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Les théories classiques en psychologie du développement : « Le développement cognitif selon Piaget » (E.

Bonjour)

Les théories classiques en psychologie du développement

La psychologie du développement cherche à :


- décrire et expliquer les transformations qui se produisent, chez l’être humain, de la naissance à l’âge
adulte ;
- étudier les facteurs responsables de la construction et de l’évolution de l’organisation psychologique
de l’enfant : comment elle s’est formée et comment elle se transforme au cours du temps ;
- étudier l’enfant en développement.
Les thématiques des enseignements portent sur les grandes théories fondatrices de la psychologie du
développement, énoncées par Piaget, Wallon, Vygotsky…

Les références ci-dessous sont celles de manuels ouverts sur l’ensemble du domaine :
Bideaud, J., Houdé, O., & Pedinielli, J-L (1995) L’homme en développement. Paris : P.U.F., Coll Premier
cycle.
Chanquoy, L., & Negro, I. (2004) Psychologie du développement. Paris : Hachette, collection Supérieur.
Deleau, M. (sous la dir. de) (2006) Psychologie du développement. Paris : Bréal, Collection « Grand
Amphi »
Lautrey, J (sous la dir. de) (2006) Psychologie du développement et psychologie différentielle. Paris : P.U.F.,
collection Nouveau cours de psychologie.
Laval, V. (2002) La Psychologie du développement. Modèles et méthodes. Paris : Colin
Lehalle, H., & Mellier, D. (2005) Psychologie du développement, Paris: Dunod Coll. Psycho Sup
Rondal J.A., & Esperet E. (sous la dir. de) (1999) Psychologie du développement, Bruxelles : Mardaga.
Tourrette, C., & Guidetti, M. (2002) Introduction à la Psychologie du développement. Du bébé à
l’adolescent. Paris : Armand Colin, Coll. « Cursus ».
Troadec, B. & Martinot, C. (2003) Le développement cognitif. Théories actuelles du développement en
contexte. Paris : Belin.

La théorie du développement cognitif de Jean Piaget est complexe. Aussi, le cours qui lui est
consacré est volontairement détaillé afin que vous y trouviez toutes les informations susceptibles de
vous aider :
- à faire des liens entre les éléments sur lesquels elle repose (à en mesurer, ainsi, la cohérence interne)
- à comprendre les notions (incontournables) qu’elle mobilise (épistémologie génétique,
constructivisme, stade, structure, schème, assimilation, accommodation, équilibration, etc.).
Il est évident que l’apprentissage « par cœur » du cours, des citations et même des définitions n’est
pas recherché. Son objectif est, au contraire, que vous puissiez vous approprier cette théorie
(l’assimiler !).

Ouvrages complémentaires
Conseillé : Piaget, J. & Inhelder, B. (1966). La psychologie de l’enfant (12ème édition, 1986). Que sais-je ?
Paris : PUF.

Pour aller plus loin… (cf. ouvrages publiés par Jean Piaget, en fin de document)
Dolle, J.-M. (1974). Pour comprendre Jean Piaget (3ème édition, 1997). Paris : Dunod.
Piaget, J. (1979). L’épistémologie génétique. Que sais-je ? Paris : PUF
Piaget, J. (1968). Le structuralisme. Que sais-je ? Paris : PUF.

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Les théories classiques en psychologie du développement : « Le développement cognitif selon Piaget » (E. Bonjour)

Le développement cognitif,
selon Jean Piaget (1896 - 1980)
« […] on pourrait être tenté de considérer les expressions de « psychologie de l’enfant »
et « psychologie génétique » comme synonymes mais une nuance importante les
différencie : si la psychologie de l’enfant étudie celui-ci pour lui-même, on tend
aujourd’hui, par contre, à appeler « psychologie génétique », la psychologie générale
(étude de l’intelligence, des perceptions, etc.) mais en tant qu’elle cherche à expliquer
les fonctions mentales par leur mode de formation, donc par leur développement chez
l’enfant […] si l’enfant présente un très grand intérêt en lui-même, il s’y ajoute, en effet,
que l’enfant explique l’homme autant, et souvent plus, que l’homme n’explique l’enfant
car si celui-là éduque celui-ci par le moyen de multiples transmissions sociales, tout
adulte, même créateur, a néanmoins commencé par être un enfant et cela aux temps
préhistoriques aussi bien qu’aujourd’hui. »
(Piaget & Inhelder, 1966 ; p. 6)

La théorie piagétienne peut être considérée comme une théorie du développement de la pensée
humaine.
Piaget s’intéresse à l’enfant pour mieux comprendre l’homme : psychologie du développement ou
psychologie génétique (ne fait pas référence aux gènes mais à la genèse)

□ Développement :
Ensemble des processus de transformation qui conduisent un organisme vivant, d’un état initial (élémentaire) à un état final
(supérieur).
□ (Syn.) Genèse : processus de formation

Parmi les grandes théories du développement cognitif, la théorie piagétienne a reçu de nombreuses
critiques mais a surtout inspiré grand nombre des théories actuelles.

I. Les trois points d’ancrage de la théorie

Pour comprendre la conception piagétienne du développement, il est utile de prendre en compte la


formation et les centres d’intérêts de ce chercheur psychologue. Piaget étudie et ancre ses travaux et
réflexions dans les domaines de la psychologie, la pédagogie… mais aussi, de la biologie, de
l’épistémologie et de la logique. Il dit, dans son autobiographie, avoir décidé de consacrer sa vie à
« l’explication biologique de la connaissance » (autobiographie de Piaget, p.51). Aussi, avant d’être en
mesure d’appréhender le développement cognitif de l’enfant tel qu’il le l’expose, dans son modèle,
Piaget étudie :
- l’évolution (ou l’adaptation) biologique des espèces2 (ancrage biologique)
- l’évolution des connaissances humaines et de la pensée scientifique (ancrage épistémologique)
- l’évolution des instruments dont dispose l’intelligence pour accroître sa compréhension du monde
(ancrage logique)
Ces trois points d’ancrage - biologique, épistémologique et logique - constituent les fondements de la
théorie piagétienne.

1
Version française disponible sur le site de la fondation Jean Piaget
2 Dès l’âge de 16 ans, Piaget publie une étude sur l’adaptation (anatomique) de mollusques aux variations de leur milieu.

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Les théories classiques en psychologie du développement : « Le développement cognitif selon Piaget » (E. Bonjour)

1.1. L’ancrage biologique

L’intelligence : une forme d’adaptation


Pour survivre, un organisme est contraint de s’adapter à son environnement (et à ses modifications).
L’intelligence est une forme d’adaptation, parmi d’autres, développée par l’espèce humaine. Sans les
confondre totalement, Piaget considère que le développement de l’intelligence prolonge
l’adaptation biologique : il n’existe pas de frontière, mais une continuité, « entre le vital et le mental,
entre le biologique et le psychologique » (Bringuier, 1970). Le développement de l’intelligence n’est
que l’expression d’une tendance commune à tout organisme vivant, celle de s’adapter à son milieu.
Pour s’adapter à l’environnement, l’intelligence de l’enfant s’organise en systèmes3 ou structures*4
progressivement plus aptes à appréhender le réel. Tout comme l’équipement sensoriel et moteur,
dont l’enfant hérite à la naissance, les structures intellectuelles se développent : elles ne sont pas
« toutes faites et données dès le début du développement » (Piaget, 1936 ; p.10) ; elles ne sont pas
prédéterminées mais se construisent en interaction avec l’environnement. Ainsi, l’intelligence – tout
comme la vie organique - s’adapte, en intégrant les éléments nouveaux qu’elle rencontre lors de ses
échanges avec l’environnement (processus d’assimilation). Ce faisant, elle modifie son organisation
pour être mieux ajustée à ces nouvelles données (processus d’accommodation). Autrement dit, pour
que le système cognitif se développe, il est nécessaire qu’il rencontre des éléments nouveaux
(perturbateurs) qui le contraignent à s’améliorer, à s’ajuster davantage.

1.2. L’ancrage épistémologique

Le développement ou l’accroissement des connaissances chez l’enfant


Parallèlement, Piaget s’intéresse aux connaissances. Il ne s’intéresse pas à des connaissances précises
(à leur contenu) mais plutôt à la manière dont elles s’accroissent chez l’Homme ; il s’intéresse à
l’évolution de la pensée scientifique : comment la pensée de l’Homme s’est-elle développée pour
qu’une telle évolution des connaissances soit permise ?
Selon Bideaud, Houdé et Pédinielli (1993), « Pour répondre à cette question, Piaget pose 3 conditions à une
épistémologie qui serait alors scientifique :
1/ étudier pas à pas le développement historique réel des connaissances ;
2/ procéder à une sorte d’analyse logique de l’intelligence qui permette de mieux connaître les outils dont elle
dispose ; et
3/ étudier le développement de ces outils, là où on peut le faire dans un raccourci saisissant, c’est à dire chez
l’enfant. » (p. 34)

Pour comprendre comment les savoirs scientifiques se sont formés (au cours de l’histoire de
l’Homme, dans sa conquête de l’univers), Piaget étudie la manière dont ils se construisent chez
l’enfant5.

3Système cognitif, structures intellectuelles


4Chaque notion accompagnée d’un astérisque (*) est définie dans le document (cf. cadres grisés). La notion de structure est
définie aux paragraphes 2.2 et 4.1, de ce document.
5Attention : Piaget ne considère pas que l’enfant en développement revive l’histoire de l’Homme mais que le développement

des connaissances s’opère, chez l’Homme comme chez l’enfant, sous l’effet des mêmes mécanismes

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Piaget fonde ainsi ce qu’il nomme l’épistémologie génétique6.

□ Epistémologie : étude des conditions d’élaboration des connaissances / histoire des sciences.
□ Epistémologie génétique : étude de la genèse et du développement des connaissances, des formes les plus
élémentaires aux formes supérieures, caractéristiques de la pensée scientifique.

1.3. L’ancrage logique ou logico-mathématique :


L’évolution des instruments de la connaissance, des outils de l’intelligence
Pour comprendre comment se forment les connaissances, chez l’Homme, Piaget préconise d’étudier
les instruments dont dispose l’intelligence humaine. Selon lui, ces instruments sont des instruments
logiques, rationnels. Aussi, il fait l’hypothèse que les structures intellectuelles qui s’élaborent, chez
l’enfant, au fil de son développement, prennent progressivement la forme de groupes ou de
groupements logico-mathématiques7 ; autrement dit, possèdent les propriétés de structures logiques
telles qu’elles peuvent être définies par les mathématiciens et les logiciens
Il est bien évident que les structures décrites par Piaget sont loin d’être des entités réelles résidant
comme telles dans la tête de l’enfant ; Piaget n’y fait référence que pour décrire, rendre compte de la
logique de l’enfant en développement :
« Une objection continuelle que l’on nous fait, surtout chez les anglo-saxons, est que la structure
n’existe que dans l’esprit de l’observateur, du psychologue, que la structure n’est pas comme telle dans
l’esprit de l’enfant. A cela, une réponse qui paraît bonne définit la structure comme étant ce que l’enfant
sait faire et non pas ce qu’il en pense. […] Autrement dit, la structure, c’est l’ensemble des pouvoirs
coordonnés, que le sujet a acquis, et dont le théoricien peut formuler les lois de manière abstraite mais,
dans l’esprit de l’enfant, ça n’a rien d’abstrait, ça n’a même rien de théorique, c’est l’ensemble de ses
pouvoirs coordonnés entre eux » (Piaget, 1977).
Cette comparaison implique, donc, « […] de rester sur ses gardes pour ne point confondre le
contenu psychologique (qui constitue en un sens une logique, puisqu’il s’agit des opérations
intellectuelles du sujet, donc de la logique de ce sujet) et la forme utilisée pour le décrire (forme qui est à
nouveau une logique, mais celle que formule l’algébriste) » (Piaget & Inhelder, 1963 ; p. 119).

La question qui se pose alors est celle de la genèse et du développement des formes logiques de la
pensée : pourquoi et comment la pensée prend-t-elle progressivement, au fil du développement, la
forme de structures logico-mathématiques ?

6 Piaget fonde, en 1956, le Centre International d’Epistémologie Génétique, à la Faculté des Sciences de Genève, où des
chercheurs de différentes disciplines (psychologues, biologistes, physiciens, mathématiciens, logiciens, linguistes…)
travaillent ensemble sur la question de l’accroissement des connaissances.
7 Les notions de groupe et groupement ne sont pas abordées dans ce cours ; pour en savoir plus, vous pouvez vous référer à

l’annexe 2 (p. 22)

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Les théories classiques en psychologie du développement : « Le développement cognitif selon Piaget » (E. Bonjour)

En s’intéressant au développement de l’intelligence, Piaget étudie tout à la fois les processus


adaptatifs et les processus formateurs de la connaissance :
« Pour trouver un pont entre la biologie et la théorie de la connaissance, il fallait étudier le
développement mental, le développement de l’intelligence, la genèse des notions » (Bringuier, 1970),
autrement dit l’épistémologie génétique.

II. la psychogenèse des connaissances :


L’interaction enfant - environnement

2.1. Les facteurs (ou déterminants) du développement

Selon Piaget, quatre facteurs généraux sont nécessaires au développement :

● La croissance organique et plus spécifiquement le processus de maturation* - du complexe formé


par le système nerveux et les systèmes endocriniens - est une condition nécessaire à l’apparition, au fil
du développement cognitif, de certaines conduites ou acquisitions (irréalisables tant que le système
physiologique n’est pas opérationnel). Néanmoins, contrairement à ce qu’en pensent les innéistes*, la
maturation ne constitue pas, pour autant, une condition suffisante au développement. Les
potentialités ouvertes par la maturation ne se réalisent que parce que l’enfant agit, lui-même, dans et
sur son environnement et par l’expérience qu’il en retire.

□ Maturation : processus de croissance anatomo-physiologique (notamment du système nerveux) permettant


l’actualisation progressive des fonctions biologiques et psychologiques. Il s’agit d’une évolution interne à l’organisme
(d’un facteur endogène de développement) indépendante de tout influence externe (des facteurs exogènes de
développement).

● L’exercice et l’expérience acquise par l’enfant dans ses interactions avec l’environnement jouent
donc, eux aussi, un rôle fondamental dans le développement. Cependant, contrairement à ce qu’en
pensent les empiristes*, l’environnement n’offre pas, en lui-même, toutes les informations nécessaires
à sa compréhension.

● Pour les mêmes raisons, les interactions et la transmission sociale ne suffisent pas, à elles seules, à
expliquer le développement : autrui n’offre pas, en lui-même, toutes les données nécessaires à sa
compréhension.
En cela, l’environnement physique et l’environnement social diffèrent peu.

● Le processus d’équilibration constitue un autre facteur de développement. Contrairement aux trois


facteurs précédents (qualifiés de disparates, par Piaget), le processus d’équilibration, permet
d’expliquer la direction prise par le développement (c’est à dire, du moins au plus adapté, du moins
au plus logique). Mais nous y reviendrons (§ 4.1.3.1).

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Les théories classiques en psychologie du développement : « Le développement cognitif selon Piaget » (E. Bonjour)

2.2. Innéisme, empirisme et constructivisme


L’épistémologie génétique est, selon Piaget, presque toujours mal comprise. Selon sa théorie,
l’intelligence se développe dans l’interaction sujet-objet ; aussi, certains auteurs l’ont qualifié de
« néobehavioriste », alors que d’autres l’ont désigné comme étant un « maturationniste ».

□ Selon la conception innéiste (maturationnisme, apriorisme, gestaltisme, etc.), le bébé est en quelque sorte
« préprogrammé ». Il hérite d’un équipement psycho-biologique dans lequel réside, en puissance, l’ensemble de
ses capacités ; c’est le processus de maturation (le déroulement d’un programme interne à l’organisme) qui
permet, au cours du temps, de les révéler. Cette conception rendrait compte, également, des capacités
cognitives : le bébé porte déjà en lui un système cognitif organisé, lui permettant de s’adapter à tout
environnement, quel qu’il soit. Ce sont donc des structures cognitives innées qui permettent à l’enfant d’étendre
sa connaissance du monde (les capacités nécessaires étant progressivement rendues disponibles par le
processus de maturation). L’environnement ne transmet pas les connaissances, ni ne participe à leur
élaboration : elles sont le produit d’un héritage génétique. Le rôle de l’environnement se limite à « alimenter » le
système cognitif de contenus (de connaissances) spécifiques.
Le processus de maturation est le seul facteur explicatif du développement. Le développement est donc sous
l’influence unique de facteurs endogènes.
Piaget reproche à cette conception l’existence de « structures sans genèse »8 : « le sujet est dès le départ muni de
structures endogènes qu’il imposerait aux objets » (Piaget, 1979 ; p.11)

□ Selon la conception empiriste (associationnisme, béhaviorisme, etc.), le bébé naît sans compétence : c’est une
sorte de tabula rasa (selon l’expression de Locke) qui se « remplit » peu à peu des connaissances directement
tirées de l’environnement ; c’est une « cire molle » sur laquelle viennent s’imprimer les connaissances issues de
l’expérience sensible, de l’activité perceptive de l’enfant. L’environnement est structuré, organisé et les
connaissances de l’enfant proviennent du repérage qu’il est amené à faire des régularités qu’il y perçoit (ex.
entre stimuli, entre stimulus & réponse). Le développement procède ainsi d’une simple accumulation
d’expériences (fortuites ou organisées pour l’enseignement) qui ne nécessite aucune compétence préalable.
L’expérience acquise avec l’âge est le seul facteur explicatif du développement. Ce dernier est donc sous
l’influence unique de facteurs exogènes.
Piaget reproche à cette conception l’existence de « genèses sans structure » : « toute information cognitive émane
des objets et vient du dehors renseigner le sujet » (ibidem)

► Piaget n’est pas innéiste : selon lui, « la connaissance n’est pas préformée dans le sujet » ; la
connaissance de l’environnement (E) n’émane pas exclusivement du sujet (S) : S → E.
L’enfant est source d’activité. L’origine de la connaissance se situe bien dans l’action (effective ou
mentale) qu’il exerce sur les objets. Néanmoins, si l’enfant peut ainsi connaître son environnement en
agissant sur lui, l’environnement (et les transformations qu’il subit) a lui aussi, en retour, une action
sur l’enfant. Il ne s’agit donc pas d’une action « en sens unique » mais d’une inter-action. Sauf à
penser que toutes les connaissances (mathématiques, par exemple), jusque dans leur formes
supérieures, sont déjà présentes, à l’état latent, chez le bébé (mais aussi chez les invertébrés, voire
même les protozoaires), ces dernières (tout comme les connaissances scientifiques) ne peuvent être
conçues que comme construites par l’enfant, dans et par l’action.
« Qu’une conservation aussi élémentaire [que celle des longueurs, par ex.] ne soit construite que
vers 7-8 ans vous montre combien il y a d’écart entre l’inné et ce qui est peu à peu élaboré, construit,
organisé par le sujet. » (Piaget, 1977)

8 = structures innées donc sans genèse.

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Les théories classiques en psychologie du développement : « Le développement cognitif selon Piaget » (E. Bonjour)

► Piaget n’est pas empiriste : selon lui, « la connaissance n’est pas préformée dans les objets » ; la
connaissance du sujet n’émane pas exclusivement de l’environnement : S ← E.
La connaissance a bien pour origine l’action exercée sur les objets. Néanmoins, cela ne signifie pas
que la connaissance soit tirée des objets, comme si elle existait déjà, indépendamment de l’enfant et en
dehors de lui. La connaissance est construite et ne consiste pas, comme le pensent les empiristes, en
un simple enregistrement des données observables fournies par l’environnement. Pour Piaget, le
système cognitif de l’enfant possède, dès son origine, une organisation interne (non définitive).
Partant de là, la connaissance n’est pas une copie du réel mais une assimilation, c'est-à-dire une
interprétation (par intégration de l’objet par les structures cognitives existantes) du sujet. La
connaissance n’est pas entièrement tirée de ce qui est observable : c’est une construction.
« Le meilleur exemple à donner, pour justifier cette thèse, est l’étude du dessin par l’enfant, étant donné
que le dessin, par définition, est une copie d’un modèle. Ce qu’on observe, chez le jeune enfant, c’est
qu’il ne dessine pas ce qu’il voit, il dessine l’idée qu’il s’en fait, ce qu’il en sait c'est-à-dire son
interprétation et non pas l’objet tel quel en tant qu’observable perceptif » (Piaget, 1977)
C’est ainsi, par ex., qu’une enfant de 3 ans et demi, à qui l’on demande de recopier un losange
(qui a donc le modèle sous les yeux), dessine un carré muni de pointes arrondies…

► Piaget est (interactionniste) constructiviste


Pour Piaget, la connaissance émane de l’interaction sujet / environnement (S ↔ E).
« La connaissance ne saurait être conçue comme prédéterminée, ni dans les structures internes du sujet,
puisqu’elles résultent d’une construction effective et continue, ni dans les caractères préexistants de l’objet,
puisqu’ils ne sont connus que grâce à la médiation nécessaire de ces structures […] » (Piaget, 1979 ; p. 5)
□ Structure (1)
On peut rapprocher la notion de structure de celle de compétence, autrement dit comme étant « une réalité mentale sous-
jacente au comportement effectif »9 (Chomsky, 1965 ; p.13). La compétence est une capacité ou potentialité implicite (le
plus souvent non explicitable). La performance, qui correspond aux conduites effectives, est alors considérée comme étant
le produit ou l’actualisation d’une compétence. Aussi, un comportement effectif (ou performance) est toujours l’expression
de la mobilisation d’une compétence. Les compétences (non observables) sont donc inférées à partir de l’observation des
performances10.

● Piaget s’oppose ainsi aux empiristes : « […] pour que le stimulus déclenche une certaine réponse, il faut que le sujet et son
organisme soient capables de la fournir […] Au commencement n’est donc pas le stimulus mais la sensibilité au stimulus et celle-ci
dépend naturellement de la capacité de donner une réponse [donc de la compétence]. [Dans la perspective behavioriste], le
processus fondamental d’acquisition est l’apprentissage conçu sur le mode empiriste de l’enregistrement des données extérieures : si cela
était vrai, il s’ensuivrait alors que le développement en son ensemble serait à concevoir comme la résultante d’une suite ininterrompue
d’apprentissages ainsi interprétés. Si, au contraire, le fait fondamental de départ est la capacité de fournir certaines réponses, donc la
« compétence », il en résulterait inversement que l’apprentissage ne serait pas le même aux différents niveaux du développement (ce que
prouvent déjà les expériences de B. Inhelder, H. Sinclair et M. Bovet) et qu’il dépendrait essentiellement de l’évolution des
« compétences » : le vrai problème serait alors d’expliquer ce développement et l’apprentissage au sens classique du terme n’y suffirait
pas […] » (Piaget, 1979 ; p. 64)

9 Les notions de « compétence » et « performance » ont été introduites par Chomsky. Elles constituent des notions centrales

de sa théorie selon laquelle les structures nécessaires à l’acquisition du langage (ou compétence) sont innées et spécifiques ;
il est évident que la comparaison entre la notion de structure, utilisée par Piaget, et la notion de compétence, utilisée par
Chomsky, dans leur modèle respectif, s’arrête à la conception commune de structures nécessaires (ou pré-requises) aux
acquisitions : en effet, pour Piaget, contrairement à Chomsky, les structures sont construites par l’enfant et sont générales
(non innées et spécifiques à un domaine particulier d’acquisitions).
10 = observation de l’activité et conversation avec l’enfant, selon la méthode clinique piagétienne…

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Les théories classiques en psychologie du développement : « Le développement cognitif selon Piaget » (E. Bonjour)

Si l’on étend ce propos, Piaget s’oppose également aux conceptions socio-constructivistes, selon lesquelles le
développement est un produit de l’apprentissage ; pour lui, au contraire, l’apprentissage est tributaire (dépend) du niveau
de développement cognitif (= de la compétence construite par l’enfant).

● Piaget s’oppose aux innéistes : selon lui, les structures cognitives qui sous-tendent les comportements ne sont pas
préformées mais construites par l’enfant, au cours de ses interactions avec l’environnement. En retour, la connaissance de
l’environnement étant médiatisée par les structures cognitives de l’enfant, l’environnement (ce que l’enfant en comprend)
est lui aussi l’objet d’une construction.

□ Le terme même de structures leur confère une autre caractéristique que nous n’aborderons que plus tard : celle
d’organisation (cf. § 4.1.).

La connaissance est une construction nouvelle continuelle qui s’élabore dans l’interaction du sujet
avec le réel. La connaissance n’est pas préformée, elle est continuellement créée. Le monde physique
existe bien, il préexiste, mais il reste, pour les Hommes comme pour l’enfant, à construire. L’enfant,
tout au long de son développement (tout comme l’Homme, au cours de l’histoire) construit le réel.
Ainsi, la connaissance de l’environnement et de ses lois n’est jamais vraiment atteinte ; elle est limitée
par les outils cognitifs dont on (l’Homme ou l’enfant) dispose pour l’élaborer : « on se rapproche sans
cesse de l’objectivité, […] on n’atteint jamais l’objet lui-même. L’objet qu’on croit atteindre, c’est toujours
l’objet représenté et interprété par l’intelligence du sujet. » (Bringuier, 1977 ; p. 98)

Or, l’enfant ne possède pas a priori de structure cognitive innée lui permettant d’appréhender
d’emblée les objets, pas plus qu’il n’en dispose pour s’appréhender lui-même.
Ainsi tout est à construire !
« D’une part, la connaissance ne procède en ses sources ni d’un sujet conscient de lui-même, ni d’objets
constitués (du point de vue du sujet) qui s’imposerait à lui : elle résulterait d’interactions se produisant
à mi-chemin entre deux et relevant des deux à la fois, mais en raison d’une indifférenciation complète et
non pas d’échanges entre formes distinctes11. D’autre part et par conséquent, s’il n’existe au début
ni sujet, au sens épistémique* du terme, ni objets conçus comme tels, ni surtout d’instruments
invariants d’échange, le problème initial de la connaissance sera donc de construire de tels
médiateurs » (Piaget, 1979 ; p.12)

Quels sont alors les instruments permettant l’échange entre l’enfant et son environnement ? (=
quels sont les instruments de la connaissance ?)

2.3. L’action et la perception : instruments d’échange entre l’enfant et l’environnement


La perception et l’action sont toutes deux des activités sensori-motrices12 et c’est à travers elles que
l’enfant, au début de sa vie, va découvrir, extraire, de son environnement, les propriétés des objets.
Néanmoins, selon Piaget, l’intelligence procède davantage de l’action qu’elle ne procède de la
perception. En effet, contrairement à la perception, l’action effective (puis l’action intériorisée =
pensée) est essentiellement opérative* : grâce à elle, l’enfant découvre des aspects du réel auxquels
l’environnement ne lui donne pas directement accès.

11 Le nourrisson n’est pas conscient de lui-même et ne se différencie pas de son environnement : objectivité et subjectivité se

construisent donc mutuellement et de façon complémentaire.


12 Les activités sensorielles (perceptives) et motrices sont les seuls moyens dont dispose l’enfant, à sa naissance (jusqu’à 18-24

mois), pour explorer le monde.

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Les théories classiques en psychologie du développement : « Le développement cognitif selon Piaget » (E. Bonjour)

La connaissance peut prendre différentes formes. Piaget distingue ainsi ses aspects figuratif et opératif.
Dans son interaction avec l’environnement, l’activité perceptive de l’enfant lui permet d’acquérir des connaissances sur les
propriétés que les objets, eux-mêmes, lui donnent à percevoir. La connaissance, ainsi tirée des objets, se limite au constat des
propriétés perçues, ici et maintenant, autrement dit aux états du réel (statiques). Cet aspect de la connaissance (et la manière
dont elle est acquise) est dit figuratif.
L’enfant appréhende également son environnement en agissant sur lui. Les transformations qu’il opère alors sur les objets
(en les déplaçant, les lançant, les soulevant, les triant…) lui permettent, d’une part, d’en extraire d’autres propriétés (leur
poids, dureté, densité…) mais aussi de découvrir sa propre capacité à transformer les états du réel et par conséquent à en
créer de nouveaux. La connaissance n’est donc plus issue du simple constat de ce qui est perçu mais elle est créée par
l’enfant via les transformations qu’il exerce sur les objets (sur les états du réel) et les nouveaux états du réel qu’il fait
apparaître. Cet aspect de la connaissance (et la manière dont elle procède) est dit opératif.

Le facteur de développement « exercice et expérience acquise » (cf. § 2.1.) est donc plus complexe que
ne l’envisagent les empiristes. En effet, durant ses interactions avec l’environnement, l’enfant
bénéficie, selon Piaget, de deux types d’expérience :

« a. L’expérience physique qui consiste à agir sur les objets pour en abstraire les propriétés (par ex. comparer
deux poids indépendamment des volumes)13 […] L’expérience physique n’a rien du simple enregistrement du
donné mais constitue une structuration active puisqu’elle est toujours assimilation à des cadres logico
mathématiques (comparer deux poids suppose ainsi une mise en « relations », donc la construction d’une forme
logique).
b. L’expérience logico-mathématique qui consiste à agir sur les objets mais en vue de connaître le résultat de la
coordination des actions (par ex. lorsqu’un enfant de 5-6 ans découvre empiriquement que la somme d’un
ensemble est indépendante de l’ordre spatial des éléments et de leur énumération14). En ce dernier cas, la
connaissance est abstraite de l’action (qui ordonne ou réunit) et non pas des objets, de telle sorte que l’expérience
constitue simplement la phase pratique et quasi motrice de ce que sera la déduction opératoire ultérieure : ce qui
n’a plus guère de rapport avec l’expérience au sens d’une action du milieu extérieur puisqu’il s’agit au contraire
d’une action constructrice exercée par ce sujet sur ces objets extérieurs. » (Piaget & Inhelder, 1966 ; p. 123)

L’expérience physique et l’expérience logico-mathématique sont deux aspects indissociables de


l’expérience. Elles consistent toutes deux à agir directement sur les objets (avant que l’enfant ne soit
capable d’actions intériorisées) mais alors que l’expérience physique permet de découvrir les
propriétés des objets, par extraction d’informations perceptives, l’expérience logico-mathématique
permet d’extraire des informations sur les propriétés que les actions introduisent dans les objets.
Ainsi, par exemple, les actions de classer, dénombrer, sérier… imposent à l’environnement une
organisation qu’il ne possède pas lui-même mais dont l’enfant découvre les propriétés grâce à (la
coordination de) ses actions sur les objets (dans l’exemple, coordination de deux dénombrements
effectués en sens inverse)

13 L’expérience physique permet ainsi à l’enfant de découvrir que le poids est indépendant de la couleur, de la forme…et du

volume lorsque les objets n’ont pas la même densité (alors qu’au contraire le poids des objets de même densité est
proportionnel à leur volume), etc.
14 Il s’agit ici de la découverte de la commutativité de l’addition : l’action d’additionner (ou de réunir) 2 + 3 ou 3 + 2 objets

donne le même ensemble. Aussi, le produit de l’action de réunir (donc la somme) est indépendant de l’ordre, autrement dit
des actions d’ordonner et de classer (les objets en sous-ensembles). On voit bien ici, qu’à l’origine de cette découverte,
l’ordre introduit et les classements produits ne sont pas attachés aux objets eux-mêmes ; ils sont le résultat de l’action (« qui
ordonne ou réunit ») et qui leur offre temporairement les propriétés d’être ordonnables et classables.

~9~
Les théories classiques en psychologie du développement : « Le développement cognitif selon Piaget » (E. Bonjour)

L’objectif de l’épistémologie génétique est d’étudier la genèse des mécanismes généraux responsables
de l’accroissement des connaissances ; ce faisant, Piaget étudie la construction progressive, chez
l’enfant, des outils cognitifs au moyen desquels la connaissance objective est approchée. Aussi,
l’enfant dont il étudie le développement n’est pas un enfant réel, concret, individuel : « il s’agit d’un
sujet épistémique15, c’est à dire des mécanismes communs à tous les sujets d’un même niveau, autrement dit
encore, du sujet « quelconque16 ». » (Piaget, 1968 ; p. 58). On pourrait également parler de sujet universel.

Les structures cognitives sont, donc, selon Piaget, communes à tous les hommes mais ne sont
pourtant pas prédéterminées. Quel est alors le mécanisme de leur formation ?

III. La biogenèse des connaissances :


les mécanismes du développement

3.1. Continuité et discontinuité du développement

Pour Piaget, il n’existe pas de frontière mais une continuité « entre le biologique et le
psychologique » ; le développement cognitif prolonge l’adaptation biologique, ce qui implique qu’ils
soient, tous deux, sous la dépendance des mêmes processus (des points de vue ontogénétique* et
phylogénétique*) : il y a « solidarité de la psychogenèse et de la biogenèse des instruments cognitifs » (Piaget,
1979 ; p. 60).

□ Ontogenèse : évolution individuelle - □ Phylogenèse : évolution d’une espèce, des espèces.

Le développement intellectuel est-il alors héréditaire ?

Selon Piaget (1936), certains facteurs héréditaires conditionnent bien le développement intellectuel ; il
s’agit de facteurs (d’ordre structural - dits de premier type) « liés à la constitution de notre système
nerveux et de nos organes de sens » (autrement dit, notre équipement sensoriel et moteur). Néanmoins,
ces facteurs sont essentiellement limitatifs17 alors qu’ « Au contraire, l’activité déductive et organisatrice
de la raison est illimitée. […] Pour autant que cette activité est héréditaire, c’est donc en un tout autre sens : il
s’agira, dans ce second type, d’une hérédité de fonctionnement lui-même et non pas de la transmission de
telle ou telle structure. (p.8) […] L’intelligence est une adaptation […] Pour décrire le mécanisme fonctionnel
de la pensée en termes biologiques vrais, il suffira dès lors de dégager les invariants communs à toutes les
structurations dont la vie est capable. » (idem, p. 10).

Le développement intellectuel s’expliquerait davantage par une hérédité de fonctionnement18 que par
une transmission de structure(s)

15 C’est pour cette raison que Piaget utilise majoritairement le terme de « sujet » et plus rarement celui d’enfant.
16 Il semble inutile de préciser que l’objet avec lequel l’enfant interagit et qui permet son développement est « quelconque »,
lui aussi.
17 Un humain ne peut voler ou percevoir les ultrasons…

18 Processus d’adaptation et d’organisation

~10~
Les théories classiques en psychologie du développement : « Le développement cognitif selon Piaget » (E. Bonjour)

Car, en effet, si les structures, elles-mêmes, sont variables (d’un âge à l’autre, d’une espèce à l’autre),
leurs fonctions (vitales, intellectuelles) demeurent invariantes : « De même que les grandes fonctions de
l’être vivant19 sont identiques chez tous les organismes mais correspondent à des organes fort différents d’un
groupe à l’autre, de même entre l’enfant et l’adulte, on assiste à une construction continue de structures variées
quoique les grandes fonctions de la pensée demeurent constantes. » (idem, p. 11)

Ces fonctions invariantes de la pensée s’inscrivent, selon Piaget, « dans le cadre des deux fonctions
biologiques les plus générales : l’organisation et l’adaptation. »
Les processus d’adaptation, présents et fonctionnels dès la naissance, assurent en quelque sorte la
continuité du développement. L’organisation, quant à elle, s’en trouve modifiée : ses caractéristiques
changent au cours du développement.

3.2. Organisation et adaptation

L’adaptation ne peut être réduite à un état d’équilibre entre un organisme (ou une structure) et son
milieu. L’adaptation est processus : « il y a adaptation lorsque l’organisme se transforme en fonction du
milieu et que cette variation a pour effet un accroissement des échanges, entre le milieu et lui, favorables à sa
conservation. » (ibidem). L’adaptation résulte d’une interaction entre deux processus
complémentaires et indissociables, l’assimilation* et l’accommodation*.
□ Processus d’assimilation : processus par lequel un objet de l’environnement ou une situation est appréhendé(e) par la
structure actuelle du sujet.
□ Processus d’accommodation : processus par lequel la structure actuelle du sujet se transforme, se modifie pour s’ajuster
à un nouvel objet, à une modification de l’environnement.

Quelle que soit la forme d’intelligence considérée, « l’adaptation intellectuelle comporte un élément
d’assimilation, c’est-à-dire de structuration par incorporation de la réalité extérieure à des formes dues à
l’activité du sujet. […] L’assimilation ne peut jamais être pure parce qu’en incorporant les éléments nouveaux
dans les schèmes antérieurs, l’intelligence modifie sans cesse ces derniers pour les ajuster aux nouvelles
données. Mais, inversement, les choses ne sont jamais connues en elles-mêmes puisque ce travail
d’accommodation n’est jamais possible qu’en fonction du processus inverse d’assimilation.20» (idem, p. 13)

L’organisme (ou le système cognitif) ne peut tout appréhender du milieu d’un seul coup. Il y a
toujours des éléments du réel qui échappent, à un moment donné, à ses possibilités d’adaptation
parce qu’ils sont trop nouveaux, donc inassimilables. D’où le caractère lent, progressif et continu du
développement intellectuel. Seuls peuvent être appréhendés les éléments du réel que le système est à
même d’assimiler sans que cela ne nécessite un changement radical de son organisation.

L’organisation et l’adaptation forment donc une totalité fonctionnelle ; ce sont deux fonctions
complémentaires d’un même mécanisme : l’adaptation est l’aspect externe, fonctionnel du cycle
assimilation-accommodation et l’organisation en est l’aspect interne, structural.

19Oxygénation, nutrition…
20Il ne convient donc pas de considérer que l’assimilation précède l’accommodation ou inversement ; l’un et l’autre sont
indissociables

~11~
Les théories classiques en psychologie du développement : « Le développement cognitif selon Piaget » (E. Bonjour)

Quel que soit l’âge considéré, les conduites adaptatives que l’enfant développe, dans son interaction
avec l’environnement, ne sont pas disparates, hétérogènes, imprévisibles. Elle relève d’une logique,
celle de l’enfant, qui n’est pas encore celle de l’adulte (ou celle du scientifique) mais qui présente
néanmoins, selon Piaget, toutes les caractéristiques d’une structure, autrement dit, d’un système
relativement cohérent, tout à la fois organisé et organisateur.

Les structures intellectuelles qui se succèdent, ainsi, au cours du développement, possèdent donc des
propriétés « d’auto-organisation » que nous n’avons abordées, jusqu’ici, qu’indirectement.

IV. La genèse des formes logiques de la pensée :


les stades du développement

L’enfant, en se développant, s’adapte à son environnement : il est confronté à divers domaines du réel
qu’il élabore (l’espace, le temps, la vitesse, la causalité, l’identité des objets, la quantité, les catégories,
les relations d’ordre, le nombre, etc.). Les structures cognitives (actuelles) de l’enfant déterminent les
connaissances qu’il est à même de construire de son environnement21 ainsi que les conduites
adaptatives (actions) qu’il y déploie22. En cela, la notion de structure peut être rapprochée de celle de
compétence.
Parallèlement, ces conduites adaptatives, tout en se modifiant qualitativement au cours du
développement, s’organisent (coordination des actions) et donnent naissance aux structures
cognitives qui les sous-tendent23 : elles s’organisent, durant des périodes déterminées (ou stades), en
structures identifiables et caractéristiques d’un niveau de développement : en structures sensori-
motrice, opératoire concrète et opératoire formelle.

4.1. Organisation : La notion de structure

4.1.1. Définition d’une struture


Au sens large, une structure est un système organisé ; c’est une totalité qui comporte des lois de
transformation (ou d’évolution) auxquelles sont soumis tous les éléments qui la composent ; ces lois
permettent à la structure, à la fois, de se conserver et de s’enrichir par auto-régulation (ou
autoréglage).

□ Structure (2)
Quel que soit le domaine dans lequel les structures sont envisagées (en mathématique ou logique, physique ou
biologie, psychologie, linguistique, sociologie, philosophie…), elles présentent, selon Piaget, des caractères
généraux :
« En première approximation, une structure est un système de transformations, qui comporte des lois en tant
que système (par opposition aux propriétés des éléments) et qui se conserve ou s’enrichit par le jeu même de ses
transformations, sans que celles-ci aboutissent en dehors de ses frontières ou fasse appel à des éléments

21 Souvenez-vous, la connaissance, selon Piaget, est une interprétation (une assimilation de l’environnement par la structure

existante, préalablement construite).


22 Il en est de même, naturellement, des apprentissages qu’il est à même de réaliser.

23 Rappelez-vous, les structures intellectuelles ne sont pas préformées mais construites par l’enfant, dans son interaction avec

l’environnement.

~12~
Les théories classiques en psychologie du développement : « Le développement cognitif selon Piaget » (E. Bonjour)

extérieurs. En un mot, une structure comprend ainsi les trois caractères de totalité, de transformations et
d’autoréglage. En seconde approximation […] celle-ci doit pouvoir donner lieu à une formalisation. Seulement,
il faut bien comprendre que cette formalisation est l’œuvre du théoricien24, tandis que la structure est
indépendante de lui […] » (Piaget, 1968 ; p.7)

■Une structure est une totalité :


Une structure est formée d’éléments subordonnés aux lois du système. Ces lois, dites de composition,
caractérisent le système en tant que tel et lui confèrent des propriétés distinctes de celles des éléments qui le
composent.

■Une structure est un système de transformations :


Une structure n’est pas un système statique ou immobile : c’est un système de transformations qui lui assure,
grâce aux lois de composition qui le caractérisent, la possibilité d’évoluer (cf. ci-dessous).

■ Une structure s’autorégule :


Une structure se régule (ou se règle) elle-même (en accord avec les lois de composition qui régissent le
système) ; cette autorégulation (ou autoréglage) entraîne sa conservation et sa fermeture : « les transformations
inhérentes à une structure ne conduisent pas en dehors de ses frontières mais n’engendrent que des éléments appartenant à
la structure et conservant ses lois. […] C’est en ce sens que la structure se referme sur elle-même mais cette fermeture ne
signifie en rien que la structure considérée ne peut pas entrer à titre de sous-structure dans une structure plus large.
Seulement, cette modification des frontières générales n’abolit pas les premières : il n’y a pas annexion mais confédération
et les lois de la sous-structure ne sont pas altérées mais conservées, de telle sorte que le changement intervenu est un
enrichissement. » (idem, p. 14).

La structure peut encore être définie comme « un système de transformations refermé sur lui-même » (idem,
p.8)

Ainsi, les structures intellectuelles sont, pour Piaget, comme leur nom l’indique, des systèmes
organisés, composés d’éléments coordonnés entre eux et possédant des propriétés « d’auto-
organisation »
= leurs éléments sont régulés par les lois du système : lois de transformation (= d’évolution)
permettant aux structures de se conserver (cohérence interne) et de s’enrichir par auto-régulation (ou
autoréglage)

L’intelligence en développement tend, selon Piaget, à se rapprocher, progressivement, de la pensée


scientifique. Or, cela n’est possible que si l’organisation interne des structures intellectuelles
assure leur évolution en ce sens. Aussi, selon Piaget, l’évolution des structures intellectuelles n’est
pas innée mais est issue de la coordination des actions réalisées par l’enfant, dans son interaction
avec l’environnement (éléments des structures = schèmes). Ces conduites adaptatives et leur
coordination sont régies par des lois de totalité comparables à celles qui régissent les structures
logico-mathématiques nommées groupes (ou groupements)25. L’auto-régulation des structures est
assurée, quant à elle, par un mécanisme interne, le processus d’équilibration 26

24 En d’autres termes, la formalisation choisie n’est pas attachée à la structure et dépend donc du théoricien lui même !
25 Les notions de groupe et groupement ne seront pas abordées dans ce cours mais, pour plus d’informations, vous pouvez
vous référer à l’annexe 2 (p. 22)
26 La restructuration des éléments qui forment les structures est assurée par un autre mécanisme interne, l’abstraction

réfléchissante ; cette notion ne sera pas abordée dans ce cours mais, pour plus d’informations, vous pouvez vous référer à
l’annexe 3 (p. 24)

~13~
Les théories classiques en psychologie du développement : « Le développement cognitif selon Piaget » (E. Bonjour)

4.1.2 La notion de schème


La structure qui assimile les objets de l’environnement et s’y accommode est le schème : le schème-
réflexe d’abord, puis le schème d’action (puis schème opératoire ou opération27)
« [Les schèmes] s’édifient, dans la période sensori-motrice, à partir des activités spontanées et globales
que l’on observe chez tout organisme vivant. Certains réflexes constituent, pour Piaget, une ébauche de
différenciation et d’organisation de ces activités. Le réflexe de succion ou réflexe palmaire (observable
sur la paume de la main), par exemple, se consolident par des mises en jeu répétées, un « exercice
fonctionnel » qui va améliorer les réussites de l’enfant ayant, par exemple, à saisir et à sucer le sein. Ils
se transformeront en schèmes par leur répétition à vide ou sur des objets variés. Ces quelques
indications illustrent, à ce niveau initial du développement intellectuel, la continuité qui s’établit entre
les procédures biologiques et les procédures cognitives d’adaptation. Le passage du réflexe au schème
d’action se fait par intégration, au premier, d’éléments sensori-moteurs nouveaux et jusque-là
indépendants. C’est le premier exemple que l’on peut donner du processus d’assimilation. » (Reuchlin,
1977 ; p. 230. Pour plus de précisions, cf. Piaget, 1966, chapitre I (notamment pp. 9-11)

Le schème est structure, il se différencie de l’action elle-même : il est l’organisation de l’action sous la
forme de structure.

□ « Un schème est la structure ou l’organisation des actions, telles qu’elles se transfèrent ou se généralisent lors
de leur répétition en des circonstances semblables ou analogues » (Piaget, 1966 ; p. 11)
= « […] ce qu’il y a de commun aux diverses répétitions ou applications de la même action […] » (Piaget, 1970 ;
cf. ci-dessous)
Le schème est une « Organisation invariante de la conduite (= activité) dans une classe de situations donnée »
(Vergnaud 1990)
L’action est singulière. Le schème, quant à lui, forme une unité d’où sont abstraits les détails d’exécution qui
singularisent les actions qu’il sous-tend.
Par exemple, le schème de préhension correspond à une séquence indivisible, identifiable et indéfiniment répétable :
extension de la main jusqu’à ce que l’objet à saisir (quel qu’il soit) soit atteint, repliement des doigts sur l’objet, rétraction
pour attirer l’objet à soi. L’action est observable mais le schème, en tant qu’organisation ou structure de l’action (entité
abstraite), ne l’est pas.

« Nous appellerons schèmes d’actions, ce qui, dans une action est ainsi transposable, généralisable ou
différentiable d’une situation à la suivante, autrement dit ce qu’il y a de commun aux diverses répétitions
ou applications de la même action. Par exemple, nous parlerons d’un « schème de réunion » pour des
conduites comme celle d’un bébé qui entasse des plots, d’un enfant âgé qui assemble des objets en cherchant à les
classer, et nous retrouverons ce schème en des formes innombrables jusqu’en des opérations logiques telles que
la réunion de deux classes (les pères plus les mères = tous les parents, etc.). De même, on reconnaîtra des
« schèmes d’ordre » dans les conduites disparates, comme d’utiliser certains moyens « avant » d’atteindre le
but, de ranger des plots par ordre de grandeur, de construire une série mathématique, etc. D’autres schèmes
d’action sont beaucoup moins généraux et n’aboutissent pas à des opérations intériorisées aussi abstraites ; par
exemple, les schèmes de balancer un objet suspendu, de tirer un véhicule, de viser un objectif, etc. (Piaget, 1970,
p. 16 ; cité par Dolle, 1974)

27 Les actions ont pour caractéristiques de s’opérer de manière effective, ici et maintenant, sur des objets réels. Au cours du

développement, avec l’apparition de la capacité de représentation, les actions sont intériorisées et peuvent donc, non
seulement être réalisées réellement, mais être aussi pensées, autrement dit réalisées mentalement. Piaget définit, néanmoins,
l’opération, comme étant une action intériorisée et réversible. Ce dernier aspect ne sera pas abordé, dans ce cours ; pour en
savoir plus, se référer à l’annexe 1 (p.20)

~14~
Les théories classiques en psychologie du développement : « Le développement cognitif selon Piaget » (E. Bonjour)

Au fil du développement, en se répétant, les schèmes se consolident (par assimilation reproductrice) ;


en s’appliquant à de nouveaux objets, les schèmes s’enrichissent, s’ajustent. Ils ont ainsi tendance à
étendre leur champ d’application à d’autres objets, à se généraliser (assimilation généralisatrice) ; ils
ont également la tendance inverse à se différencier en nouveaux schèmes plus spécifiques et ainsi à
discriminer les objets en ne s’appliquant qu’à ceux qui possèdent certaines propriétés (assimilation
recognitive28). Les schèmes ne restent pas indépendants ; ils ont tendance à s’intégrer, se combiner en
totalités nouvelles plus complexes, assimilant ainsi le domaine d’activité de chacun29 (assimilation
réciproque).

Ainsi, l’organisation cognitive procède bien, selon Piaget, d’une logique de l’action.
L’activité de l’enfant impliquant de multiples actions, interagir avec l’environnement consiste à
coordonner des actions (combiner deux actions, les inverser, les réunir en une seule…). Ce faisant,
Sous l’action conjuguée de l’assimilation et de l’accommodation, l’intelligence s’organise (en
structures), en même temps qu’elle organise, structure le réel (l’espace, le temps, la vitesse, la
causalité, la substance mais aussi la quantité, les classes, les relations, le nombre…) : « L’accord de la
pensée avec les choses » et « l’accord de la pensée avec elle-même » expriment ce double invariant fonctionnel de
l’adaptation et de l’organisation. Or ces deux aspects de la pensée sont indissociables : c’est en s’adaptant aux
choses que la pensée s’organise elle-même et c’est en s’organisant elle-même qu’elle structure les
choses. » (Piaget, 1936 ; p. 14)

Au fil du développement, par le jeu des assimilations réciproques, les schèmes se coordonnent entre
eux et s’emboîtent hiérarchiquement, formant des systèmes organisés. Le développement de
l’intelligence s’opère ainsi par structuration (structurations d’actions d’abord, à partir des structures
initiales que sont les schèmes réflexes, puis d’opérations30) donnant lieu, au cours du développement,
à une succession de trois grandes structures (ou schèmes généraux) : les structures sensori-motrice,
opératoire concrète et opératoire formelle.

4.1.3. L’évolution « nécessaire » des structures logiques : le processus d’équilibration

Si le développement, comme le pense Piaget, n’est pas prédéterminé31, comment expliquer qu’il
prenne, chez tous les enfants, cette même direction ?

28 L’enfant reconnaît ainsi certains objets parmi d’autres : ceux qui sont « portables » / non « portables », « prenables » / non

« prenables»…
29 Selon Piaget, les schèmes de succion, préhension, vision, par exemple, constituent, au début de la vie du bébé, des moyens de

connaître isolés les uns des autres. Ce n’est, par exemple, que vers 4 mois et demi que le bébé commence à coordonner vision
et préhension, en tentant de saisir tous les objets qu’il voit dans son espace proche ; ce n’est que vers un an que l’enfant
devient capable de pousser un obstacle, pour l’écarter, en vue de saisir un objet proche (se montrant ainsi capable d’acte
intentionnel) etc.
30
La notion d’opération comprise comme structure d’action interiorisée et réversible ne sera pas abordée dans ce cours mais,
pour plus d’informations, vous pouvez vous référer à l’annexe 1 (p. 20)
31 Pas plus que ses formes successives ne sont imposées par des modèles mathématiques !

~15~
Les théories classiques en psychologie du développement : « Le développement cognitif selon Piaget » (E. Bonjour)

Selon Piaget, « la maturation », « l’exercice et l’expérience », « les interactions sociales » ne suffisent


pas à expliquer l’« évolution dirigée »32 du développement. Un quatrième facteur en est responsable ;
il s’agit d’un mécanisme interne qui incite l’enfant à développer, sans cesse, d’autres formes de
connaissances, toujours plus adaptées : le processus d’équilibration*

□ Dans le (second et dernier) modèle de l’équilibration de Piaget, le processus d’équilibration est défini comme
suit :
« Un tel mécanisme interne (mais sans réduction possible à la seule innéité et sans plan préétabli puisqu’il y a
construction réelle) est en fait observable lors de chaque construction partielle et lors de chaque passage d’un
stade au suivant : c’est un processus d’équilibration […] dans le sens […] d’une autorégulation, c’est à dire
d’une suite de compensations actives du sujet en réponse aux perturbations extérieures et d’un réglage à la fois
rétroactif (systèmes en boucles ou feed-backs) et anticipateur constituant un système permanent de telles
compensations. » (Piaget, 1966 ; pp. 124-125)

Les compensations peuvent être de trois types :


1. la perturbation est annulée par une action du sujet qui supprime tout bonnement l’élément perturbateur : le
système demeure stable ;
2. l’élément perturbateur est intégré dans le système et le modifie : il contribue à la réorganisation du système33 ;
3. l’élément perturbateur est prévisible (il fait partie des transformations qui peuvent être anticipées ou inférées
à partir des structures actuelles du sujet) : il ne perturbe pas le système qui demeure stable.
Naturellement, seul le second type de compensation est à même d’engendrer une équilibration majorante34.

L’équilibration opère à tous les niveaux du système. Aussi, trois grandes formes d’équilibration peuvent être
distinguées :
○ l’équilibration des rapports entre le sujet et les objets (assimilation des objets à des schèmes
d’actions/opératoires et accommodation de ces derniers aux objets) : elle conduit aux connaissances physiques
ou expérimentales ;
○ l’équilibration des interactions entre les schèmes ou sous-systèmes de schèmes de même niveau (assimilation
et accommodation inter-schèmes) : elle conduit au développement des connaissances logico-mathématiques ;
○ l’équilibration entre les schèmes et le système total qui les englobe : elle oriente la finalité des actions réalisées.

Le développement de l’intelligence, tout comme l’adaptation biologique, résulte, selon Piaget, d’une
marche vers l’équilibre ; toute forme d’adaptation, autrement dit, toutes les interactions assimilatrices
et accommodatrices entre un organisme et son environnement, tend vers un état d’équilibre. Dans
cette quête, les processus d’assimilation et accommodation sont régulés par le processus
d’équilibration (dont la « fonction » est, en quelque sorte, de préserver les structures).

« L’adaptation intellectuelle, comme toute autre, est une mise en équilibre progressive entre un
mécanisme assimilateur et une accommodation complémentaire. L’esprit ne peut se trouver adapté à une
réalité que s’il y a parfaite accommodation, c’est-à-dire si plus rien, dans cette réalité, ne vient modifier
les schèmes du sujet. Mais, inversement, il n’y a pas adaptation si la réalité nouvelle a imposé des
attitudes motrices ou mentales contraires à celles qui avaient été adoptées au contact d’autres données

32 …évolution dirigée du moins au plus adapté, du moins au plus logique


33 Par exemple, un enfant ayant réalisé une classification d’objets, d’après leur couleur, sera perturbé par l’apport de
nouveaux objets différant, non seulement par la couleur, mais aussi par la forme (carrés, ronds, losanges…). S’il intègre ces
nouveaux éléments dans son activité de classification, il devra produire une nouvelle classification (qui n’est plus simple
(additive) mais multiplicative, autrement dit, de type « tableau à double entrée »).
34 = qui génère du développement

~16~
Les théories classiques en psychologie du développement : « Le développement cognitif selon Piaget » (E. Bonjour)

antérieures - il n’y a adaptation que s’il y a cohérence, donc assimilation […] L’adaptation n’est achevée
que lorsqu’elle aboutit à un système stable, c’est-à-dire lorsqu’il y a équilibre entre l’accommodation et
l’assimilation. » (Piaget, 1936 ; p. 14)

Naturellement, l’état d’équilibre n’est jamais atteint (selon Piaget, il faudrait, pour cela, avoir assimilé
l’univers entier). Même s’ils ne sont pas tous propres à le faire, il y a toujours des éléments extérieurs
qui viennent perturber l’organisme et il doit donc sans cesse se réajuster :

« La vie mentale comme la vie organique assimile le milieu qui l’entoure grâce à des structures qui sont
des systèmes organisés et qui ont leurs propres lois (structures biologiques ou structures de l’esprit).
D’autre part, ces structures elles-mêmes se réajustent en fonction des transformations subies, elles
s’accommodent au milieu extérieur. Ce mécanisme perpétuel est mu par les besoins. Le besoin lui-même
est toujours la manifestation d’un déséquilibre mental ou organique » (Bringuier, 1970)

L’équilibration est une autorégulation qui permet à l’enfant de compenser activement les
perturbations (externes ou internes) qu’il reçoit. Il réagit ainsi aux déséquilibres en s’adaptant35, c'est-
à-dire, en procédant à des ré-équilibrations, des réajustements (ou autorégulations compensatrices)
propres à rétablir l’équilibre ou à engendrer une réorganisation de ses structures internes.

L’équilibration ne permet donc pas au système cognitif (ou à un organisme), de retrouver un état
d’équilibre (initial) : un système équilibré est un système « parfait » qui n’aurait aucune nécessité à se
dépasser. Or, le système cognitif ne l’est jamais. L’équilibre dont il est question n’est pas « un équilibre
statique, comme une balance immobile ; c’est un équilibre mobile (comme disent les physiciens) qui ne cesse
d’essayer de s’améliorer » (Bringuier, 1970) : l’équilibration est majorante ; elle permet, à la fois, aux
structures de se préserver et de s’enrichir36 ; le conflit cognitif (résistance de l’objet à l’assimilation,
contradiction interne, sentiment de lacune, etc.) constitue, quant à lui, le facteur de déséquilibre
garant d’une rééquilibration de niveau supérieur : est un facteur permanent de développement.

Aussi, la borne supérieure d’un stade marque le point d’équilibre atteint par une structure… qui
précède, néanmoins, un nouveau déséquilibre, conduisant à la reconstruction d’une structure
nouvelle.

Le développement est donc conçu, par Piaget, comme une évolution dirigée par une nécessité interne
d’équilibre (cohérence et adaptation). Aussi, « dans le cas du développement de l’enfant, il n’y a pas de plan
préétabli mais une construction progressive telle que chaque innovation ne devient possible qu’en fonction de la
précédente. » (Piaget, 1966 ; p. 124).

35 Souvenez-vous : « « L’accord de la pensée avec les choses » et « l’accord de la pensée avec elle-même » expriment ce double invariant

fonctionnel de l’adaptation et de l’organisation. Or ces deux aspects de la pensée sont indissociables : c’est en s’adaptant aux choses que
la pensée s’organise elle-même et c’est en s’organisant elle-même qu’elle structure les choses. » (Piaget, 1936 ; p. 14)
36 En quelque sorte, l’organisation du système en permet le développement : il s’adapte en s’(auto)modifiant par

(auto)transformation. Sa régulation est permise par les propriétés d’(auto)conservation qu’il renferme.

~17~
Les théories classiques en psychologie du développement : « Le développement cognitif selon Piaget » (E. Bonjour)

Quel que soit le moment du développement considéré, l’organisation actuelle du système cognitif de
l’enfant résulte des déséquilibres successifs qui ont remis en cause les organisations précédentes.
Ainsi, le développement cognitif se traduit, d’un point de vue fonctionnel, par une succession de
déséquilibres et de rééquilibrations (rendue nécessaire par les interactions constantes entre l’enfant et
son environnement) à l’origine, d’un point de vue structural, de son passage par une succession (cf.
stades) d’états d’équilibre (relatifs, bien sûr, qualitativement différents et de plus en plus mobiles).

4.2. La notion de stade37

« Il y a construction successive et le développement de l’intelligence, à cet égard, paraîtra comme une série de
constructions qui prolonge l’embryogenèse, la formation de l’organisme lui-même. Ces constructions
successives, par le fait même qu’elles sont successives, marquent alors une série de paliers hiérarchiques que
nous appellerons stades ou niveaux. » (Piaget, 1977)

A la construction de chacune des grandes structures (sensori-motrice, opératoire concrète et


opératoire formelle) correspond, ainsi, une période clé du développement. Le développement de
l’intelligence, chez l’enfant, s’opère par étapes, correspondant chacune à la formation d’une structure
jusqu’à son achèvement (sa fermeture). Trois grandes périodes se succèdent, ainsi, au cours du
développement, correspondant, chez Piaget, à des stades. Ces étapes, pour qu’elles puissent être
qualifiées de stades, présentent certaines propriétés :

□ L’ordre de succession des stades (et des acquisitions correspondantes) est constant et ne peut être
inversé ; en revanche, les âges « d’entrée » dans les stades peuvent varier38 et ne pas correspondre aux
âges moyens indiqués :
Piaget insiste sur le fait que, pour étudier le développement de l’enfant, lui et son équipe présentent,
aux enfants, des petits problèmes nouveaux, auxquels ils n’ont, sensément, pas encore réfléchi. On
pourrait donc s’attendre à ce que les réponses fournies par les enfants soient très diverses et
inventées, par chaque enfant particulier, à l’occasion de chacune des situations particulières
auxquelles il est soumis. Or, il n’en est rien : aux mêmes âges, globalement, les enfants d’un même
milieu produisent les mêmes réponses. Les âges peuvent varier d’un milieu social à un autre mais les
acquisitions se succèdent dans le même ordre39, constituant des étapes identifiables par lesquelles
passent tous les enfants (et ce, quel que soit le problème que l’on soumet aux enfants) .

37 Les stades du développement sont définis dans l’annexe 4, p. 27


38 Certains enfants y entrent plus rapidement et d’autres plus tardivement.
39Piaget et son équipe ont réalisé des études comparatives dans de nombreux pays. Par exemple, en Iran, ils remarquent que
les petits écoliers de Téhéran fournissent, aux mêmes âges, des réponses comparables à celles des petits écoliers genevois
alors que les mêmes situations, proposées à de petits analphabètes des campagnes ou des montagnes d’Iran, engendrent des
réponses révélant un retard d’environ 3 ans par rapport aux âges moyens envisagés. Néanmoins, le même ordre de
succession des acquisitions est retrouvé chez tous les enfants rencontrés.

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Les théories classiques en psychologie du développement : « Le développement cognitif selon Piaget » (E. Bonjour)

□ Les stades ont un caractère intégratif : les structures construites à un stade donné sont intégrées
dans les structures du stade suivant, elles sont partie intégrante des structures nouvelles. Autrement
dit, les structures sont intégratives et ne se substituent pas les unes aux autres : les structures sensori-
motrices sont partie intégrante des structures opératoires concrètes qui, elles-mêmes, sont partie
intégrante des structures opératoires formelles.

□ Un stade ne se caractérise pas par un ensemble d’acquisitions plus ou moins disparates mais par
une structure d’ensemble, régie par des « lois de totalité ». Autrement dit, toutes les acquisitions
réalisées, au cours d’un stade donné, relèvent (et sont caractéristiques) d’une même structure. Chaque
stade comporte un niveau préparatoire (formation de la structure) et un niveau ultérieur
d’achèvement (palier d’équilibre). L’achèvement d’une structure (sa fermeture) marque donc la borne
supérieure d’un stade.

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Les théories classiques en psychologie du développement : « Le développement cognitif selon Piaget » (E. Bonjour)

Annexes
Annexe 1 – la notion d’opération
Des actions aux opérations
Dans la conception piagétienne du développement, les procédures cognitives prolongent les
procédures biologiques d’adaptation. Aussi, les éléments qui composent les structures intellectuelles
sont tout d’abord des actions. Les actions (premier instrument d’échange avec le milieu) ont pour
caractéristiques de s’opérer de manière effective, ici et maintenant, sur des objets réels.
Au cours du développement, avec l’élaboration de la fonction sémiotique40*, les actions sont
intériorisées et peuvent donc être envisagées mentalement, avec leurs variantes et les conséquences
qui en découlent. Cette reconstruction cognitive marque le passage de l’intelligence sensori-motrice
(exclusivement fondée sur les actions, sans possibilité de représentation) à l’intelligence
représentative.

La fonction sémiotique (ou symbolique) apparaît vers 18 mois-24 mois. Elle « consiste à pouvoir représenter
quelque chose (un « signifié » quelconque : objet, événement, schème conceptuel, etc.) au moyen d’un
« signifiant » différencié et ne servant qu’à cette représentation : langage, image mentale, geste symbolique,
etc. » (Piaget, 1966 ; p. 41)
Elle permet ainsi à l’enfant de se représenter les objets, les situations, en leur absence ou encore les actions non
accomplies…
Aussi, « Au cours de la seconde année […] apparaît un ensemble de conduites qui implique l’évocation représentative d’un
objet ou d’un événement absent et qui suppose par conséquent la construction ou l’emploi de signifiants différenciés,
puisqu’ils doivent pouvoir se rapporter à des éléments non actuellement perceptibles aussi bien qu’à ceux qui sont présents.
On peut distinguer au moins cinq de ces conduites, d’apparition à peu près simultanée […] » (idem, p. 42) : il s’agit (1)
de l’imitation différée, (2) du jeu symbolique, (3) du dessin, (4) de l’image mentale (imitation intériorisée), (5) de
l’évocation verbale d’événements absents, grâce au langage.
Dès l’âge de 18-24 mois, la relation de l’enfant au monde va être médiatisée par cette nouvelle
capacité de représentation, qu’il doit parvenir à s’approprier : jusqu’à 7-8 ans environ, la pensée de
l’enfant, d’abord imagée et symbolique*, se décentre progressivement des actions effectives et des
apparences perceptives et tend à devenir opératoire.

La représentation imagée et symbolique n’évoque que des réalités particulières, en rapport avec des
expériences personnelles, vécues. La pensée de l’enfant ne repose pas, comme chez l’adulte, sur des concepts.
La représentation est imagée car elle prend la forme d’images mentales (sortes de copies intériorisées des objets
et des situations réelles perçus). Elle est symbolique car, parce qu’elle est imagée, à l’évocation d’un objet ou
d’une situation, le signifiant et le signifié sont liés l’un à l’autre par des rapports de ressemblance. De ce fait,
l’enfant ne peut se représenter des réalités générales et abstraites : aucune image ne peut représenter le concept
d’arbre ou d’animal ; ces termes suggèrent donc, pour l’enfant, un arbre ou un animal particulier et connu de
lui. Aussi, les propos de l’enfant évoquent des objets connus ou des situations vécues et ont donc une
signification individuelle, connue de lui seul (ou éventuellement de ses proches).

L’activité cognitive de l’enfant repose, alors, non seulement, sur des actions intériorisées mais de
surcroît réversibles, autrement dit sur des opérations*. Or, contrairement aux actions réelles qui,
elles, ne sont jamais tout à fait réversibles, les actions intériorisées restent de l’ordre du possible et

40 Et avec elle, l’apparition des représentations mentales et du langage.

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Les théories classiques en psychologie du développement : « Le développement cognitif selon Piaget » (E. Bonjour)

peuvent donc (en pensée) être entièrement annulées (par l’action inverse) ou compensées (par une
action réciproque).

« Nous appelons opérations les actions intériorisées (ou intériorisables) réversibles (au sens de pouvant se dérouler dans les
deux sens et par conséquent comportant la possibilité d’une action inverse qui annule le résultat de la première) et se
coordonnant en structures, dites opératoires, qui présentent des lois de composition caractérisant la structure en sa totalité en
tant que système. Par exemple, l’addition est une opération puisqu’elle comporte une inverse (la soustraction) et parce que
le système des additions et soustractions comporte des lois de totalité. Les structures opératoires sont, par exemple, les
classifications, sériations, correspondances, matrices, la série des nombres, les métriques spatiales, les transformations
projectives, etc. »

Piaget définit les opérations comme étant des actions intériorisées, réversibles et coordonnées en
structures totales. En effet, les opérations sont abstraites de coordinations d’actions qui peuvent
s’annuler entre elles41 ou se compenser42. Aussi, les opérations forment toujours des systèmes
d’ensemble = structures formées d’une action et de sa réciproque ou d’une action et de son inverse
(c’est pour cette raison qu’elles sont réversibles).

Néanmoins, une action sur un objet43 n’est réversible (annulable ou compensable) que si quelque
chose de l’objet se conserve, lors de sa transformation : les transformations opératoires sont toujours
relatives à des invariants (ce qui ne varie pas dans la transformation)
Si la transformation opérée modifiait tout de l’objet, cette transformation serait sans retour
possible.
Aussi, le meilleur indice de l’existence de structures opératoires, chez l’enfant, est l’élaboration d’un
ensemble de schèmes (ou notions) de conservation44 (conservation quantitative des substances, poids,
volumes, etc.)45.

Comme les actions réelles, les opérations se coordonnent progressivement et s’organisent en


structures. Qu’elles soient sensori-motrice ou opératoires, les structures intellectuelles sont, en tant
que telles, des systèmes de transformations régis par des lois de totalité.
Or, selon Piaget, les lois de totalité qui régulent les structures intellectuelles sont (comparables à)
celles de modèles formels, issus de la logique et des mathématiques, appelés groupes (ou
groupements). Régies par ces lois, les structures intellectuelles prennent donc progressivement la
forme de ces structures logico-mathématiques et en possèdent toutes les propriétés à leur achèvement
(fermeture).

41 Par exemple, réunir/ dissocier ; additionner / soustraire...


42 Par exemple, agrandir un côté / rétrécir l’autre ; ordonner du plus petit au plus grand / du plus grand au plus petit…
43 L’objet est considéré, ici, au sens large : il peut s’agir d’objets, de liquides, de configuration d’objets … = réel

44 Réciproquement, le meilleur indice de l’existence d’une période préopératoire est l’absence, jusque 7-8 ans, de notions de

conservation.
45 Elaboration dont Piaget a suivi les étapes à l’aide de la méthode clinique. Il existe néanmoins des décalages temporels

entre les acquisitions de ces trois notions : substance (vers l’âge de 8 ans), poids (vers 9- 10ans) et volume (vers 11-12 ans).
L’existence de ces décalages (dits « horizontaux ») remet en question, selon certains auteurs, la théorie de Piaget, selon
laquelle les acquisitions tiennent davantage de la structure construite que des contenus à connaître. Néanmoins, Piaget
explique ces décalages par le fait que les opérations, à leur début, sont encore attachées au réel, au concret et par conséquent
aux contenus sur lesquels porte la connaissance.

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Les théories classiques en psychologie du développement : « Le développement cognitif selon Piaget » (E. Bonjour)

Annexe 2 - La notion de groupe / groupement

« Un groupe est un ensemble d’éléments (par exemple, les nombres entiers positifs et négatifs) réunis par une
opération de composition (par exemple, l’addition) telle que, appliquée à des éléments de l’ensemble, elle
redonne un élément de l’ensemble ; il existe un élément neutre (dans l’exemple choisi, le zéro) tel que composé
avec un autre, il ne le modifie pas (ici, n + 0 = 0 + n = n) et il existe surtout une opération inverse (dans le cas
particulier, la soustraction), telle que, composée avec l’opération directe, elle donne l’élément neutre (+ n – n = -
n + n = 0) ; enfin, les compositions sont associatives (ici [n + m] + l = n + [m + l]) » (Piaget, 1968 ; pp. 17-18)
Ce qui différencie un groupe d’un groupement est que, dans le groupement, les compositions ne sont que
partiellement associatives. Aussi, le groupement est « une sorte de groupe incomplet (faute d’associativité
entière) » dont les compositions permettent bien d’engendrer de nouveaux éléments du système mais en
procédant de proche en proche et non pas selon n’importe quelle combinaison.

Le groupe permet de rendre compte des 4 propriétés générales attachées aux coordinations d’actions
(dont procède le développement),
« et avant tout a) la possibilité d’un retour au point de départ (opération inverse du groupe) et b) la
possibilité d’atteindre un même but par des chemins différents et sans que ce point d’arrivée soit modifié
par l’itinéraire parcouru46 (associativité du groupe). Quant à la nature des compositions (réunions,
etc.), elle peut être indépendante de l’ordre [cf. commutativité de l’addition] ou porter sur un ordre
nécessaire [cf. la sériation]. » (idem, pp. 18-19).

Ces propriétés sont :


- la réversibilité : une action (un déplacement, une transformation) conduisant d’un état A à un état B
(ou AB) peut être annulée par l’action inverse (de B en A (ou BA)) (ou compensée par une action
réciproque),
- l’identité : la composition de AB et de BA donne une action (un déplacement, une transformation)
nulle,
- la composition : AB et BC se coordonnent en une action (un déplacement, une transformation) AC,
- l’associativité : dans la suite ABCD, on a AB + BD = AC + CD ; on peut donc passer de A en D par
des actions (transformations, chemins) différentes. Le groupement ne possède que partiellement cette
dernière propriété.

« La structure de groupe est, par conséquent, un instrument de cohérence qui comporte sa propre
logique, par son réglage interne ou autorégulation. […] Le groupe est ensuite un instrument essentiel
de transformations mais de transformations rationnelles qui ne modifient pas tout à la fois et dont
chacune est solidaire d’un invariant : c’est ainsi que le déplacement d’un solide dans l’espace usuel
laisse inchangées ses dimensions, que la répartition d’un tout en fractions laisse invariante la somme
totale, etc. […]» (idem, pp. 19-20)

46 « […] l’associativité du groupe des déplacements qui correspond à la conduite des « détours » est, à cet égard, fondamentale, pour la

cohérence de l’espace car, si les points d’arrivée étaient constamment modifiés par les chemins parcourus, il n’y aurait plus d’espace […]»
(p. 19)

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Les théories classiques en psychologie du développement : « Le développement cognitif selon Piaget » (E. Bonjour)

La notion de structure permet, pour Piaget, de caractériser, de rendre compte de la logique de l’enfant
aux différents moments de son développement : « Une objection continuelle que l’on nous fait, surtout
chez les anglo-saxons, est que la structure n’existe que dans l’esprit de l’observateur, du psychologue, que la
structure n’est pas comme telle dans l’esprit de l’enfant. A cela, une réponse qui paraît bonne définit la
structure comme étant ce que l’enfant sait faire et non pas ce qu’il en pense.
Il ne fait pas du tout, lui même, une théorie de la structure, bien entendu, mais il exécute des actions et nous
constatons que ce qu’il sait faire, dans ses actions, est bien coordonné et surtout que cela lui permet d’en tirer,
par déduction, des conséquences auxquelles il n’avait pas pensé 47 […] Autrement dit, la structure, c’est
l’ensemble des pouvoirs coordonnés, que le sujet a acquis, et dont le théoricien peut formuler les lois de manière
abstraite mais, dans l’esprit de l’enfant, ça n’a rien d’abstrait, ça n’a même rien de théorique, c’est l’ensemble de
ses pouvoirs coordonnés entre eux » (Piaget, 1977).

Une structure peut donc être définie comme la coordination de tous les instruments cognitifs dont
l’enfant dispose. Une structure opératoire48 est source de pouvoirs déductifs lorsque les lois de
composition qui régissent la coordination des opérations deviennent, pour l’enfant, nécessaires : la
structure est alors entièrement réversible et, malgré le fait qu’elle offre la possibilité de créer un
nombre infini d’éléments, elle s’est refermée sur elle-même.

L’équilibration fournit « l’organisation réversible interne des structures ». En effet, une structure
équilibrée est une structure « achevée », autrement dit, une structure réversible, c’est à dire qui
possède toutes les propriétés d’un groupe ou d’un groupement.
« [la réversibilité] n’est pas autre chose qu’un système complet, c’est à dire entièrement équilibré, de
compensations, telles qu’à chaque transformation corresponde la possibilité d’une inverse ou d’une
réciproque » (Piaget, 1966 ; p. 126).

Néanmoins, la question qui se pose, une fois les structures intellectuelles et leurs propriétés définies,
c’est pourquoi et comment le développement cognitif progresse t-il vers des formes de pensée de
plus en plus logiques ?

« […] le problème spécifique [de la construction des structures logico-mathématiques] est de


comprendre comment et pourquoi elle aboutit à des résultats nécessaires, « comme si » ceux-ci étaient
prédéterminés de tout temps. Or, les observations et expériences montrent, de la manière la plus claire,
que les structures logiques se construisent et mettent, même, une bonne douzaine d’années à s’élaborer
mais que cette construction obéit à des lois particulières qui ne sont pas celles d’un apprentissage
quelconque : grâce au double jeu des abstractions réfléchissantes, fournissant les matériaux de la
construction, au fur et à mesure des besoins, et d’une équilibration, au sens de l’auto-régulation,

47 Par ex., à 9 ans, Catherine, devant un petit problème de sériation, structure qui pour elle est acquise, emploie une méthode

opératoire (sans tâtonnement préalable) pour construire une série (avec 8 bâtons) : elle détermine le plus grand bâton, puis
le plus grand restant (qu’elle place à côté du premier), puis le plus grand restant, etc. On lui demande ensuite combien de
bâtons sont plus grands que le plus petit. Elle en compte 7. On lui demande enfin combien de bâtons sont plus petits que le
plus grand. Catherine n’a pas besoin de les compter : « c’est facile à savoir, 7 dans un sens alors la même chose (7) dans
l’autre. « La structure n’est pas seulement, ici, la construction d’une organisation sériale mais qui en tire des conséquences auxquelles
l’enfant n’avait jamais pensé puisqu’on ne lui avait jamais posé cette question. Autrement dit, la structure est source de pouvoirs
déductifs, en étant en même temps, l’ensemble de ce que l’enfant sait faire et non pas l’idée qu’il s’en fait ».
48 La structure sensori-motrice ne l’est pas encore, faute d’action intériorisée.

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Les théories classiques en psychologie du développement : « Le développement cognitif selon Piaget » (E. Bonjour)

fournissant l’organisation réversible interne des structures, celles-ci aboutissent, par leur construction
même, à la nécessité que l’apriorisme [cf. innéisme] a toujours cru indispensable de situer aux points de
départ ou dans les conditions préalables mais qui, en fait, n’est atteinte qu’au terme [de leur
construction]. » (Piaget, 1968 ; pp. 53-54)

Annexe 3 – L’abstraction réfléchissante


Dans le développement, il n’y a pas de réelle rupture d’une structuration à l’autre : chaque
structuration nouvelle procède de la précédente, de telle sorte que chaque innovation (outil cognitif
nouveau) consiste en une réorganisation, sur un nouveau plan, des constructions antérieures. Aussi,
le conflit cognitif est source de déséquilibre et les processus d’abstraction réfléchissante sont à
l’origine, en « fournissant les matériaux de la construction », des enrichissements et reconstructions (de
plus en plus larges et mobiles) auxquels conduit l’équilibration des structures.

On l’a vu (§ 2.3.), de ses interactions avec l’environnement, l’enfant peut extraire les propriétés des
objets (expérience physique) ou les propriétés que ses propres actions introduisent dans les objets
(expérience logico-mathématique)49. Piaget nomme ce premier type d’abstraction* (qui consiste à
saisir les propriétés de l’objet), « abstraction empirique », alors que le second type d’abstraction
(grâce auquel l’enfant découvre les propriétés de ses actions ainsi que leurs régularités) est appelé
« abstraction réfléchissante ». L’enfant, non seulement, transforme ainsi le réel mais découvre, en
agissant, les propriétés et les lois des transformations qu’il opère.

L’abstraction est un processus permettant de découvrir les propriétés de l’environnement, par extraction
(isolement) de ces composants.
Il existe deux types d’abstraction :
□ l’abstraction empirique (ou simple) permet la découverte des propriétés que présentent effectivement les
objets, des propriétés qui leur appartiennent réellement (propriétés physiques telles que couleur, forme, poids,
vitesse de déplacements…) ; ces propriétés peuvent être perçues par les sens mais aussi découvertes à partir des
actions effectives exercées sur eux (objet « balançable », « poussable », lançable…). Ces propriétés sont
découvertes par l’action mais existent indépendamment d’elle.
Attention : cette découverte n’est pas le fruit d’une simple « lecture » de l’environnement ; pour qu’elle soit
possible, il faut qu’une structure, antérieurement construite, lui serve de cadre d’assimilation (pas de genèse
sans structure).
L’abstraction empirique porte sur les propriétés des objets et est à l’origine de l’élaboration des
connaissances physiques ou expérimentales.

49 Piaget prend l’exemple (cf. p.9) de la découverte empirique du fait que la réunion « ordonnée » de A (2 objets) + A’ (3

objets) donne le même tout (B) que la réunion « désordonnée » A’ + A. Cette découverte de la commutativité de l’addition
(selon laquelle la somme est indépendante de l’ordre) résulte bien de l’abstraction des propriétés de la coordination des
actions d’ordonner et réunir. De même, un très jeune enfant désirant attraper un objet éloigné doit coordonner des actions-
moyens (comme pousser un objet gênant, tirer la nappe sur lequel repose l’objet convoité…) avec des actions-but (prendre
l’objet), en respectant l’ordre de succession des mouvements à accomplir. Cette activité permet à l’enfant d’abstraire, des
actions elles-mêmes, les relations d’ordre nécessaires à cette coordination d’actions (l’ordre imposé par l’enfant n’étant pas
une propriété des objets eux-mêmes mais des actions).

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Les théories classiques en psychologie du développement : « Le développement cognitif selon Piaget » (E. Bonjour)

□ l’abstraction réfléchissante permet la découverte des propriétés que les actions prêtent aux objets ; ces
propriétés ne sont pas celles des objets mais sont introduites comme telles, par les actions de l’enfant. Ainsi,
selon l’exemple pris précédemment, les actions de classer, sérier les objets… leur imposent une organisation
qu’ils ne possèdent pas mais dont l’enfant découvre les lois, par extraction des propriétés de la coordination de
ses actions sur les objets ; autrement dit, par abstraction réfléchissante. On reconnaît, là, l’origine de la
réversibilité des structures opératoires50.
L’abstraction réfléchissante porte sur les propriétés des schèmes ou coordinations d’actions, opérations, etc.
et est à l’origine de l’élaboration des connaissances logico-mathématiques.

L’abstraction réfléchissante, ainsi définie, est réfléchissante en deux sens :


○ Elle transpose sur un plan supérieur (de conceptualisation) ce qu’elle emprunte (ou abstrait) du
palier précédent (au sens de transfert ou de « réfléchissement » (cf. miroir))
○ Elle doit nécessairement reconstruire, au nouveau plan, ce qu’elle a tiré du palier précédent (au
sens, cette fois d’un travail de « réflexion ») et mettre en relation ces nouveaux éléments avec les
éléments déjà présents au niveau supérieur.
L’abstraction réfléchissante s’observe à tous les âges ; en voici quelques exemples :

■ Imaginons un tout jeune enfant cherchant à ramener à soi un objet attaché à une ficelle et qu’il
assimile cette activité à une conduite qu’il connaît déjà, qui consiste à tirer à soi le support sur lequel
repose un objet pour le rapprocher (conduite du support). La relation qu’il opère n’est pas consciente
mais montre qu’il est à même, pour résoudre un problème, de mobiliser certaines coordinations
issues de structures déjà construites (réfléchissement) pour les réorganiser (réflexion) en fonction des
nouvelles données. On observe alors la constitution de nouveaux schèmes susceptibles de se
coordonner avec des schèmes anciens, qu’ils réorganisent. L’abstraction réfléchissante est ainsi à
l’origine de schèmes nouveaux plus mobiles (capables de coordinations ou de synthèses nouvelles)51.

■ Pour reprendre l’exemple illustrant la notion d’équilibration inter-schèmes (dans l’encadré), un


enfant, plus âgé, amené à classer des objets de formes et de couleurs différentes (carrés et losanges,
bleus et jaunes, par exemple) devra élaborer, pour y parvenir, une classification multiplicative (sous
la forme d’une matrice ou tableau à double entrée), chaque objet appartenant à plusieurs classes à la
fois. L’élaboration d’une telle structure s’opère sur la base des structures additives déjà construites
(réfléchissement et reconstruction par réflexion).

■ De même, l’enfant qui, au cours de la deuxième année, a construit le « groupe pratique des
déplacements » (structuration des déplacements dans l’espace, avec possibilité de détours
(associativité) et de retours (« réversibilité »52) ; cf. § 4.3.) est amené, avec l’apparition de la fonction

50 Les opérations forment nécessairement des systèmes d’ensemble avec les opérations inverses ou réciproques. La

découverte de la réversibilité nécessaire de toute transformation est extraite de la coordination des transformations inverses
ou réciproques (par ex. dans l’épreuve de conservation des liquides : de la coordination d’un transvasement et du
transvasement inverse (annulation) ou de la coordination des centrations sur la hauteur du liquide et la largeur du récipient
(compensation), l’enfant déduit l’invariance de la quantité de liquide).
51 Permettant, par exemple, la « compréhension » subséquente qu’un objet peut être attiré à soi, au moyen d’un objet

intermédiaire (un bâton, par ex.) qui n’est pas, initialement, relié à l’objet convoité (contrairement au support ou la ficelle).
52 L’enfant n’étant pas, à cet âge, capable d’opération (donc d’actions intériorisées réversibles), Piaget préfère parler, à ce

propos, de « renversabilité ».

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Les théories classiques en psychologie du développement : « Le développement cognitif selon Piaget » (E. Bonjour)

sémiotique, à reconstruire cette structure, sur le nouveau plan de la représentation. Il y a bien


réfléchissement puisque les déplacements (actions) sont désormais représentées (opérations) et
construction (par réflexion) : au niveau inférieur, les compositions ne pouvaient s’opérer que de
proche en proche et l’enfant en constatait empiriquement les propriétés ; à ce niveau supérieur, les
compositions peuvent être envisagées simultanément et leurs propriétés juste déduites (par ex., que le
trajet AC et le trajet linéaire CB +BD + DA sont nécessairement équivalents).
Lors de la reconstruction, sur le plan de la représentation, de cette structure de groupe sensori-
motrice, on retrouve des étapes analogues à celles qui avaient permis sa formation, au stade
précédent. L’étape suivante consistera, pour l’enfant, à se dégager du concret et à reconstruire, sur un
nouveau plan encore (celui des possibles) les structures antérieurement construites53.

La citation, ci-dessous, est certes un peu longue mais permet d’avoir une vue d’ensemble des actions
conjuguées des processus d’équilibration et d’abstraction réfléchissante, au cours du développement.

Chez le jeune enfant, les coordinations d’actions consistent à réunir ou dissocier certaines actions ou
schèmes, à les emboîter ou à les ordonner, à les mettre en correspondance ; ces activités constituent,
selon Piaget, les premières formes des coordinations générales, à la base des structures logico-
mathématiques :
« [Dès le plus jeune âge, on retrouve dans tous les comportements,] certains facteurs fonctionnels et
certains éléments structuraux communs. Les facteurs fonctionnels sont l’assimilation, ou processus selon lequel
une conduite se reproduit activement et s’intègre de nouveaux objets (exemple, sucer son pouce en l’intégrant
dans le schème de la tétée) et l’accommodation des schèmes d’assimilation à la diversité des objets. Les éléments
structuraux sont, essentiellement, certaines relations d’ordre (ordre des mouvements dans un réflexe, dans ceux
d’une habitude, dans les connexions entre moyens et buts poursuivis), les emboîtements (subordination d’un
schème simple, comme saisir, à un autre plus complexe, comme tirer) et les correspondances (dans les
assimilations recognitives, etc.). Or, par le jeu des assimilations simples et réciproques, ces formes élémentaires
de coordination permettent, dès le niveau sensori-moteur antérieur au langage, la constitution de certaines
structures équilibrées, c’est à dire dont les régulations assurent déjà un certain degré de réversibilité […] Mais
dès que la fonction sémiotique (langage, jeu symbolique, images, etc.) permet l’évocation des situations non
actuellement perçues, c’est à dire la représentation ou pensée, on assiste à de premières abstractions
réfléchissantes qui consiste à tirer, des schèmes sensori-moteur, certaines liaisons qui sont alors « réfléchies »
(au sens physique) sur ce nouveau plan qu’est celui de la pensée, et élaborées sous formes de conduites distinctes
et de structures conceptuelles. Par exemple, les relations d’ordre qui, au plan sensori-moteur, restaient insérées
en n’importe quel schème articulé, en sont dégagées pour donner lieu à une conduite spécifique, celle de ranger
ou ordonner ; de même les emboîtements sont extraits des contextes où ils demeuraient implicites pour donner
lieu à des conduites de classements (arrangements figuraux, etc.) et les correspondances deviennent
précocement assez systématiques (« applications » un à plusieurs, correspondances élément à élément entre une

53Piaget qualifie de décalages verticaux ces réorganisations successives de structures, à l’aide d’instruments cognitifs
nouveaux.

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Les théories classiques en psychologie du développement : « Le développement cognitif selon Piaget » (E. Bonjour)

copie et son modèle, etc.) [Là encore, ces formes de coordination permettent, avec la naissance des
opérations, la constitution de certaines structures équilibrées.] Or, à analyser les structures, on reconnaît
sans peine qu’elles procèdent toutes des précédentes, par le double jeu des abstractions réfléchissantes qui en
fournissent tous les éléments et d’une équilibration source de la réversibilité opératoire.[…] Mais ce n’est pas
tout et un nouvel ensemble d’abstractions réfléchissantes conduit à construire de nouvelles opérations sur les
précédentes, sans donc rien ajouter de nouveau qu’une réorganisation, mais cette fois capitale : d’une part, en
généralisant les classifications, le sujet en arrive à cette classification des classifications (opération à la deuxième
puissance) qu’est la combinatoire […] ; d’autre part, la coordination des inversions, propres à la réversibilité des
« groupements » de classes (A – A = 0), et des réciprocités, propres aux « groupements » de relations, conduit
au groupe de quaternalité INRC54. » (Piaget, 1968 ; pp. 55-57)

Annexe 4 - Les 3 stades du développement

Cette partie permet de mettre en relation ce que vous avez pu apprendre, dans les manuels, à propos
des stades (et des acquisitions réalisées par l’enfant, au cours de son développement) et la théorie
piagétienne, telle qu’elle vous a été exposée, dans ce cours.
(cf. Piaget (1966), par ex., ou à tout manuel de psychologie du développement)

Piaget a étudié le développement du jeune enfant en observant ses propres enfants. Il a ensuite mis
au point une méthode d’investigation de la pensée enfantine qu’il a qualifiée de méthode clinique
ou critique ; cette méthode consiste à placer les enfants dans des situations de résolution de
problèmes (qu’ils n’ont jamais rencontré auparavant). Il interroge les enfants sur ces situations-
problèmes en suivant au plus près leur mode de raisonnement : la méthode étant adaptée au
fonctionnement individuel de l’enfant, l’évaluation ne peut être entièrement standardisée. Il
demande aux enfants de justifier leur réponse et leur propose des contre-suggestions – qui
consistent à critiquer la réponse de l’enfant, en invoquant un avis différent du sien, pour voir si
l’enfant maintient son point de vue. Les réponses de l’enfant ne sont pas seulement cotées comme
réussite ou échec : échec, niveau intermédiaire (si réussite puis échec suite à une contre-suggestion
ou un renforcement des éléments trompeurs dans la situation-problème), réussite (= réponse
assurée et systématique).

A partir des années 60, la théorie piagétienne a inspiré la création de divers tests d’efficience ; par
ex. :
- l'échelle de Casati–Lézine (1968) « Etapes de l’intelligence sensori-motrice » se réfère au stade
sensori-moteur et concerne les enfants de 6 à 24 mois
- « l'échelle de développement de la pensée logique » (EPL) de Longeot (1969) pour les enfants de 9
à 16 ans.
- L’UDN II : construction et utilisation du nombre (Meljack et Lemmel, 1999) pour enfants de 4 à 11
ans.

54 Les termes « classification », « combinatoire », « groupements de classes, de relations » et « groupe INRC » sont expliqués

en annexe 4.

~27~
Les théories classiques en psychologie du développement : « Le développement cognitif selon Piaget » (E. Bonjour)

Piaget distingue 3 stades (ou périodes) qui se succèdent au cours du développement de l’enfant. Tous
les enfants passant par ces mêmes stades, il est possible de les situer dans le temps et dans la durée,
par des âges moyens. Néanmoins, ces âges restent approximatifs et ne sont précisés qu’à titre
indicatif.

4.3.1. Le stade sensori-moteur ou période sensori-motrice (de 0 à 24 mois) :

Développement des principaux schèmes sensori-moteurs


Durant cette période, l’enfant construit progressivement le réel, en interagissant avec son environnement : 6
étapes, durant lesquelles l’enfant élabore l’objet permanent, l’espace et le temps, la causalité.
- l’activité sensori-motrice se dégage peu à peu des réflexes pour devenir intentionnelle, vers 4 mois.
- l’activité sensori-motrice constitue, ensuite, à partir de 12 mois, un outil au service de la compréhension du
réel (coordination des moyens et des buts puis découverte de moyens nouveaux par expérimentation active).

Elaboration (entre 18 et 24 mois) de la fonction sémiotique ;


Avec la fonction sémiotique, apparition de nouvelles conduites :
- l’imitation différée est une représentation en acte : l’enfant est capable d’imiter un modèle en son absence
- le jeu symbolique est un jeu de « faire semblant » ; par ex., faire semblant de téléphoner avec une banane…
- le dessin consiste à imiter le réel (ce qui nécessite d’en avoir une image mentale)
- l’image mentale correspond à une imitation intériorisée
- le langage apparaît également. Cependant, le langage utilisé par l’enfant de cet âge n’a pas la même valeur
que pour l’adulte : la pensée de l’enfant, à cette période, est imagée et symbolique.

Elaboration du « groupe pratique des déplacements », première structure de groupe construite par
l’enfant. Son élaboration résulte des coordinations d’actions effectives, sensorielles et motrices, que
l’enfant réalise dans son environnement, à l’occasion de déplacements d’objets (qu’il poursuit du
regard, recherche activement ou encore manipule, etc.) et de ses propres déplacements dans l’espace.

Le groupe pratique des déplacements est « une structure fondamentale qui constitue la charpente de l’espace
pratique […] dont la signification psychologique est la suivante : a) un déplacement AB et un déplacement BC
peuvent se coordonner en un seul déplacement AC qui fait encore partie du système ; b) Tout déplacement AB
peut être inversé en BA, d’où la conduite du « retour » au point de départ ; c) La composition du déplacement
AB et de son inverse BA donne le déplacement nul AA ; d) Les déplacements sont associatifs, c’est à dire que
dans la suite ABCD, on a AB + BD = AC + CD : cela signifie qu’un même point D peut être atteint à partir de A
par des chemins différents (si les segments AB, BC, etc., ne sont pas en ligne droite), ce qui constitue la conduite
du « détour » dont on sait le caractère tardif […]. » (Piaget, 1966 ; p. 17)

Elaboration de l’objet permanent


Le « groupe pratique des déplacements » est solidaire de la construction d’un invariant, celui de
l’objet permanent (compréhension, par l’enfant, du fait que les objets, même s’ils sortent du champ
perceptif, existent toujours et peuvent être retrouvés en reconstituant leurs déplacements)
L’enfant, à ce stade, dispose de la capacité à se représenter mentalement les objets : l’objet
acquiert un statut réel d’objet : est conçu comme extérieur au moi, comme ayant une réalité en
soi, qui s’étend au delà de la perception directe qu’on peut en avoir (visuelle, auditive, tactile
etc.) et indépendante de l’activité qu’on exerce sur elle (regard, écoute, manipulation etc.).
L’objet possède une existence indépendante de la connaissance ou de l’idée que l’on peut en
avoir.

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Les théories classiques en psychologie du développement : « Le développement cognitif selon Piaget » (E. Bonjour)

A partir de 18-24 mois, des combinaisons mentales permettent, à l’enfant, de se représenter les actions
à accomplir.

4.3.2. Le stade (ou période) des opérations concrètes (de 2-3 ans à 11-12 ans)
Durant cette période, les opérations portent directement sur des objets (présents ou immédiatement
représentés) et pas encore sur des hypothèses ; le raisonnement dépend étroitement du contenu
auquel il s’applique :

- développement des opérations logico-mathématiques (portant sur des objets discontinus),


fondées sur les différences, ressemblances ou équivalences entre éléments : les notions de
conservation (des propriétés des objets), les structures telles que la sériation (relation entre objets),
la classification (réunion des objets), le nombre (dénombrement des objets), les correspondances
terme à terme ou un à plusieurs, les matrices…
- développement des opérations infralogiques (portant sur des objets continus), fondées sur les
voisinages et les séparations : construction de l’espace, du temps et de la vitesse, etc.

Ce stade se divise en deux grandes phases :


- le sous-stade de préparation et d’organisation des opérations concrètes55 (de 2-3 ans à 7-8 ans)
- le sous-stade d’achèvement des opérations concrètes (de 7-8 ans à 11-12 ans) ;

Elaboration des groupements d’opérations concrètes.


Concernant les opérations logico-mathématiques, ceux-ci sont de deux sortes : des « groupements de
classes » et des « groupements de relation » ; chacun d’eux repose sur une forme particulière de
réversibilité :

● La forme de réversibilité qui caractérise les « groupements de classe » (classification additive et


multiplicative56) est l’inversion ou la négation qui se caractérise par le fait que l’opération directe
composée avec l’opération inverse correspondante conduit à une annulation, telle que : + A – A = 0.
« Or la négation remonte aux formes les plus primitives de conduites : un bébé peut poser, devant lui, un objet
puis l’enlever ; dès qu’il parlera, il sera capable de dire « non » avant même de dire « oui », etc. Au niveau des
premières classifications préopératoires, il saura déjà réunir un objet à d’autres ou l’en séparer, etc. C’est la
généralisation et surtout la structuration exacte de telles conduites d’inversion qui caractériseront les premières
opérations, avec leur réversibilité stricte. » (Piaget, 1966 ; p. 109)

55 Ce sous-stade a été et est parfois considéré comme un stade à part entière : le stade préopératoire.
56 L’inverse de la multiplication de deux classes est la suppression de l’intersection.

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Les théories classiques en psychologie du développement : « Le développement cognitif selon Piaget » (E. Bonjour)

Exemple de la classification (emboîtement de classes)


Pour évaluer la capacité de l’enfant à réaliser des classifications logiques, on lui présente deux classes d’objets
(A et A’) qui appartiennent toutes deux à une même classe B ; la classe A est supérieure en nombre à A’.
Par ex., l’ensemble A = 10 marguerites ; l’ensemble A’ = 2 roses
On lui demande ensuite s’il y’a moins, autant ou plus de marguerite que de fleurs et de justifier sa réponse.

Les progrès de classification sont limités tant que les enfants ne parviennent pas à régler les rapports existant
entre les quantificateurs « tous » et « quelques » (ici, toutes les marguerites sont des fleurs mais quelques fleurs
sont des marguerites). Ils s’avèrent alors incapables de répondre correctement à l’épreuve piagétienne de
quantification de l’inclusion (qui nécessite de comparer numériquement les quantités représentant une classe
(B) et une sous-classe (A)). Cette épreuve est considérée, par Piaget, comme critique pour savoir si les enfants
maîtrisent complètement la logique des classes (c’est-à-dire la coordination entre la définition d’une classe en
compréhension et sa définition en extension)
Aussi, un système de classes logiques existe lorsque l’enfant peut distinguer et coordonner en compréhension
et en extension les classes présentes.
Si, B (la classe des fleurs), A (la classe des marguerites), A’ (la classe des roses) :
L’extension de B est l’ensemble de fleurs : B = A + A’ ; celle de A = 10 ; celle de A’ = 2
La compréhension correspond aux propriétés définissant les éléments de la classe : pour B, être une fleur ; pour
A, être une fleur-marguerite (incluse dans B et différente de A’) ; pour A’, être une fleur-rose (incluse dans B et
différente de A).

La coordination de l’extension et de la compréhension des classes :


● rend nécessaire la formule : si A + A’ = B alors B – A’ = A
La coordination des opérations de réunion des parties dans un même tout (opération directe : A + A’ = B) et
celles de subdivision, de ce tout, en parties distinctes (opération inverse : B – A’ = A) permet de prendre en
compte les extensions de chacune des classes (toutes les marguerites sont des fleurs mais seulement
quelques fleurs sont des marguerites)
● installe les rapports de subordination entre B, A et A’, selon lesquels : B > A et B > A’ (il y a
nécessairement plus de fleurs que de marguerites puisque l’ensemble des fleurs comporte aussi des roses ;
sinon les classes seraient dissociées et non emboîtées)
Sur ce dernier point, les conclusions de Piaget ont été critiquées :
A partir de 7-8 ans, les enfants s’avèrent capables de répondre correctement à la question de quantification de
l’inclusion et sont donc considérés, par Piaget, comme des sujets qui maîtrisent la logique des classes, c’est-à-
dire des sujets pour lesquels il y a nécessairement (nécessité logique) plus de fleurs que de marguerites.
Néanmoins, plusieurs recherches (par exemple, Bideaud & Lautrey, 1983) ont pu montrer que les enfants de 7-8
ans ne sont pas pour autant parvenus à la maîtrise logique puisque ils semblent élaborer leur réponse sur la
base d’une dissociation, en pensée, des enveloppes des classes en jeu. Cette dissociation leur permet de
comparer directement la taille de l’enveloppe des fleurs (12)avec celle, plus petite, des marguerites (10) et, ainsi
de répondre correctement à la question piagétienne classique.
Pourtant, si on demande à ces mêmes enfants si l’on peut faire quelque chose pour qu’il y ait plus de
marguerites que de fleurs, ils répondent « oui, il suffit d’ajouter des marguerites » (comme s’il était possible
d’ajouter des marguerites sans pour autant ajouter des fleurs).
On constate alors qu’il faut attendre 10-11 ans avant que les enfants ne soient capables de répondre de façon
strictement logique à la question classique et, par conséquent, refusent d’admettre qu’il est possible de faire
quelque chose pour qu’il y ait plus de marguerites que de fleurs.

● La forme de réversibilité qui caractérise les « groupements de relation » (sériation, correspondance


sériale57 et sériation à deux dimensions58)) est la réciprocité ou la symétrie qui se caractérise par le fait

57 Ex. de tâche : faire correspondre à des bonhommes de tailles différentes, des cannes et des sacs de montagnes également

sériables.
58 Ex. de tâche : disposer, dans une table à double entrée, des feuilles d’arbres différant à la fois par leurs grandeurs et leurs

teintes plus ou moins foncées

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Les théories classiques en psychologie du développement : « Le développement cognitif selon Piaget » (E. Bonjour)

que l’opération de départ composée avec sa réciproque aboutit à une équivalence, telle que, si
l’opération de départ est A < B et que l’opération réciproque (A > B) consiste à annuler cette différence
ou à la parcourir en sens contraire, on aboutit à l’équivalence A = A (ou si A ≤ B et B ≥ A alors A = B).
« La réciprocité […] tire aussi sa source de conduites bien antérieures sous forme de symétries. Il existe ainsi des
symétries spatiales, perceptives ou représentatives, des symétries motrices, etc. Au niveau des régulations
représentatives préopératoires, un enfant dira qu’une boulette transformée en saucisse contient plus de pâte
parce qu’elle est plus longue mais si on l’allonge de plus en plus, il aboutira par réciprocité (régulatoire et non
pas opératoire) à l’idée qu’elle en contient moins parce qu’elle est trop mince. » (Piaget, 1966 ; p. 109)

Ici, la réversibilité n’est pas la négation mais la réciprocité = relativement à l’élément B, A et C sont
réciproques (leur relation avec B sont de sens inverses).

B est à la fois plus grand et plus petit…


A B C

Exemple de la sériation
Pour évaluer la capacité des enfants à sérier les objets (= à ordonner leur différence (de taille, poids, etc.)), on
leur propose des baguettes de tailles différentes. On leur demande ensuite de les ranger de la plus grande à la
plus petite (ou, chez les plus jeunes, de construire un escalier) ou inversement.
Vers 7 ans, après l’élaboration de sériations par tâtonnements, l’enfant adopte une méthode systématique qui
consiste à rechercher, par exemple, le plus grand élément, puis le plus grand parmi ceux qui restent, etc. La
méthode utilisée est opératoire dans la mesure où elle indique que les éléments à sérier sont considérés comme
pouvant être, à la fois, plus grands et plus petits (< E <). Ainsi, un élément E est conçu comme étant
simultanément plus petit que les éléments déjà placés (E < D, C, B, A) et plus grand que les suivants (E > F, G,
H), ce qui témoigne de la réversibilité par réciprocité. La structure est source de pouvoirs déductifs lorsqu’elle
atteint sa fermeture. Aussi, une propriété nouvelle de la sériation devient bientôt évidente : la transitivité, selon
laquelle E < C si E < D et D < C.

Elaboration du nombre
Le système des nombres se constitue en liaison étroite avec la classification et la sériation :
▫ avec le nombre, les objets perdent leur qualité différentielle rendant ainsi chaque élément équivalent aux
autres (1 = 1 = 1)
▫ Ces éléments sont sériables dans l’espace ou dans le temps : ce qui permet de les distinguer et de ne pas
compter deux fois le même élément (1 →1→1)
▫ Ces éléments sont également classables (classes sériées) : 1 < (1+1) < (1+1+1), etc.

Elaboration des notions de conservation

Les groupements de classe et les groupements de relation sont solidaires de l’élaboration des notions
de conservation : conservation de la quantité continue (liquide, pâte à modeler, poids, volume) ou
discontinue (petits ensembles numériques jetons)
Trois arguments peuvent être évoqués par les enfants « conservants » pour expliquer l’identité
quantitative des objets transformés :

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Les théories classiques en psychologie du développement : « Le développement cognitif selon Piaget » (E. Bonjour)

Trois arguments témoignent du fait qu’une transformation (AB) est conçue comme le passage réversible d’un
état à un autre, laissant la quantité invariante :
Identité simple : « on a rien enlevé ni ajouté » ;
Réversibilité par inversion : « on peut remettre (BA) comme c’était avant (A) » ;
Compensation ou réversibilité par réciprocité des relations : « c’est plus « haut » mais c’est plus « mince » (pour
le transvasement de liquide, par ex.)
La conservation ne relève pas d’un savoir relatif aux objets qu’il suffirait, pour l’enfant,
d’acquérir ; il s’agit d’un progrès de la pensée, d’un progrès logique que l’enfant réalise en
interagissant avec son environnement (construction du réel et de ses propriétés)

Conservations physiques : quantité de matière (substance ou liquide) : 7- 8 ans ; poids : 9-10 ans ; volume : 11-12
ans
Conservations spatiales : longueurs : 6-7ans ; surfaces : vers 7ans ; volumes spatiaux : 8-9 ans59 /
Conservations numériques : le nombre est conçu, par Piaget, comme étant une synthèse opératoire des activités
de classification et de sériation. Dans cette construction, la conservation des petites quantités numériques
(acquise vers 7 ans) est complétée par la mise en place des groupements de classe et de relation.

Les structures portant sur les opérations infralogiques, bien que fondées sur des rapports de
voisinage et de séparation, sont isomorphes aux structures logico-mathématiques et construites en
même temps qu’elles.

4.3.3. Le stade (ou période) des opérations formelles (de 11-12 ans à 14-15 ans) « où le sujet parvient à
se dégager du concret et à situer le réel dans un ensemble de transformations possibles » (Piaget, 1966 ; p. 103).
Durant cette période, le préadolescent devient capable de raisonner sur des hypothèses (propositions
juste possibles, auxquelles il ne croit pas nécessairement) marquant ainsi l’apparition de la pensée
hypothético-déductive ou formelle : le concret n’est plus qu’une possibilité réalisée parmi tous les
possibles.

Développement de la combinatoire (opérations de combinaison, de permutation et d’arrangement,


selon des méthodes exhaustives) qui correspond à la généralisation des opérations de classification et
de sériation ; elle permet d’envisager toutes les façons de combiner entre eux des objets mais aussi des
facteurs, des idées ou des propositions et ainsi d’engendrer des systèmes qui tiennent compte de tous
les possibles (et pouvant ainsi être mis à l’épreuve des faits)
Par exemple, si l’on propose à l’enfant, des objets comme une pomme, une banane, une balançoire, un
chien et un chat, celui-ci peut classer ces objets dans des catégories « naturelles » (en considérant les
relations « concrètes » existant entre les objets : pomme-banane/ balançoire / chien-chat)
Lorsque le raisonnement se détache du contenu, il est possible de construire n’importe quelle classe ou
relation en réunissant des éléments quelconques ; autrement dit, il est possible d’opérer une
classification de toutes les classifications possibles (en opérant toutes les combinaisons et toutes les
permutations possibles des éléments présents)

59 Ce n’est qu’à 11-12 ans que la relation mathématique, entre surface et volume, est découverte.

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Les théories classiques en psychologie du développement : « Le développement cognitif selon Piaget » (E. Bonjour)

Arrangements d’objets
Prenons 3 objets de couleurs différentes (RVB), toutes les combinaisons, deux à deux, possibles sont les
suivantes : RV, RB, VB ; toutes les permutations possibles sont les suivantes : RVB, RBV, VBR, VRB, BRV, BVR ;
Avec plusieurs objets d’une même couleur, tous les arrangements (synthèses des combinaisons et
permutations), deux à deux, possibles sont les suivants : RR, RV, RB, VR, VV, VB, BR, BV, BB.

La possibilité de raisonner non plus sur du concret mais sur les possibles renforce les capacités
déductives des enfants.

Expérimentation – ex :
On présente à l’enfant 5 flacons de liquide incolore et inodore ; le mélange 1+3+5 donne une couleur jaune.
L’enfant doit trouver la manière d’obtenir cette couleur et préciser le rôle des flacons 2 et 4. Sachant que 2
contient de l’eau et 4 est un décolorant.
Expérimentation de la couleur sur toutes les combinaisons possibles : 1/2/3/4/5 –
12 /13/14/15/23/24/25/34/35/45 - 123/124/125/134/135/145/234/235/245/345 - 1234/1235/1245/1345/2345 - 12345

La généralisation de la combinatoire des objets aboutit à la combinatoire des propositions. Lorsque


l’enfant devient capable de combiner des objets par une méthode exhaustive, il se révèle également
capable de combiner (d’éprouver) des hypothèses sous la forme d’affirmations et de négations. Il peut
alors utiliser des opérations propositionnelles telles que l’implication (si…alors), la disjonction
(ou…ou… ou les deux), l’exclusion (ou…ou…), l’implication réciproque (si p alors q et si q alors p),
etc. Il peut découvrir des lois en testant séparément les différents facteurs susceptibles de jouer un
rôle effectif.

Développement du « groupe des deux réversibilités » (appelé également « groupe de quaternalité »


ou encore « groupe INRC ») qui réunit en une seule structure la réversibilité propre aux
« groupements de classe » (négation ou inversion) et la réversibilité propre aux « groupements de
relation » (réciprocité ou symétrie) : « Il n’y a pas simplement juxtaposition des inversions et des réciprocités
mais fusion opératoire en un tout unique, en ce sens que chaque opération sera dorénavant, à la fois, l’inverse
d’une autre et la réciproque d’une troisième, ce qui donne quatre transformations : directe, inverse, réciproque et
inverse de la réciproque, cette dernière étant en même temps corrélative de la première. » (Piaget, 1966 ; p. 110)

Le groupe INRC se compose des éléments suivants : I = opération directe ou identique ; N =


opération inverse ou négative (de I) ; R = opération réciproque (de I ; engendrant une
compensation) ; C = opération corrélative (de I) et inverse de R (tels que I et C se cumulent), tels
que IN = RC ; IR = NC ; IC = NR ; I = NRC (N est la réciproque de C, R est l’inverse de la
corrélative, C est l’inverse de la réciproque et I est l’inverse de N (or I = NN = NRC)

Ce groupe d’opérations permet de comprendre les situations nécessitant la coordination des inverses
et des réciproques

Quelques exemples (Piaget, 1966 ; pp. 103-114, par exemple) :


Les doubles systèmes de référence : imaginez un escargot qui se déplace sur une planchette vers l’avant (I) (ou
bien imaginez vous monter les marches d’un escalator en panne). S’il fait demi-tour (N), son déplacement est
annulé et il revient au point de départ. Si en revanche, une personne mal intentionnée fait reculer la planchette
(R) (si l’escalator se met en marche brusquement vers la descente), ce mouvement compense sans l’annuler le
déplacement de l’escargot (qui, tout en avançant, demeure immobile). Si au contraire, cette personne fait
avancer la planchette (C), ce mouvement annule le mouvement de recul de la planchette et les déplacements « I
de l’escargot » et « C de la planchette » se cumulent (vous monterez très vite).

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Les théories classiques en psychologie du développement : « Le développement cognitif selon Piaget » (E. Bonjour)

Les proportions60 : pour comprendre les conditions nécessaires à la conservation de l’équilibre d’une balance,
par exemple, vous découvrirez que : deux poids égaux à distance égale du milieu maintient l’équilibre ; un
même poids peut faire d’autant plus pencher la balance qu’on l’éloigne du milieu ; les résultats obtenus sont
comparables lorsque, d’un côté, on augmente un poids sans changer la longueur ou qu’on augmente la
longueur sans modifier le poids ; on maintient donc l’équilibre si on diminue un poids en l’éloignant du centre
et qu’on augmente l’autre en le rapprochant du centre. Les proportions métriques suivantes peuvent donc être
déduites : P/L = 2P / 2L. Si l’augmentation du poids (+P) est l’opération de départ (I), (-P) est son inverse (N), la
diminution de la longueur (- L ; rapprochement du centre) est la réciproque (R) et (+L) est la corrélative (C).
La formulation d’hypothèses par combinaison de propositions (utilisation des opérations propositionnelles) :
imaginez que vous cherchiez à comprendre, par le raisonnement, la relation qui unit deux phénomènes : l’arrêt
d’un mobile et l’allumage d’une lampe.
Vous pouvez formuler une 1ère hypothèse : la lumière est cause des arrêts ou lumière implique arrêt ( « p
implique q »). Pour éprouver cette hypothèse, il suffit de tester s’il existe des p sans q, c’est à dire « p.nq »
(l’opération inverse (N) de « p implique q »)
Il est inutile de tester « np.q » car si toutes les fois qu’il y a p, il y a q, il peut y avoir q sans p (si lumière
implique arrêt, arrêt n’implique pas nécessairement lumière).

Vous pouvez formuler une 2ème hypothèse : les arrêts sont la cause de la lumière (« q implique p ») ; il s’agit ici
de la réciproque (R) de « p implique q ». Pour éprouver cette hypothèse, il suffit de tester s’il existe des q sans p,
c’est à dire « np.q » (l’opération inverse de « q implique p » mais également la corrélative (C) de « p implique
q »)
Il est inutile de tester « p.nq » car si toutes les fois qu’il y a q, il y a p, il peut y avoir p sans q (si arrêt implique
lumière, lumière n’implique pas nécessairement arrêt)
I = « p implique q » ; N = « p.nq » ; R = « q implique p » et C = « np.q ». Or, N = RC; R = NC; C = NR et I = NRC.

La résolution de l‘énigme ci-dessous nécessite également la coordination des inverses et des


réciproques. Elle n’a pas, à ma connaissance, été proposée par Piaget aux enfants. Elle me semble,
cependant, bien illustrer la notion de réversibilité par réciprocité (ou compensation).
On dispose de flacons contenant des aliments de différentes sortes : des aliments rouge (R), jaune (J),
bleu (B) et vert (V). Aucun aliment ne pèse le même poids. Il s’agit donc de classer les aliments du plus
léger au plus lourd. Malheureusement, les flacons sont placés, deux par deux, dans des paniers et ne
peuvent donc être pesés séparément. Les paniers sont au nombre de 4 et contiennent les pots suivants :
panier 1 : RV / panier 2 : RB / panier 3 : VB / panier 4 : JJ
Parce que vous n’êtes pas en mesure de les expérimenter vous-même, les résultats des différentes
pesées vous sont précisés : RB > RV / VB > RB / VB > RV / VB = JJ
A partir de ces résultats, classez les aliments du plus léger au plus lourd.

La construction de ces deux structures opératoires, que sont la combinatoire et le groupe INRC,
marque, selon Piaget, l’achèvement du développement cognitif.

Néanmoins, l’importante variabilité des pourcentages de réussite aux épreuves formelles, des âges
auxquels les jeunes parviennent aux opérations de ce niveau, interroge les chercheurs. Aussi, la
question de l’accession de tous les adolescents à la pensée formelle figure parmi les points de la
théorie piagétienne qui suscitent quelques débats (tels que l’absence de prise en compte de l’influence

60
Dans l’épreuve de la projection d’ombre, le problème proposé aux enfants est similaire à celui de la balance.
On demande à un adolescent de projeter sur le mur, une ombre d’un diamètre déterminé. Il dispose pour cela de mobiles de
diamètres différents et peut faire varier la distance entre le mobile et la source lumineuse.

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Les théories classiques en psychologie du développement : « Le développement cognitif selon Piaget » (E. Bonjour)

des contextes sociaux et culturels, du rôle de l’apprentissage, des différences (inter- et intra-)
individuelles sur le développement cognitif de l’enfant, etc.)

Bibliographie

Bideaud, J. & Lautrey, J. (1983). De la résolution empirique à la résolution logique du problème


d’inclusion : évolution des réponses en fonction de l’âge et des situations expérimentales. Cahiers de
Psychologie Cognitive, 3, 295-326.
Bideaud, J., Houdé, O. & Pédinielli, J.-L. (1993). L’homme en développement. Paris : PUF.
Bringuier, J.C. (1970). Film Piaget va son chemin : la maison de Pinchat (réédition, 1976). Les mémorables,
coll. « Un certain regard ». Service de Recherche de l’ORTF.
Bringuier, J.C. (1977). Conversations libres avec Jean Piaget. Paris : Laffont
Chomsky, N. (1965). Aspects de la théorie de la syntaxe (trad. Française, 1971). Paris : Seuil.
Dolle, J.-M. (1974). Pour comprendre Jean Piaget (3ème édition, 1997). Paris : Dunod.
Piaget, J. (1936). La naissance de l’intelligence chez l’enfant (9ème édition, 1977). Neuchâtel : Delachaux et
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psychologie expérimentale (tome VII) : L’intelligence (pp. 117-165). Paris : PUF.
Piaget, J. & Inhelder, B. (1966). La psychologie de l’enfant (12ème édition, 1986). Que sais-je ? Paris : PUF.
Piaget, J. (1968). Le structuralisme. Que sais-je ? Paris : PUF.
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Piaget, J. (1977). Film The epistemology of Jean Piaget (en collaboration avec C. Goretta). Yale University
Media Design Studio
Piaget, J. (1979). L’épistémologie génétique. Que sais-je ? Paris : PUF
Reuchlin, M. (1977). Psychologie (8ème édition, 1990). Paris : PUF.

Quelques ouvrages publiés par Jean Piaget

Piaget, J. (1923). Le langage et la pensée chez l’enfant. Neuchâtel : Delachaux & Niestlé.
Piaget, J. (1926). La représentation du monde chez l’enfant. Paris : Alcan.
Piaget, J. (1937). La construction du réel chez l’enfant. Neuchâtel : Delachaux & Niestlé.
Piaget, J. (1945). La formation du symbole chez l’enfant. Neuchâtel : Delachaux & Niestlé.
Piaget, J. (1974). La prise de conscience. Paris : PUF
Piaget, J. (1974). Réussir et comprendre. Paris : PUF
Piaget, J. & Inhelder, B. (1948). La représentation de l’espace chez l’enfant. Paris : PUF
Piaget, J. & Inhelder, B. (1955). De la logique de l’enfant à la logique de l’adolescent. Paris : PUF
Piaget, J. & Inhelder, B. (1959). La genèse des structures logiques élémentaires. Neuchâtel : Delachaux &
Niestlé.
Piaget, J. & Szeminska, A. (1941). La genèse du nombre chez l’enfant. Neuchâtel : Delachaux & Niestlé.
etc.

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