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Sous la direction de

Jean-Marie Besse

Des psychologues
à l’école ?
À Nicole Pradel, qui a accompagné
ce livre depuis les débuts.
À tous ceux qui vont ou iront bientôt
à l’école et pour qui ce livre a été écrit.

Direction éditoriale : Sylvie Cuchin


Édition : Céline Lorcher
Préparation : Christine Wauquiez
Corrections : Catherine Lainé
Réalisation : AGD Dreux
Maquette de couverture : Pictorus
N° d’éditeur : 1314
N° de projet : 10101093
Dépôt légal : mai 2005
Achevé d’imprimer en France sur les presses de France Quercy, 46001 Cahors

© Retz / SEJER, 2005.


Sommaire

Présentation des auteurs 5

Des psychologues dans ou hors de l’école ? Jean-Marie Besse 7

Partie I CHEMINS FAISANT : QUAND L’ÉCOLE


ET LA PSYCHOLOGIE SE RENCONTRENT 11
• Introduction
Des débuts de la psychologie scolaire à son organisation
actuelle, Jean-Marie Besse 13
• Chapitre 1
Pourquoi des psychologues « scolaires » ? Retour sur
les débuts de la psychologie scolaire, Jean Simon 17
• Chapitre 2
La psychologie scolaire des années 1960-1970 :
René Zazzo et la méthode du diagnostic progressif
appliquée à l’enfant-problème, Gérard Chauveau 29
• Chapitre 3
La psychologie dans l’institution scolaire, aujourd’hui,
Jean-Marie Besse 45
• Chapitre 4
L’École au risque de sa marge. Quelle place pour
les élèves en grande difficulté ? Alain Nesme 57
• Conclusion
Une rencontre… et des problèmes non résolus,
Jean-Marie Besse 83
Partie II PSYCHOLOGUE À L’ÉCOLE :
À LA RENCONTRE DU SUJET 89
• Introduction
Des psychologues… et des sujets, Jean-Marie Besse 91
• Chapitre 5
Le retentissement de l’école dans le développement
psychoaffectif de l’enfant, Monique Rouzaire-Besse 93
• Chapitre 6
Le développement sociocognitif de l’enfant :
l’élève sujet de ses apprentissages, Jean-Marie Besse 121
• Chapitre 7
Entre l’école et la famille, un tiers : le psychologue,
Élisabeth Bel 157
• Chapitre 8
Le psychologue scolaire et le maître d’école,
Odile Dechavanne 183
• Chapitre 9
De l’enfant-problème à la situation-problème :
vers une psychologie écologique des difficultés scolaires,
Gérard Chauveau 209
• Conclusion
Des psychologies… ou une psychologie ?
Jean-Marie Besse 225

Partie III POUR UN MÉTIER DE PSYCHOLOGUE


EN MILIEU SCOLAIRE 231
• Introduction
Quelle psychologie scolaire ? Jean-Marie Besse 233
• Chapitre 10
Psychologie scolaire et psychologie de l’éducation,
Jean-Marie Besse 235
• Chapitre 11
Des psychologues à l’école, Jean-Marie Besse 251

Annexe
• Code de déontologie des psychologues 271
Présentation des auteurs

Élisabeth Bel Psychologue scolaire, chargée de cours


à l’Université Lumière Lyon 2.

Jean-Marie Besse Professeur de psychologie cognitive,


directeur du centre de formation
des psychologues scolaires,
Université Lumière Lyon 2.

Gérard Chauveau Chercheur.

Odile Dechavanne Psychologue scolaire, chargée de cours


à l’Université Lumière Lyon 2.

Alain Nesme Psychologue scolaire, chargé de cours


à l’Université Lumière Lyon 2.

Monique Rouzaire-Besse Psychologue scolaire, chargée de cours


à l’Université Lumière Lyon 2.

Jean Simon Professeur des universités honoraire.

5
Des psychologues dans
ou hors de l’école ?

Jean-Marie Besse

L e psychologue est connu comme un professionnel de la compréhen-


sion de l’être humain dont la présence ou l’avis – notamment lors de
situations difficiles, fragilisantes, inquiétantes ou dramatiques ou quand
il est question d’éducation – sont habituellement sollicités. Sur ce qui
concerne tout particulièrement l’enfant ou l’adolescent 1, chacun de nous
sait mieux aujourd’hui l’importance des premières années de la vie de
l’enfant pour le développement ultérieur de la personnalité et de
nombreux livres, journaux ou rubriques spécialisées dans les médias nous
entretiennent des « conseils des psychologues » ; la rencontre avec un
psychologue n’est plus le fait de certaines catégories sociales seulement.
Il existe actuellement, au sein du système éducatif français, des person-
nels qui exercent une fonction de psychologue : dans le cadre de l’école
élémentaire, ce sont des « psychologues scolaires » – des instituteurs ou
professeurs d’école qui ont été recrutés et formés de manière spécifique
– et, dans les collèges, les lycées et les universités, des conseillers d’orien-
tation psychologues – recrutés au terme d’un concours ouvert aux titu-
laires d’une licence de psychologie.
Dans ces deux cas, l’Éducation nationale rappelle, par l’énoncé même
du titre qu’elle a attribué à ces personnels – psychologue scolaire et
conseiller d’orientation psychologue – que les tâches qu’elle leur demande
d’assurer sont directement liées au cadre scolaire et à ses objectifs propres.
Cette spécification – ils sont psychologues scolaires ou conseillers d’orien-
tation psychologues – veut indiquer que les modalités d’exercice de la

1. Puisque nous ne traiterons ici que du psychologue à l’école.

7
Des psychologues à l’école ?

profession de psychologue sont ici en rapport direct avec les missions


formatrices qui sont celles de l’Éducation nationale. Au demeurant, psycho-
logues scolaires et conseillers d’orientation psychologues sont employés
par le ministère de l’Éducation nationale et ont le statut de fonctionnaires.
Ces conditions particulières – statut de fonctionnaires et cadre de travail
fixé par le ministère de l’Éducation nationale – leur permettent-elles
d’assurer pleinement leur profession de psychologues et les missions qui
leur sont confiées ?

Les psychologues qui travaillent au sein de l’école primaire ou du


collège et du lycée sont assez fréquemment les premiers professionnels
« psys » que rencontre un enfant, et c’est à partir de cette relation initiale
que ce dernier et ses parents se forment une image de cette profession
et du type de travail qu’elle appelle. Or, nombreux sont ceux qui igno-
rent la place de ces psychologues au sein de l’institution scolaire2.
Les missions des psychologues scolaires et celles des conseillers d’orien-
tation psychologues sont bien distinctes : nous ne traiterons ici que de la
place des psychologues à l’école primaire (école maternelle et école
élémentaire).

La psychologie en milieu scolaire s’est développée en France après la


Seconde Guerre mondiale : après plus d’un demi-siècle de fonctionne-
ment, ce métier semble se chercher encore, au point (ou du fait ?) que
les responsables du système éducatif paraissent hésiter, pour la psycho-
logie scolaire, entre plusieurs modèles de missions, d’organisation des
tâches, de recrutement des personnels et de types de pratiques psycho-
logiques. Or, la situation urge : d’une part, les besoins de l’institution
scolaire pour contribuer à la « réussite pour tous » requièrent, de la part
notamment des maîtres, une connaissance toujours plus affinée et inté-
grée dans leurs pratiques pédagogiques des conditions les plus favorables
aux apprentissages de tous les élèves – les travaux scientifiques de la
psychologie contemporaine demandent à être relayés, tant dans la forma-
tion des enseignants que sur le terrain de l’enseignement, par des psycho-
logues compétents sur ces questions ; d’autre part, les formations
universitaires en psychologie s’organisent en fonction de schémas neufs
(délivrance du titre de psychologue au terme du Master) et vont bientôt
devoir tenir compte de l’arrivée prochaine de réglementations euro-

2. Elles sont à peine évoquées dans le rapport Thélot, sur l’état de l’école en France (2004).

8
Des psychologues dans ou hors de l’école ?

péennes spécifiques à cette profession ; jusqu’à présent, le ministère de


l’Éducation nationale semble s’en tenir à un recrutement de « ses » psycho-
logues sur une exigence moindre de formation initiale en psychologie que
ce qu’il exige des psychologues destinés à travailler dans les autres secteurs.
Dans ces conditions, le métier de « psychologue scolaire » ne risque-t-
il pas, faute tout d’abord d’une réflexion actuelle sur les enjeux de la
psychologie à l’école puis de décisions adaptées quant au modèle d’orga-
nisation de ce secteur de la psychologie, de s’éloigner gravement des
pratiques de la psychologie hors secteur scolaire, de devenir, à terme, une
sous-qualification de la profession de psychologue et de ne pas répondre
aux besoins des enfants, des parents, des enseignants et même de l’insti-
tution ?

Ce livre a été écrit pour montrer que ce questionnement sur la place


de la psychologie à l’école est indispensable et urgent. Il importe, en
premier lieu, de porter le regard sur l’histoire récente : comment en
sommes-nous arrivés à la situation présente ? Il nous faut donc commencer
par identifier les motifs qui ont conduit les responsables de l’Éducation
nationale, en 1947, à introduire la psychologie (scolaire) dans le cadre
même de l’enseignement primaire – pour cela, Jean Simon et Gérard
Chauveau reviennent sur cette mise en place et rappellent les ambitions
des promoteurs de la psychologie scolaire. Jean-Marie Besse étudie ensuite
la situation actuelle de la psychologie dans l’institution scolaire en France,
puis Alain Nesme propose une analyse du fonctionnement de l’institu-
tion scolaire confrontée aux élèves en grande difficulté.

La deuxième partie de cet ouvrage présente le travail des psychologues


dans l’école d’aujourd’hui : le texte de Monique Rouzaire-Besse met
l’accent sur l’évolution psychoaffective des enfants, celui de Jean-Marie
Besse insiste sur les enjeux du développement cognitif (réfléchir,
apprendre, mémoriser), celui d’Élisabeth Bel montre comment le psycho-
logue intervient auprès de parents inquiets et désorientés, tandis qu’Odile
Dechavanne situe l’activité du psychologue scolaire face à des enseignants
en quête d’étayage professionnel et personnel. Gérard Chauveau, enfin,
montre en quoi l’analyse des situations problèmes peut aider à repérer
quelques déterminants de la réussite ou de la difficulté scolaire.

Jean-Marie Besse, en s’appuyant sur les divers éclairages avancés,


revient dans la dernière partie de ce livre sur la confrontation des modèles
d’organisation de la psychologie scolaire, mais aussi des perspectives

9
Des psychologues à l’école ?

théoriques et pratiques propres à la psychologie (faut-il parler de « psycho-


logies » différentes ?) : à quelles conditions peuvent-elles se retrouver,
unifiées, dans la pratique du psychologue intervenant au sein de l’insti-
tution scolaire et constituer les bases mêmes d’un métier de psychologue
scolaire clairement identifié ?
Il propose de réévaluer, à la lumière des connaissances, des fonction-
nements et des enjeux actuels, les ambitions et les propositions qui furent
celles des créateurs de la psychologie scolaire ; les psychologues ont à
investir dans la construction, toujours à poursuivre, d’une psychologie de
l’éducation, cadre de référence théorique et scientifique commun aux prati-
ciens de la psychologie scolaire, cadre mutuel indispensable à l’analyse
partagée des pratiques et des problèmes ; puisque les modalités présentes
de travail des psychologues scolaires ne suffisent plus à assurer des condi-
tions d’exercice satisfaisant de la psychologie dans l’institution scolaire et
limitent grandement l’aide que peuvent apporter ces professionnels, le
livre se clôt sur un ensemble de propositions susceptibles de mieux orga-
niser et penser le métier de psychologue scolaire.

10
PREMIÈRE
PARTIE

Chemins faisant:
quand l’école
et la psychologie
se rencontrent
INTRODUCTION

Des débuts de la psychologie


scolaire à son organisation
actuelle

Jean-Marie Besse

L ’ambition des réformateurs de l’Éducation nationale des années 1940,


réunis tout d’abord au sein de la Résistance puis dans le cadre de la
Commission ministérielle d’étude de la réforme de l’enseignement – que
présidèrent Paul Langevin, professeur au Collège de France et président
du Groupe français d’éducation nouvelle (1944-déc. 1946) puis, après la
mort de ce dernier, Henri Wallon, professeur au Collège de France et prési-
dent de la Société française de pédagogie – s’est traduite par la présenta-
tion, le 19 juin 1947, d’un projet de réforme de l’enseignement – connu
depuis sous l’expression de « plan Langevin-Wallon » – qui ne fut pas plus
examiné par les députés qu’appliqué par les ministres successifs de l’Éduca-
tion nationale, mais qui nous intéresse ici puisqu’il est, à notre connais-
sance, le premier document officiel à évoquer « la création d’un corps de
psychologues scolaires » (chapitre IV – Organes de contrôle et de perfec-
tionnement, p. 26). Ce chapitre débute ainsi : « L’Université réformée doit
pouvoir contrôler et perfectionner ses activités. Le contrôle doit être péda-
gogique sur les maîtres et psychologique sur les élèves » (p. 25)1.

1. Le sens du mot « contrôle » ayant évolué depuis, il convient de rappeler l’acception de


cette époque : « le contrôle psychologique […] répond à la nécessité de connaître l’enfant
dans ses particularités individuelles aussi bien que dans son évolution psychologique » (id,
p. 26). C’est la référence à des travaux scientifiques, au contrôle de la raison scientifique, qui
est ici évoquée.

13
Chemins faisant : quand l’école et la psychologie se rencontrent

Henri Wallon prépare ensuite lui-même l’entrée des psychologues dans


l’institution scolaire (ses fonctions politiques – il fut député de Paris – ne
doivent pas faire oublier que Wallon est considéré comme l’un des plus
importants psychologues français du vingtième siècle – au point que, pour
beaucoup, il demeure une figure équivalente à celle d’un Jean Piaget). Il
situe alors les objectifs à poursuivre :
– constituer une documentation psychologique sur tous les écoliers ;
– répondre aux divers besoins de l’école ;
– répondre aux demandes des instituteurs ;
– comprendre les enfants à problèmes ;
– dépister les retardés mentaux.

Il reviendra un peu plus tard, en 1952, sur ce que doit être, selon lui,
la mission principale des psychologues scolaires : « au lieu de se consa-
crer à des problèmes de sélection, le psychologue scolaire doit avoir pour
objectif premier le développement maximum des potentialités culturelles
et éducatives de chacun » ou encore : « le psychologue scolaire doit aider
l’enfant à se révéler2. »

De son côté, le psychologue René Zazzo, chargé par Henri Wallon de


mettre en place cette expérience d’introduction de psychologues dans
l’école, définit à la fois les tâches pratiques de la psychologie scolaire –
psychologie appliquée à la compréhension des problèmes que pose
l’écolier – et insiste sur le fait que cette pratique a besoin de s’appuyer
sur un domaine scientifique propre qui serait la psychologie scolaire scien-
tifique (il dresse pour cela un parallèle avec la médecine : la psychologie
scolaire est une pratique référée à la psychologie scolaire scientifique,
tout comme la médecine est une pratique référée à la science biologique).
La psychologie scolaire scientifique aurait à étudier l’enfant dans le milieu
scolaire – en partant de la psychopédagogie de l’enfant normal – et dans
ses activités scolaires ; elle aurait aussi à s’intéresser à la psychologie des
matières d’enseignement.

La psychologie scolaire française n’existe donc que depuis les années


1945-1950 : pour mieux comprendre ce que fut le projet de ces promo-
teurs de la psychologie scolaire, la nature des problèmes qu’ils ont ainsi
cherché à traiter, nous avons fait appel au témoignage et à l’analyse de

2. WALLON H. : « Pourquoi des psychologues scolaires » in Enfance. Vol. 5, 1952, p. 374.

14
Des débuts de la psychologie scolaire à son organisation actuelle

l’un des premiers psychologues scolaires, Jean Simon, qui termina sa


carrière comme professeur des universités. Il s’agit bien d’un témoignage,
en effet, celui de quelqu’un qui retrace les choix initiaux, rappelle
l’histoire, mouvementée, des débuts de cette profession, et qui continue,
aujourd’hui encore, de croire au bien-fondé de cette entreprise, au point
même d’estimer que l’expression « psychologie scolaire » – pour lui nulle-
ment restrictive ni dévalorisante ! – devrait s’écrire, pour insister pleine-
ment sur la spécificité de cette tâche, « psychologie-scolaire ». La
dimension scolaire du travail du psychologue est ici pleinement assumée.

Poursuivant cette recherche d’information sur les précurseurs de la


psychologie scolaire actuelle, nous avons sollicité les souvenirs de Gérard
Chauveau, qui nous situent dans la continuité directe du témoignage de
Jean Simon : Gérard Chauveau, aujourd’hui chercheur reconnu sur les
questions éducatives, a exercé comme psychologue scolaire, après avoir
été formé par René Zazzo ; il montre ici, à partir de l’exemple du travail
clinique3 préconisé par René Zazzo pour l’étude du cas des enfants à
problème, comment s’est constitué cet aspect du travail du psychologue
à l’école.

Comment l’institution scolaire, aujourd’hui, assume-t-elle l’héritage des


fondateurs de la psychologie scolaire ? Jean-Marie Besse, professeur de
psychologie à l’université Lumière Lyon 2 et directeur de la formation
des psychologues scolaires dans cette université (formation assurée en
collaboration avec l’IUFM de Lyon), fait le point sur les modalités de
recrutement des psychologues scolaires, les conditions de leur formation,
les missions qui leur sont confiées et élargit l’analyse à la place de la
psychologie dans la formation des enseignants.

Enfin, Alain Nesme, qui exerce comme psychologue scolaire, étudie le


fonctionnement de l’institution scolaire face à la situation des élèves en
grande difficulté scolaire et montre quels y sont les enjeux d’une place
de psychologue.

3. Une des missions confiées au psychologue scolaire consiste en effet à informer les ensei-
gnants, le plus fréquemment à leur demande, sur la psychologie de leurs élèves, qu’il s’agisse
des capacités et des modalités d’apprentissage ou des conditions individuelles et sociales
d’acquisition des savoirs ; cette information est notamment acquise par le psychologue grâce
aux données recueillies par l’observation et l’examen psychologiques individuels, un travail
clinique, donc.

15
CHAPITRE 1

Pourquoi des psychologues


« scolaires » ?
Retour sur les débuts
de la psychologie scolaire

Jean Simon

L ’expression « psychologue scolaire » désigne des psychologues qui exer-


cent leur profession dans des écoles.

Les précurseurs de la psychologie scolaire


C’est progressivement que le concept de psychologue scolaire est
apparu. René Zazzo estime que c’est A. Gesell qui « fut probablement le
premier détenteur du titre de school psychologist en 19151 ». Vers la même
époque, un autre nom est à citer, celui d’Alfred Binet. Le chapitre d’intro-
duction aux Idées modernes sur les enfants2 est presque une définition de
la fonction de psychologue scolaire, même si l’expression n’y figure pas.
En effet, Binet définit ce qu’il souhaite rencontrer pour cette fonction à
peine esquissée, dont il décrit ainsi les caractéristiques que devrait mani-
fester son titulaire : « qu’il s’instruise des questions de psychologie indivi-
duelle […] [qu’il prenne] avec décision l’attitude de l’expérimentateur […]
dans les cas de doute [qu’il applique] quelques-uns des mental tests ». Mais
Alfred Binet ne parle pas alors explicitement d’une fonction de psycho-

1. ZAZZO R. : Conduites et conscience. Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1968, pp. 253 sqq.
2. BINET A. : Les Idées modernes sur les enfants. Paris, Flammarion, 1911.

17
Chemins faisant : quand l’école et la psychologie se rencontrent

logie scolaire. Bien qu’il eût son laboratoire de pédagogie rue de la Grange-
aux-Belles, et bien qu’il restât préoccupé par les problèmes de l’école, des
écoliers, des enseignants, il fut peut-être perçu comme un étranger dans
l’école, marqué qu’il était avant tout par son propre souci de chercheur en
psychologie et en pédagogie expérimentale.
C’est à Henri Wallon que l’on doit la création et la définition de la
psychologie scolaire. Comme Binet, il travaille auprès des enfants, comme
Binet, il a un laboratoire dans une école, à Boulogne-Billancourt.
Le concept de psychologue scolaire se construit lors des travaux accom-
plis par les milieux de la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale,
puis il apparaît dans le projet de réforme de l’enseignement publié en
1947 (dit « projet Langevin-Wallon »), sous le titre IV qui concerne les
« organes de contrôle et de perfectionnement » ; le contrôle est pédago-
gique sur les maîtres (par l’inspection) et psychologique sur les élèves. Ce
contrôle psychologique, ce sera la psychologie scolaire.

Les débuts de la psychologie scolaire en France :


l’expérience du département de la Seine
La mise en place de la psychologie scolaire fut prudente : ses
promoteurs parlaient ainsi d’une « expérience » ; le premier poste de
psychologie scolaire fut créé en 1945 à Grenoble et confié à B. Andrey.
Nous évoquerons ici l’expérience « parisienne », plus exactement celle
du département de la Seine, de sa naissance (1946) à sa suppression
provisoire (1954), puisque j’y ai été étroitement associé, comme psycho-
logue scolaire.
Henri Wallon, à l’initiative de cette expérience, en confia la direction
à René Zazzo, qui était l’un de ses proches collaborateurs. Zazzo (mort
en 1995) était un psychologue de la personne (comme en témoigne son
sujet de thèse : Les jumeaux, le couple, la personne).
Le recrutement des psychologues scolaires se fit alors par le volonta-
riat, soit sur la proposition d’inspecteurs de l’Éducation nationale, soit
avec leur accord. La condition posée était que les volontaires soient en
possession du diplôme de psychopédagogie délivré par l’Institut de psycho-
logie de l’Université de Paris et accordé au terme d’une formation d’une
durée d’un an. Sans doute cette formation restait-elle plutôt légère, mais
elle témoignait d’un effort de l’Université pour informer, plus que pour
former, une population d’étudiants dont la plupart ne possédaient aucun
diplôme de l’enseignement supérieur. Personnellement, ce fut à la fin

18
Pourquoi des psychologues « scolaires » ? Retour sur les débuts de la psychologie scolaire

d’un oral de philologie française que le professeur Ch. Bruneau m’inter-


rogea sur l’avenir que j’envisageais et, comme je lui parlais de la psycho-
logie de l’enfant : « Ah ! me dit-il, si vous voulez faire de la philosophie,
allez donc voir mon ami Zazzo. »
Nous étions en 1945 : cette réponse témoigne de la difficulté que pouvait
encore avoir la psychologie pour se détacher de la philosophie ; d’ailleurs,
nombre des professeurs de psychologie de l’époque, comme H. Wallon
et D. Lagache, étaient agrégés de philosophie et souvent docteurs en
médecine.
René Zazzo, dans un article publié dans la Revue de l’enseignement
supérieur et repris dans un ouvrage3, a rappelé les principes qui ont régi
la psychologie scolaire qu’il a développée et les psychologues scolaires
qu’il a formés. Nous retiendrons quelques-uns de ces principes :
• « Le psychologue scolaire appartient à l’école par son recrutement,
par le lieu de son travail, par la nature des problèmes qu’il étudie et des
solutions qu’il cherche.
• « Le psychologue scolaire n’a pas de problèmes qui lui soient propres.
Il étudie en accord avec le corps enseignant les problèmes pédagogiques que
pose l’enseignement (matières scolaires d’enseignement, méthodes, etc.).
• « Le psychologue scolaire s’emploie essentiellement à mettre en
évidence les qualités positives de l’élève, plutôt qu’à déterminer ses insuf-
fisances dans un but d’élimination ou de sélection4. »

L’équipe « parisienne »
L’originalité de cette première équipe fut d’avoir simultanément
reçu une formation complémentaire, commencé à exercer la fonction de
psychologue scolaire et contribué à des recherches entreprises par Zazzo
– recherches qui servaient aussi aux psychologues scolaires.
L’équipe des psychologues scolaires se réunissait une fois par semaine.
La première de ces réunions rassembla les psychologues scolaires, au labo-
ratoire de psychobiologie de l’enfant, autour d’Henri Wallon et de René
Zazzo. Wallon exposa les objectifs de la psychologie scolaire ; il insista
sur l’aspect général de la fonction qui ne devait pas être considérée seule-
ment comme un moyen de dépistage des retardés mentaux, mais qui
devait s’attacher à la fois à comprendre les enfants à problèmes et à consti-
tuer une documentation psychologique sur tous les écoliers, à répondre

3. ZAZZO R. : Conduites et conscience, op. cit.


4. Idem, p. 256.

19
Chemins faisant : quand l’école et la psychologie se rencontrent

aux demandes des instituteurs et aux divers besoins de l’école. Les jeunes
néophytes écoutaient, intimidés d’être si près du Maître, et se posaient
quelques questions pratiques si bien que, finalement, l’un d’eux se risqua
à dire : « Mais, monsieur, nous n’avons pas de matériel, même pas un
Binet-Simon5. » Wallon répondit que, pour faire de la psychologie, il suffi-
sait d’un crayon et d’une feuille de papier ; il se leva, quitta la salle…
Ce propos traduit bien l’aspect méthodologique si important dans la
pratique psychologique de Wallon et que l’on retrouve dans toute son
œuvre : insistance sur l’observation et place accordée à l’entretien. Mais
il témoigne aussi de la confiance faite à Zazzo, dont l’intérêt pour la
méthode des tests était connu ; cette confiance pour les choix méthodo-
logiques de ses collaborateurs est à mettre en lien avec ses remarques sur
les tests qui peuvent permettre d’observer, chez leurs utilisateurs, « tous
les degrés de la sagacité et tous les degrés de la niaiserie6 » et qu’il convient
d’utiliser comme un moyen de mesure et comme une expérience conduite
avec une méthode clinique.

Une formation en prise directe avec le développement


de la recherche en psychologie
Le contenu de ces réunions hebdomadaires n’était généralement
pas entièrement fixé à l’avance car il pouvait être convenu que l’un de
nous parlerait de tel ou tel point de ses travaux, des problèmes qu’il
rencontrait. Souvent, une information sur des travaux étrangers récents
était apportée : des responsables d’organisations de psychologie dans
d’autres pays, comme celle de F. Hotyat à Morlanwelz (Belgique), avec
qui devait se développer une collaboration étroite. Quand l’expérience
fut bien admise, certaines séances furent réservées à l’étude des résultats
obtenus par les psychologues scolaires et publiés dans un Bulletin de
l’Association des Psychologues scolaires, modeste revue ronéotée.
Citons quelques exemples pour illustrer le type de fonctionnement de
la première équipe de psychologues scolaires.
À la date du 22 janvier 1947 7, quelques communications sont présen-
tées par les psychologues scolaires. Par exemple, on relève, en cours prépa-

5. Le test Binet-Simon, premier outil de « mesure de l’intelligence », créé au début du


XXe siècle par Alfred Binet et Théodore Simon.
6. WALLON H. : Principes de psychologie appliquée. Paris, Armand Colin, 1930, p. 63.
7. Notes personnelles, prises au cours de la réunion.

20
Pourquoi des psychologues « scolaires » ? Retour sur les débuts de la psychologie scolaire

ratoire, 35 à 40 % de redoublants parmi les enfants ayant fréquenté l’école


maternelle, contre 80 à 90 % dans le cas contraire.
D’autre part, quelques remarques sont présentées à propos de l’épreuve
de copie d’un carré et de celle d’un losange8. La copie d’un carré est
réussie entre quatre et six ans, tandis que celle du losange ne l’est qu’à
partir de six ans ; les résultats sont inférieurs chez les filles, ce qui est en
contradiction avec les données générales de la progression scolaire puisque
les filles sont à 69,9 % dans la classe qui correspond « normalement » à
leur âge, alors que les garçons ne sont que 50 % dans le même cas9. Ce
qu’il convient de noter, c’est que trois mois après leur entrée en fonc-
tion, les psychologues scolaires se préoccupent simultanément de l’utili-
sation d’instruments (soit le test Binet-Simon, soit le test de Prudhommeau
– détaillé ci-dessous) et de questions plus fondamentales comme la psycho-
logie différentielle des sexes. Ce va-et-vient entre pratique, formation et
recherche est bien caractéristique de ce que fut la psychologie scolaire
parisienne.

Des différentes personnalités venues présenter leurs travaux, nous ne


retenons ici que les exposés de S. Borel-Maisonny et de M. Prudhommeau.
S. Borel-Maisonny avait mis au point, d’une part, une méthode de
lecture à la fois phonologique et mimique et, d’autre part, des épreuves
psychologiques destinées aux enfants entre cinq ans et demi et neuf ans
présentant des difficultés dans le domaine du langage écrit et/ou parlé.
Outre ces épreuves psychologiques, elle présentait un groupe d’épreuves
linguistiques qui formaient un ensemble très complet portant sur la phoné-
tique, sur la compréhension et la réalisation du langage, sur la seule
compréhension.
Les tests progressivement mis au point par M. Prudhommeau ont été
employés très tôt par les psychologues scolaires, en particulier le test de
copie de dessins – la copie d’un cercle, d’un carré, d’un losange – qui a
la particularité de déterminer – assez grossièrement – un âge de déve-
loppement et de permettre de relever les types de comportement de
l’enfant, voire d’émettre des hypothèses sur leurs origines.
M. Prudhommeau en expliquait les principes aux psychologues scolaires
bien avant que ne paraisse le livre dans lequel cet auteur expose sa
méthode d’interprétation de la copie de dessins (Le Dessin de l’enfant,

8. Il s’agit du test de Prudhommeau, présenté ci-dessous.


9. ZAZZO R. : « Note sur la psychologie scolaire en France » in Enfance. 1, 80-84, 1948, p. 83.

21
Chemins faisant : quand l’école et la psychologie se rencontrent

1951). Prudhommeau avait une longue expérience de son test tout en


reconnaissant, en ce qui concerne surtout la détermination du niveau
mental, que sa « précision, si elle n’atteint pas celle d’études de labora-
toire […] est très suffisante pour le travail courant exercé dans les circons-
tances habituelles sur l’ensemble de la population scolaire 10 ».
Prudhommeau avait également mis au point d’autres tests qui compre-
naient une feuille d’opérations, une feuille de problèmes et une feuille
d’orthographe à partir de laquelle le psychologue scolaire dictait huit
phrases, chacune correspondant à un âge compris entre sept et treize ans
(une phrase concernait aussi les adultes). Des consignes très précises
étaient données.

Problèmes et méthodes de la psychologie scolaire


Il est bien évident qu’il est impossible d’entrer dans les problèmes
auxquels chacun des psychologues scolaires eut à faire face. Il semble
toutefois que, au cours des premières réunions hebdomadaires, les psycho-
logues scolaires indiquèrent que les enfants envoyés par les instituteurs
ou les institutrices étaient des retardés scolaires, pour la plupart arriérés
mentaux. La plupart, mais pas tous, et ce furent les premières occasions
d’échanges avec les enseignants, suivis d’essais de solutions trouvées en
commun par le maître et le psychologue-scolaire. La technique employée
pour ces enfants fut le test Binet-Simon, qui était accompagné d’un entre-
tien avec l’enfant et avec les parents.
Mais, comme nous l’avaient dit Wallon et Zazzo, se préoccuper des
élèves en difficulté scolaire ne devait pas être la mission essentielle des
psychologues scolaires. Nous nous sommes donc attachés à la constitu-
tion d’un dossier sur chaque élève, en commençant par des passations de
tests collectifs – appliqués donc à toute une classe – pour déterminer,
sans grande précision toutefois, un niveau mental. La technique généra-
lement employée fut le test mosaïque de Gille. Cette épreuve compor-
tait une série de dessins sur lesquels on demande à l’enfant d’effectuer
un travail rapide (souligner, mettre une croix, etc.). Économique en prix
et en temps de passation et de correction, ce test permettait une évalua-
tion du niveau de développement mental individuel qui, comparée aux
résultats scolaires de l’élève, suscitait de fructueuses discussions avec les
enseignants. Il nous semble que ce test avait le défaut de surévaluer le
niveau mental dans les quotients intellectuels au-dessus de 110/120. Comme

10. PRUDHOMMEAU M. : Le Dessin de l’enfant. Paris, PUF, 1951, p. 120.

22
Pourquoi des psychologues « scolaires » ? Retour sur les débuts de la psychologie scolaire

nous avions dressé, pour chaque classe, un tableau comportant les années
de naissance en abscisses et les cours en ordonnées, il était facile de
repérer les correspondances entre âge mental et position d’avance, de
normalité ou de retard ; de plus, en comparant ces données avec les résul-
tats scolaires, il était possible d’établir un dossier psychopédagogique
sommaire. Pour les cas qui posaient un problème (des discordances entre
ces données), des entretiens avec l’enfant, son instituteur, ses parents
complétaient l’ensemble des données.
Ainsi fonctionnèrent les psychologues scolaires, en exerçant le mieux
possible leur métier, perfectionnant les instruments dont ils disposaient,
en créant de nouveaux, participant à des recherches.

La contribution des psychologues scolaires à la psychométrie


Nous donnerons quelques exemples du travail scientifique des
psychologues scolaires, en commençant par le perfectionnement des
instruments.

• Les outils de mesure des capacités générales


Un premier cas est celui du test Binet-Simon. Depuis la mort d’Alfred
Binet, en 1911, cet outil de mesure du développement de l’intelligence –
le premier de l’histoire de la psychologie – était demeuré en l’état, avec
les mêmes questions et le même étalonnage (le groupe d’enfants dont les
moyennes de réponse ont servi à établir, pour chaque question, l’« âge
mental » correspondant à l’âge moyen de réussite de cette question).
Zazzo avait critiqué les courbes d’âge présentées dans sa thèse de méde-
cine (en 1946) par la doctoresse Bonnis. Parti d’abord pour engager une
rectification de cette courbe, Zazzo entreprit de réétalonner le test à
partir de données expérimentales obtenues par les psychologues scolaires.
Les résultats furent publiés dans la revue Enfance en 1949. Le test n’était
plus valable que de quatre ans à dix ans et comprenait quarante items.
L’épreuve ainsi révisée fut très utile aux psychologues scolaires11.
Le second cas est celui du test des deux barrages (T2B) dont les données
sont publiées dans le Manuel pour l’examen psychologique de l’enfant en 1964.
Le T2B comprend deux feuilles de mille signes chacune (quarante lignes,
vingt-cinq colonnes). Chaque signe est un carré complété par un trait placé

11. L’équipe participa également à l’étalonnage français du test dit Weschler Intelligence Scale
for Children, le bien connu WISC. Ce travail fut largement (!) récompensé, car le distribu-
teur fit cadeau d’un WISC à chaque école. Voir aussi le chapitre 6, p. 121.

23
Chemins faisant : quand l’école et la psychologie se rencontrent

soit au milieu d’un côté, soit dans le prolongement des diagonales ; donc,
huit types différents répartis de façon aléatoire dans la feuille. Chaque feuille
porte en haut le modèle à barrer : un type pour le premier barrage, deux
pour le second. L’épreuve consiste à barrer tous les carrés identiques aux
modèles. Le test fut étalonné, avec l’aide de psychologues scolaires, sur une
population de neuf classes d’âge : de six ans à quatorze ans pour le primaire.

• Les outils de mesure des connaissances scolaires


L’autre domaine de perfectionnement et de création d’épreuves fut
celui des tests de connaissance. Depuis longtemps, les membres de la
Société Alfred Binet avaient entrepris de nombreux travaux, en particu-
lier pour mesurer la connaissance du langage écrit mais aussi celle des
mathématiques.
En ce qui concerne le langage, on trouvera une bibliographie détaillée
de ces travaux dans notre ouvrage sur la Psychopédagogie de l’ortho-
graphe12. Parmi les épreuves de cette Société, les psychologues scolaires
utilisèrent notamment la « Promenade orthographique » et un test de
lecture : « Notre lapin », qui permettait de distinguer des niveaux de
lecture selon la correction et la rapidité. Parmi les épreuves créées, citons
le RUP 48 (règles, usage, phonétiques)13, « La poule noire » (Lefavrais)
et, beaucoup plus tard, « L’alouette ». En collaboration avec l’équipe de
Morlanwelz (Belgique), citons enfin un test de compréhension de lecture.
En ce qui concerne le calcul, M. Bouilly construisit deux épreuves compor-
tant numération, opérations et problèmes, chaque épreuve correspondant
à un groupe de classes.

La contribution des psychologues scolaires


à la recherche en psychologie
Citons d’abord les travaux conduits avec le test RUP 48 : cette
épreuve était étalonnée depuis la classe de cours élémentaire jusqu’à celle
de cours complémentaire (disparus depuis) et sur les 6e de lycée et de
collège. Cet instrument peut servir à comparer les élèves des générations
ultérieures à celle de 1948, comme en témoigne la recherche conduite
sur des CM2 par un psychologue scolaire de la Charente, G. Hontarrède,
en 1984. L’auteur note que la différence observée entre les deux années
prises en référence, pour l’orthographe d’usage, n’est pas significative. En

12. SIMON J. : Psychopédagogie de l’orthographe. Paris, PUF, 1954.


13. Idem.

24
Pourquoi des psychologues « scolaires » ? Retour sur les débuts de la psychologie scolaire

revanche, les résultats relatifs à l’orthographe pour les règles de gram-


maire sont meilleurs en 1984. Ces résultats doivent toutefois être nuancés :
les enfants les plus faibles restent aussi nombreux en 1984 qu’en 1948.

Une autre recherche concernait les difficultés dans l’apprentissage de


la lecture et ses troubles. C’est un travail d’équipe qui fut lancé par J. de
Ajuriaguerra et R. Zazzo, tous les deux exerçant à l’hôpital Henri Rousselle
à des titres différents. Ce sont les difficultés souvent nommées dyslexie
d’évolution ou plus habituellement dyslexie qui ont fait l’objet de la
recherche14.

Heurs et malheurs de l’expérience « parisienne »


Le nombre des psychologues scolaires augmenta et, pour la réali-
sation de diverses recherches, des commissions furent créées, qui se réunis-
saient en dehors des séances hebdomadaires. Les thèmes étaient variés.
Les titres de quelques articles parus dans le Bulletin peuvent en donner
une idée : « Commission du Matrix (M. Guillois, 2e degré) », « Commission
batteries d’aptitudes (M. Bouilly, 1er degré) », « Le test de Wechsler pour
enfant (M. Dague, 2e degré) ». On peut donc observer l’existence d’une
liaison entre les psychologues scolaires de l’enseignement élémentaire et
ceux du secondaire, existence qui se traduisit notamment par une
recherche sur la valeur prédictive d’une batterie de tests d’aptitudes.
En 1948, le ministre de l’Éducation nationale, répondant à une demande
du Bureau international d’éducation, indiquait que l’expérience de psycho-
logie scolaire toucherait environ 15 000 enfants et que l’extension était à
prévoir pour les années à venir. En 1950, des journées d’études sur la
psychologie scolaire se tenaient à Grenoble et un texte relatif à la créa-
tion de la psychologie scolaire fut élaboré. Ce texte officiel, accepté par
l’Administration, ne parut cependant jamais comme document officiel.
En 1954, la Direction des services d’enseignement de la Seine (pour le
1er degré) convoqua les psychologues scolaires et leur expliqua que, eu
égard à la pénurie d’enseignants, ils étaient renvoyés dans leurs classes,
à deux ou trois exceptions pour des raisons diverses. Si la pénurie d’ensei-
gnants était réelle, cela fut-il la seule raison ?

14. Cf. le numéro spécial de la revue Enfance. N° 5, nov.-déc. 1951.

25
Chemins faisant : quand l’école et la psychologie se rencontrent

La psychologie-scolaire
Sur la base de notre expérience de psychologue scolaire et de notre
réflexion actuelle sur cette fonction, nous voudrions avancer quelques
propositions, et tout d’abord introduire un choix entre « psychologue
scolaire » et « psychologue-scolaire ». Dans le premier cas, le terme scolaire
a une fonction d’épithète ; dans le second cas, il s’agit d’un nom composé.
Cette distinction nous apparaît fondamentale car elle paraît marquer un
point de rupture entre le psychologue scolaire et les autres psychologues.
À côté des tâches du psychologue-scolaire que nous avons décrites, il y a
aussi ce que permet sa disponibilité dans l’école : l’élève peut se confier
à lui et passer alors du statut d’élève au statut de personne. Le psycho-
logue-scolaire peut servir d’intermédiaire entre l’élève, l’enseignant et les
parents. Il n’est pas seulement celui qui utilise les tests.
Il nous semble qu’il faut continuer à recruter les psychologues-scolaires
parmi les instituteurs ou professeurs d’école : si le psychologue-scolaire
n’a plus l’obligation préalable d’avoir enseigné, il connaîtra moins bien
ce qu’est une classe et ce qu’est un élève, ce qu’est la lourde tâche d’ensei-
gner. Il pourra exister un risque d’incompréhension quant à la nature des
problèmes de l’écolier et quant aux remèdes possibles. Un autre risque
serait celui de trop centrer l’action psychologique sur les enfants en diffi-
culté alors qu’un suivi un peu plus précis et un peu plus approfondi de
tous les élèves nous paraît nécessaire.
Nous souhaitons que la formation à la psychologie scolaire ait une
certaine unité de conception et que les tâches confiées à la psychologie
scolaire manifestent également cette unité ; une « certaine unité » ne veut
pas dire uniformité, car de la diversité peut surgir du nouveau, en parti-
culier dans la recherche.

Bien évidemment, l’échec scolaire est un très grave handicap pour les
enfants qui vont entrer dans la vie professionnelle. Pour éviter cet échec,
l’apport du psychologue scolaire est important et peut aider à trouver
des solutions sinon à tous les problèmes mais, du moins, à l’échec scolaire.
Dans cette perspective, le psychologue scolaire n’est pas rien, mais il n’est
pas tout non plus.

26
Pourquoi des psychologues « scolaires » ? Retour sur les débuts de la psychologie scolaire

Bibliographie
BINET A. : Les Idées modernes sur les enfants. Paris, Flammarion, 1911.
FIJALKOW J. : Mauvais lecteur pourquoi ? Paris, PUF, 1996 (2e édition).
INIZAN A. : Le Temps d’apprendre à lire. Paris, Armand Colin, 1963.
LOURENÇO F. : Test ABC. Buenos Aires, Kapelusz, 1937.
PRUDHOMMEAU M. : Le Dessin de l’enfant. Paris, PUF, 1951.
SIMON J. : Psychopédagogie de l’orthographe. Paris, PUF, 1954.
– L’Intégration scolaire des enfants handicapés. Paris, PUF, 1988.
WALLON H. : Principes de psychologie appliquée. Paris, Armand Colin, 1930.
– « Préface » in Enfance. 1, 5-7, 1948.
ZAZZO R. : Le Devenir de l’intelligence. Paris, PUF, 1946.
– « Note sur la psychologie scolaire en France » in Enfance. 1, 80-84, 1948.
– « Rectification du Binet-Simon » in Enfance. 4, 366, 1949.
– Conduites et conscience. Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1968.
ZAZZO R. et al. : Manuel pour l’examen psychologique de l’enfant. Neuchâtel,
Delachaux et Niestlé, 1964.

27
CHAPITRE 2

La psychologie scolaire
des années 1960-1970 :
René Zazzo et la méthode
du diagnostic progressif
appliquée à l’enfant-problème

Gérard Chauveau

« Tout procédé scientifique n’est qu’un instrument


qui a besoin d’être utilisé par une main intelligente. » A. Binet

R ené Zazzo, nous venons de le voir avec le témoignage de Jean Simon, a


joué un rôle majeur dans la formation des psychologues scolaires et dans la
définition de leur travail. Son influence a dominé les pratiques et les réflexions
de la psychologie scolaire française au moins jusqu’aux années 1980. Gérard
Chauveau, qui fut formé à la psychologie scolaire par René Zazzo, fait ici le
point sur les positions et les modèles de travail de ce dernier, en les illustrant
sur une question méthodologique fondamentale, déjà évoquée par Jean Simon
à propos des différences de positionnement entre Henri Wallon et René Zazzo,
celle des outils du psychologue scolaire lorsqu’il est amené à chercher à
comprendre ce qui fait problème chez un enfant. (Jean-Marie Besse)

René Zazzo a défendu l’idée – « contre vents et marées », précise-t-il1


– que la psychologie scolaire « ne s’occupe pas essentiellement des cas
pathologiques ou défectologiques mais de tous les écoliers ». Il s’est opposé

1. ZAZZO R. : « Préface » à INIZAN A. : Le Temps d’apprendre à lire. Paris, Colin-Bourrelier,


1963.

29
Chemins faisant : quand l’école et la psychologie se rencontrent

à « la dérive » qui transformait le psychologue scolaire en spécialiste de


l’enfance anormale et qui tentait d’importer à l’intérieur de l’école, lieu
d’instruction et d’éducation, des approches et des techniques mises au
point dans le secteur psychomédical : lieux de soin, centres de consulta-
tion, cabinets2. Il a soutenu que « la plupart des problèmes que pose
l’écolier n’appartiennent pas à la psychiatrie, à la défectologie, mais à la
connaissance de l’enfant normal, à la pédagogie, aux structures de
l’école » ; la psychologie scolaire doit donc « partir de la psychopédagogie
de l’enfant normal3 ».

Cette psychologie scolaire pratique a besoin d’une « science nouvelle » :


la psychologie scolaire scientifique. René Zazzo a donc plaidé en faveur
« d’une psychologie scolaire, science nouvelle » constituée autour de deux
pivots : d’une part, la connaissance de l’enfant dans le milieu scolaire et
dans ses activités scolaires, d’autre part, la psychologie des matières
d’enseignement, par exemple la psychologie de la lecture. Cette concep-
tion reprend – et ce n’est pas une surprise4 – certaines propositions du
plan Langevin-Wallon (1947) qui prévoyait, entre autres, les deux activités
psychopédagogiques suivantes pour le psychologue à l’école : 1) s’attacher
à « l’analyse des matières d’enseignement » en vue « d’une meilleure adap-
tation des programmes » ; 2) « apprécier les conséquences psychologiques
des méthodes éducatives ».

L’examen psychologique et la place des tests


Mais René Zazzo n’oublie pas que c’est « l’enfant-problème » qui,
dans « l’ordre d’urgence », occupe la première place des préoccupations
du psychologue scolaire. Il a consacré de longues années aux questions de
l’examen psychologique et du diagnostic des enfants-problèmes à l’école.
Dans les années 1960 et 1970, il a proposé – nous serions tentés de dire
une nouvelle fois « contre vents et marées » – une pratique particulière
de la méthode des tests avec les enfants signalés en difficulté à l’école : le
diagnostic progressif. C’est cette méthode du diagnostic progressif et,
au-delà, René Zazzo clinicien que nous nous proposons d’évoquer ici.

2. CHAUVEAU G. : « Des psychologies scolaires » in Psychologie scolaire. 42, 1982.


3. ZAZZO R. : « Préface » à INIZAN A., op. cit.
4. René Zazzo fut le disciple et le successeur d’Henri Wallon au laboratoire de psycho-
biologie de l’enfant (Paris). Dès la Libération (1944-1945), il fut, avec Henri Wallon, le créa-
teur de la psychologie scolaire en France.

30
La psychologie scolaire des années 1960-1970 : René Zazzo

Après avoir présenté quelques-unes des façons de faire et de penser


apprises avec René Zazzo à l’Institut de psychologie de Paris, au tout
début des années 1970, nous nous intéresserons plus particulièrement à
l’état d’esprit du psychologue scolaire et au démarrage d’un examen
psychologique selon la méthode du diagnostic progressif.
Il faut commencer par préciser que parler de méthode – ou de pratique
– des tests ne veut pas dire que le psychologue n’utilise que des tests avec
un enfant-problème (ou un élève en échec scolaire) ; il doit, bien sûr,
employer d’autres instruments ou d’autres techniques d’investigation
psychologique : anamnèse, observation, renseignements scolaires, question-
naire, entretien. René Zazzo se plaît à rappeler que Binet signalait déjà
que les résultats d’un test doivent être « situés dans tout un contexte5 ». La
signification psychologique d’un test ne dépend pas seulement du matériel
proposé mais aussi de la façon dont le sujet y réagit. Surtout dans le cas
d’enfants-problèmes, le psychologue qui veut analyser les résultats à un test
doit à la fois bien connaître le test utilisé… et connaître l’enfant : connaître
« ses problèmes », connaître son comportement pendant la passation,
connaître son environnement sociofamilial, etc.
Et parler de méthode des tests ne veut pas dire que le psychologue se
contente de « faire passer des tests ». Un praticien qui enregistre le constat
sans réfléchir est un « automate6 » ou « un huissier7 ». S’il utilise une
épreuve d’intelligence, par exemple, le psychologue doit « dépasser le
constat brut de niveau » (l’âge mental ou le QI lié au résultat chiffré) et
« arriver à une compréhension de la personnalité intellectuelle » de
l’enfant examiné8. Si, autre exemple, il recourt à la batterie prédictive
d’Inizan, il s’agit pour lui non seulement de fournir une prédiction
(l’opportunité et la durée de l’apprentissage de la lecture) mais aussi
d’analyser les causes éventuelles de la difficulté de l’enfant et enfin de
suggérer des indications utiles pour « faire mentir la prédiction » si elle
est mauvaise9. Dans les deux cas, le psychologue utilise le test comme un
instrument de diagnostic, comme un instrument de la psychologie indi-
viduelle, de la psychologie clinique, c’est-à-dire de l’étude approfondie des
cas individuels. Son intention – sa première intention – est d’aboutir à

5. ZAZZO R., DAGUE P. et al. : « WISC et NEMI : Premiers résultats d’une étude compa-
rative » in Enfance. 3-4, 1975.
6. ZAZZO R. et al. : Nouvelle Échelle métrique de l’intelligence (tome 1). Paris, Armand Colin,
1966.
7. ZAZZO R. : « Préface » à INIZAN A., op. cit.
8. ZAZZO R. et al. : Nouvelle Échelle métrique de l’intelligence (tome 1), op. cit.
9. Idem.

31
Chemins faisant : quand l’école et la psychologie se rencontrent

un véritable diagnostic, par exemple la découverte et l’explication des


raisons (ou des causes) de l’insuccès scolaire. Mais, le plus souvent, il vise
un second objectif : il veut savoir, il veut comprendre l’enfant-problème
pour intervenir, pour envisager, voire pour organiser l’aide ou la prise en
charge qui semble, à la lumière du diagnostic, la mieux adaptée. Les tests,
s’ils sont bien choisis et bien utilisés, lui donnent des points de repère
solides (pour le constat) et souvent des moyens d’analyse (pour l’inter-
prétation).

Comprendre l’enfant-problème
Mais l’examen psychologique de l’enfant-problème ne soulève pas
seulement des problèmes « techniques » : quels instruments, quels maté-
riels utiliser ? Comment s’en servir ? Il pose également des questions « stra-
tégiques » assez redoutables : quelle démarche, quelle progression mettre
en œuvre ? Comment s’y prendre pour avancer vers une conclusion précise
et rigoureuse (le diagnostic) ?
La pratique classique consiste à employer une batterie d’épreuves préa-
lablement établie. René Zazzo pense qu’elle ne vaut que pour répondre
à une question très limitée ou pour éprouver une hypothèse déjà bien
délimitée. Par exemple, les résultats à une épreuve d’intelligence (la NEMI
et/ou le WISC) laissent supposer une débilité chez l’enfant examiné. Pour
diagnostiquer entre vraie débilité et pseudo-débilité, le psychologue peut
alors utiliser une batterie d’épreuves – « la batterie-débilité10 » – qui
permet de comparer le profil de l’enfant au profil type du débile mental11.
Mais, dans la majorité des cas des « élèves en difficulté à l’école », René
Zazzo propose d’avancer pas à pas, sans programme fixé à l’avance : c’est
la méthode du diagnostic progressif. On peut essayer de la décrire à partir
de quelques situations fréquentes pour un psychologue scolaire.
Imaginons un enfant de huit ans « en échec scolaire ». Le psychologue
veut comprendre cet échec. Il peut commencer par appliquer la NEMI,
« qui donne une estimation des qualités requises par l’école12 ». Il établit
d’abord le score global, l’âge mental et le QI. Il importe de savoir, évidem-
ment, si l’enfant se situe dans la zone de normalité. Mais cela ne suffit
pas : un QI de 90 (à la NEMI) est l’indice d’un niveau intellectuel sub-

10. Mise au point par René Zazzo et l’équipe de l’hôpital Henri Rousselle.
11. ZAZZO R. et al. : Les Débilités mentales. Paris, Armand Colin, 1969.
Et ZAZZO R. et al. : Nouvelle Échelle métrique de l’intelligence (tome 1), op. cit.
12. ZAZZO R., DAGUE P. et al., op. cit.

32
La psychologie scolaire des années 1960-1970 : René Zazzo

normal ; il peut être considéré comme un indice de fragilité scolaire13. Il


faut cependant ajouter que ce premier travail n’a guère de sens si l’enfant
a eu une attitude inadaptée durant l’épreuve, ce qui n’est pas rare avec
des enfants-problèmes : agitation, instabilité, manque d’attention, désin-
térêt, mobilisation fluctuante, anxiété, inhibition, etc. On ne saurait
prendre en compte le score global sans prendre en compte le comporte-
ment de l’enfant au cours de l’examen.
Puis le psychologue calcule et étudie la dispersion intra-test, c’est-à-
dire la distance entre le premier item échoué et le dernier réussi. Cette
dispersion peut d’abord être appréciée quantitativement. Chez les enfants-
problèmes, la dispersion à la NEMI est souvent anormale : soit nulle, soit
excessive. Dans les deux cas, le résultat global au test peut être mis en
doute, voire invalidé : il ne rend pas compte des possibilités intellectuelles
de l’enfant ; celui-ci n’a probablement pas donné son maximum. L’absence
de dispersion permet de penser que l’enfant s’est démobilisé ou bloqué
en cours d’examen. Une dispersion excessive suggère que le score global
traduit mal ses disponibilités intellectuelles. Par exemple, tel enfant de
huit ans d’âge mental réussit encore à une question du niveau de onze ans
alors qu’il échoue à une question du niveau de six ans. On peut supposer
que son potentiel intellectuel est supérieur à son efficience intellectuelle
(telle qu’elle est mesurée par le test), que ses virtualités intellectuelles
sont supérieures à l’âge mental ou au QI obtenu.
L’activité du psychologue se poursuit par l’analyse qualitative de la
dispersion excessive. Il s’intéresse à la nature des items réussis ou échoués ;
il regarde notamment les caractéristiques de base et la signification de
ceux qui ont donné lieu à des succès ou à des échecs extrêmes, voire
anormaux ; bref, il tient compte de la valeur de chacun de ces items en
tant qu’indice de niveau intellectuel.
Par exemple, pour un enfant qui a obtenu un score global médiocre,
l’analyse – ou l’interprétation – sera différente selon que les réussites supé-
rieures se situent à de très bonnes épreuves d’intelligence ou à de moins
bonnes épreuves d’intelligence. Dans le premier cas, on peut faire l’hypo-
thèse que le constat global sous-estime les possibilités réelles de l’enfant.
Il convient de regarder les premiers items échoués : l’échec est peut-être
dû à des raisons extra-intellectuelles (manque d’attention, étourderie…) ;
mais il peut aussi être lié à une difficulté ou à un déficit dans une capa-
cité cognitive particulière qui est en jeu dans l’item examiné. On peut
ainsi être amené à penser, si l’on retient la dernière hypothèse, que cet

13. Voir par exemple CHILAND C. : L’enfant de six ans et son avenir. Paris, PUF, 1971.

33
Chemins faisant : quand l’école et la psychologie se rencontrent

enfant présente un profil intellectuel « contrasté » : bon potentiel intel-


lectuel notamment dans tel domaine, difficulté spécifique dans tel autre
domaine. Pour compléter « le tableau », le psychologue doit tenir compte
du style des réponses : par exemple, la vitesse ou la lenteur des réactions,
la qualité des énoncés verbaux, la curiosité ou la vivacité de l’enfant, etc.14

Le recours à différents tests


Mais, même si le seul but du psychologue était d’apprécier les
qualités intellectuelles d’un enfant, il ne pourrait limiter l’examen à une
seule épreuve d’intelligence, notamment lorsqu’il s’agit d’un enfant-
problème ou/et d’un enfant qui exprime un niveau intellectuel médiocre.
Le psychologue est bien souvent tenu de recourir à d’autres tests d’intel-
ligence qui vont lui apporter d’autres données.
Il peut, par exemple, avoir noté que l’enfant réussissait moins bien
certains items de la NEMI qui exigent des réponses verbales, qu’il semblait
mal à l’aise dans les échanges oraux, qu’il avait obtenu ses meilleurs scores
dans des épreuves faisant appel au dessin ou à la manipulation d’objets.
Il est conduit à se demander si cet enfant ne présente pas un décalage
entre l’intelligence verbale et l’intelligence non verbale. Le WISC permet
d’explorer et de mesurer une éventuelle dichotomie entre le QI verbal et
le QI de performance. Un tel décalage est fréquent chez les enfants-
problèmes ; il se fait le plus souvent au détriment du QI verbal. Ainsi, un
enfant peut paraître posséder « une intelligence normale » quand on
regarde son QI de performance ou même son QI global et manifester un
niveau d’intelligence verbale insuffisant. Un constat de ce type peut faire
penser à l’existence de troubles ou de retard de langage15. La dichotomie
verbal/performance au WISC, qui va le plus souvent de pair avec un écart
important entre le QI global du WISC et le QI de la NEMI est, d’une
façon générale, le signe d’une perturbation ou d’un dysfonctionnement
psychique chez l’enfant. Son existence doit inciter le psychologue à pour-
suivre l’investigation psychologique avec d’autres épreuves et d’autres
techniques. L’étude de chacun des dix sub-tests du WISC et du profil
qu’on peut établir à partir des dix scores partiels de l’enfant est une étape
utile pour guider la suite de l’examen. Le résultat particulièrement
médiocre obtenu dans tel ou tel sub-test verbal, par exemple, peut
suggérer une nouvelle hypothèse… ou plusieurs.

14. ZAZZO R. et al. : Nouvelle Échelle métrique de l’intelligence (2 tomes), op. cit.
15. ZAZZO R., DAGUE P. et al., op. cit.

34
La psychologie scolaire des années 1960-1970 : René Zazzo

Mais l’analyse des résultats de l’enfant à la NEMI peut, dans un autre


cas, montrer que l’échec de base se situe à un item qui est réputé diffi-
cile pour les enfants ayant des troubles de la lecture. Supposons un enfant
de huit ans « dyslexique16 » qui a un âge mental de huit ans six mois
(QI = 106). Il échoue à deux items de niveau sept ans et huit ans (donner
la date du jour, énumérer les mois) qui sont censés être particulièrement
échoués par des enfants ayant des difficultés de lecture associées à des
troubles de l’organisation temporelle. Le psychologue est alors en droit de
penser qu’il est face à un enfant d’intelligence tout à fait normale qui
présente apparemment un déficit spécifique – celui de l’organisation
temporelle – « qu’on trouve souvent à la racine des dyslexies17 ». Il va alors
éprouver cette hypothèse en employant des tests conçus pour apprécier
la structuration temporelle, par exemple les épreuves de rythme de Mira
Stambak.
Dans d’autres cas, l’échec à des items de la NEMI qui mettent en jeu
l’organisation temporelle (et/ou spatiale) pourra âtre analysé d’une
manière très différente. Imaginons de nouveau un enfant de huit ans
présumé « dyslexique » qui échoue aux mêmes items (donner la date du
jour, énumérer les mois) ; mais il s’agit cette fois d’un enfant qui semble
avoir un niveau intellectuel médiocre : âge mental = sept ans, QI = 87.
L’échec aux items d’organisation temporelle prend une autre significa-
tion : c’est un indice qui tend à confirmer la médiocrité du niveau intel-
lectuel de l’enfant. En effet, un QI bas s’accompagne généralement d’un
niveau au moins aussi bas aux épreuves d’organisation spatio-temporelle18.
Pour expliquer, dans ce cas, l’insuccès en lecture, il est difficile de séparer
ce qui reviendrait à la médiocrité globale de l’intelligence et ce qui serait
dû à un déficit spécifique, par exemple dans le domaine de la structura-
tion spatio-temporelle.

Voici un dernier exemple qui montre que l’enfant-problème peut assez


souvent poser problème au psychologue. Il s’agit encore d’un enfant de
huit ans signalé pour ses mauvais résultats scolaires ; son comportement
en classe est « normal » aux dires de la maîtresse. À la NEMI, il obtient
un score relativement médiocre : âge mental = sept ans trois mois, QI = 90 ;
sa dispersion est très forte et sa réussite de pointe se situe à un item de
niveau neuf ans qui a, en général, une très bonne corrélation avec

16. Au sens large et ordinaire du terme : enfant (très) mauvais lecteur.


17. ZAZZO R. et al. : Nouvelle Échelle métrique de l’intelligence (tome 1), op. cit.
18. ZAZZO R. et al. : Les Débilités mentales, op. cit.

35
Chemins faisant : quand l’école et la psychologie se rencontrent

l’ensemble de l’épreuve (item 33 : rendre la monnaie). On peut supposer


que son potentiel intellectuel est supérieur à son efficience (telle qu’elle
est mesurée à la NEMI). Effectivement, par la suite, il réussit bien une
épreuve d’intelligence non verbale qui consiste à compléter des séries de
dessins géométriques (le PM47 : progressive matrices de Raven) : QI = 110.
Rien dans l’anamnèse ni dans l’étude de ses résultats à la NEMI ne permet
de privilégier une hypothèse précise. Le comportement de l’enfant a été
apparemment le même au cours des deux épreuves : calme, appliqué,
réservé. Son expression verbale est difficile à apprécier : l’enfant a été
peu disert. Comment expliquer cette disparité entre les deux QI ? Y a-t-il
un trouble du langage qui serait plus ou moins masqué ou plus ou moins
compensé ? Y a-t-il une perturbation affective, un trouble de la person-
nalité qui interviendrait dans les épreuves intellectuelles exigeant des
réponses verbales ?
Les tests de langage (tests Borel-Maisonny) donnent des résultats tout
à fait normaux. Par contre, une épreuve de diagnostic de la personnalité
(« le Bestiaire » de René Zazzo) met en évidence quelques anomalies.
L’ambivalence et la contradiction de certaines réponses semblent traduire
des troubles affectifs bien réels. Le psychologue peut dès lors continuer
à explorer dans cette direction pour mieux comprendre la « souffrance »
de l’enfant.

La méthode du diagnostic progressif


En nous appuyant sur quelques exemples, nous n’avions pas l’inten-
tion de décrire tout le déroulement et l’ensemble des éléments d’une étude
de cas selon la méthode du diagnostic progressif. Nous voulions donner
une idée du fonctionnement intellectuel et méthodologique du psycho-
logue scolaire qui essaie de mettre en œuvre cette méthode… ou plutôt
qui essayait de le faire vers 1970. À présent, à partir des mêmes exemples,
soulignons plusieurs caractéristiques de cette méthode – et son intérêt –
dans l’examen des enfants-problèmes et/ou des élèves en difficulté.
On peut sans doute mentionner en premier que René Zazzo propose
une « clinique armée ». Dans l’examen clinique « façon Zazzo », le psycho-
logue recourt à des instruments et des procédures variés : tests, anam-
nèse, observation, entretien, recueil d’informations scolaires et
familiales… La méthode des tests est la pièce maîtresse de cet arsenal.
Elle permet d’objectiver certaines réalités psychologiques. Elle permet de
situer un sujet donné par rapport à une population donnée ; bref, elle
permet des constats. Mais leur analyse, leur interprétation exige leur mise

36
La psychologie scolaire des années 1960-1970 : René Zazzo

en relation avec d’autres données : celles de l’anamnèse, celles de l’obser-


vation, celles fournies par un autre test ou un autre examen.
L’examen psychologique commence le plus souvent par une épreuve
d’intelligence, en l’occurrence la NEMI. Son utilisation ne se limite jamais
à l’attribution d’une note ou d’un classement : le QI. L’analyse du score
global et des résultats aux différents items ainsi que l’étude du style et
du comportement de l’enfant pendant la passation ont pour but de mieux
appréhender les capacités cognitives et de mettre au jour éventuellement
des ressources et des difficultés particulières. Il ne suffit jamais de dire
que l’enfant a tel ou tel niveau intellectuel. Un résultat global, en parti-
culier à un test d’intelligence, est rarement univoque. Un même score
peut être obtenu selon des modalités fort diverses et avec des dispersions
très différentes. C’est cette singularité, cette personnalité intellectuelle
qu’il faut essayer de découvrir et de comprendre.
Quand le score est médiocre, il faut toujours vérifier sa validité en
regardant la dispersion intra-test et en évaluant l’enfant avec d’autres
épreuves d’intelligence. Le psychologue doit se demander si l’efficience
intellectuelle (mesurée avec la NEMI) n’est pas inférieure au potentiel
de l’enfant ou s’il n’existe pas chez lui une discordance verbal/non-verbal
qui le « pénaliserait » dans des épreuves à expression verbale.
D’une manière générale, surtout avec les enfants-problèmes, l’interpré-
tation d’un test ne peut être close. Il faut aller à d’autres tests, à d’autres
épreuves ; le premier constat en appelle d’autres, il « ouvre » vers de
nouvelles hypothèses et de nouvelles recherches. C’est vrai pour la plupart
des tests d’intelligence. Ainsi, l’épreuve des Cubes de Kohs a, depuis long-
temps, la réputation d’être un bon test d’intelligence non verbale (ou de
performance) ; elle évaluerait bien la qualité de la pensée conceptuelle.
Mais un score insuffisant à ce test peut être lié à des facteurs très diffé-
rents : des difficultés de représentation mentale, une organisation de
l’espace déficiente, une coordination motrice ou visuo-motrice défectueuse,
des troubles organiques ou encore des phénomènes affectifs comme le
stress, l’anxiété19. Avant de proposer une hypothèse explicative à un échec
au Kohs, le psychologue doit chercher d’autres indices, d’autres éléments
pour choisir telle possibilité d’interprétation plutôt que telle autre.
Le test ainsi conçu et utilisé (ou la méthode des tests) se veut « une
synthèse de la méthode expérimentale et de la méthode clinique20 ». La

19. BOURGES S. : Approche génétique et psychanalytique de l’enfant. Neuchâtel, Delachaux


et Niestlé, 1984.
20. ZAZZO R. : « Préface » à INIZAN A., op. cit.

37
Chemins faisant : quand l’école et la psychologie se rencontrent

méthode des tests est expérimentale, en particulier au niveau de la


construction de l’épreuve : les dispositifs, les items ou les questions sont
d’abord éprouvés par diverses variations et modifications ; le test est
« l’abrégé d’une véritable expérimentation ». Elle est clinique au niveau
de l’application : elle définit un individu (le sujet) par rapport à son
groupe ; et elle nous enseigne la relativité de chaque signe (le constat)
dans un ensemble. C’est notamment le cas des tests d’intelligence comme
la NEMI et le WISC : pour René Zazzo, ce sont avant tout des instru-
ments d’analyse clinique.
Mais parler de « méthode des tests » est pour le moins ambigu ou réduc-
teur. Le plus important dans le diagnostic progressif, c’est probablement
la méthode (au sens fort du terme), c’est-à-dire « l’intelligence investiga-
trice » en action, « le déroulement systématique des hypothèses et des
déductions » prenant appui sur des faits exacts21. C’est la mise en acte
d’une pensée ou d’une démarche probabiliste. Il s’agit en conséquence
de concevoir le test comme une technique permettant d’évaluer des proba-
bilités : il y a une chance sur dix pour que… Ou, plus prudemment, il
semble probable que… Dès le calcul du score global, le psychologue doit
appliquer cette démarche probabiliste : calculer un âge mental ou un QI
avec la NEMI, c’est « déterminer autour de ce chiffre une zone de proba-
bilité ». Dire qu’un enfant obtient un âge mental de huit ans trois mois
c’est dire que, en réalité, huit ans trois mois est une valeur probable : l’âge
mental de cet enfant est en réalité de huit ans trois mois à trois mois
près22. Mais c’est surtout dans le déroulement de l’examen, dans la conduite
de l’investigation psychologique que la « pensée probabiliste » est à l’œuvre.
Il s’agit pour le psychologue de progresser pas à pas dans l’explication de
la difficulté ou de l’insuffisance, d’aller de constat en constat, de passer
d’un jalon à l’autre pour « cerner petit à petit la signification individuelle
avec une probabilité de plus en plus forte23 ». C’est ce cheminement qui
permet de passer du constat (rarement univoque) à son interprétation.
Enfin, le plus important dans la méthode du diagnostic progressif, c’est
peut-être la volonté d’associer, de combiner la rigueur et la finesse de
l’intuition. C’est sans doute ce qui est le plus difficile à réaliser… et à
faire comprendre. On confond trop souvent, disait René Zazzo, rigueur
et focalisation sur des chiffres. La rigueur ne se trouve pas dans le moment

21. Idem.
22. ZAZZO R. et al. : Nouvelle Échelle métrique de l’intelligence (tome 1), op. cit.
23. ZAZZO R., DAGUE P. et al. : « WISC et NEMI : Premiers résultats d’une étude compa-
rative », op. cit.

38
La psychologie scolaire des années 1960-1970 : René Zazzo

où l’on fait les comptes ou dans l’art de faire une addition (qui aboutit
par exemple à un âge mental ou à un QI) ; elle se trouve « dans la lecture
intelligente de cette addition24 ».

Dans « la famille des vérificateurs sans imagination25 », chez « tous ces


psychotechniciens qui appliquent aveuglément leurs tests, qui mesurent
sans savoir ce qu’ils mesurent26 », on confond rigueur et raideur, rigueur
et « manie » des chiffres et des corrélations. De l’autre côté, « dans la
famille des imaginatifs », on confond trop souvent l’esprit clinique ou
l’intuition avec « une subjectivité désordonnée », avec « une confusion
d’esprit, un flou artistique27 » qui peuvent favoriser toutes sortes d’illu-
sions ou de délires.
Or, soutient René Zazzo, sans vérification, sans contrôle, sans repères
objectifs, le sens clinique n’est rien. Et, sans intuition, sans esprit de
synthèse, sans une certaine finesse, l’esprit de rigueur n’est rien non plus.
L’esprit clinique a besoin de points de repère solides et la précision des
instruments a besoin de la finesse de l’intuition.

Actualité de la démarche de René Zazzo


Il nous faut insister sur ce point parce que, aujourd’hui comme
hier, c’est cette dimension-là – l’association, l’alliage entre rigueur et
finesse – qui semble manquer le plus à bon nombre de psychologues et
à bon nombre de leurs travaux. Pour reprendre la formule de René Zazzo,
la misère de la psychologie – ou du moins « une certaine misère de la
psychologie » – vient en grande partie de ce que « trop souvent, les qualités
de rigueur et de finesse sont disjointes28 ». Aujourd’hui comme hier, on
a trop souvent, d’un côté, les cliniciens « purs » et, de l’autre, les « cogni-
tivistes expérimentalistes » « purs ». Les premiers confondent recours à
l’intuition et refus de la vérification ; les seconds sont souvent bien plus
rigides et étroits que rigoureux.

Pour avoir une idée de la « misère » actuelle de la psychologie, il suffit


de regarder la manière dont cliniciens purs et expérimentalistes purs se

24. ZAZZO R. et al. : Nouvelle Échelle métrique de l’intelligence (tome 1), op. cit.
25. ZAZZO R. : Psychologie et marxisme. Paris, Denoël-Gonthier, 1975, p. 25.
26. ZAZZO R. et al. : Nouvelle Échelle métrique de l’intelligence (tome 1), op. cit.
27. Idem, p. 000.
28. Idem, p. 176.

39
Chemins faisant : quand l’école et la psychologie se rencontrent

servent des tests d’intelligence. Ils nous disent par exemple que tel enfant
« dyslexique » a une intelligence normale et que, par conséquent, il n’y
a aucun lien entre son trouble d’apprentissage de la lecture-écriture et
ses capacités intellectuelles. De tels propos ignorent au moins trois
données essentielles… mentionnées par René Zazzo il y a trente ans.
• Un QI de 87 ou 90 à la NEMI ou à l’ensemble du WISC, bien que
« normal », n’est pas assimilable à un QI de 107 ou 109, lui aussi normal.
L’enfant de six ans qui a un QI de 87 (à l’un de ces deux tests) a bien
moins de chances de réussir l’apprentissage de la lecture que celui qui a
un QI de 109. Il faut se souvenir que l’un des meilleurs prédicteurs de la
réussite en lecture au CP est le score global obtenu à un test de type
NEMI ou WISC.
• Un QI non verbal (ou de performance) de 87 ou 90 ne suffit pas à
dire que l’enfant a une intelligence normale. S’il a un QI verbal de 70
(au WISC par exemple), on peut parler de niveau intellectuel insuffisant
et de « dissociation » entre son intelligence verbale et son intelligence
non verbale.
• Un QI normal de 90 ou 100 à la NEMI ou au WISC peut aller de
pair avec des échecs « anormaux » à tel item ou à tel sub-test qui tradui-
sent peut-être une déficience dans une capacité cognitive particulière.
À l’opposé, d’autres psychologues refusent tout recours aux tests, et en
particulier aux tests d’intelligence globale type NEMI ou WISC. Ils se
privent ainsi du « constat de base29 », c’est-à-dire des premiers éléments
d’un diagnostic rigoureux et fiable, des données premières (basiques) qui
permettent d’orienter l’investigation et l’appréhension des « problèmes »
de l’enfant-élève.
Reprenons l’exemple ci-dessus. Ces psychologues ne peuvent pas voir
que ces deux enfants de six ans normalement intelligents ont en réalité
des « niveaux » et des rendements intellectuels très différents. Entre le
premier qui a un QI de 87 à la NEMI (âge mental : cinq ans deux mois)
et le second qui a un QI de 109 (âge mental de six ans six mois), il y a
plus d’un an de différence d’âge mental. Ces psychologues se privent aussi
des repères précis que fournit l’analyse des deux examens pour dessiner
la personnalité intellectuelle de ces deux enfants. Y a-t-il des échecs « anor-
maux » à tel ou tel item ? des réussites surprenantes à tel autre ? Des
différences importantes entre les épreuves à expression verbale et les
épreuves avec manipulation ? Quels sont les réussites et les échecs les plus
significatifs ? Etc.

29. Idem, p. 184.

40
La psychologie scolaire des années 1960-1970 : René Zazzo

Il existe donc deux catégories de psychologues qui sont incapables de


faire du test d’intelligence un instrument d’analyse clinique. Les uns se
contentent d’être, comme le disait René Zazzo, des automates et des huis-
siers : ils donnent un chiffre (le QI) et croient que cela suffit pour appré-
cier les capacités intellectuelles et le développement mental d’un enfant.
Les autres – parce qu’ils partagent cette vision « indigente » de la méthode
des tests30 – ignorent les informations que peuvent fournir des tests d’intel-
ligence comme le WISC ou la NEMI : une bonne estimation des qualités
requises par l’école, des indications « de base » sur l’efficience, le poten-
tiel et le fonctionnement intellectuel de l’enfant, mais aussi sur la diver-
sité de ses capacités cognitives.
Dès le départ, ces deux catégories de psychologues se mettent dans
l’impossibilité de comprendre la méthode du diagnostic progressif. Les
premiers sont enfermés dans la pratique du QI et la production des chiffres ;
les seconds sont bloqués par leur apriorisme anti-test, fruit le plus souvent
d’un mélange de « passion » et d’« ignorance » (René Zazzo).
Pour terminer, nous formulerons deux remarques pour éviter de donner
l’impression que la méthode du diagnostic progressif serait la panacée.
Premièrement, telle qu’elle a été proposée et illustrée par René Zazzo
dans les années 1960-1970, elle est assez largement imprégnée d’une
conception des difficultés scolaires, notamment en lecture-écriture, qui
apparaît datée. René Zazzo fut l’un des promoteurs de l’approche instru-
mentale psychomotrice de la lecture ; entre 1950 et 1970, il fut l’un des
représentants du courant psychologique qui mit fortement l’accent sur le
rôle de l’organisation spatio-temporelle dans l’acquisition (ou les troubles)
de la lecture. La méthode du diagnostic progressif devrait aujourd’hui
tenir compte des recherches récentes sur l’appropriation de l’écrit.
Deuxièmement, pour René Zazzo, le diagnostic n’est pas la seule
méthode dont dispose le psychologue scolaire pour étudier et comprendre
les enfants-problèmes. Elle correspond surtout à la pratique du labora-
toire ou du centre de consultation. La deuxième méthode du psychologue
en milieu scolaire est l’observation, voire l’observation continue. René
Zazzo, aussi bien comme clinicien que comme chercheur, a accordé une
très grande place à l’observation. Il faut se rappeler qu’il a été, dans ce
domaine, à la fois le collaborateur et le continuateur de A. Gesell et
d’Henri Wallon. L’un et l’autre ont souligné une double nécessité : celle
de la précision des instruments, de la normalisation des procédures
d’examen (les tests) et celle des relevés, des inventaires de comportements

30. ZAZZO R. : « Préface » à INIZAN A., op. cit.

41
Chemins faisant : quand l’école et la psychologie se rencontrent

finement et méticuleusement établis (l’observation). René Zazzo aimait


dire que Wallon était « d’abord un observateur » et que Gesell était « un
collectionneur de faits31 ». C’est la « chance » ou la « force » du psycho-
logue scolaire – du psychologue en milieu scolaire, présent dans l’école,
dans la classe – de pouvoir observer l’enfant-problème dans l’école, dans
la classe, afin de mieux appréhender ses difficultés scolaires.
Mais c’est, me semble-t-il, dans sa conception et son application de la
méthode des tests que René Zazzo est peut-être le plus original… et le
plus méconnu. Il a été l’un des rares, par exemple, à penser le test d’intel-
ligence comme un outil clinique, comme un élément, un moment d’une
méthode de diagnostic progressif.
Celle-ci présente au moins trois intérêts :
– c’est une méthode dynamique : il s’agit de « dynamiser les tests », c’est-
à-dire de mettre en relation le résultat à tel test avec d’autres données
(fournies par l’observation, l’entretien, la documentation écrite…), le
mettre en relation avec les résultats obtenus à d’autres tests, aller d’un
test à d’autres tests, passer d’un constat à un autre et établir des rela-
tions entre ces constats ;
– c’est une méthode probabiliste : il faut saisir petit à petit la signification
individuelle (correspondant à tel individu particulier) de la performance
obtenue à telle ou telle épreuve, rechercher de nouveaux éléments pour
étayer telle hypothèse, essayer de vérifier l’hypothèse retenue, avancer
vers une interprétation qui offre une probabilité de plus en plus grande ;
– c’est une méthode clinique et expérimentale : elle est expérimentale
dans ses outils d’investigation ; les épreuves ont été construites selon les
règles de la méthode expérimentale (étalonnage, validation, standardisa-
tion…). Elle est clinique dans son application : d’une part, elle tente de
« définir » un individu donné ; d’autre part, pour y parvenir, elle essaie
de situer chaque signe ou chaque constat dans un ensemble.

Les psychologues scolaires pourraient, encore aujourd’hui, tirer gran-


dement profit de cette façon d’étudier et comprendre les « enfants-
problèmes ».
Cette remarque vaut sans doute aussi pour tous les psychologues, cher-
cheurs ou cliniciens, qui s’intéressent aux « problèmes » des enfants à
l’école.

31. ZAZZO R. : Psychologie et marxisme, op. cit., pp. 90 sqq et pp. 140 sqq.
Et ZAZZO R. : Conduites et conscience (volume 2). Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1968.

42
La psychologie scolaire des années 1960-1970 : René Zazzo

Bibliographie
BOURGES S. : Approche génétique et psychanalytique de l’enfant, Neuchâtel,
Delachaux et Niestlé, 1984.
CHAUVEAU G. : « Des psychologies scolaires » in Psychologie scolaire. 42, 1982.
CHILAND C. : L’enfant de six ans et son avenir. Paris, PUF, 1971.
ZAZZO R. : « Préface » à INIZAN A. : Le Temps d’apprendre à lire. Paris, Colin-
Bourrelier, 1963.
– Conduites et conscience (2 vol.). Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1962 et 1968.
– Psychologie et marxisme. Paris, Denoël-Gonthier, 1975.
ZAZZO R. et al. : Manuel pour l’examen psychologique de l’enfant (tome 1).
Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1960.
– Nouvelle Échelle métrique de l’intelligence (2 tomes). Paris, Armand Colin, 1966.
– Les Débilités mentales. Paris, Armand Colin, 1969.
ZAZZO R., DAGUE P. et al. : « WISC et NEMI : Premiers résultats d’une étude
comparative » in Enfance. 3-4, 1975.

43
CHAPITRE 3

La psychologie dans l’institution


scolaire, aujourd’hui

Jean-Marie Besse

L ’exercice de la psychologie dans le cadre de l’institution scolaire fran-


çaise – nous nous en tiendrons ici à la situation propre à l’école élémen-
taire (maternelle et primaire) – comprend des particularités par rapport
à l’exercice de la psychologie en France, ailleurs que dans l’institution
scolaire. De même, cette situation est assez originale par rapport à d’autres
pays : l’interrogation sur le devenir de la psychologie scolaire n’est toute-
fois pas seulement limitée à la situation française, comme l’ont montré
notamment plusieurs débats organisés dans le cadre du 24e colloque inter-
national de psychologie scolaire et de l’éducation1 (par exemple, le sympo-
sium sur « the future of school psychology: critical issues », où étaient invités
des représentants venant des États-Unis, de Grande-Bretagne, du Brésil,
de Grèce, de Hongrie et d’Israël).

L’organisation de la psychologie scolaire

Le recrutement des psychologues scolaires


Ce corps professionnel présente la première particularité, qui existe
depuis sa création au sortir de la Seconde Guerre mondiale (cf. ci-dessus),
d’être entièrement issu du corps des instituteurs ou professeurs d’école ; il

1. Organisé par l’ISPA (International School Psychology Association) en juillet 2001 à Dinan.

45
Chemins faisant : quand l’école et la psychologie se rencontrent

est actuellement recruté sur la base d’une licence de psychologie, puis il


exerce son activité au terme d’une année de formation et après avoir obtenu
un diplôme spécifique donnant droit au titre de psychologue dans l’Éduca-
tion nationale (diplôme d’État de psychologie scolaire). En France,
six centres de formation assurent la préparation à ce diplôme d’État (Aix-
en-Provence, Bordeaux, Grenoble, Lille, Lyon, Paris), centres organisés en
partenariat entre un IUFM (Institut universitaire de formation des maîtres)
et une Unité de formation et de recherche de psychologie d’une Université.
Ce type de recrutement est censé assurer une cohésion rapide entre
les enseignants et des psychologues issus du même corps professionnel
(celui des instituteurs et professeurs d’école) : ces différents profession-
nels auraient en effet une expérience et une culture pédagogique
communes. L’institution attend également de ce mode de recrutement
qu’il permette d’exercer une psychologie conforme à ses besoins propres,
ceux donc de ses personnels et des élèves, une psychologie centrée sur
des préoccupations d’apprentissage dans le cadre scolaire.
Au surplus, ce dispositif conduit un certain nombre d’enseignants à
exercer ensuite un autre métier dans le cadre de la même institution :
travailler en tant que psychologue scolaire peut être ainsi vécu comme
une « promotion » au sein des métiers de l’Éducation nationale (quoique
cette « promotion » soit toute relative, puisque les « psychologues
scolaires », par exemple, sont rémunérés, non pas en tant que « psycho-
logues scolaires », mais comme « enseignants spécialisés ») ; mais l’autre
face de cette particularité est que les psychologues scolaires peuvent être
perçus, par leurs anciens collègues restés en responsabilité d’une classe,
comme des enseignants parvenus à « quitter la classe ».

Les fonctions de la psychologie scolaire


Le travail des psychologues scolaires est défini par des textes propres
à l’Éducation nationale. Les textes les plus récents relatifs à l’organisa-
tion et aux missions de la psychologie scolaire datent du début des années
1990 (il s’agissait d’une redéfinition de ces fonctions et de leur cadre
d’exercice, après quelques années de suspension du recrutement et de la
formation des psychologues scolaires).
Ainsi, les missions du psychologue scolaire sont-elles précisées dans une
circulaire du 10 avril 1990 :
« L’analyse des processus d’apprentissage éclaire la démarche pédagogique.
De ce fait, l’étude des difficultés éprouvées par les élèves, dans l’appropriation
des connaissances et des savoir-faire, ainsi que dans le respect des exigences

46
La psychologie dans l’institution scolaire, aujourd’hui

de la scolarité, fournit aux maîtres et aux familles des indications précieuses


sur les stratégies à adopter pour favoriser l’éducation des enfants. Les actions
du psychologue scolaire tirent leur sens de cette mise en relation entre les
processus psychologiques et les capacités d’apprentissage des élèves.
Le psychologue scolaire apporte dans le cadre d’un travail d’équipe l’appui
de ses compétences :
– pour la prévention des difficultés scolaires ;
– pour l’élaboration du projet pédagogique de l’école et sa réalisation ;
– pour la conception, la mise en œuvre et l’évaluation des mesures d’aide
individuelles ou collectives au bénéfice des élèves en difficulté ;
– pour l’intégration de jeunes handicapés.
Il participe ainsi de manière spécifique à l’évolution de l’institution scolaire,
à l’intégration scolaire et à la réussite de tous les jeunes. »

Ces missions sont ensuite détaillées dans la même circulaire, sur la base
des types d’intervention prévus pour les psychologues scolaires :

« I. LES ACTIONS EN FAVEUR DES ENFANTS EN DIFFICULTÉ


EXAMEN, OBSERVATION ET SUIVI PSYCHOLOGIQUES DES ÉLÈVES pour
informer sur les difficultés analysées.
Le psychologue choisit ses outils et ses démarches, compte tenu des règles en usage
dans l’exercice de sa profession.
EXAMENS CLINIQUES ET PSYCHOMÉTRIQUES effectués à l’école à la demande
des maîtres, des intervenants spécialisés ou des familles. Ces examens donnent lieu à
la rédaction d’un document écrit.
LE « SUIVI » PSYCHOLOGIQUE consiste à organiser des entretiens avec les enfants
concernés et, éventuellement, avec leur maître ou les parents. Il a pour objet, pour
ce qui concerne les adultes, de rechercher conjointement l’ajustement des conduites
et des comportements éducatifs ; pour ce qui concerne les enfants, de favoriser l’émer-
gence et la réalisation du désir d’apprendre et de réussir.

II. PARTICIPATION À L’ORGANISATION, AU FONCTIONNEMENT ET À LA VIE DES


ÉCOLES
PARTICIPATION À LA MISE EN ŒUVRE DE PROJETS PÉDAGOGIQUES pour
PERMETTRE À CHACUN DES ÉLÈVES DE TIRER LE MEILLEUR PROFIT DE SA
SCOLARITÉ. Le psychologue évalue des variables psychologiques et pédagogiques ; il parti-
cipe à des activités organisées en faveur des élèves, des maîtres, des familles (proposer et
animer des groupes de travail destinés à favoriser l’expression des parents et des maîtres).
LIAISON FONCTIONNELLE AVEC DES ORGANISMES ET INSTANCES
EXTÉRIEURS À L’ÉCOLE : participation aux travaux de différentes commissions et
réunions de concertation où sont étudiés des cas et des situations d’élèves. Commissions
de l’éducation spéciale.

III. ACTIVITÉS D’ÉTUDES ET DE FORMATION


Participation à des études concernant les différents aspects du fonctionnement des
écoles dans leur environnement, les aspects psychologiques, pédagogiques et didac-
tiques, les composantes psychologiques et psychosociologiques de l’action éducative.

47
Chemins faisant : quand l’école et la psychologie se rencontrent

Participation à des actions de formation initiale et continue des enseignants dans


les domaines spécifiques relevant de leurs compétences. »

La formation des psychologues scolaires


Le programme officiel de la formation en psychologie scolaire est
ainsi présenté (arrêté du 16 janvier 1991) :
Enseignements théoriques et pratiques : 300 heures
1) Psychologie cognitive et sociale des apprentissages
2) Développement sociocognitif et socioaffectif de l’enfant
3) Fonctionnements cognitifs, sociocognitifs et affectifs en situation
4) Théories et méthodes de l’évaluation : le bilan psychologique, le groupe
classe, le fonctionnement institutionnel
5) Intégration scolaire
6) Psychologie des handicapés
7) Psychopathologie de l’enfant, de l’adolescent, de l’adulte (problèmes
spécifiques de l’enseignant)
8) Psychologie et sociologie des relations, des groupes et des institutions
9) Ergonomie scolaire et chronopsychologie
10) Déontologie
La formation comprend également :
– des stages : 240 heures ;
– la réalisation d’un travail d’étude et de recherche : au moins 160 heures.

Les réseaux d’aides spécialisées aux enfants en difficulté (Rased)


Une circulaire ministérielle du 30 avril 2002 confirme et précise
les textes de 1990, inscrivant l’action du psychologue scolaire dans le cadre
du Rased et indiquant par exemple que le psychologue scolaire intervient
par le biais du suivi psychologique : il « organise des entretiens avec les
enfants en vue de favoriser l’émergence du désir d’apprendre et de
s’investir dans la scolarité, le dépassement de la dévalorisation de soi née
de difficultés persistantes ou d’échecs antérieurs. […] Il peut aussi
proposer des entretiens au maître ou aux parents pour faciliter la
recherche des conduites et des comportements éducatifs les mieux ajustés
en fonction des problèmes constatés ».
C’est dans la même circulaire que l’on trouve une définition des « obli-
gations de service » du psychologue scolaire :
Dans sa semaine de travail, ce dernier consacre « 3 heures aux acti-
vités de coordination et de synthèse » avec les autres membres du Rased ;

48
La psychologie dans l’institution scolaire, aujourd’hui

il consacre 24 autres heures « aux actions de prévention, aux examens


cliniques ou psychométriques, aux entretiens avec les familles et les ensei-
gnants, aux suivis psychologiques, aux réunions de coordination et de
synthèse internes à l’école ou avec les services extérieurs, aux réunions
des commissions d’éducation spéciale, aux actions d’intégration, à la parti-
cipation à des réunions institutionnelles, aux activités d’étude et de forma-
tion ». Enfin, « le dépouillement des tests et leur interprétation, l’analyse
des entretiens, la rédaction des comptes-rendus, les courriers, la prépa-
ration des réunions, l’information personnelle sont effectués en dehors
de ce temps de service. »

La psychologie scolaire mise en questions


L’organisation que nous venons ainsi de détailler fait apparaître de
sérieuses limites pour un fonctionnement optimal. Voyons quelques-uns
de ces points.

• Le nombre de psychologues scolaires et leur recrutement


Très difficile à établir – le ministère lui-même reste très discret sur une
éventuelle évaluation des effectifs globaux des psychologues scolaires –,
cet effectif (si l’on compte environ 3 500 psychologues scolaires en France
– avec près de 250 postes non pourvus2 – et si l’on compare ce nombre
à la population scolaire de l’école primaire – plus de 5 millions d’enfants
scolarisés –, le nombre moyen d’élèves par psychologue tourne autour de
1 450) est très insuffisant par rapport aux besoins estimés par l’institution
scolaire elle-même et de nombreux postes ne sont pas pourvus, ou le sont
parfois par des personnels « faisant fonction » sans avoir bénéficié d’une
formation ou d’une qualification. Cette situation tient à plusieurs facteurs :
– Les emplois de psychologues scolaires – nous l’avons vu ci-dessus –
sont, de fait, des emplois d’instituteurs (ou de professeurs des écoles) ;
aussi, la création d’un poste de psychologue scolaire est à prévoir, par les
autorités académiques – en l’espèce par les inspecteurs d’académie, direc-
teurs des services départementaux de l’éducation –, sur le total des postes
budgétaires d’instituteurs (ou de professeurs des écoles) mis à leur dispo-
sition par le rectorat et le ministère. La part des emplois de psychologues
scolaires créés – ou maintenus, en cas de départ à la retraite du titulaire

2. Source : Association française des psychologues scolaires, rentrée scolaire 2003-2004. Le


ministère ne communique pas ces effectifs.

49
Chemins faisant : quand l’école et la psychologie se rencontrent

d’un poste – par les autorités académiques dépend d’un « équilibre » perçu
ou atteint par ces dernières, en fonction de paramètres, de contraintes
et de pressions de diverses natures.
– Les emplois de psychologues scolaires ne sont accessibles qu’à des
instituteurs (ou professeurs d’école) ayant exercé leurs fonctions au moins
trois ans et titulaires d’une licence de psychologie. Or, l’exemple des pays
étrangers fait apparaître que cette condition – avoir déjà exercé comme
enseignant – est plutôt une particularité française : quel est donc l’apport
réel de cette expérience d’ancien enseignant pour l’exercice de la fonc-
tion de psychologue scolaire ?
– Une autre interrogation tient à la comparaison entre le niveau de
formation requis pour exercer la psychologie dans le système éducatif –
une licence de psychologie, plus une année de formation spécifique – et
le niveau exigé pour l’exercice de la psychologie dans les autres secteurs
(autres ministères, autres institutions, exercice en libéral, par exemple) :
les « autres » psychologues formés en France – tous ceux donc qui n’exer-
cent pas dans l’Éducation nationale (école primaire) – effectuent actuel-
lement leur année de formation professionnelle au terme, non pas de la
licence de psychologie, mais d’une licence et d’une maîtrise de psycho-
logie, c’est-à-dire une année de plus que les psychologues scolaires3. Cette
exigence de formation universitaire de psychologues en cinq années, et
ce n’est pas là le moindre des paradoxes de la situation présente, est
formulée par… le ministère de l’Éducation nationale lui-même ! Pourquoi
le même ministère, qui exige que les psychologues qu’il forme – dans les
universités – aient au moins cinq ans de formation, recrute-t-il ses propres
psychologues à un niveau moindre de formation4 ?
– Enfin, cette double condition au recrutement de psychologues
scolaires se révèle, dans les faits, une contrainte impossible à tenir : le
nombre des enseignants de l’école primaire titulaires d’une licence de
psychologie a singulièrement diminué depuis la création des IUFM – des
« quotas » ont alors été établis, sous la forme de points accordés aux candi-
dats en fonction de la filière universitaire suivie jusqu’à la licence, pour
le recrutement des étudiants admis en première année d’IUFM ; les

3. Dans le cadre des réformes des études universitaires actuelles (LMD) conduites pour des
motifs d’harmonisation européenne, le niveau « maîtrise » est dissocié du niveau « licence »
pour entrer dans l’entité « Master » dont il forme la première année.
4. Le débat sur la situation des psychologues en Europe fait apparaître que la durée de
formation des psychologues dans d’autres pays est de six ans – la sixième année étant alors
parfois organisée sous la responsabilité des organisations professionnelles de psychologues.

50
La psychologie dans l’institution scolaire, aujourd’hui

étudiants titulaires d’une licence de psychologie sont parmi ceux qui, dans
ces critères, ont le nombre de points le plus faible – de sorte que le
« vivier » d’instituteurs ou de professeurs d’école titulaires de la licence
de psychologie (et donc susceptibles d’occuper des postes de psychologues
scolaires) s’assèche dangereusement dans la plupart des départements.
Aussi bien, des inspections académiques en viennent-elles à nommer
sur des postes de psychologues scolaires devenus vacants du fait de la
pénurie de personnels qualifiés remplissant les conditions institutionnel-
lement exigées, des instituteurs ou professeurs d’école titulaires d’un
diplôme de psychologie (licence, maîtrise, DESS5 ou DEA6 professionna-
lisant), sans leur assurer de formation spécifique, contribuant ainsi à
accroître la confusion et les contradictions.

• La formation des psychologues scolaires


Les textes définissant la formation des psychologues scolaires se présen-
tent comme des listes de tâches ou de domaines : l’organisation générale
du travail de ces psychologues au sein de l’institution scolaire n’est pas
définie selon une perspective de pratique professionnelle et de référence
à un corps de principes et de doctrine.

• Les fonctions des psychologues scolaires


Les autorités de l’Éducation nationale évoquent assez régulièrement la
question de la psychologie à l’école7 en exprimant leur insatisfaction face
à la situation, mais sans parvenir à définir une vraie politique et des orien-
tations quant à ses demandes – par exemple entre intégrer et orienter
les élèves en grande difficulté. Aussi bien les « missions » pour les psycho-
logues scolaires, rappelées ci-dessus, dépendent-elles fortement, sur le
terrain réel des pratiques, des priorités de tel ou tel inspecteur de circons-
cription ou d’académie et des compétences des personnes occupant les
postes de psychologues scolaires. Ainsi, le temps à prévoir pour le « suivi »
psychologique prévu par les textes ministériels est fréquemment difficile
à dégager, tant l’importance de l’examen psychologique et de sa restitu-

5. Diplôme d’études supérieures spécialisées (niveau baccalauréat plus cinq années). Ce


diplôme est progressivement remplacé par le Master professionnel.
6. Diplôme d’études approfondies (niveau baccalauréat plus cinq années). Ce diplôme est
progressivement remplacé par le Master recherche.
7. Le projet de décentralisation du gouvernement Raffarin prévoyait que les conseillers
d’orientation psychologues feraient partie des personnels de l’Éducation nationale trans-
férés aux régions.

51
Chemins faisant : quand l’école et la psychologie se rencontrent

tion en termes de possibilités intellectuelles semble prégnante. De même,


la participation à l’organisation, le fonctionnement et la vie des écoles
demeurent-ils le plus souvent des vœux pieux8.
Les psychologues scolaires sont de plus en plus sollicités pour inter-
venir à propos des « enfants précoces », par rapport auxquels l’institution
scolaire, au quotidien, se révèle peu adaptée, mais aussi – et l’évolution
sociale marque ici fortement sa pression – les psychologues scolaires sont
ceux à qui l’institution tend à confier – et sans doute sont-ils en effet les
plus à même d’intervenir sur ces questions – le soin de l’accueil et de
l’accompagnement des personnes lors de situations de crise : mort d’un
élève ou d’un enseignant, parfois sur le lieu scolaire, situations de violence
physique ou sexuelle, par exemple.
Ainsi assiste-t-on à un accroissement des demandes, dans un contexte
où l’état actuel d’insuffisance très marquée du nombre de psychologues
scolaires rend plus que problématique la capacité de réponse.

• Le statut des psychologues scolaires


Alors que l’institution scolaire – depuis plus d’un demi-siècle… – a
choisi de développer une fonction, donc une profession, de psychologue
en son sein même, elle se comporte comme si elle ne voulait pas recon-
naître que les personnels auxquels elle confie ces fonctions sont, tout
simplement, des psychologues. Elle rémunère ces personnels sur les bases
des règles et des cadres mêmes régissant la rémunération et la progres-
sion de carrière des instituteurs et professeurs d’école ; sur les bulletins
de salaire des psychologues scolaires, leur profession est ainsi indiquée :
« enseignant spécialisé ». Ceci semble d’autant plus paradoxal que le texte
sur les missions du psychologue scolaire, cité ci-dessus, précise, de manière
on ne peut plus explicite, que « le psychologue choisit ses outils et ses
démarches, compte tenu des règles en usage dans l’exercice de sa profes-
sion » (souligné par nous).

8. Nous ne disposons pas d’enquête systématique sur l’investissement des différentes missions
par les psychologues scolaires ; nous pouvons seulement nous référer à notre expérience au
centre de formation des psychologues scolaires de Lyon : lorsque nous avons demandé à
deux promotions de stagiaires en formation de développer une réflexion sur ces deux
dernières missions, dans le cadre de leur rapport de stage et en appui sur ce qu’ils obser-
vent auprès de leur maître de stage (toujours un psychologue scolaire), nous avons eu cet
écho massif : « Nos maîtres de stage ne se sentent pas vraiment concernés par cette mission. »
La consultation des thèmes sur lesquels publient des psychologues scolaires n’infirme pas
ce constat.

52
La psychologie dans l’institution scolaire, aujourd’hui

Parallèlement, les psychologues se sont vus reconnaître, en 1985, le


titre de psychologue, avec des conditions précises d’accès et de d’attri-
bution. En 1993, un décret du 27 mars indique que les titulaires du DEPS
(diplôme d’État de psychologie scolaire) ne peuvent faire usage du titre
de psychologue qu’assorti du qualificatif « scolaire » ; ce décret est ensuite
annulé par décision du Conseil d’État, en date du 22 février 1995.
Quel est donc le sens de cette ambiguïté de l’institution scolaire face
à ses psychologues ? Pourquoi et comment se fait-il que les gouvernants
ne parviennent pas à construire un corps professionnel de psychologues
travaillant auprès de l’institution scolaire, reconnu et doté de moyens
adaptés à ses missions ?

La psychologie et la formation des enseignants

Les enseignants de psychologie


La formation des enseignants de l’école primaire a longtemps été
assurée au sein des écoles normales d’instituteurs : la formation en psycho-
logie y était assurée par des professeurs de philosophie, formation déclinée
sous le terme de « psychopédagogie ». Avec la mise en place des IUFM,
de nouveaux recrutements sont intervenus, de manière complémentaire
à ces professeurs de psychopédagogie, sur la base des modalités de recru-
tement propres à l’université : emplois de maîtres de conférence ou de
professeurs d’université, comme y invitait la vocation « universitaire » des
nouvelles structures9.
Pour ce qui concerne les postes fléchés en psychologie dans ce nouveau
cadre, l’examen des profils de poste parus dans les Bulletins officiels de
l’Éducation nationale fait apparaître des intitulés de « Psychologie sociale »,
de « Psychologie clinique », de « Psychologie cognitive », par exemple. La
particularité de ces nouveaux postes par rapport à l’ancienne formule des
postes de professorat de philosophie est à la fois que ces personnels ont
suivi une formation effective en psychologie (au moins au niveau du
doctorat) et que leur carrière se déroule selon les critères universitaires,
c’est-à-dire en fonction notamment des travaux scientifiques.
Il n’est pas possible de savoir, sur la base des informations disponibles,
combien de ces universitaires ont par ailleurs le titre de psychologue,

9. C’est donc le recrutement de chercheurs qui est ici valorisé ; les profils de poste publiés
évoquent fréquemment le fait qu’une « expérience en formation des maîtres est souhaitée ».

53
Chemins faisant : quand l’école et la psychologie se rencontrent

combien ont exercé comme psychologues et dans quels secteurs, combien


se sont formés antérieurement aux questions d’apprentissage.

La formation en psychologie
Pour ce qui concerne le temps de formation en psychologie des
futurs professeurs d’école, formés donc en IUFM, il varie selon les IUFM
et leur plan de formation. D’autre part, les deux années d’IUFM ne sont
guère comparables et il n’est pas très pertinent de cumuler, pour les
mêmes futurs professeurs d’école, la formation reçue en première et celle
reçue en deuxième année : c’est que la première année est principale-
ment centrée sur la réussite au concours de recrutement10, curieusement
situé en fin de première année… et que les stagiaires de première année
d’IUFM ne réussissent pas tous le concours11, alors que la formation profes-
sionnelle n’intervient qu’en deuxième année d’IUFM12. Pour bien saisir
la place et la nature de la formation en psychologie dans les plans de
formation, il faudrait à la fois disposer des plans de formation de tous
les IUFM, identifier sous les libellés proposés l’intervention réelle d’ensei-
gnants qualifiés en psychologie et croiser ces informations avec le tableau
de service de ces derniers13. Si la psychologie apparaît parfois de manière

10. Comme l’indique le site de l’IUFM de Grenoble, par exemple, la première année d’IUFM
« est essentiellement consacrée à la préparation externe du concours de recrutement choisi
par l’étudiant » ; au cours de la deuxième année, les « lauréats des concours externes de
recrutement » sont « nommés professeurs stagiaires, ils reçoivent une formation qui met
l’accent sur l’acquisition des compétences nécessaires à l’exercice du métier d’enseignant ».
11. Ils ne le réussissent pas toujours, de plus, dans le centre IUFM où ils ont effectué leur
première année.
12. Ainsi, la durée réelle de formation professionnelle des professeurs d’école est-elle d’une
année : cette durée peut sembler bien courte – comparativement au temps de formation
professionnelle de bien d’autres métiers –, s’agissant de professionnels en contact durable
avec de jeunes enfants, un contact dont on sait l’importance pour tout le développement
de l’enfant.
13. Pour prendre un exemple, toujours celui de l’IUFM de Grenoble : son plan de formation
pour les années 2003-2006 a été adopté par le conseil d’administration de l’IUFM le 18 décembre
2002 ; il prévoit, pour les stagiaires d’IUFM de première année, au sein de la formation Sciences
humaines et sociales, un enseignement « Connaître le développement de l’enfant » de 42 heures
(14 heures de psychologie clinique et 28 de psychologie cognitive), et l’on compte encore 14
heures de psychologie du groupe classe au sein de l’enseignement « Organiser et gérer un
groupe classe ». Pour les professeurs des écoles (en deuxième année d’IUFM) des modules de
la formation commune et obligatoire sont déclinés selon quatre grandes rubriques (« Enseigner

54
La psychologie dans l’institution scolaire, aujourd’hui

explicite dans les intitulés, en particulier en première année d’IUFM, les


interventions assurées par les professionnels de la psychologie figurent
assez souvent comme une partie de module, confortant ainsi la référence
implicite à une manière de « psychopédagogie », alors que des formations
à la relation sont parfois explicitement assurées par des psychologues,
généralement cliniciens.
Au total, les informations disponibles font état d’une insuffisante prépa-
ration aux dimensions psychologiques du métier d’enseignant14, alors même
que l’influence des discours « psy » s’accroît dans nos sociétés et que l’« offre
de formation » adressée par les diverses approches psychologiques semble
abondante15 ; une autre caractéristique de la situation est la différencia-
tion marquée entre les courants de la psychologie actuelle (notamment la
distinction « psychologie cognitive »/« psychologie clinique »).

Le lien avec la psychologie scolaire


Du fait du faible nombre d’heures consacrées à la psychologie en
deuxième année d’IUFM, l’année de formation professionnelle donc, on
peut penser, comme l’indiquent les informations qui nous viennent des
psychologues scolaires eux-mêmes, que l’information sur la collaboration
avec les psychologues scolaires semble beaucoup varier d’un IUFM à
l’autre (certains psychologues scolaires sont invités à présenter leur travail
à l’IUFM) et reste au plan de l’information générale.

la langue française » ; « Enseigner les mathématiques » ; « Organiser et gérer la classe et


connaître l’école et ses valeurs » ; « Enseigner toutes les disciplines de l’école primaire dans
le cadre d’une formation à la polyvalence »). À leur tour, ces rubriques se subdivisent, par
exemple en un module « Aspects cognitifs de l’apprentissage du français (10 heures
maximum) » ou « Aspects cognitifs de l’apprentissage des mathématiques (10 heures
maximum) », dans lesquels nous pouvons supposer qu’intervient un enseignant de psycho-
logie cognitive. Les autres intitulés ne font pas apparaître d’intervention explicitement réfé-
rencée à une approche psychologique. La durée totale de la formation est de 535 heures à
l’IUFM, à quoi s’ajoutent 300 heures de stage. Par ailleurs, l’aspect « Connaissance de l’enfant
et de l’adolescent » est signalé comme faisant partie « de la culture commune à tout ensei-
gnant, ou CPE (conseiller principal d’éducation) ».
14. « Les jeunes professeurs des écoles […] partent en stage dans des classes difficiles avec
des cours soigneusement préparés et ça ne marche pas ! Ils ne connaissent pas les straté-
gies pour amener les enfants à l’apprentissage », notait D. Luciani, psychologue clinicienne
et formatrice à l’IUFM de Paris, dans le Monde de l’Éducation de mars 2003, p. 22.
15. Le numéro du Monde de l’Éducation de mars 2003 traite ainsi, sur près de 20 pages, de
« l’école sur le divan » (titre du dossier), alors que la page de couverture annonce « Psy.
L’école sous influence ».

55
CHAPITRE 4

L’École au risque de sa marge.


Quelle place pour les élèves
en grande difficulté ?

Alain Nesme

« Tout ce qui expurge sa part maudite signe sa propre mort. »


Jean Baudrillard (La Transparence du Mal)

L e travail d’équipe, au sein des Rased1 et avec les maîtres des classes,
est l’un des axes forts de la pratique psychologique dans les écoles élémen-
taires et maternelles, qui s’avère crucial dans l’abord des situations
d’enfants en grandes difficultés scolaires (élèves en « difficultés durables »,
pour reprendre l’expression en usage dans les textes officiels, cf. circu-
laire du 30 avril 2002). Nous nous demanderons ici si ce type de travail
ne pourrait pas apparaître comme un véritable « analyseur2 » du « malaise
scolaire », entendu comme le ressenti de l’écart entre les missions et les
idéaux de l’institution et ce qui est perçu par ses utilisateurs (enfants et
parents) et par ses agents (enseignants notamment), à propos tout parti-
culièrement des situations de ces enfants en grandes difficultés scolaires.

1. Le Rased (Réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté) est un dispositif regrou-
pant trois types de personnels : psychologues scolaires, maîtres « E » (enseignants spécialisés
dans l’aide « à dominante pédagogique ») et rééducateurs (ou maîtres « G », enseignants
spécialisés dans l’aide « à dominante rééducative »). Les lettres « E » et « G », couramment
usitées dans l’institution, correspondent aux codes des options de formation.
2. LOURAU R. : L’Analyse institutionnelle. Paris, éditions de Minuit, 1963.

57
Chemins faisant : quand l’école et la psychologie se rencontrent

Le malaise de l’institution scolaire


Il nous faut tout d’abord revenir sur ce malaise, pour en mieux
saisir les origines et les manifestations, afin ensuite de nous interroger
sur quoi l’on pourrait agir, en tant que psychologue.
On est d’abord tenté de penser que ce malaise découle de certaines
entraves que rencontre l’école dans l’accomplissement de sa « tâche
primaire » (éduquer, instruire, former). Cette première idée trouve une
traduction dans la question suivante : pourquoi l’école n’y arrive-t-elle pas
avec certains enfants ? Je propose de réfléchir à la réponse suivante : parce
qu’elle n’est pas faite pour ça…3 Cette formulation présente l’avantage de
pointer l’extrême difficulté qu’éprouve l’école à concilier les deux missions
qu’elle se donne : 1°/ transmettre à tous les connaissances (savoirs et savoir-
faire) considérées comme nécessaires à la bonne marche du pays (logique
normative), 2°/ donner à chacun la possibilité d’apprendre et de se
former, quelles que soient ses caractéristiques propres (cognitives, cultu-
relles, sociales, relationnelles), ce qui implique que chacun puisse
construire ses savoirs à son propre rythme (logique intégrative). Le
conflit résultant de la confrontation entre ces deux logiques, difficilement
compatibles sans revoir en profondeur l’organisation de la vie scolaire,
produit un véritable blocage institutionnel, et partant, une difficulté
centrale à penser l’échec scolaire.
Ainsi caractérisé, le malaise scolaire – malaise de l’institution – présente
une homologie intéressante avec la situation de l’élève en grande diffi-
culté : tous deux – l’institution et l’enfant – sont confrontés à une exigence
de changement qui se heurte à quelque chose de l’ordre du blocage et
de l’impensable…

Hypothèses de base
Je ferai l’hypothèse que l’école, tout comme l’enfant, est confrontée
à une dimension d’impensable dans son rapport à l’échec scolaire, et que
ce non-pensé, ce non-mentalisé (portant sur une dimension cruciale de
son expérience), l’assaille et la ronge, littéralement, du dedans. Des consi-
dérations d’ordre épistémologique sont ici indispensables. À la différence
de l’éducateur ou du pédagogue, dont l’objet est foncièrement « positif »
(c’est-à-dire qu’ils utilisent la part de vie psychique disponible pour l’exer-

3. Au sens de « pas organisée pour ça… », car c’est bien la mission qu’elle se donne (autre
sens de « faite pour ça… »).

58
L’École au risque de sa marge. Quelle place pour les élèves en grande difficulté ?

cice d’une pensée rationnelle), l’originalité de la position du psychologue


qui se réfère à la psychanalyse tient à la particularité de son objet qui
porte la marque du « négatif4 » ; ce « négatif » étant la part de vie
psychique prohibée, dépourvue d’inscription reconnue dans un système
donné, exclue de toute mise en forme socialement cadrée et partagée –
y compris au niveau de la microsociété que constitue le monde interne
de tout individu (et a fortiori de tout groupe d’individus)…
Le psychologue, investi de la mission délicate de faire évoluer l’insti-
tution (cf. circulaire du 10 avril 1990), ne s’attaquera pas frontalement à
ce blocage, il cherchera plutôt à mettre en place les conditions permet-
tant de le penser… Ce qui suppose de savoir de quoi est fait ce « conflit ».
Par hypothèse, il n’est pas directement accessible (il suffirait sinon d’expli-
quer…). Il faut en chercher la trace derrière des formations psychiques
« intermédiaires » telles que le rêve ou le symptôme, seules voies de déga-
gement possible pour cette réalité psychique en souffrance.
Le rêve, en tant que production psychique individuelle, se prête diffi-
cilement à l’analyse groupale. De plus, le psychologue scolaire ne dispose
pas du cadre (interne et externe) qui permettrait de conduire, à partir
de matériaux aussi intimes, une telle analyse. Le « symptôme », par contre,
qui se décline aussi bien sous ses deux formes, individuelle et institu-
tionnelle, se prête à une telle analyse. J’en proposerai deux exemples,
tout à fait caractéristiques, selon moi, du malaise scolaire en question :
– le premier est le rôle phare donné au psychologue dans le travail d’orien-
tation scolaire, c’est-à-dire, en pratique, une orientation, soit en vue de
sortir l’enfant du système ordinaire (l’orientation scolaire au sens propre
du terme), soit pour le diriger vers des dispositifs de soins extérieurs, en
vue de le remettre sur pied scolairement. À tel point qu’il (le psycho-
logue) apparaît souvent (dans les discours, sinon dans les faits) comme
le maître d’œuvre de cette démarche. Ce serait la figure du psychologue-
orienteur ;
– le second réside dans une défiance tenace à l’égard du psychologue
scolaire (ainsi que de certains de ses collègues du Rased), fréquemment
soupçonné de faire de la « thérapie » à l’école. Ce serait la figure du
psychologue-thérapeute.

4. GUILLAUMIN J. : Entre blessure et cicatrice. Le destin du négatif dans la psychanalyse.


Champ Vallon, Seyssel, 1987.
Et GUILLAUMIN J. : « Pédagogie ou/et psychanalyse ? » in Le Journal du SPEN, sept.-oct.
1992.

59
Chemins faisant : quand l’école et la psychologie se rencontrent

Plusieurs raisons attestent du caractère « symptomatique » de ces deux


formations psychiques5 :
– l’une et l’autre évoquent la dimension du conflit, ou à tout le moins
une tension très localisée (condensée, focalisée sur le dispositif d’aides
spécialisées : évacuer, soigner/ne pas soigner). On peut faire l’hypothèse
que le Rased est ainsi chargé de traiter des tensions qui affecteraient,
sinon, plus largement l’institution ;
– cette gestion des tensions, par procuration, permet d’évacuer sur un
« tiers » (sur la figure équivoque – aimée-haïe – du « psychologue-orien-
teur ») la culpabilité liée au travail d’orientation (scolaire) ; de son côté,
la figure du « psychologue-thérapeute » dissimule à peine le désir qui s’y
cache : qu’on guérisse enfin tous ces enfants ! Ce qui serait une autre
façon de régler le problème de l’échec scolaire (en caressant le rêve de
sa possible éradication) ;
– si elles sont bien portées et véhiculées par des individus, ces repré-
sentations n’opèrent qu’en vertu de leur dimension groupale (en
fonction de ce qu’elles valent pour l’ensemble) ; c’est pourquoi on peut
parler de symptômes « institutionnels » ;
– le rôle déterminant qu’elles jouent dans l’équilibre des champs de
force au sein de « l’appareil psychique institutionnel6 » ressort de ce qui
précède. En effet, concilier logique normative et logique intégrative peut
s’obtenir de deux façons très différentes. Soit en prenant en compte la
réalité, c’est-à-dire en réorganisant la vie scolaire afin d’y faire une place
à part entière (narcissiquement acceptable…, ce qui, de fait, est rarement
possible dans l’école telle que nous la connaissons) aux élèves en grandes
difficultés. Soit en construisant une illusion : en tentant de se persuader
que l’échec est bien soluble dans le Rased ou dans le psychologique…
Les figures du « psychologue-thérapeute » et du « psychologue-orienteur »
(« fossoyeur des ratés » du thérapeute) contribuent à tenir solidement
cette illusion et à lier, par là même, des énergies qui se déchargeraient,
sinon, sait-on où ? et comment ?…

5. « Formations psychiques » : issues du blocage institutionnel signalé ci-dessus, c’est en tant


qu’éléments de la vie psychique de l’institution (dotée de ses propres lois de fonctionne-
ment, tel le refoulement cité plus loin, cf. note 7) que ces deux figures sont ici saisies et
proposées à l’étude ; on pourrait bien sûr faire d’autres découpes : sociologique, écono-
mique, etc.
6. KAËS R. : « Introduction à l’analyse transitionnelle » in Crise, rupture et dépassement. Paris,
Bordas, 1979, pp. 1-81.

60
L’École au risque de sa marge. Quelle place pour les élèves en grande difficulté ?

Ce qui nous ramène à la question de départ : comment intervenir dans


cette problématique en tant que psychologues, membres des Rased ? Je
proposerai la réponse suivante, en trois temps :
1) En acceptant, du fait de l’impossibilité de penser une position tierce,
la place qui nous est faite dans le symptôme : celle d’une instance appelée
avant tout à s’occuper de l’enfant, soit pour le « réparer », soit pour orga-
niser sa sortie du système. Cette stratégie répond, autrement dit, à la
nécessité institutionnelle d’éviter tout contact trop brûlant entre logique
normative et logique intégrative, deux courants de pensée inconciliables
dans ce système de référence (sauf sous la forme « intégrer = réparer »).
2) En occupant cette place de manière suffisamment lucide et distanciée,
afin de maintenir ouverte cette question gênante et d’opérer progressi-
vement un rapprochement entre ces deux courants de pensée antago-
nistes. Ce qui suppose, concrètement, de promouvoir une idée
« iconoclaste » : considérer « l’échec7 » comme une composante normale
de la vie scolaire…
3) En offrant un « conteneur8 » pour les tensions qui en résultent, et
notamment pour la culpabilité qui détermine, selon l’hypothèse que je
défendrai, ce véritable tabou institutionnel. Compte tenu de la nature –
groupale – et de l’importance de la tâche, cette dernière gagnera gran-
dement à être pensée dans le cadre d’un travail d’équipe.

La figure du « tiers » étant un opérateur central de cette démarche,


c’est par le sort qu’on a cru devoir lui réserver dans l’institution que
j’amorcerai le développement de mes hypothèses.

La question du tiers
Suivons l’exemple de Maurice Reuchlin9 et demandons-nous :
l’adjectif « scolaire », accolé au substantif « psychologue », désigne-t-il une
méthode spécifique, autrement dit une façon « scolaire » d’être psycho-

7. Défini, de manière toute normative, comme l’impossibilité d’atteindre un certain niveau


de connaissances à un âge donné.
8. KAËS R., op. cit.
9. « Il est difficile de ne pas évoquer, en introduisant un exposé sur les méthodes de la
psychologie, le problème des rapports d’une méthode avec l’objet (ou la classe d’objets, le
domaine) auquel on l’applique. Il suffit en effet d’examiner les adjectifs par lesquels on a
coutume de spécifier des psychologies pour constater que plusieurs de ces objectifs parais-
sent désigner à la fois une méthode et un domaine. » REUCHLIN M. : Les Méthodes en
psychologie. Paris, PUF, 1973, p. 5.

61
Chemins faisant : quand l’école et la psychologie se rencontrent

logue (comme il y aurait une façon « médicale », « ergonomique », « carcé-


rale » de l’être, bref un gauchissement morcelant du métier en fonction
du lieu où il s’exerce) ; ou désigne-t-il un domaine – l’école, l’hôpital,
l’entreprise, la prison… – où peuvent s’exercer les compétences du psycho-
logue dans une conception unifiée de la profession ?
Le Conseil d’État a tranché ce nœud gordien en affirmant que « le
pouvoir réglementaire [ne peut] légalement imposer aux titulaires du diplôme
d’État de psychologie scolaire de ne faire usage du titre de psychologue
qu’assorti du qualificatif “scolaire” » (arrêté du 22 février 1995). Ce faisant,
que dit cette juridiction suprême, garante des droits et des libertés fonda-
mentales ? En substance, qu’il y a une limite au désir de maîtrise d’une
institution sur une profession dont elle compte s’octroyer les services. Si
l’École veut des psychologues, il faut qu’elle en paie le prix symbolique :
en reconnaissant la spécificité de cette profession, en acceptant que quelque
chose la sépare – dans son objet comme dans ses méthodes – de celle
d’enseignant, de pédagogue, d’éducateur. En réglant cette question au plan
administratif, le Conseil d’État permet d’en ouvrir une autre au plan théo-
rico-pratique : celle des enjeux dynamiques liés à l’exercice de la psycho-
logie en milieu scolaire, car c’est la possibilité même d’un positionnement
« tiers » dans l’institution, et des effets structurants qu’on peut en attendre,
qui se dessine derrière cet arrêté du 22 février 1995.
Ainsi, tout en travaillant pour l’École et pour ses usagers, le psycho-
logue scolaire n’inscrit-il pas directement ses objectifs dans l’axe de la
tâche primaire de l’institution (éduquer, instruire, former). Sa fonction
s’articule autour d’une autre visée que je reformulerai ainsi (interpréta-
tion de la circulaire du 10 avril 1990) : faciliter, avec ses outils et ses
démarches propres, l’accomplissement de la tâche primaire de l’institution.
Cette idée se décline sur deux plans à la fois connexes et distincts, qui
s’interpénètrent constamment sur le terrain, de manière plus ou moins
heureuse.
Le premier est celui de l’approche individuelle (inter-relationnelle) des
faits psychiques qui se manifestent – de façon décadrée, problématique
– dans le champ scolaire : troubles sévères des apprentissages ou du
comportement, inhibition, agitation extrême, conflits parents-ensei-
gnants, etc. L’expression « faits psychiques » peut surprendre, tant le travail
de liaison mentale fait défaut, au départ, dans la plupart de ces situa-
tions critiques. Mais c’est bien la fonction du psychologue que de révéler
ce « manque à penser » et d’en faire quelque chose afin d’en réduire les
effets les plus toxiques, pour le confort des uns et des autres dans l’insti-
tution.

62
L’École au risque de sa marge. Quelle place pour les élèves en grande difficulté ?

Le second plan, celui de l’approche groupale (« institutionnelle10 »),


comprend et déborde le précédent dans une relation typique d’« emboî-
tement11 ». La mission princeps du psychologue scolaire, telle que je
propose de la reformuler (« faciliter l’accomplissement de la tâche
primaire de l’institution »), est ici beaucoup plus délicate à approcher. Il
faut d’abord s’entendre sur le sens des mots (« faciliter l’accomplisse-
ment… ») rapportés aux processus groupaux. Certains clichés ont la vie
dure : l’image du psychologue scolaire est – encore aujourd’hui – trop
souvent réduite à la lucarne étroite de l’orientation. Le fait est symp-
tomatique : il correspond, certes, à une demande du terrain, mais il
s’harmonise mal avec le discours officiel (cf. circulaire n° 90-083,
« Missions des psychologues scolaires »), de même qu’avec la réalité du
terrain où le travail de prévention, en maints endroits, l’emporte large-
ment sur celui d’orientation.

Le symptôme du psychologue-orienteur
Il faut essayer de comprendre ce qui se cache sous ce terme (car
si « orienter », au sens de délester l’école de ses éléments les plus gênants,
est bien une façon de « faciliter l’accomplissement de la tâche primaire de
l’institution », ce n’est évidemment pas de cette oreille que l’éthique incite
à l’entendre).
Je propose d’entendre le « malaise scolaire » comme le résultat d’un
conflit : tiraillée entre son idéal intégratif et sa mission normative, l’École
souffre du rapport qu’elle entretient avec sa propre « marge » : ce flot
grossissant d’enfants n’ayant pas construit, bien souvent, les repérages les
plus élémentaires. Cette véritable fracture scolaire, et l’incapacité d’y faire
face, alimentent un sentiment de culpabilité dont il faut absolument se
protéger, ne serait-ce que pour survivre professionnellement…
Or, il n’existe que deux façons de « se protéger » psychiquement : soit en
élaborant – donc en transformant – la réalité conflictuelle, soit en la refou-
lant. L’institution semble avoir fait le second choix et celui-ci la déporte

10. Ce qui différencie un symptôme institutionnel d’un symptôme banal, personnel, c’est,
d’une part, le fait qu’il soit produit et entretenu par toute une collectivité d’individus
(rassemblés autour d’une tâche commune) et, d’autre part, le rôle déterminant qu’il joue
dans l’homéostasie psychique de cette collectivité.
11. GUILLAUMIN J. : « Pour une méthodologie générale des recherches sur les crises », op.
cit.

63
Chemins faisant : quand l’école et la psychologie se rencontrent

inexorablement vers la voie symptomatique12. Nous avons trouvé un


exemple des figures inquiétantes qui hantent cette voie au travers de la
thématique de l’orientation scolaire et de la difficulté certaine à lui donner
un statut positif (une pratique « abandonnée » au psychologue, dans un
mouvement qui s’apparente fort à de l’évitement). D’où l’hypothèse
suivante : ce travail d’orientation, comme relégué dans une espèce d’angle
mort de l’institution, ne serait-il pas voué au statut obscur des actes prohibés,
inavouables ? Tout porte à le croire en tout cas, et à en inférer une autre
réalité sous-jacente : le désir – iconoclaste dans une école « intégrative » –
de régler ainsi le problème insoluble des grands écarts à la norme.

Le symptôme du psychologue-thérapeute
Cette première modalité symptomatique, centrée sur le personnage
du psychologue dans sa fonction « orientatrice », n’est heureusement pas
la seule : sinon elle laisserait peu de place à une possibilité de reprise élabo-
rative du conflit. Un autre biais s’offre à l’institution pour tenter de
contourner ce conflit : la recherche tous azimuts de solutions « réparatrices » :
pour éradiquer le mal plutôt que d’écarter l’enfant lui-même. Cette tenta-
tive ne s’appuie plus seulement sur le psychologue, mais sur tous les
membres du Rased susceptibles de répondre à cet appel. Elle génère des
difficultés qui peuvent passer inaperçues, dans la mesure où elles n’affec-
tent que la structure d’aides spécialisées : conflits de compétences, problème
de la prise de décision dans une équipe non hiérarchisée, etc.
Ce mouvement peut aussi prendre la forme d’un fantasme très prégnant
dans l’institution : le soupçon de dérives transgressives – faire de la
thérapie à l’école ! – auxquelles se livreraient sans vergogne les gens des
Rased… Ces supposées « dérives », vertement stigmatisées13, m’amènent
à proposer cette autre hypothèse : faute de pouvoir penser les problèmes
que lui pose l’élève en grande difficulté, l’école en est réduite à ne perce-
voir les situations d’inadaptation sévère que comme une pure négativité.

12. « Le refoulement porte toujours sur une représentation intolérable et, de ce fait, rejetée
dans l’Inconscient, d’où elle continue à faire valoir son aspiration à être prise en compte.
À la différence de la voie élaborative, le refoulement n’est qu’un pis-aller, un compromis.
La motion réprimée n’a de cesse de se frayer un passage vers le conscient où elle n’accède
qu’au prix d’un déguisement – figure de déplacement – qui lui donne une aura d’étrangeté
toujours plus ou moins dérangeante, voire persécutoire. » (FREUD S. : Inhibition, symptôme
et angoisse. 1926 pour la 1re édition)
13. Voir entre autres : Gérard Chauveau (1982), Yvan Darrault-Harris (1993), Bernard Douet
(1988), Jean-Claude Guillemard (1982). Cf. bibliographie en fin de chapitre.

64
L’École au risque de sa marge. Quelle place pour les élèves en grande difficulté ?

Le travail sur le symptôme : questions de méthode


Chargé de concilier l’inconciliable, le symptôme est à la fois l’expres-
sion d’une tendance (« externaliser » les situations d’échec scolaire) et
d’une défense contre un tel désir (lequel contrevient à l’idéal intégratif
fondateur du modèle éducatif français). En tant que formation issue de
l’Inconscient, le symptôme est rebelle aux tentatives de mise au pas éduca-
tive. Pour accéder à son texte obscur, et tenter d’en déployer la trame,
mieux vaut se couler dans les paysages où il apparaît, c’est-à-dire y prendre
sa place et voir, à partir de là, comment il va être possible de se comporter.
Cette place, c’est celle du « tiers » : instance à la fois « contenante14 » et
susceptible d’élaborer suffisamment le conflit pour en restituer quelque
chose, sous une forme assimilable, à nos interlocuteurs.
Occuper cette place, tout en gardant une souplesse de manœuvre suffi-
sante, cela suppose de trouver un juste équilibre dans le jeu des alliances :
avec le pôle de la tendance (une alliance totale avec ce pôle reviendrait à
se glisser sans distanciation dans la peau du « psychologue-orienteur », au
risque de développer une pratique clivée du reste de la vie de l’institution)
et avec le pôle de la défense (se glisser au contraire de très mauvaise grâce
dans ce costume). Cet équilibre, qui implique des médiations multiples à
différents niveaux, repose sur un jeu complexe de la fonction « tierce ». Ce
jeu demande des aménagements intermédiaires – entre les deux modalités
d’alliances ci-dessus pointées – sous forme d’interventions diverses, qui le
rendent extrêmement difficile pour une personne seule. L’appui sur la
dimension groupale (sur le Rased tout entier) est ici indispensable.
C’est à une tentative de mise en forme de cette approche groupale que
la suite de ce travail sera consacrée. Trois parties organiseront ma
réflexion. La première (« le travail d’équipe élargi(e) ») sera consacrée à la
mise en place du cadre, c’est-à-dire à la présentation d’un modèle de
travail d’équipe approprié au traitement des situations « complexes » (ou
« à évolution lente », comme je propose de les désigner). Dans la deuxième
partie (« Le Rased comme figure d’entre-deux »), nous passerons du conte-
nant au contenu : nous essaierons d’y définir le rôle de chacun, y compris

14. « La propriété fondamentale du conteneur est de rendre possibles, tolérables et fruc-


tueuses les projections imaginaires. Il doit être apte à les recevoir, à les élaborer et à les
restituer le cas échéant. C’est l’un des objectifs de l’analyse intertransférentielle que d’assurer
cette fonction dans le travail psychanalytique groupal. Mais dans des situations plus quoti-
diennes, la fonction conteneur est assurée par quiconque accepte de recevoir activement, de
contenir et de transformer les dépôts et les projections du sujet en crise. » KAËS R. :
« Introduction à l’analyse transitionnelle », op. cit., p. 69.

65
Chemins faisant : quand l’école et la psychologie se rencontrent

celui du Rased pris dans sa globalité. La troisième partie (« La question


des liens dans l’institution ») sera consacrée au développement de l’hypo-
thèse qui en découle : le RASED, une « machine-limite » pour penser les
limites de l’institution ?…

Le travail d’équipe élargi(e)


L’expérience du terrain nous place devant cette réalité : certaines
actions d’aides spécialisées (E, G, PSY15) permettent à l’enfant de s’adapter
– peu ou prou, dans un délai raisonnable – aux exigences de la vie scolaire,
et d’autres non, soit que les difficultés apparaissent d’emblée trop impor-
tantes, soit qu’elles résistent à toutes les tentatives d’aides, au bout de
plusieurs années.
À ces deux types de situations problèmes, on n’oppose bien souvent
qu’une seule et unique réponse, en trois temps :
– entrée par l’une ou l’autre des deux options « E » ou « G » (plus rare-
ment le psychologue, quand on a le choix) ;
– passage à l’autre option (« G » ou « E ») au bout d’un an ou deux (si
des difficultés importantes persistent) ;
– recours au psychologue – un an ou deux après – pour une orientation
scolaire.
Si ce schéma – fondé sur le triplé : équipe restreinte (au duo ensei-
gnant + intervenant spécialisé), vision réparatrice des aides, cloisonne-
ment des interventions – peut convenir au traitement des situations « à
évolution rapide », il est par contre nettement moins adapté aux situa-
tions « à évolution lente ».
Dans cette seconde occurrence se pose, en effet, toute une série de
questions en cascade : comment pallier le risque d’atomisation ou de recon-
duction automatique des aides d’année en année, dans l’attente d’une
hypothétique remise à flot scolaire ? Ce qui déporte vers la question de
l’ajustement des moyens et des fins : ne faudrait-il pas poser clairement,
dès qu’elles apparaissent insuffisantes, voire inopérantes, les limites de
l’aide spécialisée ? Mais comment, dès lors, penser l’aide spécialisée sans
la coupler – côté classe – avec une pédagogie adaptée aux possibilités de
l’enfant ? Y compris – voire surtout – lorsqu’il s’agit d’un projet d’orien-
tation (qui laisse toujours, en raison d’un éventuel refus des parents ou
faute de place dans les structures spécialisées visées, en suspens la ques-

15. Rappel de la note 1 : option « E » : aide spécialisée à dominante pédagogique ; option


« G » : aide spécialisée à dominante rééducative.

66
L’École au risque de sa marge. Quelle place pour les élèves en grande difficulté ?

tion de son aboutissement) ? Ce qui suppose de s’entendre sur le sens de


ce travail d’orientation : solution proposée en désespoir de cause et du
coup plombée par un sentiment d’échec ? ou bien situation travaillée en
amont et intégrée dans le projet d’aide comme hypothèse de travail à
plus ou moins long terme ?
Autant de questions auxquelles le schéma de l’équipe « restreinte »
(réduite au duo enseignant + intervenant spécialisé) permet difficilement
de répondre. La notion d’équipe « élargie » se fonde, au contraire, sur
l’idée qu’une aide plus une aide, cela peut faire plus que deux aides, si
elles sont articulées (en prenant en compte la valeur ajoutée de la dyna-
mique groupale en tant que telle). Aussi l’expression est-elle à prendre
dans les deux sens : d’équipe élargie et de travail élargi.

La notion d’équipe élargie


Il faut d’abord entendre cette idée dans son sens quantitatif.
L’équipe élargie, c’est effectivement, d’abord, plus de gens : au duo de
base, enseignant + maître « E » ou « G », s’ajoute le psychologue dès que
la situation s’avère être « à évolution lente ». Une composante essentielle
de ces situations est leur dimension problématique, au sens de généra-
trices de tensions : tensions entre l’enseignant et l’intervenant spécialisé
(nécessité de s’entendre sur le sens de certaines actions), entre les inter-
venants spécialisés eux-mêmes (choix de l’entrée face à une symptoma-
tologie souvent multiforme), entre les professionnels et les parents… Le
passage d’un schéma duel à une forme triangulée des échanges procure
une meilleure souplesse dans la gestion de ces tensions inévitables. Le
Rased, en tant qu’équipe différenciée, se prête bien à ce genre de
démarche qui revient à introduire dans le jeu – non plus seulement entre
l’enfant et l’adulte, mais entre les adultes eux-mêmes – l’opérateur symbo-
lique du « tiers » ; chacun incarnant pour les autres cette fonction d’inter-
position pacificatrice.

La notion de travail élargi


D’un travail d’équipe axé principalement sur une vision « répara-
trice » des aides (objectif de remise à flot scolaire), nous pouvons alors
glisser progressivement vers un modèle qui s’ordonne davantage autour
d’une notion d’aide à la tolérance et à la mise en sens d’un parcours
scolaire particulièrement difficile. Si elle n’est pas entièrement perdue de
vue, l’idée réparatrice cède le pas devant un impératif d’étayage – qui

67
Chemins faisant : quand l’école et la psychologie se rencontrent

s’inscrit forcément dans le temps – de l’enfant et des adultes qui gravi-


tent autour. Ce travail de « co-portage » est fondé sur l’échange, le débat
et l’articulation des différents apports.
Mais une simple variation du nombre de partenaires ne suffit pas pour
faire fonctionner ce modèle, il faut que chacun se sente articulé au projet
d’aide en tant qu’acteur à part entière. Ce qui suppose : 1°/ que le maître
de la classe soit activement associé à la réflexion et au partage des respon-
sabilités ; d’où l’importance qu’il participe pleinement aux différentes
étapes du projet (à commencer par le processus de prise de décision) ; 2°/
que chacun connaisse et reconnaisse la spécificité de chaque autre, et soit
habité par une conscience claire de ses propres limites ; 3°/ que la visée
adaptative à court terme ne soit plus l’unique horizon des actions d’aides
spécialisées (idée cruciale qui doit être suffisamment dégagée et assumée).
L’enseignant, dès lors, n’est plus un simple utilisateur du dispositif d’aides,
il en est un partenaire à part entière. Ceci devrait l’aider à relativiser ses
propres limites en les confrontant à celles de ses collègues spécialisés, et
à intégrer cette notion dans sa pratique.

Le Rased comme figure d’entre-deux


Revenons à nos deux lignes « symptomatologiques ». Si l’on perçoit
assez bien l’incidence de la thématique de l’orientation sur la façon de
penser notre cadre de travail (voir la question des « alliances » soulevée
plus haut), en quoi le fantasme de « dérives thérapeutiques » peut-il nous
renseigner sur la façon de construire nos réponses praticiennes ? Comment
accepter (en tant que psychologue) cette entrée par le symptôme de
l’enfant, qui soutient la demande – c’est-à-dire, de manière large, la
demande « réparatrice » – sans prêter le flan à ce soupçon de dérive trans-
gressive ? Pour le dire autrement : comment penser une pratique psycho-
logique à l’école, qui ne prête à confusion, ni avec l’éducatif, ni avec le
médico-psychologique ?
Je proposerai la réponse suivante : en référant à un cadrage psycho-
logique16 toutes les actions visant un étayage des liens interpersonnels
(qui passe nécessairement par l’écoute de l’intra-psychique…), et en réfé-

16. Référentiel psychologique : « La mission fondamentale du psychologue est de faire


reconnaître et respecter la personne dans sa dimension psychique » (Code de déontologie
des psychologues, article 3 ; cf. annexe en fin d’ouvrage). Nous l’entendons, pour notre part,
ainsi : un positionnement d’écoute, de contention et de mise en mots de la souffrance
psychique qui se donne à voir et à entendre dans un lieu donné.

68
L’École au risque de sa marge. Quelle place pour les élèves en grande difficulté ?

rant à un cadrage de type éducatif 17 toutes les actions visant à « réparer »


l’enfant (à l’adapter au système scolaire). En distinguant entre ces deux
logiques professionnelles (distinction fondée sur la reconnaissance d’une
profession tierce, dégagée des obligations de la tâche primaire de l’insti-
tution : éduquer, instruire, former), on s’achemine vers une acceptation
réelle, mais nullement résignée – puisqu’on s’efforce de les dépasser,
autrement… – des limites de l’éducatif. Et l’on évite de s’exposer au
risque de confusion ci-dessus évoqué. Dans une institution où les deman-
deurs d’aide psychologique sont rarement les sujets à qui elle s’adresse,
la coupure entre ces deux logiques apparaît, en effet, comme la seule
garantie qu’on puisse donner à ces derniers qu’une « incursion » dans
leur vie privée ne sera pas instrumentalisée à des fins dont ils ne seraient
pas partie prenante.
Ce n’est qu’à cette condition – de positionnement neutre quant aux
enjeux de renflouement scolaire – que le psychologue, selon moi, peut
se mettre à l’écoute des situations de grands désordres, internes et
externes, qu’on propose à son attention.
Celles-ci se présentent généralement sous deux formes symptomatiques :
troubles sévères de la cognition et troubles du comportement plus ou
moins bruyants. Maurice Berger18 dépasse cette classification empirique,
en distinguant deux grands types d’atteinte du lien psychique : troubles
de la symbolisation primaire (qui surviennent lorsque l’enfant a été investi
de manière pauvre ou chaotique, ne lui permettant pas de se construire
la représentation d’un « contenant ») et pathologie des premiers liens
objectaux (lorsque l’enfant est investi sur le mode du forçage). Dans les
deux cas, le résultat est le même : les processus d’apprentissage, qui repo-
sent sur le désir de s’approprier les choses activement, sont perturbés du
fait d’un brouillage entre l’effort provenant de soi et la présence (par
excès ou par défaut) de l’autre en soi, dont l’enfant est dans l’impossibi-
lité foncière de se déprendre.
Ces enfants souffrent donc toujours, à des degrés divers, d’une atteinte
de l’image de soi. Cette vision dévalorisée d’eux-mêmes, enracinée dans
l’histoire familiale et renforcée bien souvent par l’école, se traduit à un
niveau subjectif par un vécu de cassure dont ils doivent se défendre à

17. Référentiel éducatif : positionnement d’incitation à la culture : donner-redonner le goût


et la maîtrise d’un travail ordonné autour de la transmission et de l’acquisition des savoirs,
savoir-faire, savoir être…
18. BERGER M. : Les Troubles du développement cognitif. Toulouse, Privat, 1992.

69
Chemins faisant : quand l’école et la psychologie se rencontrent

tout prix, quitte à promouvoir une image négative d’eux-mêmes19 et à


l’investir comme pôle privilégié – quand il ne reste que ça – de référence
identitaire. C’est pourquoi ces symptômes invalidants s’accompagnent
presque toujours, de façon plus ou moins déclarée, du refus d’adhérer au
projet de l’école et des adultes, cet impossible accès à des identifications
positives, régulatrices des tensions internes, les privant d’une capacité de
jeu suffisante avec eux-mêmes et avec les autres.
Une autre caractéristique de ces situations est la difficulté d’orienter
ces enfants vers des prises en charge extérieures à l’école. Cette difficulté
tient à l’un des traits structuraux déterminants de l’univers psychique
(individuel et familial) qui est le leur. Si les parents ne comprennent pas
l’insistance avec laquelle nous les invitons parfois à consulter, c’est que
la cause des difficultés de leur enfant leur échappe. Et ceci, non seule-
ment parce que, à la différence d’une maladie somatique, cette cause
n’est pas « objectivable », mais parce que ces familles s’organisent toujours,
peu ou prou, sur un mode d’oblitération de la « fonction paternelle20 »,
obturant la possibilité même du recours à un tiers. Ce qui nous donne
une indication sur la marche à suivre pour les aider.
Le travail d’équipe, avec sa structure différenciée, sera, là encore, notre
meilleur allié : en réintroduisant « du tiers » (c’est-à-dire de la conflictua-
lité, bien tempérée…) dans l’entourage scolaire de ces enfants gravement
destructurés, nous les mettons en situation de pouvoir vivre, en quelque
sorte « du dehors », l’expérience d’une structure qui leur fait par trop
défaut « au-dedans »…
Mais les vertus structurantes de ce modèle ne sont pas données a priori,
elles tiennent à certaines conditions que nous regrouperons en trois
points21 :
1) La qualité de ce travail tient, d’abord, à (et sur) l’originalité de la
place de chacun : c’est l’assemblage de ces différentes places – la struc-
ture d’ensemble des actions menées – qui donne son sens et sa valeur au
projet d’aide. Ainsi, les actions « E » et « G » ne peuvent-elles se résumer
à une simple panoplie de remédiations fonctionnelles, à visée « répara-
trice », elles intègrent nécessairement une dimension plus large d’étayage

19. LÉVINE J. : « Le cadre du Balint Enseignants : sa symbolique, sa finalité face à des enfants
en non-adhésion et en peu de droit d’exister » in Psychologie et Éducation. N° 41, 2000,
pp. 59-80.
20. DOR J. : Le Père et sa fonction en psychanalyse. Ramonville Saint-Agne, Érès, 1998.
21. NESME A. : « École intégrative et échec scolaire. Les paradoxes d’une difficile cohabi-
tation » in Psychologie et Éducation. N° 39, 1999, pp. 17-33.

70
L’École au risque de sa marge. Quelle place pour les élèves en grande difficulté ?

psychologique. Mais ce travail a des limites au-delà desquelles l’interve-


nant spécialisé (maître « E » ou rééducateur) s’expose au risque d’une
omnipotence imaginaire très proche de celle que vivent, illusoirement,
ces enfants et leur famille, ce qui n’est pas le meilleur moyen pour les
amener à concevoir des solutions un peu plus élaborées. L’argument n’est
pas seulement d’ordre éthique, il occupe une place clé au plan tech-
nique en tant qu’il actualise, dans le fonctionnement même du dispositif
d’aide, la question cruciale de la castration22.
2) D’où la nécessité d’une répartition des tâches, sur la base d’une
distinction claire entre pratique éducative et pratique psychologique. Cette
césure permet de couper court aux risques d’un traitement psychique des
difficultés de l’enfant sur le lieu même de l’école, tout en maintenant
ouverte la question d’un tel soin psychique, sans la rabattre sur les enjeux
de la réalité externe, institutionnelle. Cela suppose, bien entendu, que le
psychologue soit prêt à investir cette place et qu’il y soit un minimum
reconnu et attendu. Et qu’il soit lui aussi soumis à la castration, c’est-à-
dire qu’il ne se sente pas investi à son tour d’une mission « curative ». Il
peut alors intervenir dans ce rôle spécifique d’étayage de la relation éduca-
tive, auprès des autres membres du Rased, auprès de l’enseignant deman-
deur de l’aide, et auprès des parents.
3) Ce modèle de travail a un domaine d’application très large, mais dans
la perspective où nous nous plaçons ici (la prise en charge des élèves en
grandes difficultés), il prend une inflexion particulière : sur la logique répa-
ratrice, sous-tendant l’approche traditionnelle des actions d’aides spéciali-
sées, s’en greffe une autre, davantage axée sur une pensée des limites en
tant que telles desdites actions. Nous sommes là, en effet, très près d’une
idée iconoclaste (le Rased comme dispositif voué à l’échec…), mais qui tire
son principe opératoire de cet aspect subversif lui-même, en montrant
comment renverser une situation d’échec chronique en son contraire :
l’accompagnement dynamique et structurant d’un parcours scolaire certes
difficile, mais nullement réductible à sa dimension d’échec, en tant qu’il
reste pris (investi) dans un projet d’ensemble, porté collectivement.

Ce qui nous amène à considérer le Rased – et le travail qui peut s’y


faire – sous un jour nouveau : l’équipe du Rased ne serait-elle pas ainsi
chargée de penser (si possible) et d’assumer (en tout cas) cette partie de
la vie psychique institutionnelle marquée d’un trou : l’impensable de

22. DOR J., op. cit.

71
Chemins faisant : quand l’école et la psychologie se rencontrent

l’échec scolaire ? Le Rased, une « machine-limite » pour penser les limites


de l’institution ?

La question des liens dans l’institution


Mais en quoi l’échec scolaire est-il « impensable » ? L’expression a
quelque chose d’étrange, car, à y regarder de près, on ne pense qu’à ça !…
Cette impossibilité s’enroule autour de deux verrous solidement articulés.
Le premier verrou est celui de la culpabilité, que je rattacherai à l’obli-
gation de « réussite23 » à laquelle les enseignants se sentent astreints par le
discours dominant (et par les textes officiels, notamment). Cette pression
morale a pour effet d’inscrire le débat dans une logique en tout ou rien :
ou bien l’enfant est en mesure de suivre à la vitesse requise (même cahin-
caha) et il a sa place dans le système ; ou bien il ne l’est pas, et il n’y a pas
de place instituante possible pour lui. Là s’enracine à mon sens l’impossi-
bilité d’articuler les deux finalités inscrites au fondement du système éducatif
français (course aux diplômes et démocratisation de l’accès aux savoirs).
On voit bien l’engrenage : plus cette pression volontariste (l’obligation de
réussite) est forte, plus elle alimente chez l’enseignant le sentiment d’être
pris en faute, et plus elle radicalise un mouvement d’occultation de ce qui
engendre cette culpabilité. D’où la tendance à « pathologiser » un échec
scolaire que rien n’arrive (et pour cause) à éradiquer. En rendant celui-ci
illicite, l’injonction de réussite lui confère une aura de faute dont il faut
bien attribuer la responsabilité à quelqu’un…
Cette hypothèse explique certaines démarches visant à délester l’école
du poids de cette culpabilité latente. Sous sa forme la plus extrême, cette
option déporte vers des pratiques d’aides spécialisées totalement clivées
du reste de la vie de l’institution : gestion purement administrative des
dossiers d’orientation (court-circuitage de tout dialogue approfondi avec
l’enfant et ses parents), segmentation et distribution aléatoire des aides
(en fonction de la disponibilité de tel ou tel intervenant), reconduction
automatique des suivis d’année en année…
Ce type d’approche s’inscrit dans une logique du « cloisonnement »,
caractérisée par l’absence d’articulation entre les différentes actions.
Fonctionnant au coup par coup, celles-ci sont dépourvues de la force de
liaison que leur procurerait un projet d’ensemble fédérateur. Prenons un
exemple fictif :

23. Définie, de manière toute normative, par l’obtention d’un certain niveau dans un temps
donné.

72
L’École au risque de sa marge. Quelle place pour les élèves en grande difficulté ?

Cas d’Isidore (premier scénario)


Isidore, élève de grande section de maternelle, présente un retard de
langage et des troubles de l’attention qui font craindre pour sa scola-
rité. Il a été suivi en rééducation au cours de la moyenne section et
le relais a été passé au maître « E », qui le voit en regroupement
d’adaptation, sans progrès notable. L’institutrice envisage un main-
tien en maternelle, mais les parents s’y opposent. Ils refusent de rencon-
trer le psychologue scolaire, qui apparaît à leurs yeux comme
l’instrument persécutoire d’un projet dont ils ne veulent pas. Ils s’adres-
sent, par le biais de leur médecin de famille, à une orthophoniste.
L’année suivante, Isidore passe au CP. La maîtresse, devant l’impor-
tance de ses difficultés, fait de nouveau appel au maître « E ». Ce
dernier hésite à intervenir, considérant qu’il y aurait autre chose à
faire (en termes d’aide psychologique notamment), mais, compte tenu
des pressions de l’enseignante, il accepte cette seconde année de suivi
d’adaptation. Parallèlement, la rééducation orthophonique s’est
engagée, à raison de deux séances hebdomadaires, compte tenu de
l’importance des troubles.
À la fin du CP, la lecture n’étant pas acquise, les parents accep-
tent qu’Isidore soit maintenu dans cette classe l’année suivante. Après
un début d’année scolaire plutôt rassurant (reprise à zéro du
programme de CP), l’inquiétude réapparaît dès la fin du premier
trimestre. On sollicite à nouveau le maître « E », ainsi que l’aide éduca-
teur, pour un soutien scolaire quotidien (travail syllabique intensif).
Pendant ce temps, l’orthophonie continue, sans amélioration notable
des troubles.
En raison de son âge, Isidore passe au CE1 l’année suivante, mais
il n’en a pas le niveau. Son instituteur se demande ce qu’on a fait
jusque-là… Sans savoir comment le dire, il pense à une orientation
scolaire. Dans l’urgence il demande l’aide du maître « E ». L’ortho-
phonie continue…

Arrêtons là cet exemple imaginaire (mais très proche d’une certaine


réalité). Ce qui fait le cloisonnement n’est pas tant la multiplicité des prises
en charge (qui peuvent se justifier) que l’absence d’articulation entre ces
différentes actions, basée sur une réflexion approfondie. Quant à la justi-
fication (inconsciente) d’une telle approche, elle s’explique par la volonté
de préserver l’enseignant d’une perception trop vive des limites de son
action : soit par un rapport trop cru à la souffrance qui en résulte (évite-
ment par le renvoi au « spécialiste »), soit par cet autre moyen de mise à

73
Chemins faisant : quand l’école et la psychologie se rencontrent

distance que constitue la projection dans l’autre des causes du « mal »


(l’échec répété de l’aide spécialisée confortant l’enseignant dans l’idée qu’il
n’y est pour rien). Ce qui témoigne bien d’une espèce d’acharnement de
l’école à ne pas vouloir prendre en compte sa propre implication dans
l’émergence du « phénomène » échec scolaire, comme si elle oubliait que
c’est elle qui fixe la règle du jeu et qu’elle dispose par-là d’une entrée
modulatrice possible pour traiter les difficultés qui en résultent…
Mais il faudrait pour cela affronter le second verrou : à savoir, une
résistance extrême à considérer l’« échec » comme une composante
normale de la vie scolaire. Seule la reconnaissance (et l’acceptation) de
cette idée – qui repose sur un raisonnement simple : tout système normatif
produit de l’écart à la norme – pourrait donner une assise à une poli-
tique intégrative digne de ce nom – c’est-à-dire qui traite vraiment, de
manière interne, cet écart à la norme. Rien ne sert, évidemment, de
brandir cette idée comme un étendard. Il faut lui trouver une traduction
dans nos montages pratiques, c’est-à-dire dans la construction de nos
modèles d’intervention.
Essayons de préfigurer cette autre approche en reprenant l’exemple
d’Isidore.

Cas d’Isidore (second scénario)


Compte tenu de l’insuffisance de l’aide rééducative mise en place en
moyenne section, décision est prise de réunir l’équipe éducative24 dès
le premier trimestre de l’année de grande section. Les parents y sont
invités, ainsi que l’orthophoniste, s’ils – et si elle, ou lui – le souhai-
tent. Ils sont informés de l’objectif de cette réunion : élaborer un projet
d’aide pensé dans une optique partenariale. Une rencontre préalable
avec le psychologue leur est proposée, sans insister outre mesure.
Cette réunion a une importance capitale. Elle vise, explicitement,
à s’entendre sur le projet d’aide et, implicitement, à établir une rela-
tion positive avec les parents (que chacun des partenaires aura rencon-
trés préalablement). On fixe les objectifs à court et à moyen terme, et
on jette les bases d’une suite en fonction des résultats obtenus. Cette
procédure est réactivée « à la carte », d’année en année.

24. L’équipe éducative est composée des différents partenaires institutionnels (directeur,
enseignant, membres du Rased, médecin scolaire), ainsi que des parents et de tout parte-
naire extérieur que ces derniers souhaiteraient inviter. L’intérêt de cette réunion tient au
travail qu’elle suppose en amont, sans lequel elle risque de faire figure de coquille vide
(voire d’objet persécutoire pour les parents).

74
L’École au risque de sa marge. Quelle place pour les élèves en grande difficulté ?

Au cours de cette première réunion, sentant les parents opposés à


un maintien en maternelle (mais il peut également se faire que, dans
ces conditions, ils en acceptent l’idée), on ne retient pas cette hypo-
thèse, tout en les avertissant que le CP risque d’être difficile. Ils font
connaissance avec la maîtresse (ou le maître) de CP qui, préventive-
ment, a été associé(e) à la réflexion.
Rendez-vous est pris vers la fin du premier trimestre de l’année
suivante (CP), pour une première évaluation… Se trouvent ainsi posées
les bases d’un dispositif souple, réactivable à la demande et pouvant
accepter toutes les modulations ; y compris, le cas échéant, un virage
vers un projet d’orientation (scolaire ou vers un service de soin).

Les conditions de travail sont alors bien différentes. Dans la première


version d’Isidore, nous avons vu que la question de l’orientation n’appa-
raissait que tardivement et de manière abrupte. Dans le second scénario,
elle peut être présentée – s’il paraît judicieux de le faire – précocement,
c’est-à-dire à distance d’une menace imminente de sa réalisation. Dans
ce contexte, le projet d’orientation – et a fortiori tout projet d’aide –
n’apparaît plus comme une démarche agressive, proposée en désespoir
de cause, mais comme la recherche d’une solution articulée à tout ce qui
peut (ou a pu) être mis en œuvre pour aider l’enfant, et pensée dans
le souci exclusif de ce dernier. Ce qui suppose que l’école soit prête à
jouer le jeu, c’est-à-dire à se passer d’une aide qui ne répondrait pas à
cette exigence. Cela passe par l’acceptation de l’idée que cette aide (quand
une aide peut être proposée…) ne puisse être, ni d’emblée, ni même à
moyen terme, résolutoire…
Ce qui amène à s’interroger sur la finalité des aides spécialisées
(Rased). Celles-ci correspondent toujours au départ, que cela soit dit
ou non (et quelle que soit l’aide envisagée), à un espoir de remise à
flot scolaire (adapter l’enfant à la norme). C’est la fonction en quelque
sorte « naturelle » du Rased, au point qu’on en oublie parfois de creuser
le sens de certaines demandes… Cette omission, qui ne porte pas à
conséquence lorsque la situation s’avère « à évolution rapide », devient
problématique dans les situations « à évolution lente », car elle
comporte alors le risque d’entretenir une illusion sur le sens de l’action
entreprise (qui serait plutôt ici à penser comme : adapter l’école à
l’enfant). Aussi importe-t-il, avant toute intervention, de s’entendre
avec l’enseignant sur la finalité de cette dernière, ce qui nécessite bien
souvent tout un travail d’élucidation et de négociation (et de gestion
des conflits…).

75
Chemins faisant : quand l’école et la psychologie se rencontrent

Cette entente indispensable se construit au cours du traitement de la


demande, préalable obligé de toute intervention un tant soit peu pensée.
Selon la place qu’on occupe dans le dispositif, la formulation des objec-
tifs de travail se pose de manière sensiblement différente. Les actions
d’adaptation et de rééducation, qui s’inscrivent généralement dans la durée,
gagneraient sans doute, au bout d’un certain temps, à être axées sur une
visée ainsi formulée : aider l’enfant à maintenir un lien avec sa scolarité,
à ne pas perdre tout contact avec sa propre vie mentale et intellectuelle.
Le programme des remédiations (adaptation et rééducation) devrait donc
s’adapter à cette visée, avec des objectifs et des durées de prise en charge
limités (quitte à remettre en place un autre projet, avec d’autres objec-
tifs, un peu plus tard ou l’année suivante, en fonction des possibilités),
cette inflexion permettant : 1) de signifier à l’enseignant les limites de l’aide
spécialisée, 2) et à l’enfant de faire une expérience symbolique à sa portée
(en fixant, pour lui, et avec lui, des objectifs qu’il peut maîtriser).
Le problème se pose un peu différemment pour le psychologue, en raison
de sa position de tiers institutionnel – dans son rapport à l’accomplisse-
ment de la tâche primaire de l’institution – qui opère une distance vis-à-
vis des enjeux directement adaptatifs. Ce qui n’empêche pas des demandes
parfois ambiguës (comme on a pu le voir avec les figures du « psychologue-
thérapeute » et du « psychologue-orienteur »)… Ce risque, toujours présent,
devrait nous inciter à être prudent dans la façon de cadrer nos interven-
tions, non pas parce que l’ambiguïté serait nocive a priori, mais, bien au
contraire, parce qu’elle véhicule toute une problématique reliée à la dimen-
sion symptomatique décrite dans les prémices de ce travail, et qu’il faut
savoir entendre pour en déployer toute la fécondité.
C’est pourquoi je proposerai d’observer quatre étapes – référées à un
« travail d’équipe élargie » lorsque la situation s’avère « à évolution lente »
– dans la construction de tout projet d’intervention :
1) L’analyse de la demande : temps crucial, non seulement parce qu’il
donne la possibilité de s’entendre avec l’enseignant sur les tenants et les
aboutissants de sa demande – et sur un projet d’intervention négocié en
réponse à cette demande –, mais parce qu’il permet de préparer la
deuxième étape, c’est-à-dire :
2) L’annonce du projet : qui doit être faite par l’enseignant, à l’enfant
et à ses parents, au cours d’un entretien personnalisé. La teneur de cet
entretien sera étroitement déterminée par la façon dont le travail aura
été conduit à l’étape précédente. Outre le fait qu’elle rend pratiquement
impossible une intervention qui ne serait pas solidement portée, aussi,
par l’enseignant (qui doit s’en faire le promoteur auprès des parents), elle

76
L’École au risque de sa marge. Quelle place pour les élèves en grande difficulté ?

permet d’être au plus près d’une formulation acceptable et porteuse de


sens pour ces derniers.
3) La prise de rendez-vous : au cours de l’étape précédente, l’enseignant
aura invité les parents à nous25 contacter (par téléphone de préférence).
Cette clause, sur laquelle il faut savoir tenir bon, apparaît comme la clé
de voûte de tout l’édifice. Outre le fait qu’elle permet de s’assurer de la
qualité des liens noués entre l’enseignant et les parents, elle met ces
derniers en position d’assumer la démarche d’aide. Elle donne la possi-
bilité d’un premier échange informel avec celui des parents qui appelle,
échange au cours duquel les conditions de la rencontre peuvent être repré-
cisées. C’est également un temps où de nombreux éléments peuvent être
recueillis : atmosphère familiale, place laissée à celui qui n’appelle pas,
confidences lâchées dans cet entre-deux d’une rencontre qui n’en est pas
encore vraiment une, etc.
4) La mise en œuvre et le suivi (évaluation) de l’aide : la mise en
œuvre relève de la compétence de la personne qui intervient auprès de
l’enfant ; quant au suivi d’évaluation (synthèses intermédiaires et termi-
nale), il gagnera lui aussi à être placé dans le cadre d’un « travail d’équipe
élargie », afin de pouvoir bénéficier des effets dynamiques attendus de la
structure « triangulaire » qui le caractérise (structure fondée sur une diffé-
renciation des postures professionnelles entre : maître de la classe, maître
d’adaptation et/ou rééducateur(trice) et psychologue).
L’observation de ces différentes étapes permet d’asseoir l’intervention
sur un « contrat » d’une tout autre portée symbolique que celle fournie
par une simple autorisation écrite, en replaçant celui-ci dans un réseau
d’échanges langagiers qui témoigne à l’enfant (et à ses parents) qu’il n’est
pas livré à la toute-puissance aveugle des procédures administratives. Élar-
gies à la vie tout entière de l’institution, ces dispositions préfigurent une
certaine ouverture au dialogue, à la reconnaissance des difficultés et à
l’acceptation des différences, dès lors qu’elles s’inscrivent dans un lien
social bien tempéré.
En invitant les parents à prendre contact avec nous, nous les replaçons
en position de sujets, c’est-à-dire de pouvoir reprendre à leur propre compte
la demande d’aide initiée par l’école. En demandant à l’enseignant
d’assumer pleinement son rôle d’intermédiaire, nous l’incitons du même
coup à affronter les tensions, générées par la situation d’échec scolaire,
qui se cristallisent sur ces temps de rencontre. En cas de besoin, nous

25. Cette étape concerne plus particulièrement le psychologue mais sans souci aucun d’exclu-
sive.

77
Chemins faisant : quand l’école et la psychologie se rencontrent

(maîtres d’adaptation, rééducateurs, psychologues) l’aidons à s’y préparer,


le but étant de dégager et d’élaborer – suffisamment – ces tensions, qui
risquent sinon de parasiter le travail pédagogique, voire de causer des
dégâts plus ou moins réversibles dans les relations à différents niveaux.
Bref, nous approchons d’une expérience par laquelle nous signifions,
à l’enfant, que nous ne sommes pas prêts à faire flèche de tout bois pour
l’adapter, et à l’enseignant, la nécessité de reconnaître les limites de
l’action éducative. Nous travaillons, ainsi, à un assouplissement des posi-
tions de blocage (cf. les deux « verrous ») soulignées plus haut : 1°/ en
restaurant (ou en instaurant) des modalités relationnelles qui permettent,
à la fois, de soutenir les équipes dans leur effort pour penser des solu-
tions internes, et d’atténuer la culpabilité liée à l’impossibilité de conduire
tous les enfants à la « réussite » (en donnant à cette culpabilité les moyens
de s’exprimer, de prendre forme dans un discours) ; 2°/ et en écornant
par-là même l’un des tabous majeurs de l’institution, qui est la difficulté
de percevoir l’« échec » comme une composante normale de la vie scolaire
(au sens d’inhérente au fonctionnement normal de l’école).

Un troublant miroir…
L’École, selon notre hypothèse de départ, butte sur une difficulté
centrale : « normative », par essence (produisant donc fatalement de l’écart
à la norme), elle se veut également « intégrative », par idéal ; ce qui devrait
logiquement l’amener à considérer l’« échec » comme une composante
« normale » de la vie scolaire…
Pour l’aider à intégrer cette donnée primordiale, il faut d’abord
comprendre pourquoi cette idée est aussi massivement repoussée. Une
première explication consiste à penser que si cette idée est aussi forte-
ment rejetée de l’école, c’est parce qu’elle révèlerait trop crûment l’inadé-
quation de l’outil à la tâche, et partant, l’obligation morale de travailler
autrement. Les bouleversements qu’impliquerait ce « travailler autrement »
justifieraient le maintien de cette position de rejet.
Comment aider l’École à sortir de cette impasse ? Deux réponses (qui
ne se valent pas) paraissent envisageables au demeurant. La première
consiste à conforter l’institution dans sa position de rejet à l’égard de cette
idée dérangeante (l’échec : une composante normale de la vie scolaire) :
en participant au « délestage » des élèves les plus en difficulté, nous contri-
buons au maintien d’un niveau de tension le plus bas possible. La seconde
réponse consiste, à l’inverse, à tenter de réduire cette position de rejet en
renforçant la capacité de l’école à faire face aux tensions inévitablement

78
L’École au risque de sa marge. Quelle place pour les élèves en grande difficulté ?

liées au problème de l’échec scolaire. Ce qui suppose tout un travail


d’étayage dont j’ai essayé de montrer les principales articulations.
Nous faisons un premier pas dans cette direction en proposant de
décrocher les actions du Rased d’une simple logique « réparatrice », le
but du travail étant de mettre en place une organisation dont les effets
structurants sont recherchés dans l’agencement particulier des liens qui
se tissent, avec l’enfant certes, mais davantage encore autour de l’enfant,
afin de le « porter » – psychiquement – dans un système d’échanges et
de relations où les conflits ne sont plus synonymes de rupture et de
risque d’abandon, mais de stimulant pour le travail de la pensée. Nous
retrouvons cette idée que l’enfant va pouvoir tirer profit d’une certaine
mise en « réseau » (latéralisation, triangulation) de tensions qui, faute
de trouver une issue plus favorable, n’ont d’autres choix que d’être main-
tenues sous cloche, et d’y faire les dégâts qu’on sait au plan intellectuel,
ou bien de s’épancher dans des troubles du comportement qui l’enfer-
ment, avec ses vis-à-vis, dans un cercle vicieux de souffrance mutuelle
dont rien de bon ne peut ressortir.
Deuxièmement, cette façon de travailler apparaît comme l’unique
moyen de concilier les actions d’aides spécialisées (et notamment l’orien-
tation scolaire) avec une éthique intégrative. Dans cette perspective, en
effet, ce qui mène à une sortie du système, ce n’est plus l’échec en tant
que tel, mais le traitement des déterminismes (individuels, sociaux, fami-
liaux) du processus de l’échec, quand un traitement peut être proposé…
Ce qui suppose que l’école joue le jeu de cette nouvelle donne, inscrite
en filigrane dans la loi d’orientation de juillet 1989. En tant que psycho-
logues travaillant pour cette École « intégrative », notre attention est tout
entière tournée vers ce préalable, c’est-à-dire vers la nécessité de recon-
naître et d’accepter l’« échec » comme une réalité avec laquelle il faut
composer. Non pas pour proposer des solutions (pédagogiques, organi-
sationnelles) à la place de ceux dont c’est le travail, mais pour les aider
à supporter les tensions qui en résultent.
Ce travail, enfin, est évidemment à double entrée : en aidant l’enfant
à retrouver du sens dans sa trajectoire scolaire, nous aidons du même
coup l’école à aller de l’avant dans la voie de sa propre réforme. En déve-
loppant les niveaux d’échanges entre les différents protagonistes, en
instaurant le dialogue en lieu et place du non-dit, en promouvant une
structure communicationnelle faisant une place au tiers, nous travaillons
dans le sens d’un assouplissement du rapport à la loi – cf. le peu de liberté
que leur surmoi professionnel laisse aux enseignants pour tenter des expé-
riences nouvelles –, qui ne dédouane personne de la part de responsabi-

79
Chemins faisant : quand l’école et la psychologie se rencontrent

lité qu’il lui revient d’assumer dans le projet d’aide. Les effets structu-
rants de ce modèle ne dépendant, en fin de compte, que de la manière
dont il est « habité » par ceux qui sont chargés de le faire vivre (membres
des RASED, équipes enseignantes), il est difficile d’entrer dans ce travail
sans être persuadé de l’importance de la dimension langagière qui en
constitue à la fois l’armature sous-jacente et le souffle vital. En contri-
buant à maintenir ouvert un espace d’échange et de parole, dans cette
École qui marque de son empreinte plus ou moins délébile toute enfance,
le psychologue occupe à l’évidence une place cruciale.
Cette place, on le sait, est frappée du sceau de l’ambiguïté (l’Éduca-
tion nationale reste la seule grande administration à ne pas accorder aux
psychologues qu’elle emploie un statut conforme aux fonctions qu’elle
leur demande d’assumer). Tout le monde est prêt à considérer l’élève en
grande difficulté comme un enfant qui ne sait pas (ou qui ne sait plus)
où il en est dans son désir d’apprendre et de grandir. D’où une banali-
sation galopante du recours à la nébuleuse « psy » (qui alimente, on l’a
vu, le fantasme du « psychologue-thérapeute »). Mais il est beaucoup plus
difficile de reconnaître qu’à l’image de cet élève qui lui pose tant de
problèmes, l’École elle-même ne sait pas (ne sait plus ?) où elle en est par
rapport au désir qui la fonde et qui la porte vers l’avenir (vers son propre
« grandir ») : simple lieu de reproduction sociale ? ou véritable creuset
républicain (dont personne, par définition, ne peut-être écarté) ?
D’où cette question fondamentale, qui rejoint l’une des hypothèses de
départ : l’école saura-t-elle se reconnaître dans le miroir troublant que lui
tend, avec beaucoup de persévérance, sa propre « marge » ?

Bibliographie
BERGER M. : Les Troubles du développement cognitif. Toulouse, Privat, 1992.
CHAUVEAU G. : « Des psychologies scolaires » in Psychologie scolaire, bulletin de
l’Association française des psychologues scolaires. N° 42, 1982, pp. 25-37.
DARRAULT-HARRIS Y. : « Du GAPP au réseau d’aides (Rased) », conférence au
CDDP de Foix, journée organisée par l’Association des rééducateurs de l’Éduca-
tion nationale (AREN de l’Ariège), 14 avril 1993.
DOR J. : Le Père et sa fonction en psychanalyse. Ramonville Saint-Agne, Érès, 1998.
DOUET B. : « La Psychologie scolaire aujourd’hui », conférence aux XXes journées
de psychologie scolaire de Grenoble, octobre 1988 (texte polycopié).
FREUD S. : Inhibition, symptôme et angoisse. Paris, PUF, 1978 (1926 pour la
1re édition).
GUILLAUMIN J. : « Pour une méthodologie générale des recherches sur les crises »
in Crise, rupture et dépassement. Paris, Bordas, 1979, pp. 220-254.

80
L’École au risque de sa marge. Quelle place pour les élèves en grande difficulté ?

– Entre blessure et cicatrice. Le destin du négatif dans la psychanalyse. Champ


Vallon, Seyssel, 1987.
– « Pédagogie ou/et psychanalyse ? » in Le Journal du SPEN, sept.-oct. 1992.
GUILLEMARD J.-C. : « Les psychologues scolaires et l’école : réflexion sur l’inser-
tion institutionnelle » in Psychologie scolaire, bulletin de l’Association française
des psychologues scolaires. N° 42, 1982, pp. 18-24.
KAËS R. : « Introduction à l’analyse transitionnelle » in Crise, rupture et dépasse-
ment. Paris, Bordas, 1979, pp. 1-81.
LÉVINE J. : « Le cadre du Balint Enseignants : sa symbolique, sa finalité face à des
enfants en non-adhésion et en peu de droit d’exister » in Psychologie et Éduca-
tion. N° 41, 2000, pp. 59-80.
LOURAU R. : L’Analyse institutionnelle. Paris, éditions de Minuit, 1963.
NESME A. : « École intégrative et échec scolaire. Les paradoxes d’une difficile
cohabitation » in Psychologie et Éducation. N° 39, 1999, pp. 17-33.
REUCHLIN M. : Les Méthodes en psychologie. Paris, PUF, 1973.

Autres ouvrages et documents consultés


ATTALI J. : « Le devoir de désobéir ». Article paru dans L’Express, n° 2630, semaine
du 26 novembre au 5 décembre 2001.
BAUDELOT C. et ESTABLET R. : L’École capitaliste en France. Paris, Maspero,
1971.
CASTELLANI G.-A. : Les Cycles scolaires à l’école primaire. Paris, Albin Michel,
1993.
CODE DE DÉONTOLOGIE DES PSYCHOLOGUES (mars 1996). Cf. annexe.
DEBRAY R. : L’Examen psychologique de l’enfant à la période de latence (6-12 ans).
Paris, Dunod, 2000.
DOLLE J.-M. et BELLANO D. : Ces enfants qui n’apprennent pas. Paris, Centurion,
1989.
DOLTO F. et MUEL A. : L’Éveil de l’esprit. Paris, Aubier Montaigne, 1977.
DURIF-VAREMBONT J.-P. : « L’enfant, la loi, l’écriture » in Soins et traitements
des enfants névrotiques. Journée d’étude du 16 novembre 1985, CMPP de Givors,
pp. 57-70.
ÉON J. : « L’école et le psychologue » in Le Journal du SPEN. Numéro spécial, 1991,
pp. 1-26.
FOUCAMBERT J. : L’École de Jules Ferry, un mythe qui a la vie dure. Paris, Retz,
1986.
GIRARD A. : L’Impensable scolaire. DESS de Psychologie clinique, Université
Lumière-Lyon-2, Institut de Psychologie, 2001.
GUILLAUMIN J. : « Pensée psychanalytique et pensée médicale » in Entrevues n° 13
(Bulletin du Groupe de recherches psychiatriques, hôpital Saint-Jean-de-Dieu),
juin 1987, pp. 11-22.
LA MONNERAYE (de) Y. : La Parole rééducatrice. Toulouse, Privat, 1991.

81
Chemins faisant : quand l’école et la psychologie se rencontrent

LE MONDE DE L’ÉDUCATION : La Guerre des missions, le débat qui divise l’école.


Octobre 2000.
NESME A. : « Des aides spécialisées à l’aide psychologique en milieu scolaire » in
Psychologie et Éducation. N° 34, 1998, pp. 49-65.
ROUSSILLON R. : « Espaces et pratiques institutionnelles. Le débarras et l’inter-
stice » in L’institution et les institutions. Études psychanalytiques. Paris, Dunod,
1988, pp. 157-178.
VASSE D. : Un parmi d’autres. Paris, Le Seuil, 1978.
VILLIN M. et LESAGE P. : La Galerie des maîtres d’école et des instituteurs, 1820-
1945. Paris, Plon, 1987.
WINNICOTT D.W. : « La préoccupation maternelle primaire » in De la pédiatrie
à la psychanalyse. Paris, Payot, 1969, pp. 168-174.
– Jeu et réalité. Paris, Gallimard, 1975.

Sources administratives
25 juillet 1985, loi sur le titre de psychologue.
10 juillet 1989, loi d’orientation sur l’éducation, Journal officiel du 14 juillet 1989.
9 avril 1990, circulaire n° 90-082 : « Mise en place et organisation des réseaux
d’aides spécialisées aux élèves en difficulté », BOEN du 19 avril 1990.
10 avril 1990, circulaire n° 90-083 : « Missions des psychologues scolaires »,
BOEN du 19 avril 1990.
Décret n° 90-788 du 6 septembre 1990, BO n° 39 du 25 octobre 1990 (à propos
des réunions d’équipe éducative, cf. article 21).
Décret n° 93-536 du 27 mars 1993 (article V : Les titulaires du diplôme d’État
de psychologie scolaire ne peuvent faire usage du titre de psychologue qu’assorti
du qualificatif « scolaire »).
22 février 1995, décision du Conseil d’État annulant la mesure contenue dans
l’article V du décret n° 93-536 du 27 mars 1993.
30 avril 2002, circulaire n° 2002-113 : « Adaptation et intégration scolaires – Les
dispositifs de l’adaptation et de l’intégration scolaires dans le premier degré »,
BOEN du 9 mai 2002.

Sigles et abréviations
AFPS : Association française des psychologues scolaires.
AREN : Association des rééducateurs de l’Éducation nationale.
BOEN : Bulletin officiel de l’Éducation nationale.
CCPE : Commission de circonscription préélémentaire et élémentaire.
DEPS : diplôme d’État de psychologie scolaire.
GAPP : groupe d’aide psychopédagogique.
RASED : réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté.
SPEN : syndicat des psychologues de l’Éducation nationale.

82
CONCLUSION

Une rencontre…
et des problèmes non résolus

Jean-Marie Besse

P ar le texte de Jean Simon, nous entrons dans l’état d’esprit et compre-


nons les ambitions des premiers psychologues scolaires, avec la mise en
évidence de l’influence déterminante d’Henri Wallon, tandis que le texte
de Gérard Chauveau dégage le rôle majeur de René Zazzo. Ainsi s’est
donc nouée la rencontre entre le milieu de l’enseignement primaire fran-
çais et la pratique de la psychologie scolaire en son sein.
D’une contribution et d’une époque à l’autre, nous avons observé le
poids toujours plus important, dans les tâches de la psychologie scolaire,
du travail concernant les élèves en difficulté, et deux chapitres sur les
quatre de cette première partie en traitent explicitement (Gérard
Chauveau et Alain Nesme).

Les évolutions récentes de la psychologie scolaire, telles qu’elles sont


évoquées dans les textes de Jean-Marie Besse et d’Alain Nesme, tranchent
avec les ambitions premières ; nous avons montré ci-dessus l’influence du
contexte politique et social de l’époque des fondations de la psychologie
scolaire : une France de 1946-1947 encore marquée par les idéaux de la
Résistance et la présence active d’un certain « humanisme de gauche »
traduit dans ce qui fut appelé le « plan Langevin-Wallon ». Il faut ajouter
ce que nous apprennent les parcours des deux présidents successifs de la
Commission ministérielle d’étude de la réforme de l’enseignement, Paul
Langevin et Henri Wallon.
Paul Langevin, physicien reconnu et professeur au Collège de France,
était un scientifique convaincu de l’importance de la science et de ses
effets bénéfiques sur le devenir de l’humanité ; il était, par ailleurs, très
impliqué dans les mouvements pédagogiques attachés à transformer les

83
Chemins faisant : quand l’école et la psychologie se rencontrent

pratiques éducatives : il fut ainsi président du Groupe français d’Éduca-


tion nouvelle (GFEN).
De son côté, Henri Wallon, également professeur au Collège de France,
est connu pour son œuvre de psychologue de l’enfance et l’originalité de
son approche : il croisait les différentes approches sur l’enfant et cher-
chait pour cela à prendre en considération les dimensions affectives, cogni-
tives, sociales et biologiques. Sur les questions éducatives, il s’était lui
aussi engagé du côté de certains mouvements d’Éducation nouvelle, en
particulier en faveur du travail d’Ovide Decroly1, de même qu’il avait
milité au Groupe français d’Éducation nouvelle ; il devint président de la
Société française de Pédagogie2. En ce sens, il s’inscrivait dans la lignée
des psychologues de l’enfance qui ont œuvré pour améliorer ou
« changer » les pratiques pédagogiques et ont constamment appuyé leur
argumentation sur des références à la psychologie de l’enfant ; ainsi avait-
on vu Ovide Decroly, l’un des premiers chercheurs reconnus en psycho-
logie de l’enfant, créer lui-même une école pour mettre en application
la nouvelle éducation qu’il préconisait, puis Piaget collaborer au Bureau
international de l’Éducation de la Société des nations3.
Aussi semble-t-il possible de retenir de ces figures principales de la
réforme pédagogique d’après-guerre que furent Langevin et Wallon ces
deux orientations fondamentales de leur action commune :
– réformer l’enseignement dans un sens proche de « l’Éducation
nouvelle » ;
– introduire l’approche scientifique en pédagogie.

À la première orientation, nous pourrions rattacher ces propos de


Wallon, déjà cités, sur ce que doit être la mission principale des psycho-
logues scolaires : « au lieu de se consacrer à des problèmes de sélection,
le psychologue scolaire doit avoir pour objectif premier le développement
maximum des potentialités culturelles et éducatives de chacun4 », mais
aussi sa demande que les psychologues scolaires puissent répondre « aux
divers besoins de l’école » et « aux demandes des instituteurs ». Le plan
Langevin-Wallon évoquait, comme l’un des objectifs liés à l’intervention

1. BESSE J.-M. : Decroly, psychologue et éducateur. Toulouse, Privat, 1981.


2. Cf., entre autres contributions à ces questions, le chapitre « L’école », dans La Vie mentale
(1938). Ce texte a été réédité en 1982 aux Éditions sociales (préface d’Émile Jalley).
3. Les positions de Piaget sur l’éducation sont en particulier développées dans les textes
rassemblés dans PIAGET J. : Psychologie et Pédagogie. Paris, Denoël, 1969.
4. WALLON H. : « Pourquoi des psychologues scolaires » in Enfance. Vol. 5, 1952, p. 374.

84
Une recontre… et des problèmes non résolus

des psychologues scolaires, le fait de « pouvoir apprécier les conséquences


psychologiques des méthodes éducatives5 ».
Cette conception de la psychologie scolaire – que nous pourrions quali-
fier de « psychopédagogique » – conduit à insister sur la filiation entre
les deux professions d’enseignant et de psychologue, elle met l’accent
sur le projet d’une psychologie destinée à tous les élèves, une psycho-
logie qui aide à instaurer des conditions propices pour les apprentis-
sages ; l’intervention auprès des élèves en difficulté était loin d’être
pensée, par les promoteurs de la psychologie à l’école, comme devant
être la seule tâche des psychologues ! Pour René Zazzo, même, la plupart
des problèmes que pose l’écolier n’appartiennent pas à la psychiatrie, à
la défectologie, mais renvoient à la connaissance de l’enfant normal, à
la pédagogie, aux structures de l’école. Le témoignage de Jean Simon
indique toutefois que le travail du psychologue scolaire, dès la première
année de la mise en place de cette fonction, fut consacré pour une grande
part aux élèves en retard scolaire.
Intervenir, en tant que psychologue, dans l’école, c’était ainsi se situer
en collaboration avec les maîtres sur les questions d’enseignement
/ apprentissage, pour les aider à mieux prévenir les difficultés d’appren-
tissage, c’était aussi contribuer à l’adaptation des modalités d’enseigne-
ment, sur la base des travaux scientifiques en psychologie6 : aussi bien les
psychologues scolaires participent-ils activement, dès les années 1950, à
la recherche en psychologie.
Sans doute les textes actuels reprennent-ils en partie cette orienta-
tion, lorsqu’ils évoquent (circulaire du 10 avril 1990) l’apport du psycho-
logue scolaire à « l’élaboration du projet pédagogique de l’école et sa
réalisation » et sa contribution à « l’évolution de l’institution scolaire » ;
il semble toutefois que la première orientation que souhaitaient déve-
lopper les promoteurs de la psychologie scolaire n’intervient plus
aujourd’hui que de manière marginale dans les pratiques effectives des
psychologues scolaires.
Si nous élargissons la réflexion à la place de la psychologie dans la
formation des futurs enseignants, le bilan n’est guère différent. La
« psychopédagogie » enseignée par les philosophes ne semble pas conduire
à la transformation des pratiques éducatives. Il est encore trop tôt pour

5. Idem, p. 26.
6. Sur l’histoire de la psychologie scolaire en France, on peut consulter avec profit le numéro
de Psychologie et Éducation de septembre 1995, n° 22, consacré au cinquantenaire de la
psychologie scolaire.

85
Chemins faisant : quand l’école et la psychologie se rencontrent

observer si les chercheurs en psychologie recrutés depuis une décennie


infirment vraiment cette tendance ; mais l’institution scolaire semble
hésiter entre les modèles de formation à la psychologie : connaissance des
modalités d’apprentissage, travail sur la relation à ses propres affects,
travail sur les effets des positions sociales ?

La seconde orientation nous paraît traduite dans cette affirmation du


plan Langevin-Wallon, déjà citée, sur le « contrôle psychologique » qui
« répond à la nécessité de connaître l’enfant dans ses particularités indi-
viduelles aussi bien que dans son évolution psychologique7 », mais aussi
dans sa demande que les psychologues scolaires puissent « constituer une
documentation psychologique sur tous les écoliers » et « dépister les
retardés mentaux ».
La circulaire du 10 avril 1990 se centre uniquement sur la prévention
des difficultés scolaires, la conception, la mise en œuvre et l’évaluation
des mesures d’aide individuelles ou collectives au bénéfice des élèves en
difficulté et l’intégration de jeunes handicapés. Elle décline ensuite le seul
plan des actions en faveur des enfants en difficulté, pour lesquels elle
prévoit l’examen, l’observation et le suivi psychologiques des élèves. Ainsi
a été abandonnée – mais nous avons vu avec Jean Simon combien cet
objectif était, dès les débuts, difficile à maintenir – l’idée d’une « docu-
mentation psychologique sur tous les écoliers » et ainsi note-t-on le passage
du « dépistage des retardés mentaux » à l’intérêt porté aux « enfants en
difficulté », de même que l’attention accordée à « l’intégration de jeunes
handicapés ».
Quant au travail concret du psychologue scolaire d’aujourd’hui, le
« suivi psychologique » est une pratique très marginale pour la majorité
des psychologues scolaires, du fait notamment de la pression exercée par
les autres tâches, mais aussi, pour une part, du flou conceptuel et métho-
dologique de cette notion.

Pensées ensemble, ces deux orientations originelles réfractent une


conception très rationnelle, voire scientiste par certains côtés, de l’évolu-
tion des individus et du fonctionnement de l’institution scolaire. Cette
conception a trouvé, un temps, un relais en psychologie dans le courant
qui vise à la scientificité par la seule approche expérimentaliste, courant
qui a investi notamment la notion d’aptitude – l’orientation scolaire lui

7. WALLON H. : « Pourquoi des psychologues scolaires », op. cit., p. 26.

86
Une recontre… et des problèmes non résolus

doit beaucoup8 – et a proposé des méthodes – les tests – pour mesurer9


les diverses aptitudes. Le modèle du psychologue testeur, moins pertur-
bateur pour l’institution scolaire que celui du « psychopédagogue »,
pouvait donc devenir le modèle de référence, au moins implicite, qui
couvrait le déplacement du travail du psychologue scolaire de la totalité
des élèves aux seuls élèves en difficulté, ceux que Wallon appelait les
« enfants à problèmes ».
Or, il semble bien que ce soit le traitement institutionnel de ces enfants
à problèmes qui ait requis en priorité, au fil des années, l’intervention
des psychologues scolaires. D’une certaine façon, cet écart à la norme
d’une partie de la population scolaire, ce groupe nombreux qui ne cesse
de résister aux tentatives de rationalisation du système éducatif, est
présent dans l’institution scolaire depuis les lois de J. Ferry, au début des
années 1880 : déjà, Alfred Binet était intervenu, comme psychologue –
même si le titre et la fonction n’existaient pas alors, en 1905 – pour
étudier le problème posé par ceux qui ne parvenaient pas à suivre le
rythme des classes d’âge. Binet, outre la création méthodologique du test
d’âge mental qui devait par la suite porter son nom accolé à celui de son
collaborateur, Théodore Simon, avait montré le rôle de l’obligation
scolaire dans la mise en visibilité des différents types « d’anormaux », dont
ceux qu’il qualifiait « d’anormaux d’école ».
Cette résistance d’une partie de la population scolaire à « se laisser
enseigner régulièrement » est une constante dans l’histoire de l’institu-
tion scolaire : la psychologie scolaire va avoir partie liée, de plus en plus
nettement, avec ce groupe dont les dénominations – « anormal », « irré-
gulier », « inadapté » – changeront au cours des décennies.

Les années 1960 et 1970, pour ce qui concerne le champ propre de la


psychologie, ont été marquées à la fois par une critique forte des tests10,
de leur « objectivité » prétendue, des effets de « contrôle social » qui leur
semblaient liés et par l’avancée significative d’un courant de la psycho-
logie clinique directement influencé par la psychanalyse, dans un contexte
plus général de diffusion des thèses psychanalytiques11, peut-être réactivé

8. Au point que, pour certains, l’égalité des chances se traduisait dans l’orientation en fonc-
tion des aptitudes.
9. Les résistances de Wallon à cette réduction de l’approche psychologique ont été évoquées
ci-dessus.
10. TORT M. : Le Quotient intellectuel. Paris, Maspero, 1968.
11. MOSCOVICI S. : La Psychanalyse, son image et son public. Paris, PUF, 1961.

87
Chemins faisant : quand l’école et la psychologie se rencontrent

par les « événements » de 196812. Ce courant de psychologie va progres-


sivement devenir l’une des références, voire la référence, de nombreux
psychologues, mais aussi d’enseignants et de rééducateurs. Sur le terrain
de l’école cette fois13, la psychologie prend en compte la manière dont
chacun, par ses réactions, ses comportements, ses paroles, produit des
effets, fréquemment inconscients, dans sa relation aux autres, et ici parti-
culièrement aux enfants-élèves. Ces effets sur le psychisme de l’autre,
parfois visibles, manifestes, sont le plus souvent vécus de manière non
consciente ; le psychologue travaille alors sur ces effets, pour les repérer,
aider à les contrôler ou à en assumer les conséquences. Ainsi que le
montre Alain Nesme, analysant la situation des élèves en grande diffi-
culté scolaire, cette approche est productive de sens ; elle interpelle les
enseignants et l’institution sur le manque à tout réussir, condition pour
qu’un travail effectif puisse s’accomplir, avec ces enfants, dans l’institu-
tion scolaire, dans un partage réfléchi des rôles au sein du Rased. Mais
cette approche se situe sur un tout autre plan que la perspective déve-
loppée par Jean Simon, mais aussi que celle rappelée par Gérard
Chauveau.

Face à ces mouvements qui modifient le projet initial de psychologie


scolaire, l’institution éducative semble ne pas choisir, renvoyant les
psychologues scolaires, confrontés aux demandes et aux pressions hété-
rogènes de l’inspection de l’Éducation nationale, à une estimation person-
nelle de la définition de leur poste de travail et de leurs références
théoriques.
De même, elle peine à définir la formation psychologique dont ont
besoin les enseignants.
Pour saisir au plus près les enjeux de la psychologie à l’école, observer
ce qui pourrait constituer sa spécificité, il nous faut à présent interroger
les pratiques de la psychologie scolaire.

12. BESSE J.-M. : « Les courants libertaires en pédagogie » in AVANZINI G. (dir.) : La


Pédagogie au XXe siècle. Toulouse, Privat, 1975.
13. Dans le champ de la santé, comme aussi du travail social, cela avait commencé bien
avant.

88
DEUXIÈME
PARTIE

Psychologue
à l’école:
à la rencontre
du sujet
INTRODUCTION

Des psychologues…
et des sujets

Jean-Marie Besse

L a psychologie scolaire française, au milieu du XXe siècle, s’est donc


formée autour d’objectifs liés aux choix de l’équipe constituée autour
d’Henri Wallon et de René Zazzo. Confrontés aux évolutions rencontrées
depuis, à la fois du fait des décisions des responsables de l’Éducation
nationale, des exigences concrètes du « terrain » de l’enseignement –
autour notamment de la question des enfants en difficulté à l’école –,
mais aussi du fait des débats internes à la psychologie, ces objectifs n’ont
pas manqué d’être réévalués, voire contestés, sans doute davantage dans
la réalité quotidienne des pratiques que dans les discours, qui continuent
de faire comme si tout pouvait cohabiter.
Sur le terrain des pratiques psychologiques, précisément, le psychologue
scolaire est amené à faire des choix, à dresser des priorités, à construire
une théorisation de sa pratique. C’est cette théorisation des pratiques qui
va à présent nous occuper. Pour en rendre compte, nous avons opté pour
deux types de partition : un premier partage de la réflexion sera conduit
par trois psychologues praticiennes, autour de trois objets, le travail du
psychologue scolaire auprès de l’enfant-élève, le travail auprès des parents,
puis celui conduit auprès des enseignants ; le second partage fonctionnera
autour des références théoriques mobilisées dans les pratiques : trois textes,
ceux de Monique Rouzaire-Besse, d’Élisabeth Bel et d’Odile Dechavanne,
sont nettement référencés autour d’une psychologie clinique à orientation
psychanalytique, alors que le texte de Jean-Marie Besse illustre une clinique
à orientation sociocognitive et que celui de Gérard Chauveau est carac-
téristique d’une approche de psychologie écologique.
Entré à l’école, l’enfant-élève se demande parfois pourquoi il est là, il
peut douter de ses compétences et se montrer inquiet de la rencontre

91
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

avec les autres enfants et avec les adultes éducateurs, il a aussi une envie
de découvrir et de comprendre le monde qui l’entoure. Ce que nous
savons des grandes lignes du développement affectif et cognitif normal
du jeune enfant confronté à l’école aide à saisir la portée possible d’une
difficulté particulière à un enfant donné. Le texte de Monique Rouzaire-
Besse présente cette évolution du jeune enfant en privilégiant l’approche
centrée sur les dimensions affectives, tandis que celui de Jean-Marie Besse
emprunte la voie du développement socio-cognitif.
Le temps des apprentissages, de leur préparation, de leur exercice, puis
de leur mise en mémoire, n’est pas seulement le temps passé en classe :
le psychologue scolaire peut aussi avoir à intervenir pour aider à ce que
la relation des parents à leur enfant-élève soit suffisamment dégagée
d’enjeux susceptibles de perturber la qualité de l’investissement dans les
apprentissages de la classe. Élisabeth Bel a centré son analyse sur cette
question.
La relation entre le psychologue et les enseignants est ensuite
étudiée sous un angle original : l’enseignant est bien une personne, une
subjectivité interpellée dans son investissement affectif aux enfants. Le
texte d’Odile Dechavanne indique quelle place peut tenir un psychologue
formé à l’écoute de ces mouvements subjectifs chez l’enseignant.
Gérard Chauveau avance ensuite un nouvel éclairage, celui de la
psychologie écologique, qui tente de dégager les relations entre le compor-
tement donné d’un enfant et la situation qu’il vit, qui cherche les motifs
d’une conduite autour des conditions de son apparition. Ce texte situe
ainsi les difficultés de l’élève dans le cadre plus général d’une situation
problème qui peut impliquer la classe, le quartier, le groupe social ; cette
perspective requiert, de la part du psychologue scolaire, une approche
élargie, dans laquelle l’enfant-problème est à comprendre comme un
élément d’un sous-système.

92
CHAPITRE 5

Le retentissement de l’école
dans le développement
psychoaffectif de l’enfant

Monique Rouzaire-Besse

L orsque le psychologue est appelé pour intervenir, dans l’école, auprès


d’un enfant, c’est le plus souvent à la demande d’un adulte : un ensei-
gnant, le médecin ou l’infirmière scolaire, l’assistante sociale, parfois les
parents.
La demande ainsi exprimée à propos d’un enfant traduit habituelle-
ment, de la part de celui qui s’adresse au psychologue, une inquiétude
vis-à-vis de la scolarité de cet enfant. L’enfant n’est pas lui-même le
demandeur, dans ce cas de figure1. L’analyse que conduit alors le psycho-
logue de cette demande et le travail préliminaire qu’il accomplit avec
cet adulte peuvent conduire à une intervention auprès de l’enfant
concerné (et de sa famille). Car si c’est à l’école et par rapport à des
difficultés dans le cadre scolaire qu’un problème s’est manifesté, c’est là
tout d’abord qu’il s’agit d’en comprendre la nature. Les apprentissages
peuvent mal se passer et mettre un enfant en difficulté plus ou moins
sévère ; le psychologue est alors sollicité pour (re)mettre en sens, (re)faire
du lien, (re)mettre en travail.
Toutefois, cette difficulté affichée peut être le « symptôme » d’un tout
autre problème ; il s’agit alors pour le psychologue « d’entendre » ce que
ressent l’enfant dans sa situation scolaire, de comparer ce ressenti avec
celui de l’adulte qui a demandé l’intervention du psychologue. Il s’agit

1. Nous verrons que, dans certaines conditions, les enfants peuvent être eux-mêmes deman-
deurs d’entretiens personnels avec le psychologue de l’école.

93
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

aussi de vérifier si l’enfant a une demande propre pour rencontrer un


adulte sur cette difficulté, ou si celle-ci ne se révèle pas être en fait un
appel caché, traduisant une souffrance qui ne peut se dire autrement.
L’école, bien qu’étant principalement une institution destinée aux
apprentissages, est souvent le lieu où se manifestent – ou se révèlent –
des difficultés liées au développement psychoaffectif de l’enfant.
Le psychologue est attentif à ce qui peut faire résonance ou blocage
chez l’enfant, lorsqu’il est à l’école, sur plusieurs plans (psychoaffectif,
psychocognitif, psychosocial, psychoculturel). Cette connaissance de
moments et circonstances plus sensibles, voire critiques pour certains
enfants, aide le psychologue à comprendre les enjeux de la souffrance
vécue par un enfant. Nous centrerons l’analyse, ici, sur ce qui se joue
principalement sur le plan psychoaffectif, en mettant le plus souvent les
questions traitées en relation avec les autres plans.
Pour commencer, il nous faut rappeler que « venir à l’école » ne va
pas toujours de soi et n’est pas nécessairement un chemin d’enthousiasme
pour tous !

L’obligation d’instruire les enfants, faite à tous les parents, se traduit,


dans la plupart des cas, par l’obligation d’aller à l’école (peu d’enfants
suivent un enseignement à la maison, et dans ce cas, il y a malgré tout
contrôle obligatoire des autorités compétentes). Aller à l’école est donc
tout d’abord une obligation sociale. Mais l’école est un lieu – et « aller à
l’école » intervient dans un temps particulier de la vie de l’enfant – où
se jouent plusieurs éléments de l’organisation et de la dynamique de sa
vie psychique : c’est un temps où l’enfant s’intègre peu à peu dans le
monde social ; c’est un lieu où ce mouvement naturel de la vie est cadré,
régulé, pris en charge par les enseignants avec un objectif bien précis qui
est d’instruire, de développer les capacités de penser ; c’est aussi un cadre
de travail où l’on est réunis en groupe et où l’on n’est plus l’objet de
l’attention quasi unique des adultes.
Les parents, les enseignants et le corps social attendent de l’école que
les enfants y accomplissent des apprentissages, si possible marqués par la
réussite. Dès qu’il entre à l’école, le petit enfant devient un « élève »,
c’est-à-dire qu’il doit, selon la formule de J. Lévine2, « changer d’appar-
tenance », passer de la sphère familiale à l’univers scolaire ; dans ce

2. LÉVINE J. : « La déférence » in Différences… Indifférence. Actes du XVIe congrès de


l’Association française des psychologues scolaires, Nancy, 1999.

94
Le retentissement de l’école dans le développement psychoaffectif de l’enfant

dernier, il est appelé à maîtriser son comportement et ses émotions, à


opérer des apprentissages avec d’autres : dans cette « place » qui lui est
en quelque sorte assignée, le corps et les affects sont peu à peu mis entre
parenthèses au profit du langage et de la pensée. Mais pour qu’il puisse
tirer profit de l’école, l’enfant doit pouvoir, par exemple :
– envisager la séparation d’avec sa mère et son milieu familial ;
– être sur la voie de l’individuation et de la subjectivation ;
– tisser des relations avec ses pairs ;
– renoncer à la toute-puissance ;
– accepter les règles et entrer dans une culture commune.

Lorsque les parents inscrivent l’enfant à l’école, ils présupposent, sans


en avoir toujours pleine conscience, que l’enfant est apte à supporter ces
différents changements ; de leur côté, les enseignants travaillent très
souvent avec ce même présupposé. Or, le cadre de la classe oblige les
enfants à des activités, des relations, suppose des capacités qui résonnent
avec des éléments de leur problématique personnelle. L’entrée à l’école,
tout particulièrement, s’articule étroitement sur l’histoire, unique, de
chacun, sur ce qu’il a vécu jusque-là.
Grandir signifie pour l’enfant être confronté à des obstacles, sociaux,
relationnels, affectifs, cognitifs, qu’il devra franchir. Ce passage et ces
obstacles pourraient être considérés, si l’on se place cette fois du point de
vue plus général de l’histoire humaine, comme des « rites d’initiation »
(lorsque l’on parle du « passage en classe supérieure… », l’on renvoie ainsi
à une constante de l’histoire humaine ; une des grandes questions des
enfants en fin d’année est bien celle-ci : « Est-ce que je passe ? »).

Pour montrer comment et sur quoi le psychologue peut être amené à


travailler avec le jeune enfant, nous envisagerons ici surtout les voies que
peut emprunter l’enfant pour aborder certains passages : l’inscription et
l’entrée à l’école maternelle (à deux/trois ans), puis l’entrée à l’école
élémentaire (six ans), enfin les « passages » en classe supérieure qui ponc-
tuent chaque année scolaire.
À l’école maternelle, l’enfant est essentiellement confronté à une
problématique de séparation et à ce qui pourrait en être le corollaire,
l’accès à la subjectivation, le développement du langage et de la pensée.
Ce qui est en jeu à l’école élémentaire est davantage en lien avec le
désir de savoir et d’apprendre, articulé au renoncement à la toute-puis-
sance et aux désirs œdipiens, et impliquant l’entrée dans une culture
commune.

95
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

Enfin, le « passage » en classe supérieure, lié aux rythmes et aux possi-


bilités de développement de chacun, nous conduira à aborder la question
de la difficulté, voire de l’échec, scolaire et de son impact sur le narcis-
sisme et sur l’estime de soi de chaque enfant, souvent réduit, dans ce cas,
à une image d’élève défaillant.

L’inscription et l’entrée à l’école maternelle :


se séparer de sa mère
Lorsqu’on lui parle d’entrer à l’école, l’enfant sent bien, et son
entourage lui dit ou lui fait comprendre de diverses manières que ce
nouveau lieu sera bien différent de la maison ou même de la crèche
ou de la garderie. L’inscription de l’enfant à l’école manifeste, au-delà
de la réalité même de la séparation physique mère/enfant, une sépa-
ration qui s’inscrit dans l’ordre du symbolique : l’enfant n’appartient
pas à sa famille. Les mères le ressentent bien : qu’elles parlent de
l’inscription à l’école de leur enfant et l’on sent poindre l’idée de
« perdre leur bébé ».

Dans certaines écoles, chaque année, en juin, les parents des enfants
de deux ans nouvellement inscrits sont invités à parler de la future
entrée de leur enfant à l’école, au cours d’une réunion à laquelle parti-
cipe le psychologue : comment les parents ressentent-ils cette entrée à
l’école ? Quelles inquiétudes ont-ils ? Ce sont surtout les mères qui vien-
nent et qui confient leurs angoisses devant ce changement dans la vie
familiale : « Je ne vais pas pouvoir le (la) laisser… C’est moi qui vais
pleurer… Je crains de le (la) laisser avec cette inconnue qu’est la
maîtresse. Va-t-elle s’en occuper (l’aimer ?) aussi bien que moi ?… Je
la connais, la maîtresse, ça me rassure… » Il s’agit bien d’un relais
que les mères doivent passer aux enseignants, un relais social mais
également affectif, puisqu’il s’agit d’accepter aussi la possibilité que
leur enfant puisse nouer des relations affectives avec une autre
personne. Le psychologue dans l’école, en permettant aux parents
d’exprimer ce qui est en jeu pour eux dans cette séparation et en les
aidant à élaborer une signification à ce « vécu », aide à préparer les
conditions d’une entrée positive de l’enfant à l’école.

Cette séparation de l’entrée à l’école peut réactiver une séparation plus


ancienne : celle de la naissance ; elle pose aussi, sur la scène sociale, la
place que la famille propose à l’enfant.

96
Le retentissement de l’école dans le développement psychoaffectif de l’enfant

Naissance et séparation : la nomination


Être séparé, c’est d’abord être séparé du corps de la mère, à la fois
biologiquement et psychologiquement. Le premier acte de séparation
qu’est la naissance est accompagné de la nomination, acte symbolique
essentiel. L’enfant est donc nommé, prénommé et inscrit sur les registres
d’état civil : il est ainsi reconnu, assigné à une place particulière, à la fois
dans une filiation et dans un sexe (fils ou fille de…). Il s’agit là d’un acte
de parole, mais aussi d’un acte d’écriture, le nom est inscrit sur un registre,
ce qui ne fait que préluder à d’autres inscriptions (à la crèche, à l’école,
à la bibliothèque, sur les listes électorales…).
Cet acte de nomination et d’inscription, nous l’avons appelé « symbo-
lique » pour signifier que le nom, métaphore de l’origine, insère l’enfant
dans l’ordre de l’humain, cet ensemble de repères partagé par d’autres,
qui permet de passer de l’individuel aux valeurs collectives et que Jacques
Lacan appelle l’ordre du symbolique.

Sébastien est entré à l’école maternelle à trois ans, sans problèmes


apparents de séparation : il n’a jamais pleuré, mais il a très vite
inquiété son institutrice en raison de son comportement « bizarre »,
disait-elle : il n’avait aucun contact avec les autres, restait « dans son
monde », souvent sous la table à faire des bruits ou pousser des cris.
Mais par ailleurs, il connaissait tous les chiffres, parlait très correcte-
ment sans toutefois paraître « habiter » son discours.
Au cours de la rencontre avec la famille, j’apprends3 que Sébastien
vit avec sa mère (célibataire), sa grand-mère maternelle (divorcée
depuis fort longtemps) et une grand-tante (sœur de la grand-mère,
veuve) dans un monde clos, où la séparation semble difficilement
possible entre ces quatre êtres. Il porte le nom de sa mère, n’a pas
été reconnu par son père dont la mère ne parle jamais ; elle donne
l’impression de le nier. Ici, la question de la séparation est liée à celle
des origines.
Les soins psychiques nécessaires à l’état de santé mentale de
Sébastien, soins effectués à l’extérieur de l’école et mis en place après
un long travail pour obtenir l’acceptation de la famille, ont pu être

3. Les exemples fournis dans ce chapitre ne sont pas tous empruntés à ma propre expé-
rience de psychologue : au sein du groupe de collègues lyonnais qui a participé à cet ouvrage,
tous les exemples ont été discutés en équipe. Ceux qui ont semblé plus pertinents ont été
présentés ici. Le « je », qui est celui du psychologue, n’est donc pas toujours celui du signa-
taire du chapitre.

97
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

organisés de façon à ce que Sébastien puisse être intégré à l’école à


temps partiel pendant toute sa scolarité élémentaire. Sa façon de se
comporter face aux apprentissages ou dans diverses situations a
toujours beaucoup déstabilisé les enseignants, car Sébastien pouvait,
d’une part, « manipuler » des lettres, des mots, des symboles, appli-
quer des règles… comme si c’était des objets, mais sans que cela
prenne sens pour lui. D’autre part, il arrivait quelquefois en classe en
se prenant pour Superman, Albator, ou pour un animal… ce dont les
enseignants se rendaient compte en raison de son attitude. Il ne disait
pas, comme les autres enfants le feraient : « Je serais Superman… »,
mais on sentait qu’il L’ÉTAIT VRAIMENT, dans une sorte de délire.
Il suffisait que l’enseignant lui dise de « laisser l’habit de Superman
au portemanteau du couloir et de rentrer travailler en classe » pour
que Sébastien quitte cette peau imaginaire pour « endosser » le person-
nage de « l’élève ».

Bien avant sa naissance, l’enfant est porté par la parole de ses parents,
mais aussi par celle du groupe social dans lequel il s’insèrera : il a déjà
une place, on parle de lui, on fait des projets pour lui, chacun prend une
place par rapport à lui, parents, grands-parents, oncles et tantes. La nomi-
nation permet non seulement de prendre place dans la famille, mais aussi
dans le social. P. Aulagnier parle, dans ce contexte, de « contrat narcis-
sique » pour rendre compte de ce qui se joue entre les parents, l’enfant
– l’infans, celui qui ne parle pas encore – et le groupe social. « Le contrat
narcissique s’établit grâce au préinvestissement par l’ensemble de l’infans
comme voie future qui prendra la place qu’on lui désigne : il dote celui-
ci par anticipation du rôle de sujet du groupe qu’il projette sur lui […].
L’accès à une historicité est un facteur essentiel dans le processus iden-
tificatoire, elle est indispensable pour que le Je atteigne le seuil d’auto-
nomie exigé par son fonctionnement4. »
Pour l’enfant, prendre la voie de l’individuation, de la subjectivation,
c’est non seulement avoir accès au registre du symbolique, mais aussi à
celui de l’imaginaire : l’accès à ce registre, dont le point d’ancrage est
l’image spéculaire5, offre à l’enfant la capacité de s’identifier à une image

4. AULAGNIER P. : La Violence de l’interprétation, du pictogramme à l’énoncé. Paris, PUF,


1975, pp. 188-189.
5. Nous nous référons ici à ce qui prend naissance à un moment que Lacan appelle le
« stade du miroir », c’est-à-dire lorsque l’enfant rencontre son image dans le miroir (la recon-
naissant comme sienne), et qui prend sens puisque cette reconnaissance se trouve confirmée
par le regard de la mère lui indiquant qu’il est bien celui qu’on nomme, qu’on

98
Le retentissement de l’école dans le développement psychoaffectif de l’enfant

qu’il se fait de lui. Cependant, pour qu’il ne s’enferme pas dans cette
image qui deviendrait alors aliénante, il est nécessaire que l’imaginaire
soit symbolisé – au sens défini ci-dessus –, ce qui permet à l’enfant d’arti-
culer ces deux registres (savoir par exemple que l’on « joue à être ») et
de ne pas être dans le délire psychotique comme c’était le cas pour
Sébastien. Bien que celui-ci ait effectivement des soins psychiques par
ailleurs, l’intervention et la présence du psychologue dans l’école, par
l’écoute de ce qui se passait pour l’enfant, aidaient les enseignants à
prendre de la distance et à ajuster, dans ce cas précis, leurs conduites
éducatives.
La manière propre à chaque enfant d’entrer à l’école, dans le monde
de la connaissance, dans le monde social, est liée à ce qui s’est passé
précédemment dans les différents registres que nous avons évoqués.
L’entrée à l’école pourrait être considérée comme le deuxième acte de
séparation, porté symboliquement cette fois par l’inscription à l’école.

Entrée à l’école maternelle et séparation


La séparation est un processus psychique qui s’élabore, c’est-à-dire
qu’il ne suffit pas d’être physiquement loin de quelqu’un pour en être
séparé psychiquement. Il s’agit ici de la capacité à se reconnaître comme
ayant une existence, une vie, une identité propres, différenciées de celles
des autres, que l’on reconnaît également comme distinctes. C’est un
processus qui se met en place progressivement et qui n’est pour certains
jamais entamé. Une séparation non élaborée empêche la continuité
« d’ÊTRE », elle est vécue comme une rupture, elle empêche l’inscription
dans le temps car elle ne lie pas le passé, le présent et l’avenir : elle laisse
le sujet dans le temps de la rupture.
Or, entrer à l’école, c’est quitter sa mère et son environnement fami-
lier, c’est être confronté à l’absence des personnes familières6. Cela peut
être vécu par certains enfants comme une rupture, un abandon, un effon-
drement. Certaines mères, de leur côté, peuvent vivre cet événement dans
les mêmes sentiments, n’ayant pas suffisamment élaboré pour elles-mêmes
certaines séparations.

aime, qu’on reconnaît. L’enfant rencontre ainsi non pas la simple objectivation de soi comme
image mais aussi la désignation et ce que lui renvoie le regard de l’Autre. À partir de ce
moment se met en place ce qui constituera le « Je ».
6. LÉVINE J., op. cit.

99
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

Yasmina est une petite fille, d’un peu plus de 2 ans, qui pleure encore
quinze jours après la rentrée des classes. La maîtresse commence à
avoir épuisé toutes les stratégies d’accueil possibles et me demande
d’être présente à 8 h 30 pendant quelques jours. Dès le premier matin,
j’assiste effectivement à une séparation difficile et tente quelques
mots adressés à Yasmina, lui disant que sa maman doit être assez
grande pour partir toute seule, mais que si elle veut, je peux la
raccompagner à la porte. Yasmina hésite et reprend ses pleurs. La
maîtresse ayant autorisé la maman de Yasmina à rester un peu dans
la classe chaque jour, j’essaie à nouveau : « Ta maîtresse a oublié
que l’école, c’est que pour les enfants, c’est pas pour les mamans. »
Rien n’y fait. Je raccompagne la maman tandis que la maîtresse
porte Yasmina dans ses bras. Je lui dis : « Les enfants pleurent souvent
pour rassurer les mamans. Vous voulez que nous en parlions ? »
L’entretien, qui a lieu la semaine suivante avec Yasmina et sa
maman, révèle une forte angoisse de séparation chez la maman par
rapport à sa propre mère.
Elle explique que sa mère est morte de maladie et qu’elle lui manque
encore beaucoup. Elle avait quatorze ans lors du décès de sa mère et
dit s’en être beaucoup occupée. Je demande le nom de la maladie.
La maman de Yasmina hésite à le dire devant sa fille en précisant
qu’elle dit seulement « maladie », pour ne pas la nommer. Il s’agit en
fait d’un cancer. Je m’adresse alors à Yasmina : « Et ta maman, elle
est malade des fois ? » Yasmina fait oui avec la tête. Je poursuis : « Et
tu connais le nom de la maladie de ta maman ? » Yasmina fait non.
Je demande à la maman qui commence à comprendre où je veux en
venir, de nommer les maladies qu’elle a pu avoir. Je reprends : « Et
toi, Yasmina, tu es malade des fois ? » Yasmina fait oui. Sa maman
précise qu’elle a de l’asthme. Nous poursuivons : « Et quand tu pleures
ou que tu tousses, ça fait rester ta maman ? » Yasmina détourne la
tête sans répondre. J’ajoute enfin : « Et ça fait du souci dans ton cœur. »
Yasmina ne répond toujours pas. Je conclus en disant : « Les enfants
vont à l’école, les enfants ne s’occupent pas des mamans. Si tu veux,
je vais m’en occuper moi. » Les pleurs du matin s’arrêtent rapidement
et je reverrai la maman de Yasmina deux fois toute seule pour l’aider
à se mettre sur le chemin du deuil de sa mère.

Ce que vit et ressent l’enfant à ces moments de séparation est en étroite


relation avec ce que ressent la mère (ou la personne qui exerce de fait
cette fonction) : l’enfant doit sentir qu’il n’y a pas de danger à quitter sa

100
Le retentissement de l’école dans le développement psychoaffectif de l’enfant

mère ; il lui faut donc se sentir autorisé à avoir des relations, des acti-
vités, sans sa mère. Mais il doit aussi pouvoir se sentir « accompagné »
par elle, accompagné à l’intérieur de lui-même en quelque sorte, ce que
J. Lévine7 appelle « l’accompagnement interne8 ».

Zayde et Murat sont des enfants d’origine turque, scolarisés en


grande section. Ce sont des jumeaux, nés prématurément et en fin
d’année, qui s’intéressent beaucoup aux activités de la classe, se
montrent très volontaires, malgré quelques difficultés et une certaine
lenteur. L’institutrice souhaiterait pour l’un d’entre eux (le garçon)
qu’il suive l’enseignement de moyenne section en raison, dit-elle, « de
son handicap : jeune âge, langue… » ; elle en parle à la psychologue
qui, au cours de l’entretien avec la famille, se rend compte que cette
dernière, très réticente par rapport à ce qui est vécu comme un
redoublement, manifeste un soutien réel à ses enfants dans la
manière dont elle les invite à communiquer, s’ouvrir sur la culture
et s’investir dans l’école et les apprentissages, les accompagnant dans
cette démarche sans se substituer à eux. En retour, les enfants, se
sentant ainsi « autorisés » et « accompagnés », arrivent, par exemple,
à rentrer dans le langage beaucoup plus facilement que les autres
enfants turcs du groupe scolaire. Ils sont dans une dynamique de
croissance, d’ouverture sur le monde. La proposition de rester tous
les deux avec leur classe d’âge s’est avérée bénéfique malgré quelques
difficultés évidentes.

L’accompagnement des parents s’est ici avéré suffisant ; mais il peut


aussi s’agir d’un accompagnement quelque peu envahissant, comme ce
fut le cas pour Éric.

Éric est en CP, très en difficulté : il n’apprend rien, il a « un niveau


scolaire de moyenne section de maternelle », dit la maîtresse, il n’a
pas d’autonomie, s’avère incapable de participer à des activités de
groupe. Tous les jours, sa maman l’emmène jusque dans la classe et
parle à la maîtresse de la mauvaise nuit qu’Éric a passée, du cahier
qu’« ELLE » a oublié de mettre dans le cartable, de la dernière sottise

7. Idem.
8. Nous parlons d’accompagnement interne pour signifier que nous envisageons ici le vécu
de l’enfant. Il ne faut pas le confondre avec l’accompagnement externe, celui que les parents
ont le sentiment d’effectuer dans leur réalité.

101
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

qu’Éric a faite… La maîtresse, ne voulant pas vexer ou rejeter la


maman, mais sentant qu’Éric ne pourrait pas progresser dans cette
confusion mère/enfant si rien n’en est dit à la maman, en parle à la
psychologue qui, dans un premier temps, propose à l’enseignante de
formuler elle-même à l’enfant, devant la maman, quelque chose
comme : « Ta maman pense peut-être que tu ne peux pas parler de ta
bouche. » La maman, ayant compris une partie du message, n’est plus
venue parler à la maîtresse, elle s’est mis à écrire sur le cahier de
liaison de l’enfant tout ce qu’elle avait à dire.

Dans ce cas, c’est bien un « trop d’accompagnement » qui étouffe


l’enfant et ne lui permet pas de prendre sa place. L’intervention directe
de la psychologue auprès de l’enfant et de la famille (sous forme d’entre-
tiens), dans un second temps, permettra à la maman de prendre
conscience de ce qui se passe entre elle et Éric, ce qui lui fera dire, à un
moment du travail : « C’est vrai, je ne le laisse pas se débrouiller tout
seul, c’est difficile pour moi, mais je vais essayer, ça sera mieux pour lui »,
il y avait là un « moi » et un « lui » qui laissaient entrevoir une amorce
de séparation et une place de Sujet pour chacun. Le passage à l’école, et
la séparation obligée qui en découle, devient ici le révélateur d’un
problème plus ancien.
Ces deux exemples permettent d’aborder la question de l’intériorisa-
tion d’un accompagnement, autrement dit : comment l’enfant peut-il se
sentir étayé (c’est-à-dire suffisamment porté par une confiance en soi
héritée de la confiance que sa famille a elle-même mise en lui) et capable
de sortir du lieu familial pour investir l’école ?
Dans un temps très précoce de son développement, l’enfant se
comporte comme s’il n’existait rien au monde de plus important que sa
propre satisfaction et la prédominance de ses pulsions. Il ne fait pas de
différence entre lui et le monde, entre ce qui vient du dehors et ce qui
vient de soi. L’autre n’existe pas en tant que tel. C’est l’époque du narcis-
sisme primaire.
Mais il ne peut survivre qu’avec l’extérieur. Il va donc être obligé de
« négocier » avec l’extérieur et, dans cette négociation, les interventions
de l’entourage, les interactions avec l’entourage, si elles sont « suffisam-
ment bonnes » (pour reprendre une expression de Winnicott), si l’exté-
rieur est suffisamment contenant, vont lui permettre de structurer ce
mouvement pulsionnel : il va pouvoir différer ses demandes, attendre et
comprendre qu’il ne peut pas avoir tout et tout de suite, apprendre à
gérer les frustrations qu’il ne manquera pas de rencontrer.

102
Le retentissement de l’école dans le développement psychoaffectif de l’enfant

Freud parle de cette acquisition comme d’un travail qui, pour l’enfant,
disqualifie l’instinct, qui ne s’arrête pas à la satisfaction immédiate, mais
ouvre sur l’horizon infini des substitutions symboliques et des satisfac-
tions médiatisées propres au désir humain, c’est-à-dire que ce travail
permet à l’enfant de sortir de son égocentrisme et de s’intéresser aux
autres, aux objets culturels…
Les mouvements pulsionnels de l’enfant ont besoin d’être contenus. Dans
la rencontre infans/mère9, l’appareil psychique de celle-ci sert de « prothèse »
à l’enfant et permet de contenir et de rendre représentable ce qui est « in-
sensé » pour lui. Que se passe-t-il en effet dans cette relation ? Lorsque
l’enfant exprime une détresse liée à un besoin, il est nécessaire que
quelqu’un (sa mère, l’entourage) interprète sa demande pour qu’elle prenne
sens. Cette détresse impensable que l’enfant projette10 sur l’entourage sous
une forme négative ou violente (ce que Bion11 nomme éléments b) est
transformée par la pensée de la mère en éléments qui ont pris un sens
(éléments a, pour Bion). Dans ce cas, la mère, l’entourage sont suffisam-
ment solides et contenants pour ne pas être détruits par les projections du
bébé. Ainsi s’installe le sentiment de sécurité et de confiance en soi.

Mais, dans le cas contraire, si le rythme du bébé n’est pas respecté, si


les réponses arrivent toujours trop tôt ou trop tard, ou n’arrivent pas du
tout, si rien n’est prévisible, l’enfant, d’une part, ne va pas pouvoir faire
l’expérience de la « continuité d’ÊTRE » dont nous parlions plus haut, et,
d’autre part, peut se vivre comme mauvais. Ce qu’il a envoyé vers l’exté-
rieur (son besoin, sa demande et sa souffrance) ne lui est pas revenu sous
une forme gratifiante, aussi ce qui va se construire chez lui, c’est un senti-
ment de base d’insatisfaction, le monde extérieur devient mauvais, lui-
même est mauvais (puisqu’il n’y a pas de différenciation à ce moment-là).
Il projette des « mauvaises parties » dans le monde social, il se sent
« attaqué » et aura besoin « d’attaquer » à son tour.

Les psychologues parlent à ce propos de la « fonction contenante » de


la mère : cette fonction caractérise donc le travail que fait la mère (et
l’entourage) quand elle subvient au besoin de se protéger chez et pour

9. Nous désignons sous le terme « infans » l’enfant qui ne parle pas, le nourrisson.
10. Le mécanisme de projection est un processus de défense qui consiste à prêter à l’autre
les sentiments que l’on éprouve soi-même.
11. BION W. R. : Aux sources de l’expérience (1962), traduit par F. Robert. Paris, PUF, 1979.
– Éléments de la psychanalyse (1963), traduit par F. Robert. Paris, PUF, 1979.

103
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

l’enfant qui ne peut le faire tout seul. La mère a l’intuition de ce qui est
favorable ou défavorable au bébé, de ce qu’il est possible de faire pour
transformer l’insupportable en supportable, pour que l’enfant se sente
« bon » après s’être senti « mauvais ». L’enfant est ainsi non seulement
tenu dans son corps (holding), mais « le vécu indifférencié de ses sensa-
tions-affects-fantasmes est également tenu, retenu, contenu par le penser-
parler-agir en retour de la mère. Retour qui en fait des contenus pensables,
des pensées-objets transitionnels qu’il joue à manipuler. Ça tient bon
(handling)12 ». Progressivement, l’enfant s’approprie la fonction a de la
mère, il peut ainsi traiter lui-même ses éléments b pour les transformer
en a. Il est donc accompagné de l’intérieur. « Cette intériorisation lui
apporte le noyau de la différenciation de sa psyché en penser (contenant)
et en pensée (contenu)13. »

Le langage et l’école
Deux mois après la rentrée, lorsque les parents des nouveaux inscrits
de deux ans reviennent à l’école, sur la proposition du psychologue,
pour un premier bilan sur ce qu’ils ressentent par rapport à leur enfant
à l’école, ils évoquent surtout l’évolution du langage.

À l’école, l’enfant est sollicité à parler, à utiliser le langage dans sa


forme normée, sous peine de ne pouvoir se faire comprendre. Avec l’ensei-
gnant, l’utilisation éventuelle de codes compris à la maison ne peut pas
avoir cours : il y a bien un passage dans un autre type de relations, de
demandes. R. Diatkine parle à ce propos de la nécessité pour l’enfant de
passer « du langage restreint à un langage universel, à la langue vraie ».
La mise en place du langage suppose le bon fonctionnement de diffé-
rents systèmes (neuromoteur, cognitif, affectif) ; nous nous centrerons ici
sur les aspects relationnels en jeu, sur le sens de la mise en place du
langage et notamment sur le fait qu’il est un indicateur de la séparation :
tout acte de parole signifie à la fois qu’on est séparé, mais aussi que l’on
est en lien. C’est donc dans la séparation que se met en place le langage,
qui permet en même temps de mettre une distance, de penser et de
supporter l’absence. Le langage permet de symboliser la séparation et

12. ANZIEU D. : « Une approche psychanalytique du travail de penser » in Journal de la


psychanalyse de l’enfant (Naissance de la pensée, processus de pensée – colloque de Monaco).
N° 14, Bayard Édition, 1993, p. 154.
13. Idem.

104
Le retentissement de l’école dans le développement psychoaffectif de l’enfant

l’absence car il tient lieu de lien entre l’enfant et la mère, mais dans la
distance. « Le symbole, comme présence possible d’un être ou d’un objet
absent, concrétise mentalement cette distance14. » Dans la fusion, il n’est
pas nécessaire de mettre quelque chose entre les deux, puisqu’il n’y a
qu’un. Le langage a aussi à voir avec le corps : à travers la voix, le regard
(on entend celui qui parle, on le voit, il est proche), s’exprime le lien
entre les personnes.

Parler en son nom, être « un parmi d’autres15 »


Parler, c’est aussi, pour l’enfant, entrer en communication en utili-
sant les conventions de la langue commune au groupe dans lequel il vit,
afin de pouvoir comprendre l’autre et être compris de lui. C’est parler
en son nom et, ainsi, à la fois se construire comme sujet et construire
l’altérité.
« Parler, c’est donc se choisir à la fois comme semblable et différent
de l’autre, lui communiquer son désir d’être reconnu comme tel, et aussi
une intention de participation réciproque à ce désir : c’est se reconnaître
comme sujet désirant16. »
À l’école, l’enfant est appelé par son prénom et son nom, il n’est plus
appelé par un surnom affectif limité au cadre familial (« mimi », « coco ») ;
quelquefois, certains enfants ne se reconnaissent pas quand l’enseignant
les nomme, les appelle. Le prénom, surtout sous sa forme écrite, est l’objet
d’un travail important à l’école maternelle : le prénom écrit associé dans
les petites classes à la photo de l’enfant va constituer par exemple une
étiquette que celui-ci va accrocher sur le « tableau des présents » en arri-
vant en classe ; cette activité nécessite non seulement l’accès à la symbo-
lisation, mais elle interpelle également l’enfant dans sa position de sujet.
Être désigné par son nom et son prénom a valeur de parole symbo-
lique et place l’enfant en position de Sujet. Encore faut-il que le Sujet
existe et puisse prendre sa place ! Parler en son nom implique que fonc-
tionnent pour l’enfant, quant à sa construction identitaire, les registres
du symbolique et de l’imaginaire.

14. ANZIEU D. : Psychanalyse et langage. Du corps à la parole. Paris, Dunod, 1977, p. 4.


15. Formule empruntée à D. Vasse.
16. ANZIEU D. : Psychanalyse et langage. Du corps à la parole. Op. cit., p. 114.

105
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

Corps, langage et pensée


De la perception et de l’activité sensori-motrice à la représentation
et à la symbolisation, la capacité de penser se met en place très précoce-
ment. Dès l’école maternelle, et progressivement au long de l’avancée dans
l’école, c’est une pensée de plus en plus complexe qui est sollicitée chez
l’enfant. La construction de la capacité d’entrer dans le langage (oral, puis
écrit) se renforce mutuellement avec la capacité de penser, d’évocation,
de différenciation entre le signifiant et le signifié, entre le mot et la chose.

Cynthia est en moyenne section de maternelle et sa maîtresse a proposé


à la famille de me rencontrer, car « Cynthia n’arrive pas à se fixer
sur une activité et en change souvent, elle participe peu pendant les
temps de langage, elle a du mal à s’expliquer quand elle veut dire
quelque chose, elle a des relations conflictuelles avec ses camarades ».
Dès le premier entretien avec les parents et l’enfant, Cynthia se montre
très active et débordante : elle veut tout à la fois dessiner, jouer avec
les Playmobil, toucher tous les objets qui sont sur mon bureau (stylos,
bloc-notes, tampons…), fouiller dans le sac de sa mère qui essaie (sans
conviction) de l’en empêcher, parler à la place de ses parents. Ces
derniers en semblent un peu agacés et racontent qu’« à la maison,
c’est pareil, elle n’obéit pas et c’est difficile car il faudrait toujours lui
dire non et on ne peut pas la frustrer toujours ! ».
Je fais donc une mise au point avec l’enfant en rappelant le cadre
de cet entretien, ce qui est à moi et que les enfants ne doivent pas
toucher, ce qui est destiné ici aux enfants, aux adultes… Cynthia se
met alors à demander systématiquement pour chaque objet si elle peut
jouer avec ou non, puis elle s’installe à la table réservée au dessin et
dessine pendant un long moment, s’interrompant pour participer de
temps en temps, et souvent de façon pertinente, à l’entretien. Les
parents restent surpris de « la voir aussi calme ». Ayant pu « se poser »
après mon intervention qui fixait un cadre, Cynthia montrait qu’elle
était capable de maîtriser son activité corporelle, d’organiser et
d’exprimer une pensée. J’ai pu amorcer ce jour-là un travail avec la
famille et l’enseignante autour des conditions dans lesquelles Cynthia
pourrait se mettre à participer « normalement » à ce qui était proposé
en classe.

Il est en effet des conditions qui permettent à un enfant de se mettre


à penser et de structurer sa pensée, de passer d’une pensée en acte à une

106
Le retentissement de l’école dans le développement psychoaffectif de l’enfant

pensée conceptualisée, comme le fait d’acquérir la maîtrise de son corps,


de ses conduites corporelles et émotionnelles, d’une part, et, d’autre part,
le fait de supporter les frustrations. Ces dernières sont souvent difficiles
à accepter pour les parents, qui craignent de trop interdire, ce qu’ils ont
parfois mal supporté dans leur propre enfance. Or, les interdits sont struc-
turants pour les enfants, ils leur permettent de construire des repères, de
se situer dans le monde, dans les générations. Les adultes doivent faire
respecter ce qui règle la place de chacun, la différenciation (ce qui renvoie
à la place dans la généalogie, dans un sexe…) et qui va permettre à
l’enfant de construire des catégories, de penser les ressemblances, les diffé-
rences, d’attendre, de différer… En évitant de dire « non », les adultes
responsables d’éducation maintiennent l’enfant dans la confusion. L’école
maternelle est le lieu privilégié où se mettent en place un certain nombre
de ces repères et de ces interdits qui vont amener l’enfant à contrôler
son corps, passer de l’action à la pensée.
D. Anzieu distingue la pensée de ce qu’il nomme « le penser » qui est
l’activité même de penser, l’« appareil psychique » pour Freud17. Dans sa
théorisation sur la pensée, Anzieu souligne l’importance de l’interdit de
toucher à un moment du développement et qui permet de mettre en
place une autre forme de penser, ce que reprend R. Roussillon18 : « le
premier appareil à penser, c’est un appareil à palper… puis l’interdit de
toucher va ouvrir le permis de voir, le permis de penser par les yeux »,
puis un nouveau déplacement s’opère et l’interdit de voir (il est des choses
que l’enfant n’aura pas le droit de voir) ouvre sur la curiosité concernant
le symbole de l’objet, « la grande caractéristique en période de latence,
c’est le déplacement de la question en direction de l’objet en direction
du symbole de l’objet… le déplacement va s’effectuer à nouveau. On va
apprendre à matérialiser les symboles. C’est toute la problématique de
l’écriture, de la lecture : la matérialisation du mot et le travail sur le
symbole, sur la chose symbole, comme lieu de déplacement de ce qu’on
ne peut plus travailler directement sur la chose elle-même. »

17. ANZIEU D. : Psychanalyse et langage. Du corps à la parole. Op. cit., pp. 146-147.
18. ROUSSILLON R. : « Penser l’objet et ses paradoxes ». Journée de réflexion sur L’insou-
tenable capacité de penser, organisée le 18 novembre 1995 dans le cadre du 20e anniversaire
du CMPP de Givors et du 50e anniversaire de l’OVE (œuvre des villages d’enfants), pp. 17-
21.

107
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

L’entrée au CP : devenir un parmi d’autres et apprendre


L’entrée dans des apprentissages systématisés, dans des règles sociales
plus précises, est un moment particulier de l’évolution affective de l’enfant :
il sort de la période œdipienne19 et entre en phase de latence. Il manifeste
des intérêts culturels, entre dans le monde social, se réfère à d’autres que
ses parents. En effet, en acceptant l’interdit de l’inceste, l’enfant se tourne
vers l’avenir, il sait que ses amours ne doivent pas rester dans le cercle fami-
lial, il sort de sa famille pour aller vers un « ailleurs ». Il peut s’intéresser à
l’acquisition de connaissances, ses motivations deviennent, dit Françoise
Dolto, « logiques et raisonnables », alors qu’elles « sont, jusqu’à la fin de la
résolution œdipienne, surtout des raisons émotionnelles et affectives20 ».
Il s’agit ainsi d’une nouvelle étape, une nouvelle « initiation ». Tout le
monde parle de la « grande école » et l’enjeu devient important car la
peur de l’échec scolaire y est souvent présente.
Si l’école maternelle est, comme nous l’avons vu, le lieu de la sépara-
tion, avec ce qui en découle (accès à la subjectivation, construction de
l’altérité, mise en place du langage…), l’école élémentaire demande à
l’enfant de s’intéresser aux apprentissages et de mettre son corps et ses
émotions « entre parenthèses ».
De plus, pouvoir apprendre met en œuvre un processus général lié à
la pulsion de savoir, au désir d’apprendre et au rapport au savoir de
chacun d’entre nous.

Pouvoir apprendre : la question du désir


La question du désir de savoir renvoie à la question du désir.
J. Lacan précise que « le désir s’ébauche dans la marge où la demande
se déchire du besoin…21 ». C’est aussi dans l’écart entre la demande et

19. Période au cours de laquelle l’enfant est habité par des sentiments ambivalents et contra-
dictoires vis-à-vis de ses parents : à la fois amoureux du parent du sexe opposé mais rempli
de haine quand celui-ci ne répond pas favorablement à son sentiment, recherchant une
complicité avec le parent du même sexe mais le rejetant quand celui-ci lui « barre la route »
vers l’autre parent. La période œdipienne se termine lorsque l’enfant comprend qu’il n’épou-
sera jamais son parent, qu’il est assigné à une place dans la suite des générations, qu’il est
soumis à l’interdit de l’inceste. Il intériorise ainsi les interdits parentaux qui constitueront
ce que Freud a appelé le « Surmoi », héritier selon lui du complexe d’Œdipe.
20. DOLTO F. : L’Échec scolaire. Paris, ERGO Press, 1989, p. 15.
21. LACAN J. : « Subversion du sujet et dialectique du désir dans l’inconscient freudien »
in Écrits II. Paris, Le Seuil, 1971, p. 174.

108
Le retentissement de l’école dans le développement psychoaffectif de l’enfant

sa satisfaction, dans l’attente, qu’il peut advenir et se construire. Avoir


tout, tout de suite, empêche de désirer, demander, attendre, différer, cher-
cher… qui sont des capacités nécessaires pour s’impliquer dans les appren-
tissages.

Quand je rencontre Kévin, avec ses parents, il est comme « posé » sur
sa chaise, sans expression, attendant que « ça passe ». Il est en grande
difficulté en classe (CP) mais la maîtresse sent qu’il « a des possibi-
lités ». Ses parents se montrent complètement démunis devant cet
enfant qui, disent-ils, « n’a envie de rien, ne manifeste pas vraiment
de joie quand on lui offre quelque chose. Pourtant, il a tout ce qu’il
veut à la maison, on ne lui refuse jamais rien, d’ailleurs, il ne demande
jamais rien… il est très gentil… vous comprenez, on veut lui donner
le maximum, tout ce qu’on n’a pas eu… » Pour que Kévin désire et
demande quelque chose, il faudrait qu’il sente que ce « quelque chose »
pourra lui être adressé. Je me tourne alors vers l’enfant : « Et toi, Kévin,
qu’est-ce que tu en dis ? » Il se redresse un peu sur sa chaise, sourit
mais ne dit rien et commence à faire un dessin.

Dans son état d’enfant comblé, mais selon l’image que ses parents se
formaient de ses désirs, Kévin n’avait peut-être jamais vraiment pu
s’exprimer sur ses désirs propres. Cette première rencontre avec Kévin et
ses parents conduira à mettre en place une aide rééducative à l’école
pour l’enfant ; chez Kévin, le désir d’apprendre22 émergera petit à petit,
des entretiens réguliers réuniront la psychologue et les parents et une
collaboration de la psychologue avec l’enseignante lui permettra d’ajuster
sa pédagogie auprès de l’enfant. C’est ici dans la séparation des lieux et
des modalités d’intervention qu’un travail pouvait s’instaurer.

Le renoncement à la toute-puissance
Désirer apprendre suppose de reconnaître que l’on ne sait pas, de
passer, donc, par le constat du non-savoir, attendre une réponse ou la
rechercher, demander, différer, remettre en question ses idées premières…
Le désir de savoir aurait ainsi à voir avec le renoncement à la toute-puis-
sance, à la fois renoncement et perte, à partir de quoi l’individu qui veut

22. Les aides spécialisées à dominante rééducative ont pour objectif, entre autres, « la
(re)conquête du désir d’apprendre et de l’estime de soi » (circulaire n° 2002-113, du 30 avril
2002, parue au BO n° 19 du 9 mai 2002).

109
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

savoir se fait chercheur ; renoncement et perte peuvent être compris


comme homologues de la castration (symboligène, selon le terme employé
par Dolto). Il y aura toujours un « in-su », un « inconnu inconnaissable ».
Il ne peut être aboli et constitue la finitude en tant que limite de tout
savoir, et jusque dans le champ des expériences possibles pour l’être
humain et que l’interdit de l’inceste pose dans le symbolique… À l’inverse,
le savoir peut bloquer toute progression de connaissance, car il affermit
la position de ne pas savoir que l’on ne sait pas… « L’inconnu accepté
est la source du plaisir de penser, de la communication, où les signifiants,
les mots, l’expression et les aspects mettent en rapport le connu et
l’inconnu. Il anime toute curiosité intellectuelle23 ».

Apprendre à « lire, écrire, compter »


L’apprentissage de la lecture/écriture cristallise toutes les craintes,
les angoisses… des familles, des enseignants et donc des enfants. Les ensei-
gnants sont particulièrement vigilants (ou inquiets !) et « signalent » très
vite au psychologue tout enfant qui leur paraît en difficulté ou même en
risque de difficulté, les parents eux-mêmes formulent des demandes quand
ils pensent qu’il y a un risque de « décrochage » pour leur enfant, du fait
de raisons familiales ou d’autres. Le psychologue est donc confronté à
ces demandes très diverses.

• Au-delà de la maîtrise d’une technique


Thomas est un élève de moyenne section ; sa maman souhaite qu’il
entre, de manière anticipée, au CP l’an prochain. La maîtresse constate
que Thomas maîtrise assez bien l’aspect technique de certains exer-
cices mais s’interroge quant à sa maturité, sa sociabilité et surtout
quant à son désir de grandir. Elle propose aux parents de me rencon-
trer. La maman vient seule, explique que son fils sait pratiquement
lire à la maison, qu’il commence à compter et à écrire. La maîtresse,
présente à ce moment de l’entretien, émet quelques doutes quant à
l’autonomie de Thomas et sa capacité de rentrer en relation avec les
autres. Thomas, qui est présent lui aussi, est collé à sa maman et
lorsque je m’adresse à lui pour lui demander ce qu’il a compris de ce
qu’était le CP, il s’accroupit sous la chaise de sa maman sans répondre.

23. ROSOLATO G. : « Le négatif et son lexique » in Le Négatif, figures et modalités. Paris,


Dunod, 1989, pp. 20-21.

110
Le retentissement de l’école dans le développement psychoaffectif de l’enfant

Celle-ci l’appelle : « Allez, mon poussin, sors, viens dire… » Je regarde


Thomas et lui dis : « Thomas, ta maman, elle pense que les poussins,
ça va à la grande école, je n’en suis pas sûre. » Il accepte de s’asseoir
sur sa chaise mais ne répond qu’après avoir interrogé sa mère du
regard, celle-ci s’empressant de parler à sa place. Elle conclut en
annonçant que de toute façon elle sait mieux que personne ce qui est
bien pour son fils et que si la maîtresse n’est pas d’accord, elle le
changera d’école.

Thomas semble être pris dans l’exigence de ne pas décevoir sa mère,


de satisfaire son désir à elle ; il s’enferme dans l’aspect technique des acti-
vités sans guère d’investissement personnel. Il n’est pas encore dans le
désir de savoir ni d’apprendre.

Lire/écrire, c’est se confronter aux lois du langage écrit, entrer dans


une représentation langagière codée, une écriture définie par d’autres,
avant notre naissance, et que nous ne pouvons modifier, qu’il nous faut
prendre et apprendre comme elle est. C’est un ensemble de codes que
l’on doit partager pour pouvoir l’utiliser. « L’écriture fixe la langue, elle
assujettit les mots », dit Emilia Ferreiro24. Lorsque l’on lit, on ne peut pas
changer ce qui est écrit, alors que c’est différent lorsqu’on raconte une
histoire. Ainsi, la jeune et future F. Dolto fut-elle déçue, au terme de son
propre apprentissage de la lecture, car la lecture du « texte » des
« babouches d’Aboukassem » lui avait procuré beaucoup moins de plaisir
que l’histoire qu’elle s’était imaginée en ne regardant que les images25.
Lire/écrire implique aussi une capacité à entrer dans une culture, connaître
les usages et les fonctions de l’écrit, c’est donc une activité qui dépasse
largement la seule maîtrise d’une technique.

• Pouvoir être seul… mais pouvoir communiquer


Lire/écrire implique une capacité à être seul, mais aussi à communi-
quer, s’adresser à l’autre, absent. S’adresser à l’autre implique d’avoir soi-
même une identité, une place, de se construire comme sujet connaissant
et d’accepter cette transformation de soi. Faire une place à l’autre, c’est
reconnaître qu’il peut avoir une pensée différente de la nôtre.

24. FERREIRO E. : Culture écrite et éducation. Paris, Retz, 2002, p. 7.


25. DOLTO F. : La Cause des enfants. Paris, Robert Laffont, 1995, p. 212.

111
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

• La pulsion de savoir
François est au CP, « signalé » à la psychologue par son enseignante
car il est très instable en classe, mais quand il arrive à se calmer, il
réussit très bien sur le plan scolaire : l’enseignante craint que le compor-
tement de François l’empêche de mener à bien ses apprentissages et
demande une aide pour qu’il arrive à se calmer. C’est un enfant très
curieux, intéressé par tout. Au cours d’une rencontre avec le psycho-
logue, François dessine et raconte dans un flot continu de paroles :
« Je vais faire le plan de notre nouvelle maison, on va bientôt démé-
nager, là (il dessine un premier rectangle), c’est ma chambre, là
(deuxième rectangle contigu), la chambre de ma sœur, je vais faire
son lit de bébé, et là (troisième rectangle, accolé au premier), la
chambre de papa et maman, ils ont un lit un peu haut, tu sais, moi,
j’aime beaucoup lire, je lis tout le temps… »

Lire n’est jamais sans effet sur l’inconscient, ni sans effet de l’incons-
cient. Le contenu de la lecture est facilement associé à des contenus affec-
tifs, les mots, combinaisons de mots s’entourent d’associations chargées
d’émotions. F. Dolto parle, par exemple de ce qu’éveille le mot « lire »
pour certains enfants : « Au moment où l’enfant est en train d’élaborer
son interdit de l’inceste, le verbe du “lit” que leur paraît être le mot “lire”
rend ce mot banni, et les activités qui entourent le fait de lire sont quelque
chose qui le met dans un très grand trouble26. »
Ne peut-on entendre ici que la curiosité de François concernant ce qui
se passe dans le lit des parents s’est déplacée sur le « lit » du lire et permet
à François de jouer à assembler, manipuler des lettres… mais qui main-
tient une excitation par le questionnement que cela opère encore en lui ?
Freud parle de la pulsion de savoir étayée sur la pulsion scopique (pulsion
de ça-voir ?). L’activité de la pulsion de savoir « correspond d’une part à
la sublimation du besoin de maîtriser, et, d’autre part, elle utilise comme
énergie le besoin de voir. Toutefois, les rapports qu’elle présente avec la
vie sexuelle sont très importants […]. L’enfant s’attache aux problèmes
sexuels avec une intensité imprévue et l’on peut même dire que ce sont
là les problèmes éveillant son intelligence27 ».

26. DOLTO F. : L’Échec scolaire. Op. cit., p. 19.


27. FREUD S. : Trois essais sur la théorie de la sexualité. Paris, Gallimard, 1905, pp. 90-91.

112
Le retentissement de l’école dans le développement psychoaffectif de l’enfant

• Une capacité d’identification


Certains ouvrages passionnent les jeunes lecteurs car ils « parlent » de
ce qui est proche d’eux, de ce qui les intéresse, de ce qui leur pose quel-
quefois problème. B. Bettelheim et K. Zelan ont pu observer quel était
parfois le sens caché des erreurs de lecture chez les jeunes enfants :
« Il faut se rappeler que les mots sont des symboles qui représentent
des objets et des événements et que par conséquent, ils sont particuliè-
rement aptes à exprimer les désirs sous une forme symbolique ou à accom-
plir des actes symboliques. Les jeunes enfants, surtout quand, pour
quelque raison, leurs émotions sont fortement remuées, prennent le
symbole pour ce qu’il symbolise et croient qu’en manipulant les mots ils
manipulent également ce que les mots signifient28. »
« Il est donc très judicieux, sur le plan psychologique, de concevoir des
textes qui permettent aux débutants de s’identifier avec les personnages
principaux, mais il convient de le faire en veillant soigneusement à ce que
les paroles et les actes de ces personnages soient tels que l’enfant ait envie
de s’identifier à eux… S’il y a de fortes chances pour que l’enfant ne puisse
faire siens les sentiments, les attitudes et les actions d’un personnage, il
vaut mieux ne pas écrire l’histoire à la première personne29… » Lire/écrire
implique ainsi une capacité d’identification, par exemple à un héros.

Tisser des relations avec ses pairs


La spécificité de l’école est que les apprentissages s’y font en groupe
et que chacun est témoin de ce qui se passe pour l’autre, que ce soit de
la façon d’apprendre, du rythme d’apprentissage, du comportement et
des propos qu’émet l’enseignant sur tout cela. C’est dire si les relations
avec les autres vont avoir de l’importance et si le fait de pouvoir en tisser
va vite s’avérer indispensable. Les relations dans une classe s’établissent
selon plusieurs directions entrecroisées : entre les enfants, des enfants vers
l’enseignant et inversement, du groupe dans son ensemble vers l’ensei-
gnant et inversement (les enfants perçoivent aussi le type de relations
entretenues par l’enseignant avec ses collègues, par exemple le direc-
teur, etc.). L’effet d’une bonne régulation des différentes relations se fait
sentir au niveau de l’ambiance de la classe qui devient ainsi un lieu
propice ou non aux apprentissages. Ce sont aussi les éléments en lien

28. BETTELHEIM B. et ZELAN K. : La Lecture et l’enfant. Paris, Robert Laffont, 1981,


pp. 149-150.
29. Idem, p. 154.

113
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

avec ce que nous désignerons sous les termes de « transfert » et « contre-


transfert30 » qu’il s’agit de comprendre ici. Plusieurs aspects sont à consi-
dérer de ce point de vue :
• L’aspect intra-individuel : chaque enfant doit se sentir à l’aise sur un
plan personnel pour être à l’aise dans le groupe. Lorsqu’un enfant se sent
mal pour une raison quelconque, ses relations avec les autres s’en ressen-
tent, ainsi que la qualité de ses apprentissages. Les raisons d’un mal-être
peuvent être extérieures à l’école mais aussi dues à l’école, du fait, notam-
ment, du mode de fonctionnement groupal dont nous parlions plus haut.
Pouvoir supporter, par exemple, d’être interrogé et de répondre (de façon
erronée quelquefois !) devant tous les autres nécessite d’être suffisamment
« solide », d’avoir suffisamment confiance en soi, de se sentir « accom-
pagné » comme nous le disions plus haut, et peut être vécu comme une
grande violence dans certains cas.
• L’aspect interindividuel et groupal : le groupe est bien plus qu’une
somme d’individus, il y a des effets de groupe difficiles à gérer pour
l’enseignant. Celui-ci est à la fois dans le groupe-classe, mais hors du
groupe d’élèves par la position particulière qu’il occupe. Il est lui-même
pris dans le jeu des relations interindividuelles, qu’elles soient entre lui
et chacun des enfants ou entre lui et le groupe dans son ensemble. L’équi-
libre d’un groupe est instable et l’enseignant peut se retrouver au sein
d’un groupe en « crise » (déstabilisé par un élément interne au groupe
ou extérieur mais qui a un retentissement à l’intérieur) et sa position
« dedans / dehors le groupe-classe » ne permet pas toujours de gérer et
rétablir l’équilibre. L’intervention du psychologue est souvent sollicitée
pour aider à comprendre des conflits particuliers ou simplement une
mauvaise ambiance dans la classe. Dans ce cas, il s’agit pour le psycho-
logue d’aménager un espace que l’on pourrait qualifier de « transitionnel »
au sens de Winnicott : « le concept de transitionnalité permet de repérer
les conditions qui vont rendre possible la capacité de rétablir, dans l’expé-
rience de la rupture, des symboles d’union31 », espace et temps pour

30. Le terme « transfert » est utilisé ici dans une acception plus large que ce qui est défini
dans la cure psychanalytique. Il s’agit des mécanismes inconscients qui sont à l’œuvre dans
la relation entre l’enseignant et les enfants, dans lesquels ceux-ci reportent sur l’enseignant
ou répètent vis-à-vis de lui des sentiments ou une relation initialement vécus sur une autre
scène (familiale le plus souvent dans ce cas). La réponse inconsciente de l’enseignant serait
le contre-transfert.
31. KAËS R. et coll. : « Introduction à l’analyse transitionnelle » in Crise, rupture et dépasse-
ment ». Paris, Dunod, 1979, p. 61.

114
Le retentissement de l’école dans le développement psychoaffectif de l’enfant

élaborer ce qui fait rupture dans la continuité du groupe et qui gêne la


mise au travail des enfants.

• Se sentir bien en classe : l’aspect intra-individuel


Christelle est en CM1 et demande elle-même à me rencontrer. Pour
l’enseignante, c’est une fillette qui ne pose pas de problèmes particu-
liers, ses résultats sont « moyens », elle est calme, un peu timide et
solitaire. Au cours du premier entretien, Christelle pose d’emblée tous
les problèmes qu’elle dit avoir dans la classe : elle se sent mal, a
toujours peur de se tromper, n’a pas de copines et, en fait, elle n’aime
pas l’école. Je lui demande ce qui se passe avec les copines, elle me
répond qu’« elles veulent toujours commander et décider à quoi on
joue, et puis, elles sont trop curieuses, elles veulent tout savoir ! » Je
lui réponds alors : « Et bien sûr, toi, tu ne peux pas en parler ! » Elle
se met alors à parler de sa situation familiale : elle vit avec sa mère,
son beau-père et ses deux petits frères (enfants du nouveau couple).
Elle n’a plus de relations avec son père (dont elle porte le nom) et
aimerait comprendre pourquoi, mais elle n’ose pas en parler, surtout
à son beau-père parce qu’elle a peur de lui faire de la peine. Nous
terminerons cet entretien sur l’idée, finalement exprimée par Christelle,
qu’il serait peut-être nécessaire que nous ayons un deuxième entre-
tien, mais cette fois avec sa mère et son beau-père. Je laisse mes coor-
données à l’enfant ainsi que l’initiative de la démarche.
Quelques jours plus tard, les parents téléphonent pour prendre un
rendez-vous qui sera suivi de quelques autres et qui permettront de
clarifier, pour Christelle, la situation. Elle a pu, entre autres, reprendre
contact avec son père mais de plus, elle a commencé à s’épanouir en
classe, lier des relations avec les autres, prendre des initiatives
(proposer par exemple de faire un exposé devant les autres, ce qui l’a
beaucoup valorisée) et, dans un second temps, avoir des résultats
scolaires sensiblement meilleurs qu’avant.

Pouvoir demander l’aide du psychologue a été important pour


Christelle. Sa demande portait initialement sur son mal-être en classe,
surtout avec les autres, et c’est cela qui a été « prétexté », cela qui faisait
souffrir, même si l’origine était ailleurs ; c’est bien dans l’écoute psycho-
logique du discours latent qu’un travail a pu se faire, qui a permis dans
cet exemple une meilleure efficacité de l’enfant en classe.
Dans d’autres cas, c’est l’école qui est à l’origine du mal-être. En effet,
les jugements portés, de manière adressée au collectif de la classe, sur la

115
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

réussite ou la difficulté scolaires, atteignent les enfants de façon très


profonde. Les enfants en difficulté ou en échec scolaire en sortent rare-
ment indemnes : en témoignent quelques paroles d’enfants recueillies au
cours d’entretiens ou de bilans psychologiques :

« J’ai eu 0 en maths, ça m’a fait l’impression que je tombais au fond


d’un gouffre. » (Élodie, CM1)
« J’ai peur de redoubler, c’est la honte, les autres vont se moquer. »
(Ahmed, CM2)
« Je suis trop nulle… ! » (Amélie, CE2)
« Si je redouble, ma mère, elle va me tuer… C’est la faute du maître,
il me déteste. » (Arnaud, CE2)

À propos de ces enfants (pris parmi beaucoup d’autres !), la demande


formulée au psychologue, par l’enseignant et/ou la famille, faisait appa-
raître des difficultés scolaires mais aussi relationnelles et comportemen-
tales : retrait et timidité, angoisse et refus (voire phobie) scolaire, ou
encore provocation et agressivité. L’atteinte narcissique profonde
constatée chez ces enfants témoigne de la violence qui leur est faite,
violence qui les atteint dans l’estime qu’ils ont d’eux-mêmes et dans la
qualité de leur relation avec les autres.
En effet, la question du passage en classe supérieure ou du redou-
blement, ou celle de la réussite scolaire « normale » ou « normée »,
malgré la mise en place des cycles à l’école, reste toujours une inquié-
tude forte. En effet, derrière cela se profile la question de l’acceptation
de la différence entre enfants : différence des rythmes d’apprentissage,
différence des modes d’apprentissage, différence des types de réussite.
Se joue également, nous l’avons vu, tout ce que l’enfant vit, sur le plan
narcissique, dans la comparaison avec les autres, ceux qui parviennent
à « passer » dans la classe supérieure, ceux qui ont des bonnes notes…
même si l’enseignant ou les parents se gardent de porter des jugements
consciemment explicites. Il s’agit ici de la possibilité ou non d’être
comme les autres, à la fois autre et « comme », c’est-à-dire reconnu dans
sa dimension de « sujet », possibilité de s’insérer et d’être reconnu dans
un groupe…

• Le groupe-classe
Un enseignant de cours moyen me sollicite pour parler de sa classe
dans laquelle, dit-il, « l’ambiance est détestable, il y a toujours des
conflits et le temps passé à régler les conflits devient plus important

116
Le retentissement de l’école dans le développement psychoaffectif de l’enfant

que celui consacré aux apprentissages ». L’idée de proposer aux enfants


des « groupes de parole » dans l’école est reprise par l’enseignant et
présentée aux élèves qui y semblent très favorables, d’autant qu’ils se
sentent mal eux-mêmes dans cette atmosphère. Ces rencontres en petits
groupes (de cinq ou six enfants maximum) vont permettre aux enfants
de parler dans un premier temps des difficultés (difficultés rencontrées
dans la classe mais aussi dans le quartier et qui venaient faire effrac-
tion jusque dans la classe), puis de comprendre et de prendre de la
distance, et enfin de trouver quelques solutions qui permettent de
réguler leurs relations. Après un trimestre environ de travail du psycho-
logue avec les groupes, à raison d’une fois par semaine et par groupe,
l’enseignant a noté une sensible amélioration des relations dans la
classe et une ambiance de travail plus sérieuse.

Dans ce cas, l’intervention du psychologue a permis d’instaurer un lieu


et un cadre où les éléments relationnels pouvaient être évoqués, traités,
repris, élaborés. Cela permettait aux enfants de différer les problèmes
quand ils surgissaient dans la classe car ils savaient qu’ils auraient un
temps pour en parler, ce qui leur laissait l’esprit libre pour se mettre au
travail et qui laissait également l’esprit libre à l’enseignant pour « faire
la classe » car il savait qu’il n’avait pas à traiter le problème dans l’urgence,
tout en gardant bien sûr son rôle d’adulte garant du cadre de la classe.
La possibilité pour chacun de prendre de la distance par rapport à ce qui
se passait en classe a permis également d’apaiser les tensions et d’ouvrir
un dialogue entre les enfants où la peur éprouvée par certains vis-à-vis
d’autres a pu être évoquée. Le constat, fait aussi par l’enseignant, d’une
diminution des conflits, voire de la violence, dans la classe, laisse penser
qu’une des pistes de solutions dans la lutte contre la violence à l’école
pourrait passer par un travail de ce type.
D’autres demandes du même ordre de la part d’enseignants ont surgi
et, dans certaines écoles, des groupes de parole pour les enfants fonc-
tionnent depuis plusieurs années, groupes qui peuvent être animés
conjointement par le ou la psychologue et un autre membre du Rased.
Le cadre retenu pour mettre en place ce travail de groupe inclut la
possibilité, pour chaque enfant, de parler de « tout ce qui fait souci et/ou
qui empêche de se mettre à travailler en classe », sachant aussi que « tout
ce qui se dit dans le groupe reste dans le groupe et ne sera pas divulgué à
l’extérieur, sauf en cas de révélation de faits de violence ou de danger ». Le
fait d’instaurer la garantie du secret permet, entre autres, à chacun des
adultes impliqués de garder sa place, notamment à l’enseignant de

117
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

travailler avec les enfants sans « pensées parasites32 » concernant ce qui


est vécu par les enfants, soit au sein de la classe, soit en dehors. Le secret
est aussi une valeur d’intériorité, cela crée du « dedans ».
De même que les enseignants ont besoin de groupes d’analyse de la
pratique, ne pourrait-on imaginer que les enfants aient besoin d’un
« groupe de parole » ? Dans certaines écoles, dont les enseignants se sont
formés à la pédagogie institutionnelle, des groupes d’enfants se réunissent
officiellement pour parler de ce qui se passe dans la classe (conseils
d’enfants) et pour régler le fonctionnement de la classe et du groupe au
niveau organisationnel. Dans d’autres classes, c’est le « groupe-philo » ou
le « coin-philo », souvent animé par un membre du Rased (rééducateur ou
maître « E »). Dans tous ces cas, si la finalité et le cadre sont différents,
la base commune est d’introduire de la parole et de la pensée sur ce qui
se passe ou sur un sujet particulier (groupes-philo), mais la spécificité de
l’intervention du psychologue dans ce cadre est bien de travailler avec (et
sur) les mécanismes inconscients qui sont à l’œuvre dans le groupe ou
pour l’individu et qui provoquent quelquefois des dysfonctionnements.
Ce type de travail permet non seulement de réguler les relations au
sein d’une classe, ou entre les enfants, il aide à une « écoute active » des
préoccupations des enfants, préoccupations qui paraissent quelquefois loin
de l’école mais qui ont une incidence directe sur le travail scolaire, il
instaure aussi un travail d’équipe et de collaboration fructueux au sein
même de l’école entre l’équipe enseignante, le psychologue et les autres
membres du Rased, dans le respect mutuel des fonctions et des rôles de
chacun. Enfin, le psychologue étant plus présent au niveau de tous les
enfants et sa fonction étant mieux perçue, il reçoit des demandes person-
nelles de la part des enfants (comme celle de Christelle, ci-dessus). Encore
faudrait-il que le psychologue puisse consacrer un temps suffisamment
conséquent à chaque école… ou peut-être prioritairement aux écoles les
plus en difficulté… ce qui n’est pas souvent possible dans les faits, compte
tenu de l’étendue des secteurs affectés à chaque psychologue scolaire
(étendue liée au nombre insuffisant de psychologues). En pratique, ce
travail se réalise à la place d’autres actions tout aussi importantes.
Enfin, des demandes ponctuelles d’intervention dans le groupe-classe
ou toujours en petits groupes sont de plus en plus souvent formulées lors
d’événements perturbants : décès d’un parent d’enfant d’une classe, décès

32. J’appelle ici « pensées parasites » tout ce que l’enseignant pourrait apprendre de trop
personnel sur ses élèves ou sur la façon dont ils le perçoivent et qui viendrait mettre du
« trop d’affect » dans la relation pédagogique qui s’en trouverait ainsi mise à mal.

118
Le retentissement de l’école dans le développement psychoaffectif de l’enfant

de l’enseignant, violences (y compris événements de l’actualité dans le


monde)… Tous ces événements peuvent engendrer des moments de
grandes tensions au cours desquels le groupe est très déstabilisé et où
surgissent alors des conflits ou des perturbations qui sont à traiter dans
un cadre hors classe pour les apaiser.

L’école peut ainsi être le lieu où surgissent ou se révèlent des diffi-


cultés affectives et relationnelles qui peuvent influer négativement sur
les apprentissages. En aidant les enseignants, mais aussi les enfants à
dénouer ce qui perturbe, la disponibilité de ces derniers aux apprentis-
sages est rendue meilleure.

Pour conclure…
Nous avons tenté de faire apparaître, au long de ces pages, les
enjeux de l’école dans la vie psychoaffective de l’enfant. Bien que nos
réflexions aient ainsi été axées sur les aspects affectifs et relationnels et
non sur les aspects cognitifs (être attentif, percevoir, mémoriser,
apprendre, réfléchir…), il serait erroné de penser que le psychologue « en
milieu scolaire » aurait à intervenir exclusivement sur le plan psychoaf-
fectif. Mais ce qui se joue à l’école est loin de se réduire à des questions
de transmission et d’échange de savoir(s), et l’école n’est pas qu’un lieu
d’apprentissages. Le psychologue trouve aussi sa place et son rôle dans
l’attention portée à cette « partie obscure » qui fait obstacle ou blocage
dans le cheminement des enfants vers l’appropriation des connaissances.

119
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

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Conférences
ROUSSILLON R. : « Penser l’objet et ses paradoxes ». Journée de réflexion sur
L’insoutenable capacité de penser, organisée le 18 novembre 1995 dans le cadre du
20e anniversaire du CMPP de Givors et du 50e anniversaire de l’OVE (œuvre des
villages d’enfants).

120
CHAPITRE 6

Le développement sociocognitif
de l’enfant : l’élève sujet
de ses apprentissages

Jean-Marie Besse

L a construction de la personnalité du jeune enfant a beaucoup à voir


avec le travail de pensée qu’il exerce sur le réel, avec la manière dont il
s’y prend pour trier les sensations diverses qu’il reçoit, pour mettre de
l’ordre dans ces informations (qui proviennent d’au-dedans de lui comme
d’au-dehors), pour se représenter les réalités – par des images, des
symboles, des mots, puis des propositions –, pour traiter ces informations,
les stocker en mémoire, puis les rappeler, pour agir sur les objets, pour
entrer en relation avec les réalités physiques du monde, mais aussi avec
les réalités humaines.
Toutes ces activités relèvent en propre d’un domaine de la psychologie
aujourd’hui rassemblé sous l’expression de « psychologie cognitive ». La
question des apprentissages est l’une des plus importantes parmi celles
qui relèvent de ce domaine : elle est bien au centre des recherches sur le
développement sociocognitif. Notons toutefois que ce développement
s’opère en étroite liaison avec ce qui se joue sur le plan psychoaffectif.
Notons également que le développement sociocognitif s’effectue sans que
l’enfant (mais ce sera encore vrai de l’adolescent, puis de l’adulte) soit
toujours conscient qu’il est occupé à réfléchir, à raisonner, à apprendre.
La psychologie cognitive analyse « au plus près la formation et le fonc-
tionnement des connaissances des sujets individuels1 » ; elle essaie, pour

1. VERGNAUD G. : « Concepts et schèmes dans une théorie opératoire de la représenta-


tion » in Psychologie française. 30, 3/4, 1985, p. 251.

121
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

ce faire, de décrire, puis d’expliquer l’activité mentale du sujet. Pour


conduire ces travaux, la psychologie cognitive emprunte plusieurs orien-
tations de recherche, qui développent des approches théoriques et métho-
dologiques diversifiées : commençons, pour nous repérer, par la
présentation de ces courants.

Quelques approches théoriques et méthodologiques


en psychologie cognitive

L’approche constructiviste
Une orientation classique de recherche en psychologie cognitive
s’ancre sur les travaux de Jean Piaget : l’intention de ce dernier était de
constituer une « épistémologie génétique », en étudiant la manière dont
se construisent les connaissances au cours du développement, de décrire
donc les étapes de la construction du savoir. Piaget postulait que l’expli-
cation des formes supérieures de la pensée peut être recherchée dans les
processus de leur formation, dans la naissance – on dit encore la genèse
– de l’intelligence.
Ce courant de la psychologie cognitive – encore très actif aujourd’hui,
même s’il n’est plus dans la position dominante qui était la sienne voici
encore deux à trois décennies – s’efforce de décrire et de modéliser le
développement de l’activité cognitive, chez l’enfant notamment. La
recherche scientifique analyse alors les formes, les structures, le fonction-
nement et les transformations des dimensions cognitives, dans un cadre
théorique référé pour l’essentiel à l’épistémologie constructiviste héritée
de Jean Piaget : les travaux portent sur des processus cognitifs dits de « haut
niveau » (raisonnement, conceptualisations, etc.) appliqués de plus en plus
sur des objets « culturels » (l’écrit, les mathématiques, par exemple) qui
amènent à renouveler et actualiser les problématiques piagétiennes.
Pour dégager les structures de la pensée, le chercheur rencontre l’enfant
au cours d’un entretien individuel : il ne s’agit pas d’obtenir à tout prix
des réponses à des questions préétablies (ce qui caractérise, a contrario,
les tests) ; on cherche plutôt à comprendre quels sont les processus de
raisonnement du sujet au cours de la résolution d’un problème défini en
fonction des hypothèses qui guident la recherche.
Par rapport aux préoccupations de Jean Piaget (décédé en 1980), de
plus en plus de travaux étudient le sujet psychologique concret (alors que
Jean Piaget s’intéressait surtout à un sujet général, théorique, « épisté-

122
Le développement sociocognitif de l’enfant : l’élève sujet de ses apprentissages

mique ») : ce qui devient ainsi l’objet des recherches, c’est l’individu singu-
lier, réel, confronté à une situation proche de la vie quotidienne, l’indi-
vidu aux prises avec des problèmes de compréhension, de communication,
en situation sociale. La description des conduites porte alors sur les modes
de fonctionnement cognitif2, la dynamique de l’activité mentale, et non
plus seulement sur les structures de connaissance3.
Les recherches de ce courant se centrent ainsi sur le sujet occupé à
comprendre et portent tant sur les structures de connaissance qu’il mobi-
lise que sur son fonctionnement cognitif au cours de la résolution d’une
tâche particulière. Ce que le sujet élabore lui-même, ce qu’il pense de
l’objet, met en jeu des processus cognitifs de construction. Au cours de
ces observations, le chercheur constate que l’enfant utilise des procédures4
variées, et il met en évidence des conceptualisations sous-jacentes à ces
procédures de travail : il est remarqué assez souvent un mouvement de
va-et-vient, en stratégies (une séquence ou un ensemble de procédures)
plus ou moins élaborées, entre des procédures relevant de conceptuali-
sations distinctes, donc d’étapes différentes du développement cognitif.
L’enfant essaie des hypothèses de différents niveaux et son fonctionne-
ment cognitif fait ainsi apparaître une plus ou moins grande souplesse.
C’est l’image de la spirale, avancée par Jean Piaget lui-même, qui rend
le mieux compte de ce mouvement souple, hésitant, fait d’allers et de
retours, de réorganisations intégrant autrement les anciens matériaux.

Ce courant a démontré que les informations enseignées ne sont pas


enregistrées telles quelles et que ce qui est conservé, mis en mémoire, ne
constitue pas une simple réplique de ce qui a été transmis : l’individu a
appris des savoirs, mais il les réorganise en connaissances, structurées selon
sa logique propre. La psychologie en milieu scolaire est ainsi directement
concernée par les apports et les démarches de ce courant scientifique.

2. LONGEOT F. : « L’interdépendance des modes de fonctionnement et des contenus de la


pensée » in DREVILLON et al. : Fonctionnement cognitif et individualité. Liège, Mardaga, 1985.
3. INHELDER B. : « Des structures aux processus » in PIAGET J., MOUNOUD P. et
BRONCKART J.-P. (éds) : Psychologie. Paris, encyclopédie de la Pléiade, Gallimard, 1987.
Et INHELDER B., CELLERIER G. et alii : Le Cheminement des découvertes de l’enfant.
Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1992.
4. Une procédure est une suite d’opérations de même nature, qui visent à identifier et à
transformer des données graphiques. On peut citer comme exemples en lecture : la nomi-
nation de lettres, la prononciation phonétique des lettres, la combinaison de lettres et de
sons pour déchiffrer une syllabe ou un mot, l’identification de syllabes ou de mots par
reconnaissance automatique, l’anticipation sémantique ou syntaxique, etc.

123
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

L’approche différentielle
Dans le prolongement des travaux d’Alfred Binet et de René Zazzo
– que nous avons évoqués ci-dessus5 –, des recherches se poursuivent sur
l’utilisation des tests afin de mesurer le développement cognitif : l’atten-
tion est ici portée sur les conditions de mise au point des outils, puis
d’application de ces outils. Le contrôle expérimental et quantitatif (vali-
dation des outils sur des populations à effectif important, avec souci de
vérification de leur représentativité) conduit à des bilans très utiles pour
la connaissance scientifique, mais aussi pour la pratique, au quotidien,
de la psychologie scolaire6.

L’approche « computationnelle »
Un autre courant de recherche, s’opposant au constructivisme pour
se situer résolument sur des positions néopositivistes (croire que l’on peut
obtenir une vérité objective de l’enfant en développement7), se réfère à
des modèles du fonctionnement cognitif conçus en analogie des simula-
tions élaborées en intelligence artificielle, et de l’organisation des ordi-
nateurs (computer, en anglais) : le cerveau – centre des préoccupations de
ce courant – est comparé à l’ordinateur ; c’est pourquoi ce courant est
fréquemment qualifié d’approche computationnelle. Ces recherches
s’inspirent de la théorie du traitement de l’information et présentent
l’organisation mentale en termes de processeurs, de fichiers, de « buffers ».
Par exemple, dans le cadre des recherches sur l’activité de lecture,
certains chercheurs, pour insister sur les seuls aspects cognitifs de cette
activité et la comparer à l’organisation d’un système informatique,
emploient, à son propos, la métaphore de la « machine à lire ». Ce courant
de recherche a construit des modèles destinés à se représenter ce qui se
passe chez le lecteur, entre la perception du texte à lire et la compré-
hension, puis l’expression des idées véhiculées par ce texte. L’objectif est
de dresser l’inventaire des habiletés spécifiques et des composantes de la

5. Voir chapitres 1 et 2.
6. LAUTREY J. : « La mesure des performances intellectuelles » in MICHAUD Y. (éd.) : Qu’est-
ce que la vie psychique ? Paris, Odile Jacob, 2002.
7. Il est significatif de constater que ce néopositivisme est caractéristique des « sciences
cognitives », point de jonction actuel de ce courant de psychologie « objective » et de la
médecine, par le canal de la neurologie. Dans l’institution scolaire, une trace de cette
influence peut être relevée dans le travail de « détection » des difficultés d’apprentissage
effectué… par les médecins scolaires et non par les psychologues scolaires.

124
Le développement sociocognitif de l’enfant : l’élève sujet de ses apprentissages

lecture et de montrer comment elles s’agencent pour produire les compor-


tements de lecteur.
Ce courant s’inscrit dans une approche expérimentaliste et étudie les
questions de manière très analytique, en situation de laboratoire : il s’agit
de fragmenter le champ de problèmes et d’étudier un nombre limité de
variables au cours de chaque expérimentation. La recherche de la preuve
est visée principalement par des techniques de quantification et des calculs
statistiques. Grâce à des techniques d’enregistrement automatique des
réponses du sujet, on peut mieux étudier comment le sujet prélève de
l’information sur l’écrit, comment il la comprend, l’utilise, etc., au cours
de son activité.
Ainsi, la technique d’auto-présentation segmentée consiste à placer le
sujet devant un ordinateur et à lui demander de commander lui-même
la présentation successive sur l’écran de parties de texte (mots, syntagmes
ou propositions), organisées par l’expérimentateur selon ses hypothèses
de recherche (identification respective de mots et de non-mots, par
exemple). L’ordinateur calcule le temps pendant lequel le segment affiché
reste sur l’écran. L’analyse peut alors porter sur le délai mis à « recon-
naître » tel ou tel type de mot ou de groupe de mots.
De même, l’étude fine des mouvements oculaires durant l’exploration
d’un matériel écrit, notamment chez des lecteurs habiles, étude conduite
à l’aide de techniques de plus en plus sophistiquées (enregistrement du
mouvement des yeux et reproduction des prises d’information, en temps
réel, calculées de manière très précise – en fractions de seconde – par
informatique), permet de contrôler des hypothèses sur le type d’infor-
mation repéré par le sujet.
Les premières applications concrètes de ce courant pour la pratique
du psychologue, au-delà des résultats plus généraux sur l’activité cogni-
tive dans tel ou tel champ d’activité, commencent à être disponibles.

L’approche socioconstructiviste
D’autres chercheurs, reprochant aux précédents courants scienti-
fiques de ne travailler, le plus généralement, qu’avec des enfants observés
individuellement (ce qui renvoie à une conception pour laquelle ce sont
des facteurs internes au sujet qui influencent l’essentiel des transforma-
tions cognitives), ont montré que le développement cognitif a beaucoup
à voir au contraire avec la rencontre des autres (autres enfants, adultes)
et que le sujet n’apprend pas « tout seul ». Par exemple, des conflits cogni-
tifs susceptibles de provoquer des progressions cognitives rapides et signi-

125
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

ficatives (par une certaine décentration intellectuelle) peuvent être


suscités par la communication avec un partenaire, à propos d’un problème
rencontré en commun.
Ainsi, lors de situations de travail à plusieurs sur une tâche de même
type – au cours desquelles l’enfant travaille seul un moment sous le regard
de ses camarades, peut ensuite leur demander de l’aide, avant de devenir
à son tour observateur, puis aidant –, le chercheur observe comment
l’enfant essaie de résoudre les problèmes posés, quel soutien il demande
à ses camarades, ce qu’il fait ensuite de cette information apportée,
comment il peut être amené à modifier ses procédures, voire ses concep-
tualisations dans une certaine zone de développement possible8, quelle
aide il apporte aux autres9.
Ce courant de recherche, nous y reviendrons plus loin, est assurément
très directement articulé sur les questions d’apprentissage en milieu
scolaire.

La mesure de « l’intelligence » et la psychologie scolaire


Pour le praticien de la psychologie, qu’il intervienne en psychologie
scolaire ou dans d’autres lieux et cadres, les recherches en psychologie
cognitive (mais c’est également le cas, dans une proportion moindre, pour
les recherches dans d’autres domaines de la psychologie, par exemple pour
les techniques projectives) se présentent à lui sous forme d’outils, plus ou
moins directement reliés à une approche théorique (et requérant donc,
plus ou moins, une compétence effective dans ce domaine théorique),
outils se proposant de conduire à des indications plus ou moins précises,
larges et fiables, sur les capacités intellectuelles actuelles d’un enfant.
Les grands courants théoriques et méthodologiques de la psychologie
cognitive cités plus haut fournissent, chacun, des outils susceptibles d’aider
le psychologue dans son travail de praticien. Nous verrons que ces
courants ont produit des outils correspondant à des questionnements bien
distincts, significatifs de manières différentes de concevoir la démarche
de travail du psychologue scolaire.

8. VYGOTSKI L. S. : Pensée et langage. Paris, Éditions sociales, 1985.


9. DOISE W. et MUGNY G. : Le Développement social de l’intelligence. Paris, Interédition, 1984.

126
Le développement sociocognitif de l’enfant : l’élève sujet de ses apprentissages

Mesurer l’intelligence « générale »


La perspective la plus habituelle, lorsqu’un psychologue est inter-
pellé sur la question de difficultés scolaires d’un élève, consiste à vérifier
les possibilités actuelles d’activation des capacités cognitives générales (sans
compter l’importante demande institutionnelle à produire des « bilans
cognitifs10 » en termes de niveaux d’intelligence, donc, le plus souvent, de
quotient intellectuel). Dans ce contexte, nous l’avons déjà observé à propos
du travail de diagnostic progressif développé par René Zazzo, le psycho-
logue scolaire se sert le plus souvent d’un test d’efficience générale.
Mettre en évidence les différences interindividuelles à l’aide de tests
normalisés, tel est bien l’un des objectifs principaux de l’approche diffé-
rentielle, ce courant de la psychologie cognitive présenté plus haut. Très
influencé dans son histoire par l’approche expérimentale, ce courant s’est
efforcé de construire des outils pour les psychologues praticiens, outils à
la fois valides (car capables de bien mettre en évidence ce que l’on cherche
à mesurer), fiables dans le temps et susceptibles de faire apparaître les
différences interindividuelles les plus ténues possibles. Les contributions
de psychologues comme Alfred Binet (l’échelle métrique de l’intelligence,
dite aussi « test Binet-Simon »), René Zazzo (qui actualisa le Binet-Simon,
sous la forme de la NEMI, ou nouvelle échelle métrique de l’intelligence),
ou encore David Wechsler aux États-Unis, ont marqué fortement les
pratiques psychologiques.
Nous prendrons ici, quoique succinctement, l’exemple du test vrai-
semblablement le plus utilisé par les psychologues intervenant en milieu
scolaire, l’échelle de mesure de l’intelligence des enfants de Wechsler (le
WISC : Wechsler Intelligence Scale for Children), pour montrer ce que peut
être le travail du psychologue scolaire.

• Le WISC
Depuis sa création, ce test a donné lieu à des formes renouvelées, pour
tenir compte des recherches, sur sa validité notamment. La version actuel-
lement utilisée est le WISC-III (un WISC-IV est en préparation).
Ce test comprend dix épreuves, respectivement : le complètement
d’images, l’information, le code, les similitudes, l’arrangement d’images,
l’arithmétique, les cubes, le vocabulaire, l’assemblage d’objets et la

10. Un signe qui ne trompe guère de cette pression de l’institution éducative se retrouve
dans un néologisme employé pour décrire cette part de l’activité des psychologues scolaires :
on parle assez souvent de « bilanter » un élève !

127
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

compréhension (trois autres épreuves : les symboles, la mémoire des


chiffres et les labyrinthes, peuvent, le cas échéant, se substituer à certaines
des épreuves de départ).
Les résultats obtenus par chaque enfant, en passation individuelle, sont
comparés aux résultats obtenus par un groupe d’enfants comparables :
l’étalonnage permet ainsi de situer les performances de chaque sujet par
rapport à son groupe de référence.
Les travaux accomplis sur ce test conduisent à établir des scores par
domaines, en totalisant les résultats à certaines épreuves : on obtient ainsi
le QI (quotient intellectuel) verbal, le QI performance, un score en
comportement verbal, un autre en organisation perceptive, un encore en
vitesse de traitement.
De plus, la note obtenue directement à chaque épreuve (dite « note
brute ») peut être comparée, à la suite d’une transposition (aboutissant à
une note dite « standard »), aux notes standard obtenues aux autres épreuves
et un indice de dispersion des notes peut ainsi être calculé sur les mêmes
bases, ce qui aide à situer les disparités dans l’efficience cognitive.
Le WISC évalue ainsi différents domaines de l’activité cognitive, en
recueillant, dans un cadre méthodologique rigoureux, des résultats de
l’activité cognitive du sujet dans une situation d’examen individuel sous
le regard du psychologue. Mais son mode de questionnement s’apparente
beaucoup au jeu des questions-réponses qui caractérisent nombre de
pratiques scolaires, et ce type de relation se pose d’emblée sur un plan
hiérarchique (le psychologue – comme le maître – sait, l’élève est inter-
rogé sur ses savoirs et manifeste ainsi ses réussites et ses manques), qui
peut entraver la spontanéité de l’enfant sur d’autres plans (lorsqu’il
voudrait « confier » quelque chose au psychologue, par exemple).

• L’examen opératoire
B. Inhelder, l’une des plus proches collaboratrices de Jean Piaget, préco-
nisa très vite une adaptation des épreuves utilisées pour la recherche
scientifique par l’équipe de Genève, dans le but de construire une évalua-
tion du développement cognitif appuyée sur les travaux liés à l’approche
constructiviste. Dans cet esprit, l’échelle collective de développement de
la pensée logique proposée par F. Longeot donne un exemple de la trans-
position possible de cette démarche à la pratique du psychologue. Des
collaborateurs de Jean Piaget ont également proposé des harmonisations
(le terme « normalisation » – qui renvoie aux tests standardisés – est
incompatible avec l’esprit de l’entretien clinico-critique préconisé par Jean
Piaget) des situations mises au point par les piagétiens.

128
Le développement sociocognitif de l’enfant : l’élève sujet de ses apprentissages

Renouvelant la démarche psychométrique classique visant à évaluer


l’intelligence générale à l’aide de tests, la psychologie du développement
cognitif d’inspiration piagétienne continue à faire l’hypothèse que
l’approche structuro-fonctionnelle, dans le prolongement actualisé des
travaux de Jean Piaget, des dimensions fondamentales de l’intelligence est
susceptible d’expliquer une part notable des difficultés d’apprentissage11.

Mesurer des dimensions partielles, des « modules »


L’approche dite « computationnelle » étudie des fonctionnements
sur des domaines très limités de l’activité cognitive afin de conduire, sur
ces questions, des approches strictement expérimentales. Pour montrer
quels peuvent être la portée et l’intérêt de cette approche pour le psycho-
logue scolaire, nous prendrons seulement l’exemple des recherches sur le
rôle de la mémoire dans les apprentissages12.
L’idée qu’il existe des mémoires plutôt qu’une forme unique de
mémoire procède notamment de travaux déjà anciens en psychologie
expérimentale : la distinction entre mémoire à court terme et mémoire
à long terme traduit notamment cette hypothèse. Les recherches conti-
nuent de se poursuivre sur le rôle et l’organisation de la mémoire, et des
modèles tentant de rendre compte de nos représentations les plus actuelles
de ces mécanismes se succèdent dans les publications scientifiques, témoi-
gnant de l’importance accordée à ces thèmes.
En matière éducative, cette question, bien au-delà des polémiques régu-
lièrement réactivées sur le fait que les pratiques scolaires actuelles entraî-
neraient plus ou moins bien cette capacité – en général, les polémistes
semblent estimer que la situation présente serait plutôt en dégradation
par rapport à un passé volontiers idéalisé – est en effet centrale. Les
recherches sur la mémoire de travail, par exemple, indiquent qu’il
convient de se dégager de ces a priori et de s’appuyer sur les données
issues de travaux rigoureusement conduits. Des outils spécifiques aidant
à l’évaluation de ces compétences ont été élaborés et indiquent l’impor-
tance des variations interindividuelles13.

11. DOLLE J.-M. et BELLANO D. : Ces enfants qui n’apprennent pas. Paris, Le Centurion,
1989.
12. ROULIN J.-L. et coll. : Psychologie cognitive. Paris, Bréal, 1998.
Et REED S. : Cognition. Théories et applications. Paris-Bruxelles, De Boeck Université, 1999
(trad. fr.).
13. GAONAC’H D. et LARIGAUDERIE P. : Mémoire et fonctionnement cognitif. Paris, Armand
Colin, 2000.

129
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

Mesurer des processus généraux


L’intérêt porté, depuis quelques années, au fonctionnement intel-
lectuel plus qu’à l’évaluation de résultats (car ces derniers sont peu infor-
matifs, en définitive, sur la manière dont ils ont été produits par les sujets
testés) a conduit plusieurs chercheurs à proposer de nouveaux outils. Nous
prendrons ici l’exemple des recherches d’Alan Kaufman (qui fut l’élève
puis le collaborateur de David Wechsler) sur le K-ABC (pour Kaufman
Assessment Battery for Children), dont la version américaine parut en 1983
(il fallut attendre 1993 pour la version française).
• Le K-ABC
Sur le plan théorique, ce nouvel outil, étalonné pour des enfants de
deux ans six mois à douze ans six mois, se réfère aux travaux sur la loca-
lisation cérébrale des processus mentaux (conception dichotomique de la
distribution des tâches entre les deux hémisphères), mais aussi aux théo-
ries cognitivistes du traitement de l’information – l’approche computa-
tionnelle – où l’accent est mis plus sur les processus que sur les aptitudes.
Il s’agit bien toujours de mesurer l’intelligence, définie comme un
« niveau de fonctionnement des processus mentaux14 », mais en distin-
guant entre connaissances acquises et capacités à résoudre des problèmes
nouveaux. De plus, Kaufman reprend les positions de Luria, neuropsy-
chologue russe, qui avait proposé, dans les années 1960, une distinction
entre les processus séquentiels et les processus simultanés. Les processus
séquentiels sont analytiques, méthodiques, ordonnés. Le sujet travaille
alors en suivant des étapes. Les processus simultanés sont synthétiques,
les stimuli y sont traités tous à la fois (et non élément par élément).
La structure du K-ABC comprend les échelles et les épreuves suivantes :
Échelle de Processus séquentiels (mouvements de mains ; mémoire immé-
diate des chiffres ; suites de mots) ; Échelle de Processus simultanés (recon-
naissance de formes ; triangles ; matrices analogiques ; mémoire spatiale ;
séries de photos) ; Échelle de Connaissances (personnages et lieux connus ;
arithmétique ; devinettes ; lecture et déchiffrement ; lecture et compré-
hension).
Cet outil fournit des notes standardisées (moyenne 100, écart type 15)
dans quatre domaines :
– Échelle de Processus séquentiels : bonne corrélation avec le QI verbal
du WISC ;

14. KAUFMAN A. S. et coll. : K-ABC. Pratique et fondements théoriques. Grenoble, La Pensée


Sauvage, 1995, p. 23.

130
Le développement sociocognitif de l’enfant : l’élève sujet de ses apprentissages

– Échelle de Processus simultanés : bonne corrélation avec le QI perfor-


mance du WISC ;
– Échelle de Processus mentaux composites : bonne corrélation avec le QI
global du WISC (un abrégé de cette échelle – l’échelle non verbale – est
utilisé pour l’évaluation d’enfants handicapés auditifs, ou non franco-
phones, ou présentant des troubles de la parole ou du langage) ;
– Échelle de Connaissances : bonne corrélation avec le QI verbal du WISC.
Le K-ABC est ainsi un outil complémentaire du WISC, qui évalue à la
fois des domaines proches et des questions nouvelles.

Mesurer des processus cognitifs dans des situations sociales


Lorsque l’on envisage l’intelligence dans sa dimension sociale et
relationnelle, on constate que la plupart des outils classiques de mesure
de l’intelligence font comme si leur définition implicite de « l’intelligence
générale », mesurée à l’aide d’une série de questions posées par un adulte
seul avec un enfant, pouvait refléter l’utilisation de l’intelligence dans la
plupart des situations de la vie quotidienne (le modèle scolaire d’appren-
tissage, de son côté, fait souvent comme si l’enfant était censé apprendre
dans une relation avec le seul maître, les interactions avec les autres
élèves étant étroitement surveillées, voire même parfois interdites).
Or, la compétence sociale est un facteur important pour le dévelop-
pement de l’intelligence et de la personnalité. Plusieurs échelles d’obser-
vation des conduites ont été mises au point pour tenter d’approcher cette
compétence : par exemple, la Vineland Adaptative Behavior Scale, destinée
aux enfants de moins de six ans, examine les domaines de la communi-
cation, des aptitudes dans la vie quotidienne, de la socialisation et des
habiletés motrices. Ce type d’échelle vise à recueillir des informations
auprès des personnes qui fréquentent assez régulièrement l’enfant
(parents, enseignants, éducateurs).
D’autres échelles ont été construites pour des observations d’enfants
sur des tâches contrôlées (résolution de problèmes – de lecture, d’écri-
ture, de mathématiques par exemple – à plusieurs) et semblent donc plus
fiables que le témoignage de proches de l’enfant15.
L’approche socioconstructiviste ouvre ainsi un champ de travail très
pertinent pour le psychologue scolaire.

15. PATUREL K. : Échelle d’observation de conduites en production d’écrits à plusieurs. PsyEF.


Université de Lyon 2, non publié.

131
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

Mesurer des processus sur des objets de connaissance


Les recherches et les outils de mesure des dimensions cognitives
évoqués ci-dessus ont en commun de prendre en compte des activités
cognitives « générales », susceptibles d’intervenir dans des situations très
variées mettant aux prises le sujet avec son environnement. D’autres
recherches ont emprunté une nouvelle démarche, en étudiant les
conduites concrètes de sujets confrontés à des objets particuliers16 et en
se demandant si les théories et les outils généraux permettaient de rendre
compte efficacement de l’activité cognitive face à ces objets.
Pour mieux saisir la nature des questions impliquées par cette nouvelle
orientation, nous prendrons deux exemples, choisis dans le champ des
apprentissages sur lesquels le psychologue scolaire est directement
concerné : le rapport à l’écrit (la lecture et l’écriture) et le rapport aux
mathématiques.

Les obstacles cognitifs rencontrés par l’enfant


dans sa découverte de l’écrit
Lire et écrire n’a rien d’une acquisition naturelle : notre système d’écri-
ture s’est élaboré au travers d’emprunts divers au long d’une histoire
mouvementée17 et nul ne peut, seul, le réinventer. Entrer dans l’écrit18
suppose donc de commencer par recevoir un certain nombre d’informa-
tions sur les principes et les conventions qui en régissent l’organisation
et l’usage. Le système français d’écriture est l’un des modes de représen-
tation du réel et de l’imaginaire, qui forme un moyen original et parti-
culièrement efficace de communication différée. Cette modalité de
communication par l’écrit constitue une représentation codée de la langue
orale (qui code elle-même ce qu’elle désigne) ; elle a des structures propres,
partiellement distinctes de celles de la langue orale.

16. Cette démarche était déjà préconisée par Henri Wallon, lorsqu’il relevait, en préface au
livre de Prudhommeau, Le Dessin de l’enfant, Paris, PUF, 1947 (2e éd.), « quelle distance il
peut y avoir entre le résultat, qui se limite souvent à quelques traits épars, à quelque figure
informe et les efforts, les intentions avortées de l’enfant. N’est-ce pas cette activité elle-
même plus que l’œuvre qui importe pour le psychologue et la psychologie ? », p. VII.
17. WALTER H. : Le Français dans tous les sens. Paris, Robert Laffont, 1988.
18. Quand nous parlons d’écrit, nous évoquons un objet complet et complexe : « système
d’écriture ; pratiques d’écriture et de lecture ; représentations sociales de la lecture et de
l’écriture, etc. ».

132
Le développement sociocognitif de l’enfant : l’élève sujet de ses apprentissages

• Lire et écrire : des enjeux culturels et sociaux


Le système français d’écriture appartient, au sein des écritures alpha-
bétiques, aux systèmes morphophonographiques. L’étude scientifique de
ce système d’écriture décrit l’origine de ses formes, de ses irrégularités et
insiste sur son originalité : les analyses des linguistes19 indiquent que ce
système comprend, à côté des phonogrammes, des morphogrammes et
des logogrammes : il conviendrait donc de parler de plusieurs sous-
systèmes, définissant de fait un plurisystème d’écriture. Ce sont donc
plusieurs codes que le jeune apprenti lecteur-scripteur doit comprendre et
apprendre (ainsi que les rapports entre ces codes).
L’usage de l’alphabet économise le temps moyen d’apprentissage de la
langue, grâce à l’établissement de conventions de codage qui régissent les
relations entre les chaînes écrite et orale : par exemple, pour utiliser le
code graphophonétique, il faut comprendre qu’une lettre est une forme
qui ne représente rien de « naturel » (cela ne représente ni un objet, ni
un animal, ni un être humain, ni un élément du monde physique) ; de
même, il faut comprendre que le « phonème » est une catégorie abstraite
de la parole, qui n’est pas immédiatement perceptible par l’auditeur (qui
doit procéder, pour l’isoler, à une décomposition, non spontanée, de l’oral).
Cette information sur les structures, les fonctions et les usages de
l’écrit a été confiée principalement au système scolaire et l’école est
devenue le lieu central, premier pour beaucoup, de la rencontre avec
l’écrit. Mais il ne suffit pas d’enseigner à lire et à écrire à tous pour que
chacun apprenne…
En effet, pour nombre d’élèves, lire et écrire, c’est apprendre à se
servir de l’écrit selon ses seules formes scolaires, à tel point que beau-
coup d’entre eux vont se comporter comme s’il n’existait que ces seules
formes-là. L’apprentissage de l’écrit peut être alors perçu par certains
élèves comme peu utile en dehors du cadre scolaire ; une fois sortis de
l’école, ils s’efforceront de contourner cet écrit en quoi ils ne verront
guère qu’une tradition scolaire. L’écrit devient trop souvent, dans le
cadre de l’apprentissage scolarisé, une fin en soi, un but particulier,
dont l’acquisition en conditionne d’autres (lire pour apprendre les
mathématiques, les sciences, etc.), alors qu’il est essentiellement un
moyen d’expression et de communication : lire et écrire, c’est se servir
de marques graphiques particulières pour mettre devant soi, sur un
espace orienté, des faits, des idées, des paroles, que l’on pourra main-

19. CATACH N. (éd.) : Pour une théorie de la langue écrite. Paris, éditions du CNRS, 1988.

133
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

tenir en mémoire, disposer à distance de soi, construire en représen-


tation, parfois mettre en communication, c’est-à-dire échanger, penser,
et aussi apprendre20.
Pour ces élèves, la transmission de l’héritage culturel s’opère alors prin-
cipalement par le geste, la parole, l’image. Les bénéfices de l’écrit, liés à
la possibilité de revenir sur le texte, de l’examiner, de le comparer à
d’autres sources, bref de se distancier de l’émotionnel instantané, risquent
alors d’être perdus. Ce mouvement de rejet limite aussi la possibilité de
se confronter à la langue écrite, c’est-à-dire la confrontation à une langue
autre que celle de son groupe de première appartenance, la langue de la
famille, des copains, du quartier.
L’écrit, pour beaucoup trop d’élèves puis d’adultes, devient ainsi un
objet qui fait écran, écran propice à toutes les projections, celles autori-
sées par le merveilleux de l’imaginaire21, celles liées aux traces incons-
cientes sollicitées par des signifiants (lettres, syllabes et mots) peu stables
ou polysémiques : les apprentis lecteurs-scripteurs doivent en effet traiter
des unités sans signification, celles de la deuxième articulation du langage,
les combiner pour (re)créer du sens, parvenir à des énoncés porteurs de
réalités langagières renvoyant à des réalités d’expérience du monde
physique et humain.
L’écrit apporte ses spécificités à l’exercice des activités intellectuelles :
mise en espace de discours, d’événements, de souvenirs, qui ont été
prononcés ou vécus dans la durée, dans le temps, il amène son usager à
prendre l’habitude, sans qu’il en soit toujours conscient, de mettre le
ressenti à distance, de l’observer, le mettre en ordre, l’organiser, le sortir
du contexte. La séparation de l’événement par rapport à soi et la segmen-
tation du discours en un texte découpé en mots, jointes à la permanence
ainsi assurée par l’écrit, aident grandement le travail de la réflexion,
contribuent à la clarification de la pensée, grâce à une trace qui demeure
et peut se reprendre, en établissant de nouveaux liens entre les moments,
les objets, les pensées : lire, c’est, fondamentalement, lier.

20. L’écrit assure des fonctions personnelles (accès à l’imaginaire, à l’expression de soi, à des
écrits utilitaires, documentaires, etc.), sociales (relations interpersonnelles), culturelles (accès
à des formes de sensation, d’émotion et de pensée transmises dans la « langue des livres »)
et intellectuelles (mise en mémoire et possibilité de rappel, de support de la pensée, mise
en re-présentation, mise en espace, en discontinu, en ordre, à distance, en décontextuali-
sation) (Goody, 1979, 1986).
21. BETTELHEIM B. et ZELAN K. : La Lecture et l’enfant. Paris, Robert Laffont, 1983 (trad.).
Et DOLTO F. : La Cause des enfants. Paris, Robert Laffont, 1985.

134
Le développement sociocognitif de l’enfant : l’élève sujet de ses apprentissages

L’écrit et l’école ne sont, chacun, que des moyens : l’écrit n’est qu’un
moyen d’expression parmi d’autres et l’école, loin d’être à elle-même sa
propre fin, sert à favoriser la rencontre des jeunes générations avec l’héri-
tage culturel de notre société et à leur permettre de se construire en conti-
nuité d’expérience. Le « lire-écrire » prend place dans une culture, au sein
de laquelle il façonne des « rapports au monde » bien particuliers, peu
conscients de ceux qui en usent aisément (les savoirs et savoir-faire consti-
tutifs du « lire-écrire » leur sont si incorporés qu’ils ne leur apparaissent
pas en tant que tels, comme si leur possession « allait de soi »).
L’école doit trouver sa place, signifiante, pour le jeune enfant : cette
place est construite – ou non – dans le discours social et familial avant
d’être reconstruite – ou non – par le futur écolier. Dépositaire de la
mémoire d’une société, l’écrit aide en cela à la constitution des identités
culturelles ; l’on a attribué à l’institution scolaire un rôle central pour
cette acculturation par l’écrit, position qui n’est pas sans inconvénient,
puisqu’elle risque de créer une équivalence de fait entre une certaine
culture écrite scolaire et la culture de l’écrit22.
Les pratiques de lecture, en France, ont été très diverses selon les
époques23, en fonction aussi d’un lent mouvement d’alphabétisation24 qui
est intervenu de manière variable selon les milieux sociaux et les envi-
ronnements géographiques et économiques et ne s’est pas confondu avec
la scolarisation obligatoire ; l’école elle-même est loin d’avoir toujours
préconisé les mêmes approches de la lecture et de ses usages25.
Ces pratiques diffèrent actuellement beaucoup d’un groupe humain à
l’autre et de nouveaux critères de leur évaluation sont nécessaires, si l’on
veut en particulier saisir les usages réels, domestiques, « ordinaires », et
non seulement les pratiques tenues culturellement pour « légitimes » alors
que ce point de vue est une conception culturelle26. Diverses études ont

22. BESSE J.-M. : « De l’écriture productive à la psychogenèse de la langue écrite » in


CHAUVEAU G., RÉMOND M. et ROGOVAS-CHAUVEAU É. (éd.) : L’Enfant apprenti lecteur.
Paris, L’Harmattan, 1993.
Et LAHIRE B. : Culture écrite et inégalités scolaires. Sociologie de l’« échec scolaire » à l’école
primaire. Lyon, PUL, 1993.
23. CHARTIER R. (éd.) : Pratiques de lecture. Marseille, Rivages, 1985.
Et CHARTIER R. : Lectures et lecteurs dans la France d’Ancien Régime. Paris, Le Seuil, 1987.
24. FURET F. et OZOUF J. : Lire et écrire. L’alphabétisation des Français, de Calvin à J. Ferry
(2 tomes). Paris, éditions de Minuit, 1977.
25. CHARTIER A.-M. et HÉBRARD J. : Discours sur la lecture (1880-1980). Paris, BPI, Centre
Pompidou, 1989.
26. CERTEAU de M. : L’Invention du quotidien. I. Arts de faire. Chap. XII. Lire : un bracon-
nage. Paris, Gallimard, 1980.

135
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

montré, par exemple, la variation des pratiques de lecture chez les jeunes
ouvriers27 ou sur l’ensemble de la population28.
On sait quelle hétérogénéité se constate déjà entre les enfants qui
entrent à l’école primaire, et qu’elle tient notamment à des motifs socio-
culturels. Les pratiques de la famille, du milieu social, permettent à
certains enfants d’arriver à l’école mûrs pour les apprentissages verbaux
et intellectuels : ils disposent d’attitudes favorables à la concentration, à
l’écoute, au travail silencieux, savent se comporter face à un adulte dispo-
sant du pouvoir pédagogique, bénéficient d’un langage oral proche de
celui de l’école, sont habitués au livre, aiment lire et parlent volontiers
de leurs lectures avec leur entourage.

• Le développement cognitif de l’enfant et le lire-écrire


Avec le courant ouvert par Jean Piaget, l’approche de l’enfant comme
sujet dynamique de ses apprentissages a beaucoup intéressé le champ
scolaire. Poser les questions d’apprentissage dans le cadre d’une problé-
matique de construction des opérations intellectuelles a permis de mieux
saisir les enjeux individuels du rapport au savoir. Toutefois, Piaget s’est
peu préoccupé de la lecture-écriture. C’est à l’une de ses collaboratrices,
E. Ferreiro29, que l’on doit la formulation d’une problématique spécifique
à ce champ, problématique qui intègre la démarche et les acquis du
courant piagétien, mais les articule très étroitement à cet objet sur lequel
l’enfant est appelé à travailler : le lire-écrire.
À la suite d’Emilia Ferreiro, les travaux engagés dans cette même pers-
pective posent comme hypothèse que le jeune enfant, à quelque milieu
social ou groupe culturel qu’il s’enracine, cherche très tôt à comprendre
ce que sont ces écritures qu’il voit autour de lui. Ces marques témoignent
d’un objet singulier qu’il cherche à connaître, un objet qui suscite des
problèmes cognitifs particuliers : pour décrire ces derniers et mesurer la
nature des questions engendrées par l’écrit, des obstacles cognitifs qu’il
pose et des démarches cognitives que l’enfant engage pour le comprendre,
il ne suffit donc pas de reprendre tels quels les travaux piagétiens clas-
siques sur la genèse des connaissances, ni d’évaluer l’intelligence en termes
de stades de développement auxquels seraient liées des capacités données
de traiter tels ou tels objets de connaissance.

27. ROBINE N.: Les Jeunes Travailleurs et la lecture. Paris, BPI, La Documentation française, 1984.
28. DONNAT O. et COGNEAU D. : Les Pratiques culturelles des Français (1973-1989). Paris,
La Découverte, 1990.
29. Cf. par exemple, FERREIRO E. : Culture écrite et éducation. Paris, Retz, 2002.

136
Le développement sociocognitif de l’enfant : l’élève sujet de ses apprentissages

Il faut plutôt envisager une double centration, sur l’enfant et sur le


système graphique. Ces recherches mettent en effet l’accent sur l’effort
de l’enfant pour comprendre l’écrit, le penser et pas seulement l’apprendre.
Les chercheurs de ce courant s’intéressent à ce que savent les futurs
« apprenants » avant et pendant le temps de l’apprentissage, ce qu’ils se
représentent de la nature de la langue écrite, de ses fonctions, de ses moda-
lités d’usage et de sa structure (étude de la psychogenèse de l’activité
conceptualisatrice sur l’écrit).

• La mise en évidence des obstacles cognitifs


Emilia Ferreiro a étudié ces questions auprès de jeunes enfants observés
lors de recherches longitudinales et transversales, dans le cadre d’un
« entretien critique » et en s’appuyant sur des tâches originales d’inter-
prétation d’écrit (« lecture ») et de production d’écrit (« écriture »). Elle a
montré notamment tout le parti que le chercheur pouvait retirer de
l’analyse des essais d’écriture du jeune enfant.
En cherchant à écrire, alors même parfois qu’il ne sait pas encore « lire »,
l’enfant éprouve pleinement les contraintes de ce mode de communica-
tion. Car, en écrivant, l’enfant manifeste, sans en avoir pleinement
conscience et en étant rarement capable d’en donner une verbalisation
appropriée, sa conceptualisation actuelle des règles du système d’écriture.
Cette notion de conceptualisation est reprise de Piaget qui la définissait,
au cours de sa réflexion sur la prise de conscience et à propos de recherches
sur l’intelligence pratique et les rapports entre la réussite et la compré-
hension, comme un « passage de l’assimilation pratique (assimilation de
l’objet à un schème) à une assimilation par concepts30 ». L’activité concep-
tualisatrice est ici à entendre comme une activité au cours de laquelle le
sujet se représente un objet ou des actions, constatées ou imaginées, sur cet
objet ; cette activité est orientée vers la compréhension du pourquoi et du
comment de l’objet, qui est ainsi reconstruit sur le plan représentatif.
Ainsi l’enfant traite-t-il, au long de sa construction de l’écrit, plusieurs
obstacles liés notamment au plurisystème graphique, obstacles qui le
conduisent à développer plusieurs types de conceptualisations (certains
d’entre eux pouvant être observés successivement durant une même
séance d’observation), types qui ont fait l’objet de descriptions tenant
compte des variations liées à la spécificité de chaque langue.

30. PIAGET J. : La Prise de conscience. Paris, PUF, 1974, p. 266.

137
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

Emilia Ferreiro a proposé, la première, une description de la succes-


sion de ces conceptualisations31. Puis, dans l’esprit des recherches qu’elle
a initiées, des travaux ont été conduits dans plusieurs pays et sur plusieurs
langues. Pour ce qui concerne le français, nous disposons notamment de
la description suivante des phases d’entrée dans l’écrit32 :

Une première période est caractérisée par des préoccupations visuo-


graphiques.
1. Les écritures mimographiques.
L’enfant essaie de tracer ce qui ressemble à de l’écriture, mais il ne
construit pas de rapports réguliers autour de ces marques qui lui permet-
traient de les reconnaître. C’est une activité pour l’instant présent.

2. Les écritures sémiographiques.


Peu à peu, les conceptualisations prennent en compte à la fois la forme
écrite et une unité de sens, liée à la représentation de l’objet : l’enfant
essaie de coordonner ces deux informations, de lier la trace et du signifié.
Il cherche à maintenir ce lien en mémoire.
Deux grandes manières de faire se distinguent dans ces écritures :
– les écritures logographiques : ici, l’enfant cherche à créer des différences
entre ses séries graphiques, comme si, pour lui, chaque série graphique
correspondait à une unité signifiante du langage ;
– les écritures idéographiques : l’enfant fait correspondre sa série
graphique à une idée, à une catégorie sémantique. Il utilisera la même
série pour écrire, par exemple, « voiture » et « auto ».

Une deuxième période montre le jeune enfant occupé à travailler la


relation entre les marques graphiques et la chaîne sonore, période qui
commence par la manifestation d’habiletés phoniques mises en corres-
pondance avec l’écrit, puis qui s’organise autour de la prise en compte du
principe phonographique. Durant cette période, c’est le souci de l’analyse

31. FERREIRO E. et GOMEZ PALACIO M. : Lire-écrire à l’école. Comment s’y apprennent-ils ?


Trad. fr. dirigée par (+ introduction et annexes de) BESSE J.-M., GAULMYN (de) M.-M. et
GINET D. Lyon, CRDP, 1988.
FERREIRO E. : « L’écriture avant la lettre » in SINCLAIR H. : La Production de notations chez
le jeune enfant. Paris, PUF, 1988.
Et FERREIRO E. : « Psycholinguistique et conceptualisation de l’écrit » in BESSE J.-M.,
GAULMYN (de) M.-M., GINET B. et LAHIRE B. (éd.) : L’« Illettrisme » en questions. Lyon,
PUL, 1992.
32. BESSE J.-M. et ACLÉ : Regarde comme j’écris ! Paris, Magnard, 2000.

138
Le développement sociocognitif de l’enfant : l’élève sujet de ses apprentissages

de la parole pour écrire qui est manifeste ; le travail cognitif de l’enfant


porte ainsi sur la question : « Comment du son peut-il être transcrit ? »

3. Une première phase est centrée sur la mise en correspondance progres-


sive, au travers d’ajustements variés, de la chaîne sonore portant le mot
et de la chaîne graphique portant la signification. Lorsqu’il est occupé à
ces ajustements, le jeune enfant développe des habiletés d’analyse phonique.
• On remarque tout d’abord des écritures ajustées à la globalité de l’oral :
l’enfant manifeste un souci de coordonner l’espace de l’écriture relative-
ment à la durée de la chaîne sonore qui est à transcrire.
• On observe aussi des démarches d’ajustement syllabique : l’enfant fait
correspondre, d’abord à l’interprétation de son écriture, puis au moment
de ses productions ultérieures, une syllabe à une marque graphique, dans
l’ordre d’apparition des syllabes dans le mot (ordination syllabique), mais
sans tenir compte des valeurs sonores des marques graphiques. Les valeurs
attribuées à chaque graphie ne s’appuient pas sur des indices linguistiques
(phonogramme conventionnel, par exemple).

4. Une nouvelle étape est franchie lorsque l’enfant poursuit l’analyse de


la chaîne sonore jusqu’au phonème et entreprend progressivement de
s’occuper du codage graphique de ces unités sonores : principe phono-
graphique.
• On observe une phase marquée au cours de laquelle l’enfant se sert de
lettres employées pour leur valeur sonore conventionnelle : ainsi, il utilise
la « bonne lettre » pour l’initiale du mot qu’il a à écrire ; plus tard, il
reprend, dans son écriture « syllabique », les « bonnes voyelles » ou les
« bonnes consonnes » (une voyelle, ou une consonne, pour représenter
toute la syllabe).
• L’apprenti scripteur extrait ses premiers phonèmes ; avant de produire
l’écrit, il commence par se donner à entendre ce qui est à écrire, cherche
à identifier les sons présents dans le mot à écrire ; il dit entendre tel son,
le [i], le [o], mais ne sait pas toujours l’écrire.
• On rencontre alors la phase de transcription de phonogrammes : l’enfant
code, sur la feuille, les seules valeurs sonores identifiées dont il connaît
l’équivalent graphique, sans trop se soucier de l’ordre des marques ainsi
disposées sur la feuille. Il travaille sur la classification marque
sonore/marque graphique correspondante.
• On relève aussi l’écriture « syllabico-alphabétique » : l’enfant code parfois
une unité phonétique, parfois une unité syllabique (une « bonne lettre »
pour un phonème, puis une lettre pour la syllabe suivante, par exemple).

139
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

5. Après ces premiers essais, le jeune enfant entre dans un travail de systé-
matisation de ses acquisitions, un travail de maîtrise, et va régulariser
plusieurs sous-principes.
• Tous les phonèmes sont à transcrire.
• L’ordre de succession des phonogrammes est le même que celui des
phonèmes.
• Les sons élémentaires (phonèmes) se combinent en sons plus complexes.
• La relation entre les phonèmes et les phonogrammes n’est pas régulière.

Au cours d’une troisième période, le jeune enfant se confronte à la


conventionnalité de notre orthographe et traite de manière systématique
d’autres principes qui régissent l’utilisation des marques graphiques.

6. L’apprenti scripteur régularise la question posée par certains graphèmes


qui ne portent pas de son (les marques du pluriel, du féminin, les lettres
muettes) et par les variations à l’écrit qui permettent d’y distinguer des
formes sonores équivalentes (où, houx, hou, ou, houe). Il tient compte
des normes de l’orthographe, des séparations entre les mots.

7. L’écrit est à comprendre comme un texte représenté et communiqué


selon des formes culturelles données : l’enfant se préoccupe des conven-
tions d’énonciation de l’écrit, en fonction des interlocuteurs, des contextes,
des supports et des types de textes.

• Le fonctionnement cognitif sur le lire-écrire et les dimensions


interactives
Le fait de disposer d’une représentation générale des obstacles rencon-
trés lors de cette construction permet d’étudier les recherches d’hypo-
thèses, les mouvements d’équilibration, les processus de passage d’une
étape à l’autre, selon les formes que prend l’activité conceptualisatrice.
Au cours de la lecture s’effectue un travail mental complexe où entrent
perception sélective, identification rapide, mémorisation active, compré-
hension, conceptualisation, évaluation. Ces opérations s’effectuent presque
à l’insu du lecteur expert, tandis que la démarche scientifique conduit à
décomposer ces opérations selon leurs diverses composantes et à analyser
séparément ces dernières, puis à observer si et comment elles se combi-
nent, en succession (sériel), en interaction ou en parallèle.
Nombre de ces opérations sont assez complètement automatisées chez
le lecteur habile, de sorte qu’il lit un texte portant sur un domaine qui
lui est familier sans devoir mobiliser une charge cognitive (vigilance atten-

140
Le développement sociocognitif de l’enfant : l’élève sujet de ses apprentissages

tionnelle) trop importante. Il peut reprendre son texte, par des retours
en arrière sur les mots qui lui posent problème, bref il « gère » son acti-
vité de lecteur. Mais plus le texte est éloigné de son champ de connais-
sance habituel, plus il doit faire intervenir des procédures de contrôle
conscient de son activité.
Il s’agit aussi de concevoir le développement cognitif avec les apports
du socioconstructivisme, mais aussi avec les apports de l’approche cultu-
relle33 et de l’approche sociologique34 : c’est bien un développement socio-
cognitif qu’il s’agit de prendre en compte.
Les travaux sur l’entrée dans l’écrit ont été prolongés par des études sur
le fonctionnement cognitif de jeunes enfants en situation individuelle ou
à plusieurs (deux ou trois enfants) de production de messages écrits35. Le
développement cognitif est ainsi étudié comme un développement socio-
cognitif : la relation à l’autre36, au groupe de pairs, à l’adulte expert, à
l’environnement culturel, à l’environnement scolaire est alors intégrée
comme un facteur central du développement individuel.

• Des préalables à la lecture ?


Ces passages vers la lecture experte peuvent-ils être facilités par la
présence de telle ou telle capacité ? La recherche, psychologique notam-
ment, a longtemps considéré que tout apprentissage – quel que soit au
fond l’objet sur lequel il devait porter – était déterminé par des capacités
générales. La pédagogie a repris à son compte cette analyse, en insistant
sur l’importance des « pré-requis », avant tout enseignement.
L’influence de ces facteurs est habituellement appréciée en établissant
des corrélations entre les performances obtenues sur ces capacités, mesu-
rées avant l’apprentissage, et la réussite à certaines épreuves de
lecture/écriture.
C’est ainsi qu’a été reconnue l’importance respective de la croissance
organique, de la maturation nerveuse, du fonctionnement moteur et
sensoriel, de la connaissance du schéma corporel, de l’établissement d’une

33. Voir BRUNER J. : L’Éducation, entrée dans la culture. Les problèmes de l’école à la lumière
de la psychologie culturelle. Paris, Retz, 1996.
34. LAHIRE B. : op. cit.
35. BESSE J.-M. : op. cit., 1993, 2000.
36. Cette relation à l’autre est aussi étudiée, en psychologie du développement, autour de la
question suivante : comment un enfant en vient-il à comprendre que l’autre « pense » – et
comment, en retour, en vient-il à comprendre sa propre pensée? Cf. ASTINGTON J. W.: Comment
les enfants découvrent la pensée. La «théorie de l’esprit» chez l’enfant. Paris, Retz, 1999.

141
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

latéralité différenciée, du sens des rythmes, de l’orientation dans l’espace


et le temps, de la pratique de la langue orale, de la compréhension du
symbolisme abstrait, des capacités intellectuelles et relationnelles de
l’enfant, etc. Mais les travaux les plus récents insistent surtout sur les
activités de réflexion sur le langage et leur utilisation par le sujet, telles
qu’elles se traduisent au travers des verbalisations de l’enfant : « la plupart
des capacités associées à la lecture sont donc d’ordre métalinguistique37 ».

La médiation phonologique
Une attention toute particulière a été accordée, ces dernières années,
à la capacité à percevoir, retrouver et mémoriser les connexions entre
lettres et phonèmes, capacité qui semble figurer parmi les meilleurs prédic-
teurs de la réussite en lecture. La structure phonologique du mot n’est
pas évidente pour l’enfant (ni d’ailleurs pour l’adulte, qui n’a plus
conscience des unités phonologiques puisqu’il les articule en un seul
souffle).
La prise de conscience, par l’enfant, de cette structure phonologique
(phonemic awareness) est appelée, selon les chercheurs et avec quelques
nuances entre eux, conscience phonique, phonologique ou phonémique
ou encore conscience segmentale38 : c’est la capacité à manipuler consciem-
ment les unités phonémiques de la parole. Quelle que soit donc la déno-
mination retenue, cette compétence, de nature métalinguistique, met en
évidence le rôle de l’activité cognitive du sujet pour qu’il devienne
conscient d’un certain nombre d’opérations liées à la structure du système
d’écriture, pendant cette phase importante du processus d’acquisition.
Un minimum de sensibilité aux unités phonologiques de la parole (la
syllabe, l’attaque et la rime dans la syllabe39, puis le phonème) semble
nécessaire pour commencer l’apprentissage de la lecture : « l’individu qui
n’est pas cognitivement prêt à la maîtrise métaphonologique ne peut
apprendre à lire40 ». L’apprentissage de l’écrit suppose l’existence de

37. GOMBERT J.-E. : « Activité de lecture et activités associées » in FAYOL M., GOMBERT
J.-E., LECOCQ P., SPRENGER-CHAROLLES L. et ZAGAR L. : Psychologie cognitive de la
lecture. Paris, PUF, 1992, p. 137.
38. ALEGRIA J., MORAIS J. : « Analyse segmentale et acquisition de la lecture » in L. RIEBEN
et Ch. PERFETTI : L’Apprenti lecteur. Recherches empiriques et implications pédagogiques.
Neuchâtel-Paris, Delachaux et Niestlé, 1989.
39. TREIMAN R. : « Le rôle des unités intrasyllabiques dans l’apprentissage de la lecture »
in RIEBEN L. et PERFETTI Ch. : L’Apprenti lecteur. Recherches empiriques et implications
pédagogiques. Neuchâtel-Paris, Delachaux et Niestlé, 1989.
40. GOMBERT J.-E. : op. cit., p. 112.

142
Le développement sociocognitif de l’enfant : l’élève sujet de ses apprentissages

certaines capacités métalinguistiques, mais cet apprentissage, en retour,


renforce ces mêmes capacités et permet, ensuite, des traitements méta-
linguistiques plus élaborés.
Alors que certains chercheurs affirment ainsi volontiers leurs convictions
sur l’importance de ces capacités – il y aurait, pour eux, une relation de
causalité (et non plus seulement de corrélation) entre les capacités phono-
logiques et les performances en lecture : « nous pouvons donc affirmer sans
conteste d’une part qu’il existe bien une relation de causalité entre la compé-
tence métaphonologique et la compétence lexique acquise dans les deux
premières années d’apprentissage, d’autre part que les premiers contacts
avec l’écrit contribuent eux-mêmes à développer la capacité d’analyse
phonémique41 » – d’autres considèrent plutôt que la conscience phonolo-
gique n’est pas un « pré-requis », mais qu’elle se constitue plutôt en consé-
quence de l’apprentissage du système alphabétique.
Ainsi, les recherches sur des adultes portugais analphabètes42, d’autres
travaux sur des lecteurs chinois qui n’ont pas appris le système « pin
yin43 » indiquent que ces sujets sont à des niveaux faibles de prise de
conscience de la structure segmentale de la parole, proches en cela de
jeunes enfants non encore soumis à l’enseignement de la lecture. Ce n’est
donc pas un problème d’intelligence, mais une question liée à l’appren-
tissage d’un système écrit alphabétique.
De même, les travaux sur la reconnaissance experte des mots font
l’objet de discussions : pour certains, cette reconnaissance serait indé-
pendante du contexte et ce sont les lecteurs les moins habiles qui auraient
recours à l’analyse contextuelle. Les recherches portant sur l’analyse des
points de fixation de l’œil durant la lecture sont également invoquées
pour la vérification de la validité de ces modèles ; plusieurs travaux indi-
quent que le texte est balayé quasi complètement, que le lecteur fixe la
plupart des mots44.

41. LECOCQ P. : Apprentissage de la lecture et dyslexie. Bruxelles, Mardaga, 1991, p. 325.


42. MORAIS J., CARY L., ALEGRIA J. et BERTELSON P. : « Does awareness of speech as a
sequence of phones arise spontaneously ? » in Cognition. 1, 1979, pp. 323-331.
43. READ C., ZHANG Y., NIE H. et DING B. : « The ability to manipulate speech sounds
depends on knowing alphabetic reading » in Cognition. 24, 1986, pp. 31-44.
44. ZAGAR D. : « L’approche cognitive de la lecture : de l’accès au lexique au calcul
syntaxique » in FAYOL M., GOMBERT J.-E., LECOCQ P., SPRENGER-CHAROLLES L. et
ZAGAR D. : Psychologie cognitive de la lecture. Paris, PUF, 1992.

143
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

La conscience phonographique
Les recherches les plus récentes sur la production écrite45 font appa-
raître que, plus que d’une conscience phonologique, l’apprenti lecteur-
scripteur a besoin de développer une conscience phonographique,
c’est-à-dire une capacité délibérée et consciente à identifier les phonèmes
et les phonogrammes qui leur correspondent, de manière à produire un
mot lisible. Ceci est d’autant plus important que nous avons montré46
que l’épreuve de production écrite apporte les mêmes informations que
celle de conscience phonologique.
• Un apprentissage par étapes ?
La représentation qui est aujourd’hui la nôtre du développement
cognitif relatif au lire-écrire n’est pas celle d’une succession d’étapes obli-
gatoires et ordonnées. L’observation attentive des jeunes enfants47 indique
plutôt des centrations plus ou moins longues (chez certains enfants, elles
peuvent ne durer, à certains moments de leur développement, que
quelques secondes chacune) sur telle ou telle procédure de traitement de
l’écrit. Ceci rejoint la critique faite aux modèles pour qui le développe-
ment cognitif serait caractérisé par « un parcours unique, jalonné d’étapes,
de stades, que tous les sujets franchissent dans le même ordre, au long
duquel la vitesse de progression est la seule source de différence possible
entre les individus48 ». Au contraire de ces positions, les recherches
actuelles évitent de poser un modèle unitaire de développement, optant
plutôt pour une conception pluraliste49. Mais il semble bien que l’appren-
tissage de ces capacités complexes passe par une étape initiale concep-

45. BESSE J.-M. et MONTÉSINOS-GELET I. : « La séquentialité phonogrammique en produc-


tion d’orthographes inventées » in Revue des sciences de l’Éducation. Vol. XXIV, n° 1, 2003,
pp. 159-170.
Et PASA L., ARMAND F. et MONTÉSINOS-GELET I. : « The didactic conditions of emer-
gent literacy : A comparative study of curricula and teaching tools in France and Quebec »
in L1 – Educational studies in language and literature. 2, 2002, pp. 271-296.
46. BESSE J.-M., GARGIULO S. et RICCI A. : « Phonologie, phonographie et morphographie
à l’épreuve de la production écrite » in BRISSAUD C. et JAFFRÉ J.-P. (éds) : « Regards
nouveaux sur la lecture et l’écriture » in Revue française de linguistique appliquée. Vol. VIII-
1. Juin 2003, pp. 15-34.
47. BESSE J.-M. et ACLÉ : op. cit.
48. LAUTREY J. et CAROFF X. : « Une approche pluraliste du développement cognitif : la
conservation “revisitée” », in NETCHINE-GRINBERG G. (éd.) : Développement et fonction-
nement cognitif : vers une intégration. Paris, PUF, 1999, p. 155.
49. LAUTREY J. : « Des conceptions unitaires aux conceptions pluralistes du développement
cognitif » in Archives de Psychologie. 58, 1990, pp. 185-196.
Et LAUTREY J. : « La mesure des performances intellectuelles », op. cit.

144
Le développement sociocognitif de l’enfant : l’élève sujet de ses apprentissages

tuelle où il importe de comprendre ce que l’on veut apprendre. Puis


l’enfant tente de maîtriser ces savoirs et de les systématiser. Ce n’est
qu’alors qu’il peut automatiser de manière efficace et non consciente –
et donc peu coûteuse sur le plan cognitif – ces savoirs et savoir-faire.

Voici quelques exemples des productions obtenues en début d’année


et en fin d’année pour plusieurs enfants observés sur une situation de
production écrite en début et en fin de cours préparatoire : « Peux-tu
essayer de marquer, comme tu penses que cela s’écrit… » (les items à
produire figurent dans le tableau ci-dessous).
Début de CP Fin de CP
Prénoms50
Items Items
Brahim midi mei Potager Potajer
pirate PRAT Carotte carote
poupée PaP Récréation Recreation
petite P E TGT Chou chou
tirelire jrLi Mathématiques matematic
canard c o ¿ h r51
Norédine midi meie Potager Pautagé
pirate PiAT Carotte karote
poupée POU Récréation La récréasion
petite PcR Chou Chou, choo
tirelire Pi Mathématiques matématice
canard CKNe
Séréna midi imi Potager Potagé
pirate ira Carotte carote
poupée pup Récréation récréason
petite pttiet Chou Chou
tirelire irei Mathématiques matématique
canard cncr
Assya midi RAO Potager tib
pirate RiA Carotte rrte
poupée POi¿a52 Récréation bella
petite OAin Chou Tllea balle delle
tirelire nOiA Mathématiques mtm
canard oNiAc

50. Ils ont été modifiés.


51. Les « c » sont écrits « en miroir ».
52. Le « c » est écrit en miroir.

145
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

Nadjé midi en¿neni53 Potager Potager


pirate renre Carotte carote
poupée nenerrs Récréation récréasion
petite ener Chou Chou
tirelire erner Mathématiques matimatic
canard reen

L’analyse de ces résultats indique de grandes différences quant au


travail cognitif sur l’écrit effectué par les cinq enfants de cet échantillon
en début d’année scolaire. Certains enfants travaillent au plan de la
première période décrite ci-dessus, période caractérisée par des préoccu-
pations visuographiques : c’est le cas de Nadjé et d’Assya ; d’autres sont
déjà occupés à travailler à traiter l’écrit selon des préoccupations phono-
graphiques (période 2) : Brahim, Norédine et Séréna. Nous retrouvons là
le constat de l’hétérogénéité des compétences face à l’écrit au moment
de la confrontation à l’enseignement de la lecture/écriture, hétérogénéité
bien mise en évidence par Emilia Ferreiro.
Sur de telles bases54, le psychologue peut aider les autres membres du
Rased – et tout particulièrement le maître « E » – à construire un plan
d’intervention spécifique pour les élèves les plus fragiles (ceux qui ne sont
pas parvenus à la période 2 en début de cours préparatoire). C’est ce qui
fut engagé à propos des enfants présentés ci-dessus, avec une insistance
toute particulière sur l’entraînement à la conscience phonographique,
travail relayé par l’enseignant55.
Les productions écrites présentées pour la fin de l’année de cours prépa-
ratoire indiquent que quatre enfants sur les cinq traitent l’écrit au plan de
la sixième conceptualisation décrite ci-dessus (conventionnalité de l’ortho-
graphe). Pour eux, la maîtrise des régularités orthographiques relèvera des
apprentissages de la prochaine année scolaire. En revanche, pour Assya, le
programme de travail de cette classe n’aura pas suffi à la conduire au même
plan : elle commence juste à montrer des préoccupations phonographiques.

53. Le « c » est écrit en miroir.


54. Le recueil des données en production écrite peut être organisé avec l’aide de l’ensei-
gnant et des membres du réseau. Les compétences du psychologue en psychologie du déve-
loppement cognitif sont surtout utiles au moment de l’interprétation des conduites des
enfants.
55. Données extraites d’un mémoire de recherche de maîtrise de psychologie, effectué en
2003-2004, à l’Université Lumière Lyon 2, sous la co-direction de M. Rouzaire-Besse et de
J.-M. Besse, par G. Deal.

146
Le développement sociocognitif de l’enfant : l’élève sujet de ses apprentissages

Pour étudier les compétences initiales de ces élèves, nous aurions pu


nous intéresser uniquement à la conscience phonologique, et agir de
même en fin d’année : il se trouve que nous disposons également de ces
données (recueillies en octobre de CP et en fin mai de CP), les voici, pour
les mêmes enfants. La tâche consistait à identifier « l’intrus » parmi une
série de mots proposés (il s’agit bien sûr d’un intrus phonologique, situé
soit à l’attaque – pour moitié des items – soit en rime – pour l’autre
moitié) colonnes 2 et 4 et à expliquer (preuve de la conscience phono-
logique) colonnes 3 et 5.

Début CP Fin CP
Prénoms Phonèmes intrus Conscience Phonèmes intrus Conscience
identifiés phonologogique identifiés phonologogique

Assya 3/5 réussis Non 2/5 réussis Non

Nadjé 2/5 réussis 2 traitements 4/5 réussis 6 traitements


métaphonologiques métaphonologiques
/10 possibles /10 possibles

Brahim 3/5 réussis 8 traitements 5/5 réussis 10 traitements


métaphonologiques métaphonologiques
/10 possibles /10 possibles

Norédine 5/5 réussis 8 traitements 5/5 réussis 8 traitements


métaphonologiques métaphonologiques
/10 possibles /10 possibles

Séréna 4/5 réussis 4 traitements 4/5 réussis 6 traitements


métaphonologiques métaphonologiques
/10 possibles /10 possibles

Comme nous l’indiquions ci-dessus, la recherche de la conscience


phonologique n’apporte pas plus d’informations que le travail en produc-
tion écrite : elle n’est, au surplus, qu’une composante de l’activité phono-
graphique. Il nous semble donc plus opportun de s’intéresser directement
au rapport à l’écrit.

147
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

Les obstacles cognitifs rencontrés par l’enfant


dans sa découverte des mathématiques
Dans une perspective de recherche socioconstructiviste appliquée aux
questions de didactique, les travaux de G. Vergnaud56 et de R. Brissiaud57
indiquent comment l’enseignement peut se centrer sur les processus de
raisonnement déployés par des élèves aux prises avec des situations de
résolution de problèmes mathématiques. De même, les recherches de
M. Fayol58 et M. Bernoussi59 par exemple, dans une perspective de psycho-
logie cognitive, indiquent les problèmes et les obstacles cognitifs impli-
qués dans des notions apparemment « simples » de mathématique.
Ces recherches indiquent la part de l’enfant dans la construction de
leur savoir mathématique et ne se limitent pas à mesurer ce qui est
« juste ou faux » dans la réponse de l’élève à des problèmes mathéma-
tiques : par exemple, la compréhension de la valeur d’un nombre – 32
par exemple – suppose d’avoir construit une série de compétences cogni-
tives spécifiques à cet objet60 – identifier les unités, les différencier
d’autres, comparer, mettre entre relation, identifier des états et des
transformations d’états, combiner –, compétences très liées au déve-
loppement des abstractions (empiriques, pseudo-empiriques, réfléchi-
santes), de la construction des catégories de la causalité, des modalités
de pensée (figurative ou opérative) : « comprendre l’enfant en dévelop-
pement, c’est avant tout comprendre ce que les choses signifient pour
celui que nous étudions61 ».

Le psychologue scolaire, averti de ces modalités de l’activité cognitive,


peut aider un élève ou un enseignant à renouer avec une dynamique de

56. VERGNAUD G. : L’Enfant, la mathématique et la réalité. Berne, P. Lang, 1981.


Et VERGNAUD G. : « Concepts et schèmes dans une théorie opératoire de la représenta-
tion », op. cit.
57. BRISSIAUD R. : Comment les enfants apprennent à calculer. Paris, Retz, 2002 (nouvelle
édition).
58. FAYOL M. : L’Enfant et le nombre, du comptage à la résolution de problèmes. Neuchâtel,
Delachaux et Niestlé, 1990.
59. BERNOUSSI M. : « La relation entre les faits additifs et les faits multiplicatifs ; une
approche par les confusions associatives » in L’Année psychologique. 1996, pp. 53-65.
60. Avec des liens forts avec ce que l’on observe sur le rapport à l’écrit. Cf. SINCLAIR A. :
« La notation numérique chez l’enfant » in SINCLAIR H. (dir.) : La Production de notations
chez le jeune enfant. Paris, PUF, 1988, pp. 71-98.
61. VILETTE B. : Le Développement des quantifications chez l’enfant. Comparer, transformer
et conserver. Paris, PU du Septentrion, 1996, p. 299.

148
Le développement sociocognitif de l’enfant : l’élève sujet de ses apprentissages

questionnement sur des objets mathématisables. Il peut accompagner


l’enseignant dans son travail de compréhension du besoin d’activité de la
part de l’élève, de l’importance des échanges cognitifs avec les autres élèves
et du rôle de l’évaluation immédiate des activités et des apprentissages.

Le psychologue scolaire et le développement sociocognitif


La psychologie du développement sociocognitif se présente ainsi,
pour le psychologue scolaire, comme une source d’informations obtenues
par des approches scientifiques différentes, mais qui ont en commun,
depuis le début des années 1980, de renouveler assez profondément les
anciennes positions.

Distinguer différentes formes d’intelligence


Tout d’abord, la recherche sur le développement sociocognitif
traduit une certaine méfiance face à une tendance qui conduirait à réduire
l’intelligence, la cognition, à une seule forme. Tout au contraire, les
travaux récents insistent sur les différences interindividuelles, mais aussi
sur des formes distinctes chez le même individu.
Par exemple, la distinction entre intelligence convergente (capacité à
penser dans un cadre qui attend une réponse conforme) et intelligence
divergente (capacité à trouver des réponses qui ne sont pas attendues)
est susceptible d’inspirer des propositions de travail dans le cadre scolaire.
De même, les recherches sur les styles cognitifs62 font apparaître des
sujets plutôt dépendants à l’égard du champ (sujets sociables, à l’aise dans
des cadres préétablis) et d’autres plutôt indépendants à l’égard du champ
(sujets qui imposent une structure là où elle manque, flexibles dans la
résolution de problèmes).
La distinction entre intelligence fluide (en quelque sorte la mobilité
cognitive, une capacité de réflexion qui représente les processus de
raisonnement se manifestant dans des tâches requérant abstraction,
formation de concepts ainsi que celles faisant appel à la perception et
à l’éducation des relations) et intelligence cristallisée (qui renvoie à la
somme des connaissances acquises par le biais de l’intelligence fluide
et fait appel à la capacité de mémorisation) intéresse également le

62. HUTEAU M. et LAUTREY J. : Évaluer l’intelligence. Psychométrie cognitive. Paris, PUF,


1999.

149
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

psychologue scolaire, puisque l’intelligence fluide contribue directement,


durant les années de développement, à la constitution des compétences
scolaires et culturelles.
Enfin, les travaux d’Howard Gardner63, notamment, indiquent qu’il
y a lieu de se défier d’une forme d’intelligence – plutôt « conceptuelle »
– très valorisée dans certains cadres scolaires et qui oublie que l’intel-
ligence est plutôt à entendre comme une résultante d’interactions entre
plusieurs formes d’intelligence, comme par exemple l’intelligence intra-
personnelle (la capacité de se connaître, de se comprendre), l’intelli-
gence interpersonnelle (la capacité de comprendre les autres),
l’intelligence verbale (la capacité de penser avec des mots), l’intelligence
logico-mathématique (la capacité de penser en raisonnant), l’intelligence
visuo-spatiale (la capacité de penser en images), l’intelligence corporelle
et kinesthésique (la capacité de penser par sensations somatiques : une
pensée in-corps-porée…).

Connaître les limites des outils pour l’approche du sujet individuel


Les outils standardisés de mesure des capacités cognitives ne
permettent guère d’analyser les manières propres à chaque enfant de
construire sa réponse. Or, dans une perspective de psychologie clinique
cognitive, centrée sur la dynamique de chaque enfant, c’est bien la
construction de la réponse qui intéresse le psychologue, au moins autant
que le fait de pouvoir référer la réponse à un étalonnage.
De ce point de vue, le profil établi avec les notes standard du WISC
conduit à un bilan individuel plus contrasté que l’établissement d’un QI
global, dont on comprend mal qu’il puisse, encore aujourd’hui, être le
seul indicateur des potentialités cognitives d’un élève demandé par
certaines instances officielles (en CDES64, par exemple !!!) pour élaborer
des décisions d’orientation.
Sans aller nécessairement jusqu’à l’analyse du contenu des réponses
d’un enfant – ce que proposent certaines interprétations, sur des bases
inspirées de positions psychanalytiques, du WISC65 –, le psychologue
scolaire est sensible aux enjeux affectifs et relationnels d’une passation

63. GARDNER H. : Les Intelligences multiples. Pour changer l’école, la prise en compte des
différentes formes d’intelligence. Paris, Retz, 1996.
64. CDES : Commission départementale de l’éducation spéciale.
65. ARBISIO C. : Le Bilan psychologique avec l’enfant. Approche clinique du WISC III. Paris,
Dunod, 2003.

150
Le développement sociocognitif de l’enfant : l’élève sujet de ses apprentissages

de test (cf. le comportement et l’attitude des enfants pendant la passa-


tion). Car un test oblige l’enfant à faire quelque chose avec des objets
devant quelqu’un, en temps mesuré, et à s’exprimer en paroles, ce qui
peut handicaper des enfants venant de milieux socioculturels peu accou-
tumés à de telles exigences de production.
Une passation de test, comme d’ailleurs une observation de la manière
de travailler d’un élève, seul ou en groupe (par exemple, l’observation de
la résolution d’une tâche de production écrite), n’est pas seulement une
situation d’évaluation sans effets sur l’enfant : elle produit, selon la
manière dont se déroule l’interaction – à la fois relationnelle et cogni-
tive66 – avec l’enfant, une clarification cognitive et/ou affective, donc un
début de « remédiation » ou de « transfert ». Le partage des fonctions, au
sein du réseau d’aides (Rased) entre le psychologue scolaire et les maîtres
« E » et « G », pourrait gagner à s’appuyer sur la reconnaissance de tels
processus.

L’approche cognitive poursuit à la fois une visée de recherche fonda-


mentale (décrire, comprendre et expliquer le développement et le fonc-
tionnement cognitifs sur l’écrit) et se préoccupe aussi des modalités de
l’intervention psychologique sur les questions de construction des connais-
sances (prise en compte des contextes sociaux et culturels ainsi que des
dimensions individuelles et interindividuelles) : en ce dernier sens, elle
contribue à mieux armer l’approche psychologique individuelle, l’inter-
vention clinique sur le plan du développement cognitif.

Le psychologue scolaire, s’il veut contribuer tant à l’intégration opti-


male de chaque enfant à l’école qu’à la meilleure orientation possible,
cherche à adopter une position de compréhension de ce qui fait confu-
sion dans la personnalité actuelle de l’élève, dans son positionnement face
aux demandes de l’école : il peut être aussi confusionnant pour un élève
de se sentir écarté de ce qui se passe dans la classe parce qu’il ne comprend
pas le langage de l’enseignant (du fait de son origine sociale ou culturelle,
notamment), ou qu’il ne saisit pas la logique d’une demande de ce dernier,
ou parce qu’il est actuellement incapable de franchir tel ou tel obstacle
cognitif que recèle telle tâche scolaire ou tel point de fonctionnement de
la langue écrite, par exemple, que parce qu’il est dans un doute affectif

66. CHAUVEAU G. et ROGOVAS-CHAUVEAU É. : « L’entretien métacognitif » in


CHAUVEAU G., RÉMOND. M. et ROGOVAS-CHAUVEAU É. (éds) : L’Enfant apprenti lecteur.
Paris, L’Harmattan, 1993.

151
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

anxiogène du fait d’attitudes parentales perçues comme rejetantes ou


surprotectrices, par exemple. Les confusions cognitives d’un élève-sujet,
comme les confusions identitaires, sont à comprendre dans une approche
singulière, clinique au sens premier du terme (au chevet du sujet).

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155
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

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156
CHAPITRE 7

Entre l’école et la famille,


un tiers : le psychologue

Élisabeth Bel

E n exerçant ses fonctions à l’école, le psychologue est constamment


amené à travailler avec les deux partenaires principaux de l’enfant d’âge
préscolaire et scolaire : la famille et l’école. Les relations entre enseignants
et parents sont au cœur de ce que l’enfant vit à l’école, aussi une rela-
tion de confiance, et dans le respect des personnes, contribue à ce que
l’école soit pour l’enfant un cadre où il pourra se développer harmo-
nieusement et éventuellement dépasser les difficultés qu’il va rencontrer
parfois sur sa route. La place de psychologue, au carrefour des deux
espaces, famille et école, se révèle précieuse : sa mission fondamentale
est en effet « de faire reconnaître et respecter la personne dans sa dimen-
sion psychique » (code de déontologie des psychologues, article 3).

L’entrée à l’école, une séparation à vivre par l’enfant…


mais aussi par ses parents !
L’entrée à l’école, nous l’avons vu ci-dessus1, exige de l’enfant qu’il
soit capable de quitter son milieu familial pour s’adapter à son nouvel
environnement.
Supporter d’être quitté, être capable de quitter ses parents conditionne
la qualité de son accès à l’école maternelle et à la découverte de ses capa-
cités personnelles. Ainsi, l’enfant devient apte à expérimenter, à agir, à
dire, à penser avec plaisir, sans que la présence des parents lui soit néces-
saire. Mais, simultanément, si l’enfant doit supporter d’être quitté, il faut

1. Voir chapitre 5, p. 93.

157
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

aussi que les parents, la mère en particulier, supportent cette séparation.


La mère doit accomplir un travail de détachement vis-à-vis de son enfant,
pour accepter qu’un autre adulte, que d’autres adultes aient un rôle à
jouer auprès de lui, sans qu’elle vive leurs interventions sur le mode de
la rivalité. En effet, « bien des parents immaturés éprouvent une certaine
détresse si leur enfant déplace estime, admiration, écoute, désir d’identi-
fication et valeur, jusque-là dévolue à leur interrelation, sur la relation
qu’il tisse avec la maîtresse ou son école2. »
C’est dans ces conditions de détachement et de non-rivalité que l’enfant
se donnera le droit d’essayer, d’entreprendre, de jouer, de penser, hors
de l’étayage constant de ses parents.

L’entrée à l’école primaire : une séparation quasiment


imposée par la loi à la famille
Quand un enfant a six ans, la loi française oblige les familles à
instruire leur enfant. Si la mise à l’école de l’enfant n’est pas obligatoire,
l’instruction, elle, l’est. Dans l’esprit de beaucoup de familles, mise à
l’école et instruction sont équivalentes et l’école est amenée à exercer
une fonction séparatrice entre la famille et l’enfant…3 Les parents ont le
devoir d’instruire leur enfant, mais ils ont le droit de choisir quel type
d’instruction ils vont lui donner : école privée, école publique, enseigne-
ment à domicile. Quel que soit leur choix, la société française a toujours
droit de regard sur la scolarité de l’enfant, ce que les familles ne vivent
pas toujours très bien. La pression de l’école, parfois, est grande : demande
de scolarisation plus régulière, conseils d’hygiène, propositions de rencon-
trer un psychologue, de faire pratiquer un bilan orthophonique. Les
parents se défendent alors de cette pression avec une phrase récurrente :
« J’ai bien le droit de faire ce que je veux, c’est mon enfant. » L’école
devient alors, à ce moment-là, le lieu où la question de la loi se travaille,
où les droits des parents, certes, peuvent être évoqués, mais aussi leurs
devoirs. Ce type de travail, nécessaire et structurant, demande néanmoins
une grande délicatesse, car le regard de l’école sur ce qui se passe en
famille risque vite de devenir intrusif et de ne plus respecter les zones
de la vie privée et intime.

2. DOLTO F. : Dialogues québécois. Paris, Le Seuil, 1987, p. 279.


3. Voir chapitre 5, p. 93.

158
Entre l’école et la famille, un tiers : le psychologue

L’entrée à l’école, une confrontation à d’autres parents !


L’entrée à l’école maternelle est un stade important dans la vie de
l’enfant, mais aussi dans celle de sa famille, surtout quand celui-ci n’a
jamais vécu de mode de garde collectif. Passant du milieu familial restreint
de sa famille où, dans la plupart des cas, il est le seul enfant de son âge,
l’enfant se retrouve au milieu de ses pairs qui ont des vitesses de déve-
loppement différentes ; les comparaisons se font, les relations entre enfants
s’établissent et ainsi, pour les parents, le milieu de l’école casse, parfois,
quelque chose de l’« enfant imaginaire4 ». En effet, il semblerait que le
processus de séparation s’accompagne pour les parents d’une désillusion
par rapport à l’enfant imaginaire. Cette désillusion a besoin d’être accom-
pagnée progressivement, car à être trop brutalement confrontés aux diffi-
cultés de l’enfant qui ne se coule pas à la fois dans leur exigence et dans
celle de l’école, les parents risquent de « désinvestir5 » partiellement ou
totalement leur enfant, de le dévaloriser. En effet, « l’amour parental ne
s’accommode pas d’un réalisme sec : l’enfant a besoin que ses parents
espèrent pour lui6 ».
Le psychologue essaie alors d’amener les parents à ajuster leur niveau
d’aspiration pour leur enfant aux possibilités actuelles de celui-ci. C’est
bien souvent l’école, en effet, qui est révélatrice de la difficulté d’un
enfant (à apprendre, à se situer dans le groupe-classe, à communiquer)
et qui va devoir la signifier à la famille. Tâche terriblement délicate pour
la poursuite du rapport de confiance famille – école. En effet, si les parents
se sentent attaqués, agressés par les remarques de l’enseignant, ils risquent
de se vivre comme mauvais parents, responsables, voire coupables, des
difficultés de leur enfant ; certains adoptent alors très rapidement une
attitude défensive, s’installant dans le déni des difficultés de leur enfant,
et retournant l’agression en se mettant à dévaloriser l’enseignant : « C’est
un enseignant qui ne sait pas parler à mon enfant. » À plusieurs reprises,
j’ai pu constater combien un enseignant, certes bien intentionné, mais
maladroit, avait pu faire violence à des parents, en leur faisant part de
ce qui l’inquiétait chez leur enfant…

4. L’enfant imaginaire est l’enfant pour lequel les parents ont un projet. « Ils ont donc une
représentation de lui, faite à partir d’eux-mêmes et de leur vécu de l’enfant. » (J. CLERGET :
Être père aujourd’hui. Chronique sociale, 1979, p. 11)
5. Désinvestir : c’est-à-dire ne plus se sentir capables d’aimer leur enfant, ne plus avoir de
projet pour lui.
6. CHILAND C. : L’Enfant, l’école, la famille. Paris, PUF, 1989, p. 148.

159
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

Je reçois7, à leur demande, les parents de Matthieu à la fin de l’année


scolaire, avant l’entrée au CP qui les effraie. Ils m’expliquent que
Matthieu est né prématurément et que, durant les premières années
de maternelle, il présentait un léger retard par rapport aux autres
enfants de la classe. Il a été suivi à l’extérieur par un psychomotri-
cien en libéral. Maintenant, c’est un enfant vif, à l’aise face aux
apprentissages et dans sa relation aux autres. Comme je m’interroge
sur ce qui peut les angoisser à ce point, ils me confient alors le choc
qu’ils ont ressenti, à l’entrée à la maternelle (alors que, maintenant,
il s’agit d’entrer à l’école primaire), quand la maîtresse, à « l’heure
des mamans », devant tous les parents, leur a demandé à voix haute :
« Mais, il n’a pas eu de problème d’oxygène à la naissance ? » Phrase
lapidaire, qui a fait intrusion d’une manière violente chez cette mère
qu’un accouchement prématuré avait déjà ébranlée, phrase qui réac-
tive brutalement les angoisses antérieures.

L’entrée à l’école des enfants, une réactivation des passés


scolaires des adultes !
L’expérience d’ancien élève, qui est celle de tout parent, a laissé
des traces profondément inscrites dans son psychisme. Ces traces sont
parfois celles d’un vécu douloureux :

M. Z, rencontre pour la première fois l’institutrice d’Edmond, qui est


au CP et en difficulté importante depuis la petite section. Il soupire
et dit : « Ça fait vraiment longtemps que je ne suis pas venu à l’école,
ça me fait drôle. Quand j’étais petit, je n’aimais vraiment pas l’école ! »

De même, les enseignants ont en eux des traces inconscientes de leur


propre vécu scolaire. Anciens élèves eux-mêmes, et dans la plupart des
cas anciens bons élèves, ils ont à cœur de reproduire ce qu’ils ont vécu :
une scolarité réussie. Aussi l’enfant, à l’école, est-il souvent « l’otage des
désirs contradictoires des adultes8 » et au centre de nombreux enjeux,

7. Les exemples fournis dans ce chapitre ne sont pas tous empruntés à ma propre expé-
rience de psychologue : au sein du groupe de collègues lyonnais qui a participé à cet ouvrage,
tous les exemples ont été discutés en équipe. Ceux qui ont semblé plus pertinents ont été
présentés ici. Le « je » qui est celui du psychologue n’est donc pas toujours celui du signa-
taire du chapitre.
8. CAGLARE H. : Échec scolaire. Paris, ESF, 1994, p. 30.

160
Entre l’école et la famille, un tiers : le psychologue

fréquemment peu conscients, qui pèsent sur lui ; enjeux de la part des
enseignants et aussi de la part de ses parents.
Nous savons, comme l’exprime C. Chiland9, que « tout homme, en
ayant un enfant, poursuit la quête d’une impossible réparation narcis-
sique de soi » et qu’au moment où leur enfant va à l’école, les parents
peuvent vouloir :
– soit réparer leur scolarité à travers celle de leur propre enfant, en la
voulant le plus possible réussie. Ils cherchent alors à « bien » répondre
aux exigences de l’école, comme si « bien » réussir à l’école présupposait
d’avoir de « bons » parents. On constate souvent l’acharnement que
mettent certaines familles à faire exécuter les devoirs à la maison, comme
si le lendemain, en classe, c’était le parent qui était évalué, et non pas
l’enfant. Ainsi, certains enfants travaillent presque plus sous pression à
la maison qu’en classe et du coup se reposent presque à l’école, dans une
espèce de résistance au savoir, entretenant de la sorte le rattrapage à la
maison !
– soit ne pas lui permettre d’être plus brillant qu’eux, jaloux incons-
ciemment qu’ils seraient de leur propre succès ;

Mme S. vient me voir, sous la pression de l’école et de l’orthophoniste,


pour la quatrième de ses cinq filles, Sabine, âgée de huit ans, en diffi-
culté par rapport à l’apprentissage de la lecture. Elle se dit confiante :
les trois autres aussi ont eu des difficultés pour se mettre à lire, puis
se sont débloquées toutes seules, sans aide particulière, sans que l’on
sache pourquoi. Au cours de l’entretien, elle évoque sa propre enfance :
arrivée du Portugal en France à huit ans et demi, elle s’est retrouvée
au CP et a dû à la fois apprendre à parler français et apprendre à
lire. On peut se demander si Sabine, inconsciemment, (comme ses
sœurs avant elle) se sent autorisée à apprendre à lire plus tôt que sa
mère et à le faire facilement.

– soit régler des comptes avec l’école en projetant un conflit vécu entre
eux-mêmes et leurs propres parents ;
– soit exprimer leur propre difficulté par rapport à l’autorité et à tout ce
qui est institué. Ils auront alors tendance à remettre en question toute
forme d’autorité pour leur enfant, le laissant être tout puissant et ne
supportant pas pour lui les contraintes que la vie en collectivité entraîne
forcément. Dans ces cas-là, l’école apparaît presque comme persécutrice ;

9. C. CHILAND : op. cit., p. 26.

161
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

– soit ne plus avoir d’attente par rapport à l’école qui les a mal préparés,
eux, à la vie active. Les difficultés d’insertion sociale, le chômage entre-
tiennent cette amertume : « ce qui est regrettable, c’est que d’autres en
concluent que l’école ne sert à rien et n’aident pas leurs enfants à s’y
insérer10. »

Le travail du psychologue avec les parents


L’entrée à l’école amène fréquemment les parents à prendre
conscience d’un certain écart entre les possibilités de leur enfant et celles
des autres. Or, cet écart est parfois constaté devant d’autres parents. Se
trouver alors sous le regard des autres est souvent porteur de souffrance.

Très vite, après son arrivée sur le secteur scolaire où je travaille, je


reçois Tom (grande section) et sa maman. Il est agité en classe, a du
mal à entrer en relation avec ses camarades autrement qu’en les taqui-
nant, qu’en les agressant. Il se fait punir à la cantine, n’est jamais
invité pour les anniversaires… Heureusement, il est tout à fait capable
de travailler en classe, ce qu’il produit est de bonne qualité et satis-
fait l’enseignant. Quelques entretiens ont lieu avec l’enfant qui, peu à
peu, trouve sa place, tout en restant assez instable. Au CP, un travail
est mis en place avec la rééducatrice de l’école et l’institutrice, qui se
montre à la fois bienveillante et ferme. Arrivé en CE1, rien ne va plus.
Tom ne se contient plus, ennuie ses camarades, exaspère sa maîtresse
par un comportement qu’elle trouve parfois dangereux. Elle installe
son petit bureau contre le sien, pour l’isoler de ses camarades. Puis,
elle invite les parents à sa réunion de classe. Mme C. évoque, les
larmes aux yeux, qu’elle a dû s’asseoir à la place de Tom, seule, isolée
face aux autres parents, qui s’étaient déjà plaints auprès d’elle du
comportement de son fils. Assise à cette place, elle s’est sentie très mal
à l’aise durant toute la réunion.

C’est ce même regard des autres qui gêne parfois les parents quand ils
refusent véhémentement une orientation en établissement spécialisé pour
leur enfant : « Mais je veux qu’il aille à l’école du quartier comme les
autres », comme s’il s’agissait de ne pas reconnaître une différence, de la
cacher.

10. C. CHILAND : op. cit., p. 156.

162
Entre l’école et la famille, un tiers : le psychologue

Lorsque, du côté de l’école ou de la famille, les difficultés scolaires de


l’enfant deviennent prégnantes et accaparantes, l’enfant peut être amené
à rencontrer le psychologue, ce tiers qui ne juge pas. Un travail se met
éventuellement en place avec les parents pour leur proposer de déposer
leurs tensions autour des difficultés scolaires de leur enfant, et par là
même ne pas le réduire à ses résultats scolaires… Les comportements
répressifs, les menaces, les « carottes », du type : « Tu ne feras plus de foot
tant que tu n’auras pas de meilleure note », ou : « Si tu travailles bien,
tu auras un euro pour ta dictée sans faute, un vélo pour ton anniver-
saire, sinon, pas de cadeaux », pourront être évoqués et, dans le meilleur
des cas, réajustés.
Rencontrer le psychologue, à partir de la difficulté annoncée par l’école,
est donc pour la famille, selon les cas, l’opportunité :
– de travailler sur ses aspirations et sur son investissement de l’enfant,
et du même coup diminuer le risque de « la voir réagir soit par des forma-
tions réactionnelles accentuant l’amour et la protection, soit par le rejet
larvé ou patent11 » ;
– de redonner à l’enfant une place, sa place, dans la famille, en travaillant
l’écart par rapport à la norme vis-à-vis de ses frères et sœurs ;
– de prendre conscience des places allouées à chaque membre de la fratrie :
celui qui est bon en maths, celui qui est toujours en train de rouspéter.
Ces places enferment l’enfant dans un certain type de comportement,
dont il a souvent du mal à se départir ;
– de l’aider à restituer à l’enfant une place de sujet pensant, avec des
compétences intellectuelles. Le bilan psychologique peut donner lieu à
un travail de distanciation par rapport à des représentations trop subjec-
tives : non, ce n’est pas l’intelligence qui fait défaut, mais c’est plus tel
ou tel aspect des difficultés de l’enfant qu’il faut prendre en compte ;
– d’être entendue sur la culpabilité qu’elle ressent souvent à ce moment-là :
« Je n’aurais pas dû faire ça, je ne sais pas comment m’y prendre, je l’ai trop
couvé… » et de là, prendre de la distance vis-à-vis de cette culpabilité.
De plus, l’annonce de la difficulté d’un enfant fait fréquemment écho
chez les parents à leur propre histoire scolaire difficile et encore en souf-
france, et ces derniers vivent alors cela comme quelque chose « d’une
répétition fatale ». Mais si l’enseignant a su parler avec délicatesse de la
difficulté et de son souci par rapport à celle-ci, la famille se sentira moins
agressée, jugée, critiquée, et parfois même entendra-t-on : « Il a de la

11. PERRON R., AUBLE J-.P. et COMPAS Y. : L’Enfant en difficulté, l’aide psychologique à
l’école. Paris, Dunod, 1994, p. 79.

163
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

chance ; de mon temps, on ne s’occupait pas si tôt des enfants en diffi-


culté à l’école. »
Dans certains cas même, les parents se sentent soulagés que l’école pointe
une difficulté de leur enfant qu’ils pressentaient confusément sans oser vrai-
ment s’y attarder. Enfin, ils ne se sentent plus seuls à porter ce doute qu’ils
avaient peut-être déjà émis timidement dans le cercle familial ou amical,
pour s’entendre parfois répondre : « Mais non, tu te fais des idées ! »

Rencontrer le psychologue à l’école n’est pas sans susciter non plus des
craintes confuses : la profession de psychologue est encore mal connue. Le
psychologue court ainsi le risque d’apparaître comme un spécialiste exclu-
sivement des processus cognitifs et des difficultés d’apprentissage, ce qui
explique l’étonnement, voire les résistances de certains parents quand le
psychologue aborde avec eux des éléments d’anamnèse – de l’histoire de
l’enfant – dans le but de resituer les difficultés de l’enfant dans son histoire
familiale. C’est qu’« on ne comprendra les particularités de fonctionne-
ment de quelqu’un que si on restitue ce qui a été pour lui l’histoire de
cette construction12 ». Cette démarche clinique comprend une approche
de la dynamique psychoaffective des difficultés, des symptômes d’un
enfant : en ce sens qu’elle doit, « pour rendre compte du vécu scolaire,
prendre en compte, au plus près, les obstacles non scolaires qui s’infiltrent
dans ce vécu13 », mais cela n’est pas toujours bien perçu par les parents.
La compréhension des dimensions psychologiques des difficultés d’un
enfant par les parents ne peut s’engager que si ces derniers ressentent
un désir de changement, remobilisent une dynamique familiale et élabo-
rent une demande. On ne peut, habituellement, attendre d’un enfant
qu’il soit performant sur le plan cognitif, réussisse ses apprentissages, si
son rapport affectif au monde et aux êtres ne s’est pas, à peu près,
construit harmonieusement. « L’apprentissage n’est pas le résultat d’une
intelligence coupée des processus psychiques. Le cognitif s’articule à
l’affectif ainsi qu’au culturel et au groupal. Le savoir s’étaye sur le désir
d’apprendre d’un enfant, il s’inscrit sur son histoire14. » Il reste cependant
des cas d’enfants pour qui la réussite dans les apprentissages est vécue
comme une fuite par rapport à des dysfonctionnements personnels, rela-
tionnels ou familiaux.

12. PERRON R., AUBLE J-.P. et COMPAS Y. : L’Enfant en difficulté, l’aide psychologique à
l’école. Paris, Dunod, 1994, p. 120.
13. Idem.
14. ROUPSARD M.-Th. : « Un enfant manifeste » in Psychologues et Psychologie. 2001, p. 124.

164
Entre l’école et la famille, un tiers : le psychologue

La plupart du temps, les parents prennent rendez-vous avec le psycho-


logue de l’école avec appréhension. En effet, pour eux, le psychologue, ce
peut être celui qui juge, qui porte un regard dérangeant sur leur propre
histoire, sur la manière dont ils éduquent leur enfant. Ce regard est parfois
perçu comme intrusif (« Il s’est mêlé de ma vie privée. »), le psychologue
est alors vécu comme persécuteur, comme omnipotent. Ce serait celui qui
devine les pensées les plus secrètes, qui interprète ce qu’il entend et ce
qu’il voit… Travailler avec le psychologue ne pourra se faire que si l’on
se sent suffisamment en confiance, pour accepter d’être sous son regard,
en lui « livrant » des éléments de son vécu.
Le psychologue est encore parfois identifié à un spécialiste de la maladie
mentale, et du coup son intervention peut être rejetée, comme peut être
encore rejeté tout ce qui touche à la folie : « Mon enfant n’est pas fou. »
De même, le psychologue est souvent pris dans la représentation exclu-
sive du psychologue testeur, du sélectionneur : « Je ne voulais pas vous
rencontrer, j’avais trop peur que vous excluiez mon enfant, que vous
proposiez de le changer d’école, comme la petite X. Si j’avais su ! »

Le psychologue et la question des alliances :


allié à l’enseignant, allié à la famille ?

Allié à l’enseignant ?
C’est souvent après que l’enseignant a repéré une difficulté pour
un enfant et en a fait part à sa famille, qu’il va lui proposer de rencon-
trer le psychologue de l’école. Il est important, pour la suite du travail
autour de l’enfant, que les familles se sentent libres de faire cette démarche.
Arrêtons-nous un instant pour revenir sur la place, bien particulière,
du psychologue à l’école. Dans la plupart des cas, et à la différence des
autres psychologues pour enfants (pratique libérale, CMPP15, CMP16,
consultations en milieu hospitalier), il était enseignant avant d’être psycho-
logue ; de plus, il est rémunéré par l’institution scolaire : c’est donc l’école
qui propose l’aide d’un psychologue issu de son sein. C’est en ce sens que
se pose la question des alliances : s’il est introduit auprès des parents par
l’enseignant lui-même, ne risque-t-il pas d’apparaître comme un allié de
l’enseignant contre les parents ?

15. CMPP : centre médico-psychopédagogique.


16. CMP : centre médico-psychologique.

165
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

Dans une petite école de campagne, deux jumelles de six ans se


montraient très agitées en classe ; peu intéressées par les apprentissages
scolaires, elles avaient vite tendance à chahuter, ce qui mettait le
maître, nouvellement arrivé dans l’école, dans une situation difficile
par rapport aux autres élèves et par rapport à ses collègues. Il reçut
les parents, leur fit part des difficultés de leurs filles et leur proposa de
rencontrer la psychologue. Les parents prirent très mal cette entrevue
et adoptèrent une attitude défensive. Les fillettes se déchaînèrent encore
plus et l’affaire prit des proportions inquiétantes puisqu’il y eut une
pétition des parents du village pour qu’elles soient exclues de l’école.
Devant cet opprobre, les parents contactèrent l’inspecteur de l’Éduca-
tion nationale pour demander la scolarisation des fillettes dans une
autre école. L’inspecteur répondit qu’il ne donnerait pas de réponse
avant que les parents n’aient rencontré la psychologue. C’est donc
contraints et forcés que je les ai reçus à mon bureau. Là, dans ce lieu
neutre, en dehors de l’école, ils purent exposer la situation, ce qu’ils
avaient ressenti, leur colère, leurs doutes. Cela leur permit de déposer
leur souffrance à l’état brut, d’en parler et du coup de commencer à
l’élaborer. À la fin de ce premier entretien, ils me remercièrent et me
dirent bien simplement : « Si on avait su, on serait venus plus tôt, mais
on croyait que vous étiez de mèche avec l’instituteur ! »

On voit bien comment, dans ce cas de conflit enseignant-parents, il y


eut, dans la tête des parents, « amalgame » entre l’enseignant et le psycho-
logue. Les conditions d’exercice de la psychologie en milieu scolaire
concourent à l’établissement de telles confusions. Le fait que ce soient
des enseignants qui initialisent, la plupart du temps, la demande des
parents vis-à-vis du psychologue, le fait que le psychologue travaille à
l’école et dépende du même ministère que les enseignants, tout cela
concourt à ce que les familles n’aient pas une vision très claire des fonc-
tions de chacun et oblige, en conséquence, à ce qu’elles soient assurées
d’une réelle étanchéité entre ce qu’elles confient à l’un ou à l’autre des
partenaires de l’école. Il est fondamental de préciser aux parents le cadre
dans lequel un travail avec leur enfant, et peut-être avec eux-mêmes, va
être entrepris. C’est à ce moment-là que peut être abordée la notion de
secret professionnel auquel le code de déontologie astreint tout psycho-
logue : « Le psychologue préserve la vie privée des personnes en garan-
tissant le respect du secret professionnel, y compris entre collègues17. »

17. Code de déontologie des psychologues, titre 1, « Principes généraux ».

166
Entre l’école et la famille, un tiers : le psychologue

Allié à la famille ?
Bien souvent, les enseignants souffrent des difficultés rencontrées
par leurs élèves. Un des éléments principaux de cette souffrance est qu’ils
se heurtent à leur propre impuissance, vis-à-vis de certaines difficultés fami-
liales, vis-à-vis de certaines situations familiales déroutantes, voire patho-
gènes. Leur désir de réparation se heurte souvent au découragement de
constater dans quelles conditions certains enfants vivent et forte peut être
leur colère, voire leur jugement négatif face à ces familles. Quand le psycho-
logue essaie de resituer les difficultés de ces mêmes parents dans un contexte
plus large, plus humanisé, il s’attire vite des remarques du type : « Bien sûr,
tu défends toujours la famille ! » Ces remarques témoignent de la souf-
france que ressent l’enseignant devant son impuissance, et une des tâches
du psychologue est de l’aider à exprimer son désarroi et à le dépasser.
Seul le cadre professionnel rigoureux avec lequel le psychologue
travaille permet que soient garantis aux divers partenaires le secret profes-
sionnel et la neutralité. Une parole libre, l’absence de jugement, le secret
professionnel, le respect des personnes, le principe éthique de neutralité
sont les fondements de ce cadre.
Cela suppose déjà que le psychologue puisse disposer d’un local préservé,
ce que l’institution scolaire semble avoir du mal à lui reconnaître. Ce local,
défini, implanté dans un certain lieu, qui n’est pas la salle polyvalente, ni
le bureau du directeur, ou l’infirmerie, mais un lieu marqué, protégé,
devient le lieu de l’écoute psychique. Sur ce point, le code de déontologie
des psychologues est très clair : « Le psychologue dispose sur le lieu de son
exercice professionnel d’une installation convenable, de locaux adéquats
pour permettre le respect du secret professionnel. »

Le temps de la demande, le temps scolaire,


le temps psychique
Dans presque tous les cas, c’est à partir d’une demande formulée
par l’école ou par la famille que le travail du psychologue avec l’enfant
va s’amorcer. C’est souvent, dans un premier temps, une demande d’aide
à la réussite scolaire. « Il est question d’un enfant idéal qui devrait être
le bon élève, tranquille et travailleur, capable de satisfaire l’attente de
l’idéal du moi de l’enseignant ou du parent18. »

18. NERI J.-P., TRAMOY-WERNER S. et FARRE C. : Psychologie clinique dans l’institution


scolaire. Grenoble, PUG, 2000, p. 53.

167
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

Quelqu’un a demandé cette rencontre à la place de l’enfant, à partir


des difficultés qu’il manifeste ou que pressent le demandeur : le psycho-
logue est tout d’abord attentif à écouter quelle place prend cette diffi-
culté pour l’enfant, quel sens elle a pour lui. En effet, cette difficulté peut
parfois s’analyser comme un symptôme, ce qu’il a mis en place, sur un
registre inconscient, pour signifier son malaise.
Les adultes, chacun de leur côté, sont souvent troublés par ce malaise,
touchés, par exemple, à un niveau narcissique :
– l’enseignant veut se montrer à la hauteur de sa tâche, mais il n’arrive
pas toujours à se distancier suffisamment de cet enfant en difficulté qui
le met mal à l’aise, qui le blesse dans son efficacité de pédagogue, lui qui
est là pour instruire les enfants, là pour leur faire acquérir (parfois pour
faire « emmagasiner ») des connaissances. Il peut le ressentir comme s’il
n’y avait qu’un pas à franchir pour que l’on puisse conclure « du mauvais
élève » au « mauvais maître ». On peut alors voir apparaître chez le maître
un sentiment de culpabilité : « Je ne sais pas le prendre, je ne le comprends
pas », ou au contraire un désintérêt apparent : « Je ne peux rien pour lui,
il est trop faible, trop agité », etc., ce qui est très près du rejet de l’enfant.
Ce qui est ici en jeu, pour l’enseignant, c’est sans doute de « se sentir
jugé par le collègue de la classe suivante, par la hiérarchie, par les parents.
La réussite de l’élève se trouve ainsi liée à la capacité des adultes de le
faire réussir19 » ;
– la difficulté de leur enfant amène les parents à reconsidérer la répara-
tion narcissique qu’ils en attendaient, voire les remet dans une position
infantile : par leur enfant, ils ne peuvent, une fois de plus, satisfaire à la
demande de l’école.

Ainsi, « presque toujours, quelqu’un (son enseignant, ses parents) parle


au nom de l’enfant, objet d’inquiétude, d’irritation, de sollicitude20 » ;
l’enfant est amené par sa famille chez le psychologue, et le plus souvent
il est demandé à ce dernier de faire disparaître le symptôme, qu’il soit
de nature scolaire ou comportementale.
Or, nous l’avons déjà noté, le symptôme a souvent valeur d’appel, appel
de l’enfant qui, par ce qu’il donne à voir à ses proches, signifie que quelque
chose est douloureux, pour lui, dans son développement. La difficulté
scolaire peut être le symptôme qui s’est mis en place à la suite d’une
expérience, d’un événement douloureux que l’enfant a vécu à un moment

19. Idem, p. 47.


20. PERRON R. in PERRON R., AUBLE J.-P. et COMPAS Y., op. cit., p. 55.

168
Entre l’école et la famille, un tiers : le psychologue

de son développement. « Le symptôme exprimerait plutôt l’impossible


symbolisation d’un réel traumatique en soi21. » L’enfant met ici en place
un symptôme pour se protéger : il tient donc à son symptôme, car même
s’il le fait souffrir, son symptôme le fait moins souffrir que ne le ferait
la souffrance qui est à l’origine du malaise. C’est en ce sens que le psycho-
logue ne s’attache pas prioritairement à faire disparaître le symptôme,
mais bien plus à entendre le lien qu’il peut y avoir entre le symptôme
et la souffrance ; il travaille à partir de la souffrance psychique de l’enfant,
pour l’écouter, découvrir son sens ; ce qui souvent prend du temps.
Or, pour les enseignants comme pour les parents, ce temps semble
compté, préoccupés qu’ils sont par le fait que la scolarité de l’enfant ne
peut se prolonger au-delà d’un temps administrativement fixé. Cette
impression de temps compté, lorsqu’elle est perçue par l’enfant, est
souvent catastrophique pour lui. Cette attente impatiente, voire anxieuse,
amène alors les adultes à exercer une certaine pression sur lui, pression
dont ce dernier se défend souvent en devenant encore plus lent. Les
adultes qui ont en charge son éducation, parents et enseignants, lui
semblent fixés sur ces seules « compétences » à acquérir en un temps donné.
Les acquisitions, de la marche, de la propreté, de la lecture… sont des
étapes attendues d’abord par les parents, puis par les enseignants.
C’est là l’une des difficultés majeures rencontrées par le psychologue :
le temps psychologique n’est pas le même que le temps scolaire ; remettre
un enfant sur les rails, cela prend du temps, un temps qui n’est pas
synchrone au temps scolaire, puisque c’est le temps de l’élaboration
psychique, psychoaffective et/ou cognitive.
On pourrait dire que le psychologue ne raisonne pas en termes d’années
scolaires, mais en termes de scolarité, de formes d’apprentissage, pour
aider parents et enseignants à prendre du recul par rapport aux diffi-
cultés scolaires de l’enfant et à considérer la première urgence : le sens
à donner à cette difficulté, la mise en place d’une aide ou d’un soin et
non pas la disparition du symptôme en tant que tel, s’il s’agit bien en
effet d’une formation symptomatique. Le psychologue examine ce qui
entrave la capacité de penser de l’enfant, étudie son rapport au savoir,
observe la manière dont il va utiliser ou non ses compétences. Chaque
enfant a un rythme et des formes de développement qui lui sont propres,
mais l’organisation de l’école actuelle lui fait souvent violence. On constate
ainsi que l’écart entre les enfants en difficulté d’apprentissage et les

21. MARRAZZO A. : « L’école et la psychologie clinique » in Psychologues et Psychologies.


2001, p. 48.

169
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

enfants d’intelligence précoce se creuse. Et pour les uns comme pour les
autres, il y a mal-être.

Maximilien, enfant intellectuellement précoce, me dit, à la fin du bilan,


sur un ton presque d’excuse : « Tu sais, ce n’est pas moi qui travaille
trop vite, ce sont les autres qui mettent du temps. »
Nicolas, enfant rêveur, refuse d’écrire depuis quelque temps : « Je
n’arrive jamais à terminer à temps d’écrire ce qui est au tableau.
Alors, j’en ai marre. Ça ne sert à rien que je fasse des efforts, de
toutes façons, c’est toujours moi le dernier. »

Pour parvenir à travailler en ce sens, le psychologue doit se distancier


d’une optique normative et immédiatement adaptative, qui reste, quoi
qu’elle en dise parfois, la demande première de l’institution scolaire.
Lorsqu’il se centre sur le développement personnel de l’enfant, sur les
progrès que ce dernier accomplit par rapport à lui-même, propre sujet
de son histoire, le psychologue semble effectuer un détour, prendre du
retard, mais c’est ce qui constitue, en fait, le vrai garant des apprentis-
sages ultérieurs.
En pratique, « l’école tient encore compte – malgré les efforts récents –
d’un développement essentiellement fondé sur l’âge. Les enfants qui n’ont
pas le “niveau” de leur classe d’âge sont considérés hors normes et sauf
exception, la dimension affective de leur développement n’est pas prise
en compte22 ».
Mais lorsque les aléas du développement de l’enfant sont tels qu’ils
mettent en péril la poursuite de sa scolarité dans une école ordinaire, les
échéances du passage au CP et en sixième deviennent alors révélatrices
de cet écart à la norme. Les parents qui avaient « choisi » de minimiser,
voire d’ignorer les informations données par les professionnels se trou-
vent obligés de prendre conscience de la difficulté de leur enfant, ce qui
est alors extrêmement douloureux : tous les espoirs mis sur lui s’effon-
drent et le déni des difficultés ne suffit plus à masquer cette désillusion.
Les propositions d’orientation en établissement spécialisé sont alors vécues
par la famille et, du même coup, par l’enfant, comme une exclusion : ces
moments de passage en CP ou en sixième, moments quasi initiatiques et
qui signifient que l’enfant grandit, leur sont alors enlevés.

22. COHEN-SOLAL J. et GOLSE B. : Au début de la vie psychique : le développement du petit


enfant. Paris, Odile Jacob, 1999, p. 103.

170
Entre l’école et la famille, un tiers : le psychologue

Mme G. disait aux enseignants qui exposaient en équipe éducative le


retard scolaire de son enfant : « Mais laissez-le aller au collège au
moins une année, après on verra, si ça ne va pas, j’accepterai l’orien-
tation en SEGPA. »

Par ailleurs, se constate souvent une réelle impatience chez les ensei-
gnants qui voudraient que les parents prennent plus vite conscience des
difficultés de leur enfant et mettent en place ce qu’il faut au bon moment.
La pression engendrée par le sentiment du temps « compté » ne leur
permet pas toujours d’être sensibles à ce travail psychique que les parents
doivent fournir, que ce soit pour accepter une aide psychologique pour
leur enfant ou pour accepter une orientation dans un établissement spécia-
lisé, par exemple. Cette pression, en quelque sorte, leur fait violence,
violence qu’ils vont faire vivre à leur tour à l’enfant et à sa famille.
En fait, dès l’école maternelle, l’institution peine à s’adapter au rythme
de développement personnel de chaque enfant. Certains parents, inquiets
que leur enfant d’école maternelle ne « dessine pas un bonhomme » tel
que le dessinent les autres enfants de son âge ou qu’il ne sache pas encore
écrire son prénom, font du forcing à la maison pour que l’enfant arrive
à réussir ces tâches…

Placé dans l’école entre famille et enseignants, le psychologue se trouve


alors être ce lien de parole et d’écoute qui permet que la communica-
tion s’établisse ou se rétablisse entre école et famille.

Le psychologue, ce tiers qui sépare


Ce que les parents évoquent de leurs propres difficultés ne peut
être contenu et « travaillé » par les enseignants ; l’école est, d’abord et
avant tout, le lieu de l’enfant, et non celui de ses parents. L’école doit
demeurer un lieu distinct de la maison, avec ses règles propres et ses
habitudes de vie spécifiques ; c’est à l’enseignant qu’il revient de marquer
la frontière, ce qui suppose que ce dernier se sente suffisamment « maître »
de ses élèves pour ne pas aller chercher du renfort du côté des parents !
Il est donc impératif que l’enseignant puisse marquer son territoire de
responsabilité propre, même si, parfois, il lui est difficile de maintenir les
parents hors de la classe, d’éviter l’intrusion quasi constante de certains
parents dans la vie de leur enfant, sous prétexte de collaborer avec l’ensei-
gnant. Là encore, pour certaines familles, il est difficile de ne pas être
dans une position de toute-puissance et de ne pas savoir tout ce qui se

171
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

passe à l’école ; or, l’enfant a besoin de son jardin secret. En effet, grandir,
c’est avoir la possibilité de se construire, dégagé d’une relation fusion-
nelle à la mère, dégagé du contrôle constant des parents. L’enfant qui
acquiert la marche peut quitter une pièce pour s’éloigner de ses parents
et pour ne plus toujours être sous leur regard, sous leur emprise. De
même, l’école offre ce lieu de vie éloigné de la maison où l’enfant est
amené à expérimenter, découvrir, nouer des relations en dehors de ses
parents, dans un milieu à la fois stimulant et sûr.
De plus, il semble primordial que l’enseignant garde sa place de péda-
gogue sans se laisser envahir par l’histoire familiale de son élève. Ayant
travaillé de nombreuses années en ZEP, j’avais alors été frappée de
constater combien souvent les enseignants commençaient à me parler des
difficultés familiales d’un enfant avant de pouvoir aborder ce qui faisait
problème à l’école pour cet enfant, oubliant parfois de décrire ce qui
achoppait pour les enfants au niveau des apprentissages, comme s’ils glis-
saient de leur position d’enseignants, placés là pour instruire, vers une
position de sidération et de voyeurisme. Devant la fréquence de cette
constatation, nous avions alors fixé comme un des objectifs prioritaires
de notre réseau d’aides spécialisées d’inciter les enseignants à recentrer
le plus possible leurs observations sur ce qui se passait à l’école.
L’enseignant doit donc différencier, dans son esprit, l’enfant en tant
que membre de sa famille et l’enfant en tant qu’élève de sa classe. La
classe et la maison sont deux espaces différents et l’enfant, très vite, si
les adultes qui l’entourent sont clairs avec ces notions de dedans et dehors,
peut en saisir la différence, ce qui lui permet de se structurer.
Le psychologue, de par sa place à l’école, ni tout à fait dans l’école, ni
tout à fait hors de l’école, est alors souvent amené à aider l’enseignant
à marquer cette frontière en mettant au jour les confusions entre les deux
espaces et en énonçant clairement la limite.

Je reçois les parents de Maxence, quatre ans, à la demande de son


instituteur qui a beaucoup de mal à canaliser une agitation extrême
chez cet enfant qui ne tient pas en place. Au cours de l’entretien, il
apparaît que Maxence a été très gêné, petit, par une malformation
cardiaque qui lui enlevait toute énergie. Puis, il a été assez grand pour
être opéré et a pu alors mener une vie normale et découvrir les joies
d’une mobilité sans réserve. Il va sans dire que les parents ont été très
angoissés durant toute cette période. La constatation de l’agitation de
Maxence faite par le maître a encore réactivé cette angoisse :
« Décidément, on ne sera jamais tranquille avec lui. » Les parents se

172
Entre l’école et la famille, un tiers : le psychologue

mettent alors dans une position d’hyper contrôle par rapport à


Maxence et presque quotidiennement, la mère demande à l’enseignant
si la journée s’est bien passée. Elle lui confie même qu’elle punit son
enfant s’il lui rapporte les « sottises » de Maxence. On peut d’ailleurs
se demander pourquoi le maître lui en parle : appel à l’aide ou réponses
aux questions de la mère ? Je comprends que les deux champs de vie
de Maxence sont confondus et qu’il n’y a pas de frontière entre la
maison et l’école, qu’il doit toujours en quelque sorte être sous le regard
de sa mère. Je demande alors à cette dernière ce qu’elle penserait du
fait que le maître punisse Maxence, à l’école, parce qu’il n’avait pas
mis son pyjama à la maison. Question révélatrice qui amena Mme L.
à saisir la spécificité de chaque lieu et par la suite contribua à un
changement d’attitude de sa part.

L’école doit assumer cette fonction de mise à distance entre l’enfant


et la famille, ce qui permet à l’enfant de grandir et de vivre autrement
que sous le regard constant de ses parents. L’école, elle aussi, joue le rôle
du tiers, prenant alors la place du père qui vient rompre la dyade mère-
enfant, occupant une place structurante. Mais elle est souvent elle-même
engluée dans cette confusion et a parfois du mal à signifier aux parents
que leur toute-puissance a une limite. Le psychologue, à ce moment-là,
intervient pour aider aussi bien l’école que la famille à saisir que ces deux
espaces sont distincts, que l’espace privé et l’espace public n’ont pas à
être confondus.
Pour l’enfant, la perception claire de ces deux espaces est structurante
et peut même, dans certains cas, être salvatrice. « Quand la famille est le
lieu de l’horreur, l’école devient celui du bonheur. C’est là qu’on rencontre
des camarades et des adultes qui parlent gentiment. C’est là qu’on joue
à se socialiser et qu’on s’amuse à apprendre23. »

Sonia est une petite fille de huit ans, en CE2. Son père est emprisonné
depuis plusieurs mois. Chaque fois que la maîtresse lui demande de
fournir un travail écrit, elle ne le fait pas et, à une nouvelle sollicita-
tion de la maîtresse, elle s’arrange pour lui confier que son papa est
en prison, ce qui sidère la maîtresse, l’apitoie et lui fait cesser toute
exigence. Lorsqu’elle me confie son désarroi, je lui suggère de proposer
à Sonia un espace de parole à l’intérieur de l’école et de lui préciser

23. CIRULNIK B. : Un merveilleux malheur. Paris, Odile Jacob, 1996, p. 96.

173
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

qu’en classe, on travaille. Cette réponse rassura l’enseignante, qui ne


se sentit plus seule face à ce problème, et ainsi put être ferme sur
l’exigence d’une mise au travail pour son élève. Sonia n’était plus une
petite fille dont le père était en prison, mais une élève susceptible
d’apprentissage.

Cet exemple montre que l’intervention du psychologue, à l’école, à ce


moment-là, a porté sur plusieurs points :
– d’une part, elle a permis à l’enseignante de confier ses affects par rapport
à un enfant, affects à l’état brut, posés là pour ensuite pouvoir les élaborer
et repartir vers l’enfant, apaisée (nous retrouvons ici la notion de « conte-
neur psychique suffisamment bon et fiable » dont parle R. Roussillon24) ;
– d’autre part, en détachant les deux espaces classe-famille, ce travail a
permis à l’enseignante de s’intéresser à son élève, susceptible d’appren-
tissage, et de ne pas être complètement sidérée devant une enfant engluée
dans son histoire familiale, ce qui la « dédouanait » ainsi, en tant que
pédagogue, pour son travail qui consiste à amener l’enfant à construire
ses apprentissages ;
– enfin, elle a offert à la fillette un espace de parole, à l’extérieur de la
classe où déposer ses questions face à une situation qui l’envahissait certes,
mais dont elle tirait aussi profit pour ne pas se mettre en travail.

Le psychologue et les situations d’urgence :


quand la famille fait défaut
L’enfant passe beaucoup de temps à l’école, et c’est souvent dans sa
vie un repère important. Même si ce n’est pas le rôle de l’école de proposer
aux enfants des parents de substitution, il est des cas où, lors de situations
familiales traumatiques, l’école reste un lieu de sécurité pour l’enfant, qui
peut y retrouver un quotidien rassurant, des camarades de jeux insouciants,
des adultes non détruits par le drame qui vient de se passer.
En effet, le drame conduit certains à l’impossibilité de penser ; il reste
alors à chercher au milieu du chaos ce qui est stable. Quand une famille
vient de vivre un événement dramatique, l’école offre un espace de sécu-
rité matérielle et affective… D’autres adultes sont présents auprès des

24. ROUSSILLON R. : « Espaces et pratiques institutionnelles. Le débarras et l’interstice » in


KAËS R. et al : L’Institution et les institutions, études psychanalytiques. Paris, Dunod, 1987,
p. 127.

174
Entre l’école et la famille, un tiers : le psychologue

enfants. À ces moments, les enseignants font toujours face avec une
grande dignité, mais sollicitent souvent l’aide du psychologue. En fait, ils
font appel à sa fonction « contenante » : écouter, recevoir les affects à
l’état brut, les élaborer, aider à mettre des mots sur l’indicible, aider à
penser l’impensable.

En arrivant un matin au bureau, je trouve un message d’une direc-


trice d’école affolée qui me demande de venir le plus vite possible :
deux fillettes de l’école ont été amenées le matin par leur mère en
pleurs. Suite à une dispute avec son mari, elle était sortie promener
le chien avec ses deux fillettes. À leur retour, les enfants, courant
devant elle à la maison, ont trouvé leur père dans une mare de sang :
il s’était suicidé d’un coup de carabine. La mère est venue trouver la
directrice pour lui confier son désarroi et ses fillettes. La directrice l’a
écoutée et lui a proposé que la psychologue de l’école la rencontre
avec ses deux enfants.
Je les reçois très vite toutes les trois ensemble, puis à la demande
de la mère, j’assurerai un suivi individuel des deux enfants pour la
fin de l’année scolaire, en attendant que la mère puisse faire la
démarche vers une structure de soins, démarche que, dans l’urgence,
le débordement matériel et celui des affects, elle ne pouvait accomplir.

L’école, en ayant la possibilité de faire appel à un psychologue, a offert


à ces deux enfants un espace de travail et de parole que la famille, momen-
tanément trop bouleversée, n’était pas à même d’offrir.

Le psychologue, médiateur entre l’école et la famille


Il est des cas où la communication semble très bloquée entre l’école
et la famille, entre autres raisons parce qu’elles restent chacune sur leur
position.

Viviane est en CE2, dans un CE2-CM1. Elle s’ennuie à l’école, ses


parents se demandent si elle ne pourrait pas suivre avec les CM1,
d’autant que la maîtresse de l’année précédente avait laissé entendre
que ce serait peut-être bon pour cette fillette. Ils rencontrent la
maîtresse, qui ne voit pas de compétences particulièrement brillantes
chez cet enfant et n’accède pas à leur demande. Une nouvelle tenta-
tive est faite par les parents qui sentent leur fille mal à l’aise, puis
encore une autre. La maîtresse m’en parle, ébranlée quelque peu par

175
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

leur insistance, et me demande de rencontrer les parents pour mieux


entendre leur requête et éventuellement effectuer un bilan cognitif. Ils
me contactent très vite et, lors de l’entretien, amènent des éléments
qui font penser à une précocité intellectuelle chez Viviane, plutôt
effacée et triste en classe, ce que le bilan confirme. La restitution du
bilan amène l’enseignante à modifier son regard sur Viviane et à
accepter de la faire travailler avec les CM1, ce qui eut comme effet
de voir cette fillette retrouver le plaisir de travailler.

Il est assez fréquent qu’école et famille aient des avis divergents à


propos d’un enfant ; quelquefois, l’avis d’un tiers aide à dénouer une situa-
tion où la communication ne passe plus. C’est comme si, parfois, la
présence du psychologue dans l’école empêchait celle-ci d’être toute-puis-
sante par rapport aux enfants et à leur famille.
De même, la neutralité du psychologue et sa pratique d’une évalua-
tion objective aident parfois les enseignants à ne pas donner suite aux
exigences des parents pour leur enfant :

Les parents de Sonia refusent que leur fille soit scolarisée avec les
enfants de la moyenne section ; ils ont vu une émission à la télévision
et pensent qu’elle est précoce. Ils n’entendent pas les réserves de l’ensei-
gnante quant aux compétences de leur fille. L’appel à la psychologue
permet de considérer la situation de Sonia avec objectivité et de
démêler ce qui se cachait derrière cette demande insistante.

Les conflits de savoirs entre l’école et la famille


D’une famille à l’autre, un enfant ne reçoit pas les mêmes stimu-
lations, ne vit pas les mêmes expériences. Cependant, l’école demande à
un groupe d’enfants du même âge de faire sensiblement les mêmes acqui-
sitions au même moment. Situation paradoxale car, nous l’avons déjà
évoqué, les vitesses de développement sont différentes, mais aussi les
modalités d’acquisitions.
De plus, il y a parfois décalage entre l’organisation des savoirs que
l’enfant se construit dans sa famille et l’organisation des savoirs que gère
l’école. C’est ainsi que, pour des enfants issus de milieux défavorisés, l’école
démarre trop vite et trop fort certains enseignements. Pour C. Cahen, une
des causes de l’échec scolaire est l’insuffisante maîtrise des concepts de
base. Selon lui, la pédagogie de l’abstraction s’effectue sur un rythme trop
rapide pour être à même d’être assimilée par tous. « L’apprentissage de

176
Entre l’école et la famille, un tiers : le psychologue

l’abstraction est difficile pour l’enfant qui n’a pas été familiarisé dans sa
famille ou par ses lectures, avec le langage des concepts25. »
En outre, les familles émigrées sont parfois perdues par ce que l’école
propose à leurs enfants. « Pour les parents, l’enfant devient un inconnu
qui désoriente : il n’agit plus selon leur code habituel, il parle une autre
langue, il porte d’autres habits ; il aime une autre nourriture… L’école
est alors vécue comme un parent concurrent, qui fait de son enfant,
l’œuvre de sa chair, un étranger26. » Le système éducatif, qui prend en
charge les enfants de plus en plus tôt, a un rôle important à jouer avec
ces enfants et ces familles-là. Certaines écoles sentent ce que cette double
vie coûte à l’enfant et à sa famille et font de réels efforts pour aller au-
devant d’une autre culture : invitation des mères à venir présenter un
plat, exposé sur les différents pays d’origine des élèves, etc. D’autres, par
contre, n’arrivent pas à envisager des modes de vie et de culture diffé-
rents de la leur et les dénigrent sur un mode méfiant ou critique.

À propos de l’intégration d’enfants handicapés


Les instructions des Bulletins officiels de l’Éducation nationale du
10 novembre 1999 et du 19 mai 2002 reconnaissent à tout enfant le droit
à une éducation scolaire, quelles que soient la nature ou la gravité du
handicap, et préconisent de rechercher prioritairement l’intégration indi-
viduelle dans une classe ordinaire. L’intention est ici louable, certes, mais
l’institution scolaire peine à traduire ces textes en pratiques effectives.
Les parents d’un enfant handicapé sont très demandeurs d’une inté-
gration pour leur enfant, ils ont bien souvent le désir que leur enfant
soit « comme les autres », au risque d’empêcher un ajustement réaliste à
ce dont il est capable ; ils demandent aux enseignants des temps de scola-
risation qui ne sont pas toujours adaptés aux difficultés de l’enfant. Notons
à ce propos que, « lorsque l’enfant est atteint d’un handicap léger, il est
obligé de faire comme si : comme s’il était pareil aux autres enfants bien
portants. Mais les difficultés liées à son handicap le contraignent à faire
un effort permanent et épuisant pour tenter de réduire les décalages qui
ne sont pas reconnus27 ».

25. CAHEN R. : « Regard sur l’élève en difficulté » in AFPS : Différences… indifférence. Actes
du XVIe congrès, Nancy. CRDP, 1999, p. 22.
26. Idem.
27. KORF-SAUSSE S. : « L’intégration : paradoxe et effets pervers » in AFPS : Différences…
indifférence. Actes du XVIe congrès, Nancy. CRDP, 1999, p. 96.

177
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

Les enseignants, d’une part, ont à gérer ce qu’un enfant handicapé peut
générer en eux comme angoisse et, d’autre part, ils ont à mettre en place
un projet individualisé qui définisse des objectifs pédagogiques particuliers.
L’enfant, lui, sent les enjeux de la part de ses parents, mais il a aussi
à vivre la souffrance de se comparer aux autres, d’assumer sa différence,
son autonomie limitée. En effet, l’entrée à l’école est pour lui, encore
plus que pour les enfants bien portants, un moment particulier, en ce
sens qu’elle représente souvent sa première expérience de socialisation
en dehors de sa famille et des structures de soins où il a été l’objet de
soins individuels, personnalisés, attentifs, voire surprotecteurs.
Là encore, le psychologue scolaire est une personne-ressource qui
doit cheminer avec les parents pour les amener peu à peu à accom-
plir un travail de deuil face à cet enfant si différent de celui qu’ils
avaient imaginé et rêvé, pour les amener à considérer de façon plus
réaliste ce qui est bon pour lui dans le cadre scolaire et ce qui semble
au-dessus de ses forces. Travail délicat, car un équilibre est à trouver
entre cette désillusion et la survivance d’un espoir nécessaire à l’inves-
tissement parental et à une projection dans le futur, dynamisante pour
l’enfant.
De même, le psychologue peut accompagner les enseignants, s’ils en
sont demandeurs, en étant là pour entendre leurs angoisses, leurs ques-
tionnements face à un enfant si souffrant.

De l’école à la structure de soins, extérieure


Il y a parfois un long temps entre le moment où l’école a attiré
l’attention de la famille sur les difficultés de son enfant, puis le moment
où la souffrance de l’enfant a été entendue et parlée, celui où la famille
s’est sentie concernée par cette souffrance, au point d’en arriver à formuler
une demande pour une consultation auprès d’une structure externe à
l’Éducation nationale.
Chemin à parcourir qui prend souvent du temps pour amener la famille
à nourrir assez de désir de changement pour entamer une démarche vers
l’extérieur, pour l’amener à poursuivre dans un autre cadre, dans un autre
lieu, le travail entrepris.
Si le psychologue de l’école exerce une pression trop forte sur la famille
pour qu’elle entame une démarche de soin pour son enfant, il arrive que
celle-ci « cède » et conduise son enfant vers un thérapeute ou une struc-
ture de soins ; mais l’on constate souvent, dans ce cas, que les parents
reviennent quelque temps plus tard en disant : « Il a dit que tout allait

178
Entre l’école et la famille, un tiers : le psychologue

bien. » Le psychologue comprend alors que le thérapeute n’a rien pu


« entendre », car il n’y a pas eu de demande explicite et mature.
C’est une tâche délicate pour le psychologue scolaire d’accompagner
la famille vers un soin car il est parfois difficile de « passer la main »
lorsque les parents ont établi une relation de confiance avec le psycho-
logue de l’école et qu’ils le vivent comme moins menaçant parce qu’exer-
çant à l’école, lieu protégé, lieu du quotidien de l’enfant. En effet, le fait
d’accompagner chaque jour l’enfant fait que, peu à peu, les parents ont
pris des repères, noué des liens et que l’école est devenue un lieu fami-
lier. Aller voir ailleurs, dans un ailleurs inconnu, pour « redire les mêmes
choses », semble parfois difficile pour certaines familles qui ont déjà eu
du mal à se mettre en route psychiquement avec le psychologue de l’école.
C’est lui qui est maintenant investi de confiance, c’est à lui que la famille
se fie entièrement, et parfois, le passage de relais de l’école à une struc-
ture de soins peut être vécu comme un abandon.
Je reçois Mme M. pour son petit Daniel, en moyenne section ; cet
enfant est triste, inhibé, peu intéressé par les activités proposées en
classe. Lors de ce premier entretien, elle évoque très vite la fratrie de
Daniel : un grand frère de quatorze ans et un frère né deux ans avant
lui, décédé bébé lors d’un accident. La voiture conduite par Mme M.
avait dérapé sur le verglas, était tombée dans une rivière, seule
Mme M. avait survécu, le bébé s’était noyé. Cet accident avait beau-
coup culpabilisé Mme M. et son travail de deuil ne semblait pas du
tout accompli… Je revois plusieurs fois Mme M., avant de mettre en
place un soin psychologique pour son fils au CMPP, et dans le but de
l’amener parallèlement à consulter pour elle. Un jour où je la rece-
vais, dans une fonction d’étayage par rapport au soin entrepris pour
Daniel, et qu’elle évoquait de nouveau l’accident et sa culpabilité, je
me fis plus insistante pour qu’elle se décide à entamer quelque chose
pour elle dans un lieu qui lui soit propre. Elle me répondit vivement
qu’elle ne souhaitait plus parler de tout cela. Je lui fis remarquer que
c’était bien pourtant de cela dont elle m’entretenait, elle eut alors
cette phrase : « Avec vous, ce n’est pas pareil, vous êtes dans l’école ! »
Ce qui est ici en jeu est la question du nouage d’une relation de type
transférentiel28. Il arrive aussi que le psychologue scolaire soit amené,

28. Transfert : cette notion est employée en psychologie pour indiquer qu’une personne actuelle
– le psychologue, par exemple – est substituée à une autre, plus ancienne et plus fonda-
mentale – la mère, par exemple –, dans les attachements amoureux ou affectifs du sujet.

179
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

dans une fonction d’étayage29, à continuer l’accompagnement de la


famille, même quand un soin est entamé pour un enfant, car « lorsqu’un
enfant est en thérapie, c’est toute sa famille qui est concernée, qui souffre
et qui va respirer au rythme de la thérapie de l’enfant30 ». Parfois, les
parents viennent alors « consolider leur démarche » auprès de celui qui
les y a amenés.

Même si l’enfant à l’école est parfois écartelé entre les demandes contra-
dictoires exprimées à l’école et à la maison, il n’empêche qu’« il n’appar-
tient ni à ses parents, ni à l’école : il existe en tant que Sujet31 », sujet
d’une parole qui peut être entendue à l’école par le psychologue scolaire.
C’est une parole qui, pour certains enfants, n’aurait jamais pu être
entendue dans un autre contexte.
En effet, même si l’école n’a pas à être un lieu de soins, elle est un
lieu de vie pour l’enfant, où il peut laisser apparaître un symptôme, pour
alerter sur ce qui fait souffrance pour lui, un lieu où il semble primor-
dial qu’il puisse, lorsque sa souffrance est trop forte, rencontrer des
adultes, dans un cadre rigoureux, avec qui échanger une parole garantie
par le secret professionnel et peut-être se libérer, peu à peu, de la répé-
tition de son symptôme. Le psychologue permet l’aménagement d’un
espace particulier dans lequel il redonne la parole à l’enfant et à l’adulte32,
ce qui peut amener l’enfant à devenir « acteur de ses apprentissages ».
De fait, pour apprendre, l’enfant a besoin d’avoir l’esprit et le cœur
dégagés de préoccupations majeures, besoin de donner du sens à ce qu’il
fait, de se sentir reconnu et respecté comme personne, comme Sujet.
C’est en cela que l’intervention du psychologue va en quelque sorte « avoir
valeur d’accompagnement interne qui réintroduit le sentiment de conti-
nuité et d’ouverture sur l’avenir33 ».
Pour nous, entendre l’enfant comme Sujet, dans sa dimension
psychique, psychoaffective et cognitive, est bien là la mission principale
du psychologue scolaire, et c’est en ce sens qu’il a toute sa place à l’école.

29. Étayage : action de soutenir ou d’épauler sur le plan psychique.


30. RAFFIER–MALOSTO J. : « Accompagner les parents lors de la psychothérapie de leur
enfant » in Manuel pratique de psychologie en milieu éducatif. Paris, Masson, 1997, p. 244.
31. BARTHELEMY-CHAUDOIR A. : « De l’offre et de la demande » in Psychologues et
Psychologies. N° 151, 2001, p. 22.
32. AFPS – GUILLARD S. et GUILLEMARD J.-C. (éds) : Manuel pratique de psychologie en
milieu éducatif. Paris, Masson, 1997, p. 78.
33. LÉVINE J. : « La déférence » in AFPS : Différences… indifférence. Actes du XVIe congrès,
Nancy, CRDP, 1999, p. 325.

180
Entre l’école et la famille, un tiers : le psychologue

Mais était-ce vraiment l’idée des directives officielles quand elles préci-
saient que les missions du psychologue scolaire étaient « d’apporter dans
le cadre d’un travail d’équipe, l’appui de ses compétences pour la préven-
tion des difficultés scolaires avant que des difficultés mineures ne s’accen-
tuent et ne deviennent durables34 » ? Cette perspective de prévention
peut-elle s’entendre comme la définissait F. Dolto : « la prévention, ce
n’est pas d’éviter à un enfant de souffrir, mais reconnaître avec compas-
sion qu’il souffre35 » ou ne se réduit-elle qu’à une démarche normative
et immédiatement adaptative à la réussite scolaire ?

De plus et plus précisément, c’est de la part du psychologue scolaire,


un changement de regard par rapport au regard habituel porté sur
l’enfant, un regard ni scolaire, ni parental qui induit, chez l’enfant, l’idée
qu’un changement de regard sur lui-même et sur les situations qu’il vit,
est possible sauf, bien sûr, s’il est moins dangereux pour l’équilibre
psychique de l’enfant et de sa famille qu’il reste accroché à son symp-
tôme. Ce regard, s’il peut être source de réamorçage pour l’enfant, l’est
bien souvent également pour les parents. En effet, rencontrer à l’école
un partenaire de l’école peut leur permettre de déposer leur déception,
leur angoisse, leur découragement vis-à-vis de leur enfant et vis-à-vis de
l’école, et ainsi de continuer à accompagner, malgré les difficultés, leur
enfant sur son chemin de croissance, en étant plus attentifs à sa trajec-
toire personnelle qu’à une norme définie par l’école.

Le dialogue famille-école est d’autant plus précieux qu’il a pu être noué


dans des moments où tout allait bien pour l’enfant. Il n’y a rien de pire
pour des parents que de ne venir à l’école que pour y entendre des
reproches ou des remarques négatives à propos de leur enfant.
Professionnel de la communication et de la relation, le psychologue a sa
place comme tiers, indispensable, à certains moments, entre l’école et la
famille.

34. Circulaires de 9 avril 1990 et du 10 avril 1990. Mise en place et organisation des réseaux
d’aides spécialisées aux élèves en difficulté. Missions des psychologues scolaires.
35. DOLTO F. : op. cit., p. 104.

181
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

Bibliographie
AFPS – GUILLARD S. et GUILLEMARD J.-C. (éds) : Manuel pratique de psycho-
logie en milieu éducatif. Paris, Masson, 1997.
AFPS : Différences... indifférence. Actes du XVIe congrès, Nancy, CRDP, 1999.
BARTHELEMY-CHAUDOIR, A. : « De l’offre et de la demande » in Psychologues
et Psychologies. N° 151, 2001.
BERGER M. : Les Troubles du développement cognitif. Paris, Dunod, 1997.
BION W. R. : Réflexion faite. Paris, PUF, 1983.
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Actes du XVIe congrès, Nancy, CRDP, 1999.
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CLERGET J. : Être père aujourd’hui. Lyon, Chronique sociale, 1979.
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du petit enfant. Paris, Odile Jacob, 1999.
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Calman Lévy, 1995.
DOLTO F. : La Difficulté de vivre. Paris, Inter Éditions, 1981.
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1987.
– Crise, rupture et dépassement. Paris, Dunod, 1997.
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LÉVINE J. : « La déférence » in AFPS : Différences... indifférence. Actes du
XVIe congrès, Nancy, CRDP, 1999.
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tution scolaire. Grenoble, PUG, 2000.
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gique à l’école. Paris, Dunod, 1994.
RAFFIER–MALOSTO J. : « Accompagner les parents lors de la psychothérapie de
leur enfant » in Manuel pratique de psychologie en milieu éducatif. Paris, Masson,
1997.
ROUPSARD M.-Th. : « Un enfant manifeste » in Psychologues et Psychologie. 2001.
ROUSSILLON R. : « Espaces et pratiques institutionnelles. Le débarras et l’inter-
stice » in KAËS R. et al : L’Institution et les institutions, études psychanalytiques.
Paris, Dunod, 1987.

182
CHAPITRE 8

Le psychologue scolaire
et le maître d’école

Odile Dechavanne

L e métier d’enseignant est articulé à la question de la transmission d’un


savoir. Cette question ne semble pas solliciter directement l’intervention
du psychologue, elle implique plutôt des références à la pédagogie – ou
aux différentes didactiques, et donc à des questions d’enseignement. En
revanche, la question des apprentissages (psychologie cognitive) et le
contexte de la rencontre entre les élèves et leur maître (psychologies
sociale et culturelle ; psychologie des émotions) ont beaucoup à voir avec
les questions proprement psychologiques.
Le psychologue en milieu scolaire occupe une fonction de psychologue
en quelque manière « généraliste ». Sur cette base de psychologue géné-
raliste, certains psychologues développent plus spécifiquement des compé-
tences professionnelles dans tel ou tel des sous-domaines de la psychologie.
Ainsi, dans le champ de l’Éducation nationale, le psychologue tel que
nous l’entendons étudie aussi les effets des mouvements affectifs, émotion-
nels, intrapsychiques et interpersonnels sur les apprentissages, sur l’ensei-
gnement et sur le fonctionnement institutionnel. De ce fait, sa fonction
ne se réduit pas à n’entendre que ce qui a rapport avec les dimensions
cognitives des apprentissages. Le psychologue, selon nous, est avant tout
une écoute et une parole qui s’ouvre à ces mouvements inconscients, non
maîtrisés, afin que ceux-ci se déplacent et s’agencent de la façon la moins
symptomatique possible pour le sujet.

183
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

Le milieu d’intervention du psychologue

Une connaissance de l’intérieur


Le psychologue en milieu scolaire est un ex-enseignant. L’institu-
tion éducative attend de cette particularité que le psychologue manifeste
ainsi une connaissance de l’intérieur de l’école, du fait de la pratique qu’il
a eue de l’enseignement et de la connaissance qu’il a acquise, dans ce
cadre, sur les apprentissages des élèves.

Une connaissance dans la distanciation


Cette connaissance « de l’intérieur » du milieu scolaire amène le
psychologue scolaire à négocier une gestion permanente du
dedans/dehors, car il est à la fois dans l’institution, qui le recrute, le
forme, l’affecte à un poste et le salarie, et « dehors », puisque son métier
– cf. le code de déontologie des psychologues – l’oblige à une certaine
distance, garante de l’objectivation de sa position. De même, cette expé-
rience de l’intérieur de l’institution éducative le conduit à renoncer à
occuper toutes les places : celle d’un maître en sciences de l’éducation,
d’un sociologue de l’éducation, d’un savant en cognition, d’un assistant
social, d’un super enseignant, d’un psychothérapeute, d’un enseignant,
d’un conseiller pédagogique, d’un inspecteur, d’un éducateur… C’est
dans le vide créé par ce renoncement qu’il pourra trouver sa juste place.
Pour parler vraiment à l’autre – enseignant –, le psychologue doit
trouver la distance qui lui permettra de ne pas parler « la même place »
et de travailler dans la différenciation. « Pourquoi la confusion des places
et des générations est-elle meurtrière ? Il faut répondre : parce qu’une
telle confusion implique la prétention à l’identité impossible, nul ne
pouvant prétendre occuper toutes les places à la fois et annuler les
générations1. »
Le psychologue parle de sa place, avec ses limites, c’est-à-dire avec le
manque à être, marqué qu’il est lui aussi par l’épreuve de la castration :
reconnaître ce manque à être tout, cette impossibilité d’occuper toutes les
places organise toute rencontre sur le mode triangulaire qui s’oppose au
face-à-face dévastateur du rapport de forces binaire. Le psychologue peut
ainsi chercher à éviter le piège de se présenter aux enseignants dans la

1. LEGENDRE P. : L’Inestimable Objet de la transmission. Paris, Fayard, 1985, p. 78.

184
Le psychologue scolaire et le maître d’école

toute-puissance d’un discours qui aurait « valeur de vérité ». Alors, le


psychologue peut entendre ce que l’autre a à dire. Cette différence posi-
tive ne va toutefois pas de soi : elle est à construire sur le dépassement de
diverses positions possibles dans la relation psychologue/enseignant. Nous
évoquons ci-dessous quelques-unes de celles que nous avons rencontrées.

• L’adhésion, l’entente complice


Lorsque la relation psychologue/enseignant repose sur le modèle de
l’adhésion, de l’entente, dans une complicité amicale qui évite les dispa-
rités et les désaccords, elle court le risque d’annuler le travail d’élabora-
tion, lequel suppose la complexification de toute situation, et une possible
conflictualisation. Dans la complicité, plus rien ne bouge. L’enseignant
et le psychologue sont confondus en une seule position et leur parole en
est confuse ; c’est à cela que peut conduire la peur d’assumer la diffé-
rence de points de vue.

La première année d’exercice de ma2 fonction de psychologue scolaire,


je reçois une demande d’intervention pour une petite Mélanie, quatre
ans, scolarisée dans un groupe scolaire où les enseignantes étaient quali-
fiées par les parents, unanimes, de toutes « très gentilles ». En effet, j’ai
moi-même été accueillie avec chaleur et ai sans doute opté incons-
ciemment pour le réconfort que procurait l’accueil initial. Lorsque,
plusieurs semaines après la rentrée, j’ai entendu parler de Mélanie
comme d’une petite fille en décalage avec les autres, j’ai accepté de
procéder à une observation en classe au sujet de cette enfant.
Or, plus qu’un simple décalage, Mélanie semblait présenter de réels
troubles psychomoteurs. J’en ai informé sa maîtresse qui se trouvait
être la directrice de l’école. « Écoutez, m’a-t-elle dit, je connais bien
la famille, il vaut mieux ne pas les inquiéter maintenant, la maman
est enceinte et elle est fatiguée, ce n’est pas la peine d’en rajouter.
Mélanie est ici depuis ses deux ans, elle a fait beaucoup de progrès
grâce à nous toutes, si vous avez quelques idées sur ce que je pour-
rais lui proposer pour la stimuler, vous verrez, ça se passera bien. »
Piégée par cette parole ferme qui englobait tant de certitudes, je

2. Les exemples fournis dans ce chapitre ne sont pas tous empruntés à ma propre expé-
rience de psychologue : au sein du groupe de collègues lyonnais qui a participé à cet ouvrage,
tous les exemples ont été discutés en équipe. Ceux qui ont semblé plus pertinents ont été
présentés ici. Le « je » qui est celui du psychologue n’est donc pas toujours celui du signa-
taire du chapitre.

185
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

me suis rangée sans mauvaise conscience à l’avis de la directrice. Nous


étions toutes d’accord pour laisser Mélanie évoluer tranquillement. Au
fond, le psychologue était ici rappelé à sa solidarité de membre du
corps enseignant : en se positionnant en tant que tel, il ne pouvait
qu’adhérer à cette attitude collective. Mais était-il alors vraiment dans
sa place de « psychologue » ?

• L’affrontement symétrique
Chacun tient dans ce cas une position et la justifie, dans un contexte
de rapport de forces qui peut aboutir à l’élimination de l’un des deux
points de vue. La subjectivité est niée, et c’est la disparition de l’altérité.

Ce n’est que l’année suivante que j’ai réalisé que Mélanie était « sacri-
fiée » pour la bonne cause : la tranquillité de la maman (du papa ?
jamais évoqué, jamais rencontré) et du nouveau-né. J’ai alors pris
conscience de mon adhésion initiale à une position, prédéfinie et
fermée, de type de relation à l’école, position signifiant que rien ne
devait sortir de l’école et position dans laquelle toute personne nouvelle
appartenant à la communauté enseignante devait s’inscrire. J’ai alors
choisi, en opposition totale avec l’ensemble des enseignantes, d’avertir
la mère de Mélanie de mes craintes au sujet du développement de sa
fille. Mais, faute d’avoir su créer un espace où chacun gardait sa place,
les parents se sont rangés à l’avis des enseignants, de « laisser Mélanie
tranquille ». Ce n’est qu’à l’occasion de l’épreuve de réalité du passage
au CP que la situation s’est dénouée, cette fois dans un contexte tardif
et douloureux.

• L’évitement de la rencontre et du psychisme


Dans ce type de relation, l’enseignant ne voit pas, ou ne veut pas voir,
le psychologue scolaire ; il reste sourd et aveugle à sa présence.

Dans une école de petite ville, école située dans une cité, un ensei-
gnant, M. L., à quelques années de la retraite, mène sa classe de cycle
3 seul, sans participer aux rencontres entre enseignants instituées dans
cette école, en présence du psychologue. Il ne demande ni ne signale
rien ni personne de sa classe où se trouve parfois un élève « suivi »
l’année précédente par un membre du Rased (maître « E », maître
« G », psychologue en milieu scolaire). Je tente quelques dialogues hors
cadre, dans ces « entre deux portes » que sont la récréation, le couloir…
Rien n’y fait, M. L. ne répond pas à mes remarques et détourne

186
Le psychologue scolaire et le maître d’école

l’échange sur des sujets généraux, pour finalement annoncer qu’il a


à faire pour ses élèves. Je finis par poser directement la question du
partenariat et du suivi des élèves à M. L. Sa réponse est la suivante :
« Vous savez bien ce que c’est la classe, vous avez donc tous les atouts
pour critiquer ma pédagogie. Je n’ai pas besoin de vos services. Je
voudrais terminer ces années qui me restent sans complications. »

Il semble ici que la crainte de la comparaison avec l’ancienne pratique


pédagogique du psychologue en milieu scolaire augmente la résistance à
une collaboration chez certains enseignants, en raison d’une rivalité
fantasmée où le psychologue serait forcément juge et meilleur enseignant.
Par ce refoulement de la présence du psychologue, il cherche à ne rien
savoir de ce que représente ce dernier.

• L’abandon de la situation par l’enseignant


Ici, l’enseignant peut avoir l’illusion que le psychologue scolaire est un
expert qui peut tout résoudre, un super-enseignant grâce auquel il peut
démissionner de sa responsabilité d’enseignant, déposer là sa question et
s’en retourner.

Toujours au début de ma prise de fonctions en tant que psychologue


scolaire, je suis sollicitée par une enseignante intervenant en cycle 2,
niveau CP. Nous ne sommes qu’à mi-septembre, et déjà elle formule
trois signalements d’enfants en difficulté et m’annonce qu’elle a donné
mes coordonnées aux parents pour qu’ils prennent contact avec moi.
Lorsque je lui propose par la suite un temps d’échange autour de la
question de ces enfants, elle m’assure que c’est inutile, qu’elle me fait
entièrement confiance, qu’elle préfère que je m’en occupe, ce qui la
rassure, et que, par ailleurs, elle a conseillé à deux autres familles de
me rencontrer au sujet de leurs enfants.

Toutes ces positions (adhésion, affrontement, évitement, abandon) sont de


véritables pièges où la parole et l’élaboration restent prisonnières. Au
contraire, le psychologue doit préserver la distance qui ouvrira un espace de
parole. Il doit entendre les demandes et veiller à ce qu’elles puissent émerger.
L’enseignant, lui, doit pouvoir trouver chez le psychologue en milieu
scolaire l’oreille qui pourra entendre son propre rapport à l’école, sa souf-
france et peut-être même son agressivité, sans craindre de jugement. C’est
dans cet écart que le psychologue peut réintroduire une dimension
d’écoute de l’individuel.

187
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

Le psychologue accueille la souffrance de l’autre et met des mots sur


ce qu’il entend. Dégagé de toute position hiérarchique, il peut entendre
l’agressivité de l’autre comme une parole et non comme un passage à
l’acte qui demanderait une action-réponse dans le réel.

L’enseignant, l’interpersonnel et le professionnel


L’enseignant se présente aux élèves avec son histoire personnelle
qui perle à travers son discours, son attitude, ses réactions et sa péda-
gogie. Cette interférence du personnel dans le professionnel – et ce de
la maternelle au lycée – est un sujet encore tabou, comme si pointer les
risques de décalages au niveau des interventions de l’enseignant et les
attribuer à une problématique personnelle risquait de le fragiliser.
Or, le métier d’enseignant, directement articulé à la question de la
transmission d’un savoir, l’est aussi à celle de la relation éducative, qui
est une rencontre entre des personnes. Jean Guillaumin3 remarquait : « Ce
n’est pas le savoir qui passe, mais le savoir accompagné de l’illumination
d’une rencontre ». De quoi est donc faite cette rencontre entre l’ensei-
gnant et l’apprenant ? S’il semble bien difficile de trouver des éléments
de réponse d’ordre général, il est indispensable de maintenir constante
l’interrogation : c’est en s’interrogeant sur la teneur de cette rencontre
que l’émotionnel et l’affectif ne seront pas des agents directeurs de la
démarche pédagogique. Car l’enseignant est marqué, comme tout un
chacun, par son système de représentations et ses identifications person-
nelles, ce qui a des effets sur la qualité de cette rencontre. Gérer cette
dimension des affects et de la personnalité de l’enseignant est une des
manières de garantir le professionnalisme de l’enseignement.
À l’école, le psychologue peut aider l’enseignant à élaborer, c’est-à-dire
à repérer, nommer, séparer et filtrer, grâce au travail de pensée et de
parole, ce qui anime en lui sa démarche pédagogique, sa représentation
d’un élève, afin d’opérer un tri entre la part qui revient au professionnel
et celle qui revient à l’histoire personnelle de l’enseignant qu’il est devenu.
À une époque où le savoir n’a plus partie aussi liée avec l’école qu’au
siècle dernier – l’information, le savoir ont bien d’autres moyens de diffu-
sion avec la grande variété et accessibilité des médias –, le poids de cette
rencontre s’en trouve renforcé.

3. Conférence à l’université Lyon 2, le 17 janvier 1991.

188
Le psychologue scolaire et le maître d’école

L’enseignant et le risque de réduction de l’enfant à l’élève


Si l’enseignant acquiert, au cours de sa formation, des outils pour
améliorer ses méthodes, sa formation ne lui donne pas toujours les moyens
d’apprécier les effets de sa personnalité sur les élèves. « La fonction d’ensei-
gnant n’appelle pas la neutralité, elle révèle tous les aspects de la personne
sans lui donner les moyens de contrôler les effets de cette révélation. […]
L’enseignant affine son savoir sur ses méthodes mais pas sur lui-même4. »
Ses mécanismes de défense œuvrent à son insu sans qu’il ait appris à les
identifier, à les reconnaître et à les nommer. Seul un travail « sur soi »,
d’identification et de nomination, peut aider le pédagogue à séparer ce
qui relève de son histoire infantile, de son rapport à l’école ou à la paren-
talité et ce qui relève d’un professionnalisme dans sa rencontre avec un
collègue ou un élève.
L’Éducation nationale ne prévoit toujours pas de temps d’élaboration
psychique5 pour les enseignants, à partir de leur pratique. L’élève, la
« matière » première avec laquelle ils ont affaire, est pourtant humain,
c’est-à-dire non réductible à un objet apprenant. La place des affects6 est
importante de part et d’autre. « L’affect est un ressenti inconscient, qui
ne parvient à la conscience que sous la forme de ce que la philosophie
morale entend par sentiment. L’écart existant entre l’affect et le senti-
ment révèle l’après-coup de ce qui est vécu par le sujet7. »
C’est à ce travail de révélation et d’élaboration que peut participer le
psychologue : en d’autres termes, il s’agit bien d’intégrer la notion de trans-
fert qui apparaît dès lors qu’une rencontre se fait entre deux êtres. « […]
du seul fait que leurs paroles mettent en présence des bribes de leur
mémoire ; cela déclenche des poussées de leur passé vers leur présent ou
leur avenir, des coulées fantasmatiques qui les débordent, qui cherchent
où se poser, à quels temps se conjuguer pour s’entretenir, se satisfaire8 »,

4. CORDIE A. : Malaise chez l’enseignant. Paris, Le Seuil, 1998, p. 406.


5. « Terme utilisé par Freud pour désigner, dans différents contextes, le travail accompli
par l’appareil psychique en vue de maîtriser les excitations qui lui parviennent et dont
l’accumulation risque d’être pathogène. Ce travail consiste à intégrer les excitations dans
le psychisme et à établir entre elles des connexions associatives. » in LAPLANCHE J.
et PONTALIS J.-B. : Vocabulaire de la psychanalyse. Paris, PUF, 1978, p. 130.
6. « Terme […] connotant tout état affectif, pénible ou agréable, vague ou qualifié, qu’il
se présente sous la forme d’une décharge massive ou comme tonalité générale. » in
LAPLANCHE J. et PONTALIS J.-B., op. cit. p. 12.
7. HUBERT G. : Freud/le sujet de la loi. Paris, Michalon, 1999, p. 104.
8. SIBONY D. : Entre dire et faire. Paris, Grasset, 1989, p. 131.

189
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

sans pour autant entrer dans une démarche analytique qui n’a pas lieu
d’être en dehors du traitement analytique lui-même. Le psychologue peut
simplement – ou au moins – aider au repérage des aspects transféren-
tiels en jeu dans la relation pédagogique si tant est, et c’est bien évidem-
ment une condition nécessaire à cette pratique, que le psychologue
s’inscrive lui-même dans une dynamique d’élaboration, grâce à un travail
personnel de supervision, c’est-à-dire un travail de contrôle de ses propres
processus psychiques et transférentiels.

• Un travail d’élaboration individuel


Le psychologue en milieu scolaire ne conduit pas de psychothérapie
avec les enseignants. Il est disponible à l’expression et aux manifestations
apparentes (au niveau du discours, ou de l’attitude) d’éléments person-
nels dans la relation enseignant-apprenant. Les effets différenciateurs et
séparateurs de son écoute participent au remaniement du fonctionne-
ment associatif et du processus d’élaboration. Le psychologue aide au
dégagement, chez et par l’enseignant, de l’histoire personnelle de son
investissement professionnel, sans pour autant le faire renoncer à l’enga-
gement personnel dans ce travail d’enseignement qui s’appuie sur le rela-
tionnel.

Chantal, une maîtresse de maternelle, m’appelle pour me parler d’une


petite fille, Mathilde, qui ne réussit rien de ce qu’elle lui propose. Elle
évoque des craintes de débilité et me demande de l’aider à confirmer
ou pas cette hypothèse. J’insiste alors : « Qu’est-ce qui te fait penser
qu’elle ne comprend rien ? » La maîtresse donne plusieurs arguments,
puis tout à coup se met à pleurer. Je poursuis l’entretien en l’invitant
à essayer de mettre des mots sur ses larmes. Elle associe alors cette
situation à son histoire personnelle : elle avait elle-même donné
l’impression à ses parents qu’elle ne comprenait rien à rien. Je suggère
alors que certains enfants ne « comprennent » pas parce que
comprendre serait risquer de mettre en péril le lien à un parent ; puis
je lui propose d’organiser un rendez-vous avec la famille de Mathilde.
Elle refuse, évoquant la crainte de pleurer en parlant devant les
parents. Je lui indique qu’elle peut essayer de résoudre son problème
en dehors de Mathilde et que nous pourrons en reparler, mais qu’il
importe de maintenir le rendez-vous à l’école avec Mathilde et elle-
même. La maman y vient, seule. L’évocation des difficultés de Mathilde
permet de mettre en mots la position d’une petite fille prise par un
fort désir de rester bébé, dans un contexte familial en souffrance. La

190
Le psychologue scolaire et le maître d’école

mère pouvant entendre le conflit intérieur de son enfant a su ensuite


étayer Mathilde dans son processus d’individuation. Mathilde n’était
pas débile.
Quelques semaines plus tard, nous faisons le point avec Chantal,
la maîtresse. Elle trouve Mathilde transformée et se culpabilise de
n’avoir pas su adopter une attitude plus positive avec elle. Elle évoque
à nouveau son histoire personnelle et me questionne alors sur la psycho-
logie en général. Elle m’appelle un mois plus tard pour m’annoncer
qu’elle a pris contact, pour elle et à l’extérieur de l’école, avec un
psychologue et qu’un premier rendez-vous est pris.

Il se trouve que, quelques années plus tard, cette maîtresse demandait


son changement pour une classe de cycle 3, ce dont elle rêvait depuis
longtemps sans avoir jamais osé le demander, de peur de ne pas savoir
s’y prendre avec les enfants « qui ne comprennent rien ».
« À l’impossible nul n’est tenu, dit le proverbe. Cet impossible n’est
pas perçu comme tel, il est vécu comme une impuissance. Le sujet se
croit incompétent, donc coupable, son échec devient une blessure narcis-
sique avec toutes les conséquences psychiques que nous commençons à
entrevoir9. »

Danielle, une maîtresse de 3e année de cycle 2 – niveau CE1 – me


demande d’intervenir pour un enfant, Mehdi, en grandes difficultés
scolaires. Il a déjà un an de retard et n’a toujours pas acquis la lecture.
L’enfant est suivi par un organisme d’aide, extérieur à l’école. Je
connais la famille pour avoir travaillé avec elle deux années plus tôt,
avant le démarrage de la prise en charge en dehors de l’école.
Danielle m’explique qu’elle garde l’enfant une heure chaque jour
de classe après 16 h 30, de façon bénévole. Elle est découragée, car
l’enfant semble régresser. Je lui demande pourquoi elle « se » le garde
ainsi ! Surprise, elle me dit que la réponse est évidente : « Il a besoin
de moi. » Les souvenirs que j’ai de cette famille me reviennent : un
contexte « confusionnant » où Mehdi était mis en demeure de réussir
scolairement pour satisfaire la mère. Je dis à l’enseignante qu’en « se »
gardant Mehdi avec elle dans une relation privilégiée, elle ne l’aide
pas à se différencier des désirs de sa mère, mais risque bien d’occuper
la même place que sa mère, amenant l’enfant à lui résister comme il
résiste peut-être à sa mère.

9. CORDIE A. : op cit., p. 49.

191
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

Le psychologue, en aidant la maîtresse à se questionner sur les enjeux


qu’elle place dans la situation, et qui renvoient là encore à une problé-
matique personnelle, permet que la question se réouvre, autrement qu’en
termes d’abandon de Mehdi. Danielle a su se défaire de son exigence de
réussite forcenée et quelque peu possessive, pour entrer dans une rela-
tion engagée, mais désintéressée, où la pédagogie était mise au service
de l’enfant.
Un travail d’élaboration avec l’enseignant peut ainsi l’amener à séparer
ses sentiments, les identifier, les reconnaître et à renoncer aux bénéfices
narcissiques qu’ils confèrent. Le psychologue en milieu scolaire peut aider
là encore à repérer un trouble psychique, à le nommer (angoisse de sépa-
ration, jalousie, rivalité, pulsions agressives… réactivant une relation
ancienne refoulée) et à identifier les mécanismes de défense qui œuvrent
à l’insu de l’enseignant ; celui-ci est ainsi parfois amené à prendre
conscience de la position symbolique qu’il occupe : celle d’un parent de
l’enfant (le plus souvent la mère). Si la relation mère-enfant est altérée,
par exemple par un interdit inconscient de grandir ou par des pulsions
destructrices envers l’enfant, celui-ci peut développer une conduite patho-
gène portée par la confusion (entre autres) que rester bébé ou provoquer
les coups, c’est conserver l’amour de maman. L’enfant met en scène à
l’école sa relation au monde sur le modèle de la relation à la mère.
Le psychologue est contenant : par son écoute et sa parole, il aide les
enseignants à se défaire de marquages prématurés des élèves, en repé-
rant dans le discours enseignant ce qui peut émerger de neuf au sujet
d’un enfant ou d’une situation problématique. Il ouvre à une disposition
nouvelle de l’enseignant vers ce qui pourrait advenir.

• Un travail d’élaboration collectif


« Un enseignant, souligne Mireille Cifali, est d’autant plus marqué par
le contre-transfert […] que sa profession ne nomme pas les enjeux
psychiques de la rencontre. Si déjà les analystes ont de la peine à évoquer
ce versant de leur travail, les autres professionnels ont davantage encore
de la difficulté à en parler : rien n’a été nommé de cette actualisation de
leur propre psychisme sur leur partenaire professionnel et des sentiments
qu’ils vont éprouver10. »
Un travail collectif avec le psychologue scolaire au sein d’une école peut
conduire les enseignants à s’interroger sur les effets de l’attitude et du
langage de chacun sur les élèves, en prenant conscience du fait que la

10. CIFALI M. : Le Lien éducatif : contre-jour psychanalytique. Paris, PUF, 1994, p. 178.

192
Le psychologue scolaire et le maître d’école

problématique d’un enfant peut entrer en résonance avec un point non


réglé de leur histoire infantile. Cependant, afin de préserver l’espace intime
de chacun, ce temps d’élaboration collectif avec le psychologue ne donne
pas lieu à un travail psychologique individuel en présence des partenaires.
L’objectif est ici double :
– réguler des conflits, des tensions entre les collègues d’une école ;

Dans une école maternelle de deux classes, les maîtresses en poste


depuis de nombreuses années ne « s’entendent » plus. Un jour, la
maîtresse de grande section, profitant d’un de mes passages dans
l’école, sollicite mon avis sur un dessin d’enfant effectué en classe.
L’enfant l’inquiète car ses parents viennent de divorcer. Le dessin
représente deux moitiés de maison dessinées sur les bords gauche et
droit de la feuille. En pliant la feuille pour faire se rejoindre les deux
bords, la maison peut paraître entière.
L’interprétation d’un dessin requiert un certain nombre de condi-
tions ; un psychologue interprète un dessin qui a été réalisé dans la rela-
tion et si possible qui a été raconté par l’enfant. Néanmoins, apercevant
la pile des dessins des autres élèves sur le bureau, je me fais préciser
la consigne qui a conduit à la production de ces dessins. « Dessine ta
maison. » Je demande à feuilleter les autres réalisations des enfants et
je constate que plus de la moitié d’entre eux sont construits sur le même
modèle. Je propose alors : « On dirait qu’ils ont dessiné l’école, la classe
de Mme X d’un côté et la tienne de l’autre, sans communication possible
entre les deux. » En effet, les deux maîtresses ne sortent pas ensemble
en récréation, privant ainsi les enfants de rencontres dans la cour. Cette
remarque a alors permis un lent travail d’élaboration psychique, de
remaniement de certaines attitudes.

– réfléchir ensemble autour de situations concrètes en classe.


Revenir, avec les enseignants, sur certaines situations concrètes du
domaine pédagogique et relationnel permet de ne pas laisser libre cours
à l’imaginaire, de soulever la question de l’autre, c’est-à-dire de l’enfant,
de s’interroger sur les effets de telle ou telle conduite, attitude, réponse
donnée par l’enseignant… Autrement dit, de s’interroger sur les aspects
transférentiels et interprétatifs en jeu chez l’enfant.

Invitée à une concertation, dans une école maternelle de plusieurs


classes, pour donner mon avis sur l’organisation du temps d’accueil,
j’entends l’une des enseignantes raconter cette anecdote : « Oh, Jojo,

193
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

il est arrivé ce matin avec un petit bouquet pour moi, je craque complè-
tement tellement il est mignon, je lui ai fait un gros “mimi” sur ses
joues rondes. »
Je relève l’usage du surnom pour appeler cet enfant. Chaque
maîtresse a alors sondé ses sentiments et donné son point de vue sur
ce que leur faisaient les enfants, certaines marquant une distance plus
grande dans leur relation à ces derniers. Dans un second temps, j’ai
demandé ce qu’elles imaginaient qu’elles faisaient ainsi aux enfants.
Nous nous sommes alors interrogées sur quatre points : l’utilisation du
surnom est-elle justifiée à l’école ? Le rapproché physique (baiser, prise
d’enfants sur les genoux…) est-il anodin ? Les appellations « ma chérie,
mon chéri » ne cachent-elles pas des affects négatifs envers d’autres
enfants « moins aimés » ? L’ensemble de ces manifestations affectives
a-t-il des effets sur les premiers apprentissages ?

• Un travail d’élaboration parfois impossible, faute d’un dispositif


adéquat
Pour aider à un travail d’élaboration psychique, le psychologue doit
pouvoir être dégagé de la réalité et des enjeux liés à la tâche primaire de
l’institution scolaire : transmettre des connaissances. Le milieu scolaire met
en scène plusieurs réalités : celle de l’enfant, celle de sa famille, celle de
l’enseignant et celle de l’institution et des organismes périphériques sociaux
et médico-psychologiques. Le psychologue doit pouvoir s’en dégager pour
rester plus disponible aux bruits fantasmatiques qui sous-tendent ces
réalités. Il renonce, nous l’avons vu, à occuper toutes les places.
Le psychologue entend la souffrance des enseignants lors des réunions
de synthèse, de concertation ou de conseil de cycles, dans des situations
collectives. C’est pourquoi il pourrait être pertinent de penser, dans des
cas où un travail avec un enseignant croise un travail avec l’un de ses
élèves, deux interventions séparées de deux psychologues en milieu
scolaire, l’un travaillant avec le maître, contenant ses éléments dépré-
ciatifs et l’aidant à élaborer, l’autre travaillant avec l’enfant et ses parents
dans le cadre habituel de la psychologie en milieu scolaire.

• Un fonctionnement plus contenant


L’enseignement requiert des compétences que la démarche et le savoir
pédagogiques seuls ne procurent pas. Une fois en place, les équipes profes-
sionnelles ont peu de moyens (lieu, temps, personne formée) pour
élaborer psychiquement à partir de leur pratique, pour s’interroger, dans
l’après-coup, sur telle ou telle attitude, pratique, décision ou prise de posi-

194
Le psychologue scolaire et le maître d’école

tion, en essayant de repérer ce qui a pu les animer à ce moment-là. Le


psychologue scolaire de leur réseau d’aides ne peut pas toujours se distan-
cier suffisamment pour aider à l’analyse des difficultés rencontrées dans
l’école. Il peut réfléchir avec les autres membres de l’équipe, intervenir
en tant que psychologue, mais il ne peut aider l’équipe à élaborer par
rapport à son mode de fonctionnement, étant lui-même membre de cette
équipe. C’est là un des principes de l’analyse institutionnelle.
Une autre organisation possible serait la suivante : le secteur géogra-
phique d’un psychologue en milieu scolaire serait « couvert » de façon
pertinente et opérante si deux professionnels y intervenaient. L’un se
consacrant à un travail d’analyse de leur pratique auprès des équipes
d’enseignants et de professionnels réunis en divers réseaux, l’autre privi-
légiant les actions d’aide et d’orientation auprès des enfants en difficulté
et de leur famille. Pour prétendre lui-même aider les enseignants à être
interpellés dans ce qui mobilise les dimensions de l’imaginaire et du
symbolique par la parole, le psychologue appelé à travailler auprès des
équipes doit lui aussi remettre en circulation dans un autre lieu son propre
rapport à celle-ci et faire cette expérience du travail d’élaboration. Cet
autre lieu, appelé « supervision », a sans doute intérêt à être différencié
de l’institution11.

Le psychologue, l’enseignant et l’élève : le langage, un point commun


Le langage est le principal outil de l’enseignant ; mais, à son insu,
le langage véhicule des messages implicites que l’élève « interprète » et
dont les effets sur l’élève échappent à l’enseignant qui les émet. Le langage
n’est jamais neutre. Linguistes et psychanalystes ont longuement déve-
loppé les dessous du langage : double langage, langage de désignation,
langage de signification, rapports entre signifiant et signifié, etc. Nous
avons tous expérimenté les conséquences liées aux jeux du langage et des
affects associés. Les travaux de Grégory Bateson repris par P. Watzlawick12,
ses propositions pour une axiomatique de la communication et son apport
sur la question des paradoxes, les travaux de J. Lacan, ceux encore de
F. Dolto13, tous ont longuement insisté sur le pouvoir lié au langage, dans
un sens destructeur ou réparateur, notamment dans les toutes premières

11. Pour que sa parole soit plus libre, il peut choisir lui-même le lieu qui lui convient.
12. WATZLAWICK P., HELMICK BEAVEN J. et JACKSON D. : Une logique de la communi-
cation. Paris, Le Seuil, 1979.
13. DOLTO F. : Tout est langage. Paris, Vertiges-Carrère, 1987.

195
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

relations mère-enfant. Alain Manier14, plus récemment, a créé le concept


de « mot gélule » et le définit ainsi : « Le “mot gélule” est l’archétype du
parler faux. Ce que semble énoncer l’autre est, en réalité, surtout prétexte
à exprimer son angoisse, sa phobie, sa haine, son égarement, etc. C’est
pourquoi la parole pénètre alors dans le psychisme du petit, non comme
un mot à la fois assez précis, consistant et transparent pour être réutili-
sable de façon commune et singulière, mais comme une charge surtout
singulièrement marquée qui exprime les fantasmes ou délires de l’autre
et, le plus souvent, à son insu. Là, s’origine tout à la fois l’impossibilité
d’accès au langage, l’aliénation, et ce sentiment d’intrusion par la pensée
ou même par le corps de l’autre si souvent exprimée par les psychotiques. »
L’élève à l’école n’est pas délivré de l’impact du long travail de liaison
et déliaison des signifiants qu’il a entamé dès sa naissance (ou dès sa vie
intra-utérine). Il entend ainsi d’autres choses que celles qui sont dites par
l’enseignant et cette distorsion, cet écart, liés à sa propre construction du
langage, font parfois interprétation.
Le psychologue peut alors aider l’enseignant, dans l’après-coup, à
entendre les effets de certains de ces propos sur tel ou tel élève.

• Le langage, de l’enseignant vers l’élève


Même si l’enseignant n’est pas la mère de l’élève, ni le substitut
maternel ou paternel, il peut cependant occuper une position symbolique
qui réactive certaines relations pathogènes ou simplement anxiogènes de
l’élève à l’un de ses parents, ne serait-ce qu’à son insu. Le langage utilisé
influence les stratégies de raisonnement de l’élève. C’est ce que nous
allons vérifier grâce aux exemples qui suivent.

– Les effets sur la compréhension


Le psychologue en milieu scolaire est sollicité parfois par un ensei-
gnant pour un temps d’observation en classe lorsqu’une question se pose
à lui sans que son rôle d’acteur de la pédagogie lui permette d’y répondre.
À ces occasions, plusieurs remarques ont pu être répertoriées.

Dans une classe de 2e année de cycle 2 (CP), la consigne donnée par


la maîtresse est :
« Cherche ce qui est pareil. » L’objectif est d’aider les enfants à
reconnaître des mots identiques bien qu’écrits avec d’autres caractères
(majuscule/minuscule, script/attaché, etc.). Or, les étiquettes, involon-

14. MANIER A. : Le jour où l’espace a coupé le temps. Paris, La Tempérance, 1995.

196
Le psychologue scolaire et le maître d’école

tairement, n’ont pas été découpées de la même taille. Certains élèves


se centrent alors sur la taille des étiquettes et non sur le texte qu’elles
portent.

Cette confusion est banale, elle peut suffire à induire un élève en erreur.
Un échange avec la maîtresse lui a permis de prendre conscience de la
nécessité de faire reformuler les consignes par un élève. Elle a pu entendre
et apprendre à repérer les mauvaises pistes livrées avec les consignes.

Dans une autre classe de même niveau, un enseignant dont les élèves
sont agités me demande d’observer un temps de langage dès 8 h 30 le
matin.
Une fois les élèves installés, le maître demande : « Alors, combien
on est ce matin ? » Certains ont répondu 16, d’autres 17. Après échange
avec le maître, nous avons porté notre attention sur les confusions
d’ordre quantitatif et qualitatif induits par l’usage du « on ».

Le « on » invalide les notions de quantité, d’inclusion ou d’exclusion


d’un ensemble, et les formes de conjugaison : Je, Nous et Vous sont alors
confondus.

– Les effets sur la relation


Si, pour accéder au langage, l’enfant a besoin d’un bon système
perceptif, auditif, phonatoire, d’un bon système neurologique, etc., il a
tout autant besoin d’être « appelé à la parole » par la mère (ou son
substitut). C’est parce que l’on s’est adressé à lui que le bébé va peu à
peu entrer dans la communication et va répondre aux stimulations.
Progressivement, grâce aux échanges corporels et verbaux entre le
nouveau-né et sa mère, une sélection permanente de perceptions, de signi-
fiants, d’associations sensorielles diverses à ces signifiants va ordonner le
discours de l’enfant. L’enfant saisira en même temps l’intention de l’autre
à travers sa parole, à travers ce qui devient un message. « Pour que l’enfant
accède au langage, puis à la parole, il doit faire à chaque instant un travail
de liaison et de déliaison des signifiants, travail toujours influencé par la
nature du désir de l’Autre15. »
Lorsque l’enseignant s’adresse à l’enfant, il utilise tout un ensemble de
signifiants dont certains renvoient l’élève à d’autres signifiants ou à
certaines liaisons ou associations interprétatives quant au désir de l’autre.

15. CORDIE A. : Un enfant psychotique. Paris, Le Seuil, 1996, p. 229.

197
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

Nous avons vu plus haut quelles traductions l’enfant pouvait se faire


à lui-même en entendant sa maîtresse appeler un copain « mon chéri »
ou l’appeler par son surnom. Chaque enfant vivra les paroles de son
maître différemment, sur un mode transférentiel. Il y a celui qui
n’entendra jamais ce « mon chéri » toujours réservé à d’autres, il y
celui qui l’entendra sur un mode décalé de relation adulte, c’est-à-dire
connoté sexuellement. Il y a celui qui associera déjà la relation affec-
tive aux apprentissages : on devient le ou la chérie du maître ou de la
maîtresse quand on apprend… Mais que restera-t-il une fois que l’on
aura quitté ce maître ou cette maîtresse ? C’est au maître, aidé du
psychologue, de cerner, en vue de les atténuer, les effets négatifs de
son langage sur l’élève.
Dans une autre classe de cycle 2 :

David, un élève présentant quelques troubles psychologiques d’ordre


psychotique, manifeste soudain une forte inquiétude à l’occasion d’une
partie de jeu de l’oie. Son maître vient de lui dire : « Tu es tombé dans
le puits, tu passes ton tour. » Je glisse rapidement un petit mot au
maître précisant qu’il aurait pu dire : « Le pion est posé sur la case
du puits. » Le maître rassure alors David.

Cet exemple est loin de refléter une réaction générale : la grande majo-
rité des enfants saisit directement le sens d’une telle remarque sans être
perturbée par sa formulation. Néanmoins, la métaphore du raccourci, qui
permet ici au maître d’éviter le chemin plus long du langage, peut
perturber un élève ; le maître doit conduire l’élève sur le long chemin du
langage. Quant à l’élève, s’il prend un raccourci, c’est qu’il connaît l’exis-
tence de l’autre route.
Constats dans plusieurs classes :

Les enfants entendent « on corrige » alors que le maître ramasse les


feuilles pour les corriger seul ; « on va aux toilettes » alors que le maître
n’y va pas ; « on se tait » alors que lui continue à parler, etc.

Ce langage participe à l’augmentation de la violence en niant la subjec-


tivité. Le maître étant inclus dans le « on », cela devient « on est tous
pareils » avec une annulation des différences sexuelles et générationnelles.
Les règles ne sont alors plus transmises, mais édictées dans un contexte
de rapport de forces. Le langage utilisé par l’enseignant donne à l’élève
la mesure de son propre rapport à la loi.

198
Le psychologue scolaire et le maître d’école

Dans une autre classe :

Kevin vient de frapper Jordan dans le rang. La maîtresse intervient


violemment et crie : « Je ne veux pas que tu tapes Jordan. »

Cette interdiction a pu être travaillée à plusieurs niveaux avec la


maîtresse. En entendant « Je ne veux pas », l’enfant peut entendre aussi
qu’un autre pourrait vouloir… Pourquoi pas lui ? En précisant le prénom
de l’enfant tapé, le sous-entendu porte sur le fait que la maîtresse pour-
rait accepter que Kévin frappe un autre enfant.
Une formule rappelant la règle pour tous : « C’est défendu de taper »,
dit aussi que, si la situation est renversée, la règle sera la même. Ces
réflexions ont déclenché au niveau de l’équipe enseignante une demande
de recherche sur la question de la loi et du langage.
L’enseignant, comme tout adulte, doit témoigner de ce qu’il est référé
à la loi qui interdit le rapport de forces et qui a visée de respect : « je
veux est un terme à étages, la loi veut avant nous, avant chaque sujet
pris individuellement. Voilà où gîte le plus délicat à concevoir aujourd’hui.
[…] Le discours qui dit je veux est un discours hors la loi16. »

Le psychologue est sensibilisé à une écoute de ce qui se dit d’autre


quand quelqu’un parle, et peut aider à penser autrement les effets du
langage sur l’élève. Il n’est pas question de contrôler son langage en
permanence dans une attitude qui deviendrait trop rigide, l’idée est que
parler à un enfant dans des situations relationnelles éducatives demande
à s’adresser à lui avec un message « vrai ». L’enseignant laisse exprimer,
malgré lui, ses humeurs, ses affects, voire ses pulsions. Un cadre peut lui
être proposé pour les analyser dans « l’après-coup » afin qu’il puisse saisir
sa part de responsabilité dans l’induction de comportements chez les
élèves.

• Le langage, le social et le culturel


Chaque fois qu’un enseignant s’adresse à un enfant, il lui dit quelque
chose de son propre rapport à la culture et au social, et inversement. Les
systèmes d’attente des familles vis-à-vis de l’école varient en fonction des
milieux sociaux et des cultures, de même qu’inconsciemment – souhai-
tons-le – l’attente des enseignants vis-à-vis des élèves peut varier selon la
culture d’origine de l’élève. Le psychologue est disponible à l’écoute des

16. LEGENDRE P. : op. cit., p. 258.

199
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

mouvements inconscients qui peuvent renforcer le fossé culturel. Il peut


repérer, à travers le langage de l’enseignant qui rend compte d’une situa-
tion de classe, la part qui revient à la question socioculturelle et ainsi
éveiller l’enseignant à écouter ce qu’il véhicule ou bien à ce que l’enfant
peut entendre à travers son attitude ou son discours.

Une maîtresse de maternelle (grande section) évoque en synthèse de


réseau sa difficulté à supporter l’agressivité et le parler argotique d’une
fillette de sa classe, Émilie. Pour appuyer son propos, elle explique :
« Je n’arrête pas de lui dire de parler gentiment. » Je lui demande
alors : « Émilie sait-elle ce que gentiment veut dire ? » J’apprends alors
qu’Émilie est élevée par une maman coléreuse, verbalement violente.
Émilie parle à ses camarades comme sa mère lui parle. J’ajoute : « Il
ne lui reste plus que sa maîtresse pour témoigner du parler gentil ! »

De nombreux enfants d’origine étrangère ont eux aussi des difficultés


à s’exprimer et à saisir certaines subtilités du langage, faute de « maîtriser »
la langue française. Certains rencontrent les mêmes obstacles dans leur
langue maternelle, en raison, paradoxalement, de l’effort des parents pour
abandonner sur la scène familiale l’usage de leur langue d’origine. Les
parents parlent alors un français pauvre qui réduit les interactions langa-
gières à un domaine purement fonctionnel et opératoire. Il peut être impor-
tant de restaurer une meilleure qualité de communication au sein de la
famille, afin que l’enfant puisse être nourri de la richesse du langage et
ce, en soutenant les enseignants à autoriser les parents – au lieu de le
déconseiller – à parler généreusement leur langue d’origine. L’enfant qui
communique dans une langue et qui va à l’école « française » communi-
quera en français si tant est qu’il a l’accord implicite de ses parents.
Autrement dit, dans une famille où « ça parle », l’enfant parlera.

Le psychologue, l’enseignant et l’élève : une loi pour tous


Par « loi », nous conviendrons ici d’entendre la loi symbolique de
l’interdit du cannibalisme, du meurtre et de l’inceste. « Faire prévaloir
l’impératif de différenciation, l’Interdit qui civilise le meurtre et l’inceste
en en transportant les enjeux dans l’univers de la parole17. » Elle interdit
de réduire le sens aux sens.

17. LEGENDRE P. : Leçons IV, suite 2, Filiation. Paris, Fayard, 1996, p. 192.

200
Le psychologue scolaire et le maître d’école

Une publicité émanant du ministère de l’Éducation nationale sur la


notion de respect prodiguait, ces derniers temps, les conseils suivants : « si
Je respecte Tu, alors Tu respecte Je », laissant à penser qu’il existerait un
contrat. Or, le respect ne passe pas par un contrat, un échange ou un
marchandage, mais par une parole vraie. « Les paroles sont vraies quand
elles touchent au cœur et libèrent le sujet de ce qui, dans la chair, occul-
tait la dimension d’altérité au profit d’un redoublement de l’imaginaire
qui enferme dans la répétition et la comparaison18. » Le rapport à la loi
ne peut être un rapport de forces mais un rapport intégrant les interdits
et la parole vraie. Éduquer, c’est entraîner à respecter les autres, c’est-à-
dire ne pas les prendre pour l’image qu’on en a. L’enseignant a lui aussi
à donner aux élèves les moyens de repérer et de discerner l’interdit et la
transgression, sinon l’enfant est livré à ses fantasmes ou à la folie. « Il
vaut mieux se tromper en éduquant que ne pas éduquer du tout19 » et
laisser l’enfant dans un état de confusions. Éduquer, c’est signifier le lien
d’obéissance – non pas à quelqu’un, ce qui renforcerait l’idée du rapport
de force : j’obéis parce que l’autre est plus grand, plus instruit, plus… –
mais au principe de la loi qui marque que nous sommes manquant.
« Dès lors qu’elle tente d’interpeller parole et désir, de surmonter la
pente vers l’inceste – la fusion imaginaire, l’effacement des singularités –,
l’éducation se développe à travers l’inscription d’inter-dits, de repères,
de médiations. Il s’agit de répondre au « vrai besoin » du sujet humain,
celui autour duquel et en vue duquel A. Vasquez et F. Oury ordonnaient
la pédagogie institutionnelle : « besoin de frustration (de castration symbo-
lique, dit le psychanalyste) : le premier désir, le désir de fusion imaginaire
avec une mère fantasmée, doit être à jamais interdit pour que l’enfant
progresse et accède à la culture20. »
L’enfant a besoin de vérifier que sa parole (agressive, insultante) ou
ses gestes ne vont pas détruire l’adulte en face de lui. Être adulte, c’est
pouvoir supporter l’agressivité de l’autre sans la lui renvoyer comme s’il
s’agissait d’un acte délictueux ou meurtrier. Le psychologue en milieu
scolaire est là pour contenir les enseignants dans des situations où ils
pourraient se laisser aller à des « règlements de compte ». En tant que
psychologues, nous avons toujours à nous demander ce qui arrive aux
enseignants quand ils dérapent, nous avons à les aider à se tenir présents

18. VASSE D. : Inceste et jalousie. Paris, Le Seuil, 1995, p. 12.


19. VASSE D. : Séminaire à l’École normale supérieure de Lyon, mai 1998.
20. IMBERT F. : L’Impossible Métier de pédagogue. Paris, ESF, 2000, p. 103.

201
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

à… sans répondre à l’agression par le retrait narcissique derrière le bon


droit. « Comment se tenir à cette présence sans répondre à l’exaspération
par une agressivité en retour ou par le laxisme d’une compréhension tous
azimuts transformant en confiture et en glu le rapport que nous avons
avec l’enfant ou avec les parents21 ? »
Le travail d’analyse et d’élaboration aide l’enseignant à ne pas réduire
l’élève à son image dans le présent, il l’aide aussi à ne pas se laisser aveu-
gler par des éléments de sa personnalité. Le psychologue est dégagé de
tout rapport de pouvoir avec qui que ce soit. L’enseignant, lui, doit faire
preuve d’autorité sans tomber dans les deux écueils extrêmes : le rapport
de force d’un côté, l’autorité charismatique basée sur la séduction de
l’autre. L’adulte qui n’est obéi que par sa capacité à séduire ou à capter
fait jouer ses qualités humaines et non pas l’obéissance à la loi. L’enfant
pourra lui obéir pour ce qu’il est et vouloir faire sa propre loi avec une
autre personne. Les limites sont l’instrument qui brise le totalitarisme de
notre imaginaire.
Les enseignants autoritaires ont parfois un discours sur les limites, mais
sans parvenir à les transmettre. Les mouvements d’identification se font
sur le même modèle : un enseignant sécurisant génère de la confiance et
témoigne de l’intégration de son agressivité. Un enseignant agressif
renforce le retrait narcissique et le rapport de forces.

Bernard, un maître de cycle 1, m’appelle pour des problèmes de trans-


gression dans sa classe : violence, agressivité. Il me parle ainsi de
Mohamed, de Quentin ou de Sarah... Je lui propose de venir dans sa
classe en observation. Ce scénario se répète depuis plusieurs années
sans qu’il accepte ma venue. Comme les autres années, il commence
par refuser ma proposition, puis accepte. J’observe, lors de la séquence
d’enseignement, que le rappel à la règle n’est que rarement prononcé
et que, s’il l’est, c’est sur le ton de « quelqu’un qui n’y croit pas ». J’ai
le sentiment d’une parole dans le vide, sans message, non adressée :
« On se tait. » Les enfants n’entendent qu’une simple phrase, sans effet
de vérité.
S’ensuit un temps de rencontre avec l’enseignant où j’exprime mes
remarques en l’invitant à définir son rapport à la loi. Là encore,
l’histoire personnelle vient faire obstacle à sa pratique. Les stratégies
personnelles d’évitement du conflit développées dans la petite enfance
l’empêchent de gérer les conflits du groupe-classe. Nous convenons de

21. VASSE D. : Séminaire à l’École normale supérieure de Lyon, mai 1998.

202
Le psychologue scolaire et le maître d’école

reprendre cette question en concertation d’école avec ses trois collègues,


bien qu’il soit directeur de l’école (comme si cette fonction venait
réparer ou compenser l’absence de construction interne de la loi). Je
sais par ailleurs que ses collègues le protègent en ne lui demandant
jamais rien. Je propose alors une réflexion sur la loi et les effets de
son intégration sur les apprentissages.

Un enseignant très laxiste, permissif, qui n’assume pas sa position de


maître, se décale sur un plan symbolique de la place de « parent » à celle
de « copain ». En annulant la différence générationnelle, il ouvre la porte
à l’incestuel et fait de l’élève « l’instrument de sa séduction et le réduit
à être l’objet de ses besoins22 » ou encore, l’enfant sera, comme le dit
Pierre Legendre, « en fâcheuse posture d’enfant objet, hypothéqué comme
un objet de propriété23 ».

• La violence comme réponse de l’enseignant


Nulle part il n’est dit qu’un enseignant doit aimer ses élèves. « Tout
adulte qui s’intéresse à l’enfant est pris dans la tentation de le façonner
à son image, de lui imposer sa vision des choses, de le soumettre à sa
volonté. Les projets éducatifs et pédagogiques sont-ils autre chose que
cela ? Dans cette passion que les hommes mettent à éduquer et à ensei-
gner (que de querelles idéologiques elle soulève !), le pouvoir bascule très
facilement dans un abus de pouvoir, les limites deviennent floues entre
le point où s’arrête la jouissance de l’un et où commence la liberté de
l’autre24. »

Dans une école, les enseignants constatent une augmentation des


« incivilités » et autres faits de violence. Une des difficultés concernant
un travail d’équipe vient de la présence d’un enseignant ne maîtri-
sant pas toujours ses pulsions agressives auprès des élèves. Cet ensei-
gnant « aboie » littéralement après les élèves et n’hésite pas à les
secouer physiquement pour leur exprimer sa volonté et ses exigences.
Ses collègues adoptent une attitude d’évitement du sujet. Je propose
un affichage discret, sur le tableau de la salle des maîtres, de textes
sur la loi et la transgression. Au bout de quelques mois, je suis invitée
à participer à une concertation dont certains points de l’ordre du jour

22. Idem.
23. LEGENDRE P. : op. cit., p. 305.
24. CORDIE A. : op. cit., p. 83.

203
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

concernent le sujet. Il apparaît que certains enseignants défendent


l’idée qu’il existerait une loi pour les adultes et une autre pour les
enfants, le respect n’étant qu’à sens unique, des enfants vers les adultes.
Malgré un contexte tendu, je propose de réfléchir à cette question
d’une loi pour tous et à la question de la réparation après une faute
commise par un enfant.

Si deux psychologues intervenaient dans une école où les élèves


commettent des actes de violence et où un ou plusieurs enseignants répon-
dent en symétrie, le travail serait différent et plus efficace. Un psycho-
logue se tournerait vers les élèves avec différentes formes d’actions, l’autre
vers les enseignants, assurant ainsi l’étanchéité des émotions et des propos.
Grâce à ces possibilités de « contention », d’autres réponses que la simple
symétrie pourraient être envisagées.

Les actions de prévention contre l’abus sexuel et la maltraitance sont


conduites par les médecins et les infirmières scolaires trop souvent sans
la participation du psychologue scolaire.

Lors d’une intervention du médecin et d’une infirmière scolaire en


CE1, dans le cadre d’une action de prévention contre la maltraitance,
un enfant demande pourquoi il ne faut pas dormir dans le lit des
parents. Le médecin, qui dirigeait le débat, répond : « Parce qu’il n’y
a pas assez de place, parce que c’est mieux de dormir dans son lit. »
Ce à quoi l’enfant, un petit garçon, réplique : « Moi j’ai assez de place
parce que mon papa, il dort pas avec maman. » Le médecin conclut :
« Eh bien, il faut dormir quand même dans ton lit d’enfant. »

Cette réponse ne dit rien à l’enfant sur l’enjeu de sa question qui a


sûrement besoin d’entendre que la place des enfants n’est pas dans le lit
des parents, parce que ce qui se passe dans le lit des parents ne le regarde
pas, et que si son papa ne dort plus avec sa maman, la place vide à côté
de sa maman est une place réservée à un adulte. L’idée étant que l’enfant
est vivant pour lui et non pas vivant pour l’adulte qui, le gardant à ses
côtés, lui signifie le contraire.
Une prévention ponctuelle abordant l’inventaire des risques du quoti-
dien et des comportements supposés adaptés génère autant de troubles
qu’elle n’en disperse.
Les enseignants attendent de ces interventions extérieures qu’elles les
dispensent de toutes réponses engageant leur parole. Il semblerait plus

204
Le psychologue scolaire et le maître d’école

pertinent de préparer les enseignants aux situations qu’ils peuvent rencon-


trer dans la classe et de les aider à y répondre.
Que l’enfant soit le destinataire premier de ces séances de prévention
peut interpeller. Il lui est demandé de porter la responsabilité de sa protec-
tion devant les adultes. Des lieux comme les maternités, les centres divers
fréquentés par les adultes semblent plus indiqués pour y conduire des
actions de prévention.
L’enseignant est souvent démuni devant des situations impliquant la
sexualité. Il peut répondre de façon trop personnelle, trop réactionnelle,
ou confuse. Le psychologue est là pour aider au dégagement des émotions
devant des situations impliquant le sexe et, l’on pourrait ajouter (car les
mouvements d’excitation déclenchés sont les mêmes), la mort. Le langage
utilisé, là encore, est sujet à tant d’interprétations de la part de l’enfant
qu’il est important de tenter d’en entendre les effets.

• La violence comme mode d’expression de l’enfant


Les médias n’ont de cesse de nous donner à voir toutes les expressions
et les mises en scène et en acte de la violence chez les jeunes et les très
jeunes. Les enseignants se sentent fragilisés, pas assez formés, pas soutenus
par l’administration dans leurs décisions, ni compris pas les parents qui
souvent prennent le parti de leur enfant « roi ». Le psychologue en milieu
scolaire peut intervenir de plusieurs façons autour de la question de la
violence et de l’agressivité. Cela peut se faire dans les temps d’élabora-
tion collectifs ou individuels, comme nous l’avons déjà vu. Le psycho-
logue peut travailler avec l’enseignant la question de l’intentionnalité des
paroles et des actes violents ou agressifs venant des élèves. Il peut
reprendre avec lui la question des places symboliques et des jeux rela-
tionnels possibles qui permettent de sortir de situations conflictuelles25.
Il peut aider l’enseignant à ne pas réduire l’enfant à ses paroles ou à ses
actes violents26 :
– soit directement auprès d’une classe ou d’un groupe d’enfants sous
forme de groupe de parole. Le psychologue scolaire est alors garant du
cadre posé et du respect des règles. Il anime le groupe avec un autre
membre du Rased ;
– soit auprès des enseignants sous forme d’un apport théorique servant
de support à la réflexion et à l’étude de réponses possibles. Un véritable
travail peut être engagé autour notamment de la question des sanctions

25. SIBONY S. : Le Jeu et la passe. Paris, Le Seuil, 1997.


26. CYRULNIK B. : Les Vilains Petits Canards. Paris, Odile Jacob, 2001.

205
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

et de la réparation en insistant sur la dimension créatrice de la répara-


tion qui sort l’enfant d’un circuit marqué par le négatif27.
D’autres interventions sont bien entendu possibles, souvent à conce-
voir en réponse à une demande. Les propositions plaquées parce qu’elles
« marchent bien ailleurs » empêchent l’investissement réel des membres
d’une équipe.

• Quand la violence vient de l’institution


Certains ressentis d’enseignants mériteraient une attention et une
écoute psychologiques. Les décisions ou le comportement de certains
inspecteurs envers les enseignants peuvent déclencher dans une école des
mouvements dépressifs ou agressifs, à l’insu des membres de l’équipe. Là
encore, un psychologue en milieu scolaire peut aider à transformer ce
ressenti par une mise en mots libératrice.

Sur une circonscription, les inspecteurs changent chaque année depuis


six ans, malgré l’obligation officielle de rester trois ans sur la même
circonscription. Chaque rentrée scolaire est marquée par des circulaires
nouvelles, plus ou moins contradictoires entre elles : positions différentes
par rapport à des horaires, à des contenus ou des actions pédagogiques
comme les sorties de classe dont le projet exigé doit présenter plus ou
moins de rigueur. Le message implicite ainsi envoyé aux enseignants
est celui d’une obéissance sans réflexion aux exigences d’un supérieur.
C’est en quelque sorte un rapport de forces qui infantilise les ensei-
gnants et réactive des réactions parfois archaïques. Certains enseignants
réagissent par de l’agressivité ou par des positions tranchées : « On n’a
pas besoin d’inspecteur », d’autres se culpabilisent de ne pouvoir
« retenir » un inspecteur. Il s’agit pour le psychologue scolaire d’aider
les enseignants à élaborer ces questions.

La fonction d’enseignant consiste ainsi à être en relation avec des


enfants, différents entre eux mais référés à une origine commune : le
statut d’« être humain ». Dès lors, il n’est plus possible de garder taboue
la question du risque d’interférence, voire d’intrusion de la personnalité
de l’enseignant dans le champ professionnel. Aussi, un mode de fonc-
tionnement de la psychologie scolaire, qui distinguerait l’aide fournie à
l’enseignant lui-même de celle auprès des élèves de l’enseignant consi-
déré, nous semble permettre, avec cet espace-temps, de participer au déve-

27. KAMMERER P. : Adolescents dans la violence. Paris, Gallimard, 2000, pp. 213 et 238.

206
Le psychologue scolaire et le maître d’école

loppement du professionnalisme chez l’enseignant en l’aidant à tenir à


distance ou à contenir les éléments personnels affectifs et émotionnels
qui peuvent envahir ou perturber la relation pédagogique, en l’aidant à
mettre en mots ce que ses sens lui indiquent de sa perception de l’élève
ou du collègue de travail qu’il rencontre, afin de quitter le domaine de
l’image ou de la représentation de l’autre, constitué à son insu à partir
de ce qui se voit, s’entend, se touche…
C’est aussi, de ce fait, un lieu où peuvent naître des actions de préven-
tion contre l’échec scolaire. L’analyse de la pratique, qu’elle se fasse par
petites touches comme dans les exemples ci-dessus cités, ou de manière
plus approfondie dans le cadre de « groupes d’analyse de pratique » (forcé-
ment animés, dès lors, par un autre psychologue que celui qui intervient
sur le secteur), peut être considérée comme une action de prévention de
l’échec scolaire.
Ce travail de contention suppose que le psychologue soit préparé lui-
même, de par sa formation et son perfectionnement, à la qualité d’écoute
requise.

Bibliographie
CIFALI M. : Le Lien éducatif : contre-jour psychanalytique. Paris, PUF, 1994.
CORDIE A. : Malaise chez l’enseignant. Paris, Le Seuil, 1998.
– Un enfant psychotique. Paris, Le Seuil, 1996.
CYRULNIK B. : Les Vilains Petits Canards. Paris, Odile Jacob, 2001.
DOLTO F. : Tout est langage. Paris, Vertiges-Carrère, 1987.
HUBERT G. : Freud/le sujet de la loi. Paris, Michalon, 1999.
IMBERT F. : L’Impossible Métier de pédagogue. Paris, ESF, 2000.
KAMMERER P. : Adolescent dans la violence. Paris, Gallimard, 2000.
LACAN J. : Le Séminaire, Livre II. Paris, Le Seuil, 1978.
LEGENDRE P. : L’Inestimable Objet de la transmission. Paris, Fayard, 1985.
– Leçons IV, suite 2, Filiation. Paris, Fayard, 1996.
MANIER A. : Le jour où l’espace a coupé le temps. Paris, La Tempérence, 1995.
METIFEU C. : « Pratique professionnelle en psychologie scolaire : du “suivi psycho-
logique” » in Psychologie et Éducation. N° 26, 1996, pp. 23-39.
SIBONY D. : Le Jeu et la passe. Paris, Le Seuil, 1997.
– Entre dire et faire. Paris, Grasset, 1989.
VASSE D. : Inceste et jalousie. Paris, Le Seuil, 1995.
WATZALWICK P., HELMICK-BEAVEN J. et JACKSON D. : Une logique de la
communication. Paris, Le Seuil, 1979.

207
CHAPITRE 9

De l’enfant-problème
à la situation-problème :
vers une psychologie écologique
des difficultés scolaires

Gérard Chauveau

L ’approche psychologique classique des « élèves à problèmes » présente


au moins deux caractères essentiels : elle se focalise sur l’individu (l’enfant-
élève signalé, l’enfant-élève qui pose problème) et elle privilégie l’examen
psychologique de cet individu comme moyen d’investigation et de
diagnostic. Les désaccords parfois profonds qui se sont manifestés – ou
qui se manifestent encore – dans le milieu de la psychologie à l’école ont
peut-être empêché de voir l’accord fondamental : « par définition », pour
la psychologie que j’appelle « classique », étudier les élèves en difficulté
et rendre compte de leurs difficultés à l’école consiste à observer-
comprendre des individus isolés (le plus souvent en laboratoire ou dans
le cabinet du psychologue) et à pratiquer des examens psychologiques
individuels afin de mettre au jour d’éventuelles difficultés – ou d’éven-
tuels troubles ou dysfonctionnements – propres à ces individus. Ce postulat
est partagé aussi bien par l’optique « instrumentale » centrée sur les défi-
cits ou les anomalies de telle ou telle fonction psychologique de base que
par l’optique « psychanalysante » qui accorde la primauté aux perturba-
tions affectivo-relationnelles de l’élève en difficulté. Dans tous les cas,
quel que soit le modèle de référence ou le courant de pensée, la psycho-
logie classique des élèves en difficulté (ou des difficultés scolaires) se
concentre en premier sur l’intra-psychique et les caractéristiques person-

209
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

nelles de l’enfant, en second sur les déficits, les déficiences ou « les


problèmes » de (internes à) l’élève en difficulté. « Par définition », elle est
fondée sur une double logique : individualiste et défectologique (ou patho-
logisante). « Par définition », lorsqu’il s’agit des élèves en difficulté (« les
enfants-problèmes »), les outils et les méthodes du psychologue scolaire
classique sont entièrement de type individualiste-défectologique, tant pour
le diagnostic que pour l’aide (ou la remédiation) : examen psychologique
individuel, aide psychologique ou rééducation individuelle…
Cette conception et cette pratique classiques de la psychologie ont été
sérieusement mises en question, surtout depuis les années 1970-1980.
Certaines critiques sont venues de « l’extérieur ». À partir de 1970, de
nombreux travaux d’inspiration sociologique ont mis en évidence le carac-
tère à la fois massif et social des difficultés scolaires (« l’échec scolaire »).
Dès le cours préparatoire, environ 25 % des élèves sont en difficulté : ils
sont jugés faibles, insuffisants ou « mauvais », en particulier dans le
domaine de la lecture-écriture. Et environ 75 % de ces élèves, en diffi-
culté dès la première année, appartiennent aux milieux socio-économiques
les moins favorisés : au CP, 33 % des enfants d’ouvriers sont « en échec »
en lecture contre 4 % des enfants de professeurs ou de cadres supérieurs.
On ne saurait donc se contenter de la perspective psychologique classique
si l’on veut aborder et traiter un phénomène qui touche un écolier sur
quatre – et même un sur trois chez les enfants d’ouvriers – dès le début
de la scolarité obligatoire. Pour la sociologie de l’échec scolaire, c’est
plutôt en termes de séparation, de marginalisation ou d’exclusion – c’est
en soulignant le rôle des mécanismes sélectifs et inégalitaires – qu’on
peut le mieux saisir la majorité des difficultés scolaires. Il ne suffit pas
de regarder l’enfant-problème ; il faut aussi examiner le fonctionnement
de l’institution scolaire, les rapports École/milieux (très) populaires, les
relations à l’œuvre entre telle structure scolaire (ayant telles caractéris-
tiques) et tel enfant (ayant telles caractéristiques) ou encore la genèse
des inégalités sociales à/dans l’école.

D’autres critiques sont venues de « l’intérieur », et notamment de la


psychologie écologique. Celle-ci s’efforce de saisir les liens entre un
comportement et son contexte (la situation vécue par le sujet) ou essaie
de trouver la logique d’une conduite (ses raisons) en élucidant les condi-
tions de son apparition. Des psychologues de l’éducation ont fait remar-
quer qu’on ne peut pas vraiment comprendre les difficultés ou l’échec
d’un enfant-élève donné tant qu’on n’en connaît pas l’histoire. C’est « le
drame » lui-même, « la dynamique de l’échec » qu’il faut observer et

210
De l’enfant-problème à la situation-problème

analyser, c’est-à-dire les processus concrets, vivants qui conduisent cet


enfant à l’échec. Ces psychologues considèrent qu’il importe d’étudier les
situations dans lesquelles naît ou se produit la difficulté (ou l’échec). En
d’autres termes, pour la psychologie écologique, derrière un « élève à
problème », il y a bien souvent une situation-problème.
Elle s’intéresse donc de près aux modalités réelles de l’activité d’ensei-
gnement/apprentissage, à l’organisation pratique de la vie scolaire et aux
relations effectivement à l’œuvre entre les acteurs de l’action éducative
afin de mieux appréhender et de mieux résoudre un « problème » qui
n’est pas nécessairement localisé dans le seul « enfant-problème ». Il peut
se situer aussi dans l’interaction enfant-environnement (milieu scolaire,
milieu sociofamilial), dans le fonctionnement sociopédagogique de la
classe ou dans la relation « à trois » enfant-école-famille.
Vers 1980, deux courants de recherche vont plus particulièrement
stimuler et renouveler la psychologie scolaire confrontée à la question de
l’échec scolaire. D’un côté, des sociologues de l’éducation – rejoints par
des psychologues comme Mira Stambak et Monique Vial – essaient de
comprendre les processus par lesquels l’appartenance sociale « conduit
à » des devenirs scolaires différents ; pour évaluer comment, dès la mater-
nelle, la différenciation scolaire s’opère en fonction de l’origine sociale
des élèves, ils vont « sur le terrain » et privilégient l’étude des interac-
tions milieu-enfant-école1. Ce faisant, ils se détachent de la sociologie de
l’éducation qui, tout au long des années 1960-1970, accordait la primauté,
voire l’exclusivité, aux approches statistiques et/ou macrosociologiques
centrées sur « l’appareil scolaire » pour rendre compte des mécanismes
inégalitaires dans – ou face à – l’école.
Dans le même temps, des psychologues commencent à étudier les diffi-
cultés (ou les échecs) scolaires en « s’écartant » de la psychologie qui
cherche à dévoiler des caractéristiques stables dont les individus seraient
porteurs ; ils « inventent » une psychologie qui s’efforce d’analyser les
situations scolaires, d’en saisir le fonctionnement, de repérer les straté-
gies, les représentations des différents acteurs2. L’échec apparaît alors
comme « le résultat d’un processus interactif » : il se construit au sein des
échanges qui ont lieu dans la classe.

1. CRESAS : L’Échec scolaire n’est pas une fatalité. Paris, ESF, 1981, p. 74.
2. BROSSARD M. : « Approche interactive de l’échec scolaire » in Psychologie scolaire. 38,
1981, p. 27.

211
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

Au début des années 1980, dans mes propres recherches (réalisées avec
Éliane Rogovas-Chauveau), j’ai essayé de combiner ces deux approches :
celle de la sociologie de l’échec scolaire centrée sur les phénomènes
(micro)sociaux et les processus de différenciation-séparation scolaire « au
quotidien », celle de la psychologie de l’éducation écologique préoccupée
de saisir l’élève en difficulté « in situ », dans son milieu ou dans ses milieux
(le milieu scolaire, le milieu sociofamilial). Ces travaux ont porté sur la
construction – ou « la fabrication » – de l’échec ordinaire, celui qui touche,
dès le CP, 15 à 20 % d’enfants « normaux » (c’est-à-dire sans trouble ou
sans handicap avéré).
Ils ont fourni plusieurs pistes de réflexion pour les psychologues
scolaires. Ils ont montré, entre autres, que c’est dans « l’alchimie sociale »
à l’œuvre dans les séquences pédagogiques ou/et dans l’espace éducatif
de l’enfant-élève que se trouve l’une des clés de la (non) réussite à l’école.
Le succès ou l’insuccès se fabrique d’abord au niveau microlocal, dans la
salle de classe ou/et dans le triangle sociopédagogique dont les trois pôles
principaux sont l’enfant-élève, l’enseignant, les parents. Le plus souvent,
l’échec d’un enfant est lié, associé aux interactions éducatives qui sont
en jeu entre les protagonistes de l’action scolaire, à la dynamique qui
existe entre les différents lieux de vie, aux rapports sociaux et culturels
qui règlent ou « organisent » l’activité des uns ou des autres. Cela veut
dire que si l’on maintient ou multiplie des interventions (des aides) sans
améliorer les rapports entre les acteurs impliqués, sans changer le contexte
ou la dynamique socioscolaire, on court le risque de pérenniser le
problème qu’on est censé résoudre3.
Ces recherches ont aussi essayé de préciser les notions de situation et
de situation-problème. La situation (ou la situation-problème) n’est pas
faite que de relationnel, d’interpersonnel ou de « vécu ». C’est avant tout
une situation sociale. C’est vrai pour les situations scolaires stricto sensu
(ce qui se passe, par exemple, au cours d’une « leçon » de français ou
de mathématiques) comme pour les situations éducatives (ce qui se passe,
par exemple, dans « le triangle » enfant-école-famille). Pour décrire et

3. CHAUVEAU G. : « L’insuccès scolaire : le rôle des rapports sociaux et culturels » in


Psychologie scolaire. 39, 1982.
CHAUVEAU G. et ROGOVAS-CHAUVEAU É. : « La construction sociale de l’échec scolaire »
in Perspectives (revue sur les enjeux sociaux des pratiques psychologiques). 4, 1984.
– « Sens et effets des pratiques psychologiques à l’école : les GAPP » in Intégration ou margi-
nalisation. CRESAS, 2, INRP-L’Harmattan, 1984.

212
De l’enfant-problème à la situation-problème

expliquer la situation-problème (ce qui fait problème pour l’enfant-élève


en échec), il faut prendre en compte les constituants sociaux de cette
situation : les statuts des différents acteurs, leur appartenance sociale et
culturelle, l’organisation sociale, la dynamique sociale du groupe-classe,
la répartition des échanges et des pouvoirs au sein de la classe ou/et
dans les relations école/milieu local, etc. Mais il s’agit d’une situation
sociale très particulière : elle est aussi faite de pédagogique et de cognitif
(les processus de transmission/acquisition des connaissances scolaires).
Cela signifie que la situation – et en particulier la situation-problème
– doit être appréhendée en « croisant les regards » : les mécanismes (ou
les problèmes) cognitifs et pédagogiques sont « traversés » par des méca-
nismes (ou des problèmes) sociaux… et vice versa. Par exemple, derrière
des phénomènes d’incompréhension ou de malentendu, il y a bien souvent
des phénomènes de domination. Autre exemple : la mise hors jeu de
certains enfants s’effectue à la fois sur le plan cognitif (non-accès au
savoir) et sur le plan social (rejet, stigmatisation) ; et elle touche à la fois
les enfants (élèves) et leurs parents. Bref, la situation (et notamment la
situation-problème), c’est le lieu concret, le moment concret où se vivent
les rapports sociaux et où se déroulent les activités d’enseignement/appren-
tissage ; c’est le lieu et le moment concrets où se développe autour de/avec
un enfant-élève donné soit une dynamique de la réussite, soit une dyna-
mique de l’échec.

La méthode clinico-ethnographique
La méthode que j’appelle « clinico-ethnographique » est l’une des
principales applications de cette approche écopsychologique (et socioco-
gnitive) des difficultés scolaires. Elle peut être l’un des principaux outils
du psychologue scolaire pour saisir les échecs ordinaires. C’est une
méthode d’investigation et de diagnostic qui consiste à se centrer à la fois
sur l’enfant-problème et sur la situation-problème ; il s’agit d’observer-
analyser l’élève en difficulté (ou l’élève signalé) dans son environnement
« de tous les jours » (le groupe-classe ou/et l’espace école/famille) et de
repérer les processus de différenciation scolaire « sur le vif » (avec les
« bons, les forts » d’un côté et les « faibles, les perdants » de l’autre). Elle
utilise deux techniques : l’observation et l’entretien de type clinico-ethno-
graphique ; elle associe des techniques de la psychologie clinique (entre-
tien, observation centrés sur un sujet) et des techniques du sociologue et
de l’ethnologue (entretien, observation centrés sur les rapports sociaux
et culturels entre les sujets et les groupes). Elle peut prendre deux formes :

213
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

ou bien le psychologue scolaire (écologique) essaie de regarder en même


temps le fonctionnement de l’enfant (l’élève dit en difficulté) et le fonc-
tionnement de la classe, l’organisation sociale (ou sociopédagogique) de
l’activité scolaire au cours de telle ou telle séquence pédagogique ; ou
bien il s’intéresse surtout au « jeu à trois », aux échanges entre l’enfant,
l’école (et l’enseignant) et les parents.
Quelques études de cas, brièvement rapportées, vont permettre de
concrétiser ou d’illustrer ces propos. Mais elles vont surtout aider, me
semble-t-il, à mieux voir la diversité des scénarios et des situations-
problèmes « produisant » de l’échec.

Premier exemple : Manuel et Didier


L’institutrice de CE2 signale au psychologue scolaire deux enfants
mauvais lecteurs « qui sont peut-être dyslexiques ». Après discussion et
accord avec l’enseignante, le psychologue commence une observation
des deux enfants pendant les activités de lecture en classe. Manuel
apparaît, au cours de ces séances de lecture, comme le « caïd illettré »
du groupe : il exprime ouvertement en classe son désintérêt pour la
lecture et sa position « d’opposant », ce qui suscite une certaine « admi-
ration des copains ». Avec l’aide ou la complicité de ses pairs, il a fait
de son état de mauvais lecteur une position de pouvoir, celle de leader
négatif de la classe.
Didier a une conduite totalement différente : il veut lire, il fait de
gros efforts pour lire quand l’enseignante le sollicite. Mais, quand il
lit, il pratique de manière excessive « la devinette » et néglige souvent
de contrôler ses hypothèses par le décodage des mots ou le prélève-
ment des éléments graphiques pertinents. De plus, les aides de la
maîtresse tendent à renforcer cette stratégie de lecture inappropriée :
« Réfléchis, de quoi ça parle ? Rappelle-toi de l’histoire… » Au lieu
de le recentrer sur le traitement graphophonique des mots, elle
conforte sa tendance à privilégier le devinement (les anticipations
sémantiques).

Deuxième exemple : Sylvie


La maîtresse de CP la signale pour ses difficultés d’apprentissage de
la lecture et sa grande timidité. Au cours de la première séance avec
Sylvie, le psychologue essaie d’apprécier le « niveau » de lecture. Sylvie
se lance d’abord dans une production de sons et une syllabation pénible
du texte.

214
De l’enfant-problème à la situation-problème

« Explique-moi. Qu’est-ce que tu fais ? Comment tu fais pour lire ?,


demande le psychologue.
– Je lis comme avec maman. »
Au second essai, après avoir écouté les conseils et les remarques du
psychologue (« lire, c’est comprendre »), Sylvie regarde l’image qui
accompagne le récit, repère deux ou trois mots puis invente une
histoire. Elle se justifie en disant : « Je lis comme avec la maîtresse. »
Dans les jours qui suivent, le psychologue a un entretien avec l’insti-
tutrice et un autre avec la mère. Toutes les deux se montrent agres-
sives et accusatrices. « C’est de la faute de la mère, dit la maîtresse.
J’utilise une méthode de lecture par le sens. Je l’ai expliquée aux parents
pour qu’ils agissent comme moi. Mais la mère de Sylvie fait chaque
jour des exercices de b-a/ba. Je lui ai demandé d’arrêter car ça pertur-
bait complètement Sylvie. Rien à faire ! » De son côté, la mère dénonce
avec vigueur « la méthode globale » de la maîtresse : « Ça fabrique des
enfants qui lisent mal et qui écrivent n’importe comment. Ils n’appren-
nent même pas les lettres. Nous, nous avons appris à lire avec la
méthode b-a/ba. C’est ça qui convient à Sylvie, je crois. J’ai voulu en
parler à la maîtresse et à la directrice. Rien à faire ! »

On peut interpréter les difficultés en lecture de Sylvie comme l’effet


d’une discordance relationnelle et didactique entre les deux lieux
d’apprentissage (l’école/la famille) et entre les deux principaux éduca-
teurs (la maîtresse/la mère). Sylvie se trouve au centre d’un conflit
sociopédagogique qu’elle ne peut surmonter. La perturbation des
rapports – de la communication – école/famille, à la fois sociale (oppo-
sition de deux structures, de deux catégories socioculturelles) et péda-
gogique (opposition de deux méthodes, de deux conceptions de
l’apprentissage de la lecture), semble à la base de la perturbation socio-
cognitive de Sylvie : celle-ci s’adapte mal à l’école (malaise, anxiété,
retrait) et, en même temps, elle met en place une conception erronée
de l’activité de lecture (opposition entre un savoir lire domestique et
un savoir lire scolaire). L’enfant devient un apprenant « écartelé » qui
ne sait pas quel guide choisir (la mère ou l’enseignante), ni quelle stra-
tégie adopter pour lire (combiner des lettres-sons ou deviner l’histoire).
Elle oscille de l’un à l’autre, incapable de « recoller les morceaux », de
concilier les deux référents adultes (la maîtresse et la mère) et les deux
démarches cognitives (déchiffrer et faire du sens avec l’écrit) qui lui
sont présentées comme incompatibles.

215
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

Troisième exemple : Anne


À la mi-janvier, l’institutrice de CP envisage déjà le redoublement. « Je
ne sais pas si je pourrai l’éviter. Anne est une élève facile : elle est douce,
elle ne fait pas de bruit. Mais elle a trop de mal à suivre, elle est en
grosse difficulté. Et puis elle n’est pas soutenue à la maison. Les parents
ne sont pas venus à la réunion que j’ai faite en début d’année. »
Au cours de l’entretien avec le psychologue, Anne explique que pour
apprendre à lire : « Il faut être sage et gentille avec la maîtresse.
– Et qu’est-ce qu’il faut faire encore ?
– Il faut être sage et écouter la maîtresse… C’est tout. »
Puis elle se met à parler spontanément d’un Mikaël « qui est vilain ».
Après avoir donné quelques détails sur ce « vilain », elle conclut : « Ceux
qui ne savent pas lire sont des vilains. »
Durant la rencontre avec le psychologue, les parents insistent à
plusieurs reprises sur les conseils qu’ils donnent à leur fille : « Tu dois
bien faire attention, t’appliquer, écouter la maîtresse… Anne est un
peu tête en l’air ! » Ils évoquent le suivi scolaire à la maison en termes
de « contrôle matériel » : « On regarde si ses affaires sont bien rangées,
si le cahier est propre… » Ils n’ont pas conscience des risques d’échec
et de redoublement : « Si Anne fait des efforts, ça devrait aller… On
fait confiance à la maîtresse. »

L’observation de quelques séquences de lecture en classe fait appa-


raître une organisation sociopédagogique « traditionnelle ». Les relations
maîtresse-élèves sont autoritaires et verticales ; seule l’enseignante a le
droit de questionner ; les échanges entre enfants sont quasi inexistants.
Les situations d’apprentissage tout comme les moments intermédiaires
(sorties, déplacements, mises en rangs…) donnent lieu à une séparation
constante entre bien/mal, bon/mauvais. Par exemple, le bon point et la
remontrance sont distribués aussi bien pour sanctionner une réponse ou
un exercice pendant l’activité de lecture-écriture que la tenue dans les
rangs.
Ainsi, l’intervention de l’enseignante et celle des parents se conjuguent
pour induire chez Anne – ou renforcer – à la fois crainte de la relégation
(la peur, la menace de « tomber chez les vilains ») et fausse conscience (la
confusion entre conduite cognitive et comportement social-moral). Elle est
l’objet d’un travail de division (qui oppose bien/mal, sage/vilain) et de
brouillage (qui rend opaque l’activité cognitive de l’écolier).

216
De l’enfant-problème à la situation-problème

Quatrième exemple : Hacène


Lorsque le psychologue rencontre Hacène (en février), il remarque,
qu’après cinq mois de CP, Hacène est toujours dans une sorte de confu-
sion cognitive au sujet de la lecture-écriture : il a des idées très floues
aussi bien sur les fonctions et le fonctionnement de la langue écrite
que sur la nature de l’activité de lecture. La maîtresse présente un
avis pessimiste sur les capacités cognitives de l’enfant et sur son devenir
scolaire (le passage en CE1).
Par contre, elle se félicite d’avoir de bonnes relations avec les parents
: « M. et Mme D. s’occupent bien d’Hacène… Ils viennent me voir
assez souvent… Et on peut compter sur eux. » En réalité, après un
long entretien avec eux, le psychologue constate qu’ils n’ont pas du
tout saisi « les règles du jeu » de la réussite scolaire. Ces deux parents,
d’origine algérienne et ouvriers peu qualifiés, se disent prêts à « parti-
ciper » et à « donner un coup de main » : gâteaux, sorties, kermesse…
Mais ils perçoivent très mal les pratiques pédagogiques de la maîtresse
et les aides à l’apprentissage de la lecture dont a besoin Hacène. La
mère pense faire « ce qu’il faut » puisqu’elle vient de temps en temps
à l’école et que la maîtresse lui manifeste sa satisfaction. Le père parle
beaucoup de la circulation automobile et des risques d’accident à la
sortie de l’école alors que le psychologue tente de discuter avec lui de
l’acquisition de la lecture et du rôle de la famille dans ce domaine.
Lui aussi croit « être dans le vrai » puisqu’il s’implique dans la vie de
l’école et des écoliers.

La relation développée par l’enseignante et les parents d’Hacène repose


sur une double illusion : illusion que « tout va bien » dans la communi-
cation école/famille et illusion que le seul problème, c’est Hacène. En se
limitant aux aspects purement conviviaux et matériels, cette relation main-
tient les deux parents à l’écart de l’activité d’enseignement/apprentissage.
M. et Mme D. sont privés des informations indispensables pour assurer
le suivi scolaire d’Hacène. Tout comme leur enfant, les parents restent
« en dehors » des apprentissages scolaires de base.

Un dernier exemple : Alain


Alain est présenté par la maîtresse de CP comme un enfant qui
« s’investit beaucoup » dans les activités de la classe, qui fait preuve
d’initiatives et qui progresse rapidement dans les acquisitions scolaires.
« Un vrai moteur », dit l’institutrice.
Or, Alain redouble. L’an passé, il a été signalé par l’enseignante

217
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

précédente comme « cas social, caractériel, éprouvant des difficultés


psychomotrices et attentionnelles… ». Bref, « un cas ». Comment un
tel portrait négatif a-t-il pu s’élaborer ?
Un début de réponse est apporté quelques semaines plus tard lors
d’une sortie scolaire regroupant le CP d’Alain et ses anciens parte-
naires (le CE1). Dans le car, Alain grimace, se traîne à quatre pattes,
« fait le fou » pendant que ses ex-camarades rient, le poussent, se
moquent de lui. « À quoi joues-tu ? », demande la psychologue. « Mais,
Alain est toujours comme ça ! », expliquent des enfants de CE1. Alors,
Alain se rassoit et s’adresse à la psychologue : « Ça, c’est le Alain de
l’année dernière. »

Effectivement, un véritable « scénario catastrophe » avait produit « le


Alain de l’année dernière ». L’institutrice avait « repéré » quatre
éléments permettant d’identifier-classifier Alain : le milieu social
modeste (niveaux d’instruction, de qualification, de revenu peu élevés),
le non-conformisme de la vie conjugale des parents (père assez souvent
absent), la gêne verbale et physique du grand-père (suite à une hémi-
plégie partielle récente), le comportement gestuel d’Alain (« il est très
vif », dit la mère). La maîtresse a attribué une valeur pathologique à
chacun de ces faits et elle a élaboré un jugement cohérent et « globa-
lement négatif » en même temps qu’elle mettait en place une relation
avec l’enfant basé sur « l’empathie ».
Les enfants de la classe participent à ce processus de mise à l’écart
d’Alain : on lui attribue des qualificatifs peu flatteurs, on rit de lui. Alain
n’assiste pas en spectateur passif à cette création collective : il « joue le
jeu », accepte bon gré mal gré le rôle du « fou de la classe », construit
avec les autres sa position et son personnage de déviant.
Ces comportements des divers acteurs doivent eux-mêmes être reliés
au type d’organisation socioscolaire du groupe-classe. La classe est struc-
turée selon un modèle autoritaire-rigide. Un tel microsystème, fondé
notamment sur les principes d’obéissance et de compétition individua-
liste, secrète ses bons et ses mauvais, ses chouchous et ses rejetés, ses
vedettes et ses nuls.

Les bases théoriques de l’approche écologique


Le cadre théorique de cette méthode clinico-ethnographique ne se
limite pas à la notion de situation-problème ou à celle d’interaction entre
processus cognitifs et processus sociaux dans la genèse de l’échec scolaire

218
De l’enfant-problème à la situation-problème

ordinaire. Il comprend plusieurs éléments qui vont guider le travail du


psychologue scolaire… ou celui du chercheur en psychologie de l’éducation4.

• Première idée : il n’y a pas de cause de l’échec scolaire


Ou plus exactement, le plus important n’est pas de rechercher la cause
ou les causes mais de saisir la mise en échec (l’échec en train de se
construire, en train de s’installer). Traditionnellement, on considère l’échec
ou les difficultés comme une donnée : il s’agirait d’un état lié à des carac-
tères inhérents à l’enfant pour les uns, au milieu sociofamilial pour d’autres,
à l’appareil scolaire pour les derniers. On peut, au contraire, l’aborder
comme un construit, comme un processus complexe et interactif, comme
une production à plusieurs acteurs et à plusieurs dimensions. Il s’agit alors
d’élucider l’intrication des processus cognitifs et des processus sociaux dans
la mise en échec (ou dans la situation d’échec), la nature et les effets des
échanges entre l’élève en difficulté et ses partenaires au cours des acti-
vités d’enseignement/apprentissage, le poids des statuts et des rapports de
force sur les dynamiques cognitives et les conduites des uns et des autres…
Traditionnellement, on met l’accent sur « l’ailleurs » pour expliquer l’échec :
le passé de l’enfant, la famille, le contexte socio-économique, l’environ-
nement culturel, le système scolaire. Il est souvent préférable de mettre
au premier plan « l’ici et maintenant » : ce qui se passe « pour de bon »
entre les divers acteurs impliqués dans la scolarité de l’élève dit « à
problèmes », ce qui se construit au sein des situations scolaires (par
exemple, dans les séquences pédagogiques), ce qui se tisse – « se trame »
– dans les échanges enfant/famille/école/milieu socioculturel.

• Deuxième idée : l’échec a trois composants de base ou « trois


faces »
Bien souvent, l’échec ordinaire et « précoce » (celui qui devient mani-
feste dès le CP) apparaît comme une triple difficulté scolaire, comme « un
problème à trois dimensions » :
– cognitive : mise en œuvre par l’enfant de conduites d’apprentissage mal
adaptées ;
– psycho-sociale : développement d’attitudes et d’attentes négatives dans
les relations entre personnes ou entre groupes (par exemple, dévalorisa-
tion/auto-dévalorisation) ;

4. CHAUVEAU G. et ROGOVAS-CHAUVEAU É. : « L’échec scolaire au quotidien » et


« L’enfant, le milieu local et les savoirs scolaires » in Écoles et Quartiers. Paris, INRP-
L’Harmattan, 1989.

219
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

– sociale : attribution de statuts infériorisés, mécanismes de séparation ou


de mise à l’écart.
L’enfant en échec (ordinaire) peut généralement être décrit (ou défini)
comme un enfant sans pouvoirs. Cette absence de pouvoirs s’observe sur
trois plans :
– technique : mauvaise maîtrise des savoirs scolaires de base ;
– psychique : par exemple, manque de confiance en soi, désintérêt, inhi-
bition, « décrochage » ;
– social : obtention d’un statut déprécié (« le mauvais élève », « l’enfant
à problème », « l’inadapté »…), marginalisation (« hors jeu », « en
dehors »).
C’est ce « mélange », cette association de processus sociaux et de
processus cognitifs excluants qui constitue l’échec ordinaire. Comme dans
l’histoire de l’œuf et de la poule, il est bien difficile de savoir quelle est
la cause et quelle est la conséquence, quel est l’élément premier et quel
est l’élément second (ou secondaire). Mieux vaut considérer que l’échec
est fait d’un triple alliage ; s’y mêlent des éléments et des mécanismes
cognitifs, sociaux et psychosociaux. C’est ce que tend à montrer l’examen
de l’échec « à ses débuts », l’échec en train de se faire au CP.

• Troisième idée : l’élève (en difficulté) est plus qu’un enfant et un


élève ; il a « d’autres visages »
Sur le plan social, il est aussi un « va-et-vient » entre l’école et la famille,
c’est-à-dire un agent de liaison qui doit constamment passer de l’une à
l’autre, établir des connexions entre l’une et l’autre. Une source fréquente
de difficultés scolaires – en particulier chez les enfants des milieux popu-
laires – se trouve là : c’est le « va-et-vient » qui fonctionne mal ; l’enfant-
élève ne parvient pas à jouer ce rôle de « passeur », il ne réussit pas à faire
le lien entre le monde de l’école et le monde de la maison, à assurer des
allers-retours fréquents et aisés entre ces deux milieux de vie et d’éduca-
tion. Du coup, c’est toute son activité d’écolier qui s’en trouve affectée.
La réussite de la plupart des enfants « favorisés » s’explique en partie
par la « connivence culturelle » qui existe entre l’école et les classes
moyennes ou supérieures. Certains – c’est le cas pour nombre d’enfants
d’enseignants – sont « comme des poissons dans l’eau » dans le cadre
scolaire qui prolonge ou reproduit ce qu’ils vivent à la maison. Au CP
par exemple, ils ont affaire aux mêmes objets (les livres, les jeux éduca-
tifs, les ouvrages documentaires…), aux mêmes activités (lire, écrire…),
aux mêmes attitudes, aux mêmes discours et aux mêmes personnes (ou
au même type de personnes).

220
De l’enfant-problème à la situation-problème

Ces jeunes écoliers passent d’un lieu à l’autre (la maison/l’école), d’un
milieu à l’autre ou d’un modèle éducatif à l’autre (celui de la famille/celui
de l’école) avec aisance. Ils s’impliquent spontanément et efficacement
dans les activités scolaires ; ils peuvent (en tant qu’élèves) prendre appui
sur leurs connaissances et leurs compétences préexistantes (en tant
qu’enfants).
En revanche, une partie des enfants d’origine populaire subit une
profonde « rupture culturelle » dès le début de la scolarité, rupture qui
peut provoquer parfois une rupture interne « entre l’enfant et l’élève ».
Ils sont alors incapables de jouer ce rôle de « passeur » (ou de « va-et-
vient ») entre le monde de l’école et celui de la famille. Par exemple, ils
ne peuvent pas s’appuyer en classe sur leurs expériences (socio)familiales
et, à la maison, ils n’aiment pas et/ou ne savent pas parler « des choses
de l’école ». Bien souvent, ils vivent une double inhibition : d’un côté, ils
ne peuvent pas accéder aux savoirs et aux savoir-faire scolaires et de
l’autre, ils « oublient » ou ne peuvent exprimer à l’école leurs acquis et
leurs atouts familiaux. Alors qu’ils sont vifs et bavards à la maison, ils
deviennent muets et passifs en classe ; alors qu’ils font preuve d’initia-
tives et de compétences variées dans le contexte sociofamilial, ils ont
« honte » et ils « n’osent pas » en parler en classe. Et, dans le même temps,
ils « n’osent pas », ils sont mal à l’aise ou réticents (voire « honteux »)
quand on leur demande de présenter l’école (le maître, les activités…) à
leurs parents ou à leurs proches.
Cette double inhibition – cette double entrave – a deux effets néfastes
sur l’activité intellectuelle-scolaire (l’activité d’apprenant) de ces enfants :
ils ont beaucoup de mal, d’une part, à s’investir dans les apprentissages
scolaires et, d’autre part, à « greffer » les acquisitions scolaires sur leurs
pratiques et leurs connaissances (socio)familiales.

• Quatrième idée : il y a apprendre et apprendre ; l’élève doit mener


de pair plusieurs activités cognitives
Il n’est pas seulement un apprenant confronté aux savoirs ou aux
connaissances scolaires (par exemple, le fonctionnement de la langue
écrite ou celui de la numération décimale, le sens et les mécanismes des
quatre opérations, les techniques de lecture). Il lui faut de plus
comprendre la tâche ou la séquence didactique, et en particulier l’inten-
tion de l’enseignant, « le sens » de l’activité d’enseignement/apprentissage
portant sur tel objet donné. Or, les malentendus (didactiques) entre le
maître et une partie des élèves sont fréquents. Au CP, par exemple, ce
qui est « évident » pour le maître qui dirige une séquence de lecture ne

221
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

l’est pas du tout pour bon nombre d’écoliers de six ans, surtout parmi
ceux qui sont d’origine populaire. Tel maître pense, quand il propose des
exercices sur « le son [ou] », qu’il est en train de former des lecteurs-
compreneurs : il leur donne une règle (le son s’écrit ou) et un outil (le
déchiffrage) qui leur permettront de mieux lire-comprendre toutes sortes
de textes. Certains élèves, dans le même temps, pensent que le seul but
de l’exercice – et donc le seul but du maître – est de faire mémoriser les
mots « poule », « rouge » et « chou ». Quelques-uns croient bien faire, ils
croient répondre à la demande du maître – en répétant simplement après
lui « poule, rouge, chou ». L’élève qui « s’installe » dans ces malentendus,
celui qui est régulièrement « en décalage » – voire en rupture – avec la
logique didactique ou la stratégie de l’enseignant se trouve vite en sérieuse
difficulté dans les apprentissages scolaires fondamentaux.
Et l’activité cognitive de l’élève ne s’arrête pas là : il doit aussi
comprendre – ou construire – le lien entre ses activités scolaires et ses
activités extrascolaires, le rapport entre les différents éducateurs qu’il
côtoie dans et hors de l’école, la continuité entre les diverses interven-
tions dont il est « le bénéficiaire ». Il a besoin de saisir l’apport des unes
et des autres, leur complémentarité : « Qu’est-ce que j’apprends à l’école
avec X, avec Y ? Quel est le rôle de X, le rôle de Y pour m’aider à réussir
à l’école ? » Il a besoin de coordonner, de relier les informations, les
connaissances et les aides données par des « partenaires » divers. Ceux
qui n’y réussissent pas, ceux qui perçoivent, par exemple, les actions
autour de la lecture-écriture qui leur sont proposées à l’école, à la maison
ou ailleurs comme des actes disparates, fragmentés et parfois opposés
risquent fort d’être en difficulté dans l’apprentissage de la lecture.
Traditionnellement, seule la première activité cognitive de l’élève appre-
nant est prise en considération, celle qui concerne les contenus d’ensei-
gnement et les savoirs scolaires (par exemple, la lecture-écriture). Les
seules difficultés cognitives imaginées spontanément se trouvent dans le
face-à-face entre l’enfant et l’objet à apprendre (la langue écrite, par
exemple). Le diagnostic consiste à repérer – à détecter – les difficultés de
l’enfant avec cet objet (par exemple, les déficits ou les troubles linguis-
tiques). En réalité, les difficultés d’apprentissage peuvent se situer ailleurs :
dans la mauvaise maîtrise de la situation d’apprentissage (contresens sur
l’intention du maître, sur le but de la tâche scolaire) et/ou dans la
mauvaise maîtrise de la situation socio-éducative (difficultés à comprendre
« l’espace d’apprentissage », à coordonner les différents lieux de forma-
tion, à coordonner les différentes aides et les différentes informations
reçues.

222
De l’enfant-problème à la situation-problème

Conclusion
Ces quelques repères théoriques et ces quelques « histoires singu-
lières » permettent au psychologue (à/dans l’école) de penser autrement
les difficultés scolaires, d’aborder autrement les élèves en difficulté et,
plus largement, de concevoir autrement le « métier » d’élève. Il va de soi
que l’approche psycho-écologique des échecs scolaires ordinaires n’oublie
pas qu’il existe des difficultés dont l’origine est extérieure ou antérieure
à l’expérience scolaire de l’enfant-élève. Elle ne prétend pas invalider ou
rejeter la psychologie « classique » individuelle.
Mais elle ouvre une voie nouvelle pour aborder/traiter la question des
élèves en difficulté. Depuis le début des années 1980, elle apparaît parti-
culièrement pertinente pour décrire et comprendre la majorité des « cas »
– ou de situations – d’échec scolaire ordinaire. Chaque cas est singulier :
le « mélange » qui produit de l’échec varie d’un cas (ou d’une situation-
problème) à l’autre ; mais on trouve très souvent une composante
commune aux situations d’échec ordinaire : c’est un processus interactif
à la fois social et cognitif.

Bibliographie
BROSSARD M. : « Approche interactive de l’échec scolaire » in Psychologie scolaire.
38, 1981.
CHAUVEAU G. : « L’insuccès scolaire : le rôle des rapports sociaux et culturels »
in Psychologie scolaire. 39, 1982.
CHAUVEAU G. et ROGOVAS-CHAUVEAU É. : « La construction sociale de l’échec
scolaire » in Perspectives (revue sur les enjeux sociaux des pratiques psycholo-
giques). 4, 1984.
– « Sens et effets des pratiques psychologiques à l’école : les GAPP » in Intégration
ou marginalisation. CRESAS, 2, INRP-L’Harmattan, 1984.
– « L’échec scolaire au quotidien » et « L’enfant, le milieu local et les savoirs
scolaires » in Écoles et Quartiers. Paris, INRP-L’Harmattan, 1989.
CRESAS : L’Échec scolaire n’est pas une fatalité. Paris, ESF, 1981.

223
CONCLUSION

Des psychologies…
ou une psychologie ?

Jean-Marie Besse

C ette deuxième partie nous a conduits à observer le travail concret du


psychologue en contact avec l’école et à relever l’importance de l’atten-
tion qu’il porte au « sujet » : le sujet-enfant, le sujet-parent ou le sujet-
enseignant. Le sujet-parent rejoue, face à son enfant scolarisé, une partie
de son histoire et de ses aléas : c’est bien pourquoi le psychologue, lorsqu’il
est amené à le rencontrer, est attentif à entendre ce qu’il en est des
enjeux de chaque personne, le père, la mère, face à la manière dont leur
enfant se conduit à l’école. Le sujet-enseignant, et pas seulement lorsqu’il
est amené à « signaler » un élève en difficulté, peut trouver dans la
rencontre avec le psychologue l’occasion d’élaborer une part des diffi-
cultés de sa propre relation à l’école et à son métier. Le sujet-enfant ne
se réduit pas à ses performances scolaires dans tel ou tel domaine du
savoir enseigné.
Face à chacun de ceux qu’il rencontre au cours de son travail, le psycho-
logue scolaire est attentif à la singularité de chaque itinéraire, mais aussi
à la personnalité unique et complexe de chacun d’eux.

Lorsqu’il est « centré sur le sujet-enfant », le psychologue ne se situe


pas exactement sur la position exprimée dans les textes officiels lorsque
ceux-ci recommandent aux enseignants de se « centrer sur l’enfant » (cf. la

225
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

loi d’orientation sur l’éducation du 10 juillet 1989). En effet, la centra-


tion pédagogique sur l’enfant n’est pas la centration psychologique sur
l’enfant. La centration pédagogique n’est pas une nouveauté : cette part
de l’enfant, posé comme l’acteur premier de ses investissements sur le
champ des savoirs et donc sur le champ des apprentissages scolaires, est
inscrite dans les préoccupations des pédagogues au moins depuis la
première moitié du XXe siècle, avec les positions des mouvements de « réno-
vation pédagogique » et les Decroly, Montessori, Freinet et autres
Cousinet.
La centration psychologique, et c’est une de ses caractéristiques
premières, se met en place grâce à un premier temps de décentration vis-
à-vis des enjeux scolaires et familiaux, un temps qui permet au sujet de
parler en son nom et l’amène à se situer dans un autre espace, en quelque
sorte pour se retrouver, lui. C’est bien pourquoi le psychologue est attentif
à introduire une distance entre la demande des parents ou de l’ensei-
gnant à propos d’un enfant et ce qui va être son travail propre : dans
cette distance peut se dégager une écoute spécifique de l’enfant.
Pour ce travail du psychologue, les références sont empruntées, par
exemple, à certains apports de la psychanalyse de l’enfant, avec Winnicott,
Dolto, par exemple, qui aident à mieux comprendre ce qui est en jeu,
comme représentations, séparations, processus de construction de l’iden-
tité, chez l’enfant en développement, mais aussi l’enfant confronté aux
apprentissages dans un groupe social comme la classe. De même, la
rencontre des travaux centraux de l’équipe de Jean Piaget avec les ques-
tions d’apprentissage ouvre de nouvelles perspectives aux enjeux cogni-
tifs des apprentissages : ainsi, sur la question qui préoccupe tant
aujourd’hui les responsables de notre système éducatif – la persistance
durable d’un fort pourcentage d’élèves qui ne parviennent pas, plus d’un
siècle après l’école obligatoire de Jules Ferry, à se servir efficacement de
la lecture et de l’écriture, groupe d’élèves qui ne fait guère que succéder,
dans l’ordre des générations, à celui de ces adultes qui se trouvent dans
la même situation et pour lesquels, en France, fut avancé le néologisme
« illettrisme »1 – le travail novateur et à bien des égards « révolutionnaire »

1. BESSE J.-M., PETIOT-POIRSON K. et PETIT CHARLES E. : Qui est illettré ? Paris, Retz,
2003.
Voir aussi : L’État de l’école, ouvrage édité par le ministère de la Jeunesse, de l’Éducation
nationale et de la Recherche en octobre 2003 ; on y lit que l’enquête internationale PIRLS,
qui a évalué les compétences en lecture en fin de CM1 dans plus de trente pays, fait appa-
raître que 10 % des écoliers français se retrouvent au niveau le plus faible. Le même docu-

226
Des psychologies… ou une psychologie ?

(au sens étymologique) d’Emilia Ferreiro sur la psychogenèse de l’écrit2


caractérise bien cet accent mis sur l’activité cognitive de l’enfant face aux
objets à apprendre, activité qui est très loin de se limiter à la mémori-
sation ou à la copie de ce qui est enseigné par l’adulte. Cette centration
sur les processus plus que sur les résultats de l’activité cognitive témoigne
de l’intérêt porté par une partie de la psychologie cognitive à la dyna-
mique cognitive du sujet.
C’est qu’à l’école, l’essentiel des tâches d’apprentissage est d’ordre
cognitif : percevoir, mettre en ordre, mémoriser, penser. Le travail du
psychologue confronté aux difficultés qu’éprouvent certains élèves pour
apprendre à l’école contribue à la mobilisation maximale de chaque élève
sur cet objectif cognitif. Or, ce n’est pas seulement en se montrant un
« évaluateur » des performances scolaires ou des capacités cognitives qui
les rendent possibles que le psychologue scolaire est le plus aidant pour
l’enseignant ou pour l’élève. Une partie significative de la psychologie
cognitive aujourd’hui cherche moins à mesurer un « potentiel intellec-
tuel général » que les capacités à apprendre et les manières d’apprendre.
Le psychologue se montre aussi attentif à écouter la place que peut
prendre, pour l’enfant, une difficulté manifestée face à telle ou telle
demande d’apprentissage : il en est ainsi conduit parfois à se demander
ce qui est peut-être en jeu, de non directement cognitif, dans l’investis-
sement cognitif sur les apprentissages. La difficulté peut alors s’analyser
comme un symptôme, la manifestation de ce que l’enfant a pu mettre
en place, sur un registre inconscient, pour signifier son malaise. Mais il
peut bien sûr arriver que la difficulté de l’enfant soit principalement due
à des confusions cognitives et que les questions relationnelles ou psychoaf-
fectives ne soient alors que la résultante – elles sont alors décrites comme
des conduites réactionnelles – de ces blocages. Il convient que le psycho-
logue ne se trompe pas sur le sens à donner à la difficulté mise en avant
par l’enseignant ou la famille.

ment signale que 12 % des jeunes hommes ou jeunes femmes – de dix-sept ans ou plus –
qui ont passé les épreuves de compréhension de l’écrit dans le cadre de la JAPD (journée
d’appel et de préparation à la défense) ont des difficultés réelles de compréhension « dont
la moitié qui sont dans une situation pouvant déboucher sur l’illettrisme » (p. 24).
Voir aussi la note d’évaluation n° 04-07 (disponible sur le site www.education.gouv.fr/stateval),
rédigée par Thierry Rocher, DEP C1.
L’enquête PISA (programme international de suivi des acquis), menée par l’OCDE en 2003
sur environ 4 500 élèves de quinze ans dans un certain nombre de pays, indique que 6,3 %
des élèves français sont en grande, voire en très grande difficulté pour lire.
2. FERREIRO E. : Culture écrite et éducation. Paris, Retz, 2002.

227
Psychologue à l’école : à la rencontre du sujet

Pour étudier ces manières d’apprendre et les conditions pour apprendre,


les psychologues sont amenés, à un moment donné de leur travail – ils
peuvent consacrer du temps à une approche d’emblée plus écologique –
à se centrer sur un enfant, sur ce qui fait son individualité : cette approche
individuelle, en psychologie, est dite clinique. Toute l’approche d’un
psychologue, dans sa pratique, est nécessairement clinique, sinon elle
oublie ce qui fait l’unicité et la subjectivité d’un enfant pour n’en faire
qu’un objet d’étude ou d’expérimentation. L’approche clinique, lorsqu’elle
vise à comprendre comment l’enfant s’y prend face aux apprentissages
dans le champ de l’école, peut se centrer tout d’abord sur la manière
dont l’enfant se ressent, se vit, ressent le regard des autres, l’estime des
autres, le jugement des autres : cette approche s’appuie alors principale-
ment sur le représenté, sur l’imaginé. Cette centration principale sur
l’affectif a longtemps été dominante en psychologie, au point de confis-
quer le terme de clinique3.
Mais l’approche clinique peut aussi viser à saisir tout d’abord comment
le sujet s’y prend pour comprendre le monde, quels types de perception
il déploie, quelles formes de traitement de l’information il manifeste,
quels processus de raisonnement, quelles manières de résoudre des
problèmes, par exemple, il utilise. En psychologie, cette approche est
qualifiée de « clinique cognitive » : elle étudie la manière dont le sujet se
comporte dans le réel, par exemple, à l’école, dans le réel du travail
d’apprendre. Elle est plus récente dans les préoccupations des psycho-
logues praticiens. Elle complète le travail accompli depuis les débuts de
la psychologie par l’approche psychométrique, qui a conduit à la mise au
point des tests.
Dans son travail concret, le psychologue clinicien peut s’intéresser en
premier aux expressions du ressenti de l’enfant, à travers ses paroles, ses
conduites, ses dessins, puis seulement après étudier le rapport à l’appren-
tissage ; il peut, tout au contraire, après avoir écouté ce que l’enfant a à
lui dire, lui proposer une question à résoudre4 et observer avec lui, selon

3. De manière très réductrice, une partie de la psychologie, influencée par la psychopa-


thologie et certains courants issus de la pratique psychanalytique, s’est autoproclamée
« psychologie clinique » et les psychologues formés à cette école sont appelés « psychologues
cliniciens ». Il nous semble qu’il y a là risque de confusion entre des modalités de travail
– la centration sur le sujet singulier – et certains référents théoriques, liés à certains cadres
d’interprétation.
4. Il importe alors que cette question, qui va impliquer un travail cognitif, soit posée en
des termes neufs par rapport à ce qui est proposé à l’école.

228
Des psychologies… ou une psychologie ?

la manière dont il s’y prend, les représentations, plus ou moins justes, de


ce qui est impliqué par la question, avant d’évoquer et de travailler la
manière dont l’enfant se ressent, en appui alors sur les conduites concrètes
manifestées dans le premier temps du travail.

Pour s’approcher du « sujet » visé par les psychologues, nous avons


remarqué que les approches ne sont pas identiques : parmi les trois que
nous avons ici développées, l’une trouve sa référence dans un corpus théo-
rique emprunté, pour l’essentiel, à la psychanalyse5 ; l’autre privilégie une
centration première sur l’activité cognitive de l’enfant, observé seul ou
en interaction avec des « partenaires intellectuels » ; la dernière construit
sa référence autour d’une prise en compte de l’ensemble de la situation
qui « fait problème », le sujet-enfant n’étant ici visé, en quelque sorte,
que par ricochet (il peut parfois mieux « s’en sortir » s’il n’est pas expli-
citement visé).

Le cadre de travail du psychologue scolaire est toujours une démarche


clinique : le sujet a tout d’abord son mot à dire, il est invité à s’exprimer ;
le psychologue lui a signifié qu’il est là d’abord pour l’écouter. Le psycho-
logue prend le point de vue du sujet qu’il rencontre comme axe organi-
sateur de son travail : il est ce professionnel qui aide le sujet à construire
le sentiment de son unité par la capacité à élaborer des liaisons souples
entre ce qu’il ressent dans son corps et ses émotions et ce qu’il comprend
de sa place, dans sa famille, dans son groupe, dans sa classe, dans son
métier… Lorsque le psychologue scolaire rend compte à l’enseignant ou
aux parents de son travail avec l’enfant, il peut se servir d’exemples pris
dans le registre du cognitif, de l’affectif, du social ou encore du culturel
pour faire entendre à l’adulte quelque chose de la dynamique interne de
l’enfant.

Au terme de ce parcours auprès de certaines des pratiques actuelles


de la psychologie, nous constatons qu’une pluralité de modèles organise
l’exercice de la psychologie. Ces modèles cohabitent-ils vraiment sur le
terrain ? Comment la pratique professionnelle du psychologue scolaire
peut-elle se penser et se travailler ?

5. Le point de vue inspiré par la psychanalyse est fortement représenté dans les références
des psychologues scolaires.

229
TROISIÈME
PARTIE

Pour un métier
de psychologue
en milieu
scolaire
INTRODUCTION

Quelle psychologie scolaire ?

Jean-Marie Besse

L es pratiques de la psychologie à l’école évoluent en fonction des


demandes sociales, s’organisent selon des dispositifs et remplissent des
missions décidés par le ministère de l’Éducation nationale – l’employeur
des psychologues scolaires –, mais se construisent aussi à partir des
pratiques de psychologie développées en dehors de l’école, de même que
sur la base des travaux scientifiques effectués dans les différents champs
de la psychologie.
La psychologie scolaire est un lieu de pratique de la psychologie,
pratique psychologique organisée selon les exigences déontologiques et
techniques de la profession de psychologue, mais elle est aussi, du fait
du cadre dans lequel elle intervient, du fait des questions spécifiques –
définies par l’Éducation nationale – sur lesquelles et à partir desquelles
elle s’applique, une modalité originale d’intervention, qui ne peut être
assimilée à l’intervention du psychologue intervenant, par exemple, en
centre médico-psychologique, ou en libéral, ou comme psychothérapeute,
ou comme psychosociologue, ou comme psychologue cognitiviste, par
exemple.
La pratique du psychologue scolaire est ainsi celle d’un psychologue
non pas « généraliste », mais bien plutôt centré sur la relation au savoir,
à l’école, à l’apprentissage socialisé ; en effet, les sujets qu’il est amené à
rencontrer vivent tous, durant un temps significatif de leur existence
actuelle, dans le champ scolaire.

Avant de revenir, dans le dernier chapitre, sur les conditions d’exercice


de ce métier de psychologue à l’école et d’avancer des propositions pour
une amélioration significative de ces conditions, il nous faut revenir sur
ce qui peut constituer la référence commune des psychologues scolaires,
quelle que soit leur formation initiale en psychologie : comment les

233
Pour un métier de psychologue en milieu scolaire

pratiques de la psychologie scolaire peuvent-elles trouver leur sens, étayer


leur approche, valider leurs démarches, renouveler leurs assises, en dehors
de l’élaboration de connaissances communes, partagées, discutées, éprou-
vées et validées ? Cette élaboration, indispensable à l’étayage de la place
et de la pratique de la psychologie scolaire, ne peut s’effectuer, selon
nous, que dans le champ, plus large mais suffisamment contenant, de la
psychologie de l’éducation1.

Nous conclurons le propos de ce livre en analysant les conditions de


fonctionnement effectif de la psychologie scolaire. Nous reviendrons sur
les objectifs de la psychologie telle qu’elle est pratiquée en milieu scolaire :
pour certains, la psychologie scolaire doit s’intéresser tout d’abord à
l’amélioration des conditions d’apprentissage pour tous les élèves ; pour
d’autres, la priorité doit aller vers les enfants en difficulté, la compré-
hension de l’enfant-problème ; pour d’autres encore, la psychologie doit
pouvoir apporter un appui concret et une justification théorique et expé-
rimentée pour des choix pédagogiques plus respectueux des besoins des
enfants. Comment ces objectifs distincts peuvent-ils trouver place dans le
travail quotidien du psychologue en milieu scolaire ? De même, nous
avons relevé la diversité des pratiques et des positionnements des psycho-
logues scolaires. C’est l’indication d’un métier qui se cherche, un métier
encore peu analysé et défini.

Les propositions que nous avancerons alors se veulent une contribu-


tion à l’élaboration de ce métier qu’avait voulu Henri Wallon : n’est-il
pas, aujourd’hui encore, indispensable d’affirmer que « le psychologue
scolaire doit aider l’enfant à se révéler2 » ?

1. Qui comprend les questions relatives à l’éducation scolaire, à côté de celles relatives à
l’éducation familiale et à l’éducation sociale – la socialisation.
2. WALLON H. : « Pourquoi des psychologues scolaires ? » in Enfance. Vol. 5, 1952, p. 354.

234
CHAPITRE 10

Psychologie scolaire
et psychologie de l’éducation

Jean-Marie Besse

L es pratiques du psychologue scolaire ont été construites, dès la mise


en place de la psychologie scolaire, en référence aux travaux scientifiques,
théoriques et méthodologiques conduits dans les centres de recherche
étroitement liés aux lieux de formation des psychologues scolaires. Henri
Wallon puis René Zazzo se sont préoccupés du lien entre leur propre
élaboration d’une psychologie scientifique et la réflexion sur les pratiques
de la psychologie scolaire. La part prise par les premiers psychologues
scolaires à la construction ou la reconstruction – s’agissant de la nouvelle
échelle métrique de l’intelligence (NEMI) – d’outils d’évaluation des possi-
bilités d’apprentissage des élèves et des savoirs acquis par ces derniers
témoigne de l’implication de la psychologie scolaire dans la constitution
de nos connaissances générales en psychologie.
Depuis Wallon et Zazzo, les préoccupations de la recherche en psycho-
logie et les types de pratiques des psychologues scolaires ont été marquées
par des transformations significatives. De son côté, l’institution scolaire a
semblé hésiter sur la place à faire à la psychologie scolaire – interruption
de la psychologie scolaire déjà de 1954 à 1960 ; organisation du travail des
psychologues scolaires au sein des GAPP – groupes d’aide psychopédago-
gique –, puis au sein des Rased, à partir de 1990 –, comme sur ses missions
– centration sur une psychopédagogie, appui sur les travaux de pédopsy-
chiatrie, défectologie, adaptation de l’élève à son environnement, par
exemple –, au point que des questions aussi centrales que le sens même des
pratiques des psychologues scolaires, la place de ces derniers au sein des
Rased (certains rééducateurs intervenant au sein du réseau d’aides réfèrent
explicitement leur intervention à un cadre psychanalytique, par exemple),
l’homogénéité du métier de psychologue scolaire continuent de se poser.

235
Pour un métier de psychologue en milieu scolaire

Des savoirs psychologiques parcellisés


Les savoirs produits par les domaines de la psychologie, qui se
préoccupent, de près ou de loin, directement ou non, de questions liées
à l’éducation – et, en premier lieu, la psychologie du développement,
cognitif, affectif et social – ne sont pas immédiatement disponibles pour
la psychologie scolaire : l’essentiel de nos connaissances sur le dévelop-
pement cognitif de l’enfant provient de recherches conduites auprès
d’enfants seuls (Piaget) ou isolés face à un ordinateur (courant expéri-
mentaliste) ; de même, beaucoup de nos connaissances en matière de
psychologie du développement affectif, du point de vue de la psychana-
lyse, ont été tout d’abord construites par les psychanalystes à partir du
discours de leurs patients – adultes – évoquant leur enfance sur le divan,
avant que Anna Freud, Mélanie Klein, Françoise Dolto, D. W. Winnicott,
pour ne citer que les plus connus, ne se mettent directement à l’étude
de l’enfant. Nous ignorons encore grandement dans quelle mesure les
savoirs constitués dans ces conditions peuvent s’appliquer à – ou expli-
quer tout – ce qui peut se construire dans les conditions de l’apprentis-
sage scolaire où d’autres facteurs – l’influence des autres enfants, de la
pédagogie, de la relation pédagogique, des outils pédagogiques, du
contexte institutionnel, par exemple – ne manquent pas d’intervenir.
La recherche actuelle en psychologie s’organise, pour l’essentiel, à partir
d’approches toujours plus partielles de l’individu. Il existe peu de tenta-
tives pour penser les liens entre les dimensions psychologiques au sein
d’une vision de la globalité de l’individu, encore moins d’un enfant aux
prises avec les apprentissages dans le cadre de l’école. La tendance géné-
rale des travaux scientifiques actuels – la consultation des revues spécia-
lisées en psychologie ne laisse guère de doute à ce sujet – est plutôt à
l’abandon des modèles d’ensemble : Henri Wallon pourrait représenter,
pour la psychologie française, l’un des derniers efforts pour penser cette
globalité. À sa manière, Jean Piaget, mais pour le seul domaine cognitif,
a proposé une vision intégrative, mais il est bien contesté aujourd’hui et
les modèles de compréhension les plus larges dont nous disposons sont
dits « locaux », de plus en plus circonscrits à un seul domaine du
psychisme, et s’opposent donc aux modèles dits « globaux ».
La psychologie enseignée dans les universités n’échappe pas à ces
segmentations et cloisonnements : il n’est pas rare que des étudiants consi-
dèrent que la sous-discipline de la psychologie dans laquelle ils effectuent
l’essentiel de leur formation soit la seule « vraie » ou la seule « scienti-
fique » ; bref, beaucoup ne sont pas loin d’estimer que la psychologie

236
Psychologie scolaire et psychologie de l’éducation

pourrait aisément se réduire à cette seule partie qu’ils connaissent. Il


pourrait redevenir urgent de repenser l’unité de la psychologie1, en appui
sur la dynamique engagée autour du titre de psychologie et de l’élabo-
ration du code de déontologie des psychologues.
La conséquence directe de cette production de savoirs sur des variables
limitées et isolées les unes des autres2 est que le psychologue scolaire,
lorsqu’il prend connaissance de ces travaux pour organiser ou penser sa
pratique professionnelle, est confronté à des savoirs scientifiques élaborés
sous les grandes rubriques académiques3, par exemple, de la psychologie
sociale, de la psychopathologie, de la psychologie cognitive4, mais ce sont
des savoirs peu – voire pas du tout – reliés entre eux.

Des essais pour penser l’ensemble d’une situation


Dans le domaine des sciences humaines, une réaction à cet épar-
pillement extrême des objets de recherche est venue de la systémique (Von
Bertalanffy, Wiener, Shannon) : le travail sur la globalité est actuellement
illustré par des recherches portant sur la complexité, influencées notam-
ment par Edgar Morin. Ces tentatives de formalisation critiquent les
modèles explicatifs classiques quelque peu « mécanicistes » qui postulent
une causalité linéaire – une cause produisant un effet5 ; elles recourent, à
l’opposé, à des modélisations dans lesquelles l’interaction entre plusieurs
facteurs, entre plusieurs causes, entre plusieurs sous-systèmes, est présentée
comme davantage de nature à décrire, voire à expliquer les phénomènes
étudiés : le système est alors défini comme une unité globale, complexe,
organisée d’éléments interagissant de manière dynamique. En psychologie,

1. C’est en 1949 que Daniel Lagache écrivait son livre L’unité de la psychologie, Paris, PUF.
2. Certains plans de recherche permettent d’étudier les effets de variables en interaction
les unes avec les autres. Toutefois, le nombre des variables étudiées reste limité – dans le
domaine scolaire singulièrement – du fait de l’accroissement nécessaire des effectifs de sujets
étudiés lorsque l’on ajoute une variable supplémentaire.
3. Et donc les références théoriques et méthodologiques articulées à chacune de ces rubriques.
4. Au surplus, nous avons montré, au chapitre 6, l’existence de plusieurs courants dans ce
champ.
5. Une grande partie de la science occidentale s’inspire d’un rationaliste dont le Discours
de la Méthode de R. Descartes, en 1637, a fourni les bases. Qu’on se rappelle les préceptes
fondamentaux pour conduire tout travail scientifique : « diviser chacune des difficultés que
j’examinerais en autant de parcelles qu’il se pourrait et qu’il serait requis pour les mieux
résoudre. […] conduire par ordre mes pensées en commençant par les objets les plus simples
et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu comme par degrés jusques à la connais-
sance des plus composés. »

237
Pour un métier de psychologue en milieu scolaire

plusieurs tentatives se sont développées, ces dernières décennies, pour


penser ensemble, en interaction, plusieurs domaines du psychisme.

La relation entre contenants et contenus de pensée


Les limites d’une réduction du travail psychologique aux seules
dimensions cognitives ou aux seules dimensions psychoaffectives ou
encore sociales ont été maintes fois relevées, tout particulièrement par
les psychologues praticiens. Mais suffit-il de poser que tous ces éléments
interagissent et que l’enfant est une « globalité » ?
Un effort significatif pour « articuler » et non pas seulement pour juxta-
poser ces dimensions a été accompli par B. Gibello6 et poursuivi par B.
Douet7 ; le premier propose une interprétation pour comprendre le désin-
térêt relatif de certains psychologues envers les sujets qui présentent un
déficit intellectuel : « les désordres thymiques ou l’expansion incontrôlée
des fantasmes d’autrui constituent pour le clinicien une souffrance narcis-
sique moins vive que les troubles de l’intelligence […] les relations avec
les sujets présentant un déficit intellectuel sont des sources de souffrance
psychique et entraînent la mise en œuvre défensive de mécanismes de
clivage et de projection sur l’autre du mal, tandis qu’on idéalise sa propre
image8. » Or, « la prise en compte du domaine cognitif et intellectuel au
cours de l’examen clinique apparaît de plus en plus comme une impé-
rieuse nécessité9 ».
L’articulation est dès lors recherchée entre les contenants de pensée –
« j’entends par contenant de pensée l’univers dans lequel des contenus
de pensée peuvent apparaître, prendre sens, être compris, communi-
qués10 » ; par rapport aux contenus de pensée, les contenants « servent de
cadre et de limites11 » ; « ces contenants de pensée, schèmes d’action, phan-
tasmes, langage, sont normalement eux-mêmes pris dans une enveloppe,
dont le modèle est fourni par le développement cutané, ainsi que nous
l’a montré D. Anzieu12 » ; « la notion de contenants de pensée […] se

6. Par exemple dans L’Enfant à l’intelligence troublée. Paris, Bayard, 1984.


7. DOUET B. (dir.) : Évaluer et prendre en charge les troubles de la pensée chez l’enfant.
Méthode de développement des contenants de pensée. Paris, Dunod, 2003.
8. GIBELLO B. : op. cit., p. 2
9. Idem., p. 5.
10. Idem., p. 11.
11. Idem., p. 12.
12. Idem., p. 216.

238
Psychologie scolaire et psychologie de l’éducation

révèle en pratique d’une importance au moins égale à la notion de niveau


intellectuel13 » – et les contenus de pensée : « c’est ainsi qu’on désigne les
images, les sentiments, les mots ou les énoncés complexes occupant notre
esprit14. »
Il s’agit là, avec les prolongements théoriques et pratiques engagés par
B. Douet et expérimentés par plusieurs psychologues scolaires, de tenter
de penser ensemble le manifeste et le ressenti, le traitement cognitif et
le vécu, le versant comportemental et le volet interne.

Nous avons nous-mêmes élaboré un modèle proche de cette inspira-


tion, lorsque nous avons cherché à formaliser les enjeux des travaux sur
le rapport à l’écrit15. Reprenons cet exemple.

L’appropriation du lire-écrire
L’importance que chaque individu accorde à l’écrit et à la commu-
nication par l’écrit dépend de son histoire, des événements de son exis-
tence qui l’ont marqué de manière particulière dans son rapport au savoir
(et l’écrit en sera assez directement affecté) et l’ont inscrit ou non dans
un désir de communiquer et une disponibilité affective vis-à-vis des
apprentissages. Le « lire-écrire » ne peut donc être compris en l’étudiant
du seul point de vue de l’activité cognitive, ni sur la seule base de l’appren-
tissage scolaire. C’est un objet sur lequel l’individu réfléchit, à propos
duquel et grâce auquel il ressent des émotions, manifeste des conduites,
les inscrit dans son corps.
De plus, l’écrit est à analyser en rapport avec ses fonctions et ses
pratiques : le sujet, lecteur ou scripteur, ne peut être isolé des contextes
physiques et humains dans lesquels il côtoie ou utilise l’écrit. Aucune
approche partielle, cognitive, affective, sociologique, du lire-écrire ne peut
prétendre rendre compte, seule, de l’usage relationnel et social de l’écrit,
ni de ses modalités d’acquisition. La recherche psychologique, par
certaines de ses modalités d’investigation, coupe l’individu de ces éléments
contextuels et réduit parfois le sujet à sa performance, à ses capacités
d’apprentissage, dans une situation très limitée (le cadre du laboratoire).

13. GIBELLO B. : op. cit., p. 71.


14. Idem.
15. BESSE J.-M. : « Procédures et stratégies de traitement de l’information écrite : l’illettrisme
manifesté ? » in BESSE J.-M., GAULMYN (de) M.-M., GINET D. et LAHIRE B. (éds) : L’« illet-
trisme » en questions. Lyon, PUL, 1992.

239
Pour un métier de psychologue en milieu scolaire

Or, les conditions de contexte favorisent, modulent ou entravent l’acti-


vité cognitive.
C’est pourquoi ces questions sont plutôt à évoquer, selon nous, en termes
de modes d’appropriation : les apports des différents courants de psycho-
logie qui étudient le lire-écrire s’insèrent ainsi dans une visée plus large,
celle d’une psychologie de l’éducation, qui cherche à analyser tant les repré-
sentations conceptuelles de l’objet – ici, l’écrit –, les activités cognitives, les
attitudes, les pratiques culturelles que les activités sociales relatives à l’écrit.
Dans cet esprit, il convient donc de s’attacher à décrire des modes
d’appropriation de l’écrit, afin de rendre compte des rapports (cognitifs16,
affectifs et relationnels) de chacun à la langue écrite, à partir des éléments
de son histoire, de ses représentations de lui-même et de la culture écrite
(sa spécificité, ses structures et ses fonctions), de ses pratiques effectives
sur l’écrit (procédures et compétence stratégique manifestée sur des « écrits
sociaux » et pas seulement sur des écrits « scolaires »). Ce mode d’appro-
priation organise et structure la représentation à long terme17 du sujet face
au lire-écrire, représentation qui, à la fois, peut fonctionner parfois comme
un « filtre » perturbateur, entravant la réceptivité du sujet vis-à-vis de ce
qui dérange par sa nouveauté, mais aussi comme une base sur laquelle
seront intégrées les acquisitions de connaissances et de savoir-faire.
Cette approche psychologique évite ainsi de situer les élèves, face ici
au lire-écrire, sur une échelle fixe de paliers de performance : il s’agit bien
plutôt de tenter de comprendre leur itinéraire singulier vers la maîtrise
d’un objet, et, pour cela, de commencer par décrire, pour chaque élève,
son profil de compétences, puis de mettre l’accent sur les aspects dyna-
miques et structurels de l’activité cognitive et de l’investissement affectif.
Pour le psychologue scolaire, amené, pour l’exercice de son activité
professionnelle, à mettre en lien les divers savoirs produits par les sous-
disciplines de la psychologie, cette conception de la psychologie de l’éduca-
tion ouvre la voie à une prise en compte du sujet-élève18. S’il choisit, par
exemple, pour l’observation de ce qui fait difficulté chez un élève dans

16. « Quels que soient les registres préférentiels d’un thérapeute, il est intéressant, lorsqu’un
enfant ou un adolescent est adressé pour des problèmes de comportement divers coexistant
avec des difficultés scolaires, qu’un minimum d’exploration cognitive soit réalisé en fonction
du niveau de troubles que l’on pressent. » in BERGER M. (éd.) : Les Troubles du développe-
ment cognitif. Approche thérapeutique chez l’enfant et l’adolescent. Paris, Dunod, 1996, p. 6.
17. LE NY J.-F. : « Comment (se) représenter les représentations ? » in Psychologie française.
30, 3-4, nov. 1985, pp. 231-238.
18. Car c’est tout à la fois l’enfant comme sujet singulier et comme écolier qui intéresse,
en propre, le psychologue scolaire.

240
Psychologie scolaire et psychologie de l’éducation

l’apprentissage de la lecture, de proposer à cet élève une production écrite19,


cette activité constitue une modalité d’« entrée » pleinement justifiée par
le lieu institutionnel où le psychologue rencontre l’élève, et donc suscep-
tible d’être acceptée par ce dernier ; mais encore, proposant à l’élève de s’y
prendre de manière personnelle pour résoudre un problème relatif à l’écrit
– par exemple, une demande de production écrite qui le place devant une
situation nouvelle pour lui –, c’est une entrée qui peut l’amener, au cours
de l’activité, à exprimer autre chose, à manifester ce qui fait confusion pour
lui et qui peut se situer plutôt sur le plan cognitif, ou sur le plan linguis-
tique ou encore sur le plan affectif, relationnel et identitaire.
Travailler en se préoccupant principalement de cette perspective de
l’appropriation crée un cadre expressément organisé autour de l’activité
propre du psychologue scolaire, sans restreindre son champ de compré-
hension à telle ou telle facette des conduites ou comportements de l’enfant-
élève, mais en l’appelant tout au contraire à rechercher les organisateurs de
l’attitude de cet élève dans tel ou tel sous-ensemble (cognitif, linguistique,
affectif, relationnel et identitaire). La compréhension de cette organisation
actuelle du mode d’appropriation de l’écrit permet alors au psychologue
scolaire de travailler, avec les autres partenaires concernés – autres élèves,
enseignant, maîtres « E » et « G », famille, orthophoniste, psychothérapeute…
– à l’élaboration d’un projet individuel vis-à-vis de cet élève.

L’appropriation des savoirs, à l’école


L’exemple de l’appropriation de l’écrit, mais aussi les analyses plus
larges développées plus haut, nous amènent à faire le point sur cette
question toujours actuelle : comment l’enfant en vient-il à s’approprier
les savoirs, dans le cadre de l’école ?
L’entrée dans le système éducatif se joue sur fond de séparation : le
jeune enfant quitte son milieu familial ; d’un réseau de relations privilé-
giées qu’il entretenait alors avec un nombre limité de personnes au sein
de relations interpersonnelles fortes, il passe à un univers relationnel où
il n’est plus le seul enfant et où les adultes partagent leur attention avec
un ensemble d’enfants. Il lui faut donc nouer de nouveaux types de
contacts avec d’autres adultes mais aussi avec d’autres enfants, au sein
d’activités qui visent à l’insérer dans un univers social fait de traditions,

19. Dans les conditions décrites par BESSE J.-M. et ACLÉ : Regarde comme j’écris ! Paris,
Magnard, 2000.

241
Pour un métier de psychologue en milieu scolaire

de règles, de savoirs à acquérir. Cette entrée à l’école amène une certaine


déstabilisation des équilibres antérieurs, déstabilisation assez bien
compensée par une partie des élèves au point qu’elle les conduit à un
nouvel équilibre, tandis que certains autres donnent l’impression de
s’adapter sans pour autant qu’ils soient réellement actifs dans cette situa-
tion, alors que d’autres encore manifestent assez rapidement, par des
conduites peu adaptées, leur non-intégration à ce monde de l’école.

Pourquoi alors parler d’appropriation des savoirs et pas d’apprentissage ?


Nous entendons par « apprentissage » les conduites relatives à ce qui est
enseigné pour être appris : il s’agit ici de savoirs à acquérir au cours d’une
activité cognitive prévue au sein d’une action d’enseignement. Or, le
psychologue a une visée plus large que celle de l’apprentissage.
Les problèmes qu’étudie le psychologue de l’éducation débordent égale-
ment ce que recouvre le concept de construction, qui reste très connoté
par les travaux piagétiens et renvoie, pour beaucoup, à une prise en consi-
dération du sujet épistémique, donc des « mécanismes communs à tous les
sujets individuels de même niveau, autrement dit encore du sujet “quel-
conque20”, ou, encore, au “sujet épistémique” ou noyau cognitif commun
à tous les sujets de même niveau21 ». Mais l’on a aussi montré, et dans
l’entourage piagétien, qu’il importe de compléter ces études sur les struc-
tures cognitives en s’intéressant au sujet psychologique individuel. On
s’attache alors « à déceler la dynamique des conduites du sujet, leurs buts,
le choix des moyens et les contrôles, les heuristiques propres au sujet et
pouvant aboutir à un même résultat par des chemins différents, afin que
l’on puisse pénétrer dans le fonctionnement psychologique et dégager les
caractéristiques générales des procédures ou enchaînements finalisés et
organisés d’actions22 ».
Les concepts d’apprentissage et de construction ont ainsi en commun
de situer le débat sur les seuls aspects cognitifs de l’acquisition, puis de
la maîtrise des savoirs. Or, ces problèmes ne peuvent pas toujours être
compris en les étudiant du seul point de vue de l’activité cognitive. Les
objets à apprendre sont certes des objets sur lesquels l’individu réfléchit,
mais aussi à propos desquels et grâce auxquels il ressent des émotions,

20. PIAGET J. : Le Structuralisme. Paris, PUF, 1968, p. 58.


21. Idem, p. 120.
22. INHELDER B. et CAPRONA (de) D. : « Vers le constructivisme psychologique : struc-
tures ? Procédures ? Les deux indissociables » in INHELDER B. et CELLÉRIER G. (éds) : Le
Cheminement des découvertes de l’enfant. Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1992, p. 21.

242
Psychologie scolaire et psychologie de l’éducation

se construit des représentations où l’imaginaire a sa place, il manifeste


des conduites, les inscrit dans son corps et ses relations aux autres, au
temps, à l’espace, à lui-même.
Le rapport de chaque individu aux savoirs n’est pas stable au long de
l’existence : il s’élabore dès avant l’école, se modifie au contact de cette
dernière du fait des apprentissages, puis évolue en fonction des activités
personnelles et professionnelles de l’adulte. Aussi, et pour personne, ce
rapport ne peut-il être pleinement objectivé, ni les compétences entière-
ment estimées, sur la base des performances obtenues lors d’évaluations
prenant en compte les apprentissages. Ce que le système éducatif a pu
en observer et en valider ne suffit pas à prédire ce qu’il en sera plus tard :
l’évoquer en termes de niveau d’apprentissage (cours préparatoire, cours
élémentaire, cours moyen, etc.) ne permet pas de décrire les spécificités
de cette relation.
C’est pourquoi la psychologie de l’éducation et de la formation doit se
donner comme objet l’étude de l’appropriation ; ce mouvement procède
de l’individu vers l’obje, englobe et imprègne l’ensemble de ses conduites
relatives à un objet de savoir. Plusieurs caractéristiques de ce mouvement
d’appropriation peuvent être avancées.

• Une approche individualisante


L’appropriation se manifeste différemment selon les sujets ; en ce sens,
elle traduit la nécessité d’une approche individuelle de ces questions pour
restituer une part au moins de ce qui fait la singularité de cette relation
personnelle aux savoirs.

• La dynamique de l’appropriation
L’appropriation est également à envisager selon une perspective dyna-
mique, car elle s’inscrit dans l’histoire de la relation individuelle à un
objet, manifestant ainsi l’action d’un processus qui se déroule tout au
long des activités qui placent le sujet en relation aux savoirs et ne se
limite donc pas au temps institutionnellement fixé pour l’apprentissage
à l’école.
Le processus d’appropriation tend à conserver l’organisation en place,
il pousse à ce que le rapport aux savoirs reste identique, que les éléments
nouveaux s’intègrent au système d’appropriation déjà élaboré par le sujet,
sans modifier la structure de ce système.
Mais l’individu peut parfois changer de mode d’appropriation et son
rapport aux savoirs se transformer, du fait des expériences vécues, des
rencontres, des échecs, des réflexions, de son activité cognitive et rela-

243
Pour un métier de psychologue en milieu scolaire

tionnelle, ou d’un travail avec un psychologue, par exemple. Ces trans-


formations manifestent la dynamique du processus d’appropriation.

• Une fonction intégrative


L’appropriation assure enfin une fonction intégrative : l’appropriation
des savoirs est ainsi à entendre comme un processus fonctionnel interne
au sujet, contribuant à intégrer l’ensemble des pratiques expérimentées
et des savoirs construits, mais aussi processus ouvert aux influences exté-
rieures.
Aussi bien, l’appropriation intègre-t-elle des dimensions (affectives,
cognitives, relationnelles et sociales) actuellement étudiées de manière
séparée par différentes disciplines scientifiques.

Les dimensions affectives : la recherche de l’anamnèse des relations


entre l’individu et les savoirs s’inscrit dans le tableau plus large des rela-
tions, conscientes ou non, du sujet à l’autre, au travers des rapports
réels et imaginaires qu’il a noués, dès le plus jeune âge, avec son envi-
ronnement humain. Ainsi peut-on noter que la relation entre le tout
jeune enfant et ses parents a pu ou non permettre un accès à un désir
autonome, à une ouverture à l’autre, à une envie de communiquer. La
capacité de penser de manière personnelle authentique, telle qu’elle
peut se constituer dans un travail de « dé-fusion » d’avec la mère (ou
son substitut), dans une accession à l’identité23, se met aussi en place
dans ce contexte relationnel. Le caractère « propre » de toute conduite
d’acquisition (qui ne se joue donc pas seulement dans la sphère cogni-
tive) débute très précocement.
Certaines « conditions » affectives semblent ainsi nécessaires pour
pouvoir entrer dans un travail cognitif efficace sur les savoirs. Car ces
derniers permettent, mais aussi supposent, un accès à l’individuation,
à la personnalisation, qui peut rencontrer différents obstacles. Le savoir,
en tant que lieu et occasion de réussite, peut constituer un objet
opaque, « interdit » de connaissance et de maîtrise, enjeu inconscient
d’une rivalité. Par exemple, les contenus véhiculés par l’écrit peuvent
susciter des réactions inconscientes de rejet24. L’écrit, en tant que travail
de mise à distance de sa pensée, de son vécu (écriture), de celui des
autres comparé au sien (lecture), suppose qu’une décentration par

23. Voir AULAGNIER P. : La Violence de l’interprétation. Paris, PUF, 1986.


24. Voir BETTELHEIM B. et ZELAN K. : La Lecture et l’enfant. Paris, Robert Laffont, 1983 ;
« La lecture » in Nouvelle Revue de psychanalyse. 37, 1988.

244
Psychologie scolaire et psychologie de l’éducation

rapport à soi est possible ; il renforcera, par son usage, cette décen-
tration.
Ces conditions définissent un ensemble d’attitudes qui orientent le
rapport à l’écrit sans que le sujet en ait toujours conscience.

Les dimensions cognitives : elles comprennent de nombreux éléments,


notamment les connaissances préalables du sujet sur l’objet à apprendre,
ses pratiques effectives sur ce type de savoir, ses performances, procé-
dures et stratégies, ses conceptualisations, ses capacités métalinguistiques
et métacognitives.

Les dimensions relationnelles, culturelles et sociales : l’importance que le


sujet accorde au savoir est personnelle, dépend de son rapport au savoir,
à la culture, à ceux qu’il rencontre près de lui ou avec qui il peut souhaiter
communiquer. Ce rapport à la culture est très lié au type de pratiques
sociales rencontrées dans son environnement immédiat.

En fonction des avatars de son histoire, l’enfant développe plus ou


moins harmonieusement ces dimensions qui concourent à l’appropriation
des savoirs : les modes d’appropriation que nous avons commencé à décrire
témoignent de ces profils fort contrastés, allant d’une progression relati-
vement homogène sur ces dimensions (avec des « stagnations », égale-
ment homogènes, à certaines étapes !) à des évolutions dysharmoniques.
Ce mouvement pour penser ensemble les différentes dimensions du
psychisme trouve un point d’application particulièrement significatif
lorsqu’il s’agit de comprendre ce qui est en jeu dans le rapport au savoir,
à l’école, à l’apprentissage socialisé ; bref, ce qui relève en propre du
travail du psychologue scolaire : le travail scientifique qui recouvre préci-
sément ce champ s’appelle la psychologie de l’éducation25.

La psychologie de l’éducation
La psychologie de l’éducation s’est développée pour analyser,
comprendre et aider à résoudre ces types de problèmes. Elle a été parfois
décrite comme une psychologie « appliquée » : il s’agirait d’appliquer direc-
tement aux problèmes éducatifs les résultats de la recherche et des théo-

25. Même si la psychologie de l’éducation ne se limite pas à l’étude de ce seul champ,


puisqu’elle étudie également l’éducation familiale et sociale.

245
Pour un métier de psychologue en milieu scolaire

ries psychologiques26. Or, cette conception, que l’on retrouve parfois


énoncée sous l’intitulé de la « psychopédagogie », nous semble particu-
lièrement réductrice et fort peu pertinente, comme nous l’avions déjà fait
observer au terme de l’analyse d’une initiative historiquement bien
repérée27. Une certaine tradition autour de la psychopédagogie – une
« pédagogie scientifiquement déduite de la psychologie », estimait déjà le
Vocabulaire de psychologie dirigé par Henri Piéron – méconnaît les
exigences propres à l’activité pédagogique, tout en risquant d’enfermer
« la psychologie » dans une phase particulière de son travail scientifique,
dans les résultats obtenus à un moment donné – l’exemple de la « méthode
globale » de lecture, longtemps considérée comme « scientifiquement
prouvée » par les recherches en psychologie, devrait rendre prudents les
psychologues scientistes modernes, s’ils ont quelque connaissance de
l’histoire de leur discipline.
La place du « psycho-pédagogue » – ce modèle caractérise l’ambition
de Wallon et de Zazzo pour les psychologues scolaires – n’est-elle pas
alors ressentie comme celle d’un « super-pédagogue », celui qui est censé
savoir ce qu’ignore l’enseignant ? Cette attitude est bien éloignée du rôle
effectif du psychologue, attentif à aider l’enseignant à supporter le temps
du manque et l’absence de réponses définitives et absolues, afin que la
confrontation au réel puisse conduire à une pensée et à des initiatives
pédagogiques professionnellement assumées par l’enseignant.
Aussi bien, pour construire des savoirs éprouvés, validés et utiles à ceux
qui interviennent comme praticiens de la psychologie dans le champ de
l’éducation scolaire, il importe que les chercheurs travaillant sur ces ques-
tions – quel que soit leur statut effectif : chercheurs universitaires, cher-
cheurs rattachés à des laboratoires ou structures scientifiques,
praticiens-chercheurs – intègrent dans la définition de leurs objets d’étude
et dans leur méthodologie de recherche l’ensemble des facteurs agissant
sur la nature de l’apprentissage en milieu scolaire, ou, à tout le moins,
acceptent de confronter leur approche à cette dimension multifactorielle.
Les contraintes liées à cette situation spécifique, contraintes qui peuvent

26. C’est la définition que propose W. D. Fröhlich, dans son Dictionnaire de la psychologie
(Livre de Poche, éd. fr. 1997, p. 325) : « une branche de la psychologie appliquée qui s’attache
à appliquer les résultats des recherches et des théories psychologiques aux problèmes éduca-
tifs, ou à étudier les problèmes nés de la situation éducative (dans le domaine familial aussi
bien que scolaire). Elle comporte un lien étroit avec les problèmes auxquels se consacrent
la psychologie du développement, la psychologie sociale et celle de l’apprentissage aussi
bien que d’autres branches de la psychologie générale et de la psychologie différentielle. »
27. Cf. Decroly, psychologue et éducateur. Toulouse, Privat, 1982.

246
Psychologie scolaire et psychologie de l’éducation

tout aussi bien être reconnues positivement comme des occasions sociales
d’apprentissage28 que posées comme des limites fortes à une importation
directe de pratiques et de savoirs construits dans d’autres cadres métho-
dologiques, rendent nécessaire une élaboration des savoirs psychologiques
explicitement référés au champ d’une psychologie de l’éducation29.
L’objet de ce secteur de la psychologie est ainsi d’étudier, chez des
sujets insérés ou non dans un cadre de formation institutionnalisé – la
psychologie de l’éducation s’intéresse aux questions relatives à l’éduca-
tion scolaire, mais aussi à celles relatives à l’éducation familiale et à
l’éducation sociale –, les conduites d’appropriation de certains objets valo-
risés par le groupe social : ainsi en est-il de savoirs et savoir-faire (ceux
que les systèmes éducatifs, notamment, inscrivent dans leurs programmes),
de comportements (ceux qu’un groupe humain donné estime souhaitables)
et de valeurs (celles qu’une société ou une culture érigent en finalité).
Ces objets se présentent, à l’école, en tant qu’éléments à apprendre, à
acquérir au cours d’activités prévues au sein d’actions d’enseignement.
De plus, ces conduites d’apprentissage se présentent dans leur relation à
ce qui est enseigné ou présenté directement au sujet, dans un cadre informel
ou au sein d’une institution éducative.
Les méthodes et les concepts théoriques employés par la psychologie
de l’éducation pour étudier, comprendre, voire tenter d’expliquer ce qui
s’organise – et comment cela s’organise – autour de ces essais d’appro-
priation, ne se contentent pas d’emprunts à diverses sous-disciplines de
la psychologie. En effet, les conduites d’apprentissage et d’appropria-
tion se situent, à l’école, dans un cadre social, organisé pour permettre
des activités cognitives portant sur des contenus d’enseignement et
impliquant une mobilisation de l’élève sur ces apprentissages ; chaque
élève est en relation avec d’autres élèves, avec au moins un enseignant ;
à l’extérieur de l’école, la famille de l’élève, notamment, lui signifie,
plus ou moins consciemment et explicitement, ses attentes par rapport
à ce qu’il fait et peut ou doit faire à l’école. Étudier, en respectant les
exigences du contrôle scientifique pour produire des savoirs fiables,
autant de variables concomitantes, relève de la gageure : aussi comprend-
on mieux pourquoi la plupart des travaux de recherche sur ces ques-
tions choisissent-ils de n’étudier que l’une ou l’autre de ces variables,

28. À l’opposé donc des conditions d’apprentissage en situation de laboratoire.


29. « Il est vital que la psychologie à l’école […] développe son propre corpus théorique »
affirment ainsi, en 1994, R. PERRON, J.-P. AUBLÉ et Y. COMPAS in Enfant en difficultés.
L’aide psychologique à l’école. Paris, Dunod, pp. 196 sqq.

247
Pour un métier de psychologue en milieu scolaire

en optant pour les méthodes et les références théoriques d’une disci-


pline ou sous-discipline de la psychologie.
Car parler de psychologie de l’éducation (scolaire), c’est tout d’abord
viser l’individu apprenant et/ou l’individu enseignant, et c’est conduire à
ce propos des recherches qui tentent d’expliquer, du point de vue du psycho-
logue30, comment on apprend dans le cadre scolaire, comment on s’appro-
prie les savoirs et comment on enseigne.
L’enfant apprenant, c’est à la fois celui qu’étudie telle ou telle branche
de la psychologie, mais c’est aussi et surtout ce sujet au carrefour
d’influences, à un point d’intersection qui modifie les trajectoires décrites
par chacune des approches scientifiques partielles. En ce sens, le sujet de
la psychologie de l’éducation est bien spécifique et l’étudier constitue
alors une question fondamentale, non réductible à la somme des
approches partielles des sous-disciplines psychologiques. Ainsi, ce que nous
savons du sujet étudié seul est-il valide lorsque ce sujet est en interac-
tion avec un autre (enfant ou adulte), ou lorsque cette interaction se
déroule dans le cadre d’une situation d’enseignement ?
L’articulation, concrète et théorique à la fois, entre les apports et les
visées spécifiques de la psychologie et de l’éducation ne s’opère pas spon-
tanément : la pédagogie ne se déduit pas de la psychologie. Il ne suffit
pas non plus, pour prétendre élaborer une authentique psychologie de
l’éducation, de s’en tenir à un pragmatique éclectisme – prendre un peu
de tout – propre à tout justifier et qui pourrait aboutir à proposer comme
« psychologie de l’éducation » une série juxtaposée de thèmes de
recherche, ou encore de listes de résultats ponctuels issus de recherches
très centrées.
La psychologie doit maintenir une attitude distanciée par rapport à
l’intention d’instruire ou d’éduquer ; elle n’est pas finalisée par un projet
éducatif, des objectifs didactiques et elle n’a pas à cautionner telle ou
telle disposition pédagogique (même si l’histoire, ancienne et récente,
indique à l’évidence que rares sont ceux qui s’en tiennent à cette ligne) :
le psychologue confronté à l’action pédagogique est en même temps avec
les enseignants, cherchant à comprendre leur position, à saisir de l’inté-
rieur leurs préoccupations et leurs projets, mais il est tout autant à l’exté-
rieur de la pédagogie. Position difficile, non exempte d’ambiguïtés latentes,
mais seule position tenable si le psychologue veut pouvoir dire autre
chose que ce qui est déjà contenu dans le discours pédagogique.

30. Car il va de soi que le didacticien – pour ne prendre que cet exemple –, à sa manière,
traite aussi ces deux questions.

248
Psychologie scolaire et psychologie de l’éducation

La psychologie dans l’éducation scolaire intervient habituellement sur


les ratés de la rencontre avec l’institution scolaire, avec les enseignants,
avec les autres élèves, avec tel ou tel des objets culturels transmis par
l’école. Le premier souci du psychologue est alors d’établir le bilan, puis
le diagnostic le plus juste possible de ce qui fait empêchement. L’objet –
et le projet – de la psychologie dans l’éducation est donc de permettre
de convoquer, pour le psychologue, l’ensemble des champs d’explication
possibles, pour engager une approche clinique – au sens d’une rencontre
individuelle – qui regarde aussi du côté du social et du culturel, du groupal
et du relationnel, de l’intrapsychique et du cognitif.
Penser, construire et développer une psychologie de l’éducation
constitue donc un préalable indispensable à l’intervention de la psycho-
logie et des psychologues dans le champ de l’éducation scolaire. C’est
cette psychologie qui doit être enseignée dans les IUFM, de même que
c’est cette psychologie qui peut aider le psychologue scolaire à penser
son travail, dans un aller-retour entre la théorie, le travail de théorisa-
tion et la pratique clinicienne.

Bibliographie
Voir pp. 152-155.

249
CHAPITRE 11

Des psychologues à l’école

Jean-Marie Besse

À quelles conditions doit répondre le travail


du psychologue dans l’institution scolaire ?
L’activité du psychologue scolaire se définit sur la base d’une double
inscription : c’est à la fois une authentique pratique de psychologue et
une pratique qui se déroule dans le cadre d’une institution aux missions
spécifiques, l’institution scolaire.
Dans l’histoire des relations entre la psychologie et l’institution scolaire,
ce lien à tenir (et cette position d’équilibre et de respect des deux spéci-
ficités) entre ces deux pôles – « être psychologue » et « travailler dans un
lieu destiné à l’enseignement » – s’est toujours révélé très difficile à main-
tenir : parfois, le fil est tiré du côté du second pôle et la psychologie
devient alors vassale de la pédagogie (avec les effets confusionnants d’une
psychologie étroitement encadrée par les « besoins » à très court terme
de l’institution scolaire) ; parfois, de peur de se perdre, la psychologie
s’éloigne avec quelque dédain de « l’élève », elle ne veut rien à voir avec
les apprentissages ; parfois encore, la psychologie veut se considérer
comme « la » science de référence des apprentissages et cherche à imposer
ses modèles à la pédagogie : le terme de « psychopédagogie » sert alors
d’écran à ces tentatives.
Le psychologue en milieu scolaire ne peut directement situer son acti-
vité dans le système éducatif par référence aux pratiques des psychologues
intervenant ailleurs, par exemple en cabinet libéral ; il lui appartient, en
tant que psychologue, et même s’il intervient au sein d’une organisation
hiérarchique, d’assumer la responsabilité de ses actes conformément aux
règles de la profession de psychologue, profession qui est son premier repère.

251
Pour un métier de psychologue en milieu scolaire

Dans ce contexte, et du fait aussi que le psychologue scolaire est un


ancien enseignant, il lui faut élaborer, construire et faire respecter sa posi-
tion de psychologue, afin de pouvoir travailler avec la distance suffisante
par rapport aux comportements manifestes et au fonctionnement de
l’institution, en étant attentif à ce qui se joue dans la difficulté perçue
d’un enfant, d’un enseignant, d’un parent, d’un groupe éducatif.

Ce positionnement est-il compatible avec les conditions actuelles d’exer-


cice de ce métier ? Comment le psychologue peut-il faire reconnaître son
cadre de travail et le maintenir différencié ?

Les tâches des psychologues scolaires sont définies par des textes assez
généraux pour autoriser des pratiques effectives de terrain de fait très
dissemblables. Nombre de ces pratiques renvoient aux « examens psycho-
logiques », examens au terme desquels l’orientation des élèves en diffi-
culté d’apprentissage peut être décidée par des commissions spécialisées
(de nombreux dispositifs reçoivent les enfants sur la base de leurs capa-
cités intellectuelles manifestées par un test de quotient intellectuel – le
QI1 – ou selon la nature des difficultés, et exigent donc ce bilan établi
par un psychologue) : ce modèle du psychologue-orienteur 2 est très
prégnant dans les représentations de la hiérarchie scolaire. Mais inter-
viennent aussi dans l’école des psychologues – ce sont parfois les mêmes
– susceptibles d’intervenir « en urgence » dans une école lorsque dans
cette dernière un événement grave est survenu (par exemple, en cas
d’abus sexuels ou de mort brutale d’un enfant ou d’un enseignant), pour
aider les enfants et les adultes à élaborer leur souffrance et leurs émotions :
c’est alors le modèle du psychologue-thérapeute3 qui est implicitement
présent dans la demande institutionnelle.
Certes, l’écart semble maximal entre ces deux modèles et les pratiques
auxquelles ils renvoient, alors que l’exercice quotidien de la psychologie
scolaire se situe habituellement dans une moindre disparité de fonctions :
l’orientation d’un élève n’est pas la seule réponse à proposer au terme
de l’examen psychologique (le psychologue dispose d’une palette de possi-
bilités – l’entretien, avec l’enfant, avec l’enseignant, avec les parents, est
la première modalité de son action –, possibilités engagées selon l’impor-

1. Nous avons montré au chapitre 6 les limites d’un tel réductionnisme.


2. Au long du chapitre 4 a été conduite une analyse de ce modèle.
3. Cf. également le chapitre 4.

252
Des psychologues à l’école

tance des difficultés et selon aussi le lieu géographique4 et le contexte de


son intervention – la présence et la disponibilité des membres du réseau5,
des professionnels spécialisés – orthophoniste, par exemple). Mais, écar-
telée entre le testing et les cellules d’aide psychologique propres à
« debriefer » les victimes de la violence, la place même d’une fonction de
psychologue risque bien de perdre en lisibilité, voire en efficacité. Car les
cadres de référence nécessaires au travail du psychologue – ses
« outils pratiques » mais aussi ses « outils théoriques » qui lui permettent
de « recevoir et de penser » son objet propre : la nature des difficultés de
la personne qu’il rencontre et le ressenti de cette dernière, sa « psyché »
– ne sont pas précisément les mêmes dans ces deux situations. Le cadre
technique et méthodologique de référence du psychologue en milieu
scolaire ne peut être ni le modèle psychanalytique, inadapté dans les
conditions de réalité de la pratique de la psychologie à l’école, ni une
psychologie de laboratoire, ni même une pratique de psychologie en
libéral : car le psychologue qui nous intéresse ici est appelé à intervenir
dans le cadre de l’institution scolaire. Il est face à des enfants confrontés
aux apprentissages, face à des maîtres chargés d’enseigner, face à des
parents soucieux de la réussite de leurs enfants6.
Le métier de psychologue en milieu scolaire est ainsi exercé, en France7,
dans un contexte institutionnel quelque peu paradoxant quant à son atti-
tude vis-à-vis de la psychologie, dans le temps même où l’appel aux psycho-
logues semble s’amplifier, dans l’école comme dans la société8.

4. Une réelle disparité quant au nombre des professionnels spécialisés et des institutions
est constatée entre les départements et les régions ; il n’est pas rare que le délai d’attente
pour une consultation dans les CMPP, par exemple, soit de six à dix mois.
5. Tous les réseaux d’aides ne disposent pas d’une équipe complète.
6. « Les causes sont si rarement uniques en psychologie, apparaissent si rarement isolées
dans le développement et restent si rarement seules actives, qu’une attitude de contrôle
continuel de ses propres options théoriques s’avère nécessaire pour éviter l’unilatéralité de
l’explication. » F. GAILLARD, postface, p. 216, in JUMEL B. (dir.) : Le travail du psychologue
dans l’école. Cas cliniques et pratiques professionnelles. Paris, Dunod, 1999.
7. Une association internationale comme l’International School Psychology Association
montre la variété des formes d’inscription institutionnelle et des évolutions des pratiques
des psychologues travaillant auprès ou au sein des institutions scolaires. Plus particulière-
ment, la situation européenne nous concerne, dans un contexte prévisible d’harmonisation,
voire d’intégration, des formations, des diplômes, des accès aux emplois au sein de la commu-
nauté européenne.
8. Cf. aussi les nombreuses publications sur la place et le rôle de la psychologie à l’école.
Citons, par exemple : (suite page 254)

253
Pour un métier de psychologue en milieu scolaire

Les textes définissant les missions et la formation des psychologues


scolaires (des listes de tâches ou de domaines) et l’organisation générale
de leur travail au sein de l’institution scolaire sont loin d’indiquer une
position et un mode de fonctionnement homogènes et construits de
manière cohérente.

La situation actuelle de l’exercice de la psychologie dans l’institution


scolaire française est ainsi caractérisée par l’incertitude des priorités à
retenir pour l’intervention des psychologues, l’affectation très incertaine
et peu rationnelle des moyens (postes budgétaires en particulier), la non-
reconnaissance des fonctions spécifiques du psychologue (absence de
statut des psychologues), par un recrutement « maison » fonctionnant
selon des exigences moindres que celles qui ont cours dans les autres
lieux d’exercice de la même profession.

Le métier de psychologue scolaire existe


Le métier de psychologue scolaire s’est constitué depuis bientôt
cinquante ans : ce métier situe le psychologue scolaire comme un profes-
sionnel de la relation, à la fois qualité de la relation à l’autre, certes, et
capacité à aider l’autre à construire des liens, des relations entre des faits,
des paroles, des attitudes, des événements, des personnes.

La relation à l’enfant-élève et de l’enfant-élève au savoir et à l’école


Chaque enfant scolarisé cherche à comprendre le monde dans
lequel il vit, à se le rendre intelligible, pour y prendre une place active
et s’impliquer dans l’espace, le temps et les travaux scolaires9. Le psycho-

BOIMARE S. : L’Enfant et la peur d’apprendre. Paris, Dunod, 1999.


BOSETTI E., GOULFIER S. et THIRIET A. : Le Psychologue, l’école et l’enfant. Paris, Dunod,
1995.
COLPIN M.-Th. : Les « psy » et l’école. Paris, L’Harmattan, 1999.
GUILLARD S. et GUILLEMARD J.-C. : Manuel pratique de psychologie en milieu éducatif.
Paris, Masson, 1997.
PERRON R. et AUBLÉ J.-P. : L’Enfant en difficultés : l’aide psychologique à l’école. Toulouse,
Privat, 1994.
9. « L’enfant […] est d’emblée considéré comme sujet et agent de son propre destin, et la
visée majeure du psychologue scolaire est de l’amener à assumer cette position » remarque
R. PERRON en préface, p. XVI, du livre dirigé par B. JUMEL, publié en 1999, aux éditions
Dunod : Le travail du psychologue dans l’école. Cas cliniques et pratiques professionnelles.

254
Des psychologues à l’école

logue, en relation individuelle avec l’enfant, aide à démêler ce qui


empêche, provisoirement ou durablement, tel ou tel élève de mobiliser
pleinement ses capacités cognitives (percevoir, analyser, mettre en
mémoire, rappeler) et/ou d’établir des relations satisfaisantes avec les
autres. Les limites à cette mobilisation et ces relations peuvent être d’ordre
social, culturel, linguistique, ou liées à l’efficience générale ou aux moda-
lités spécifiques de l’activité cognitive, ou encore se situer sur un plan
émotionnel ou motivationnel, avec leur entrelacement complexe avec les
avatars ou les impasses des jeux de l’imaginaire et de sa confrontation
avec le réel des relations personnelles, familiales, scolaires.
Le psychologue intervenant en milieu scolaire sait que les difficultés
d’apprentissage peuvent recouvrir des situations très diverses : il lui faut à
la fois vérifier ce qu’il en est de la réalité de ces difficultés – il dispose pour
cela d’outils comme l’observation de l’enfant ou les tests qui l’aident, en
un temps assez court, à recueillir une autre information que celle dont
dispose l’enseignant ou la famille ; il dispose aussi des connaissances scien-
tifiques actuelles sur la dynamique du fonctionnement cognitif, comme
nous l’avons vu ci-dessus –, mais il lui faut aussi comprendre comment
l’enfant s’imagine ses difficultés, comment il les ressent, ce que cela lui fait.
Le psychologue en milieu scolaire a été formé à une connaissance
élargie du domaine cognitif sur lequel il intervient, il sait que le système
cognitif – on pourrait aussi dire « l’appareil cognitif » – est une part essen-
tielle de l’appareil psychique, ce qui facilite sa communication avec l’ensei-
gnant10 ; il a été formé à la pratique d’une psychologie individuelle, donc
clinique dans tous les sens du mot, appuyée sur les travaux scientifiques
les plus récents, tant sur l’affectivité, la cognition que les dimensions
sociales et culturelles des apprentissages. Ses connaissances en matière
de psychologie cognitive, ou de psychologie sociale, ou de psychologie
culturelle ou de psychologie affective, ne peuvent se limiter à un seul de
ces sous-domaines de la psychologie, chacun étant nécessaire mais nulle-
ment suffisant : le psychologue en milieu scolaire occupe une fonction
plus large, celle d’un praticien de la psychologie centré sur la relation au
savoir, à l’école, à l’apprentissage socialisé.

10. Ce dernier mobilise, dans son travail, une psychologie principalement intuitive, impliqué
qu’il est dans l’action éducative. En travaillant au sein de groupes de recherche – cf. notre
propre type d’intervention auprès des enseignants, tel que nous l’avons décrit et illustré
dans Regarde comme j’écris ! (Paris, Magnard) – ou au sein de groupes de « soutien au
soutien », tels que ceux organisés autour de J. LÉVINE (Agsas), l’enseignant peut construire
un regard sur son métier nourri d’une approche psychologique validée par son référentiel
théorique et sa relation à la pratique enseignante.

255
Pour un métier de psychologue en milieu scolaire

Si le psychologue en milieu scolaire ne pose pas un cadre thérapeu-


tique, il évalue cependant la nécessité et les possibilités d’un tel travail
psychologique chez un enfant et ses parents. Il analyse la demande de la
famille et les résistances au changement au cours d’entretiens cliniques
qui peuvent suffire à un remaniement des positions symboliques de
chacun.

La relation à l’enseignant et de l’enseignant à l’enfant-élève,


au savoir et à l’école
Le psychologue reçoit et analyse la demande des enseignants, qui
vise à les aider à comprendre ce qui se passe chez l’élève, mais aussi dans
leur relation à cet élève ; le psychologue permet que s’établisse un espace
de parole pour que l’enseignant et l’élève soient considérés comme des
sujets, car la difficulté signalée renvoie souvent à la singularité d’une
histoire et d’une situation ; le psychologue peut être amené à étudier de
plus près le fonctionnement cognitif de l’élève pour le mettre en lien
avec les comportements ou les performances scolaires signalés par l’ensei-
gnant ; le psychologue, grâce à sa position originale, liée à ses compé-
tences propres et à sa fonction distinctes de celle des enseignants, peut
aider le maître à se situer de manière plus professionnelle face aux dimen-
sions affectives, cognitives et sociales en jeu dans la difficulté signalée.
Dans ce contexte, le psychologue à l’école n’est plus réductible à cette
image du psychométricien qui testerait l’élève pour en tirer l’essence
même de ses potentialités et de ses compétences : le bilan psychologique
à base de tests éclaire et renseigne sur les capacités actuelles, voire sur
les processus, les démarches et les stratégies d’un enfant face aux appren-
tissages et sur ses mécanismes de défense dans des situations de tests
projectifs. Les tests, malgré une lecture clinique (cognitive et/ou psycho-
affective), ne peuvent rendre compte à eux seuls du rapport d’un enfant
au savoir, à la transmission, ni de son mode de relation à cette école-là,
à cet enseignant et à ses parents. Or, bien souvent, un enseignant demande
à un psychologue scolaire un test là où un travail d’analyse de la rela-
tion et de la compréhension de l’enfant-élève et de la situation d’ensemble
peut venir relancer une démarche pédagogique quelque peu retenue,
réservée par un ensemble de facteurs à effets soporifiques sur l’ensei-
gnant, par exemple les principes de hiérarchisation en cascade des textes
officiels, le fait que l’enseignant travaille peu entre adultes et participe
peu à la construction du savoir à transmettre… Cette relance, pour l’ensei-
gnant, passe par l’élaboration des éléments de cette relation à l’élève, de

256
Des psychologues à l’école

cette rencontre avec cette image de l’élève en soi, avec ses projections
sur lui et les échanges identificatoires.

La relation aux familles et des familles à l’enfant-élève,


au savoir, à l’enseignant et à l’école
Le psychologue scolaire est parfois ressenti, dans certains milieux,
comme « soignant » la maladie mentale : « Mais mon enfant n’est pas
malade (sous-entendu « n’est pas fou ») ! », parfois aussi comme un expert
de la mesure du « niveau intellectuel » : « Je voudrais connaître le QI de
mon enfant », parfois aussi comme le seul confident possible : « Au moins
vous, vous m’écoutez. » Les parents parlent de leur enfant influencés par
les représentations propres à leur milieu ; ils témoignent souvent d’un
investissement affectif tel dans la « réussite scolaire » de leur enfant qu’ils
créent une tension préjudiciable à la sérénité des apprentissages – et limi-
tant, chez l’enfant, l’authenticité du désir qui soutient ces derniers. Le
psychologue scolaire, par le professionnalisme qu’il manifeste, accom-
pagne les parents dans ce vrai travail psychique que mobilise la relation
à leur enfant, à leur enfant-élève11.

La relation aux structures de l’Éducation nationale et de ces structures


à l’enfant-élève, au savoir, à l’enseignant, aux familles et à l’école
Le psychologue scolaire, fonctionnaire d’État, se situe dans un cadre
hiérarchique, sous la responsabilité de l’inspecteur de l’Éducation natio-
nale (IEN)12 : ce dernier est le garant d’un type de fonctionnement qui
responsabilise les enseignants et assure la centration de fait sur les enfants ;
il est assisté par son équipe de circonscription ; le psychologue scolaire

11. À propos précisément des psychologues scolaires, R. CLÉMENT écrit (cité par B. JUMEL,
op. cit., p. 2) : « Loin de se vivre et de s’assumer comme des outils de régulation interne
programmés au départ par la machinerie de l’Éducation nationale, nombreux sont ceux qui
revendiquent en droit l’extension officielle de leur champ de compétence aux partenaires
du monde scolaire que sont les enseignants, aussi bien que les parents. L’écoute intelligente
de l’échec ou des difficultés scolaires suppose, en effet, la prise en compte dynamique des
interactions relationnelles et psychiques dont l’enfant est le centre. »
12. Cette situation est lourde de contradictions, par exemple lorsque l’IEN prétend évaluer
l’activité du psychologue selon des critères qui méconnaissent le code de déontologie des
psychologues.

257
Pour un métier de psychologue en milieu scolaire

collabore avec les structures de l’orientation (CCPE et CDES13), avec le


médecin scolaire, l’infirmière scolaire et l’assistante sociale.
Le psychologue scolaire travaille au sein d’un réseau d’aides aux enfants
en difficulté (Rased), avec des « enseignants spécialisés » (loin de faciliter
l’identification des rôles de chacun, l’Éducation nationale a choisi de quali-
fier les fonctions de ces derniers par des lettres, ce qui donne : « maîtres
“E”, “F”, “G” », etc. !).
Le réseau doit être une entité structurelle qui le spécifie et l’identifie
à l’intérieur et à l’extérieur de l’école. La professionnalité spécifique de
ses membres doit être affirmée clairement par l’institution, ce qui implique
que les professions représentées au sein du réseau d’aides soient claire-
ment définies et articulées les unes par rapport aux autres.
Le Rased est, dans l’institution éducative, une instance non hiérarchique,
une instance qui fonctionne par rapport à l’objectif qui lui est assigné par
le corps social : « faire réussir tous les enfants » (cf. loi de 1989).
Ce que suscite l’existence même du réseau d’aides, c’est la mise en visi-
bilité de ce qui ne va pas dans l’institution et qui est le plus souvent tu,
non-dit, caché volontairement ou non. Le réseau d’aides occupe là une
position tierce qui n’est pas aisée à dégager, et qui doit constamment se
« travailler » au sein du réseau. Le réseau est donc implicitement une
instance de rappel de ce qui dérange, un « poil à gratter » permanent vis-
à-vis de l’institution guettée par le fonctionnement technocratique (l’insti-
tution se comporte alors comme étant à elle-même sa propre fin14), mais
le réseau est aussi une aide par rapport aux personnes (ce qui n’est pas
aisé à distinguer dans le réel puisque chaque humain est imprégné d’imagi-
naire, personnel et institutionnel).
Mais le réseau ne travaille pas que sur l’imaginaire : il est aussi – et
parfois hélas exclusivement ! – l’instance qui a à sa disposition des moyens
d’évaluation « objectifs », susceptibles de se présenter comme du « vrai »

13. On ne peut ici que rappeler, pour l’approuver, la position de B. GIBELLO à propos des
« méfaits de l’étiquetage » : « certaines décisions administratives appuyées uniquement sur
un chiffre de QI pour orienter des enfants handicapés mentaux et intellectuels vers tel ou
tel établissement, sans autre souci de la personnalité de l’enfant.
De telles pratiques me semblent relever autant d’un abus de pouvoir de l’administration
qui s’empare ainsi d’une donnée paraclinique qu’elle n’a pas compétence pour apprécier,
que du dessaisissement des praticiens responsables, psychologues ou psychiatres, de leur
devoir d’éclairer en cas de besoin l’administration en donnant des conclusions diagnostiques
et pronostiques claires, avec des indications thérapeutiques et psychoéducatives précises. »
in L’Enfant à l’intelligence troublée, op. cit., pp. 28-29.
14. Cf. HAMON H. : Tant qu’il y aura des élèves. Paris, Le Seuil, 2004.

258
Des psychologues à l’école

(les tests, une conception de toute-puissance chez certains tenants d’une


psychologie cognitive autosuffisante) : comment se sert-il de ces outils
d’objectivation partielle que sont les tests et autres instruments d’évalua-
tion pour aider à ce que chacun des acteurs améliore son professionna-
lisme ? Il dispose d’au moins cinq modalités d’intervention, quant à cet
objectif :
– l’information : le réseau d’aides, par oral et par écrit, communique sur
son activité (projet de réseau, plaquette de présentation indiquant les
disponibilités de chacun de ses membres, compte-rendu d’activités, etc.) ;
– le travail avec les professionnels de l’Éducation nationale : le réseau
d’aides contribue à des élaborations conceptuelles (sur des questions telles
que « l’enfant en difficulté », la « prévention », la « dyslexie ») et pédago-
giques (le « projet d’école ») pour aider les acteurs à améliorer leur profes-
sionnalisme ; il inscrit son action dans une stratégie institutionnelle
organisée sur la durée et sur des échéances ;
– l’écoute : le réseau d’aides est capable de prendre le temps et les moyens
d’être à l’écoute des personnes, de leur ressenti, de leur souffrance, à
partir de leur position professionnelle ou institutionnelle (enseignant,
enfant, parent) ;
– la parole : le réseau d’aides s’exprime en s’adressant non pas au sur-moi
des acteurs (manipulation possible de la culpabilité), mais à leur moi
social ;
– l’engagement dans l’action : le réseau d’aides fait appel au directeur, à
l’inspecteur, soutient les parents, propose une orientation, etc.

Ceci implique que le réseau analyse en commun les demandes qui lui
sont adressées et y réagisse en tant que réseau dans le cadre d’une stra-
tégie collective, explicitée, écrite et communiquée.
Les modes d’intervention des différents membres du réseau diffèrent,
en fonction des pôles de référence qui organisent leur spécificité (psycho-
logique versus rééducatif).
Le réseau aide l’institution à penser la situation des élèves en diffi-
culté, sans les réduire à leur dimension individuelle (à quoi renvoie le
modèle de la psychothérapie) et sans les inscrire non plus dans une patho-
logisation de l’échec scolaire. La réponse en termes d’orientation, donc
d’éloignement du lieu de manifestation des difficultés, n’est qu’une
deuxième réponse à envisager.

Alors que l’école est surtout organisée pour fonctionner avec des enfants
disposés et aptes à entrer dans les apprentissages sous les formes propo-

259
Pour un métier de psychologue en milieu scolaire

sées par l’école, la présence des élèves rétifs à ces apprentissages intro-
duit un malaise dans l’institution, malaise auquel il est tentant de vouloir
échapper en postulant soit que ces élèves, grâce à des interventions spécia-
lisées (le Rased, notamment), peuvent, plus ou moins rapidement, être
reconduits dans la « normalité d’apprentissage », soit qu’il convient de les
réorienter vers des institutions échappant au milieu scolaire ordinaire.
L’école peine à explorer une autre voie, qui consisterait à accepter d’autres
rythmes et formes d’apprentissage pour ces élèves qui apprennent moins
vite ou autrement.

La relation aux structures externes à l’Éducation nationale


(orthophonie, centre médico-psychologique, écoles spécialisées,
par exemple) et de ces structures à l’enfant-élève, au savoir,
à l’enseignant, aux familles et à l’école
Le psychologue scolaire, proche de ce que vit l’enfant à l’école, peut
accompagner, par son travail, une famille ou un enfant qui comprend mal,
connaît peu ou manifeste une faible demande vis-à-vis de ces structures.

Le métier de psychologue scolaire est à clarifier,


expliciter, recentrer
Le métier de psychologue scolaire n’est pas clairement défini, du
fait à la fois des indécisions du ministère de l’Éducation nationale – nous
les avons déjà évoquées – mais aussi du désintérêt relatif de la psycho-
logie académique15 et scientifique16. Cette psychologie, de moins en moins
préoccupée par son utilité sociale, est surtout polarisée autour de
recherches toujours davantage spécialisées et à publier rapidement – alors
que les recherches en psychologie de l’éducation supposent de travailler
sur des durées assez longues, dans un milieu éducatif peu réductible aux
plans expérimentaux très contrôlés qui exigent d’isoler les phénomènes
à observer de leur contexte.

15. Nous entendons par là la psychologie telle qu’elle est organisée et fonctionne dans les
universités.
16. Les travaux scientifiques en psychologie ne se limitent pas à la recherche effectuée dans
les universités.

260
Des psychologues à l’école

Les compétences requises du psychologue scolaire


Le métier de psychologue en milieu scolaire requiert en effet des
compétences professionnelles particulières :
– c’est un métier de relation et de communication, qui suppose une dispo-
nibilité psychique et le sens de l’autre ;
– c’est un métier d’écoute, qui implique une approche clinique de l’autre
(une approche de l’individu singulier, du sujet) dans toutes ses dimen-
sions, émotionnelle, cognitive, relationnelle, culturelle et sociale ;
– c’est un métier de réception de ce qui ne peut se dire ailleurs : face au
psychologue, on dépose ce qui ne va pas17 ; le travail avec le psychologue
aide ensuite à distinguer les plans, les processus ;
– c’est un métier d’élucidation, liée à la connaissance toujours actualisée
des modalités d’intrication des différentes dimensions chez le sujet et à
la capacité à élaborer un bilan global, étayé par le recul de l’expérience
clinique et le savoir théorique et technique ;
– c’est un métier de mise en contexte et en sens des situations, qui amène
par exemple à insister sur la globalité et la singularité du sujet, de l’enfant
notamment (alors que beaucoup de ceux qui interviennent auprès de
l’enfant le perçoivent depuis leur approche spécialisée), et de la situa-
tion-problème.
C’est donc un métier qui requiert des compétences sur les dimensions
relationnelles (relation à l’autre et compréhension de soi), sur les dimen-
sions cognitives et sur les dimensions écologiques (la situation éducative).

Le psychologue travaillant dans le champ de l’éducation et au sein du


système éducatif doit donc se préparer à travailler sur au moins trois des
grands domaines développés par la psychologie contemporaine :
– la psychologie qui étudie les dimensions cognitives : le psychologue en
milieu scolaire se centre sur les processus cognitifs qui facilitent ou entra-
vent les apprentissages ;
– la psychologie qui étudie les dimensions émotionnelles : le psychologue
en milieu scolaire aide à mieux comprendre les mécanismes intrapsy-
chiques qui entravent l’investissement dans les apprentissages ;
– la psychologie qui étudie les dimensions interpersonnelles, qu’elles soient
groupales, sociales, culturelles et institutionnelles : le psychologue en
milieu scolaire a la capacité de situer l’individu dans un champ collectif

17. Le psychologue est tenu au secret professionnel.

261
Pour un métier de psychologue en milieu scolaire

et de permettre la prise en compte de ces facteurs sur les processus cogni-


tifs qui facilitent ou entravent les apprentissages.
Dans sa pratique clinique, il élabore sa propre position, à l’interface
de ces différentes entrées dans le psychique, en fonction aussi des types
d’intervention qui sont les siens.

Les types d’intervention du psychologue dans l’institution scolaire


Les pratiques de la psychologie dans le domaine éducatif, et ce
quels que soient, au fond, les époques ou les pays, s’organisent habi-
tuellement autour de plusieurs grands types d’intervention :

• L’approche clinique de la souffrance d’une personne en difficulté dans


sa position (d’élève ou d’enseignant) est garantie par un cadre permet-
tant une écoute professionnelle par un psychologue tenu par le secret
professionnel et engagé par le code de déontologie de sa profession ; il
entend la souffrance de l’enfant ou de l’adulte, qu’il contient par sa parole
et son écoute proche de « l’attention flottante » définie dans le cadre
méthodologique de la psychanalyse ; il tente de comprendre comment la
personne ressent, en tant que sujet de son histoire et de sa vie, les infor-
mations qui lui viennent de son propre fonctionnement (physique, affectif,
moteur et cognitif : perceptions sensorielles et émotionnelles), celles qui
lui viennent de l’extérieur sur elle-même, comment elle perçoit ses
problèmes, comment elle les ressent, les traite, quels effets cela produit
sur elle et sur son rapport au réel (la manière dont elle construit ses
connaissances, les organise, les stocke et les rappelle, sa manière d’agir).
Si la formation du psychologue scolaire à l’ouverture18 aux mouve-
ments inconscients (ce qui se dit d’autre que ce qui est parlé) l’y auto-
rise – cet aspect de la formation, qui nous semble fondamental, n’est pas
valorisé de la même manière par tous les psychologues scolaires ou leurs
formateurs : les positions exprimées ci-dessus par Jean Simon et Gérard
Chauveau en témoignent –, il peut aider à distinguer les mots, les situa-
tions, les personnes et les rôles, aider à séparer pour mieux pouvoir penser
puis relier, aider à poser les limites. Le modèle du changement indivi-
duel qui inspire cette approche est centré sur une compréhension des
éléments de l’histoire du sujet qui perturbent la situation présente.
Lorsque la formation personnelle du psychologue scolaire ne comprend
pas cette écoute des dimensions inconscientes, le travail s’opère alors à

18. Ouverture illustrée dans la deuxième partie de ce livre.

262
Des psychologues à l’école

partir d’autres entrées, par une centration sur le cognitif, par exemple,
ce qui suppose une approche cognitive clinique qui ne s’en tient pas à
cette seule dimension, mais qui étudie ensuite les éléments psychoaffec-
tifs sur des bases plus objectivées (questionnaires d’estime de soi, notam-
ment), ainsi que les éléments psychosociaux ou psychoculturels.

Dans les cas évoqués (entrée par les affects ou approche par le cognitif19),
l’objectif est d’assurer une équilibration entre les conduites dans le réel
des apprentissages et de l’institution sociale qu’est l’école et les représen-
tations de soi et des autres que nourrissent les élèves sur une base imagi-
naire, très affectivée. Cette recherche d’équilibre est permise par la
présence active d’un tiers qui n’est pas centré sur les tâches relatives au
réel institutionnel (qui n’est donc pas du côté de la pédagogie) mais qui
peut aider à une prise en compte de ce réel, de manière indirecte par
rapport aux apprentissages (ce qui ne se confond donc pas avec une péda-
gogie de « soutien », ni une « rééducation », qui sont d’autres types d’aide).
Le psychologue scolaire travaille donc à établir ou rétablir une
congruence minimale entre la représentation de soi (accessible par la
conscience, alors que l’image de soi est du registre du fantasme incons-
cient et se travaille autrement) et la validation dans le réel de ses
conduites, de ses possibilités, de ses compétences. Aussi bien, le psycho-
logue est-il alors amené à travailler avec des outils, des tâches, des média-
tions qui amènent le sujet à une confrontation avec du réel. C’est dans
les allers et retours entre ce que fait le sujet avec ces tâches, comment
il les traite et ce que le réel en renvoie qu’il peut commencer à élaborer
une meilleure équilibration de ses conduites. Une telle approche psycho-
logique, qui s’inscrit dans le mouvement du sujet pour mieux l’aider à
ajuster ses conduites à ses possibilités actuelles, se distingue d’une
démarche qui fixerait le sujet dans ses performances à un moment donné.
Une parole qui s’énoncerait sans que soit possible ce retour du réel
comprendrait le risque d’être inscrite dans la seule subjectivité du psycho-
logue (d’où le travail de nécessaire supervision de ce dernier). Le psycho-
logue – et ceci vaut sans doute qu’il soit ou non membre de l’Éducation
nationale, ancien professeur des écoles ou non – travaille sur ce mouve-
ment de balancier entre le dedans et le dehors, le subjectif et l’objectif,
l’imaginaire et le réel, la représentation et le fait.

19. Cette distinction par les compétences spécialisées du psychologue scolaire se croise, dans
la pratique, avec la nature des demandes d’intervention, qui conduisent, elles, plus ou moins
directement, à privilégier l’une ou l’autre des « entrées ».

263
Pour un métier de psychologue en milieu scolaire

Lorsque le psychologue intervient ainsi auprès d’une personne, dans le


cas d’une demande individuelle, il rencontre cette dernière dans une rela-
tion de face-à-face, en un entretien psychologique. Cette relation se
distingue des pratiques du psychiatre (dont la formation et le statut sont
ceux d’un médecin), du psychanalyste (dont la pratique peut s’illustrer
par la place du divan) ou même du psychothérapeute (le soin psychique
en face-à-face). Cet entretien psychologique peut aider le sujet à s’engager
dans des voies plus adaptées, par un accompagnement (remettre de la
capacité de penser là où il y a envahissement par le ressenti, le débor-
dement émotionnel), une ouverture vers une thérapie, une rééducation,
une orientation, un suivi psychologique, par exemple.
De même, cette approche permet d’informer les enseignants, le plus
fréquemment à leur demande, sur la psychologie de leurs élèves (capa-
cités et modalités d’apprentissage et conditions individuelles et sociales
d’appropriation des savoirs) à l’aide des données recueillies par l’obser-
vation et la consultation psychologiques (compréhension de situations
individuelles). Elle aide encore à renseigner, de manière fine et non réduc-
trice20, les services spécialisés dans l’orientation des enfants en grande
difficulté à l’école.

• Une approche plus générale est destinée à aider les enseignants – et


l’institution scolaire – à mieux se situer face à la prévention des diffi-
cultés, face à l’intégration des enfants handicapés : il s’agit ici, notam-
ment, de former ou d’informer sur – ou de participer aux études relatives
à – la manière propre à l’être humain de se développer, de se transformer,
de se représenter – soi et les autres. L’intervention du psychologue scolaire
prend ici d’autres formes, souvent à inventer (groupes de parole, groupes
de supervision, d’élaboration de la pratique, temps de formation, concer-
tation pour l’élaboration d’un projet d’intégration, par exemple). En ce
sens, le psychologue n’intervient pas seulement à partir des enfants en
difficulté.

• Enfin, une intervention centrée sur la situation-problème envisagée


comme un système conduit à des interventions où le sujet n’est pas étudié
seul. Le texte de Gérard Chauveau (chapitre 9) recoupe des travaux tels
que ceux récemment (en 2004) rassemblés, sous la direction de P. Simon,
par l’Association française des psychologues scolaires (AFPS), sous le titre
De l’enfant nous ne ferons pas cas. Approches écopsychologiques à l’école

20. Ce qui serait le cas si un enfant était caractérisé par son seul QI !

264
Des psychologues à l’école

(éd. Aubin), ceux de C. Curonici et P. McCulloch : Psychologues et ensei-


gnants. Regards systémiques sur les difficultés scolaires (éd. De Boeck, Paris-
Bruxelles, 1997) ou encore ceux produits par D. Guichard21. Le modèle
du changement est ici appuyé sur une prise en compte globale de la situa-
tion, qui introduit donc le contexte du problème et estime que les diffé-
rents acteurs contribuent, chacun à sa façon, à la manifestation de la
difficulté exprimée. Le travail sur la communication entre les acteurs aide
à passer d’un contexte d’opposition à un contexte de collaboration et
donc de lever les sentiments d’impuissance.

Il appartient à l’institution scolaire, en tant qu’employeur des psycho-


logues scolaires, de définir des ordres de priorité entre ces différentes
tâches et types d’intervention, comme il lui revient de déterminer le dispo-
sitif, les structures et les lieux au sein desquels se déroule ce travail et
de doter les dispositifs des moyens institutionnels (statut des personnels),
matériels et humains propres à les faire fonctionner.

Quelques ambiguïtés à réduire

Le psychologue est-il plus « scolaire » parce qu’ancien enseignant ?


La sensibilité aux conditions d’appropriation des savoirs est-elle
acquise par le fait d’avoir un passé d’enseignant, de « connaître » ce
qu’est une classe, d’avoir personnellement éprouvé ce que c’est qu’ensei-
gner22 ? Des arguments en faveur de cette originalité française ont été
avancés ci-dessus23, sans qu’ils nous apparaissent pleinement détermi-
nants : les caractéristiques du travail d’un professeur d’école aux prises
avec les conditions réelles de l’enseignement-apprentissage ne peuvent-
elles être éprouvées de manière assez proche au cours d’un stage d’une

21. Cf. par exemple GUICHARD D. : « La gestion d’une situation de crise à l’école. Approche
systémique des troubles du comportement à l’école » in Psychologie et Éducation. N° 54,
2003, 59-74.
22. Comme le fait remarquer M. HUTEAU dans la préface au livre dirigé par GUILLARD
S. et GUILLEMARD J.-C. : Manuel pratique de psychologie en milieu éducatif. (Paris, Masson,
1997, p. XI) : « il ne suffit pas d’être un enseignant pour être un psychologue scolaire. »
23. Même le plan Langevin-Wallon, plus fréquemment évoqué que réellement consulté,
indique, p. 26, que les psychologues scolaires « devront avoir une justification pédagogique
suffisante (diplômes universitaires et, s’il se peut, pratique scolaire) ». (C’est nous qui souli-
gnons.)

265
Pour un métier de psychologue en milieu scolaire

durée significative – trois mois, par exemple – effectué par tout futur
psychologue scolaire24 ?
L’enseignant aurait-il acquis, lors de son passage en IUFM puis à
l’épreuve de la classe, une culture psychologique authentique, opération-
nelle dans le champ scolaire ? Les enquêtes publiées par les journaux
spécialisés25 sur les temps réellement consacrés, dans les différents IUFM,
à la formation en psychologie26 et les études de satisfaction conduites
auprès des anciens stagiaires en IUFM sur les méthodes et les contenus
de formation dispensés dans ces instituts ne peuvent que laisser sceptique
sur la valeur de la formation à la psychologie.
Pour pouvoir occuper une place de « tiers symbolique », comme évoqué
ci-dessus, vaut-il mieux avoir occupé précédemment une place de membre
de l’interaction duelle de base (éducateur/éduqué) ? Ne voit-on pas ici
fonctionner une manière de fantasme du « même » (qui amène à des
impasses du genre : « seul un enfant peut comprendre un enfant », « seule
une femme peut comprendre une femme », etc.) ? Pour nous, le psycho-
logue n’est donc pas mieux psychologue « scolaire » parce qu’il est un
ancien enseignant.

Le psychologue scolaire et la psychothérapie


Le psychologue s’efforce de conserver une distance par rapport à
ses propres affects, il manifeste de la professionnalité dans sa manière
d’entrer en relation avec ses différents interlocuteurs, qui peuvent trouver
chez lui une véritable écoute et une compréhension respectueuse, mais
il ne « soigne » pas.
Si les fonctions du psychologue scolaire sont bien définies autour de
la prise en compte du sujet, de tous les sujets, dans leur rapport avec les
enjeux de l’apprentissage à l’école, sa tâche est alors suffisamment centrale
pour n’être pas confondue avec le travail du « soin psychique » qui requiert
d’autres compétences, d’autres cadres méthodologiques et techniques. Il
demeure toutefois que la ligne de partage entre le travail de soin et l’aide
psychologique est parfois ténue, puisqu’aussi bien le sujet – lorsqu’il est
écouté et accepté par le psychologue scolaire, écoute qui accompagne

24. Stage qui s’accompagnerait d’un travail de reprise et d’élaboration au sein d’un groupe
d’élaboration de la pratique, tel qu’ils fonctionnent dans les formations de psychologue
(Master professionnel de psychologie).
25. Le Monde de l’Éducation, par exemple, mensuel consacré aux questions éducatives.
26. De l’ordre de 10 heures sur les 450 heures de cours.

266
Des psychologues à l’école

l’élaboration psychique du sujet, en contribuant à remettre de la capa-


cité de penser là où il y a envahissement par le ressenti, par le débor-
dement émotionnel, par les investissements imaginaires – engage dans
cette relation des processus transférentiels, ceux-là même sur lesquels
s’appuiera le travail de soins psychiques27. Une supervision du psycho-
logue se révèle alors d’autant plus indispensable.
Le « suivi psychologique » inscrit au nombre des missions de la psycho-
logie scolaire gagnerait sans doute à être repositionné, dans le cadre plus
large des modalités d’aide psychologique comme accompagnement du
sujet au sein de l’institution scolaire : un type d’aide ponctuelle, définie
d’emblée comme limitée dans le temps (ce qui suppose un « contrat » de
travail avec l’enfant, l’enseignant, les parents), peut suffire à faciliter le
processus de « subjectivation » garant d’un investissement ultérieur dans
le champ des apprentissages à l’école.

Le psychologue scolaire, la rééducation et l’adaptation


Si l’aide psychologique n’est pas à confondre avec le travail du
psychothérapeute, elle n’est pas non plus à comprendre comme une réédu-
cation ; en ce sens, le Rased doit s’organiser sur la base d’une claire distinc-
tion des places et des fonctions de chacun des professionnels qui le
constituent : le travail du maître d’adaptation – le maître E – porte direc-
tement sur les apprentissages, il s’appuie donc sur du « pédagogique »,
tandis que la rééducation – le travail du maître G – vise à restaurer le
« désir d’apprendre » et l’estime de soi.
Le psychologue n’est pas l’organisateur ni le directeur du Rased, mais
il est le garant du processus d’aide : il est celui qui repère et nomme les
confusions de rôle, de fonction ou de position symbolique de chacun des
membres du Rased, tâche d’autant plus nécessaire que la formation des
maîtres G se teinte parfois des couleurs d’une psychologie clinique forte-
ment inspirée du « savoir » psychanalytique. Membre de l’équipe du
réseau, le psychologue ne peut en être le superviseur ; il se tient néan-
moins présent à ce qui se dit, sans répondre par le retrait narcissique
derrière un supposé bon droit que lui procurerait sa place, ou par une
« compréhension tous azimuts » qui se présenterait comme réduisant les
situations à des explications de causalité (que cette dernière s’origine sur
l’intra-psychique, le niveau cognitif ou le milieu familial ou socioculturel).

27. Le livre de NÉRI J.-P., TRAMOY-WERNER S. et FARRE C. : Psychologie clinique dans


l’institution scolaire (Grenoble, PUG, 2000) témoigne de ces enjeux.

267
Pour un métier de psychologue en milieu scolaire

Le métier est à organiser autour d’une profession


à reconnaître : psychologue scolaire
Les conditions actuelles d’exercice de ce métier de psychologue
scolaire se signalent par la confusion des missions et des places : le psycho-
logue scolaire peine à se faire reconnaître des autres psychologues, notam-
ment parce que son niveau initial de recrutement est moindre que celui
exigé en dehors de l’école ; il peine aussi à faire reconnaître par son
employeur son mode spécifique d’intervention parce que le système
éducatif ne lui accorde pas vraiment que sa profession est celle d’un
psychologue.
Le métier de psychologue en milieu scolaire, une fois dégagé des confu-
sions et ambiguïtés évoquées ci-dessus, apparaît cependant comme décisif,
pour une institution préoccupée par le développement optimal de chacun
de ceux qu’elle rassemble, et tout particulièrement le rapport à l’appro-
priation des savoirs des élèves. Le psychologue scolaire, travaillant dans un
lieu distinct des lieux d’enseignement, assurant par sa parole et ses compé-
tences propres un cadre particulier, garantit un espace où peut s’élaborer
un nouveau rapport aux objets d’apprentissage, il institue un cadre de
liberté d’expression et de certitude d’écoute, pour chaque sujet entendu
comme individu singulier, avec son histoire propre et son rapport unique
au monde, aux autres, et à lui-même.
Quelles conditions seraient-elles rapidement à réunir pour que le
psychologue scolaire exerce au mieux sa profession ?

Créer un statut de psychologue scolaire


Il convient que soit reconnue et affirmée la spécificité profession-
nelle des psychologues scolaires, ces psychologues qui interviennent, dans
le cadre de l’institution scolaire, notamment – mais pas exclusivement –
à partir des difficultés rencontrées par des élèves ou des adultes et qui
travaillent sur la base des missions définies par leur employeur. La place
propre de ces psychologues doit être définie et inscrite dans un statut qui
tienne compte des exigences de la profession de psychologue (le code de
déontologie des psychologues en exprime l’essentiel).
Ce statut doit garantir le cadre de travail professionnel de ces psycho-
logues et établir leur niveau de recrutement sur le niveau même exigé
par le ministère de l’Éducation nationale pour la formation des psycho-
logues à l’université (titre de psychologue obtenu au terme de cinq années
de formation en psychologie).

268
Des psychologues à l’école

Le psychologue scolaire tient une position de psychologue, c’est-à-dire


d’écoute et de parole en restant garant de la Loi symbolique, il intervient
au plan de la loi. « […] si cette reconnaissance du père garant de la Loi
a un sens, ce ne peut-être que parce que sa fonction de Tiers, par-delà le
contenu concret de son rôle, fait surgir et garantit la possibilité même de
dire qui est qui. A ce niveau, loi généalogique et pouvoir de nommer, c’est-
à-dire d’ouvrir l’accès à l’identité, sont synonymes, et c’est de cela que le
père – ou plutôt son office – est gardien28 ». La parole nomme et ce
faisant sépare, elle dit les limites, elle inter-dit, elle structure et organise ;
c’est en ce qu’elle permet de sortir de la confusion et qu’elle différencie
qu’elle a à voir avec la métaphore paternelle qui, nommant l’enfant, le
sépare du tout confondu « mère-enfant ». Parler et écouter quelqu’un
suppose d’être séparés, différenciés. Or, être un différenciateur oblige à
se poser la question de la différenciation au sein même de l’institution.

Organiser et planifier le recrutement et la formation


des psychologues scolaires
Les ambiguïtés de la situation présente ne permettent pas de traiter
au fond la question du recrutement des psychologues scolaires. Arc-bouté
sur la condition de recrutement qui prévoit que les psychologues scolaires
ont tout d’abord été enseignants, mais n’en tirant pas toutes les consé-
quences – par exemple, recruter un pourcentage suffisant de professeurs
d’écoles titulaires d’une licence, voire d’un Master, de psychologie – le
ministère de l’Éducation nationale s’expose, faute de décider d’une poli-
tique, à ne pas être en mesure de trouver suffisamment de personnels
remplissant les conditions requises, et de s’avérer incapable de pourvoir
les postes qu’il déclare lui-même indispensables au bon fonctionnement
de l’école.
Nous avons montré ci-dessus les limites de l’argumentation réservant
aux seuls anciens enseignants de l’école primaire l’accès aux fonctions de
psychologue scolaire : il importerait donc que le ministère accrédite un
certain nombre de formations de psychologues (Masters professionnels
de psychologie) qui rempliraient les conditions de formation requises par
l’exercice de cette profession. Le ministère pourrait ainsi trouver en
complément les personnels qui manquent si cruellement aujourd’hui.
L’ajustement mutuel des formations existantes – celles conduisant au
diplôme d’État de psychologie scolaire, comme celles conduisent à des

28. LEGENDRE P. : Leçon IV, suite 2, Filiation. Paris, Fayard, 1996, p. 74.

269
Pour un métier de psychologue en milieu scolaire

formations de psychologue de l’enfance, ou de l’éducation, par exemple


– pourrait s’opérer par le biais d’une structure nationale de coordination.

Les missions du psychologue scolaire


Il revient au ministère de l’Éducation nationale d’établir ces
missions, voire de les prioriser, mais il lui incombe aussi de permettre
aux personnels qu’il a en charge de disposer des moyens nécessaires pour
atteindre ces objectifs. Ces missions gagneraient à être définies en concer-
tation étroite avec des professionnels de la psychologie de l’éducation
(psychologues scolaires, formateurs et chercheurs en psychologie de
l’éducation), pour aider à consolider le recentrage nécessaire des inter-
ventions psychologiques sur le champ scolaire.

Au fond, c’est bien le travail du psychologue qu’était H. Wallon qui


est à réactualiser, non pas tant peut-être dans les missions qu’il donnait
à la psychologie scolaire, mais dans ses ambitions, comme psychologue, de
se préoccuper des différentes dimensions de la personnalité : cognitif,
affectif, social et biologique.

270
ANNEXE

Code de déontologie
des psychologues

Code signé par l’AEPU, l’ANOP, la SFP,


le 22 mars 1996

PRÉAMBULE
Le respect de la personne humaine dans sa dimension psychique
est un droit inaliénable. Sa reconnaissance fonde l’action des psycho-
logues.
Le présent code de déontologie est destiné à servir de règle profes-
sionnelle aux hommes et aux femmes qui ont le titre de psychologue,
quels que soient leur mode d’exercice et leur cadre professionnel, y
compris leurs activités d’enseignement et de recherche.
Sa finalité est avant tout de protéger le public et les psychologues
contre les mésusages de la psychologie et contre l’usage de méthodes et
techniques se réclamant abusivement de la psychologie.
Les organisations professionnelles signataires du présent code
s’emploient à le faire connaître et respecter. Elles apportent, dans cette
perspective, soutien et assistance à leurs membres. L’adhésion des psycho-
logues à ces organisations implique leur engagement à respecter les dispo-
sitions du code.

TITRE I - L’EXERCICE PROFESSIONNEL


La complexité des situations psychologiques s’oppose à la simple
application systématique de règles pratiques. Le respect des règles du
présent code de déontologie repose sur une réflexion éthique et une capa-
cité de discernement, dans l’observance des grands principes suivants :

271
Annexe

1) Respect des droits de la personne


Le psychologue réfère son exercice aux principes édictés par les légis-
lations nationale, européenne et internationale sur le respect des droits
fondamentaux des personnes, et spécialement de leur dignité, de leur
liberté et de leur protection. Il n’intervient qu’avec le consentement libre
et éclairé des personnes concernées. Réciproquement, toute personne doit
pouvoir s’adresser directement et librement à un psychologue. Le psycho-
logue préserve la vie privée des personnes en garantissant le respect du
secret professionnel, y compris entre collègues. Il respecte le principe
fondamental que nul n’est tenu de révéler quoi que ce soit sur lui-même.

2) Compétence
Le psychologue tient ses compétences de connaissances théoriques régu-
lièrement mises à jour, d’une formation continue et d’une formation à
discerner son implication personnelle dans la compréhension d’autrui.
Chaque psychologue est garant de ses qualifications particulières et
définit ses limites propres, compte tenu de sa formation et de son expé-
rience. Il refuse toute intervention lorsqu’il sait ne pas avoir les compé-
tences requises.

3) Responsabilité
Outre les responsabilités définies par la loi commune, le psychologue
a une responsabilité professionnelle. Il s’attache à ce que ses interven-
tions se conforment aux règles du présent code. Dans le cadre de ses
compétences professionnelles, le psychologue décide du choix et de l’appli-
cation des méthodes et techniques psychologiques qu’il conçoit et met
en œuvre. Il répond donc personnellement de ses choix et des consé-
quences directes de ses actions et avis professionnels.

4) Probité
Le psychologue a un devoir de probité dans toutes ses relations profes-
sionnelles. Ce devoir fonde l’observance des règles déontologiques et son
effort continu pour affiner ses interventions, préciser ses méthodes et
définir ses buts.

5) Qualité scientifique
Les modes d’intervention choisis par le psychologue doivent pouvoir
faire l’objet d’une explicitation raisonnée de leurs fondements théoriques
et de leur construction. Toute évaluation ou tout résultat doit pouvoir
faire l’objet d’un débat contradictoire des professionnels entre eux.

272
Code de déontologie des psychologues

6) Respect du but assigné


Les dispositifs méthodologiques mis en place par le psychologue répon-
dent aux motifs de ses interventions, et à eux seulement. Tout en construi-
sant son intervention dans le respect du but assigné, le psychologue doit
donc prendre en considération les utilisations possibles qui peuvent éven-
tuellement en être faites par des tiers.

7) Indépendance professionnelle
Le psychologue ne peut aliéner l’indépendance nécessaire à l’exercice
de sa profession sous quelque forme que ce soit.

CLAUSE DE CONSCIENCE
Dans toutes les circonstances où le psychologue estime ne pas
pouvoir respecter ces principes, il est en droit de faire jouer la clause de
conscience.

TITRE II - L’EXERCICE PROFESSIONNEL

Chapitre 1 : Le titre de psychologue et la définition


de la profession
• Article 1
L’usage du titre de psychologue est défini par la loi n° 85-772 du 25
juillet 1985 publiée au JO du 26 juillet 1985. Sont psychologues les
personnes qui remplissent les conditions de qualification requises dans
cette loi. Toute forme d’usurpation du titre est passible de poursuites.

• Article 2
L’exercice professionnel de la psychologie requiert le titre et le statut
de psychologue.

• Article 3
La mission fondamentale du psychologue est de faire reconnaître et
respecter la personne dans sa dimension psychique. Son activité porte sur
la composante psychique des individus, considérés isolément ou collecti-
vement.

273
Annexe

• Article 4
Le psychologue peut exercer différentes fonctions à titre libéral, salarié
ou d’agent public. Il peut remplir différentes missions, qu’il distingue et
fait distinguer, comme le conseil, l’enseignement de la psychologie,
l’évaluation, l’expertise, la formation, la psychothérapie, la recherche…
Ces missions peuvent s’exercer dans divers secteurs professionnels.

Chapitre 2 : Les conditions de l’exercice de la profession


• Article 5
Le psychologue exerce dans les domaines liés à sa qualification, laquelle
s’apprécie notamment par sa formation universitaire fondamentale et
appliquée de haut niveau en psychologie, par des formations spécifiques,
par son expérience pratique et ses travaux de recherche. Il détermine
l’indication et procède à la réalisation d’actes qui relèvent de sa compé-
tence.

• Article 6
Le psychologue fait respecter la spécificité de son exercice et son auto-
nomie technique. Il respecte celles des autres professionnels.

• Article 7
Le psychologue accepte les missions qu’il estime compatibles avec ses
compétences, sa technique, ses fonctions, et qui ne contreviennent ni aux
dispositions du présent code, ni aux dispositions légales en vigueur.

• Article 8
Le fait pour un psychologue d’être lié dans son exercice professionnel
par un contrat ou un statut à toute entreprise privée ou tout organisme
public ne modifie pas ses devoirs professionnels, et en particulier ses obli-
gations concernant le secret professionnel et l’indépendance du choix de
ses méthodes et de ses décisions. Il fait état du code de déontologie dans
l’établissement de ses contrats et s’y réfère dans ses liens professionnels.

• Article 9
Avant toute intervention, le psychologue s’assure du consentement de
ceux qui le consultent ou participent à une évaluation, une recherche ou
une expertise. Il les informe des modalités, des objectifs et des limites de
son intervention. Les avis du psychologue peuvent concerner des dossiers
ou des situations qui lui sont rapportées. Mais son évaluation ne peut

274
Code de déontologie des psychologues

porter que sur des personnes ou des situations qu’il a pu examiner lui-
même.
Dans toutes les situations d’évaluation, quel que soit le demandeur, le
psychologue rappelle aux personnes concernées leur droit à demander
une contre-évaluation. Dans les situations de recherche, il les informe de
leur droit à s’en retirer à tout moment. Dans les situations d’expertise
judiciaire, le psychologue traite de façon équitable avec chacune des
parties et sait que sa mission a pour but d’éclairer la justice sur la ques-
tion qui lui est posée et non d’apporter des preuves.

• Article 10
Le psychologue peut recevoir, à leur demande, des mineurs ou des
majeurs protégés par la loi. Son intervention auprès d’eux tient compte de
leur statut, de leur situation et des dispositions légales en vigueur. Lorsque
la consultation pour des mineurs ou des majeurs protégés par la loi est
demandée par un tiers, le psychologue requiert leur consentement éclairé,
ainsi que celui des détenteurs de l’autorité parentale ou de la tutelle.

• Article 11
Le psychologue n’use pas de sa position à des fins personnelles, de
prosélytisme ou d’aliénation d’autrui. Il ne répond pas à la demande d’un
tiers qui recherche un avantage illicite ou immoral, ou qui fait acte d’auto-
rité abusive dans le recours à ses services. Le psychologue n’engage pas
d’évaluation ou de traitement impliquant des personnes auxquelles il
serait déjà personnellement lié.

• Article 12
Le psychologue est seul responsable de ses conclusions. Il fait état des
méthodes et outils sur lesquels il les fonde et il les présente de façon
adaptée à ses différents interlocuteurs, de manière à préserver le secret
professionnel.
Les intéressés ont le droit d’obtenir un compte-rendu compréhensible
des évaluations les concernant, quels qu’en soient les destinataires.
Lorsque ces conclusions sont présentées à des tiers, elles ne répondent
qu’à la question posée et ne comportent les éléments d’ordre psycholo-
gique qui les fondent que si nécessaire.

• Article 13
Le psychologue ne peut se prévaloir de sa fonction pour cautionner
un acte illégal et son titre ne le dispense pas des obligations de la loi

275
Annexe

commune. Conformément aux dispositions de la loi pénale en matière


de non-assistance à personne en danger, il lui est donc fait obligation de
signaler aux autorités judiciaires chargées de l’application de la loi toute
situation qu’il sait mettre en danger l’intégrité des personnes.
Dans le cas particulier où ce sont des informations à caractère confi-
dentiel qui lui indiquent des situations susceptibles de porter atteinte à
l’intégrité psychique ou physique de la personne qui le consulte ou à celle
d’un tiers, le psychologue évalue en conscience la conduite à tenir, en
tenant compte des prescriptions légales en matière de secret professionnel
et d’assistance à personne en danger. Le psychologue peut éclairer sa
décision en prenant conseil auprès de collègues expérimentés.

• Article 14
Les documents émanant d’un psychologue (attestation, bilan, certificat,
courrier, rapport, etc.) portent son nom, l’identification de sa fonction
ainsi que ses coordonnées professionnelles, sa signature et la mention
précise du destinataire. Le psychologue n’accepte pas que d’autres que
lui-même modifient, signent ou annulent les documents relevant de son
activité professionnelle. Il n’accepte pas que ses comptes-rendus soient
transmis sans son accord explicite, et il fait respecter la confidentialité
de son courrier.

• Article 15
Le psychologue dispose sur le lieu de son exercice professionnel d’une
installation convenable, de locaux adéquats pour permettre le respect du
secret professionnel et de moyens techniques suffisants en rapport avec
la nature de ses actes professionnels et des personnes qui le consultent.

• Article 16
Dans le cas où le psychologue est empêché de poursuivre son inter-
vention, il prend les mesures appropriées pour que la continuité de son
action professionnelle soit assurée par un collègue avec l’accord des
personnes concernées, et sous réserve que cette nouvelle intervention soit
fondée et déontologiquement possible.

276
Code de déontologie des psychologues

Chapitre 3 : Les modalités techniques


de l’exercice professionnel
• Article 17
La pratique du psychologue ne se réduit pas aux méthodes et aux tech-
niques qu’il met en œuvre. Elle est indissociable d’une appréciation
critique et d’une mise en perspective théorique de ces techniques.

• Article 18
Les techniques utilisées par le psychologue pour l’évaluation, à des fins
directes de diagnostic, d’orientation ou de sélection, doivent avoir été
scientifiquement validées.

• Article 19
Le psychologue est averti du caractère relatif de ses évaluations et inter-
prétations. Il ne tire pas de conclusions réductrices ou définitives sur les
aptitudes ou la personnalité des individus, notamment lorsque ces conclu-
sions peuvent avoir une influence directe sur leur existence.

• Article 20
Le psychologue connaît les dispositions légales et réglementaires issues
de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux
libertés. En conséquence, il recueille, traite, classe, archive et conserve
les informations et données afférentes à son activité selon les dispositions
en vigueur. Lorsque ces données sont utilisées à des fins d’enseignement,
de recherche, de publication ou de communication, elles sont impérati-
vement traitées dans le respect absolu de l’anonymat, par la suppression
de tout élément permettant l’identification directe ou indirecte des
personnes concernées, ceci toujours en conformité avec les dispositions
légales concernant les informations nominatives.

Chapitre 4 : Les devoirs du psychologue


envers ses collègues
• Article 21
Le psychologue soutient ses collègues dans l’exercice de leur profes-
sion et dans l’application et la défense du présent code. Il répond favo-
rablement à leurs demandes de conseil et les aide dans les situations
difficiles, notamment en contribuant à la résolution des problèmes déon-
tologiques.

277
Annexe

• Article 22
Le psychologue respecte les conceptions et les pratiques de ses collègues
pour autant qu’elles ne contreviennent pas aux principes généraux du
présent code ; ceci n’exclut pas la critique fondée.

• Article 23
Le psychologue ne concurrence pas abusivement ses collègues et fait
appel à eux s’il estime qu’ils sont plus à même que lui de répondre à une
demande.

• Article 24
Lorsque le psychologue remplit une mission d’audit ou d’expertise vis-
à-vis de collègues ou d’institutions, il le fait dans le respect des exigences
de sa déontologie.

Chapitre 5 : Le psychologue et la diffusion


de la psychologie
• Article 25
Le psychologue a une responsabilité dans la diffusion de la psychologie
auprès du public et des médias. Il fait de la psychologie et de ses appli-
cations une présentation en accord avec les règles déontologiques de la
profession. Il use de son droit de rectification pour contribuer au sérieux
des informations communiquées au public.

• Article 26
Le psychologue n’entre pas dans le détail des méthodes et techniques
psychologiques qu’il présente au public, et il l’informe des dangers poten-
tiels d’une utilisation incontrôlée de ces techniques.

TITRE III - LA FORMATION DU PSYCHOLOGUE

Chapitre 1 : Les principes de la formation


• Article 27
L’enseignement de la psychologie à destination des futurs psychologues
respecte les règles déontologiques du présent code. En conséquence, les
institutions de formation :

278
Code de déontologie des psychologues

– diffusent le code de déontologie des psychologues aux étudiants dès le


début des études ;
– s’assurent de l’existence de conditions permettant que se développe la
réflexion sur les questions d’éthique liées aux différentes pratiques : ensei-
gnement et formation, pratique professionnelle, recherche.

• Article 28
L’enseignement présente les différents champs d’étude de la psycho-
logie, ainsi que la pluralité des cadres théoriques, des méthodes et des
pratiques, dans un souci de mise en perspective et de confrontation
critique. Il bannit nécessairement l’endoctrinement et le sectarisme.

• Article 29
L’enseignement de la psychologie fait une place aux disciplines qui
contribuent à la connaissance de l’homme et au respect de ses droits, afin
de préparer les étudiants à aborder les questions liées à leur futur exer-
cice dans le respect des connaissances disponibles et des valeurs éthiques.

Chapitre 2 : Conception de la formation


• Article 30
Le psychologue enseignant la psychologie ne participe pas à des forma-
tions n’offrant pas de garanties sur le sérieux des finalités et des moyens.
Les enseignements de psychologie destinés à la formation continue des
psychologues ne peuvent concerner que des personnes ayant le titre de
psychologue. Les enseignements de psychologie destinés à la formation
de professionnels non psychologues observent les mêmes règles déonto-
logiques que celles énoncées aux articles 27, 28 et 32 du présent code.

• Article 31
Le psychologue enseignant la psychologie veille à ce que ses pratiques,
de même que les exigences universitaires (mémoires de recherche, stages
professionnels, recrutement de sujets…), soient compatibles avec la déon-
tologie professionnelle. Il traite les informations concernant les étudiants,
acquises à l’occasion des activités d’enseignement, de formation ou de
stage, dans le respect des articles du code concernant les personnes.

• Article 32
Il est enseigné aux étudiants que les procédures psychologiques concer-
nant l’évaluation des individus et des groupes requièrent la plus grande

279
Annexe

rigueur scientifique et éthique dans leur maniement (prudence, vérifica-


tion) et leur utilisation (secret professionnel et devoir de réserve), et que
les présentations de cas se font dans le respect de la liberté de consentir
ou de refuser, de la dignité et du bien-être des personnes présentées.

• Article 33
Les psychologues qui encadrent les stages, à l’université et sur le terrain,
veillent à ce que les stagiaires appliquent les dispositions du code, notam-
ment celles qui portent sur la confidentialité, le secret professionnel, le
consentement éclairé. Ils s’opposent à ce que les stagiaires soient employés
comme des professionnels non rémunérés. Ils ont pour mission de former
professionnellement les étudiants et non d’intervenir sur leur personna-
lité.

• Article 34
Conformément aux dispositions légales, le psychologue enseignant la
psychologie n’accepte aucune rémunération de la part d’une personne
qui a droit à ses services au titre de sa fonction universitaire. Il n’exige
pas des étudiants qu’ils suivent des formations extra-universitaires
payantes ou non pour l’obtention de leur diplôme. Il ne tient pas les
étudiants pour des patients ou des clients. Il n’exige pas leur participa-
tion gratuite ou non à ses autres activités, lorsqu’elles ne font pas expli-
citement partie du programme de formation dans lequel sont engagés les
étudiants.

• Article 35
La validation des connaissances acquises au cours de la formation
initiale se fait selon des modalités officielles. Elle porte sur les disciplines
enseignées à l’université, sur les capacités critiques et d’auto-évaluation
des candidats, et elle requiert la référence aux exigences éthiques et aux
règles déontologiques des psychologues.

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