour décrire le profil de communication,
en particulier chez les enfants avec peu ou pas de langage.
Examen du développement psychomoteur et sensorimoteur. — Il est
indispensable pour examiner la motricité (globale et fine), les praxies et l’in­
tégration sensorielle. Les tests, non spécifiques de l’autisme, sont à adapter.
Après ces recommandations précisant les moyens utilisés pour valider une
démarche diagnostique en matière de troubles envahissants du dévelop­
pement, les rapporteurs définissent les conditions dans lesquelles elle doit
se dérouler pour satisfaire aux critères de bonnes pratiques consensuelles.
Ces conditions portent sur la qualité des professionnels concernés, sur les
lieux, l’organisation de la procédure diagnostique et imposent un échéan­
cier pour en limiter la durée.

1 Kaufman Assessment Battery for Children


186 La consultation avec l’enfant

Recommandations 3 : Procédures à suivre pour le


diagnostic (Aussilloux et Bagdadli, 2005, p. 37)
Professionnels
• Le diagnostic clinique de l’autisme et des TED requiert l’intervention
coordonnée et pluridisciplinaire de professionnels formés et expérimen­
tés dans le domaine de l’autisme qui ont à examiner les aspects psycho­
pathologiques et de développement (cognitions, communication, sensori­
motricité).
Lieux
• Le diagnostic est assuré auprès de toute équipe pluridisciplinaire 1) dis­
posant de professionnels formés, compétents et suffisamment entraînés
pour examiner le développement (cognitions, communication, sensorimo­
tricité) et les aspects psychopathologiques ; 2) ayant une bonne connais­
sance de ce qui peut être proposé aux parents en termes de soins, d’édu­
cation, de pédagogie et d’accompagnement de leur enfant ; 3) articulée
avec les professionnels susceptibles d’assurer les consultations génétique
et neurologique.
• Dans la mesure où leur plateau technique est suffisant, ces équipes
peuvent être localisées en CAMSP, CMPP, cabinet de praticiens libéraux
coordonnés entre eux, service de psychiatrie infanto-juvénile, service de
pédiatrie, unités d’évaluation ou centres de ressources autisme régionaux
(CRA).
• Il est souhaitable que le diagnostic se fasse le plus possible à proximité
du domicile de la famille pour en faciliter l’accessibilité et pour favoriser
les liens avec les professionnels qui ont orienté la famille et vont assurer la
prise en charge.
• Les CRA doivent faciliter l’établissement de diagnostics par les équipes
de base en favorisant la formation des praticiens et la mise en pratique des
recommandations. Ils peuvent réaliser eux-mêmes le diagnostic dans les
cas qui prêtent à discussion après évaluation ou encore à la demande des
familles pour constituer un recours.
• Lorsque des professionnels suspectent un TED chez un enfant et n’assu­
rent pas eux-mêmes la procédure diagnostique décrite ci-dessus, ils ­doivent
l’adresser le plus tôt possible à une équipe spécialisée en préparant sa ­famille
et en favorisant les conditions de l’accueil de l’enfant et de sa ­famille auprès
d’une autre équipe. Il n’est pas nécessaire d’attendre la confirmation du
diagnostic pour commencer la prise en charge de ­l’enfant.
Organisation
• Les équipes pluridisciplinaires interpellées directement par les familles
pour une demande de diagnostic, mais qui ne peuvent assurer de prise en
charge ultérieurement doivent s’assurer au préalable qu’une équipe de
proximité est en mesure de réaliser cette prise en charge.
x
Les avis complémentaires 187

x
• La procédure diagnostique implique une articulation en amont et en
aval avec les professionnels qui vont assurer la prise en charge.
• Il n’y a pas d’organisation standard de la procédure diagnostique. Elle
peut se dérouler sur plusieurs demi-journées continues et comporter une
synthèse en équipe suivie d’un compte-rendu oral et écrit aux parents. Elle
peut être plus étalée dans le temps sur une ou deux semaines pendant
lesquelles les examens nécessaires sont réalisés (au cours d’observations
en séquence d’hospitalisation à temps partiel) ainsi que la réunion de syn­
thèse et le compte-rendu aux parents.
• Il est important de constituer en collaboration avec la famille et les
autres professionnels un dossier réunissant les résultats des différentes
­investigations ayant pour objet l’établissement du diagnostic nosologique,
de l’évaluation fonctionnelle ou le diagnostic des troubles associés.
• Une évaluation régulière (généralement tous les 12 à 18 mois) doit être
envisagée pour les enfants jusqu’à leur sixième année. Le rythme des éva­
luations ultérieures est à définir suivant l’évolution.
Échéancier
• Les équipes assurant la responsabilité du diagnostic doivent donner la
priorité à l’examen des enfants pour lesquels aucun diagnostic n’est
­encore établi. Le délai pour la réalisation de l’évaluation ne devrait pas
dépasser 3 mois.

Ces recommandations données pour les TED sont intéressantes, car ­elles
permettent aux équipes de se référer à un consensus établi à partir des
dernières données scientifiques disponibles et en appui sur les pratiques
reconnues par la communauté des professionnels et des personnes concer­
nées ou de leurs représentants. Mais il est important que dans chaque
­région, dans chaque département, dans chaque secteur géodémographique,
en fonction des cultures de référence des personnes chargées de ce travail de
bilan diagnostique, en fonction des ressources à disposition de ces équipes
et des possibilités de prises en charge ultérieures, des initiatives puissent
être prises pour conserver la qualité de la relation humaine dans laquelle
se déroulent ces investigations. Il ne serait pas admissible que, sous des
prétextes divers, des équipes se trouvent dans l’impossibilité d’opérer cette
mission. Les secteurs de pédopsychiatrie, des services hospitaliers de
­pédiatrie, des CAMSP, des CMPP et d’autres établissements qualifiés peuvent
rendre ce service valablement à la condition de tenir compte des recom­
mandations exposées ci-dessus. Dans ce cadre, la continuité entre le bilan
et la prise en charge peut être préservée. Si les centres ressources autisme
régionaux sont la référence de ce travail, des relations de coopération entre
ces derniers et les équipes de première ligne sont hautement souhaitables,
plutôt que des rapports de subordination, car la dynamique qui présidera à
188 La consultation avec l’enfant

la prise en charge faisant suite au bilan et à l’annonce diagnostique (cf. cha­


pitre 8) dépend de façon extrêmement sensible de la qualité des liens entre
ces deux niveaux de travail complémentaires. De plus, la formation des
professionnels à toutes ces nouvelles techniques d’évaluation prend tout
son sens dans une dynamique régionale emportant avec elle les forces qui
concourent à l’amélioration des conditions de vie et de prise en charge des
personnes avec autisme.

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7 Annonce du diagnostic

Position du problème
L’annonce du diagnostic se fera au cours d’une consultation avec l’enfant
et ses parents. Nous avons choisi, pour des raisons pédagogiques, d’en
­séparer l’exposition de celle des propositions de prises en charge, qui se font
habituellement lors de la même rencontre. Ce problème essentiel des indi­
cations de soins fera l’objet du chapitre suivant. Mais il est bien évident que
dans la pratique, les indications de prise en charge viendront pour une part
répondre aux nombreuses questions que ne manquent pas de se poser les
parents lors de l’annonce du diagnostic. Et dans certains cas, la désespéran­
ce qui peut la suivre est en partie compensée par les possibilités thérapeu­
tiques, pédagogiques et éducatives offertes à l’enfant. Mais que l’on ne s’y
trompe pas : un diagnostic contient une part de souffrance incontournable
qui fera violence aux parents et à l’enfant. Il s’agit d’aider les protagonistes
à la reconnaître, à la métaboliser et à la dépasser, car l’engagement dans la
démarche de soins nécessitera souvent de leur part une énergie disponible
à long terme.
La question du diagnostic en pédopsychiatrie est devenue aujourd’hui
une nouvelle donne dans la démarche médicale, car il est désormais impor­
tant, et c’est la moindre des choses de le faire, d’informer les parents de la
pathologie présentée par leur enfant. De plus, cette question a fait l’objet
d’une loi (5 mars 2002) qui sera étudiée plus loin.
Mais si cela est devenu « normal » de délivrer un diagnostic, cela ne
veut en aucun cas dire que la démarche qui y conduit est simple. Bien au
contraire, nous sommes là encore devant une démarche complexe qui aura
beaucoup de répercussions dans le destin de l’enfant. Si l’on peut admettre
sans difficulté qu’un enfant présentant une maladie organique, dont le dia­
gnostic est certain, peut faire l’objet d’une annonce diagnostique précise à
ses parents, il en va tout autrement lorsque les éléments du diagnostic sont
incertains. Toutefois, il semble maintenant nécessaire de faire part aux
­parents des éléments qui sont en possession du médecin de façon à ce qu’ils
accompagnent au mieux leur enfant, dans l’état actuel des connaissances
de la science médicale sur la pathologie qui le concerne. Le pédopsychia­
tre ou le psychologue vont annoncer le diagnostic aux parents lorsque les
différents éléments réunis au cours de leurs consultations, éventuellement
enrichis des bilans demandés à cette occasion, auront été discutés pour y
être travaillés dans la réunion de synthèse de l’équipe. Puis, en fonction de

La consultation avec l’enfant


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192 La consultation avec l’enfant

ce qui aura été élaboré par les personnes ayant reçu l’enfant et les parents,
le pédopsychiatre ou le psychologue, accompagné des collègues dont l’avis
peut être rapporté directement aux intéressés, le recevra en consultation
d’annonce du diagnostic. Et comme nous l’avons déjà évoqué, il arrive le
plus souvent que cette consultation soit un moment au cours duquel vont
se discuter les indications de prise en charge proposées, car il nous apparaît
très utile de ne pas laisser les parents avec ce diagnostic suspendu, risquant
de faciliter autour de l’enfant l’émergence d’une angoisse difficile à élabo­
rer. Nous verrons au chapitre suivant que la « mobilisation » des énergies
parentales autour des propositions de prises en charge est un des modes
possibles de transformation de l’angoisse et de la culpabilité parentales en
énergie au service de leur enfant.
On ne peut donc pas proposer une méthode unique d’annonce du diag­
nostic ; ces annonces sont par définition plurielles, dépendant autant des
éléments objectifs à dire que de la personne qui l’assume. Il n’est pas inutile
de rappeler que chacun des consultants doit pouvoir mêler en fonction de
son équation personnelle les qualités médicales d’objectivité et de rigueur
scientifiques avec celles d’humanité, d’empathie et d’accueil attentif des
réactions des protagonistes, de façon à permettre « en direct » de composer
avec les réactions qui ne vont pas manquer de survenir lors de cette rencon­
tre inhabituelle. Nul doute que les capacités de porter les inquiétudes et de
partager les angoisses pour les transformer en énergie utile pour la prise en
charge soient les enjeux fondateurs d’une alliance thérapeutique à venir.

Annonces du diagnostic
Nous allons envisager successivement plusieurs situations engageant l’en­
fant et ses parents dans des démarches différentes en fonction des psycho­
pathologies présentées. Pour balayer l’ensemble des problématiques, nous
présenterons un enfant porteur d’une souffrance psychique de type névro­
tique, puis un enfant présentant une difficulté d’apprentissage, un enfant
atteint de trouble envahissant du développement, un enfant victime de
mauvais traitement et d’abus sexuel, une adolescente anorectique, un ado­
lescent suicidaire et un bébé présentant une incertitude diagnostique.

Un enfant présentant une souffrance psychique :


que dire d’un tel symptôme ?

Gérard, douze ans


Gérard est un enfant de douze ans présentant quelques idées obsessives ; il
ne peut monter un escalier sans compter les marches, quitte à redescendre si
quelqu’un le distrait pendant qu’il calcule. Il ne peut s’endormir que s’il a pu x
Annonce du diagnostic 193

x regarder la veilleuse de sa télévision pendant cinq secondes consécutives sans


penser à Dieu. Il ne supporte pas que certains élèves le regardent avec un air iro-
nique en classe, ce qui peut aller jusqu’à déclencher une agressivité pour laquelle
il a déjà à plusieurs reprises été puni au collège. La première consultation avait eu
lieu sur les conseils du professeur principal, qui se demandait pourquoi Gérard
se laissait enfermer dans des comportements autodestructeurs et qui, inquiet de
voir son évolution récente, avait partagé son sentiment avec les parents. Quel-
ques consultations vont être proposées, ainsi qu’un bilan psychologique à la fois
pour préciser son niveau d’efficience intellectuelle et approcher ses mécanismes
défensifs par des tests projectifs.
Lors de la restitution de ces entretiens préliminaires et du bilan psychologique,
Gérard écoute le compte rendu du psychologue et hoche la tête en signe d’as-
sentiment. Les parents sont intéressés de voir que le psychologue arrive à la
même conclusion qu’eux par une autre voie. Il décrit bien le même enfant que
celui qu’ils connaissent ! Le pédopsychiatre propose alors une conclusion pour
engager la discussion sur la prise en charge : Gérard présente sans doute un dia-
gnostic de névrose avec une prévalence des défenses obsessionnelles. Comme
convenu avec l’enfant, le pédopsychiatre propose aux parents de commencer
une psychothérapie à deux séances par semaine pour l’aider à prendre un peu
de distance par rapport à cette évolution pénible, et à comprendre comment il
pourra y faire face par d’autres voies que la névrose qu’il présente actuellement.
Gérard demande si la maladie qu’il présente correspond à des TOC (troubles
obsessionnels compulsifs), parce qu’il a besoin de dire à ses copains et à son pro-
fesseur principal de quoi il souffre, et il ajoute qu’il pensait que lui serait prescrit
un antidépresseur dont il a entendu parler lors d’une émission de télévision sur
le sujet. Les parents sont un peu étonnés de voir Gérard s’approprier cet espace
de dialogue aussi rapidement, et constatent que leur fils est un peu plus détendu
depuis qu’il a commencé les premières consultations. Il a d’ailleurs beaucoup ap-
précié les tests qu’il a passés avec le psychologue. Il est convenu que ce travail se
poursuivra avec Gérard pendant quelque temps, mais qu’une consultation serait
régulièrement organisée ensemble pour évoquer les questions qu’ils souhaite-
ront. Le père ajoute en se levant pour partir que lui, quand il avait l’âge de son
fils, avait traversé une période assez semblable, et que ça lui permettait de mieux
le comprendre et également qu’il avait réalisé à l’occasion de ces consultations
que son attention était très prise par son travail, et qu’il n’avait peut-être pas été
assez présent avec lui lors des derniers mois. Sa femme lui objecte qu’elle serait
également heureuse qu’il change également avec elle. L’annonce diagnostique
est ici suffisamment nuancée pour ne pas fixer les éléments de la psychopatho-
logie en jeu, et laisser aux partenaires la possibilité de réinterpréter le matériel
clinique à la lumière de chaque histoire personnelle. Gérard va ainsi pouvoir
profiter d’une dynamique familiale nouvelle pour travailler personnellement les
aspects qui le concernent.

Cette histoire clinique montre de façon intéressante que les différents


signes retrouvés permettent d’aboutir au diagnostic mais, plus avant, de
mettre en mouvement dans la relation thérapeutique à venir la manière
dont cet adolescent les « habite ». Et s’il est très important de connaître
194 La consultation avec l’enfant

la différence entre obsession et compulsion dans le trouble obsessionnel


compulsif, il sera également utile de rechercher chez les parents s’ils en
ont eux-mêmes souffert lors de leur propre enfance ou adolescence. Les
potentialités d’identifications qui en résultent entre celui qui consulte et
ses parents qui l’accompagnent donnent souvent lieu à une détente intra­
familiale et à un réaménagement des relations intergénérationnelles.

Rappel des définitions des obsessions et compulsions


dans le trouble obsessionnel compulsif (F42/[300.3] ;
AAP, 2000, p. 207-208)
• Obsessions définies par :
(1) pensées, impulsions ou représentations récurrentes et persistantes
qui, à certains moments de l’affection, sont ressenties comme intrusives
et inappropriées et qui entraînent une anxiété ou une détresse impor-
tante ;
(2) pensées, impulsions ou représentations ne sont pas simplement des
préoccupations excessives concernant les problèmes de la vie réelle ;
(3) le sujet fait des efforts pour ignorer ou réprimer ces pensées,
­impulsions ou représentations ou pour neutraliser celles-ci par d’autres
pensées ou actions ;
(4) le sujet reconnaît que les pensées, impulsions ou représentations
obsédantes proviennent de sa propre activité mentale (et non imposées
de l’extérieur).
• Compulsions définies par :
(1) comportements répétitifs (lavage des mains, ordonner, vérifier) ou
actes mentaux (prier, compter, répéter des mots) que le sujet se sent
poussé à accomplir en réponse à une obsession ou selon certaines règles
qui doivent être appliquées de manière inflexible ;
(2) les comportements ou les actes mentaux sont destinés à neutraliser
ou à diminuer le sentiment de détresse ou à empêcher un événement
ou une situation redoutée ; cependant, ces comportements ou ces actes
mentaux sont soit sans relation réaliste avec ce qu’ils se proposent de
neutraliser ou de prévenir, soit manifestement excessifs.

Un enfant présentant une difficulté d’apprentissage :


importance du contexte

Eliott, sept ans


Eliott est adressé à la consultation du centre médico-psychologique sur le conseil
d’une institutrice que nous connaissons bien car elle accueille dans sa classe un x
Annonce du diagnostic 195

x enfant en difficulté qui requiert une prise en charge soutenue que nous pouvons
mener en partie grâce à ses qualités pédagogiques. Ce jeune garçon de sept ans
est en difficulté scolaire, sans doute en raison d’une instabilité psychomotrice
importante, comportant des troubles attentionnels apparents et une grande et
permanente « envie de bouger ». Ses pairs finissent par être gênés par ses atti-
tudes et il est en passe de devenir le bouc émissaire de sa classe. Les parents l’ac-
compagnent à la première consultation et, une fois son histoire précisée, nous
proposons aux parents de réaliser un bilan de niveau intellectuel et un examen
de sa psychomotricité, après avoir mis en évidence un état dépressif masqué par
son agitation anxieuse. La psychologue le reçoit et met en évidence un niveau
­intellectuel très performant, avec un quotient homogène (verbal et performance)
aux alentours de 120. Le psychomotricien insiste sur les motions anxieuses qui
traversent l’ensemble du tableau clinique d’Eliott, et il retrouve également des
thèmes dépressifs nombreux : un fort sentiment de dévalorisation, ne pas être
aimé de ses parents ou des autres dans son école. Seule son institutrice trouve
grâce à ses yeux. Nous voici donc devant un jeune garçon qui présente une insta-
bilité psychomotrice symptomatique d’un état dépressif préoccupant, et assorti
d’un échec lors de l’année scolaire en cours.
Lorsque Eliott et ses parents arrivent à la consultation pour le rendu du bilan et
les propositions de soins, nous sommes frappés par le calme anxieux d’Eliott,
contrastant avec les consultations précédentes. Ses parents sont tristes tous les
deux, manifestement préoccupés par l’attente des « résultats ». Les conclusions
provisoires des consultations et bilans effectués sont présentées en donnant suc-
cessivement la parole aux deux collaborateurs, psychologue et psychomotricien.
Le pédopsychiatre propose ensuite « en situation » une synthèse de ce que ces
trois professionnels ont compris de la souffrance psychique d’Eliott, quand ce
dernier demande à prendre la parole et, s’adressant à sa mère, lui dit : « Est-ce
qu’on peut demander au docteur ce qu’elle a Mathilde ? » La mère se met à
pleurer à chaudes larmes et son mari l’entoure affectueusement de son bras. Il
est visiblement « secoué » lui aussi. Nous assistons à quelque chose qui n’était
pas prévu pour cette restitution : nous apprendrons des parents, dès que la
mère aura cessé de pleurer, que la première consultation d’Eliott avait coïncidé
avec l’hospitalisation en urgence de Mathilde, leur première fille, âgée de
12 ans, pour une décompensation grave de son anorexie récente, remontant à
la dernière rentrée scolaire, et correspondant au début de l’instabilité d’Eliott.
Les parents, extrêmement inquiets de cet élément dramatique, avaient omis ou
pensé inutile de parler de ce traumatisme à propos de l’état dépressif d’Eliott.
La proposition d’un travail psychothérapique à Eliott, prévue pour le diagnostic
initialement retenu, a fait place à des consultations thérapeutiques pour y traiter
ce qui devenait un état dépressif réactionnel à des circonstances familiales vul-
nérantes pour lui. Après discussion ensemble, il a été convenu que les parents
prendraient rendez-vous avec l’institutrice pour lui faire part du contexte dans
lequel Eliott vivait depuis quelques mois, soit en détaillant les raisons soit en
restant suffisamment allusifs pour être compris, mais sans dévoiler un élément
de l’histoire intime de la famille.
196 La consultation avec l’enfant

Dans ce cas, l’annonce programmée a mobilisé l’enfant et sa famille d’une


façon inattendue, mais a permis que ce qui devait être dit le soit, fondant
ainsi une relation de confiance et d’aide envisageable par Eliott, devant le
désarroi de ses parents préoccupés par le souci majeur de l’anorexie de leur
fille aînée. L’équipe a su adapter son diagnostic et les propositions de soins
aux nouveaux éléments apparus lors de la consultation.

Un enfant atteint d’un trouble envahissant du


développement : comment dire ?
Les Recommandations officielles en matière de diagnostic d’autisme, présen­
tées au chapitre 6 (Aussilloux et Bagdadli, 2005), comportent une partie
consacrée à l’annonce du diagnostic. Après en avoir rappelé les principales
propositions, nous les commenterons en essayant de voir comment elles
peuvent se réaliser dans la pratique de la consultation de pédopsychiatrie.

Quelles informations doit-on donner aux familles ?1


« L’annonce d’un diagnostic d’autisme ou de TED pour un enfant est une
expérience particulièrement douloureuse pour ses parents, un véritable
traumatisme. Au-delà, le stress des familles d’enfants autistes est parti-
culièrement important avec des conséquences en termes de dépression
ou d’usage de psychotropes. Pour un professionnel, annoncer à des
­parents les troubles du développement graves de leur enfant est aussi une
expérience émotionnelle difficile. Cette annonce apparaît d’autant plus
difficile que la formation des professionnels est surtout orientée vers l’ac-
quisition de connaissances scientifiques et de savoir-faire et insiste peu sur
les “savoir-être” utiles au moment de l’annonce d’un diagnostic grave.
Pour ces raisons, l’utilité de la formulation du diagnostic a parfois été
discutée, plus par les professionnels que par les parents qui, par leurs as-
sociations, le demandent voire l’exigent et cela d’autant plus que la loi y
oblige. L’utilité de cette annonce peut être examinée sous deux an-
gles. D’une part, il s’agit d’une aide pour les parents dans leurs actions
pour faire face au stress que représente non pas tant le diagnostic
que la réalité des troubles de leur enfant à laquelle ils sont confron-
tés depuis des ­années et qu’ils savent devoir assumer longtemps.
D’autre part, le diagnostic, comme dans le reste de la médecine, peut
être une aide pour le choix des méthodes thérapeutiques. Il peut per-
mettre aux autres membres du groupe social qui doivent aussi s’occu-
per de l’enfant de mieux le comprendre et l’accepter. Au contraire, les

1 Pour les références bibliographiques, se reporter au texte intégral disponible sur le


site ministériel ci-après
x
Annonce du diagnostic 197

x
détracteurs de l’information précise pensent qu’elle risque de sidérer
les parents, de les empêcher de penser leur enfant avec son individua-
lité. Pour Aussilloux, ce sont les modalités de l’annonce et son articu-
lation avec des moyens pour permettre aux parents de lui faire face
et d’être soutenus dans la durée qui vont la rendre “acceptable” ou
pas. La littérature médicale est peu importante autour de cette ques-
tion de l’annonce d’un diagnostic d’autisme à des parents. Elle montre
que l’annonce entraîne effectivement un choc affectif chez les parents,
mais que la majorité considère que l’attitude du professionnel qui fait
l’annonce, la clarté des informations et sa capacité à répondre aux ques-
tions sont les aspects les plus importants de cette démarche. Une enquête
menée auprès de pédiatres amenés dans leur pratique à annoncer à des
parents des diagnostics de troubles graves du développement montre
qu’il y a très peu de liens entre leurs pratiques de l’annonce et leur expé-
rience ou leur entraînement, suggérant l’intervention d’autres facteurs
comme la personnalité du clinicien. Dans cette même étude, il est montré
que les professionnels ont des pratiques au cours de leur annonce qui ne
sont pas nécessairement des déterminants de la satisfaction des parents.
La capacité des parents et des professionnels à échanger au moment de
l’annonce peut être amoindrie par des problèmes de communication.
Sherman, Austrian et Shapiro décrivent l’écart dans la perception par des
parents et des professionnels du label diagnostique utilisé à propos d’un
enfant. Ainsi, les représentations les plus dramatiques sont associées par
les pédiatres à la notion de trouble du développement cérébral, à la
­notion d’autisme par les psychiatres et à la notion de retard mental par les
parents. Les professionnels doivent donc prendre en compte ces écarts
entre leurs représentations et celles des parents et s’adapter à eux pour
leur permettre d’assimiler et d’accepter à leur rythme les informations
données. Par ailleurs, le niveau socioculturel et l’état émotionnel des
­parents influencent le degré de complexité de l’annonce et la rapidité avec
­laquelle les informations sont délivrées aux parents. Geiger et al. observent
que l’annonce par les professionnels du niveau de développement d’un
enfant est d’autant plus sévère que les parents sont perçus par ces profes-
sionnels comme “irréalistes” sur le niveau de fonctionnement de l’enfant.
Les résultats de ces observations suggèrent que les médecins ne devraient
pas chercher à “convaincre” les parents de leur représentation personnelle
du fonctionnement de l’enfant, mais à leur donner des informations en
prenant en compte leur point de vue et en respectant ce qu’ils sont capa-
bles d’accepter. La difficulté de certains parents à admettre la “validité”
du diagnostic qui leur est annoncé est évoquée par Gray en même temps
que leurs “désaccords” avec l’idée qu’il n’y a pas de traitement curatif de
ce syndrome. L’implication des parents dans les procédures diagnostiques
et d’évaluation est considérée par certains comme moyen pour améliorer
la collaboration parents-professionnels.
x
198 La consultation avec l’enfant

x
Contenu et modalités de l’annonce
Beaucoup d’études soulignent le fait que le moment, le contenu et les
modalités de l’information donnée aux parents à propos du diagnostic
de leur enfant sont d’une importance capitale puisqu’ils peuvent modi-
fier leur attitude à l’égard de l’enfant. Pour cette raison, des études ont
­cherché à mettre en évidence les facteurs reliés à la satisfaction des
­parents qui reçoivent une information diagnostique. Ainsi, dans une étude
publiée en 1997, Howlin et Moore qui ont interrogé les parents de 1 294
enfants autistes rapportent que 39 % se déclarent satisfaits du processus dia-
gnostique. Leur satisfaction est d’autant meilleure que le délai pour obtenir
un diagnostic a été court et que le diagnostic donné a été précis. Les parents
à qui ont été annoncés les diagnostics de traits autistiques ou de tendance
autistique comptent parmi les moins satisfaits. Globalement, le pourcentage
de parents “satisfaits” progresse. Hasnat et Graves rapportent que 82,6 %
(versus 39 % dans les études antérieures) des parents se déclarent satisfaits
de l’annonce du diagnostic de leur enfant. Leur satisfaction est surtout liée à
la quantité des informations qu’ils ont reçues, à leur exhaustivité ainsi qu’à la
prise en compte de leur point de vue dans la procédure diagnostique et l’éva-
luation. En revanche, elle n’est pas liée à la présence au moment de l’annonce
des deux parents, ni à la présence de l’enfant ou d’une tierce personne.
Ces observations sont confirmées par Brogan et Knussen qui ont interrogé
126 parents d’enfants autistes sur leur satisfaction par rapport à l’établis­
sement du diagnostic de leur enfant et qui observent que 55 % sont
­satisfaits. Leur degré de satisfaction est dans cette étude encore fonction
de la clarté, de la précision et de l’exhaustivité des informations communi-
quées au moment de l’annonce du diagnostic (la précision des informations
recouvre la transmission d’un document écrit et la possibilité de poser des
questions pendant l’entretien à la personne qui annonce). Leur degré de
satisfaction n’est en revanche pas fonction de l’âge de l’enfant au moment
du diagnostic ni du délai écoulé entre leurs premières préoccupations et
l’établissement du diagnostic. Dans cette même étude, les parents les plus
satisfaits sont ceux dont l’enfant a reçu le diagnostic de syndrome d’Asperger
(versus autisme), ceux qui ont reçu un diagnostic définitif (versus “diagnostic
de travail”) et enfin ceux dont les enfants ne sont pas en éducation spéciale.
Baird, McConachie et Scrutton rapportent, après avoir interrogé les parents
d’enfants atteints de paralysie cérébrale, qu’ils sont souvent globalement
satisfaits du diagnostic (75 %), mais que seuls 54 % se déclarent satisfaits du
contenu de l’information délivrée au moment de l’annonce. Globalement,
le niveau de satisfaction des parents semble meilleur quand le diagnostic
est plus précoce et quand les troubles de l’enfant sont modérés.
Communication d’un rapport écrit aux parents
Un certain nombre de professionnels sont réservés sur le fait d’adresser
un rapport écrit, à propos des résultats des investigations diagnostiques,

x
Annonce du diagnostic 199

x
aux parents en raison de la complexité de ces résultats. McConachie,
­Lingam, Stiff et Holt ont interrogé les parents d’enfants présentant diver-
ses pathologies du développement sur l’utilité du compte-rendu écrit des
examens concernant leur enfant. Les 25 parents qu’ils ont interrogés ont
presque tous trouvé utile ce document. Ils indiquent en particulier que
ce compte-rendu les a aidés dans leurs discussions avec leur entourage
et avec les professionnels. Un seul parent a trouvé le rapport écrit inu-
tile et deux parents ont déclaré qu’il était difficile à comprendre. L’utilité
d’un compte-rendu écrit est aussi soulignée dans l’enquête effectuée par
Piper et Howlin auprès de familles d’enfants ayant des troubles du déve-
loppement. McConachie, Salt, Chadury et al., qui ont cherché à décrire les
pratiques des unités d’évaluation en Grande-Bretagne, indiquent qu’un
rapport écrit est remis aux parents dans 70 % des cas et que des réunions
de synthèse se font aussi en présence des parents dans trois quarts des cas.
Gianoulis, Beresford, Davis et al. indiquent que 78 % des parents qu’ils ont
interrogés souhaitent que les résultats des investigations diagnostiques
permettent d’évaluer les difficultés de leur enfant et d’établir le diagnos-
tic précis de ses troubles ; 49 % souhaitent obtenir aussi un avis éducatif ;
35 % souhaitent une prise en charge et 19 % des informations détaillées
sur le diagnostic posé. En réponse à ces attentes initiales, 81 % des parents
sont satisfaits de l’avis diagnostique, 46 % sont satisfaits de l’avis éducatif,
38 % sont satisfaits de la proposition de prise en charge et 30 % seulement
sont satisfaits des informations données à propos du diagnostic posé. Ce
pourcentage faible peut être interprété comme le besoin de formaliser
davantage les informations communiquées aux familles lors de l’annonce
avec la transmission d’un rapport écrit à propos du diagnostic, mais aussi
par exemple de plaquettes d’informations sur la procédure diagnostique,
sur la maladie, les ressources communautaires, etc.
Préparation de l’annonce
Une des clés de l’annonce est sa préparation. Il est important de disposer
d’un temps suffisant (60 mn environ) pour ne pas être dans la précipi-
tation, de bien connaître l’enfant, d’avoir eu l’occasion de discuter avec
les professionnels qui ont réalisé les examens complémentaires et enfin
d’avoir suffisamment documenté le diagnostic qui est annoncé. L’annonce
doit être faite dans un endroit calme où il est possible de ne pas être
­interrompu.
Laisser la possibilité de poser des questions au moment de l’annonce,
mais aussi plus tard quand les parents ont « assimilé »
Les parents se montrent très sensibles au fait que le médecin les encourage
à s’exprimer, à parler de leurs émotions et à poser des questions.
Offrir des aides
L’annonce du diagnostic ne peut être envisagée en dehors de la perspec-
tive de propositions de soins et d’éducation pour l’enfant et de soutiens
x
200 La consultation avec l’enfant

x
divers à sa famille. De plus, l’existence de ressources communautaires suf-
fisantes est un élément important de la qualité des relations et collabora-
tions entre parents et professionnels.
Organisation pratique de l’accueil des familles
Dans une étude publiée en 1992, Piper et Howlin ont examiné les prati-
ques d’accueil des familles dont l’enfant est reçu pour une évaluation à
visée diagnostique. Elles ont questionné les parents de 30 enfants atteints
d’un retard de développement. La majorité des parents ont exprimé le
besoin de plus d’informations pratiques sur la durée précise de la consul-
tation, ses conditions d’accès, l’aménagement de la salle d’attente, l’exis-
tence d’une cafétéria à proximité. Ces remarques, qui peuvent apparaître
mineures pour certains, indiquent l’importance de s’assurer que des
­parents qui ont parfois voyagé plusieurs heures pour atteindre un centre de
consultation puissent être accueillis dans des conditions matérielles conve-
nables. Un autre besoin formulé par les parents est celui d’une description
plus précise des conditions et du déroulement de l’évaluation : qualité
des intervenants, motif et modalités de l’examen vidéo par exemple, mais
aussi précision de la nature de la participation de certains professionnels.
En effet, une des remarques est que le médecin qui effectue l’annonce
n’a généralement pas participé directement à la procédure d’évaluation
et n’a donc rencontré que brièvement l’enfant. Sous ces conditions, les
particularités de la participation des différents intervenants doivent être
expliquées aux familles.
Formation des professionnels
C’est une perspective importante si on veut améliorer la satisfaction des
familles vis-à-vis du processus diagnostique. En Grande-Bretagne, une
­enquête a été effectuée auprès de 250 étudiants en médecine pour évaluer
leur connaissance sur l’autisme. Les résultats de cette enquête montrent
que si les étudiants à la fin de leurs études, comparés à ceux qui les
­débutent, ont plus de connaissances sur les caractéristiques de l’autisme, ils
n’ont pas davantage de connaissances sur son étiologie, son pronostic évo-
lutif et sa prise en charge. En France, la situation n’est guère meilleure
puisque l’enseignement consacré à l’autisme durant le cursus médical du
deuxième cycle est d’une à deux heures et que les médecins généralis-
tes en formation n’ont aucune obligation de se “former”. Seuls des sémi-
naires de sensibilisation à la psychologie et à la psychiatrie sont imposés
avec une application variable entre les facultés. Ces connaissances limitées
constatées chez les futurs professionnels sont probablement un frein à la
mise en place d’un réseau de diagnostic et de prise en charge efficace des
enfants atteints d’autisme et des efforts sont suggérés dans le domaine de
la formation initiale et de la formation continue ».
Recommandations pour la pratique professionnelle
du diagnostic de l’autisme (Aussilloux et Bagdadli, 2005, p. 46-48).
Annonce du diagnostic 201

Nous voyons ainsi dans ces recommandations les différentes mesures


­ écessaires à prendre pour une annonce diagnostique dans de bonnes
n
conditions « réglementaires ». Mais l’on peut s’étonner que ces consignes,
qui devraient relever d’une éthique partagée par toute personne du monde
­médical, la guidant dans ses démarches de soignant, soient aussi précises et
complètes. Le risque est évidemment grand de voir se développer de tels pro­
tocoles qui pour en être complets n’en seraient toutefois pas authentiques.
Nous mesurons là ce qu’une standardisation des relations médicales peut
avoir d’intéressant quand elle permet de ne pas oublier d’éléments essen­
tiels, mais également de faussement rassurant quand elle réduit cette rela­
tion à la seule objectivité scientifique. Nous voudrions simplement insister
une fois encore sur l’importance de la fonction d’accueil de la souffrance
psychique que doit pouvoir assumer le pédopsychiatre ou le psychologue,
et notamment dans les circonstances de l’annonce diagnostique, au cours
de laquelle, dans de nombreux cas, tout peut basculer dans la vie des
­parents. Les qualités d’empathie, de patience et de respect de ce qui est en
jeu sont ici d’une importance cruciale.

Recommandations 4 : Information aux parents


Information avant l’établissement du diagnostic
• Éviter d’annoncer un diagnostic avant les résultats de l’évaluation pluri-
disciplinaire.
• Il est préférable de ne pas utiliser les termes d’autisme ou de TED chez
un enfant de moins de deux ans.
• En cas de doute diagnostique, il est préférable d’utiliser la notion de
trouble du développement dont la nature est à préciser.
Information après l’établissement du diagnostic
• Il revient au médecin responsable et coordonnateur de la procédure
diagnostique d’énoncer le diagnostic aux deux parents.
• Cette information doit être donnée dans le service où ont été effectués
le diagnostic et l’évaluation, en s’assurant des conditions d’accueil des
­familles, en respectant un délai qui ne devrait pas dépasser un mois.
• L’annonce du diagnostic doit se faire dans un cadre permettant une dis-
cussion d’une durée suffisante avec les parents, en leur donnant la possibi-
lité de poser des questions et d’exposer leur point de vue.
• Les informations données doivent être les plus exhaustives et les plus
précises possible.
• Il est recommandé de faire référence à la nosographie reconnue inter-
nationalement et d’éviter des termes pouvant être perçus comme trop
­vagues tels que “traits” ou “tendances autistiques”.

x
202 La consultation avec l’enfant

x
• Dans les cas où il est difficile d’établir avec précision le diagnostic, il est
important de donner un cadre diagnostique, tel que “TED non spécifiés”
ou “troubles du développement”. Une explication doit être donnée aux
parents sur les raisons de ces imprécisions et une évaluation ultérieure doit
être proposée.
• Conformément à la demande de la plupart des parents, il est recom-
mandé de leur remettre un rapport écrit synthétisant les principaux résul-
tats des bilans réalisés.
• Il est souhaitable de favoriser l’accès des familles aux informations sur
leurs droits, les associations, les ressources locales, le syndrome autistique,
etc.
Information à la personne (enfant, adolescent ou adulte) sur son diagnos-
tic
• Il revient au professionnel responsable de la prise en charge ou au pro-
fessionnel responsable de l’équipe qui a réalisé le diagnostic d’informer la
personne.
• Cette information doit se faire soit au terme de la procédure diagnos-
tique, soit à tout autre moment de sa vie lorsque cette question se pose
(perception de sa différence, période d’orientation…).
• L’annonce doit tenir compte de l’âge et des capacités cognitives de la
personne et se situer dans son projet de vie.
Une attention particulière devra être portée aux membres de la fratrie et
une information spécifique pourra leur être donnée
Recommandations pour la pratique professionnelle du diagnostic de
l’autisme (Aussilloux et Bagdadli, 2005, p. 49).

Un enfant victime de mauvais traitements ou d’abus sexuels :


conduite à tenir
Chaque jour, un enfant, un bébé, un adolescent fait la une des médias pour une
raison en lien avec des mauvais traitements ou des abus sexuels. Quelquefois
même, l’affaire prend une telle importance que les répercussions au niveau na-
tional sont énormes (Outreau, Angers…). Pourtant, l’immense angoisse suscitée
par de telles histoires nous incite à la mesure car le clinicien, dans le cadre de
sa pratique, est fréquemment sollicité par ces problématiques complexes. La
consultation en pédopsychiatrie est une des possibilités d’en rendre compte,
mais un certain nombre de règles en balisent le déroulement.
Annonce du diagnostic 203

Jennifer, dix ans


Jennifer, dix ans, est reçue en consultation à la suite d’une demande
de sa mère qui est venue au CMP avec elle pour obtenir en urgence un
rendez-vous. Elle a laissé entendre que sa fille « serait » abusée par son beau-
père. La secrétaire contacte le pédopsychiatre qui s’arrange pour recevoir
le jour même Jennifer et sa mère entre deux consultations programmées.
La mère vient de surprendre son mari, le beau-père de Jennifer, dans une
position sans ambiguïté avec sa fille. Elle rentrait beaucoup plus tôt que
prévu de son travail et a été sous le choc de sa découverte. Sa fille pleure, et
sa mère tente de la consoler mais est manifestement en proie à la panique.
Après avoir, avec la mère et la fille, tenté de « débrouiller » rapidement la
situation, le pédopsychiatre reçoit Jennifer seule pendant quelques instants,
afin de recueillir son témoignage et d’évaluer son état de souffrance psychi-
que. Il lui annonce qu’il va devoir compléter sa propre consultation par celle
d’un pédiatre hospitalier qui jugera si un examen clinique plus complet est
nécessaire.
Il semble que le beau-père fasse subir à Jennifer des attouchements sexuels
depuis quelques mois, manifestement depuis que sa puberté débutante a
transformé son corps. Il semble qu’il ne l’ait pas pénétrée, mais sa description
est floue et difficile à stabiliser. Il la caresse souvent, notamment les soirs où
sa mère n’est pas là, profitant de ses horaires d’équipe à l’usine. Jennifer
ajoute que cela se produit quand il a un peu trop bu. Et il la menace de
représailles si elle parle. Le pédopsychiatre fait revenir la mère ; elle est dé-
composée, son teint est livide et elle est abattue. Il lui annonce la démarche
qui va être suivie : une demande de consultation à l’hôpital pédiatrique, une
information préoccupante rédigée ensemble adressée au président du conseil
général (à la cellule départementale dédiée à ces recueils), et un signalement
rédigé par le pédopsychiatre au procureur de la République (substitut chargé
des mineurs) ; pendant ce laps de temps, l’assistante sociale du service va
envisager avec la mère un endroit où aller le soir même, de façon à protéger
Jennifer.
À cette annonce, la mère s’effondre en évoquant son mariage récent avec ce
monsieur pour, dit-elle, mettre sa famille à l’abri sous une protection paternelle,
dont elle avait manqué elle-même lorsqu’elle était enfant, et également lors de
leur traversée longue et douloureuse consécutive au divorce d’avec le père de
Jennifer. Bien sûr, elle avait remarqué que son mari buvait davantage ces derniers
temps, mais elle aurait été loin de penser qu’il puisse « lui faire ça à elle ». Tous
ces éléments font apparaître des souffrances anciennes chez cette mère, mais
surtout cet abus sexuel caractérisé va avoir sur sa fille des conséquences de
­nature post-traumatique qu’il va falloir prendre en considération dans les
­semaines qui vont suivre cette annonce diagnostique et les conséquences
immédiates qui vont en découler, et en premier lieu, sa protection1.

1 Article 44 du Code pénal, loi du 22 juillet 1992.


204 La consultation avec l’enfant

Dans de tels cas, le pédopsychiatre ou le psychologue a un certain nom­


bre d’obligations légales, notamment de signalement.

Rappel sur la loi no 2007-293 réformant la protection de l’enfance


Esprit de la loi
Si « le critère de danger a fondé le partage des compétences en matière de
protection de l’enfance – le danger constaté relevant de la justice, le risque
de danger, du département – avant que celui des mauvais traitements ne
s’impose en 1989 » (Lhuillier, 2007, p. 34), la loi du 5 mars 2007 retient « un
critère commun, celui de l’enfant en danger ou risquant de l’être, plus large
que celui de l’enfant maltraité, pour justifier la mise en œuvre, selon les cas,
d’une protection administrative des services de l’aide sociale à l’enfance ou
d’une protection judiciaire dans le cadre de la procédure d’assistance éduca­
tive » (Lhuillier, 2007, p. 34).

Informations préoccupantes, dispositif départemental et président


du conseil général
Aussi la législation actuelle vise-t-elle à améliorer le dispositif départemen­
tal de signalement des enfants en danger et à mieux le coordonner avec
la procédure d’assistance éducative mise en œuvre par le juge des enfants.
Dans ce nouveau contexte, le président du conseil général devient le ­pivot
de l’information, et la coopération avec le procureur de la République
est fondamentale afin que l’autorité administrative devienne la référence
de la politique menée pour les enfants concernés. Le président du conseil
général est au centre des transmissions des informations préoccupantes
communiquées par les professionnels qui mettent en œuvre la politique de
protection de l’enfance. Dans le chapitre VI du titre II du livre II du Code de
l’action sociale et des familles, intitulé « Protection des mineurs en danger
et recueil des informations préoccupantes », l’article L. 226-2-1, modifié par
la loi du 5 mars 2007, énonce que « les personnes qui mettent en œuvre la
politique de protection de l’enfance (personnels des services de l’ASE et des
services judiciaires) ainsi que celles qui lui apportent leur concours (services
sociaux, services de PMI, Éducation nationale, PJJ, CCAS2…) doivent trans­
mettre sans délai au président du conseil général ou au responsable désigné
par lui toute information préoccupante sur un mineur en danger ou risquant
de l’être, au sens de l’article 375 du Code civil » (Lhuillier, 2007, p. 35).

Signalement à l’autorité judiciaire


En ce qui concerne le signalement à l’autorité judiciaire (article L. 226-4 du
Code de l’action sociale et des familles), le président du conseil général avise
sans délai le procureur de la République lorsqu’un mineur est en danger au
sens de l’article 375 du Code civil et lorsqu’il y a eu impossibilité d’effectuer les

2 Protection judiciaire de la jeunesse ; Centre communal d’action sociale.


Annonce du diagnostic 205

interventions des acteurs de la protection sociale diligentées par le président


du conseil général. Mais « le procureur disposera d’un large pouvoir d’appré­
ciation de la situation, notamment pour vérifier le rôle joué par les services
sociaux avant la saisine de l’autorité judiciaire » (Lhuillier, 2007, p. 36).

Un secret professionnel partageable ?


Le secret professionnel qui entoure ces démarches est partageable dans des
conditions précises. Car si le Code de déontologie médicale rappelle l’im­
portance du secret médical, le nouvel article L. 226-2-2 du Code de l’action
sociale et des familles stipule que « par exception à l’article 226-13 du Code
pénal, les personnes soumises au secret professionnel qui mettent en œu­
vre la politique de protection de l’enfance définie à l’article L. 112-3 ou
qui lui apportent leur concours sont autorisées à partager entre elles des
informations à caractère secret afin d’évaluer une situation individuelle, de
déterminer et de mettre en œuvre les actions de protection et d’aide dont
les mineurs et leur famille peuvent bénéficier. Le partage des informations
relatives à une situation individuelle est strictement limité à ce qui est
­nécessaire à l’accomplissement de la mission de protection de l’enfance. Le
père, la mère, toute autre personne exerçant l’autorité parentale, le tuteur,
l’enfant en fonction de son âge et de sa maturité, sont préalablement infor­
més, selon des modalités adaptées, sauf si cette information est contraire à
l’intérêt de l’enfant » (Kahn-Bensaude, 2009).

Cellule et observatoire départementaux


La loi du 5 mars 2007 sur la protection de l’enfance a créé deux instances
importantes : la cellule départementale de recueil, de traitement et d’éva­
luation et l’observatoire départemental de la protection de l’enfance. Ces
organismes sont destinés à faciliter tout ce qui concourt à la protection de
l’enfance au niveau départemental.

Une adolescente anorexique : une hospitalisation à


long terme

Pamela, douze ans


Lorsque Pamela, douze ans, entre dans le bureau de consultation de la psycho-
logue du service de pédopsychiatrie, elle est entourée de ses parents qui l’ac-
compagnent en la portant presque, tant son état clinique est alarmant. C’est le
médecin de famille qui a demandé, le matin même, ce rendez-vous en urgence
au CMP de son secteur. Les parents et leurs trois enfants sont rentrés de leurs va-
cances la veille, et dès le lendemain matin ils ont appelé leur généraliste, qui est
depuis longtemps un médecin de la famille en qui ils ont une grande confiance.
Pamela a passé un été épouvantable, et les trois semaines passées en vacances
ensemble ont permis aux parents de réaliser la gravité de son état. Elle refuse de x
206 La consultation avec l’enfant

x manger quoi que ce soit. Elle n’a pratiquement rien avalé depuis trois semaines,
précisément depuis le premier soir passé ensemble, immédiatement après une
promenade au cours de laquelle s’était produit un incident insignifiant, et sa
maigreur attire maintenant le regard des gens sur elle. Elle est très fermée et
ne veut rencontrer personne. Les relations dans la famille sont très tendues,
et l’angoisse des parents est à la mesure de leur inquiétude. Pamela leur pose
question depuis quelque temps déjà. En effet, son enseignante référente de
cinquième les avait rencontrés quelques semaines avant la sortie pour leur dire
que leur fille inquiétait l’ensemble des professeurs par sa manie de la perfection,
son hyperinvestissement des matières scolaires, au point de ne pas supporter la
moindre baisse de note, et un engagement dans la pratique du sport qui dépas-
sait l’entendement, ne lui laissant aucun instant de répit. Elle était, de plus, en
passe de devenir un bouc émissaire des collégiens de sa classe à cause de ses
attitudes « capricieuses » et des crises qui suivaient ses frustrations scolaires. Les
parents, surpris de ces éléments révélés un peu brutalement sans avoir entendu
évoquer le moindre problème auparavant, avaient eux-mêmes remarqué que
leur fille était moins bien à la maison, moins gaie, moins souriante, moins servia-
ble. Elle qui avait l’habitude de s’occuper de son petit frère et de sa petite sœur
de façon très rapprochée avait brutalement décidé que « ça suffisait comme
ça, qu’elle n’était pas leur esclave… ». Mais ils avaient mis ces modifications
sur le compte des changements corporels récents de Pamela, en rapport avec
l’apparition de ses premières règles en début d’année. Ils se préparaient à une
adolescence sans doute assez mouvementée… Le médecin généraliste avait reçu
Pamela et ses parents le matin même. Il avait été lui-même très alerté et avait
téléphoné au collègue pédopsychiatre de son secteur pendant la consultation
pour demander un avis et des conseils sur la conduite à tenir. Le pédopsychiatre
n’ayant pas de disponibilité ce jour, avait demandé à la psychologue du CMP de
la ville de résidence des parents de Pamela, si elle pouvait recevoir l’adolescente.
Il avait rappelé le médecin généraliste pour lui proposer un rendez-vous le soir
même avec la psychologue. Ils en parleraient ensemble après la consultation.
La rencontre permet de mettre en évidence les signes cardinaux de l’anorexie
de Pamela (anorexie, aménorrhée, amaigrissement), ainsi que d’autres qui sont
habituellement retrouvés (hyperinvestissement scolaire, du sport, difficultés rela-
tionnelles intrafamiliales et avec les pairs…). L’état clinique de cette adolescente
est très préoccupant et, comme convenu avec le pédopsychiatre et le médecin
généraliste avant la consultation, la psychologue l’adresse au pédiatre de garde
au CHU. Devant l’ampleur des signes cliniques, ce dernier demande aux parents
l’accord pour l’hospitaliser immédiatement dans le service de pédiatrie en raison
des troubles métaboliques mis en évidence lors du bilan d’urgence consécutif à
l’examen physique. Pamela, contrairement à ce que les parents attendaient, ne
marque pas d’opposition à cette hospitalisation. Elle semble curieusement apai-
sée, comme si elle l’attendait en quelque sorte. Il est alors convenu avec Pamela,
ses parents et les médecins et la psychologue qui sont directement concernés par
cette prise en charge que l’hospitalisation en pédiatrie serait maintenue jusqu’à
ce que le pédiatre donne son accord pour un transfert en pédopsychiatrie, service
dans lequel le suivi thérapeutique continuerait ensuite si cela s’avérait nécessaire. x
Annonce du diagnostic 207

x Pendant l’hospitalisation en pédiatrie, la psychologue assurera le suivi de liaison


avec Pamela, car la relation est déjà bien engagée à la suite de cette première
consultation au CMP. Le pédopsychiatre de secteur recevra les parents pour en-
tamer avec eux un travail nécessaire pour faciliter la prise en charge de leur fille.
Mais d’ores et déjà, la psychologue a réussi à préciser quelque peu les circons-
tances dans lesquelles la décompensation relativement rapide a eu lieu lors des
vacances familiales. C’est lors de cette promenade en montagne, le premier
jour des vacances, qu’avait eu lieu cet « incident insignifiant ». Passant près
d’une clôture électrique installée autour d’une installation jouxtant un barrage
hydroélectrique, le père de Pamela qui portait le petit frère sur ses épaules, avait
glissé et failli « s’électrocuter » contre le fil électrique avec son fils. Les autres
membres de la famille, qui suivaient, étaient accourus et un moment de panique
avait envahi la famille tout entière. Une fois la peur passée, les parents avaient
été très surpris de constater que Pamela continuait de manifester une véritable
peur panique au moindre problème survenu depuis cet incident. Reçue seule
ensuite par la psychologue, elle lui dira que « l’électrocution » de son père et de
son petit frère, lui faisait penser de façon compulsive au film la Liste de Schindler,
dans lequel l’électricité de la clôture interdit aux prisonniers de s’évader du camp
de concentration dans lequel ils vont trouver la mort à force d’être affamés… Et
d’associer sur les images horribles des corps maigres des prisonniers…
Le suivi thérapeutique en pédiatrie permettra à Pamela de retrouver assez ra-
pidement un poids compatible avec son hospitalisation en pédopsychiatrie.
Elle restera hospitalisée sept mois dans ce service et pourra sortir ensuite, tout
en continuant sa psychothérapie avec la psychologue au CMP de son secteur.
Les consultations, indépendamment du travail psychothérapique avec Pamela,
auront un rôle de soutènement des parents tout au long de la longue hospi-
talisation qui s’engage avec leur fille. Elles comportent dans de tels cas une
dimension thérapeutique évidente qu’il faut savoir déployer lorsque cela s’avère
nécessaire.

Ces consultations, sensiblement différentes des autres exemples


décrits précédemment, montrent comment il est parfois nécessaire
de quitter les modes habituels pour s’ajuster aux problématiques
particulières en fonction des éléments cliniques recueillis lors d’une
première consultation en pédopsychiatrie.

Un adolescent suicidaire : une hospitalisation courte


mais nécessaire

Albert, treize ans


Traiter l’état dépressif d’Albert et prévenir la rechute
Albert a treize ans, et est au collège en classe de quatrième. Il a de bons ré-
sultats scolaires et semble d’un bon niveau intellectuel. Pourtant, ses parents
sont aux urgences pédiatriques parce qu’il a pris environ vingt comprimés d’un x
208 La consultation avec l’enfant

x des psychotropes que prend sa mère depuis plusieurs années. Il est actuel-
lement encore somnolent, mais son visage est triste et fermé. Les parents,
qui sont reçus en consultation par le pédopsychiatre d’astreinte, expliquent
qu’ils ont été avertis par un de ses amis qui leur a téléphoné vers 22 h pour
leur dire que leur fils lui avait envoyé un mail pour lui dire « adieu », que
« le râteau qu’il s’était pris avec sa copine, il ne pouvait pas le supporter »,
et qu’il était chargé de « dire à ses parents qu’il les aimait ». Albert est ha-
bituellement un garçon que tout le monde aime bien, il est drôle, sympa
et il y a toujours des tas de copains à la maison, et aussi une copine, Julie.
Mais depuis quelques semaines, il a dû se passer quelque chose parce qu’il
n’était plus pareil, il rentrait triste le soir après le collège, il ne parlait plus
beaucoup, juste le nécessaire… Et la mère ajoute : « c’était donc ça ! sa Julie
l’a plaqué ! ». Albert présente donc un état dépressif réactionnel à une rup-
ture sentimentale ; cela l’a conduit à une tentative d’autolyse avec prise de
médicaments en quantité non négligeable ; il a prévenu quelqu’un, mais son
­humeur au réveil de son coma vigile est dépressive. Le pédopsychiatre annonce
les différents éléments dont il dispose aux parents et leur parle de la nécessité
d’une hospitalisation de courte durée pour passer le cap du lendemain d’un
tel geste. En effet, il est fréquent que les adolescents, dont la tension interne
a sensiblement baissé à la suite de ce geste de désespoir, aient l’impression
postcathartique d’avoir résolu le problème, et que tout va bien. Mais dans la
plupart des cas, l’état dépressif revient vite assiéger l’adolescent et le risque de
récidive est alors important. Les parents acceptent la proposition, et la discus-
sion s’engage avec Albert pour lui expliquer ce qui va se passer dans les jours
qui viennent. Il n’est pas très partant pour cette hospitalisation, mais devant la
position des parents, il finit par en accepter la réalisation. Il paraît en effet im-
portant non seulement de soigner Albert de son état dépressif, mais également
d’entreprendre la prévention de sa rechute probable.

Cette consultation d’astreinte de pédopsychiatrie permet de faire un dia­


gnostic d’état dépressif avec des signes de gravité qui conduisent le prati­
cien à proposer un soin immédiat pour prévenir une éventuelle récidive et
approfondir la structure psychopathologique sous-jacente à cet acte signi­
ficatif. Il apparaît donc dans un certain nombre de circonstances cliniques,
que la consultation peut déboucher sur des conduites à tenir entraînant
quelquefois des décisions de soins à entreprendre rapidement, notamment
sous la forme d’une hospitalisation dans un service de pédopsychiatrie.

Incertitude diagnostique chez Maëva, un bébé


de dix-sept mois
Quelquefois, devant une souffrance psychique spectaculaire telle que nous
allons la découvrir chez Maëva, les signes présentés peuvent évoquer un
diagnostic qui n’est pas celui que l’évolution va révéler. Or, chez un bébé
Annonce du diagnostic 209

ou un très jeune enfant, la force prédictive d’un diagnostic annoncé par­


fois trop vite peut avoir un impact beaucoup plus important que prévu. Il
convient de se donner un temps suffisant de réflexion pour éviter les pièges
de signes cliniques trop évidents.

Maëva, dix-sept mois


Il s’agit d’une petite fille que le neuropédiatre demande au pédopsychiatre de
voir parce qu’elle présente, outre des antécédents de convulsions hyperpyré-
tiques depuis l’âge d’un an, des signes qui lui font évoquer, malgré son jeune
âge, un autisme. Quand le pédopsychiatre la reçoit en consultation avec sa
maman, sa mère l’assoit sur le tapis d’examen ; elle est plutôt hypotonique au
niveau du dos et s’appuie sur ses mains devant elle, entre ses deux jambes en
abduction ; elle se présente comme une enfant très absente de la relation, avec
des stéréotypies alternatives des mains, notamment de sa main droite jouant
avec la lumière du soleil, des cris perçants et monocordes, faisant suite à une
sorte de bruit de gorge nettement plus bas et sans rapport apparent avec la
situation puis, à la fin de ces cris, elle met ses mains de chaque côté de ses
deux jambes et se tape le front sur le tapis ; mais rapidement, comme si ce choc
n’était pas suffisant, elle s’envoie littéralement la tête en arrière et là, c’est sa
nuque qui heurte un objet dur placé derrière elle. Maëva ne semble pas souffrir
de ces chocs pourtant impressionnants. La maman, devant ces mouvements
très violents, n’esquisse même pas de geste pour la retenir et dit seulement :
« Moi, là, je ne sais plus quoi faire, je vais être obligée de la placer. » La consul-
tation permet de confirmer tous ces signes au fur et à mesure, et également
de retrouver que c’est à l’âge de dix mois que les troubles ont commencé, à
l’occasion du déménagement de la famille chez les grands-parents paternels de
Maëva, en raison d’une longue période de chômage du père l’ayant empêché
de payer son loyer pendant plusieurs mois. Les soucis familiaux ont donc été très
présents dans le contexte familial de Maëva, pratiquement depuis sa naissance ;
la maman pleure à l’évocation de ces circonstances, puis elle dit que la première
convulsion hyperpyrétique a eu lieu le soir du déménagement chez ses beaux-
parents. Ils y sont restés plusieurs mois dans une ambiance épouvantable, dit-
elle, et ils viennent juste de trouver un nouvel appartement ; cette période a été
pour cette maman celle d’un grave état dépressif, et son mari « n’avait pas lui
non plus tellement le moral, il s’est même remis à boire, alors qu’il avait arrêté
depuis la naissance de Maëva ».
Pendant cette narration empreinte de tristesse de la maman, Maëva va arrêter
progressivement de se taper la tête, et son tonus du dos devenir plus solide ;
elle se met alors à jouer avec une voiture pendant quelques instants. Mais ce
qui frappe surtout, c’est la qualité de son regard : elle peut croiser le regard du
pédopsychiatre à plusieurs reprises et, loin qu’elle le fuie aussitôt, il y trouve un
agrippement, comme une profonde attente, un sentiment très différent de celui
d’intrusion si typique des enfants à risque autistique. Le pédopsychiatre le dit à
la maman quand elle lui demande, avec une grande tension anxieuse, si sa fille
est donc bien une enfant autiste comme plusieurs personnes le lui ont laissé x
210 La consultation avec l’enfant

x entendre autour d’elle. Elle est très étonnée ; et ajoute : « alors, peut-être qu’elle
n’est pas autiste ? ». Le médecin lui dit que son habitude est de voir plusieurs
fois un enfant avant d’annoncer un tel diagnostic. Et il lui donne un rendez-vous
rapide. La fois suivante, Maëva arrive, triomphante, en marchant, la maman le
sourire au visage ; elle dit : « je ne sais pas ce qui s’est passé, mais Maëva n’est
plus la même enfant, elle a marché le soir de la consultation de la semaine der-
nière et en plus, elle ne se tape plus ». Le travail qui s’en est suivi a permis de
mettre en évidence un grave état dépressif chez cette petite fille, et si la prise
en charge a été émaillée de nombreux épisodes difficiles, le syndrome autistique
n’est pas réapparu dans son évolution clinique.

Transmission des informations diagnostiques


Considérations sur la transmission des informations
diagnostiques
Toutes les informations diagnostiques concernant un bébé, un enfant ou un
adolescent sont recueillies auprès des personnes directement intéressées :
l’enfant lui-même et ses parents. Il arrive un certain nombre de fois que le
médecin qui a adressé l’enfant à la consultation soit également informé de
la situation générale. Ce qui compte dans la suite de la ou des consultations,
c’est de penser la transmission des informations en fonction de l’éthique pro­
fessionnelle et de l’efficacité de la prise en charge recherchée auprès de l’en­
fant. Rappelons les grands principes du texte légal qui encadre ces pratiques.

Loi du 4 mars 2002


Esprit de la loi
La loi du 4 mars 2002 a imposé des règles de fonctionnement en matière
d’informations médicales, et notamment en facilitant l’accès des personnes
à leur dossier. Dans son chapitre premier, sous le titre « Information des
usagers du système de santé et expression de leur volonté », elle instaure
le droit du patient à l’information et détaille les diverses situations dans
lesquelles il s’exerce. C’est l’aboutissement d’une évolution confirmant une
demande de plus en plus forte du corps social pour plus d’autonomie et
pour une meilleure information.
Le droit du patient à l’information s’exerce a priori à l’occasion des soins,
et postérieurement à l’acte médical ou au cours du traitement de la maladie,
par l’accès aux informations établies et détenues par le professionnel ou
l’établissement de santé. Ces deux temps de l’information sont indisso­
ciables, la bonne qualité du premier facilitant l’exercice du deuxième.
Annonce du diagnostic 211

Information a priori
Le principe et les modalités sont posés à l’article L. 1111-2 du Code de la
santé publique :

« Toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé.


Cette information porte sur les différentes investigations, traite­
ments ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité,
leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents
ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur
les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en
cas de refus. Lorsque, postérieurement à l’exécution des investiga­
tions, traitements ou actions de prévention, des risques nouveaux
sont identifiés, la personne concernée doit en être informée, sauf
en cas d’impossibilité de la retrouver. Cette information incombe
à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et
dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables.
Seules l’urgence ou l’impossibilité d’informer peuvent l’en dispen­
ser. Cette information est délivrée au cours d’un entretien indi­
viduel. La volonté d’une personne d’être tenue dans l’ignorance
d’un diagnostic ou d’un pronostic doit être respectée, sauf lorsque
des tiers sont exposés à un risque de transmission. Les droits des
mineurs ou des majeurs sous tutelle mentionnés au présent article
sont exercés, selon les cas, par les titulaires de l’autorité parentale
ou par le tuteur. Ceux-ci reçoivent l’information prévue par le pré­
sent article, sous réserve des dispositions de l’article L. 1111-5. Les
intéressés ont le droit de recevoir eux-mêmes une information et
de participer à la prise de décision les concernant, d’une manière
adaptée soit à leur degré de maturité s’agissant des mineurs, soit à
leurs facultés de discernement s’agissant des majeurs sous tutelle.
Des recommandations de bonnes pratiques sur la délivrance de
l’information sont établies par la Haute Autorité de santé et
­homologuées par arrêté du ministre chargé de la santé. En cas de
litige, il appartient au professionnel ou à l’établissement de santé
d’apporter la preuve que l’information a été délivrée à l’intéressé
dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut
être apportée par tout moyen3. »

Information a posteriori : l’accès aux informations personnelles


de santé
Le principe de cet accès et ses conditions sont fixés par les articles L. 1111-7
et R. 1111-1 à R. 1111-8 du Code de la santé publique.

3 Informations tirées du site de l’Ordre national des médecins : www.conseil-national.


medecin.fr.
212 La consultation avec l’enfant

Article L. 1111-7 modifié par la loi no 2007-131 du 31 janvier 2007


« Toute personne a accès à l’ensemble des informations concer­
nant sa santé détenues, à quelque titre que ce soit, par des pro­
fessionnels et établissements de santé, qui sont formalisées ou
ont fait l’objet d’échanges écrits entre professionnels de santé,
notamment des résultats d’examen, comptes rendus de consul­
tation, d’intervention, d’exploration ou d’hospitalisation, des
protocoles et prescriptions thérapeutiques mis en œuvre, feuilles
de surveillance, correspondances entre professionnels de santé,
à l’exception des informations mentionnant qu’elles ont été
­recueillies auprès de tiers n’intervenant pas dans la prise en charge
thérapeutique ou concernant un tel tiers.
Elle peut accéder à ces informations directement ou par l’intermé­
diaire d’un médecin qu’elle désigne et en obtenir communication,
dans des conditions définies par voie réglementaire au plus tard
dans les huit jours suivant sa demande et au plus tôt après qu’un
délai de réflexion de quarante-huit heures aura été observé4. »

• Qui peut demander ces informations ?


De son vivant, le patient, son représentant légal (si le patient est mineur ou
majeur sous tutelle), et le médecin qu’il aura désigné comme intermédiaire,
peuvent avoir accès, dans les conditions prévues à l’article L. 1111-7 du
Code de la santé publique, aux informations la concernant.
• Le patient.
La personne concernée peut avoir accès aux informations, à son choix, di­
rectement ou par l’intermédiaire d’un médecin. Elle peut également dési­
gner, à cette fin, un mandataire qui devra alors justifier de son identité et
disposer d’un mandat exprès, c’est-à-dire dûment justifié (CE 26 sept. 2005,
Conseil national de l’Ordre des médecins, no 270234).
• Le représentant légal.
Pour un mineur, les titulaires de l’autorité parentale ont accès aux infor­
mations concernant l’enfant. Toutefois, le mineur peut demander que cet
accès ait lieu par l’intermédiaire d’un médecin. Dans ce cas, les informa­
tions sont, au choix du titulaire de l’autorité parentale, adressées au méde­
cin qu’il a désigné, ou consultées sur place en présence de ce médecin (art.
R. 1111-6, dernier alinéa).
Lorsque le mineur a reçu des soins sans le consentement de ses représen­
tants légaux et demandé le secret de la consultation (cf. article L. 1111-5 du
Code de la santé publique), il peut s’opposer à ce que le médecin commu­
nique au titulaire de l’autorité parentale les informations concernant ces
soins. Cette opposition est notée par écrit par le médecin. Le médecin devra

4 Id.
Annonce du diagnostic 213

s’efforcer de convaincre le mineur d’accepter la communication des infor­


mations au titulaire de l’autorité parentale qui la demande. Mais l’accès aux
informations demandées ne peut être satisfait tant que le mineur maintient
son opposition (art. R. 1111-6, al. 1 et 3)5.
• Le médecin.

Conséquences pratiques pour la consultation de


pédopsychiatrie
En pédopsychiatrie, c’est sous l’autorité de ses parents que l’enfant est placé
jusqu’à ses dix-huit ans, et il est intéressant de faciliter la concertation entre
l’enfant et ses parents. Toutefois, la loi prévoit que dans certaines circons­
tances, une possibilité soit offerte à l’enfant de garder par-devers lui certai­
nes informations dont le contenu doit rester secret à ses yeux. En dehors
de ces restrictions exceptionnelles, pour ce qui est de la transmission des
informations diagnostiques, il semble intéressant de rédiger la lettre ou de
la dicter devant l’enfant et ses parents, de façon à les mettre en confiance
par rapport à ce problème particulier. La liste des personnes du milieu médi­
cal à qui le courrier est adressé est également constituée avec eux. Souvent,
les enseignants ou autres professionnels souhaitent avoir un compte-rendu
de la consultation pour les éclairer dans l’accompagnement de l’enfant. Il
ne paraît pas judicieux de les rendre destinataires du courrier médical. En
revanche, dans certains cas, les parents peuvent utiliser la lettre qu’ils vont
recevoir comme bon leur semble. Par exemple, lors des réunions de « pro­
jet pédagogique individualisé », auxquelles il est parfois demandé aux soi­
gnants d’assister, il ne semble pas indiqué de donner un diagnostic médical
qui ne regarde personne en dehors des parents et de l’enfant. L’augmen­
tation de l’efficacité pédagogique des enseignants quand ils connaissent
le diagnostic pédopsychiatrique d’un enfant n’a pas pour l’instant fait ses
preuves. Par contre, il est intéressant d’arriver à travailler avec eux sur des
aspects qui concernent directement l’intégration de l’enfant dans la classe,
soit en termes pédagogiques, soit en termes de socialisation. Dans de telles
situations, un accord des parents et de l’enfant (quand son avis est suffisam­
ment mature) est nécessaire pour permettre aux soignants d’entretenir des
relations professionnelles autour de l’enfant accueilli dans cette classe.
Enfin, un cas fréquemment rencontré est celui de la constitution du ­dossier
de la MDPH, et dans lequel doivent figurer les informations diagnostiques jus­
tifiant l’orientation (classes spécialisées CLIS, UPI…), le soutien ­personnalisé
(AVSI, SESSAD6…) et les allocations. Les documents comportant de telles

5 Id.
6 Auxiliaire de vie scolaire individuel, service d’éducation spéciale et de soins à domi­
cile.
214 La consultation avec l’enfant

informations doivent être rédigés sur papier à en-tête et adressés sous pli
cacheté au médecin de la commission départementale.

Références
Association américaine de psychiatrie (2000). Mini-DSM-IV. Critères diagnostiques.
­Paris : Masson.
Aussilloux, Ch., Bagdadli, A. (2005). Recommandations pour la pratique professionnelle
du diagnostic de l’autisme. Paris : Ministère de la Santé (DGS, DGAS, HAS). (Dispo­
nible à l’adresse : http://www.has-
Kahn-Bensaude, I. (2009). Bulletin d’information de l’Ordre national des médecins, 6,
13.
Lhuillier, J.-M. (2007). La protection de l’enfance. Actualités sociales hebdomadaires,
2535, supplément.
8 Indications de soins

Les indications de soins vont dépendre essentiellement des éléments synthé-


tisés lors de l’annonce du diagnostic. Mais elles ne pourront aboutir que si
les parents, et l’enfant quand c’est possible, prennent leur place de co-acteurs
des soins proposés. Nous allons décrire les différentes formes qu’ils peuvent
prendre dans le dispositif habituel de la pratique de la pédopsychiatrie.
Nous distinguons trois grands types de soins : les soins ambulatoires,
­ élivrés sans que l’enfant soit hospitalisé même à temps partiel, les soins à
d
temps partiel et les soins à temps plein. Parfois, une prescription médica-
menteuse sera jugée nécessaire. Dans la plupart des cas, l’enfant qui est pris
en charge sur le plan thérapeutique peut en outre bénéficier d’approches
éducatives ou pédagogiques. Une des questions épineuses sera, sous l’égide
des parents, d’en articuler les propositions autour d’un projet cohérent et
réalisable par l’enfant.

Soins ambulatoires
Les soins ambulatoires peuvent se dispenser dans les lieux de soins dirigés
par un pédopsychiatre, soit dans le service public, soit en associatif, soit
en libéral. Les structures qui comportent un dispositif accessible pour des
suivis ambulatoires, quelles que soient les pathologies présentées, sont les
CMP (centres médico-psychologiques) des secteurs de pédopsychiatrie, où
travaillent les pédopsychiatres du service public avec une équipe multidis-
ciplinaire, les CMPP (centres médico-psycho-pédagogiques) et les CAMSP
(centres d’action médico-sociale précoce), où travaillent les pédopsychiatres
associatifs avec une équipe également multidisciplinaire. Les pédopsychia-
tres libéraux reçoivent dans leur cabinet. Les SESSAD (services d’éducation
spéciale et de soins à domicile) viennent compléter ces dispositifs. Nous
allons voir plus précisément les domaines de compétences des uns et des
autres en fonction des formes d’exercices et des indications de soins. Puis
nous envisagerons les modalités utilisées pour affiner la prise en charge, soit
individuelle, soit en groupe.

Lieux de consultation : CMP, CMPP, CAMSP, cabinet


libéral, SESSAD
Centre médico-psychologique
Le CMP est le pivot de la psychiatrie de secteur infanto-juvénile. D’abord
créé sous le terme de dispensaire d’hygiène mentale dans les dispensaires
d’hygiène sociale, dès la circulaire de Marc Rucart en 1936, enjoignant les

La consultation avec l’enfant


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216 La consultation avec l’enfant

psychiatres d’alors d’y suivre les patients sortis des hôpitaux, puis confirmé
dans les circulaires de création de la psychiatrie de secteur (mars 1960 puis
mars 1972), le CMP prend force légale par la loi du 31 juillet 1985, ainsi que
l’ensemble de la politique de psychiatrie de secteur. Il s’agit d’instaurer une
vision globale de la psychiatrie, dont la psychiatrie infanto-juvénile est une
partie importante, assurée par des équipes spécialisées. Partant du principe
que les soins des enfants et des adolescents doivent être, sauf exception,
assurés en ambulatoire, le CMP devient le lieu vers lequel affluent toutes
les demandes les concernant. Là, une équipe dirigée par un pédopsychiatre
pourra proposer une ou des consultations et un bilan pour évaluer la souf-
france psychique en question et proposer une réponse adéquate en accord
avec les parents. À cette fin, après ces consultations et les bilans, les indi-
cations de soins seront réfléchies lors des synthèses de l’équipe du CMP et
proposées aux parents et à l’enfant ou à l’adolescent. Ces soins peuvent être
assurés en ambulatoire ou selon d’autres modalités que nous envisagerons
ultérieurement.
Peuvent également exister des suivis psychothérapiques par le pédopsy-
chiatre de liaison qui a rencontré un enfant lors d’une hospitalisation en
pédiatrie pour une pathologie organique et dont les soins psychiques ont
pu débuter grâce à cette rencontre particulière (voir dans le chapitre 9 la
partie consacrée à la pédopsychiatrie de liaison). Les consultations externes
des hôpitaux ont également cette fonction de suivi à plus long terme. Il
arrive que ces consultations soient indépendantes des secteurs de pédo­
psychiatrie, mais le plus souvent, elles viennent compléter les fonctions
assumées par ces services, y compris dans les services de pédopsychiatrie
universitaires.

Centre médico-psycho-pédagogique
Le CMPP est une structure ambulatoire qui est spécialisée dans les souffran-
ces psychiques en lien avec l’école, le collège et le lycée, que ce soit pour des
troubles des apprentissages ou des souffrances psychiques induites par un
rapport avec la situation de scolarité. Ces structures ont été créées par voie
de décret (décret no 56-284 du 9 mars 1956 modifié (annexe XXXII)
18 février 1963), dans la lignée d’expériences lancées par les pionniers dans
l’immédiat après-guerre (1946) pour répondre de façon ambulatoire aux
problèmes psychopathologiques spécifiques posés aux élèves par la fréquen-
tation des établissements de l’Éducation nationale. Ces structures associa­
tives sont au nombre de 530 environ actuellement en France. Leurs référen-
ces sont plutôt psychodynamiques. Six consultations sont proposées par un
pédopsychiatre, au cours desquelles un bilan sera fait, puis une indication
de soins posée si nécessaire et le suivi assuré dans le cadre de la structure par
des professionnels dont les statuts sont à peu près identiques à ceux d’un
CMP : psychologue, orthophonistes, psychomotricien, pédopsychiatre.
Indications de soins 217

Centre d’action médico-sociale précoce


Le CAMSP, annoncé dans la circulaire de 1972 sur la sectorisation, est créé
par le décret du 15 avril 1976. Il accueille les enfants de zéro à six ans et
leur famille pour des consultations de prévention, dépistage précoce et de
bilans, puis pour une prise en charge si nécessaire. Ils peuvent assurer égale-
ment une guidance familiale dans les soins et l’éducation spécialisée requis
par l’enfant. L’équipe comporte pédiatre, pédopsychiatre, médecin de réé-
ducation fonctionnelle, psychologue, orthophoniste, psychomotricien,
­kinésithérapeute, ergothérapeute et éducateurs de jeunes enfants. Les
CAMSP peuvent être soit polyvalents, soit spécialisés dans un domaine plus
précis (troubles moteurs, surdités, troubles visuels, troubles psychiques).
L’enfant est orienté vers le CAMSP par l’hôpital et le secteur de pédopsy-
chiatrie, le médecin, la Protection maternelle et infantile (PMI), l’école, les
services de promotion de la santé en faveur des élèves (de maternelle).
Ils ont dès lors dans le suivi des enfants un rôle d’articulation avec les
autres services concernés (néonatalogie, rééducation fonctionnelle, pédo­
psychiatrie, ORL, ophtalmologie…).

Cabinet libéral de pédopsychiatre


Le pédopsychiatre libéral (et le psychologue installé) peut recevoir à son
cabinet des enfants présentant des pathologies nécessitant une prise en
charge compatible avec une bonne intégration familiale et scolaire. Dans
de tels cas, l’enfant est reçu une à deux fois par semaine pour un travail
psychothérapique. Les pathologies rencontrées sont diverses, mais ne
­comportent généralement pas un indice de gravité majeur, qui nécessiterait
le recours à une forme d’hospitalisation. Telles sont les dépressions, les
­pathologies névrotiques, les instabilités psychomotrices et les personnalités
vulnérables prises éventuellement en charge par ailleurs par un orthopho-
niste ou un psychomotricien pour des difficultés de langage, des retards
gnosopraxiques ou des problématiques comportementales. Il arrive qu’un
pédopsychiatre ou un psychologue compétent dans un domaine relative-
ment spécialisé comme le suivi psychothérapique d’enfants autistes ou dys-
phasiques reçoive en libéral des enfants qui sont par ailleurs pris en charge
dans une équipe du sanitaire ou du médico-social. Ces complémentarités
sont très intéressantes pour préserver la continuité des soins entrepris avec
un premier thérapeute, par exemple en libéral, tout en apportant à l’enfant
les autres formes de soins dont il a besoin.

Service d’éducation spéciale et de soins à domicile


Les SESSAD sont des structures issues, souvent par redéploiement, des
IME souhaitant se reconvertir dans un travail de prévention intervenant
avant l’orientation dans un établissement médico-social en externat ou en
218 La consultation avec l’enfant

i­nternat. Dans certains cas, ils ont été créés par les CAMSP pour complé-
ter leur action préventive par une possibilité de soin plus soutenu. Des
consultations y sont proposées pour l’accompagnement de l’enfant et de
ses ­parents. Les suivis des enfants peuvent avoir lieu dans la structure, à la
crèche, à l’école ou à domicile.
Dans toutes ces consultations, la possibilité d’un travail en équipe permet
le recours à la pluridisciplinarité. Dans ces différentes structures, les indi-
cations de soins sont posées après les premières consultations et les bilans
effectués à l’intérieur de l’équipe. Elles peuvent proposer des soins ambula-
toires individuellement ou en petits groupes, à raison d’une à plusieurs fois
par semaine, en fonction de la psychopathologie présentée par l’enfant. Les
services d’éducation spéciale assurent un soutien à l’intégration scolaire ou
à l’acquisition de l’autonomie aux enfants et adolescents jusqu’à vingt ans,
en liaison avec les familles. Ils sont spécialisés par handicap et portent des
appellations différentes :
• SESSAD (service d’éducation spéciale et de soins à domicile) pour les
­déficiences intellectuelles et motrices, ainsi que pour les troubles du carac-
tère et du comportement ;
• SSAD (service de soins et d’aide à domicile) pour le polyhandicap, qui
­associe une déficience motrice et une déficience mentale sévère ou profonde ;
• SAFEP (service d’accompagnement familial et d’éducation précoce) pour
les déficiences auditives et visuelles graves des enfants de zéro à trois ans ;
• SSEFIS (service de soutien à l’éducation familiale et à l’intégration sco-
laire) pour les déficiences auditives graves des enfants de plus de trois ans ;
• SAAAIS (service d’aide à l’acquisition de l’autonomie et à l’intégration
scolaire) pour les déficiences visuelles graves des enfants de plus de trois
ans.
Les SESSAD sont des services médico-sociaux autonomes ou rattachés aux
établissements d’éducation spéciale, réglementés par l’annexe XXIV modi-
fiée du décret no 56-284 du 9 mars 1956, qui définit les conditions d’auto-
risation, d’installation et de fonctionnement des établissements et services
prenant en charge des enfants et adolescents handicapés.
Les SESSAD assurent trois missions principales :
• le soutien à l’intégration familiale, sociale, scolaire et à l’acquisition de
l’autonomie ;
• le conseil et l’accompagnement de la famille et de l’entourage en général ;
• l’aide au développement psychomoteur, psychoaffectif et cognitif et aux
orientations ultérieures.
La souplesse et la mobilité de ces structures leur permettent d’assurer un
accompagnement à la fois éducatif, pédagogique et thérapeutique, articulé
au sein du projet individualisé de chaque enfant ou adolescent, quels que
soient son âge et le niveau de son handicap.
Indications de soins 219

Modalités des soins en ambulatoire


Les soins peuvent avoir lieu individuellement ou en petits groupes, mais
dans la plupart des cas, il s’agit de construire un « costume thérapeutique
sur mesure » pour l’enfant de façon à tenir compte de sa singularité autant
que faire se peut.

Soins individuels
Ils peuvent comporter plusieurs options selon les besoins de l’enfant. Le
psychologue est formé pour le travail psychothérapique individuel. L’ortho-
phoniste reçoit individuellement les enfants pour des rééducations, mais
aussi les plus jeunes pour un travail sur les précurseurs du langage, et dans
quelques occurrences, pour un travail psychothérapique tel que Chassagny
(1977) a pu le faire exister dans certaines pratiques. Le psychomotricien
reçoit également individuellement pour des rééducations, mais également
pour des psychothérapies psychomotrices, des relaxations ou thérapies
sensorimotrices (Bullinger, 2004). Le pédopsychiatre reçoit les enfants
­individuellement lorsqu’une indication de psychothérapie est posée. Il
­assure également, comme le psychologue, les entretiens avec les parents
et les différents intervenants qui rencontrent les enfants individuellement,
de façon à rassembler régulièrement les éléments des prises en charge qui
­gagnent à être articulés ensemble. Les techniques de psychodrame individuel
(Widlöcher, 2003) sont très intéressantes pour les enfants et adolescents.

Soins en petits groupes


Les soins en ambulatoire peuvent aussi être prodigués en petits groupes
constitués d’enfants présentant des pathologies relativement proches et
animés par des soignants de différents statuts professionnels et répondant
à des indications précises. Par exemple, il est intéressant de disposer d’un
tandem orthophoniste-psychomotricien pour recevoir en petit groupe
des ­enfants avec problèmes de langage. Utile également, un atelier contes
­assuré par un orthophoniste et un éducateur de jeunes enfants pour des
­enfants de grande section présentant un retard maturatif laissant augurer
de difficultés lors du passage en CP. Enfin, il est intéressant de disposer
de ­petits groupes pour les enfants présentant des inhibitions dans leurs
­relations avec les adultes. De même, les ateliers écriture peuvent aider
­certains ­enfants présentant des difficultés à investir le scolaire et plus
­particulièrement la lecture et l’écriture. Certains psychodramatistes tra-
vaillent également en groupe.

Bâtir le « costume thérapeutique sur mesure »


L’idée générale est d’associer pour un enfant les propositions de soins
­individuels et en groupe en fonction de la nature de ses difficultés. Les
220 La consultation avec l’enfant

consultations régulières avec l’enfant et ses parents permettent d’évaluer la


pertinence du dispositif proposé et de le modifier en conséquence au vu de
l’évolution clinique.
Mais il arrive que le dispositif ambulatoire soit rapidement insuffisant
pour la pathologie que présente l’enfant. Il va alors être nécessaire d’avoir
recours à un dispositif que seul le CMP de pédopsychiatrie possède : le cen-
tre d’accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP), et également l’hôpital
de jour qui peut être utilisé de façon modulaire, en lien proche avec le
CMP.

Soins à temps partiel


Les soins à temps partiel sont assurés par des structures qui appartiennent
aux secteurs de psychiatrie infanto-juvénile. Ils sont proposés sous deux
formes habituelles : l’hôpital de jour et le CATTP. Ils permettent de rece-
voir les enfants de façon pluri-hebdomadaire soit sur des journées ou demi-
journées (hôpital de jour), soit sur des durées inférieures (CATTP) pour des
activités thérapeutiques plus développées que dans les soins ambulatoires.
Si ces soins ont généralement lieu plusieurs fois par semaine, environ trois
fois si besoin, c’est pour permettre à l’enfant, sur l’autre partie de son temps,
d’être accueilli à l’école ou dans un établissement médico-social, tout en
continuant à vivre dans sa famille. Les pathologies qui nécessitent de telles
prises en charge sont plus graves que les précédentes, et le niveau des activi-
tés thérapeutiques proposées prend davantage en considération les troubles
psychopathologiques. Ainsi, les activités portant sur l’image du corps, les
enveloppes corporelles défaillantes, la fonction contenante démantelée, les
dyspraxies et autres retards de langage nécessitent un dispositif plus spé-
cialisé comportant les dispositifs habituellement utilisés dans les hôpitaux
de jour. Il peut arriver que l’enfant admis en CATTP ne progresse pas suf-
fisamment et ait besoin d’une hospitalisation de jour plusieurs jours de la
semaine. Dans de tels cas, chaque fois que c’est possible, l’enfant peut béné-
ficier d’une scolarisation assurée par un instituteur spécialisé à l’intérieur de
l’hôpital de jour. Les troubles envahissants du développement sont souvent
accueillis dans ce type de dispositif, et le travail d’intégration à l’école va
se faire progressivement par articulation avec l’école de son quartier ou de
son village, et souvent par l’intermédiaire de l’instituteur spécialisé qui l’a
accueilli à l’hôpital de jour.
Les parents sont reçus régulièrement, et les membres de l’équipe soignan-
te concernés par les soins de cet enfant participent à ces rencontres de façon
régulière également. Les orthophonistes peuvent dans ces lieux déployer
des techniques plus spécifiques de la facilitation de la parole telles que le
PECS, le Makaton, ou d’autres techniques utilisant les pictogrammes.
Indications de soins 221

Soins à temps plein


Le soin à temps plein est réservé aux cas d’enfants ou d’adolescents pré-
sentant des pathologies nécessitant une continuité des soins dans un envi-
ronnement sanitaire contenant. Tels sont les cas des enfants et adolescents
suicidaires, des bouffées délirantes aiguës, des troubles graves du comporte-
ment (addictions…), des schizophrénies débutantes, des anorexies… L’hos-
pitalisation à temps plein se réalise en milieu hospitalier, avec la présence
continue de soignants, notamment infirmiers et médecins, de façon à aider
l’enfant ou l’adolescent à retrouver les moyens psychiques de veiller lui-
même à sa continuité d’existence (Winnicott, 1969) et, le plus rapidement
possible, pouvoir diminuer l’intensivité de la prise en charge pour aller vers
une prise en charge ambulatoire.

Prescription médicamenteuse
La prescription médicamenteuse fait partie de l’arsenal du pédopsychiatre.
Mais la philosophie générale de la prescription chez les enfants est de ne pas
l’utiliser en première intention, sans avoir auparavant tenté les autres appro-
ches, ou les avoir au moins entrepris dans le même mouvement. En effet, les
effets thérapeutiques reconnus des médicaments psychotropes sont essen-
tiellement destinés à l’éradication du symptôme. Il va falloir juger des effets
attendus de la chimiothérapie en comparaison avec les inconvénients de sa
prescription. Par exemple, les effets du méthylphénidate sont maintenant
reconnus (AMM1 à partir de six ans) ; toutefois, sa prescription va notable-
ment modifier la vie quotidienne de l’enfant hyperactif, ce qui peut avoir des
conséquences en terme de qualité et de sens de la vie. C’est pourquoi, chaque
fois qu’une telle prescription intervient, elle doit être accompagnée d’un tra-
vail psychothérapique qui va permettre à l’enfant d’intégrer dans sa vie psy-
chique les nouveaux éléments qui résultent de la modification obtenue par le
médicament. L’exemple de la prescription de neuroleptiques pour des trou-
bles graves du comportement chez l’enfant autiste (angoisse majeure, auto-
mutilation, hyperagitation motrice…) est une deuxième circonstance dans
laquelle les effets attendus doivent être resitués dans un ensemble plus vaste
qui comprend toute la prise en charge. En effet, il y a lieu de ne prescrire ces
médicaments que sur une période limitée, sous peine de perdre l’efficacité
obtenue, ce qui a pour conséquences de penser l’ensemble de cette prise en
charge, y compris institutionnelle, en utilisant de façon cohérente chacun
des éléments de la thérapeutique. Toutes les classes de médicaments psycho-
tropes peuvent ainsi bénéficier d’une telle approche, ce qui offre l’avantage
de conjuguer les effets attendus du médicament sur le symptôme et le travail

1 Autorisation de mise sur le marché.


222 La consultation avec l’enfant

psychothérapique entrepris par l’enfant avec son thérapeute ou avec l’en-


semble de ceux qui le prennent en charge. Enfin, les recommandations de
bonnes pratiques confirment cette manière de prescrire, notamment chez
les adolescents, et donc a fortiori chez les enfants, puisqu’elles insistent sur
« l’intérêt en première intention de privilégier l’approche psychothérapique,
ou de toute façon à toujours associer cette approche à une éventuelle pres-
cription médicamenteuse » (Marcelli et Braconnier, 2008).
Par souci de rester concrets, nous allons envisager quelques situations
­ aradigmatiques dans lesquelles certains types de psychotrope peuvent
p
s’avérer souhaitables voire nécessaires.
Peuvent ainsi amener à prescrire un psychostimulant la situation d’ins-
tabilité psychomotrice ou hyperactivité avec ou sans déficit de l’attention,
ainsi que celles de dépression de l’enfant, de troubles graves du comporte-
ment et du trouble anxieux.

Instabilité psychomotrice ou hyperactivité


Avec (THADA) ou sans troubles de l’attention, elle se repère à l’instabilité
motrice et psychique et à quelques symptômes associés tels que l’angoisse
diffuse, l’agressivité, la labilité émotionnelle, le faible investissement du
langage et une certaine vulnérabilité sur le plan somatique. Dans ce cas,
la prescription de psychotropes peut être constituée de psychostimulants
de type méthylphénidate (Ritaline, Concerta). Mais si le syndrome THADA
requiert ce traitement, dans d’autres cas, l’instabilité pourra aboutir à l’in-
dication d’une psychothérapie (soit classique, soit en psychomotricité)
­accompagnée ou non d’une prescription de neuroleptiques à doses faibles
de type rispéridone. Enfin, il peut arriver qu’une prescription de clonidine
soit indiquée, mais c’est le méthylphénidate qui reste le plus employé.

Méthylphénidate sous sa forme habituelle : Ritaline


Généralités
Les données pharmacologiques montrent qu’il s’agit d’un stimulant du sys-
tème nerveux central augmentant la concentration de la dopamine et de la
noradrénaline dans la fente synaptique. L’AMM en France autorise la pres-
cription pour un trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité chez
l’enfant de plus de six ans, sans limite supérieure d’âge.

Action
Le pic plasmatique a lieu une à deux heures après la prise orale. Le délai
d’action apparaît entre vingt et soixante minutes après la prise, avec une
durée d’action de trois à six heures. Il a des effets spécifiques sur le déficit
­attentionnel, l’hyperactivité et l’impulsivité avec améliorations aux niveaux
moteur, social et cognitif.
Indications de soins 223

Posologie
La prescription de comprimés sécables de 10 mg se fait à la posologie de
0,3 à 1 mg/kg·j en trois prises jusqu’à 16 h environ. L’arrêt, possible, aux
vacances et aux week-ends est maintenant moins recommandé. Les ordon-
nances sécurisées, valables pour un an, doivent être rédigées par un spécia-
liste hospitalier (neurologue, psychiatre et pédiatre), et les renouvellements
tous les 28 jours peuvent être faits par un docteur en médecine.

Contre-indications
Les contre-indications sont : hypersensibilité au méthylphénidate, mani­
festations d’angoisse, manifestations psychotiques, affections cardio-
­vasculaires sévères, hyperthyroïdie, glaucome, grossesse, allaitement ou
jeune fille en âge de procréer, traitement par IMAO, antécédents personnels
ou familiaux d’abus de substances, antécédents personnels ou familiaux de
tics moteurs et de maladie de Gilles de la Tourette. La tolérance s’apprécie
au niveau neuropsychiatrique : irritabilité, troubles de l’endormissement,
­diminution de l’appétit, céphalées, somnolences, vertiges. La prescription
est possible chez l’enfant épileptique si le traitement antiépileptique est
bien équilibré.

Effets secondaires
Il existe quelques cas exceptionnels de psychoses toxiques avec hallucina-
tions, de dysphorie passagère, notamment des éléments dépressifs. Au plan
digestif, on retrouve douleurs abdominales, nausées, vomissements, séche-
resse de la bouche ; au plan cardiovasculaire, palpitations, variations de la
pression artérielle, tachycardies ; au plan cutané, prurit urticarien, érup-
tions, purpuras thrombopéniques rares ; au plan hématologique, throm-
bopénie, leucopénie, anémie. Un éventuel retentissement sur la croissance
peut être rattrapé : Pliska (2006), dans une étude sur les adultes traités
­pendant l’enfance par méthylphénidate, montre qu’il n’y a pas de diffé-
rence de croissance.

Sous la forme retard : Concerta LP (ou Ritaline LP)


C’est du méthylphénidate à libération prolongée. Il existe sous forme de
gélules à 18 mg, 36 mg et 54 mg. La posologie est d’un comprimé le matin
(une gélule de 18 mg par jour correspond à 5 mg × 3/j de méthylphénidate,
de 36 mg, à 10 mg × 3/j et de 54 mg à 15 mg × 3/j).

Dépression de l’enfant
Lorsque la symptomatologie dépressive est très importante avec ralentis-
sement psychomoteur, anorexie, insomnie, affects dépressifs et douleur
­morale intense, et bien sûr si le risque suicidaire est important, une pres-
cription d’antidépresseur peut être envisagée. Cette prescription se fait dans
224 La consultation avec l’enfant

le cadre d’une hospitalisation si nécessaire et le psychotrope prescrit est soit


un antidépresseur tricyclique soit un ISRS (inhibiteur sélectif de la recapture
de la sérotonine).

Tricycliques
Inhibiteurs de la recapture synaptique de la noradrénaline et de la séroto-
nine, l’Anafranil, le Tofranil, le Laroxyl et le Pertofran peuvent causer asthé-
nie, somnolence, sécheresse buccale, troubles de l’accommodation, consti-
pation et rétention urinaire, prise de poids, hypotension orthostatique, plus
rarement mouvements anormaux (tics, tremblements, incoordination),
cutanés (rash, photosensibilisation), virage de l’humeur, crises comitiales
par diminution du seuil épileptogène. Les troubles sévères sont dose-
­dépendants : confusion mentale, cardiotoxicité avec syndrome QT long,
voire mort par troubles du rythme cardiaque, état de mal épileptique,
­collapsus, arrêt respiratoire.
Avant la prescription, il convient de réaliser un examen clinique avec
mesure de taille, poids, pouls, pression artérielle, recherche d’atteinte car-
diaque chez l’enfant ou dans sa famille, un ECG et un bilan hépatique.
Éventuellement, un test de grossesse sera pratiqué en fonction de l’histoire
clinique.
L’AMM est accordée pour la Clomipramine (Anafranil) en dessous de
quinze ans pour l’énurésie : commencer par 10 mg/j et augmenter jusqu’à
0,5 à 1 mg/kg·j.
La posologie est de 25 mg jusqu’à 1 à 3 mg/kg·j en deux à trois prises.
Des dosages plasmatiques sont réalisés à J7 et à chaque changement de
dose. Taux plasmatiques efficaces entre 130 et 250 ng/ml pour l’imipra-
mine (Tofranil) et entre 80 200 ng/ml pour la clomipramine (Anafranil) et
l’amitryptiline (Laroxyl). Un ECG est réalisé tous les trois mois quand la
dose est stabilisée. Si PR est supérieur à 0,20 s, QRS à 0,12 s, QTc à 0,48 s, si le
pouls est supérieur à 100 ou 110 chez les enfants de moins de dix ans, et la
pression artérielle supérieure à 15/9,5, cela conduit à l’arrêt du traitement.

Isrs
Les plus connus sont la fluoxétine (Prozac), la fluvoxamine (Floxyfral), la
paroxétine (Zoloft) et le citalopram (Seropram). La demie-vie est de un à deux
jours. Il n’y a pas de corrélation entre la dose plasmatique et ­l’effet théra-
peutique. Le métabolisme est hépatique. Les signes d’intolérance sont à type
de nausées, dyspepsie, diarrhée, variations pondérales (diminution avec
la fluoxétine et augmentation avec la paroxétine), irritabilité, ­insomnie,
­sédation, impatience motrice, bouche sèche. Plus rarement, on retrouve des
virages de l’humeur, crises d’épilepsie, rash et syndrome ­amotivationnel, et
exceptionnellement un syndrome sérotoninergique avec agitation, ­troubles
Indications de soins 225

gastro-intestinaux, frissons, tremblements, quelquefois jusqu’à fièvre,


confusion, crises d’épilepsie et coma. Le bilan préthérapeutique consistera
en un examen clinique avec mesure du poids, de la taille, du pouls et de la
pression artérielle, bilan hépatique. L’AMM du Zoloft (Sertraline) est accor-
dée pour les TOC des enfants au-dessus de six ans : commencer par 25 mg/j
et augmenter progressivement jusqu’à 150 à 200 mg/j.

Troubles graves du comportement


Ils doivent être l’occasion d’un bilan étiologique à la recherche du type de
personnalité que révèle ce symptôme. Il s’agit soit d’un trouble psychopa-
thique, soit d’un trouble psychotique soit d’un trouble postcarentiel avec
dysharmonie évolutive. Dans tous les cas, il faudra approfondir les inves-
tigations cliniques de manière à faire le tour de la question diagnostique,
car la prescription de psychotropes dans ces cas peut ne pas suffire à faire
taire un symptôme par trop bruyant. Les anxiolytiques ou les neurolepti­
ques peuvent être prescrits en fonction des structures de personnalité
­retrouvées : les anxiolytiques pour les comportements psychopathiques et
postcarentiels, et les neuroleptiques pour les troubles psychotiques. Mais ce
sont souvent ces derniers qui peuvent être utilisés en clinique pédopsychia-
trique, à condition de ne pas le faire en première intention.

Neuroleptiques classiques
Ils sont représentés par les butyrophénones avec l’halopéridol (Haldol) à la
dose de 0,025 mg/kg·j à 0,5 mg/kg·j, et les phénothiazines avec notamment
la thioridazine (Melleril) à la dose de 0,5 mg/kg·j à 3 mg/kg·j.

Neuroleptiques atypiques
Outre la clozapine (Leponex), qui n’est pas prescrite chez l’enfant sauf excep-
tion, nous avons deux possibilités, la rispéridone (Risperdal) et l’olanzapine
(Zyprexa). Elles possèdent les mêmes caractéristiques que les neuroleptiques
classiques, mais avec moins d’effets secondaires pénibles. La rispéridone
se prescrit à la dose de 0,25 mg/j si le poids est inférieur à 50 kg et jusqu’à
2 mg/j s’il est supérieur à 50 kg. L’olanzapine se prescrit à la dose de 5 à
10 mg/j, jusqu’à 20 mg/j maximum.

Troubles anxieux
Avec les différents tableaux anxieux, obsessionnels, phobiques et de conver-
sions hystériques, ces troubles pourront faire l’objet d’une prescription de
psychotropes anxiolytiques ou antidépresseurs à condition que cette pres-
cription soit comprise comme un des éléments de la prise en charge psy-
chothérapique.
226 La consultation avec l’enfant

Antihistaminiques
C’est l’hydroxyzine (Atarax) qui est le plus utilisé. Ce dérivé de la pipéra-
zine possède des propriétés anticholinergiques (pouvant entraîner bouche
sèche, constipation, troubles visuels) et antihistaminiques. Il sera prescrit
à la dose de 1 mg/kg·j de trente mois à 15 ans, pour une durée légale de
douze semaines.

Articulations avec les autres aspects de la prise


en charge
Dans tous les cas, les enfants ou les adolescents restent membres de leurs
familles, élèves de leurs écoles, amis de leurs pairs, et finalement sujets en
relation dans toutes les autres occurrences possibles (même si la qualité
voire l’existence de la relation est le principal problème qui les amène à la
consultation). Il s’agit à chaque fois de penser le dispositif pour maintenir
les liens avec les personnes qui comptent pour eux. Les multiples rencon-
tres, réunions et autres formes de consultations ont pour mission de faire
tenir ensemble les éléments qui concourent à la prise en charge, soit du fait
d’une appartenance (famille, amis, culture…) soit du fait des professionnels
requis pour leurs fonctions spécifiques (thérapeutique, éducatif, pédagogie,
justice, social…). Il est impératif qu’une lecture polyphonique puisse en
être faite pour aider l’enfant et sa famille à en percevoir la cohérence et les
finalités. C’est ce que d’aucuns ont appelé la « psychothérapie institution-
nelle » sous sa forme actualisée. Ce filet institutionnel pourra faciliter la vie
psychique de l’enfant et la réalisation de ses projets subjectifs en appui sur
celui de ses parents.

Relation transférentielle, enfant et institution


Lors des consultations, la relation qui s’instaure est déterminante pour la
suite de la prise en charge. Mais on oublie souvent que le tissu de cette
relation a fait l’objet de nombreuses études, notamment de la part des psy-
chopathologues de formation psychanalytique, sous le vocable de « rela-
tion transférentielle ». Cette dernière constitue le fil rouge des rencontres
inaugurées par la première consultation et peut se poursuivre quelquefois
des années durant. Aussi est-il intéressant de considérer la relation transfé-
rentielle non seulement dans son aspect classique, telle qu’elle a été définie
par les psychanalystes d’enfants, mais également étendue à d’autres aspects
qui concernent les enfants nécessitant des soins pédopsychiatriques plus
intensifs, et pour lesquels il y a lieu d’étendre les limites du concept à ses
nouveaux objets, notamment aux institutions.
Indications de soins 227

Freud, en inventant la psychanalyse, met le sujet au centre des préoccu-


pations des thérapeutes, même s’il montre que, justement, le « moi » est en
quelque sorte surdéterminé par d’autres instances, notamment par « l’in-
conscient ». Découvrant le transfert, loin de le considérer uniquement comme
la mise en acte des résistances inconscientes – « Wo es war » (« Là où Ça
fût ») –, il en fait un levier thérapeutique2 très puissant sur lequel appuyer le
« soll Ich werden » (« je dois advenir »). Le transfert – ainsi défini par Laplanche
et Pontalis (1990, p. 492) : « processus par lequel les désirs inconscients
s’actualisent sur certains objets dans le cadre d’un certain type de relation
établi avec eux et éminemment dans le cadre de la relation analytique »
sous la forme de « répétition de prototypes infantiles vécue avec un senti-
ment d’actualité marqué » – est depuis les découvertes freudiennes à la base
de toute relation psychothérapique. Mais Freud, préoccupé de névrosés, va
développer avec et pour eux à la fois une technique thérapeutique et une
tentative systématique de compréhension de la psyché humaine. Il ne va
pas développer d’une façon spécifique l’étude du transfert chez l’enfant,
bien qu’il nous ait laissé quelques textes très féconds sur cette question,
notamment l’histoire du petit Hans (Freud, 1909).

Le petit Hans
Hans est le fils de deux élèves de Freud. Il va développer une phobie des ani-
maux qui va peu à peu lui faire redouter de sortir de chez lui dans la crainte de
rencontrer des chevaux et de se faire mordre par eux. Freud met en évidence le
rôle du conflit d’ambivalence qui s’y déploie, car l’enfant nourrit des sentiments
tendres pour sa mère tout en éprouvant de l’hostilité et de l’amour pour son
père. L’amour et la haine sont tous deux dirigés vers la même personne, et le
symptôme produit par Hans peut être compris comme un compromis entre ces
tendances opposées, et la phobie comme une tentative pour résoudre ce conflit
d’ambivalence.
L’enfant a le choix entre pérenniser ce conflit et fonctionner sur le mode du
clivage ou accepter ces sentiments contradictoires vis-à-vis de ses parents, et
évoluer vers la position dépressive. L’hostilité à l’égard de son père fait craindre
à Hans que celle-ci ne se retourne contre lui, et cela déclenche en partie une
angoisse désignée par Freud comme « angoisse de castration ». Pour maintenir
son unité narcissique, le Moi de Hans, par un refoulement dû à cette angoisse,
déplace par projection sa crainte de l’agressivité paternelle sur un cheval, consti-
tuant sa phobie infantile, expression renversée en son contraire d’un désir de
mort envers le père. La phobie de Hans découvre une des composantes du
­complexe ­d’Œdipe, l’angoisse de castration, étape décisive dans le développe-
ment libidinal de ­l’enfant, puisqu’il est ainsi confronté à la différence des sexes,
privilège du stade phallique (Freud) ou de la castration primaire (Dolto). Si la phobie x

2 « Vous connaissez tous en effet le mécanisme, de beaucoup plus énergique, qui consiste
à utiliser le transfert. » S. Freud 1910, p. 64.
228 La consultation avec l’enfant

x est un symptôme de névrose infantile, elle permet aussi une transformation de


l’angoisse qui aboutit à la symbolisation et à la sublimation. Freud, en recevant
le père de Hans, conduira en quelque sorte une psychothérapie par personne
interposée, et ouvrira la porte des psychothérapies d’enfants à ses successeurs.

Cependant, en visionnaire capable d’anticiper sur les extensions possibles


du champ de la psychanalyse, il prononce une conférence au Ve congrès
­international psychanalytique à Budapest en septembre 1918, dans laquelle
il se livre à la conjecture suivante : « Pour conclure, je tiens à examiner une
situation qui appartient au domaine de l’avenir et que nombre d’entre vous
considéreront comme fantaisiste mais qui, à mon avis, mérite que nos
­esprits s’y préparent. […] À ce moment-là on édifiera des établissements, des
cliniques, ayant à leur tête des médecins psychanalystes qualifiés et où l’on
s’efforcera, à l’aide de l’analyse, de conserver leur résistance et leur activité
à des hommes, qui sans cela, s’adonneraient à la boisson, à des femmes qui
succombent sous le poids des frustrations, à des enfants qui n’ont le choix
qu’entre la dépravation et la névrose3. […] Nous nous verrons alors obligés
d’adapter notre technique à ces conditions nouvelles. […] Tout porte
à croire que, vu l’application massive de notre thérapeutique, nous serons
obligés de mêler à l’or pur de l’analyse une quantité considérable du plomb
de la suggestion directe. » (Freud, 1975, p. 140-141.)
Il apparaît aujourd’hui important de resituer, à propos des enfants, la pro-
blématique des institutions dans cette perspective en tenant le plus grand
compte de ce sage conseil de Freud au soir de la Première Guerre mondiale.
En effet, la consultation prend place le plus souvent dans un travail d’équipe,
et, à ce titre, appartient à une institution, celle qui sera créée pour ­chaque
enfant concerné. Or, sur le plan institutionnel, depuis longtemps déjà,
­divers auteurs, et non des moindres, ont pris ces éléments au sérieux et en
ont radicalement transformé leurs pratiques. On peut retenir les travaux du
XIIIe arrondissement de Paris avec P.-C. Racamier, Ph. Paumelle, R. ­Diatkine,
S. Lebovici (Racamier et al., 1983), et ceux de F. Tosquelles (1965) au Clos du
Nid en Lozère. Ces « équipes » ont, chacune à leur manière, réussi à révo-
lutionner la psychiatrie de telle sorte qu’elle importe les concepts freudiens
au service de l’enfant. Il ne faut pas oublier que la psychiatrie de secteur est
la formalisation que ces pionniers ont proposée pour permettre une psy-
chiatrie articulée autour de la notion de continuité des soins, condition
organisationnelle de la prise en compte de la relation transférentielle dans
la durée. Ces conditions nouvelles concernent l’accueil de toute souffrance
psychiatrique, notamment celle des enfants, à condition de bâtir, dans cette
perspective, une psychopathologie adéquate. Si les enfants peuvent habi-
tuellement bénéficier d’une prise en charge psychothérapique classique,

3 Souligné par l’auteur.


Indications de soins 229

les petits patients touchés par les pathologies graves ont, eux, besoin des
« conditions nouvelles » d’une institution, au sens prescrit par Tosquelles
(1984)4, pour les accueillir. Or nous savons par expérience que plus les
­pathologies sont graves plus les institutions à inventer avec ces patients
seront « lourdes », car ce sont eux qui ont le plus besoin d’un portage au
moins psychique (la fonction phorique5). La qualité du phénomène trans-
férentiel en jeu entre un enfant et ceux qui vont s’engager avec lui dans
une relation psychothérapique au long cours, par exemple dans le cas d’un
­enfant autiste, passe par le partage des expériences d’angoisses archaïques, au
cours desquelles l’enfant éprouve la solidité de la fonction contenante des
soignants. Des précautions sont alors nécessaires, et l’histoire nous a montré
que sans elles, des difficultés pouvaient surgir, quelquefois très rapidement.
C’est pourquoi plusieurs psychanalystes ont décidé de réfléchir à la spéci-
ficité du transfert chez les enfants. De très nombreux travaux ont été écrits
à ce sujet, parmi lesquels ceux de Melanie Klein et d’Anna Freud, notam-
ment, sont fondateurs de pratiques psychothérapiques à leur service. Nous
passerons sur les conflits, notamment sur les « controverses de Londres »
(King & Steiner, 1996), qui en ont émaillé la mise en place. Il en a résulté
une nouvelle manière d’envisager la prise en charge psychothérapique des
enfants, puis de ceux atteints de graves troubles mentaux. Houzel résume
aujourd’hui les étapes de ces traitements à propos des enfants autistes :
« transfert sur le contenant, transfert infantile, névrose de transfert, fin de
la cure » (Houzel, 2000, p. 743). Nous avons vu que le transfert sur la fonc-
tion contenante ne peut se conduire dans la plupart des cas graves que dans
un cadre institutionnel. Et c’est dans ce cadre que le dispositif de la « cons-
tellation transférentielle » trouvera sa nécessité opératoire. Nous voudrions
insister sur le fait que plus encore que les espaces dans lesquels les enfants
sont accueillis pour leurs soins, ce sont les personnes qui constituent le
véritable cadre humain et vivant de leurs investissements. Et même si dans
certaines pathologies comme l’autisme infantile, des objets matériels peu-
vent les remplacer, tels les objets autistiques, la reprise des éléments contre-
transférentiels ne peut se faire qu’avec les soignants, sous la forme de réu-
nions, dans lesquelles le contre-transfert de chaque soignant pourra être
travaillé. Par exemple, dans un service de pédopsychiatrie, un enfant autiste

4 Dans l’acception de Tosquelles, l’institution ne doit pas être confondue avec l’établis-
sement. L’établissement est ce qui est créé par la loi, relayée par l’État, pour parvenir à des
objectifs concernant ses citoyens : l’hôpital, le lycée, sont des établissements de santé,
d’éducation, tandis que les groupes humains qui vont les faire fonctionner constituent
autant d’institutions au service de leurs utilisateurs.
5 La fonction phorique, dont le concept a été tiré par Robelet du Roi des aulnes de Michel
Tournier (1970), permet de situer le niveau auquel se situe le soin dans des pathologies
archaïques faisant appel à une prise en « charge » importante. Il s’agit de porter le patient
sur nos « épaules psychiques » jusqu’à ce qu’il puisse se porter lui-même. Cf. Delion 2000.
230 La consultation avec l’enfant

va déployer ses investissements d’une façon multiréférentielle, en adressant


à chacun de ses partenaires de la vie quotidienne un ou des éléments qui en
figurent l’existence. Traiter ces éléments comme s’il s’agissait d’un enfant
ayant mis en place ce que l’on nomme habituellement « la relation d’ob-
jet » relèverait de la pure fiction. L’idée de la constellation transférentielle
consiste à réunir les différentes personnes « en liens » avec l’enfant pour
dépasser les clivages institutionnels en partageant les contre-transferts dif-
férents de chaque soignant, et en modifiant ainsi les attitudes avec lui lors
des rencontres ultérieures. Stanton et Schwarz, cités par Racamier (Racamier
et al., 1983), ont amplement démontré ce phénomène. La question des ins-
titutions ne se résume pas à la seule présence d’un psychanalyste en son
sein, mais bien davantage à la manière dont les membres du « collectif »
(Oury, 1986) vont pouvoir s’approprier les contenus de la compréhension
de la psychopathologie d’une vie quotidienne partagée au moins à temps
partiel. Dans ce cas, l’équipe soignante pourra s’orienter vers une organisa-
tion de son travail qui facilite les processus transféro-contre-transférentiels
(ou mieux de « double transfert » selon Salomon Resnik, 1999) et donc leur
prise en compte dans le cadre des constellations transférentielles. Il peut
arriver que ce soit par le fragile investissement d’une femme de ménage
qui fabrique des gâteaux à l’atelier pâtisserie qu’un contact puisse être ins-
titué avec un enfant psychotique en proie à la persécution ; ne pas en tenir
compte dans la stratégie thérapeutique serait dommageable pour l’enfant,
de même que le fait d’en déduire que cette femme est psychanalyste serait
erroné. Pourtant, dans la fonction psychothérapique de cette constellation
transférentielle, cette personne en lien avec cet enfant a eu une importance
notable pour engager un processus de rencontre.
Ces réflexions viennent ponctuer la présentation de la consultation en
pédopsychiatrie, pour marquer son rapport étroit avec les soins de l’enfant,
et les forces pulsionnelles qui en constituent l’énergie agissante dans le pro-
cessus thérapeutique.

Références
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­parcours de recherche. Ramonville : Erès.
Chassagny, C. (1977). Pédagogie relationnelle du langage. Paris : PUF.
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In Œuvres complètes, IX, trad. R. Lainé, et al. Paris ; PUF.
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complètes, X. Paris : PUF.
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Indications de soins 231

Houzel, D. (2000). Transfert. In Dictionnaire de psychopathologie de l’enfant et de l’ado-


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1945. Paris : PUF.
Laplanche, J., & Pontalis, J.-B. (1990). Vocabulaire de psychanalyse. Paris : PUF.
Marcelli, D., & Braconnier, A. (2008). Adolescence et psychopathologie. Paris : Masson.
Oury, J. (1986). Le Collectif. Paris : Scarabée.
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Tosquelles, F. (1965). Introduction au problème du transfert en psychothérapie insti-
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Tournier, M. (1970/1996). Le Roi des aulnes. Paris : Gallimard.
Widlöcher, D. (2003). Le Psychodrame chez l’enfant. Paris : PUF.
Winnicott, D. W. (1969). L’angoisse liée à l’insécurité. In De la pédiatrie à la psychana-
lyse, trad. J. Kalmanovitch. Paris : Payot.
9 Autres formes
de consultation

Consultation thérapeutique
Définition
La consultation thérapeutique est un dispositif proposé par Winnicott (1971)
lorsque les parents instaurent d’emblée une confiance avec le consultant et de
ce fait autorisent leur enfant à travailler avec lui, ce qui lui permet d’établir
une communication à partir de laquelle les changements intervenus dans le
comportement problématique de l’enfant viendront renforcer la confiance
des parents dans la démarche entreprise. Dans la plupart des cas, ce mode
de consultation est bénéfique pour l’enfant, mais lorsque celui-ci présente
des symptômes surdéterminés par plusieurs ordres de problèmes, ou lorsque
son milieu familial reste dans un fonctionnement « anormal », ou que les
facteurs sociaux bloquent toute possibilité d’évolution favorable, il y aura
­nécessité d’entreprendre une thérapeutique plus intensive. Si, pour ­Winnicott,
ces consultations thérapeutiques ont un intérêt, c’est aussi de permettre à
l’enfant de laisser venir en lui, pour pouvoir les exprimer plus facilement,
les raisons qui l’ont conduit chez le pédopsychiatre. Et ce dernier doit avant
tout rechercher à ouvrir cette possibilité chez l’enfant et éventuellement chez
ses parents. Afin de faciliter l’apparition de cette dimension chez l’enfant, il a
conçu une sorte de jeu, le « squiggle », qui peut y aider. « Il commençait par
tracer un “squiggle” (gribouillis) sur une feuille de papier, puis il demandait à
l’enfant d’ajouter quelque chose. Au cours du premier entretien, Winnicott et
l’enfant dessinaient chacun tour à tour quelque chose en réponse au squiggle
de l’autre. De cette manière, les squiggles en arrivaient parfois à former des des-
sins. Cela faisait en général une trentaine de dessins par entretien. Pour Win-
nicott, le “squiggle game” n’était pas seulement un instrument de diagnostic,
mais il était aussi ce qu’il a appelé une consultation thérapeutique. » (Abram,
2001, p. 347.) Lebovici (1983), poussant plus loin le concept winnicottien,
propose des consultations thérapeutiques centrées sur un symptôme résis-
tant aux démarches thérapeutiques classiques. Prenant dans ces cas le temps
nécessaire, utilisant ses grandes capacités empathiques et « enactantes1 », il

1 Enaction : Pour F. Varela, « la cognition est d’abord incarnée » (Varela 1999) avant toute
représentation. Dans la relation avec un patient, ce mécanisme appartient au contre-­transfert
corporopsychique. « Serge Lebovici fait de l’enaction le ressort principal des processus de chan-
gement dans ses consultations thérapeutiques, en soulignant son caractère inconscient et
donc la nécessité, pour l’utiliser, d’une solide formation au commerce avec l’inconscient, ceci
dans le “cadre bien tempéré” (J.-L. Donnet) de la cure psychanalytique. » (Varela 2001).

La consultation avec l’enfant


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234 La consultation avec l’enfant

mène la consultation thérapeutique jusqu’à la « découverte » des ressorts


­essentiels qui demeuraient cachés, partageant alors avec les parents et le bébé
ces fameux « moments sacrés », mélanges de compréhension, de détente et de
dénouement concluant un travail d’approfondissement. Ses écrits (Lebovici,
1999) et les témoignages laissés dans les enregistrements de ses consultations
thérapeutiques montrent à quel point ce mode de consultation renouvelle les
pratiques antérieures et correspond à nombre de situations qui pourraient en
bénéficier plus avant.
Le concept de consultation thérapeutique insiste sur les effets de transfor-
mation attendus de telles consultations, et l’expérience de très nombreux
collègues pédopsychiatres et psychologues permet d’en témoigner pour
leurs consultations, dès l’instant où elles s’inscrivent dans une continuité.
Cette temporalité particulière peut porter sur quelques consultations ou sur
une période beaucoup plus longue.

Micheline, cinq mois


Cinq consultations thérapeutiques avec Micheline et sa mère
Micheline est un bébé de cinq mois qui m’est amené pour un trouble du sommeil
rebelle sur les conseils de son pédiatre. Elle pleure depuis la naissance, et sa
­maman « veut la vendre ». Elle a fait plusieurs épisodes infectieux ORL et, comme
elle régurgite de plus en plus, le pédiatre évoque sans trop y croire la possibilité
d’un reflux gastro-oesophagien responsable de manifestations douloureuses et
des manifestations ORL. Il l’a donc mis sous traitement antireflux. Elle régurgite
moins mais pleure de plus en plus. Le pédiatre m’écrit que « comme au cours
de mes consultations, lorsque je la prends dans mes bras elle se calme instanta-
nément, je me demande s’il n’y a pas une souffrance psychologique dans cette
situation ».
À la première consultation, Micheline va être mise sur le tapis par sa maman
avec un regard vengeur et une brutalité liés à sa fatigue extrême. Micheline va
pleurer tout le début de la consultation, et sa maman ne va pas tenter de la
consoler jusqu’à ce que l’entretien mette en évidence que son mari, fils d’une
mère schizophrène, rassuré d’avoir un premier enfant garçon, était extrêmement
angoissé d’avoir une fille car il pensait qu’elle risquait de devenir comme sa mère
schizophrène ; de plus, il est actuellement au chômage ; la maman de Micheline,
inquiète de voir son mari décompenser, prenait sur elle toute la charge affective,
positive mais surtout négative, concernant sa fille pour en protéger son mari. Là,
elle se met à pleurer elle-même, et Micheline arrête de le faire. Sa maman prend
sa fille dans ses bras et après quelques instants de silence, évoque sa difficulté à
avoir des enfants, ses nombreuses fausses couches ; après son premier enfant,
elle refuse d’en faire un autre, mais, dit-elle, « deux jours après la mort de mon
chien, je me retrouve enceinte ». Comme il avait été très difficile de se séparer de
son premier enfant, elle a mis Micheline à la crèche à deux mois. Elle se souvient
avoir pensé que les troubles du sommeil s’étaient intensifiés à cette époque. La x
Autres formes de consultation 235

x fin de la consultation se passe avec un très bon échange entre cette maman et
son bébé.
Pendant cette consultation, outre l’observation fine, si possible, de ce à quoi je
suis invité à partager, j’utilise ce que je ressens dans le transfert pour ­comprendre
les partenaires de la situation ; je passe par une période pendant laquelle je
m’identifie au bébé et vis d’une manière très désagréable la relation qu’elle
­entretient avec lui ; puis, au fur et à mesure que la maman associe des éléments
de son histoire familiale aux raisons pour lesquelles elle est venue me trouver, je
me détends avec le bébé et suis très ému quand la maman se met à pleurer et
que Micheline s’arrête de le faire. Je commente sobrement ce que j’observe et
propose progressivement à la maman de chercher avec moi des hypothèses de
travail pour comprendre ce qui se passe.
Lors de la deuxième consultation, la maman arrive et dit que son mari va mieux,
qu’il a repris le travail, et que depuis, Micheline est moins grognon. Elle est sur
le matelas avec un jouet Duplo, souriante et avec un bon tonus. La maman
dit : « est-ce qu’elle risque de s’étouffer si elle se retourne ? » ; nous parlons
de la mort subite d’un enfant de ses amis et des angoisses que ça lui a fait à
elle quand c’est arrivé. Micheline recommence à pleurer pendant cet échange
et jette le jouet que sa maman lui a donné ; la maman lui redonne ; Micheline
le rejette et pleure à nouveau. La maman met sa fille dans le relax et la regarde
en lui caressant les cheveux ; elle dit : « Mon mari s’en est occupé et elle avait
l’air contente de son papa. » Micheline la regarde parler et sourit ; la maman
dit : « son papa est beaucoup moins à la maison… c’est plutôt mieux parce que
quand il est là, il m’embête ! », et elle rit. Micheline joue avec les doigts de sa
maman et avec ses bagues. La maman dit : « Je trouve qu’elle est encore socia-
ble. » Je dis « encore ? » ; elle me répond : je voulais dire « déjà ».
Ce jour-là, les choses se sont un peu arrangées, mais les thèmes de la mort et de
la dépression émergent un peu avec l’allusion à la MSN (mort subite du nourris-
son) et le lapsus encore/déjà, et ceux de la problématique conjugale avec la satis-
faction qu’il ait repris le travail, bien sûr, mais surtout qu’il ait dégagé la piste !
À la troisième consultation, Micheline a eu de nouveau des troubles du sommeil
et pleuré. « On m’aurait dit : je te la prends, je l’aurais donnée ; je suis prête
à aller chez un magnétiseur ; si ça continue j’ai peur de ma réaction [elle sait
que son pédiatre peut l’hospitaliser au cas où] ; en plus quand c’est comme ça,
Micheline renvoie ses repas ; et puis la nuit, quand je me lève elle a son petit
air victorieux. » Il apparaît que Micheline est prise dans une situation soit d’être
joyeuse, contente et sa maman pense qu’elle se fait manipuler, soit de pleurer
et sa maman ne peut le supporter si bien qu’elle la prend aussitôt dans ses bras
dans lesquels elle la serre fort, sans même attendre un peu de savoir ce qu’elle
veut.
Pendant la consultation, nous arrivons à élaborer cela en utilisant le relax comme
transition entre les deux positions, et la maman nous quitte en se souvenant que
son fils aîné avait un doudou le soir pour s’endormir, mais pas Micheline.
Quatrième consultation : « ça va mieux, elle a une otite ! Et puis je me sers
davantage de son relax, comme ça je peux lui demander pourquoi elle pleure et
c’est comme si elle était intéressée par la conversation. » La maman peut dire x
236 La consultation avec l’enfant

x sans trop d’angoisse : « Maintenant, je peux la laisser un peu pleurer sans me


précipiter. Et en plus, je vous ai pas dit, elle cherche le chien. J’ai repensé à ce
que je vous ai dit à la première consultation que j’avais été enceinte deux jours
après la mort de mon chien, mais c’est comme si je ne pouvais pas rester toute
seule. »
Cinquième consultation : « Tout va très bien ; j’ai l’impression que c’est plus le
même bébé ; je pense qu’elle devait sentir mon agressivité ; au début j’avais des
peurs qu’il lui arrive quelque chose, et puis après je lui en voulais ; pauvre petite
mère, je croyais qu’elle le faisait exprès. » Elle associe avec : « mon mari, il a eu
une enfance difficile, à cause de sa mère, il a vécu un peu avec son père et puis
il a eu des quantités de nourrices, elle pouvait pas s’en occuper sa mère avec sa
maladie ; un jour elle a pris mon fils aîné dans ses bras et elle l’a serré tellement
fort, j’ai cru qu’il allait étouffer [je repense à la manière dont elle serrait fort
­Micheline quand elle pleurait la nuit] ; il a pleuré comme jamais ; son père il le
voit plus parce qu’il voulait pas qu’il m’épouse. »
Micheline joue tranquillement sur le tapis avec un jouet que sa maman a ap-
porté : un petit chien en peluche.
Nous assistons là à une prise de recul de cette maman par rapport aux nombreux
problèmes familiaux et personnels plus ou moins refoulés qui l’étouffaient ; l’es-
pace transitionnel de Micheline semble en voie de constitution.
Sixième et dernière consultation : « ça va très bien maintenant, maman m’a dit
que j’étais comme elle quand j’étais petite, je pleurais tout le temps, mais heu-
reusement, elle avait un bon médecin ; c’est comme moi… [je me dis : suis-je
un bon médecin ?] heureusement que j’ai un bon… pédiatre ! [Pan, 1 à 0 ! eh
bien, c’est qu’elle commence à se réapproprier le travail qu’on a fait ensem-
ble !] » Pendant ce temps, Micheline joue avec les clés de sa maman, les met
dans sa bouche, puis met son pouce dans sa bouche, ce que je ne l’avais pas
vu faire jusque-là ; la maman dit : « Oh, mais c’est la première fois que tu mets
ton pouce dans ta bouche ! tu attendais d’avoir tes premières dents ! » Après
avoir repris ensemble le chemin parcouru depuis notre première consultation, je
lui propose d’en rester là, sauf si quelque chose nécessitant une nouvelle consul-
tation survenait.
La durée entre la première et la cinquième consultation a été de deux mois.

Consultation conjointe
Une consultation conjointe est une consultation effectuée simultanément
par deux médecins avec un objectif inhabituel, celui de procéder à l’examen
clinique de l’enfant, en présence de ses parents, avec deux points de vue spé-
cialisés différents mais complémentaires. Cette manière de faire vient d’une
pratique relativement récente qui consiste à rendre rapidement lisible pour
l’enfant et ses parents l’articulation nécessaire des approches dans certaines
pathologies. Il est désormais admis qu’il faut donner aux parents les éléments
de diagnostic et leur proposer la prise en charge afin d’en faciliter la mise en
Autres formes de consultation 237

place dans de bonnes conditions de faisabilité. C’est ainsi qu’un très jeune
enfant à risque autistique présentant les signes d’une phacomatose ou d’une
épilepsie complexe peut bénéficier de ce dispositif lorsque la consultation
pédopsychiatrique ne permet pas d’explorer suffisamment les aspects orga-
niques. Plutôt que de demander son avis au neuropédiatre dans un second
temps, il peut être opportun de proposer d’emblée une consultation conjoin-
te qui permettra aux parents et à leur enfant de bénéficier d’un dialogue en
direct avec les deux spécialistes. Nous allons voir que cet exemple peut laisser
la place à beaucoup d’autres, tels que le pédiatre, le généticien, l’obstétricien,
le médecin de PMI ou le généraliste. Dans chaque cas, il importe de penser
l’intérêt d’un tel dispositif pour l’enfant et ses parents, mais aussi pour
­l’équipe ou les équipes qui le prendront en charge ultérieurement.

Avec le pédiatre, le médecin de PMI, le généraliste


Avec le pédiatre
Par exemple lors d’une dépression post partum au cours de laquelle le pédia-
tre souhaite adresser la maman du bébé qu’il suit vers un pédopsychiatre
(Lienhardt et al., 2009), mais n’arrive pas à le faire en raison de sentiments
de persécution de la mère, ou d’une banalisation des troubles qui pourrait
aboutir à une absence de prise en charge spécifique préjudiciable à l’évolu-
tion favorable.

Avec le médecin de PMI


Dans le cas d’un trouble développemental requérant un avis du pédo­
psychiatre, le médecin de PMI souhaite consulter avec lui pour faciliter le
diagnostic, l’orientation et la prise en charge en raison de la situation par-
ticulièrement problématique sur les plans psychopathologiques et sociaux.
La consultation conjointe a alors la fonction de permettre des passages de
relais dans de meilleures conditions eu égard à la singularité de l’histoire
clinique et du contexte. Dans d’autres cas, la discussion diagnostique peut
aussi aider à distinguer un état dépressif du bébé de problématiques caren-
tielles plus complexes, et donc à entreprendre la prise en charge de ce bébé
en fonction de la meilleure connaissance de la psychopathologie consécu-
tive à cette consultation conjointe.

Avec le médecin généraliste


Elle peut être utile par exemple dans le cas d’un adolescent qui ne souhaite
pas rencontrer un psychiatre, mais qui a pourtant besoin de l’avis de ce
spécialiste, soit au cours d’une crise aiguë avec troubles du comportement
et angoisse, agressivité (soit auto-agressivité, soit hétéro-agressivité), soit au
cours d’un moment crucial dans une pathologie au plus long cours (dépres-
sion suicidaire ou troubles des conduites alimentaires).
238 La consultation avec l’enfant

Avec les autres spécialistes : neuropédiatre,


généticien, gynéco-obstétricien, néonatalogue
Avec le neuropédiatre
Les pédopsychiatres et leurs équipes, ainsi que leurs partenaires, savent
qu’au-delà du strict problème des étiologies des maladies qui leur sont
adressées, tout enfant est une complexe articulation entre corps et psyché,
dont le développement ne peut être pensé sans en envisager les méca­
nismes et les avatars, et que leurs interventions sont souvent proposées, si
nécessaire, pour diminuer le plus possible la souffrance psychique qui en
résulte. Il ne s’agit donc plus de choisir son camp entre la psychopatho-
logie et les neurosciences, mais bien d’en articuler les niveaux opératoires
respectifs pour mieux les utiliser dans le champ de la pédopsychiatrie. Cha-
cun des acteurs des neurosciences a permis d’engranger de grands progrès
pour mieux apercevoir et comprendre les phénomènes qui président au
développement de l’enfant. Mais chacun des acteurs de la psychopatho­
logie a également accompli des avancées pour mieux prendre en charge la
souffrance psychique de ces enfants touchés par ces grandes pathologies.
Pourquoi ne pas penser ensemble les liens entre les savoirs et les expé-
riences accumulés depuis tant d’années ? Pourquoi certaines expériences
seraient-elles plus valorisées que d’autres sous le seul prétexte de leur dé-
montrabilité ou de leur évaluabilité ? Comme le rappelait fort opportuné-
ment Maria Rhode dans un article du Lancet (Spinney, 2007) : un soin peut
être efficace sans avoir encore été évalué. Et c’est même parce qu’il l’est
qu’une évaluation va en être entreprise. Et inversement, ce n’est pas parce
qu’un soin a été évalué que la question de son efficacité est définitivement
résolue.
Mais pour montrer comment les pistes de recherches psychopathologi-
ques et neuroscientifiques peuvent se corréler entre elles sans pour autant
les hiérarchiser de façon simplificatrice, il peut être utile de citer E. Kandel :
« On me demande souvent : “qu’avez-vous tiré de votre formation en psy-
chiatrie ? A-t-elle été profitable pour votre carrière de neuroscientifique ?”
[…] De telles questions ne cessent de m’étonner, tellement il est évident à
mes yeux que ma formation en psychiatrie et mon intérêt pour la psycha-
nalyse sont au cœur même de ma réflexion scientifique. Elles m’ont ouvert
des horizons sur le comportement qui ont influencé presque tous les aspects
de mes travaux. Si j’avais laissé tomber mon internat et étais parti plus tôt
pour la France pour intégrer un laboratoire de biologie moléculaire, j’aurais
pu tout de suite entamer ma carrière en travaillant sur la biologie molécu-
laire de la régulation des gènes dans le cerveau. Mais les idées se rapportant
à l’esprit qui ont servi de clé de voûte à mes travaux et alimenté mon intérêt
pour la mémoire consciente et inconsciente, je les dois aux perspectives que
m’ont dégagées la psychiatrie et la psychanalyse. Ainsi, ma carrière initiale
Autres formes de consultation 239

d’aspirant psychanalyste n’a pas vraiment constitué un détour, mais bien


au contraire a servi, sur le plan de l’éducation, de fondations à tout ce que
j’ai pu accomplir par la suite. » (Kandel, 2007.)
Voilà une position qui semble utile à rappeler en liminaire de la présenta-
tion d’une consultation conjointe entre neuropédiatre et ­pédopsychiatre. La
notion de complémentarité est ici essentielle. De plus, dans une ­approche
concernant plus spécifiquement psychanalyse et neurosciences qui peut
être transposée pour partie à la pédopsychiatrie, Daniel Widlöcher (2009)
nous propose de ne pas confondre deux plans différents : d’une part, celui
résultant des données et des constructions théoriques issues de la psycha-
nalyse face à celles des neurosciences et d’autre part, celui qui existe entre
les neurosciences et la pratique clinique psychanalytique, en distinguant
suivant la perspective freudienne les niveaux théoriques et thérapeutiques
de la psychanalyse. Pour cette dernière distinction, c’est plutôt par le biais
de ce que peut apporter à la pratique psychanalytique la connaissance du
fonctionnement cérébral que cette approche l’intéresse. Pour continuer à
penser le lien entre ces deux disciplines, les consultations conjointes de
pédopsychiatres avec les neuropédiatres sont très opérantes. Par exemple,
dans les cas de bilans de dépistage précoce des risques autistiques, ou dans
celui des instabilités psychomotrices, on pourra d’abord accueillir ensemble
l’enfant et ses parents pour une rencontre interhumaine, puis accompagner
le neuropédiatre dans la réalisation de ses approches spécifiques, et combien
nécessaires, cliniques et paracliniques « selon l’état actuel de la ­science »,
comme dit la formule consacrée, et après cela prendre le relais en tant
que pédopsychiatre de référence psychodynamique pour la prise en charge,
une fois et une fois seulement que le « reste » du bilan a été effectué selon
les standards reconnus. On peut constater une bien moindre résistance à la
prise en charge pédopsychiatrique (y compris psychothérapique) lorsque ce
travail préliminaire a été fait.
Pour la première distinction par contre, celle qui résulte de la psycha-
nalyse comme théorie à articuler ou non avec les neurosciences, Daniel
Widlöcher propose parmi beaucoup d’autres choses très importantes le
principe de compatibilité, en constatant que lorsqu’une théorie perd tout
contact avec les autres théories scientifiques, elle se trouve dès lors en
grande difficulté. En effet, ce qui est intéressant dans cette problématique,
c’est justement le fait de pouvoir comprendre et envisager dans des pers-
pectives « d’ensembles à inventer » demain, la continuité, ou la discon-
tinuité, d’éléments qui appartiennent aujourd’hui à des sous-ensembles
différents.
Les troubles présentés par l’enfant sont de divers ordres, mais peuvent être
regroupés sous les grandes rubriques suivantes : les troubles du développe-
ment, les troubles de personnalité et autres syndromes ­pédopsychiatriques
240 La consultation avec l’enfant

avec co-morbidité, et les avis diagnostiques comportant une demande de


bilan prescrite par le neuropédiatre.
Les troubles du développement sont intéressants à étudier ensemble dans
la mesure où il arrive fréquemment que le pédopsychiatre évoque l’origine
organique dans les causes de ce trouble du développement. Il est alors utile
de participer avec le neuropédiatre pendant la consultation à la progres-
sion de l’examen qu’il réalise et de comprendre avec les parents de l’enfant
examiné les raisons qui vont présider à la demande d’un bilan complémen-
taire. C’est ainsi qu’il semble plus judicieux de laisser au neuropédiatre la
liberté de demander une IRM ou un autre examen qui relève directement
de sa compétence et pour lequel les questions que se posent les parents
pourront ainsi trouver les réponses pertinentes.
Les troubles de la personnalité avec co-morbidité peuvent relever de plu-
sieurs catégories diagnostiques : les TED, les dysharmonies évolutives, les
schizophrénies infantiles. Dans ces cas, il est toujours utile que l’enfant
autiste puisse avoir un bilan neuropédiatrique tel que c’est d’ailleurs
­désormais recommandé (cf. chapitre consacré à l’annonce diagnostique de
l’autisme), et qui visera à préciser les différentes pathologies intercurrentes
concernées : les phacomatoses, les épilepsies, les maladies génétiques (qui
pourront faire l’objet d’une consultation conjointe avec le généticien
clinicien) et autres syndromes fréquemment retrouvés dans les troubles
­envahissants du développement (fragilité de l’X, Rett…). En ce qui concerne
les dysharmonies, ce diagnostic, décrit par Misès à propos des pathologies
pédopsychiatriques résultant d’une maladie (par exemple l’épilepsie)
­entraînant une désorganisation du développement aboutissant à une sorte
de pathologie mixte, est toujours assez largement utilisé et doit donner
lieu à un double point de vue qui favorisera la prise en charge en tenant
compte des différents paramètres en présence. À noter que sa traduction
dans la classification internationale dans la rubrique des MCDD permet
de continuer à penser ce trouble dans la continuité de la logique ayant
présidé à la classification française. En ce qui concerne les schizophrénies
infantiles, et devant les troubles souvent impressionnants exprimés par
l’enfant, il est important de ne pas passer à côté d’une pathologie à propre­
ment parler neurologique dont certains symptômes sont évocateurs de
­pathologies cérébrales (infectieuses, tumorales…). Les autres syndromes
­visés sont principalement les enfants présentant une instabilité psychomo-
trice, parmi lesquels certains présentent un THADA. Dans ce cas, l’examen
neurologique est toujours important de façon à préciser les implications
dans ce champ de l’instabilité psychomotrice. Ces signes neurologiques
mineurs (Vallée, 2000) sont la chorée de Prechtl (instabilité des doigts
quand on demande à l’enfant de les maintenir écartés pendant quelques
secondes), un déficit des digitognosies, une syncinésie et un déficit de la
graphomotricité (écriture).
Autres formes de consultation 241

Enfin, il est des cas dans lesquels il est intéressant de demander au neuro­
pédiatre son avis pour compléter les bilans déjà entrepris à propos d’un
enfant reçu par le pédopsychiatre, ce qui donne lieu à des discussions de
dossiers entre neuropédiatres et pédopsychiatres qui facilitent pour les uns
l’accès au champ de réflexion des autres, et réciproquement.
Dans tous les cas, les parents témoignent en général de l’intérêt d’une
telle approche, trouvant que la présence lors de ces consultations des deux
spécialistes leur permet de dialoguer avec les deux points de vue, afin de
trouver ensemble une prise en charge intégrant les différentes données plu-
tôt que d’avoir à en choisir certaines au détriment d’autres en fonction des
qualités de persuasion de chacun des médecins consultés.

Avec le généticien clinicien


Il peut arriver que l’enfant présente des signes pour lesquels le pédopsychia-
tre a depuis quelque temps émis des hypothèses plaidant pour une patho­
logie d’origine génétique. Lorsqu’il s’agit de signes cliniques problématiques,
il peut être utile et intéressant de prévoir une consultation commune avec
le généticien clinicien, de façon à recueillir son point de vue en présence
de l’enfant et des parents afin qu’ils puissent poser toutes les questions qui
leur semblent importantes, et notamment en matière de pronostic une fois
le diagnostic établi solidement. Ces formes de consultations facilitent le
travail avec l’enfant et ses parents ultérieurement dans la mesure où les
parents sont assurés que le pédopsychiatre a suivi une démarche qui leur
semble logique sur le plan médical et qui est en constant dialogue avec les
collègues des disciplines plus centrées sur la recherche diagnostique voire
fondamentale. De plus, avec les collègues en question, cette habitude de
consulter ensemble permet de prévoir puis de réaliser des programmes de
recherches sur les liens entre les deux disciplines.

Avec le gynéco-obstétricien
La consultation avec le gynéco-obstétricien survient en général dans un
contexte de pathologie puerpérale, alors que ce praticien est amené à
­recevoir une future mère qui présente les signes avant-coureurs d’une
­décompensation grave. La sage femme ou le médecin généraliste qui suit la
grossesse a signalé sa patiente au gynéco-obstétricien de référence pour un
avis spécialisé. L’habitude de travailler ensemble, notamment en liaison,
permet au gynéco-obstétricien de prévoir cette consultation commune de
façon à répondre le plus pertinemment possible au trouble présenté par
la patiente, non seulement sur le plan pharmacologique, mais également
en ce qui concerne le suivi psychothérapique nécessaire. Une autre occur-
rence de consultation commune peut surgir à l’occasion du suivi d’une
femme présentant une psychose chronique de type schizophrénique, et
qui est enceinte. L’avis conjoint des deux spécialistes sera intéressant pour
242 La consultation avec l’enfant

décider d’une prise en charge appropriée à cette grossesse à risque, aussi


bien sur le plan de la grossesse elle-même que des implications de cette
grossesse dans la vie de la patiente, de son couple éventuel et de ses possi-
bilités d’assumer la future fonction de mère. C’est lors de telles consulta-
tions que l’indication d’une hospitalisation mère-bébé peut par exemple
être envisagée, et préluder à une prise en charge plus globale incluant la
vie familiale à venir. Inutile d’ajouter que la qualité des relations entre
ces deux acteurs est déterminante sur la réussite du plan périnatalité déjà
largement évoqué.

Avec le néonatalogue
La consultation avec le néonatalogue peut être nécessaire pendant l’hos-
pitalisation d’un bébé prématuré lorsque les circonstances l’imposent, par
exemple en cas de graves difficultés psychopathologiques d’un ou des deux
parents. La possibilité pour le psychiatre de prendre le relais nécessité par
l’état psychique du parent est facilitée lorsqu’il s’agit d’une démarche effec-
tuée ensemble, et mettant en avant l’importance de la santé mentale des
parents pour le bon développement du bébé prématuré. Il arrive également
que le néonatalogue ait besoin de l’avis du pédopsychiatre lors des consul-
tations après l’hospitalisation. Plutôt que de transmettre des écrits, certains
praticiens ont préféré organiser des consultations communes pour partager
les points de vue concernant l’évolution d’un bébé, et de façon préféren-
tielle lorsque ce bébé a été suivi par les deux praticiens antérieurement. Là
encore, les parents intègrent plus facilement l’idée que le développement
d’un enfant, à l’instar de son suivi conjoint, comporte des aspects corporels
et psychiques dont il est bon de tenir compte.

Consultation de liaison en pédiatrie


La consultation de liaison en pédiatrie fait désormais partie intégrante de la
pratique des pédopsychiatres. Soit parce que l’équipe de pédopsychiatrie est
intégrée dans un hôpital général, et dans ce cas elle a les pédiatres et leurs
spécialités comme partenaires hospitaliers, soit parce que, située dans un
centre hospitalier spécialisé, elle entretient des rapports contractuels avec le
centre hospitalier général du secteur infanto-juvénile dont elle a la charge.
Quel que soit le dispositif, la pédopsychiatrie de liaison a plusieurs missions
à réaliser dans les services de pédiatrie et de maternité. Tout d’abord, elle
doit assurer un soutien psychologique de l’enfant hospitalisé en pédiatrie
pour des motifs habituellement pédiatriques, et également du bébé et de
sa mère dans la période périnatale. Ensuite, elle peut aider les parents de
l’enfant dans leur accompagnement psychologique lorsque cela s’avère
­nécessaire. Enfin, elle a le souci d’aider le personnel médical et paramédical
Autres formes de consultation 243

à tenir compte des impacts psychologiques de la maladie sur l’enfant, et


également sur ses parents.

Avec l’enfant
Lorsqu’un enfant est malade et a besoin d’être hospitalisé en pédiatrie, le
vécu de cette expérience va dépendre de nombreux facteurs, mais évidem-
ment beaucoup des raisons qui président à cette hospitalisation. En effet,
s’il s’agit d’une appendicite aiguë, ou d’une maladie infectieuse bénigne,
cela n’aura pas sur lui le même impact que si l’hospitalisation est nécessitée
par un bilan pour suspicion de néoblastome ou un diagnostic d’insuffisance
rénale chronique : selon le cas, en fonction du diagnostic, l’enfant va devoir
faire face à un moment passager désagréable ou à un véritable traumatisme
venant bouleverser son existence voire en signifier la fin rapide. Les équipes
de pédiatrie ont progressivement appris comment accueillir ces probléma­
tiques grâce aux expériences pionnières de psychiatres, souvent psych­
analystes, venant régulièrement dans leurs services pour y prendre en consi-
dération ces souffrances psychiques résultant de maladies dites organiques.
C’est ainsi que Françoise Dolto, Ginette Rimbault, Léon Kreistler et d’autres
ont pu lancer ce mouvement dans les hôpitaux français. De très nombreu-
ses expériences sont maintenant engagées dans ce domaine, et cela donne
lieu dans plusieurs spécialités à la création, sinon de postes de pédopsychia-
tres pour en assurer la charge, du moins à celle de postes de psychologues.
Ces professionnels sont désormais des membres à part entière des équipes
pédiatriques spécialisées et permettent à l’enfant de trouver des temps au
cours desquels la souffrance psychique est expressément prise en compte. Il
existe actuellement des psychologues dans la plupart des services de pédia-
trie des grands hôpitaux, aussi bien en chirurgie infantile qu’en nutrition
parentérale, avec les enfants mucoviscidosiques qu’en oncopédiatrie, en
dialyse rénale qu’en néonatalogie. Les objectifs poursuivis par ces psycho-
logues, en lien avec le pédopsychiatre de liaison quand il existe, consistent
à tenter de redonner sens aux symptômes présentés par l’enfant, non pas
dans une visée réductionniste et psychosomatique superficielle, mais plutôt
en lui permettant d’en historiciser la survenue dans sa vie et celle de sa
famille. Toute maladie organique a un pouvoir désorganisateur bien connu
sur la personne malade, mais peut-être trop ignoré encore chez les enfants,
chez lesquels le fait qu’ils soient en développement constitue un élément
de fragilisation supplémentaire. Il n’est pas rare que l’enfant présente un
état dépressif réactionnel à l’irruption de la maladie dans sa vie, et l’aider à
réaliser que c’est somme toute une réaction normale de son organisme lui
permet souvent d’en dépasser les effets de souffrance psychiques.
La problématique des bébés hospitalisés, notamment en néonatalogie, est
relativement particulière puisqu’il s’agit de pouvoir observer ­l’apparition de
244 La consultation avec l’enfant

signes de souffrance psychique chez un être qui n’a pas encore les moyens
de la signifier par la parole. Il sera alors nécessaire de recourir à des techni-
ques d’observation telles que celles mises en pratique par René Spitz, Emmi
Pikler à Loczy, Esther Bick à Londres, ou Als à Boston et d’autres. La pos-
sibilité pour les parents d’être très présents dans ces services permet aux
soignants d’instaurer le plus rapidement possible des interactions « mini-
males » qui constituent, avec d’autres éléments sur lesquels nous ne revien-
drons pas ici, les fondamentaux d’une prévention de la santé mentale des
bébés prématurés.
La problématique des bébés hospitalisés en maternité à l’occasion de
leur naissance vaut plus par la possibilité d’aborder la question sous l’angle
de la souffrance psychique de la mère, et fonde toute l’entreprise de pré-
vention engagée récemment autour du plan périnatalité déjà largement
évoqué.

Avec les parents


Lorsque l’enfant est malade puis hospitalisé, la répercussion chez les ­parents
est toujours importante, mais peut prendre des aspects extrêmement
divers en fonction du type de relation que l’enfant entretient avec eux.
Nous l’avons déjà vu lors de l’abord du travail avec les parents dans la
consultation, c’est d’abord la culpabilité qui marque leurs premiers ressen-
tis, même et peut-être surtout dans le cas de maladies physiques : comment
cela se fait-il que la maladie tombe sur lui ? Qu’avons-nous fait pour mériter
un tel cauchemar ? Pourquoi lui et pas moi ? Ces attitudes vont souvent
déboucher sur une anxiété importante, d’autant plus ouverte que le dia-
gnostic, voire le pronostic, ne sont pas encore évoqués ou envisagés. Les
parents vont alors beaucoup demander à l’équipe soignante de pédiatrie,
quitte à en atteindre quelquefois rapidement les limites. La consultation
avec le pédopsychiatre ou le psychologue de liaison va alors pouvoir être
vécue comme une mesure de rétorsion, et il va falloir beaucoup de doigté,
de patience pour que les parents arrivent à accepter l’idée qu’ils ont besoin
d’un soutien psychologique à l’occasion de la maladie organique de leur en-
fant. Toutefois, lorsque les parents ont finalement pu entendre ces aspects
de souffrance psychique de leur enfant qu’ils n’avaient pas même imaginé,
réalisé que leur rôle de parents était fortement engagé dans ce processus de
partage de la souffrance en question, et que, tout compte fait, l’objectif de la
consultation de liaison était de leur redonner la pleine capacité de ces fonc-
tions spécifiques et particulièrement précieuses dans cette traversée pénible,
le climat devient plus paisible et les mouvements libidinaux parents-enfant
peuvent alors être travaillés de façon plus harmonieuse pour la famille et
rassérénante pour l’enfant. La consultation devient parfois un moment pri-
vilégié de rencontre pendant lequel les parents peuvent se laisser aller à dire
Autres formes de consultation 245

ce qu’ils ont « sur le cœur », et la fonction préventive de ce ­travail prend


alors son plein essor. Peuvent souvent y être abordés des points épineux tels
que l’avis quelquefois défavorable que les parents portent sur certains soi-
gnants (ce qui pose d’autres problèmes pour le pédopsychiatre de liaison)
ou au contraire l’investissement exclusif de telle ou telle puéricultrice au
détriment de toutes les autres ; mais également des positions plus intimes,
reflets de mécanismes inconscients qui ne font pas l’objet du travail en
question, concernant l’investissement de leur enfant ; ainsi, les motions
pulsionnelles peuvent aller d’un surinvestissement anxieux quasiment
­pathologique à un sentiment d’épuisement qui peut marquer les désirs
­inconscients d’abandon d’un enfant déjà condamné, en passant par l’im-
pression persécutive que peut envoyer l’enfant à ses parents lorsqu’il est
dépassé dans ses ressources défensives.

Avec les soignants


Il est utile de distinguer deux parties de l’équipe soignante, les médecins et
les personnels paramédicaux. En effet, ils n’ont pas le même rôle et n’ont
pas à répondre aux mêmes objectifs pour le soin de l’enfant et l’accom­
pagnement des parents. Les premiers sont souvent pédiatres ou spécialistes
d’une discipline concernant l’enfant à un moment donné ; en tant que
tels, ils sont responsables du soin sur le plan de sa conduite, et l’équipe
soignante paramédicale est au service de la stratégie thérapeutique sur
­indication médicale. Les rapports hiérarchiques sont complexes, puisque
les infirmiers, puériculteurs et autres aides-soignants sont sous la dépen-
dance d’un cadre de proximité puis d’un cadre supérieur de santé, eux-
mêmes sous la direction d’un infirmier général ou directeur des soins
­infirmiers, et à ce titre, l’organisation du service paramédical se fait sous
leur égide. Toutefois, la direction technique est assurée par les médecins,
et ce partage des tâches nécessite une bonne entente entre tous ces parte-
naires pour aboutir à un traitement bien conduit. Il y a plusieurs niveaux
de relations entre les soignants quelque soient leurs professions, et leur
qualité concoure à la bonne marche des soins. Mais il arrive que pour des
raisons extrêmement diverses cette marche des soins soit rendue difficile
par des difficultés relationnelles, ces dernières retentissant sur la qualité de
l’ambiance du service et les conditions de l’accueil des enfants et de leurs
parents. Il ne s’agit pas de fournir un prétexte pour excuser ces difficultés,
mais plutôt d’en prendre tous les tenants en considération pour amélio-
rer les conditions de leur résolution. La rencontre du pédopsychiatre de
liaison avec l’équipe soignante peut se faire sous forme individuelle ou
sous forme de groupe. Il nous paraît utile d’entendre ces aménagements
institutionnels comme autant d’éléments permettant d’améliorer la qua-
lité des consultations de liaison.
246 La consultation avec l’enfant

Quelques exemples cliniques de pédopsychiatrie


de liaison

Joselito, six ans


Joselito et la greffe de moelle
Lorsque le pédiatre du centre de greffe contacte le pédopsychiatre au téléphone,
il lui raconte la situation suivante. Joselito, un garçon de six ans a présenté un
état de panique anxieuse, au décours d’une consultation pendant laquelle il
venait d’apprendre que sa petite sœur de trois ans, porteuse d’une leucémie
diagnostiquée quelque temps auparavant, pouvait bénéficier d’une greffe pro-
venant de la moelle de son frère. Pendant la consultation, l’enfant n’avait pas
paru choqué par la description de l’opération qui l’attendait, et ce n’est que tard
dans la nuit suivante qu’il avait pu exprimer de façon très préoccupante pour les
parents une angoisse nocturne consécutive à un cauchemar. Le lendemain,
­interrogé par ses parents, il avait déclaré tout de go que comme le docteur lui
avait dit « qu’on avait besoin de son accord pour faire l’opération, il ne voulait
pas avoir la grosse piqûre, qu’il était triste pour sa sœur, mais qu’il ne lui don-
nerait pas sa moelle ». Les parents avaient aussitôt appelé le pédiatre qui avait
revu le garçon longuement, et constaté lui-même le « refus entêté » dont il
continuait à faire preuve. Il demandait donc incessamment au pédopsychiatre de
voir cet enfant pour le convaincre de changer d’avis, car sa sœur présentait une
forme de leucémie au pronostic relativement favorable si elle pouvait bénéficier
rapidement de la moelle de son frère.
Le pédopsychiatre reçoit alors dès que possible Joselito et ses parents dans le
service des enfants greffés. Très vite, il mesure la pression énorme à laquelle cet
enfant est soumis de la part de ses parents. « Comment peut-il ainsi ne pas voir
qu’il condamne sa sœur à mort en refusant de donner sa moelle ? Ce n’est pas
parce qu’il aura un peu mal qu’il va en mourir, lui ! Avant c’était vraiment un
enfant sur lequel on pouvait compter, mais maintenant c’est bien fini ! Il n’a pas
de cœur ! » Le pédopsychiatre laisse les parents exprimer toute leur acrimonie
devant ce scénario qu’ils n’avaient pas prévu le moins du monde et qui les laisse
désemparés, tout en essayant de préserver, autant que faire se peut, leur enfant
de toute cette agressivité à peine retenue. Puis il demande à voir l’enfant seul.
Et ils commencent à parler de sa vie ordinaire, de ses camarades, de sa sœur
avec laquelle il aimait bien jouer pendant l’été précédent, même s’il ressent un
peu l’agacement du grand frère obligé de supporter les jeux avec sa petite sœur
de « même pas trois ans » ; et il dit qu’il a « très peur depuis la consultation
avec le docteur de sa sœur ». Il dort mal, fait de nombreux cauchemars, il n’ose
plus se coucher et éteindre sa lumière « parce qu’il voit des monstres »… Le
pédopsychiatre prend ce prétexte pour lui demander de dessiner les monstres
qu’il voit. Il va lui dessiner trois scènes très rapidement. La première montre des
animaux préhistoriques effrayants, « du genre Tyrannosaurus Rex », ajoute-t-il,
manifestement encore impressionné par le film Jurassic Park, vu sans doute un
peu trop tôt pour son âge. Ces grands animaux courent après un garçon et son
père, mais le père file loin devant le fils, et ne semble pas avoir prévu d’aider son x
Autres formes de consultation 247

x fils à échapper à ce qui l’attend. Ce premier dessin est exécuté dans l’angoisse,
et le pédopsychiatre lui évoque la peur qu’il éprouve dans ses cauchemars. Il
en convient facilement. Il sourit un peu après qu’il lui a fait raconter comment
il a vu le film de Spielberg. Il confie, en regardant fréquemment vers la porte
par laquelle ses parents sont sortis, qu’il l’a regardé par-dessus l’épaule de son
oncle, au cours des vacances chez lui et il ajoute : « Mon oncle, il aime beau-
coup des films comme ça ! » Le deuxième dessin ramène à des fantasmes plus
classiques puisqu’il s’agit d’une famille dans laquelle les deux parents regardent
« un film à la télé », pendant que le frère et la sœur jouent. Mais sur ce deuxième
dessin, c’est la petite sœur qui casse le château que son frère est en train de
construire avec ses Legos dans sa chambre. Le pédopsychiatre fait prudemment
remarquer que « cela peut être sympa de construire un château tranquillement
quand on est un enfant tout seul, mais que dès qu’on est obligé de partager sa
vie avec une sœur, cela devient moins facile, on est moins tranquille qu’avant,
quelquefois même, on a envie que la sœur, elle ne soit pas née »… Il le regarde,
et ajoute : « le docteur de ma sœur, il m’a dit qu’elle allait peut-être mourir,
c’est pour ça que mes parents m’obligent ». Quelques instants en silence. Le
pédopsychiatre devine qu’il est en train de penser à ce qu’il lui arrive depuis
cette consultation qui a bouleversé sa vie. Il lui dit : « tu veux encore dessiner
quelque chose ? », il répond aussitôt : « oui, regarde comment il va me faire
la piqûre pour prendre ma moelle, le docteur » et il entreprend de représenter
un docteur à la tête peu amène sous le regard de parents peu souriants, qui, à
l’instar du Tyrannosaurus Rex, va le ponctionner en répandant beaucoup de sang
autour de lui… Le pédopsychiatre demande aux parents de les rejoindre et ils
reprennent ensemble les derniers évènements. Le père déclare qu’ils n’ont pas
été très adaptés avec Joselito, mais qu’ils ont vécu dans une angoisse horrible
depuis l’annonce du diagnostic de leucémie. La mère prend son fils dans ses bras
et l’embrasse longuement et avec émotion. Joselito sort le troisième dessin de la
pochette et leur montre tout en demandant si ça va lui faire mal la grosse piqûre.
Ils conviennent que si le besoin se fait sentir, Joselito pourra demander à venir
revoir le pédopsychiatre. Le collègue pédiatre qui l’attend après la consultation
est tout étonné du dénouement de cette histoire clinique, et aborde quelques-
unes des autres « aventures » qu’il a déjà traversées dans ce service. À noter que
la petite sœur a guéri de sa leucémie.

Octavia et la gastrostomie
Le néonatalogue demande au pédopsychiatre de voir un bébé de deux mois
d’âge corrigé qui devrait sortir si ce n’était son anorexie qui s’accentue au fur et
à mesure que la sortie se rapproche. Il s’agit d’une petite fille prématurée qui a
traversé plusieurs grandes pathologies du fait de son très faible poids de nais-
sance et qui, si elle va bien actuellement, mise à part son anorexie, a néanmoins
vécu dans un climat d’angoisses néonatales considérables. Le défi est important
puisque si rien ne change dans son comportement alimentaire, la gastrostomie
aura lieu le lendemain ou le surlendemain. Il conduit le pédopsychiatre dans la
chambre d’Octavia et la lui présente ainsi qu’à sa mère. Après quelques paroles x
248 La consultation avec l’enfant

x de mise en liens, il les laisse tous les trois dans la chambre de son service. La
mère est triste et ne semble pas bien comprendre ce qu’un pédopsychiatre vient
faire dans sa chambre. Le pédopsychiatre regarde tranquillement Octavia pour
faire un peu connaissance. Elle est dans son petit berceau, la main de sa mère
l’entourant d’un geste de tendresse. Octavia est absente, un peu somnolente. Il
ne faut pas très longtemps à la mère pour raconter l’étendue de son angoisse,
les moments par lesquels elle et son mari sont passés depuis cet accouchement
prématuré. Octavia ouvre alors ses yeux plus grands et regarde sa mère avec un
beau regard vif et éveillé, et elle tète un petit bout de drap qui touche ses lèvres.
Le pédopsychiatre oriente un peu le dialogue vers les antécédents familiaux et
cette jeune mère raconte très facilement son périple d’adolescente anorexique,
les angoisses qu’elle a ressenties de la part de ses parents alors qu’elle était
peu consciente elle-même de ce qui lui arrivait. Et puis l’hospitalisation longue
en pédiatrie, chez les adolescents avec des difficultés psychopathologiques, ses
hauts et ses bas, et puis l’amélioration de sa santé et la sortie. En racontant
ces souvenirs, elle est soudain prise d’une grande émotion et pleure à chaudes
larmes en prenant sa fille dans ses bras. Un silence entoure quelques instants les
protagonistes. Elle dit à sa fille : « Maman a tout mélangé mon trésor. » Puis au
pédopsychiatre : « Vous savez, je n’avais jamais fait le rapprochement jusqu’alors
entre ces deux hospitalisations, mais je me souviens maintenant que ce qui m’a
motivée à l’époque, c’est quand j’ai su qu’une anorexique risquait de ne pas
avoir d’enfant », puis à nouveau à Octavia : « Papa et maman ne t’auraient pas
eue, tu te rends compte ? Quel dommage ! » C’est alors qu’elle réalise quelque
chose qu’elle n’avait pas encore vu : « Mais alors son anorexie à elle, vous croyez
que ça a un rapport ? » Le pédopsychiatre lui répond que ce sont des hypothèses
pour comprendre, qu’il faut se donner le temps de la réflexion, mais qu’en tout
état de cause, c’est elle qui en a parlé très vite. Octavia lui sourit avec beaucoup
de joie dans les yeux et dans le ton. Le pédopsychiatre convient avec la mère de
la revoir le lendemain. Puis il les laisse avec le sentiment que cette mère voit sa
fille sous un nouveau jour. Lorsqu’il revient le lendemain, le néonatalogue lui
déclare que la gastrostomie n’aura pas lieu : Octavia prend son repas depuis le
matin sans aucune difficulté. Quand il va saluer la mère et Octavia, elles sont
rayonnantes. La mère dit : « Vous savez, envisager la sortie d’Octavia après une
hospitalisation de plusieurs mois, avec tout ce qui s’est passé, tout ce qui pour-
rait arriver, on est trop angoissés, mais maintenant qu’elle a décidé de remanger,
je crois que c’est ce qui manquait ! » Elle lui demande spontanément si elle peut
le revoir si elle en avait besoin.

Amélie, six mois


Amélie et la redescente vers la réalité
Lorsque le neuropédiatre demande au pédopsychiatre de passer voir Amélie,
elle a six mois et vient d’être accueillie en réanimation pédiatrique pour une
décompensation respiratoire survenant à l’occasion d’une septicémie sur un
terrain encéphalopathique. À la naissance, le pédiatre avait trouvé une enfant
hypotonique mais sans autres signes d’appel. Il avait insisté auprès des parents x
Autres formes de consultation 249

x pour qu’un suivi rapproché soit organisé pour obtenir une étiologie éventuelle
à ce trouble néonatal. Quelques semaines plus tard, Amélie était hospitalisée en
urgence pour une série de crises convulsives non résolutives. L’examen avait par
ailleurs mis en évidence un retard massif du développement venant accompa-
gner la seule hypotonie du début de vie d’Amélie. Rapidement, un diagnostic
d’encéphalopathie avait été posé par le neuropédiatre, et l’hospitalisation avait
permis de traiter les crises convulsives. Le bébé allait sortir quand une soudaine
décompensation respiratoire avait révélé une septicémie. La mère avait alors pré-
senté un état d’angoisse-panique très important nécessitant l’intervention dans
le service de neuropédiatrie du psychiatre d’astreinte. Les deux parents effondrés
étaient reçus par le médecin et ce dernier découvrait qu’ils n’avaient absolument
pas intégré les éléments d’information donnés au fur et à mesure au sujet de
leur fille. Entre-temps, le neuropédiatre avait transféré Amélie en réanimation
pédiatrique pour la poursuite des soins en milieu intensif, et c’est là qu’il avait
demandé au pédopsychiatre de les rejoindre pour faire le point ensemble sur
cette situation complexe, et de l’aider dans l’accompagnement de ces parents en
grande difficulté. Les parents ont rapidement accepté de parler avec le pédopsy-
chiatre de liaison et le travail a consisté à les aider dans la réalisation de la clinique
très préoccupante présentée par Amélie, en complément des explications beau-
coup plus proches de ces parents fournies par les différents pédiatres chargés de
cette situation. Le suivi a duré plusieurs mois, et a contribué non pas à améliorer
l’évolution d’Amélie dont le pronostic est resté très péjoratif, mais bien plutôt de
les aider à être avec elle à la mesure de ce qu’elle pouvait donner en fonction
de son encéphalopathie profonde. Lors du dernier rendez-vous souhaité par les
parents, la mère a annoncé, un peu plus détendue, qu’elle était enceinte.

Consultation pour expertise


Nous qualifierons ainsi les consultations demandées par différentes ­instances
juridiques, administratives et médicales pour obtenir un certificat ou
un accord déterminants pour les conditions dans lesquelles le processus
de parentalité va pouvoir se dérouler ultérieurement. Il en va ainsi pour le
conflit sur la garde des enfants au cours d’un divorce ou d’une séparation
ou sur les capacités d’une future mère présentant une pathologie ­mentale
ou une carence affective, en vue d’une adoption, voire pour un couple
dont un membre a des antécédents psychopathologiques demandant une
procréation médicalement assistée. Nous distinguerons trois situations dif-
férentes : l’expertise juridique, l’expertise administrative et l’avis expertal.
Mais si nous prenons l’initiative d’en décrire succinctement les contours,
c’est pour insister sur le fait que de telles modalités de consultations sont
sensiblement différentes de celles que nous avons décrites précédemment,
que ce soit sur le fond ou sur la forme. Dans ces cas, les parents accompa-
gnent leur enfant qui est adressé par une autorité qui impose l’examen, ou
viennent consulter sur « ordre » administratif pour l’obtention de quelque
250 La consultation avec l’enfant

chose, ou encore viennent sur la proposition insistante d’un médecin qui


désire s’entourer d’avis complémentaires. L’expertise est par principe
­unique (même si elle se réalise en plusieurs consultations) et n’a pas voca-
tion à être prolongée en fonction des aléas de la relation thérapeutique.

Expertise juridique
Présentation de la consultation pour expertise
Cette forme particulière de consultation intervient dans plusieurs circons-
tances que nous allons essayer de présenter, sans entrer dans les détails, car
cet aspect est relativement périphérique par rapport au sujet général. Toute-
fois, bien qu’il s’agisse d’une pratique qui ne se construit pas sur les mêmes
paradigmes, nous ne saurions trop insister sur le fait qu’elle peut bénéficier
grandement des qualités requises pour celle des consultations pédopsychia-
triques et psychologiques. En effet, la difficulté de se prononcer sur les gran-
des questions du discernement, de la responsabilité et de la punissabilité,
ou sur les séquelles de crimes ou délits, est déjà considérable dans le cas de
patients adultes victimes ou auteurs. Mais il s’agit là de considérer des sujets
en développement, enfants ou adolescents, pour qui ces problématiques
peuvent être éclairées valablement par une évaluation qui prend en compte
les aspects psychopathologiques à côté des seuls événements rapportés.
Pour autant, dans tous les cas que nous allons présenter, et à des degrés
divers, la procédure s’impose au détriment de la relation thérapeutique qui
est l’objet habituel de la consultation de pédopsychiatrie. Le praticien est
requis pour procéder à un examen qui aura une importance souvent déter-
minante dans le jugement ultérieur, bien qu’il ne soit qu’un des éléments
du dossier entre les mains du juge, venant éventuellement compléter les
investigations demandées auprès des services mis à la disposition de la jus-
tice (SEAT, CAE2, IOE confiée à la PJJ). Le dossier lui est communiqué par
l’instance qui le nomme pour l’expertise, et il doit rendre un rapport à cette
instance. L’expert recevra l’enfant et les parents, et chacun séparément si
l’affaire le nécessite. Avec eux il devra, après avoir exposé les motifs de son
examen et le cadre dans lequel il est commis, écouter, noter, questionner en
s’efforçant de ne pas prendre partie, et en rédigeant un rapport accessible
tant au magistrat qu’aux parents et à l’enfant (si sa compréhension le per-
met). Les conclusions doivent être suffisamment claires pour ne pas prêter
à confusion ni donner lieu à des interprétations par les partisans (avocat,
médecins-conseils des compagnies d’assurance) de l’un ou de l’autre, ce qui
serait, in fine, préjudiciable à l’enfant.
À noter également que le pédopsychiatre et le psychologue peuvent
être requis pour ces expertises, à des titres différents : le premier pour

2 Service éducatif auprès du tribunal, centre d’action éducative.


Autres formes de consultation 251

une ­expertise psychiatrique et le second pour une expertise médico-


­psychologique. C’est le magistrat qui fixe les missions différentes à chacun
des experts, en fonction de ce qu’il en attend.
L’expertise peut être requise dans un cadre pénal. L’enfant peut être vic-
time ou auteur des actes pour lesquels l’instruction a lieu.

Expertise de l’enfant victime


L’enfant est victime et le juge demande une expertise pour l’aider dans
le ­jugement qu’il doit rendre à son propos. Il peut s’agir de circonstances
­extrêmement différentes puisque l’enfant peut être victime d’un viol inces-
tueux ou de mauvais traitements, handicapé à la suite d’un accident domes-
tique ou iatrogène, circonstances ayant donné lieu à une instruction.
« La loi du 17 juin 1998 précise les conditions dans lesquelles les mineurs
victimes “peuvent faire l’objet d’une expertise médico-psychologique, des-
tinée à apprécier la nature et l’importance du préjudice subi et à établir si
celui-ci rend nécessaires des traitements et des soins appropriés”. Elle peut
être ordonnée par le procureur de la République dès le stade de l’enquête,
mais elle est également fréquemment ordonnée par le magistrat instruc-
teur qui peut désigner un expert psychologue ou un pédopsychiatre. Les
questions habituellement posées sont de deux ordres : d’apprécier la ­nature
et l’importance du traumatisme subi et de préciser la valeur que l’on peut
apporter aux propos de l’enfant. » (Durand, 2009.) Les affaires récentes
(Outreau) ont montré à quel point la question de la crédibilité de la parole
de l’enfant était complexe, et le rôle de l’expert est ici fondamental pour
l’apprécier.

Expertise de l’enfant ou adolescent auteur de l’acte


Mais toujours dans le cadre pénal, l’enfant et, plus fréquemment, l’ado-
lescent peuvent aussi être pris dans les rets de la délinquance, et le juge
a besoin d’un avis d’expert pour l’instruction et le jugement. Le premier
problème auquel l’expertise va permettre de donner des réponses est celui
du discernement de l’enfant. « Cette notion du discernement des mineurs,
ignorée dans l’ordonnance de 1945, a été réintroduite dans l’arsenal juri-
dique avec la loi dite loi Perben I. En effet, selon cette loi no 2002-1138 du
9 septembre 2002, “les mineurs capables de discernement sont pénalement
responsables des crimes, délits ou contraventions dont ils ont été reconnus
coupables, dans des conditions fixées par une loi particulière qui détermine
les mesures de protection, d’assistance, de surveillance et d’éducation dont
ils peuvent faire l’objet” (art. 122-8, alinéa 1, du Code pénal). » (Durand,
2009.) L’expertise sera alors requise dans des conditions précises : « Lorsque
l’infraction du mineur est de nature criminelle, ou s’il s’agit d’une affaire
impliquant des adultes et des enfants, le substitut des mineurs saisit un juge
252 La consultation avec l’enfant

d’instruction qui instruit l’affaire. Il est habituel que celui-ci ordonne une
expertise psychiatrique qui devient obligatoire s’il s’agit d’une infraction
sexuelle (qu’elle soit d’ailleurs criminelle ou délictuelle). En fonction de
l’âge du mis en examen et de la nature des faits, il s’agira d’une expertise
psychiatrique ou d’une expertise médico-psychologique. Mais c’est le plus
souvent une expertise médico-psychologique qui sera d’abord demandée,
l’expertise psychiatrique venant en complément. » (Durand, 2009.) Après la
question du discernement, c’est celle du niveau de responsabilité de l’enfant
ou de l’adolescent, puis de sa punissabilité qui peuvent être éclairées par
l’expert. En effet, la réglementation précise que : « n’est pas pénalement res-
ponsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble
psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle
de ses actes » (article 122-1, alinéa 1, du Code pénal). « La personne qui était
atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique
ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes, demeu-
re punissable ; toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance
lorsqu’elle détermine la peine et en fixe le régime. » (Ibid.) Là encore, les
avis émis par l’expert peuvent avoir un impact très important sur l’intime
conviction de celui qui jugera.

Expertise dans le cadre d’une mesure d’assistance éducative


Créée par l’ordonnance no 58-1301 du 23 décembre 1958, elle est définie
dans l’article 375 du Code civil modifié par la loi no 2007-293 du 5 mars
2007 qui insiste sur « les conditions de développement physique, affectif,
intellectuel et social [gravement compromises] ». Cette loi récente a égale-
ment précisé que « lorsque les parents présentent des difficultés relationnel-
les et éducatives graves, sévères et chroniques, évaluées comme telles dans
l’état actuel des connaissances, affectant durablement leurs compétences
dans l’exercice de leur responsabilité parentale, une mesure d’accueil exercée
par un service ou une institution peut être ordonnée pour une durée
­supérieure [à deux ans, ce qui est habituellement prévu], afin de permettre
à l’enfant de bénéficier d’une continuité relationnelle, affective et géogra-
phique dans son lieu de vie dès lors qu’il est adapté à ses besoins immédiats
et à venir. Un rapport concernant la situation de l’enfant doit être transmis
annuellement au juge des enfants. » (Durand, 2009.)
« L’assistance éducative se distingue du dispositif de protection de l’en-
fance mis en place par le conseil général du département qui implique né-
cessairement l’accord et la participation de la famille. Par ailleurs, alors que
pour les mesures d’action éducative à domicile (AED) administratives, il
peut ne s’agir que d’une situation de danger potentiel, ce danger doit être
réel, actuel ou imminent dans l’assistance éducative et il peut s’imposer à
la famille, même si le juge “doit toujours s’efforcer de recueillir l’adhésion
de la famille à la mesure envisagée et se prononcer en stricte considération
Autres formes de consultation 253

de l’intérêt de l’enfant” (article 375-1, alinéa 2, du Code civil). En règle


générale, pour instruire le dossier, le magistrat décide d’une mesure d’IOE,
même lorsque l’enfant a déjà été suivi sur le plan éducatif. Celle-ci consiste
en une évaluation pluridisciplinaire : enquête sociale, rapports éducatifs, bi-
lan psychologique, voire psychiatrique, assurée par une équipe de la PJJ ou
un service associatif habilité. L’expertise psychiatrique n’est donc envisagée
qu’en seconde intention lorsqu’il apparaît que l’enfant présente des trou-
bles psychologiques avérés et/ou lorsque ce sont les parents qui souffrent
de troubles psychiatriques. » (Durand, 2009.) Sont concernées les situations
d’une grande complexité, telles celles d’une OPP réalisée dès la naissance
pour un bébé et contestée par les parents, d’un enfant « placé » (protection
de l’enfance) depuis plusieurs années et que sa mère veut « récupérer », d’un
adolescent en conflit majeur avec son environnement et pour lequel le suivi
habituel ne trouve pas de solution satisfaisante…

Expertise demandée par le juge aux affaires familiales


Il peut s’agir également d’un enjeu qui dépasse de loin l’intérêt de l’en-
fant, par exemple lorsque les parents en cours de divorce ou de séparation
conflictuelle ne peuvent arriver à s’entendre sur les conditions de la garde
de leur(s) enfant(s). Le juge des affaires familiales est le seul compétent,
après le divorce, pour statuer sur les modalités de l’exercice de l’autorité
parentale, les modifications de la pension alimentaire, les droits de visite et
d’hébergement (article 228 du Code civil). Il peut alors demander à l’expert
son avis pour tenter de répondre à cette douloureuse question de savoir
comment organiser les conditions de vie de l’enfant pour optimiser son
développement psychoaffectif malgré le contexte qui se révèle souvent dé-
plorable, en contradiction évidente avec la demande explicite des parents.

Expertise dans le cadre de la CIVI


L’expert peut aussi être nommé par la Commission d’indemnisation des
­victimes d’infractions (CIVI) pour apprécier les effets post-traumatiques, les
séquelles et l’IPP (incapacité permanente partielle) liés à une agression, y com-
pris sexuelle. En effet, l’article 706-3 du Code de procédure pénale dispose
que « toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou
non qui présentent le caractère matériel d’une infraction peut obtenir la répa-
ration intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne ».

Expertise pour demande de réparation


Enfin, Bernard Durand rappelle que « l’une des dernières occurrences où
la justice peut solliciter l’avis d’un médecin expert pédopsychiatre est celle
d’une demande de réparation au titre de la responsabilité civile, en applica-
tion des articles 1382 et 1383 du Code civil » (Durand, 2009) pour l’obten-
tion de dommages.
254 La consultation avec l’enfant

Expertise administrative
Une expertise est parfois nécessaire pour la constitution de dossiers admi-
nistratifs en vue d’une adoption ou de la reconnaissance d’un handicap.

Adoption (Loi no 2005-744 du 4 juillet 2005 portant réforme de


l’adoption – Code de l’aide sociale et des familles)
En ce qui concerne l’adoption, les parents adoptants doivent rencontrer
un psychiatre (le pédopsychiatre n’est pas requis ès qualités), figurant sur
une liste établie par le président du conseil général, qui rédigera un ­certificat
attestant que leur état de santé, ainsi que celui des personnes résidant à
leur foyer, ne présente pas de contre-indication à l’accueil d’enfants en
vue d’adoption. Si cette rencontre peut apparaître formelle à certains, il
nous semble très important de ne pas en banaliser la fonction. En effet,
des demandes d’adoption peuvent émerger dans un contexte pathologique,
soit du fait de maladies psychiatriques préoccupantes des candidats, soit
de l’aspect fortement réactionnel de la demande (décès d’enfant…), soit
enfin d’une incompatibilité évidente entre les désirs exprimés et la réalité
concrète proposée à l’enfant attendu. Une enquête sociale vient compléter
cette « expertise » psychiatrique.
Il y a lieu de distinguer cet examen administratif du suivi qui peut parfois
être demandé ou conseillé par des parents adoptants après l’arrivée de l’enfant,
et qui ont besoin d’une « guidance infantile ». Ces consultations rentrent alors
dans le cadre général des consultations thérapeutiques de pédopsychiatrie.

Handicap
En ce qui concerne le handicap3, les parents viennent voir le pédopsychia-
tre pour avoir une évaluation diagnostique et un avis sur la prise en charge,
ainsi qu’un certificat précisant l’orientation vers laquelle leur enfant doit
être dirigé. Cette consultation peut avoir lieu dans le cadre d’un suivi clas-
sique de pédopsychiatrie, par exemple au CMP, au CMMP, au CAMSP ou en
libéral, mais certains collègues ne souhaitent pas être à la fois le pédopsy-
chiatre traitant et celui qui donnera un avis sur le degré de handicap, sur
l’orientation ou la prise en charge.
Les raisons avancées tiennent à leur souhait de ne pas mélanger les posi-
tions de thérapeute et d’expert. Le premier se doit d’assurer les soins dans
la continuité et ne se sent pas toujours bien placé dans la relation d’aide
pour exprimer un avis objectif sur le niveau de handicap. Le second doit
donner à un moment de la trajectoire du petit patient un avis sur le degré de
handicap, indépendamment de toute contingence relationnelle. Ces deux
positions que l’on peut comprendre peuvent être nuancées et trouver au
sein d’une équipe les réponses auprès de deux personnes différentes, sans
3 Loi du 11 juillet 2005 sur l’égalité des chances et l’accès à la citoyenneté.
Autres formes de consultation 255

pour autant avoir à entreprendre une démarche conduisant à l’expertise,


qui doit rester, à mon sens, exceptionnelle.

Avis « expertal »
Dans le développement rapide de la médecine contemporaine, il n’est plus
question de maîtriser suffisamment bien toutes les données disponibles
dans un champ spécifique comme la pédopsychiatrie ou la pédiatrie. Le
médecin est donc tout naturellement amené à demander leur avis à un
certain nombre de spécialistes avec lesquels il développera progressivement
des relations de travail à plus long terme. C’est dans ce cadre que l’avis
expertal peut être demandé. Que ce soit pour une technique encore peu
utilisée (la TMS dans l’hallucination de l’enfant schizophrène ou le packing
dans l’automutilation d’un enfant autiste), pour un avis diagnostique dans
un centre ad hoc (les différents centres créés récemment à cet effet : CRDTA4,
CRA5, …) ou auprès d’une personne reconnue pour sa compétence dans
tel ou tel domaine plus spécifique, ou que ce soit encore pour un avis lors
d’une impasse thérapeutique avec un enfant ou un adolescent, le recours à
l’avis expertal est une nécessité dans l’exercice de la médecine et a fortiori
de la pédopsychiatrie.

Consultation multidisciplinaire
Dans certaines disciplines, dont la pédopsychiatrie, il est prévu des consul-
tations multidisciplinaires pour résoudre des problèmes particuliers mettant
plusieurs spécialités en jeu (au moins trois). Ainsi, les enfants présentant
une maladie neuromusculaire peuvent relever de trois spécialités concou-
rant à leur prise en charge, et nécessiter dans certains cas des consultations
pour juger d’une intervention thérapeutique avec les avis des différentes
spécialités en question. Par exemple, un enfant myopathe présente une
scoliose très grave et une cardiopathie préoccupante. Comment interve-
nir ? Que prévoir si l’opération chirurgicale conseillée n’est pas possible
en raison de la cardiopathie ? Un autre domaine récent a vu une nouvelle
législation apparaître, c’est celui de la douleur en général et celle de l’en-
fant en particulier. Devant ce symptôme quelquefois très complexe sur le
double plan des étiologies en causes et de la prise en charge, il n’est pas
inutile de prévoir des consultations multidisciplinaires. Un psychologue de
liaison est attaché à ces consultations, mais il arrive que le pédopsychiatre
soit invité à donner son avis. Tous ces exemples sont du même ordre que
ceux donnés à l’occasion des consultations de pédopsychiatrie de liaison :
il s’agit à chaque fois de réunir autour d’un patient, et ici de ses parents, les
différents spécialistes pour trouver ensemble la meilleure solution, voire le

4 Centre régional des troubles de l’apprentissage.


5 Centre ressource autisme.
256 La consultation avec l’enfant

moins mauvais compromis, au service de sa prise en charge. Cette formule a


l’intérêt de montrer directement à l’enfant et aux parents que les médecins
ne disposent maintenant plus d’un savoir général leur permettant de résou-
dre toutes les difficultés en matière de santé, et qu’ils doivent organiser des
dispositifs de nature à rassembler les connaissances utiles pour comprendre
puis traiter un problème médical complexe, y compris à plusieurs quand
c’est nécessaire. Les consultations multidisciplinaires font partie de ces dis-
positifs complémentaires de la médecine d’aujourd’hui. La pédopsychiatrie,
déjà préparée par les pratiques anciennes de liaison en pédiatrie, fait partie
intégrante de ces nouvelles formules utilisées au service des enfants.

Références
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Winnicott, D.W. (1971/1979). La Consultation thérapeutique et l’enfant. Paris :
­Gallimard.
Conclusion

Nous avons parcouru les différentes possibilités offertes par les consul-
tations en pédopsychiatrie en examinant successivement les situations
concernant le bébé, l’enfant et l’adolescent, et en présentant à ces occa-
sions, les exemples cliniques les plus fréquents pour chacune d’entre elles.
Bien sûr, il n’était pas possible d’être exhaustif, et ces exemples cliniques
sont indicatifs d’autres histoires proches que chacun des lecteurs a, a eu ou
aura à rencontrer dans sa pratique et dans ses réflexions. Mais si atteindre
l’exhaustivité ne semblait pas réalisable, il nous aura paru important de pré-
senter les diverses modalités de consultations en pédopsychiatrie en nous
appuyant sur une philosophie de travail clinique et une compréhension
psychopathologique enracinées dans une pratique et sur une théorie qui
revendiquent leur appartenance à une des formes de la relation humaine
et à son éthique spécifique, la relation médicale. La pédopsychiatrie dont
nous avons voulu décrire les pratiques actuelles est une médecine de la
relation avec l’enfant et ses parents, et à ce titre, comporte des aspects à la
fois scientifiques et techniques, mais également relationnels. Si les apports
scientifiques se révèlent essentiels dans les mises à jour permanentes qu’elle
nécessite – nous l’avons par exemple mis en exergue dans les pathologies
autistiques et dans les instabilités psychomotrices – elles ne sont jamais suf-
fisantes pour aller jusqu’au bout de l’aide que nous pouvons proposer lors
des consultations. C’est ainsi que la prévalence psychothérapique a été mise
en avant dans toute la démarche de cet ouvrage, afin que le lecteur ne perde
pas de vue que les professionnels concernés par ces consultations n’y trou-
veront pas une succession de conseils pratiques visant à éviter la réflexion
incontournable qu’elles nécessitent, mais davantage une sorte de métho-
de générale de l’approche pédopsychiatrique. Il nous a également semblé
nécessaire de compléter la seule démarche de la consultation d’autres élé-
ments qui sont indispensables aux conséquences concrètes qui devront en
être tirées, de façon à mettre l’accent sur les outils dont disposent les prati-
ciens concernés, sur le contexte dans lequel ils les réalisent, les partenaires
avec lesquels ils devront travailler, que ce soit dans le cercle restreint auquel
ils appartiennent (leur équipe de référence) ou celui des différents réseaux
auxquels ils sont sensés participer. Enfin, nous avons voulu insister sur la
question des parents ou de leurs substituts pour faire en sorte que la consul-
tation de pédopsychiatrie, et plus généralement toute la pédopsychiatrie,
puisse bénéficier de ce parti pris auquel nous sommes très attachés, celui de
la fonction des parents. En effet, ils ne sont pas seulement importants dans
le développement de leur enfant pour l’élever et le protéger, mais égale-
ment dans la prise en compte des signes de souffrance de leur enfant qu’ils

La consultation avec l’enfant


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258 La consultation avec l’enfant

­ artagent toujours avec lui, et qui déclenche la demande de consultation,


p
et une fois les soins éventuellement entrepris, dans le processus de la prise
en charge pour lequel ils vont apporter une aide précieuse et que personne
ne peut offrir à leur place.
Gageons que cet ouvrage, en revenant sur un corpus récent dans l’his-
toire de la médecine et de la psychiatrie, celui de la pédopsychiatrie, puisse
donner à ceux qui l’auront lu, non seulement les éléments suffisants pour
entreprendre par l’intermédiaire des consultations le tissage des liens avec
l’enfant et sa famille en tenant compte des critères contemporains de son
exercice, mais aussi la curiosité intellectuelle et la passion affective qui don-
nent tout leur sel à cette aventure humaine.
Index

A attention, 8
accordage affectif, 12, 40 ––conjointe, 95
acte manqué, 119 ––psychique, 11
actes de la demande, 115 attraction consensuelle maximale, 62
acting out, 120 autisme, 49
autisme infantile précoce type
activité culturelle, 12
Kanner, 72
activité fantasmatique, 13
automutilation, 128
adolescent, 1, 111
autorité de l’infantile, 152
adoption(s), 4, 254
avis « expertal », 255
agir, 119 avis complémentaires, 24
agitation, 83 avortement, 115
agonies primitives, 19
agressions sexuelles, 115 B
agrippement, 51 babillages, 11
ajustement postural, 12 bailey, 34
allaitement télévisuel, 96 bain de langage, 68
anamnèse, 84 bébés à risque, 46
angoisse(s), 18, 103 bégaiement, 23, 69
––automatique, 19 bilan(s) complémentaire(s), 23, 118
––de précipitation, 19 bilan sensorimoteur, 169
––du non-familier, 111 biographie de l’enfant, 7
––signal, 19 bouc émissaire, 95
––primitives, 19 bouffée délirante aiguë, 28, 115
anorexie, 28, 131 brunet-Lezine, 34
antihistaminiques, 226
C
aphasie de Landau-Kleffner, 71
approche intégrative, 4 cabinet libéral, 215
après-coup, 17 capacité de penser, 89
arbre généalogique, 158 capacités intellectuelles, 84
capacités langagières, 69
assistance éducative, 204
carence(s) affective(s), 60, 81
assistant de service socio-éducatif, 178
castrations symboligènes, 112
assistant social, 2
centre d’accueil thérapeutique à temps
atelier partiel, 2, 179
––contes, 28 centre d’action médico-sociale
––pataugeoire, 28 précoce, 161
––thérapeutique, 28 centre médico-psycho-pédagogique, 161
atonie thymique, 44 centre(s) médico-psychologiques, 4, 161
attachement, 19, 43 cercle observant, 182

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260 La consultation avec l’enfant

cercles vicieux transgénérationnels, 34 dépendance alcoolo-toxicomaniaque, 135


classifications, 21 dépersonnalisation, 124
clivage, 139 déplaisir, 12
communication, 11, 72, 175 dépression, 10, 100
comodalités, 62 ––anaclitique, 44
comorbidités, 7 ––de l’enfant, 82
compétences du bébé, 35 ––majeure, 128
complexe d’Œdipe, 101 ––post partum, 36
comportements contre-phobiques, 81 désidéalisation, 85
comportements délirants, 88 désorganisation psychosomatique, 45
compulsions, 194 dessin, 12, 96, 99, 165
conduites violentes, 115 détresse primordiale, 19
conflit intrapsychique, 89 développement, 19
conflits, 8 ––intellectuel, 163
constellations transférentielles, 182 ––psychomoteur, 51
consultant, 7 diagnostic, 8, 191
consultation(s) difficulté(s)
––conjointe(s), 4, 153, 236 ––à l’école, 10
––de liaison, 242 ––d’apprentissage, 194
––interculturelles, 180 ––d’expression, 69
––multidisciplinaires, 255 ––scolaires, 2
––parents-bébé, 34 dyscalculie, 173
––préventive, 5 dysharmonie psychotique, 73
––thérapeutique, 4, 233 dysharmonies cognitives, 95
contenance, 167 dyslexie, 173
contraception, 115 dysorthographie, 173
contre-transfert, 10 dysphasie, 70
conversion hystérique, 19 dyspraxies bucco-linguo-faciales, 71
coordination, 167
corps imaginé, 33 E
corps-maison, 97 échec scolaire, 102
costume thérapeutique, 27 éducateur(s), 2, 176
crise, 111 effet personne, 29
culpabilité, 154 efficience intellectuelle, 23, 163
culturelle (diversité), 3 élément bêta, 20
émotions, 62
D enfant
décompensation, 115 ––battu, 54
déficience, 84 ––fantasmatique, 150
déficit de l’attention, 77 ––hypermature, 96
délire, 88 ––imaginaire, 150
délire paranoïde, 124 ––réel, 150
démantèlement, 19, 51 ––sage, 96
démarche diagnostique, 19 ––secoué, 54
dénégation, 102 enseignant spécialisé, 178
déni de la réalité, 139 entretiens, 117
dépendance, 120 épilepsie, 21
Index 261

éthique, 5 hébéphréno-catatonique, 139


évaluation fonctionnelle, 184 héboïdophrénique, 139
evident Based Medicine, 29 histoire, 12
évitement de la castration, 152 holding, 38
évitement relationnel, 43 homéostasie familiale, 17
examen clinique, 22 hôpital de jour, 2, 179
examen neurologique, 84 hospitalisation(s), 4, 28, 207
expériences partagées, 13 hospitalisme, 46
expertise, 249 hyperactivité, 77, 79
––administrative, 254 hyperkinésie, 77
––juridique, 250 hypothèses diagnostiques, 118

F I
faire semblant, 94 idées délirantes, 86
famille identification(s), 12
––à problèmes multiples, 81 ––adolescentes, 115
––alliance, 34 ––à l’agresseur, 93
––lignage, 34 ––projective, 139
fantasme(s), 12 identité adolescente, 113
––oedipiens, 102 image du corps, 124
––sexuels, 115 immaturité affective, 70
––sous-jacents, 118 impulsivité, 77, 79
fonction inattention, 78
––alpha maternelle, 20, 40 incertitude diagnostique, 208
––contenante, 229 indications de soins, 3, 215
––paternelle, 135 indications thérapeutiques, 118
––phorique, 38 inertie motrice, 45
fratrie, 35, 158 infirmier(s), 2, 175
infirmiers de secteur psychiatrique, 175
G informations préoccupantes, 204
gazouillis, 11 inhibition, 102
généticien, 2 inhibition intellectuelle, 85
grand(s)-parent(s), 35, 158 insécure, 19
graphisme, 167 insomnies, 22
grossesse, 1, 115 instabilité psychomotrice, 77
grossesse psychologique, 33 institut d’éducation motrice, 178
groupes, 113 institut médico-éducatif, 178
institut médico-professionnel, 178
H institut thérapeutique, 178
habiletés motrices, 167 instituteurs, 2
hallucinations, 86 institution(s), 113, 229
hallucinogènes, 124 interaction(s), 10, 33
handicap, 254 ––affectives, 37
handling, 39 ––biologiques, 37
harcèlement, 71 ––comportementales, 37
hébéphrénique, 139 ––corporelles, 38
262 La consultation avec l’enfant

––fantasmatiques, 37 motricité libérée, 35


––sociales, 73 mots, 11
––symboliques, 37 mouvements stéréotypés, 72
––visuelles, 37 mutisme, 69
––vocales, 38
interprétant, 172 N
interprétation, 165 narcissisme, 36
intersubjectivité, 11 narrativité, 11
intuition clinique, 9 NBAS, 36
neuroleptiques, 225
J neuropédiatre(s), 2, 84
jeu(s), 12, 92 neuropsychologie, 162
––de la bobine, 93 névrose
––de rôles, 63 ––de l’enfant, 80
––du fort-da, 93 ––infantile, 19, 80
––symboliques, 95 ––obsessionnelle, 81
––vidéo, 144 ––phobique, 81
juge des enfants, 2 niveaux de vigilance, 36
justice, 113 non, 111
nosographie, 20
L
langage, 11 O
langage intrafamilial, 173 objectivité, 12
langue maternelle, 11 objet, 172
latence, 101 ––addictif, 135
latéralité, 167 ––autistique, 135
lexique, 11 ––phobogènes, 81
linguistique, 68 ––transitionnel, 135
liquéfaction, 19 observation, 9, 11
––directe du bébé, 60
M ––thérapeutique à domicile, 60
malade mental, 18 obsession(s), 19, 194
maltraitance à bébé, 54 obstétriciens, 2
mamanais, 171 organisation grapho-perceptive, 162
mandat transgénérationnel, 34 organisation temporo-spatiale, 162
masturbation, 115 orthophoniste, 2, 23, 170
médecin généraliste, 2
médecin rééducateur, 2 P
médecine prédictive, 30 parentalité, 1, 59, 149, 150
mélancolie, 129 parents thanatophores, 56
mémoire, 13 parler, 11
méthylphénidate, 222 parler bébé, 70
mineur, 8 partage émotionnel, 63
mise en acte, 119 partenaires, 2
mise en récit, 13 passage à l’acte, 119
moi, 102 pataugeoire, 169
monde interne, 13 pathologie(s)
Index 263

––chroniques, 156 ––d’adultes, 177


––du lien, 60 ––de secteur, 4
––limite, 59, 102 ––du bébé, 33
––somatique, 18 ––fœtale, 33
pédagogie, 2, 113 psychodrame, 219
pédiatre(s), 2, 84 psychomotricien, 2, 166
pédopsychiatrie de liaison, 4, 242 psychopathie, 127
pédopsychiatrie de secteur, 15 psychose maniaco-dépressive, 129
périnatalité en réseau, 56 psychose précoce déficitaire, 72
perlaboration, 13 psychothérapie brève parents-
phacomatoses, 153 enfant, 60
pubertaire, 112
pharmacopsychose, 124
puéricultrice, 2, 177
phobie(s), 19
––précoces, 51
Q
––scolaire, 102
quotient de développement, 163
phonétique, 170
phonologique, 170
R
plaisir, 12
raison statistique, 29
pointage proto-impératif, 63
recherches médicales, 24
porteur de symptôme, 150
réflexes archaïques, 35
post-kleiniens, 19
refoulement, 102
posture, 167
régulation du tonus, 23
praxies, 167
relation
précarité, 81
––d’objet virtuel, 145
précurseurs du langage, 11
––parents-bébé, 34
préoccupation maternelle primaire, 33
––sexuelles, 115
prescription médicamenteuse, 221 ––thérapeutique, 13
prestance, 167 ––transférentielle, 226
prévention, 1 relaxation, 169
problématiques institutionnelles, 182 repli interactif, 45
processus, 111 representamen, 172
professeurs, 2 responsabilisation, 154
professionnels de première ligne, 57 retard, 51
projection, 139 ––de langage, 69, 70
projections empathiques, 59 ––de parole, 69
projections oméga, 59 ––mental, 84
projections parentales, 33 retrait, 43
pronostic, 28, 118 retrait autistique, 139
prophétie autoréalisatrice, 30 réunions de l’équipe, 183
propriété émergente, 68 réunions de synthèse, 3
prosodie, 171
protection de l’enfance, 204 S
protection maternelle infantile, 2 sages-femmes, 2
pseudodébilités, 85 santé mentale, 18
psychanalyse, 11, 19 scène traumatique, 120
psychiatrie schéma corporel, 162
264 La consultation avec l’enfant

schizophrénie, 23, 86 ––autistique, 4


––à l’adolescence, 137 ––d’Asperger, 72
––infantile, 86 ––de Gilles de la Tourette, 168
schlintement, 69 ––de Munchaüsen, 54
séance de psychothérapie, 27 ––de Rett, 73
secret, 116 ––dépressif du bébé, 44
secret professionnel, 205 ––dissociatif, 138
secrétaire médicale, 179 syntagmes, 11
sécure, 19 syntaxique, 170
sémantique, 170 synthèse, 183
sémiotique, 171 T
sensations, 62
télévision, 62, 143
séparation, 60
tests de niveau, 163
service public, 4
tests projectifs, 164
services d’éducation spéciale et de
THADA, 4
soins à domicile, 215
thèmes délirants, 88
sexualité
thérapeutique, 27, 115
––à l’adolescence, 115
tonus, 12, 167
––génitale, 114
toute-puissance infantile, 112
––infantile, 101
toxicomanie, 115
sigmatisme interdental, 69
traitement médicamenteux, 21
sigmatisme latéral, 69
transmission des informations
signalement, 204
diagnostiques, 210
signes, 21
travail à domicile, 60
soin(s)
triangulation primaire, 36
––à temps partiel, 220
trouble, 77
––à temps plein, 221 ––à expression somatique, 44
––ambulatoires, 215 ––anxieux, 225
––en petits groupes, 219 –– conversifs majeurs (névrose hystérique), 81
––individuels, 219 ––de l’articulation, 69
souffrance, 2, 7 ––de l’audition, 170
sourire, 39 ––des conduites alimentaires, 130
Spitz (absence des organisateurs), 51 ––des conduites perceptives, 51
squiggle, 98 ––des conduites sociales non
Still Face, 34 linguistiques, 51
Strange Situation, 34 ––désintégratif, 73
structure sous-jacente, 3 ––du comportement, 10, 51
subjectivité, 12 ––du cours de la pensée, 89
sublimation, 102 ––du langage, 23
suicide, 28, 115 ––du prélangage, 51
suivi en ambulatoire, 28 ––envahissants du développement, 72
surmoi, 101 ––fonctionnels, 51
symbolique, 12 ––névrotiques, 80
symptôme(s), 3, 21 ––obsessionnel compulsif, 194
syncinésies, 167 ––somatoformes, 81
syndrome, 24 ––thymiques, 124
Index 265

U violence conjugale, 81
unité du soir, 179 virtuel, 143
unités mères-bébés, 177 visites médiatisées, 82
urgences, 155 vocalisations, 11
vulnérabilité, 14
V
vagissements, 11 Z
vécus émotionnels, 10 zézaiement, 69

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