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Hélène Riazuelo

grandes
35 notions
de Périnatalité

Préface de
Sylvain Missonnier
Conseiller éditorial :
Cyrille Bouvet
Maquette de couverture :
www.atelier-du-livre.fr
(Caroline Joubert)

© Dunod, 2014
© Dunod,
5 rue Malakoff,
Laromiguière, 75005 2017
Paris
© Dunod, 2014
11 rue Paul Bert, 92240 Malakoff
www.dunod.com
5 rue Laromiguière,
www.dunod.com 75005 Paris
ISBN 978-2-10-070528-9
www.dunod.com
ISBN 978-2-10-076665-9
ISBN 978-2-10-070528-9
Table des matières

PRÉFACE 1

INTRODUCTION 7

CHAPITRE 1 LA GROSSESSE, SES REPRÉSENTATIONS FIGURÉES


ET LA PRISE EN CHARGE DE LA FEMME ENCEINTE
À TRAVERS LES SIÈCLES 15

1. Les représentations culturelles


du corps de la femme enceinte 17
1.1 Les représentations figurées 19
1.2 Au fil de l’histoire 20
1.3 Invariants : activation des fantasmes originaires 31
2. Les prises en charge de la femme enceinte
à travers les siècles 33
2.1 La grossesse et l’accouchement
dans les premiers temps de notre civilisation 33
2.2 XVIe siècle :
les débuts des grandes avancées
scientifiques dans le champ de la procréation 35
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

2.3 XVIIIe siècle : l’évolution des techniques obstétricales 36


2.4 Seconde moitié du XXe siècle :
le bouleversement des techniques médicales 38
3. Le déroulement de la prise en charge médicale
d’une femme enceinte de nos jours 40
3.1 Les examens systématiques 41
3.2 Les examens complémentaires 43
4. L’échographie 46
4.1 L’avancée des techniques médicales 47
4.2 Du côté des parents 48
IV 35 grandes notions de périnatalité

4.3 Échographie et pulsion scopique 52


5. Le suivi d’une femme enceinte
par une équipe pluridisciplinaire 55
5.1 Préparation à la naissance 55
5.2 L’accouchement proprement dit 58
5.3 Le congé parental 60

CHAPITRE 2 LE TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA GROSSESSE 63

6. La temporalité de la grossesse 65
6.1 L’accueil du nouveau : cet étranger-familier 66
6.2 L’enfant et ses annexes fœtales 68
6.3 L’attente 69
7. Les remaniements psychiques de la grossesse 71
7.1 La « préoccupation maternelle primaire » 72
7.2 Les observations en période pré et postnatale 73
7.3 « La crise de la maternalité » 75
7.4 « Une crise normale » 76
7.5 La « transparence psychique » 76
7.6 « Un état passionnel » 77
8. Les désirs et fantasmes au cours de la grossesse 79
8.1 Les désirs infantiles 80
8.2 Les désirs au féminin 83
8.3 Les désirs de grossesse, de maternité et d’enfant 86
9. La grossesse au masculin 91
9.1 Rites de couvade et couvade psychosomatique 94
9.2 Les représentations et fantasmes des pères 97
Table des matières V

10. Transmission de la vie 104


10.1 Le don et la dette 105
10.2 Transmissions de mère à fille 107
10.3 Transmission du côté des pères 108
11. Le berceau psychique
des représentations parentales 111
11.1 Représentation anticipatrice 112
11.2 L’évolution des représentations
au cours de la grossesse 115
11.3 Le bébé imaginé 117
11.4 Articulation entre l’univers sensoriel
et l’univers représentationnel 121
12. Du bébé imaginé aux premiers liens 126
12.1 Des liens se tissent dès la grossesse 126
12.2 Des exemples de recherches en pré
et postnatal 130
12.3 Répercussions sur les prises en charge
psychothérapeutiques 135
13. Les nouvelles maternités médicalement assistées 140
13.1 Un point sur l’Assistance Médicale à la Procréation 140
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13.2 La conception hors sexualité 143


14. Processus de parentalisation 145
14.1 La parenté 145
14.2 La parentalité 146
15. L’accouchement 149
VI 35 grandes notions de périnatalité

CHAPITRE 3 LA CONSTRUCTION DES LIENS DANS LA FAMILLE 153

16. Transmission psychique 155


16.1 Les fantômes… 156
16.2 La transmission entre générations 157
17. L’arrivée du bébé 159
17.1 La fonction de pare excitation 160
17.2 Un bébé néotène 161
17.3 « Bébé agi, bébé actif » 163
18. Construction des liens familiaux 164
18.1 Fonction tiers 165
18.2 De la théorie de l’attachement
à la pulsion d’attachement 166
18.3 Les interactions 167
19. La fratrie 170
19.1 Les relations fraternelles 171
19.2 La naissance d’une fratrie 174
20. Grossesse et constellations 180
20.1 La « constellation maternelle » de D. Stern 180
20.2 Une constellation paternelle 183
20.3 La « matrice de soutien » dans nos sociétés… 183
21. Les changements
dans la famille d’aujourd’hui 185
21.1 La grossesse choisie 185
21.2 La famille de nos jours :
une famille plurielle 187
22. Familles venues d’ailleurs 191
Table des matières VII

CHAPITRE 4 SOUFFRANCES PSYCHIQUES AUTOUR DE LA NAISSANCE 195

23. L’IVG – Interruption Volontaire de Grossesse 197


23.1 « Tomber enceinte » 198
23.2 Une IVG passée… 200
24. Grossesses de futures mères adolescentes 201
24.1 Des grossesses à l’adolescence 202
24.2 Au niveau métapsychologique 205
25. Quand l’enfant n’arrive pas… 207
25.1 Un enfant conçu artificiellement 207
25.2 L’adoption 209
25.3 La question de la filiation 210
26. Déni, négations de grossesse 212
27. Le deuil périnatal 215
28. La dépression du pré et du post-partum 218
28.1 Les dépressions 219
28.2 Du côté du bébé 221
29. Psychoses puerpérales 224
29.1 Le processus de maternalité
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chez les femmes psychotiques 225


29.2 Une mère psychotique et son nouveau-né 227
30. Carences dans les familles 229
31. Grossesses et accouchements traumatiques 232
32. Grossesses et maladies graves 235
32.1 Le poids du somatique 237
32.2 Le bébé fantasmatique 238
32.3 La question de la dépendance 239
VIII 35 grandes notions de périnatalité

33. Grossesses et handicaps 241


33.1 Devenir parent en situation de handicap 243
33.2 Donner naissance à un enfant porteur
d’un handicap 244
34. L’arrivée d’un enfant né prématurément
et hospitalisé 246
34.1 Une arrivée « chahutée » : la prématurité 248
34.2 Du côté des parents 250
35. Consultations périnatales et travail en réseau 251
35.1 La prévention 252
35.2 Travail en réseau 253
35.3 Les pratiques psychothérapeutiques
auprès du bébé et de sa famille 254

INDEX DES NOTIONS 259


Préface1

Quelle grande satisfaction de découvrir l’ouvrage 35 grandes


notions de périnatalité d’Hélène Riazuelo !
D’abord, car c’est à l’évidence un remarquable outil qui
va permettre aux étudiants d’entrer de plein pied dans les
méandres complexes du terrain périnatal en bénéficiant d’un
guide généreux, éclairant et structurant.
Ensuite, car les clefs de l’histoire des représentations et des
pratiques viennent y donner au fil des pages la profondeur de
champ qui permet de comprendre la genèse et les enjeux des
débats théorico-cliniques actuels et des pratiques d’aujourd’hui.
Enfin, car je mesure avec bonheur combien cette publication
témoigne du chemin parcouru dans l’enseignement médico-
psycho-social de la périnatalité en France ces trente dernières
années. A l’instar des autres âges de la vie (l’enfance, l’adoles-
cence, l’adulte, la personne âgée), la périnatalité (le devenir
parent, le naître humain et l’être soignant) a conquis en trois
décennies dans l’Hexagone une authentique reconnaissance à
l’Université et dans les institutions de formation.
Au départ, ce sont les Diplômes Universitaires (DU) en
médecine qui ont ouvert la voie dans le cadre de la formation
permanente pour des professionnels mais ce sont maintenant
aussi, et tant mieux, des enseignements dès les cursus acadé-
miques de formation initiale qui proposent une découverte de
la périnatalité.
Désormais, des étudiants en médecine, en psychologie,
en maïeutique, en puériculture, en soins infirmiers… vont

1. Par Sylvain Missonnier, professeur de psychologie clinique de la péri-


natalité à l’Université Paris-Descartes-Sorbonne Paris Cité, psychanalyste
SPP, directeur du laboratoire PCPP (EA 4056), co-président de l’IVSO.
2 35 grandes notions de périnatalité

pouvoir s’initier à la psychologie clinique de la périnatalité.


Et, dans cet apprivoisement, ils vont pouvoir s’appuyer sur cet
ouvrage clair et concis alors qu’il fallait autrefois passer bien
du temps en bibliothèque et plus récemment sur Internet pour
réunir les différentes pièces du puzzle.
L’opportunité que me donne Hélène Riazuelo de rédiger
cette préface est aussi simultanément source de souvenirs et,
après-coup, d’intuitions confirmées. Dans les années 2005 à
l’Université Paris Nanterre (maintenant Université Paris Ouest-
Nanterre La Défense), j’étais un maître de conférences avec un
pied dans la recherche clinique à la Maternité et au Camsp,
et un pied sur le campus où je défendais opiniâtrement la
pertinence d’un enseignement de la périnatalité. Dans cette
militance, je trouvais auprès du Pr Dominique Cupa qui diri-
geait le laboratoire du Lasi (laboratoire de psychopathologie
psychanalytique des Atteintes Somatiques et Identitaires ;
aujourd’hui EA 4430 CLIPSYD) une précieuse alliée. Elle était
elle-même engagée dans des travaux sur la parentalité et nous
partagions tous les deux une filiation amicale et scientifique
avec le Pr Serge Lebovici, pionnier si créatif et inspirant en
ce domaine au sein de la WAIMH France1. Dans ce contexte
favorable, le suivi de la jeune thésarde Hélène Riazuelo était
pour sa directrice de thèse (le Pr D. Cupa) comme pour son
tuteur (moi !) source de débats enrichissants et de gratification.
La thèse finalisée (Anthropologie et psychanalyse de la gros-
sesse. Représentations maternelles au cours d’une première et
d’une deuxième grossesses, 2007) reste pour moi un modèle
de ce qu’il est possible d’envisager avec cet exercice dont la
caractéristique initiatique n’est autre que de marquer son origi-
nalité tout en s’enracinant dans son territoire épistémologique
d’origine.

1. http://www.psynem.org/Hebergement/Waimh_France
Préface 3

Outre une remarquable iconographie qui trahissait l’an-


cienne étudiante en histoire de l’art, la thèse d’Hélène Riazuelo
reste aujourd’hui toujours très pertinente pour au moins deux
raisons.
D’une part, on trouve dans ce travail le recours à un outil
original et sous-estimé : le dessin du fœtus par les mères
enceintes qui se révèle être d’une grande portée heuristique.
D’autre part, on découvre grâce à cette thèse qui explorait les
représentations maternelles au cours d’une première et d’une
deuxième grossesse, qu’une grande majorité des travaux de
la littérature en psychopathologie périnatale a résolument
manqué la distinction entre processus biopsychique de la
première et de la deuxième grossesses. L’énormité du biais
induit par cette méprise et l’ampleur de sa prise de conscience
dans notre communauté scientifique sont à la mesure de
l’acuité dont Hélène Riazuelo a fait preuve à l’époque. Cette
entrée en matière était fort prometteuse et le parcours clinique,
universitaire et, avec ce livre, éditorial, d’Hélène Riazuelo
confirme bien ces espérances inaugurales.
Je voudrai finaliser mon propos en abordant deux questions,
à mon sens fondamentales pour la clinique de la périnata-
lité. La première est épistémologique, la seconde inhérente au
terrain mais les deux sont étroitement liées.
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Á l’évidence, Hélène Riazuelo, psychologue clinicienne et


psychanalyste, se réfère tout au long de cet ouvrage à une
psychopathologie psychodynamique convaincante qui s’ins-
crit dans une riche filiation qui va d’Hélène Deutsch à Monique
Bydlowski. Elle le fait à la fois avec rigueur et sans dogmatisme.
C’est la portée heuristique de ce référentiel théorique sécrétée
par la confrontation de la psychanalyse à la clinique périnatale
que j’aimerai mettre en exergue ici.
De fait, à une époque où la psychanalyse est souvent objet
de polémiques idéologiques (et pas suffisamment de véritables
débats cliniques !), je crois qu’une des meilleures illustrations
4 35 grandes notions de périnatalité

de sa créativité à l’œuvre, c’est justement la reconnaissance des


vertus cliniques et institutionnelles de son immersion dans des
situations périlleuses et théoriquement déstabilisantes. Ce fut
autrefois le cas avec les psychoses, les adolescents, la famille,
les groupes et les institutions, les états limites, les personnes
âgées, les situations extrêmes…, et, aujourd’hui notamment,
avec la périnatalité.
C’est bien en effet dans le déséquilibre de la psychanalyse
sans divan que la vieille dame métapsychologie témoigne de
la longévité de son énergie créatrice. En périnatalité où les
spécialistes du soma et de la psyché dialoguent sur des sujets
novateurs où s’entremêlent facteurs cliniques, éthiques, juri-
dique, politiques, anthropologiques, le laboratoire est dans
cette perspective des plus stimulant !
Pour autant, et c’est là ma deuxième interrogation, la
psychologie clinique qui s’inspire de cette psychanalyse mise
à l’épreuve par la périnatalité, est-elle le domaine réservé des
« psys », des initiés ?
Je crois et défends tout l’inverse. Dans des conditions favorables
d’une collaboration pérenne et réciproquement respectueuse
entre spécialistes du corps et de la psyché, le dommageable
et persistant clivage de la médecine occidentale peut enfin
progressivement laisser la place à une interface collective
vivante car co-créée. Cette dernière ne correspond pas à un
espace aconflictuel, suspect car idéalisée, mais bien à un lieu
de tensions propices à d’incessants débats réflexifs, jamais défi-
nitivement conclus.
Prenons un exemple : l’hémorragie de la délivrance, une
pathologie obstétricale redoutable qui fait frémir les profes-
sionnels, tue chaque année des parturientes et conduit des
« psychistes » au chevet des femmes « sauvées » mais peu ou
prou redoutablement effractées dans leur corps et leur âme…
sans oublier leur conjoint et les membres de la famille eux
aussi soumis à rude épreuve.
Préface 5

Pour ma part, dans ce cas précis comme dans tous les autres,
les objectifs d’une psychologie clinique de la périnatalité ne
devrait plus relever du monopole exclusif de « psys sachants »
éclairant de leur lumière des soignants et des soignés passivés.
Non, son but prioritaire devrait être de favoriser un cadre en
faveur d’une co-construction commune active entre soignants
(somaticiens et psychistes) et soignés.
En d’autres termes, au-delà des frontières classiques entre
un bon chapitre sur les hémorragies de la délivrance écrit par
un obstétricien, un autre écrit par un « psy » et un troisième
signé par une « usagère rescapée », le chantier d’un chapitre
co-écrit par les trois acteurs principaux méritent d’être envisagé
comme l’avenir le plus souhaitable d’une psychologie clinique
périnatale de demain, véritablement transdisciplinaire.
Bien sûr, cet objectif est encore seulement une étoile dans
le ciel de la périnatalité, et force est de constater combien les
institutions, les libéraux et les acteurs des réseaux de soins ont
encore fort à faire pour aller dans cette direction…
Et justement, dans cette perspective, l’ouvrage de Hélène
Riazuelo va jouer un rôle important. Profond sans jamais être
jargonnant, pétri d’une expérience de collaboration, il va
permettre aux « somaticiens » et aux « psys » déjà sur le terrain
de bénéficier d’un territoire commun pour échanger et aux
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étudiants de divers métiers de la périnatalité de construire plus


avant un espace de transitionnalité propice à une psychologie
clinique véritablement transversale.
C’est tout l’avenir que je souhaite, avec confiance, à cet
ouvrage d’Hélène Riazuelo.
Introduction

« Seules les traces font rêver »


René Char, La Parole en archipel,
Paris, Gallimard, Poésie, 1962, p. 153.

Il y a peu, lors d’un reportage télévisuel, on a pu voir une


jeune journaliste assise près d’un enfant, un petit garçon d’en-
viron sept ans à la peau couleur soleil et aux yeux rieurs. Ils
étaient tous les deux au pied d’un temple bouddhiste, là-bas
au Tibet. Voici leur conversation : « Quel âge as-tu ? », demande
la jeune femme. Le petit garçon répond très fièrement :
« Huit ans. » À sa réponse, la journaliste semble ennuyée, elle
rouvre son cahier, consulte ses notes puis commence à expli-
quer au petit garçon qu’il ne peut pas avoir huit ans puisqu’il
est né en 2009 (d’après ses parents) et qu’ils étaient en 2016.
Elle lui montre alors en comptant sur ses doigts qu’il a bien
sept ans. Le petit garçon fronce les sourcils et dit un peu impa-
tienté : « Je sais compter… j’ai huit ans… maman m’a dit que
j’ai été fait l’année où… » À ce moment-là, la journaliste sourit.
Elle s’est rappelé qu’au Tibet, on compte presque une année de
plus que nous occidentaux, puisqu’est incluse la période de la
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vie intra-utérine. Pour un Tibétain, la vie ne commence pas au


jour de sa naissance mais au jour de sa conception.
Commencer par cette anecdote va dans le sens de ce qu’avan-
çait déjà S. Freud : il n’existerait pas de véritable césure entre
avant et après la naissance. Il écrit en 1926 dans Inhibition,
symptôme et angoisse que « vie intra-utérine et première enfance
sont bien plus un continuum que la césure frappante de l’acte
de naissance ne nous le laisse croire » (1926, p. 52). Il s’agit de
considérer le temps d’avant la naissance comme faisant partie
de l’histoire d’un sujet. Les parents raconteront à l’enfant plus
tard qu’il est né à telle saison, à tel moment de la vie de la
8 35 grandes notions de périnatalité

famille, etc. : il s’agit de sa pré-histoire. S. Missonnier parle


d’un premier chapitre qui participe à écrire les débuts de la vie
et l’histoire d’un sujet.
De par son étymologie, du grec péri, « autour de », et natal,
naissance, le « périnatal » se rapporte à ce qui entoure la nais-
sance. D’emblée, cela désigne une pratique qui s’occupe de
la naissance et à proprement parler de la mise au monde.
Cela souligne également l’idée d’une continuité entre la vie
intra-utérine et la vie extra-utérine. Et dans le champ de la
psychologie et de la psychanalyse, une continuité de la vie
psychique. La période périnatale couvre donc de la conception
de l’enfant jusqu’à ses trente mois environ.
Dans le champ de la psychologie et de la psychanalyse,
sous le terme de périnatalité s’entendent la grossesse, l’accou-
chement et la mise en place des premiers liens ainsi que les
processus de parentalisation avec les désirs, les fantasmes, les
rêves et les rêveries qui les accompagnent. Il s’agit également de
prévenir autant qu’il est possible les dysfonctionnements qui
peuvent exister dans la mise en place des liens entre le père, la
mère et l’enfant mais aussi au sein d’une fratrie quand d’autres
enfants sont déjà nés. La notion de famille et sa construction
revêtent ainsi toute leur importance.
Il est question également de ce qui peut venir perturber
le développement psychoaffectif du nourrisson né au sein
d’une famille confrontée à des difficultés qui se répètent, qui
s’installent dans le temps et de façon plus ou moins grave. Les
difficultés peuvent se situer à différents niveaux, socio-écono-
miques, somatiques, psychiques, etc., les uns pouvant bien
avoir une incidence sur les autres. Il s’agit en effet de consi-
dérer la personne dans toute sa globalité. Ajoutons que nous
considérons le bébé comme un sujet, au sens psychanalytique
du terme, à part entière. « Aujourd’hui, le manque de parole de
l’infans ne suffit plus à le définir. On lui connaît en effet des
savoirs qui ne sont ni ceux de l’enfant plus grand ni ceux de
Introduction 9

l’adulte. (…) De nos jours, il désigne plutôt le petit d’homme


de la naissance à l’organisation des limites corporelles qui
le distinguent du non-soi » (Boubli, 2014, en Introduction du
bébé en psychanalyse, p. 1). On considère le fœtus dans ce
même respect d’un continuum autour du bébé avant et après
sa naissance, ce bébé d’avant la naissance qui grandit dans
son monde thalassal (en référence à S. Ferenczi puis plus
récemment au travail de M. Soulé ainsi qu’aux auteurs qui
s’inscrivent dans sa filiation).
Mieux appréhender l’univers représentationnel des futurs
parents permet de mieux percevoir ce qui se met en place au
cours de la grossesse et ce qui viendra influencer la mise en
place des liens précoces, notamment à des fins préventives.
Proposer des espaces pour élaborer l’ensemble des remanie-
ments psychiques et identitaires que vivent pères et mères
au cours de la grossesse, proposer un lieu d’accueil aux bébés,
aux mères, aux pères en difficulté, voire en détresse sont les
principaux objectifs des prises en charge parents-enfants.
Ainsi, au cours de la périnatalité, s’établissent les liens
précoces entre le bébé et son environnement adulte, liens
considérés comme essentiels pour le bien-être psychique de
l’enfant. N’oublions pas que pour le tout-petit dont le Moi
est encore immature : « il y a l’expérience du monde et de
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soi-même dans un espace commun. Le « soi » émerge dans la


rencontre avec l’objet. L’illusion primaire est fondatrice et,
dans sa continuité, la représentation peut alors se former. La
représentation implique d’abord l’expérience de satisfaction
liée à l’objet, et ensuite l’absence de l’objet ; c’est une exigence
de la psyché que de maintenir le lien avec la permanence de ses
investissements » (Anzieu, 2003, p. 24). Les successions trans-
formationnelles dans ce passage du corporel au psychique ne
se font que dans le lien à l’autre.
C’est dans le lien à l’autre que le bébé pourra commencer
à percevoir un rythme, un tempo, à s’accorder (au sens de
10 35 grandes notions de périnatalité

Stern, 1989), à ressentir puis progressivement à se représenter.


P. Denis souligne d’ailleurs que : « La pensée magique est consi-
dérée par de nombreux anthropologues, depuis James George
Frazer, comme la première forme de la pensée humaine. Le
savoir devrait alors se dégager des formes primitives de pensée,
magique ou religieuse. Le rôle direct ou indirect du père et le
rôle qui lui est attribué par l’enfant lui-même sont fondamen-
taux dans le développement des processus de pensée soumis au
principe de réalité et qui conduisent à l’acquisition du savoir.
M. Fain fait volontiers remarquer que, pour l’enfant, la langue
de la mère est en fait la langue parlée par l’enfant comprise par la
mère, alors que la langue maternelle1, au sens ordinaire du terme,
est en fait la langue paternelle… » (2013, p. 147). Nous souli-
gnons en effet d’emblée l’importance de la fonction du tiers.
L’ouvrage que nous proposons entend aborder les processus
psychiques de chacun des protagonistes concernés par la
périnatalité, ainsi que la dynamique familiale susceptible d’en-
tourer une naissance. Il s’agit d’aborder les grandes notions
et les concepts de base en une introduction à la psychologie
clinique et psychopathologie de la périnatalité qui pourra
donner, nous l’espérons, des indications précises, des envies
d’aller lire d’autres textes (de nombreuses références jalonnent
les différents chapitres) pour approfondir ce champ passion-
nant, mais surtout donner l’envie d’aller à la rencontre de cette
clinique si riche.
Arrêtons-nous un instant sur un texte de J.-B. Pontalis, La
Traversée des ombres (2003). Toute personne ayant travaillé
en obstétrique et en maternité comprend d’emblée ce que
fait résonner ce titre, qui évoque les Fantômes dans la nursery
de Fraiberg (1989) ainsi que les fées ou les djinns, selon les
cultures, qui se penchent sur les berceaux. Ces ombres issues
du roman familial et de l’enveloppe culturelle (au sens de

1. Souligné par l’auteur.


Introduction 11

D. Anzieu) gravitent tout particulièrement au moment de


la naissance comme si elles y étaient convoquées. Dès 1975,
P. Aulagnier souligne que le discours qui préexiste à la nais-
sance du sujet est une « sorte d’ombre parlée et supposée » par
la mère (au-delà de l’ombre portée car on considère égale-
ment les mouvements intrapsychiques maternels), c’est-à-dire
« un ensemble de projections maternelles qui vient en place
de l’enfant » (1975, p. 135). Une ombre encore… Elle ajoute
que « ce que nous appelons l’ombre est donc constitué par
une série d’énoncés témoins du souhait maternel concernant
l’enfant ; ils aboutissent à une image identificatoire qui anti-
cipe sur ce qu’énoncera la voix de ce corps, pour le moment
absente » (1975, p. 140). ) Avant même sa naissance, le bébé est
imaginé, imaginaire (S. Freud, S. Lebovici, M. Soulé, D. Cupa,
se reporter aux notions des chapitres 1 et 2), appartenant au
monde préprimaire de la psyché maternelle et esquissé dans le
regard de la mère (Winnicott, 1971 ; Anzieu, 1981).
Cette métaphore de l’ombre, Freud lui-même y fait plusieurs
fois référence, notamment, dans L’Inquiétante étrangeté, où
il reprend les travaux d’O. Rank (1924) : « serait unheimlich
(…) tout ce qui, dans les personnes et les choses, dans les
impressions sensorielles, les expériences vécues et les situa-
tions, éveille en nous le sentiment de l’inquiétante étrangeté,
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et inférer le caractère voilé de celui-ci à partir d’un élément


commun à tous les cas. (…) L’inquiétante étrangeté est cette
variété particulière de l’effrayant qui remonte au depuis long-
temps connu, depuis longtemps familier » (1919, p. 215). Il
ajoute plus loin : « serait unheimlich tout ce qui devait rester
un secret, dans l’ombre, et qui en est sorti » (1919, p. 222).
L’enfant à naître porte cet antagonisme du familier et de l’in-
connu, de l’étrange étant invisible1 mais ressenti et maintenu
secret en ce lieu écarté et mystérieux qu’est le corps féminin.

1. Pour une part si l’on tient compte du « regard » médical de nos jours.
12 35 grandes notions de périnatalité

Ombres… qui peuvent aussi renvoyer au moment si parti-


culier de la levée du jour, enveloppé dans la brume de l’aube
entre ombres et lumières. Cette atmosphère-là est perceptible
dans les couloirs d’une maternité chargée de renouveau, de
commencement avec sa part d’originaire. Il y a aussi ce qui
se fait dans l’intimité de l’ombre, les secrets d’alcôve, l’un
et l’autre renvoyant aux fantasmes originaires. Cela amène
aussi à toute une série de travaux, très actuels, tournés vers
les origines (cela renvoie aussi à la construction du Moi que
nous ne pourrons que brièvement aborder et qui est un champ
important actuellement) comme pouvait, par exemple, en
parler L. Abensour dans L’Ombre du maternel (Aisenstein et
Garon, 2013, p. 31). Elle se questionnait, à partir des œuvres
d’Antonin Artaud notamment, sur cette notion de « se sentir
dans son être », de « se sentir une ombre à soi-même et aux autres,
une ombre entre vie et mort. Comment en être autrement quand
il faut à chaque instant surmonter les failles, les atteintes, les
ruptures ? » (2013, p. 169).
L’ombre n’est-elle pas aussi un avant-coureur de ce qui glace,
de ce qui ne peut se penser, destructif et de la mort elle-même ?
L’« ombre de la perte » (Chaudoye, 2014)…
Dans les services de médecine, notamment en gynécologie
et en maternité, il faut aussi avancer là où cela s’assombrit,
dans des lieux qui paradoxalement mettent en pleine lumière
la réalité de ce que nous sommes, confrontés à l’impuissance
et à notre propre finitude. Il s’agit d’une « clinique du réel »
(Raimbault, 1982), d’une clinique du trauma et de la perte. La
métaphore de l’ombre revient encore chez S. Freud dans Deuil
et mélancolie (1915) avec cette courte phrase éloquente, quasi
violente, évoquant la douleur du mélancolique : « L’ombre de
l’objet est ainsi tombée sur le Moi » (p. 156).

1. 71e Congrès de Psychanalyse de Langue Française (CPLF) en 2011


consacré au maternel (RFP, 2011, n° 5).
Introduction 13

Ainsi cet ouvrage ouvre-t-il sur ce champ de la périnatalité


en posant les premiers jalons théoriques pour mieux l’appré-
hender et s’ancre-t-il d’emblée dans la clinique où, vous l’aurez
compris, coexistent tout particulièrement la naissance, la vie
mais aussi parfois la mort.
J’ai pu, pour ma part, franchir ces premiers jalons auprès
de nombreuses personnes citées plus haut. Merci à eux… et
merci tout particulièrement à Dominique Cupa et à Sylvain
Missonnier.

Pour aller plus loin


Aisenstein, M. et Garon, J. (2013). Liliane Abensour. L’ombre du
maternel. Paris : Presses universitaires de France.
Anzieu, D. (1981). Le Corps de l’œuvre. Paris : Gallimard, NRF.
Anzieu-Premmereur C. et Pollak-Cornillot A. (2003). Les Pratiques
psychanalytiques auprès des bébés. Paris : Dunod.
Aulagnier, P. (1975). La Violence de l’interprétation. Du pictogramme
à l’énoncé (5e édition, 1995). Paris : PUF.
Boubli M. et L. Danon-Boileau (2014). Le Bébé en psychanalyse. Paris :
PUF, Monographies et débats de psychanalyse.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Chaudoye, G. (2014). L’ombre de la perte, l’empreinte de l’absence.


Revue Française de Psychanalyse, LXVIII (3), 862-872.
Cupa-Pérard, D. et al. (1992). Bébé imaginé et interactions précoces.
Devenir, (4) 2, 47-60.
Denis, P. (1997). Emprise et satisfaction. Les deux formants de la
pulsion. Paris : Presses universitaires de France.
Ferenczi, S. (1924). Thalassa (éd. 1992). Paris : Payot (coll. Petite
Bibliothèque).
Fraiberg S. (1989). Fantômes dans la chambre d’enfants (éd. 1999).
Paris : PUF.
14 35 grandes notions de périnatalité

Freud, S. (1915). Deuil et mélancolie, Métapsychologie (p. 145-171).


Paris : Folio Essais.
Freud, S. (1919). L’Inquiétante étrangeté et autres essais (1985,
1re éd.). Paris : Gallimard.
Freud, S. (1920). Au-delà du principe de plaisir. Essais de psychanalyse
(éd. 1981, p. 41-116). Paris : Petite Bibliothèque Payot.
Freud S. (1926). Symptôme, inhibition et angoisse. Paris : PUF, collec-
tion Quadrige, 1993.
Missonnier, S. (2007). Le premier chapitre de la vie ? Nidification
fœtale et nidification parentale. La Psychiatrie de l’enfant, 1 (50),
61-80.
Pontalis, J.-B. (2003). La Traversée des ombres. Paris : Gallimard,
Folio.
Raimbault G. (1982). Clinique du réel. La psychanalyse et les frontières
du médical. Paris : Seuil.
Rank O. (1924). Le Traumatisme de la naissance. Paris : Payot
(coll. Petite Bibliothèque), 2002.
Soulé, M. (1983). L’enfant dans sa tête – L’enfant imaginaire. La
Dynamique du nourrisson ou quoi de neuf bébé ? Paris : ESF (coll. La
vie de l’enfant), p. 137-175.
Soulé, M., Gourand, L., Missonnier, S. et Soubieux, M.-J. (1999).
Écoute voir… l’échographie de la grossesse. Ramonville Saint-Agne :
Érès, collection À l’aube de la vie.
Stern, D. N. (1989). Le Monde interpersonnel du nourrisson. Paris :
PUF, collection Le Fil rouge.
Winnicott, D.-W. (1971). Le rôle de miroir de la mère et de la famille
dans le développement de l’enfant, Jeu et Réalité (éd. 1975,
p. 203-214). Paris : Gallimard, Folio Essais.
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LA GROSSESSE,
SES REPRÉSENTATIONS
FIGURÉES ET LA PRISE
EN CHARGE DE LA
FEMME ENCEINTE
À TRAVERS LES SIÈCLES
aire
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S o m

1. Les représentations culturelles


du corps de la femme enceinte .............................. 17
2. Les prises en charge de la femme enceinte
à travers les siècles ................................................. 33
3. Le déroulement de la prise en charge médicale
d’une femme enceinte de nos jours ...................... 40
4. L’échographie.......................................................... 46
5. Le suivi d’une femme enceinte
par une équipe pluridisciplinaire ........................... 55
Dans ce premier chapitre, il s’agira de mieux se représenter
comment la femme enceinte a été et est, aujourd’hui, prise
en charge ainsi que le futur père. Une prise en charge qui a
profondément évolué ces dernières décennies tant au niveau de
l’avancée des techniques elles-mêmes que des différents acteurs.
Quant aux représentations sociétales et notamment figurées
de la femme enceinte et de la grossesse, mieux comprendre
comment nous les percevons collectivement permet aussi de
mieux comprendre ce qui enveloppe culturellement la femme
enceinte. On ne saurait envisager l’enfant à naître et ce qui se
tisse dans la psyché de la future mère comme du futur père sans
prendre en compte l’influence du contexte environnemental et
culturel. Les représentations de la grossesse se construisent en
permanence à partir d’une histoire personnelle, mais également
à partir d’éléments culturels, sociaux ou encore en fonction de
l’avancée d’un savoir médical et notamment obstétrical. À notre
époque par exemple, l’imagerie médicale a une incidence sur
la façon dont les futurs parents imaginent leur enfant à naître.
Il s’agit alors de s’intéresser à l’environnement du fœtus, à ce
qui lui préexiste dans la psyché maternelle puis à l’environne-
ment de la mère, avec l’idée de départ que la femme enceinte
imagine, rêve à cet enfant qui grandit en elle et prépare un
premier berceau constitué par ses représentations, par ses rêves.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Elle prépare un berceau imaginaire qui accueillera l’enfant à


sa naissance ou, en d’autres termes, les représentations mater-
nelles ; le bébé imaginé serait un premier contenant psychique.

1. Les représentations culturelles


du corps de la femme enceinte

Les représentations individuelles de la grossesse (à un


niveau intrapsychique) se construisent à partir d’une histoire
18 35 grandes notions de périnatalité

personnelle, qui entre en résonance avec les représentations


culturelles et sociétales de chacun. De nos jours à la télévi-
sion, dans des films, des magazines, nos regards croisent des
images de fœtus.
Le corps de la femme enceinte a de tout temps inspiré, mais
représenter la grossesse n’a pas toujours été une évidence ;
la femme et/ou son corps donnant la vie ont donné lieu à
des représentations figurées (les exemples ci-dessous sont
essentiellement iconographiques mais il en existe aussi dans
la sculpture, la littérature, le septième art) reflétant les repré-
sentations culturelles d’une société donnée, tentant de le
maîtriser, de le décortiquer, de le magnifier et souvent de
l’idéaliser, voire de le sacraliser. Les aspects plus complexes
de la grossesse comme les peurs, les angoisses, les défaillances
ou encore l’ambivalence maternelle sont plus difficilement
représentables et dérangent encore de nos jours, n’allant pas
toujours dans le sens d’un consensus social : cette complexité
même reste à explorer.
Il y a ainsi à considérer ce qui enveloppe les femmes enceintes
elles-mêmes, notamment au niveau de leur environnement
familial, culturel et social en pensant les représentations
maternelles par cercles concentriques : en premier lieu l’en-
vironnement du fœtus, ce qui lui préexiste dans la psyché
maternelle, puis l’environnement de la mère, d’enveloppe en
enveloppe en quelque sorte. Les représentations culturelles
influencent celles qui se tissent autour de l’enfant à naître et
viennent comme un trait d’union, comme un lien, entre des
représentations singulières et des représentations collectives.
Les représentations culturelles rentrent en résonance avec les
représentations individuelles liées à l’histoire de chacun. Nous
rejoignons les propos de D. Mellier quand il avance, à la suite
de D. Winnicott (1952, p. 200), qu’« il n’y a pas de bébé sans
un “contenant familial et culturel” » (2011, p. 148).
La grossesse 19

Bébé Enveloppes sociale


et culturelle

Mère Enveloppe familiale

Représentation d’enveloppe en enveloppe

1.1 Les représentations figurées


Au fil de l’histoire occidentale, de ses sociétés, de ses cultures
et de ses religions les représentations de la femme enceinte et
de sa grossesse ont été multiples et changeantes. Les représen-
tations de la grossesse sont particulièrement sensibles au climat
socioculturel d’une époque, marquées par les ethnothéories
dans lesquelles la mère, le père vivent la grossesse.
Il s’agira ici de suivre le fil chronologique qui part de la
Préhistoire jusqu’à nos jours. Les représentations culturelles
de la grossesse qui renvoient au corps de la femme ainsi qu’à
l’accouchement, aux représentations du bébé et aux rela-
tions avec ses objets nous intéresseront plus spécifiquement.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Soulignons qu’il existe toute une fantasmatique en arrière-plan


de ces œuvres qui véhicule un inconscient collectif.
Tout d’abord, plusieurs questions se posent en filigrane :
qui en parle ? qui écrit ? qui peint ? De l’Antiquité au XIXe siècle
environ, il existe essentiellement des représentations figurées
de la grossesse proposées par des hommes1. Les représentations

1. Cela ne veut pas dire qu’à certaines époques les femmes n’en parlaient
pas entre elles ou n’en laissaient pas quelques traces dans des journaux
intimes comme au XVIIIe ou au XIXe siècle, mais cela ne fut pas forcément
pris en considération ni gardé par les familles. Ensuite, cela reste des
notes personnelles, intimes.
20 35 grandes notions de périnatalité

figurées de la grossesse chez la femme sont d’abord le produit


de l’imaginaire et des fantasmes masculins. Ce n’est qu’à partir
du XXe siècle que vont apparaître progressivement dans l’espace
public des représentations figurées de la grossesse proposées
par des femmes : « Les femmes sont représentées avant que
d’être décrites ou racontées, bien avant qu’elles ne parlent
d’elles-mêmes » (Duby et Perrot, 1991, p. 12). Sur de longues
périodes de l’histoire occidentale, les hommes qui écrivent
sont le plus souvent de par leur statut ou leur fonction (tels les
ecclésiastiques) fort éloignés de ces dernières. On mesure ainsi
les incertitudes de la restitution historienne sur ce moment
qu’est la grossesse. La charge symbolique peut y être forte. Le
regard masculin posé sur le corps féminin peut être aussi celui
de l’homme de science : il en restituera des images anatomiques
qui évolueront en fonction de l’avancée des connaissances
obstétricales.

1.2 Au fil de l’histoire


À la Préhistoire, les  Vénus interrogent d’emblée la
question des origines. Elles semblent pour de nombreux préhis-
toriens intervenir dans des rituels consacrés à la fécondité, à la
femme qui donne la vie, aux origines de la vie. Les attributs du
féminin, du masculin sont clairement représentés. Le genre, la
différence des sexes est là clairement au début des premières
sociétés.
Dans l’Antiquité, il est intéressant de noter qu’il y a peu de
représentations figurées de femmes enceintes « ordinaires » en
dehors de la représentation d’accouchement – en tout cas j’en
ai trouvé peu. Ce sont les mythes et les dieux qui sont le plus
investis dans les œuvres antiques. Les dieux se suffisent à eux-
mêmes pour se reproduire, ils s’autoengendrent, qu’ils soient
hommes (Zeus donnant naissance à Athéna ou à Dionysos qui
finit sa gestation dans la cuisse paternelle) ou femmes (Héra
La grossesse 21

engendrant seule Héphaïstos). Le corps enceint est tout autant


féminin que masculin, et la gestation peut même se dérouler
en dehors de tout corps humain (Aphrodite naît des vagues et
de l’écume qui peuvent symboliser le coït parental). Les récits
des origines sont multiples et de nombreuses théories concer-
nant la naissance sont proposées : les grossesses orales, anales,
naissant des eaux, etc.
Il existe aussi de petites statuettes en terre cuite dont le
ventre s’ouvre et dans lequel se trouvent de minuscules fœtus
(Dasen, 2004). Il s’agit de figurines « remplies » dont on peut
aller voir l’intérieur. Des représentations figurées de l’intérieur
du corps de la femme enceinte apparaissent donc dès cette
époque. Des ex-voto utérins ont aussi été retrouvés. Comme
souvent, le corps féminin et notamment l’utérus sont méta-
phorisés en récipients, en contenants (en vases ou en sacs
renversés), image qui va largement perdurer par la suite.
Au Moyen-Âge, la représentation figurée de la femme
enceinte est exclusivement celle de la Vierge Marie, vierge et
mère, dans toute la contradiction que cela implique d’emblée.
La Vierge est très tôt adulée, alors que les textes la concernant
sont peu nombreux en comparaison de son culte. L’Immaculée
Conception1, la maternité divine et même virginale sont mises
en avant. La sanctification de Marie, qui n’est d’abord que puri-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

fication, réparation du péché originel au bénéfice exceptionnel


de la Mère du Sauveur, devient avec l’Immaculée Conception
préservée de toute tache dès son origine même. La concep-
tion de l’enfant Jésus, la visitation, se font dans un souffle. Le
Saint-Esprit, par l’intermédiaire d’un ange ou d’une colombe,
féconde à distance la Vierge Marie : « L’air est l’élément qui
emplit les espaces vides et comble le corps creux » (Wolff-
Quénot, 2001, p. 4).

1. L’Immaculée Conception a été officialisée par l’Église en 1854, mais


très tôt ce sujet s’est trouvé au centre des débats ecclésiastiques.
22 35 grandes notions de périnatalité

La représentation figurées de la femme enceinte au Moyen-Âge


est donc Marie. C’est un corps pur, vierge, qui peut être glorifié
dans sa maternité mais dont les fonctions propres sont mini-
misées. « (…) de la Nativité à la Pietà en passant par la Mater
dolorosa et par la Regina Caeli, la vierge n’a rien d’une amante :
elle est exclusivement la mère dévouée. « Ce dieu n’est homme
que par la seule grâce de son transit par le corps de Marie
“pleine de grâce”. Cette grâce est en définitive une extraordi-
naire apologie de la maternité oblative, à l’orée du narcissisme
primaire (…). Le deuxième avantage de la Vierge, qui va de
pair avec cette maternité oblative, est de favoriser l’imaginaire »
(Kristeva, 2005, p. 158-159). En regardant certains tableaux, on
est en effet frappé par son air contemplatif, par ce regard tourné
vers son monde interne, par ce visage source de projections.

Fresque Madonna del Parto, à Monterchi, Sansepolcro, 1467


(Piero della Francesca, 1420-1492) (© Sailko, Wikimédia Commons)

L’iconographie du début du Moyen-Âge la montre inacces-


sible, triomphante. À partir du XIIIe siècle, elle va cependant
La grossesse 23

progressivement se rapprocher de l’humanité. Sa douleur de


mère, ses émotions, sa piété filiale résonnent et se montrent
sur les murs des cathédrales et dans les enluminures. La recru-
descence d’images de Vierges enceintes montre un besoin
de l’humaniser, de la rendre plus familière et plus proche du
peuple. Elle devient Marie… La représenter plus humaine est
une chose, la représenter « trop humaine » en est une autre : au
XVIe siècle, le concile de Trente et ses interdits vont conduire
au retrait voire à la destruction des Vierges qui affichaient un
embonpoint trop suggestif.
Et puis il y a Ève… Avant de chasser Adam et Ève du Paradis,
Dieu les châtie : « À la femme il dit : je multiplierai les peines de
tes grossesses, dans la peine tu enfanteras les fils » (Genèse 3:16).
L’homme et la femme découvrent d’un coup leur identité
sexuelle, la différence des sexes, le dur labeur, la confrontation à
la mort et le conflit avec un autre menaçant. Apparaissent ici la
culpabilité liée à la sexualité, ce fruit défendu, et la punition qui
s’ensuit, l’accouchement dans la douleur. Elle va vite devenir
nécessaire et même institutionnalisée par l’Église. Si dans la
première partie du Moyen-Âge, la représentation des sentiments
humains n’était pas une priorité, la douleur, qui devait néan-
moins figurer dans certaines scènes, prendra une place de plus
en plus importante. L’accouchement est l’une des scènes qui
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

permet le mieux de la figurer. Cependant ce n’est pas Ève qui


est représentée accouchant, c’est à nouveau la Vierge. Elle n’est
ni enceinte ni en couches, elle n’est que douleur.
Ajoutons qu’il y a aussi dans les textes bibliques une représen-
tation de grossesse par autoengendrement, mais masculine : au
départ Dieu créa Adam à son image. Les origines sont du reste
souvent associées à un autoengendrement masculin comme
dans l’Antiquité grecque et romaine. Au début, l’homme est
seul, c’est le premier père tout-puissant qui n’a pas besoin de
femme pour avoir un enfant. Il est même plus archaïque que
le père de la Horde primitive, qui lui a besoin d’une femme
24 35 grandes notions de périnatalité

pour avoir des enfants. Puis, pensant qu’il n’était pas bon
que l’homme restât seul, Dieu lui créa « une aide qui lui était
assortie » (Bible de Jérusalem, chapitres I à III de La Genèse). Il fit
tomber une torpeur sur l’homme et avec l’une de ses côtes, il
façonna une femme et l’amena à l’homme. Un homme donne
naissance, rappelant les désirs d’enfantement masculin.
Ainsi, la grossesse a été représentée au Moyen-Âge dans
ses deux extrêmes : il y a d’une part la grossesse glorifiée
avec la  Vierge Marie, c’est-à-dire une grossesse exempte
de tout péché, et d’autre part Ève la pécheresse, enfantant
dans la douleur. La femme est dissociée de la mère. Pour
D. Braunschweig et M. Fain, « la grossesse de Marie, la vierge-
mère, fécondée par un esprit sans corps et sans instrument de
plaisir, [est] un modèle achevé de latence après désexualisation
de la procréation » (1975, p. 98) comme cela est représenté
sur cette image du XIVe siècle (figure 1.2). Cette représentation
dichotomique, puis la sanction divine qui s’abat à cause du
péché ont profondément marqué l’Occident…
À l’époque moderne, les représentations figurées de la
grossesse se diversifient. Ce qui me semble le plus marquant,
c’est la multiplicité des codes, des rébus imaginés dans certains
tableaux pour évoquer la grossesse (Portrait de Gabrielle d’Es-
trée – artiste anonyme, seconde École de Fontainebleau vers
1595) ou l’accouchement (La Naissance de Vénus par exemple).
L’autre point essentiel est au contraire la « démocratisation », en
quelque sorte, de la représentation de la grossesse. Des couples
n’hésitent plus à se laisser peindre alors qu’une naissance est
prévue (Les Époux Arnolfini – J. Van Eyck, 1434 – par exemple).
La grossesse est aussi figurée dans une sphère plus intimiste,
il ne s’agit plus seulement d’une iconographie religieuse ou
mythologique. Elle est plus facilement dévoilée.
C’est aussi l’époque des automates, ces corps-machines.
Avec le microscope et l’avancée de l’anatomie, la machine
aussi a eu sa place. La représentation du corps se calque sur
La grossesse 25

celle de la machine : on cherche à le reproduire pour mieux


l’explorer. Le corps de la femme n’y échappe pas, notamment
pendant la grossesse.
Malgré les découvertes anatomiques, les doutes persistent et
les flous s’installent quant au rôle prépondérant de l’homme
ou de la femme dans l’origine de l’enfant : encore au XVIIIe
siècle, les hommes peuvent porter les enfants et les femmes
sont pourvues d’un sexe masculin interne. Rappelons que ce
vif intérêt pour la reproduction se noue sur fond de grande
instabilité sociopolitique où les relations hommes-femmes
tendent à se modifier.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

L’Atalante fugitive (© Michel Maër, 1618 –


Emblema I : Le vent l’a porté dans son ventre)
(© Hadrien, Wikimédia Commons)
26 35 grandes notions de périnatalité

Le XIXe siècle est l’époque où, au contraire, la grossesse se


cache en dehors de quelques caricatures. Le siècle est pudique.
Au XIXe siècle, la prise en charge progressive de la maternité
par l’État et l’éducation donnée par les mères à leurs filles sont
mises en avant. La grossesse est la grande absente.
On observe une image de la femme empreinte d’austérité,
de contrainte, de soumission, d’une vie codifiée et calée sur
le rôle de mère, de fée du logis. La femme est figée « dans une
subordination irrémédiable à son corps et à sa capacité mater-
nelle » (Houbre, 2006, p. 6). À la suite des mutations survenues
au XVIIIe siècle, le XIXe poursuit la valorisation extrême du devoir
maternel. C’est l’hymne à l’amour maternel. La maternité
devient un rôle gratifiant, mis à l’honneur, chargé d’idéal, une
bonne mère est ainsi « une sainte femme » sacrifiée à ses enfants.
Elle vit par eux et pour eux. Les peintures exécutées dans la
seconde moitié du siècle reprenant le thème de la maternité
ne se comptent plus. Elles sont autant de représentations figu-
rées valorisant l’amour maternel, les soins donnés à l’enfant
comme l’allaitement, la toilette. Chacune de ces icônes de la
maternité, variations modernes sur le thème de la Madone à
l’Enfant, présente une facette du lien affectif et physique qui
unit la mère à son bébé. La mère et l’enfant sont exaltés.
D’autre part, la vie des femmes change. Plus exactement, leur
perspective de vie change : elles peuvent devenir des actrices
politiques, tenir la place de citoyennes. Certaines femmes
décident de revendiquer une certaine liberté. Elles peuvent,
par exemple, être reconnues en tant que peintres ou écrivains.
Ainsi, le regard de femmes sur la grossesse, sur leur grossesse,
est plus largement diffusé et peut parvenir jusqu’à nous. Les
représentations de la grossesse par des femmes sortent tout
doucement des journaux intimes.
La première moitié du XXe siècle est marquée par deux
guerres. Tout au long de cette période, un programme nataliste
est mis en place pour soutenir les naissances qui sont en baisse
La grossesse 27

constante depuis le XIXe siècle, et également appuyer des desseins


politiques. Les femmes sont des « mères patries », elles doivent
soutenir la nation, et ceci à tous les niveaux. Elles devront
faire naître la future main-d’œuvre mais aussi les futurs soldats
qui défendront le pays comme cela est indiqué sur un faire-
part de 1916 : « Dans les plis du drapeau vont naître nos petits
Français. » Les femmes enceintes et la grossesse sont sous haute
surveillance, la matrice est désormais au service de la patrie.
Être enceinte est une mission, un acte politique : ce sont
des grossesses patriotiques ou à l’opposé des grossesses de
revendication ou de contestation. Certaines femmes refusent
d’être enceintes et d’être ainsi considérées comme des ventres
à ouvriers ou à soldats, comme N. Roussel (1878-1922), mili-
tante antinataliste de la première heure. Elle sera la fondatrice
de la Ligue de la régénération humaine. En 1920, elle appellera
surtout à la « grève des ventres ». Les œuvres surréalistes sont
critiquées au motif qu’il est honteux de peintre ce genre de
toiles pendant une période aussi mouvementée et qu’il vaudrait
mieux peindre des chars d’assaut ou des femmes enceintes.
D’autres au contraire vont revendiquer leur grossesse alors que
l’on tente d’éradiquer leur groupe ethnique.
Par ailleurs, la grossesse, qui est un symbole de vie, de renou-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

veau par excellence, est à l’honneur. Elle symbolise la vie face à


la mort. C’est la représentation d’un renouveau, d’une renais-
sance et d’un nouveau monde meilleur (S. Dali – Geopolitical
Child Watching the Birth of the New Man, 1943 ; C. Brancusi – Le
Commencement du monde, vers 1920). Cela peut aussi être la
vie menacée, attendue par la mort (Gustav Klimt – La Mort
et la Vie, 1916 ; Egon Schiele – Femme enceinte et mort, 1911).
Autre point important, des artistes, des écrivains, hommes et
femmes, s’attaquent à la représentation conventionnelle de
la grossesse, à son archétype. Ils s’attaquent aussi à la récupé-
ration politique qui en est faite (Pablo Picasso, par exemple,
dans son tableau La Grossesse de 1934).
28 35 grandes notions de périnatalité

Toujours en ce début du XXe siècle, des représentations de


grossesse venant notamment des États-Unis et réalisées par
des femmes arrivent en Europe. Elles représentent des femmes
enceintes dont l’humanité est palpable. Elles peuvent aussi
montrer toutes les pathologies, les douleurs de la grossesse,
les remaniements psychiques et identitaires que cela peut
entraîner.
À la suite de ce qui s’amorce au XIXe siècle et au début du
XXe siècle, ce dernier sera marqué par des bouleversements dans
les rapports hommes-femmes, et révolutionné par la maîtrise
de la fécondité. Au début du XXe siècle, la fécondité était encore
mal maîtrisée, les quelques moyens de contraception connus
étaient de toute façon interdits, la stérilité restait sans recours,
et les risques de mortalité à la naissance (mortalité de l’enfant,
et de la mère) demeuraient encore élevés, bien que déjà en
forte diminution.
À la fin du XXe  siècle, la sexualité et la reproduction
peuvent être dissociées. La fécondité est un choix. La menace
de mort existe toujours, mais elle n’a pas le même poids
que dans les  siècles précédents. Ce  siècle va être marqué
par l’avancée considérable des progrès de l’obstétrique, du
diagnostic prénatal mais aussi de la maîtrise des méthodes
contraceptives qui entraînent de nouvelles attitudes face à la
reproduction, faisant passer la grossesse de l’aléatoire au volon-
taire, de l’inéluctable au programmé. La grossesse s’affiche,
s’expose ou même s’exhibe et il en est de même pour l’intérieur
du corps féminin. L’amélioration de l’imagerie médicale y est
pour beaucoup. Un intérêt est porté à la femme, à la grossesse,
en parler est davantage possible dans une autre modalité que
celle de l’idéalisation ou de la sacralisation. Au niveau de la
littérature, des auteurs vont aborder les difficultés, les mouve-
ments agressifs, ambivalents qui les agitent psychiquement
pendant toute cette période. Il y a par exemple des ouvrages
comme celui de Jane Lazarre de 1976, Splendeur (et misères)
La grossesse 29

de la maternité où le mot « misère » apparaît, bien qu’entre


parenthèses, ou celui d’Éliette Abecassis Un heureux événement
(2005), sur un ton plus provocateur, ou encore Le Bébé de
Marie Darrieussecq (2005).

Des éléments de réalité de la grossesse se montrent


(© juefraphoto – Fotolia)

Concernant la peinture ou la sculpture, le courant artis-


tique des années soixante-dix (notamment féministe mais pas
seulement) est peut-être l’un des épisodes de l’histoire de l’art
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

ayant eu le plus d’incidence sur l’approche du corps dans l’art


contemporain. C’est en effet à cette époque que le nu féminin
achève sa transformation : les artistes, pour partie des femmes,
ont fait de ce corps jusqu’alors objectifié ou métaphorisé un
sujet à part entière et recherchant la confrontation. Le nu
féminin évolue, moins régi par les règles qui jusqu’alors domi-
naient les œuvres artistiques : « Le traitement des nus féminins
obéit [avant cette époque] à des conditions très strictes. Les
nus sont toujours harmonieux, dépouillés de toute imperfec-
tion (…) : le corps n’a pas d’histoire, les femmes sont toujours
jeunes et en même temps d’un âge indéfinissable. Elles sont
belles mais sans caractère, sans personnalité.
30 35 grandes notions de périnatalité

Toute manifestation de sentiment est involontairement


exclue, les visages ont toujours la même expression, marquée
d’une béatitude céleste, les poses sont alanguies, les gestes sans
objet, formant des arabesques, le sourire un peu figé, tout ce
qui donnerait vie au corps et au visage est comme gommé »
(M. Segré, cité par Bourdieu, 2013, p. 195).
Désormais, la représentation figurée de la grossesse est
différente. Elle est abordée par des femmes comme par des
hommes avec ses ennuis, ses pénibilités, ses déconvenues,
loin de cette plénitude tant vantée et attendue. Ils vont même
jusqu’à représenter la grossesse dans toute sa réalité, traquant
les moindres modifications corporelles au fil des changements
du corps. C’est une peinture impitoyable, incisive mais qui
peut aussi être touchante par l’humanité qui s’en dégage.
Toutes les traces de la peau, les petits creux, les plissements, les
tensions musculaires ou les relâchements, tout est représenté,
rien n’est laissé au regard ( Lucian Freud avec Annie et Alice,
1975 ; Alice Neel, The Pregnant Woman, 1971 ou Margaret Evans
Pregnant, 1978 ; Ron Mueck – Femme enceinte géante, 2002 ou
Mother and Child, 2001, par exemple) allant jusqu’au mons-
trueux (Cindy Sherman – Untitled n° 187, 1989 ; Damien Hirst
– Virgin Mother, 1994). La pulsion scopique (se reporter
au point 4), parfois cruelle, est à nouveau sollicitée.
Il existe ainsi une multiplicité de représentations figurées
de la femme enceinte à travers les époques. Certains artistes
la traitent avec douceur, l’esquissent avec finesse comme dans
un poème, un songe tout personnel. Pour d’autres œuvres,
les artistes ont tenté de maîtriser, de décortiquer le corps
de la femme fécondée. Sur d’autres encore, la grossesse est
magnifiée, souvent idéalisée, voire sacralisée. Certaines repré-
sentations figurées ont marqué ou marquent encore les esprits.
Elles collent au corps de la femme enceinte. Appréhender ces
figurations me semble ainsi essentiel pour mieux entendre
dans toute leur complexité la parole des femmes, enceintes
ou non et/ou déjà mères.
La grossesse 31

1.3 Invariants : activation


des fantasmes originaires
Pourtant, si la culture influence les différentes représen-
tations figurées de la grossesse, on repère des thèmes
communs, des invariants. Il s’agit d’un regard qui se pose
sur la grossesse et qui cherche à percer les mystères de ce corps
de femme, de ce corps fécond, à comprendre, à dévoiler les
secrets des origines.
Dans le champ psychanalytique, S. Freud le théorise dans
ses théories sexuelles infantiles (à partir de 1905) : tout enfant,
et ensuite l’enfant dans l’adulte, s’est un jour questionné sur
l’origine de la vie et notamment sur ses propres origines, sur
les mystères de la conception, sur le fonctionnement de la
matrice. Ainsi, l’on repère au travers de ces représentations
figurées de la grossesse une activation des fantasmes originaires
ainsi que les grands thèmes développés par S. Freud dans sa
théorie sexuelle infantile. Elles paraissent particulièrement
sensibles au climat socioculturel d’une époque mais elles se
construisent également à partir d’invariants qui se retrouvent
à un niveau fantasmatique à chaque époque.
Cette question des origines entraîne tout un ensemble de
théories sexuelles qui viennent s’articuler à des fantasmes
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originaires, notamment les fantasmes de scène primitive et de


retour dans le ventre maternel, fantasmes originaires qui sont
sollicités face à un certain nombre de représentations figurées
au fil des siècles, entre travail artistique et travail du rêve.
32 35 grandes notions de périnatalité

Pour aller plus loin


Lectures recommandées
Bourdieu P. (2013). Manet. Une révolution symbolique. Paris : Éditions
Raisons d’agir / Éditions du Seuil.
Braunschweig D. et Fain M. (1975). La Nuit, le jour. Paris : PUF.
Devereux G. (1982). Femme et mythe. Paris : Flammarion
(coll. Champs).
Freud S. (1905). Trois essais sur la théorie de la sexualité. Paris :
Gallimard (coll. Folio Essais), 1962.
Mellier D. (2011). Postmodernité et nouvelles formes du narcissisme
chez le bébé. Connexion, 95, 145-154.
Kristeva J. (2005). La Haine et le pardon. Paris : Fayard.
Winnicott D. W. (1952). L’angoisse liée à l’insécurité. In : De la pédia-
trie à la psychanalyse. Édition 1989, Paris : Payot, coll. Science de
l’homme.

Pour approfondir
Au niveau historique
Corbin A., Courtine J.-J. et Vigarello G. (2005). Histoire du corps,
tome I, De la Renaissance aux Lumières. Paris : Seuil.
Dasen V., éd. (2004). Naissance et petite enfance dans l’Antiquité.
Fribourg : Academic Press.
Duby G. et Perrot M. (1991). Histoire des femmes en Occident –
tome I. L’Antiquité. Paris : Plon (coll. Tempus), 2002. Il y a aussi les
tomes II à V.
Houbre G. (2006). Histoire des mères et filles. Paris : La Martinière.
Knibiehler Y. (2000). Histoire des mères et de la maternité en
Occident (2e édition). Paris : PUF (coll. Que sais-je ?).
Riazuelo H. (2012). Représentations artistiques de la grossesse. In
Kniebiehler Y., Arena F. et Cid Lopez R.-M. (dir.), La Maternité à
La grossesse 33

l’épreuve du genre. Métamorphoses de la maternité dans l’aire médi-


terranéenne (p. 59-64). Rennes : Presses de l’EHESP.
Wolff-Quénot M.-J. (2001). In Utero. Mythes, croyances et cultures.
Paris : Masson.
Dans la littérature
Abecassis É. (2005). Un heureux événement. Paris : Albin Michel.
Darrieussecq M. (2002). Le Bébé. Paris : POL.
Lazarre J. (1976). Splendeur (et misères) de la maternité. La Tour
d’Aigues : éditions de l’Aube.

2. Les prises en charge


de la femme enceinte
à travers les siècles

Il est important de comprendre comment la médecine s’est


petit à petit saisie de la périnatalité et de la délivrance elle-
même. Il y a deux points essentiels à prendre en compte : d’une
part, les changements innombrables des acteurs qui prennent
en charge les parturientes, et d’autre part l’ensemble des avan-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

cées médicales gynécologiques et obstétricales pour lutter


contre la mortalité des femmes en couches ainsi que celle de
leurs nourrissons.

2.1 La grossesse et l’accouchement


dans les premiers temps
de notre civilisation
Aux époques les plus anciennes, il est surtout question de
rituels (observés dans d’autres civilisations, par exemple par
C. Lévi-Strauss), notamment lors de l’accouchement. Il y a
34 35 grandes notions de périnatalité

aussi nombre d’amulettes, symboles de fécondité pour


éloigner l’infertilité. Dans la société grecque, par exemple,
ainsi que dans de nombreuses autres et encore de nos jours
dans certains pays, le temps du mariage est un acte fonda-
mental, principalement tourné vers la procréation et c’est en
enfantant que la jeune femme devient adulte. Être infertile
était vécu comme une véritable malédiction pour la femme
grecque. Les amulettes, mais c’est aussi le rôle de certains
ex-voto au Moyen-Âge, cherchent à la protéger tout au
long de l’enfantement car l’accouchement est craint.
Le père est plutôt écarté de l’accouchement proprement dit.
Il s’agit d’une histoire de femmes (celles de la famille ou une
femme du village reconnue pour cela). Il semble d’après certains
textes ou images que le père pouvait cependant y assister quand
on avait besoin de sa force physique pour intervenir si une
difficulté apparaissait au cours de la naissance. Au Moyen-Âge
par exemple, on peut trouver des représentations où la mère,
épuisée par l’accouchement, se repose et où le père s’occupe du
nouveau-né (enluminure du XIVe siècle figurant Philippe Auguste
alité avec son nourrisson dans les bras). Le père peut être décrit
comme proche de ses enfants, même dans les premiers soins
à donner. Y. Knibiehler évoque de la même façon un passage
d’un conte médiéval, Aucassin et Nicolette, qui mentionne la
couvade. Le père va prendre le lit quelque temps avant l’accou-
chement de sa compagne et mimer l’accouchement dans un
mouvement identificatoire (Cesbron et Knibiehler, 2004, p. 62).
L’image du père médiéval soucieux de son lignage mais sévère,
autoritaire et se désintéressant de ses enfants jusqu’à l’âge de
raison est, pour D. Lett, une image réductrice (2006, p. 45-47).
Il explique que cette image a été élaborée à partir de sources
normatives (droit canonique, coutumier, traités de pédagogie,
etc.) mais que le père peut aussi être attentif, nourricier, protec-
teur et aimant à l’égard de ses enfants. Il doit les instruire et les
corriger, mais la tendresse des pères du Moyen-Âge est présente
(P. Ariès, 1960, précurseur dans le domaine).
La grossesse 35

2.2 xvie siècle : les débuts


des grandes avancées scientifiques
dans le champ de la procréation
C’est à partir du XVIe siècle qu’une révolution s’amorce. Au
niveau gynécologique, l’Anglais W. Harvey, après une série
d’observations sur le développement de l’embryon de poulet,
arrive à la conclusion que c’est l’œuf qui procure à l’embryon
toutes ses caractéristiques. Le sperme ne sert qu’à stimuler,
à amorcer le développement de l’œuf. En 1561, G. Fallopio
(Fallopius) s’intéresse aux organes sexuels féminins. C’est lui
qui invente le terme de « vagin », il décrit le clitoris et est le
premier à délimiter les tubes conduisant de l’ovaire à l’utérus
même s’il ne comprend pas leur fonction. Il découvre aussi les
trompes de Fallope. En 1667, Reinier de Graaf, un Hollandais,
croit avoir découvert les œufs de mammifères en observant les
ovaires. En fait, il avait découvert ce qu’on appelle aujourd’hui
les follicules de l’ovaire, de petits sacs renfermant les ovules.
En 1677, un autre Hollandais, Van Leewenhoeck, découvre les
spermatozoïdes grâce au microscope1 et leur attribue tout de
suite un rôle fécondant.
Dans les premiers temps, les mentalités ne se modifièrent
guère. Sur fond scientifique, une lutte des sexes se met en place :
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

qui de l’homme ou de la femme est à l’origine de l’enfant ?


Lequel des deux a ce pouvoir-là ? Malgré les découvertes anato-
miques, les doutes persistent et le flou s’installe : les hommes
pourraient porter les enfants et les femmes seraient pourvues
d’un sexe masculin interne. Une série de découvertes vont
cependant modifier peu à peu la place de la femme dans
la procréation et la faire passer d’un simple contenant où
l’homme dépose l’enfant et son âme à un acteur à part entière.

1. Le microscope est mis au point au début du XVII e  siècle mais il


faudra attendre la seconde moitié du XVIIème siècle pour que les lentilles
permettent une observation suffisamment performante.
36 35 grandes notions de périnatalité

C’est aussi le début de l’embryologie : à la fin du XVIIe et


tout au long du XVIIIe siècle, les scientifiques se rendent compte
progressivement qu’aucun organe n’est présent dans l’œuf. Les
organes se différencient petit à petit dans l’œuf fertilisé. C’est
la preuve de l’évolution graduelle des parties du fœtus.

2.3 xviiie siècle : l’évolution


des techniques obstétricales
Au cours du XVIIIe  siècle, ce sont surtout les techniques
d’accouchement qui évoluent. Les sages-femmes vont
être mieux formées, comme le montre l’augmentation des
ouvrages qui leur sont destinés (des écrits comme celui de
Justine Siegemundin par exemple). Les sages-femmes vont
également s’organiser en corporation sous la surveillance des
chirurgiens. Du XVIIIe siècle au XIXe siècle, l’État souhaite en effet
réduire la mortalité féminine et infantile et donner plus de
place aux sages-femmes en les formant mieux et laisser égale-
ment une place plus grande aux médecins en cas de difficulté.
L’une des sages-femmes qui a marqué l’histoire de la nais-
sance est Madame Du Coudray (1712-1792). Elle exerce à
Paris, mais elle a sillonné toute la France pour diffuser un
enseignement obstétrical structuré. Elle publie en 1759 un
Abrégé de l’art des accouchements. Pour joindre la pratique à
la théorie, elle conçoit sa fameuse « machine », un manne-
quin de démonstration1, sur lequel les élèves étaient invitées
à s’exercer. Elle souhaitait former des matrones sur toute la
France pour qu’elles deviennent sages-femmes.
Le suivi obstétrical de la femme est aussi à prendre en
compte : les débuts mêmes de la grossesse sont assez incer-
tains et l’investissement de la grossesse est très progressif. Selon

1. Que l’on peut aller voir au musée Flaubert et d’Histoire de la médecine


(Rouen).
La grossesse 37

M.-F. Morel, « beaucoup de femmes mariées, partagées entre


grossesses et allaitements prolongés, sont peu réglées : selon
une expression familière, avant la ménopause, elles sont soit
“aux œufs”, soit “au lait” et, le plus souvent, ne savent pas
quand elles sont devenues enceintes ; les signes habituels des
premières semaines (frisson particulier lors du coït, arrêt des
règles, nausées, envies, embonpoint) sont souvent peu clairs
et peuvent avoir d’autres causes. Pour la femme elle-même et
pour son entourage, le premier signe indubitable de la gros-
sesse est tardif : il n’apparaît que vers le quatrième mois, quand
la mère sent l’enfant “tressaillir” dans son sein (selon l’expres-
sion biblique) » (2004, p. 22-23). Les familles se tournent vers
des praticiens quand la femme encourt un risque vital.
La grande nouveauté est l’apparition du chirurgien-
accoucheur. Même si la présence d’un praticien masculin
reste rare, les acteurs présents lors d’un accouchement se modi-
fient progressivement mais profondément. Dans un premier
temps, ces changements concernent essentiellement les villes.
Le monde des campagnes, lui, résiste longtemps à la science
obstétricale. Souvent ce sont les femmes elles-mêmes qui
refusent la présence d’un homme pendant la délivrance aux
prix d’un manque de soins et de sécurité. Elles demandent à
être cachées sous un drap si un homme doit entrer dans la
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

salle en extrême urgence. Le chirurgien doit travailler dans des


conditions difficiles avec des fenêtres qui peuvent être occul-
tées ou sous un large drap. L’homme n’est autorisé à assister
aux accouchements qu’en mettant en avant sa technique.
À la fin du XVIIIe siècle, une formation est aussi proposée aux
obstétriciens et de nombreux nouveaux outils apparaissent, le
forceps étant l’un des plus connus. Les actes chirurgicaux liés à
l’accouchement évoluent également. La césarienne post-mortem
existe depuis très longtemps mais les premières tentatives
sur la femme vivante, très controversées, commencent à se
pratiquer au XVIIIe siècle avec quelque succès mais la mortalité
38 35 grandes notions de périnatalité

maternelle reste importante. De nombreuses controverses


existent concernant la césarienne. Les médecins ne veulent
pas sacrifier la mère à ce qui n’est pas encore le bébé. Le choix
se pose. Médecins et religieux sont divisés.
Cependant, même si l’opération réussit, un ennemi caché
est très présent à cette époque : le risque infectieux. La décou-
verte de Pasteur au XIXe siècle contribuera à modifier cela.
L’acte chirurgical permet quelque peu (et de plus en plus avec
le temps) de réduire le nombre de décès et toutes les lésions
génitales très courantes qui, si elles ne tuaient pas, blessaient
et handicapaient les femmes à vie.

2.4 Seconde moitié du xxe siècle :


le bouleversement
des techniques médicales
La route des changements est ouverte, et l’intervention du
chirurgien-accoucheur lors des accouchements est dès lors de
plus en plus fréquente. Le médecin est ainsi davantage présent
au lit de la parturiente. Mais l’évolution ne s’arrête pas là et le
suivi de la grossesse, tout comme l’accouchement, se passeront
de moins en moins au domicile, mais à l’hôpital. En 1950, 45 %
des accouchements ont encore lieu à domicile, il n’y en a plus
que 13 % dans les années soixante (Cesbron, Knibiehler, 2004).
Le XXe siècle marque ainsi les débuts d’une surveillance préna-
tale systématique. Il y a un souci de mieux cerner les difficultés
obstétricales qui peuvent survenir. Le diagnostic prénatal et
la médecine fœtale, qui font leur apparition vers la fin des
années soixante, ne se développeront réellement que dans
les années quatre-vingt avec l’essor des techniques d’imagerie
médicale, notamment l’échographie (voir la notion 4). Il est
alors possible de repérer les troubles et les pathologies fœtales.
Les techniques de prélèvement sur le fœtus pendant la gros-
sesse s’améliorent (prélèvement du sang fœtal, amniocentèse,
La grossesse 39

etc.). Il devient possible de soigner (en donnant par exemple


des médicaments à la mère pour soigner l’enfant) et même de
réaliser des interventions in utero.
C’est aussi le début d’une écoute plus attentive de la prise
en charge de la douleur lors de la mise au monde : des cours de
préparation à la naissance sont donnés par les sages-femmes.
De nos jours, des réflexions sont menées pour une utilisation
« tempérée » des techniques postmodernes, notamment quand
la grossesse et l’accouchement se passent sans complication
(accouchement en piscine, maisons de naissance, etc.).
Parallèlement, la médecine cherche à prendre en charge le
nouveau-né. C’est aussi la naissance de la puériculture avec la
création de la Protection Maternelle et Infantile (PMI) dans
les années quarante.

Pour aller plus loin


Lectures recommandées
Ariès P. (1973). L’Enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime. Paris :
éd. du Seuil, Points Histoire.
Cesbron P. et Knibiehler Y. (2004). La Naissance en Occident. Paris :
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Albin Michel.
Knibiehler Y. (2007). Accoucher : Femmes, sages-femmes et méde-
cins depuis le milieu du xxe siècle. Paris : École des Hautes Études en
Santé publique.
Lett D. (2006). Les « nouveaux pères » du Moyen Âge. Les Collections
de L’Histoire, 32 (juillet-septembre), 45-47.
Morel M.-F. (2004). Grossesse, fœtus et histoire. In Missonnier S.,
Golse B. et Soulé M., La Grossesse, l’enfant virtuel et la parentalité.
Paris : PUF, p. 21-39.
40 35 grandes notions de périnatalité

Pour approfondir
Lévi-Strauss C. (1949). L’efficacité symbolique, in Anthropologie
structurale, tome I, Paris : Plon, 1958.

3. Le déroulement
de la prise en charge médicale
d’une femme enceinte de nos jours

Même si l’on n’est pas médecin, il est important de se


représenter la prise en charge que connaît la femme
enceinte au cours de sa grossesse (recommandations
actuelles de l’HAS, Haute Autorité de Santé). Le premier examen
est celui qui permet de savoir si une femme est bien enceinte. Le
diagnostic de la grossesse peut être fait avant même la consta-
tation d’un retard des règles par dosage de l’hormone HCG,
ce qui peut être utile dans diverses circonstances (pathologie
préexistante chez la femme enceinte ou cycle irrégulier, ce qui
permet dans ce cas de mieux dater le début de la grossesse). Elle
est réalisée par une prise de sang pour plus de sûreté, mais il
est maintenant courant que ce soit par un test urinaire acheté
en pharmacie qu’une femme apprenne si elle est enceinte ou
non (les premiers tests urinaires fiables datent de 1973).
Si la grossesse est un état physiologique considéré comme
normal, elle n’en est pas moins considérée comme une
période à surveiller. Cette surveillance s’appuie sur une légis-
lation précise qui impose le rythme des consultations et la
prescription de certains examens. Toutefois, ce calendrier ne
résume pas toute la surveillance d’une grossesse normale, et il
importe de bien connaître la physiologie et ses variantes, afin
de dépister au mieux la survenue d’un état pathologique. Il est
recommandé d’avoir un examen par mois jusqu’au septième
mois, et deux examens par mois lors des deux derniers mois.
La grossesse 41

Outre leur aspect purement médical, ces examens ont égale-


ment pour fonction de détecter d’éventuels problèmes d’ordre
psychosocial chez la femme enceinte (entretien du 4e mois).
Trois échographies sont aussi recommandées lors de ce suivi
de grossesse. Elles vont se pratiquer aux 3e, 5e et 7e mois de
grossesse (voir la notion 4).

3.1 Les examens systématiques


Le premier examen (avant 15  semaines d’aménorrhée)
comprend un entretien, de préférence effectué en présence du
père. Lors de cet examen on rédige le certificat de déclaration
de grossesse, indispensable pour l’ouverture des droits sociaux.
L’entretien vise à rassembler toutes les informations relatives à
l’environnement de la grossesse et aux risques encourus par le
fœtus. Sont consignés une estimation de la situation sociale de
la femme enceinte (pénibilité de son activité professionnelle,
ressources financières, etc.), tous les antécédents familiaux
pouvant affecter le fœtus (maladies héréditaires, diabète…),
et bien sûr antécédents personnels de la femme enceinte. Cet
entretien s’inscrit également dans la perspective plus large de
préparation à la naissance.
L’examen du septième mois se passe en principe dans le lieu
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

prévu de l’accouchement. C’est là que sont discutées les moda-


lités de l’accouchement (avec ou sans péridurale, hébergement,
etc.). Les examens en fin de grossesse sont plus rapprochés,
et suivent l’accélération de la croissance du fœtus. Un des
buts principaux est de s’assurer du bon déroulement de la fin
de la grossesse, de l’accouchement, et d’éviter les risques de
prématurité.
Un certain nombre d’examens systématiques sont pratiqués,
il s’agit des principaux examens suivants :
– Hauteur utérine : à chaque visite, à l’aide d’un mètre de coutu-
rier placé le long du ventre, la sage-femme ou le médecin
42 35 grandes notions de périnatalité

mesurent la distance entre la partie supérieure de l’os pubien


(la symphyse pubienne) et le haut (ou le fond) de l’utérus.
Cette mesure fournit une précieuse indication médicale sur
la croissance du bébé et reflète son poids. En moyenne, la
hauteur utérine augmente d’environ 4 cm par mois, puis de
2 cm les deux derniers mois.
– Urines : à chaque consultation prénatale, une analyse d’urine
est effectuée dans le but de doser le taux de protéines
(protéinurie) ou de glucose (glucosurie). La protéinurie ou
albuminurie révèle la présence d’albumine dans les urines.
Elle est en général associée à une hypertension, à des anoma-
lies rénales ou à une infection urinaire. La glucosurie peut
témoigner de troubles du métabolisme du sucre, comme
dans le diabète gestationnel. Le risque, dans ce cas, est de
donner naissance à un trop gros bébé. Si l’un de ces deux
examens d’urines est positif, on demande au laboratoire un
dosage plus précis.
– Tension artérielle : l’objectif est de traquer l’hypertension
et ses complications, parmi lesquelles la pré-éclampsie (ou
toxémie gravidique). Cette pathologie concerne le placenta :
du fait d’un rétrécissement de ses vaisseaux sanguins, il
n’assure plus correctement les échanges de nutriments et
d’oxygène vers le fœtus. Dans les cas extrêmes, une tension
trop élevée peut ralentir le développement du fœtus.
– Prises de sang : c’est avec une longue ordonnance de tests
sanguins que la femme enceinte sort de sa première consul-
tation prénatale. Ces analyses vont permettre de déterminer
son groupe sanguin, son rhésus, et de procéder à la recherche
d’anticorps irréguliers (voir incompatibilité sanguine
ci-dessous). Le dépistage de la syphilis, de l’hépatite B, de
la rubéole et de la toxoplasmose figure parmi ces analyses.
Celui du Sida n’est pas obligatoire, mais il est fortement
conseillé. Une prise de sang a lieu chaque mois si la femme
n’est pas immunisée contre la rubéole ou la toxoplasmose,
même chose si son groupe sanguin est rhésus négatif. Par
La grossesse 43

ailleurs, on recherche systématiquement une carence en fer


au 6e mois de grossesse pour prévenir tout risque d’anémie.
– Incompatibilité sanguine : on parle d’incompatibilité sanguine
fœto-maternelle lorsque une future maman rhésus négatif
(Rh-) porte un bébé qui a hérité du rhésus positif (Rh+)
de son père. Leur différence de rhésus nécessite certaines
précautions. En effet, si le sang fœtal entre en contact avec
le système immunitaire de la mère, celui-ci se met à fabri-
quer des anticorps anti-Rh (agglutinines irrégulières) qui
vont détruire les globules rouges du fœtus, l’exposant alors
à une anémie. Ce risque ne concerne habituellement pas les
premières grossesses, c’est le plus souvent lors des suivantes
que l’incompatibilité sanguine est traquée.
– Numération Formule Sanguine : la Numération Formule
Sanguine (NFS), ou hémogramme, apporte des informations
sur les cellules sanguines et permet de dépister une anémie
(un taux trop faible de globules rouges). La numération des
plaquettes contrôle quant à elle la coagulation du sang.
Une NFS est obligatoirement effectuée à la fin du deuxième
trimestre de la grossesse.
– Et il y a bien sûr les échographies, généralement au nombre
de trois au cours de la grossesse (se reporter à la notion 4).

3.2 Les examens complémentaires


© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Les situations à risque au niveau médical


selon la Haute Autorité de Santé
Il y a à rechercher :
– des facteurs de risque généraux (notamment des facteurs indi-
viduels et sociaux, un risque professionnel, des antécédents
familiaux) ;
– des antécédents personnels préexistants gynécologiques ou
non (notamment des antécédents chirurgicaux et des patho-
logies utéro-vaginales) ;
 ☞
44 35 grandes notions de périnatalité

 ☞
– des antécédents personnels liés à une grossesse précédente
(notamment des antécédents obstétricaux ou liés à l’enfant à
la naissance) ;
– une exposition à des toxiques (notamment à l’alcool, au
tabac, aux drogues, à des médicaments potentiellement
tératogènes) ;
– des facteurs de risque médicaux (notamment diabète gesta-
tionnel, hypertension artérielle gravidique, troubles de la
coagulation) ;
– des maladies infectieuses (notamment toxoplasmose, rubéole,
herpès génital, syphilis) ;
– des facteurs de risque gynécologiques et obstétricaux
(notamment cancer du sein, hématome rétroplacentaire,
incompatibilité fœto-maternelle) ;
(Se reporter au site de l’HAS (Haute Autorité de Santé) : www.has-
santé.fr (suivi et orientation des femmes enceintes, mai 2016))

En fonction du déroulement de la grossesse, un certain


nombre d’examens complémentaires peuvent être prescrits à
la femme enceinte, comme :
– Le Test HT-21, également appelé double ou triple test, il s’agit
d’une prise de sang dans laquelle on dose les marqueurs
sériques (l’hormone chorionique gonado-trophique ou
HCG, l’alpha fœto-protéine ou AFP, et l’œstriol). Au-delà
d’un certain seuil, on sait qu’il y a davantage de risque de
trisomie 21 et de malformation du système nerveux central,
en particulier le spina-bifida. On effectue ce test entre la
14e et la 18e semaine d’aménorrhée. Les résultats, dispo-
nibles dans les dix jours, sont ensuite croisés avec l’âge de
la maman et le terme de la grossesse. Si le risque est évalué à
1/250e ou plus, cela ne signifie pas que le bébé est touché par
l’une de ces anomalies, mais que la future mère appartient à
une catégorie plus à risque. C’est aux parents que revient la
décision d’envisager une amniocentèse afin de confirmer ou
La grossesse 45

non le diagnostic de trisomie 21. Ce dépistage ne constitue


qu’un indicateur, auquel échappent environ 30 % des triso-
mies 21. Il est proposé à toutes les femmes enceintes, mais
n’est pas obligatoire.
– L’Amniocentèse : cet examen consiste à prélever du liquide
amniotique (en général 15 à 20 ml) dans lequel baigne le
fœtus en vue de l’analyser. Il n’est effectué que si nécessaire.
Réalisé sans anesthésie, il est pratiquement indolore et ne
dure que quelques minutes. Le médecin introduit une très
fine aiguille à travers la paroi abdominale et utérine. Pour
ne pas piquer au mauvais endroit et ne pas risquer de blesser
le bébé, ce geste se fait sous contrôle échographique. En
analysant le liquide amniotique, on peut établir un « caryo-
type », c’est-à-dire la carte des chromosomes du bébé. Cela
permet de diagnostiquer des anomalies chromosomiques
(comme la trisomie 21) et de nombreuses maladies géné-
tiques. L’amniocentèse se pratique en principe entre la 14e et
la 17e semaine d’aménorrhée.
– Un caryotype : Le caryotype fœtal est une « photographie » qui
permet d’observer le nombre et la forme des chromosomes
du fœtus. On l’effectue à partir d’un prélèvement de cellules
du fœtus, réalisé par amniocentèse ou encore par biopsie du
trophoblaste. Le plus souvent, il s’agit de détecter un chro-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

mosome surnuméraire, comme dans la trisomie 21, où l’on


dénombre trois chromosomes au lieu de deux. Les femmes
ne faisant pas partie des catégories à risque mais qui tiennent
à effectuer cet examen devront rencontrer un généticien.

Pour aller plus loin


Pour approfondir
Lansac J. et Magnin G. (2013). Obstétrique pour le praticien. Paris :
Elsevier Masson (6e édition).
46 35 grandes notions de périnatalité

4. L’échographie

Les informations, les images auxquelles la femme enceinte


et son conjoint ont accès pendant la grossesse se multiplient
à l’heure où deviennent de plus en plus performantes la tech-
nologie obstétricale et l’imagerie médicale (maintenant en
3D), notamment dans l’optique d’un diagnostic anténatal.
Ce sont de nouvelles images du corps, du corps enceint, qui
accompagnent aujourd’hui les parents tout au long des neuf
mois de grossesse et du développement du fœtus. Ces images
ne sont pas simplement réservées aux médecins comme dans
les siècles précédents, elles sont massivement accessibles dans
les magazines, sur Internet, à la télévision. Tout futur parent,
homme ou femme, y a eu un jour accès.
Ces images de la modernité font désormais partie
de l’univers représentationnel de la grossesse.
L’échographie a profondément modifié la représentation
que l’on a de la matrice maternelle et de l’enfant à naître. Ce
monde interne s’expose, un univers se découvre, des passages
se font entre le dedans et le dehors.

Image échographique (© DR)


La grossesse 47

4.1 L’avancée des techniques médicales


Devenu curiosité médicale, le corps se transforme progressi-
vement en objet d’investigation scientifique. L’apparition de
la radiographie à la fin du XIXe siècle en est un exemple. Elle
permet pour la première fois d’aller au-delà de la limite de la
peau et de voir à travers le corps sans l’ouvrir, sans le disséquer.
Les rayons X, découverts en 1895 par le professeur allemand
W.  Röntgen, qui reçut le premier prix Nobel de physique
pour cette découverte, furent alors largement utilisés dans le
monde médical, notamment, en France, par Antoine Béclère.
De nombreuses ouvertures de services de radiologie eurent lieu
et beaucoup de recherches contribuèrent à améliorer la tech-
nique afin de la rendre moins dangereuse pour le corps humain.
Parallèlement, des premières études en 1828 sur la propa-
gation des ondes dans le lac Léman par J.-D. Colladon aux
premières analyses de propagation des ultrasons dans l’eau
et de leur réflexion (écho) par P. Langevin qui aboutiront à
la création du SONAR en 1910, les recherches sur l’utilisation
des ultrasons vont se multiplier. Cette technique va progres-
sivement être utilisée en médecine et mener en 1950 aux
premiers examens ultrasonographiques du cœur et du sein.
Le mot « échographie » se définit comme étant « un écrit par
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

l’écho » (« écho » comme la nymphe du même nom dans la


mythologie grecque et « graphie » comme écrire).
En 1972, avec la création de la « European Federation of
Societies for Ultrasound in Medicine and Biology », l’utilisation
de l’ultrason à visée diagnostique va connaître un véritable
essor dans le milieu médical et permettre, en 1974, l’apparition
de l’échographie obstétrique nous mène désormais au plus près
de la vie in utero et permet un examen clinique de plus en plus
précis du fœtus. L’échographie, « machine à voir », est une tech-
nique consistant en la réflexion de faisceaux d’ultrasons dirigés
sur les tissus fœtaux et créant ainsi une image. L’utilisation
de l’échographie pendant la grossesse permet de vérifier l’état
48 35 grandes notions de périnatalité

de développement du fœtus, apporte des informations sur


sa morphologie au cours de sa croissance. Les échographies
fœtales durant la grossesse sont d’un grand intérêt pour vérifier
son bon déroulement et pour dépister d’éventuelles anomalies
de développement chez le fœtus.
À l’ère du diagnostic anténatal, l’échographiste est à la
recherche de signes pathologiques. Les nouvelles méthodes
d’imagerie se sont imposées, bénéficiant aussi de l’essor de
l’informatique. Nous en sommes aujourd’hui aux échographies
tridimensionnelles et passons progressivement de l’observation
échographique morphologique à l’exploration dynamique et
fonctionnelle, comme l’échographie de la fonction cardiaque.
À l’aide de l’échographie, dès la septième semaine d’aménor-
rhée (début du deuxième mois), on peut distinguer l’embryon
et entendre battre son cœur. Il y aura au moins trois échogra-
phies au cours de la prise en charge d’une femme enceinte si sa
grossesse se déroule sans problème gynécologique et obstétrical
pour elle et l’enfant à naître, pratiquées habituellement aux
3e, 5e et 7e mois de grossesse.

4.2 Du côté des parents


De leur côté, les parents cherchent tout d’abord à ce qu’on
les rassure sur la santé de l’enfant, qu’on leur dise, voire qu’on
leur garantisse que tout va bien. Les médecins échographistes
rappellent que « le danger de l’échographie fœtale est de la
croire parfaite alors qu’elle dépend de facteurs divers et que
son interprétation est difficile. Seule l’expérience de l’échogra-
phiste permet d’en limiter les erreurs. Il ne faut pas oublier non
plus qu’il ne s’agit que d’un instantané de la vie fœtale (…).
L’échographie est imparfaite et l’absence d’anomalie visible
ne signifie pas qu’il n’y a pas d’anomalie » (Vavasseur, 2006,
p. 23, 29).
La grossesse 49

Les parents attendent aussi de « connaître (ou de maintenir


secret) le sexe du fœtus. Si elle est souhaitée, une réponse peut-
être apportée mais une marge d’erreur reste toujours possible ».
Enfin, ils souhaitent « rencontrer visuellement l’enfant »
(Missonnier, 1999, p. 137). Hors aide médicale, la mère ne
sentira bouger le bébé que vers la dix-huitième semaine, et
pourra éventuellement repérer sa position (en particulier s’il a
la tête en bas) aux alentours du septième mois. Sa « photo » issue
de la première échographie se retrouvera dans l’album familial
ou sur son faire-part de naissance. Les parents découvrent s’il
est plutôt petit ou grand, dodu, costaud ou menu et, s’ils le
souhaitent, si c’est une fille ou un garçon.
De la découverte de la grossesse à l’accouchement, la femme
enceinte pense, imagine, se représente l’enfant à naître. Tout
au long de ce processus, elle va pré-investir puis investir le futur
enfant, le sentir, le ressentir, se le représenter, puis le voir, le
regarder, le montrer. À mesure que la femme enceinte ressent
l’enfant qu’elle porte, son récit et ses fantasmes le concernant
se font riches et voluptueux. L’étayage corporel semble impor-
tant (Cupa, Riazuelo et Michel, 2001), tant dans le processus
d’investissement du bébé qu’au niveau des représentations qui
en sont les signes. L’enfant bouge dans le ventre, prend une
place, il existe. Peu à peu, il devient vivant, il a un corps, un
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

sexe, son identité se crée. De ce ressenti naît une première


rencontre, les prémisses d’une relation en devenir, qui va se
construire pas à pas. Aux premières sensations corporelles vont
se lier les premières représentations, puis ces premières sensa-
tions vont se préciser et prendre forme, la forme des contours
d’un corps que l’on regarde lors de l’échographie, la forme d’un
« corps dans un corps » (Masson, 2007), celle d’un autre qui se
différencie. Un processus de création psychique vient
alors soutenir le processus de « création biologique »
et, pas à pas, l’enfant est là, dans sa réalité.
50 35 grandes notions de périnatalité

Comme nous avons déjà pu le souligner dans un précédent


travail (Chaudoye et Riazuelo, 2013), l’image échographique,
marquant visuellement l’existence de l’enfant à venir, devient
une surface de projection des identifications parentales, soute-
nant le processus de construction identitaire de part et d’autre
de la relation. Désormais étayés visuellement, les investisse-
ments à la fois narcissiques et objectaux sur l’enfant semblent
se consolider, aidant en retour l’élaboration de l’identité
parentale et menant donc à « la maturation de la parenta-
lité » (Soulé, Gourand et Soubieux, 1999 ; Missonnier, 2004).
S. Missonnier ajoute que « l’image et plus largement le cadre
échographique, en offrant un miroir matériel et psychique du
processus évolutif de la parentalité, joue un rôle de catalyseur »
qui peut aller dans le sens de la dynamique du processus de
parentalité ou au contraire le paralyser (2009, p. 195).
La capacité du futur parent à se souvenir, et à se penser en
tant que bébé de ses propres parents, participe de cette matu-
ration. Devenir mère serait aussi pouvoir se représenter en tant
que bébé de sa propre mère, porté par elle, ressenti par elle, vu
par elle : « À l’occasion de sa grossesse, la femme saine retrouve
ce stade primitif expérimenté pendant sa petite enfance, l’an-
cien nourrisson qu’elle a été, lié aux soins, et dont le souvenir
direct peut être considéré comme perdu du fait du refoulement
primaire. La réminiscence de ce stade d’unité à deux va donner
le ton de la relation que la femme va développer avec sa gros-
sesse, puis avec son bébé » (Bydlowski, 2007).
Héritage de la préoccupation maternelle primaire (au sens de
D. Winnicott) de sa propre mère, l’identité maternelle serait
issue, entre autres, des vestiges laissés par le regard posé sur elle,
en tant qu’enfant du passé devenu femme enceinte : le regard
d’une mère suffisamment bonne, désormais internalisée. Il
s’agit d’un regard comme le souligne D. Winnicott (1971),
nécessaire à l’éveil et au maintien narcissique de l’enfant, qui
selon J. Lacan, une fois l’aliénation à sa propre image dépassée,
passe de Je à Sujet (1949).
La grossesse 51

L’échographie peut ainsi enrichir la production fantasma-


tique et poser la question de l’existence de l’autre ainsi que
celle de sa propre existence. L’image échographique peut aussi
venir faire effraction de par un réel qui fait irruption brutale-
ment (comme quand une malformation est détectée chez le
bébé à naître, ou si une grossesse antérieure a été traumatique)
ou s’il réactive des éléments traumatiques de l’histoire de l’un
des parents.

Vignette clinique
Héloïse est une jeune femme de 25 ans enceinte de 5 mois. Elle
attend son premier enfant et vient avec son compagnon pour la
seconde échographie recommandée lors d’un suivi habituel. La
grossesse se déroule bien et ils s’installent l’un et l’autre tran-
quillement en ce début de consultation avec l’échographiste.
L’examen se déroule sans problème et le bébé se porte bien.
Il y a juste une phrase de l’échographiste qui ne se voulait pas
alarmiste mais qui fait brutalement basculer la consultation
dans une tout autre atmosphère. Il va dire en fin d’examen que
le fœtus profitera bien des derniers mois de la grossesse et qu’il
se situe dans le bas de la courbe. Il est un peu petit même si rien
n’est préoccupant pour le moment et on recommande à la future
mère de se reposer. À cette phrase, Héloïse blêmit et semble
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

comme sidérée. L’échographiste redit sa phrase disant que le


bébé va bien, qu’il n’y a aucun problème. Héloïse semble comme
ailleurs. Son compagnon la rassure également mais rien n’y fait.
L’échographiste téléphonera à la psychologue du service pour
l’avertir de la situation. Il reprend également le dossier de la jeune
femme et relit autrement un élément du dossier soulignant que
la mère de cette dernière a eu des difficultés pour avoir un enfant
et qu’elle en a perdu un pendant la grossesse. Il interroge alors
Héloïse sur ce dernier point et elle s’écroule en pleurs.
Lors de l’entretien qui suivra (entre Héloïse, son compagnon
et la psychologue), Héloïse expliquera que sa mère a dû subir
 ☞
52 35 grandes notions de périnatalité

 ☞
une Intervention Médicale de Grossesse (IMG) à 24 semaines de
grossesse d’un petit garçon atteint de la maladie des os de verre.
Héloïse avait alors 4 ans et se souvient bien de l’abattement de
ses parents et des longs mois de deuil qui ont suivi. Ses parents
avaient fait comme ils avaient pu mais elle s’était retrouvée assez
seule pendant toute cette période, ayant elle-même du mal à
retrouver un certain entrain. Sa mère, elle, mettra des années
à s’en remettre. Héloïse avait bien retenu, enfant, ce drôle de
nom « maladie des os de verre », entendu dans la bouche de
ses parents. Elle avait aussi compris que cet enfant n’avait pas
pu naître car il était « trop petit ». La maladie des os de verre se
caractérise par des os d’une extrême fragilité. Les personnes
sont par ailleurs la plupart du temps d’une très petite taille. Tout
s’est télescopé dans la tête d’Héloïse lorsqu’elle a entendu que
son bébé était un « petit » bébé, et ce moment douloureux, trau-
matique pour l’ensemble de la famille, s’est comme répété. Elle
accepte et demande un suivi psychothérapeutique.
Quelques mois plus tard elle va accoucher d’un petit garçon qui se
porte bien. Après la naissance de l’enfant, elle poursuivra sa prise
en charge psychothérapeutique pendant un peu plus de deux ans.

4.3 Échographie et pulsion scopique


L’échographie est une « machine à voir » sans ouvrir
la peau dans la réalité. Elle permet de regarder d’abord en
deux puis en trois dimensions le fœtus en temps réel, d’en
conserver l’image, et de le montrer. Elle sollicite les désirs de
connaître, de voir et de montrer, et ouvre sur l’ensemble des
questions sur les origines elles-mêmes.
Par ailleurs, avec l’échographie s’opère au cours du XXe siècle
une mutation du regard sur le corps. « L’imagerie a fait surgir
une vie antérieure du corps, qui fait pencher l’embryon vers
l’individu » (Corbin, 2006, p. 64). Aller au-delà de la limite
du ventre maternel de percer son secret, cela laisse percevoir
La grossesse 53

l’importance de la pulsion scopique, devenue épistémophi-


lique, aussi appelée pulsion de connaître. La pulsion scopique
ou pulsion de regarder a, dès les origines de son travail, inté-
ressé S. Freud. Avant même de donner au regard une place
dans sa métapsychologie, S. Freud s’y est penché lorsque son
intérêt pour l’hystérie a débuté. Au commencement, le voir
était fonctionnel, selon lui : il se liait au désir de recherche,
d’observer et était donc, dans cette conception, un moteur
de la science et un outil du chercheur. S. Freud en est venu
ensuite, avec la contribution de J.-M. Charcot, à s’intéresser
à des symptômes comme l’hémianesthésie classique avec des
troubles typiques du champ visuel et du sens de la couleur.
Il a alors mis en avant un voir dépassant largement la simple
fonctionnalité. Il s’agissait désormais d’un voir imaginaire,
aveugle, un voir psychique, un désir de voir, un voir incons-
cient. Puis, pour la première fois, S. Freud a introduit le concept
de pulsion scopique, Schautrieb, dans Trois essais sur la théorie
sexuelle (1905). Liant la dimension active du voir à la dimen-
sion passive de l’être vu, la pulsion scopique est définie comme
une pulsion partielle pouvant être pervertie quant à son but et
rattachée à l’organe sensoriel qu’est l’œil. Le voir devient « la
voie par laquelle l’excitation libidinale est la plus fréquemment
éveillée » (1905, p. 66) et l’œil, une zone érogène, source de ce
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

« plaisir de regarder-et-de-s’exhiber » (1905, p. 85), acquiert un


rôle organisateur, avec un objet, un but et une source érogène.
Soutenu par la pulsion scopique, le désir de voir au-delà
de la peau, de rendre transparent le corps de la mère et de
rendre visible un fœtus jusque-là invisible, œuvre particulière-
ment lors de la grossesse. Ces désirs de voir et de connaître se
lient, se délient et peuvent parfois se télescoper aux représen-
tations parentales. Il ne s’agit plus d’une ouverture du
corps dans la réalité, mais d’une dissection scopique
et fantasmatique, étayée par une « pulsion scopique
machinique ».
54 35 grandes notions de périnatalité

Pour aller plus loin


Lectures recommandées
Bydlowski M. (2007). Apport de Winnicott au travail psychanaly-
tique à la maternité, Actes du VIe Colloque « Naître à la vie », Winnicott
aujourd’hui, organisé par FRIPSI. Consultable sur le net (consul-
tation 12/2016) : https://www.maman-blues.fr/images/documents/
mediatheque-documentation/BYDLOWSKI-Monique.pdf
Chaudoye G. et Riazuelo H. (2013). Au-delà de la peau, un regard
porté… L’échographie et la pulsion scopique machinique.
L’Évolution psychiatrique, 78, 599-613.
Corbin A., Courtine J.-J. et Vigarello G. (2006). Histoire du corps, Les
mutations du regard. Le xxe siècle. Tome III. Paris : Seuil.
Cupa D., Deschamps-Riazuelo H. et Michel F. (2001). Anticipation
et création : l’anticipation parentale prénatale comme œuvre,
Pratiques psychologiques, 1, 31-42.
Freud S. (1905). Trois essais sur la théorie sexuelle. Paris : Gallimard,
édition 2003.
Masson C. (2007). L’image en médecine : us et abus. L’image n’est
pas la réalité, Cliniques méditerranéennes, 76, « Médecine, éthique
et psychanalyse », Toulouse : Érès.
Missonnier S. (2004). La relation d’objet virtuel et la parentalité
ingénue, Adolescence, (22) 1, 119-131.
Missonnier S. (2009). Naître humain, devenir parent et être écho-
graphiste, Recherches en psychanalyse, (2) 8, 190-199.
Soulé M., Gourand L., Missonnier S. et al. (1999). L’Échographie de
la grossesse : les enjeux de la relation. Toulouse : Érès, coll. « À l’aube
de la vie ».
Vavasseur C. (2006). Point de vue échographique de la vie fœtale.
In Bergeret J., Soulé M. et Golse B., Anthropologie du fœtus. Paris :
Dunod, p. 21-51.
La grossesse 55

Pour approfondir
Lacan J. (1949). Le stade du miroir comme formateur de la fonction
du Je, In. Les Écrits, Paris : Seuil, édition de 1999.
Winnicott D. W. (1971). Jeu et Réalité, Paris : Gallimard, édition de
2005.

5. Le suivi d’une femme enceinte


par une équipe pluridisciplinaire

La prise en charge proposée aux femmes enceintes et à


leur entourage est médicale mais aussi pluridisciplinaire.
Un ensemble de professionnels entourent la future partu-
riente comme le/la gynécologue-obstétricien(ne), le/la pédiatre
à la naissance de l’enfant, l’anesthésiste, le/la sage-femme,
l’auxiliaire de puériculture, l’aide-soignant(e), l’infirmier(e),
l’assistant(e) social(e), le/la psychiatre ou encore le/la psycho-
logue clinicien(ne). Il s’agit d’une « attention périnatale
partagée » (Missonnier, 2009, p. 26).
Il est à noter que les professionnel(le)s font mainte-
nant de plus en plus partie de cette « constellation
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

maternelle » (la matrice de soutien, se référer à la notion 20)


dont nous parle D. Stern (1995), et qui vient entourer, enve-
lopper la future mère de la grossesse jusque dans les premiers
mois de l’enfant.

5.1 Préparation à la naissance


Il s’agit d’une démarche préventive qui suit la femme
enceinte et son conjoint tout au long de la grossesse. Pour la
Haute Autorité de Santé, elle s’articule en quatre points :
56 35 grandes notions de périnatalité

– Durant le 1er trimestre de la grossesse : un entretien initial au


4e mois de la grossesse (circulaire du 4 juillet 2005), indi-
viduel ou en couple, réalisé par une sage-femme ou par un
médecin. Il permet de repérer les situations de vulnérabilité
et d’orienter si besoin vers des dispositifs d’aide et d’accom-
pagnement. Il permet également de présenter, de préparer
et de planifier les séances de préparation à la naissance et
à la parentalité, en veillant à la coordination des actions et
au partage des informations entre les acteurs de la prise en
charge.
– Durant la grossesse : des séances prénatales, individuelles
ou en groupe, adaptées à chaque stade de la grossesse et
aux besoins de chaque femme. Ces séances proposent des
activités d’information et d’apprentissage permettant à la
future mère et au couple de développer des compétences
parentales. Ce sont des séances de groupe animées par des
sages-femmes, en milieu hospitalier mais aussi à domicile.
Elles ont pour but d’informer les femmes enceintes sur le
déroulement de l’accouchement et de leur proposer un
entraînement physique en vue de celui-ci.
– Après la naissance, à la maternité ou à domicile en cas de
sortie précoce : des séances individuelles ou en groupe
permettent de mettre en pratique les compétences paren-
tales développées lors des séances prénatales. Une évaluation
individuelle est nécessaire avant la sortie pour identifier les
besoins de séances complémentaires à domicile.
– Après le retour à domicile : en cas de besoin, des séances
complémentaires peuvent permettre d’accompagner les
parents (soins du nouveau-né, construction des liens affec-
tifs, suivi du développement psychomoteur) et de déceler
chez la mère des signes de dépression du post-partum
notamment.
À celles-ci peuvent s’ajouter diverses autres préparations hors
du cadre médical du suivi de la grossesse, visant à se relaxer en
La grossesse 57

vue de l’accouchement et à faciliter la communication avec


le bébé à naître. Parmi ces préparations communément prati-
quées on citera le yoga, l’haptonomie, la sophrologie, ainsi
que des préparations en piscine. Aucune de ces préparations
alternatives n’a vocation de se substituer à une autre, mais
leur diversité permet à la femme enceinte de choisir celle qui
lui correspond le mieux et dans laquelle elle se sent le plus à
l’aise. Les méthodes psychoanalgésiques de préparation à la
naissance existent depuis longtemps. De tout temps, il y a eu
des pratiques qui ont cherché à rassurer, réconforter, entourer
les femmes en couches pour les aider à mieux tolérer la souf-
france de l’accouchement.
Auparavant centrée sur la seule prise en charge de la douleur,
la préparation à la naissance et à la parentalité est désormais
orientée vers une prise en charge plus globale et plus précoce
de la femme et de son conjoint (cela restant variable suivant
les institutions). Son but est de favoriser leur participation
active dans le projet de la naissance et le développement de
leurs compétences parentales. Des groupes pour les pères
sont maintenant proposés. Désormais, les accouchements
ont essentiellement lieu à l’hôpital. Après une amélioration
de la prise en charge médicale des femmes enceintes tout au
long de leur grossesse jusqu’à l’accouchement, les femmes
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

elles-mêmes ainsi que les équipes médicales et soignantes se


sont interrogées sur la qualité de leur prise en charge dans
toute sa globalité. L’amélioration de la sécurité a entraîné
une certaine déshumanisation dans l’accompagnement de
la femme pendant sa grossesse. Un meilleur suivi au niveau
médical rassure, mais peut aussi engendrer une augmenta-
tion de l’inquiétude, de l’anxiété chez la future mère. Par
ailleurs, les futurs parents peuvent se sentir exclus de cette
scène médicalisée.
58 35 grandes notions de périnatalité

Un décret d’octobre 1998 (n° 98-899 du 9/10/1998) a classé les


maternités en trois niveaux en fonction de leur technicité et des
moyens de prise en charge du bébé et de la mère. Ce classement
est valable pour toutes les maternités, en clinique ou à l’hôpital.
Niveau I : ces maternités accueillent les mamans qui ont une gros-
sesse non pathologique, sans complications prévisibles. Elles ne
disposent pas de service de pédiatrie.
Niveau II : elles peuvent prendre en charge les grossesses « légè-
rement » à risque (hypertension, retard de croissance, grossesses
multiples). Toutes les maternités de niveau II sont dotées d’un
service de néonatalogie. On distingue 3 sous-groupes, les mater-
nités 2A, 2B et 2C, en fonction du type de prise en charge. Les
maternités 2A possèdent le matériel nécessaire pour assurer les
soins aux bébés avant leur transfert. Les maternités 2B possèdent
des incubateurs et le matériel nécessaire pour la photothérapie.
Les maternités de niveau 2C possèdent des soins intensifs qui
permettent de garder un bébé sous ventilation artificielle pendant
24-48 heures.
Niveau III : ce sont les maternités (souvent des Centres Hospitaliers
Universitaires) qui regroupent toutes les grossesses patholo-
giques (menace d’accouchement prématuré avant 32 semaines
d’aménorrhée, malformation fœtale nécessitant une prise en
charge immédiate). Ces maternités disposent d’une réanima-
tion néonatale, qui peut s’occuper des grands prématurés, et
des bébés présentant de graves détresses vitales.

5.2 L’accouchement proprement dit


Quarante et une semaines et trois jours est le terme théorique
de la grossesse. En l’absence de complications, l’accouchement
comporte trois phases : tout d’abord, il y a la dilatation du col
de l’utérus (lente, qui peut durer jusqu’à 24 heures). Ensuite
débute l’expulsion qui permet de faire descendre la tête dans le
bassin maternel (dure de quelques minutes à une heure). Enfin
La grossesse 59

vient la délivrance puis le rejet du placenta et des membranes.


Le cordon ombilical va être coupé : le nouveau-né respire main-
tenant de façon autonome. Avec les nouvelles avancées de la
recherche médicale, on pense que l’accouchement résulte
d’un compromis complexe entre la maturité du fœtus,
l’organisme de la mère et l’équilibre physiologique de
la fin de la grossesse.
L’accouchement s’est profondément modifié, notamment
avec l’arrivée de ce qui est communément appelé la péridurale
(l’analgésie péridurale, lombaire) qui est maintenant proposée
à chaque naissance1. Elle permet de réduire les douleurs de
l’enfantement. Là aussi, les anesthésistes ont perfectionné
leur technique en l’adaptant mieux aux besoins individuels de
chaque femme. Il est maintenant courant que l’on réduise les
doses pour que les femmes ressentent l’accouchement, qu’elles
puissent le vivre, se l’approprier avec des douleurs réduites
mais pas complètement absentes.
Pour la mère, l’accouchement est le moment de la déli-
vrance. Pour l’enfant, c’est le passage d’une vie aquatique à une
vie aérienne. C’est le moment où la mère, le père et l’enfant se
découvrent. Le plus souvent, l’enfant est posé sur le ventre de
la mère, dans un premier contact peau à peau, puis le père, s’il
le souhaite, pourra couper le cordon, lui donner son premier
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

bain et l’habiller après que les premiers examens pédiatriques


auront été pratiqués. La mère, le père et l’enfant sont entourés,
là aussi, par une équipe pluridisciplinaire.

1. La péridurale nécessite une attention médicale. Il s’agit d’une difficulté


actuelle : certaines femmes souhaiteraient un accouchement le moins
médicalisé possible tout en gardant la péridurale, ce qui est complexe…
Des instruments plus mobiles comme un monitoring sans fil qui permet
à la mère de marcher, de bouger pendant l’examen sont des avancées
en ce sens.
60 35 grandes notions de périnatalité

5.3 Le congé parental


Le congé maternité : comprend un congé prénatal (avant
l’accouchement) et un congé postnatal (après l’accouchement).
C’est en 1930 qu’il a commencé à être mis en place. La durée
légale du congé maternité est fixée par le Code du travail. Si
la femme enceinte est salariée, la convention collective de
l’entreprise où elle travaille peut prévoir des dispositions plus
favorables. Toute salariée enceinte peut bénéficier d’un congé
maternité et, ce, quelle que soit son ancienneté dans l’entre-
prise. Toutefois, pour bénéficier de ce congé, la femme enceinte
(salariée) doit obligatoirement avertir son employeur du motif
de son absence et de la date à laquelle elle entend reprendre
son travail. Cette information doit être effectuée par lettre
recommandée avec accusé de réception. La durée du congé
de maternité varie en fonction de trois éléments : d’une part,
le nombre préalable d’enfants à charge ; d’autre part, les nais-
sances simples ou multiples ; et enfin, l’état – pathologique
ou non – dans lequel se trouve la femme enceinte. La durée
minimale du congé maternité est de 16 semaines, réparties en
général sur 6 semaines avant et 10 semaines après l’accouche-
ment, avec possibilité de reporter une partie du congé prénatal
sur le congé postnatal.
Le congé paternité : les pouvoirs publics ont récemment pris
en compte cette transformation quant à la place des pères
auprès de leur enfant, et leur accordent maintenant un congé
de paternité (encore court par rapport à d’autres pays, notam-
ment du Nord) depuis janvier 2002. La durée du congé est de
11 jours pour une naissance unique et de 18 jours pour une
naissance multiple (jumeaux, triplés).
La grossesse 61

Pour aller plus loin


Lectures recommandées
Le site de l’assurance maladie donne de nombreuses infor-
mations : http://www.ameli.fr/assures/droits-et-demarches/
par-situation-personnelle/vous-allez-avoir-un-enfant/vous-etes-
enceinte-votre-grossesse/le-suivi-de-votre-grossesse-mois-apres-
mois.php
Missonnier S. (2009). Devenir parent, naître humain. Paris : PUF.

Pour approfondir
David M. et Cadart M.-L. (2014). Prendre soin de l’enfance. Toulouse :
Érès.
Knibiehler Y. et Douguet F. (2007). Accoucher : Femmes, sages-
femmes et médecins depuis le milieu du xxe siècle. Paris : Presses de
l’École des Hautes Études en Santé publique.
Stern D. N. (1995). La Constellation maternelle. Paris : Calmann-Lévy,
1997.
2
Cha
pitre

LE TRAVAIL
PSYCHIQUE
DE LA GROSSESSE
aire
m
S o m

6. La temporalité de la grossesse .............................. 65


7. Les remaniements psychiques
de la grossesse ........................................................ 71
8. Les désirs et fantasmes au cours de la grossesse ... 79
9. La grossesse au masculin ....................................... 91
10. Transmission de la vie ........................................... 104
11. Le berceau psychique
des représentations parentales ............................ 111
12. Du bébé imaginé aux premiers liens .................... 126
13. Les nouvelles maternités
médicalement assistées ........................................ 140
14. Processus de parentalisation................................ 145
15. L’accouchement ..................................................... 149
Il y a le bébé réel dans les bras de la mère, mais il y a aussi le
bébé que la mère imagine dans son esprit, qu’elle porte dans
sa tête (Soulé, 1983). Ces pensées concernant l’enfant déjà né
ou à venir s’organisent tout au long de la vie et singulière-
ment pendant la grossesse, en différentes séries représentations
mentales. Ce chapitre permettra de mieux comprendre l’uni-
vers représentationnel parental s’inscrivant dans un processus
de maturation vers la parentalité.

6. La temporalité de la grossesse

S’il s’agit d’une grossesse désirée, la femme décide un jour


avec son conjoint d’arrêter sa contraception. La grossesse
est d’abord le désir d’un couple. Quand tout se passe bien,
une grossesse débute dans les mois ou l’année qui suivent.
Même pour une maternité attendue, espérée, l’annonce de
grossesse reste un moment important où l’effet de surprise
est toujours présent même s’il est variable selon les femmes.
« C’est la période du choc de la révélation de la grossesse et
de la cascade de mouvements adaptatifs qui en découlent.
De nouvelles sensations corporelles (quelquefois des symp-
tômes), un équilibre émotionnel modifié, un fonctionnement
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

psychique inédit authentifient le début du « voyage » et en


complexifient l’inauguration. Une oscillation entre accable-
ment anxieux, indifférence et élation souligne l’ambivalence
inconsciente à l’égard du nouveau venu et l’inéluctabilité
des modifications corporelles, psychologiques, conjugales,
générationnelles, sociales, professionnelles… qu’il porte poten-
tiellement avec une grande intransigeance » (Missonnier, 2004,
p. 131). Il faut ainsi prendre conscience de l’événement et s’y
adapter psychiquement. Certaines femmes peuvent même le
vivre comme un moment de sidération.
66 35 grandes notions de périnatalité

Au départ, le sang qui ne coule plus suggère une possible


maternité. C’est la promesse peut-être d’une vie à naître. La
grossesse est encore invisible, la femme enceinte ne perçoit
pas encore l’enfant mais elle ressent dans son corps des
modifications (bouleversement hormonal, fatigue, nausée,
seins qui tirent, etc.). Puis le corps s’alourdit au fil des mois
lors desquels l’enfant grandit et où la future mère se prépare
psychiquement…

6.1 L’accueil du nouveau :


cet étranger-familier
Le « sous-sol du corps, (le) sous-sol de l’œuvre » (Schneider,
2004, p. 35), cet espace creux a ainsi pour fonction d’accueillir
un nouvel être vivant en son sein. L’enfant est ainsi couvé,
porté, créé en ce lieu enfoui mais il peut y être aussi retenu,
repoussé, voire rejeté. La mère doit accepter ce nouvel habitant
en son corps, qu’elle vient héberger. G. Chaouat, immuno-
logiste, a fait remarquer que se développait, depuis la fin des
années quatre-vingt-dix, « une nouvelle sous-discipline de l’im-
munologie qui s’intéresse à ce que peuvent avoir de commun
une gestation et un processus malin, une gestation et une greffe
d’organe » (1989, p. 99), même si un bébé n’est pas une tumeur,
n’est pas un organe greffé. Ce qui intéresse les immunologistes,
c’est pourquoi « le bébé aura été toléré pendant neuf mois,
alors que le rejet des greffes d’organes s’observe en général
en douze jours » (p. 100). L’une des fonctions du placenta est
d’accepter l’intrus, d’accepter ce don de soi, et d’empêcher le
rejet de l’embryon étranger par l’organisme maternel.
La femme enceinte va porter cet enfant dans son ventre, mais
également dans sa tête (Soulé, 1983). Il s’agit d’un processus
de « nidification psychique » (Missonnier, 2006) complexe
qui se met ainsi en marche. La grossesse impose un processus
d’intégration psychique de l’être conçu. La perception des
Le travail psychique de la grossesse 67

mouvements fœtaux représente souvent la première « preuve »


d’un être vivant à l’intérieur du corps maternel. Ce degré
d’existence supplémentaire est un moment important sur
lequel s’ancrent les représentations maternelles concernant
l’enfant à naître (notion 10). Cette sensation d’être deux dans
un même corps peut être vécue comme un ensemble de grati-
fications mais peut aussi susciter un sentiment d’inquiétante
étrangeté. Pour S. Freud, « [on peut compiler] tout ce qui, dans
les personnes et les choses, dans les impressions sensorielles,
les expériences vécues et les situations, éveille en nous le senti-
ment de l’inquiétante étrangeté, et inférer le caractère voilé
de celui-ci à partir d’un élément commun à tous les cas. (…)
L’inquiétante étrangeté (Unheimlich) est cette variété particu-
lière de l’effrayant qui remonte au depuis longtemps connu,
depuis longtemps familier » (1919, p. 215).
Cet enfant à naître invisible, maintenu secret en un lieu
écarté, porte ainsi l’antagonisme du familier et de l’inconnu, de
l’étrange. A. Bouchart-Godard, en s’appuyant sur le texte freu-
dien, parle de l’accueil d’un « étranger à demeure ». Reconnaître
cet enfant, réel, « tire la mère vers la reconnaissance dans son
enfant de ce qu’ils ont en commun et qu’elle refuse en elle.
Ce mouvement psychique par lequel l’enfant, pur héros, en
vient à être appréhendé comme un être de besoin laisse une
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

ombre au tableau narcissique satisfaisant : humain comme elle,


il en partage les limites, les défauts, les dangers. Ce qu’elle
refuse d’accepter en elle, pour elle, ce qu’elle dénie, refoule,
lui revient par son enfant comme sur le devant d’une scène à
laquelle elle ne pourrait échapper ni même fermer les yeux : il
n’est que cela… Il est aussi cela… Ce retour, à l’extérieur, de ce
qui fut interne et refoulé, n’est pas sans évoquer l’Unheimlich,
l’inquiétante étrangeté » (1979, p. 168).
Tout au long de la grossesse, progressivement, la mère
va chercher à adopter cet étranger-familier. « L’état de gros-
sesse oblige à effectuer un travail psychique complexe afin
de reconnaître psychiquement cet inconnu qui vient habiter
68 35 grandes notions de périnatalité

l’intériorité corporelle et psychique de la mère, à la fois objet du


dehors et du dedans entraînant un bouleversement pulsionnel
et identificatoire » (Papageorgiou, 2004, p. 55). Si tout va bien,
le fœtus va petit à petit devenir plus familier, se différencier,
s’humaniser, et cela de plus en plus jusqu’à l’accouchement.
C’est peut-être la fonction des représentations anticipatrices de
l’enfant à naître : le rendre plus proche, plus familier et petit
à petit le reconnaître comme son enfant. Se représenter est
d’ailleurs pour S. Freud une façon de se rapprocher, d’entrer
en contact mentalement avec l’objet (1913).

6.2 L’enfant et ses annexes fœtales


Le fœtus est entouré d’une enveloppe liquidienne qui protège,
qui filtre ce qui vient de l’extérieur. Le cordon ombilical est
régulièrement considéré comme le symbole de l’attachement
à la mère dans son aspect tendre, mais également dans celui de
dépendance, d’emprise : selon l’expression, il s’agit de l’enfant
ou de la mère qui « n’a pas coupé le cordon ». C’est le symbole
du lien à la mère archaïque, à la mère des origines. Il y a aussi
le placenta qui se pose pour certains comme une barrière entre
la mère et l’enfant (This, 1989) ou, pour d’autres, comme une
interface entre le système maternel et le système fœtal, comme
un trait d’union (Soulé, 2000). Il est aussi dans les rêveries
maternelles « l’ancêtre de ses seins nourriciers ». L’utérus et les
membranes, qui enveloppent l’enfant, sont « les préformes
de ses bras porteurs et protecteurs » (Bouchart-Godard, 1989,
p. 15). Il s’agit pour la mère de prendre bien soin de l’enfant
qu’elle porte en son sein.
Certains considèrent également le placenta comme un
« compagnon des profondeurs » (This, 1989), ou même comme
le frère des origines : « une sorte de relation fraternelle origi-
naire pourrait rendre compte d’une relation au placenta »
(Aubert-Godard, 2000, p.  156). Il est « l’autre enfant », le
Le travail psychique de la grossesse 69

jumeau, son double, qu’il fallait honorer et protéger dans


les siècles passés, double dont parle O. Rank (1924, p. 236).
À la naissance de l’enfant, les annexes fœtales deviennent
inutiles du fait même de la maturation de l’enfant qui provoque
la naissance. Dans certaines cultures, au cours de rituels, il était
ou il est possible de lire l’avenir de l’enfant tout juste né au
cœur du placenta. Il fallait aussi que l’enfant se délivre de ses
membranes, qui le souillaient, pour avoir droit au baptême.
Chez les Grecs, par exemple, « l’œuf original est oublié, nié »
et la personne advient « dans sa nature nue ». Ainsi, l’individu
se découvre dans sa vraie nature alors que son « compagnon »
disparaît, il n’est plus masqué par cet autre qu’est le placenta
(Clément-Faraut, 1989, p. 73 et p. 100 ; cet auteur cite des
observations de l’anthropologue M. Mauss).

6.3 L’attente
L’enfant se développe protégé, le ventre maternel se fait plus
pesant et c’est l’attente… Les parents, la mère, attendent de
rencontrer ce petit être et de le tenir tout contre eux. C’est une
attente teintée d’excitation, de plaisir, de rêves, de fantasmes et
de désirs, de création tant physique qu’imaginaire (se reporter
aux notions qui suivent) mais aussi d’anxiété, voire d’angoisse
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

quand il s’agit de l’accouchement, de la santé de l’enfant ou


même de la première rencontre.
J. Chasseguet-Smirgel (1986) met l’accent sur cette dispo-
sition à l’attente, indissociable de la féminité. Elle souligne
la capacité d’attente jour après jour alors que se développe
l’enfant, que se développe une relation : « la gestation demande
un certain temps que les progrès de la science ne sont pas
parvenus à écourter » (1986, p. 84). Depuis toujours, il s’agit
d’attendre les neuf mois que dure une grossesse. Plus largement,
la psychosexualité de la fillette doit faire avec l’ajournement
et avec l’attente. Il est intéressant de noter que l’on retrouve
70 35 grandes notions de périnatalité

cette thématique de l’attente et de la féminité en lisant certains


contes comme celui de la « Belle au bois dormant » (Schaeffer,
1994). C’est ainsi en filigrane de nombreux textes, histoires
qui se transmettent…

Pour aller plus loin


Lectures recommandées
Aubert-Godard A. (2000). Fraternité et génétique. Journal de la
psychanalyse de l’enfant, 27, 153-178.
Bouchart-Godard A. (1979). Un étranger à demeure. Nouvelle revue
de psychanalyse, 19, 161-175.
Bouchart-Godard A. (1989). Quel objet perdu ? Les Cahiers du
nouveau-né, Délivrances ou le placenta dévoilé, 8, 141-164.
Chaouat G. (1989). Le placenta : un paradoxe immunologique,
l’autogreffe fœtale. Les Cahiers du nouveau-né, Délivrances ou le
placenta dévoilé, 8, 97-106.
Chasseguet-Smirgel J. (1986). Les Deux Arbres du jardin. Paris :
Payot, 1988.
Freud S. (1913). Totem et Tabou. Paris : Payot, 1992.
Freud S. (1919). L’inquiétante étrangeté. In L’Inquiétante étrangeté
et autres essais. Paris : Gallimard, 1985, p. 211-264.
Missonnier S. (2006). Nidification fœtale, nidification parentale :
une relation d’objet virtuelle ? In Bergeret J., Soulé M. et Golse B.,
Anthropologie du fœtus. Paris : Dunod, p. 83-98.
Papageorgiou M. (2004). Étranger du ventre, étranger du transfert.
Revue française de psychosomatique, 26, 53-71.
Rank O. (1924). Le Traumatisme de la naissance. Paris : Payot
(coll. Petite Bibliothèque Payot), 2002.
Schaeffer J. (1994). « La Belle au bois dormant » : comment le
féminin vient aux filles ? Revue française de psychanalyse, LVIII, 1,
83-94.
Le travail psychique de la grossesse 71

Soulé M. (1983). L’enfant dans sa tête – L’enfant imaginaire. La


Dynamique du nourrisson ou quoi de neuf bébé ? Paris : ESF (coll. La
vie de l’enfant), p. 137-175.
Soulé M. (2000). Le fœtus précurseur du bébé. Groupal, 6, 16-28.
This B. (1989). De la liberté aquatique à l’enracinement végétal :
premières ébauches du placenta. Les Cahiers du nouveau-né,
Délivrances ou le placenta dévoilé, 8, 19-36.

Pour approfondir
Clément-Faraut C. (1989). Le délivre. Les Cahiers du nouveau-né,
Délivrances ou le placenta dévoilé, 8, 43-96.
Mauss M. (1950). Sociologie et anthropologie. Paris : PUF
(coll. Quadrige, grands débats), 2006.
Schneider M. (2004). Le Paradigme féminin. Paris : Aubier.

7. Les remaniements psychiques


de la grossesse

Dire que la grossesse est un moment de remaniement


psychique n’est pas une idée neuve. Depuis plus d’un siècle,
la psyché maternelle interroge. L. V. Marcé (médecin aliéniste
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

français) se penchait déjà sur les dispositions morales des


femmes enceintes : la grossesse est l’« un de ces états physio-
logiques dans lesquels le système nerveux peut acquérir
une mobilité et une impressionnabilité excessives », écrit-
il en 1858 (p. 31). Plus récemment et notamment à partir
des années 1955, des psychiatres, pédiatres, psychologues et
psychanalystes ont observé un état psychique particulier chez
la femme enceinte dont nous allons développer certains des
concepts les plus marquants.
Il faut comprendre qu’il s’agit d’un véritable travail allant
jusqu’à des remaniements identitaires dans ce changement
72 35 grandes notions de périnatalité

de statut d’« enfant de » à « parent de ». Il existe au cours de la


grossesse de nombreux changements qui s’opèrent au niveau
générationnel qui peuvent aller jusqu’au télescopage généra-
tionnel. G. Delaisi de Parseval (1981) utilise une métaphore
intéressante en parlant de « kaléidoscope d’imagos ».
Parler de la grossesse n’est pas toujours une évidence, loin
s’en faut… Les aspects plus complexes de la grossesse, de la
maternité soulèvent encore de nos jours de nombreuses résis-
tances. Par exemple, les peurs, l’ambivalence maternelle et/
ou paternelle, les lignes de faille ne font pas toujours bon
ménage avec le discours social habituellement véhiculé…
parfois proche de l’idéalisation.

7.1 La « préoccupation maternelle primaire »


Il revient à D. Winnicott d’avoir, le premier, observé un état
particulier chez des femmes récemment accouchées. Dès 1956,
il parlera de « préoccupation maternelle primaire », qu’il
définit comme un « état psychiatrique très particulier de la
mère qui atteint un degré de sensibilité accru pendant la gros-
sesse et spécialement à la fin ». Il écrit encore qu’il s’agit d’un
« stade d’hypersensibilité – presque une maladie – pour s’en
remettre ensuite ». Un peu plus loin, il ajoute que cela varie :
« certaines femmes y parviennent avec un enfant et échouent
avec un autre… d’autres ne sont pas capables de se laisser
aller à cet abandon ». Pour l’auteur, parvenir à cette « maladie
normale » permet à la mère de « s’adapter aux tout premiers
besoins du petit enfant avec sensibilité et délicatesse ». Cet état
dure quelques semaines après la naissance et les mères ne s’en
souviennent que difficilement lorsqu’elles en sont remises.
Elles ont tendance à en refouler le souvenir (1956, p. 287-288).
Il s’agit donc d’un processus psychique survenant au cours
de la grossesse qui se manifeste comme une perturbation de
l’équilibre psychique antérieur, et qui est parfois si intense que
Le travail psychique de la grossesse 73

l’on a pu le considérer comme pathologique, mais c’est un


processus pourtant important puisqu’il permet une adaptation
à l’arrivée de l’enfant. La mère aurait ainsi la capacité de capter
et de décoder avec une extrême finesse les signaux émanant
de son nourrisson pour en prendre soin au plus proche des
besoins de ce dernier. D. Winnicott décrit ainsi une identifi-
cation régressive de la future mère à son bébé.
Il est également question de « préoccupation paternelle
primaire » (Sirol, 2009). Un paternage, pourrait-on dire, avec
ses spécificités (des pères peuvent par exemple plus régulière-
ment rechercher des temps de jeux) et qui souligne aussi la
grande attention des pères aux soins à donner à leur nour-
risson. Ce fonctionnement parents-bébé correspond en grande
partie à la période de « dépendance absolue » du bébé vis-à-vis
de son environnement.

7.2 Les observations en période pré


et postnatale
G. L. Bibring (1959, 1976), qui a été l’une des premières
à entreprendre des observations systématiques avant et après
la naissance d’un enfant, remarque une tendance chez les
femmes enceintes à parler très librement de leurs
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

fantasmes, au point d’être considérées comme des person-


nalités limites. Cet auteur observe durant cette période la
présence d’un déséquilibre émotionnel particulier et d’une
nouvelle étape dans la maturation adulte. Les émotions sont
de natures diverses, plaisir et angoisse s’y mêlent. Il semble
en effet que durant la période de la grossesse, il existe un état
particulier chez la femme où l’accès au monde fantasmatique et
aux souvenirs enfouis semble relativement facile. G. L. Bibring
a également évoqué le terme de crise maturative à propos
de l’expérience psychique de la grossesse car celle-ci occasionne
des remaniements profonds qui lui sont propres. Elle considère
74 35 grandes notions de périnatalité

la grossesse comme une période critique à l’égal de la puberté et


de la ménopause dans la mesure où ces trois étapes du dévelop-
pement biologique ont en commun une série de phénomènes
psychologiques caractéristiques. Entre autres, ce sont des étapes
significatives dans lesquelles l’équilibre de la phase qu’elles
inaugurent dépend de l’issue de la crise, c’est-à-dire de la solu-
tion et de la réorganisation mature de l’équilibre perdu : par
exemple la maturité et la puberté, la vieillesse et la ménopause,
et la maternité avec la grossesse. Ces étapes sont des périodes
fondamentales qui ont aussi en commun d’être des points de
« non-retour » à la condition antérieure.

Exemple d’observations de G. L. Bibring


« Des femmes primipares normales manifestaient une anxiété qui,
au début, nous semblait présenter un caractère pathologique. Les
matériaux inconscients étaient si chargés, si bizarres, et si près
de la conscience qu’ils incitaient l’interviewée avant l’accouche-
ment à faire les plus sombres prévisions quant à la capacité de
ces femmes à s’adapter à leur rôle de mère. Cependant, quand
nous les regardions agir en tant que mères, il nous semblait que
cette angoisse et ce matériel inconscient étrange étaient là pour
les inciter à se réorganiser et à trouver une plus juste adaptation.
Nous avons alors pensé que l’anxiété prénatale et la distorsion de
l’univers fantasmatique faisaient partie d’une réaction saine : elles
permettaient à la femme de quitter son ancien équilibre homéos-
tatique et lui permettaient d’accéder à une nouvelle adaptation.
La “réaction d’alarme” que nous notions était en fait une sorte
de “traitement de choc” qui allait permettre la réorganisation
nécessaire pour se confronter à son nouveau rôle. (…) Ainsi,
les troubles affectifs de la grossesse et de la période périnatale
peuvent être considérés comme un élément positif témoignant
de la bonne organisation de la mère, puisqu’il permet d’offrir
à l’enfant un environnement plus individualisé et plus souple »
(Bibring, 1961, citée par Brazelton et Als, 1981).
Le travail psychique de la grossesse 75

7.3 « La crise de la maternalité »


En étudiant les psychoses puerpérales, P.-C. Racamier va
s’intéresser à l’économie psychique de la femme enceinte souf-
frant de troubles psychiques, mais aussi en dehors de toute
pathologie. C’est en 1961 qu’il écrit un article sur « La mère et
l’enfant dans les psychoses du post-partum ». Il y propose une
analyse du processus psychique mis au travail tout au long
de la grossesse. Il pose le premier le terme de maternalité
pour qualifier ce phénomène (terme que nous définirons plus
précisément plus loin) et parle de « crise de la maternalité ».
Pour cet auteur, l’économie psychique de la femme enceinte
s’oriente vers un régime narcissique et fusionnel qui se centre
autour du fœtus : « durant la grossesse, le régime métabolique,
hormonal et neurovégétatif s’infléchit vers un anabolisme
propice à la gestation. En même temps et parallèlement,
l’économie libidinale de la femme s’infléchit progressivement
dans le sens narcissique ; le courant de ces investissements
s’infléchit, se ramasse et se centre sur le fœtus. En un mot la
grossesse est une phase où la femme a tendance à s’aimer plus
fortement, où elle aime indistinctement l’enfant qu’elle porte
et son corps qui le porte. Ce régime narcissique et fusionnel
est interrompu par la naissance » (1961, p. 529). Durant cette
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

phase, la mère doit s’y adapter et l’organisation habituelle de


sa personnalité se modifie.
De plus, « pour P.-C. Racamier la mère se trouve dans l’obli-
gation d’intégrer la représentation qu’elle se fait du fœtus au
sein de sa propre image corporelle. Et ce seraient des difficultés
de la rencontre entre ces deux représentations que naîtraient
les incidents affectifs bien connus de la maternalité » (Bergeret
et Houser, 2004, p. 129). Par ailleurs, derrière cette expression
de « folie maternelle », il regroupe différents points et notam-
ment la phase incestueuse associée à la relation primaire à la
mère, les désirs incestueux de la mère pour l’enfant, considérés
76 35 grandes notions de périnatalité

comme une relation passionnelle, une folie maternelle. Il fait


là référence au lien charnel qui unit mère et enfant dans les
premiers temps.

7.4 « Une crise normale »


En parallèle, un travail important s’est poursuivi à la croisée
du champ psychanalytique et de celui de la psychologie du
développement pour essayer de mieux comprendre ce que l’on
appelle les premières interactions. Des chercheurs du courant
interactionniste parmi lesquels T. Brazelton (1979), L. Kreisler
et B. Cramer (1981) ou D. Stern (1989) ont mis en relation les
contenus psychiques maternels et les réactions du nourrisson.
T. Brazelton et H. Als ont par exemple observé en 1979 lors
d’entretiens pendant la grossesse des états d’anxiété qui parais-
saient être d’intensité pathologique. Ils trouvaient le matériel
inconscient tellement accessible qu’ils pensaient que cela était
un mauvais pronostic pour le devenir de ces futures mères.
Mais le suivi de ces femmes enceintes primipares a montré que
cela faisait partie d’une crise normale due à cet état de
la grossesse. Pour ces auteurs, cet état permet aux femmes
un réaménagement psychique les amenant vers un nouvel
état : celui de mères.

7.5 La « transparence psychique »


Plus récemment, M. Bydlowski (1991, 1997) a décrit cet état
en termes de « transparence psychique ». Cet auteur a égale-
ment observé que la grossesse, et plus particulièrement autour
du septième mois, était le moment d’un état de suscepti-
bilité où des fragments de l’inconscient viennent à la
conscience. Le concept de transparence psychique chez la
femme enceinte est « en premier lieu un état relationnel parti-
culier que nous considérons comme un état d’appel à l’aide,
Le travail psychique de la grossesse 77

latent et quasi permanent… » En fait, pendant la grossesse,


« tout se passe comme si la femme était a priori, tout comme à
l’adolescence, dans une situation d’ouverture et d’appel envers
un référent. Cet état relationnel particulier conditionne une
aptitude au transfert et est très favorable pour la recherche. En
deuxième lieu, pour ces femmes, la corrélation entre la situa-
tion de gestation actuelle et les remémorations infantiles va de
soi, sans soulever de résistance notable… L’état de conscience
paraît modifié et le seuil de perméabilité à l’inconscient comme
au préconscient abaissé » (1998, p. 103-104).
Il s’agit d’un processus mental spécifique qui se caractérise
ainsi par une grande perméabilité à la conflictualité incons-
ciente et par une relative levée du refoulement coutumier.
Les souvenirs enfouis affluent avec une censure psychique
moindre : d’une part, la névrose infantile fait retour (et sa
révision adolescente) et, d’autre part, des reviviscences plus
archaïques, préœdipiennes, affleurent inhabituellement à la
conscience.

7.6 « Un état passionnel »


Pour J. Kristeva, la période de la grossesse est également une
véritable crise identitaire, un état passionnel, et celle-ci prend
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

une importance considérable dans la construction même de


l’identité féminine. Elle constate ainsi un état passionnel
qui se caractérise par un afflux de trois émotions
fondamentales : le désir, le plaisir et l’aversion où pendant
neuf mois la future mère devient pour elle-même un objet de
désir, de plaisir et d’aversion. Elle qualifie ce mouvement de
repli narcissique. Pour elle, la maternité est une passion « au
sens où les émotions d’attachement et d’agressivité narcis-
siques, filtrées par la conscience réfléchie et par l’inconscient
qui parle d’Éros et Thanatos, se transforment en amour (avec
son corrélat de haine plus ou moins atténuée) » (2005, p. 185).
78 35 grandes notions de périnatalité

C’est d’ailleurs dans cette expérience de la grossesse et de la


maternité que la passion prend son aspect le plus humain,
« c’est-à-dire le plus éloigné de son fondement biologique qui,
cependant, ne cesse de l’accompagner (les fameuses pulsions
d’attachement et d’agressivité), et qu’elle emprunte la voie
de la sublimation sans pour autant cesser d’être une passion »
(2005, p. 185). Une passion se déclenche ainsi pour elle-même
et pour l’enfant puis la mère s’en détache pour qu’il devienne
un être autonome. J. Kristeva se situe essentiellement au niveau
du préœdipien, du maternel archaïque.

Pour aller plus loin


Lectures recommandées
Bergeret J. et Houser M. (2004). Le Fœtus dans notre inconscient.
Paris : Dunod.
Bibring G. L. (1959). Some considerations on the psychological
processes in pregnancy. The Psychoanalytic Study of Child, 14, 113-121.
Bibring G. L., Dwyer T. F., Huntington D. S. et Valenstein A. F. (1961).
A study of the psychological processes in pregnancy and the earliest
mother-child relationship. The Psychoanalytic Study of the Child,
16, 9-72.
Bibring G. L. et Valenstein A. F. (1976). Psychological aspects of
pregnancy. Clinical Obstetrical Gynecology, 19, 357-371.
Brazelton T. B. et Als H. (1979). Four early stages in the develop-
ment of mother-infant interactions. Psychonalytic Study of the Child,
34, 349-370.
Brazelton T. B. et Als H. (1981). Quatre stades précoces au cours
du développement de la mère-nourrisson, Psychiatrie de l’enfant,
XXIV, 2, 397-418.
Bydlowski M. (1991). La transparence de vie de la grossesse. Études
freudiennes, 32, 135-142.
Le travail psychique de la grossesse 79

Bydlowski M. (1997). La Dette de vie. Itinéraire psychanalytique de


la maternité. Paris : PUF.
Bydlowski M. (1998). La transparence psychique de la femme
enceinte. In Mazet, P. et Lebovici S., Psychiatrie périnatale. Parents
et bébés : du projet d’enfant aux premiers mois de vie. Paris : PUF,
p. 101-109.
Delaisi de Parseval G. (1981). La Part du père. Paris : éd. du Seuil.
Kreisler L. et Cramer B. (1981). Sur les bases cliniques de la psychia-
trie du nourrisson. Psychiatrie de l’enfant, XXIV, 1, 224-285.
Kristeva J. (2005). La Haine et le Pardon. Paris : Fayard.
Racamier P.-C. (1961). La mère et l’enfant dans les psychoses du
post-partum. Évolution psychiatrique, XXXVI, 4, 525-570.
Sirol F. (2009). La préoccupation paternelle primaire existe-t-elle ?
in Golse B., Morisseau L. (dir.), Lorsque la parentalité paraît. Paris :
PUF, p. 129-140.
Stern D. N. (1989). Le Monde interpersonnel du nourrisson. Paris :
PUF.
Winnicott D. W. (1956). La préoccupation maternelle primaire. In De
la pédiatrie à la psychanalyse. Paris : Payot, 1992, p. 285-291.

Pour approfondir
Marcé L. V. (1858). Traité de la folie des femmes enceintes. Des
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

nouvelles accouchées et des nourrices. Paris : L’Harmattan, 2002.

8. Les désirs et fantasmes


au cours de la grossesse

L’intérêt pour le mystère des origines, pour les secrets de la


matrice sont largement représentés, comme nous l’avons vu,
dans l’histoire de l’art (notion 1). Ces représentations vont des
figurations d’Ève enfantée par Adam à des films bien connus
80 35 grandes notions de périnatalité

comme les 4 films Alien (1979-1997) avec leurs embryons


monstrueux, et la reine Alien qui acquiert un utérus permet-
tant à son espèce de devenir autonome dans Alien 4, ou encore
Matrix (1999, 2003). Un ensemble de désirs et de fantasmes de
grossesse y sont sollicités…
Le désir d’enfant ne date pas du jour où une femme, un
couple décident d’avoir un enfant. Il s’inscrit dans un
processus qui s’enracine dans l’enfance, traverse
l’adolescence jusqu’à l’âge adulte.

8.1 Les désirs infantiles


C’est dans les Trois essais sur la théorie de la sexualité (19051),
dans un chapitre sur « Les recherches sexuelles de l’enfant »
ajouté en 1915, que S. Freud souligne l’intérêt que l’enfant
montre pour les origines : il cherche, élabore et s’attache à
comprendre, à savoir d’où viennent les enfants. Il s’attaque
aux mystères de la naissance. C’est à cette époque, entre trois
et cinq ans, qu’apparaît cette pulsion de savoir, une curiosité
infantile qui s’enracine dans ces recherches sexuelles mais qui
peut faire l’objet d’une transformation vers un but non sexuel,
comme la sublimation par exemple.
S. Freud souligne que ce qui pousse l’enfant à ces recherches
n’est pas « théorique » mais qu’il s’agit d’un besoin pratique,
vital. Il s’agit d’une « urgence de la vie » (p. 91). Il met son esprit
au travail quand il se sent menacé, notamment par l’arrivée
d’un nouvel enfant qui pourrait entraîner une diminution d’at-
tention, de soins et d’amour. « La première énigme intéressant
l’enfant est non pas celle de la différence des sexes, mais celle
de l’origine des enfants » (p. 91). Pour lui, les enfants des deux
sexes élaborent une théorie selon laquelle toute femme aurait

1. Les ajouts successifs aux Trois essais sur la théorie sexuelle datent de
1910, 1915, 1920 et 1924.
Le travail psychique de la grossesse 81

eu un pénis (première théorie sexuelle infantile) avant d’être


castrée. Le petit garçon défend longuement l’idée selon laquelle
tout le monde est pourvu d’un pénis, et ce n’est qu’après des
conflits internes intenses (complexe de castration, deuxième
théorie sexuelle infantile) qu’il l’abandonne. Quant à la petite
fille, elle ne se refuse pas à reconnaître et à accepter l’existence
d’un sexe différent du sien, le plus souvent après avoir aperçu
l’organe génital du garçon. S. Freud insiste sur le fait que les
différentes théories élaborées par l’enfant vont être tenues en
échec quand celui-ci s’apercevra notamment des modifications
corporelles entraînées par une grossesse chez leur mère ou chez
une autre femme. « On peut dire, en général, que les théories
sexuelles infantiles ne sont que le reflet de la constitution
sexuelle et que, malgré des erreurs bizarres, elles témoignent
d’une plus grande intelligence des actes sexuels qu’on ne pour-
rait d’abord le supposer » (p. 93). L’enfant ne pourra cependant
trouver une réponse satisfaisante puisqu’il « ignore le rôle du
sperme et la présence du vagin. D’où le mystère de la naissance
malgré sa perspicacité » (p. 94). Les investigations de l’enfant
n’arrivent pas à éclairer cette énigme puisqu’il lui manque
des éléments essentiels. Il élabore le plus souvent une théorie
cloacale de la naissance (troisième théorie sexuelle infantile).
En 1908 dans Les Théories sexuelles infantiles, S. Freud avait
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

déjà mis en lumière les différents points de sa théorie qui


l’avaient incité à reprendre son texte de 1905, comme dans
le paragraphe ajouté en 1915, la question clé que se pose
l’enfant est : d’où viennent les enfants ? Et surtout, quand
un nouvel enfant paraît, d’où peut bien venir cet intrus ? Cette
recherche active et solitaire aura pour effet d’éveiller la vie affec-
tive de l’enfant et d’aiguiser sa faculté de penser (1908, p. 17).
L’enfant se rend bien compte en observant les femmes
enceintes que « l’enfant se développe dans le corps de la mère »
(1908, p. 18), ce qui le met sur la voie. Si l’enfant commence
à percevoir l’existence de la cavité utérine, « d’une cavité
82 35 grandes notions de périnatalité

qui reçoit le pénis », il ne pourra aller plus loin n’ayant pas


l’ensemble des éléments. Il continue alors à élaborer diffé-
rentes théories sexuelles. Si l’enfant se développe dans le corps
maternel, il y arrive puis en sort. L’enfant à naître prend le
même chemin que les aliments, c’est-à-dire par la bouche
(théorie cloacale). De plus, il ne peut en être évacué que par
l’orifice intestinal, ou alors l’enfant vient par le nombril, un
nombril qui s’ouvre. Il se peut aussi que le ventre soit fendu
« pour que l’enfant en soit extrait, comme cela arrive au loup
dans le conte du Petit Chaperon rouge » (p. 21). Dans ces
cas-là, l’homme peut tout aussi bien enfanter que la femme ;
et le petit garçon peut se forger le fantasme qu’il peut lui aussi
porter un enfant.
L’enfant s’interroge également sur le rôle du père dans
la conception. Si le père parle de « ses enfants », c’est qu’il
doit bien y être pour quelque chose. S. Freud relate le cas
d’une patiente qui avait élaboré une théorie de la « couvade » :
« Un des oncles de cette patiente quelque peu originale resta
pendant des jours à la maison après la naissance de son
enfant ; il recevait les visiteurs en robe de chambre, d’où le
fait qu’elle conclut que les deux parents avaient pris part à
la naissance et devaient s’aliter » (p. 25). L’enfant va donc
s’interroger sur la nature des relations entre ses parents. Par ses
observations, par des bruits venant de la chambre parentale,
ou s’il surprend ses parents lors d’un rapport sexuel, l’enfant
va se constituer une conception sadique du coït où le père
agresse la mère. Cependant, il ne faut pas oublier la force
des défenses, notamment celle du refoulement sexuel, qui
permet à certains enfants de ne rien y entendre, de ne rien y
comprendre s’ils le souhaitent (p. 26-27).
Ainsi, cela renvoie aux questions sur les origines et par
conséquent aux fantasmes originaires et particulièrement au
fantasme de scène primitive. Avoir fantasmatiquement un
bébé de sa mère, de son père, c’est aussi tenter de répondre
Le travail psychique de la grossesse 83

à la question des origines. L’enfant devenu adulte, ces désirs


infantiles refoulés et enfouis sont tout particulièrement solli-
cités, fantasmatiquement, pendant la grossesse, où l’on observe
leur résurgence : se développe un sentiment de victoire ou de
culpabilité émergé de la sexualité infantile.

8.2 Les désirs au féminin


À la suite de ces théorisations, S. Freud s’interroge sur la
sexualité féminine et il confie dans différents textes la difficulté
qu’il a à élaborer la sexualité féminine : « de la vie sexuelle de la
petite fille, nous en savons moins que de celle du petit garçon
(…) la vie sexuelle de la femme adulte est bien encore pour
la psychologie un dark continent », soit un continent sombre
(1926, p. 75). Pourtant en 1925, il avance son hypothèse du
désir d’enfant qui vient remplacer le désir de pénis.
Des auteurs contemporains reprenant les textes freu-
diens s’interrogent et poursuivent les réflexions à ce sujet.
D. Braunschweig et M. Fain, par exemple, sont surpris qu’en
analysant le fantasme de seconde naissance de l’Homme
aux loups, S. Freud n’ait pas pensé au fantasme de grossesse
d’Anna O. et du Président Schreber, ce qui ne lui aurait pas
permis de tirer « toutes les conséquences en ce qui concerne
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

les rapports de l’homosexualité agie et de la paranoïa avec les


deux temps de l’hystérie et les deux temps de la castration »,
problème des deux temps qui vient également « s’inscrire dans
la rédaction de L’Homme aux loups comme le point crucial de
la polémique avec C.-G. Jung et A. Adler qui n’admettaient
pas l’après-coup » (1975, p. 18). D’autres travaux comme, par
exemple, ceux de J. Chasseguet-Smirgel (1986) ou de S. Faure-
Pragier (1999) notamment montrent combien le Petit Hans
fait le constat que sa mère possède un vagin et pas seulement
qu’elle est châtrée. Ainsi, dans l’analyse des cas du Petit Hans
(1909), de l’Homme aux rats (1909), du Président Schreber
84 35 grandes notions de périnatalité

(1911) ou encore de l’Homme aux loups (1918), S. Freud parle


de « fantasme de désir féminin », ou de « fantasme de procréa-
tion », mais il ne fait qu’esquisser le fantasme de grossesse
masculine, un désir d’enfant du père ou de la mère.
S. Freud s’était pourtant déjà interrogé à ce sujet en 1919
notamment, dans Un enfant est battu, où il développait l’idée
d’un père libidinal qui « fait tout » pour gagner l’amour de sa
fille et contribue par ses fantaisies inconscientes à la genèse
de la féminité de son enfant (1919). Pourquoi ne poursuivit-il
pas dans cette voie-là ?…
À plusieurs moments, S. Freud hésite. Pour lui, la sexualité
de la petite fille se calque sur celle du désir du garçon ou est
obscure. Pourtant, en 1925, il sait. Dans ce texte, S. Freud réin-
troduit « la mère comme tiers entre père et fille, tiers non plus
rival mais objet d’amour essentiel » (Pragier et Pragier, 1993,
p. 456). Le père est ainsi aimé, mais indirectement et l’attache-
ment au père n’est qu’une conséquence du manque de pénis.
G. et S. Pragier qualifient cette « conception de la féminité
de défensive » (1993, p. 447). Les auteurs soulignent en effet
qu’à la même époque, dans les débuts de la psychanalyse,
S. Freud suit Anna, sa fille, sur le divan. Face à la persistance
de l’attachement d’Anna et de son « complexe de masculinité »,
S. Freud construit une nouvelle théorie de la féminité : l’Œdipe
n’est pas originaire chez la fille, contrairement au garçon. Ce
qui est à l’origine, c’est le manque de pénis, « le destin, c’est
l’anatomie » (1993, p. 456).
Sur cette question de la féminité, des contemporains
de S.  Freud lui répondront, parmi lesquels K.  Horney ou
K. Abraham, ainsi qu’E. Jones et plus tard M. Klein. Différents
auteurs vont remettre en cause le monisme phallique
et avec l’hypothèse freudienne posée comme un postulat :
fantasmatiquement « enfant = pénis ». Ils vont ainsi questionner
le désir d’enfant. L’enfant n’est-il désiré, comme le développe
S. Freud, que comme un substitut du pénis manquant ?
Le travail psychique de la grossesse 85

J. Chasseguet-Smirgel (1964, 1986) se dissocie de la posi-


tion freudienne en insistant sur l’envie qu’a la femme d’être
fécondée en gardant le pénis en soi : « j’ai eu, à plusieurs
reprises, l’occasion de me faire conter des rêves, faits par des
femmes après leur première cohabitation. Or ces rêves déce-
laient, sans aucun conteste, le désir de garder le pénis ». Elle
poursuit ainsi dans une note : « Il me semble que ce désir –
régressif selon S. Freud – est en fait l’expression du désir le plus
authentiquement féminin, celui de garder le pénis pour en être
fécondée » (1964, p. 144). J. Chasseguet-Smirgel ne sera pas
la seule à s’interroger. S’y associent C. David, B. Grunberger,
C.-J. Luquet-Parat, M. Torok et J. McDougall (1964). Quelques
années plus tard, S. Faure-Pragier posera autrement la question :
« Le désir d’enfant comme la conséquence même de l’amour de
l’amante ? » Pour elle, « le désir d’enfant serait alors, non pas la
cause comme le décrit S. Freud, mais la conséquence même de
l’amour de l’amante. Donner une descendance serait la preuve
de cet amour » (1999, p. 54).
Questionner la célèbre équation freudienne « enfant
= pénis » a permis deux choses. D’une part de redéfinir la ques-
tion du féminin et du maternel. Pour certains ce sont deux
notions antagonistes (J. Schaeffer par exemple), voire clivées
(F. Guignard par exemple), pour d’autres elles s’intriquent
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

(S. Faure-Pargier par exemple). D’autre part, de bien souligner


que l’homme et la femme sont marqués tant l’un que l’autre
par l’intégration de leurs identifications aux deux parents et
notamment par l’identification à une mère vécue comme
possédant un vagin et une matrice féconde ce qui doit jouer
un rôle fondamental dans la psychosexualité des hommes et
des femmes, et « ce serait la primauté du désir d’enfant liée à la
présence du réceptacle féminin qui pousserait à la conception
orale du coït et de la grossesse et non la primauté de l’oralité
sur la génitalité » (Chasseguet-Smirgel, 1986, p. 26).
86 35 grandes notions de périnatalité

8.3 Les désirs de grossesse, de maternité


et d’enfant
La relation préœdipienne à la mère est centrale pour celles
qui souhaitent un enfant. Avant de souhaiter un enfant du père,
la fille souhaite un enfant de la mère (Freud, 1933). P. Aulagnier
(1975) retient, à la suite de S. Freud, deux idées principales :
d’abord celle d’une continuité, d’une véritable articulation
historique, chronologique, du désir d’avoir un enfant qui va
d’« être l’objet du désir de la mère » à celui d’« avoir un enfant
du père » jusqu’à souhaiter que l’enfant devienne un jour père
ou mère à son tour. D’autre part, elle pointe l’idée originale
que le désir d’avoir un enfant permet une représenta-
tion imaginée qui inscrit l’enfant dans une histoire,
une inscription historique qui propose même un avenir à l’en-
fant : celui-ci pourra lui aussi un jour devenir père ou mère.

Extrait de La Violence de l’interprétation (Aulagnier, 1975)


« Être l’objet du désir de la mère
→ avoir un enfant de la mère
→ prendre l’objet du désir de la mère
→ être l’objet désiré du père
→ avoir un enfant du père
→ donner un enfant à un père
→ (et à partir du moment où l’on devient mère)
→ souhaiter que son propre enfant devienne père (ou mère) »
(p. 142-143).
Ainsi, la mère souhaite au bébé qui vient de naître d’avoir lui-
même un enfant plus tard. De plus, elle se défend face à ses désirs
infantiles en proclamant que l’enfant existant n’est pas la réalisa-
tion d’un vœu passé : « en lui souhaitant un enfant elle le sépare
de l’enfant qu’elle avait souhaité, elle donne, et d’abord se donne,
la preuve de la non-transgression de l’inceste » (p. 144).
Le travail psychique de la grossesse 87

M. Bydlowski (1978, 1997) pense, elle, que désirer un enfant


est souvent présenté par les femmes enceintes comme une
démarche consciente qui vise à se perpétuer pour dépasser son
propre destin. « Désirer un enfant se présente souvent comme
une démarche consciente et raisonnable, parfois même déli-
bérée, voire programmée » (1978, p. 59). Cela s’intègre pour
chaque sujet dans un plan de vie, en relation avec des idéaux
sociaux et familiaux. Cependant, elle souligne à la suite de
S.  Freud que ce souhait conscient est toujours infiltré de
« significations inconscientes ». Ce désir d’enfant peut alors
être entendu « comme lieu de passage d’un désir absolu. Ce qui
est désiré, ce n’est pas un enfant, c’est le désir d’enfant, c’est
un désir d’enfance, la réalisation d’un souhait infantile » (1978,
p. 61). Cet auteur développe également l’idée qu’au cours de la
grossesse il existe une intrication à deux niveaux : d’une part
au niveau de l’intrication maternelle archaïque et d’autre part
au niveau de la réalisation œdipienne. Le désir d’enfant vient
donc s’inscrire dans un registre dominant tantôt narcissique,
tantôt œdipien. Cet auteur souligne bien que l’Œdipe n’est
qu’un versant du désir d’enfant et qu’il y a également émer-
gence de désirs inconscients sur un registre préœdipien : « en
enfantant, une femme rencontre et touche sa propre mère, elle
la devient, la prolonge en se différenciant d’elle » (1985, p. 28).
Cet auteur observe aussi qu’un certain nombre de grossesses
n’ont « pour autre finalité qu’elles-mêmes » (1978, p. 78). Le
projet inconscient est alors d’être enceinte, d’éprouver ce senti-
ment de plénitude, sans projet d’enfant à son terme. C’est en
quelque sorte pour vérifier leur bon fonctionnement que ces
femmes tombent enceintes.
88 35 grandes notions de périnatalité

Vignette clinique
Marthe a 53 ans. Elle est mariée, mère de quatre enfants. Elle
se dit heureuse dans sa vie actuelle. Elle est actuellement en
pré-ménopause. Elle vient consulter en urgence dans le service
de gynécologie-obstétrique car elle pense être enceinte et ne
souhaite pas poursuivre cette grossesse. Elle pense en effet qu’il
est trop tard pour elle d’avoir un enfant. Elle en a parlé longue-
ment parlé avec son mari et ils ont pris cette décision ensemble.
Il sera présent lors de l’IVG.
Marthe se pose pour réfléchir à la situation lors d’une consultation
avec la psychologue du service avant de finaliser les différentes
démarches. En début d’entretien, elle ne comprend pas bien ce
qui a pu se passer. Elle a toujours été sérieuse dans la prise de
sa contraception. Cela ne lui est jamais arrivé, même quand elle
était jeune et qu’elle découvrait la sexualité. « Il faut que j’aie
53 ans et sois en pré-ménopause pour que cela m’arrive, c’est
n’importe quoi. » En évoquant la ménopause qui arrive, elle éclate
en sanglots et se rend compte à quel point cela est douloureux
pour elle. Elle l’évoque comme une véritable perte, comme la
perte de sa fertilité. Elle ne pourra plus être enceinte, c’est une
page qui se tourne, un deuil est à faire. Elle arrive à une autre
étape de sa vie qui vient questionner sa propre féminité.
Elle reviendra pendant quelques mois voir la psychologue et
viendra interroger ce début de grossesse. Elle le comprendra
comme un acte manqué en quelque sorte venant répondre à un
besoin, à un souhait de sentir encore son corps enceint.

M. Soulé reprend cette dernière idée en 1983 et définit la


notion de « désir de grossesse ». Il s’agit d’un « désir où l’enfant,
en tant qu’être figuré et distinct, ne tient pas de place » (1983,
p. 144), c’est le souhait de vérifier le bon fonctionnement de
l’appareil génital et l’intégrité corporelle. La femme veut être
sûre que rien n’est venu entraver, entamer ses possibilités
d’avoir un enfant. C’est aussi pour imaginer la complétude,
Le travail psychique de la grossesse 89

pour éprouver la plénitude ou pour avoir quelque chose en


plus, ceci pouvant renvoyer à un déni de castration féminine
ou bien à un versant plus archaïque : à la nostalgie d’une
complétude narcissique.

Vignette clinique
Rebecca est une femme d’une quarantaine d’années régulière-
ment suivie en psychiatrie pour des accès mélancoliques. Elle
explique dans le service qu’elle ne se sent bien qu’enceinte,
qu’elle ne se sent entièrement elle-même qu’unie, pleine d’un
autre : alors elle ne se sent plus seule. Elle aime ses enfants mais
elle préfère par-dessus tout être enceinte. C’est quasiment vital
pour elle, explique-t-elle dans le service à la psychologue qui la
prend en charge.
Elle sera ainsi huit fois enceinte et donnera naissance à huit
enfants qu’elle aura avec le même compagnon. Les enfants
seront placés dans les jours qui suivront leur naissance. Rebecca
reste ainsi que leur père très attachée à leurs enfants. Ils viennent
les voir chaque week-end et le mercredi quand cela est possible.
Ils les prennent également avec eux quelques jours en vacances
dès qu’ils le peuvent.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

À la même époque, S. Lebovici (1983) pense, comme d’autres


l’ont déjà fait avant lui, que les différentes étapes de la sexua-
lité infantile et les différents conflits qui la marquent vont
être transposés dans la grossesse et la maternité. Cependant,
pour cet auteur, ce souhait d’avoir un enfant existant depuis
l’enfance relève plutôt du désir de maternité. Le désir d’enfant
appartient, lui, à un registre légèrement diffèrent où l’accent
est davantage mis sur le produit de la maternité, c’est-à-dire
sur l’enfant lui-même. S. Lebovici va donc faire la distinction
entre le désir de maternité et le désir d’enfant (ou de grossesse)
et l’articuler à l’enfant fantasmatique et à l’enfant imaginaire,
ceux-ci étant respectivement les produits de ces deux désirs.
90 35 grandes notions de périnatalité

En articulant ces différents points, D. Cupa va décomposer


le désir d’enfant en désir de grossesse et en désir de mater-
nité : « Le désir de grossesse est le désir d’être grosse, d’obtenir
quelque chose d’un partenaire œdipien, préœdipien. Ce désir
pose la question de la spécificité de la demande féminine. Le
désir de maternité est le désir d’être mère, d’avoir un enfant du
père, de la mère. Il renvoie à la reconnaissance de la fonction
maternelle et paternelle. Le désir d’enfant, questionnant sur
les origines, met en jeu les fantasmes originaires, plus particu-
lièrement les fantasmes de scène primitive » (1992, p. 49-50).

Pour aller plus loin


Lectures recommandées
Aulagnier P. (1975). La Violence de l’interprétation. Du pictogramme
à l’énoncé. Paris : PUF, 1995 (5e éd).
Braunschweig D. et Fain, M. (1975). La Nuit, le jour. Paris : PUF.
Bydlowski M. (1978). Les enfants du désir. Le désir d’enfant dans sa
relation à l’inconscient. Psychanalyse à l’université. Paris : Aurepp,
4, 59-92.
Bydlowski M. et Dayan-Lindzer M. (1985). Désir d’enfant, mal d’en-
fant. Revue de médecine psychosomatique, 1, 23-42.
Bydlowski M. (1997). La Dette de vie. Itinéraire psychanalytique de
la maternité. Paris : PUF.
Chasseguet-Smirgel J. (1964). La Sexualité féminine. Paris : Payot,
1991.
Chasseguet-Smirgel J. (1986). Les Deux Arbres du jardin. Paris :
Payot, 1988.
Cupa-Pérard D. et al. (1992). Bébé imaginé et interactions précoces.
Devenir, 4, 2, 47-60.
Le travail psychique de la grossesse 91

Faure-Pragier S. (1999). Le Désir d’enfant comme substitut au pénis


manquant : une théorie stérile de la féminité. Paris : PUF.
Freud S. (1905). Trois essais sur la théorie de la sexualité. Paris :
Gallimard, Folio Essais (édition 1962).
Freud S. (1908). Les théories sexuelles infantiles. In La Vie sexuelle.
Paris : PUF, 1992, p. 14-27.
Freud S. (1926). La Question de l’analyse profane. Paris : PUF, 1985.
Freud S. (1933). La féminité. In Nouvelles conférences d’introduction
à la psychanalyse. Paris : Gallimard, coll. Folio Essais, 1984, p. 150-181.
Lebovici S. (1983). Le Nourrisson, la mère et le psychanalyste. Les
interactions précoces. Paris : Paidos, Le Centurion.
Pragier G. et Faure-Pragier S. (1993). Une fille est analysée : Anna
Freud. Revue française de psychanalyse, 57, 447-457.
Soulé M. (1983). L’Enfant dans sa tête – L’enfant imaginaire. La dyna-
mique du nourrisson ou quoi de neuf bébé ? Paris : ESF, p. 137-175.

Pour approfondir
Freud S. (1905-1911). Cinq psychanalyses. Paris : PUF, éd. 1993.
Lebovici S. et Soulé M. (1983). La Connaissance de l’enfant par la
psychanalyse. Paris : PUF.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

9. La grossesse au masculin

Un homme court dans la ville. Il s’agit d’une publicité pour


un déodorant avec lequel il restera impeccable quels que soient
les événements qui l’attendent. Ce jeune cadre dynamique
court vers un rendez-vous important. Pour son travail se dit-on,
eh bien non : il arrive juste à l’heure pour retrouver ses enfants
à la sortie de la maternelle. Il est courant de voir des pères
dans des publicités sur les couches, le lait, etc., des produits
de puériculture qui s’adressaient auparavant essentiellement
92 35 grandes notions de périnatalité

aux mères. C’est aussi le cas dans des publicités plus classique-
ment destinées aux hommes comme celles sur les voitures, les
compagnies d’assurances qui cherchent à toucher l’homme
dans sa fonction de chef de famille qui doit protéger les siens
et notamment sa compagne portant leur enfant qui va bientôt
naître. Il existe aussi des publicités où pères et fils ont un goût
partagé pour les belles voitures, pour les produits de qualité,
et qui soulignent l’importance de la transmission entre père
et fils, de l’inscription dans une filiation paternelle (le grand-
père s’invite également dans la publicité). Il est ainsi devenu
courant dans les représentations collectives de voir les pères
prodiguer eux-mêmes les soins aux enfants, voire aux nouveau-
nés, au même titre que les mères.
Par ailleurs, de plus en plus de pères s’expriment au sujet
de la grossesse ou de la paternité dans le cercle familial, en
groupes à l’hôpital pendant la grossesse de leur conjointe, dans
des romans (P. Péju, Naissances, 1998 ; S. Daniel, Au bonheur
des pères, 2001 ; D. Marquet, Père, 2003, etc.) ou même dans le
septième art. Parmi les premiers films, les premiers sketchs à
s’y intéresser, nous trouvons : Trois hommes et un couffin (film
de C. Serreau, 1985), Neuf mois (film de P. Braoudé, 1994),
ou encore P. Timsit sur scène qui relate la grossesse de sa
compagne et son « devenir père ». Ces récits et tant d’autres
décrivent l’investissement des pères dans cette aventure de la
grossesse ainsi que les remaniements psychiques qui les solli-
citent en tant que futur père. Dans d’autres, comme Le Lait de
la tendresse humaine (film de D. Cabrera, 2001), on souligne
les difficultés qu’ont certaines mères à le devenir et la place
que prend alors le père auprès de la mère et de l’enfant, favo-
risant les liens entre les deux. Il est alors une sorte d’interface.
Le « devenir père » est un sujet qui retient l’attention comme
représentatif d’un fait de société ou de culture.
Ceci est le cas depuis l’Antiquité : les fantasmes, les désirs de
grossesse masculine se sont exprimés tout au long des siècles
Le travail psychique de la grossesse 93

(notion 1) à travers la mythologie occidentale (Athéna naît


de la tête de Zeus et Dionysos de sa cuisse), mais également
sa religion (Adam « accouche » d’Ève) et toute une icono-
graphie jusqu’à nos jours où certains artistes dévoilent tout
particulièrement leur envie de grossesse (figure 2.2). Ces désirs
d’enfant chez l’homme s’expriment par des mythes, des rites
et notamment par la coutume de la couvade, un ensemble de
conduites en lien avec la grossesse et la naissance d’un enfant.
G. Delaisi de Parseval soulignait à juste titre à la suite du travail
de M. Mauss : « “la naissance, ce n’est pas une petite affaire,
il est tout à fait naturel que les deux parents s’y mettent”.
Boutade pour boutade, nous pensons en effet que la couvade
dans toutes ses manifestations offre la plus probante démons-
tration qu’un enfant se fait à deux » (1981, p. 67).
Ainsi, il existe chez l’homme des bouleversements, des rema-
niements psychiques et identitaires profonds dans ce passage
à la paternité et dans ce processus de paternalisation. Il est
question, comme pour la femme, d’une véritable « crise » qui
peut être à l’origine de phénomènes psychosomatiques.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Un père et son bébé (© Seredalia – Fotolia)


94 35 grandes notions de périnatalité

9.1 Rites de couvade


et couvade psychosomatique
Des anthropologues se sont intéressés à ce sujet, à ces rites
de couvade où les hommes miment l’accouchement pendant
que leurs femmes mettent au monde leur enfant. Au début
du XXe siècle, J. Frazer, anthropologue britannique, distingue
dans son cycle du Rameau d’or (12 volumes parus entre 1911
et 1915) deux sortes de couvades. Dans la première, qu’il
appelle « postnatale diététique », le père s’abstient de manger
certains mets de peur de contaminer l’enfant, comme si un lien
de sympathie physique intime devait unir le père et l’enfant,
comme si tous les actes du père pouvaient affecter, blesser ou
tuer l’enfant. Dans la seconde couvade décrite par J. Frazer, et
qu’il nomme « couvade prénatale et pseudo-maternelle », le
père simule la naissance pour soulager sa femme des douleurs
de l’enfantement, comme s’il voulait à tout prix prendre part
à cette naissance. Cette coutume qui fait jouer théâtralement
au mari le rôle de l’accouchée existe, pense l’anthropologue,
pour que l’enfant soit rattaché à lui et non uniquement à sa
mère. Il l’accouche également physiquement.
C. Lévi-Strauss étudie également ces rites dans les quatre
tomes des Mythologiques (1964 à 1971) au travers de mythes
amérindiens. Il relate par exemple qu’un homme sauve un
bébé des flammes, le greffe dans son genou et lui donne
ensuite naissance ou encore que « chez les Matako du Chaco,
le démiurge Tawkxwax qui n’a pas de femme se féconde
lui-même en enfonçant son pénis dans son bras. Une autre
version le décrit enceint par la hanche et accouchant par l’anus
d’enfants excréments » (Cupa, 1997, p. 93). On retrouve les
fantasmes de l’enfant-fèces, des grossesses anales courantes
chez les hommes. « Les rituels de la couvade seraient l’expres-
sion d’une association du futur père à la future mère pour “faire
l’enfant”. Plus qu’à une simple identification à la femme, “faire
Le travail psychique de la grossesse 95

la femme”, la couvade conduit à la fois à la création de l’enfant


et à une identification à celui-ci » (Cupa, 2004, p. 169).

Il arrive que les pères prennent également du poids


pendant la grossesse de leur conjointe ;
c’est la couvade psychosomatique (© Q – Fotolia)

La couvade a aussi été étudiée et analysée dans le champ


psychanalytique. L’un des premiers à se pencher sur ce phéno-
mène est T. Reik. Il écrit dès 1914 un texte sur le sujet : La
Couvade, en s’appuyant sur les observations de J. G. Frazer au
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travers de certains rites de protection, comme celui des Tagals,


qui visent à protéger les femmes en couches des démons, mais
qui les laissent dans une chaleur étouffante et dans une atmos-
phère de puanteur. T. Reik montre qu’il peut coexister chez
l’homme un double mouvement : de tendresse ou protection
mais aussi d’ambivalence.
G. Groddeck (1923) s’est aussi penché, dans Le Livre du ça,
sur le phénomène de la couvade en s’intéressant à un homme
dont le ventre gonflait tant et plus au cours de la grossesse de
son épouse. Des futurs pères, des pères souffrent de différents
types de symptômes comme la perte d’appétit, les maux de
96 35 grandes notions de périnatalité

dents, des nausées et des vomissements, des douleurs lombaires,


etc., un ensemble de phénomènes psychosomatiques associés à
la paternité. Il est courant que les pères « “en couvade” n’aient
aucune idée du motif possible de leurs symptômes, gommant
(consciemment) tout lien avec la grossesse de leur épouse », ce
qui n’étonne guère G. Delaisi de Parseval, « eu égard au déni
occidental du corps du père » (1981, p. 80-81). Le désir d’enfant,
de porter un enfant, s’exprime aussi au travers du corporel.
De nombreux autres auteurs (Bouchart-Godard, 1976 ;
This, 1980 ; Cupa, 1997, 2001, 2004) ont depuis repris cette
notion de couvade et y ont ajouté celle de couvade psycho-
somatique (équivalent non rituel de la couvade). La
couvade est en quelque sorte une variation liée à l’envie des
fonctions créatrices de la femme. Elle permet également l’éclo-
sion du sentiment paternel ainsi que la possibilité pour le père
d’adopter son enfant et d’établir sa filiation (Cupa, 1997), ce
qui est essentiel pour lui face aux doutes, aux préoccupations
par rapport à sa descendance, à sa filiation qui lui échappe en
partie puisqu’il n’en a pas complètement la maîtrise et doit
pour cela passer par la femme.
Faire un enfant est aussi un moyen, comme chez la femme,
d’ajourner sa propre mort, même si dans le même mouve-
ment, la naissance de celui-ci souligne également la propre
finitude du procréateur. « Cela est d’autant plus douloureux
pour l’homme qu’il se trouve confronté à l’épanouissement
du corps féminin gros de l’enfant, corps d’une certaine béati-
tude narcissique qui le renvoie au manque en son corps et à
ses propres incertitudes ontologiques » (Cupa, 2004, p. 183). Il
envie également ce corps maternel plein et triomphant.
Le travail psychique de la grossesse 97

9.2 Les représentations et fantasmes


des pères
Lors d’entretiens semi-directifs de pères (Cupa et Riazuelo,
2001) dont la compagne est enceinte de leur premier enfant,
on repère tout d’abord que les futurs pères parlent dès la gros-
sesse et surtout dans les derniers mois des contacts qu’ils ont
avec leur nourrisson. Tous ont répondu qu’ils le touchaient à
travers le ventre maternel. Ils lui parlent aussi. Plusieurs disent
que le nourrisson les perçoit. La voix, le son semblent être
une modalité interactionnelle particulièrement investie par les
futurs pères dans un mouvement de réassurance, mais aussi
dans la mise en place de premiers liens, notamment tendres
(de Ajuriaguerra, 1985), et ceci dès la grossesse. C’est à cette
époque que débutent les interactions père-bébé, ce qui les
« met en communication ». C’est peut-être aussi là que le père
commence à naître, qu’apparaît son processus de paternali-
sation. Dès la grossesse se mettent en place des liens
entre le père et l’enfant à naître.
Dans la vie interactionnelle du père et de son bébé, la percep-
tion des mouvements du bébé représente un moment central,
l’un des plus grands changements de la grossesse : « quand
ça bouge, il y a vraiment l’apparition de la vie… ça devient
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

plus concret », « le bébé devient réel », « en vie ». M. Soulé et


al. (1999) insistent beaucoup sur les interactions fœto-paren-
tales qui apparaissent durant cette période. L’autre moment
qui prend de plus en plus d’importance dans la mise en place
des processus de parentalisation est l’échographie : « image-
passage » (Missonnier, 1999) largement investie par les pères,
qui ont ainsi davantage accès à l’enfant à naître.
Cependant, l’homme, ne ressentant pas directement l’enfant
en son corps, a tout un « travail d’adoption » à effectuer et
différentes formes d’entrée dans le processus de paternalisation
sont relatées : premièrement, le père entre dans le processus par
98 35 grandes notions de périnatalité

identification et fusion avec la mère, et « la nouvelle responsa-


bilité de porter le bébé » est partagée par une implication très
forte. Un père peut par exemple expliquer « leur » grossesse
ou bien dire qu’ils « sont » enceints. Deuxièmement, le père
crée, participe à la grossesse, il est « une sorte d’utérus externe »
(Cyrulnik, 1989). Il prépare la chambre, fabrique des objets
pour le bébé, fait changer les amortisseurs de la voiture, etc.
Troisièmement, le père est « enceint » en même temps que la
mère en portant un projet (comme la création d’une entreprise
par exemple). Il peut se montrer en rivalité avec la mère et
avoir du mal à imaginer son bébé. D’autres ont des symptômes
somatiques et vivent la grossesse dans leur corps (la couvade
psychosomatique décrite ci-dessus). Il existe aussi des pères
en difficulté psychiquement, comme tétanisés par l’arrivée de
l’enfant qui s’annonce.
Il ne faut plus occulter l’anxiété qu’il peut y avoir à devenir
père ainsi que les difficultés possibles à vivre les changements
inhérents à l’arrivée d’un enfant. Cela peut entraîner des chan-
gements dans le couple et pour chaque partenaire (dans leur
corps, dans le rapport du corps à l’autre, dans leur place dans
le couple, etc.) dès la grossesse puis avec l’arrivée de l’enfant.
Au cours du travail psychique de la grossesse, des doutes
peuvent apparaître chez les futurs pères, directement en lien
avec le fait que le père n’est, lui, pas enceint. L’enfant se déve-
loppe dans le corps d’une autre. Ainsi, les pères auront un
travail d’appropriation tout à fait notable.

Vignette clinique
Paul est un jeune homme qui attend avec sa compagne leur
premier enfant. Ils viennent ensemble à la consultation de la
seconde échographie. Paul est ému de voir son enfant bouger,
sucer son pouce sur l’écran. À un moment, il se lève pour voir
 ☞
Le travail psychique de la grossesse 99

 ☞
d’un peu plus près. Il déclare alors qu’il reconnaît bien son fils,
qu’il a les mêmes cheveux bouclés que lui (sachant que ce détail
ne peut se voir sur l’image). Il cherche d’autres points communs
physiques entre lui et le fœtus.
Il a offert un collier à sa compagne avec un pendentif : une petite
boule faisant une petite musique quand elle bouge. Paul souhaite
que leur enfant l’entende et puisse le reconnaître après sa nais-
sance : une musique entre eux deux comme un trait d’union entre
le pré et le postnatal. Il passe aussi chaque jour un peu de temps
à « jouer » dit-il avec lui. Il appuie doucement sur le ventre, sur ce
qu’il pense être un pied, et attend les réactions du bébé à naître.
Il aime ces moments d’échanges.
Il a également choisi une peluche boîte à musique. Il a longue-
ment écouté différentes berceuses dans le magasin de jouets et
choisi celle qu’il trouvait la plus douce et la plus gaie, une musique
qui lui rappelait l’enfance. À la maternité, il a gardé avec lui cette
petite peluche et dès la naissance de Mathieu, il l’a posée près de
lui tout en lui parlant. L’enfant a tourné la tête. Paul a pensé qu’il
s’agissait bien de son fils et que la musique semblait lui plaire.

On considère souvent que le rôle du père est d’assurer, au


même titre que la mère, le développement physique, intellec-
tuel et affectif de l’enfant ainsi que sa protection. Les désirs
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

conscients d’assurer le développement du bébé et sa protec-


tion nous paraissent appartenir en propre à la constellation
paternelle (en référence à D.  Stern (1995), qui parle de
« constellation maternelle ») comme réponse à la question de
ses capacités à assurer le développement du bébé et à maintenir
bébé et mère en vie. D. Cupa parle d’une « tendresse virile »
qui résume bien la position masculine et la représentation que
l’on a des pères de nos jours. Elle souligne la place qu’ils ont
auprès de l’enfant mais également celle qu’ils tiennent auprès
de la mère. « On sait combien le père peut être maintenant le
pôle d’un investissement maternel puisqu’il partage de plus en
100 35 grandes notions de périnatalité

plus avec la mère les soins de son nourrisson. Protéger un bébé


est le premier rôle d’un père selon D. Winnicott, qui pensait
aussi que le père doit devenir “une couverture protectrice”
(1958) portant la mère à l’époque des préoccupations mater-
nelles primaires » (2007, p. 303). Les pères sont présents après
la naissance de l’enfant mais aussi avant, tout au long des neuf
mois. On les rencontre de plus en plus pendant les examens,
les échographies, les cours de préparation à la naissance. Des
groupes de pères s’organisent dans les maternités, les cours
d’haptonomie, jusque dans la salle d’accouchement.
Ainsi, investir son enfant, désirer un enfant réactive en
cascade  un grand nombre de sentiments sans en
exclure le versant agressif à plusieurs niveaux, d’une
part vis-à-vis de l’épouse, de la mère, et d’autre part vis-à-vis
de l’enfant lui-même :
– Les capacités de la femme à porter, à accoucher, à allaiter
peuvent susciter l’envie de l’homme. Il est par exemple
observé que l’identification à la femme (phénomène de
couvade) « se retourne en ambivalence du futur père, liée
à un désir de mort, à des tendances hostiles, à des pulsions
sadiques ressenties vis-à-vis de la gestante (c’est le cas de la
couvade pseudo-maternelle, qui peut être comprise comme
une surcompensation par l’homme de ses sentiments néga-
tifs ainsi que de sa culpabilité à l’égard de la parturiente) »
(1981, p. 95-96).

Vignette clinique
Arthur est un primipère de 30 ans. Il est en couple depuis mainte-
nant cinq ans et après quelques années à deux, sa compagne et
lui souhaitent fonder une famille. Arthur est un mari attentionné.
Marion est tombée enceinte rapidement. Depuis le début de la
grossesse, Arthur est très présent et prend sur lui une partie de
l’organisation du quotidien. Il « materne » sa compagne…
 ☞
Le travail psychique de la grossesse 101

 ☞
Arthur est un commercial. Il fait régulièrement des déplacements
en province pour son travail. Il a demandé à réduire le nombre de
ses missions mais certaines n’ont pu être déplacées. Marion est
enceinte de six mois et la grossesse se passe bien. Arthur prend
donc la décision de grouper ses déplacements sur une dizaine de
jours et ainsi régler les dossiers en cours en lien avec des succur-
sales en région. Il téléphone plusieurs fois par jour pour prendre
des nouvelles de Marion et du bébé et s’assurer que tout va bien.
Marion en est touchée mais au bout de quelques jours elle deman-
dera à son compagnon de téléphoner un peu moins régulièrement
car il téléphone la journée mais aussi plusieurs fois pendant la
nuit (jusqu’à cinq fois). Elle ne peut dormir, étant réveillée régu-
lièrement. Cela se calmera pendant quelques semaines mais la
grossesse avançant, même en dormant à ses côtés, Arthur ne
pourra s’empêcher de réveiller Marion pour lui demander si tout
va bien. Il y a son anxiété, mais il se rendra compte aussi qu’il
« malmène » le sommeil de sa compagne et qu’elle s’épuise. Il
souhaitera participer au groupe de pères proposé dans le service
de la maternité où Marion est suivie pour commencer à élaborer
ce que cette grossesse sollicite chez lui.

– Une rivalité du côté de l’enfant qui renvoie le père à ses


désirs œdipiens meurtriers : devenant père, le sujet risque de
voir dans son fils ce qu’a entrevu Laïos : celui qui désire sa
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

mort (Freud, 1913 ; Lacan 1966, 1981 ; Bril, 1989). Il apparaît


que le pôle conflictuel du versant agressif de la probléma-
tique œdipienne est d’autant plus actif que le nourrisson
est fantasmé comme un fils. F. Sirol (1999) souligne en ce
sens, de même que J. Bril (1989), les difficultés du père avec
le fœtus et la haine qu’il peut développer à son égard. Pour
le père, le fils, mais aussi à un moindre degré la fille, est
un dangereux rival physique, social et sexuel. Le père est
confronté inconsciemment à ses désirs meurtriers à l’égard
de son propre père et, en miroir, au risque d’être tué par le
fils. Le père est aussi renvoyé à ses rivalités fraternelles.
102 35 grandes notions de périnatalité

Par ailleurs, le père privilégie le pouvoir de la filiation. Son


établissement s’organise transgénérationnellement à travers
l’assimilation du père à la mère, dans une logique de continuité
et du même. La filiation symbolique s’appuie sur la transmis-
sion du nom et sur le mandat transgénérationnel (se référer
à la notion 16). L’enfant de la filiation symbolique est
largement investi chez le père avec une place de la transmis-
sion intergénérationnelle importante pour le père. Imaginer
l’enfant, c’est l’imaginer (et encore régulièrement un garçon
de nos jours) porter le nom de son père.

Pour aller plus loin


Lectures recommandées
Ajuriaguerra de J. (1985). Ontogenèse des comportements de
tendresse : I. Étude de l’embrassement-étreinte, à partir du pattern
« tendre les bras ». La Psychiatrie de l’enfant, 28 (2), 325-402.
Bouchart-Godard A. (1976). Naissance d’un enfant, naissance d’un
père. Revue de médecine psychosomatique, 1, 18, 85-92.
Bril J. (1989). Nature et implications de la pulsion scopique. In Soulé
M., Gourand L., Missonnier S. et Soubieux M.-J. (dir.), Écoute voir…
L’échographie de la grossesse. Les enjeux de la relation (p. 17-26).
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la grossesse du père. In Cupa D. et Lebovici S. (dir.), En famille, à
l’hôpital. Le nourrisson et son environnement (p. 89-112). Grenoble :
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Pratiques Psychologiques, 1, 31-42.
Cupa D., Riazuelo H. (2001). La constellation paternelle. Santé
mentale au Québec, XXVI, 58-78.
Cyrulnik B. (1989). Sous le signe du lien. Paris : Hachette.
Delaisi de Parseval G. (1981). La Part du père. Paris : Le Seuil.
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Freud S. (1913). Totem et Tabou. Paris : Payot, 1992.
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Lacan J. (1981). Le Séminaire, III, Les psychoses. Paris : Le Seuil.
Lévi-Strauss C. (1971). Les Mythologiques. Paris : Plon.
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Saint-Agne : Érès, p. 134-176.
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de la grossesse. Les enjeux de la relation (p. 189-214). Ramonville
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Pour approfondir
Péju P. (1998). Naissances. Paris : Gallimard (coll. Folio).
Daniel S. (2001). Au bonheur des pères. Paris : Bayard.
Marquet D. (2003). Père. Paris : Albin Michel.

10. Transmission de la vie

Le lien originel à la mère se retrouve au fil des époques, en


filigrane des œuvres d’art et des récits littéraires. Ces représen-
tations figurées à la gloire de la « Mère » enfantant la vie ne
manquent pas même si elle y est figurée par un corps de femme
plus souvent allaitant qu’enceint (Mère allaitant son enfant,
J.-L. Mosnier, 1782 – Femme allaitant son enfant, A. Renoir, 1885,
etc.). Un grand nombre d’œuvres tentent aussi de rendre ce qu’il
en est de la tendresse maternelle. Dans les deux cas, il s’agit d’un
lien au premier objet d’amour. Elle peut aussi être symbolisée
par la terre nourricière ou par d’autres symboles naturalistes
(Artémis d’Éphèse, Déesse de la fertilité, entre 150 et 200 – La
Charité de G. Reni en 1604-1607 – La Charité de J. Blanchard
en 1633 – L’Allégorie de la Charité de W. Bouguereau en 1859
ou encore celle si connue de C. Le Brun, La Charité allaitant
enfant et vieillard de 1642-1648, etc., auxquelles s’ajoutent les
représentations de la charité allaitant ou les Mères patries). Il
y a, aussi, ceux qui clairement souhaitent s’en détacher et se
montrer non dépendants de ce corps maternel. Il s’agit, par
exemple, d’Athéna qui dit ainsi : « je n’ai pas de mère à qui je
doive la vie. Je suis en tout et pour tout du côté du mâle, jusqu’à
l’hymen exclusivement » (Eschyle, p. 228).
Le travail psychique de la grossesse 105

« Pour chacun d’entre nous le destin prend la forme d’une


femme (ou de plusieurs) » (S.  Freud, Lettre à S.  Ferenczi,
juillet 1913) et ce premier temps de vie au sein de la matrice
maternelle, cette dette originelle fait aussi partie de la vie.
Le désir d’enfant dans un premier temps est de recevoir un
enfant de la mère, avant de revêtir la forme active d’en faire
cadeau à celle-ci. S. Freud avait déjà abordé cette question de la
dette dans la première des Contributions à la psychologie de la vie
amoureuse (1910, p. 53). S. Freud explique que lorsque le garçon
comprend qu’il doit la vie à ses parents, il en est contrarié. Ne
supportant cette idée de devoir la vie à ses parents et notam-
ment à son père, il fantasme alors de le sauver (fantasme de
sauver son père face à sa propre agressivité) ou de faire un fils
comme son père, voire à son père. La dette de vie envers la
mère consiste à lui rendre ce cadeau en lui faisant un enfant.
Nous contractons tous, hommes et femmes, une dette vitale
vis-à-vis d’une mère.

10.1 Le don et la dette


Avant d’être femme, d’être mère, elle a d’abord été fille, née
d’une mère qui lui a donné la vie. M. Klein (1957) explique
d’ailleurs que la capacité de donner et de préserver la vie
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est ressentie comme le don le plus précieux, et la créativité


devient ainsi la cause la plus profonde de l’envie, cette envie
source de tant d’ambivalences. M. Mauss, ethnologue et socio-
logue, a mis en lumière les ambiguïtés du don. Dans la société
humaine, le don exige la réplique du contre-don. Le para-
doxe du don est « d’obliger » celui qui l’accepte. L’impossibilité
de restituer ce qui a été offert provoque la culpabilité de ne
pouvoir satisfaire à la morale du don et inscrit celui qui ne
peut y souscrire dans une dette infinie. M. Mauss rappelle
aussi la double signification de l’étymologie grecque : le don
est à la fois « cadeau » et « poison ». Il explique que le
106 35 grandes notions de périnatalité

« don non rendu rend encore inférieur celui qui l’a accepté,
surtout quand il est reçu sans esprit de retour » (Mauss, 1950,
p. 258), d’où l’ambivalence suscitée de part et d’autre, chez
celui qui donne : il fait un cadeau mais en même temps suscite
chez l’autre de l’embarras, de la culpabilité ; et aussi chez celui
qui reçoit, que le présent rend redevable.
Une mère qui donne naissance à son enfant met de
fait ce dernier en situation de lui devoir la vie. Le récit de
H. von Hofmannsthal La Femme sans ombre (1919) symbo-
lise le parcours à effectuer et la dette d’existence dont il faut
s’acquitter envers la Terre Mère pour accéder à la générativité
et ainsi accepter l’ombre, métaphore de la plénitude, du poids
du corps, du voisinage de la mort. Il s’agit d’un « troc de l’illu-
soire éternelle jeunesse et de son reflet dans un miroir contre
l’ombre de la mortelle ; renoncement à la promesse du passage
d’un corps renouvelé d’un enfant à naître ». M. Bydlowski
reprend l’analyse de ce conte et insiste sur la dette de vie
qui y transparaît, dette que doit régler la femme à sa mère en
poursuivant la chaîne des générations : « Comme l’ombre, la
reconnaissance de la dette est nécessaire. La vie n’est peut-être
pas un cadeau gratuit mais porte en soi l’exigence de trans-
mettre ce qui a été donné. Le don de la vie, à la fois promesse
d’immortalité et de mort, induirait qu’une dette circule de
mère à fille. Non réglée, elle risque de grever le corps de l’en-
fant à peine né. Cette dette d’existence, dette symbolique
que l’ombre vient représenter, que l’enfant vient incarner,
renvoie bien à ce fait, confirmé par l’observation clinique,
que par l’enfantement, singulièrement par le premier enfant,
une femme accomplit son devoir de gratitude à l’égard de sa
propre mère » (Bydlowski, 1997, p. 165). Une nécessité de dette
s’observe, comme si la vie n’était pas un cadeau gratuit mais
portait en soi l’exigence de transmettre ce qui a été donné et
de reconnaître que le don de vie, à la fois prometteur de vie
et de mort, implique une dette de mère en fille.
Le travail psychique de la grossesse 107

10.2 Transmissions de mère à fille


Plus précisément, du côté de la femme, la relation préœ-
dipienne à la mère est centrale pour celles qui souhaitent
un enfant. Avant de souhaiter un enfant du père, la femme
souhaite un enfant de la mère. S. Freud l’évoque en 1933 dans
un texte des Nouvelles conférences d’introduction à la psychana-
lyse : La féminité. Il écrit alors qu’« il n’est pas toujours facile
de déceler la formulation de ces désirs sexuels précoces ; celui
qui s’exprime le plus clairement est le désir de faire un enfant
à la mère, tout comme celui, correspondant, de mettre au
monde un enfant pour elle » (1933, p. 161). Dans l’Abrégé de
psychanalyse (publié à titre posthume en 1938), il écrit avoir
acquis « la conviction qu’on ne peut comprendre la femme si
on ne prend pas en considération cette phase de l’attachement
préœdipien à la mère » (p. 160). L’enfant s’inscrit dans un lien
préœdipien à la mère.
Plus près de nous, M. Bydlowski (1985, 1997) pense qu’« en
enfantant, une femme rencontre et touche sa propre mère,
elle la devient, la prolonge en se différenciant d’elle. Enfanter,
c’est reconnaître sa propre mère à l’intérieur de soi ». Par l’en-
fantement, une femme règle sa dette à l’égard de sa propre
mère idéalisée. Cette idéalisation s’appuie sur le fantasme
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

d’un double narcissique. Pour cet auteur, un des moteurs de


la procréation est le désir de restaurer la relation primaire à
la mère. M. Bydlowski fait référence à D. W. Winnicott, qui
pense que dans une plus ou moins large mesure, une mère a
le sentiment que sa mère à elle exige un enfant, de sorte que
son enfant est produit pour se concilier sa mère (1985, p. 28).
Métaphoriquement, la femme enceinte porte en elle le double
maternel, la figure à laquelle elle doit de nouveau s’unir pour
pouvoir engendrer. La grossesse est alors le moment où trois
générations coïncident dans un même corps. Reconnaître sa
108 35 grandes notions de périnatalité

propre mère en soi, c’est aussi prendre la place dans la lignée


des générations et l’accepter.
Les femmes qui sont dans l’impossibilité de reconnaître à
l’intérieur d’elles-mêmes leur mère, celles que F. Perrier (1978)
appelle « les amatrides », ne peuvent pas avoir d’enfant ou bien
procréent en feignant de ne pas le faire, tentant de maintenir
le plus longtemps possible opérant le mécanisme de la dénéga-
tion. La grossesse en tant que telle et tant qu’elle les concerne
directement n’est jamais présente dans leur discours. Il s’orga-
nise le plus souvent sur des thèmes fixes et répétés qui visent
à dénier la maternité. Dans cet univers clos, il n’y a évidem-
ment de place ni pour la reconnaissance du changement qui a
lieu pendant la grossesse, ni pour la formulation de fantasmes
sur l’enfant à naître dans la mesure où l’émergence du désir
mettrait en péril son propre équilibre psychique.
Ainsi, la grossesse réactualise les problématiques en re-propo-
sant à la femme de se confronter et de s’identifier à l’image
maternelle intériorisée au cours du développement. Le rapport
à la mère joue dans la construction de l’identité féminine de la
petite fille et la manière dont la grossesse se pose comme étape
ultérieure de ce processus, un passage de la mère rivale de la
période œdipienne vers la période où la mère était le premier
objet d’amour.

10.3 Transmission du côté des pères


Pour comprendre la paternité, il est essentiel de comprendre
la place que prend la filiation (se référer également à la
notion 9) et ce qui se joue dans la transmission de père à fils.
Le fils devient père et introduit son père comme grand-père, il
s’anticipe aussi comme grand-père lui-même. Il peut y avoir un
plaisir à poursuivre cette filiation mais cela peut aussi réactiver
les conflits ambivalentiels à l’égard de son propre père.
Le travail psychique de la grossesse 109

G. Delaisi de Parseval (1981) nous livre quelques éléments clefs


de ce jeu des générations à partir de 11 études de cas :
– « Devenir père rend l’homme adulte comme ses parents1 : finie
l’enfance, la page est tournée. C’est peut-être même l’un des
seuls critères de l’état adulte, plus significatif, en tout cas, que
le critère d’âge qui, lui, n’a guère de sens. Qui ne connaît des
adultes de vingt ans et des adolescents de cinquante prin-
temps ? (…) “On n’est plus fils de son père, mais père de son
fils.”
– En devenant père, l’homme peut également se fantasmer en
personnage de grand-père : “Avoir un enfant, ça vous donne
un coup de vieux, ça vous met un pied dans la tombe” (…).
Mais en même temps, devenir père, c’est rendre grand-père son
propre père. (…)
– En ce sens, concevoir un enfant, c’est donc, quelque part,
remplacer son père, le tuer symboliquement ou lui permettre
de mourir. (…) et ne pas concevoir d’enfant peut être l’expres-
sion du même fantasme, mais “retourné”, le non-père garde
ainsi ses parents éternellement jeunes, éternellement parents
(et non grands-parents)… (…)
– De façon symétrique et inverse, c’est-à-dire de manière équi-
valente au niveau inconscient, devenir père, c’est faire renaître
un père mort : [l’exemple de Monsieur H.] est très démonstratif
à cet égard ; c’est seulement à la mort de son père qu’il a pu
concevoir un enfant (qu’il a prénommé comme son père…),
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

mais surtout concevoir l’idée de procréer. (…)


– Devenir père pour la première fois, c’est aussi bien souvent
donner un enfant à son père du vivant de ce dernier ; le bébé peut
être alors fantasmé par le père comme un “enfant de rempla-
cement” donné à ses géniteurs – remplaçant de leurs enfants
morts (ou même non conçus). [D’une façon plus large], l’une
des motivations à être parent est donc souvent de donner un
enfant à ses parents.
 ☞

1. Les phrases en italiques sont celles de G. Delaisi de Parseval (1981).


110 35 grandes notions de périnatalité

 ☞
– Il est une autre permutation sur l’axe (vertical) généalogique
qui se joue avec le devenir-parent chez un primipère : à la nais-
sance, le père et le fils (le bébé) se trouvent à égalité. On repère
un fantasme d’abolition du temps et d’“aplatissement” d’une
génération de plusieurs façons. (…) Dans nos sociétés, un
moment qui sollicite particulièrement l’identification du père
au nouveau-né est le moment de l’accouchement, et tout
spécialement quand le père veut y assister ou se croit “obligé”
de le faire. Dans de nombreux cas en effet, les pères sont à
ce moment renvoyés à leur propre naissance, c’est-à-dire à
eux-mêmes naissant, ou à leur mère accouchant d’eux. D’où
ce sentiment d’empathie père-bébé qui est particulièrement
marqué dans les rituels variés de la couvade.
– Enfin, devenir père, c’est aussi, bien évidemment, quitter le
statut de mari, pour devenir un mari-père ; il est apparu clai-
rement dans nos cas que ce changement de statut était loin
d’être neutre, surtout quand on garde en mémoire le fait que
la femme traverse également la même étape : elle devient une
épouse-mère, une mère, mais de qui ? Il existe à ce moment une
nouvelle combinatoire fantasmatique du couple face à l’enfant,
mari comme épouse étant renvoyés à des images parentales ».
(Delaisi de Parseval, 1981, p. 176-180.)

Pour aller plus loin


Lectures recommandées
Bydlowski M. (1997). La Dette de vie. Itinéraire psychanalytique de
la maternité. Paris : PUF.
Bydlowski M. et Dayan Lindzer M. (1985). Désir d’enfant, mal d’en-
fant. Revue de médecine psychosomatique, 1, 23-42.
Delaisi de Parseval G. (1981). La Part du père. Paris : éd. du Seuil.
Le travail psychique de la grossesse 111

Freud S. (1910). Contributions à la psychologie de la vie amoureuse.


In La Vie sexuelle. Paris : PUF (éd. 1992).
Freud S. (1933). La féminité. In Nouvelles conférences d’introduction
à la psychanalyse. Paris : Gallimard, coll. Folio Essais, 1984, p. 150-181.
Hofmannsthal von H. (1919). La Femme sans ombre. Paris : LGF, 1999.
Klein M. (1957). Envie et Gratitude. Paris : Gallimard, 1968.
Mauss M. (1950). Sociologie et Anthropologie. Paris : PUF, éd. 2006.
Perrier F. (1978). La Chaussée d’Antin, tome II. Paris : 10/18.

Pour approfondir
Eschyle. Les Euménides (éd. 1989). Paris : Les Belles Lettres.
Freud S. et Ferenczi S. (1908-1914). Correspondance, tome I. Paris,
Calmann-Lévy, éd. 1992.
Mauss M. (1950). Sociologie et Anthropologie. Paris : PUF (collection
Quadrige, Grands Débats), 2006.

11. Le berceau psychique


des représentations parentales

La femme enceinte imagine au cours de ses rêveries, de


© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

ses songes, un enfant. Elle en dessine certains contours qui


évoluent, se modifient pendant la grossesse. Elle se laisse aller
à rêver, à penser à sa vie future avec lui, avec ses enfants, avec
le père. L’histoire de la mère, du père, leurs fantasmes, leurs
désirs conscients ou inconscients viennent influencer les repré-
sentations qui se tissent en elle autour de l’enfant à naître.
Au cours de la grossesse, une représentation d’un
« présujet » (Pinol-Douriez, 1997, p. 76) s’esquisse dans la
psyché maternelle et paternelle à partir des sensations corpo-
relles de l’enfant réel et grâce à l’investissement parental. Avec
toute la force de cet investissement et aussi au risque de celui-ci
112 35 grandes notions de périnatalité

(Cupa, 1992), l’enfant prend forme dans la psyché maternelle. Il


s’agira d’histoires, de récits, de ceux qui se racontent autour des
berceaux, porteurs du roman familial, de l’histoire de chacun
des parents, de leurs espoirs à l’égard de l’enfant à naître, de
rêveries, de désirs, de fantasmes et déjà peut-être de déconve-
nues. Ces premiers liens, ces premiers investissements sont
rendus possibles puisque l’enfant se fait déjà sentir dans le
corps maternel.

Les sensations pendant la grossesse : un être qui prend forme


(© DR. Koreum.com)

11.1 Représentation anticipatrice


Le terme même de représentation est polysémique. Il se
trouve à un carrefour épistémologique. Avant de poursuivre,
il est important de clarifier celle à laquelle nous nous réfé-
rons, notamment en ce qui concerne les représentations
maternelles pendant la grossesse. D. Cupa définit la série
Le travail psychique de la grossesse 113

représentationnelle concernant le bébé imaginé, tant au niveau


des représentations qu’elle suppose qu’au niveau de la struc-
ture même de ces dernières. Ainsi, « toute représentation
suppose deux protagonistes : l’objet et celui qui se le
représente. Une représentation comprend ainsi à la fois la
mise en forme des éléments constitutifs de l’objet, et l’objet
lui-même. Tout acte de représentation est, de plus, coextensif
d’un acte d’investissement libidinal ; toute représentation est
liée à une pulsion » (1992, p. 48).
Cette définition implique premièrement que la représenta-
tion est un ensemble de signes (indiquant/indiqué, signifiant/
signifié). Elle montre, deuxièmement, que l’on ne peut pas
séparer la représentation de l’activité de représentation,
définie ici comme un processus de métabolisation psychique
(l’organisation, le sens de soi émergent, la mise en scène). La
représentation est ainsi à la fois une mise en forme des éléments
constitutifs de l’objet représenté et une mise en forme de la
relation entre celui qui se représente et l’objet. Il s’agit d’une
scénarisation, d’un système interactif entre le sujet et l’objet
représenté. Pour cette raison, elle se rapproche de la définition
de D. Stern (1989), qui définit la représentation comme un
schéma d’être-avec (schéma d’être ensemble, à deux, à trois,
etc.) fondé et construit à partir de « l’expérience subjective
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

d’être avec une autre personne », c’est-à-dire sur les interactions


réelles ou imaginaires qui lient le sujet à l’autre. Enfin, elle
souligne l’importance de l’investissement au sens psychanaly-
tique : s’il n’y a pas investissement libidinal de l’objet, il n’y a
pas de représentation. Dès lors qu’il y a représentation, il y a un
affect minimal de plaisir, donc consécutivement un éprouvé
corporel ; ceci va dans le sens de S. Freud et de la théorie des
pulsions. Cette définition s’appuie sur deux corpus théoriques
différents, mais elle les intègre parfaitement.
Par ailleurs, dans un entrelacement entre les sensations corpo-
relles et l’imaginaire, entre les mondes internes et externes, la
114 35 grandes notions de périnatalité

mère prend le risque de créer, de pré-investir ce bébé imaginé.


« Il constitue une représentation anticipatrice » (Cupa et
al., 1992, p. 49). La mère, le père prennent le risque de pré-
investir l’enfant à naître. Le travail de grossesse est à considérer
comme un processus qui permet à la mère de devenir parent
en adoptant psychiquement son bébé à partir de la rencontre
d’un univers sensoriel et représentationnel. Elle prend le risque
d’investir un objet qu’elle ne peut que ressentir et imaginer,
risque où, comme le souligne S. Freud, « Il y a dans l’angoisse
quelque chose qui protège contre l’effroi » (1920, p. 50).
S. Missonnier (2005) souligne bien que « les réaménagements
induits par la naissance et la confrontation à l’enfant réel en
post-partum (l’amplitude de l’écart entre enfant imaginé et
enfant réel) mettent au jour l’histoire et la maturité adap-
tative de l’anticipation ». Cet auteur cite R. Diatkine (1985,
1995), qui donne également des indications sur cet écart de
« l’illusion anticipatrice » : La mère en post-partum est inquiète
car elle craint de ne pas bien comprendre son bébé, elle a des
difficultés à s’accorder avec lui et « elle ne répond pas au bébé
grâce à la connaissance des mouvements intérieurs de celui-ci,
mais en fonction de l’illusion anticipatrice, produit de l’élabo-
ration de l’inévitable écart entre ses fantasmes initiaux et ce
qu’elle perçoit du bébé. L’illusion anticipatrice est autant une
connaissance qu’une méconnaissance. Elle est soumise à de
nombreuses fluctuations et si elle ne se transforme pas en fonc-
tion des expériences successives, elle peut perdre toute valeur
organisatrice et devenir mutilante » (op. cit., p. 41). Définie
dans le champ des interactions verbales précoces, l’illusion
anticipatrice exprime toute sa potentialité : à travers les parents
s’adressant à leur enfant, on repère que « les possibilités iden-
tificatoires offertes à l’enfant sont étudiables à partir de ce jeu
d’harmonisation. Une grande valeur prédictive peut être attri-
buée à la qualité de l’illusion anticipatrice que traduisent les
propos de la mère. Dans le meilleur des cas, celle-ci s’adresse,
Le travail psychique de la grossesse 115

avec une inflexion de voix toute particulière, à un interlocu-


teur merveilleux, capable de tout entendre alors qu’elle sait très
bien qu’il ne peut comprendre le message qui lui est adressé ».
S. Missonnier pointe que l’on retrouve ici de nouveau la dialec-
tique du créé/trouvé décrite par D. Winnicott (cité p. 41 en
référence à Jeu et Réalité) au sujet de la mère suffisamment
bonne illusionniste. Elle est centrale dans la formalisation de
la transmission de l’anticipation. Plus la femme enceinte sent,
ressent l’enfant qu’elle porte, plus son récit, ses fantasmes le
concernant se font riches.

11.2 L’évolution des représentations


au cours de la grossesse
Dans le champ psychanalytique, P. Aulagnier souligne, dès
1975, que le discours qui préexiste à la naissance du sujet est
une « sorte d’ombre parlée et supposée » par la mère, c’est-
à-dire un ensemble de projections maternelles qui viennent
en lieu et place de l’enfant : « Précédant de loin la naissance,
lui préexiste un discours le concernant : sorte d’ombre parlée,
et supposée par la mère parlante, dès que l’infans est là, elle
va se projeter sur son corps et prendre la place de celui auquel
s’adresse le discours du porte-parole » (1975, p. 135). Plus loin,
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

elle écrit encore : « ce que nous appelons l’ombre est donc


constitué par une série d’énoncés témoins du souhait maternel
concernant l’enfant ; ils aboutissent à une image identifica-
toire qui anticipe sur ce qu’énoncera la voix de ce corps, pour
le moment absente » (p. 140). Cette ombre va aussi préserver
« la mère du retour d’un souhait qui a été en son temps
parfaitement conscient et ensuite refoulé : avoir un enfant du
père ; mais derrière lui, et le précédant, se rencontre un désir
plus ancien et dont le retour serait bien plus grave : avoir un
enfant de la mère » (p. 140). L’enfant imaginé appartient au
monde préprimaire de la psyché maternelle et ce discours est
116 35 grandes notions de périnatalité

omnipotent puisque l’enfant ne peut y opposer ses propres


énoncés. De plus, « entre l’objet et l’ombre, la possibilité de
la différence persiste » (1975, p. 138). Ainsi, il y a toujours un
écart entre ce que la mère projette sur l’enfant et ce qu’il est.
Selon ce même auteur (1964), il existe pendant les
premiers mois de grossesse une période de « blanc
d’enfant » pendant laquelle l’enfant est éliminé au profit du
vécu et de la représentation d’être enceinte.

Vignette clinique
Une grossesse est d’abord perceptible dans les changements
corporels et physiologiques qu’elle engendre ainsi que par les
transformations du corps. Noémie, enceinte de son second
enfant, raconte : « mes premières impressions au début de ma
grossesse ? J’avais des nausées et je voyais mon corps changer
progressivement. Le bébé, je n’y pensais pas encore vraiment.
Je me voyais surtout malade, comme si j’avais mangé quelque
chose de mauvais mais bon j’y suis habituée c’était déjà ainsi pour
le premier ».

Les femmes enceintes construisent une représentation de


leur enfant à naître le plus souvent à partir du moment où elles
le sentent bouger. Les nouvelles sensations qu’amènent les
nouvelles technologies comme le monitoring ou l’échographie
(notion 4) avec l’écoute du cœur du fœtus y participent bien
évidemment. S’appuyant sur le sensoriel, elles commencent
à créer. Après le septième mois de grossesse suit une période
particulièrement riche en représentations, où les mères
prennent davantage le risque d’investir le bébé à naître. Pour
P. Aulagnier, la femme enceinte rêve de l’enfant qu’elle était,
mais également de l’enfant en devenir. Un tissage se fait au
cours de la grossesse entre les fantasmes maternels concernant
l’enfant et les fantasmes anciens (préœdipiens et œdipiens) qui
Le travail psychique de la grossesse 117

trouvent leur origine dans l’enfance et s’actualisent pendant


cette même période. P. Aulagnier résume parfaitement que
« s’il est interdit à la mère de rêver les yeux ouverts, que cet
enfant à venir réalise le retour de son père et de sa mère, qu’il
sera homme et femme, qu’il sera à jamais à l’abri de la mort, la
mère a le droit (et c’est là une nécessité pour l’enfant) de rêver
à la beauté, aux ressemblances futures, à la force de ce corps à
venir » (cité par S. de Mijolla-Mellor, 1998, p. 16).
Sur cette même période, G. Bibring et al. (1961) observent
qu’un « retournement vers soi » et vers le fœtus a lieu
surtout après le deuxième trimestre et pendant le troisième
trimestre. Ajoutons qu’il s’agit entre autres d’un retour sur
les origines et vers les fantasmes originaires. C’est le moment
où l’enfant devient viable s’il naît. Dans les derniers
mois, l’accouchement est sur le devant de la scène
psychique.

11.3 Le bébé imaginé


Ce bébé imaginé s’organise tout au long de la vie et plus
singulièrement pendant la période périnatale en différents
groupes de représentations mentales que sont ces différentes
formes de bébé imaginé qui accueilleront l’enfant à sa nais-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

sance. Tout au long de la grossesse, ces représentations vont


maturer et devenir de plus en plus riches.
À la suite des précédents travaux, c’est le terme de « bébé
imaginé » qui désigne, dans le champ psychanalytique, la
représentation de l’enfant pendant la grossesse. Il apparaît
ainsi constitué par des énoncés qui témoignent des souhaits
concernant le nourrisson et aboutissent à une série de représen-
tations qui figurent et identifient l’enfant, ainsi que l’univers
relationnel et affectif dans lequel la mère l’inscrit. « Le bébé
imaginé est au service de l’instance refoulante. Il témoigne du
fait que l’objet, qui est de l’ordre de l’impossible à obtenir pour
118 35 grandes notions de périnatalité

les parents, peut être transformé, élaboré en licite et dicible. Le


bébé réel témoigne, pour sa part, de la victoire du parent sur
le refoulé mais, paradoxalement, il est en même temps ce qui
reste le plus proche de l’objet d’un désir inconscient » (Cupa,
Riazuelo et Michel, 2001, p. 32).
Le concept de bébé imaginé comprend quatre formes qui se
sont progressivement construites au cours des quinze dernières
années : le bébé imaginaire, le bébé fantasmatique, le bébé
mythique ou culturel, et le bébé narcissique.
– En 1983, M. Soulé parle pour la première fois de l’enfant
imaginaire. L’enfant imaginaire désigne les représentations
conscientes que la mère a de son enfant (représentations
simples ou d’interactions). Reprenant aussitôt cette notion
d’enfant imaginaire, S. Lebovici (1983) ajoutera alors l’en-
fant fantasmatique qui désigne les représentations
inconscientes que la mère a de son enfant. Il est le bébé
des désirs, des fantasmes inconscients, le bébé des rêves. Il
exprime, « à travers son corps, la projection des fantasmes
pré-génitaux de la mère, tels qu’ils se représentent dans les
conflits œdipiens. L’enfant apparaît donc en général comme
le représentant de la réalisation du désir de recevoir un
enfant du père. Mais parce qu’il comble la mère, il lui permet
de dénier sa propre castration et, indirectement, celle que la
grand-mère maternelle aurait fait subir à son mari, le grand-
père maternel. Le bébé introduit donc trois générations dans
le monde de la réalité interne et externe et offre souvent une
possibilité de représentation pour les fantasmes inconscients
œdipiens maternels » (Lebovici, 1983, p. 280).
– En 1992, D. Cupa introduit la notion de bébé mythique,
qu’elle regroupe avec les deux autres formes de bébé
précédemment citées pour former ce qu’elle appelle le
bébé imaginé. S. Lebovici reprend cette notion en 1994.
L’enfant mythique est « le bébé des désirs et des fantasmes
préconscients. Inconscient, il renvoie à la filiation, au
Le travail psychique de la grossesse 119

transgénérationnel fantasmé par la mère, à une généalogie


mythique qui constitue la préhistoire du bébé » (1992, p. 49).
Il est le bébé de la nostalgie maternelle dans la mesure où il
peut représenter certains objets perdus de la mère dont elle
n’a pas pu faire le deuil. Dans la mesure où à travers l’ascen-
dance la mère assigne une origine à son enfant, le bébé
mythique est porteur du récit de ses origines. À travers cette
notion de « bébé mythique », on comprend que l’histoire
des parents se projette sur l’enfant à naître. Il est le porteur
des aléas biographiques des ascendants immédiats ou plus
lointains et c’est tout le concept d’intergénérationnel qui est
abordé avec lui. L’enfant se trouve être comme le rappelle
S. Stoléru « un lieu de projection de désirs différents en rela-
tion avec l’histoire différente de ses deux parents » (1989,
p. 118). Le prénom de l’enfant (Tesone, 2013) peut être
porteur de ce roman familial.
Si les mythes sont indispensables à la construction de
l’identité (l’appartenance à une génération), on constate
cependant qu’ils peuvent devenir contraignants, voire enva-
hissants, comme des fantômes qui rôdent. S. Fraiberg a mis en
lumière, à partir de psychothérapies parent-enfant, combien
les expériences traumatiques de la propre enfance de la
mère (ou du père) influençaient profondément la manière
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

dont une mère pouvait prendre soin de son enfant dans les
semaines qui suivent la naissance : il y a « des fantômes
dans toutes les chambres d’enfants » (1989). Ce sont
des visiteurs qui surgissent du passé oublié des parents et qui
ne sont pas invités au baptême. « Même dans les familles où
les liens d’amour sont intenses et durables, il peut arriver
que des intrus surgissent du passé des parents pour franchir
le cercle magique dans un moment de moins grande vigi-
lance : le parent et l’enfant se retrouvent alors en train de
rejouer un moment ou une scène d’une autre époque où
figuraient d’autres personnages. D’autres familles semblent
120 35 grandes notions de périnatalité

vraiment possédées par leurs fantômes. Les envahisseurs


sortis du passé ont élu domicile dans la chambre d’enfants,
revendiquant une tradition et des droits de propriété. Ils ont
assisté au baptême de deux générations et même plus sans
que personne ne les ait invités, les fantômes se sont installés
et dirigent la répétition de la tragédie familiale à partir d’un
texte en lambeaux » (1989, p. 57-58).
En 1998, en rapport avec la culture de la mère, S. Lebovici,
ajoute le bébé culturel, souvent associé à un bébé mythique.
Le bébé mythique est le bébé fabriqué par les mythes actuels
comme le bébé de la publicité ou de la télévision, le bébé de
la culture parentale.
– En 1994, l’enfant narcissique introduit par S. Lebovici
s’ajoute aux autres formes de bébé imaginé pour désigner
le type d’investissement qui sous-tend la représentation de
l’enfant idéal. S. Freud l’avait déjà introduit en 1914 dans
Pour introduire le narcissisme, en parlant de : « His Majesty
the Baby » (p. 234). L’enfant narcissique, nous dit S. Freud,
est l’enfant dont les parents « imaginent pour lui les plus
belles carrières, les plus beaux exploits. Il accomplira tous
les rêves, tous les désirs de ses parents, tout ce qu’ils n’ont
pu réaliser sera fait. Rien ne lui résistera. Toutes les diffi-
cultés, tous les renoncements, tous les deuils rencontrés
par ses parents, l’enfant ne les connaîtra pas : sa vie sera
meilleure. Il sera réellement à nouveau le centre et le cœur
de la création. His Majesty the Baby, comme on s’imaginait
être jadis. Il accomplira les rêves de désir que les parents
n’ont pas mis à exécution, il sera un grand homme, un
héros » (1914, p. 234). C’est la reproduction narcissique
primaire des parents. L’enfant représente, comme le souligne
A. Konicheckis, « une sorte de complément à l’organisation
narcissique des parents » (2008, p. 21).
– Le bébé imaginé est à distinguer de l’enfant réel directe-
ment perceptible par les parents, c’est le bébé dans sa
Le travail psychique de la grossesse 121

corporéité réelle. Il est ce que la mère sent de sa présence


pendant la grossesse et l’enfant qu’elle tient dans ses bras à la
naissance. Pour D. Cupa (1992, p. 49), le bébé dans sa réalité
et le bébé imaginé « non seulement s’opposent mais peuvent
se superposer, constituant une double représentation chez la
mère que cet auteur nomme le “bébé construit” ». Au total,
il y a une double représentation appelée bébé construit qui
comprend un bébé réel fruit de l’interprétation maternelle
en opposition au bébé imaginé. Il préexiste à la naissance de
l’enfant et persiste évidemment après celle-ci en tant que tel.
L’enfant que la mère tient dans ses bras est aussi regardé par
le prisme des projections maternelles.

11.4 Articulation entre l’univers sensoriel


et l’univers représentationnel
Un véritable travail psychique au cours de la grossesse se met
ainsi en place. La mère ressent quelques premiers mouvements
qui se font de plus en plus précis telles des bulles internes. Au
fil des mois ces sensations rendront l’enfant de plus en plus
présent. Au fur et à mesure, des bulles de rêves (Riazuelo, 2003)
vont également faire surface. Il peut aussi s’agir d’éléments à
peine perceptibles comme un murmure destiné à l’enfant à
naître ou d’une rêverie de ce que sera la vie après la naissance
ou encore du prénom que l’on pense pour lui, porté par un
aïeul, etc.
122 35 grandes notions de périnatalité

Vignette clinique
Béatrice est enceinte de son premier enfant et elle livre un rêve :
« Il y a un rêve qui a commencé quand j’étais toute petite. Je
refais surtout ce rêve depuis que je suis enceinte. Dans le rêve,
mon corps se transforme et s’élève au-dessus du lit. Il devient
une boule qui grossit, grossit avec la consistance du coton en
plus ferme. Je peux sentir les parois autour. Ce n’est plus un corps
humain et ça monte, ça monte. Je prends de l’ampleur. Je monte
avec ce corps qui se transforme qui se replie comme un coli-
maçon sur lui-même. C’est une coquille d’un escargot mais avec
une couleur blanchâtre et cette drôle de consistance. On peut y
enfoncer les mains, mais sans faire pénétrer les doigts. C’est tout
rond. » Les fantasmes autour de cet enfant à venir viennent faire
écho aux fantasmes infantiles liés à l’enfant du passé qu’était
le futur parent, comme pour le revitaliser, le faire renaître. Ces
identifications narcissiques sont aussi le sédiment nécessaire à
la constitution de l’objet qu’est l’enfant à naître, ancré dans une
histoire, une filiation, nécessaire donc à la différenciation.

La femme enceinte sent au fil des mois son corps s’alourdir,


marquant un peu plus chaque jour la présence de l’enfant à
naître. Les ressentis corporels au cours de la grossesse ont la
particularité de le rendre de plus en plus réel même s’il reste,
dans le ventre maternel, toujours à l’abri des regards (quoique
partiellement désormais, du fait de l’échographie). Dès la gros-
sesse, une sorte de « co-construction » (au sens de D. Winnicott)
se met en place entre la mère et l’enfant. Le bébé est encore
invisible, il est à naître mais il se fait déjà sentir.
Les représentations maternelles s’ancrent dans les sensations
corporelles, à savoir les changements physiologiques liés à la
grossesse, mais également toutes les sensations que l’enfant
produit en elle par ses mouvements. Ainsi, il est très courant
en écoutant une femme enceinte (et son conjoint à ses côtés
touchant le ventre de sa compagne) d’entendre décrire ce
Le travail psychique de la grossesse 123

qu’elle ressent et essayer de qualifier, de comprendre ce qui se


passe pour l’enfant : « Oh, là il cherche à se positionner pour
dormir. C’est son heure », « Là, il joue », « Oh, le bruit a été
fort. Il a peut-être eu peur ». Les mouvements d’identification
et de projection sur l’enfant à naître sont ainsi multiples dans
le récit maternel, ou au cours de rêveries ou de rêves (Riazuelo,
2003). L’identification, nous dit S. Freud, serait la forme la
plus précoce et la plus originelle de la liaison du sentiment
(Freud, 1921, p. 169). Peut-être sont-ce là les premiers signes,
dès la grossesse, d’une préoccupation maternelle primaire
(Winnicott), où la mère est particulièrement sensible aux
besoins du bébé ?

Vignette clinique
Victoria raconte avec plaisir : « Je le sens beaucoup bouger, il n’ar-
rête pas. Il donne des coups de pied. Il sera sûrement dynamique,
actif comme bébé. Peut-être même un sportif, un peu comme
son père. Ce sera un futur joueur de football. » Au fur et à mesure
que la grossesse avance, les sensations se font plus présentes et
multiples. L’enfant « gigote », « fait de la boxe », il sera alors dyna-
mique ou au contraire elle sent « des petits gestes tout doux » et
il est imaginé dans ce moment-là un bébé câlin.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Françoise, elle, explique : « Pendant longtemps, je n’y ai pas pensé,


puis il a bougé et même beaucoup. J’ai commencé à sentir des
espèces de petites bulles et puis après ça a été la boxe ! (Rires)
C’est devenu un petit garçon, mon petit garçon. J’ai commencé à
regarder les habits dans les magasins. Avec son papa, on a lancé
des idées de prénom. Il est devenu blond avec des frisettes. Je
m’imaginais aussi lui donnant à manger, le tenant dans les bras. »

Pour finir, notons qu’il existe, tout particulièrement chez la


femme enceinte, une nécessité de se sentir protégée pendant
ce temps où elle se laisse aller à créer.
124 35 grandes notions de périnatalité

Pour aller plus loin


Lectures recommandées
Aulagnier P. (1975). La Violence de l’interprétation. Du pictogramme
à l’énoncé. Paris : PUF, éd. 1995.
Aulagnier-Castoriadis P. (1964). Remarques sur la structure
psychotique. Ego spéculaire, corps, fantasme et corps partiel. La
Psychanalyse, 8, 47-66.
Bibring G. L. et al. (1961). A study of the psychological processes
in pregnancy and the earliest mother-child relationship. The
Psychoanalytic Study of the Child, 16, 9-72.
Cupa D., Deschamps-Riazuelo H. et Michel F. (2001). Anticipation
et création : l’anticipation parentale prénatale comme œuvre.
Pratiques psychologiques, 1, 31-42.
Cupa-Pérard D. et al. (1992). Bébé imaginé et interactions précoces.
Devenir, (4) 2, 47-60.
Diatkine R. (1985). Introduction à la théorie psychanalytique de la
psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent. In Lebovici S. et
al. (dir.), Traité de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. Paris :
PUF, tome II.
Diatkine R. (1995). La place de l’étude du langage dans l’examen
psychiatrique de l’enfant. In Lebovici S. et al., dir. Nouveau traité de
psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. Paris : PUF ; tome I.
Fraiberg S. (1989). Fantômes dans la chambre d’enfants. Paris : PUF,
1999.
Freud S. (1914). Pour introduire le narcissisme. Œuvres complètes.
Tome XII.
Freud S. (1913). Totem et Tabou. Paris : Payot, 1992.
Freud S. (1920). Au-delà du principe de plaisir. Essais de psychanalyse
(éd. 1981, p. 41-116). Paris : Petite Bibliothèque Payot.
Freud S. (1921). Psychologie des foules et analyse du moi. In Essais
de psychanalyse. Paris : Payot (coll. Petite Bibliothèque), 1981,
p. 117-218.
Le travail psychique de la grossesse 125

Konicheckis A. (2008). De génération en génération : la subjectivation


et les liens précoces. Paris : PUF.
Lebovici S. (1983). Le Nourrisson, la mère et le psychanalyste. Les
interactions précoces. Paris : Paidos, Le Centurion.
Lebovici S. (1994). Les interactions fantasmatiques. Revue de méde-
cine psychosomatique, 37/38, 39-50.
Lebovici S. (1998). L’Arbre de vie. Ramonville Saint-Agne : Érès.
Pinol-Douriez M. (1984). Bébé agi – Bébé actif. Paris : PUF.
Pinol-Douriez M. et al. (1997). Pulsions, représentations langage.
Paris et Lausanne : Delachaux et Niestlé.
Missonnier S. (2005). Entre agonie primitive du bébé et angoisse
signal, la genèse de l’anticipation. Neuropsychiatrie de l’Enfance et
de l’Adolescence, 53 (1-2), 36-45.
Riazuelo H. (2003). À quoi rêvent les femmes enceintes ? Champ
psychosomatique, 31, 99-115.
Soulé M. (1983). L’enfant dans sa tête – L’enfant imaginaire. La
Dynamique du nourrisson ou quoi de neuf bébé ? Paris : ESF, p. 137-175.
Stern D. N. (1989). Le Monde interpersonnel du nourrisson. Paris :
PUF.
Stern D. N. (1995). La Constellation maternelle. Paris : Calmann-Lévy.
Stoléru S. (1989). La parentification et ses troubles. In Lebovici S.
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© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Winnicott D. W. (1971). Le rôle de miroir de la mère et de la famille


dans le développement de l’enfant, Jeu et Réalité (éd. 1975,
p. 203-214). Paris : Gallimard.

Pour approfondir
Anzieu D. (1981). Le Corps de l’œuvre. Paris : Gallimard.
Tesone J. E. (2013). Dans les traces du prénom. Paris : PUF.
Winnicott D. W. (1958). De la pédiatrie à la psychanalyse. Paris :
Payot, éd. 1992.
126 35 grandes notions de périnatalité

12. Du bébé imaginé aux premiers liens

La future mère se met progressivement à investir l’enfant


qu’elle sent en elle. Le futur père, lui, investit cet enfant à venir
qu’il perçoit au travers du ventre de sa conjointe. Une repré-
sentation d’un « pré-sujet » (M. Pinol-Douriez) s’esquisse dans
la psyché maternelle et paternelle (notion 11). Une silhouette
se dessine. Des ponts sont lancés entre les périodes prénatale
et postnatale allant dans le sens de ce continuum dont parlait
S. Freud en 1926 (p. 52).

12.1 Des liens se tissent dès la grossesse


Dès la grossesse, une sorte de « co-construction » (au sens
de D. Winnicott) se met en place entre la mère, le père et
l’enfant. Le bébé est encore invisible à l’œil (même si certains
aspects sont dévoilés par les images échographiques), il est à
naître mais il se fait déjà sentir et il agit déjà dans la relation. Il
est actif par ses mouvements. Les représentations maternelles
s’ancrent dans les sensations corporelles, à savoir les chan-
gements physiologiques liés à la grossesse, mais également
sur toutes les sensations que l’enfant produit en elle par ses
mouvements. Ainsi, il est très courant en écoutant une femme
enceinte (et son conjoint à ses côtés touchant le ventre de sa
compagne) d’entendre décrire ce qu’elle ressent et essayer de
qualifier, de comprendre ce qui se passe pour l’enfant. : « Oh,
là il cherche à se positionner pour dormir. C’est son heure »,
« Là, il joue », « Oh, le bruit a été fort. Il a peut-être eu peur ».
Les mouvements d’identification et de projection à l’enfant à
naître sont ainsi multiples dans le récit maternel, ou au cours
de rêveries, de rêves (Riazuelo, 2003). L’identification, nous
dit S. Freud, serait la forme la plus précoce et la plus originelle
de la liaison du sentiment (1921, p. 169). Peut-être s’agit-il
Le travail psychique de la grossesse 127

là des premiers signes, dès la grossesse, d’une préoccupation


maternelle primaire (Winnicott) où la mère est particulière-
ment sensible aux besoins du bébé ?
Plus récemment, S. Missonnier (2004, 2006) a, lui, qualifié
cette relation complexe qui se tisse entre l’enfant à naître et
ses parents dès la grossesse de Relation d’Objet Virtuel :
« cette anticipation ne concerne pas un état psychique statique
chez les parents “enceints” mais bien un processus dynamique
et adaptatif que j’intitule relation d’objet virtuel (ROV). C’est
une branche de l’arbre de vie de la parentalité prénatale. Pour
la mère et, mutatis mutandis, pour le père, elle concerne l’en-
semble des comportements, des affects et des représentations
(conscients, préconscients et inconscients) à l’égard de l’em-
bryon puis du fœtus. Plus largement, c’est une modalité de
relation d’objet qui concerne toutes les personnes gravitant
autour de ces parents (fratrie, grands-parents, famille élargie,
professionnels, etc.) ». Elle s’inscrit fantasmatiquement dans le
processus de parentalité chez la mère et le père (2004, p. 121).
À la naissance du bébé, les parents le découvrent mais ils ont
déjà tissé un ensemble de représentations le concernant. Il est
attendu et déjà investi. Le bébé y réagit : « c’est un bébé actif
(au sens de M. Pinol-Douriez, 1984) qui manifeste de l’intérêt
de l’intentionnalité de son interlocuteur. Enfin, ses objets
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

semblent se différencier rapidement. (…) Dans ce processus


s’établit la création de son monde interne et pulsionnel, en
appui sur l’expérience de sensations corporelles auxquelles
s’ajoutent ses perceptions du monde externe. Pour ces auteurs,
les sensations corporelles tissent les réseaux inconscients qui
construisent l’identification primaire et la peau psychique
nécessaires à la cohésion du soi. Le jeu des deux fonctions,
maternelle et paternelle, met alors au travail la corporéité du
somatique » (Boubli et Despinoy, 2014, p. 8).
Dans ce même texte, M. Boubli et M. Despinoy s’intéressent
aussi au fantasme comme une représentation d’action : « Si
128 35 grandes notions de périnatalité

(…) l’objet génère le fantasme, inversement, le fantasme, à


entendre comme modalité de représentation interne, orga-
nise la représentation de la relation d’objet. Il est intéressant
de noter qu’on retrouve cette notion dans un article de
M. Perron-Borelli (1985) qui attribue au fantasme une fonction
organisatrice pour l’élaboration des liens à l’objet. Le fantasme
de l’incorporation de l’objet associé à celui de l’objet incor-
poré serait une structure de transformation des représentations
conscientes et inconscientes qui constitue la première orga-
nisation intrapsychique » (2014, p. 56-57). Ainsi, les désirs et
fantasmes maternels et paternels sous-tendront aussi les repré-
sentations où les liens se tissent.
D. Cupa montre comment « la force de vie interne » d’un
nourrisson « provient des prémisses de l’introjection de l’objet
de tendresse avec sa force et son désir de vie. L’introjection
se fait d’autant mieux que les parents nourrissent leur bébé
d’une profonde énergie produite par leurs investissements
tendres, fruits de leurs désirs autoconservateurs narcissiques à
l’égard de leur progéniture » (2007, p. 144). Cet auteur retrace
également « l’ontogenèse des comportements de tendresse »
dans les premières années de la vie à partir des travaux de
J. de Ajuriaguerra et de I. Casati (1985), investissement en
tendresse qui vient trouver un ancrage dans ces sensations,
ces émotions qui grandissent avec l’enfant tout au long de la
grossesse.
Dans la continuité de ce qui vient d’être évoqué, ajou-
tons pour tenter de cerner les différentes modalités de ce
travail de représentation au cours de la grossesse un dernier
point  renvoyant à la représentation de contact. A.  Green
reprend dans un texte (1995, 2000) rendant hommage à
D. Anzieu le travail de S. Freud dans Totem et Tabou (1913)
sur la représentation de contact où il développe comment
« l’unité supérieure de contact ne peut être réalisée que dans
le travail de la représentation » (1995, p. 272). Ainsi, le travail
Le travail psychique de la grossesse 129

de représentation a pour but de rechercher le contact, voire le


contact absent. C’est un contact entre les pensées. En référence
à la place du contact par le regard déjà évoqué en abordant
la question de la pulsion scopique à l’œuvre au cours de la
grossesse, D. Cupa ajoute : « Ainsi peut-on penser que l’unité
supérieure de contact ne relève pas forcément des conditions
matérielles de la satisfaction pulsionnelle, mais utilise des subs-
tituts dans la gamme de l’univers représentationnel comme
l’hallucination, le rêve, etc., d’un côté, et les variations de
contacts que propose la transmodalité de l’autre, l’unité supé-
rieure du contact étant alors l’objet absent de la satisfaction
du besoin de contact » (2007, p. 140).
Par cette capacité de rêverie (Bion, 1962), la limite entre soi
et l’enfant à naître s’amorce ainsi dans la psyché maternelle et
paternelle dès la grossesse. Ce travail de représentation vient là
comme mise en place d’un arrière-plan à la psyché de l’enfant
lui-même. Y participe ce premier contact, comme un premier
lien, notamment par le regard tourné vers l’enfant à naître.
L’image, comme dans la construction des rêves, y tient une
place. Ainsi, le travail de représentations de la mère et du père
pendant la grossesse est d’une certaine façon le début de la
mise en place de leurs fonctions psychisantes concernant leur
enfant. C. Bollas parle de l’ombre de l’objet (1989), une ombre
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

qui constitue une empreinte pour la vie affective ultérieure.


Nous allons (Riazuelo, 2003) dans le même sens que ceux
(Ferraro et al., 1985 par exemple) pour qui le rêve constitue
presque toujours la première représentation de l’enfant imagi-
naire : ce n’est qu’après l’avoir rêvé que la femme peut donner
un visage à l’enfant qu’elle attend. P. Aulagnier résume égale-
ment parfaitement bien que « s’il est interdit à la mère de rêver
les yeux ouverts que cet enfant à venir réalise le retour de son
père et de sa mère, qu’il sera homme et femme, qu’il sera à
jamais à l’abri de la mort, la mère a le droit (et c’est là une
nécessité pour l’enfant) de rêver à la beauté, aux ressemblances
130 35 grandes notions de périnatalité

futures, à la force de ce corps à venir » (cité par S. de Mijolla-


Mellor, 1998, p. 16). Ainsi, ce n’est qu’après s’être mise au
travail psychiquement et notamment par le travail du rêve
que la femme enceinte se représente l’enfant à naître. Le
travail de création devient inhérent au travail de grossesse et
les rêves participent à créer psychiquement cet enfant à venir :
« On est donc fondé à parler, et on ne s’en est pas privé, d’un
pouvoir créatif, sinon créateur, du rêve qui fait penser à celui
de l’art, et qui, à la fugitivité du songe près, en impose pour
une remarquable aptitude aux fonctions de maître d’œuvre du
Moi nocturne » (Guillaumin, 1998, p. 63). Le rêve, rappelons-
le, est un remémorateur, un révélateur, mais il met également
au travail pour ce qui est à venir.

12.2 Des exemples de recherches en pré


et postnatal
Parallèlement aux travaux menés chez la femme enceinte
ainsi que chez le futur père, de nombreuses études dans le
champ psychanalytique et développementaliste sur la périna-
talité se sont penchées sur les relations père-mère-bébé.
Se distinguent souvent l’étude des interactions compor-
tementales, celle des interactions affectives et celle des
interactions fantasmatiques. Ces distinctions sont en partie
dues au fait qu’aux États-Unis, la majorité des chercheurs ont,
sous l’influence de la théorie de l’attachement de J. Bowlby
(1969) s’inscrivant dans le champ développementaliste, fondé
leur méthodologie sur les aspects directement observables et
mesurables des interactions (interactions comportementales).
Inversement, en Europe, notamment en France, en Italie et en
Suisse (Kreisler et Cramer, 1981 ; Cramer, 1985 ; Stern, 1989 ;
Cramer et Palacio-Espasa, 1993 ; Lebovici, 1983 ; Ammaniti,
1991), les chercheurs et cliniciens, sous l’influence de la théorie
psychanalytique, ont concentré leurs efforts sur la recherche de
Le travail psychique de la grossesse 131

la dynamique fantasmatique organisant les interactions directe-


ment observables. Autrement dit, quand la mère porte dans ses
bras l’enfant de la réalité, elle porte l’enfant réel mais aussi l’en-
fant imaginaire et fantasmatique, etc. Le monde fantasmatique
de la mère et du père vient, selon eux, influencer les premières
interactions avec l’enfant. M. Lamour et S. Lebovici insistent
sur le fait qu’on ne peut comprendre les interactions précoces
qu’en incluant, selon leurs observations, la vie mentale des
protagonistes, à savoir le bébé et ses partenaires (1991).
Dès les années soixante-dix, des auteurs comme B. Cramer
(1974) et D. Stern (1977) ont montré dans leurs travaux sur les
psychothérapies mère-enfant que les représentations parentales
se matérialisaient dans des actes ayant un sens pour l’enfant.
Pour B. Cramer, tout comportement porte l’empreinte d’une
dynamique inconsciente et conflictuelle. C’est à partir de cette
hypothèse qu’il tente d’accéder aux représentations maternelles
dans le « faisant interactif ». En d’autres termes, les fantasmes
inconscients maternels sont mis en acte. Les auteurs se sont
questionnés sur ce qui précédait la venue de l’enfant au monde,
sur l’existence ou non des représentations de l’enfant imaginé
au cours de la grossesse et sur leurs effets sur les interactions
précoces (Stoléru, 1985 ; Ammaniti, 1991 ; Cupa, 1992).
Plus précisément, B. Cramer (1985) parle de « scénarios
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

interactifs » et de « scénarios fantasmatiques ». Ils


s’organisent par « thématiques dans le discours maternel qui
reviennent avec une force contraignante et qui interviennent
de façon massive au niveau des préoccupations que la mère a
au sujet de l’enfant : elle va révéler des inquiétudes, des désirs,
des joies, des désillusions au sujet de l’enfant qui seront autant
d’émanations manifestes de contenus fantasmatiques de ses
investissements inconscients, fondés sur son propre vécu
infantile. L’intérêt de cette étude simultanée de ce qu’on voit
et de ce qu’on entend est que l’on peut saisir alors les points
de rencontre entre des scénarios fantasmatiques révélés eux
132 35 grandes notions de périnatalité

essentiellement par le discours maternel » (1985, p. 159). Cet


auteur cherche à établir comment s’opèrent ces contagions
fantasmatiques de la mère à l’enfant, ou du père à l’enfant et
simultanément comment l’enfant réagit à ces pressions fantas-
matiques, à ces projections parentales et comment il les fait
siennes au gré d’identifications ou d’introjections.
S. Stoléru (Stoléru et al., 1985), à la suite de ses travaux
avec S. Lebovici (1983), s’intéresse, lui, à l’évolution qui va
« de l’enfant fantasmatique de la grossesse à l’inte-
raction mère-nourrisson ». Il va rechercher comment les
scénarios maternels vont venir influencer, voire organiser
les interactions précoces entre une mère et son nourrisson.
L’étude comporte quatre entretiens psychologiques respecti-
vement effectués au cours du troisième trimestre de grossesse,
au moment de la naissance, aux six mois de l’enfant, puis à un
an. S. Stoléru utilise notamment des planches photographiques
comme support projectif des fantasmes maternels pendant
la grossesse. S. Stoléru a constaté l’existence de liens entre
les scénarios imaginaires lors de la présentation des planches
photographiques et l’interaction mère-nourrisson observable.
Il a aussi constaté la cohérence et la fonction organisatrice des
scénarios fantasmatiques maternels vis-à-vis de la dynamique
mère-nourrisson. L’étude de D. Cupa a retrouvé ces mêmes
éléments : « Dans chacune des dyades observées existaient de
façon assez frappante une concordance entre les scénarios
fantasmés par la mère et ce que (l’auteur) a nommé les théma-
tiques interactives prégnantes » (1992, p. 57).
M. Ammaniti et al. (Ammaniti et al., 1999) a également
travaillé à établir des ponts entre l’avant et l’après-naissance.
Il a mis au point avec son équipe un entretien standardisé
semi-directif : l’IRMAG (Interview pour les représen-
tations maternelles pendant la grossesse). Il explore la
structure narrative des représentations maternelles au cours
de la grossesse. Cette structure possède, pour les auteurs, une
Le travail psychique de la grossesse 133

valeur prédictive du comportement interactif observé avec le


nourrisson après sa naissance. Les chercheurs se sont surtout
attachés à étudier l’organisation et la cohérence du récit, sa
forme narrative. Ainsi, ils ont mis en évidence trois styles de
représentations maternelles concernant les représentations de
l’enfant ainsi que celles que la mère a d’elle-même : il s’agit
de représentations « intégrées », « ambivalentes » ou « désin-
vesties ». Les auteurs pensent que « les représentations que se
fait une femme durant sa grossesse peuvent être considérées
comme un bon départ pour étudier sa maternité. Dans cet
article, les représentations mentales d’une mère sont mises
en rapport avec ses “structures mnésiques”, qui agissent en
lui proposant une nouvelle version de l’expérience antérieure-
ment vécue. Elles représentent l’aspect internalisé des modes
relationnels qui sous-tendent les comportements interactifs.
Ces représentations sont des constructions théoriques intéres-
santes du fait qu’elles ont tendance à se perpétuer. Au cours de
la vie, ces représentations mentales s’enrichissent, subissent
des transformations ou des révisions, comme c’est le cas
des profils de changement typiques durant la grossesse (…).
Sur la base de ces transformations, la représentation qu’une
femme se fait d’elle-même durant sa grossesse devient de
plus en plus complexe, et comprend de nouvelles fonctions,
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

parmi lesquelles celle de son rôle de mère. Parallèlement, une


représentation du fœtus commence à prendre forme dans la
constellation mentale de la mère. On pense que cette repré-
sentation se fonde à la fois sur un imaginaire ayant ses racines
profondes dans la façon dont la mère s’est développée et sur
de nouvelles données issues de la perception croissante de la
présence de l’enfant » (2000, p. 57-58).
Des études sur la mise en place d’une triade dans les inte-
ractions précoces se sont également développées comme celles
d’É. Fivaz-Depeursinge (Fivaz-Depeursinge et al., 1999 ; Borcard-
Sacco et al., 1997). Cet auteur envisage la triade familiale à
134 35 grandes notions de périnatalité

travers l’approche systémique et concentre son attention sur le


développement de l’autonomie du bébé en tant que fonction
essentielle du système triadique. Elle montre très précisément
que les relations se jouent à trois, et étudie la dynamique tria-
dique et comment le père, la mère et le bébé se triangulent.

Les quatre parties filmées du Triadic Play de Lausanne


lors d’une situation de jeu
(É. Fivaz-Depeursinge et A. Corboz-Warnary, 1999)

Elle montre aussi l’importance de ce « tiers » bien avant


les premières manifestations œdipiennes. Même si la
mère demeure la figure principale dans l’établissement de l’in-
teraction, le support que lui apporte le père dans ce processus
Le travail psychique de la grossesse 135

contribue à créer chez elle un sentiment de sécurité, nécessaire


pour s’occuper de l’enfant. Cette micro-analyse des interactions
précoces a permis de mieux les étudier notamment à partir
d’outils comme le GEDAN (Guide pour l’Évaluation du Dialogue
Adulte-Nourrisson, Y. de Roten, 1992) ou encore la RAF (Grille
d’évaluation des interactions parents-enfants élaborée dans le
cadre d’une Recherche Action Formation par le Département
de Psychopathologie de l’Université de Bobigny, V. Bur, 1989),
et de situations d’observation très précises (le Triadic Play de
l’équipe de Lausanne ; É. Fivaz, G. Francini et E. Gargano, 2004,
voir figure 2.5) qui ont aussi collaboré à mieux comprendre
leur mise en place, à mettre en perspective les interactions
comportementales et fantasmatiques qui sont intimement
liées. Comme guide d’entretien semi-directif existe également
l’Entretien R de D. Stern (1989, p. 151-177). N. Favez et son
équipe ont repris la suite de ces recherches sur la triade
père-mère-bébé (2016).

12.3 Répercussions sur les prises en charge


psychothérapeutiques
Ajoutons que pour D. Stern, dans le champ développemen-
taliste, le monde représentationnel des parents est « le premier
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

élément de la situation clinique » ; il ajoute qu’il y a « aussi la


mère réelle tenant le bébé, et il y a elle-même-comme-mère
imaginée à ce moment-là. Enfin, il y a l’action réelle qui
consiste à tenir l’enfant, et l’action imaginée de le porter. Ce
monde représentationnel inclut non seulement les expériences
des parents concernant les interactions avec le bébé, mais
aussi leurs fantasmes, leurs espoirs, leurs peurs, leurs rêves,
la mémoire de leur propre enfance, les modèles parentaux et
les prophéties sur l’avenir de l’enfant » (1995, p. 29). N. Favez
ajoute en s’appuyant sur les travaux de C. Dayton que « des liens
ont été mis en évidence entre d’une part les représentations de
136 35 grandes notions de périnatalité

la mère de l’enfant à venir pendant la grossesse et d’autre part


des relations passées avec ses propres parents et ses comporte-
ments de maternage ; des représentations dites “autonomes et
équilibrées”, dans lesquelles la mère peut notamment différen-
cier ses propres besoins psychologiques de ceux de son enfant
sont associées à un comportement chaleureux et adéquat dans
les interactions avec l’enfant et à un développement optimal
de l’enfant » (2013, p. 74).
D’autres auteurs comme N. Nanzer, F. Palacio Espasa et al.
(2012), relevant du champ psychanalytique, écrivent d’ail-
leurs que « la connaissance des fantasmes liés à la parentalité
nous interpelle non seulement dans la démarche de la psycho-
thérapie centrée sur la parentalité mais nous a aussi enjoints
à reconsidérer les effets que les fantasmes et représentations
parentales pouvaient exercer sur la dynamique intrapsychique
de l’enfant. Certains thèmes fantasmatiques ancrés dans les
deux parents après la naissance du bébé et répertoriés lors
de psychothérapies conjointes parents-bébés sont réapparus
quelques années plus tard, chez l’enfant, comme « fixés en
lignes de force » ou formes de continuité entre le vécu de
la mère ou des parents et celui de l’enfant lorsque nous les
avons revus ultérieurement pour une étude longitudinale »
(2012, p. 6-7).
Rappelons que dans « les traitements parents-nourrissons,
le cadre analytique et le jeu transférentiel vont permettre que
la mère (et nous ajoutons le père) retrouve ses capacités de
travail psychique. Ce faisant la rêverie maternelle (et pater-
nelle) devient active ». Ainsi, les parents vont pouvoir offrir à
leur enfant « les conditions pour qu’il fasse à son tour le travail
psychique qui incombe à un appareil psychique en dévelop-
pement » (Anzieu, 2003, p. 28).
Le travail psychique de la grossesse 137

Pour aller plus loin


Lectures recommandées
Ajuriaguerra de J. (1985). Ontogenèse des comportements de
tendresse : I. Étude de l’embrassement-étreinte, à partir du pattern
« tendre les bras ». La Psychiatrie de l’enfant, 28 (2), 325-402
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sesse et interactions précoces mère-enfant. Psychiatrie de l’enfant,
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ractions précoces. À l’intention des consultations pédiatriques. In
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© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

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Hygiène, p. 427-463.
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rapies mère-bébé : études cliniques et théoriques, Paris : PUF.
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Devenir, 4, 2, 47-60.
138 35 grandes notions de périnatalité

Favez N. et al. (2016). Sense of competence and beliefs about


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l’œuvre de P. Aulagnier. Paris, Dunod.
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Le travail psychique de la grossesse 139

Riazuelo H. (2003). À quoi rêvent les femmes enceintes ? Champ


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Roten de Y. et Fivaz-Depeursinge É. (1992). Un guide pour l’éva-
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Pour approfondir
Anzieu-Premmereur C. et Pollak-Cornillot A. (2003). Les Pratiques
psychanalytiques auprès des bébés. Paris : Dunod.
Green A. (1995). Propédeutique : la métapsychologie revisitée. Paris :
Sesseyl, Champ Vallon.
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Green A. (2000). Le Moi et la théorie du contact. In Kaës R., dir., et


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p. 217-226.
Guillaumin J. (1998). Le Moi sublimé. Psychanalyse de la créativité.
Paris : Dunod.
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tions précoces entre le bébé et ses partenaires. Paris : éd. Eshel et
Genève : Médecine et Hygiène.
Presme N., Delion P. et Missonnier S. (2014). Recherches en périna-
talité. Paris : PUF.
140 35 grandes notions de périnatalité

13. Les nouvelles maternités


médicalement assistées

Depuis une trentaine d’années, les avancées médicales en


termes d’assistance médicale à la procréation ont révolutionné
les maternités. Auparavant, la femme avait eu la possibilité de
contrôler les naissances avec la contraception (autorisée en
France en 1967), qui permettait une sexualité sans procréa-
tion, puis le droit à l’avortement (loi Veil de 1975), qui ont
contribué à de nombreux changements pour la femme et dans
le couple. Puis, le premier enfant conçu par fécondation in vitro
en France est né en 1982.
Il y a ainsi des possibilités d’aide à la procréation de plus en
plus poussées auxquelles peuvent recourir les couples infertiles.
À chaque étape de ces avancées scientifiques des situations de
plus en plus complexes interrogent, de nouvelles questions
éthiques se posent. Lorsque les biotechnologies se saisissent
des secrets de la procréation et ainsi de la descendance, de la
filiation, les discussions divisent les individus, les courants de
pensée ou les courants religieux. Elles renvoient à des réflexions
sur les droits fondamentaux, sur l’eugénisme ainsi que sur le
commerce de la reproduction humaine. Loin des idéologies
et des débats passionnés, il s’agit ici de poser quelques jalons
pour mieux comprendre (se reporter à la notion 25 également).

13.1 Un point sur l’Assistance Médicale


à la Procréation
L’Assistance Médicale à la Procréation (AMP), ou procréation
médicalement assistée (PMA), consiste à manipuler un ovule
et/ou un spermatozoïde pour procéder à une fécondation. Elle
est encadrée en France par l’Agence de la Biomédecine. Elle
Le travail psychique de la grossesse 141

permet de pallier certaines difficultés à concevoir, sans néces-


sairement traiter la cause de l’infertilité. En France, « en 2011,
23 127 enfants sont nés grâce aux tentatives d’assistance médi-
cale à la procréation réalisées en 2011, soit 2,8 % des enfants
nés dans la population générale cette même année. Parmi ces
naissances, 1 307 enfants sont issus d’un don de gamètes (soit
0,16 % de l’ensemble des enfants nés en 2011) », chiffres de
l’Agence de la Biomédecine.

L’insémination artificielle

C’est la technique d’AMP la plus simple et la moins coûteuse. Elle


consiste à recueillir et à préparer le sperme du conjoint pour l’injecter
directement dans l’utérus de la femme dans un timing synchronisé
avec l’ovulation. Le plus souvent, la femme suit préalablement un
traitement hormonal (stimulation ovarienne) pour obtenir le déve-
loppement d’un à deux (voire trois) follicules matures, susceptibles
d’être fécondés. La fécondation se fait donc naturellement, à l’inté-
rieur du corps de la femme.

Différentes techniques peuvent être proposées aux couples


infertiles candidats à l’AMP (voir le site de l’Inserm).

La fécondation in vitro (FIV)


© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Il s’agit d’une technique plus invasive. Elle consiste à provoquer la


rencontre d’un ovule et d’un spermatozoïde en laboratoire. Dans la
plupart des cas, il s’agit des gamètes des deux conjoints. Mais la FIV
peut également être réalisée avec un gamète de donneur (sperma-
tozoïde ou ovocyte) lorsque cela s’avère nécessaire. Une première
étape consiste à stimuler les follicules par un traitement hormonal
avec des doses de FSH exogènes (hormone folliculostimulante) bien
plus importantes que celles utilisées en cas d’insémination. Lorsque
les follicules sont matures, ils sont prélevés et transmis au labora-
toire. En parallèle, du sperme est recueilli et préparé au laboratoire.
142 35 grandes notions de périnatalité

Dans des situations particulières, des spermatozoïdes préalablement


congelés peuvent être utilisés.

Le prélèvement d’ovocyte

La fécondation a lieu in vitro, c’est-à-dire à l’extérieur du corps de la


femme. Les spermatozoïdes sont déposés au contact des ovocytes
dans une boîte de culture placée à 37 °C. Les ovocytes fécondés
deviennent des zygotes (« œufs »), puis des embryons. Deux, trois
ou cinq jours après la fécondation, les embryons sont transférés dans
l’utérus de la femme au moyen d’un cathéter introduit sous contrôle
échographique. Le nombre moyen d’embryons transférés était de
1,8 en 2010. Ce nombre dépend de l’âge de la femme mais égale-
ment des stratégies de prise en charge propres aux centres d’AMP.
Globalement ce chiffre tend à diminuer pour réduire le nombre des
grossesses multiples et leurs complications maternelles et fœtales.

Il y avait, en 2010, 10 % de couples infertiles en France


(Études et résultats, 2011 – chiffres émanant de l’Enquête
Nationale Périnatale ou ENP et de l’Observatoire épidémiolo-
gique de la fertilité en France ou OBSEFF), sachant que dans
le courant de l’année 2017, nous devrions pouvoir disposer
des chiffres de l’Enquête Nationale Périnatale de mars 2016.
L’un des points soulignés dans cette enquête est l’augmenta-
tion de couples infertiles dans différents pays occidentalisés et
notamment en France. Les hypothèses avancées pour comprendre
cette augmentation sont d’une part le recul de l’âge des femmes
désirant concevoir un premier enfant, qui est une cause impor-
tante d’infertilité et de recours à l’AMP (l’âge de la première
grossesse passe de 24 ans à 29 ans alors que la fertilité décroît à
partir de 35 ans) ; d’autre part, « de récents travaux de l’Institut
de veille sanitaire montrent une tendance à la baisse de qualité
du sperme chez les hommes représentatifs de la population
générale sur la période 1989-2005 et sur la période 1998-
2008 » (site de l’Inserm). Les habitudes de vie, l’augmentation
Le travail psychique de la grossesse 143

de certaines maladies (cancer des testicules) et des facteurs


environnementaux peuvent être mis en avant selon les cas.
La fécondité n’est pas menacée en France et les couples font
toujours autant d’enfants mais ils sont plus difficiles à conce-
voir pour davantage de couples.

13.2 La conception hors sexualité


Nous sommes désormais à l’ère où la conception peut
se faire hors sexualité, et où la fécondation peut se
faire hors du corps de la mère. Pour un certain nombre
de couples, le parcours de la procréation médicalement assistée
peut être long. Nous pouvons tout de même remarquer que
les couples s’inquiètent de plus en plus rapidement et qu’ils
ont même du mal à attendre le temps des deux ans suggéré
par les professionnels et souhaitent commencer les démarches
le plus vite possible. « Il faut dire que le succès de la contra-
ception a produit, en miroir, l’attente inverse : celle d’une
procréation volontaire, « Un enfant si je veux, quand
je veux ». « La maîtrise de la contraception devrait
entraîner celle de la conception » (Faure-Pragier, 2009,
p. 45). Pour certains couples, c’est un « parcours du combat-
tant ». « Une escalade des traitements exprime la volonté
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

d’obtenir que le corps cède, tandis que les obstacles psychody-


namiques sont volontiers négligés. C’est alors, quand s’engage
un véritable viol du corps, que les complications surviennent,
aggravant l’aspect somatique de l’infertilité : grossesse extra-
utérine, avortement ou accouchement prématuré, hématome
rétroplacentaire… » (Faure-Pragier, 2009, p.  46). Après un
grand nombre de tentatives (une femme par exemple a été
inséminée une quinzaine de fois et a vécu quatorze fausses
couches), l’une des questions n’est-elle pas aussi celle de la
limite ? N’y a-t-il pas à faire le deuil d’une fécondation ?
144 35 grandes notions de périnatalité

Ceci n’est qu’un point parmi d’autres tant le sujet est


vaste. Sans oublier qu’en articulant corps et psyché, « la réalité
psychique résiste à la réalité biologique », et que « l’expression
des désirs inconscients se réfère aux désirs parentaux et non à
la manipulation des cellules germiques » (Faure-Pragier, 2009,
p. 72-73). Il est ainsi important de considérer l’humain dans sa
globalité somatopsychique, en ne clivant pas corps et psyché et
en prenant bien en compte sa vie psychique.

Pour aller plus loin


Lectures recommandées
Études et Résultats (2011). La situation périnatale en France en 2010,
n° 775.

Sites Internet
Site de l’Agence de la Biomédecine : https://www.agence-biome-
decine.fr/AMP
Site de l’Inserm : http://www.inserm.fr/thematiques/biologie-
cellulaire-developpement-et-evolution/dossiers-d-information/
assistance-medicale-a-la-procreation (consulté en 11/2016).
Obseff, Observatoire épidémiologique de la fertilité en France : un
outil de description de la fertilité de la population générale et de sa
sensibilité aux facteurs environnementaux : (document de R. Slama,
2009, consulté en 11/2016).

Pour approfondir
Duparc F. et Pichon M. (2009). Les Nouvelles Maternités au creux du
divan. Paris : éditions in Press. Le chapitre de S. Faure-Pragier fait
partie de cet ouvrage.
Faure-Pragier S. (1997). Les Bébés de l’inconscient. Paris, PUF.
Le travail psychique de la grossesse 145

14. Processus de parentalisation

Le processus de parentalisation est particulièrement au


travail au cours de la grossesse alors que la mère, le père s’ap-
prêtent à devenir parent puis avec l’arrivée de l’enfant, mais
il vient s’inscrire dans une temporalité beaucoup plus large.

14.1 La parenté
Dans son travail sur Les Structures élémentaires de la parenté
(1949), C. Lévi-Strauss, anthropologue et ethnologue, a postulé
qu’il existait des règles universelles qui la gouvernent. À l’aide
de la méthode structuraliste, il a donné un nouveau souffle
aux études de la parenté. Il est le premier à avoir insisté sur
l’importance de l’alliance au sein des structures de parenté, et
a mis en évidence la nécessité de l’échange et de la réciprocité
découlant de la prohibition de l’inceste. Dans cette optique, il
va jusqu’à avancer l’idée que toute société humaine est fondée
sur une unité minimale de parenté : l’atome de parenté. Cette
théorie globale est connue plus communément sous le nom
de théorie de l’alliance.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Définition de l’atome de parenté

Dans un chapitre d’Anthropologie structurale (1958), C. Lévi-Strauss


décrit comment la structure de parenté la plus simple repose sur
quatre termes : « (frère, sœur, père, fils) unis entre eux par deux
couples d’oppositions corrélatives, et tels que, dans chacune des
deux générations en cause, il existe toujours une relation positive et
une relation négative » (tome I, p. 56).
146 35 grandes notions de périnatalité

Schéma de la structure de parenté (selon C. Lévi-Strauss,


Anthropologie structurale, tome I, p. 38-62)

14.2 La parentalité
Dans le champ psychanalytique, le terme de « maternalité »
a été introduit par P.-C. Racamier (1961) qu’il définit, rappe-
lons-le, comme l’ensemble des processus psychoaffectifs qui
se développent et s’intègrent chez la femme lors de sa mater-
nité et qu’il qualifie de phénomène normal. Cette maternalité
commence avec le désir d’enfant, réalisé ou non, se poursuit
pendant la grossesse et après l’accouchement, puis elle s’es-
tompe et s’arrête à la séparation de la mère et de l’enfant,
cette « séparation psychique » pouvant avoir lieu à la fin de sa
première année, mais le terme en est variable.
Cette notion a ensuite été étendue aux deux parents sous
l’expression de la parentalité. Il s’agit d’un processus de recon-
naissance, c’est-à-dire de parentalisation, de l’enfant par le
parent, mais aussi de reconnaissance du parent par l’enfant :
« être parent de », « être l’enfant de ». Il ne faut pas l’oublier,
comme l’affirmait S. Lebovici, que l’enfant fait, parentalise,
construit aussi ses parents.
S. Stoléru propose une définition de la notion de parenta-
lité que nous trouvons intéressante dans les termes suivant :
il s’agit de « l’ensemble des représentations, des affects et des
comportements du sujet en relation avec son ou ses enfants,
que ceux-ci soient nés, en cours de gestation ou non encore
Le travail psychique de la grossesse 147

conçus » (1989). Elle a pour fonction essentielle de promouvoir


le bien-être physique et psychique de l’enfant. Par ailleurs, elle
constitue un sous-ensemble particulier de la relation d’objet à
l’enfant imaginé, à l’enfant réel.
Pour D. Houzel, on peut décrire le processus de parenta-
lité selon trois dimensions complémentaires : l’exercice,
l’expérience et la pratique, sachant que l’exercice renvoie à
l’identité structurale de la parentalité (en référence à C. Lévi-
Strauss), l’expérience à ses aspects subjectifs conscients et
inconscients et la pratique, aux qualités observables des rela-
tions (1997). Autour de ces trois axes de la parentalité semble
« s’articuler l’ensemble des fonctions dévolues aux parents »
(2002, p. 63). Ainsi, l’exercice de la parentalité est la reconnais-
sance d’une filiation fondée en droit, ce qui constitue une
parentalité symbolique. « Dans nos sociétés de droit écrit, ce
sont les aspects juridiques de la parenté et de la filiation qui
définissent l’exercice de la parentalité (…). Sur le plan du déve-
loppement psychique individuel, l’exercice de la parentalité
se rattache aux interdits qui organisent le fonctionnement
psychique de tout sujet, et notamment le tabou de l’inceste »
(2002, p. 64-65). L’expérience de la parentalité désigne, elle,
« l’expérience subjective consciente et inconsciente du fait de
devenir parent et de remplir des rôles parentaux » (2002, p. 66).
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

L’auteur parle alors de « processus de parentalisation » avec tout


ce qui se met en place autour de la construction de la relation
à l’enfant et des nouvelles places de père et de mère. Enfin, la
pratique de la parentalité regroupe les tâches concrètes, quoti-
diennes observables des parents. C’est le domaine des « soins
parentaux », sachant que par soins on entend évidemment
« non seulement les soins physiques, mais également les soins
psychiques » (2002, p. 68).
Ce processus de parentalisation s’inscrit dans l’histoire
du sujet, dans un mandat transgénérationnel (se référer à la
notion 16) qui fait le lien entre la filiation et la parentalité.
148 35 grandes notions de périnatalité

Ajoutons que des auteurs comme M. Boubli et B. Efrat-


Boubli (2006) font le postulat que « le concept de parentalité
inclut et dépasse celui de père et de mère ainsi que celui de la
“maternalisation” (Racamier et al., 1961) ou du devenir père »
(p. 57). Il s’agit, pour elles, d’« un processus psychique qui ne
se limiterait pas au fait d’être réellement parents mais qui se
développerait tout au long de la vie. La parentalité implique
au moins deux partenaires. L’un acceptant d’être en position
parentale, acceptant de donner, de transmettre quelque chose
qui dépasse un savoir-faire, un savoir-penser en ce qu’il y inclut
un savoir-être, un savoir-vivre. Ces diverses modalités de savoir
ne peuvent être transmises que si une forme d’alliance, en
grande partie inconsciente, est perceptible chez celui à qui
la transmission s’adresse, de façon directe ou indirecte. Cette
alliance se manifeste par de la réceptivité, de la reconnais-
sance par l’enfant (ou par celui en position de recevoir) d’une
certaine qualité de préoccupation associée à une autorité qui
ne menace pas son narcissisme » (p. 56). Ainsi, le processus de
parentalité favoriserait, dans une forme suffisamment orga-
nisée, le lien à l’autre, la transmission et la créativité.

Pour aller plus loin


Lectures recommandées
Boubli M. et Efrat-Boubli B. (2006). La parentalité : un processus,
hors confusion des langues, favorisant la croissance psychique,
Adolescence, 1 (55), 55-67.
Houzel D. (1997). Les dimensions de la parentalité, Journal de la
psychanalyse de l’enfant, 21, 164-190.
Houzel D. (2002). Les enjeux de la parentalité. In Solis-Ponton, L.,
La Parentalité, défi pour le troisième millénaire. Paris : PUF (coll. Le
Fil Rouge), p. 61-70.
Le travail psychique de la grossesse 149

Racamier P.-C. et al. (1961). La mère et l’enfant dans les psychoses


du post-partum. Évolution psychiatrique, XXXVI, 4, 525-570.
Stoléru S. (1989). La parentification et ses troubles. In Lebovici S. et
Weil-Halpern F. (dir.), Psychopathologie du bébé. Paris : PUF.

Pour approfondir
Lévi-Strauss C. (1949). Les Structures élémentaires de la parenté.
Mouton de Gruyter. 2e édition, 2002.
Lévi-Strauss C. (1958). Anthropologie structurale, tome I.

15. L’accouchement

La grossesse est le temps où s’incarnent les fantasmes rela-


tifs au corps plein d’un enfant. Après la naissance de l’enfant,
il est souvent question de ce creux maintenant vide, de ce
deuil de la grossesse. Elle est une dynamique entre le vide et
le plein : « Il y a en elle, cependant, un creux d’enfant qui ne
saurait être exactement comblé par l’enfant qu’elle va désor-
mais investir activement de son corps externe. (…) Le creux
d’“être enceinte” subsiste dans la femme devenue mère »
(Bouchart-Godard, 1989, p. 241). La naissance est le temps
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

du détachement, du deuil, mais c’est aussi celui de la vie et


de davantage de différenciation qui amène à la vie psychique.
L’accouchement est aussi le moment où le fœtus, l’enfant
imaginé, prend la forme de l’enfant réel. La confrontation avec
l’enfant réel peut être brusque et entraîner le deuil de l’en-
fant imaginaire, produit du désir inconscient. C’est l’étranger
contre soi.
L’accouchement confronte, par ailleurs, à une expérience
corporelle extrême. Dans les dernières semaines de la gros-
sesse, on observe comment les femmes enceintes commencent
à être aux prises avec ses angoisses de perte, de séparation,
150 35 grandes notions de périnatalité

de castration et de mort (Cupa, 1996). C’est le moment par


excellence où la question des origines se juxtapose avec notre
finitude. La femme en accouchant sait pertinemment que
« la mort [est] l’aboutissement inéluctable de la naissance »
(Guignard, 1999, p. 22). La dilatation, l’expulsion, l’épisio-
tomie provoquent également des angoisses de castration et
de mort (Cupa, p. 45).
De plus, la femme enceinte développe un regard tourné vers
l’intérieur de son corps et plus particulièrement vers ses scéna-
rios et objets internes : « C’est la pulsion scopique qui permet
la maîtrise de la situation rendant à la femme ce qu’elle perd »
(Cupa, 1996, p. 45). Cet auteur souligne aussi les mouvements
agressifs et libidinaux qui entourent l’enfant à naître dans les
rêves de femmes enceintes, l’accouchement étant la mise en
scène des désirs œdipiens et l’enfant, la preuve du délit. Elle
présente également l’accouchement comme une « scène des
origines » où se réactualisent les fantasmes originaires dont
la fonction est « de donner sens à l’énigme de nos origines »
(1996, p. 42).
O. Rank publie d’ailleurs en 1924 Le Traumatisme de la nais-
sance, insistant sur l’importance de cette scène de la naissance :
« tous les souvenirs infantiles peuvent être considérés comme
étant, dans une certaine mesure, des “souvenirs-écrans” et,
d’une façon générale, la faculté de reproduction serait due à
l’impossibilité où se trouvent les malades d’évoquer précisé-
ment “la scène originelle”, à cause des associations qui, à cette
scène, rattachent les plus pénibles de tous les “souvenirs” : le
traumatisme de la naissance » (1924, p. 23). Régulièrement,
nous sommes ainsi renvoyés à cette scène, à ce traumatisme
premier, à cette séparation des débuts.
Cependant, malgré la violence du moment, l’orage
émotionnel, le débordement qu’il suscite, « malgré la bruta-
lité de la naissance que certaines vivent avec l’intense fierté
d’un exploit et d’autres comme un traumatisme, toutes disent
Le travail psychique de la grossesse 151

l’importance de ce passage. Elles réclament de sentir qu’il a


lieu, comme prémices du très long travail de séparation de
l’enfant qu’elles auront à effectuer » (Lechartier-Atlan, 2001,
p. 447). Un parallèle peut pour certaines femmes se faire avec
un passage initiatique.
Il faut aussi faire avec le masochisme féminin ainsi qu’avec
la représentation idéalisée que certaines femmes peuvent avoir
de l’accouchement. La trop grande attente de ce moment,
comme organiser une rencontre parfaite avec l’enfant, peut
aussi entraîner de l’angoisse et une certaine fragilité.

Pour aller plus loin


Lectures recommandées
Bouchart-Godard A. (1989). Quel objet perdu ? Les Cahiers du
nouveau-né, Délivrances ou le placenta dévoilé, 8, 141-164.
Cupa D. (1996). Rêves d’accouchement, émergence de fantasmes
originaires. Champ psychosomatique, 8, 37-48.
Guignard F. (1999). Maternel ou féminin ? Le « roc d’origine » comme
gardien du tabou de l’inceste avec la mère. Clés pour le féminin,
Débats de psychanalyse, Paris : PUF, p. 11-23.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Lechartier-Atlan C. (2001). La grossesse « mère » de toutes les sépa-


rations. Revue française de Psychanalyse, 65, 2, 437-449.
Rank O. (1924). Le Traumatisme de la naissance. Paris : Payot, 2002.

Pour approfondir
Revault d’Allonnes C. (1976). Le Mal joli. Paris : Union générale
d’édition.
3
Cha
pitre

LA CONSTRUCTION
DES LIENS
DANS LA FAMILLE
aire
m
S o m

16. Transmission psychique ........................................ 155


17. L’arrivée du bébé ................................................... 159
18. Construction des liens familiaux .......................... 164
19. La fratrie................................................................. 170
20. Grossesse et constellations .................................. 180
21. Les changements dans la famille d’aujourd’hui .... 185
22. Familles venues d’ailleurs ..................................... 191
Le nouveau-né et son entourage établissent des liens privi-
légiés, liens qui s’esquissent dès la période prénatale. Les
parents portent, comme nous l’avons vu (chapitre 2), psychi-
quement ce bébé à naître bien avant sa naissance et cela va
venir influencer la mise en place des liens précoces. Un berceau
psychique accueille l’enfant à naître mais va aussi l’envelopper
après sa naissance.
L’arrivée d’un bébé vient bouleverser la vie d’un couple,
d’une famille. La mère, le père deviennent responsables de
la vie d’un nouvel être, d’un nourrisson qui est entièrement
dépendant d’eux. L’arrivée d’un premier né est particuliè-
rement emprunte de nouveautés, chaque naissance vient
solliciter le parent ainsi que l’ensemble de la famille. En nais-
sant l’enfant vient créer ses parents, ses grands-parents et sa
fratrie comme se plaisait à le dire S. Lebovici.

16. Transmission psychique

Pour devenir mère, une femme a besoin de s’appuyer sur les


représentations internes qu’elle a de sa propre mère et de son
propre père (ou le cas échéant de personnes qui ont eu une
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

place de figure parentale). Il en est de même pour un père, qui


s’appuie sur ses représentations introjectées. Le futur parent
va ainsi consciemment et inconsciemment se confronter
respectivement à ses modèles et imagos parentaux. Cela pose
la question des identifications.
Par ailleurs, chacun s’inscrit dans une histoire, dans un
roman familial avec son lot de mythes, d’ancêtres, d’ombres
et de fantômes. La transmission psychique est ainsi centrale
dans la vie des familles et pour chacun de leurs individus.
156 35 grandes notions de périnatalité

16.1 Les fantômes…


Les psychiatres, notamment d’enfants, et les psychanalystes
ont largement exploré cette question. Freud expliquait déjà
en 1914 que le narcissisme de l’enfant à naître s’étayait sur
les souhaits, désirs, fantasmes parentaux : « si l’on considère
l’attitude de parents tendres envers leurs enfants, on est obligé
d’y reconnaître la reviviscence et la reproduction de leur propre
narcissisme depuis longtemps abandonné » (p. 234).
L’Écorce et le noyau de N. Abraham et de M. Torok (1978)
sur les notions de « crypte » et de « fantôme » est une référence
centrale. Dans cet ouvrage, les auteurs pensent « cette ombre
[en référence au texte de Freud Deuil et mélancolie, 1915 où
l’ombre est celle de l’objet perdu tombé sur le moi] comme un
fantôme et la fixation comme une crypte qui l’abrite. Pour eux,
la fixation à l’objet résulte d’une incorporation qui résiste aux
identifications plurielles qui permettaient d’introjecter non pas
l’objet, mais les désirs qui s’y rapportent. Pour cela, le secret
est de rigueur. “Le deuil indicible, écrivent-ils, installe à l’inté-
rieur du sujet un caveau secret. Dans la crypte repose, vivant,
reconstitué à partir des souvenirs, de mots, d’images et d’affects
le corrélat objectif de la perte. Il s’est créé ainsi tout un monde
fantasmatique inconscient qui mène une vie séparée et occulte”
(1978, p. 266). (…) les auteurs (…) ont permis de repérer que
“crypte” et “fantôme”, comme traces psychiques d’un deuil
inachevé, reposent sur un secret » (Baldacci, 2012, p. 25).
Il nous faut mentionner également le travail d’A. de Mijolla
dans Les Visiteurs du Moi (1996) et le concept de « fantasme
intergénérationnel » ainsi que celui de S. Fraiberg dans Les
Fantômes de la chambre d’enfants (1999). Ces auteurs ont montré
comment certaines identifications inconscientes renvoyaient à
un autre perdu, absent et/ou caché. Ils se penchent avec d’autres
(par exemple J. Cournut, D. Dumas, M. Enriquez, H. Faimberg,
J. Guyotat, C. Nachin ou S. Tisseron) sur la question de la
La construction des liens dans la famille 157

transmission transgénérationnelle et plus spécifiquement la


transmission de « secrets de famille » d’une génération à l’autre,
sachant que le négatif peut aussi être à l’œuvre dans ce qui se
transmet. Il faudrait aussi se pencher sur ce qui se transforme
et qui change d’une génération à l’autre.

16.2 La transmission entre générations


Dans le champ de la périnatalité, S. Lebovici propose la
métaphore de « l’arbre de vie » d’un individu (2009a) : « Avoir
un enfant ne signifie pas qu’on en est le parent : le chemin
qui mène à la parentalité suppose qu’on ait “co-construit” avec
son enfant et les grands-parents de ce dernier un “arbre de
vie” qui témoigne de la transmission intergénérationnelle et de
l’existence d’un double processus de parentalisation-filiation
grâce auquel les parents peuvent devenir père et mère » (2009b).
Ce « génogramme psychique » renvoie notamment à différents
types d’enfants qui naissent progressivement dans la psyché
maternelle et paternelle : le bébé imaginaire, fantasmatique,
mythique et narcissique (se référer à la notion 11). L’auteur a
également avancé le concept de « mandat transgénérationnel »
(qui a aussi évolué en intergénérationnel). Dans sa filiation,
des auteurs comme B. Golse ou S. Missonnier ont développé
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

son propos. « Transmettre, c’est transmettre non seulement


la vie, comme disait Lebovici, mais aussi “la capacité même
de transmettre la vie dans un processus de transmission se
déployant sur trois générations au moins”. Si la transmission
d’un savoir est nécessaire, c’est surtout celle d’un savoir-faire
et d’un savoir être qui organisent les sujets, comme le souligne
B. Golse (2008), un savoir être qui organise la famille » (Darchis,
2016, p. 82).
Les psychanalystes du groupe et de la famille ont égale-
ment travaillé sur cette notion comme par exemple R. Kaës ou
E. Granjon. Cette dernière souligne finement que « le passé ne
158 35 grandes notions de périnatalité

se laisse jamais oublier ; il est en perpétuel devenir, pourrait-on


dire. Ce qui fait continuité dans les familles, entre les généra-
tions et les membres du groupe, ce qui est commun et partagé,
renvoie à la généalogie. La filiation détermine et organise (ou
désorganise) les liens du groupe et les psychés individuelles.
Ce qui se transmet des uns aux autres, d’une génération aux
autres, n’est pas seulement ce qui peut être dit, raconté, repré-
senté (histoires, romans, mythes…) constituant la modalité
intergénérationnelle de la transmission psychique, mais c’est aussi
et surtout ce qui ne peut être dit, n’a pas été inscrit, ce qui
fait défaut, ce qui manque. Mais alors, les restes, les tentatives
d’oubli, de gommage ou d’élimination de ce qui est advenu
aux uns, de ce qui fut traumatique ou honteux, laissent des
traces, du “négatif” qui sera transmis et imposé aux héritiers,
individuellement et en groupe, renvoyant à une préhistoire
indéchiffrable et les aliénant aux générations précédentes. Ce
qui ne peut se figurer, se représenter ni se dire, les silences, les
blancs, les objets perdus des ancêtres, les traumatismes ou les
deuils impossibles, se transmettent malgré tout d’une géné-
ration à l’autre, constituant des “traces sans mémoire” qui
s’imposent par différentes voix (voies) et font violence. C’est
le défaut de la transmission qui se transmet. Cette modalité de
passage de ce qui manque, de ce qui ne peut être représenté ni
pensé et qui ne peut se dire, correspond aux modalités trans-
générationnelles de la transmission » (Granjon, 2005,
p. 152-153). Cet auteur fait ainsi une distinction intéressante
entre ce qui peut être raconté et ce qui ne peut l’être, ce qui
est irreprésentable et potentiellement traumatique.
La construction des liens dans la famille 159

Pour aller plus loin


Lectures recommandées
Abraham N. et Torok M. (1978). L’Écorce et le noyau, Paris,
Flammarion, 1987.
Baldacci J.-L. (2012). Ombres, fantômes ou ancêtres ? In dir.
S. Dreyfus-Asséo et al., Les Ancêtres. Paris : EDK.
Fraiberg S. (1999). Fantômes dans la chambre d’enfants. Paris : PUF.
Freud S. (1914). Pour introduire le narcissisme. Œuvres complètes XII.
Paris : PUF, p. 213-246.
Golse B. (2008). Introduction : transmettre la transmission. In
N. Presme (dir.) et al., Qu’avons-nous fait du mandat transgénéra-
tionnel de Serge Lebovici ? Toulouse : Érès.
Granjon E. (2005). Les configurations du lien familial. Revue de
psychothérapie psychanalytique de groupe. (2) 45, 151-158.
Lebovici S. (2009a). L’Arbre de vie. Éléments de la psychopathologie
du bébé. Toulouse : Érès.
Lebovici S. (2009b). Présentation de L’école de la parentalité, confé-
rence de presse vidéo-filmée par Starfilm, mars 1999, Paris.
Mijolla, de A. (1996). Les Visiteurs du Moi. Paris : Les Belles Lettres.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Pour approfondir
Darchis É. (2016). Clinique familiale de la périnatalité. Paris : Dunod.
Houzel D. (2010). La Transmission psychique. Parents et enfants.
Paris : Odile Jacob.

17. L’arrivée du bébé

Le nourrisson humain est un être néotène, il est un


enfant né dépendant de sa mère, de son père, il est dans une
160 35 grandes notions de périnatalité

« dépendance absolue » à ses parents pour survivre (Winnicott,


1960), sachant que les soins apportés au nourrisson ont une
fonction essentielle. Ils permettent d’être à la fois apaisants,
calmants, contenants, mais aussi excitants dans le sens où ils
possèdent une fonction d’éveil. Les processus de symbolisation
précoces s’ancrent dans le corps, dans le sensoriel. Le bébé a
besoin d’être porté, bercé, caressé, etc. C’est aussi dans le lien
à l’autre que le bébé grandit.

17.1 La fonction de pare excitation


L’un des concepts fondamentaux dans le champ de la
psychanalyse est celui de la pulsion, que S. Freud développe
en 1915 dans un ouvrage intitulé Métapsychologie, où figure le
chapitre « Pulsions et destins des pulsions ». Il y propose une
théorie des pulsions où celle-ci est une force issue du corps,
une « pulsion instinctuelle » qui est appelée à se psychiser.
La pulsion, nous dit S. Freud, est un concept limite entre
le somatique et le psychique. Elle est la « mesure du travail
psychique » que la poussée instinctuelle rend nécessaire. Ce
travail psychique est l’ensemble des transformations pulsion-
nelles du corps à la psyché.
La tâche même de la pulsion est de maîtriser les excitations,
aussi bien celles venant de l’extérieur que celles venant de l’in-
térieur. Au départ de la vie, le bébé a besoin de sa mère, de son
père pour réguler les excitations. Cette formation psychique
externe (la mère, le père) puis interne permettant de réguler
voire d’atténuer les impacts traumatiques des excitations est
la fonction de pare excitation. Soulignons aussi que les
excitations peuvent venir de l’extérieur comme de l’intérieur,
ce qui est déterminant pour que progressivement une distinc-
tion entre dedans et dehors se fasse.
La construction des liens dans la famille 161

17.2 Un bébé néotène


Pour D. Winnicott un « bébé n’existe pas », ou n’existe que
dans une relation avec sa mère, avec son environnement
(1947, p. 115).
Le bébé construit très tôt une enveloppe psychique de type
cutané englobant ce qu’il perçoit de sa mère et de lui-même. Il
ne fait alors aucune distinction entre lui-même et sa mère. Le
bébé construit à ce moment-là un monde de toute-puissance
l’unissant à sa mère. Tout y arrive au bon moment pour lui
donner du plaisir dans une certaine continuité. D. Winnicott
prête un intérêt central à l’ensemble que forment le bébé et
son environnement, et il s’attache à décrire la façon dont la
mère a la capacité de se laisser absorber par son enfant tant
que celui-ci en a besoin (la préoccupation maternelle primaire,
notion 7). Elle le tient, elle le porte (dans ses bras et psychique-
ment), il s’agit du holding. Elle en prend soin, elle s’en occupe,
le touche, le caresse, il s’agit du handling. La mère met égale-
ment en relation le nourrisson avec le monde qui l’entoure,
aussi bien le monde des personnes que le monde des objets.
À travers cela s’organisent psychologiquement les premiers
jeux de lien et de relation induits par la mère. C’est le premier
temps de rencontre avec « l’environnement » du nourrisson.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

D. Winnicott parle d’object-presenting.

Au cours de la phase du maintien, l’enfant est dépendant au


plus haut point. Voici comment il est possible de classer sa
dépendance :
– Dépendance absolue. Dans cet état, l’enfant n’a pas les moyens
de reconnaître les soins maternels, qui sont surtout une ques-
tion de prophylaxie. Il ne peut acquérir la maîtrise de ce qui est
bien fait et de ce qui est mal fait ; il est seulement à même d’en
tirer profit ou de souffrir de perturbations.
 ☞
162 35 grandes notions de périnatalité

 ☞
– Dépendance relative. Là, l’enfant est capable de se rendre
compte du besoin qu’il a de soins maternels dans leur détail ;
il peut, de plus, les relier à des impulsions personnelles et plus
tard, au cours d’un traitement psychanalytique, il pourra donc
les reproduire dans le transfert.
– Vers l’indépendance. L’enfant acquiert, en se développant, le
moyen de se passer de soins. Il y parvient en emmagasinant
des souvenirs de soins, la projection de ses soins personnels et
l’introjection des détails de soins ; en même temps, sa confiance
dans l’environnement se développe. Il faut ajouter à cela un
autre élément : la compréhension intellectuelle et ses innom-
brables implications.
(D. Winnicott, La Théorie de la relation parent-nourrisson,
1960, p. 368)

D. Winnicott met en avant le rôle déterminant de l’envi-


ronnement maternel, de l’environnement en général : la mère
s’adapte aux besoins de l’enfant et lui donne satisfaction au
bon moment en s’adaptant à ses besoins. C’est parce que le
sein ou le biberon arrivent au bon moment dans les premiers
mois de l’enfant, c’est-à-dire au moment où le nourrisson
commence à ressentir le besoin de nourriture, qu’il peut avoir
l’illusion de créer cet objet. Cette contiguïté entre la présenta-
tion de l’objet de satisfaction (sein et environnement maternel)
et l’éprouvé du besoin de satisfaction par l’enfant ouvre une
ère d’illusion, une illusion créatrice englobant les premières
images mnésiques de l’objet, l’illusion de créer un objet qui se
trouve au bon endroit au bon moment : « l’immaturité du moi
est compensée de façon naturelle par le support du moi offert
par la mère. Puis vient le temps où l’individu intériorise cette
mère, support du moi, et devient ainsi capable d’être seul sans
recourir à tout moment à la mère ou au symbole maternel »
(1958, p. 329).
La construction des liens dans la famille 163

17.3 « Bébé agi, bébé actif »


L’enfant est dépendant de son environnement affectif,
relationnel mais il possède aussi de nombreuses compé-
tences dès la naissance. L’observation du nourrisson montre
qu’il possède des compétences sensorielles (auditives – le bébé
discrimine par exemple le rythme et certains traits de langage
de la mère –, visuelles – le bébé discrimine davantage certaines
formes et tout particulièrement le visage humain) ainsi que des
compétences sociales précoces (mimétisme, l’appel comme le
cri dans la communication, la discrimination des expressions
émotionnelles, etc.).
M. Pinol-Douriez a adopté « la perspective originale d’inter-
préter, selon un point de vue psychanalytique, les connaissances
acquises par les psychologues du développement et par les
théoriciens de l’attachement. Son ouvrage (1984) montre les
nombreuses convergences entre les recherches de laboratoire
et les intuitions des psychanalystes. Fidèle à sa conviction de
la complémentarité entre les recherches psychologiques et la
clinique psychanalytique, elle a proposé un modèle qui devan-
çait les convictions de l’époque en insistant sur l’importance de
l’activité du bébé et en montrant le rôle de l’intersubjectivité pour
son développement. Elle insiste beaucoup sur l’activité propre
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

du nourrisson, élément essentiel ouvrant, selon ses termes, “les


voies du développement”. La réciprocité des investissements et
l’asymétrie de la relation permettent à la mère et au bébé d’être
l’un et l’autre, “agi” et “actif”, initiant des échanges et s’y lais-
sant entraîner ». Pour autant, si le bébé est actif, « il ne dispose
pas d’une capacité de décision volontaire et consciente” »
(Boubli et Despinoy, 2014, p. 51-52) dans les débuts de sa
vie et cela se construit progressivement dans le lien à l’autre.
D’autres comme S. Lebovici, B. Cramer ou D. Stern ont
montré que le bébé était un partenaire actif dans la relation
père-mère-bébé et qu’il participait à la construction de la
parentalité.
164 35 grandes notions de périnatalité

Pour aller plus loin


Lectures recommandées
Boubli M. et Despinoy M. (2014). Développement psychique du
bébé. Des sensations aux représentations. In Boubli M. et Danon-
Boileau L. (dir.), Le Bébé en psychanalyse. Paris : PUF, p. 37-64.
Freud S. (1915). Pulsions et destins des pulsions. In Métapsychologie.
Paris : Gallimard, Folio Essais, éd. 1963, p. 11-43.
Pinol-Douriez M. (1984). Bébé agi, bébé actif. Paris : PUF.

Pour aller plus loin


Bick E. (1964). Notes on infant observation in psycho-analytic trai-
ning. International Journal of Psychoanalysis, (45) 4, 558-566.
Bion W.R. (1962). Aux sources de l’expérience. Paris : PUF, 1979.
Winnicott D. (1947). Le bébé en tant que personne. In L’Enfant et
le monde extérieur. Paris : Payot, p. 110-119.
Winnicott D. (1958). La capacité d’être seul. In De la pédiatrie à la
psychanalyse. Paris : Payot, p. 325-333.
Winnicott D. (1960). La théorie de la relation parent-enfant. In De
la pédiatrie à la psychanalyse. Paris : Payot, p. 358-378.

18. Construction des liens familiaux

Dans le champ psychanalytique, c’est la triangulation


œdipienne qui est mise en avant, soulignant l’importance
des fonctions du tiers dans la relation mère-bébé. Puis, à la
croisée de la psychologie du développement et de la psycha-
nalyse, deux courants théoriques vont se dégager (notamment
en France) dans ce champ d’étude de la construction des liens
familiaux : d’une part, celui de la théorie de l’attachement que
La construction des liens dans la famille 165

D. Anzieu complétera avec la « pulsion d’attachement » (1990)


et que d’autres auteurs continueront de nourrir (Golse, 2004) ;
d’autre part celui des interactions précoces, sensible à la notion
de « réciprocité ». Il y a également l’ensemble des théories systé-
miques qui se sont intéressées au groupe familial que nous ne
pourrons développer ici (É. Darchis développe largement ce
domaine dans son ouvrage, 2016).

18.1 Fonction tiers


Dans le champ psychanalytique, on souligne l’importance
de la fonction tiers, du père-tiers, dès l’amorce de la relation
duelle primaire entre la mère et son nourrisson. Il s’agit à un
niveau fantasmatique du père de la coupure séparatrice
qui apporte de la différence, essentielle à la construction
du sujet. Depuis S. Freud (1905, 1910, 1912), la psychanalyse a
largement écrit sur cette fonction tiers comme J. Lacan avec le
« nom-du-père » (1955 et suivantes), M. Fain et D. Braunschweig
avec la « censure de l’amante » (1975) ou plus récemment
A. Green et la « fonction tiercéisante » (1989).
Soulignons aussi ce qu’amène D. Houzel parlant du bébé et
de sa famille : « Lorsque je parle de fonction tiers, je me réfère
tout autant à l’objet paternel interne de la mère qu’au
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

père (ou à son substitut) de l’enfant. Je n’en fais pas


une exclusivité masculine. L’important, me semble-t-il, est
que dans la dyade mère/bébé il y ait place pour un objet tiers,
condition pour que la dynamique qui se joue dans cette rela-
tion s’ouvre à la créativité qui permet à l’enfant de construire
peu à peu sa personnalité » (2015, p. VIII).
166 35 grandes notions de périnatalité

18.2 De la théorie de l’attachement


à la pulsion d’attachement
À partir de 1958, J. Bowlby s’intéresse aux relations entre la
mère et son enfant. Son travail se développe au carrefour de la
psychanalyse, de la psychologie du développement et de l’étho-
logie. Selon cet auteur, « l’attachement de l’enfant à sa mère
constitue un besoin primaire qui s’exprime sous la forme des
comportements qui induisent ou maintiennent le contact ou
la proximité avec la mère. Ces conduites innées se mettent
en place progressivement chez l’enfant au cours de la
première année, assurant une “base de sécurité” qui
fonde l’amour maternel » (Robin et al., 1995).
À la suite des travaux de J. Bowlby, D. Anzieu, psychana-
lyste, écrit : « Bowlby a mis en évidence cinq critères qu’il me
paraît nécessaire de compléter par un sixième. Leur réunion
conditionne la réussite de l’attachement mutuel entre la
mère (ou l’environnement maternant) et le tout-petit, c’est-
à-dire qu’elle apporte à celui-ci l’expérience structurante d’un
échange de tendresse. Il s’agit d’un accomplissement pulsionnel
non libidinalisé, indépendant de l’investissement des zones érogènes
et qui a conduit Bowlby à l’hypothèse d’une pulsion spécifique
d’attachement, intermédiaire entre la pulsion d’autoconservation
et la pulsion sexuelle. En effet, les patients à qui a manqué
cette expérience complète de l’attachement présentent une
grande diversité dans leur vie sexuelle : active, modérée ou
nulle » (1990, p. 121). Aux cinq critères de J. Bowlby (l’échange
des sourires, la solidité du portage, la chaleur de l’étreinte, la
douceur du toucher et l’interaction des signaux sensoriels et
moteurs lors de l’allaitement), D. Anzieu ajoute la concor-
dance des rythmes. Pour mieux expliciter cet ajout, il
décrit le cas d’une patiente où il est question de son « rythme
naturel » et d’« un déphasage de rythme » traumatique qui se
répéta dans son histoire. Dans les pages qui suivent, l’auteur
développe une « métapsychologie de l’attachement au
La construction des liens dans la famille 167

négatif » où il souligne que « du point de vue dynamique,


l’attachement négatif résulte de l’alliance de la pulsion d’at-
tachement à la pulsion d’autodestruction plutôt qu’à celle
d’autoconservation » ou encore que « l’expérience négative
de l’attachement obère l’accès à l’organisation œdipienne et
suscite une résistance à cet accès » (p. 123 et suivantes).
À partir de ce qui vient d’être dit, B. Golse s’est alors demandé,
pour tenter d’articuler encore davantage la théorie freudienne
et la théorie de J. Bowlby, s’il était possible « de parler d’une
pulsion d’attachement, mais au sens d’une pulsion globale
d’autoconservation secondairement libidinalisée au sein du
système interactif précoce, ce qui permet alors de continuer
à se référer à la théorie de l’étayage. Aussi précoce et prégé-
nitale soit-elle, la pulsion d’attachement nous paraît en effet
fondamentalement globale, et d’abord ancrée dans le registre
de l’autoconservation » (2004, p. 17).

18.3 Les interactions


À partir des années soixante-dix, le courant interactionniste
s’est, quant à lui, davantage penché sur le concept de « réci-
procité » où « l’interaction se définit comme un système de
régulation mutuelle dans lequel deux partenaires modifient
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

leurs actions en réponse au feedback produit par l’autre » (Robin


et al., 1995, p. XI).
Au sein de ce courant interactionniste figurent de grands
noms comme B. Cramer, T. Brazelton, D. Stern et d’autres qui
s’intéressent au plus près (par la micro-analyse notamment) à
l’espace interpersonnel parent-bébé et à la synchronie interac-
tionnelle. D. Stern parle par exemple d’« accordage affectif »
(1995). Pour synthétiser les propos sur ce vaste sujet, nous
allons nous centrer sur un article de S. Lebovici et de M. Lamour
(1991), référence centrale dans le domaine, et reprendre les
trois niveaux d’interactions qu’ils ont pu définir dans ce texte.
168 35 grandes notions de périnatalité

Interactions mère-nourrisson : définitions

« Interactions : ensemble des phénomènes dynamiques qui se


déroulent dans le temps entre le nourrisson et sa mère. »
Trois niveaux sont à différencier :
1. « Interactions comportementales : la manière dont le comporte-
ment de l’enfant et le comportement de la mère s’agencent l’un par
rapport à l’autre. » Il s’agit des interactions corporelles, visuelles,
vocales et des comportements de tendresse.
2. « Interactions affectives : l’influence réciproque de la vie émotion-
nelle du bébé et de celle de sa mère. » Il s’agit de l’évolution des
interactions affectives, de l’harmonisation des affects, etc.
3. « Interactions fantasmatiques : l’influence réciproque du déroule-
ment de la vie psychique de la mère et de celle de son bébé. » Cela
renvoie au bébé imaginé (notion 11).
(Lamour et Lebovici, 1991, p. 180)

Bien évidemment ces trois niveaux d’interaction sont à diffé-


rencier dans une démarche qui va de ce qui est observable
dans le réel, ce que le patient explique consciemment, à un
fonctionnement psychique préconscient et inconscient. Le
registre de l’affect est aussi à considérer.
La construction des liens dans la famille 169

S. Lebovici au cours d’une consultation père-mère-bébé


(© Cairn – Revue Spirale, Erès)
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Pour aller plus loin


Lectures recommandées
Anzieu D. (1990). L’attachement au négatif. In L’Épiderme nomade
et la peau psychique. Paris : éditions Apsygée, p. 115-129.
Bowlby J. (1958). The nature of the child’s tie to his mother.
International Journal of Psycho-Analysis. 39, 350-373.
Cupa D. (2001). L’Attachement, perspectives actuelles. Paris : EDK.
Darchis É. (2016). Clinique familiale de la périnatalité. Paris : Dunod.
Fain M. et Braunschweig D. (1975). La Nuit, le jour. Paris : PUF.
170 35 grandes notions de périnatalité

Freud S. (1905). Trois essais sur la théorie de la sexualité. Paris :


Gallimard (coll. Folio Essais), 1962.
Freud S. (1910). Contributions à la psychologie de la vie amoureuse.
In La Vie sexuelle. Paris : PUF (éd. 1992).
Freud S. (1913). Totem et Tabou. Paris : Payot, 1992.
Golse B. (2004). La pulsion d’attachement. La Psychiatrie de l’enfant,
(I) 47, 5-25.
Green A. (1989). De la tiercéité. In La Psychanalyse : questions pour
demain, Paris : PUF, p. 243-277.
Houzel D. (2015). Fonctions du tiers dans la relation entre la mère et
le bébé. In dir. D. Mellier et al., Le Bébé et sa famille. Paris : Dunod,
p. 71-94.
Lacan J. (1955-1956). Séminaire, III, Les psychoses. Paris : Seuil, éd.
1981.
Lamour M., Lebovici S. (1991). Les interactions du nourrisson avec
ses partenaires : évaluation et modes d’abord préventifs et théra-
peutiques. Psychiatrie de l’enfant, XXXIV, 1, 171-275.
Robin M. et al. (1995). La Construction des liens familiaux pendant la
première enfance. Approches francophones. Paris : PUF.

Pour approfondir
Gérard C. (2010). Les triangulations précoces. Un préalable à la
scène primitive. Revue française de psychanalyse, (4) 74, 1125-1139.
Mellier D. (2015). Le Bébé et sa famille. Place, identité et transforma-
tion. Paris : Dunod.

19. La fratrie

Chez les Grecs anciens, la « phratrie » est un groupe


d’hommes reliés par un ancêtre commun, un père mythique.
C’est une « confrérie » dont l’objet est de créer un sentiment
La construction des liens dans la famille 171

de fraternité dans le groupe. Les frères et sœurs sont désignés


par un autre terme, adelphos, ou adelphè pour la sœur. Ce
terme signifie co-utérins, issus du même utérus, et c’est ici
l’origine biologique qui est mise en avant. En latin, « frater-
nité » et « fratitude » mettent l’accent sur les liens de fraternité
au sein d’un même groupe. Il s’agit là aussi d’individus qui ont
évolué dans le même univers, dans le même environnement
familial. Il y a partage des mêmes origines, traits d’identité
communs, ressemblance issue du même lieu, une ressemblance
que personne d’autre ne partage.
F. Héritier, anthropologue, définit le rapport de germanité
comme « le lieu primordial où s’expérimentent l’identité et la
différence au sein d’une équivalence : celle du statut partagé
d’enfants par rapport aux mêmes parents. Le rapport d’en-
gendrement du père à son enfant, celui de la mère au sien,
permettent certes à l’enfant d’expérimenter également l’iden-
tité et la différence, mais au sein d’un statut de réciprocité et
non de partage, où l’antériorité de la naissance des parents,
et l’état temporaire mais durable de dépendance des enfants
créent entre ses pairs un rapport de supériorité hiérarchique »
(cité par D. Lett, 2004, p. 64).

19.1 Les relations fraternelles


© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Chaque fratrie a son histoire de par sa composition, le


rythme des naissances, les liens qui unissent les membres
de la famille. Mais que l’on soit enfant unique, jumeau,
cadet, benjamin, issu d’une fratrie large ou étroite, unisexuée
ou mixte, l’expérience fraternelle tient toujours une place
importante. Parmi l’ensemble des travaux notamment dans
le champ de la psychanalyse, l’accent a surtout été porté sur
les relations parents-enfants et force est de constater que les
frères et les sœurs apparaissent souvent comme les négligés du
roman familial. B. Brusset en fait également la constatation :
172 35 grandes notions de périnatalité

« Les relations fraternelles occupent une grande place dans


la vie, les romans, les films, les contes et les légendes, mais
petite dans les psychologies et de plus en plus absente dans les
travaux psychanalytiques. En fait, dès Freud, les cas rapportés
indiquent l’importance du frère ou de la sœur dans l’histoire
subjective infantile, mais la théorisation n’en retient géné-
ralement que leurs rapports avec les parents » (1987, p. 5).
Il est vrai que le lien fraternel rappelle les alliances
contestataires, les rebellions et les guerres fratricides.
« Laissez-moi me faire mes amis, car pour ce qui est de mes
ennemis le ventre de ma mère s’en charge » (Lechartier-Atlan,
1997, p. 59). Rappelons-nous ce fait divers, entendu à la radio
ou sur Internet un grand frère avait mis en vente son petit
frère en louant ses qualités et en précisant bien qu’il était en
bonne santé et avait, comme on pourrait le dire d’un animal
de compagnie, tous ses vaccins à jour.
Peut-être, alors, qu’un voile s’est posé sur cette jalousie
d’antan et que les adultes répugnent à s’en souvenir et
cherchent à les maintenir dans l’oubli. « Sans doute est-ce
à cause de sa violence, et parfois de sa radicalité, qu’on ne
s’habitue pas à la jalousie enfantine. De sorte que les efforts
entrepris pour la rendre accessible à l’entendement, à la raison
et à la domestication – ce à quoi contribuent d’ailleurs nombre
d’ouvrages sur la psychologie de l’enfant – se présentent,
au-delà de leur aspect pédagogique, comme des mesures défen-
sives des adultes pour éviter d’y reconnaître la trace de leurs
propres impulsions d’enfant » (Brun, 1991, p. 75).
Dans les textes psychanalytiques dits classiques se retrouvent
dès l’origine ces éléments, notamment chez S. Freud qui écrit :
« la jalousie appartient à ces états affectifs que l’on peut quali-
fier de normaux au même titre que le deuil. Quand elle semble
manquer dans le caractère et la conduite d’un homme, on
est en droit de conclure qu’elle a succombé à un puissant
refoulement qui joue pour cette raison dans la vie psychique
inconsciente un rôle d’autant plus grand » (1922, p. 271).
La construction des liens dans la famille 173

M. Klein (1957) donne, elle, une place primordiale à la


jalousie et à la rivalité archaïque mais elle a aussi insisté sur la
valeur positive et adaptative des relations fraternelles. Les frères
encore bébés sont très présents dans l’œuvre de M. Klein. Ils
font partie intégrante du corps maternel et sont enviables à ce
titre. Ils ne sont pas encore des rivaux externes, ils sont la partie
précieuse du ventre maternel dont il convient de s’approprier
les qualités.
Un autre texte a largement participé à l’élaboration de
la dimension fraternelle. Il s’agit de celui de J. Lacan « Les
complexes familiaux », écrit en 1938 à la demande de H. Wallon
pour l’Encyclopédie française. Lacan donne au complexe d’in-
trusion, lorsque des intrus successifs accroissent la famille,
le même poids qu’au complexe du sevrage, préalables au
complexe d’Œdipe. De plus, pour cet auteur, l’instauration
de la triangulation (moi/mon frère dont je suis jaloux/ma
mère, objet de mon amour) oblige l’enfant à substituer l’ambi-
guïté spéculaire à la concurrence qui existe dans une situation
triangulaire. L’enfant ne fait plus un avec sa mère, un autre
existant entre eux car durant la période de la petite enfance,
la fratrie n’est que l’extension de la mère. On y est en sécurité,
elle contient, protège, limite et médiatise les contacts avec le
monde extérieur. Bien sûr la jalousie n’est pas absente, mais
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

cette jalousie représente non pas une rivalité vitale, mais une
identification mentale. Dans l’obligation de prendre acte de
l’existence d’un frère ou d’une sœur, l’enfant reconnaît qu’il
n’est pas tout pour sa mère, que d’autres la sollicitent, ont
besoin d’elle. C’est bien la réponse de la mère à l’enfant jaloux
qui va l’aider à se différencier de l’autre.
Plus récemment, B. Brusset a écrit finement que le frère était
« un semblable trop semblable et le début de l’étranger » (1987,
p. 17) : si de la fratrie peut naître la haine, y émerge
aussi la question de l’autre qui entraîne, il est vrai,
celle du rival mais également celle de la différence
174 35 grandes notions de périnatalité

avec la curiosité, l’envie de comprendre et de savoir


que cela suscite. Ainsi, la fratrie est également un espace
de complicité, un espace qui favorise l’échange, le partage,
l’émulation d’idées et de pensées et ainsi la création. C’est le
frère, l’ami-confident qui aide à créer (comme W. Fliess pour
S. Freud). Des fratries ont participé à de grandes avancées et ce
dans de multiples domaines tels, au hasard, les frères Lumière,
les frères Grimm ou encore les frères Montgolfier. C’est l’amour
fraternel, la solidarité, l’égalité, la fraternité où les relations
fraternelles peuvent aussi être idéalisées, voire poussées à
l’extrême. Les sentiments fraternels peuvent ainsi prendre de
multiples visages comme celui de la terreur (dans les tragédies
grecques par exemple) mais aussi celui d’un amour absolu ou
celui du double qui fascine, cette unité retrouvée (notamment
au travers des jumeaux) jusqu’à l’inceste (comme dans le texte
Agatha de M. Duras entre autres).

19.2 La naissance d’une fratrie


Les futurs parents peuvent appréhender l’arrivée d’un second
enfant. Il est courant d’entendre des parents se demander :
« Vais-je aimer le second autant que le premier ? », « Deuxième
grossesse. Pourquoi, c’est différent ? » ou encore « Les questions
à se poser avant de faire le deuxième ». Ceci peut refléter les
préoccupations des parents qui vont le devenir pour la seconde
fois même s’ils peuvent s’appuyer sur leur expérience. À partir
du second enfant naît aussi une fratrie.

Récit de vie publié


Maryse Klein écrit en son nom un article sur « Le vécu de la
deuxième grossesse dans les rapports à l’enfant à venir, à l’enfant
né(e) et au compagnon » (1986). Dans une envie de témoigner,
elle raconte : « Notre désir [à elle et à son époux] d’un deuxième
 ☞
La construction des liens dans la famille 175

 ☞
enfant s’inscrivait, pour ce qui me concerne, dans la continuité
de mon expérience encore proche de la grossesse et de la
maternité. L’élan, l’attente, la préoccupation autour du premier
enfant étaient encore bien présents en moi et j’avais quelque
part le sentiment qu’une deuxième grossesse pourrait se vivre
dans une simplicité et une évidence plus grandes. De fait, j’ai été
enceinte plus rapidement que nous ne l’avions pensé… Ainsi,
j’étais enceinte “un peu trop tôt”. Les débuts de cette gros-
sesse ont été difficiles. J’en ai gardé le souvenir d’une période
de fragilité, d’inquiétude et de solitude… Fragilité aussi due à la
fatigue des premières semaines, au besoin de sommeil qu’il n’est
pas si facile de satisfaire quand un premier enfant est là. » Elle
écrit encore : « Autant la première grossesse avait été investie
par mon compagnon et par l’entourage familial et amical, autant
celle-ci a été accueillie comme un fait d’évidence et banalisée à
l’extrême si bien que je me sentais très seule. Je gardais présent
le souvenir d’un investissement massif de mon compagnon lors
de ma grossesse précédente. Cette fois, la situation est presque
inverse. Je porte seule l’inquiétude… La grossesse est “mon
affaire”… Alors que lors de la première grossesse, la sollicitude,
la sympathie étaient abondantes, cette fois, il n’y a rien à dire,
je suis comme “rodée” par ma première expérience et perçue
comme n’ayant besoin de rien, sachant ce dans quoi je m’étais
engagée et capable de me débrouiller avec ça. » Elle dit aussi sa
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

solitude pendant cette nouvelle grossesse qui n’intéresse pas son


entourage proche, qui est moins « attractive » que la première.
Elle se plaint d’un manque d’étayage. La grossesse, maintenant,
elle connaît, elle peut la gérer. Et puis, « curieusement », il lui
a semblé brusquement qu’elle investissait ce second enfant,
« totalement comme une personne autre à qui très souvent
je parlais, non avec l’émerveillement et l’émotion que suscite
souvent l’enfant porté mais plutôt comme à un enfant finale-
ment très comparable au premier né tel qu’il était dans la réalité
à ce moment : enfant de deux ans transformée par l’accès au
langage interpellant directement et nettement ». Son premier
enfant vient ainsi l’aider à investir le second. Pour Maryse Klein,
 ☞
176 35 grandes notions de périnatalité

 ☞
le point rassurant par rapport à sa première grossesse est « [qu’ils
n’ont (elle et son époux)] plus à [se] rassurer sur [leur] capacité à
donner la vie, de même [qu’ils n’ont] plus à construire le passage
de [leur] réalité d’homme et de femme à une réalité d’homme
devenant père et de femme devenant mère » (p. 91-94). C’est la
naissance du premier enfant qui permet d’accéder à la parentalité.

L’arrivée d’un deuxième enfant peut ainsi engendrer toutes


sortes d’inquiétudes, même si l’expérience de la grossesse est
déjà connue. Le point de vue de l’aîné, ses réactions, sont au
centre du questionnement parental, aîné dont l’identité subit
un changement quand arrive un deuxième enfant : il n’est plus
simplement l’enfant, l’unique, il est aussi frère ou sœur. De leur
côté, les parents, et plus particulièrement la mère, vont devoir
gérer les relations entre leurs deux enfants ainsi que ce qui
les agite par rapport à leur propre histoire fraternelle (Scelles,
1997, par exemple). « La naissance dans un couple d’un ou
plusieurs enfants fait ressurgir les anciens complexes fraternels
que l’on croyait enfouis et dépassés » (de Mijolla, 1981, p. 64).
O. Bourguignon (1981,1999) s’est plus particulièrement
intéressée à l’arrivée d’un second enfant dans la famille. Elle
a observé que l’aîné « était surtout l’enfant de l’affirmation de
soi face aux parents, la preuve de l’activité sexuelle du couple
et l’enfant de l’apprentissage. C’est dire qu’il est encore inclus
dans le couple, dans le rapport que chacun des membres
entretient avec sa propre famille, parfois même inscrit dans
la relation œdipienne d’un conjoint avec l’un de ses parents.
C’est donc souvent un enfant chargé d’émerveillement et d’an-
goisse : découverte de la puissance, de la possibilité de création,
de l’identité parentale et craintes à la mesure de ces désirs, en
particulier celui de mieux faire que les parents. Il est à la source
des espoirs à réaliser ou des revanches à prendre. Le premier
enfant est donc participant du couple : il ne fait que l’agrandir »
La construction des liens dans la famille 177

(1981, p. 301). Cet auteur observe que les enjeux diffèrent pour
le second enfant et qu’il s’agit d’une tout autre histoire : « car
c’est lui qui instaure réellement la famille ». Avant la naissance
des enfants, il y avait un couple. « Après, surtout après l’arrivée
du second, il y a des parents et des enfants » (1981, p. 297
et 301). Par ailleurs, la plupart des parents appréhendent les
réactions de l’aîné, ils redoutent sa jalousie dès la période de
la grossesse. Le contenu latent du discours des parents semble
révéler « une certaine culpabilité envers l’aîné » (ils ont peur
d’être maladroits avec lui, de s’intéresser davantage au second)
comme s’ils lui avaient fait « un mauvais coup » : ils cherche-
raient à se faire pardonner en le « préparant ». Peut-être y
a-t-il là quelque réminiscence de rivalité fraternelle chez les
parents ? Certains parents minimisent, eux, le sentiment de
jalousie éprouvé par l’aîné ou le banalisent. Cet auteur décrit
également les inquiétudes des femmes à voir leur rôle de mère
renforcé et qu’il ne finisse par les définir entièrement.
À propos de cette anticipation de la jalousie fraternelle,
D. Gayet souligne les conduites d’identification partielle des
parents à leur enfant aîné avec une prise en charge pour leur
propre compte de la jalousie fraternelle. « Si après la naissance
d’un puîné, des parents affichent une préférence ouverte pour
l’aîné, même en son absence, c’est leur manière de confirmer
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

la permanence et l’intégrité de leur amour parental » (1993,


p.  86). Lors d’une seconde naissance, certains parents se
sentent coupables d’une trahison envers leur aîné ; ils minimi-
seront les sentiments qu’ils éprouvent pour leur nouveau-né et
considéreront que cette naissance est moins importante qu’elle
ne le paraît car, après tout, ce n’est plus la première fois qu’ils
sont parents. Il ajoute que le désir d’avoir un autre enfant est
« souvent accompagné d’une vague de culpabilité perceptible
dans l’inquiétude des parents quant à la réaction de leur aîné
à l’occasion d’une nouvelle naissance. Ainsi y a-t-il une grosse
différence entre le désir d’avoir un enfant et celui
178 35 grandes notions de périnatalité

d’en avoir un de plus. On peut interpréter la coutume géné-


ralisée qui consiste à trouver coûte que coûte une ressemblance
physique entre le nouveau-né et son aîné de la façon suivante :
on veut revivre et reconnaître les mêmes sentiments et les
mêmes émotions que lors de la première naissance. Jamais
dans une famille deux enfants ne sont accueillis de la même
manière » (1993, p. 86-87). Cet auteur ajoute qu’il faut aussi
compter avec les intentions définissant la famille idéale que
le couple souhaite constituer.
Enfin, il faudrait garder à l’esprit qu’à la naissance d’un
enfant, « chacun des parents fait une place psychique à des
frères potentiels de cet enfant dans le jeu entre désir et satis-
faction. L’enfant attendu est parfait selon l’attente narcissique.
L’enfant réel est nécessairement décevant à l’issue de l’épreuve
de réalité qui apporte un démenti à l’attente de coïncidence
entre la représentation fantasmatique narcissiquement satis-
faisante et la perception. C’est au cœur de cet espace d’altérité,
réel devenu pensable, que résident les frères virtuels en
nombre infini, compensation narcissique idéale au deuil de
complétude. Autrement dit, un réel trop écrasant durant la
période de gestation psychique, un réel traumatique, alors non
transformable, pourrait venir stériliser à l’une de ses sources
l’imaginaire parental, le registre psychique fraternel du sujet »
(Aubert-Godard, 2000, p. 161).
Ainsi, alors qu’un parent tient dans ses bras son nouveau-né
il y a un souhait (qui sera réalisé ou non) d’un autre enfant,
ce bébé tant rêvé.
La construction des liens dans la famille 179

Pour aller plus loin


Lectures recommandées
Aubert-Godard A. (2000). Fraternité et génétique. Journal de la
psychanalyse de l’enfant, 27, 153-178.
Bourguignon O. et al. (1981). Changements dans la famille à l’arrivée
du second enfant. Bulletin de psychologie. XXXIV, 349, 289-304.
Bourguignon O. (1999). Le Fraternel. Paris : Dunod.
Brun D. (1991). La jalousie enfantine et ses destins. Dialogue, 114,
75-83.
Brusset B. (1987). Le lien fraternel et la psychanalyse. Psychanalyse
à l’université, 12, 45, 5-43.
Freud S. (1922). Sur quelques mécanismes névrotiques dans la
jalousie, la paranoïa et l’homosexualité. In Névrose, psychose et
perversion. Paris : PUF, 1992, p. 271-282.
Gayet D. (1993). Les Relations fraternelles. Approches psychologiques
et anthropologiques des fratries. Neuchâtel : Delachaux et Niestlé.
Klein M. (1957). Envie et gratitude. Paris : Gallimard, 1968.
Klein M.1 (1986). Le vécu de la deuxième grossesse dans les rapports
à l’enfant à venir, à l’enfant né(e) et au compagnon. In Clerget J.,
Fantasmes et masques de grossesse. Lyon : Presses universitaires
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

de Lyon.
Lacan J. (1938). Le complexe, facteur concret de la psychologie
familiale, la vie mentale. In Wallon H., L’Encyclopédie française.
Paris : Larousse, VII.
Lechartier-Atlan C. (1997). Un traumatisme si banal. Quelques
réflexions sur la jalousie fraternelle. Revue française de Psychanalyse,
1, 57-66.
Lett D. (2004). Histoire des frères et sœurs. Paris : La Martinière.

1. Il s’agit ici de Maryse Klein.


180 35 grandes notions de périnatalité

Mijolla, de A. (1981). Freud et le « complexe fraternel » en psycha-


nalyse. In Soulé, M., Frères et sœurs, Paris : ESF, p. 52-69.
Scelles R. (1997). Fratrie et handicap. Paris : L’Harmattan.

Pour approfondir
Anzieu D. (1981). Le Corps de l’œuvre. Paris : Gallimard.

20. Grossesse et constellations

Pendant la grossesse, la femme enceinte a besoin d’être tout


particulièrement entourée, protégée, portée, pour mener paisi-
blement sa création biologique et psychique. Ce sentiment de
fragilité vient entre autres de la crainte des envies avides et
haineuses à l’égard de l’objet, des angoisses liées aux pertes et
aux sentiments d’impuissance. Nous verrons également que
le père peut aussi souhaiter un étayage même s’il peut avoir
plus de difficultés à le formuler.
L’auteur qui crée se laisse travailler par son œuvre, ce qui
le rend fragile et vulnérable. Il émerge alors chez lui une
demande de protection. D. Anzieu souligne l’importance d’un
ami-confident et donne comme exemple celui de S. Freud et
W. Fliess (1981, p. 25), où l’espace de partage d’idées a eu
son importance pour créer. Il en est de même pour la femme
enceinte qui est clairement en demande de soutien. Elle a
besoin d’une « couverture protectrice » au sens de D. Winnicott
(1958) pour se laisser aller à imaginer l’enfant à naître.

20.1 La « constellation maternelle » de D. Stern


À la croisée de la psychologie du développement et de la
psychanalyse, D. Stern (1995) parle de constellation mater-
nelle. Il s’agit d’un organisateur psychique temporaire qui peut
La construction des liens dans la famille 181

aller de quelques mois à plusieurs années (ce qui rappelle le


concept de « Préoccupation Maternelle Primaire » de Winnicott,
se référer à la notion 7). Au cours de cette période, c’est la
constellation maternelle qui organise la vie psychique, la mère
relègue au second plan sa problématique personnelle.
D. Stern insiste sur le fait que la constellation maternelle
n’est ni universelle ni innée. La constellation maternelle
s’apprend et elle est prise dans une transmission ; ce qui est
inné est le transgénérationnel.
Cette constellation maternelle concerne trois intérêts
majeurs de la mère :
– Le discours de la jeune mère avec sa propre mère et plus
particulièrement les échanges verbaux sur sa mère en tant
que mère avant et actuellement.
– Elle-même comme mère du bébé.
– Elle-même avec son bébé, soit l’image de la mère qu’elle a pu
construire par rapport à sa culture et son histoire familiales.
Cette image ne va pas strictement se juxtaposer avec l’idée
qu’elle se faisait d’être mère et cela peut générer des conflits,
notamment en fin de grossesse et après la naissance alors
que la mère fait l’expérience d’un profond réaménagement
psychique. Ainsi, les pôles de préoccupation et d’intérêt de
la mère sont recentrés autour de son bébé, de sa mère et de
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sa mère comme mère.


Avec ses trois interrogations, la mère va aborder quatre types
de questions :
1. Le thème du développement de la vie : ce thème
est présent lorsque la mère prend des décisions concer-
nant son bébé et notamment à propos du nourrissage
et des soins à lui prodiguer. La mère s’inquiète sur ses
capacités à faire vivre ce nouveau-né. Pour D.  Stern,
il s’agit d’un ressenti quasi animal dans l’idée de faire
croître son petit. La crainte d’un échec renvoie à des peurs
au sujet de la mort du nourrisson pendant la grossesse,
182 35 grandes notions de périnatalité

l’accouchement, et après la naissance. C’est lié à la crainte


de ne pas être capable de faire vivre son nourrisson. On
peut faire coïncider cette crainte avec l’ambivalence
« normale » des mères.
2. Les relations primaires de l’engagement : les ques-
tions que vont se poser les mères sont du type : « Est-ce
que je peux aimer mon enfant ? », « Est-ce que mon bébé
m’aime ? », « Est-ce que c’est vraiment mon bébé ? »,
« Est-ce que je vais comprendre ce que désire mon bébé ? »,
ou encore « Est-ce que je vais être capable d’être une
maman ? », questionnements qui renvoient à la « préoc-
cupation maternelle primaire ». D. Stern insiste sur le fait
que les mères sont conscientes de ces questionnements
et peuvent parfois s’en « préoccuper » de trop. Ceci peut
être ressenti comme un poids qui est parfois relayé dans
la famille et dans la société.
3. La matrice de soutien : il s’agit d’un système féminin
et maternel qui va étayer la mère pendant la fin de la gros-
sesse et les premiers mois du bébé. Ce système d’étayage
existe depuis toujours : les sages-femmes, les matrones,
les femmes du village qui viennent se relayer auprès de la
parturiente, et c’est aussi ce que l’on retrouve à un autre
niveau dans certains mythes, certains rituels. Ce système
de soutien a pour fonction d’une part de protéger une
mère physiquement, de pourvoir à ses besoins vitaux et
de la préserver des exigences de la réalité pour lui laisser
la possibilité de se laisser aller aux préoccupations mater-
nelles primaires et, d’autre part, de lui apporter un soutien
psychologique et éducatif pour l’accompagner, l’instruire,
l’aider dans les premières activités de soin.
4. L’identité : la mère doit changer de statut et passer de
l’état de fille à celui de mère, de l’état de femme à l’état
de parent. Elle a ainsi à renoncer à l’ambition narcissique
pour entrer dans une relation d’objet. Ceci demande un
véritable travail psychique de décentration.
La construction des liens dans la famille 183

20.2 Une constellation paternelle


Il existe une constellation paternelle spécifique qui rend
compte du processus de « paternalisation » chez le père (Cupa,
Riazuelo, 2001). Il apparaît que, tout en ayant une structure
identique à la constellation maternelle, la constellation pater-
nelle présente une spécificité. Les pères se projettent en général
plus difficilement que les mères dans des situations de soin car
ils s’estiment incompétents et préfèrent les jeux plus physiques
avec leur bébé (se référer à la notion 9). Ils se sentent moins
concernés par le maintien en vie du nourrisson. Ils s’imaginent
davantage comme « protecteurs » mais fantasment souvent que
la mère est plus essentielle qu’eux à la survie du bébé en raison
de leur sentiment d’incompétence. En revanche, ils se voient
tout à fait capables de les soutenir, tous les deux, dans leur
développement psychique : ils seront « attentifs ». Toutefois, en
ce qui concerne ces deux domaines, il apparaît que la plupart
des pères conçoivent ce qui différencie les parents comme
étant non pas tant leur rôle que leur dimension personnelle.
Ainsi, face aux tâches qu’ils imaginent, les pères recherchent
un soutien au moment de la grossesse, au même titre que la
mère (thème de la matrice de soutien).
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

20.3 La « matrice de soutien »


dans nos sociétés…
Les futurs parents, et tout particulièrement la femme
enceinte, se laissent aller à créer un berceau psychique à l’enfant
à naître. Pour cela, la femme a besoin de se sentir enveloppée
par ses proches, de se sentir soutenue par la constellation qui
l’entoure. Nous avons également vu que le père pouvait avoir
besoin de soutien.
Le plus souvent les femmes enceintes se tournent vers
d’autres femmes, vers leur mère, leurs grands-mères, leurs
184 35 grandes notions de périnatalité

tantes ou encore des amies. Les pères parlent également d’amis


vers qui se tourner, mais ils peuvent avoir plus de difficultés
que les femmes à parler. Les groupes de pères proposés dans
les services de maternité peuvent être de bonnes alternatives.
Il est également courant désormais que des discussions au
hasard de rencontres sur Internet prennent une bonne place
dans ce qui va entourer la femme enceinte, tout comme les
forums ou les réseaux sociaux où elles cherchent du soutien.
Certains sont étayants, mais d’autres confrontent plus ou
moins brutalement à une réalité crue pouvant aller jusqu’à
malmener la future mère. Les récits de grossesses ou d’accou-
chements traumatiques se transmettent également.
Les professionnels de santé peuvent eux aussi prendre une
place conséquente. Ils sont pour certaines femmes un soutien
supplémentaire et viennent solidifier l’enveloppe qui entoure
la femme enceinte, notamment dans les temps où elle est
prise en charge médicalement pour sa grossesse. Pour d’autres,
les professionnels pallient l’absence de famille et viennent
prendre pour certaines femmes une place dans la constella-
tion familiale.

Pour aller plus loin


Lectures recommandées
Cupa D. et Riazuelo H. (2001). La constellation paternelle. Santé
mentale au Québec, XXVI, 58-78.
Stern D. N. (1995). La Constellation maternelle. Paris : Calmann-Lévy,
1997.

Pour approfondir
Mellier D. (2015). Le Bébé et sa famille. Place, identité et transforma-
tion. Paris : Dunod.
La construction des liens dans la famille 185

21. Les changements


dans la famille d’aujourd’hui

Le couple, la famille restent. Cependant, les contextes socié-


taux changent et finalement les transforment. Parle-t-on de la
famille ou des familles dans toutes les possibilités qui existent ?
I. Théry, sociologue, explique à quel point « l’institution matri-
moniale [est] vivante et [se] perpétu[e] en se transformant
toujours dans le temps historique ». Ainsi, « le mariage ne cesse
de changer, justement parce qu’il a charge d’incarner à chaque
moment de l’Histoire, plus que lui-même, un idéal social, une
certaine image que les sociétés se font de leur propre perfec-
tion » (2013, p. 62).

21.1 La grossesse choisie


Au début du XXe siècle, la fécondité était encore mal maîtrisée,
les quelques moyens de contraception connus étaient de toute
façon interdits, la stérilité restait sans recours, et les risques
de mortalité (de l’enfant ou de la mère) à la naissance demeu-
raient encore élevés, bien que déjà en forte diminution. À
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la fin du XXe siècle, la sexualité et la reproduction peuvent


être dissociées, la fécondité est un choix, la stérilité empêche
de moins en moins les naissances, et la menace de morta-
lité infantile est quasiment écartée. C’est un siècle qui va être
marqué par l’avancée considérable des progrès de l’obstétrique,
du diagnostic prénatal mais aussi de la maîtrise des méthodes
contraceptives qui entraînent de nouvelles attitudes face à la
reproduction, faisant passer la grossesse de l’aléatoire au volon-
taire, de l’inéluctable au programmé.
Les choses commencent à s’accélérer dans les années
soixante où les avortements clandestins sont de plus en plus
186 35 grandes notions de périnatalité

dénoncés. La contraception devient un débat de société, une


affaire publique, et cela conduit après des débats houleux
au vote de la loi Neuwirth en décembre 1967 qui autorise la
contraception. Mais cette loi déçoit au vu des trop nombreux
obstacles qui existent pour accéder à une contraception dont
le remboursement n’est pas encore prévu.
De plus en plus de femmes aspirent dans la foulée de 1968
à une liberté individuelle. C’est une politique qui défend une
liberté de leur corps et ainsi de choisir le moment d’une gros-
sesse. Les slogans, les affiches fleurissent : « Notre ventre nous
appartient », « Un enfant, si je veux, quand je veux ». La ques-
tion de l’avortement vient au-devant de la scène publique. La
loi du 17 janvier 1975, dite loi Veil, réalise une sorte de tran-
saction entre deux philosophies antagonistes, à savoir le refus
d’une telle intervention en raison de la vie et l’autorisation
d’un tel acte au nom de la liberté individuelle1. À la suite de
la loi Veil, d’autres vont suivre jusqu’à celle du 4 juillet 2001
relative à l’allongement du délai de l’interruption volontaire
de grossesse qui passe de 10 à 12 semaines.
De cette acquisition au droit à l’avortement et de cet accès
plus simple car légal à une contraception ont découlé de
nombreux bouleversements culturels. « Dans les acquis insti-
tutionnels, il faut insister sur l’importance à accorder au droit
à la contraception (…). C’est leur fécondité qui les a confinées
dans la sphère sexuelle, maternelle et domestique. En rendant
aux femmes la liberté sur ce point précis, on leur confère le
statut de personnes à part entière, qui consiste à décider libre-
ment de son destin » (Héritier, 2005, p. 173-175). Avec cette
nouvelle liberté, d’autres désirs sont allés de pair notamment
celui des femmes de se réaliser par le travail avec le souci

1. L’article 1er est le suivant : « La loi garantit le respect de tout être humain


dès le commencement de la vie. Il ne saurait être porté atteinte à ce prin-
cipe qu’en cas de nécessité et selon les conditions définies par la présente
loi » (loi du 17 janvier 1975).
La construction des liens dans la famille 187

d’harmoniser vie professionnelle et vie privée. Cependant si


la femme s’émancipe, une certaine scission, voire un antago-
nisme s’installent entre féminité et maternité, la deuxième
devenant un obstacle à la réalisation de la première ou inver-
sement. À chaque époque, une nouvelle forme de clivage
femme-mère est à repérer.
Des années après la loi sur la contraception, « Un enfant
quand je veux, si je veux » prend une autre tournure. Les gros-
sesses sont planifiées, les enfants sont voulus, désirés mais
parfois cela ne suffit pas. La Procréation Médicalement Assistée
se met au service des couples infertiles. Nous sommes égale-
ment à l’ère où la conception peut se faire hors sexualité (se
référer à la notion 13). « La maîtrise de la contraception entraîne
d’ailleurs l’exigence de celle de la conception. Les échecs de
celle-ci deviennent évidents et insupportables pour les méde-
cins et les usagers » (Bydlowski et Camus, 1988, p. 20). « Un
enfant si je veux » devient progressivement un droit à l’enfant.
Cela a entraîné, au-delà de la question de la conception,
un profond réaménagement des rapports hommes-femmes où
progressivement le rôle, la place de chacun, notamment dans
leur rapport à l’enfant, se sont modifiés.

21.2 La famille de nos jours :


© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

une famille plurielle


I. Théry pointe le fait que : « plus de la moitié des premiers
enfants naissent aujourd’hui de parents non mariés. Ce n’est
plus le cas que d’un quart des seconds. Plus qu’une alternative
réelle entre deux modèles de famille, ce qui est remarquable
ici est le déplacement du mariage, qui intervient de plus
en plus souvent après la première naissance, voire quand les
enfants ont déjà un certain âge » (1998, p. 43). Elle s’inter-
roge alors sur « (…) quand dater la création de la famille ? Des
débuts du couple ? Cela ferait apparaître comme des échecs
188 35 grandes notions de périnatalité

du projet familial des ruptures qui n’en avaient pas la signi-


fication. Du mariage ? Sans doute, quand il intervient avant
la naissance du premier enfant, car le mariage porte en lui,
par la présomption de paternité, une dimension familiale.
Mais de nombreux mariages interviennent après la première
naissance. » Cet auteur analyse le phénomène actuel ainsi :
« Désormais, finalement, quelle que soit la situation juridique
du couple, c’est la naissance d’un enfant qui crée socialement
la famille » (1998, p. 42). C’est ainsi de plus en plus régulière-
ment la naissance du premier enfant davantage que le mariage
qui scelle le couple.
L’institution qu’est le mariage se module, évolue
et il existe également des familles monoparentales
(dont le nombre a régulièrement augmenté ces vingt-cinq
dernières années, d’après les chiffres de l’Insee), recomposées
ou encore des familles homoparentales qui montrent
qu’il existe des histoires de familles plurielles.
Les discours les plus passionnés de nos jours sont ceux
concernant les familles homoparentales. Des recherches
se développent dans le champ de la psychologie et de la
psychanalyse concernant par exemple les questions de la stig-
matisation des couples et des enfants élevés par des parents
homosexuels, le désir d’enfant, le développement des enfants
et la parentalité homoparentale, l’étude des représentations
des liens de parenté, du tiers ou encore les processus inter
et transgénérationnels, etc. Elles on émergé dès les années
soixante-dix aux États-Unis puis vingt ans plus tard en France.
L’une d’elles montre que « la clinique, elle, rappelle que des
conduites dites “hétéro/homosexuelles” ne témoignent pas
a priori de ce qu’il en est de la structuration psychique en
termes de conflit œdipien, de rapport subjectif à la différence
sexuelle, des possibilités du sujet de se confronter aux réamé-
nagements psychiques qu’impose la parentalité. Référée à la
perspective psychanalytique, elle rappelle les potentialités
La construction des liens dans la famille 189

créatives de la bisexualité psychique, qui par ailleurs peuvent


être en souffrance dans le couple hétérosexuel comme dans le
couple homosexuel » (Ducousso-Lacaze, 2014, p. 26). L’auteur
avait déjà repéré quelques années auparavant que les parents
homosexuels se réfèrent à des formes classiques de parentalité
(place du tiers, place des parents, grands-parents ; Ducousso-
Lacaze, 2004, 2006). L’auteur souligne qu’il est important de
réfléchir à cette question en tenant bien compte des normes
sociales qui existent pour les chercheurs eux-mêmes.
Régulièrement, la question qui revient dans les débats est
celle de la place du père dans nos sociétés. J.-L. Donnet nous
propose à ce sujet quelques pistes de réflexion : « le déclin de
l’image du père, qui s’est accentué depuis Freud, et n’a pas
que des inconvénients, fait partie de cette évolution. De telle
sorte que la théorisation psychanalytique se trouve partagée
entre une « défense » d’une fonction paternelle menacée, au
risque de verser dans la nostalgie du « père d’antan » ; et la
reconnaissance de formes de surmoïsation différentes, difficiles
à évaluer. Une hypothèse optimiste serait de penser que l’évo-
lution des relations entre les hommes et les femmes comme
celle de la définition des identités de genre pourrait soutenir
une représentation collective plus harmonieuse, moins stéréo-
typée des fonctions introjectées dans l’Idéal » (2009, p. 157).
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Pour aller plus loin


Lectures recommandées
Bydlowski M. et Camus C.H. (1988). Recherche psychanalytique
dans une maternité hospitalière. Revue de médecine psychosoma-
tique, 14, 19-30.
Donnet J.-L. (2009). L’Humour et la honte. Paris : PUF.
190 35 grandes notions de périnatalité

Duby G. (1981). Le Chevalier, la femme et le prêtre. Paris : Fayard,


éd. 2012.
Ducousso-Lacaze A. (2004). À propos du père dans la parentalité
lesbienne. Le Divan familial, p. 29-42.
Ducousso-Lacaze A. et Gadechoit P. (2006). Homosexualité et
parentalité : une approche psychanalytique. In Cadoret A., Gross
M., Mécary C. et Perreau B. (dir.) Homoparentalités : approches
scientifiques et politiques (p. 261-272). Paris : PUF.
Ducousso-Lacaze A. (2014). Questions pour la clinique psychanaly-
tique à partir d’une situation d’homoparentalité, Dialogue, (1) 203,
15-27.
Foucault, M. (1976-1984). Histoire de la sexualité, 3 tomes, Paris,
Gallimard.
Héritier F. (2005). Hommes, femmes, la construction de la différence.
Paris : Le Pommier.
Théry I. (1998). Couple, filiation et parenté aujourd’hui. Paris : Odile
Jacob.
Théry I. (2013). Mariage pour tous et homoparentalité. Des révéla-
teurs du droit commun de la filiation, Dialogue, (2) 200, 61-72.

Statistiques
Chiffres Insee sur les familles monoparentales : https://www.insee.
fr/fr/statistiques/1281271

Pour approfondir
Ricœur P. (1985). Temps et Récit, tome III : Le temps raconté, Paris :
Le Seuil.
Eiguer A. (1987). La Parenté fantasmatique. Paris : Dunod.
Houzel D. (1999). Les Enjeux de la parentalité. Toulouse : Érès.
La construction des liens dans la famille 191

22. Familles venues d’ailleurs

D’un côté, il y a le fait que devenir mère ou père se retrouve


universellement dans le monde. Pourtant, « on ne naît pas
parents, on le devient… La parentalité, cela se fabrique avec
des ingrédients complexes. Certains sont collectifs, ils appar-
tiennent à la société tout entière, changent avec le temps,
ceux-là sont historiques, juridiques, sociaux et culturels.
D’autres sont plus intimes, privés, conscients ou incons-
cients, ils appartiennent à chacun des deux parents en tant
que personne et en tant que futur parent, au couple, à la propre
histoire familiale du père et de la mère » et ainsi « il y a mille
et une façons d’être père et d’être mère (…) » et le rôle des
psychothérapeutes et plus particulièrement dans le champ
du transculturel « devient alors non pas de dire comment il
faut être, ou même comment il faut faire, mais de permettre
que les capacités émergent chez les parents » et de les soutenir
psychiquement. « Des éléments sociaux et culturels participent
donc à la fabrication de la fonction parentale », résume M.-R.
Moro (2010, p. 76-77).
Le processus de parentalisation est complexe pour tout futur
parent. Il peut cependant être tout particulièrement
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

mis à mal lors de situations de migration, d’exil, de


départ précipité alors que le pays d’origine sombre
dans un conflit armé ou dans une situation socio-
économique désastreuse. À l’arrivée dans un pays d’accueil,
une prise en charge précoce est souhaitable notamment quand
les futurs parents sont potentiellement coupés de leur constel-
lation familiale et ainsi d’une enveloppe affective et culturelle.
Il s’agit aussi de mettre au travail psychiquement chacun des
membres de la famille porteur de son mandat transgénéra-
tionnel chargé aussi de culture (se référer à la notion 16).
192 35 grandes notions de périnatalité

Transparence psychique/transparence culturelle


« On le sait, en dehors de ces dimensions sociales et culturelles,
cette fonction maternelle et paternelle peut être touchée par
les avatars du fonctionnement psychique individuel, par des
souffrances anciennes mais non apaisées qui réapparaissent de
manière souvent brutale au moment de la mise en œuvre de sa
propre lignée : toutes les formes de dépressions du post-partum,
voire de psychoses, qui conduisent au non-sens et à l’errance.
La vulnérabilité des mères, de toutes les mères, à cette période
est bien connue maintenant et théorisée en particulier à partir
du concept de transparence psychique – par transparence,
on entend le fait qu’en période périnatale le fonctionnement
psychique de la mère est plus lisible, plus facile à percevoir que
d’habitude. En effet, les modifications de la grossesse font que
nos désirs, nos conflits, nos mouvements s’expriment plus facile-
ment et de manière plus explicite. Par ailleurs, nous revivons les
conflits infantiles qui sont réactivés, en particulier les résurgences
œdipiennes. Ensuite, le fonctionnement s’opacifie de nouveau.
Cette transparence psychique est moins reconnue pour les pères
qui pourtant traversent eux aussi des turbulences multiples liées
aux reviviscences de leurs propres conflits, à la remise en jeu de
leur propre position de fils et au passage de fils à père. Ils les
revivent et les expriment plus directement qu’habituellement.
La période périnatale autorise une régression et une expression
qui lui sont propres.
L’exil ne fait que potentialiser cette transparence psychique qui
s’exprime chez les deux parents, de façon différente au niveau
psychique et culturel. Au niveau psychique, par la reviviscence
des conflits et l’expression des émotions. Au niveau culturel, par
le même processus mais appliqué cette fois aux représentations
culturelles, aux manières de faire et de dire propres à chaque
culture. Tous ces éléments culturels que nous pensions appartenir
à la génération qui précède se réactivent, deviennent tout d’un
coup importants et précieux ; ils redeviennent vivants pour nous.
Il convient donc de proposer ici l’image de transparence culturelle
 ☞
La construction des liens dans la famille 193

 ☞
pour penser et se figurer ce que traversent les parents. Le rapport
avec la culture de leurs parents se trouve modifié et par-là même
avec leurs propres parents. »
(M.-R. Moro, 2010, p. 78-79.)

Soulignons ici qu’en évoquant ce devenir parent en exil et


pour certains qui ont vécu des situations extrêmes (familles
et/ou femmes isolées venant de pays en guerre notamment)
se pose la question de la transmission du traumatique et celle
notamment d’une menace d’existence qui vient se diffuser au
niveau de la sphère familiale.

Pour aller plus loin


Lectures recommandées
Moro M.-R. (1994). Parents en exil. Psychopathologie et migrations.
Paris : PUF.
Moro M.-R. (2010). Être parents malgré tout. Construction de la
parentalité en situation transculturelle. In M.-R. Moro (dir.) et al.,
Manuel de psychopathologie du bébé et de sa famille. Grenoble : La
Pensée sauvage.
4
Cha
pitre

SOUFFRANCES
PSYCHIQUES
AUTOUR
DE LA NAISSANCE
aire
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S o m

23. L’IVG – Interruption Volontaire de Grossesse ..... 197


24. Grossesses de futures mères adolescentes ........ 201
25. Quand l’enfant n’arrive pas… .............................. 207
26. Déni, négations de grossesse............................... 212
27. Le deuil périnatal................................................... 215
28. La dépression du pré et du post-partum ............. 218
29. Psychoses puerpérales ......................................... 224
30. Carences dans les familles.................................... 229
31. Grossesses et accouchements traumatiques....... 232
32. Grossesses et maladies graves ............................. 235
33. Grossesses et handicaps ....................................... 241
34. L’arrivée d’un enfant né prématurément
et hospitalisé ......................................................... 246
35. Consultations périnatales et travail en réseau ... 251
Le titre de ce dernier chapitre entre en résonance avec un
ouvrage de M. Lamour et de M. Barraco (1998), Souffrances
autour du berceau. Des émotions au soin qui est d’une grande
justesse clinique à l’écoute des parents et des bébés.
Notre chapitre, même en esquissant ce domaine de la psycho-
pathologie périnatale et de la parentalité, se devait d’exister
dans un tel ouvrage. Il permet de se rendre compte de l’étendue
du domaine qu’est celui de la périnatalité et de la multiplicité
des situations qui sont à considérer, à mieux appréhender et à
prendre en charge. Il est aussi essentiel de garder à l’esprit que
lors d’une grossesse, de l’arrivée d’un enfant certaines zones
d’ombre apparaissent également. Il est ainsi essentiel de ne pas
banaliser l’ensemble des remaniements psychiques et identi-
taires (voir les premiers chapitres de cet ouvrage) qu’entraîne
une grossesse et de mieux les comprendre, loin de tout juge-
ment, encore trop pesant de nos jours, sur les parents.

23. L’IVG – Interruption Volontaire


de Grossesse

Depuis la loi du 17 janvier 1975, l’avortement est un droit


© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

en France qui permet aux femmes de ne plus avorter dans


la clandestinité, ce qui mettait régulièrement leur vie en
danger. Des modifications de la législation vont se succéder
jusqu’à celle du 4 juillet 2001 où le délai légal limite pour
avorter s’allonge, passant de 10 à 12 semaines comme dans
la plupart des autres pays européens. Ce droit à l’avortement
fut une véritable avancée pour la femme lui donnant la liberté
de disposer de son corps. « Les interruptions volontaires de
grossesse (IVG) concernent environ 1,5 % des femmes d’âge
reproductif (1,4 % pour la France métropolitaine). Le recours
198 35 grandes notions de périnatalité

à l’IVG est stable au fil du temps, avec environ 200 000 IVG
chaque année » (chiffres de l’Ined, rapport 2014).
Depuis peu, il est aussi question, dans le cadre d’un texte
de loi, de ne pas laisser de côté la parole des femmes lors de
ce parcours de l’Interruption Volontaire de Grossesse (IVG).
Il est en effet notifié (article 5 du Journal officiel du texte de
juillet 2001) qu’il « est systématiquement proposé avant et
après l’Intervention Volontaire de Grossesse une consultation
avec une personne ayant satisfait à une formation qualifiante,
etc. » (notamment le psychologue clinicien). Cet entretien est
proposé aux femmes majeures. « Pour la femme mineure, la
consultation préalable est obligatoire. » Il s’agit d’une possi-
bilité pour la femme, quel que soit son âge, d’être
écoutée quel que soit le choix envisagé. Nous insistons
sur ce dernier point car il s’agit d’un sujet encore tabou dans
nos sociétés où il n’est pas si simple d’en parler, peut-être parce
qu’il s’agit d’une période où vie et mort sont tout particuliè-
rement intriquées.
Nous parlons en tout premier lieu des femmes, puisque c’est
en leur corps que débute une grossesse, mais, quand le conjoint
est présent, il est essentiel d’offrir également aux couples un
temps de réflexion. La femme, l’homme auront toute une vie
à construire ensuite, sans enfant, avec des enfants déjà là ou
à venir (Soubieux, 2010).

23.1 « Tomber enceinte »


Il y a ce temps d’entre-deux où la possibilité d’une gros-
sesse est suspendue à un résultat d’analyse qui dira si oui ou
non la femme est enceinte. Pour certaines, c’est un moment
de joie. Pour d’autres, c’est l’interrogation ou, d’emblée, la
consternation. Après un rapport sexuel risqué, l’inquiétude est
là puis c’est un résultat positif au test de grossesse qui tombe.
Le temps s’accélère alors et les émotions se bousculent. Pour
Souffrances psychiques autour de la naissance 199

certaines femmes, il faudra agir le plus rapidement possible


et prendre un rendez-vous pour que tout rentre dans l’ordre
au plus tôt, pour ne plus y penser et vite venir réparer. Pour
d’autres, le temps de la réflexion sera déjà aux prises avec
la réalité des délais et surtout avec une décision à prendre,
complexe. S’ensuit l’attente des rendez-vous où le choix peut
encore évoluer puis la succession des consultations avec le
corps médical, social et psychologique et l’intervention elle-
même (IVG médicamenteuse par misoprostol) quand elle est
pratiquée dans les premières semaines de grossesse ou une
intervention pour une grossesse plus avancée).
Ainsi, il n’y a pas une situation type mais bel et bien
de multiples situations, traversées par de nombreuses inter-
rogations que chaque femme peut être amenée à se poser.
« Si on se laisse guider par ce que dit la femme, les points sur
lesquels elle insiste spontanément, l’association des propos,
les moments d’émotion, les ambiguïtés, les contradictions,
on s’aperçoit que, sur cette trame, il n’est pas seulement ques-
tion de l’avortement, mais de l’ensemble de la problématique
concernant la recherche ou la revendication conflictuelle
d’identité, en son double versant, pour une femme, de la
fécondité et de la féminité dans sa rencontre intersubjective
avec un homme » (Rondot-Mattauer, 2003, p. 21). Ajoutons
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

qu’en devenant femme tout un travail d’appropriation de leur


corps propre est à faire (Guignard, 1999) et notamment de
leur appareil génital, le vagin comme l’utérus. Il arrive qu’en
arrière-plan cela soit, fantasmatiquement, la matrice mater-
nelle qui est visée.
Pour certaines, la grossesse vient trop tôt et, pour d’autres,
trop tard. Cette annonce de grossesse est comme un « acte
manqué » venant comme vérifier que ce qui est matriciel en
elle, leur fertilité, fonctionne bien. Il peut s’agir de toutes
jeunes femmes découvrant la sexualité, leur féminité, aux
prises avec cette question du désir de grossesse et de maternité.
200 35 grandes notions de périnatalité

Il y a également des femmes plus proches de la ménopause qui,


en cherchant à mieux comprendre cet oubli de contraception,
peuvent dire la douleur qu’elles ont à perdre leur fertilité et
qu’elles ont à en faire le deuil, l’oubli étant là comme un signe de
ce qui vient tant les solliciter et les mettre au travail psychique-
ment. Pour d’autres, les demandes d’Intervention Volontaire
de Grossesse se succèdent et cette répétition interroge, reflétant
les conflits intrapsychiques qui les sollicitent : certaines ont
le désir d’un enfant mais ne peuvent s’imaginer enceintes,
la grossesse pouvant attaquer, abîmer leurs corps de femmes.
D’autres ne peuvent s’imaginer devenir mères et refusent de
s’inscrire dans une filiation parentale (conflits générationnels
et rejet parental par exemple, etc.). N’oublions pas non plus
toutes les Interventions Volontaires de Grossesses pratiquées
à la suite de violences faites aux femmes (viols).

23.2 Une IVG passée…


Passé l’intervention, la grossesse est interrompue. Un senti-
ment de soulagement peut se mêler à celui de la tristesse et/
ou d’une certaine culpabilité. Le quotidien reprend le dessus.
Elles reviendront voir le gynécologue pour une consultation
de contrôle. C’est aussi le moment de donner la possibilité
d’en parler à nouveau… quelques semaines plus tard ou même
bien après, donnant aux entretiens avec un psychologue un
véritable rôle préventif. Car même s’il s’agit d’une inter-
vention volontaire, cette décision et ce qu’elle vient solliciter
sont complexes. La perte est là, douloureuse psychiquement
pour certaines, nécessitant d’être élaborée et qu’un véritable
travail de deuil puisse se faire. Une nouvelle grossesse, une
infertilité secondaire, une fausse couche, etc., peuvent aussi
venir réactiver un sentiment de culpabilité ancien.
Souffrances psychiques autour de la naissance 201

Pour aller plus loin


Lectures recommandées
Guignard F. (1999). Maternel ou féminin ? Le « roc d’origine » comme
gardien du tabou de l’inceste avec la mère. Débats de psychanalyse.
Clés pour le féminin. Femme, mère, amante et fille, p. 11-23.
Rondot-Mattaeur B. (2003). Interruption volontaire de grossesse :
la dynamique du sens. Toulouse : Érès.
Soubieux M. (2010). Regard du psychanalyste sur le deuil périnatal.
In Frydman. R. et Szejer M. (dir.), La Naissance (p. 962-973). Paris :
Albin Michel.
Chiffres de l’Ined (consulté en janvier 2017)
https://www.ined.fr/fichier/s_rubrique/175/population_fr_2014_3_
france_pdf.fr.fr.pdf
https://www.ined.fr/fr/tout-savoir-population/chiffres/france/
avortements-contraception/avortements/

Pour approfondir
Freud S. (1915). Deuil et mélancolie. Métapsychologie (p. 11-43).
Paris : Gallimard, 1968.
Mytnik, B. (2007). IVG, fécondité et inconscient. Ramonville Saint-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Agne : Érès.

24. Grossesses de futures mères


adolescentes

La période de l’adolescence désigne un âge de la vie et elle


est également couramment évoquée comme une crise. À
l’adolescence, le corps change, se modifie rapidement presque
d’un mois sur l’autre. L’adolescent se découvre devant ces
202 35 grandes notions de périnatalité

transformations avec perplexité et inquiétudes et aussi avec


curiosité, étonnement ou satisfaction de se voir grandir. Il
se vit dans un corps qui ne lui correspond plus vraiment,
devenu pour une part étranger à lui-même. Il est confronté
au regain pulsionnel « pubertaire » (Gutton, 1991), à l’expé-
rience nouvelle que constitue l’accès à la sexualité génitale
qui demande un remaniement de l’ensemble de l’économie
psychique. Il s’agit d’un véritable travail psychique, le « puber-
taire » doit s’élaborer au cours de l’adolescence et même au-delà.
R. Cahn (1991, 2004) a montré que l’adolescence était de ces
moments de crises, de liaison-déliaison-reliaison, le temps
de l’aboutissement du processus de subjectivation, le temps
des bouleversements relationnels où se défont et se refont les
liens avec autrui. Ces réorganisations physiques et psychiques
mobilisent particulièrement l’adolescent et en l’occurrence
l’adolescente. Qu’en est-il alors quand une grossesse survient
au cours de ce tournant qu’est l’adolescence ?

24.1 Des grossesses à l’adolescence


Nous nous référons à la classification internationale selon
laquelle il est question de grossesses adolescentes chez des
jeunes filles ayant entre 15 et 19 ans. Cela peut varier large-
ment d’un pays à l’autre. Dans les pays occidentaux, la période
adolescente a tendance ces dernières décennies à s’étirer dans
le temps, pouvant aller de 15 à 25 ans mais nous pensons
qu’il existe une différence notable entre une jeune fille qui
entre dans cette transition à l’âge adulte et celle qui est déjà
une jeune femme. « On observe depuis 1990 une diminu-
tion sensible bien qu’irrégulière des taux de natalité chez les
adolescentes, mais près de 11 % des naissances dans le monde
surviennent encore chez des jeunes filles de 15 à 19 ans »
(Chiffre de l’Organisation Mondiale de la Santé). En France,
cela concernait 1,8 % des naissances en 2013 (chiffres Insee).
Souffrances psychiques autour de la naissance 203

Soulignons que les conceptions chez les 15-19 ans n’ont cessé


de baisser depuis la fin des années quatre-vingt-dix (Daguerre,
2010) et même soixante-dix (chiffres Insee).
L’opinion publique ainsi qu’un certain nombre de cher-
cheurs se saisissent de ce sujet de société : il s’agit de jeunes
filles, pour certaines encore enfants elles-mêmes. Une question
qui interroge aussi d’une façon plus générale ce qu’il en est de
la sexualité des adolescents à l’orée de la vie adulte.
Un désir de grossesse, de maternité, d’enfants peut tout à fait
s’exprimer à l’adolescence (comme à tout âge), mais il est relati-
vement rare qu’une grossesse soit programmée à l’adolescence
comme on peut l’entendre chez des femmes plus âgées. Le plus
souvent, la grossesse commence une fois qu’un diagnostic est
posé. Il peut aussi s’agir d’un diagnostic posé assez rapidement
après un rapport sexuel non protégé. Ainsi, c’est régulière-
ment au moment de l’annonce de la grossesse qu’elle
peut, dans ce même temps, s’élaborer psychiquement
et que l’adolescente peut tenter d’en comprendre le
sens. Soulignons également qu’à la suite de cette annonce de
grossesse, il est couramment proposé à l’adolescente de prati-
quer une IVG (se reporter à la notion 23). Un choix va devoir
s’opérer entre la poursuite ou non de la grossesse, sachant
que pour cette classe d’âge, plus d’une grossesse sur deux est
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

interrompue de nos jours.


D’emblée, la confrontation à la réalité d’« être enceinte »
est bien présente et peut l’être avec une certaine brutalité :
d’une part, par la confrontation à une sexualité fécondante ;
pour une adolescente, c’est une chose de savoir comment se
fait un enfant, c’en est une autre de découvrir son corps avec
autrui et par la même occasion sa sexualité. Notons au passage
qu’un travail préventif est à poursuivre car il y a encore des
adolescent(e)s qui ont une faible connaissance de leur corps.
Par ailleurs, il existe des situations bien différentes d’une
adolescente à l’autre et il est impossible d’en définir un
204 35 grandes notions de périnatalité

« profil » type. Ces situations sont à comprendre au pluriel.


Tentons de repérer quelques exemples pour bien en montrer
la diversité.
Il peut s’agir de jeunes filles vivant déjà en couple et pour qui
avoir un enfant relève d’un projet de couple. Ils sont installés
maritalement (ou sont mariés) et une famille plus large les
entoure. Il peut s’agir de mariages arrangés mais aussi de véri-
table choix de vie pour certaines jeunes (étrangères ou non).
Il peut s’agir déjà à l’adolescence d’un désir d’enfant.
Parfois aussi, et c’est le plus courant, les adolescentes
découvrent une grossesse inattendue après un rapport sexuel
sans contraception. Elles vivent régulièrement encore chez
leurs parents ainsi que leur petit ami. Ils sont surpris par l’an-
nonce de la grossesse. Les situations sont alors multiples : cela
peut évoluer vers une IVG, mais parfois le diagnostic de gros-
sesse est tardif et le délai est dépassé. La grossesse se poursuit
alors… Certaines jeunes filles vont accoucher sous X. Il y a
aussi celles qui d’emblée souhaitent garder l’enfant. Là encore,
les situations diffèrent entre celles qui vont être entourées par
leur famille et notamment leurs parents, et celles pour qui au
contraire cette annonce de grossesse entraînera une rupture
familiale et qui devront s’installer en foyer mère-enfant. Selon
les cas, le couple reste ensemble ou se sépare. Dans ce dernier
cas, certains jeunes pères souhaitent déclarer l’enfant, d’autres
ne le souhaitent pas : le père de l’enfant est souvent absent
mais ce n’est pas une généralité. L’accueil du nouveau-né et
de sa jeune mère peut se faire dans son foyer familial, sachant
que l’intégration du bébé est tout à fait variable. Les situations
les plus inquiétantes sont celles des jeunes filles en rupture
totale avec leur famille, déscolarisées et sans emploi. La gros-
sesse peut ne pas être souhaitée ou bien au contraire être tout
à fait attendue. L’arrivée de ce bébé sera dans leur projet ce qui
permettra de se « refaire » une vie, moins chaotique et où elles
ne seront plus seules mais aimées et entourées, ce qui prend
une dimension assez idéalisée.
Souffrances psychiques autour de la naissance 205

Un soutien à la parentalité est à envisager pour ces jeunes


mères. Il se fait au sein même de la famille mais des tiers (au
sein de PMI, de consultations mère-bébé en CMP, etc.) sont
aussi les bienvenus à cette période qu’est l’adolescence faite
de confrontations aux adultes et plus particulièrement aux
parents. Si la jeune fille est en rupture de liens, il est essentiel
qu’un suivi de guidance infantile soit mis en place et qu’elle
soit entourée avec son enfant.

24.2 Au niveau métapsychologique


Quand cette grossesse est inscrite dans la réalité, elle
propulse l’adolescente dans le statut de future mère. « Il existe
des propos parfaitement contradictoires pour déterminer si la
grossesse, la maternité et les liens précoces chez une adoles-
cente peuvent être différenciés de ces mêmes processus chez
une femme adulte » (Konicheckis, 2006, p. 175).
Pour certains, une grossesse est un passage à l’acte adolescent
(Laufer et Laufer, 1984 ; Marcelli, 2003 par exemple) qui vient
combler de nombreuses pertes infantiles. Il est aussi écrit qu’à
un niveau fantasmatique, certaines jeunes filles sont habitées
par un fantasme de stérilité, pensant qu’elles ne pourront
jamais porter d’enfant. Convaincues d’un dysfonctionnement
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

ou d’une anomalie physique, elles se pensent infertiles : il s’agi-


rait alors de vérifier son bon fonctionnement. D’autres font
l’hypothèse qu’il s’agit d’attaquer leur propre corps. Cela peut
se situer à des niveaux variés, allant d’angoisses de castration
(crainte d’être punies à la suite de la réactivation de désirs
sexuels infantiles) à des angoisses plus archaïques de destruc-
tion de leur intérieur et plus particulièrement du ventre et de
ce qu’il contient (au sens de M. Klein), dont l’appareil génital.
Ajoutons que le clivage entre le rapport sexuel et son acte
fécondant est fréquent (Melo, 2006).
206 35 grandes notions de périnatalité

Il peut aussi s’agir du souhait d’un enfant comme d’une


reduplication du même pris dans un fantasme d’autoengen-
drement. Donner naissance à un autre soi-même permet
inconsciemment de se protéger de la différence elle-même,
de ne pas se confronter à la différence des sexes et des généra-
tions. Par ailleurs, paradoxalement, une grossesse peut aussi
venir protéger d’une sexualité génitalisée. Il existe nombre de
représentations communes où grossesse et sexualité « ne font
pas bon ménage ». Il s’agirait alors, pendant les neuf mois de
la grossesse, de retrouver une sexualité prégénitale.

Pour aller plus loin


Lectures recommandées
Cahn R. (1991). Adolescence et folie : les déliaisons dangereuses.
Paris : PUF.
Cahn R. (2004). Subjectalité et subjectivation, Adolescence, 50,
755-766.
Daguerre A. (2010). Les grossesses adolescentes en France et en
Grande-Bretagne. Un phénomène dérangeant pour les pouvoirs
publics, Informations sociales, 1, 96-102.
Donabedian D. (2000). La grossesse désirée chez les adolescentes
dans les milieux défavorisés : quelques réflexions à partir d’une
étude réalisée au Brésil, Neuropsychiatrie de l’enfant et de l’ado-
lescent. (48) 1, 44-50.
Konicheckis A. (2006). Grossesse à l’adolescence, aire du culturel
et tissage des liens précoces, Adolescence, 55, 175-188.
Laufer E. et Laufer M. (1984). Adolescence et rupture du développe-
ment. Une perspective psychanalytique. Paris : PUF, 1989.
Marcelli D. (2003). La grossesse : Une immixtion douloureuse dans
la sexualité de l’adolescence. Adolescence, 21 : 683-692.
Melo I. (2006). Adolescentes enceintes, Adolescence, 55, 141-174.
Souffrances psychiques autour de la naissance 207

Statistiques
Insee : https://www.insee.fr/fr/statistiques/1379742 (consulté en
janvier 2017).
OMS : http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs364/fr/
(consulté en janvier 2017).

Pour approfondir
Gutton P. (1991). Le Pubertaire. Paris : PUF.

25. Quand l’enfant n’arrive pas…

L’infertilité peut se définir comme « l’incapacité pour un


couple de procréer ou de mener une grossesse à terme après
un an ou plus de rapports sexuels réguliers non protégés ».
L’infertilité peut être primaire ou secondaire (définition de
l’OMS). Comme nous déjà l’avons souligné (se reporter à la
notion 13), depuis plusieurs décennies maintenant, l’évolution
des techniques d’assistance médicale à la procréation (AMP) a
largement bouleversé l’univers de la maternité. Nous allons,
ici, davantage nous attarder sur le vécu psychique des couples
qui ont eu recours à une assistance médicale.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

25.1 Un enfant conçu artificiellement


Il existe des fertilités d’origine organique (par exemple une
malformation de l’appareil génital féminin ou masculin) et
d’autres où l’aspect psychogène se questionne chez la femme
comme chez l’homme. S. Faure-Pragier, psychanalyste, souligne
par exemple que chez les femmes infécondes « fait défaut
l’image d’une mère féminine tournée vers un homme, tandis
que l’image maternelle archaïque occupe l’espace psychique
et empêche la fille de s’identifier elle-même à cette maternité
208 35 grandes notions de périnatalité

qui l’aliène et qu’elle a besoin d’attaquer pour se sentir un peu


indépendante » (1997, p. 17). Chez l’homme, des études dans
le champ de la psychologie repèrent que « le projet de devenir
père est entravé par leur difficulté à se situer dans leur généa-
logie et dans l’identification à leur propre père » (Jaoul, 2007).
Dans certains cas, la personne infertile se sent coupable d’être
celle qui ne peut concevoir et fait porter ce poids de l’infertilité
sur son conjoint (poids des examens, des traitements, etc.).
Dans un premier temps, il y a eu de grandes évolutions dans le
traitement des infertilités féminines. Depuis quelques années,
c’est aussi le cas de l’infertilité masculine avec notamment
les FIV ICSI (d’après son acronyme anglais : Intra Cytoplasmic
Sperm Injection) qui est une FIV (Fécondation In Vitro) avec
injection spermatique, c’est-à-dire d’un seul spermatozoïde
dans l’ovocyte. Ceci permet aux femmes d’avoir un enfant de
leur mari bien qu’il soit alors quasi stérile.
Les parents sortent alors d’un long parcours d’infertilité. Les
souffrances rencontrées « se produisent surtout dans le cas des
patientes que l’on traite trop longtemps sans succès » (Faure-
Pragier, 2009, p. 46). Il y a ainsi l’ensemble des examens qui
peuvent être vécus comme intrusifs, malmenant le corps. L’une
des évolutions possibles est aussi celle d’un travail de deuil de
sa fertilité.
Du côté du devenir des enfants issus de la procréation
médicalement assistée, quelques recherches, comme celles
de S. Lebovici dès 1994, montrent après le suivi d’enfants
de la naissance jusqu’à leurs six ans qu’ils ne présentaient
aucun trouble psychopathologique notable et/ou spécifique.
Cependant, les recherches dans ce domaine restent limitées
(Vecho, 2005) même si elles se sont développées de plus en
plus ces dernières années (numéro de Dialogue en 2014 par
exemple). Par ailleurs, quand les enfants grandissent, une ques-
tion revient très couramment : celle concernant leur filiation
et de qui ils sont issus (se référer au point 25.3 ci-après).
Souffrances psychiques autour de la naissance 209

Ajoutons une spécificité qui est l’augmentation des gros-


sesses multiples (gémellaires, triplées voire davantage, même
si ces dernières deviennent rares). Régulièrement, ce choix
est limité car les grossesses multiples restent des grossesses
à risque. Au niveau de la mise en place des liens précoces,
c’est aussi à prendre en considération puisque s’occuper d’un
nouveau-né n’est pas la même chose que de s’occuper de deux,
voire trois tout-petits. Des couples se réjouissent, alors qu’ils
étaient en manque d’enfants, d’en avoir plusieurs en une seule
fois. D’autres peuvent manifester des inquiétudes quant à leur
capacité à pouvoir s’occuper de plusieurs enfants à la fois et à
répondre correctement à leurs besoins. Les parents de jumeaux
et a fortiori de triplés expriment leur fatigue notamment au
cours des trois premières années ainsi que le sentiment de
n’être pas suffisamment disponibles pour chacun des enfants.
Certaines mères peuvent se déprimer, ceci étant aussi obser-
vable chez des mères multipares avec des enfants dont l’écart
d’âge est proche.

25.2 L’adoption
Quand l’enfant n’arrive toujours pas, l’adoption peut être
envisagée. La loi a également évolué, autorisant l’adoption
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

monoparentale ainsi que celle par des couples de personnes de


même sexe (loi no 2013-404 du 17 mai 2013). Ces changements
participent aussi aux modifications de la famille. Un premier
point à noter est celui de l’importance de l’accompagnement
de l’enfant, des parents et de sa famille notamment si des
enfants sont déjà nés (Duvert, 2007). Le deuxième est que là
aussi, les situations sont multiples : l’adoption d’un bébé né
sous X, d’un enfant plus âgé, d’une fratrie ou encore l’adop-
tion à l’international. Il peut aussi s’agir d’une adoption à la
suite d’un long parcours de procréation médicalement assistée
et l’enfant adopté peut ne pas être bien accepté. Les parents
peuvent être heureux de l’arrivée de cet enfant tout en n’ayant
210 35 grandes notions de périnatalité

pas pu encore faire le deuil de celui qu’ils souhaitaient ni s’être


départagés de l’idée qu’il serait issu d’autres. Quand l’enfant
vient d’ailleurs, d’un autre pays, d’une autre culture il est essen-
tiel de décliner et de complexifier la question culturelle pour
mettre au travail ce qu’elle recouvre : question des origines,
question de l’altérité et place de l’enfant sur l’axe filiatif et
affiliatif (Skandrani et al., 2012 ; Harf et al., 2015).

25.3 La question de la filiation


Avec l’évolution de la société (se référer à la notion 21) et
des modes de procréation (gestation pour autrui avec don de
gamètes ou d’embryon, don de gamètes d’un tiers connu ou
inconnu), des conditions d’adoption, de nouvelles questions
émergent du côté des parents, tant pour les couples
hétérosexuels qu’homosexuels, et du côté des enfants.
Celle qui revient le plus régulièrement est celle concer-
nant l’inscription dans une filiation et le secret posé
sur les origines de l’enfant adopté ou issu d’une procréation
médicalement assistée. L’anonymat lié aux dons de gamètes
est calqué sur le modèle de l’adoption. Ainsi, de nombreux
enfants devenus adultes souhaitent connaître qui est à l’ori-
gine biologique de leur existence (Golse, 2013). Ils sont à la
recherche d’une représentation de leur origine. Cette question
posée n’entraîne pas une réponse simple. La demande est le
plus souvent celle de « comprendre que l’abandon n’est pas de
son fait, se représenter un visage, une histoire, [qui] conduit
souvent l’enfant ainsi né à se rapprocher plus affectueusement
de ses parents véritables, qui pour lui, de toute évidence, ne
sont pas les géniteurs ». « Derrière la demande classique « d’où
viennent les enfants ? », la vraie question demeure celle du
désir : « De quel amour, de quelle aspiration, pour combler quel
hasard ? » » (Faure-Pragier, 2009, p. 59 et p. 72). Il s’agit ainsi de
se réapproprier un fragment de son histoire, de sa pré-histoire,
pourrions-nous dire.
Souffrances psychiques autour de la naissance 211

Pour aller plus loin


Lectures recommandées
Bayle B. (2005). L’Enfant à naître. Identité conceptionnelle et gesta-
tion psychique. Toulouse : Erès.
Duparc F. et Pichon M. (2009). Les Nouvelles Maternités au creux du
divan. Paris : éditions In Press.
Duvert A.-C. (2007). En accompagnant l’enfant adopté et sa famille,
Dialogue, (3) 177, 57-65.
Faure-Pragier S. (1993). L’insoutenable neutralité du psychanalyste
face à la bioéthique. Revue Française de Psychanalyse, 4, 1229-1246.
Faure-Pragier S. (1997). Les Bébés de l’inconscient. Paris : PUF.
Faure-Pragier S. (2009). La famille résistera-t-elle aux nouvelles
techniques de procréation ? In Duparc F. et Pichon M. (dir.), Les
Nouvelles Maternités au creux du divan (p. 39-73), Paris : édition In
Press.
Faure-Pragier S. (2011). Rester psychanalyste face au chaos
des nouvelles filiations, Revue française de psychanalyse, (4) 75,
1063-1080.
Golse B. (2013). La quête des origines, acte administratif ou acte
narratif ? Enfance & Psy, (2) 59, 144-154.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Harf A. et al. (2015). Le concept d’identité culturelle chez les


enfants adoptés : quelle pertinence ? La Psychiatrie de l’enfant, (1)
58, 299-320.
Jaoul M. (2007). Rôle joué par les événements de filiation dans
l’infertilité masculine, Gynécologie Obstétrique & Fertilité, (35) 5,
442-448.
Lebovici S. et Bouaziz D. (1994). Quelques difficultés du processus
de « paternalisation » dans des cas de procréations médicalement
assistées, Psychiatrie de l’enfant, (37) 2, 631-658.
212 35 grandes notions de périnatalité

Skandrani S. et al. (2012). La question culturelle dans l’adoption


internationale. L’Autre, (2) 13, 151-159.
Vecho O. et al. (2005). Homoparentalité et développement de
l’enfant, La Psychiatrie de l’enfant, (1) 48, 271-328.

Pour approfondir
Guyotat J. (1995). Filiation et logique du lien. Paris : PUF.
Racamier P.-C. (1955). Maladies des fonctions reproductrices de la
femme, EMC-Psychiatrie, art. 37490 C10, 2, 1-8.
Revue Dialogue, numéro 203, Homosexualités et familles, 2014.

26. Déni, négations de grossesse

Une femme arrive aux urgences de l’hôpital le plus proche


de son domicile. Elle a terriblement mal dans le ventre. Elle
ne comprend pas bien ce qui lui arrive. Elle est prise d’an-
goisses pensant être gravement malade. Après avoir été prise
en charge par le médecin de garde, elle apprend de la bouche
de l’urgentiste qu’elle est en train d’accoucher d’un enfant à
terme. Elle ne comprend pas bien ce qui vient de lui être dit
et reste sidérée. Prise dans le mouvement des personnes qui
s’affairent autour d’elle, elle accouche d’un petit garçon qui se
porte bien. Elle ose à peine le regarder, interdite, comme s’il
s’agissait d’une chose indéfinissable… Elle ne peut rien en dire,
rien en penser. L’équipe soignante et médicale qui l’entoure
est également comme saisie par la situation.
Les fêlures de femmes au cours de leur grossesse sont encore
difficilement entendables et élaborables, et tout particulière-
ment les dénis ou négations de grossesse selon les auteurs
(Bayle, 2016 ; Missonnier, 2016).
« Notre imaginaire originaire collectif veut la mère belle,
enveloppée d’images harmonieuses, dans une atmosphère de
Souffrances psychiques autour de la naissance 213

calme et d’apaisement, telle une femme comblée, absorbée par


l’enfant qui vient de naître. Nous aimons ces représentations
rassurantes où les idéaux sont roi. Il nous est si difficile d’y
renoncer, que nous luttons au moyen de défenses multiples,
pour ne pas reconnaître que la grossesse peut être parfois, dès
son annonce, pendant son déroulement ou à l’accouchement,
un temps de grande vulnérabilité, une période de déstabilisa-
tion avec des turbulences émotionnelles, des réminiscences
affectives qui vont jouer un rôle dans la vie familiale. Notre
difficulté est telle, qu’elle se révèle dans nos programmes de
santé publique. On dénote en effet un décalage non négli-
geable entre la prise en compte de la santé physique et celle de
la santé psychique. Pendant que l’une est investie des moyens
les plus performants, l’autre est très malmenée. » Ainsi, ajoute
S. Marinopoulos sur « la question du déni, mais aussi sur
d’autres manifestations pendant la grossesse, nous
constatons que l’impensé des mères devient de l’impen-
sable dans le groupe social » (2009, p. 19).
Comme nous l’avons vu (chapitres 1 et 2), dès la grossesse,
un travail psychique se met en place. Plus la grossesse avance,
plus les femmes enceintes se permettent d’investir l’enfant
à naître. Les sensations qu’elles éprouvent en ressentant
l’enfant réel en elles le rendent encore davantage présent.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Celui-ci gagne en existence. Il se différencie davantage d’elles-


mêmes. Au fil des mois les représentations deviennent plus
nombreuses, plus riches. Les femmes qui nient leur grossesse
sont comme coupées de leurs propres sensations. Elles sont
enceintes, mais ne sentent rien. Elles sont comme anesthé-
siées. Les sensations ne peuvent se psychiser et l’enfant ne
peut s’imaginer. Sans signe d’existence, il sera plus difficile-
ment porté psychiquement et l’objet de rêveries. Sont ainsi
repérées des altérations importantes des représenta-
tions intrapsychiques. Nous pouvons aussi qualifier cela
d’une forme d’indifférence, montrant là une désintrication
214 35 grandes notions de périnatalité

pulsionnelle massive. Il est aussi souligné que cette négation


de la sensation d’être enceinte va finalement également nier
la représentation même de l’acte sexuel à l’origine de
cette grossesse. Ajoutons que ces femmes sont également
confrontées à leur propre ambivalence : « l’ambivalence à
l’égard du processus du devenir mère, de l’accueil d’un
enfant et des métamorphoses environnementales induites, est
classiquement la clef de voûte du discours psychopathologique
au sujet des négations de grossesse ». S. Missonnier ajoute une
précision à garder à l’esprit concernant la définition de l’ambi-
valence : « dans une perspective strictement psychanalytique,
l’accès à l’ambivalence (en particulier, la simultanéité négo-
ciée des sentiments d’amour et de haine à l’égard de l’enfant
à naître) est le propre de l’équilibre suffisamment bon d’une
parentalisation “névrotico-normale”. Ce qui est donc souvent
pointé en termes d’“ambivalence” comme obstacle à la mater-
nalité des négations de grossesse est en fait un non-accès (déni
avec clivage) ou un accès problématique [(dé)négation avec
évitement] aux formations de compromis de cette ambiva-
lence tempérée. Dans ce cas, c’est l’extrémisme des positions
de haine destructrice ou d’amour idéalisé et l’impossibilité,
justement de lier dans un équilibre comportemental, affectif et
fantasmatique, qui signent ces dysharmonies intersubjectives
mère/embryon/fœtus/bébé » (2016, p. 57-58).

Pour aller plus loin


Lectures recommandées
Marinopoulos S. (2009). De l’impensé à l’impensable en maternité :
le Déni, Champ psychosomatique, (1) 53, 19-34.
Missonnier S. (2016). Entre déni et (dé) négation de grossesse.
Plaidoyer pour une psycho(patho)logie psychanalytique. In Bayle
Souffrances psychiques autour de la naissance 215

B. (dir.), Le Déni de grossesse, un trouble de la gestation psychique


(p. 51-65). Toulouse : Érès.

Pour approfondir
Bayle B. (2016). Le Déni de grossesse, un trouble de la gestation
psychique. Toulouse : Érès.

27. Le deuil périnatal

« Et l’ombre de l’objet est tombée sur le moi », nous dit


Freud dans Deuil et mélancolie (1915) en abordant la question
de la perte de l’objet (au sens psychanalytique du terme). Le
travail de deuil vise à se détacher petit à petit de l’objet perdu.
Ce mouvement progressif de désinvestissement est ce qui est
douloureux. Dans un premier temps, chaque détail est surin-
vesti puis petit à petit l’investissement se déplacera. Parfois,
ce travail de deuil devient pathologique. Il ne peut s’enclen-
cher, comme en suspens. Il peut aussi s’enkyster, s’encrypter
(Abraham et Torok, 1987). Cela peut être le cas à la suite d’une
fausse couche, d’une Interruption Médicale de Grossesse, de la
perte d’un enfant à la naissance ou dans les premiers mois…
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

La douleur de la perte est dépeinte avec justesse dans l’œuvre


de Frida Kahlo. Elle est prise dans cette réalité du corps, cette
réalité anatomique toute médicale, et elle pleure. Dans un
dessin de 1932 (figure 4.1), elle va représenter physiologi-
quement les différentes étapes d’un début de grossesse : de la
fusion primordiale avec deux cellules éponges qui se séparent.
Elle dessine rigoureusement, strictement, ce qui s’est passé en
elle pendant les premiers mois de sa grossesse, elle dessine la
gestation étape après étape puis la fin brutale. Plus généra-
lement, et dans un registre moins dramatique que celui des
fausses couches (surtout tardives), soulignons qu’en menant
216 35 grandes notions de périnatalité

une grossesse, il faut aussi accepter de perdre au cours de l’ac-


couchement l’enfant porté pendant neuf mois. C’est le travail
de séparation de la naissance.

L’avortement de Frida (© F. Kahlo, dessin de 1932)

F. Kahlo a dû interrompre une grossesse pour des raisons


médicales puis fait une succession de fausses couches
entre  1930 et  1932. Au cours de ses hospitalisations, elle
commença à fixer cette perte sur le papier. D. Riviera disait
d’elle : « Elle [est] la première femme dans l’histoire de l’art à
avoir repris avec une sincérité absolue et impitoyable, et l’on
pourrait dire avec une impassible cruauté, les thèmes généraux
et particuliers qui concernent exclusivement les femmes » (cité
Souffrances psychiques autour de la naissance 217

par A. Kettenmann, 2005, p. 51). Il a sûrement raison. F. Kahlo


est l’une des premières artistes à peindre la grossesse sous son
angle pathologique. Elle exprime la douleur du deuil notam-
ment d’un enfant et plus généralement des souffrances qui
peuvent être liées à la grossesse.
Le processus de parentalisation est stoppé brutale-
ment. Le deuil est celui d’un fœtus que l’on commençait
à découvrir au travers de perceptions sensorielles, il
portait sa part de virtuel (au sens où l’entend S. Missonnier).
L’entourage peut banaliser : « tu en feras d’autres », pensant que
la page sera vite tournée puisqu’il n’était qu’à peine né. De plus
en plus de femmes en témoignent sur Internet (blogs de bébés
décédés) pour parler de ce qui est habituellement tu, comme
pour y inscrire, y laisser la trace de ce bébé mort.
Plus spécifiquement pour la femme : « C’est bien tout cela
qui rend ce deuil singulier : la fracture opérée dans le processus
de parentalisation, la question du statut du fœtus, l’indiffé-
rence de la société, le moment où le temps de la vie et celui
de la mort se télescopent, le chaos dans l’ordre naturel des
choses, la perte intimement liée au corps de la mère. Avec la
perte d’un fœtus, la mère doit se défaire d’une partie d’elle-
même non séparée ni corporellement ni psychiquement. Il
s’agit d’un deuil dans sa chair, réveillant ses sensations les
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

plus archaïques de corps à corps avec sa propre mère. Cela


la renvoie à la question du maternel et de la féminité »
(M.-J. Soubieux, 2008, p. 93).
N’oublions pas qu’après une grossesse interrompue ou le
décès d’un nouveau-né, d’autres grossesses peuvent suivre. Les
futurs parents les vivront dans l’inquiétude de la répétition
d’une perte. Ils seront comme figés, ne pouvant investir le
nouvel enfant à naître, ne pouvant se le représenter, l’ima-
giner… pour se protéger. L’enfant naîtra consécutivement au
décès d’un autre et peut-être dans son ombre.
218 35 grandes notions de périnatalité

Pour aller plus loin


Lectures recommandées
Soubieux M.-J. (2008). Le Berceau vide. Deuil périnatal et travail du
psychanalyste. Toulouse : Erès, 2013.
Torok M. et Abraham N. (1987). L’Écorce et le Noyau. Paris :
Flammarion.

Pour approfondir
Freud S. (1915). Deuil et Mélancolie. Œuvres complètes, tome XIII,
Paris : PUF, 2005.
Kettenmann, A. (2005). Kahlo. Le Musée du Monde. Paris : Le
Monde. Série 3, n° 5.
Soubieux M.-J. et Soulé M. (2005). La Psychiatrie fœtale. Paris : PUF,
Que sais-je ?

28. La dépression du pré


et du post-partum

La dépression ou syndrome dépressif appartient aux troubles


de l’humeur. L’humeur (ou thymie) est la tonalité affective de
base sous-tendant tous nos sentiments et émotions qui oscillent
entre un pôle positif, celui du plaisir, et un pôle négatif, celui
du déplaisir. La dépression se caractérise au niveau de la sémio-
logie par des troubles de l’humeur (tristesse, douleur morale
dans les dépressions les plus massives), un ralentissement
cognitivo-moteur ainsi que des troubles somatiques (perte de
l’appétit, trouble du sommeil, etc.).
Soulignons qu’au cours de la grossesse ou après la naissance
de l’enfant, on met couramment sur le compte de la fatigue des
Souffrances psychiques autour de la naissance 219

signes de la dépression et qu’elle est encore trop peu souvent


ou pas assez bien dépistée, évaluée et diagnostiquée.

28.1 Les dépressions


La dépression anténatale n’est pas encore suffisamment
prise en compte et encore trop mal diagnostiquée quand elle
ne s’exprime pas dans ses formes sévères (comme la mélan-
colie). Elle affecte environ 10 à 20 % des femmes enceintes, ce
qui montre qu’elle est loin d’être rare. Trop souvent la femme
elle-même, ainsi que son entourage, pensent qu’il s’agit d’une
fatigue passagère due à la grossesse. « La traiter, souvent simple-
ment, est indispensable pour réduire le risque de sa persistance
en post-partum » (Dayan, 2015, p. 143).
Les dépressions du post-partum ont été décrites dès le
XIXe siècle par J.-E. Esquirol puis quelques années plus tard par
L.-V. Marcé. L’un et l’autre avec une terminologie légèrement
différente observent que certaines parturientes présentent des
troubles psychiatriques après la naissance de leur enfant. Ces
troubles sont souvent des troubles de l’humeur ou de l’anxiété.
« En utilisant les critères du DSM ou du RDC, les taux de
dépression majeure varient de 3 et 6 % au cours des deux
premiers mois du post-partum. Si l’on tient compte de la tota-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

lité des dépressions, mineures et majeures, estimées par des


questionnaires, la prévalence se situe entre 10 et 18 %. On note
une importante variabilité pour des instruments semblables,
même à des dates identiques, indiquant la nécessité de préciser
les conditions de l’évaluation pour en apprécier les résultats »
(Dayan, 2015, p. 154-155). Dans la population générale le taux
de dépression se situant aux environs des 10 % en fonction des
études. Ainsi, si l’on tient compte de la variabilité des mesures,
le taux de dépression chez les femmes venant d’accoucher est
semblable ou légèrement supérieur à celui de la population
générale.
220 35 grandes notions de périnatalité

Soulignons qu’il existe des échelles de dépression (MADRS,


BECK, etc.) mais aussi des échelles spécifiques à la période
du postnatal pour mieux la dépister avec notamment l’EPDS
(Edinburgh Postnatal Depression Scale), traduite et validée en
France par N. Guedeney et son équipe (1998, 2000).
Ainsi, après la naissance de l’enfant, il est souvent question
de ce creux maintenant vide, de ce deuil de la grossesse, du
deuil de la complétude et de la confrontation au bébé réel
(notion 6). La mère comme le père ont commencé à l’imaginer,
à le rêver… et la grossesse se termine. Rappelons que pour
D. Anzieu, le travail de création est un travail, au même titre
que celui du rêve et du deuil. Il écrit que le « travail psychique
de création dispose de tous les procédés du rêve : représentation
d’un conflit sur “une autre scène”, dramatisation (c’est-à-dire
mise en images du désir refoulé), déplacement, condensation
de choses et de mots, figuration symbolique, renversement
en son contraire. Comme le travail du deuil, il se débat avec
le manque, la perte, l’exil, et la douleur. Il réalise l’identifica-
tion à l’objet aimé et disparu qu’il fait revivre (…), il active les
secteurs endormis de la libido et aussi la pulsion d’autodes-
truction » (1981, p. 20).
Tout au long du processus de parentalisation,
il s’agit de changements, de transformations et de
pertes : perdre un statut de fille, de fils en devenant parent,
perdre le statut d’enfant (la position infantile), perdre d’une
certaine façon ce bébé blotti au fond de soi et le laisser
sortir, etc. Il faudrait aussi l’entendre et donner aux parents la
possibilité de se déprimer. Il est important, comme l’explique
M. Klein, d’accéder à cette capacité de se déprimer sans se
désorganiser (la position dépressive). Toute expression de tris-
tesse n’en devient pas pathologique. Mais parfois, en effet, cela
devient plus lourd, plus chargé en une souffrance désorganisa-
trice. Il faudrait écouter, ne pas juger et orienter vers une prise
en charge le cas échéant. « La tristesse, le sentiment de blues,
Souffrances psychiques autour de la naissance 221

les fluctuations émotionnelles appartiennent à ce processus


de vie, témoins de la nécessaire rencontre avec soi-même en
tant que personne séparée et spécifiée dans son identité. La
dépressivité témoigne d’un processus de changement et de
conflit psychique favorisé par la transparence psychique de la
grossesse. (…) Elle n’est pas la dépression qui, elle, entre dans
le domaine pathologique, et “vide la psyché de toute dyna-
mique” » (Missonnier, 2012, p. 185).

28.2 Du côté du bébé


À la suite d’un article de J. Lacan (1949) sur l’expérience du
miroir et le sentiment d’unité qu’il procure, Winnicott poursuit
(1971). Il existe peut-être, selon cet auteur, un précurseur du
miroir constitué par le visage de la mère. Si la mère regarde son
bébé et que le bébé la regarde, il existe différents sentiments
selon le type de regard de la mère (indifférence, joie, etc.). Le
visage de la mère est le précurseur du miroir décrit par Lacan.
C’est une théorie différente du miroir de Lacan où, chez ce
dernier, l’unification se fait par la rencontre du regard de la mère
dans le miroir. Pour qu’il y ait intégration du moi chez Lacan
il faut unification et jubilation. Pour Winnicott, l’intégration
permet au bébé d’avoir un sentiment d’être, cette capacité inté-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

grative est fournie par la mère, par son environnement grâce à


sa capacité de holding (qui désigne l’idée que le bébé est soutenu
physiquement par la mère, mais aussi tous les support psycho-
logique), handling (soit toutes les manipulations auxquelles le
nourrisson va être soumis au cours des soins que lui donne sa
mère. À travers le handling le nourrisson repère les limites de
son corps), et l’object presenting (qui est la façon dont la mère va
mettre en relation le nourrisson avec le monde qui l’entoure,
aussi bien le monde des personnes que le monde des objets).
« Lorsque le bébé tourne son regard vers le visage de la mère,
« généralement, ce qu’il voit, c’est lui-même. En d’autres termes,
222 35 grandes notions de périnatalité

la mère regarde le bébé et ce que son visage exprime est en rela-


tion directe avec ce qu’elle voit » (Winnicott, 1971). Le visage
de la mère est le miroir dans lequel le bébé peut se regarder…
Ainsi, lorsque la mère ne reflète que son propre état d’âme,
le bébé ne peut pas recevoir en retour ce que lui-même est en
train de donner, il ne peut que regarder sa mère sans se voir
lui-même en elle. Sa capacité créatrice s’atrophie alors ; (…) Si
le visage de la mère ne répond pas, le miroir devient alors une
chose qu’on peut regarder, mais dans laquelle on ne peut pas
se voir. Dans la dépression, la mère ne parvient pas à réfléchir
le visage de son enfant, c’est-à-dire à jouer ce rôle de miroir »
(Bayle, 2005, p. 238). La relation se retrouve ainsi sans retour…
Toujours dans le champ psychanalytique, A. Green a mis en
avant le « complexe de la mère morte » (1982). « La mère, pour
une raison ou pour une autre, s’est déprimée. Parmi les prin-
cipales causes de cette dépression maternelle, on retrouve la
perte d’un être cher : enfant, parent, ami proche, ou tout autre
objet très investi, mais il peut s’agir aussi d’une dépression
déclenchée par une forte déception. La tristesse de la mère et
la diminution de l’intérêt pour l’enfant sont au premier plan.
Le changement est brutal, il y a une profonde modification
de l’imago maternelle. (…) Soudain, l’amour est perdu pour
l’enfant ; le désinvestissement brutal de la mère, vécu comme
une catastrophe, provoque un traumatisme narcissique. Cette
rupture entraîne une perte d’amour, mais aussi une perte de
sens. Le bébé, ne pouvant s’expliquer ce qui s’est produit, va
interpréter le changement de sa mère lié à ses pulsions envers
l’objet, celles-ci ayant provoqué une déception. » Il n’est pas
rare que « le père ne [sache] pas répondre à la détresse de l’en-
fant, qui ne trouve alors personne vers qui se tourner » (Pirlot
et Cupa, 2012, p. 47-48). A. Green explique comment une série
de défenses se mettent en place :
– Premièrement, « le désinvestissement de l’objet maternel et
l’identification (de l’enfant) à la mère morte ».
Souffrances psychiques autour de la naissance 223

– Deuxièmement, « la perte du sens entraîne un autre front


de défense : le déclenchement d’une haine secondaire qui
n’est ni première ni fondamentale », notamment à l’égard
de celui qu’il pense être responsable de l’état de la mère, et
cette haine se déplace le plus souvent sur le père.
– « Enfin et surtout, la quête d’un sens perdu structure le
développement précoce des capacités fantasmatiques
et intellectuelles du moi » (Green, 1982, p. 231-232). Au
niveau intellectuel, il sera pris dans une intellectualisation
importante.

Pour aller plus loin


Lectures recommandées
Anzieu, D. (1981). Le Corps de l’œuvre. Paris : Gallimard, NRF.
Bayle B. (2005). L’Enfant à naître. Identité conceptionnelle et gesta-
tion psychique. Toulouse : Érès.
Bouchart-Godard A. (1979). Un étranger à demeure. Nouvelle revue
de psychanalyse, 19, 161-175.
Dayan J. (2015). Psychopathologie de la périnatalité et de la paren-
talité. Paris : Elsevier Masson.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Debray R. (2001). Bébé déprime, bébé malade, Revue française de


psychosomatique, 20, 53-66.
Guedeney N. (1989). Les enfants de parents déprimés, Psychiatrie
de l’enfant, XXXLL, 1, 269-309.
Guedeney N., Fermanian J. (1998). Validation study of the French
version of the Edinburgh Postnatal Depression Scale (EPDS) : new
results about use and psychometric properties, European Psychiatry,
13 : 83-89HH.
Guedeney N. et al. (2000). The Edinburgh Postnatal Depression
Scale (EPDS) and the detection of major depressive disorder in
224 35 grandes notions de périnatalité

early postpartum : some concerns about false negatives, Journal


of Affective Disorders, 61 : 107-112.
Missonnier S. et al. (2012). Manuel de psychologie clinique de la péri-
natalité. Paris : Elsevier Masson.
Soubieux M.-J. et Soulé M. (2005). La Psychiatrie fœtale. Paris : PUF,
Que sais-je ?
Winnicott, D.W. (1971). Le rôle de miroir de la mère et de la famille
dans le développement de l’enfant, Jeu et Réalité (éd. 1975,
p. 203-214). Paris : Gallimard, Folio Essais.
À titre informatif, l’EPDS est téléchargeable sur http://www.
medical78.com/nat_fmc_epds.pdf

Pour approfondir
Green A. (1982). Narcissisme de vie, narcissisme de mort. Paris : Les
éditions de Minuit.
Lacan J. (1949). Le Stade du miroir comme formateur de la fonction
du Je : telle qu’elle nous est révélée dans l’expérience psychanaly-
tique, Revue française de psychanalyse, vol. 13, n° 4, 449-455.
Pirlot G. et Cupa D. (2012). André Green – Les grands concepts psycha-
nalytiques. Paris : PUF.

29. Psychoses puerpérales

La fréquence des psychoses puerpérales varie selon les études


entre 1 et 1,5 ‰ des accouchements (Dayan, 2015) sachant que
les accidents de la grossesse sont généralement bien plus rares
que les états pathologiques du post-partum. Les trois périodes
les plus critiques sont : le premier et le dernier trimestre de la
grossesse et le premier mois du post-partum, surtout entre le
cinquième et le quinzième jour après l’accouchement.
Souffrances psychiques autour de la naissance 225

Ajoutons pour situer le propos, quelques éléments sémio-


logiques : le terme « schizophrénie » vient du grec schizein,
qui signifie couper, scinder, et phren, le cerveau. Il évoque la
faille, la dislocation qui affecte l’ensemble de la vie psychique
du sujet et qui va constituer ce qu’on appelle le syndrome
de dissociation. On regroupe actuellement sous ce terme au
pluriel un groupe de psychoses ayant un noyau sémiologique
commun : la dislocation (au niveau intellectuel, affectif ou
comportemental). Un syndrome délirant peut être associé à
un syndrome dissociatif.

29.1 Le processus de maternalité


chez les femmes psychotiques
Il existe une importante littérature à propos de la psychose
puerpérale, ou « folie des femmes enceintes et des nouvelles
accouchées » selon l’expression de L.-V. Marcé en 1858. Sous
la dénomination de « psychoses puerpérales », on envisage
habituellement toutes les manifestations psychopathologiques
majeures observables tant au cours de la grossesse que dans
les premiers mois qui suivent l’accouchement (Lempière et
al., 1967). La psychose puerpérale se décompose d’une part en
« psychose de la grossesse » qui comme son nom l’indique est
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

une psychose qui se déclenche pendant la gestation et, d’autre


part, en « psychose du post-partum », qui comprend classique-
ment tous les accidents psychiatriques qui surviennent après
un accouchement (Raty-Vohsen, 1982).
Deux courants vont s’opposer par rapport à ce concept :
pour certains auteurs les accidents puerpéraux seraient seule-
ment révélés par la grossesse chez des femmes souffrant d’une
pathologie psychiatrique latente. Cette pathologie possède une
vraie psychose sous-jacente. Ces auteurs sont dans la lignée de
Kraepelin qui s’est opposé au concept d’une entité clinique
spécifique de l’accouchement ; pour lui la naissance ne serait
226 35 grandes notions de périnatalité

qu’un facteur déclenchant révélateur d’une sensibilité préexis-


tante à la psychose. Les psychoses puerpérales font partie des
« psychoses de situation », elles-mêmes incluses dans les « réac-
tions psychogènes » (Glouzmann, 1994). Cependant un autre
courant, dont Henri Ey (1989) fait partie, pense qu’il existe
une pathologie propre à la maternité. H. Ey parle de psychoses
puerpérales d’allure mélancolique, maniaque ou schizophré-
nique (certaines pouvant guérir rapidement et d’autres non).
P.C. Racamier décrit, lui, des états dépressifs et des états
délirants. Il nous invite à définir et à comprendre la psychose
puerpérale comme : « un avortement du processus psychoaf-
fectif de la maternité », ou encore un « avortement ou une
menace d’avortement du processus de la maternalité » (1961,
p. 193). La psychose puerpérale est un échec de la mater-
nalité. P.-C. Racamier pense que « c’est essentiellement
sur le processus de régression normale et féconde
que la femme mal préparée ou mal entourée risque
d’achopper » (1961, p. 202). Toujours selon cet auteur, il
existe deux formes d’échecs :
1) L’échec de style névrotique : la femme aménage sa relation
à l’enfant de façon à éviter les angoisses qu’elle y rencontre et
sauvegarde les exigences de son narcissisme. Elle ne supporte
pas la régression fusionnelle : elle traite l’enfant comme un
adulte prématuré ; elle ne supporte pas les contacts libidi-
naux : elle crée un rempart obsessionnel ou phobique ; elle ne
supporte pas la séparation du sevrage et de l’objectalisation :
elle maintient l’enfant, par une hyperprotection enveloppante,
dans une dépendance prolongée ou définitive. Tous ces aména-
gements permettent à la mère d’échapper aux conflits de la
relation maternelle.
2) L’échec de niveau psychotique : certaines femmes à l’orga-
nisation déjà fragile, effritée par le processus de la maternalité,
ou encore attaquée par quelques circonstances contraires,
s’effondrent, c’est l’issue psychotique. Ici, la femme ne résiste
Souffrances psychiques autour de la naissance 227

pas à la régression puerpérale ; elle ne peut ni l’assumer ni la


contrôler ; elle est donc livrée à une régression pathologique, à
la fois libidinale et fonctionnelle, c’est-à-dire la psychose. Plus
tard dans son œuvre, il soulignera que « plus la nouvelle mère
est restée agressivement soudée à sa propre mère et proche de
l’inceste ; plus elle a rencontré d’obstacles intérieurs à s’identi-
fier à sa mère sans la détruire et au futur enfant sans se perdre
en lui ; moins elle a pu imaginer cet enfant par avance ; plus elle
a eu du mal, dans la grossesse, à intégrer le fœtus dans l’image
de son corps vécu, plus au demeurant fragile, raide et cassant
le sens qu’elle a de son intégrité physique et psychique ; moins
par ailleurs elle trouve autour d’elle des soutiens et des étais
dans des relations satisfaisantes avec des personnages mater-
nels et paternels : moins par exemple le mari est présent et
consistant, l’accoucheur proche et réconfortant, la mère encou-
rageante et disponible ; et plus la femme va se sentir assaillie de
culpabilité, déchirée par l’accouchement, amputée par la nais-
sance, démantelée dans son intégrité ; plus enfin elle redoutera
cette confuse relation de symbiose que le bébé attend d’elle et
dont nous savons qu’elle constitue une « maladie normale » »
(1980, p. 45). C’est alors que surgit l’accès délirant.

29.2 Une mère psychotique et son nouveau-né


© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Ce qui est régulièrement observé entre un nourrisson et sa


mère psychotique est un schéma de fonctionnement interactif
comme inversé : « Face à ces mères délirantes, chaotiques,
“absentes”, figées, qui ne peuvent donner et qui manifestent
des besoins très régressifs, les nourrissons sont d’une extraordi-
naire vigilance ; le regard inquiet et grave, ils se retiennent dans
leurs mouvements, voire dans leur développement, se conso-
lant seuls, manifestant peu de détresse. (…) C’est la mère qui
paraît être le nourrisson d’un enfant précocement maternant :
ce n’est pas la mère qui s’adapte à l’enfant, mais l’enfant qui
228 35 grandes notions de périnatalité

s’adapte à sa mère. Les interactions s’organisent en fonction


des besoins maternels et non des besoins du bébé » (Lamour
et al., 1998, p. 69).
Il s’agit d’un bébé étonnamment calme, qui demande peu
et que certains pourraient qualifier de « bébé sage ». Il semble
au premier abord sans demande particulière et ce n’est pas lui
qui vient inquiéter mais la pathologie de la mère qui est au
premier plan.
Soulignons que si la mère est délirante ou particulièrement
désorganisée, elle peut considérer le fœtus ou plus tard le bébé
comme persécutants. Il s’agit d’un être en elle qui souhaite
l’attaquer en parlant du fœtus qu’elle sent bouger. Il peut
aussi devenir un être maléfique qui lui veut du mal quand
elle l’entend pleurer.
La mère aura par ailleurs des difficultés à le considérer
comme un être à part entière, individualisé. Nous sommes
dans la fusion et les possibilités de séparation inopérantes.

Pour aller plus loin


Lectures recommandées
Dayan J. (2015). Psychopathologie de la périnatalité et de la paren-
talité. Paris : Elsevier Masson.
Ey H. et al. (1989). Psychoses puerpérales. Manuel de psychiatrie.
Paris : Masson.
Glouzmann P. et Guillaumont C. (1994). Les psychoses du post-
partum : historique et clinique. Annales de psychiatrie (9) 4.
Lamour M. (1989). Les nourrissons de parents psychotiques. In
S. Lebovici, Psychopathologie du bébé (p. 655-673). Paris : PUF.
Lamour M. et Barraco M. (1998). Souffrances autour du berceau.
Des émotions au soin. Paris : Gaëtan Morin éditeur.
Souffrances psychiques autour de la naissance 229

Lemperière T. et Samuel-Lajeunesse B. (1967). Psychoses puerpé-


rales. La Revue du praticien. XVII, nº 12, 1780-1790.
Racamier P.C. (1961). La mère et l’enfant dans les psychoses du
post-partum. Évolution psychiatrique. XXVI, 4, 525-570.
Racamier P.C. (1980). À propos des psychoses de la maternalité. Mère
mortifiée, mère meurtrière, mère mortifère. Paris : ESF.
Raty-Vohsen D. (1982). À propos des psychoses du « post-partum ».
Acta psychiat. belg., 82, 596-616.

Pour approfondir
Bayle B. (2008). Ma Mère est schizophrène. Toulouse : Erès.
Lamour M. et Gabel M. (2011). Enfants en danger, professionnels en
souffrance. Toulouse : Érès.

30. Carences dans les familles

Lorsqu’on pense aux carences intrafamiliales, les premières


représentations qui viennent à l’esprit sont celles des enfants
décrites par R. Spitz, psychiatre et psychanalyste hongrois, dans
les pouponnières d’après-guerre. Seul dans un lit à barreau, il
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

y a un enfant assis, là, comme abattu. Dans un mouvement


répétitif, il se bouge d’avant en arrière comme s’il se balançait
lui-même. Il ne reçoit aucune ou peu de stimulations, personne
ne vient lui parler et il cherche à s’auto-stimuler lui-même. Il
suce son pouce le regard perdu et parfois se tire les cheveux.
À l’observer, on ressent de la tristesse. On est frappé par le
vide. R. Spitz parle de l’hospitalisme (1945, 1965) et de cette
« maladie de la séparation ». Il s’intéressera à ces enfants privés
du minimum vital psychique et qui n’ont pas été suffisamment
accompagnés dans la relation. Ils n’ont été portés ni physique-
ment, ni psychiquement. Cela n’est pas tant l’absence réelle
230 35 grandes notions de périnatalité

que mentale de la mère, en l’absence d’un père ou d’un subs-


titut parental, qui crée la dépression chez le bébé.
En France, ce sont des pionnières comme M.  David et
G. Appell (1973, 2005, 2014) qui se sont penchées sur les
carences affectives des enfants placés dans des pouponnières
ou dans des familles carencées. Elles ont été également les
premières à penser des prises en charge allant au-devant de
ces familles isolées et sans demandes. Elles ont notamment
mis en place des Visites à Domicile (VAD). L. Kreisler souli-
gnera les expressions très variées de ces carences et parlera
d’« inorganisations structurales du jeune enfant, conséquences
des carences affectives chroniques » (1989), en les liant à la
pathologie du « vide relationnel ».
M. Lamour et M. Barraco montreront que les négligences et
carences intrafamiliales sont un « problème particulièrement
grave par :
– sa fréquence ;
– la précocité et la sévérité des troubles qui en résultent et qui
touchent tous les secteurs du développement de l’enfant
(physique, affectif, relationnel, cognitif) et le potentiel de
parentalité des parents ;
– les difficultés d’atteindre ces enfants, leurs parents et d’as-
surer une continuité de soins ». Et elles ajoutent que « par
tradition, la négligence se définit comme une forme de
mauvais traitement caractérisé par un manque de soins sur
les plans de la santé, de l’hygiène corporelle, de l’alimen-
tation, de la surveillance, de l’éducation ou des besoins
affectifs, mettant en péril le développement normal de
l’enfant. Il s’agit d’un manque ou d’une absence de soins
nécessaires pour répondre aux besoins de l’enfant selon son
âge et son niveau de développement » (1989, p. 46-47).
La dynamique relationnelle se caractérise par la discontinuité
dans les relations entre le bébé et les adultes qui l’entourent
avec des successions de moments d’excitation intense puis
Souffrances psychiques autour de la naissance 231

plus rien, sans que le changement de modalité puisse être


anticipé par l’enfant. Cela se fait brutalement, sans transition,
et l’enfant vit comme une succession de mini-lâchages. Peu
de moments d’échange semblent être en phase. Il s’agit de
temps de déphasage au sens où peut le travailler D. Anzieu
(1990 ; se reporter à la notion 18) : les différents interlocuteurs
se croisent, se ratent et échangent difficilement. Par ailleurs,
ce qui domine par-dessus tout est la pauvreté même de ces
échanges.
Ces situations peuvent donner lieu à des hospitalisations
répétées de l’enfant et même à des placements pendant des
périodes plus ou moins longues. Il est parfois difficile de main-
tenir une continuité dans la prise en charge, ce qui rend le suivi
de l’enfant et de sa famille complexe.

Pour aller plus loin


Lectures recommandées
Anzieu D. (1990). L’Épiderme nomade et la peau psychique, Paris,
Aspygée.
Appell G. (2005). Prendre soin d’un jeune enfant. Toulouse : Erès.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

David M. (2014). Prendre soin de l’enfance. Toulouse : Erès.


David M., Appell G. (1973). Loczy et le maternage insolite. Paris : éd.
du Scarabée.
Kreisler L. (1989). Les inorganisations structurales du jeune enfant,
conséquences des carences affectives chroniques. In Lebovici S. et
Weil-Halpern F. (dir.), Psychopathologie du bébé (p. 353-365), Paris :
PUF.
Lamour M. et Barraco M. (1998). Souffrances autour du berceau.
Des émotions au soin. Paris : Gaëtan Morin éditeur.
Lamour M. et Gabel M. (2011). Enfants en danger, professionnels en
souffrance. Toulouse : Érès.
232 35 grandes notions de périnatalité

Spitz, R.A. (1945). Hospitalism, an inquiry into the genesis of


psychiatric conditions in early childhood. Psychoanalytic Study of
the Child, 1, 53-74.
Spitz, R.A. (1965). The first year of life : a psychoanalytic study of
normal and deviant development of object relations. New York :
International Universities Press.

À regarder
Film : Loczy, une maison pour grandir de B. Martineau.

31. Grossesses
et accouchements traumatiques

Des femmes rapportent des éléments traumatiques essen-


tiellement liés à des accidents obstétricaux au cours de leur
grossesse, lors d’un accouchement traumatique proche du
terme (le bébé est mort ou vivant) ou lors d’une fausse couche
(Jaoul et al., 2013).
Il arrive qu’au cours d’une grossesse, un problème obsté-
trical grave (qui mette en péril la santé de la mère) ou « une
forte probabilité que l’enfant à naître soit atteint d’une affec-
tion d’une particulière gravité reconnue comme incurable au
moment du diagnostic » exige qu’une Intervention Médicale
de Grossesse (IMG, loi du 17 janvier 1975) soit pratiquée.
Les parents vivent la brutalité de l’annonce puis la perte… et
enclenchent le travail de deuil. N’oublions pas l’ensemble de
la famille, notamment les enfants, attendait (par exemple dans
le cas d’une IMG tardive) un petit frère ou une petite sœur.
« La clinique psychiatrique nous montre comment la réalité
(de la mort du fœtus), en venant concrétiser un fantasme chez
l’aîné, pouvant avoir des conséquences non négligeables en
la toute-puissance magique de la pensée (« dès que je pense
Souffrances psychiques autour de la naissance 233

quelque chose, cela arrive ») chez l’enfant, peut l’amener


à construire un système de défense de type névrose obses-
sionnelle » (Soubieux et Soulé, 2005, p. 74). Il peut aussi se
déprimer, se sentir coupable de ses sentiments.
Parfois, lors d’un accouchement problématique, les partu-
rientes relatent qu’elles ont cru mourir. M. Bydlowski fait cette
constatation : « un premier accouchement a donné naissance
à un enfant vivant ou non, normal ou invalidé. Cet accou-
chement initial a été vécu comme un traumatisme psychique
d’une exceptionnelle intensité, où l’accouchée s’est sentie en
danger de mort. C’est ce premier accouchement qui constitue
le point de départ de la névrose traumatique postobstétricale :
dans les suites de cet accouchement, la névrose traumatique
s’atténue le plus souvent, ou bien reste vivace au point d’en-
traîner une longue contraception volontaire. À l’occasion d’une
nouvelle grossesse, les symptômes de névrose traumatique se
réveillent, notamment les cauchemars et surtout vers la fin de
la gestation lorsque l’accouchement (l’accident traumatique
pour le sujet) approche inéluctablement. C’est à ce stade qu’il
faut absolument la dépister » (1997, p. 52-53).
Lors d’une nouvelle grossesse, rêver l’enfant à naître
et l’anticiper devient alors un trop grand risque. Cette
place importante donnée à l’accouchement apparaît quand il
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

y a des éléments traumatiques liés au premier accouchement


(traumatisme de mort). « À notre sens, il se produit à l’occasion
de ce premier accouchement une brèche dans le refoulement,
brèche qui va rester latente jusqu’à la grossesse suivante. Il y
a eu séisme, il en reste une craquelure par où vont filtrer les
cauchemars répétitifs. Cette hypothèse sous-entend que les
femmes susceptibles de tels accidents sont très opaques à leurs
représentations inconscientes » (Bydlowski, 1997, p. 41). La
peur de perdre l’enfant, de mourir lors de l’enfantement, vient
ici faire effraction dans la psyché maternelle. Il devient alors
difficile de se laisser aller à anticiper le bébé à venir, de créer
234 35 grandes notions de périnatalité

un bébé imaginé. Cela devient un trop grand risque et jette


un flou sur la représentation de l’enfant. Une sorte de voile
empêche l’anticipation d’un autre enfant. Elles sont comme
restées figées à ce moment de l’accouchement.

Vignette clinique
Sylviane imagine un enfant sans visage, « il y a juste un rond clair
pour représenter sa tête ». Elle explique qu’elle a fait une première
fausse couche à quelques semaines de grossesse (l’œuf était clair)
et que très vite, trop vite, elle avait imaginé ce premier bébé
dès le test. Le jour même elle avait acheté un premier pyjama
de naissance. Ensuite, il y a eu deux autres fausses couches à un
stade plus avancé (4 mois). Là, pour cette quatrième grossesse,
elle se demande si elle ne s’empêche pas de l’imaginer. Elle reste
prudente et souhaite se protéger. Il y a des jours où elle se déprime
davantage et se dit qu’elle n’arrivera jamais à donner la vie. Il en
sera ainsi pendant toute la grossesse et elle donnera naissance
à une petite fille qui se porte bien. Elle sera particulièrement
anxieuse concernant l’état somatique de son bébé.

Dessin d’une femme enceinte après plusieurs fausses couches


(La consigne lors d’un entretien de recherche était : « Dessinez votre enfant
tel que vous l’imaginez. »)
Souffrances psychiques autour de la naissance 235

Pour aller plus loin


Lectures recommandées
Bydlowski M. (1997). La Dette de vie. Itinéraire psychanalytique de
la maternité. Paris : PUF.
Jaoul M. et al. (2013). Approfondissement des aspects psycholo-
giques des fausses couches à répétition à l’aide d’un questionnaire
de personnalité : le MMPI-2, Gynécologie, obstétrique & fertilité, 41,
297-304.

32. Grossesses et maladies graves

Il arrive que la maladie se surajoute et vienne influencer


le déroulement de la grossesse et les processus de parentalité,
à comprendre comme un passage chargé de changements
entraînant nombre de mobilisations psychiques. La maladie
est également à considérer comme un moment de transition
qui vient marquer de façon plus ou moins durable une vie.
Différentes transitions possibles seront ainsi envisagées, allant
jusqu’aux transitions que l’on pourrait qualifier de « bloquées »,
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

où devenir parent devient impossible.


Peu d’écrits traitent du souhait de devenir parent, d’être
parent alors qu’on est atteint d’une maladie somatique grave.
Il existe quelques textes dans le champ de la psychologie et de la
psychanalyse sur les femmes enceintes gravement malades qui
portent principalement sur le cancer (Alder, 2009 ; Boinon et
al., 2009 ; Buchs-Renner et al., 2009 ; Lof et al., 2011 ; Lof, 2012,
Vanlerengerghe, 2015 par exemple) ou sur le Sida (Chartier
et al., 1991 ; Cadart, 2003 ; Martin-Chabot, 2008 ; Rosenblum,
2011a, 2011b, par exemple). Dans le texte ci-dessous, nous
pensons également aux diabètes graves, à certaines maladies
digestives, à des scléroses en plaques, etc.
236 35 grandes notions de périnatalité

D’une manière transversale, il ressort de ces écrits cette para-


doxale, voire violente collusion entre la vie et la mort que vit
une femme en son corps. B. Robin résume qu’au cours de la
maladie, le « seuil de perméabilité à l’inconscient comme au
préconscient est abaissé ; une levée du refoulement opère, qui
laisse place de façon invasive aux réminiscences et fantasmes
régressifs » (2004, p.  164). Ceci n’est pas sans rappeler ce
que repère M.  Bydlowski au cours de la grossesse et qu’il
nomme la « transparence psychique » (en 1997 notamment ;
voir notion 7). Elle la qualifie comme un processus mental
spécifique qui se caractérise par une grande perméabilité à la
conflictualité inconsciente et une relative levée du refoulement
coutumier. Les souvenirs enfouis affluent avec une censure
psychique moindre : d’une part, la névrose infantile fait retour
(et sa révision adolescente) et, d’autre part, des reviviscences
plus archaïques, préœdipiennes, affleurent inhabituellement
à la conscience (1997). Au cours de ces suivis de grossesse, le
corps dans toute sa réalité est omniprésent.
Grossesse et maladie chronique sont l’une comme l’autre des
périodes propices aux remaniements psychiques et au cours
desquelles les expériences les plus archaïques sont particuliè-
rement sollicitées. Ainsi, les processus psychiques mis
en œuvre au cours de la grossesse et du devenir mère
s’entrecroisent ou s’entremêlent avec ceux mis en
mouvement après l’annonce et le traitement d’une
maladie somatique grave. Pour cette dernière, des aspects
traumatiques viennent malmener la psyché maternelle. Une
anxiété, une angoisse diffuse sont également perceptibles. À
ceci s’ajoute, en fonction de la maladie et des traitements eux-
mêmes, le poids des traitements et du double suivi médical
pour la grossesse et la maladie.
Il arrive aussi que des femmes souhaitent entamer un travail
psychothérapeutique pour commencer un travail de deuil de
leur fertilité et d’un enfant. Un travail de renoncement se fait
progressivement. La transmission se jouera ailleurs, se dépla-
çant vers d’autres objets, vers d’autres projets…
Souffrances psychiques autour de la naissance 237

32.1 Le poids du somatique


En écoutant les femmes enceintes, il est courant de les
entendre parler de ce qu’elles ressentent dans leur corps : le
bébé bouge, il donne des coups de pied. La sensorialité est
omniprésente. Les femmes enceintes souffrant d’une maladie
somatique chronique sont rapidement confrontées à la réalité
de leur corps dans leur aspect fonctionnel. Les évocations
anatomiques sont très largement présentes et détail-
lées. Ce corps est présenté comme malade, attaqué par la
maladie, et il est vécu pour certaines comme peu accueillant
pour l’enfant à naître. Elles se le représentent comme « un
corps où tout est mauvais », « un corps foutu » qui n’est plus
bon à rien, entièrement mauvais. Il peut aussi s’agir d’un corps
clivé avec des parties bonnes (comme l’utérus) et des parties
mauvaises (comme les organes malades).
Alors qu’elles se préparent à accueillir un enfant et se ques-
tionnent sur leur capacité à être de « suffisamment » bonnes
mères (au sens de D. Winnicott), elles peuvent potentiellement
se déprimer en se vivant comme des mères « peu accueil-
lantes » pour leur enfant. Ces deux temporalités, grossesse
et maladie, s’avèrent difficiles à articuler et à élaborer pour
certaines d’entre elles : le passage vers l’uns est comme barrée
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

par l’autre. Elles peuvent se penser être un « mauvais » conte-


nant, de « mauvaises nourricières », et ceci dès la grossesse.
Le processus d’intégration psychique du bébé à naître que
S. Missonnier nomme « nidification psychique » (2007) peut
être mis à mal. Lorsque la femme se sent défaillante physique-
ment, cela peut venir malmener sa possibilité de porter l’enfant
psychiquement (Soulé, 1983). Les représentations autour de
l’enfant à naître peuvent se faire timides. Certaines vivent
leur grossesse en ne sachant si elle sera menée à son terme, si
le bébé va souffrir de souffrances fœtales, ni si leur maladie
ne va pas davantage se développer pendant la grossesse. Il
238 35 grandes notions de périnatalité

s’agit d’un intérieur constamment sondé par des machines,


des aiguilles, d’un corps attaqué non plus à l’intérieur par la
maladie, mais dans ses limites notamment par l’accumulation
de microtraumatismes. La fonction contenante de ces femmes
est régulièrement mise à mal. Pour le supporter, le travail du
masochisme érogène primaire venant intriquer pulsion de vie
et pulsion de mort est primordial.

32.2 Le bébé fantasmatique


À un niveau fantasmatique, le bébé trésor, le bébé bijou
sont évoqués mais ils peuvent être vécus fantasmatiquement
comme poisons ou déchets. Le bébé trésor va venir remplir,
restaurer, valoriser des désirs infantiles. Les femmes se sentent
particulièrement comblées, elles sont dans une sorte d’éla-
tion narcissique : être enceinte est une véritable victoire. Le
bébé trésor apparaît comme un mouvement de vie alors que
la maladie guette ou s’est déclarée. Il n’est plus question de
maladie, simplement de la vie d’une femme qui poursuit son
chemin comme tout le monde en rencontrant un homme
puis en tombant enceinte. Elles parlent d’un véritable « apaise-
ment ». Il s’agit aussi d’un bébé bijou qui vient parer la future
mère. Elles peuvent se parer de cette même parure que celle
arborée par leur propre mère. Cela les conforte fantasmatique-
ment dans leur féminité. Il s’agit d’un bébé qui vient aussi les
réparer, leur montrer que ce corps n’est pas que « mauvais »,
« abîmé » et peut aussi donner la vie.
Cependant, il est aussi, fantasmatiquement, un bébé
potentiellement dangereux. Cet enfant peut être associé à la
détérioration de leur état de santé, à la suspension de certains
traitements pour que le bébé ne risque rien, etc., et l’ambi-
valence à son égard en est accrue. Il prend parfois un aspect
persécuteur.
Souffrances psychiques autour de la naissance 239

32.3 La question de la dépendance


Ces femmes vont devenir mères. Elles auront à s’occuper
d’un nourrisson. Elles en seront responsables avec leur compa-
gnon. La question de la dépendance, et ceci à plusieurs niveaux
(équipe médicale, dépendance à un traitement) est particu-
lièrement sollicitée. Ces femmes deviennent mères tout en
étant comme maintenues dans une position infantile, leur
semble-t-il. Pour certaines, il est douloureux psychiquement
de se penser mères, de veiller à la vie d’un nouveau-né alors
qu’elles-mêmes se trouvent difficilement autonomes.
Notons que d’autres femmes malades peuvent se sentir tout
à fait actives psychiquement, notamment pour mener leur
vie, ce qui les rend également autonomes face à leur maladie.

Mathilde est mère d’une petite fille de 2 ans. Elle se dit chanceuse
car elle a pu avoir son enfant avant d’être en dialyse. Elle est
gravement diabétique et sa grossesse n’a rien arrangé, mais au
moins elle a son enfant à ses côtés. Elle l’entend rire, elle joue
avec elle et elle parle de son « rayon de soleil ». Elle ne pense pas
à demain, à sa vue qui baisse et à ce traitement qui « lui bouffe la
vie », elle ne pense qu’à sa fille… après une pause, elle m’explique
quand même que les départs pour la dialyse trois fois par semaine
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

lui deviennent de plus en plus pénibles car elle doit alors quitter
sa fille. Elle sait bien que son enfant est entre de bonnes mains
avec sa mère, mais cela lui devient de plus en plus insupportable.
Il ne s’agit pas juste d’une « séparation comme toute femme qui
va à son travail, c’est autre chose qui s’y mélange ». Mathilde ne se
sent pas à la hauteur pour sa fille : elle ne peut pas courir, ne peut
plus la porter (elle doit faire attention au bras où il y a la fistule
qui lui permet d’être branchée à la machine de dialyse). Elle se
sent défaillante dans ses absences alors qu’elle ne travaille pas.
Parfois, elle est tellement fatiguée qu’elle laisse finalement sa
fille chez sa mère pour pouvoir dormir et récupérer. Elle est mère
 ☞
240 35 grandes notions de périnatalité

 ☞
mais « qu’à mi-temps ». Elle se déprime. Elle souhaitait tellement
devenir mère et finalement c’est sa propre mère qui s’occupe
davantage de sa fille qu’elle-même. Elle se sent coupable de ses
mouvements de rivalité et d’agressivité envers sa mère, ce qui la
déprime d’autant plus. Elle n’est pas non plus à la hauteur de sa
mère. Elle reparle de son enfance et de ce que sa mère faisait avec
elle, pour elle et qu’elle n’est pas certaine de pouvoir faire avec
sa fille. Elle trouve des moyens pour contourner les difficultés.
Certains jours, elle se sent suffisamment créative et d’autres
jours, elle se dit qu’elle ne pourra jamais apporter à sa fille ce
qu’elle-même a reçu. Elle parle avec émotion d’une existence où
vie et mort s’entremêlent en permanence.

Pour aller plus loin


Lectures recommandées
Alder J. (2009). Cancer et grossesse : quel accompagnement psycho-
logique ?, 5e journée de psycho-oncologie, Institut de cancérologie
Gustave-Roussy, Villejuif, 17 mars.
Boinon D. et al. (2009). Devenir une mère malade : entre impact
de la maladie et nouages familiaux, Psycho-oncologie, (3) 2, 94-97.
Busch-Renner I. et al. (2009). Regards, paroles, espaces de pensée
autour du bébé prématuré, de ses parents et de l’équipe de réani-
mation néonatale, Spirale, 51, 25-33.
Bydlowski M. (1997). La Dette de vie. Itinéraire psychanalytique de
la maternité. Paris : PUF.
Cadart M.-L. (2003). Maternités ordinaires dans l’extraordinaire de
la maladie, Enfances & Psy, (3) 23, 126-131.
Chartier D. et al. (1991). Vivre ou mourir d’enfant. Quelques
réflexions sur le désir d’enfant, la grossesse et la maternité chez
des femmes séropositives pour le VIH, Neuropsychiatrie de l’enfance
et de l’adolescence, (9) 1, 39-46.
Souffrances psychiques autour de la naissance 241

Lof A.-L. et al. (2011). Quand le temps de la maternité croise celui


du cancer : réflexions cliniques, La Psychiatrie de l’enfant, (2) 54,
469-489.
Lof A.-L. (2012). Cancer et Maternité. Toulouse : Erès.
Martin-Chabot B. (2008). Des femmes enceintes séropositives au
virus du Sida, entre secret et parole au sein du couple, Dialogue,
(1) 179, 111-118.
Riazuelo H. (2017). Devenir mère en souffrant d’une maladie soma-
tique grave… Des passages qui s’entrecroisent, s’entremêlent ou
se télescopent. In Scelles R. (dir.), Naître, grandir, vieillir avec un
handicap (p. 239-255). Toulouse : Érès.
Robin B. (2004). Nommer le manque. In ben Soussan P. (dir.), Le
Cancer : approche psychodynamique chez l’adulte, Toulouse, Érès.
Rosenblum O. (2011a). La sexualité, entre parole et parcours, des
sujets infectés par le VIH, Dialogue, (3) 93, 115-124.
Rosenblum O. (2011b). Quand la transmission est dangereuse,
Topique, (3) 116, 61-72.
Soulé M. (1983). L’enfant dans sa tête – L’enfant imaginaire. La
Dynamique du nourrisson ou quoi de neuf bébé ? (p. 137-175). Paris :
ESF.
Vanlerenberghe É. (2015). Cancers de la femme, sexualité et
approche du couple, Bulletin du cancer, (102) 5, 454-462.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Pour approfondir
Missonnier S. (2007). Le premier chapitre de la vie ? Nidification
fœtale et nidation parentale. La Psychiatrie de l’enfant, (50)1, 61-80.

33. Grossesses et handicaps

En France, la loi de 2005 pour l’égalité des droits et des


chances, la participation et la citoyenneté des personnes
242 35 grandes notions de périnatalité

handicapées a, dans son article  114, défini la notion de


handicap ainsi : « Constitue un handicap, au sens de la présente
loi, toute limitation d’activité ou restriction de participation
à la vie en société subie dans son environnement par une
personne en raison d’une altération substantielle, durable ou
définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles,
mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou
d’un trouble de santé invalidant. » Elle prend le parti d’une
définition au sens large du handicap. Soulignons par ailleurs
que depuis 1975, et cela a été réaffirmé en 2005, c’est la notion
de « compensation » du handicap qui prévaut en France. Dans
les pays anglo-saxons, le modèle le plus usité est celui des
Disability studies, dont le but est d’analyser le handicap en fonc-
tion des rapports sociaux, culturels et politiques (A.-L. Janus,
2009, par exemple).
Notons également que « le handicap ne constitue pas une
entité homogène, on l’oublie trop souvent. Dans chaque
groupe, il existe des handicaps congénitaux et/ou génétiques,
des handicaps accidentels et acquis à diverses étapes de la vie,
des maladies invalidantes ou des handicaps associés, des mala-
dies rares. Certains de ces handicaps sont visibles, d’autres pas »
(Candilis-Huisman, 2015, p. 176).
Dans le champ de la périnatalité, le handicap se rencontre
soit quand le parent est porteur d’un handicap, soit quand les
parents découvrent au cours de la grossesse, ou à la naissance
ou encore quelques mois plus tard que l’enfant est porteur
d’un handicap.
Souffrances psychiques autour de la naissance 243

33.1 Devenir parent en situation de handicap


D. Candilis-Huisman souligne avec justesse « [qu’]au-delà de
ces signes puissants de normalisation1 des individus trop long-
temps exclus du jeu social, il en est un autre tout aussi puissant,
sinon plus : celui d’avoir un enfant. Il ne s’agit plus aujourd’hui
d’un phénomène exceptionnel ou marginal. L’extension du
concept de handicap dans la société contemporaine et l’appel
d’air ouvert par l’Assistance Médicale à la Procréation (AMP) se
conjuguent pour voir accéder à la parentalité toute une caté-
gorie de la population qui s’inscrit naturellement dans cette
demande alors que les professionnels les voient encore arriver
avec inquiétude. Si l’idée de la sexualité des personnes handica-
pées fait une entrée timide dans la tête des professionnels (…),
l’idée de la procréation continue d’être effrayante, et au-delà
tout l’exercice de la parentalité – peut-être par identification
projective avec la situation de l’enfant ? » (2015, p. 176). Ainsi,
c’est très progressivement que cette question est abordée.
Du côté des parents en situation de handicap,
comme pour tout autre parent, il est question de leurs
désirs et de leurs fantasmes entourant la grossesse et
l’enfant à naître ainsi que de leurs espoirs et de leurs
rêves. Celui de former une famille revient très réguliè-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

rement. Plus spécifiquement, il est aussi question de


leurs doutes concernant leurs capacités à prendre en
charge un enfant et à être parents, à assurer et à assumer
les besoins de l’enfant de façon autonomes ou à trouver une
place de parents à part entière même quand il y a besoin d’un
accompagnement (Candilis-Huisman, 2015, p. 181). Pour
les porteurs d’une maladie héréditaire, il y a aussi un risque
douloureux de transmettre à l’enfant ce dont ils sont porteurs
et qu’ils ont également reçu à la naissance.

1. Revendications d’accessibilité ou de compensation.


244 35 grandes notions de périnatalité

33.2 Donner naissance à un enfant porteur


d’un handicap
« L’annonce d’un handicap ou d’une maladie irréversible
a les caractéristiques d’un événement traumatique pour les
parents de l’enfant. Il survient sans préparation, il dépasse les
capacités de représentation des parents entraînant une expé-
rience de sidération qui ne laisse pas le temps aux parents
de construire les réponses mentales appropriées à ce qui les
envahit. Il s’accompagne d’un orage perceptif. (…) Dans les
suites de l’annonce du handicap, les parents doivent faire face
à une montée d’angoisse devant l’irruption dans la conscience
d’un vœu de mort qui échappe à la maîtrise de la pensée. Ce
vœu de mort primordial peut être compris comme une réaction
à la perception d’un des éléments de ce traumatisme initial que
l’on pourrait désigner comme l’étrangeté de l’enfant, étrangeté
qui le rend inaccessible à l’investissement libidinal parental »
(2008, p. 65). A. Boissel souligne bien l’expérience de détresse
que connaissent les parents alors qu’on leur apprend que l’en-
fant à naître ou que leur bébé est porteur d’un handicap. Cela
peut varier avec la lourdeur du handicap, mais parfois une
malformation considérée comme moins lourde que d’autres
par les professionnels peut venir bouleverser un parent.

Vignette clinique
Judith et Paul apprennent lors de seconde échographie que
leur bébé, une fille, présente une fente labiale. Paul montre son
désarroi mais Judith ne dira rien. La grossesse se poursuit. Ils
rencontrent un chirurgien qui leur montre que la chirurgie esthé-
tique peut bien prendre en charge de type de malformation.
Judith reste sidérée. Son gynécologue lui conseille de rencontrer
la psychologue du service, ce qu’elle fait. Les premiers entretiens
seront pénibles. Elle ne pourra parler. Rien ne lui vient à l’esprit.
 ☞
Souffrances psychiques autour de la naissance 245

 ☞
Elle parlera un peu de son métier. Elle est professeure de chant
et c’est en évoquant le souffle quand elle apprend à ses élèves,
qu’elle s’effondrera en pleurs. Les images de son père malade
d’un cancer de la gorge alors qu’elle avait 12 ans lui reviennent. Le
trou de la trachéotomie après l’opération, la respiration rauque de
son père et son décès quelques années plus tard… Elle exprime
alors que s’imaginer son enfant avec une fente labiale lui fait
penser à une blessure, à un trou béant, et tout s’est télescopé.

Ainsi, certains parents ont à faire le deuil d’un enfant rêvé


face aux éléments de réalité qui arrivent de plein fouet. Cette
question du deuil sera sans cesse réactivée chez les parents,
rouvrant une blessure narcissique à chaque étape de la vie de
l’enfant. Ce dernier ne correspond pas à l’enfant tant espéré.
R. Salbreux (2007) souligne l’ensemble des deuils successifs
auxquels la famille est confrontée tout au long de la vie : « ce
deuil impossible, qui est celui de l’enfant imaginaire, de l’en-
fant dans sa tête, ce deuil que l’on est censé faire, mais qui,
avec un enfant handicapé, dure toute sa vie, parce qu’à chaque
étape de son développement, quand il va marcher, quand il
va parler, quand il va entrer à l’école, quand sa sexualité va
émerger, quand il va éventuellement être question de mariage
ou de descendance, à chaque fois il faudra reposer les mêmes
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

questions dans les mêmes termes ou tenter de les résoudre


avec les mêmes difficultés face à l’enfant ou à l’adolescent »
(2007, p. 267). Ces deuils successifs sont aussi ceux auquel le
sujet handicapé mental est confronté. Il n’en reste pas moins,
comme le rappelle R. Scelles, un enfant avant tout (2011).
246 35 grandes notions de périnatalité

Pour aller plus loin


Lectures recommandées
Boissel A. (2008). Parentalité et handicap, La Lettre de l’enfance et
de l’adolescence, (3) 73, 63-70.
Candilis-Huisman D. (2015). Un enfant à tout prix ? Désir d’enfant et
parentalité des personnes en situation de handicap. In D. Mellier
(dir.) et al., Le Bébé et sa famille (p. 175-193). Paris : Dunod.
Janus A. L. (2009). Disability and transition to adulthood. Social
Forces, (1) 88, 99-120.
Korff-Sausse S. (1996). Le Miroir brisé. L’enfant handicapé, sa famille
et le psychanalyste. Paris : Fayard/Pluriel, éd. 2011.
Salbreux R. (2007). Pour une éthique de l’intervention chez la
personne intellectuellement handicapée. In Jonckheere P. (dir.)
et al., Handicap mental : prévention et accueil (p. 253-274), Paris :
De Boeck.
Scelles R. (2010). Liens fraternels et handicap. Toulouse : Érès.
Scelles R. (2011). Les enfants handicapés sont-ils des enfants comme
les autres ? Le Carnet Psy (9) 158, 45-48.

34. L’arrivée d’un enfant né


prématurément et hospitalisé

Dès sa naissance, le bébé est pris en charge en urgence par


les équipes médicale et soignante qui, en fonction de son
état, décident des soins à lui prodiguer. Il sera pris en charge
en néonatalogie et ce sont les soins médicaux qui d’emblée
vont être au premier plan. Le service devra prendre soin de
l’enfant mais aussi entourer les parents, souvent sidérés par
cette naissance difficile où le nouveau-né peut se trouver entre
Souffrances psychiques autour de la naissance 247

la vie et la mort. En néonatalogie, nous pouvons rencontrer


des enfants nés dès 23 semaines de grossesse, à la suite de
souffrance fœtale, mais aussi des bébés nés avec une malfor-
mation ou une maladie à prendre en charge dès la naissance.
Il est alors nécessaire d’en prendre soin pour leur permettre
de survivre dans les meilleures conditions possibles tout en
restant vigilants à leur bon développement somatopsychique.

Une naissance prématurée a lieu avant le terme de la grossesse,


qui correspond à 41 semaines d’aménorrhée (SA), soit neuf mois
et demi à compter de la date des dernières règles. Un enfant
est considéré comme prématuré s’il naît avant 37 semaines
d’aménorrhée. On distingue trois niveaux de prématurité : 1) la
prématurité moyenne qui correspond à une naissance interve-
nant entre la 32e et la 36e semaine d’aménorrhée révolue (7 à
8 mois de grossesse) ; 2) la grande prématurité correspond à une
naissance intervenant entre la 28e et la 32e SA (6 mois à 7 mois
de grossesse) ; 3) et la très grande prématurité, aux naissances
intervenant avant 28 semaines, soit en deçà de 6 mois de gros-
sesse. Aucune survie n’a été obtenue en deçà de 23 semaines,
soit en deçà de cinq mois de grossesse.
Prématurité, nouveau-né en couveuse : en France et dans de
nombreux pays développés, le taux de naissances prématurées
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

est en hausse ces dernières années. La prématurité est passée


de 5,9 % des naissances en 1995 à 7,4 % en 2010. Entre 50 000 et
60 000 enfants naissent prématurément chaque année. Parmi
eux, 85 % sont des prématurés moyens (32-37 SA), 10 % des grands
prématurés (28-32 SA) et 5 % des très grands prématurés, nés à
moins de 28 SA.
(Source : site Inserm ; consultation en novembre 2016)
248 35 grandes notions de périnatalité

34.1 Une arrivée « chahutée » : la prématurité


Le cadre de vie d’un nourrisson hospitalisé est bien différent,
comme on peut l’imaginer, de celui d’un petit qui va rentrer
chez lui et découvrir son espace familial et son entourage
proche. Le petit né en urgence ou nécessitant d’une hospitali-
sation va commencer sa vie dans l’environnement spécifique
qu’est le milieu hospitalier. Bien sûr, cela variera en fonction
de la durée de l’hospitalisation et de la lourdeur de la prise
en charge, sachant que l’état somatique du bébé hospitalisé
va rendre plus complexe le repérage des signes de souffrance
potentiels. Des modalités défensives peuvent être mises en
place par l’enfant pour se protéger, au risque qu’il se désinves-
tisse de ce qui l’entoure et se trouve également désinvesti par
son entourage. Il peut s’agir de baisses importantes du niveau
de vigilance, d’accrochages massifs à certaines sensations, d’un
repli de plus en plus marqué dans le sommeil, etc.
Afin de mieux comprendre ce que peut vivre un nouveau-né,
il s’agit de percevoir les espaces, les sensations et les diffé-
rents rythmes que ce lieu lui procure. Ajoutons que c’est par
l’observation directe des bébés hospitalisés que ces différents
éléments peuvent être perçus. Il est en effet important d’être
finement attentif aux différents signes du bébé afin de s’adapter
au mieux à ses besoins et surtout de repérer les moments de
possible sur-stimulation pour qu’il ne soit pas psychiquement
débordé par une « hyperstimulation » (bruits, lumières, soins,
interventions plus techniques, rythme trop discontinu, etc.).
Qu’une certaine stabilité, continuité (dans les soins et dans le
lien principalement) s’installe est nécessaire au bébé afin que
puisse se mettre en place « un sentiment continu d’exister »
(au sens de D. Winnicott).
Ainsi, « l’observation des bébés hospitalisés nous donne
partiellement accès à leur vécu « proto-émotionnel » : subite-
ment manipulés, tenus, puis lâchés, irrités, malgré les gestes de
Souffrances psychiques autour de la naissance 249

tendresse des infirmières. Les sensations liées aux changements


posturaux, à la perte du contact corporel avec l’infirmière,
aux différentes manœuvres nécessaires pour effectuer les soins
médicaux définissent, à chaque moment, un climat percep-
tivo-sensoriel particulier pour le nourrisson. Soulignons que
l’association d’une pauvreté de stimulations reçues à des
hyperstimulations douloureuses dans les mêmes zones corpo-
relles est susceptible de constituer une expérience sensorielle
déviante » (Lamour et Barraco, 1998, p. 36).
Comme nous l’avons vu, les processus de symbolisations
précoces s’ancrent à la fois dans les sensations corporelles et
dans les échanges affectifs avec sa mère et son père. Ainsi,
les soins trop lourds et la maladie avec ce qu’ils impliquent
inévitablement en termes d’atteinte du corps, de menace d’al-
tération, posent la question des liens du corps et de la psyché
et en tout premier lieu chez un tout-petit pour lequel cela
s’amorce. Comment penser la place des appareillages (sonde,
cathéter, respirateur, etc.) au niveau des éprouvés corporels
du bébé ? D’autant que ces instruments sont souvent installés
dès ses premières minutes de vie et qu’il peut les garder sur
une durée importante. Alors que les parents avec les soignants
sont heureux de suivre l’évolution de santé du bébé, qui va de
jour en jour un peu mieux, il importe de rester tout particuliè-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

rement vigilant au moment d’enlever les différents appareils


dont il dépendait. Les enlever trop brutalement peut être vécu
comme un véritable arrachement, pour lui qui les a jusqu’à
présent toujours connus. La douleur est également à prendre
en compte. Elle a été longtemps banalisée, voire ignorée chez
l’enfant en général et davantage encore chez les bébés. Elle
est maintenant davantage prise en charge dès les premiers
gestes médicaux.
Il s’agit aussi de maintenir un lien relationnel à l’autre : à
ses parents en tout premier lieu, mais également mettre en
place des liens de qualité avec les personnes qui l’entourent à
250 35 grandes notions de périnatalité

l’hôpital. Ceci n’est pas toujours simple car la vie relationnelle


à l’hôpital est souvent faite de moments de séparation d’avec
ses parents (parfois totale quand l’hôpital est trop loin du
domicile des parents ou quand la maman est elle-même hospi-
talisée, etc.), et d’une multiplicité d’intervenants en relation
avec lui, offrant au bébé moins de possibilités d’anticiper. Les
notions de référents, la place plus grande donnée aux parents
permettent de travailler cela dans les services de néonatalogie.
Face à cette discontinuité que vit l’enfant à l’hôpital, il est
important de penser en termes de continuité, notamment dans
les soins, de penser des liens de suffisamment bonne qualité
(soit un tempo dans la relation à l’autre), afin que puisse se
mettre en place un sentiment continu d’exister chez le nour-
risson. Rappelons que la continuité est pour J. Ajurriaguerra
(1985) et D. Cupa (2007) la spécificité de l’objet de tendresse.

34.2 Du côté des parents


Les parents ont à vivre une naissance sous haute surveillance
et entrent dans un monde inconnu et parfois inquiétant, celui
de la néonatalogie. Ils y sont confrontés le plus souvent bruta-
lement de par l’urgence de la situation médicale. Ils auront
à vivre des moments d’attente avant que l’état de l’enfant
ne s’améliore. Des sentiments les traversent comme l’inquié-
tude, l’angoisse, jusqu’à une certaine culpabilité qui peut en
déprimer certains. Il s’agit de se familiariser avec ce petit être
dont la réalité somatique emmène bien loin du bébé imaginé
pendant la grossesse.
Depuis une dizaine d’années, les parents sont de plus en plus
inclus dans les soins de nursing à apporter au bébé (visite en
néonatalogie, inclusion des parents dans les soins de nursage,
le peau à peau) pour subvenir à ses besoins au niveau corporel,
affectif et psychologique. L’équipe doit aussi soutenir les
parents fragilisés par cette naissance et aider à la mise en place
Souffrances psychiques autour de la naissance 251

des liens entre parents et enfant. Il n’est en effet pas toujours


simple d’investir affectivement et de prendre soin d’un être
fragile qui peut osciller entre la vie et la mort au milieu d’un
appareillage médical.

Pour aller plus loin


Lectures recommandées
Ajurriaguerra J. et Casati I. (1985). Ontogenèse des comportements
de tendresse, La Psychiatrie de l’enfant, (28) 2, 325-402.
Dageville C. (2007). Le Début de vie d’un grand prématuré expliqué
à ses parents. Toulouse : Érès.
Druon C. (2005). À l’écoute du bébé prématuré : une vie aux portes
de la vie. Paris : Flammarion.
Lamour M. et Barraco M. (1998). Souffrances autour du berceau.
Des émotions au soin. Paris : Gaëtan Morin éditeur.
Site de l’Inserm : http://www.inserm.fr/thematiques/biologie-
cellulaire-developpement-et-evolution/dossiers-d-information/
la-prematurite-un-monde-a-explorer (consulté en novembre 2016)

Pour approfondir
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Cupa D. (2007). Tendresse et cruauté. Paris : Dunod.


Cupa D. et Lebovici S. (1997). En famille, à l’hôpital. Le nourrisson et
son environnement. Grenoble : La Pensée sauvage.

35. Consultations périnatales


et travail en réseau

Dans le champ de la périnatalité, on s’intéresse au fœtus, au


bébé, mais aussi au groupe constitué par la famille. Cette prise
252 35 grandes notions de périnatalité

en compte de la dimension du lien dans le champ de la préven-


tion conduit forcément à la complexification des objets et des
modèles possibles de prévention. En effet, une intervention
dans la période périnatale met au travail la question des circu-
lations des dimensions intrapsychiques et intersubjectives, du
fait de la porosité particulière des frontières psychiques dans
cette période d’individuation du sujet en devenir qu’est le
bébé. Il arrive aussi qu’au-delà de la prévention, il y ait à penser
une prise en charge spécifique du bébé, de la mère ou du père,
et les questions se poursuivent : comment considérer cette prise
en charge médicale et/ou psychiatrique tout en soutenant la
mise en place des liens précoces ?

35.1 La prévention
En France, la psychiatrie publique est organisée en « secteurs »
et « en particulier la psychiatrie infanto-juvénile se voit, dès
sa création par les circulaires de 1972, octroyer un rapport de
coordinateur de l’ensemble des actions de santé mentale malgré
les limites rencontrées en pratique dans la mise en œuvre de
ce rôle (en particulier depuis le début des années quatre-vingt
avec la conséquence des lois de décentralisation). Il a toujours
existé un essai de conjugaison entre l’action curative et l’action
préventive (inscrit dans les textes fondateurs et réaffirmé par
la circulaire de 1992). Aujourd’hui encore, la question de la
prévention en matière de santé mentale reste une priorité »
(Dugnat, 2002, p. 29). Depuis maintenant une vingtaine d’an-
nées, elle s’est même renforcée par le développement de la
psychiatrie périnatale et tout le travail de la préven-
tion des troubles de la relation et de la parentalité.
Pour prévenir au mieux les troubles de la relation, l’orga-
nisation du soin en période périnatale doit ainsi soutenir les
processus de parentalisation avant et après la naissance de
l’enfant, prévenir et bien évidemment prendre en charge les
Souffrances psychiques autour de la naissance 253

troubles psychiques maternels mais aussi paternels lors de


cette période de grands remaniements psychiques et iden-
titaires. Il s’agit la naissance d’une triade père-mère-bébé et
bien sûr de l’arrivée dans une famille plus grande lorsque des
aînés sont déjà nés.

35.2 Travail en réseau


En 2005-2007, un plan périnatalité s’est mis en place dont
l’une des mesures clefs est la mise en place de l’entretien
du quatrième mois : un entretien individuel et/ou en
couple est systématiquement proposé à toutes les femmes
enceintes, aux futurs parents afin de prendre le temps d’évo-
quer la grossesse, le fait de devenir parent, l’arrivée du bébé,
la présence ou non d’un entourage familial, etc. Il est réalisé
sous la responsabilité d’une sage-femme ou d’un autre profes-
sionnel de la naissance disposant d’une expertise reconnue
par leur réseau de périnatalité. En cas de demande des futurs
parents ou si est repérée une difficulté quelconque, on peut les
orienter vers le professionnel qui pourra au mieux y répondre
(un problème social avec l’assistante sociale au niveau d’une
réalité matérielle) ou mieux l’élaborer (avec un psychologue
clinicien quand il s’agit d’une difficulté psychique), etc. La
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

mise en place de réseaux en périnatalité coordonnant


un ensemble de professionnels qui accompagnent la femme et
son entourage dès la grossesse et après la naissance de l’enfant
est une deuxième innovation durant cette période. Il s’agit,
entre autres, d’un travail d’accordage, pourrait-on dire, entre
des professionnels qui travaillent dans des registres différents
(somatiques, sociaux, psychologiques, éducatifs, etc.) et entre
des institutions, des services aux fonctionnements parfois
différents (maternités, services de néonatologie, secteurs de
pédopsychiatrie et de psychiatrie générale, services départe-
mentaux de PMI, Aide sociale à l’enfance, réseaux précarité,
254 35 grandes notions de périnatalité

etc.). Cette cohérence dans la prise en charge vise à maintenir


une continuité qui, elle, permet de soutenir la mise en place
des liens précoces.

35.3 Les pratiques psychothérapeutiques


auprès du bébé et de sa famille
Cette prise en charge peut débuter en maternité, dans le
service de gynécologie-obstétrique ainsi qu’en néonatalogie.
Il peut aussi s’agir après la naissance d’une première consul-
tation en PMI (Protection Maternelle et Infantile) puis d’une
orientation vers des consultations mères-bébés en CMP (Centre
Médico Psychologique), ou encore lors d’une hospitalisation
dans une Unité d’hospitalisation conjointe où la mère peut être
hospitalisée le temps nécessaire avec son enfant. L’objectif est
de proposer le plus précocement possible un soin psychique
au bébé et à ses parents. Il peut même s’agir d’une mise au
travail psychique avant même la naissance du bébé. Pour les
soignants, il y a aussi la possibilité d’évaluer au plus tôt les
facteurs de risque qui peuvent venir influencer la mise en place
des liens précoces.
Au passage, notons qu’il manque en France de structures,
d’Unités Mère-Bébé (UMB), qui permettent ces hospitalisations
conjointes. Paul-Claude Racamier a tenté d’initier ces struc-
tures novatrices, mais ce n’est que récemment, dans les années
quatre-vingt à Créteil que s’est ouverte la première Unité Mère-
Bébé. Elles sont aujourd’hui encore trop peu nombreuses, et
leurs localisations (Kojayan, 2016, p. 154) sont hétérogènes :
16 en régions et quatre en Île-de-France. Il existe en parallèle
des Unités de jour au nombre de 10 en région et de deux
en Ile-de-France.
Au niveau des histoires cliniques, elles peuvent être très
lourdes à prendre en charge et mettre à mal les bébés, ses
parents et leur entourage, ainsi que les soignants qui les
Souffrances psychiques autour de la naissance 255

entourent. Elles peuvent être tellement massives que les


soignants viennent répéter ce qui peut se passer au sein de la
triade père-mère-bébé. Le travail en équipe est alors essentiel.
Au cours de ce travail psychothérapeutique, le travail autour
des représentations parentales est intéressant. Nous l’avons
vu, après un accouchement traumatique (notion 31), il arrive
que la mère ne puisse imaginer son enfant à naître. L’analyse
des représentations maternelles, parentales permet de mieux
comprendre, notamment à des fins préventives, le travail
psychique mis en route au cours de la grossesse. L’altération
des capacités représentatives (failles ou confusions représen-
tationnelles) est l’un des éléments à repérer dans les récits des
femmes enceintes. Il s’agit ainsi en pré- et postnatal de soutenir
la capacité à créer, à rêver (au sens de W. Bion) de la mère
et/ou du père, arrière-plan qui rend possible l’existence chez
l’enfant de la figurabilité. Pouvoir rêver mais aussi pouvoir
jouer (Roussillon, 2008). Il s’agit d’introduire ou de réintro-
duire du jeu dans les échanges entre le bébé ou l’enfant et ses
parents au sein de l’espace thérapeutique, de créer un espace
transitionnel pour être en relation avec l’enfant en jouant mais
surtout psychiquement pour associer, rêver, se représenter, etc.
« Être ensemble dans le même regard, avec le même éclat,
être dans la même tête, aux mêmes rythmes : ces appuis et ajus-
tements réciproques se dérèglent quand les parents ne rêvent
plus, projettent leurs propres dysfonctionnements et ne savent
plus interpréter le comportement de leur nourrisson. Alors
c’est à l’analyste de savoir rêver, réajuster et comprendre, puis
transmettre cette capacité » (Anzieu, 2003, p. 20).
256 35 grandes notions de périnatalité

Pour aller plus loin


Lectures recommandées
Anzieu C. et Pollak-Cornillot M. (2003). Les Pratiques psychanaly-
tiques auprès du bébé. Paris : Dunod.
Boubli M. et Danon-Boileau L. (2014). Le Bébé en psychanalyse. Paris :
PUF, Monographies et débats de psychanalyse.
Dayan J. (2015). Psychopathologie de la périnatalité et de la paren-
talité. Paris : Elsevier Masson.
Dugnat M. (1996). Troubles relationnels père-mère/bébé : quels
soins ? Toulouse : Érès.
Dugnat M. (2002). Santé mentale et psychiatrie périnatales : renou-
veler l’approche de la prévention, Dialogue, (3) 157, 29-41.
Fonagy, M. et al. (1996). Fantômes dans la chambre d’enfants –
Étude de la répercussion des représentations mentales des parents
sur la sécurité de l’attachement, Psychiatrie de l’enfant, XXXIX, 1,
63-83.
Kojayan R. et al. (2016). Grossesse et souffrance psychique. Précis de
nouvelles pratiques. Montpellier : Sauramps Médical.
Lamour M. et Barraco M. (1998). Souffrances autour du berceau.
Des émotions au soin. Paris : Gaëtan Morin éditeur.
Lebovici S. (1983). Le Nourrisson, la mère et le psychanalyste. Paris :
Paidos / Le Centurion.
Missonnier S. et al. (2012). Manuel de psychologie clinique de la péri-
natalité. Paris : Elsevier Masson.
Moro M.-R. et al. (2010). Manuel de psychopathologie du bébé et de
sa famille. Grenoble : La Pensée sauvage.
Roussillon (2008). Le Jeu et l’Entre-je(u). Paris : PUF.
Soubieux M.-J. et Soulé M. (2005). La Psychiatrie fœtale. Paris : PUF,
Que sais-je ?
Souffrances psychiques autour de la naissance 257

Pour approfondir
Golse B., Roussillon R. (2010). La Naissance de l’objet. Paris : PUF.
Séguret S. (2004). Le Consentement éclairé en périnatalité et en
pédiatrie. Toulouse : Érès.
Watillon A. (2013). Bébés et parents en détresse chez le psychana-
lyste. Toulouse : Érès.
Index des notions
A D
accouchement 23 dépression 56, 230
ambivalence maternelle 18 différence des sexes 23
ancêtres 155 douleur 23
anticipation 115
archaïque 23 E
Assistance Médicale à la
Procréation (AMP), ou échographie 52, 97
procréation médicalement enceinte 23
assistée (PMA) 140
autoengendrement 23 F
B famille 127
fantasmes originaires 31
bébé fantasmatique 118 fantômes 155
bébé imaginaire 118
fécondation in vitro (FIV)
bébé imaginé 17, 113
141
bébé mythique ou culturel
fécondité 28
118
bébé narcissique 118 féminin 20
femme enceinte 30
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

C figurations 30
fœtus 127
conception 31 fratrie 127
constellation maternelle
181 G
corps 19
corps féminin 21 grands-parents 127
couvade 34 grossesse 23, 30
couvade psychosomatique
96 I
culpabilité 23, 227
cultures 19 image 21
260 35 grandes notions de périnatalité

imagerie médicale 17 paternité 92


infertilité 34 pathologie du « vide
Intervention Volontaire relationnel » 230
de Grossesse (IVG) 198 pères 57
préoccupation maternelle
L primaire 50, 72, 181
processus de parentalisation
lien 26
97, 191
procréation 34
M pulsion scopique 30, 52
machine 36
mandat transgénérationnel R
191
représentations 31
masculin 20
représentations culturelles
maternalité 75, 146
18
maternel 162
représentations figurées 19
maternité 22
représentations individuelles
matrice 27
de la grossesse 17
mère 24, 50
représentations maternelles
mythes 20
17
mythologique 24
représentations sociétales
17
N
naissance 24, 28 S
sexualité 23
O
ombres 155 T
origines 31
tendresse 34, 99
théorie sexuelle infantile 31
P
transmission 115, 148
parentalité 50 transmission
parents 48 intergénérationnelle 157
Index des notions 261

transmission psychique 155 V


transparence psychique 192
traumatisme 150 ventre maternel 31

U
utérus 21, 98

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