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Karinne Gueniche

P S Y C H O PAT H O L O G I E
D E L’ E N F A N T
5e édition

Sous la direction de
Jean-Louis Pedinielli
Conception de couverture : Le Petit Atelier
Mise en page : PCA

© Armand Colin, 2020 pour la 5e édition.


© Armand Colin 2016 pour la 4e édition
Armand Colin est une marque de
Dunod Éditeur, 11 rue Paul Bert, 92240 Malakoff
ISBN : 978-2-200-62881-9
Sommaire

Introduction ....................................................................................... 7

1. Le développement psycho-affectif de l’enfant.............................. 13


1. Les stades du développement psychomoteur et cognitif . 13
1.1 Le développement psychomoteur : ses caractéristiques.... 13
1.2 A l’origine de l’intelligence .............................................. 15
1.3 Le développement cognitif............................................... 16
1.4 La théorie de l’inhibition cognitive .................................. 19
2. La naissance de la vie psychique et ses rapports avec
la genèse de la relation objectale. Les approches
psychanalytiques ...................................................................... 20
2.1 Sigmund Freud ................................................................ 21
2.2 Wilfrid Bion..................................................................... 23
2.3 Anna Freud...................................................................... 25
2.4 Donald Wood Winnicott ................................................. 26
2.5 Margaret Malher .............................................................. 27
2.6 Melanie Klein .................................................................. 28
2.7 René Spitz ........................................................................ 29
3. Psychologie du développement et théories
psychanalytiques du développement : un débat actuel........ 30
3.1 Les précurseurs des liens entre psychologie du
développement et psychanalyse............................................. 30
3.2 Vers une intégration entre recherches sur le développement
et psychanalyse...................................................................... 33
3.3 Le problème de l’inférence : l’exemple du « soi »
précoce du bébé ..................................................................... 33
3.4 L’empathie et la perspective herméneutique empirique ... 35
4. Le développement libidinal ou la sexualité infantile et ses
avatars ........................................................................................ 36
4.1 L’organisation libidinale ................................................... 36

3
Sommaire

4.2 « Se savoir ou se sentir garçon ou fille » ou l’élaboration


de l’identité sexuée ................................................................ 39
4.3 Quel genre d’éducation ?.................................................. 40
5. Du complexe d’Œdipe à la névrose infantile.................... 41
6. La mise en veille des mouvements pulsionnels :
la période de latence................................................................. 42
7. Le réveil pulsionnel à la puberté : le passage vers
l’adolescence .............................................................................. 43

2. Étude psychopathologique des conduites chez l’enfant .............. 45


1. Les dysfonctionnements des relations précoces parents/
nourrisson ................................................................................. 45
1.1 Les relations précoces ...................................................... 45
1.2 Les facteurs de dysfonctionnement .................................. 48
2. Les troubles du sommeil ..................................................... 50
2.1 Rappel psychologique ...................................................... 50
2.2 Les différents types de troubles du sommeil chez l’enfant. 51
3. Les troubles du langage ....................................................... 55
3.1 L’acquisition et le développement du langage .................. 55
3.2 Les différents troubles du langage ................................... 56
4. Les troubles du contrôle sphinctérien ............................... 59
4.1 L’énurésie ......................................................................... 59
4.2 L’encoprésie ..................................................................... 61
5. Les troubles du comportement ........................................... 62
5.1 Les conduites agressives .................................................. 62
5.2 Les vols ............................................................................ 66
5.3 Les mensonges ................................................................. 67
5.4 Les fugues ........................................................................ 68
6. Les troubles psychomoteurs................................................ 70
6.1 L’inhibition psychomotrice .............................................. 70
6.2 Les dyspraxies ................................................................. 71
6.3 Les tics............................................................................. 72
6.4 L’instabilité psychomotrice, l’hyperkinésie
ou hyperactivité ..................................................................... 73
7. La dépression et son expression chez l’enfant .................. 77
7.1 La dépression chez l’enfant .............................................. 77

4
Sommaire

7.2 De quelques dépressions infantiles .................................. 79


7.3 L’étiopathogénie de la dépression chez l’enfant ................ 80

3. Le champ nosographique en psychopathologie infantile ............ 83


1. Les psychoses de l’enfant .................................................... 83
1.1 Une entité à part : l’autisme infantile ............................... 83
1.2 Les psychoses précoces.................................................... 89
1.3 Les psychoses de la seconde enfance ............................... 91
1.4 L’évolution des psychoses infantiles................................. 92
1.5 La complexité de la prise en charge ................................. 92
2. Les pathologies limites de l’enfant ..................................... 94
2.1 Que recouvrent ces entités ?............................................. 95
2.2 Les différentes formes des pathologies limites de l’enfant
ou les modes d’expression symptomatique du tableau clinique 97
2.3 Les aspects psychopathologiques des pathologies limites
de l’enfant .............................................................................. 101
2.4 L’évolution des pathologies limites de l’enfant
et leur thérapeutique : une nouvelle approche ? ..................... 104
3. Les troubles névrotiques de l’enfant .................................. 105
3.1 Organisation de type névrotique, état névrotique,
trouble névrotique ou névrose chez l’enfant ? ........................ 105
3.2 La « névrose » de l’enfant ................................................. 106
3.3 Le repérage des symptômes ............................................. 107
3.4 L’après-coup dans le champ de la psychanalyse de l’enfant 114
3.5 L’évolution et le(s) traitement(s) des enfants « névrosés » . 115

Conclusion .......................................................................................... 117

Glossaire............................................................................................. 120

Bibliographie ...................................................................................... 123


Introduction

L’objet de la psychopathologie de l’enfant est l’évaluation du caractère


pathogène ou organisateur de l’une, ou plusieurs, de ses conduites ; cette
évaluation impose de connaître le cadre de la « normalité » de son déve-
loppement. Ainsi, un trouble infantile doit être repéré selon les points de
vue symptomatique (reconnaître son existence, évaluer son poids et sa
fonction dynamique), structurel (situer sa place au sein de la structure),
génétique et environnemental (apprécier cette structure dans le cadre de
l’évolution génétique et environnementale).
La pédopsychiatrie trouve schématiquement ses origines dans deux
sources distinctes, l’une est issue du courant de l’éducation et l’autre de
la psychopathologie de l’adulte, et s’est constituée à partir d’une pratique
clinique empirique. La réflexion théorique, utilisant divers courants et
paradigmes, a été construite par les spécialistes dans l’après-coup de leur
pratique. Aujourd’hui, le questionnement ne porte plus sur ce qui, dans
le développement de l’enfant et son éventuelle psychopathologie, appar-
tient à l’équipement génétique inné ou à l’apport environnemental acquis ;
ces deux aspects étant en effet liés dans une conception épigénétique de
l’individu.
L’intérêt de la démarche en psychopathologie infantile consiste notam-
ment à évaluer puis prédire le risque de morbidité et la potentialité patho-
gène de l’organisation mentale de l’enfant, observé à un moment donné de
son histoire et de son développement ; les caractéristiques de cet examen
psychologique seront présentées brièvement ci-après. Le clinicien, quant
à lui, se réfère à un ou plusieurs modèles conceptuels1 pertinents pour la
compréhension du psychisme du jeune.

1. Les modèles conceptuels se répartissent, selon Ajuriaguerra & Marcelli (1989),


en cinq types : le modèle sémiologique descriptif, lésionnel, ontogénétique (le déve-
loppement de l’individu de l’enfance précoce à l’âge adulte), analytique et enfin
environnemental.

7
Introduction

Enfin, si la pertinence de l’existence d’une psychopathologie de l’enfant


est aujourd’hui reconnue et acceptée, ses objectifs changent et se com-
binent à l’évolution de la société actuelle. Ainsi, par exemple, avec les
travaux sur la périnatalité et les interactions précoces mère-bébé (préma-
turité, procréation médicalement assistée ou adoption, par exemple) ou
l’émergence de « nouveaux » problèmes sociaux (violences, abus sexuels,
précocité de la délinquance juvénile, suicide, émergence de constellations
familiales singulières, etc.) ou encore le vécu psychologique de maladies
somatiques lourdes (cancer, sida, diabète, etc.), la psychopathologie infan-
tile tend de plus en plus à s’inscrire dans une perspective de prévention ;
tel est certainement l’un de ses plus grands défis du troisième millénaire.
Si l’on reconnaît aujourd’hui l’originalité de ce domaine d’étude, plu-
sieurs aspects méritent néanmoins d’être évoqués pour en souligner ses
caractéristiques.
Tout d’abord, rappelons que l’enfant n’est pas un adulte en miniature.
En effet, et telle est l’une de ses spécificités, il est un être en développe-
ment tant physique que psychique, et même si son évolution est un pro-
cessus qui ne se déroule pas sans heurts mais avance par bonds successifs,
tout symptôme psychopathologique infantile doit être resitué dans cette
perspective maturative.
Par ailleurs, nous insistons sur le fait que la psychopathologie infantile
ne correspond pas à une psychopathologie de l’adulte appliquée au petit
d’homme. Précisément, le point de vue adultomorphique qui consiste à
appliquer le modèle de l’adulte sur celui de l’enfant n’est pas adapté ; les
cadres de référence de la psychopathologie de l’enfant n’étant pas ceux
propres à la psychopathologie de l’adulte. En effet, à la pathologie de
l’un ne correspond pas nécessairement une pathologie chez l’autre (par
exemple, les manifestations obsessionnelles infantiles évoluent rarement
vers une névrose obsessionnelle) ; à un autre niveau et du fait du déve-
loppement et de la malléabilité du psychisme de l’enfant, les notions de
« structure » ou « d’organisation mentale » sont largement critiquables.
Le lien entre l’enfant et l’adulte repose probablement sur les vestiges de
l’infantile chez ce dernier ; en témoignent la névrose infantile1 dont son

1. Le lecteur trouvera dans le premier et le troisième chapitre de cet ouvrage des


éléments nécessaires à la compréhension de la névrose infantile.

8
Introduction

fonctionnement psychique porte les stigmates, et cet infans1 qui, loin de


recouvrir son enfance ou l’enfant qu’il était, continue à vivre (et « parler »),
souvent à son insu, en lui.
En outre, l’enfant est un être dépendant de son entourage. Aussi, aux
prises avec sa famille, son fonctionnement psychique ne peut-il être com-
pris qu’à la lumière de l’organisation affective et relationnelle de celle-ci.
À ce propos, nous mettons en garde le lecteur sur le fait qu’il est illusoire
de vouloir dégager une structure pathognomonique d’une pathologie psy-
chiatrique et ce quelles que soient les situations cliniques.
Enfin, rappelons la spécificité de la démarche psychopathologique chez
l’enfant. Celle-ci porte autant sur l’observation que sur l’entretien clinique
(avec l’enfant et/ou ses parents) et le bilan psychologique qui, lui, associe
en particulier les investigations intellectuelles et de personnalité2. L’une
des particularités de l’entretien avec l’enfant tient souvent au fait qu’il
est demandé par ses parents (souvent sa mère) inquiets de ses difficultés
mais peu disposés à l’associer à leur demande (oubli de le préparer à la
rencontre, par exemple). Là, les entretiens préliminaires avec les parents
et l’enfant ont une valeur essentielle. Il s’agit de situer le sens de leur
démarche, reprendre l’histoire singulière de l’enfant mais aussi sa dyna-
mique familiale et transgénérationnelle. Le psychologue questionne alors
le rapport des parents à leurs propres parents, c’est-à-dire leur propre his-
toire œdipienne. Parfois, il doit travailler à associer le père à la démarche
et se soucier de soutenir sa place dans les interactions père-mère-enfant.
Le clinicien s’attache aux divers niveaux de communication et d’échanges
familiaux, tant infraverbaux que verbaux ; la manière dont l’enfant s’intro-
duit dans le discours parental est toujours signifiante. Divers secteurs ou
étapes de l’histoire et de la vie de l’enfant pourront être abordés3. Pour éta-

1. « L’infans » désigne cet état de l’enfant avant d’être celui qui parle.
2. Bien entendu, l’enfant peut, dans d’autres contextes et avec d’autres spécialistes,
faire l’objet de bilans supplémentaires qui complètent les informations sur son déve-
loppement et sa symptomatologie (bilan orthophonique, auditif, neurologique, etc.).
3. On pourra s’intéresser à la grossesse de la mère, la naissance de l’enfant, son
évolution psychomotrice et affective, l’accès à la marche et au langage, ses antécé-
dents personnels, son entrée à l’école, ses relations avec ses pairs, sa fratrie et sa
famille, ses intérêts et loisirs extrascolaires ; en outre, on sollicitera des informa-
tions sur l’histoire du père et de la mère et de leur famille respective (décès, secrets
de famille, etc.), et enfin on s’intéressera à l’histoire des troubles de l’enfant, aux
examens réalisés, aux démarches thérapeutiques éventuellement engagées, etc.

9
Introduction

blir une communication authentique avec l’enfant, le spécialiste peut uti-


liser l’échange verbal, le jeu, le dessin, la pâte à modeler, le récit de rêve, etc.
Pour finir, rappelons que les tests psychologiques se distinguent selon
leur objet d’étude : les capacités intellectuelles sont évaluées par des tests
psychométriques de niveau et les résultats sont exprimés en quotient de
développement (Q.D.) ou en quotient intellectuel (Q.I.) ; la personnalité
est, quant à elle, étudiée par des techniques projectives (Rorschach, T.A.T.,
C.A.T., Patte Noire, etc.) qui analysent les composantes de la dynamique
affective1. Bien entendu, les mécanismes transférentiels jouent un rôle
fondamental dans la passation de ces épreuves. L’investigation rend donc
également compte de ressources ou difficultés tant cognitives qu’affectives
à un moment de l’histoire singulière de l’enfant dans cette rencontre spé-
cifique à ce clinicien-là.
L’objet de cet ouvrage est avant tout celui d’un état des lieux, certes bref
et souvent trop schématique, de la psychopathologie infantile ; l’âge de
l’enfant étudié ici variera de 0 à 10-12 ans2. Notre tâche sera d’autant plus
complexe que cet intervalle est large et qu’une nécessité éditoriale nous
impose la concision.
Dans le cadre de ce travail, nous tenterons d’adopter une démarche
associant trois aspects : une définition précise du trouble ou de l’entité
nosographique étudié, une présentation des éléments cliniques spéci-
fiques et une discussion psychopathologique sur leur étiopathogénie3.
Pour ce faire, nous rendrons compte des différents paradigmes théo-
riques pouvant nous aider à comprendre le dynamisme et donner un sens
aux conduites mentales bien que, dans ce dessein, le point de vue psy-
chodynamique nous apparaisse souvent le plus adapté. En effet, même
si la psychopathologie est avant tout descriptive, notre projet n’est pas
d’adopter une démarche qui, comme trop fréquemment dans la clinique

1. Le lecteur pourra trouver des informations plus détaillées sur l’entretien clinique
et l’examen psychologique dans la plupart des manuels en psychopathologie de
l’enfant ; par exemple, Ajuriaguerra & Marcelli (1989), Ferrari & Epelbaum (1993),
Mazet & Houzel (1996), Houzel, Emmanuelli & Moggio (2000), Arbisio (2003),
Lebovici, Diatkine & Soulé (2004), Marty et al. (2010), etc.
2. La psychopathologie de l’adolescent ne sera donc pas abordée dans cet ouvrage.
3. La sémiologie porte sur l’observation du signe (« l’insomnie », par exemple) alors
que la discussion psychopathologique s’intéresse à son interprétation, à sa valeur
(« comment et pourquoi l’insomnie ? »).

10
Introduction

infantile actuelle, établit des liens simplistes entre un trouble chez l’en-
fant et un facteur étiologique précis et univoque dans un enchaînement
causal linéaire. Ainsi, chaque fois que possible, nous insisterons d’une
part sur la nécessité d’analyser le trouble infantile dans une perspective
métapsychologique*1 et d’autre part sur les multiples spécificités de l’en-
fant à la fois du fait de sa maturation, la structuration de son psychisme et
sa dépendance à l’environnement.
Aux trois aspects de notre démarche répondront les trois axes complé-
mentaires de la présentation de la psychopathologie de l’enfant proposée
dans cet ouvrage ; ces trois axes constituent d’ailleurs les trois chapitres
qui le composent. L’évolution de l’enfant dans ses dimensions psychomo-
trice, cognitive, psychosociale et affective sera esquissée dans le premier
chapitre ; rendant compte des différentes théories concernant son dévelop-
pement affectif, nous envisagerons alors l’élaboration de son psychisme
dans une interaction permanente avec son environnement, son appareil
à penser et son corps. Soulignons que, dans cette nouvelle édition, nous
évoquerons les nouvelles théories cognitives sur la naissance de l’intelli-
gence, et l’actuelle discussion entre psychanalyse et neurosciences déve-
loppementales. La présentation des troubles des conduites, notamment
instrumentaux, de leur évolution et de leur thérapeutique sera réalisée
dans le deuxième chapitre ; simultanément et d’une part, nous tenterons
de sensibiliser le lecteur aux liens entre l’enfant et la société, d’autre part
nous exposerons les phénomènes typiques de la dépression chez l’enfant,
trouble extrêmement fréquent dans la clinique pédopsychiatrique, et
les discuterons, eu égard aux différents courants psychopathologiques.
Enfin, les grands regroupements nosographiques seront proposés dans
le troisième chapitre ; tout en soulignant les spécificités des phénomènes
typiques des psychoses, pathologies limites et troubles névrotiques de
l’enfant, nous discuterons pour chacun de ces syndromes les différentes
théories psychopathologiques qui s’y rapportent.
Dans ce travail et sans prétendre être exhaustive, nous avons choisi de
présenter une approche générale et synthétique de la psychopathologie de
l’enfant, nécessairement réductrice2.

1. L’astérisque renvoie le lecteur au glossaire situé à la fin de l’ouvrage.


2. L’ensemble des observations est issu de notre pratique clinique. Les noms et
autres critères distinctifs ont été modifiés pour préserver l’anonymat des enfants
et de leur famille.
1
Le développement psycho-affectif
de l’enfant
1. Les stades du développement psychomoteur et cognitif
Certains auteurs (J. Piaget, S. Freud et A. Freud, par exemple) décrivent
le développement de l’enfant par stades successifs, ordonnés de manière
immuable et nécessaire ; d’autres le considèrent, en revanche, comme un
processus continu. En fait, le développement est logique et progressif :
une étape doit être franchie pour qu’un nouveau niveau (psychomoteur,
cognitif ou affectif) soit atteint ; ce faisant, « il y a inévitablement une part
d’arbitraire dans le découpage des stades » (Mazet & Houzel, 1999).
Si la réalité clinique légitime la description des stades de développe-
ment, l’usage pratique de cette notion (description de l’enfant en termes de
stades, de périodes ou d’étapes) est critiquable. Précisément, elle enferme
une personnalité dans un schéma réducteur, faisant fi de l’extrême
richesse de l’individu et surtout de l’incroyable fluidité et variabilité de
son développement individuel.

1.1 Le développement psychomoteur : ses caractéristiques


Rendre compte du développement psychomoteur de l’enfant de façon
succincte est complexe. Aussi, consciente des biais possibles liés à la
nécessaire synthèse, avons-nous choisi de décrire ses étapes, sans les
détailler. Néanmoins, nous insistons sur l’intrication étroite et interactive
entre l’évolution de la motricité de l’enfant, son affectivité1 et son dévelop-
pement psychique, dont témoigne la notion de « psychomotricité ».
Le développement psychomoteur s’effectue selon un schéma et des
lois déterminés. En outre, l’acquisition des fonctions motrices dépend de

1. Si le développement psychomoteur n’échappe pas aux conditions extérieures,


la vie relationnelle est indispensable à l’organisation fonctionnelle des structures
nerveuses.

13
1 Le développement psycho-affectif de l’enfant

l’élaboration des structures anatomiques qui leur sont indispensables ;


l’ordre d’apparition de celles-ci étant d’ailleurs constant. Enfin, l’évolution
motrice se caractérise par plusieurs lois1 : céphalo-caudale, proximo-dis-
tale2, de différenciation et de variabilité.
Les caractéristiques de la psychomotricité du nourrisson sont particu-
lières. On relève au niveau des membres une hypertonie physiologique
du tonus musculaire, avec des attitudes en flexion, et une motricité spon-
tanée faite de mouvements diffus et anarchiques. Au niveau du visage,
on observe une motilité (moues, grimaces) qui peut avoir valeur de
communication pour la mère et préfigure le sourire. Quant aux réflexes
archaïques3, ils sont des réponses motrices caractéristiques de la période
néo-natale qui doivent disparaître avec le temps et témoignent, ce faisant,
d’une maturation du système nerveux central physiologique essentielle au
développement. Enfin, notons la prédominance de la sensibilité cutanée,
gustative et olfactive sur l’auditive et la visuelle ; les stimuli internes bien
perçus ont une influence prépondérante sur le vécu du bébé.
Entre 0 et 2 ans, le tonus musculaire évolue, au niveau des membres,
vers une hypotonie et des attitudes en extension. En outre, le développe-
ment postural se perfectionne et vérifie la loi céphalo-caudale (maintien de
la tête vers 5 mois4, position assise vers 8 mois et station debout à 1 an). La
marche, quant à elle, est acquise vers 14-16 mois alors que le contrôle de la
station verticale et la coordination des mouvements alternés des membres
inférieurs sont acquis. La préhension volontaire, importante chez l’enfant
pour la reconnaissance des objets et l’exploration de son corps, suit égale-

1. Pour une approche plus détaillée des étapes du développement psychomoteur


(lois invariantes, âge à chaque étape, etc.), nous invitons le lecteur à se reporter à
l’ouvrage de Mazet & Houzel (1999).
2. La loi céphalo-caudale énonce que les muscles de l’axe du corps sont d’autant
plus tôt sous le contrôle volontaire qu’ils sont plus proches de l’extrémité cépha-
lique : d’abord les muscles oculaires (poursuite des yeux), puis de la nuque (tenue
de la tête) et enfin du tronc (position assise). Selon la loi proximo-distale, plus les
muscles des membres sont proches de l’extrémité céphalique, plus ils sont tôt sous
contrôle volontaire : le contrôle de la motricité des racines des membres précède
celui des extrémités distales.
3. Les principaux réflexes archaïques sont le réflexe de Moro, le grasping-reflex, le
réflexe de redressement et de marche automatique et le réflexe de succion.
4. Ces valeurs ne représentent que des indications générales ; il existe des varia-
tions individuelles importantes.

14
Le développement psycho-affectif de l’enfant 1

ment une évolution par stades : cubito-palmaire (préhension par les quatre
derniers doigts) vers 5 mois, elle devient digito-palmaire (entre la paume
et les quatre derniers doigts) à 6 mois, puis radio-palmaire (entre le bord
latéral du pouce et les dernières phalanges de l’index) vers 7-8 mois et enfin
radio-digitale (entre le pouce et l’index) vers 10 mois. Dans le domaine de
la sensorialité, la différenciation de la vision et de l’audition permet au
jeune explorateur d’investir un environnement plus lointain. Enfin, en
dehors de la motricité spontanée caractérisée par des mouvements éven-
tuellement stéréotypés et circonscrits, normaux dans certaines limites, la
motricité impliquée dans la communication avec autrui s’enrichit. Ainsi,
la mimique volontaire apparaît vers 2 mois sous la forme de la réponse par
le sourire au visage humain de face (premier indicateur de Spitz, 1948),
et les mouvements de l’enfant s’organisent en gestes intentionnels avant
d’accéder au statut de conduites symboliques (fin de la deuxième année).
À partir de 2 ans et ensuite, les possibilités perceptivo-motrices de l’en-
fant se perfectionnent dans le sens d’une plus grande finesse et maîtrise, et
d’une plus grande capacité chez lui à se représenter son corps et l’espace.
Schématiquement, l’évolution concerne le contrôle tonico-moteur, la laté-
ralisation et le schéma corporel*, et l’image du corps* (Mazet & Houzel,
op. cit.).

1.2 À l’origine de l’intelligence


Notre cerveau cognitif d’une complexité sans pareille, et doté de 86 mil-
liards de neurones (et un réseau biologique beaucoup plus complexe que
l’internet mondial !), s’est peu à peu façonné. Il a tout à la fois créé et s’est
adapté aux révolutions tant industrielles, techniques que numériques avec
l’intelligence artificielle, internet et les réseaux sociaux.
Aborder la genèse de l’intelligence et avec elle celle de la pensée
convoque à la fois tant la phylogenèse (l’origine des Hommes) que l’onto-
genèse (le développement d’un individu particulier, à l’échelle de sa vie).
La micro-genèse est aussi ici appelée en ce qu’elle correspond au temps
beaucoup plus court d’un apprentissage ou d’une résolution de tâche
cognitive (en millisecondes) en psychologie expérimentale1.

1. D’autres travaux ayant pour but d’objectiver les potentialités et les ressources
du bébé se sont aussi développés ; ils s’intègrent aux théories expérimentale et
développementale. Les découvertes sur les compétences précoces du nourrisson

15
1 Le développement psycho-affectif de l’enfant

Face à l’immensité du réseau neuronal, il nous semble important de


comprendre, sur le plan cognitif, la façon dont ses connexions s’établissent
et se reconfigurent au regard de l’avancée des apprentissages du petit
d’homme pour donner naissance à sa pensée. Mais si le développement
intellectuel est étroitement associé au cognitif, il est aussi le résultat d’un
développement pulsionnel. L’activité psychique encore appelée « pensée »
est en effet, quant à elle, le fruit de transformations des pulsions à partir
du somatique endogène ; elle est donc la plus éloignée des impressions des
sens (cf. chap. 1, p. 21).
Qu’est-ce que l’intelligence ? Comment naît-elle ? seront deux questions
qui vont à présent nous guider.

1.3 Le développement cognitif


Dès l’Antiquité, les termes des débats contemporains en sciences cogni-
tives sur l’origine des pensées étaient posés : innéisme ou empirisme, inné
ou acquis ? Et ces deux thèses n’ont cessé de s’opposer, par de permanents
effets de balancier, au gré des courants philosophiques… jusqu’à Piaget,
qui fut le tout premier à proposer une synthèse cognitive intermédiaire
avec le constructivisme.
Piaget (1936) est la référence principale en matière de description de
la genèse de l’intelligence chez le petit d’homme. Pour lui, cette fonction
supérieure constitue un moyen d’adaptation de l’individu au milieu afin
de préserver ses meilleures chances de survie. L’intelligence est appré-
hendée comme un processus d’organisation résultant d’un équilibre per-
manent entre deux fonctions-actions complémentaires et réciproques
de l’organisme sur le milieu : l’assimilation (intégrer les informations) et
l’accommodation (s’y ajuster). Piaget considère le caractère hiérarchisé de
l’organisation et, d’une certaine façon, définit l’intelligence par l’établis-
sement de relations.
À un autre niveau, la théorie piagétienne apparaît comme une théorie
de la motivation cognitive puisque l’assimilation et l’accommodation rendent

ont radicalement changé la représentation qu’avaient les adultes du petit d’homme ;


le bébé est devenu un partenaire actif d’une interaction très complexe avec ses
partenaires et son environnement. À ces travaux expérimentaux dans le domaine
des cognitions, s’ajoutent ceux de Piaget décrivant les étapes sensori-motrices du
développement (cf. chap. 1, p. 17).

16
Le développement psycho-affectif de l’enfant 1

compte réciproquement de processus actifs respectivement d’adaptation de


l’organisme à l’environnement et d’action du milieu sur l’organisme. Ces
motivations cognitives, héritières du besoin d’assimilation et d’auto-déve-
loppement des schèmes1, permettent de comprendre l’importance que
Piaget accorde à la sensori-motricité dans les débuts de la construction de
l’intelligence ; celle-ci est en effet considérée comme moyen d’exercice et
de développement mais aussi forme de celle-là.
Pour Piaget, l’intelligence se définit selon quatre principes construc-
teurs : l’objet, le nombre, la catégorisation et le raisonnement. Dans ce
contexte, unité et permanence des objets sont conjointement le socle de toute
l’intelligence, présente ou à venir de l’enfant. L’objectivation des relations
causales entre les objets (tant les objets physiques qu’humains) résulterait
de la coordination entre la préhension et la vision ; la vision, comme la
manipulation des objets, servant de critère au constat de relation causale.
L’organisation spatio-temporelle et l’ensemble des aspects de la « construc-
tion du réel » seraient également liés à ces deux critères.
Piaget décrit trois périodes du développement intellectuel chez l’enfant
qui comprennent différents stades. Ces derniers constituent de véritables
étapes du développement qui présentent trois caractéristiques invariables :
leur ordre de succession est constant, les acquis d’un âge donné ont un
caractère intégratif (ils sont intégrés dans la structure de l’âge suivant) et
un stade représente une structure d’ensemble. Les trois périodes mises
en évidence sont la période sensori-motrice de 0 à 18 mois, la période
préopératoire (illogique) de 18-20 mois à 6-7 ans, et le stade opératoire
(des opérations concrètes) de 6-7 ans à 12 ans2 ; à ce dernier stade, l’en-
fant devient logique au sens piagétien et reconnaît alors l’invariance du
nombre par rapport à la longueur. Plus tard, à l’adolescence, le raisonne-
ment devient la charpente de l’intelligence.
Pour Wallon (1942), seul l’homme peut accéder à la forme supérieure
de l’intelligence, laquelle est fonctionnelle et se réfère au réel ; elle vise
en effet à le connaître en s’y accommodant, s’y adaptant et en l’utilisant.
L’accent est mis sur la perception, en tant qu’activité, et sur le langage qui
permet une transmission des savoirs et une approche représentationnelle

1. Selon Piaget (1936), les schèmes sont des « modes de réactions susceptibles de se
reproduire et de se généraliser ».
2. Nous renvoyons le lecteur intéressé aux travaux de J. Piaget (1936 & 1947).

17
1 Le développement psycho-affectif de l’enfant

du réel. Dans les premiers mois de la vie, Wallon insiste sur l’adualisme,
l’indistinction entre l’enfant et autrui, et l’incapacité du nourrisson à orga-
niser la causalité des situations de la vie du fait de son incapacité à orga-
niser le temps ; le changement est subi et non reconnu.
La théorie de Wallon décrit une série de stades qui répondent à un état
transitoire d’équilibre et accorde toute son importance aux axes de l’affec-
tivité-émotivité et de l’équilibre tonico-moteur. On lui doit le concept de
dialogue tonique, véritable interaction et échange préverbaux entre le nour-
risson et son entourage1 (Wallon & Ajuriaguerra).
En référence au concept d’intelligence et dans la lignée, certes relative,
des travaux piagétiens, citons Vygotski, puis Bruner (1983), de l’école
russe, qui ont proposé une théorie de l’apprentissage associant motricité,
socialisation et processus intellectuels internes (« l’intériorisation »). Ainsi,
le développement psychique serait engendré par la socialisation, les rela-
tions entre individus ou catégories intermentales, puis s’organiserait en caté-
gories intramentales, témoins de l’accès à la symbolisation.
Toutefois, après Piaget, les travaux des sciences cognitives2 sur le bébé
ont révélé, avec d’autres techniques expérimentales plus fines (observa-
tions vidéos reliées à des ordinateurs), qu’il en allait autrement. On a ainsi
découvert que déjà les bébés de quelques mois, bien avant l’apparition du
langage (2 ans), possèdent et manifestent l’algorithme cognitif d’invariance
du nombre par rapport à la longueur, grâce à un mécanisme de comptage
visuel. En outre, les bébés réalisent déjà visuellement des opérations arith-
métiques élémentaires exactes (additions et soustractions) et de véritables
statistiques. Autant de capacités proto-mathématiques, dont le siège céré-
bral est maintenant connu (le sillon intra-pariétal, SIP), qui oblige à réviser
la théorie de Piaget. Comment, en effet, peut-on expliquer à la fois ces
compétences numériques précoces, reposant en partie sur des mécanismes
innés, et les incompétences tardives observées dans la tâche de Piaget ?

1. Nous renvoyons le lecteur intéressé à ses travaux : Wallon, H. (1942).


2. Les sciences de la cognition s’interrogent sur les conditions de développement
des capacités cognitives précoces du bébé. Des capacités précoces d’abstraction
existeraient donc et précéderaient toute manipulation concrète du nouveau-né.
Cette capacité de transmodalité, écrivait Stern (1985), sans encore que les cogniti-
vistes puissent prendre véritablement la mesure de son importance, pourrait témoi-
gner de l’émergence de la fonction symbolique et de la fonction de représentation
(Marcelli, 1982).

18
Le développement psycho-affectif de l’enfant 1

1.4 La théorie de l’inhibition cognitive


C’est pour lever ce type de paradoxe que la théorie de l’inhibition
cognitive a été inventée et testée (Houdé, 2014, 2020). En effet, ce qui
pose problème à l’enfant qui échoue dans la tâche piagétienne des jetons,
plus ou moins écartés, jusqu’à 6-7 ans est l’inhibition de l’automatisme
de réponse « longueur = nombre » (encore appelée « inhibition de l’heuris-
tique »), suractivée par le matériel expérimental. Une heuristique est une
stratégie approximative de jugement, très rapide et très efficace – donc écono-
mique pour le cerveau – qui fonctionne très bien, très souvent, mais pas
toujours ! Par exemple, « longueur = nombre ». À l’inverse, un « algorithme
cognitif » est une stratégie exacte, plus lente, réfléchie et analytique (effort
cognitif du cerveau) qui conduit quasi toujours à la bonne solution. Dans
la tâche des jetons de Piaget, c’est le comptage. Il permet, en effet, de véri-
fier l’invariance du nombre par rapport à la longueur.
L’intelligence humaine résiderait dans la capacité du sujet à inhiber, au
cas par cas, les heuristiques erronées pour activer ses algorithmes cognitifs
(Houdé, 2014 & 2020). L’inhibition (préfrontale) dont il est question ici est un
mécanisme clé de la tolérance. Il s’agit toujours, dans les domaines cognitifs
ou sociaux, d’apprendre à résister et à penser parfois contre soi-même.
Pour l’équipe du professeur Houdé1, l’inhibition est au cœur de l’intelli-
gence, de l’adaptation et donc de la vie. Notre esprit ne serait pas condamné
à être dominé par des heuristiques irrationnelles. Sans doute faut-il éveiller
ce contrôle inhibiteur et l’exercer, tant chez l’enfant que chez l’adulte, par des
émotions telles que le doute, la curiosité et le regret – mieux, l’anticipation du
regret, sinon c’est trop tard ! Il y aurait là des clés psychologiques et péda-
gogiques pour un autre constructivisme que celui de Piaget. « Un neuro-
constructivisme fondé sur les ressorts de l’émotion et de l’inhibition dans
le cerveau, au service de l’intelligence » (Houdé, 2014).
Avec ce développement synthétique des travaux sur la genèse de l’intel-
ligence chez l’enfant, nous sentons dès à présent combien les liens entre
les fonctions cognitives, le comportement et l’affectivité existent. Aussi,
nous paraît-il essentiel de présenter les différents paradigmes théoriques
aux prises avec la construction de l’appareil psychique de l’enfant en insis-

1. Laboratoire de Psychologie du Développement et de l’Éducation de l’enfant


(LaPsyDÉ), UMR CNRS 8240, Université de Paris (ex-Paris Descartes).

19
1 Le développement psycho-affectif de l’enfant

tant tant sur son développement mental que sur ses interactions avec sa
mère1 (et/ou son père). Si, en ce sens, les approches psychanalytiques2 sont
déterminantes pour rendre compte de ces correspondances, l’apport de
l’éthologie, de la systémique, de la psychologie développementale, voire
neuro-développementale, et enfin cognitive (voire neuro-cognitive) mérite
également notre attention.

2. La naissance de la vie psychique et ses rapports


avec la genèse de la relation objectale.
Les approches psychanalytiques
Certaines hypothèses freudiennes3 d’abord puis d’autres éminents psy-
chanalystes sur la genèse des représentations notamment ont contribué
de manière déterminante à construire le champ théorique des interactions
mère-bébé (puis père-mère-bébé) et du développement de l’enfant4.
Devant l’ampleur des écrits sur la construction de « l’appareil à penser
les pensées » (Bion, 1961) associée à la relation d’objet d’amour primaire,
nous limiterons notre propos, déjà extrêmement long, aux travaux d’un
certain nombre de psychanalystes tels que S. Freud, W. Bion, A. Freud,
D.W. Winnicott, M. Malher, M. Klein et R. Spitz, étant bien entendu
que d’autres auteurs participent également à l’évolution des idées sur ce
domaine et que cet aperçu est nécessairement réducteur.

1. Dans le cadre de cet ouvrage, le terme « mère » vaudra autant pour la mère réelle
de l’enfant que pour son substitut.
2. Ainsi, l’œuvre freudienne a pour ambition de relier le développement affectif
au développement intellectuel et d’intégrer les processus cognitifs dans un modèle
dynamique de l’appareil psychique. Celui-ci permet ainsi, par exemple, d’obtenir des
éléments pour comprendre les troubles intellectuels dans les pathologies mentales.
3. En fait, il s’agit d’une reconstruction réalisée par S. Freud à partir de cures analy-
tiques d’adultes et d’observations d’enfants (cf. chapitre 1, p. 21).
4. À ce propos, l’intersubjectivité considérée comme une forme de partage des
états psychiques intérieurs (au départ de la mère pour son bébé) fait l’objet récent
de nombreux travaux pour comprendre la genèse de la vie psychique du petit
d’homme et son accès au langage (Ciccone, 2001) ; dans l’autisme, par exemple,
l’intersubjectivité serait difficile voire impossible à instaurer.

20
Le développement psycho-affectif de l’enfant 1

2.1 Sigmund Freud


Freud (1914) émet l’hypothèse selon laquelle le nouveau-né est dans un
état de narcissisme* primaire, « his majesty the baby » écrit-il, impliquant un
investissement du moi* mais également une satisfaction de ses besoins.
Relativement à ce modèle, purement spéculatif, l’enfant apparaît, dès la
naissance, dans un état de détresse initiale du fait de son état d’impuissance
et, ce faisant, dans un état de dépendance absolue par rapport aux soins
de maternage (nourrissage, confort, chaleur, etc.) avec lesquels il forme
une unité véritable. L’expérience primaire de la satisfaction a une valeur
fondatrice1. En effet, l’entourage est nécessaire pour interrompre les exci-
tations endogènes que le bébé ne peut maîtriser ; le besoin est apaisé grâce
à l’intervention d’autrui.
Progressivement, la discontinuité obligatoire des soins maternels
impose au bébé d’« halluciner » l’objet de la satisfaction, le sein 2, et par
là même le plaisir ; ainsi, lorsque le besoin physiologique apparaît à
nouveau et que l’objet manque, le bébé confronté au déplaisir réinvestit
les traces mnésiques de l’objet de plaisir. Telle est, pour le père de la
psychanalyse, l’hypothèse théorique de la satisfaction hallucinatoire du
désir chez le nourrisson, à l’origine de la vie psychique. Cette conjecture
lui permet d’ailleurs d’établir une distinction utile entre perception et
représentation 3. Précisément, l’appareil psychique primaire se fonde sur
le réinvestissement du souvenir de la perception de l’objet originaire-
ment satisfaisant qu’il nomme identité de perception ; la reproduction de
la perception étant liée à la satisfaction du besoin4. En somme, la mère
absente est créée par le bébé qui hallucine le plaisir et sa source (Lebo-
vici, 1983).

1. Notons au passage que, pour désirer l’objet, il faut qu’il ait été gratifiant.
2. Dans la pensée psychanalytique, le « sein » représente l’objet de la satisfaction, le
plus souvent la figure maternelle.
3. Une perception nécessite la présence de l’objet et est une garantie objective de la
réalité, alors qu’une représentation correspond à l’évocation d’un objet par sa non-
perception actuelle, c’est-à-dire à la réplique interne d’un objet externe. La repré-
sentation prend le relais lors de l’échec de la satisfaction hallucinatoire du désir et
implique une délimitation entre intérieur et extérieur.
4. Ainsi, nous pouvons faire l’hypothèse que le premier objet désiré n’est autre que
l’investissement hallucinatoire du souvenir de la satisfaction.

21
1 Le développement psycho-affectif de l’enfant

La satisfaction des besoins de l’enfant apparaît finalement essentielle et


peut, en référence à Lebovici (1961), être traduite ainsi « la mère est investie
avant que d’être perçue » et « l’investissement du moi* – conséquence du nar-
cissisme* primaire – fonde l’objet » ; ces deux propositions étant inverses
mais coexistantes chez le nourrisson.
Freud (1914) va plus loin dans son étude sur la construction du psy-
chisme, plus spécifiquement sur la genèse des représentations chez le
bébé ; il avance que l’hallucination* par l’enfant de la satisfaction de ses
besoins se fait par la « réactivation des traces mnésiques des expériences
de satisfactions antérieures et de la mise en jeu des zones érotiques spé-
cifiques ». Il semble donc que le désir de l’objet1 s’étaye obligatoirement
sur la satisfaction des besoins physiologiques ; cet étayage participant à la
genèse de la relation objectale par le bébé. Il écrit « les premières satisfac-
tions sexuelles auto-érotiques sont vécues en conjonction avec l’exercice
de fonctions vitales qui servent à la conservation de l’individu. Les pul-
sions sexuelles s’étayent d’abord sur la satisfaction des pulsions du moi*,
dont elles ne se rendent indépendantes que plus tard ; mais cet étayage
continue à se révéler dans le fait que les personnes qui ont affaire avec
l’alimentation, les soins, la protection de l’enfant deviennent les premiers
objets sexuels » (ibid.).
Enfin, Freud (1915) introduit le concept de pulsion, central dans la
théorie psychanalytique. Pour lui, la pensée procède de la pulsion et exige
des transformations2. La pulsion est un processus dynamique dont la
source, une excitation corporelle, provoque un état de tension qui pousse
l’organisme à la décharge de cette excitation par l’investissement d’un objet,
en fait l’objet interne – le premier objet étant la mère ; l’apaisement de la
tension constitue le but de la pulsion.
En somme, pour Freud, tout débute par la satisfaction hallucinatoire du
désir, elle-même liée à l’expérience de satisfaction au sein ; lorsque le sein

1. Le désir de l’objet correspond donc à l’investissement affectif du sein puis de


la mère qui s’appuie sur des expériences de satisfaction, lesquelles s’étayent sur le
besoin physiologique.
2. Il existerait des liens et des rapports d’emboîtement entre les différentes étapes
de transformations qui pourrait être schématisés ainsi : soma > pulsion > affect >
représentation de choses (connotation visuelle) > représentation de mots (conno-
tation verbale) > pensée réflexive. Ici le signe > signifie, par exemple, que l’affect
contient la pulsion.

22
Le développement psycho-affectif de l’enfant 1

vient à manquer, la pensée émerge. Lorsqu’il a faim, mal au ventre ou désire


sa mère, le bébé s’arrête de pleurer grâce à la représentation hallucinatoire
du désir ; l’enfant « croit » que le sein halluciné est le sein réel : imaginaire
et réel étant mêlés. Cependant, lorsque la voie hallucinatoire se révèle inca-
pable de faire cesser le besoin qui existe, l’objet ne venant plus cautionner
l’hallucination*1, l’appareil psychique est alors obligé de se représenter les
circonstances du monde extérieur : c’est le principe de réalité*.
La représentation se situe entre un objet et une pensée ; c’est le double
interne (duplicata) de l’objet absent. En d’autres termes, le désir naît de
l’absence du sein et du manque inhérent à celle-ci sous la forme d’une
représentation de chose. La perte de l’objet fait émerger la première repré-
sentation 2 ; cette perte permettant l’instauration du principe de réalité* et
du jugement de l’existence d’un objet3.

2.2 Wilfrid Bion


Bion (1961), s’il reprend la théorie de S. Freud, est, d’une certaine
façon, le continuateur de l’œuvre de M. Klein. Pour lui, c’est le « néant »,
le « négatif » qui est à l’origine des processus de pensée ; ainsi, et comme
Freud, il fait d’une expérience de manque – l’absence de sein – la condi-
tion de la formation d’une pensée, laquelle permet de différer et de sup-
porter l’attente.
Bion situe l’origine la plus lointaine de la pensée dans l’identification
projective, c’est-à-dire dans cette activité capable de débarrasser la psyché
de stimulations en surnombre et nocives pour le sujet (ici, le bébé) sur
l’autre (ici, la mère).
Pour Bion, la pensée est « le fruit d’une rencontre avec une réalisation
négative » frustrante où rien ne se passe. Dans sa théorie, la capacité à

1. Lorsque l’hallucination* cesse, elle donne naissance au fantasme.


2. Au niveau clinique, les répercussions peuvent être nombreuses. Par exemple,
une mère trop encombrante et envahissante pourra avoir un retentissement sur le
développement de la pensée de son enfant.
3. Selon Freud, pour accéder à la pensée, il faut de petites quantités d’énergie
nécessaires aux liens ; cette pensée ne s’établit qu’en liant l’énergie psychique et l’af-
fect grâce au moi* qui devient son agent (juger, faire attention, lier, etc.). Ainsi, pour
qu’il y ait pensée, la distinction nécessaire entre perception et représentation est
réalisée par le moi* qui de plus inhibe, par la mise en place de défenses psychiques,
la décharge perturbatrice d’affects.

23
1 Le développement psycho-affectif de l’enfant

tolérer la frustration est essentielle car elle garantit de la capacité à former


les pensées. En effet, si la capacité de tolérance à la frustration est suffi-
sante, le non-sein, c’est-à-dire la frustration, devient une pensée et l’appa-
reil à penser les pensées se développe.
Ainsi, à partir de la frustration, il existe deux destins opposés. Soit le
bébé tolère la frustration, la modifie et développe sa part de personnalité
non psychotique ; soit il ne la tolère pas et s’enfonce dans la psychose
et l’autodestruction mentale au détriment de la formation de l’appareil à
penser. Dans ce cas, il y a fuite de la frustration par identification projective
et ce qui aurait dû devenir une pensée devient un mauvais objet (un élé-
ment bêta ou une « chose en soi ») qu’il faut à tout prix éjecter.
Le rôle de la mère est fondamental : elle doit agir comme un contenant
et parvenir à donner à son bébé le sentiment que sa peur revient sous une
forme tolérable grâce à sa fonction alpha, sa capacité de rêverie. Elle renvoie
à son enfant les contenus toxiques expulsés, mais transformés, bonifiés,
amendés de leur potentiel de destructivité afin qu’il puisse les réintro-
jecter sous une forme tolérable, c’est-à-dire d’objet de penser (Houzel,
2010). À l’inverse, si la mère ne peut pas supporter les projections anxio-
gènes de son enfant, celui-ci reste avec cette surexcitabilité sans pouvoir
la traiter lui-même ; le sentiment de détresse s’installe. En effet, le bébé
utilise alors massivement l’identification projective pour se soulager – au
prix d’une mutilation de ses rudiments d’organisation du moi* – sans
que la fonction alpha de sa mère opère : il réintrojecte du mauvais, « une
terreur sans nom », écrit Bion (op. cit.), qui fait le lit à la psychose. Son moi*
en vient à fuir toute expérience nouvelle, à haïr la réalité, à détruire tout
éveil à la vie et à lui-même et à attaquer toutes les relations, les commu-
nications, les liens, les connexions et toutes les pensées ; l’enfant se vide
de sa psyché.
En somme, Bion, dans sa référence à la capacité de rêverie maternelle, sa
fonction alpha, montre comment la mère accueille l’informel qui provient
de son enfant (éléments bêta), lui donne sens et le lui restitue sous une
forme assimilable, les éléments alpha, constitutive de son psychisme1.

1. La fonction alpha que le bébé introjecte progressivement de sa mère, préserve le


sujet de la psychose ; elle s’exerce durant la veille, en maintenant le refoulement, et
le sommeil. Elle a pour but de transformer les impressions des sens en les faisant
passer d’un état brut à un état d’élaboration première : passage des éléments bêta
aux éléments alpha. La fonction alpha opère sur toutes les impressions sensorielles

24
Le développement psycho-affectif de l’enfant 1

Soulignons pour finir que chez Bion, le phénomène hallucinatoire


relève de la partie psychotique de la personnalité, c’est-à-dire du produit
de l’expulsion des éléments bêta ; chez Freud, au contraire, l’hallucination*
a trait à quelque chose de positif : la reconstruction du bon sein (le bon
objet), laquelle correspond davantage au phénomène onirique bionien.

2.3 Anna Freud


Après Sigmund Freud, sa fille, Anna, étudie les interactions complexes
entre le développement de l’enfant et son entourage. En prise directe avec
la réalité clinique, elle n’adhère pas à l’idée d’une programmation iné-
luctable de l’enfant, au déroulement régulier, pouvant déboucher sur un
développement homogène et harmonieux. Aussi, propose-t-elle plutôt la
notion de lignes de développement.
Dans le cadre de ses travaux, elle insiste sur l’importance de l’obser-
vation directe du jeune dans son milieu et réalise le rôle capital que joue
l’environnement sur son développement (A. Freud, 1962).
Son approche oblige à penser la vulnérabilité du petit d’homme, non
pas seulement en termes d’avatars de fonctionnement des mécanismes
intrapsychiques mais également d’interactions avec un milieu dont il est
par nature dépendant. Ainsi, la possible existence de conflits d’adaptation
et de conflits réactionnels chez l’enfant serait également liée à sa dépen-
dance au milieu familial.

et sur toutes les émotions primitives (les éléments). Les éléments alpha peuvent
être des images de rêve, les pensées de rêve, les fantasmes, les souvenirs et les
éléments refoulés, etc. Cette fonction alpha pourrait correspondre au préconscient
freudien (1900) ou à l’espace transitionnel de Winnicott (1951). La fonction alpha de
la mère désigne la capacité de la mère à accepter les projections destructrices du
bébé et à les transformer par sa propre activité mentale sous forme de rêverie ; là
encore, la qualité de la relation est fondamentale. Enfin, Bion décrit la barrière de
contact, constituée par l’assemblage des éléments alpha à mesure qu’ils prolifèrent.
Cette barrière, proche du préconscient freudien, marque le point de contiguïté (de
contact et de séparation) entre les éléments conscients et inconscients et empêche
que les éléments d’origine interne (fantasmes, émois, etc.) viennent submerger
les perceptions de la réalité extérieure ; réciproquement, elle empêche aussi les
éléments endo-psychiques d’être envahis par une vision réaliste. Cette barrière
ressemble à un filtre : elle laisse passer et elle retient. Selon Bion, la distinction entre
conscient et inconscient relève de la présence de cette barrière de contact.

25
1 Le développement psycho-affectif de l’enfant

2.4 Donald Wood Winnicott


Winnicott, pédiatre anglais de formation psychanalytique, a toujours
occupé une place centrale et originale dans la psychanalyse d’enfants. Il
met lui aussi en avant l’aspect primordial des soins maternels adéquats,
indissociables du bébé, garants de sa bonne santé mentale. Selon lui, un
nourrisson seul n’existe pas : « quand on trouve un enfant, on trouve des
soins maternels », écrit-il (Winnicott, 1949). Il ajoute d’ailleurs que le
visage de la mère est le premier et seul véritable miroir de l’enfant.
Le legs de Winnicott est considérable, notamment la description,
aujourd’hui classique, des soins maternels primaires et de l’évolution de
la relation mère-bébé au cours du processus de maturation de l’enfant
(Winnicott, 1951-1953).
Il distingue trois séries d’actes dans les soins que la mère prodigue à
son bébé. Le holding correspond au maintien de l’enfant par la mère ; elle
le tient, lui assure un contenant corporel grâce à son propre corps et intro-
duit son petit corps dans l’espace. Le handling renvoie aux soins et mani-
pulations de l’enfant par la mère qui, ce faisant, lui procure des sensations
tactiles, kinesthésiques, auditives et visuelles. L’object-presenting corres-
pond au mode de présentation de l’objet ; ainsi l’enfant, à travers sa mère,
a accès aux objets simples, puis aux objets de plus en plus complexes et
enfin au monde dans toutes ses dimensions : « la mère partage avec son
petit enfant un morceau à part du monde, le gardant suffisamment petit
pour que l’enfant ne soit pas dans la confusion, l’agrandissant très pro-
gressivement afin de satisfaire la capacité grandissante de l’enfant à jouir
du monde » (Winnicott, 1957).
Considérant les caractéristiques intrinsèques de la dyade « soins mater-
nels/bébé », Winnicott (1951) souligne l’existence d’une zone transi-
tionnelle, encore appelée espace transitionnel ou espace potentiel. L’espace
transitionnel correspond à la zone d’illusion où l’enfant doit créer lui-même
l’objet désiré. Cette illusion est possible grâce à un chevauchement entre
ce que la mère apporte et ce que l’enfant conçoit. Il s’agit en fait d’une zone
intermédiaire entre la subjectivité et l’objectivité. L’intégration par l’enfant
des « objets-autres-que-moi » l’autorise à avoir un support dans la réalité
et à cheminer vers l’objectivité. La relation avec un objet externe permet
à l’enfant de se constituer un objet transitionnel ; celui-ci est une réalité
propre mais provient de cet espace entre la mère et l’enfant. Il est à la fois

26
Le développement psycho-affectif de l’enfant 1

le représentant symbolique de la mère et un intermédiaire vers la percep-


tion du monde réel ; en outre, il est « la première manifestation de l’enfant à
créer ou à imaginer l’objet, c’est-à-dire à symboliser » (Winnicott, 1971).
Enfin, pour l’auteur, pour que l’enfant passe de la relation d’objet à
l’utilisation de l’objet, il faut qu’il parvienne à le détruire ; s’il survit à cette
agression, l’enfant émerge du fonctionnement primaire et peut exister en
tant que tel.
L’ensemble des processus décrits par Winnicott (évolution des soins
maternels primaires, création d’un espace transitionnel, etc.) aboutissent
selon ce remarquable clinicien à la création d’un espace psychique propre à
l’enfant (le self). Soulignons d’ailleurs que celui-ci est toujours en devenir ;
le « ing » en anglais du « playing », « being » par exemple, dont rend compte
notre participe présent, en témoigne.

2.5 Margaret Malher


Malher1 étudie le petit d’homme dans son développement et dans son
interaction avec sa mère. Elle propose sa théorie de l’existence d’un pro-
cessus de séparation/individuation qui conduit l’enfant à une représentation
de lui-même claire et distincte et, ce faisant, à une autonomisation de sa
vie psychique.
Malher repère trois grandes étapes du développement. Tout d’abord, la
phase autistique normale qui dure environ les quatre premières semaines
de vie, pendant laquelle le bébé est plus dans un état de sommeil que de
veille, n’a aucune conscience de la personne qui lui procure les soins et
n’établit aucune différence entre ce qui vient de lui et ce qui provient de
l’extérieur ; la mère est réduite à une sensation de chaleur agréable qu’il
éprouve et à la satisfaction de ses besoins internes : cette phase corres-
pond au stade du narcissisme* primaire (Freud, 1914). La phase symbiotique
normale, entre le 2e et le 10e mois, concerne une période pendant laquelle
l’enfant est dans un état de dépendance absolue bien qu’il perçoive l’ori-
gine externe de la satisfaction de ses besoins, surtout durant les phases
de manque ; le désir remplace progressivement le besoin purement phy-
siologique. Enfin, le processus de séparation-individuation proprement dit,
entre le 10e mois et les 2 ou 3 ans de l’enfant, est gouverné par deux lignes

1. Cf. chapitre 3, p. 90.

27
1 Le développement psycho-affectif de l’enfant

de développement : l’une aboutit à la séparation et rend compte de l’évolu-


tion vers la différenciation d’avec la mère, et l’autre débouche sur l’indivi-
duation et témoigne de l’évolution des fonctions autonomes (perception,
mémoire, etc.) ; ce processus comprend différentes étapes qui sont scan-
dées par la succession des déplacements d’investissement libidinal liés à
la maturation1.

2.6 Melanie Klein


Klein, quant à elle, a une place très particulière dans la genèse du « bébé
psychanalytique ». Élève de Ferenczi et d’Abraham, M. Klein (1921-1945,
1957 et 1959) est convaincue de l’importance du rôle des pulsions des-
tructrices dans la vie psychique. Toute son œuvre s’inscrit dans la lignée
freudienne de la deuxième topique* (Freud, 1923), de la deuxième théorie
de l’angoisse (Freud, 1926) et de la découverte de la dualité des instincts
de vie et des instincts de mort (Freud, 1920). Ainsi, accompagnée par ses
élèves, elle décrit les différentes positions de l’objet interne, clivé sous la
pression de conflits intrapsychiques liés au dualisme « pulsion de vie-pul-
sion de mort ». Selon Klein, ce dualisme existerait depuis la naissance et
organiserait les premiers stades du psychisme du bébé ; l’existence d’un
moi* et d’un surmoi* archaïques rendrait compte de la conflictualisation
immédiate de la vie interne du bébé.
Klein découvre les fantasmes centrés sur la relation imaginaire de l’enfant
avec le corps de sa mère et distingue deux variétés d’angoisse archaïque
prédominante chez l’enfant : l’angoisse persécutrice ou paranoïde et l’angoisse
dépressive. Elle porte toute son attention sur les objets internes dont est
peuplé le monde psychique de l’enfant et sur la façon dont il les intériorise.
Elle conclut que l’introjection* la plus primitive est l’introjection paranoïde,
elle-même liée à la relation avec des objets partiels, en premier lieu le sein
clivé en deux aspects : un sein idéal (le bon sein), objet du désir de l’enfant, et
un sein persécuteur (le mauvais sein), source de peur et de haine.
Ainsi, schématiquement, Klein propose que les bonnes expériences
de satisfaction sont liées à la pulsion libidinale et sont introjectées par le
bébé ; les mauvaises expériences de frustration sont liées à la pulsion de

1. M. Malher propose l’existence d’une psychose précoce, « la psychose symbio-


tique », correspondant à la fixation* de l’enfant à la phase symbiotique (cf. chap. 1,
p. 27).

28
Le développement psycho-affectif de l’enfant 1

mort, vécues comme dangereuses et projetées à l’extérieur. Pour que ce


travail de différenciation bon objet/mauvais objet et moi/non-moi, spé-
cifique à la position schizo-paranoïde1 puisse opérer, il est nécessaire que
le bébé ait les capacités de tolérer les frustrations imposées par la réalité.
Cette période se situe pendant les premiers mois de la vie de l’enfant et est
suivie vers 12-18 mois par la position dépressive2.
Cette dernière provient du fait que l’enfant réalise que le bon et le mau-
vais objet, le bon sein et le mauvais sein, ne sont en fait qu’un seul et même
objet. Face à cette unicité, l’enfant ressent une angoisse dépressive et une
culpabilité devant la haine et l’amour qu’il porte au même objet. Cette
angoisse dépressive de perte d’objet ne représente qu’une souffrance tran-
sitoire si les bonnes expériences l’emportent sur les mauvaises. L’enfant
parvient à une relation d’objet total où la mère est alors perçue comme
entière et sur laquelle il fait l’expérience de ses sentiments d’ambivalence
(par exemple, « je t’aime et en même temps tu m’énerves »)3.

2.7 René Spitz


Spitz (1948) a également contribué à l’avancée des travaux sur la nais-
sance de la vie psychique et ses rapports avec la genèse de la relation
objectale.
L’étude des effets de la séparation de l’enfant et de sa mère lui permet
de décrire la construction de la relation d’objet selon trois stades ; ces der-
niers se repèrent grâce à la présence d’indicateurs qui sont, en fait, des
comportements spécifiques organisés chacun sous l’égide d’un organisa-
teur. Les trois organisateurs proposés par Spitz sont : le premier sourire, la
peur du visage de l’étranger et l’accès au non4.

1. La position schizo-paranoïde correspond à la première position subdivisant le


stade oral classique (cf. chap. 1, p. 28) et au premier mode de relation d’objet.
2. La position dépressive correspond à la deuxième position subdivisant le stade
oral classique (cf. chap. 1, p. 28).
3. Pour Klein, il s’agit d’atteindre et de pénétrer cette position dépressive : tolérer
les angoisses dépressives concernant la destruction du bon objet et devenir capable
de supporter la séparation d’avec un bon objet extérieur, grâce à une confiance
meilleure dans la sécurité de l’objet interne. Pour l’approche kleinienne, l’échec de
la position dépressive expose l’enfant à la maladie mentale.
4. Spitz distingue tout d’abord le stade non objectal, puis il décrit le stade du précur-
seur de l’objet dont l’indicateur est la réponse par le sourire de l’enfant à la vue d’un

29
1 Le développement psycho-affectif de l’enfant

3. Psychologie du développement et théories


psychanalytiques du développement : un débat actuel
Au regard de l’épistémologie résolument analytique qui guide notre
ouvrage, force est de s’interroger aujourd’hui sur les liens (et les éven-
tuelles difficultés) à articuler les théories propres à la psychologie du
développement, notamment dans le champ de l’Infant Research1, et les
théories psychanalytiques du développement. La « psychologie du déve-
loppement », ici, s’occupe des processus de changement des fonctions
cognitives, affectives et sociales de l’individu au cours de la vie2.

3.1 Les précurseurs des liens entre psychologie du développement


et psychanalyse
Sans nul doute, la psychanalyse reconnaît l’influence qu’exercent les
expériences précoces sur le fonctionnement psychique de l’individu
adulte, notamment dans la genèse de ses troubles. La théorie freudienne
du développement psycho-sexuel infantile, en tant que l’un des présup-
posés fondamentaux de la psychanalyse3, soutient l’effet transformateur

visage humain, familier ou non ; ce stade révèle l’établissement du premier organi-


sateur psychique. Enfin, le stade de l’objet libidinal (8e mois) correspond à la période
pendant laquelle l’enfant compare les visages inconnus qu’il rencontre avec celui
de sa mère. Lorsque la comparaison ne rend pas compte d’une similitude, l’enfant
montre un refus du contact de l’étranger accompagné de plus ou moins d’angoisse.
Cette angoisse du huitième mois est une angoisse de perte d’objet qui indique l’établis-
sement du 2e organisateur psychique, à savoir l’existence d’une relation objectale
avec la mère comme objet libidinal privilégié. Enfin, l’acquisition du non marque le
passage à une nouvelle ouverture sociale ; il s’agit de la formation du 3e organisateur
psychique qui initie la communication à distance par des messages intentionnels
et dirigés.
1. L’infant Research est un sous-domaine qui s’intéresse spécifiquement aux
phases précoces du développement avec un intérêt particulier pour les processus
d’organisation et de régulation qui émergent à l’intérieur des systèmes dyadiques
mère/enfant.
2. Cette partie 3 s’étaye sur le travail de Mario Speranza et Lisa Ouss-Ryngaert
(2010).
3. Cf. chapitre 1, p. 21.

30
Le développement psycho-affectif de l’enfant 1

de la connaissance des processus psychiques infantiles dans la résolution


de la symptomatologie adulte. À propos des phénomènes infantiles, Freud
(1905) recommande de compléter la reconstruction effectuée à partir des
comptes rendus verbaux des patients adultes en analyse (approche géné-
tico-reconstructive) par l’observation directe des enfants (Freud, 1905) et
par les contributions provenant des analyses d’enfant avec S. Freud puis
A. Freud et M. Klein (approche évolutive développementale). Cette dernière
méthodologie concernant l’enfant directement (observation participante
psychanalytique avec A. Freud, D. Winnicott et E. Bick) se différencie
de manière nette de l’observation directe de l’enfant de la psychologie du
développement académique (Piaget, 1950) qui, pourtant, peut mettre à
disposition une grande quantité de données utiles à la construction d’une
théorie psychanalytique développementale plus cohérente.
Pour Hartmann (1950), les théories des premières phases du dévelop-
pement doivent être bâties sur des données fournies tant par la recons-
truction que par l’observation directe, laquelle doit comprendre deux
ordres de données : celles provenant de l’observation analytique et celles
provenant de la psychologie du développement académique. Pour per-
mettre à la psychanalyse de devenir une psychologie du développement
scientifique, il est nécessaire pour Hartmann que la psychanalyse réana-
lyse de son point de vue et avec ses méthodes les résultats obtenus sur le
développement précoce par la psychologie non analytique (Hartmann, op.
cit.). Ce type de recherche avec les nourrissons, défini par le terme d’Ac-
tion Research, a eu un succès remarquable dans l’élaboration des théories
psychanalytiques du développement comme en témoignent en partie les
recherches de Margaret Mahler (1977).
Ainsi, il existe différents types de recherches développementales clas-
sables selon deux grands courants qui convergent progressivement et
entretiennent des liens différents à la psychanalyse.

a) Le courant issu de la tradition de la psychologie


académique piagétienne1
Les recherches conduites en conditions standardisées, très éloignées
des intérêts de la psychanalyse, ont des objectifs limités dans le champ

1. Cf. chapitre 1, p. 16-18.

31
1 Le développement psycho-affectif de l’enfant

du développement cognitif et peuvent être intégrées au sein de la « psy-


chologie du Moi ».

b) Le courant ancré à la psychanalyse


Il peut être sous-divisé en deux domaines d’influence différents. Le
premier peut être défini comme celui de la recherche développementale empi-
rique traditionnelle conduite par des psychanalystes (Spitz, 1961 ; Sander,
1980). Le deuxième peut être défini comme celui de la recherche dévelop-
pementale psychanalytique (Mahler et al., 1974 ; Galenson et Roiphe, 1971).
Ces recherches se centrent sur des problèmes spécifiques et utilisent une
méthode d’observation où la sensibilité clinique de l’observateur joue un
rôle central. Malgré des problèmes méthodologiques (observations char-
gées d’interprétation), le modèle de développement proposé par Mahler
révèle l’importance qu’ont eue ces types d’observations sur la définition
d’une théorie psychanalytique du développement infantile. Ainsi, l’obser-
vation de l’enfant a pu désormais assumer une autonomie et un statut
indépendants.

c) La théorie de l’attachement
Dans ce panorama, une place à part doit être faite à la contribution de
John Bowlby. Celui-ci affronte la question du point de vue de la psycho-
logie du développement, en proposant sa théorie sur l’attachement sous la
forme d’hypothèses vérifiables par les moyens de l’observation directe et
les procédures expérimentales. De plus, il les intègre à l’intérieur d’un
cadre théorique qui, dans le refus de la métapsychologie freudienne, tient
de l’éthologie et de la théorie des systèmes (Bowlby, 1969)1. Bowlby est
longuement resté isolé de la communauté psychanalytique, probablement
du fait d’une méthodologie insolite. Son œuvre a depuis peu commencé à
avoir une influence dans le domaine de la psychologie du développement
et de la psychanalyse (Fonagy et al., 2007). Cet intérêt croissant peut être
expliqué par la capacité de sa théorie à intégrer la compréhension psycha-
nalytique de la réciprocité affective et relationnelle mère/enfant avec les études

1. La théorie de l’attachement (Bowlby) s’écarte de la théorie pulsionnelle. L’attache-


ment, décrit comme primaire, laisse une large place aux liens sociaux précoces, liés
aux besoins de contact de l’enfant et aux apprentissages.

32
Le développement psycho-affectif de l’enfant 1

sur le développement cognitif post-piagétien, en fournissant ainsi la base


de la plupart des recherches actuelles sur les compétences cognitivo-émo-
tionnelles de l’enfant. La théorie de l’attachement constituerait comme un
pont entre les données récentes des neurosciences sur le développement
précoce, celles issues de l’observation du comportement du bébé, et la
psychanalyse.

3.2 Vers une intégration entre recherches sur le développement


et psychanalyse
Durant les dernières années, la recherche développementale avec l’Infant
Research s’est engagée vers une compréhension de l’expérience subjective
de l’enfant en se confrontant à l’interaction mère/enfant (prégnance du
rôle de l’objet sur l’expérience intrapsychique), l’expression et la régula-
tion affective et le développement du Soi et des compétences sociales, et en
utilisant l’empathie comme outil d’observation du développement (Stern,
1985). La recherche développementale sur le nourrisson a sévèrement cri-
tiqué les affirmations des théories psychanalytiques infantiles en soute-
nant la nécessité d’en donner une nouvelle formulation tenant compte des
connaissances issues des paradigmes systémique et interactionnel1.

3.3 Le problème de l’inférence : l’exemple du « soi » précoce


du bébé
La critique de Peterfreund (1978) s’adresse à la tendance du monde
psychanalytique à caractériser l’enfance en termes adultomorphes et
à interpréter les états précoces du développement normal à la lumière
des conditions psychopathologiques de l’adulte. La cible immédiate de

1. Si l’on considère que l’enfant et sa mère sont dans un système dyadique, les
théories systémiques et de la communication peuvent, avec Lebovici (1983) notam-
ment, nous aider à mieux décrire ce dernier. Ainsi, la dyade mère-bébé est un
tout, régi par un principe d’homéostasie et dans laquelle la causalité est circulaire,
transactionnelle et rétroactive. Par ailleurs, basées sur les travaux de Bateson, les
études portant sur la communication intrafamiliale et ses modes d’équilibre s’inté-
ressent aux liens de paradoxalité et aux doubles liens. Le double lien (ou double
bind) consiste à donner des informations contradictoires dans le même message ;
par exemple, « je te hais, mon amour ».

33
1 Le développement psycho-affectif de l’enfant

ces critiques est la conception mahlérienne de l’autisme primaire et de


la symbiose, mais le vrai objectif des attaques de Peterfreund est en réa-
lité le cadre théorique de la métapsychologie freudienne et le principe
fondamental du narcissisme* primaire. Pour l’auteur, le nourrisson ne se
trouve pas dans un état autistique indifférencié mais possède des capacités
d’interaction et de discrimination qui font supposer un sens initial du Soi
et de l’autre dès la naissance (Stern, 1985 ; Trewarthen et al., 2003).
La problématique est méthodologique et repose tant sur l’inaccessibilité
des expériences subjectives de la première enfance que sur l’utilisation
de méthodes telles que l’empathie, l’introspection ou le contre-transfert.
Néanmoins, pour Pine (1992), la possibilité d’accéder à la connaissance
du monde interne passe obligatoirement par l’auto-observation et la des-
cription verbale par les adultes de leurs états subjectifs. Les inférences
nécessaires procèdent d’une élaboration de l’extérieur vers l’intérieur, de
l’observé au déduit. Les phénomènes précoces sont compris à la lumière
des phénomènes ultérieurs, et vice versa. Il est évident que cette procédure
présuppose un langage de la continuité entre enfance et âge adulte, et
entre expériences infantiles (dont on fait l’hypothèse) et états psychopa-
thologiques. Pour Speranza (1994), cette continuité, étayage de la théorie
clinique analytique, n’est pas acquise et doit être démontrée. La recherche
sur le nourrisson a en effet mis partiellement en crise l’hypothèse de cette
continuité, du moins au niveau phénoménologique, en proposant alterna-
tivement une régularité dans les formes et dans les mécanismes de chan-
gements ou un modèle proposé par la théorie de l’attachement.
Pour mettre en relation la reconstruction de l’expérience subjective
avec l’observation objective par le moyen de l’introspection, il est néces-
saire de se servir d’inférences et d’hypothèses explicatives (abstractions théo-
riques jamais totalement fondées empiriquement). Le concept du « Soi »
que Stern (1985) et les psychologues du développement conceptualisent
comme le point de contact autour duquel s’unifieraient les expériences
sociales et subjective de l’enfant est un exemple parfait de cette procédure
théorique. Tant la théorie mahlérienne que celle de Stern reconnaissent
au nourrisson des remarquables capacités de discrimination, mais elles ne
concordent pas sur les implications que ces capacités sous-tendent. Là où
Mahler présuppose l’existence d’un narcissisme* primaire, Stern suppose
la présence d’un Soi nucléaire. La différence entre les deux réside dans la
définition même du concept du Soi qui, selon Stern, ne demande pas de
représentation, mais une simple conscience expérientielle.

34
Le développement psycho-affectif de l’enfant 1

Fonagy et al. (2007) démontent la notion d’intersubjectivité primaire


et d’existence du sens de soi dès la naissance et parlent d’une motiva-
tion innée à engager et découvrir la réactivité contingente des stimuli de
l’environnement, aussi bien que la propre efficacité du bébé à contrôler les
aspects du monde extérieur. Si la subjectivité du bébé existe bel et bien,
la question est de savoir à quel niveau de conscience se manifeste-t-elle.
Ainsi, les nouvelles théories du développement et celles de la psychana-
lyse traditionnelle se différencient donc au niveau des objectifs qu’elles
visent, plutôt qu’au niveau de critères méthodologiques intrinsèques.

3.4 L’empathie et la perspective herméneutique empirique


L’expérience subjective de l’enfant se place aujourd’hui à l’intérieur de
la recherche par le truchement de l’empathie, rapprochée de la perspective
herméneutique empirique ou constructiviste. L’empathie est ici un outil
pour observer objectivement l’expérience subjective du patient ; la vérité
se base ici sur la correspondance observationnelle entre des critères de
réalité potentiellement objectifs et partageables entre deux observateurs
(Fajardo, 1993). Soulignons que cette perspective herméneutique s’oppose
à la perspective comportementale empirique1.
Depuis le début du XXIe siècle, les positions concernant la présup-
posée incompatibilité théorique, méthodologique et terminologique entre
psychologie développementale et psychanalyse ont changé. Ainsi, la
recherche sur le développement a commencé à se confronter à des argu-
ments qui intéressent directement la théorie psychanalytique du dévelop-
pement infantile2 ; l’empathie est alors utilisée comme outil d’observation
du développement.

1. Celle-ci réfère à la psychologie du Moi des années 1950 et à la recherche sur le


nourrisson où l’observateur est hors du champ d’observation. La vérification de la
vérité se fait sur la base de la cohérence interne entre des événements liés entre eux,
la satisfaction subjective et l’efficacité thérapeutique.
2. L’interaction mère/enfant, l’expression et la régulation des émotions, le dévelop-
pement du Soi et des compétences sociales et l’intersubjectivité.

35
1 Le développement psycho-affectif de l’enfant

4. Le développement libidinal ou la sexualité infantile


et ses avatars
4.1 L’organisation libidinale
S. Freud a essentiellement réalisé une description chronologique, par
stades, du développement affectif de l’enfant. Leur enchaînement se fait
de façon très progressive et chaque niveau de problématique rencontré
par l’enfant laisse chez lui des traces qui peuvent former des points de
fixation* et éventuellement favoriser les régressions ultérieures (Golse,
1995). Ainsi, la succession des stades correspond surtout à une succession
de thématiques prévalentes, associées à une zone érogène spécifique, un
choix d’objet et un niveau de relation objectale particulier.
Freud (1905) désigne sous le terme de sexualité infantile, qui va bien
au-delà de la simple génitalité, « tout ce qui concerne les activités de la
première enfance en quête de jouissance locale que tel ou tel organe est
susceptible de procurer ». Avant l’apparition du complexe d’Œdipe, il
décrit trois stades libidinaux prégénitaux.

a) Le stade oral
Le stade oral se déroule durant la première année de la vie1 et est dominé
par la préhension, tant au niveau des objets que des informations. La zone
bucco-labiale et le carrefour aéro-digestif représentent à ce stade la source
pulsionnelle prévalente. Le nourrisson fait pénétrer à l’intérieur de lui les
éléments de son environnement extérieur à sa portée. L’objet pulsionnel
est représenté par le sein ; l’alimentation sert de médiateur dans la relation
symbiotique mère-enfant. Le but pulsionnel est l’association d’un plaisir
auto-érotique par la stimulation de la zone érogène orale et d’un désir
d’incorporation des objets. Les angoisses spécifiques de cette période sont
d’ailleurs des angoisses d’engloutissement (stade oral passif) et de dévora-
tion (stade oral actif).
Bien que le stade oral soit un stade anobjectal, c’est-à-dire sans
conscience de l’existence de l’objet, cette période signe la genèse de la rela-

1. Les tranches d’âges sont là encore approximatives.

36
Le développement psycho-affectif de l’enfant 1

tion d’objet. En effet, l’empreinte laissée par ces relations précoces façonne
les relations objectales futures du petit d’homme.
Au stade oral, le nourrisson n’a pas une conscience claire du dedans
et du dehors, du soi et du non-soi ; il est dans une totale omnipotence
(narcissisme* primaire) puisqu’il considère comme faisant partie de lui-
même les objets qui le satisfont. Ce n’est que progressivement que l’enfant
va prendre conscience de l’existence des objets extérieurs et être conduit
au stade anaclitique, d’abord de relation à l’objet partiel puis à l’objet total
(cf. stade de l’angoisse de l’étranger de Spitz ou position dépressive de
Klein) ; ce cheminement étant rendu possible d’une part par la différencia-
tion entre les objets aimés (familiers) et les objets menaçants (étrangers),
et d’autre part à l’occasion des expériences de manque lorsque l’enfant
perçoit progressivement que la tension naît en lui-même alors que la satis-
faction lui arrive du dehors. En somme, c’est à travers les moments de
frustration que l’enfant ressent ses premiers affects et commence à conce-
voir sa mère séparée de lui, et existant en dehors de lui.

b) Le stade anal
Le stade anal apparaît environ lors de la deuxième année de la vie,
laquelle est principalement consacrée à l’emprise (la pulsion d’emprise) ;
précisément, le stade anal débute avec la maîtrise sphinctérienne*. La
zone érogène prévalente concerne toute la muqueuse digestive, au-delà de
l’estomac. Il s’agit soit de conserver les objets passés à l’intérieur de soi,
soit de les détruire puis de les expulser.
L’objet pulsionnel comprend les fèces mais également la mère et l’entou-
rage proche que l’enfant perçoit encore comme objets partiels à maîtriser.
Le but pulsionnel est à nouveau double : à la fois un plaisir auto-érotique
par stimulation de la zone érogène et une recherche de pression relation-
nelle sur son entourage, les objets et individus que l’enfant commence à
différencier.
Le stade anal est celui de l’ambivalence portée à son comble, grâce à
laquelle l’enfant consolide sa frontière intérieur/extérieur et soi/non-soi ;
les mouvements ambivalentiels par lesquels passe l’enfant concernent
autant l’alternance « soumission-opposition », « expulsion-rétention » que
« activité-passivité ». Le plaisir érotique pris dans la rétention, la soumis-
sion et la passivité s’oppose au plaisir agressif du contrôle de la maîtrise
et de la possession. L’enfant établit des relations avec l’objet total relative-

37
1 Le développement psycho-affectif de l’enfant

ment à son choix devant ces deux types de plaisir. Pendant cette période,
les dimensions sadiques et masochistes sont présentes et caractérisent
particulièrement bien le type de relation d’objet établi par l’enfant.

c) Le stade phallique
Le stade phallique est vécu par l’enfant entre sa troisième et sa qua-
trième année, et annonce la période œdipienne. La source pulsionnelle
prévalente est l’urètre associé au double plaisir de la miction et de la réten-
tion. Le plaisir urétral ou érotisme urétral (et la masturbation1) comporte
une dimension auto-érotique et une dimension objectale (fonction uri-
naire) par le « laisser-couler ».
Chez le garçon, comme chez la fille, l’objet de la pulsion est représenté
par le pénis. Cette époque signe le début de la curiosité sexuelle infantile
(conscience de la différence des sexes) et se centre autour de la théma-
tique présence/absence du pénis. À cette période, et de façon très synthé-
tique, on voit apparaître des fantasmes concernant la scène primitive (et
les théories infantiles sur la fécondation – orale, mictionnelle ou sadique
par déchirure – et sur la naissance – orale, anale ou sadique – qui lui
sont associées) où la sexualité parentale est vécue de façon sadique et pro-
voque chez l’enfant un sentiment d’abandon. À ces fantasmes s’associe
une période d’exhibitionnisme et de voyeurisme.
Le stade phallique est un stade prégénital dans la mesure où le pénis,
d’ailleurs fantasmé comme phallus, est davantage perçu comme por-
teur de pouvoir, de puissance et de complétude narcissique que comme
un organe génital ; l’important étant la possession de celui-ci, ce stade
demeure en grande partie narcissique et non objectal. Ainsi, le garçon qui
possède le pénis est, de fait, soumis à l’angoisse de castration* ; quant à la
fille, elle est introduite à la dimension du manque. Le déni de la castration
a pour but dans l’un comme dans l’autre sexe de protéger l’enfant contre
cette prise de conscience.

1. La masturbation est d’abord primaire et liée directement à l’érotisme urétral,


c’est-à-dire à l’excitation due à la miction, puis secondaire comme source directe de
satisfaction. C’est à partir de la masturbation que les théories sexuelles infantiles
prennent leur origine.

38
Le développement psycho-affectif de l’enfant 1

4.2 « Se savoir ou se sentir garçon ou fille1 » ou l’élaboration


de l’identité sexuée2
Savoir si l’on est une fille ou un garçon ne va pas de soi sans compter
que plus que de le savoir il s’agit de l’éprouver et de le ressentir. Bien
entendu, l’identité sexuée se constitue précocement, elle se co-élabore
même progressivement dès la naissance à travers les interactions précoces
au sein de la triade.
L’élaboration permanente et dynamique de l’identité sexuée s’inscrit
dans un modèle plurifactoriel à l’interface de facteurs endogènes et de
facteurs exogènes dont les effets de rencontre sont déterminants (Golse &
Jardin, 2003). Cette dynamique est lente, progressive et procède par palier
de progression-régression. La phase phallique qui inaugure le complexe
œdipien n’est pas la première à engager l’enfant dans la problématique de
la reconnaissance de la différence des sexes à laquelle finalement l’enfant,
résigné, se soumet à son corps défendant3.
L’identité sexuée chez l’enfant s’alimente et se forge probablement aux
confluents de deux mouvements. D’une part, la reconnaissance de la dif-
férence des sexes par le repérage sur son corps, sur ceux qui l’entourent
et sur les objets de son monde environnant d’indices de la sexuation ;
d’autre part, sa prise dans le regard de ses parents, père et mère, mais
avant tout homme et femme, qui l’identifient, l’authentifient et le recon-
naissent comme garçon ou fille (Golse & Jardin, op. cit. ; Gueniche, 2009).
En somme, aux identifications primaires s’adjoint la confirmation
identitaire de l’enfant par le truchement d’identifications (conscientes
et inconscientes) des parents. Ainsi, tout se passe comme si c’était dans
le psychisme des parents que se jouait d’abord l’identité sexuée de l’en-
fant et ce dès la naissance, pour ne pas dire dès la grossesse au moment
des échographies, voire même au cœur de la psycho-sexualité des deux
parents (Kreisler, 1976, 1990). L’entourage serait donc impliqué dans une
dynamique relationnelle, qui participe de la genèse de l’identité sexuée de

1. Titre de l’article de Golse & Jardin (2003).


2. Par souci éditorial, nous ne pouvons développer les concepts d’identité de genre,
d’identité sexuée et d’identité sexuelle.
3. Cf. les problématiques orales et anales et les pulsions partielles associées comme
précurseurs de l’opposition entre nos stéréotypes culturels différentiels féminin
– masculin : avaler, cacher /cracher, montrer.

39
1 Le développement psycho-affectif de l’enfant

l’enfant, toute imprégnée de messages énigmatiques du père et de la mère


que le bébé d’abord puis l’enfant vont interpréter et traduire.

4.3 Quel genre d’éducation ?


Garçon ou fille, telle est donc la question que chaque parent se pose
durant la grossesse et à la naissance de leur enfant, question au demeu-
rant présente chez chacun dès l’enfance « quand je serais grande, j’aurais
une petite fille qui aimera les belles robes comme moi ! » ou « quand je serai
marié, je serai papa d’un petit footballeur ». C’est dire l’importance, voire la
prégnance, du genre dans la construction psychique du petit d’homme.
Bien entendu, comment dans le même temps ne pas être sensible aux sté-
réotypes que le genre vient convoquer ? Avoir et faire ce que l’autre a et
fait est particulièrement tentant. Un petit garçon de 8 ans me disait, « c’est
normal, on veut toujours ce qu’on n’a pas ! Les filles, elles veulent faire comme
les garçons et les garçons veulent être comme les filles » ! Il faut entendre ces
moments de vérité.
Et en effet, toute la question porte sur le « comme si », c’est-à-dire sur
le jeu ou plus précisément « être comme, en jouant ». « Être comme » ne
signifie pas « être »… c’est le « comme » qui fait la différence et qui de facto
permet à l’enfant d’être à toutes les places – identificatoires – possibles.
Car là aussi, la bisexualité psychique se vit et s’éprouve pour son plus
grand plaisir. On n’oublie pas que cette potentialité est l’expression de ses
mouvements œdipiens, c’est-à-dire de ce que cet enfant-là est le fruit d’un
homme et d’une femme, deux êtres différents l’un de l’autre, à commencer
par leur différence sexuée. Pour grandir, le petit d’homme a besoin de faire
l’expérience libre de la différence, la vivre en la jouant avec son corps. Et
cette liberté, s’il doit la conquérir, elle se doit de lui être offerte sans crainte
qu’il ne devienne un enfant de l’autre sexe, voire ne s’inscrive dans une
orientation sexuelle inversée. L’autoriser, quand l’envie le saisit parfois, à
jouer à être un garçon ou une fille si elle est une fille ou s’il est un garçon
peut être le garant de ses assises identificatoires et de sa santé psychique.
Paradoxalement, plus l’enfant aura fait ces expériences ludiques, s’il le
souhaite, sans saisir dans le regard de son parent la crainte ou la menace,
plus son sentiment d’identité sexuée sera établi et assuré. Pouvoir ponc-
tuellement faire comme la fille s’il est un garçon (jouer à la poupée, mettre
les chaussures à talon de maman, etc.) ou comme le garçon si elle est une
fille (jouer aux voitures, monter aux arbres, etc.) constitue l’assurance que

40
Le développement psycho-affectif de l’enfant 1

l’enfant est bien identifié, et sans l’ombre d’un doute, à un garçon ou à


une fille. Moins l’enfant en aura la possibilité, du fait de l’angoisse de son/
ses parent(s), plus des conflits psychiques autour de la question de son
identité sexuée peuvent se nouer. Notons d’ailleurs que les angoisses de
ses parents à ce propos sont souvent le lieu de leurs propres tiraillements
quant à leur bisexualité psychique.
Pourquoi ne pas profiter des moments de jeux avec l’enfant pour aborder
avec lui la question du genre et lui ouvrir la discussion sur les différences
qui existent – ou non – entre filles et garçons ? Voilà un terrain éducatif et
de partage sur lequel peut s’édifier tout un ensemble de représentations
autour de la Différence, garante de la singularité de l’humain ; la première
étant encore une fois celle de la différence des sexes, les autres, qui la
déclinent, portent sur autant d’aspects qu’il y a d’humains : générations,
couleurs de peau, religions, orientations sexuelles, apparences physiques,
richesse et pauvreté, origines ethniques, etc.

5. Du complexe d’Œdipe à la névrose infantile


La période œdipienne se situe approximativement entre 4 et 7 ans ; c’est
un moment fondateur de la vie psychique car il permet et assure le dépas-
sement de l’auto-érotisme primitif et l’orientation de la libido* vers des
objets extérieurs.
L’entrée dans ce stade se caractérise par la reconnaissance de l’angoisse
de castration*. À ce stade, l’objet de la pulsion est dorénavant le parte-
naire privilégié du couple parental et la source pulsionnelle, l’excitation
sexuelle recherchée dans la possession de ce partenaire.
L’angoisse de castration* induit chez le garçon la crainte de perdre son
pénis et chez la fille le désir d’en avoir un. À ce propos d’ailleurs, l’envie
du pénis chez la fille va l’introduire à la problématique œdipienne par le
désir d’un enfant de son père ; la signification phallique de ce bébé tant
désiré est bien entendu patente. Quant au garçon, il se protège de son
angoisse de castration* en niant la réalité du sexe féminin et en croyant en
une mère-pénienne.
Dans sa forme positive, le complexe d’Œdipe est représenté par une
attirance de l’enfant pour le parent du sexe opposé et une rivalité pour le
parent du même sexe ; dans sa forme négative, il peut s’agir du contraire.

41
1 Le développement psycho-affectif de l’enfant

Chez la petite fille, on relève un changement d’objet d’amour qui induit,


nécessairement, un mécanisme d’identification* inverse par rapport au
garçon ; la fille cherche à obtenir du père ce que sa mère lui a refusé, à
savoir le pénis. Elle parvient à y renoncer cherchant auprès de son père un
dédommagement (un cadeau) sous la forme d’une promesse d’un enfant.
Bien qu’empreinte de culpabilité, la mère restant en effet la source la plus
importante de satisfactions pulsionnelles prégénitales, la fille développe à
son égard une amère jalousie. Chez le garçon, schématiquement, la mère
est l’objet de la pulsion sexuelle tandis que le père devient à la fois mena-
çant et un modèle de puissance ; il existe alors une certaine compétition
agressive entre les deux « hommes ». Soulignons que, chez le garçon, l’an-
goisse de castration* vient mettre un terme à la problématique œdipienne ;
chez la fille, en revanche, elle l’initie. Le déclin du complexe d’Œdipe est
marqué par le renoncement progressif à posséder l’objet libidinal sous la
pression de l’angoisse de castration* chez le garçon et la peur de perdre
l’amour de la mère chez la fille. Ainsi, « les déplacements identificatoires,
les sublimations permettent à l’énergie libidinale de trouver d’autres
objets de satisfaction, en particulier dans la socialisation progressive et
dans l’investissement des processus intellectuels » (Ajuriaguerra & Mar-
celli, 1989).

6. La mise en veille des mouvements pulsionnels :


la période de latence
Bien que des « traces » des stades antérieurs puissent persister, la période
de latence est une étape, située entre 7 et 12 ans, supposée aconflictuelle
et désexualisée, et qui précède l’entrée dans la puberté et l’adolescence.
Les questions œdipiennes non totalement résolues sont refoulées et l’en-
fant peut se consacrer à une sublimation efficace. La latence est avant tout
une période de socialisation où les buts pulsionnels sont déplacés vers
des objectifs socialisés. L’enfant est attiré par des activités sociales larges
et s’intègre à des milieux relationnels différents grâce à un déplacement
des conflits primitifs sur des substituts d’images parentales. Le passage
de l’utilisation des processus primaires*, représentatifs du principe de

42
Le développement psycho-affectif de l’enfant 1

plaisir*, à l’utilisation de processus secondarisés* reflétant le principe de


réalité* est marqué.

7. Le réveil pulsionnel à la puberté :


le passage vers l’adolescence
La puberté correspond à l’avènement des capacités de réalisation sexuelle ;
chez la fille, elle s’exprime par la possibilité d’une maternité. Les intérêts
sexuels sont réactivés sous la pression, liée à l’âge, des modifications bio-
logiques et corporelles ; la zone érogène génitale (apparition des flirts, des
baisers, etc.) est pleinement réinvestie, par exemple.
L’adolescence correspond à une période transitoire qui permet au jeune
de « prendre place dans la vie en tant qu’homme ou femme ayant réa-
lisé son choix sexuel, loin de ses objets œdipiens » ; ainsi, l’adolescent se
constitue définitivement son identité et accède pleinement et entièrement
à la génitalité (Marcelli & Braconnier, 2013)1.
Ainsi, le développement est un processus long et complexe qui mobilise
toutes les capacités de l’enfant dans un mouvement de séparation-indivi-
duation le poussant vers son identité propre. Dans certains cas, ce déve-
loppement peut se trouver empêché par une symptomatologie, témoin
d’une souffrance chez le jeune et/ou sa famille. L’objet du chapitre suivant
porte précisément sur un exposé des troubles rencontrés dans le champ
de la clinique infantile.

1. Parfois, le processus d’adolescence, qui réactive des problématiques infantiles


(orales, par exemple), peut faire le lit de symptomatologies éventuellement graves
(troubles alimentaires – anorexie ou boulimie, toxicomanie mais aussi dépression
ou bouffées délirantes, etc.). La fixation* ou la régression à certains stades infantiles
provoque le maintien de mécanismes de défenses prévalents qui entraîne éventuel-
lement l’organisation d’une pathologie névrotique selon les stades en cause.
2
Étude psychopathologique
des conduites chez l’enfant
Si plusieurs champs théoriques peuvent être utiles pour comprendre la
psychopathologie de l’enfant, « l’outil psychanalytique » nous semble plus
adapté pour rendre compte de l’étiopathogénie de certains troubles. En
effet, l’approche psychanalytique décrit spécifiquement les mouvements
psychiques internes conscients et inconscients d’un individu, explicite ses
conflits et donne sens à ses symptômes.

1. Les dysfonctionnements des relations précoces


parents/nourrisson
Le petit d’homme est un être en interaction permanente avec son envi-
ronnement, doué de compétences précoces spécifiques notamment per-
ceptivo-motrices, et possède une vie psychique propre (cf. chap. 1). Ainsi,
le très jeune enfant, certes vulnérable, est activement ouvert et réactif au
monde et à autrui. Les influences réciproques entre le bébé et son entou-
rage, notamment ses parents et particulièrement sa mère, concernent
autant les comportements que les perceptions des protagonistes ; c’est ce
que l’on nomme les interactions précoces parents-enfants.

1.1 Les relations précoces


Bien avant sa naissance, l’enfant a une histoire, fruit des fantasmes éla-
borés par chacun de ses parents sur lui, « bébé fantasmatique » construit
dans la tête de son père et sa mère bien avant sa conception, sa gestation
et sa naissance (Lebovici, 1983).
Pour la mère, la grossesse et les premiers mois de la vie de l’enfant
apparaissent comme un moment de classique réactivation de sa vie fan-

45
2 Étude psychopathologique des conduites chez l’enfant

tasmatique, secondaire à la reviviscence de ses conflits infantiles, puis


à l’émergence d’une préoccupation maternelle primaire, maladie normale
selon Winnicott (1956) qui dure quelques semaines après la naissance
et « se guérit » progressivement ; cette guérison laisse place à une mère
suffisamment bonne, c’est-à-dire une mère présentant éventuellement des
défaillances par moments mais jamais supérieures à ce que son bébé peut
éprouver et supporter.
Cet état serait propice à la reconnaissance et à l’expression de fantaisies
d’habitude latentes – tout particulièrement celles générées ou réactivées
par la naissance de l’enfant. Lebovici (1983) a d’ailleurs défini deux types
d’enfants correspondant chacun à des fantasmes de la mère : l’enfant ima-
ginaire et l’enfant fantasmatique.
L’enfant imaginaire, préconscient, est celui du désir maternel de gros-
sesse et d’enfant ; « il exprime ce que l’union de la mère avec le géniteur
du bébé permet de projeter dans l’avenir et de craindre pour l’immédiat ».
L’enfant fantasmatique, inconscient, est celui du désir de maternité lié à
« l’organisation œdipienne des fantasmes de la mère et du deuil de ses
objets œdipiens ». Ce qui est transmis avec cet enfant fantasmatique sont
plutôt des « conflits inconscients et répétés » (Lebovici, op. cit.). Le contenu
fantasmatique est lié au poids de la transmission intergénérationnelle, à
ce qui est transmis d’une manière souvent inconsciente par les différents
membres de la famille. Le contenu de cette transmission est lié à l’histoire
de la famille dont l’équilibre est assuré par un certain nombre de scénari
conscients et inconscients.
L’enfant dès sa naissance aurait un « mandat transgénérationnel » à rem-
plir, une place déterminée à prendre dans cette famille. L’enfant habite des
représentations qui lui préexistent. Il est investi par sa mère avant même
qu’il ne naisse en fonction de l’histoire personnelle de celle-ci mais aussi
de son histoire familiale.
En dépit de l’importance capitale de la dyade mère-bébé, celle-ci reste
néanmoins réductrice et mal adaptée à l’hyper-complexité des interac-
tions et des relations qui se nouent autour du bébé. Il est ainsi important
de considérer une représentation triadique (père-mère-bébé) qui permet
de mieux appréhender le nourrisson dans son tissu relationnel.
Ainsi, les premières heures suivant la naissance introduisent la mère à
un état psychologique particulier, à la base de l’instauration du lien d’atta-
chement affectif optimal qui plus tard deviendra un véritable accordage

46
Étude psychopathologique des conduites chez l’enfant 2

affectif (Stern, 1985)1. Cette « maladie normale » de la mère, associée à


une hyper-sensibilité et hyper-identification aux besoins de son bébé, est
conditionnée par sa bonne santé psychique, laquelle est liée à l’existence
chez elle d’un sentiment continu d’exister2 suffisamment solide, d’une
évolution psychosexuelle de bonne qualité et d’un environnement au
moment de la naissance, notamment le père de l’enfant, suffisamment
étayant.
À un autre niveau, l’allaitement (au sein ou au biberon) constitue l’une
des modalités essentielles de l’interaction mère-bébé dans la mesure où
il met en jeu un ensemble de vecteurs de communication très riches et
complexes : la posture, le regard, le toucher, la parole et les expériences
gustatives et olfactives ; l’allaitement étant qualitativement conditionné
par les capacités de la mère à s’adapter efficacement à son bébé, et d’une
certaine façon réciproquement ! Ce dialogue tonique (Wallon & Ajuria-
guerra) évolue après l’accouchement et dans le meilleur des cas vers une
interaction harmonieuse.
L’interaction père-nourrisson est également caractérisée par la récipro-
cité et par des phénomènes de régulation mutuelle ; les échanges appa-
raissent plus physiques.

1. L’accordage affectif, selon Stern, est une forme particulière d’intersubjectivité qui
rend compte du partage des états affectifs (états psychiques intérieurs) entre une
mère et son bébé. Il correspond aux moyens utilisés par les parents et leur enfant
pour se faire comprendre mutuellement et partager, de ce fait, la qualité d’une expé-
rience. Il s’agit, en général, de l’utilisation d’un autre mode d’expression, d’une
transposition intermodale par l’adulte, généralement inconsciente, de ce qu’il a
perçu de l’état de son bébé ; ces comportements d’accordage traduisent l’événement
de façon analogique pour déplacer l’attention de l’acte vers ce qui se trouve derrière
le comportement, c’est-à-dire la qualité affective que la mère souhaite partager (ex :
le bébé s’exprime par un geste et la mère l’accompagne par la voix). Cette forme
d’échange participe à la découverte chez le bébé d’un partage possible avec l’autre
de ses états subjectifs et de sa vie intérieure (désirs, sensations, impressions, expé-
riences intimes, intentions, fantasmes, peurs, etc.) et est à la base de la construction
pour l’enfant du « sens pour soi » (cf. chapitre 1, p. 34).
2. Le sentiment continu d’exister est encore appelé « self » par Winnicott ; il corres-
pond au sentiment d’identité du sujet qui le fait se sentir le même dans le temps et
dans l’espace.

47
2 Étude psychopathologique des conduites chez l’enfant

1.2 Les facteurs de dysfonctionnement


Les perturbations de l’interaction mère-bébé peuvent s’envisager sous
différents angles. Certains facteurs de risque, liés soit aux parents soit à
l’enfant, peuvent altérer la qualité des échanges affectifs.

a) Du côté de la mère
L’existence d’une dépression secondaire à la naissance ou d’une dépres-
sion vraie (pré- ou post-partum) en rapport ou non (deuils, fausses
couches, ruptures, séparations, etc.) avec le bébé dans ses premiers mois
de la vie est considérée comme un facteur de risque majeur des perturba-
tions interactives et ce faisant du développement psychologique de l’en-
fant (Mazet & Stoléru, 1988).
Schématiquement, les troubles éventuellement développés par le nour-
risson puis l’enfant peuvent être des troubles de l’humeur (notamment une
dépression précoce), des troubles anxieux (avec angoisse de séparation),
des troubles du comportement, des troubles cognitifs (difficultés scolaires,
troubles de l’attention, etc.), et à l’adolescence des troubles des conduites
avec addiction (toxicomanie, alcoolisme, etc.) ou délinquance. Dans toutes
ces situations de dépression maternelle, il est nécessaire de soigner la
dépression de la mère et lui venir en aide afin qu’elle puisse (re)trouver du
plaisir avec son enfant.
Par ailleurs, l’existence de troubles psychotiques chez la mère peut
perturber l’interaction mère-enfant, que l’état psychotique soit déclenché
par la naissance et prenne la forme d’une psychose puerpérale ou que les
troubles psychotiques préexistent à la maternité. Les difficultés de la mère
portent alors essentiellement sur la perception des besoins et des désirs de
son bébé qu’elle ne parvient pas/plus à reconnaître comme un individu à
part entière. S’il existe des incidences des troubles psychotiques maternels
sur la relation à l’enfant, il est nécessaire de proposer une médiation de la
relation qui pourra soutenir la mère (et éventuellement le père) dans leur
rôle et leurs compétences.
En outre, les conduites addictives, notamment toxicomanie et alcoolisme,
perturbent les interactions dès la naissance ; une intoxication placentaire
peut mettre en danger somatique le bébé et avoir des conséquences néfastes
sur son développement psychomoteur. Les perturbations relationnelles
peuvent s’aggraver par des comportements de violence, des problèmes éco-
nomiques, une instabilité du couple parental voire une absence du père.

48
Étude psychopathologique des conduites chez l’enfant 2

b) Du côté du nourrisson
La prématurité, qui altère les compétences néo-natales du bébé, est un
facteur de risque des interactions précoces. Pour les parents, leur bébé pré-
maturé les déçoit, blesse leur narcissisme* et attise leur culpabilité d’être
de mauvais parents incapables de mener la grossesse à terme ; l’enfant ne
correspond pas au bébé imaginaire idéalisé avant la naissance (Ravier et al.,
2018). Le retour au domicile sans leur enfant tant attendu est douloureux
et la mise en place de la parentalité rendue souvent difficile. De nos jours,
sous l’impulsion des travaux des psychanalystes d’enfants, les services de
néo-natologie réagissent à l’ensemble de ces risques possibles et mettent
en place des mesures prophylactiques (de prévention), telles que la créa-
tion d’unités « kangourous », l’ouverture des services jour et nuit pour per-
mettre aux pères les visites, la création de chambres mère-bébé, etc.
À un autre niveau, la maladie d’un enfant, engageant éventuellement
le pronostic vital, et/ou une malformation peut affecter considérablement
son développement affectif, cognitif et relationnel. L’affection peut gêner
directement le développement de l’enfant du fait de la nécessité d’hospi-
talisations fréquentes, par exemple, ou avoir des effets indirects lorsque la
maladie ou le handicap entraîne des perturbations au niveau des relations
parents-enfant. Ainsi, on peut assister à des comportements parentaux
ambivalents : toute l’attention des parents est focalisée sur les troubles
somatiques au détriment des besoins affectifs du bébé ou les attitudes de
surprotection parentale diminuent les potentialités d’initiative de l’enfant
et altèrent son évolution.
Pour aider l’enfant à vivre un développement harmonieux en interaction
avec ses parents, il apparaît nécessaire que ces derniers puissent réaliser
un travail psychique comparable au travail de deuil de l’enfant idéalisé, de
la fonction organique atteinte, des expériences impossibles à partager avec
l’enfant, etc. Ce travail mental peut permettre la création de nouveaux
modes d’interaction des parents avec leur enfant qui, avant d’être malade,
est un sujet désirant singulier.
Lorsque l’enfant grandit, la distorsion des relations qu’il partage avec
ses parents peut s’exprimer sous la forme d’un ensemble de maux qui
affectent le plus souvent la sphère des fonctions instinctuelles, du compor-
tement, du langage et de l’humeur et qui, toujours, traduisent une souf-
france psychique difficile, voire impossible, à mettre en mots.

49
2 Étude psychopathologique des conduites chez l’enfant

2. Les troubles du sommeil


Le sommeil correspond à un « état physiologique normal et périodique
caractérisé essentiellement par la suspension de la vigilance, la résolu-
tion musculaire, le ralentissement de la circulation et de la respiration, et
par l’activité onirique » (Le Robert). Ainsi donc, le sommeil est l’élément
essentiel à la réparation et à la restauration du corps.
Les spécialistes du sommeil repèrent chez le nourrisson deux phases
de sommeil (avec et sans rêves) et une de somnolence sur les six « états de
vigilance » distincts pendant un cycle de 24 heures. C’est dire si ce repos
est nécessaire à la vie ! Chaque enfant a un rythme veille-sommeil qui lui
est propre et doit être respecté. Néanmoins, en dépit de ces caractéris-
tiques, l’aspect neurophysiologique du sommeil ne recouvre pas toutes
ses dimensions.

2.1 Rappel psychologique


Pour l’enfant, le sommeil implique une séparation d’avec ses parents
et le monde extérieur, un arrêt momentané des activités et symbolique-
ment un moment où la vie s’arrête ; les angoisses mortifères peuvent, de
ce fait, surgir au cours des phases d’endormissement. Dans ce cadre, la
fonction parentale et notamment maternelle garantit la protection de l’en-
fant qui peut soit se laisser aller, soit résister à cette phase de sommeil
indispensable à son développement ; cette variation est étroitement liée
au sentiment de sécurité intérieure de l’enfant et à son acceptation de la
séparation. Ce sont donc les soins maternants qui permettent au bébé
de s’abandonner au sommeil. Grâce à la continuité et à la permanence
des soins qu’elle procure, la mère crée ce sentiment de sécurité chez son
enfant, nécessaire à la séparation ; on parle d’ailleurs du rôle de pare-exci-
tation de la mère pour son bébé, laquelle devient « gardienne de son som-
meil » comme le rêve (Freud, 1900).
Dans cette perspective, les troubles du sommeil (comme d’ailleurs de
l’alimentation) représentent un mode privilégié d’expression des diffi-
cultés psychologiques de la mère, de son enfant comme de l’interaction ;
ils constituent l’un des motifs de consultation les plus fréquents en pédo-
psychiatrie qu’ils soient isolés ou associés à d’autres troubles.

50
Étude psychopathologique des conduites chez l’enfant 2

2.2 Les différents types de troubles du sommeil chez l’enfant


Deux grandes catégories de troubles sont relevées : les troubles avec une
perturbation du sommeil en qualité (comme les terreurs nocturnes et les
cauchemars) et les troubles avec une altération du sommeil en quantité
(comme les insomnies et les hypersomnies).

a) Le cauchemar
Le cauchemar ou rêve d’angoisse est un rêve pénible auquel s’associe
une sensation d’étouffement et d’oppression qui se termine par un réveil
en sursaut après une anxiété intense ; le cauchemar peut être raconté au
réveil ou le lendemain par l’enfant. Si le rêve est l’expression d’un désir,
et plus spécifiquement d’un désir refoulé, cette fonction onirique échoue
dans le cauchemar (Freud, ibid.).
Dans la terreur nocturne, l’origine psychologique est souvent la même
que pour le cauchemar – une angoisse intense chez l’enfant – mais le
tableau clinique est bien différent. En pleine nuit, l’enfant se dresse sur
son lit et, sans être réveillé totalement, hurle de peur : il est alors en proie à
un onirisme terrifiant dont la présence des parents, qu’il ne reconnaît pas
au départ et qu’il intègre dans ses hallucinations*, ne peut le faire sortir.
L’enfant est couvert de sueurs et, dans certains cas, se met à vomir ou
uriner dans son lit. Il se rendort sans avoir repris totalement conscience et
ne se souvient de rien le matin, au réveil.

b) Les troubles quantitatifs du sommeil


Dans ce cadre, il faut établir une distinction selon l’âge de l’enfant.
En dehors de l’existence de causes organiques, les insomnies du premier
semestre de la vie sont appelées insomnies fonctionnelles précoces. Elles sont
soit des insomnies dites « communes » où la brièveté des périodes de som-
meil alterne avec des réveils associant pleurs et cris fréquents, soit des
insomnies « tapageuses » pendant lesquelles l’enfant, qui ne dort quasi-
ment pas, crie et pleure beaucoup entraînant un climat d’exaspération et
d’épuisement du foyer familial.
La somnolence diurne ou hypersomnie (non organique et non trau-
matique) est peu fréquente mais inquiétante lorsqu’elle rime, au niveau
comportemental, avec une faiblesse des interactions et des réactions et

51
2 Étude psychopathologique des conduites chez l’enfant

un silence et un calme excessif de l’enfant ; ce trouble peut en effet inau-


gurer une déficience mentale ou un retrait de type autistique précoce. Des
périodes d’hypersomnie peuvent survenir vers 8-9 mois et sont générale-
ment secondaires à des frustrations (séparations, séjours loin des parents,
etc.) ou parfois sans cause apparente ; le contexte infantile est souvent de
tristesse, de repli ou de dépression.
D’une façon générale, la gravité des troubles du sommeil ne se mesure
pas au côté bruyant des manifestations, mais à leur durée, leur persis-
tance après les conseils donnés aux parents et au fonctionnement mental
du bébé et de l’entourage. Plus les soins respectent le rythme de l’enfant
et plus ils sont adaptés en matière de puériculture de base (alimentation
adaptée, non-excès des stimulations, etc.) moins les troubles perdurent.
Néanmoins, si les troubles persistent malgré le changement éducatif,
ils sont souvent associés à une distorsion de la relation père-mère-enfant,
c’est-à-dire à une surcharge de stimulations, une inadéquation ou une
incohérence dans l’attitude maternelle/paternelle. Cette perturbation
de la relation s’exerce en général de deux manières : l’irrégularité (des
soins, de la présence, etc.) et/ou le manque (de soins, de présence, etc.).
L’imprévisibilité, les attitudes contradictoires, l’humeur dépressive (avec
investissement/désinvestissement des parents) ou à l’inverse l’excès de
stimulations (environnement, famille, conditions de vie précaires, etc.) ne
permettent pas à l’enfant d’intérioriser une base de sécurité nécessaire
au bon déroulement du sommeil. L’angoisse de la mère sur le sommeil et
l’endormissement pour elle comme pour son enfant rejaillit également sur
l’état psychologique du bébé.

c) Les troubles qualitatifs du sommeil


Lorsque l’enfant grandit, d’autres types de troubles peuvent apparaître
altérant la quantité mais aussi par moments simultanément la qualité du
sommeil ; ces derniers touchent aussi bien le coucher que le sommeil lui-
même.
Dès la deuxième année, l’enfant est souvent ambivalent par rapport au
coucher car il se sent partagé entre ses envies d’autonomie et ses besoins
de dépendance encore très intenses. L’angoisse de séparation est inhérente
à cette phase du développement pour laquelle s’endormir c’est se séparer,
être dans le noir et en proie à une vie fantasmatique composée de rêves
mais aussi de cauchemars.

52
Étude psychopathologique des conduites chez l’enfant 2

L’enfant a besoin de se créer un espace transitionnel à lui (Winnicott,


1951), comme celui que lui avait procuré sa mère après sa naissance :
espace protecteur et interne relié au monde extérieur par un objet sym-
bolique (le pouce, le doudou, la peluche mais aussi une chanson, une
musique, une histoire, la lumière, etc.). Ces objets, pas nécessairement
concrets, sont à la fois « moi et non-moi » et permettent à l’enfant d’envi-
sager la séparation d’avec sa mère avec plus de quiétude et de sécurité. En
général, le coucher s’accompagne de rituels plus ou moins obsessionnels
qu’il convient de respecter s’ils restent adaptés et peu envahissants par
rapport à la vie de l’enfant et de la famille. Ces rituels et cet espace transi-
tionnel créés permettent à l’enfant de prendre le relais des premiers soins
maternels et diminuent l’angoisse inhérente au développement.

Observation clinique
Adeline est un bébé de 18 mois quand je la rencontre accompagnée de
ses deux parents pour la première fois. Vive, souriante bien que parfois
anxieuse et apeurée, on lui donnerait le bon dieu sans confession et surtout
on n’imaginerait pas qu’elle ne dort pas la nuit quasi depuis sa naissance ;
ses parents non plus ! « On a tout essayé. On la fait s’endormir dans sa chambre
et quand elle se réveille, on prend son lit et on le met dans le salon en espérant
qu’elle se calme. Car quand elle se réveille, elle hurle. Et on ne peut absolument
pas la quitter ». Adeline souffre de troubles du sommeil déjà bien ancrés,
assortis d’autres embarras somatiques qui participent assurément de son
inconfort (conjonctivite, torticolis récurrents, etc.). En séance, je rencontre
des parents épuisés et décontenancés par une telle résistance à l’abandon
dans le sommeil. Progressivement Monsieur A., occupé par son travail,
laisse la place à sa femme et Adeline en consultation. Je note durant ces
séances à trois qu’Adeline est souvent inquiète par l’éloignement de sa mère
ou plutôt par ma présence en tant que figure étrangère. Ma trop grande
proximité physique la fait pleurer, les bruits insolites des jeux ou autres
poupons de mon bureau l’effraient… elle ne me semble pas avoir intégré
encore l’angoisse du 8e mois, précieuse à R. Spitz, signe de l’établissement
d’un objet stable et permanent à l’intérieur d’elle. Comment se séparer
sereinement (« sœur-hainement » ?!) la nuit quand on n’est pas assuré de la
solidité de l’objet intérieur ? Madame A., attristée, dit d’ailleurs en consul-
tation, « ne pas avoir vraiment rencontré sa fille qui lui apparaît comme une
étrangère ». Après quelques séances, elle et moi comprenons qu’Adeline
n’est pour cette mère que le substitut d’une sœur à la fois aimée et haïe,
que Madame n’a eu de cesse de chercher toute son enfance et qui s’est vue

53
2 Étude psychopathologique des conduites chez l’enfant

rabrouée et laissée pour compte ; sa sœur aînée, considérée comme fragile


par leurs parents, n’investissait aucun lien soranelle avec sa jeune sœur
qui n’attendait que ça. L’ambivalence, le ressentiment et l’attente déçue
blessant le narcissisme de Madame A. sont venus entraver la rencontre de
Madame et de sa fillette ; la mère d’Adeline en voulait à sa sœur de ne pas
la reconnaître comme sa jeune sœur, d’avoir un statut privilégié d’enfant
« fragile », etc. Bref, Madame A. prenait Adeline pour une autre (sa sœur et
tout ce que celle-ci représentait et venait fixer des conflits infantiles non
résolus) et ne pouvait donc pas authentiquement la rencontrer comme sa
fille, différente de sa sœur. Elle admit : « dès que j’ai su que j’attendais une
fille, j’ai vraiment espéré qu’elle ne ressemble pas à ma sœur. Et physiquement,
il se trouve qu’elle a des traits de son visage ! ». L’ambivalence inconsciente
portée à l’image d’Adeline participait probablement de la grande tolérance
de Madame à se lever une dizaine de fois par nuit pour « apaiser et calmer
Adeline hurlant ». Quand Madame a enfin pu rencontrer sa fille (en tant que
telle et différente de toutes les projections dont elle était l’objet), Adeline
s’est engagée dans une véritable relation avec sa mère faite de plaisirs parta-
gés et de découvertes, lui permettant de s’abandonner dans les bras de
Morphée chaque nuit avec délice.

d) Les troubles du sommeil de l’enfant plus âgé


Ils ont souvent une origine multifactorielle : facteurs psychologiques,
relationnels et affectifs, croissance motrice (poussée dentaire, développe-
ment de la motricité, etc.), développement du langage, etc.
Dans ce cadre, on distingue en général quatre catégories de facteurs
étiologiques :
– l’hyperactivité motrice de l’enfant : les troubles du sommeil sont plus
fréquents chez le garçon de 9 à 30 mois et souvent accompagnés d’un
retard psychomoteur ou de langage. L’endormissement est difficile ;
l’enfant ne semble pas pouvoir s’apaiser sur le plan psychomoteur. Dans
d’autres cas, et la situation est différente, l’enfant est très actif sur le plan
moteur, fréquemment en avance au niveau psychomoteur et très excité
car placé dans un contexte d’hyper-stimulations souvent associées à
des craintes phobiques ou à une dimension dépressive maternelle ;
– une conduite d’opposition : le jeune lutte contre le coucher et contre
le sommeil sans anxiété apparente. S’il s’endort et après une phase de
sommeil profond, l’enfant se réveille brutalement et refuse de se rendor-
mir. Cette opposition et ces réveils nocturnes traduisent chez lui des

54
Étude psychopathologique des conduites chez l’enfant 2

conflits intrapsychiques mais aussi son sentiment d’insécurité souvent


lié à l’ambivalence maternelle ;
– son anxiété : les troubles sont les plus fréquents et reposent sur une
vive angoisse de séparation (peur du noir, des fantômes, du loup, etc.) ;
cette angoisse de séparation peut constituer une des modalités d’expres-
sion de l’angoisse de castration* (notamment en période œdipienne).
Si cette angoisse est trop forte, elle peut traduire des conflits avec les
parents. Les rituels augmentent alors et des rythmies d’endormissement
se mettent en place (comportements stéréotypés avec balancements,
mouvements répétés, etc.) car ils servent à apaiser la tension et l’anxiété
internes de l’enfant. Le sommeil reste alors trop souvent superficiel ;
l’enfant a des difficultés à se réveiller le matin ou se lève semi-réveillé.
Ces troubles sont fréquents après des interventions chirurgicales ou
médicales, des séparations précoces, etc. ;
– son excitation psychique : ils apparaissent souvent chez des enfants
avancés au niveau du langage. Ces troubles se caractérisent par des
endormissements difficiles : l’enfant chante, rit, s’excite, retient son
entourage par ses facéties, etc. Puis, le sommeil est souvent agité avec
des réveils matinaux immédiatement suivis de tentatives d’accapa-
rement de l’attention. Dans les formes graves, on a décrit l’insomnie
joyeuse des enfants élevés dans un climat familial dépressif ou psycho-
tique, où les troubles sont sous-tendus par des défenses maniaques avec
déni de la rupture et de la perte, et besoin de récupérer bruyamment le
contact avec l’extérieur. Dans ce contexte, on peut craindre une évolu-
tion psychotique de l’enfant.

3. Les troubles du langage


3.1 L’acquisition et le développement du langage
Chez l’enfant, le développement du langage s’organise selon trois
phases, correspondant à trois niveaux différents de son évolution (Ajuria-
guerra & Marcelli, 1989) :
– le prélangage : il est opérant depuis la naissance jusqu’à l’âge de
12-13 mois, parfois 18 mois ; ses manifestations sont diverses : d’abord

55
2 Étude psychopathologique des conduites chez l’enfant

les cris, puis les vocalises, les lallations, le rire, les vocalises adaptées à
l’environnement, les sons et syllabes prenant l’allure de babillements, et
enfin le début d’une « conversation » au 10e mois ;
– le petit langage : il s’utilise approximativement de 1 an-1 an et demi
jusqu’à 3 ans ; la conversation est au départ plutôt un monologue et le
vocabulaire assez pauvre (quelques mots), puis celui-ci s’enrichit et est
marqué par l’apparition du « non » ;
– le langage : le « je » apparaît vers 3 ans et témoigne de l’accès à une
nouvelle étape dans la construction de l’identité de l’enfant ; l’utilisation
des mots abstraits précède l’apparition de la syntaxe (entre 3 et 5 ans),
laquelle est suivie par l’apprentissage de l’écrit vers 5-6 ans.

3.2 Les différents troubles du langage


Les troubles du langage de nature psychopathologique ne sont bien
entendu qu’à repérer en l’absence de toute altération physiologique ou neu-
rologique majeure. Nous ne parlerons ici que des troubles du langage oral1
en insistant notamment sur les anomalies et particularités du développe-
ment de la parole et du langage ayant peu d’incidence sur la communica-
tion avec autrui et sur l’évolution psychique de l’enfant, surtout le retard de
langage, les troubles de l’articulation et les dysphasies, et sur les anomalies
du développement de la parole et du langage ayant des effets sur sa vie
relationnelle, comme le bégaiement, les dysphasies aggravées et le mutisme.

a) Le retard de langage (et/ou de parole)


Il correspond à des variations dans le temps de l’acquisition du langage
et à une mauvaise intégration des phonèmes* constitutifs d’un mot. S’ils
persistent au moment de la période de latence, ces troubles d’élocution
témoignent d’une perturbation de l’intégration de la parole et du langage
et doivent faire l’objet d’une prise en charge thérapeutique.

b) Les troubles de l’articulation


Les troubles de l’articulation, encore appelés dysarthrie, correspondent
à une déformation de la parole dans son timbre, sa tonalité, son débit mais

1. Les difficultés dans l’acquisition de la langue écrite, notamment la dyslexie et la


dysorthographie, ne seront pas abordées.

56
Étude psychopathologique des conduites chez l’enfant 2

surtout dans son articulation. Il s’agit en somme d’une perturbation de la


réalisation motrice des phonèmes*.

c) Les dysphasies
Les dysphasies fonctionnelles correspondent à une déformation des
mots, l’enfant étant incapable de répéter des syllabes sans erreur. Le retard
de langage est inhérent à ce trouble de la structure syntaxique des phrases.
Lorsque la dysphasie persiste, il y a un risque d’aggravation des troubles
du langage et de l’orthographe avec une forte probabilité de voir s’inten-
sifier des difficultés de compréhension, des troubles des praxies (coor-
dination normale des mouvements vers le but proposé), de la structure
temporo-spatiale et du rythme. Les répercussions cognitives plus globales
et les troubles de l’affectivité tels que l’impulsivité, l’hypersensibilité aux
frustrations, etc., sont alors fréquents.

d) Le bégaiement
Le bégaiement de la petite enfance (vers 3-4 ou 5 ans) est une anomalie
de l’émission de la parole dans laquelle prédomine un trouble du rythme ;
le trouble est fréquent (1 % de la population) et prédomine chez les gar-
çons. Le bégaiement physiologique transitoire qui disparaît vers 3 ans est
à différencier du bégaiement pathologique qui peut s’installer vers 4 ou
5 ans. Ce trouble est fréquent en cas d’antécédents de retard de langage. Le
pronostic est favorable si le trouble disparaît avant 7 ans de façon naturelle
ou par une rééducation orthophonique et/ou prise en charge psycholo-
gique. Nous devons souligner néanmoins l’existence d’un bégaiement de
pronostic moins favorable s’il apparaît (ou réapparaît) lors de la période de
latence et/ou à l’adolescence.
Généralement, le bégaiement survient chez des sujets introvertis, anxieux
et inhibés adoptant des attitudes de passivité teintée d’agressivité projetée
sur autrui ; ce symptôme peut être un indice d’un trouble de la communi-
cation d’avec l’un des membres de la famille, notamment la mère. La dis-
cussion sur l’étiopathogénie du bégaiement après la période œdipienne est
plurifactorielle et associe des facteurs héréditaires, physiologiques, neuro-
logiques, psychologiques, traumatiques, etc. Notons enfin que le risque de
conserver ce trouble à l’âge adulte, soit du fait de sa nature réactionnelle, soit
du fait de sa chronicisation, est important (Ajuriaguerra & Marcelli, 1989).

57
2 Étude psychopathologique des conduites chez l’enfant

Observation clinique
Myriam1 est une fillette de 8 ans et demi (mignonne et coquettement habil-
lée), suivie depuis plusieurs mois par une orthophoniste pour un retard
de parole et de langage. Devant la lenteur des progrès constatés lors de la
rééducation, un bilan psychologique est demandé. C’est sa mère qui l’ac-
compagne ; le père, indien, vend des légumes chez des grossistes et n’a pu
venir au rdv. La mère est une femme obèse, d’apparence chaleureuse voire
hyper-protectrice avec sa fille. Elle parle beaucoup durant l’entretien avec
un fort accent italien. On parle le français à la maison. Elle décrit Myriam
comme « une enfant difficile en ce moment », qui « dit non à tout » et « crie comme
une folle ». Elle met du temps à s’endormir et fait des cauchemars. Les diffi-
cultés dateraient de l’année dernière quand mère et fille se sont fait opérer
en même temps, l’une des varices et l’autre d’une verrue. Quand Myriam
s’est réveillée de l’anesthésie, elle a cru sa mère morte. Depuis, elle ne cesse
de parler de la mort, pense que sa mère va mourir et pleure souvent à la
maison en disant qu’on ne l’aime pas. À l’école, elle apprend difficilement
à lire en CE1, tout en ayant redoublé le CP ; elle dit aussi que sa maîtresse
ne l’aime pas. La petite enfance de cette fillette est marquée par deux chutes
spectaculaires, banalisées par sa mère (sic !), à 1 an avec traumatisme crânien
et 3 ans : l’une du premier étage, puis l’autre dans un escalier. Le père est
décrit comme un homme doux et gentil qui délègue à sa femme l’éducation
des enfants et le soin de se fâcher. Myriam parle de ses soucis de sommeil
et de ses peurs à tonalité œdipienne qui révèlent tout à la fois la chaleur
de ses conflits infantiles, l’angoisse phobique des représentations phalliques
et l’intégration difficile et anxiogène d’une position féminine (« peur qu’il y
ait des loups cachés sous son lit », « peur des voleurs qui pénètreraient dans sa
chambre »). La séparation psychique d’avec ses parents ne semble pas adve-
nue et Myriam appelle régulièrement sa mère la nuit, laquelle laisse la porte
de la chambre conjugale ouverte ! Cet été, au bal du 14 juillet, un homme
« l’a attaquée avec un long couteau » derrière l’estrade ; mais « quelqu’un est
venu quand elle a crié ». À la piscine aussi, un homme l’a agressée et lui « a
fait boire la tasse ». Myriam entoure son récit d’un halo très dramatique. Le
ton est bébé et de nettes séquelles de retard de parole rendent le discours

1. L’histoire clinique de Myriam permet de discuter la valeur de ses troubles du


langage et des apprentissages à l’aune d’un vécu carentiel et d’un fonctionnement
à tonalité hystéro-phobique dans le cadre d’un contexte psycho-social singulier.
Cette observation permet aussi d’envisager un diagnostic différentiel d’organisation
névrotique avec des éléments dépressifs et des traits de caractère hystérique (cf.
chapitre 3, p. 113) ou d’une pathologie limite de l’enfant (cf. chapitre 3, p. 94).

58
Étude psychopathologique des conduites chez l’enfant 2

parfois mal compréhensible. Le bilan psychologique (test d’intelligence et


tests projectifs Rorschach et TAT) révèle un niveau intellectuel moyen faible ;
les épreuves nécessitant l’utilisation de la parole dans l’échange sont plutôt
échouées. Au Rorschach, l’inhibition domine avec l’expression d’un vécu
carentiel précoce avec des éléments phobiques du registre archaïque (« elles
étaient très méchantes les dames ; elles tuaient tout le monde ») contrastant avec
l’impression chaleureuse laissée par l’entretien avec la mère. À un deuxième
niveau, on découvre une problématique œdipienne encore très chaude et
vivante (imago féminine phallicisée, angoisse de castration, scène primitive)
entravant l’identification féminine satisfaisante et appelant le recours à des
solutions narcissiques (« une belle paire de boucles d’oreille », « un joli nounours »)
pour suppléer l’identification défaillante. Le registre régressif est défensif
(son langage bébé ?) et permet d’atténuer les mouvements pulsionnels agres-
sifs (« des bébés dragons », planche IX). Au TAT, l’érotisation domine dans
les scénarios avec une tonalité très hystériforme et labile où les séquelles
des difficultés de langage entretiennent la confusion des identifications et
des rôles. D’ailleurs, la proximité d’un registre oral carentiel ou menaçant
devient le tremplin à la création d’un véritable roman familial.

4. Les troubles du contrôle sphinctérien


4.1 L’énurésie
L’énurésie consiste en des mictions répétées dans les vêtements ou dans
le lit, pour lesquelles aucune cause organique ou physiologique n’a été
repérée, à un âge où la propreté devrait être acquise. On a tendance à
considérer l’énurésie diurne (de jour) lorsque l’enfant a au moins 3 ans,
et l’énurésie nocturne lorsqu’il a au moins 4 ans. Le DSM-51 retient néan-
moins l’âge de 5 ans pour établir un diagnostic d’énurésie.
On distingue deux types d’énurésie : l’énurésie primaire, qui concerne
les enfants qui n’ont jamais acquis la propreté (80 % des cas d’énurésie) et
l’énurésie secondaire, relative aux enfants qui, à un moment donné, ont

1. Le DSM correspond au Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorder, ouvrage


international réalisé par l’American Psychiatric Association (APA) qui répertorie et
classe les troubles mentaux selon leurs caractéristiques séméiologiques.

59
2 Étude psychopathologique des conduites chez l’enfant

été propres, puis à nouveau incontinents ; on considère que la propreté a


été acquise lorsqu’elle a duré plus de quatre mois.
L’énurésie est véritablement considérée comme un symptôme lorsqu’elle
est fréquente et régulière (au moins deux fois par semaine) et s’étend sur
une période d’au moins trois mois ou bien lorsqu’il y a une altération du
fonctionnement social et/ou scolaire.
En dehors des hypothèses peu convaincantes sur la transmission hérédi-
taire, l’immaturité neurophysiologique ou la réduction de la capacité vési-
cale, les facteurs psychologiques semblent les plus adaptés pour expliquer
l’origine de ce trouble. Ainsi, il apparaît que dans des situations difficiles de
vie ou à la suite de changements significatifs dans la vie de l’enfant (décès
de l’un des parents, séparation ou divorce, déménagement, hospitalisation,
naissance d’un cadet, etc.), l’énurésie apparaît. Par ailleurs, il semble que
l’attitude des parents soit également en cause dans l’apparition de ce trouble.
On peut soit constater chez eux un manque d’éducation sphinctérienne*,
soit une préoccupation excessive par rapport à la propreté avec des attentes
inappropriées pour l’âge de l’enfant. Il arrive également que l’énurésie soit
accompagnée d’un trouble des conduites ; le symptôme relève alors d’un
faible contrôle des pulsions. En outre, l’énurésie peut constituer un acte à
caractère vindicatif et hostile, une façon pour l’enfant d’exprimer son agres-
sivité ou son opposition. Enfin, les psychanalystes insistent beaucoup sur
le caractère masturbatoire de l’énurésie (Ajuriaguerra & Marcelli, 1989).
Les aspects psychopathologiques sont, quant à eux, nombreux. En
dehors des inconvénients que peut constituer l’énurésie (sentiment de
honte ressenti face aux autres, possible isolement inhérent au trouble, etc.),
l’enfant peut tirer des bénéfices de son symptôme qui contribuent à sa
persistance. Ainsi, les bénéfices primaires concernent les plaisirs d’ordre
masturbatoire et les sensations régressives ; les bénéfices secondaires,
quant à eux, peuvent prendre la forme de réaménagements au sein de la
famille et vis-à-vis de l’extérieur, l’enfant tirant des avantages œdipiens
évidents. Par exemple, un enfant énurétique peut éviter « grâce » à son
symptôme d’avoir certaines activités avec ses pairs (colonies de vacances,
pension, etc.) et rester à la maison se rapprochant de l’un de ses parents en
s’alliant contre l’autre. Souvent, l’enfant manifeste par l’énurésie son désir
de rester petit et de ne pas grandir. À l’adolescence, notons que l’énurésie
peut être un moyen utilisé pour ne pas accéder à une sexualité adulte.
Soulignons enfin que, chez certains enfants, le comportement énurétique
permet, de par les réprimandes voire les humiliations subies, de satisfaire
des tendances masochistes.

60
Étude psychopathologique des conduites chez l’enfant 2

Observation clinique
Léo est un jeune garçon de 4 ans très vif, intelligent et séducteur. Ce garçon-
net, qui n’en semble pas du tout affecté, vient me consulter à la demande
de ses parents, surtout sa mère, pour d’abord une constipation puis une
énurésie nocturne, comme si l’une avait pris la place de l’autre (sic !). Assez
vite, la constipation s’amende et Léo peut aller aux toilettes sans véritable
difficulté. Sa difficulté à la séparation d’avec sa mère s’illustre dans cette
rétention anale. L’énurésie nocturne apparaît et résiste, quant à elle, à toute
forme de transformation et levée ! Léo a, semble-t-il, « besoin » de ce symp-
tôme bien qu’il n’en semble pas plus gêné que l’ancienne constipation. La
famille a mis en place un dispositif de couches la nuit qui enferme Léo,
par ailleurs très mature, dans un statut de « bébé » dont il a du mal à sortir
(bénéfices primaires et secondaires indiscutables), et dont ses parents (son
père et sa mère et pour des raisons différentes pour chacun) ont du mal à
le laisser se dégager. Léo est investi comme « le petit dernier de la famille » ;
celui dont la mère peut dire qu’elle s’inquiète déjà à l’idée « que plus tard,
il quittera le nid familial » et la laissera toute seule. Le père, quant à lui, est
inscrit dans une relation faite d’ambivalence où Léo est à la fois celui dont
il s’occupe encore comme d’un bébé et celui qui, rival, devient l’objet de
conflits vifs où les combats ont pour visée de savoir quel est le coq qui
gagnera ! Et à ce jeu-là, Léo a de l’endurance… crispant bien souvent des
situations avec son père. La position psychique de Monsieur reste infantile
et on a plutôt le sentiment qu’il a du mal à occuper la place asymétrique
d’adulte dont le rejeton a besoin. Celui-ci maintient très souvent (même
en séance) une position mégalomane faite de défiance, provocation, etc.
Les jeux de Léo sont au départ inscrits dans les luttes où les Playmobil
sont entremêlés et indistincts, sans que l’on repère la différenciation entre
les uns et les autres. Les dessins révèlent la chaleur du conflit œdipien et
l’appel à l’imago paternel pour imposer la loi structurante et séparatrice
d’avec l’imago maternelle. Léo, même s’il joue inconsciemment son propre
conflit œdipien, semble pris au piège d’une double assignation maternelle
et paternelle à la place de bébé dont il ne parvient pas à s’extraire.

4.2 L’encoprésie
D’une manière générale, le contrôle des sphincters* anaux s’acquiert
dès l’âge de 3 ans. Au-delà de 3 ans, et pour des raisons autres qu’orga-
niques, on définit l’encoprésie par des défécations répétées, produites au
moins une fois par mois, volontaires ou non, dans des endroits inappro-

61
2 Étude psychopathologique des conduites chez l’enfant

priés (vêtements ou lieux habités). Là encore, on distingue l’encoprésie


primaire de l’encoprésie secondaire ; la prévalence étant de 1 % chez les
enfants de 5 ans.
Concernant l’étiologie de l’encoprésie, les facteurs relationnels sont très
proches de ceux rencontrés dans l’énurésie ; d’ailleurs, la nature des béné-
fices tant primaires que secondaires est également similaire. Au niveau
affectif, l’encoprésie, malgré le sentiment de honte qu’elle peut entraîner,
peut représenter pour l’enfant une manière de s’en prendre à son entou-
rage et provoquer chez lui une réaction. De plus, les enfants encoprétiques
ont souvent une tendance à la résistance passive ; ils adoptent en même
temps une attitude de soumission et d’opposition, et paraissent à la fois
passifs et agressifs.

5. Les troubles du comportement


Nous regroupons ici, de façon arbitraire, des conduites et comportements
pathologiques très différents qui n’ont pas de sens psychopathologique
particulier ; le processus de socialisation, et ses avatars éventuels, consti-
tuant leur seul point commun1.
Pour les conduites de type « vols », « mensonges » et « fugues », notam-
ment, on pourra apprécier le continuum entre le normal et le pathologique,
lequel peut constituer de véritables comportements déviants et signer une
entrée dans la psychopathie à l’adolescence, ainsi que la dimension de
discrimination entre fantasmes et réalité, soi et non-soi, dépendance/indé-
pendance qui lui est associée.

5.1 Les conduites agressives


Aborder la question de la psychopathologie des conduites agressives
chez l’enfant implique nécessairement de considérer d’une part l’agres-

1. Nous avons choisi d’aborder les problématiques inhérentes à l’hyperactivité ou


« hyperkinésie » dans le chapitre 2 dans la partie intitulée « Les troubles psychomo-
teurs » et en particulier dans le paragraphe portant sur l’instabilité psychomotrice
(cf. p. 70). Ce choix, éventuellement discutable, répond à des exigences édito-
riales de concision.

62
Étude psychopathologique des conduites chez l’enfant 2

sivité en tant que concept, et d’autre part la conduite ou le comporte-


ment agressif à proprement parler. Soulignons tout d’abord que, au même
titre que la sexualité, l’agressivité est une composante fondamentale de la
nature humaine.
Il existe plusieurs théories à la base de la problématique de l’agressivité
chez l’enfant dont la réalité clinique est indéniable. Nous insistons ici, au
niveau psychanalytique, sur la distinction à opérer entre les conduites
agressives en tant qu’expressions agies de pulsions variées, les fantasmes
d’agression ou de destruction appartenant au domaine le plus archaïque
et inélaborables pour l’enfant (dans lesquels le sujet et l’objet sont souvent
confondus, le moi* et le non-moi indistincts), et les fantaisies agressives
intégrées à la personnalité et au moi*, où l’enfant élabore peu à peu son
espace psychique.
Les manifestations infantiles des pulsions agressives sont plutôt habi-
tuelles et contribuent à l’élaboration de la personnalité. Très tôt en effet,
l’enfant, confronté à une frustration et donc au déplaisir, peut manifester
une réaction de rage (avec cris et agitation, par exemple). Plus tardive-
ment, durant la phase d’acquisition du sens de la négation, l’enfant se
situe davantage dans une opposition active (opposant, agressif, coléreux,
etc.). À la période scolaire, l’agressivité s’exprime de diverses manières :
dans les jeux ou les rêves à thématique agressive, dans les comportements
agressifs avec les pairs ou encore sous une forme socialement acceptable
dans les compétitions sportives ou scolaires, par exemple.
En dépit de ces aspects « normaux », les comportements agressifs de
l’enfant peuvent parfois, par leur intensité, leur forme ou leur persis-
tance, prendre un caractère pathologique ; au niveau psycho-dynamique,
le débat porte sur l’existence de fantasmes primaires d’agression et de
destruction ou secondaires en réponse à des expériences de frustration
répétées. Au niveau clinique, les conduites agressives infantiles se diffé-
rencient en hétéro- ou auto-agressives.

a) Les conduites hétéro-agressives


Dans ce cadre, on trouve :
– l’intolérance à la frustration : l’enfant parfois très jeune se montre un
« bourreau familial » à la moindre contrariété ou frustration, souvent un
retard dans la satisfaction de sa demande, dans une famille où l’adulte

63
2 Étude psychopathologique des conduites chez l’enfant

« victime » est souvent incapable de poser des limites, et au-delà peut


prendre plaisir à se laisser martyriser par l’enfant ;
– l’expression verbale ou agie de certains fantasmes agressifs et
destructeurs : elle est plus le fait d’enfants inscrits dans une dyshar-
monie psychotique et capables d’expression fantasmatiques crues (cf.
chap. 3, p. 92) ;
– les conduites violentes en groupe : elles sont plus le fait de préado-
lescents (9-13 ans) soumis à des conditions socio-économiques défavo-
rables et prennent la forme soit d’une violence matérielle « en bande »
impulsive et non préméditée (saccage de locaux, de salles de classe,
etc.), soit d’une violence organisée et déjà antisociale (vols avec menace,
demande de rançon, etc.) pouvant présager d’une entrée dans la délin-
quance voire la psychopathie ;
– le meurtre : le meurtre comme le parricide sont possibles chez le
jeune enfant (assassinat d’un SDF ou d’un parent, etc.) et évoquent
surtout des tableaux de prépsychose infantile où l’introjection* de la
permanence de l’objet est précaire et « tuer » signifie « se débarrasser »
(cf. chap. 3, p. 97).

b) Les conduites auto-agressives


Dans ce cadre, on relève :
– les conduites auto-mutilatrices : elles s’observent essentiellement
chez les encéphalopathes ou dans les psychoses infantiles notamment
déficitaires, concernent la tête et certains organes en particulier (yeux,
langue, lèvres, joue, mains, etc.). Elles sont soit l’expression d’une auto-
stimulation, soit la conséquence d’une absence de perception de la
douleur ou du repérage des limites corporelles ;
– les tentatives de suicide (T.S.) : comparativement aux adolescents,
elles sont plutôt rares chez l’enfant pour lequel, compte tenu de son âge
et de sa non-conscience éventuelle du concept de mort, l’intentionna-
lité de la conduite suicidaire est difficile à évaluer. Néanmoins, 10 %
des conduites suicidaires en France concernent des enfants de moins
de 12 ans1. Bien que l’entourage familial soit souvent marqué par le

1. Au niveau épidémiologique, ces chiffres restent très probablement sous-estimés.


En effet, un certain nombre de suicides d’enfants ne sont pas reconnus comme tels

64
Étude psychopathologique des conduites chez l’enfant 2

caractère dérisoire de la situation circonstancielle présenté par l’enfant,


le geste suicidaire survient le plus souvent sur fond de crise familiale
où la tension pèse sur l’enfant. Le suicide de l’enfant correspond à un
geste non prémédité, brutal et impulsif bien que certaines T.S. de l’en-
fant soient précédées d’idées de mort ou constituent l’aboutissement de
réflexions sur la méthode à utiliser pour mourir ; celle-ci peut prendre
d’ailleurs diverses formes mais est d’autant plus violente que l’enfant
est jeune et du sexe masculin (défenestration, brûlures, chute dans les
escaliers, etc.) ;
– les conduites dangereuses et équivalents suicidaires : ils sont fréquents
chez l’enfant et correspondent à des comportements (accidents à répé-
tition, par exemple, de la voie publique ou lors d’activités de loisirs ou
encore intoxication) qui mettent en jeu sa vie sans que ces derniers ne
soient sous-tendus par une dimension dépressive avérée ou un désir de
mort directement exprimé, celui-ci étant souvent inconscient (Vindreau
et al., 1987). Au niveau psychopathologique, les conduites de risque de
ces enfants leur confèrent un sentiment de toute-puissance, en mettant
en scène leur narcissisme* infantile non abandonné, et revêtent une
dimension masochique importante.
Selon Ferrari & Epelbaum (1993), la quête plus ou moins consciente de
la mort chez l’enfant peut sous-tendre divers aspects :
– correspondre à un aménagement défensif élaboré face à l’angoisse
souvent liée à une situation conflictuelle ou à la dépression ;
– constituer une mise en acte des projections agressives, voire morti-
fères, des parents sur l’enfant lui-même ;
– réaliser une mise en acte de la dépression de l’un des parents, avec
lequel l’enfant est quasi en symbiose ;
– être une façon pour l’enfant, craignant la fusion (angoisse d’englou-
tissement dans un fonctionnement psychotique, par exemple) ou le
rapproché œdipien (culpabilité dans une problématique névrotique), de
se distancer de l’un de ses parents ;

et un certain nombre de décès d’enfants sont souvent le résultat d’un comportement


représentant la mise en acte d’un désir de mort inconscient ou tout au moins non
directement verbalisé.

65
2 Étude psychopathologique des conduites chez l’enfant

– représenter un comportement d’imitation d’une personne proche de


l’enfant ;
– viser à vérifier la capacité parentale de contenance ou la continuité de
l’investissement parental souvent défaillante et précaire, ou plus direc-
tement à lancer un appel au secours aux parents dépassés, déprimés,
rejetants ou maltraitants.
Pour finir, nous insistons sur le caractère complexe de l’acte suicidaire
de l’enfant qui correspond autant à un retournement de l’agressivité, vis-
à-vis de l’entourage, contre soi, qu’à une quête dans son accomplissement
de l’amour (vécu comme perdu) des parents ; les adolescents, à l’inverse,
cherchant quant à eux dans ce geste à conquérir une certaine indépen-
dance vis-à-vis d’eux.

5.2 Les vols


Le vol est le délit de mineurs, augmentant d’ailleurs avec l’âge de l’en-
fant, le plus fréquent (70 %), notamment chez les garçons ; la nature et
les lieux du vol évoluent également avec l’âge (des friandises du petit à
la maison aux vols caractérisés des adolescents dans les supermarchés).
On ne peut parler de « vols » chez l’enfant avant que celui-ci n’accède au
concept de propriété (« à moi ») et de limite de soi et d’autrui (« à lui ») mais
aussi au concept moral de bien et de mal, en somme vers 6-7 ans.
La valeur psychique du vol pour l’enfant et son comportement varient.
L’enfant jeune se sent rarement en faute, la culpabilité pouvant apparaître
dans l’après-coup de la réaction des adultes ; le plus âgé alterne le plus
souvent entre malaise et culpabilité, un autre, après une lutte anxieuse,
se sentira soulagé par la réalisation de son larcin apaisant sa tension psy-
chique mais recherchera une punition, un autre encore le vivra comme
une revendication ou une juste réparation d’un manque, ou bien encore
refoulera l’idée même du vol (Ferrari & Epelbaum, op. cit.).
Au niveau psychopathologique, l’environnement des enfants voleurs
est souvent décrit comme carentiel (carences affectives, abandon, sépara-
tion familiale, etc.). La plupart des auteurs, notamment Winnicott (1949),
parlent du vol comme d’une revendication d’une affection – satisfaire le
manque – ou d’une autorité – satisfaire le besoin de punition à l’égard de
l’objet ; la mère est en général d’ailleurs la première personne volée. Ainsi,

66
Étude psychopathologique des conduites chez l’enfant 2

Winnicott écrit « l’enfant qui vole un objet ne cherche pas l’objet volé,
mais cherche la mère sur laquelle il a des droits ».
La conduite déviante associée aux vols ne prend sens dans l’organi-
sation psychopathologique de l’enfant qu’à partir de son sentiment de
carence initiale (réelle ou fantasmée) et de la réaction de ses parents aux
premiers larcins. En regard de l’organisation progressive du surmoi*,
associé à l’intériorisation de la loi parentale (maternelle puis paternelle)
et de la loi sociale, le vol se situe là encore sur un continuum allant d’une
« excessive rigueur surmoïque dont l’enfant ne peut se dégager à l’absence
totale d’instance critique dont la conduite antisociale est la résultante »
(Ajuriaguerra & Marcelli, 1989). Ainsi, le vol peut autant se rencontrer
dans le cadre d’une organisation névrotique de l’enfant que constituer
l’une des conduites habituelles de la psychopathie signant un mode d’en-
trée à l’adolescence dans la délinquance.

5.3 Les mensonges


Le mensonge, défini comme une altération de la réalité, est chez l’en-
fant très fréquent et quasi vital : « il ment comme il respire ! », nous dit le
dicton. En fait, mentir est une façon pour l’enfant d’expérimenter que
son monde interne et son imaginaire ne sont pas transparents et visibles
par ses parents, notamment sa mère, et lui sont propres et personnels ;
le mensonge constitue ainsi un aménagement protecteur et témoigne de
la non-confusion des espaces psychiques entre chaque individu. Dire la
vérité, en revanche, représente la valeur sociale et morale par excellence
renforçant l’estime de soi et la reconnaissance d’autrui, en particulier des
adultes. Aulagnier (1984) fait du droit au secret la condition de pouvoir
penser : « Se réserver le droit et la possibilité de créer des pensées, et plus
simplement de penser, exige que l’on s’arroge celui de choisir les pensées
que l’on communique et celles que l’on garde secrètes : c’est là une condi-
tion vitale pour le fonctionnement du JE ».
La discrimination vrai/faux et vérité/mensonge évolue progressivement
au cours du développement de l’enfant. Avant 6 ans, mensonge, jeu, fan-
tasme et fabulation sont confondus ; après 8 ans, le mensonge est vérita-
blement intentionnel ; dans l’intervalle, le vrai et le faux sont distincts
mais le mensonge confondu avec l’erreur (Piaget, 1947).
Dans la perspective psychanalytique, le mensonge confère à l’enfant un
sentiment de toute-puissance de la pensée, laquelle est au service de la

67
2 Étude psychopathologique des conduites chez l’enfant

préservation de la toute-puissance infantile et du moi-idéal* ; le mensonge


serait ainsi pour lui un moyen de conserver l’illusion de ce narcissisme*
infantile. Néanmoins, le mensonge est en lui-même paradoxal car la per-
sistance de son usage chez l’enfant, fortement dépréciée par les parents
car contraire aux exigences sociales, atteint son narcissisme*. Progressive-
ment, le mensonge peut finir par n’avoir qu’une unique fonction, celle de
masquer le vide narcissique, en témoigne la mythomanie.
Dans la pratique clinique infantile, on distingue trois types de men-
songe (Ferrari & Eplbaum, op. cit.) :
– le mensonge utilitaire, similaire à celui de l’adulte, permet d’éviter un
désagrément (comme par exemple, cacher ou modifier sa note d’école
pour ne pas se faire disputer par ses parents) ou de retirer un bénéfice
concret ;
– le mensonge compensatoire correspond à une forme de rêve-
rie imaginaire ou roman familial et témoigne d’une recherche d’une
image perdue ou inaccessible (par exemple, l’enfant peut s’inventer une
famille plus riche et plus noble ou bien s’attribuer des exploits sportifs,
etc.). Au-delà de la période œdipienne, la persistance du roman familial
signe souvent l’existence de troubles psychopathologiques comme un
trouble de la conscience de soi, une immaturité marquée ou des traits
hystériques, etc. ;
– enfin, la mythomanie correspond à cette rêverie, faite notamment de
fabulations, poussée à l’extrême ; l’enfant ment et crée des fables imagi-
naires pour soutenir son narcissisme* précaire et défaillant, trompe-
l’œil auquel il tient par-dessus tout.

5.4 Les fugues


La fugue, pour un enfant, est définie par l’abandon du lieu où il doit nor-
malement séjourner pour errer pendant des heures (voire des jours) sans
rentrer à son domicile ; la durée de la fugue varie d’ailleurs en fonction de
l’âge de l’enfant. Comme pour le vol, notamment, la fugue ne peut être
évoquée comme telle avant que l’enfant n’ait acquis une claire conscience
de son lieu de résidence, c’est-à-dire en général vers 6-7 ans. Lorsqu’il
fugue, et souvent avant 11-12 ans, l’enfant n’a aucun but : il déambule,
indécis et désœuvré, autour de son domicile, se cache aux alentours, etc.,
comme s’il cherchait finalement à se faire récupérer par ses parents.

68
Étude psychopathologique des conduites chez l’enfant 2

Compte tenu de leur fréquence et de leur spécificité, une place parti-


culière peut être faite aux fugues de l’école. Lorsqu’elles sont ponctuelles,
il s’agit souvent d’enfants qui sont dans des situations d’échec scolaire et
leur fugue ressemble au départ à l’école buissonnière ; répétées et long-
temps ignorées des familles, les fugues scolaires sont souvent sous-ten-
dues par l’anxiété et peuvent donner naissance « à une véritable phobie
scolaire qui s’intègre alors dans une organisation névrotique infantile »
(Ajuriaguerra & Marcelli, 1989).
Au niveau psychopathologique, s’il n’y a pas de profil de l’enfant fugueur,
on retrouve des données anamnestiques marquées par la fréquence des
ruptures subies (abandon, placements multiples, séparation ou divorce des
parents, etc.). Dans certains cas, la fugue est considérée comme un passage
à l’acte sous-tendu par une vive impulsivité, et correspond à une décharge
motrice devant une tension psychique difficilement contrôlée et fuie par
l’enfant. Dans d’autres situations, la fugue, souvent préparée à l’avance,
exprime une souffrance ou une demande de l’enfant que les adultes se
refusent à entendre ; les enfants qui subissent des placements multiples
contre leur gré ou sans tenir compte de leur avis et désirs est un exemple.
S’il n’existe évidemment pas de traitement spécifique de « la fugue »
infantile, certaines attitudes, essentiellement parentales, tendent à induire
cette conduite sociale déviante, en particulier chez les grands enfants et
les adolescents ; il en va ainsi, notamment, pour la répression qui peut
prendre différentes formes comme la surveillance intense, les interdic-
tions de sorties, l’enfermement dans la chambre, etc.

Observation clinique
John est âgé de 10 ans et demi. La consultation est motivée par plusieurs
troubles du comportement qui aujourd’hui le pénalisent beaucoup. John
vole dans les magasins de quincaillerie des objets apparemment sans
importance (en fait, toujours des outils de chantier que son père utilise
pour son travail), et ment comme un arracheur de dents, avec un aplomb
qui déroute plus d’un adulte. John est le 4e enfant d’une fratrie de 6 enfants ;
sa mère semble dépressive et dépassée par le nombre de ses rejetons qui
l’épuisent ; son père, aux attitudes éducatives en apparence sévères quand
il est au domicile, est très souvent absent soit du fait de son travail sur les
chantiers, soit du fait de ses connaissances de comptoir de bar. Les vols de
John ne suscitent quasi aucune culpabilité et on a plutôt le sentiment qu’il
se dit lors du larcin : « j’y ai le droit ». « Avoir droit » pour le jeune garçon, au

69
2 Étude psychopathologique des conduites chez l’enfant

vécu si carentiel, constitue comme une revendication à son besoin affec-


tif d’une présence authentique et vivante maternelle et d’une présence
paternelle suffisamment autoritaire et structurante qui pourrait lui barrer
la route à la mère œdipienne. Dans ce contexte, les mensonges de John
(« papa m’a demandé de lui obtenir des outils pour son travail », « je m’entraîne
à être chef de chantier pour quand je serai adulte ») apparaissent plus comme
une mythomanie déjà ancrée qui soutient son narcissisme fragile. Le traite-
ment passera d’abord par un travail de re-narcissisation et de renforcement
d’un moi aux frontières bien trop poreuses et malmenées à la faveur de la
continuité et de la solidité du lien transférentiel au thérapeute que John
cherchera sans cesse à mettre à mal.

6. Les troubles psychomoteurs


L’apraxie est le terme générique utilisé pour désigner les différents troubles
psychomoteurs. L’apraxie correspond au trouble de l’activité gestuelle appa-
raissant chez un sujet dont les organes d’exécution sont intacts (absence
d’atteinte paralytique motrice et coordinatrice) et qui possède la pleine
connaissance de l’acte à accomplir (sans atteinte ou déficit intellectuel).
L’apraxie peut renvoyer à des difficultés d’ordre représentationnel (spatiale,
gestuelle, etc.) ou moteur. Dans le cadre des troubles psychomoteurs, il est
nécessaire de distinguer les troubles réactionnels qui surviennent suite à
certaines situations anxiogènes (changement du mode de garde, entrée à
l’école, naissance d’un puîné, difficultés passagères, etc.) et qui régressent
avec la cessation ou la modification du contexte déclenchant, des troubles
plus gênants pour le développement de l’enfant et pour l’entourage.
Ici, nous avons choisi, compte tenu de leur fréquence en pédopsychia-
trie, de présenter quatre grandes catégories de troubles psychomoteurs de
l’enfant : l’inhibition psychomotrice, les dyspraxies, les tics et l’instabilité
psychomotrice ; cette dernière fera l’objet d’un développement plus consé-
quent.

6.1 L’inhibition psychomotrice


L’inhibition psychomotrice, associant généralement la maladresse et la
lenteur, concerne les gestes et les postures qui pourraient s’exercer mais
sont freinés dans leur évolution ; elle est souvent accompagnée de rai-

70
Étude psychopathologique des conduites chez l’enfant 2

deur de la posture. Isolée, l’inhibition psychomotrice constitue rarement


le motif d’une consultation, laquelle est demandée lorsqu’elle entraîne,
chez l’enfant, des difficultés dans les activités de la vie quotidienne (s’ha-
biller, courir, se déplacer, manger, etc.), l’adaptation scolaire ou l’accès
aux apprentissages (gêne pour la lecture, l’écriture, la concentration, etc.).
L’étiopathogénie est, comme toujours, complexe et diverse. L’inhibition
psychomotrice peut être révélatrice d’un retard mental global ou d’une
psychose précoce ; le plus souvent, néanmoins, il s’agit d’une conduite de
nature anxieuse ou dépressive relevant alors d’une psychothérapie appro-
priée. Si le trouble est isolé, on peut conseiller une prise en charge psy-
chomotrice unique.

6.2 Les dyspraxies


Les dyspraxies réalisent, sans atteinte neurologique, une perturbation
majeure de l’organisation du schéma corporel* et de la représentation
spatio-temporelle. Ce sont des troubles des coordinations motrices qui se
traduisent cliniquement par une maladresse et une dysharmonie gestuelles,
un échec de l’apprentissage de la lecture et du calcul et des troubles affectifs
dont la gravité est variable (réactions anxieuses dues à un entourage familial
parfois incohérent et répressif, troubles de la personnalité avec instabilité,
sensibilité accrue aux frustrations et tendances régressives).
Il s’agit d’enfants qui sont incapables d’accomplir certaines séquences de
gestes, comme s’habiller, lacer leurs chaussures, boutonner leur chemise,
faire du vélo sans petites roues après 6-7 ans, etc. Leurs difficultés sont
encore plus grandes au niveau de la réalisation de séquences rythmiques
(taper alternativement dans les mains puis sur les genoux, par exemple)
ou bien dans les activités graphiques (dysgraphie majeure) ou encore dans
les épreuves d’imitation de gestes ou de désignation des diverses parties
du corps. L’échec est, de plus, massif dans les opérations spatiales et les
opérations logico-mathématiques ; le langage est, en revanche, beaucoup
moins perturbé. Néanmoins, l’ensemble de ces troubles aboutit à un échec
scolaire parfois massif.
Au niveau affectif, on peut distinguer deux groupes d’enfants :
– le premier groupe comprend des enfants qui présentent des diffi-
cultés motrices prévalentes sans traits psychopathologiques saillants.
On retrouve, en dehors de l’immaturité ou des attitudes infantiles, une

71
2 Étude psychopathologique des conduites chez l’enfant

inhibition dans les contacts sociaux en partie réactionnelle car l’enfant


est souvent la risée de ses camarades ; il reste dans le cadre d’un déve-
loppement psycho-affectif normal ;
– le second groupe réunit des enfants qui présentent, en revanche, des
perturbations plus profondes de la personnalité, lesquelles se traduisent
par une présentation et un aspect bizarres, une difficulté de contact et
un relatif isolement du groupe des pairs. Pour ces enfants, la question
diagnostique d’une organisation prépsychotique ou psychotique peut
se poser.
– L’abord thérapeutique est fonction de la profondeur des troubles
associés et peut prendre différentes formes (combinées ou non) : théra-
pie motrice et/ou aide pédagogique et/ou prise en charge psychothéra-
peutique.

6.3 Les tics


Les tics correspondent, d’un point de vue sémiologique, à l’un des deux
types de mouvements psychomoteurs dits « anormaux » ; l’autre étant le
syndrome de Gilles de la Tourette ou « maladie des tics ».
Les tics sont des contractions répétées, soudaines, brusques et brèves,
involontaires mais conscientes, sans finalité, d’un muscle ou d’un groupe
musculaire. Parfois, le sujet peut empêcher la survenue d’un tic mais pour
un temps très limité seulement ; leur fréquence est extrêmement variable
d’un sujet et d’un moment à l’autre. Les tics surviennent plutôt entre 5 et
7 ans ; si une situation anxiogène ou une perturbation émotionnelle, par
exemple, peuvent les faire apparaître, le sommeil les supprime. Au niveau
du diagnostic différentiel, il faut les distinguer des rythmies motrices
(balancements, etc.) et des stéréotypies psychotiques (ibid.).
Au niveau sémiologique, on distingue deux formes de tics :
– les tics musculaires simples concernent la face, la tête, le tronc, les
membres (secousses musculaires, tressaillements « nerveux », etc.) ;
plus rarement, on trouve les tics respiratoires (reniflement, toux, etc.)
ou phonatoires (émission d’un bruit, d’un son, d’un cri, etc.) ;
– les tics musculaires complexes sont des caricatures de gestes produits
sans intentionnalité (mouvements plus larges que dans les tics simples)
jusqu’à la coprolalie (variété de tics complexes avec émission de phrases
ou de mots grossiers).

72
Étude psychopathologique des conduites chez l’enfant 2

L’évolution des tics est variable. Ils disparaissent spontanément chez la


moitié des sujets après quelques années ; dans d’autres cas, ils s’installent
de manière plus ou moins discrète mais limitée, face à des situations ou
des émotions particulières, et sans évolutivité ; d’autres fois encore, ils évo-
luent avec des périodes de rémission et d’aggravation.

6.4 L’instabilité psychomotrice, l’hyperkinésie ou hyperactivité


En préambule, nous insistons sur le fait que l’instabilité psychomotrice
est différemment considérée selon les auteurs et les paradigmes théoriques,
cognitivo-comportemental ou psychanalytique, auxquels ils se rapportent.
L’instabilité psychomotrice (ou syndrome d’) est l’un des noms donnés
au syndrome hyperkinétique ; sa prévalence est estimée à 3 ou 5 % des
enfants d’âge scolaire. Celui-ci survient habituellement, et de plus en plus
fréquemment, après l’âge de 4 ans chez un enfant qui ne parvient pas à
conserver une attitude donnée, à poursuivre une action, à fixer son atten-
tion et à soutenir un rythme régulier d’activité. Le développement psycho-
moteur et l’acquisition de la latéralité sont alors généralement retardés.
Les recherches sur le syndrome hyperkinétique concluent à l’existence
conjointe de trois caractéristiques considérées comme des manifestations
primaires :
– un déficit de l’attention, avec une absence de poursuite de l’action, un
détournement facile de l’attention, etc. ;
– une hyperactivité avec des activités incessantes, une agitation, une
infatigabilité, des maladresses, une impossibilité à « rester en place », etc. ;
– une impulsivité avec l’absence de contrôle, l’incapacité à se retenir,
un déficit au niveau de l’inhibition de certains comportements avec
passages à l’acte sans mentalisation, etc.
Isolé, ce syndrome tend à diminuer spontanément vers 8-10 ans.
Dans les formes plus inquiétantes pour le développement de l’enfant et
en dehors de ces manifestations primaires, les enfants hyperkinétiques
peuvent présenter d’autres difficultés secondaires tels que des troubles
de la posture et du tonus musculaire (paratonie ou hypertonie), de la
coordination motrice, cognitifs (avec faible capacité de jugement, troubles
des apprentissages et du langage souvent associés à un échec scolaire),
des conduites sociales (enfants perturbateurs, qui dérangent autrui, peu
complaisants, qui paraissent peu agréables, bruyants, etc.), du contrôle

73
2 Étude psychopathologique des conduites chez l’enfant

sphinctérien (énurésie en particulier), de l’humeur (dépression avec une


mauvaise estime de soi et anxiété), etc.
Par rapport aux troubles de l’apprentissage, si le syndrome de Déficit de
l’Attention/Hyperactivité (DA/H)1 entrave les capacités d’apprentissage de
l’enfant, les difficultés à apprendre entraînent l’inattention et l’impulsi-
vité ; il se peut aussi que des facteurs biologiques et/ou environnementaux
entraînent en même temps le syndrome et les troubles de l’apprentissage ;
il se peut encore que le lien entre ces symptômes soit réciproque, c’est-à-
dire qu’ils se renforcent l’un l’autre.

a) Les différentes conceptualisations cognitives du DA/H


Selon l’approche cognitive, le DA/H varierait en fonction du sexe et de
l’âge de l’enfant. Par ailleurs, certaines études révèlent que les déficits de
l’attention des enfants présentant ce syndrome constituent plus des défi-
cits au niveau des traitements cognitifs supérieurs qu’au niveau de l’atten-
tion élémentaire ; la difficulté porterait sur la régulation et la focalisation
de l’attention. De plus, le DA/H est également considéré comme un déficit
au niveau de la motivation, notamment l’absence de motivation à retarder
la gratification, et de la régulation des conduites, avec une défaillance
dans le contrôle des comportements ; ces enfants-là ne pouvant supporter
l’attente. Ce manque de contrôle pourrait être dû au fait que ces derniers
soient peu sensibles aux conséquences de leurs actes.
Bien que les résultats aux différents travaux soient contradictoires, il
semblerait que le syndrome de DA/H soit davantage lié à une perturba-
tion cognitive et à des anomalies neuro-développementales comparative-
ment au trouble des conduites qui, lui, serait plutôt associé à des facteurs
familiaux défavorables et à des conditions sociales de vie difficiles. Le
DA/H accompagné de comportements perturbateurs apparaît plus sou-
vent lorsque les parents ont eux-mêmes des comportements antisociaux
ou des conflits conjugaux ; par ailleurs, on peut aussi constater une com-
munication défaillante et des conflits entre parents et enfants2.

1. Cette terminologie est celle du courant cognitivo-comportementaliste.


2. Dans les recommandations de l’HAS pour le TDAH, si l’approche thérapeutique
est présentée comme multimodale (non médicamenteuse et/ou médicamenteuse
avec le métylphénidate), on peut regretter que les approches psychodynamiques
soient notifiées comme ne constituant « pas un traitement spécifique du TDAH ».

74
Étude psychopathologique des conduites chez l’enfant 2

b) Les aspects psychopathologiques de l’hyperactivité


chez l’enfant : l’approche psychodynamique
Le tableau clinique est ainsi complexe et de nombreux facteurs étio-
logiques (génétiques, obstétricaux neurologiques, psychologiques, etc.)
sont proposés pour tenter d’expliquer la symptomatologie ; néanmoins,
aucun d’entre eux pris isolément ne peut, à lui seul, satisfaire ce dessein.
Si certaines approches cliniques tentent d’établir des relations de causalité
linéaire entre un facteur et l’hyperkinésie, ces liens simplistes forment
bien souvent une entité close sur elle-même, condamnant l’enfant à être
lui-même enfermé du fait de positions éventuellement dogmatiques et peu
en phase avec sa réalité.
D’un point de vue psychodynamique, certains auteurs avancent que les
enfants hyper-agités auraient des tendances masochistes prononcées, en
ce sens qu’au travers de leurs conduites dangereuses et provocatrices, ils
se mettraient dans des situations périlleuses ou de réprimandes ; tout se
passe comme si ces enfants étaient mus par un fort sentiment inconscient
de culpabilité qui les plaçait dans le registre de l’autopunition. D’autres
auteurs pensent que l’hyperactivité pourrait être une défense contre une
angoisse de persécution résultant de mécanismes projectifs ; d’autres,
enfin, pensent que ce syndrome constituerait un moyen de défense
maniaque contre des sentiments dépressifs. Le pronostic du trouble
dépend de l’intensité des troubles kinésiques et des troubles secondaires,
des réactions de l’entourage et de l’étiopathogénie. Le traitement doit être
précoce lorsque les troubles envahissent la relation parent-enfant, le déve-
loppement intellectuel et moteur et la socialisation.

Observation clinique
Marion, âgée de 6 ans, nous est adressée par son pédiatre, laquelle s’in-
quiète des capacités de la fillette à suivre en CP ; inquiétude d’ailleurs
relayée par les parents. Petite fille toute fluette, son visage est fin mais
sérieux. Son apparence chétive et fatiguée la fait ressembler à une petite
souris à l’image de son « doudou ». Dans ses vêtements, elle a l’allure d’un
petit garçon et adopte aisément une posture campée de fillette détermi-
née. Si sa petite taille lui permet d’obtenir aisément le statut de petite fille
à protéger, Marion revendique son indépendance et son autonomie. Elle
est facile de contact (trop ?) et nous interpelle d’emblée sans jamais témoi-

75
2 Étude psychopathologique des conduites chez l’enfant

gner d’inhibition1. Elle refuse que ses parents participent à l’entretien et ne


parvient pas à se soumettre à une quelconque forme d’autorité (à travers
les règles par exemple). Ses diverses difficultés somatiques dès la naissance
ont imposé de nombreux bilans et hospitalisations durant sa première
année de vie ; l’alimentation « normale » n’a pu être acquise qu’à l’âge de
2 ans et demi. Marion est une fillette agitée qui cherche les limites et les
transgresse simultanément. En entretien, comme un oisillon perdu, elle ne
tient pas en place, monte sur les chaises, se lève et se rassoit de sa chaise,
fait du bruit et finit par quitter notre bureau pour y revenir immédiate-
ment. Elle papillonne beaucoup, ne peut se concentrer sur une médiation
(modelage, dessins ou lecture), ne se souvient pas des informations qu’on
lui donne et de ses activités récentes, comme si rien ne laissait trace en
elle, comme si la relation avec l’autre ne la tenait pas. Madame parle de
sa fille comme si Marion était une adolescente avec laquelle elle serait en
conflits fréquents ; l’absence de plaisir dans leurs échanges est soulignée.
Je suis frappée durant les entretiens préliminaires à l’orientation en CMPP
de Marion et ses parents de constater que madame, par ailleurs préoccupée
pour sa fille, ne témoigne d’aucune inquiétude si celle-ci en vient à quitter
la pièce de notre bureau. Tout se passe comme si elle ne parvenait à la faire
exister en dehors de sa vue, à la tenir psychiquement. Madame exprime
d’ailleurs sa difficulté avec sa fillette à travers des mouvements projectifs
à coloration persécutoire dans lesquels Marion est quasi appréhendée
comme une adulte provocatrice, malveillante et défiante (« tu fais toujours
tout pour me faire crier »). Si l’agitation de Marion peut être associée à sa
dépendance inquiète à l’autre et à sa fragilité dépressive, aucun des deux
parents ne paraît avoir d’insight adéquat à l’égard de leur fille pour l’éprou-
ver. La rencontre authentique avec Marion ne paraît pas avoir pu advenir.
Il se peut que l’agitation-excitation frénétique de la fillette constitue d’ail-
leurs une tentative désespérée pour elle de « trouver » sa mère / et son père.

1. L’angoisse de l’étranger, signe de l’établissement de l’objet interne total (cf.


R. Spitz), s’incarne le plus souvent dans l’inhibition (la « timidité » en est une
expression) observée dans toute nouvelle rencontre ; elle est l’expression d’un déve-
loppement psycho-affectif adapté.

76
Étude psychopathologique des conduites chez l’enfant 2

7. La dépression et son expression chez l’enfant


7.1 La dépression chez l’enfant
Pendant longtemps, la réalité de l’existence de la dépression chez l’en-
fant n’a pas été reconnue. Si les causes d’un tel déni sont nombreuses,
soulignons ici la difficulté des adultes à concevoir et consentir qu’un
enfant puisse connaître une authentique souffrance dépressive ; le poly-
morphisme de la symptomatologie dépressive infantile et la différence par
rapport à celle de l’adulte masquent fréquemment la douleur de l’enfant
qui lui est sous-jacente.
L’expression clinique de la dépression infantile varie selon l’âge et le
degré de maturation cognitivo-affective de l’enfant. La tristesse et la dou-
leur morale, bien que rarement directement exprimées par lui, constituent
les affects centraux ; d’autres symptômes d’apparence secondaires (l’inhi-
bition et l’agitation, par exemple) motivent souvent la consultation.

a) La sémiologie et ses particularités : la « réponse »


dépressive
Avant la puberté, l’hétérogénéité de la symptomatologie de la dépres-
sion est trompeuse. Le tableau clinique peut faire état de :
– tristesse, douleur morale et ennui, sans que ces états affectifs soient
aussi intenses que chez l’adulte ;
– troubles du comportement marqués :
– par l’agitation, souvent au premier plan, associant l’instabilité
et les manifestations agressives, et correspondant davantage à une
défense maniaque de lutte contre l’émergence des affects dépressifs
(Klein, 1959),
– ou par l’inhibition, affectant éventuellement la sphère cognitive,
notamment intellectuelle et verbale (échec scolaire fréquent, sans
baisse de l’efficience néanmoins), et gestuelle (pauvreté d’expression,
attitude de lassitude, etc.) ;
– et/ou par des attitudes de retrait, de désintérêt et de passivité
s’accompagnant de sentiments de rejet et d’isolement mais aussi
d’une quête affective paradoxale associant la demande et le désir de

77
2 Étude psychopathologique des conduites chez l’enfant

réconfort auprès de l’adulte et la difficulté à accepter son témoignage


d’affection ;
– et/ou des attitudes ou comportements auto-agressifs et autodes-
tructeurs dont témoigne la fréquence des mises en situation dange-
reuses, renvoyant à un masochisme inconscient à l’œuvre, et des
accidents et blessures qui interrogent quant à la non-intériorisation
de la notion de danger ;
– troubles des grandes fonctions et somatiques (troubles du sommeil,
de l’alimentation, du contrôle sphinctérien*, gastro-intestinaux, etc.)
qui peuvent masquer les affects dépressifs.

b) La notion « d’équivalents dépressifs »


Sous le terme « d’équivalents dépressifs », on trouve un ensemble de
troubles, surtout des (psycho)symptômes somatiques, qui peuvent véri-
tablement masquer des affects dépressifs ; on parlera d’ailleurs alors de
« dépression masquée », terme repris de la psychiatrie adulte. Ainsi, par
exemple, on considère comme « équivalents dépressifs », les troubles des
grandes fonctions (du sommeil, de l’alimentation, du contrôle sphincté-
rien*, par exemple), l’eczéma et l’asthme. Les troubles de l’humeur vérita-
blement dépressifs pourront n’apparaître que plus tard dans l’évolution de
l’enfant ou lors d’un éventuel traitement psychothérapeutique.

c) La fonction de certaines symptomatologies :


les symptômes comme « défense » contre la position
dépressive
Dans ce cadre, les symptômes sont de nature très diverse et peuvent
être rattachés à un noyau dépressif, soit par le biais de l’entretien clinique
et/ou des tests projectifs, soit par la reconstruction de l’histoire. Certaines
conduites de l’enfant s’inscrivent dans le registre des défenses maniaques
(op. cit.) ; on peut relever l’agitation, la turbulence, et même l’instabilité psy-
chomotrice associée à une logorrhée, mais aussi un ensemble de conduites
d’opposition et de revendication face à l’état de souffrance dépressive
(bouderie, colère voire rage, manifestations hétéro- ou auto-agressives ou
troubles du comportement ; cf. chap. 2, p. 62). Ces défenses maniaques
sont aménagées par l’enfant pour dénier tout affect dépressif ou en triom-
pher.

78
Étude psychopathologique des conduites chez l’enfant 2

7.2 De quelques dépressions infantiles


a) La dépression précoce de l’enfant et les carences
maternelles
Compte tenu de l’âge de survenue de cette réaction affective des petits
enfants séparés de leur mère, le terme de « dépression » impliquant un tra-
vail d’élaboration mentale n’est pas véritablement adapté. Nous emploierons
celui de dépression anaclitique (Spitz, 1948) pour qualifier l’état d’hébéte-
ment survenant chez le petit enfant, préalablement en de bonnes relations
avec sa mère, dans des conditions de déprivation maternelle ; cet état de
carence affective peut avoir des conséquences fâcheuses pour le développe-
ment de sa personnalité. Dans ce cadre, la description clinique met en avant
la symptomatologie de l’enfant dans les mois suivant la séparation d’avec sa
mère. Ainsi, le premier mois, l’enfant pleurniche, est exigeant et s’accroche
à l’observateur prenant contact avec lui ; le deuxième mois, les pleurs se
transforment en glapissements, l’enfant perd du poids et stoppe son déve-
loppement psychomoteur ; le troisième mois, les symptômes s’intensifient :
l’enfant refuse le contact, se rigidifie au niveau du visage, reste la plupart
du temps couché à plat ventre dans son lit, a des insomnies, contracte des
maladies intercurrentes, continue à perdre du poids et à prendre du retard
au niveau moteur ; après le troisième mois, la rigidité de l’expression faciale
est établie, l’enfant entre dans une léthargie entrecoupée de rares geigne-
ments1 (Spitz repris par Lebovici & Soulé, 1970/2007).
Spitz insiste sur le fait que « la perte de l’objet externe maternel, alors
que l’enfant est en train de constituer un objet interne, serait à l’origine
d’un traumatisme narcissique du moi* de l’enfant en cours de constitution »
(Ferrari & Epelbaum, 1993). Ce traumatisme déboucherait sur une désintri-
cation pulsionnelle avec retournement de l’agressivité contre soi à l’origine
de l’état de marasme observé chez l’enfant. Lorsque les états carentiels se
répètent, essentiellement du fait de l’indisponibilité affective de la mère, on
assiste chez l’enfant plus grand à un tableau de névrose d’abandon.

1. Si l’enfant est restitué à sa mère (ou si l’on parvient à trouver un substitut mater-
nel acceptable pour le bébé) pendant la période critique, c’est-à-dire entre la fin
du troisième et la fin du cinquième mois, les troubles inhérents à la dépression
anaclitique disparaissent avec une rapidité surprenante. En revanche, lorsqu’il y
a déprivation maternelle durable et totale, l’enfant sombre dans un état très grave,
appelé « hospitalisme » le conduisant à la mort (Spitz, 1948).

79
2 Étude psychopathologique des conduites chez l’enfant

b) Les dépressions psychotiques


Certaines dépressions sévères de l’enfant peuvent s’intégrer à un tableau
de troubles psychotiques. Ces dépressions psychotiques (ou psychoses
affectives) peuvent succéder aux dépressions abandonniques ou survenir,
apparemment inopinément, entre 5 et 10 ans. La symptomatologie des
dépressions psychotiques est marquée par un triple syndrome (Ferrari &
Epelbaum, 1993) :
– le syndrome dépressif : humeur labile et dysphorique avec tristesse,
ennui, sentiment de vide et souffrance psychique vive (avec préoccupa-
tions autour de la mort et des séparations), passages à l’acte et conduites
auto-agressives ;
– le syndrome hypomaniaque : manifestations hypomanes de lutte
contre les angoisses dépressives (agitation, exubérance, excitation
anxieuse, bonne humeur factice, etc.) au premier plan ou associées aux
manifestations dépressives ;
– le syndrome psychotique : mode de relation de type psychotique avec
une mauvaise perception des limites du corps et une intensité des pulsions
agressives difficilement contrôlées avec manifestations auto-agressives.

7.3 L’étiopathogénie de la dépression chez l’enfant


a) De quelques facteurs à l’origine de la dépression
infantile
Fréquemment, on retrouve dans l’anamnèse de l’enfant dépressif :
– les expériences de séparation et/ou de perte précoces et répétées à
valeur traumatique (décès d’un parent, hospitalisation, placements, etc.) ;
– des carences ou incohérences affectives ou éducatives (avec ou sans
séparation) ;
– la fréquence de l’existence d’une dépression chez les parents, notam-
ment maternelle ; l’enfant tente, en vain, de ranimer sa mère déprimée, la
désinvestit puis s’identifie en miroir à cette imago maternelle psychi-
quement « morte » mais conservée dans le moi*1 ;

1. Green (1988) a développé le concept de la « mère morte » intériorisée par l’en-


fant. Il renvoie à la transformation de l’imago maternelle, d’abord vivante et source
de vitalité pour l’enfant, en une figure lointaine, atone, et inanimée ; ce change-

80
Étude psychopathologique des conduites chez l’enfant 2

– l’impossibilité de l’enfant à répondre à l’attente parentale (charge


fantasmatique d’exigences surmoïques trop importantes) de réaliser
leur idéal du moi*, souvent teinté de mégalomanie.
Il est bien entendu qu’il n’existe pas de relation causale linéaire entre
ces événements de vie (liés à une situation de perte) et ces facteurs favori-
sants (associés au contexte familial) et la conduite de l’enfant.

b) Les mécanismes : les différentes perspectives théoriques


Les mécanismes psychopathologiques sous-jacents aux événements de
vie et les facteurs favorisants et à l’œuvre dans la dépression de l’enfant
varient avec l’âge et la nature de la dépression. Selon que les approches
sont psychanalytiques ou cognitivo-comportementales, les perspectives
sont différentes ; l’essentiel étant d’analyser la place de la dépression dans
le fonctionnement psychique de l’enfant et de sa famille.
L’approche psychanalytique met l’accent sur le rôle des facteurs qui
perturbent l’établissement de la relation d’objet et l’introjection* du bon
objet, garant du sentiment continu d’exister de l’enfant. Cette perspec-
tive insiste sur le rôle des séparations précoces et de la perte d’objet avec
ses diverses modalités (perte objectale définitive avec le décès de l’un des
parents, séparations itératives traumatiques, incohérence et imprévisibilité
de la relation éducative, ambivalence maternelle avec présence physique
de la mère mais absence psychique), et ses conséquences dans la genèse
de la dépression infantile. Dans ce cadre, la dépression de l’enfant est
considérée par un certain nombre d’auteurs comme une réaction affective
fondamentale à des événements extérieurs, marqués notamment par la
perte ou la séparation d’avec l’objet d’amour (Spitz, 1948 ; Bowlby, 1969).
Pour d’autres, en particulier Klein (1959), la réaction dépressive résulterait
d’un développement maturatif où domine le conflit fantasmatique ; là, la
théorie de la position dépressive est à la base de la compréhension des
états dépressifs.
Dans la perspective cognitivo-comportementale, l’observation porte
soit sur les comportements de retrait, d’immobilité ou de ralentissement

ment entraîne chez celui-ci une hémorragie narcissique très importante. Cette mère
devient « morte » pour l’enfant car elle le désinvestit, tout occupée qu’elle est à l’éla-
boration psychique d’un travail de deuil.

81
2 Étude psychopathologique des conduites chez l’enfant

des individus, notamment dans les dépressions sévères à tous les âges, soit
sur certains comportements animaux de fixité ou de retrait ressemblant à
des conduites dépressives sévères observées lors d’expériences de sépara-
tions précoces du jeune animal de sa mère (cf. travaux de Harlow sur les
bébés singes Rhésus).

Observation clinique
Clara est une fillette de 8 ans qui vient consulter, accompagnée de ses
parents, pour une instabilité psychomotrice de plus en plus gênante pour le
milieu scolaire et familial. C’est son professeur de musique qui a remarqué
son hyperactivité, ses troubles de l’attention et sa dépressivité. Clara est
l’aînée d’une fratrie de 3 enfants ; deux frères de 5 et 3 ans, dont elle se dit
« jalouse », la suivent. Sa mère est une femme peu parlante et manifestement
ambivalente à l’égard de sa fille. Elle en a « assez de lui donner des fessées
inutiles pour qu’elle cesse de s’agiter – j’ai l’impression en plus qu’elle n’attend que
ça » ; elle l’appelle « ma chérie » en entretien tout en lui donnant une petite
claque sur la joue en lieu et place d’une caresse, enfin elle ne s’atermoie
même pas lorsque, du fait de son agitation, Clara se cogne dans le bureau
et se met à pleurer de douleur. Le père paraît beaucoup plus authentique-
ment préoccupé par sa fille, plus sensible à sa souffrance, même si Clara
« ressemble à ma sœur lorsqu’elle était enfant », et désireux de « faire quelque
chose pour elle ». Clara, quant à elle, présente quelques tics de la face avant
de parler, une instabilité psychomotrice évidente et une immaturité ; elle
est plutôt bougonne, boudeuse, refuse d’entreprendre un suivi psycholo-
gique de peur d’avoir à rester seule avec moi sans sa mère. Son angoisse de
séparation et d’abandon est très forte et sa souffrance dépressive transparaît
dans ses dessins très chargés, confus, labyrinthiques et noirs sur lesquels
Clara écrit, puis tente d’effacer, « papa, je t’aime ». Tout se passe comme si
Clara avait construit une imago maternelle peu contenante et destructrice,
et intériorisé l’image d’un père amoindri et déprimé. Le fonctionnement
psychique de cet enfant traduit déjà la mise en place de processus maso-
chistes où la réprimande recherchée vient calmer une culpabilité incons-
ciente – peut-être celle d’un amour œdipien pour le père – et l’existence
d’une problématique dépressive et anaclitique où l’objet, bien que défail-
lant, est toujours nécessaire. L’organisation d’une seconde rencontre pour
la mise en place d’une prise en charge à visée psychothérapeutique n’a fait
que réactiver les résistances tant de Clara que de ses parents devant toute
perspective de changement ; ces derniers n’ont jamais honoré le rendez-
vous, pas plus qu’ils n’ont cherché à reprendre contact.
3
Le champ nosographique
en psychopathologie infantile
1. Les psychoses de l’enfant
1.1 Une entité à part : l’autisme infantile
a) Les définitions de l’autisme
En 1911, Eugène Bleuler introduit le terme d’« autisme » à partir du
terme « auto-érotisme » trouvé chez S. Freud. Le concept d’autisme a fait
son apparition dans la nosologie psychiatrique avec Kanner et Asperger et,
depuis lors, les discussions se multiplient.
Pour Kanner (1943, 1949), il s’agit « de troubles et d’une incapacité
innée à constituer une relation affective et à répondre aux stimuli pro-
venant de l’environnement ». Simultanément, en 1944, Asperger, qui ne
connaît pas Kanner, isole une « psychopathie autistique de l’enfance » qui
se caractérise par une incapacité importante très précoce due à des diffi-
cultés d’intégration sociales malgré des habiletés cognitives et verbales
adaptées. Ferrari (2015) précise « tout comme les autres formes de psy-
choses infantiles précoces dont il ne peut être dissocié, l’autisme apparaît
comme une forme sévère de désordre de la personnalité altérant très pré-
cocement – parfois dès la naissance – l’organisation de la vie intérieure de
l’enfant et de sa relation au monde extérieur. Ces psychoses constituent
également des troubles du développement affectant de façon variée et non
homogène, divers secteurs du développement de l’enfant ».
En 1980, et à partir du DSM-III, l’autisme est situé parmi les « troubles
envahissants du développement » (TED). Dès 1994, le DSM-IV, qui insiste sur
la nécessaire apparition des symptômes de l’autisme avant l’âge de 3 ans,
les répertorie et souligne l’altération qualitative des interactions sociales
et de la communication, et le caractère restreint, répétitif et stéréotypé
des comportements, intérêts et activités. Ces trois groupes de symptômes
évoquent respectivement le premier symptôme, les symptômes secon-
daires et le deuxième symptôme (sur un versant déficitaire) de Kanner.

83
3 Le champ nosographique en psychopathologie infantile

Depuis 1996, l’autisme est considéré comme un handicap et non plus une
pathologie psychiatrique1.

b) Le point de vue nosographique : les différentes formes


d’autisme infantile
• L’autisme de Kanner
La séméiologie de ce syndrome, révélant la précocité des troubles chez
le très jeune enfant, souligne :
– une solitude extrême ou un profond retrait dans le contact avec
autrui ;
– et un désir obsessionnel et anxieux de préserver l’immuabilité avec le
recours à des stéréotypies gestuelles.
À ces deux symptômes principaux, Kanner (1949) ajoute « une habileté
et même une relation affectueuse avec les objets, le maintien d’une phy-
sionomie intelligente et pensive, et un mutisme ou un genre de langage
qui ne semble pas découler de l’intention de servir à une communication
interpersonnelle ».

• Le syndrome d’Asperger
Asperger isole une psychopathie autistique de l’enfance caractérisée par
une incapacité importante très précoce, due à des difficultés d’intégration
sociale, malgré des habiletés cognitives et verbales adéquates voire supé-
rieures.

• Les autres formes de l’autisme infantile


L’autisme typique de Kanner est rare ; des enfants ne présentant pas
le tableau kannérien peuvent néanmoins être autistes. Schématiquement,
nous pouvons retenir deux formes qui font partie d’un large éventail de
groupements dits autistiques :

1. Considérer l’autisme comme un handicap, c’est l’appréhender davantage dans sa


réalité sociale et faire abstraction de sa dimension psychopathologique singulière
avec ce qu’elle suppose de l’existence d’une étiopathogénie et d’une prise en charge
adaptée.

84
Le champ nosographique en psychopathologie infantile 3

– les formes déficitaires, avec l’apparition chez l’enfant d’éléments


psychotiques en conjonction avec une intelligence inférieure à un Q.I.
de 50 dans les tests standards ;
– et les formes avec distorsion de la personnalité, caractérisées par la
réduction et l’électivité des échanges. L’extériorisation de ces formes
d’autisme est plus tardive que celle de Kanner, le retrait a un caractère
moins massif et le contact avec autrui est maintenu. Notons au passage
que Misès fait rentrer certaines de ces formes dans le cadre des dyshar-
monies évolutives précoces, qu’il rapproche d’un point de vue patho-
génétique du syndrome symbiotique de Malher (cf. chap. 3, p. 90).

Observation clinique
Léa est une petite fille de 3 ans et 8 mois adressée en pédopsychiatrie,
accompagnée par ses parents, pour des troubles évoquant un tableau autis-
tique. Interrogé, le père décrit plusieurs types de troubles chez sa fille. À un
premier niveau, Léa présente des troubles du comportement alimentaire,
très anciens, ayant motivé la consultation. Léa n’accepte que des aliments
mixés et les conserve de façon prolongée dans sa bouche sans qu’il y ait
de véritable mérycisme1 ; les parents précisant d’ailleurs qu’il leur faut
5 heures par jour pour s’occuper matériellement de leur fille, notamment
de ses repas. Par ailleurs, on relève des troubles du langage, caractérisés
par le fait que Léa ne parle pas et a des crises de hurlements lorsqu’on
la sort de chez elle ; en consultation, elle emploie un « langage gribouil-
lis » que, manifestement, seule sa mère peut comprendre. Les parents de
Léa s’adressent rarement la parole et la différenciation entre eux est vague.
La mère est en proie à des phobies sociales (peur d’aller dans la rue, par
exemple) et pendant ses trois premières années sortait rarement sa fille
de la maison. En outre, il existe des troubles au niveau du développement
psychomoteur. Dans son berceau, Léa souriait de façon permanente et son
sourire ne s’adressait jamais à une personne particulière ; elle a marché à
21 mois sans avoir investi son corps de façon ludique, le jeu (avec des pairs
ou seul) n’a jamais été recherché, et la propreté n’a jamais été acquise. De
plus, l’observation de Léa rend compte de troubles de l’affectivité avec des
manifestations affectives pauvres et indifférenciées, et pas plus d’angoisse
de l’étranger vers 8 mois que de signe de jalousie plus tard, à la naissance

1. Le mérycisme est un trouble fonctionnel digestif rare, probablement lié à des


carences affectives graves, caractérisé par le retour volontaire (ou non) du bol
alimentaire, ingéré, dans la bouche où il est à nouveau mastiqué.

85
3 Le champ nosographique en psychopathologie infantile

de son petit frère, vers 21 mois ; Léa frappe par son absence de manifesta-
tion émotive de l’ordre du plaisir ou du déplaisir (excepté ses hurlements
ponctuels et intempestifs) et l’absence de choix d’une personne avec
laquelle établir une relation privilégiée. Enfin, on repère des troubles du
comportement (par défaut) marqués par un important retrait vis-à-vis du
monde extérieur, une très (trop ?) grande prudence dans ses gestes pouvant
aller jusqu’à l’inactivité, une absence d’agitation avec ses pairs, de jeu (seul
ou avec les autres enfants), de manipulation d’objets qui semblent d’ail-
leurs ne pas exister pour elle et un retrait par rapport aux autres enfants
sans chercher à établir de contact avec eux. Devant ce tableau clinique
plutôt inquiétant, Léa est hospitalisée dans le service de pédopsychiatrie
pour une période de 2 à 3 semaines. Au-delà du souhait de l’équipe hospi-
talière d’observer cette petite fille en situation d’être séparée de ses parents,
son hospitalisation vise essentiellement la mobilisation de ses ressources et
capacités pour changer et évoluer.

c) Une étiologie ou des étiologies de l’autisme ?


En dépit de la relative constance dans la définition des symptômes de
l’autisme, l’absence de consensus quant à cette pathologie infantile est très
marquée. Elle concerne d’abord et avant tout son étiologie et, par voie de
conséquence, son traitement : alors une ou des étiologie(s) de l’autisme ?
Les recherches scientifiques sur le domaine ne parviennent pas
aujourd’hui à l’administration de la preuve concernant un facteur étiopa-
thogénique de ce syndrome plutôt qu’un autre ; c’est pourquoi la perspec-
tive actuelle la plus encourageante est celle d’une approche multifactorielle
qui ne rejette aucune hypothèse et soutient la multiplicité des approches
au sein d’un même traitement. Ainsi, le débat sur l’autisme peut être
construit eu égard aux différentes approches médicale, psychanalytique
et cognitivo-comportementale et ce dans une perspective tant étiologique
que thérapeutique.
La HAS1 recommande que le projet personnalisé d’interventions couvre
tous ces domaines et soit élaboré en partenariat avec les parents et leur
enfant. Des approches éducative, comportementale, voire intégrative (la
psychanalyse a disparu !), globales et coordonnées (apprentissage de com-
portements) sont recommandées particulièrement si elles sont débutées

1. Autisme et autres troubles envahissants du développement, recommandations


HAS, mars 2012.

86
Le champ nosographique en psychopathologie infantile 3

avant 4 ans et dans les 3 mois suivant le diagnostic. Les familles et les
enfants peuvent adopter avec l’ensemble des professionnels concernés des
interventions fondées sur l’analyse appliquée du comportement dites ABA,
des interventions développementales telles que mises en œuvre dans les
programmes TEACCH ou des prises en charge intégratives, type thérapie
d’échange et de développement.

d) L’abord génétique de l’autisme et les hypothèses


à prédominance organique
Plusieurs conjectures sont étudiées pour rendre compte d’une étiologie
biologique de l’autisme ; aucune d’entre elles ne parvient à ce dessein, pas
plus qu’elle ne fait l’unanimité. L’hypothèse génétique (anomalies chro-
mosomiques notamment) n’a pas encore été vérifiée et aucun gène res-
ponsable de l’autisme n’a été jusque lors mis en évidence. Il existe certes
un risque de récurrence de l’autisme dans la fratrie, estimé à 2 ou 3 %,
c’est-à-dire 60 % plus élevés que la normale, mais aucune explication una-
nime ne peut en rendre compte (Mazet et al., 1983). L’incertitude règne
enfin sur les facteurs neurobiologiques qui pourraient avoir un rôle dans
le déclenchement de l’autisme ; les études sur l’imagerie cérébrale ne sont
parvenues à aucun résultat probant.
Si la recherche est loin de pouvoir élucider les bases biologiques de
l’autisme, les hypothèses psychogénétiques, tant cognitivistes que psy-
chopathologiques, ne semblent pas pour autant éclairer le sujet avec plus
de certitudes.

e) L’approche cognitiviste dans la psychogenèse


de l’autisme
À ce niveau, les hypothèses sont nombreuses. Elles concernent essen-
tiellement celle de la déficience du traitement de l’information et, actuel-
lement, deux théories sont proposées : la théorie de l’esprit (theory of mind)
et la théorie de contrôle (theory of control).
La théorie de l’esprit a été développée par un certain nombre d’auteurs,
comme Baron-Cohen, Leslie et Frith (1995) en référence à la notion de
« modularité » telle qu’elle est supposée par Chomsky. Selon cette théorie,
il existerait une capacité innée et préformée permettant dès le départ à
l’enfant de s’intégrer dans une série d’activités communicationnelles.
Selon la théorie de l’esprit, un sujet peut communiquer parce qu’il suppose

87
3 Le champ nosographique en psychopathologie infantile

chez autrui des états mentaux, des croyances et des pensées semblables
aux siens ; cette capacité serait gravement compromise chez les enfants
autistes. Différentes évaluations sont venues démontrer cette déficience,
en révélant notamment les difficultés particulières des enfants autistes au
jeu de « faire semblant » ; on invoque alors, notamment, le déficit émo-
tionnel et les troubles de l’imitation chez ces enfants (Adrien, 1996). En
l’absence de données biologiques solides, cette théorie psychologique1 a
connu un franc succès. Les auteurs stipulent que l’autisme doit relever
d’une lésion d’une fonction neurologique périphérique plutôt que cen-
trale. Ainsi, par exemple, pour Frith (1992), il y aurait dans l’autisme
un dysfonctionnement du traitement de l’information qui affecterait par
retour le fonctionnement central de la pensée permettant d’assurer une
cohérence à l’interprétation d’informations disparates.
Parmi les critiques faites à cette hypothèse, certaines sont venues de
la part des cognitivistes, lesquels remarquent qu’un mécanisme d’inter-
subjectivité, présenté comme le résultat de plusieurs mécanismes préa-
lables, peut difficilement être conçu comme modulaire. Par ailleurs, pour
eux, la théorie de l’esprit tend à donner beaucoup plus de poids au symp-
tôme kannérien de « solitude extrême et retrait social » qu’au symptôme
« recherche de l’immuabilité ». Ainsi, Russel (1998) se montre partisan
d’une théorie selon laquelle les stéréotypies autistiques dépendraient de
deux troubles de base : l’incapacité du sujet au « suivi des actions » et de
ressentir qu’il est à l’instigation de la modification des entrées percep-
tives dans son corps ; la conscience de soi préthéorique serait entravée
(cf. chapitre 1). Ainsi donc, parmi les tenants de la théorie de l’esprit, les
uns considèrent qu’elle est « modulaire », et les autres qu’elle dépend d’un
certain nombre de préconditions, notamment le contrôle de la motricité.
Bien qu’historiquement parlant, le courant cognitiviste se soit déve-
loppé grâce aux élaborations des psychanalystes des années 1940-1950
qui s’appuyaient sur les applications de la cybernétique, la neurologie et
la psychologie, ces deux approches cognitives sont en profond désaccord
avec la perspective psychanalytique.

1. Cette théorie psychologique repose donc sur une approche cognitivo-compor-


tementale de l’individu qui insiste davantage sur l’existence d’anomalies ou de
troubles dans la maturation et le développement du système nerveux central.

88
Le champ nosographique en psychopathologie infantile 3

f) L’autisme et l’approche psychodynamique


Malgré la richesse et la diversité des approches psychanalytiques
anciennes et plus actuelles (M. Klein, E. Bick, M. Malher, F. Tustin,
D. Meltzer, G. Haag, P. Delion, B. Golse, etc.), celles-ci restent aujourd’hui
discutées, voire même pour certaines controversées1. Il est évident que si
l’épistémologie psychanalytique a un intérêt aujourd’hui pour les enfants
autistes c’est davantage pour les prises en charge individuelles, voire fami-
liales, dans une visée complémentaire à d’autres modalités thérapeutiques
que dans une perspective étiologique, voire causale.

1.2 Les psychoses précoces


Le terme de « psychose chez l’enfant » est employé par les auteurs,
notamment français, avec une différenciation entre psychoses précoces et
psychoses plus tardives (de la seconde enfance).

a) Définition
Les psychoses de l’enfant peuvent être définies comme un trouble de
la personnalité relevant d’un désordre de l’organisation du moi* et de
la relation de l’enfant avec le monde environnant qui se caractérise en
particulier par des relations interpersonnelles anormales et un retard de
langage. Les psychoses précoces se distinguent de l’autisme de Kanner
(10 % des psychoses précoces) car elles surviennent après une période de
développement psycho-affectif apparemment normal ; le début se situant
davantage entre 2 ans et demi et 3 ans, et 5 et 6 ans.

b) La symptomatologie
La variabilité sémiologique est extrême et peut associer les crises d’an-
goisse, les perturbations motrices (instabilité majeure ou inhibition), les
rituels défensifs, les troubles du langage et de la voix, les troubles psycho-
somatiques, une labilité affective fréquente et l’existence d’un investisse-
ment déficitaire des fonctions cognitives (Ajuriaguerra & Marcelli, 1989).

1. Le lecteur intéressé pourra se reporter à Dessons M. (2020), Psychopathologie de


l’enfant, 3e é d., Paris, Dunod.

89
3 Le champ nosographique en psychopathologie infantile

c) Les différentes formes


Les différentes formes de psychoses précoces sont proposées par cer-
tains auteurs selon un type de regroupement des symptômes et un éclai-
rage psychopathologique spécifique.

• La psychose symbiotique (M. Malher)


Les réactions pathologiques se manifestent surtout vers la quatrième
année de l’enfant. Il s’agit d’une succession de manifestations affectives
ambivalentes, agies la plupart du temps, qui peut prendre la forme d’une
recherche impérieuse du contact affectif avec autrui allant jusqu’à la quête
fusionnelle ou d’une réaction de fuite devant la menace angoissée repré-
sentée par l’engloutissement.

• Les psychoses précoces (F. Tustin)


En 1977, Tustin, étudiant la conduite autistique et ses fonctions défen-
sives, propose de classer l’autisme selon trois groupes :
– l’autisme primaire anormal qui est la prolongation de l’autisme pri-
maire normal et se rencontre dans les cas de carences affectives graves
et précoces ;
– l’autisme secondaire à carapace est considéré comme une défense
contre la panique qu’entraîne une séparation corporelle insupportable ;
l’enfant fuit massivement le contact et construit une espèce de cara-
pace autour de son moi*. La séméiologie est proche de celle de l’autisme
infantile de Kanner ;
– l’autisme secondaire régressif qui se caractérise par une régression
protectrice face à la terreur éprouvée devant l’inconnu, l’étranger, le
non-moi ; cette forme de psychose précoce est proche de la « schi-
zophrénie de l’enfant » qui, comme celle de l’adulte, associe une vie
fantasmatique primitive riche liée à des sensations physiques (Pedinielli
& Gimenez, 2016).

• Les psychoses précoces à expression déficitaire (R. Misès)


En France et en particulier avec Misès, le problème se pose, pour les
psychoses précoces, des relations réciproques entre des facteurs de la
série psychotique et des facteurs de la série déficitaire ; Misès isole d’ail-

90
Le champ nosographique en psychopathologie infantile 3

leurs l’entité « psychose précoce à expression déficitaire » marquée par un


niveau d’efficience cognitive très faible.

1.3 Les psychoses de la seconde enfance


a) Définition
Il s’agit de psychoses de l’enfant, plus rares que les psychoses précoces,
dont les signes cliniques se manifestent entre 5-6 ans et 12-13 ans après
une apparente « normalité » de la petite enfance. Ces formes surviennent
sur une personnalité ayant atteint un certain degré de maturation psycho-
affective et cognitive.

b) Les signes manifestes


Là encore, la sémiologie est variée, très complexe et les manifestations
cliniques peuvent toucher tous les champs de la personnalité. Ainsi on
peut repérer, et de façon très standardisée, des troubles du comportement
(avec des réactions importantes de retrait associées, ou non, à des symp-
tômes pseudo-névrotiques), de la motricité (avec une agitation et une ins-
tabilité ou une inhibition psychomotrices), de la cognition affectant d’une
part l’efficience (défaillances des capacités intellectuelles) et d’autre part
le langage (avec dans certains cas mutisme secondaire et/ou régression
formelle ou hyper-investissement du langage) et enfin des troubles de la
pensée prenant la forme d’idées délirantes (avec ou sans hallucinations*
psychosensorielles) ou d’angoisses intenses hypocondriaques.

c) Les aspects psychopathologiques


Il semble que ces formes plus tardives de psychoses infantiles consti-
tuent soit des remaniements évolutifs de formes précoces antérieurement
reconnues, soit des psychoses qui se manifestent dans une rupture brutale
ou progressive de la courbe évolutive. Quoi qu’il en soit, la symptomato-
logie est celle d’un certain âge qui dépend du niveau de maturation du
fonctionnement du moi*, plus ou moins bien organisé ; les désorganisa-
tions étant le fruit d’une certaine réalité compensée jusqu’alors, mais aussi
de phénomènes accidentels survenus à un moment donné de l’évolution
de l’enfant.

91
3 Le champ nosographique en psychopathologie infantile

1.4 L’évolution des psychoses infantiles


La variabilité de l’évolution des psychoses infantiles est étroitement
corrélée à leurs différentes caractéristiques, telles que la diversité sémio-
logique, les variétés psychopathologiques et les nombreuses conjectures
concernant l’étiopathogénie. Au niveau descriptif et de façon synthétique,
l’évolution peut se centrer sur l’autisme, s’engager vers la débilité sévère ou
tendre vers une amélioration.
Très schématiquement, les évolutions favorables concerneraient la
moitié des patients ; elles sont marquées par la capacité des individus,
devenus adultes, à s’insérer au niveau socioprofessionnel et à s’adapter
à une « norme » psychosociale (Manzano, Lamunière & Peckova, 1987).

a) Les facteurs d’une évolution favorable


Parmi les éléments intervenant très certainement dans une évolution
favorable de la psychose infantile, on peut souligner l’apparition tardive
des troubles dans le développement de l’enfant, l’existence chez lui de
manifestations phobiques ou obsessionnelles évitant une évolution défi-
citaire, le maintien dans le cadre familial de l’enfant psychotique et l’éta-
blissement d’une relation thérapeutique de longue durée avec le même
thérapeute – de l’enfance à l’adolescence, par exemple (Manzano et al.,
op. cit.).

b) Les facteurs de pronostic défavorable


Eu égard aux différentes études catamnestiques, certains facteurs d’un
pronostic défavorable de la psychose infantile peuvent être repérés : les
facteurs organiques (atteinte neurologique, prématurité, accouchement
difficile, etc.), une absence de langage chez l’enfant au-delà de l’âge de
5 ans (ou une apparition très tardive), la profondeur et la sévérité du retard
intellectuel, la précocité d’apparition des troubles (avant 2-3 ans) et la
qualité de la famille (pathologie psychiatrique parentale, séparation ou
absence des parents, etc.) (Ajuriaguerra & Marcelli, 1989).

1.5 La complexité de la prise en charge


Elle est essentiellement liée à l’imprécision quant aux facteurs étio-
logiques et à leur poids dans la survenue de la pathologie. S’il apparaît

92
Le champ nosographique en psychopathologie infantile 3

aujourd’hui évident qu’une prise en charge pluridisciplinaire semble


nécessaire, il n’en reste pas moins que l’approche thérapeutique dépend
étroitement des conceptions et perspectives théoriques du clinicien. Avec
des jeunes enfants psychotiques, l’objectif thérapeutique est double.
D’une part, permettre à l’enfant d’advenir en tant que « sujet », c’est-à-
dire personne humaine, vivante et autonome ; et, d’autre part, lui donner
les moyens nécessaires d’une communication authentique tant avec lui-
même qu’avec autrui.
Les actions et stratégies thérapeutiques sont très diversifiées mais,
néanmoins, doivent se caractériser par la cohérence, le maintien, la fia-
bilité et la stabilité du cadre. Précisément et dans tous les cas, les prises
en charge sont de longue durée ; elles peuvent, par exemple, débuter pen-
dant l’enfance et s’achever à l’adolescence. Ainsi, les traitements peuvent
prendre différentes formes :
– la chimiothérapie : l’utilité ponctuelle des neuroleptiques et/ou séda-
tifs est réelle ;
– le traitement institutionnel : les indications en hôpital de jour avec le
maintien de l’enfant dans sa famille sont fréquentes ;
– le traitement (ré)éducatif : dans certains cas, une (ré)éducation de
type orthophonique et/ou psychomotricité est nécessaire ;
– le soutien pédagogique : l’insertion et la fréquentation scolaires sont
importantes pour l’enfant ;
– l’action auprès du groupe familial et des parents : l’intérêt de la
guidance parentale, du soutien psychologique, de la thérapie familiale,
des groupes de parents, d’une psychothérapie individuelle, est indé-
niable ;
– la psychothérapie psychanalytique : mère-enfant ou à médiation
corporelle, etc., est nécessaire et primordiale ;
– la thérapie comportementale : les pratiques éducatives et pédago-
giques visent à renforcer les comportements positifs (de la psycho-
motricité et de la cognition) et à faire disparaître les comportements
négatifs de l’enfant.

93
3 Le champ nosographique en psychopathologie infantile

2. Les pathologies limites de l’enfant


Avant d’aborder les pathologies limites de l’enfant, il nous apparaît essen-
tiel de nous arrêter sur une question de terminologie. En effet, le concept
de pathologie limite s’applique à des faits cliniques différemment dénommés
se référant à de nombreuses organisations ; les termes en effet foisonnent
pour décrire en réalité le même type d’enfant. Outre les appellations
« sujet limite » ou « border line », la littérature mentionne également les
pathologies narcissiques ou anaclitiques, les dysharmonies évolutives, les
personnalités à « faux self* », « comme si » (as if), ou schizoïdes, certaines
prépsychoses ou parapsychoses, les états pseudo-névrotiques ou préné-
vrotiques, etc. Par ailleurs, cette problématique peut concerner aussi des
perturbations dominées par les dysharmonies cognitives, la dépression,
les troubles des conduites ou les manifestations psychosomatiques ; dans
ce cadre, sont également inclus des sujets que l’on se contentait de caté-
goriser suivant l’axe étiologique, tels que les enfants abandonniques, les
enfants victimes de sévices et de carences graves, etc.
Compte tenu de ces imbroglios terminologiques, nous évoquerons
rapidement ce à quoi certains de ces concepts renvoient, mais établis-
sons un choix consensuel qui insiste sur l’évolution de l’enfant pour, à
présent, ne parler d’état-limite que pour l’adulte, et de pathologie limite
pour l’enfant1. Précisément, le terme de « pathologie limite », par rapport
à celui « d’état limite » propre à la psychiatrie générale et de l’adulte, sou-
ligne qu’avec l’enfant l’accent est mis sur les aspects structuraux et évolu-
tifs inscrits dans une perspective dynamique et sur le meilleur pronostic
des troubles si l’intervention thérapeutique se fait en temps opportun
et avec des moyens adaptés. Aussi, apparaît-il aujourd’hui légitime de
regrouper sous la rubrique des « pathologies limites » l’ensemble de ces
faits cliniques à partir de mécanismes psychopathologiques spécifiques
communs.

1. L’ensemble de ces pathologies mentales appartient au champ des formes fron-


tières de la nosographie, encore appelé « pathologies intermédiaires ».

94
Le champ nosographique en psychopathologie infantile 3

2.1 Que recouvrent ces entités ?


a) Définition
La dénomination de pathologies limites de l’enfant et de l’adolescent
recouvre actuellement des entités nosographiques qui se démarquent de la
névrose et de la psychose mais dont les faits pathologiques se situent d’une
certaine façon à la frontière de la nosographie actuelle ; cette dénomina-
tion marque encore les similitudes mais souligne également les écarts avec
les états limites de l’adulte.
Le cadre des pathologies limites permet ainsi de regrouper ces organisa-
tions qui, certes, possèdent des traits originaux et spécifiques qui tiennent
aux circonstances de découverte, à la symptomatologie dominante, au
mode d’éclairage porté par les auteurs en fonction de leur théorie per-
sonnelle mais également des similitudes telles que les failles narcissiques,
les échecs dans l’élaboration de la position dépressive et de l’absence, la
quête d’étayage et le contournement des conflits d’identification* les plus
évolués sur lesquels nous reviendrons.

b) Les expressions manifestes


La dépression occupe une place centrale dans le tableau clinique des
pathologies limites bien que la souffrance dépressive soit rarement spon-
tanément évoquée par la famille ou l’enfant lui-même ; ce sont les expres-
sions de cette souffrance qui sont les plus évidentes, en témoignent les
affects pénibles, l’absence d’intérêt et d’idées, les sentiments de vide,
d’inutilité et de non-valeur et le malaise corporel voire les manifestations
somatiques. Dans d’autres cas, la dévalorisation de soi se colore d’un sen-
timent de préjudice et d’injustice et suscite des réactions agressives ; les
défenses maniaques aménagées pour soutenir l’omnipotence ainsi que la
maîtrise exercée sur les affects et les tentatives de domination des per-
sonnes peuvent se renforcer, faisant éventuellement le lit de la psycho-
pathie, laquelle constitue l’une des modalités évolutives possibles des
pathologies limites de l’enfance (Misès, 1990).

c) Les aspects caractéristiques


Chez ces enfants, la discontinuité des processus de soins maternels et
les défauts d’étayage sont retrouvés de façon constante. Il en découle l’ins-

95
3 Le champ nosographique en psychopathologie infantile

cription précoce de sévères failles narcissiques et des échecs notables dans


les mouvements d’individuation/séparation. Bien que la position dépres-
sive ne puisse être pleinement élaborée, l’ouverture à une relation triangu-
laire œdipienne reste possible ; celle-ci s’organise en secteurs et de façon
partielle mais ne débouche pas sur le conflit de désir et d’identification*
spécifique à la phase œdipienne génitale. L’enfant reste dans le registre
d’une pseudo-œdipification, encore appelée bitriangulation (op. cit.). Dans
ce cadre, le père est utilisé pour se défendre d’une relation maternelle
dominante, alors que les menaces d’engloutissement, de vidage et d’intru-
sion restent présentes. Soulignons au passage que certains traits caracté-
ristiques de ces pathologies relèvent du non-accès et du contournement
des conflits (notamment œdipien) les plus élaborés ; ainsi, sont mainte-
nues, côte à côte, des positions inconciliables sans qu’il y ait conflit. Cet
échec dans l’élaboration de la position dépressive est également visible
dans le domaine de la pensée, dans la mesure où l’absence est impossible
à constituer ; rappelons-nous en effet que c’est dans l’absence et le manque
de l’objet que se forme sa représentation (cf. chap. 1, p. 21). Les consé-
quences de ces troubles s’inscrivent à travers les défaillances portant sur
le jeu symbolique et le déploiement des fantasmes dans l’espace transi-
tionnel (Winnicott, 1971).
Au niveau clinique, la grande vulnérabilité à la perte d’objet peut,
lorsque l’enfant est petit, prendre la forme de phobies scolaires gravis-
simes, observées, par exemple, lors de l’entrée à l’école. Par ailleurs, les
assises narcissiques sont altérées précocement compte tenu, notamment,
de l’impossibilité de la mère « d’investir son enfant comme un objet réel,
à la fois distinct de l’enfant imaginaire et d’elle-même » (Misès, op. cit.).
Au-delà des clivages instaurés, les modalités relationnelles notamment
avec les parents sont de l’ordre de l’emprise narcissique, laquelle empêche
l’enfant d’avoir accès à des aspirations personnelles susceptibles de se
libérer de leur pouvoir aliénant. L’absence d’amour de soi s’origine dans
ces premières distorsions ; celles-ci donnant également naissance aux
défauts d’intériorisation des bons objets qui, normalement, peuvent com-
penser les déceptions inévitables issues du rapport à la réalité : l’enfant
instaure un lien anaclitique à ses parents et est continuellement dans une
quête d’étayage venant pallier le vide interne.
Au cours des vaines tentatives de l’enfant d’élaborer la position dépres-
sive, son incapacité à réparer les dommages causés fantasmatiquement à

96
Le champ nosographique en psychopathologie infantile 3

l’image maternelle vient sceller durablement cette fragilité narcissique de


fond et les représentations de soi qui s’y relient (ibid.).

d) L’écart vis-à-vis des formes atypiques de la psychose


de l’enfant
En dépit des atteintes portées au développement des supports de la vie
mentale, les enfants souffrant de pathologies limites se différencient des
psychotiques, notamment parce que, d’une part ils ont le désir de com-
muniquer et d’autre part accès – même si ce n’est qu’en secteurs – à une
reconnaissance soi/non soi, au sentiment de soi, le self, à des aptitudes
relationnelles, à des capacités adaptatives assez satisfaisantes et spéci-
fiques qui prennent appui sur les clivages du moi* selon le modèle du
« faux self* » (Winnicott, 1964) et à un vécu intense et menaçant de perte
d’objet ; en effet, l’écart entre les pathologies limites de l’enfant et les psy-
choses, prépsychoses infantiles se manifeste aussi dans la prédominance
des angoisses dépressives et de séparation sur les angoisses de morcelle-
ment et de néantisation.

2.2 Les différentes formes des pathologies limites de l’enfant


ou les modes d’expression symptomatique du tableau clinique
a) Les prépsychoses infantiles1 (R. Diatkine)
La notion de prépsychose est difficile à délimiter. Selon Diatkine, « chez
les prépsychotiques, l’étude du moi* montre une faiblesse qui s’affirme,
entre autres, dans l’élaboration particulièrement pauvre des mécanismes
de défense et dans l’importance des processus primaires* de décharge
dont le déséquilibre de la conduite est une des traductions ».
Le concept de prépsychose insiste, au niveau psychopathologique, sur
l’importance de l’évaluation économique et dynamique d’une conduite
pathologique, et au niveau étiologique sur la difficulté et l’incertitude
conceptuelle concernant la nosographie en pédopsychiatrie. C’est le terme
employé par un certain nombre d’auteurs (Kestenberg, Green, Lebovici,
Diatkine, Widlöcher, Marcelli, etc.) pour caractériser ce que Misès nomme

1. Il est important d’éviter la confusion que crée le terme « prépsychotique » qui


est utilisé tantôt pour évoquer une organisation qui précède la psychose, tantôt
une organisation fixée, sous une forme symptomatologique particulière (décrite ici).

97
3 Le champ nosographique en psychopathologie infantile

« pathologie limite ». Le terme de prépsychose est intéressant par la notion


de prédictivité qu’il sous-entend ; prédictivité qui constitue le souci pre-
mier des spécialistes de la psyché de l’enfant.
L’évolution des prépsychoses de l’enfant varie de la psychose de la fin de
la période de latence, à l’évolution (pseudo-)déficitaire (que le déficit soit
global ou sectorisé) à, enfin, la pathologie caractérielle avec une sympto-
matologie évoquant la psychopathie ; cette dernière forme évolutive pré-
sente une continuité avec les tableaux cliniques d’état-limite de l’adulte.

• L’observation clinique
Il n’y a pas une symptomatologie propre aux prépsychoses infantiles ;
tous les symptômes cliniques peuvent en effet se rencontrer, lesquels sont
inefficaces à lier l’angoisse toujours perceptible chez l’enfant qui ne peut
ni la maîtriser ni s’en dégager, tant au niveau économique que dynamique.
En dépit d’une (pseudo-)adaptation à la réalité, le contact avec l’enfant pré-
psychotique est de qualité particulière ; l’investissement de la relation est
massif et l’expression fantasmatique, dominée par une intense agressivité
mal contrôlée, est trop aisée et sans retenue. Le passage à l’acte, qui permet
à l’enfant de soulager une tension psychique par ailleurs difficilement éla-
borable, est fréquent et s’établit sur un mode auto- ou hétéro-agressif avec
parfois une vive impulsivité. Dans d’autres situations, la relation clinique
peut être dominée par l’inhibition laissant peu de place aux fantasmes,
ou par une apparente soumission aux désirs ou aux attentes supposées de
l’adulte (la niaiserie décrite par Diatkine, 1969).

• Le bilan psychologique
Le bilan psychologique peut être utile dans les cas de prépsychoses
infantiles, notamment du fait de la pseudo-adaptation à la réalité ou de
la soumission passive à l’adulte. Ce bilan met toujours en évidence les
contrastes évidents entre les prépsychoses infantiles et les organisations
psychotiques avérées, notamment par rapport à la labilité du fonction-
nement psychique, aux capacités d’adaptation à la réalité (notamment si
l’investigateur a une fonction cadrante) et de récupération de l’enfant.

98
Le champ nosographique en psychopathologie infantile 3

b) Les pathologies narcissiques ou anaclitiques,


les distorsions du moi*, les personnalités as if,
les sujets à « faux self* », et les enfants battus, carencés,
abandonniques, etc.
Au niveau clinique, les manifestations sont très variées et polymorphes ;
les troubles du comportement étant souvent au premier plan (instabilité,
agressivité ou inhibition massive, par exemple). L’angoisse de séparation
(voire d’abandon) est extrême chez l’enfant et signe l’importance de sa
souffrance dépressive, laquelle doit faire l’objet d’un repérage attentif.
Au niveau psychopathologique, les pathologies narcissiques sont carac-
térisées spécifiquement par l’existence constante de failles narcissiques
chez l’enfant (ou l’adolescent). La position dépressive est mobilisée devant
toute situation de perte ou menace de perte d’objet. Les sentiments de
dévalorisation, de culpabilité et la mésestime de soi sont importants ;
l’objet a d’ailleurs pour fonction d’assurer les apports narcissiques devant
l’avidité et la revendication affectives et l’insécurité interne du sujet. Ce
mode d’échange avec l’autre révèle un type de relation objectale décrit
comme « anaclitique ». Notons, de plus, que le terme « d’abandonnisme »
s’applique bien à certains enfants anaclitiques où le vécu abandonnique
est manifeste. Comme l’écrivent Mazet et Houzel (1996), « le problème
de la genèse de l’organisation anaclitique pose évidemment la question
de la part éventuelle d’abandons traumatiques, de ruptures relationnelles
précoces et répétées, réellement vécus par l’enfant ». En fait, même si
des événements traumatiques générateurs d’angoisse d’abandon peuvent
réellement survenir, il semblerait que les sentiments ou les fantasmes
d’abandon de l’enfant s’incarnent dans des attitudes affectives négatives et
ambivalentes de ses parents à son égard, parents dont l’assise narcissique
est elle-même extrêmement précaire et ténue. Le fonctionnement mental
de ces enfants consiste essentiellement en une activité défensive contre
l’angoisse de perte objectale. Il ne s’agit pas d’une pathologie limite de
l’enfance mais bien d’une pathologie du narcissisme* pour laquelle les
failles narcissiques imposent la formation d’un idéal du moi* archaïque
et mégalomaniaque1 projeté sur une figure parentale devenant ainsi toute-
puissante.

1. Cf. le « Soi grandiose » de Kohut (1974).

99
3 Le champ nosographique en psychopathologie infantile

c) Les dysharmonies évolutives (de type névrotique


ou psychotique)
Évoquer les dysharmonies infantiles, c’est se référer à un point de vue
plus développemental et évolutif que structurel. Dans ce cadre, l’accent
est mis sur l’état d’équilibre dynamique qui s’établit entre des lignées en
cours de maturation1. Le concept de « dysharmonie évolutive » (Lang, 1977)
offre un support intéressant pour la saisie des faits pathologiques se situant
entre névrose et psychose puisque, par définition, il recouvre ce champ. Ce
concept fait ressortir la conjonction constante de mécanismes divers dans
les organisations étudiées sur l’axe des pathologies limites de l’enfant.
La dysharmonie évolutive correspond à une intrication chez un même
sujet de mécanismes de niveau psychotique, névrotique et psychopa-
thique associé à une intrication de symptômes et de traits diversifiés. La
précision apportée par le clinicien sur le type de dysharmonie évolutive
(« de type psychotique » ou « de type névrotique ») permet de souligner la
place prise par certains traits structuraux tout en insistant sur le fait que
l’organisation reste fondamentalement « en mosaïque »2.
Le concept de « dysharmonie » met en évidence l’importance de la
nécessaire visée diachronique3 à travers la comparaison des lignes de
développement (maturité du moi*, niveau d’exigence pulsionnelle, type
de relation d’objet), comme le recommande A. Freud (1976), soit sur le
plan psycho-affectif soit sur le plan cognitif. Cet auteur attire notre atten-
tion sur le nécessaire équilibre des lignées de développement ; elle écrit,
« quand le moi* et le surmoi* ont une maturité insuffisante par rapport
aux niveaux de l’activité pulsionnelle, ni les relations affectives d’objet
appropriées, ni un sens social et moral suffisant, ne sont à même de lier et
de contrôler les pulsions partielles prégénitales et agressives ».
Au niveau clinique et selon Ajuriaguerra et Marcelli (1989), les descrip-
tions mettent en évidence « soit le décalage entre les lignées de maturation
neurobiologique (développement de la motricité, du langage ou de l’intel-

1. Les lignées en cours de maturation font référence aux travaux d’A. Freud (1962)
portant sur les lignées de développement.
2. Selon Misès (1990), une telle démarche permet ainsi de concevoir des dysharmo-
nies évolutives à type de pathologie limite.
3. La visée « diachronique » renvoie à la nécessité d’une évaluation de la capacité
d’évolution d’une structure ou d’une personnalité dans un organisme en cours de
maturation.

100
Le champ nosographique en psychopathologie infantile 3

ligence), soit les lignées de la maturation pulsionnelle et de l’organisation


de la personnalité (sexualisation trop précoce par rapport à une organi-
sation du moi* encore infantile ou, au contraire, hyper-maturité du moi*
qui n’accepte pas le niveau pulsionnel régressif), soit la dysharmonie au
sein même d’une lignée ».

2.3 Les aspects psychopathologiques des pathologies limites


de l’enfant
Compte tenu de l’extrême diversité et variabilité des symptômes domi-
nants dans les pathologies limites de l’enfant, l’accent est mis sur les
aspects psychopathologiques qui doivent bien entendu être considérés
comme étroitement liées les uns aux autres. Seule l’étude psychopatholo-
gique permet de donner sens aux expressions manifestes, en les reliant à
l’organisation psychique interne et aux modalités spécifiques de relation.

a) Les défauts d’étayage


Les défauts d’étayage sont souvent précoces dans l’histoire de l’enfant
et soit manifestes (dissociation familiale, placements de l’enfant, hospita-
lisations, etc.) soit plus subtils et se dégagent lors de l’entretien clinique,
de l’évaluation de la personnalité des parents et de l’appréciation de la
place faite à l’enfant. Certains événements ou cadre de vie particulier de
l’enfant, au rôle pathogène indéniable, peuvent ne pas être évoqués par les
parents (dépression maternelle, conflits familiaux graves, maladie, acci-
dent, etc., ou maltraitance, divorce, abandonnisme, adoption, etc.). On
relève toujours l’insuffisance des apports libidinaux et les défauts d’ajus-
tement, témoin d’une discontinuité du processus de soins maternels, lors
des périodes qui exigent une étroite adaptation de l’environnement aux
besoins de l’enfant (Misès, 1990).

b) Les défauts de contenance


Les atteintes à la fonction de contenance tiennent une place importante
dans la formation des pathologies limites de l’enfant. La mère n’a pu plei-
nement assurer sa fonction de contenance et de pare-excitation pour son
enfant ; cette défaillance altérant la construction de « l’appareil à penser
les pensées », l’enfant échoue partiellement dans ses tentatives de mise en
place et de maîtrise de sa vie psychique (Bion, 1961) ; ainsi, il reste notam-

101
3 Le champ nosographique en psychopathologie infantile

ment soumis au risque de débordement par des excès de tension interne.


En outre, le préconscient n’assure pas pleinement les liaisons habituelles,
par le langage, entre affect et représentation. Les capacités de mentalisa-
tion, mises en échec, il en résulte une prédominance de l’expression par
le corps et par l’agir.

c) L’échec dans le registre de la transitionnalité


Cet échec, en fait, ces échecs s’inscrivent dans les défaillances de fond
précitées. L’étude des pathologies limites de l’enfant met en évidence des
manifestations diversifiées de l’enfant concernant l’objet transitionnel
(inexistant, d’apparition retardée, changeant, etc.) alors que l’entourage,
en particulier la mère, n’est pas sensibilisé à sa fonction. Simultanément,
la mère entretient avec son enfant des modalités de relation basées sur
l’emprise, l’empêchant de construire ses objets transitionnels et altérant,
ce faisant, son aptitude à jouer seul. Notons que l’enfant ne prend pas de
réel plaisir dans les activités ludiques, essayant davantage de faire parti-
ciper l’entourage à des échanges captatifs et ritualisés. L’enfant ne peut
utiliser le jeu dans sa fonction d’aide à l’assimilation de l’absence ; il ne
peut s’en rendre psychiquement maître dans cet espace intermédiaire
entre le monde interne et la réalité externe où, normalement, se modèlent
des expériences décisives (présence/absence). Les distorsions dans l’accès
à la transitionnalité, laissant des traces durables, se relient aux difficultés
de l’enfant à faire évoluer sa dépendance anaclitique, c’est-à-dire à rompre
avec les modes d’échange primitifs qui lui font rechercher un étayage étroit
par la mère. La problématique de l’absence occupe une place centrale.

d) Les défauts d’élaboration de la position dépressive


L’enfant peut aborder la position dépressive mais pas l’élaborer ; les
défaillances de l’étayage maternel s’accentuant au cours de la phase
dépressive, en raison notamment de la menace que fait peser, sur l’éco-
nomie narcissique de la mère, l’accès de l’enfant à une autonomie propre.
Dans ce contexte où la vulnérabilité à la perte d’objet devient, de part
et d’autre, un élément essentiel de la problématique, l’enfant ne parvient
ni à intégrer les angoisses dépressives et de séparation, ni à dépasser le
conflit d’ambivalence. En dépit des échecs dans l’élaboration de la posi-
tion dépressive, rappelons que l’accès au sentiment de soi est possible. En

102
Le champ nosographique en psychopathologie infantile 3

outre la reconnaissance de la mère comme objet total et la différenciation


entre soi et non soi demeurent acquises, même si certaines projections ou
confusions viennent les altérer dans certaines circonstances.

Observation clinique
Maria est une fillette de 8 ans, scolarisée en CE2, fille unique d’un couple
de parents migrants. Monsieur a quitté son pays natal pendant sa petite
enfance et s’est depuis très bien intégré au mode de vie français. Madame,
quant à elle, a quitté sa terre natale pour épouser le père de Maria ; son
absence de formation lui impose une activité professionnelle peu valorisée
qui vient mettre à mal les idéaux de sa fille, notamment son idéal du moi*.
Depuis, elle se dit régulièrement traversée par des idées et des pensées
nostalgiques (mélancoliques ?), notamment ses parents restés au pays ; sa
fille constitue ainsi pour elle sa raison de vivre et leur lien de dépendance
l’une à l’autre est patent : « on ne parvient pas à se séparer ». Madame semble
avoir investi sa fille sur un mode essentiellement narcissique, en miroir.
Maria, quant à elle, suit sa mère dans ses moindres faits et gestes allant
jusqu’à épier ses conversations téléphoniques. Préoccupés par le vécu de la
puberté précoce de leur fille, monsieur et madame ne semblent pas d’em-
blée soucieux des comportements, pourtant singuliers, de Maria. Dans une
attitude de prestance particulièrement rigide pour son âge, Maria est peu
prolixe en entretien. Pourtant, les parents (surtout son père) décrivent un
ensemble de troubles assez préoccupants. Isolée depuis toujours (très peu
de contacts avec ses pairs), Maria n’aurait tissé aucune véritable relation
amicale ; sa seule préoccupation étant de conserver sa place de première
de la classe. Elle étudie beaucoup, dort peu et mange très mal « depuis
toujours ». Son appétit d’oiseau et son manque de sommeil traduisent en fait
des troubles alimentaires de type anorectiques d’une part et du sommeil
de type insomnie d’autre part assortis d’anxiété, voire d’angoisse, dans
des situations conflictuelles pendant lesquelles monsieur témoigne de son
mécontentement à voir sa fille collée à sa femme. Maria semble triste et
dévitalisée sans jamais exprimer d’affects dépressifs et/ou de représenta-
tions associés à la perte, au dénuement ou à la solitude. Les symptômes
phobo-obsessionnels sont marqués par certains rituels du coucher et une
nette tendance à contrôler et maîtriser ses parents mais aussi son emploi
du temps qui ne peut faire l’objet de fantaisies ou d’imprévus. Enfin, Maria
est en proie à une vive angoisse de séparation dont témoigne son besoin
extrême de sa mère dans sa réalité. Dans ce contexte, elle semble relever
d’un diagnostic de troubles de la personnalité de type pathologie limite
de l’enfance avec inquiétude d’une éventuelle décompensation anorexique.

103
3 Le champ nosographique en psychopathologie infantile

2.4 L’évolution des pathologies limites de l’enfant


et leur thérapeutique : une nouvelle approche ?
Nous insistons là encore sur la nécessité de ne pas assimiler les patho-
logies limites de l’enfant aux états limites de l’adulte. Cette distinction
rappelle, en effet, le dynamisme propre à l’enfance et la place que tiennent
les ouvertures à cet âge si grevées soient-elles initialement par les clivages,
les forces de déliaison et la précarité des investissements qui, pour être
mises en valeur, exigent une participation de l’entourage de l’enfant. Pour
le clinicien, une place essentielle est accordée à l’étayage, à l’appui narcis-
sique et aux fonctions de pare-excitation.
En l’absence de traitement, l’évolution de l’enfant présentant une patho-
logie limite se fait vers une gamme étendue de perturbations graves. Les
plus brutales et spectaculaires sont des agirs survenant à l’adolescence
tels que les violences avec l’entourage, les manifestations dépressives, les
anorexies mentales, les boulimies compulsives, les conduites d’addiction,
les comportements autodestructeurs.
Au-delà de ces pathologies des conduites, le risque principal à moyen
et long terme est constitué par l’entrée à l’âge adulte dans une patho-
logie grave de la personnalité sous des tableaux éventuellement diversi-
fiés. Ces derniers étant, comme dans l’enfance, regroupés dans de grandes
rubriques nosographiques (états limites et pathologies du narcissisme*,
en particulier). L’entrée dans la psychose avérée reste une éventualité
rare, bien que des décompensations psychotiques puissent survenir chez
un adolescent considéré jusque-là comme indemne de toute morbidité
reconnue et adapté aux attentes de l’entourage (Pedinielli & Gimenez,
2016).
Globalement, le psychologue doit avoir une compréhension nuancée et
fine des aspects psychopathologiques des troubles présentés par l’enfant
dont le destin reste, généralement, ouvert. Les moyens thérapeutiques mis
en place doivent répondre à l’extrême complexité du processus psychopa-
thologique. Les actions pluridimensionnelles doivent être coordonnées,
s’appuyant éventuellement sur des dispositifs institutionnels où le travail
en équipe donne des moyens efficaces d’ajustement, de relance et de revi-
talisation, et associer, par exemple, une mesure psychothérapique à des
moyens pédagogiques ou rééducatifs ; les psychothérapies d’inspiration
psychanalytique si elles sont possibles restent difficiles et demandent au

104
Le champ nosographique en psychopathologie infantile 3

clinicien de grandes capacités d’anticipation et de contenance. Quoi qu’il


en soit, les moyens employés doivent déborder l’enfant lui-même et inclure
la famille, l’école et le cadre social lui garantissant une continuité dans
l’étayage et l’élaboration du processus à travers des interventions souples.

3. Les troubles névrotiques de l’enfant


La fréquence des symptômes dans l’enfance de la série névrotique n’a
pas nécessairement la valeur de signes annonciateurs d’une névrose de
l’adulte ; la symptomatologie étant discontinue.

3.1 Organisation de type névrotique, état névrotique,


trouble névrotique ou névrose chez l’enfant ?
Les conflits psychiques sont inévitables pendant l’enfance et donnent
naissance à des symptômes persistant jusqu’au moment où le moi* a atteint
une maturité suffisante pour les élaborer. Une névrose est véritablement
un mode stable de fonctionnement de la personnalité qui suppose une
différenciation des instances psychiques, notamment la mise en place du
surmoi*1. Comme le rappellent Mazet et Houzel (1996), « entre les symp-
tômes névrotiques entièrement réversibles de la petite enfance et l’organi-
sation névrotique stable, il y a place pour une rubrique nosographique qui
regroupe les cas où l’on observe des mécanismes névrotiques déjà orga-
nisés, mais où l’inachèvement de la personnalité rend incertain son mode
d’organisation future »2. On parle alors pour l’enfant soit de trouble névro-
tique, soit d’organisation de type névrotique soit enfin d’état névrotique ;
les névroses, telles qu’on les observe chez l’adulte, n’apparaissent guère
avant la fin de l’enfance. Enfin, nous rappellerons que les manifestations

1. L’inefficacité, la rigidité ou la non-diversification des mécanismes de défense


psychiques contre l’angoisse caractérisent les organisations psychopathologiques,
qu’elles soient névrotiques, prépsychotiques, psychotiques.
2. Ces troubles organisés ne sont pas réversibles spontanément, appartiennent bien
à une lignée névrotique mais n’évoluent pas nécessairement vers la névrose corres-
pondante.

105
3 Le champ nosographique en psychopathologie infantile

anxieuses, phobiques, obsessionnelles ou hystériques peuvent être absolu-


ment normales dans le cours du développement de l’enfant.

3.2 La « névrose » de l’enfant


a) Aspects cliniques de la « névrose » de l’enfant
• À la période œdipienne
Entre 3 et 6-7 ans, certaines manifestations symptomatiques bruyantes
et aiguës peuvent émerger. La question est de savoir si ces dernières
permettent ou non une liaison suffisante de l’angoisse de l’enfant pour
poursuivre son développement psycho-affectif. Dans les cas d’une non-
élaboration secondaire de l’angoisse, l’intensification de celle-ci induit la
régression du jeune à des positions prégénitales et la fixation* sympto-
matique.

• À la période de latence
Entre 8 et 12 ans, les deux versants névrotiques correspondant au stade
maturatif de la latence sont représentés soit par l’inhibition1 (renoncement
du moi* aux pulsions – le ça*), soit par les conduites obsessionnelles (ten-
tative de dominer le moi*).

b) Aspects théoriques de la névrose de l’enfant


• Rappel sur la névrose infantile
Pour Freud, la névrose infantile constitue un moment inévitable du
développement psychique. Elle représente un « complexe nodal » où
s’organise toute la vie pulsionnelle de l’enfant, c’est-à-dire correspond au
conflit central lié aux problèmes œdipiens et à l’angoisse de castration*.
Le refoulement efface pendant la période de latence cette organisation
névrotique première ; la signification habituellement traumatique que le
névrosé adulte attribue à certains événements de son enfance est liée à la

1. La vraie névrose de l’enfant de la période de latence serait illustrée par l’inhi-


bition, surtout intellectuelle ; la souffrance névrotique étant ignorée par l’enfant
et projetée sur l’extérieur afin de protéger les capacités adaptatives de son moi*
(Marcelli, 1982).

106
Le champ nosographique en psychopathologie infantile 3

reconstruction après-coup* du vécu fantasmatique de la petite enfance réa-


lisée pendant l’adolescence et après. Ainsi, plus qu’une réalité clinique de
l’enfant, la névrose infantile (quasi asymptomatique) constitue un modèle
métapsychologique* caractéristique d’un stade du développement normal
de l’enfant et explicatif de la névrose de l’adulte.
Rappelons enfin que la névrose infantile s’actualise dans le transfert
lors de la cure psychanalytique de l’adulte et s’exprime après-coup* sous la
forme de la névrose de transfert.

• L’approche psychopathologique
Alors que la névrose infantile témoigne d’un moment structurant de
l’organisation psychique de l’enfant, la névrose de l’enfant correspond
davantage à un état morbide. Ainsi, les troubles névrotiques doivent tou-
jours être évalués au niveau de leur signification par rapport à l’économie
psychique de l’enfant et leur valeur pronostique. C’est la relation entre la
personnalité profonde des parents et de l’enfant qui induit la genèse des
symptômes névrotiques, voire la névrose.

3.3 Le repérage des symptômes


Nous décrirons ici les manifestations se rattachant aux quatre types de
névroses (névroses d’angoisse, phobique, obsessionnelle et hystérique) ;
le symptôme d’inhibition, en tant qu’il peut être rattaché à la pathologie
névrotique, fera l’objet d’un développement particulier.

a) Les manifestations anxieuses


• Anxiété et angoisse chez l’enfant : définition
Avant tout, rappelons que l’angoisse et l’anxiété constituent, parmi de
nombreux autres, des modalités d’expression de la souffrance interne de
l’enfant. Il existerait un versant somatique et psychique de l’angoisse.
Actuellement, le terme d’angoisse définit l’existence d’un vécu pénible
impliquant une notion de menace et d’insécurité dont le sujet ne perçoit
pas véritablement l’origine ; l’anxiété serait, elle, propre au registre psy-
chique.

107
3 Le champ nosographique en psychopathologie infantile

• Approche clinique de l’angoisse


Avec Ajuriaguerra (1970), les manifestations cliniques de l’angoisse
chez l’enfant sont très variées mais peuvent, schématiquement, se classer
selon trois catégories :
– des réactions d’angoisse épisodique sous la forme de « crises d’an-
goisse » souvent associées à des événements traumatiques pour l’enfant
(maladies infantiles, actes chirurgicaux, etc.) ;
– des réactions d’angoisse aiguë survenant dans un contexte particu-
lier (départ à l’école, veille d’un examen, etc.) sous la forme de « crises
de panique » intenses au cours desquelles l’enfant est terrifié et présente
des troubles somatiques ou neurovégétatifs (« j’ai mal au ventre », « j’ai
envie de vomir », etc.) ;
– un fond d’angoisse chronique marqué par un état d’inquiétude
permanent et de vigilance extrême.

• L’angoisse chez l’enfant : normale ou pathologique ?


L’angoisse est inéluctable et inhérente au développement de l’enfant.
Elle se développe lorsque le système nerveux central est incapable d’af-
fronter une somme d’excitations par une réaction adéquate. Freud observe
que chez l’enfant l’angoisse est, à l’origine, un sentiment d’absence de la
personne aimée. Dans sa première théorie de l’angoisse, la séparation
d’avec l’objet d’amour laisse la libido* inemployée ; par le refoulement,
cette libido* est transformée en angoisse. Dans sa seconde théorie de l’an-
goisse, celle-ci n’est plus le résultat de la transformation d’une motion libi-
dinale refoulée car intolérable pour la conscience mais constitue le signal
d’un danger pour le moi*, menacé par cette motion pulsionnelle ressentie
comme dangereuse. L’angoisse est ainsi suivie par le refoulement et non
l’inverse, et devient un élément de la fonction de défense du moi* qui
mobilise ces énergies et met en jeu ses procédés de lutte contre un danger
interne (Freud, 1926)1.
La question essentielle est donc de savoir, devant un tableau de mani-
festations angoissées de l’enfant, si celles-ci témoignent d’un développe-

1. La conceptualisation freudienne sur l’angoisse est réalisée à l’aide d’observations


et de considérations cliniques précises, sur l’étude de la phobie notamment. Cf.
Freud, S. (1909). Cinq psychanalyses, Paris, PUF.

108
Le champ nosographique en psychopathologie infantile 3

ment affectif pathologique ou traduisent, de façon transitoire et réversible,


les conflits normaux de la vie de tout enfant. Aussi, parlera-t-on « d’état
névrotique d’angoisse » uniquement lorsque les mécanismes de défense
psychique seront durablement débordés par elle. Précisément, comme le
rappelle A. Freud (1962), ce qui est significatif c’est la capacité du moi* à
supporter et maîtriser l’angoisse.

b) Les inhibitions névrotiques


• Approche clinique de l’inhibition : inhibition des conduites
sociales et mentales
L’inhibition, notamment scolaire, est l’un des symptômes qui motive
le plus les consultations psychologiques. Ce trouble peut affecter tous les
secteurs de la vie de l’enfant tant au niveau des conduites socialisées que
mentalisées.
L’inhibition des conduites externes et sociales, encore appelée « timi-
dité » par la famille, concerne des enfants qui bien que capables d’éta-
blir un contact avec autrui et de prendre plaisir dans certaines activités,
sont « trop sages », plutôt soumis, et « transparents » en société ; l’inhibi-
tion peut aussi affecter le corps de l’enfant (pauvreté de mouvements, de
mimiques, etc.). Parfois et lorsque l’inhibition est très importante, l’enfant
peut, en dépit de son désir, rester isolé sans oser s’approcher des autres
(adultes ou pairs) ou participer aux activités de groupe. À l’extrême, cette
forme d’inhibition peut entraver les processus de socialisation de l’enfant.
L’inhibition des conduites mentalisées porte soit sur la vie fantasma-
tique, soit sur le fonctionnement intellectuel de l’enfant. L’inhibition à
rêver ou fantasmer engendre une attitude conformiste chez l’enfant qui
peut paradoxalement l’aider à s’insérer socialement ; l’inhibition cognitive
est, quant à elle, plus ennuyeuse : elle gêne l’école et les parents (!) bien
que l’échec scolaire ne soit pas manifeste, les enfants se maintenant à la
moyenne. Ces derniers paraissent entravés dans leur capacité de penser
et restent toujours en retrait, surtout en classe, de peur d’être interrogés
ou sollicités ; l’intensité de la peur de se tromper et de répondre mal peut
conduire au blanc de la pensée ou au vide dans la tête (Marcelli, ibid.). En
général, les difficultés scolaires de l’enfant, plutôt contrôlées en primaire,
apparaissent dans le secondaire lorsqu’une participation active et person-
nelle de l’enfant est attendue au collège.

109
3 Le champ nosographique en psychopathologie infantile

• Approches psychopathologique et thérapeutique de l’inhibition


infantile
Rappelons ici que, selon Freud (1926), l’inhibition exprime une limi-
tation fonctionnelle du moi* dont le but est d’éviter la confrontation aux
pulsions tant libidinales (désir œdipien interdit, par exemple) qu’agres-
sives. De plus, le symptôme correspond à un compromis autorisant une
satisfaction pulsionnelle partielle. Ainsi, au niveau économique et dyna-
mique, l’inhibition se situe en deçà du symptôme ; en témoigne sa levée,
dans le cours des psychothérapies par exemple, qui laisse apparaître par-
fois un ensemble de troubles éventuellement obsessionnels, phobiques ou
agressifs.
L’enfant inhibé ressent avec angoisse ses propres mouvements pulsion-
nels (surtout agressifs) et les vit avec culpabilité ; en raison de contraintes
parentales éducatives rigides ou de la fragilité du moi* de l’enfant, le
refoulement massif de ces derniers devient la seule échappatoire.
Ajuriaguerra & Marcelli (1989) souligne que l’approche thérapeu-
tique est plus aisée devant une inhibition socialisée ; lorsque le refoule-
ment envahit les conduites mentalisées, l’enfant est souvent hyperadapté
et conforme à ce que l’on attend de lui tant dans la famille ou à l’école
qu’en psychothérapie : là, la prise en charge est d’autant plus difficile qu’il
n’existe pas, dans un secteur de la vie de l’enfant, de symptôme témoin du
retour du refoulé.

c) Les troubles névrotiques de type phobique


• Les phobies et leur évolution
La phobie correspond à un affect pénible émergeant systématiquement
en présence d’un objet ou d’une situation réel(le) que l’enfant ressent
comme dangereux. Dans ce cadre, il est nécessaire de distinguer les peurs
archaïques ou prégénitales (peur de l’étranger dès le huitième mois, par
exemple) des phobies vraies de la période œdipienne (phobies apparais-
sant vers 3-4 ans et se référant à la définition précitée). Parmi ces der-
nières, certaines sont banales et dépendent du contexte et d’autres revêtent
un caractère plus pathologique. On relève les phobies d’objet (peur des
insectes et petits animaux vers 4 ans) et de situation (peur de l’obscu-

110
Le champ nosographique en psychopathologie infantile 3

rité, des éléments naturels ou de l’école)1 ; ces phobies peuvent rester peu
envahissantes et disparaître avec l’achèvement du conflit œdipien tout en
induisant des conduites d’évitement ou l’utilisation d’objets contra-pho-
biques. Néanmoins, dans certains cas (réaction familiale inadaptée – sur-
protection, moqueries, etc.), les conduites phobiques peuvent se fixer et se
structurer secondairement en une organisation phobique entravant alors
considérablement la vie de l’enfant.

• Aspects et fonctions psychopathologiques des phobies


Les manifestations phobiques de l’enfance sont quasi-constantes au
cours du développement normal. D’ailleurs, l’absence de peurs ou de
manifestations phobiques, notamment pendant la période œdipienne,
peut avoir une signification pathologique ; le petit d’homme doit, en effet,
pouvoir extérioriser son angoisse infantile, en ayant peur de quelque
chose de réel, par exemple, afin d’en être soulagé. Si les peurs archaïques
traduisent l’insuffisance des possibilités de maîtrise de l’angoisse par l’en-
fant, les phobies vraies, quant à elle, sont le résultat de la mise en place de
défenses mentales (de type déplacement ou projection) pour lutter contre
l’angoisse liée aux inévitables conflits psychiques du développement,
comme le conflit œdipien. Certaines phobies très intenses, contraignantes
et envahissantes sont, par contre, le témoin d’une angoisse pathologique.
Si à l’origine de toute phobie infantile névrotique se trouve le refoulement
d’un contenu psychologique inacceptable à la conscience, s’y associent
toujours des bénéfices secondaires2.

d) Les manifestations obsessionnelles et les troubles


névrotiques de type obsessionnel
• Définition
Les conduites obsessionnelles, tant de l’adulte que de l’enfant, revêtent
deux aspects : un versant mentalisé et un autre agi. Les obsessions sont
des pensées, des sentiments, des représentations, des images, en désac-
cord avec la pensée consciente du sujet, qui s’imposent et assiègent son

1. Les phobies sociales de l’enfant s’intègrent davantage dans des troubles graves
de la personnalité, de type pathologies limite ou psychoses infantiles.
2. Dans le cas du petit Hans, l’enfant pouvait, ainsi, rester avec sa mère.

111
3 Le champ nosographique en psychopathologie infantile

esprit avec un sentiment de malaise anxieux. Les compulsions, quant à


elles, sont les actes que le sujet se sent contraint de réaliser, en dépit de
leur caractère absurde, pour apaiser son angoisse liée à ses obsessions.
Alors que chez l’enfant les rituels sont fréquents, les obsessions sont plus
rares.

• Approche clinique des conduites obsessionnelles


Il s’agit essentiellement de rituels obsessionnels qui, comme pour les
phobies, permettent de calmer l’angoisse de l’enfant. Ils sont souvent
banals et disparaissent avec le dépassement du conflit œdipien vers
7-8 ans ; en somme, ils ont une valeur maturative.
Chez certains enfants et en période de latence, certains rituels orga-
nisés notamment autour de la propreté persistent ; ils s’inscrivent souvent
dans un fonctionnement familial fortement obsessionnalisé et évoquent
une organisation obsessionnelle. Pour d’autres, les rituels obsessionnels,
visant à maintenir l’environnement immuable et permanent, représentent
des tentatives souvent vaines de contenir des pulsions vécues comme
dangereuses et destructrices et peuvent s’inscrire dans des organisations
psychotiques.

• Abord psychopathologique des manifestations obsessionnelles


Comme pour les phobies, il importe de repérer le niveau tant écono-
mique que dynamique auquel se situent les conduites obsessionnelles.
Depuis Freud, on sait que l’une des sources de l’organisation obsession-
nelle est représentée par une hypermaturité du moi* devant ses pulsions
inacceptables et inacceptées1 ; des mécanismes défensifs de type contrôle,
isolation et annulation, sont mis en place. Cette situation est prototypique
de la période de latence (maturation du moi*, exigences de socialisation
et moindre mouvements pulsionnels) pendant laquelle l’enfant développe
à minima des manifestations obsessionnelles (rangement de cartable, col-
lections diverses, etc.) imprégnées ou pas de traces de rejetons pulsionnels
(refus de se laver, désordre, etc.) (Ajuriaguerra & Marcelli, 1989).

1. Les pulsions, notamment libidinales, subissent alors une régression.

112
Le champ nosographique en psychopathologie infantile 3

e) Les syndromes conversifs et les troubles névrotiques


de type hystérique
• Les symptômes hystériques : les conversions
et les manifestations aiguës
Les syndromes conversifs infantiles peuvent apparaître pendant la
période œdipienne mais surtout de latence (entre 6 et 10 ans). Chez
l’enfant et pour des manifestations de nature diverse, le qualificatif
d’« hystérie » est abusivement utilisé. Il en va ainsi pour certains traits de
caractère comme la séduction ou le théâtralisme ou bien pour des épisodes
de troubles fonctionnels (douleurs abdominales, migraines, vertiges, etc.).
Les conduites de séduction permettent à l’enfant – surtout la fillette – de
lutter contre des angoisses propres à son développement psycho-affectif
ou aux changements de cadre familial (naissance d’un puîné, etc.) en
tentant de s’assurer de l’amour de ses parents ; les symptômes fonction-
nels, souvent transitoires et associés à des circonstances déclenchantes
repérables, permettent à l’enfant de résoudre un conflit familial ou sco-
laire en obtenant des bénéfices secondaires et en suscitant la sollicitude
parentale1. En fait, les conversions vraies sont rares chez l’enfant car leur
symbolique lui est rarement accessible ; leur diagnostic ne doit être posé
qu’après un bilan somatique complet.

• Les hypothèses psychopathologiques sur les conduites


hystériques infantiles
La nature hystérique, extrêmement rare, des troubles présentés par
l’enfant ne peut être évaluée qu’à partir d’une analyse psychopathologique
adaptée associant éventuellement entretiens cliniques – avec l’enfant et sa
famille – et tests projectifs.
Pour Ajuriaguerra (1970), la réaction de conversion infantile, permet-
tant à l’enfant de trouver des satisfactions inconscientes et conscientes,
survient à un moment de l’évolution de l’ambiance familiale et souvent
à point pour répondre aux désirs non exprimés des parents. D’un point
de vue psychodynamique, on s’intéressera au contenu des conflits émo-
tionnels et des fantasmes tant du point de vue de l’agressivité que de la

1. Il s’agit ici d’aménagements défensifs utilisant le corps, lieu de la relation privi-


légiée avec les parents.

113
3 Le champ nosographique en psychopathologie infantile

libido* (angoisse de castration*, de viol, intérêts génitaux refoulés, etc.), à


la nature de la relation objectale (conflit œdipien marqué, identifications*
typiquement perturbées, etc.), au développement psychosexuel (renonce-
ment total de l’enfant par peur) et à la configuration du moi* (inversion
passivité/activité, érotisation des relations non sexuelles, éclats émotion-
nels, dramatisation et théâtralisation).
Enfin, rappelons tout de même ici que le noyau de la névrose hystérique
de l’adulte se construit dans l’après-coup* de la phase de latence et corres-
pond au modèle de la névrose infantile1. En ce sens, écrit Lebovici (1985),
« l’hystérie dans les formes classiques n’appartient pas à la pathologie de
l’enfant. L’adolescent la construit et la révèle après-coup* ».

3.4 L’après-coup dans le champ de la psychanalyse de l’enfant


C’est la théorie de l’après-coup qui constitue la pierre d’achoppement
entre psychanalyse d’adultes et psychanalyse d’enfants ; certains pré-
tendent que l’enfant n’est pas encore dans l’après-coup. La théorie de la
séduction généralisée de Laplanche (1984, 1987) est fondamentale pour
penser l’émergence du sexuel dans le cadre de l’ontogenèse du sujet. Elle
permet par ailleurs de dépasser le dilemme entre la nature endogène ou
exogène de l’origine de la sexualité, et du traumatisme (réel ou imaginaire).
Cette théorie offre la possibilité de conserver la théorie du traumatisme en
deux temps, y compris dans les cas de traumatismes hyper-précoces dans
le champ de la psychiatrie et de la psychanalyse du très jeune enfant. Pour
Golse (2011), la construction de la pulsion se joue à deux, de manière
interrelationnelle, entre la mère et le bébé ; c’est l’implantation dans la
psyché de l’enfant des « messages énigmatiques inconscients », émis par
la mère à son propre insu, qui vont organiser ce que J. Laplanche désigne
alors sous le terme « d’objets-source » de la pulsion, en tant que messages
d’abord indécodables et en attente de traduction ultérieure. L’énigme est
liée à l’impuissance traductive de l’infans ; la séduction est associée à la
fascination qui s’attache toujours à cette situation d’impuissance, et donc
de passivité traductrice. « Les soins de la mère à l’enfant sont réels, mais ils
véhiculent toujours des messages à teneur fantasmatique sexuelle qui vont

1. C’est le travail de réélaboration mentale, la reconstruction fantasmatique du


passé qui donne une signification hystérique aux relations de l’enfant à ses images
parentales.

114
Le champ nosographique en psychopathologie infantile 3

venir greffer, de l’extérieur, dans le psychisme de l’enfant, les germes de


son organisation pulsionnelle seconde, lesquels, quoique internes, n’étant
ensuite activés que du dehors par la rencontre avec un nouvel événement
interactif plus tardif et désormais susceptible d’être traduit et métabo-
lisé, ce qui réactive alors la signification des premières inscriptions qui se
trouvaient là, encore comme en jachère » (Golse, op. cit.). Ici, le processus
traductif constitue la clef de voûte de ce modèle qui renvoie à la « situa-
tion anthropologique fondamentale », la rencontre entre l’adulte et le
bébé immanquablement réciproque et dissymétrique (Laplanche, 2002).
Laplanche insiste souvent sur la nécessité absolue de penser l’après-coup
comme une dynamique se jouant simultanément du passé vers le présent,
et du présent vers le passé ; l’enfant étant donc d’emblée dans l’après-coup.
Le passé des parents organise en partie le présent de leur enfant, mais, de
son côté, le présent de l’enfant réorganise le passé de ses parents1.

3.5 L’évolution et le(s) traitement(s) des enfants « névrosés »


Après avoir évalué le retentissement de la symptomatologie sur la vie
de l’enfant, on s’intéressera à son adaptation socio-scolaire, au caractère
invalidant ou non de ses manifestations symptomatiques et leur degré
de souplesse, et à la nature des mécanismes de défense prévalents et des
fantasmes inconscients sous-jacents.
Au niveau de l’évolution et dans certains cas, les troubles se résolvent
spontanément du fait de leur caractère maturatif ; la véritable névrose peut
se fixer à l’adolescence ou à l’âge adulte. Répétons par ailleurs qu’il n’y a
pas de continuité linéaire entre les troubles névrotiques infantiles et les
névroses de l’adulte.
Au niveau thérapeutique, les conduites à tenir sont diverses et dépendent
du diagnostic tant clinique que psychopathologique. Les indications de
prise en charge doivent être précises, posées après plusieurs rencontres de
l’enfant et de sa famille et surtout en fonction des capacités de ces derniers
à coopérer ; elles peuvent s’associer à différents paradigmes théoriques
(psychanalytique, comportementale, systémique, biologique, etc.).
On pourra proposer une psychothérapie psychanalytique de l’enfant
dans le cas d’une organisation névrotique avérée en faisant bien attention à

1. Cf. les processus de transmission intergénérationnelle, chapitre 1.

115
3 Le champ nosographique en psychopathologie infantile

prendre en compte également la famille (entretiens de soutien avec un autre


thérapeute), laquelle participe avec complicité consciente ou non à l’instal-
lation des troubles ; la psychomotricité, les prises en charge de groupe ou
le psychodrame pourront préparer à une prise en charge individuelle. Les
thérapies cognitivo-comportementales sont surtout utilisées pour les symp-
tomatologies phobo-obsessionnelles ; là, les méthodes visent la suppression
du symptôme1. Les thérapies familiales sont, quant à elles, peu proposées
dans le cadre des organisations névrotiques de l’enfant ; des entretiens avec
les parents peuvent suffire à les aider à supporter les changements de leur
enfant. Les traitements chimiothérapiques sont rarement prescrits et de
toute façon toujours après une évaluation fine de la situation ; ils peuvent
être utilisés lors d’épisodes d’angoisse majeure ou de troubles du sommeil
invalidants et persistants. Enfin, si les rééducations (orthophonie, etc.) ou
aides pédagogiques (soutien scolaire) sont fréquemment demandées par les
parents, leur pertinence n’est pas toujours évidente ; précisément, l’effet de
leurre est patent et si l’enfant améliore ses résultats scolaires, par exemple,
son angoisse demeure et peut se traduire différemment et de façon plus
sourde.

1. Ces thérapies ne donnent pas un sens aux troubles ni n’expliquent leur pourquoi
ou leur origine en s’attachant à leur valeur économique.
Conclusion

Cet état des lieux de la psychopathologie de l’enfant répondait au désir


précis de permettre à l’étudiant d’avoir une connaissance autant de la spé-
cificité de ce domaine que de son évolution eu égard aux changements de
la pratique clinique infantile et des théories psychologiques dominantes.
Pour ce faire, la perspective qui a guidé notre travail a toujours été double :
descriptive et interprétative. Envisager une approche clinique purement
descriptive (synchronique) sans considérer la clinique apte à historiciser
les troubles de l’enfant (diachronique), c’est-à-dire à les réinscrire dans le
fil d’une histoire personnelle, familiale et parfois même sociale ou cultu-
relle, servirait un clivage qui déjà nous menace. Ainsi, si la clinique se doit
d’être la plus finement descriptive que possible en regard du développe-
ment de l’enfant, comme nous le soulignons davantage dans cette nouvelle
édition, elle se doit aussi d’être interactive, c’est-à-dire de prendre d’abord
soigneusement en compte le vécu du praticien, et d’être historicisante. La
mise en récit des troubles n’est pas un luxe, c’est une nécessité absolue
car l’être humain est fondamentalement un être singulier de narration.
Si l’identité est d’abord narrative (Ricoeur), il n’y a pas de thérapeutique
digne de ce nom qui puisse faire l’économie de cette mise en récit de
la pathologie, sauf à amputer le sujet d’une dimension essentielle de lui-
même et à l’enfermer dans des modèles très réducteurs et simplificateurs.
D’où l’intérêt de mener conjointement ces deux types d’approche : syn-
chronique et diachronique. C’est là l’une des tâches prioritaires de la
psychanalyse que de savoir rappeler cette dimension fondamentale à la
réflexion actuelle en psychopathologie de l’enfant.
Aujourd’hui, les théories exprimées pour donner sens à la symptoma-
tologie infantile suscitent bien des débats, nous pensons en particulier
aux tenants d’une psychologie cognitivo-comportementale (voire neuro-
cognitive) et à ceux qui se prévalent du courant psychanalytique, le recen-
trage est nécessaire. En effet, l’objectif des spécialistes de l’enfance doit
avant tout porter sur la compréhension de l’enfant lui-même aux prises

117
Conclusion

avec sa souffrance psychique et dont l’effet attendu concerne autant l’apai-


sement de celle-ci que la poursuite d’un développement harmonieux. En
ce sens, l’intérêt n’est pas que le petit d’homme soit l’enjeu de conflits liés
à des positions souvent dogmatiques, l’aliénant parfois davantage, mais
celui de pouvoir lui faire bénéficier d’approches thérapeutiques, éventuel-
lement pluridisciplinaires, les plus adaptées à ses symptômes et surtout à
ses potentialités de changement et à celles de sa famille, et à ses ressources
internes.
L’évolution de la psychopathologie de l’enfant est aujourd’hui étroi-
tement liée aux phénomènes actuels de société, laquelle est en pleine
mutation. Ainsi, par exemple, la pratique clinique infantile évolue consi-
dérablement dans le champ des troubles des relations précoces (poten-
tiellement associés aux techniques contemporaines de procréation
médicalement assistée avec ses risques de grossesses pathologiques, voire
de mort in utero, et de grande prématurité du nourrisson), du comporte-
ment alimentaire (soulignons l’augmentation nette depuis une quinzaine
d’années du nombre d’enfants obèses), des troubles (psycho)somatiques
(eczéma, psoriasis, asthme, diabète, etc.), des troubles du comportement
(l’hyperkinésie, l’un des symptômes des troubles envahissants du déve-
loppement ou TED, mais aussi les phénomènes addictifs aux nouvelles
technologies numériques et au virtuel que la pandémie de la Covid-19
n’a pas arrangés1, les conduites hétéro-agressives avec des meurtres sur
mineurs réalisés par leurs pairs, ou encore le suicide, dont le taux chez les
moins de 25 ans s’accroît nettement), des troubles de l’humeur (citons le
véritable état dépressif de l’enfant de parents séparés ou divorcés soumis
à une constellation familiale complexe associant parents, beaux-parents,
demi-frères ou sœurs, ou bien encore l’état d’excitation du jeune abusé
sexuellement ou maltraité), ou encore les troubles dans le genre, etc.
Face à ces changements assez récents, la question du devenir de la psy-
chopathologie infantile reste entière et ne peut pas rester le seul apanage
des spécialistes de l’enfance. L’intérêt d’une réflexion « méta-sociétale »

1. Surexposition délétère aux écrans chez les tout-petits dans une visée calmante,
addiction aux technologies virtuelles avec risques de cyber-harcèlement et/ou
d’accès à des scènes hyper-violentes ou de pédo-pornographie pour des enfants ou
des pré-adolescents encore immatures, diagnostic psychopathologique (certes rare
et grave) du syndrome de Hikikomori (isolement, retrait à domicile, addiction au
virtuel) chez les adolescents (De Luca & Thoret, 2013), etc.

118
Conclusion

doit sensibiliser autant les pouvoirs publics que politiques tant dans le
soin à porter à l’enfant que dans la prévention de sa souffrance psychique
et de ses difficultés de développement. L’enjeu est immense puisqu’il s’agit
pour tous les partenaires soucieux de l’enfant et de sa famille de veiller à
ce que l’intérêt pour le petit d’homme ne soit pas rétréci à la prévention
de la délinquance. Dépister, prévenir humainement n’est pas réprimer.
Ainsi, la collaboration entre toutes les disciplines des sciences sociales et
humaines et les pouvoirs publics est aujourd’hui nécessaire pour renforcer
ce domaine d’étude et de clinique et lui permettre de conserver tant sa
singularité que sa raison d’exister.
Glossaire

Nous faisons le choix de ne mentionner ici que les termes importants cités
dans cet ouvrage afin d’en faciliter sa compréhension.

Angoisse de castration : elle correspond, chez le garçon, à une peur de se voir


châtrer par son père du fait de ses activités sexuelles et désirs œdipiens ;
chez la fille et devant la perception de son absence de pénis, il s’agit d’un
sentiment de préjudice qu’elle cherche à tout prix à nier, compenser ou
réparer.

Après-coup : remaniement ultérieur, à partir d’expériences nouvelles ou de


l’accès à un nouveau stade du développement psycho-affectif, d’expé-
riences ou traces mnésiques qui, ce faisant, peuvent acquérir un nouveau
sens et une efficacité psychique.

Ça : instance de la seconde topique* freudienne. Pôle pulsionnel de la per-


sonnalité obéissant au principe de plaisir*. Au niveau économique, le ça
est le réservoir de l’énergie psychique et entre, au niveau dynamique, en
conflit avec le moi* et le surmoi*.

Faux self : il est sous-tendu par un clivage du moi*. Le sujet maintient des
positions inconciliables sans qu’il y ait conflit interne, et développe, dans
certains secteurs, des aptitudes à la conformité qui font exister un lien
avec le réel à travers des rapports marqués par la soumission et le mimé-
tisme (Winnicott, 1964).

Fixation : persistance inaltérée dans l’inconscient d’expériences, d’imagos


et de fantasmes auxquels la pulsion reste liée ; la fixation peut engendrer
une régression.

Hallucination : perception sans objet à percevoir.

120
Glossaire

Idéal du moi : instance de toute-puissance inhérente à la toute-puissance


infantile puisant son modèle de référence du moi*, dans les imagos paren-
tales ou leurs substituts ; le sujet cherche à se conformer à ce qui constitue
un modèle pour lui.

Identification : processus inconscient à l’origine de la construction de l’iden-


tité de l’enfant qui consiste à assimiler une caractéristique de l’autre et se
transformer totalement (ou pas) selon ce modèle.

Image du corps : reflet de l’investissement libidinal par l’enfant des diffé-


rentes parties de son corps, lequel s’associe aux investissements objectaux
dont il bénéficie. Sa constitution est corrélative de l’accès au sentiment de
soi (le « self »).

Introjection : mécanisme psychique inconscient, considéré comme le pro-


totype de l’identification, qui consiste à introduire en soi et au niveau
fantasmatique un objet extérieur ou certaines de ses qualités.

Libido : terme, d’origine latine (désir), qui renvoie à l’énergie psychique des
pulsions sexuelles.

Métapsychologie : ensemble des processus psychiques (l’inconscient, les pul-


sions, les mécanismes de défense, etc.). La métapsychologie freudienne
décrit les processus mentaux selon les points de vue topique, dynamique
et économique.

Moi : instance de la seconde topique* freudienne considérée comme


consciente (adaptée à la réalité et chargée des intérêts de la totalité de
la personne) et comme inconsciente ; elle participe à la lutte contre l’an-
goisse liée aux conflits psychiques par la mise en place de mécanismes de
défense.

Moi-idéal : sentiment de toute-puissance, issu de la toute-puissance narcis-


sique infantile, qui témoigne d’une insuffisance dans le développement de
l’appareil mental.

Narcissisme : amour excessif porté à soi-même. Le narcissisme primaire (ou


anobjectal) correspond à une étape du développement infantile pendant

121
Glossaire

laquelle l’intérêt de l’enfant est uniquement centré sur lui ; la libido* est
alors narcissique ou auto-érotique. Soulignons que lorsque la libido*
porte sur un objet extérieur à soi, on parle de narcissisme secondaire (ou
objectal).

Phonème : plus petite unité de langage oral qui constitue les signifiants et
les distingue entre eux ; le français comprend 36 phonèmes (16 voyelles
et 20 consonnes).

Principe de plaisir : principe économique régissant le fonctionnement mental ;


il vise par les voies courtes à éviter le déplaisir et procurer du plaisir en
régulant le flux des excitations psychiques potentiellement génératrices
de tension.

Principe de réalité : autre principe régulateur qui vise la recherche de la satis-


faction, elle-même ajournée, en empruntant les détours liés aux condi-
tions imposées par le monde extérieur.

Processus primaire/secondaire : les deux modes de fonctionnement du psy-


chisme ; leur opposition est corrélative de celle entre les principes de
plaisir et de réalité.

Schéma corporel : représentation du corps fondé sur les données neurolo-


giques et sensorielles et leur intégration céphalique.

Sphincter : muscle annulaire qui se contracte et est situé autour d’un orifice
naturel qu’il ferme (sphincter anal, vaginal, etc.).

Surmoi : instance de la seconde topique* freudienne, héritière du complexe


d’Œdipe, dont le rôle est proche de celui d’un juge moïque ; le surmoi
résulte de l’intériorisation des interdits parentaux.

Topique : théorie de l’appareil mental qui le considère divisé en des espaces


qui fonctionnent de manière ordonnée et spécifique. S. Freud a proposé
deux topiques : la première (1900) distingue l’inconscient, le préconscient
et le conscient ; la seconde (1920) subdivise le psychisme en trois ins-
tances : le ça*, le moi* et le surmoi*.
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Dépôt légal : août 2020
Imprimé en France par la Nouvelle Imprimerie Laballery 58500 Clamecy

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