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Nouveau cours
de
psychologie
Sous la direction de
Serban Ionescu
et
Alain Blanchet
Psychologie sociale
Volume coordonné
par Marcel Bromberg
et
Alain Trognon
ISBN 978-2-13-056583-3
Dépôt légal — 1' édition : 2006, novembre
2' éd. corrigée : 2007, novembre
3' tirage : 2009, octobre
0 Presses Universitaires de France, 2006
6, avenue Reille, 75014 Paris
AVANT-PROPOS
L'attrait qu'exerce la psychologie fait que les publications qui lui sont consacrées — des magazines
« grand public » aux ouvrages scientifiques — connaissent, souvent, de réels succès de librairie. En même
temps, de nombreuses personnes de tous âges sont tentées par les études universitaires de psychologie. Les
plus motivées et... endurantes vont jusqu'à l'obtention du titre de psychologue !
En 1990, l'Université Paris 8 - Vincennes à Saint-Denis a ouvert un programme d'enseignement
à distance de la psychologie. La création, en 1997, de l'Institut d'enseignement à distance de
l'Université Paris. 8 a contribué de manière significative au développement de ce programme. Ainsi, au
cours de l'année universitaire 2005-2006, 3 859 étudiants de 56 pays (en plus de la France et
des Dom-Tom) ont suivi les cours dispensés par l'Institut d'enseignement à distance.
Parmi les outils pédagogiques utilisés dans les enseignements à distance, une place importante est
occupée par les manuels mis à la disposition des étudiants. Cette année, l'Institut d'enseignement à dis-
tance lance un Nouveau cours de psychologie qui prend la relève du Cours publié, dans les
années 1990, sous la direction des Prs Rodolphe Ghiglione et Jean-François Richard.
Le Nouveau cours de psychologie comprend quatre volumes destinés aux étudiants de
licence et trois volumes (qui paraîtront en 2007) à l'usage des étudiants des masters de psychologie.
Chaque volume est coordonné par un ou deux spécialistes du champ sous-disciplinaire auquel il est
consacré. À l'élaboration des quatre premiers volumes du Nouveau cours de psychologie ont col-
laboré 61 collègues de 19 universités françaises mais aussi de l'étranger (de Suisse, du Canada et des
États-Unis), ainsi que des chercheurs du civRs et des praticiens-chercheurs de plusieurs Centres hospi-
taliers universitaires.
Le présent volume — consacré à la psychologie sociale — a été coordonné par Marcel Bromberg,
professeur à l'Université Paris 8 et Alain Trognon, professeur à l'Université de Nang 2. Les coauteurs
proviennent des Universités Nancy 2, Paris 8 - Saint-Denis et Paris 10 - Nanterre, des Universités de
Provence et Rennes 2 ainsi que de l'Université de Genève. Tout au long du travail d'élaboration des
volumes du Nouveau cours de psychologie, notre souci permanent a été d'articuler connaissances
« classiques» et actualités, d'utiliser un style aussi didactique que possible, d'assurer, en présentant
(sans dogmatisme) les bases théoriques, une ouverture du côté de la pratique.
L'édition du Nouveau cours de psychologie aux Presses Universitaires de France situe cet
ouvrage dans la perspective des grandes séries de publications qui ont tant contribué à la formation uni-
2 I Psychologie sociale
versitaire des psychologues en France, dont les repères majeurs sont constitués par les grands Traités
parus aux Presses Universitaires de France, les traités de Fraisse et Piaget (de pychologie expérimen-
tale), de Reuchlin (de psychologie appliquée) de Daval, Bourricaud, Delamotte et Doron (de psychologie
sociale) ou de Widlâcher (de psychopathologie). .Mus espérons que ce nouvel ouvrage sera à la hauteur
de ceux qui l'ont précédé !
Serban Ionescu et Alain Blanchet.
Saint-Denis, août 2006.
INTRODUCTION
cours des cinquante dernières années. Mais il est resté substantiellement le même. On
en dirait tout autant de la démarche de la psychologie sociale : à l'intersection de
l'observation, de l'expérimentation et de l'intervention. Bref, la psychologie sociale est
devenue aujourd'hui une science humaine totalement mature, entre biologie et socio-
logie, irréductible en même temps qu'ouverte aux autres sciences humaines, générant
des connaissances, des pratiques, voire des métiers spécifiquement dévolus à ce qui est
caractéristique de l'être humain : le fait d'être en interaction continue avec ses sembla-
bles dans un système dynamique de nature fondamentalement sémiotique.
Le plan adopté pour ce volume réfléchit la thèse exposée dans cette introduction.
Après un premier chapitre historique, nous décrivons les pratiques auxquelles cette dis-
cipline a aujourd'hui donné naissance (chap. 2) puis les outils qu'elle affectionne, qu'elle
a inventés elle-même ou qu'elle a appropriés à ses fins propres (chap. 3 et 4). Nous
déclinons ensuite les principales connaissances produites au sein de la psychologie
sociale, après avoir dessiné les contextes dans lesquels elles ont été historiquement pro-
duites (chap. 5). Sont ainsi présentés : les contenus des connaissances gouvernant
l'interaction (chap. 6), leur organisation (chap. 7) et les conduites qu'elles engendrent
(chap. 8) ; les processus qui les déploient et les fixent dans l'interaction (chap. 9) ; enfin
les systèmes dynamiques et les relations qu'ils entretiennent et dans lesquelles agissent
les processus précédents (chap. 10 et 11). Disposant alors d'un exposé sur les pratiques
dérivées de la psychologie sociale, sur les outils qu'elle utilise et sur les connaissances
qu'elle met en oeuvre, l'étudiant peut ensuite être sensibilisé aux moyens d'accéder au
savoir de la psychologie sociale (chap. 12) et aux moyens de contribuer à l'élaboration
de ce savoir (chap. 13).
1 histoire de la psychologie sociale
A - INTRODUCTION
compte des individus et des situations dans l'étude des phénomènes de société. Les phé-
nomènes macroscopiques, globaux, d'une société ne lui paraissant compréhensibles
qu'à la lumière de l'analyse microscopique, conséquence de l'action individuelle. C'est
donc bien par la mise en perspective des disciplines les unes par rapport aux autres
qu'il faut, à la suite de McDougall (1908), approcher l'histoire de la psychologie sociale.
Cet auteur, insatisfait par la sociologie qui ne prend pas suffisamment en considération
l'individu et ses motivations, se tourne vers la psychologie pour proposer une approche
psychologique basée sur la notion d'instinct du fait social. En ces termes, était née une
psychologie à l'articulation de la sociologie et de la psychologie générale. C'est ainsi
que d'une logique binaire de la psychologie générale avec d'un côté l'individu (et
l'organisme) et de l'autre l'objet (et stimulus), ou de la sociologie avec d'un côté une
entité collective (groupe, collectivité, société) et de l'autre un objet généralement relatif
à une institution ou un intérêt, on est passé à une compréhension ternaire de la relation
de l'individu à son monde, autrui devenant partie prenante de la compréhension des
relations qu'entretient l'individu avec le monde qui l'entoure.
Deux recherches expérimentales illustrent bien l'importance d'autrui dans les
conduites de l'individu : la recherche de Triplett et celle de Ringelmann. Ces deux
recherches marquent, de plus, les débuts d'une psychologie sociale expérimentale.
Les débuts de la psychologie sociale expérimentale sont marqués par deux phéno-
mènes apparemment contradictoires : la facilitation sociale et la paresse (ou inhibition)
sociale. La première expérimentation de Norman Triplett, publiée en 1898, avait pour
objectif de s'interroger sur l'influence de la coprésence d'autrui sur la performance. C'est
ainsi que cet auteur a observé des cyclistes en situation de course contre la montre (donc
seul) ou en situation de compétition avec d'autres coureurs, sur un parcours de 25 milles.
Dans une troisième condition d'observation, chaque coureur réalisait le parcours en pré-
sence d'un entraîneur. Les résultats sont sans appel et particulièrement éloquents : de
24 km/h de moyenne en course contre la montre, les coureurs atteignaient une moyenne
de 33 km/h avec le peloton. Il apparaît donc, au vu de ces premiers résultats, que la per-
formance semble notablement améliorée par la présence d'autrui, dans le cadre d'une
compétition, mais aussi dans le cadre d'un simple entraînement en suivant un meneur, les
coureurs atteignant une moyenne de 31 km/h dans cette dernière condition.
À la même époque que les travaux de Triplett, un chercheur français, Max Rin-
gelmann, professeur de génie rural à l'Institut national agronomique et directeur de la
station d'essais des machines, chercha à évaluer les effets de la coaction, c'est-à-dire de
l'action commune de plusieurs personnes, lors d'une tâche de traction (ce qui est très
différent de l'action simultanée, mais indépendante de plusieurs personnes, comme
dans les recherches de Triplett). C'est ainsi, qu'il a placé des individus en situation de
tirer sur une corde soit seul, soit en collaboration avec d'autres individus. Les résultats
Histoire de la psychologie sociale I 7
de ces études menées entre 1882 et 1887, qui seront publiées en 1913, indiquent que
deux personnes tirant ensemble sur une corde ne développent que 93 % de la somme
de ce qu'ils sont capables de tirer chacun de leur côté. À trois coacteurs, la perfor-
mance décroît encore : la puissance du groupe n'est plus que de 85 % de la somme des
forces individuelles. À huit, les coacteurs ne parviennent à tirer que la moitié de la
somme des poids que chacun était capable de tirer seul. La performance apparaît donc
affectée linéairement avec l'augmentation du nombre de participants : plus le nombre
de participants augmente moins la performance relative est élevée. Cette observation
pour le moins spectaculaire conduit Ringelmann à conclure que « pour l'emploi de
l'homme, comme d'ailleurs des animaux de traits, la meilleure utilisation est réalisée
quand le moteur [l'individu] travaille seul : dès qu'on accouple deux ou plusieurs
moteurs sur la même résistance, le travail utilisé de chacun d'eux, avec la même
fatigue, diminue par suite de manque de simultanéité de leurs efforts ».
Les travaux sur la facilitation sociale comme les travaux sur la paresse sociale for-
ment le terreau d'un des principaux et plus anciens courants de la psychologie sociale,
celui des relations humaines.
Elton Mayo, autour de 1930, intervenait avec son équipe dans une usine de com-
posants électriques située à Hawthorne, près de Chicago. En cherchant à étudier
l'impact de différents facteurs physiques et organisationnels sur les performances (lumi-
nosité, durée et nombre de pauses, etc.), il observa comment « une horde de solitaires
[les ouvrières] se transformèrent en un groupe social » (Mayo, 1945). Il venait de
découvrir l' « effet Hawthorne » qui traduit les bénéfices, sur les performances, de la
motivation sociale au travail, reposant sur la cohésion du groupe et les relations infor-
melles — non prescrites — que les agents entretiennent entre eux. Bien davantage que les
facteurs physiques et organisationnels, voire économiques que songeaient à manipuler
les tenants d'une organisation scientifique du travail (dont Taylor constitue le fer de
lance), c'est la motivation sociale au travail qui va déterminer le rendement des agents.
On retrouvera cette idée de cohésion sociale — à l'origine de la motivation
sociale — dans de nombreuses recherches célèbres de ce qui constitue la psychologie
sociale classique. L'étude de Sherif et ses collaborateurs (1961) fait partie de ces recher-
ches marquantes qui ont structuré la psychologie sociale. Cette étude se déroula
en 1954 dans un camp de vacances. Deux groupes séparés de garçons se livraient à des
,
activités de loisir. Dans une seconde phase, les animateurs réunirent les enfants des
deux groupes pour des activités compétitives qui se déroulèrent sur plusieurs jours. Une
franche hostilité apparut entre les enfants des deux groupes, caractérisée par des atti-
tudes méprisantes à l'égard des enfants appartenant au groupe opposé. Le conflit ren-
forçait la cohésion à l'intérieur de chaque groupe, ce qui se manifestait par une suresti-
mation systématique des performances des membres du groupe d'appartenance et une
8 I Psychologie sociale
sous-estimation des performances des membres de l'autre groupe. Les animateurs tentè-
rent alors, lors d'une troisième phase, de conjurer cette hostilité en proposant des activi-
tés non compétitives. Des repas pris en commun, des activités ludiques telles que séance
de cinéma ou feux d'artifices se soldèrent, cependant, par un échec. Sherif eut, enfin,
l'idée de proposer aux enfants de résoudre des problèmes qui impliquaient tous les
membres des deux groupes. Dans cette quatrième phase de l'étude, des projets impor-
tants qu'un groupe seul ne pouvait réaliser (payer une somme élevée pour la location
d'un film, dépanner le camion de ravitaillement, etc.) amenèrent les sujets des deux
groupes à coopérer ensemble, dans le cadre d'une interdépendance positive, amenant
ainsi les uns et les autres à réduire sensiblement les manifestations d'hostilité et à modi-
fier la perception que chacun avait des membres de l'autre groupe. La définition de
« buts supra-ordonnés » constitue, pour Sherif, un impératif pour dépasser les antago-
nismes intergroupes inhérents à l'appartenance à des groupes constitués. Cette stratégie
s'avère efficace pour gérer les conflits au sein des camps de vacances ; elle peut l'être
tout autant pour dépasser les antagonismes entre les nations : songeons au projet des
pères fondateurs de l'Europe à la sortie de la Seconde Guerre mondiale...
L'idée de cohésion sociale est également partie intégrante d'une des plus célèbres
recherches de la psychologie sociale classique : la recherche de Lewin sur le change-
ment alimentaire. Lewin (1959) a élaboré une théorie de portée très générale qui
concerne le groupe « naturel ». Cet auteur postulait que les groupes tendent vers un
« équilibre quasi stationnaire », source de la résistance au changement. Cet équilibre
dépendrait de trois conditions :
1 / la pression exercée par les forces qui tendent à abaisser le niveau de comportement
dans un registre social, doit être égale et contraire à la pression exercée par les
forces qui tendent à élever ce niveau ;
2 / les forces qui s'opposent au relèvement du niveau augmentent avec celui-ci, et les
forces qui s'opposent à l'abaissement du niveau augmentent lorsqu'il décroît ;
3 / il est possible de changer la pression des forces antagonistes sans changer le niveau
des conduites sociales.
Le niveau d'équilibre quasi stationnaire (maintenu par des normes sociales) peut
ainsi être modifié en augmentant les pressions dans le sens du changement et en dimi-
nuant les résistances envers celui-ci. Les normes de groupe sont considérées comme les
garantes de la vie collective ; si un individu s'en écarte de trop, le risque existe qu'il soit
« ridiculisé, traité sévèrement et fmalement exclu du groupe » (Lewin, 1959, p. 272). Le
niveau d'équilibre du groupe acquiert ainsi une certaine puissance d'attraction, ou
valence, qui maintient le sujet à l'intérieur des normes du groupe. Lewin soutient l'idée
selon laquelle « plus grande est la valeur sociale d'une norme de groupe, plus grande
est la résistance d'un individu membre du groupe à s'écarter de ce niveau » (p. 274). Il
s'agit, selon l'auteur, d'un « théorème » qui pourrait constituer un des éléments explica-
tifs de la résistance au changement. Il semble bien que l'appartenance à un groupe
conduise l'individu à ne pas trop s'éloigner des valeurs défendues par le groupe. Par
exemple, « dans une équipe de travail, l'une des forces les plus puissantes est le désir de
rester ni trop en dessous ni trop en dessus du reste du groupe » (p. 261). Tout se passe
comme si une certaine valeur était accordée au niveau social des conduites. Pour obte-
Histoire de la psychologie sociale I 9
C'est ainsi que Lewin, dans le cadre d'une célèbre recherche-action, s'est donné
l'objectif de changer les habitudes alimentaires des ménagères américaines dans le
contexte de pénurie liée au second conflit mondial (voir chap. « Vie collective et com-
portements sociaux »). Par la comparaison de deux stratégies d'influence, Lewin a pu
déterminer la plus efficace et déduire un principe d'action de l'obtention d'un change-
ment réussi. Lewin opposa des ménagères qu'on peut considérer comme un agrégat
d'individus puisqu'elles assistaient à une conférence sur l'intérêt culinaire et diététique
des abats à des ménagères à qui l'on proposait de se réunir au sein de petits groupes de
discussion, leur permettant, insérées au sein d'un groupe dont la cohésion allait pouvoir
se développer au fil des débats, d'évoquer leurs réticences à l'égard des abats et de
prendre une décision publique. On sait que seules les ménagères ayant participé à des
discussions de groupe aboutissant à une décision ont, au cours des semaines suivantes,
cuisiné et consommé ce type de préparation avec leur famille. C'est en référence au
degré d'implication des participantes au sein d'un groupe, à la liberté de chacune face à
ses décisions, au principe d'une décision publique que Lewin donne à comprendre cette
remise en cause des habitudes de chacun pour en adopter de nouvelles qui, on peut le
supposer, vont perdurer par la suite au point que ces comportements nouveaux auront
statut de normes sociales résistantes à toute tentative d'influence d'autrui.
On le voit avec Lewin, la participation à l'action d'un petit groupe d'individus
peut avoir une influence considérable sur la manière dont l'individu décide individuelle-
ment de se comporter.
Les recherches sur le concept d'attitude sont à apprécier au travers de deux pério-
des : les années 1920-1930 puis les années 1950-1960.
sont aimer et détester ou favorable et défavorable : les attitudes sont ce que nous
aimons et n'aimons pas, nos affinités envers un environnement » (p. 31).
L'attitude ne doit, cependant, pas être limitée à une composante évaluative ou
affective. Rosenberg et Hovland (1960) ont ainsi proposé un modèle majeur de
l'attitude intégrant également les connaissances que l'on possède sur l'objet de l'attitude
(composante cognitive de l'attitude), ainsi que les comportements, ou tout du moins les
intentions à se comporter à l'égard de l'objet d'attitude (composante conative). Ces trois
versants de la notion d'attitude constitue le modèle tricomponentiel de l'attitude.
Les différentes définitions du concept d'attitude ont toutes en commun une même
implication : elles insistent sur l'idée que la connaissance de l'attitude d'un individu
devrait permettre d'en déduire les comportements qu'il émettra dans une situation
donnée lorsqu'il sera confronté à l'objet d'attitude à l'égard duquel on connaît son opi-
nion. Dès 1934, LaPiere s'est intéressé à cette question. Lors de son étude sur les préju-
gés de restaurateurs et hôteliers américains à l'égard des émigrés chinois, il mit en évi-
dence un fort décalage entre l'attitude raciste et un comportement effectif non
discriminatoire (voir chap. « Communication et influence »). Les recherches qui allaient
venir par la suite auront pour objectif de comprendre cette absence de lien et de mieux
délimiter les conditions d'une prédiction des comportements des gens à partir de la
connaissance de leurs attitudes.
à nous forger une opinion. Mais si nous possédions préalablement une attitude bien
ancrée et négative à l'égard de cet objet, et si nous avions pourtant été amenés à
émettre un comportement non conforme à nos convictions, quelle conséquence cela
pourrait-il avoir sur notre attitude à l'égard de cet objet ?
Pour Festinger, si nous avons émis un comportement problématique, en particulier
en nous soumettant à une figure d'autorité, nous allons essayer de restaurer une valeur
à une conduite qui en est dépourvue en modifiant notre attitude à l'égard de l'objet de
notre comportement dans le sens du comportement émis : cela traduit le mécanisme de
la rationalisation caractéristique de la théorie de la dissonance cognitive. Ainsi, dans
une célèbre expérimentation, Festinger et Carlsmith (1959) amenaient, dans un premier
temps, leurs sujets à réaliser une tâche particulièrement ennuyeuse (visser, quart de tour
par quart de tour, des écrous sur des vis fixées à une planche en bois). Dans un second
temps, on demandait à chaque sujet de présenter au sujet suivant l'expérience qu'il
venait de réaliser comme particulièrement attractive et intéressante. Comme rétribution
pour ce mensonge, on proposait au sujet soit une somme de 1 $, soit une somme
de 20 $. Contrairement à ce que l'intuition permettrait de prédire, mais conformément
aux prédictions de la théorie de la dissonance cognitive, les individus les plus rémunérés
ne changeaient pas d'attitude à l'égard de la tâche rébarbative puisqu'ils ne ressentaient
pas de dissonance entre leur action et leur croyance, la rémunération venant justifier
l'action émise. En revanche, les sujets payés 1 $ changeaient significativement
d'attitude, considérant, à l'issue de leur mensonge, que cette expérience était utile, inté-
ressante et à même de faire avancer les connaissances scientifiques. Ces sujets qui ont
accepté librement de se soumettre à une requête problématique alors qu'ils étaient mal
rémunérés ont ressenti une forte dissonance. Pour diminuer cette dissonance, ils ont été
amenés à modifier leur attitude à l'égard de la tâche rébarbative : s'ils ont accepté de
présenter l'expérience comme intéressante, c'est donc qu'elle était bien intéressante.
Prolongeant les travaux sur le concept d'attitude, les recherches sur l'attribution
causale ont été et restent encore aujourd'hui un domaine de recherche particulièrement
prolixe. Initiée par Heider, la théorie de l'attribution a pour objectif de décrire la
manière dont l'individu infère des causes de l'observation des effets de son propre com-
portement comme de celui d'autrui. Dans son ouvrage de référence ( The Pechology of
Interpersonal Relations, 1958), Heider soutient l'idée que le sujet humain est un individu
motivé à se doter d'une connaissance du monde environnant de manière à le contrôler.
La connaissance que le sujet cherche à acquérir doit être équilibrée dans le sens
où les liens qui unissent nos objets de connaissances (personnes, objets, etc.) ont tou-
jours pour finalité d'entretenir entre eux des relations de consistance. Si, d'aventure, ces
liens entretiennent des relations d'inconsistance, alors, l'individu ayant une préférence
pour les états équilibrés, sera, par voie de conséquence, motivé à regagner un état équi-
libré. Une relation entre deux éléments (dyade) est équilibrée dès lors que les deux
12 I Psychologie sociale
E - L'ÈRE DE LA COGNITION
Avec les travaux de Heider, la psychologie sociale s'est moins centrée sur les com-
portements pour s'intéresser davantage aux processus cognitifs à l'origine des comporte-
ments. Des premières réflexions d'Heider et des premières recherches conduites par
Asch (1946) allaient naître un courant de recherche majeur : le courant de la cognition
sociale qui n'aura de cesse de chercher à modéliser le fonctionnement cognitif de
l'individu lorsqu'il traite de l'information sociale. La recherche conduite par Asch sur la
formation d'impression illustre parfaitement cette démarche. En effet, la perception
d'autrui se trouve au coeur des relations sociales. Quand nous rencontrons quelqu'un
pour la première fois, nous tentons, par l'expression de ses conduites, de ses attitudes
et/ou de ses propos de cerner sa personnalité. Cette observation nous permet
d'apprécier la personne qui se présente face à nous et de comprendre sa façon d'agir.
Asch s'intéressait à la façon dont les informations données à propos d'une cible sont
intégrées les unes avec les autres pour former une impression. Selon la position gestal-
tiste (psychologie de la forme) de l'auteur, les dispositions de la personne forme un tout.
Celui qui perçoit s'efforce d'organiser les traits de personnalité d'autrui dans une struc-
ture unifiée, chaque trait tirant sa signification de la relation qu'il entretient avec les
autres traits. L'individu cherche ainsi à créer une perception de l'autre qui est différente
de la simple somme des parties. Dans l'impression globale que l'on a d'une personne,
tous les traits ne revêtent pas la même importance. Certains apparaissent ainsi dotés
d'un pouvoir particulier et contribuent plus que d'autres à colorer la perception
d'ensemble, alors que d'autres n'exercent qu'une influence secondaire. C'est ainsi que
Histoire de la psychologie sociale I 13
Asch demanda à deux groupes de sujets de prendre connaissance d'une liste de sept
traits de personnalité. Les uns recevaient une liste contenant en position centrale le trait
« chaleureux », les autres une liste identique à cela prêt que le terme « chaleureux »
était remplacé par celui de « froid » 1 . Les participants devaient, dans un premier temps,
produire une courte description de la cible et dans un second temps, l'évaluer sur des
pairs de traits antonymes (échelles binaires). Les sujets qui avaient reçu la liste avec le
mot « chaleureux » avaient perçu la cible comme « une personne qui croyait en cer-
taines choses importantes », « qui était sincère dans une discussion »... alors que ceux
qui avaient été confrontés au terme « froid » dans la liste, la décrivaient davantage
comme « quelqu'un de plutôt antipathique » et « de snob ». L'insertion du trait « cha-
leureux » avait, en effet, conduit les participants à juger la cible à 91 % comme quel-
qu'un de généreux, tandis que la personne présentée comme « froide » n'obtint
que 9 % d'adhésion sur ce trait. Il se présenta le même cas de figure sur plusieurs
autres traits, tels qu'heureux, humain, populaire, possédant le sens de l'humour. Ces
résultats confortent l'idée que les individus organisent leur perception d'autrui dans un
tout cohérent, certaines informations possédant un poids particulier. Quelques années
plus tard, Kelley allait montrer que cette formation d'impression avait une influence sur
les comportements effectifs que la personne allait par la suite mettre en oeuvre dans une
situation d'interaction sociale.
F - EN GUISE DE CONCLUSION
Ces quelques recherches marquantes de la psychologie sociale (voir aussi les chapi-
tres « Théories et méthodes » et « Bases de la psychologie sociale ») sont significatives
de ce qui a constitué les bases de la discipline au cours de la première moitié du
,oce siècle, la seconde moitié du siècle ayant vu ces bases développées avec un accent
particulier mis sur la compréhension des mécanismes cognitifs en jeux dans le traite-
ment de l'information sociale. Le début du xxie siècle voit, cependant, la psychologie
sociale renouer avec l'étude de comportements, et ce faisant s'ancre progressivement
dans une démarche de recherche appliquée qui lui permet d'avoir une prise sur
l'environnement (voir chap. « Les métiers de la psychologie sociale »).
1. La liste se composait des traits suivants : « intelligent, doué, travailleur, chaleureux vs froid, décidé,
pratique, prudent ».
2 les métiers de la psychologie,
la place de la psychologie sociale
(environ un quart des psychologues français). Ces deux organisations ont été les princi-
paux acteurs des grands projets structurants pour la profession de psychologue (titre
professionnel, code de déontologie des praticiens et code de conduite des chercheurs,
états généraux de la psychologie, organisation de la VAE en psychologie). Les psycholo-
gues français sont donc capables de s'organiser. Alors où donc se situe le problème de
la psychologie française ?
Trois éléments structurels nous semblent permettre de mieux comprendre les diffi-
cultés de la psychologie française à s'ancrer dans l'environnement :
— une absence de culture en sciences comportementales de la part des « élites » ;
— une incompréhension entre chercheurs et praticiens ;
— un manque d'intérêt des chercheurs pour les applications.
I - Un environnement réfractaire
Il - Chercheurs et praticiens
1. Ce chapitre a été écrit au cours de l'été 2006. À cette date, les décrets d'application de l'article 52 ne sont
pas encore parus. Voir, à propos des projets de décrets définissant les prérequis de formation initiale per-
mettant d'user du titre de psychothérapeutes, la Lettre ouverte du président de la SFP au ministre de la
Santé : www.sfpsy.org .
Les métiers de la psychologie, la place de la psychologie sociale I 17
sion réciproque. Dans tous les pays du monde, cette question est posée ; elle l'est proba-
blement davantage, en France, compte tenu de la grande influence qu'a eu la psycha-
nalyse, réfractaire à la démarche expérimentale, et même à toute démarche
d'évaluation'.
B - 35 000 PSYCHOLOGUES
I. La controverse récente, suscitée par un rapport de l'inserm sur l'efficacité de différentes formes de psycho-
thérapies, illustre ce propos : le débat n'a pas porté sur les critères d'évaluation retenus, ce qui aurait
relevé du débat scientifique, mais sur le principe même d'évaluer ce qui touche au psychisme.
18 I Psychologie sociale
après la licence de psychologie)'. Ajoutons que le ministère de l'EN emploie 1 200 ensei-
gnants-chercheurs (un tiers professeurs et deux tiers maîtres de conférences) en psycho-
logie, ainsi qu'environ 200 chercheurs au CNRS. Le ministère de la Santé emploie,
quant à lui, près de 6 000 psychologues dans la Fonction publique hospitalière
(dont 2 500 en service psychiatrique) ; ces psychologues sont des psychologues clini-
ciens, et de plus en plus fréquemment des neuropsychologues (à noter que l'hôpital
commence à s'ouvrir aux psychologues du travail). Il emploie aussi une centaine de
chercheurs au sein de l'INSERM. Le ministère de la Justice emploie 300 psychologues
(cliniciens ou sociaux), principalement au sein de la PjJ (Protection judiciaire de la jeu-
nesse), ainsi qu'environ 400 psychologues experts aulirès des cours d'appel qui assurent
des missions d'expertise au coup par coup. Le ministère de l'Intérieur emploie environ
150 psychologues (de toutes origines) qui assurent des missions de formation, de recru-
tement et de soutien psychologique des policiers, ainsi qu'une poignée de psychologues
au sein de la Gendarmerie qui ont comme particularité de devoir posséder un statut
d'officiers de gendarmerie. La Fonction publique territoriale emploie, quant à elle,
environ 3 000 psychologues (crèches, aide sociale à l'enfance, handicap, etc.).
L'État constitue donc le principal employeur des psychologues, comme dans tous
les pays européens, à l'exception de l'Allemagne. En France, cette proportion excède de
peu la moitié des emplois des psychologues, alors qu'elle est plus élevée dans la plupart
des pays d'Europe. Le rôle de l'État, à travers la politique qu'il souhaite mettre en
oeuvre, est donc déterminant du développement de la profession. Cela étant, c'est en
dehors des emplois publics qu'on relève le développement le plus important des
emplois, même si la recension s'avère, naturellement, moins aisée. De nombreux psy-
chologues exercent en libéral (10 000 selon le Syndicat national des psychologues en
libéral, mais probablement seulement la moitié à plein temps). Le secteur associatif
constitue un énorme pourvoyeur d'emplois puisque les psychologues qui y exercent sont
aussi nombreux qu'en libéral, avec, cette fois, une plus forte proportion d'emplois à
temps plein. Enfin, les entreprises emploient environ 5 000 psychologues, la plupart sur
des postes de cadres qui ne comportent pas l'intitulé « psychologue ». Ces profession-
nels ont, pour la plupart, une spécialisation en psychologie du travail ou en psychologie
sociale, mais quelquefois aussi en psychologie clinique.
Terminons ce panorama en évoquant la durée nécessaire à l'insertion des psycho-
logues dans le marché du travail. Contrairement à une idée reçue, les diplômés d'un
master de psychologie trouvent rapidement du travail. L'observatoire universitaire de
l'insertion professionnelle a mené une étude en 2004 dans la région Rhône-Alpes indi-
quant que, au cours d'une période d'activité économique pourtant modérée, 53 % des
diplômés d'un master professionnel en psychologie accèdent à un premier emploi en
moins d'un mois, et 36 % mettent entre un et six mois. Si le niveau de qualification de
ces emplois est élevé (71 % ont un emploi de cadre), seulement la moitié de ces emplois
sont à plein temps. Le problème des études de psychologie n'est donc pas celui de
l'emploi ; c'est celui du nombre d'étudiants inscrits : 60 000 sur l'ensemble du cursus,
1. Les organisations professionnelles — regroupées autour de la SFP — demandent avec insistance aux pouvoirs
publics un statut de psychologues de l'éducation qui exerceraient de la maternelle à l'université, et seraient
formés au sein d'un master commun.
Les métiers de la psychologie, la place de la psychologie sociale I 19
pour 3 500 diplômés à bac + 5 sortant chaque année avant la réforme un), plus de
5 000 diplômés de master depuis la réforme'. Ce qui ressort de ces chiffres, c'est surtout
le nombre élevé d'étudiants en psychologie qui ne seront pas psychologues. Cette
donnée nuit à la qualité de la formation et de la recherche puisque les enseignants sont
amenés à gérer une masse considérable d'étudiants (50 étudiants pour 1 enseignant).
On sait, par ailleurs, que les étudiants qui n'auront pas obtenu un master trouvent une
insertion professionnelle moins satisfaisante.
Plutôt que de n'évoquer que des métiers de la psychologie, nous avons souhaité
présenter aussi un vaste ensemble de champs d'insertion pour les psychologues, notam-
ment pour les psychologues sociaux. Il ne s'agit pas des « voies royales » que consti-
tuent, en particulier, le psychologue hospitalier et le psychologue du travail exerçant en
entreprise (ces « voies royales » ne recouvrent d'ailleurs qu'un tiers de la profession). Il
s'agit de nombreux domaines dans lesquels la psychologie, et plus particulièrement la
psychologie sociale, déploie à ce jour ses connaissances, domaines qui constitueront de
plus en plus des voies d'insertion professionnelle pour les psychologues. Nous verrons
ainsi que les psychologues interviennent au titre de leur expertise dans une douzaine de
domaines aussi variés que la justice, l'industrie, la santé, l'insertion, le sport ou la
consommation'. Comme le soutient Ghiglione, les métiers de la psychologie seront
amenés à se développer en synergie avec le développement des connaissances en psy-
chologie. Gardons, en effet, à l'esprit que la psychologie est une science récente (à peine
plus d'un siècle d'existence), dont les applications n'ont pas encore suivie le foisonne-
ment des connaissances acquises dans le cadre de la recherche fondamentale. Un
modèle est proposé que nous pensons propre à faciliter une authentique démarche de
recherche appliquée, prérequis à toute forme d'application.
1. Il est probable que cette augmentation très forte des sorties à bac + 5 soit conjoncturelle, liée à un nombre
inhabituel d'habilitations de masters accordées par la Direction de l'enseignement supérieur pour faire
« passer la pilule » de la réforme LMD, et qu'une régulation s'opère. Cela étant, personne ne possède, à ce
jour, d'éléments précis concernant l'insertion de ces nouveaux diplômés.
2. Ce choix d'évoquer des domaines constitue un parti pris permettant d'éviter la catégorisation européenne
sclérosante, reprise de plus en fréquemment au sein de l'université française, consistant à ne recenser que
3 grands champs de la psychologie : santé, travail, éducation.
20 I Psychologie sociale
cher dites de laboratoire dont la finalité pouvait être très éloignée de l'environnement
social, au détriment de recherches axées plus directement sur les problèmes de terrain.
Par conséquent, pour rendre compte des recherches en sciences humaines, on se réfère
aujourd'hui à une dichotomie opposant des recherches de laboratoire destinées à pro-
duire des savoirs fondamentaux, et des recherches de terrain destinées à produire des
savoirs appliqués. Les chercheurs comme les praticiens, au fil du temps, ont donc assi-
milé le lieu de production du savoir et le type de savoir produit, les premiers pratiquant
de la recherche fondamentale en laboratoire, les seconds tentant d'apporter quelques
savoirs appliqués au détour de leurs pratiques professionnelles.
Pourtant, cette distinction entre recherche de laboratoire produisant des savoirs
fondamentaux et recherche de terrain produisant des savoirs appliqués n'est pas satis-
faisante pour rendre compte des recherches appliquées menées en laboratoire ou des
recherches fondamentales menées sur le terrain (Hoc, 2001). Ainsi, le champ de
recherche sur le témoignage oculaire — extrêmement prolifique — repose essentiellement
sur des expérimentations menées en laboratoire, mais en référence explicite avec des
situations naturelles (voir Bertone, Mélen, Py et Somat, 1999, pour une revue de ques-
tion en français). Il s'agit donc bien de production de savoirs appliqués sur le lieu du
laboratoire. À l'inverse, le champ de recherche sur la persuasion repose, pour une
bonne part, sur des études menées sur le terrain en •vue de produire des savoirs fonda-
mentaux (Bromberg et Trognon, 2004).
Considérer que cette assimilation entre le lieu de production du savoir (laboratoire
vs terrain) et le type de savoirs produits (fondamentaux vs appliqués) est inopérante
•
conduit logiquement à envisager que ces deux dimensions sont potentiellement ortho-
gonales. Prises indépendamment, chacune de ces deux dimensions ne permet pas de
terrain
recherche-action
recherche évaluative
savoir savoir
fondamental appliqué
I - La justice
II - Le sport
IV - La santé
V - Le transport
VI - GRH/industrie/organisation
VII - L'insertion
IX L'économie
-
XI - L'environnement
LECTURES CONSEILLÉES
Chéneau, S., & Ourlin, B. (2006). Les métiers de la psychologie. Paris : L'Étudiant.
Ghiglione, R. (1998). Les métiers de la psychologie. Paris : Dunod.
3 théories et méthodes
en psychologie sociale
Une théorie est « un ensemble de propositions reliées logiquement qui classent et expli-
quent un ensemble de phénomènes » (Moscovici, 1984). Selon cet auteur, il convient de
distinguer trois types de théories :
les théories paradigmatiques dont le rôle essentiel est de proposer une vision globale
des relations et des comportements humains ;
— les théories phénoménologiques qui visent généralement à décrire et expliquer une
famille de phénomènes connus ;
les théories opératoires qui tendent à dégager un mécanisme élémentaire qui
explique un ensemble de faits.
Les théories opératoires – d'aucun parlerait de modèles – sont de loin les plus
nombreuses en psychologie sociale. Des théories célèbres, comme la théorie de la disso-
nance cognitive ou l'hypothèse dynamogène destinée à rendre compte du phénomène
de facilitation sociale (voir chap. « Bases de la psychologie sociale »), apportent ainsi
une contribution importante à la compréhension du comportement social des individus.
Les théories phénoménologiques sont moins nombreuses. Elles ont constitué aussi une
avancée importante pour la compréhension de ce que fait l'individu. Ainsi, la théorie
de l'attribution causale (chap. « Histoire »), permet de comprendre pourquoi et com-
ment l'individu cherche à appréhender son environnement afin de tenter de le contrô-
ler. Ces théories opératoires ou phénoménologiques ont été développées dans le cadre
spécifique de la psychologie sociale ; ce n'est pas le cas des théories paradigmatiques
qui ne sont pas propres à la discipline, mais ont été développées dans le cadre plus
large de la psychologie expérimentale, en particulier de la psychologie générale, avec
des apports significatifs de la psychologie sociale. Deux grandes époques marquent ainsi
l'évolution des réflexions et des travaux conduit par les chercheurs en psychologie : le
courant behavioriste, puis le courant cognitiviste.
30 I Psychologie sociale
I - Le courant behavioriste
Des années 1920 aux années 1960, le behaviorisme (de l'anglais behavior : compor-
tement) a constitué le modèle théorique de référence en psychologie. Cette approche
repose sur le postulat suivant : « Le comportement des gens est directement déterminé
par les événements extérieurs à l'individu. » Ainsi le comportement humain peut être
modélisé selon un schéma simple « Stimulus —> Réponse ». C'est, en particulier, par la
distribution de renforcements positifs ou négatifs que l'on peut façonner l'individu et le
rendre conforme à l'image que l'on s'en fait. Ainsi, Watson (1913) affirmait que mode-
ler et former le comportement d'un enfant à n'importe quelles exigences d'une société
donnée peut se faire en ayant recours à une distribution adaptée de renforcements posi-
tifs (une récompense ; par exemple, en psychologie sociale, une approbation sociale) ou
négatifs (une punition ; par exemple, en psychologie sociale, une désapprobation
sociale). Plus radicale encore, Skinner (1948) considérait que l'ensemble des compor-
tements humains est le résultat d'une distribution adaptée de récompenses ou de
punitions.
Cette approche peut apparaître simplificatrice. On conçoit volontiers que les com-
portements des gens répondent à des motivations moins élémentaires que l'attente
d'une récompense ou l'évitement d'une punition. Pourtant, la plupart de nos comporte-
ments peuvent être qualifiés d'élémentaires et dénués d'intentions élaborées, bien sou-
vent réalisés de manière quasi automatique dans le but de répondre aux exigences du
quotidien. Ainsi, Hoffman (1983), l'un des principaux théoriciens du développement
moral, a montré que jusqu'à l'âge de 8 ans les enfants subissaient en moyenne un évé-
nement disciplinaire toutes les six à sept minutes de leur vie éveillée (par événement
disciplinaire, il faut entendre des interdits ou des obligations : « ne fais pas ceci », « fais
ça »). Kuczynski et Kochanska (1995) ont prolongé ces travaux en montrant que
70 `)/0 des relations mère-enfant entre 1 et 4 ans correspondent à des événements disci-
plinaires. On se doute pourtant que les parents de ces enfants ont une perception très
différente, plus « romantique », des relations qu'ils entretiennent avec leur progéniture.
Cela nous semble bien illustrer à la fois la pertinence d'une étude systématique des
comportements humains selon un schéma stimulus-réponse, et la difficulté que l'on a à
saisir l'importance de cette approche parce qu'elle nous renvoie à la trivialité de la plu-
part de nos comportements quotidiens.
Le behaviorisme a évolué avec le temps en un néo-behaviorisme, prenant en
compte les processus psychologiques en tant qu'ils médiatisent l'influence de facteurs
environnementaux sur les comportements humains. Autrement dit, les récompenses ou
les punitions ont une influence sur les attitudes, les croyances, les motivations des gens,
celles-ci déterminant elles-mêmes les comportements effectifs des individus. On peut
évoquer, dans cette perspective, les travaux d'Albert Bandura qui, dans une formula-
tion néo-behavioriste, développa une théorie de l'apprentissage social. Bandura et ses
collègues (1977) soutinrent ainsi l'idée qu'une grande partie de l'apprentissage des
règles morales ne passent pas par une distribution de renforcements, mais par
Théories et méthodes en psychologie sociale I 31
l'observation du comportement des autres. Autrui sert de modèle à l'individu qui, par
autorenforcement, et donc en recourant à des processus internes, va se guider dans la
réalisation de tel ou tel comportement. La formulation de Bandura préfigure une réin-
terprétation cognitive, plus axée sur les mécanismes qui amène un individu à émettre
un comportement, ce qui le conduira quelques années plus tard vers la notion d'auto-
efficacité selon laquelle les gens émettent une conduite d'autant plus facilement qu'ils
s'estiment capable de la réussir.
Il - Le courant cognitiviste
Les dernières décennies du xxe siècle ont vu la prédominance d'un tout autre
paradigme en psychologie : celui du traitement de l'information qui caractérise le cou-
rant cognitiviste. Selon ce courant, le comportement ne dépend plus seulement des
influences extérieures, mais aussi de processus mentaux. En psychologie sociale, Kurt
Lewin, Solomon Asch ou Fritz Heider constituent les précurseurs de cette approche. Ils
se sont inspirés de la théorie de la gestalt (ou théorie de la forme) dont Wertheimer
(1912), Kofika (1935), puis K5hler (1947) sont les principaux auteurs. Contrairement
aux behavioristes, les théoriciens de la gestalt considèrent que la globalité est un fait
perceptif premier. La personne traite d'abord la totalité et est influencée dans son acti-
vité de traitement, dans sa perception du monde par des processus internes. La réalité
externe à l'individu ne serait alors significative qu'en fonction d'une lecture particulière,
réalisée par l'individu. Dans une perspective cognitive, on considère ainsi que le com-
portement humain ne peut être compris qu'en référence aux mécanismes complexes
qui se déroulent dans l'univers de connaissance de l'individu. Autrement dit, l'idée est
que les gens se construisent leur monde de différentes façons et que ces constructions
psychologiques sont d'une certaine influence sur leur comportement social. C'est ainsi
que Heider (1944, 1958) va décrire un observateur du monde social dont la motivation
est de disposer d'un ensemble de connaissances dont la structure des relations entre élé-
ments de connaissance doit être équilibrée. Selon cette conception, chaque élément doit
entretenir avec les autres des relations harmonieuses, c'est-à-dire des relations respec-
tant quelques principes élémentaires comme « les amis de mes amis sont mes amis »,
« les ennemis de mes amis sont mes ennemis », ou encore « les amis de mes ennemis
sont mes ennemis ». Ce type de relations sont l'objet d'une préférence cognitive et cor-
respondent à ce que les personnes recherchent pour la stabilité de leur univers de
connaissance. Lewin (1951), pour sa part, inspiré également par la psychologie de la
forme, a développé la théorie du champ : les groupes d'individus correspondraient à
une gestalt qu'il convient d'étudier dans sa globalité parce qu'elle constitue pour le sujet
un fait perceptif premier. Il existerait une interdépendance entre le comportement et
l'environnement dans lequel l'individu évolue. Un changement dans une des dimen-
sions entraînerait alors un changement de l'ensemble. Cet ensemble est le champ et
correspond à la façon dont l'individu évolue dans le milieu extérieur. Asch (1946),
quant à lui, présenta une série d'expérimentations dans laquelle il appliqua une concep-
32 I Psychologie sociale
don gestaltiste à la perception des personnes. Il montra que les jugements que les per-
sonnes portent sur les gens relèvent d'une impression globale qui ne correspond pas
nécessairement au simple assemblage des parties.
Ces précurseurs sont à l'origine du courant de la cognition sociale. Cette approche
qui allait, dans les années 1980, devenir dominante (Ostrom, 1984), est axée sur l'étude
des processus cognitifs, c'est-à-dire des différents processus du traitement de
l'information comme l'encodage, le traitement, le stockage et la récupération de
l'information sociale. Pour comprendre et décrire ces mécanismes complexes, ils vont
avoir recours à une diversité importante de procédés de mesures. Ainsi, nombre de
recherches vont recourir à la prise en compte des temps de réaction, des capacités de
rappel, de reconnaissance comme autant de marqueurs de la manière dont l'individu
traite, stocke, récupère l'information sociale à laquelle il est, en permanence, exposé. La
cognition sociale considère « tous les facteurs influençant l'acquisition, la représentation,
et le rappel de l'information concernant les personnes, ainsi que les relations de ces pro-
cessus avec les jugements réalisés par l'observateur » (Hamilton, 1981, p. 136). Autre-
ment dit, la cognition sociale tient dans l'étude de « la façon dont les gens pensent au
sujet des gens, et comment ils pensent qu'ils pensent au sujet des gens » (Fiske et Taylor,
1984, p. 1). Selon cette approche (voir chap. « Bases de la psychologie sociale » pour une
présentation plus approfondie du courant de la cognition sociale), l'homme sera tour à
tour décrit comme un avare cognitif (Nisbett et Ross, 1980) qui recoure à des stratégies
cognitives simples (des heuristiques) pour traiter l'information ou comme un « tacticien
motivé » (Fiske et Taylor, 1991), c'est-à-dire « un penseur totalement engagé qui dispose
de multiples stratégies qu'il choisit en fonction de ses buts, motifs et besoins ».
EXPLICATIONS INTÉGRATIVES
Théologie
Littérature et philosophie
Sciences politiques
Sociologie
Psychologie sociale
Psychologie générale
Biologie
Chimie
Physique
EXPLICATIONS RÉDUCTIONNISTES
Théories et méthodes en psychologie sociale I 33
a, L'observation
De nombreux chercheurs s'accorderaient sur l'idée que l'observation est une étape
préalable et nécessaire à l'expérience. Pour Claude Bernard, qui est à l'origine de la
méthode expérimentale, l'observation est la base puisque selon lui « tant vaut
l'hypothèse et tant vaut l'expérience. Aussi bien, si l'expérience a une place préémi-
nente dans l'administration de la preuve, l'observation est cependant fondamentale. Et
il est vrai que les expérimentalistes ont parfois donné des arguments à leurs détracteurs
en se préoccupant plus de la rigueur de leurs moyens que de la valeur de leurs hypo-
thèses... L'expérimentaliste doit toujours repartir de l'observation » (1848, p. 5). Paul
Fraisse (1982), un des chercheurs qui a le plus contribué au développement de la psy-
chologie expérimentale en France, reconnaissait qu' « au début de toute science, il y a
l'observation. En psychologie, il en est de même. Les découvertes ne se font pas en
laboratoire, mais par l'observation fortuite ou systématique » (p. 166). De fait,
« l'ambition de la psychologie fondamentale n'est-elle pas de déceler les lois de ce que
fait l'homme dans chacun des moments de sa vie » (p. 166). Les méthodes
d'observation se sont particulièrement développées dans des domaines de recherches
dominés par des situations de communications non verbales (éthologie, étude du bébé,
analyse posturale) ou par des interactions sociales complexes.
Sur le plan pratique, la méthode d'observation doit être systématique. L'enjeu est
l'enregistrement ou la notation de la totalité des événements observés sur un terrain
préalablement déterminé par le chercheur. Cela consiste à observer les gens dans leur
cadre de vie habituel, milieu naturel où le chercheur essaiera de se faire le plus discret
possible afin de ne pas influencer le comportement des observés. Cette méthode,
complexe du point de vue de sa mise en oeuvre, présente l'avantage de fournir au cher-
cheur un large panel de facteurs interconnectés, permettant souvent de mettre en évi-
dence des actions et des relations passées jusque-là inaperçues. La démarche
d'observation doit répondre aux questions suivantes :
1 / Comment font-ils ?
2 / Que font-ils ?
3 / Quels sont les procédés mis en jeu ?
4 / Comment les décrire ?
5 / Comment les répertorier ?
b. Grille de Bales
On doit à Bales (1950) l'une des grilles d'observation les plus célèbres, permettant
de relever précisément l'ensemble des interactions entre les membres d'un groupe pour
apprécier l'évolution de la dynamique d'un groupe. L'objet de l'observation ne porte
pas ici sur ce que se disent les membres du groupe, mais plutôt sur la manière dont ils
se disent les choses. C'est donc bien plus à la dynamique de la communication que l'on
s'intéresse qu'à son contenu. Bales propose un ensemble de processus de communica-
tion qu'il répartit dans 12 catégories susceptibles de permettre de décrire les comporte-
ments des participants à n'importe quel groupe en interaction :
1 / fait preuve de solidarité envers les membres du groupe ;
2 / fait preuve d'un comportement susceptible d'entraîner de la détente ;
3 / fait preuve d'un comportement d'approbation ;
4 / fournit une suggestion ;
5 / fournit une opinion ;
6 / fournit une orientation ;
7 / demande une orientation ;
8 / demande une opinion ;
9 / demande une suggestion ;
10 / fait preuve d'un comportement de désapprobation ;
11 / fait preuve d'un comportement susceptible d'entraîner de la tension ;
12 / fait preuve d'antagonisme envers les membres du groupe.
c. Le sociogramme
a. Conduite d'entretien
nante pour cadrer l'entretien. Mener un entretien nécessite une formation comprenant
quelques savoirs, et surtout de nombreux savoirs-faire pour éviter toute influence de
l'interviewer et faciliter la production d'un discours centré sur le thème d'étude.
L'interviewer doit ainsi avoir assimilé les techniques de reformulation, de demande de
clarifications, de résumés de contenu, d'échos ou miroirs (répétitions d'un mot, d'une
expression ou d'une phrase), d'interprétations reformulées en proposant des pistes de
réflexions à l'interviewé, de reflet (expliciter une attitude ou une émotion), de recen-
trage (revenir sur le thème de l'entretien), de demande neutre d'informations complé-
mentaires ou d'éclaircissement, de marque d'écoutes (recourir à des interventions
brèves pour manifester de l'intérêt), mais aussi de silences.
Lorsque le chercheur aura fait le choix d'un entretien semi-directif, il devra au
préalable avoir préparé un guide d'entretien, établi sur la base de quelques entretiens
exploratoires, dont l'objectif aura été de répertorier les thèmes devant être abordés au
cours de la phase d'entretiens proprement dite. À la suite d'une analyse de contenu des
déclarations, on poursuivra généralement les entretiens de recherche par une enquête
par questionnaire.
L'enquête par questionnaire, dont les sondages d'opinion constituent un cas parti-
culier, est une méthodologie qui repose sur un ensemble cohérent et articulé de ques-
tions portant sur un problème particulier. Le questionnaire, dont la passation est géné-
ralement effectuée par écrit, quelquefois à l'oral, est construit sur la base d'entretiens de
recherche préalables menés auprès d'un petit échantillon de personnes. Ces entretiens
permettent de cerner plus précisément une problématique que le chercheur a com-
mencé à dégager à partir de la littérature scientifique et de quelques intuitions. Il est
infiniment plus difficile de construire un questionnaire valide que ce que l'on pourrait
penser au vu de quelques questionnaires remplis à la demande de divers instituts
d'enquête. Outre le problème de la pertinence des questions posées au regard de la
problématique de l'étude ou celui de l'échantillonnage visant à obtenir un ensemble de
sujets représentatifs de la population étudiée, une large série de problèmes est posée par
les différents formats de réponses envisagés et la formulation des questions, les uns
comme les autres étant susceptibles d'influer sur les réponses (voir les lectures conseil-
lées, en fin de chapitre, et le chap. « Méthode de l'enquête »).
V - La méthode expérimentale
savant complet est celui qui embrasse à la fois la théorie et la pratique expérimentale :
1 / il constate un fait ; 2 / à propos de ce fait, une idée naît dans son esprit ; 3 / en vue
de cette idée, il raisonne, institue une expérience, en imagine et en réalise les conditions
matérielles ; 4 / de cette expérience résultent de nouveaux phénomènes qu'il faut obser-
ver, et ainsi de suite. L'esprit du savant se trouve en quelque sorte toujours placé entre
deux observations : l'une qui sert de point de départ au raisonnement, et l'autre qui lui
sert de conclusion » (p. 54).
Le cadre opératoire « naturel » de la méthode expérimentale est le laboratoire.
Festinger, un des grands auteurs de la psychologie sociale, considère que « l'expérience
de laboratoire vise à créer une situation dans laquelle l'opération de certaines variables
pourra être mise en lumière, grâce à des conditions spéciales, bien identifiées et claire-
ment définies » (1950). Grâce au recours au laboratoire, le chercheur pourra donc
manipuler les quelques variables dont il postule, par hypothèse, qu'elles produiront un
effet attendu (on qualifie ces variables d'indépendantes). Cet effet sera apprécié par
l'observation de la variation d'une ou plusieurs mesures (on qualifie ces mesures de
variables dépendantes).
L'expérimentation est une modélisation d'une situation de la vie réelle. Par nature,
elle constitue donc une simplification de la réalité, mais rend ainsi possible
l'établissement de causalité entre les événements. En effet, le chercheur pose les condi-
tions pour raisonner « toutes choses étant égales par ailleurs ». Il va ainsi neutraliser
tous les facteurs — autres que ceux qu'il souhaite manipuler — susceptibles d'influencer,
de fausser ou de masquer le phénomène étudié, et en même temps manipuler les prin-
cipaux facteurs qui l'intéressent selon des modalités qu'il détermine. Si, à la suite de la
manipulation des facteurs, on enregistre un changement de comportement, ce change-
ment ne pourra être dû qu'aux facteurs manipulés (toutes les autres causes possibles de
la modification ayant été neutralisées). Une notion essentielle, inhérente à la méthode
expérimentale, est donc celle de comparaison. On compare ainsi — en ayant recours
aux statistiques — les mêmes sujets placés dans deux conditions expérimentales diffé-
rentes, ou l'on compare deux groupes équivalents de sujets, chacun étant placé dans
une situation expérimentale particulière.
Ce qui caractérise la méthode expérimentale par rapport à d'autres méthodes
d'investigation en psychologie, ce n'est pas la rigueur de la démarche (une étude
d'archives ou une enquête par questionnaires peuvent être menées d'une manière aussi
rigoureuse qu'une expérimentation), c'est la précision des mesures effectuées, et surtout
la possibilité de provoquer un phénomène dans des conditions de contrôle importantes,
permettant d'attribuer, avec un assez grand degré de certitude, les effets obtenus à
l'intervention des variables manipulées, ou à leur combinaison.
La méthode expérimentale possède, cependant, les défauts de ses avantages : la
généralisation des résultats obtenus dans le cadre du laboratoire est toujours sujette à
caution (il est toujours indispensable de renouveler une expérience en variant les
contextes dans lesquels elle se déroule, les modalités des variables indépendantes mani-
pulées, voire la combinaison des variables impliquées avant de généraliser précaution-
neusement les résultats obtenus), et le choix de l'échantillon d'étude est un problème
intrinsèque qui limite souvent la possibilité de généraliser les résultats obtenus sur un
petit échantillon de sujets volontaires à une population parente. La psychologie sociale,
40 I Psychologie sociale
tion affecte les résultats des expériences réalisées en psychologie. A minima, un peu de
prudence paraît de mise dans l'interprétation des données obtenues.
Si les recherches en psychologie ne font pas appel à des sujets contraints,
l'incitation à participer peut être néanmoins relativement forte. En effet, dans de nom-
breuses universités, les étudiants sont fortement incités à participer aux expérimenta-
tions, ce qui leur permet de s'acquitter de crédits d'enseignement, voire d'obtenir une
rémunération. Ils participent donc bien souvent à de multiples protocoles expérimen-
taux, ce qui accentue leur absence de naïveté, mais est aussi au demeurant susceptible
de produire des effets que personne n'ose sérieusement envisager, la participation à une
première expérience pouvant affecter les résultats d'une seconde (Breer et Locke, 1965).
La question est donc encore celle de la théorie que se forgent les sujets de ce que l'on
attend d'eux dans la situation expérimentale, sachant que, de manière générale, les par-
ticipants aux expériences vont chercher à se présenter sous leur meilleur jour.
2 / Contrat de communication,
consignes implicites et biais de l'expérimentateur
3/ Regard psychosocial
sur les considérations éthiques liées à l'expérimentation
1. www.sfpsy.org .
44 I Psychologie sociale
LECTURES CONSEILLÉES
Berthier, N. (1998). Les techniques d'enquête : méthode et exercices corrigés. Paris : Armand Colin.
Blanchet, A., & Gotman, A. (1992). L'enquête et ses méthodes : l'entretien. Paris : Nathan.
Ghiglione, R., & Matalon, B. (1978). Les enquêtes sociologiques : théories et pratique. Paris : Armand
Colin.
Lewin, K. (1959). La psychologie dynamique : les relations humaines. Paris : PUF.
Mariné, C., & Escribe, C. (1998). Histoire de la psychologie générale : du béhaviorisme au cognitivisme.
Paris : InPress Éditions.
Py, J., & Somat, A. (1999). L'effet expérimental de persévérance des croyances. In W. Doise,
N. Dubois, & J. L. Beauvois (Eds.), La psychologie sociale. 4 : La construction sociale de la per-
sonne. Grenoble : PUG, 290-292.
Rossi, J.-P. (1997). L'approche expérimentale en psychologie. Paris : Dunod.
4 méthodologie de l'enquête
Introduction
L'enquête comporte cinq grandes étapes résumées dans la figure 1, chacune com-
porte un certain nombre de points à aborder.
46 I Psychologie sociale
ENQUÊTE
B -PRÉ-ENQUÊTE
- Définition des Variables et formulation des
hypothèses
Définition de l'univers de l'enquête et
échantillonnage
Plan de recueil de données
D - PHASE 2 DE L'ENQUÊTE
Phase quantitative de l'enquête
C-PHASE 1 DE L'ENQUÊTE (questionnaires)
Phase qualitative de l'enquête (entretiens auprès
- formulation des questions
d'un échantillon réduit) - préparation et pré-test du questionnaire
- préparation et passation des entretiens - passation
- analyse des entretiens
-->
Codage des réponses et Traitement des résultats
- dépouillement et codage des réponses
- analyse statistique et interprétation des résultats
1
E-COMMUN1CATION DES RÉSULTATS : RAPPORT D'ENQUÊTE
L'objet retenu doit avoir un caractère social, c'est-à-dire faire l'objet d'enjeux écono-
miques, culturels, professionnels, politiques, etc., impliquant des groupes sociaux. La
visibilité est également importante, elle est présente lorsque l'objet est le centre de débats
contradictoires entre groupes (cf. Moliner, 2001). Ainsi, « les violences urbaines » « les
oGm » peuvent pleinement être considérés comme des objets sociaux visibles, alors que
« les groupes », « le temps » nécessiteraient des conditions bien précises pour être consi-
dérés comme tels (s'il s'agit par exemple du « temps de travail » ou de « l'intégration des
groupes minoritaires »).
L'enquête apprécie la relation que des enquêtés ont avec un objet social. Il est
important de préciser quel est le type de relation visé (cherche-t-on à mesurer une atti-
tude, des préjugés/stéréotypes ou une représentation ?) pour que l'entretien et le ques-
tionnaire ne se résument pas à une suite de questions désordonnées mais à des outils
présentant des garanties de validité (prédictive et interprétative notamment).
tions contre le cPE ? » L'analyse des réponses donne une indication de l'attitude des
sujets vis-à-vis des mesures de lutte contre le chômage prises par le gouvernement.
Ensuite, il faut souligner que les attitudes sont présentes dans des réseaux attitudinaux. La
place d'une attitude au sein du réseau dépend de deux facteurs. Tout d'abord le degré de
généralité de l'objet sur lequel elle porte : sont distinguées les attitudes supra-ordonnées
(attitude à l'égard de l'écologie par exemple) des attitudes infra-ordonnées (attitude sur
la construction de centrales nucléaires, l'utilisation des transports en commun...). Il est
admis que les attitudes supra-ordonnées ont une incidence plus grande sur les compor-
tements et qu'elle sont plus stables (cf. la théorie de la dissonance cognitive de Festin-
ger, 1957). Ce caractère vient ensuite se combiner avec le degré de centralité de l'attitude.
La centralité renvoie à l'importance que revêt l'objet attitudinal pour le sujet. Les atti-
tudes centrales sont fortement liées aux normes, elles déterminent les comportements et
présentent une grande stabilité. En principe, la centralité est indépendante de la géné-
ralité. Cependant, les attitudes les plus centrales se trouvent le plus souvent être les plus
élevées dans la hiérarchie, c'est le cas des attitudes relatives à la société, au travail, à la
politique, à la famille, etc.'. Au sein du réseau, les attitudes ne présentent pas que des
relations de simple connexité, elles peuvent également avoir des liaisons logiques
comme l'inclusion (l'attitude face à l'écologie recouvre celle liée au recyclage des déchets)
la causalité ou la covariation (l'attitude face à l'arrêt du service militaire obligatoire peut
impliquer celle sur une armée de métier), etc. Cette organisation en réseaux génère et
entretient sa propre cohérence, on peut ainsi observer une formation des attitudes par
inférence et pas uniquement à partir d'une expérience directe de l'objet attitudinal. Le
raisonnement inférenciel peut être inductif, déductif, analogique, etc. Dans cette
optique, une attitude supra-ordonnée positive peut déterminer la valeur de celles qu'elle
inclut. La disposition en réseau a également une autre conséquence, apparaît un phé-
nomène de propagation dans le changement des attitudes connexes. Cette contagion est
d'autant plus massive que l'attitude est touchée à un haut degré de généralité et/ou de
centralité. Heureusement cette réactivité est contrebalancée par l'existence de mécanis-
mes de défense comme « l'exposition sélective » ou les « biais dans le souvenir » comme
la distorsion et la « mémorisation sélective ». Ces mécanismes permettent de limiter les
changements au sein du réseau. Enfin il est possible de distinguer trois composantes attitu-
dinales (Allport, 1935 ; Rosenberg et Hovland, 1960). La composante affective corres-
pond aux émotions positives ou négatives que l'individu a à l'égard de l'objet attitudi-
nal, ce qui se traduit par une évaluation de cet objet comme étant bon ou mauvais,
intéressant ou inintéressant, etc. La composante cognitive renvoie aux connaissan-
ces/croyances de l'individu et à la crédibilité qu'il leur accorde, ce qui se traduit par
des jugements de vérité. La composante conative ou énergétique est relative aux compor-
tements de l'individu et à ses intentions comportementales, ce qui se traduit par des
procédures, des règles d'action. Dans la théorie ces trois composantes sont cohérentes.
Cependant, l'inférence d'une dimension à partir d'une autre peut s'avérer difficile,
1. Pour des raisons contextuelles, cette configuration peut néanmoins s'inverser : une attitude infra-ordonnée
(comme la construction de centrales nucléaires) peut se trouver subitement, pour un individu, en position
centrale parce que, par exemple, sa maison d'habitation se trouve dans le périmètre de sécurité d'une
future centrale.
Méthodologie de l'enquête I 49
voire être source d'erreur : de nombreuses études empiriques ont en effet montré qu'un
individu peut annoncer qu'il est favorable au tri des ordures ménagères et jeter sans
distinction dans ses poubelles, le verre et les piles'. De la même manière, une personne
peut ne détenir aucun renseignement sur un objet attitudinal et avoir néanmoins une
réaction affective vis-à-vis de celui-ci.
Il est important de souligner que l'ensemble de ces caractéristiques a des conséquen-
ces directes sur la mesure effectuée. Une mesure d'attitude nécessite une implication des
sujets en tant qu'individus pour appréhender leur relation personnelle à l'objet. Le niveau de
généralité de l'objet attitudinal doit être pris en compte pour pouvoir déterminer les attitu-
des infra et supra ordonnées puis les mesurer. Il ne suffit pas de mesurer l'attitude vis-à-vis
de l'écologie, il faut également poser des questions sur des objets plus spécifiques. Inver-
sement, s'attacher à des objets particuliers sans prendre en compte le niveau supérieur
serait insuffisant. Le degré de centralité de l'attitude doit également être mesuré pour appré-
hender l'incidence de la position attitudinale sur les conduites des individus interrogés,
ou sur la résistance possible face à une intervention à but persuasif. De même,
l'environnement de l'attitude au sein du réseau attitudinal devra être évalué grâce à une mesure
des attitudes connexes. Enfin, doivent être appréciées les différentes dimensions : la mesure
portera donc sur les connaissances, les comportements et les affects vis-à-vis de l'objet.
1. Parfois cette apparente incohérence peut trouver des justifications rationalisantes exemple, invoquer le
risque de perte d'emploi pour les personnels employés au tri) pour atténuer l'écart entre les dimensions
affective et conative.
50 I Psychologie sociale
groupale, leur mesure apparaît d'un grand intérêt. Elle permet en effet d'appréhender
les relations intergroupes : symétriques ou asymétriques, et dans ce dernier cas, de révéler la
nature de l'asymétrie (cf. Sales-Wuillemin, 2005, 2006).
Ces caractéristiques ont des conséquences sur la mesure effectuée. Le dispositif
doit mobiliser l'appartenance des sujets à un groupe pour clairement distinguer l' endostéréoppe
de l'exostéréoppe. Ensuite, il faut mettre en évidence la nature de la partition et les positions
de chacun des groupes dans celle-ci. Cela se fait en trois étapes. Tout d'abord, il faut
procéder à la vérification de l'existence réelle d'une partition, les groupes doivent se
percevoir comme distincts les uns des autres. Ensuite, il faut déterminer la nature des
relations, sont-elles symétriques ou asymétriques ? Autrement dit, est-on dans une rela-
tion paritaire ou une relation majoritaire/minoritaire. Si tel est le cas, il faudra évaluer,
grâce à un travail sociologique et historique approfondi, la nature de l'asymétrie et son
origine ainsi que le positionnement respectif de chacun des groupes. Par exemple, s'il
s'agit d'une partition de valeur, quel est le groupe valorisé/dévalorisé, s'il s'agit d'une
partition en fonction du nombre, quel est le groupe majeur/mineur, etc. (pour toutes
ces notions cf. Sales-Wuillemin, 2006).
(1' « innocent », le « fou mental », etc.), qui permettent de ranger d'emblée tout nou-
veau venu et d'adapter son comportement.
La structure des représentations sociales a été décrite grâce à la théorie du noyau
central (Flament, 1989 ; Abric, 1989) qui prédit que toute représentation s'organise en
deux systèmes. Le Système central (sc) est composé d'éléments qui structurent et orien-
tent la représentation dans son ensemble. Le Système périphérique (si') comprend des
éléments qui particularisent la représentation, décryptent la réalité et protègent le sys-
tème central. Dans l'optique structurale, pour dire qu'une représentation se transforme,
il faut qu'il y ait modification des éléments du SC. Elle peut avoir plusieurs origines,
mais résulte d'une contradiction entre le sc et l'environnement. Le cas le plus typique
étant le changement des pratiques du groupe (cf. Guimelli, 1989).
L'ensemble de ces caractéristiques a des conséquences directes sur la mesure.
Mesurer une représentation suppose un objet (sur lequel porte la représentation) et un
substrat (un groupe qui en est porteur), ce qui implique que les individus soient interro-
gés en tant que membre d'un groupe précis, c'est cette appartenance catégorielle qu'il
leur faudra mobiliser. De plus, le groupe n'est pas choisi au hasard, il l'est parce qu'il
est censé être le plus signifiant en regard de l'objet et de l'ensemble social considéré.
Pour montrer sa spécificité il faudra le comparer à d'autres groupes sociaux. L'analyse
de la représentation peut également révéler le positionnement de chacun au sein de
l'ensemble social. Par exemple, la représentation de l'hygiène diffère selon que l'on est
médecin, infirmier, étudiant spécialisé, ou étudiant non spécialisé en soins infirmiers,
parce que la relation à l'objet dépend du rôle social, des connaissances, des prati-
ques, etc., à propos de cet objet (Sales-Wuillemin, 2005).
a. La question d'étude
pendantes (vi) et des variables dépendantes (vD). Il peut s'agir par exemple de mettre
en évidence le lien existant entre la spécialisation des études suivies et la représentation
d'un objet comme le sida, comme nous le développons plus loin.
Même si l'on est porté par l'enthousiasme d'un projet, les moyens matériels doi-
vent être pris en compte. A-t-on accès à la population visée ? De quel délai bénéficie-
t-on ? Les modalités de recueil-questionnement sont-elles acceptables ? Autant de ques-
tions qui sans être centrales en regard de la problématique, peuvent néanmoins avoir
pour effet une reformulation radicale de la question d'étude.
B - LA PRÉ ENQUÊTE
-
Elle permet de situer l'objet d'étude dans un contexte global (sociologique, écono-
mique, historique, psychologique) et de formuler des hypothèses générales. Bien que
cruciale, cette étape est peu formalisée. Tous les supports ou moyens d'information accessi-
bles sont exploités, il peut ainsi s'agir de réaliser une observation directe ou de mettre
en oeuvre une méthode documentaliste.
1. Ces erreurs peuvent être différentes : non-application du protocole, application inadaptée, ou application
d'un protocole inadéquat.
Méthodologie de l'enquête I 53
sont spécifiques, il n'est en général pas possible de mettre en évidence des relations causa-
les. Dans l'expérimentation les vt sont en principe provoquées, c'est-à-dire manipulées par
l'expérimentateur. Chaque vi se décompose en plusieurs modalités que peut prendre la
variable. Par exemple, si l'on souhaite montrer l'effet de l'influence majoritaire sur les
réponses individuelles, on pourra manipuler les conditions d'énonciation de la réponse
en distinguant deux modalités : oral, les sujets entendent les réponses des autres partici-
pants et écrit, les réponses des autres ne sont pas communiquées. Les sujets peuvent avoir
une tâche de jugement : comparer la longueur d'une ligne étalon à trois autres lignes de
différentes longueurs (cf. Asch, 1951). Ce sont ces jugements qui constituent la VD, ils
permettent de mesurer l'éventuelle existence de l'effet attendu et son ampleur.
Dans l'enquête, les vt ne sont que très rarement manipulées, elles sont en principe
invoquées, cela veut dire qu'elles existent indépendamment de l'action du chercheur. Elles
s'apparentent plus à des critères de classification qui permettent de comparer plusieurs
situations. Les \TI invoquées pouvant être utilisées dans un dispositif d'enquête relatif à
l'hygiène hospitalière pourraient être le métier exercé (deux modalités : infirmière versus
médecin), l'ancienneté (plus de quinze ans versus de cinq à dix ans versus moins de trois
ans d'expérience), etc. Les. VD correspondent à des indicateurs apparaissant dans les
réponses des individus interrogés. Que les vt soient provoquées ou invoquées, la com-
paraison se fera entre plusieurs modalités d'une même vt (comparer les réponses des
infirmières et des médecins), ou après croisement des modalités de plusieurs variables
(comparer les infirmières ayant plus de quinze ans d'expérience, à celles ayant entre
cinq et dix ans ou moins de trois ans d'expérience). Cependant l'interprétation
d'éventuelles différences dépend de ce qui a véritablement été pris en compte au travers
du choix des vI et VD. Voici pourquoi ces variables doivent être décrites à un niveau
théorique et opérationnel.
Il est nécessaire de distinguer le phénomène que l'on souhaite faire varier ou sim-
plement prendre en compte (par exemple, l'influence à laquelle peut être soumis un
individu, la forme de connaissance qu'il a d'un objet avec lequel il est en relation...) et
la façon dont cette variable va se traduire. Si cette distinction n'était pas faite, cela ris-
querait de conduire à une impasse au moment de l'interprétation. Il est en effet tou-
jours possible d'observer des différences, mais l'interprétation de la signification de cette
différence nécessite une connaissance des variables qui en sont à l'origine. Par exemple,
une vt théorique « les origines des connaissances acquises à propos d'un objet comme
l'Entreprise 2 » peut comporter deux modalités que l'on peut vouloir comparer : une
connaissance générale (sans pratique), une connaissance générale doublée d'une pra-
tique. D'un point de vue opérationnel, la première modalité peut se concrétiser au travers
du choix d'un ensemble d'individus qui connaissent l'objet entreprise, mais sans jamais
avoir eu de contact, sous la forme d'un emploi ou d'un stage (ce qui est le cas de bon
Les hypothèses sont des affirmations provisoires qui seront vérifiées grâce à une mise
à l'épreuve. Cela implique naturellement qu'elles soient exhaustives, pertinentes et vérifiables.
L'exhaustivité est en lien avec les vi (invoquées ou provoquées). Une hypothèse par variable
peut être formulée pour prédire l'effet simple. Si plusieurs vI sont considérées, il faudra
considérer les effets d'interaction. Dans ce dernier cas, une prédiction pour chacun des
croisements obtenus peut, sans que ce soit une obligation, être réalisée. L'évaluation de la
pertinence d'une hypothèse est plus délicate, elle réside dans le lien existant entre l'effet pré-
dit et le cadre théorique. Pour être pertinente l'hypothèse doit pouvoir découler directe-
ment de ce cadre. Les hypothèses doivent être énoncées de manière à pouvoir clairement
être confirmées ou infirmées. La vérifiabilité d'une hypothèse repose sur les VD retenues et
plus exactement sur les indicateurs qui font l'objet de la mesure. Les hypothèses doivent
inclure une référence explicite à ces indicateurs et prédire les variations attendues. Voici
pourquoi, elles sont construites en deux parties. La première, appelée hypothèse générale
ou théorique, contient une prédiction de portée générale. La seconde appelée hypothèse
spécifique ou opérationnelle contient des indicateurs qui permettront de vérifier la confirma-
tion ou l'infirmation de l'hypothèse. Voici un exemple d'hypothèse :
I. La méthode des SCB consiste après une tâche d'associations verbales à demander aux sujets d'identifier les
liens existant entre le mot inducteur (référant à l'objet de la représentation) et les mots induits (produits
par les sujets). Ces liens sont établis grâce à des connecteurs regroupés en trois métaschèmes : Description,
Évaluation et Praxéologie.
Méthodologie de l'enquête I 55
1. On peut toutefois douter de la spontanéité des réponses des répondants qui participent depuis de nom-
breux mois à cette étude.
56 I Psychologie sociale
Le plan schématise les différentes situations à comparer en relation directe avec les
hypothèses et les w. Il peut contenir une vi avec ses différentes modalités, ou plu-
sieurs vi dont les modalités sont croisées, quand le croisement est systématique — que
toutes les modalités sont testées — il s'agit d'un plan factoriel. Il s'agit d'indiquer le
nombre de conditions obtenues au terme du croisement et le nombre d'individus inter-
rogés dans chaque condition. Imaginons une étude qui porte sur la représentation des
malades atteints du sida dans laquelle seraient analysés les liens entre le contexte
d'acquisition des connaissances (vi théorique à deux modalités : dans le domaine de la
santé / du social') et la représentation (vD théorique). Pour ce qui concerne la vi opéra-
tionnelle nous pourrions comparer deux groupes : des élèves infirmières et assistantes
sociales. Le niveau d'étude serait ainsi contrôlé (vc) en le laissant à valeur constante.
Imaginons maintenant que cette étude prévoit d'inclure une deuxième w théorique qui
serait la valorisation de la cible, deux modalités : cible valorisée/dévalorisée'. Pour ce
qui concerne l'opérationnalisation, nous pourrions opter pour la comparaison de deux
cibles : des malades atteints du sida toxicomanes-prostitués / malades atteints du sida
hémophiles-transfusés'. Le plan de recueil comprendrait quatre cases correspondant au
croisement de ces deux w à deux modalités.
Toxicomanes, prostitués 50 50
Hémophiles, transfusés 50 50
1. L'étude présentée par Morin (1999) semble montrer qu'il existe une différence entre les représentations de
ces deux groupes.
2. En référence à l'étude de Apostolidis et Cordival citée dans l'ouvrage coordonné par Gosling en 1996.
3. Si l'on en croit l'étude réalisée par Apostolidis et Cordival (1996) le mode de contraction de la maladie a
une incidence sur l'image des malades atteints du sida, les malades homosexuels et toxicomanes semblent
être perçus comme des coupables, alors que les malades transfusés et les hémophiles sont perçus comme
des victimes innocentes.
Méthodologie de l'enquête I 57
L'entretien est utilisé avec des objectifs très divers (diagnostic clinique, recrute-
ment, enquête...). Ce qui donne lieu à une déclinaison importante de pratiques et
entraîne parfois un certain nombre de confusions. Il s'agit ici de présenter les spécifici-
tés de l'entretien d'enquête au sein des entretiens de recherche. Il peut être utilisé préa-
lablement à la réalisation d'un questionnaire (entretiens exploratoires) ou en lieu et place
d'un questionnaire (entretiens d'observation). L'entretien exploratoire permet de se
familiariser avec l'image que la population ciblée a de l'objet de l'enquête, de poser des
hypothèses spécifiques, de répertorier les réactions des individus à propos de l'objet et de
les insérer au sein du questionnaire avec une formulation adaptée (sous la forme de ques-
tions à choix multiples par exemple). L'entretien d'observation est utilisé pour révéler
directement l'image que la population interviewée a de l'objet de l'enquête'. Il est privi-
légié lorsqu'il s'agit d'appréhender des processus de pensée avec une plus grande finesse, ou
de mettre au jour les opérations mentales mises en oeuvre par les individus dans la gestion
de la réalité sociale, les attributions causales, la dissonance, l'intériorisation des normes,
l'élaboration des attitudes, etc., ou encore pour permettre à l'interviewé (P) de traduire
sa pensée de manière progressive, modulée et personnelle sans l'enfermer dans un cadre de réfé-
rence, des schèmes de pensée préétablis. La part d'initiative varie toutefois selon le type
d'entretien utilisé et plus particulièrement le mode de conduction.
Il - L'entretien de recherche :
un contrat de communication particulier
1. Sans viser la représentativité, la taille de l'échantillon interrogé est plus importante que dans les entretiens
exploratoires.
58 I Psychologie sociale
voire même faire une recherche pour les compléter (biais de complaisance, biais de
conformisme, biais d'estime de soi...). La consigne inductrice fixe ou rappelle les paramètres
er
du contrat de communication entre n et l'Ié (statuts, buts de la communication, atten-
tes ler...). Elle est construite, rédigée, apprise par coeur puis récitée lors de chaque entre-
tien afin de les rendre comparables (standardisation de la consigne). La formulation se fait
avec beaucoup de soin dans le choix des termes qui déterminent le sens à attribuer au dis-
cours ultérieur du sujet et dans la clarté des mots utilisés de manière à ce qu'il n'y ait pas
d'ambiguïté sur le thème à traiter. Voilà pourquoi il est conseillé de la prétester. Cette
consigne doit comporter au moins cinq points. Tout d'abord il faut faire l'annonce du
thème, des objectifs généraux de l'entretien, ensuite fixer le statut de Pr en rapport avec le cadre
dans lequel est réalisé le recueil de données, ce qui permet d'installer la relation. Puis, la
durée prévue de l'entretien doit être notifiée de façon à permettre à PP de programmer son
discours et de s'investir dans l'entretien. Cette durée ne doit pas être inférieure à vingt
minutes, car souvent au départ PP se réfugie derrière des stéréotypes, même si en réalité il
n'y adhère pas. Il se protège, par peur d'un jugement négatif et de l'utilisation qui pourra
être faite de ses propos. À la suite, la déclaration de l'enregistrement de l'entretien doit être réa-
lisée, elle se fait dans le respect des règles déontologiques. Elle peut être justifiée auprès de
l'Ié en avançant un allègement de la prise de note ainsi qu'une écoute plus attentive.
Enfin, la présentation de la question inductrice, sert d'amorce (au sens cognitif du terme), elle a
un effet sur les éléments de connaissance, les valeurs, les réactions comportementales,
mobilisés par les individus interrogés'. De multiples recherches (cf. Sales-Wuillemin,
2005) montrent que le choix du verbe inducteur est déterminant. C'est lui en effet qui fixe le
rapport à l'objet et donc les dimensions qui seront mises en saillance 2 par les sujets et plus
généralement leur style discursif. Voici trois exemples de questions inductrices.
« J'aimerais savoir comment vous expliquez (analysez, examinez, comprenez...) votre situa-
tion par rapport à votre logement » entraîne un discours explicatif de type réalité à construire
(cf. Ghiglione, 1988). Cette consigne vise à mettre en évidence la façon dont un sujet com-
prend un objet donné. La relation à l'objet est cognitive.
« J'aimerais savoir ce que vous pensez de (comment vous évaluez, jugez...) votre situa-
tion par rapport à votre logement » oriente vers un discours évaluatif de type réalité comme
univers possible ( Ghiglione, 1988). Cette consigne vise en effet à obtenir une évaluation, une
« opinion » du sujet à l'égard d'un objet donné. La relation à l'objet est affective.
« J'aimerais savoir comment vous décririez (retraceriez, raconteriez, énonceriez...) votre
situation par rapport à votre logement » conduit à un discours narratif de type réalité à affir-
mer ( Ghiglione, 1988). Cette consigne vise en effet à obtenir des données factuelles concer-
nant le sujet ou l'objet. La relation à l'objet est conative.
Une fois la consigne énoncée, l'entretien peut se dérouler. Pour faciliter la produc-
tion discursive de l'I" produit des marques d'accord et d'attention. Elles peuvent
être non verbales (regards, sourires...), ou verbales (validations explicites comme « oui »
1. Sales-Wuillemin et al., 2003, montrent que si l'on fait varier de manière systématique le terme utilisé pour
désigner l'objet de la représentation, les éléments activés par les sujets varient également.
2. Les consignes de type « j'aimerais savoir ce que représente pour vous... » ne centrent pas sur une dimension
particulière de l'objet.
60 I Psychologie sociale
« d'accord » « mmh », etc.). Toutes ces marques constituent un feed-back (Wiener, 1948)
qui peut remplir une ou plusieurs fonctions.
Les marques d'accord produites par Prr constituent un feed-back partiel, seule la
fonction de régulation est remplie, elles ne peuvent donc suffire au bon déroulement de
l'échange, a besoin d'un retour plus spécifique, sinon son discours devient hésitant
et finit par s'arrêter. Aussi l'Ier est-il conduit à produire des relances, c'est-à-dire des
reprises plus ou moins libres du discours de Toutefois, pour limiter les phénomènes
d'influence, elles sont construites de façon à ne remplir que la première et la dernière
fonction du feed-back. L'Ier n'apporte pas d'élément informatif, il se contente de ren-
voyer le discours pour signaler qu'il est à l'écoute (fonction de régulation) et pour
conduire à expliciter ses propos (fonction de cumulation didactique).
Une relance est formulée par l'Ier uniquement lorsque se produit une rupture dans
le discours de l'Ié. En s'inspirant de Blanchet et al. (1992) ainsi que de Chauchat (1985)
il est possible de dénombrer 6 principales formes de relance, réparties en deux catégo-
ries, les relances non directives et les relances directives : les réitérations, les réitérations
thématiques, les reformulations et les formulations du non-dit sont des relances non direc-
tives. Par contre, les questions spontanées ainsi que les questions préparées à l'avance
insérées dans le guide d'entretien, sont des relances directives. Par ailleurs, selon Blanchet
(1991) il existe deux registres dans la relance, le registre modal qui fonctionne comme un
miroir, en reflet, il renvoie son discours à l'r, en l'identifiant comme source. L'attitude de
peut apparaître explicitement au travers d'expressions diverses comme « il me
semble », « pour moi » ou rester implicite. Lorsque la relance est modale, l'attitude est
reprise quand elle apparaît explicitement et révélée quand elle était implicite. Dans les
deux cas la relance se fait en incluant des formules comme « pour vous », « à votre
Méthodologie de l'enquête I 61
avis », «dans votre esprit », etc. Le registre référentiel fonctionne en écho, il renvoie le
contenu du discours. La reprise faite par l ' Ier élide l'attitude de l'I é quand elle a été
exprimée explicitement, et la laisse implicite si elle l'était au départ. La relance ne men-
tionne que les faits relatés. L'utilisation de chacun de ces registres à un effet sur le dis-
cours de Le registre modal entraîne une modalisation du discours et se traduit par
l'apparition de marques explicitant l'attitude ( « il me semble » « pour moi » ), parce
qu'il est entendu par l'Ié comme une remise en cause de sa sincérité (celui-ci est donc
amené à réaffirmer que c'est bien là son point de vue). Cet effet peut être recherché
lorsqu'il s'agit de mettre en évidence l'opinion des enquêtés. Le registre référentiel a
pour conséquence une réfèrentialisation du discours de parce que la relance est perçue
comme une question indirecte visant un approfondissement.
L'END se caractérise par une grande souplesse donnée à pour présenter ses
contenus de pensée. Aucun cadre n'est préalablement établi et l'I" s'ajuste totalement à
son discours, il se contente de répéter ou de résumer ce que dit l'Ié.
Les réitérations simples (Rs) sont les plus élémentaires, elles limitent les risques
d'influence et sont aisées à produire parce qu'elles correspondent à une reprise de la
dernière phrase ou partie de phrase au sein de la dernière prise de parole de Elles
sont interprétées comme des demandes indirectes d'explication (acte indirect de ques-
tion, Searle, 1975) et contribuent à une linéarisation du discours en vertu de
l'application des règles d'enchaînement (conditions thématiques, de contenu proposi-
tionnel et illocutoire, Roulet, 1989). Les RS ne doivent toutefois pas être faites en trop
'
grand nombre parce qu'elles donnent à l I é l'impression de n'être pas écouté. En effet,
l'effort conversationnel réalisé par l'I" semble être réduit au minimum, il s'agit d'une
répétition sans travail d'organisation. Ayant le sentiment qu'il est seul à participer,
peut se sentir perdu et s'arrêter de parler. Nous présentons dans l'encadré suivant un
exemple de RS avec déclinaison du registre modal et référentiel'.
: oui, le manager doit être proche avec son équipe, sinon les gens osent pas lui demander...
même si c'est son métier de t'aider... c'est le rôle de soutien métier, mais c'est aussi le travail
du manager, le... soutien... le soutien métier... alors il doit bien connaître le métier et être
proche de l'équipe... pour aider quand il y a un besoin...
Rs version modale : pour vous le manager doit avant tout aider quand il y a un besoin ...
RS version référentielle : le manager doit aider quand il y a un besoin...
' n
Les réitérations thématiques (RT) sont assez proches des RS. L I ne se contente toutefois
é
pas de reprendre la dernière phrase de l'I , il choisit une partie des propos de ce dernier,
dans sa dernière prise de parole. Les RT donnent l'impression d'être moins mécaniques
1. Les extraits des différents entretiens présentés portent sur la représentation du rôle du manager, regards
croisés entre les managers et les managés : une étude pour France Télécom (mémoire de DESS de psycho-
logie sociale du travail, 2002, réalisé par Chritophe Monacci, sous la direction d'Édith Sales-Wuillemin).
62 I Psychologie sociale
que les RS. M er semble faire un effort conversationnel d'écoute plus important puisqu'il
est capable de choisir et de répéter une phrase énoncée peu avant. Cependant, outre le
risque d'influence résultant de la mise en exergue de certaines thématiques, le temps
écoulé entre la formulation et la reprise entraîne des risques de déformation. Or, l'emploi
d'un terme différent, même en apparence synonyme, peut induire une transformation du
sens et une évolution de l'entretien : par exemple, si dit « pour aider quand il y a un
besoin » et que l'I er reprend en disant « pour aider quand il y a des problèmes » il y a
transformation du sens par réduction de la portée du référent.
lé : oui, il doit... aussi, oui... il doit aussi savoir mener son équipe en étant juste et en respectant
l'équipe et les problèmes des gens... oui il faut du respect, que le manager respecte chacun
pour que ça les stimule...
RT version modale : votre sentiment c'est qu'il faut surtout du respect...
RT version référentielle : Il faut du respect...
lé : Tous les problèmes que l'on peut rencontrer, avec le Service informatique ou avec un
client, le bon manager doit être là pour aider, et là il doit être proche, mais pas dans le même
sens que tout à l'heure... proche... proche physiquement, n'être jamais très loin de son équipe
de façon à être présent et disponible en cas de problème. Tu as vu, XX, il est jamais là, alors
quand il y a un problème il faut lui courir après... et pendant ce temps le client c'est toi qu'il
insulte... ça c'est chiant...
REF version modale: Pour vous il est important que le manager soit très présent physi-
quement au sein de l'équipe pendant le travail... pour répondre immédiatement en cas de diffi-
cultés, sans qu'il soit besoin d'aller le chercher.
REF version référentielle: Le manager doit donc être très présent physiquement au sein
de l'équipe pendant le travail... pour répondre immédiatement en cas de difficultés, sans qu'il
soit besoin d'aller le chercher.
Les Formulations du non-dit (FND) sont plus délicates à gérer. Ces relances s'appuient
sur ce qui transparaît du discours sans en modifier la signification. Il s'agit d'expliciter
l'implicite. Cela peut se faire en laissant transparaître l'attitude de PP (lorsque la FND est
faite sur le registre modal) ou en tirant une conclusion à partir du contenu des propos de
l'I' (lorsque la FND est faite sur le registre référentiel). Parce que l'effort conversationnel
1. Corrélativement, il y a le risque de faire un résumé trop précis, qui conduirait à répondre par une vali-
dation totale : « oui, c'est ça, je suis d'accord avec vous » sans apporter d'autres éléments, ce qui peut
gêner les interventions suivantes de PI".
Méthodologie de l'enquête I 63
de Fr. semble maximal, les FND donnent une tournure extrêmement naturelle à la
situation d'entretien. Elles comportent toutefois un risque énorme d'interprétation. En
outre, elles peuvent être perçues par l'I é comme une obligation d'assumer des conclu-
sions ou des prises de position dont il voudrait peut-être se garder, ce qui peut être res-
senti comme une agression. Voilà pourquoi ces interventions nécessitent la plus grande
prudence.
le : Oui, proche de l'équipe, s'il est un membre de l'équipe, c'est mieux, et puis proche aussi
juste être là, proche physiquement quand il y a des problèmes.
FND version modale : Pour vous, un manager qui n'est pas membre de l'équipe ne peut
être un bon manager.
FND version référentielle : L'équipe doit pouvoir faire appel à lui pour résoudre les
problèmes...
L'ESD oscille entre la non-directivité et la directivité : l'I" a une attitude non direc-
tive quand il répète et reformule les propos de l'I é grâce au RS, RT, REF, FND, et une atti-
tude directive quand il pose des questions spontanées ou préparées. Nous ne présentons
ici que les relances directives, les autres ayant déjà été détaillées.
Les questions spontanées (Qs) sont totalement improvisées, précises et ajustées au dis-
cours de l'Ié. Elles visent à éclaircir des éléments de contenu non explicités (questions
référentielles) ou des aspects de l'attitude non précisés (questions modales).
: Ouais, ça devrait être un membre de l'équipe et pas quelqu'un qui est jamais là. T'as vu
quand XZ elle vient, tout le monde lui saute dessus, ben ça c'est parce que avant elle était tout
le temps là. Et puis elle connaît tout, elle t'aidait et te soutenait... ben le soutien-métier quoi, tu
vois... c'est quelqu'un qui t'aide et je crois que le manager devrait toujours aider les membres
de son équipe. Et pas seulement relever les compteurs... Des fois j'ai l'impression que XX
vient nous surveiller...
as version référentielle' : Qu'est-ce que vous voulez dire plus précisément par soutien-
métier ?
as version modale' : Comment vivez-vous cette situation ?
Les questions préparées (QP) sont beaucoup plus générales. Elles sont préalablement
formulées et insérées dans un guide d'entretien qui constitue un schéma directeur stan-
dardisé' de l'entretien en limitant les risques de dispersion. Les QP s'utilisent dans des
conditions strictes.
Une fois la consigne introductrice énoncée, 1'1' prend la parole et s'exprime librement. Lorsque
se produit une pause de plus de quelques secondes, VI" relance ce premier propos « spon-
tané » grâce à des interventions non directives et des os. Ce n'est que lorsque cette partie
d'entretien aura été suffisamment développée que la première aP pourra être posée. Une fois
la question posée, 1'1" laisse s'exprimer librement., il se contente de le relancer systémati-
quement avec des interventions non directives et des os. Ce n'est que lorsque la thématique
est suffisamment approfondie que la OP suivante peut être introduite. Si toutefois il apparaît
que cette question a reçu un développement satisfaisant dans la partie précédente de
l'entretien, il est possible de passer directement à la question suivante du guide, sans intro-
duire celle qui était chronologiquement prévue.
1/ évocation des thèmes qui structurent l'objet d'étude (étude de documents, brain storming,
entretiens non directifs préalables...) sont autant de sources possibles d'information ;
2 / regroupement des thèmes dans un nombre limité de catégories' (avec respect des règles
de catégorisation : pertinence, exhaustivité, homogénéité, exclusivité) ;
3 / intégration des thèmes généraux dans le guide ;
4 / élaboration d'une ou plusieurs questions par thème (selon le type d'entretien END OU ED).
Celles-ci doivent rester de portée générale, leur formulation est proche d'une question
inductrice ;
5 / détermination de leur ordre d'introduction dans l'entretien. Plusieurs ordres possibles :
logique (questions portant sur les causes, puis les conséquences, puis l'évolution), psycho-
logique (questions les moins impliquantes en premier, les plus impliquantes en dernier),
thématique (questions générales en premier, plus spécifiques en dernier), etc.
Pour illustrer notre propos, nous présentons un guide d'Est) conçu pour répondre
à une commande faite par une entreprise qui venait de recruter 200 jeunes diplômés
afin d'opérer un rééquilibrage de la pyramide des âges. Cela a cependant entraîné des
difficultés d'intégration : selon la direction, les « nouveaux » témoignaient d'une
moindre implication et une moindre adhérence aux projets de réforme de l'entreprise
que les « anciens ». Les résultats de la préétude (entretiens non formalisés avec des jeu-
nes/anciens collaborateurs et des managers) ont entraîné une reformulation de la ques-
tion d'étude comme suit « les difficultés relevées peuvent-elles résulter d'une discrimina-
tion dont les nouveaux collaborateurs penseraient être la cible ? ». Deux sources de
discrimination potentielle (vi théorique) pouvaient être relevées : leur inexpérience (ils sont
nouveaux dans l'entreprise), leur âge (ils sont jeunes). La partition pouvait donc opposer
les expérimentés/inexpérimentés ou les seniors/juniors. Dans cette perspective,
l'hypothèse théorique que les collaborateurs juniors/ inexpérimentés devaient être plus
discriminés que les autres a été posée. 40 salariés répartis en 4 catégories ont été intervie-
1. 4 à 6 en moyenne.
Méthodologie de l'enquête I 65
LES NOUVEAUX Pourriez-vous me parler des collaborateurs, des collègues qui travail-
lent depuis peu à la cEs? Quelle image en avez-vous ?
LES ANCIENS Pourriez-vous me parler des collaborateurs, des collègues qui travail-
lent depuis longtemps à la cEs? Quelle image en avez vous ? -
LES PLUS JEUNES Pourriez-vous me parler des collaborateurs, des collègues les plus
jeunes de la cEs? Quelle image en avez-vous ?
LES PLUS ÂGÉS Pourriez-vous me parler des collaborateurs, des collègues les plus âgés
de la cEs? Quelle image en avez-vous ?
L'analyse des entretiens s'est faité par analyse thématique suivie d'une analyse de
discours. Elle a permis de révéler que le positionnement « psychologique » des ra n'était
pas strictement équivalent à leur positionnement « objectif » (dû à l'âge et l'ancienneté).
Par ailleurs, il est apparu que l'âge était une plus grande source de discrimination que
l'inexpérience : conformément à l'hypothèse, les collaborateurs juniors inexpérimentés
étaient plus discriminés que les seniors inexpérimentés, les juniors expérimentés plus
que les seniors expérimentés.
Dans un ED, l'enquêteur dirige totalement l'entretien. En théorie, il lui est possible
de faire des relances non directives et directives, mais en pratique, il se contente le plus
souvent de formuler les questions du guide, dans l'ordre préétabli. Sa forme Ques-
tion/Réponse est donc très proche d'un questionnaire avec des questions ouvertes et il
est difficile pour l'Ié de sortir du cadre de référence défini à l'avance. Le guide
d'entretien est construit de la même façon que pour l'Es"), simplement chacun des
thèmes retenus génère plusieurs questions'.
1. Opérationnalisation de la VI : ont été considérés comme juniors les individus ayant moins de 30 ans, les
seniors avaient plus de 35 ans. Les collaborateurs inexpérimentés étaient en poste depuis moins d'un an, et
les expérimentés depuis plus de quatre ans.
2. Étude réalisée pour la Caisse d'épargne de Bourgogne, mémoire de Master professionnel de psychologie
du travail réalisé par Jenny Zanotti en 2002 sous la direction d'Édith Sales-Wuillemin.
3. En principe il y a de 4 à 5 questions par thème, soit une moyenne de 15 à 20 questions par entretien.
66 I Psychologie sociale
Plus la marge de manoeuvre laissée à l'enquêté est faible et plus le chercheur doit
avoir d'hypothèses précises. Autrement dit, PEND peut être utilisé dans une étude explo-
ratoire sans qu'il y ait une connaissance approfondie du thème, de la population et une
formulation d'hypothèses spécifiques. L'ESD et l'ED nécessitent à des degrés divers, une
connaissance plus étendue de l'objet et de la population pour pouvoir construire un
guide pertinent et des hypothèses spécifiques.
De manière générale il est possible de dire que l'entretien constitue une méthode
de recueil très souple, qui peut être adapté à de multiples objectifs de recherche. Cette
flexibilité ne doit toutefois pas faire oublier les limites de ce mode d'investigation. Plu-
sieurs ensembles de biais peuvent intervenir dans l'entretien, ils sont liés au lieu de recueil,
' er ' f
aux caractéristiques de Ple7 et par suite à la distance sociale entre l I et l I ainsi qu'à
' er
l'influence exercée par l I sur
Comme le précisait Hymes (1962), l'espace dans lequel se déroule la communication
a un effet sur ce qui se dit. Il recouvre le cadre physique (taille du local, bruits, odeurs, dis-
position des protagonistes...) et psychologique, la perception que les protagonistes ont du
cadre en raison de paramètres qui peuvent être visibles ou invisibles (comme la connais-
sance des activités qui s'y déroulent habituellement). Les caractéristiques de l'Ier sont essen-
tielles pour PM Il a en effet besoin de calculer la distance sociale le séparant de l'Ier. Ce cal-
cul prend en compte la classe sociale, les caractéristiques physiques, sexe, âge, etc., des
protagonistes, plus ils diffèrent, plus la distance est grande. Pour l'inférer, l'If se fonde sur
plusieurs indices (l'habillement, le langage employé, la gestuelle...). Ce calcul permet à l'If
d'ajuster son discours au niveau du contenu et de la relation, par exemple, en le rendant
accessible à ou en calquant ses prises de position sur celles supposées de lier. Si la
' er
distance sociale lui apparaît trop importante, il peut conclure que l I ne sera pas capable
de comprendre ce dont il parle, ou qu'il risque d'être réfractaire à ses propos ; s'il la juge
trop proche, il peut conclure que les informations ou les prises de position qu'il pourrait
donner vont de soi, qu'il n'est pas besoin de les développer. En règle générale pour limi-
ter ces biais sont préférées des situations où la distance sociale est moyenne. L'influence
' er ' er
de l I sur est grande en raison de l'adaptation de ce dernier, lorsque l I fait des
relances cet effet est amplifié comme l'ont montré expérimentalement Blanchet et al.,
1991. Plus encore, d'après Matalon (1992) la situation elle-même de questionnement est
par nature source d'influence, en effet le fait d'inviter les tés à s'exprimer sur un objet
peut les amener à construire une image (représentation, attitude...) de cet objet. La ques-
tion posée, la manière dont elle est posée, les incitent à y réfléchir alors qu'ils ne
l'auraient peut-être pas fait spontanément. Selon l'auteur, on est dès lors en droit de se
demander si l'état intérieur de l'individu est toujours le même avant et après l'entretien et
si les individus interrogés sont toujours représentatif; de la « masse silencieuse » qu'ils
sont censés représenter ? Si tel n'est pas le cas, se pose le problème de la généralisation
des résultats, c'est-à-dire de la validité externe de la méthode.
Malgré ces multiples inconvénients la méthode d'entretien reste largement utilisée.
Chacun s'accorde néanmoins à dire qu'elle ne peut être employée de manière isolée,
un croisement systématique avec d'autres méthodes doit être opéré.
Méthodologie de l'enquête I 67
L'analyse des données verbales vise à révéler le contenu des propos recueillis
(mots prononcés, thématiques abordées...), leur organisation (réseau thématique, organi-
sation logique...), afin d'analyser les liens existant entre ces propos et l'état mental de
l'individu (attitude, représentation...). Il existe un grand nombre de techniques
d'analyse, le traitement passe néanmoins toujours par deux grandes phases : une
phase de préanalyse et une phase d'analyse. La préanalyse comprend le choix et la
transcription des documents analysés. L'analyse comporte une étape de découpage
du texte (en unités) et une phase de catégorisation de ces unités (cf Bardin, 1991 ;
Jakobi et al., 1994).
1. L'analyse peut être en partie automatisée grâce à l'utilisation de logiciels (cf. Marchand, 1998).
2. Regroupement des mots ayant un radical commun.
3. La technique utilisée ne repose sur aucune lemmatisation (à part les regroupements des formes au singu-
lier et au pluriel).
68 I Psychologie sociale
TABLEAU 3. — Mots et expressions les plus cités par les deux groupes d'occupants :
locataires versus propriétaires.
Les effectifs sont présentés en fréquence brute' et en pourcentages (d'après Sales-- Wuillemin et al., 2005)
Fréquence Fréquence
12 locataires de citation Pourcentage 8 propriétaires de citation Pourcentage
1. Il s'agit du nombre de sujets ayant prononcé les mots et non du nombre d'occurrence moyen de chaque
mot.
2. Il s'agissait de coter 0 les éléments de la paire lorsqu'ils n'apparaissaient pas dam le même entretien, 1
lorsqu'ils apparaissaient ensemble mais à des distances éloignées, 2 lorsqu'ils se manifestaient dans la
même prise de parole, et 3 dans la même proposition grammaticale.
Méthodologie de l'enquête I 69
1991). Elle permet un premier contact exploratoire avec un objet en rendant compte de
noyaux de sens ou thèmes qui ont une fréquence importante dans les discours. Le thème est
un élément organisateur du discours, il correspond à une unité de sens implicite et sert à la
fois d'unité de découpage et de catégorie. Le texte est réduit par le codeur à une suite
d'expressions saillantes appelées thèmes secondaires (Ts), chaque TS est affecté dans une
catégorie plus vaste ou thème principal (TP). Le TP est désigné par un mot clef ou une
expression renvoyant à un concept.
Les tableaux de résultats présentent les TP et éventuellement quelques exemples
illustratifs de TS. Ils comportent : I / des fréquences moyennes d'occurrence de chaque TP,
c'est-à-dire le nombre moyen de fois où le thème a été abordé dans les entretiens ;
2 / la densité moyenne de chaque TP. Ce score est obtenu en divisant, pour chaque
entretien, le nombre moyen de fois où le thème a été abordé par le nombre total de
phrases (ou de propositions) de l'entretien. La densité moyenne donne un aperçu du
« taux de recouvrement » des thèmes codés donc de la pertinence des catégories rete-
nues ; 3 / la proportion moyenne, correspond à la moyenne des scores obtenus en divisant
le nombre de fois où le thème a été abordé dans chaque entretien par le nombre total
d'occurrence de tous les thèmes abordés dans l'entretien. La proportion moyenne
donne un aperçu de l'importance d'un thème par rapport à l'autre. Il est ainsi pos-
sible de les hiérarchiser.
L'analyse réalisée par Stewart et al. (2005) à propos de la représentation du loge-
ment en fonction du statut de l'occupant nous permet d'illustrer une utilisation de
l'analyse thématique. Les scores (fréquences moyennes d'apparition des TP) sont compa-
rés grâce au T de Student. L'analyse peut également inclure des valeurs positives ou
négatives associées aux TP.
70 I Psychologie sociale
tanière, logement...) ou indirecte (ici, là...), dans le choix des déterminants qui accom-
pagnent ces mots (ma, mon, ce...). Un déterminant possessif et une désignation directe
marquent une appropriation plus importante.
Substantif accompagné
d'un pronom possessif Désignation indirecte
Statut (mon, ma...) (ici, là)
L'analyse des résultats par ANOVA fait apparaître que les propriétaires
s'approprient plus leur logement que les locataires, ils utilisent un plus grand nombre
de substantifs accompagnés d'un pronom possessif (« mon » logement, « mon » apparte-
ment...), cet effet est tendanciel (F(1,18) = 3,69 ; p < 071). Les locataires se l'approprient
moins, ils utilisent plus de désignations indirectes pour référer à leur logement, l'effet est
significatif (F(1,18) = 5,07 ; p < .038).
« Selon vous, qu'est-ce qui définit le mieux Internet ? Il s'agit avant tout d'un outil pour ... »
( Ne cochez qu'une seule case)
❑ Rechercher des informations
❑ Envoyer des e-mails
❑ Faire des achats
❑ Faire des rencontres
❑ S'exprimer dans les tchats
❑ Télécharger de la musique
❑ Autres caractéristiques à votre avis ................................................................................
❑ Ne se prononce pas
« Quel est votre sentiment vis-à-vis de l'utilisation d'Intemet dans les écoles primaires ? »
(Entourez l'échelon qui correspond à votre position, sachant que si vous entourez le — 2 cela
veut dire que vous désapprouvez totalement et que si vous entourez le + 2 vous approuvez
totalement. Les échelons intermédiaires vous permettent de moduler votre jugement)
—2 +2
Méthodologie de l'enquête I 73
Elle mesure la dimension conative de l'attitude. Elle a pour objectif de représenter les
comportements de manière hiérarchique (scalogramme). L'image la plus proche est
celle d'un thermomètre : l'adhésion à un degré supérieur implique celle à un degré infé-
rieur. Par exemple, l'échelle du « militantisme politique » repose sur un engagement
comportemental de plus en plus important.
« Répondez par oui ou par non en mettant une croix dans la case appropriée»
OUI NON
Les préjugés traduisent la dimension évaluative d'une attitude à l'égard d'un groupe
cible. Pour les mesurer il est possible d'utiliser des échelles bipolaires équivalentes à celle
de Likert (1932) présentée ci-dessus pour marquer l'acceptation ou le rejet du groupe
cible, nous n'y revenons pas. Nous présentons des échelles pour la mesure des stéréo-
types et de la discrimination.
« Comment positionnerez-vous les membres de la communauté XXX sur les échelles suivantes »
(Répondez en mettant une croix sur l'une des cinq cases proposées)
Les XXX sont tout à fait... Les XXX sont tout à fait...
Travailleurs Paresseux
Économes Gaspilleurs
Stupides Intelligents
Optimistes Pessimistes
Lents Rapides
«Laquelle de ces affirmations reprendriez-vous à votre compte ? (ne cochez qu'une seule case)
1. Dans cette étude, 1 725 Américains blancs sont interrogés à propos de 40 groupes communautaires
(anglais, français, suisses, norvégiens...).
Méthodologie de l'enquête I 75
Dans l'association verbale simple, il s'agit de donner les premiers mots qui viennent à
l'esprit, à partir de l'inducteur présenté (mot qui désigne l'objet de la représentation).
« Quels sont les cinq premiers mots ou expressions qui vous viennent à l'esprit lorsque vous
évoquez les ocm (Organismes génétiquement modifiés) ?» (Vous écrirez ces mots dans l'ordre
où ils vous apparaissent)
1- .............................................................................................................................................
2 - .............................................................................................................................................
3 - .............................................................................................................................................
4 - .............................................................................................................................................
5 - .............................................................................................................................................
Cette méthode est utilisée par Guimelli dans l'étude présentée en 1989 à propos
de l'effet des pratiques nouvelles (de gestion et de préservation du territoire) sur la
76 I Psychologie sociale
Cette technique a été utilisée par Le Bouedec (1984), elle est censée révéler la trame
primitive (ou trame fondamentale) de la représentation. Ces matrices présentent les items
les plus cités sous forme de couples obtenus au moyen d'un croisement de chaque item
avec chacun des autres. Les enquêtés sont invités à coter la distance existant entre les
termes de la paire à l'aide d'une échelle en quatre points : 0 si les deux mots ne vont
pas ensemble, puis de 1 à 3 selon la force du lien, s'il existe. La cotation à 3 renvoyant
au lien le plus fort. Le traitement des réponses se fait par analyse de similitude.
Une fois les questions cibles formulées, seront insérées les questions de remplissage
qui assureront la transition. Il est également utile de prévoir de rassembler les questions
dans différentes parties qui pourront être nommées. Ces indications constituent une
sorte de balisage et favorisent la progression dans le questionnaire.
Une fois le questionnaire finalisé, il devra être prétesté auprès de quelques enquê-
tés appartenant à la population visée. Lors de la passation ils seront invités à exprimer
à voix haute leurs réactions ou interrogations. Un enregistrement est conseillé. Lors de
l'analyse de ces données, une attention toute particulière devra être portée à la facilité
de la progression dans le questionnaire, à la cohérence et la formulation des questions.
Une fois les corrections réalisées, la passation finale pourra avoir lieu.
Méthodologie de l'enquête I 77
Le rapport d'enquête doit permettre de communiquer les résultats à des tiers. Par-
fois c'est cette phase qui se révèle la plus importante, car elle donne toute la mesure du
travail effectué, souvent long et difficile. Un rapport d'enquête mal présenté peut faire
perdre beaucoup de crédit à l'équipe de travail. Il se compose tout d'abord d'une intro-
duction générale qui spécifie les objectifs de l'étude, la question d'étude et son intérêt
(théorique ou empirique). Ensuite est présenté le cadre théorique dans lequel le concept
auquel est rattaché l'objet d'étude est intégré. À la fin de cette partie sont spécifiées la
problématique et les hypothèses. La partie suivante correspond à la description de la
méthode de recueil, c'est-à-dire les variables, la population, les outils (entretiens/ques-
tionnaires) et toutes les informations concernant la conception, le prétest et la passation.
Ensuite sont indiqués la méthode d'analyse et les résultats de l'étude. Ces derniers sont
associés à un commentaire et une interprétation. Enfin, la conclusion reprend les prin-
cipaux résultats et propose une ouverture. En principe des propositions concernent
une suite à donner au travail réalisé, voire une concrétisation des résultats en termes de
préconisations.
Conclusion
La méthode d'enquête est un outil souple de recueil de données qui vise une mise
au jour des contenus de pensée mais également une analyse de l'activité mentale. Lors-
qu'elle est utilisée de manière raisonnée, elle s'avère très pertinente. Elle doit toutefois
être complétée grâce à d'autres méthodes comme l'observation et l'expérimentation.
LECTURES CONSEILLÉES
Abric, J.-C. (2003) (Éd.). Méthode d'étude des représentations sociales. Ramonville : Érès.
Blanchet, A. (1991). Dire et faire dire : l'entretien. Paris : Colin (2' éd., 1997).
Chauchat, H. (1985). L'enquête en psychosociologie. Paris : PUF.
Ghiglione, R., & Matalon, B. (1978). Les enquêtes sociologiques. Paris : A. Colin (2' et 3' éd., 1980,
1991).
Sales-Wuillemin, E. (2006). La catégorisation et les stéréoppes en psychologie sociale, Paris : Dunod, coll.
« Psycho Sup ».
Sales-Wuillemin, E., Castel, Ph., Lacassagne, M.-F. (2003). La désignation des maghrébins : effet du
choix lexical sur les éléments du champ de la représentation activés. Actes à la V Conférence internationale
sur les représentations sociales. Montréal : septembre 2000, ouvrage électronique : http:
//www.unites.uqam.ca/geirso/publications/pdf/Section3/Methode/sales.pcif.
5 les bases de la psychologie sociale
PAR JACQUES PY
Ce chapitre a pour objectif de présenter d'une manière précise les recherches princeps
à l'origine de quelques grandes notions qui ont marqué la discipline Psychologie
sociale, qui ont été, en quelque sorte, structurantes. Il s'agit de recherches sur
l'influence sociale qui ont été réalisées il y a plusieurs décennies, pour quelques-unes il y
a plus d'un demi-siècle. Elles n'ont, cependant, pas vieilli, constituant des repères pour
les chercheurs de la discipline, mais aussi, tout simplement, des ancrages à des dévelop-
pements théoriques et expérimentaux actuels.
Si l'on en croit un des grands auteurs de la discipline (Zajonc, 1966), « la psycho-
logie sociale traite de la dépendance et de l'interdépendance comportementales entre
les individus ». En essayant de répondre à des questions aussi élémentaires que celle de
la normalisation (comment les individus déterminent-ils ensemble des règles communes
de jugement et de comportement ?), celle du conformisme (pourquoi l'individu résiste-
t-il si mal à la pression d'un groupe) ou celle de l'obéissance (pourquoi l'individu se sou-
met-il aux injonctions d'une autorité, y compris lorsque le comportement qui lui est
demandé est fortement problématique), on se situe donc au coeur de la psychologie
sociale : une discipline qui étudie l'individu inséré dans un contexte social, celui-ci étant
naturellement matérialisé par autrui, éventuellement un groupe d'autres individus, ou
un individu qui possède un certain statut. Le champ de l'influence sociale, qui couvre la
plupart des questions qui viennent d'être évoquées, est ainsi particulièrement caractéris-
tique de la psychologie sociale.
Germaine de Montmollin, qui a été une des spécialistes françaises de l'influence
sociale, considère que « les processus d'influence sont relatifs aux modifications
qu'entraîne dans les jugements, opinions et attitudes d'un individu — ou d'un groupe — le
fait de prendre connaissance des jugements opinions et attitudes d'autres personnes sur le
même sujet » (1977, p. 7-8). La notion d'influence sociale regroupe donc des phénomènes
de différentes natures, puisqu'on étudiera aussi bien l'influence d'un groupe d'individus
sur un individu, que celle de l'individu sur les autres, avec le cas particulier de l'influence
d'un individu possédant un statut d'autorité sur un individu qui en est dépourvu. Le pre-
mier cas que nous aborderons concerne une situation dans laquelle l'individu intervient
au même titre que les autres : la situation de création d'une norme de groupe.
80 I Psychologie sociale
A - LA NORMALISATION
I - État du problème
(qui ont été répliqués des centaines de fois dans les groupes de travaux dirigés de psy-
chologie sociale de nombreuses universités) sont très nets : lorsqu'on raisonne en ter-
mes de direction du changement, on note que les sujets qui ont fait une première esti-
mation plus faible que les autres membres du groupe vont donner une seconde
estimation plus élevée qui convergera vers les premières estimations des autres sujets.
On observe l'inverse pour les sujets qui ont donné une première estimation forte.
Enfin, le sujet en position médiane change peu ou pas. Les sujets convergent vers une
tendance centrale qui correspond approximativement à la moyenne des estimations du
groupe. Les sujets se comportaient donc « ... à peu près comme des statisticiens en
tenant compte des caractéristiques de la distribution des réponses de leurs groupes »
(de Montmollin, 1965, p. 394).
En 1966, de Montmollin reprend les données de son expérience en dichotomisant
les groupes de 5 sujets en fonction de la dispersion des réponses au sein du groupe lors
de la première estimation. Cela va lui permettre de vérifier précisément quelle opéra-
tion approximative ont effectué les sujets en fonction de leur position dans le groupe et
de leur perception de la vraisemblance des réponses du groupe. On relève que les sujets
des 10 groupes au sein desquels on a relevé une faible dispersion des premières estima-
tions ont tous effectué la moyenne des 5 réponses du groupe pour fournir leur seconde
estimation, car toutes les réponses, proches les unes des autres, étaient plausibles. En
revanche, les sujets des 10 groupes au sein desquels on a relevé une forte dispersion ont
fait intervenir des marges de vraisemblance : comme les autres, ils ont effectué une
moyenne des réponses de leur groupe, mais seulement pour les réponses qui leur
paraissaient vraisemblables. Cette perception est strictement dépendante de la place
qu'occupe le sujet dans le groupe concernant sa première estimation : si le sujet a
fourni une première estimation faible, il rejettera les plus fortes estimations du groupe ;
à l'inverse, si le sujet a fourni une première estimation forte, il rejettera les plus faibles
estimations du groupe dans son calcul approximatif des estimations plausibles du
groupe.
Cette expérience présente de nombreux enseignements : on retrouve, d'abord, un
effet de normalisation, dans une situation très différente de celle de Sheriff. Ensuite,
on comprend mieux quelle rationalité peut être celle des sujets. Il y a bien un phéno-
mène d'influence sociale puisque, placés dans une situation d'incertitude quant à la
justesse de leur propre jugement, les individus tiennent compte des estimations
d'autrui pour maximiser leur chance de fournir une bonne réponse. Les réponses
d'autrui sont prises en compte au même titre que celle du sujet ; seules les réponses
éloignées de celle du sujet au point qu'elles paraissent invraisemblables sont écartées.
Le sujet subit une influence, mais il influence aussi autrui, au même titre que chaque
membre du groupe. En d'autres termes, chacun participe à l'élaboration de la norme
commune ; chacun se rapproche d'une valeur qui devrait s'avérer exacte, si ce n'est
dans l'absolu (il existe des propriétés psychophysiques des stimuli qui peuvent affecter
la perception), au moins socialement puisque la réponse fournie sera très proche de
celle d'autrui. Chacun se place donc en situation de fournir une réponse compatible
avec celle des autres.
82 I Psychologie sociale
Allport (1924) demandait à ses sujets de faire des estimations de séries de poids ou
d'odeurs. La passation était d'abord individuelle, puis collective. Même dans cette der-
nière condition, les sujets ne connaissaient pas les estimations des autres sujets. Pour-
tant, les sujets jugeaient les poids de grande taille moins lourds, et les poids de petite
taille moins légers en passation collective qu'en passation individuelle. De même, des
odeurs désagréables étaient jugées moins désagréables, et des odeurs agréables étaient
jugées moins agréables en groupe que seuls. Les sujets faisaient donc des estimations
plus modérées en groupe que seuls, alors qu'ils ne connaissaient pas les estimations des
autres. Allport interprète ces résultats en termes de « concessions réciproques », ce que
Moscovici (1972) traduira par un « mécanisme d'évitement du conflit ». Ainsi, sans
information sur les estimations des autres membres du groupe, le sujet fournira une
réponse modérée qui devrait lui permettre d'afficher un jugement qui ne sera pas trop
éloigné de celui d'autrui. Chacun opérant de la même façon, on obtient bien des
réponses plus homogènes en groupe que lorsque les sujets sont seuls, aboutissant ainsi à
une forme de normalisation sans communication dans le but de se présenter d'une
manière acceptable pour autrui.
La rationalité observée chez les sujets d'Allport est bien différente de celle des
sujets de Germaine de Montmollin : ici l'individu ne peut être vu comme un statisti-
cien intuitif; la rationalité de sa conduite est strictement sociale. Il existe, en effet, une
propension des individus à appartenir à des groupes. Pour parvenir à cet objectif, il
convient de faire quelques concessions. Adopter une stratégie plus intransigeante
amène le rejet. Ainsi Festinger, Schachter et Back (1951), étudiant les relations entre
les membres d'un ensemble d'habitations, ont pu montrer que les personnes qui
s'écartaient des normes du groupe faisaient l'objet de choix sociométriques (voir chap.
« Théories et méthodes ») nettement moins importants que les autres. Poursuivant ces
travaux, Schachter (1951) confirma que les déviants, c'est-à-dire les membres d'un
groupe qui sont perçus par les autres comme possédant des opinions divergentes de
celle à laquelle le groupe parvient au cours d'une discussion, sont effectivement reje-
tés. Il montra aussi que les membres du groupe cherchent à persuader le déviant et
s'adressent prioritairement à lui. Le groupe cherche ainsi à maintenir sa cohésion ; ce
faisant, il est possible qu'il parvienne à convaincre les déviants, ces derniers adoptant
la norme du groupe.
L'analyse des données du tableau 1 indique clairement que les étudiantes ont été
très sensibles à l'influence du collège dans lequel elles ont cherché à s'intégrer. Les préfé-
rences politiques de leurs parents apparaissent nettement à droite : ils sont environ deux
tiers à se prononcer en faveur du candidat du Parti républicain. Les étudiantes de
lie année votent globalement comme leurs parents, mais dès la 2 e année on relève un
infléchissement puisqu'un tiers de celles qui votaient républicain votent maintenant plus
à gauche. En fin d'études, l'évolution apparaît très nette : les trois quarts des étudiantes
qui votaient au départ comme leurs parents votent maintenant plus à gauche : pour le
candidat démocrate, voire pour le candidat du Parti socialiste ou du Parti communiste.
Newcomb considère que ce changement d'opinion est lié à la volonté des étudian-
tes de s'intégrer au sein du collège et des groupes d'étudiantes avancées qui affichaient
leurs idées progressistes (partagées par les enseignants). L'idée d'un groupe de référence,
associé à un certain prestige, à une désirabilité sociale intervient donc dans l'adhésion à
une norme. Ces caractéristiques sont-elles suffisantes pour que le changement perdure
au-delà de la vie du groupe ?
Vingt-quatre ans plus tard, Newcomb et quelques collaborateurs essayent de
retrouver les étudiantes interrogées en 1936. Ils effectuent alors un nouveau sondage à
l'occasion de l'élection présidentielle de 1960 (Newcomb et al., 1967).
Échantillon de femmes
Anciennes étudiantes du même âge
de Bennington et du même milieu
Kennedy 60 % 30 %
Nixon 40 % 70 %
84 I Psychologie sociale
Les résultats sont remarquables : la majorité des anciennes étudiantes ont conservé
les opinions acquises au collège Bennington, et se démarquent nettement de femmes du
même âge et du même milieu social. Il est probable qu'à la sortie du collège, elles aient
conservé des amitiés acquises au cours de leurs années d'étude, qu'elles aient cherché à
rencontrer d'autres personnes partageant les mêmes idées qu'elles, notamment leur
époux. Les nouvelles attitudes qu'elles affichaient à Bennington ne constituaient donc
pas une façade destinée à éviter un rejet du groupe. Probablement leurs opinions politi-
ques n'étaient, pour la plupart d'entre elles, pas très ancrées au départ, et un change-
ment de surface s'est aisément opéré pour pouvoir appartenir à un groupe valorisé (le
processus qui s'est opéré, relève, selon Kelman, 1961, d'une identification au groupe).
Mais ce changement n'en est pas resté là : il s'est profondément ancré au point que,
pour la majorité de ces étudiantes, elles auront été convaincues pour le restant de leurs
jours. Pour Kelman, il s'agit d'un processus d'intériorisation de la norme.
Les expériences réalisées sur le processus de normalisation indiquent que les indivi-
dus sont sensibles aux autres lorsqu'ils doivent effectuer des jugements. Le type de
tâche utilisé dans ces expériences est systématiquement ambigu, ce qui veut dire que le
sujet est placé dans une situation d'incertitude quant à son propre jugement. À ce pro-
pos, Flament (1959) montra que, davantage que l'ambiguïté du stimulus, c'est
l'incertitude ressentie par le sujet dans la situation qui importe dans les expérimenta-
tions sur la normalisation. En conservant le même stimulus, et en faisant varier le
temps de présentation (ce qui permet de faire varier le degré d'incertitude du sujet,
mais modifie peu l'ambiguïté du stimulus), il fournit un argument convaincant en ce
sens. Le sujet se trouve donc dans une situation typique de comparaison sociale, telle
que définie par Festinger (1954). Selon cet auteur, lorsque le sujet se trouve dans une
situation dans laquelle il est incertain quant à ses propres capacités, qu'il n'est pas en
mesure d'évaluer ses aptitudes, il va chercher autrui pour se comparer, réduisant ainsi
son incertitude. Cette propension de l'individu à se comparer à autrui est, cependant,
fonction de la proximité psychologique de la personne qui servira de point de compa-
raison, la tendance à se comparer aux autres diminuant en même temps qu'augmente
la distance psychologique avec autrui. Pour Festinger, il existerait donc une motivation
fondamentale à la recherche de similitude qui amène l'individu à préférer les situations
dans lesquelles il existe une proximité des opinions ou des aptitudes des gens ; s'il existe
une divergence à l'intérieur d'un groupe, le sujet tentera soit de changer sa propre posi-
tion, soit de changer celle d'autrui, soit encore de restreindre le champ de la comparai-
son. Le cas des aptitudes est probablement assez distinct de celui des opinions. Pour les
aptitudes, on conçoit bien la pertinence de cette théorie dans le cas des jeux de société
ou des jeux sportifs : chacun recherchera plus volontiers un adversaire « à sa hauteur ».
Cependant, concernant les aptitudes, la pression normative pousse à faire mieux
Les bases de la psychologie sociale I 85
qu'autrui, ce qu'on ne retrouve pas concernant les opinions ou les jugements. Pour ces
derniers, les études sur le phénomène de normalisation indiquent bien l'existence d'une
pression à l'uniformité dirigée vers une tendance centrale, ou une valeur standard.
Confronté à une situation dans laquelle l'incertitude du sujet serait moindre, on
devrait observer moins d'influence sociale. À moins qu'il ne s'agisse pas du même type
d'influence. Les études sur le conformisme portent justement sur des situations utilisant
des stimuli sans aucune ambiguïté.
B - LE CONFORMISME
I - « L'effet Asch »
Crutchfield fait partie de ces chercheurs qui se sont intéressés à la personnalité des
sujets qui se conformaient massivement dans les expériences du type de celle de Asch.
Il demanda à une équipe de psychologues de faire un examen clinique approfondi des
sujets les plus conformes, comme des plus indépendants. Les psychologues opéraient
« en aveugle », c'est-à-dire sans connaître le comportement des sujets dans
l'expérimentation. Le portrait des uns et des autres diffèrent radicalement : les indépen-
dants sont vus comme possédant des qualités de leader, avec un ascendant sur les
autres, capables de penser par eux-mêmes, actifs, confiants en eux, etc. Les conformis-
tes sont vus, en revanche, comme soumis, obéissants, prêts à tout accepter, possédant
un éventail d'intérêts étroit, peinant à prendre des décisions, gérant mal le stress, sug-
gestibles et très sensibles aux jugements des autres. Crutchfield trouve d'ailleurs une
relation (une corrélation de .39, soit 15 % de variance expliquée partagée par les deux
variables) entre le conformisme dans les situations expérimentales de type Asch et la
célèbre échelle F (pour « fasciste ») d'Adorno et collaborateurs (1950) qui mesure la per-
sonnalité autoritaire. Cohen (1964) traduit ces travaux visant à cerner les différences
interindividuelles entre les sujets conformes et les sujets indépendants en termes de
« styles cognitifs » : la manière dont l'individu observe et traite le monde qui l'entoure
amène les uns à répondre à un besoin d'information, tandis que les autres auraient sur-
tout besoin d'un statut ; les premiers prendraient autrui comme source d'information,
alors que les seconds accepterait l'influence pour maintenir une relation non conflic-
tuelle avec les autres. Cette conception cadre bien avec l'idée selon laquelle les situa-
tions d'influence sociale font appel à plusieurs processus d'influence distincts.
Dans une optique complémentaire à l'étude d'une personnalité conforme, Mil-
gram (1961) s'est intéressé à la dimension culturelle du conformisme en comparant les
sujets de deux pays : la France et la Norvège. Les sujets devaient réaliser une tâche de
discrimination auditive ; on leur faisait croire qu'une majorité était en désaccord avec
leur jugement. Dans une condition expérimentale, les sujets répondaient en public,
alors que dans une autre ils répondaient en privé. Dans certaines conditions, les mem-
bres du groupe stigmatisaient les sujets déviants. Les Norvégiens sont apparus plus
conformes que les Français quelle que soit la condition expérimentale, sans que l'on
puisse savoir si ces derniers se montraient réellement plus indépendants, ou s'ils fai-
saient davantage preuve d'anticonformité.
C - LIENS ET DISTINCTION
ENTRE NORMALISATION ET CONFORMISME
sera soumis surtout à une influence informationnelle, et dans l'autre cas, à une
influence normative. L'ambiguïté du stimulus, comme il a été discuté plus haut, appa-
raît constituer un élément déterminant de la part de l'une et l'autre forme d'influence :
plus la réponse à l'épreuve sera difficilement évaluable par le sujet, plus il aura besoin
des réponses d'autrui comme source d'information, mais plus aussi il acceptera des
réponses fausses. La question qui peut alors être posée est celle de la concordance entre
la réponse que fournit le sujet et sa conviction quant à la justesse de la réponse. À
l'évidence, le processus de conformisme suppose une faible concordance entre les deux
que l'on peut traduire par une acceptation publique en même temps qu'un désaccord
privé. À l'inverse, le processus de normalisation suppose une forte concordance entre la
réponse du sujet et sa conviction quant à l'exactitude sa réponse, que l'on peut traduire
par une acceptation à la fois publique et privée.
C'est la synthèse que propose Gross (1992) de l'influence informative et de
l'influence normative. La première est au fondement du processus de normalisation,
alors que la seconde est au fondement du processus de conformisme. La première sup-
pose une situation dans laquelle le sujet ressent un besoin de certitude en même temps
qu'il ressent une incertitude subjective. Réduire cette incertitude passe par une
recherche d'informations. Un processus de comparaison sociale pourra être effectué. La
réponse qui ressortira de ce processus traduira une acceptation publique autant que
privé. L'influence normative suppose plutôt un besoin d'être accepté et approuvé par
autrui en même temps que le sujet attribut à autrui le pouvoir de le récompenser ou de
le punir. Le sujet vit un conflit entre son opinion et celle des autres. Si le sujet fournit la
réponse qu'il pense attendue par le groupe, cela traduira une acceptation publique et
un désaccord privé.
besoin de besoin
certitude d'acceptation et
d'appropriation
incertitude d'autrui
subjective
Influence Influence
informationnelle normative conflit entre son
opinion et celle
des autres
comparaison
sociale
complaisance
internalisation
Gross intègre également à son modèle la distinction proposée par Kelman entre
les trois types de processus qu'il considère susceptibles d'amener un individu à produire
le comportement ou le jugement attendu par les autres. Cette distinction permet
d'interroger l'état de modification du système de croyance de l'individu ? Kelman
(1961) distingue donc trois processus fondamentaux :
La complaisance (ou l'acquiescement) : ce processus survient lorsque les individus
cèdent à la pression du groupe dans le but d'obtenir des avantages et d'éviter des désagré-
ments de la part du groupe majoritaire. Selon ce processus, l'acquiescement sera la plu-
part du temps public sans affecter la croyance en privé. C'est vraisemblablement ce pro-
cessus qui est à l'oeuvre dans les expérimentations du type de celle de Asch. Si l'individu
se conforme, c'est non parce qu'il croit à la réponse qu'il donne, mais plutôt par souci de
maximiser ses gains et de minimiser ses pertes à l'égard du groupe majoritaire.
L'identification : ce processus survient lorsque l'individu veut établir et maintenir
une relation désirée avec le groupe majoritaire. Il est alors indispensable que le groupe
dispose de caractéristiques et de qualités que l'individu souhaite adopter. La modifica-
tion de croyances et/ou de comportements affecte dans ce cas l'univers public et privé
du sujet même s'il garde à l'esprit qu'il s'agit du système de croyance du groupe auquel
il souhaite appartenir. Il s'agit de modifications moins profondes et moins durables que
celles observées dans le processus d'intériorisation. C'est probablement le processus qui
était en oeuvre lors de l'entrée des étudiantes au collège Bennington.
L'intériorisation : ce processus survient lorsque le sujet en arrive à être persuadé que
le groupe a raison dans les positions qu'il défend et finit par adhérer à ce nouveau système
de valeurs. Ce processus conduit l'individu à une acceptation à la fois privée et publique
associée à un oubli de ses anciennes croyances. Pour observer ce type de processus, il faut
que le sujet attribue au groupe des compétences qu'il n'a pas. Il est, en conséquence, peu
probable que ce type de processus soit à l'oeuvre dans l'expérimentation de Asch. À
l'évidence, les anciennes étudiantes de Bennington interrogées vingt-quatre ans après leur
sortie du collège sont passées par un processus d'intériorisation.
D - DU CONFORMISME À L'OBÉISSANCE
Il reste, cependant, que les études sur le conformisme (comme d'ailleurs celles sur la
normalisation) porte sur des jugements verbaux, dans des situations dénuées d'enjeux.
Stanley Milgram, un disciple de Asch qui travaillait à sa suite sur le conformisme, s'est
intéressé à des situations qui impliquaient des comportements plutôt que des jugements,
considérant que ce qui avait pu être montré sur les uns ne pouvait pas nécessairement
être généralisé aux autres. Il mena ainsi une recherche (Milgram, Bickman et al., 1969)
concernant un comportement parfaitement anodin : dans quelle mesure le fait qu'un ou
plusieurs individus lèvent le nez en l'air au coin d'une rue peut influencer le sujet ?
Les bases de la psychologie sociale I 91
% de passants
conformes aux
compères
100 —
conformisme et nombre de compères
80 —
60 —
40 —
20 —
nombre de compères
1 2 3 5 10'
L'expérimentateur fait un tirage au sort truqué pour déterminer les rôles : le sujet
naïf a vraiment le sentiment qu'il aurait pu avoir un autre rôle dans l'expérience,
c'est-à-dire celui de l'élève. Chacun va avoir un rôle bien défini :
l'élève doit apprendre une liste de couples de mots ;
l'instructeur n° 1 lit à l'élève une liste de couples de mots, puis propose un mot sti-
mulus et 4 associations possibles à partir de ce mot ;
l'instructeur n° 2 donne un feed-back à l'élève (réponse juste ou fausse), et fournit la
bonne réponse lorsque l'élève s'est trompé ;
l'instructeur n° 3 (systématiquement le sujet naïf) doit donner une décharge élec-
trique à l'élève s'il s'est trompé. C'est là que l'expérience de Milgram diffère radica-
lement des recherches habituelles sur le conformisme : la réponse attendue du sujet
n'est plus un simple jugement dans une tâche perceptuelle dénuée d'enjeux, il s'agit
d'un comportement très impliquant puisqu'il heurte les convictions du sujet. À
noter que les trois instructeurs ne voient pas l'élève ; celui-ci est placé derrière une
cloison. En revanche, ils l'entendent.
Les trois instructeurs devront décider ensemble de l'intensité des chocs électriques :
l'instructeur n° 1 propose un certain degré d'intensité ;
l'instructeur n° 2 propose ensuite systématiquement le même niveau de choc ;
l'instructeur n° 3 (le sujet naïf) propose enfin un niveau de choc et doit donner lui-
même la décharge électrique à l'élève. Une règle essentielle est donnée par
l'expérimentateur : la décharge électrique qui sera donnée correspondra toujours à
la plus faible des trois propositions ; donc, en définitive, on verra que c'est le sujet
naïf qui prendra la décision du niveau de choc.
d'intensité. Mais tout est fait pour que le sujet naïf soit convaincu qu'il assène de
réels chocs électriques. Il est placé devant un générateur électrique comprenant
autant de manettes que de niveaux d'intensité. En dessous de cette rangée de
manettes, des indications explicites sont fournies : choc léger, choc moyen, choc
fort, choc très fort, choc violent, choc très violent, danger : choc douloureux.
Les résultats des sujets du groupe contrôle (des sujets naïfs qui ont choisit sans
contrainte le niveau de chocs) indiquent clairement que, spontanément, les sujets assè-
nent un choc électrique de faible intensité. Ce niveau de chocs reste faible au fil des
essais : entre 50 et 70 V en moyenne (bien avant que l'élève se plaigne). De plus, la dis-
persion des réponses des sujets du groupe contrôle est toujours modérée (écart type
< 5) ; donc la plupart des sujets se comportent de la même façon.
Dans le groupe expérimental (sujets naïfs sous l'influence des compères), le com-
portement des sujets est tout différent : le niveau moyen de chocs augmente régulière-
ment au fil des essais pour atteindre plus de 200 V aux derniers essais. On relève égale-
ment que la dispersion des réponses des sujets du groupe expérimental augmente en
même temps que l'intensité moyenne. On peut donc inférer que les sujets se compor-
tent de la même façon pour les premiers essais, puis des différences interindividuelles
apparaissent de plus en plus.
Milgram réalise une synthèse des résultats des deux conditions expérimentales sur
la base d'une transposition des données obtenues au sein d'un graphique.
94 I Psychologie sociale
30
25
20
—
3— Compères
15 - GE
10 GC
5 10 15 20 25 30
23
tie' GE • GC
L'examen de l'histogramme permet une analyse plus nuancée des données relevées
auprès des sujets du groupe contrôle qui n'étaient pas soumis à l'influence des compè-
res : 2 sujets sur 40 (5 %) poussent l'expérience au-delà de 150 V (stade où l'élève
demande qu'on arrête l'expérience) et assènent des chocs décrits comme douloureux.
On peut soupçonner un caractère pathologique de ce comportement. Tous les autres
sujets choisissent des chocs légers (58 % de l'effectif), ou moyen (28 %). 4 sujets (10 ` )/0)
assènent un choc fort, mais ne dépassent pas le seuil à partir duquel l'élève demande
qu'on arrête l'expérience.
Au sein du groupe expérimental, sous la pression des compères, le comportement
des sujets est tout différent. L'examen de l'histogramme permet d'observer que deux
groupes se distinguent : ceux qui ne dépassent pas les 240 V (21 sujets moyennement
conformes) et ceux qui les dépassent (19 ss très conformes). Il existe donc une distribu-
tion bimodale des réponses des sujets du groupe expérimental avec un mode correspon-
dant à un choc maximal fort et un mode correspondant à un choc maximal doulou-
reux. L'existence de cette distribution bimodale va totalement à l'encontre de
l'interprétation de Milgram selon laquelle le comportement des sujets du groupe expéri-
mental serait un compromis constant entre ce qu'ils souhaiteraient faire et ce que les
compères leur demandent de faire. En réalité, certains sujets suivent aveuglément les
suggestions des compères, alors que d'autres ne les suivent que jusqu'au moment où
l'élève demande qu'on arrête l'expérience.
Cette analyse amène deux commentaires. Le premier, de portée générale, est qu'un
raisonnement ne peut être tenu sur la base de l'observation exclusive de moyennes. La
méthode expérimentale repose, en effet, sur deux piliers qu'on doit prendre en compte
simultanément : l'un est la différence de scores moyens entre deux conditions expérimen-
tales qu'on compare, l'autre est l'hétérogénéité des scores à l'intérieur d'une condition
expérimentale. Les tests statistiques que le chercheur effectue sur ses données (le plus sou-
vent une analyse de la variance) ne garantissent pas que les scores soient homogènes au
sein d'une condition expérimentale, dès lors que les différences entre deux conditions sont
supérieures aux différences à l'intérieur d'une condition. Il faut donc, avant toute autre
analyse, effectuer une analyse descriptive des données obtenues qui permettra d'orienter
les analyses statistiques de manière à rendre compte du sens intrinsèque des données obte-
nues. Le second commentaire porte sur la philosophie de Milgram. Comme beaucoup de psy-
chologues sociaux, Milgram est intimement convaincu que « dans la plupart des cas, ce
qui détermine l'action de l'être humain, c'est moins le type d'individu qu'il représente que
le type de situation auquel il est confronté » (Milgram, 1974, p. 253). En tant que psycho-
logue social, l'auteur de ce chapitre en est lui-même convaincu ; il est convaincu aussi que
Milgram et les chercheurs qui ont travaillé à sa suite n'ont pas suffisamment porté leurs
efforts sur ce qui caractérise les sujets qui arrêtent l'expérience lorsque la victime leur
demande, en comparaison de ce qui caractérise les sujets qui outrepassent la demande
explicite de la victime pour suivre les injonctions d'un ou plusieurs autres individus.
d. Conformisme ou obéissance ?
propos d'un jugement perceptuel, comme dans les expériences classiques sur le confor-
misme, mais de réaliser un comportement extrêmement impliquant à la demande expli-
cite de deux individus de même statut que le sujet. Le taux de conformisme apparaît
très élevé, beaucoup plus que chez Asch : ici, 50 % des sujets soumis à l'influence des
compères ont dépassé la moitié des niveaux d'intensité possible ; chez Asch, 28 % seule-
ment des sujets faisaient plus de la moitié des erreurs possibles, dans une tâche pourtant
infiniment moins problématique. Milgram s'est interrogé sur le comportement de ses
sujets et a émis l'hypothèse qu'ils n'ont probablement pas seulement suivi les recom-
mandations des compères ; sans doute ont-ils aussi considéré que l'expérimentateur
cautionnait, par le dispositif dans lequel il avait placé les sujets comme par sa présence
tout au long de l'expérience, les injonctions des compères. À travers un apparent
conformisme envers des pairs, c'est peut-être un comportement d'obéissance à
l'expérimentateur que Milgram a observé. Il convenait de mener une expérimentation
dans laquelle les injonctions seraient directement formulées par l'expérimentateur.
E - L'OBÉISSANCE
l'expérimentateur à un autre sujet (un compère) qui suit les instructions du sujet naïf. Il
s'agit d'une condition de proximité minimale qui reproduit une caractéristique essen-
tielle du fonctionnement bureaucratique des systèmes autoritaires : l'individu est un
rouage dans un système de transmission des ordres. L'élève est placé dans une pièce
contiguë au laboratoire, mais le sujet entend ses réactions. Dans cette situation, 92,5 %
des sujets iront jusqu'au bout de l'expérience, c'est-à-dire qu'ils transmettront les ordres
jusqu'à ce que l'expérience s'arrête lorsque l'élève aura reçu trois fois d'affilée 450 V. Il
s'agit du pourcentage d'obéissance le plus élevé obtenu par Milgram. Le niveau moyen
de choc maxima est aussi le plus élevé obtenu : 400 V.
'Expérimentation 1 : la victime n'est ni vue ni entendue par le sujet naïf. Il s'agit
d'une situation de proximité minimale avec un sujet naïf qui actionne les manettes déli-
vrant les chocs électriques. L'élève (compère de l'expérimentateur) est installé dans une
pièce voisine et n'est ni vu ni entendu de la part du sujet naïf; ses réponses apparais-
sent sur un écran de contrôle destiné à cet effet. À 300 V, le compère tape sur la cloi-
son du laboratoire pour protester, puis ne donne plus aucune réponse à partir de
315 V. Lorsque le sujet a administré par trois fois 450 V, l'expérimentation prend fin.
Dans cette situation, les résultats sont éloquents puisque 65 % des sujets iront au choc
maximal de 450 V et la moyenne des niveaux maxima de chocs électriques délivrés
sera de 390 V.
Expérimentation 2 : la victime demeure dans une pièce contiguë au laboratoire,
mais ses cris de douleurs sont clairement perçus au travers de la cloison. 1.1 s'agit de
l'expérience de base par rapport à laquelle toutes les variantes expérimentales doivent
être comparées puisque les variations expérimentales des différentes conditions seront
toujours effectuées en référence à cette expérience. Dans cette situation, 62,5 % des
sujets iront jusqu'au choc maximal de 450 V et la moyenne des niveaux de chocs
maxima délivrés sera de 368 V.
Expérimentation 3 : la victime se trouvait dans la même pièce que le sujet naïf et
par conséquent était vue et entendue. Dans cette situation, 40 o/ des sujets iront au
choc maximal de 450 V et la moyenne des chocs maxima sera de 312 V.
Expérimentation 4 : il y avait un contact physique entre le sujet naïf et la victime
puisque l'instructeur devait contraindre l'élève de poser la main sur une plaque élec-
trique destinée à délivrer les chocs. À 150 V, la victime refusant de s'exécuter seul, son
tortionnaire recevait l'ordre de prendre lui-même la main de l'élève pour la poser sur la
plaque. Dans cette situation, 30 % des sujets iront au choc maximal de 450 V et la
moyenne des chocs maxima délivrés sera de 268 V.
Cette première série d'expérimentation indique un taux d'obéissance extrêmement
troublant : près des deux tiers des sujets, dans l'expérience de base (l'instructeur entend
les plaintes de l'élève mais ne le voit pas), obéissent aveuglément à la figure d'autorité
qui leur demande de se conduire d'une manière qui heurte pourtant leur morale. La
plupart des sujets obéissants ne s'exécutent pas de manière passive : ils réagissent dès
que l'élève leur demande d'arrêter, s'interrogent, tentent de convaincre l'expé-
rimentateur. Cependant, quelques incitations verbales de la part de la figure d'autorité
suffisent généralement à amener le sujet au bout de l'expérience. Dans l'expérience de
base, 20 % seulement des sujets se rebellent lorsque la victime demande qu'on arrête
l'expérience (à 150 V).
98 I Psychologie sociale
dorme des ordres pour qu'ils s'exécutent. D'ailleurs, dans l'expérience 13, dans laquelle
l'expérimentateur comme l'élève sont présentés comme étant des pairs du sujet naïf,
20 % seulement des sujets iront jusqu'au bout.
Les expériences 15 et 16 sont extrêmement troublantes parce qu'elles indiquent
que le comportement d'obéissance dépend d'un cadre très précis. Dans les deux varian-
tes, le sujet va être confronté à deux figures d'autorité aux ordres contradictoires.
Cependant, dans l'expérience 15, les deux figures d'autorité assument le rôle
d'expérimentateur, alors que dans l'expérience 16 l'une assume le rôle d'expé-
rimentateur et l'autre joue le rôle de la victime. Le pourcentage d'obéissance est de 0 %
dans la première variante et de 65 °Al dans la seconde. À l'évidence, face à deux autori-
tés qui assument une position naturelle de chercheurs donnant des instructions, tous les
sujets vont profiter de leur désaccord pour se désengager de la situation (à rapprocher
des expériences 7 et 17). En revanche, si le script d'une relation hiérarchique est pré-
servé (une seule figure d'autorité dans sa position naturelle comme dans
l'expérience 16), les sujets se sentent dans l'obligation d'obéir.
Milgram insiste sur le rôle de la hiérarchie dans la vie sociale. Elle est au fondement
de l'organisation de la vie professionnelle. Plus profondément encore, la structure fami-
liale repose en bonne partie sur le processus d'obéissance. Tout parent sait qu'il doit pou-
voir se faire obéir d'un jeune enfant ; c'est d'ailleurs une condition de sa survie dès
qu'approche l'âge de la marche et pendant tout l'âge préscolaire : un enfant qui n'obéit
pas à la voix de ses parents court des risques considérables au quotidien. C'est la raison
pour laquelle les événements disciplinaires sont si nombreux au cours de la petite enfance
(voir chap. « Théories et méthodes ») ; cela commence par des interdits constants ( « ne
fait pas cela ») de manière à éviter que l'enfant réalise un comportement dysfonctionnel
qu'il souhaiterait réaliser, et au fur et à mesure que l'enfant a intériorisé les interdits, les
parents utilisent des obligations pour amener leur progéniture à réaliser des comporte-
ments attendus qu'ils ne réaliseraient pas spontanément ( « fais ceci » ).
L'apprentissage de l'obéissance va continuer tout au long du processus de sociali-
sation. Tout enseignant sait que l'obéissance constitue un préalable à l'apprentissage au
sein d'une classe. Plus tard, à l'armée, l'individu comprend que l'obéissance est un fon-
dement de l'institution militaire, au point qu'un refus d'obéissance en opération est pas-
sible de la cour martiale. À son entrée dans le monde du travail, l'individu a parfaite-
ment assimilé que l'on attend de lui une soumission à ses supérieurs hiérarchiques. On
peut donc considérer qu'il existe un script d'obéissance : dès lors que les conditions sont
réunies, c'est-à-dire que l'individu est confronté à une autorité qu'il perçoit comme légi-
time qui lui donne un ordre qui correspond à ses prérogatives, le comportement
d'obéissance est naturel et va se dérouler sans que l'individu questionne la relation qu'il
entretient avec la figure d'autorité ni les demandes qui lui sont faites. Cette émission
Les bases de la psychologie sociale I 101
La connaissance des résultats des expériences de Milgram ont suscité de très vives
réactions, y compris au sein de la communauté scientifique. L'origine de ces critiques
tient essentiellement aux résultats obtenus plus qu'à la méthode. Trois critiques princi-
pales ont été mises en avant.
Si une telle proportion de sujets ont été jusqu'au bout de l'expérience en assénant
450 V à un être humain, c'est tout simplement qu'ils savaient que les chocs n'étaient
pas réellement administrés. Plusieurs objections peuvent être faites à cette critique :
a) d'abord, les variations de comportements d'une condition expérimentale à l'autre
n'aurait aucun sens si les sujets pensaient ne pas donner de chocs électriques. Par
exemple, lorsqu'on fait varier la proximité du sujet avec la victime, on relève une
variation considérable du taux d'obéissance qui passe de 92,5 % à 30 % d'une
condition à l'autre ;
b) ensuite, le stress montré par les sujets est très net comme en témoignent les diffé-
rents films qui ont été réalisés sur ces expériences, ce qui indique que les sujets
croyaient en la réalité de l'expérience ;
c) Milgram a envoyé un questionnaire aux sujets qui avaient participé à ses expérien-
ces un an après leur passation. 658 réponses lui sont parvenues sur 715 partici-
pants, soit un taux de retour remarquable de 92 °/0. 16 sujets (2,4 %) se sont dit
certains que l'élève ne recevait pas les chocs, 75 (11,4 °A)) qu'ils ne croyaient pas en
l'existence des chocs électriques, malgré qu'ils aient eu quelques doutes, et 40
(6,1 0/0) ont déclaré qu'ils n'étaient certains de rien au cours de l'expérience. En
102 I Psychologie sociale
revanche, plus de 80 % des sujets qui ont répondu aux questionnaires étaient
convaincus que l'élève recevait bien les chocs électriques (369 se sont déclarés abso-
lument certains, 158 convaincus bien qu'ayant eu quelques doutes) ;
d) l'argument décisif à l'encontre de cette critique a été apporté par Sheridan et King
(1972) : l'élève était un jeune chiot à qui on donnait réellement des chocs électri-
ques. Les auteurs obtinrent 54 % d'obéissance maximale parmi les instructeurs
masculins et 100 % parmi les instructeurs féminins.
chement entre le comportement des sujets de Milgram et celui des soldats tient proba-
blement au fait que l'observateur tente de considérer les épisodes de l'histoire comme
des artefacts, certes fâcheux et devant susciter la plus vive réprobation, mais dans les-
quels il ne se projette pas. Qui se demande quelle conduite il aurait adoptée s'il avait
été enrôlé dans la Wehrmacht pendant la Seconde Guerre mondiale ou s'il était soldat
américain en faction à la prison d'Abou Graid ? En revanche, l'observateur conceptua-
lise mieux l'idée qu'il aurait pu participer, en tant que sujet, à une expérience sur
l'obéissance. Cette idée lui est désagréable, et le fait qu'il répugne à considérer qu'il
aurait pu se comporter comme la majorité des sujets l'aide à voir la situation expéri-
mentale de Milgram comme manipulatrice, artificielle et ne reflétant pas le monde réel.
Ce sont fondamentalement les résultats qui heurtent l'honnête homme qui prend
connaissance des études sur l'obéissance, bien davantage que le dispositif expérimental
mis en oeuvre, les experts du comportement humain réagissant d'ailleurs comme tout un
chacun. Milgram s'est aperçu très tôt de l'écart considérable entre les prévisions que l'on
pouvait faire sur la base de la description de la procédure expérimentale utilisée et les
résultats réellement obtenus. Il avait demandé à 31 étudiants, 40 adultes de classes
moyennes et 39 psychiatres quel serait, selon eux, leur propre comportement s'ils étaient
sujets de l'expérience. Les trois groupes de personnes consultées ne diffèrent pas entre
eux quant à leurs prévisions : 74 % d'entre eux pensent qu'ils s'arrêteraient au plus tard
à 150 V, lorsque l'élève demande qu'on arrête l'expérience (5 % pensent même qu'ils
auraient refusé d'emblée d'asséner des chocs électriques). Aucun ne pense qu'il aurait
dépassé 300 V. Les résultats réels sont évidemment tous différents : sur les expériences 1
à 4, destinées à étudier la variable « proximité avec la victime », 21 % seulement des
sujets s'arrêteront à 150 V ou avant, alors que 62,5 % dépasseront les 300 V.
En conclusion, le problème de la généralisation des résultats de Milgram au
monde réel n'est pas celui des modalités de la manipulation expérimentale, c'est celui
de l'observateur qui se refuse de considérer la réalité des résultats et leur signification.
On retrouvera cette problématique dans les critiques éthiques qui ont été faites.
inévitable d'utiliser quelques artifices. Il s'agit, avant tout, de cacher aux sujets les objec-
tifs véritables de l'expérience à laquelle ils participent. Quelques chercheurs se sont
essayés à contourner cette précaution sous la forme de jeux de rôle : « Imaginez que vous
soyez sujet de cette expérience dont je vais vous décrire précisément la procédure, com-
ment réagiriez-vous ? » Si cette procédure avait une efficacité, il conviendrait de toute
manière, par précaution pour vérifier que la procédure de jeu de rôle n'amène pas de
conclusions erronées, d'effectuer une condition expérimentale dans laquelle les sujets se
comporteraient réellement, et donc dans laquelle il faudrait leur mentir pour leur cacher
les objectifs. La question éthique ne serait donc pas résolue puisque la procédure incri-
minée serait réalisée, même a minima. Cela étant, cette procédure n'est pas valide dès lors
que les résultats attendus apparaissent contre-intuitifs, ce qui est souvent le cas en psy-
chologie sociale, tout particulièrement dans le cas des expériences de Milgram.
Il reste une question que l'on peut envisager sous un angle éthique : le chercheur
peut-il manipuler les participants à ses recherches ou doit-il nécessairement les informer
des tenants et des aboutissants de l'expérience à laquelle ils s'apprêtent à participer ? La
question du caractère socialement exceptionnel des pratiques en oeuvre doit ici être
posée. Va-t-on, par exemple, blâmer le chercheur parce qu'il simule en laboratoire des
situations de la vie réelle dans lesquelles les gens sont manipulés ? Une réponse positive
à cette question condamnerait toute velléité de constituer des connaissances sur des
pans entiers de la vie sociale. La question du coût pour le sujet doit également être
posée, en particulier dans le cas des expériences de Milgram.
Baumrind (1964) a été, sans conteste, la plus farouche opposante aux recherches
de Milgram. Elle considéra que ces expériences allaient à l'encontre de la dignité
humaine, et déploya de nombreux arguments à la fois d'ordre méthodologique pour
minimiser la portée des résultats et d'ordre éthique pour stigmatiser les conditions de
leur obtention. Si les arguments méthodologiques, assez faibles, ont été discutés précé-
demment. Les arguments éthiques méritent un examen approfondi.
Outre un entretien postexpérimental approfondi que le chercheur menait lui-
même avec chaque sujet, permettant de relativiser le caractère singulier de la conduite
des participants les plus obéissants, le principal argument de Milgram pour se défendre
d'avoir placé ses sujets dans une expérience que l'on pourrait considérer traumatisante
est l'avis des sujets eux-mêmes : « La justification morale du type de méthode que j'ai
utilisé réside dans le fait que tous les participants l'ont jugé acceptable. C'est d'ailleurs
cette approbation massive constatée au cours des expériences successives qui a légitimé
la continuation de celles-ci » (1974, p. 245). À l'appui de cet argument, Milgram peut
mettre en avant le questionnaire envoyé aux participants de ses expériences : seuls
12 sujets (soit 1,3 o/), dont 8 se sont montrés obéissants jusqu'au bout, disent regretter
leur participation, contre 84 % qui se félicitent d'avoir participé. Le 2e élément sur
lequel Milgram appuie son argumentation repose sur une étude complémentaire
menée, un an après l'expérience, par un psychiatre indépendant sur une quarantaine
de participants qui avaient obéi jusqu'au bout. Ces examens aboutissent à la conclusion
Les bases de la psychologie sociale I 105
qu'en dépit d'un stress souvent considérable éprouvé par les sujets, aucun indice ne
permettait de soupçonner le moindre traumatisme.
Admettons donc que les sujets n'aient pas subi de traumatisme. Il n'en reste pas
moins que le stress engendré par la situation était sans commune mesure avec ce que
peut raisonnablement attendre à vivre un participant à une expérience de psychologie.
Cela questionne donc le contrat implicite qui lie le sujet et le chercheur, même si la
plupart des sujets disent ne pas regretter leur participation. De plus, il est hautement
probable que le comportement qu'ont eu les sujets (surtout les plus obéissants) a modi-
fié profondément leur conception des rapports humains, voire la perception qu'ils
avaient d'eux-mêmes. Un chercheur a-t-il le droit d'imposer un tel examen de cons-
cience à ses sujets ? Une I re réponse est fournit par Milgram : de nombreux sujets lui
ont témoigné avoir beaucoup appris de leur participation à son programme de
recherche ; certains ont affirmé que la prise de conscience de leur comportement
d'obéissance avait radicalement modifié leur vie. Une 2` réponse est que l'idée selon
laquelle le sujet pourrait ressortir du laboratoire dans le même état qu'au moment de
son entrée relève d'une illusion. Reproche-t-on à un enseignant — qu'il soit instituteur
ou universitaire — de modifier, par son enseignement, la manière dont ses élèves ou étu-
diants comprennent le monde ? Toute expérience vécue est susceptible d'amener
l'individu à évoluer ; c'est le cas aussi d'une expérience de laboratoire.
On le voit, il est difficile de porter un jugement définitif sur la question éthique
posée par les expériences sur l'obéissance. Une faiblesse de l'argumentation de Milgram
comme de celle de ses détracteurs est probablement que les raisonnements sont tenus
essentiellement à partir de l'issue des expériences (résultats, commentaires et avis des
participants). Une question éthique ne doit pas être posée parce que des résultats sont
choquants, mais parce que le principe même de l'expérimentation envisagée pose ques-
tion. Il est évident que Milgram n'aurait pas eu à subir une telle controverse si le taux
d'obéissance de ses sujets avait été faible, alors que les questions éthiques posées par son
expérience auraient été strictement identiques. La question de fond est peut-être la sui-
vante : le chercheur peut-il décider seul du fait que l'expérience qu'il envisage mérite
d'être réalisée en dépit d'un coût prévisible (ou d'un risque possible) pour les partici-
pants ? Comme il a été discuté dans le chapitre « Théories et méthodes », cela revient à
poser le principe d'un rapport coûts/bénéfices. Les chercheurs en sciences comporte-
mentales doivent fermement affirmer que ce principe est aussi approprié à leur disci-
pline qu'il peut l'être dans les sciences médicales. On peut attendre des bénéfices pour
l'homme et pour la société des avancées de la recherche en psychologie scientifique, au
même titre qu'en médecine, et donc on peut concevoir courir certains risques dans
l'espoir de tirer de tels bénéfices. Une fois cette affirmation posée, il devient évident que
la psychologie scientifique doit se doter de dispositifs, comme l'ont fait les médecins
récemment, pour décider sereinement et en tout état de cause de l'opportunité de réali-
ser une expérimentation sensible. Il convient donc de laisser cette décision à des comi-
tés d'éthique, à même de raisonner sur la base de l'étude d'un rapport coûts/bénéfices.
Il s'agira alors de tenir compte de la réalité des risques d'une atteinte à l'intégrité phy-
sique, psychologique, ou intellectuelle des participants, de l'apport scientifique potentiel
de la recherche, de l'utilité sociale des éventuels résultats, et enfin du caractère sociale-
ment exceptionnel des pratiques mises en oeuvre.
106 I Psychologie sociale
On le voit, l'influence sociale est au coeur de la psychologie sociale ; elle est aussi
au coeur de la vie sociale. Les connaissances acquises dans ce domaine permettent de
mieux comprendre pourquoi et comment les individus exercent une influence les uns
sur les autres. Chacun participe à construire les règles d'un fonctionnement collectif,
mais bien souvent aussi nous nous soumettons à des pressions sociales : celles d'un
groupe d'individus dont nous partageons l'existence parce que nous ne souhaitons pas
en être rejetés ou celles d'une personne qui possède, dans un certain contexte, un statut
d'autorité qui nous contraint. Un des apports de la psychologie sociale est d'avoir mon-
tré que ce type de conduites s'opère généralement sans que cela suscite une activité
d'inférence particulière (sans que nous cherchions des causes ou des raisons à nos
conduites) parce que ce type de rapports sociaux s'inscrit dans des habitudes que nous
avons contractées depuis toujours, et correspondent donc à. des scripts qui nous amè-
nent à nous conduire d'une manière relativement automatique. Connaître les détermi-
nants de nos comportements et de nos jugements sociaux constitue ainsi un préalable à
nous conduire en portant davantage d'attention aux caractéristiques et aux attentes
d'une situation, ce qui nous permet de moins la subir.
LECTURES CONSEILLÉES
Lévy, A. (1965). Psychologie sociale : textes fimdamentaux anglais et américains. Paris : Dunod (2 t.).
Mugny, G., Oberlé, D., & Beauvois (Eds.) (1995). Relations humaines, groupes et influence sociale.
Grenoble : PUG.
6 les attributions
A - INTRODUCTION
Hier, votre adversaire a particulièrement bien joué au tennis. Que pensez-vous ? : «Il était parti-
culièrement en forme aujourd'hui», «Il devait être dans un bon jour», «Son entraînement systématique
commence à payer », « C'est normal, il a un bon prof ! », «Il faut reconnaître qu'il est doué »...
Vous avez été passionné par le cours de biologie ce mardi matin. Que vous dites-vous? «j'ai
vraiment un faible pour cette matière», «Le prof a été particulièrement clair», «j'avais bien revu le
cours précédent », « Cette partie du programme est intéressante »...
Ces deux exemples illustrent la façon dont nous fonctionnons habituellement dans
la vie quotidienne : nous ne pouvons nous empêcher de chercher une cause à nos com-
portements, nos sentiments, nos émotions, ou ceux des autres. Cette activité d'inférence
causale en matière de comportements a suscité depuis une cinquantaine d'années, et
suscite toujours, l'intérêt des psychologues de la personnalité et des psychologues
sociaux. Les recherches qui lui sont consacrées sont traditionnellement regroupées sous
le label « attributions causales ». Une précision pourtant s'avère nécessaire. Si les cher-
cheurs ayant initié le courant de recherches consacré aux attributions causales (Heider,
1958 ; Jones et Davis, 1965 ; Kelley, 1967) ont surtout été intéressés par la façon dont
les gens expliquent et interprètent les comportements et les états émotionnels, assez rapide-
ment, quoique de façon ponctuelle (cf. par exemple, Weiner et al., 1972), l'intérêt s'est
étendu à la façon dont les gens expliquent les performances et plus généralement les succès
et les échecs. Un tel intérêt rejoignait celui de chercheurs appartenant à un autre courant
de recherches, datant lui aussi des années 1950, consacré à la façon dont les gens expli-
quent ce qui leur arrive dans la vie en bien comme en mal : le locus of control ou LOC
(Phares, 1968 ; Rouer, 1966 ; Lefcourt, 1966). Ce rapprochement, et notamment le
développement des théories attributionnelles (cf. Anderson, Krull et Weiner, 1996 ;
Weiner, 1985 ; Weiner et al., 1972) ne saurait pourtant pas faire oublier les différences
i mportantes existant dès l'origine entre ces deux approches. Alors que les chercheurs
étudiant les attributions causales avaient pour objectif de cerner les conditions condui-
108 I Psychologie sociale
sant à tel ou tel type d'explications causales, ceux étudiant le LOC se situaient d'emblée
dans une perspective différentialiste et cherchaient à différencier les personnes privilé-
giant les explications témoignant de l'établissement d'un lien de cause à effet entre le
renforcement reçu (succès ou échec) et certaines caractéristiques de l'individu des per-
sonnes privilégiant les explications témoignant du rôle causal de facteurs échappant au
contrôle de l'individu (les circonstances, les autres, la bonne ou la mauvaise chance...).
Le concept d'attribution causale ayant déjà fait l'objet de nombreuses présentations
en langue française (Beauvois, 1984 ; Deschamps, 1977 ; Leyens, 1983 ; Yzerbyt et Scha-
dron, 1996 ; Deschamps et Clémence, 2000, pour les plus anciennes et Beauvois, Des-
champs et Schadron, 2005, pour la plus récente'), nous avons choisi ici de montrer com-
ment son approche a suivi les évolutions de la psychologie sociale. D'abord défini et
théorisé à une époque où les psychologues sociaux s'intéressaient aux attitudes et à la
perception d'autrui (Heider, 1944), le concept d'attribution a été repris plus tard par les
chercheurs désireux d'intégrer les concepts nouveaux de la psychologie sociale cognitive,
en particulier les concepts de processus automatiques et de processus contrôlés (Quat-
trone, 1982 ; Gilbert, Pelham et Krull, 1988). À ce changement de perspective, qui est à
voir davantage comme une évolution, que comme une rupture, correspond un change-
ment dans la représentation de l'homme. En effet, comme nous allons le voir, les pre-
miers travaux sur l'attribution sont associés à la conception de l'homme comme un scien-
tifique spontané, alors que les derniers travaux dont nous parlerons sont plutôt associés à la
conception de l'homme comme un avare cognitif ou un ordinateur fautif
Alors que les recherches sur les groupes et sur les attitudes des années 1930-1950
entretenaient l'image d'un homme gouverné par ses affects et ses motivations, celles des
années 1950 donneront l'image d'un homme rationnel tant dans ses choix et prises de
décision que dans ses jugements (cf. Beauvois, 1996). Heider, le fondateur du concept
d'attribution causale, bien qu'initialement préoccupé par la perception des relations
interpersonnelles (Heider, 1958), est l'un de ceux qui ont contribué à développer cette
image d'un homme potentiellement scientifique. Heider considère en effet que la
démarche à laquelle l'homme de la rue recourt pour chercher la ou les causes d'un évé-
nement s'apparente à une démarche scientifique dans la mesure où elle vise à mettre de
l'ordre dans les données en mettant ensemble ce qui se ressemble. De fait, cette
démarche consiste à trouver la structure stable, permanente, non directement perceptible
qui sous-tend les comportements spécifiques, variés qui sont donnés à observer. Cette
légient, comme Kelley l'avait supposé, les informations en rapport avec la distinctivité
et la consistance et négligent celles en rapport avec le consensus. En fait, l'idée selon
laquelle nous fonctionnons habituellement de façon beaucoup plus simple s'imposa
rapidement. Kelley lui-même en vint à l'idée selon laquelle nous disposons de schèmes
mentaux, qu'il appelle des schèmes de causalité, qui nous permettent d'éviter une ana-
lyse exhaustive des covariations (Kelley, 1972). Ces schèmes sont des croyances que
nous avons concernant la façon dont certaines causes peuvent se combiner ou non pour
produire certains types d'effets. Si l'effet à expliquer est un événement rare ou difficile-
ment concevable, nous appliquons ce que Kelley appelle le schème des causes multiples
nécessaires. Ce schème présuppose que l'intervention simultanée de plusieurs causes est
nécessaire pour expliquer l'événement observé. Si, par contre, l'effet à expliquer est un
événement banal, alors nous appliquons le schème des causes multiples suffisantes, une
seule cause parmi plusieurs possibles étant sufisante
f pour expliquer l'événement observé.
Le choix de cette cause résulte de l'application d'un principe, the discounting principle, sou-
vent traduit par principe d'élimination, qui veut que lorsqu'une cause est identifiée,
alors, la recherche d'autres causes possibles s'arrête. N'oublions pas que Kelley avait
pour point de départ l'idée selon laquelle l'homme est un scientifique spontané. Avec
les schèmes de causalité, s'il ne traite pas toute l'information que traiterait un scienti-
fique, l'homme garde une démarche empreinte d'un certain systématisme : il applique
des règles. On décrira par la suite le processus d'attribution comme étant encore moins
élaboré. Hansen (1980) avancera que les gens, dans leurs inférences causales, partent
bien souvent d'une idée a priori de ce que doit être la causalité d'un événement donné :
s'il s'agit d'un comportement, cette causalité doit être en rapport avec la personne, s'il
s'agit d'une émotion, la causalité doit être en rapport avec le stimulus. Équipés de l'une
de ces hypothèses, les gens arrêteront leur réflexion aussitôt qu'ils trouveront
l'information la justifiant. On a pu montrer (Major, 1980) que même lorsqu'ils peuvent
obtenir plus d'informations, les gens se contentent généralement d'une information sur
la distinctivité et/ou la consistance, informations permettant des attributions rapides au
stimulus ou à la personne et négligent l'information sur le consensus.
Les gens adoptent donc un mode de fonctionnement autrement plus économique
que celui d'un scientifique. Mais ce n'est pas tout. On a aussi montré que cette éco-
nomie n'allait pas sans biais ou erreurs systématiques.
C ERREURS ET BIAIS
-
Les années 1960-1970 verront les chercheurs mettre en avant divers biais et
erreurs incompatibles avec la conception de l'homme comme scientifique spontané.
Plutôt que de chercher à être exhaustive dans l'évocation de ces biais, nous présente-
rons successivement un biais qui a surtout été expliqué par des facteurs cognitifs (le
biais acteur/observateur), un biais qui a surtout été expliqué par des facteurs motiva-
tionnels (le biais d'autocomplaisance) et un biais dont il est sûr qu'il relève d'une expli-
cation multidimensionnelle (l'erreur fondamentale).
Les attributions I 111
Dès 1972, Jones et Nisbett remarquent que les gens ne font pas les mêmes attribu-
tions causales selon que l'événement à expliquer les concerne ou selon qu'il concerne les
autres, autrement dit selon qu'ils sont l'auteur du comportement ou selon qu'ils en sont
l'observateur. De façon plus précise, et c'est ce qui a été désigné sous le nom de biais
acteur/observateur, alors que l'auteur d'un comportement tend à expliquer son compor-
tement par des facteurs situationnels (les circonstances dans lesquelles s'est produit le com-
portement), un observateur de ce comportement tend lui à privilégier comme facteurs
causaux, les facteurs personnels, dispositionnels (les caractéristiques de l'auteur du com-
portement). Alors que vous avez tendance à penser que si votre voisin s'endort au cinéma
c'est parce qu'il est fatigué, vous avez tendance à invoquer, pour expliquer votre propre
assoupissement, le caractère ennuyeux du film. Si plusieurs interprétations ont été avan-
cées pour rendre compte de ce biais, toutes sont en rapport avec des différences au niveau
du traitement de l'information : par exemple, l'acteur a plus d'informations sur ses com-
portements passés et en connaît leurs possibles inconsistances, par exemple encore,
l'information qui est saillante pour l'acteur lorsqu'il se comporte n'est pas la même que
celle qui est saillante pour l'observateur (l'acteur ne se regarde pas, mais voit la situation à
laquelle il est confronté, alors que l'observateur voit l'acteur se comporter). Cette dernière
explication se trouve confortée par les résultats d'une astucieuse manipulation expérimen-
tale de Storms (1973). Après avoir observé un biais acteur/observateur traditionnel, ce
chercheur obtient une inversion du biais en confrontant ses sujets, au moyen
d'enregistrements vidéo, aux informations auxquelles ils n'ont jamais accès en réalité.
L'acteur peut observer ce qu'un observateur est habituellement le seul à observer (l'acteur
lui-même en train de se comporter) et l'observateur peut observer ce que l'acteur est habi-
tuellement le seul à observer (la situation telle que l'acteur la voit quand il se comporte).
Indépendamment de ce biais, et concernant spécifiquement l'acteur, un autre biais
a été largement décrit dans la littérature (Miller et Ross, 1975 ; Zuckerman, 1979 ;
Ross et Flechter, 1985). Il s'agit du biais d'autocomplaisance (self seroing attribution bias).
Ce biais correspond à la tendance qu'ont les gens de s'attribuer davantage la causalité
des événements positifs que celle des événements négatifs. L'obtention d'une bonne
note sera sans peine attribuée au travail fourni, celle d'une mauvaise note à la sévérité
du correcteur. Bien qu'ayant été interprété par certains (cf. Miller et Ross, 1975)
comme un biais de traitement cognitif, le biais d'autocomplaisance est surtout envisagé
comme résultant d'une motivation à avoir, et à donner de soi, une image positive.
Mais de tous les biais constitutifs de l'attribution causale des comportements, le
plus typique est celui qui a reçu le nom d'erreur fondamentale d'attribution (Ross,
1977). Cette erreur consiste à sous-estimer les causes situationnelles au profit des causes
dispositionnelles. De nombreux résultats expérimentaux illustrent la généralité et la
puissance de ce biais. On sait qu'il se produit même lorsque les informations dont dis-
pose l'observateur devraient le garantir d'une telle erreur. Jones et Harris (1967), par
exemple, dans une recherche maintes fois répliquée, montrent que des sujets améri-
cains, invités à émettre un jugement sur l'opinion favorable vs défavorable aux idées de
Castro de personnes ayant été contraintes de rédiger un texte soit pour, soit contre
Castro, jugent comme étant plus favorables aux idées de Castro celles ayant produit un
texte en faveur du leader cubain que celles ayant produit un texte contre lui. Les sujets
négligent donc totalement l'information qui pourtant leur était donnée, information
112 I Psychologie sociale
selon laquelle les textes ont été produits pour répondre aux exigences de
l'expérimentateur. Ils font comme si les personnes avaient eu à exprimer leurs attitudes
personnelles. Ross, Amabile et Steinmetz (1977) apportent à leur tour des résultats par-
ticulièrement illustratifs de ce biais. Dans leur recherche, des sujets ayant été affectés
après tirage au sort soit au rôle de questionneur, soit au rôle de questionné, pour un jeu
du type questions-réponses, doivent, le jeu terminé, s'auto-évaluer et évaluer leur parte-
naire sur plusieurs dimensions dont une en rapport avec la culture générale. Les résul-
tats montrent que les questionnés pensent que les questionneurs sont plus cultivés
qu'eux. Ici encore, ils négligent une information pourtant capitale : le tirage au sort des
rôles joués par chacun. Des observateurs conduits à évaluer questionneurs et question-
nés négligent eux aussi cette information capitale dont la prise en compte aurait interdit
de voir des différences de culture entre questionneurs et questionnés (le sort avanta-
geant considérablement les questionneurs au détriment des questionnés).
Cette erreur fondamentale a fait l'objet d'interprétations diverses. Pour Jones
(1979), elle serait due à une erreur de traitement cognitif des informations, erreur témoi-
gnant d'un ajustement insuffisant (voir infra). Pour d'autres, elle découlerait plutôt d'une
tendance générale à préférer les explications causales internes, parce que celles-ci pour-
raient satisfaire des motivations importantes (besoin de contrôle, besoin d'auto-
détermination). De ce point de vue, la surestimation du déterminisme personnologique,
en matière d'attribution causale des comportements, peut être vue comme le pendant de
l'exacerbation du sentiment de contrôle personnel tel qu'il peut être observé en matière
d'explication causale des renforcements (Beauvois, 1984). Qu'on évoque l'illusion de
contrôle (Langer, 1975) qui conduit les gens à croire qu'ils peuvent maîtriser le hasard et
intervenir dans des situations où l'issue est purement aléatoire (jeux de loterie, paris sur
les chevaux...), l'illusion de détermination (Wortman, 1976) qui explique par exemple
que les gens atteints de maladies graves ou victimes de catastrophes préfèrent s'en attri-
buer la responsabilité plutôt que d'y voir l'intervention du hasard, ou bien encore
l'illusion de justice (Lerner, 1980) qui conduit à considérer qu'il ne nous arrive que ce
que l'on mérite un peu, on constate que dans tous les cas, lorsqu'ils rendent compte de
leurs comportements ou de ce qui leur arrive, les gens préfèrent en endosser la causalité
plutôt que de croire qu'ils peuvent être le jouet des circonstances, des autres, du hasard...
Un troisième type d'interprétations consiste à avancer que si les gens préfèrent les expli-
cations causales internes c'est parce qu'ils ont appris que notre société leur attribue plus
de valeur qu'elle n'en attribue aux explications causales externes (Beauvois, 1984, 2005).
Cette interprétation est illustrée par la théorie de la norme d'internalité* (Dubois, 1994,
2003, 2005). Il a, en effet, été souvent montré que cette prédilection pour les explications
internes s'apprenait non seulement à l'école, mais aussi dans tout dispositif éducatif,
auprès de travailleurs sociaux, de formateurs...
Qu'elle ait été décrite dans la littérature comme le résultat d'une erreur, d'une illu-
sion ou comme le fruit d'un apprentissage sociétal, cette prédilection pour les explica-
tions causales internes est à coup sûr ce qui sature le plus l'activité quotidienne
d'attribution causale. Chercher à savoir laquelle de ces interprétations est la plus perti-
nente s'avère stérile. II nous paraît bien plus sage d'admettre (schème des causes multi-
ples nécessaires oblige) que ces trois interprétations ne sont pas de trop pour rendre
compte d'un phénomène aussi complexe et aussi global.
Les attributions I 113
E - CONCLUSION
Au départ, les processus d'attribution ont été considérés comme des processus géné-
raux caractéristiques du fonctionnement cognitif humain. On a vu que pour Kelley, par
exemple, ils avaient l'universalité de la science. Et même, lorsqu'on en viendra à oublier
les formes nobles de connaissance pour décrire un ordinateur qui peut prendre des rac-
114 I Psychologie sociale
courcis, qui peut faire des fautes, même lorsqu'on évoquera l'avarice d'un sujet humain
répugnant à mobiliser ses ressources cognitives, on supposera qu'il s'agit là encore d'une
caractéristique de l'esprit humain dans son universalité. Il ne fait aucun doute que la
conviction profonde des chercheurs, pour la plupart occidentaux, que leurs sujets étaient
au faîte du processus de civilisation, ne pouvait que les conduire à considérer que si ces
sujets faisaient des erreurs, ces erreurs, tous les humains les faisaient.
Pourtant, dès le milieu des années 1980 (Miller, 1984), les psychologues sociaux
furent sensibilisés aux différences culturelles. Miller réfère les processus d'attribution à
la culture dans laquelle vivent les sujets occidentaux. Une typologie pratique et popu-
laire est la typologie qui oppose les cultures individualistes* (les cultures occidentale)
aux cultures collectivistes* (les cultures asiatiques notamment). On a montré à plusieurs
reprises (Miller, 1984 ; Markus et Kitayama, 1991 ; Morris et Peng, 1994) que l'erreur
fondamentale était probablement propre aux cultures individualistes, les sujets ressortis-
sant aux cultures collectivistes faisant bien plus d'attributions situationnelles que nous.
Les données présentées par Morris et Peng (1994) sont de ce point de vue particulière-
ment instructives. Ces chercheurs montrent que si les Américains et les Chinois ne se
différencient pas au niveau de leurs explications causales impliquant des objets physi-
ques (des mouvements d'objets sur un écran), ils se différencient par contre au niveau
des explications causales impliquant des objets sociaux (les mêmes mouvements, mais
de bancs de poissons) : les Américains donnent alors nettement plus d'explications en
termes dispositionnels que n'en donnent les Chinois. Cette différence entre les deux
cultures, ces chercheurs la mettent également en évidence en comparant la façon dont
deux quotidiens new-yorkais, l'un de langue anglaise et l'autre de langue chinoise, ren-
dent compte de deux meurtres. Alors que dans le premier, les explications sont surtout
de type dispositionnel, dans le second, elles sont surtout de type situationnel. D'ailleurs,
parmi les résultats avancés par Miller (1984), ne trouvait-on pas déjà que les enfants
vivant aux États-Unis devenaient plus internes en grandissant ce qui n'était pas le cas
des enfants vivant en Inde ?
Cette prise en compte de la culture permet de mettre aujourd'hui en avant deux
propositions qui doivent orienter la recherche sur les processus d'attribution.
— La première, c'est que la culture ne se contente pas de fournir des contenus à
la pensée, elle prescrit aussi comment il faut penser.
— La deuxième, c'est que si la culture détermine de la sorte les processus de
connaissance, il y a fort à parier que ces processus sont aussi déterminés par ce qui
détermine la culture, à savoir les rapports sociaux. On trouvera dans Beauvois (2005),
une belle analyse de l'utilité sociale de l'erreur fondamentale dans les sociétés occiden-
tales illustrant cette seconde proposition.
LECTURES CONSEILLÉES
Beauvois, J.-L., Deschamps, J.-C., & Schadron, G. (2005). Vers la cognition sociale. In
N. Dubois (Ed.), Psychologie sociale de la cognition. Paris : Dunod.
Deschamps, J.-C., & Clémence, A. (2000). L'explication quotidienne. Perspectives psychologiques.
Rennes : PUR.
7 vie collective
et comportements sociaux
Respecter le Code de la route, maîtriser l'énergie, trier ses déchets, aller voter, mais
aussi utiliser des préservatifs, donner son sang, intervenir pour empêcher un vol, secou-
rir une personne en danger, ou même, tout simplement, rendre un petit service à quel-
qu'un qui en a besoin appartiennent à la catégorie des comportements sociaux qu'il
convient évidemment de promouvoir. N'en va-t-il pas de la qualité de notre vie
sociale ?
On entend dire quotidiennement, que cette promotion passe par un changement
des mentalités et qu'il faut donc, avant tout faire oeuvre de pédagogie afin de mieux
informer, de mieux convaincre. Soit. Il est vrai qu'une certaine conception de l'homme
nous amène à considérer qu'il suffit de modifier les idées d'autrui pour le voir désor-
mais adopter les comportements attendus. Aussi, table-t-on volontiers, à la radio, à la
télévision, mais aussi à l'école, en famille ou ailleurs, sur les vertus de l'information et
de la persuasion pour inciter enfants ou adultes, à adopter les idées requises par le fonc-
tionnement social. Il ne fait guère de doute que, si on y parvient, on parviendra du
même coup à obtenir les comportements sociaux recherchés.
La plupart des grandes campagnes de communication relèvent d'ailleurs de ce
présupposé, les leçons de morale ou d'instruction civique aussi.
Malheureusement, il ne suffit pas d'avoir les « bonnes idées » pour avoir les
« bons comportements ». Arrêtons-nous à une des études les plus parlantes que nous
connaissons.
Il s'agit d'une très sérieuse action de prévention du tabagisme (Hutchinson smoking
prevention project) conduite par Peterson et al. (2000). Elle s'est déroulée de 1984 à 1999
dans l'État de Washington et a concerné plus de 8 000 élèves répartis en deux groupes :
un groupe expérimental et un groupe contrôle. Les élèves du groupe expérimental (plus
de 4 000 élèves), contrairement aux élèves de la condition contrôle, étaient régulière-
ment vus, en classe à partir de l'âge de 8 ans et jusqu'à l'âge de 17 ans. Le programme
116 I Psychologie sociale
américain, découvrait un effet, l'effet de gel, qui peut être considéré comme le point de
départ d'une nouvelle problématique du changement comportemental (cf. Lewin,
1947). Il faut dire que les problèmes qui lui étaient posés ne concernaient pas, à pro-
prement parler, le changement d'attitude mais plutôt le changement des comporte-
ments. Au départ un constat : en dépit des contraintes imposées par la guerre à
l'économie nationale, les ménagères américaines répugnent à changer leurs habitudes
alimentaires. Et pourtant les pièces nobles de boucheries (le beefsteak notamment) se
font rares et coûtent de plus en plus cher. Il faut donc qu'elles en viennent à cuisiner
des pièces moins nobles, c'est-à-dire des bas morceaux (coeur, rognons, tripes...) afin
d'éviter, au sein même de leur famille, les problèmes de malnutrition et de carence ali-
mentaire tant redoutés. C'est donc cet objectif de santé publique que va poursuivre
Kurt Lewin. Avec certaines ménagères, il utilise une stratégie persuasive. Il les réunit
par petits groupes et demande à un conférencier de les convaincre, en utilisant des
arguments préalablement choisis pour leur pertinence, de tout l'intérêt qu'il y a à cuisi-
ner pour leur famille des bas morceaux. La conférence terminée, il constate
qu'effectivement les ménagères ont bien modifié leurs attitudes et leurs motivations
dans le sens espéré. Elles se disent, en effet, prêtes à consommer des abats et parfaite-
ment convaincues de la nécessité de le faire. Elles ne se comportèrent, toutefois, pas
comme leurs nouvelles attitudes le donnaient à attendre. Interrogées trois semaines plus
tard, seulement 3 % purent s'enorgueillir d'avoir servi des bas morceaux. Une autre
stratégie imaginée par Lewin allait s'avérer d'une étonnante efficacité. Cette fois, un
animateur a pris la place du conférencier. Il a pour consigne de faire valoir les mêmes
arguments auprès d'autres ménagères, réunies elles aussi en petits groupes, et favoriser
les échanges entre elles. Mais surtout, il doit leur demander, au terme de la séance, de
lever le bras pour indiquer si elles sont volontaires pour servir des abats. Sa demande
est entendue et les bras se lèvent. Interrogées trois semaines plus tard, 32 % d'entre
elles affirmèrent avoir servi des bas morceaux. Pour apprécier la portée de ces résultats
il importe de garder à l'esprit ceci :
1 / Les groupes de ménagères confrontées aux deux stratégies ne différaient, ni sur
le plan des attitudes, ni sur le plan des intentions comportementales. Les unes et les
autres avaient entendu les mêmes arguments et reconnaissaient qu'ils les avaient
convaincues.
2 / L'élément déterminant tient à peu de chose : les secondes, contrairement aux
premières, avaient eu l'occasion de lever le bras, en réponse à une question de
l'animateur, et de témoigner ainsi publiquement de leur décision de servir des bas
morceaux.
C'est donc à cet acte-là — et non aux attitudes ou motivations que les ménagères
peuvent avoir à l'endroit des abats — qu'il convient d'attribuer la différence observée :
3 % d'un côté, à 32 % de l'autre !
Lewin expliquera cette différence en avançant qu'entre la motivation à se compor-
ter et le comportement effectif le lien n'est pas direct. Il est par conséquent nécessaire
de faire intervenir un maillon intermédiaire et ce maillon intermédiaire n'est autre que
l'acte même de décision, ici opportunément sollicité et obtenu par l'animateur. C'est
cet acte de décision de se comporter de telle ou telle manière qui gèle l'univers des
options possibles et, partant, les possibilités d'évasion comportementale.
118 I Psychologie sociale
a. Spectateur ou acteur ?
I - La procédure d'amorçage
Il - La procédure du leurre
L'étude expérimentale du leurre est à peine plus récente (Joule et al., 1989). Son
principe consiste à inciter quelqu'un à prendre une décision intéressante pour lui, mais
qui ne pourra pas se concrétiser (décision « leurre »), avant de lui proposer d'en prendre
120 I Psychologie sociale
une autre moins intéressante (décision de substitution). Dans une expérience de Joule et
ses collaborateurs, des étudiants qui ont pris la décision de participer à une recherche de
psychologie très attractive (visionner un film passionnant) et bien rémunérée apprennent
que cette recherche a été finalement déprogrammée. Contre toute attente, il leur est pro-
posé, à la place, de prendre part à une autre recherche, en l'occurrence une recherche
franchement fastidieuse (exercices répétitifs papier-crayon) et, qui plus est, non rému-
nérée. Les étudiants furent ici deux fois plus nombreux à accepter de participer à la nou-
velle recherche que dans la condition contrôle dans laquelle la requête relative à la
seconde recherche n'avait pas était précédée de la décision « leurre ». Le leurre
s'apparente donc à l'amorçage. Il s'en distingue toutefois sur un point essentiel. Dans un
amorçage, les deux décisions portent sur le même objet (par exemple dans l'expérience
de Cialdini et ses collaborateurs : prendre part à une recherche donnée), dans un leurre,
la première décision porte sur un objet donné (par exemple dans l'expérience de Joule et
ses collaborateurs : visionner un film passionnant dans le cadre d'une recherche rému-
nérée) et la seconde sur un autre (faire des exercices répétitifs dans le cadre d'une nou-
velle recherche non rémunérée). Aussi, le leurre nous rapproche-t-il du pied-dans-la-
porte qui implique également deux décisions portant sur deux objets différents.
IV - La procédure du toucher
On connaît la procédure du toucher depuis les années 1970. Son principe consiste
à toucher avec la paume de la main, pendant une ou deux secondes, le bras de la per-
sonne dont on souhaite obtenir le concours.
Dans l'une des toutes premières recherches (Kleinke, 1973), les personnes qui
pénétraient dans une cabine téléphonique trouvaient sur la tablette quelques pièces de
monnaie. Évidemment, elles les prenaient en partant, si elles ne les utilisaient pas pour
téléphoner. Quelques mètres plus loin quelqu'un les arrêtait : « N'auriez-vous pas
trouvé quelques pièces de monnaie sur la tablette ? » Une fois sur deux, il touchait le
bras de son interlocuteur pendant une ou deux secondes. Ce contact physique permit
d'augmenter significativement le taux de restitution des pièces oubliées (presque deux
fois plus). L'efficacité de cette procédure est maintenant bien établie, l'effet du toucher
a été observé dans des situations très différentes et à propos de comportements très
variés. La célèbre Université de Miami abrite, d'ailleurs, un Institut de recherches spé-
cialisé dans l'étude du toucher. Dans le seul domaine médical, des centaines de recher-
ches attestent de l'intérêt qu'il y a à toucher celles et ceux dont on souhaite infléchir les
comportements dans le sens désiré. Ainsi, des patients touchés par le personnel soignant
respectent mieux les prescriptions médicales que les autres ; hospitalisés, ils éprouvent
moins de stress avant une intervention chirurgicale s'ils sont préalablement touchés par
une infirmière et enfin, des patients touchés, lors de la première séance, par leur psy-
chiatre ont plus de chance de retourner le voir.
Initialement mis en évidence aux États-Unis, dans une « culture de non-contact »,
le phénomène de toucher ne perd rien de son efficacité en France, dans une « culture
de contacts » donc Gueguen (2002 b), par exemple, a constaté qu'on avait deux fois
plus de chance d'obtenir une pièce de monnaie d'un inconnu en lui touchant le bras
durant la requête. Dans une autre recherche, il a pu observer (Gueguen, 2002 c), que le
même contact physique (toucher du bras), durant une séance de travaux pratiques, per-
mettait à un enseignant de tripler, ou presque, la probabilité que ses étudiants se ren-
dent volontairement au tableau pour corriger un exercice. Cette dernière recherche
s'inscrit dans la tradition des recherches américaines qui montrent qu'un enseignant
peut aider un élève à améliorer ses performances scolaires en recourant à un simple
contact physique (Steward et Lupfer, 1987). Évidemment, ce contact doit être sociale-
ment acceptable et ne souffrir d'aucune ambiguïté. C'est la raison pour laquelle, sans
doute, dans la quasi-totalité des recherches l'expérimentateur se contente de toucher le
sujet au bras ou à l'avant-bras.
On doit cette procédure' à Aronson. Son principe consiste à obtenir dans un pre-
mier temps un acte pronormatif et dans un deuxième temps à inciter le sujet à aller
chercher dans sa mémoire des souvenirs de comportements passés qui contredisent cet
acte pronormatif
Une des recherches les plus illustratives se déroule, en Californie, sur les bords
d'une piscine universitaire (voir en particulier : Aronson, 1999). Des étudiants qui
s'apprêtent à aller se doucher sont invités à signer une charte visant à alerter les gens
contre le gaspillage d'eau. Cet acte pronormatif obtenu, l'expérimentateur incite les
signataires à se souvenir des situations dans lesquelles il leur est arrivé de consommer
plus d'eau que nécessaire. L'expérimentateur les remercie puis se retire. Combien de
temps vont-ils consacrer à leur douche ? On observe que les étudiants placés dans la
condition de pied-dans-la-mémoire que nous venons de décrire passent moins de temps
sous la douche qu'ils ne l'auraient fait spontanément (3,5 minutes en moyenne au lieu
de 5 minutes dans la condition contrôle) et même qu'ils ne l'auraient fait s'ils n'avaient
eu qu'à signer la charte ou qu'à se souvenir de leurs comportements passés (4 minutes
en moyenne environ dans les deux cas). Ces résultats sont d'autant plus remarquables
que les étudiants sont chronométrés à leur insu et que personne ne leur a explicitement
demandé de ne pas séjourner sous la douche.
1. Aronson et les chercheurs américains n'appellent pas cette procédure, la procédure du pied-dons - la - mémoire
mais la procédure de l'hypocrisie. Pour notre part (cf. Joule et Beauvois, 2002) nous avons choisi de ne pas
opter pour une traduction littérale. Les recherches relevant de cette procédure sont appelées dans les bases
de données anglo-saxonnes sous l'entrée « Hypocrisy».
Vie collective et comportements sociaux I 123
Les quelques procédures de soumission de librement consentie qui viennent d'être rappe-
lées (amorçage, leurre, pied-dans-la-porte, toucher, vous êtes libre de... et pied-dans-la-mémoire) mon-
trent que l'on peut, assez facilement, peser sur les comportements d'autrui et augmen-
ter, ainsi, la probabilité que des gens fassent librement ce qu'on attend d'eux. Elles
présentent l'avantage d'être efficaces là où d'autres procédures, plus autoritaires,
seraient inopérantes ou parfaitement déplacées. Il est évidemment hors de question
d'obtenir autoritairement que des ménagères veuillent bien accueillir chez elles durant
_ deux heures des enquêteurs. Comme il est hors de question d'obliger un inconnu dans
la rue à nous donner de l'argent pour prendre le bus ou d'obliger quelqu'un à passer
moins de temps sous une douche. S'il convient de parler de soumission, puisque sponta-
nément les gens se seraient comportés tout autrement, c'est d'une soumission particu-
lière dont il s'agit, d'une soumission librement consentie en quelque sorte.
C - LA THÉORIE DE L'ENGAGEMENT
De tels effets sur les attitudes et sur les comportements ne sont toutefois observés
que si le premier acte (acte dit « générateur ») a été réalisé dans certaines conditions
(dites d'engagement), un même acte pouvant être plus ou moins engageant, voire ne
pas être engageant du tout. Les recherches montrent que ces effets sont d'autant plus
grands que l'engagement est fort.
En somme, le sujet va, selon les circonstances, se retrouver plus ou moins engagé
dans l'acte qu'on a su obtenir de lui. On comprend dès lors que Kiesler ait choisi de
définir l'engagement par le lien qui unit une personne à ses actes. On conçoit aisément,
par exemple, que ce lien soit plus fort lorsque la personne a agi dans un contexte de
liberté, que lorsqu'elle a agi, au contraire, dans un contexte de contrainte. Mais pre-
nons garde. Ce n'est pas le sujet qui s'engage en fonction de ses idées dans des actes.
Dans ce cas, il serait d'ailleurs légitime de parler d'engagement « interne ». Or, c'est
bien d'un engagement « externe » dont il s'agit, car ce sont les circonstances — en fonc-
tion de leurs caractéristiques objectives — qui engagent, ou qui n'engagent pas, le sujet
dans ses actes. La définition de Kiesler est sur ce point essentiel ambiguë. Aussi, préfé-
rons-nous les définitions suivantes qui soulignent mieux le caractère externe, et unique-
ment externe, de l'engagement : «L'engagement correspond, dans une situation donnée, aux
conditions dans lesquelles la réalisation d'un acte ne peut être imputable qu'à celui qui l'a réalisé»ou
Vie collective et comportements sociaux I 125
encore : «L'engagement correspond aux conditions de réalisation d'un acte qui, dans une situation
donnée, permettent à un attributeur (il peut s'agir d'un témoin oculaire, de acteur lui-même,
mais aussi de n'importe quelle personne qui aurait eu connaissance de ce qui s'est
passé) d'opposer cet acte à l'individu qui l'a réalisé » (Joule et Beauvois, 1998, 60).
Pris dans leur ensemble, les travaux sur l'engagement et sur les procédures de sou-
mission librement consentie débouchent sur quelques principes d'action qui, bien utilisés,
peuvent permettre d'optimiser nos pratiques sociales (cf. Joule, 2005). Nous en rappelle-
rons trois.
Ce principe consiste avant toute chose à obtenir, dans un contexte de liberté, des
actes dits « préparatoires ». Il importe que ces actes aient été obtenus dans des condi-
tions telles que celles ou ceux qui les réalisent puissent tisser un lien entre ce qu'ils ont
fait et ce qu'ils sont. Il importe aussi que ces actes puissent être identifiés à un niveau
élevé (cf. Joule et Beauvois, 1998 b, 2002 ; Wegner et Vallacher, 1984). Ce n'est pas
pareil, on le sait bien, de s'entendre répondre à la question « qu'est-ce que tu fais ? » :
« je pose une pierre », « je construis un mur » ou « je bâtis une cathédrale ». Ces trois
niveaux d'identification de l'action ne portent évidemment pas les mêmes valeurs socia-
les ; ils ne couvrent pas non plus les mêmes sphères comportementales. Pourtant au
moment où on pose la question « qu'est-ce que tu fais ? », notre interlocuteur ne fait
rien d'autre que poser une pierre.
Il - Le principe de naturalisation
« Rien n'est plus pratique qu'une bonne théorie », disait fort justement Kurt
Lewin. Nous sommes, pour notre part, persuadés que les travaux réalisés dans le para-
digme de la soumission librement consentie — et la théorisation que nous en avons pro-
posée — peuvent nous aider à mieux poser, et partant, à mieux traiter certaines ques-
tions d'actualité, en prise directe avec la vie sociale, qu'il s'agisse d'optimiser des actions
de prévention en matière de santé publique, de réinsertion sociale ou de réinsertion
professionnelle, de lutter contre les incivilités ou les violences urbaines, ou encore de
façon plus générale, de promouvoir la citoyenneté (pour synthèse voir : Joule et Beau-
vois, 1998). Aussi, à titre d'illustration, terminerons-nous ce chapitre en évoquant trois
recherches-actions très récemment réalisées.
jours avant un scrutin concernant les accords bilatéraux entre la Suisse et l'Union euro-
péenne. Nous ne rappellerons que deux d'entre elles, une relevant de la persuasion,
l'autre de la soumission librement consentie.
Dans un groupe d'étudiants (condition de persuasion), l'intervenant se contentait
d'une plaidoirie contre l'abstentionnisme électoral. Dans un autre groupe (condition de
soumission librement consentie), l'intervenant tenait la même plaidoirie, mais il
s'efforçait, en outre, d'obtenir de la part des étudiant(e)s deux actes préparatoires
successifs.
Le premier consistait à répondre, par écrit, à la question : À votre avis, quels
aspects devrait-on prioritairement changer pour réussir à augmenter la participation
aux scrutins ?
Le second acte préparatoire consistait à répondre, par écrit également, à la ques-
tion : Imaginez les arguments que vous pourriez donner à un abstentionniste
« convaincu » pour l'encourager à aller voter.
Dans la condition de soumission librement consentie, les étudiants furent deux
fois plus nombreux à se rendre effectivement aux urnes le jour J que dans la condi-
tion persuasion. Pourtant, comme dans la recherche de Lewin, les mesures
d'intentions comportementales effectuées au terme de l'intervention ne permirent pas
de déceler la moindre différence entre ces deux conditions, les étudiants se déclarant
prêts à aller voter, exactement dans les mêmes proportions dans les deux cas, en
l'occurrence dans des proportions extrêmement élevées. II reste que certains le font
alors que d'autres ne le font pas, mettant en lumière une nouvelle fois le décalage
qu'il peut y avoir entre les bonnes idées — et mêmes les bonnes intentions — et les
actes, et illustrant, une fois encore, qu'il suffit parfois de peu de chose pour modifier
des habitudes.
Il - Promouvoir I'écocitoyenneté
Les principaux actes préparatoires que les élèves étaient amenés à réaliser, au gré
des semaines, sont au nombre de quatre. Il s'agissait d'abord (premier acte prépara-
toire) d'effectuer une observation à l'école afin de noter « ce qui est bien » et « ce qui
l'est moins » en matière d'économie d'énergie et de protection de l'environnement. Il
s'agissait ensuite (deuxième acte préparatoire) d'effectuer une observation à la maison,
chaque élève devant noter les habitudes familiales qui pourraient être changées sans
que cela soit gênant pour personne. Il s'agissait encore (troisième acte préparatoire) de
remplir, avec l'aide de ses parents, afin évidemment de les impliquer aussi, un long
questionnaire sur le thème des économies d'énergie à la maison. Il s'agissait enfin (qua-
trième acte préparatoire) de mettre un autocollant en faveur de la protection de
l'environnement sur le réfrigérateur familial.
À la fin de l'année scolaire chaque enfant d'abord, chaque famille ensuite étaient
invités à s'engager par écrit à modifier une de ses habitudes (éventuellement deux). Par
exemple pour les enfants : prendre une douche plutôt qu'un bain ; par exemple pour
les parents : ne plus prendre la voiture pour les très courts trajets ou éteindre systémati-
quement la veille du téléviseur. Ces engagements se concrétisaient par la signature de
deux bulletins d'engagement : celui de l'élève que l'enfant signait seul et celui de la
famille que l'élève et ses parents signaient conjointement. L'année scolaire se terminait
aussi par une grande exposition. Cet événement était l'occasion de présenter aux famil-
les les productions (affiches, films, photographies, cD-Rom...) réalisées par les élèves
durant l'année scolaire en faveur de la protection de l'environnement et de la maîtrise
de l'énergie. Lors de l'exposition un diplôme, notamment signé par le président de la
Région, l'inspecteur de l'Académie et l'enseignant, était remis aux familles.
Le bilan est très encourageant. Dans des proportions très élevées (jusqu'à 100 0/0
dans certaines classes), élèves et parents d'élèves se sont engagés, par écrit, à réaliser des
actes précis susceptibles de se traduire par une baisse de la consommation énergétique
(par exemple : éteindre systématiquement la veille du téléviseur, etc.). Par ailleurs, la
dynamique enclenchée par la démarche a débouché sur des actions comme : le rempla-
cement d'ampoules à incandescence par des ampoules basse consommation dans certai-
nes écoles, la mise en place de tri sélectif pour les papiers de classe dans d'autres écoles.
Enfin, les élèves de plusieurs classes ont pris l'initiative d'adresser au maire des cour-
riers pour lui demander, par exemple, de faire installer des minuteries pour l'éclairage
des couloirs ou d'améliorer la sécurité des accès piétons à l'école ; autant d'actions qui
ont permis aux élèves de faire l'expérience de la citoyenneté et, par-delà, de
s'approprier les valeurs citoyennes recherchées.
Prises dans leur ensemble les recherches qui viennent d'être évoquées dans ce cha-
pitre, montrent que les bonnes idées ne sont pas suffisantes pour voir les gens modifier
peu ou prou leurs habitudes. Elles montrent aussi qu'il suffit parfois de peu de chose
— en l'occurrence d'un ou quelques actes préparatoires bien choisi(s) — pour les voir
passer des idées aux actes. C'est la raison pour laquelle nous avons le sentiment que les
campagnes de communication pourraient gagner en efficacité en négligeant moins les
actes préparatoires à obtenir de la cible. L'enjeu n'est pas mince puisqu'il s'agit de lui
conférer un statut d'acteur et plus seulement un statut de récepteur. D'un point de vue
pratique, conférer à la cible un statut d'acteur revient à l'amener à réaliser des actes
préparatoires engageants « inconsistants » avec les influences ultérieures auxquelles on
souhaite qu'elle résiste (incitation à l'usage de drogues ou incitation à la haine raciale,
par exemple) et au contraire à l'amener à réaliser des actes engageants « consistants »
avec les influences ultérieures auxquelles on souhaite qu'elle soit sensible (messages édu-
catifs ou préventifs, par exemple).
Aussi, si dans une action de communication, les questions centrales à traiter res-
tent bien sûr : « quelles sont les bonnes informations à transmettre ? », « quels sont les
meilleurs arguments à mettre en avant ? », « quels sont les meilleurs canaux, outils, sup-
ports et médias ? », « quelles sont les pratiques pertinentes de médiation des
savoirs ? », etc., il s'en rajoute une autre dont la prise en compte est déterminante :
« quel(s) acte(s) préparatoire(s) doit-on obtenir de la part de celles et de ceux dont je
130 I Psychologie sociale
LECTURES CONSEILLÉES
Joule, R.-V., & Beauvois, J.-L. (1998). La soumission librement consentie. Paris : PUF.
Joule, R.-V., & Beauvois, J.-L. (2002). Petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens. Gre-
noble : PUG.
Lorsqu'on oppose pensée rationnelle et pensée sociale, on sous-entend qu'il existe deux
formes de pensée susceptibles de cohabiter chez le même individu.
L'une, la pensée rationnelle, s'inscrit dans une logique de démonstration rigoureuse
et obéit à des règles particulièrement strictes et contraignantes. Fondée sur la rationalité,
elle permet de traiter les informations disponibles de la manière la plus objective possible.
Elle accepte les vérifications comme principe fondamental de décision mais se nourrit des
réfutations qui sont susceptibles de la contredire, et le cas échéant, de l'infirmer. C'est la
pensée de l'expert ou, plus généralement, du scientifique.
L'autre, la pensée sociale, traite les informations de manière plus fermée. Certes,
elle est tournée vers le monde extérieur, mais ce n'est que pour filtrer et intégrer les
seuls éléments d'information ou événements qui fortifient et renforcent sa démarche et
son cheminement. Dès lors, soigneusement sélectionnés, elle ne retiendra que ceux
d'entre eux qui coïncident avec ses intentions et qui lui apportent la confirmation,
notamment de son cadre général.
Par ailleurs, le principe de non-contradiction, fondamental dans la pensée ration-
nelle, n'est pas prioritaire dans les modes de raisonnement qui caractérisent la pensée
sociale. Disons qu'elle ne se complaît pas, nécessairement, dans la contradiction, mais
qu'elle s'en accommode. En fait, ce qui est au coeur même de la pensée sociale, c'est la
sauvegarde et le maintien du lien social. Cette fois, l'enjeu est de taille. La rupture de
ce lien constitue, en effet, pour l'individu, un coût exorbitant, aussi bien du point de
vue affectif que cognitif, car il importe souvent pour le sujet d'éviter la déviance et de
se maintenir dans le groupe. Or, le maintien dans un groupe est toujours associé au
respect et à la promotion des normes admises dans ce groupe et qui le régissent
(Deutsch et Gerard, 1955). Dès lors, les modes de raisonnement propres à la pensée
sociale et les constructions sociocognitives qui en découleront seront davantage guidés
par l'application des valeurs et des normes qui sont admises dans les groupes plutôt que
par le principe de non-contradiction. Pour le dire autrement, le fait que la pensée
132 I Psychologie sociale
sociale soit peu sensible à la contradiction et qu'elle s'en accommode lui permet préci-
sément de donner la priorité aux modes de raisonnement qui contribuent au maintien
et au renforcement du lien social.
Mais il y a plus. La pensée sociale se caractérise aussi par la prédominance de
l'affectivité sur l'intellect. Elle lie étroitement les faits et les valeurs, les aspects normatifs
ayant une place privilégiée dans les modes de raisonnement qu'elle met en œuvre. La
situation dans laquelle se trouvent le sujet et son degré d'implication dans cette situa-
tion aura alors une importance capitale. Lorsque le contexte social change brusque-
ment d'état et modifie les enjeux de la situation, les gens ne « voient » plus les choses
sous le même angle. Ainsi, le médecin ne parlera pas de la maladie X de la même
manière selon que c'est son patient qui en est atteint ou selon que c'est quelqu'un de
son entourage immédiat. On a tous entendu parler d'ingénieurs très rationnels dans
leur fonction, qui lisent attentivement leur horoscope avant de prendre des décisions
importantes, surtout quand ces décisions les concernent directement. Le sujet impliqué
dans la situation est, par définition, porteur du sens commun. De même que le sujet
engagé, comme on le verra dans le chapitre suivant, précisément parce qu'il est sous le
regard d'autrui, ne se comportera pas de la même manière.
Pourtant la pensée sociale n'est pas dépourvue de logique. Elle possède la sienne
propre. C'est cette logique, propre à chaque groupe, faisant intervenir ses valeurs, ses
normes, ses intentions et ses croyances qui guide les constructions sociales telles que les
préjugés ou les stéréotypes, les opinions ou leurs représentations sociales.
Il résulte de ces différents principes que la pensée sociale est beaucoup moins effi-
cace que la pensée rationnelle lorsqu'il s'agit de développer des processus d'analyse et
de conceptualisation. En revanche, elle est particulièrement adaptée lorsqu'il s'agit de
porter des jugements ou d'évaluer des situations sociales. C'est pourquoi elle joue un
rôle capital dans le domaine spécifique de la construction des croyances collectives.
Nous allons examiner maintenant quelques-unes de ces croyances.
B - LES PRÉJUGÉS
1. Certes, un certain nombre de définitions du préjugé peuvent intégrer des jugements positifs. Mais ces défi-
nitions sont marginales et l'utilisation courante de ce terme se réfère, dans la très grande majorité des cas,
à des jugements négatifs.
La pensée sociale I 133
de ce groupe jouent alors un rôle totalement secondaire dans cette évaluation : ils sont
rejetés parce quils sont membres de ce groupe. C'est Allport (1954) qui, le premier, s'est
intéressé aux processus psychosociaux liés aux préjugés qu'il définissait comme « un
sentiment d'antipathie fondé sur une généralisation erronée et inébranlable » (p. 9).
Dans la littérature psychosociale, le préjugé est souvent considéré comme une atti-
tude générale. Il comporte donc les trois composantes classiques de l'attitude. Une
composante affective avec des sensations et des sentiments, une composante comporte-
mentale qui se traduit souvent par des intentions d'actions et une composante cognitive
constituée par des croyances. Ainsi, les sujets ayant des préjugés à l'encontre de telle ou
telle personne vont détester cette personne, avoir à son encontre des comportements
discriminatoires et croire, par exemple, qu'elle a le pouvoir de leur nuire. D'une
manière générale, c'est la composante affective qui est considérée comme prédomi-
nante dans les préjugés. C'est elle qui va constituer un guide pour l'action et qui va être
à l'origine des croyances. C'est elle qui va s'imposer d'emblée à la perception du sujet
lorsque, par exemple, celui-ci va rencontrer une personne appartenant à un groupe à
l'égard duquel il a des préjugés.
Un grand nombre de résultats expérimentaux montrent que les préjugés sont le
résultat de constructions collectives. Ainsi, ils font souvent l'objet d'un partage social très
large. À titre d'exemple, les adultes d'âge mûr sont perçus, dans 19 nations différentes
(Williams, 1993), comme sympathiques, mais moins énergiques et moins actifs que les
jeunes adultes. Les stratégies sociocognitives, propres à la pensée sociale qui sont à
l'origine de ces constructions collectives, sont mises en lumière dans de très nombreux
travaux expérimentaux. On sait notamment que les sujets qui ont des préjugés à
l'encontre de tel ou tel groupe social traitent l'information qui provient de ces groupes de
manière tout à fait spécifique. Ainsi, Blascovich et al. (1997) ont montré que les sujets
ayant des préjugés raciaux ont besoin d'une période de temps plus longue pour décider si
oui ou non des étrangers, dont l'identité sociale est ambigus, appartiennent à une caté-
gorie raciale ou à une autre. Chez ces sujets, l'information pertinente par rapport aux
préjugés est traitée avec une plus grande attention, de façon plus minutieuse et ordonnée.
D'autres résultats, présentés par Fiske et Neuberg (1990) ont clairement montré que
les informations qui sont consistantes avec les préjugés des individus reçoivent, de la part
de ces individus, une attention plus soutenue et, par conséquent, sont beaucoup mieux
mémorisées que les informations qui ne sont pas consistantes avec ces préjugés. De tels
effets montrent que, dans ce domaine, les sujets ne s'exposent en définitive qu'aux seuls
éléments d'information ou événements qui fortifient et renforcent leurs convictions. Les
préjugés peuvent alors être considérés comme des structures cognitives fermées qui vont,
au fil du temps, se stabiliser, se renforcer et s'ancrer du point de vue social.
La grande stabilité des préjugés peut aussi s'expliquer par leur utilité sociale. Ils
jouent en effet un rôle important dans la protection et la mise en valeur de l'estime de
soi. Par exemple, lorsqu'on menace leur estime de soi, les sujets ont tendance à déni-
grer les groupes à l'égard desquels ils ont des préjugés, ce qui a pour résultat de restau-
rer leur propre estime (Fein et Spencer, 1997).
Du point de vue de leur utilité sociale, les préjugés contribuent également à
réduire la complexité du monde qui nous entoure ainsi que son étrangeté. L'analyse
des situations nécessite alors pour le sujet moins d'efforts cognitifs. Une fois qu'ils sont
134 I Psychologie sociale
construits, les préjugés nous permettent de faire l'économie d'un travail cognitif impor-
tant qui serait alors destiné à une analyse fine et systématique de la situation. Grâce à
eux, nous avons d'emblée des certitudes inébranlables concernant les caractéristiques
des membres du groupe auquel nous sommes confrontés (Bodenhaussen, 1993). Et,
dans la mesure où elles sont partagées par les membres de notre propre groupe, nous
faisons à ces certitudes une confiance aveugle. Ainsi, même s'ils nous sont totalement
étrangers, les individus qui nous entourent nous sont finalement familiers. Et c'est ainsi
que le monde auquel nous sommes confrontés devient moins mystérieux.
Est-ce à dire que les préjugés sont totalement figés et qu'on ne peut pas les atté-
nuer ? Très tôt, les psychologues sociaux se sont intéressés à cette question, très impor-
tante du point de vue social. Une hypothèse est au centre des travaux visant à atténuer
les effets négatifs des préjugés. Celle-ci, connue sous le terme de «hypothèse du contact»,
prévoit que si l'on provoque des contacts relativement réguliers entre des individus
appartenant à des groupes différents (par exemple de races ou d'ethnies différentes), les
préjugés des uns et des autres vont avoir progressivement tendance à s'éroder. Le pre-
mier support empirique de cette hypothèse date de 1951 et il est dû à Deutsch et Col-
lins. Leur projet de recherche revient à observer et à analyser les attitudes d'un groupe
de blancs envers un groupe de noirs dans deux ensembles de logements publics qui dif-
féraient en fonction de leur degré d'intégration raciale. Dans un cas, les logements
avaient été attribués en installant les familles blanches et les familles noires dans des
bâtiments distincts. Dans l'autre, au contraire, les logements des deux ensembles de
familles étaient situés dans les mêmes bâtiments. Quelques mois après, Deutsch et Col-
lins observèrent, chez les familles logées dans les mêmes bâtiments, un important chan-
gement d'attitude des blancs envers les sujets noirs, ces derniers étant perçus plus positi-
vement qu'ils ne l'étaient auparavant. Et cela, même dans le cas où ces familles
n'avaient pas choisi initialement de vivre dans les mêmes bâtiments.
Différentes raisons ont été avancées pour expliquer le processus d'érosion qui
affecte les préjugés des sujets lorsqu'ils sont mis en contact. Tout d'abord, des contacts
réguliers entre des individus appartenant à des groupes différents peuvent les amener à
découvrir les similitudes qui les caractérisent. Or, la perception de similitudes interper-
sonnelles a souvent pour effet de rendre attractives les interactions entre les sujets. Dès
lors les jugements négatifs à l'égard d'autrui peuvent s'estomper.
D'autre part, le processus d'érosion peut être accéléré lorsque de nombreuses infor-
mations, inconsistantes avec les contenus du préjugé parviennent au sujet. En d'autres
termes, le préjugé aura tendance à s'affaiblir si le sujet est confronté à des mises en cause
nombreuses et répétées de ses certitudes (voir par exemple Kunda et Oleson, 1995). Or,
la probabilité que ces mises en cause s'imposent à la perception des sujets sera d'autant
plus grande que les contacts entre eux seront plus nombreux et soutenus.
Il va sans dire que le seul contact entre les sujets n'est pas toujours suffisant pour
résoudre les problèmes. En fait, six conditions doivent être réunies pour que le contact
entre les sujets produise les effets d'atténuation des préjugés attendus :
1 / Les sujets appartenant à des groupes différents doivent être placés dans des
situations dans lesquelles ils sont en interdépendance. Or, d'une manière générale,
l'interdépendance des sujets est de mise dans les situations où ils sont obligés de coopé-
rer les uns avec les autres. On se souvient, notamment de la célèbre observation de
La pensée sociale I 135
Sherif et al. (1961) concernant deux groupes de garçons, les « Eagles » et les « Rat-
tlers ». Ce n'est qu'après que la situation est devenue coopérative que le nombre de
sujets déclarant avoir leur ami intime dans l'autre groupe augmenta de manière specta-
culaire. Jusqu'alors, en fait, tant que la situation était restée compétitive, peu de sujets
avaient fait cette déclaration, malgré des contacts fréquents et répétés.
2 / En relation avec le point précédent, les sujets appartenant à des groupes diffé-
rents doivent avoir un objectif commun, accepté par tous.
3 / Les participants des différents groupes doivent avoir un statut « égal », ou des
statuts très similaires, dans le cadre de la situation de contact. Dans l'observation de
Deutsch et Collins (1951) présentée ci-dessus, par exemple, les membres des deux groupes
étaient extrêmement proches du point de vue de la hiérarchie et du pouvoir. S'il existe
des différences marquées de statut entre les sujets, les interactions seront guidées par les
préjugés. Dans ce cas, chacun maintiendra ses attentes et ni les uns ni les autres ne perce-
vront les mises en cause de leurs certitudes nécessaires à l'évolution des mentalités.
4 / La situation de contacts doit amener les sujets des différents groupes à créer
des liens entre eux par le biais de nombreuses interactions avec différents membres de
l'autre groupe. C'est ainsi qu'elle permettra aux uns et aux autres de se connaître en
tant qu'individu, et non en tant que membre du groupe adverse faisant l'objet de préju-
gés. Ce point est important dans la mesure où le préjugé peut être maintenu lorsque
nous considérons qu'un individu que nous percevons comme différent des autres mem-
bres du groupe adverse ne constitue, finalement, qu'une exception (Wilder, 1984).
5 / Dans le même ordre d'idée, il est très important que les contacts interviennent
dans un cadre amical et informel. Les interactions doivent se produire entre les mem-
bres des différents groupes, sur des bases individuelles. Ainsi, mettre les gens dans une
pièce où les groupes sont en face à face, les uns d'un côté, les autres de l'autre, matéria-
lisant ainsi les oppositions, n'est pas la meilleure façon d'atténuer les préjugés.
6 / La situation de contacts conduira plus probablement à l'érosion des préjugés si
les normes sociales propres à cette situation sont centrées sur l'égalité des groupes et si
elles favorisent des relations intergroupes égalitaires. De telles normes, en effet, contri-
buent au développement des interactions entre les membres des différents groupes.
Ainsi, lorsque ces six conditions sont réunies dans le cadre des situations de
contacts, les groupes ont une forte tendance à réduire leurs préjugés et leurs comporte-
ments discriminatoires (voir par exemple Aronson et Brigeman, 1979).
Récemment, une version modifiée («étendue») de l'hypothèse du contact a été
défendue. Elle suggère que le contact direct entre les personnes appartenant aux diffé-
rents groupes n'est pas nécessaire pour réduire les préjugés qui existent entre eux. En
fait, pour que les effets attendus se produisent chez le sujet, il suffit tout simplement que
celui-ci sache que des personnes de son propre groupe se sont liées d'amitié avec des
personnes appartenant à l'autre groupe (Pettigrew, 1997). Un résultat extrêmement pré-
cieux est présenté par cet auteur. S'intéressant aux sentiments, aux préjugés et aux
croyances à propos de l'immigration d'un échantillon étendu d'Européens envers un
large éventail de groupes ethniques et culturels, Pettigrew montre que les préjugés des
participants sont d'autant plus faibles à l'égard des divers groupes ethniques ou cultu-
rels que le nombre de relations amicales intergroupes signalées est plus élevé. Par ail-
leurs, conformément à cette hypothèse, lorsque les sujets entretiennent des relations
136 I Psychologie sociale
amicales avec des membres d'un autre groupe ethnique ou culturel que le leur, leur
attitude à l'égard des autres groupes, y compris ceux avec lesquels ils n'ont aucun
contact, est plus positive.
Toutes ces recherches attirent finalement notre attention sur le fait que la grande diversité des
contenus propres aux prjugés (raciaux, liés au genre, aux catégories de personnes : jeunes, âgées, etc.) ne
peut cacher leur point commun : les preugés permettent à chacun de nous de s'approprier le monde qui
l'entoure afin de le rendre plus familier, plus consistant et moins mystérieux. Nous allons examiner
maintenant une autre notion, proche de celle de preugé : la notion de stéréotype.
C LES STÉRÉOTYPES
-
concerne de manière spécifique. Ainsi, quand les sujets observent des gens donnant leur
opinion, ils oublient le plus souvent qui a dit quoi, mais ils se souviennent de la race à
laquelle appartient la personne qui a présenté telle ou telle opinion.
L'observation la plus ancienne, mais aussi la plus célèbre, concernant l'attribution
de traits typiques à des groupes sociaux est due à Katz et Braly (1933). Ils demandèrent
à un échantillon de sujets de donner par écrit les adjectifs qu'ils considéraient comme
caractéristiques des dix nationalités ou groupes ethniques suivants : Américains, Chi-
nois, Anglais, Noirs, Allemands, Irlandais, Italiens, Japonais, Juifs et Turcs. Ils purent
ainsi sélectionner une liste de 84 traits de personnalité. Ils demandèrent alors à un
autre groupe de 100 étudiants de rechercher dans cette liste les cinq traits de personna-
lité les plus caractéristiques de chacun des dix groupes. Les résultats obtenus par Katz
et Braly firent apparaître un fort consensus entre les sujets. Ainsi, plus de trois sujets sur
quatre estimèrent, par exemple, que les Noirs sont superstitieux (84 O/), que les Alle-
mands sont caractérisés par l'esprit scientifique (78 %), ou que les Juifs sont futés
(79 %). Il s'agit donc bien de croyances qui sont « partagées » au sein d'un groupe
social donné et qui organisent entre elles les cognitions.
Le consensus qui intervient entre les individus d'un groupe social pour attribuer
un trait particulier de personnalité aux individus d'un autre groupe cible, constitue ainsi
un caractère spécifique du stéréotype. Ce consensus a d'ailleurs été observé à partir de
méthodes différentes de celle utilisée par Katz et Braly. Ainsi, Brigham (1971) l'a égale-
ment mis en évidence en demandant à ses sujets de donner le pourcentage des mem-
bres d'un groupe donné présentant telle ou telle caractéristique. Cette technique per-
mit, en outre, de calculer des scores individuels de stéréotypisation, très utiles pour
analyser ce processus.
D'autres recherches ont permis de conclure que les stéréotypes sont relativement
stables dans le temps, bien qu'ils puissent varier en fonction des circonstances, notam-
ment lorsqu'elles sont particulièrement impliquantes ou suite à l'intervention
d'événements exceptionnels. Ainsi, l'observation de Katz et Braly réalisée en 1933 avait
montré que les étudiants américains, pensaient que les Japonais étaient intelligents, tra-
vailleurs et progressistes. Une observation ultérieure montra l'influence massive de la
Seconde Guerre mondiale. En effet, réalisée en 1951 par Gilbert, cette nouvelle obser-
vation révéla que les étudiants les percevaient désormais comme rusés et sournois. Tou-
tefois, une nouvelle observation effectuée, cette fois, en 1969 (Karlins, Coffman et Wal-
ters) indiqua que les Japonais étaient à nouveau, peu ou prou, perçus par les étudiants
américains comme ils l'étaient en 1933.
On conçoit que certains événements qui ont bouleversé la face du monde, comme
la Seconde Guerre mondiale, puissent entraîner des modifications profondes de certains
stéréotypes ! Cependant, d'une manière générale, les informations qui viennent mettre
en cause tel ou tel aspect des stéréotypes n'ont le plus souvent que très peu d'effets sur
leur dynamique. Cette résistance au changement, caractéristique des stéréotypes,
s'explique par les stratégies sociocognitives qui sont mises en oeuvre par les sujets dans
le but de protéger des structures de connaissances qui leur sont particulièrement utiles
pour trouver très rapidement une réponse adaptée à une situation nouvelle pour eux.
En effet, une fois le stéréotype activé, les traits correspondant au groupe et aux indivi-
dus qui le composent viennent immédiatement à l'esprit du sujet, facilitant l'expression
La pensée sociale I 139
d'une réponse immédiate au problème posé. Ainsi, dans la mesure où ils ne nécessitent
que peu d'énergie cognitive, les stéréotypes sont d'une grande utilité dans la vie sociale.
C'est pourquoi ils font l'objet d'une protection systématique. Dès que des informations
inconsistantes avec le contenu du stéréotype parviennent au sujet, elles sont l'objet d'un
traitement spécifique aboutissant soit à la réfutation des informations gênantes, soit à
une modification de leur contenu pour les rendre consistantes avec le stéréotype. Un
certain nombre de résultats empiriques montrent, notamment, que lorsque le sujet
reçoit des informations à propos d'une personne qui appartient à un groupe faisant
l'objet d'un stéréotype, et que ces informations sont inconsistantes avec celui-ci, le sujet
procède à des inférences « tacites », c'est-à-dire qui sont sous-entendues, implicites, et
qui débouchent sur des conclusions ou des idées qui ne sont pas exprimées dans ces
informations. Les informations initiales changent alors de signification jusqu'à devenir
consistantes avec le stéréotype (Kunda et Oleson, 1995). Dans cette perspective, Dun-
ning et Sherman (1997) ont rapporté des résultats particulièrement convaincants. On
présente aux sujets des phrases qui sont censées décrire des personnes fictives en leur
demandant de se former une impression concernant ces personnes. Dans ces phrases,
on fait apparaître des inférences qui sont soit consistantes, soit inconsistantes avec le sté-
réotype. Les sujets doivent ensuite rappeler les différentes phrases. Les résultats mon-
trent qu'ils font beaucoup plus d'erreurs dans le rappel des phrases portant des infé-
rences consistantes avec le stéréotype (35 %) que dans le rappel des phrases portant des
inférences inconsistantes avec le stéréotype (15 %). C'est donc bien la consistance avec
le stéréotype qui s'impose à leur perception, au détriment de la qualité du rappel. Cela
amène Dunning et Sherman à décrire les stéréotypes comme de véritables « prisons
inférentielles » et à évoquer un processus circulaire débouchant sur la consolidation et
la fortification systématiques du stéréotype.
Les stéréotypes constituent donc des connaissances sociales relativement consen-
suelles et stables. Ils ont été fréquemment décriés ou combattus en raison du caractère
le plus souvent négatif de leur contenu qui, parfois, les a fait confondre avec les préju-
gés raciaux. Mais ne nous y trompons pas. Les stéréotypes ne sont ni pathologiques par
essence, ni erronés par nature. Ils doivent être considérés comme des théories naïves
dans lesquelles interviennent, massivement, des processus de catégorisation et de géné-
ralisation propres à la pensée sociale.
En simplifiant et en organisant la réalité sociale, les stéréotypes constituent, pour le
sujet social, des moyens cohérents et efficaces pour expliquer le monde, se l'approprier
et s'y mouvoir. Ils participent ainsi, à leur manière, à l'organisation et à la gestion de la
vie sociale.
Comme on vient de le voir dans les sections précédentes, l'activité mentale qui est
à l'origine des croyances collectives permet à un groupe social particulier de
s'approprier la réalité à partir d'une activité cognitive de construction (et de reconstruc-
140 I Psychologie sociale
tion) destinée à la rendre signifiante, mais aussi consistante avec les systèmes de juge-
ment et d'évaluation qui lui sont propres ; c'est-à-dire, en fait, en l'intégrant et en
l'ancrant dans un système de valeurs particulier, lui-même dépendant de l'histoire du
groupe, ainsi que du contexte social et idéologique auquel celui-ci est rattaché. En pro-
cédant de la sorte, chaque groupe construit, maîtrise, sauvegarde et maintient, par la
même occasion, sa propre identité.
Cette dernière remarque a au moins deux conséquences. La première consé-
quence nous amène à considérer que la réalité qui nous entoure n'a pas d'existence propre.
Elle est toujours construite et représentée. C'est ainsi que le même objet social sera
caractérisé par des significations sensiblement différentes, voire profondément divergen-
tes, selon le groupe qui est à l'origine de sa construction. Dès lors, chaque groupe
« verra » l'objet à sa façon, d'une manière spécifique et différente de la manière dont il
sera « vu » par le groupe voisin.
La deuxième conséquence découle de la première : dans la mesure où chaque
groupe « voit » les choses plus ou moins différemment, les relations intergroupes seront
a priori conflictuelles. On comprend mieux les raisons pour lesquelles Moscovici (1984)
avait défmi la psychologie sociale comme « la science du conflit entre l'individu et la
société ».
Parmi les constructions collectives d'importance se trouvent les représentations
sociales, lieu d'expression privilégiée de la pensée sociale et du « sens commun ».
Observons tout d'abord que l'analyse des représentations sociales suppose que l'on
prenne en compte simultanément leurs composantes cognitives et leurs composantes
sociales. Les premières sont directement liées à l'activité de production individuelle du
sujet. Elles sont donc régies par des règles qui sont spécifiques aux processus cognitifs.
Les secondes déterminent la mise en oeuvre de ces processus cognitifs en générant des
règles spécifiques qui conduisent ainsi à une logique interne, sociocognitive, permettant
l'organisation générale des cognitions propres à un objet particulier. C'est d'ailleurs
pour cette raison, essentielle, que l'on peut parler de représentations « sociales ».
Les représentations sociales peuvent donc être définies comme une modalité parti-
culière de la connaissance, généralement qualifiée de « connaissance de sens com-
mun », dont la spécificité réside dans le caractère social des processus qui les produi-
sent. Elles recouvrent ainsi l'ensemble des croyances, des connaissances et des opinions
qui sont produites et partagées par les individus d'un même groupe, à l'égard d'un
objet social donné. C'est d'ailleurs en ce sens que l'on parle aussi, à juste titre, pour les
définir, de « théories naïves » faisant référence en cela à des constructions plus ou
moins élaborées, mais qui s'opposent à celles de l'expert ou du scientifique. Ce dernier
point est fondamental. C'est la raison pour laquelle les représentations sociales consti-
tuent un lieu privilégié où s'exprime la pensée sociale.
C'est en 1961 que Serge Moscovici (1961, 1976), reformulant un ensemble de pro-
positions théoriques présentées par Durkheim (1898), proposa à l'occasion de son étude
princeps sur les représentations de la psychanalyse, le concept de représentations socia-
les en le replaçant d'emblée dans un cadre théorique remarquablement structuré et
cohérent, qui a ouvert la voie à une importante série de recherches.
La fonction première des représentations sociales est d'interpréter la réalité qui
nous entoure, d'une part, en entretenant avec elle des rapports de symbolisation et,
La pensée sociale I 141
d'autre part, en lui attribuant des significations. Comme l'a montré Moscovici, cette
fonction constitutive de la réalité résulte d'une activité de construction spécifique qui
consiste, finalement, dans un véritable « remodelage mental » de l'objet.
Mais il convient tout d'abord d'insister sur le fait que cette activité est socialement
marquée. Elle ne se manifeste pas indépendamment du champ social dans lequel, inévita-
blement, elle s'insère. En fait, ce qui est à l'oeuvre, c'est un métasystème constitué par des
régulations sociales faisant intervenir les modèles, les croyances déjà établies, les normes
et les valeurs du groupe. Ce métasystème canalise, modifie, oriente, en un mot, dirige
les opérations cognitives. Par ailleurs, la pensée sociale est axée sur la communication.
Dès lors, pour peu que l'objet constitue un enjeu social, même limité pour le groupe, la
représentation correspondante sera le résultat d'un vaste ensemble d'interactions socia-
les, internes au groupe. Elle sera donc générée collectivement. C'est pourquoi, entre
autres, elle sera partagée par les individus de ce groupe, tout au moins en ce qui
concerne l'essentiel.
Nous examinerons maintenant les deux aspects caractérisant le mieux les représen-
tations sociales : leur organisation interne et leur structuration d'une part, et leur liens
étroits avec les pratiques sociales d'autre part.
Il est admis aujourd'hui que les représentations sociales se présentent comme des
ensembles structurés de cognition, de croyances ou d'opinions, ce qui signifie que les
éléments qui les constituent sont hiérarchisés et entretiennent entre eux des relations
qui en déterminent, dans une large mesure, la signification. Cette position a une impli-
cation très importante. Elle signifie qu'une représentation sociale doit toujours être
définie à partir de deux composantes : son contenu, c'est-à-dire ses éléments de
connaissance constitutifs de la représentation, et son organisation interne, c'est-à-dire
les relations que ses éléments constitutifs entretiennent entre eux.
Abric (1994 a, 1994 b) a proposé une construction théorique très convaincante
pour rendre compte de cette forme d'organisation interne, propre aux représentations
sociales. Selon lui, les représentations sociales fonctionnent comme une entité, mais
avec deux systèmes dont le statut est différent : le système central et le système périphé-
rique. Le premier est le fondement même de la structure de la représentation. Par
conséquent, il joue un rôle spécifique dans l'économie de la représentation. Le second
est sous la dépendance du premier : la pondération des éléments qui le composent, leur
valeur et leur portée dans le champ de représentation sont déterminés dans une large
mesure par le système central. Ainsi, l'importance que peut prendre un élément péri-
phérique dans le champ représentationnel dépend essentiellement de la structure et de
la signification du noyau central pour le sujet.
Les fonctions du noyau central ont fait l'objet de nombreuses propositions théori-
ques. Le noyau central a d'abord une fonction d'organisation de la représentation.
Cette fonction permet de définir la nature des liens qui unissent entre eux les différents
142 I Psychologie sociale
Par ailleurs, la référence à la théorie du noyau central permet une meilleure com-
préhension des processus sociocognitifs qui sont mis en oeuvre par les groupes. Des
recherches de Mugny, Moliner, Flament (1997), confirmées et précisées par celles de
Mugny et aL (1998), de Mugny, Qramzade et Tafani (2001) ou de Tafani et Souchet
(2002) montrent clairement que les rapports d'influence, opérationnalisés par des com-
munications persuasives, ont des effets particulièrement différenciés selon qu'ils sont
fondés sur les éléments centraux de la représentation ou sur les éléments périphériques.
Plus précisément, ils indiquent que l'infirmation d'une cognition d'ordre périphérique
n'induit aucune modification structurale de la représentation alors que l'infirmation
d'une cognition centrale dorme lieu à une restructuration cognitive (donc : à une modi-
fication profonde) du champ représentationnel.
On a pu observer également (Eyssartier, Joule et Guimelli, 2005 ; Eyssartier,
2005), que lorsque l'on fonde les techniques d'engagement sur les éléments centraux de
la représentation, et non sur les éléments périphériques, on augmente de façon très
nette la probabilité de voir apparaître le comportement attendu (en l'occurrence :
signer une carte de dormeur d'organes).
Ainsi, dans des champs de recherches aussi différents que l'influence sociale ou
l'engagement, dont il sera question dans le prochain chapitre, la théorie du noyau cen-
tral permet de préciser la compréhension que nous avons de certains phénomènes.
Les représentations sociales entretiennent des liens étroits avec les pratiques. Elles
constituent, en quelque sorte, comme le dit Moscovici (1976), un « guide pour
l'action ». Une étude de Jodelet (1989) illustre parfaitement ce lien. Cette étude
concerne les représentations sociales de la folie et elle a pour objectif d'analyser les pra-
tiques et les représentations sociales d'une communauté de ruraux à l'égard des mala-
des mentaux qu'ils hébergent, par tradition, depuis plusieurs décennies. L'étude des
représentations montre que les sujets opposent le cerveau et les nerfs pour expliquer la
folie. Cette opposition a donné lieu, au fil du temps et des générations, à une théorie
psychiatrique naïve permettant, entre autres, de diagnostiquer deux types de malades :
les malades du cerveau (l'innocence) et les malades des nerfs (la méchanceté). Dès lors,
une fois posé, c'est ce « diagnostic » qui va déterminer des pratiques spécifiques à l'une ou à
l'autre des deux catégories : les malades du cerveau vont connaître un régime privilégié,
du fait même de leur « innocence », et vont être intégrés à la vie familiale alors que les
malades des nerfs, à cause de leur « méchanceté » vont être ségrégés (on lave leur linge
à part, ils ont leur propre couvert et/ou ne mangent pas à la table familiale, on ne leur
laisse pas « toucher les choses de la maison », on leur interdit les relations avec les
enfants...).
Dans une autre étude (Guimelli, 2001), on induit la représentation sociale du
groupe idéal, puis les sujets sont répartis dans différentes situations expérimentales dans
lesquelles on leur présente un scénario. Ce scénario permet d'opérationnaliser deux
144 I Psychologie sociale
E - DE LA LOGIQUE SOCIALE
Comme on l'a déjà dit, la pensée sociale doit être envisagée comme une forme de
pensée différente de la pensée rationnelle et surtout autonome, c'est-à-dire régie par des
règles formelles spécifiques et possédant, en définitive, sa propre logique. Un certain
nombre de modèles théoriques se sont efforcés d'identifier cette logique propre à la
La pensée sociale I 145
pensée sociale. Tous ces modèles ont pour caractéristique commune d'être fondés sur le
principe d'homéostasie. Celui-ci peut être défini de la manière suivante : il existe chez
l'homme une tendance générale vers la recherche de l'équilibre entre les cognitions
propres à un objet donné. Cette tendance est si marquée que la rupture de cet équi-
libre active chez le sujet un certain nombre de stratégies cognitives destinées à le réta-
blir. Ces stratégies cognitives et la logique qui en résulte ont fait l'objet de plusieurs
constructions théoriques par les chercheurs américains à la fin des années 1950. Les
plus connues sont la théorie de la dissonance cognitive (Festinger, 1957), la théorie de
l'équilibre cognitif (Heider, 1958) et le modèle psychologique (Abelson et Rosenberg,
1958). Nous n'évoquerons ici que l'une d'entre elles : la théorie de la dissonance cogni-
tive. Nous allons voir que cette théorie, par le statut qu'elle accorde à l'action, nous
rapproche des travaux dont il sera question dans le chapitre suivant.
Pour Festinger (1957), le fait de défendre une attitude A alors qu'on y adhère pas
(comportement contre-attitudinel) crée chez nous un état d'inconfort psychologique, la
connaissance que nous avons de ce que nous sommes en train de faire (notre comporte-
ment) ne s'accordant pas avec nos idées (notre attitude privée). C'est pour réduire cet
inconfort que nous modifions notre attitude privée afin qu'elle s'ajuste mieux à notre
comportement. Pour Festinger, il suffirait que nous disposions de quelque bonne raison
de faire ce que nous faisons (par exemple : une forte récompense) pour que notre
inconfort s'en trouve réduit au point de nous dispenser de changer d'attitude. On a là
l'une des hypothèses les plus contre-intuitives et les mieux confirmées de la psychologie
sociale. Elle sera testée avec succès dès la fin des années 1950 (pour une synthèse : Har-
mond-Jones et Mills, 1999).
Par exemple, Cohen (dans Brehm et Cohen, 1962) demande à des étudiants, pour
l'aider dans une recherche, de rédiger un texte justifiant une intervention musclée de la
Police sur le campus de l'Université de Yale, suite à des manifestations étudiantes. Il va
de soi que les sujets de Cohen, tout comme la plupart des étudiants, n'avaient pas du
tout apprécié cette intervention policière. Ils acceptèrent néanmoins de rendre le ser-
vice demandé. Certains s'étaient vus promettre une récompense dérisoire d'un demi-
dollar, d'autres, au contraire, une récompense particulièrement élevée de 10 $, d'autres
encore des sommes intermédiaires de 1 ou 5 $. Leur texte rédigé, Cohen demandait
aux étudiants d'exprimer leur propre attitude à l'égard de l'intervention de la police,
afin de la comparer à celle d'un groupe d'étudiants n'ayant pas eu à rédiger de texte
(groupe contrôle). Conformément à l'hypothèse issue de la théorie de la dissonance
cognitive, les sujets ayant reçu une récompense insuffisante pour justifier leur comporte-
ment (rédiger des arguments favorables à l'intervention de la police) modifièrent leur
attitude dans le sens de la rationalisation de leur comportement. Les voilà maintenant
plus favorables à l'intervention de la police que les étudiants du groupe contrôle. Ce
n'est pas le cas des sujets pour lesquels une forte rémunération constituait une bonne
146 I Psychologie sociale
raison de faire ce qui leur était demandé. Quant aux étudiants ayant reçu une rémuné-
ration intermédiaire, ils changèrent d'attitude mais moins que les sujets n'ayant reçu
qu'un demi-dollar, le changement d'attitude s'avérant ainsi inversement proportionnel
à l'importance de la rémunération.
Il faut savoir que la rédaction d'un texte contraire à ses convictions n'est qu'une
modalité particulière d'une situation expérimentale générale : la situation de soumission
forcée ou encore de soumission induite : dans cette situation expérimentale, un sujet est
amené à faire quelque chose qu'il ne ferait pas sur la base de ses attitudes (tenir un dis-
cours contraire à ses convictions, rédiger un texte défendant un point de vue différent
du sien, etc.) ou de ses motivations (manger un plat répugnant, faire un travail fasti-
dieux, endurer une épreuve douloureuse, etc.) ou à s'abstenir de faire ce qu'il ferait
volontiers (s'abstenir de fumer, de boire, de s'amuser avec un jouet attractif, etc.). Dans
les expériences relevant de ce paradigme, on constate, comme la théorie de la disso-
nance le prédit, que les sujets modifient leur attitude a posteriori afin de l'ajuster à la
conduite qu'ils viennent de tenir. Ainsi, après avoir accepté de réaliser une tâche fasti-
dieuse, les sujets trouvent cette tâche moins fastidieuse. Ainsi, encore, après avoir
accepté de goûter un plat répugnant (sauterelles grillés, vers de terre...) ils trouvent ce
plat moins répugnant. Autrement dit, après avoir agit autrement qu'ils ne l'auraient fait
spontanément, les sujets modifient leur attitude ou leur motivation pour qu'elle
s'accorde mieux avec leur acte. Ce processus est donc en fait un processus de rationalisation
(Beauvois et Joule, 1996 ; Joule, 1993 ; Joule et Beauvois, 1998 a).
La situation de soumission forcée, par le statut qu'elle donne à l'action allait inau-
gurer une nouvelle problématique du changement d'attitude. Si la problématique clas-
sique revient à se demander : que dire à cet homme-là dont on veut changer les attitudes ? la pro-
blématique posée par Festinger revient, quant à elle, à se demander : que dois-je faire faire
à cet homme-là pour qu'il en vienne à changer ses attitudes ? ou, si l'on préfère : quel comportement
obtenir de lui ? Nous allons voir que ce dernier questionnement (voir chapitre suivant)
ouvre d'amples perspectives.
LECTURES CONSEILLÉES
Deschamps, J.-C., & Beauvois, J.-L. (1996). Des attitudes aux attributions. Sur la construction de la
réalité sociale. Grenoble : PUG.
Guimelli, C. (1999). La pensée sociale. Paris : PUF.
Rouquette, M.-L. (1994). Chaînes magiques. les maillons de l'appartenance. Neuchâtel : Delachaux
& Niestlé.
Yzerbyt, V., & Schadron, G. (1996). Connaître et juger autrui. Grenoble : PUG.
9 communication et influence
A - INTRODUCTION
ENCADRÉ 1
Définitions de la persuasion
« Une tentative consciente de la part d'un individu ou d'un groupe pour modifier les attitudes,
croyances ou comportements d'autres individus ou groupes par la transmission d'un certain
message » (Bettinghaus et Cody, 1994, p. 6).
« Nous définissons la persuasion comme un acte symbolique et conscient ayant
l'intention de façonner, modifier ou renforcer les croyances opinions, valeurs, attitudes et/ou
comportements de nous-mêmes ou d'autrui » (Burgoon et al., 1994, p. 177).
« La persuasion consiste en une communication intentionnelle qui a un effet sur la façon
dont les gens pensent, ressentent et /ou agissent envers un objet, une personne, un groupe,
une idée » (Cegala, 1987, p. 13).
« [C'est] une tentative couronnée de succès pour modifier l'état mental d'autrui par
l'intermédiaire d'une communication dans un contexte de liberté » (O'Keffe, 2002, p. 17).
« Nous définissons [la persuasion] comme la modification ou le renforcement des répon-
ses du récepteur, incluant les attitudes, les émotions, les intentions et les comportements »
(Pfau et Perrot, 1993, p. 6).
« La persuasion est le processus qui consiste à préparer et délivrer des messages ver-
baux et non verbaux à des individus autonomes dans le but de modifier, d'altérer ou renforcer
leurs attitudes, croyances et comportements » (Woodward et Denton, 1992, p. 21).
Cet échantillon nous paraît suffisant pour dégager certaines caractéristiques commu-
nes suffisamment structurantes pour organiser le chapitre. On remarquera, tout d'abord,
qu'au-delà de certaines variations sémantiques, il existe un noyau définitoire commun :
c'est un processus intentionnel qui opère par l'intermédiaire d'une communication ver-
bale et non verbale. Il ressort aussi, de façon convergente, que la persuasion est définie
comme une tentative de modifier le comportement d'un individu en modifiant préalable-
ment son état mental. Cette référence à la notion d'état mental renvoie clairement à celle
de l'attitude conçue comme le résultat de l'évaluation que fait une personne d'un objet.
Cette conception traduit plus ou moins explicitement l'idée que les états mentaux, les atti-
tudes sont corrélés avec les comportements et que cette relation est de nature prédictive.
C'est pourquoi le concept d'attitude et son lien avec le comportement seront abordés
dans la première partie. On notera aussi que toutes ces définitions ont comme visée
d'atteindre un seul et même objectif, celui de modifier les croyances, attitudes et compor-
tements d'autrui. Mais au-delà de cette visée commune, l'échantillon de définitions pré-
sentées ici est illustratif de deux types de conception, celle de la persuasion comme un pro-
cessus par opposition à celle de la persuasion comme un résultat. Une des critiques que l'on
peut faire à la conception de la persuasion comme résultat est qu'elle restreint inutilement
les limites du champ d'étude, car elle ne prend en compte que les situations dans lesquel-
les les stratégies persuasives ont atteint leur objectif : modifier les attitudes et, ou compor-
tements de la cible. Un certain nombre d'auteurs ont souligné que la définir de façon
aussi étroite pouvait conduire à une sorte de paradoxe : exclure du champ de la persua-
sion non seulement les stratégies persuasives qui échouent à atteindre leur objectif mais
1. Modifier l'état mental ne constitue pas la seule voie pour modifier le comportement d'autrui. On peut
aussi comme dans les théories de l'engagement (paradigmes du pied dans la porte ou de la porte au nez
par exemple) intervenir sur le comportement plutôt que sur l'état mental du sujet. Voir à ce propos le cha-
pitre de Joule.
Communication et influence I 149
surtout celles qui, au contraire, ont comme objectif d'empêcher la persuasion, c'est-à-dire
d'augmenter la résistance à une communication persuasive. Cette observation nous
amène à préciser ce que l'on entend par le concept de résistance et le rapport qu'il entre-
tient avec celui de persuasion. Même si le phénomène de résistance à la persuasion a peu
été étudié en comparaison avec celui de la persuasion, le terme, lui, a été souvent utilisé
dans la littérature pour rendre compte de l'échec de tentatives de persuasion. Dans toutes
les expériences sur le changement d'attitudes utilisant une échelle d'attitude pour mesurer
l'efficacité de la communication persuasive, on utilise le terme de résistance comme une
étiquette utile pour rendre compte d'une position sur l'échelle de mesure. Dans cette
acception, il représente la marque d'un non-changement, c'est-à-dire l'absence de per-
suasion. Mais, à quelle réalité psychologique renvoie ce non-changement ? Est-ce
l'indication d'un échec de la persuasion ou de résistance au changement ? Résister n'est
pas synonyme de ne pas être persuadé. La résistance peut ne pas être l'image en miroir de
l'acceptation. Par exemple, il est possible de ne pas être convaincu par un mauvais argu-
ment pour faire ou ne pas faire telle ou telle chose. Mais en l'absence d'une motivation à
changer d'attitude ou à éviter de faire la chose recommandée, on ne pourra pas parler de
résistance à propos de ce non-changement. C'est pourquoi, on peut définir la résistance à
la persuasion comme un état motivationnel dont le but est de résister aux effets de persua-
sion communicative. Cela peut se traduire sur les plans : cognitif par la contre-
argumentation ; émotionnel en se mettant en colère, ou en étant irrité ; comportemental
en évitant toute information contradictoire à ses opinions. Nous sommes capables de
mettre en oeuvre, si nous en éprouvons le besoin, des stratégies pour résister à la persua-
sion dont les plus utilisées sont par ordre de fréquence : la contre-argumentation, le ren-
forcement de l'attitude, la dépréciation de la source, l'élaboration de sentiments négatifs
(Jacks et Cameron (2003). Si on définit la résistance à la persuasion comme un état moti-
vationnel, une motivation à résister, qu'est-ce qui motive le sujet à résister ? La réponse à
cette question fera l'objet de la troisième partie après avoir exposé dans la deuxième
partie les théories dont la visée est la persuasion proprement dite.
I - Définition de l'attitude
Souvent lorsque nous parlons des objets du monde nous disons à leur propos,
qu'on les aime ou qu'on ne les aime pas. Cela nous paraîtrait étrange d'entendre quel-
qu'un dire je n'éprouve que des sentiments neutres à l'égard de tel objet. Cela nous paraîtrait
étrange, car nous ne sommes jamais des observateurs neutres du monde qui nous
entoure. Nous évaluons sans cesse les objets que nous rencontrons. C'est pourquoi le
concept d'attitude joue un rôle majeur dans le champ de la psychologie sociale. Il a
d'ailleurs été défini de bien des façons (Bromberg, 2005). Mais, ce qu'il faut en retenir,
150 I Psychologie sociale
c'est, d'une part, que les attitudes constituent des prédispositions acquises à répondre
durablement vis-à-vis d'un objet, et d'autre part, qu'elles reflètent les évaluations que
portent les sujets sur ces mêmes objets. Cette notion de prédisposition acquise à
répondre durablement vis-à-vis d'un objet est fondamentale, car elle permet de faire
des prédictions concernant le comportement d'un sujet à partir de la connaissance de
ses attitudes. Lorsque quelqu'un nous dit, par exemple, qu'il est contre la culture des
organismes génétiquement modifiés, l'information que nous pouvons tirer de cette
déclaration va au-delà de la simple évaluation communiquée. En effet, nous sommes
alors en mesure de prédire que dans certaines situations appropriées, la personne adop-
tera des comportements cohérents avec son évaluation. Par exemple, elle lira attentive-
ment les étiquettes des aliments, refusera d'acheter des aliments génétiquement modi-
fiés, signera des pétitions contre leur culture, etc. De même, si nous observons ces
comportements de façon répétée, nous inférerons que la personne possède une attitude
défavorable à l'égard des OGM. Donc, connaître l'attitude d'une personne à l'égard
d'un objet, c'est être en mesure de prédire son comportement futur à l'égard de cet
objet. Cette conception est partagée par un grand nombre d'acteurs sociaux. N'est-il
pas vrai que partout dans le monde, les grandes entreprises dépensent des sommes
colossales en publicité afin de changer nos attitudes à l'égard de leurs produits, persua-
dées qu'elles guident ainsi nos comportements d'achat ? On doit noter aussi que ces
attitudes en tant que prédispositions nous accompagnent tout au long de nos actions.
Elles existent même lorsque nous ne pensons pas à l'objet de l'attitude ou que nous ne
sommes pas dans une situation nécessitant notre action envers l'objet attitudinel. On
peut dire que les attitudes sont des évaluations globales des objets, des personnes des
idées (Eagly et Chaiken, 1998). Cette évaluation globale est sous-tendue par trois com-
posantes évaluatives spécifiques : affective, cognitive, comportementale.
La composante affective renvoie aux sentiments et émotions qui sont associés à
l'objet. On peut aimer ou détester quelque chose selon la nature des sentiments que
l'on a éprouvés à son égard. Ne pas aimer faire don de son sang parce que la vue
d'une seringue nous angoisse.
La composante cognitive revoie aux croyances possédées à propos de l'objet. Si l'on
croit que Mme X est intelligente et qu'elle défend des positions économiques et
sociales qui ont notre faveur alors nous aurons une attitude positive à son égard.
La composante comportementale fait référence aux comportements qui dans le
passé ont été associés à l'objet de l'attitude. Par exemple, l'acquisition d'une attitude
positive ou négative à l'égard d'un objet peut dépendre de notre comportement et
de notre engagement vis-à-vis de cet objet.
sonnes peuvent — ainsi que nous-mêmes — se comporter de façon incohérente avec leurs
attitudes selon les circonstances. Il existe parfois un écart entre ce que nous disons à
propos d'un objet et ce que nous faisons réellement en présence de cet objet. Une étude
célèbre de LaPiere (1934) mit clairement en évidence l'existence d'un tel écart. Au
cours d'un périple en voiture sur la côte ouest des États-Unis, il coucha dans 66 hôtels
et mangea dans pas moins de 184 restaurants. Durant ce périple, un seul hôtelier refusa
de l'accueillir. Et alors, direz-vous, qui y a-t-il de si marquant qu'il faille s'en émouvoir.
En soi, cela ne paraît pas anormal si ce n'est qu'il était accompagné d'un couple
d'étudiants chinois. Connaissant la sinophobie farouche de ses compatriotes — à
l'époque, de nombreuses études avaient mis en évidence l'existence de préjugés raciaux
des Américains envers les « orientaux » —, il s'attendait à bien plus de refus que cela.
Afin de comprendre ces résultats inattendus, LaPiere écrivit à tous les établissements
qu'il avait fréquentés. Il leur demanda s'ils acceptaient des clients d'origine chinoise
dans leur établissement. Sur les 128 réponses, il ne reçut qu'une seule acceptation
contre 90 % de refus. Ce résultat ébranla la conception de la relation entre attitude et
comportement. Les études scientifiques sur les attitudes venaient véritablement de com-
mencer avec le développement des techniques de mesures dans la période 1920-1930.
La relation attitude-comportement paraissait fortement établie. Il ne serait venu à l'idée
de personne de la remettre en question. Mais ce fut Wicker en 1969 qui porta l'attaque
la plus sérieuse contre cette conception. S'appuyant sur l'analyse de près de 40 recher-
ches sur ce sujet, il concluait : « Pris comme un tout, ces études suggèrent qu'il est plus
vraisemblable que les attitudes soient sans relation ou peu reliées aux comportements
explicites que le contraire... les coefficients de corrélation concernant ces deux mesures
sont rarement au-dessus de .30 et souvent près de zéro » (p. 65). Ce constat, puis beau-
coup d'autres ensuite l'ont conduit à écrire (1971, p. 29) : « Il peut être désirable
d'abandonner le concept d'attitude. » Abelson (1972) lui faisait écho en publiant, un an
plus tard, un article ayant pour titre : « Le concept d'attitude est-il utile » ? À ce pessi-
misme général, s'ajoutait la publication de nouveaux travaux expérimentaux mettant en
évidence de façon convergente que, sous certaines conditions, les attitudes pouvaient
être la conséquence directe du comportement plutôt que la cause. Que le changement
d'attitude put être la conséquence et non l'antécédent, d'un comportement librement
effectué fut mis en évidence aussi bien dans la théorie de la dissonance cognitive de
Festinger (1957) et celle de l'autoperception de Bem (1967) qu'au travers les travaux de
Janis (1968) sur le rôle playing, dans le cadre des fameux Yale Studies in Attitude and
Communication du laboratoire du même nom. Cette approche se fonde sur la convic-
tion que l'homme change à travers ses actes et que les conséquences ou les résidus éva-
luatifs de ses comportements successifs s'organisent dans un système stable et dyna-
mique (les attitudes), qui à son tour, détermine en partie les comportements évaluatifs
ultérieurs.
Les résultats contrastés des nombreuses recherches sur la relation attitude-compor-
tement nécessitent donc une approche différente de la relation. Plutôt que de se
demander si les attitudes prédisent les comportements, nous devons nous demander à
quelles conditions elles prédisent les comportements. Répondre à cette question nécessite
l'identification des facteurs qui déterminent la force de la relation. Ces facteurs consti-
tuent ce que l'on appelle des variables modératrices parce qu'elles modèrent la relation
152 I Psychologie sociale
C - COMMUNICATION ET PERSUASION
Être compris constitue certainement un des buts que nous poursuivons lorsque
nous communiquons avec autrui. Il en existe cependant un autre tout aussi important,
celui d'être cru. Ce dernier objectif suppose que nous soyons capable d'influencer
autrui. C'est pourquoi tous nos efforts tendent à organiser ce que nous disons afin de
paraître le plus convaincant possible. La communication persuasive consiste à réaliser
ces deux objectifs au moyen du langage. Historiquement, les premières études qui ont
étudié les caractéristiques de la communication persuasive ont été effectuées dès la
Seconde Guerre mondiale par l'équipe de Hovland. Ces travaux se sont largement ins-
pirés de la conception des sophistes et rhéteurs de la Grèce antique concernant
l'élaboration des stratégies argumentatives (Bromberg, 1983, 1991).
Les auteurs vérifient par ailleurs que l'efficacité des discours dépend du niveau
d'étude. Plus le niveau est élevé plus le discours bilatéral est efficace. Deux explications
ont été avancées. L'une met l'accent sur le fait que les sujets de niveau élevé seraient
plus enclins à penser que le discours unilatéral est biaisé par un parti pris, l'autre sur
leur capacité à contre-argumenter son contenu.
Faisant suite à ces résultats, Lumsdaine et Janis (1953) se demandent si les change-
ments d'attitude consécutifs à ces deux stratégies langagières présentent la même résis-
tance à une attaque persuasive ultérieure. Dans un premier temps, deux groupes de
sujets entendent un discours développant l'idée que l'Union soviétique sera capable de
produire une bombe atomique dans un délai de cinq ans ; l'un reçoit un discours unila-
téral, l'autre un discours bilatéral (le même que le précédent auquel on ajoute quelques
arguments contraires). Une semaine plus tard la moitié de chacun des deux groupes
entend un discours opposé (propagande) au premier. On y insiste sur le fait que les
Russes produiront probablement la bombe dans un délai de deux ans maximum. Les
résultats montrent que le discours bilatéral a pour effet d'augmenter davantage la résis-
tance des sujets à une propagande ultérieure qu'une présentation unilatérale et qu'il est
d'autant plus efficace que l'attitude initiale des sujets est opposée à la première position
défendue. Les auteurs comparent cet effet à une sorte d'inoculation.
« Qui peut ignorer que les mots véhiculent une conviction bien plus grande
quand ils sont prononcés par des hommes réputés que par des hommes obscurs et
que les faits tirés de l'expérience vécue constituent des arguments bien plus forts que
les mots. » Cette citation d'Isocrate, contemporain d'Aristote, illustre l'importance
accordée de tout temps aux caractéristiques de la source dans le champ de la persua-
sion. Si de nombreuses recherches en psychologie attestent cet effet, il est nécessaire
d'en expliquer le mécanisme. Une première piste nous est donnée en comparant les
recherches dans lesquelles la source du message est connue avant ou après la récep-
tion du message. Cette comparaison atteste que la crédibilité de la source n'a d'effet
154 I Psychologie sociale
sur la persuasion que si elle est identifiée avant que le message ne soit traité. Ward et
McGinnies (1974) mettent en évidence que le degré de crédibilité de la source (forte
vs faible) n'a aucun effet sur l'efficacité de la communication persuasive si la source est
connue après l'écoute du message. Le fait qu'il soit indispensable que la source soit
identifiée avant ou en même temps que l'écoute du message constitué une première
indication pour comprendre la nature du processus mis en jeu. En effet, ce résultat est
compatible avec l'hypothèse selon laquelle la crédibilité de la source modifie
l'efficacité de la persuasion en modifiant la façon dont les gens traitent ou élaborent
les messages. Lorsqu'on révèle l'identité de la source après l'écoute du message, il est
trop tard pour qu'elle produise un effet. Il n'y a pas d'effet rétroactif : le sujet ayant
produit, pendant l'écoute du message, toutes les pensées s'y rapportant. On peut donc
penser que les indicateurs de la crédibilité de la source médiatisent la persuasion en
agissant sur les processus cognitifs de traitement du contenu du message. Plus précisé-
ment, selon Petty et Cacioppo (1986), la crédibilité accroît la persuasion en agissant
sur le nombre de pensées produites pendant l'écoute du message. Si le sujet croit que
la source de la communication est un expert du domaine, il a toutes les raisons de
relâcher ses défenses ou encore d'abaisser sa motivation à examiner attentivement le
contenu du message ; dans ce cas, il produira peu de réponses cognitives. À l'opposé,
si la source est perçue comme peu experte du domaine, il est probable qu'il reste sur
ses gardes et qu'il accorde plus d'attention au contenu ; ce qui se traduira par une
activité cognitive plus intense : élaboration de pensées critiques, élaboration de contre-
arguments.
En résumé, on peut décrire le mécanisme par lequel les caractéristiques de la
source agissent sur l'efficacité persuasive du message de la façon suivante : a) la crédibi-
lité a pour effet d'activer un processus de pensée pendant l'écoute du message ; b) ce
processus sera d'autant plus important que la crédibilité de la source sera faible ;
c) l'efficacité de la source est inversement proportionnelle au nombre de pensées
élaborées.
a. L'implication du sujet
non favorable à la position défendue, le message sera plus ou moins persuasif. C'est
pourquoi la crédibilité de la source a un impact minime dans lorsque le sujet est forte-
ment impliqué.
En fonction de ce qui précède, on pourrait en déduire que plus les sources sont
crédibles plus elles sont persuasives. Certaines recherches montrent que cela n'est pas
toujours le cas lorsque le message a pour but de renforcer plutôt que de changer l'attitude
existante du sujet. Les auteurs rapportent que les sources modérément crédibles sont
plus efficaces que les sources fortement crédibles. Sternthal et al. (1978) par exemple,
expliquent ce résultat en montrant qu'une source modérée déclenche la production
de pensées favorables plus nombreuses qu'une source très crédible. En effet, on sait
(cf. ci-dessus) qu'une source très crédible réduit la motivation du sujet à traiter le
contenu et à générer des réponses cognitives. Mais comme le contenu du message per-
suasif est ici congruent avec la position des sujets, ces arguments qui auraient pu être
élaboré auraient été des arguments favorables à la position défendue. Cela explique
pourquoi dans ce cas, la source très crédible est moins efficace, puisque l'efficacité de la
source dépend du nombre de réponses cognitives favorables produites.
Il est évident que si nous voulons modifier l'attitude de quelqu'un, nous devons mar-
quer notre désaccord avec lui. Mais comment le mettre en scène ? Si nous marquons un
désaccord trop important, l'interlocuteur peut juger le contenu du message trop extrême,
fabriquer des pensées défavorables et ainsi être peu ou pas du tout influencé. C'est pour-
quoi le degré de désaccord existant entre la position défendue dans le message et la posi-
tion du récepteur constitue une variable importante. Certaines recherches ont montré
une relation curvilinéaire entre le degré de désaccord et l'efficacité du message. Un faible
désaccord produit une persuasion faible, un désaccord modéré une persuasion plus élevée
et un désaccord important, peu ou pas du tout de persuasion (Peterson et Koulack, 1969).
Cependant, ce résultat doit être modulé en fonction du degré de crédibilité de la
source. Aronson et aL (1963) confirment l'existence d'une relation curvilinéaire quand la
crédibilité de la source est modérée. Mais, quand elle est très crédible la relation devient
linéaire : plus le désaccord est important plus le message est efficace. Comment expli-
quer ce résultat ? Si on compare les deux conditions de crédibilité forte et modérée :
Dans le premier cas, en réduisant la motivation du récepteur elle diminue parallèle-
ment le nombre de pensées défavorables.
— Dans le second cas, la condition de crédibilité modérée ne diminuant pas la motiva-
tion à traiter le contenu du message, les sujets produisent plus de pensées défavora-
bles que dans la première condition.
Ainsi, dans une situation où la position défendue par la source du message est
éloignée de celle du récepteur, plus la crédibilité de la source est importante plus elle
est persuasive.
156 I Psychologie sociale
Conclusion
Il est donc important de souligner combien il est nécessaire pour étudier l'effet de
la crédibilité de la source sur le changement d'attitudes et comparer les résultats entre
eux, de définir préalablement le concept de crédibilité et de préciser ce que l'on entend
réellement mesurer.
La grande majorité des travaux sur la persuasion s'inscrivent dans des modèles de
communication monologiques où locuteurs (appelés sources) et interlocuteurs (appelés
récepteurs ou audience) n'ont jamais la possibilité d'interagir en instaurant une relation
interlocutive. Dans ce cadre théorique, les recherches sont plutôt focalisées sur l'étude
de l'impact de différentes variables de la situation communicative sur un sujet récep-
teur, souvent passif, mutique toujours (Bromberg, 1999 ; Bromberg, Trognon, 2004).
On mesurera d'autant mieux l'originalité et l'importance des travaux de Miller, Boster
et al. (1977) qu'ils furent les premiers à attirer l'attention sur ce qu'ils ont appelé la per-
suasion interpersonnelle. Leur modèle met en oeuvre une conception dialogique de la com-
munication persuasive avec pour objectif d'apporter des réponses sur la manière dont
nous arrivons à persuader autrui à faire ce que nous voulons, à résister nous-mêmes
aux tentatives d'influence. La façon dont ces jeux argumentatifs, ouverts par le die-
logue, réalisent l'intention persuasive du ou des interlocuteurs détermine pour une
grande part la nature de la relation interpersonnelle établie ainsi que la nature et
l'efficacité des stratégies mobilisées. Par exemple, il n'est pas rare que les interlocuteurs,
voulant gagner à tout prix l'enjeu de la conversation, du débat, ou tout simplement
réussir à influencer autrui, adoptent des comportements langagiers agressifs sans considé-
ration pour la face' de l'interlocuteur, ni même de la justesse des idées défendues. On
dira qu'une communication est agressive' si elle exerce de façon symbolique une force
afin d'assurer la défaite de l'interlocuteur et/ou la disqualification de l'attaque persua-
sive (Infante, 1989). Cette force résulte de la combinaison de quatre comportements
langagiers traduisant l'assurance verbale, le désir de contradiction, l'hostilité et l'agressivité verbale
et de leurs interactions avec la situation communicative. Les deux premiers caractéri-
sent la mise en oeuvre de stratégies langagières dites constructives par opposition aux deux
derniers qui caractérisent des stratégies dites destructives. Chacun d'eux interagit avec des
éléments situationnels pour dynamiser le comportement communicatif. Un locuteur qui
adopte une stratégie langagière constructive traduisant son assurance (réelle ou supposée)
quant à la maîtrise de l'objet en discussion, acquerra une position forte, dominante, lui
donnant un avantage pour atteindre ses objectifs. S'il adopte une stratégie langagière
visant à porter la contradiction, il argumentera de façon polémique afin de réfuter la
position adverse (Infante et Rancer, 1996). Concernant les stratégies destructrices, on ne
1. Selon Brown et Levinson (1987), la face fait référence à l'identité de la personne. Ils distinguent la face
négative, qui se définit par le désir de ne pas subir des contraintes et la face positive par le désir de rece-
voir l'approbation d'autrui.
2. Dire qu'une communication est agressive ne signifie pas qu'elle soit forcément mauvaise.
158 I Psychologie sociale
peut ignorer que dans la dynamique de l'interaction, les interlocuteurs mis en difficulté
peuvent à tout moment modifier leur mouvement stratégique en passant d'une forme
de communication agressive relativement constructive à une autre plus destructrice,
animé par le désir d'être blessant et d'attaquer la face de l'interlocuteur afin de rétablir
une position menacée. L'hostilité se traduit sur le plan de la communication par
l'expression d'un ressentiment, d'irritabilité ou encore d'une suspicion. L'agressivité verbale
quant à elle vise essentiellement à attaquer l'estime de soi des interlocuteurs afin de leur
infliger des souffrances psychologiques (Kinney, 1994). Les auteurs situent leur modèle
dans une approche interactionniste de la personnalité en ce sens qu'ils pensent que ces
quatre stratégies trouvent leur fondement dans ces quatre traits de personnalité' que
chaque acteur social possède à des degrés variables. Il s'ensuit que le style agressif du
comportement communicatif est le produit conjoint des facteurs situationnels et des
caractéristiques de la personne. Par exemple, si Marie croit que son argumentation a
des chances d'échouer et qu'elle n'y attache pas une grande importance, sa motivation
à argumenter sera faible. Mais, si elle croit qu'elle emportera le gain conversationnel et
que le remporter est important pour elle, sa motivation à argumenter sera élevée. Une
motivation élevée combinée avec un esprit de contradiction devrait accroître encore plus le
style de comportement communicatif agressif qui s'y rattache. Plusieurs recherches
(Infante et Rancer, 1993 ; Steward et Roach, 1993) ont validé ce modèle interaction-
niste en montrant que la connaissance simultanée des traits de personnalité de la per-
sonne et des facteurs situationnels (comme les caractéristiques de l'objet conversation-
nel) permettaient de prédire le style du comportement communicatif des acteurs de
l'interlocution. Onyekwer et al. (1991) ont montré que lorsque les gens sont fortement
impliqués dans l'objet conversationnel (argumenter en faveur du contrôle des armes
lorsque l'on est propriétaire d'un magasin d'armes à feu) accroît non seulement leur
motivation à argumenter mais aussi améliore leur comportement communicatif dans le
registre de la contestation. Dans un autre contexte, Infante (1989) met en évidence
l'utilisation de stratégies différentes selon que ce sont des hommes ou des femmes qui
essaient de convaincre quelqu'un. Lorsque l'interlocuteur utilise un comportement
communicatif agressif, les hommes ont plus tendance que les femmes à répliquer agres-
sivement, tandis que les femmes ont plus tendance que les hommes à utiliser un style de
communication argumentatif. Ainsi, les comportements des interlocuteurs sont en
partie déterminés par la nature enjeux et des Jeux de dialogues qui structurent
l'interaction communicative.
Mais qu'est-ce qui peut déterminer l'intention d'argumenter et donc les stratégies
employées pour convaincre son interlocuteur ? Une fiçon de comprendre la communica-
tion agressive consiste à étudier les croyances que les gens ont à propos du fait
d'argumenter et de l'emploi d'un comportement agressif. Rancer et al. (1985) montrent
que les gens possèdent en général des croyances bien structurées à propos de l'acte de
convaincre. Elles se structurent en fonction des valeurs que l'on attache à la persuasion :
hostilité : croyance selon laquelle argumenter est un combat ;
activité : croyance selon laquelle argumenter constitue un mode d'interaction au
même titre qu'une conversation ;
IV - L'appel à la peur
Faire appel à la peur pour convaincre autrui de faire ou ne pas faire quelque
chose est un procédé vieux comme le monde. On ne peut oublier la mise en garde qui
avait été faite à Adam et Ève de ne pas goûter les fruits de l'arbre de la connaissance
sous peine d'encourir la mort. L'appel à la peur, en laissant voir les terribles consé-
quences du refus de suivre les recommandations, a pour objectif de persuader
l'interlocuteur de changer son attitude et son comportement. Cependant l'utilisation de
cette technique n'est pas aussi simple qu'il y paraît. N'oublions pas qu'Ève fut aussi le
premier exemple de l'échec de l'appel à la peur puisque, comme chacun le sait, elle
succomba malgré tout à la tentation en dépit de la menace. L'utilisation de la peur
comme stratégie persuasive consiste à associer dans le discours soit une action indési-
rable (fumer) à une conséquence négative (cancer du poumon), soit un acte désirable (se
brosser les dents) à un évitement de conséquences négatives (caries). Une fois
l'association réalisée, on préconise des recommandations visant à modifier le comporte-
ment afin d'éviter les conséquences négatives décrites. Le paradigme habituel consiste à
communiquer, en éveillant la peur, les risques qu'encourt l'individu à ne pas suivre les
recommandations.
Nous présenterons successivement les principales théories qui ont marqué cette
problématique.
160 I Psychologie sociale
Selon Janis (1968) le danger décrit dans les messages déclenche une réaction émo-
tionnelle de peur qui induit une tension motivationnelle (ou drive). Cette tension, selon
les auteurs, constitue le véritable moteur du changement, car elle pousse l'individu à
agir pour la réduire. Si l'individu produit une réponse qui réduit sa peur, elle sera ren-
forcée (selon la théorie de l'apprentissage) et intégrée dans le répertoire de ses réponses.
Ce modèle postule l'existence d'un processus séquentiel dont le changement d'attitude
— qui en est le terme — est médiatisé par une succession de réponses émotionnelles de
peur. La réaction de peur constitue donc le principal concept explicatif de ce modèle.
Les variables indépendantes sont supposées agir sur le changement d'attitude de façon
médiate, puisqu'elles agissent et modulent d'abord les réactions émotionnelles. Ce
modèle suggère que plus le message fait peur, plus il sera efficace à modifier les atti-
tudes et comportements à condition que les recommandations réduisent la peur. Par
contre, si la peur est éliminée par d'autres réponses que l'acceptation des recommanda-
tions (en ignorant ou en niant le danger évoqué par exemple) alors le sujet opposera
une résistance aux recommandations. Cependant, les auteurs précisent que la relation
entre le niveau de la peur éveillée et l'acceptation du message n'est pas linéaire mais
curvilinéaire (en forme de U). C'est-à-dire que s'il est nécessaire de provoquer une peur
d'une certaine intensité pour déclencher le drive, une peur trop intense pousse le sujet à
adopter une position défensive d'évitement le conduisant à ignorer le danger. Cette
conception qui a marqué durablement les années 1950 et 1960 est devenue obsolète.
L'hypothèse centrale selon laquelle l'acceptation de la recommandation du message se
produit quand la peur est réduite n'a pas reçu de confirmations probantes (Rogers,
1983). Mewborn et Roger (1979) ont montré que ce n'était pas la réduction du drive qui
agissait sur l'intention de se conformer au nom au message mais au contraire son
déclenchement.
Gravité de la
menace
Vulnérabilité
perçue
Les intentions
Efficacité du Comportements
comportementales
comportement
Auto-efficacité
faite à la théorie des réponses parallèles. Il précise les conditions qui déclenchent un
processus plutôt qu'un autre.
Ce modèle est structuré autour de deux concepts, la menace et l'efficacité perçue :
1 / La menace perçue. Imaginez que vous fumiez deux paquets de cigarettes par
jour, on vous dit que fumer provoque le cancer et qu'un chewing-gum à la nicotine
vous aidera à vous arrêter. La menace perçue réfère au fait que vous percevez le dan-
ger. Or, vous ne percevez le danger que si : a) vous êtes sensible à la menace et b) que
la menace est sérieuse. Si vous pensez que la probabilité d'avoir un cancer est élevée
(vulnérabilité perçue) et que c'est une maladie grave (gravité perçue), la menace perçue est
élevée.
2 / L'efficacité perçue. Elle fait référence la perception qu'a la personne de la
recommandation qui accompagne l'appel à la peur. L'efficacité perçue repose sur deux élé-
ments, l'auto-efficacité et l'efficacité de la réponse : a) la perception de l'auto-efficacité
renvoie à la croyance que vous avez à propos de votre capacité à suivre la recommanda-
tion (je suis capable de mâcher du chewing-gum) et b) la perception de l'efficacité de la
réponse renvoie aux croyances que vous avez quant à l'efficacité de la recommandation.
Le Modèle étendu des processus parallèles suggère que les sujets soumis à l'appel à
la peur ont deux façons de l'évaluer et trois façons d'y faire face (cf. fig. 2).
TRAITEMENT DU RÉSULTAT
CONTENU DE LA Acceptation
COMMUNICATION du message
MISE EN SCENE
DISCURSIVE DE LA Évaluation de y
I
STRATEGIE
l'efficacité perçue :
PERSUASIVE Contrôle
• Auto-efficacité du danger
o Gravité • Efficacité des
o Efficacité des recommandations
I
recommandations Contrôle
o Vulnérabilité de la peur
Évaluation de la
o Auto-efficacité
menace perçue
• Gravité — 41> Refus du
message
• Vulnérabilité
En premier, on évalue la menace. Plus la menace perçue est grande plus la moti-
vation à agir est importante. Si aucune menace n'est perçue, aucune action n'a lieu :
l'appel à la peur est complètement ignoré et la recommandation n'est même pas
évaluée. Si la menace perçue est importante et prise très au sérieux, on procède à une
deuxième évaluation au cours de laquelle seront évaluées l'auto-efficacité et l'efficacité de la
164 I Psychologie sociale
réponse. C'est cette deuxième évaluation qui détermine le type d'action à entreprendre.
Si on pense qu'on est capable d'agir pour prévenir la menace alors on sera motivé pour
contrôler le processus de danger et on adoptera les attitudes, intentions ou changements
comportementaux appropriés. Dans l'exemple utilisé, on choisira de mâcher du che-
wing-gum à la nicotine. Mais si on doute de notre capacité à suivre efficacement la
recommandation ou ne croit pas en son efficacité, on ne cherchera plus à essayer de
contrôler le danger mais de contrôler sa peur. Cette motivation à contrôler sa peur se manifes-
tera par une résistance inadaptée parce qu'elle repose sur un mécanisme de défense
d'évitement (inhiber toute pensée à propos de la menace), de déni ou encore de réac-
tance'. Il est important de faire la distinction entre l'absence d'effet, qui est dû à
l'absence d'une menace perçue et les effets du contrôle de la peur provoqués simultané-
ment par la perception d'une menace importante et d'une faible efficacité. Dans
les deux cas cela aboutit à un rejet des recommandations de l'appel à la peur. Cepen-
dant, les stratégies à appliquer sont différentes. Dans le premier cas, il s'agira
d'intensifier l'appel à la peur, dans le second de mettre l'accent sur l'efficacité de la
recommandation.
Witte et Allen (2000) ont évalué le modèle au moyen d'une méta-analyse. Cette
analyse montre que quoique les menaces soient nécessaires à la motivation, une trop
forte intensité peut engendrer un niveau de peur insurmontable et pousser les gens à
consacrer beaucoup d'énergie à l'éviter en la rationalisant. Plutôt que d'entreprendre
une action pour éviter le danger (je vais cesser de fumer sur les recommandations du médecin) ils
sont enclins à produire des pensées mal adaptées pour maîtriseer la peur : ce n'est pas
parce que je vais fumer quelques années de yes que je vais attraper le cancer. Il est donc crucial
que la menace ne soit pas employée seule. Pour que la stratégie persuasive ait des chan-
ces de réussir, susciter la peur ne suffit pas. Après qu'on a clairement communiqué à la
personne le fait que ne pas suivre les recommandations entraîne des conséquences
sérieuses pour la santé et accroît les risques d'en être la victime, il faut la convaincre
par une stratégie discursive adaptée que les comportements demandés réduiront la
menace et surtout qu'elle sera capable de les mettre en oeuvre.
Ce qui fait défaut aux deux modèles précédents est le concept de croyances nor-
matives. Une croyance normative est une croyance que possède un individu à propos
de ce que pensent les gens sur ce que l'on doit faire ou ne pas faire. L'importance du
rôle joué par ce type de croyance avait déjà été soulignée dans les années 1960 dans les
théories des processus d'influence (Kelman, 1961) et du pouvoir (French et Raven,
1. Lorsqu'une personne a le sentiment que sa liberté d'action ou de pensée est menacée, elle éprouve un état
mental déplaisant appelé réactance. Cet état mental la motive à défendre ou à restaurer sa liberté
menacée. La réactance peut pousser une personne à adopter ou renforcer son opinion ou attitude dans le
sens opposé à ce qui était attendu et donc opposer une résistance à la persuasion.
Communication et influence I 165
1959) à savoir que les gens que nous connaissons servent de cadre de référence à nos
comportements. La soumission peut résulter de l'identification à la source et du désir de
lui plaire. Que les croyances sociales normatives influencent le fait de se conformer par
un besoin inné d'approbation sociale ou par un besoin de satisfaire une relation avec
autrui est un fait dont les deux auteurs, Ajzen et Fishbein (1980), n'ont pas sous-estimé
l'importance. C'est ce qui les a conduit à développer les deux modèles, la Théorie de
l'action raisonnée et la Théorie du comportement planifié.
Dans les deux modèles, les auteurs développent l'idée selon laquelle a) l'intention
comportementale a un effet direct sur les comportements ; b) qu'elle dépend de
l'attitude du sujet envers le comportement et les normes subjectives existantes à propos de ce
comportement. L'attitude à l'égard du comportement dépend quant à elle des conséquen-
ces personnelles anticipées du comportement effectué — en termes de coût et de béné-
fices — et de la valeur affective attribuée à ces conséquences. Donc, les conséquences per-
sonnelles englobent les notions de bénéfices, d'obstacles, d'efficacité de réponse, et de
rigueur abordées dans les deux théories précédentes.
La Théorie du comportement planifié constitue un développement de la théorie
précédente en affirmant que l'intention comportementale est fonction du contrôle
exercé sur le comportement en plus de l'attitude à l'égard du comportement et les nor-
mes subjectives. Cette modification s'est avérée nécessaire afin que la théorie puisse
s'appliquer aux situations dans lesquelles le comportement en question n'est pas sous
contrôle volontaire du sujet (Ajzen, 1988). Par exemple, il est clair que si l'utilisation
des protections contre les maladies sexuelles dépend de l'attitude à l'égard de ce com-
portement de protection et des croyances normatives, elle dépend aussi des comporte-
ments du partenaire. Selon la Théorie du comportement planifié, l'auto-efficacité
(c'est-à-dire le contrôle du comportement) a une influence directe à la fois sur l'in-
tention comportementale et le comportement lui-même. Un individu qui possède des
attitudes pertinentes et des croyances normatives peut très bien ne pas produire le
comportement qui en découlerait à cause justement de ce manque de contrôle
(auto-efficacité faible). C'est la combinaison du contrôle perçu du comportement (auto-
efficacité) et l'intention comportementale qui permet de prédire la réussite du compor-
tement. Par exemple, imaginons le cas où deux personnes ayant la même intention
d'apprendre à faire du golfe commencent ensemble cet apprentissage. La personne qui
aura l'impression qu'elle pourra maîtriser cette activité a plus de chance de persévérer
que la personne qui doute de ses capacités.
Les deux théories se sont avérées efficaces à expliquer et prédire une variété de
comportements en relation avec la santé. Par exemple, chez les adolescents, les croyan-
ces normatives concernant l'utilisation de la drogue chez les camarades de classe consti-
tuent la classe de prédicteurs la plus efficace de l'utilisation d'une substance. Le méde-
cin est aussi un référent important. Les études ont montré que ses recommandations
sont parmi les facteurs les plus influents de la décision des patients de prendre des pré-
cautions. C'est pourquoi son comportement verbal et/ou non verbal joue un rôle
important sur l'intention comportementale du patient, car il communique son approba-
tion ou sa désapprobation concernant ses agissements, et donc influence ses comporte-
ments futurs.
166 I Psychologie sociale
Cette théorie (Burgoon et Miller, 1985) est fondée sur un postulat simple. Le lan-
gage est un système gouverné par des règles au moyen duquel les gens construisent des
attentes concernant la manière dont le langage et les stratégies langagières sont utilisées
dans des situation de persuasion. On peut trouver les prémices de cette idée dans un
article de Brook publié en 1970. Dans cet article, Brook développait la conception selon
laquelle les stéréotypes marquaient les discours sociaux comme n'importe quel autre fait
social. Dans le cas où un discours ou une parole publique d'un acteur social entre en
contradiction avec le contenu du stéréotype attaché à sa personne, le contraste produit
avec les attentes de l'auditeur aura un effet sur la perception du locuteur. Par exemple, si
un homme connu pour sa violence et sa brutalité tient un discours empreint de respect et
de courtoisie, il sera perçu par contraste comme plus respectueux courtois et donc plus
crédible qu'il ne l'est en réalité par l'auditeur qui s'attend à des comportements violents.
La raison tient au fait qu'une personne peut être perçue comme plus ou moins crédible,
non pas en vertu de son comportement intrinsèquement persuasif mais parce que son
comportement contraste avec les attentes stéréotypées qu'ont les gens à son égard.
Burgoon, à la lecture de cet article, en vint à s'interroger sur la nature et le contenu de
ces attentes. Il se demanda, notamment, si ces attentes ne concernaient pas la manière
dont on anticipait la façon dont les gens sont censés user du langage en fonction non seu-
lement de leur personnalité mais aussi de la culture à laquelle ils appartiennent. Mais, s'il
existe vraiment des attentes concernant un usage différencié du langage, de quel type
d'usage parle-t-on et ensuite de quoi dépendent ces attentes ? Du genre de la personne ?
De son statut socio-économique ? De son degré de crédibilité ?
Nous apprenons, dès notre plus jeune, âge que le langage peut exprimer des choses
avec une plus ou moins grande intensité. La notion d'intensité à propos du langage fait
référence à la façon dont son usage s'écarte plus ou moins de ce que l'on pourrait appeler
une neutralité affective : l'intensité du substantif haine est plus forte que celui
d'antipathie ou d'aversion, de l'adjectif terrifié que craintif, du verbe frapper que cogner
et ainsi de suite. Un certain nombre de recherches ont montré que des messages à visée
persuasive étaient plus efficaces lorsqu'on utilisait des termes de forte intensité plutôt que
le contraire (Bradac et al., 1979). Cependant, on a aussi montré que cet effet pouvait
dépendre de la position défendue par la source du message. Lorsque la source du mes-
sage défend une position qui a les faveurs de l'audience, un langage de forte intensité
accroît la crédibilité et favorise l'acceptation du message. À l'inverse, lorsque la source
défend une position contraire à celle de l'audience, elle accroît plutôt la résistance.
b. Validation empirique
Plusieurs recherches vont affiner cette conception. Burgoon et Chase (1973) par
exemple utilisent deux messages séparés par un intervalle de cinq semaines dont ils font
varier l'intensité du langage'. Ils font l'hypothèse : a) qu'ayant lu le premier message les
sujets s'attendent à ce que le second soit de même intensité ; b) qu'ils seront davantage
persuadés si l'intensité (plus forte ou plus faible) du deuxième message ne correspond
pas à leur attente. Les résultats confirment ces prédictions. Il en va de même pour ceux
qui ont eu un premier message d'intensité modérée ou faible suivi d'un message de
forte intensité. McPeek et Edwards (1973) de leur côté, testent l'efficacité d'un message
contre l'usage de la marijuana selon les caractéristiques de la source et des attentes qui
en découlent en fonction des normes culturelles partagées par les sujets. Les auteurs
font l'hypothèse que si un hippie et un prêtre tiennent un discours contre l'utilisation la
marijuana, seul le premier aura un comportement langagier inattendu : il sera plus cré-
dible et plus persuasif. À l'inverse, si les deux tiennent des propos favorables à son utilisa-
tion, c'est le prêtre qui sera le plus crédible selon le même principe. Les résultats confir-
ment partiellement cette hypothèse. Elle n'est vérifiée que dans le cas du hippie et non
dans celui du séminariste. Cependant, quelle que soit la source, il apparaît que si elle
tient des propos qui violent l'attente des sujets, elle est perçue comme plus honnête et
sincère.
Enfin, Burgoon et al. (1975) initient une série de recherches visant à montrer que
dans certains contextes, des messages à visées persuasives peuvent conduire les gens à
anticiper des degrés variables d'intensité du langage en fonction de normes culturelles
et de stéréotypes existants. Afin de vérifier cette idée, les auteurs construisent deux mes-
sages en faveur d'une condition particulière d'entrée à l'université adressés à des étu-
diants. Les deux messages sont identiques hormis le fait que certains verbes utilisés sont
de forte ou de faible intensité. La clef de cette expérience repose sur les attentes cultu-
relles attachées à la source du message selon que l'on est un homme ou une femme.
Pour justifier leurs hypothèses, ils écrivent (p. 245) : « Bem et Bem suggèrent (1970) que
le processus de socialisation [...] a programmé les femmes de sorte qu'elles soient plus
complémentaires qu'indépendantes, plus soumises que dominatrices, ayant l'esprit
tourné plus vers la famille que les affaires ou que la science, que les hommes [...]. Si ces
stéréotypes sont corrects, alors on peut s'attendre à ce que certains comportements
communicatifs des femmes soient différents des hommes. » Le fait qu'une femme
encode sa pensée à l'aide de mots intenses produira un effet boomerang parce qu' « elle
prend de façon non conventionnelle et inattendue une position forte. Un homme qui
utilise un langage de faible intensité, alors que l'on attend le contraire, aura de fortes
chances d'être moins efficace » (ibid., 245). Cette recherche tire son importance du fait
que les attentes ne sont pas créées par l'expérimentateur mais par la société elle-même.
Les hypothèses sont vérifiées. Lorsque la source du message est une femme, l'utilisation
1. En faisant varier les adverbes comme par exemple, quelques fois vs toujours, un nombre important de crimes
vs astronomique; ou les verbes, l'addiction entraîne vs contraint.
168 I Psychologie sociale
d'un langage ayant un niveau d'intensité faible est plus efficace qu'un niveau d'intensité
fort. La source masculine est plus efficace avec un niveau d'intensité fort que faible.
L'ensemble de ces résultats suggère que souvent nous évaluons ou réévaluons les
propos de quelqu'un selon que ce qu'il dit confirme ou viole nos attentes le concernant.
a. Présentation générale
Selon Aristote, persuader autrui nécessite de prendre en compte les facteurs liés à
la source (ethos), au message (logos) et à l'émotion suscitée chez l'audience (pathos). Ce
sont ces idées qui ont structuré les premiers travaux expérimentaux initiés par Hovland
et ses collaborateurs dans les années 1950. Ces premières recherches reposaient sur une
conception relativement étroite du rôle des variables dans le processus de persuasion.
Selon cette conception, le rôle d'une variable ne se résumait qu'à un seul et unique
effet — elle facilitait ou non l'impact persuasif — et cet effet n'impliquait qu'un seul
mécanisme cognitif. Cette conception a participé largement au développement des
recherches mais s'est trouvée démunie pour expliquer les résultats contradictoires de
plus en plus nombreux. D'autant que l'on n'a cessé de montrer que presque toutes les
variables étudiées étaient susceptibles d'influencer les attitudes dans un sens ou dans un
autre selon les contextes situationnels et selon des mécanismes différents. La théorie de
Petty et Cacioppo (1986) constitue une des premières tentatives pour unifier ces résul-
tats contradictoires dans un même système explicatif Le point central de la théorie est
l'affirmation selon laquelle il existerait un continuum d'élaboration reposant sur la
capacité et la motivation de l'individu à réfléchir au contenu de la communication per-
suasive et à l'évaluer dans le contexte de la tentative d'influence. Ce continuum
d'élaboration serait borné à une extrémité par l'absence totale de pensées à propos de
l'information disponible dans la situation de persuasion et à l'extrémité opposée, une
élaboration complète de cette information. Lorsque le sujet est à la fois motivé et
capable de réfléchir, il est enclin à examiner attentivement toutes les informations
découlant du message, de la source, du contexte, de ce qu'il ressent, afin de se faire une
opinion la plus juste. On dit qu'il emprunte la voie centrale. Par contre, s'il est peu motivé
(son intérêt est faible) ou si ses capacités cognitives sont perturbées (si son attention est
distraite) le changement d'attitude peut découler de l'activation de mécanismes cognitifs
peu coûteux ; il n'accordera de l'importance qu'à des indices sans rapport avec le
contenu du message. On dit qu'il emprunte la voie périphérique. Ce qu'il faut com-
prendre, c'est que ces deux voies ne sont pas parallèles mais sur un même continuum.
b. Traitement central
Lorsqu'un procès cognitif de traitement central est mis en oeuvre, l'individu foca-
lise toute son attention et ses ressources cognitives sur le traitement du contenu de la
SUJET
Objet de la
4•1 CONTENU
•
communication
Arguments
••
forts
Motivation Traitement
Arguments
I mplication central
faibles
Pensées
Résistance Défavorables
Persuasion Favorables j
Greenwald (1968) fut le premier à rendre compte de façon explicite du rôle joué
par de telles réponses internes. Pour cela, il demanda aux sujets d'inscrire toutes les
pensées qui leur étaient venues à l'esprit sur une feuille de papier pendant l'écoute de la
communication. Ces pensées étaient ensuite classées, par le sujet lui-même ou un juge
indépendant, en trois catégories : pensées favorables ou défavorables ou neutre. Les
résultats montrèrent que ces réponses déterminaient la nature des modifications des
attitudes et de leur contenu cognitif :
— l'efficacité du message est d'autant plus importante que le message incite le sujet à
élaborer des pensées et/ou arguments favorables ;
— plus ces pensées sont nombreuses plus le changement d'attitude sera important ;
— plus le sujet élabore des pensées défavorables plus la résistance sera grande.
Selon Petty et al. (1976) la distraction aurait un effet bien plus spécifique : elle
n'inhiberait que les réponses cognitives dominantes suscitées par le contenu du message. Elle
augmenterait donc la résistance à la persuasion dans le cas où le message entraînerait
naturellement des pensées favorables de la part du sujet et augmenterait l'efficacité de
la persuasion dans le cas inverse. Les auteurs vérifient cette hypothèse : lorsqu'on admi-
nistre aux sujets un message contenant des arguments faibles et/ou non pertinents, donc
des messages censés provoquer la production prédominante de pensées défavorables,
une forte distraction a pour effet d'inhiber ces réponses et, conséquemment,
d'augmenter l'efficacité persuasive du message. À l'opposé, quand on administre aux
sujets un message avec des arguments forts, donc censé provoquer des réponses domi-
nantes favorables, une forte distraction inhibe la production de ces réponses et, consé-
quemment, diminue l'efficacité du message (cf. fig. 4).
DISTRACTION
Inhibe
—
}11›
Arguments forts -=--+ Réponses cognitives favorables Persuasion
On doit insister sur le fait que si ces réponses cognitives médiatisent l'impact de la
communication sur les attitudes, deux conditions au moins doivent être remplies pour
que le sujet s'engage dans ce processus de traitement central :
— qu'il soit motivé et
— qu'il ait les capacités cognitives suffisantes pour traiter le contenu de la commu-
nication.
c. Le traitement périphérique
On remarquera que la première requête n'est suivie d'aucune justification, que les
requêtes 2 et 3 sont toutes deux suivies d'une justification pertinente pour la première,
et non pertinente pour la seconde. Les résultats montrent que lorsque la requête était :
— peu coûteuse (5 photocopies) : a) les requêtes 2 et 3 produisaient autant d'acceptation
(93 ()/0) ; b) ces deux requêtes étaient plus efficaces que la première sans justification.
— coûteuse (20 photocopies) seule la requête avec justification pertinente (2) était
efficace.
Ces résultats peuvent s'expliquer par le fait que, dans le cours normal de la vie
sociale, nous décryptons, en général, les situations sociales en vérifiant que le cours
des choses est conforme à ce qu'il doit être, c'est-à-dire que les événements se dérou-
lent selon le scénario dons nous avons l'habitude. Dans la situation que nous venons
de décrire, le script que les sujets ont dans la tête est simple : une requête implique
normativement une demande ET une justification. Lorsque la requête n'est pas très
importante, les sujets vont s'assurer que le déroulement du script est respecté du
point de vue de la forme, sans se préoccuper du contenu. C'est pourquoi, dans la
requête (3), bien que la justification avancée (je dois faire des photocopies) ne soit pas
valide, sa forme syntaxique obéissant au script habituel d'une requête suffit à satis-
faire les sujets. Ce fonctionnement cognitif n'est pas aberrant : le sujet se contente de
vérifier que certaines règles de succession d'événements sous-tendus par les scripts
sont respectées. Il évite ainsi tout recours, lorsque cela n'est pas nécessaire, à des acti-
vités cognitives plus complexes et, plus particulièrement, à toute activité d'inférence
coûteuse en énergie cognitive. Par contre, dans le cas de la requête coûteuse, le sujet
ne se satisfait pas d'un examen superficiel de la communication visant à valider la
bonne forme du script, il active, au contraire, un processus de traitement central du
contenu.
Lorsque le sujet n'est pas motivé à activer un traitement central, il dispose d'autres
indices que le contenu lui-même pour décider s'il accepte ou non le message. Ces indi-
ces périphériques, sorte de raccourcis mentaux, sont nombreux. Par exemple, si la
source d'un message est un top modèle, son physique attractif peut constituer un indice
périphérique pour le sujet et le conduire à penser : elle (il) est vraiment belle (beau), je pense
172 I Psychologie sociale
que je devrais être d'accord avec elle (lui). De même, si un message contient de nombreux
arguments, cet indice périphérique peut conduire le sujet à penser qu'un tel message est
probablement très sérieux. Tout se passe comme si le sujet utilisait une règle selon
laquelle, toute chose étant égale par ailleurs, un message utilisant beaucoup
d'arguments a plus de chance d'être vrai que celui qui en utilise peu. On le voit, nous
pouvons selon les situations évaluer la validité d'un message persuasif en appliquant de
simples règles pragmatiques (ou heuristiques), sans tenir compte du contenu sémantique
pour évaluer la validité d'une information. De telles règles découlent directement d'une
base de connaissances acquises à travers des nombreuses interactions qui constituent la
vie sociale de tout individu. Pour mémoire, on pourra donner quelques exemples de
règles heuristiques :
les experts ne mentent pas et disent la vérité ;
— la majorité a souvent raison ;
— les gens beaux sont généralement bons ;
quelqu'un de sincère dit la vérité ;
— en général je suis d'accord avec les gens que j'aime ;
— je crois à ce que disent les gens en qui j'ai confiance ;
les statistiques ne mentent pas ;
— un long message est plus valide qu'un message court ;
— un message qui tient compte des arguments adverses est plus objectif qu'un message
monolithique.
Enfin, on doit noter que selon que les attitudes se forment à la suite d'un traite-
ment de l'information central ou périphérique elles acquièrent des propriétés diffé-
rentes. Dans le premier cas elles sont plus stables dans le temps, plus prédictibles des
comportements et manifestent une plus grande résistante aux tentatives de changement
que celles construites à partir du traitement périphérique.
Communication et influence I 173
D - COMMUNICATION ET RÉSISTANCE
Dans certains cas le but de la communication ne consiste pas à vaincre les résis-
tances au changement mais au contraire à créer des attitudes susceptibles de résister à
une éventuelle tentative de changement.
I - La théorie de l'inoculation
a. Introduction
L'origine de cette théorie est double. Elle repose, d'une part, sur les résultats obte-
nus par Lumsdaine et Janis (1953) dans une expérience dont l'objectif était de compa-
rer l'efficacité relative de deux stratégies discursives, unilatérale — ne contenant que des
arguments en faveur de la position défendue — et bilatérale, contenant ces mêmes argu-
ments auxquels s'ajoutaient des arguments opposés avec leur réfutation. Une semaine
après avoir écouté un premier message unilatéral ou bilatéral, la moitié des sujets de
chacun des groupes était la cible d'une attaque persuasive constituée d'un discours
opposé au premier, et réfutant chacun des points principaux. Les résultats mettaient en
évidence que le discours bilatéral augmentait la résistance des sujets à l'attaque persua-
sive ultérieure. Pour les auteurs cette résistance ne pouvait s'expliquer que parce qu'ils
avaient été protégés par une sorte d'inoculation. D'autre part, il faut rappeler qu'à cette
époque une guerre opposait les États-Unis à la Corée et qu'un fait marquant inquiétait
fortement les membres du gouvernement. Une fois fait prisonniers, les soldats oppo-
saient une faible résistance idéologique à la propagande ennemie. Pourquoi ? Une pre-
mière réponse fut de dire que la facilité avec laquelle les soldats avaient été endoctrinés
tenait au fait qu'ils avaient reçu une préparation idéologique insuffisante Par consé-
quent, pour y remédier, pensait-on, il suffisait de revoir le contenu de l'instruction
civique donnée au soldat avant de partir au front et de leur faire subir un endoctrine-
ment adéquat.
b. Le concept d'inoculation
McGuire (1962) proposa une autre explication. La vulnérabilité des croyances des
soldats faits prisonniers concernant des valeurs telles que la démocratie, la liberté, le capi-
talisme s'expliquait par le fait qu'elles étaient des truismes culturels'. Il se trouve que les
1. Un truisme est une croyance qui — dans une culture, un environnement social donné — n'a pratiquement
jamais été attaquée. Cette croyance est alors admise de façon si unanime qu'il est peu probable que les
gens s'attendent à la voir remise en cause. Et si elle est fragile, c'est justement parce que les gens la croient
indiscutable. De plus, étant partagée de façon majoritaire, peu de gens ont eu l'occasion d'avoir à la
défendre faute d'attaques, d'autant que personne n'est motivé à rechercher de lui-même ce qui pourrait
remettre en cause sa croyance.
174 I Psychologie sociale
attitudes à l'égard de ces valeurs sont surprotégées, car rarement attaquées. C'est la rai-
son pour laquelle, McGuire pensa qu'il était plus efficace pour immuniser les croyances,
de présenter les arguments de l'ennemi plutôt que d'utiliser uniquement des arguments
pro-américains. Cette analyse repose sur une analogie prise dans le domaine de la santé.
Il y a deux façons de renforcer la résistance d'un organisme à l'attaque d'un virus. On
peut utiliser une thérapie de soutien qui consiste à prescrire une alimentation saine, des
exercices physiques pour maintenir la forme, et pourquoi pas des vitamines. Mais on
peut aussi, pour le protéger, stimuler ses défenses contre l'attaque ultérieure du virus en
lui inoculant préalablement une faible dose de ce même virus, dont la virulence aura été
préalablement atténuée. Ainsi, si l'on file la métaphore, on peut dire que de la même
façon qu'il est possible de stimuler les défenses de l'organisme contre l'attaque ultérieure d'un
virus en le lui inoculant préalablement sous une forme atténuée, il est possible de stimuler
les défenses attitudinelles de l'organisme en lui inoculant une forme atténuée des arguments
contre-attitudinels (le virus) qu'il est susceptible de rencontrer dans le futur. De même,
concernant la thérapie de soutien, on peut de façon analogique donner à l'individu des
arguments (vitamines) en faveur de la croyance afin de mieux résister à la contre-
propagande. Si cette analogie biologique est appropriée au champ de la persuasion, on
peut alors faire l'hypothèse que la défense par inoculation devrait constituer une stratégie
plus efficace à instaurer une résistance à la persuasion qu'une stratégie dite de soutien.
Pour valider cette conception, McGuire conduisit une série d'expérimentations cons-
truites sur un même paradigme expérimental. Ce paradigme comprend toujours, une
première phase préparatoire au cours de laquelle on présente au sujet, soit des arguments
qui renforcent le truisme, c'est la défense par soutien ; soit des arguments opposés au truisme
suivis de leur réfutation, c'est la défense par rotation. Cette phase est censée permettre au
sujet de mettre en place des défenses cognitives. Puis, à l'issue d'un intervalle de temps
variable selon les expériences, suit une deuxième phase dite phase d'attaque : la croyance
est alors soumise à une attaque en règle. Un questionnaire d'opinion administré à la fin
de la deuxième phase permet de mesurer le changement intervenu. Afin de comparer
l'efficacité relative de ces deux types de défense (soutien vs réfutation). McGuire et Papa-
georgis (1961) font écouter à tous les sujets quatre truismes du genre : chacun devrait se laver
les dents après chaque repas si cela était possible. Sur les quatre truismes, deux ont servi de con-
trôle : l'un n'a été ni défendu ni attaqué, l'autre attaqué mais non défendu. Le troisième
recevait une défense par soutien. Les sujets lisaient un texte comprenant des arguments
du genre : se laver les dents améliore leur aspect et élimine les bactéries responsables des caries. Enfin,
le quatrième, recevait une défense par réfutation. Les sujets lisaient un texte contenant
des arguments faibles contre le truisme suivi d'autres réfutant les premiers. Deux jours
plus tard les trois truismes (celui qui n'est pas défendu' et les deux autres défendus par
soutien et par réfittation) font l'objet d'une attaque persuasive. Les résultats mettent en évi-
dence : a) qu'une défense par soutien ou par réfutation est plus efficace que pas de
défense du tout et b) qu'une défense par réfutation est plus efficace qu'une défense par
soutien.
1. Mais attaqué.
Communication et influence I 175
McGuire (1962) fait l'hypothèse que le fait de voir sa croyance menacée joue un
rôle capital dans l'émergence de la résistance. L'existence d'arguments contre-attitudinels
dans la défense par réfutation constitue un véritable choc pour le sujet, elle lui fait
prendre conscience de la vulnérabilité de sa croyance. Cette prise de conscience le motive
alors à construire des défenses cognitives l'immunisant ensuite contre l'attaque persua-
sive. Mais qu'en est-il si l'attaque persuasive utilise des arguments différents de ceux utili-
sés dans la défense par réfutation ? Pour que l'inoculation soit vraiment efficace, il fau-
drait faire l'hypothèse que l'accroissement de la résistance à la persuasion soit
indépendant du type de réfutation utilisé. Pour le vérifier, McGuire (1962) utilise deux
sortes d'attaque, l'une qui utilise des arguments semblables à ceux utilisés dans la défense
et l'autre, des arguments totalement nouveaux. Les résultats confirment l'hypothèse. La
défense par réfutation immunise les sujets quelle que soit l'attaque utilisée. Il en conclut
que c'est la menace intrinsèque, attachée au contenu des arguments, qui constitue le vrai
catalyseur de la résistance à la persuasion. Les résultats de l'expérience de McGuire et
Papageorgis (1961) modulent cependant cette affirmation. La mise en évidence du rôle
essentiel de la menace pour les croyances ne constitue qu'une moitié d'explication de
l'effet de l'inoculation. Il reste à comprendre encore la nature des mécanismes qu'elle
déclenche. L'effet de l'inoculation repose sur un mécanisme à double détente. La menace
implicite contenue dans la défense par réfutation crée la motivation à protéger ses
croyances qui à son tour pousse le sujet à engranger les processus cognitifs nécessaires
pour l'immuniser contre l'attaque. En effet, le contenu de la défense par réfutation, qui
constitue une contre-argumentation explicite, fournit au sujet non seulement des argu-
ments susceptibles de renforcer son attitude, mais aussi un guide, une sorte de script utile
pour produire lui-même ses propres arguments. C'est bien parce que le sujet est motivé à
élaborer ses propres défenses cognitives sur la base du contenu et du modèle de contre-
argumentation qui lui sont proposés dans la phase de protection qu'il est capable de
résister à des attaques moins spécifiques et non prévues.
Il faut noter que les premiers travaux sur l'inoculation se limitaient aux seules
croyances qui étaient des truismes culturels, c'est-à-dire, si l'on conserve la métaphore
biologique, qui n'avaient jamais été contaminées par des attaques persuasives. Pendant
un temps on a cru que son champ d'application se restreignait aux seules croyances
non controversées. Depuis on a montré de façon systématique que l'inoculation pouvait
conférer une résistance à tout un ensemble de croyances qu'elles soient ou non contro-
versées (Pfau, 1997).
d. Recherches récentes
Modalité de la communication
Jusque dans les années 1990, toutes les recherches dans le cadre de la théorie de
l'inoculation ont utilisé un support papier partant du principe que le médium avait peu
d'effet sur le contenu. Ce n'est que récemment que l'on a commencé à envisager le
176 I Psychologie sociale
problème d'une autre façon et à utiliser d'autres supports, notamment la vidéo. Holbert
et Stephenson (2003) ont étudié l'efficacité relative de deux supports écrit/vidéo sur le
processus de résistance. De nombreuses recherches avaient montré que les communica-
tions écrites déclenchaient plus facilement des traitements actifs de l'information que ne
le faisait la vidéo considérée comme un médium passif (Chaiken et Eagly, 1983 ; Petty
et Cacioppo, 1986). À partir de ces résultats, on peut avancer l'hypothèse que le traite-
ment de l'inoculation administré par écrit devrait déclencher des processus cognitifs plus
actifs que celui administré par vidéo, donc produire plus de contre-arguments, et donc in
fine conférer une résistance plus importante. Contrairement aux prédictions,
l'inoculation par vidéo est aussi efficace que celle par écrit et produit plus de contre-
arguments. Mais le plus intéressant, c'est que les processus responsables de la résistance
sont différents selon la modalité utilisée. Le traitement par écrit nécessite plusieurs jours
pour qu'il soit efficace et se dilue dans le temps alors que l'efficacité du traitement
vidéo est immédiate et durable, et dépend plus des caractéristiques de la source que du
contenu de la communication.
Le rôle de l'émotion
L'implication
Savoir que quelqu'un va vous demander quelque chose ou tenter de vous influen-
cer est en général utile pour préparer sa réponse et résister si cela était nécessaire à la
requête ou à la tentative d'influence. Ce phénomène de résistance consécutif à une
mise en garde s'inscrit dans une longue lignée de recherches mais aussi de pratiques
empiriques. N'oublions pas que l'objectif principal des campagnes d'information sur la
santé consiste à mettre en garde les gens contre certains risques, afin de les motiver à se
protéger en évitant des comportements risqués pour leur santé.
L'avertissement, en mettant la personne sur la défensive, peut avoir une variété
d'effets sur ses pensées à propos de l'attitude et du comportement dont elle anticipe la
sollicitation. On peut prêter attention à toute information cohérente avec son attitude,
encoder de façon sélective ou récupérer des informations pertinentes, contre-argumenter
le contenu du message anticipé (si l'objet de l'attaque est connu) et renforcer ses attitudes
et croyances existantes (Eagly, Chen et al., 1999). Une autre forme de résistance peut
émerger quand l'avertissement induit une réactance' parce qu'il nous apparaît comme
limitant notre liberté de maintenir nos attitudes (Brehm, 1966 ; Hass et Grady, 1975). Le
fait que la mise en garde entraîne la résistance au changement est largement attesté par
la synthèse effectuée par Benoit (1998). Quel est le mécanisme responsable de cette résis-
tance ? Pour le mettre en évidence de nombreuses recherches ont, pendant le délai qui
sépare la mise en garde de la délivrance du message, demander aux sujets d'exécuter des
tâches mobilisant leurs ressources cognitives (résolution de problèmes mathématiques ou
verbaux). Cette méthodologie a permis de montrer que la résistance consécutive à la
mise en garde était bien le résultat d'un processus cognitif d'élaboration de pensées activé
1. Selon la théorie de la réactance (Brehm, 1966), les gens détestent voir leur liberté menacée et préfèrent
dans un contexte d'influence défendre leur position ou prendre une position contraire.
178 I Psychologie sociale
Nous aimerions revenir sur un point déjà évoqué en introduction. Dans les expé-
riences sur le changement d'attitude, la persuasion aussi bien que la résistance est
mesurée en fonction du changement d'attitude. C'est-à-dire, qu'elles sont estimées en
mesurant sur une échelle l'écart existant entre la position initiale du sujet et la position
finale consécutive à l'attaque persuasive. C'est donc la quantité de changement mesurée
qui sert d'indicateur de l'efficacité de la tentative de persuasion. Cela étant établi, une
question se pose. À partir de quand un écart observé traduit un changement d'attitude
ou une résistance au changement ? Avant de répondre, il nous faut préciser un point.
On distingue deux types de changement d'attitudes selon la nature de la modifica-
tion observée sur l'échelle de mesure : un changement congruent et incongruent. Le
changement d'attitude congruent est un changement qui maintient la polarité de
l'attitude : l'attitude initiale du sujet est contre (ou pour), son attitude finale devient plus
ou moins contre (ou pour) ; le changement d'attitude incongruent, quant à lui, modifie
la polarité de l'attitude, le sujet initialement contre, devient pour et vice et versa. Dans le
premier cas, on obtient une modification de l'intensité sans changement de polarité
dans le second cas les deux simultanément (cf. fig. 5).
Attitude initiale = AO
Attitude finale = Al Changement congruent
= A -1 Changement incongruent
'1 •
Persuasion Résistance
FIG. 5
1. Il est assez rare que dans une expérience en laboratoire des sujets initialement contre deviennent pour (ou
l'inverse) à moins que leur attitude se situe dans la zone centrale de l'échelle.
180 I Psychologie sociale
constituent les deux versants d'une même réalité. Le fait que le changement d'attitude
puisse se traduire soit comme une quantité de changement ou une quantité de résis-
tance, devrait conduire à se poser des questions conceptuelles de même nature pour les
deux processus. Expliquer pourquoi un sujet résiste à une tentative d'influence n'est pas
simple. Les deux théories qui viennent d'être exposées, mais ce ne sont pas les seules',
envisagent la résistance à la persuasion comme le résultat d'un processus de pensée
dont l'objet consiste à opposer des contre-arguments au message persuasif. Mais, nous
disposons d'autres stratégies pour résister : nous pouvons renforcer notre attitude en
récapitulant toutes les informations que nous avons en mémoire en faveur de notre
position (Zanna et Ross, 1988 ; utiliser des règles heuristiques ad hoc ; dénigrer la
source du message (Zuwerink et Devine, 1966) ou encore élaborer des sentiments néga-
tifs en se mettant, par exemple, en colère. La résistance peut être aussi le résultat de
réponses émotionnelles non contrôlées provoquées par le message fonctionnant comme
un signal négatif de désaccord avec le message. Comprendre les processus qui sous-
tendent les mécanismes de résistance devrait permettre de comprendre comment for-
mer des attitudes plus résistantes dans des domaines où la communication est d'une
importance cruciale comme celui de la santé, de l'éducation, de la religion, de la poli-
tique, de l'éthique Nous le voyons, le mécanisme de résistance implique une variété de
processus cognitifs impliquant plus ou moins des processus de pensée aussi bien que des
réactions émotionnelles. À un niveau général, ces mécanismes ne sont pas seulement
responsables de la résistance au changement mais participent de la même façon au pro-
cessus de persuasion.
LECTURES CONSEILLÉES
1. On a vu également le rôle joué par ce processus de pensée sur l'efficacité de la persuasion dans le cadre de
la théorie du traitement central et périphérique.
10 psychologie sociale des groupes
A - INTRODUCTION
Aussi loin qu'on se rapporte dans l'Histoire et dans la Préhistoire, les êtres humains ont
toujours vécu dans des groupes, afin d'assurer leur survie : la vie en groupe favorisant la
sécurité, la nourriture et la reproduction. L'évolution a d'ailleurs doté les êtres humains
des compétences appropriées à la vie en groupe, comme, par exemple, la reconnais-
sance du congénère que le bébé possède à peine né. Pour l'individu lui-même la vie en
groupe satisfait des besoins fondamentaux. Il y acquiert une identité sociale, source
d'émotions, de sentiments, de représentations, d'attentes et de conduites pour soi et
pour autrui. Les rapports qu'une personne entretient avec elle-même, notamment son
estime de soi, dépendent pour beaucoup de son sentiment d'être acceptée par autrui.
La valeur punitive de l'ostracisme en découle. De plus, autrui lui apporte l'aide néces-
saire à la réalisation d'activités qu'il ne pourrait entreprendre seul. C'est le cas pour
jouer à un sport collectif, ou pour les activités qui nécessitent des compétences qu'il n'a
pas mais que d'autres possèdent, ou encore parce qu'il est malade ou handicapé. Enfin,
en se comparant à autrui, il accède à une compréhension de lui-même, de ses compé-
tences, de ses émotions, de ses sentiments, de ses opinions et de ses conduites, à laquelle
il ne pourrait pas parvenir directement. Bref, l'affiliation à des groupes permet aux per-
sonnes de contrôler leurs propres états mentaux ainsi que leurs états émotionnels.
II - Types de groupes
Ces phénomènes se réalisent dans deux types de groupes que les êtres humains
rencontrent au cours de leur existence : les groupes auxquels ils n'appartiennent pas
et les groupes dont ils sont membres. La relation qu'un individu entretient avec des
182 I Psychologie sociale
groupes auxquels il n'appartient pas relève de ce qu'on appelle les relations intergrou-
pes. Un chapitre entier leur est réservé dans le présent ouvrage et nous n'en traiterons
pas ici, au contraire de la relation qu'un individu entretient avec les groupes dont il est
membre. Néanmoins, nous devons mentionner un type de groupe auquel une personne
peut ne pas appartenir tout en jouant néanmoins pour elle un rôle essentiel. Il s'agit de
son ou de ses groupe(s) de référence. Un groupe de référence d'une personne est un
groupe auquel la personne s'identifie. Les valeurs, les croyances, les attitudes et les
comportements de ce groupe lui servent de critère régulier pour appréhender les autres
et le monde et pour agir dans une situation donnée. La famille, les collègues de travail,
les différentes cliques constituent nos groupes de référence les plus importants. Nous
passons la majeure partie de notre vie dans ces groupes. Nous y naissons. À notre mort,
ils accompagneront nos dépouilles. Entre ces deux bornes, nous aurons appartenu, plus
ou moins fortement, parallèlement et successivement, à des groupes de toutes sortes :
familiaux, occasionnels, permanents, professionnels ; plus ou moins larges ; plus ou
moins structurés ; plus ou moins institutionnels ; plus ou moins imbriqués les uns dans
les autres. Dans certains de ces groupes se tissent des liens d'entraide, d'affectivité et de
sécurité intenses. On les appelle des groupes primaires. La famille, définie comme une
réunion d'individus unis par les liens du sang, vivant sous le même toit ou dans un
même ensemble d'habitations, dans une communauté de services, dans l'infinité de ses
variantes, constitue une seconde matrice, socioculturelle, de l'enfant. C'est le prototype
de ce genre de groupe. Dans d'autres groupes, les liens sont plus ténus, les contacts plus
sporadiques, moins spontanés, régis plutôt par des règles prescrites de l'extérieur. On
les appelle des groupes secondaires. Un service d'hôpital, une association de quartier et
une classe dans une école constituent des groupes secondaires. Groupes primaires et
groupes secondaires constituent, ensemble, nos groupes d'appartenance.
III - Plan
Mais qu'est-ce qu'un groupe ? Comment fonctionne-il ? Quelles sont les propriétés
« molaires » qui émergent de son fonctionnement et que nous expérimentons tous les
jours au travers de ses effets ? Après avoir défini un groupe à partir des trois grands
mécanismes sur lesquels s'accordent la plupart des auteurs, nous montrerons en quoi
un groupe résulte de la dynamique des communications qui s'agencent dans un agrégat
de personnes en produisant de la cohésion et de la performance.
Le mot groupe dans son acception moderne de réunion de personnes n'apparaît que
vers le milieu du xvfne siècle. Son concept est difficile à circonscrire en termes de
conditions nécessaires et suffisantes, la définition d'un groupe en tant qu'entité naturelle
Psychologie sociale des groupes I 183
relevant plutôt d'une logique de la typicalité. C'est pourquoi nous retiendrons une
« définition minimale », celle de Chantal Leclerc, pour qui « un groupe est un champ
psychosocial dynamique constitué d'un ensemble repérable de personnes dont l'unité
résulte d'une certaine communauté du sort collectif et de l'interdépendance des sorts
individuels. Ces personnes, liées volontairement ou non, sont conscientes les unes des
autres, interagissent et s'interinfluencent directement » (1999, p. 30). Tous les auteurs
ont évoqué l'une et/ou l'autre de ces propriétés qui constituent, chacune, une condition
sine qua non de l'existence d'un groupe. Que l'une d'entre elles manque, et l'on se trouve
devant un type de rassemblement humain qui n'est plus un groupe. Ainsi, une caté-
gorie sociale, ensemble constitué par les personnes qui partagent une même caractéris-
tique (la féminité, la citoyenneté française, la couleur de la peau, etc.), ne constitue pas
un groupe, dans la mesure où ces personnes n'interagissent pas directement. De même,
une foule, ensemble de personnes se trouvant dans le même lieu, fût-ce dans un but
identique, par exemple, assister à un concert de rock, ne constitue pas non plus un
groupe, dans la mesure où ces personnes ne sont pas interdépendantes.
a. L'interdépendance
Les membres d'un groupe sont généralement dans une relation d'interdépendance
sociale. On dit que des personnes sont interdépendantes lorsqu'elles sont mutuellement
dépendantes les unes des autres dans l'atteinte d'un but (Homans, 1961 ; Thibaut et
Kelley, 1959). L'interdépendance sociale se distingue de la dépendance et de
l'indépendance sociale. Une personne dépend socialement d'une autre personne quand
ses actions sont affectées par les actions de celle-ci sans que la réciproque soit vraie.
Deux personnes sont socialement indépendantes quand les actions de l'une ne dépen-
dent pas des actions de l'autre et vice versa.
L'interdépendance sociale a plusieurs sources. Pour nous en tenir à l'interdépen-
dance objective, on distinguera (Wageman, 2001) l'interdépendance des entrées (des
moyens, des ressources) et l'interdépendance des sorties ou des résultats (des buts ou de
la tâche, des récompenses). Pour que se crée une relation d'interdépendance, il n'est
pas nécessaire que les agents aient un but commun. Il n'est pas non plus nécessaire
qu'ils soient conscients de ce but. Ce but se réduira parfois simplement pour chaque
membre au fait d'être en groupe. Quelquefois aussi, le groupe fonctionnera unique-
ment pour satisfaire le désir d'un seul de ses membres. La résonance inconsciente
décrite dans les groupes de diagnostic illustre ce cas. La résonance inconsciente
(Anzieu, 1975) est le regroupement des membres d'un groupe autour du fantasme de
l'un de ses participants : « Le discours du groupe peut être entendu comme la mise en
scène et en paroles du fantasme de celui qui en est le "porteur", auquel les autres mem-
bres du groupe — du moins certains d'entre eux — donnent la réplique. Plus précisé-
ment, chacun des protagonistes occupe une des positions individuelles incluses dans le
184 I Psychologie sociale
b. L'interaction
Deux personnes sont dans une relation d'interaction lorsque l'action de l'une
s'accomplit en référence à l'action de l'autre et réciproquement. L'exemple emprunté
à Max Weber (1947, p. 11) par Pierre Bange (1992, p. 104) de deux cyclistes qui ten-
tent d'éviter une collision illustre ce concept d'interaction : « Que se passe-t-il entre les
deux cyclistes, tandis que l'un cherche à éviter l'autre ? Afin de réaliser leur but com-
mun de ne pas entrer en collision, le but immédiat, subordonné, de chacun est de ne
pas aller dans la direction où va l'autre [...]. Du point de vue de A : l'action que doit
exécuter A dépend de l'action qu'il pense que B s'apprête à exécuter, laquelle dépend
à son tour de l'action qu'il (B) pense que A va exécuter. [Il en va de même] du point
de vue de B [...]. Le problème que les deux cyclistes doivent résoudre pour éviter la
collision est un problème de coordination des actions. Toute interaction consiste à
résoudre un problème de coordination [...]. La coordination comporte deux aspects :
la dépendance réciproque des décisions et la convergence d'intérêts que les actions
réciproquement orientées ont pour but de réaliser. » L'élément clé de l'action de A est
donc ce à quoi il s'attend de la part de B et qui constitue la résultante dés hypothèses
que A se fait : 1 / sur la personnalité de B ; 2 / sur son statut et son rôle ; 3 / sur son
savoir encyclopédique ; 4 / sur sa description de la situation actuelle ; 5 / sur son
savoir-faire social et communicationnel ; 6 / et surtout sur les hypothèses que B fait
sur tous ces aspects de A, y compris les hypothèses concernant B. De son côté, B fait
la même chose. Les hypothèses des deux interactants convergent parce qu'elles repo-
sent sur des catégorisations constituant un savoir social mutuel. « On est ainsi conduit
à la conception d'une réciprocité des perspectives des partenaires. Cette réciprocité
des perspectives accompagnée d'une hypothèse de rationalité (c'est-à-dire d'une hypo-
thèse d'appropriation des moyens aux buts) permet à chacun, d'une part, de prévoir
approximativement les actions de l'autre ou des autres et, d'autre part, d'exécuter ses
propres actions sur une base approximativement prévisible par l'autre ou les autres. Si
un acteur social peut faire des hypothèses fondées sur le but du co-acteur, il peut
interpréter ses actes, leur donner un sens. Il peut du même coup prévoir sa propre
action. Il sait ou il suppose que son partenaire sait ou suppose qu'il fera approximati-
vement le même calcul. Voilà ce que signifie se mettre à la place de l'autre » (Bange,
1992, p. 108). Le groupe est ainsi une situation où les gens agissent continûment en se
mettant à la place de l'autre.
Psychologie sociale des groupes I 185
II - L'entitativité
La dynamique des groupes, dont Lewin a été le fondateur (1951), est l'ensemble
des processus qui régissent leur fonctionnement. Ces processus peuvent être décrits à
1. Campbell a montré que les groupes pouvaient se différencier selon qu'ils étaient perçus comme possédant
une entité plus ou moins forte ; d'où le terme, plutôt mal choisi, d'entitativité pour y faire référence.
186 I Psychologie sociale
1. Les principaux systèmes auxquels appartiennent les comportements (potentiellement) communicatifs sont,
d'après Scheflen (1981 : 147) : 1 / le système vocal composé des systèmes a) linguistique et b) paraling-uis-
tique ; 2 / le système kinésique rassemblant e) les mouvements corporels y compris l' « expression
faciale » ; b) le système neurovégétatif (coloration de la peau, dilatation de la pupille, activité viscé-
rale, etc.) ; c) le système postural ; d) les bruits corporels ; 3 / le système tactile ; 4 / le système territorial ou
proxémique ; 5 / d'autres comportements communicatifs (peu étudiés) comme par exemple l'émission
d'odeurs ; 6 / le comportement vestimentaire, cosmétique, ornemental, etc.
Psychologie sociale des groupes I 187
Ces deux domaines ont souvent été considérés séparément. Mais en fait, dans un
groupe, il n'existe pas de communication dirigée vers la tâche qui ne soit simultané-
ment dirigée vers un membre du groupe. Quelqu'un qui énonce hé tu sais pas c'que t'es en
train de dire rejette manifestement une contribution à la tâche tout en instaurant une
relation sociale entre deux membres du groupe (Ellis et Fisher, 1994, p. 22). Baies
(1950), qui a été l'un des premiers à mettre en évidence ces deux domaines grâce à
l'analyse systématique de très nombreux groupes de toutes sortes, estimait, en accord
avec les « cliniciens » des groupes, que ces deux domaines étaient antagonistes bien
qu'indissolublement articulés.
La convergence des attitudes et des préférences est une cause puissante d'attraction
interpersonnelle. L'attraction interpersonnelle est d'autant plus forte qu'elle est perçue
comme réciproque, que l'interaction communicationnelle est plus fréquente ou plus
probable et que les interactants y révèlent des pensées, sentiments, croyances, désirs et
besoins personnels. «La cohésion d'un groupe est la résultante de toutes les forces qui
agissent sur les membres d'un groupe pour les maintenir ensemble au sein du groupe »
(Festinger, 1950, p. 185).
I - L'influence
a. La comparaison sociale
Quotidiennement, nous sommes confrontés à des questions qui n'ont pas de répon-
ses objectives, par exemple, faut-il libéraliser l'usage des drogues douces ? Une politique de prévention
est-elle préférable à une politique de répression en ce qui concerne les délits mineurs ? Pour évaluer les
réponses que nous donnons à ces questions, il n'y a pas d'autres moyens que de se rap-
Psychologie sociale des groupes I 189
porter à autrui. Cette façon de faire revient à effectuer une comparaison sociale (Festin-
ger, 1954). La comparaison sociale est une méthode d'évaluation des perceptions, émo-
tions, sentiments, pensées et actions qui consiste à se rapporter à autrui. Une expérience
de Schachter (1959) illustre cette conduite. Des étudiantes volontaires pour participer à
une expérience censée tester les effets des chocs électriques sont réparties en deux grou-
pes. On dit aux étudiantes du premier groupe que les chocs seront intenses mais sans
danger et aux secondes qu'ils seront pratiquement indolores. Ces consignes suscitent
d'un côté de l'anxiété et de l'autre de la sérénité. Les étudiantes sont ensuite priées
d'attendre tandis que l'expérimentateur termine la mise en place de l'expérience. Elles
ont le choix entre attendre seules ou rester avec les autres. 33 % des étudiantes
s'attendant à des chocs légers préféreront rester avec d'autres. Mais elles seront 63 % à
faire ce choix dans l'autre condition. De plus, les étudiantes qui placées dans la condition
anxiogène préféreront attendre avec des étudiantes qui partageaient leur condition.
La comparaison sociale a un double rôle pour la personne qui s'interroge sur la
valeur de son point de vue. Tout d'abord, elle est une source d'informations. Ensuite,
elle accentue son confort psychologique : elle aura davantage confiance en elle si la
réponse qu'elle a choisie fait l'objet d'un consensus dans le groupe auquel elle se réfère.
Au travers de la comparaison sociale, le groupe exerce donc une double influence sur
ses membres (Deutsch et Gerard, 1955). Premièrement, il exerce une influence infor-
mationnelle sur ses membres et repose sur leur croyance en la valeur de l'opinion du
groupe. Deuxièmement, il exerce une influence normative qui repose sur le pouvoir
qu'a un groupe de punir, et pire, de rejeter ses membres déviants.
b. L'influence du nombre
L'influence majoritaire
L'influence majoritaire désigne l'influence qu'exerce une majorité sur les membres
du groupe. Les travaux qui lui ont été consacrés débutent en même temps que la psy-
chologie sociale expérimentale des groupes, c'est-à-dire il y a plus de cinquante ans,
pour se poursuivre jusqu'à aujourd'hui. Deux expériences princeps ont ouvert ce
domaine de connaissance.
Les expériences de Sheriff (1936-1965) utilisent l'effet autocinétique bien connu
des astronomes : quand l'obscurité est totale, un point lumineux immobile produit sys-
tématiquement une illusion de déplacement. L'observateur perçoit un déplacement du
point même si on le fait apparaître puis disparaître plusieurs fois au même endroit. Il
n'existe pas de point de référence objectif qui permette d'établir des comparaisons et
une localisation précise du point lumineux. C'est ce qu'on appelle un stimulus ambigu.
Lorsqu'une personne est confrontée individuellement à un tel phénomène, Sheriff note
qu'elle « établit subjectivement un écart de variation et un point de référence (ou
norme) à l'intérieur de cet écart, qui est propre à l'individu et peut différer de l'écart de
190 I Psychologie sociale
variation et du point de référence (norme) établi par d'autres ». Les sujets établissent
ainsi une norme individuelle. Maintenant que se passe-t-il lorsque la personne est con-
frontée à l'effet autocinétique au sein d'un groupe ? Les sujets qui ont élaboré une
norme individuelle conserveront-ils cette norme ou la modifieront-ils par le fait d'être
en groupe ? Afin de répondre à ces questions, Sheriff imagine deux situations dans les-
quelles les sujets expérimentent l'effet autocinétique d'abord seuls puis en groupe ou
l'inverse. Dans la première situation, on demande dans un premier temps à des sujets,
qui ignorent que cet effet est une illusion, d'estimer l'intervalle de variation du déplace-
ment d'un point lumineux, puis de faire la même chose mais en présence de deux
autres personnes (en fait deux compères) qui énoncent à tour de rôle leurs propres éva-
luations, puis quelques semaines après de le faire à nouveau isolément. Sheriff constate
que les membres du groupe convergent rapidement vers une moyenne de groupe. Cette
moyenne, qui a une fonction à la fois descriptive et prescriptive, fonctionne comme une
norme qui se maintient lorsque les sujets sont à nouveau soumis individuellement à
l'effet autocinétique. Dans la seconde situation, les sujets naïfs sont confrontés à l'effet
autocinétique d'abord en groupes de trois, puis seuls. On constate alors que les groupes
vont élaborer une norme, idiosyncrasique, qui leur est propre et que les sujets conserve-
ront une fois seuls. Ainsi, dans les deux situations, le groupe a apporté un cadre de réfé-
rence, permettant à chacun de ses membres de parvenir à une vision stable et cohé-
rente d'une réalité ambiguë n'offrant pas de base objective pour l'évaluer. Cette
expérience a été répétée de nombreuses fois et sur de nombreuses tâches de jugement
comme la perception cutanée de la température, l'estimation de la taille, etc. Elle a tou-
jours conduit aux mêmes résultats. Les personnes en groupe confrontées à un phéno-
mène qu'elles ne peuvent appréhender objectivement, élaborent inconsciemment un cadre
de référence commun leur permettant de s'approprier ce phénomène. D'ailleurs, cette
norme affecte encore les jugements individuels un an après que les sujets ont été expo-
sés au groupe. Et plus encore : si on remplace les sujets par d'autres tandis que la
norme est maintenue invariable grâce aux compères, elle se transmet jusqu'à la hui-
tième génération, ne disparaissant que très graduellement et survivant d'autant plus
longtemps qu'elle est modérément arbitraire, qu'elle a atteint un fort degré
d'institutionnalisation au sein du groupe et qu'elle s'adresse à des membres du groupe
dotés de personnalités plutôt autoritaires. Néanmoins, l'efficacité de l'influence majori-
taire, c'est-à-dire la robustesse de la réponse qu'elle induit de la part du sujet naïf,
dépend des propriétés du stimulus, et des qualités qu'il prête à la majorité. La condition
fondamentale qui est ici nécessaire à l'influence est la croyance du sujet qu'il réagit au
même stimulus qu'autrui et que tous deux se rapportent à une réalité sociale partagée.
C'est à cette condition que le sujet perçoit une contradiction entre sa réponse privée et
la réponse publique d'autrui. Le sujet naïf est d'autant plus influençable qu'il croit que
la majorité est compétente et motivée. Il l'est d'autant moins que le stimulus original est
moins ambigu et qu'il sait être le siège d'une illusion perceptive. Dans ces situations, la
convergence des jugements est considérablement réduite.
Obtiendrait-on les mêmes effets si les sujets étaient confrontés à un phénomène
dont ils auraient une représentation indubitable mais qui divergerait de celles des autres
membres du groupe ? Asch (1952) montre à huit personnes (un sujet naïf et sept com-
pères) une ligne de longueur donnée en leur demandant de trouver son équivalente
Psychologie sociale des groupes I 191
parmi trois autres lignes. Grâce à un tirage au sort truqué, le sujet naïf donne son avis
en avant-dernière position, les compères avaient pour consigne de fournir des réponses
délibérément fausses dans deux tiers des essais. Les sujets naïfs, sont confrontés à un
conflit cognitif, ils perçoivent la bonne réponse mais ils sont seuls à la percevoir ! En
passation individuelle, les sujets ne font quasiment pas d'erreurs : 0,7 % d'erreurs dans
le groupe-contrôle à comparer avec les 37 % des réponses erronées dans le groupe
expérimental. 75 % des sujets se conforment au moins une fois à l'évaluation erronée
de la majorité. Les sujets naïfs ont donc été confrontés à une majorité unanime qui
contredit l'évidence perceptive créant ainsi une situation de conflit entre la réalité
objective et la réalité sociale. Interrogés sur leur comportement, certains proposeront
des rationalisations, un petit nombre même dénieront avoir été influencés et affir-
meront avoir décrit ce qu'ils avaient vraiment vu. Seuls 20 ()/0 des sujets, à l'aise ou très
gênés, ignorèrent la réponse erronée de la majorité en donnant toujours la bonne
réponse. L'effet Asch, auquel sont sensibles des personnalités fort différentes, a été repro-
duit de nombreuses fois, avec différentes populations et un large éventail de tâches per-
ceptuelles et d'opinions : des jugements auditifs, visuels, des préférences esthétiques, des
décisions. La conformité dépend de quatre types de facteurs :
des jurys adoptent ce point de vue et que, quand 7 à 11 personnes d'un jury de 12
sont au départ en faveur d'un verdict d'innocencent c'est 91 % des jurys qui
adoptent ce jugement. La majorité optimale quant à l'obtention de la conformité
serait de trois. Ce résultat a été obtenu de nombreuses fois (Tandord et Penrod,
1984). Au-dessus, les sujets commencent à penser que les gens se conforment à la
majorité sans adhérer à son point de vue. Le modèle qui ajuste le mieux l'influence
des majorités est un modèle de la majorité des deux tiers : la probabilité qu'un
groupe adopte un point de vue, qu'il soit juste ou faux, est maximale lorsque deux
tiers des membres du groupe sont en sa faveur. Inversement, la conformité est la
plus forte quand il n'y a aucun désaccord. Dès qu'il existe, la conformité décroît
très fortement. Ainsi, la conformité diminue si la majorité n'est pas unanime et si la
cible trouve un soutien. Elle est d'autant plus faible que le déviant ne se sent pas
seul. La présence d'un allié potentiel encourage l'indépendance : il n'est même pas
nécessaire que les divergences au sein de la majorité concernent le jugement qui
doit être fait par le sujet naïf, n'importe quelle divergence suffit ;
d) relatifs à des caractéristiques culturelles agissant à l'échelle d'une société ou d'un
groupe. Perrin et Spencer (1980, 1981) ont répliqué l'expérience de Asch auprès
d'étudiants en sciences. Bien que manifestant les mêmes réactions émotionnelles
que les sujets de Asch, confusion, stress, etc. ils ne se sont pas conformés. Sur
396 essais critiques, seul un étudiant s'est conformé, et une fois, ce qui autorise les
auteurs à conclure que le niveau de conformité obtenu dans l'expérience de Asch a
été relatif à la culture d'une époque dominée par le macCarthisme et
l'anticommunisme, une hypothèse que Asch avait d'ailleurs lui-même évoquée
en 1981. L'expérience de Asch n'est d'ailleurs pas invalidée pour autant dans la
mesure où dans le même genre de contexte on obtient les mêmes effets. Répliquée
en 1983, au moment de la guerre des Falklands et auprès d'étudiants anglais et
américains, Perrin et Spencer retrouvent les niveaux de conformité que Asch avait
obtenus, tout comme lorsqu'ils réalisent l'expérience avec des jeunes délinquants en
probation et de jeunes Indiens au chômage, c'est-à-dire des sujets expérimentaux
pour qui la loyauté vis-à-vis du groupe est une valeur fondamentale.
sujet naïf et la perception des autres membres du groupe peut être résolu par un com-
promis. Dans l'expérience de Asch, l'influence découle des conséquences du fait d'être
en groupe : peur d'être jugé par les autres, besoin de se sentir confirmé dans ses opi-
nions, jugements par autrui... C'est une influence normative. Ici le conflit cognitif
entraîne soit un rejet, soit l'imposition de la norme du groupe.
Autant il est facile de comprendre que des personnes puissent se rapporter à autrui
quand elles n'ont pas les moyens de juger par elles-mêmes, autant nous sommes surpris
par la facilité avec laquelle les sujets de Asch se conforment à l'avis du groupe tout en
sachant que l'avis majoritaire est manifestement faux. Cet effet croît, d'ailleurs, avec le
nombre de personnes en désaccord. Faut-il se réjouir ou s'attrister devant ces résultats ?
La réponse diffère selon qu'on est optimiste ou pessimiste sur la nature humaine. Mais
n'oublions pas que plus de 20 % des sujets n'ont pas été influencés et que la majeure
partie les sujets ont adopté une sorte de compromis en ne se conformant pas sur tous
les essais, leurs réponses étant globalement moins souvent fausses que celles de la majorité.
D'ailleurs, plus la différence entre l'opinion soutenue par la majorité et l'opinion du
sujet expérimental est grande, plus il est enclin à adopter une position intermédiaire. Il
suffit qu'un seul compère dise vrai pour que le taux d'erreur chute à 6 %.
L'influence minoritaire
Moscovici et ses collaborateurs (Lage et al., 1969, 1979) ont été les premiers à mettre
en évidence l'influence d'une minorité sur les jugements des membres d'un groupe. Dans
une expérience, on demande à des sujets réunis en groupes de 6 quelle est la couleur
d'une diapositive projetée sur un écran situé devant eux. L'expérimentateur projette
invariablement une diapositive bleue dans une série de 36 présentations. Dans le groupe
expérimental, deux compères sur six, constituant ainsi une minorité, répondent toujours
vert. Les principaux résultats de ces expériences sont de plusieurs ordres :
— il est clair que les minorités ne sont pas si démunies et passives que nous l'ont
donné à penser les expériences portant sur l'influence majoritaire : les minori-
tés exercent de l'influence sur les membres d'un groupe et en particulier sur les
majorités ;
le domaine d'impact de l'influence minoritaire diffère de celui de l'influence majori-
taire. Alors que l'influence majoritaire agit plutôt au niveau de l'expression publique
ou manifeste du jugement, les individus adoptant en public plus souvent la position
de la majorité que celle de la minorité, l'influence minoritaire atteint plutôt
l'appropriation personnelle du jugement. Par exemple, dans l'expérience de Moscovici,
Lage et al., décrite ci-dessus, alors que les sujets confrontés à une minorité consis-
tante n'adoptent pratiquement pas le point de vue de la minorité en public, ils sont
influencés dans une tâche subséquente. Ces résultats ont été répliqués de nombreu-
ses fois dans des tâches d'évaluation très diverses : délibérations de jury, discussion
sur la pollution de l'air, attitudes envers l'avortement, le féminisme, les travailleurs
étrangers, les gays. On a montré que des jurys simulés étaient effectivement sensi-
bles à l'influence, mais plus en privé qu'en public et plutôt sur des cas connexes que
sur les cas en discussion.
194 I Psychologie sociale
rité unanime est plutôt dans le vrai que dans l'erreur — c'est ce que l'on appelle le biais
de consensus ou de validation sociale — on a tendance à accepter sans plus de convic-
tion l'attitude ou le jugement qu'elle exprime, sans examiner de points de vue alterna-
tifs. Au contraire, comme l'expression d'un point de vue minoritaire ne bénéficie pas
d'un biais de consensus, elle suscite une attitude critique de la part des gens qui exami-
nent leurs propres jugements au regard de l'alternative que représente le point de vue
minoritaire. Alors que les majoritaires ne sont pas prêts à admettre publiquement qu'ils
sont influencés par la minorité, la réévaluation de leur point de vue initial peut les
conduire à modifier en privé leur jugement en direction du point de vue défendu par la
minorité. Dit autrement : majorité et minorité n'induisent pas les mêmes processus de
pensée. L'influence majoritaire induit une pensée convergente qui a pour caractéris-
tique de négliger l'examen des alternatives au point de vue soutenu, tandis que
l'influence minoritaire induit une pensée divergente conduisant notamment les sujets à
élargir l'éventail des points de vue discutés.
Les différences de pouvoirs d'influence des membres d'un groupe ont une origine
intrinsèque au groupe lorsqu'elles émergent de son fonctionnement. Dans ce cas, elles
surviennent au cours des interactions déployées dans le groupe. Par exemple, c'est le
membre qui contribue le plus au succès du groupe qui aura le plus d'influence. Le pou-
voir d'influence trouve son origine dans les attentes des membres du groupe quant aux
contributions potentielles des uns et des autres au succès de ce groupe. Sont associées
au degré d'influence, les qualités supposées indispensables au succès de la tâche. Elles
sont soit diffuses, soit spécifiques. Les qualités diffuses sont des qualités culturellement
associées à des compétences. La qualité d'être un homme est ainsi une qualité diffuse
parce que dans certaines cultures comme la nôtre les hommes sont considérés comme
plus aptes à prendre des décisions que les femmes. Une autre qualité diffuse est le sta-
tut. Torrance (1954) demande à des équipages de bombardiers de la Navy composés
d'un pilote, d'un navigateur et d'un tireur de résoudre le problème du négociant en
chevaux'. Dans ces équipages, la solution correcte est d'autant moins adoptée par les
membres du groupe que décroît le statut de celui qui trouve la solution. Ainsi, les équi-
pages adoptent, dans l'ordre, la solution si elle est proposée par le pilote, titulaire du
plus haut statut dans l'équipage, puis si elle provient du navigateur et enfin (65 %) si
elle est énoncée par le tireur. Ainsi, pour qu'une solution soit adoptée, il faut non seule-
ment qu'elle soit affirmée, mais qu'elle le soit par quelqu'un qui a le statut requis.
L'étude de Torrance indique également que 1 pilote sur 10, 1 navigateur sur 6 et
1 tireur sur 3 qui trouvent la solution correcte avant la discussion du groupe échouent à
persuader ses coéquipiers de l'accepter. On retrouve un résultat du même ordre dans le
1. Son énoncé est le suivant. Un homme achète un cheval 60 $ et le revend 70 $. Il rachète ensuite le même
cheval 80 $ puis le revend 90 $. Combien a-t-il gagné au cours de son commerce ? La réponse est 20 $.
En effet, ce commerçant fait un bénéfice de 10 $ à chacune de ses transactions et comme il en fait deux
son gain total est de 20 5. Autre manière de résoudre ce problème. Le commerçant a déboursé 140 $ en
tout et en a encaissé 160. Il a donc gagné 20 $.
Psychologie sociale des groupes I 197
cas où la solution proposée est fausse. Les pilotes réussissent mieux à persuader les
coéquipiers d'accepter la solution fausse que les membres de bas statuts. Les membres
d'un groupe ont tendance à rechercher parmi eux ceux qui présentent les qualités sus-
ceptibles de contribuer au succès de la tâche en commençant par les qualités diffuses et
en les remplaçant par des qualités spécifiques dès qu'elles deviennent disponibles. Les
membres du groupe possédant une caractéristique supposée correspondre au succès de
la tâche sont alors dotés du plus haut statut et sont plus susceptibles d'influencer les
autres membres du groupe.
L'influence « positive » est la liberté dont dispose un agent d'accomplir certaines
activités (par exemple organiser la tâche, ou le groupe, ou les deux) et de déterminer les
buts qui leur correspondent. Les leaders ont à cet égard plus d'influence sur
l'organisation de la tâche que les suiveurs. L'influence « négative » est la capacité à
résister aux tentatives d'influence d'autrui. Elle est d'autant plus grande pour un agent
qu'il occupe une position élevée dans la hiérarchie d'une organisation. L'influence posi-
tive et l'influence négative sont sensibles aux processus de catégorisations. Par exemple,
les femmes acceptent plus souvent l'influence des hommes que l'inverse et les Noirs
acceptent plus souvent l'influence des Blancs que l'inverse. De même, les femmes com-
pétentes acceptent plus l'influence des hommes compétents que l'inverse, mais moins
l'influence des hommes incompétents que l'inverse.
Le pouvoir d'une personne X sur une autre personne Y est l'ensemble des ressour-
ces que X peut investir dans un échange avec Y afin de l'obliger à satisfaire ses sou-
haits. Il y a quatre sortes de ressources (French et Raven, 1965) :
La compétence
Une personne qui dans un groupe détient une information utile au groupe, et dont
les membres ne disposent pas, détient un pouvoir de compétence ou pouvoir
d'expertise. C'est ce type de position que peut occuper une personne dans un réseau de
communication formel (Leavitt, 1951 ; Flament, 1965) ou un réseau social. Dans un
groupe, l'information ne s'écoule pas de manière égale entre tous les membres : les per-
sonnes les plus centrales, qui communiquent le plus fréquemment et qui accèdent à
beaucoup d'informations, ont plus de pouvoir et d'influence que les éléments périphéri-
ques. Une personne qui occupe une position intermédiaire, constituant ainsi un passage
obligé de la communication entre deux autres personnes, dispose d'une influence consi-
dérable : elle reçoit plus de messages que les autres ; elle bénéficie d'un avantage infor-
mationnel sur les autres.
pour tâche de discuter du cas d'un jeune délinquant Johnny Rocco afin de décider du
traitement qu'il doit subir. Le groupe comporte des compères dont le rôle est de se
montrer en désaccord avec l'opinion du groupe au cours de la discussion. Au début,
les membres du groupe essaient de persuader les compères et s'en désintéressent
ensuite dans la mesure où les compères maintiennent leur désaccord en dépit des
efforts faits pour les persuader. À la fin de la session, les sujets rangent les membres
du groupe dans un questionnaire de désirabilité et doivent choisir des membres pour
un travail impopulaire de gestion de la correspondance du groupe. L'exclusion des
compères se manifeste clairement dans ces deux activités car leur rang de désirabilité
est le moins bon et ce sont eux qui sont choisis pour le travail dont personne ne veut.
L'expérience a été reproduite dans différents pays d'Europe, avec les mêmes résultats.
Il s'agissait cette fois d'enfants discutant de l'intérêt de modèles d'avion qu'ils
croyaient avoir à construire en groupe. On a même montré que dans les groupes, un
processus de rejet du déviant se met en place même si le groupe n'est pas obligé de
parvenir à un consensus complet et même si la divergence du déviant est sans rapport
avec la tâche. Freedmann et Doob (1968) font croire aux membres d'un groupe que
l'un d'eux a un profil de personnalité différent des leurs : c'est lui qui sera proportion-
nellement le plus choisi pour recevoir des chocs électriques ! Bien que récompense et
coercition définissent des formes opposées d'exercice du pouvoir, leurs effets ne sont
pas symétriques. Alors que la récompense conduit au changement et entraîne de la
docilité, la coercition appelle seulement une docilité de surface sans modification pro-
fonde des attitudes. Plus généralement, les différentes formes de pouvoir ne possèdent
pas les mêmes effets : alors que l'exercice du pouvoir de coercition implique une sur-
veillance, le pouvoir d'expertise ne l'entraîne pas puisque le point de vue de la source
est supposé correct.
La légitimité
ment, etc. Le pouvoir légitime conduit ceux qui y sont sensibles à des comportements
qu'on a du mal à imaginer, comme l'ont montré les célèbres expériences de Milgram
(1974) sur l'obéissance (cf. chapitre sur les bases de la psychologie sociale).
d. Le leadership
Le leader d'un groupe est celui qui possède le plus d'influence. Mais qui occupe ce
rôle et pourquoi certains membres sont-ils leader et d'autres pas ? On a tour à tour
évoqué plusieurs facteurs : la personnalité ; les comportements adoptés dans les grou-
pes, majoritairement orientés vers la tâche ou/et vers les relations socio-émotionnelles ;
les situations (par exemple les groupes formant une chaîne de production ne possèdent
pas de leader alors que certains de leurs membres auraient les dispositions nécessaires
ou se comportent comme tels) ; ou encore des combinaisons de ces différents facteurs.
Sans contredire les théories précédentes, d'autres auteurs ont présenté le leader comme
l'agent d'un échange d'avantages : le leader favorise l'obtention des résultats escomptés
par les suiveurs qui, en retour, lui rendent de la considération, voire du statut. De nom-
breux travaux expérimentaux, notamment dans le domaine des dilemmes sociaux, ont
ainsi établi que les groupes informels recourent à un leader quand leurs membres se
sentent incapables de réussir par eux-mêmes et que les résultats n'ont pas été distribués
équitablement. Ils réutilisent ce leader s'il leur a permis d'atteindre ce double objectif.
L'efficacité du leadership
Existe-t-il des formes de leadership meilleures que d'autres ? Oui, si l'on se réfère à
l'expérience classique de Lewin, Lippitt et White (1939). Ils entraînent des jeunes gens,
qu'ils affectent. à des clubs d'enfants fabriquant des modèles réduits d'avion, à trois
styles de leadership : autoritaire, démocratique et laisser faire. Les styles sont définis
comme des ensembles de relations entre le leader et ses suiveurs. Le leader autoritaire ne
participe pas aux activités du groupe. Il décide seul, sans consultation, de ce que le
groupe doit faire et de la répartition des tâches entre ses membres, contrairement au
leader démocratique qui, lui, travaille avec le groupe et le consulte avant de prendre des
décisions. Le leader laisser faire, se comporte comme un non-leader et se désintéresse de
son groupe. Le groupe dirigé démocratiquement présentera un meilleur moral et ses
membres seront plus satisfaits que le groupe dirigé autoritairement. Le premier, qui
continuera à travailler en l'absence de son leader, produira des modèles de meilleure
qualité alors que le second produira le plus de modèles réduits, mais seulement si son
leader est présent.
Bien qu'à la suite de l'expérience de Lewin et al., on ait beaucoup insisté sur la
supériorité du style démocratique, les travaux expérimentaux comparant les styles de
leadership ne justifient pas un tel enthousiasme. Premièrement, les résultats ne sont pas
toujours homogènes : tantôt les groupes démocratiques sont supérieurs aux groupes auto-
cratiques tantôt c'est l'inverse. Deuxièmement, une majorité de travaux amène à con-
200 I Psychologie sociale
dure que si ce sont les groupes qui possèdent un Leader démocratique qui montrent le
plus de satisfaction, ce sont les groupes qui ont un leader autocratique qui sont les plus
efficaces et les plus productifs. De plus, le niveau de satisfaction dépend de la composi-
tion du groupe. Les groupes dont les membres sont politiquement conservateurs sont
plus satisfaits avec un leader directif et les groupes dont les membres sont politiquement
libéraux le sont plus avec des leaders non autocratiques. Plus généralement, de nom-
breux facteurs qui distinguent un groupe d'un autre interviennent : la nature de la
tâche, les contraintes extérieures s'exerçant sur le groupe, les personnalités des mem-
bres, leurs cultures, la cohésion du groupe, etc., de sorte que les effets d'un style donné
de leadership sont inconstants.
Il - Coopération et compétition
a. La paresse sociale
le seul à tirer. Or, notamment pour les très petits groupes composés d'une à trois per-
sonnes, la performance décline lorsque croît la taille du pseudo-groupe. Par conséquent,
la paresse sociale n'est pas due à des difficultés de coordination, mais à une sorte de
perte de motivation des sujets accomplissant collectivement une tâche de groupe. Puis-
qu'il est difficile d'identifier les contributions individuelles et puisque c'est le produit
total du groupe qui est partagé entre les membres, il devient profitable pour chacun de
ne pas s'investir entièrement, de profiter de la situation et de laisser travailler les autres.
Latané et al. (1979) retrouvent ce résultat dans une expérience où la tâche consiste à
hurler le plus fort possible. Leurs sujets portent des écouteurs, de sorte qu'ils ne
s'entendent pas les uns les autres. Certains sont dans des groupes réels et d'autres sont
dans des pseudo-groupes 1 de deux ou de six, construits sur le même principe que ceux
de Ingham et al. La productivité effective sera' de 82 % et de 74 % de la productivité
potentielle dans les pseudo-groupes de deux et de six respectivement et de 66 % et
36 % de la productivité potentielle dans les groupes réels. Aussi, pour nous en tenir aux
groupes de six, la perte de productivité due à la chute de la motivation dans ces grou-
pes est-elle de 26 % de la productivité potentielle (100 `)/0— 74 %), ce qui implique que
la perte de productivité due aux problèmes de coordination est de 38 % de la producti-
vité potentielle (100 % — 36 o/ — 26 %). Selon Sanna (1992), la personne qui accomplit
une tâche se règle sur une double attente. Une attente d'efficacité, qui est la croyance
selon laquelle elle est capable de faire ce qui est requis ; elle dépend de la tâche : elle
est élevée pour les tâches simples et faible pour les tâches complexes. Une attente de
retombées, qui est la croyance selon laquelle l'accomplissement du comportement
requis entraînera certains bénéfices, ne serait-ce que de la reconnaissance sociale ; elle
dépend du fait que l'agent opère seul en situation de coaction ou au sein d'une collec-
tif : elle est plus forte lorsque son activité est comparable à celle des autres (i.e. en situa-
tion de coaction), par opposition aux situations dans lesquelles sa contribution ne peut
être comparée à celle d'autrui. La combinaison de ces deux types d'attentes permet
alors à Sanna de confirmer expérimentalement à la fois la théorie de la facilitation
sociale et la théorie la paresse sociale. Relativement à la première théorie, il montre
que des agents qui réalisent des tâches simples et qui s'attendent à l'accomplir très effi-
cacement font mieux en travaillant en coaction que seuls et que des agents réalisant des
tâches complexes qu'ils s'attendent à réussir difficilement font moins bien en parallèle
que seuls. Relativement à la seconde, il montre que des agents réalisant des tâches sim-
ples qu'ils pensent pouvoir faire facilement font mieux en coaction que dans un collec-
tif, tandis qu'avec des tâches complexes c'est l'inverse.
Le fait que des personnes accomplissent ensemble une certaine tâche n'entraîne
pas nécessairement de la paresse sociale. Elle ne se manifeste en effet qu'avec un cer-
tain type de tâche qui, accomplie en groupe, combine les contributions individuelles
d'une manière telle qu'elles ne sont plus identifiables. Qu'est-ce qui provoque son appa-
rition ? Premièrement, l'apparition de la paresse sociale dépend de la nature de la
tâche. Elle apparaît plus facilement avec une tâche additive, où le produit du groupe
est la somme des contributions des membres, qu'avec d'autres tâches. Deuxièmement,
l'étendue de la paresse sociale dépend de la taille du groupe. Certes, l'anonymat aug-
mente au fur et à mesure que la taille croît, mais une plus grande différence apparaît
quand une même tâche est accomplie individuellement ou à deux que quand, par
exemple, la taille passe de trois à quatre membres. Troisièmement, c'est surtout
l'indiscernabilité des contributions individuelles au résultat collectif qui provoque la
baisse de productivité, la paresse sociale se manifestant d'autant mieux, que les sujets
sont anonymes, qu'ils se sentent peu identifiables, qu'il n'y a pas de moyen de circons-
crire leurs contributions individuelles ou qu'une telle évaluation n'est pas possible ou
tout simplement non pertinente. Bien que sachant sa contribution individuelle parfaite-
ment évaluable, le sujet continuera à paresser s'il pense que personne ne peut ou ne veut
l'évaluer. Ce point est bien mis en évidence par Harkins et Jackson (1985). Ils deman-
dent aux sujets d'énoncer le plus d'usages possibles d'un objet et selon les conditions les
sujets croient réfléchir au même objet ou à des objets différents. On collecte les répon-
ses soit dans une urne, ce qui les rend anonymes, soit séparément. Dans ces conditions,
la paresse sociale se manifeste, comme d'habitude, c'est-à-dire que les sujets énoncent
moins d'usages, quand ils ne sont pas identifiables, il en est de même quand les contri-
butions individuelles sont identifiables mais que les sujets pensent réfléchir à des objets
qui leur sont propres. En somme, ce n'est pas à proprement parler l'évaluation inter-
personnelle qui importe, mais sa pertinence. On ne s'étonnera pas que les manifesta-
tions de paresse sociale disparaissent lorsque la tâche est intéressante, attractive, impli-
quante ; lorsque le groupe est cohésif et ses membres fortement engagés ; lorsque les
membres du groupe se sont assignés des objectifs de performance et lorsque les contri-
butions individuelles deviennent évaluables et comparables à celles des autres membres
du groupe.
b. Le parasitisme social
les contributions individuelles sont identifiables ou non. Les résultats montrent que les
sujets n'adoptent un comportement parasite que s'ils pensent que leurs contributions
individuelles ne sont pas discernables, autrement ils n'utilisent pas l'opportunité de faire
cavalier seul.
Les dilemmes sociaux (Dawes, 1980) sont des situations particulièrement propices au
parasitisme social. Un dilemme social est une situation dans laquelle l'intérêt collectif
du groupe et l'intérêt individuel de ses membres entrent en contradiction. Un groupe
isolé dans un désert et disposant d'une réserve d'eau insuffisante est ainsi dans une
situation de dilemme social. Chacun a individuellement intérêt à boire autant d'eau
qu'il le peut, mais il a collectivement intérêt au rationnement car la ressource disparaît
(pour tous) si tous adoptent un comportement individualiste On retrouve ce genre de
dilemme à une échelle plus grande, voire au niveau de l'espèce, avec les biens publics ou
les biens communs. C'est Hardin (1968) qui a livré les premiers travaux sur l'usage des
biens communs en observant l'histoire de ces pâturages, les communs que possédaient de
nombreuses villes d'Europe au Moyen Âge. Ces pâturages disparurent quand tous les
habitants les utilisèrent pleinement sans tenir compte des autres. De nombreuses res-
sources, certaines vitales pour l'espèce humaine, relèvent de ce genre d'analyse : l'air, le
pétrole, l'eau, la forêt, les ressources de la sécurité sociale ou le soutien aux chô-
meurs, etc. Les dilemmes sociaux présentent deux formes. Dans les dilemmes
d'appropriation, les gens privilégient leurs intérêts à court terme sans prendre en consi-
dération les coûts à long terme de leurs comportements. Ils apparaissent souvent en cas
de panique. Lorsqu'un feu se déclare dans un immeuble, les gens ont en général suffi-
samment de temps pour s'échapper tous s'ils coordonnent leurs efforts. Mais on court
au désastre si chacun se précipite vers les sorties. Dans les dilemmes de contribution, les
gens privilégient encore leurs intérêts à court terme au détriment de leur intérêt à long
terme en se dispensant d'apporter leur écot.
Dans tous ces dilemmes, les agents règlent leur conduite sur les conduites auxquelles
ils s'attendent de la part d'autrui. Les dilemmes sont des interactions que la théorie des
jeux de stratégies a permis de modéliser. Le jeu du dilemme des prisonniers est un prototype
de ce genre de modèle. Dans sa forme originale, les buts d'une personne entrent en com-
pétition avec les buts d'une autre personne ou d'un groupe, il se présente sous la forme
suivante. Deux prisonniers sont soupçonnés d'un crime. La police, qui sait qu'ils sont
complices du crime, n'a de preuves que pour les inculper d'un délit mineur. Pour obtenir
leurs aveux, elle interroge séparément les prisonniers, dans l'espoir qu'au moins l'un
d'entre eux avouera en échange de la promesse d'être libéré immédiatement s'il se
dénonce en premier. Les conséquences des différents choix proposés sont résumés dans
une matrice, dite matrice du jeu. Si aucun prisonnier n'avoue, chacun recevra une peine
minime (par exemple trois ans de prison) étant donné la faiblesse des preuves. Si l'un des
prisonniers avoue, la police disposera d'assez de preuves pour confondre l'autre qui sera
condamné à trente ans de prison tandis que son dénonciateur sera immédiatement
libéré. Enfin, s'ils avouent tous les deux, chacun sera condamné à dix ans de prison.
Dans un tel dilemme, l'intérêt de chacun des partenaires est en contradiction avec
l'intérêt du groupe ou du partenariat entre les deux prisonniers. Plus précisément, le
dilemme présente une solution qui sauvegarde les intérêts des deux prisonniers. Un résul-
tat positif pour un joueur n'entraîne pas nécessairement un résultat négatif pour l'autre,
204 I Psychologie sociale
en coopérant ils s'en tirent seulement avec trois ans de prison. En revanche, si un joueur
choisit de coopérer (ne pas se dénoncer) tandis que l'autre prend l'option compétitive (se
dénoncer), le joueur coopérant perd ce que l'autre gagne. La matrice est en fait arrangée
de telle façon que chaque joueur est individuellement motivé pour la solution compéti-
tive, parce que ce choix entraîne un résultat plus élevé pour lui indépendamment de ce
que fait l'autre. Si le but d'un joueur est de maximiser ses profits et s'il n'a guère
confiance en l'autre, son intérêt est de se dénoncer. En effet s'il pense que l'autre va se
dénoncer, il doit faire de même (car il recevra dix ans de prison au lieu de trente) et s'il
pense que l'autre n'avouera pas, il doit encore se dénoncer (pour être libéré plutôt que
d'avoir trois ans de prison). La meilleure alternative pour les deux joueurs est la stratégie
compétitive, même s'ils avaient une préférence pour la coopération.
a. Les faits
Quels sont les effets de la présence d'autrui sur notre performance à une tâche que
nous accomplissons individuellement selon qu'il nous regarde passivement ou qu'il
l'accomplit en même temps ? Un exemple de la première situation serait le travail
accompli par un sauteur à la perche lors d'un meeting sportif. Deux situations de
co-action illustrent la seconde : un pool de dactylographie ou une classe d'élèves résol-
vant individuellement un problème arithmétique. La réponse à la question précédente
est la suivante : on observe dans les deux situations tantôt une amélioration tantôt une
dégradation de la performance individuelle, qu'on appelle respectivement facilitation et
inhibition sociales. La facilitation sociale n'est pas spécifique à l'espèce humaine et semble
même être un phénomène social typique du règne animal : les blattes s'enfuient plus
rapidement pour échapper à une source de lumière si d'autres blattes se trouvent sur leur
chemin, les poules picorent plus de grains, les chiens courent plus vite, les mouches
volent plus rapidement en présence de congénères et les rats copulent plus si d'autres rats
copulent aussi que quand ils sont seuls. Quant aux humains, Triplett (1898) l'avait déjà
observé il y a exactement un siècle dans des groupes très élémentaires ne possédant ni
structure, ni norme, sans histoire et où l'interaction était réduite à de la co-action, en
remarquant que des coureurs cyclistes allaient plus vite accompagnés d'un partenaire
que solitaires et que des enfants rembobinaient plus rapidement leurs cannes à pêche s'ils
n'étaient pas seuls à le faire. Depuis la facilitation sociale a été mise en évidence dans
l'accomplissement de nombreuses tâches, sportives (jogging, marche à pieds, lancer de
poids, tirs au but en football), mais aussi intellectuelles (associations de mots, usage de
l'ordinateur, etc.). Mais la présence d'autrui peut aussi entraîner une dégradation de la
performance. À quoi cela tient-il ? Plus de 200 études impliquant près de 20 000 sujets
Psychologie sociale des groupes I 205
b. Les explications
Zajonc (1965) en a été le plus illustre défenseur. Selon lui, c'est par l'intermédiaire
d'une augmentation de la stimulation interne des sujets que la présence d'autrui exerce
ses effets sur eux. La présence d'autrui, en augmentant le niveau de stimulation des
sujets, accroît la probabilité d'émission de leurs réponses dominantes. Une réponse
dominante est une réponse habituelle, instinctuelle ou apprise, que l'individu produit en
priorité dans une situation donnée. Il se trouve que la réponse dominante produite
pour l'accomplissement d'une tâche facile ou bien apprise est le plus souvent la réponse
correcte, ce qui n'est pas le cas dans une tâche difficile ou mal maîtrisée, où elle est le
plus souvent erronée. Cela explique que l'accomplissement de tâches aisées ou routi-
nières en présence d'autrui accroisse la performance des sujets tandis que l'accomplisse-
ment de tâches difficiles ou nouvelles la dégrade. De nombreuses études valident cette
thèse. Ainsi Schmitt et aL (1986) demandent à des sujets de travailler seuls ou en pré-
sence d'une personne. Il s'agit de taper leurs noms sur un clavier d'ordinateur puis en
sens contraire, tout en insérant des nombres parmi les lettres sous le prétexte de fournir
un code à l'ordinateur. Cette tâche est accomplie en présence d'une personne qui n'a
rien à voir avec celle en cours, elle est censée se préparer pour une expérience, et de
plus, elle est munie d'écouteurs et a les yeux bandés. Les résultats montrent une amélio-
ration de la performance dans la première situation et une dégradation dans la
seconde. Ainsi un individu qui travaille en présence d'autrui, même s'il est inattentif ou
plus encore, aveugle, améliore sa performance.
Pour Cottrel (1972), en revanche, c'est parce que nous avons appris à associer la
présence d'autrui à une évaluation de notre performance, à des récompenses (comme la
satisfaction sexuelle) et des punitions (comme la compétition pour la nourriture), qu'elle
augmente notre niveau de stimulation. Dans cette perspective, les effets de facilitation
devraient se manifester surtout dans les situations compétitives ou évaluatives et moins
dans les situations où la seule présence d'autrui intervient. En effet, contrairement à
l'expérience de Schmitt et al. (1986), Cottrell et al. (1968) n'ont obtenu une amélioration
de la performance des sujets que s'ils étaient mis en présence d'une audience attentive
— la présence de spectateurs à une course de jogging a pour effet d'accroître la vitesse
des coureurs seulement si les spectateurs s'attendent à ce que les coureurs réalisent des
performances — ou s'ils étaient en compétition avec des coéquipiers.
Mais si la plupart des chercheurs estiment que l'évaluation et la compétition facili-
tent les performances, les arguments statistiques en faveur de cette relation ne sont
guère décisifs. Cependant, Bond et Titus (1983) font remarquer que les théories de la
stimulation présentent l'avantage formel d'expliquer la facilitation et l'inhibition sociales
par une causalité unique, ce qui n'est pas le cas de toutes les théories prétendant rendre
compte de ces phénomènes.
206 I Psychologie sociale
Selon d'autres théories, la présence d'autrui place le sujet dans un conflit entre
un intérêt pour autrui et un intérêt pour la tâche en cours, conflit affectant des
niveaux tantôt élémentaires tantôt élaborés du traitement de l'information. Les théo-
ries attentionnelles illustrent cette conception. En présence d'autrui, l'organisme doit
tenir compte à la fois de l'audience et de la tâche. Pour résoudre ce conflit, il alloue
par exemple moins d'attention à la tâche. Ainsi, la présence d'autrui distrait le sujet,
ce qui peut avoir plusieurs conséquences. Tout d'abord sur le traitement de
l'information : pour s'adapter, l'organisme rétrécit son spectre attentionnel. Cela lui
est favorable s'il ne doit s'intéresser qu'à peu de stimuli car alors il se concentre
mieux sur ceux qui importent, d'où une meilleure performance. La théorie du conflit
attentionnel a reçu certaines confirmations expérimentales. On a ainsi montré, qu'une
tâche, même simple, abaisse la performance en présence d'autrui si elle conduit à un
conflit attentionnel.
Selon d'autres théories encore, la présence d'autrui affecte des processus beaucoup
plus centraux du traitement de l'information, comme par exemple, des processus
d'élaboration de l'image de soi. Les effets de facilitation seraient obtenus parce que la
présence d'autrui nous entraîne à lui présenter une image valorisante de nous-mêmes
ou parce qu'elle aiguise notre évaluation de nous-mêmes en nous incitant à rapprocher
notre performance de standards idéalisés. Les effets d'inhibition viendraient eux du
désengagement qui s'ensuit quand le sujet ne parvient pas à atteindre les buts
précédents.
en nombre inférieur aux cannibales, sauf, évidemment, s'il n'y a que des cannibales dans le bateau.
Combien de traversées sont-elles nécessaires pour transporter tout le monde ? Pour tous ces pro-
blèmes, il suffit que dans un groupe l'un de ses membres propose la solution pour que
le groupe réussisse. Naturellement, il faut encore que la solution soit démonstrativement
correcte (Laughlin et Effis, 1986), c'est-à-dire que le problème comporte assez
d'informations pour identifier la réponse correcte, que ses avocats aient une motivation
suffisante et les compétences nécessaires pour la proposer et la défendre et que leurs
auditeurs comprennent la solution et soient assez honnêtes pour l'admettre. Bref, dans
ce genre de situation, l'hypothèse que « la vérité gagne » prédit avec succès le résultat
qu'obtiendra le groupe. Comme le prévoyait le modèle de Lorge et Solomon (1955), un
groupe recevant ce genre de problème le résout s'il comporte au moins une personne
capable de le résoudre. Pour d'autres, le problème du commerce en chevaux par
exemple, il ne suffit pas qu'un membre du groupe formule la solution pour que ses
auditeurs y adhèrent, il faut encore qu'elle trouve un support social : ce n'est plus la
vérité qui gagne, mais la vérité en tant qu'elle est défendue (Laughlin et al., 1975, 1976).
En résumé, pour les problèmes intellectifs, la taille minimum de la faction gagnante
dépend de la démonstrabilité de la réponse juste.
Ils portent sur des questions éthiques, politiques, esthétiques et d'attitudes et sont à
l'opposé des problèmes intellectifs. Ils ne possèdent pas de solution objective pouvant
servir de critère clair, universellement partagé. Leurs solutions ne peuvent donc reposer
que sur le consensus social qu'ils suscitent. Autrement dit, le Schème de décision sociale', qui
décrit le mieux le fonctionnement du groupe dans ce genre de situation est une version
de la « loi du nombre » ou du schème de la majorité. Il pourrait s'énoncer ainsi « le choix
du groupe correspond à la réponse initiale de la majorité, à défaut d'une telle majorité
toutes les alternatives ont une égale probabilité de devenir la réponse du groupe », ou
« la majorité initiale gagne, autrement c'est la moyenne qui l'emporte » (Kerr et al.,
1976). Les réponses aux dilemmes de Stoner, relatifs à la prise de risque en groupe, ou
du moins leur réanalyse par Cartwright (1971) relèvent tout à fait de ce genre de pré-
diction. 41 % des décisions unanimes prises par les groupes de trois personnes sur les
dilemmes de prise de risque auraient pu être prédites par une simple règle de la majo-
rité des deux tiers et un ensemble de trois règles (de majorité simple, de coalition entre
deux réponses adjacentes ou la moyenne de trois réponses initiales) aurait prédit correc-
tement jusqu'à 75 % de toutes les décisions.
Les heuristiques sont des raccourcis systématiques de pensée, des stratégies prati-
ques et utiles, permettant de résoudre économiquement certains problèmes. Elles ont
des avantages et des inconvénients. Au titre des avantages, leur utilisation occasionne
1. C'est-à-dire le rapport entre l'ensemble des positions des membres d'un groupe avant discussion à la posi-
tion qui sera celle du groupe après discussion (Davis, 1973, 1982).
Psychologie sociale des groupes I 209
(ii) Linda est une employée de banque et elle milite dans le mouvement féministe. La plupart des
gens (près de 9 personnes sur 10 dans l'expérience de 1982 qui portait sur 86 person-
nes) répondent de façon erronée (c'est ce que Tversky et Kahneman (1983) nomment
l'erreur de conjonction) qu'il est plus probable que Linda est une employée de banque
militante féministe qu'une simple employée de banque, bien que cette réponse viole un
théorème fondamental de la théorie des probabilités, selon lequel la cooccurrence de
deux événements ne peut pas être plus probable que l'occurrence de chacun de ces
événements. Afin de contrôler la possibilité que les sujets n'interprètent pas employée de
banque comme employée de banque qui n'est pas militante dans le mouvement fémi-
niste, Tversky et Kahneman ont conduit des expériences additionnelles dans lesquelles
différents groupes de sujets reçoivent un ensemble d'alternatives contenant l'une des
alternatives ci-dessus mais pas l'autre, de sorte que ces deux alternatives ne sont jamais
comparées directement. Les résultats ne sont pas modifiés pour autant : les sujets consi-
dèrent toujours qu'il est plus probable que Linda est une employée de banque militante
féministe qu'une employée de banque. Plus généralement, les sujets expérimentaux ont
tendance à estimer qu'un événement plus spécifique (Linda est employée de banque et
militante féministe) est plus probable qu'un événement plus général (Linda est simple-
ment employée de banque). Il n'est pas rare que les groupes aient à combiner de
l'information a priori par rapport à de l'information individualisante, comme par
exemple quand un jury d'admission évalue la probabilité pour un étudiant d'obtenir un
diplôme ou quand une équipe médicale évalue la probabilité qu'un patient ait con-
tracté une certaine maladie en combinant la probabilité que les symptômes du patient
correspondent à la maladie avec la fréquence de cette maladie dans la population.
Cependant, cette activité n'a pas fait l'objet d'un très grand nombre de travaux. On
s'est plus intéressé aux individus quand ils raisonnent seuls, pour constater qu'ils sont
très fortement portés à négliger l'information a priori en faveur de l'information indivi-
dualisante, du moins quand celle-ci est présentée comme fiable et ne comporte pas de
contradiction.
Est-ce qu'ils se comportent différemment quand ils sont dans des groupes ?
Sachant que les groupes disposent de plus de ressources conceptuelles que les individus,
de plus d'approches du problème posé et de plus de possibilités de critiquer les erreurs,
les personnes en groupes devraient être plus enclines à utiliser l'information a priori que
quand elles travaillent isolément. L'information a priori (appelée encore taux de base) est
l'information sur la probabilité qu'un individu présente un certain trait dans une popu-
lation. On suppose que les gens en groupe disposeront d'une mémoire plus étendue :
ensemble ils se souviendront de plus de choses et donc risquent moins d'oublier une
information (en fait, les travaux de Stasser et coll. montrent qu'il n'en est pas ainsi
(cf. supra, p. 211)). L'information individualisante est l'information qui sollicite un sté-
réotype. Par exemple quelqu'un décrit comme ayant des cheveux longs (information
individualisante) sera plutôt perçu comme un artiste (car les cheveux longs sont « repré-
sentatifs » des artistes), indépendamment de la proportion des artistes dans la société.
Mais, on pourrait aussi penser le contraire, en s'appuyant par exemple sur la théorie
des arguments persuasifs de Burnstein et Vinokur (1977). Les options débattues dans
une discussion de groupe correspondent, chacune, à un pool d'arguments. Le pool
d'arguments, c'est simplement l'ensemble des arguments. On veut dire que la quantité
Psychologie sociale des groupes I 211
des arguments en faveur de l'information individualiste est plus élevée que celle en
faveur de l'information a priori. En effet, un groupe est fait de plusieurs personnes. Une
personne a tendance à raisonner plutôt à partir de l'information individualisante que de
l'information a priori. Si la décision de groupe était simplement l'addition des points de
vue individuels elle devrait être conforme à l'heuristique de représentativité.
En début de discussion, le pool d'arguments en faveur de l'information individuali-
sante devrait en contenir plus puisque les personnes travaillant isolément ont tendance
à se concentrer sur l'information individualisante en représentant ainsi la préférence de
la population en faveur de l'information individualisante. Comme la discussion a généra-
lement pour effet de polariser le point de vue dominant, elle devrait « amplifier la ten-
dance à juger en fonction de l'heuristique de représentativité ». C'est cette seconde
hypothèse qu'appuient Argote et al. (1995) qui ont soumis leurs sujets expérimentaux au
problème des ingénieurs et des avocats. Non seulement la discussion de groupe ne
conduit pas à l'élimination du biais de représentativité, mais elle aurait plutôt tendance
à amplifier ses manifestations. Aussi les groupes recourent-ils davantage que les indivi-
dus aux heuristiques cognitives pour résoudre les problèmes qui les sollicitent.
L'influence qu'un groupe prenant une décision exerce sur l'engagement de ses
membres envers cette décision, identifiée par Bavelas et Lewin dans les années 1945,
est un fait constituant de la psychologie sociale des groupes (cf. chap 5) car il fonde
empiriquement la thèse qu'un groupe est « plus que la simple somme de ses mem-
bres ». La polarisation est un autre phénomène qui appelle la même conclusion. La
polarisation est la tendance des groupes à prendre des décisions qui sont plus extrêmes
que les opinions initiales de leurs membres. Elle contredit les hypothèses découlant de
la théorie de la conformité (les groupes éviteraient les opinions déviantes) et de la
théorie de la normalisation (les groupes moyennent les opinions de leurs membres).
Lorsqu'un groupe polarise (Moscovici et Doise, 1992), ses membres convergent sur un
point de vue plus radical que les points de vue individuels existants avant la discussion
pour parvenir à un consensus. Ce point de vue est de plus conforme à la norme domi-
nante dans la culture ambiante du groupe. C'est ainsi que des discussions menées dans
des groupes composés de personnes racistes accentuent leur racisme. La polarisation
illustre le fait qu'une attitude de groupe est plus que la somme des attitudes de ses
membres.
Les études consacrées au partage de l'information dans les groupes montrent que
leurs discussions tendent souvent à se concentrer sur l'information connue de tous au
détriment de celle détenue par une seule personne, entraînant des décisions moins
bonnes que celles tenant compte de toute l'information disponible. L'exemple suivant
212 I Psychologie sociale
illustrant les travaux conduits par Stasser et ses collaborateurs (Stasser et Stewart,
1992) permet de comprendre comment un groupe peut parvenir au moins bon résul-
tat. Un jury de recrutement composé de trois membres (X, Y et Z) doit pourvoir un
poste. Deux candidats (A et B) se sont présentés, un seul devra être retenu. Avant la
réunion, chacun des membres dispose des quatre informations identiques, 3 en faveur
de A : a 1 a 2 et a 3 et une en faveur de B : b 1 . En outre chacun dispose d'une autre
,
information en faveur de B que les autres n'ont pas : b 2 pour X, b 3 pour Y, b 4 pour Z.
Avant discussion, l'information commune partagée par X, Y et Z, est {a l , a2 , a3 et b 1 }
tandis que l'information totale distribuée dans le groupe est {a b a2 , a3 , b 1 , b 2 , b3 ,
chacun des membres du groupe disposant de trois items en faveur de A et de deux
items en faveur de W. Si le groupe s'en tient à l'information partagée, A est favorisé :
trois informations lui sont favorables contre deux favorables à B. Mais s'il tient
compte de l'information distribuée alors c'est B qui est favorisé, car en réunissant
toute l'information connue sur B, chacun des membres du jury disposerait de quatre
informations en faveur de B, définissant ensemble le « profil caché » de ce candidat.
En ne travaillant que sur l'information partagée, le jury recrutera la personne qui a le
moins bon dossier.
La pensée de groupe
1. Une information commune (b,) plus une information différente possédée par chaque membre du groupe.
Psychologie sociale des groupes I 213
en évidence par Cline (1990) dans son analyse des discussions produites par les groupes
victimes de la pensée de groupe. La pensée de groupe a pratiquement toujours pour
résultat une décision médiocre, quand elle n'engendre pas de fiasco. Janis (1982) en a
décrit un certain nombre dans le domaine politique : l'attaque de l'armée japonaise sur
Pearl Harbor en 1941, l'attaque de la Corée du Nord par l'armée US sous la présidence
Truman, l'invasion de la baie des Cochons à Cuba sous la présidence Kennedy et le
cambriolage du Watergate sous la présidence Nixon. Elle n'est cependant pas
réservée aux groupes d'hommes politiques. Le désastreux projet Corvair développé par
General Motors dans les années 1960 et l'explosion de la navette Challenger en jan-
vier 1986 relèvent de la pensée de groupe. Ce concept a été surtout développé à partir
d'analyses de cas. D'autres explications ont été proposées. Tetlock et al. (1992) estiment
que ce sont des défauts dans l'organisation du groupe, notamment le comportement du
leader, qui en constituent le facteur décisif. Hogg (1992) note que la conception de
Janis a varié au fil de ses écrits. Alors qu'il insiste plutôt sur la cohésion dans son
ouvrage de 1972, c'est le stress qu'il met plutôt en avant en 1982 quand il écrit que
« les symptômes de la pensée groupale sont les conséquences comportementales d'un
pattern d'évitement défensif qui est mutuellement supporté au sein du groupe » (Janis,
1982, p. 481-482). On ne peut pas s'empêcher de rapprocher un tel pattern du pré-
supposé de base d'attaque-fuite mis en évidence par Bion (1965) dans ses groupes
thérapeutiques.
LECTURES CONSEILLÉES
Trognon, A., & Dessagne, L. (2006). Quels sont les facteurs qui influencent la réussite d'une
équipe de travail ? In C. Lévy-Leboyer, C. Louche & J.-P. Rolland (Eds.), RH: Les
apports de la psychologie du travail. 2. Management des organisations (pp. 205-232). Paris : Édi-
tions d'Organisation.
— Méthodologie des entretiens de groupes :
Trognon, A., & Batt, M. (2006). Les entretiens cliniques de groupe. In M. Grossen & A. Sala-
zar-Orvig (Eds.), L'entretien clinique en pratiques. Analyse des interactions verbales d'un genre hétéro-
gène (pp. 67-87). Paris : Belin.
11 les relations entre groupes
A - INTRODUCTION
1 / C'est au début du siècle passé, que Sumner publie son livre Folkways (Tradi-
tions populaires) et y introduit les termes « in-group », « out-group » et « ethnocen-
trism ». Nous traduirons dans la suite les deux premiers termes par « intra-groupe »
pour désigner d'une manière très générale tout ce qui est en rapport avec un groupe
d'appartenance et par « hors-groupe » tout ce qui est en rapport avec un groupe de
non-appartenance, réellement ou symboliquement présent dans une situation. Nous
reproduisons sa définition de l'ethnocentrisme en encadré.
ENCADRÉ 1
Ethnocentrisme est le terme technique pour désigner la vision du monde selon laquelle son
propre groupe est le centre par rapport auquel tous les autres groupes sont hiérarchisés et
évalués. Les traditions populaires régissent en même temps les relations à l'intérieur du
groupe et les relations à l'égard de l'extérieur. Chaque groupe nourrit sa propre fierté et
vanité, se proclame supérieur, exalte ses propres divinités et méprise les autres. Chaque
groupe considère ses propres traditions comme les seules qui sont justes, et dans le cas où il
observe d'autres traditions chez d'autres groupes, cela provoque son dédain. Ce qui nous inté-
resse ici spécialement est le fait que l'ethnocentrisme conduit chaque peuple à exagérer et à
accentuer tout ce qui est particulier dans ses traditions et les différencie des autres.
L'ethnocentrisme contribue ainsi à consolider les traditions populaires.
Les relations entre groupes I 217
2 / Le livre de LeVine et Campbell (1972) reste un classique dans l'étude des rela-
dons intergroupes parce qu'il offre, d'une manière systématique, un bilan des savoirs
accumulés sur l'ethnocentrisme par les anthropologues et les psychologues sociaux pen-
dant plus d'un demi-siècle. Ces savoirs servent en quelque sorte comme socle commun
sur lequel se construiront la plupart des travaux que nous exposerons dans ce chapitre.
Les auteurs (LeVine et Campbell, 1972, p. 173), dont le premier est un anthropo-
logue et le second un psychologue social, reprennent la définition de l'ethnocentrisme
proposé par Sumner et l'illustrent par ce qu'ils appellent le « stéréotype universel ». Ce
stéréotype (voir encadré) refléterait une centration évaluative sur le groupe
d'appartenance en connotant les mêmes caractéristiques d'une manière positive quand
elles s'appliquent à son groupe et d'une manière négative quand elles s'appliquent à un
autre groupe. Notons une différence, par rapport au passage cité de Sumner,
l'ethnocentrisme ne consisterait pas nécessairement dans une accentuation de diffé-
rences objectives entre un intra-groupe et un hors-groupe, il s'agirait avant tout d'une
différence d'évaluation et d'interprétation de caractéristiques ou de manières de se
comporter attribuées à l'intra-groupe et au hors-groupe.
ENCADRÉ 2
Groupe d'appartenance :
1 / Nous sommes fiers, avons le respect de nous-mêmes et honorons les traditions de nos
ancêtres.
2 / Nous sommes loyaux.
3 / Nous sommes honnêtes et dignes de confiance entre nous, mais nous ne sommes pas
dupes des combines des étrangers.
4 / Nous sommes courageux et allons de l'avant. Nous défendons nos droits et nos proprié-
tés ; nous ne nous laissons pas marcher dessus.
5 / Nous sommes pacifiques et aimables et ne haïssons que nos vils ennemis.
6 / Nous sommes moraux et propres.
Hors-groupe :
1 / Ils sont égoïstes et centrés sur eux-mêmes. Ils s'aiment plus qu'ils ne nous aiment.
2 / Ils ne voient que leurs intérêts et sont exclusifs.
3 / Quand ils le peuvent ils nous trompent. Ils n'ont pas le sens de l'honnêteté ni de code moral
dans leurs affaires avec nous.
4 / Ils sont agressifs et expansionnistes. Ils veulent aller de l'avant à nos dépens.
5 / Ils sont un peuple hostile qui nous déteste.
6 / Ils sont immoraux et malpropres.
3 / Peabody (1968, 1985) s'est directement inspiré de cette idée proposée par
LeVine et Campbell quand il élabore une technique pour mesurer les distorsions éva-
luatives dans les images entre groupes. Vidée à l'origine de sa procédure est simple :
malgré des appréciations différentes d'un même comportement chez deux groupes, un
certain accord peut exister sur la nature objective du comportement en jeu. Ainsi,
quand des membres d'un groupe donné considèrent qu'ils calculent généralement bien
218 I Psychologie sociale
leurs dépenses, les membres d'un hors-groupe peuvent être d'accord avec cette affirma-
tion. Le désaccord portera sur le fait que les premiers diront que les membres de leur
groupe sont économes, tandis que les seconds diront qu'ils sont avares. De même, dans
le cas où les seconds se décriraient comme généreux, les premiers vont les considérer
comme gaspilleurs.
L'instrument construit par Peabody a donc pour but de séparer l'aspect évaluatif
de l'aspect descriptif dans les descriptions de personnes et de groupes. Dans ce but, il a
choisi plusieurs ensembles de quatre traits, dont chaque fois deux portaient sur un
même comportement objectif, par exemple avare et économe, et deux autres sur un
comportement opposé : généreux et gaspilleur. En même temps, deux de ces traits
objectivement opposés dénotaient une évaluation positive (généreux et économe) et les
deux autres une évaluation négative (gaspilleur et avare).
Dans une recherche à laquelle ont participé en 1969-1970 de jeunes Européens
(dernière année de l'enseignement secondaire) provenant d'Allemagne Occidentale,
Angleterre, Autriche, Finlande, France, Grèce et Italie du Nord et du Sud, l'auteur put
ainsi mesurer l'importance relative de l'aspect évaluatif et descriptif des stéréotypes
nationaux. Les membres de chaque groupe décrivaient toujours les membres de leur
groupe national et de plusieurs autres groupes nationaux. Des images réciproques sont
ainsi obtenues pour les Anglais, les Allemands, les Français et les Italiens mais aussi
pour plusieurs autres paires de groupes.
Ici nous ne rapporterons que les résultats les plus importants. D'abord en faisant
des calculs de variance appropriés, on observe que les différences entre groupes natio-
naux décrits (63 % de la variance) sont beaucoup plus importantes que les différences
entre réponses des groupes qui décrivent (9 %) et l'interaction entre les variables cibles
et juges (28 o/). Les stéréotypes nationaux existent bel et bien chez ces jeunes, ils sont
consensuels dans le sens où les membres de différents groupes nationaux s'accordent
pour émettre des jugements qui différencient d'une manière assez semblable les mêmes
groupes cibles. En général, l'aspect descriptif des jugements est beaucoup plus impor-
tant (73 % de la variance) que leur aspect évaluatif (26 o/).
Une analyse factorielle permet de dégager un premier facteur de nature descrip-
tive organisé autour d'un pôle plutôt tendu (saturations très élevées sur les échelles
impliquant les traits économes, avares, maître-de-soi, inhibé, sérieux, lugubre) opposé à
un pôle plus détendu (pacifique, passif, modeste, peu assuré) et un second facteur por-
tant surtout sur l'affirmation de soi (agressif, énergique, prétentieux, sûr de soi, agité et
actif). Le premier facteur est mis en rapport avec l'idée d'éthique protestante, le second
caractériserait surtout les Allemands et les Français parmi les cibles européennes.
De forts biais évaluatifs ne s'observent que dans de rares cas : il s'agit de juge-
ments négatifs portés par les Italiens du Nord sur les Italiens du Sud, par les Français
sur les Espagnols, par les Autrichiens sur les Italiens et par les Grecs sur les Turcs. Rap-
pelons qu'à l'époque de la recherche, la plupart des Français rejetaient le régime fran-
quiste espagnol, que la question du Haut Adige opposait l'Autriche et l'Italie, que la
Grèce et la Turquie étaient en conflit ouvert, et que les préjugés des Italiens du Nord à
l'égard de ceux du Sud étaient très forts.
4 / Une étude plus récente apporte d'autres innovations méthodologiques qui per-
mettent de montrer la persistance d'un ethnocentrisme voilé chez des membres de
Les relations entre groupes I 219
ENCADRÉ 3
Préjugés flagrants
• Les x* (i mmigrés) occupent des emplois qui devraient revenir aux y* (nationaux).
• Les y et les x ne peuvent jamais se sentir tout à fait à l'aise entre eux, même s'ils sont des
amis proches.
• La plupart des politiciens en (nom du pays des y) se soucient trop des x et pas assez du y
moyen.
• Je ne pourrais pas envisager d'avoir des relations sexuelles avec un(e) x.
Préjugés voilés
• Les x vivant ici ne devraient pas s'immiscer là où on ne veut pas d'eux.
• Beaucoup d'autres groupes sont venus en (pays des y), ont surmonté les préjugés et ont
réussi. Les x devraient faire de même sans demander un traitement de faveur.
• Les x apprennent à leurs enfants des valeurs et des savoir-faire différents de ceux qui sont
nécessaires pour réussir dans la société y.
• Vous est-il déjà arrivé de ressentir de la sympathie pour les x vivant ici ?
ENCADRÉ 4
Il y a une différence cruciale entre ces deux types de rapport : dans le rapport de type domes-
tique, on explique le comportement de l'animal par des attributs de l'homme-culture, de celui-
là même qui le domestique ; tandis que, dans le rapport de type sauvage, c'est le comporte-
ment de l'homme qui s'explique par les attributs de l'homme-nature-animal. Dans les deux
cas, on assiste à un phénomène de substitution d'une catégorie à une autre et donc à une
mise en proximité ou en fusion de l'homme et de l'animal. Mais il existe une autre différence
cruciale : dans le rapport de type domestique, c'est l'animal qui est marqué par ce qui cons-
titue l'homme tandis que, dans le rapport de type sauvage, c'est l'homme qui est marqué par
ce qui constitue l'animal. C'est au niveau de cette seconde forme de substitution que se cons-
truit l'ontologie de l'homme-nature. Comme on l'aura compris, notre hypothèse c'est bien que
le rapport de type domestique est plus prégnant entre la majorité, le gadjé et l'animal et que le
rapport de type sauvage est plus prégnant entre la minorité, le gitan et l'animal.
De façon astucieuse trois expériences sont alors effectuées qui montrent que la ten-
dance à représenter la minorité particulière des gitans comme une entité entre l'animal
et l'homme n'est pas une tendance générale, mais qu'elle exerce ses effets quand les
membres du groupe majoritaire, les gadjés, sont confrontés avec leur propre origine
animale. Quand au début de l'expérience, la photo d'un singe nu est présentée, les
gitans sont plus souvent décrits par les non-gitans avec des traits qui sont aussi utilisés
pour décrire un animal.
Rapportons aussi les résultats d'une recherche plus ancienne de Moscovici et Pérez
(1997). Provenant de sept pays, 858 étudiants sont d'abord invités à indiquer leur préfé-
rence pour vivre dans une société homogène, une société composée d'une grande majo-
Les relations entre groupes I 223
rité et une petite minorité, et une société composée de quatre minorités de t. Ille égale.
Les résultats de ces choix sont déjà très intéressants. Presque la moitié (49 %) des parti-
cipants aimeraient vivre dans une société composée de quatre groupes différents, contre
30 % dans une société homogène, et seulement un sur cinq (21 %) choisissent une
société avec une seule minorité. Plus importants encore nous paraissent les résultats
obtenus avec les mêmes personnes pour leurs descriptions de différents types de gitans
(un musicien, un mendiant, les gitans en général). Pour ceux préférant une société
homogène ou à forte majorité, les traits négatifs l'emportent systématiquement dans les
trois descriptions sur les traits positifs. L'inverse est vrai pour les descriptions données
par les étudiants qui préfèrent une société pluraliste. D'où l'importance, dans les études
des stéréotypes, de ne pas se contenter de généralisations sous formes de moyennes,
mais de procéder aussi à des analyses typologiques.
C RAPPORTS D'INTERDÉPENDANCE
-
Revenons en arrière, mais cette fois d'un demi-siècle seulement, pour nous arrêter
à l'après-guerre des années 1950 et 1960. C'est la période où les psychologues sociaux
tendent de rendre compte de la tragédie de la Seconde Guerre mondiale. Nous présen-
terons d'abord les recherches intergroupes de Sherif, elles ont comme avantage
d'indiquer une voie pour résoudre autrement que par l'exaspération les antagonismes
entre groupes.
1 / Les recherches des Sherif (1979) recourent à l'étude expérimentale de
l'interaction des groupes. Leur conception de base est que des dynamiques psychologi-
ques spécifiques se déclenchent, dès que des individus appartenant à une catégorie ren-
contrent des individus en tant que représentants d'une autre catégorie, mais que la
nature des rapports entre catégories modulera ces dynamiques.
Rapportons deux de leurs expériences effectuées dans les années 1950. Dans la
première, un groupe d'enfants de 12 ans, tous biens adaptés, vaquait à des activités
agréables qui nécessitaient la participation de tous les membres du groupe. Une cohé-
sion intra-groupe (mesurée par des choix sociométriques) se développait spontanément
jusqu'à ce que les expérimentateurs constituent deux groupes de sorte que les meilleurs
amis étaient séparés. Les deux groupes ainsi constitués avaient maintenant à interagir
dans des jeux agréables mais compétitifs, la victoire d'un groupe ne pouvant être
obtenue qu'à la condition d'une défaite de l'autre groupe. Cela suffisait pour modifier
la structure du réseau des choix interpersonnels. Les amitiés nées dans la première
phase mais qui dépassaient les frontières des nouveaux groupes avaient tendance à dis-
paraître. Les choix sociométriques ne restaient pas seulement à l'intérieur des frontières
de chaque groupe mais une forte hostilité se développait entre les deux groupes et
s'extériorisait par des insultes et bagarres. La multiplication de rencontres non compéti-
tives entre les deux groupes, que les expérimentateurs organisaient, n'arrivait pas à
détendre leurs relations.
224 I Psychologie sociale
ENCADRÉ 5
Des individus amenés à réaliser un but par des actions interdépendantes deviennent un
groupe ; ils développent une hiérarchie sociale et des normes spécifiques. Lorsque deux grou-
pes ont à réaliser des projets incompatibles, l'un d'eux ne pouvant réaliser son projet qu'à
condition que l'autre n'y arrive pas, une perception défavorable se développe entre les grou-
pes et les membres d'un groupe n'envisagent et ne réalisent que des contacts hostiles avec
ceux de l'autre groupe. Ils augmentent la solidarité à l'intérieur de leur groupe, tout en adap-
tant, au besoin, leur structure sociale aux exigences créées par le déroulement du conflit.
D'autre part, l'introduction d'un projet d'intérêt supérieur qui nécessite la collaboration des
deux groupes fera disparaître l'hostilité ; elle rendra la perception de l'autre groupe plus favo-
rable et permettra l'établissement de rapports de camaraderie entre les membres des deux
groupes. La compréhension des phénomènes psychologiques se déroulant lors d'interactions
entre groupes, se baserait donc principalement sur l'étude des rapports entre les projets des
groupes en interaction.
reuses ; les autres sur des qualités sociales, des aptitudes générales, et sur des traits de
personnalité. Le changement dans la représentation de l'autre couple est bien sélectif : il
porte seulement sur les motivations. Nous avons montré (Doise, 1976) que ces diffé-
rences dans les projections se mettent déjà en place au début de l'interaction compéti-
tive. Les motivations compétitives, voire hostiles, sont projetées d'une manière différen-
tielle sur l'autre groupe qui est ainsi rendu responsable de la tournure que prendront les
relations antagonistes.
Une telle caractéristique fonctionnelle se manifeste également dans l'évolution his-
torique de représentations intergroupes. Ehrlich (1973) étudie, à l'aide de l'instrument
classique de Katz et Braly (1935), l'évolution des stéréotypes que des Américains formu-
lent à l'égard des Allemands, Russes et Japonais. En 1942, les Russes sont alliés dans la
guerre contre l'Allemagne nazie et leur image est beaucoup plus favorable sur certaines
dimensions que lorsque, plus tard, les Allemands et les Japonais deviendront les alliés
des Américains contre les Soviétiques dans la guerre froide. À ce moment, les Alle-
mands récupèrent et les Japonais acquièrent une réputation positive, notamment par
une diminution importante d'attributions de traits immoraux et d'agressivité en 1966
par rapport à 1942. Ces alliances constituent en quelque sorte des projets d'intérêt
supérieur dans le sens de Sherif et relient entre elles des dynamiques de comporte-
ments, de représentations et d'évaluations.
2 / Mais faut-il nécessairement l'engagement dans un projet commun pour consti-
tuer un groupe et pour entrer dans une dynamique de rapports entre groupes ? Un
nombre important de recherches de Rabbie et plusieurs collègues aux Pays-Bas mon-
trent que beaucoup de choses restaient à préciser après les travaux de Sherif.
Rabbie et Horwitz (1979) introduisent ainsi la notion de « sort commun » dans
l'étude expérimentale des relations intergroupes. En le faisant, ils ne contestent pas
qu'une interdépendance négative entre projets de groupes puisse susciter leur hostilité.
Mais ils considèrent, qu'une telle incompatibilité, tout en constituant une occasion suffi-
sante pour susciter un antagonisme entre groupes n'en est pas pour autant une condi-
tion nécessaire.
Ils rejoignent ainsi une conception courante chez les chercheurs que nous connais-
sons déjà pour l'avoir rencontrée dans les études sur l'ethnocentrisme. La discrimina-
tion entre groupes se produit facilement et une incompatibilité entre projets poursuivis
par des groupes n'est pas indispensable pour la susciter. D'où une sorte de compétition
,
entre chercheurs pour observer les conditions minimales nécessaires à observer la dis-
crimination entre groupes.
Lewin (1948, 184) cité par Rabbie et Horwitz (1979) avait déjà proposé l'idée de
« sort commun » pour définir l'appartenance à un groupe : « Indépendamment du fait
que le groupe juif est racial, religieux, national ou culturel, il est classé par la majorité
comme un groupe distinct et c'est cela qui compte... le critère principal d'appartenance
est l'interdépendance de destin. »
Dans les expériences de Sherif, les membres d'un groupe partagent un sort com-
mun. En fonction de leur appartenance commune, ils gagnent ou ils perdent une com-
pétition. Cependant, le partage d'un sort est confondu avec beaucoup d'autres facteurs
dans les expériences de Sherif. Rabbie va donc réaliser une série d'expériences pour
jauger l'importance respective de ces facteurs.
226 I Psychologie sociale
fût élaboré, deux décades de recherche avaient été nécessaires sur différents aspects de
phénomènes intra- et intergroupes.
Aux tenants de la théorie de l'identité sociale, Rabbie et Horwitz reprochent qu'ils
ne tiennent pas suffisamment compte des attentes qui sont implicitement formulées par
rapport aux comportements des autres membres de l'intra-groupe et du hors-groupe.
Chaque rencontre intergroupe suscite une certaine perception de l'interdépendance
entre personnes, elle suscite des attentes différenciées par rapport aux comportements
des uns et des autres : « Postuler que les gens perçoivent tout simplement un groupe
comme une catégorie d'individus fait oublier le fait qu'ils dotent le groupe avec une
capacité d'action et de réaction en tant qu'entité organisée et qu'ils élaborent des attri-
butions d'intentions au sujet des actions et réactions du groupe » (Rabbie and Horwitz,
1988, 122).
4 / Cette section a commencé par l'évocation d'une guerre atroce qui a divisé
l'Europe et le monde et où le sort commun partagé par des populations entières
était celui d'une grande vulnérabilité collective. Malheureusement, de telles condi-
tions de vulnérabilité n'ont pas cessé de se reproduire, dans plusieurs parties du
monde, mais aussi en Europe, notamment en Yougoslavie. En ré-analysant les résul-
tats d'une grande enquête internationale, lancée par le Comité international de la
Croix-Rouge, Guy Elcheroth (2005, 2006) a récemment élaboré la notion de vulné-
rabilité collective en la rendant opérationnelle pour l'analyse de données d'enquête
et d'observation.
Le but des analyses rapportées dans son article de 2006, était d'étudier les effets
des expériences individuelles et des expériences collectives de vulnérabilité dans
l'élaboration des rapports que les individus entretenaient avec les normes humanitaires.
Les résultats montrent d'abord que l'expérience individuelle de traumatismes a comme
effet une moins forte adhésion à une conception légale de ces normes par rapport à
celle manifestée par des personnes qui n'ont pas subi ces traumatismes. Peut-on pour
autant en conclure, en invoquant les effets d'un cycle de la violence que les atrocités de
la guerre détruiraient les repères normatifs permettant de les condamner ? C'est ne pas
tenir compte des expériences collectives, car c'est précisément au sein des pays ou
régions qui comptent le plus grand nombre de victimes de la guerre que les populations
adoptent le plus fréquemment une conception légale des normes humanitaires et refu-
sent le plus leurs violations.
La notion de vulnérabilité collective est proposée pour rendre compte de ces
résultats apparemment contradictoires. Lorsqu'un système social est exposé dans son
ensemble et de manière systématique à des expériences négatives ou traumatisantes,
lorsque les différentes composantes partagent donc davantage un même sort commun,
dans le sens de Rabbie, une dynamique normative spécifique se déclenche. Elle aboutit
à ce qu'en général l'ensemble des membres de la population concernée développent
une vision plus légale des rapports sociaux, même si pour autant, ceux et celles qui ont
le plus directement été exposés à ces expériences, cultivent moins que les autres cette
vision légale. Il faut donc distinguer deux sortes de vulnérabilité, l'une individuelle,
l'autre collective.
228 I Psychologie sociale
ENCADRÉ 6
Ainsi, la vulnérabilité collective constitue une notion inclusive. Elle cherche à expliquer les
réactions des membres d'une communauté face à des actes systématiques d'intrusion vio-
lente à partir du sort qui leur est commun. Elle s'oppose en cela à la notion de victime, qui est
exclusive au sens où elle essaie d'expliquer les réactions des individus qui ont subi des attein-
tes violentes à leurs droits fondamentaux, à partir du vécu singulier qui les distingue d'autres
membres de cette communauté. Évidemment, une telle situation de sort commun n'est pas
toujours donnée lorsque le fonctionnement d'un système social génère, même de manière
systématique, des actes d'intrusion violente. Autrement dit, la vulnérabilité n'est pas automa-
tiquement collective.
définition institutionnelle des droits sociaux, en tant qu'acquis historique collectif, rem-
plit son rôle structurant dans la communication sociale et fonctionne davantage
comme grille d'interprétation des rapports sociaux, quand la vulnérabilité collective
est plus élevée.
D CONSTRUCTIONS IDENTITAIRES
-
ENCADRÉ 7
Des différences dans des jugements concernant des dimensions physiques sont exagérées
quand ces dimensions entretiennent un rapport systématique avec la valeur des objets. Ainsi,
les différences entre les diamètres de pièces de monnaie sont surévaluées lorsqu'il y a un lien
entre le diamètre des pièces et leur valeur ; elles ne le sont pas en l'absence d'un lien systéma-
tique entre diamètre et valeur.
De telles différenciations s'effectuent aussi entre classes d'objets, même si les objets
appartenant à une même classe ne sont pas tous identiques. Il suffit que, pour une dimension
donnée, une différence systématique existe entre les objets appartenant à une classe et les
objets appartenant à une autre classe, par exemple quand la taille de lignes dont on doit éva-
luer la longueur est en rapport avec leur appartenance à deux classes.
Le but poursuivi par Tajfel en étudiant les contrastes dans les jugements perceptifs
devient l'extension du modèle pour décrire des processus à l'oeuvre dans les stéréotypes
sociaux. Posons comme définition qu'un stéréotype social existe quand plusieurs mem-
bres d'un groupe accentuent les différences qui existent entre les membres de leur
230 I Psychologie sociale
groupe et les membres d'un autre groupe tout en accentuant les ressemblances entre les
membres de cet autre groupe, et éventuellement aussi entre les membres de leur propre
groupe. La mesure d'un stéréotype est difficile à effectuer car il faudrait disposer de
mesures fiables portant sur les variations objectives d'une caractéristique à l'intérieur et
entre groupes d'individus pour comparer ces variations à celles qui sont attribuées dans
les stéréotypes portant sur les groupes. Par exemple, un jugement affirmant que les
Scandinaves sont plus grands que les Méditerranéens exagère-t-il ou pas une variation
qui peut être objective ? Pour contourner cette difficulté, les psychologues sociaux abor-
dent souvent le problème de l'étude des stéréotypes sociaux sous un autre angle en étu-
diant dans quelles conditions une accentuation des ressemblances et des différences
entre groupes se produit.
Avant d'exposer quelques-uns de nos propres travaux dans ce domaine, rappor-
tons d'abord une expérience de Tajfel, Skeikh et Gardner (1979) sur l'accentuation
des ressemblances entre membres d'un même groupe. Les chercheurs demandent
dans une première partie de leur expérience à des étudiants canadiens d'écouter des
entretiens qui se déroulaient devant eux. Après chaque entretien les sujets décri-
vaient la personne interviewée sur 25 échelles en sept points. Quatre personnes
étaient ainsi interviewées et décrites, un Canadien et un Hindou qui parlaient de
leur film préféré, un autre Canadien et un autre Hindou qui étaient interrogés sur
leurs livres préférés. Dans la seconde partie de l'expérience, d'autres sujets devaient
indiquer, parmi les adjectifs utilisés pour les échelles de la première partie, lesquels
caractérisaient, selon eux, la plupart des Hindous et lesquels la plupart des Cana-
diens. À partir des réponses de ce deuxième groupe de sujets, on déterminait donc
quels traits étaient mis en rapport avec les deux appartenances nationales, par
exemple spiritualiste, religieux pour les Hindous et conservateur, sociable pour les
Canadiens. On pouvait également isoler les traits pour lesquels il n'existait pas de
correspondance avec l'appartenance à la catégorie hindoue, comme sociable, flatteur
ou avec l'appartenance à la catégorie canadienne, comme subtil et spiritualiste. C'est
ce qu'il fallait à Tajfel pour vérifier, au moins partiellement, l'intervention du pro-
cessus de catégorisation.
De quelles informations objectives disposent les auteurs de cette expérience ? Ils
connaissent les appartenances catégorielles des personnages stimuli, ils savent également
quels traits, sur les 25 utilisés pour décrire ces personnes, sont généralement mis en rap-
port avec chaque appartenance. Ces informations suffisent pour vérifier au moins
l'aspect d'accentuation des ressemblances intracatégorielles du processus de catégorisa-
tion. Cette accentuation doit exister pour les traits ayant un lien avec l'appartenance
catégorielle et ne devrait pas exister pour les traits sans lien avec cette appartenance.
Une telle différence entre traits pertinents et traits non pertinents a bien été observée.
Quand on compare les différences moyennes entre les scores que les deux Hindous
obtiennent pour les traits typiques de leur groupe, aux différences moyennes pour les
traits non typiques, les premières différences se révèlent significativement plus petites.
Le même phénomène se vérifie pour les Canadiens. On a donc chaque fois observé
moins de différences, ou autrement dit, plus de ressemblances pour les caractéristiques
en rapport avec le stéréotype que pour les caractéristiques qui n'étaient pas en rapport
avec lui.
Les relations entre groupes I 231
Le modèle de Tajfel, pour autant qu'il porte sur l'accentuation des ressemblances
intracatégorielles, rend donc bien compte des données de l'expérience. Pourquoi ? Est-
ce par la dynamique propre du processus de catégorisation infléchissant dans le sens
prédit les jugements des sujets, ou est-ce parce que les stéréotypes sont objectivement
vrais et que les personnages stimuli incarnaient ces stéréotypes ? À notre avis,
l'expérience de Tajfel, Skeikh et Gardner ne permettait pas de répondre à cette
question.
2 / Afin d'étudier d'une manière plus directe les effets de la catégorisation comme
aspect important de la dynamique cognitive des stéréotypes sociaux nous avons, surtout
avec l'aide de Jean-Claude Deschamps, réalisé plusieurs expériences que nous situions
dans la lignée des travaux de Tajfel avec lequel nous entretenions des contacts étroits.
Dans une première expérience (Doise, Deschamps, Meyer, 1979) nous avons fait
varier expérimentalement la saillance des appartenances catégorielles tout en veillant à
garder identiques les individus ou groupes à décrire. Il s'agissait de décrire dans une
première condition (sans anticipation) des membres d'un groupe sans informer les sujets
qu'ils auraient également à décrire des membres d'un autre groupe ; dans une
deuxième condition (avec anticipation), les sujets, en décrivant les membres du premier
groupe, étaient déjà avertis qu'ils auraient également à décrire les membres de l'autre
groupe. Les prédictions expérimentales étaient, bien entendu, que ressemblances intra-
catégorielles et différences intercatégorielles seraient plus fortes dans la condition avec
anticipation que dans la condition sans anticipation.
Les sujets étaient des filles et des garçons âgés d'environ 10 ans. Le matériel expé-
rimental était constitué de trois photos de garçons et de trois photos de filles. La tâche
des sujets était d'indiquer, pour chacune des photos, lesquels des 24 adjectifs d'une liste
convenaient pour décrire l'enfant présenté sur la photo. Mais si tous les sujets décri-
vaient ainsi six photos sur six listes, trois photos seulement qui appartenaient à une
même catégorie sexuelle étaient présentées dès le début à la moitié d'entre eux (condi-
tion sans anticipation), tandis que toutes les photos étaient présentées dès le début à
l'autre moitié des sujets (condition avec anticipation).
Les résultats confirment les prédictions. L'indice de différenciation, qui totalise
pour chaque sujet les différences en valeur absolue entre le nombre de fois qu'un trait a
été attribué aux trois photos de filles et aux trois photos de garçons, montre que la dif-
férenciation est beaucoup plus grande quand il y a évocation de l'autre groupe dès le
début de l'expérience. L'accentuation des ressemblances intracatégorielles accompagne
bien la différenciation intercatégorielle. En effet, le nombre de fois qu'un sujet attribue
le même trait à toutes les trois photos d'une même catégorie est significativement plus
élevé quand, dès le début, les sujets anticipent la description de membres d'une autre
catégorie.
3 / N'en concluons pas pour autant que chaque fois qu'il y a plusieurs catégories
dans un champ social il y a nécessairement accentuation des contrastes. Il se peut que
de multiples appartenances catégorielles s'entrecroisent de telle sorte que les mêmes
individus peuvent appartenir à des catégories différentes selon un premier critère et en
même temps à une catégorie commune selon un second critère.
Imaginons un cas simple de croisement d'appartenances catégorielles. Des sujets
expérimentaux appartiennent à deux catégories selon le critère gendre : ce sont des
232 I Psychologie sociale
filles ou des garçons. Selon un autre critère, ils appartiennent également à d'autres
catégories : à un groupe expérimental « rouge », ou « bleu ». Croisons ces différentes
appartenances catégorielles de telle façon que chaque groupe de garçons ou de filles
soit composé d'une moitié de « bleus » et d'une moitié de « rouges » et que chaque
groupe de « bleus » et chaque groupe de « rouges » soient composés d'une moitié de
garçons et de filles.
Comment fonctionnera dans une telle situation le processus de catégorisation, si
les deux appartenances catégorielles sont rendues pertinentes pour les sujets ? Il devrait
y avoir accentuation des différences entre les deux catégories sexuelles mais également
entre les deux catégories expérimentales « bleus » ou « rouges ». En même temps, il
devrait y avoir aussi accentuation des différences à l'intérieur d'une même catégorie,
car elle est chaque fois composée de deux catégories différentes selon l'autre critère.
Pour les mêmes raisons, il devrait y avoir accentuation des ressemblances à l'intérieur
d'une même catégorie et avec une partie des membres de l'autre catégorie. Il y aurait
donc conflit entre accentuation des différences et des ressemblances à l'intérieur d'une
même catégorie et entre catégories opposées. On peut donc s'attendre à ce que, dans
ce cas, des effets opposés affaiblissent la différenciation catégorielle. C'est ce que nous
avons vérifié expérimentalement (Deschamps et Doise, 1979).
Des élèves, âgés de 9 à 10 ans, de cinq classes d'une école primaire de la banlieue
de Genève, ont participé à l'expérience. Dix séances expérimentales ont pu avoir lieu.
À chaque séance participaient douze sujets (six garçons et six filles d'une même classe).
Dans cinq séances les sujets ont participé à une condition de catégorisation simple. On
demandait aux garçons de s'asseoir d'un côté d'une diagonale d'une table, et aux filles
de s'asseoir de l'autre côté. Lors des cinq autres séances, une condition de catégorisa-
tion croisée a été créée. Comme dans l'autre condition, garçons et filles étaient de nou-
veau assis de chaque côté d'une diagonale de la table. De plus, trois garçons et trois
filles étaient désignés avec le nom de « rouges », les autres étaient des « bleus ». On dis-
tribuait des stylos à bille aux enfants, six rouges pour chaque enfant du groupe
« rouge » et six stylos bleus pour les membres de l'autre groupe. Et l'expérimenta-
teur faisait remarquer que l'autre diagonale de la table séparait ces deux groupes de
couleur.
Une fois les enfants installés, on leur demandait de réaliser individuellement cer-
taines tâches simples de type « papier-crayon » dans le style des jeux rencontrés dans la
presse enfantine : bulles à remplir dans un dessin, mots croisés. On avait au préalable
vérifié que ces tâches n'apparaissaient pas comme masculines ou féminines. Une pre-
mière série de jeux servait comme entraînement, les enfants les réalisaient avec
l'expérimentateur. Ensuite, chaque enfant faisait seul une deuxième série de jeux, puis
devait estimer combien de jeux chacun des douze membres du groupe expérimental
(lui compris) avait réussi. Il s'agissait donc d'attribuer à chacun une note allant de 0
à 4. Pour chaque sujet, les noms des douze membres étaient inscrits sur une feuille de
réponse. Dans le cas de la catégorisation simple, on faisait alterner deux noms de gar-
çons et deux noms de filles ; dans le cas de la catégorisation croisée la même alternance
était produite, mais on faisait aussi alterner le nom d'un sujet rouge (écrit en rouge) et
le nom d'un sujet bleu (écrit en bleu). Les réponses à ce questionnaire constituaient les
principales variables dépendantes de l'expérience.
Les relations entre groupes I 233
ENCADRÉ 8
11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23
5 7 9 13 15 17 19 21 23 25 27 29
Pour chaque matrice, les sujets sont informés du groupe auquel appartient l'individu qui rece-
vra les valeurs d'en haut, et auquel appartient celui qui recevra les valeurs d'en bas. Ils choisis-
sent une seule colonne par matrice pour rémunérer ces individus. Si les valeurs d'en haut sont
destinées à un membre du groupe auquel appartiennent aussi les sujets et celles d'en bas à un
membre d'un autre groupe, le choix d'une colonne vers la gauche indique une stratégie qui
diminue la valeur absolue des gains attribués au groupe d'appartenance au profit d'une diffé-
renciation positive entre ce groupe et l'autre groupe.
D'une façon très régulière, et ce pour des expériences effectuées dans plusieurs
pays, un même résultat se vérifie : lorsque les individus ont le choix entre deux straté-
gies, soit donner beaucoup à un membre de leur groupe tout en donnant encore plus à
un membre de l'autre groupe, soit donner moins en valeur absolue à un membre de
leur groupe tout eri lui donnant plus qu'à un membre de l'autre groupe, c'est très sou-
vent la dernière stratégie qui l'emporte. Autrement dit, plus que par le gain en valeur
absolue, les sujets sont attirés par le gain en valeur relative ; ce qui importe c'est que
leur groupe gagne plus que l'autre, même si cela implique une diminution en valeur
absolue des gains de leur propre groupe. En recourant à cette stratégie, les sujets se
construiraient une identité positive car leur groupe l'emporte sur l'autre. Brown (1978)
montre que de telles stratégies de différenciation positive, en faveur du groupe
d'appartenance et au détriment d'une maximisation de gains, se reflètent aussi quand
des travailleurs sont invités à se prononcer sur des barèmes de salaire.
L'origine de l'explication de Tajfel, formulée en termes d'identité sociale, est à
chercher dans la théorie de Festinger (1954) sur les processus de comparaison sociale.
Cette théorie postule chez l'individu un besoin d'auto-évaluation qui, dans certaines
conditions, ne peut être réalisé que par des comparaisons avec d'autres individus, assez
semblables pour ce qui est de la caractéristique à évaluer. Une certaine asymétrie se
manifeste dans ces comparaisons car l'individu a tendance à toujours faire mieux et se
compare ainsi de préférence à d'autres qui lui sont légèrement supérieurs pour une
capacité donnée.
Mais si, selon la théorie de Festinger, la comparaison sociale est un processus
interindividuel, la théorie de Tajfel porte sur des comparaisons entre catégories
d'appartenance. Elle s'occupe de ces aspects de l'identité sociale des individus qui sont
directement en rapport avec leur appartenance à des groupes sociaux. Selon Tajfel,
l'individu assouvit son besoin d'évaluation positive grâce aux appartenances à des
catégories sociales qu'il évalue positivement. L'évaluation de ces appartenances est
toujours relative, elle s'effectue par rapport à d'autres catégories pertinentes.
L'individu ne se limite pas à évaluer les bilans de ces comparaisons, il essaiera de les
rendre plus positifs en augmentant les écarts évaluatifs en faveur de sa catégorie
d'appartenance.
Les relations entre groupes I 235
ques et protestants en Irlande du Nord, des chrétiens palestiniens, des femmes au tra-
vail, des étudiants participant à des programmes de formation continue, des patientes
souffrant d'anorexie.
Malheureusement, il n'y a eu guère de fécondation réciproque entre les recherches
sur l'identité et la catégorisation sociale et celles sur l'identité personnelle pratiquées par
Zavalloni ou par Weinreich et collègues. Il s'agit de courants de recherches qui se sont
développés en parallèle et dont les premiers ont creusé des sillons qui retiennent davan-
tage l'attention dans le paysage académique. Pourtant, nous considérons plus impor-
tants les seconds pour les chercheurs qui visent une articulation entre l'étude de
l'identité personnelle et sociale.
Montrons maintenant que c'est plutôt au versant sociétal que des précisions
importantes ont été apportées à la formulation initiale de la théorie d'identité sociale de
Tajfel.
E ANALYSES SOCIÉTALES
-
ENCADRÉ 9
Dans des situations où les frontières entre groupes sont considérées perméables, les mem-
bres de ces groupes peuvent adopter une stratégie individuelle en quittant leur groupe
d'appartenance pour rejoindre un groupe à statut plus privilégié et viser un changement
d'appartenance pour améliorer leur sort individuel. ils pratiquent ainsi une stratégie de mobi-
lité sociale. Par contre, quand des frontières entre groupes sont considérées imperméables,
parce qu'elles sont, par exemple, de nature raciale, une telle stratégie de mobilité devient
i mpossible et pour changer de sort, les membres de groupes défavorisés doivent oeuvrer col-
lectivement pour changer les statuts respectifs des groupes, et réaliser ainsi un changement
social.
C'est bien une indication très forte que la recherche d'identité collective ou de spé-
cificité individuelle peut s'engager dans différentes voies et que le choix de l'une de ces
voies dépend des rapports d'homologie qui existent entre la position occupée dans une
situation donnée et celle occupée habituellement dans la société en fonction des appar-
tenances de genre.
La seconde série de recherches de Lorenzi-Cioldi porte sur le fait que la réparti-
tion des individus en groupes occasionne généralement une homogénéité relativement
plus importante dans la perception du hors-groupe que dans celle de l'intra-groupe. Les
membres des hors-groupes seraient ainsi traités de manière plus homogène et indiffé-
renciée que les membres des groupes d'appartenance.
Si la familiarité des individus avec les membres de différents groupes est souvent
invoquée pour rendre compte de telles observations, Lorenzi-Cioldi (1998) en distin-
guant entre groupes collection et agrégat émet l'hypothèse que les représentations des
premiers sont caractérisées par une grande différenciation interne et les seconds par
une plus grande homogénéité. Cela l'amène donc à formuler l'attente selon laquelle
l'effet d'homogénéité du hors-groupe sera davantage le fait des dominants qui jugent les
dominés, que l'inverse.
Considérons une illustration de cette idée. Dans une recherche, les participants,
des étudiants universitaires, lisaient des descriptions de quatre personnes. Dans les prin-
cipales conditions expérimentales, les cibles étaient identifiées par des prénoms
d'hommes et de femmes. Après avoir lu l'ensemble des descriptions, les participants
devaient se rappeler des descriptions associées à chaque prénom.
Il est tout naturel que lorsqu'ils effectuent la tâche de rappel, les participants font
des erreurs. La structure des erreurs revêt une importance capitale pour l'étude de la
catégorisation sociale et notamment de l'homogénéité des groupes. Les participants
perçoivent que les cibles appartiennent à des groupes distincts, les hommes et les fem-
mes. En accordant leur attention à ces appartenances, ils feront plus d'erreurs lors-
qu'ils attribueront les caractéristiques aux cibles d'un même groupe (erreurs intra-
sexe), que lorsqu'ils attribueront ces caractéristiques aux cibles appartenant à des
groupes distincts (erreurs intersexes). En comparant les erreurs portant sur le groupe
d'appartenance et sur le hors-groupe sexuels, on peut ainsi estimer le degré auquel les
sujets établissent des distinctions à l'intérieur de chaque catégorie sexuelle. Les théo-
ries en vigueur prédisent que l'homogénéité du hors-groupe sera plus importante que
celle du groupe d'appartenance. Or les résultats plusieurs fois retrouvés par Lorenzi-
Cioldi (1998) montrent que ce sont les hommes uniquement qui homogénéisent le
hors-groupe.
Les membres de groupes dominants (groupes collection dans la terminologie de
Lorenzi-Cioldi) homogénéisent le hors-groupe bénéficiant d'un statut moins prestigieux.
Les membres de groupes dominés (groupes agrégat) homogénéisent au moins autant
l'intragroupe que le hors-groupe. L'effet homogénéisation du hors-groupe varie donc en
fonction du statut relatif de ce hors-groupe par rapport à celui de l'intra-groupe.
3 / Venons-en maintenant à la théorie de l'autocatégorisation sociale de Turner,
Hogg et al. (1987) qui retient de la théorie de Tajfel l'aspect plus proprement cognitif.
L'une des thèses de Turner est qu'il y a antagonisme entre l'utilisation pour
l'autocatégorisation de niveaux de classification plus ou moins exclusifs. Illustrons cette
240 I Psychologie sociale
typique de l'appartenance à une catégorie supérieure que ne le sont les autres groupes
faisant aussi partie de cette catégorie supra-ordonnée. Autrement dit, il y aurait une
projection des caractéristiques de leur propre groupe sur le prototype général de la
catégorie plus inclusive. Pour revenir à l'exemple évoqué ci-dessus, les Allemands se
considéreraient plus typiquement « européens » tout en pensant que les Polonais le
seraient moins.
Wenzel, Mummendey et al. (2003) montrent effectivement que de telles projections
se font quand une catégorisation supra-ordonnée est appliquée. Ainsi, quand pour des
étudiants allemands l'appartenance commune à la catégorie européenne avec des Polo-
nais est évoquée il se vérifie qu'une plus grande similitude est affirmée entre l'image de
son propre groupe national et les Européens en général, qu'entre les Polonais et les
Européens. Cette tendance est d'autant plus forte qu'il y plus d'identification avec le
groupe national et avec le groupe supranational, et les attitudes à l'égard du hors-
groupe national sont d'autant plus négatives que l'identification avec les Européens en
général est plus forte.
L'accentuation d'une appartenance commune ne va donc pas nécessairement de
pair avec une atténuation de la discrimination entre groupes composant l'ensemble.
Cette évocation peut activer une hiérarchie de valeurs privilégiant certains sous-groupes
et intensifier ainsi une discrimination à l'intérieur de l'ensemble. Elle peut aussi intensi-
fier une discrimination à l'égard de hors-groupes n'appartenant pas à l'ensemble. Lau-
rent Licata et Olivier Klein (2002) montrent que c'est le cas chez des étudiants belges.
En général l'idée d'une Europe intégrée est associée avec des idées humanitaires, pour-
tant l'identification avec l'Europe peut aussi aller de pair avec une attitude d'exclusion
plus forte à l'égard de non-Européens.
5 / Une autre théorie vise également à expliquer comment à l'intérieur d'un
ensemble social de fortes dynamiques peuvent en fait renforcer la discrimination entre
parties de l'ensemble. Il s'agit de la théorie dite de « justification du système social »
proposée par Jost et ses collègues.
ENCADRÉ 11
La théorie de la justification du système part du postulat que dans différentes sociétés une
forte tendance existe à justifier l'ordre social établi, et partant, à considérer les rapports
sociaux existants comme équitables et légitimes, voire comme naturels et inévitables. De
nombreux résultats sont rapportés qui indiquent qu'une telle tendance à justifier le système
social est aussi présent chez les membres de groupes qui en fait sont objectivement défavori-
sés par le système, comme le sont souvent les femmes, les salariés à bas revenu, les immi-
grés. La tendance à justifier malgré tout le système social dont les membres de ces catégories
défavorisées font aussi partie est expliquée par un recours à la théorie de la dissonance. Un
besoin de réduire la dissonance, appelée « idéologique » serait spécialement fort chez les
membres de groupes défavorisés et les membres de sociétés où en général l'inégalité sociale
et économique est plus extrême.
242 I Psychologie sociale
Les savoirs exercent une action en retour sur la réalité sociale. Nous exposerons
brièvement deux exemples d'une telle action qui peut aboutir à une modification d'un
état donné de relations de discrimination, à opposer un nouvel état de droit à un ordre
qui semblait fermement établi. Le premier de ces exemples relève d'une entreprise col-
lective et a déjà abouti à des changements durables dans l'histoire des relations inter-
groupes, le second est de nature plus individuelle, il s'agit encore d'une tentative pour
entreprendre un changement dans un contexte particulièrement difficile.
1 / Le premier exemple remonte au début des années 1950 et montre le rôle
important que des psychologues sociaux ont joué à un moment crucial de la lutte anti-
raciste lors de l'affaire « Brown y. Board of Education of Topeka ». Lors du déroule-
ment de cette affaire devant la Cour suprême aux États-Unis, des études sur la discri-
mination et le racisme ont directement infléchi les arrêts de la Cour et ont ainsi modifié
des attitudes et comportements publics.
Les arrêts de la Cour suprême ont été pris en 1954 et 1955. Le psychologue Bru-
ner en a fait une analyse en termes de processus de catégorisation, de rhétorique et de
procédés narratifs dans un livre publié avec un juriste (Amsterdam et Bruner, 2002).
L'intervention des psychologues sociaux dans l'affaire est décrite en détail, par Jack-
son Jr (2001) et tout un numéro de l'American Psychologist y a été consacré en 2004, pour
en marquer le cinquantième anniversaire. Les arrêts de la Cour ont permis à des élèves
américains d'origine africaine de s'inscrire dans des écoles primaires et secondaires
jusque-là réservées aux seuls enfants blancs.
Comment un tel jugement a-t-il été rendu possible ? Les recherches de Klineberg
sur l'intelligence des Américains noirs, publiées en 1935, avaient préparé le terrain.
Elles montrent que le quotient intellectuel d'enfants de familles noires augmentait
quand ils émigraient vers le nord. Mais importants aussi étaient les travaux de son étu-
diant, Kenneth Clark, qui avec son épouse avaient effectué les fameuses recherches
avec des poupées de couleurs différentes parmi lesquelles les enfants noirs préféraient
en général les poupées de couleur blanche.
C'est précisément Kenneth Clark, américain d'origine africaine, qui animera un
groupe d'experts, dont la plupart étaient des psychologues sociaux, pour préparer des
interventions dans la procédure sous forme de recommandations à la Cour, comme la
pratique américaine le permet. Les arguments développés par les experts sont les sui-
vants : 1 / En se basant sur les recherches de Klineberg et de son étudiant Lee, ils con-
cluent à une absence de différence entre groupes ethniques en ce qui concerne
l'intelligence et la capacité d'apprendre. 2 / À partir des résultats aux tests des poupées
du couple Clark, mais aussi en se fondant sur la théorie de Lewin concernant
l'autodétestation des groupes discriminés, ils dénoncent les dommages causés par la
ségrégation. 3 / Ils invalident les arguments de leurs adversaires — qui prétendent que la
déségrégation serait impossible à réaliser dans le sud des États-Unis — en fournissant des
244 I Psychologie sociale
contre-exemples et en invoquant les effets positifs que peuvent avoir une modification
de la loi et un changement dans les rapports entre groupes.
Jackson (2001) montre comment ces arguments ont été élaborés collectivement et
progressivement au sein du comité d'experts présidé par Clark. Différentes consulta-
tions ont eu lieu entre psychologues, sociologues, spécialistes en sciences politiques, et
finalement 32 d'entre eux ont signé un document, nommé le « Social Science State-
ment », qui sera soumis à la Cour suprême.
Que nous apprend cette intervention historique ? D'abord que les recherches dites
fondamentales comme celles de Klineberg sur le développement de l'intelligence chez
les migrants, peuvent revêtir une pertinence sociétale. Ensuite, que les recherches sur la
discrimination ne reflètent pas seulement un état de fait, une réalité objective, mais
qu'elles peuvent aussi servir à mieux définir un état de droit, une réalité qui n'existe pas
encore, mais qui devrait exister si on appliquait les principes démocratiques. C'est là en
quelque sorte un argument fort en faveur d'une vision socioconstructiviste de la
recherche en psychologie sociale. Si les études sur la discrimination attestent souvent un
état de fait et peuvent susciter des attitudes de fatalisme, la confrontation entre les
résultats de ces études et les principes de justice, qui font également partie de la réalité
sociale, montrent que des idées-forces peuvent modifier un contexte sociétal.
Signalons que l'engagement de psychologues sociaux dans la lutte pour la déségré-
gation ne constitue pas un cas isolé. L'imbrication du savoir expert des psychologues
sociaux avec celui des juristes est aussi illustrée par l'intervention plus récente devant la
Cour suprême de Fiske, Bersoff et al. (1991) qui, en se basant sur la connaissance qu'elle
a accumulée expérimentalement sur la nature des stéréotypes et des préjugés, montre
comment une femme, cadre supérieur, a été victime d'une discrimination de genre.
C'est un autre exemple du fait qu'un savoir construit par des psychologues sociaux
puisse infléchir dans une direction donnée le savoir expert d'autres acteurs sociaux, et
aboutir ainsi à une modification des phénomènes étudiés.
2 / Le second exemple est d'une tout autre nature. Inconnus sont encore les effets
de la tentative d'intervention lancée par Moghaddam (2005, 2006), sous forme de
publications sur le terrorisme. Moghaddam est connu pour ces recherches intergroupes
qui se réclament principalement de la théorie de Tajfel sur l'identité sociale. De par les
étapes de sa biographie et de ses recherches en Europe, Iran et Amérique du Nord,
Moghaddam (2002) est particulièrement qualifié pour contribuer à l'étude du terro-
risme, dit islamiste, et pour faire des recommandations en vue de le prévenir.
Il distingue cinq phases dans les processus psycho-sociaux qui peuvent conduire
des individus à s'engager dans des actes de terrorisme en se réclamant notamment de la
cause islamique. Son analyse a pour but de déconstruire une vision stéréotypée du ter-
rorisme qui, selon lui, induirait les responsables politiques à prôner des mesures inadé-
quates pour le combattre. Chacune de ces phases, que nous décrirons brièvement,
actualise une figure différente de rapports intergroupes.
La première phase consiste dans le fait que des populations entières dans de nom-
breuses sociétés sont confrontées avec une double injustice. Une première injustice
consiste à ce que la plupart des membres de ces sociétés ne voient aucune possibilité de
mobilité sociale pour améliorer leur sort considéré comme injuste, pour atteindre un
niveau de vie décent présenté par ailleurs comme allant de soi. Une autre expérience
Les relations entre groupes I 245
G - CONCLUSIONS
le terrorisme nous montre la complexité des savoirs scientifiques qui doivent être actua-
lisés pour rendre compte d'un phénomène d'une importance plus globale. Il montre
aussi que les psychologues sociaux qui se réclament uniquement d'une vision fataliste
oublient qu'une explication plus exhaustive des relations entre groupes doit tenir
compte de la réalité du monde, maintenant globalisé, où de fortes exigences de justice
sont à l'oeuvre. Ces exigences font partie des dynamiques sociétales qui font évoluer les
relations entre groupes, dans un sens ou un autre, pour le meilleur ou le pire.
LECTURES CONSEILLÉES
Azzi, A. E., & Klein, 0. (1998). Psychologie sociale et relations intergroupes. Paris : Dunod.
Bourhis, R. Y., &. Leyens, J.-P (1994). Stéréotypes, discrimination et relations intergroupes. Liège :
Mardaga.
Deschamps, J.-C., Morales, J. F., Pâez, D., Worchel, S. (1999). L'identité sociale. La construction de
l'individu dans les relations entre groupes. Grenoble : Presses Universitaires de Grenoble.
Lorenzi-Cioldi, F. (2002). Les représentations des groupe dominants et dominés. Collections et agrégats.
Grenoble : Presses Universitaires de Grenoble.
Sanchez-Mazas, M., & Licata, L. (2005). L'autre : regards psychosociaux. Grenoble : Presses Uni-
versitaires de Grenoble.
12 faire une revue de question
Jamais dans l'histoire de l'Humanité autant de personnes ont consacré autant de temps
à développer des connaissances nouvelles à propos d'autant de domaines différents, et
susceptibles de se diffuser aussi rapidement. Dans le même temps l'hyperspécialisation
cohabite avec l'ignorance complète de pans entiers de la connaissance. Dans le
domaine de la psychologie, personne n'est à même de s'approprier les avancées de la
recherche d'un point de vue de généraliste. La plupart des chercheurs ne peuvent faire
mieux que de suivre ce qui leur est utile dans leur spécialité, voire leur implication dans
un programme de recherche étroitement délimité.
En matière scientifique, nul ne saurait aborder un domaine de connaissance sans
l'aide de « revues de question » qui :
résument de manière fiable et argumentée les observations, méthodes et modèles les
plus pertinents ;
hiérarchisent l'information entre ce qui est important et secondaire ;
donnent des perspectives sur les problèmes à explorer.
des recherches nouvelles. On attend en effet que la revue de question ne soit pas un
catalogue des recherches passées. Elle propose une hiérarchie entre les plus innovantes
et les plus anecdotiques. Au-delà d'un simple résumé pratique, la revue de question
présente une analyse originale des recherches préalables, repère des incohérences et
présente de nouvelles pistes. La qualité d'une revue de question se mesure à sa valeur
ajoutée par rapport à ce qui est connu. Autrement dit on attend de l'auteur d'une
revue de question non seulement des qualités de documentaliste, indispensables, mais
surtout des qualités de chercheur.
Une revue de question implique une démarche systématique et explicite qui
couvre un ensemble large de recherches depuis une dizaine jusqu'à plusieurs centaines
de recherches. Cet ensemble est parfois quasi exhaustif, il tend à être représentatif des
recherches passées et présentes. Cette revue est sincère dans le sens que, tendant à
l'objectivité, elle ne présente pas un versant délibérément biaisé des résultats et des
méthodes utilisées dans un domaine de connaissance. La revue de question n'est pas
pour autant épistémologiquement neutre. Elle suppose que les connaissances possèdent
un caractère cumulatif, et donc qu'une ligne de progrès sinon existe du moins est
possible.
Nous commencerons par présenter les différents types de revues de question. En
effet la revue sert plusieurs objectifs. Ensuite nous proposerons une démarche pour faire
soi-même une revue de question.
Pour notre propos nous distinguons deux types de revues de question. D'un côté
les revues de question systématiques : l'objectif est de faire le point sur une question de
recherche dans un champ de la psychologie. D'un autre côté, la revue de question
introductive à une recherche empirique basée sur la présentation de résultats originaux
(recherche dit primaire).
La revue de question est ici un genre scientifique en soi. Des journaux sont spécia-
lisés dans les revues de questions avec en premier : l'Annual Review of Psychology et le P9,-
chological Bulletin. D'autres sont largement ouverts à des revues de question parce qu'ils
présentent un caractère généraliste comme, en français, l'Année pgchologique, Psychologie
française, ou le Bulletin de psychologie. Cela dit toutes lcs revues, même très spécialisées,
acceptent aujourd'hui des revues de question. Les revues de question sont soit de type
qualitatif, ou narratif, soit de type quantitatif quand elles procèdent à des analyses
secondaires de données.
Faire une revue de question I 249
En pratique, il s'agit de faire le point sur une question sous forme d'un texte éla-
boré (narration) qui résume les travaux qui ont été menés dans un domaine Citons le
sommaire d'un numéro de 1'Annual Reina of Pechology (2006) qui publie des synthèses
renouvelées environ tous les cinq ans. Les domaines traités peuvent être très spécialisés :
« émotion et cognition : voies innovantes issues des études de l'amygdale humaine »,
« la psychologie évolutionniste de la beauté faciale ». D'autres domaines sont beaucoup
plus larges et pourraient avoir leur place dans des manuels : « les attitudes et la persua-
sion », « la psychologie du consommateur », « la violence familiale ». Chaque revue est
ici confiée à des spécialistes confirmés du domaine à qui il est demandé de faire le point
et de proposer des perspectives de recherche. La revue de question peut être motivée
par une question à la fois théorique et pratique. Donnons quelques exemples. Faut-il
favoriser systématiquement l'estime de soi dans l'éducation ou la prévention comme le
suggèrent de nombreux programmes d'intervention qui visent à augmenter l'estime de
soi ? Baumeister et al. (2003) posent la question suivante : « L'estime de soi élevée cause-
t-elle une meilleure performance, le succès interpersonnel, le bonheur ou des styles pro-
tecteurs pour la santé ? » Leur réponse montre de grandes nuances par rapport à ce qui
est communément accepté En particulier, les auteurs de la revue montrent qu' « une
estime de soi élevée ne prévient pas les enfants de fumer, de boire, de prendre des dro-
gues, ou de s'engager dans des activités sexuelles précoces. Qui plus est une haute
estime de soi encourage l'expérimentation, laquelle peut augmenter l'activité sexuelle
précoce ou la prise de boisson, mais en général les effets de l'estime de soi sont négli-
geables. Une exception importante est qu'une haute estime de soi réduit les chances de
boulimie chez les filles » (p. 1). Bref il y a lieu de douter sur l'intérêt d'avoir pour objec-
tif généralisé d'augmenter l'estime de soi. Une autre motivation classique d'une revue
est de faire le point sur un domaine où les résultats sont clairement contradictoires. Par
exemple, les recherches sur l'attribution causale s'intéressent à la manière dont nous
évaluons les causes de nos réussites ou échecs, ou des événements historiques et politi-
ques. Elles se sont surtout concentrées sur des jugements uniques généralement juste
après un événement ou une performance. Or les attributions changent avec le temps.
Truchot et al. (2006) réunissent 18 recherches et montrent une grande variabilité des
changements qui, en quelques mois ou quelques années, peuvent changer dans le sens
dispositionnel (attribuer des causes à la personne) ou dans le sens situationnel (attribuer
des causes à la situation). Ils font le point sur les modèles les plus susceptibles de rendre
compte des résultats, et l'intérêt d'introduire une mesure plus fine de l'attribution (prise
en compte du caractère subjectivement contrôlable des événements). Une revue de
question peut innover en croisant deux domaines jusque-là peu reliés. Par exemple
Grégoire et Dardenne (2004) mettent en relation d'un côté les recherches qui portent
sur la motivation d'approche et d'évitement, bien établie dans littérature psychologique,
et de l'autre côté le rôle de l'affect dans la décision et le comportement en psychologie
sociale. Ils en déduisent des hypothèses originales selon lesquelles l'affect positif serait lié
à la motivation d'approche en particulier dans les relations sociales, alors que l'affect
négatif, associé à un effort plus grand pour traiter l'information de manière détaillée,
serait plus lié à une motivation de défiance dans les relations sociales.
250 I Psychologie sociale
Peut-on dire que les hommes s'exposent à plus de risques que les femmes ? Si le
sens commun nous engage à répondre positivement à cette question, il est muet sur
l'ordre de grandeur de cette différence, et de sa variabilité par rapport aux différents
types de risque ou à l'âge. C'est ici qu'intervient l'intérêt d'une revue de question quan-
titative ou méta-analyse. Celle-ci repose sur une analyse secondaire de données déjà
publiée (publiée dans un article dit primaire). Chaque recherche publiée mobilise un
échantillon limité de participants, de modalités de mesure, etc. Elle s'expose aussi à des
sources d'erreurs attribuables au matériel utilisé, au contexte, aux expérimentateurs ou
observateurs, etc. Considérer un vaste ensemble de recherches originales permet de
donner une idée de la robustesse des conclusions. Si l'effet est robuste il devrait
s'observer quelle que soit la méthode utilisée et les sources d'erreur associées à telle ou
telle recherche devraient se compenser entre elles (erreurs aléatoires plutôt que systéma-
tiques). Une méta-analyse ne consiste pas seulement à décrire un ensemble de textes de
recherche, elle procède à de nouvelles mesures (voir Johnson et Eagly, 2000). Quel est
l'ordre de grandeur de l'effet ? L'intérêt porte non seulement sur le fait que l'effet soit
significatif (non attribuable au hasard) mais le fait qu'il soit de taille négligeable ou
importante. On calcule pour ce faire un indice standardisé de taille d'effet'. Quels sont
les variables qui contribuent à augmenter ou atténuer cet effet ? L'entrée ici est donc
constituée des résultats quantitatifs (chaque recherche publiée peut présenter plusieurs
résultats quand plusieurs études sont exposées dans le même article).
Prenons un exemple. La différence de prise de risque selon le sexe (genre masculin
et féminin) est-elle attestable dans la littérature ? Byrnes, Miller et Schafer (1999) pas-
sent en revue 150 recherches originales. Leur objectif est d'établir si la plus grande
prise de risque des hommes comparés à celle des femmes est attestée pour tous les types
de risque, et d'autre part de mesurer la taille de cette différence en fonction de l'âge.
Sur un ensemble de recherches impliquant 16 types de risques (des risques d'accident,
de consommation de drogue jusqu'à des décisions risquées dans les jeux), la différence
en faveur des hommes est observée pour 14 domaines. La moitié des effets présentent
une taille d'effet plutôt petite avec cependant une grande variabilité selon les domaines
(peu de différences par exemple pour la consommation de tabac) et selon les âges. En
santé publique, une petite taille d'effet peut s'avérer intéressante du fait que cet effet
s'applique sur des populations très importantes.
Les premières méta-analyses ont été développées dans des domaines d'application
pour lesquelles il est important de connaître si une intervention (éducation, santé) avait
un impact positif nul, voire contre-productif. Aujourd'hui la quête de pratiques dites
1. Par exemple dans le cas de comparaison de moyennes, on calculera un indice «d» défini comme la diffé-
rence entre la mesure d'un groupe témoin et la mesure d'un groupe expérimental, rapporté à la variabilité
observée : d= (M, — M)/S. Le numérateur donne la taille de l'effet en soustrayant la moyenne du groupe
témoin (M t) à la moyenne du groupe expérimental (M). Le dénominateur concerne l'erreur associée à la
mesure (écart type). On prend soit l'écart type du groupe témoin, soit l'écart type combiné du groupe
expérimental et du groupe témoin. Cet indice est associé à un intervalle de confiance qui pose les limites
de l'acceptabilité de la conclusion (cf. Johnson et Eagly, 2000, pour une revue des indices utilisés dans les
méta-analyses).
Faire une revue de question I 251
« basées sur les évidences » est en fort développement du fait des pressions pour évaluer
l'efficacité des interventions souvent coûteuses. On trouve aujourd'hui des recherches
de ce type dans tous les domaines y compris dans les recherches à caractère plus
fondamental.
Prenons un dernier exemple de méta-analyse en psychologie sociale. Tous les
manuels exposent au chapitre persuasion P « effet dormeur » (ou sleeper-effect). Un pro-
pos tenu par une source discréditée (par exemple un groupe minoritaire peu valorisé)
d'abord rejeté devient plus crédible au fil le temps. Le message a plus d'effet en termes
d'attitude favorable au message longtemps après l'exposition au message (post-test)
comparé à juste après l'exposition au message (test). Tout se passe comme si le discrédit
augmente la force persuasive du message au fil du temps. Cet effet est-il robuste ? La
méta-analyse de Kumkale et Albarracin (2004) tente de répondre à cette question en
examinant la littérature de 1951 à 2003. Le premier travail est de faire un bilan des
variables observées et des plans de recherche. Le tableau 1 donne une illustration du
classement des recherches en fonction d'un jeu de variables classiques dans le champ de
la persuasion. Par exemple, on peut constater que les recherches ont pour moitié intro-
duit le discrédit avant le message et pour l'autre moitié après le message, ou encore que
la majorité des recherche a porté sur des messages peu impliquants.
L' « effet dormeur » est donc bien avéré mais dans des conditions limitatives : il
faut que les arguments du message et le discrédit aient un impact initial fort. Non seule-
ment les récepteurs du message doivent être motivés pour traiter le message (forte
implication), mais ils doivent avoir les capacités pour traiter les arguments du message.
Ces deux conditions favorisent un effort plus grand pour traiter les arguments du mes-
sage. Il s'avère aussi que le discrédit sur la source doit être entendu après réception du
message. Dans ces conditions l'effet d'endormissement est robuste. La méta-analyse
contribue ainsi à un nouveau modèle de l'effet dormeur.
est nécessairement sélective même s'il est souhaitable qu'elle ne sélectionne pas dans la
littérature que les seuls travaux qui avantagent son point de vue.
En résumé, la revue de question précédant une recherche primaire :
présente un état de l'art des observations et des modèles mis en oeuvre dans les
recherches précédentes ;
— dégage les limites des travaux précédents ;
— propose un programme de recherche.
laquelle dépasse rarement cinq pages. Un défaut courant des revues de questions asso-
ciées à un article empirique est d'être trop longues, de perdre le lecteur dans des considé-
rations sans rapport avec l'objectif de l'article et le programme de recherche mis en place.
Il existe de nombreux guides, en langue anglaise, pour aider à faire une revue de
question, par exemple le manuel classique proposé par Sternberg (2003) y consacre un
chapitre important (voir aussi Stockdale et Kenny, 1996). Nous présentons ici une
démarche pas à pas.
Quelles sont les compétences nécessaires pour réaliser une revue de question ?
Comme nous l'avons dit, la revue de question combine des qualités de documentaliste
et d'analyse scientifique. Pour réaliser une revue de question il faut d'abord avoir des
connaissances dans le domaine d'intérêt, ou être prêt à consacrer du temps (parfois
beaucoup de temps) à acquérir ces connaissances. Après tout, la revue de question réa-
lise une forme moderne d'érudition. Par ailleurs, faire une revue de question implique
aussi de pouvoir comprendre les méthodes et la valeur des analyses appliquées. Une
formation méthodologique est donc nécessaire. C'est évidemment encore plus vrai
quand il s'agit de réaliser une revue de question quantitative plutôt que narrative.
L'objectif d'exhaustivité de la revue de question demande bien évidemment des
compétences en langue. La langue anglaise est devenue le principal vecteur de commu-
nication scientifique international. Qui plus est, les principales bases de données qui
permettent d'identifier les documents sont en langue anglaise, comme le sont les revues
les plus prestigieuses. La capacité à comprendre plusieurs langues, dont nécessairement
l'anglais, est une condition indispensable pour réaliser une revue de question susceptible
d'exhaustivité. Pour autant, il va de soi que la maîtrise de sa propre langue natale est
une base irremplaçable dans le sens où la langue charpente notre pensée et permet des
expressions nuancées'.
a. Le domaine d'intérêt
Le domaine d'une revue de question doit être évidemment choisi pour son intérêt
intrinsèque en rapport avec un objectif précis. Une entrée trop large (par exemple
1. Plutôt que de s'épuiser à dénoncer l'emprise de la langue anglaise dans le domaine scientifique, il est plus
intéressant de soutenir les chercheurs francophones en leur permettant de publier dans des revues de qua-
lité en langue française quand bien même ils ont à publier aussi dans des revues anglophones. La possibi-
lité de publier dans au moins deux langues devrait être une richesse enviée par les unilingues.
254 I Psychologie sociale
Le point crucial d'une revue de question est la sélection des informations (articles
scientifiques, chapitres d'ouvrages, rapports, actes de colloques, etc. ; cf. infra). Cela
nécessite de définir de manière explicite les critères qui permettent d'inclure ou d'exclure
une recherche de la revue. On a reproché aux revues de question narratives de ne pas
suffisamment expliciter ces règles d'exclusion ou d'inclusion. Le critère temporel est le
plus simple. On peut se limiter aux dix années précédentes ou considérer toutes les
recherches menées en psychologie depuis plus d'une centaine d'années (les premières
revues scientifiques ont été créées à la fin du xixe siècle). La population (critère d'âge par
exemple) est souvent un critère. La sélection par la méthode est cruciale dans la mesure
où la revue de question doit s'appuyer sur des recherches de qualité. Par exemple Del-
homme et Meyer (2001) ont mesuré par méta-analyse l'impact des campagnes de sécu-
rité routières sur les accidents. N'ont été retenues que les seules études qui impliquaient
une mesure des accidents dans un contexte où la campagne était présente (groupe expé-
rimental) par rapport à une condition où la campagne était absente (groupe témoin). Les
recherches basées sur une mesure après la campagne seulement ont été exclues du fait
que l'absence de groupe témoin entraîne le risque de confondre l'effet du message avec
d'autres facteurs concomitants (saison, changement de législation, etc.).
documents les plus facilement accessibles notamment les ouvrages et les précédentes
revues de question qui ont l'avantage d'être compatibles avec son niveau de connais-
sance et de fournir une liste bibliographique. Présentons maintenant les principales
sources d'information.
Les synthèses
Les ouvrages destinés au grand public pour autant qu'ils s'appuient sur des réfé-
rences scientifiques attestées. De bons exemples existent dans le domaine de
l'influence sociale, du mensonge, de la consommation, etc.
Les ouvrages didactiques et chapitres d'enseignement. Le présent ouvrage en est un
exemple et l'accès est généralement aisé. Les éditeurs rivalisent pour proposer des
formats depuis un ensemble de fiches jusqu'à des ouvrages très denses.
Les ouvrages et chapitres scientifiques. Destinés un public déjà spécialisés, ces
ouvrages proposent une synthèse des connaissances dans un domaine.
Les revues de vulgarisation de bon niveau (Cerveau & Psycho, La Recherche, Pour la
Science, Sciences humaines) présentent souvent des informations utiles surtout pour
identifier un domaine intéressant.
Les colloques publiés sont à consulter dans la mesure où ils présentent des articles
originaux, souvent sélectionnés, plus que des résumés.
Aboutissement d'un travail doctoral, les thèses ont l'avantage de présenter de
manière quasi systématique une revue de question en introduction.
La littérature dite « grise » comprend les rapports de fin de recherche, rapport
internes qui souvent a fait l'objet de commandes (éducation, santé publique, éco-
nomie, etc.). Ils font souvent le point sur une question.
Comme évoqué précédemment, il existe des revues savantes spécialisées dans les
synthèses ou qui accordent une large place aux synthèses (par exemple Personalip, and
Social Pychology Renier pour la psychologie sociale). Cela dit, la matière première de la
plupart des revues de question est constituée majoritairement par des articles qui présen-
tent les recherches empiriques (articles primaires). Le nombre de revues en psychologie
est considérable depuis les plus généralistes jusqu'au plus spécialisées (relations intergrou-
pes, influence sociale, cognition sociale, etc.) ou par domaine d'application (environne-
ment, santé, consommation, transport, etc.). Le format de présentation standardisé faci-
lite la lecture'. Ces revues sont hiérarchisées selon leur « facteur d'impact » qui mesurent
la probabilité qu'un article publié sur une durée donnée (deux ans) soit cité par d'autres
revues scientifiques (analyse bibliométrique). On ne s'étonnera pas de trouver en tête des
facteurs d'impact en psychologie, les revues consacrées aux revues de question.
Le réseau internet ou Word Wide Web (www) se présente désormais comme une
immense encyclopédie ouverte en développement constant. Le problème de la
recherche ouverte sur Internet est la fiabilité des données. L'extraordinaire hétérogé-
néité des informations (depuis des propositions farfelues ou à connotation idéologique
masquée ou affirmée jusqu'à des thèses universitaires ou des rapports scientifiques.
Comment s'assurer, quand on est peu assuré soi-même de ses connaissances, de la
valeur d'un document ? Une garantie minimale est donnée par la source : se limiter à
des revues scientifiques est une solution conservatrice prudente.
Il existe des moteurs d'interrogation qui se sont spécialisés dans des domaines aca-
démiques comme « GoogleScholar » qui renvoient à des revues mais aussi à des cours,
des rapports, des sites professionnels, etc. soit une information déjà plus restreinte
qu'une interrogation avec un moteur de recherche généraliste. De nombreux auteurs
laissent la possibilité d'accéder à des documents (articles, chapitres, cours, etc.) en don-
nant accès sur leur site personnel ou professionnel à des copies réservées à l'usage per-
sonnel. Par ailleurs, il existe des revues d'accès libre publiées uniquement en ligne sans
support papier (Current Research in Social Psychology par exemple).
Faire une revue de question I 257
risk 8 220 000 799 592 286 325 > 10 000 98 556
risk + sun 437 000 3 294 1 315 655 181
risk + sun + attitude 41 000 220 7 34 9
1. D'où l'importance que le titre et le résumé renseignent véritablement sur le contenu de la recherche.
258 I Psychologie sociale
Trouver une référence pertinente sur une base de données (auteur, titre, résumé)
n'implique pas de trouver le document lui-même. S'il n'est pas disponible sur Internet à
titre gratuit ou payant, reste bien évidemment l'usage habituel des bibliothèques et cen-
tres de documentation (organismes publics et privés). L'important est évidemment de
s'assurer que la bibliothèque est suffisamment fournie ou spécialisée pour offrir en
consultation ou prêt le document désiré. La plupart des bibliothèques universitaires
donnent accès à leur catalogue en ligne. Des bases de données permettent la localisa-
tion physique d'un document (base SUDOC en France).
C LIRE ET RÉSUMER
-
Une fois les articles rassemblés, on commencera par établir la liste exhaustive des
références trouvées. Le format des références est le plus souvent celui suivi par le pré-
sent chapitre (Système Harvard : Auteur, Date) selon les normes de l'APA (APA, 2001).
Reste maintenant à les lire en commençant par les résumés. Une lecture attentive des
documents avec prise de notes est évidemment la seconde étape. Quelques jours et
peut-être quelques nuits seront nécessaires, sinon quelques mois, selon sa familiarité
avec le domaine et la complexité de l'objet d'étude.
Après une première vue d'ensemble, il est indispensable d'organiser l'information
de manière systématique. Le mieux est de procéder par la création d'un tableau (ou
une base de données). En ligne on notera les recherches (ou séparément les recherches
parues dans le même article) qui doivent figurer extensivement dans les références
bibliographiques. En colonne on notera les principales variables d'intérêt. Ces variables
opérationnalisent le projet même de la revue de question. Les catégories pourraient être
les suivantes :
la source (auteur, date) ;
les modèles et théories ;
les hypothèses ;
les méthodes et la question de la validité ;
les populations ;
les variables ;
les principaux résultats.
D - ÉVALUER
1. IMRED = Introduction-Méthodes-Résultats-Et-Discussion.
260 I Psychologie sociale
problème ;
— implication ;
avenir.
F - LA REVUE DE QUESTION :
UN IMPÉRATIF... MAIS AUSSI DES LIMITES
LECTURES CONSEILLÉES
Faute d'ouvrages en français consacrés à la revue de question, le mieux est de lire des
revues de question, comme par exemple :
Grégoire, C., & Dardenne, B. (2004). Affect et stratégies d'approche évitement. Revue interna-
tionale de Psychologie sociale, 17, 111-144.
Villemain, A., Truchot, D., & Levêque, M. (2006). Perspectives évolutive des attributions cau-
sales. Revue internationale de Psychologie sociale, 19, 127-159.
Quelques sources pour obtenir des références dans une revue de question :
www.annualreviews.org
www.articlesciences.inist.fr
www.articlesciences.inist.fr
www.psychologiesociale.org
www.pubmed.org
www.sciencedirect.com
www.socialpsychology.org
13 élaboration d'un projet
de recherche
choix : contribuer à développer les connaissances dans un domaine délimité selon les
normes de la recherche scientifique en psychologie. D'autres choix sont possibles. La
réalité humaine peut être envisagée sous l'angle de la littérature, de la poésie, du
cinéma, du journalisme, de la philosophie, de l'engagement politique, de l'histoire, etc.
Ce choix étant fait, le projet de recherche implique de définir des buts et une stratégie
pour atteindre ces buts. Le projet met en oeuvre un ensemble de connaissances et de
techniques selon un plan systématique et sur une durée longue. On se trouve confronté
à des problèmes uniques, où se mêlent intérêt intellectuel, difficultés pratiques et
échéances temporelles. Pour le débutant s'engager dans un projet de recherche peut
paraître hors de portée, tant il est pourrait être inhibé par l'ampleur des tâches à
accomplir. Le fait de voir aboutir un travail complet est une grande satisfaction, y com-
pris par ceux qui pratiquent la recherche de façon professionnelle. Sans avoir
l'ambition d'une présentation systématique disponible dans les manuels méthodologi-
ques (Crano et Brewer, 2002 ; Delhomme et Meyer, 2002 ; Jones, 2002 ; Reis et Judd,
2000 ; Vallerand et Hess, 2002), nous suivrons pas à pas chaque étape du projet. Avant
de passer à ces étapes, nous poserons le contexte épistémologique dans lequel s'inscrit le
projet comme entreprise singulière de connaissance en prise avec les exigences d'un
savoir scientifique. Ce préalable est tout aussi indispensable que la vocation du cher-
cheur à rechercher la vérité de manière honnête et sincère.
264 I Psychologie sociale
I - Le cycle de la recherche
1. Préférée à la notion de « sujet » selon les normes nord-américaines (APA, 2001), la notion de « partici-
pant » renvoie à l'idée que les personnes sollicitées pour une recherche sont actives et indépendantes, et
non sous la sujétion d'un chercheur. La sujétion désigne P « État de celui qui est sujet d'un prince, d'un
chef» (Littré).
Élaboration d'un projet et recherche I 265
VERSANT CONCEPTUEL
Construits, Théories, Modèles, Hypothèses, Méthodes
PLAN DE
RECHERCHE INFÉRENCES
VERSANT OPÉRATIONNEL
Populations, Terrains, Techniques de Mesure
OBSERVATION
DONNÉES
RÉALITÉ OBSERVABLE
sens qu'elle doit être entièrement explicitée quant à ses objectifs, méthodes et résultats.
Tout doit être décrit. Il n'y a de recherche que celle qui est communiquée à la commu-
nauté scientifique. La recherche repose sur des réseaux d'évaluation qui assurent un
label de qualité. La supervision d'un projet de recherche par un professionnel est une
première forme d'évaluation et d'attestation de la valeur d'une recherche. La forme la
plus avérée est la publication dans des journaux scientifiques. Ceux-ci procèdent à un
filtrage très sérieux par un travail d'expertise qui occupe une grande part de l'activité
des chercheurs. Cette évaluation atteste d'une investigation originale qui a un intérêt au
regard de l'état actuel des connaissances. La recherche repose par ailleurs sur des pro-
positions testables. Une recherche met à l'épreuve de la réalité un modèle sous forme
d'hypothèses testables par des moyens empiriques. On présuppose qu'il existe un
moyen d'observer et de mesurer cette réalité sous une forme telle que l'hypothèse de
départ peut être validée ou invalidée. On parle couramment d' « observables » pour
caractériser les données recueillies. Des propositions métaphysiques ou non testables
sont donc exclues du champ scientifique. Un des critères de ce caractère testable est la
possibilité de reproduire un résultat. Enfin la recherche est contestable dans le sens que
s'engager dans un projet de recherche c'est accepter que le projet lui-même, les hypo-
thèses, ses présupposés puissent être discutés et contestés. S'engager dans un projet de
recherche c'est donc prendre le risque de s'exposer à la critique : jurys de mémoire de
recherche, de thèses, expertise d'articles. Celle-ci peut prendre la forme d'un simple
conseil de présentation des résultats, jusqu'à la mise en cause complète de la validité du
projet.
266 I Psychologie sociale
1. Voir Meyer (2005) pour une discussion sur la question de la validité externe.
Élaboration d'un projet et recherche I 267
sonnes et des milieux pour lesquelles nous avons plus ou moins d'affinités. Travailler avec
une personne alcoolique, dépressive et handicapée ne va pas de soi, comme il va fausse-
ment de soi de convoquer dans un laboratoire des étudiants — jeunes, socialement avanta-
gés, en pleine santé — comme l'invitent nos routines. On sait que les jugements de valeur
peuvent non seulement changer l'interprétation des données, mais aussi les données elles-
mêmes. Le chercheur interagit avec des participants qui eux-mêmes se construisent une
idée des buts du chercheur. De plus, le chercheur est confronté d'emblée non pas aux
faits eux-mêmes mais à des systèmes d'explications plus ou moins solides adossés à des
idéologies plus ou moins affirmées (concernant les causes de l'échec scolaire, de la
maladie, de la réussite professionnelle, des conflits entre nations, etc.), lesquelles peuvent
influencer ses choix. Entreprendre un projet de recherche, c'est aussi entreprendre une
réflexion non seulement technique mais intellectuelle. L'examen critique doit porter aussi
sur sa propre motivation à travailler dans tel ou tel champ. Toutefois, le meilleur garant
contre les excès de la subjectivité et l'emprise des idéologies, reste une méthode explicite
et rigoureuse associée à des théories claires et économiques. Depuis plus de cent ans, la
psychologie et la psychologie sociale ont mis à disposition une gamme extraordinaire
d'outils et de techniques dont les critères de validité ont été discutés.
1. « Le construit est décrit par une définition opérationnelle qui précise les indices observables et les moyens
par lesquels on peut le mesurer » (Bernier et Pietrulewicz, 1997, p. 214).
268 I Psychologie sociale
Même si les délais d'un projet sont très variables, on prendra l'exemple d'un projet
court qui se déroule sur seize semaines depuis le choix du domaine d'intérêt jusqu'au
rapport final, soit une durée académique classique (un semestre y compris les vacances).
Un projet de recherche est une opération complexe qui doit être décomposée en tâches
successives, et accomplies par palier. Nous présentons dix étapes depuis le choix d'un
domaine d'intérêt jusqu'à la communication des résultats (cf. tableau 1). Chaque étape
dure d'une à quatre semaines. On retrouve l'alternance entre un versant conceptuel
(choix de la question, revue de question, choix des variables, hypothèses, synthèse)
orienté principalement sur la réflexion et la planification, et un versant opérationnel (pré-
tests, recueil d'information) orienté vers la mise en oeuvre de méthodes et d'investigations
pratiques. Cette vue d'ensemble permet d'abord d'apprécier la part de chaque domaine.
On voit que dans ce projet, la part consacrée au recueil des données occupe moins d'un
tiers du temps. Il va de soi qu'un projet professionnel se déroule selon une durée variable
qui peut aller jusqu'à plusieurs années dans le cas de l'évaluation de programmes (par
exemple efficacité de messages de santé sur le comportement alimentaire) ou de travaux
prenant en compte le passage du temps comme variable (approche dite longitudinale).
En l'espèce le versant opérationnel pourrait donc augmenter.
Versant conceptuel
Choix du domaine d'intérêt
Hypothèses générales AA
Définitions opérationnelles AA
Caractérisation de la méthode A A
(population, plan de recherche,
mesures)
Versant opérationnel
Prétest et vérification de la faisabilité ♦ A
Recueil des données auprès A A
d'un échantillon
Versant conceptuel
Synthèse A A A A A A A
Rapport final
Communication AA
Élaboration d'un projet et recherche I 269
Chaque étape implique des décisions qui sont autant de choix tactiques qui pren-
nent sens dans une stratégie globale. Autrement dit, le projet doit être piloté en gardant
à l'esprit les objectifs. Si les étapes se succèdent, la réflexion peut conduire à revenir à
des choix antérieurs, et reprendre le projet à une étape précédente. Par exemple, une
impossibilité opérationnelle (l'échantillon de participants est plus petit que prévu) ou
une opportunité amènera à réaménager le plan de recherche en amont. Décider, en
matière scientifique comme ailleurs, c'est faire des compromis réalistes entre ce qu'il
serait souhaitable de faire et ce qu'il est possible de faire. Le planning est un instrument
indispensable de management d'un projet. Tout aussi indispensable est la tenue d'un
cahier de recherche dans lequel sont retranscrites les idées, décisions, progrès de son
propre travail. Ce cahier, ou sa version informatique, sera d'un grand secours au
moment de la synthèse écrite. Dans le cadre de la formation, le projet de recherche est
une activité supervisée. Il ne faut pas hésiter à solliciter les conseils du superviseur.
Même si les critiques sont parfois difficiles à entendre, elles sont le plus souvent
justifiées.
Quel va être le domaine investi par le projet de recherche ? Cette réflexion initiale
est importante. À quoi servirait d'investir du temps dans un domaine inintéressant, sans
enjeu, aux perspectives fermées ?
a. Choix du domaine
Domaine académique
Choisir un thème de recherche se fait de manière plus ou moins libre. Dans les
premières années, l'étudiant propose de lui-même un thème de recherche souvent issu
de préoccupations personnelles, de lectures, et coloré par l'air du temps (le respect de
l'environnement, l'influence de la publicité, le racisme, l'impact d'Internet sur l'amitié,
l'achat écologique, l'agression dans le football, etc.). L'intérêt se porte aussi sur une
population particulière (les joueurs de PMU, les femmes motards, les militants politiques,
les policiers, etc.). L'avantage de ce point de départ librement choisi est qu'il s'appuie
a priori sur une motivation sans laquelle aucun projet ne peut être mené à bien. La diffi-
culté sera de transformer ce thème d'intérêt en véritable problématique qui pourra se
traduire par un projet ambitieux et réaliste. L'étudiant plus avancé pourra de lui-même
explorer la littérature, et trouver des thèmes plus élaborés. Le choix du projet est le
plus souvent largement orienté par le superviseur du projet. Celui-ci engage l'étudiant à
travailler sur un thème qui est relié à des programmes de recherche et des méthodolo-
gies qu'il maîtrise. Modèles, théories, méthodes sont alors fournis « clé en main » à
l'étudiant, qui se trouve au pire dans la position de mettre en œuvre ce que d'autres
ont conçu et pensé, ou mieux de collaborer à la conception et la réalisation d'un pro-
gramme. Ainsi une équipe spécialisée sur les représentations sociales engagera des pro-
jets en rapport avec cette approche et avec les méthodes qu'elle utilise habituellement.
Dans ce contexte le projet de recherche partira donc d'une question déjà plus ou moins
élaborée : « les représentations sociales de la retraite chez les employés », « typicalité et
théorie du noyau central dans les représentations du leader », etc. Selon l'orientation de
l'équipe cette question de recherche peut considérer des problèmes fondamentaux
comme d'application. Ce peut être une extraordinaire occasion d'apprentissage que de
se confronter à des spécialistes d'un domaine.
Le choix d'un domaine d'intérêt, même bien ancré dans la littérature, n'est pas
suffisant. Il faut maintenant construire une problématique de recherche susceptible de
déboucher sur un projet intéressant et réalisable. À quoi servirait d'investir du temps
dans un projet sans objet intéressant ou d'emblée irréalisable ?
Élaboration d'un projet et recherche I 271
Quelle que soit l'entrée choisie, définir une problématique implique de situer la
question par rapport à ce qui est déjà connu : quelles recherches ont déjà été faites sur
le thème ou des thèmes connexes ? Quelles sont les théories et modèles applicables au
phénomène ? Quel est le bilan de la littérature aujourd'hui ? Les lectures impliquées
par cette revue de questions permettront de mieux définir le problème de recherche
posé. Un chapitre entier est consacré dans cet ouvrage à la manière de réaliser une
revue de question depuis le choix des mots clés jusqu'à la rédaction. Rappelons que
cette revue de question est rigoureuse mais aussi critique et susceptible de déboucher
sur un programme de recherche.
Une recherche demande à être planifiée, et pour ce faire nécessite qu'une hypo-
thèse explicite soit posée. Une hypothèse a d'autant plus de valeur qu'elle touche une
question importante, qu'elle permet de clarifier une ambiguïté dans un modèle, qu'elle
relie deux modèles aux prédictions contradictoires ou qu'elle permet de mieux com-
prendre un problème important dans un domaine d'application. Bref une hypothèse a
une portée pratique ou théorique. Nul ne connaît cependant les règles qui pourraient
garantir qu'une problématique ou une hypothèse est inventive. Cela dit, un projet de
recherche ne requiert pas nécessairement une inventivité particulière, elle peut procé-
der par la vérification systématique de ce qui est connu, ou des variantes modestes par
rapport à une première recherche. Il ne faut donc pas hésiter à prendre pour modèle
une recherche passée et imaginer une variante intéressante (variable supplémentaire,
autre population, autre contexte, etc.).
Une hypothèse repose donc sur une argumentation solide et clairement exposée.
Le lien entre l'argumentation et l'hypothèse doit donc être fort. C'est une garantie que
l'hypothèse n'est pas une construction ad hoc malléable a posteriori en fonction des résul-
tats obtenus. Si l'on prédit que la distraction augmentera la probabilité d'être influencé
par un message, une observation contraire : la distraction diminue la probabilité d'être
influencé, conduira au rejet de l'hypothèse.
Le format de l'hypothèse de recherche doit donc être précis, et autant que possible
orienté. Supposons que l'on s'intéresse à notre capacité de faire des jugements corrects
sur les personnes (personnes cibles) sur la base d'une première impression ou d'une
impression furtive. L'hypothèse pourrait être que la présentation d'un film de trente
secondes montrant de manière dynamique une personne cible permet à un observateur
de faire de meilleures prédictions sur le comportement futur de cette personne cible
(condition F), comparé à un observateur disposant d'une photographie de cette personne
cible (condition P), ou à un observateur ne disposant d'aucune information (condi-
tion A)'. On posera que l'on s'attend à ce que la prédiction des participants soit meilleure
avec un film de trente secondes qu'avec une photographie ou sans information
(F > P > A). C'est une formulation plus précise que celle qui attend un effet de
l'information sur la prédiction. L'hypothèse de recherche ne sera pas non plus posée en
termes d'absence de différence (F = P = A). L'absence de différence peut être interprétée
de bien des manières : la recherche a été à ce point mal conçue qu'elle ne trouve aucune
différence, ou la mesure choisie n'est pas assez sensible pour détecter une différence. On
veillera à ne pas confondre l'hypothèse de recherche, et l'hypothèse statistique qui est un
moyen de tester l'hypothèse de recherche (voir plus loin la question de l'hypothèse nulle).
L'hypothèse ainsi posée reste d'un haut niveau de généralité. Il reste à traduire
cette hypothèse sous forme de mesures insérées dans une situation de recherche (hypo-
thèse opérationnelle). Quelle tâche sera demandée ? Quel sera le format du film ou de
la photographie ? Quelles seront les personnes cibles ? Quel sera le domaine de prédic-
tion (réussite à une tâche de logique, coopération, etc.) ? Quels participants seront choi-
sis (étudiants, cliniciens, responsables de personnel, etc.) ? Une fois tous ces éléments
précisés l'hypothèse devient opérationnelle. Elle est supposée représenter correctement
l'hypothèse générale.
a. Les méthodes
Comme nous l'avons posé, le but de la recherche est d'établir des liens entre des
variables. Une variable se présente le plus souvent comme une mesure (réponse à une
question, hauteur de voix, interruptions dans une conversation, performance à une
tâche, rythme respiratoire, etc.). Typiquement les méthodes se distinguent selon qu'elles
visent :
à identifier et décrire des variables (observation) ;
à mettre en relation des variables (corrélation) ;
— à tester une relation causale entre variables (expérimentation).
Le but d'une recherche basée sur l'observation est d'identifier et de décrire un jeu de
variables peu ou mal connues au départ. L'observation prend des formes peu structu-
rées quand il s'agit d'identifier des variables (observation libre). On parle aussi de
Élaboration d'un projet et recherche I 273
démarche qualitative. Afin de mieux connaître les stratégies d'influence sociale, on peut
se faire embaucher comme agent immobilier à l'instar de tel spécialiste de l'influence
sociale. La démarche est ici de type inductif : les variables sont inférées de
l'observation. Par exemple on dégagera une typologie des stratégies des agents immobi-
liers pour amener une décision favorable de l'acheteur. L'observation devient plus pla-
nifiée quand on travaille d'emblée sur une liste limitée de variables d'intérêt fixées
d'avance (observation systématique). Cette liste est bien sûr motivée. Il s'agit de docu-
menter les variables elles-mêmes (quantité et qualité) et les liens entre les variables, ou
pour employer un langage plus technique, leur degré de covariation. Les stratégies des
agents immobiliers (variable A) sont-elles reliées aux caractéristiques du vendeur
(variable B), de l'acheteur (variable C), de l'objet à négocier (variable D), etc. ? À quel
degré l'une permet-elle de prédire l'autre ? Prenons un autre exemple. L'estime de soi
et la performance au travail présentent-elles un lien ? Ce lien est-il attendu dans la litté-
rature ? Notons que cette relation n'est pas orientée puisque que rien ne permet de
poser le sens de la relation. Il est tout aussi plausible que l'estime de soi cause la perfor-
mance au travail plutôt que la performance au travail cause l'estime de soi. On parle
ici de recherche corrélationnelle. Une recherche qui consisterait à seulement faire passer
un questionnaire relève d'une démarche corrélationnelle.
Méthode expérimentale
Le but d'une recherche expérimentale est de tester une relation de cause à effet entre
une variable indépendante et une variable dépendante. Typiquement, il s'agit de com-
parer « toutes choses égales par ailleurs » une condition dite expérimentale dans
laquelle une modalité est présente, par rapport à une condition témoin où cette moda-
lité est absente (cf. tableau 2). La comparaison se fait « toutes choses égales par ail-
leurs » si les participants sont répartis au hasard dans les deux conditions. Pour
reprendre l'exemple précédent, on supposera que dans une tâche de jugement d'une
personne cible les participants ne difféèrent que par rapport à la condition expérimen-
tale : utilisation d'un film, d'une photographie ou aucune information. Toutes les autres
caractéristiques des participants sont distribuées aléatoirement dans chaque condition
(âge, sexe, personnalité, acuité visuelle, etc.). La méthode expérimentale présente les
meilleures garanties de validité interne car cette répartition aléatoire limite la possibilité
de confusion de la variable d'intérêt avec d'autres variables concomitantes. Pour
prendre un langage plus formel, le modèle est ici celui d'une variable indépendante (infor-
mation sur la personne cible) supposée avoir un effet sur une variable dépendante (prédic-
tion de comportement)'. Une variable indépendante se présente, dans la logique expéri-
mentale, comme une variable manipulée par le chercheur. La variable dépendante
dépend de cette variable indépendante.
Le statut expérimental d'une recherche n'est plus assuré quand on travaille avec
des variables qui ne sont pas manipulées mais simplement observées' comme le sexe, le
I. La part de la variable dépendante qui n'est pas expliquée par la variable indépendante s'appelle erreur ou
résidu.
2. Selon une terminologie française on parle de variable provoquée (manipulée par le chercheur) et de
variables invoquées (observées par le chercheur).
274 I Psychologie sociale
ENCADRÉ 1
Selon l'effet dit des « lettres du nom » on a tendance à évaluer favorablement les objets ou
activités qui partagent les mêmes lettres que son propre nom — nom, prénom, initiales — (Hod-
son et Oison, 2005). On pourrait ainsi assigner à un groupe de participants une activité dans
laquelle ils ont à évaluer des objets de consommation caractérisés par leur marque. La
variable dépendante est donc l'appréciation des marques. La variable indépendante serait le
fait que la marque de ces objets possède des lettres communes avec le nom de famille de
chaque participant (groupe expérimental : « lettres communes »), ou ne contient aucune lettre
commune (groupe témoin : « sans lettres communes »). Les objets de la condition « lettres
communes », seraient préférés aux objets de la condition « sans lettres communes » : JULIEN
PIRLEAU préférera un nouveau vélo de la marque JUP1X plutôt que KOLUZ. Du fait du caractère
expérimental de la manipulation et du fait que la variable indépendante précède la variable
dépendante, on pourra dire que la cause de la préférence est bien la variable indépendante.
Qu'est-ce qui est susceptible d'augmenter ou de diminuer cet effet ? On pourrait supposer que
la préférence pour des marques associées à son nom est d'autant plus grande que les sujets
doivent décider vite. Ainsi on compare des participants soumis à une forte pression du temps
(la consigne leur demande de donner très vite leur appréciation) à des participants sans pres-
sion du temps (la consigne ne donne aucune information quant au temps). Un même partici-
pant ne peut pas être dans les deux conditions au même instant. La pression du temps est une
variable modératrice. On peut aussi réfléchir au processus qui explique l'effet. La cause de la
Élaboration d'un projet et recherche I 275
préférence pour une marque qui comprend les lettres de son nom pourrait être l' « impression
de familiarité ». Les lettres de son propre nom sont plus familières que d'autres lettres. À sup-
poser que l'on arrive à mesurer cette impression de familiarité, on pourra alors tester en quoi
la relation entre lettres communes et préférences persiste quand on prend en compte
l'i mpression de familiarité. Cette variable est dite médiatrice (cf. Brauer, 2000). La figure 2
donne une illustration du modèle.
VARIABLE
MODÉRATRICE
Pression du temps
VARIABLE
INDÉPENDANTE
Lettres semblables / VARIABLE
Lettres différentes du DÉPENDANTE
Nom Préférence pour des
marques
NNN VARIABLE
MÉDIATRICE
Impression de
Familiarité
b. Le plan de recherche
conditions différentes), et des mesures intra-sujets (le même sujet est affecté à toutes les
conditions). On peut ainsi comparer des participants qui travaillent dans un environne-
ment bruyant à d'autres qui travaillent dans un environnement non bruyant (variable
intersujets). Comme on peut comparer les mêmes participants exposés successivement
aux deux environnements (variable intra-sujet). On tiendra alors compte des effets
d'ordre (comparaison intersujet entre un condition environnement bruyant puis non
bruyant, et environnement non bruyant puis bruyant, selon un plan mixte).
Des ouvrages entiers sont consacrés à l'art de construire un plan de recherche le
plus approprié, et le plus susceptible de résister aux nombreuses « menaces » envers la
validité interne. Il s'agit d'introduire des groupes témoins ou contrôles. Une fois de
plus, c'est la qualité du compromis qui sera décisive entre ajouter un groupe témoin
nécessaire et un alourdissement pénalisant pour le projet. Peut-être faudra-t-il remettre
à plus tard pour un autre programme de recherche des vérifications.
a. Population et échantillon
Dans la plupart des cas, le projet implique de travailler avec des participants
auprès desquels on recueillera des données'. La première question est de savoir quels
participants il faut interroger et combien. Selon les objectifs de la recherche, on peut
tout aussi bien travailler avec un groupe d'experts-comptables chinois, de chômeurs
lyonnais en formation, que d'entreprendre une enquête sur la satisfaction de vie com-
parée entre Rennes et Columbus (Ohio), avec des enfants de classes maternelles, des
étudiants en administration, de membres d'une organisation sollicités par la direction,
de personnes interviewés dans des lieux publics, d'experts en contrôle aérien, etc. Il
revient au chercheur de caractériser le plus précisément son échantillon, non seulement
1. D'autres approches travaillent sur la base d'enregistrements de comportements passés. Par exemple
l'analyse de contenu des courriers électroniques échangés dans une situation de crise pourrait être infor-
mative (cf. Jones, 2002). Nous ne parlerons pas non plus ici des approches basées sur des modélisations
basées sur des algorithmes de calcul (simulation). Les résultats de la simulation demandent toutefois d'être
validés par comparaison avec des comportements observés.
Élaboration d'un projet et recherche I 277
1. Le fait de travailler sur un individu unique ne présume pas de la méthode, quantitative ou qualitative, qui
sera utilisée dans la recherche.
278 I Psychologie sociale
1. Pour donner un ordre de grandeur un échantillon de 500 personnes entraîne une erreur d'échantillonnage
de ± 7 %, dans le sens que si on trouve que la proportion de « pessimistes » est de 20 0/0, on devrait dire
qu'elle est probablement entre 13 % et 27 %. Pour un échantillon de 1 500 personnes l'erreur est de
± 1,5 %.
2. En France, les sondages n'utilisent pas un échantillonnage aléatoire mais un échantillonnage empirique
basé sur des critères (quotas) de sélection de l'échantillon à partir de critères sociodémographiques à
l'image de la population (âge, sexe, profession, région).
Élaboration d'un projet et recherche I 279
La psychologie sociale peut travailler sur un registre qui exploite une situation
naturelle (faire une interview sur un lieu de travail) sans chercher à modifier cette situa-
tion, mais aussi construire de véritables scénarios qui pourraient ressembler à des
extraits de pièce de théâtre si leur objectif n'était pas de distraire mais de connaître. Les
tâches demandées peuvent être considérablement variées depuis un simple question-
naire d'attitude jusqu'à des performances complexes. Elles peuvent sembler proche de
l'activité habituelle du participant (entretien, activité de travail, etc.) ou au contraire
sembler beaucoup plus intrusives. Par exemple, en économie expérimentale, les partici-
pants sont rémunérés en fonction du succès ou de l'échec de leurs décisions dans les
jeux économiques auxquels ils participent. Le principe est de faire en sorte que la tâche
ressemble aux conditions normales d'une décision économique. L'encadré 2 rappelle la
variété des techniques de recueil de l'information.
ENCADRÉ 2
Puisant à la fois dans le registre des sciences sociales et dans celui de la psychologie cognitive
ou physiologique, le chercheur en psychologie sociale dispose d'une panoplie étendue pour
recueillir des données de toute nature qu'il ne nous revient pas ici de décliner : déclarations
verbales, échelles de personnalité, tests de performance, observation du comportement, enre-
gistrement physiologiques plus ou moins invasifs, etc. Les observations comportementales se
déclinent depuis des indices physiologiques (rythme respiratoire par exemple), des activités
motrices simples ou complexe (vitesse de marche par exemple), ou la production verbale. De
manière simplifiée, les moyens d'investigations basés sur les déclarations verbales s'appa-
280 I Psychologie sociale
rentent à des conversations aménagées (entretiens de recherche) et qui sont par essence
interactives (Blanchet et Gotman, 1992). La matière première est ici un récit porteur des signifi-
cations et élaboré en interaction avec un interlocuteur (le chercheur ou son représentant). Le
recours à un questionnaire (spécialement un questionnaire autorapporté — rempli par le parti-
cipant lui-même) revient à se placer dans un cadre pseudo-interactif, où le participant
s'adresse à un interlocuteur fictif mais sans possibilité d'interaction. Il se construit cependant
une idée des buts de cet interlocuteur fictif. Ces approches ont donc en commun de laisser une
grande place au langage, et d'amener les participants à construire une représentation straté-
gique de ce qui leur est demandé (intentions attribuées au chercheur). Cette caractéristique
n'est pas nécessairement un obstacle à la validité des mesures. Elle peut être utilisée dans une
stratégie de recherche. Ainsi, dans une recherche européenne de grande ampleur, les attitu-
des à l'égard des aliments issus de manipulations génétiques ont été étudiées par une varia-
tion systématique de la source d'un message (industrie, association de consommateur, État ;
Frewer et al., 2003). Les variations des réponses observées permettent de connaître l'effet de
la source (faible en l'occurrence) sur la valeur attribuée aux aliments génétiquement modifiés.
Récemment, les approches cognitives en psychologie sociale ont développé un ensemble
d'outils susceptibles d'approcher de manière indirecte les attitudes des participants (attitudes
i mplicites ; Crano et Brewer, 2002 ; Reis et Judd, 2000) qui limitent la possibilité de corriger ses
réponses en fonction de leur désirabilité. On constate par exemple que des étudiants donnent
des réponses plus défavorables à l'égard des immigrés (réponse sociale indésirable dans leur
milieu) qu'avec une démarche classique où on leur demande explicitement leur avis. Par ail-
leurs, la psychologie a développé de manière unique des mesures destinées à caractériser les
traits ou les états des individus notamment en termes de personnalité ou d'échelle d'attitude.
On a intérêt à utiliser ces outils, ne serait-ce que pour assurer des comparaisons avec d'autres
recherches. Dans le cadre d'un projet de recherche, il est bien sûr possible de développer un
outil de mesure original, qu'il conviendra de tester selon les canons de l'approche psychomé-
trique (Dickes et al., 1994 ; Bernier et Pietrulewicz, 1997), ou de valider une échelle non dispo-
nible en français.
logie demande réflexion (Caverni, 2000). Par exemple dans quelle mesure peut-on pré-
senter des extraits de films violents à des adolescents ? En cas de doute, c'est à un collectif
de professionnels de prendre la décision. Dans de nombreux pays, toute recherche impli-
quant des participants humains doit passer devant une commission d'éthique (par
exemple les Institutional Review Board de l'Université aux États-Unis).
Il est des domaines qui sont plus fréquemment confrontés que d'autres à des ques-
tions d'éthique : la psychologie sociale est de ceux-là. La recherche en psychologie sociale
est en quête de déterminants de comportements et d'états mentaux qui pour la plupart
échappent à la conscience de l'individu. Déclarer le but de la recherche au participant
peut parfois invalider le protocole. Si on étudie l'influence du groupe sur les décisions
individuelles, le fait que le participant connaisse ou non le thème de la recherche (ici
l'influence du groupe sur la décision individuelle) modifie les observations. Connaissant
le but de la recherche, il sera peut-être tenté d'aménager ses décisions en fonction de ce
qu'il croit être le plus stratégique. À cette fin le chercheur est parfois amené à donner des
informations fausses (affabulation) ou incomplètes. S'il n'est pas possible de déclarer les
motifs de la recherche, une défabulation (debriefing) est alors nécessaire, elle restitue le
contexte de la recherche et s'assure que le participant part avec une image positive. Ceci
étant dit, l'affabulation n'est pas une condition nécessaire à la recherche en psychologie
sociale. On peut inventer des protocoles qui ne demandent pas d'affabulation.
L'idée directrice et les hypothèses sont maintenant bien en place, il reste à mettre en
oeuvre le recueil des données auprès des participants. L'intérêt intrinsèque d'une procé-
dure ou d'une méthode doit être mis en regard de sa faisabilité au regard des conditions
concrètes dans laquelle la recherche doit s'accomplir. Ici un minimum de sens pratique
s'impose sans lequel la recherche restera sous la forme d'un plan idéal jamais réalisé.
Dans un premier temps, on s'assure que l'approche envisagée est réalisable.
a. Évaluer le temps
limité. Même si le planning n'est pas respecté (cf. tableau 2), celui-ci est une aide indis-
pensable pour réguler son investissement. Le dépassement de délai est une alarme des-
tinée à pouvoir corriger à temps l'effort alloué à chaque étape.
Un projet n'est jamais engagé sans être préparé avec beaucoup de précautions.
Préparer le matériel
d. Préparer le recrutement
Les participants à une recherche peuvent être atteints par divers moyens depuis
une rencontre au domicile, une convocation dans un laboratoire universitaire, une solli-
citation dans un lieu public, un appel téléphonique, un questionnaire diffusé sur Inter-
net, etc. Au-delà d'un contact direct, les autorisations institutionnelles sont souvent
indispensables. Il y aura lieu de négocier la possibilité de recueillir des données dans
une entreprise, une gare ou une école. Ici encore il n'est pas toujours facile de balancer
entre les exigences scientifiques et les demandes de terrain. L'idée de comparer des
conditions expérimentales (ne serait-ce que des effets d'ordre dans un questionnaire)
peut légitiment inquiéter, ou encore il faut beaucoup de diplomatie pour justifier de
l'intérêt d'un groupe témoin toujours coûteux. La difficulté augmente avec la sélectivité
de la population : recruter des étudiants est plus facile que de recruter des magistrats de
plus de dix ans d'expérience ou des chauffeurs de camions internationaux.
Avant d'engager la recherche proprement dite, les outils qui devront être mis en
oeuvre devront être prétestés auprès d'un nombre réduit de participants qui présentent
les mêmes caractéristiques que celles des futurs participants. Il s'agit de s'assurer que
l'ensemble des consignes soient comprises, que les tâches soient bien conçues, que les
temps prévus pour la passation soient respectés, que les matériels fonctionnent (par
exemple programme d'expérimentation sur ordinateur), que les personnels éventuels
s'entraînent, etc. Bref que le protocole d'ensemble soit testé. Quelle que soit l'activité
sollicitée, la situation doit être claire et cohérente pour les participants. Il ne faut pas
hésiter à expliquer le cadre qui motive la sollicitation. Les consignes doivent être parti-
culièrement travaillées du fait qu'elles contribuent à la représentation que se fait le par-
ticipant de la situation. Cette phase garantit que la recherche proprement dite ne
reproduise pas des erreurs facilement repérables. Une étude pilote est donc menée qui
teste toutes les phases de recherche y compris les traitements statistiques. C'est à l'issue
de cette étude pilote que l'ensemble du dispositif de recherche peut être validé.
Reste maintenant à mettre en oeuvre ce qui a été planifié. À ce stade, après l'étude
pilote, tout devrait bien se dérouler. Encore faut-il rester vigilant. Les capacités d'écoute
peuvent décliner après avoir rencontré une cinquantaine de participants. Des décisions
seront encore à prendre dans la mesure où cette phase est souvent sujette à toutes sortes
d'incidents (absence d'un participant à un rendez-vous, panne informatique incompré-
hensible, météorologie incompatible, indisponibilité d'une salle, etc.). Il est courant
qu'une partie des informations recueillies soit non utilisable. Ce n'est pas un problème si
l'erreur n'est pas systématique, et si les données sont suffisantes. Mais si les deux tiers des
284 I Psychologie sociale
participants affectés à une condition ont été troublés par le bruit d'une perceuse intem-
pestive à l'étage inférieur, la recherche est fortement compromise. Bref avec un peu
d'optimisme et de savoir-faire, on devrait recueillir enfin des « données » si attendues.
s'agira de retranscrire et de commenter les résultats statistiques sous une forme écrite et
lisible en suivant les conventions d'écriture (APA, 2001). Cette phase implique un temps
d'apprentissage qu'il ne faut pas négliger.
a. Synthèse
La synthèse finale met en forme ce qui a été noté au fur et à mesure du progrès de
la recherche afin d'obtenir un compte rendu précis. Comme indiqué dans le planning
(cf. tableau 1), la synthèse commence à être rédigée bien avant la phase opérationnelle.
Les idées principales et le plan de recherche peuvent être mis en forme aussitôt fixée la
méthode. Reste donc à interpréter les résultats. L'analyse des données est une aide à
l'interprétation, elle ne la remplace pas. Il faut ici revenir aux hypothèses et donner du
sens aux résultats. S'ils vont dans le sens des hypothèses, l'argumentation de départ sera
développée. Les limites de la recherche (échantillon, tâches, etc ) ainsi que les perspec-
tives seront développées. S'ils ne vont pas dans le sens des hypothèses (effet contraire ou
absence d'effet), il y a lieu d'examiner les causes plausibles. De ce point de vue, il est
toujours utile de recueillir des données qui, au-delà de l'objectif principal, permettent
de comprendre les stratégies des participants dans le contexte de la recherche (cf. enca-
dré 1). Ce compte rendu veillera à mettre en cohérence la revue de question et la cons-
truction de la problématique, les hypothèses, l'analyse des données et les résultats. Cette
cohérence est un critère très important de qualité d'une synthèse. Idéalement, et en
particulier dans un cadre pédagogique, un projet de recherche devrait pouvoir s'écrire
sous la forme classique d'un article de recherche, soit un volume restreint (30 pages en
double interligne) et standardisé. Dans les domaines d'application qui impliquent la
restitution des résultats à un partenaire extérieur, la restitution commence souvent par
l'écriture d'un rapport plus volumineux et d'une synthèse courte qui rend saillants les
apports opérationnels de la recherche.
b. Communication
des jugements d'experts qui décident si le document doit être accepté, amendé ou
rejeté. Cette épreuve, souvent longue et difficile, constitue l'attestation du format scien-
tifique d'un travail et ouvre la voie au véritable débat scientifique.
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lexique
Enjeu : dans la théorie du contrat de communication, il s'agit de la force qui pousse un individu
à entrer en communication, alors même que cela exigera de lui un effort cognitif et rela-
tionnel et que la situation peut présenter des risques en matière de perte de face. Selon Ghi-
glione (1986) il faut que l'enjeu soit suffisant pour que l'intra-locuteur accepte l'entrée en
communication, dit autrement que le rapport coût/bénéfice attendu lui semble en sa
faveur.
Norme d'internante : norme sociale de jugement portant sur les explications causales des évé-
nements psychologiques (comportements et renforcements) propre à nos sociétés occiden-
tales. Elle correspond à une valorisation sociale des explications internes, celles qui privilé-
gient le rôle causal de l'acteur, au détriment des explications externes, celles qui négligent
ce rôle. La norme d'internante doit être distinguée de l'internante en tant que caractéris-
tique individuelle (locus of control interne, style attributionnel interne, etc.).
Préjugé : valeur positive ou négative associée à un ensemble social.
Rationalisation : ajustement a posteriori des attitudes au comportement réalisé
Représentation sociale : peut être considéré comme un processus ou un produit : processus
consistant en la production et la prise en charge collective de l'image d'un objet social,
ensemble de connaissances de sens commun partagé par un ensemble social et ayant une
visée pratique (d'après Jodelet, 1989).
Stéréotypes sociaux : « croyances partagées au sujet des caractéristiques personnelles, généra-
lement des traits de personnalité, mais aussi souvent des comportements, d'un groupe de
personnes » (catégorielles, Yzerbyt, Schadron, 1996: 24). On parle d'endostéréotype
lorsque le stéréotype est appliqué au propre groupe social du sujet considéré (endogroupe),
et d'exostéréotype lorsqu'il s'applique à un exogroupe.
index des auteurs
Guimelli C., 51, 54, 75, 142-144. Matalon, 45, 66, 68.
Guimond S., 215. Mayo, 7.
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Hess U., 263. Milgram, 44, 87, 90-106, 199, 245.
Hoc, 20. Moghaddam F. M., 216, 244-245.
Hodson G., 274. Montmollin G. de, 79-82.
Hoffman, 30. Moreno, 37.
Horwitz M., 225-227. Moriarty T., 118-119.
Hovland C. I., 152. Moscovici S., 29, 50, 82, 140-141, 143, 193-195,
Howell D. C., 284. 211, 222.
Mumrnendey A., 240-241.
Infante D. A., 157.
Ncmeth, 194-195.
Jackson J. P. Jr, 202, 243-244. Newcomb, 3, 82-83.
Janis I. L., 151, 153, 160, 173, 212. Nisbett R. E., 32, 111.
Jodelet D., 50, 143.
John O. P., 136. Oison J. M., 274.
Johnson B. T., 156, 184, 250. Orne, 41-42.
Jost J. T., 241-242. Osgood, 73.
Joule R.-V., 116, 118-120, 122-123, 125-128, 130,
143, 146, 148. Pascual A., 122.
Judd C. M., 263, 280. Peabody D., 217-218, 220.
Pérez J. A., 222.
Kahneman, 26, 209. Peterson A. V., 115, 155.
Katz D., 138, 225.
Pettigrew T. F., 135, 219-220.
Kelley H. H., 13, 107, 109-110, 113, 183.
Kelman, 84, 90, 164. Petty, 47, 154, 168, 170, 172, 176, 178, 202.
Kenny T., 253. Pietrulewicz B., 267, 280.
Kiesler C. A., 123-124. Py, 20-21, 25, 43, 130.
Klein 0., 241.
Kleinke C., 121. Rabbie J. M., 225-227.
Kruglanski A. W., 274. Rancer A. S., 157-159.
Kumkale G. T., 251-252. Reis H. T., 263, 280.
Ribot. 5.
Langer E. J., 112, 171. Ringelmann, 6, 200.
Latané, 194, 201. Rogers R. W., 160-162.
Le Bon, 5. Rosenberg, 10, 48, 145.
Leclerc, 183, 185-186. Rosenthal, 40, 42.
Lemaine G., 235. Ross L., 32, 98, 111, 180, 209.
Lerner M. J., 112. Rouquette, 54.
Leventhal H., 160, 162. Rozin P., 260.
LeVine R. A., 217, 219.
Lewin K., 8-9, 21, 31, 116-119, 126-127, 185, Schachter, 82, 189, 197.
199, 211, 225, 243. Schafer W. D., 250, 254.
Leyens J.-P., 49, 108, 136, 221-222, 235. Shaw, 206-207.
Licata L., 241. Sherif C. W., 7, 135, 215-216, 223-225.
Likert, 72-73. Sherif M., 7, 135, 215-216, 223-225.
Lipiansky, 185-186. Simmel, 5.
Lippitt, 199. Skinner, 30.
Lorenzi-Cioldi F., 237-239. Solomon, 208.
Lorge, 208. Somat, 20-21, 25, 43.
Louis-Guérin C., 236. Stasser, 2 I 0, 21 2.
Lumsdaine A. A., 153, 173. Sternberg R. J., 253.
Stewart, 69-70, 212.
Marco L., 259. Stockdale M. S., 253.
Marques J. M., 235-236. Sumner W. G., 216-217, 221.
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242, 244. Watson, 30.
Tapia C., 240. Watzlawick, 186-187.
Tarde, 5. Webster D. M., 274.
Thurstone, 72. Weinreich P., 236-237.
Triplets, 6, 204. Wells, 209.
Trope Y., 113, 267. Wenzel M., 240-241.
Truchot D., 249. White K., 162, 199.
Turner J. C., 137, 239, 242. Wright E. F., 209.
Tversky, 209.
Zajonc, 79, 205.
Vallerand R. J., 263. Zavalloni M., 236-237.
Vinokur, 210.
index thématique
Action, 5-6, 9, 11, 21-23, 48, 53, 95, 115, 118, Contrôle du danger, 160.
123, 125, 127-129, 133, 143, 145-146, 150, 159, Conversion, 195.
161-165, 184, 207, 227, 243. Corrélation, 87, 151, 272.
Amorçage (Low-ball), 119-120, 123. Covariation, 48, 273.
Analyse de similitude, 67-68, 75-76. Crédibilité de la source, 153-157.
Analyse lexicale, 67, 75. Cristallisation, 9.
Analyse thématique, 65, 67-70. Culture, 16, 24, 112, 114, 121, 150, 166, 173, 192,
Associations verbales, 54, 75. 211, 222, 274, 279.
Attitude(s), 9-12, 30, 38, 47-49.
Attribution causale, 11-12, 29, 108-109, 111-112, Debriefing, 43, 281.
249. Décristallisation, 9.
Autocatégorisation, 239-240. Dénaturalisation, 126.
Déontologie, 16, 42, 280, 286.
Behaviorisme, 30. Déségrégation, 243-244.
Biais Différenciation positive, 234.
acteur/observateur, 110-111. Discrimination, 25, 49, 64-65, 73-74, 87, 209, 215,
d'autocomplaisance, 110-111. 220, 225-226, 238, 241, 243-244.
Biais de consensus, 196. Discrimination de genre, 244.
Biais évaluatif, 218. Dissonance cognitive, 11, 29, 145, 151.
Brebis galeuse, 235-236. Distance sociale, 66, 219.
Droits collectifs, 242.
Catégorisation, 19, 50, 64, 67, 113, 136-137, 139,
229-233, 237, 240-241, 243. Échantillon, 38-39, 55, 57, 91, 102, 135, 138, 148,
Catégorisation croisée, 232-233. 219-220, 250, 268-269, 276-278, 285.
Catégorisation sociale, 137, 215, 233, 237, 239, Écocitoyenneté, 127.
245. Effet autocinétique, 80, 189.
Changement comportemental, 116-118. Effet Hawthorne, 7, 206.
Citoyenneté, 126, 128, 183. Engagement, 22, 24-25, 58, 73, 123-126, 128-130,
Cognition sociale, 12, 32, 269. 143, 148, 150, 211, 225, 244-245, 263, 280.
Cohésion sociale, 7-8. Entretien de recherche, 37, 40, 57.
Compétition intergroupes, 224. Équilibre quasi stationnaire, 8.
Complaisance, 58-59, 71, 90. Erreur fondamentale d'attribution, 98, 111.
Compliance, 195. État agentique, 101.
Composantes attitudinales, 48. Éthique, 42-44, 103-106, 180, 218, 280-281.
Consentement éclairé, 42, 280. Ethnocentrisme, 215-218, 220, 225.
Construit (angl. Construct), 38, 50, 62, 64-65, 136, Étude d'archives, 39.
140, 156, 218, 222, 244, 267, 280. Exostéréotype/endostéréotype, 49-50.
Contre-identification, 63. Expérimentation, 4-6, 11, 39-43, 45, 52, 77, 87,
Contrôle de la peur, 160, 164. 90, 96-98, 102, 105, 249, 263, 272, 283.
316 I Psychologie sociale
Avant-propos 1
par Serban lonescu et Alain Blanchet
Introduction 3
par Marcel Bromberg et Alain Trognon
A - Introduction 5
E - L'ère de la cognition 12
F - En guise de conclusion 13
B - 35 000 psychologues 17
4. Méthodologie de l'enquête 45
par Édith Sales-Wuillemin
B - La pré-enquête 52
- Le choix des variables et leur opérationnalisation 52
a. La nature des vi dans l'enquête 52
b. Variable théorique et opérationnelle : pourquoi les distinguer ? 53
A - La normalisation 80
I - État du problème 80
Il - L'effet d'attraction de la tendance centrale d'une distribution 80
III - Allport et l'effet modérateur d'autrui sur le jugement 82
IV - L'adhésion à la norme sociale 82
V - Quelle est la nature de l'influence sociale subie par le sujet dans
les études sur la normalisation ? 84
B - Le conformisme 85
I - « L'effet Asch » 85
Il - Crutchfield (1955) : une amélioration notable de la situation expé-
ri mentale de Asch 86
III - Existe-t-il une « personnalité » conforme ? 87
IV - L'apport expérimental et théorique de Deutsch et Gerard 87
D - Du conformisme à l'obéissance 90
I - Conformisme des jugements et conformisme des compor-
tements 90
Table des matières I 321
E - L'obéissance 96
I - La variable « proximité avec la victime » 96
Il - Des sujets sadiques ? 98
III - Le rôle de la figure d'autorité 99
IV - Quels enseignements théoriques peut-on tirer des recherches sur
l'obéissance ? 100
V - Les critiques méthodologiques adressées à l'égard des expérien-
ces de Milgram 101
a. Les sujets ne croiraient pas réellement administrer les chocs
électriques 101
b. Les sujets ne seraient pas représentatifs de la population 102
c. On ne peut généraliser au monde réel les résultats de
laboratoire 102
VI - Les critiques d'ordre éthique 103
a. On n'a pas le droit de manipuler les sujets, ou on aurait pu s'en
passer 103
b. On n'a pas le droit de soumettre les gens à une expérience
aussi traumatisante 104
A - Introduction 107
E - Conclusion 113
A - Introduction 147
A - Introduction 181
I - Fonctions des groupes 181
Il - Types de groupes 181
III - Plan 182
A - Introduction 215
G - Conclusions 245
D - Évaluer 259
Bibliographie 287
Lexique 309
Imprimé en France
par CPI - France Quercy
Z.A. des Grands Camps
46090 Mercuès