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Psychologie

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PSYCHOLOGIE SOCIALE
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Kahle/Austin Foundation

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PSYCHOLOGIE SOCIALE

Sous la direction de
Nicolas Roussiau
IN PRESS EDITIONS
Serge et France Perrot, Éditeurs
12, rue du Texel - 75014 Paris
Tél. : 01 43 35 40 32
Fax : 01 43 21 05 00

Maquette :
Marianne Adato

PSYCHOLOGIE SOCIALE
ISBN 2-912 404-41-X
© 2000 IN PRESS ÉDITIONS
Toute représentation ou reproduction, intégrale ou partielle, faite sans le consentement des
auteurs, ou de leurs ayants droit ou ayants cause, est illicite (loi du 11 mars 1957, alinéa 1er
de l’article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit.
constituerait une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code Pénal.
Je tiens à remercier pour leurs conseils les membres de l'équipe de psychologie
sociale RESCO (REprésentations Sociales et COmmunication) de l'Université
de Rennes 11.

Nicolas Roussiau
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LES AUTEURS

Brigitte Almudever
Maître de conférences en psychologie sociale du travail,
Université de Toulouse II.

Christine Bonardi
Maître de conférences en psychologie sociale,
Université de Nice Sophia Antipolis.

Marcel Bromberg
Professeur de psychologie sociale,
Université de Paris VIII.

Jean-Pierre Deconchy
Professeur de psychologie sociale,
Université de Paris X.

Alain Delahousse
Maître de conférences en psychologie sociale,
Université de Rennes II.

Mohamed Doraï
Professeur de psychologie sociale,
Université de Rennes II.

Raymond Dupuy
Professeur de psychologie sociale du travail et des organisations,
Université de Toulouse IT.
8 PSYCHOLOGIE SOCIALE

Juan Manuel Falomir


Maître d'enseignement et de recherche en psychologie sociale,
Université de Genève.

Valérie Fointiat
Maître de conférences en psychologie sociale,
Université de Poitiers.

Fabien Girandola
Maître de conférences en psychologie sociale,
Université de Besançon.

Zohra Guerraoui
Maître de conférences en psychologie interculturelle,
Université de Toulouse II.

Valérie Haas
Maître de conférences en psychologie sociale,
Université d'Amiens.

Denise Jodelet
Directeur d'études (psychologie sociale),
École des Hautes Études en Sciences Sociales. Paris.

Stéphane Laurens
Maître de conférences en psychologie sociale,
Université de Rennes II.

Brigitte Lecat
Chercheur associé en psychologie sociale,
Université de Toulouse II.

Alexis Le Blanc
Maître de conférences en psychologie sociale du travail ,

Université de Toulouse II.

Jacques-Philippe Leyens
Professeur de psychologie sociale,
Université catholique de Louvain à Louvain-la-Neuve.

Gérard Marandon
Maître de conférences en psychologie interculturelle,
Université de Toulouse II.
LES AUTEURS

Thierry Meyer
Maître de conférences en psychologie sociale,
Université de Paris X.

Gabriel Mugny
Professeur de psychologie sociale,
Université de Genève.

Patrick Rateau
Maître de conférences en psychologie sociale,
Université de Montpellier III.

Michel-Louis Rouquette
Professeur de psychologie sociale,
Université de Paris VIII.

Nicolas Roussiau
Maître de conférences en psychologie sociale,
Université de Rennes II.

Nadège Soubiale
Maître de conférences en psychologie sociale,
Université de Reims Champagne Ardennes.

Alain Trognon
Professeur de psychologie sociale,
Université de Nancy II.

Jeroen Vaes
Chercheur en psychologie sociale,
Université catholique de Louvain à Louvain-la-Neuve

Jean Viaud
Maître de conférences en psychologie sociale,
Université de Brest.
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SOMMAIRE

Présentation de l'ouvrage, Nicolas ROUSSIQU re 13


HTOOUCTON ES nu Ne mie ef. Some" An Atrantt 19

I. Plaidoyer pour l'étude de l'histoire de la psychologie sociale :


quelques arguments, Mohamed Doraï 21
Il. La psychologie sociale et les autres disciplines
de la psychologie, Brigitte Lecat et Nicolas Roussiau 39
Il. La recherche en psychologie sociale :
des scénarios en quête de propositions attestées,
testées mais potentiellement contestables, Thierry Meyer 53

PREMIÈRE PARTIE
Comment pense-t-on le monde ? 65

IV. Socialisation et culture, Zohra Guerraoui 67


V. L'approche structurale des représentations sociales,
PALTICIR ROC ARTE ee D RS RER En 79
VI. L'objectivation et la question de l'ancrage
dans l'étude des représentations sociales, Jean Viaud 89
VII. Les croyances, Christine Bonardi et Nicolas Roussiau 101
VII. Les processus idéologiques, Jean-Pierre Deconchy 113
IX. La mémoire, ses aspects sociaux et collectifs,
ValereHaas enDeniseJodele ee RE OR 121
12 PSYCHOLOGIE SOCIALE

DEUXIÈME PARTIE
Comment juge-t-on les autres ? Comment est-on jugé par eux ? …… 135

X. Théories implicites de la personnalité,


Jacques-Philippe Leyens et Jeroen Vaes
XI. Préjugés et stéréotypes dans les relations inter-groupes,
Nadépe SOUDICLE Re een de ee
XI. Pensée sociale et théories de l'attribution, Christine Bonardi
XII. “Nous" et "Eux" : quelques interrogations
sur la catégorisation et l'identité sociales, Nadège Soubiale

TROISIÈME PARTIE
Sommes-nous tous influençables ? .…....................................... 183

XIV. Persuasion et résistance à la persuasion, Fabien Girandola


XV. Engagement et dissonance dans la soumission
librement consentie, Valérie Fointiat.......… tt
XVI. L'influence sociale, son rôle, sa place, Stéphane Laurens
XVII. Influence sociale, sources et tâches :
l'élaboration du conflit, Gabriel Mugny et Juan Manuel Falomir …
XVIII. Les décisions collectives, Mohamed Doraï et Alain Delahousse ….
XIX. Dynamique des groupes :
actualité d'un cadre théorique et pratique, Raymond Dupuy

QUATRIÈME PARTIE
Pourquoi et comment communique-t-on ? 273

XX. La spécificité de l'approche psychosociale des processus


de communication : l'exemple d'une situation d'écoute
professionnelle, Brigitte Almudever et Alexis Le Blanc
XXI. La Psychologie Sociale de l'usage du langage,
MarcelBromberg.et Alain Trognon......…t #0
XXII. Eléments de communication interculturelle, Gérard Marandon ……..
XXII. Rumeurs et phénomènes de masse, Michel-Louis Rouquette

Bibliographie

Table des matières DELEELEEEEEEEEEEEEEEEEE EEE EEE EP EET PENSE CEE TEE TEE EEE
PRÉSENTATION DE L'OUVRAGE
Nicolas ROUSSIAU

La présentation d’un ouvrage sur la psychologie sociale pourrait tout


naturellement commencer par cette question : qu’est-ce que la psychologie
sociale ? Un petit détour par les propositions d’un des principaux promo-
teurs de cette discipline nous permettra de poser ici les jalons de ce
domaine d’étude. Pour Moscovici “la psychologie sociale est la science du
conflit entre l'individu et la société”, mais aussi “la psychologie sociale
est la science des phénomènes de l'idéologie (cognitions et représentations
sociales) et des phénomènes de communication” (1984a, pp. 6-7). Si dans
les termes de psychologie et de sociale on retrouve les dimensions de
l’individuel et du collectif, il s’agit avant tout d’étudier les différentes
interactions qui composent leurs relations. On mesure à l’aune de ces
propositions l’ampleur d’une recension, même non exhaustive, du contenu
de cette science encore jeune. Pour relever un tel défi, on peut se reporter
à la définition de Doise qui propose une lecture de la discipline en termes
de niveaux d’analyses selon que l’on se réfère à une explication préféren-
tiellement psychologique ou sociologique : “Un premier niveau d'explica-
tion se focalise sur l'étude des processus individuels. Les modèles utilisés
portent sur la manière dont les individus organisent leurs expériences de
l’environnement. [...] Un deuxième niveau d'explication décrit des pro-
cessus interindividuels et situationnels. Les individus sont souvent consi-
dérés comme interchangeables et ce sont leurs systèmes d'interaction qui
fournissent les principes explicatifs typiques de ce niveau. [...]. Un
troisième niveau tient compte des différences de positions que différents
acteurs sociaux occupent dans le tissu des relations sociales caracté-
ristiques d'une société. [.….]. Un quatrième niveau fait appel à des
14 PSYCHOLOGIE SOCIALE

systèmes de croyances, de représentations, d'évaluations et de normes


sociales. Ce sont les processus culturels et idéologiques caractéristiques
d'une société ou de certains groupes particuliers...” (1999, pp. 864-865).
La psychologie sociale ainsi envisagée est donc cette discipline à l’articu-
lation du psychologique et du social qui tente d'appréhender les idées et
les comportements de l’individu en prenant en compte ses relations avec
autrui (idées, comportements, sentiments...) ainsi que le contexte dans
lequel 1l se trouve.
Loin des débats polémiques et des prises de positions orthodoxes, un
ouvrage de psychologie sociale de langue française se doit de présenter les
grands axes de la recherche développés dans ce domaine. Si aucune
véritable recension n’a pour l’instant été réalisée sur l’ensemble des pays
francophones, Beauvois et Monteil (1991) pour la France, ont constaté que
trois thématiques principales traversent les préoccupations actuelles des
chercheurs : les représentations sociales ; la communication et l’inter-
locution ; et la régulation sociale des fonctionnements cognitifs. Ce double
découpage, en termes de niveaux d’analyse et de champs d'investigation,
se retrouvera tout au long de l’ouvrage puisque seront présentés les
principaux champs théoriques de la psychologie sociale, que leurs
orientations explicatives soient à prédominance psychologique ou
sociologique.
L'introduction est organisée autour de trois aspects importants qui
permettent de caractériser un domaine scientifique tant du point de vue de
son objet d’étude que de ses principes explicatifs de la réalité. Il s’agit pour
le chapitre I de son histoire, abordée par Mohamed Doraï (Université de
Rennes IT) ; pour le chapitre II, de ses liens avec les disciplines les plus
proches et de ses principaux champs d’investigation, présenté par Brigitte
Lecat (Université de Toulouse Il) et Nicolas Roussiau (Université de
Rennes IT) ; enfin, pour le chapitre III, des méthodes d’analyse et des
orientations épistémologiques qui le déterminent, proposé par Thierry
Meyer (Université de Paris X).
Les chapitres formant la suite de l’ouvrage sont regroupés en quatre
parties :
— Comment pense-t-on le monde ?
— Comment juge-t-on les autres ? Comment est-on jugé par eux ?
— Sommes-nous tous influençables ?
— Pourquoi et comment communique-t-on ?
Chacun des chapitres qui les composent débute par un exemple (fait
divers, fonctionnements quotidiens, expériences, extrait d’un roman...)
destiné à illustrer la théorie et les explications qui suivront.
La réalité n’est pas donnée telle quelle à l’individu, mais elle est
PRÉSENTATION DE L'OUVRAGE 15

construite socialement. Cette première partie “Comment pense-t-on le


monde ?” S’attache à présenter un certain nombre de théories qui permettent
de comprendre un peu mieux comment les personnes appréhendent l'univers
dans lequel elles évoluent. C’est tout d’abord l’enfance et la culture à
laquelle on appartient qui façonnent notre perception du monde, ce point est
traité dans le chapitre IV par Zohra Guerraoui (Université de Toulouse Il). Et
comme la réalité sociale est avant tout composite, de nombreuses grilles de
lecture de cette réalité ont été élaborées, c’est-à-dire théorisées scienti-
fiquement, par les chercheurs. Il en est ainsi de la théorie des représentations
sociales. Les orientations explicatives proposées seront à prédominances
psychologique et sociologique, dans les chapitres V par Patrick Rateau
(Université de Montpellier ID) et VI par Jean Viaud (Université de Brest).
Christine Bonardi (Université de Nice Sophia Antipolis) et Nicolas Roussiau
abordent ensuite le phénomène des croyances, dans le chapitre VII, en
insistant notamment sur leur histoire dans le champ des sciences humaines,
pour aboutir plus précisément à leur approche en psychologie sociale. Jean-
Pierre Deconchy (Université de Paris X) présente dans le chapitre VII, les
processus idéologiques sous l’angle expérimental, tout en mettant en
perspective le concept complexe d’idéologie, dans le champ de la
psychologie sociale et du politique. Enfin Valérie Haas (Université
d'Amiens) et Denise Jodelet (École des Hautes Études en Sciences Sociales,
Paris) abordent dans le chapitre IX, un espace théorique un temps oublié
mais aujourd’hui d’actualité : la mémoire sociale.
Nous avons tous une représentation de nous-même et des autres, et
c’est en fonction de ces perceptions que nous développons un ensemble de
relations sociales basées sur des comportements (de rejet, d'acceptation...)
et des idées (préjugés, images positives..). Ces représentations qui sont
construites socialement dépendent principalement de notre personnalité
mais aussi du contexte, de nos origines familiales et de nos groupes
d'appartenance (enseignant, catholique, sportif...). L'analyse du fonction-
nement de ces jugements sociaux constitue l’ensemble des chapitres de la
deuxième partie “Comment juge-t-on les autres ? Comment est-on jugé
par eux ?”. Sont abordées, dans un premier temps, chapitre X, par
Jacques-Philippe Leyens (Université catholique de Louvain à Louvain-la-
Neuve) et Jeroen Vaes (Université catholique de Louvain à Louvain-la-
Neuve), les théories implicites de la personnalité, c’est-à-dire la façon dont
les individus sont amenés à se juger les uns les autres. Dans la même
optique, une analyse des préjugés et des stéréotypes, dans le chapitre XI,
est proposée par Nadège Soubiale (Université de Reims Champagne
Ardennes). Christine Bonardi, quant à elle, aborde dans le chapitre XIT, les
différents modèles et processus des théories de l’attribution dans le champ
16 PSYCHOLOGIE SOCIALE

de la pensée sociale. Nadège Soubiale terminera cette deuxième partie (le


chapitre XIII) en abordant la catégorisation et l’identité sociales, et débattra
de l’implication, notamment du groupe, dans les principales orientations
théoriques qui entrent en compte dans la distinction entre : “Nous” et “Eux”.
“Sommes-nous tous influençables ?” telle est la question principale de
la troisième partie. Notre quotidien est traversé d’interactions multiples,
nous voulons obtenir des autres des satisfactions diverses, au niveau
professionnel, familial, amical. Nous essayons de les convaincre du bien-
fondé de nos idées et de nos comportements, nous voulons persuader, voire
séduire. et il en est de même pour autrui. Ces différentes interactions que
l’on pourrait résumer sous les termes génériques d’influences sociales,
sont complexes et abordées par les psychologues sociaux de diverses
manières. Fabien Girandola (Université de Besançon), dans le chapitre
XIV, fait porter sa contribution sur les différents modèles de la persuasion
en analysant notamment les mécanismes de résistance à la persuasion.
Dans le chapitre XV, Valérie Fointiat (Université de Poitiers), sous le titre,
“Engagement et dissonance dans la soumission librement consentie”,
aborde les divers aspects de la manipulation sociale en interrogeant les
deux paradigmes théoriques que sont la soumission sans pression et la
soumission forcée. Suivent deux chapitres, l’un (chapitre XVI) par Stéphane
Laurens (Université de Rennes Il), l’autre (chapitre XVII) par Gabriel
Mugny (Université de Genève) et Juan Manuel Falomir (Université de
Genève), qui ont en commun dans leur intitulé les termes “influence
sociale”. Les deux approches, indéniablement complémentaires, proposent
pour le premier une réflexion sur l’origine de l’influence sociale et sur
différentes perspectives d’analyse du phénomène: ; le second présente les
dernières recherches et orientations de l’influence sociale dans le cadre de la
conception théorique de l’élaboration du conflit. L'impact du groupe est
ensuite examiné dans les deux derniers chapitres. Mohamed Doraï et Alain
Delahousse (Université de Rennes IT), dans le chapitre XVIII, analysent la
prise de décision en groupe et les risques qui en découlent, c’est-à-dire le
problème des décisions collectives. Raymond Dupuy (Université de
Toulouse IT) aborde quant à lui, dans le chapitre XIX, divers apports
théoriques, destinés à mieux comprendre la dynamique des groupes, tout en
insistant à la fois sur l'importance de la pluralité de lecture du phénomène et
sur les domaines et les enjeux d’application.
Enfin la quatrième partie, “Pourquoi et comment communique-t-on ?”,
concerne très clairement le problème de la communication qui occupe une
part importante de l’activité des chercheurs en psychologie sociale.
Brigitte Almudever (Université de Toulouse Il) et Alexis Le Blanc
(Université de Toulouse IT) développent, dans le chapitre XX, à partir
PRÉSENTATION DE L'OUVRAGE 17

d’une situation d’écoute professionnelle, la spécificité de l’approche


psychosociale des processus de communication en présentant les modèles
fondamentaux de la communication. Marcel Bromberg (Université de
Paris VIID) et Alain Trognon (Université de Nancy IT) insistent quant à eux,
dans le chapitre XXI, sur la Psychologie Sociale de l’usage du langage en
abordant les mécanismes de l’interlocution. Gérard Marandon (Université
de Toulouse Il), dans le chapitre XXII, dresse les principales conceptions
théoriques de la communication interculturelle en les inscrivant dans
l’optique psychosociale. Enfin, Michel-Louis Rouquette (Université de
Paris VII) présente, dans le chapitre XXIII, les phénomènes de la
communication, sous l’angle de la transmission et de la fabrication des
rumeurs, et termine sur les phénomènes de masse et plus précisément sur
leurs rapports avec la violence.
Si cet ouvrage présente de manière classique les principaux champs de
la psychologie sociale contemporaine, il laisse aux auteurs une marge de
liberté — dans l’expression et le choix de l’orientation à donner aux théories
et aux réflexions présentées — nécessaire pour permettre une approche
vivante et dynamique de la discipline.
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INTRODUCTION
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CHAPITRE |

Plaidoyer pour l’étude de l’histoire de la


psychologie sociale : quelques arguments
Mohamed DORAÏ

Proposer un chapitre qui traite des éléments d’aspect historique de la


psychologie sociale n’est ni d'usage courant, ni habituel, ni facile. La
psychologie sociale en tant que discipline institutionnelle est récente et a
peu de recul pour établir une synthèse de type historique. Pour s’en
convaincre, il suffit de parcourir le nombre récent et de plus en plus élevé
de manuels consacrés à la psychologie sociale. Aucun d’eux ne présente de
synthèse historique ni de données dans cette perspective ; bref, pas
d’aperçu global de la discipline laissant entendre probablement par leur
silence dans ce domaine que l’histoire n’est ni problématique ni digne
d'intérêt ; à la limite son questionnement n’est d’aucune utilité. Ils sont, de
fait, tout simplement et d’un accord partagé muets sur ce chapitre.
L’argument généralement avancé pour justifier la mise à l'écart de
_ l’histoire de la discipline peut paraître à première vue légitime. Pour leur
propre confort, les personnes intéressées par l’analyse historique se
sentiraient mieux si elles s’intégraient à une section spécialisée en histoire
des sciences où elles pourraient rencontrer des chercheurs spécialistes,
préoccupés par les mêmes types de questions. L’apparente naïveté d’un tel
argument ne doit pas masquer les véritables raisons pour lesquelles
l’histoire de la discipline demeure indésirable. Le manque d’intérêt pour le
passé de la discipline est particulièrement préoccupant. Cette absence
conduit à quelques erreurs lourdes (cf. Sorokin, 1959 ; Dubois, 1994). Par
exemple celle que crurent découvrir dans les années 1950 certains
“apôtres” de la dynamique des groupes qui présentaient leurs analyses
comme fondamentalement novatrices et seules susceptibles d’éclairer de
façon scientifique “les mystères de ce que constitue un groupe social et une
organisation sociale. Ce fut également celle d'un Parsons qui, pensant
22 PSYCHOLOGIE SOCIALE

apercevoir les raisons qui font que les mécanismes de comportement


mettent en jeu les processus non rationnels, ne faisait pourtant que
redécouvrir des analyses menées par un Sumner, un Dewey ou un Mead”
(Dubois, 1994, p. 9).

1. Oublis et négligences
L’ignorance des faits historiques peut conduire à des interprétations
erronées ou à des reprises inutiles contre lesquelles, pourtant, Essertier
nous a prévenu dès 1927 : “Le progrès des sciences, et surtout des sciences
morales, dépend dans une large mesure de la connaissance de leur
histoire. Si l’on ignorait comment, à un moment donné, les rapports de la
psychologie et de la sociologie ont soulevé un problème, comment ce
problème a évolué, quelles formes il a successivement revêtues, on ne
serait en mesure ni d'en prévoir la solution, ni par conséquent de la
préparer. Faute de sentir dans quel sens coule le fleuve, on risque de le
remonter et de s'épuiser en vains efforts. Faute de connaître les phases du
débat, on s'expose à recommencer inutilement des polémiques qui ont fait
leur temps” (pp. 1-2). C’est le cas de certains auteurs qui font remonter à
Triplett (1897) la première expérience de psychologie sociale alors que les
travaux dans cette perspective font état d’expérimentations antérieures
dues à Ringelmann (ou Ringelman, selon certains auteurs) vers les années
1885 (Latané et al., 1979). Pagès écrivait à ce propos : “La première
expérimentation comportementaliste de la psychologie sociale (et peut-
être de la psychologie) a eu lieu, bien avant Triplett (1898) et Binet (1900),
vers 1885, près de Nantes avec Max Ringelmann, futur professeur à l'INA
(Institut National Agronomique)... Ringelmann y faisait ressortir le
phénomène de synergie négative (synargie) dans l'effort musculaire
collectif (-argie comme dans léthargie, négation d'erg-, le travail). Cette
innovation oubliée en France longtemps a été elle-même précédée de 15 à
20 ans par les expérimentations fouriéristes et d'intention cognitique dues
à André Godin (1865-75) (sur l’interconnaissance des travailleurs) au
Familistère de Guise...” (1996, p. 11).
Précisons le travail de Godin, tout en développant une autre méprise
concernant la psychologie du travail et les premières expérimentations
dans ce domaine relatives aux formalisations expérimentales menées dans
un cadre naturel. La plupart des manuels citent comme travaux pionniers
ceux d’Elton Mayo, réalisés entre 1923 et 1939 dans le cadre d’une usine
de filature à Philadelphie (1923-1925) et auprès d’une entreprise de
montage de câbles téléphoniques à Hawthorne ; le tout débouchera plus
CHAPITRE | : PLAIDOYER POUR L'ÉTUDE DE L'HISTOIRE DE LA PSYCHOLOGIE SOCIALE. 23

tard sur l’école des Relations Humaines. La réalité est que dans toutes ces
publications les auteurs négligent de faire référence aux travaux de Godin
pourtant présentés à maintes reprises d’abord par Marie Moret, sa petite
cousine devenue sa seconde épouse (1897-1910), puis par Prudhommeaux
(1919) et de façon splendide, plus près de nous, par Vacher dans sa thèse
(1992). Cette dernière estime que Godin a véritablement été “un concep-
teur d’une cellule industrielle à considérer comme un laboratoire social ou
un centre d'essais d'organisation” (1992, p. 8). Godin, en chef d’entre-
prise, pratique sur son personnel d'établissements plusieurs expériences de
différents types mais qui sont reliées les unes aux autres comme des essais
suivis de correction. Une première série d’expériences ou, plus précisé-
ment, de pré-expériences se déroule en 1867 et 1872. Elles ont pour objec-
tif d'entraîner les travailleurs à la désignation du personnel à récompenser.
Cette série porte sur la totalité des travailleurs. Godin fait même des
propositions visant la modification du système de répartition des salaires,
ou, plus précisément, à affiner les techniques de jugement des mérites des
personnels de l’entreprise en imaginant des systèmes d’attribution de
primes. Une seconde série d’expérimentations a été mise en place pour le
sous-ensemble des employés, à l’exclusion des ouvriers. Deux modes
d'évaluation ont été testés : le jugement au sein des groupes de travail réels
et le jugement au sein de groupements fictifs déterminés par le hasard. La
dernière étape, concernant la constitution de groupes d’affinité choisis
librement, s’est déroulée entre 1877 et 1878. Godin veut entraîner les
travailleurs à des moments de réflexion collective en vue de la recherche
d’idées portant sur l’amélioration de la production. L'ensemble du travail
de Godin se range parfaitement dans l’histoire de la psychologie du travail
puisqu'il met en œuvre l’appréciation du système des primes par les
travailleurs eux-mêmes. De plus, il organise une réflexion collective pour
l'amélioration des conditions de la production. Parlant de la population qui
réside dans son Palais Social, Godin écrit : “Sous l’empire de la vie
collective, [.…] l'intérêt individuel se met en accord avec l'intérêt collec-
tif ; les dissensions, qui naissent lorsque les ressources publiques ne sont
pas également partagées, ne se présentent plus” (Godin, Solutions
Sociales, cité par Vacher, 1992, p. 79). Godin veut faire en sorte que son
personnel soit impliqué dans des situations de prise de décision collective
: “son but est d'inciter la population de l'usine et du Familistère à gérer
par elle-même son outil de travail...” (Vacher, 1992, p.277). Ces
problèmes relèvent de questions actuelles de psychologie sociale ou de
psychologie du travail ; cela rejoint, d’une part, la polarisation collective
(Doise et Moscovici, 1972) et, d’autre part, la question d’attribution des
primes au soi et à l’autre.
24 PSYCHOLOGIE SOCIALE

En psychologie sociale dans le domaine du travail, une autre négligence


est commise à l’égard de Frédéric Le Play dont l’occultation est un
phénomène cyclique selon Kalaora et Savoye (1989). Le Play a publié
plusieurs textes, notamment Les Ouvriers européens (1855) repris sous
forme abrégée en 1879 et L'Organisation du travail (1870). La
psychologie semble avoir déserté ce champ et cet auteur pour le laisser
ouvert aux seuls sociologues qui continuent de le développer. Dans le
même champ, signalons l’expérimentalisme sectoriel et opérationnel, dans
l’agronomie au XVII siècle de La Rochefoucauld-Liancourt, créateur
d’une ferme modèle et expérimentateur de méthodes agronomiques
inspirées de l’agronome anglais Arthur Young (1741-1820) (cf. Vacher,
1992, p. 18). De même, citons Fourier qui, par la mise en place des lois
d’organisation du travail, a pu le rendre plus attrayant. Il a voulu “repenser
la division du travail à partir des capacités spécifiques des individus et la
porter au suprême degré, afin d’affecter chaque sexe et chaque âge aux
fonctions qui lui sont convenables” (Vacher, 1992, pp. 30-31).
Parfois même l’omission délibérée du passé peut s’avérer profitable à
son instigateur. Certains chercheurs occultent quelques travaux, surtout
lorsqu'ils sont peu connus et peu accessibles, pour les reprendre à leur
compte et les revendiquer au moment opportun. Pour cela, Dubois (1994),
s’appuyant sur Sorokin (1959), évoque la technique qui consiste à rem-
placer des concepts anciens par des termes nouveaux, ce qui permet de leur
donner carrière dans une enveloppe nouvelle et moderne. Les erreurs:
d'interprétation peuvent s’expliquer diversement. Sorokin (1959) avance
un certain nombre d’explications en ce qui concerne les sciences de l’hom-
me et notamment la sociologie, mais ces explicatidns peuvent s'appliquer
aisément à la psychologie sociale. Pour celle-ci, on peut signaler l’origine
de plus en plus hétérogène des chercheurs et des praticiens dans les divers
recrutements. Ayant fortement appuyé et privilégié la recherche psycho-
logique sur la mesure et les méthodes quantitatives aux dépens du
qualitatif, la psychologie sociale — ou la psychologie tout court — a
bénéficié de l’apport de chercheurs formés d’abord dans des disciplines
telles que les mathématiques, les statistiques, l’informatique, voire les
neurosciences. Recrutés en fonction de leur maîtrise des techniques de
traitement de données ou de leur connaissance de certains domaines
spécifiques, 1ls sont bien formés dans leur culture disciplinaire d’origine,
mais très peu dans celle du champ disciplinaire d’accueil. C’est ainsi qu’on
voit fleurir de temps en temps, de façon innocente, des travaux inédits mais
dépourvus d’originalité.
Chercher à rendre compte ou à faire le point sur l’histoire de sa disci-
pline n’est un acte, ni gratuit, ni banal ; il l’est d’autant moins que la
CHAPITRE !: PLAIDOYER POUR L'ÉTUDE DE L'HISTOIRE DE LA PSYCHOLOGIE SOCIALE... 25

discipline traverse des crises plus ou moins graves touchant soit les
paradigmes, soit les théories elles-mêmes. Or “Reconstituer le chemi-
nement qui a abouti aux modes de fonctionnement actuels constitue une
activité qui risque de troubler l'ordre régnant, de déstabiliser le statu quo
sur lequel repose la vie de la communauté... La reconstitution historique
a toutes les chances de révéler que la forme actuelle, instituée, de la
discipline n'est ni nécessaire, ni inéluctable mais le produit de la
convergence d'un ensemble de circonstances historiques et sociales
particulières” (Apfelbaum, 1988, p. 501).
Il faut reconnaître, malgré tout, qu’on pourrait porter son intérêt sur
l’histoire d’une discipline pour retrouver certaines idées ou certaines
orientations injustement oubliées, mais c’est presque toujours par la
recherche actuelle qu’on les redécouvre, et pour ensuite seulement déceler
leurs précurseurs. Lorsqu'un chercheur établit une bibliographie sur son
thème de travail, 1l n’a en principe aucune raison d’être préoccupé par des
théories ou par des cadres abandonnés et qui sont souvent oubliés et
fréquemment dépassés. De ce point de vue, l’intérêt scientifique de la
connaissance et du savoir, d’une part, et l’intérêt historique de l’autre sont
distincts et ne présentent pas nécessairement de recouvrement. Cette
position à l’égard de l’histoire est dominante et privilégiée dans les
sciences de la vie et de la nature. Elle est partagée par ceux — assez
nombreux —, qui, dans les sciences sociales ou humaines, les considèrent
comme un modèle à suivre. Ils voudraient élaborer des connaissances du
même type. Ainsi, le psychologue, par exemple, est-il assimilé à un ingé-
nieur que l’on sollicite pour la construction d’un pont ou d’une autoroute.
Il vient avec son savoir pour établir des mesures objectives sur le matériau
de type géologique puis, s’appuyant sur ces données, il recommande à
d’autres certaines directives pour mettre en œuvre sa construction.
L'intervention du psychologue est censée obéir à ce modèle. Cependant,
d’autres chercheurs refusent ce pattern ou cette assimilation, et ne veulent
pas céder à la domination des disciplines qualifiées de “dures”. Ils se
définissent comme chercheurs exerçant dans les sciences de l’homme qui
ont leurs propres spécificités. “Pour eux, ces sciences sont par nature
historiques, non seulement par leurs objets, mais aussi par leur mode de
connaissance. Les auteurs anciens conservent tout leur intérêt pour nous,
mais si on veut les aborder aujourd'hui autrement que comme des
curiosités, il est nécessaire de les situer dans leur époque. L'histoire des
sciences de l’homme est alors perçue comme consubstantielle à leur
exercice” (Matalon, 1992, p. 10).
Certains chercheurs s’intéressent aussi à l’histoire de leur discipline par
insatisfaction quant à son état présent. Ils pensent en général retrouver une
26 PSYCHOLOGIE SOCIALE

époque révolue où des problèmes importants étaient posés et débattus.


D’après eux, il faudrait restituer aux sciences humaines leur passé pour
retrouver ces époques effervescentes et pour se rendre compte que les
orientations actuelles auraient pu être autres. L'étude du passé pourrait
donc aider, par comparaison, à comprendre la logique présente des choix
et permettrait ainsi d'éclairer les évolutions et les orientations scientifiques
du moment.
Parmi les thèmes importants à traiter dans l’histoire de la psychologie
sociale, un chapitre conséquent doit couvrir ses rapports avec la sociologie.
Traditionnellement, les manuels de psychologie sociale sont muets sur ce
domaine, même si quelques auteurs évoquent cet objet sans l’approfondir
réellement. C’est le cas de Maisonneuve (1997) qui se montre extrême-
ment bref lorsqu'il écrit : “Si la psychologie sociale constitue une char-
nière indispensable entre la psychologie et la sociologie, il faut aussi
souligner les rapports qu'elle entretient, d'une part avec cette branche de
la sociologie au sens large, d'autre part avec ces deux approches psycho-
logiques que sont la psychanalyse et la phénoménologie” (pp. 29-30).
C’est également le cas de Castellan qui résume ainsi son court paragraphe
sur les relations de la psychologie sociale avec la sociologie : “Chaque fois
qu'il est fait recours aux explications en termes de comportements, d'acti-
vité, de motivations, de sentiments, il s'agit de psychologie, et de psycho-
logie sociale puisqu'elle implique des facteurs sociaux. Chaque fois que
l'étude reste au plan typologique, il s’agit de sociologie” (1970, pp. 64-:
65). Quant à Ohayon (1999), elle aborde l’histoire de la psychologie
sociale à travers la rencontre entre la psychologie et la psychanalyse de
1919 à 1969, en développant le rôle de deux chercheurs majeurs pour la
discipline : Serge Moscovici et Robert Pagès. Par contre, l'ouvrage de
Sahakian (1982) reprend pratiquement toute l’histoire de la psychologie
sociale, américaine, française, italienne, et allemande. Il y présente un
ensemble d’auteurs répartis sur quatre parties : la première traite de la
psychologie sociale de l’Antiquité à 1908, Platon, Hobbes, et les contribu-
tions d’auteurs français tels que Comte, Le Play, Fouillée, Espinas,
Durkheim, Lévy-Bruhl, Le Bon, etc. ; la deuxième présente la psychologie
sociale moderne de 1908 à 1930 avec les apports de Ross, de McDougall,
l’école de Chicago, Allport, Bogardus, etc. ; la troisième partie passe en
revue les “années de formation” des psychologues sociaux avec Sherif,
Linton, Kardiner, Moreno, Mayo. ; et, enfin, la quatrième décrit “l’âge
de maturité” (comes of age) avec Adorno, Sandford, Katz, Bion, Bales,
Cartwright, Heider, Jones, Newcomb, Festinger, Bandura, Bem, etc.
Dès le début, les publications des ouvrages relevant de la psychologie
sociale ont rencontré des difficultés de classification et d’identité. La
CHAPITRE !: PLAIDOYER POUR L'ÉTUDE DE L'HISTOIRE DE LA PSYCHOLOGIE SOCIALE. 27

publication de l’Année Psychologique (AP) à partir de 1895 par Binet, puis


de l’Année Sociologique (AS) par Durkheim (1898) n’ont rien arrangé.
Ces deux disciplines étaient accueillies jusque-là par trois revues essen-
tielles : la Revue de Métaphysique et de Morale (RMM), la Revue
Philosophique (RP) et la Revue des Deux Mondes (RDDM). Les numéros
des premières années des deux nouvelles revues indiquées, et spécialisées
l’une en psychologie l’autre en sociologie, vont délimiter les contours et
les territoires de l’objet spécifique de chacune de ces deux disciplines. II
est intéressant de voir quelle place était réservée à la publication des écrits
de ce qui pouvait alors relever de la psychologie sociale dans chacune de
ces revues ; sans oublier qu’à cette date la psychologie sociale n’existait
pas comme discipline instituée. Pour faire bref, aucune de ces revues n’a
accordé de place à part entière à ce domaine. Ainsi, dans l’ AP, on constate
qu’il n’y a “Aucune catégorie spécifique pour la psychologie sociale ; les
ouvrages qui en relèvent, même explicitement, sont classés en sociologie
[..] la psychologie sociale est donc reléguée dans une sorte de catégorie
fourre-tout ou rebut où elle voisine avec tout ce qui traite de l’altérité —
enfant, race, animal...” (Apfelbaum, 1981, p. 399). Tandis que l’AS ne fait
pas mieux pour la psychologie sociale : les écrits qui en relèvent sont —
comme ceux de Tarde — classés en “sociologie philosophique” ou dans
d’autres rubriques assez larges, compte tenu de l’opposition systématique
de Durkheim qui dirigeait alors la revue. Pourtant, aux États-Unis à la
même époque la Psychological Review, créée en 1894 et dirigée par
Baldwin, proposait déjà à ses lecteurs diverses rubriques dont une spécia-
lisée en psychologie sociale. Celle-ci répertoriait souvent des ouvrages
dont certains, français, que l’AP classait en sociologie. C’était, par
exemple, le cas pour les ouvrages de Bouglé, Coste ou Duprat. À cette
époque, la psychologie sociale n’était revendiquée ni par la sociologie, ni
par la psychologie. Pour Apfelbaum “L'année 1900, celle du 4° congrès de
psychologie, marque enfin un tournant décisif pour la psychologie
sociale ; pour la première fois, une section y est consacrée, présidée par
Tarde, rassemblant des communications disparates où l’on traite de crimi-
nalité [.….], de génie [...], de mobiles sociaux [...], de psychologie des
peuples [..….] et même ‘d'épistémologie’ de la psychologie sociale
(Groppali)” (1981, p. 400). Au début, les ouvrages recensés sont très
divers et peuvent avoir des relations lointaines avec la psychologie sociale
telle que nous la connaissons aujourd’hui. Mais les publications sont peu
à peu devenues plus cadrées en répondant au besoin théorique et persistant
de la discipline. Augustin Hamon lance une série d’“Études de psychologie
sociale” dans laquelle il publie deux ouvrages. Dans le premier (La
psychologie du militaire professionnel, 1894) il fonde son propos sur une
28 PSYCHOLOGIE SOCIALE

démarche empirique. Lubek et Apfelbaum (1989) le considèrent, à ce titre,


comme le premier chercheur de terrain. Hamon y pose explicitement la
problématique sur le terrain de l’articulation entre l’individuel et le collectif.
Il a essayé dans ce travail d’étudier l'influence d’une profession par ceux qui
l’exercent ; ce qui revient à étudier l’influence du milieu sur la personnalité.
Ce livre a été suivi par un autre (Psychologie de l’anarchiste-socialiste, 1895)
dans lequel la question suivante était posée : avant que les cadres sociaux ou
idéologiques ne modèlent les individus, y a-t-il entre eux des similitudes, une
même mentalité philosophique ? Cette question amène l’auteur à chercher
des traits propres au groupe des anarchistes qui les prédisposeraient à se
rallier à leurs doctrines. Il s’agit d’une véritable enquête par questionnaires
adressés aux anarchistes connus de l’auteur, et élargie dans plusieurs pays par
l'intermédiaire de groupes anarchistes. L'auteur cherche à déterminer le type
idéal moyen de l’anarchiste-socialiste. Ce livre répond en fait à une certaine
exigence de l’époque, la recherche des profils moyens, développés en
psychologie différentielle à la manière de Quételet ou de Galton. La série
d'ouvrages prévus par Hamon fut interrompue alors qu'il prévoyait la
publication d’une suite portant sur La psychologie de l'artiste et du scientiste
et destinée à montrer les caractères mentaux nécessaires à un être humain
pour être artiste ou scientiste.

2. La psychologie des peuples


Un autre argument fut développé par Bouglé en faveur de la
psychologie sociale dans son rapport sur Les Sciences Sociales en
Allemagne (1896) à l’occasion de son compte rendu sur la psychologie des
peuples (la Vôlkerpsychologie). Présentons très brièvement quelques
éléments de ce vaste champ avant de reprendre notre propos sur d’autres
aspects de la psychologie sociale. Pour “la psychologie des peuples” deux
orientations peuvent être développées :
1. Celle de l’ouvrage de Wundt et celle qui fait référence à la théorie.
On sait que Wundt développa trois aspects dans son œuvre :
a) la psychophysique en vue de mesurer les seuils des faits mentaux
élémentaires ;
b) une épistémologie philosophique ou une éthique qui n’a pas eu
d'impact fort dans la communauté scientifique et
c) une psychologie des peuples qui l’a occupé de 1900 à 1920, et dans
laquelle il reconnaît que la méthodologie de mesure des seuils, développée
dans la première partie de son œuvre, ne peut être appliquée à la psycho-
logie des peuples.
CHAPITRE !: PLAIDOYER POUR L'ÉTUDE DE L'HISTOIRE DE LA PSYCHOLOGIE SOCIALE... 29

Dans cette dernière, il étudie les légendes, les coutumes, le folklore, les
rites, les mythes, le langage, etc. De fait, il établit une coupure profonde
entre la psychologie individuelle et la psychologie des faits collectifs.
C’est cette dichotomie qui a renforcé Durkheim dans ses convictions, à la
suite de sa visite d’étude en Allemagne. On sait que Durkheim concevait
et développait déjà la rupture entre individu et groupe. Là, il se trouve
confirmé dans ses orientations.

2. Par ailleurs, la psychologie des peuples en tant que théorie peut être
divisée en trois parties :
a) la théorie, propre à Wundt, qui a été développée entre 1900 et 1920.
b) la psychologie des foules dans l’œuvre de Charles Richet (1850-
1935) donnant suite aux développements de Gustave Le Bon (1841-1931).
Ce dernier avance l’idée d’une âme collective et montre, dans ses travaux,
que la conscience individuelle cède devant la conscience collective.
c) Enfin, la psychologie ethnique de Letourneau (1901) qui se propose
de rechercher “des renseignements sur la valeur mentale des collectivités
humaines, appartenant à diverses races” (cité par Drouin-Hans, 1999,
p. 153). Le but étant d’établir une hiérarchie psychique en vue de “justifier
une hiérarchie des races, d’après l’étude de leurs traits psychologiques”
(Drouin-Hans, 1999, p. 153). Dans la même lignée, Fouillée (1898) a déve-
loppé sa Psychologie du peuple français dans laquelle il accorde une part
assez grande au tempérament c’est-à-dire à la constitution héréditaire. Il
pense qu’il existe, “dans l’ensemble des cerveaux et des consciences, un
système d'idées reflétant le milieu social [...]. C'est un déterminisme
collectif dont une partie est en nous et les autres parties dans tous les
autres membres de la communauté. Ce système d'idées mutuellement
dépendantes constitue la conscience de la Nation” (Fouillée, p. 12, cité par
Mucchielli, 1997, p. 85). On peut consulter avec intérêt l’ouvrage présenté
par Kail et Vermès (1999) pour une synthèse remarquable de la psycho-
logie des peuples et ses dérives.
D’autres ramifications de la psychologie des peuples ont été développées
par de nombreux auteurs. On peut y reconnaître des tentatives, relativement
ternes et sans grande envergure, de “la psychologie des peuples” d’Abel
Miroglio qui a fondé l’Institut Havrais, juste à la sortie de la Seconde Guerre
mondiale. Miroglio assigne un objectif à la psychologie des peuples :
connaître tous les peuples de la terre. Il s’agit de la connaissance des images
que les peuples se font d'eux-mêmes et des autres peuples. En vue de cette
exploration, le fondateur a besoin de recourir à d’autres domaines tels que la
psychanalyse, la sociologie, l’anthropologie, l’ethnologie, la caractériologie,
etc. Devant la multitude d'emprunts à toutes ces disciplines, l’objet de la
30 PSYCHOLOGIE SOCIALE

psychologie des peuples s’évanouit dans ses propres références. Une autre
ramification a été développée par Halbwachs à l’occasion de la publication
de son ouvrage La morphologie sociale en 1938. Celle-ci met l’accent sur
les formes que revêtent les sociétés. La morphologie sociale porte avant tout
sur des représentations collectives “car la société s'insère dans le monde
matériel, et la pensée du groupe trouve, dans les représentations qui lui
viennent de ces conditions spatiales, un principe de régularité et de stabilité,
tout comme la pensée individuelle a besoin de percevoir le corps et l'espace
pour se maintenir en équilibre” (Halbwachs, 1938, p. 18). D’autres ramifi-
cations émergent du même pampre tel que : /ntroduction à la psychologie
collective de Charles Blondel (1928) : “Sous le nom de psychologie
collective, autour de 1890 à 1900, s'est isolée une discipline, d’allure, sinon
d'esprit scientifique, dont la psychologie dite des foules a été et demeure le
principal objef’ (Blondel, 1938, p. 5). L'auteur analyse dans la première
partie de son ouvrage le point de vue de certains auteurs tels que Comte,
Durkheim et Tarde, et présente l’aboutissement pratique de leurs doctrines.
Dans la seconde, il synthétise la part du collectif dans la vie mentale à travers
trois dimensions, la perception, la mémoire et la vie affective. Dans le même
domaine, Petit offre une synthèse récente (en 1993) sur la psychologie
collective de Comte à Durkheim.
Revenons présentement à la psychologie sociale. Elle devrait rendre
compte et expliquer ce qui échappe, à la fois à l’histoire, à la psychologie
et à l’anthropologie. Bouglé écrit : “La vie sociale sera décrite par l'histoire
et expliquée par la psychologie” (1896, p. 19). Plus loin, il ajoute qu'il faut
“constituer une psychologie sociale dont les lois éclaireraient l’histoire des
peuples, la biographie de l'humanité, comme les lois de la psychologie
individuelle éclairent la biographie des individus” (id., p. 20). Apfelbaum
résume de la manière suivante la position de Bouglé : “en somme, la
psychologie sociale est nécessaire pour combler ‘la distance qui sépare
l’histoire de la psychologie individuelle” et rendre compte de ce que le xIX°
siècle abordait jusqu'alors au moyen de concepts tels que ‘la force des
choses’, ‘logique des faits’, ‘instinct des races’. Ce sont des notions et leurs
causes que la psychologie sociale doit s’efforcer de saisir’ (1981, p. 402).

3. Psychologie et sociologie
Si on s’intéresse aux rapports particuliers entre la psychologie sociale
et la sociologie, on ne manque pas de constater que, dès le début, ils étaient
extrêmement conflictuels. La psychologie sociale présente ainsi une
maïeutique sismique. L'objet du débat est banal mais éminemment impor-
CHAPITRE !: PLAIDOYER POUR L'ÉTUDE DE L'HISTOIRE DE LA PSYCHOLOGIE SOCIALE. 31

tant car il s’agit de l’explication avancée pour les phénomènes sociaux que
se partagent les deux disciplines : savoir si les explications retenues sont
de type psychologique ou de type sociologique ? Tel est l’enjeu, simple
mais dramatique. Nous reviendrons sur ce procès ultérieurement.
Les prises de position de Comte sont nettes. Lorsqu'il classe les sciences
fondamentales (1- mathématiques, 2- astronomie, 3- physique, 4- chimie,
S- biologie, 6- sociologie, 7- morale sociale ou science du cerveau) dans
son Cours de philosophie positive, il n’accorde aucune place à la
psychologie, lui réserve même des critiques sévères et lui refuse tout statut
de discipline scientifique, indiquant par ce refus que l’esprit ne peut se
connaître lui-même. Pour connaître les lois du fonctionnement de la
pensée, il faut soit étudier ses conditions organiques, soit analyser ses
produits. La première direction conduit à l’élaboration d’une théorie céré-
brale, c’est-à-dire à l’étude du cerveau humain. Comte distingue dans
celui-ci trois parties :
1. le cerveau affectif, correspondant aujourd’hui au système limbique,
il traite de l'instinct nutritif, de l'instinct sexuel et de la satisfaction
altruiste.
2. Le cerveau intellectuel, de nos jours appelé néocortex.
3. Le cerveau de l’activité motrice, assimilable au cerveau des reptiliens
actuels.
Dans cette perspective, ce qui relève de la psychologie se trouve annexé
par la théorie cérébrale et donc par la biologie. Cette science du cerveau
est fortement inspirée de la phrénologie de Gall. Quant à la seconde
orientation, les lois de la pensée sont déductibles de “la marche générale
de l’esprit humain en exercice”, ce qui est observable dans les lois qui
régissent les étapes successives du développement de l’humanité. Ce
fonctionnement se résume dans la loi des trois états :
1. L'état théologique caractérise les sociétés hiérarchisées et militaires
dont le Moyen Âge fournit les exemples les plus significatifs. Les hommes
trouvent ici des explications surnaturelles aux phénomènes naturels ou
sociaux qu’ils vivent.
2. L'état métaphysique domine l’Europe, de l’époque de la Renaissance
à celle des Lumières. Ce sont des institutions transitoires qui rompent avec
l’ordre ancien sans pour autant assurer la suprématie de l’industrie. Dans
cet état, les agents surnaturels sont remplacés par des forces abstraites.
Ainsi, l’ordre social n’apparaît plus comme étant d’origine divine mais
comme étant un fait naturel.
3. Enfin, l’état positif correspond à une organisation sociale basée sur
l’industrie et qui fait de la production l’activité centrale de la société. Dans cet
état, et à partir de l’observation et des mathématiques, les hommes mettent en
32 PSYCHOLOGIE SOCIALE

évidence des relations stables, des lois entre les phénomènes. L'étude des
fonctions intellectuelles à partir de la biologie correspond à un point de vue
statique ; dans le second cas, l’étude est entrevue sous un point de vue
dynamique. L'absence de la psychologie dans la classification des sciences de
Comte n’est pas un simple oubli mais une exclusion délibérée et argumentée
dans la conception comtienne (cf. Petit, 1994 ; Braunstein, 1998).
Durkheim, en développant les représentations collectives, est conduit à
concevoir une psychologie sociale différente de la psychologie : “en sépa-
rant la vie sociale de la vie individuelle, nous n’entendons nullement dire
qu'elle n'a rien de psychique. Il est évident au contraire qu'elle est
essentiellement faite de représentations. Seulement les représentations
collectives sont d’une tout autre nature que celles de l'individu. Nous ne
voyons aucun inconvénient à ce qu'on dise de la sociologie qu'elle est une
psychologie, si l’on prend soin d'ajouter que la psychologie sociale a ses
lois propres, qui ne sont pas celles de la psychologie individuelle” (1897,
p. 352). Il reprend cette analyse plus tard et écrit : “D'une manière
générale, nous estimons que le sociologue ne s'est pas complètement
acquitté de sa tâche tant qu'il n’est pas descendu dans le for intérieur des
individus afin de rattacher les institutions dont il rend compte à leurs
conditions psychologiques. À la vérité l'homme est, pour nous, moins un
point de départ qu'un point d'arrivée [...]. Bien loin donc que la
sociologie, ainsi entendue, soit étrangère à la psychologie, elle aboutit
elle-même à une psychologie, mais beaucoup plus concrète et complexe
que celle que font les purs psychologues” (id., 1909, p. 755). Même si
Durkheim admet que la vie collective découle de la nature humaine en
général, 1l souligne l’opposition entre les sentiments collectifs et les
sentiments individuels lorsqu'il écrit : “Même quand la société se réduit à
une foule inorganisée, les sentiments collectifs qui s'y forment peuvent,
non seulement ne pas ressembler, mais être opposés à la moyenne des
sentiments individuels.[...] Une explication purement psychologique des
Jaits sociaux ne peut donc manquer de laisser échapper tout ce qu'ils ont
de spécifique, c'est-à-dire de social. D'où la thèse selon laquelle ces
sentiments (psychologiques) résultent de l’organisation collective, loin
d'en être la base” (1947, p. 106).
Par ailleurs, des psychologues comme Ribot et Beaunis concevaient les
sciences sociales comme des études empiriques auxquelles la psycho-
physiologie pouvait donner un fondement théorique. De son côté,
Delacroix, professeur de psychologie à la Sorbonne en 1923, précise les
bienfaits de la sociologie à l’adresse de la psychologie. Il indique que “Le
psychologue doit dorénavant penser les faits psychologiques selon la-
dimension sociale” (cité par Mucchielli, 1994, p. 464). Piéron, psycholo-
CHAPITRE | : PLAIDOYER POUR L'ÉTUDE DE L'HISTOIRE DE LA PSYCHOLOGIE SOCIALE. 33

gue proche du behaviorisme de Watson, n’a conçu comme scientifique que


la psychophysiologie, intégrant ainsi toute la psychologie dans les sciences
biologiques. Il refusa d'admettre, avec Durkheim, que “.… les principes de
formation de la pensée ont une origine sociale” (Mucchielli, 1994, p. 459).
Tarde fait d'emblée un constat sévère pour la psychologie : “la psychologie
a deux faces : la face psychophysiologique et la face psychosociologique.
Les psychologues, jusqu'à ces dernières années, ont eu le tort de ne
regarder attentivement que la première” (Tarde, 1897, p. 165).
Un réel débat scientifique dont le contenu porte sur la psychologie
collective se déroule entre les psychologues et les sociologues dans la
période de l’entre-deux-guerres. Les échanges ont concerné, d’une part,
Charles Blondel et Georges Dumas pour les psychologues et, de l’autre,
Maurice Halbwachs, Lucien Lévy-Bruhl et Marcel Mauss pour les socio-
logues. L'objectif visé par les deux disciplines est de constituer un terri-
toire unique mais partagé. Mauss (1872-1950) insiste sur l’idée d’alliance
entre sociologie et psychologie pensant que les frontières disciplinaires
doivent être dépassées pour pouvoir comprendre “l’homme physio-
psycho-sociologique”. Maurice Halbwachs (1877-1945) qui, à partir de
1920, fait de la psychologie collective son centre d’intérêt principal fera
une découverte essentielle : la mémoire collective. Lucien Lévy-Bruhl
(1857-1939), continuateur des représentations collectives de Durkheim a
toujours été actif dans le développement de la psychologie collective en
gestation. Enfin, d’autres sociologues durkheimiens se sont joints à eux
dans cet effort de mise en œuvre d’un territoire commun.
Du côté des psychologues, Piéron ne se laisse pas convaincre par la
psychologie collective. Dumas et Janet annoncent que le Journal de Psycho-
logie reste un intermédiaire entre tous les chercheurs en sciences humaines.
Seul Blondel fut un véritable artisan d’une psychologie collective entière et
autonome. Mucchielli cite Guillaume et Meyerson (1938) qui résument bien
la pensée de Blondel lorsqu'ils écrivent “L’homo psychologicus est une
abstraction ; toutes nos façons d’être émus, de penser de nous souvenir et
même de percevoir s'éduquent dans un certain milieu dont nous subissons la
pression et la suggestion. L'individu ne peut être complètement compris que
par la psychologie collective” (cité par Mucchielli, 1994, p. 470). Mais les
efforts de Blondel furent vains. Halbwachs fut élu au Collège de France en
1941, sur une nouvelle chaire portant le nom de “Psychologie collective”.
Mucchielli résume la situation de la manière suivante : “En 1945, la première
psychologie collective française est morte avec ceux qui l'avaient inventée.
Mais l'influence de la sociologie n'en est pas moins diffuse dans l'œuvre des
plus importants psychologues de l’époque” (1994, p. 471).
34 PSYCHOLOGIE SOCIALE

4, Entre individualisme et holisme

Il est temps de revenir sur les explications avancées pour rendre compte
des faits sociaux — problématique laissée en suspens antérieurement. Elle
peut être double, eu égard à la position du chercheur : individualiste ou
holiste. Aussi loin qu’on remonte dans le temps, on retrouve, depuis
l'Antiquité, ces deux versants de l’explication toujours en opposition. Les
auteurs holistes privilégient le groupe dans leurs explications, les autres, à
l'inverse, privilégient les explications individualistes fondées donc sur
l'individu. L’individualisme est d’abord une idéologie puis, par extension,
une théorie qui valorise l’individu aux dépens du groupe. La définition du
holisme est l’exact symétrique puisqu'il s’agit d’une valorisation du
groupe comme base de l’explication, aux dépens de l'individu. Là où
l'individu est la valeur suprême, on parlera d’individualisme ; dans le cas
opposé, celui où la valeur se trouve dans le groupe, la collectivité, voire
dans la société, on parlera de holisme.
L'orientation individualiste puise son fondement dans trois sources :
1. La première réside dans une perspective religieuse. C’est le salut de nos
âmes individuelles dans l’autre monde qui constitue la préoccupation princi-
pale de tout croyant, et particulièrement de tout chrétien. Le jugement dernier
est individuel et non collectif ; chacun y sera jugé sur ses propres actes.
2. La seconde source est laïque, à la fois romaine et grecque. Le droit
romain réserve à l'individu, en tant que propriétaire, une sphère de compé-
tence à l’intérieur de laquelle il exerce des droits sur les objets qui sont
siens. En tant que membre d’une famille, il se voit reconnaître quelques
libertés dans l’usage de ses biens. La tradition grecque quant à elle
reconnaît à l'individu le droit de juger, c’est-à-dire de distinguer le Bien et
le Mal, le Vrai et le faux. Il est amené aussi à se prononcer sur les fins de
l’action collective. Grecs et Romains, tout comme la perspective religieuse
reconnaissent l’individu comme centre de décision : porteur d’un destin
spirituel pour le religieux il est le centre d’un ensemble d’activités (acheter,
vendre...) et de droits (devoirs, obligations) chez les Grecs et les Romains.
3. L’individu est également un consommateur ou un producteur qui
gère des biens pour parvenir à un niveau élevé de satisfaction compatible
avec ses ressources. C’est la conception utilitariste. La découverte de l’uti-
lité comme relation fondamentale, d’abord avec les choix puis avec les
autres, constitue la contribution essentielle de l’utilitarisme. On peut
résumer les principales différences entre les individualistes et les holistes
dans le tableau 1.
CHAPITRE ! : PLAIDOYER POUR L'ÉTUDE DE L'HISTOIRE DE LA PSYCHOLOGIE SOCIALE... 35

OBJET DE LA DIFFÉRENCE INDIVIDUALISME HOLISME

Contenu du moi Différences individuelles Catégories sociales

Façon de s’autoréaliser Je fais ce que je veux Je fais en accord avec le groupe

Unité de croyance L'individu Le groupe ou collectivité

Régulation de conduite Attitude personnelle Règles du groupe

Objectifs Objectifs personnels > Objectifs du groupe >


objectifs du groupe objectifs personnels

Différence entre groupe Faible Élevée


d'appartenance et hors groupe

Types de relations Surtout horizontales Surtout verticales

Tableau 1. Différences entre Individualisme et Holisme

Holisme et individualisme se sont développés parallèlement, nous l’avons


vu, et l’on retrouvera constamment des travaux qui, explicitement ou implici-
tement, se réfèrent à l’une ou l’autre de ces orientations. L’individualisme
correspond au fait que les dispositions psychologiques individuelles
produisent les institutions sociales ; tandis que le holisme concorde avec l’idée
que les conditions sociales influencent le comportement des individus.
Quelques exemples vont concrétiser notre propos. Pour l’individualisme, on
peut citer Platon, Aristote, Hobbes, Fourier, Tarde, Festinger, Bandura,
Milgram, Boudon, etc. On peut balayer, de la même manière, les mêmes
périodes historiques et rencontrer des auteurs qui traitent de problèmes
similaires ou proches dans une orientation holiste : Hippocrate, Montesquieu,
Helvétius, Rousseau, Le Bon, Sighele, Mead, Hamon, Sherif, Stoezel,
Bourdieu, Touraine, etc. De fait, la psychologie sociale a abandonné depuis
longtemps et de plus en plus l’étude de nombreux auteurs et surtout de
concepts, les laissant se faire conquérir, puis happer par la sociologie
(ethnométhodologie, stigmatisation, définition de la situation psychologique,
déviances, etc.).
Platon expose dans La République un système social fondé princi-
palement sur des coordinations psychologiques : le comportement de
l’homme serait déterminé par le désir des objets matériels, le désir de
s'affirmer avec ses valeurs personnelles, le désir de connaître. À ces trois
désirs correspondent trois vertus : la tempérance, le courage et la sagesse.
Pour un homme, l’équilibre consiste en la possession harmonieuse de ces
trois vertus. La société étant à l’image de l’homme, son reflet en quelque
36 PSYCHOLOGIE SOCIALE

sorte, l’équilibre, pour elle, dépend de la place qu’elle réserve à l’activité


artisanale, guerrière et à la magistrature. Donc, la société se construit à
l’image de l’homme sur des principes psychologiques individuels. Pour les
holistes, Hippocrate, dans le Traité des eaux, des airs et des lieux, expose
sa théorie des climats et présente en même temps l’idée que les institutions
jouent un rôle pour fixer le caractère national d’un peuple. Il remarque ainsi
qu’un peuple est plus courageux lorsqu'il possède des institutions libérales
et qu’inversement des institutions despotiques entraînent une certaine
faiblesse. Dans cette conception, ce sont les conditions sociales, physiques
ou institutionnelles, qui agissent sur les individus. La surface réservée à ce
travail ne permet pas de développer les idées de nombreux auteurs. Aussi
les deux exemples donnés serviront-ils de repère pour illustrer la démarche
des deux manières opposées d’analyser les faits sociaux.
Pour analyser tout fait social, l’auteur se situe, explicitement ou impli-
citement, dans l’une ou l’autre de ces orientations. Cependant, quelques
auteurs ont tenté une synthèse et l’on pensera en particulier à la tentative
de Gurvitch (1962). Pour lui, les phénomènes sociaux s'expliquent par
l'interaction de trois niveaux :
a. le niveau de la morphologie sociale, c’est-à-dire la base géogra-
phique et démographique de l’environnement ;
b. le niveau de la physiologie sociale, qui réfère à l’ensemble des
manières collectives réunissant les membres dans les activités écono-
miques, techniques, culturelles et politiques, et
c. le niveau de la pensée normative du groupe, ou psychologie collective.
C’est l’analyse de ces niveaux qui conduit au phénomène psychique
total. Ce dernier se répartit sur dix paliers qui lé constituent et sont plus ou
moins faciles à mettre au jour en suivant leur profondeur. Au total,
l’ensemble des paliers se répartit sur deux aspects, les uns plus socio-
logiques, les autres plus psychologiques mais relevant d’une psychologie
collective.

9. Fouriérisme, expérimentalisme et empirisme


On ne peut quitter ce plaidoyer en faveur de l’histoire de la psychologie
sociale sans rappeler, de façon succincte, la mise en place de l’expéri-
mentation dans le domaine de la psychologie sociale. Pour cela remontons
à Fourier qui, pour démontrer la validité de ses hypothèses sur la Théorie
de l'Unité Universelle, veut expérimenter. Il donne alors aux expérimen-
tateurs les consignes indispensables : “les douze devoirs d'étude métho-
dique, et par conséquent obligatoires pour les savants et douze issues des
CHAPITRE | : PLAIDOYER POUR L'ÉTUDE DE L'HISTOIRE DE LA PSYCHOLOGIE SOCIALE. 37

lymbes obscures”. I] faut “consulter l'expérience et la prendre pour guide,


se rallier à la vérité expérimentale, n'admettre que la vérité confirmée par
l'expérience, il faut passer par l'algèbre sociétaire ou calcul de la vérité
supposée, il faut aller du connu à l'inconnu par analogies, observer les
choses que nous voulons connaître et non les imaginer...” (cité par Vacher,
1992, pp. 24-25). Sur ce point de la pratique expérimentale, Fourier est
critiqué par le courant positiviste. Pellarin, son disciple, écrit un texte dans
lequel le thème de l’acceptation ou du refus de l’expérience en sciences
sociales est fondamental. Il y sépare l’approche des sciences par Fourier de
celle des positivistes en se référant aux principes de Claude Bernard. La
pensée de Pellarin, prolongement réfléchi des hypothèses de Fourier, n’est
pas une attente passive de l’évolution sociale, elle veut entraîner cette
évolution : “Faudra-t-il toujours, selon la règle de l’école positiviste,
attendre passivement la survenance des faits qui constituent une
expérience sociologique, sans jamais s'occuper de provoquer à dessein
cette expérience et de l’instituer méthodiquement ? [...] Pellarin rappro-
che la sociologie expérimentale de la physiologie expérimentale telle que
venait de la définir Claude Bernard... Il marque la difficulté qu'il y a à
tenter des expériences sur des systèmes trop étendus et trop peu maniables
‘out un peuple’ et l'intérêt de ‘l’expérimentation en petit” (cité par
Mache#41902p5427):
L’expérimentalisme envisagé par Fourier et développé par Pellarin
(1874) était tiré de l’œuvre de Laplace, le physicien et mathématicien. Les
éléments historiques indiqués ici sur les débuts de la mise en place de
l’expérimentation en sciences sociales constituent “une mise au point
théorique et épistémologique un demi-siècle après Fourier, mais un demi-
siècle avant qu'une sociopsychologie expérimentale reconnue fasse ses
premiers pas” (Vacher, 1992, p. 26). Paraphrasant Dorna (1998), on peut
dire que le retour aux sources de notre discipline — la psychologie sociale
— n’est point un luxe, mais un besoin voire une nécessité. Il y a lieu de
réserver à ce thème de plus amples développements dans des pages
complémentaires, ultérieures.
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CHAPITRE I

La psychologie sociale
et les autres disciplines de la psychologie
Brigitte LECAT et Nicolas ROUSSIAU

Dans cette partie seront présentés tout d’abord les grands courants de la
psychologie et leurs interactions avec la psychologie sociale. Dans un
second temps nous aborderons les principaux champs d’étude de la
psychologie et leurs liens avec la psychologie sociale. Ces différentes
interactions se situent bien entendu à un niveau conceptuel, mais aussi à
des niveaux associatifs, lors de colloques, ou dans le cadre de publications.
Dans la mesure des possibilités qui sont offertes par ces divers domaines
aux psychologues sociaux, seront présentés en annexe de ce chapitre diffé-
rents lieux de rencontres et de confrontations où la psychologie sociale
occupe une place à part entière (associations, revues, colloques..….).
La psychologie sociale n’est pas une discipline fermée, bien au
contraire. À l’articulation du psychologique et du social, elle s’accommode
sans peine de relations multiples avec des champs disciplinaires autres, ce
que nous allons voir, mais elle permet aussi d'aborder la compréhension
d’objets sociaux importants pour tenter de répondre à des problèmes
actuels de société.

1. La psychologie sociale et les grands courants de la


psychologie
1.1. La psychologie sociale et la psychologie cognitive

La psychologie cognitive a pour objet “… l'étude des processus de


46

traitement dans leurs conditions concrètes de fonctionnement : l'effet des


contextes, des situations, des tâches. À la recherche de lois générales s'est
40 PSYCHOLOGIE SOCIALE

substituée la recherche des mécanismes qui sont à la base du fonction-


nement et qu'on étudie à différents niveaux” (Richard, Bonnet et
Ghiglione, 1990, p. 6). La psychologie cognitive considère deux grandes
catégories d'informations susceptibles d’être traitées par les individus : les
informations sensorielles et les informations symboliques. Les traitements
qui portent sur l'information symbolique permettent l'activation de
connaissances, de représentations, d’attributions de significations et de
productions d’inférences. Ces activités sont sous la dépendance des
contextes sociaux et des caractéristiques individuelles.
Si l’on ne retient ici que les traitements qui concernent les informations
symboliques, c’est sans aucun doute parce que la façon dont elles sont
conceptualisées en psychologie cognitive permet d’établir un pont solide
entre ce champ d’étude et la psychologie sociale. Ce pont est, d’ailleurs,
en lui-même un domaine de recherche qui articule psychologie sociale et
psychologie cognitive et que l’on a défini sous deux labels (peut-être, ici,
devrions-nous soulever l’idée de deux ponts distincts (Monteil, 1993) : la
psychologie sociocognitive et la cognition sociale. En effet si la psycho-
logie cognitive prend en compte les contextes sociaux, de son côté la
psychologie sociale ne manque pas de recourir aux processus cognitifs
pour mieux comprendre comment les individus agissent dans leur milieu
social : la cognition sociale inclut une considération de tous les facteurs
influençant l’acquisition, la représentation et le rappel de l’information
concernant les personnes ainsi que les relations de ces processus avec les
jugements des personnes réalisées par l’observateur. Si la cognition sociale
propose une explication du fonctionnement social en termes de mécanis-
mes causaux internes à l’individu, la psychologie sociocognitive défend
l’idée inverse : la vie mentale trouve essentiellement son origine dans le
social (Harré, 1989) et il s’agit alors de considérer comment l'interaction
sociale, la communication, les métasystèmes sociaux affectent le fonction-
nement cognitif (Doise, 1989).
La psychologie sociale et la psychologie cognitive se retrouvent autour
de nombreux concepts largement développés dans les deux domaines.
Ainsi les concepts de jugement, de raisonnement, de contexte sont sans
doute les plus fédérateurs de ces deux disciplines dans la mesure où ils sont
à l’origine de vastes courants de recherches autant en psychologie cogni-
tive qu’en psychologie sociale (qu’il s’agisse de la psychologie socio-
cognitive ou de la cognition sociale). La notion de représentation, quoique
conçue différemment dans l’un et l’autre champ, et la notion de connais-
sance (qui inclut les connaissances d’ordre social telles que les stéréotypes,
les théories implicites, les normes, les représentations sociales, l'idéologie
et plus globalement les croyances...) sont aussi à la croisée des deux
CHAPITRE Il : LA PSYCHOLOGIE SOCIALE ET LES AUTRES DISCIPLINES DE LA PSYCHOLOGIE 41

disciplines. Enfin les recherches concernant la communication, le langage,


se nourrissent des concepts et résultats obtenus en psychologie sociale et
en psychologie cognitive.
Finalement, la distinction entre la psychologie sociale et la psychologie
cognitive est-elle très pertinente ? Sans doute plusieurs pans de la psycho-
logie sociale s’éloignent d’une conception cognitiviste de l’individu mais
peu à peu 1l semble que des liens de plus en plus nombreux se dessinent
entre les deux champs affaiblissant la pertinence d’une distinction radicale
entre eux.

1.2. La psychologie sociale et la psychologie du développement

La psychologie du développement a pour objet l’étude de la formation


et des transformations de l’organisation psychologique au fil du temps. Sur
le versant de l’étude de la formation de l’organisation psychologique, elle
s'intéresse plus spécifiquement à l’enfance qui constitue un support
privilégié de l’étude du changement.
Deux grands courants théoriques marquent ce champ disciplinaire : le
courant orthogénétique (qui défend une conception selon laquelle ce sont
les facteurs internes qui déterminent les transformations de l’organisation
psychologique) et le courant épigénétique (pour qui les facteurs d’environ-
nement jouent un rôle constructif dans l’organisation psychique) (Deleau,
1999). C’est dans cette deuxième perspective que la psychologie sociale
peut apporter un certain nombre de concepts à la psychologie du dévelop-
pement. Les travaux de Doise et Mugny (1981) proposant une théorie
sociopsychologique du développement sont particulièrement pertinents
pour illustrer les liens qui peuvent être construits entre la psychologie du
développement et la psychologie sociale. Dans leur ouvrage les auteurs
remettent en cause la perspective purement orthogénétique en reprenant les
travaux de Piaget dans le cadre d’une perspective ternaire développée, par
Moscovici (1984a, p. 8), selon laquelle la relation à l’objet ne peut être que
médiatisée par la relation du sujet à d’autres individus : ceci définit
spécifiquement l’interactionnisme social. Ce lien entre les deux disciplines
se retrouve aussi dans d’autres concepts comme le constructivisme social,
l’interdépendance sociale et le conflit sociocognitif qui constituent les
mécanismes sociopsychologiques sous-tendant le développement de
l'intelligence chez l’enfant.
La psychologie du développement s’intéressant aussi aux croyances
(entendues comme connaissances, opinions, convictions et attentes) ainsi
qu’à l’acquisition d’objets sociaux rejoint de ce fait des préoccupations
psychosociologiques. Les théories de l’attribution constituent également
42 PSYCHOLOGIE SOCIALE

une référence importante pour les études réalisées dans le champ du


développement portant sur la représentation des états mentaux et l’activité
de pensée (Deleau, 1999). De son côté la psychologie sociale entreprend
parfois des études auprès d’enfants ou d’adolescents comme celles ayant
été réalisées pour comprendre l’acquisition de normes et plus précisément
la norme d’internalité. Ces deux domaines de la psychologie ont certaine-
ment des points de convergence et l’impact des aspects sociaux dans le
développement de l'individu est amené à être de plus en plus pris en
compte dans le champ de la psychologie du développement.

1.3. La psychologie sociale et la psychologie clinique

La psychologie clinique est née de la psychologie pathologique à la fin du


xIX° siècle. Elle a pour objectif l’analyse de la personnalité considérée comme
une singularité. Elle repose pour une grande part sur des concepts psychana-
lytiques. À priori les liens entre la psychologie sociale et la psychologie
clinique sont peu nombreux : l’articulation entre le social et le psychologique
en psychologie sociale se faisant plutôt autour de concepts issus de la
psychologie cognitive qu’autour du concept de personnalité tel qu’il est déve-
loppé en psychologie clinique. De son côté la psychologie clinique développe
des méthodes et des concepts qui s’éloignent de ceux utilisés en psychologie
sociale. Il existe peu de recherches en psychologie clinique s'inspirant des
concepts et des méthodes utilisées en psychologie sociale.
Cependant la psychologie clinique ne se désintéresse pas pour autant
des aspects sociaux. Si des questions scientifiques formelles empêchent un
rapprochement des deux disciplines, la réalité empirique constitue d’une
certaine manière un lieu d’interrogation où parfois la question d’un
déterminisme psychosocial sur la constitution de la personnalité ou l’appa-
rition de ses pathologies se pose à la psychologie clinique. À ce sujet la
revue Bulletin de Psychologie en 1993-94 consacre un chapitre aux travaux
de Janet (1932, 1935, 1937) sur les “délires d'influence et les sentiments
sociaux” qui constitue une analyse des composantes sociales des délires et
des hallucinations et de l’impact du contexte social sur la psychologie des
individus.
Le chemin que prirent ensuite les recherches en psychologie clinique et
les méthodes employées pour développer les concepts posés ont été
fortement marqués par la psychanalyse plutôt que par les théories de la
psychologie sociale. Sans doute le manque de liens entre les deux disci-
plines s’explique-t-il historiquement. Depuis quelques années, cependant.
un changement commence à s’amorcer et l’on constate que certains
psychologues cliniciens font appel à des concepts développés plus spécifi-
CHAPITRE Il : LA PSYCHOLOGIE SOCIALE ET LES AUTRES DISCIPLINES DE LA PSYCHOLOGIE 43

quement en psychologie sociale comme les stéréotypes, les représentations


sociales (Mannoni, 2000). Ces concepts sont invoqués plus particuliè-
rement dans l’appréhension des pathologies addictives (Besançon, 1993 :
Mannoni, 2000). En tout état de cause il semble que le courant développant
une psychologie clinique au sein de laquelle sont considérés des facteurs
psychosociaux a encore un vaste champ à défricher.

2. Les espaces thématiques de rencontre privilégiés de la


psychologie sociale

2.1. La psychologie sociale et la psychologie différentielle

Dans : “Histoire et évolution de la psychologie différentielle”, Lautrey


écrit “{..] lorsque deux enfants partagent exactement le même patrimoine
génétique et le même milieu familial, comme c'est le cas des jumeaux
homozygotes (issus du même œuf) [...], ils se différencient l’un par rapport
à l’autre et s’individualisent au travers de leurs interactions sociales”
(1999, p. 18). Nous retiendrons que si la psychologie différentielle : “{...] est
la sous-discipline de la psychologie qui cherche à expliquer le comportement
des individus en s'appuyant sur des méthodes quantitatives pour étudier les
différences” (id., p. 19) elle n’exclut pas, loin s’en faut, les aspects sociaux
comme facteurs à l’origine de ces différences, facteurs qui s’inscrivent, entre
autres, dans l’interaction sociale.
Plus précisément et à titre d’exemple Reuchlin (1984a et b), dans le
cadre d’une revue de questions, présente des recherches différentielles
réalisées dans le domaine de la psychologie sociale expérimentale. “Les
recherches en psychologie sociale expérimentale faisant intervenir les
caractéristiques individuelles des sujets peuvent proposer la mise en
évidence d’une simple relation ou d’une interaction plus ou moins
complexe affectant les conduites individuelles. Il peut s'agir de simples
constats mais le plus souvent, il est fait référence à une théorie du
phénomène qui, elle, suscite une hypothèse différentielle, et est mise à
l'épreuve par des constats différentiels” (1984b, p. 429). On trouve ainsi
des travaux sur l'influence sociale, l’agression, la prise de risque dans les
groupes, la coopération, l’aide à autrui...
Au niveau plus global des concepts abordés par les psychologies diffé-
rentielle et sociale on peut trouver dans certains manuels de psychologie
sociale des concepts comme “l'intelligence” et “l'aptitude” (cf. Stoetzel,
1978) qui sont des thèmes clairement travaillés par les approches diffé-
rentielles, mais ces concepts sont rares en psychologie sociale, un peu
44 PSYCHOLOGIE SOCIALE

moins que le concept de “personnalité” (cf. Stoetzel, 1978, pp. 163-209 ou


encore Levy, 1978, pp. 3-36) qui est particulièrement important dans le
champ différentialiste (cf. Reuchlin, 1999, pp. 225-245). D'ailleurs
concernant plus particulièrement ce point, Reuchlin (1984a) pour illustrer
la convergence de deux disciplines fait appel aux traits de personnalité tels
qu’ils sont définis en psychologie sociale et tels qu’ils peuvent être utilisés
en psychologie différentielle comme : l’attirance à l’égard d’autrui, la
confiance à l’égard d’autrui, le soutien social perçu, la conscience de soi.
Si la psychologie sociale aborde l’individu dans le champ social, elle
accorde une place non négligeable aux différences interindividuelles qui
sont constitutives d’une dynamique socio-cognitive où les deux champs
disciplinaires peuvent être et sont indéniablement complémentaires.

2.2. La psychologie sociale et la psychologie interculturelle

Commençons par une définition de la psychologie interculturelle : “La


psychologie interculturelle est l’étude systématique des relations entre les
contextes culturels du développement humain et les comportements qui
s’actualisent progressivement dans le répertoire d'individus se développant
dans une culture particulière. Le champ est divers : certains psychologues
travaillent beaucoup dans une seule culture [psychologie culturelle],
certains comparent plusieurs cultures [psychologie (inter)culturelle compa-
rative] et certains travaillent avec des groupes ethniques à l'intérieur de
sociétés multiculturelles [psychologie interculturelle] : tous ambitionnent de
fournir une compréhension des relations culture-comportement” (Berry,
Poortinga, Pandey, Dasen, Saraswathi, Segall et Katiçibasi, 1997, p. X).
L'histoire récente de la psychologie interculturelle est intimement liée
au domaine traditionnel de la psychologie sociale. Ainsi, dans un ouvrage
récent de psychologie sociale, Pétard, reprenant des propositions de
Jahoda (1989), écrit : “Psychologie culturelle comparative, ou psychologie
interculturelle : elle traite de questions qui relèvent autant de la psycholo-
gie du développement que de la psychologie sociale” (1999, p. 31). Cette
proximité n’est pas nouvelle, puisque dans un autre ouvrage d'introduction
à la psychologie sociale (Tapia, 1996), on trouve un chapitre ayant pour
titre, “la psychologie interculturelle”, chapitre dans lequel on peut lire :
“Ainsi la psychologie culturelle s'intègre dans la psychologie sociale”
(Camilleri, 1996, p. 91).
Si la notion de culture est ancienne dans le champ de la psychologie
sociale (cf. par exemple Stoetzel, 1978) — et toujours d’actualité (cf. par
exemple Guimond, 1999) — on la trouve bien au centre d’une interaction
entre les domaines de la psychologie sociale et de la psychologie inter-
CHAPITRE II : LA PSYCHOLOGIE SOCIALE ET LES AUTRES DISCIPLINES DE LA PSYCHOLOGIE 45

culturelle. Et si nous recherchons les concepts importants qui sont dévelop-


pés dans ce dernier domaine, on trouve “la culture” en première place,
associée à une série de processus à l’œuvre dans le champ culturel comme :
“lenculturation” ; “l’acculturation” ou encore “l’interculturation”. Certains
de ces concepts sont proches, voire similaires à ceux étudiés par la psycho-
logie sociale. Il s’agit donc bien de lieux de convergences et de terrains
d’études abordés de manières complémentaires par les deux champs. Dans
le cas de l’enculturation, la réelle proximité de ce concept avec celui de
socialisation illustre bien ces lieux communs. En effet dans ce cas précis les
anglophones distinguent une enculturation soit informelle, soit formelle,
cette dernière ils la nomment : socialisation. Mais on trouve aussi développés
des thèmes plus généraux, qui s’avèrent être des “arêtes vives” de la
psychologie sociale comme l'identité, les stéréotypes, les normes sociales.
et qui sont abordés de concert par les deux courants. Enfin certains domaines
plus ou moins oubliés par la psychologie sociale comme la personnalité
(nous l’avons vu pour la psychologie différentielle) sont repris et étudiés par
la psychologie interculturelle (cf. Guerraoui et Troadec, 2000, pp. 60-68).
On le voit, plutôt que de frontières clairement délimitées, sur plusieurs points
il est question d’espaces de recherches partagés.

2.3. La psychologie sociale et la psychologie de la santé

Parmi les domaines que l’on peut qualifier de socialement importants,


la santé occupe bien évidemment une place de choix. Il est clair que de
nombreuses pathologies sont à intégrer dans une dynamique croisant trois
niveaux d’analyses : l’individu au niveau psychologique, au niveau biolo-
gique et le social. Pour définir la psychologie de la santé, Bruchon-
Schweitzer et Dantzer (1998) proposent une lecture du domaine en quatre
grandes orientations :
1. Les prédicteurs : il s’agit tout d’abord des déclencheurs de la
maladie comme par exemple des événements traumatiques..… et en second
lieu des antécédents comme les caractéristiques sociales, familiales,
professionnelles, les caractéristiques psychologiques ou encore les traits
pathogènes.
2. Les modérateurs : on trouve par exemple des thèmes ayant trait au
stress perçu, au contrôle perçu, au soutien social perçu.
3. Le coping : qui renvoie à des stratégies d’adaptation (stratégies
centrées sur le problème et/ou sur la régulation des émotions) de l'individu
face à des situations stressantes.
4. Les critères d’ajustement/non ajustement : somatiques ; comporte-
mentaux; émotionnels et cognitifs.
46 PSYCHOLOGIE SOCIALE

Un simple aperçu des principales orientations proposées ci-dessus,


nous montre clairement des champs d’intervenrtions en accord avec les
préoccupations conceptuelles issues de la psychologie sociale. Ainsi et à
titre d'exemple, si l’on fait référence dans la partie concernant les modé-
rateurs, au contrôle perçu, certaines des théories explicatives sont
proprement psychosociales comme l’attribution causale ou encore
l'impuissance apprise. Il n’est d’ailleurs pas rare de trouver dans un
ouvrage de psychologie sociale un chapitre portant explicitement sur la
santé, ainsi le manuel “psychologie sociale” de Gergen, Gergen et Jutras
(1992) comporte une section ayant trait au champ de la santé. L'orientation
développée par les auteurs pour aborder ces questions relève de l’écologie
sociale : “Le terme ‘écologie’ renvoie à l'étude des personnes à l’intérieur
de leur environnement ou de leur cadre de vie. En écologie sociale, on
s'intéresse plus particulièrement aux relations interpersonnelles dans un
milieu donné. Aussi, l'écologie sociale, dans sa façon d'aborder les
questions de santé, s’intéresse-t-elle à la relation entre la santé d'une
personne et son contexte social” (p. 382). Parmi les problèmes abordés se
situent en bonne place la reconnaissance et l’interprétation des symptômes,
le stress, les réseaux de soutien social, les effets du deuil... D’une manière
générale tout ce qui dans la santé, relève des approches psychosociales de
la maladie.

2.4. La psychologie sociale et la psychologie politique

Récemment, dans un numéro spécial du Bulletin de Psychologie consacré


à l’analyse des relations entre la psychologie et la politique, Dorna (1998)
effectue une synthèse sur les objectifs de la psychologie politique. Ce faisant
il constate combien il est difficile, du fait des différences de points de vue
proposés par les psychologues et par les politologues, d’articuler sur le plan
scientifique ces deux disciplines. Pourtant constate-t-il encore : “Le contexte
social actuel appelle une réflexion approfondie sur les rapports entre les
individus et la société de masse” (1988, p. 2). Orfali (1998), en citant
Paxton, insiste à son tour sur l’importance qu'il y a à considérer, plutôt que
l’histoire des idées, les processus qui sous-tendent les revirements politiques.
Le contexte social actuel apparaît favorable pour renforcer les liens entre la
psychologie et la politique. Et sans doute la psychologie sociale, si l’on se
réfère à la majorité des chercheurs travaillant dans le champ de la
psychologie politique, constitue un des supports les plus pertinents pour
réaliser cette tâche (Dorna, 1998, p. 4). Pour Orfali “.…. la psychologie sociale
est à même de cerner les interactions constantes à l'œuvre dans les
phénomènes d'influence ; elle permet d'appréhender le conflit novateur et
CHAPITRE Il : LA PSYCHOLOGIE SOCIALE ET LES AUTRES DISCIPLINES DE LA PSYCHOLOGIE 47

producteur de changement, et fournit une explication aux motivations


d'adhésion à des mouvements extrémistes ou Jascistes (1998 pAIT)ACeS
avis sont loin d’être posés à la légère. De nombreux travaux empiriques ou
réflexions théoriques et épistémologiques, tout autant que l’action sur le
terrain de certains psychologues sociaux rendent compte des liens étroits,
parfois fusionnels, et étonnamment variés qui existent entre le (la)
politique et la psychologie sociale. La variété même de ces travaux rend
difficile un ordonnancement précis. Nous pouvons globalement distinguer
les travaux en psychologie sociale qui s’intéressent aux processus cognitifs
en jeu dans des situations marquées “politiquement” et ceux qui
s’orientent vers l’analyse des relations intergroupes ou des phénomènes
SOCIÉtaux.
Sur un versant sociocognitif, à un niveau interindividuel, les méthodes et
les modèles théoriques en psychologie sociale permettent d’analyser des
comportements politiques (la prise de décision de responsables politiques,
leurs comportements face au risque par exemple) et les processus qui les
déterminent : notamment l’attribution, la production d’inférences. À un
niveau intergroupe des événements collectifs comme le racisme, le fémi-
nisme, l'homosexualité ou l’ethnocentrisme font l’objet de nombreuses
recherches notamment dans le champ de l’influence sociale. À un niveau
sociétal le champ des représentations sociales donne un autre éclairage sur les
liens entre la psychologie sociale et le (la) politique (Larrue, 1994). D’une
certaine manière l’intérêt que devrait entraîner l’étude d’un tel objet, pour un
psychologue social et sans doute aussi pour un politologue, serait d'envisager
de saisir le lien réflexif entre la production originelle d’un projet politique et
les interprétations et les pratiques qui se construisent dans le tissu social.
Nous pouvons aussi considérer l’apport des études en psychologie sociale
portant sur l’idéologie ainsi que celles portant sur la communication comme
étant particulièrement enrichissantes pour les sciences politiques. Il faut
relever également les nombreux travaux concernant la norme d’internalité qui
se situent, quant à eux, à la croisée de “l’idéologique”, l'acquisition de
connaissances sociales et les comportements sociaux.

2.5. La psychologie sociale et la psychologie économique

Les relations entre la psychologie sociale et l’économie sont anciennes


(fin du xix£ siècle) et se sont avérées très fructueuses puisqu'elles se sont
concrétisées par une coopération interdisciplinaire dans un champ
scientifique spécifique : la psychologie économique. Ces liens se sont
tissés autour de deux grands axes : l’un méthodologique et l’autre
théorique.
48 PSYCHOLOGIE SOCIALE

Un secteur important des sciences économiques s'intéresse aux


activités économiques individuelles (le travail, la consommation et l’épar-
gne, la gestion), collectives (la coopération, la compétition, la négociation
et l'échange) et à l’impact de l’économie sur le psychisme des individus et
des relations interpersonnelles (le cognitif, la prise de risque et l’affectif).
Longtemps les économistes ont considéré l’homo oeconomicus comme un
être rationnel produisant des comportements dominés par la logique. Mais
peu à peu les facteurs psychologiques ont été pris en considération du fait
de la difficulté à interpréter certains résultats obtenus dans le cadre de
modèles économiques très formels. Les chercheurs ont emprunté, de ce
fait, des méthodes et des concepts développés en psychologie et particu-
lièrement en psychologie sociale.
Pour Lassare (1995) “L'économie est un champ d'application des
méthodes scientifiques élaborées par la psychologie sociale pour expliquer
et prévoir les conduites économiques” (p. 17). Les méthodes empruntées à
la psychologie sociale sont les méthodes d’enquêtes : questionnaires,
ouverts ou fermés, échelles de mesure, différenciateurs sémantiques, et
l’observation. Les études menées sont des études de type comparatif ou
longitudinal. La psychologie sociale a aussi apporté à l’économie des
protocoles de recherches expérimentaux, et de nombreuses études en labo-
ratoire se sont développées dans le but de procéder à des simulations ou de
valider certains modèles économiques. Ces études concernent particu-
lièrement l’analyse des comportements des individus dans des situations
économiques (décision d’achat ou concernant la gestion d’une entreprise,
comportement des courtiers...) et ont pour objectif de mieux cerner les
processus qui les sous-tendent. :
Si ces méthodes permettent à l’économie de développer et d'affiner les
mesures des comportements des acteurs économiques, Lassare (1995)
souligne également que de nombreuses théories développées en psycho-
logie sociale donnent un cadre conceptuel à l’interprétation et à la mise en
place de nouvelles hypothèses tout en permettant d'éclairer certains
résultats obtenus dans le cadre de modèles économiques. Si l’on définit,
d’un point de vue épistémologique, la psychologie sociale comme étant la
science de l'interaction, interaction au cours de laquelle entrent en jeu
l'individu, un environnement social complexe et les caractéristiques
propres à cet environnement, cela concerne aussi l’économie et notamment
les différents secteurs du marketing qui s’intéressent à l'individu en
interaction avec un Alter et un objet plus spécifiquement économique.
Il est possible de définir les liens entre ces deux domaines à deux
niveaux : un niveau interindividuel par une approche sociocognitive
concernant plutôt les processus cognitifs sous-tendant les comportements
CHAPITRE Il : LA PSYCHOLOGIE SOCIALE ET LES AUTRES DISCIPLINES DE LA PSYCHOLOGIE 49

et un niveau groupal ou sociétal par une approche sociale ou sociétale dans


l'impact des croyances sur les comportements des acteurs économiques
(Simiand, 1937, cité par Roland Levy et Adair, 1998). Ainsi les théories
concernant les attitudes, l’attribution causale (et plus globalement le
raisonnement), le fonctionnement des groupes et les représentations
sociales sont considérées comme étant particulièrement heuristiques dans
le champ de l’économie. La coopération entre la psychologie sociale et
l’économie fait preuve d’un grand dynamisme et enrichit chacun des deux
domaines scientifiques tant au niveau de la recherche appliquée qu’au
niveau de la recherche fondamentale.

2.6. La psychologie sociale et la psychologie du travail et des


organisations

La psychologie du travail et des organisations comme son nom


l'indique traite sous toutes ses formes des problèmes liés au domaine du
travail et des organisations, ce qui l’amène à réunir en son sein de
multiples composantes comme des personnels du CNAM (Centre national
des arts et métiers), des chefs d’entreprise, des ingénieurs, des univer-
sitaires.… et parmi ces universitaires on trouve principalement des psycho-
logues émanant des domaines du travail et de l’organisation, de l’ergo-
nomie, de la psychologie sociale.
Karnas (1996), dans un chapitre portant sur la psychosociologie du
travail et de l’ergonomie, définit trois pistes d’intervention de la psycho-
logie dans le champ du travail : “— celle de l'application des résultats des
approches de la psychologie différentielle [...] ; — celle correspondant à la
prise de conscience de l'importance d'analyser les motivations du travail-
leur, leur multiplicité et la dynamique sociale dans laquelle ces motiva-
tions se développent [...] ; — celle enfin, de la nécessité de comprendre
quelles sont les contraintes psychophysiologiques imposées par le travail
et les outils” (1996, p. 124). On retrouve au moins dans la seconde orien-
tation des préoccupations liées au domaine de la psychologie sociale,
d’ailleurs l’auteur développe par la suite des thèmes communs aux deux
champs comme : l’autorité, le commandement, le pouvoir, la communica-
tion et la transmission de l'information, la culture d’entreprise, la
dynamique des groupes, la prise de décision collective... Dans le même
ouvrage un autre auteur développe un chapitre portant plus particulière-
ment sur la psychosociologie des organisations (Demailly, 1996) dans
lequel il définit trois tendances qui traversent ce champ disciplinaire :
“_ Les thèmes de la rationalité humaine [...], — le thème de la coordination
interne de l'adaptation externe des organisations [...], — le thème des
50 PSYCHOLOGIE SOCIALE

rapports de la connaissance et de l'action dans le fonctionnement et


l'évolution des organisations ; pour certains, la réalité est socialement
construite et les organisations humaines produisent essentiellement un
‘tissu’ de significations et de représentations qui orientent leur action ;
pour d’autres, les individus et les organisations s ’auto-organisent dans et
par l’action : c’est en agissant qu'ils se construisent des représentations
de leurs comportements et de leurs transformations” (1996, p. 184). On
comprend aisément que la troisième tendance entre de plain-pied dans les
interrogations et les multiples préoccupations de la psychologie sociale.
Enfin signalons pour clore ce chapitre que d’autres thèmes — liés à des
objets d’études ou des champs disciplinaires — existent aussi dans le champ
de la psychologie sociale comme : la psychologie scolaire : la justice ;
l’alimentation ; le sport ; l’environnement...

Annexe

+ La psychologie différentielle
Il n'existe pas en psychologie différentielle d'association regroupant les
chercheurs intéressés par ce domaine, mais un colloque, qui a lieu tous les
deux ans, aborde l’ensemble des thèmes concernant ce champ de recherche.
Ainsi le dernier colloque qui a eu lieu à Paris en 1998 (XIII® journées de
psychologie différentielle) a traité, entre autres, de socialisation, de person-
nalité, de médiation sociale des apprentissages, de l’image de soi.

+ La psychologie interculturelle
L'association française Ss’occupant de problèmes liés à la psychologie inter-
culturelle se nomme ARIC (Association pour la Recherche en interculturel). Mais
l'organisme le plus important est l’/nternational Association for Cross-Cultural
Psychology qui édite le Journal of Cross Cultural Psychology et qui anime de
nombreux colloques. À titre d'exemple, le XIII® congrès international de
psychologie interculturelle - IACCP - (Montréal, 1996) regroupait des commu-
nications sur l'identité, les représentations sociales, les stéréotypes, la
socialisation, le pouvoir, la catégorisation sociale, les attitudes. thèmes large-
ment débattus en psychologie sociale et issus pour la plupart de cette discipline.

+ La psychologie de la santé
Si la psychologie de la santé est une discipline importante dans d'autres pays,
notamment les pays anglo-saxons, en France elle commence seulement à
s'organiser. || n'existe pas d'association nationale regroupant les chercheurs
du champ de la santé et pas de colloque spécifique en France du moins. Au
CHAPITRE Il : LA PSYCHOLOGIE SOCIALE ET LES AUTRES DISCIPLINES DE LA PSYCHOLOGIE 51

niveau européen le domaine de la santé s’est organisé et s’est doté de “la


société européenne de psychologie de la santé”.

+ La psychologie politique
Au niveau international l'association se nomme : /nternational Association of
Political Psychology. Elle édite la revue Political Psychology. La psychologie
politique française s’est dotée très récemment d’un lieu de rencontre
l'Association française de Psychologie Politique” (AFPP). En 1999 a eu lieu le
premier colloque français de psychologie politique intitulé “Démocratie et
charismes” regroupant de nombreux thèmes lié à la psychologie sociale.

+ La psychologie économique
Le lAREP (International Association for Research in Economic Psychology) est
l’organe regroupant les chercheurs travaillant dans le domaine de l’économie,
cette association édite le Journal of Economic Psychology. À titre indicatif
signalons que cette association a organisé un colloque en 1996 à Paris ayant
pour intitulé “Représentations sociales et économiques”. Les thèmes
proposés dans ce colloque étant : représentations du consommateur,
croyances et comportements économiques, socialisation économique,
attitude et prise de décision, négociations et chômage...

+ La psychologie du travail et des organisations


La psychologie du travail et des organisations est un domaine vaste et
important regroupé pour les francophones dans l'Association Internationale de
Psychologie du Travail et des Organisations (AIPTLF). Cet organisme édite la
revue : Psychologie du Travail et des Organisations. Bien entendu comme pour
les autres champs disciplinaires évoqués elle a son pendant en langue
anglaise... On peut néanmoins souligner son autonomie et sa remarquable
vivacité. À titre d'exemple, si l’on prend la table des matières de quatre
numéros de l’année 1996, on trouve des thèmes concernant la psychologie
des groupes, l'identité, les valeurs, le statut social... thèmes connus et
travaillés en psychologie sociale.
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CHAPITRE III

La recherche en psychologie sociale :


des scénarios en quête de propositions attestées,
testées mais potentiellement contestables

Thierry MEYER

Imaginez que vous appreniez que votre nouveau voisin exerce la


profession de “chercheur en psychologie sociale”. Vous ne le connaissez
pas. Vous anticipez de rencontrer un type d’individu particulier distinct
d’un dentiste, d’un chercheur en volcanologie ou encore d’un vendeur de
voitures d’occasion. Est-ce plutôt un homme ou une femme, ressemble-t-il
à un cadre de banque ou à un animateur de rue ? Parle-t-il un langage
compréhensible ou un jargon inaccessible ? Faudrait-il lui proposer un
pastis ou un whisky s’il venait chez vous ? Mais, plus important pour notre
propos, que fait ce “chercheur en psychologie sociale” ? Certes de la
recherche mais dans quels domaines ? Qu'est-ce qui distingue les savoirs
issus de cette recherche d’autres savoirs littéraires ou scientifiques, du
journalisme ou encore de pratiques divinatoires ? À quoi ressemble un
laboratoire de psychologie sociale ? Quels sont les moyens mobilisés et à
qui sont destinés les résultats ? Quelle est sa méthode de travail ? Si vous
n'avez pas fréquenté un département de Sciences Humaines d’une
Université et rencontré quelques exemplaires de la catégorie “chercheur en
psychologie sociale”, il est probable que vous soyez fort dépourvus. Ne
comptez pas non plus sur les médias, les psychologues sociaux y sont fort
discrets. Quand bien même vous auriez déjà participé à tel ou tel ensei-
gnement spécialisé dans lequel vous avez réalisé un embryon de recherche,
vous n’avez probablement qu’une idée assez obscure de l'exercice
professionnel de la recherche. Le but de ces quelques pages est de vous
aider à voir plus clair sur l’ensemble de la démarche de recherche en
psychologie sociale. Le but n’est pas si simple puisque des manuels entiers
sont disponibles pour introduire les étudiants avancés à la logique et à la
pratique de la recherche (par exemple Leong et Austin, 1997).
54 PSYCHOLOGIE SOCIALE

Renonçons d’abord à livrer un portrait-type du chercheur en


psychologie sociale. Attendez d’en fréquenter quelques-uns pour vous
faire vous-même une idée. Essayons plutôt de décrire quelques traits de
l'exercice de la recherche en psychologie sociale. On supposera que ce
“chercheur en psychologie sociale” se conforme a minima aux règles de
son milieu, à tout le moins celles qui sont couramment acceptées dans les
institutions qui, dans la plupart des pays du monde, disposent
d’Universités et de centres de recherche spécialisés. Nous commencerons
par un exemple.

1. Quelques critères de délimitation d’une recherche en


psychologie sociale

1.1. Recherche ou fragment d’une pièce de théâtre ? En attendant


un “skinhead”

Il est onze heures du matin, je pénètre dans une salle d’attente où tout
à l’heure je dois rencontrer un jeune homme qui m'a été présenté comme
un “skinhead”. Sur la première des huit chaises de la salle d’attente, je vois
un blouson en jean et un sac. Ces indices me confirment qu’il s’agit d’un
“skinhead”, que Je sais plus familier des blousons en jean que des vestes
en tweed, et des sacs plutôt que des attaché-cases. La catégorie ‘“‘skinhead”
ne m’apprend pas seulement qui est cet inconnu, mais ce qu’il est
susceptible d’entreprendre à mon égard. Admettons donc que j’ai quelque
raison de croire que les “skinheads” sont violents. Peut-être alors choisirais-
Je une chaise à distance respectable de celle occupée par le blouson et le
sac. On aura compris que le blouson et le sac ont été installés à dessein par
un psychologue social. Un individu a accepté de participer à une recherche
et s’est retrouvé impliqué dans un scénario construit pour les besoins de la
recherche. En quoi avons-nous résumé une recherche en psychologie
sociale et non un fragment de pièce de théâtre ou une mise en scène conçue
pour une émission de télévision du genre “caméra cachée” dans laquelle
les individus naïfs sont piégés par une situation habilement manipulée ? À
se laisser porter par le récit, on ne s’initie pas plus à la recherche que les
bourgeois du xvII* siècle n’apprenaient sur l’électricité en participant à
des divertissements de salons sur l'électricité (Bachelard, 1949).
L'objectif général d’une recherche est de produire des modèles et des
théories validées selon les méthodes et les modes habituels de la recherche
scientifique. La recherche s’inscrivait dans une démarche de modélisation.
CHAPITRE III : LA RECHERCHE EN PSYCHOLOGIE SOCIALE 99

La stratégie de recherche était basée sur une comparaison raisonnée entre


deux conditions. Avant d’entrer dans la salle d’attente, les participants
avaient à raconter la journée typique d’un jeune homme présenté comme
un ‘‘skinhead”. Dans une première condition (dite témoin), les participants
décrivaient cette journée sans consigne particulière. Dans une seconde
condition (dite expérimentale) d’autres participants devaient raconter cette
Journée typique avec la consigne de veiller à ne pas se laisser aller aux
images toutes faites sur les ‘“‘skinheads” (consigne d’inhibition des stéréo-
types). Comme les hypothèses le prévoyaient, il apparaît que ces individus
qui ont fait l’effort de ne pas utiliser des stéréotypes choisissent de
s'asseoir plus loin de la chaise supposée être occupée par le “skinhead”
que ceux qui avaient à raconter une journée typique d’un skinhead sans
consigne particulière. Tout se passe comme si le fait d’avoir fait dans un
premier temps l’effort d’inhiber sa propre propension à appliquer à un
individu particulier les caractéristiques subjectivement associées à son
groupe (stéréotype) augmentait dans un second temps l’effet du stéréotype.
Une fois relâché l’effort d’inhibition, les participants de la condition
expérimentale se sont comportés dans la salle d’attente plus en conformité
avec le stéréotype que les participants de la condition témoin. On savait
déjà que le fait d’avoir à l’esprit une catégorie générale à propos d’une
personne était susceptible de modifier notre manière d’interagir avec elle
(cf. supra votre nouveau voisin chercheur), que nous ayons ou pas
conscience de la présence de cette catégorie. La mise en évidence de cet
effet “rebond” a ouvert des perspectives de recherche originales (cf.
Bodenhausen, Macrae, et Sherman — 1999 — pour une synthèse sur ce
domaine).
Sans aborder aux rives de la philosophie des sciences ou même de la
psychologie sociale de la science (Shadish et Fuller, 1994), nous suggérons
ici trois critères simples de délimitation d’une recherche. Les propositions
avancées par le chercheur :
— sont attestées par une communauté scientifique ;
— concernent un phénomène intéressant et robuste abordé selon les
canons de la méthode scientifique ;
— sont initialement testables et donc potentiellement contestables.

1.2. L'attestation d’une communauté scientifique

La recherche a été publiée par Macrae, Bodenhausen, Milne, et Jetten


en 1994 dans le Journal of Personality and Social Psychology, édité par
l'Association Psychologique Américaine (APA) — les auteurs sont eux-
mêmes des professionnels réputés : Macrae de nationalité anglaise né en
96 PSYCHOLOGIE SOCIALE

1963 a reçu en 1999 le prix de la jeune carrière scientifique — nord-


américaine — par |’ APA. Cette revue est une des plus prestigieuses dans le
domaine parmi d’autres comme Personalilty and Social Psychology
Bulletin, ou European Journal of Social Psychology. En recherche, la
publication a une signification particulière distincte du sens habituel utilisé
dans l’édition. Il ne s’agit pas de rendre publics une opinion, à l'instar d’un
polémiste, ou même un récit de faits avérés à l’instar d’un journaliste. Un
contrôle est exercé sur la valeur scientifique du contenu. Une série de
propositions, adossées à l’état courant des connaissances spécialisées,
avancent une modélisation suffisamment précise pour décrire correctement
le phénomène observé et suffisamment générale pour permettre des prédic-
tions. Une première variable, ici une tâche qui impliquait ou pas l’inhi-
bition d’un stéréotype, était supposée avoir un effet sur une autre variable,
ici le comportement du participant dans la salle d’attente. Ceci sous
l'hypothèse de l’intervention d’un processus lié à l’activation et à
l’inhibition des catégories mentales. La recherche met à l’épreuve des faits
ces prédictions, et analyse les observations selon un cadre interprétatif
explicite.
La publication dans cette revue atteste donc que les auteurs ont engagé
leur recherche à propos d’un phénomène intéressant la psychologie sociale
scientifique et l’ont communiquée selon les canons couramment admis par
cette communauté. La publication, et surtout l’évaluation qu'elle présup-
pose, assure que l’épisode décrit ne relève pas d’un fragment de pièce de
théâtre ou d’un futur sketch pour humoriste. La recherche s’accomplit
véritablement quand elle s’expose complètement à l’avis critique d’autres
chercheurs. La publication est le point ultime’ de la communication des
résultats, déjà commencée par l’exposé dans des séminaires propres à un
laboratoire, la présentation dans des colloques et congrès, la diffusion
restreinte du manuscrit auprès de spécialistes du domaine.
Ce filtre de la publication est particulièrement précieux pour ceux qui
souhaitent s’informer sur un domaine en limitant la confusion avec des
sources moins fiables. Une publication dans une bonne revue est indexée
dans des bases de données spécialisées qui permettent de circonscrire des
informations pertinentes pour un problème donné. Des revues sont par
ailleurs entièrement ou partiellement consacrées à des synthèses des
connaissances dans un domaine donné (Annual Review of Psychology ou
l'Année Psychologique).
CHAPITRE II! : LA RECHERCHE EN PSYCHOLOGIE SOCIALE 57

1.3. Un phénomène intéressant et robuste abordé selon les canons


de la méthode scientifique

Comment en pratique procède-t-on à l’évaluation d’une telle recherche ?


Le manuscrit proposé par les auteurs est lu par au moins deux spécialistes du
domaine (experts) qui évaluent son intérêt sur une série de critères fixés à
l'avance. En principe, les évaluateurs ne connaissent pas le nom des auteurs.
Les experts et le responsable de la revue ont considéré que le résultat
rapporté, ici l'effet rebond de l’inhibition d’un stéréotype, présentait un
intérêt suffisant pour être présenté dans un journal consacré à la psychologie
sociale — pour les meilleures revues, la compétition est serrée au point que la
majorité des manuscrits adressés à la revue sont rejetés (comme par
exemple 79 % des 681 manuscrits reçus en 1998 pour le Journal of
Personality and Social Psychology). Les évaluateurs ne se sont pas
contentés de vérifier que les propositions majeures avancées dans l’article
se présentent sous un format d'écriture acceptable dans une revue de
psychologie sociale. Examinons quelques-unes des questions qui sont
couramment posées lors de l’examen d’un manuscrit.

e Intérêt et cohérence
La recherche intéresse-t-elle bien le secteur de la psychologie sociale
couvert par la revue, ici la cognition sociale (Yzerbyt et Schadron, 1996) ?
La recherche était-elle adossée à l’état actuel des connaissances, ic1 le
rapport entre stéréotypes et comportements ? De ce point de vue, les résul-
tats présentés apportent-ils un éclairage nouveau par rapport à ce qui est
déjà connu ? Les processus impliqués dans le modèle sont-ils plausibles
avec ce que l’on connaît déjà, sinon est-il vraiment justifié de proposer un
nouveau modèle et de convoquer d’autres processus (principe d’éco-
nomie) ? Un modèle est-il présenté qui soit constitué de propositions
cohérentes et non contradictoires ?

+ Robustesse et validité
Le phénomène est-il robuste ? Autrement dit, s’observe-t-il de manière
répétée auprès d’un nombre suffisant d’individus dans des conditions
comparables ? Dans cet esprit les auteurs ont-ils correctement éprouvé leur
modèle ? Les mesures proposées correspondent-elles bien à ce qui était
supposé être mesuré : le fait de choisir une position plus éloignée de la
chaise attribuée au skinhead est-il une expression comportementale valable
de l’effet “rebond” ? Le plan de recherche permet-il de ne pas confondre
les effets de l’inhibition du stéréotype avec d’autres variables comme le
fait de répondre à une demande inhabituelle ? Les tests de l'hypothèse
58 PSYCHOLOGIE SOCIALE

sont-ils éprouvés selon des méthodes statistiques appropriées sale


phénomène observé est-il de taille suffisante (se déplacer sur la même
chaise de quelques millimètres n’a pas la même signification et a des
conséquences différentes de choisir la chaise la plus éloignée du supposé
skinhead) ? Le modèle permet-il non seulement de décrire l’effet concerné
mais aussi de faire une prédiction valable au-delà des conditions
particulières dans lesquelles celui-ci a été mis en évidence ? La variabilité
liée au site devrait être intégrée dans le modèle proposé par le chercheur.
L'effet rebond est-il un mécanisme universel ou est-il l'expression de
normes culturelles locales ? Au-delà des critères proprement scientifiques,
interviennent aussi des critères déontologiques dans le sens où les
protocoles utilisés devraient se conformer aux règles professionnelles en
matière de participation d'individus à des recherches en psychologie.

1.4. Une proposition testable donc potentiellement contestable

Une condition initiale pour que la recherche entre dans le champ


scientifique est que la proposition soit formulée sous une forme testable
par des moyens empiriques. Ces moyens peuvent être reproduits par
d’autres chercheurs, et donc laissent la possibilité de contester les résultats
et l’interprétation qui en est donnée. L’examen critique des résultats est
entièrement légitime, et protège, sans l’annuler complètement, d’une
orthodoxie basée sur le prestige d’un auteur, d’un courant de pensée ou
d’un groupe de pression.
Toutes les propositions ne sont pas testables par des moyens empiriques
mobilisables aujourd’hui dans un cadre scientifique. La peinture abstraite
est-elle préférable à la peinture figurative ? Quel est le sens de la vie ? Le
bonheur est-il accessible sur terre ? L'histoire a-t-elle un sens ? Une société
sans inégalités est-elle possible ? La femme est-elle l’égale de l’homme
(ou l'inverse) ? etc. La psychologie sociale peut certes fournir un matériau
intéressant pour la réflexion, mais elle ne saurait à elle seule épuiser le type
de questions posées par les philosophes, les théologiens, ou les spécialistes
des sciences politiques.

1.5. Innovation

La recherche elle-même ne se résume pas à la conduite rigoureuse et


documentée d’une investigation et à la communication des résultats. Elle
est aussi la possibilité de découverte et d’innovation théorique ou métho-
dologique. La difficulté avérée de vérifier une hypothèse, des résultats
contradictoires, la contestation d’une proposition théorique, une intuition
CHAPITRE III : LA RECHERCHE EN PSYCHOLOGIE SOCIALE 5

où une observation fortuite amènent parfois à la mise en cause de ce qui


était considéré comme acquis, et surtout à la formulation de nouvelles
questions. Bref au-delà des qualités méthodologiques, le primat revient
aux idées soutenues dans une recherche et à leur valeur heuristique en ce
sens qu’elles contribuent à développer des connaissances nouvelles. De ce
point de vue, la recherche de Macrae et al. a suscité de nombreuses autres
recherches qui ont en particulier abordé les conditions limitatives dans
lesquelles nos efforts pour corriger nos stéréotypes peuvent présenter des
effets paradoxaux sur nos comportements.

2. Délimitation de l’objet de recherche et niveaux d'analyse


Revenons maintenant aux étapes que le chercheur a suivies pour arriver
à la publication. En premier lieu, il faut fixer un domaine d'intérêt et
construire un objet de recherche. Un chercheur, fut-il un esprit universel,
est nécessairement spécialisé pour sa production dans quelques domaines
pour lesquels il suit les connaissances, et développe des relations profes-
sionnelles, organise ou participe à un programme de recherche.
Le champ de la psychologie sociale est extraordinairement large, aussi
est-il nécessaire d’être précis non seulement quant au domaine abordé
mais aussi quant au niveau d’analyse auquel on souhaite travailler. Les
traces d’une influence de l’inscription sociale d’un comportement, d’une
émotion ou d’une intention peuvent être recherchées au niveau des
mécanismes physiologiques, des processus de motivation, des émotions,
des processus cognitifs tous observables à l’échelle d’un individu singu-
lier. L'unité d’analyse la plus courante, celle adoptée par la majorité des
chercheurs, est l’individu : en conformité avec l’inscription majoritaire de
la psychologie sociale en psychologie dont elle est une des composantes
les plus actives (psychologie sociale psychologique). D’autres chercheurs,
particulièrement mais pas seulement dans les pays européens, mettent
moins l’accent sur les contributions des individus singuliers, et plus
l’accent sur des produits collectifs issus des transactions entre individus
comme les rapports entre les groupes ou la communication (psychologie
sociale sociologique). Les manuels rivalisent d’habileté pour découper le
domaine (Higgins et Kruglanski, 1996). Cette capacité à maintenir
plusieurs niveaux d’analyse dans la même discipline est probablement la
richesse la plus grande de la psychologie sociale, et nombreux sont ceux
qui revendiquent même l’intérêt de cette hétérogénéité. En pratique, il est
cependant rare qu’un même chercheur aborde simultanément plusieurs de
ces niveaux d'analyse. Tel ou tel niveau d’analyse a été plus ou moins
60 PSYCHOLOGIE SOCIALE

privilégié à telle ou telle époque. Depuis plus de vingt ans la psychologie


sociale a fortement été imprégnée de l’abord cognitif en psychologie à
l'instar de la recherche de Macrae et al. : les questions sont posées sous
l’angle du traitement de l'information par un individu singulier.
Aujourd’hui cette approche est balancée par une réflexion sur les buts
poursuivis par l’individu et les modalités de relation à l’action (Gollwitzer
et Bargh, 1997).
La délimitation de l’objet de recherche passe par une revue de question
approfondie. Une question est délimitée par l’ensemble des recherches
passées en rapport avec cette question. Ainsi on s’intéressera à la manière
dont nous corrigeons nos jugements dans un sens socialement acceptable,
ou encore à la manière dont nos comportements en faveur d’une option
nous engagent à produire d’autres comportements en faveur de cette option
plutôt qu’à changer d’option, aux conditions dans lesquelles nous préfé-
rons nous comparer à une personne dont les performances sont inférieures
plutôt que supérieures aux nôtres. Cette approche est dite paradigmatique
dans le sens où elle aborde un objet fortement circonscrit dans la littéra-
ture, et donc déjà partagé par des chercheurs. L’inventivité consistera à
introduire des variations qui permettront d’avoir un nouveau regard sur le
domaine. Ces variables peuvent être modératrices, quand par exemple on
ajoute une condition qui augmente ou au contraire diminue l’effet observé
(élément lié à la situation, à la tâche, à l’appartenance à une catégorie —
hommes/femmes, dépressifs/non-dépressifs, etc. —). Ces variables peuvent
être médiatrices dans le sens qu’elles introduisent un élément qui est
supposé intervenir chez tous les individus pour expliquer l’effet de tel ou
tel facteur. On pourra alors convoquer des variables comme l'importance
des attitudes, l’intervention de composantes cognitives ou affectives de
scores mesurées par des scores à des échelles psychologiques, etc.
D'autres entrées sont bien entendu possibles. Souvent les étudiants
s'engagent sur un thème basé sur un intérêt personnel qu'il est difficile de
convertir en question de psychologie sociale.

3. Recherche fondamentale et appliquée


Un autre versant important de la psychologie sociale concerne la
recherche appliquée (Guingouin, et Le Poultier, 1994 : Semin et Fiedler,
1994). Les problèmes sont alors en prise avec une demande en dehors de
la recherche elle-même. L'objectif est ici moins de contribuer à une
connaissance générale que d'éclairer un problème formulé par d’autres
que le chercheur (entreprises privées, pouvoirs publics, organisations sans
CHAPITRE III : LA RECHERCHE EN PSYCHOLOGIE SOCIALE 61

but lucratif, etc.). Les résultats attendus doivent aider une décision. Pour
autant, il est indispensable de construire aussi des modèles dans des
domaines délimités : psychologie sociale appliquée au management, à la
justice, au sport, à la consommation, à l’environnement, aux transports, à
la santé publique, etc. Les domaines d’application couvrent tous les
domaines y compris bien entendu les problèmes sociaux au sens où il
existe des institutions en charge des problèmes identifiés comme sociaux
(le logement, la sécurité, la pauvreté, etc.).
Du point de vue de la conduite de la recherche, la difficulté sera souvent
de se dégager des catégories fixées par le demandeur. Le chercheur sera
souvent plus écouté s’il s’adosse à une expertise originale dans son
domaine plutôt que s’il se contente de reformuler le discours ambiant
(discours des éducateurs sur l’éducation par exemple). Les distances ne
sont pas toujours aussi grandes entre les domaines dits fondamentaux et
dits appliqués. Pour rester dans le domaine des stéréotypes tel chercheur
intéressé par la psychologie de la consommation pourra ainsi montrer que
la préférence pour un fromage sera commandée par des variables
psychosociales. Ainsi, pour des Américains du Kansas, un fromage
présenté comme “originaire de France” sera préféré au même fromage
“originaire du Kansas”, et ce que le fromage soit bon ou mauvais. Cet effet
est amplifié par le fait que certains individus préfèrent ajuster leurs
évaluations à ce qu’ils perçoivent comme approprié à la situation sociale
plutôt que d’exprimer leurs préférences intimes — échelle de “monitorage
de soi” — (de Bono, 2000).
Il serait tout aussi naïf de penser que la recherche fondamentale n’a
aucune portée pratique que de croire que la recherche appliquée se
transfère directement aux applications. L’avis d’un chercheur intervient
souvent dans un processus de décision complexe dont les modalités
échappent généralement au chercheur lui-même.

4. Les méthodes de recherche


De par la complexité de ses objets de recherche, la psychologie sociale
est réputée, et parfois redoutée par ceux qui s’y initient, pour la sophis-
tication méthodologique de ses investigations. De fait, elle couvre un
spectre de méthodes d'investigation exceptionnellement large dans le
domaine des sciences humaines (Delhomme et Meyer, 1997). Ces
méthodes peuvent être ordonnées selon un continuum de contrôle des
variables depuis l’observation (les variables sont identifiées puis mesurées
dans le but de décrire des liens entre variables) jusqu’à l’expérimentation
62 PSYCHOLOGIE SOCIALE

(les variables sont manipulées par le chercheur dans le but de s'assurer


qu’une variable a bien un effet causal sur une autre toutes choses égales par
ailleurs). De même les techniques d’investigation au service de ces métho-
des couvrent un ensemble qui part des démarches interactives où le
chercheur s’engage dans un contact direct avec les participants (entretiens
de recherche par exemple) jusqu'aux mesures comportementales ou même
physiologiques. Les méthodes et les techniques ne sont évidemment pas
neutres. L’épistémologie implicite du chercheur se révèle souvent autant
dans le choix des méthodes et techniques que dans l’interprétation des
résultats.
Corrélativement, l’analyse des données est souvent sophistiquée.
Aujourd’hui la validation des modèles passe couramment par des équa-
tions structurales qui testent l’intervention de variables médiatrices. Les
méta-analyses ont ouvert la possibilité d’un cumul des connaissances sur
un domaine, apportant aux revues de questions traditionnelles une
dimension quantitative (fréquence et importance des effets observés).

5. Une recherche réductionniste et positiviste ?


De manière largement majoritaire, la psychologie sociale s'inscrit dans
une perspective qu’on peut qualifier d’empirisme scientifique. En se don-
nant pour objectif d'identifier des variables, de repérer les relations
qu’elles entretiennent par des tests empiriques sous forme d’observations
et d’expérimentation. La discipline est aussi traversée par d’autres points
de vue en désaccord plus ou moins radical avet ce parti pris. La psycholo-
gie sociale traditionnelle est ainsi accusée de réductionnisme (ramener la
complexité du monde et des expériences personnelles à des variables et des
modèles) et de positivisme (avancer implicitement que le progrès des
connaissances scientifiques est une valeur positive en soi). Sans faire le
détail de tous les courants contestataires, la voie dite herméneutique suggè-
re que la recherche en sciences humaines ne peut (ne doit) se proposer que
d’atteindre les significations subjectives que donnent les individus à leur
expérience. Les domaines d’investigation portent plus sur les constructions
sociales comme le langage, la communication ou les représentations
sociales. Un argument couramment avancé est que les critères que nous
avons nous-mêmes posés comme distinctifs d’une recherche (attestation
par une communauté de chercheurs, séparation entre modèles et obser-
vables, tests empiriques des modèles, etc.) sont ramenés à de simples
conventions sociales.
CHAPITRE 111 : LA RECHERCHE EN PSYCHOLOGIE SOCIALE 63

6. Les cadres institutionnels et la formation par la recherche


La formation à la psychologie sociale, y compris la formation à la
recherche (études doctorales ou études dites graduées selon les pays), se
déroule dans le cadre des départements de psychologie des Universités.
Même si l’on rencontre couramment des enseignements de psychologie
sociale dans d’autres disciplines (économie, sociologie, gestion, travail
social, communication, sciences de l’éducation, etc.). Dans la plupart des
pays développés, on trouve donc des enseignants-chercheurs employés
dans les Universités, ou encore des chercheurs affiliés à des instituts de
recherche publics ou privés spécialisés dans un domaine d’application
(santé, consommation, transports, environnement, etc.).
Une recherche suppose des conditions matérielles et des cadres
institutionnels qui peuvent fortement contraster d’un endroit à un autre.
Les ressources disponibles, les finalités fondamentales ou appliquées, les
traditions locales et nationales, un climat d’équipe, la (ou les) langue(s)
pratiquée(s) caractériseront l’exercice concret de la recherche. Par exemple
pour des motifs historiques, l’Université française présente des conditions
de travail et des objectifs collectifs très différents de la plupart des Univer-
sités du monde, du fait qu’une grande partie de la recherche, ainsi que
l’enseignement de haut niveau se réalisent en dehors du cadre des
Universités. Dans tel ou tel pays, on procédera à une évaluation des labo-
ratoires, qui se traduit par un classement public des équipes (comme au
Royaume-Uni par exemple). Dans d’autres, on répugnera à l'évaluation et
on préférera les hiérarchies implicites connues des seuls spécialistes.
L’exercice de la recherche appelle de plus en plus des collaborations.
L'unité de travail est le plus souvent l’équipe de recherche qui agrège
quelques chercheurs plus ou moins avancés dans leur carrière et des
chercheurs en formation (doctorants et post-doctorants). Les collaborations
dépassent les frontières régionales et nationales. Des réseaux de recherche
organisés pour les échanges entre chercheurs, des associations nationales et
internationales (par exemple l’European Association of Experimental
Social Psychology, la Personality and Social Psychology Society, ou
l'Association Internationale Pour la Diffusion de la Recherche
Internationale en Psychologie Sociale). Ces réseaux contribuent fortement
à la formation des jeunes chercheurs pendant et après leur thèse par les
stages, les colloques ou l’organisation d’écoles d’été.
64 PSYCHOLOGIE SOCIALE

7. Une recherche plus complexe ?


Après son premier centenaire, la psychologie sociale n'échappe à un
mouvement plus général de spécialisation accrue, d’accélération de la
vitesse de production des connaissances. La sophistication des méthodes,
des paradigmes de recherche, et des méthodes d’analyses est évidente. Là
où quelques variables étaient mobilisées, on travaille aujourd’hui davan-
tage à rendre compte de processus médiateurs qui impliquent des variables
plus nombreuses et des analyses plus détaillées. Tant à l’intérieur de la
psychologie qu’avec des domaines connexes (sciences cognitives, sciences
sociales, neurosciences, etc.) les frontières se déplacent. La multiplication
des sources de connaissances et leur facilité d’accès rendent urgente la
clarification des cadres d’interprétation. Après une tendance à l’éclate-
ment, la psychologie sociale semble à nouveau à la recherche de cadres
théoriques susceptibles d’embrasser de vastes domaines comme les
stéréotypes, l’influence sociale, la persuasion.
Au final, vous ne savez toujours pas si votre voisin “chercheur en
psychologie sociale” préfère le pastis ou le whisky mais peut-être avez-
vous une idée un peu moins vague de quelques éléments de son contexte
de travail.
PREMIÈRE PARTIE

Comment pense-t-on le monde ?


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CHAPITRE IV

Socialisation et culture

Zohra GUERRAOUI

“L'enfant en milieu africain est accordé à la famille par des puissances


invisibles, Dieu, les ancêtres, les morts du lignage qui fournissent l'élé-
ment vital. [...]. Aussi le milieu familial va-t-il à la fois reconnaître ses
liens avec le monde invisible mais l'en détacher peu à peu pour l'insérer
au mieux dans le monde humain. [...]. Pendant toute la période où
l'enfant est rattaché au monde mythique, il est aussi étroitement rattaché
à sa mère, en contact physique presque permanent avec elle. [.…..].
Au moment où le langage se met en place, l’enfant, sevré vers 3 ans, va quitter
cette relation privilégiée avec sa mère, rejoindre le groupe des enfants dans la
cour de la concession située dans le village. Très vite interviendra une sépara-
tion des sexes, lesfilles restant dans la concession, à l’imitation de leurs mères
et tantes, tandis que les garçons avec leurs pères et oncles s'initieront aux
travaux de ceux-ci. La socialisation s'effectue donc entre enfants du même âge
également grâce à des jeux plus pratiqués par les garçons que par les filles.
Cette tranche de vie se poursuit jusqu'à l'initiation. Celle-ci se déroule au plan
de l'individu et du groupe. Elle doit fournir à l'individu des connaissances et
lui faire subir des épreuves qui lui permettent d'assumer ses responsabilités
d'adultes. [...]. On arrive avec l'initiation à la fin du processus de sociali-
sation de l'adolescent qui entre dans la vie adulte.
Il ne faut pas être grand clerc pour voir sur ces exemples très cursifs ici donnés
que la conception de l'enfant dans les civilisations occidentales est totalement
différente. En Europe, un enfant est un être tout neuf, en quelque sorte vide. Il
appartient à ses parents, à son milieu, à ses éducateurs, de le former et de lui
apporter tout ce qui est propre à l’enrichir Sa relation intime à la mère est plus
courte, on procède très tôt à son éveil cognitif par des objets, des jouets. C'est
très progressivement avec un rythme fortement scandé par le système scolaire
et non seulement par celui de la famille qu'il devient tardivement un adulte.”

Denyse de Saivre, Socialisation de l'enfant et recherche interculturelle, 1989.


68 PSYCHOLOGIE SOCIALE

Le choix de cet exemple introductif n’est pas innocent. Sa pertinence est


avant tout de mettre l’accent sur les différences de conceptions qui entourent
l'enfant, et de manière plus générale la personne. Est donc posée ici, de
manière explicite, la relativité culturelle de l’idée que les hommes se font
d'eux-mêmes. En effet, en fonction d’un certain nombre de paramètres qui
la constituent (valeurs, normes, croyances, mythes, idéologies), chaque
société humaine va fixer la place de l’homme dans la nature, la société, le
monde, ainsi que sa relation au sacré, au surnaturel. Cette connaissance des
courants philosophiques et idéologiques, propres à chaque société, se révèle
essentielle pour le psychologue social et plus particulièrement pour le
psychologue social du développement, car elle permet de mieux appré-
hender et de mieux comprendre les principes éducatifs et de socialisation
mis en place par chaque groupe culturel. Culture, enculturation et sociali-
sation sont donc difficiles à dissocier quand on vise à mieux comprendre
l’être humain. Des concepts qui vont faire l’objet d’un développement
théorique qui ne se veut nullement exhaustif.

1. Le concept de culture

1.1. À chaque discipline, sa définition


Sur une période qui s’étale de 1871, date à laquelle Tylor propose une
première définition du mot “culture”, jusqu’en 1950, Kroeber et Klukhorn
(1952) ont recensé près de 160 définitions de ce concept. En effet, selon
les objectifs qui sont les siens et les champs théoriques développés, chaque
discipline appréhende la culture de manière particulière. Ces différentes
approches sont à l’origine de la profusion de définitions liées à ce concept,
dont les ethnologues ont été les premiers à lui donner un statut d'objet
scientifique. Parmi ces multiples définitions, nous retrouvons :
— Celles qui se réfèrent au sens traditionnel courant où le terme
“culture” est synonyme de savoir acquis, transmis par les institutions et en
particulier par l'institution scolaire mais aussi familiale ou sociale.
Camilleri (1985) parle de “culture promotionnelle”. Toute une série
d'expressions se rapporte à cette définition : “être cultivé”, “avoir de la
culture”. L'accent est mis sur le processus de formation qui permet de
développer les possibilités intellectuelles et morales, de faire croître, de
cultiver en chacun les capacités de la nature humaine (le sens critique, le
goût, le jugement, etc.). Il s’agit là d’une définition de type plutôt quanti-
tatif qui prend racine au XVII* siècle, dans la philosophie des Lumières.
Celle-ci associe la culture à l’idée de progrès, d'évolution, d'éducation, de
CHAPITRE IV : SOCIALISATION ET CULTURE 69

raison, qui ‘‘arrache” l’homme à l’animalité, à l'ignorance, à l’irrationalité,


en bref, à l’état de nature.
— Celles qui tendent à délimiter ou à particulariser un sous-ensemble
social et renvoient à la notion d’ethnoculture. On serait davantage dans le
champ de la sociologie qui définit la culture comme l’ensemble des insti-
tutions, des genres de vie, des habitudes, des représentations collectives et
croyances qui caractérisent une société donnée et donnent des informa-
tions sur la manière d’être de cette société. Le mot culture s’adresse à
l’ensemble de la structure sociale depuis l’architecture jusqu’aux manifes-
tations liées à la vie quotidienne ; le tout considéré et construit comme un
ordre dynamique donnant au groupe social un mode de vie et une
perception de la personne. Cette définition se rapproche plutôt de la notion
de civilisation. La culture est appréhendée comme une manifestation
extérieure plus que psychologique.
— Celles données par les psycho-anthropologues. Pour ceux de la moitié
du xx° siècle (essentiellement pour les culturalistes américains), la culture
est définie en termes de conduites. Celles-ci s’originent dans des valeurs,
des normes, des modèles, des attitudes propres à chaque groupe. Au fur et
à mesure de sa maturation, chaque enfant va intégrer ces conduites par le
biais d’un apprentissage social ou learning (Linton, 1945, 1977). Ainsi
pour Linton, “une culture est la configuration des comportements appris
et de leurs résultats dont les éléments composants sont partagés et
transmis par les membres d’une société donnée” (p. 33).

S’écartant de cette conception behavioriste qui insiste sur le condition-


nement du sujet, les courants psycho-anthropologiques actuels préfèrent
appréhender la culture en termes de systèmes de significations. Ainsi, pour
Clanet, “la culture est un ensemble de systèmes de significations propres
à un groupe ou à un sous-groupe, ensemble de significations
prépondérantes qui apparaissent comme valeurs et donnent naissances à
des règles et à des normes que le groupe conserve et s'efforce de
transmettre, et par lesquelles il se particularise, se différencie des groupes
voisins” (1990, pp. 15-16). Pour Camilleri, la culture se présente comme
“un ensemble plus ou moins lié des significations acquises les plus
persistantes et les plus partagées que les membres d'un groupe, de par leur
affiliation à ce groupe, sont amenés à distribuer de façon prévalente sur
les stimuli des attitudes, des représentations et des comportements
communs valorisés dont ils tendent à assurer la reproduction par des voies
non-génétiques” (1985, p. 13).
Ainsi donc ces systèmes de significations vont aboutir à l’apparition de
modèles culturels qui auront pour fonction d’homogénéiser chaque
70 PSYCHOLOGIE SOCIALE

groupe. Mais, ce qui distingue le courant actuel du courant behavioriste est


que la culture qui se traduit à travers des valeurs, des normes, des règles va
bien sûr être apprise et assimilée par les individus du groupe, mais elle sera
recréée, transformée par chacun. En effet, chaque sujet, à travers son vécu
personnel, va attribuer à chaque valeur un sens, conscient ou non, qui
orientera sa conduite. Dans cette perspective d’appropriation personnelle
du système de significations par chacun, la culture est appréhendée non
comme un produit fini, figé mais comme un processus, une culture en
perpétuelle transformation du fait de sa réélaboration permanente par
chaque membre du groupe.

1.2. Pour une définition consensuelle

Entre une conception restrictive de la culture (savoir transmis par


différentes institutions) et une conception extensive (ensemble des produ-
tions spécifiquement humaines), il est nécessaire de dégager, à partir des
définitions précédentes, un certain nombre de points pouvant aider le
psychologue social à cerner le concept de culture en vue d’une opératio-
nalisation. Ainsi tout en tenant compte, à la fois, de ses composantes,
holistique (globale) et particulière (significations que les sujets attribuent à
leurs actes), on peut définir la culture comme :
— Une production humaine qui va permettre à l’homme de s’adapter à
son milieu et d’adapter celui-ci à ses besoins.
— Une réalité collective qui va se traduire à travers des croyances, des
représentations collectives et des valeurs, idéaux hiérarchisés que les
sociétés se donnent et à partir desquels elles constituent leur ordre moral,
esthétique et intellectuel.
— Un système normatif qui prescrit un ensemble de règles auxquelles les
individus doivent se plier pour être dans la conformité.
— Une acquisition, ne relevant pas d’une hérédité biologique, qui est
partagée, valorisée et transmise à travers l’éducation. Elle se présente donc
comme un héritage social qui préexiste à l’individu et lui survit.
— Une configuration singulière qui témoigne d’une philosophie, d’un
savoir-faire, d’un savoir-vivre, propres à un peuple à un moment donné.
Cette spécificité qui le caractérise va ainsi le distinguer de ses voisins. La
culture est donc toute relative puisqu'elle varie selon les sociétés mais
aussi selon les époques.
— Une structure homogénéisante qui contribue à structurer le groupe de
la façon la plus large, la plus profonde, la plus durable, maintenant ainsi
l'unité de ce dernier au-delà des facteurs de division.
— Un modèle qui s’ordonne autour d’une matrice, selon une certaine
CHAPITRE IV : SOCIALISATION ET CULTURE 71

logique, orientant et donnant sens aux conduites de chacun. Ce modèle ne


se présente donc pas comme une juxtaposition, une addition de traits mais
comme un système cohérent, intégré où les différents éléments sont reliés
entre eux. La modification de l’un entraînant alors la transformation des
autres.
— Une formation dynamique qui connaît des changements internes, sous
l’action des acteurs sociaux, sans que ceux-ci bouleversent pour autant la
cohérence et l’unité du modèle. Des changements qui s’opèrent par la
sélection de nouveaux traits, l’innovation, l'emprunt, la diffusion,
l’acculturation, la réinterprétation.

2. Les processus d'intégration du sujet culturel et social


Tous les auteurs qui s’attachent à comprendre l’intégration du sujet
culturel et social font référence à l’enculturation et la socialisation. Ces
deux processus, difficilement dissociables, se développent tous deux dès la
naissance à travers les échanges affectifs. Ils sont présents toute la vie, et
sont réactivés, remobilisés, réactualisés à certains moments de l’existence,
par exemple dans les périodes de changement. Indispensables à la person-
nalisation, ils contribuent à la construction d’un être singulier, c’est-à-dire
doté d’une personnalité propre mais qui est marquée culturellement. La
difficulté à différencier les deux processus a conduit certains auteurs à les
fondre l’un dans l’autre. “Décrire le processus de socialisation de l'enfant,
saisir l’acquisition des manières d’être sociales, revient à repérer et
étudier l'apprentissage du code culturel” (Rabain, 1979, p. 25). Or, une
distinction doit être faite dans la mesure où l’enculturation et la sociali-
sation ne renvoient pas aux mêmes types d’apprentissages et aux mêmes
formes d’intégration.

2.1. L’enculturation

Ce processus, proposé par l’anthropologie culturelle, vise à la


reproduction de certains éléments fondamentaux, indispensables à la
survie du groupe. À travers l’enculturation, l’accent est mis sur la compo-
sante culturelle de l’être humain qui doit s’approprier le code culturel
partagé (valeurs, normes, croyances transmises en termes d’attentes,
d’interdits, d'obligations) entretenu et développé par le groupe d’apparte-
nance dans lequel il est amené à agir. Cette appropriation essentielle
permet au sujet de vivre en harmonie avec son entourage, en se situant par
rapport à un système de significations propre à sa culture. Cet accès au
72 PSYCHOLOGIE SOCIALE

sens lui donne alors la possibilité d'instaurer une communication avec les
autres membres du groupe tant au niveau de l’explicite que de l’implicite.
Progressivement appris et intériorisé par toute une série de mécanismes
inconscients, le code culturel est alors manipulé, remodelé, réinterprété par
l’enfant en fonction de ses expériences personnelles.

2.2. La socialisation

Ce processus, que les psychologues sociaux du développement


désignent aussi par le concept d’acculturation, nous renseigne davantage
sur la façon dont l’enfant va s’inscrire dans les multiples réseaux qui
régissent la structure familiale et sociale de son groupe. Il nous apprend,
comment, dès son plus jeune âge, l’enfant négocie entre ses propres désirs
et les exigences de son entourage ; une situation qui ne manque pas de
susciter des conflits intra et interpersonnels.
La famille, très vite relayée par la société (école, pairs, médias), sont les
principaux agents socialisateurs (Guimond, 1998). Ils infléchissent, à
travers l’éducation qu’ils proposent ou imposent, les différentes conduites
de l’enfant pour les rendre conformes à leurs attentes. Ils permettent ainsi
au sujet d’investir successivement les différents statuts (position que le
sujet occupe dans la structure sociale à un moment donné) et rôles
(prescription par le groupe d’appartenance d’un ensemble d’attitudes, de
comportements associés à un statut) qui lui sont octroyés au fur et à mesure
de sa maturation.
La socialisation vise donc, avant tout, à l'intégration sociale de l'enfant.
C’est un moyen d’assimilation au groupe avec une insistance particulière
sur l’intériorisation des différents modes relationnels que le sujet peut et
doit entretenir avec les membres de son groupe.

+ Les mécanismes en jeu


Si la socialisation se présente comme une contrainte exercée sur les
individus par la société afin qu’il puisse avoir une place reconnue dans le
corps social, celle-ci ne peut prendre sens, comme on vient de le voir, qu’à
travers l’enculturation. L'adaptation du sujet au groupe se situe donc, aussi
bien au niveau du social que du culturel, intimement liés. L'accès au sens
donné à leurs conduites par les acteurs sociaux, leur adhésion plus ou moins
importante aux normes proposées ou imposées, a fait l’objet de nombreuses
réflexions. Sociologues, psychologues sociaux, psychologues du dévelop-
pement, psychanalystes se sont tous questionnés sur les mécanismes mis en
Jeu au cours de la socialisation (englobant ici l’enculturation).
— Pour Tarde (1890), la socialisation est le résultat d’une activité
CHAPITRE IV : SOCIALISATION ET CULTURE 73

spontanée de l’enfant, d’une volonté d’imitation dans un but d’adaptation


sociale très fortement motivée, délibérée. Par l’observation, l’interpréta-
tion, l’enfant assimile et reproduit le schéma normatif auquel se réfère son
entourage. C’est donc à travers l’expérience quotidienne, à son insu, sans
que nulle pression explicite soit exercée sur lui, que l’enfant se construit en
tant qu'être culturel et social. Ainsi Tarde se démarque nettement de son
contemporain Durkheim, pour qui la socialisation se présente comme une
contrainte paralysante, subie par l’individu.
— Pour Mead (1934), c’est à travers le jeu que l’enfant s’expérimente,
se structure. En jouant le rôle d’autrui (père, mère, etc.), l'enfant intègre
leurs attitudes. Il apprend ainsi à se penser comme membre du groupe mais
aussi comme différent des autres par le rôle qu’il est lui-même appelé à
remplir. Ainsi, par l’intériorisation des autres rôles, l’enfant se familiarise
avec les règles qui les sous-tendent, les valeurs qui les fondent.
— Pour Piaget (1967), la socialisation, qu’il a étudiée à travers le
développement de la pensée et de l’intelligence, est le résultat d’une matu-
ration biologique mais aussi de l’influence de facteurs sociaux. Pour
Piaget, c’est vers l’âge de 7 ans, quand l’enfant sort de la phase d’égocen-
trisme, quand il fait la différenciation entre l’ego et l’alter et qu’il instaure
de nouvelles relations sociales fondées sur la coopération avec ses pairs,
que les normes sociales vont pouvoir être assimilées. En effet, en permet-
tant la discussion et la critique, la coopération joue un rôle constructeur qui
mène l’enfant à l’autonomie. Les règles auxquelles il se soumettait jusque-
là avec passivité deviennent alors des convictions, en raison de ses capa-
cités à la réflexion et au jugement qui lui permettent de procéder à des
éliminations.
— Pour Freud (1921), les premiers apprentissages de l’enfant s’inscri-
vent dans un contexte de relations affectives très intenses. C’est par la
relation particulière que l’enfant instaure avec ses parents au cours de la
phase œdipienne, que l’intériorisation d’autrui par identification va être la
plus forte. En effet, par attachement au parent de l’autre sexe, l’enfant va
s'identifier au parent de même sexe, vouloir se substituer à lui. Par ce
mécanisme, l’enfant va alors faire siennes des caractéristiques, d’abord
étrangères, qui vont devenir partie intégrante de sa personne. Ainsi, à
travers son modèle, envié car caractérisé par la toute-puissance, l’enfant
introjecte un système de références, une façon d’être, de faire et de penser.

«+ L'articulation individuel/collectif
Chaque culture propose donc une trame (valeurs, codes, règles, orga-
nisation des relations interpersonnelles, rôles, statuts, etc.) à partir de
laquelle se construit, se développe la personne. Système qui définit les
74 PSYCHOLOGIE SOCIALE

comportements admis et déviants, la culture indique donc à ses membres


la ligne de conduite à suivre globalement au risque d’être marginalisé,
voire exclu. Personne n’y échappe puisque même la folie est modelée
selon des schémas fournis par le milieu. Ce qui veut dire qu’on n’est pas
fou n’importe comment. En effet, l'individu exprime sa souffrance selon
des conventions et la folie prend des formes apparentes conformes aux
attentes de la société d’appartenance (par exemple, en France, un schizo-
phrène se prend pour Napoléon ; au Sénégal, le paranoïaque est possédé
par un esprit).
Pourtant, dans aucune société, il n’existe de modèle exclusif qui régirait
les comportements de manière rigide. Toute culture ôffre à ses membres, à
l’intérieur d’un certain cadre, des modèles de conduites préférentiels,
acceptés, tolérés (Linton, 1945, 1977), selon la catégorie sociale à laquelle
ils appartiennent (définie par l’âge, le sexe, la position sociale, la
profession, etc.). Cette marge de manœuvre laissée aux individus, plus ou
moins importante selon les groupes, signifie que les variations indivi-
duelles sont prises en compte. Car, en dépit de son extrême plasticité et
bien que tout soit fait pour orienter les divers aspects de sa personnalité
dans un sens commun aux autres membres de son groupe, l’individu ne se
contente pas d’être un réceptacle passif, un clone reproduisant machinale-
ment des schémas de conduites. Sujet actif, il va au contraire s’approprier
subjectivement ces modèles, les réinterpréter et procéder à des choix parmi
les différentes alternatives qui lui sont proposées. Ces significations
individuelles s’articulent bien sûr aux significations collectives du groupe,
ce qui amène, dans une certaine mesure, tous les individus d’un groupe
donné à percevoir, agir, penser de façon semblable. L'être culturel et social
se présente donc comme une synthèse de ses expériences propres et des
croyances qu’il partage avec son groupe. Ensemble de similitudes et de
différences, 1l se distingue des autres tout en s’accordant à eux, construi-
sant ainsi sa personnalité et son identité personnelle, sociale mais aussi
culturelle.

3. Le lien culture-socialisation-personnalité

3.1. L'approche culturaliste


Cette approche est la première à avoir mis l’accent sur le couple
conceptuel “culture-personnalité” et le lien qu’il pouvait y avoir entre les
deux. Franz Boas, fondateur de ce courant, postulait alors que les diffé-
rences entre les groupes sociaux ne sont pas liées à la “race”, à l’hérédité,
CHAPITRE IV : SOCIALISATION ET CULTURE 75

mais à la culture, à l’organisation sociale qui modèle la personne d’une


façon particulière. Mead, Benedict, Linton et Kardiner sont quatre cher-
cheurs qui ont marqué ce courant. Toutes leurs recherches ont eu pour
objectif, à travers l’étude des individus dans leurs contextes quotidiens, de
mettre en évidence l’interrelation entre organisation psychique et struc-
tures culturelles.
Pour ces chercheurs, chaque culture se caractérise par un pattern
(Benedict, 1934, 1950), c’est-à-dire par un certain style, une certaine
configuration. Défini par une valeur centrale dominante, autour de laquelle
s’articulent certains traits en adéquation avec cette valeur, ce pattern, nor-
matif et régulateur, rend compte d’une philosophie, d’une attitude générale
envers l'existence. Dès sa naissance, l’enfant est pris dans cette trame
culturelle notamment à travers les rites d’accueil, les pratiques de mater-
nage, les méthodes éducatives, autant de moyens qui sont mis en œuvre
pour le façonner, le modeler, afin qu’il se développe selon les lois spécifi-
ques de son groupe et intègre le profil psychologique souhaité par celui-ci
(Mead, 1928). Cette personnalité de base, que Kardiner définit comme “/a
configuration psychologique particulière propre aux membres d’une
société donnée et qui se manifeste par un certain style de vie sur lequel les
individus brodent leurs variantes singulières” (1939, trad. franç. de 1969,
p. 336), se présente donc comme la matrice qui constitue le fondement de
la personnalité pour tous les membres d’un groupe donné. Elle est à
considérer comme un facteur important d’intégration sociale, dans la
mesure où elle exprime la normativité du groupe mais aussi son identité.
Cette approche, qui connut ses heures de gloire jusque dans les années
1950, présente pourtant de sérieuses limites :
— Réduction de la personnalité à un ensemble de traits, de fonctions, de
comportements individuels ou sociaux stables, attribués au sujet en tant
que caractéristiques de sa culture, un “être tout de culture”, soumis à une
enculturation toute-puissante.
— Vision descriptive et statique de la culture sans prise en compte des
changements internes et des conflits qui l’animent.
— Occultation de l’hétérogénéité de la culture et de la pluralité de ses
composantes. En effet, le sujet n’a pas accès à l'intégralité de sa culture,
d’abord parce qu’elle lui est transmise à travers la subjectivité des parents
qui filtrent la réalité ; ensuite, toute culture se compose de sub-cultures qui
donnent lieu à différents types de personnalité admis ; enfin, pour Linton
(1945), le statut social de la personne (âge, sexe, etc.) détermine sa façon
d’être et de penser. Pour cette raison, il récuse le concept de personnalité
de base, qui en son sens est trop général, pour lui substituer celui de
personnalité statutaire.
76 PSYCHOLOGIE SOCIALE

3.2. L'approche interactionniste


Dans cette perspective, le sujet n’est pas appréhendé comme un simple
contenant d’une culture conçue comme transcendante. Au contraire, il
prend un statut de sujet actif dans l’élaboration de la culture et de sa
personnalité. En effet, à travers sa propre dynamique, sa créativité, ses
représentations, le sujet qui se développe dans un espace culturel pré-
structuré contribue à modifier ce dernier par le jeu incessant de ses cons-
tructions actives et interactives avec les autres membres du groupe. Ainsi,
à partir de ces échanges diversifiés avec autrui, le sujet élabore et partage
des significations communes avec eux et participe ainsi à la structuration
de sa personnalité constamment remaniée. |
Le système psychique, résultant de ces constructions subjectives et co-
constructions intersubjectives, est donc conçu comme un système ouvert se
structurant à partir de la dialectique production-reproduction, construc-
tion-reconstruction (Camilleri et Vinsonneau, 1996).
L’idée essentielle qui fonde cette approche est la dynamique qui unit le
sujet à sa culture et contribue à la formation de sa personnalité. De ce point
de vue, la personnalité ne peut être appréhendée comme indépendante du
milieu social et culturel dans lequel elle se développe. Un milieu qui, selon
Nuttin (1980), constitue le contenu même de la vie psychique du sujet, à
partir de ses opinions, ses projets, ses attitudes, ses expériences, etc.
Aussi, pour les interactionnistes, la personnalité, résultat entre un
univers intérieur et un monde extérieur, entre un vécu personnel et un vécu
collectif, se forge par la confrontation entre soi et autrui, chacun collabo-
rant, en tant qu’agent, aux transformations de son milieu culturel.

3.3. L'approche interculturelle


Les problématiques, auxquelles s’intéresse cette approche toute récente
en France, portent essentiellement sur la compréhension du sujet psycho-
logique confronté à une pluralité de systèmes culturels. Dans un monde
actuel qui se caractérise par son hétérogénéité culturelle, comment les sujets
peuvent-ils se construire ou se reconstruire à partir des multiples modèles
identificatoires qui leur sont proposés ? Répondre à cette question consiste
pour Clanet à analyser l’ensemble des processus (psychiques, relationnels,
groupaux, institutionnels) générés par les contacts de cultures. Des proces-
sus qu’il qualifie de paradoxaux dans la mesure où fermeture et ouverture,
maintien et transformation des systèmes en présence (culturels, person-
nologiques) interfèrent. Une ambivalence qui, souligne-t-il, se retrouve
dans le concept “interculturel” puisque le préfixe “inter” renvoie aussi bien
à la liaison, l’échange, la réciprocité qu’à la séparation, la disjonction.
CHAPITRE IV : SOCIALISATION ET CULTURE 77

Si, jusque dans les années 1970-1980, s’appuyant sur l’exemple des
enfants de migrants, de nombreux auteurs ont soutenu que la multiplicité
de modèles identificatoires auxquels les sujets sont confrontés ne peut
mener qu’à la construction d’une personnalité “éclatée”, clivée, incohé-
rente, aujourd’hui, c’est plutôt la thèse de la personnalité plurielle qui
prévaut (Clanet, 1990). Dans cette perspective, les sujets se structurent à
partir d’une “double enculturation acculturante” (Ouadahi, 1989) c’est-à-
dire l’intégration d’une pluralité de références culturelles qui vont
s’articuler, se combiner, interagir les unes avec les autres mais dont le
produit ne peut être réductible aux différents pôles culturels en présence.
Cette orientation théorique postule donc la formation de la personnalité à
partir du processus d’interculturation (Clanet, 1990 ; Denoux, 1994), c’est-
à-dire par assimilation par le sujet de certaines valeurs de l’autre, par
différenciation à travers la revendication de certaines de ses spécificités
culturelles et par création de nouvelles références culturelles (Guerraoui et
Troadec, 2000).

4. Conclusion

Les culturalistes ont toujours mis l’accent sur le rôle important joué par
différentes institutions (familiales, communautaires, religieuses, etc.) dans
l'orientation donnée à la socialisation de l’enfant. Celle-ci, qui se confond
pour beaucoup avec le processus d’enculturation, est de ce fait souvent
considérée comme un mécanisme de transmission et de survie d’une
culture. La personne est présentée alors comme un produit façonné,
modelé, conforme à la personnalité de base du groupe d’appartenance.
Cette approche mécanique, récusée par la suite, est remplacée par une
conception plus dynamique où la socialisation est appréhendée comme un
processus qui s'effectue à travers des échanges relationnels actifs.
L’'individu s’érige en acteur de sa propre socialisation, et sa personnalité,
constamment remaniée, s’élabore par déconstruction-reconstruction dans
un environnement où l’hétérogénéité prime sur l’homogénéité culturelle.
Les deux conceptions s’attachent pourtant à mettre l’accent sur la
nécessaire conformité des acteurs aux valeurs, normes de leur société.
Cette conformité signerait l’adaptation de l’individu au groupe et de ce fait
son acceptation par ses pairs. La non-adhésion aux normes signifierait
alors une déviance qui ne peut être que sanctionnée, souvent par l’exclu-
sion, surtout quand elle se traduit par une transgression, dépassant les
limites admises par le groupe. Or, ces déviances, en remettant en cause
certaines normes, posent la question de la légitimité de certaines valeurs.
78 PSYCHOLOGIE SOCIALE

Une société qui ne serait pas attentive à ces signaux peut alors se trouver
fragiliser et signer elle-même son arrêt de mort.
CHAPITRE V

L'approche structurale
des représentations sociales
Patrick RATEAU

En 1988, Christian Guimelli étudie les représentations de la chasse et de la


nature auprès de chasseurs et d’écologistes du Languedoc. Il procède pour
cela à plusieurs entretiens au sein de ces deux populations. Dans les discours
recueillis auprès des chasseurs, il découvre des éléments qui, en première
analyse, apparaissent pour le moins contradictoires : ils déclarent en effet que
chasser c'est à la fois “tirer des coups defusil”, “faire un tableau honorable”
mais que c'est aussi “respecter les animaux” et “lutter contre la dégradation
de la nature”. Or ces contradictions disparaissent si l’on ne considère plus
ces éléments isolément mais si l’on prend en compte les liens qui, pour les
chasseurs, unissent ces opinions entre elles. On constate ainsi que le respect
des animaux ou la lutte contre la dégradation de la nature sont pour eux des
moyens permettant de favoriser la prolifération du gibier et, par conséquent,
de pouvoir continuer à tirer des coups de fusil et à faire des tableaux
honorables. À ce titre, un autre élément avancé par les chasseurs lorsqu'ils
décrivent leur activité semble prépondérant : la notion de “gestion du
territoire de chasse”. En effet, gérer un territoire de chasse c'est lutter contre
sa destruction, favoriser la prolifération du gibier (par la mise en place de
pratiques spécifiques : aide à la nidification, création de niches écologiques...)
et donc permettre la pérennité de l’activité cynégétique. À lui seul, cet élément
permet ainsi de comprendre à la fois la présence des autres éléments, le lien
qui les unit et, par conséquent, la signification globale de la représentation.

Ce bref résumé de l’étude de Guimelli nous apprend deux choses :


— d’abord que c’est davantage le lien entre les éléments de la représen-
tation que leur signification isolée qui permet de rendre compte du sens
global d’un objet pour le groupe considéré ;
— ensuite que, parmi les différents éléments de la représentation, l’un
donne tout leur sens aux autres et caractérise les relations qui les unissent.
80 PSYCHOLOGIE SOCIALE

À lui seul cet élément permet ainsi de rendre compte de l’ensemble de la


signification de l’objet pour le groupe considéré.
En bref, cet exemple indique clairement qu’une représentation sociale
doit être conçue comme une structure hiérarchisée, c’est-à-dire comme un
ensemble d'éléments organisés par de multiples relations et dont certains
ont un poids plus important que d’autres. L'objet du présent chapitre est
d’expliciter cette conception et de présenter l’une de ses plus fécondes
implications théoriques.

1. Qu'est-ce qu’une représentation sociale ?


Pouvons-nous vivre sans donner de sens au monde qui nous entoure ?
Sans arrêt et dès notre plus jeune enfance, nous construisons du sens dans
le but de comprendre, d’expliquer et de maîtriser notre environnement.
Nous donnons du sens aux choses comme aux êtres, à leurs comporte-
ments, à leurs idées, de manière à trouver autour de nous une certaine
cohérence, une certaine stabilité, de manière à fonder des repères qui nous
permettent d'évoluer au sein de notre milieu. Or, celui-ci a pour carac-
téristique d’être extrêmement vaste et constitué d'innombrables situations,
d’une foule d'événements, d’une multiplicité d’individus, d’objets, de
comportements, d’idées, de pratiques... Bref, nous sommes toutes et tous
plongés dans un environnement qui nous submerge d’informations. Le seul
moyen pour nous de comprendre, maîtriser et expliquer cet environnement
est de le simplifier, de le rendre plus prévisible, plus familier, en un mot de
le reconstruire, et donc de se le représenter, à notre façon, en fonction de
nos propres valeurs, principes, idées et connaissances.
En cela, nous sommes grandement aidés par autrui. Dès notre plus
Jeune âge, l’école, la famille, les médias, les institutions nous inculquent
des façons de voir, nous proposent une certaine vision des choses et des
êtres qui nous entourent. Puis ce sont les groupes, les associations, les
clubs dans lesquels nous entrons qui nous permettent d'échanger et de
partager des idées, des valeurs, des normes qui participent à modeler notre
perception de l’environnement. C’est donc pour une très large part dans
nos communications et nos échanges avec autrui que se constitue notre
réalité du monde. C’est pourquoi l’on dira que les représentations sont
avant tout sociales et que l’on peut les définir comme une “forme de
connaissance, socialement élaborée et partagée ayant une visée pratique
et concourant à la construction d'une réalité commune à un ensemble
social” (Jodelet, 1989c, p. 36).
À ceci s’ajoute que ce partage des représentations est toujours local,
CHAPITRE V : L'APPROCHE STRUCTURALE DES REPRÉSENTATIONS SOCIALES 81

c'est-à-dire spécifique à un ensemble d'individus donné. Tous les groupes


sociaux ne partagent pas les mêmes valeurs, les mêmes normes, les mêmes
idéologies, ni les mêmes expériences pratiques. Or tous élaborent une
vision de la réalité qui dépend étroitement de celles-ci. Il en découle que
les représentations des uns ne sont pas celles des autres. Toute représen-
tation porte ainsi, d’une part, la marque de l’appartenance sociale des
individus qui en sont porteurs, ce qui garantit leur identité sociale, et,
d’autre part, permet à ces mêmes individus de distinguer et de catégoriser
les “autres”, ceux qui ne partagent pas la même représentation de tel ou tel
objet et qui leur apparaissent de fait comme “différents”. Les représen-
tations permettent ainsi d’une part de définir et de sauvegarder l'identité
des groupes, et, d’autre part, de pérenniser et de justifier les différencia-
tions sociales.
Par ailleurs, il est clair qu’en tant que système d'interprétation de la
réalité régissant les relations des individus à leur environnement physique
et social, les représentations sociales déterminent les comportements et les
pratiques. Elles constituent dès lors un guide pour l’action qui oriente les
conduites et les pratiques sociales et délimite un ensemble d’anticipations
et d’attentes.
Autrement dit, les représentations sociales remplissent à la fois une
fonction de savoir, une fonction identitaire et une fonction d’orientation.
C’est dire leur importance dans la compréhension de l’ensemble des
phénomènes sociaux : étudier une représentation, c’est en effet étudier à la
fois ce que pensent les gens de tel objet (le contenu de la représentation),
mais aussi la façon dont ils le pensent (quels sont les mécanismes socio-
cognitifs explicatifs de ce contenu) et pourquoi ils le pensent (à quoi sert
ce contenu dans l’univers social et cognitif des individus concernés).
Ainsi définie, une représentation se présente comme un ensemble
d'informations, de croyances, d’opinions et d’attitudes propre à un groupe
donné à propos d’un objet donné. Reste désormais à savoir comment cet
ensemble s’organise, se structure. Tous les auteurs s’intéressant aux repré-
sentations sociales s’accordent en effet pour considérer la représentation
comme un ensemble structuré, ce qui signifie que les différents éléments
qui la composent sont hiérarchisés et entretiennent entre eux des relations
qui en déterminent la signification. Parmi ces auteurs, Abric (1976, 1987,
1994a) a proposé une construction théorique permettant de rendre compte
de cette organisation interne des représentations.
82 PSYCHOLOGIE SOCIALE

2. La théorie du noyau central


Les ferments de cette théorie apparaissent dans l’ouvrage fondateur
publié par Serge Moscovici en 1961, La psychanalyse, son image et son
public, dans lequel il étudie comment une théorie scientifique, la psycha-
nalyse, s’est modifiée à mesure de sa pénétration dans la société et de son
appropriation par différents groupes sociaux. Il montre que ce passage d’une
théorie scientifique à sa représentation s’effectue en plusieurs étapes succes-
sives. La première phase de cette genèse, dite phase d’objectivation, va
consister pour les individus concernés à sélectionner et à décontextualiser
une partie de l’information circulant dans la société à propos de l’objet. Ce
tri est fortement dépendant de critères culturels (tous les groupes n’ayant pas
un égal accès aux informations) et surtout de critères normatifs (n’est retenu
que ce qui concorde avec le système de valeurs des différents groupes
sociaux). Les notions ou les concepts associés à l’objet sont ainsi détachés
du champ auquel ils appartiennent pour être appropriés par les groupes qui,
en les insérant dans leur univers propre, peuvent mieux les maîtriser. Ces
éléments sélectionnés vont former un noyau figuratif de l’objet, c’est-à-dire
un ensemble imagé et cohérent qui reproduit l’objet de façon concrète et
sélective. Dans le cas de la psychanalyse, Moscovici montre comment la
théorie freudienne, au cours de sa pénétration dans la société, se trouve
réduite à un petit ensemble d’éléments matérialisés entretenant des relations
concrètes : le conscient est opposé à l’inconscient et cet antagonisme est
condensé dans le refoulement dont résulte le complexe. Cet ensemble imagé
et cohérent de la théorie psychanalytique permet de se forger une conception
de l’appareil psychique parfaitement compatible avec celle que l’on a de
l’homme. Bien que son exactitude soit très discutable, cette représentation
concentre la plupart des concepts freudiens. Toutefois, certains éléments
disparaissent car en contradiction avec les normes sociales ambiantes. C’est
notamment le cas de la libido, élément pourtant essentiel de la théorie
freudienne, mais directement associé au tabou de la sexualité.
Cette schématisation de l’objet va, par le biais des conversations, des
Journaux, des émissions télévisées, bref, par toutes les formes de commu-
nication sociale, se généraliser de manière collective. Parce qu’il est
parfaitement cohérent et concret, ce noyau figuratif va prendre un statut
d’'évidence. De copie simplifiée de l’objet, il devient réalité de l’objet et
constitue le fondement stable autour duquel se construit l’ensemble de la
représentation. C’est lui qui fournit le cadre de catégorisation et d’inter-
prétation des nouvelles informations parvenant aux sujets. Les autres
éléments de la représentation vont donc être retenus, catégorisés et
interprétés en fonction de la nature de ce noyau figuratif.
CHAPITRE V : L'APPROCHE STRUCTURALE DES REPRÉSENTATIONS SOCIALES 83

Abric reprend en grande partie cette analyse mais ne limite pas le noyau
à son rôle génétique. Il postule en effet que toute représentation constituée
est organisée par un petit nombre d’éléments qui forment ce qu’il appelle
le noyau central de la représentation. En d’autres termes, dans cette
perspective, toute représentation sociale se présente comme un ensemble
d'éléments (ce terme désignant toute entité cognitive : une idée, une
opinion, une pensée.) entretenant diverses relations. Parmi ces éléments,
certains vont jouer un rôle prépondérant : ceux qui vont gérer, organiser et
stabiliser la représentation et en constituer ainsi le noyau central.

En résumé, toute représentation est ici conçue comme une structure


hiérarchisée. Cette position a une implication forte. En effet, dire d’une
représentation qu’elle possède une structure, c’est considérer que les
éléments qui la composent ne sont pas mutuellement indépendants. C’est
même affirmer que c’est cette dépendance qui établit la cohérence de la
représentation. Cela signifie qu’une représentation sociale se définit
toujours par deux composantes : ses éléments constitutifs (son contenu),
d’une part, et son organisation, c’est-à-dire les relations qu’entretiennent
ces éléments, d’autre part. Autrement dit, la signification d’une représen-
tation ne peut pas se réduire à la somme des significations de chacun de ses
éléments pris isolément. À l’extrême, on pourrait même dire que chaque
élément n’a en soi que peu ou pas de sens. Ce sont les relations qui unissent
entre eux les éléments de la représentation qui forment un ensemble
structuré dont la signification émerge. Dire ensuite que cette structure est
hiérarchisée, c’est énoncer que, selon le type et la force des relations qui
unissent ses éléments, certains auront un poids plus important que d’autres.
On distinguera ainsi les éléments “périphériques” des éléments “centraux”,
ces derniers donnant à la représentation toutes ses propriétés significatives.
Dans cette perspective, toute représentation est donc conçue comme
composée de deux systèmes (un système central et un système périphérique)
ayant chacun un rôle spécifique mais complémentaire de l’autre.

2.1. Le système central


e Propriétés
Le système central (ou noyau central) est composé d’un petit nombre
d'éléments et assure deux fonctions essentielles dans l’économie de la
représentation :
— une fonction génératrice de sens. C’est le système central qui déter-
mine le sens des autres éléments constitutifs de la représentation.
— une fonction organisatrice. Il définit la nature des liens qui unissent
84 PSYCHOLOGIE SOCIALE

entre eux les divers éléments de la représentation. En ce sens, il est la


composante unificatrice et stabilisatrice de celle-ci.
Les éléments centraux constituent ainsi les éléments essentiels d’une
représentation. Ils en déterminent toute l’organisation et la signification.
Ils constituent de plus la base commune, collectivement partagée par les
individus d’un même groupe social. Ils sont donc fortement consensuels et
définissent l’homogénéité du groupe. Pour toutes ces raisons, les éléments
centraux sont très stables. Ils assurent la pérennité de la représentation et
s’inscrivent dans la longue durée. Ils sont par conséquent très résistants au
changement et indépendants du contexte immédiat dans lequel évolue la
représentation. Ils dépendent davantage du contexte global, c’est-à-dire
des conditions historiques, sociologiques et idéologiques qui définissent
les normes, les valeurs et les pratiques du groupe envers l’objet.
Ces caractéristiques du système central, largement validées par de nom-
breuses études expérimentales (pour un inventaire, cf. Abric, 1994a ;
Bonardi et Roussiau, 1999) ont une implication méthodologique incon-
tournable : le repérage du seul contenu d’une représentation est insuffisant
à sa compréhension. C’est la détermination de son système central qui
s’avère avant tout révélatrice. Comme nous l’avons vu en introduction,
savoir que pour les chasseurs, chasser c’est à la fois “respecter les
animaux” et “tirer des coups de fusil” n’informe en rien sur leur concep-
tion véritable de la chasse. C’est avant tout l’idée que chasser c’est “gérer
un territoire” qui donne toute sa cohérence et sa signification à la représen-
tation. Par conséquent, dans le cadre de la théorie du noyau central, toute
étude de représentation sociale va nécessiter l'emploi de méthodes
spécifiques visant non seulement à repérer ses éléments constitutifs mais
aussi à connaître l’organisation de ces éléments et à déterminer son systè-
me central (pour une présentation de ces méthodes, cf. Abric, 1994b:
Moliner, 1994a ; Rouquette et Rateau, 1998 : Rateau, 1999). L’identifica-
tion du système central est non seulement nécessaire à la compréhension
de l'emprise significative des représentations étudiées mais aussi à
l'établissement de comparaisons transversales ou longitudinales. En effet,
puisque les éléments centraux déterminent la signification et l’organisation
de tous les autres, deux représentations seront différentes si et seulement si
elles n’ont pas le même système central.

+ Le fonctionnement interne du système central


Si le système central détermine l’ensemble des autres éléments, lui-
même est déterminé par la conjugaison de trois facteurs : la nature de
l’objet, les relations que le groupe entretient avec cet objet et les systèmes
de valeurs et de normes qui constituent l’environnement idéologique du
CHAPITRE V : L'APPROCHE STRUCTURALE DES REPRÉSENTATIONS SOCIALES 85

moment et du groupe. De fait, selon la nature de l’objet et la finalité de la


situation sociale, le système central pourra avoir deux dimensions diffé-
rentes : une dimension fonctionnelle dans le cas de situations à finalité
opératoire, une dimension normative dans les situations où sont direc-
tement impliqués des facteurs socio-affectifs, sociaux ou idéologiques. Ces
deux dimensions ne sont toutefois pas exclusives l’une de l’autre, la
représentation d’un même objet pouvant, selon les groupes et/ou selon les
moments, s'organiser à la fois autour d’éléments normatifs (moraux,
idéologiques...) et fonctionnels (pratiques, opératoires...). C’est le cas, par
exemple, pour la représentation de l’argent, particulièrement étudiée par
Vergès (1992) qui montre que pour certains groupes c’est autour de
quelques valeurs morales liées à l’économie ou à la qualité de vie que
s'organise la représentation, alors que pour d’autres groupes, c’est la
relation argent-travail-salaire qui apparaît comme centrale, en fonction
d’une finalité pratique de l’argent tels que l’achat et le besoin. Dans la
même ligne, les travaux d’Abric et Tafani (1995) sur la représentation de
l’entreprise ont pu montrer que le système central pouvait être constitué de
deux types d’éléments : des éléments normatifs (organisant notamment les
prises de position à l’égard de l’objet) et des éléments fonctionnels (orga-
nisant les pratiques relatives à l’objet). Leurs résultats indiquent par
ailleurs que d’un groupe social à un autre un type d’élément peut avoir un
rôle, un poids ou une importance relative plus ou moins importante. Ainsi,
dans les groupes n’ayant aucune pratique de l’entreprise la représentation
est fortement saturée par des normes, voire des positions idéologiques
alors que dans les groupes confrontés à la réalité de l’entreprise ce sont
davantage les éléments qui rendent compte des pratiques qui sont
fortement activés. Ce dernier point concorde avec certains de nos travaux
(Rateau, 1995a, 1995b) qui montrent qu’au sein du système central
certains éléments jouent davantage leur rôle organisateur et gestionnaire de
sens que d’autres. Autrement dit, le système central semble lui-même
hiérarchisé en éléments Prioritaires et éléments Adjoints, cette hiérarchie
pouvant s’inverser d’un groupe social à un autre en fonction des relations
entretenues avec l’objet.
De son côté, Moliner (1994b, 1996) propose de considérer que les
dimensions fonctionnelle et normative renvoient à deux types d'éléments
centraux : des éléments descriptifs, qui permettent aux individus de saisir
la nature de l’objet de représentation, et des éléments évaluatifs qui
permettent, eux, de saisir la qualité de l’objet. Ces deux types d'éléments
vont bien entendu gérer les éléments périphériques en fonction de leur
nature et déterminer ainsi des éléments périphériques évaluatifs et des
éléments périphériques descriptifs. De fait, ce modèle, que son auteur
86 PSYCHOLOGIE SOCIALE

qualifie de bidimensionnel, accorde à la totalité de la représentation des


aptitudes fonctionnelle et normative.

2.2. Le système périphérique

Si le système central constitue la clé de voûte de la représentation, les


autres éléments, que l’on dira périphériques ne sont pas pour autant à
négliger. Ils constituent même l’essentiel du contenu des représentations et
remplissent, eux aussi, un certain nombre de fonctions importantes.
En relation directe avec le système central, les éléments périphériques
constituent en effet le plus gros du contenu de la représentation, sa partie
la plus accessible. Entièrement dépendants du système central et impliqués
par lui, ils ne peuvent exprimer un caractère essentiel ou fondamental de
l’objet de représentation. Ils ont davantage un caractère opérationnel et
concrétisent la signification centrale, plus ou moins abstraite, de la repré-
sentation. Ils jouent un rôle essentiel, puisqu'ils “constituent l'interface
entre le noyau central et la situation concrète dans laquelle s'élabore ou
fonctionne la représentation” (Abric, 1994a, p. 25).
Flament (1987, 1989) propose de considérer les éléments périphériques
au regard de la théorie des scripts (Schank et Abelson, 1977). Un script,
c’est-à-dire un scénario, fait référence à la prescription des conduites ou
des comportements (ce qu’il faut faire ou ne pas faire dans telle ou telle
situation). Il est organisé par la suite séquentielle et ordonnée des actions
qui le composent (dans telle situation je fais d’abord ceci, puis cela...). Si
l’on considère que les éléments périphériques sont assimilables à des
scripts, c’est qu’ils permettent aux individus de disposer d’un certain
nombre de règles qui vont leur permettre de comprendre chacun des
aspects d’une situation, de les prévoir, de les déduire et de tenir à leur
propos des discours et des conduites appropriés. Déterminés et organisés
par le noyau central, les éléments périphériques vont dès lors “assurer de
façon instantanée le fonctionnement de la représentation comme grille de
décryptage d’une situation” (Flament, 1989, p. 209).
Flament assigne trois fonctions essentielles aux éléments périphéri-
ques, qui déterminent leur importance dans le fonctionnement de la
représentation sociale :
a. ils prescrivent les comportements et les prises de position. Comme
nous l’avons évoqué, ils permettent au sujet de savoir ce qu’il est normal
de faire ou de dire dans une situation donnée compte tenu de la finalité de
celle-ci. Ils guident ainsi directement l’action ou la réaction des sujets sans
qu’il leur soit nécessaire de se référer aux significations centrales. Dit
autrement, ils concrétisent le système central en termes de conduites et de
CHAPITRE V : L'APPROCHE STRUCTURALE DES REPRÉSENTATIONS SOCIALES 87

comportements. Ainsi, chez les chasseurs, “la protection de la nature” ou


“le respect des animaux” sont des éléments périphériques de leur repré-
sentation de la chasse : ils sont facilement repérables dans leurs conduites
(aide à la nidification, respect des périodes d’ouverture et de fermeture,
etc.) et dans leurs discours. Toutefois, ces éléments et les pratiques qui leur
sont associées relèvent directement, comme on l’a vu, d’un autre élément,
central celui-là, beaucoup plus difficile à observer de façon directe et à
recueillir spontanément dans les entretiens : la gestion du territoire de
chasse ;
b. les éléments périphériques permettent une personnalisation des
représentations et des conduites qui leur sont rattachées. Selon le contexte,
selon l’appropriation individuelle, une même représentation peut en effet
donner lieu à d’apparentes différences. Bien entendu, ces différences res-
tent compatibles avec le noyau central, mais elles correspondent bien à une
variété ou même une variabilité des systèmes périphériques. Par exemple,
certains chasseurs affirment que la chasse “est une activité solitaire” alors
que d’autres estiment qu’il s’agit au contraire d’un ‘moyen de se retrouver
entre amis”. Ces modulations de la représentation à l’intérieur du groupe
des chasseurs ne mettent aucunement en cause son élément central
consensuel : la gestion du territoire de chasse ;
c. enfin, les éléments périphériques protègent le système central en cas
de nécessité. De par ses propriétés, le système central est la composante la
plus stable de la représentation, nous l’avons vu. Ceci entraîne qu’il est très
résistant au changement. Sa transformation aurait pour conséquence une
modification, voire une déstructuration complète de la représentation. Le
système périphérique fonctionne alors comme un système de défense, 1l
constitue le “pare-chocs” de la représentation (Flament, 1987). La trans-
formation d’une représentation s’opère donc dans la plupart des cas par la
modification préalable de ses éléments périphériques.

Plus récemment, une nouvelle proposition concernant le fonction-


nement du système périphérique a été développée par Katérélos (1993) et
Flament (1994). Elle pose que, sous certaines conditions, on peut observer
l'apparition d’une sous-structuration périphérique au sein de la représenta-
tion. Il s’agit d’un système apparemment autonome, qui permet aux sujets
de réagir vite dans des situations fréquentes, sans avoir à recourir aux
éléments centraux pour savoir si telle ou telle conduite est légitime.
Autrement dit, le système central “déléguerait” la gestion d’une partie du
système périphérique à un ensemble d’éléments fortement sollicités par
des pratiques régulières et directement liées à cette partie du champ repré-
sentationnel. Cette sous-structuration périphérique est par conséquent
88 PSYCHOLOGIE SOCIALE

toujours spécifique à une sous-population donnée et s'explique par la


suractivation de certains éléments périphériques due à des pratiques
quotidiennes. Évidemment, un tel système, économique sur le plan
cognitif, ne convient plus dès que les pratiques en question sont rares,
c’est-à-dire pour une autre partie de la population peu souvent confrontée
à ces pratiques, comme le montre fort bien une étude de Guimelli (1996)
consacrée à la représentation du délinquant chez des personnels de police.

3. Conclusion
Dans ce cadre théorique général, les représentations sociales apparais-
sent donc constituées d’un double système : le système central d’une part,
et le système périphérique d’autre part. Ces deux systèmes sont spécifiques
mais complémentaires. L’un (le système central) apparaît lié aux condi-
tions historiques, sociologiques et idéologiques. Directement associé aux
valeurs et aux normes, il définit les principes fondamentaux autour des-
quels s’organisent les représentations. Stable, il assure le maintien et la
pérennité de celles-ci. L’autre (le système périphérique) est davantage lié
au contexte contingent et immédiat auquel sont confrontés les individus. Il
permet l’adaptation, l’évolution de la représentation, tout en protégeant le
système central.
C’est l’existence de ce double système qui explique, selon Abric, que
les représentations sociales sont caractérisées par des divergences
individuelles sensibles à l’égard de l’objet, tout en étant organisées autour
d’un noyau central commun. Les représentations sociales sont “à la fois
stables et mouvantes, rigides et souples” (Abric, 1994a, p. 29).
En ce sens, l’approche structurale des représentations offre un cadre
d'analyse qui permet de saisir l’interaction entre le fonctionnement indi-
viduel et les contextes sociaux dans lesquels évolue l'individu. Elle permet
aussi d’appréhender les processus qui interviennent dans l'adaptation
sociocognitive des acteurs sociaux face aux réalités quotidiennes et aux
caractéristiques de leur environnement social et idéologique. De nom-
breuses études consacrées aux processus de transformations des
représentations ont ainsi montré toute la pertinence de la théorie du noyau
central dans l’explication des mécanismes sociocognitifs impliqués (pour
une présentation, cf. Flament, 1994 ; Guimelli, 1994 ; Rateau, 1999).
CHAPITRE VI

L'objectivation et la question de l’ancrage


dans l’étude des représentations sociales
Jean VIAUD

Dans le milieu des années 1980, alors que le sida faisait ses premières victimes
et que la science balbutiait encore pour appréhender cette nouvelle maladie,
nombre de discours apparurent pour tenter d'en rendre compte. Relayés par
les médias, d'abord dispersés, les discours sur le sida s'organisèrent
rapidement autour de deux thèmes principaux, l’un centré sur le châtiment et
l’autre sur la contagiosité (Jodelet, 1989a). Si dans les premiers temps on
évoqua, eu égard à certaines populations particulièrement touchées et aux
maladies opportunistes qui l’accompagnaient (le sarcome de Kaposi), l'idée
d'un “cancer gay”, une première conception faisait du sida la manifestation
d'un châtiment moral. Signe à la fois d’un dérèglement des mœurs et d’une
licence sexuelle, le sida traduisait par son existence un certain état de la
société. Châtiment divin, au même titre que le furent par le passé d'autres
fléaux épidémiques, le remède proposé consistait à revenir à un ordre ancien
fait de fidélité et d'abstinence, de “vie saine” et d’hétérosexualité. Au-delà de
ces discours construits sur une assise religieuse, l'extrême droite désignait par
analogie autant des coupables que des boucs émissaires, les “sidaïques”, et
proposait d'ouvrir des “sidatoriums” figures contemporaines composites à
mi-chemin du sanatorium curatif des tuberculeux et d’un lieu de relégation,
voire d'élimination radical et définitif.
Du côté biologique, les modes de transmission étaient au centre des
préoccupations de certains. À ce titre la salive, voire la sueur, focalisaient les
craintes de la “contagion”. De même, le moustique, vecteur de pathologies
mythiques et exotiques, était présenté comme un possible et sournois allié du
virus. La peur de la contagion apparaissait comme d'autant plus dangereuse
et présente que ces modes de contamination présumés prenaient place dans la
banalité du quotidien. Un baiser, une poignée de main, l'utilisation partagée
d’un rasoir, autant d'actes qui prenaient rang au titre de potentiels vecteurs de
la maladie. |
90 PSYCHOLOGIE SOCIALE

Tous ces éléments, aux lumières du savoir dont nous disposons actuel-
lement à la fois sur les modes de transmission du virus et sur les
possibilités thérapeutiques, peuvent paraître bien irrationnels, voire archaï-
ques. D’un seul coup, l’irruption d’une nouvelle pathologie dans le champ
social venait non seulement réactiver d'anciennes peurs mais aussi puiser
dans le fond de mémoire des pathologies de la société en proposant des
explications et des remèdes traditionnels : d’une part le diptyque faute-
punition et la désignation de groupes à risque, de l’étranger, et corrélati-
vement l’exclusion de ces groupes de la société, et d’autre part, la discrète
mais redoutable menace mettant en danger la rencontre permanente avec
l’altérité et engendrant le repli sur l’entre-soi. Ainsi, la peur de ce virus
inconnu alliée à une utilisation détournée des connaissances scientifiques
dont on disposait déjà pour certaines générait des représentations différen-
ciées rapportables à des groupes sociaux plus ou moins déterminés. Pour
autant, désigner ces conceptions comme étant simplement irrationnelles ou
archaïques conduirait à laisser de côté les processus qui pourraient en ren-
dre compte. En effet, ces deux conceptions du sida, rapidement esquissées
ici, laissent apparaître, pour peu qu’on leur prête une attention autre
qu’évaluative, deux processus majeurs et communs d’une pensée sociale
se constituant. Le premier, l’objectivation, traduit en première analyse le
caractère de schématisation imageante des conceptions proposées, le
second, l’ancrage, montre comment les individus font face à l'émergence
d’un phénomène inconnu en articulant leurs conceptions sur des savoirs de
sens commun préexistants. Parmi ces deux processus, l’ancrage a fait
l’objet des développements les plus intéressants non seulement parce qu’il
rend compte de la genèse des représentations mais aussi parce qu’il décrit
le fonctionnement de la pensée sociale et son articulation avec la société.

1. L’objectivation
L'objectivation correspond à un ensemble d’opérations principalement
d'ordre analogique de traduction d’un objet d’un champ de production du
savoir à un autre champ tourné vers la consommation de ce savoir. En
d’autres termes, l’objectivation correspond à la transposition non systé-
matique d’un savoir soumis à certaines logiques de production et de diffu-
sion en un autre savoir dit de sens commun correspondantà d’autres
logiques de constitution et d’utilisation de ce savoir.
Ainsi, le sida a fait l’objet d’un certain nombre de discours distincts de
ceux que nous rapportons, produits par des médecins ou des scientifiques.
À la même époque, une polémique sur le primat de la découverte du virus
CHAPITRE VI : L'OBJECTIVATION ET LA QUESTION DE L'ANCRAGE 91

amena sur le devant de la scène les deux prétendants, et nombre de méde-


cins ou de scientifiques furent parmi les premiers à être convoqués par les
médias pour expliquer la pathogenèse, les perspectives thérapeutiques
souvent faites de désarroi, les promesses jamais advenues d’une solution
vaccinale, l’épidémiologie balbutiante et alors quelque peu caricaturale,
bref pour fournir des discours sur les différents aspects de la maladie. Ces
discours ont fait parallèlement l’objet d’une double diffusion : d’un côté
parmi les spécialistes des maladies infectieuses dans des revues et des
rencontres qui leur étaient destinées et de l’autre tournée vers le grand
public. On voit bien que ce n’est ni la concurrence entre chercheurs même
si elle a pu avoir des effets en retour, ni les considérations à fois plus
subtiles et plus complexes sur la maladie qui ont été retenues par les
consommateurs des discours scientifiques. Inévitablement, lors de cette
traduction, il y a eu sélection des informations.
Dans le cas du sida, les discours sont ainsi passés du champ de la
science ou de celui du sous-champ de la médecine, à un champ plus élargi
— mais qu’il conviendrait de délimiter plus précisément — qui est celui du
grand public, c’est-à-dire du champ des producteurs d’un savoir à celui des
consommateurs de ce même savoir. L’objectivation correspond au devenir
de ces discours en dehors du champ de leur formulation première. Ce
faisant, ils ont subi un certain nombre de transformations.
Les manifestations de l’objectivation sont diverses mais Moscovici (1976)
insiste sur la transformation imageante qu’opère l’objectivation : certains
concepts se voient alors dotés d’une contrepartie matérielle. Il ne s’agit pas
tant d’accoler systématiquement aux concepts prélevés dans l’univers des
signifiants leur double iconique que d'instaurer une “relation naturelle” entre
l'univers familier du sujet et l’objet à incorporer, en d’autres termes de
transposer essentiellement par le ressort de l’analogie les idées en matière, les
concepts en choses. Ainsi, dans un autre registre, Windisch (1982) montre que
les formes discursives empruntées par des sujets xénophobes pour rendre
compte de la xénophobie en Suisse peuvent, pour la plupart, être comprises
non comme des explications causales au sens strict, telles qu’elles semblent
pourtant apparaître, mais comme des attributions c’est-à-dire des associations
de mots ou d’idées qui peuvent jouer, dans un contexte discursif approprié, un
rôle causal. Par exemple, “la crise du logement, c'est les étrangers” ou
encore le lien qui est établi entre certaines pratiques prêtées aux étrangers et
l'explication de mécanismes économiques : “les étrangers ont apporté du
travail et de l'argent, de là vient l'inflation” (pp. 24-25).
De manière générale, l’objectivation comme processus conduit à
l’organisation des contenus relatifs à un objet aboutissant à des schémati-
sations présentant une efficace aux plans idéel et des pratiques communi-
92 PSYCHOLOGIE SOCIALE

cationnelles. La naturalisation souvent considérée comme une phase à part


entière de l’objectivation peut également être comprise à la fois comme un
effet de celle-ci (objectiver, c’est pouvoir lire dans le réel une idée), et
comme une condition de cette objectivation (par définition il ne peut y
avoir d’objets objectivés que d’objets déjà existants, c’est-à-dire pouvant
faire l’objet d’une perception).
Si l’objectivation tend à être appréhendée dès les premiers écrits de
Moscovici sur la psychanalyse comme une succession de phases, à
chacune desquelles peut être rapporté un processus cognitif primaire, elle
apparaît également avoir presque complètement partie liée avec la repré-
sentation elle-même. Corrélativement, ses fonctions quoique essentielles
semblent limitées à l’établissement d’une théorie de sens commun permet-
tant la communication.
Cette description de l’objectivation s’applique particulièrement dans la
perspective génétique développée par Moscovici. L’objectivation, comme
processus de schématisation imageante, joue un rôle prépondérant dès lors
qu’il s’agit ou d’objets nouveaux comme dans le cas du sida ou d’objets
constitués dans un champ du savoir. L’objectivation, dans les autres cas,
désigne bien souvent le seul résultat de l’analyse telle que la réalise le
chercheur, sans connexion ni directe ni évidente avec ce qui est décrit
théoriquement comme relevant de l’objectivation. Le point commun à
toutes les analyses sur les contenus d’une représentation est de porter
l’attention sur les produits de l’objectivation et de repérer des thèmes qui
prennent la plupart du temps la forme de schématisations bipolarisées, de
dimensions ou encore de noyaux de signification.
Cela étant, l’objectivation n’opère pas dans un vide social et les
constructions sélectives rencontrent à la fois des systèmes de perception
déjà constitués et des ethos propres à des groupes sociaux, c’est-à-dire des
systèmes organisés de normes, de valeurs ou d’attitudes. En d’autres
termes, les conditions sociales dans lesquelles opère la pensée sociale tout
comme la pensée préexistante infléchissent également les produits de
l’objectivation.
Aussi, se dégage une seconde perspective dans l’analyse des représen-
tations, celle qui consiste à saisir l'articulation de cette pensée avec l’ordre de
la société. Il s’agit principalement d'examiner comment les rapports sociaux
interviennent et produisent un investissement différentiel des représentations
d'un même objet ou modulent l'expression des représentations selon des
logiques à l’œuvre dans ces rapports. Partant, ce qui n’est qu’un autre aspect
de la même question, il s’agit de voir comment la pensée sociale d’un objet
de représentation s’articule avec la pensée préexistante — on montrera que ces
deux questions ne sont pas indépendantes l’une de l’autre.
CHAPITRE VI : L'OBJECTIVATION ET LA QUESTION DE L'ANCRAGE 93

2. L’ancrage

2.1. Assimilation et contraste, prototypie et dénomination

Si l’on considère la définition la plus usuelle de l’ancrage, ce processus


concerne essentiellement la question de l’incorporation de nouveaux
éléments dans la pensée constituée. Moscovici (1976) montre que la
psychanalyse dès qu’elle se propagea hors du champ des sciences fut
rapidement perçue comme un danger à l’ordre social établi, une théorie
subversive mettant en question le rapport à l’altérité.
Du danger initial à la maîtrise de l'incertitude, de l’intégration cognitive
à l’utilisation comme instrument de savoir, les représentations se donnent
pour objet la familiarisation avec la nouveauté et l’étrange. Pour
Moscovici (1981b), la familiarisation avec l’étrange ne s’effectue initiale-
ment que dans un seul sens : celui de l’intégration d’un élément étranger
par rapport à un système de catégorisation déjà existant. De cette manière,
l’ancrage traduit la propension qu'ont les individus à se servir de ce qui est
familier comme point de référence, permettant ainsi le transfert d’un objet
inconnu dans un univers déjà connu.
Quelles sont dans cette perspective les principales modalités proces-
suelles de l’ancrage ? Le système de représentation fournit des cadres et
des repères grâce auxquels l’ancrage va classer le non familier et l’expli-
quer d’une façon familière. Il semble donc que, lors de la survenue d’un
élément non familier, l’ancrage nous permet de comparer cet élément à
notre propre système de catégories. C’est exactement ce qui se produit
lorsque les individus, se représentant le sida par rapport à des pathologies
comme la peste ou encore la syphilis, réutilisent des catégories anciennes
pour rendre compte d’une situation nouvelle. Il en est de même pour le
versant biologique où la salive et la sueur sont dans certaines médecines
traditionnelles des liquides corporels au pouvoir très ambivalent, tantôt
bénéfique tantôt maléfique (Jodelet, 1989b).
L’ancrage implique donc différents processus qui reposent essentiel-
lement pour Doise (1990) sur l’assimilation et l’accentuation des
contrastes. En effet, Doise montre en s’appuyant sur les travaux de Sherif
et Hovland (1952 notamment) que les sujets accentuent les ressemblances
entre ce qu’ils pensent et des opinions qui leur sont assez proches et, en
revanche, ils accroissent la différence entre ce qu’ils pensent et des
opinions dont ils sont assez éloignés. De manière générale, Moscovici
(1981b) considère que le modèle des prototypes rend particulièrement
compte du fonctionnement de l’ancrage (Rosch, 1978). Selon Moscovici,
la comparaison d’un élément étranger s’effectue avec un membre typique
94 PSYCHOLOGIE SOCIALE

d’une catégorie préexistante. Le principe sous-jacent à la recherche de


prototypes renvoie à notre organisation cognitive où coexisterait un certain
nombre de catégories. La catégorie peut être définie comme “un ensemble
de traits communément partagés par les membres de cette catégorie, où on
assigne à chaque trait un poids variant en fonction de son degré
d'association à la catégorie” (Cantor et Mischel, 1977, p. 56). Le proto-
type, cas le plus clair ou meilleur exemple d’une catégorie, permettrait une
classification instantanée du nouvel élément.
Cette opération n’est toutefois pas neutre et ce mode de classement
permet par l’ancrage, au regard de la valence de cet élément non familier,
d’estimer sa conformité ou sa déviance par rapport à la catégorie (Jodelet,
1984). L’attitude vis-à-vis de cet objet conditionne donc sa destination.
Entretenant beaucoup de caractéristiques communes avec la catégorie, il
est source de “généralisation”, ce qui a pour effet de diminuer la distance
entre ce qui est déjà pensé et ce nouvel élément. Dans cette perspective,
selon la terminologie utilisée par Doise (1990), il est assimilé, c’est-à-dire
qu’il est rapporté aux caractéristiques de la catégorie. Jugé comme déviant,
il est “individualisé”, c’est-à-dire que ces caractéristiques sont évaluées
comme étant irréductiblement contrastées par rapport à celles définissant
la catégorie. La considération de cet élément étrange permet de conserver
la distance entre l’élément et le système de catégories, c’est-à-dire de
résoudre le conflit lié à la survenue de l’étrange. D'autre part, ce nouvel
élément peut rendre compte de la constitution de nouvelles catégories et,
en ce sens, la familiarisation avec l’étrange peut constituer une des sources
de la création de nouvelles significations.
Un autre processus vise également à l’intégration de la nouveauté.
Moscovici (1981b) le qualifie de “dénomination” mais on peut tout aussi
bien en rendre compte sous le terme de désignation. Selon ce processus, il
s’agit d’attribuer un nom à chaque nouvel élément car d’une part “/{...] il
est impossible de classifier sans assigner des noms” (p. 196), d'autre part
la dénomination permet d’imputer les attributs de la catégorie à l’objet
désigné et de le distinguer d’autres objets. Enfin, la désignation peut égale-
ment produire sur le plan des significations des conventions qui seront
partagées par les membres de certains groupes sociaux conduisant de facto
à la création de catégories propres à ce groupe.

2.2. Ancrage et groupe social

Il n’est pas possible de décrire seulement les processus à l’œuvre dans


l’ancrage à partir de leur seule considération cognitive, notamment parce
L EN A . » . eu,

que le produit et, par le fait, la nature de ces processus sont liés aux inser-
CHAPITRE VI : L'OBJECTIVATION ET LA QUESTION DE L'ANCRAGE 95

tions sociales des sujets, à des contextes de communication et d’interac-


tion. Par ailleurs, définis dans les termes que nous avons évoqués, ces
processus ne seraient que peu spécifiques, et, en ce sens, si la théorie des
représentations sociales permet d’établir une correspondance entre des
champs disciplinaires de la psychologie sociale, la réduction de son étude
à ces seuls processus ne permettrait aucunement d’en saisir les spécificités.
En effet, il faut saisir à présent comment l’ancrage articule des proces-
sus propres à la pensée et les insertions sociales des sujets. En d’autres
termes, 1l nous faut à présent envisager l’ancrage comme “/inscription]
des contenus des représentations sociales dans la manière dont les
individus se situent symboliquement à l'égard des rapports sociaux et des
divisions positionnelles et catégorielles propres à un champ social donné”
(Doise, 1992, p. 191).
La description des représentations de la psychanalyse dans l’étude de
Moscovici (1976) fournit un point de départ pour comprendre comment les
insertions sociales modulent les variations expressives des représentations
sociales. En effet, si la naturalisation, opérée à partir du schéma figuratif,
permettait l’appréhension de phénomènes immédiatement en relation avec
la psychanalyse, le processus d’ancrage se pose, en partie, comme une
“généralisation fonctionnelle” à d’autres aspects de la réalité ou de la vie
des individus (Jodelet, 1984). Mais alors que l’objectivation visait à l’éta-
blissement d’une forme universaliste de la théorie analytique — 1l n’existe
en effet qu’un seul schéma figuratif de la psychanalyse —, l’ancrage
module cette universalité en fonction des groupes dans lesquels la psycha-
nalyse est rapportée ou auxquels elle est identifiée. Ainsi, la représentation
s'établit comme un point de référence possible dont l’orientation est
particulière aux groupes sociaux qui s’en saisissent. Ce faisant, elle épouse
à la fois le langage du groupe tout comme elle contribue à colorer celui-ci
par des signifiants issus du champ de la représentation.
Plus généralement, s’insérant dans la pensée constituée, elle tend à créer
un “réseau de significations” qui dépasse le seul cadre fourni par la théorie
initiale pour pénétrer les manières de penser et d’agir des groupes. La
psychanalyse peut ne plus être considérée seulement comme une théorie du
système psychique mais refléter, par exemple, l’antagonisme franco-
américain ou encore devenir l'emblème d’une vie sexuelle libérée de toute
contrainte. En ce sens, si l’objectivation dotait chaque signification d’une
figure, l’ancrage établit la relation inverse en accolant à chaque figure une
signification (Moscovici, 1976). De ce fait, la représentation n’est plus
seulement celle qui correspond strictement à l’objet, car l’ancrage lui confère
une capacité de devenir un instrument de référence pour comprendre la
réalité. C’est, en ce sens, qu’elle peut alors devenir un véritable “système
96 PSYCHOLOGIE SOCIALE

d'interprétation”, c’est-à-dire une grille de lecture de la réalité pour


appréhender les événements, nos comportements et ceux d’autrui. Elle modi-
fie conséquemment nos perceptions du monde puisque, par exemple, si la
confession peut être identifiée à la cure analytique, le prêtre n’est plus unique-
ment le célébrant d’un culte ou le rédempteur ordinaire du péché ; son rôle se
parant alors d’une nouvelle facette peut conduire à redéfinir toutes les autres.
Par ailleurs, en se constituant en système d’interprétation, la représen-
tation sociale devient médiatrice des rapports entre les membres d’un
groupe et entre les groupes sociaux. Les différentes orientations des sujets
autour des mêmes principes organisateurs constituent autant de manières
d'établir un code commun entre les membres d’un même groupe ou
d’exprimer, en vertu de ce code, l’identité de chacun des groupes. La
représentation sociale étant, en quelque sorte, ce à travers quoi l’on parle,
parler en son nom revient à dire qui l’on est et d’où l’on parle. En ce sens,
elle constitue de véritables lieux référentiels pour les individus et les
groupes sociaux. Car, le partage d’une réalité contribue à donner, au-delà
de la diversité expressive des représentations, une coloration particulière,
un champ d’application et des types d’interprétation propres à chacun des
groupes sociaux. Par là même, si les représentations sociales définissent
des rapports entre les membres d’un même groupe, elles tendent également
à devenir un instrument référentiel capable de catégoriser, partant
d'évaluer ou de positionner les autres groupes sociaux. Dans ce sens,
comme le précise Jodelet “/...] le groupe exprime ses contours ef son
identité par les sens dont il investit sa représentation” (1984, p. 372).
L’ancrage en inscrivant la représentation dans le social lui confère la
capacité de devenir l’emblème de groupes sociaux. Elle constitue en ce sens
l'expression d’un ordre des relations qui contribue à positionner les groupes
les uns par rapport aux autres, tout comme dans la diversité de ses expres-
sions, elle rendait compte des insertions sociales des sujets. Par extension,
elle aboutit à l’établissement d’une homologie entre groupes et représen-
tations où l’espace des représentations s’organise de manière homologue à
celui conféré par la dynamique relationnelle existant entre les groupes.

2.3. Ancrage et principes organisateurs


Comme on le voit, l’ancrage présente, pour reprendre une expression de
Moscovici, un caractère “protéiforme”. Doise (1990, 1992), pour analyser la
complexité du processus et saisir de surcroît des phénomènes qui, jusque-là,
n'avaient pas reçu d’explications théoriques satisfaisantes, systématise la
notion d’ancrage autour d’une conceptualisation qui permet de rendre
compte d’une “pluralité d’ancrages”. Le point de départ de sa conception
CHAPITRE VI : L'OBJECTIVATION ET LA QUESTION DE L'ANCRAGE 07

S’articule sur le concept d’habitus proposé par Bourdieu (1979) et permet de


saisir les représentations d’un point de vue dynamique et également de
comprendre le principe des différentes sources de variation présentes dans la
plupart des études empiriques. En somme, l’ancrage permet de dépasser le
statut descriptif de l’objectivation pour passer à un registre plus explicatif.
Doise propose ainsi que tout objet de représentation soit élaboré dans le
cadre de dynamiques propres à un champ social donné. La prise en compte
d’un champ, c’est-à-dire d’un espace de relations pertinentes définissant
des individus référencés à des positions relationnellement définies conduit
à comprendre comment les dynamiques propres à ce champ peuvent rendre
compte de l’organisation et de l’expression des contenus représentationnels.
En ce sens, le champ correspond évidemment à un objet ou à un ensemble
d’objets socialement définis mais ne peut être compris de manière satis-
faisante s’il n’est pas référé à la structure positionnelle du champ, entendu
comme un ensemble de positions sociales hiérarchiquement structurées
exprimant une concurrence entre acteurs du champ et se traduisant par des
oppositions structurées et des enjeux de lutte.
La structure particulière du champ engendre différentes dynamiques
relationnelles et constitue pour Doise (1990) un métasystème au sens où ce
sont ces relations essentiellement d’ordre symbolique et normatif qui
construisent mais aussi conditionnent et actualisent l’expression des repré-
sentations sociales. Il convient dès lors de rechercher dans quelles condi-
tions, c’est-à-dire également dans quels contextes particuliers, le méta-
système de régulations sociales vient moduler l’expression des repré-
sentations sociales d’un même objet.
Pour cela, il faut définir le concept permettant de concevoir cette articu-
lation entre métasystème et discours des sujets. Ce concept, c’est celui de
principes organisateurs. Selon Doise (1986), “les représentations sociales
sont des principes générateurs de prises de position liées à des insertions
spécifiques dans un ensemble de rapports sociaux et organisant les
processus symboliques intervenant dans ces rapports” (p. 85). Ainsi
conçues, les variations individuelles souvent observées et négligées dans la
plupart des études empiriques, et au fondement de différentes analyses
multidimensionnelles pourtant couramment pratiquées, vont recevoir un
statut théorique. En effet, les représentations sociales forgées lors de la
communication n’imposent pas une uniformité des produits représentatifs
chez tous les sujets. Mis à part dans les rapports faisant appel à la propa-
gande, la communication est fondamentalement controversielle. En réfé-
rant ces variations à des principes organisateurs de positions individuelles,
on est en mesure de comprendre comment celles-ci peuvent être issues
d’un principe organisateur identique ou comment la diversité des positions
98 PSYCHOLOGIE SOCIALE

individuelles se comprend par rapport à l'activation de principes organi-


sateurs différents.
Un autre exemple issu des recherches genevoises sur les droits de
l’homme montre comment l’ancrage peut également rendre compte des
modulations observées chez des individus dès lors que les contextes sont
différents. Ainsi, une étude de Clémence et Doise (1994) met en évidence
que la justice s’applique différemment selon les contextes dans lesquels elle
est mise en œuvre. Dans cette étude, des sujets adolescents doivent indiquer
leur degré d’accord par rapport à des droits de l’homme comme l'inter-
diction de la torture, le droit d’asile, le droit à la vie privée, etc, leur degré
de rejet par rapport à des violations concrètes de ces mêmes droits et enfin
leur degré de condamnation des violations commises par ceux qui ont
enfreint ces droits. Au vu des résultats, il apparaît très clairement que si les
sujets reconnaissent l’existence de droits généraux tels qu'ils ont pu être
formulés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, en revanche,
leur degré de rejet dans des cas de violations concrètes est moindre pour
l’ensemble des droits proposés sauf la torture, qui fait l’objet d’une condam-
nation identique dans le cas où elle s'applique à des situations concrètes.
Enfin, les évaluations en termes de rejet sont identiques par rapport aux cas
où ce sont des personnes ayant commis les violations de ces droits qui sont
à évaluer. Cette étude indique clairement que les contextes dans lesquels
s’exercent ces droits rendent tout à fait modulable l'expression de principes
organisateurs qui au départ semblaient identiques et largement admis. En
fait, c’est la normativité des actes commis qui sert de référence pour juger de
l’applicabilité de ces droits et non le principe général d'application de ces
droits tel que pourraient le concevoir par exemple des juristes.

3. Unité de l’ancrage
Il s’agit de comprendre à présent l'unité de ce que nous avons dénommé
ancrage. Îl peut paraître en effet y avoir bien peu de rapports entre la concep-
tion de l’ancrage comme réactivation de catégories de la pensée et les
principes organisateurs au centre des analyses de Doise. En réalité, ce n’est
pas comme forme multiple d’un processus génératif et général de la pensée
que l’ancrage trouve son unité mais comme expression d’un ordre social.
Sans vouloir adopter un point de vue finaliste, les différentes manifestations
de l’ancrage montrent que ce sont des régulations normatives qui sous-
tendent la perception que nous avons de notre environnement et, dès lors,
que la pensée se construit et s’actualise par rapport aux relations symbo-
liques entre groupes sociaux soutenant l’ordre social existant.
CHAPITRE VI : L'OBJECTIVATION ET LA QUESTION DE L'ANCRAGE 99

Les principes organisateurs sous-tendant les représentations sociales


nous incitent à considérer notre environnement de manière renouvelée
mais dans le même temps toujours identique, à penser les choses de
manière strictement relationnelle c’est-à-dire oppositionnelle selon un
ordre et des schémas prescrits, à focaliser l’attention lors de la genèse et du
fonctionnement des représentations sur des éléments qui, quoique
nouveaux, ont l’apparence et la certitude procurées par l'évidence du déjà-
là, du déjà-pensé. Cet ordre qui est celui de la société forme dans les
champs où 1l se donne à voir des relations asymétriques et impose la forme
d’un pouvoir structuré et diversement partagé. Le métasystème normatif,
par l’entremise de l’ancrage, produit des effets d’assignation, c’est-à-dire
de correspondance obligée entre des objets et des catégories, permettant de
décrypter instantanément des situations et de leur appliquer le traitement
requis, et cela sans pour autant qu’il soit nécessaire de rapporter ces diffé-
rences de perception ou d’évaluation à des rapports sociaux dont les
représentations sociales sont pourtant issues et qu’elles expriment. Comme
le note très justement Doise (1990), l’ancrage s’appuie sur une logique de
reconnaissance/méconnaissance qui a pour effet à la fois de guider les
perceptions et les évaluations de notre environnement en même temps que
les représentations indiquent très clairement la place occupée par ceux qui
les expriment dans le système des positions impliqué par le champ. Mais,
la connaissance que procurent les représentations sociales est aussi mar-
quée par la méconnaissance, méconnaissance du principe en vertu duquel
ces connaissances sont exprimées et méconnaissance de l’ordre social qui
lui est immanent et qui guide les perceptions.
Ainsi, l’ancrage participe au moins autant de processus de la pensée
que de logiques sociales trouvant leur traduction dans la pensée et
reproduisant ainsi la légitimité d’un ordre social établi et sans cesse
corroboré par elle. Lorsqu’on cherche des principes organisateurs on trou-
vera le plus souvent un principe de régulation extérieur à ces principes, une
forme de pouvoir distribué, des logiques de distinction ou de domination
soit localement et ponctuellement soit plus massivement institutionna-
lisées qui rendront compte de leur application.
L'objectivation laisserait à penser que l’univers des représentations est
statique ou rigide. Or ce que montre l’ancrage, c’est que les représen-
tations s’actualisent dans des contextes différenciés selon des régulations
qui sont à la fois particulières à ces contextes mais aussi générales quant à
leur application et donc que, loin d’avoir cet aspect rigide, elles connais-
sent de surcroît des variations individuelles parfois importantes et peuvent
trouver des modulations c’est-à-dire des expressions différenciées voire
contraires selon des logiques sociales contextualisées.
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CHAPITRE VII

Les croyances
Christine BONARDI et Nicolas ROUSSIAU

“Un habitant du Queensland rencontra un Chinois qui portait un bol de riz sur
la tombe de son frère. L'Australien, en plaisantant, lui demanda s’il pensait
que son frère viendrait le manger. Le Chinois répondit : ‘Non, nous offrons du
riz aux gens pour exprimer notre amitié et notre affection. Mais, d'après votre
question, je suppose que, dans ce pays, vous mettez des fleurs sur la tombe
d'un mort parce que vous croyez qu'il aimera les regarder et sentir leur
parfum.”

Radcliffe-Brown, Structure et fonction dans la société primitive, 1968.

1. Petite histoire des grandes croyances


Parler de la croyance (plutôt que des croyances) revient à partager les
préoccupations déjà anciennes d’une philosophie qui tenait celle-ci pour la
plus énigmatique des opérations de l'esprit. “.… Toute la philosophie
occidentale, depuis Pascal jusqu'à Bertrand Russel, en passant par Hume, a
médité sur le lien extraordinaire qui unit une masse de pensée et une masse
d'hommes, une création de l'esprit et une donnée de la réalité humaine”
(Moscovici, 1993, p. VIT). À travers les notions de sacré, de surnaturel, de
dieu(x), la religion prend place aux origines philosophiques des sciences
sociales et reste une préoccupation constante des analystes. L'exploration de
la nature humaine ne débute-t-elle d’ailleurs pas avec la question de l’exis-
tence de l’âme et de la conformité de l’humanité à des normes transcen-
dantes ? Ainsi, par exemple, l’histoire de la magie se confond-elle avec celle
de l’humanité. Des constantes du magique ont traversé de grandes civili-
sations, depuis la préhistoire en passant par la haute Antiquité, le réalisme
102 PSYCHOLOGIE SOCIALE

égyptien, l’animisme chaldéen, les pratiques gréco--romaines, le paganisme


ou le christianisme et l’effervescence du Moyen Âge. . jusqu’à nos Jours.
En Europe, au siècle des Lumières, la lutte contre l’obscurantisme a
réduit la religion à une domination cléricale, voire “mondaine”, mais
permis, du même coup, l’éclosion de véritables “religions laïques” en rela-
tion avec le caractère positif/rationnel des connaissances et des idées :
concept de religion de l’humanité (Comte), idée que le respect collectif
porté par les hommes à la société débouche sur le divin (Durkheim, 1960).
“La sociologisation d'une autorité supérieure n'est en fait qu'une laïci-
sation du sentiment religieux, de la croyance en une Jorce collective
supérieure” (Copans, 1996, p. 80).
La fin du xix* et le début du xx° siècle consacrent un double mou-
vement au sein des sciences humaines : l’anthropologie étudie les sociétés
primitives sous l’angle de l’animisme, du totémisme, de la magie et de la
sorcellerie, bref, selon une théorisation des explications du monde par une
pensée “primitive” ou première sacralisante (Taylor, Frazer), et la
sociologie, chez Durkheim (1960) par exemple, fait porter sa recherche sur
la religion considérée comme une idéologie, ou chez Hubert et Mauss
(1902-1903), sur la magie considérée comme un fait social. L’anthropo-
logie des sociétés “primitives”, sous ses formes diverses, tente alors de
construire une grammaire générale des croyances et des pratiques (ou
rituels) qui les accompagnent (superstitions, savoirs populaires, folklore).
Magie, superstition, croyance sont intégrées à une théorie générale
(fonctionnaliste) de la culture, ce qui ramène à de plus justes proportions
les prétentions spéculatives des explications en termes de religion (que
l’on songe par exemple à l’importance de la dimension psychologique
dans les approches de Durkheim et Mauss). Plus tard, les transformations
du terrain anthropologique (décolonisation, indépendance, retour sur des
objets proches et contemporains) vont amener des réflexions sur le rôle de
l’acculturation et du syncrétisme comme facteurs de modification des
croyances (d’où la possibilité de les étudier dans leur dynamique et leur
changement même). L'étude des mouvements messianiques par Balandier
(1955), des cultes du cargo (cf. Kilani, 1983), des prophétismes africains,
des nouvelles identités religieuses, approche in vivo l’évolution des
croyances et invite à en repenser la notion même.
Parallèlement, Festinger, Riecken et Schachter (1956, 1993) profitent
de l’observation d’un mouvement prophétique pour appréhender les
formes mêmes de persistance d’une croyance (voir aussi chapitre XV,
Engagement et dissonance dans la soumission librement consentie, par
Valérie Fointiat). Ils constatent que, si on fournit à un croyant la preuve
indiscutable que sa croyance est erronée, “Non seulement l'individu ne
CHAPITRE VII : LES CROYANCES 103

sera pas ébranlé mais il en sortira plus convaincu que jamais de la ‘vérité’
de sa foi. Peut-être ira-t-il jusqu'à montrer une ardeur nouvelle à
convaincre et à convertir des profanes” (p. 1). En substance, dans le
groupe religieux considéré, une fin du monde annoncée n’a pas lieu. Les
fidèles s’étant préparés à ce cataclysme se trouvent en position de rendre
compte de sa non advenue et d’en rechercher les causes afin de conserver
toute sa vigueur à leur croyance fondamentale. La cause invoquée à l'appui
est alors liée au groupe lui-même : l’assiduité à la prière de tous les
croyants a permis d'éviter la catastrophe programmée. Nul doute que l’on
y puise alors une nouvelle énergie pour asseoir la croyance mise à mal par
le démenti des faits eux-mêmes. Les auteurs synthétisent même les
conditions dans lesquelles on peut obtenir un regain de ferveur lorsque les
fait ont démenti la croyance dans ce qu’il est désormais convenu de consi-
dérer comme une des premières et des plus magistrales approches psycho-
sociales du phénomène de la croyance. Pour que celle-ci perdure malgré
tout, “I. Il faut que la conviction soit profonde et implique l'engagement
effectif du fidèle. 2. Celui-ci doit s'être engagé, c'est-à-dire qu'au nom de
sa croyance il doit avoir effectué une démarche difficilement annulable
[...]. 3. Laquelle (sa foi) doit être suffisamment précise et se référer suffr-
samment au réel pour que les événements puissent lui apporter une réfuta-
tion incontestable. 4. Il faut enfin que les faits lui apportent un démenti qui
soit sans équivoque et perçu comme tel par l’adepte. [...]. S. Il faut que
l’adepte en tant qu'individu jouisse d’un soutien social à toute épreuve”
(p. 2). Un fonctionnement véritablement “hydraulique” constitue l’apport
de cette observation en temps et espace réel : les conditions 1 et 2 consti-
tuent les “circonstances dans lesquelles la conviction se fera imperméable
au changement” (id.) ; les conditions 3 et 4 “précisent en revanche les
facteurs qui devraient inciter fortement le fidèle à jeter ses croyances par-
dessus bord” (id.), n’était la 5° condition. “Lorsque les gens ont parié sur
une foi et une politique, les preuves a contrario ne font que renforcer leur
conviction et leur ardeur à convaincre” (p. 10). Et, en effet, il semblerait
que “.… les croyances n'étant pas bâties sur des faits, les faits ne peuvent
pas les ruiner” (Moscovici, 1993, p. X).
Les métissages et syncrétismes culturels contemporains produisent
quant à eux un véritable laboratoire de transformation/adaptation/mutation
des croyances (cf. par exemple les sociétés “’créoles”). D'une manière
encore plus générale, le changement social de la modernité, depuis les
années 1960, déconstruit les homogénéités, élargit les champs de fonction-
nement, bouleverse les formes d’expression. Contact culturel, accultu-
ration, changement social, urbanisation, occidentalisation, continuum
folk/urbain (aujourd’hui mondialisation) rendent possible une revisite des
104 PSYCHOLOGIE SOCIALE

croyances : l’expérience d’ethnologues africains permet d’analyser, par


exemple, le rôle des guérisseurs ou marabouts en France, mais aussi les
croyances qui accompagnent la polygamie ou l’excision. L’ ethnologie de
la France contemporaine (entendue comme l’étude de la manière dont sont
produites les catégorisations ethnoculturelles) permet d'interroger les.
apparitions d’ovnis, de la vierge ou de... Claude François (Terrain, 1990).
Bref, les croyances les plus ordinaires ou les plus médiatisées sont
susceptibles de fournir à la psychologie sociale de nouveaux territoires du
social, encore déroutants ou mal identifiés.

2. La mutation des croyances : de l’anthropologie vers la


psychologie sociale
La croyance n’est pas un objet nouveau pour la psychologie (cf. supra
Festinger et al., 1993), mais on ne peut manquer de relever que, suite à une
mutation intradisciplinaire de l’anthropologie, le concept de croyance a
migré de l’anthropologie via la sociologie (Merton, Watzlawick) vers la
psychologie. Dans le cadre de l’ethnographie traditionnelle en effet, on
admettait communément que les croyances collectées par les ethnologues
constituaient des ‘données d'expérience offertes à l'observation et dont la
désignation sous ce terme n'exigeait aucun préalable” (Lenclud, 1991,
p. 184). Cette métacroyance disciplinaire revêtait plusieurs formes : assi-
milées aux représentations collectives, les croyances exprimaient la
quintessence orthodoxe d’une culture ; considérées sous l’angle de leur
utilité sociale, elles faisaient sens vers leur seule réalité sociologique ;
mais, à l’inverse, on pouvait aussi les rapporter à des objets de convictions
spécifiques (dieux, esprits, génies...). Dans tous les cas, cette réduction de
la croyance à son objet postulait l’universalité de l’aptitude à la croyance,
la diversité des cultures n’étant alors que sa démultiplication dans le temps
et sa variabilité dans l’espace. Des sociétés “primitives” aux sociétés
modernes, les croyances s’échelonnaient d’une naturalisation, pour les
premières, à une tension entre la foi et le doute, pour les secondes, lesquel-
les présentaient également une tendance au jugement scientifique :
contraires aux catégories de la pensée scientifique, les croyances étaient
réduites au “produit obligé d'un défaut de rationalité, la manifestation
d'un type spécifique d'activité mentale et, plus récemment, dans les
conceptions relativistes (intellectualiste et symboliste), à des essais ration-
nellement menés, maïs inachevés d'explication de l’ordre cosmique ou du
monde social” (Lenclud, 1991, p. 185). Le scientifique, lointain héritier de
Levy-Bruhl (1951), s’interdisait donc de reconnaître aucune vérité dans les
CHAPITRE VII : LES CROYANCES 105

croyances du sens commun. Ansart (1990) saisit précisément cette


ambiguïté du regard scientifique de vérité sur l’illusion des croyances
lorsqu'il note que : “tel observateur, considérant les pratiques du faiseur
de pluie, est disposé, de par sa culture, à s'étonner devant un tel compor-
tement et à le tenir pour inintelligible et irrationnel. Comme le suggère
Max Weber, le problème de la magie se trouve ici dans l'esprit de l'obser-
vateur et non dans la mentalité irrationnelle du magicien” (p. 226).
C’est Needham (1972) qui le premier interroge le concept occidental de
croyance en tant que combinaison culturelle de significations différentielles
voire contradictoires, spécifiques à une tradition de pensée particulière et ne
relevant en aucun cas d’une universalité. Pour lui, le problème ne venait pas
tellement de ce que chaque société a sa manière de croire et que celle-ci ne
coïncide pas forcément avec la nôtre, mais plutôt du fait que, seule, notre
culture décèle une liaison dans la pluralité existante des façons de croire.
L'examen que fait Needham des divers critères utilisés dans le discours
occidental pour spécifier la croyance par rapport à d’autres états de
conscience (opinion, assentiment, savoir, foi, etc.) est largement corroboré
par les observations de l’ethnologie, mais aussi de l’histoire, de la psycho-
logie interculturelle et de disciplines proches. “Ainsi en est-il de critères
comme la possibilité de la chose crue, l'admission de sa réalité ou de sa
‘vérité’, le sentiment d’évidence manifeste, la cohérence interne d’un
‘système de croyances’, la mesure du degré de conviction ou encore la
disposition à l’action qui serait inhérente aufait de croire” (Lenclud, 1991,
p. 186). En anthropologie, on a donc souligné la possibilité de modalités de
connaissance ‘“‘inconciliables” : du savant au populaire, du savoir-faire à la
croyance (“jamais la météorologie n'abolira l’art d'interpréter les signes
du ciel”, énonce par exemple Sansot (1990, p. 45)).
L'ouvrage de Favret-Saada (1977) — l’auteur, analysant la sorcellerie
dans le Bocage, conclut à la coexistence de régimes différents de compré-
hension du monde -, certains collectifs (Bromberger, 1998) ainsi que des
numéros spéciaux de revues (Terrain, 1990 ; Ethnologie Française, 1993)
en témoignent. Ce revirement intradisciplinaire témoigne du doute jeté sur
le concept de croyance et sa pertinence pour opérer des comparaisons entre
les cultures. Vont également dans ce sens le développement d’une anthro-
pologie cognitive étudiant des croyances dites “contre intuitives” (lévita-
tion, fantômes, vie éternelle), ou la suspicion touchant le fait que les
informations qui constituent une culture soient stockées sous la forme de
propositions en langage naturel, d’où l’idée que “la culture dans laquelle
vivent les gens est très différente de la façon dont ils en parlent” (Bloch,
1998-1999, p. 53).
106 PSYCHOLOGIE SOCIALE

3. Du côté de la psychologie sociale


“Certes, on parle souvent de la volonté et du besoin de croire, ou
encore de déficit de croyance. Mais on hésite à traiter du point de vue
scientifique ce phénomène mental et collectif. Comme si l’on touchait là
aux limites du compréhensible et que l’on débordait sur le terrain glissant
du mystère” (Moscovici, 1993, p. VII).
Les interrogations issues de l’anthropologie débouchaient nécessai-
rement sur la prise en compte de l’aspect psychologique, de “l'attitude
mentale exprimant le degré de certitude avec lequel des hommes accueil-
lent une idée, tiennent une chose pour vraie ou bien réelle” (Lenclud, 1991,
pp. 184-185). Depuis les figures majeures de Freud, pour qui la “pensée
magique” (regroupant animisme, magie et pensée primitive) était liée à la
toute-puissance des idées et à un certain stade narcissique, et d’un Jung
promouvant, à l'inverse, dans le principe de synchronicité, une forme de
doute sur la causalité, la psychologie s’était contentée d’une approche
plutôt individuelle et négligeait l’importance du support social des
croyances : biais et erreurs pour Lehman, héritage du réalisme enfantin
(Piaget, 1957), apprentissage par conditionnement “erroné” (Skinner,
1948), etc., devenaient les constituants de différences interindividuelles
appréhendées sous des variations situationnelles ou des caractéristiques
internes (voire pathologiques). Il a fallu que se développe une psychologie
ancrée dans l’étude des cognitions (forcément sociales), de leur genèse, de
leur structure, de leur transformation, pour que la croyance accède au statut
d'objet psychosocial. Mais, en matière de croyances, les multiples expli-
cations proposées (intentionnelle, c’est-à-dire en termes de raisons ou de
finalité ; besoins ou désirs exprimés en termes de prédétermination ; cogni-
tivisme avec les causes structurales, etc.) butaient sur l’opposition entre
une psychologie scientifique (la croyance n’a pas d’existence dans le cadre
d’une approche rationaliste/physicaliste...) et une psychologie de sens
commun (... cependant la croyance existe comme une nécessité de/dans la
vie quotidienne). C’est que l’élucidation de cette opposition passait par la
prise en compte des logiques sociales et des configurations symboliques
(et de leur connaissance) qui permettent de “faire des hypothèses
psychologiques sur ce que les auteurs des conduites ou les dépositaires des
schèmes signifiants ont ‘dans la tête’ en agissant comme ils agissent, en
pensant comme ils pensent” (Lenclud, 1994, p. 24). Ce passage du
“sociétal” (anthropologie) ou du “neuronal” (neurosciences comportemen-
tales) au groupal (psychologie sociale) s'illustre bien dans l’analyse des
prophéties autoréalisatrices (Banque précipitée dans la faillite par ses
clients qui l’ont crue insolvable ; pénurie d’essence provoquée par la ruée
CHAPITRE VII : LES CROYANCES 107

des automobilistes à la suite d’une rumeur. de pénurie d’essence : étu-


diant échouant à son examen de trop s’inquiéter d’y échouer au lieu de le
préparer) directement issues du théorème de Thomas (1928) selon lequel
si les hommes définissent des situations comme réelles, elles sont alors
réelles dans leurs conséquences (phénomène fortement relayé dans des
expériences comme celles de Rosenthal et Jacobson (1971) sur l’effet
Pygmalion).
Il n’était donc plus temps d’“hésiter entre une analyse sociologique de
mouvements de masse et une approche restreinte à un niveau microsocial”
(Durand, 1998, p. 505), voire de lister les stigmates des croyances en termes
de déficit de raison, d’affection, de santé ou d’identité, ou à l’inverse, sous
forme d’excès sensoriel, de sensibilité ou d’attention à autrui. Ou bien encore
de distinguer (sérier ou hiérarchiser) des types de croyances, par exemple
(selon le modèle d’Askévis-Leherpeux, 1988) : traditionnelles, c’est-à-dire
mésusant du principe de causalité (du type chat noir ou échelle implique
malheur ; trèfle à quatre feuilles signifie chance) ; religieuses : mésusant du
principe de causalité mais contestées par les autorités religieuses officielles
(saints intercesseurs) ; parascientifiques, c’est-à-dire controversées par les
scientifiques mais néanmoins admises par certains (spiritisme, radiesthésie,
télépathie, astrologie, ovnis, cryptozoologie..….). On a donc plutôt appréhendé
la croyance en tant que forme de rationalité (fut-elle irrationnelle), c’est-à-
dire processus socio-cognitif de compréhension du monde à des fins
adaptatives et pour s’y comporter quotidiennement. Par exemple, les dessins
péruviens de grande taille du plateau de Nazca, visibles du ciel, ont reçu des
explications réalistes/physicalistes (‘observatoire astronomique”), des expli-
cations empreintes de croyance et de religiosité (“construction en l'honneur
de dieux”, “tracés processionnaires à usage rituel”), mais aussi des
explications a-physicalistes ou “irrationnalistes” (‘pistes d’atterrissage pour
extra-terrestres”). Dans un tel cas, il ne suffit pas de dire que l’homme serait
un être rationnel qui chercherait à (s’)expliquer le connu et l’inconnu, le
banal et l’extraordinaire, le trivial et le savant, mais il convient surtout de
voir quels sont les processus qui font passer de tel choix à tel autre et
légitiment ce choix (rationnellement, individuellement ou socialement) et
quels sont les modes de fonctionnement de ces modalités explicatives. C’est
pourquoi la psychologie sociale a abordé les croyances sous un tout autre
angle que leur irrationalité ou leur fausseté : celui d’une organisation socio-
cognitive, d’un savoir culturel, de valeurs héritées, qui font que les hommes
croient, désirent, pensent, éprouvent, agissent. D’un point de vue scienti-
fique, cela revient à ne pas assujettir les croyances aux critères du vrai ou du
faux, mais à faire heuristiquement crédit aux “bonnes raisons” que les
acteurs sociaux, tenants des croyances, avancent comme leurs.
108 PSYCHOLOGIE SOCIALE

De toute façon, nos sociétés modernes, dominées par la logique


scientifique, laissent une large place à la croyance. Moscovici constate
même, en 1992, le retour d’une pensée qu’il qualifie de magique. Celle-ci
opérerait-elle là où la science trouve ses propres limites ? Sans aller aussi
loin, ces deux formes de pensée jouent de registres distincts mais
complémentaires dans la mesure où “la somme des opérations cognitives
peut déboucher tantôt sur la science tantôt sur la magie [...] selon les
démarches utilisées par les individus” (Moscovici, 1992, p. 303). Mais
c’est ce “tantôt” qu’il conviendrait de préciser. L'expression de la science
comme celle de la magie se fait, toujours selon Moscovici, au travers de
formes mentales, c’est-à-dire d’un ensemble de représentations et de prati-
ques qui, pour la science, obéissent à la ‘norme de véracité” bien connue,
et, pour la magie, à une “norme d’efficacité”. Point n’est besoin de
comprendre, admettre suffit, pour peu que la magie délivre les services
qu’on en attend. Faillibilité et infaillibilité sont 1c1 en question : la science,
dans sa quête toujours inachevée de vérités indiscutables, admet d’être
prise en défaut dans ses représentations comme dans ses pratiques (ne dit-
on pas que les vérités d’aujourd’hui sont les erreurs de demain ?). En
revanche, on attend de la magie qu’elle réussisse là où tout échoue, là où
le rationnel est pris en défaut, c’est-à-dire au niveau des pratiques. Les
représentations qui la soutiennent sont, quant à elles, suffisamment floues
pour tolérer des réajustements successifs, voire de profondes remises en
cause. C’est donc au plan des pratiques que l’on pourra différencier pensée
scientifique (on y croit parce que et quand ça marche) et pensée magique
(ça marche parce qu’on y croit). Moscovici distinguera encore deux
formes mentales caractéristiques de nos sociétés : religieuse (où le dogme
établi tient lieu de vérité infaillible mais où les pratiques [rituels, prières,
offrandes...] peuvent échouer), et idéologique, caractérisée par une
infaillibilité absolue.
Les croyances, héritées du passé, comme d’ailleurs la science, se
maintiennent parce qu’elles disposent d’une force supérieure à celle de la
rationalité scientifique, et parce qu’elles s'adaptent autant au quotidien qu’à
l’extraordinaire. Qu’on songe à l’étendue considérable d’un registre qui va
de la croyance en la chance à des survivances qu’on dit superstitieuses
(catastrophes associées au vendredi 13, salières renversées.….), jusqu’à la
croyance en des formes cachées (mondes parallèles, survivances animales
du passé, phénomènes inexpliqués et inexplicables parce que para-
normaux) qui nous transcendent voire nous gouvernent et se jouent des
déterminismes que nous croyons naturels (les fameuses lois de la nature).
Aurions-nous besoin d’ajouter à notre quotidien une dose de surnaturel, une
peu de mystère méritant crainte, respect ou espoir ? “.. aucun acte ni
CHAPITRE VII : LES CROYANCES 109

aucune idée ne sont par eux-mêmes magiques, et tout acte ou toute idée
peut le devenir dès que s'y adjoint une dose d'étrangeté. Alors que le
moindre retour de l'ordinaire est de nature à affaiblir ce pouvoir”
(Moscovici, 1992, p. 306).
…. Mais, serions-nous capables d’ajouter nous-mêmes à notre quotidien
cette dose d’étrangeté ? Cela semble parfaitement plausible, bien que sous
une forme quelque peu éloignée de l’adjonction volontaire. Faisons pour
cela un léger détour par ce qu’il est convenu de nommer des biais cognitifs.
La littérature scientifique fournit bon nombre d'exemples de ces
“défaillances” du raisonnement humain non scientifique : appréciations
inexactes parce que fondées sur des généralisation abusives de cas parti-
culiers (Einhorn et Hogarth, 1978), heuristiques de jugement (Kahneman,
Slovic et Tversky, 1982), confirmation d’hypothèses ou erreur fonda-
mentale (Ross, 1977), croyance en un monde juste (Lerner, 1980), etc.
Prenons le cas de l'illusion de contrôle (Langer, 1975) : il nous est difficile
d'admettre ne pouvoir exercer aucun contrôle sur les événements et plus
facile de croire que nous sommes aptes à les maîtriser. Et il va de soi, dans
de telles conditions, que la croyance a davantage d’attrait que l’impuis-
sance. Aussi, avons-nous tendance à établir des liens de causalité entre des
événements pourtant rationnellement réputés sans rapport entre eux. Bref,
nous nous comportons comme si nous pouvions exercer un contrôle
effectif sur le hasard et l’indéterminé (Henslin, 1967), ce qui renforce notre
estime de soi. Ainsi, être superstitieux ou croire à l’astrologie, c’est
“établir des liens entre des événements qui sont sans aucune relation de
dépendance” (Askevis-Leherpeux, 1989, p. 170), généraliser indûment le
principe de causalité. L'objectif est “d'augmenter le contrôle perçu, et par
là même de réduire l'angoisse découlant d'un sentiment d'impuissance”
(id.). On retrouve également, dans les travaux sur le Locus of control (cf.
Dubois, 1987), matière à mieux cerner les mécanismes des croyances.
Askévis-Leherpeux (1989), par exemple, considère que les auteurs ayant
décrit “le rôle de certains corrélats de la superstition et de la croyance aux
parasciences [...] ont en général surestimé le poids des variables socio-
démographiques au détriment des facteurs psychologiques” (p. 167), ces
derniers étant surtout matérialisés par l’externalité ou “tendance générale
qu'ont certains individus à penser que les événements qui se produisent
dans leur vie sont le résultat non pas de leur propre comportement ou de
certaines de leurs caractéristiques personnelles (internalité), mais plutôt
du hasard, de la chance, du destin, d'autruis puissants, ou de pouvoirs
hors de leur contrôle ou de leur entendement” (id.). Diverses recherches
(Peterson, 1978 ; Jahoda, 1990) ont accrédité cette hypothèse en montrant
que les scores d’externalité des individus ayant tendance à la superstition
110 PSYCHOLOGIE SOCIALE

étaient plus élevés que ceux d’individus ne présentant pas cette tendance, ou
bien encore (Sosis, Strickland et Haley, 1980) que des croyances et pratiques
“magiques” de type astrologie, voyance, superstitions s’observent plutôt chez
les individus externes qui retiennent, dans leurs explications du
fonctionnement du monde, des paramètres externes de type chance, destin ou
hasard, que chez ceux qui en réfèrent aux autres tout-puissants (dieu(x).
mages, sorciers..….). Cela suppose naturellement que l’individu tisse un lien
causal entre un événement ou un renforcement et un paramètre environ-
nemental. Dans le cadre de la superstition, la magie ou la sorcellerie, ce lien
même serait fallacieux dans la mesure où une correspondance serait perçue
entre un événement fortuit (par exemple, la présence d’un personnage
marquant en un lieu donné) et un comportement ou un état de l’individu (acte
inhabituel, hors norme, maladie.…). Plus largement (cf. Deconchy et Hurteau,
1998), lorsqu'on confronte des individus à une situation qu'ils ne peuvent
comprendre, c’est-à-dire contrôler cognitivement, ils ont recours à des expli-
cations renvoyant manifestement à des croyances. Dans un autre ordre
d'idées, Deconchy (1980), étudiant l’idéologie dans le cadre de l’orthodoxie
religieuse catholique, énonce qu'est idéologique “tout système de
représentations et d'explications d’une réalité sociale qui, aux yeux d'un
certain nombre d'individus, introduit une information qu'ils jugent
potentiellement universelle en fonction de critères qui, pour eux, ne relèvent
pas d’abord et avant tout d’un désir ou d’un mobile vérificateur” (p. 11).
L’idéologie (religieuse dans le cas des travaux de Deconchy) repose donc
davantage sur un dogme et une croyance que sur des vérités fermement
établies. Dans les systèmes religieux, le problème de la croyance est
particulier : les croyants savent qu'aucune préuve “rationnelle” décisive ne
peut être donnée à l’existence d’un ou plusieurs dieu(x), tout au plus quelques
manifestations “miraculeuses” peuvent-elles attester de la véracité d'une
croyance admirablement caractérisée par le terme de foi. De même, aucune
information matérielle et empirique ne peut venir étayer certains points du
dogme (nature de la vie après la mort, assurances quant à la vérité d’un
Eden...) mais, dans le même temps, une abondante littérature existe à leur
sujet. Et c’est cette “idéologie” qui vient alors étayer les certitudes des
croyants et se trouve elle-même renforcée par le caractère éminemment
affectif (amour, besoin de soutien social, etc.) de l’adhésion des croyants.
Bref, tout croyant puise dans le dogme et dans ce partage même de sa foi avec
d’autres, ample matière à confirmer l’authenticité de l’ensemble du système.
D'ailleurs, les expériences menées par Deconchy dévoilent le fonctionnement
interne de l'institution religieuse, montrant que la fragilité rationnelle des
paramètres purement informatifs est largement compensée par une régulation
sociale vigoureuse qui ramène le déviant occasionnel dans la droite ligne du
CHAPITRE VII : LES CROYANCES 111

dogme établi. La croyance se nourrit donc également des systèmes sociaux


qu'elle a suscités pour la pérenniser. Deconchy (1999) trouvera aussi chez
Brown (1973) ou Beauvois et Joulé (1981) la référence à une métastructure
idéologique fédérant un ensemble de savoirs, de valeurs, d'opinions et de
croyances (voir également Fraser et Gaskell (1990) qui placent l'idéologie
aux côtés des croyances, valeurs, représentations ou attitudes).

4. Conclusion

Dans l’étude des croyances, le processus (“croire que” au sens de “penser


que”) et le produit (“croire en” telle ou telle chose) relèvent d’une activité
sociétale (ce que l’on croit) et de la production d’un lien social (ceux qui
croient). Rendre compte de cet “engagement relationnel” (Lenclud, 1990,
p. 15), qui donne forme à toute adhésion à des croyances et fournit aux indi-
vidus toutes les justifications nécessaires à cette adhésion, c’est bien traiter
des formes différentielles que peut revêtir la cognition sociale. Mais cela
nécessite également d’approcher l’évolution de la connaissance dans le
continuum qui, historiquement, s’étire des unes (les croyances) à l’autre (la
science) et “de placer sur le même plan épistémologique les croyances d’une
part, le savoir d'autre part, ce savoir qui autorise justement à parler par
opposition, de croyance” (Lenclud, id., p. 16).
La zététique (du philosophe grec Pyrrhon) est enseignée à la faculté des
sciences de Nice comme “un art du doute et de la recherche méthodique
mené sans dogme ni a priori”. “L'objectif principal du Cercle Zététique,
consiste tout simplement à ‘appliquer les principes de la recherche
méthodique à la poursuite d’investigations relatives aux phénomènes
réputés ‘paranormaux "et à l’histoire dite ‘mystérieuse’”. (Mozzani, 1995,
p. XX). Ainsi, si “l'incroyable” contemporain (Ovnis, X-Files...) participe
de l’air du temps scientifique (clonage, virtuel...), le savoir scientifique
contemporain (big bang, physique quantique) participe, réciproquement,
de l’air du temps de l’incroyable (science-fiction, parapsychologie).
En 1994 un sondage CSA-Le Monde (12 mai) indique que 71 % des
personnes interrogées croient beaucoup ou un peu à la transmission de
pensée, 60 % à l’explication des caractères par les signes astrologiques,
4] % aux envoûtements et à la sorcellerie, 39 % aux extra-terrestres, 31 %
aux tables tournantes, 46 % aux prédictions des voyantes, tandis que 88 %
d’entre elles se déclarent tout à fait ou plutôt d’accord avec le postulat
suivant : “il y a des réalités que la science ne parviendra jamais à expli-
quer”. On comprendra que la psychologie sociale a encore largement
matière à recherche dans le domaine des croyances.
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CHAPITRE VIII

Les processus idéologiques


Jean-Pierre DECONCHY

“Il y avait à Montmartre, au troisième du 75 bis de la Rue d'Orchampt, un


excellent homme nommé Dutilleul qui possédait le don singulier de passer à
travers les murs sans en être incommodé”

Marcel Aymé, Le Passe-muraille, 1942.

Une fois ceci dit et accepté, tout se passa ensuite, dans le roman, de façon
compréhensible, raisonnable et même “rationnelle”.

L'étude scientifique des fonctionnements psychosociaux qui interviennent


dans ce qu’il est convenu d’appeler l’“idéologie” n’est pas très avancée : peut-
être s’est-elle fourvoyée dans quelques impasses ou se heurte-t-elle encore à
certaines censures. C’est ce développement hésitant qui rend sans espoir
l’idée d’en rendre compte de façon brève. On s’en tiendra donc à une mise en
perspective et à un simple canevas de réflexion. On essaiera d’abord de
référer la définition de l’‘“idéologie” à certaines opérations psychosociales
(A) ; on se demandera ensuite si les indicateurs “politiques” suffisent à fonder
une psychologie sociale de l’“idéologie” (B) ; on évaluera enfin les
recherches qui travaillent à établir les mécanismes invariants qui inter-
viennent dans les champs psychosociaux de genre “idéologique” (C).

1. Définitions et opérations
Le mot “idéologie” a été abondamment utilisé : assorti de ferveurs ou
de mépris. Les “définitions” de l’idéologie ne manquent pas et l’indispen-
sable petit livre de Vadée (1973) en rassemblait de nombreuses. Presque
114 PSYCHOLOGIE SOCIALE

toutes, elles renvoient à la façon dont les idéologies se définissent elles-


mêmes. Non pas pour proposer une définition ayant une portée
scientifique, mais pour assurer leur perdurée, fonder leur légitimité et
nourrir leur apologétique : le discours au moyen duquel une idéologie se
définit ne peut être lui-même qu’idéologique. L'approche scientifique doit
savoir se désenvoûter des définitions que les idéologies donnent d’elles-
mêmes et elle doit référer la notion d’“idéologie” à des opérations empiri-
quement repérables et théorisables.

1.1. Des mises en perspective

Existe-t-il des données psychosociales et des processus socio-cognitifs


à ce point spécifiques qu’il faut introduire, en ce qui les concerne, un
concept spécial — celui d’“idéologie” — pour pouvoir les étudier de façon
scientifique ? Au moins faut-il, au départ, savoir ce dont on parle.
Actuellement, peu de définitions de l’“idéologie” relèvent d’une
problématique scientifique et il est peut-être plus éclairant de la confronter
avec des opérations apparemment proches. Trois sortes de mises en vis-à-
vis, au moins, ont été proposées.
On a plongé l’“idéologie” dans un ensemble complexe d’opérations
diverses en les faisant se contraster les unes par rapport aux autres, à toutes
fins d’en préciser les contours. C’est ce que font Fraser et Gaskell (1990),
dans un ouvrage où l’“idéologie” — d’ailleurs malmenée — rejoint les
attitudes, les croyances, les représentations sociales, les valeurs et l’opi-
nion publique. L’ensemble relève des‘‘widespread beliefs” : expression
qu’il est difficile de traduire en français.
On a articulé entre elles, dans une recherche particulière, des opéra-
tions qui sont tout à la fois proches et spécifiques. On l’a fait, par exemple,
à propos de l’image populaire de l’accouchement. Spontanément, les gens
rapprochent l’image de l’accouchement et celle de la souffrance de la mère
(représentation sociale) ; à un autre niveau, l’accouchement dans la souf-
france apparaît comme quelque chose de tellement habituel qu’il en
devient normal, légitime et obligatoire (idéologie) ; plus en profondeur, on
pronostique que le bébé qui naît autrement que dans la souffrance de sa
mère aura un avenir psychologique et même biologique perturbé
(croyance) (Paumé et Deconchy, 1999).
On a isolé, les unes par rapport aux autres, les caractéristiques de
diverses modalités de savoir. Lipiansky (1991) confronte très bien les
notions d’“idéologie” et de “représentation sociale”. Quelques typologies
renvoient à des opérations plus précises. À propos d’un objet social
particulier (une marche dans le feu aux îles Fidji}, Moscovici (1991)
CHAPITRE VIII : LES PROCESSUS IDÉOLOGIQUES 115

distingue les opérations qui relèvent de la science, des représentations


sociales et de l’idéologie. À propos d’un objet plus général, Beauvois
(1991) distingue les opérations qui relèvent de la science, du délire et de
l'idéologie.

1.2. Des mécanismes socio-cognitifs généraux

Dans ma propre pratique de recherche, majoritairement de genre


expérimental, j'ai été amené à référer la notion d’“idéologie” à deux strates
de fonctionnement socio-cognitif. D’abord, en matière de position ou
d'adhésion idéologique, “son mobile premier n’est pas d’ordre vérifi-
cateur”. C’est ce que Robert Pagès (1972) voulait probablement dire quand
il écrivait que, “par nature, une idéologie (n'est pas) fausse mais relative-
ment indifférente au vrai ou au faux”. Dans le champ du relationnel ou de
l'évaluation esthétique, l’urgence de la “preuve”, au sens vérificateur du
mot, n’est pas première non plus. Mais, à la différence de ces champs-là,
le champ idéologique prétend introduire des “vérités existant en-soi”.
L'interaction entre ces deux strates de fonctionnement introduit proba-
blement des mécanismes socio-cognitifs originaux.
On aura peut-être perçu qu’une psychologie sociale de l’“idéologie”
devrait, tout en se nourrissant de données sociologiques et historiques, ne
pas y immerger sa conceptualisation et sa théorisation. La tentation reste
pourtant grande de recourir à un champ de pratiques sociales particulier —
celui de la “politique” — pour y trouver les concepts identificateurs de la
notion d’‘“idéologie”.

2. Psychologie sociale de l’“idéologie” et sociologie “politique”


Toute attitude, toute représentation et toute cognition doivent-elles être
considérées comme “idéologiques” dès lors qu’elles s’insèrent dans le
champ social de la “politique” ? Dans ce cas, une psychologie sociale de
l'idéologie porterait sur ces attitudes, ces représentations et ces cognitions,
dont le champ “politique” serait l’indicateur conceptuel.

2.1. Un cas exemplaire

Devant l’abjection baroque de la montée, de l’expansion et de l’effon-


drement du nazisme en Europe, Adorno (1950) comprend qu'’interpréter le
nazisme seulement par une psychologie clinique (les fantasmes d’un
caporal autrichien), une historiographie (la faiblesse de la République de
116 PSYCHOLOGIE SOCIALE

Weimar) ou une économie (l'inflation) ne permet pas d’aller au fond des


choses. Il recourt alors à l’idée que, chez l’homme, il existe “naturellement”
une structure mentale stable potentiellement fasciste (potentially fascistic) :
certaines circonstances viendraient l’actualiser chez des individus particu-
liers. Dans le lieu et dans l’instant (les années 1940 aux États-Unis), cette
structure mentale stable, inobservable en elle-même, se développerait dans
quatre dimensions : l’antisémitisme, le conservatisme économico-politique,
les tendances antidémocratiques, V’ethnocentrisme. Pour chacune de ces
dimensions, Adorno propose une Échelle d’attitude et il montre que, là où ils
sont recueillis, les résultats à ces Échelles corrèlent entre eux. On comprend
que la pression sociologique et l’urgence politique de l'instant suscitaient
d’elles-mêmes cet intérêt porté à la “Personnalité autoritaire”.
Les occurrences sociopolitiques ne sont pas éternelles. Peu à peu et
avec la mise en place du glacis totalitaire de l’Est, les politologues et les
psychosociologues se sont aperçus qu’il existe aussi un Fascisme “de
gauche”, alors que toute la construction des Échelles d’Adorno tournait
autour d’un autoritarisme et d’un Fascisme “de droite”. D’une certaine
façon, la portée théorique des Échelles d’Adorno s’en trouvait minée de
l’intérieur. Selon une triple ligne de pente. D'une part, on prenait cons-
cience que seul le pôle positif de l’Échelle (les sujets qui obtiennent un
score très élevé à cette Échelle) est convenablement équipé. Le pôle négatif
ne correspond à rien de bien défini. Ceux qui y obtiennent un score très bas
ne sont pas “fascistes” : mais on ne sait rien d’eux et surtout pas s’ils sont
“démocrates”. Bien des chercheurs ont essayé d’équiper ce pôle négatif,
avec un succès inégal (Deconchy, 1999). D'autre part, Milton Rokeach a
très vite montré que l'idéologie des gens qui scorent très haut aux Échelles
d’Adorno (grosso modo : les gens de droite, aux USA, dans les années
1940) et celle des gens qui y scorent très bas (grosso modo : les gens de
gauche) ont des contenus différents et même contradictoires, mais qu’elles
renvoient à des structures mentales et psychosociales tout à fait identiques.
Il faudra donc étudier ces structures “générales” plutôt que ces contenus
particuliers, sociologiquement et historiquement marqués. C’est l’origine
du concept de dogmatisme (Rokeach, 1961) et, plus tard, dans le cadre
d’une opérationalisation psychosociale, du concept d’orthodoxie
(Deconchy, 1981). Enfin, apparaît la facticité, sans cesse réactivée, d’un
couple conceptuel comme celui de Droite/Gauche qui, dans l'instant,
renvoie à des champs sociopolitiques particuliers : mais pas à des
mécanismes généraux qui relèvent d’une approche et d’une théorisation
scientifiques. Ce qui ne veut pas dire que, dans cet instant, ce couple n’a
pas de signification idéologique où même éthique.
La vigueur des travaux d’Adorno est exceptionnelle. Ils font toutefois
CHAPITRE VIII : LES PROCESSUS IDÉOLOGIQUES 117

apparaître l’ambiguïté qu’il y a de vouloir construire une psychologie sociale


de l’“idéologie” en la liant seulement à des indicateurs sociopolitiques.

2.2. Une délimitation

On doit revenir en arrière et, puisqu'il s’agit de considérer une


psychologie sociale de l'idéologie, se demander ce qui fait qu’une
psychologie peut être dite “sociale”. On ne peut pas dire que des attitudes,
des représentations, des cognitions relèvent d’une psychologie sociale
parce qu'elles porteraient sur des “objets sociaux” : alors que, autrement,
elles relèveraient d’une psychologie générale. De la même façon, des
attitudes, des représentations, des cognitions ne relèvent pas d’une
psychologie sociale de l’idéologie parce qu’elles portent sur des “objets
idéologiques”, alors que, autrement, elles relèvent d’une psychologie
sociale générale.
Certains travaux de psychologie sociale, dont le propos spécifique ne
relève pas de ce chapitre, se suscitent, par eux-mêmes, des contrepoints
“idéologiques”. On songe aux travaux sur la catégorisation sociale et les
relations intergroupes (Deschamps, 1977...), qui s’ouvrent sur les proces-
sus de domination et de lutte inter-groupes ; aux travaux sur l’approche par
explication interne ou par explication externe (Dubois, 1987...) de données
sociales complexes comme le chômage (dû à la personnalité et au compor-
tement du chômeur ou bien aux rouages de l’économie libérale) ; aux
recherches sur les jeux du conformisme majoritaire et de l’innovation
minoritaire (Moscovici, 1979...) ; aux travaux qui montrent que, lorsque
des gens ne contrôlent plus leur site de vie, ils recourent à des jugements
sociaux cognitivement peu coûteux comme les stéréotypes sociaux (Ric,
1996...), débouchant alors sur les préjugés racistes — cognitivement moins
coûteux — dans certains sites urbains ou périurbains. Il n’est pas certain que
ces belles recherches rendent compte de mécanismes qui relèvent en eux-
mêmes de l’“idéologie”.

2.3. Un point de vue plus général

Il en est probablement de la psychologie sociale de l'idéologie comme


de la psychologie sociale tout court. Beauvois (1999) estime que “/a
psychologie sociale s'intéresse, quels que soient les stimuli ou les objets, à
ces événements psychologiques que sont les comportements, les jugements,
les affects et les performances des êtres humains en tant que ces êtres
humains sont membres de collectifs sociaux ou occupent des positions
sociales” (p. 311). Du concept de “position”, il y aurait beaucoup à dire.
118 PSYCHOLOGIE SOCIALE

Il peut accréditer l’idée que la notion de “cognition” n’est pas univoque et


que, par rapport aux objets qu’il s’agit de connaître, interviennent des
“positions cognitives” ou plutôt des “postures cognitives” différentes. La
mentalité scientifique tend à accréditer l’idée qu’il n’y a qu'une seule
façon de “savoir les choses”, mais l’être humain chercherait “naturel-
lement” à les “savoir” (pas seulement à les sentir ou à les ressentir) aussi
de différentes façons et en fonction de diverses postures cognitives.
L’‘“idéologie” serait une de ces autres postures.
En fonction de sa posture cognitive propre, celle de la rationalité
scientifique, la psychologie sociale de l’idéologie essaiera de rendre
compte de cette autre posture cognitive — non scientifique — sur les êtres et
sur les choses. Pour rendre compte scientifiquement de cette posture
cognitive-là, la psychologie sociale ne cédera pas à la tentation de chercher
comment la cognition y devient “idéologique”. Elle intégrera d'emblée
l'idéologie au mode de traitement cognitif qu’elle cherche à élucider. Ici,
on est tout proche des suggestions de Monteil et d’'Huguet (1999),
lorsqu'ils incitent à construire une psychologie qui soit d'emblée une
psychologie sociale et non pas une psychologie qui deviendrait sociale par
rapport aux objets qu’elle traite : il s’agit d’intégrer d’emblée la ‘“socialité”
à la cognition. On peut penser que, pour faire une psychologie scientifique
de l’idéologie, en tant que posture cognitive spécifique, il faut intégrer
d'emblée l’“idéologie” à une des modalités naturelles du traitement
cognitif des êtres et des choses et les traiter alors en fonction de: notre
posture cognitive propre : la rationalité scientifique.
Aborder de façon scientifique ces modalités naturelles-là c’est, ici
comme ailleurs, chercher à en établir les mécanismes invariants. La façon
dont on vient d’en introduire l’idée fera éviter de ne proposer qu’une sorte
de portrait-robot des champs idéologiques ou politiques qui sont
sociologiquement disponibles.

3. Mécanismes et invariants

On a proposé un certain nombre d’“invariants” auxquels des fonction-


nements pourraient commencer à être référés. Jusqu'ici, on l’a fait de façon
assez éparse : au niveau de l’organisation des corpus de croyances; au
niveau du traitement de l'information en lui-même ; au niveau de certains
mécanismes éventuellement spécifiques. On les évoquera brièvement.
CHAPITRE VIII : LES PROCESSUS IDÉOLOGIQUES 119

3.1. Du côté de l’organisation des corpus de croyances

Rokeach (1961) incite à travailler sur la structure des systèmes de


croyances plutôt que sur le contenu de ces croyances. On ne s’étonnera pas
qu'il ait parlé de “croyance” plutôt que d’“idéologie” : le mot était alors
très peu disponible et la distinction entre les deux notions encore mal
équipée. Ses propres travaux vont eux-mêmes dans ce sens, mais leur
apport ne se limite pas au concept de dogmatisme comme on le pense
quelquefois. C’est à deux niveaux que Rokeach introduit un outillage
mental “invariant”’.
Pour lui, tout homme porte en soi un ensemble de processus complexe,
par l’intermédiaire duquel il traite “cognitivement” ce qui vient de son
entourage social. Il s’agit d’un jeu unifié de “croyances” de tout genre que
le sujet a adoptées, qu’il connaît et qu’il peut éventuellement verbaliser et
de plusieurs jeux de “non-croyances” que le sujet n’adopte pas, qu’il
connaît mais comme étant celles d’autres que lui. Ce sous-système de
“croyances” et ces sous-systèmes de ‘“‘non-croyances” s’organisent entre
eux dans une sorte de méta-système dont la structure filtre et formate les
informations venues de l’environnement social. Ce ‘“belief-disbelief-
system” (pratiquement intraduisible en français) est ainsi une sorte d’inva-
riant formel. Rokeach en fait une application dans l’analyse d’un cas
particulier : celui de l’esprit “fermé” qui serait caractéristique du dogma-
tisme. Il propose un modèle des stratégies cognitives qui interviennent
dans ce bouclage : autre invariant d’un type particulier d’attitude
(Deconchy, 1997).

3.2. Du côté du traitement de l'information

Ailleurs, on a déplacé la recherche des invariants jusqu’à la façon


même dont l’être humain traite certaines informations spécifiques.
En psychologie sociale, Melvin Lerner occupe une position tout à fait
originale, dont la portée va au-delà de ses résultats expérimentaux : specta-
culaires et troublants (Lerner, 1980). Pour lui, l’être humain traite l’infor-
mation qui porte sur les interactions humaines autrement qu’en enregis-
trant ce qu’elles ont d’empiriquement repérable : il s’agit principalement
des situations de dissymétrie et de domination sociale, ainsi que de celles
où l'interlocuteur vit dans la misère ou dans la souffrance. L’être humain
traiterait alors l’information empiriquement disponible en la filtrant par
une certitude implicite : une sorte d’a priori que Lerner tient pour “naturel”
et pour indépendant d’une culture donnée. L'homme traiterait ces informa-
tions de telle sorte que soit renforcé cet a priori — cette “croyance” — selon
120 PSYCHOLOGIE SOCIALE

lequel il n’arrive aux gens que ce qu’ils méritent, pas seulement par leurs
comportements moraux mais par tous les jeux des médiateurs symboliques
de cette morale (par exemple, la beauté ou la laideur physiques). Cette
modalité invariante de traitement, Melvin Lerner l’appelle la “croyance en
la justice du monde” (The beliefin a just world). On a dit ailleurs combien
certaines données culturelles et certains événements historiques — quelque-
fois cruels ou abjects — peuvent être référés utilement à cet “invariant” :
dont il resterait à évaluer l’épistémologie latente.
On a également essayé d’isoler certains “invariants” au niveau du
traitement d’autres informations. On s’est intéressé au savoir qui porte sur
l’être humain lui-même : sur ce que je suis, ce qu'est autrui, ce qu'est
l'espèce. L'idée centrale de ces recherches veut que l’être humain ne traite
pas seulement l'information à partir des données empiriques qui sont
disponibles. En particulier, il s’immuniserait cognitivement contre toute
information (données de première main, incitations pédagogiques, argu-
mentations discursives...) qui tendrait à référer totalement la production de
ses comportements, de ses attitudes et de ses conduites à des déter-
minismes naturels, propres à l’espèce et constitutifs de l’espèce. Une série
d’expérimentations ont conforté cette hypothèse. Il s’agit d’établir les
mécanismes “naturels” qui interviennent dans la connaissance ‘“idéolo-
gique” de l’homme (Deconchy, 1999).

3.3. Du côté de certaines productions cognitives

Actuellement, on cherche à comprendre par quels processus cognitifs


l’être humain construit des “lieux” — voire des “êtres” dont, tout
empiriquement non repérables qu’ils soient — il estime qu'ils expliquent sa
situation ou sa vie qui, elles, sont empiriquement repérables. C’est ce que
l’on appelle les ‘“ontèmes”. On l’a fait à propos de l’idée d’‘“espèce humaine”
(Deconchy, 1997), dont on a par ailleurs montré qu’elle se construisait de
façon très différente chez l’homme et chez la femme (Mazé, 1997).
On avait dit : “canevas de réflexion”. On s’en est tenu là. À toutes fins
d’information mais aussi d'incitation à la recherche.
CHAPITRE IX

La mémoire,
ses aspects sociaux et collectifs
Valérie HAAS et Denise JODELET

“Dès qu'il avait fini de s'occuper de l’un des messages, Winston agrafait ses
corrections phonoscriptées au numéro correspondant du Times et les intro-
duisait dans le tube pneumatique. Ensuite, d'un geste autant que possible
inconscient, il chiffonnait le message et les notes qu'il avait lui-même faites et
les jetait dans le trou de mémoire afin que le tout fût dévoré par les flammes. Que
se passait-il dans le labyrinthe où conduisaient les pneumatiques ? Winston ne
le savait pas en détail, mais il en connaissait les grandes lignes. Lorsque toutes
les corrections qu'il était nécessaire d'apporter à un numéro spécial du Times
avaient été rassemblées et collationnées, le numéro était réimprimé. La copie
originale était détruite et remplacée dans la collection par la copie corrigée.
Ce processus de continuelles retouches était appliqué, non seulement aux
journaux, mais aux livres, périodiques, pamphlets, affiches, prospectus, films,
enregistrements sonores, caricatures, photographies. Il était appliqué à tous
les genres imaginables de littérature ou de documentation qui pouvaient
comporter quelque signification politique ou idéologique. Jour par jour, et
presque minute par minute, le passé était mis à jour On pouvait ainsi prouver,
avec documents à l'appui, que les prédictions faites par le Parti s'étaient
trouvées vérifiées. Aucune opinion, aucune information ne restait consignée,
qui aurait pu se trouver en conflit avec les besoins du moment. L'Histoire tout
entière était un palimpseste gratté et réécrit aussi souvent que C'était
nécessaire. Le changement effectué, il n'aurait été possible en aucun cas de
prouver qu'il y avait eu falsification.”
George Orwell, 7984, 1950.

Dans cet extrait du livre de George Orwell, 7984, le protagoniste


Winston qui travaille au Commissariat des archives est chargé de suppri-
mer toute trace écrite des souvenirs de la société, permettant ainsi une
réécriture permanente de son histoire.
122 PSYCHOLOGIE SOCIALE

Sous l’angle de la littérature et envisagée à l’extrême, la négation de la


mémoire devient un processus fascinant et renvoie à des enjeux identitaires
forcément inquiétants pour une collectivité. À l'inverse, il semble qu’actuel-
lement le réinvestissement du passé dans nos sociétés occidentales ait donné
une place parfois excessive au “tout mémoire”. Le retour vers le passé
devient un leitmotiv permanent. Le futur est mis de côté, plus effrayant et
inconnu. Le passé rassure, on s’y attache. Mais faut-il pour autant vouloir tout
conserver ? La mémoire est-elle forcément bonne ? Wiesel s’interroge : “Si
certains fanatiques pouvaient oublier vraiment oublier les raisons de leur
haine ancestrale, notre planète ne se porterait-elle pas mieux ?” (1998, p. 9).
La question de l’effacement des traces du passé, comme celle de la
conservation des souvenirs renvoient à des problématiques qui intéressent
la psychologie sociale et, même si la tendance reste encore timide, la
mémoire occupe actuellement des champs d’études extrêmement diver-
sifiés. L'objet de ce chapitre ne sera donc pas tant de donner un aperçu
exhaustif des recherches dans ce domaine mais plutôt de nous amener à
présenter différents courants et études actuelles qui traitent plus particu-
lièrement de la mémoire sous ses aspects sociaux et collectifs et de
proposer quelques pistes de réflexion.
Différentes approches issues de la cognition considèrent la mémoire
comme une sorte de réservoir où les informations sont apprises, acquises
et engrangées, grâce à l’expérience du sujet et utilisées pour traiter des
informations nouvelles. Ces études se situent au niveau intra-individuel.
Nous présenterons certaines d’entre elles. À l’inverse, un courant issu du
constructionnisme social considère la mémoire comme une construction
dépendante de la communication sociale. Il n’existerait pas de mémoire
sans prendre en compte, conjointement, les processus communicationnels
par lesquels les individus se rappellent leurs souvenirs. Mais, dans sa
dimension sociale, la mémoire peut être aussi considérée à travers son
inscription temporelle. On peut s'intéresser tout autant à ses modes d’éla-
boration et à son fonctionnement qu’à ses contenus c’est-à-dire aux
éléments du passé qui vont être retenus dans le présent. Cette perspective
a notamment été envisagée par des chercheurs comme Frederick Bartlett et
Maurice Halbwachs, peu de temps avant la Seconde Guerre mondiale. Ces
auteurs ne sont pas les seuls à avoir apporté leur contribution à ce champ
d'étude (on citera aussi Charles Blondel et Pierre Janet) mais leurs appro-
ches ont été pionnières dans le domaine et sont actuellement réinvesties en
psychologie et dans les sciences sociales. Nous tenterons d’en présenter
certains aspects au cours de ce chapitre.
D'emblée, définir ce qui correspond à une mémoire sociale ou à une
mémoire collective est un exercice délicat dans la mesure où il n’existe pas
CHAPITRE IX : LA MÉMOIRE, SES ASPECTS SOCIAUX ET COLLECTIFS 123

véritablement de définitions consensuelles à leur sujet. On peut tout aussi


bien considérer que la mémoire est sociale ou collective parce qu’elle est
partagée par une collectivité d'hommes, parce qu’elle se constitue à travers
la communication, parce qu’elle est le symbole des expressions et des
modes d'organisation de la société ou encore parce que les gens ont vécu
chronologiquement un même événement.
Ce chapitre tentera d'examiner ces différents aspects en effectuant un
passage entre le social et le collectif, tout en soulignant certaines dimen-
sions essentielles et constitutives de la mémoire comme l'identité, la
temporalité ou encore l’espace.

1. Les travaux pionniers de Frederick Bartlett


Bartlett (1932) met en évidence le processus de conventionnalisation
sociale, en combinant à la fois des observations anthropologiques (étude
des Swazis), à des recherches aux modalités plus expérimentales sur des
groupes d’Anglais. À partir de méthodes empiriques au style original, il
travaille essentiellement sur la façon dont un élément (matériel, textuel,
imagé) va être transféré d’un groupe à un autre jusqu’à prendre une forme
acceptable pour le groupe récepteur. Bartlett montre que tout nouvel
élément introduit sera modifié selon les tendances sociales et la culture
propre au groupe. Ce processus est influencé par deux facteurs sociaux :
les tendances persistantes et la proximité physique des membres du
groupe. Le premier facteur concerne les valeurs, normes, conventions
propres aux individus du groupe. Le second dégage le fait que les sujets en
interaction construisent des réponses collectives dans le cadre de la
communication. Ces deux facteurs, nous le verrons plus loin, seront entre
autre intégrés aux travaux du courant anglais du “joint remembering”.
Le processus de conventionnalisation sociale est décrit par Bartlett en
trois phases : l’assimilation sociale, la simplification-élaboration et la
construction sociale :
— l'assimilation sociale : correspond au processus par lequel les
différents aspects ou détails du matériel sont transmis, soit directement
adoptés (s’ils correspondent déjà à un patrimoine du groupe) soit au
contraire élaborés de manière spécifique.
— la simplification-élaboration : les détails détachés de la forme
centrale de la représentation de l’objet et qui ne sont pas importants pour
sa signification sont exclus ou considérablement simplifiés. Cette phase est
compensée par la partie élaboration au cours de laquelle l’objet est trans-
formé selon les tendances ou caractéristiques du groupe.
124 PSYCHOLOGIE SOCIALE

_ la construction sociale : ce dernier processus correspond au moment


où le matériel est assimilé comme nouvel élément et devient un élément
constitutif du schéma social du groupe dans lequel il prend forme.

Soulignons les fortes similarités des trois phases proposées par Bartlett
avec à la fois la sociogénèse des représentations sociales (processus
d’objectivation et d’ancrage) mais aussi avec le processus mis en évidence
dans le fonctionnement des rumeurs par Allport et Postman (1947).
Le rappel des souvenirs a été aussi conceptualisé par Bartlett en tant
que matière et manière du souvenir. Là aussi, il intègre des conditions
sociales intervenant dans ce processus : “la matière et la manière du
souvenir sont souvent déterminées par des influences sociales” (Bartlett,
1932, p. 244). La matière du souvenir (the matter of recall) concerne seule-
ment l’acte de se souvenir dans le groupe et non par le groupe. Cela
concerne les déterminations sociales du souvenir. Pour Bartlett, ce dont le
groupe se souvient dépend pour une large part de son organisation sociale,
de sa culture mais aussi de sa symbolique. En outre, il avance l’idée de la
manière du souvenir (the manner of recall) qui correspond davantage à une
sorte de tempérament du groupe ou à son caractère. Il s’agit ici de l’expres-
sion du souvenir qui sera d’après lui fortement influencée par les attentes
du groupe, sorte d’adéquation de l’auditoire.
Les travaux de Bartlett ont marqué différents domaines de la psycho-
logie. Avant d'envisager la construction sociale des souvenirs et leur élabo-
ration en groupe grâce aux travaux de l’école anglaise, voyons comment
certaines études de la psychologie cognitive ont introduit le concept de
schéma dans leurs modèles. Nous envisagerons ensuite un passage vers les
modèles écologiques de la mémoire qui prennent en compte l’importance
du contexte social de la mémorisation.

1.1. Les schémas de connaissance

La notion de schéma utilisée actuellement par la psychologie cognitive


a été notamment empruntée à Bartlett qui définissait, nous l’avons vu, ce
concept comme une structure déjà existante dans la mémoire des sujets. Ce
phénomène a été mis en évidence en observant les déformations systé-
matiques dans la reproduction des récits. Ainsi, le fait que les sujets, au
cours du rappel d’une histoire, déforment celle-ci en omettant certains
éléments de manière typique (qui ne correspondent pas à leurs attentes ou
à leur schéma antérieur) permet à ce psychologue anglais de considérer les
processus d’apprentissage et de remémoration comme des processus actifs
par excellence, insistant sur l'effort constant du sujet vers une signification.
CHAPITRE IX : LA MÉMOIRE, SES ASPECTS SOCIAUX ET COLLECTIFS 125

La conceptualisation du schéma de Bartlett ne connaît un véritable


regain d'intérêt que dans les années 1960-1970. Minsky (1975) introduit
un concept de schéma qu’il appelle frame (ou cadre), Rumelhart (1975) se
centre sur les approches de la mémorisation des histoires et enfin Schank
(1975), auquel nous nous intéressons ici plus précisément, propose le
concept de script. Ces trois approches bien que non similaires ont chacune
emprunté le modèle du schéma conceptualisé par Bartlett.
Pour Schank et Abelson (1977), les individus auraient en mémoire des
schémas ou scripts qui représenteraient des événements sociaux commu-
nément vécus (l’exemple le plus couramment utilisé est le script du
restaurant). Les recherches de Bower, Blake et Turner (1979) montrent que
les sujets ont tendance à se rappeler à tort, d'éléments d’informations qui
n’ont pas été explicitement énoncés mais qui étaient compatibles avec le
script proposé. On retrouve ici l’idée d’omissions ou l'intégration d’élé-
ments nouveaux dans le schéma proposé précédemment par Bartlett. Plus
tard, Schank (1982) développe ses travaux autour d’une mémoire plus
dynamique. Il montre combien la mémorisation de certains incidents peut
être effectuée plus facilement parce qu’ils ne sont pas en adéquation avec
le script canonique. Schank développe le concept de script comme la repré-
sentation des normes et des attentes mémorisées par les individus sous la
forme de schéma, les considérant comme des stratégies socialement
codifiées. Ce modèle de script correspond à une sorte de savoir sur le
monde où les individus sont capables d’anticiper les situations dans
lesquelles ils se trouvent. Ici, se dessine un modèle de la mémoire séman-
tique qui intègre davantage les insertions sociales.
Dans le même sens, et à peu près à la même époque, un nouveau champ
de recherche se développe en psychologie cognitive, qui souhaite voir
intégrer à l’étude de la mémoire le contexte de la mémorisation et ses
référents temporels et sociaux. On parlera alors d’une mémoire écologique
ou contextualisée.

1.2. Une mémoire écologique ou contextualisée

À partir des années 1980, un nouveau courant de recherche renvoyant à


une “psychologie sociale cognitive” s’est développé par volonté de rupture
avec la psychologie cognitive classique. La volonté des chercheurs de cette
époque fut de rompre avec l’idée d’une connaissance des sujets unique-
ment traitée au niveau mental, refusant aussi l’élaboration de mécanismes
de connaissance vite convertie en théorie du traitement de l’information.
S’est ajoutée à ces réflexions novatrices la volonté de réintégrer une
conceptualisation et des méthodologies sur la mémoire ancrées dans le
126 PSYCHOLOGIE SOCIALE

contexte social ou naturel de son développement. Le but fut de dépasser


l'aspect limitatif de la psychologie cognitive et d’intégrer les “marqueurs
sociaux de la mémoire” (Garzon, 1993).
Ainsi, Neisser (1982), prônant l’idée d’une mémoire dite écologique,
conteste l’idée d’une théorie générale de la mémoire — apanage d’une psycho-
logie qui se voudrait scientifique — et préfère rendre compte de différences
individuelles dues à l’effet du contexte et des activités naturelles de l’homme.
D'autre part, il met en évidence l’existence de liens entre les événements
sociaux et les faits, à savoir une correspondance entre un contexte personnel
et l’acquisition de certaines informations (d’ordre historique par exemple).
Neisser développe l’idée d’un schéma narratif (issue des travaux de Bartlett)
permettant de relier la mémoire autobiographique et l’histoire (entendue
comme discipline historique). S’appuyant sur la conceptualisation de Bartlett,
il avance l’idée de schémas particuliers mis en mémoire, qui correspondent à
des conventions narratives, des “structures narratives” concernant les
modèles que nous avons en tête sur la façon dont se déroule un événement
public historique (qui, quoi, quand, où, pourquoi...).
Dans ce sens, Neisser conteste l’idée des “Flashbulbs memories”
développée par Brown et Kulik (1977). Ces chercheurs mettent en effet en
évidence, au cours d’une étude, une mémoire spécifique des sujets, qui serait
celle des souvenirs précis, liés à l’annonce d’un événement public aux consé-
quences graves. Un cas type, repris dans plusieurs autres recherches, est
celui du souvenir des Américains au moment de l’annonce de l'assassinat de
John Kennedy. Ils illustrent la tendance des individus à mémoriser, tel un
“flash photographique”, le souvenir de l’annonce d’un événement public
important. Celui-ci est généré lorsqu'un haut niveau de surprise apparaît
(voir un éveil émotionnel) et que l’information a des conséquences impor-
tantes pour la vie sociale. Brown et Kulik font l'hypothèse d’un certain type
de mécanisme physiologique, adapté à des événements bien particuliers, qui
engendrerait un “souvenir flash” de son annonce.
Pour Neisser au contraire, nous nous souvenons des détails de l’évé-
nement public : “parce qu'ils correspondent aux liens entre nos histoires
personnelles et ‘l'histoire’ [...] Les souvenirs flash sont les lieux où nous
relions nos propres vies avec le cours de l’histoire elle-même et pouvons
dire ‘j'y étais’” (1982, p. 48). Nous trouvons chez Neisser, l’idée d’une
identification entre la mémoire individuelle et la mémoire collective.
Pour certains psychosociologues, dans la lignée des travaux de Conway,
la mémoire autobiographique témoigne de l'insertion sociale des individus.
En France, Monteil (1993) pose, dans certaines de ses études, l’inter-
dépendance entre le champ cognitif et le champ social. Les souvenirs auto-
biographiques sont considérés comme des insertions sociales mises en
CHAPITRE IX : LA MÉMOIRE, SES ASPECTS SOCIAUX ET COLLECTIFS 127

mémoire, qui correspondent à l’histoire de vie du sujet. L'idée d’une inter-


action entre la mémoire personnelle et collective est rappelée aussi dans
plusieurs études de psychosociologues anglais ou américains. On considère
alors la mémoire comme collective parce que les souvenirs correspondent à
des expériences individuelles communes aux membres d’un même ensemble
social. Schuman et Rieger (1992) montrent par exemple qu’il n’y a pas une
seule et unique mémoire de la Seconde Guerre mondiale mais bien plutôt des
mémoires reliées entre elles, qui trouvent leur source dans une même période.
Bien que réinvesties dans le champ des recherches de la psychologie
cognitive comme nous venons de le voir, les dimensions spécifiquement
sociales des travaux de Bartlett ont été quelque peu mises de côté. Un
second cheminement théorique nous amène à envisager maintenant les
dimensions sociales du souvenir en prenant notamment en compte la façon
dont certaines études psychologiques les ont intégrées à leurs préoccu-
pations. Nous aborderons notamment le courant de l’École anglaise qui, se
réclamant du constructionnisme social, récuse le caractère mental de la
mémoire et met en avant sa fonction essentiellement discursive.

1.3. Le courant anglais et les pratiques conversationnelles

Actuellement, certains psychosociologues anglo-saxons reprennent à


leur compte les travaux de Bartlett tout en considérant que celui-ci
négligeait les dimensions purement socioculturelles de la mémoire dans
son travail sur la conventionnalisation. Des chercheurs tels que Dereck
Edwards et David Middleton ont le sentiment que Bartlett : “n'étudiait pas
le rappel social mais plutôt le rappel individuel en série” (Edwards et
Middleton, 1986, p. 425). Basé essentiellement sur le travail de la mémoire
elle-même, ce processus ne mettait pas suffisamment en évidence l’inter-
action entre les sujets. Ce courant qui s’apparente à celui du construc-
tionnisme social considère que la mémoire prend forme dans la conversa-
tion, que c’est essentiellement une pratique communicative. Le but de ces
psychosociologues est de voir comment se construit le souvenir à travers
la discussion. Ils réfutent le caractère purement mental de la mémoire pour
considérer que la mémoire est une activité conjointe de remémoration
issue d'échanges et de discussion dans le moment présent. On parle alors
de “joint remembering” : de l’acte de se souvenir ensemble.
Ces chercheurs considèrent que la méthodologie utilisée doit être elle
aussi par nature essentiellement sociale. Rassemblés autour de groupes de
discussions, les individus sont donc amenés à se remémorer conjointement
un événement, un film, ou des souvenirs collectifs issus de photographies.
Chaque souvenir construit collectivement est une activité de remémoration
128 PSYCHOLOGIE SOCIALE

dans le présent, empreint à la fois d'éléments culturels, historiques ou


symboliques inhérents à la vie du groupe étudié. On travaille aussi sur le
caractère idéologique de cette reconstruction (Billig, 1990, 1997). La
dimension collective de cette mémoire réside dans le fait que le souvenir
est produit collectivement par le groupe lui-même dans le moment présent.
Cette conception de la reconstruction par le groupe dans le présent nous
renvoie au courant de recherche consacré aux rumeurs.

1.4. La mémoire en rumeurs

L'approche de la mémoire sociale de Bartlett a trouvé aussi des réso-


nances dans le courant d’étude consacré à la rumeur. Il s’agit ici d’étudier
la façon dont se transmet une information par le biais de la communica-
tion, mais aussi de la considérer dans son élaboration et sa circulation
collective. Dans cette approche on retrouve la question de la transforma-
tion d’un message en fonction d’un cadre présent, mais aussi l’influence
que peuvent exercer les dimensions sociales, historiques et culturelles sur
un message reconstruit (voir chapitre XXIII, Rumeurs et phénomènes de
masse, par Michel-Louis Rouquette).
Tous les modèles de la mémoire qui viennent d’être présentés donnent
une place essentielle au langage. Que celui-ci soit considéré comme une
base de connaissance partagée entre les individus ou comme une activité
en soi permettant la reconstruction des souvenirs, le langage apparaît
comme contenu ou processus lié à l’activité mémorielle elle-même. La
mémoire est souvent envisagée comme “sociale” du seul fait d’une
interaction entre les individus ou bien d’expériences individuelles vécues
par un même ensemble social ou encore parce que leur mode de rappel
s'effectue dans un contexte dit social ou naturel.
Cependant, nous pouvons nous interroger sur l’idée d’un partage
commun qui, loin d’être considéré dans toute sa complexité, implique
rarement la prise en compte du groupe dans son ensemble. Les individus
restent de ce fait résolument dans un vide social. En effet, dans ces
recherches, il est peu souvent question de la transmission des souvenirs par
le groupe (comment et pourquoi certains d'entre eux vont perdurer à
travers le temps ?), ou encore de la possibilité qu’il existe une certaine
activité de reconstruction des souvenirs (les souvenirs sont-ils déformés,
réajustés aux besoins du moment par le groupe et pourquoi ?).
Dans les recherches qui viennent d’être présentées, l’attention reste
souvent portée sur l’acte de mémoire lui-même, mais ne dégage pas
suffisamment l’ancrage social et historique des groupes et la fonction
identitaire que joue la mémoire à travers le temps. La mémoire sociale
CHAPITRE IX : LA MÉMOIRE, SES ASPECTS SOCIAUX ET COLLECTIFS 129

et/ou collective doit être considérée dans son ensemble, en tant qu’entité
sociale dynamique, inscrite dans une temporalité et ancrée dans un espace
symbolique, permettant de poser le cadre de son fonctionnement et les
conditions de sa reconstruction dans le présent (Haas et Jodelet, 1999).
Dans les modèles théoriques proposés plus haut, l'aspect dynamique de la
mémoire a été quelque peu mis de côté. On insiste davantage sur le présent
alors que la coordination des trois axes temporels (passé, présent et futur)
nous renvoie à une mémoire médiatrice de l’identité individuelle et collec-
tive des individus. En outre, une séparation claire entre les deux types de
mémoire (individuelle et collective) est délicate. Halbwachs lui-même
considère que la mémoire individuelle doit son existence à la mémoire
collective.

2. L'œuvre de Maurice Halbwachs

Les travaux de Maurice Halbwachs consacrés à la mémoire de la


société restent incontournables pour notre domaine de recherche et consti-
tuent une œuvre remarquable. Élève de Bergson, Halbwachs est l’un des
principaux représentants de l’école des Annales avec Marcel Mauss.
Considéré à la fois comme un statisticien, un spécialiste de la sociologie
économique et de la morphologie sociale, ses études sur la mémoire
sociale et collective constituent une œuvre pionnière, présentée entre
autres dans trois ouvrages : Les cadres sociaux de la mémoire (1925), La
topographie légendaire des évangiles en Terre Sainte (1941) et La mémoire
collective (1950). Nommé en 1944 Professeur au Collège de France à la
chaire de “Psychologie collective”, il meurt en mars 1945, déporté à
Buchenwald.

2.1. Les cadres sociaux de la mémoire

Dans les cadres sociaux de la mémoire, Halbwachs établit le caractère


social de tout souvenir. Pour lui, le langage, l’espace et le temps consti-
tuent des repères qui permettent aux individus et aux groupes de retrouver
leurs souvenirs. Ces cadres sont des sortes d’‘“espaces mentaux”,
constitués de notions et d’images, ils représentent une sorte d’armature, à
la fois stable et mouvante dans le temps, impliqués dans le travail de
remémoration. Ces cadres permettent un travail de la mémoire, dans le
sens où il faudra une activité sociale de reconstruction et de localisation
des souvenirs individuels ou collectifs. Ils varient en fonction des
modifications du groupe et du temps présent.
130 PSYCHOLOGIE SOCIALE

Attardons-nous un instant sur le rôle que joue l’espace dans l’activité


de remémoration des groupes, rôle encore peu pris en compte dans les
études psychosociologiques. L'espace témoigne de l'inscription sociale
des sujets, mais il représente aussi une armature stable, délimitée et
continue, sorte de reflet du passé de la communauté. Pour Halbwachs,
l’espace est en quelque sorte personnifié par le groupe, il porte les marques
de son identité et constitue une sorte de patrimoine matériel des souvenirs
communs. En outre, sa permanence offre au groupe un sentiment de
stabilité et d’apaisement. Tel un palimpseste, le lieu conserve en effet la
trace successive des multiples histoires qui se sont déroulées dans son
cadre. Il est donc aussi le lien sacré qui unit les individus à leur passé,
souvent idéalisé, on peut le préserver comme une icône (Halbwachs,
1941). En ce sens, on soulignera que toute transformation de l’espace ou
remise en cause de ses frontières par un groupe extérieur peut se révéler
être une véritable menace pour l’identité du groupe (Jodelet, 1993).
Parallèlement, Halbwachs parle de mémoire collective (1950, 1997) pour
définir la mémoire du groupe en tant que telle.

2.2. La mémoire collective : une pluralité de vues

Pour Halbwachs, la mémoire collective correspond à un ensemble


d’hommes qui se souviennent en tant que membres du groupe. La question
de l’intensité des souvenirs différente à la fois pour les membres du
groupe, comme pour les groupes eux-mêmes, nous renvoie à ce que le
psychosociologue nomme le “clair-obscur”. Cette idée repose pour
Halbwachs sur l’aspect continu de la mémoire qui se trouve dans un
rapport changeant d'intensité au cours du temps : “Les groupes dont je fais
partie aux diverses époques ne sont pas les mêmes. Or, c'est de leur point
de vue que je considère le passé. Il faut donc bien qu'à mesure que je suis
plus engagé dans ces groupes que je participe plus étroitement à leur
mémoire, mes souvenirs se renouvellent et se complètent. Cela suppose, il
est vrai une double condition : d'une part que mes souvenirs eux-mêmes
tels qu'ils étaient avant que je n'entre dans ces groupes ne fussent pas
également éclairés sur toutes leurs faces comme si, jusqu'ici, nous ne les
avions pas entièrement aperçus et compris ; d'autre part, que les souvenirs
de ces groupes ne soient pas sans rapport avec les événements qui
constituent mon passé” (Halbwachs, op. cit., p. 123). L'évolution des
individus dans le temps, et leur passage à travers différents groupes,
éclaireraient des parties différentes de leur histoire. Un aspect qui nous
renvoie là encore à une question identitaire.
En outre, pour Halbwachs : “Chaque homme est plongé en même temps
CHAPITRE IX : LA MÉMOIRE, SES ASPECTS SOCIAUX ET COLLECTIFS 131

et successivement dans plusieurs groupes. Chaque groupe, d'ailleurs, se


morcelle et se resserre, dans le temps et dans l’espace. C'est à l'intérieur
de ces sociétés que se développent autant de mémoires collectives origi-
nales qui entretiennent pour quelque temps le souvenir d'événements qui
n'ont d'importance que pour elles, mais qui intéresse d'autant plus leurs
membres qu'ils sont plus nombreux” (Halbwachs, op. cit., p. 129). Pour
éclairer les propos d’Halbwachs, au sujet de cette mémoire éclatée prenons
l'exemple de la mémoire de Vichy. La période de Vichy constitue l’une des
périodes les plus sombres de l’histoire française. Alors qu’un voile avait
été jeté au sortir de la Seconde Guerre mondiale afin d’éviter notamment
des conflits franco-français, les institutions, les médias, les historiens
portent depuis les années 1990 un intérêt quasi “obsessionnel” sur cette
période. Ces derniers participent à un mode de reconstruction historique,
qui constitue pour une large part la formation de la mémoire sociale, c’est-
à-dire celle de la société dans son ensemble. Malgré tout, si l’on s’en tient
aux développements d’Halbwachs sur la mémoire collective, la mémoire
de Vichy prendra un tout autre sens si l’on s’intéresse aux rôles que jouent
les “porteurs” ou les “vecteurs” de cette mémoire emblématique de la
Seconde Guerre.
Constitués en groupe, ces “porteurs de mémoire”, comme les qualifient
les historiens, unifient un souvenir partiel lié à une expérience unique.
Leurs mémoires reconstruisent un passé commun, souvent disparate, mais
spécifique à des groupes de sujets qui se reconnaissent dans cette histoire
qui est la leur. Ainsi, après la Seconde Guerre mondiale, les résistants
constituent le groupe qui a eu la part belle de la reconnaissance même si
celle-ci fut délicate, car ils incarnaient à la fois les héros qui avaient sauvé
la France et la preuve que les Français ne s’étaient pas tout de suite
reconnus en eux. Les déportés constituent une mémoire ambiguë au sortir
de la guerre. Leur mémoire s’exprimera difficilement au sortir des camps,
puis au cours des années 1970, les témoignages seront pris en compte et
considérés avec plus d’attention par l’ensemble de la société française.
Actuellement, les groupes d’anciens déportés constituent les plus grosses
formes d’association de mémoire.
Malgré tout, le souvenir de cette guerre est loin d’être fédérateur.
Voulant constituer une mémoire uniforme, la société française a laissé de
côté des groupes gênants. Plusieurs types de mémoires collectives ont été
ainsi mis sur la touche. Cela n’a pas empêché ces “oubliés de l’histoire”
de se regrouper pour se souvenir. Les prisonniers de guerre, par exemple,
conservent une image de vaincus en France. Ils sont dans l’impossibilité de
faire reconnaître leur souffrance à la collectivité et représentent des sortes
de antihéros, car ils ont été les “enfants chéris du régime de Vichy”.
132 PSYCHOLOGIE SOCIALE

D’autres groupes sont aussi sur la défensive. C’est le cas des travailleurs
en Allemagne, les requis du STO (Service du Travail Obligatoire), à qui
l’on reproche maintenant leur lâcheté. Enfin, évoquons le cas des collabo-
rationnistes, qui ne peuvent être reconnus comme tels, mais qui pour
certains se retrouveront et se reconnaîtront dans la mémoire pétainiste et
participeront pour certains au culte du maréchal Pétain par le biais d’une
association l ADMP (l'Association pour Défendre la mémoire du
Maréchal Pétain).

2.3. Un regard nouveau sur les mémoires plurielles

À travers cet exemple succinct de cas de mémoires résurgents dans le


présent de cette histoire de Vichy, éclatée et conflictuelle, nous voyons
clairement se détacher une mémoire sociale (celle de la société globale, dans
son ensemble, représentée par les institutions, les médias ou encore l’éduca-
tion scolaire) et une mémoire collective (mémoire que l’on dira plurielle) de
tous ces groupes dont les souvenirs et les intérêts divergent dans le présent.
Dans ce cas, on ira même jusqu’à parler de conflits de mémoire.
Jodelet (1992), dans une étude consacrée au procès de Klaus Barbie à
Lyon en 1987, a largement mis en évidence les conflits existants entre les
groupes en présence durant le procès, comme les résistants, les victimes de
l’holocauste, les déportés politiques ou encore les anciens combattants.
Chacun revendiquant différemment la mémoire des crimes nazis.
Von Thadden (1998), dans un chapitre au titre évocateur “Une histoire,
deux mémoires”, expose la place actuelle du III Reich, dans la mémoire
des Allemands de l’Ouest et de l’Est. Alors que l’ Allemagne de l'Ouest
supporte depuis plus de cinquante ans le fardeau du passé nazi et le lourd
héritage laissé par la politique hitlérienne, cette même partie de l’histoire
est déniée par les Allemands de l’Est, dont l'identité nationale s’est consti-
tuée au contraire sur la base du communisme, qui a vaincu le fascisme. À
l'heure de la réunification de l’ Allemagne, deux mémoires cohabitent donc
sur un même espace et mettent-en jeu des mécanismes identitaires pour le
moins divergents.
Depuis quelques années seulement, des études en particulier sociolo-
giques et historiographiques prennent davantage en compte la question de
la pluralité des mémoires collectives, relativisant ainsi celle d’une
mémoire globale et unifiée. Leurs travaux portent alors leurs intérêts vers
des cas de mémoire jusqu'alors laissés pour compte : celles des vaincus,
des victimes, des mémoires douloureuses ou honteuses. On pense davan-
tage maintenant à ces “oubliés de l’histoire” que constituent les pauvres ou
les femmes, aux “carences” de mémoire concernant celles des Indiens
CHAPITRE IX : LA MÉMOIRE, SES ASPECTS SOCIAUX ET COLLECTIFS 133

d’ Amérique ou de la traite et de l’esclavage des Africains noirs. Alors que


le passé était souvent présenté de façon unitaire dans la société, l’image
d’une histoire consensuelle et normative est actuellement balayée par la
prise en considération de mémoires collectives plurielles, posant par là
même la question des enjeux identitaires qui leur sont sous-jacents.
Car, cette pluralité de mémoire, telle que nous venons de la développer,
laisse transparaître des fonctions encore peu abordées jusqu'alors : les
fonctions identitaires de la mémoire. En effet, la mémoire intervient dans
le présent comme un lien unissant le groupe à son passé (idée de conti-
nuité) mais elle renforce aussi la cohésion de ses membres qui, par le biais
de pratiques sociales et symboliques, retrouvent les racines de leur propre
histoire. La mémoire renvoie donc à la fois à des aspects socialisants,
symboliques et normatifs (Haas, à paraître).
Ce dernier aspect nous amène à réfléchir au fait, qu’afin de maintenir
ces fonctions identitaires, la mémoire peut devenir un véritable enjeu pour
le groupe. Les travaux de Bartlett et d’Halbwachs, évoqués plus haut,
pointaient déjà le caractère créatif de la mémoire qui pouvait se montrer
modulable en fonction des exigences du présent. Comme nous venons de
le voir, la mémoire assure la continuité des individus, révèle quelque chose
de l’identité du groupe et fonde son enracinement vers l’avenir. Malgré
tout, lorsque le poids du passé devient trop lourd à gérer pour un groupe,
pour une communauté, la mémoire peut tout aussi bien être source de
négations, d’enjeux ou de silences. Toute histoire n’est pas bonne à dire ou
à transmettre. Le passé du groupe n’est pas forcément glorieux, pas
toujours valorisant et peut se montrer extrêmement difficile à assumer. Des
stratégies de reconstruction du passé peuvent être mises en place par le
groupe afin d’effacer ou de transformer dans le présent un passage pénible
de son histoire (Haas, 1999). Cette “face cachée de la mémoire” renvoie à
la problématique de l’oubli, thème d’étude encore quasiment inexistant
dans notre domaine.
Il ne doit pas exister de “bonnes mémoires” ou de “mauvais oublis”
mais bien plutôt des façons et des manières pour les groupes et les collec-
tivités de gérer au mieux les traces du passé afin d’envisager l'avenir
sereinement. Des pans entiers de recherches sur la mémoire sociale et/ou
collective, sur la difficile question de l’oubli ou de la réminiscence n’ont
pas encore été pleinement investis par la psychologie sociale. Pourtant, les
dangers des manipulations sociales, la question du devoir ou du travail de
mémoire ainsi que les enjeux identitaires sous-jacents pourraient consti-
tuer de merveilleuses problématiques pour la psychologie sociale, qui
serait à même d’apporter une contribution originale. En particulier, nous
pourrions nous pencher sur le rôle et le sens de certains événements du
134 PSYCHOLOGIE SOCIALE

passé qui font retour dans des situations sociales présentes à l’écheile des
groupes ou de la société dans son ensemble. Réflexions et travaux déjà
amplement menés par Bartlett et Halbwachs il y a plus d’un demi-siècle,
que nous devrions nous efforcer d’éclairer plus encore dans le présent et
d'investir par une réflexion psychosociale.
DEUXIÈME PARTIE

Comment juge-t-on les autres ?


Comment est-on jugé par eux ?
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Le P

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CHAPITRE X

Théories implicites de la personnalité

Jacques-Philippe LEYENS et Jeroen VAES

L'exhibitionnisme se montre sur le visage ! Plusieurs femmes victimes d'un


exhibitionniste sévissant dans un quartier identifièrent le malade à partir
d'une photographie mélangée à cing autres. Un psychologue eut l'idée de
montrer les six photographies à une série de personnes en leur demandant
d'identifier un exhibitionniste parmi les six visages masculins. La majorité des
réponses concordèrent avec la réponse des victimes de l’exhibitionniste !
Outre qu'il montre le danger des témoignages, cet exemple véridique illustre
l'existence de théories implicites de personnalité.

1. Importance des théories naïves


1.1. Théories naïves, attribution et catégorisation

Le recours à des théories naïves du monde s’est accru en psychologie


sociale avec les années. Là où les chercheurs essayaient d’isoler des varia-
bles bien précises, et devant l’inanité de leurs efforts, ils ont de manière
croissante fait appel à des théories, profanes, naïves ou implicites, pour
rendre compte du fonctionnement des individus. Ce fut le cas de l’attri-
bution avec les schémas de causes multiples nécessaires ou suffisantes de
Kelley (1972), avec la notion de script (Read, 1987) et même avec la
fameuse erreur fondamentale (Ross, 1977). Sachant ce qu’est cette erreur,
croyez-vous vraiment que, à la vue de personnes aux yeux rougis et se
mouchant à la sortie d’un film, vous allez leur attribuer un état dépressif et
ne pas attribuer les signes visibles au film qu’ils viennent de voir ? Ici
encore, on voit l'importance des théories naïves. Il a été montré que, dans
la plupart des situations mettant en scène l’erreur fondamentale, la théorie
138 PSYCHOLOGIE SOCIALE

naïve personnologique était applicable. Les gens s’imaginent que le fait


d’être pour ou contre le mariage des homosexuels, par exemple, a une
explication au niveau de la personnalité des juges. Parce que cette théorie
est applicable, les gens y ont recours et ils commettent l’erreur fondamen-
tale. Face à une situation où une théorie naïve personnologique n'est pas
applicable, l’erreur fondamentale ne survient pas (Leyens et al., 1996).
Les théories naïves du monde interviennent également dans la
catégorisation (Corneille et Leyens, 1994). Qu’y a-t-1l de commun entre
notre famille, notre ordinateur et certains livres ? On est bien embarrassé
pour répondre et, pourtant, tout se mettra rapidement en place si l’on sait
que ce seront les êtres et les choses que nous sauverons en premier lieu —
et dans l’ordre — en cas d’incendie. À nouveau, on voit que l’on a recours
à des théories naïves, profanes, du monde pour mettre de l’ordre dans
l’univers qui nous entoure.

1.2. Le principe “à propos de”

Higgins (1997) à résumé une grande partie de ce qui précède sous le


nom de principe de “à propos de” (aboutness principle). Selon cet auteur,
les gens se représentent une information (comportement, attitude,
renseignement) comme une information “à propos de” et ils en concluent
que cette information “à propos de” est non seulement la source de cette
information, mais l’unique source. Si l’on donne l’information que Pierre
écrase les pieds de sa partenaire de danse, les gens infèrent que c’est Pierre
qui est en cause. Si l’on nous montre une dissertation effectuée par Jean
concernant un sujet quelconque, nous penserons qu’il y a un lien
nécessaire entre Jean et le sujet de la dissertation. De même si l’on parle
d'incendie et d’objets, l'événement incendie et les objets en question
seront aussitôt reliés entre eux. Qu'il s’agisse là de l'unique réponse
envisagée par les personnes est un phénomène que nous envisagerons plus
loin dans ce chapitre.
En psychologie sociale, on parle beaucoup “à propos de” personnalité.
Celle-ci intervient dans la formation d’impression, l’inférence causale, les
interactions, etc. Cette importance de la personnalité se comprend par
l’objet même de la psychologie sociale qu’on pourrait définir comme le
conflit, ou l’équilibre, entre personnalité d’une part et situation d’autre
part. La psychologie sociale insiste sur les situations qui font varier le
comportement des gens ; elle montre donc la flexibilité des réactions tout
en mettant également en exergue l'incertitude quant au futur. Nous ne
pouvons pas préjuger des situations à venir, dans lesquelles on sera mêlé,
et il est donc difficile de faire des prédictions quant au comportement futur.
CHAPITRE X : THÉORIES IMPLICITES DE LA PERSONNALITÉ 139

Par définition, la personnalité est stable. À la limite, la personnalité


n'existe pas sinon comme un concept utile au psychologue pour rendre
compte de la constance comportementale, cognitive et affective d’un indi-
vidu. S’il y a stabilité, la prédiction est possible. Si quelqu'un a une
personnalité agressive, on attendra de sa part des réactions violentes
quelles que soient les circonstances. Le psychologue a donc comme instru-
ment de prédiction la notion de personnalité. Monsieur Tout le Monde a
celle de théories implicites de personnalité (Leyens, 1983).

2. Théories implicites de personnalité


2.1. Définition

Les théories implicites de personnalité sont des croyances générales


concernant trois caractéristiques : 1. la fréquence d’un trait dans une
population donnée, 2. la variabilité de ce trait dans la population en
question, et 3. les relations entre traits. Si je dis que la plupart des artistes
sont bohèmes, intelligents et créatifs, j’énonce mes croyances concernant
la fréquence élevée d’artistes bohèmes, la variabilité du caractère bohème
chez les artistes (dont je n’ai pas dit qu’ils étaient tous bohèmes); et la
relation entre artiste, bohème, intelligence, et créativité. Dans certains cas,
la corrélation entre traits sera surprenante. Si nous vous disons “empathi-
que et égocentrique”, vous ne verrez peut-être pas immédiatement une
relation entre ces traits sauf si vous pensez à des stars de cinéma. Elles
doivent avoir de l’empathie pour pouvoir interpréter valablement différents
rôles mais leur succès les conduit à devenir égocentriques. On parle de
théories implicites ; cela ne veut pas dire qu’elles sont inconscientes.
Implicite pourrait être remplacé par naïf ou profane et signifie simplement
que les adhérents à des théories implicites de personnalité ne pourraient
pas vous les énoncer de manière formelle comme ils le feraient d’une
théorie scientifique. On est au niveau des croyances.

2.2. Asch et la formation d'impression

Ironiquement, c’est implicitement qu’ Asch (1946) a découvert les théo-


ries implicites de personnalité lors de ses fameuses expériences sur la
formation d'impression. Voulant montrer que certains traits dirigeaient la
perception de personnalité des gens, Asch distribua à certains de ses
participants la liste de traits suivants pour se faire une impression d’une
personne fictive X : intelligent, travailleur, adroit, chaleureux, déterminé,
140 PSYCHOLOGIE SOCIALE

pratique, et prudent. Pour d’autres participants, le trait chaleureux était


remplacé par froid, bourru ou poli. Le fait que chaleureux ou froid figure
sur la liste donnait lieu à des impressions totalement différentes de la
personne. Bourru ou poli, par contre, n’influençait pas l'impression. Asch
appela traits centraux ceux qui dirigeaient l’impression, qui l’organisaient,
comme chaleureux et froid, mais il était incapable de dire exactement ce
qui faisait que certains traits étaient centraux et d’autres pas.

2.3. Représentations structurales des théories implicites

C'est la sophistication des connaissances mathématiques et des outils


pour les mettre à l’épreuve qui a permis de résoudre le problème soulevé
par Asch. Par analyse multidimensionnelle des traits de personnalité, on
s’est aperçu qu'ils se rangeaient sur deux dimensions bipolaires. Les pôles
étaient évaluatifs (i.e., bon et mauvais) et les dimensions concernaient les
compétences et la sociabilité (Rosenberg et Sedlack, 1972). Alors que,
dans le matériel d’ Asch, tous les traits concernaient les compétences, seuls
chaleureux et froids étaient relatifs à la sociabilité et étaient polarisés sur
cette dimension. Quoique reliés à la sociabilité, bourru et poli n’étaient pas
des traits centraux parce qu’ils n’étaient pas polarisés et n'étaient donc
guère informatifs. Quand Asch posait des questions à ses sujets sur la
sociabilité d’X, tout ce que ses sujets pouvaient faire était de prendre en
compte la seule information qu’ils détenaient sur la sociabilité, c’est-à-dire
chaleureux et froid ; bourru et poli n’étaient pas suffisamment diagnos-
tiques de la sociabilité.
Étant donné leurs expériences de vie, les individus ont des théories
implicites de personnalité spécifiques. Néanmoins, une vision bidimen-
sionnelle de l’humanité semble un commun dénominateur qui reste
adéquat dans bien des circonstances. La même taxonomie a d’ailleurs été
appliquée aux groupes.
Pour éclairantes qu’elles soient, les analyses multidimensionnelles
effectuées dans le prolongement des études d’Asch ne sont cependant pas
fidèles à la perspective gestaltiste d’Asch. En effet, ces analyses ont pour
effet de réifier la réalité sociale, d’enfermer la perception sociale dans un
carcan. Rien n’est plus éloigné de la tradition dynamique d’Asch pour qui
la Gestalt n’est pas un vain mot. L’adjonction du mot A au trait de person-
nalité B change ce trait B selon Asch. Pensons à empathique dans le cas
d’un philanthrope ou d’une star de cinéma ; dans les deux cas, le même
mot “empathique” n’aura pas la même signification.
CHAPITRE X : THÉORIES IMPLICITES DE LA PERSONNALITÉ 141

2.4. Psychique et physique

À côté de la percée méthodologique des analyses multidimensionnelles,


et de leurs implications théoriques, d’autres études ont eu un but davantage
illustratif. Pour ces dernières, il s’agissait de montrer l’existence des théo-
ries implicites de personnalité ainsi que leurs conséquences. Le biais qui a
été choisi a été d’insister sur le danger d’une confiance aveugle dans les
théories implicites de personnalité, et le domaine le plus étudié a été celui
des relations entre physique et psychique. C’est une problématique qui
remonte à l’antiquité de la psychologie lorsque, intuitivement d’abord,
statistiquement ensuite, plusieurs générations de chercheurs ont pris à la
lettre la maxime selon laquelle on peut juger quelqu'un sur sa mine.
Les recherches ne manquent pas à ce propos, mais la série d’études la
plus exemplaire nous vient de deux psychologues cliniciens (Chapman et
Chapman, 1967) qui ont étudié les réactions face au dessin du Test du
Bonhomme, le test projectif le plus populaire à l’époque après le
Rorschach. Selon les praticiens de ce test, les caractéristiques du dessin
révèlent la personnalité de son dessinateur. Les chercheurs ont envoyé à
des psychologues utilisant ce test un questionnaire leur demandant quels
aspects du dessin caractérisaient des problèmes de personnalité comme
une préoccupation au niveau de l'intelligence, de la virilité, etc. Ils ont
posé la même question à des étudiants n’ayant aucune pratique du test. Les
réponses furent semblables. Ce résultat suggère qu’il ne faut pas de
longues études et un doctorat en psychologie clinique pour appliquer ce
test. Plus tristement, 1] montre que ce test est éminemment populaire alors
qu’il n’a aucune validité et repose uniquement sur des théories implicites
de personnalité.
Si nous reprenons le principe d’aboutness de Higgins, il est évident que
l'intelligence concerne la tête et la virilité les parties génitales. Rappelons
que Higgins soulignait le fait que nous n’envisagions jamais qu’une seule
source. La suite des recherches de Chapman et Chapman (1967) le confir-
me. À une série d'étudiants, ils ont donné des dessins avec pour chacun
deux symptômes dont souffrait le dessinateur. Les troubles étaient attribués
de manière telle qu’il n’y avait aucune corrélation entre une caractéristique
du dessin et un trouble de personnalité. Par exemple, la préoccupation au
niveau de l'intelligence était donnée autant de fois pour une petite, moyenne
et grosse tête. Les sujets avaient tout le temps d’examiner les dessins. Ceci
fait, quand on leur demandait quelle caractéristique était associée à une
préoccupation au niveau de l'intelligence, ils répondaient.… la grosseur de
la tête. Devant ces résultats, les deux chercheurs ont distribué des dessins
avec des symptômes de manière telle que, cette fois, il y avait une
142 PSYCHOLOGIE SOCIALE

corrélation parfaitement négative entre caractéristiques de dessin et


troubles de personnalité. Dans notre exemple, la préoccupation au niveau
de l'intelligence était chaque fois associée à une petite tête. Les sujets
parcouraient les dessins à leur aise et répondaient ensuite toujours au
même questionnaire. Cette fois encore, la grosseur de la tête était sympto-
matique d’une préoccupation au niveau de l'intelligence ! Jusqu'à ce jour,
aucun chercheur n’est parvenu à faire diminuer ce qui a été appelé
l'illusion de corrélation. Cette illusion de corrélation illustre magistra-
lement le caractère unique de la réponse. En dépit de l’évidence contraire,
les gens persistent dans leur théorie.
Les théories implicites liant le psychique au physique abondent et les
gens en font un usage quotidien. C’est ainsi que bonté et beauté sont
associées dans la tête de beaucoup. On prédira un plus grand succès
scolaire à un enfant beau qu’à un enfant laid (Clifford, 1975) ; on se
montrera moins agressif envers le premier que le second (Berkowitz et
Frodi, 1979). La taille des hommes variera aussi en fonction du statut
(Wilson, 1968) et la plupart des présidents américains furent d’ailleurs
plus grands que leur opposant !
Certaines personnes font profession de ces théories implicites. C’est
notamment le cas des physiognomonistes (mais aussi des graphologues).
Systématisée par un théologien suisse, Lavater, et popularisée en France par
un médecin, Corman, la physiognomonie prétend lire la personnalité dans le
visage des gens. Une très belle série de recherches de Hassin et Trope (2000)
montre comment on peut lire la personnalité à partir du visage et lire le
visage à partir de la personnalité. Si vous voyez quelqu'un avec un visage
émacié, aux yeux enfoncés dans les orbites, le -regard perdu, les lèvres
minces et serrées, allez-vous dire qu’il est extraverti ou introverti ? Nous ne
doutons pas de votre réponse : vous avez lu la personnalité à partir du visage.
Admettons maintenant qu’on vous présente la photographie du visage de
Konrad Lorenz en vous disant qu’il s’agit du fameux éthologue, prix Nobel
de médecine, ou en vous prévenant qu’il s’agit de la tête d’un criminel nazi
(Lorenz n’était pas criminel, mais il était nazi). Lequel des deux personnages
aura, croyez-vous, le plus grand front ? Ici aussi, nous sommes certains de
votre réponse. Vous avez lu le visage à partir d’informations biographiques.
Notre certitude en vos réponses est corroborée par plusieurs recherches qui
montrent un grand consensus en ce qui concerne ce type de théories
implicites de personnalité (Zebrowitz, 1990).
CHAPITRE X : THÉORIES IMPLICITES DE LA PERSONNALITÉ 143

3. Nécessité et danger

3.1. Avantages et coûts


Cette représentation unique a des avantages et comporte des coûts
(Higgins, 1997). De même que, sans théories naïves, nous serions dans
l'impossibilité de faire des attributions quant au comportement d’autrui et
de donner par la catégorisation un sens à l’univers d’informations dans
lequel nous sommes plongés, de même nous serions dans l'incapacité
d’avoir des interactions valables sans théories implicites de personnalité,
sans croyances a priori concernant cet autrui dont seules quelques caracté-
ristiques nous sont connues. Si, quand nous rencontrons quelqu'un, nous
devions nous mettre à tester toutes les hypothèses possibles concernant
notre interlocuteur, nos interactions seraient tellement lentes et maladroites
que nous nous retrouverions vite tout seul.
Avoir recours à des théories implicites de personnalité est une obliga-
tion ; c’est une nécessité de la vie quotidienne. Évidemment, puisque les
théories implicites de personnalité sont des croyances, elles peuvent
souvent se révéler fausses et conduire à des maladresses, à des erreurs de
Jugement. C’est le prix à payer pour la fluidité qu’elles nous permettent par
ailleurs. Ce prix est parfois lourd car, comme toutes les théories, elles sont
résistantes au changement. De fait, si nous devions changer de croyance à
chaque information nouvelle, tout le bénéfice de ces croyances générales
s’en irait à vau-l’eau. Cette résistance ne provient pas du fait que les théo-
ries sont implicites. Les théories scientifiques, elles aussi, résistent aux
faits contradictoires. Il en faut une quantité énorme pour qu’un chercheur
décide d’abandonner sa théorie scientifique favorite.
Idéalement, nous devrions toujours avoir plusieurs théories. Imaginer une
solution différente et discuter avec une autre personne de notre impression
devraient nous donner plus de souplesse. Malheureusement, l’internalisation
de différentes perspectives demande du temps et nous n’en disposons pas
toujours suffisamment quand il s’agit d’interagir avec autrui.

3.2. Fixistes et optimistes

À côté de ces stratégies que nous pouvons mettre en place pour ne pas
foncer tête baissée dans n’importe quelle théorie implicite de personnalité,
il existe également des différences individuelles dans le traitement de
l'information et dans la façon dont les gens infèrent des causes. Tout le
monde n’inférera pas la même chose à partir de la même information. Ce
domaine a surtout été étudié par Dweck et ses collaborateurs (pour des
144 PSYCHOLOGIE SOCIALE

revues de questions, voir Dweck, 1999, et Levy et Dweck, 1998). Ces


auteurs distinguent les théoriciens “entitistes” et “incrémentaux”. Par
facilité, nous parlerons de “fixistes” et d’“optimistes”. Qu'il s’agisse des
domaines de l'intelligence, de la moralité ou de la personnalité, les théo-
riciens fixistes voient les attributs humains comme des entités figées alors
que les théoriciens optimistes ont une perspective plus dynamique et consi-
dèrent les caractéristiques humaines comme malléables et pouvant
s'améliorer. Il en découle que les premiers seront plus favorables aux traits
de personnalité pour expliquer un comportement donné alors que les seconds
prendront davantage en cause les processus comme les buts, les stratégies,
les efforts et les états affectifs susceptibles d'expliquer le comportement en
question. De telles différences ne sont pas sans conséquences.
Après un feedback d’échec à une tâche intellectuelle, par exemple, les
fixistes l’attribueront plus facilement à leur intelligence que les optimis-
tes ; leurs performances tendront à se détériorer et montreront moins de
persistance dans l’effort. Les mêmes tendances se feront jour quand il
s'agira d’expliquer la performance de quelqu'un d’autre. Les fixistes
auront davantage recours aux traits de personnalité. Les optimistes pren-
dront en compte les processus médiationnels. Cette différence ne veut pas
dire que les optimistes sont “situationnistes”. Fixistes et optimistes, en
effet, commettront l’erreur fondamentale en faisant tous les deux plus
d’attributions dispositionnelles que situationnelles.
Fixistes et optimistes réagiront différemment devant un acte de
délinquance. Sans surprise, les fixistes se montreront plus sévères que les
optimistes qui recommanderont un programme de réhabilitation plutôt
qu’une lourde peine. Alors que les fixistes se montreront sensibles à
l'habillement du délinquant, ce détail (une cravate !) laissera les optimistes
indifférents. Si l’on reprend la taxonomie de Higgins, les fixistes estiment
que le comportement est “à propos de” la personnalité en général. Les
optimistes, eux, voient le comportement “à propos de” processus capables
d’en rendre compte comme des buts ou des états affectifs.

3.3. Théories implicites et stéréotypes

Les fixistes se basent davantage sur leurs stéréotypes que les optimistes
quand ils doivent interagir avec quelqu'un. Ce dernier résultat permet de
faire le lien entre théories implicites de personnalité et stéréotypes. Ces
derniers sont également des croyances générales. Elles ont ceci de parti-
culier qu’elles sont partagées par la plupart des membres d’un groupe et
concernent les traits de personnalité et les comportements de la majorité
des membres d’un groupe.
CHAPITRE X : THÉORIES IMPLICITES DE LA PERSONNALITÉ 145

Le lien entre les deux concepts est particulièrement évident lorsqu'on


parle de “types de personnalité” comme dans le cas des stars de cinéma
dont les caractéristiques mêlent des traits de valence différente comme
empathique et égocentrique (Anderson et Sedikides, 1991). Si ce lien est
tellement évident, on peut s'interroger sur le sort différent qui leur est
réservé. Des théories implicites de personnalité, les psychologues sociaux
disent qu’elles sont indispensables même si elles peuvent être erronées et
s’ils en rient souvent. Ils ne tiennent pas du tout le même langage à propos
des stéréotypes. La plupart les considèrent comme des erreurs nuisibles et
les condamnent ; on ne leur reconnaît aucune utilité et on les accuse aux
niveaux de la logique, de la raison et de la morale. En d’autres termes, on
pourrait se tromper au niveau de l’individu pour autant que l’on respecte
prétendument sa spécificité, mais on ne pourrait se tromper au niveau d’un
membre d’un groupe en le privant de sa spécificité. Si tel est le cas, nous
nous demandons ce qu’est une théorie implicite de personnalité car elle ne
respecte pas plus la spécificité de l’individu qu’un stéréotype. On est en
droit de se demander si la différence de traitement entre théories implicites
de personnalité et stéréotypes n’est pas due à une méta-théorie des psycho-
logues eux-mêmes concernant les individus et les groupes. Tout intéres-
sante qu’elle soit, une telle question empiète déjà sur le chapitre suivant.
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CHAPITRE XI

Préjugés et stéréotypes
dans les relations inter-groupes
Nadège SOUBIALE

“Comment être un Indien.


L'avenir de la nation indienne étant désormais tout tracé, la seule possibilité
de promotion sociale pour un jeune Indien ambitieux consiste à faire le
figurant dans un western. À cette fin, voici quelques instructions essentielles
qui permettront à notre jeune ami d'obtenir le label ‘Indien de western’ et de
résoudre ainsi le problème du sous-emploi endémique de cette catégorie socio-
professionnelle.”

Umberto Eco, Comment voyager avec un saumon, 1997.

Que doit donc faire le “jeune Indien ambitieux” que nous décrit
Umberto Eco pour obtenir le “label Indien de Western”, le seul, d’après
l’auteur, qui lui ouvrira les portes de l’emploi et lui permettra d’échapper à
une condition désormais bien difficile ? Le célèbre romancier explique au
“jeune Indien”, dans une liste de recommandations fort détaillée, comment
il pourra à l’avenir avantageusement tirer parti des traits et des caractéris-
tiques qui lui ont été jusqu'alors attribués par les Blancs et qui font
justement de lui... un Indien. Tout l’art “d’être un Indien” consiste à savoir
comment attaquer une diligence, mais aussi un ranch isolé, un cercle de
chariots, un fort. Ce petit extrait de la littérature permet d'illustrer, sur le
mode de l'ironie, un thème devenu un classique de la psychologie sociale :
les préjugés et les stéréotypes. Quels sont les problèmes soulevés par les
liens qu’entretiennent ces deux phénomènes ? En quoi intéressent-ils la
psychologie sociale et comment les aborde-t-elle ?
Continuons notre questionnement à propos de la situation de notre
jeune Indien. Quel type de raisonnement pourrait amener le Blanc à penser
que l’Indien possède des caractéristiques intrinsèques qui lui vaudraient le
148 PSYCHOLOGIE SOCIALE

“label d'Indien de Western” ? D'où provient la description précise qu’en


fait le romancier ? Est-elle le fait d’une représentation personnelle, a-t-il
entendu ces propos chez quelques individus particuliers, ou au contraire,
est-elle représentative de ce que les Blancs en général pensent de l’Indien ?
Admettons que nous soyons totalement ignorants de ce que sont les
stéréotypes ethniques et raciaux et leurs conséquences, nul doute que ces
pages d’Umberto Eco ne nous amuseraient pas. C’est donc bien parce que
tout le monde connaît les croyances stéréotypées entretenues à l’égard de
l’Indien, ainsi que l’attitude empreinte de préjugé qui éventuellement les
accompagne, que nous comprenons le ton sarcastique du récit. Mais
qu'est-ce qui fait que l’on puisse saisir, également, que. les caractéristiques
de l’Indien limiteraient ses chances d’occuper un emploi au même titre que
l'Américain blanc ? Le contenu descriptif du “Comment être un Indien”
peut donc, dans ce cas, éventuellement être apprécié sous l’angle des juge-
ments que l’on porte sur l’Indien et sur les attitudes que l’on est en droit
d’adopter à son égard. Ces deux versants — description et jugement — sont
liés de façon tellement inextricable dans le cas du jeune Indien que mieux
vaut pour lui, s’il veut avoir sa place dans la société, qu’il continue à
remplir son rôle d’Indien…

1. Quelques éléments de définition


Le thème de ce chapitre portera donc sur les liens entre préjugés et
stéréotypes. Nombre de travaux ont été consacrés à cette question, aussi,
eu égard à la diversité d’approches conceptuelies et méthodologiques de
ces deux domaines, est-il préférable de limiter la discussion à quelques
points centraux.
Commençons d’abord par identifier les termes de préjugés et
stéréotypes. Une littérature importante existe déjà sur le sujet (pour les
définitions des stéréotypes en particulier, voir Ashmore et Del Boca, 1981 :
Miller, 1982 ; voir également Bourhis et Leyens, 1994 ; Leyens, Yzerbyt et
Schadron, 1996), et ce chapitre n’a pas pour objectif de passer en revue le
nombre abondant de définitions de ces notions. Néanmoins, avant de pré-
senter quelques études récentes sur l’articulation entre les deux phéno-
mènes, en seront simplement rappelés des éléments définitionnels de base
et les fonctions principales.
À l’origine, pour rappel, Walter Lippman (1922) faisait référence aux
stéréotypes pour désigner ces images figées, rigides qui, tels des clichés,
nous servent à juger les groupes sociaux. Lippman avait dès lors défini les
caractéristiques et les fonctions essentielles de ces “images dans nos
CHAPITRE XI : PRÉJUGÉS ET STÉRÉOTYPES DANS LES RELATIONS INTER-GROUPES 149

têtes” : les stéréotypes simplifient la complexité du monde environnant, ils


transforment la réalité objective en la filtrant — ce que nous désignons par
leur fonction cognitive ; ils s’enracinent dans des rapports sociaux réels —
nous parlons de conflit intergroupe ; ils permettent également de légitimer
la nature de ces rapports intergroupes — ce que nous désignons par leur
fonction socio-cognitive. De surcroît, leur contenu n’est pas simplement
descriptif mais est le plus souvent empreint d’une forte charge affective. Les
idées de Lippman ont impulsé — et influencent encore — la plupart des
réflexions et des recherches des psychologues sociaux sur les stéréotypes
liés à des groupes sociaux. Enfin, outre leur aspect rigide, une autre dimen-
sion caractérise les stéréotypes, il s’agit du consensus dont ils font l’objet
au sein d’un groupe. En effet, et en dépit de la multiplicité d’approches dans
ce domaine, la dimension consensuelle est sans doute l’élément de base qui
a permis l’adoption d’une définition commune des stéréotypes. Comme le
rappellent Leyens, Yzerbyt et Schadron : “Mettons-nous d'accord sur une
définition très générale des stéréotypes : il s'agit de croyances partagées
concernant les caractéristiques personnelles, généralement des traits de
personnalité, mais souvent aussi des comportements, d'un groupe de
personnes” (1996, p. 24). Nous reviendrons dans la suite de ce chapitre sur
la dimension consensuelle des stéréotypes, sur quelques difficultés métho-
dologiques que pose sa mesure depuis les travaux de Katz et Braly (1933),
mais également sur l’importance de cette dimension dans la détermination
des liens entre préjugés, stéréotypes et identité sociale.
Un autre point est également désormais largement admis : un stéréotype
n’est pas qu’un contenu de pensée, il obéit à des processus qui permettent
l'attribution de caractéristiques, sous forme de traits par exemple, à des
personnes identifiées comme appartenant à des groupes sociaux parti-
culiers. Nous touchons là à l’existence de processus très généraux de la
pensée liés à l’activité de catégorisation. Selon l’approche cognitive, lors-
que nous connaissons l’appartenance d’un objet à une catégorie donnée,
notre mode de traitement de l’information, d’une part, active et facilite
l’inférence de caractéristiques sur cet objet, et d’autre part, nous amène à
exagérer simultanément les ressemblances existant entre les objets
appartenant à une même catégorie et les différences entre ceux appartenant
à des catégories différentes. Ces effets d’assimilation et de contraste
maintenant bien connus ont été illustrés expérimentalement par Tajfel, un
des fondateurs de l’approche cognitive des stéréotypes. À l’origine, ces
effets ont été mis en évidence par Tajfel et Wilkes (1963) sur un matériel
expérimental qui n’avait rien de social (tâche de classification où il
s’agissait d’estimer la longueur de lignes appartenant à deux classes
différentes). Quelques années plus tard, des effets comparables ont été
150 PSYCHOLOGIE SOCIALE

observés dans des situations où les expérimentateurs utilisent des indi-


cateurs comme l’appartenance raciale pour catégoriser des personnes.
Ainsi, Taylor, Fiske, Etcoff et Ruderman (1978) ont démontré que le fait
de connaître l'appartenance raciale des gens influence la façon dont on
traite l’information à leur sujet. La catégorisation sociale joue donc un rôle
déterminant dans l’apparition des stéréotypes.
La connaissance de l’appartenance d’une, ou de plusieurs, personne(s) à
un groupe social donné peut également expliquer les préjugés dont elle(s) est
(sont) la cible. Mais quelle différence alors entre préjugés et stéréotypes ?
Pour commencer, nous nous référerons au préjugé comme à l’expression
d’une attitude défavorable envers une ou plusieurs personnes en raison de
son (leur) appartenance à un groupe particulier (cf. Augoustinos et Walker,
1995 ; Brown, 1995). Cette définition introduit une première différence entre
les deux notions : le stéréotype présente une tonalité affective le plus souvent
négative, il peut néanmoins parfois être positif ; le préjugé témoigne toujours
d’un fort sentiment d’hostilité.
On peut également utiliser comme autre critère de distinction la nature
collective ou individuelle des deux phénomènes : on pourrait dire que les
stéréotypes sont des croyances collectives sur des groupes, qu'ils sont
facilement reproductibles et communs à tous parce que socialement appris
et transmis, alors que les préjugés, bien qu’ils visent également des
groupes particuliers (les étrangers, les femmes, les homosexuels...), sont
de nature plus individuelle parce qu’ils expriment des sentiments (le plus
souvent aversifs) éprouvés subjectivement.
Sans remettre totalement en cause ces deux critères de différenciation
classiques, il est toutefois important de noter que, précisément lorsqu'il
s’agit de croyances et d’attitudes intergroupes, les croyances normatives à
l'intérieur d’un groupe peuvent également influencer les préjugés. Ainsi
Sherif notait que “le problème du préjugé et des images stéréorypées
envers d’autres groupes n’est pas un problème de haines idiosyncrasiques
et de croyances non fondées chez quelques individus isolés. C'est le
problème d'hostilités et d'images partagées. par un grand nombre de
personnes appartenant à un même groupe humain” (1966, p. 20).
L'idée d’une détermination normative et consensuelle des sentiments
d’hostilité qui accompagnent les stéréotypes d’exogroupes se retrouve
chez les théoriciens de la catégorisation sociale et de l'identité sociale (cf.
Tajfel, 1981b).
Du rappel de ces quelques grandes orientations théoriques, se dessinent
d'ores et déjà les contours des interrogations qui président à ce chapitre :
Comment expliquer le recours aux préjugés et aux stéréotypes ? Les
préjugés sont-ils ou non l’expression de croyances personnelles, et les
CHAPITRE XI : PRÉJUGÉS ET STÉRÉOTYPES DANS LES RELATIONS INTER-GROUPES 151

stéréotypes — comme croyances largement partagées — déterminent-ils


l'expression des préjugés ? Admettons que les facteurs individuels consti-
tuent des prédicteurs d’attitudes et de croyances inscrites dans des rapports
intergroupes, qu’en est-il d’autres facteurs, tels que l’identité sociale des
individus ? Quelques études sélectionnées et présentées ci-après serviront
de guide et d'illustration à des éléments de réflexion sur ces questions.

2. Connaissance des stéréotypes culturellement partagés,


croyances personnelles et préjugés
Presque soixante-dix ans après la célèbre étude de Katz et Braly (1933)
sur les stéréotypes ethniques et raciaux que partagent les étudiants de
Princeton sur les Américains, les Anglais, les Allemands, les Irlandais, les
Italiens, les Japonais, les Juifs, les Chinois, les Turcs et les Noirs, on
observe que les chercheurs en psychologie sociale ont abondamment écrit
et expérimenté sur la question des croyances stéréotypées.
Dans les études descriptives basées sur la méthode de Katz et Braly,
l’utilisation de listes de traits a permis d’extraire un aspect essentiel des
stéréotypes : leur dimension consensuelle (pour une discussion de cet
aspect, voir Yzerbyt et Schadron, 1994, pp. 129-131 ; voir également
Leyens, Yzerbyt et Schadron, 1996, pp. 37-40). Néanmoins, dès l’étude de
Katz et Braly, l'hypothèse d’une corrélation entre cette dimension et
l'expression de préjugés à l’égard de groupes ethniques et raciaux n’a pas
été confirmée. Ainsi, à cette époque, les étudiants américains expriment de
forts préjugés à l’égard des Noirs américains et des Turcs ; mais si le
stéréotype des premiers est le plus consensuel des dix groupes jugés, celui
des seconds est le moins consensuel.
Par la suite, d’autres auteurs ont continué à étudier les contenus des
stéréotypes, en s’intéressant davantage à la variation de ces contenus sous
l'effet d’évolutions historiques (cf. Karlins, Coffman et Walters, 1969).
L'hypothèse sous-jacente à ces recherches était que les changements de
contenu des stéréotypes raciaux — en particulier l’affaiblissement, voire la
disparition, de leur connotation négative — provenaient de la réduction du
préjugé racial lui-même. La remise en cause expérimentale d’un tel postu-
lat est très récente. En 1995, Devine et Elliot ont montré, en réutilisant les
listes de traits de Katz et Braly, que, contrairement à ce qu’affirmaient
Karlins et al. (1969), il est très peu probable que ce soient les stéréotypes
envers les Noirs qui aient changé avec le temps, mais que l'explication
résiderait davantage dans une modification des croyances personnelles des
individus. Leur hypothèse est que, si le préjugé envers les Noirs — c’est-à-
152 PSYCHOLOGIE SOCIALE

dire l’attitude négative envers ce groupe — diminue, c’est justement parce


que les croyances personnelles sont de meilleurs prédicteurs du préjugé
que les stéréotypes. En fait, expliquent-ils, si ces chercheurs ont tiré de
telles conclusions de leurs études, c’est parce qu’ils n’ont pas distingué
l'expression de croyances personnelles de la reproduction de stéréotypes
culturellement partagés. Cette confusion conceptuelle a contaminé à son
tour l’utilisation des listes de traits : dans la consigne, ils n’indiquaient pas
clairement aux sujets s’ils devaient se prononcer sur ce qu’ils pensaient
personnellement des Noirs, ou sur la connaissance qu'ils avaient du
stéréotype dominant de ce groupe cible. Devine et Elliot (1995) vont donc
utiliser dans leur expérience des mesures qui permettent de distinguer
clairement les trois facteurs : la connaissance du stéréotype culturellement
dominant des Noirs, les croyances personnelles sur les Noirs, et les préju-
gés racistes envers les Noirs. Concernant les deux premières variables, les
auteurs soumettent aux sujets deux fois la même liste de traits, mais en leur
donnant deux consignes différentes : dans un cas, on leur demande de
répondre sur la base de leur connaissance du stéréotype culturellement
dominant, dans l’autre cas, on leur demande d’exprimer ce qu'ils croient
personnellement. L’étude se termine par un questionnaire portant sur la
mesure des préjugés racistes (Échelle de Racisme Moderne (M.R.S.),
McConahay, Hardee et Batts, 1981), ce qui permet de distinguer les
individus ayant peu de préjugés racistes et ceux ayant au contraire de forts
préjugés. Précédemment à cette étude, Devine (1989) avait élégamment
confirmé une hypothèse contre-intuitive dans le domaine du racisme : tous
les sujets de son expérience, qu’ils soient ou non racistes, partagent les
mêmes stéréotypes des Noirs. En utilisant un paradigme d’amorçage subli-
minal, cet auteur démontre également que, placés dans des conditions
empêchant tout contrôle cognitif sur leurs réponses, racistes et non racistes
ne se différencient pas non plus sur les sentiments hostiles qu’ils expriment
envers les Noirs. Par contre, lorsqu'ils sont placés dans des conditions
optimales de traitement de l’information (temps imparti, capacités cogniti-
ves), seuls les sujets non racistes contrôlent et inhibent la tendance
automatique à recourir aux stéréotypes et aux préjugés raciaux. Les résul-
tats de l’étude de Devine et Elliot (1995) obéissent à des processus compa-
rables : 11 n’y a pas de différences fondamentales entre individus à faibles
préjugés racistes et ceux à forts préjugés quant au stéréotype dominant des
Noirs. Par contre, les premiers expriment des jugements personnels envers
les Noirs beaucoup plus favorables que les seconds. Ceci corrobore une de
leurs hypothèses : les préjugés racistes sont davantage liés aux croyances
personnelles qu’au consensus sur les images stéréotypiques visant certai-
nes catégories. En d’autres termes, l’expression des préjugés provient
CHAPITRE XI : PRÉJUGÉS ET STÉRÉOTYPES DANS LES RELATIONS INTER-GROUPES 153

davantage des capacités cognitives individuelles que de croyances


socialement partagées.
L'exposé de ces recherches menées par Devine et ses collaborateurs a
servi d'illustration à un courant de pensée récent sur les liens entre préju-
gés et stéréotypes : ici, l'approche se situe à un niveau intra-individuel
d'analyse, en privilégiant les fonctionnements cognitifs et en délaissant
l’ancrage social, groupal des stéréotypes. Cette focalisation d’une partie
des chercheurs sur l’activité cognitive individuelle n’exclut cependant pas
du champ d’investigation de ces phénomènes ceux qui ont continué à se
préoccuper, dans la lignée des travaux de Tajfel (1981b), de leur enracine-
ment dans les rapports intergroupes. C’est maintenant à ce second courant
théorique que nous allons nous intéresser.

3. Liens entre stéréotypes, préjugés, saillance de l’apparte-


nance groupale et identité sociale
On ne peut méconnaître ni même remettre en cause l’intervention et le
rôle régulateur des processus cognitifs dans l’expression — ou au contraire
l’inhibition — des préjugés. Nul doute que des études comme celles de
Devine (1989) et de Devine et Elliot (1995) contribuent de façon majeure
à la compréhension de tels phénomènes. Entre autres, les résultats obtenus
par ces chercheurs nous éloignent des raisonnements de sens commun en
la matière. En effet, il était peu courant en psychologie sociale, jusqu’à ce
que Devine en fît la démonstration expérimentale, d'émettre l’hypothèse
que les préjugés et les stéréotypes raciaux existent chez tout le monde et
sont activés automatiquement, alors que les opinions non racistes
nécessitent réflexion et travail cognitif.
Mais, même en supposant que la psychologie individuelle ne soit pas
totalement étrangère à l’explication de ces phénomènes, elle semble
insuffisante à elle seule pour rendre compte d’une réalité facilement obser-
vable : pourquoi alors les stéréotypes et les préjugés visent-ils préférentiel-
lement certains groupes sociaux ? Revenons à notre jeune Indien. Qu’est-
ce qui fait que “l'avenir tout tracé de la nation indienne” ruine également
l'avenir de ses membres ? Quels liens entre le sort d’un groupe et le “sous-
emploi endémique” de ses membres ? Et pourquoi les recommandations
d’Umberto Eco ne s’adressent-elles pas également à l’ Américain Blanc ?
Pourquoi ne pas avoir imaginé un titre comme “Comment être un
Américain Blanc” ? Ce dernier ne mériterait-il pas le label de “Cowboy
blanc de western” ? Qu’est-ce qui fait que ce dernier n’a en rien besoin de
ce label pour trouver un emploi et que l’absence de ce label ne ruine en
154 PSYCHOLOGIE SOCIALE

rien ses espoirs de promotion sociale ? Nous touchons là à une autre


question cruciale posée par les liens qu’entretiennent préjugés et stéréo-
types, lorsque, sans pour autant méconnaître qu’il s’agit de processus
cognitifs, on les aborde sous l’angle de leur enracinement dans des fonc-
tionnements psycho-sociaux, en l’occurrence dans des rapports inter-
groupes. En effet, que l’on pense à l’antisémitisme, à l'hostilité envers les
immigrés, ou encore à l’ostracisme qui touche les homosexuels, les
femmes... et on peut alors difficilement éluder la question des frontières
entre intra et hors-groupes, et de ce qu’elles induisent chez l'individu en
termes d’appartenance et d’identité.

3.1. L'origine de la dimension consensuelle des stéréotypes selon


les théoriciens de l'identité sociale

Concernant l’une des caractéristiques essentielles des stéréotypes, à


savoir leur dimension consensuelle, un des spécialistes de la catégorisation
sociale, Tajfel (1981b), affirmait que le regain d’intérêt de la psychologie
sociale pour les stéréotypes pouvait aisément s’expliquer parce que, d’une
part, les stéréotypes sont des croyances très largement partagées par des
groupes (cf. également Leyens, Yzerbyt et Schadron, 1996), et parce que,
d’autre part, ces croyances consensuelles proviennent tout autant qu’elles
participent des rapports existant entre les groupes sociaux. Ainsi, les
stéréotypes envers les membres d’un exogroupe, partagés par les membres
appartenant à un même groupe, accompagnent et justifient les compor-
tements discriminatoires des seconds à l’endroit des premiers, tout comme
ils fondent la différenciation entre le groupe d’appartenance et l’exogroupe
sur un mode comparatif favorable au premier, et préjudiciable au second.
Ces processus sont eux-mêmes inhérents à l’activité de catégorisation
sociale et à son pendant motivationnel, l’identité sociale (sur la catégori-
sation sociale, la Théorie de l’Identité Sociale (TIS) et la Théorie de
l’Auto-Catégorisation (TAC), se reporter à Tajfel et Turner, 1979 ; Turner,
1985 ; Turner, Hogg, Oakes, Reicher et Wetherell, 1987).
Selon les théoriciens de l’identité sociale et de l’auto-catégorisation,
c’est la saillance de l'identité sociale de l’individu — autrement dit l'aspect
du concept de soi qui découle de son appartenance groupale dans des
conditions de comparaison intergroupes pertinentes — qui favorise la
dimension consensuelle des stéréotypes.
CHAPITRE XI : PRÉJUGÉS ET STÉRÉOTYPES DANS LES RELATIONS INTER-GROUPES 155

3.2. Les croyances personnelles structurées par l'appartenance


groupale

S'appuyant sur la théorie de l’auto-catégorisation, ces chercheurs ont


montré que la saillance de l'identité sociale augmentait l’homogénéité et
l’interchangeabilité perçue des membres de l’endogroupe (cf. Simon,
1992 ; Simon et Brown, 1987). Cette perception accrue des ressemblances
entre les membres de l’endogroupe et donc d’une identité sociale partagée
intensifie les processus d'influence sociale à l’intérieur du groupe (cf.
Turner et Oakes, 1989), et favorise ainsi l’attente d’un consensus sur les
croyances du groupe, en l’occurrence sur les stéréotypes. Ce processus de
“consensualisation” des stéréotypes découlant de l’identité sociale a reçu
des confirmations expérimentales récentes (cf. Haslam, Turner, Oakes,
McGarty et Reynolds, 1998), en particulier lorsqu'on utilise une mesure
des stéréotypes basée sur des listes de traits (Haslam, Turner, Oakes,
Reynolds, Eggins, Nolan et Tweedie, 1998).
Les prédictions qui découlent de ce courant théorique diffèrent consi-
dérablement des propositions issues de modèles tel celui de Devine et
collaborateurs sur l’automaticité des stéréotypes. Pour les tenants de
l’auto-catégorisation, les stéréotypes, lorsqu'ils sont approuvés par un
intragroupe, peuvent déterminer les préjugés. Dans ce cas, ces croyances,
dès lors qu’elles ont fait l’objet d’un consensus dans l’intragroupe, sont de
meilleurs prédicteurs des préjugés que les croyances personnelles idiosyn-
crasiques (Haslam, Turner, Oakes, McGarty et Reynolds, 1998). Cette
hypothèse a été très récemment vérifiée par Haslam et Wilson (sous
presse). Les deux chercheurs ont repris le paradigme de Devine et Elliot
(1995), mais ont ajouté deux conditions où l’identité sociale des individus
est rendue saillante sur une dimension de comparaison intergroupe perti-
nente quant à l’appartenance raciale des sujets. L'expérience se déroulant
en Australie et non aux États-Unis, Haslam et Wilson étudient les
stéréotypes et préjugés d’Australiens blancs envers les Aborigènes, et non
plus envers les Noirs. Les conditions de l’étude de Devine et Elliot (1995)
ont été reprises et constituent ici les conditions contrôle (absence de la
variable “saillance identitaire”). Les deux conditions expérimentales ajou-
tées par les auteurs sont celles où l’identité est rendue saillante : les sujets
répondent à un questionnaire permettant de connaître leur identification
avec les groupes pro ou anti-Aborigène de leur société, puis doivent
assigner aux Aborigènes les traits dont ils pensent que les gens du groupe
auquel ils s’identifient considèrent comme caractéristiques des Aborigènes
(condition “groupe”). Dans l’autre de ces deux conditions, dite
“d'interaction groupale”, avant de répondre à la liste de traits en suivant les
156 PSYCHOLOGIE SOCIALE

mêmes consignes que dans la condition “groupe”, les sujets rencontrent et


interagissent avec deux ou trois autres personnes appartenant au groupe
avec lequel ils se sont identifiés. Leurs hypothèses étaient que, dans ces
deux conditions “groupe” et “interaction groupale”, les croyances de
l’intragroupe (les stéréotypes partagés) et le préjugé seraient plus forte-
ment corrélés que dans les conditions de contrôle où l’identité n’était pas
rendue saillante ; et également que les croyances personnelles structurées
par celles de l’intragroupe dans ces deux conditions détermineraient
davantage les préjugés que les croyances idiosyncrasiques dans les
conditions contrôle. Globalement, les résultats ne remettent pas radicalement
en cause les conclusions de Devine et Elliot : les croyances personnelles sont
en effet des déterminants plus puissants des préjugés que les stéréotypes
culturels. Cependant, la confirmation de leurs hypothèses dans leurs deux
conditions expérimentales vient étayer les postulats de l’identité sociale :
l'identification avec les membres de l’endogroupe augmente le consensus
sur les croyances du groupe et, dans ce cas, les préjugés sont davantage liés
à des croyances personnelles reflétant les croyances stéréotypiques de
l’endogroupe qu’à des croyances idiosyncrasiques.
C’est sur cette dernière illustration expérimentale que se referme ce
chapitre. Le choix de ce dernier exemple n’était ni aléatoire, ni accidentel :
il ne répond pas de façon péremptoire et définitive aux questions posées
sur l’origine individuelle ou collective des stéréotypes et des préjugés. Il
pourrait sans doute nous rappeler que formuler la question en dissociant
strictement les déterminants psychologiques des déterminants sociaux de
ces phénomènes offre peu de chances d’en comprendre la logique…
CHAPITRE XII

Pensée sociale et théories de l'attribution

Christine BONARDI

— Alors, il paraît que tu déménages ?


— Avec un second gosse, l'appartement devenait trop étroit.
— Avoue plutôt que tu as toujours voulu être propriétaire !
— Mais non, c'est une opportunité qui ne se représentera pas, un vrai coup de
chance ! … Mais c'est vrai que j'ai gardé la nostalgie de la maison familiale.
— Tu avais déjà trouvé la maison de tes rêves il y a deux ans.
— Il n'y avait pas de jardin.
— Ah oui, j'oubliais ton côté écolo, nature... !
— C’est pas ça. une maison sans arbres ou sans verdure, c'est un peu triste
non ? Cette fois je t'assure, c’est la bonne. Tous mes amis me poussent à
l'acheter.
— Allez va, je te l’ai toujours dit que tu t'embourgeoises !
— Toi, il faut toujours que tu caricatures. !

L’ordinaire d’une telle conversation, sa banalité et le fait que nous


pratiquons tous ce genre d’exercice n’ôtent rien à l’intérêt de ces échanges
quotidiens. Cela n’empêche nullement de s’y impliquer, ni ne diminue la
motivation à les renouveler et à y participer. Si l’on plonge au cœur de cette
conversation, on remarquera que sont avancées quelques explications,
apparemment cohérentes et en tout cas plausibles (bien que parfois contra-
dictoires), reliées à des connaissances sous-jacentes relatives à différents
paramètres du vécu antérieur. L’acte est ainsi éclairé sous des angles
multiples, ce qui permet de mieux le comprendre, le connu et le partagé,
les savoirs sociaux, les valeurs et les croyances se précisant au fur et à
mesure des apports de chacun à l’interaction sociale ainsi créée.
Du point de vue de la science, de telles conversations relèvent du
registre de la pensée sociale en acte, d’une épistémologie de sens commun
158 PSYCHOLOGIE SOCIALE

qui produit et actualise des connaissances suivant les critères d’une logique
naturelle. Cependant, “.. dès les débuts de la réflexion dans ce domaine,
l’idée centrale fut que les gens, confrontés à des conduites, des événements
ou des états psychologiques (pensées, sentiments.) éprouvent le besoin
d'en chercher les causes” (Deschamps et Beauvois, 1994, p. 98) ; idée qui
a trouvé sa matérialisation, dans les années 1950, avec la psychologie des
relations interpersonnelles.

1. Relations interpersonnelles : les théories de l’attribution


Le raisonnement qu’un individu met en œuvre pour énoncer des causes
est considéré comme une attribution causale : tout acte ou événement
produit un certain nombre de conséquences (ou effets) à partir desquelles
on infère l’existence d’une ou plusieurs causes qui en constituent l’origine.
Pour sa part, la psychologie des relations interpersonnelles a tenté de
comprendre les modalités d’un tel raisonnement, c’est-à-dire la manière
dont nous percevons et comprenons d’ordinaire nos actes et ceux des
autres. D’emblée (Heïider, 1958), on a cherché à expliciter les modèles de
pensée de l’homme de la rue (le “profane”) pour accéder à ses théories
naïves et, de ce fait, mieux comprendre ce qui se joue dans les relations
interindividuelles. Pour cela, il fallait dégager des principes généraux
implicites de la connaissance que chaque individu possède sur lui-même,
les .autres ou son environnement ; connaissance qu’il utilise pour agir
d’une manière adaptée aux nécessités quotidiennes et pour interagir avec
autrui. Heider (1944) établira que cognition sociale et perception s’orga-
nisent en unités causes/effets : “les attitudes envers la personne et la
formation des unités causales s’influencent mutuellement. Une attitude
envers un événement peut altérer l'attitude envers la personne qui a causé
cet événement et, si les attitudes envers une personne et un événement sont
semblables, l'événement est aisément attribué à la personne” (Heïder,
1944, p. 107).
Dans la perspective gestaltiste adoptée par cet auteur (1958), déter-
miner les causes d’un comportement, c’est parvenir à dégager d’une recen-
sion et d’une sélection des effets de l’acte, une structure stable, permanente
(mais non directement observable) qui servira de cause explicative. Ce
mouvement d'organisation et de classification recevra l'appellation de
processus d’attribution. De l’étude méticuleuse d’un ensemble de produc-
tions discursives, Heider (1958) tirera la conclusion qu’existent deux
facteurs-causes principaux : la personne et l’environnement. S’ils peuvent
à la rigueur être associés dans une attribution, la personne reste la cause
CHAPITRE XII : PENSÉE SOCIALE ET THÉORIES DE L'ATTRIBUTION 159

première du comportement parce qu’elle constitue, avec l’action, une unité


cognitive beaucoup plus stable. L’individu aurait donc plutôt tendance à
dissocier la personne et l’environnement en procédant, comme le ferait un
Statisticien, à une analyse factorielle implicite. La méthode utilisée est
équivalente à celle de l’expérimentation scientifique et la pratique est
rationnelle : l'individu cherche à connaître le “vrai”, l’aspect “stable” d’un
objet ou d’un acte, en respectant les lois de l’équilibre cognitif qui lui
interdisent toute incohérence dans ses propres jugements ou attentes.
Acquérir une telle maîtrise et une telle connaissance suppose naturelle-
ment que les phénomènes se reproduisent assez fréquemment, créant ainsi
une unité effet/cause : le même effet est perceptible quand la même cause
est à l’œuvre. Au bout d’un certain temps, l'individu, passé maître dans
l'attribution, disposera de classes d’effets et de causes relativement stables
et invariantes, servant à expliquer les propriétés intrinsèques d’un objet, et
les partagera avec d’autres. L’interaction est alors possible. De ces
premiers apports découleront plusieurs modélisations du fonctionnement
humain, axées sur la façon dont l’individu utilise l’information disponible
pour émettre un jugement. Deux d’entre elles seront examinées ici.

1.1. Les inférences correspondantes (Jones et Davis, 1965)

“Notre but est de construire une théorie qui rende compte systéma-
tiquement des inférences du percevant sur ce qu'un acteur tentait d'accom-
plir par une action particulière” (Jones et Davis, 1965, p. 222). Le modèle
formalise les antécédents causaux ainsi que les mécanismes des attributions
réalisées par le sujet observateur d’une action. Pour toute information, cet
observateur dispose de l’action elle-même, de ses effets et des caracté-
ristiques de son auteur. Il devra déterminer, parmi tous les effets possibles
de l’action, celui qui a été intentionnellement produit par l’acteur, et qui, par
conséquent, reflétera une ou des dispositions spécifiques.
La procédure est relativement simple : préalablement à l’attribution,
l'observateur devra supposer que l’acteur sait que son action aura les effets
observés (il y a, de sa part, volonté de les susciter), et qu’il est capable de
passer du désir de produire ces effets à un état subséquent de connaissance
et de satisfaction. Puis, cet observateur repérera tous les effets possibles de
l’action et les comparera à ceux d’autres actions, possibles dans le cas
étudié mais que l’acteur n’a pas accomplies. Il éliminera les effets
communs à tous ces actes alternatifs pour ne retenir que ceux qui particu-
larisent l’acte effectivement accompli. Et ces effets l’informeront alors des
intentions qui ont poussé l’acteur vers la réalisation de l’acte ; intentions
qui constituent elles-mêmes un prérequis pour inférer, chez l’acteur, des
160 PSYCHOLOGIE SOCIALE

dispositions particulières stables. Il s’agit bien de faire correspondre


action, intention et disposition sur la base des effets produits. L’inférence
ainsi réalisée est dite correspondante parce qu’une disposition personnelle
se manifeste directement dans le comportement de l’acteur et qu’elle
présente un caractère inhabituel.
Si Jones et Davis admettent que cette correspondance est parfois tribu-
taire des circonstances ou d’une situation particulière, l’attribution que
l’on pourrait faire à de tels paramètres est instable dans la mesure où il
s’agit d'éléments très généraux, de normes ou de critères que la société
impose à l’acteur. L'attribution externe est généralement écartée de ce
modèle, et cela se conçoit, en effet, puisque l’acteur est supposé libre de
choisir entre plusieurs actions alternatives, et que cette même liberté
permet à l’observateur d’écarter toute contingence situationnelle au profit
de la seule motivation de l’acteur à accomplir l’acte.
Mais un tel modèle du fonctionnement humain resterait linéaire sans
une contribution personnelle des individus (acteur et observateur) qui vient
fausser, dans une certaine mesure, le processus : à l’examen des effets de
l’action, l’observateur ne pourra manquer de supposer que certains d’entre
eux sont davantage que d’autres désirables pour l’acteur, donc révéleront
mieux ses intentions (désirabilité supposée des effets de l’action). Par
conséquent, 1] écartera du processus d’attribution les effets neutres ou
indésirables pour l’acteur, mais également les effets universellement dési-
rables car ils n’apportent aucune information sur les caractéristiques
spécifiques de l’acteur. De plus, les effets que l’observateur sélectionne ont
une signification motivationnelle (une “pertinence hédonique” positive ou
négative) qui agira sur son état d'esprit vis-à-vis de l’acteur. En même
temps qu’une attribution, l’observateur émettra alors un jugement : les
mauvaises actions correspondront à de mauvaises personnes, les bonnes à
de bonnes personnes. La “croyance en un monde juste” (Lerner, 1980)
prolonge bien cette conception : pour contrôler l’environnement et écarter
le hasard, les individus auraient tendance à penser que, dans notre monde,
chacun est rétribué suivant son mérite, et endosse la responsabilité de ce
qui lui arrive, jusques et y compris dans les maladies et les accidents. Si les
circonstances extérieures ne suffisent pas pour expliquer de telles
occurrences, alors les individus envisageront la responsabilité de la
“victime” dans ce qui lui arrive. Reste que (Jones et Davis, 1965)
l'observateur est lui-même affecté par l’action (elle peut lui nuire ou lui
être agréable) et croit ainsi que l’acteur est conscient des effets que son
action produit sur d’autres (personnalisme).
Le modèle de Jones et Davis (1965) érige donc les attributions internes
au rang d’invariants qui permettent au mieux de prédire des actes futurs.
CHAPITRE XII : PENSÉE SOCIALE ET THÉORIES DE L'ATTRIBUTION 161

Cependant, l’édifice est fragile : les hypothèses préalables (connaissance


et capacité de l’acteur) permettent d'expliquer seulement les actes volon-
tairement accomplis ; la correspondance linéaire action-intention-disposi-
tion est suffisamment étroite pour interdire de considérer les dispositions
autrement que comme reflets du caractère intentionnel de l’acte. Ainsi, des
dispositions à la prudence ou à la spontanéité sortent-elles du cadre fixé
par ce modèle puisqu'on ne peut pas affirmer qu’un acteur a l'intention
d’agir prudemment ou spontanément. Enfin, on pourra objecter que (cf.
Hewstone, 1989) rechercher une disposition à partir d’un acte ce n’est pas
réellement la même chose que d’en rechercher les causes.

1.2. La covariation (Kelley, 1967)

Nous sommes tous motivés pour maîtriser cognitivement la structure


causale de notre environnement, ce qui nous astreint à certaines activités (de
recherche d’information, de communication, de persuasion, etc.) mais nous
rend capables d’inférer les motivations spécifiques d’une personne à partir de
ses actes, bien que celles-ci ne nous informent guère sur les éléments causaux
stables. Aussi Kelley verra-t-il plutôt cette stabilité au niveau de la situation
dans laquelle l’acte prend place et, plus précisément, dans l’environnement
physique, c’est-à-dire des caractéristiques stables des objets telles que “la
couleur, la taille, la forme, l'intention, le désir le sentiment et la capacité”
(Kelley, 1967, p. 193). C’est cela qui constitue le versant “objectif” de la
situation ou de l’acte, et qui fera, par conséquent, une cause plus correcte que
l’environnement (réduit, chez Kelley, au consensus entre personnes).
Pour réaliser une attribution externe, l’individu dispose de quatre
sources d’information (objets, relations avec ces objets suivant les circons-
tances et le moment, et personnes en relation avec ces objets) qu’il devra
utiliser sur le mode d’une covariation : si l’impression formée sur un objet
n'apparaît qu’en la seule présence de celui-ci (critère de distinguabilité de
l’objet), si les réactions de l’individu vis-à-vis de lui persistent à travers le
temps et quelles que soient les modalités de la relation sujet/objet (critères
de consistance à travers le temps et les modalités d’interaction avec
l’objet), et si, enfin, tous les individus ont la même vision des caractéris-
tiques externes de l’objet (critère de consensus entre personnes), alors
l’attribution sera à coup sûr valide et donnera “une image vraie du monde
extérieur” (Kelley, 1967, p. 197). Le processus lui-même est dicté par le
principe de covariation — “L'effet est attribué à la condition qui est
présente quand l'effet est présent et absente quand l'effet est absent” (id.,
p. 194) — et l'individu se livre pour cela ni plus ni moins qu’à un travail
statistique de type analyse de la variance.
162 PSYCHOLOGIE SOCIALE

Ce modèle d’attribution (cf. Kelley et Michela, 1980) permet de spéci-


fier une règle de traitement des informations plutôt que les effets et les
causes d’une action puisqu'il ne tient compte ni des relations inter-
personnelles ni des préférences des sujets pour l’un ou l’autre lieu de
causalité (personne ou situation). Par contre, l'individu se livre à une
cascade d’inférences : il devra s’assurer que ses quatre sources initiales
d’information sont valides et opérantes, ce qui revient à faire des infé-
rences sur leur pertinence ; puis il retiendra (inférera) celles des infor-
mations qui lui permettront au mieux d’expliquer l’acte ou l'événement.
Au total, réaliser une attribution c’est rechercher les propriétés d’un
monde d’objets, ce qui revient à reconstruire individuellement une forme de
connaissance universelle qui exclut les rapports particuliers que l’on peut
avoir avec ces objets. L'attribution a donc lieu quasiment sans référence à
l’environnement social quotidien et les individus font figure d’observateurs
isolés, neutres et objectifs de leur monde extérieur. Difficile, dans de telles
conditions d’atteindre à la maîtrise de ce qui nous entoure.
Résumons cette première approche de la pensée sociale : malgré
quelques tentatives sans lendemain pour fédérer les modèles d’attribution
de Jones et Davis et de Kelley, on se rend compte que la conception de
Heider est utile pour venir à bout des situations dans lesquelles
l'information est limitée ; que celle de Jones et Davis s’applique plutôt à
la perception des personnes, aux jugements de type “clinique”, ainsi
qu’aux situations fortement structurées et que celle de Kelley s’adapte
optimalement aux cas où l’individu est confronté à un grand nombre de
causes alternatives. Il faut toutefois replacer ces modèles dans le contexte
cognitiviste de l’époque (cf. Hewstone, 1989), contexte dans lequel la
pensée de sens commun était appréhendée sous l’angle d’un traitement
actif de l’information : type d’information, règles de son utilisation pour
déterminer les causes d’un acte, facteurs de variations — internes ou
externes — dans la perception d’un acte, modalités de l'attribution sur le
mode d’une certaine logique. L’individu “statisticien objectif” s'engageait
dans un travail de recherche des invariants attachés à des événements et
actes multiples et diversifiés, et cela pour simplifier, organiser et prévoir ce
qui pouvait se passer dans son environnement quotidien. On regardera
alors plus volontiers ces modèles d’attribution (cf. Read, 1987) comme des
hypothèses très formalisées, centrées sur les mécanismes de sélection et de
traitement, plutôt que sur le contenu des connaissances que l'individu
utilise au titre de savoirs quotidiens.
CHAPITRE XII : PENSÉE SOCIALE ET THÉORIES DE L'ATTRIBUTION 163

2. La “réhabilitation” du social

2.1. Biais et erreurs dans les attributions

L'approche rationaliste des attributions met en scène un individu qui


agit et explique le monde exactement comme le ferait un scientifique en
quête de connaissance. Cependant, la comparaison science/sens commun
tourne rapidement au désavantage du second : certes, l'individu s’efforce
à l’objectivité et emboîte le pas au statisticien pour ses attributions, mais il
est manifeste qu’il commet des erreurs. À vrai dire un grand nombre
d'erreurs, et de nature tellement diversifiée qu’on en viendra plus tard, et
à juste titre, à abandonner cet isomorphisme science/sens commun.
Lorsqu'il ne se base pas sur des préférences personnelles, des habitudes
de pensée ou des besoins immédiats, et que par conséquent il initie un
processus d’attribution, l’individu se conduit en psychologue, sa percep-
tion est pré-scientifique (Heider ; Kelley). Il doit cependant, et cela repré-
sente déjà une tâche ardue, naviguer entre quatre écueils (Kelley) : la
complexité de l’environnement, ses options personnelles, les significations
et répercussions affectives qu’a sur lui un acte donné, et les ambiguïtés de
la situation elle-même. De plus, si le scientifique est capable d’envisager
une régression quasi infinie des causes, le profane arrêtera sa quête “quand
une intention ou un mobile est assigné, qui a la qualité d’être une raison
suffisante” (Jones et Davis, 1965, p. 220). On trouvera alors quelque profit
à le désigner plutôt comme un scientifique intuitif “doué et réussissant
généralement mais dont les tentatives pour comprendre, prédire et
contrôler les événements dans la sphère sociale sont sérieusement
compromises par des raccourcis inférentiels spécifiques” (Nisbett et Ross,
1980, p. 3). De l’avis du scientifique, le profane succombe donc, dans ses
explications, à de nombreuses tentations : utilisation de scénarios acquis et
très généraux (Langer, 1978) ; positionnement de l’acte à expliquer dans
une séquence cohérente et compréhensible, un script (Read, 1987) ;
tendance à l’autovalorisation de ses propres actions (Ross, 1977) ; propen-
sion à considérer que ses propres jugements ou choix comportementaux
sont fréquents, adaptés aux circonstances ou aux exigences de la situation
et non liés à des dispositions personnelles (biais de “faux consensus” ou
d'attribution “égocentrique”, Ross et Anderson, 1982) ; utilisation de
critères de décision limités en nombre (voir les stratégies simples ou
“heuristiques” décrites par Tversky et Kahneman, 1982) ; influence de la
contiguité effet/cause (Kelley et Michela, 1980), croyances quant aux
types de causes susceptibles d’être associés à certains types d'effets
(critère de congruence effet/cause). Kelley (1972) lui-même avait déjà
164 PSYCHOLOGIE SOCIALE

envisagé un cadre général (schéma causal) pour les explications, les


expériences antérieures des individus participant à l’établissement d’une
conception des interactions entre causes pour la production de certains
types d’effets. Mais, par-dessus tout, 1l est une erreur, dite d’ailleurs
fondamentale (Ross, 1977), très largement répandue dans les attributions,
qui consiste à surestimer le poids des causes internes dans l'attribution, ce
qui revient à choisir plus souvent ou plus massivement des causes référées
à l’acteur (voir le chapitre X, Théories implicites de la personnalité, par
Jacques-Philippe Leyens et Jeroen Vaes).
Au-delà des effets sélectionnés et des causes retenues, la capacité du
profane à produire des attributions semble bien dépendre directement de
ses hypothèses comme de ses méthodes d’analyse. La mise au jour de
fonctionnements “biaisés” donne néanmoins accès à une dimension
nouvelle puisqu'il y a réintroduction de l’individu lui-même dans le
processus d’attribution. Certes, cela se pense en termes de dysfonction-
nements, mais le scientifique admet ainsi, en premier lieu, que l’individu
procède à des attributions en utilisant ses expériences antérieures (que l’on
conçoive d’ailleurs celles-ci sur un mode cognitif ou en termes de repré-
sentations et d’engagement idéologique, culturel ou social). En second
lieu, 1l faut convenir que les facteurs expliquant un acte sont choisis en
fonction des préférences de l’individu (acteur ou observateur), de sa
position par rapport à l’acteur (s’il est observateur), et de la signification
que l’acte revêt pour lui. En troisième lieu, l’attribution (c’est-à-dire la
perception d’autrui et l’explication de son action) ne produit pas une
connaissance objective, mais constitue une modalité de sélection de
l'information, d'évaluation et d'organisation de l’environnement social.
Bref, le profane préférera à la “validité de ses inférences” une stratégie de
“légitimité sociale” (Guimelli, 1999, p. 22) basée sur des connaissances
pratiques adaptées à l’acte à expliquer. Science et pensée sociale représen-
teraient par conséquent deux formes de raisonnement distinctes parce que
leur finalité est différente : la science s’attache à la connaissance ultime de
l’ensemble des phénomènes (connaissance du général), le sens commun
cherche à comprendre, interpréter, juger, prédire des actes spécifiques
(étude de cas particuliers). Si le profane se trompe, alors c’est pour ainsi
dire à bon escient puisque cela lui procure une vision satisfaisante de son
environnement et des actes ordinaires, et lui permet de sauvegarder ses
intérêts comme d’atteindre ses propres buts.
CHAPITRE XII : PENSÉE SOCIALE ET THÉORIES DE L'ATTRIBUTION 165

2.2. Explications internes et externes, causes, raisons


et responsabilité

Sur un tout autre plan, le caractère restrictif des premiers modèles s’est
manifesté par le fait que des causes (internes ou externes) ne peuvent
suffire à rendre compte de tout ce qui est évoqué dans une attribution. Le
cadre attributif s’élargira vers d’autres dimensions telles que la stabilité et
le niveau de généralité de ces causes (Weiner, 1974), leur utilité sociale ou
l'implication et l'intérêt de l’individu. Plus largement, une explication qui
veut rendre compte de la réalité sociale et éclairer un acte peut, outre les
causes inclure les raisons (mobiles, buts, objectifs) qui ont motivé l’acteur
(Buss, 1978), ce qui revient à justifier ou rationaliser cet acte en regard des
normes dominantes d’un groupe ou d’une société.
De ce fait, si un observateur impute à l’acteur l’origine de son acte, cela
peut être au titre de sa personnalité (cause interne) ou à celui de ses mobiles,
c’est-à-dire de ses raisons. L'acteur endosse alors la responsabilité de l’acte
(Fauconnet, 1920 ; Heider, 1958). La question de savoir si l’attribution
causale est indispensable à la production d’un jugement de responsabilité
(Fincham et Jaspars, 1983) ou s’il y faut, de surcroît, d’autres conditions
telles que l’intention dictant l’acte ou l’absence de contraintes pesant sur
l’acteur (Heider, 1958) reste en suspens. Toutefois, Devos-Comby et Devos
(2000) montrent que causalité et responsabilité peuvent fonctionner
séparément car ‘les jugements de responsabilité font partie intégrante des
processus de régulation sociale actualisés lorsqu'une norme est enfreinte”
(p.324). Ils ont, par conséquent, la propriété de réguler les comportements
sociaux et de préserver les normes et valeurs en vigueur dans une société.
Ainsi la responsabilité avérée d’un acteur peut-elle, en cas d’actes nuisibles
ou socialement dépréciés (Hart et Honoré, 1959), lui valoir une sanction, ce
qui n’est pas le cas pour la simple causalité.
On peut aussi examiner le raisonnement qui débouche sur une expli-
cation dans sa globalité plutôt que par sa résultante en causes internes ou
externes. Le travail est alors plus complexe mais le résultat plus proche de
la pensée quotidienne. Prenons deux cas en exemple :

a. Le modèle “conversationnel”
Lors d’une conversation entre des personnes désireuses de comprendre
un événement (plutôt négatif d’ailleurs), rechercher une cause revient à
poser la question suivante : “Pourquoi l'événement a-t-il eu lieu dans ces
circonstances plutôt que dans telles autres, où il n'aurait pas eu lieu ?”
(Hilton, 1996, p. 244). Le raisonnement causal débute alors par un diag-
nostic (une évaluation sous incertitude), et se poursuit par une explication
166 PSYCHOLOGIE SOCIALE

à plusieurs voix dès que les interlocuteurs ont acquis une certitude par
rapport aux causes de l’acte ou de l’événement. Le jugement émis est le
produit de l’identification causale et d’une recherche de ce qui s’est passé
dans l'esprit de l’acteur. Pour cela, les individus vont comparer les
caractéristiques du cas étudié avec celles du cas “normal”, l’élément qui
fera la différence ou qui contrastera deviendra cause de l’événement. Dans
ce travail interactif, chacun comblera les lacunes de l’autre à l’aide d’un
nouvel argument. On peut alors soutenir que l’explication est une forme de
conversation, une interaction sociale à part entière, dans laquelle
interviennent celui qui explique et celui qui écoute, ainsi que l’objet dont
il est question. S’y appliquent alors toutes les règles et maximes de la
conversation ordinaire, puisqu'il ne s’agit plus de “parler de quelqu'un”
(formule supposée être celle de l’observateur dans certains modèles
d’attribution) mais de “parler avec quelqu'un” à propos d’un objet social.
Les liens effets/causes s’établissent dans un contact social qui laisse place
aux jugements interpersonnels ou à l’expression des valeurs issues d’une
culture donnée. Les explications qui en résultent sont à la fois simples et
complexes : “complexes parce que les représentations cognitives de la
structure causale sous-jacente à tout événement sont souvent complexes, et
simples parce que nous utilisons des schémas comparatifs implicites et des
règles de conversation pour élire ‘une simple cause’ parmi l'éventail
complexe de conditions” (Hilton, 1996, p. 245).

. b. La conversation comme “modèle” (Antaki, 1988)


Dans un contexte social ordinaire, lorsqu'un individu explique quelque
chose d’important à son interlocuteur, il ne réduit pas son discours à une
seule cause (interne ou externe) mais développe des arguments, des défen-
ses, des justifications, etc. Il produit un ensemble d’éléments cohérent et
articulé basé sur des trames, des arguments ou des ‘“rhétoriques”, c’est-à-
dire des structures causales. Ces explications constituent des totalités
basées sur des liens causaux ancrés dans des croyances personnelles ou
sociales. Elles sont produites pour et avec les autres, servent des fins
relationnelles ou de persuasion. Il s’agit là de la façon dont l’explication
est organisée et Antaki montrera clairement la complexité de ses
agencements. Quant à l’aspect vivant du discours, il est à rechercher du
côté des buts de l’explication elle-même, des raisons, justifications ou
garanties, c’est-à-dire de ce qui déclenche ou motive les attributions. La
tâche du scientifique est ici de travailler à même les discours quotidiens
pour en percer l’organisation ainsi que les tenants et aboutissants. Reste
que l'établissement de telles distinctions nous rapproche des explications
quotidiennes, l'individu ayant un choix plus large et une latitude plus
CHAPITRE XII : PENSÉE SOCIALE ET THÉORIES DE L'ATTRIBUTION : 167

grande dans la production de ses argumentaires qu’il n’en avait pour les
premiers théoriciens de l’attribution.

2.3. Attributions internes et externes : questions de contenu

Le passage de la forme (interne ou externe) des attributions à des conte-


nus différenciés constitue une autre de ces ouvertures. Heider (1958),
Jones et Davis (1965) ou Kelley (1967) donnaient déjà diverses expres-
sions aux attributions internes (intentions, effort, mobiles, affects, croyan-
ces, attitudes, dispositions ou personnalité) et externes (référence à l’acte
lui-même, à ses caractéristiques propres (visibilité ou difficultés de sa
réalisation par exemple), relations acte/auteur, objets de l’environnement
physique). S’y adjoindront par la suite quelques distinctions supplémen-
taires : humeur, états physiologiques, comportements passés, rôle, buts ou
catégories sociales d’appartenance, pour les attributions internes ; chance
ou hasard pour les attributions externes. On trouve, par exemple, dans le
modèle de Weiner (1974) destiné à expliquer certaines formes de renforce-
ments consécutifs à des actes (succès et échecs principalement), deux
types de facteurs internes (capacité de l’individu et effort qu’il fournit dans
son action) et autant de facteurs externes (difficulté de la tâche et chance).
De surcroît, il est concevable que la frontière entre attribution interne et
attribution externe puisse s’effacer, au moins pour trois raisons :
1. certains éléments d’explication peuvent relever conjointement de la
personne et de l’environnement,
2. Le scientifique confond parfois forme (interne ou externe) et contenu
de l’attribution (Ross, 1977). Prenons le cas de notre conversation initiale :
évoquer le fait d’aimer la nature, c’est se référer à une disposition person-
nelle (attribution interne), alors que choisir une habitation parce qu’elle
comporte un vaste jardin représente une attribution externe. Or, pour
posséder une telle demeure il faut aimer la nature, et, inversement, cette
appétence pour la verdure pousse à rechercher une demeure remplissant les
caractéristiques nécessaires à satisfaire de tels goûts. Sous ces énoncés
interne et externe on entend donc la même chose, ou, plus exactement, l’un
ne peut aller sans l’autre. Tout est affaire alors de choix linguistique.
3. L'individu peut aussi, par exemple, faire choix d’une attribution
interne plutôt qu’une externe parce qu’il la juge plus pertinente pour son
interlocuteur, ou bien qu’elle s’adapte mieux à un contexte discursif donné
(Lalljee, 1981). On a donc parfois gagné à adopter une vision de
complémentarité personne/situation en posant que tout acte résulte d’une
interaction entre facteurs internes et externes, entre certaines caractéris-
tiques de l’individu et de la situation (Lalljee, 1981).
168 PSYCHOLOGIE SOCIALE

2.4. Fréquence des activités d’attribution : les actes “déclencheurs”

Si l’on s’attarde dans l’orbite des premiers travaux, l’attribution de


causalité reste la forme dominante de l’activité cognitive individuelle et se
base sur l’analyse causale des occurrences quotidiennes (Heider, 1958). À
cet incessant et fastidieux labeur, certains auteurs ont opposé la rareté de
l’activité explicative, d’autres ont distingué les situations où ce type de
raisonnement a lieu de celles où il ne se produit pas, ce qui revenait à isoler
les types d'événements déclencheurs et la façon dont, en ces occasions,
l'individu traite les informations (nouvelles ou déjà stockées en mémoire).
On a par exemple montré que le cas “normal” (Einhorn et Hogarth, 1986)
provoque un traitement rapide de l’information, fondé sur des procédures
simplifiées telles que les scripts et schémas. C’est la tactique de “l’avare
cognitif” (Hansen, 1980), qui réduit le temps de recherche d’information
lorsqu'il a besoin de répondre rapidement à une question et que les risques
d’erreurs sont limités ou encore qu’une erreur ne prête pas à conséquence
grave (Kruglanski, 1990). Cela inclut, dans une certaine mesure, les
stratégies de sélection d’information en vue de confirmer des hypothèses
préalables ou des croyances sur les êtres humains et le monde extérieur.
Par contre, le “déviant” et l’innovant intriguent ou bousculent des normes
établies. Ils nécessitent par conséquent un raisonnement plus poussé :
explication, justification, recherche de causes, d’excuses ou de respon-
sabilité. Le raisonnement contrefactuel (Orsero-Polidori, 1996) en est une
alternative. Il consiste à annuler mentalement l’acte ou l'événement
dramatique ou différent de ce à quoi on s’attendait pour le confronter à un
acte alternatif “normal” et en isoler les causes : “Supposons qu'un événe-
mentÀ joue le rôle de cause par rapport à l'événement B. Afin de vérifier
cette hypothèse, on peut se demander si B se serait produit en l'absence de
A. De la sorte, si l’on peut imaginer que B se produise en l'absence de À,
alors il n'y a pas de lien causal entre les deux événements. Par contre, si
B disparaît en l'absence de À, nous pouvons faire une inférence causale
entre les deux événements” (Orsero-Polidori, 1996, p. 69). De plus, les
aspects de la situation qui sont les plus faciles à annuler auront un rôle
causal plus important que les autres. Ainsi, les événements négatifs (et
parmi eux les plus hautement probables, c’est-à-dire attendus) plutôt que
les positifs, les inattendus plutôt que les attendus, pousseraient l'individu
au raisonnement causal (Wong et Weiner, 1981).
En matière de causes internes et externes aussi, quelques régularités
sont prévisibles. L’individu préférerait les causes externes pour expliquer
les actes fréquents, accomplis dans des situations très spécifiques par de
nombreuses personnes (Kelley, 1967) ou attendus mais peu dépendants de
CHAPITRE XII : PENSÉE SOCIALE ET THÉORIES DE L'ATTRIBUTION 169

l'acteur lui-même (Lalljee, Watson et White, 1982). Les causes internes


seraient plus fréquemment choisies pour les actes inattendus, spécifiques
ou présents. Mais, les actes, tout comme les renforcements qui leur sont
consécutifs, semblent obéir à une autre logique, qui discrimine les acteurs
des observateurs (Weiner, 1974) : les attributions internes seraient plutôt
sélectionnées pour ses propres succès et actes valorisants et pour les échecs
ou actes dévalorisants d’autrui ; les attributions externes pour ses propres
échecs ou actes dévalorisants et les succès ou actes valorisants d’autrui.
Plusieurs explications à cela : l’acteur possède sur lui-même (actes passés,
récents ou en cours et leurs variations selon les situations) un maximum
d'informations. Le comportement est alors pour lui constant et la situation,
changeante et dynamique, devient plus saillante et débouche sur la sélec-
tion préférentielle de causes externes. L’observateur est sur ce plan infor-
matif plutôt désavantagé. Aussi, les actions dynamiques et changeantes de
l'acteur constituent-elles l’aspect saillant qui lui fera préférer les causes
internes. On constate alors qu’acteur et observateur utilisent différemment
l'information disponible puisque, au centre du champ visuel de l’acteur, se
trouve la situation, tandis que l’acteur représente pour l’observateur le pôle
de focalisation principale. Ce qui est le plus visible obtient donc plus de
poids attributif. Cette hypothèse d’une divergence de perspectives (ou biais
acteur/observateur : Jones et Nisbett, 1972) est toutefois modulée par les
insertions sociales de chacun et infléchie par des facteurs motivationnels
spécifiques.

2.5. Relations interpersonnelles, groupes et société

Les différenciations opérées au niveau des actions (actes, renforce-


ments, occurrences fortuites..), des positions occupées par les individus
(acteur versus observateur), des modalités de traitement de l’information
(scripts, raccourcis, validation d’hypothèses..) ou d'explications (causes,
raisons, structures causales...) animent et transforment de multiples
manières les premiers modèles de la perception quotidienne. Plus large-
ment, elles permettent de “réenvisager le problème de l'attribution, de
l'explication quotidienne, dans le cadre d'une psychosociologie s'intéres-
sant aux relations entre les groupes et non plus, comme ce fut souvent le
cas, dans le cadre de relations inter-individuelles ou intra-groupes”
(Deschamps et Clémence, 1987, p. 126). Cela change considérablement le
point de vue : l’explication d’un acte individuel sera moins redevable des
caractéristiques personnelles de son auteur que des caractéristiques de son
(ses) groupe(s) ou catégorie(s) sociale(s) d'appartenance ; l'attribution
peut s’élargir à l’explication d’actes collectifs ou réalisés au nom d’un
170 PSYCHOLOGIE SOCIALE

groupe et être redevable des rapports que les groupes entretiennent entre
eux. À ce titre, et dans la mesure où catégoriser et répertorier des individus,
des groupes, des objets est avant tout affaire de perception, les travaux
réalisés dans le domaine de la catégorisation sociale sont indispensables
pour comprendre les attributions entre groupes : “Nous vivons dans un
environnement social qui est en constant mouvement. Beaucoup de ce qui
nous arrive est lié aux activités de groupes auxquels nous appartenons ou
non, et les relations changeantes entre ces groupes nécessitent le constant
réajustement de notre compréhension de ce qui arrive et des attributions
causales incessantes sur le pourquoi et le comment des conditions
changeantes de notre vie” (Tajfel, p. 164). On sait ‘que la catégorisation
sociale génère une discrimination évaluative entre son propre groupe et les
autres (ethno ou sociocentrisme). La mise en relation de cet ethnocen-
trisme avec les mécanismes d’attribution dans diverses recherches (pour
une revue voir Hewstone, 1989) a montré que, pour les groupes d’appar-
tenance, les attributions internes apparaissent en cas de succès ou d’acte
valorisant, et les attributions externes en cas d’échec ou d’acte
dévalorisant. Quant aux groupes auxquels on n’adhère pas, les attributions
obtenues sont de nature inverse. Ces résultats recoupent assez exactement
ceux obtenus au niveau des relations interpersonnelles. Pettigrew (1979)
remarquera l’existence d’un analogue de l’erreur fondamentale au niveau
des groupes, qui porte à créditer d’attributions causales internes les actes
des membres d’un autre groupe socialement déprécié ou auquel s’attachent
des stéréotypes négatifs. L’individu voit ici l’origine de l’acte dans une
prédisposition interne, ce qu’il ne ferait pas pour un membre de son propre
groupe. Au niveau des rapports intergroupes, les conséquences de percep-
tions négatives de ce type, basées sur des stéréotypes, peuvent être plus
étendues et plus graves que dans le cadre des relations interpersonnelles.
Par exemple, les causes internes référées à des aspects “génétiques”
peuvent constituer l’une des bases fortes du racisme. Qu'il s'agisse alors
d’actes socialement valorisés ou dévalorisés, ceux-ci seront expliqués de
telle sorte que les individus puissent conserver leurs préjugés envers le
groupe. D'où l’idée qu'il s’agit d’une erreur ultime d’attribution
(Pettigrew, 1979). Dubois et Beauvois (1996) retrouvent cette erreur
ultime chez les bons élèves mais non chez les mauvais et concluent alors
que, au plan des relations intergroupes, les biais d’attribution ne dépendent
nullement de la valeur des explications mais bien des événements ou actes
qui font l’objet d’attributions. Ces biais apparaissent ainsi conditionnés par
la nature même des relations entre les groupes sociaux, et dépendraient
dans une certaine mesure du milieu culturel. On rejoint alors des travaux
récents sur la formation et le fonctionnement des stéréotypes dans les
CHAPITRE XII : PENSÉE SOCIALE ET THÉORIES DE L'ATTRIBUTION 171

jugements sociaux (voir par exemple Leyens, Dardenne, Schadron et


Yzerbyt, 1998 pour un développement sur les théories naïves redevables
des liens causaux que l'individu tisse entre des structures profondes
servant à attester des fondements intrinsèques d’une catégorie sociale).
Ainsi, “En présence du membre d'un autre groupe que le mien, c'est le
caractère général (propre à tous les membres du groupe) de son action que
je percevrai [...] et non sa différenciation ‘personnelle’. De même, c'est à
ce caractère collectif, à son appartenance sociale que j'attribuerai
l’origine de l’acte d’un individu. Enfin, cette dimension de l'acte
‘sociale’
sera alors reliée à des connotations multiples puisant leur source dans une
représentation plus large du groupe en question. Elle sera, par là même,
plus informative qu'une caractéristique purement ‘personnelle'”
(Apfelbaum et Herzlich, 1970-71, p. 975). Il a été montré que, lorsque les
groupes occupent des positions hiérarchiques différentes (voir Deschamps
et Clémence, 1987), les membres du groupe de rang inférieur produiront
davantage d’attributions externes que ceux des groupes de statut plus
élevé. Et il en va de même pour des différenciations sociales telles que le
genre. Entrent donc également dans les attributions, des considérations
plus sociétales que personnelles ou groupales.
À la limite, l’expression attributive redevable à quelque titre que ce soit
de différenciation ou de valeurs peut être considérée comme sociale (cf.
Hewstone, 1989) : soit qu’elle s’inscrive dans un contexte d’interaction
sociale, soit qu’elle utilise des informations de nature sociale, soit encore
que l’acte relève d’une logique d’appartenance groupale puisque accompli
par un individu membre d’un groupe, soit enfin que les attributions elles-
mêmes aient une nature collective parce qu’elles sont partagées par les
membres d’un groupe ou d’une société.
Ces considérations peuvent permettre de réviser les conceptions en
matière de biais ou d’erreurs repérés dans les attributions interperson-
nelles : plutôt que de croyances erronées ou de raccourcis inférentiels, on
parlera de mécanismes de jugement en rapport avec la dynamique des
relations interpersonnelles et intergroupes. Par exemple, un individu peut
omettre certaines formes d’explication (Lalljee, 1981) lorsque l’acte
concerne tel ou tel groupe, ce qui est le cas dans l’erreur d’attribution
ultime. Il faut alors admettre que chacun dispose, pour un même événe-
ment, d’un grand nombre d’explications alternatives. Que l'explication
formulée relève d’une causalité (interne/externe), d’une recherche de
responsabilité, de justifications ou de dispositions collectives, importe
alors moins que de savoir à qui elle s’adresse, de connaître le contexte
spécifique des relations entre les groupes en présence et de savoir ce qu'il
en est de l’acceptabilité sociale de l’argumentaire proposé. Par ailleurs, il
172 PSYCHOLOGIE SOCIALE

est admis que ces croyances “fausses”, ainsi que les assomptions sur
lesquelles reposent les explications (Antaki et Fielding, 1981), sont
souvent partagées par de nombreux membres d’un groupe ou d’une
société, ce qui porte à penser que toute société dispose de ses propres types
d'explications (cf. la revue de travaux produite par Hewstone, 1989) ou en
valorise certains types plutôt que d’autres. L'attribution devient alors un
“traitement socialisé” (Augoustinos, 1990, p. 50) de l’information, qui
repose davantage sur des croyances sociales et sur la position des groupes
dans la société que sur des raisonnements causaux abstraits. C’est dire ni
plus ni moins que les attributions “sociales” s’appuient sur des mécanis-
mes de catégorisation, servent les objectifs du ou des groupes d’apparte-
nance, sont créées ou renforcées par l’interaction sociale entre les
membres d’un groupe, et permettent de maintenir l'identité sociale du
groupe d’appartenance comme celle des autres groupes.
Notons enfin qu’observer des actes et leurs effets (ou des événements),
sélectionner des informations ou énoncer des causes, cela revient à
élaborer et mettre en scène une représentation de quelque chose et de
quelqu'un (individu ou groupe). L'analyse des structures causales sociale-
ment partagées permettrait par conséquent d’atteindre le niveau des
représentations sociales, si l’on admet, avec Moscovici (1984b, p. 51), que
“.. la causalité n'existe pas en soi mais seulement à l'intérieur d'une
représentation qui la soutient”. On en vient alors à différencier (Moscovici
et Hewstone, 1984, p. 558) de manière radicale un mode de pensée
scientifique ou “pensée informative”, en quête d’un savoir objectif et
rationnel, et un mode de pensée social ou “pensée représentative”, guidée
par des considérations relatives aux relations. sociales et aux valeurs
collectives.

3. Conclusion

Nous nous trouvons maintenant en position de mieux comprendre notre


conversation initiale à la lumière des théories développées à partir de
l'explication quotidienne. L’acte à venir (déménagement) reçoit, de la part
de son auteur, un certain nombre d'explications causales externes au
contenu diversifié (appartement trop exigu, opportunité exceptionnelle,
caractéristiques du futur logement, référence à l'influence de tiers amis)
qui fait état, tour à tour, de l’existant, du futur, de la chance et des autres
(groupe d’appartenance commun). La nostalgie de la demeure familiale
d’origine, évoquée par ce même acteur, confronte le scientifique à un
certain nombre de possibles. S’il extrait cette cause du contexte
CHAPITRE XII : PENSÉE SOCIALE ET THÉORIES DE L'ATTRIBUTION 173

conversationnel dans lequel elle prend place, il devra se livrer lui-même à


des inférences sur ce que l’acteur veut signifier : la nostalgie d’un lieu est-
elle un trait de personnalité, une disposition, le souvenir d’un vécu, c’est-
à-dire une causalité interne ? Mais qui, de la disposition ou du cadre
familial initial, ferait, pour Jones et Davis (1965) ou Kelley (1967), le
meilleur candidat causal pour une attribution objective, parce que repré-
sentant une caractéristique stable ?
Les précisions (ou inférences personnelles) apportées par le second
protagoniste permettent, en outre, d'imaginer un lieu familial campagnard
ou du moins verdoyant, ce qui alors rejoindrait — ou expliquerait pour
partie — le côté (la disposition) “écolo” de notre acheteur d’un lieu destiné
à satisfaire cette disposition personnelle. La circularité d’un tel raison-
nement ne peut échapper, mais l’apport conjoint de ces deux informations
semble forcément plus heuristique que la seule causalité interne ou
externe. Reste la concomitance “appartement étroit/chance qui se
présente” : les deux causes externes agissent-elles vraiment en synergie, ou
s’agit-1l d’une reconstruction a posteriori destinée à justifier, aux yeux de
l'interlocuteur sceptique, un acte mis en doute, ou encore de raisons
éclairant l’acte lui-même ?
Mais laissons là ces subtilités que des bribes de conversations ne
permettent guère de débrouiller au moyen d’un raisonnement logique et
formel, alors que, fondamentalement, elles suffisent au profane pour
émettre des jugements et se faire une idée correcte de la situation.
Penchons-nous pour finir sur le discours de l’observateur : plus simple et
plus radical que celui de l’acteur, il se déroule manifestement sur le mode
de la causalité interne et dessine le portrait d’un individu constant dans sa
volonté d’accéder à la propriété, porteur de traits de personnalité simples
et tenté par un certain embourgeoisement. Manifestement, de telles attribu-
tions pourraient correspondre à la démarche du statisticien intuitif de Jones
et Davis (1965), n’était le léger persiflage ou la pointe de provocation que
l’on peut déceler sans peine dans ce discours. Ce dernier accrédite l’idée
d’une sélection d’informations d’une autre nature que celles proposées par
l’acteur, mais en rapport avec les relations antérieures existant entre nos
protagonistes, ou visant à confirmer des hypothèses préalables relative-
ment aux dispositions personnelles de ce même acteur. Si nous assumons
le rôle du scientifique, il faut bien admettre que nous nous éloignons de la
recherche de critères objectifs et stables pour nous borner à émettre
quelques suppositions.
En réalité, notre conversation gagnerait à être versée au domaine des
recherches relatives au jugement social. Celui-ci peut englober les
processus d’attribution, mais n’est pas rendu en totalité par eux dans la
174 PSYCHOLOGIE SOCIALE

mesure où il “s’inscrit dans des interactions sociales dont 1l fait partie, et à


l'efficience desquelles il contribue” (Leyens, Dardenne, Schadron et
Yzerbyt, 1998, p. 379). Ainsi, dans les règles du fonctionnement de ce que
l’on nomme la “jugeabilité sociale” (id.) n’entre pas au premier chef la
recherche des causes fondamentales qui poussent l’acteur à agir (“la
perception sociale est fondamentalement indéterminée”, 1d.), mais bien
plutôt des critères de validité sociale (“Autrui sera ce qu'il dit qu'il est ou
ce que les gens disent qu'il est”, id.) tels qu’une confiance fondamentale
de l’individu en ses propres jugements, émis à partir de ce qui semble
manifeste pour tous, de ce qui lui permet de maintenir son identité person-
nelle et sociale, et qui, pour finir, ne contrevient pas aux normes culturelles
en vigueur dans notre société. Et c’est bien plutôt dans un tel cadre que les
processus d’attribution doivent à l’avenir être compris et analysés.
CHAPITRE XIII

“Nous” et “Eux” : Quelques interrogations


Sur la catégorisation et l'identité sociales
Nadège SOUBIALE

“En tout cas, j'ai compris qu'on doit absolument appartenir à quelque chose,
si on ne veut pas se sentir la cinquième roue du carrosse. La Loge P2 est
dissoute, l'Opus Dei manque tellement de discrétion que votre nom finit par
courir sur toutes les lèvres. J'ai choisi la Société Italienne de la Flûte à Bec.
Authentique, Ancienne, Admirable et Acceptée. Unique.”
Umberto Eco, Comment voyager avec un saumon, 1997.

Pour autant qu’elle puisse amuser Umberto Eco, la question de nos


appärtenances sociales et de leur résonance psychologique connaît une
certaine pérennité en psychologie sociale. Le besoin d’appartenance et le
sentiment d'identité inhérent à l’appartenance groupale constituent en effet
désormais un des postulats de base dans un domaine classique de la
psychologie sociale : celui des relations intergroupes. Sans reprendre
l'historique de la notion de groupe dans cette discipline, nous pouvons
partir d’un constat d’évidence concernant la façon dont les chercheurs ont
posé ce problème dans la période contemporaine : l'explosion du cogniti-
visme des années 1970 a introduit une rupture radicale avec les concep-
tions du groupe jusqu'alors prédominantes.
Pour introduire les choses de façon simplifiée, nous pouvons débuter
par quelques observations de sens commun : nous appartenons tous à des
groupes, dont certains, que nous n’avons pas choisis au départ, déter-
mineront néanmoins en grande partie nos insertions sociales futures,
certains de nos modes de pensée, et de nos rapports avec autrui et avec les
membres d’autres groupes. Il suffit, pour s’en convaincre, d'observer tout
simplement la composition de notre environnement social : l'endroit du
monde où nous naissons, la classe sociale dont nous sommes issus, notre
176 PSYCHOLOGIE SOCIALE

genre (homme ou femme), etc., sont des données incontournables dont


nous nous accommodons bon gré, mal gré, mais avec lesquelles nous
devons faire tout au long de notre existence. C’est aux conséquences
psychologiques de ces appartenances “de fait” que nous nous intéresserons
plus particulièrement dans ce chapitre. Parmi ces conséquences, la discri-
mination à l’égard des membres de hors-groupes, associée à une préfé-
rence et à un favoritisme des membres de l’endogroupe (qu’on désigne
actuellement sous le terme de biais pro-endogroupe), est sans doute l’une
de celles qui a le plus particulièrement focalisé l’attention des chercheurs
en psychologie sociale depuis maintenant une quarantaine d’années. Cette
conséquence, la discrimination des “Autres” — ceux qui ne font pas partie
du “Nous” —, est néanmoins un objet susceptible de susciter des
polémiques et prises de position lorsqu’est posée la question : quelle(s) est
(sont) la (les) cause(s) de ce phénomène ? Certains verront dans l’existence
même du découpage de l’environnement et dans les représentations
catégorielles qu’il induit l’origine suffisante et déterminante qui conduit au
rejet du hors-groupe. D’autres retiendront davantage comme facteur
explicatif des rivalités entre groupes les inégalités qui sous-tendent ce
découpage, inégalités dans l’accès à certaines ressources matérielles et/ou
symboliques (à l’argent, au statut social, et au prestige qu’il confèrent à
ceux qui les possèdent...). Nous avons ici introduit une première ligne
importante de divergences entre chercheurs, qui différencie une conception
privilégiant la dimension symbolique de l’appartenance groupale d’une
conception mettant au premier plan l’incidence des réalités matérielles sur
les rivalités intergroupes.
Nous verrons qu’une conception cognitive du groupe s’est progres-
sivement affirmée aux côtés d’autres modèles postulant, soit la nécessité
d’une interaction réelle entre les membres du groupe, soit l'importance des
réalités matérielles sur les représentations intergroupes. Cette conception
cognitive a impulsé tout un courant de pensée sur le groupe comme réalité
symbolique tout autant que comme réalité matérielle. Dans ce chapitre,
sont proposés une relecture (rapide) et un questionnement des postulats de
base de cette conception désormais dominante dans le champs des rapports
intergroupes.

1. Le groupe comme catégorie


Au début des années 1970, un Anglais, Tajfel, fait référence au groupe
comme à une “entité cognitive”. Cette acception vient contredire, d’une
part, la notion d’interdépendance chère à Lewin (1948 ; voir plus récem-
CHAPITRE XIII : “NOUS” ET “EUX" : QUELQUES INTERROGATIONS... 177

ment la conception lewinienne du groupe de Rabbie et Horwitz, 1988), et


d'autre part, la théorie des conflits objectifs d’intérêts (Realistic Group
Conflict de Sherif, 1966). Rappelons que, pour Lewin et ses successeurs,
il n’y a pas de groupe sans interactions concrètes entre individus, rendues
nécessaires à l’accomplissement de buts communs, eux-mêmes ciment de
la vie sociale. Quant à Sherif, son postulat de base concerne les relations
fonctionnelles entre les groupes sociaux, et prédit que le conflit réel des
intérêts du groupe est le déterminant essentiel du conflit intergroupes.
Quelques années plus tard, la mise en évidence par Tajfel et al. (1971) de
déterminants minimaux — tels que la catégorisation sociale — dans
l'apparition de comportements discriminatoires à l’égard de hors-groupes va
impulser un nouveau courant de pensée dans l’approche des phénomènes de
groupe. C’est en 1981 que Tajfel et Turner vont proposer une analyse des
relations intergroupes et du conflit social dont l’hypothèse fondamentale est
que les individus cherchent à maintenir ou à acquérir une identité sociale
positive en comparant leur groupe d’appartenance avec des hors-groupes de
manière à ce que cette comparaison joue en faveur de leur propre groupe.
Les points de désaccord entre la théorie de Sherif et celle développée par
Tajfel et Turner ont trait au statut qu’ils accordent à la notion d’identifi-
cation au groupe. Sherif n’abordait l’identité que comme une conséquence,
du reste minime et de peu d’intérêt, des conflits réels entre groupes et
étroitement liée à la cohésion et à la coopération intragroupes. Les théories
liant comparaison, catégorisation et identité sociale (Tajfel, 1972 ; Tajfel et
Turner, 1979 ; 1986b) considèrent par contre l'identification comme une
variable explicative des phénomènes de discrimination intergroupes et
d’ethnocentrisme. La conception du conflit intergroupe que développent
ces auteurs reflète et résulte de leur vision du groupe comme entité
cognitive. Les études qu’ils vont engager dans le domaine de la catégori-
sation et de l’identité sociales ne requièrent donc pas une interaction réelle,
effective entre les groupes ; les relations entre, d’une part, l'individu et son
groupe et entre, d’autre part, les groupes mêmes se référant à une dimension
beaucoup plus “symbolique”.
La notion désormais célèbre de “Paradigme du Groupe Minimal”
(Tajfel, Flament, Billig et Bundy, 1971) réduit alors à sa plus simple
expression l’origine de l’hostilité entre les groupes : le simple fait de
répartir des personnes en groupes distincts affecte profondément le
comportement de ces dernières à l’égard du groupe auquel elles n’appar-
tiennent pas. Dans cette optique, les conflits que se livrent les groupes — et
dont la discrimination de l’exogroupe et le biais pro endogroupe sont
l'expression concrète — résultent tout autant de réalités symboliques que de
réalités matérielles.
178 PSYCHOLOGIE SOCIALE

2. L'hypothèse motivationnelle
Contrairement à la théorie des conflits réels d’intérêts, Tajfel défend
l’idée que les gens luttent tout autant pour acquérir et préserver des
ressources symboliques que des ressources matérielles. De cette position
découlera la Théorie de l’Identité Sociale (Tajfel et Turner, 1979 : 1986b),
l'identité constituant le pendant motivationnel et émotionnel de l’appar-
tenance au groupe (Tajfel, 1972). On retrouve dans ce modèle interaction-
niste et finaliste les propositions de Festinger (1954) sur la comparaison
sociale. Festinger considérait la comparaison avec autrui comme un
principe fondamental de l’activité psychique : elle permet de réduire l’état
d'incertitude — source de déséquilibre — dans lequel nous nous trouvons
quant à nos croyances, opinions, attitudes, représentations... Il convient
d’ajouter que la comparaison s’effectue presque toujours selon des moda-
lités qui permettent d’assurer la satisfaction d’un autre besoin psychique
fondamental : le besoin d’auto-évaluation positive. Ce sont ces principes
que Tajfel a transposés au fonctionnement des groupes : via la
comparaison entre endo et exogroupes, le favoritisme pro endogroupe
fournit à l’individu une identité positive. La discrimination de l’exogroupe
suit la même logique : elle confère aux membres de l’endogroupe une
position supérieure à celle des membres de l’exogroupe, et assure par là
même l’acquisition ou le maintien d’une identité positive. L'introduction
de cette hypothèse motivationnelle dans le modèle du PGM ne conduit pas
pour autant Tajfel à abandonner l’idée que la catégorisation sociale — c’est-
à-dire la représentation d’un environnement social scindé en “Eux” et en
“Nous” — est génétiquement première dans l’apparition du conflit et de
l'hostilité intergroupe. Dans sa modélisation de la théorie de l’identité, la
TIS, Tajfel émet l’hypothèse que certaines de nos appartenances, dans
certains contextes, peuvent contribuer en partie à la façon dont nous nous
définissons : “La question de la définition de soi d'un individu dans un
contexte social peut être restituée en termes d'identité sociale. Nous
devons postuler que, au moins dans nos types de société, l'individu
s'efforce d'acquérir un concept ou une image de lui-même satisfaisant(e)”
(Tajfel, 1981a, p. 254).

3. Quelques perspectives critiques


Bien qu’encore largement dominantes et remarquablement fécondes
sur les plans théorique et expérimental dans le domaine des relations
intergroupes, la Théorie de l’Identité Sociale, combinant cognitivisme et
CHAPITRE XIII : “NOUS” ET “EUX" : QUELQUES INTERROGATIONS... 179

interactionnisme symbolique, fait l’objet de critiques, tout autant de la part


des lewiniens que de celle des tenants du RCT de Sherif. Est princi-
palement incriminé son déterminisme psychologisant, mettant l’accent sur
la généralité, voire l’universalité du processus de catégorisation. L’avan-
tage d’une telle conception, affirmaient pourtant Tajfel et Turner, est
qu'elle est très inclusive et s'applique à toutes sortes de phénomènes de
groupes (influence sociale ; discrimination ; comportement des foules...).
Pour les détracteurs de la théorie de l’identité sociale, cette caractéristique
constitue Justement un de ses principaux points faibles: est-ce que les
réalités extrêmement diverses dont elle prétend rendre compte ont quelque
chose à voir les unes avec les autres ?
Pour les lewiniens (cf. Rabbie et Horwitz, 1988 : Rabbie, Schot, et
Visser, 1989), cette conception du groupe est purement individualiste et
évacue totalement la spécificité du “social” (on y traite des groupes d’indi-
vidus comme de n’importe quelle autre catégorie “d’objets” : naturels,
fabriqués, animaux, plantes, etc.). Pour les chercheurs plus proches du
modèle des conflits objectifs d’intérêt, les théoriciens de l'identité
substituent les représentations de la réalité à la réalité elle-même et en
viennent à oublier les contingences matérielles qui déterminent pour une
large part les relations intergroupes (rapports réels de pouvoir et de
domination, répartition de ressources entre les groupes...).
D’autres points de la théorie de l’identité sociale et de ses prolonge-
ments récents dans la théorie de l’auto-catégorisation (Self-Categorization
Theory, SCT ; pour une discussion récente de ce modèle, se reporter à
Turner et Onorato, 1999) ont fait également l’objet de controverses :
l'hypothèse d’une discontinuité entre identité personnelle et identité
collective en particulier, centrale dans les modèles de l’identité sociale et
de l’auto-catégorisation, a été remise en cause par plusieurs auteurs. Parmi
ces derniers, certains opposent au postulat d’antagonisme entre identité
individuelle et identité collective l’idée d’une articulation de ces deux
composantes (se référer par exemple au modèle de la covariation des
ressemblances et des différences à l’intérieur et entre les groupes ; cf.
Deschamps, 1982 ; Deschamps et Lorenzi-Cioldi, 1981). D’autres encore
récusent l’idée que des processus cognitifs très généraux, universels, soient
à l’origine de la façon dont nous nous définissons sur les pôles individuel
et collectif. Ainsi certains affirment que l’expression individuelle ou
collective de la définition de soi des individus obéit à des déterminants
sociaux, tels que l’asymétrie de positions et de pouvoir entre les groupes
(nous renvoyons ici aux études sur les différences d'identité entre
dominants et dominés, cf. Lorenzi-Cioldi, 1988 ; Lorenzi-Cioldi et Doise,
1994 : concernant les différences de genre) ; ou encore tels que les normes
180 PSYCHOLOGIE SOCIALE

sociétales qui régissent le comportement des gens. Pour schématiser, ce


courant, largement inspiré de l’anthropologie sociale et culturelle, oppose
une conception occidentale de la personne qui définit celle-ci comme
individu autonome, à une conception orientale qui définit la personne en
fonction de la place qu’elle occupe au sein de la société et des groupes qui
la composent. S’agissant de la dimension individuelle de l’identité propre
aux sociétés occidentales, Goffman (1963) s’y réfère explicitement comme
à une norme d'identité personnelle. En dépit de l’importance de ces
polémiques pour l’avancée de la recherche en ce domaine, nous préférons
continuer la discussion sur quelques propositions axiomatiques à l’origine
du modèle liant catégorisation, comparaison et identité sociales. Nous
relèverons un certain nombre de points qui peuvent apparaître troublants.
Ainsi, à la relecture de quelques propositions métathéoriques de Tajfel,
nous retiendrons en particulier celui-ci : comment peut on affirmer que les
structures sociales et idéologiques régulent les appartenances groupales du
sujet et les rapports intercatégoriels, en posant simultanément que ces
derniers émanent de processus cognitifs et de besoins psychologiques
fondamentaux ?
On peut également partir d’une observation élémentaire, voire naïve :
bien que l’existence de catégories d’appartenance et de non-appartenance,
de “Nous” et de “Eux”, caractérise toutes les sociétés humaines, les
conflits apparaissent souvent comme des états transitoires de leur histoire
(ceci quelle qu’en soit leur durée) et non comme des états permanents.
Cette simple évidence incite à penser que la seule évocation d’entités
catégorielles abstraites est un piètre déterminant des conflits entre groupes.
Comment un phénomène psychologique aussi. désincarné suffirait-il à
occasionner des réalités aussi tangibles que l’hostilité et la discrimination ?

4, Symbolisme et matérialisme
Hogg et Abrams résument de manière concise le projet théorique
poursuivi par Tajfel et Turner lorsqu'ils disent que “la TIS explore les
processus psychologiques impliqués dans la transformation des catégories
sociales en groupes humains” (1988, p. 17). Cette formulation traduit
assez fidèlement une des idées centrales des théoriciens de la TIS On peut
la comprendre de la façon suivante : avant d’être une réalité concrète, le
groupe est une “réalité psychologique”. Tajfel avait néanmoins initiale-
ment pour projet de s’intéresser aux conséquences psychologiques de nos
appartenances “de fait” (celles que l’on ne choisit pas, qu’on endosse à la
naissance : appartenance de genre ; nationalité...). Précisons alors le statut
CHAPITRE XIII : “NOUS” ET “EUX” : QUELQUES INTERROGATIONS... 181

que l’auteur assignait aux processus psychologiques qui “transforment les


catégories sociales en groupes humains” : il affirmait de sa théorie du
conflit social qu’elle situait “l’origine du conflit et de la stabilité sociale
dans les relations entre individus marqués par leur appartenance
groupale, et non dans des processus intra individuels et interpersonnels.
Ces processus n'étant évoqués qu'en tant qu'ils relèvent de représen-
tations cognitivo-évaluatives de la structure sociale et des systèmes de
croyances idéologiques, ou, pour le dire autrement, d'une interaction
dynamique entre les processus psychologiques et le contexte social”
(Tajfel, 1979, p. 183). Nous pourrions conclure sur cette citation et consi-
dérer qu’elle répond précisément à la question de l’articulation des niveaux
d'analyse cognitif, groupal et idéologique. Cette conclusion hâtive
n’évacuerait en rien un épineux problème : comment se construisent “les
représentations cognitivo-évaluatives” dont parlait Tajfel et en quoi
relèvent-elles d’une “interaction entre processus psychologiques et
contexte social” ? On peut répondre, comme Tajfel, que, d’une part, l’acti-
vité de catégorisation ne s’effectue pas dans un “vide social”, mais qu’elle
porte sur de l’information construite socialement, et que, d’autre part, la
catégorisation est “sociale” parce que, loin d’être purement et simplement
adaptative, elle sert avant tout à déterminer ce que sont les gens. Nature de
l’objet sur lequel s’exerce le raisonnement et fonction “sociale” des
processus cognitifs au travers des interactions entre individus constituent
les deux éléments clés d’une telle conception. Si elle a prévalu longtemps
et continue à exercer une influence en psychologie sociale, force est
d'admettre avec certains auteurs que cette vision assigne au sujet un statut
particulier : non seulement c’est un sujet de connaissance plus qu’un sujet
d’action, mais aussi et surtout un sujet individuel de connaissance plus
qu’un sujet collectif (cf. Deschamps et Beauvois, 1996 ; Beauvois, 1997,
pour une critique de cette approche de la cognition sociale). De ce fait, les
rapports “symboliques” entre le sujet et son groupe, et entre les groupes
décrits comme des “entités cognitives”, semblent échapper à certaines
réalités matérielles, tels les rapports de pouvoir (ouvrier/patrons par
exemple). Ceux-ci sont pourtant constitutifs de la plupart de nos apparte-
nances et déterminent pour une large part, selon Beauvois (1997), notre
identité sociale. Nous débouchons là sur un véritable point de rupture entre
deux conceptions antagonistes : dans la perspective des rapports inter-
groupes, le conflit apparaît comme une caractéristique intrinsèque à la
société et aux groupes qui la composent ; dans la perspective des rapports
sociaux, le conflit résulte d’inégalités sociales concrètes, elles-mêmes
produites par un système politique. Cette vision marxiste n’était pourtant
pas absente des préoccupations métathéoriques initiales de Tajfel, comme
182 PSYCHOLOGIE SOCIALE

le rappellent Leyens, Yzerbyt et Schadron (1996 ; voir p. 85). Ceci peut


sans doute expliquer pourquoi l’auteur tenait tout particulièrement à
défendre l’idée que les - découpages catégoriels existant dans
l’environnement social — “Nous” et “Eux” — sont les déterminants
primordiaux des représentations et des comportements intergroupes. Cette
idée princeps apparaît cependant mal assortie aux postulats cognitifs du
traitement de l’information et à l’hypothèse motivationnelle du besoin
d’identité positive, et on peut légitimement s’interroger sur la compatibilité
entre ces deux options théoriques.
C’est en relisant il y a peu un livre culte sur la colonisation en Algérie
— que certains considéreront peut-être comme un peu démodé et inactuel —
Les damnés de la terre, que j'ai trouvé dans les propos de l’auteur, Frantz
Fanon, une illustration des déterminations réciproques entre logique
catégorielle — sous sa forme paroxystique — et système politique de
domination. Ces quelques lignes empruntées à Fanon nous tiendront égale-
ment lieu de conlusion : “L'originalité du contexte colonial, c'est que les
réalités économiques, les inégalités, l’énorme différence des modes de vie,
ne parviennent jamais à masquer les réalités humaines. Quand on aperçoit
dans son immédiateté le contexte colonial, il est patent que ce qui morcelle
le monde c'est d’abord le fait d'appartenir à telle espèce, à telle race. Aux
colonies, l'infrastructure économique est également une superstructure.
La cause est conséquence : on est riche parce que blanc, on est blanc
parce que riche. C'est pourquoi les analyses marxistes doivent être tou-
jours légèrement distendues chaque fois qu'on aborde le problème colo-
nial [...]. Ce ne sont ni les usines, ni les propriétés, ni le compte en banque
qui caractérisent d’abord la ‘classe dirigeante’. L'espèce dirigeante est
d'abord celle qui vient d’ailleurs, celle qui ne ressemble pas aux
autochtones, ‘les autres’” (Fanon, 1961, pp. 70-71).
TROISIÈME PARTIE

Sommes-nous tous influençables ?


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CHAPITRE XIV

Persuasion et résistance à la persuasion


Fabien GIRANDOLA

21 octobre 1960, dernier des quatre débats télévisés opposant le sénateur John
Kennedy au vice-président des États-Unis Richard Nixon dans la course à la
Maison-Blanche. L'institut de sondage Gallup les donne à égalité : 49,9 %
d'intention de vote pour chacun. Ce débat va décider du scrutin début
novembre. Au final, Kennedy gagne l'élection présidentielle avec 118 000 voix
d'avance sur son adversaire. À quoi attribuer cette victoire ? De l'avis des
analystes, c’est la prestation des candidats, plus que leur discours, qui a été
en réalité déterminante. Nixon est apparu épuisé par une longue campagne
électorale, pas vraiment sûr de ses réponses, contraint de justifier les actes de
sa vice-présidence, et surtout ne possédant pas autant d'attrait ou de séduction
que son adversaire. Autant de faiblesses qui peuvent expliquer son manque de
persuasion. Le débat politique n'est pas un concours de beauté, mais la
séduction exercée par Kennedy sur les téléspectateurs contribua à sa victoire.
Hellweg, Pfau et Brydon, 1992.

Quelles sont les variables susceptibles de persuader ? Quels modèles ren-


dent compte de la dynamique persuasive ? Dans quelles circonstances un
public se laisse plus influencer par l’apparence d’un individu que par son
discours ? Comment expliquer la résistance à la persuasion ? Autant d’interro-
gations qui font objet de recherches dans le domaine de la persuasion.

1. Les variables de la persuasion


“Qui dit quoi, à qui, comment, et avec quels effets ?” : c’est notamment
à partir de cette question que se sont structurées les études expérimentales
sur la communication persuasive. Une persuasion efficace (quels effets sur
186 PSYCHOLOGIE SOCIALE

les attitudes et/ou comportements ?) serait dépendante des variables source


(qui ?), message (quoi ?), public (à qui), canal emprunté, et de leurs inter-
actions. Le tableau 1 présente ces quatre variables et, pour chacune d’entre
elles, les paramètres étudiés depuis maintenant une cinquantaine d'années.
Ces paramètres font, pour la plupart (cf. crédibilité de la source, humeur
du public, contexte de distraction, de peur), objet d’un champ de recherche
à part entière.

La source Le message Le public Le contexte


Appréciation, attrait, Contenu : apports de preuves et/ou Engagement individuel / groupal Ambiance (couleur,
beauté physique, de témoignages, arguments musique, odeur)
maturité faciale émotionnels/ rationnels, Force de l'attitude et quelques-
efficaces/non-efficaces,humour, peur unes de ses composantes :
Agencement du
Comportement non- (cf. Girandola, 2000), qualité de accessibilité, connaissance a
mobilier
verbal (e.g. intonation, l'argumentation (forte vs.faible), pron, ambivalence, intérêt direct
pause, regard, sourire, mixité de l'argumentation (arguments (Petty et Krosnick, 1995).
mouvement faibles et forts), menace physique ou Anticipation d'une
de tête, visage à sociale, narration/ utilisation de Genre, âge, facteurs culturels discussion
apparence heureuse, statistiques et graphiques,
gestes, distance à recommandations, vivant (cf. dessin, Groupe d'appartenance
autrui, orientation et Avertissement : de la
photo) ordinaire position défendue, de
posture du corps, Humeur (positive, neutre,
toucher) négative), affect l'intention de
Divergence par rapport à l'attitude
persuader
initiale des individus
Crédibilité : expertise Implication faible/forte
et confiance
Exposition infra et supraliminaire Débat, discussion de
(Channouf et Pichevin, 1998) Personnalité/motivation/habileté : groupe
Débit de parole auto-efficacité (croyance des
Fragments linguistiques (Ghiglione et individus dans leur capacité à
Genre, ethnie, âge, Disposition des
Trognon, 1993) adopter.….), autoritarisme,
facteurs culturels débateurs
intelligence, besoin de clôture,
“Langage” : clarté, besoin de cognition, besoin de
Honnêteté
évaluatif/descriptif, style, intensité, contre-argumenter, besoin de Distraction
phrases familières formelles, comparaison sociale, croyance
Intra-groupe/hors-
utilisation de métaphore, puissance en un monde juste, dogmatisme,
groupe Influence normative
(absence d'hésitation, de pause, de esprit ouvert/esprit fermé, estime
Majoritaire/minoritaire questions) référencement (par de soi, interne/ externe,
(cf. Pérez et Mugny, rapport à soi / à autrui), syntaxe incertain/certain, machiavélisme, Négociation
1993) monitorage ou contrôle
Organisation : cadrage positif comportemental de soi, Non confirmation des
Nombre de sources (avantages à adopter.….)/négatif motivation à se protéger d'un
(inconvénients à ne pas adopter), attentes, surprise
danger, optimisme non réaliste/
Pouvoir : contrôle des conclusion implicite/explicite, impact réaliste, prise en compte des
sanctions des arguments selon leur ordre : conséquences à venir, Répétition du
effets de primauté (impact de ceux raisonnement contrefactuel, message
Similarité avec la placés premien/récence (impact de recherche de sensations,
Source ceux placés dernier), questions Saillance de la conscience de soi, Simple exposition au
rhétoriques (poser et répondre aux volontariat, structure du soi
message
Sleeper effect questions), unilatérale (soit pour soit
(cf. Bromberg et contre)/bilatérale (pour-contre ou Responsable de l'évaluation du
Dubois, 1996) contre-pour) message, rendre des comptes Stimulus éveillant la
conscience de soi
Statut Support (audio, écrit, vidéo) Structure de l'attitude (i.e. un miroir)

Tableau 1 : Variables et :" ‘cipaux paramètres étudiés en persuasion.


CHAPITRE XIV : PERSUASION ET RÉSISTANCE À LA PERSUASION 187

2. Les modèles à deux voies de la persuasion


2.1. Le modèle de la probabilité d'élaboration (“Élaboration Likelihood
Model” ou ELM) de Petty et Cacioppo

Le modèle ELM est une approche à la fois cognitive et motivationnelle


de la persuasion. Ce modèle doit beaucoup à la théorie de la réponse
cognitive de Greenwald (1968) selon laquelle l’impact d’une argumen-
tation persuasive est déterminé par les pensées ou réflexions produites
faisant suite à la lecture d’un message. Petty et Cacioppo (1986) ont
montré que des individus exposés à des arguments à visée persuasive peu-
vent se former, modifier ou changer une attitude en empruntant soit la voie
centrale du traitement de l’information soit la voie périphérique soit encore
les deux à la fois.
L’emprunt de la voie centrale conduit les individus à traiter ou consi-
dérer soigneusement et quasi objectivement chaque argument contenu
dans le message (cet argument est-il valable ? Est-ce que je le prends en
compte ?) et, par conséquent, nécessite un certain effort cognitif. À la
lecture attentive de l’argumentation persuasive, les individus produiraient
des pensées favorables ou défavorables ou bien encore neutres (les répon-
ses cognitives) qui, à leur tour, détermineraient l’ampleur du changement
d’attitude. L’emprunt de la voie périphérique consiste à traiter ou consi-
dérer superficiellement les arguments persuasifs et demande peu d’effort
cognitif. Le changement d’attitude est ici le résultat de la présence d’indi-
ces périphériques au message comme, par exemple, la présence d’une
source crédible (Quel est l’auteur du message ? Est-il crédible ? Puis-je lui
faire confiance ?) ou séduisante (Kennedy est plus séduisant que Nixon).
L’emprunt d’une voie plutôt que l’autre est déterminé par le-degré de
motivation et d’habileté des individus à traiter ou évaluer les arguments
persuasifs. Parmi les différentes variables ayant un impact sur la
motivation, la pertinence personnelle (ou implication) est une des plus
importantes. Dans sa définition la plus simple, il y a pertinence lorsque le
thème traité est important pour l'individu. Petty, Cacioppo et Goldman
(1981) demandaient à des étudiants d'écouter un message défendant l’idée
de l’introduction d’un examen de sélection. Trois variables étaient mani-
pulées : la pertinence du message (pertinence faible : examen prévu à la
rentrée versus pertinence forte : prévu dans dix ans), la qualité des
arguments (faible versus forte) et l'expertise de la source (faible : un
groupe d'étudiants versus forte : une commission sur l’éducation). Après
l'écoute du message, les étudiants devaient coter leur attitude envers cet
examen sur des échelles. Selon ces auteurs, une forte pertinence motiverait
188 PSYCHOLOGIE SOCIALE

les étudiants à traiter soigneusement et quasi objectivement les arguments


proposés. Le changement d’attitude procéderait alors plus de la qualité de
l'argumentation présentée que de l’expertise de la source. Une argumen-
tation de bonne qualité (arguments forts) conduirait les individus, via la
production de pensées favorables, à changer d’attitude, une argumentation
de mauvaise qualité (arguments faibles) à la maintenir ou la radicaliser. En
revanche, une faible pertinence ne les motiverait pas à évaluer l’argumen-
tation. Le changement d’attitude découlerait alors de la prise en compte de
l'indice périphérique : l’expertise de la source. Les résultats obtenus mon-
trent effectivement que, lorsque les étudiants sont motivés à traiter ou
évaluer soigneusement le message persuasif (forte pertinence), la qualité
de l’argumentation a plus d’impact sur le changement d’attitude que
l'expertise de la source. Le contraire est observé lorsque les individus ne
sont pas motivés à traiter ou évaluer les arguments (faible pertinence).
Il existe des différences individuelles ou dispositionnelles dans la
motivation à traiter les messages. Par exemple, les individus ayant un fort
besoin de cognition, c’est-à-dire ayant une appétence pour l'effort cognitif,
forment leur attitude à partir de la qualité de l’argumentation proposée
dans le message et empruntent la voie centrale du traitement de l’infor-
mation. Ceux faibles en besoin de cognition n’apprécient pas l’effort
cognitif et se basent, le plus souvent, sur des indices périphériques.
L’habileté des individus à traiter l'argumentation joue aussi dans le
choix d’un traitement soigneux ou pas des arguments. Par exemple, des .
individus distraits par un environnement trop bruyant ne procèdent pas, le
plus souvent, à un examen attentif des arguments. Les différences indivi-
duelles ou dispositionnelles dans l’habileté (cf.. intelligence générale)
entrent aussi en ligne de compte.
Le traitement de l’information est, selon Petty et Cacioppo, relative-
ment objectif. Toutefois, il peut s’avérer biaisé dans certaines circonstan-
ces. Par exemple, des individus ayant une bonne connaissance du thème
traité sont plus facilement aptes, que ceux en ayant une faible connaissan-
ce, à réfuter certains arguments. Ce traitement biaisé, plutôt partial, dépen-
drait aussi des buts que se fixent les individus : parvenir à une conclusion
plutôt qu’à une autre, réagir contre une tentative d'influence (cf.
Girandola, 2000).
Selon l’'ELM, les variables et paramètres de la persuasion assurent
différents rôles. Considérons un message publicitaire émanant d’une
source particulièrement attrayante et célèbre, une artiste de cinéma, et
vantant les qualités d’une savonnette. Cette source peut d’abord servir
d’argument persuasif si elle donne des informations directement liées aux
avantages d’utiliser cette savonnette : on peut penser que l’utilisation de la
CHAPITRE XIV : PERSUASION ET RÉSISTANCE À LA PERSUASION 189

savonnette rendra la peau aussi belle et douce que la sienne. Cette source
peut ensuite influencer :
. à. la motivation à traiter le message. On cherche à savoir ce qu’une
source aussi attrayante pense de cette savonnette, ce qui accroît la
probabilité de traiter soigneusement les arguments persuasifs ;
b. l’habileté à penser au message. Cette source particulièrement
attrayante et belle peut distraire d’un traitement approfondi du message ;
c. la façon dont le traitement de l’information est conduit. Cette source
attrayante, pour peu qu’elle mette les individus de bonne humeur, rend plus
facilement accessibles des pensées positives à l’égard du message.
La figure 1 reprend schématiquement les principales étapes du modèle
ELM et leurs relations (Adapté de Petty et Wegener, 1999) :

Communication persuasive

Changement d'attitude
périphérique
Motivé à traiter le message ? L'atttude est relativement temporaire et
(e.g. pertinence) non prédictive du comportement
non
oui

Capable de traiter le
À ; ——————————} Indice périphérique
message ? (e.g. distraction)
présent ? (e.g. source)
oui ÿ À

Nature du traitement cognitif


(attitude initiale, qualité de l'argumentation, etc.)
non
Des pensées | Des pensées | Des pensées
favorables défavorables neutres
prédominent | prédominent | prédominent

Changement de structure Retour à


cognitive : l'attitude
Est-ce que les nouvelles cognitions initiale
sont adoptées et mises en mémoire ?

ui
non favorable)
Changement Changement
d'attitude non

L'attitude est relativement


persistante, et prédictive du
comportement

Figure 1 : Le modèle ELM


190 PSYCHOLOGIE SOCIALE

On peut retenir du modèle ELM :


a. l'existence de deux voies différentes (centrale versus périphérique)
conduisant chacune à la persuasion. Cela ne veut pas dire que l'emprunt
d’une voie exclut systématiquement l’autre. Lorsque, par exemple. la
probabilité d'élaboration de l’argumentation persuasive est forte, la voie
centrale et les processus cognitifs qu’elle implique auront plus d'impact
sur les attitudes que la voie périphérique et ses processus ;
b. les rôles multiples des variables et paramètres dans la dynamique
persuasive : ceux servant d’indices périphériques (cf. attrait de la source,
humeur) lors d’un traitement superficiel de l’information peuvent aussi
servir lors d’un traitement approfondi de cette information. C’est le cas
lorsqu'ils biaisent le traitement de l’argumentation persuasive (cf. une
humeur positive rend plus accessibles des pensées favorables à l’argumen-
tation) ou lorsqu’on les évalue pour se décider à traiter ou pas l’infor-
mation persuasive (est-ce que la beauté de cette personne a un lien avec ce
qu’elle raconte dans le message ? Sa beauté va-t-elle m'inciter à lire ou
m'intéresser à son message ?) ;
c. la voie empruntée a des conséquences directes sur les attitudes et les
comportements. Les nouvelles attitudes formées à partir de la voie centrale
prédisent mieux le comportement qui leur est conforme, sont plus acces-
sibles, durent plus longtemps et sont plus résistantes au changement que les
attitudes nouvellement formées à partir de la voie périphérique. Pour l'ELM,
savoir par quelle voie une nouvelle attitude s’est formée s’avère fondamental
pour une meilleure compréhension de la dynamique persuasive.

2.2. Le modèle heuristique-systématique (“Heuristic-Systematic


Model” ou HSM) de Chaiken

À l'instar du précédent, le modèle heuristique-systématique propose


deux voies de traitement de l’information persuasive (Chen et Chaiken,
1999 ; Meyer, 2000). La voie systématique est semblable à la voie centrale
de l’ELM : les individus traitent soigneusement l’argumentation lorsqu'ils
sont motivés et capables. Dans le cas contraire, ils utilisent une voie basée
sur des heuristiques, règles de décisions simples (cf. ‘ce que dit un expert
est toujours vrai”) et accessibles en mémoire, pour se forger une attitude.
L'emprunt d’une voie plutôt que l’autre est aussi guidé par le principe de
suffisance selon lequel les individus chercheraient un équilibre entre un
minimum d’effort cognitif et la satisfaction de leur besoin de précision. Si
la voie heuristique ne leur permet pas d’atteindre un jugement précis, alors
ils s’efforcent de traiter l'information par la voie systématique jusqu’à
atteindre leur seuil de suffisance, c’est-à-dire le seuil à partir duquel ils
CHAPITRE XIV : PERSUASION ET RÉSISTANCE À LA PERSUASION 191

considèrent leur jugement précis ou fiable. Plus les individus se sentent


éloignés de leur seuil de suffisance, plus grandes sont les chances
d'emprunter la voie systématique.
Le HSM autorise l'intervention conjointe du traitement systématique et
heuristique dans le traitement de l’information. Cette cooccurrence des
traitements peut produire divers effets sur les attitudes :
a. un plus fort impact (ou additivité) : lorsque les conclusions issues de
ces deux traitements de l’information ne sont pas contradictoires ;
b. une atténuation : lorsque les conclusions issues du traitement systé-
matique contredisent et, par conséquent, atténuent celles issues du traite-
ment heuristique ;
©. des biais : des arguments peuvent être jugés de meilleure qualité lors-
qu'une source experte les expose. De même, la perception de la source peut
être influencée par la qualité des arguments présentés : une source paraissant
d’autant plus experte que ses arguments sont jugés de bonne qualité.
Selon le HSM, la motivation à traiter l’information varie selon les buts que
se donnent les individus (e.g., détenir de l’information correcte et précise,
résister à une tentative d’influence, faire plaisir à autrui). Trois niveaux de
motivation sont définis (cf. Chen et Chaiken, 1999 ; Meyer, 2000) :
a. la motivation à la précision faciliterait un traitement objectif et non
biaisé de l’information ;
b. la motivation à la défense préserverait le soi (cf. valeurs, identités,
croyances) de toute menace le remettant en cause. Ce type de motivation
biaise le traitement de l’information systématique et heuristique et, au-
delà, prépare à contre-argumenter et résister à une tentative de persuasion
ultérieure (cf. “si cette information va dans le sens de mon opinion, alors
je la considère comme vraie. Si elle s’y oppose, alors je ne la prends pas
en compte”) ;
c. la motivation à gérer les impressions consiste à donner une bonne
impression de soi-même à autrui en adoptant, par exemple, un jugement ou
une opinion socialement acceptable. Ce type de motivation biaise le traite-
ment de l’information. Par exemple, des individus cherchant à donner une
bonne impression de soi font montre d’un plus grand changement d’attitu-
de après lecture d’un message persuasif pour peu que ce dernier soit
approuvé par autrui.
ELM et HSM posent l'existence de deux voies différentes dans la
persuasion. Les individus suffisamment motivés et capables réalisent un
traitement soigneux de l’information. Ceux peu motivés et peu capables
réalisent un traitement superficiel de l’information et tiennent compte
d'indices périphériques (pour l’'ELM) ou d’heuristiques facilement acces-
sibles en mémoire (pour HSM) pour se former ou modifier une attitude. Le
192 PSYCHOLOGIE SOCIALE

HSM pose, plus clairement que l’'ELM, la cooccurrence des deux voies de
traitement de l’information et ses conséquences sur les attitudes. Pour le
premier, les deux voies peuvent s’influencer mutuellement soit en augmen-
tant soit en diminuant leur impact sur les attitudes. Pour le second, l'emprunt
d’une voie favorise nettement plus l’emploi des processus qui lui sont
associés aux dépens de ceux associés à l’autre voie. Enfin, pour les deux
modèles, une attitude est plus forte et résistante au changement lorsqu'elle
s’est forgée à partir d’un traitement intensif de l’information.
Par ailleurs, Kruglanski et Thompson (1999) ont proposé un modèle à
une voie (unimodal) selon lequel l’ampleur de l’impact persuasif des indi-
ces périphériques, des heuristiques et des arguments serait indépendante de
la pertinence personnelle, de la motivation ou encore de la capacité des
individus à traiter l’information.

3. La résistance à la persuasion
Certaines caractéristiques individuelles ou dispositionnelles (cf. estime
de soi, optimisme) conduisent à résister à une tentative de persuasion
(Wood et Stagner, 1994). Le tableau 1 signale ces caractéristiques (variable
public). Nous allons voir successivement les théories et concepts, parmi les
plus importants, qui expliquent la résistance à la persuasion.

3.1. L'inoculation

Pour McGuire (1964), l’inoculation peut être considérée comme une


stratégie de résistance à la persuasion au même titre que l’inoculation d’un
vaccin dans le renforcement des défenses de l’organisme. La résistance à
la persuasion se développe en inoculant des arguments assez forts pour
stimuler les défenses des attitudes face à une attaque persuasive ultérieure.
Selon McGuire, les truismes sont des croyances si largement partagées
dans le milieu social de l’individu que celui-ci ne devrait jamais les avoir
entendus attaquer et, par conséquent, ne résisterait pas à des attaques
persuasives. Deux types possibles de traitements destinés à défendre les
truismes (“il faut se brosser les dents après chaque repas”) sont testés :
1. le traitement de défense par soutien (sans inoculation) consiste à
fournir des arguments favorables au truisme (“un brossage régulier des
dents permet d’éviter les caries”) ;
2. le traitement de défense par réfutation (inoculation) consiste à
mentionner des arguments attaquant le truisme (“un brossage fréquent
détériore l’émail et facilite l’implantation de la carie”) puis à les réfuter.
CHAPITRE XIV : PERSUASION ET RÉSISTANCE À LA PERSUASION 193

Les expériences comportent, classiquement, deux phases :


1. une phase de défense, dont nous venons de voir les deux types de
traitements ;
2. une phase d’attaque persuasive du truisme. Seuls les truismes
correctement inoculés résistent à l’attaque persuasive : la défense par réfu-
tation ou inoculation est significativement plus efficace que la défense par
soutien. McGuire a pu montrer que la résistance à l’attaque se généralise
même si les arguments employés lors du traitement par réfutation (ou
inoculation) sont différents de ceux employés lors de l’attaque persuasive.
La théorie de l’inoculation ne se limite plus à la défense de truismes mais
à la défense de sujets plus controversés et a aujourd’hui de nombreuses
applications dans la publicité, la politique, et les campagnes de prévention
(Pfau, 1996).

3.2. L'engagement

L'engagement dans un acte est un facteur augmentant la résistance à la


persuasion. Les sujets de Kiesler et ses collaborateurs (cf. Kiesler, 1971),
des jeunes femmes militant pour l’instauration d’une information sur la
contraception et, pour la moitié, engagées après signature d’une pétition en
faveur de cette information, lisaient un tract prenant la forme d’une attaque
persuasive contre l’instauration de cette information. Quel a été l’effet de
l'engagement sur l’attitude envers l’information sur la contraception ? Les
Jeunes femmes engagées ont radicalisé cette attitude après l’attaque
persuasive : elles sont plus favorables à l’instauration de cette information
que celles non engagées (n’ayant pas signé la pétition). Quel a été l’effet
de l’engagement sur le comportement ? L'attaque persuasive a pour effet
de donner aux jeunes femmes engagées encore plus envie de s’adonner à
des activités militantes (41 %). Elle a l’effet inverse pour celles qui ne sont
pas engagées : lorsque les jeunes femmes n’ont pas signé la pétition, elles
se laissent persuader par l’attaque au point d’être moins disposées à faire
du militantisme (6 %). Dans cet exemple, l'engagement dans un acte peut
renforcer les attitudes initiales des sujets (effet boomerang) et les conduire
à agir dans le sens contraire à l’attaque persuasive. D’autres recherches
abondent dans ce sens (cf. Jones et Kiesler, in Kiesler, 1971).
Par ailleurs, une escalade d’engagement (réalisations de plusieurs actes
allant dans le même sens) n’autorise pas un traitement attentif de
l'information persuasive, ce qui peut produire des dysfonctionnements
dans la prise de décision (Girandola, 1999). Dans le même sens, des
antécédents comportementaux engageants (cf. fumer, boire) conduisent, le
plus souvent, les individus à résister aux campagnes de prévention basées
194 PSYCHOLOGIE SOCIALE

sur la persuasion. Les procédés persuasifs mis en place lorsqu'il faut


vendre de la bière ou des chaussures ne fonctionnent pas systématiquement
quand il s’agit cette fois de “vendre” de bons comportements (cf. diminuer
la consommation de tabac ou d’alcool) par persuasion. L'utilisation de
messages persuasifs profilés à la population concernée est, le plus souvent,
recommandée (Girandola, 2000).

3.3. La réactance

La réactance est un état de tension, de motivation, éprouvé par l’indivi-


du lorsqu'il sent que sa liberté de se comporter comme 1 veut est menacée
(Brehm et Brehm, 1981). La réactance est une conséquence de la tentative
de persuasion. Un message persuasif au ton impératif et menaçant (“Buvez
moins d’alcool autrement...”) a toutes les chances d’éveiller de la réac-
tance. La réduction de cette réactance se traduit, le plus souvent, par le
rétablissement de cette liberté via la radicalisation de ses opinions
(“j'adore boire de l’alcool...”) et/ou par la réalisation de comportements
contraires à ceux escomptés (“je ne vais plus me priver de boire de temps
en temps, bien au contraire”). Bensley et Wu (1991) ont montré qu’un
message anti-alcool contenant une forte menace (“toute personne doit
reconnaître que l’alcool est mauvais”) génère de plus fortes intentions de
boire que le même message contenant une faible menace (“nous pensons
que ces conclusions sur l’alcool sont raisonnables”). Ces effets sont plus
forts chez les hommes et femmes gros buveurs que chez les buveurs
occasionnels et se répercutent au niveau comportemental : les gros buveurs
ayant reçu une forte menace consomment significativement plus (de
l’ordre d’un tiers) que ceux ayant reçu une faible menace.

3.4. Force et structure de l'attitude, intensité du traitement de


l'information

Les attitudes fortes possèdent quatre caractéristiques : elles résistent au


changement, sont stables dans le temps, ont un impact sur le traitement de
l'information et orientent le comportement (Petty et Krosnick, 1995). La
force de l’attitude et les mécanismes de résistance qu’elle implique, dépen-
dent de variables structurales (intra et inter-attitudinales) et expérientielles,
à leur tour composées de plusieurs dimensions (tableau 2). Par exemple, la
contre-argumentation à une attaque persuasive est d’autant plus efficace
que l’attitude possède un composant cognitif intra-attitudinal bien struc-
turé (‘je crois que. je pense que.….”).
CHAPITRE XIV : PERSUASION ET RÉSISTANCE À LA PERSUASION 195

Variables structurales Variables expérientielles


ls
Structure intra-attitudinale Structure inter-attitudinale
(composants classiques de l'attitude : - sentiment qu'une attitude
cognitif, affectif et comportemental) est personnellement
importante ou forte.
- l'impact persuasif d'un message - les attitudes sont connectées en
est atténué si les composants réseau. Plus les connexions sont - dimensions associées :
de l’attitude sont clairement nombreuses, plus la résistance e.g. importance, certitude
structurés ou si l'individu à la persuasion est forte de l'attitude
possède des connaissances - dimensions associées : e.g.
- dimension associée : centralité de l'attitude, des valeurs
connaissance du thème traité

Tableau 2 :
Rôles des variables structurales et expérientielles dans la résistance à la persuasion

Selon Petty, Haugtvedt et Smith (in Petty et Krosnick, 1995), une


nouvelle attitude issue d’un traitement central ou intensif de l'information
est plus forte, plus résistante, à une tentative de persuasion ultérieure
qu'une attitude issue d’un traitement périphérique ou superficiel. Quelle
stratégie doit-on alors adopter pour convaincre un public ? Haugtvedt et
Petty (1994, in Petty et Krosnick, 1995) présentaient à leurs étudiants deux
messages, un en faveur de l’introduction d’un examen, l’autre contre.
L'ordre de lecture des messages était inversé : une moitié des étudiants
lisait d’abord le message pour puis celui contre, l’autre moitié le message
contre puis celui pour. L’implication personnelle était aussi manipulée. On
faisait croire à une moitié des étudiants que cet examen était prévu dans
leur université (forte implication), à l’autre moitié dans une autre univer-
sité (faible implication). La manipulation de l'implication avait, bien
évidemment, pour but d’influencer la motivation des étudiants à traiter ou
pas soigneusement le message. Après lecture de chacun des deux mes-
sages, les étudiants cotaient leurs attitudes envers ces examens. On déter-
minait alors si les étudiants manifestaient une attitude plus favorable au
premier (effet de primauté) ou au second message (effet de récence) lu. Les
résultats montrent que les étudiants fortement impliqués, empruntant la
voie centrale du traitement de l’information, sont plus influencés par le
premier que par le second message lu (effet de primauté) quel qu’il soit
(pour ou contre). Ceux faiblement impliqués sont plus influencés par le
dernier message lu (effet de récence) quel qu’il soit (pour ou contre). Bref,
un changement d’attitude établi sur les bases d’un traitement approfondi
de l’argumentation conduit les étudiants à mieux contre-argumenter et
résister à une tentative de persuasion subséquente.
196 PSYCHOLOGIE SOCIALE

Selon l’ELM, le degré de résistance à la persuasion serait défini par le


degré d’implication personnelle (faible versus forte) mais aussi par la
qualité de l’argumentation (faible versus forte) proposée. Pour Johnson et
Eagly (1990), la qualité de l’argumentation ne suffirait pas à induire un
changement conforme aux prédictions de l’'ELM lorsque la persuasion a
trait à des attitudes reliées aux valeurs des individus (cf. liberté, égalité),
autrement dit remettant en cause leur soi. Ces derniers auteurs privilégient
l’image d’un individu soucieux de protéger les valeurs centrales de son soi,
même si cette protection doit être assurée par un refus de considérer la
qualité de l’argumentation persuasive (cf. Corneille, 1993).

3.5. L'identité

Selon Mugny et Pérez (1993), les habitudes des fumeurs seraient


particulièrement résistantes au changement car faisant partie de la
représentation de soi. La modification de ces comportements impliquerait
une réorganisation de l'identité des fumeurs (Voir le chapitre XVII,
Influence sociale, sources et tâches : l’élaboration du conflit par Gabriel
Mugny et Juan Manuel Falomir et Falomir, Mugny et Pérez, 2000). Sur la
base d’un raisonnement en terme de conflit d'identité comme mécanisme
du changement, ces auteurs ont montré, par exemple, que les sources de
haut statut psychosocial doivent contourner ce conflit identitaire PORC
pouvoir convaincre les fumeurs de cesser de fumer.
Fleming et Petty (in Terry et Hogg, 2000) montrent que la prise en
compte de l’identité groupale, par la voie centrale, biaise le traitement de
l'information persuasive en cela que les individus discréditent les argu-
ments du hors-groupe (out-group) et acceptent plus facilement ceux de
leur groupe d’appartenance (in-group). L'identité peut aussi servir d’indice
périphérique lorsque les individus sont peu motivés et capables de traiter
l'information. Dans ce cas, une source ayant une identité comparable à
celle de la cible est plus persuasive.

4. Pour conclure...

Nous espérons en avoir dit assez pour que l’on se fasse une idée du
contenu des recherches sur la persuasion et la résistance et de leur utilité
dans la compréhension du changement d’attitude dans la recherche sociale.
Les applications de la persuasion et de la résistance à la persuasion se
trouvent dans le champ de la santé et de la sécurité (gestion et prise de
risque, psychothérapies, conception et impact des campagnes de préven-
CHAPITRE XIV : PERSUASION ET RÉSISTANCE À LA PERSUASION 197

tion), du politique (discours et apparence des hommes politiques, prise de


décision en groupe), du commerce ou de l’économie (cf. influence de la
musique d’ambiance sur le comportement d’achat, discours publicitaire).
Quel que soit le champ d’application, les procédés persuasifs ne s’utilisent
pas d’une manière intuitive. Les modèles de la persuasion et de la
résistance permettent d’enrichir la compréhension de la dynamique
persuasive et ont encore de beaux jours devant eux.
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CHAPITRE XV

Engagement et dissonance
dans la soumission librement consentie

Valérie FOINTIAT

États-Unis. Fin des années 1950. Voici ce que l’on peut lire dans le
Herald de Lake City :
Une prophétie extra-terrestre. La planète Clairon interpelle la cité : fuyez le
déluge, qui frappera le 21 décembre, conseille l'Espace à une de nos
concitoyennes.
Lake City sera détruite par une lame de fond surgie du grand lac peu avant
l'aube du 21 décembre, affirme une ménagère des environs de notre ville.
Madame Marian Keech, 847 West School Street, affirme que le mérite de cette
prédiction ne lui revient pas : elle résume les nombreux messages qui lui
auraient été transmis par voie de l'écriture automatique. Ces messages, dit-
elle, lui sont expédiés depuis la planète Clairon par des êtres supérieurs qui
descendent parfois sur terre dans ce que nous appelons des soucoupes
volantes. Elle assure qu'au cours de leurs visites ils ont observé sur la croûte
terrestre des lignes de faille qui laissent présager ce cataclysme. On lui aurait
dit que l’inondation formerait une mer intérieure qui ira du cercle arctique au
golfe du Mexique. En même temps, une inondation submergera la côte Ouest
depuis Seattle, État de Washington, jusqu'au Chili, en Amérique du Sud.

Cela fait plusieurs mois que Mme Keech a réuni autour d’elle un petit
groupe d’adeptes, Les Chercheurs, qui se rencontrent régulièrement pour
parler de questions spirituelles et de cosmologie. Au moment de la
parution de l’article, bon nombre d’entre eux avaient déjà mis fin à leurs
activités professionnelles et distribué l’ensemble de leurs biens. Que se
passerait-il quand les adeptes auront constaté que la fin du monde ne s’est
pas produite ? Comment allaient-ils gérer cette contradiction directe ? Pour
apporter des éléments de réponse, une équipe de chercheurs en psycho-
logie sociale s’infiltra dans ce groupe afin d’en étudier le fonctionnement
200 PSYCHOLOGIE SOCIALE

et son devenir. Voici ce que leur carnet de bord nous apprend. Le matin du
20 décembre, Mme Keech annonça qu’elle avait reçu un nouveau message
extraterrestre. Tout le groupe devait être prêt à monter dans une soucoupe
volante, le soir même à minuit. Quelques minutes avant l’heure fatidique,
tous les adeptes se rassemblèrent dans une pièce de la maison de Mme
Keech et, le manteau au bras, se mirent à surveiller l’horloge. Les douze
coups de minuit retentirent.…. rien ne se produisit. Tous restèrent assis en
silence ; puis tout doucement, ils reprirent la parole, questionnant leurs
croyances, épanchant leur douleur et leur désespoir. Mme Keech se mit à
pleurer puis à prier pour que Les Chercheurs répandent leur lumière sur les
autres. À 4 h 45, Mme Keech annonça solennellement qu’elle venait de
recevoir un message d’espoir : le groupe grâce à sa foi et à sa ferveur venait
de sauver le monde de la destruction. Ce message fut accueilli dans la joie ;
le groupe était rétabli dans sa foi. Au lieu d'admettre douloureusement
qu’ils s’étaient trompés, ils augmentèrent l’intensité de leurs croyances et
tentèrent de convertir ceux qui, de près ou de loin, avaient fait montre du
moindre intérêt à l’égard de leur croyance.
Léon Festinger, Hank Riecken et Stanley Schachter nous offrent une
description détaillée de l’histoire de Mme Keech et de ses adeptes dans un
ouvrage intitulé “When prophecy fails” datant de 1956 et traduit en 1993
sous le titre L’échec d’une prophétie. Nous verrons plus loin comment on
peut comprendre cette curieuse tendance au prosélytisme, grâce à la
théorie élaborée par l’un des trois auteurs, Léon Festinger.

1. Introduction

L'influence est au cœur de la vie sociale, elle rythme nos interactions,


nous donnant tour à tour le rôle de celui qui l’exerce et le rôle de celui sur
qui elle s’exerce. On a vu précédemment que la persuasion était un moyen
de peser sur les opinions, idées, croyances des individus. Dans le cas de la
persuasion, l’influence sociale débouche sur une modification des idées ou
des croyances d’autrui, avec l’idée en filigrane qu’une telle modification
idéelle pourra éventuellement entraîner une modification comporte-
mentale. Mais le lien ténu entre attitude et comportement ne garantit
nullement qu’un changement au niveau des idées entraînera un change-
ment au niveau des comportements. Obtenir des gens qu'ils changent
d’attitude dans le sens “trop de soleil est dangereux” est une chose ; obtenir
d’eux qu’ils pratiquent un bronzage moins intensif en est une autre.
Outre la persuasion, le recours à la force et à l’autorité reste un moyen
assez sûr et facile à mettre en œuvre pour qui les détient. Mais ce serait
CHAPITRE XV : ENGAGEMENT ET DISSONANCE DANS LA SOUMISSION LIBREMENT CONSENTIE 201

oublié dans le même temps que leurs effets disparaissent dès lors que l’agent
de pouvoir s’éclipse. Qui plus est, si on obtient facilement des modifications
de comportements, rien ne vient garantir qu’elles s’accompagnent de modi-
fications profondes susceptibles de garantir leur reproduction. Tout parent ou
toute personne travaillant avec des enfants aura remarqué que l’on peut
obtenir assez facilement d’un enfant qu’il range sa chambre ou finisse sa
soupe, en usant d’autorité ou de force. Rien ne vient garantir qu’en votre
absence le garnement s’acquittera de sa tâche, ni même qu’il continuera
spontanément à ranger sa chambre dans les jours qui suivent. Si la
persuasion a ses limites, la force et l’autorité montrent les leurs.
On peut imaginer des situations dans lesquelles les individus sont
librement amenés à s’engager dans des comportements qu’ils n’auraient
pas émis spontanément ou bien à changer leurs attitudes dans le sens d’un
comportement qu’ils viennent d’émettre. Le premier axe relève de la
soumission sans pression ; le second de la soumission forcée.

2. La soumission sans pression


On doit à Freedman et Fraser en 1966 le terme de soumission sans
pression, qui désigne une situation dans laquelle les individus sont libre-
ment amenés à produire des nouveaux comportements conformes à leur
système de croyances, mais qu’ils n’auraient pas émis spontanément.
Soumission parce que les comportements nous conduisent après coup à
accepter des requêtes coûteuses ou compromettantes auxquelles nous
n’aurions pas satisfait spontanément ; sans pression, parce que nous y
satisfaisons en toute liberté, sans avoir été l’objet d’une tentative de coer-
cition, ni même de persuasion.
Dans cette situation, on cherche à extorquer à autrui un premier compor-
tement anodin, peu coûteux, que l’on appelle “acte préparatoire”. Ces actes
préparatoires ne sont pas difficiles à obtenir : donner l’heure, répondre à un
petit questionnaire par téléphone. Une fois cet acte préparatoire obtenu, on
formule la demande du comportement attendu. Ce comportement cible est
plus coûteux que le premier, conforme aux opinions personnelles de
l'individu, et relève du même cours d’action que l’acte préparatoire. Mais si
ce comportement cible est conforme au système de croyance de l'individu,
une simple demande ne suffit pas pour autant à l'obtenir.
Nous passerons en revue quelques techniques de soumission sans
pression, qui peuvent paraître sournoises. Elles sont néanmoins utilisées
par l’homme de tous les jours. À ce titre, nous en sommes aussi bien les
victimes, que les instigateurs.
202 PSYCHOLOGIE SOCIALE

2.1. Le pied-dans-la-porte

La première démonstration expérimentale du pied-dans-la-porte fut


donnée par Freedman et Fraser (1966), même si le principe était déjà bien
connu des démarcheurs et utilisé depuis fort longtemps : mettre un pied
dans la porte est le plus sûr moyen de commencer à vendre quelque chose.
Le principe du pied-dans-la-porte est simple : il consiste à obtenir peu dans
un premier temps, pour ensuite obtenir beaucoup. En d’autres termes, il
s’agit d’obtenir un premier comportement peu coûteux, un acte prépa-
ratoire, avant de proposer le comportement cible.
Les auteurs cherchaient à obtenir de ménagères qu’elles acceptent, sous
prétexte de participer à une étude sur les habitudes de consommation, de
recevoir chez elles une équipe de 5 à 6 hommes, autorisés à ouvrir tiroirs
et placards pour y répertorier les produits ménagers. Lorsque cette requête
est présentée en ces termes, seules 22,2 % des ménagères contactées par
téléphone y accèdent (condition contrôle). Il aura suffi aux auteurs de faire
précéder cette requête par une autre, beaucoup moins coûteuse pour aug-
menter sensiblement le taux d’acception du comportement cible : ils
demandaient tout simplement aux ménagères contactées par téléphone de
répondre à un bref questionnaire portant sur les habitudes de consom-
mation. Quasiment toutes les personnes acceptèrent de répondre à cette
série de huit questions aussi anodines que “quelle est votre marque de
détergent ?”. Ce n’est que trois jours après cette première interaction, que
les auteurs reprenaient contact avec ces ménagères et leur proposaient le
comportement cible dans les mêmes termes que dans la condition contrôle
(condition pied-dans-la-porte). Rien ne différencie la condition contrôle de
la condition pied-dans-la-porte, si ce n’est ce comportement préparatoire,
ce questionnaire anodin, à première vue, mais qui permet d’obtenir un taux
d'acceptation de 52,8 %. Passer de 22,2 % à 52,8 % d'acceptation du
comportement cible, le gain n’est pas négligeable, surtout si l’on considère
que cette augmentation tient à un petit questionnaire.
Dans une seconde expérience, Freedman et Fraser (1966) cherchaient à
amener des ménagères à implanter dans leur jardin un encombrant panneau
publicitaire incitant à la prudence au volant (comportement cible). Cette
requête s'avère difficilement acceptable, puisque seules 16,7 % des
personnes contactées l’acceptent, quand elle est formulée directement
(condition contrôle). Dans les quatre conditions expérimentales, un premier
expérimentateur passait au domicile des ménagères, et leur demandait de
réaliser un acte préparatoire peu coûteux. Dans deux conditions il
s'agissait de coller un autocollant portant l'inscription “Soyez un
conducteur prudent” ou “Californie jolie” sur la fenêtre de leur pavillon.
CHAPITRE XV : ENGAGEMENT ET DISSONANCE DANS LA SOUMISSION LIBREMENT CONSENTIE 203

Dans deux autres conditions, l’expérimentateur proposait aux ménagères


de signer une pétition portant sur le thème “Soyez un conducteur prudent”
ou “Californie jolie”. Cette procédure permet d'obtenir différents degrés
de similarité entre l’acte préparatoire et le comportement cible : similarité
(prudence au volant dans les deux cas) ou différence (Californie jolie
versus prudence au volant) du thème des comportements ou bien similarité
(affichage auto-collant versus panneau publicitaire) ou différence
(signature d’une pétition versus affichage panneau publicitaire) de la
nature des comportements. Deux semaines après le passage du premier
expérimentateur, un second contactait les ménagères et leur proposait le
comportement cible. L'efficacité du pied-dans-la-porte est particulière-
ment marquée dans la condition où les ménagères sont dans un premier
temps amenées à coller un auto-collant incitant à la prudence au volant
(condition similarité du thème et similarité de la nature du comporte-
ment) : dans ce cas, 76 % des ménagères acceptent l’implantation du
disgracieux panneau publicitaire. Il n’en reste pas moins que le pied-dans-
la-porte est efficace dans les trois autres conditions, dans lesquelles le taux
d'acceptation du comportement cible est de 47 % contre 16,6 % dans la
condition contrôle.
Ces résultats complètent ceux obtenus dans l’expérience précédente. Ils
attestent que le pied-dans-la-porte garde son efficacité quand :
— Les deux requêtes sont formulées par deux expérimentateurs
différents ;
— Les deux requêtes sont relativement espacées dans le temps (le délai
pouvant aller jusqu’à 15 jours) ;
— Les deux requêtes ne portent pas sur le même thème, et impliquent
des formes d’action différentes.
La stratégie du pied-dans-la-porte est à la fois exaltante et inquiétante :
elle est excitante pour le propriétaire du pied, mais inquiétante pour le
propriétaire de la porte (Cialdini, 1985).

2.2. L’amorçage

L'amorçage, traduction non littérale du terme low-ball, a été expéri-


mentalement testé par Cialdini, Basset, Cacioppo et Miller en 1978. Cette
technique repose sur une logique différente de celle du pied-dans-la-porte.
Il s’agit ici d’amener un individu à prendre une décision (extorquer un
“oui”’) avant de présenter le comportement cible. Cette décision peut être
obtenue soit en cachant les inconvénients éventuels de cette décision, soit
en n’en présentant que les avantages fictifs. Cialdini et ses collègues ont
ainsi pu obtenir d’étudiants qu’ils acceptent de participer à une recherche
204 PSYCHOLOGIE SOCIALE

se déroulant à 7 heures du matin, ce qui représente un vrai défi, connais-


sant la légendaire propension des étudiants à la grasse matinée. Ce taux
d'acceptation n’est que de 31 % lorsque l’expérimentateur annonce tout de
suite l’heure matinale de la recherche (condition contrôle). Extorquez une
première décision, un oui au préalable et on atteint 58 % d’acceptation. En
l'occurrence, ce oui était obtenu en prenant rendez-vous avec les étudiants
afin qu’ils participent à une recherche, sans leur en mentionner toutefois
l’heure matinale. Ce n’est qu’une fois le rendez-vous pris, que Cialdini
rétablissait la vérité. Mais les étudiants qui s’engagent à venir à 7 heures
du matin viennent-ils effectivement ? Autrement dit, cette soumission
verbale est-elle suivie d’une soumission comportementale ? Il semble que
oui : 24 & (soit 79 % des sujets ayant accepté de participer à l’expérience)
des sujets en condition contrôle viennent effectivement au rendez-vous
contre 53 % (soit 95 % des sujets ayant accepté de participer à l’expé-
rience) en condition avec amorçage.
Cette technique de l’amorçage se révèle très efficace et somme toute
assez simple à mettre en œuvre. Elle a trouvé des applications diverses,
notamment dans le domaine des économies d’énergie. Pallack et
Cummings (1976) ont ainsi amené des habitants de l’Iowa à réaliser de
substantielles économies de gaz et d’électricité. La stratégie mise au point
est.la suivante : les individus sont contactés à leur domicile, où l’expéri-
mentateur les encourage à économiser l’énergie. Mais tenter de convaincre
n’est pas suffisant, si le but recherché est de réaliser des économies effec-
tives. Aussi, prenait-on soin d’extorquer un “oui” (e.g. “oui, je m'engage à
faire attention à ne pas gaspiller l’énergie”) sur la base d’avantages fictifs.
Dans ce cas précis, on faisait aux individus la promesse que d’ici un mois,
leur photographie serait publiée dans le journal local en hommage à leur
effort civique. Le temps passe, la photographie n’est pas publiée, les
individus en sont prévenus par courrier... mais la consommation, loin de
reprendre son cours habituel, continue de baisser.
Les gens ont été amenés à prendre la première décision sur la base d’une
promesse de publicité (publication de la photographie). Cet engagement,
une fois pris, va créer ses propres bases : les gens vont adopter de nouvelles
habitudes de consommation, apprécier l’économie qu’ils constatent sur leur
facture, et surtout ils finiront par se considérer eux-mêmes comme des
partisans des économies d’énergie. Toutes ces raisons expliqueraient que
l'engagement soit resté ferme même après rupture de la promesse de
publicité. En effet, de toutes les raisons qui expliquent les comportements
d'économie d’énergie, cette promesse de publicité est la seule qui
provienne de l’extérieur ; c’est en quelque sorte la seule raison qui les
empêche de penser qu’en faisant des économies d’énergie ils obéissent à
CHAPITRE XV : ENGAGEMENT ET DISSONANCE DANS LA SOUMISSION LIBREMENT CONSENTIE 205

leurs convictions. En revanche, la rupture de promesse les libère de cette


pression extérieure : ils ne s’en trouvent que plus engagés dans les
comportements d'économie d’énergie. Le plus surprenant avec cette
technique de l’amorçage tient à ce qu’elle amène ses victimes à faire leur
une décision qui leur a été extorquée, à se satisfaire d’un mauvais choix.
Nous n'avons présenté que deux techniques de soumission sans
pression, 1l en existe néanmoins d’autres, aux noms tout aussi évocateurs :
— la porte-au-nez (Cialdini et al, 1975) qui consiste à demander
beaucoup pour obtenir peu ;
— le pied-dans-la-bouche (Howard, 1990) dans lequel il suffit de faire
précéder la requête d’un aimable “comment allez-vous ?” ;
— l’engrenage (Joule et Beauvois, 1987) qui combine plusieurs techni-
ques de soumission sans pression. Par exemple, on peut articuler pied-
dans-la-porte et amorçage (Joule et al., 1991) ou encore porte-au-nez et
pied-dans-la-bouche (Fointiat, 2000). Le lecteur intéressé pourra se
rapporter aux ouvrages de Joule et Beauvois (1987, 1998).

2.3. Comment comprendre les effets de pied-dans-la-porte et


d'amorçage ?

Comment comprendre, dans les expériences de Freedman et Fraser, que


réaliser des actes aussi banals que répondre à huit questions de prime abord
anodines ou coller un autocollant sur la vitre de la maison augmente sensi-
blement la probabilité que les individus émettent un comportement
beaucoup plus coûteux, recevoir une équipe de 5 à 6 personnes ou implan-
ter dans son jardinet un panneau publicitaire disgracieux ? Pour Freedman
et Fraser, le fait de réaliser ces petits actes anodins (actes préparatoires)
permet aux individus de se livrer à des inférences auto-attributives, en
tentant de répondre à la question : quelle doit être mon attitude, si je me
suis comporté ainsi dans cette situation-là ? En d’autres termes, l'individu,
parce qu’il a librement accepté de réaliser un comportement peu coûteux,
va se forger de nouvelles cognitions, devenant “à ses propres yeux le genre
de personnes qui fait ce genre de choses, qui acceptent les requêtes
formulées par des inconnus, qui agit pour défendre les choses auxquelles
il croit, qui défend les bonnes causes” (Freedman et Fraser, 1966, p. 201).
Une telle interprétation est directement dérivée de la théorie de l’auto-
perception de Bem (cf. Dejong, 1979). En raisonnant ainsi, on comprend
que les sujets amenés à accepter une première requête peu coûteuse soient
particulièrement enclins à en accepter une seconde.
On peut également comprendre l’effet de pied-dans-la-porte en ayant
recours à une psychologie de l’engagement. Nous avons employé à
206 PSYCHOLOGIE SOCIALE

plusieurs reprises et de manière intuitive le concept d'engagement. Il nous


faut maintenant le définir d’un point de vue théorique. Selon Kiesler et
Sakumura (1966), l'engagement peut être pris comme signifiant le lien
d’un individu à ses actes comportementaux. Cette définition, simpliste à
première vue, nous apprend deux choses : primo, seuls nos actes nous
engagent ; secundo, l’engagement dans nos actes peut être plus ou moins
grand. Le degré de l’engagement variera en fonction du contexte dans
lequel les actes ont été réalisés. Ainsi, Kiesler distingue cinq facteurs
d'engagement :
— Le caractère explicite de l’acte. Un acte est d’autant plus engageant
qu’il est tenu en public.
— Le caractère irrévocable de l’acte. Une fois l’acte réalisé, l’individu
ne doit pas disposer de la possibilité de revenir en arrière.
— Le caractère répétitif de l’acte. Répéter un même acte ou plusieurs
actes différents mais relevant d’un même cours d’action s’avère engageant.
— L'importance de l’acte. L'acte doit avoir des conséquences importan-
tes et non négligeables.
— La liberté associée à la réalisation de l’acte. L'acte doit être librement
réalisé par l’individu. Celui-ci doit avoir l’opportunité de refuser l’acte de
soumission. Plus que de liberté, il s’agit du sentiment que le sujet a d’être
libre dans son choix de réaliser ou non le comportement de soumission.
Kiesler confère à ce facteur un statut particulier, lui attribuant un rôle de
médiateur des quatre autres : “peut-être pourrait-on avancer l'argument
que les autres facteurs de l'engagement sont médiatisés par les sentiments
de choix ou la perception qu'a une personne d'être responsable de son
propre comportement” (Kiesler, 1971, p. 167). :

L'engagement du sujet dans un acte a pour conséquence :


1. de rendre le comportement plus stable, plus résistant au changement ;
2. de rendre plus probable l’émission de nouvelles conduites allant dans
le sens de l’acte initial. Ainsi donc, si l’on admet que ce n'est pas le sujet
qui s'engage, mais que c’est l’acte qui s'avère engageant et donc qui
engage le sujet, on comprend que réaliser un ou plusieurs comportements
préparatoires a pour effet d’engager l'individu dans un cours d’action.
L'effet d’amorçage peut également se comprendre à la lumière de la
psychologie de l'engagement. L’amorçage relèverait d’un effet de persévé-
ration de l’activité de décision. Cette persévération traduit la tendance
qu'ont les gens à rester sur une décision, sans tenir compte des conséquen-
ces, ce qui expliquerait que les individus maintiennent leur décision de
participer à l’expérience, même quand ils apprennent les inconvénients liés
à cette décision (l’heure matinale), ou bien continuent de faire des écono-
CHAPITRE XV : ENGAGEMENT ET DISSONANCE DANS LA SOUMISSION LIBREMENT CONSENTIE 207

mies d’énergies, même lorsque l’expérimentateur ôte la promesse de


récompense (photographie publiée dans la presse locale).
Dans les quelques recherches exposées ici, et plus généralement dans
les situations de soumission sans pression, on s’intéresse aux modifica-
tions comportementales consécutives à la réalisation d’un acte de
soumission librement émis. On tente de répondre à la question : comment
amener un individu à modifier de son plein gré ses comportements ? Dans
les recherches que nous allons maintenant présenter, on étudie surtout les
modifications d’idées subséquentes à la réalisation ou à l’engagement dans
un comportement de soumission généralement contraire aux opinions des
individus, et néanmoins librement émis. En d’autres termes, on cherche
plutôt à répondre à la question : comment amener un individu à modifier
de lui-même ses idées ?

3. La soumission forcée
Les situations de soumission forcée sont diverses ; elles partagent
néanmoins deux caractéristiques essentielles :
— un individu se soumet face à une pression qui le conduit à émettre un
comportement qu’on peut considérer comme le contraire de celui qu’il
aurait émis spontanément ;
— pour peu que l’expérimentateur plonge l’individu dans un contexte de
liberté, ce dernier rétablira la valeur du comportement de soumission.

3.1. Deux expériences princeps

On doit à Festinger et Carlsmith (1959) la première recherche réalisée


en situation de soumission forcée — et sans doute une des plus fameuses
expériences de psychologie sociale. Des étudiants étaient amenés à réaliser
une tâche particulièrement fastidieuse : mettre 12 bobines sur un plateau,
vider le plateau, le remplir à nouveau, et ainsi de suite, pendant une demi-
heure ; puis tourner d’un quart de tour dans le sens des aiguilles d’une
montre 48 chevilles fixées sur une planche, en n’utilisant qu’une seule
main, pendant une demi-heure. On avouera que de telles tâches peuvent
facilement être qualifiées de fastidieuses. Au bout d’une heure et au
moment de remercier l’étudiant pour sa participation, l’expérimentateur lui
demande un service : remplacer au pied levé un second expérimentateur
dont le rôle est de présenter les tâches expérimentales à la personne
suivante, en insistant sur leur aspect agréable et ludique : c'était très
plaisant, je me suis bien amusé, j'y ai pris du plaisir c'était très inté-
208 PSYCHOLOGIE SOCIALE

ressant, c'était curieux, c'était passionnant. En échange de ce service,


l’expérimentateur promet une récompense soit d’un dollar, soit de vingt
dollars. Ce mensonge délivré, chaque étudiant remplissait un questionnaire
permettant entre autres d’évaluer dans quelle mesure ils avaient apprécié la
tâche expérimentale. Il se trouve que non seulement quasiment tous les
étudiants ont effectivement accepté de mentir, quel que soit le montant‘de
la récompense promise, mais encore que ceux qui étaient très peu rému-
nérés (un dollar) déclaraient trouver la tâche beaucoup plus intéressante
que ceux qui étaient plus largement récompensés (vingt dollars). Il est
également à noter que ces derniers ne se différenciaient pas des étudiants
d’un groupe contrôle, qui se contentaient de réaliser la tâche, sans la
présenter. Ces résultats sont de prime abord surprenants. Intuitivement,
nous aurions plutôt fait le pari que les sujets fortement rémunérés seraient
également ceux qui trouveraient la tâche fascinante.
La même année Cohen (cité dans Brehm et Cohen, 1962) a produit un
pattern de résultats comparable et tout aussi intriguant. Dans cette expérience,
les sujets (encore des étudiants) devaient rédiger un essai des plus convain-
cants, des plus imaginatifs, et des plus réfléchis. en faveur de l’action de la
police sur les campus afin de juguler les manifestations étudiantes. Inutile de
préciser que défendre une telle position va à l’encontre des positions person-
nelles des sujets. En échange les sujets recevaient, selon les conditions
expérimentales, un demi-dollar, un dollar, cinq dollars ou encore dix dollars.
Immédiatement après la rédaction de l’essai, les sujets devaient indiquer sur
une échelle d’attitude à quel point ils trouvaient l'intervention de la police
justifiée. Dans une condition contrôle, les étudiants ne rédigeaient pas l'essai,
ils ne faisaient que remplir l’échelle d’attitude. Comme dans l’expérience de
Festinger et Carlsmith (1959), il s’avère que moins les étudiants perçoivent
une somme importante, plus ils trouvent l’action de la police sur les campus
justifiée. Les sujets les mieux rémunérés (conditions cinq dollars et dix
dollars) ne se différenciaient pas des sujets du groupe contrôle.

3.2. Comment comprendre les effets de soumission forcée ?

Comment comprendre que des individus trouvent une tâche fastidieuse


(expérience de Festinger et Carlsmith, 1959) d’autant plus intéressante et
attrayante qu’ils n’ont été que symboliquement récompensés pour la présen-
ter en termes élogieux à une tierce personne ? Ou bien encore que, après avoir
publiquement et librement défendu une position contraire à leurs opinions
personnelles, les individus les modifient finalement pour les rendre confor-
mes à leurs déclarations (expérience de Cohen, 1959) ?
Ces résultats contre-intuitifs peuvent se comprendre à la lumière de la
CHAPITRE XV : ENGAGEMENT ET DISSONANCE DANS LA SOUMISSION LIBREMENT CONSENTIE 209

théorie de la dissonance cognitive de Festinger (1957). Cette théorie s’est


développée au moment où fleurissaient les théories de la consistance. Ces
théories partagent le même univers de pertinence : celui des cognitions et
des relations entre cognitions. Par cognition, Festinger (1957, p. 9) entend
“connaissance, opinions, croyances sur l’environnement, sur soi-même,
Ou Sur son propre comportement”. Ces cognitions peuvent entretenir trois
types de relations que l’on définit grâce à l’implication psychologique :
— des relations de non-pertinence ou de neutralité : “j’aime paresser au
soleil” et “les fraises ne sont pas assez sucrées” ;
— des relations de consonance : “j’aime paresser au soleil” et “j'ai
décidé d’aller passer mes vacances dans les îles du Pacifique Sud”;
— des relations de dissonance : “j'aime paresser au soleil” et “je pren-
drai mes vacances au mois de novembre en Laponie”.
On dira de deux éléments de connaissance qu’ils sont en relation de
dissonance, si, en les considérant isolément, l’inverse de l’un découle de
l’autre.

La théorie de la dissonance tient en quelques points essentiels :


1. La présence dans l’univers cognitif de cognitions dissonantes est
ressentie par l’individu comme désagréable, psychologiquement incon-
fortable.
2. Cet état de dissonance est un état motivationnel (postulat 1) qui pous-
sera l'individu à adopter des stratégies susceptibles de le réduire, voire de
l’éliminer.
3. L'importance de ce travail de réduction de la dissonance est propor-
tionnelle à la quantité de dissonance ressentie (postulat 2). En d’autres
termes, plus grande sera la dissonance ressentie, plus grand sera le travail
cognitif de réduction de la dissonance.
4. Afin de mesurer la quantité globale de dissonance dans une situation
donnée, Festinger dote sa théorie d’un outil, le taux de dissonance. Ce taux
— donné par le rapport des cognitions dissonantes à l’ensemble des cogni-
tions pertinentes, c’est-à-dire dissonantes et consonantes — permet de faire
des prédictions reflétant directement le travail de réduction de la
dissonance (postulat 3).
5. Dans la plupart des cas, ce travail de réduction accompli se traduit
par un changement d’attitude (employée ici au sens large d'opinion,
idée) à l’égard de l’objet pour lequel l'individu se trouve en état de
dissonance.

La théorie de la dissonance cognitive offre donc un cadre conceptuel


capable de rendre compte des résultats de Festinger et Carlsmith (1959),
210 PSYCHOLOGIE SOCIALE

de Cohen (1962), et même de comprendre par quel mécanisme le groupe


de Mme Keech n’a pas explosé au lendemain de l’apocalypse annoncée,
mais au contraire s’en est trouvé renforcé.
On peut, pour s’en convaincre, raisonner à l’aide des taux de dissonance
pour chacune des conditions expérimentales de l’expérience de Festinger et
Carlsmith. On se souvient que des étudiants étaient amenés à présenter une
tâche fastidieuse en termes élogieux à leur pair. Pour ce mensonge, ils
recevaient soit un dollar, soit vingt dollars. Le taux de dissonance se pose
toujours à partir de la cognition génératrice de l’état de dissonance (Beauvois
et Joule, 1981), c’est-à-dire la cognition qui représente le comportement de
soumission : “j'ai accepté de présenter la tâche en termes élogieux”, notée
(g). Dans cette recherche, deux autres cognitions sont pertinentes. La cogni-
tion qui représente l’attitude du sujet à l’égard de la tâche expérimentale : “je
trouve la tâche fastidieuse” notée (a) et celle qui représente la rémunération :
“J'ai reçu un dollar (versus vingt dollars) pour faire l’éloge de la tâche
expérimentale” notée (r). Par implication psychologique, les cognitions (g)
et (a) sont en relation de dissonance ; les cognitions (g) et (r) sont en relation
de consonance. Les taux de dissonance s’écrivent ainsi dans les deux
conditions expérimentales :

Condition un dollar Condition vingt dollars

(a) je trouve la tâche (a) je trouve la tâche


Taux de dissonance par fastidieuse fastidieuse
rapport à la = cognition (g) (a) je trouve la tâche (a) je trouve la tâche
fastidieuse + (r) j'ai reçu fastidieuse + (r) j'ai reçu
un dollar pour faire l’éloge de là vingt dollars pour faire l'éloge
tâche expérimentale de la tâche expérimentale

On se souvient que, pour réduire un taux en général, il suffit soit de


diminuer le numérateur, soit d’augmenter le dénominateur. Dans ce cas
précis, cela revient soit à diminuer le nombre et/ou l'importance des
cognitions figurant au numérateur, soit à augmenter l'importance et/ou le
nombre des cognitions figurant au dénominateur. Le taux de dissonance est
par conséquent plus grand dans la condition un dollar que dans la condition
vingt dollars, puisque les vingt dollars de récompense représentent une
cognition consonante plus importante monétairement qu’un seul dollar.
Les sujets récompensés un dollar sont par conséquent dans un plus grand
état de dissonance que ceux récompensés vingt dollars. Sur la base du
postulat 2, les premiers auront à faire un travail de réduction de la
dissonance plus important que les derniers, ce qui amènera à un plus grand
CHAPITRE XV : ENGAGEMENT ET DISSONANCE DANS LA SOUMISSION LIBREMENT CONSENTIE 211

changement d’attitude. Poser les taux de dissonance aide donc à


comprendre les résultats contre-intuitifs de Festinger et Carlsmith.
Evidemment le même raisonnement peut être tenu pour l’expérience de
Cohen (1962). Là également, considérant le montant de la récompense
comme une cognition consonante avec la cognition génératrice “j'ai
librement accepté de rédiger un essai”, plus le montant de cette récom-
pense est faible, plus le taux est grand et plus les individus sont en état de
dissonance. En d’autres termes, le changement d’attitude dans le sens de
l'acte sera d’autant plus grand que la récompense sera faible. Tout semble
se passer comme si récompenser faiblement quelqu'un était un moyen
efficace pour obtenir qu’il modifie de lui-même ses attitudes, ses opinions.
Voilà qui ne va pas de soi.
Le taux de dissonance nous aide même à comprendre comment les
adeptes de Mme Keech se livrèrent à un prosélytisme effréné au lieu de
constater l’échec de sa prophétie et de renoncer à leur croyance. Ils rédui-
sirent cet état de dissonance en ajoutant dans leur univers cognitif un
certain nombre de cognitions consonantes avec leur croyance (e.g. “j'ai
publiquement et de nombreuses fois déclaré que j’adhérais à la croyance
selon laquelle un déluge allait se produire”). En d’autres termes, trouver
des raisons (prière, foi, abandon de ses biens...) au non-avènement de la
catastrophe revient à ajouter des cognitions consonantes, donc à réduire le
taux. Simultanément, toutes ces raisons viennent renforcer leurs croyances
initiales. À savoir des cognitions consonantes relatives au non-avènement
du déluge. Cela a probablement eu pour effet, du moins on le suppose, de
renforcer leurs croyances initiales.

4, Pour conclure... La soumission librement consentie

Nous venons de voir qu’il était possible d’influencer autrui au point de


l’amener à modifier de lui-même ses idées, ses opinions et ses compor-
tements. Nous avons également vu que, pour que ces modifications soient
possibles, il fallait que le comportement de soumission soit librement émis.
Dans les situations de soumission sans pression, on n’obtient de chan-
gements comportementaux qu’à la seule condition d’avoir extorqué un
acte peu coûteux et conforme aux croyances des individus : coller un auto-
collant ou signer une pétition, dans le pied-dans-la-porte ; décider de parti-
ciper à une expérience ou de faire partie d’un programme d'économies
d'énergie, dans l’amorçage. L'efficacité de ces techniques relève d’une
psychologie de l’engagement de l'individu dans cet acte de soumission.
Dans les situations de soumission forcée, on obtient un changement
212 PSYCHOLOGIE SOCIALE

d’attitude suite à la réalisation d’un acte contraire aux opinions de l’indi-


vidu, un acte problématique. Les résultats obtenus dans ce paradigme
peuvent se comprendre en référence à la théorie de la dissonance cognitive.
Joule et Beauvois (1987) proposent de rassembler soumission sans
pression et soumission forcée sous l’appellation soumission librement
consentie. Tout se passe comme si l’individu faisait librement ce qu’il
n’aurait jamais fait spontanément et qu’il n’aurait certainement pas fait s’il
avait senti s’exercer sur lui une contrainte manifeste. Il ne fait aucun doute
qu’une telle approche perr-et de rendre compte de l’influence que peut
exercer un expérimentateur sur un sujet expérimental ; il devrait en aller de
même lorsque l’on souhaite comprendre comment, dans la vie de sous les
Jours, certains individus dans certaines situations en arrivent à penser et à
se comporter comme d’autres le veulent, tout en restant convaincus qu'ils
ont gardé leur libre arbitre. et c’est bien là le paradoxe de la soumission
librement consentie.
CHAPITRE XVI

L'influence sociale, son rôle, sa place

Stéphane LAURENS

Aéroport de Novossibirsk (Sibérie)


“Autour de moi, les voyageurs grouillent, parlant des langues qui me sont
incompréhensibles. Mon univers, celui qui m'est directement accessible,
immédiatement compréhensible, est réduit à ma seule psyché. Heureusement,
je vis en compagnie de quelques souvenirs. Je m'imagine dialoguant avec
quelque ami resté au pays, avec ma compagne, des collègues ; je me vois
intégrant cette expérience à mon cours à l’université, à mon prochain article.
quoi d'autre encore ? Je le sais, mes fantômes, mes chers absents, sont les
gardiens de mes enceintes. Je monte dans l'avion. Un voyageur de commerce
prend place à mes côtés. Il s'adresse à moi en français. Je sursaute. Cet
espace restreint où je m'étais réfugié, ce cocon où je comptais voyager seul
doit s’étirer jusqu'à nous contenir tous deux.”

Tobie Nathan, L'influence qui guérit, 1994.

L'influence est au cœur des relations entre individus, elle définit le


rapport de l’individu au groupe. Aussi, comprendre les relations d’influ-
ence, c’est comprendre la logique sociale. Cependant, l’analyse des princi-
pales conceptions de l’influence révèle l’existence de choix théoriques
contrastés sur deux points fondamentaux : la place de l’influence dans la
société (soit l’influence est considérée comme naturelle et inhérente à
toute société soit, au contraire, elle est considérée comme anormale) et
l’effet de l’influence sur l’individu (soit elle socialise soit, au contraire,
elle aliène).
214 PSYCHOLOGIE SOCIALE

1. L'influence dans la société : essentielle ou dommageable ?


Il y a deux manières opposées d’envisager la place de l'influence dans
la société : soit elle est naturelle, inhérente à la vie sociale et elle constitue
le fondement de la société ou de toute collectivité, soit, à l’opposé, elle est
considérée comme anormale et pathologique, elle ne survient que pour
causer des perturbations et des dérèglements dans une société qui fonc-
tionne normalement sans influence.
Pour Roustang (1990, p. 153), si “le tissu du corps social ne se déchire
pas, c’est qu'il existe des liens de nature inconditionnelle”. L'influence est
ce lien, un lien entre individus qui est en permanence actif, un lien par lequel
nous participons à la société et qui en retour nous socialise en nous insérant
dans un réseau relationnel tout en nous individualisant. L'influence n’est
cependant pas nécessairement dans les liens interindividuels. Ainsi, la
contrainte sociale de Durkheim permet l’existence de la société. Mais cette
fois en s’opposant à l’individu : l’influence qu’exerce la collectivité sur les
individus contiendrait leurs forces centrifuges et contradictoires qui, non
contenues, briseraient la collectivité. Malgré les divergences sur la nature de
l'influence (interindividuelle ou non, univoque ou réciproque..….), ce qui est
le plus important c’est cette place fondamentale de “elu” qui lui est
accordée. Elle est le ciment de la société et c’est lorsque ce ciment se défait,
que la société se brise. Pour Freud (1921), sans cette influence, c’est la
panique, c’est-à-dire la désagrégation de la foule, la fin de la société et
l'émergence des individus autonomes et indépendants. À l’opposé de ces
conceptions, il y a celle de l’économie politique (Dupuy, 1991). L'ordre éco-
nomique est la conséquence non intentionnelle et non voulue des actions
d’un grand nombre de personnes mues par leurs seuls intérêts. Affinant la
conception des physiocrates puis celle d’ Adam Smith, l’économie politique
assignera comme principal rôle à l’État d’assurer la liberté des sociétés et
individus notamment en les protégeant de la violence, de l'oppression et de
l'illusion. C’est en instaurant l’ordre et en protégeant l'individu des influen-
ces trompeuses qu’émergera l’ordre général pour le plus grand bien de tous.
Dans cette logique régulièrement réaffirmée par la presse économique, la
panique boursière naît non pas d’une disparition du lien social (comme le
soutient Freud), mais au contraire de l’apparition d’un rapport d'influence.
En temps normal, la société est fondée sur les intérêts et les calculs indivi-
duels alors qu’en cas de panique la société est dirigée par l’imitation irration-
nelle. Dans ce cas l'influence marque le fonctionnement anormal de la
société, c’est elle qui la brise et qui installe le désordre. Cette conception de
l’économie politique en ce qui concerne l'influence est assez proche de la
conception du sens commun. C’est lors d’un crime qu’on cherche qui a pu
CHAPITRE XVI : L'INFLUENCE SOCIALE, SON RÔLE, SA PLACE 215

avoir une telle influence néfaste et guider la main de l’assassin. On ne


cherche pas dans l'influence pourquoi, en général, les individus ne s’entre-
déchirent pas. Or, c’est pourtant ce rôle qu’on peut lui attribuer.

2. Les origines de l'influence


Après les épidémies de sorcellerie et les phénomènes de possession, les
crises magnétiques de Mesmer marquèrent la laïcisation et sécularisation
du rapport de possession en l’attribuant à un fluide manipulé par un
opérateur plutôt qu’à un être surnaturel (Carroy, 1991, p. 20). Ce fluide
magnétique fut considéré comme un lien entre tous les êtres vivants et la
nature, 1l était le principe de gravité newtonien généralisé. Si l'influence
apparaît comme un élément central et aussi nécessaire à la vie sociale que
l’est la gravitation universelle à la nature, les passes magnétiques produi-
sent le plus souvent des crises convulsives. À partir de 1784, il en sera tout
autrement de l’homme magnétisé par le marquis de Puységur. En état de
somnambulisme provoqué, l’individu a des qualités nouvelles qui lui font
défaut à l’état de veille : “Je ne connais rien de plus profond, de plus
prudent et de plus clairvoyant [...] ce n’est plus un paysan niais, sachant
à peine répondre à une phrase, c'est un être que je ne sais pas nommer :
je n'ai pas besoin de lui parler; je pense devant lui, et il m'entend, me
répond” (Puységur, 1786, pp. 27-29). Dans le milieu des magnétiseurs
puységuriens, c’est le médecin qui interrogera son patient pour savoir quel
traitement il convient de lui donner, quelles seront les étapes de sa
guérison... Avec le somnambulisme, c’est le “monde à l'envers”. Le
somnambule acquiert dans le rapport magnétique, par l’influence de son
magnétiseur, des capacités considérablement supérieures à celles qu'il a
dans l’état normal et même des capacités supérieures à celles de son
magnétiseur (Méheust, 1999).
Un siècle plus tard, Charcot considérera que le somnambulisme est une
conséquence de l’état hystérique, il est le signe d’une pathologie. La relation
entre magnétiseur et magnétisé se modifiera à nouveau profondément. Si
auparavant le magnétiseur espérait apprendre quelque chose de son somnam-
bule aux capacités supérieures, désormais, le médecin hypnotiseur se doit de
posséder et de connaître les lois de l’hystérie. Il les établit en milieu médical
en observant son sujet, mais ce n’est pas le sujet, par ses capacités, qui lui
apprendra ces lois, c’est le scientifique, par des observations rigoureuses et
répétées, qui les établira. Après avoir été oracle, le somnambule devient rat de
laboratoire et, qui plus est, rat malade puisque hystérique. L’hypnose préfi-
gure la conception modernede l’homme sous influence, l’automate téléguidé.
216 PSYCHOLOGIE SOCIALE

Le rapport hypnotique rétablit donc une distinction de nature entre


hypnotiseur et hypnotisé, l’un a de l'influence, l’autre la reçoit ; celui qui sait
influence, tandis que celui qui ne sait pas (le malade) est influençable.

° La psychologie des foules


À une époque où les intellectuels étaient intrigués et inquiétés par les
phénomènes de masse, le somnambulisme et l’hypnose rencontrèrent un
tel succès qu’on les reprit pour en faire l’alpha et l’oméga dans l’étude des
liens sociaux. Les actions des foules révolutionnaires qui traversèrent la
France dès la fin du XVII siècle constituaient des événements saillants par
leur ampleur et leurs conséquences. La logique des foules devint donc
objet d’étude favori en même temps qu’on disposait pour la comprendre
d’un mécanisme non moins intéressant : la relation hypnotique ou le
rapport magnétique. Aujourd’hui, si dans la littérature consacrée à la psy-
chologie des foules les auteurs se réfèrent encore à ces masses révolution-
naires et à ce lien hypnotique, c’est que les phénomènes de masse et les
liens hypnotiques semblent avoir un lien étroit (Moscovici, 1981a).
Pour les fondateurs de la psychologie des foules (Le Bon, Tarde et
Freud), le meneur, l’homme qui fait l’histoire est un hypnotiseur. Il possè-
de en lui une puissance fascinatrice, un charisme, mais surtout, pour Freud
(1921), il est narcissique. Autonome et indépendant, il s'intéresse plus à
lui-même qu’aux autres et, selon l’expression de Tarde (1890, p. XII), il
se tient hors du monde, sous une “cloche à plongeur” tandis que l’homme
en foule est un “véritable somnambule” (Tarde, 1890, p. 83).
Le dualisme de la source et de la cible d’influence ainsi que la non-
réciprocité du rapport d’influence sont institués comme fondement du
fonctionnement social. Ainsi, pour Freud, il y a deux psychologies : celle
de l’homme en foule et celle du meneur. Ce sont deux ordres de phéno-
mènes irréductibles l’un à l’autre, et il convient de trouver les deux systè-
mes de lois psychologiques.

3. La modération et les concessions réciproques


La psychologie collective consacra et figea durablement la conception
de l’homme sous influence en le décrivant sous les traits de l’hypnotisé :
crédulité, simplicité et irrationalité. La psychologie sociale naissante
reprendra ce modèle d’un individu aux capacités intellectuelles amoin-
dries, à l’originalité absente, mais au niveau d’activité et d’imitation accru
lorsqu'il est en groupe. La psychologie de l’individu en groupe remplaçait
la psychologie de l’hypnotisé et la psychologie des foules.
CHAPITRE XVI : L'INFLUENCE SOCIALE, SON RÔLE, SA PLACE 217

L'une des particularités des études sur la coprésence, la coaction ou la


normalisation est que les expériences mettent en jeu des relations d’influ-
ence réciproques ou symétriques entre individus de même statut. La source
et la cible de l'influence perdent leur spécificité ; ce qui compte, c’est
simplement l'isolement comparé à la présence d’autrui.

3.1. La coprésence et la coaction

La psychologie sociale expérimentale conserva longtemps cette


définition de l’individu sous influence. De multiples expériences rappor-
tent les observations classiques de Binet sur les effets de la suggestibilité
et plus généralement elles montrent que, lorsque l'individu est en présence
d’autrui plutôt que seul, il est moins intelligent et moins original, mais plus
productif dans l’accomplissement de tâches simples ou routinières.
Comme le montre l’expérience princeps de Triplett (1897), les individus
sont plus rapides pour enrouler des moulinets de canne à pêche lorsqu'ils
sont en présence d’autres individus faisant la même chose que lorsqu'ils
sont seuls à le faire. En présence d’autrui l’individu sera meilleur dans une
tâche simple et répétitive comme, par exemple, rayer toutes les voyelles
d’un article de journal, associer beaucoup de mots en chaîne, faire rapide-
ment des multiplications.. (Allport, 1920). La présence d’autrui favorise
la performance, la répétition de ce que les sujets savent déjà faire, par
contre elle gêne l’acquisition de nouvelles connaissances ou l’originalité.
Pour Zajonc (1965), il existerait des réponses dominantes et des répon-
ses subordonnées en fonction des objets et des situations. Par exemple, si
on fait faire des associations avec comme mot stimulus “orange”, on
obtiendra des réponses données très rapidement et très fréquemment par
les sujets : “fruit”, “couleur”. On aura aussi des réponses rares ou subor-
données : “bleu”, “orage”. Or, pour Zajonc, la présence d’autrui augmen-
terait la motivation de l'individu, ce qui augmenterait la probabilité
d’émission d’une réponse dominante (ce qu’avaient montré les théories de
l'apprentissage). La présence d’autrui favorise la performance, la répé-
tition de ce que les sujets savent déjà faire, par contre elle gêne l’acquisi-
tion ou l'originalité.
Les faits divers se prêtent d’ailleurs fort bien à une lecture de l’homme
social ou de l’homme en groupe comme un individu aux capacités res-
treintes : ils montrent régulièrement deux types de phénomènes, soit une
passivité extraordinaire des individus en groupe soit une suractivité
désordonnée. On sait qu’un groupe d'individus peut assister passivement à
un viol dans une rame de métro. Non seulement aucun des nombreux
témoins ne vient en aide à la victime, mais aucun d’eux ne fait le moindre
218 PSYCHOLOGIE SOCIALE

geste pour appeler la police, arrêter le métro. Comment expliquer qu’une


telle paralysie puisse s'emparer des individus en groupe ?
Si les faits divers montrent que les individus en groupe ne secourent pas
forcément quelqu'un lorsqu'il est en danger, même lorsqu'il existe des
solutions peu coûteuses, Latane et Darley (1970) ont réussi à montrer qu’en
groupe, les individus ne se secouraient pas eux-mêmes ! Ceci permet de
repousser une explication simpliste des rapports sociaux en termes d’égoïsme
ou de calcul d'intérêt, mais suggère la paralysie de l’individu en groupe. Une
expérience montre que lorsqu'on simule un début d’incendie en envoyant de
la fumée dans une salle dans laquelle se trouve soit un seul étudiant soit un
groupe d'étudiants, c’est lorsque l’étudiant est seul, qu’il donne le plus
fréquemment l’alerte, lorsqu'ils sont en groupe, les étudiants restent plus
souvent dans la pièce enfumée sans rien faire. Tout se passe comme s’il
suffisait d’un seul individu passif pour que le groupe entier soit paralysé.
En fait, la psychologie sociale naissante choisit de voir dans ces actes
collectifs une conséquence regrettable d’une loi générale de la psychologie
de l’individu en groupe : la modération. Au début du xx° siècle, Allport
soutenait qu’il y avait chez les individus “une tendance fondamentale à
modérer ses opinions et sa conduite par égard pour les opinions et la
conduite des autres” (1924, p. 278). Cette modération des opinions et des
conduites rappelle les idées de Durkheim sur la contrainte sociale et les
forces centripètes. Pour Allport, comme pour Durkheim, c’est parce que
les tendances individuelles sont contenues que la société est possible, mais
pour Allport, c’est l’individu lui-même qui va se modérer. Il y a indivi-
dualisation et internalisation de la contrainte sociale. Cette idée fit florès
en psychologie sociale et elle fournit une base explicative aux résultats de
la fameuse expérience de Sherif sur l'émergence des normes.

3.2. La normalisation

Pour étudier l'émergence de norme, Sherif (1936) utilise un dispositif


expérimental très particulier : il souhaite donc une situation inconnue des
sujets, sans référent, où il n’y a pas de norme établie... Ce dispositif,
Sherif le trouve grâce à l’effet autocinétique. L'effet autocinétique appa-
raît, par exemple, lorsqu'un astronome regarde une étoile dans un ciel noir,
il a l’impression que cette étoile a un mouvement, qu’elle sautille. Sherif
va reproduire cet effet en plaçant une toute petite source lumineuse dans
une obscurité totale. Si on regarde cette lumière, celle-ci semble se
mouvoir de façon plus ou moins chaotique dans différentes directions.
Schématiquement les expériences de Sherif se déroulent de la manière
suivante : on met des individus (soit un seul soit plusieurs) dans une pièce
CHAPITRE XVI : L'INFLUENCE SOCIALE, SON RÔLE, SA PLACE 219

complètement noire, on montre cent fois de suite le point lumineux et les


individus doivent, chaque fois, estimer la distance de son déplacement. Les
résultats montrent que, quand les individus sont seuls, ils établissent
subjectivement un écart de variation et un point de référence compris dans
cet écart. Au fur et à mesure des estimations, cet écart diminue et donc
toutes les réponses données par l’individu se rapprochent de plus en plus du
point de référence. Lorsque plusieurs individus qui ont isolément établi leur
propre point de référence se retrouvent ensemble, ils abandonnent leur point
de référence subjectif pour converger vers un point de référence collectif.
Ils construisent une norme avec son écart de variation. Enfin, quand ces
individus se retrouvent seuls, ils conservent la norme établie en groupe.
Comment comprendre de tels résultats ? Suivant la ligne définie par
Allport (1924), Kelley et Thibault (1954) soutiennent que lorsqu'un
individu est en interaction avec autrui, il réagit “en tempérant ses juge-
ments de manière à éviter la possibilité d’être extrêmement différent des
autres”. Une fois ensemble, les individus prendraient connaissance des
réponses des autres et ils modifieraient leurs réponses pour les faire
converger vers celles des autres. Un excellent schéma de ce processus nous
est donné par De Montmollin (1965). Pour elle, les individus se compor-
teraient comme des statisticiens étudiant une distribution. Lorsque tous les
sujets se sont exprimés une première fois, chaque sujet connaît l’ensemble
des réponses. Il peut donc calculer une moyenne de ces réponses et, c’est
sur la base d’un tel calcul que le sujet établira sa nouvelle réponse. Tous
les sujets procédant au même calcul sur les mêmes bases, il est logique
qu’ils “convergent” lors de leur seconde réponse. Ainsi, les individus
calculeraient plus qu’ils ne convergeraient.
Ces calculs individuels identiques et simultanés ont trouvé un écho
dans la critique d’Allport vis-à-vis de la psychologie des foules : il consi-
dérait que les actions d’une foule ne s’expliquent pas par l’âme des foules
ni par la suggestion, l’imitation ou l’influence. Des individus identiques
confrontés à un objet identique se comportent de manière similaire sans
qu’ils s’influencent pour autant : “par la similarité de la nature humaine,
les individus de la foule sont tous enclins à réagir à leur objet commun de
la même manière tout à fait indépendamment d'une quelconque influence
sociale. Les stimulations de l’un à l’autre libèrent et augmentent ces
réponses, mais elles n’en sont pas l’origine” (Allport, 1924, p. 299).
La psychologie sociale adopta majoritairement de telles explications
alors même que Sherif (1947) insistait sur l’aspect collectif de la norme en
allant jusqu’à trouver dans son étude une base psychologique à l’émer-
gence de qualités nouvelles et supra-individuelles surgissant dans les
situations de groupe.
220 PSYCHOLOGIE SOCIALE

Par certains aspects, les travaux de Lewin ressemblent à ceux de


Sherif : des individus de même statut sont en groupes et exercent une
influence les uns sur les autres. Pour Lewin, c’est la participation, l’impli-
cation et la décision du sujet qui entraînent son changement. La cible
d’influence est donc un individu actif et la situation d’influence est une
discussion de groupe permettant l’engagement et la prise de décision.

4. Le conformisme et la soumission

L'histoire de la psychologie, notamment à travers les études sur


S

l'hypnose et le magnétisme, avait montré qu’un même phénomène d’influ-


ence peut être compris très différemment : pour Bernheim la suggestion est
si efficace que l’hypnotisé peut commettre les crimes que lui ordonne son
magnétiseur tandis que, pour Delbœuf (1893), c’est la personnalité de
l’hypnotisé (ses goûts, ses tendances...) qui décidera de ce qu’il acceptera
ou non de faire. Pour Delbœuf c’est l’hypnotisé qui détient en réalité le
pouvoir dans le rapport magnétique même s’il l’attribue à l’hypnotiseur.
Il en est de même pour les théories de l’influence en psychologie
sociale. La conception :ssue de l’hypnose et de la psychologie des foules
fut dominante, jusqu'aux années 1970, même si quelques recherches
tentèrent de montrer l’influence comme un élément essentiel et fonda-
mental de la vie sociale (socialisation, apprentissage...) et essayèrent de
donner une image moins négative de l’individu dans le rapport d'influence.
Ces théories et ces faits furent systématiquement révisés pour rentrer dans
le cadre dominant. Les expériences de Sherif ou de Asch ont même fini par
constituer les preuves de cet individu passif et soumis alors que l’objectif
de ces auteurs était de montrer le contraire : un individu influencé mais
actif.

4.1. Le conformisme

Asch s’intéresse aux conditions qui conduisent les individus à résister


ou à se conformer aux pressions du groupe et ceci même lorsque ce groupe
a des positions contraires à l’évidence perceptive. La situation expérimen-
tale est donc radicalement différente de celle de Sherif. Ici, il y a une
norme établie et le stimulus est non ambigu.
Un groupe de huit personnes est réuni dans une pièce. On leur montre
une ligne étalon, puis trois lignes de longueurs différentes dont l’une seule-
ment a une longueur égale à celle de la ligne étalon. Les sujets doivent
choisir parmi ces trois lignes celle qui est de la même longueur que la ligne
CHAPITRE XVI : L'INFLUENCE SOCIALE, SON RÔLE, SA PLACE 221

étalon. Les individus donnent, tour à tour, leurs réponses oralement. Parmi
les 8 membres du groupe, 7 jouent un rôle prescrit par l’expérimentateur
(compères) tandis que le sujet restant n’est au courant de rien (sujet naïf).
Les compères ne donneront pas les réponses qu’ils croient justes : sur
18 estimations, 12 fois ils donneront une réponse fausse, mais ils donneront
tous la même, apparaissant ainsi comme un groupe majoritaire unanime. Les
résultats montrent que, dans cette condition, 37 sujets naïfs sur 50 se
trompent au moins une fois et ceci toujours dans le même sens que les
compères. En tout, 32 % des estimations sont erronées tandis que, dans la
condition témoin (c’est-à-dire sans compère), il y a seulement 0,4 % d’esti-
mations erronées, ce qui prouve que le stimulus n’est pas ambigu.
Lors de la ré-appropriation des travaux de Asch, le rôle de l’indépen-
dance fut systématiquement minimisé, les chercheurs retenant principale-
ment la soumission et le conformisme. Pourtant les résultats expérimen-
taux montrent plus de réponses indépendantes (68 %) que de conformistes
(32 %) et, grâce à l’indépendance totale de certains individus (ceux qui ne
se trompent jamais), il est peu probable qu’un groupe arrive à un consensus
contraire à l’évidence perceptive.
S1 le fonctionnement social exige le consensus, il faut tout de même que
ce consensus ait une validité. Or, cette validité tient au fait que les indi-
vidus doivent refuser leur accord lorsqu'ils pensent que les autres se
trompent. Ainsi, pour Asch (1952, pp. 495-498), la soumission est anti-
sociale contrairement à l’indépendance et à la résistance de l’individu.
Pour que l’individu résiste, il doit avoir confiance en lui, en son jugement
et en sa relation avec les autres. À l’inverse, la soumission (due à l’incer-
titude et à la non-confiance) révèle un défaut de construction sociale de
l'individu, donc un défaut des influences socialisantes.
Asch est un gestaltiste qui considère que le tout (la formation d’impres-
sion, l’action collective...) ne consiste pas en la somme d’éléments indé-
pendants (stimuli, individus...). L’individu de Asch ne peut pas être
passif : il recherche des formes, il interprète. À la suite de Baldwin
(1911), Asch (1952, p. 390) affirme que l’imitation nécessite l’intelligence,
la compréhension, elle n’est pas que mécanique. Les autres nous aident à
penser plus intelligemment et à ressentir plus profondément (Asch, 1952,
p. 411) même si parfois on peut trouver des aspects “contre adaptatifs” du
processus social (Asch, 1952, p. 137).

4.2. La soumission à l'autorité

Le paroxysme de la soumission de la cible d’influence fut obtenu dans


les travaux de Milgram (1974). Ses expériences révèlent les étonnantes
222 PSYCHOLOGIE SOCIALE

capacités d’obéissance des individus qui, à la demande d’une autorité, vont


jusqu’à réaliser des comportements antisociaux que pourtant ils réprouvent.
Face à une autorité, l'individu se convertit à l’état agentique : il devient un
autre être, un simple agent et présente de ce fait une psychologie différente.
À l’état agentique, l'individu souhaite faire bonne impression, il se laisse
absorber par l’exécution minutieuse des tâches qui lui sont confiées. Pour
Milgram, la cible est donc active, mais son activité (limitée au décodage de
la situation) la conduit à déléguer sa responsabilité, la définition de ses
actions et les significations à l’autorité. On retrouve donc le dualisme psy-
chologique de Freud dans le paradigme de la soumission à l’autorité.
L'autorité est le pendant du chef de Freud tandis que l’agent est celui de
l’homme hypnotisé ou en foule.

5. L'acteur social en conflit

5.1. Le système social dans le modèle fonctionnaliste et le modèle


génétique

En proposant le modèle génétique de l’influence Moscovici montre que


le modèle fonctionnaliste, notamment issu des théories d’Allport, n’a
considéré que deux modalités de l’influence : le conformisme et la norma-
lisation. Ces deux modalités d’influence induisent une conception aliénante
de l’influence tandis que l’innovation, la modalité d’influence nouvelle sur
laquelle insiste le modèle génétique, définit l’individu comme un acteur qui
n'hésite pas à entrer en conflit et à se battre pour.ses idées dans une société
en mouvement, un individu impliqué qui trouve son essence dans sa partici-
pation au fonctionnement social (Moscovici et Doise, 1992, p. 78). Entre le
modèle génétique et le modèle fonctionnaliste, se joue à nouveau une
différence de conception du rapport d’influence.
Le modèle fonctionnaliste décrit des systèmes sociaux fermés, des
sociétés closes où le milieu (naturel et social) préexiste à l'individu.
L’individu et le groupe doivent s’adapter à ce milieu, à cette réalité pré-
existante et, justement, le rôle de l’influence est de permettre cette adapta-
tion. Suivant cette logique, le déviant est celui qui ne sait ou ne peut
s’adapter à ce milieu, à cette réalité. À l’opposé, le modèle génétique décrit
un système social et un milieu qui sont définis et produits par ceux qui y
participent. Les rôles et les statuts sont construits et prennent sens dans
l'interaction sociale (Moscovici, 1979). Avec le modèle génétique, l’influ-
ence devient un facteur potentiel de modification des conditions sociales.
Elle ne sert pas uniquement à forcer les déviants à se conformer aux
CHAPITRE XVI : L'INFLUENCE SOCIALE, SON RÔLE, SA PLACE 223

normes, elle est aussi le levier de la redéfinition des normes. Dans cette
perspective, la déviance n’est pas un accident ou une mauvaise adaptation
de certains individus ou de certains groupes, elle est un produit normal de
la société. Le modèle génétique propose donc une nouvelle conception de
l'individu en interaction. Cet individu a un point de vue, des convictions,
il ne souhaite pas forcément en changer et peut même vouloir les défendre
et les faire partager aux autres. Cette volonté de défendre un point de vue
n’est pas seulement le fait des individus compétents ou autorisés, c’est le
fait de tous, qu’ils soient compétents ou non, informés ou non, prestigieux
ou non... Ainsi, chaque membre du groupe, indépendamment de son rang,
est, à la fois, source et récepteur d’influence. Ce qui fonde cette influence,
ce n’est pas le fait qu’un individu dispose, de manière idiosyncrasique, de
ressources particulières (pouvoir, information...) mais c’est son style de
comportement, c’est-à-dire la manière dont il se comportera dans l’inter-
action.

5.2. Style de comportement et influence

Les résultats de Asch montraient que, lorsque les compères majoritaires


étaient unanimes, ils exerçaient une influence sur les sujets naïfs.
Faucheux et Moscovici (1971) font l’hypothèse que cet effet n’est pas dû
à la pression de la majorité mais au style de comportement de la source et
plus précisément à la consistance de ses réponses. C’est parce que tous les
compères maintiennent un système intrinsèquement cohérent de réponses
qu’il y a de l’influence et non pas parce qu’ils sont majoritaires ou nom-
breux. En effet, dans l’une des variantes de son expérience, Asch avait
trouvé des résultats conformes à cette idée : lorsque l’unanimité de la
majorité est brisée, il y a seulement 5,5 % des réponses erronées contre
32 % en cas d’unanimité de la source. Pourtant les compères sont mayori-
taires dans les deux cas.

5.3. Influence et influences

Dans les recherches comme celles de Asch l'influence était mesurée à


partir de ce que les sujets déclaraient lors de la situation d'influence, à
propos de l’objet d’influence et en présence de la source d'influence.
L'influence était donc mesurée par des réponses : publiques (c’est-à-dire
qu’elles étaient entendues des autres sujets, de l’expérimentateur, de la
source d’influence), directement liées au problème posé (c’est-à-dire
qu’on demandait au sujet son opinion ou sa solution sur le problème et
seulement sur le problème face auquel il était), immédiates (c’est-à-dire
224 PSYCHOLOGIE SOCIALE

qu’on demandait au sujet de se prononcer immédiatement et que c’est cette


réponse dans l’instant qui constituait l’indice d’influence).
Pourtant l'influence n’est pas réductible à cela. Dans la notion même
d'influence, il y a l’idée que les effets d'influence peuvent être cachés,
inconscients, souterrains et différés. Étymologiquement, l'influence dési-
gne un fluide, un flux auquel on attribue une action secrète, mystérieuse
sur la destinée des hommes et des choses. Cette influence est censée
provenir du corps des astres. L'influence n’est donc pas quelque chose de
saillant et d’évident qui aurait un effet immédiatement visible.
Ainsi, dans l’expérience de Asch, il convient de se demander ce que
répondraient les sujets quinze jours plus tard, en privé, à propos d’un objet
un peu différent. Être influencé, ce n’est pas seulement affirmer, en public,
qu’on est d’accord pour faire plaisir ou pour ne pas être punis en pensant,
intimement, qu’on n’est pas d’accord. Être influencé, c’est aussi, et peut-
être surtout, croire que les idées qui nous viennent et qui nous semblent
Justes sont les nôtres alors qu’elles nous ont en fait été suggérées par
d’autres.
On peut distinguer deux types d’influence ; l’influence manifeste (ou
immédiate ou publique ou directe) et l’influence latente (ou différée ou
privée ou indirecte). La combinaison de ces deux types d’influence révèle
quatre patterns quant aux changements possibles :

Influence manifeste Influence latente Patterns

Accord véritable
Complaisance
Conversion
Désaccord

Tableau 1 : Présentation des quatre formes de changement possible


(cf. Mugny et Pérez, 1986, p. 139).

À l'instar de l'expérience de Asch, les très nombreuses études sur


l’influence sociale montraient que les sources majoritaires, prestigieuses,
compétentes, coercitives… exerçaient une influence publique, immédiate,
directe... En même temps, quelques études signalaient un effet d’assoupis-
sement, c'est-à-dire une diminution de l’effet d'influence avec le temps.
Par contre, ces mêmes études révélaient que l’influence d’une source non
experte, influence certes très faible au départ, ne diminuait pas et pouvait
même augmenter avec le temps.
CHAPITRE XVI : L'INFLUENCE SOCIALE, SON RÔLE, SA PLACE 225

Les dynamiques d’influence manifeste et latente sont donc fort diffé-


rentes : aux mayjorités et aux experts une influence manifeste ; aux mino-
rités, aux sans-grade, une influence latente, à retardement.

5.4. La conversion

L'influence manifeste des sources majoritaires ou expertes n’a rien de


très surprenant, on comprend bien l'intérêt des individus à se conformer, à
plaire, à s'informer. Par contre l’influence des sources minoritaires est plus
étonnante et, pour illustrer son fonctionnement, Moscovici (1985) se réfère
à un passage de la Recherche du temps perdu de Proust à propos de
l’affaire Dreyfus. Les deux personnages principaux qui nous intéressent
sont le prince de Guermantes et sa femme.
* Au départ, presque personne ne pense que le capitaine Dreyfus peut
être accusé à tort. Seule une infime minorité clame son innocence. Cette
minorité, par ses prises de position systématiques ne peut être ignorée. Elle
crée un conflit avec les positions majoritaires et, en entrant en conflit, elle
acquiert une audience qui est sans rapport avec sa force numérique : tout
le monde entend ses arguments, même si personne ne les croit. Avant
l'intervention minoritaire, il n’y a qu’une seule opinion possible, il n’y a
même pas de doute à avoir, il n’y a que des évidences. Par contre, après,
tout le monde sait que certains pensent différemment même si tous pensent
que les minoritaires se trompent. C’est la phase de révélation. Dans le
roman, le prince de Guermantes affirme qu’il soutient, comme ses amis de
l’armée, que le capitaine Dreyfus est coupable et les différents personnages
du roman prennent des positions similaires.
+ Sans cesse répétés, les arguments de la minorité entrent dans les
esprits. Les individus qui les entendent sont amenés à y réfléchir, notam-
ment pour les rejeter, pour les dénier et finalement les individus finissent
par assimiler les croyances de la minorité sans pour autant être d’accord
avec elle. C’est la phase d'incubation. Par exemple, dans le roman, les
personnages critiquent longuement les positions de la minorité, mais
souvent 1ls en parlent.
* Ensuite, les membres de la majorité finissent par être influencés par
les vues minoritaires sans l’avouer aux autres et sans se l’avouer à eux-
mêmes. C’est la phase de conversion. Par exemple, le prince de
Guermantes devient sensible à tous les détails de l’affaire. Sa position
varie rapidement au gré des différents arguments avancés par les journaux.
Le conflit n’est plus seulement un conflit entre une majorité et une
minorité, ce conflit, il l’a intériorisé (il souffre d’insomnie, passe beaucoup
de temps à analyser les arguments...). Maintenant, c’est de lui-même que
226 PSYCHOLOGIE SOCIALE

viennent les arguments en faveur de Dreyfus. Ces arguments ne sont pas


gênants si c’est lui qui les trouve, par contre, ils le sont si c’est la minorité
qui les apporte. Cette minorité a une image très négative, elle est opposée
à l’Église, à l’armée et il faut donc se méfier de ce qu’elle dit. Mais il n’y
a pas de raison de se méfier de ces mêmes arguments si on les trouve soi-
même. Et les arguments que le prince de Guermantes pense trouver en lui-
même finissent par le faire réellement douter de la culpabilité de Dreyfus.
+ Finalement, le prince de Guermantes se décide à faire donner une
messe en faveur de Dreyfus et de sa famille. Cependant, le curé auquel il
s'adresse lui dit qu’il est dans l’impossibilité d’accepter puisqu’une autre
personne lui a déjà demandé une messe. Or, justement, cette messe qu’on
lui a déjà demandée est pour Dreyfus et sa famille. Le prince de
Guermantes est surpris qu’il y ait ici un autre catholique ayant fait cette
démarche. Il insiste pour savoir qui est cette personne. Il souhaiterait sortir
de son isolement, parler à quelqu'un qui partage ses doutes et ses
convictions. Le curé lui apprend que cette personne est en fait sa propre
femme. C’est la phase d'innovation. Avant chacun cachait son opinion de
peur de heurter les autres ou de peur d’être rejeté par eux. Lors de la phase
d'innovation, les individus dévoilent leur opinion.
Cette activité cognitive de l’individu confronté à l’influence d’une
source minoritaire trouve de sérieux arguments dans des études sur la
censure ou le déni. En effet, c’est lorsqu'on demandeà des individus de
rechercher pourquoi les arguments minoritaires sont invraisemblables que
les individus changent le plus en direction des positions minoritaires.
Ainsi, l’influence latente des minorités PRO à la loi suivante: plus
on résiste, plus on change.
En définitive, lorsqu'un groupe minoritaire ose affronter la majorité,
lorsqu'il décide de créer un conflit social en affirmant son point de vue
déviant en intervenant de manière consistante, il devient le centre d’atten-
tion de la population. Comment osent-ils s’opposer ? Pourquoi ne voient-
ils pas comme tout le monde ? Pourquoi disent-ils cela ? En créant un
conflit avec la majorité la minorité attire l’attention sur elle, mais aussi sur
sa position et, par là, sur l’objet. C’est ainsi que le conflit social, déclenché
par la ferme opposition d’une minorité, peut conduire à une redéfinition de
l’objet.
CHAPITRE XVII

Influences sociales, sources et tâches :


l'élaboration du conflit

Gabriel MUGNY et Juan Manuel FALOMIR

En 2000, le Parlement européen se déclare décidé à intensifier la guerre contre


le tabac, et, sur les traces du modèle américain, décide de radicaliser la dissua-
sion. Ainsi, il est envisagé de ne plus faire de concessions relativisant la nocivité
du tabac : il faut lutter contre le tabac, parce qu'il est une forme de suicide, et
qu'il tue même les non-fumeurs. Dans cette tentative d'influence, on ne trouve en
fin de compte que la prémisse couramment admise que les gens ne s'arrêtent de
fumer que s'ils sont véritablement conscients des risques pour la santé. Du point
de vue psychosocial, cette approche passe à côté d'une réelle réflexion sur les
significations que les fumeurs donnent à la consommation du tabac, et sur la
façon dont ils élaborent le conflit introduit par les campagnes d'influence aux-
quelles ils sont régulièrement exposés. En effet, plusieurs études convergent à
constater que les jeunes continuent à commencer à fumer même si tout un
chacun, fumeur ou non-fumeur, reconnaît de plus en plus les risques liés au tabac
(cf. USDHHS, 1989). D'autres facteurs, culturels, relationnels, identitaires, ou
tout simplement le plaisir semblent en réalité constituer les vrais enjeux pour les
cibles de ces campagnes (cf. Chassin, Preson et Sherman, 1990), sans que pour
autant celles-ci s’en fassent toujours l'écho. L'existence de tels facteurs et le fait
que les fumeurs constituent de plus en plus une minorité sociale dans une société
où se développent de façon contraignante des régulations sociales défavorables
aux fumeurs apparaissent induire une élaboration de la divergence de position
comme une atteinte à leur identité et à leur liberté, ce qui les motive davantage à
se défendre et à se justifier qu'à envisager d'arrêter de fumer. L'usage d'une
forme ou d'une autre de contrainte peut donc avoir des effets pervers pour ceux
qui en font usage. D'ailleurs, le changement d'intention d'arrêter de fumer est
paradoxalement plus important si les fumeurs peuvent défendre leur position que
s'ils doivent l’attaquer, s'ils peuvent fumer durant la remise en question plutôt
que si on le leur interdit, et si les experts utilisent un ton plutôt respectueux que
péremptoire (cf. Falomir Mugny et Pérez, 2000).
228 PSYCHOLOGIE SOCIALE

Une approche de ce phénomène de société qui a pour finalité de


changer les attitudes et les comportements doit donc, au-delà de la
question de l’acquisition de connaissances liées à l’objet d’attitude, tenir
compte des significations que la cible donne à celui-ci et au comportement
remis en question, ainsi qu’au rapport avec la source d’influence. La
théorie de l’élaboration du conflit a été conçue comme une articulation des
modèles d’influence qui apportent des réponses à ce type de questions, et
qui se révèlent diversement pertinents dans différents types de contextes.

1. L'influence sociale : intégrer la diversité


Toutes sortes d’influences sociales peuvent être induites, qui changent
opinions, attitudes, comportements, perceptions ou raisonnements. Si on à
longtemps considéré que seuls les majorités, les experts, les intragroupes,
c’est-à-dire les sources disposant de ressources sociales supérieures à celles
des cibles, ont une influence, il apparaît qu’elles ne réussissent pas forcé-
ment à influencer, du moins de manière profonde, et qu’elles ne sont par
ailleurs pas les seules sources à même d’avoir une influence. En effet, les
travaux sur l’influence minoritaire initiés par Moscovici (1979) ont amené à
considérer que les sources minoritaires, peu crédibles ou même hors-
groupes, ont aussi une influence, mais moins visible, à un niveau latent (pour
des revues, voir De Montmollin, 1977 ; Moscovici et Mugny, 1987 ; Mugny
et Pérez, 1998 ; Paicheler, 1985). On dispose dès lors d’un éventail de
théories partielles de l’influence sociale (cf. Butera et Pérez, 1995), qui
chacune rend compte de certaines dynamiques d’influence, sans se révéler à
même de rendre compte de leur ensemble. De fait, toute source peut exercer
une influence, mais en vertu de mécanismes distincts, avec des implications
psychologiques et à des niveaux d’influence particuliers, cette diversité
justifiant en soi la pléthore de théories spécifiques, et parfois opposées (cf.
Butera et Pérez, 1995). C’est cette diversité que la théorie de l’élaboration du
conflit (Pérez et Mugny, 1993) vise à intégrer, en l'occurrence sur la base des
significations que la divergence de jugements prend selon les contextes.
L'existence d’une divergence entre la source et la cible est la clef de la
création du conflit, et quelle source contredit quel type de jugement est la
clef de l’élaboration de ce conflit, c’est-à-dire de la signification que la
cible donne à une telle divergence et du niveau de l'influence qui en
découle. La théorie propose donc une analyse des conflits qui émergent
des différences de réponses entre une source et une cible d’influence, en
prenant en considération la spécificité de la source et la nature particulière
des tâches dans lesquelles opère l’influence. Pour chaque cas de figure,
CHAPITRE XVII : INFLUENCES SOCIALES, SOURCES ET TÂCHES : L'ÉLABORATION DU CONFLIT 229

elle conceptualise les significations du conflit en vue de prédire les effets


d'influence manifeste et latente les plus probables, en définissant l’activité
sociocognitive particulière induite par la nature spécifique du conflit.
Le conflit induit par une source qui soutient un jugement divergent de
celui du sujet cible prend sa signification en fonction des préconstruits
spécifiques à chaque tâche. Ceux-ci déterminent aussi la mesure dans laquelle
chaque source (selon par exemple son degré d’expertise, le support social qui
lui est accordé, ou son appartenance catégorielle) est plus ou moins pertinente
pour l'élaboration du conflit. Ainsi, la théorie de l’élaboration du conflit
distingue dans l’épistémologie de sens commun, c’est-à-dire dans les
conceptions courantes que l’on a pour fonder la validité d’un jugement, trois
grandes catégories de tâches : les tâches objectives non ambiguës où la cible
dispose de la certitude de connaître la réponse correcte, les tâches d’aptitudes
où la cible sait qu’existent une ou plusieurs réponses correctes objectivement
déterminables, et les tâches d’opinions où la cible anticipe une pluricité de
jugements dont la validité n’est pas objectivement déterminable.

2. La nature des conflits dans les tâches objectives non


ambiguës
Dans les tâches objectives non ambiguës le conflit apparaît par exemple
par rapport à une évidence perceptive, à une information connue, ou à la
résolution d’une tâche de logique simple, où l’individu a la certitude qu’il
connaît la réponse correcte. Il s’attend à rencontrer l’unanimité, et ne
conçoit pas que des différences de jugements puissent dériver de quelque
division sociale, un préconstruit commun étant l’accès perceptif direct à
l’objet (comme les couleurs qui existeraient dans l’objet), définissable par
son unicité. Compte le consensus en soi, pas la question de savoir avec qui
l’on s’accorde : le consensus est recherché pour l’uniformité des juge-
ments qu’appelle le préconstruit épistémologique qu’on a de cet objet.
L'unanimité des réponses étant attendue, le nombre d'individus qui
divergent est central, le type de sources le plus signifiant étant la majorité
ou la minorité. Le choix entre maintenir sa réponse propre ou céder à celle
de la source, s’il en est, dépend alors largement du statut de la source.
Toute divergence met en principe en jeu l’objectivité des réponses de la
source, mais peut mettre aussi en jeu les réponses de la cible, dans la
mesure où par exemple les réponses de la source deviennent majoritaires
ou sont exprimées de manière consistante.
Le prototype de ce type de tâches est le fameux paradigme de Asch
(1956) où les sujets sont confrontés à une source qui répond contre l’évi-
230 PSYCHOLOGIE SOCIALE

dence perceptive. Le statut numériquement majoritaire de la source activerait


chez le sujet une peur du ridicule, de la déviance, de la désapprobation ou du
rejet, la divergence étant élaborée comme un conflit relationnel (cf. Huguet,
Nemeth et Personnaz, 1995). Il s’agit pour l’individu d’éviter de maintenir
un jugement déviant et d’assurer la restauration du consensus manifeste. En
règle générale, cela se traduit par un suivisme manifeste de la réponse de la
majorité. De ce renoncement à l’objectivité découlerait une menace de
l'intégrité de l’image de soi, l’indépendance des jugements ne pouvant
s'exprimer que symboliquement, à un niveau latent ou privé. L’individu n’est
donc pas convaincu de la réponse majoritaire, et aucune influence latente
n’est alors à attendre, ce qui se traduit par un retour au jugement personnel
antérieur, c’est-à-dire à la récupération de l’autonomie de jugement. Le plus
souvent en effet, dans ce type de tâches, l’influence majoritaire ne se traduit
que par de la complaisance, c’est-à-dire un patron de réponses impliquant
une influence manifeste sans influence latente.
La théorie de l’élaboration du conflit permet cependant de prédire une
inversion de la dynamique majoritaire prédominante, et en l’occurrence un
effet d'influence majoritaire latente, à la condition que la pression nor-
mative soit réduite et que l’on parvienne ainsi à empêcher toute influence
manifeste. Ainsi, Brandstätter et al. (1991) ont contrecarré l'élaboration
d’un conflit relationnel en supprimant le rapport face à face, en
garantissant l’anonymat, en réduisant la pression majoritaire à la simple
expression d’un pourcentage (82 % des gens jugent que...) et en faisant
passer la source pour erronée, c’est-à-dire en déniant la validité de ses
jugements. L'influence majoritaire latente qui a pu être observée est bien
imputable à l’attente d’unanimité, puisque eette dynamique d’objecti-
vation n’apparaît que si les stimuli utilisés (en l'occurrence des angles de
90° que la majorité jugeait valoir 50°) représentent des stimuli objectifs
totalement non ambigus, et non pas si les stimuli objectifs sont ambigus
(angles de 85°). Par ailleurs, le même paradigme a servi à démontrer que
la complaisance autant que l’objectivation majoritaire n'apparaissent,
selon que l’on introduit ou que l’on supprime les contraintes normatives,
qu’à la condition expresse que les sujets s’attendent à l'unanimité.
Lorsqu'une manipulation ad hoc convainc les sujets, malgré l'évidence
perceptive, de ne pas s’attendre à l’unanimité mais bien à des différences
de réponses, ces patrons d’influence disparaissent totalement, soulignant
l'importance pour l’élaboration des conflits du préconstruit spécifique à ce
type de tâches, en l’occurrence l’attente d’unanimité (cf. Butera, Huguet,
Mugny et Pérez, 1994).
Il s’agit bien d’ailleurs de processus d'influence spécifiques à la majo-
rité puisque dans les mêmes conditions le conflit introduit par une minorité
CHAPITRE XVII : INFLUENCES SOCIALES, SOURCES ET TÂCHES : L'ÉLABORATION DU CONFLIT 231

est désamorcé, aucune influence n’apparaissant à quelque niveau que ce


soit. Du fait de son statut, il est improbable qu’une minorité puisse induire
un conflit relationnel de ce type, puisqu'elle n’exerce pas une pression
suffisante à produire un suivisme manifeste. L’individu serait alors simple-
ment interpellé par le fait que la minorité rompt l’unanimité attendue, et
remet de ce fait en cause le fondement de ses préconstruits. Le conflit ne
serait plus élaboré en termes relationnels, comme face à une majorité, mais
en des termes purement épistémiques. L'indépendance exprimée au niveau
manifeste se doublerait alors de la recherche latente de l’unicité de l’objet.
En effet, si le conflit est résolu au niveau manifeste par une conformité de
soi, et donc par le rejet du jugement minoritaire, le conflit épistémique
reste encore irrésolu, l’individu ayant besoin de jugements totalement
consensuels pour avoir la garantie de leur objectivité. Il doit en consé-
quence recourir à une activité de reconstruction des propriétés de l’objet,
modifiant de quelque manière la perception latente des objets, avec pour
visée l’uniformisation de l’objet, qui intègre cette fois le point de vue
minoritaire, en un effet que Moscovici (1979) a qualifié de conversion
minoritaire, c’est-à-dire un patron de réponses impliquant une influence
latente sans influence manifeste. Cette dynamique illustre un principe
général de la théorie de l’élaboration du conflit selon lequel l’impossibilité
d’une résolution manifeste du conflit entretient le conflit, et peut nécessiter
une élaboration ultérieure de la divergence.
D’autres résultats complètent cette conceptualisation de l’influence
minoritaire en montrant qu’une source minoritaire induit une influence
latente non pas du fait d’une telle attente d’unicité, mais du fait qu’elle
induit chez les sujets une représentation de pluricité dans l’approche de
l’objet. Brandstätter et al. (1991) ont en effet aussi observé qu’une mino-
rité déniée peut induire une influence latente sur la perception de stimuli
objectifs, à condition qu’une certaine ambiguïté soit introduite (en l’occur-
rence les jugements portaient sur des angles de 85°), légitimant une
pluricité des jugements, en dépit de l’unicité de la réponse correcte.
La Figure 1 résume les élaborations du conflit dans les tâches objec-
tives non ambiguës selon la nature majoritaire ou minoritaire de la source,
ainsi que selon la présence ou l’absence de déni.

Non déni Déni


Majorité Conflit relationnel Conflit épistémique
Minorité Conflit épistémique Aucun conflit

Figure 1 : Élaborations du conflit dans les tâches objectives non ambiguës


232 PSYCHOLOGIE SOCIALE

3. La nature des conflits dans les tâches d’aptitudes


Dans les tâches d’aptitudes le conflit apparaît par exemple par rapport
à une perception ambiguë, à une information inconnue, à la résolution de
problèmes complexes ou à une prise de décision, et la cible d'influence sait
qu’existe une réponse correcte objectivement déterminable (sinon plu-
sieurs), mais ignore a priori de laquelle il s’agit. En soi, l’absence d’accord
entre individus ne rompt cependant aucune attente, puisque la divergence
et la diversité sont attendues du fait de l’incertitude qui caractérise la tâche.
La représentation de la tâche implique néanmoins que dans cette diversité
de réponses il y en a une ou quelques-unes plus correctes que d’autres.
L'influence sociale prend ainsi place dans des contextes qui symbolisent
en fait une épreuve d’aptitude, un test de capacités où les sujets tiennent à
donner une image de soi positive ou à améliorer leurs capacités de
jugement. Étant donné l’incertitude qui prédomine quant au jugement
correct et quant aux capacités propres, la recherche du consensus social
opérerait à titre prothétique. La validité du consensus reposerait princi-
palement sur les aptitudes de ceux avec qui l’on s’accorde, et en particulier
de leur expertise en la matière. Le fait que la source soit compétente ou
incompétente est dès lors de la plus haute pertinence. La Figure 2 résume
les élaborations du conflit dans les tâches d’aptitudes selon la haute ou
basse compétence de la source et de la cible, ainsi que selon que sur la
dimension de compétence la comparaison sociale est ou non menaçante
pour l’estime de soi.

Menace Non Menace


Source Compétente
Compétente Conflit de Inter dépendance
Cible compétences informationnelle
Incompétente Contrainte Dépendance
informationnelle informationnelle

Source Incompétente
Compétente -—- Absence de conflit
Cible
Incompétente Comparaison par le bas Conflit d'incompétences

Figure 2 : Élaborations du conflit dans les tâches d'aptitudes


CHAPITRE XVII : INFLUENCES SOCIALES, SOURCES ET TÂCHES : L'ÉLABORATION DU CONFLIT 233

Devant les sources perçues comme compétentes, la tendance de


l’individu se percevant comme moins compétent serait à la convergence.
La réponse de la source constitue en effet un apport d’information au sujet
en état de dépendance informationnelle, et lui sert de prothèse à son inap-
titude à juger. Une source crédible donne donc généralement lieu à une
ample influence manifeste : le point de vue de la source jouissant de davan-
tage de crédibilité que le sien propre, et sa probabilité de constituer une
bonne solution à défaut d’être la plus correcte étant élevée, son imitation
solutionne du même coup son incertitude.
Il se trouve cependant que la source plus compétente peut ne susciter
aucune autre activité sociocognitive particulière, et ce pour deux raisons
liées à une résolution du conflit en termes plutôt sociorelationnels qu’épis-
témiques. D’abord, sa valeur de modèle peut suffire à ce que la cible
prenne en compte ce qu’elle énonce du seul fait qu’elle est experte et
assure une forte garantie de validité de ses jugements, à l'instar d’une
heuristique de décision (Chaiken, 1987). La probabilité est alors haute que
le travail cognitif s’arrête là, l’individu se contentant de l’imitation, sans
autre élaboration cognitive du jugement de la source, en un effet d’apathie
sociocognitive (Butera, Gardair, Maggi et Mugny, 1998). Cette dynamique
illustre le principe général de la théorie de l’élaboration du conflit selon
lequel une résolution manifeste du conflit peut en terminer avec l’élabo-
ration de la divergence, et ne nécessiter aucune élaboration ultérieure.
En second lieu, la compétence d’une source d’influence peut constituer
une menace pour l’identité de l’individu, corollaire d’un désinvestissement
sociocognitif. Dans un premier cas de figure, lorsque la cible a peu de
compétence elle peut être amenée à concevoir que la compétence de la
source est exclusive de sa propre compétence,ce qui peut induire une forte
motivation à protéger l’estime de soi plutôt qu’à réellement intégrer la
réponse de la source. On peut illustrer ce propos par une étude sur l’influ-
ence sociale sur la représentation du groupe d’amis idéal (Mugny, Tafani,
Falomir et Layat, 2000). Des étudiants de psychologie ont reçu une infor-
mation à propos d’une étude prétendument réalisée par un étudiant de
licence, selon laquelle la satisfaction dans les groupes d’amis était plus
élevée en cas de leadership, en contradiction donc avec la représentation
sociale dominante. Le travail de l’étudiant était présenté comme ayant reçu
de la part de l’autorité épistémique (ses enseignants) soit la note maximale,
soit une note insuffisante, l’information étant ainsi rendue crédible ou
déniée. Par ailleurs, les sujets avaient à comparer leur compétence à celle
de la source soit en termes négativement interdépendants (et à répartir cent
points de compétence entre soi et la source), soit indépendants (cent points
étant disponibles pour la source et cent autres pour la cible elle-même). À
234 PSYCHOLOGIE SOCIALE

titre d’influence manifeste, on mesurait l’attitude des sujets envers l’exer-


cice d’un leadership dans les groupes d’amis, et à titre d’influence latente
le degré de centralité de l’égalité dans la représentation du groupe d’amis
idéal. Les résultats ont montré que l’attitude manifeste à l’égard du
leadership est plus favorable après confrontation à la source crédible, dont
le point de vue est davantage suivi que celui de la source déniée. L'égalité
est quant à elle moins centrale lorsque la comparaison sociale avec la
source s’est effectuée en termes indépendants, ce changement de la repré-
sentation étant plus marqué face à la source crédible. L'influence manifeste
d’une information légitimée par une autorité épistémique apparaît ainsi
garantie, mais ne donne lieu à une réelle appropriation de celle-ci que dans
la mesure où une gestion positive du rapport d’influence de la part de la
cible est possible. Lorsque l’opposition de jugements est élaborée dans les
seuls termes d’une comparaison sociale des compétences défavorable pour
la cible, la menace de l’identité peut contrecarrer la production d’un savoir
réellement intégrateur. Au contraire, l’absence de comparaison (Tafani,
Mugny et Bellon, 1999) ou une comparaison indépendante (Quiamzade,
Tomei et Butera, 2000) définissent un rapport non menaçant favorable à
l'appropriation réelle de l’information contradictoire.
D'autre part, la prise en compte de l’importance de la menace de
l'identité dans les tâches d’aptitude a permis d’identifier un autre conflit
face à des sources compétentes : le conflit de compétences, qui se produit
lorsque l’individu pense disposer lui aussi d’un haut degré de compétence.
Il est alors motivé à affirmer sa compétence propre en se différenciant de
la source pourtant compétente. Forcé à la divergence d’avec autrui, il ne
peut ni l’imiter, ni même s’inspirer de sa réponse. Il s’engagerait dans un
processus de comparaison sociale où la source doit être activement invali-
dée pour assurer l’auto-validation. Dans cette compétitivité symbolique, le
conflit social absorbe le conflit de réponses, sans aucune focalisation sur
la résolution de la tâche. Là aussi, c’est lorsque existe une comparaison
négativement interdépendante des compétences ou qu’une compétition
sociale exige que prédomine un seul et unique point de vue que cette
dynamique apparaît, alors qu’une comparaison indépendante ou une vision
plus relativiste et décentrée de la connaissance, moins menaçantes pour
l’estime de soi, permettent une intégration des points de vue, en une dyna-
mique d’interdépendance informationnelle similaire à celle qui est à
l’œuvre dans le progrès scientifique (cf. Butera et al., 1998).
Mais venons-en aux sources non crédibles. Étant donné leur manque de
compétence reconnue, il ne faut pas s’attendre à ce qu’elles obtiennent une
influence manifeste notable. Si la distanciation est donc ici de règle, l’indi-
vidu s’engagerait cependant dans un processus constructiviste centré sur la
CHAPITRE XVII : INFLUENCES SOCIALES, SOURCES ET TÂCHES : L'ÉLABORATION DU CONFLIT 235

réalisation de la tâche, dans un examen attentif de ce que la source avance


(cf. Moscovici, 1979) et des dimensions pertinentes du problème (cf.
Nemeth, 1987), avec pour motivation d’éviter de soutenir une réponse
erronée et de saisir le pourquoi de la dissension de la source. Plusieurs
raisons concourent à ce processus, dont la tendance à l’invalidation de la
réponse d’une source probablement erronée dont l’adoption révélerait une
inaptitude à juger. Cependant, la cible peut alors sentir une double crainte
d'invalidité : crainte de tomber dans l’erreur en cas d’adoption d’une
réponse ne bénéficiant pas de garanties sociales, et crainte d’écarter sa
réponse sans l’avoir préalablement invalidée, c’est-à-dire de s’être assuré
de son inadéquation, dans l’éventualité où elle se révélerait néanmoins
pertinente et pourrait être utile pour résoudre la tâche, et ce d’autant que
l’incompétence de la source n’augmente pas ipso facto la compétence
propre. Un tel conflit d’incompétences, celle de la source et celle du sujet,
engage paradoxalement celui-ci dans une activité de validation.
L'élaboration de pensées ou de raisonnements qui aillent au-delà de la
position manifeste de la source est guidée par un processus de validation
(cf. Huguet et al., 1995). Un des fondements de la validation réside dans
le degré d’indépendance de jugement imputé à la source : souvent une
source de basse crédibilité (comme une minorité, un novice} est perçue
comme ayant pour unique motivation sa manière propre de considérer
l’objet, ce qui a pour conséquence d’induire une activité de décentration,
qui consiste en ce que l'individu se met à admettre que la position
indépendante dont jouit cette source peut signifier qu’elle adopte une pers-
pective propre, et que, depuis d’autres perspectives, peuvent apparaître des
propriétés distinctes de l’objet aussi valides que celles que l’individu
connaît. L'intégration et la coordination de ces points de vue permettent
alors d’élaborer de nouvelles formes pour résoudre la tâche. Cette activité
de décentration a pour effet, du point de vue de l’influence indirecte,
d’activer une forme de pensée divergente, qui se caractérise par le fait que
les cibles font plus que se convaincre en privé de la justesse des positions
minoritaires, se livrant à une réflexion intense sur les multiples dimensions
du problème. Elles prennent plus de faits en considération, examinent le
problème selon un plus grand nombre de perspectives, et découvrent des
solutions qui sans cela seraient passées inaperçues. Ce processus de pensée
peut ainsi donner lieu à des réponses innovatrices, plus créatives et
originales (Nemeth, 1987 ; Quiamzade et al., 2000).
Pour vérifier que c’est un conflit d’incompétences qui est responsable
des effets constructivistes induits par une source de basse compétence, on
a dans une tâche de raisonnement contrecarré ces effets en introduisant une
comparaison sociale “par le bas” dont on sait qu’elle est typique des situa-
236 PSYCHOLOGIE SOCIALE

tions de menace (Butera et Mugny, 1995). À propos d’une tâche de raison-


nement inductif, on a mesuré le taux d’infirmation dans des tâches de test
d’hypothèses où cette stratégie, bien que rare, est appropriée. Les sujets
devaient se comparer à une source (dont la réponse divergeait) de faible
compétence (un apprenti) sur des traits renvoyant à la compétence, selon
une modalité négativement interdépendante ou indépendante (comme dans
les études citées plus haut). Dans la comparaison indépendante, les sujets
attribuent une quantité presque égale de points, soi et la source recevant
environ cinquante points, le conflit d’incompétences impliquant de ne pas
pouvoir trancher entre la compétence de soi et celle d’autrui. Dans la
condition d’interdépendance, les sujets opèrent une distribution asymé-
trique en leur faveur, n’attribuant à la source qu’un tiers des points. On
constate que les effets constructivistes d’utilisation de l’infirmation dans
une tâche de généralisation apparaissent dans la condition d'indépendance
de la comparaison, et disparaissent dès lors que la comparaison inter-
dépendante force le sujet à affirmer sa supériorité en confirmant son hypo-
thèse, en une dynamique de comparaison “par le bas”.

4. La nature des conflits dans les tâches d'opinion


Dans les tâches d’opinion les individus ne s’attendent nullement à une
réponse unique ou consensuelle. Bien au contraire, du fait que la divergence
porte sur des attitudes ou valeurs par nature divergents, ils anticipent une
pluricité de jugements particuliers, en correspondance cependant avec des
différenciations socialement pertinentes. Le degré de validation subjective
des opinions ne dépend alors pas tant du taux de consensus général
susceptible d’être atteint, que de l’homogénéité établie avec ceux auxquels
on s’identifie (cf. Festinger, 1954), et de l’hétérogénéité établie avec ceux
avec qui on ne s’identifie pas. Dans ces tâches, est en jeu la normativité des
réponses, l’attente et la motivation étant d’être conforme à ceux dont on est
proche, c’est-à-dire d’être similaire à des autrui de référence. L'identité
sociale des sujets étant en jeu, c’est principalement la catégorisation de la
source qui compte, selon donc qu’elle est intragroupe ou hors-groupe. La
Figure 3 résume les élaborations du conflit dans les tâches d’opinion selon
la nature majoritaire ou minoritaire de la source intragroupe ou hors-groupe.

Intragroupe hors-groupe
Majorité Conflit normatif Conflit intergroupe
Minorité Conflit d'identification Conflit cognitif-culturel, dissociation
Figure 3 : Élaborations du conflit dans les tâches d'opinion
CHAPITRE XVII : INFLUENCES SOCIALES, SOURCES ET TÂCHES : L'ÉLABORATION DU CONFLIT 237

Toute divergence perçue avec un intragroupe pertinent est


conflictuelle : ne pas répondre comme les autres membres de son propre
groupe revient subjectivement à contribuer à ce que le groupe perde sa
cohésion, et sa réponse, sa prototypicité, c’est-à-dire son caractère défini-
tionnel de l’appartenance au groupe (cf. Turner, 1995). Lorsque l'individu
s'attend à une similitude, en particulier avec la majorité de son intra-
groupe, et que celle-ci ne se produit pas, on parlera de conflit normatif.
Selon l’activité induite, on peut prédire divers patrons d'influence.
D'abord, elle peut donner lieu à une intensification du processus d’auto-
catégorisation et une plus forte identification avec ses positions, par
conformité à une réponse considérée comme définitionnelle (ou majori-
taire) dans l’intragroupe. Une tel processus appelle tout naturellement une
influence directe positive de la source. Pour autant que l’influence privée
ou indirecte constitue une dimension pertinente et saillante de l’identi-
fication avec la catégorie propre, l'influence manifeste pourra même
donner lieu à une intériorisation, c’est-à-dire se généraliser à des contenus
proches (Turner, 1995). Souvent cependant la conformité manifeste aurait
pour effet, pervers du point de vue de l’intragroupe, d’introduire une
paralysie sociocognitive se traduisant par une absence d’influence lorsque
l’auto-catégorisation est moins saillante, comme c’est le cas sur le plan
latent. On retrouve ici le principe général selon lequel une résolution
manifeste du conflit peut empêcher une élaboration ultérieure de la diver-
gence. En effet, le conflit normatif étant résolu par l’adoption de la réponse
manifeste, l’individu n’aurait pas à élaborer davantage le conflit (cf.
Sanchez-Mazas, Mugny et Jovanovic, 1996).
D'autre part, l’identification à des membres, en particulier minoritaires,
extrêmes ou déviants de l’intragroupe, comporte des connotations négatives
menaçantes pour l’image de soi. Toute approche d’autrui signifiant l’auto-
attribution de caractéristiques remet en cause le principe de positivité de
l’image de soi. On parlera dans ce cas de conflit d’identification, dont les
éléments dilemmatiques sont la protection d’une image de soi positive et la
pression à maintenir la cohésion ou l’homogénéité intragroupe. Les posi-
tions déviantes dans l’intragroupe induisent ainsi une dissimilation
exprimant l'impossibilité d'assumer une identification manifeste avec la
source du fait des coûts sociaux symboliques impliqués par des connotations
négatives. L'activité étant tout entière orientée vers la différenciation
intragroupe, la création de sous-divisions intracatégorielles, elle mobiliserait
toute l’activité sociocognitive du sujet, et ne laisserait pas plus de place à une
influence indirecte que directe (cf. Pérez et Mugny, 1998).
Face à un hors-groupe, les individus résoudraient le conflit manifeste
simplement en maintenant ou en accentuant la discrimination du hors-
238 PSYCHOLOGIE SOCIALE

groupe dont celui-ci pâtirait du simple fait d’être catégorisé comme hors-
groupe. Quand la source a un caractère majoritaire dans le hors-groupe, le
conflit prendrait la forme d’un conflit intergroupe, c’est-à-dire un conflit
entre deux points de vue antagonistes, forçant chaque partie à intensifier la
défense de sa propre position, et par exemple à trouver de nouveaux argu-
ments pour la renforcer. C'est-à-dire que s’instaure une compétition
sociale symbolique entre opinions, selon la logique de la différenciation
catégorielle (cf. Doise, 1976).
Diverses activités sociocognitives peuvent se développer face à une
minorité hors-groupe, de telle manière qu'après une première résistance
contre elle, ou une discrimination, une influence latente positive (une
conversion) peut apparaître. D'abord, la manifestation d’une conduite de
discrimination explicite peut elle-même créer un conflit On observe
fréquemment aujourd’hui qu’à propos de maints thèmes d'actualité la
discrimination (manifeste du moins) est une conduite censurée socialement,
l'esprit du temps condamnant toute pratique sociale de discrimination
lorsque celle-ci n’est pas “justifiée”. Ainsi, la résolution discriminatoire sur
le plan manifeste du conflit introduit par un hors-groupe peut entraîner
l'apparition d’un conflit cognitif-culturel (typique du racisme moderne ou
symbolique), se traduisant par une influence positive latente, induite par le
remords de la discrimination (cf. Pérez, Mugny, Llavata et Fierres, 1993).
Une autre activité susceptible d’assurer une conversion face à une
source hors-groupe est celle de dissociation (cf. Sanchez-Mazas et
Falomir, 1995). Celle-ci présuppose que l'individu réalise séparément
deux activités sociocognitives : celle de comparaison sociale entre soi et le
hors-groupe, et celle de validation des positions du hors-groupe pour elles-
mêmes. La première s’effectue au niveau de l'identité catégorielle. Une
fois résolue cette question de la comparaison, généralement au détriment
du hors-groupe, l'individu peut alors focaliser son attention sur le conflit
de normes, et traiter les contenus mêmes des positions du hors-groupe, en
l'occurrence ses principes organisateurs. C’est alors qu’il peut s'inspirer,
certes à un niveau latent, du noyau normatif de la source. Une certaine
reconnaissance des positions minoritaires peut aussi apparaître avec le
temps, en un effet de cryptomnésie sociale (cf. Butera et Pérez, 1995).

5. Conclusions
La théorie de l'élaboration du conflit a été proposée comme une
réponse possible, parmi d’autres, à l’hétérogénéité des effets d’influence
observés dans différents contextes, conceptualisés ici en termes de tâches,
CHAPITRE XVII : INFLUENCES SOCIALES, SOURCES ET TÂCHES : L'ÉLABORATION DU CONFLIT 239

de sources et de niveaux d’influence distincts. Elle s’appuie spécifique-


ment sur une conceptualisation des processus d’influence en termes de
conflit (Moscovici, 1979), c’est-à-dire des facteurs déterminant l’élabo-
ration de la divergence entre les jugements de la source et de la cible.
Au-delà des spécificités propres à chaque conflit, plusieurs tendances à
valeur générale semblent se dessiner. D’abord, lorsque les facteurs en
question déterminent une élaboration plutôt relationnelle du conflit, les
dynamiques d’influence semblent apparaître davantage au niveau
manifeste. Ainsi, lorsqu’est introduite une pression relationnelle quelcon-
que à afficher une certaine approbation d’une source, son influence mani-
feste tend à augmenter, mais tend aussi à empêcher une influence latente.
Ensuite, les patrons d’influence que l’on peut distinguer apparaissent le
plus clairement en cas de correspondance entre les attentes typiques d’une
tâche et la légitimité de la source. En l’occurrence, lorsque la tâche appelle
à l’unanimité ou à la conformité, une influence manifeste sans influence
latente est plus probable avec une source disposant des ressources psycho-
sociales pertinentes. Les sources ne jouissant pas de telles ressources ont
par contre un impact privilégié lorsque la tâche appelle à une certaine
diversité de jugement, du fait que la cible est concernée par la
compréhension, l'intégration et la validation de la réponse de la source, ou
même par son déni (cf. Falomir, Mugny et Pérez, 1996). Il s’agit cependant
là de tendances générales, dont il s’agit de ne pas perdre de vue qu’elles
fluctuent selon les tâches spécifiques, et l’expérimentation a permis de
tester des hypothèses relatives à divers cas de figure découlant spécifi-
quement d’une conceptualisation des processus d’influence en termes de
conflit.
Décidément, une théorie générale de l’influence ne peut se passer de
différenciations, en prenant principalement en compte la nature de la
source et la spécificité des préconstruits des tâches et, la recherche récente
en a souligné toute l’importance, la présence ou l’absence de menace
identitaire (cf. Falomir, Mugny et Pérez, 2000).
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CHAPITRE XVIII

Les décisions collectives

Mohamed DORAÏ et Alain DELAHOUSSE

Six amis se réunissent un jour pour décider du choix de la direction de leurs


prochaines vacances. Chacun commence par exposer ce qu'il aime faire et
l'endroit où s'y rendre : quatre voudraient aller à la plage, un s'est déclaré
pour la montagne et le dernier a affiché une totale incertitude. Ils décident
alors de discuter ensemble chacune des propositions pour essayer d'aboutir à
un accord entre eux, afin que leur choix soit unanime. Après vingt minutes de
discussion, ils ont retenu un choix commun qui était au début minoritaire, celui
d'aller à la montagne.

On peut dire qu’un individu prend une décision lorsqu'il est seul et
aboutit à une autre lorsqu'il est en groupe. L'objet de ce chapitre est
d’étudier comment se prennent les décisions en groupe lorsqu'elles sont
envisagées de façon consensuelle.
Le psychologue social s’intéresse à l’analyse des décisions pour au
moins deux raisons : l’une pratique, l’autre théorique. L'aspect pratique
provient du fait que les décisions de groupe sont fréquemment assez
décevantes : la plupart des membres souhaitent un accord mais ils désirent
en même temps faire entendre leur propre point de vue, donc ils marchan-
dent et acceptent des compromis. Le produit final est une décision qui
déçoit tous les membres et à laquelle aucun ne croit vraiment. L'aspect
théorique apparaît dans le fait qu’on pense souvent que les groupes
prennent leurs décisions de la même manière que les individus. On
suppose, dans ce cas, que chaque membre est un individu d’abord ration-
nel, car il obéit à une logique de fonctionnement, et surtout moral car 1l est
doté d’une haute probité. Ensemble, les individus évaluent les avantages et
les inconvénients de chaque solution pour choisir en définitive celle qui
présente le plus d’avantages et, si possible, le moins d’inconvénients. Si les
242 PSYCHOLOGIE SOCIALE

choses étaient ainsi, on pourrait dire que les décisions collectives sont de
même nature que les décisions individuelles. Mais, s’il n’en était pas ainsi,
on pourrait alors affirmer qu’il existe des différences entre les décisions
prises en groupe et celles qui sont initiées par les individus. Ces différences
sont développées par Janis (1972) à partir de nombreux exemples pris sur
la manière dont les comités du gouvernement américain ont arrêté leurs
décisions. Cet auteur propose quelques explications parmi lesquelles on
peut citer : une pression directe sur les membres qui expriment des argu-
ments allant à l’encontre des engagements du groupe, l’autocensure de
ceux qui dévient du consensus retenu par le groupe, l'illusion partagée de
l’unanimité sur les jugements conformes à l’opinion de la majorité.
Tous les travaux portant sur ce problème aboutissent au fait que les
décisions collectives sont moins bonnes que celles qui sont prises de façon
individuelle. Ce que fait un individu seul ou isolé ne permet pas de prévoir
ce qu’il fera lorsqu’il est associé à d’autres. Autrement dit, il n’y a pas lieu
de supposer que la décision d’un groupe est analogue à celle de l’individu.
La décision du groupe n’est pas une décision individuelle amplifiée. Le
problème posé par les décisions collectives est celui de la source qui émet
la décision, soit l’individu seul, soit les membres d’un groupe à travers une
construction collective. Le problème soulevé par la source émettrice de la
décision ne doit pas être confondu avec la performance soit de l’individu,
soit du groupe. En effet, on estime souvent que les performances d’un
groupe sont supérieures à celles d’un nombre égal d’individus isolés ou
d’un seul individu (Zajonc, 1967). Deux ou plusieurs valent mieux qu’un
dit-on ! Cette dernière remarque a donné lieu à une problématique qui a
ouvert un champ à de nombreux travaux qui comparent les performances
tant individuelles que collectives. Deux courants sont depuis bien long-
temps développés : la facilitation sociale (Triplett, 1897) et la tendance
opposée ou paresse sociale (Ringelman, 1913).

1. Effet de normalisation et effet de polarisation


Dans un compromis rationnel, l'opinion de chacun est prise en compte
et, par des concessions mutuelles, on définit un choix commun à tous les
membres du groupe. Dans le cas où il n’y a pas de normes établies, on
parle de décisions qui traduisent un effet de normalisation ; c’est-à-dire
que l’ensemble des opinions ou des jugements de chacun est devenue la
norme de tous. Dans d’autres circonstances, on observe un comportement
différent ; la décision du groupe s’écarte de la moyenne et tend à s’appro-
cher de l’un des pôles de l’éventail des opinions et des jugements pré-
CHAPITRE XVIII : LES DÉCISIONS COLLECTIVES 243

existants dans le groupe. Dans ce cas, on dit que la décision traduit un effet
de polarisation.
L'effet de normalisation est bien connu, il s’agit de l’établissement d’un
point de vue commun. Il a été l’objet de divers développements. Par
exemple, Allport (1924) explicite cette propension au compromis comme
suit : “{l y a une tendance humaine fondamentale à tempérer ses opinions
et ses conduites par déférence pour les opinions et la conduite des autres.
L'apprentissage précoce et les contacts sociaux nous éduquent dans le
sens de l’évitement des extrêmes de toutes sortes...” (p. 278). Cette
convergence est expliquée, selon l’auteur, par la crainte d’avoir des juge-
ments en désaccord avec les autres, et par la tendance à vouloir se rendre
acceptable par autrui. D’autres auteurs ont développé le même point de vue
mais en proposant d’autres explications (Sherif, 1936 ; De Montmollin,
1965 ; Moscovici et Ricateau, 1972). Il en est de même pour Kelley et
Thibaut qui écrivent : “Quand il agit avec d’autres personnes, l'individu
réagit à elles. en tempérant ses jugements de manière à éviter la possi-
bilité d’être extrêmement différent des autres” (1954, p. 769). Le deuxième
effet, de polarisation, traduit un certain changement. Au lieu de chercher à
établir un compromis, les membres du groupe s’en écartent, ils accordent
un poids important aux opinions minoritaires. De fait, dans toute situation
de prise de décision, on a affaire à un conflit entre des solutions
différentes : d’un côté, on cherche à éviter le conflit par différents moyens
(Janis, 1972), de l’autre, on laisse le conflit s’amorcer et on donne aux
différents points de vue la possibilité de s’exprimer. Les conséquences
dans les deux cas ne sont pas les mêmes.

2. Comparaisons entre décisions individuelles et décisions


collectives
Les expérimentations qui rendent compte de ces comparaisons ont été
réalisées sous la direction de Lewin (1947) dans le contexte de la Seconde
Guerre mondiale aux États-Unis. Le cadre de ces travaux est celui du change-
ment des habitudes alimentaires. Il s’agit de vaincre les résistances psycho-
logiques relatives à la consommation de certaines viandes comme le cœur, le
foie, les rognons ou les tripes dues à leur texture ou leur odeur. Trois
expérimentations ont été réalisées avec des produits alimentaires différents.
La première a porté sur des abats, la seconde a utilisé du lait frais et du lait en
poudre, enfin la troisième a mis en situation du jus d’orange et de l'huile de
foie de morue. Dans chacune de ces situations, les sujets expérimentaux
étaient partagés en deux sous-groupes et donc soumis respectivement à deux
244 PSYCHOLOGIE SOCIALE

conditions différentes. Dans une première modalité, les membres du premier


sous-groupe écoutaient un conférencier qui exposait devant eux les avantages
et les inconvénients de la consommation de ces aliments. Après l'exposé, une
discussion s’engageait entre, d’une part, le conférencier et d’autre part
l’auditoire, cet échange se déroulait sans aucune entrave à la liberté
personnelle. À la fin, il était demandé à chacun de dire s’il avait l’intention de
préparer et de servir l’un de ces mets. Dans la seconde modalité, les sujets
recevaient les mêmes informations que dans la première modalité, mais
engageaient directement une discussion entre eux, ils échangeaient des
recettes et s’expliquaient mutuellement les modes de préparation et leurs
points de vue. Ils s’engageaient éventuellement en public, c’est-à-dire devant
les autres, à préparer et à servir une de ces viandes. Les résultats obtenus sont
les suivants : le pourcentage d’individus servant ces viandes suite à une
conférence s’élève à 3 % contre 32 % suite à une discussion de groupe. Ces
résultats indiquent une efficacité nette en faveur des décisions de groupe.
Dans les autres situations (lait frais et lait en poudre, jus d’orange et huile de
foie de morue) des contrôles étaient effectués deux puis quatre semaines
après. Les résultats obtenus indiquaient systématiquement des pourcentages
nettement plus élevés en faveur de la décision du groupe et en défaveur des
conférences ; de plus les pourcentages continuaient de croître de la deuxième
à la quatrième semaine de contrôle. L'auteur présente une explication de ce
phénomène qui repose sur le “gel” de la décision prise. Le premier engage-
ment devant les membres du groupe amène un effet qui persiste après, lorsque
l'individu se retrouve seul, la décision est dite gelée. On peut dire qu’il existe
une plus grande efficacité de la discussion par rapport à la situation de
conférence, et cette efficacité n’est pas due aux aliments de la première
expérience puisqu'elle se retrouve par la suite avec d’autres produits pendant
les autres expériences. Enfin, cette efficacité est stable puisqu'elle se
manifeste dès le début et se prolonge au moins jusqu’à la quatrième semaine.

3. Le risque dans les groupes


Les premiers travaux sur l’élaboration des jugements et des normes ont
surtout mis en évidence des phénomènes de convergence et de compromis,
c’est l’effet modérateur des jugements produits en groupe.

3.1. Stoner et le “risky-shift”

En 1961, Stoner présente les résultats d’un travail nouveau et surprenant.


Le sens commun veut que le groupe soit plus modéré que les individus, mais
CHAPITRE XVIII : LES DÉCISIONS COLLECTIVES 245

Stoner trouve un résultat inverse : le groupe prend davantage de risque que


les individus. Ce phénomène a pris le nom de déplacement vers le risque
(risky-shift). Vers les années 1960, l'étude de la prise de risque devient l’un
des principaux domaines de la recherche en psychologie sociale. La
procédure expérimentale est simple, Les sujets réunis en groupe de quatre
ou cinq répondent individuellement à une situation portant sur des
problèmes de prise de risque, les situations sont au nombre de douze
environ. Dans chaque cas, un personnage se trouve devant un choix entre
une éventualité sûre mais peu attrayante et une autre plus attrayante mais
risquée. Les sujets doivent, pour les douze situations décrites, indiquer à
partir de quelle probabilité minimale de réussite ils conseilleraient au
protagoniste du récit de choisir l’alternative qui est à la fois la plus
attrayante et la plus risquée.
Exemple :
“MonsieurÀ, ingénieur électricien, est marié et a un enfant. Il travaille depuis sa
sortie de l’école d'ingénieurs (il y a cinq ans) dans une grande entreprise d'élec-
tronique. On lui assure un poste durant toute sa vie avec un salaire modeste mais
convenable et une retraite avantageuse. Mais il est peu probable que son salaire
s’accroisse beaucoup jusqu'à sa retraite. Alors qu'il participait à un récent
congrès, on a offert à MonsieurÀ un poste dans une petite compagnie, nouvelle-
ment créée dont l'avenir est incertain. Ce nouveau travail lui assurerait dès le
départ un salaire plus élevé et lui donnerait la possibilité de participer aux
bénéfices de la compagnie si celle-ci survit dans la compétition avec les
entreprises plus importantes.”

Supposons que vous conseilliez Monsieur A. Veuillez cocher la plus


faible probabilité vous semblant acceptable pour que Monsieur A ait avan-
tage à prendre ce travail. Monsieur À devrait accepter cet emploi si les
chances de bénéfices de la nouvelle compagnie sont au moins de : 1 chance
sur 10 ; 2 chances sur 10 ; 3 chances sur 10 ; 4 chances sur 10 ; 5 chances
sur 10 ; 6 chances sur 10 ; 7 chances sur 10 ; 8 chances sur 10 ; 9 chances
sur 10 ; 10 chances sur 10. Les autres arguments, tous présentés de la même
façon, portaient sur l’investissement monétaire, le choix d’un conjoint, le
choix d’études.

3.2. Le paradigme expérimental utilisé

Il est toujours le même et constitué de trois phases : le pré-consensus


(phase individuelle), le consensus (phase collective de discussion) et le
post-consensus (phase de nouveau individuelle). Les principales mesures
expérimentales portent sur les changements opérés entre les phases, cela
consiste à les comparer deux à deux, la première et la seconde, la première
246 PSYCHOLOGIE SOCIALE

et la troisième, la seconde et la troisième. Les résultats obtenus par Stoner


ont été confirmés par de nombreuses autres recherches réalisées aux Etats-
Unis, au Canada, en France, en Israël, en Nouvelle-Zélande. Ces travaux
ont obtenu très rapidement du succès pour la facilité de leur réalisation et
de leur reproduction.

3.3. L'accroissement du risque

Trois conditions semblent au moins devoir être réunies pour que


l'accroissement du risque se produise lors d’une interaction sociale : la
discussion, la divergence des positions individuelles dès le départ et
l'orientation générale du matériel qui sert de thème de discussion.

+ La discussion
Kogan et Wallach (1965) étudient trois sortes d’interactions collectives.
Tout d’abord, la discussion entre les membres d’un groupe en vue d’arriver
à un consensus, puis la discussion entre les membres suivie d’une refor-
mulation individuelle, enfin l’établissement d’un consensus sans discus-
sion. Il y a échange entre les membres à travers l’affichage au tableau sans
discussion entre eux. Les deux premières formes d’interaction accroissent
le risque, seule la troisième forme d’échange n’augmente pas le risque
(résultats indiqués par Doise et Moscovici, 1972).

CONDITIONS HOMMES
Discussion avec consensus moyenne
Consensus — pré-consensus
Post-consensus — pré-consensus
Discussion sans consensus
Après discussion avant discussion
Consensus sans discussion
Consensus- pré-consensus
Post-consensus- pré-consensus

Tableau 1 : Changements de prise de risque dans différentes conditions expérimentales

Les résultats montrent une accentuation du risque lorsqu'il y a


discussion.
CHAPITRE XVIII : LES DÉCISIONS COLLECTIVES 247

+ La divergence des positions initiales


Plusieurs études ont montré que plus la différence des positions initiales
est grande, plus grand est l’accroissement du risque ; c’est-à-dire que plus on
est différent au départ, plus le risque pris dans le groupe est grand.

e L'orientation du matériel
En utilisant le questionnaire de Kogan et Wallach (1965), les chercheurs
ont remarqué que l’accroissement du risque n’était pas le même pour tous
les items. Certains contenus d’items comme l’hésitation d’un couple devant
le mariage ou le divorce amenaient des changements dans le sens de la
prudence. Certains contenus induisent donc plus de risque et d’autres
amènent plus de prudence. Zaleska (1980) a développé quelques thèmes
divers comme 1. l’attribution d’un salaire à tous les étudiants, 2. la loi sur le
divorce, 3. l’accroissement des enseignements techniques au détriment des
enseignements théoriques, 4. la législation de l’époque sur l’interruption de
la grossesse, 5. l’utilisation des sels de lithium pour soigner la psychose
maniaco-dépressive, 6. la discussion des facteurs déterminant l’intelligence
d’un enfant : facteurs innés versus facteurs acquis.

3.4. Les explications de l'accroissement du risque


Trois ordres importants d’explications ont été proposés par les auteurs.
Kogan et Wallach (1967) avancent l’idée que la décision en groupe génère
une dilution de la responsabilité individuelle. Se sentant moins tenu par la
responsabilité personnelle d’un éventuel échec de leurs recommandations, les
individus conseilleraient plus facilement les choix risqués dans les situations
collectives que dans les situations individuelles. La réciprocité des échanges
et des interactions dans le groupe rend l’individu téméraire et plus osé. Cette
explication, proche de la psychologie de la foule, n’a pu être retenue car elle
ne permet pas de comprendre le rôle essentiel de la discussion.
Une autre explication est proposée par Brown (1965). Pour cet auteur,
le risque est davantage valorisé dans les sociétés occidentales que la pru-
dence. Deux conséquences en découleraient lorsque les individus entrent
en interaction : d’une part, un nombre plus important d’arguments serait
avancé en faveur du risque qu’en faveur de la prudence, d’autre part, les
individus ayant adopté les positions les moins risquées dans le groupe
s’apercevraient, par comparaison avec les autres, qu’ils ne valorisaient pas
suffisamment le risque. Ces individus ajusteraient alors leurs réponses en
fonction des positions des individus les plus audacieux.
Pruitt (1971) insiste sur cette idée, l’individu a tendance à choisir davan-
tage le risque parce que la décision risquée indiquerait une maîtrise de la
248 PSYCHOLOGIE SOCIALE

situation et de l’environnement. Par conséquent, le sujet semble plus dominer


l’environnement dans les choix risqués que dans les choix prudents, ce qui est
socialement valorisé.

4. La polarisation collective
Dans la plupart des recherches, le phénomène d’accroissement du risque
en groupe a été considéré comme une exception à la règle générale de la
modération individuelle en situation collective. Selon Moscovici et
Zavalloni (1969), l'explication doit être recherchée au niveau du processus
par lequel s’élabore la décision du groupe, c’est-à-dire la discussion. Leur
expérience princeps consiste à reprendre le paradigme expérimental tradi-
tionnellement utilisé dans le domaine de la prise de risque dans les groupes,
mais en l’appliquant sur des questionnaires d’attitude. Le paradigme com-
prend donc les trois phases habituelles du risky shift : le pré-consensus, le
consensus et le post-consensus. Une synthèse des travaux qui résument le
passage de l’étude du phénomène de prise de risque à la polarisation a été
présentée par Vandekeere (1979). Trois conditions expérimentales sont
étudiées : dans la première, les sujets expérimentaux répondent à un ques-
tionnaire d’attitude concernant le chef de l’État de l’époque (le général de
Gaulle), avec des items tels que “de Gaulle est trop âgé pour mener à bien sa
tâche politique”. La deuxième condition proposait un questionnaire d’atti-
tude portant sur les Américains du Nord avec des items du genre “l’aide
économique américaine est toujours utilisée pour exercer une pression
politique”. Dans ces deux conditions, l’échelle d’attitude utilisée est de type
Likert, ce qui veut dire que les sujets répondent en donnant leur propre
opinion à l’aide de sept catégories de réponse orientées allant de —3 (pas du
tout d’accord) à +3 (tout à fait d’accord) en passant par les différents degrés
de l'échelle. Dans ces conditions, les réponses fournies nécessitent une
implication personnelle de la part des sujets. Dans la troisième condition, les
sujets n’expriment pas leur propre opinion mais doivent dire si les items
concernant le général de Gaulle sont libellés de façon favorable ou défavo-
rable à celui-ci. Dans ce cas, il s’agit d’une échelle de type Thurstone dans
laquelle il n’y a pas d’implication personnelle de la part des sujets puisqu'ils
ne sont pas invités à exprimer leur propre opinion. Cette échelle est répartie
sur sept degrés allant de 1 (tout à fait défavorable) à 7 (tout à fait favorable).
Avant de présenter les résultats de cette expérience, réglons d’abord une
question de terminologie. On appellera extrémisation collective le fait que
le consensus est plus extrême que ne l’est la moyenne du pré-consensus.
C'est-à-dire qu’il y a un déplacement des positions vers un des pôles
CHAPITRE XVIII : LES DÉCISIONS COLLECTIVES 249

extrêmes de l’échelle. En revanche, la polarisation collective est le fait


qu’un consensus s’approche davantage du pôle de l’échelle qui attirait déjà
des réponses individuelles. Dans ce sens, une polarisation est néces-
sairement une extrémisation mais l’inverse n’est pas vrai. Prenons un
exemple : sur une échelle allant de —3 à +3, quatre personnes donnent les
réponses individuelles suivantes : 0, +1, +1, +2, la moyenne du pré-
consensus est de +1. Si le consensus obtenu pour ces 4 sujets est de +2, ce
consensus est une extrémisation, en même temps qu’une polarisation. Par
contre, si le consensus pour le même groupe de —2 c’est une extrémisation
sans être une polarisation car personne n’avait cette valeur avant le consen-
sus. Il s’agit d’une réponse nouvelle pour tous les membres du groupe. Le
score d’extrémisme d’un groupe est mesuré à chaque phase par la
différence, en valeur absolue, entre la réponse du groupe et le point neutre
de l’échelle qui correspond à la modération. L’extrémisation est appréciée
par la comparaison des scores d’extrémisme du consensus, puis du post-
consensus par rapport au pré-consensus. La polarisation collective est
l’accentuation d’une tendance initialement exprimée, ou dominante, dans
un ensemble de groupes. Elle se mesure sur une échelle d’attitude, par la
comparaison des réponses moyennes de l’ensemble des groupes lors des
phases du consensus, puis du post-consensus par rapport au pré-consensus.
Les travaux sur la prise de risque (mesurée sur une échelle de probabilité)
ne sont que des cas particuliers de la polarisation.
Revenons aux résultats de l’expérience de Moscovici et Zavalloni
(1969). Ces résultats indiquent que, dans les trois conditions, les moyennes
des consensus et des post-consensus sont plus élevées que la moyenne du
pré-consensus. De plus, les sujets donnent des valeurs plus extrêmes quand
ils discutent de leur propre attitude (conditions 1 et 2) que lorsqu'il s’agit
d’un jugement qui ne les engage pas (condition 3). L’extrémisation mène,
pour l’ensemble des items, à une polarisation : l'attitude favorable au
général de Gaulle le devient encore plus après l'interaction, de même
l'attitude défavorable vis-à-vis des Américains devient plus hostile après
l'interaction. D’autres auteurs ont vérifié la généralité de ces résultats en
s'inspirant de ces recherches.

Consensus | Post-consensus
Items favorables à 5.53 5.91 5.93
De Gaulle
Items défavorables à 2.25
De Gaulle

Tableau 2 : D'après Moscovici et Zavalloni (1969, p. 23)


250 PSYCHOLOGIE SOCIALE

5. L'engagement dans l'interaction


L'expérience citée de Moscovici et Zavalloni (1969) indique que la
polarisation collective résulte de l'engagement des membres du groupe
dans l’interaction. Moscovici et Lecuyer (1972) font varier cet engagement
dans les groupes selon deux conditions : soit les membres du groupe sont
assis autour d’une table carrée, soit ils sont en ligne, l’un à côté de l’autre.
Ces auteurs montrent que la confrontation spatiale des sujets aboutit à une
confrontation plus directe au niveau des opinions. La polarisation est plus
forte quand les sujets sont disposés en carré, donc face à face, que quand
ils sont alignés et assis côte à côte. Dans une autre recherche, Moscovici,
Doise et Dulong (1972) montrent que, lors d’une discussion en vue d’arri-
ver à une réponse commune à une question, les individus procèdent à des
échanges au niveau de l’échelle, qui se situent à deux niveaux. Ils expri-
ment le niveau des réponses manifestes sur l’échelle, ce sont les positions
objectivement déclarées. Mais ils peuvent aussi exprimer les opinions
sous-jacentes aux choix objectifs déclarés sur l’échelle. Les échanges à ces
deux niveaux s’imbriquent et donnent habituellement lieu à l’élaboration
d’un consensus au niveau des réponses. On peut dire que l’un de ces
niveaux est plus quantitatif (divers points de l’échelle) et l’autre plus
qualitatif (diversité des opinions relatives aux points de l'échelle). Au
premier niveau, le compromis est plus facile à obtenir tandis qu’au second
il est nettement plus difficile à réaliser car il engage davantage les sujets.et
les implique plus. Une conséquence importante en découle pour l’élabora-
tion d’un consensus : la divergence entre les sujets ou la présence d’un
individu extrémiste a peu d’importance en soi. C’est le niveau sur lequel se
déroule l'interaction qui en détermine l’importance : de quoi discute-t-on ?
Discute-t-on plus, du fond du problème ou de l’échelle qui l’évalue ?
Lors des discussions en groupe, les échanges concernant la procédure à
suivre pour discuter et les limitations de temps de parole, soit pour chacun,
soit pour l’ensemble, interviennent couramment. De telles remarques
servent à détourner le groupe du fond du problème à résoudre et influen-
cent la qualité de l'interaction. Ils ont pour but implicite d’induire les
membres du groupe à ne pas aborder de front leurs divergences d’opinion
et à se limiter à une mise en correspondance de leurs choix manifestes, ce
qui les amène plus facilement à un compromis. Des sujets à qui il a été
demandé de faire attention aux procédures et de limiter le temps pour
résoudre un problème ont moins polarisé sur un matériel de prise de risque,
que des sujets à qui l’on n'avait demandé aucune restriction (Hall et
s

Watson, 1970).
CHAPITRE XVIII : LES DÉCISIONS COLLECTIVES 251

6. Remarques générales
Les travaux sur le consensus dans les groupes ont emprunté deux
directions. Les individus ont en général des attitudes fermes, ce qui les
amène à ne pas les modifier. Personne ne veut se départir de ses positions
qu'il pense avoir mûries. Mais on peut aussi dire que les individus
s’influencent mutuellement : dès que l’individu est en contact avec autrui
il est à son écoute, il y a modification. Conclusion, pour étudier les consen-
sus collectifs, il ne faudrait pas partir des attitudes car elles ne permettent
pas ou si peu le changement. Il ne faudrait pas non plus penser aux influ-
ences car elles conduisent au changement. La polarisation est en fait un
paradoxe. Pour le comprendre, il faut poser le problème de la décision.
Comment est-on amené à prendre une décision quand on est seul ou isolé
ou quand on est en groupe avec d’autres ? On peut penser que les deux
directions, influences et attitudes, présentent des contrastes ou des effets
opposés mais elles sont toutes les deux vraies. Certains auteurs pensent, à
l'instar de l’intuition populaire, que l’accord entre les individus est signe
de vérité, ils considèrent par conséquent que le consensus est le fondement
de la vie sociale. Le consensus explicite donne sens au choix du sujet, c’est
un engagement de sa part sur plusieurs plans : participation au groupe,
consentement aux valeurs du groupe, actions engagées avec le groupe.
cela donne aux autres la possibilité de compter sur lui et de lui faire
confiance. C’est le sens que Durkheim donne au lien social en tant que
solidarité interne. Comme le consensus est un accord entre différents indi-
vidus, il ne doit pas être le fruit d’une pression extérieure et doit être
obtenu de façon volontaire et libre. Dans le consensus, il s’agit de parvenir
à une décision commune qui sera intériorisée par tous les membres et
adoptée par eux. En définitive, on peut dire que le groupe està la fois
polarisateur et modérateur des positions individuelles et collectives. On
peut noter que la modération et l’extrémisme sont des aspects complé-
mentaires. Deux modèles peuvent rendre compte de cette opposition. Le
premier modèle est toujours dominant en psychologie sociale, il constate
que les individus sont moins bons d’une manière générale quand ils sont
en groupe. Le niveau du groupe se situe au niveau des individus les plus
faibles. On dit que le groupe “tire vers le bas”. Le deuxième modèle recon-
naît au groupe la capacité de stimuler et de dynamiser les qualités intellec-
tuelles et affectives. Beaucoup de travaux illustrent la supériorité du
groupe par rapport à l'individu. En réalité pour expliquer ce qui se passe
dans le groupe, il faut questionner les interactions collectives car la
polarisation et l’uniformisation ne sont que des symptômes du fonction-
nement du groupe. C’est par l’échange que le groupe se crée et perdure, il
252 PSYCHOLOGIE SOCIALE

est l’œuvre collective des membres lorsqu'ils interagissent. Dans


l'interaction, le groupe se révèle nécessaire, il est l’œuvre de tous, 1l
rapproche les individus et leur montre que tout ce qu'ils font
collectivement a du sens.
CHAPITRE XIX

Dynamique des groupes :


actualité d’un cadre théorique et pratique
Raymond DUPUY

1999, l’une des directions régionales d'un grand organisme public définit un
cahier des charges à travers un appel d'offres, visant à accompagner des
changements conséquents dans l’organisation de ses services. Dans le
contexte général de mutation socio-technique que connaissent toutes les
organisations de travail, l'administration centrale élabore et déploie de
nouveaux principes et modalités de management : gestion par projets,
flexibilité/réactivité, réaménagement du temps de travail, mobilité intra et
inter-organisationnelle, gestion qualité, rationalisation des choix budgétaires,
autonomisation, responsabilité, compétences individuelles.
Les constats des commanditaires portent sur la disparité des niveaux
d'information, de compréhension et de motivation par rapport aux processus
de changement engagés par la nouvelle équipe dirigeante ; sur les contra-
dictions dénoncées entre les logiques de gestion des carrières administratives
habituelles et les logiques émergentes de gestion des ressources humaines
empruntées aux secteurs de productivité concurrentiels ; sur l'hétérogénéité
des niveaux de qualification entre agents et entre équipes vis-à-vis des nour'el-
les technologies d’information et de communication envisagées ; sur la néces-
saire recomposition des équipes et des services. Sachant que la moyenne d'âge
s'accroît, se posent, entre autres, les questions de savoir : comment remobili-
ser les compétences existantes, dans un contexte de faibles possibilités
d'embauche ; comment changer de rapports avec les usagers sans perdre une
image valorisée de service public de qualité ; comment prendre en compte,
sans les exclure, des salariés plus ou moins en retrait. En réponse à la
demande d'une partie de l'encadrement, les directions de la communication et
de la formation initient une démarche de réflexion fondée sur la participation
volontaire des agents à des groupes de formation. Les premières conférences-
débats visent à actualiser et à confronter les connaissances en psychologie et
sociologie des organisations, permettant de mieux comprendre, anticiper et
254 PSYCHOLOGIE SOCIALE

maîtriser les transformations de l'organisation et de ses environnements. Elles


sont considérées comme une étape préliminaire à une démarche globale de
changement à élaborer progressivement en commun dans l'ensemble des
unités.

Environnement incertain, pression au changement, définition des


visées, leadership, outils et normes d’action, principes de management,
critères de performance, conflits de valeurs, résistance au changement,
différenciation et coordination de rôles, composition de groupes de travail,
élaboration et opérationnalisation de décisions, régulation du climat et des
relations inter-personnelles, cohésion intra et inter-services, négociation,
enjeux d'identification et de reconnaissance, intégration/exclusion,
communication et réseaux d’information, apprentissage, construction et
transformation des connaissances et des savoir-faire, formation et action.
La situation sociale schématisée ci-dessus soulève, aujourd’hui, sous des
formes et une intensité nouvelles, nombre des questions qui ont conduit, au
milieu du siècle dernier, à conceptualiser la “dynamique des groupes”. Elle
réitère la demande de modèles, pour éclairer le sens et éventuellement
soutenir l’efficience de l’action dans les groupes et les organisations. ce
qui exige, conjointement, une poursuite des questionnements fondamen-
taux en psychologie sociale :
Quelle est la place des groupes dans les processus d’inter-construction de
l’individuel et du social ? Comment se créent les groupes sociaux, comment
peut-on les définir, comment se transforment-ils ? Comment comprendre les
processus d’aspiration et/ou de résistance au changement qui sous-tendent
leur dynamique ? Parmi les diverses instances sociales — groupes,
organisations, institutions — quelle est la fonction des groupes dans la
production de biens et d’idées, mais aussi dans la construction du sujet ?
Qu'en est-il de l’expression et de la régulation des conflits qui peuvent naître
des interactions de ces différentes instances ? Comment comprendre et
prendre en compte les processus d’identification, d’ordre affectivo-émotion-
nels, de ressort le plus souvent inconscient, qui sous-tendent le fonction-
nement groupal ? En quoi la “groupalité” constitue-t-elle une condition
favorable aux processus d’élaboration et d’appropriation du changement
dans des dispositifs de formation et/ou d’intervention ?
Le présent chapitre, à partir d’un choix très sélectif de questions, de
concepts et de domaines d’application, invite le lecteur à s'informer de la
spécificité et de la complémentarité des modèles, qui, en psychologie
sociale mais aussi en psychologie sociale clinique et en psychanalyse, ont
conceptualisé la “dynamique des groupes” et s’efforcent d’en enrichir la
compréhension. On introduira successivement la réflexion :
CHAPITRE XIX : DYNAMIQUE DES GROUPES : ACTUALITÉ D'UN CADRE THÉORIQUE ET PRATIQUE 255

1. sur le contexte et l'originalité de l'apport initial de Lewin, ainsi que


sur l’évolution de quelques notions qui s’inscrivent dans la perspective
dynamiste,
2. sur les apports des courants de la psychologie clinique et de la psy-
chanalyse des groupes,
3. sur l’apport de la dynamique des groupes à la psychologie sociale
des organisations ;
4. sur quelques-uns des enjeux et des domaines d’application.

1. Émergence de la “dynamique des groupes”


en psychologie sociale
Créée en 1944 par Kurt Lewin, l’expression “dynamique des groupes”
recouvre depuis lors une grande diversité de modèles théoriques et de
dispositifs d’intervention, qui s’attachent à décrire, expliquer et accom-
pagner les processus d’interaction et de changement éprouvés et générés
par les individus au sein de “groupes restreints” et par extension (parfois
abusive) au sein de leurs divers groupes sociaux d’appartenance.
Héritier des questions des “Lumières”, le débat fondateur qui anime les
premiers penseurs sociaux du xIx° siècle en Europe, autour des effets plus
ou moins favorables de la “foule” sur la rationalité des pensées et des
conduites de l’individu (Le Bon, Tarde, Freud, Durkheim), a conduit
progressivement à la conceptualisation de l’instance groupale (Aebischer,
Oberlé, 1990). Cooley, en 1909, définit pour la première fois en psycho-
logie sociale le concept de groupe primaire et plus précisémerit de “groupe
restreint” qui désigne un ensemble humain caractérisé par des relations
directes entre les personnes, des rapports personnels et un fort sentiment
de cohésion. Depuis lors, le concept a constamment évolué (Fischer,
1990), décrivant et articulant des indicateurs manifestes et des processus
de plus en plus fins, pour délimiter et définir cette entité sociale
particulière et rendre compte de ses fonctions spécifiques dans le jeu des
relations entre individus et sociétés.
Dès l’origine, le souci des promoteurs de la dynamique des groupes (de
Visscher, 1991) a été de répondre au problème de l’articulation entre
modèles d’analyse théorique et demandes sociales concrètes, dans le
contexte de restructuration sociale de la fin de la Seconde Guerre
mondiale. La démarche de “recherche-action”, d'emblée associée aux
travaux de l’école lewinienne et à sa problématique du changement, a
marqué nombre des modèles d'intervention psychosociale (Connexions,
1977, n°21) dès la diffusion en Europe de leurs principes.
256 PSYCHOLOGIE SOCIALE

1.1. L'approche lewinienne : résumé de principes et mots clefs

Dans la modélisation spatiale que nous propose Lewin (1975), le


changement suppose, pour les individus, la transformation des “équilibres
psychologiques” qui régissent les rapports entre les différentes “régions” de
leur “champ psychologique”. Ce dernier peut être défini comme l’ensemble
des faits perçus ou “inconscients”, internes (visées, projets...) ou externes
(structures technologiques, normes.…..), qui influencent leurs activités. Il est
également compris comme un système énergétique mû par des tensions,
nées de besoins associés à chacune des régions du champ (valeurs, visées,
connaissances, activités sensori-motrices, conceptuelles, relationnelles.….).
La dynamique du système résulte d’une quête de rééquilibration constante
entre les tensions générées par les besoins de chaque région du champ. Le
champ psychologique se distingue de “l’environnement”, espace incluant
toutes les formes sociales (groupes, organisations, institutions..….). “Environ-
nement” et “champ psychologique” sont en interaction constante.
Une région qui comporte un objet qui peut réduire la tension a une
“valence positive” et celle qui augmente la tension a une “valence néga-
tive”. La valence est coordonnée directement avec le besoin, puisque c’est
en fonction du besoin que l’individu tentera de se rapprocher ou de
s'éloigner d’une région. Elle peut être d’intensité variable en fonction de
la puissance de la force induite par le besoin. On peut dire que lorsqu'un
fait appartenant à “l’espace de vie” (défini par les pôles environnement,
champ psychologique et leur interface) crée un besoin, ce besoin délivre de
l’énergie qui augmente la tension dans la région concernée et rend la
valence de cette région positive. Une “force” se crée alors qui pousse
l'individu à se diriger vers la région concernée.
La plupart des comportements peuvent être compris comme des
“locomotions” d’une région à une autre, c’est-à-dire comme un change-
ment de position de la personne mettant en jeu des forces. La force est
définie comme la tendance à la locomotion ; c’est le désir d'atteindre un
objectif qui pousse le sujet à se déplacer d’une région à une autre et à
coordonner des forces. Un but sera alors compris comme un “champ de
forces” dans lequel toutes les forces se dirigent vers la même région et le
conflit comme le recouvrement d’au moins deux champs de forces.
Les échanges entre l’individu et son environnement sont médiés par son
ou ses groupes d’appartenance. Sa “position psychologique” définit la
manière dont il se situe par rapport aux systèmes axiologique et de projet
de ces différents groupes et les relations hiérarchiques qu’il établit entre
leurs activités respectives. C’est ainsi que l’on peut comprendre l’une des
idées clefs du modèle lewinien : “/! apparaît une théorie selon laquelle
CHAPITRE XIX : DYNAMIQUE DES GROUPES : ACTUALITÉ D'UN CADRE THÉORIQUE ET PRATIQUE 257

l’une des causes de résistance au changement tient à la relation entre


l'individu et la valeur des normes de groupe... Plus grande est la valeur
sociale d’une norme de groupe, plus grande est la résistance d'un individu
membre du groupe à s'écarter de ce niveau.”
Dès lors, la conduite du changement suppose chez Lewin des actions
visant à modifier les rapports de forces qui s’exercent aux frontières des
régions des champs psychologiques individuels en interaction dans un
groupe. Considérée comme une forme d’engagement impliquant les rela-
tions de l’individu aux normes et valeurs du groupe, la prise de décision, par
exemple, constituera l’un des processus de changement à analyser et à
prendre en compte, à la fois aux plans individuel et collectif, dans tout dispo-
sitif d’intervention. Dans la perspective lewinienne que résume Marquié
(1991), l’analyse des conduites individuelles, des sources et des conditions
de changement du complexe ‘“‘personne/environnement” ou encore “champ
psychologique/champ non psychologique”, ne peut donc se concevoir que
dans une approche systémique. La situation concrète dans laquelle se
développe l’action d’un individu ou d’un collectif est en relation de dépen-
dance avec les comportements de ces mêmes individus ou collectif et vice
versa. Les différentes composantes du système (structurelles ou proces-
suelles) sont à appréhender dans leur interdépendance et leur dynamique
constantes. On ne peut pas dissocier conduites d’acteurs et contexte d’action.
Ils se définissent conjointement. Cette conception systémique des rapports
entre l’individu et son environnement constitue l’un des apports principaux
de la psychologie dynamique (Lewin, 1959/1975). Elle invite par exemple à
aborder la situation-problème évoquée ci-dessus dans sa globalité, en consi-
dérant a minima les interactions qui peuvent exister entre les dimensions
socio-techniques (contraintes législatives, budgétaires, introduction de
nouvelles technologies de communication, adéquation buts-moyens), axio-
logiques (valeurs de référence dans l’organisation du travail — représentation
des fonctions respectives des services publics et des secteurs lucratifs),
cognitives et socio-affectives (acquisition de connaissances nouvelles,
épreuve d’image professionnelle, demande de reconnaissance, comparaison
sociale avec d’autres secteurs professionnels, investissement et satisfaction
au travail par rapport à d’autres domaines d’activités..).

1.2. Composantes dynamiques du groupe : des notions toujours en


discussion

Au cours de la dernière décennie, les travaux sur la dynamique des


groupes ont donné lieu à plusieurs synthèses qui témoignent de la vitalité de
la recherche dans le domaine. À l’ouvrage essentiel de Pierre de Visscher
258 PSYCHOLOGIE SOCIALE

(1991) en Belgique, qui fournit une analyse détaillée, en partie vécue. de


l’histoire des hommes et des concepts qui ont fondé la dynamique des
groupes, on peut ajouter les ouvrages très didactiques de Saint-Arnaud
(1994) au Canada, de Maisonneuve (1999) en France et les revues de ques-
tion très étoffées de Levine et Moreland (1990), Moreland et Levine
(1996), aux États-Unis. Ces différents travaux nous aident à concevoir le
groupe et ses mécanismes de fonctionnement, en distinguant un certain
nombre d'indicateurs structurels (statuts, règles, normes, rôles, taille...) et
processuels (coordination, identification, conflit, communication, relations
de pouvoir, négociation, décision, réalisation et évaluation des tâches...)
dont les modes d’interaction spécifiques vont permettre de caractériser des
types de groupes et de comportements groupaux. De Levine et Moreland
(1990), nous retiendrons simplement ici comme exemples de dimensions
et de problématiques du fonctionnement groupal le facteur taille, les
normes et la cohésion.
En quoi la faille d’un groupe peut-elle influer sur sa dynamique ?
Question théorique et pratique qui se repose chaque fois que des groupes
se constituent ou doivent se recomposer. Levine et Moreland relèvent par
exemple chez plusieurs auteurs l’effet plutôt négatif de l’accroissement de
la taille sur les conduites et sur l’efficience des membres du groupe
(insatisfaction plus grande vis-à-vis des autres membres du groupe —
moindre participation et coopération — augmentation des écarts à la
conduite — moindre coordination et motivation malgré des potentialités
plus grandes). Comme résultante des processus d’association, la
préférence pour les groupes de petite taille s’expliquerait par la
maximisation des avantages de leurs membres vis-à-vis des compétences
attendues et par une plus grande aptitude à la cohésion en situation de
compétition intergroupe. Sur un autre plan, Mullen (1991) montre que
nombre des processus socio-cognitifs rendant compte du sentiment
d'appartenance groupale (attention focalisée sur soi, effet leadership-
participation, projection sociale, biais intra-groupe..….) et de la saillance de
l’intra-groupe et du hors-groupe peuvent être prédits à partir de la taille
relative des groupes.
Qui a dit que l’on devait faire ça comme ça ? Pourquoi faudrait-il
toujours que ce soient eux qui imposent leur rythme ? Jamais je ne me
fringuerai comme eux ! Si tu veux être des nôtres... ? Concernant la
genèse et la fonction des normes, plusieurs hypothèses. Elles peuvent
relever d’une cristallisation des modes d’interaction qui ont marqué la
naissance du groupe, être importées de l’environnement, résulter de
l'adoption des critères de valeurs et d’action d’un leader ou de la réponse
spécifique à une situation de crise. Elles sont plus ou moins coercitives
CHAPITRE XIX : DYNAMIQUE DES GROUPES : ACTUALITÉ D'UN CADRE THÉORIQUE ET PRATIQUE 259

(imposition institutionnelle) et modulables (processus de négociation et


mimétisme conditionnel). Plusieurs résultats soulignent que leur influence
favorable sur la performance des groupes ne dépend pas seulement de leur
positivité intrinsèque (effort, maîtrise, etc.), mais aussi de leur intensité, de
leur degré de partage entre les membres du groupe et du niveau de
cohésion de ce dernier. On peut ajouter à ces constats l’accent porté par de
nombreux auteurs sur la fonction des normes et valeurs de groupe dans la
construction du sentiment d'identité et d’appartenance. À la suite des
travaux de Tajfel et Turner (1986 a) sur l’identité sociale, qui posent, entre
autres, que les individus peuvent obtenir ou maintenir des sentiments
positifs envers leurs propres groupes à condition qu’une comparaison
positive puisse être soutenue avec d’autres, Branscombe et Ellemers
(1999), par exemple, cherchent toujours à expliquer l’influence des valeurs
et des normes sur le sentiment de menace identitaire, lui-même source de
processus de favoritisme intra-groupe ou de dépréciation de “l’out-group”.
Dans une perspective interculturelle, Feather (1994) montre également que
le biais intra-groupe est positivement corrélé avec l’identification nationale
et que cette corrélation est plus forte pour les sujets qui accordent une
grande importance aux valeurs de conformité et de sécurité et une faible
importance aux valeurs hédonistes.
Très difficilement définissable, liée à l’affectivité et à la dynamique
informelle du groupe, la cohésion n’en reste pas moins une notion
systématiquement envisagée comme condition de “bon fonctionnement”,
dans le discours du manager. Au plan scientifique, la cohésion décrit tout
à la fois, pour Levine et Moreland, les effets positifs du degré de soutien
réciproque entre les membres du groupe (solidarité), le degré de satis-
faction lié à l’ambiance et aux relations interpersonnelles (climat, moral),
le sentiment commun d’appartenance à la même entité sociale (commu-
nauté). Elle se construit dans les expériences communes et la durée. Elle
est favorisée par la reconnaissance réciproque des compétences des mem-
bres du groupe, par leur sentiment de proximité et la qualité de leurs rela-
tions affectives. Elle est accrue par le sentiment des membres de pouvoir
se réaliser à travers la convergence de valeurs et de visées et par les
gratifications matérielles. Elle est soutenue par les succès du groupe et la
conscience de ses membres de pouvoir être des soutiens sociaux récipro-
ques dans d’autres contextes. La cohésion est facilitée par les incitations
des leaders, par leur prise en compte de leur fonction d'identification
projective. Elle favorise la pérennité du groupe dans ses objectifs, ses
structures et sa composition, le degré de participation de ses membres et
leur désir de maintien dans le collectif, son attractivité vis-à-vis du hors-
groupe. Elle accroît la conformité aux normes. Elle influence les perfor-
260 PSYCHOLOGIE SOCIALE

mances du groupe. À noter que les effets positifs de la cohésion peuvent


devenir contre-productifs. Une trop grande pression à la conformité par
exemple peut conduire à une fragilisation du groupe dans un contexte qui
appelle des évolutions, notamment dans le registre des valeurs.
Caractéristique de la recherche sur les processus en jeu dans le
fonctionnement groupal, on note le lien constamment recherché avec la
variable pragmatique “performance du groupe”, de “l’équipe de travail”.
Vis-à-vis de chacune des dimensions trop brièvement évoquées ci-dessus,
des recherches récentes offrent des résultats nuancés qui tempèrent l’opti-
misme voire l’idéalisme de certaines conclusions de recherche, qui tendent
à promouvoir une conception strictement “consensualiste” et “fonction-
naliste” du groupe, au plan de l’homogénéisation des valeurs et de l’unicité
des objectifs d’une part, au plan de la rationalité des processus d’infor-
mation et de décision d’autre part. Mullen et Cooper (1994) montrent, par
exemple, à partir d’une méta-analyse de travaux sur la cohésion (processus
emblématique de la dynamique des groupes), que l'effet cohésion-
performance est à relativiser. Il est plus fort dans les petits groupes et dans
les groupes naturels. Il s'explique surtout par l’engagement dans la
réalisation de la tâche, plutôt que par l'attraction interpersonnelle ou la
fierté de groupe. L’effet le plus direct est probablement dû à la perfor-
mance sur la cohésion, plutôt qu’à la cohésion sur la performance.
Concernant les processus de décision et de négociation, Sunstein (soumis)
rappelle, entre autres, la contradiction relative entre les processus de
polarisation (radicalisation des positions de préjugement) et l’attitude de
sens commun qui consiste à laisser croire qu'il suffit de se réunir et de
discuter pour que les “choses soient claires et qu’on puisse avancer”. La
négociation ne relève pas d’un simple processus d’information, elle n’est
jamais exempte de conflit. La cohésion qu’elle vise relève d’un travail
constant de maintien des conditions symboliques d’un lien social.
En tout état de cause, s’interroger sur ces composantes et les effets de
leurs interactions, c’est contribuer à définir le groupe et ses fonctions
psychologiques et sociales, souvent paradoxales pour l'individu. De ce
point de vue, Sandelands et Saint Clair (1993), en s’interrogeant sur le
statut épistémologique du concept de groupe, nous rappellent l’un des
problèmes que pose sa définition : “Doit-on le considérer comme une
collection d'individus (“multiples”), ou estime-t-on qu'il s'agit d'une
entité spécifique (entity) dont les processus de fonctionnement ne sont pas
directement inférables de la connaissance et de la description de ses
composantes ?” À partir d’un examen critique de définitions, ils montrent,
pour le déplorer, que la grande majorité des auteurs nord-américains
consultés abordent le groupe comme une collection d’individus, alors
CHAPITRE XIX : DYNAMIQUE DES GROUPES : ACTUALITÉ D'UN CADRE THÉORIQUE ET PRATIQUE 261

qu'une minorité considèrent la groupalité et le sentiment d’appartenance


qui s’y attache comme essentiel. Pour eux : “la recherche doit s'orienter
vers une compréhension des groupes comme collection d'individus et
comme entités”. D’où leur concept d’“entité-groupe” conçue comme une
abstraction ressentie plutôt que visible, immédiatement perceptible (on
pense ici à la thèse de Pagès [1975] sur l’immédiateté de la rencontre
comme substrat de la dynamique groupale). La question que posent les
auteurs n’est pas anodine. Les apports spécifiques, voire, les oppositions
qui caractérisent les courants fonctionnalistes et les approches psychana-
lytiques ou psycho-socio-cliniques, se fondent sur des réponses différentes
à cette question. Si le groupe est bien à la fois un collectif et une entité
spécifique, comme nous le pensons, encore faut-il se donner les moyens
théoriques d’en rendre compte. L’effort d’articulation des modèles
explicatifs psycho-sociaux et psychanalytiques en Europe va dans ce sens,
mais ces auteurs n’y font aucun écho.

2. Éléments de l'approche psychanalytique et psycho-


socio-clinique
Le modèle lewinien permet en partie de décrire, d’analyser et éventuel-
lement de réguler les phénomènes manifestes de la vie du groupe en
rationalisant la circulation de ses flux d’énergie (objectifs, normes, rôles),
en repérant les forces et les tensions positives ou négatives en jeu, en
mettant en œuvre des procédures de réduction ou de stimulation de ces
tensions (production, régulation, facilitation dans les fonctions d’anima-
tion par exemple). Les modèles cliniques et psychanalytiques du groupe
cherchent à expliquer les enjeux subjectifs de la dynamique des groupes
(Barus-Michel, 1987) à donner sens aux processus qui sous-tendent la vie
manifeste du groupe, en interrogeant celui-ci “dans la fonction qu'il
accomplit pour le sujet de l'inconscient” Kaës (in Anzieu et al., 1992,
p. 23). C’est aussi dans ce sens que Sibony (1980) redéfinit le groupe
comme espace d’émergence de l’inconscient. Il questionne : “Pourquoi
l'appel à l'unité ne prend-il effet d'unité qu'en tant qu'appel à la division,
rappel de la division ?” Il fait ainsi allusion à la nécessité contradictoire
d’agir, dans la dynamique groupale, une division paradoxale irréductible,
ailleurs évoquée par Sartre (1960) dans la dialectique totalisa-
tion/sérialisation. À sa manière, Sibony tente de répondre aux questions
fondamentales : pourquoi se rassembler dans un groupe ? À quelle néces-
sité répondent les individus qui s’allient ? Le point d'ancrage de son
_analyse est la peur (l’angoisse) comme caractéristique de la vie des
262 PSYCHOLOGIE SOCIALE

groupes, peur du grand autre, de l’objet* phallique (*Ce qui oriente


l'existence de l'être humain en tant que sujet désirant. L'objet comme tel
n'apparaît pas dans le monde sensible. Das Ding, la chose, apparaît plutôt
comme l'objet absolu, objet perdu d’une satisfaction mythique).
L'hypothèse explicative de la dynamique inconsciente du groupe est alors
que : “les gens se mettent en collectif pour que ça leur tienne lieu
d’inconscient”.
Quel intérêt pour le psychologue social de chercher dans les pistes
entrouvertes ci-dessus ? Entre autres arguments, dans le champ des
pratiques professionnelles, on expérimente bien souvent que les psycholo-
gues ont besoin de mobiliser des modèles théoriques très diversifiés, pour
aborder des réalités sociales beaucoup plus complexes que celles décrites
et analysées logiquement dans le cadre de sous-disciplines académiques
conduisant à des diplômes spécialisés. S’il n’est pas question ici de céder
à l’illusion de la polyvalence absolue et de l’omniscience, il convient par
contre de souligner que l’un des indicateurs de compétence professionnelle
du psychologue est sans doute de savoir discerner le niveau des
problématiques auquel s’expriment les demandes sociales qui lui sont
faites. En regard, le niveau d’entrée ou de réponse pertinents par rapport à
ces demandes sociales, suppose au plan théorique la possibilité de puiser
dans un registre de références suffisamment large et maîtrisé. Ce, pour
pouvoir, d’une part, décider de ses propres compétences et limites
d'intervention, savoir, d’autre part, à quels autres praticiens s’associer pour
la traiter ou vers quels autres spécialistes la réorienter.

2.1. Les hypothèses de base : WR. Bion

Selon Kaës (in Anzieu et al., 1992) la véritable invention psychana-


lytique du groupe est à mettre au crédit de Bion (1965/1982) à partir de ses
efforts de transposition du modèle de la cure sur des groupes de thérapie à
l'hôpital de Northfield près de Londres dans les années 1940. Pour Bion,
la réponse à la question de Sandelands et Saint Clair est claire et ancienne.
Le groupe est une entité spécifique, scène de phénomènes et de processus
proprement groupaux. À partir de cette conception du groupe, Bion
conceptualise les processus fantasmatiques par lesquels les membres d’un
groupe se prémunissent contre leurs difficultés à être en groupe et notam-
ment à se confronter à l’apprentissage par l'expérience. Il nous aide
notamment à approfondir la problématique du leadership dans les groupes.
“Les présupposés ou (hypothèses) de base sont des réactions groupales
défensives contre les angoisses psychotiques réactivées par la régression
imposée à l'individu dans la situation de groupe.” Ces hypothèses se
CHAPITRE XIX : DYNAMIQUE DES GROUPES : ACTUALITÉ D'UN CADRE THÉORIQUE ET PRATIQUE 263

présentent sous trois formes dans le rapport fantasmatique au leader, qui


peut être aussi bien une personne investie d’un statut manifeste d’autorité,
un objet symbolique du groupe, un système de représentation idéalisé.….
Selon la première hypothèse, dite de “dépendance”, le groupe est supposé
s'être réuni pour être soutenu par un leader dont il dépend pour sa
nourriture matérielle et spirituelle, de même que pour sa protection. Selon
la deuxième hypothèse, dite de “couplage”, le groupe est tourné vers la
production d’un messie (homme, idée ou utopie). Elle se traduit dans le
groupe par une atmosphère d'attente paradoxale où le maintien de l’espoir
suppose que le leader n’advienne pas. La troisième hypothèse, dite
“d’attaque-fuite”, postule que le groupe s’est réuni indifféremment pour
lutter contre un danger ou pour le fuir. Le leader attendu est celui qui
donnera des occasions de fuite ou d’agressions.

2.2. L'illusion groupale et le fantasme de casse : D. Anzieu

Avec les notions d’‘‘enveloppe groupale” et de “Moi-Peau” (que nous ne


développerons pas ici), “l'illusion groupale” associée au “fantasme de casse”
(Anzieu, 1975/1999) constituent les principaux apports théoriques d’un
auteur central en psychanalyse et psychothérapie des groupes. De la même
manière que Bion décrit les présupposés de base comme des mécanismes de
défense contre l’angoisse persécutive du groupe, Anzieu souligne cette
fonction de protection par rapport au groupe, remplie par le fantasme d’illu-
sion groupale et son corollaire le fantasme de casse. Maisonneuve (in Anzieu
et al., 1992) en rappelle la définition : “D'un point de vue dynamique,
{l'illusion groupale} concerne à la fois le désir et la défense. Le désir, dans
la mesure où elle est liée à un investissement affectif du groupe comme objet
libidinal, dans une situation d'isolat ; à quoi correspond, idéologiquemeni,
une valorisation du collectif, du ‘nous’, de l'égalité fraternelle. Mais
corrélativement l'illusion groupale a une fonction défensive contre toutes les
sortes de menaces et d’anxiété provoquées par cette situation insolite de face
à face, d'incertitude, et par le projet même de changement personnel. Il
s’agit donc de se protéger contre les risques de perte d'identité, de
morcellement, de destruction mutuelle, grâce à l'élaboration d'une unité,
d'un esprit de corps annulant les différences et les conflits potentiels — avec
leurs fantasmes corrélatifs : ‘L'illusion groupale représente une défense
collective contre l'angoisse persécutive commune”. D'un point de vue
topique, Anzieu la considère comme la substitution au moi-idéal de chacun
d'un moi-idéal commun. L'illusion groupale est d'ordre transitionnel... En
ce sens, le groupe permettrait une sorte de médiation entre le quotidien et
l'expérience de l'inconscient.”
264 PSYCHOLOGIE SOCIALE

Le fantasme de casse est le pendant négatif de l'illusion groupale. Ils


sont indissociables. En formation on l’identifie dans l’attitude paradoxale
des stagiaires qui, après s’être parfois battus pour pouvoir y participer,
résistent à travers toutes sortes de rationalisations, pour ne pas risquer le
changement, pour différer la prise de risque identitaire inhérente à tout
apprentissage et confrontation de valeurs au sein du groupe.

2.3. Sujet du groupe et intersubjectivités : R. Kaës

Le sujet du groupe (Kaës, 1993) constitue désormais l’axe central des


recherches de l’auteur, à travers lesquelles il poursuit le projet “d'établir
un champ de recherche qui aurait sa spécificité dans l'étude des rapports
conjugués des organisations intrapsychiques et des formations du lien
intersubjectif, précisément au point de nouage de leurs structures et de
leurs processus, là où se constitue le sujet de l'inconscient”. I] précise : “le
statut de membre d’un groupe n'est pas celui d'un simple élément de la
structure dépourvu de toute subjectivité : il est celui d’un sujet de l’Incons-
cient, dont la conflictualité interne s’appareille avec celle d'autres sujets
de l’Inconscient pour former le groupe. Il est celui d'un sujet du groupe en
tant que ce sujet est le sujet de l’Inconscient. Le groupe pourra dès lors
être interrogé, sur ces bases, dans la fonction qu'il accomplit pour le sujet
de l’Inconscient”. Thoret et Landragin (1995) explicitent l’ambition
théorique de l’auteur et nous aident à comprendre ce qu’il apporte à l’ana-
lyse des processus latents dans la dynamique des groupes : “la recherche
de Kaës vise à montrer que les effets de groupe ne s'arrêtent pas aux
frontières de l'appareil psychique de chaque individu et à en faire une
série d'effets et de fonctions qui impriment leur marque dans le fonction-
nement du sujet, dans son rapport à la dimension de l'inconscient”.
Le “sujet du groupe”, ce n’est pas l'individu isolé. La notion rend compte
de la singularité du rapport entre plusieurs sujets. Elle désigne “l'inter-
subjectif” qui est à distinguer de “l’intrapsychique” individuel, qui lui-même
comprend une certaine “groupalité interne”. Cette groupalité interne a selon
l’auteur un rôle organisateur de la psyché encore à découvrir.

2.4, Le groupe espace d’émergence du sujet social : J. Barus-Michel

Dans sa définition du groupe et l’analyse de ses fonctions, Barus-Michel


(1987) tente de dépasser, d’une part, une certaine lecture lewinienne qui ne
prendrait pas suffisamment en compte la transversalité institutionnelle de
tout groupe, son inscription dans un environnement social qui le détermine
en partie, d’autre part, une conception psychanalytique qui privilégierait
CHAPITRE XIX : DYNAMIQUE DES GROUPES : ACTUALITÉ D'UN CADRE THÉORIQUE ET PRATIQUE 265

par trop la relation imaginaire et négligerait la fonction structurante de


l'institution qui s’élabore dans l'interaction groupale. Le groupe n’est pas
abordé ici principalement à partir de ses caractéristiques fonctionnelles
(taille, structures de communication optimales, etc.) et de ses finalités
instrumentales (support organisé de réalisation d'objectifs individuels et
collectifs), mais essentiellement à travers les processus imaginaires et
symboliques qui s’y déploient et qui en font un espace privilégié de
construction et de déconstruction du lien social. L'enjeu central qu’elle
situe dans l’avènement d’une loi du groupe, de son institution, implique
chaque sujet dans son rapport à autrui et au social. Le groupe dans son
élaboration et sa dynamique amène à éprouver qu’il n’y a pas d’extériorité
radicale entre individu et société.
Autant d’auteurs et de concepts qui rappellent l’existence de niveaux de
question et d’analyse différents et complémentaires du registre psycho-
social pour interroger les processus en jeu dans la dynamique des groupes.
Les modèles, à peine esquissés ici, reposent, d’une part, sur l’hypothèse
d’un groupe “comme organisation et lieu de production de la réalité
psychique, entité relativement indépendante de celle des individus qui le
constituent”, d'autre part, sur le souci de “restituer au groupe sa valeur
d'objet psychique pour ses sujets” (Kaës in Anzieu et al., 1992, p. 18). Au-
delà du réseau de règles qui structure les échanges inter-individuels, au-
delà des principes de communication explicités et optimisés au regard
d'objectifs clairs, au-delà de l’adéquation entre moyens humains, finan-
ciers et techniques, au demeurant tout à fait nécessaires et structurants pour
les individus, on voit ainsi que le registre des motivations et du sens de
l’action dans le groupe ne relève pas uniquement du conscient et du
rationnel. La “résistance au changement” invoquée par la majorité des
commanditaires d’intervention n’appelle pas simplement la mobilisation
de “bonnes méthodes” de management, fondées sur des faits humains et
sociaux rationnellement formalisés et prévisibles. Elle révèle et incite à
prendre en compte les dynamiques subjectives et intersubjectives incons-
cientes qui donnent sens aux conduites groupales.

3. Groupe, Organisation, Sujet

3.1. Dynamique groupale et environnement organisationnel

Pierre de Visscher (1991) a noté comment les psychologues des


organisations avaient intégré les modèles de la dynamique des groupes, en
insistant, pour la plupart, sur le versant manifeste des phénomènes du
266 PSYCHOLOGIE SOCIALE

modèle, en ce qu’il offre un guide de compréhension des conduites


d'acteurs dans les groupes ou équipes de travail. Cette focalisation sur la
dimension pragmatique du modèle est selon lui parfois trop réductrice,
dans la mesure où elle minimise, voire ignore, les processus implicites,
affectivo-émotionnels, phénoménologiques qui pour certains auteurs, on
l’a vu, font, en dernière analyse, la spécificité du groupe.
En la matière, Argote et McGrath (1993) ont proposé une synthèse
informante. Ils répondent de manière très stimulante à la question des
processus et des conditions du changement dans les groupes en organi-
sation. Les processus conflictuels apparaissent d’emblée chez ces auteurs
comme centraux dans la dynamique des groupes et. des organisations. Ils
soulignent sur ce point que Lewin, à travers le postulat d’interaction multi-
dimensionnelle entre les individus et leurs environnements dans des
systèmes ouverts, avait induit, sans la conceptualiser, la notion de conflit.
En rupture avec une conception réductrice du consensus et du but commun
indifférencié, Argothe et McGrath démontrent qu’analyser et réguler le
fonctionnement des organisations (cf. exemple en introduction), passe par
une représentation différenciée des intérêts de chacun des groupes qui les
composent : “Les processus entropiques et de croissance génèrent une série
de conflits d'intérêts, les processus de différenciation et d'intégration
génèrent un ensemble de conflits de contrôle, tandis que l'incertitude, les
processus d'adaptation et d’assimilation, plus les forces de maintien du
système, entraînent un ensemble de conflits impliquant la stabilité -et le
changement du système lui-même. Chacun de ces ensembles de conflits
implique à son tour un ensemble de conflits de desiderata, qui ne peuvent pas
être maximisés simultanément. Les choix sur les conséquences relatives à
l'engagement dans ces désiderata conflictuels posent des dilemmes
(diversité/consensus ; compétences/efficacité ; contrôle/autonomie ;
information/signification) pour ceux qui composent ou dirigent le système.”
Les groupes dans une organisation se différencient en fonction de trois
éléments : les personnes, les outils, les visées (objectifs ou desseins). Le
schéma suivant illustre les processus de groupe dans les organisations :
processus de développement et de maintien, de production, d'évolution et
de changement, d’intégration au système environnant. Les “processus de
construction” recouvrent les activités de recrutement, de socialisation
organisationnelle (formation) des personnes, l'acquisition et l’appro-
priation des outils/technologies, l'élaboration des visées et des buts. Ils
caractérisent le “développement des groupes” dans le cours normal de
leurs cycles d'évolution.
CHAPITRE XIX : DYNAMIQUE DES GROUPES : ACTUALITÉ D'UN CADRE THÉORIQUE ET PRATIQUE 267

Contrôle interne/

Relations extérieures

Processus de construction |

Processus de groupe dans les organisations


(d'après Linda Argote et Joseph E. Mc Grath, 1993)

Les “processus d’opérations” concernent la résolution de problèmes


techniques, de conflits et d'exécution. Ils traitent de l’adaptation éventuelle
du projet, des outils et des desseins et concernent également les modes de
commandement. Ils conditionnent la réalisation de la tâche, processus de
“transformation d’entrées en sorties” et mode de changement dans la rela-
tion du groupe avec son organisation d’intégration et son contexte environ-
nemental. Les “processus de reconstruction” désignent les mécanismes
d’auto-transformation du système dans le cours de la réalisation de ses
projets. Ils concernent “l’apprentissage organisationnel”, “l'apprentissage
de groupe”, le “savoir d’intégration”, relatifs aux personnes aux techni-
ques, aux programmes et aux procédures. Les “processus de relation avec
l'extérieur” réfèrent à la manière dont le groupe contrôle/modifie et
dirige/évalue ses relations avec le contexte organisationnel et environne-
mental dans lequel il est intégré. Ils déterminent les changements de type
“adaptation/assimilation” vis-à-vis de certaines des conditions qui déter-
minent la performance du groupe et de l’organisation.
Le modèle d’Argothe et McGrath, issu des courants dynamistes, se
caractérise par deux apports essentiels. Il conçoit le conflit comme une
composante dynamique du fonctionnement du groupe. Il fait clairement du
“groupe d’action” le lieu de reprise et d’élaboration des buts et du sens de
l’action du système d’appartenance plus vaste, à partir des interactions
techniques, socio-affectives et axiologiques entre ses membres.
268 PSYCHOLOGIE SOCIALE

3.2. Le groupe : instance d’analyse de l’organisation : E. Enriquez

Dans une double perspective psychosociale et psychanalytique,


Enriquez (1992) a proposé un modèle dynamique du fonctionnement des
organisations, qui tente, à notre avis avec succès, d'intégrer les questions
relatives à la description et à l’analyse des composantes structurelles, fonc-
tionnelles et symboliques des groupes et des organisations et les questions
relatives aux processus imaginaires et inconscients, d'identification et de
signification, à l’œuvre dans la construction et l’orientation des conduites
des sujets en organisations.
Le modèle s’appuie sur deux registres de postulats théoriques. D'une
part, les questions et notions essentielles léguées par ce qu’'Enriquez
nomme la perspective sociologique de Freud (loi inhérente à la construc-
tion et au maintien du groupe — mécanismes de formation du lien social —
pulsions — caractéristiques pathologiques des sujets — nécessité du refoule-
ment — rôle respectif du “grand homme” et des ‘masses dépendantes” —
conditions de changement). D’autre part, une conception de l’organisation
comme système culturel (structure de valeurs et de normes, manière de
penser, mode d’appréhension du monde), symbolique (mythes unifica-
teurs, rites, héros, compromis de signification de l’action) et imaginaire
(leurrant et moteur). Les différents processus à l’œuvre dans le fonctionne-
ment de toute organisation, relèvent, dans le modèle, de sept niveaux
logiques ou instances d’analyse en interaction constante (instances
mythique, sociale-historique, institutionnelle, organisationnelle ou structu-
relle, groupale, individuelle, pulsionnelle qui traverse toutes les autres).
Entre instance organisationnelle (“niveau où se noue le débat entre
efficacité de la structure et résistance à la réification des êtres humains et
de groupes sociaux”) et instance personnelle (niveau où s’analyse l'impact
des personnalités normales ou pathologiques sur le fonctionnement du
système), l'instance groupale est le niveau où se pose la question des
conditions de présence à autrui et de communication, notamment en face à
face. C’est aussi et surtout l’instance où se repère la dynamique du projet.
Enriquez affirme (en écho au modèle d’Argothe et McGrath) : “Ce qui est
au centre de mon investigation, c’est le groupe en tant que porteur d’un
projet et en tant qu’il peut être à la fois analyste et acteur de son action”
Instance intermédiaire, le groupe est ici à envisager dans ses interactions
avec les multiples autres niveaux de la réalité sociale. Ce n’est pas un
isolat. Le fondement de ses visées et de ses dynamiques spécifiques se
trouve à la fois en lui et en dehors de lui.
CHAPITRE XIX : DYNAMIQUE DES GROUPES : ACTUALITÉ D'UN CADRE THÉORIQUE ET PRATIQUE 269

3.3. Pluralité des groupes d'appartenance et émergence du sujet

Dans la plupart des modèles d’analyse du fonctionnement des groupes


ou des organisations, l’effort de compréhension des effets des conduites de
l'individu sur le fonctionnement du groupe (performance) ou des carac-
téristiques du groupe sur l’individu (sentiment de juste rétribution, de réali-
sation de soi et de reconnaissance, insatisfaction, retrait, stress), repose sur
l'examen des interactions entre les deux pôles d’un système singulier
groupe/individu. Ce principe conduit le plus souvent à ignorer la réalité des
diverses appartenances sociales des individus et à mésestimer le poids des
significations qu’ils tirent de ces différents ancrages, pour orienter leurs
conduites dans le cadre du système singulier considéré. Dans la plupart des
études sur la socialisation, la centration sur les mécanismes d’intégration
et d'investissement dans un groupe donné tend surtout à mettre au jour des
mécanismes et processus d’enculturation (rituels), de normalisation
(apprentissage des valeurs et des normes) ou de conformisation,
privilégiant ainsi le rôle, au demeurant tout à fait réel, des structures
instituées, dans l’accès aux identités sociales.
À l’encontre de cette démarche, afin de mieux montrer comment indivi-
du et social se co-construisent, par quels processus l’individu se socialise,
le modèle de l’interstructuration initié depuis plusieurs années par Malrieu
(1989) et le Laboratoire Personnalisation et Changements Sociaux de
Toulouse (Baubion-Broye S/Dir., 1998) insiste tout particulièrement sur le
fait que tout individu appartient à une pluralité de groupes et que la prise
en compte de cette réalité dans l’étude du changement social est détermi-
nante. Si les mécanismes d'intégration de chaque groupe sont bien à
l’œuvre, c’est en fait dans la comparaison et la délibération entre les exi-
gences idéologiques et normatives contradictoires de ses divers groupes
d’appartenance, que l’individu confronté aux conflits de valeurs, de buts,
de hiérarchie entre activités, va chercher à les dépasser en projetant/
inventant de nouvelles modalités d’affiliation et d’investissement avec ces
différents groupes. Par cette prise de distance, par cette objectivation des
ressources et des contraintes que présentent chacun des espaces de vie, les
uns pour les autres, l’individu initie du changement. Évaluant ses expé-
riences passées, formant des projets pour avoir quelque prise sur le futur,
recherchant de nouvelles alliances, il redonne sens à ses investissements
dans ses divers groupes sociaux, opérant ainsi un “travail de sujet”.
Dans le champ des pratiques, une telle conception du sujet conduira à
favoriser pour les acteurs en situation le rétablissement des “liens de sens”
qui existent entre leurs conduites dans différents domaines d'ancrage et
d’action, en contrepoint des sentiments de perte de sens qu’ils peuvent
270 PSYCHOLOGIE SOCIALE

éprouver, liés aux mécanismes psychologiques et sociaux paradoxaux de


segmentation et de séparation entre ces différents domaines d’inves-
tissement.

4. Domaines et enjeux d'application


Les modèles de la dynamique des groupes, succinctement évoqués ci-
dessus, sous-tendent de nombreux dispositifs et pratiques professionnelles,
de formation, d’intervention et de thérapie, qui confirment et interrogent
tour à tour la pertinence du groupe, comme espace et outil spécifique de
changement individuel et social. S’il n’est pas possible de les présenter ici
en détail, on peut souligner quelques-unes de leurs caractéristiques, liées
soit à leur domaine d’application soit à leur conception et à leurs visées de
changement.
Dans les champs privilégiés d’application que sont la formation des
adultes et l’intervention psychosociale, on peut souligner, par exemple,
que, dès l’origine de la dynamique des groupes, le T-Group (‘“training-
group” ou “groupe de diagnostic” ou ‘groupe de base”) est un dispositif de
formation constitué d’un groupe restreint d'individus, accompagnés par un
animateur, centrés sur l’apprentissage des divers processus en jeu dans un
groupe. Il vise le changement social, via la connaissance vécue par les
individus des processus de groupe dans “l’ici et maintenant”. Pour les
analystes institutionnels (Lourau, 1970), le T-Group néglige la dimension
temporelle du groupe, la diversité des ancrages et la conflictualité des
visées portées par chacun des membres du groupe (Transversalité). Dans
l'intervention institutionnelle, ils font du groupe l’instance de mise au jour
du non-dit de l’institué, au prix de l’expression directe des conflits, dont le
T-Group tend, par contre, à résorber les effets. Opposé à cette démarche
interventionniste, qui imposerait une conception du changement, le
“groupe de pratique” ou de réflexion professionnelle, préconisé par
l'approche psycho-socio-clinique de Barus-Michel (1987), vise la restau-
ration, par les acteurs en situation, du sens de l’action, le tiers intervenant
se conformant aux principes de l’analyse. Les différents “groupes d’évolu-
tion” à orientation psychanalytique (Kaës, 1975) viseront essentiellement
quant à eux le changement, par la prise de conscience des processus
inconscients à l’œuvre dans les modes d’investissement en groupe.
Dans le champ de la psychologie sociale du travail et des organisations,
de nombreux auteurs appliquent la connaissance de la dynamique des
groupes à l’organisation du “travail en équipe” (Morin, 1996) ou à l’accom-
pagnement du changement (Thiébaud, Rondeau, 1995) en circonscrivant les
CHAPITRE XIX : DYNAMIQUE DES GROUPES : ACTUALITÉ D'UN CADRE THÉORIQUE ET PRATIQUE 271

domaines d’action : décision en groupe et technologie de communication


(Kiesler, Sproull, 1992) ; apprentissage coopératif et performance
(Cavalier, Klein, Cavalier, 1995) ; caractéristiques de groupe et efficacité
(Campion, Papper, Medsker, (1996) ; brainstorming électronique (Dennis,
Valacich, Connoly, Wynne, 1996) ; mesure de la performance des équipes
(Jones, 1997) ; procédures d’information et coordination (Muller, 1997) :
développement de groupe à tâches en communication médiatée (Martinez,
Orengo, Prieto, 1998)...
Dans le domaine pédagogique qui a largement intégré les apports de la
dynamique des groupes, le concept de “groupe d’apprentissage”
(Falchikov, 1993 ; Lipiansky, 1996 ; Meirieu, 1997) atteste des effets
positifs spécifiques des processus d’interaction groupale sur les mécanis-
mes d'élaboration et d’appropriation des connaissances. Il trouve son
prolongement en Psychologie et en Sociologie des organisations avec le
concept d’“organisation apprenante” (Mallet, 1996 ; Argote, Gruenfeld,
Naquin, 1997).
Dans le domaine de l’intervention et de la médiation sociale, se déve-
loppent de nombreuses expériences qui utilisent la dynamique des groupes
comme espace permettant d'opérer une transition entre deux systèmes
représentationnels, entre deux moments de la culture d’un groupe ou d’une
communauté. C’est le cas de Drower (1993) qui utilise la dynamique de
groupes inter-raciaux pour soutenir des programmes de changement social
en Afrique du Sud. On trouve également des objets de questionnement et
d’expérimentation dans le domaine associatif et politique, lorsqu'il s’agit
d'accompagner la création et la mise en fonctionnement de “groupes
d'intérêts” (Davis, Wurth, 1993) confrontés au conflit de l’interna-
lisation/privatisation ou l’externalisation/partage avec l’environnement de
ses ressources et productions.
Mais au-delà de la diversité des formes et des domaines d’application
de la dynamique des groupes, le problème demeure, à l’heure actuelle, des
conceptions du changement individuel et social à l’œuvre dans les dispo-
sitifs mis en place. Au plan pédagogique par exemple, Falchikov (1993)
confirme bien que la coopération procure de nombreux bénéfices dans les
dispositifs éducatifs. Mais elle analyse clairement que, si dans l’enseigne-
ment secondaire et supérieur le projet de petit groupe offre un dispositif
idéal pour le travail coopératif, il n’est encore bien souvent pas choisi
comme stratégie d’apprentissage, à cause des problèmes relatifs à l’éva-
luation des contributions “individuelles”. Les processus formatifs liés à la
‘“oroupalité” appellent, pour être mobilisés, une conception du sujet
comme co-acteur du social et de ses changements. Projet à la fois scienti-
fique, éthique et politique qui sous-tend dès l’origine la dynamique des
272 PSYCHOLOGIE SOCIALE

groupes. De même, dans la gestion que certaines organisations font de


l'institution formation continue et dans la manière dont certains
organismes prestataires de service de formation construisent leur offre, se
repose la question du maintien ou de la disparition du groupe comme
espace spécifique et nécessaire, d'apprentissage, de transition identitaire et
de changement social. La recrudescence de dispositifs de formation indivi-
dualisés, programmés “à la carte” dans des séquences d’apprentissage
disjointes les unes des autres, évitant le “coût” et le “danger” des groupes,
annule clairement la fonction fondamentale de co-construction du sens
social, lié à tout objet de connaissance ; qu’assume l’instance groupale. Ce
phénomène n’est pas fortuit. Il va de pair avec une certaine conception de
l’organisation, où l’individu, appelé à des rôles et des comportements
paradoxaux et conflictuels, se voit offrir en réponse un sens de l’action
préconçu, extérieur à ses activités concrètes et à ses ancrages sOCiaux
signifiants. L’une des sources du mal-être, au travail notamment, tant
évoqué dans le fonctionnement organisationnel contemporain, se trouve
probablement dans ce déficit de sens construit en commun dans un
collectif socialement valorisé. Ainsi, la poursuite de la conceptualisation
des processus en jeu dans la dynamique des groupes et la recherche des
conditions de leur mobilisation dans les projets de changement individuel
et social restent des objectifs importants de la psychologie sociale. À
travers l’effort de définition du groupe, à la fois instance sociale et concept
théorique en évolution, elle continue à se prononcer de manière critique sur
les conceptions du sujet à l’œuvre dans l’organisation concrète de la
société.
QUATRIÈME PARTIE
Pourquoi et comment communique-t-on ?
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CHAPITRE XX

La spécificité de l'approche psychosociale


des processus de communication :
l'exemple d’une situation d'écoute professionnelle

Brigitte ALMUDEVER et Alexis LE BLANC

Un standard téléphonique ouvert 24 heures sur 24, sept jours sur sept. En ligne,
des “appelants”, anonymes, qui, d'où qu'ils se trouvent en France, peuvent
solliciter une information claire et précise, fiable, sur un sujet demeuré long-
temps tabou : le sida. Mis en place dans les années 1990, le dispositif “Sida Info
Service” s’est vu octroyer plusieurs missions :
> donner de l'information sur la maladie, ses modes de transmission, de
dépistage, de traitement..., mais, en même temps, donner de l'information sur
l'information (c’est-à-dire orienter vers les lieux et personnes auprès desquels
l'appelant peut trouver réponse à ces questions) ;
> aider les appelants à s'approprier cette information pour mieux l'utiliser ;
> leur offrir un soutien psychologique face à des situations d'incertitude,
d'interrogation, fortement porteuses d'angoisse ;
—> leur apporter une aide à la décision, par exemple quand il s'agit de décider de
faire un test de dépistage ou encore d'informer son partenaire de sa séropositivité.
Acteurs-clés de ce dispositif, les “écoutants” : au départ, souvent des béné-
voles ; en tout cas, des personnes qui ne sont pas arrivées là par hasard. Ce
sont des personnes qui, généralement, ont eu affaire, de près ou de loin, à la
maladie. Elles sont ici “à l'écoute” et assument un rôle bien défini qui suppose
des compétences particulières ; des compétences en communication, relevant
aussi bien de la maîtrise du contenu de l'information à délivrer que de
capacités relationnelles à investir dans une écoute professionnelle.

La particularité de la relation qui s’instaure entre appelant et écoutant,


les difficultés, voire les avatars de cette relation dont peuvent témoigner les
professionnels concernés, illustrent bien la complexité de la communica-
tion humaine, irréductible à une simple transmission d’information, même
dans les situations où est affichée comme telle sa raison d’être.
276 PSYCHOLOGIE SOCIALE

À l'heure de l'Internet et, plus généralement, de l’explosion des


nouvelles techniques de l’information et de la communication (NTIC), on
voit se multiplier les possibilités d'accès à l'information, mais aussi
s’affirmer le besoin d’une orientation et d’un soutien dans la recherche
d’information. On voit se diversifier et apparaître de nouvelles situations
de communication, ordonnées à des objectifs spécifiques et porteuses
d’enjeux bien différents, mais, dans le même temps, on assiste à un
“délitement du lien social” dont les indicateurs sont multiples : l’évolution
vers une société duale, “à deux vitesses”, où les groupes sociaux devien-
draient étrangers les uns aux autres ; un mode de vie “moderne” qui oriente
les individus vers une moindre participation sociale à la “sphère publique”
(Habermas, 1987) et un repli sur la cellule familiale ; la disparition d’un
“entourage” élargi, au sens traditionnel du terme, à même d’assurer un rôle
de soutien social lorsque le besoin s’en fait sentir ; le recours, pour ‘se
faire entendre”, à la violence et à l’affrontement, de la part de jeunes de
plus en plus nombreux à se sentir exclus.
De nombreuses réflexions actuelles mettent ainsi en débat, aux plans
idéologique et sociétal (Bourdieu, 1982 ; Habermas, 1987), le rôle de la
communication humaine dans l’évolution de nos sociétés vers plus de
démocratie (transparence et diversité de l’information, participation plus
directe des citoyens, cf. Akoun, 1994) ou, à l’inverse, vers un contrôle
médiatique généralisé (mainmise sur les réseaux d’information, atteintes
aux libertés individuelles et affaiblissement du lien social). À l'articulation
du progrès technique et de la “fracture sociale”, nombreuses sont les ques-
tions et nombreux sont les défis que la communication adresse aussi bien
aux ingénieurs qu’aux responsables politiques, aux experts du marketing,
qu'aux professionels de la relation dans les différents champs de la
formation, de la prévention et de l’action sociale.
Comment la psychologie sociale aborde-t-elle ces problèmes ? Dans ce
chapitre, notre objectif est de présenter ce que le “regard psychosocial”
(Moscovici, 1984 a) apporte de spécifique à l'analyse et à la compréhen-
sion des processus — et difficultés — de la communication, par la confron-
tation à des approches qui appréhendent ces mêmes phénomènes en se
référant à d’autres points de vue théoriques et disciplinaires. Nous serons
ainsi amenés à introduire différents modèles théoriques de la communi-
cation (modèles technique, linguistique, systémique et interactionniste) ;
pour chacun d’eux, nous présenterons les éléments de base qui le caracté-
risent pour ensuite les appliquer à l’analyse de la situation illustrative
retenue (la relation appelant-écoutant dans le dispositif “Sida Info
Service”). Nous nous sommes librement inspirés d’un film documentaire
diffusé en janvier 2000 sur la chaîne câblée Planète intitulé : “Didier,
CHAPITRE XX : LA SPÉCIFICITÉ DE L'APPROCHE PSYCHOSOCIALE DES PROCESSUS DE COMMUNICATION 277

30 ans, écoute et entend”. Ce reportage a été réalisé par Sébastien Jimenez.


Les témoignages — extraits pour partie seulement de ce documentaire —
n’ont, dans le corps du texte, qu’une valeur d'exemple. À ce titre, ils
figurent en italique et entre guillements.

1. Le modèle technique de la communication et la théorie


mathématique de l'information

1.1. La communication comme transfert d’information

Le modèle technique de la communication, élaboré en 1949 par deux


ingénieurs des télécommunications (Shannon et Weaver, 1949, trad. 1975),
a constitué le modèle “canonique” sur lequel s’est appuyé l’ensemble des
sciences humaines pour aborder les questions de communication. En
proposant un repérage des éléments en jeu dans la communication, ce
modèle fournit une grille d’analyse utile pour le découpage opératoire
d’une réalité complexe que nous avons d’autant plus de mal à objectiver
qu’elle constitue notre expérience quotidienne. Il distingue ainsi six
éléments — l’émetteur, le récepteur, le message, le canal, le code, le référent
— articulés de la manière suivante :

référent
e
De Message ANPo

S
S R
P Canal RE ee

Code

> L'émetteur est la personne ou le groupe qui émet le message.


> Le récepteur désigne la personne ou le groupe qui reçoit le message.
ison
> Le code renvoie à un ensemble de signes et de règles de combina
de ces signes.
> Le canal est la voie de circulation des messages.
ion.
> Le message représente l’objet de la communicat
ls
> Le référent désigne le contexte, la situation, les objets réels auxque
renvoie le message.
at ion, la communication est conçue
En référence à la théorie de l’inform
ici comme un transfert d’information de l’Émetteur vers le Récepteur. Par
information, on entend tout ce qui supprime ou réduit l’incertitude du
278 PSYCHOLOGIE SOCIALE

récepteur. Ainsi, un message qui ne nous apprend rien d’autre que ce que
nous savons déjà n’est porteur d’aucune information. Cette théorie pose
que l’information est mesurable, quantifiable. À l’aide d’une unité d’infor-
mation, le “bit”, définie comme ce qui réduit l’incertitude de moitié, on
peut mesurer la quantité d’information dont un message est porteur. Par
exemple, si je dois deviner quelle carte à jouer la personne en face de moi
a extraite d’un jeu de 32 cartes, mon incertitude porte sur 32 “événements”
possibles. Si maintenant la personne en question me dit : “La carte que j'ai
retirée du jeu est de couleur rouge”, mon incertitude est réduite de moitié
(elle ne porte plus que sur 16 “événements” possibles). Le message
contient donc une unité d’information.
Dans une telle perspective, on considère que la communication véhi-
cule un contenu logique, “transparent”, non ambigu, que l’on peut,
d’ailleurs, mettre en équation :

QI (Qté d’information) = Log N (nombre d'événements possibles)


n (nombre d'événements désignés par le message)

1.2. Les obstacles à la communication

Dans ce type d’approche, les obstacles à la transmission d’information,


les “bruits” que l’on peut s’attacher à analyser et à réduire, sont essentielle-
ment d'ordre physique et matériel. Reprenons notre exemple et considé-
“rons que l’émetteur est la personne chargée de transmettre l’information
sur le sida, c’est-à-dire celle qui est néanmoins qualifiée d’“écoutant”. Le
“récepteur” désigne alors la personne à qui est destinée l’information, à
savoir “l'appelant”. Dans le cadre d’une approche technique, l’analyse du
bon fonctionnement ou, à l’inverse, des difficultés de la communication
sera centrée Sur :

a. Les qualités physiques des éléments du dispositif


— Le canal : il s’agit ici du réseau téléphonique. Il doit bien sûr être
“performant” : pas de “friture” sur la ligne qui rendrait difficile la confi-
dence, par l’appelant, de ses préoccupations ; capacité du standard suffi-
sante pour pouvoir répondre à tous les appels ; dispositifs “ergonomiques”
(postes de travail aménagés) qui permettent à l’écoutant d’être totalement
disponible, de pouvoir prendre des notes.
— L'émetteur : il doit posséder les qualités physiques d’un bon
“émetteur”, une élocution claire, une voix suffisamment forte...
— Tout comme le récepteur, de son côté, doit être doté de capacités
d’audition suffisantes.
CHAPITRE XX : LA SPÉCIFICITÉ DE L'APPROCHE PSYCHOSOCIALE DES PROCESSUS DE COMMUNICATION 279

b. Les qualités du message


Celui-ci doit combiner, dans de bonnes proportions, ce qui relève de
l’information (ce qui est “nouveau” pour l'appelant) et ce qui relève de la
“redondance”, c’est-à-dire de la reformulation, sous des formes différen-
tes, d’un même contenu. Un message qui ne comporterait que de l’infor-
mation ne pourrait pas être intégré par l’appelant, “submergé” par la
nouveauté ; comme, à l’inverse, un message qui ne serait que redondance
ne répondrait pas aux attentes du récepteur car incapable de réduire son
incertitude. Dans les deux cas, la communication avorterait.
Adapté à la résolution des problèmes techniques de télécommunication
(relatifs, au départ, à la transmission télégraphique), ce type d’approche n’est
cependant pas à même de rendre compte de la complexité des processus et
des phénomènes de la communication humaine. Comment expliquer que
certains “appelants” restent silencieux, au bout de la ligne, dès lors qu’ils ont
obtenu leur correspondant ? Il ne suffit pas que le canal fonctionne bien pour
que le contact s’établisse. Comment expliquer l’insistance de certaines
personnes : “Vous êtes sûr ? vous êtes sûr ?”, alors que toute l’information a
été donnée, explicitée, répétée ? L’angoisse des appelants, celle qu’elle peut
susciter en retour chez l’écoutant, sont un exemple de “bruits”, non plus
physiques mais psychologiques, qu’une approche “techniciste” ne peut
prendre en compte. Comment expliquer qu’un message parfaitement
“décodable” et matériellement “audible” par l’appelant — “Ne pensez-vous
pas que c’est peut-être vous qui faites courir un risque à votre partenaire et
qu'il serait utile que vous fassiez le test ?” — puisse ne pas être “entendu” ?
Le message n’est pas cette “transparence” codée qui refléterait la réver-
sibilité parfaite des opérations d’encodage et de décodage : il est lourd
d’implications pour les sujets. D’implications tellement fortes parfois
qu’elles font obstacles à son intégration. Le modèle technique prend en
considération l’opération de décodage maïs il n’envisage pas les processus
d’appropriation du message. Pas plus qu’il ne s'intéresse aux fonctions
psychologiques et sociales de ce dernier.

2. Un modèle linguistique de la communication : le modèle


de Roman Jakobson
2.1. Les fonctions du langage

Si nombre de linguistes (à la suite de Ferdinand de Saussure, 1916) ont cen-


tré leur approche de la communication sur l’analyse des problèmes de code
(dans l’objectif de définir la nature des signes et d’établir les lois qui régissent
280 PSYCHOLOGIE SOCIALE

leurs rapports de combinaison au sein de ce système qu'est la langue),


d’autres se sont intéressés au langage en fonctionnement, au sujet parlant
(Austin, 1962, trad. 1970) et à ses actes de langage (Searle, 1969, trad. 1972).
Tout en s'appuyant sur le modèle technique de la communication,
Roman Jakobson (1963, 1973) définit différentes fonctions du langage qui
laissent entrevoir un tel “sujet parlant” (notamment à travers les objectifs
que celui-ci poursuit dans la communication), là où le modèle de Shannon
et Weaver n’envisageait l’émetteur et le récepteur qu’en tant que
“machines” à encoder et à décoder, ordonnées à une seule mission : l’égali-
sation de l’information entre ces deux “pôles”. À chacun des éléments du
modèle technique, Jakobson rattache une fonction spécifique du langage.
— La fonction expressive (ou émotive) du langage est centrée sur
l'émetteur. Sa mise en œuvre témoigne du désir de l’émetteur de s’exté-
rioriser, de faire connaître ses idées, ses émotions, ses opinions.
— La fonction conative est centrée sur le récepteur en tant que cible de
l'intention de l’émetteur ; celui-ci utilise le langage pour agir, ou tenter
d’agir, sur autrui, en provoquant chez lui une réaction particulière par un
effet d'influence, de séduction ou encore de soutien. Ainsi, pour exemple,
la demande verbalisée que l’écoutant adresseà l’appelant “vous pouvez
parler, je vous écoute”.
— La fonction phatique est centrée sur le canal et, au-delà, sur Le
contact psychologique qui s’établit entre l’émetteur et le récepteur. Par le
truchement de cette fonction, ceux qui parlent cherchent à établir, prolon-
ger ou interrompre la communication, à vérifier si le circuit fonctionne
bien (“All6, vous m'entendez ?”), à attirer l’attention de l’autre ou à
s'assurer qu’elle ne se relâche pas. |
— La fonction poétique est centrée sur le message pour lui-même. Elle
consisteà assurer au message un supplément de sens par une mise en
forme particulière (avec des effets de rime, de rythme, de jeux de mots...).
Cette fonction, bien sûr prédominante dans l’art littéraire, n’est pas
confinée à la seule poésie comme son nom pourrait le laisser penser. On la
retrouve particulièrement présente dans les communications persuasives
(publicitaires, politiques..).
— La fonction métalinguistique est centrée sur le code. Elle intervient
chaque fois que le code utilisé (les mots de la langue) fait lui-même l’objet
du message échangé, notamment à travers un effort de définition ou
d’explicitation : “Quel drôle de mot !.… J'entends par ce mot…., c'est-à-
dires
— La fonction référentielle, centrée sur le référent, vise à décrire ou à
évoquer le contexte, la situation réelle ou imaginée dans laquelle se trou-
vent les sujets parlants.
CHAPITRE XX : LA SPÉCIFICITÉ DE L'APPROCHE PSYCHOSOCIALE DES PROCESSUS DE COMMUNICATION 281

Il est important de noter que, dans le modèle de Jakobson, ces fonctions


ne sont pas exclusives les unes des autres puisqu'elles cohabitent souvent
dans un même message. Elles font seulement l’objet, de la part du sujet
parlant, d’une hiérarchisation singulière (classées en fonctions dominantes et
fonctions secondaires), ce qui permet de donner du sens à ce qui est dit à
partir de ce qui apparaît comme la (ou les) visée(s) prioritaire(s) du message.
En référence à ce modèle, on peut analyser une situation de communi-
cation — et les obstacles éventuels auxquels elle se heurte — en repérant
quelles fonctions sont ou non assurées par les messages émis. Si nous
revenons à notre exemple, on peut notamment distinguer différents types
d'intervention des écoutants en procédant à une analyse du contenu des
messages qu'ils adressent aux appelants.
— Si la fonction phatique est assurée par tous et, à chaque fois, de
manière standardisée et ritualisée par le “Sida Info Service, bonjour. je
vous écoute” du début d’entretien, et par le “Si vous avez besoin du service,
n'hésitez pas à nous recontacter”’ en fin d’entretien, on peut, par exemple,
observer que certains écoutants, plus que d’autres, veilleront tout au long
de l’entretien à entretenir le contact par des messages du type “Je
comprends, je comprends tout à fair’ ou “d'accord, d'accord”.
— Certains utiliseront, plus que d’autres, la fonction expressive en prenant
position, en donnant leur opinion à l’égard de la situation qui leur est
rapportée. Ces prises de position personnelles peuvent faciliter la communi-
cation lorsqu'elles permettent à l’appelant de voir le problème “sous un autre
Jour” ; elles peuvent aussi être un obstacle si elles sont entendues comme un
“jugement”, une “évaluation”. Certains écoutants évoquent d’ailleurs la diffi-
culté qu’ils peuvent rencontrer à taire leurs réactions quand, par exemple, au
bout du fil, un père incestueux leur fait part des craintes de contaminer sa fille.
— La fonction conative, qui vise à provoquer tel ou tel comportement
chez le “récepteur”, peut être présente dans le message, de manière tout à
fait explicite : “Je pense que vous devriez faire vous-même un test de
dépistage” ou de façon plus implicite “Vous n'avez pas fait de test. C'est
peut-être angoissant, non, de ne pas savoir ? ”
— Dans la réponse des écoutants aux demandes qui leur sont adressées,
la fonction référentielle occupe, la plupart du temps, une place essentielle :
il s’agit d'apporter aux appelants une information précise, fiable,
“professionnelle”, sur la question qui les préoccupe ; par exemple,
l'information sur les modalités de traitement du sida (trithérapie).
— Dans le même temps, s’assurer d’une bonne appropriation, par
l'appelant, de l’information ainsi dispensée, suppose de faire intervenir
souvent la fonction métalinguistique, pour expliciter ce que l’on entend par
tel ou tel terme : “// vaut mieux ne pas utiliser ce produit sur les muqueu-
282 PSYCHOLOGIE SOCIALE

ses. Quand je parle des muqueuses, il s'agit des zones telles que la bouche
ou les parties génitales...”
— Quant à la fonction poétique, qui contribue à apporter un supplément
de signification au message, elle peut s'exprimer aussi par des jeux de mots,
par exemple, quand l’appelant, à force de répéter “vous êtes sûr. vous êtes
sûr ?”, finit par dire “vous êtes sourd ?” et signifie par là même à l’autre que
sa véritable demande n’est pas d’être informé mais d’être rassuré.

2.2. Une centration sur l’émetteur du message

Dans la définition de ces fonctions, Jakobson caractérise les différentes


modalités d’investissement du message par l'émetteur à travers les
objectifs “dominants” qu’il poursuit ; mais, de fait, il laisse dans l’ombre
la participation effective du récepteur au processus de communication.
Ainsi, une limite importante de ce modèle linguistique (qui n’est qu'un
exemple parmi les nombreux modèles que ce champ disciplinaire a
fournis) est de ne pas prendre en compte l'interaction effective entre
l'émetteur et le récepteur. S’il met bien en scène l’émetteur et les différents
niveaux auxquels celui-ci élabore son message, le récepteur, par contre,
apparaît comme bien passif, réduit à n’être qu’une “cible” de la commu-
nication (notamment de la fonction conative). Le modèle de Jakobson n’est
pas à même de rendre compte de l’influence que le récepteur exerce sur
l'émetteur, au sein d’une véritable interaction qui se développe aussi. au
niveau du non verbal et du paraverbal (c’est-à-dire d'éléments de la
communication tels que non seulement les mimiques ou les postures, mais
aussi le son de la voix, les intonations, les silences...). Un écoutant
témoigne bien de cette influence réciproque : “à cause de la voix, rien que
de la voix, d'emblée on ressent déjà de l'émotion, et c'est important
d'identifier à chaque instant ce que ça génère en soi-même, c'est pour ça
que c'est énigmatique. En termes psychologiques, cela tient du transfert et
du contre-transfert” ; une émotion qui n’est donc pas sans impact sur la
façon dont l’écoutant va élaborer, à son tour, son propre message.
La notion d'interaction, comme nous allons le voir, est par contre
centrale dans le modèle systémique de la communication développé par
l’École de Palo Alto.

3. Le modèle systémique et pragmatique de l'École de Palo Alto


En préambule, il est important de signaler que les théoriciens de ce
qu’il est convenu d’appeler l’École de Palo Alto se sont largement appuyés
CHAPITRE XX : LA SPÉCIFICITÉ DE L'APPROCHE PSYCHOSOCIALE DES PROCESSUS DE COMMUNICATION 283

sur les acquis de la cybernétique (cf. Wiener, 1950, trad. 1954) et sur la
notion de “feed-back” pour repenser la communication non comme un
schéma linéaire (cf. le modèle technique de Shannon et Weaver) mais
comme un système circulaire défini par un jeu de rétroactions positives et
négatives (feed-back) où les positions d’émetteur et de récepteur alternent
en permanence. Cette distinction émetteur/récepteur est alors jugée inopé-
rante dans l’observation de séquences interactionnelles où les processus
d'influence jouent dans les deux sens : l’action d’un émetteur est indisso-
ciable des réactions du récepteur auxquelles elle donne lieu.

3.1. Interaction et approche “systémique”

Partant du postulat selon lequel “il est impossible de ne pas


communiquer” Car tout comportement — y compris le silence ou le retrait
— à valeur de communication, les théoriciens de Palo Alto vont développer
une approche de l’interaction qui privilégie l’étude des comportements de
communication à travers l’observation systématique de séquences de
messages échangés par des individus en relations réciproques.
Définie ainsi de manière très concrète, la notion d'interaction est
centrale dans une démarche systémique qui, pour expliquer le fonction-
nement ou les dysfonctionnements d’un système (par exemple celui que
constitue une famille) :
— centre son analyse non pas sur les caractéristiques des éléments qui
composent le système (par ex. les traits de caractère des différents
membres de la famille) mais sur leurs interrelations (par ex. les modes de
communication qu’ils développent entre eux) ;
— prend en compte les relations du système à son environnement (par
ex. l'insertion de la famille dans un milieu socio-économique particulier
qui peut avoir une influence sur les modes de communication développés
en son sein). Défini comme “l’ensemble des éléments du milieu dont les
attributs affectent le système ou qui sont affectés par lui” (Marc et Picard,
1984, p. 23), le contexte revêt ici une importance capitale.

Ce type d’approche a été à l’origine d’un renversement de perspective


dans le champ de la thérapie : avec les “thérapies familiales”, on ne
“soigne” plus le sujet porteur du symptôme, mais on intervient auprès de
l’ensemble de la famille car on fait l’hypothèse que le symptôme manifesté
par l’un des membres du groupe familial est, en fait, l’indicateur de
problèmes de communication au sein de ce groupe.
284 PSYCHOLOGIE SOCIALE

3.2. Une logique de la communication

L'objectif des chercheurs de l’École de Palo Alto est de dégager les


règles qui fondent ce qu’ils ont nommé une “logique de la communication”
(Watzlawick et al., 1967, trad. 1972). De la même façon que l’observation
de plusieurs parties d'échecs peut permettre à un néophyte d’inférer
certaines règles de ce jeu, l'observation attentive d'interactions entre deux
ou plusieurs personnes conduit à repérer que certains enchaînements se
répètent et que certains comportements en appellent d’autres. Gregory
Bateson distingue, à ce propos, dès 1936, deux grandes catégories d’inter-
actions :
— les interactions symétriques où les interactants se répondent sur le
même mode : au don par le don, à la violence par la violence. Par exemple,
l'agressivité qui appelle l’agressivité et conduit à une surenchère pour
“avoir le dernier mot”. Ainsi dans un couple : “Tu n'as pas voulu aller au
cinéma hier soir”, “je n'irai pas dîner avec toi chez nos amis ce soir” :
— les interactions complémentaires où les partenaires s’enferment peu à
peu dans des rôles et contre-rôles de type domination/soumission,
exhibitionnisme/voyeurisme. Par exemple, la réitération d’affirmations
autoritaires de la part d’un des interlocuteurs qui suscite un retrait progres-
sif de l’autre et son acceptation passive ; le monologue d’une personne qui
réduit l’autre à une écoute silencieuse.
Alors que les premières interactions (symétriques) instaurent l’égalité
ou la réciprocité dans l’échange, les secondes (complémentaires) tendent à
souligner les différences de places et de pouvoir. Il est important d’insister
encore une fois sur le fait que ces positions s'appellent réciproquement
sans que l’un des deux partenaires impose nécessairement à l’autre, et de
façon consciente, son comportement.
À travers ces exemples, on voit comment la communication entre deux
personnes ne dépend pas, comme pourraient le laisser entendre les
modèles précédents, de l'initiative unilatérale de l’émetteur. Elle relève
d’une participation effective, volontaire ou non, verbale ou non verbale,
des deux interactants au développement d’une logique particulière de
communication. Les dynamiques de “ponctuation” de l'échange (gestion
des tours de parole, aménagement des silences) jouent un rôle essentiel
dans l’instauration d’une logique ou d’une autre.

3.3. Une pathologie de la communication


Ni “bonnes”, ni “mauvaises” en elles-mêmes, les interactions symé-
triques ou complémentaires que nous venons d'évoquer deviennent un
CHAPITRE XX : LA SPÉCIFICITÉ DE L'APPROCHE PSYCHOSOCIALE DES PROCESSUS DE COMMUNICATION 285

obstacle à la communication lorsqu'elles se rigidifient et enferment les


partenaires dans une forme stéréotypée de rapport à l’autre. Nous pouvons
évoquer ici deux formes classiques de “communication pathologique”
décrites par Paul Watzlawick et al. (1972).
— La première est relative à la confusion, par les partenaires, des
niveaux de la communication. Tout message comporte deux niveaux ; celui
du contenu où le message apporte des informations sur des faits, des opi-
nions, des expériences..., celui de la relation où il dit, de manière plus ou
moins explicite, quelque chose sur la relation entre les partenaires.
Exemple, un appelant demande quels sont les signes cliniques d’apparition
de la maladie :
Appelant : “Comment apparaît la maladie ?”
Écoutant : “Généralement on commence par observer une perte de
poids...”
Appelant : “J'ai perdu 3 kilos ces derniers temps...”
Écoutant : “Non, je vous arrête tout de suite, c'est quand même un peu
plus sérieux que ça, le sida”.
Dans cette dernière réponse, l’écoutant “dit” au moins deux choses : il
dit d’abord, au niveau du contenu, que les pertes de poids symptomatiques
d’un début de la maladie sont plus importantes qu’une perte de trois kilos.
En même temps, au niveau de la relation, l’association du “non”, du
“quand même” et du “un peu plus sérieux” peut prendre des significations
très différentes. Elle peut signifier le fait que l’écoutant est engagé dans
une relation d’empathie avec l’appelant, qu’il peut se mettre à sa place et,
comprenant son angoisse, avoir le souci de le rassurer par une réponse
ferme qui coupe court à toute incertitude. Mais elle peut tout aussi bien
signifier que l’écoutant disqualifie la demande de l’appelant, en remet en
cause la pertinence (il ne la juge pas sérieuse) et pense que leur relation
n’est plus fondée (on peut s’attendre à ce qu’il l’abrège). D'où l’impor-
tance de disposer des éléments para-verbaux qui accompagnent le message
(ton rassurant ou ironique, par exemple) et des éléments de contexte (les
interventions qui précèdent et celles qui suivent le message dans la séquen-
ce d'interaction) pour trancher dans l'interprétation à donner à cette
phrase. En effet, le sens d’un message relève à la fois :
— d'éléments du code digital, constitué de signes arbitraires, de pure
convention (par exemple les mots de la langue, les chiffres d’une montre à
quartz) ; ,
— et d'éléments du code analogique, constitué de signaux qui ont un
rapport immédiat et imagé avec ce qu'ils signifient (par exemple les
expressions du visage et le langage gestuel, la position des aiguilles d’une
montre sur le cadran).
286 PSYCHOLOGIE SOCIALE

Afin d'illustrer la confusion des niveaux comme forme de “malentendu”


et d’obstacle à la communication, reprenons notre exemple et imaginons que
l'appelant, ayant interprété comme ironique et disqualifiante la réponse de
l’écoutant, soit “piqué au vif”. Il peut réagir en voulant prouver le bien-fondé
de ses inquiétudes et en démontrant à l’écoutant qu’il est susceptible de se
tromper, que la maladie peut aussi se manifester par des pertes de poids
minimes (par exemple, il avancera le cas de personnes qu’il connaît). Par là,
il installe la polémique au niveau du contenu, et c’est à ce même niveau que
l’écoutant peut répondre à son tour ; par exemple, en faisant valoir sa large
expérience qui lui permet d’affirmer qu’une perte de poids de trois kilos
n’est pas symptomatique (“Cela fait 10 ans que je suis écoutant, et des
médecins nous informent régulièrement, dans notre équipe, des résultats
d'enquêtes épidémiologiques”). Tant que les deux interactants restent
focalisés sur le seul contenu du message, ils passent à côté du véritable
problème de communication qui se situe au niveau de la relation. Ce n'est
que lorsqu'ils pourront s'exprimer à ce niveau (par exemple quand
l’appelant pourra dire : “Je reconnais votre compétence, mais vous n'avez
pas à me parler sur ce ton”) que la situation pourra être dépassée. Il s’agit
de ce que les théoriciens de Palo Alto appellent la capacité de “méta-
communiquer”, c’est-à-dire de communiquer sur la communication.
— La seconde forme de communication pathologique que nous évoque-
rons est celle que Bateson (1977-1978) nomme la “double contrainte”
(double bind). Il s’agit du cas où un même message contient deux signifi-
cations contradictoires qui placent le destinataire dans une situation
indécidable ; par exemple, les injonctions paradoxales qui le mettent en
position de ne pas pouvoir obéir sans désobéir. Exemple célèbre, l’injonction
“Soyez spontané !” (ou “Soyez autonome !”) dans laquelle l'impératif
annule le contenu du message car obéir c’est, justement, ne plus être spon-
tané (ou autonome). [Pour pouvoir se libérer de la double contrainte et faire
face à l’injonction paradoxale, Bateson (1972) préconise d'instaurer la
“communication paradoxale”, c’est-à-dire une communication à visée
thérapeutique par laquelle les sujets vont tour à tour jouer, à la façon d’un
comédien, la contradiction et la déjouer de manière plus humoristique].
On retiendra de cette “nouvelle communication” (Weakland., 1967, cité
par Winkin, 1981) l’accent mis sur les dynamiques interactionnelles et la
nécessaire prise en compte de l’environnement pour saisir leur “logique”.
Mais parler de “logique” est référé ici à une approche “pragmatique” qui,
si elle permet effectivement de dégager un ensemble de règles et de rituels
(Hall, 1966 ; Goffman, 1967) autour desquels s'organisent les séquences
d'interaction et leurs effets directement observables, ne donne pas accès
aux significations construites dans et par cette interaction. Centrée sur
CHAPITRE XX : LA SPÉCIFICITÉ DE L'APPROCHE PSYCHOSOCIALE DES PROCESSUS DE COMMUNICATION 287

l'observation des comportements de communication, cette approche


occulte les processus psychologiques et psychosociaux par lesquels les
partenaires se perçoivent mutuellement et donnent sens à leur situation
d'interaction. Centrée sur “l’ici et maintenant” de l'échange, elle occulte la
part de l’histoire personnelle des sujets dans la façon dont ils s’impliquent
dans la communication. C’est le propre d’une approche psychosociale que
d'analyser de tels processus, à l’œuvre dans la définition des enjeux à la
fois personnels et sociaux de toute communication.

4. L'approche psychosociale des processus de communication


La définition de la communication proposée par Didier Anzieu et
Jacques-Y ves Martin (1968) est souvent utilisée pour repérer les différents
facteurs psychologiques et psychosociaux qui interviennent dans les pro-
cessus de communication. Nous la rappellerons ici et l’illustrerons sur la
base de l’exemple retenu afin de dégager la spécificité d’une approche
psychosociale de la communication. Selon ces auteurs, dans la commu-
nication “entrent en contact, non pas une ‘boîte noire’ émettrice et une
‘boîte noire’ réceptrice, mais un ‘locuteur’ et un ‘allocuté’, plus généra-
lement, deux ou plusieurs personnalités, engagées dans une situation
commune, et qui se débattent avec des significations” (Anzieu et Martin,
1990/p191).

4.1. Les facteurs de personne

La première catégorie de facteurs, que nous qualifierons de “facteurs de


personne”, renvoie à des éléments tels que : les motivations et les systèmes
de valeurs des locuteurs, leur état émotionnel et affectif, leur niveau
intellectuel et culturel, leur histoire personnelle et, plus largement, leurs
cadres de référence.
Ainsi, dans le cadre du dispositif “Sida Info Service”, la communi-
cation qui s’instaure entre appelant et écoutant est largement tributaire de
l’histoire personnelle de chacun. La plupart du temps, on ne devient pas
“écoutant” dans ce service par hasard : nombre de ces professionnels, dans
leur parcours de vie, ont côtoyé, de près ou de loin, la maladie. Pour tel
écoutant qui a perdu un proche à cause du sida, certains appels ont une
résonance affective très forte qui pèse de tout son poids dans la relation :
“Tu vas te retrouver comme en miroir Je suis arrivé avec mon passé
d'homosexuel qui a perdu son copain du sida...” Cet exemple met en
lumière les limites des approches précédentes quand elles réduisent la
288 PSYCHOLOGIE SOCIALE

communication à un transfert d’information relativement neutre et


“transparent” ou quand elles négligent l’ancrage biographique des
relations à autrui.

4.2. La situation commune

La situation commune qui réunit les locuteurs est avant tout une situation
sociale qui motive, rend possible et sanctionne la communication (c’est-à-
dire en signe la réussite ou l’échec). À un premier niveau, cette situation est
définie par des paramètres concrets — de temps et de lieu — liés au contexte.
Eux aussi sont loin d’être neutres. Ainsi l’écoute n’est pas la même la nuit
que le jour. Un écoutant témoigne : “Les bruits ne ressortent pas du tout de
la même manière, ça n’évoque pas la même chose... la nuit ça rappelle les
couchers de l'enfance, et puis, la solitude de l’appelant y est plus présente,
plus perceptible” Réciproquement, à l’autre bout du fil: “Bonjour... ou
bonsoir ? C'est le jour ou c'est la nuit ?” Si l’appelant non-voyant qui
formule cette question a besoin d’un tel repère pour entrer en communi-
cation, c’est que le paramètre concret jour/nuit est porteur de dimensions et
d’enjeux sociaux (Bourdieu, 1982 ; Mucchielli, 1995). Les codes ne sont pas
les mêmes le jour et la nuit : “La nuit, on parle plus facilement à un inconnu,
on est à contre-temps de la vie sociale Les enjeux aussi sont différents : il
est, par exemple, moins risqué de confier certains “secrets” lorsque la nuit
préserve une part du “mystère de la relation”.
Toute communication, même si elle n’est pas réductible à cela, est
porteuse de risques pour le sujet, de bénéfices aussi, espérés et attendus.
Ce sont les termes d’une telle “transaction”? qu’objective la notion de
“contrat de communication” développée dans le “modèle interlocutoire”
de Rodolphe Ghiglione (1986 ; 1989). Face aux risques encourus lors-
qu’on s'engage dans une communication avec autrui (risques d'être
influencé par l’autre, d’être rejeté, de “perdre la face”...), un contrat de
communication facilite l’entrée en relation en précisant la finalité des
échanges (parler pour atteindre quel but ?), l'identité des partenaires (qui
s'adresse à qui ?), le propos (parler de quoi ?) et le dispositif (parler dans
quel cadre ?). Sa fonction est de donner des repères quant à :
— la définition des places respectives des interlocuteurs dans le procès
de communication (“principe d'altérité”), en réponse aux questions : “Qui
suis-je pour m'adresser à lui ? Qui est-il pour s'adresser à moi ?” ;
— l'évaluation de la pertinence de la communication (“principe de
pertinence”) : pertinence de son objet (‘est-il pertinent de parler ici de
cela ?”), pertinence de l’interlocuteur (“est-il pertinent d’en parler à cette
personne-là ?”) ;
CHAPITRE XX : LA SPÉCIFICITÉ DE L'APPROCHE PSYCHOSOCIALE DES PROCESSUS DE COMMUNICATION 289

— la définition des limites à l’intérieur desquelles il est acceptable d’être


influencé par l’autre et, réciproquement, d’influencer l’autre (“principe
d'influence” et “principe de régulation” ou de réciprocité).

La plupart du temps, le contrat et les principes formels sur lesquels il


s’appuie pour “cadrer” l’échange (cf. cette grammaire de la communication
dont parle Charaudeau, 1992) n’ont pas besoin d’être explicités car la
situation et les paramètres qui la définissent sont déjà porteurs de règles de
communication implicites. Par exemple, quand un étudiant prend place sur
les gradins d’un amphithéâtre, à l’université, et qu’un enseignant s’installe
sur l’estrade du même amphi, le contrat est clair pour chacun : il règle les
rôles et les attentes réciproques et définit un mode de communication bien
spécifique — la communication pédagogique. L’'acceptation de celle-ci
présuppose que les interlocuteurs reconnaissent d'emblée qu’ils sont tenus à
un principe de “coopération” (Grice, 1979). Pour que la communication
puisse avoir lieu, il est nécessaire que l’autre interlocuteur reconnaisse
l'intention de celui qui parle, dans son désir de produire un effet sur lui.
Plus ou moins explicité selon les situations, le contrat peut aussi être
l’objet d’interprétations divergentes de la part des interlocuteurs ; ceux-ci
devront alors s’engager dans un processus de négociation Visant à re-
définir des positions et des principes d’échange sur lesquels il devient
possible de s’accorder. La re-négociation du contrat de communication
prend parfois la forme d’un véritable “détournement” de celui-ci quand
l’un des interlocuteurs cherche à imposer, à son profit et souvent à l’insu
de l’autre, des règles et des objectifs différents de ceux qui justifiaient
initialement l’échange.
Les écoutants de Sida Info Service ont l’expérience de tels détourne-
ments. Ils ont régulièrement affaire à des appels qu’ils qualifient de
“parasites” : blagues, injures ou scénario pervers. Ainsi témoigne cette
écoutante : “Certains appelants se présentent comme séropositifs et
demandent du soutien, en fait, ils transgressent toutes les règles de l'écoute
et nous conduisent à la transgression : l'autre soir, ce n’est qu'au bout de
cinquante minutes que j'ai compris que la personne au bout du fil se
masturbait. Je me suis sentie flouée. C'était en fait le ‘pervers de la ligne”,
je me suis renseignée après auprès d'autres écoutants. Ce type d'échanges,
c’est comme une partie d'échecs et à la fin de l'appel, on a l'impression
d'être échec et mat” Face à ce type de situation, c’est la capacité de
l’écoutant à gérer le contrat de communication qui est mobilisée. Il doit
faire respecter certaines règles précises : il s’agit aussi bien de préserver
l'anonymat de part et d’autre (et ainsi résister à toute tentation ou tentative
de trop personnaliser la relation) que de rappeler les rôles de chacun dans
290 PSYCHOLOGIE SOCIALE

la communication pour éviter la confusion des places. Il doit aussi être à


même d’apprécier les possibilités d'évolution d’un échange a priori non
pertinent (par exemple, une blague ou le silence radical de l’appelant) vers
une demande appropriée qu’il peut traiter. De fait, l’écoutant est en
permanence engagé dans un travail d’interprétation par lequel il attribue du
sens aussi bien à ce qui est dit ou non-dit par l’appelant (“aucune piste
n'est à négliger”), qu’à la relation qui s’instaure entre eux.

4.3. Les significations


Les significations avec lesquelles les interlocuteurs “se débattent” (cf.
Anzieu et Martin, 1990) sont des significations “co-construites”. Elles
résultent de la confrontation des “mondes vécus” de chacun des interlocu-
teurs et de l’élaboration d’une référence commune. Celle-ci concerne les
représentations réciproques que les sujets se font l’un de l’autre, les
représentations qu’ils ont de l’objet de la communication et leurs repré-
sentations de la situation elle-même (cf. le modèle de M. Pécheux sur le
rôle des formations imaginaires dans la communication, 1969).
Que supposent l’écoute professionnelle d’un côté, la demande de soutien
de l’autre ? Elles supposent, tout d’abord, que soit construite une repré-
sentation cohérente de la personne à laquelle on s’adresse, de manière à
anticiper ses attentes et ses réactions : dans l’échange, les hypothèses sur soi
et sur l’autre seront soumises à un jeu de validations/invalidations jusqu’à
l'atteinte d’un sentiment de reconnaissance mutuelle. Les écoutants insistent
sur la nécessité de se construire “une figure de l'appelant, de la personne au
bout du fil”, à travers une démarche “abstrayante” qui en fait à la fois
quelqu'un de lointain et de proche. Ces représentations animent un
imaginaire — voire une fantasmatique — de la relation : “parfois, dans la rue,
Je croise des anonymes en me demandant si je ne les ai pas eus au bout du
fil. je me dis aussi qu’en réunissant tous les appelants que j'ai écoutés, on
pourrait remplir Bercy”. Au-delà des représentations réciproques des
interlocuteurs, ce sont aussi les représentations de l’objet et de la situation de
communication qui sont co-construites. Dans l’échange sont confrontées les
représentations que chacun s’est constituées de la maladie-sida, à partir de
son expérience personnelle (à plus ou moins grande distance de l’objet, avec
des résonances affectives plus ou moins fortes, cf. “effer de halo” défini par
Anzieu et Martin, 1990, p. 194) mais aussi en fonction des informations qu’il
possède sur l’objet (plus ou moins pertinentes et complètes, susceptibles
d'orienter le “filtrage” du message, ibid., p. 194).
Sont aussi mises à l’épreuve les expériences relationnelles que chacun
a pu avoir, au cours de son histoire de vie, avec des “autrui significatifs”
CHAPITRE XX : LA SPÉCIFICITÉ DE L'APPROCHE PSYCHOSOCIALE DES PROCESSUS DE COMMUNICATION 291

(c’est-à-dire des personnes de l’entourage perçues comme importantes, cf.


G.H Mead, 1962), orientées par la recherche ou l’apport de soutien. Elles
orientent les représentations des rôles et attentes de rôles engagés dans la
situation de communication présente. C’est dans l’échange et l’articulation
de ces différentes représentations que les partenaires pourront s’accorder
pour signifier, par exemple, le rôle et les fonctions dévolus à l’écoutant ;
tantôt comme spécialiste de l’objet-sida et personne-ressource garante
d’une information valide sur la maladie, tantôt comme professionnel de la
relation et de l’écoute, à même d'apporter un soutien psychologique
approprié.
On retiendra que la communication ne saurait être réduite à une simple
activité de transmission d’information d’un émetteur à un récepteur au
moyen de signes et de canaux ; pas plus qu’à une “interactivité” au sens où
on l’entend souvent à propos des communications homme-machine (cf.
ergonomie de la communication) ; ou encore à un ensemble de techniques
médiatiques utilisées dans la publicité, les médias, la politique, pour
informer, influencer l’opinion d’un public-cible, en vue de promouvoir ou
d'entretenir une image (cf. l’approche stratégique des “Relations
publiques” et de la communication d’entreprise).
Si la communication constitue un objet d’étude privilégié pour le psy-
chologue social, c’est avant tout parce qu’elle est le support de processus
d'intersignification qui permettent d'appréhender comment le sujet donne
sens aux situations et aux objets auxquels il est confronté. Il s’agit là d’un
enjeu majeur pour une discipline qui, à l’articulation du psychologique et
du social, s’attache à montrer comment les situations ne déterminent pas
de manière mécanique les conduites du sujet mais n’ont d'influence sur
celles-ci qu’à travers les significations que le sujet leur confère dans ses
communications avec autrui. Le schéma proposé par Serge Moscovici
(1984a) pour spécifier le “regard psychosocial” peut être lu en ce sens
quand il définit une “lecture ternaire” de la réalité qui fait intervenir la
médiation d’Autrui dans les relations du Sujet à l’Objet (ou à la situation).
C’est dans/par ses relations à d’autres individus, à différents groupes, à
diverses institutions, que le sujet signifie et resignifie aussi bien ses
conditions de vie, que les événements majeurs de son parcours biogra-
phique ou ses engagements dans une pluralité de sphères d’investissement
(vie professionnelle, vie familiale, vie sociale et de loisirs). Par ce travail
d’intersignification, il peut s’affirmer comme un “sujet actif” qui participe
à la transformation de ses propres conduites et de ses milieux de
socialisation (Baubion-Broye, 1998).
Pour comprendre les dynamiques du changement personnel et du
changement social, il importe d'examiner le rôle de la communication avec
292 PSYCHOLOGIE SOCIALE

autrui à différents niveaux (Doise, 1982). Au niveau intrapersonnel, le


sujet “dialogue” avec des autrui intériorisés (modèles identificatoires,
personnes importantes de l’entourage, personnages imaginaires.) ; ces
dialogues intérieurs sont le support de délibérations, de confrontations de
points de vue différents dans la construction de choix et de décisions
personnels. Au niveau interpersonnel, la communication avec d’autres
individus expose le sujet à des représentations et des valeurs susceptibles
de contredire les siennes ; elle est le vecteur de conflits et de processus
d'influence (pression à la conformité, innovation, persuasion...) qui
peuvent constituer des freins ou, à l’inverse, des leviers du changement. Au
niveau positionnel, est activé le jeu des comparaisons/différenciations
sociales et des rapports de pouvoir (dominants/dominés), dans des
communications qui mobilisent les sujets dans leurs appartenances
groupales et positions sociales. Au niveau idéologique enfin, la communi-
cation s’inscrit dans des cadres institutionnels et culturels dont la pluralité
génère des contradictions ; traitées par le conflit, la recherche de
compromis ou la négociation, ces contradictions peuvent contribuer soit à
une cristallisation des normes existantes (renforcement de l’institué), soit
à l’invention de nouvelles normes (dynamiques instituantes).
Pour conclure, nous soulignerons combien la communication est
importante pour notre discipline, et ce, à deux niveaux. Aux plans théori-
que et épistémologique, elle est centrale dans la définition même de la
discipline : “La psychologie sociale est la science des phénomènes de
communication et d’idéologie” (Moscovici, 1984 a). Au plan de la pratique
professionnelle : elle constitue à la fois un objet important de l'intervention
psychosociale et un outil pour traiter des problèmes “de terrain”. D'une
part, les psychologues sociaux sont souvent sollicités pour analyser et
traiter des dysfonctionnements qui affectent différents types de com-
munications dans les organisations : communications au sein des équipes
de travail, communications hiérarchiques, communications avec l’environ-
nement. D'autre part, ils utilisent et suscitent régulièrement la
communication dans des groupes, notamment pour soutenir la démarche
de réappropriation, par les “acteurs”, du sens de leurs pratiques quand
celui-ci leur échappe dans des situations de “crise” où est menacée leur
identité professionnelle.
CHAPITRE XXI

La Psychologie Sociale
de l’usage du langage
Marcel BROMBERG et Alain TROGNON

Prenez cet extrait de l’enregistrement du débat qui opposa Jean-Marie Le


Pen à Salem Kaset dans le cadre de la rencontre Le Pen/Tapie qu’organisa
TF1 le 8 décembre 1989 (Trognon, 1991 ; Ghiglione et Trognon, 1993 ;
Trognon et Larrue, 1994 ; pour des analyses plus techniques de cet extrait) :
1291
RS [..] à partir de 1959... j'ai fait mes. l’ensemble de mes études. j'avais
huit ans. je suis parti d’un Département français et je ne savais pas parler
français. et l’école de la République m'a appris ce qu'était le français.
et et c'est comme ça que j'ai franchi les différentes étapes et je rends
aujourd'hui un grand hommage à més maîtres qui m'ont formé... qui ont
fait que je suis le fils de ma communale Monsieur le Punk qu'a fait que.
LP34 : je m'appelle Monsieur Le Pen Le Pen Le Pen
ASE aaah je croyais que vous étiez un spécialiste des boutades
LPS ah oui
Ka : hein seulement quand on vous les fout. quand on vous les met à vous...
LPJO" ah oui oui. c'est ça vous voyez que vous n'êtes pas tout à fait encore
arrivé à maîtriser la langue
Ne non... non non non... Monsieur Le Pen... je suis cardiologue... je suis
pédiatre. j'ai une formation
LP3576 tant mieux pour vous
K6 : non non. quand vous dites que je ne maîtrise pas la langue française.
LP38S La preuve vous avez écorché mon nom
K7 : je suis prêt à débattre devant vous. Oh ! Vous vous en avez écorché
tellement que vous devriez dans ce domaine être extrêmement modeste.
Revenons à partir à parti de cette parenthèse refer…
Fer'1cns la parenthèse. donc j'ai vécu [...]
So)
294 PSYCHOLOGIE SOCIALE

C’est manifestement un événement psychosocial (et même psycho-


socio-cognitif selon Bromberg [1999a, 1999b]) que restitue l’extrait
précédent. En effet, on peut y décrire :
1. des représentations sociales (par exemple : la représentation sociale
de l’École Républicaine) ;
2. des relations interindividuelles (ici elles prennent la forme d’un débat
sur les identités (la Francité, l'Esprit), débat qui suit tout à fait les règles
associées à ce genre d’activité sociale) ;
3.et, dans le cadre de ces relations interindividuelles, des relations que
les acteurs de celles-ci entretiennent avec des propriétés sociales relati-
vement indépendantes de l’interaction (quand, par exemple, Salem Kaset
recourt à son statut social pour justifier sa compétence linguistique mise en
doute par Jean-Marie Le Pen).
Bref, cet extrait relève d’au moins trois des quatre niveaux d’analyse
que Doise considère comme typiques de la démarche mise en œuvre en
Psychologie Sociale : respectivement, les niveaux idéologique, positionnel
et interindividuel-situationnel (1982).
Or les phénomènes auxquels on vient tout juste de se référer se réalisent
tous en utilisant le langage. De sorte que la Psychologie Sociale du langage
est précisément cela : c’est l’étude psychosociale de l’usage du langage, dans
sa théorie jusque dans ses applications.
Cela circonscrit un champ extrêmement vaste, très actif et actuellement
en voie d'organisation. Nous ne pourrons pas, ici, le présenter dans son
épistémologie et dans la totalité de ses objets. Il s’agira donc simplement,
en se référant à des travaux facilement accessibles permettant d’appro-
fondir aisément la lecture de ce chapitre, de donner une idée concrète de
ce qui se fait dans ce champ.

1. La communication des pensées, des perceptions et des


représentations du monde
Toute parole sociale constitue une paraphrase, parmi d’autres, de la
pensée. Cette possibilité tient au fait que le langage tel qu’il est constitué
nous ouvre la possibilité de construire des versions différentes de la réalité
telle que nous la percevons, ou telles que nous voulons qu’autrui la
perçoive. Pour cela, nous utilisons des ressources linguistiques pré-exis-
tantes, et selon les caractéristiques et déterminations des situations
d'interaction, nous puisons dans ces ressources, certains éléments
langagiers plutôt que d’autres et les organisons de certaines façons plutôt
que d’autres. Cette production langagière met en œuvre des représen-
CHAPITRE XXI : LA PSYCHOLOGIE SOCIALE DE L'USAGE DU LANGAGE 295

tations complexes, construites par le sujet social à partir des variables de la


situation sociale dans laquelle il se trouve. Ces représentations sont elles-
mêmes le produit d’un ensemble de représentations liées d’une façon ou
d’une autre aux acteurs de l’interaction communicative, aux enjeux pour-
suivis dans l’interaction, aux attitudes du sujet énonciateur, à celles
inférées de l’interlocuteur, à la connaissance du monde, aux savoirs anté-
rieurs, etc. On le voit, le comportement langagier porte les traces de
l’activité cognitive d’un sujet social qui, engagé dans une situation d’inter-
action communicative, inscrit dans ses énoncés des traces de ses attitudes
(à l'égard d’objets), de son intention, en fonction de certains enjeux qu’il
actualise. Ce faisant, il inscrit toujours l'interlocuteur, potentiel ou réel,
dans un Jeu d’influence. L’intention communicative du locuteur sera donc
toujours plus ou moins saturée par cette visée et la mise en langue de cette
intention portera nécessairement les traces des opérations cognitives qui
ont présidé à son élaboration. La variation de la nature des enjeux des
situations d’interactions communicatives, ainsi que des caractéristiques
des identités des sujets qui y participent déterminent en quelque sorte un
programme ‘‘cognitivo-discursif” se traduisant sur le plan-langagier par la
mise en place de stratégies discursives réalisées par l’utilisation conjointe de
divers indicateurs langagiers : catégories verbales, modalités, déixis de
locution, référents noyaux et par des jeux de validation des échanges. (cf.
Ghiglione, 1994 ; Ghiglione et Bromberg, 1990 ; Blanchet, Bromberg 1986 ;
Ghiglione, Bromberg, 1998 ; Bromberg, 1999 ; Masse, 1999a, 1999b ;
Salez-Wuillemin-Frigout, 1999).
Voici, à titre d'exemple, comment on use du langage pour communi-
quer son attitude vis-à-vis de ce dont on parle. Parler de quelque chose,
d’un objet, ne consiste pas seulement à décrire cette chose, cet objet, ou à
mettre en scène discursivement des éléments de la situation dont on parle
mais à marquer aussi la nature de la relation que l’énonciateur entretient
avec l’objet. Ce fait renvoie aux propriétés réflexives de la parole, parler de
quelque chose, c’est aussi parler — plus ou moins — de soi ou plus précisé-
ment du mode d’appropriation du monde. Si cette possibilité existe, on est
alors amené à s'interroger sur la façon dont un sujet social peut fournir de
manière non intentionnelle des indices langagiers de son attitude à l'égard
d’objets du monde. Comme il ne peut y avoir de jeux attitudinels sans
référence à un objet — puisqu'il n’y a pas d’attitude sans objet —, ces jeux
ne peuvent s’exercer indépendamment des jeux sur l’existence plus ou
moins avérée de cet objet dans le monde. Ce double jeu langagier permet
à l’énonciateur, tout à la fois, de transcrire en langue, par un substantif,
l’objet attitudinel et de manifester l’attitude à son égard sur le versant de
l'existence par le choix du déterminant du substantif. Ghiglione et Nooyen
296 PSYCHOLOGIE SOCIALE

(1981) ont montré que les déterminants, définis et indéfinis, permettaient


justement ces “jeux” langagiers sur le degré d’existence de l’objet qu'ils
déterminent. Autrement dit, le locuteur accorde un degré d’existence plus
important au référent du substantif “liberté” lorsqu'il est accompagné d’un
adjectif possessif ma (“liberté”), que lorsqu'il est accompagné d’un
déterminant indéfini une (“liberté”). En ce sens, Ma liberté “existe” plus
dans la représentation que se construit le locuteur de la réalité qu’une
“liberté”. Partant de ces résultats, on peut alors se demander si les détermi-
nants du substantif, par le jeu sur l’existence qu’ils impliquent, ne
pourraient pas fournir des indications implicites sur l’attitude du locuteur
à l’égard de l’objet dont il est question (Ghiglione, Trognon, op. cit.). Par
exemple, imaginons que nous demandions à des femmes de parler de
l’avortement. L’une dit : (a) “avorter, c’est la liberté d’avoir un enfant au
moment choisi”, l’autre dit : (b) ‘“avorter, c’est la mort de l’enfant”. Ces
deux femmes manifestent deux attitudes différentes. On remarquera
qu’elles manipulent différemment les présupposés d'existence du référent.
La première a une attitude favorable, outre le fait qu’elle dit que l’avorte-
ment renvoie à une liberté de choix, elle signifie de manière implicite que
l’enfant dont elle parle n’a pas vraiment d’existence et donc qu’avorter ne
supprime pas une vie. La seconde a une attitude défavorable, outre le fait
qu’elle dit qu’avorter, c’est supprimer la vie d’un être humain, elle signifie
de manière implicite que l’enfant dont elle parle a une existence et que
c’est sa vie que l’on supprime. Afin de confirmer cette analyse, Ghiglione
(1982) demande à des sujets pour ou contre l’avortement de donner cinq
arguments en faveur de leur position. L'analyse des arguments produits
confirme l’existence d’un jeu des déterminants du substantif conforme à
l’analyse précédente. Les déterminants définis du substantif enfant sont
utilisés préférentiellement par les femmes contre l'avortement tandis que
les déterminants indéfinis du même substantif sont utilisés préférentielle-
ment par des femmes pour l’avortement. “ Ces résultats conduisent à
penser que le locuteur a utilisé les déterminants du substantif ‘enfant’
comme des indices, pouvant permettre à l’interlocuteur de reconstituer soit
l’assertion implicite (a) : l’objet de l’avortement est un être vivant consti-
tué ; soit l’assertion implicite (b) l’objet de l’avortement n’est pas un être
vivant constitué et au-delà pouvant permettre à l'interlocuteur de
reconstituer une intention informative telle que (a) : je suis contre l’avorte-
ment, ou (b) : je suis pour l’avortement” (Ghiglione, op. cit.). D’autres
expériences prolongent ces résultats en montrant comment différents
indices langagiers peuvent servir à interpréter une intention informative
plus ou moins voulue par le locuteur (Castel P., Lacassagne M., F. 1993 ;
Sales-Wuillemin, E., Frigout, S., 1999). Par exemple, Castel et Lacassagne
CHAPITRE XXI : LA PSYCHOLOGIE SOCIALE DE L'USAGE DU LANGAGE 297

(1993) demandent à des étudiants “blancs”, se définissant comme racistes,


de rédiger une lettre rejetant la candidature d’un musicien postulant à la
constitution d’un futur groupe. La demande de candidature du musicien,
auquel ils devaient répondre, était accompagnée d’une photo et d’une
bande musicale enregistrée. Selon les groupes, la photo était celle d’un
noir ou celle d’un blanc. L'analyse du contenu des lettres met en évidence :
— l’utilisation prédominante de la formule de politesse dans les lettres
adressées au musicien blanc par rapport à celles adressées au musicien noir.
— l’utilisation prédominante du “Cher Monsieur” comme mode
d’interpellation initiale lorsque la lettre de refus s'adresse au musicien
blanc par opposition à “Monsieur” réservé au musicien noir.
— l’utilisation prédominante comme cause du refus “d'arguments
faisant référence à la musique” dans les lettres de refus adressées au
musicien blanc par opposition à l’utilisation indifférenciée ‘“‘d’arguments
sur la personne” ou “d’argument sur la musique” pour le refus s’adressant
à des musiciens noirs.
Ce jeu différentiel sur les déterminants ainsi que sur certains fragments
langagiers rend bien compte du fait que la production langagière des
locuteurs, sous-tendue par leurs attitudes, peut se caractériser par
l’utilisation d'éléments langagiers indicateurs d’une intention informative
qui n’est pas toujours maîtrisée consciemment. Même si parler constitue,
en général, une activité plus ou moins maîtrisée, cela ne sous-entend pas
que nous construisons constamment le monde de façon délibérée.

2. L'interaction communicative

Mais lorsque l’acteur social se trouve dans une situation d'interaction


avec d’autres acteurs sociaux avec lesquels il discute, défend son point de
vue à propos d’un fait, d’un événement, d’une idée, il se trouve pris dans
une situation d'interaction où il communique — plus ou moins — de façon
délibérée. Une telle situation d'interaction, qui implique alors une
intention communicative délibérée, se traduira par d’autres stratégies
langagières.

2.1. L’anticipation d’une interlocution

Au cours des années 1960, une problématique nouvelle se fait jour dans
le champ de la communication sociale. Partant du principe que les effets
de la communication étaient la conséquence de l’activation de processus
psychologiques sous-jacents, un grand nombre de recherches se sont
298 PSYCHOLOGIE SOCIALE

focalisées sur la nature de ces processus cognitifs. Notamment, on a mis en


évidence le fait que lorsqu'on informe le sujet du contenu de la
communication et de l’intention de l’interlocuteur, cette “mise en garde” a
pour effet d’accroître la résistance à la persuasion en stimulant par
anticipation la production de “réponses cognitives” de la part des sujets.
Prolongeant ces réflexions, Cialdini et al., 1973 se demandèrent si le fait
que les sujets anticipent une interaction communicative réelle pourrait les
amener à élaborer une sorte de pré-programmation langagière les
préparant à gérer la situation interlocutive anticipée. Différents travaux
(Cialdini et al., 1973 ; Hass et Mann, 1976) ont montré que, lorsque des
sujets s’attendent à discuter avec quelqu'un ayant un avis plus ou moins
différent du leur, ils adoptent une position plus modérée à l’égard de l’objet
en discussion qu’elle ne l’est en réalité. L’anticipation d’une situation
dialogique potentiellement conflictuelle conduirait le sujet à se replier
stratégiquement, de façon anticipée, sur une position plus sûre au plan
interlocutoire. En prenant une position modérée, facilement défendable, le
sujet se prémunit contre une défaite discursive possible — défaite mena-
çante pour la bonne image de soi. Il restait à démontrer cette hypothèse,
montrer que ce repli stratégique se traduisait effectivement, sur le plan de
l’élaboration discursive, par la production d’un matériau langagier
spécifique ayant pour objet de neutraliser toute menace pour les faces des
interlocuteurs et leurs projets de sens. Pour gérer cette menace, le sujet
social dispose de stratégies discursives actualisant, entre autres, ce que
Goffman (1973, 1974) appelle des “procès de figuration”. Selon Roulet
(1981), on peut repérer ces procès de figuration par un type de marqueurs
langagiers, les “atténuateurs” mis en évidence par G. Lakoff (1972). “Les
atténuateurs, écrit Roulet, sont des formes qui ont pour fonction principale
de rendre plus flou le contenu ou la fonction illocutoire d’une intervention
afin d’atténuer la menace potentielle que ceux-ci pourraient présenter pour
la face de l’un ou de l’autre des interlocuteurs.” Compte tenu de ces élé-
ments, Bromberg (1990) construit une situation expérimentale dans
laquelle il inscrit le locuteur/interlocuteur dans une situation prédialogique
où il est amené à élaborer, avant que la confrontation interlocutoire ne
devient effective, une mise en scène discursive préalable à caractère provi-
soire sur la base des représentations qu’il se fait de la situation d’interlo-
cution. La situation expérimentale est construite de telle façon que le sujet
auquel on a demandé de construire un discours d'influence concernant
l'énergie nucléaire est sollicité de convaincre un interlocuteur en désaccord
avec la thèse qu’il défend. L’interlocuteur est, suivant les conditions
expérimentales, de même statut que lui (étudiant) ou de statut supérieur
(physicien atomiste). Cet interlocuteur est supposé, suite à ce premier
CHAPITRE XXI : LA PSYCHOLOGIE SOCIALE DE L'USAGE DU LANGAGE 299

travail, soit discuter avec le locuteur, soit juger de ses arguments. Dans ces
conditions, on peut penser que le sujet construira des stratégies discursives
différenciées selon la représentation qu’il se fait des menaces potentielles
encourues. Ces menaces potentielles dépendent tout à la fois des carac-
téristiques de l’objet de discussion, de la relation du sujet énonciateur à
l’objet, à l’enjeu assigné et aux caractéristiques de l’interlocuteur. On a
analysé les corpus produits à l’aide de deux types d’indicateurs langagiers :
1. Les atténuateurs qui permettent aux acteurs de l’interlocution
d'intervenir au niveau de l’interaction par un jeu de mise en scène des
interactants et mise à distance des objets discursifs. Font partie des
atténuateurs :
a. toute introduction modalisatrice par le jeu du conditionnel et du
subjonctif,
b. toute introduction de verbes modaux tels que : pouvoir, vouloir,
falloir, devoir,
c. toute introduction d’expressions modales telles que : il me semble
que, il est vrai que, qui sont de nature concessive, ainsi que tout déclaratif
entrant dans une expression concessive introductrice d’une proposition
ouverte par que : Je Crois que, j'avoue que, je reconnais que...
d. toute introduction d’adjectifs, d’adverbes qui viennent atténuer la
portée de l’énonciation : bien, mal, certes, peut-être, pas trop, assez, oui,
effectivement. Exemple : je connais bien mal ce problème ;
e. l’utilisation du pronom indéfini “on” qui a statut de marqueur potentiel
(Roulet, 1981) (par opposition aux marqueurs dénominatifs : Je, tu), en ce
sens qu’il évite la référence explicite aux acteurs de l’interlocution.
2. Les classes prédicatives. À côté de ces procès de figuration,
coexistent de façon inséparable d’autres procès discursifs qui visent à
mettre en place la scène où se joue l’interlocution. Ces procès s'effectuent
par le biais d’opérations d’ancrage et de prédication des propriétés du
référent dans la réalité extra-discursive. On a montré (Bromberg, Dorna
1985 ; Bromberg, Ghiglione 1988) que :
a. que les statifs avaient pour fonction d’asserter l’existence d’un objet,
d’attribuer à l’objet des propriétés, de prédiquer une manière d’être, un état
de choses ;
b. que les déclaratifs avaient pour fonction essentielle de marquer le
type de rapport que le sujet entretenait avec le monde, les objets dont il
parlait. C'est-à-dire de marquer une certaine attitude, une certaine distance
du locuteur par rapport à l’objet ;
c. que les factifs avaient pour fonction de caractériser la réalisation, la
production d’un objet, une manière d’agir sur quelqu’un ou quelque chose,
de produire un effet. |
300 PSYCHOLOGIE SOCIALE

Les résultats mettent en évidence l’existence de deux procès complé-


mentaires. L'un travaille au niveau de la mise en place des éléments
constitutifs du monde dont on parle (par des opérations de prédication) et
l’autre travaille à la mise en scène des relations entre les acteurs, et à la
mise à distance des objets par les acteurs (par l’utilisation d’atténuateurs).
Ainsi, dans le contrat d'évaluation, le sujet ne pouvant à travers un proces-
sus interlocutoire, négocier sa mise en scène, ou s’ajuster en fonction de la
production discursive de l’autre, ira à l’essentiel. Il ne tiendra pas compte
de la situation d’interaction et misera exclusivement sur la construction de
la référence. Cette stratégie se traduira par la mise en œuvre d’opérations
de prédication, plutôt que par l’utilisation d’atténuateurs visant à
neutraliser des menaces potentielles. À l’inverse, dans la situation de
discussion, le sujet accordera une priorité aux aspects interactionnels,
construisant préférentiellement une mise en scène centrée sur les acteurs
plutôt que sur la référence, celle-ci étant susceptible d’être négociée ulté-
rieurement dans l’interlocution. Ce fait est maximisé lorsque l’interlo-
cuteur est censé être un expert (vs pair). Ces résultats conduisent à penser
que le locuteur, selon la nature du contrat de communication qui lui est
imposé, construit une représentation de la situation potentiellement
communicative à partir de laquelle il bâtit un projet de sens destiné à
“sécuriser” sa position d’interlocuteur.

2.2. L'interlocution effective

Si, tout le monde s’accorde sur le fait que l’interaction constitue la


matrice des cognitions (Trognon 1991), nous pouvons penser que les
situations expérimentales, que nous venons de rapporter, constituent la
version faible de l’interaction, en ce sens que les situations potentiellement
communicatives utilisées mettent au jour les processus cognitifs résultant
du jeu statique de l’interaction anticipée mais jamais réalisée. Certes, les
résultats mettent en évidence que le locuteur en fonction des représen-
tations qu’il se fait de la situation utilise des stratégies langagières suscep-
tibles de sécuriser son interaction future selon les enjeux et les statuts des
interlocuteurs potentiels, mais ce n’est encore qu’un jeu sans partenaire
réel. Rien ne dit que ce partenaire, jouera le jeu comme attendu, l’inter-
action n’est jamais jouée d’avance. Ainsi quelles que soient les stratégies
mises en place par les sujets au début de toute interaction communicative,
la nécessaire gestion interlocutoire de cette situation dynamique nécessite
un ajustement constant. “Il peut y avoir un décalage réel entre la représen-
tation que le sujet a effectivement en tête, le programme argumentatif qu’il
cherche à déployer, et le discours ou les interventions effectivement
CHAPITRE XXI : LA PSYCHOLOGIE SOCIALE DE L'USAGE DU LANGAGE 301

construits” (Salez-Wuillemin, 1997). Dans l'interaction, donc. “le signale-


ment des activités langagières [et de ce qu’elles servent à accomplir, MB-
AT] ne se fait pas de façon unilatérale, mais [...] est plutôt affaire de
coordination entre locuteur et allocutaire” (Gumperz, 1989, p. 71). Et il en
va évidemment ainsi, contrairement à un modèle qui domine encore large-
ment les sciences sociales (Trognon, 1985), de la signification et de la
compréhension des énoncés. Dans l’interlocution effective, donc, la
signification d’un énoncé n’est réductible ni au “sens de l’énoncé” (comme
on dirait en linguistique), ni au “sens du locuteur”’ (comme on dirait en
philosophie du langage) : elle doit être conçue (comme on le soutient en
psychologie sociale du langage) comme le résultat émergent des actions
conjointes du locuteur et de l’auditeur. “On ne doit pas confondre la valeur
négociée, par les interlocuteurs des actes illocutoires pour l’établissement
de l’environnement cognitif mutuellement manifeste avec la valeur illocu-
toire que chacun assigne dans son propre environnement cognitif aux actes
initiatifs ou réactifs” (Bromberg, 1999). Bref, comme l’écrit Clark (1996),
“dans la conversation, la notion de signification du locuteur doit être
remplacée par celle de signification qui est tenue pour étant celle du
locuteur. Le changement est minime, mais radical. L'idée est que les
locuteurs et les auditeurs essaient de créer une interprétation conjointe de
ce que le locuteur est supposé signifier. Une telle interprétation représente
donc, non ce que le locuteur signifie en soi — qui peut d’ailleurs changer
dans le cours réel de la communication — mais ce que les participants
considèrent mutuellement comme étant signifié par le locuteur”’.
En interprétant dialogiquement certaines des lois logiques qui régissent
les actes illocutoires (Searle et Vanderveken, 1985 ; Vanderveken, 1988),
Trognon et ses collègues (Ghiglione et Trognon, 1993 ; Trognon, 1990,
1991 ; Trognon et Brassac, 1992 ; Trognon et Kostulski, 1996 ; Trognon et
Saint-Dizier, 1999 ; Trognon, 2000) ont pu mettre en évidence un méca-
nisme général grâce auquel l’interlocution permet la co-construction d’une
interprétation mutuelle de l’intention communicative du locuteur. L'acte de
langage, selon sa formalisation traditionnelle, constitue l’unité de base sur
laquelle opère le mécanisme. Un acte de langage est l’acte qu’on accomplit
au moyen de l’énonciation d’un énoncé. Il est formé de deux éléments, une
force -F- et un contenu propositionnel -p- dont l’organisation réciproque
est représentée dans le formalisme habituel F(p). La force est la fonction
pragmatique réalisée en émettant un énoncé, elle correspond à ce que
l’énonciation de l’acte de langage revient à faire en conversation. Cinq
grands types d’action peuvent ainsi s’accomplir au moyen de l’énonciation
d’un acte de langage : des actions assertive, commissive, directive, décla-
rative et expressive. Ces actions se déclinent en un certain nombre de
302 PSYCHOLOGIE SOCIALE

propriétés : but (et sa direction d’ajustement), degré de puissance, mode


d’accomplissement, conditions de contenu propositionnel, conditions
préparatoires et conditions de sincérité. Le contenu propositionnel est la
représentation par rapport à laquelle une force est mise en œuvre dans le
monde. Correspondant à la fonction cognitivo-représentationnelle d’un
acte de langage, c’est une proposition représentant l’état de choses auquel
s'applique une force déterminée. Un acte de langage est satisfait si son
contenu propositionnel est vrai dans le contexte d’accomplissement de
l’énoncé et à cause de son accomplissement. Par exemple une demande est
satisfaite si l’auditeur fournit la réponse dans le monde de l’énonciation et
à cause de l’énonciation de l’acte initial. Un acte de langage est réussi si le
locuteur parvient à l’accomplir, c’est-à-dire, s’il arrive à faire saisir à
l'interlocuteur ce qu’il fait en accomplissant l’acte illocutoire. Une loi
logique très importante relie la satisfaction et la réussite des directifs,
commissifs et déclaratifs : leur satisfaction entraîne leur réussite. C’est sur
une double modification de cette loi que repose le modèle de Trognon et
al. : tout d’abord, la loi est considérée comme une loi non monotone (elle
ne s’applique que sauf exception), ensuite elle est étendue aux assertifs. Le
mécanisme de l’inter-compréhension se présente alors ainsi (L et I sont le
premier et le second locuteurs ; T1, T2 et T3 sont des prises de parole
successives de ces interlocuteurs) :

reformule

évalue |

a. Le mécanisme de l'inter-compréhension
e Exemple 1
LI: [a fait un geste de la main]
Il : ah ! oui je dis plus rien
L2 : c’est pas que je veuille te couper mais ya... yaj'ai une liste de
copains
Pret ahhou
CHAPITRE XXI : LA PSYCHOLOGIE SOCIALE DE L'USAGE DU LANGAGE 303

(T1, T2) constitue une relation d'interprétation. Son second élément


énacte l’interprétation que fait I1 de l’action accomplie par LI en T1, cette
interprétation devenant dès lors mutuellement manifeste (Sperber et
Wilson, 1989). Ainsi, dans cet exemple (Ghiglione et Trognon, 1993), I1
rend manifeste qu’il interprète le geste de L1 comme une requête (et même
un rappel à l’ordre).
Le fait que le second tour de parole (T2) puisse se comprendre comme
l’accomplissement d’une interprétation du premier tour (T1) résulte du fait
qu'il constitue une action créant un état de choses disponible à chaque
interactant, donc susceptible de former “une base partagée pour une inter-
prétation mutuelle de l’intention communicative du locuteur” (Clark,
1996 : 194) et que cet état de choses apparaît à la suite de T1 et donc,
conformément aux règles qui gouvernent la communication intentionnelle,
en réponse à T1. Plus formellement encore, c’est-à-dire en termes illocu-
toires, le second tour (T2) sera interprété comme l’action qui satisfait (par
défaut) les conditions de satisfaction d’une certaine interprétation
illocutoire du premier tour (T1).
((T1, T2), T3) constitue une relation d'évaluation. Là l’interprétation de
I1 de T1 étant accessible à L1 en T2, ce dernier peut la comparer avec sa
propre interprétation et énacter une ratification (comme L2 dans l’exemple
1) si les deux interprétations correspondent, c’est-à-dire si l’interprétation
que fait L de son énoncé initial est équivalente à celle de I en T1. Mais si
l'interprétation énactée par I en T2 diverge de celle qu’a L de son énoncé
initial, alors L peut à son tour reformuler T1, comme dans l’exemple 2 ci-
dessous :

+ Exemple 2 (Gumperz, 1989)

L1 : Est-ce que tu sais où se trouve le journal d’aujourd’hui ?


Il : Je vais te le chercher
L2 : Non c’est bon dis-moi simplement où il est j'irais le chercher
12 : Non, non c’est moi qui irai

Comme on le voit bien, la principale conséquence de ((T1, T2), T3) est


l'accessibilité mutuelle de l'interprétation de I du premier tour (T1). En
T2, cette interprétation est évidente pour L. Et en T3, il est évident pour I
que cette interprétation est évidente pour L. Deux cas de figure peuvent se
produisent, qui mettent également en jeu des lois de la logique illocutoire
(mais auxquelles nous ne recourrons pas ici), selon que T3 confirme ou
invalide l’interprétation que fait I de T1. L'exemple 1 illustre le premier cas
de figure. L'intervention du locuteur en L1 est mutuellement conçue
comme une requête parce qu’en L2 il formule explicitement l’intention qui
304 PSYCHOLOGIE SOCIALE

gouverne cet acte illocutoire. L'exemple 2 illustre la seconde possibilité, le


malentendu. Un malentendu se traduit par une séquence interlocutoire
dans laquelle les interprétations de L et de I de l’énoncé initial de la
séquence divergent. Dans l’exemple, l'interprétation de I est invalidée au
moyen d’un acte illocutoire complexe comportant une question explicite et
une interdiction, qui, selon un calcul que nous n’exposerons pas ici, aboutit
en effet à l’élimination de l'interprétation du premier énoncé en terme de
requête.

b. De l’inter-compréhension à la négociation
Si le principe de coopération (Grice, 1975) est le principe régulateur sur
lequel bon nombre de chercheurs font reposer “la possibilité même de
l'interaction” (Bange, 1992), il n’en demeure pas moins que “parler, c'est
accepter, aussi, le jeu de la contestation, c’est remporter l’enjeu de la non-
contradiction” (Bromberg, 1999b). Parce que les partenaires sont aussi des
adversaires, le principe de coopération se double d’un principe de compé-
tition (Ghiglione, Trognon, 1993). Ce double principe initie une double
dynamique de l’interaction qui se caractérise par le fait que chaque interlo-
cuteur tente simultanément d’imposer à l’autre ses propres modes de
représentation et de poursuivre une collaboration en vue de maintenir le
contrat de communication. “Cette dynamique se traduit le plus souvent par
une négociation dans laquelle chaque partenaire d’un échange communi-
catif ratifie (valide) totalement ou partiellement et parfois conteste, de
façon explicite ou implicite, les propos de l’autre afin de lui montrer qu’il
les entend, les comprend et dans une certaine mesure les accepte ou au
contraire les rejette” (Salez-Wuillemin, op. cit). En d’autres termes, la
réalité de l’interaction dialogique est celle d’une négociation où sont “mis
sur le tapis” des fragments d’univers dont les co-interlocuteurs peuvent
s'emparer ou non par l’intermédiaire d’un jeu nécessaire de validations.
Car seule la prise en compte mutuelle des paroles de chacun — par des
marques d’accord — évite à tout moment la rupture du contrat de communi-
cation. Cette contrainte dialogique se traduit conversationnellement par
l'élaboration de structures concessives assurant deux fonctions : une
fonction interactive — la concession permet de poser l’énoncé comme étant
non contradictoire avec l’énoncé précédent — et une fonction interaction-
nelle — l’introduction d’un autre thème discursif signifie à l'interlocuteur
l'intention du locuteur de poursuivre la conversation (Moeschler 1982 ;
1985). Une des stratégies langagières de marque d’accord peut se réaliser
par un mouvement discursif concessif à deux composantes, la première est
généralement introduite par des marques argumentatives traduisant
l’accord de l’énonciateur comme : certes, bon bien, oui, évidemment, bien
CHAPITRE XXI : LA PSYCHOLOGIE SOCIALE DE L'USAGE DU LANGAGE 305

sûr, tout à fait, d'accord, la seconde est généralement introduite par des
connecteurs concessifs comme : mais, quand même, tout de même
pourtant, cependant, toutefois, néanmoins, pour autant, etc. (ibid.). Dans
une expérience, Casari, Sales et Bromberg (1989) demandent à deux
interlocuteurs d’opinions opposées de discuter et défendre leurs points de
vue respectifs à propos d’un objet conversationnel. S’appuyant sur cette
réflexion, les auteurs identifient deux types de mouvements concessifs
appelés quasi-validation (Q.V) dans le contexte théorique du contrat de
communication (Ghiglione 1986) :
* Une Q.V. de type co-référentiel qui permettrait à un locuteur B de
marquer la prise en compte de l’énoncé de l'interlocuteur À tout en
introduisant un argument thématique à polarité opposée (opposition) ou
bien en en limitant la portée référentielle (restriction) par l’introduction
d’un nouvel argument.
Exemple d’énoncés co-référentiels de type opposition :
(1) A “Les antibiotiques sont nécessaires”
B “Oui, mais ils peuvent être dangereux”
Exemple d’énoncés co-référentiels de type restriction :
(2) A “L'information était très mauvaise”
B “Oui, mais, ça a changé aujourd’hui”
°+ Une Q.V. de type hétéro-référentiel, où le connecteur “mais” relie
deux énoncés dont le deuxième vient opérer un déplacement au sein du
cadre discursif en introduisant un autre objet thématique
Par exemple :
A “L'énergie nucléaire est nécessaire”
B “Oui, mais on n’a rien essayé au niveau de l’énergie solaire...”
Le oui permet au locuteur de signifier sa volonté de continuer l’échange
tout en exprimant par le mais, son intention d’en déplacer le cadre
thématique.

Les analyses du contenu des interactions communicatives montrent que


les sujets ayant une attitude extrême utilisent de façon prédominante
les quasi-validations hétéro-référentielles, assez proches dans leur emploi de
la connexion saltatoire décrite par Trognon (1986), du fait que le locuteur
enchaîne sur ses propres énoncés sans tenir compte des propos tenus par
l'interlocuteur. Ce comportement langagier témoigne d’une stratégie langa-
gière permettant aux sujets une réappropriation de l’espace sémantique ;
ayant une attitude extrême, ils ne sont pas prêts à faire des concessions sur
le plan de la construction de la référence, mais les quasi-validations signalent
à l'interlocuteur des concessions nécessaires dans la coopérativité de
l'échange pour introduire une réfutation. L'accord implicite de la quasi-
306 PSYCHOLOGIE SOCIALE

validation dans des interactions plus ou moins dissensuelles prend la valeur


d'un engagement stratégique non effectif, les acteurs de la discussion font
mine de prendre en compte l’espace discursif de leurs interlocuteurs pour
mieux le contester ensuite. À l’opposé les sujets ayant une attitude médiane
utilisent préférentiellement des quasi-validations coréférentielles qui
traduisent un ajustement constant aux dires de l’autre et traduisant un désir
de collaborer à la co-construction de la référence.

3. Les activités conjointes


Dans la réalité, les événements langagiers que nous venons d'évoquer
ne se produisent presque jamais isolément. Et on pourrait même aller
jusqu’à dire qu’ils sont socialement défectueux quand ils sont accomplis
isolément. C’est en tout cas ainsi qu’on peut interpréter une étude conduite
par Latané et Darley (1970) où des étudiants demandaient de l'argent à des
passants dans la rue, selon les quatre formulations ci-dessous, avec les taux
de satisfaction suivants :

Excusez-moi, je me demande si vous pourriez me donner une pièce


1. [pas de justification additionnelle]
2. J'ai dépensé tout mon argent
3. J'ai besoin de donner un coup de téléphone
4, On m'a volé mon portefeuille

La requête la moins satisfaite est la requête qui n’est pas justifiée,


tandis que la requête la plus satisfaite est celle qui reçoit la justification la
plus légitime. On est donc d’autant plus enclin à satisfaire une demande
que le demandeur nous offre une raison légitime de la satisfaire. Du reste,
c’est moins le contenu que la présence de la justification légitime qui
compte, comme le montre une étude bien connue de Langer et al. (1978),
où, dans une bibliothèque universitaire, un étudiant s'approche des gens
qui sont autour d’une photocopieuse pour leur demander :

1. Excusez-moi, j'ai six pages à faire. Est-ce que je peux utiliser la photocopieuse ?
[pas de justification supplémentaire] 60 %
2. Excusez-moi, j'ai six pages à faire. Est-ce que je peux utiliser la photocopieuse ?
parce que je dois faire des photocopies 93 %

La première requête, qui n’est suivie d'aucune justification, est


satisfaite dans 60 % des cas, mais la seconde, où une justification pro
forma occupe la place d’une justification légitime, l’est dans 93 % des cas.
CHAPITRE XXI : LA PSYCHOLOGIE SOCIALE DE L'USAGE DU LANGAGE 307

3.1. De l'événement langagier à la transaction interlocutoire

Les interlocutions elles-mêmes sont généralement définies, identifiées,


etc., par les transactions sociales qu’elles permettent d'accomplir. Dans la
séquence ci-dessous par exemple, empruntée à Sacks (1968), l'énoncé B2,
qui n'est guère compréhensible s’il est rapporté aux énoncés qui le
précèdent, le devient parfaitement dès lors qu’il est “replacé” dans la
transaction sociale dont la séquence constitue en quelque sorte l’expres-
sion langagière : la négociation de la location d’un appartement :
Al : J'ai un garçon de quatorze ans
BI : Oui... très bien
A2 : J’ai également un chien
B2 : Oh ! je suis vraiment désolé
Et ce sont bien ces transactions sociales qui donnent un sens effectif
aux énoncés qui y sont employés. Comme l'écrit Clark “L'interprétation
conjointe d’un énoncé et d’un signal se constitue dans une interaction, un
processus séquentiel qui dépend des projets communs auxquels les
interactants contribuent et vice versa” (1996, 192). L'acte d’arrêter quel-
qu’un ne saurait se concevoir indépendamment de l’institution sociale qui
soutient cet acte. Et en fait, tous les actes appartiennent à des activités
sociales, sauf qu’elles sont plus ou moins formelles et codifiées : “les
directifs apparaissent quand une personne désire qu’une autre fasse
quelque chose et a quelque autorité pour obliger l’autre à le faire. L’auto-
rité peut ne pas provenir d’une institution formelle, mais elle provient
néanmoins de pratiques sociales acceptées — tout comme commander un
plat dans un restaurant, demander un ouvrage à un libraire, etc” (ibid.,
139). C’était déjà le point de vue d’Austin. C'était aussi celui de Grice,
quand il écrivait (1975, 45) : “Nos échanges de parole ne consistent
normalement pas en une succession de remarques déconnectées les unes
des autres, ou si c’était le cas, elles ne seraient pas rationnelles. Elles sont
de façon caractéristique, au moins jusqu’à un certain degré, des efforts
coopératifs ; et chaque participant reconnaît en eux, jusqu’à un certain
point, un but commun, ou un ensemble de buts, ou au moins une direction
mutuellement acceptée. Le propos ou la direction peut être fixés dès le
départ (par une proposition initiale d’une question à mettre en discussion),
ou elle peut émerger durant l'échange ; elle peut être bien définie, ou elle
peut être si peu définie qu’elle laisse une grande latitude aux participants
(comme dans la conversation casuelle). Mais à chaque étape, certains
mouvements conversationnels possibles sont exclus comme conversation-
nellement inappropriés”? (140).
308 PSYCHOLOGIE SOCIALE

3.2. L'étude des transactions interlocutoires

Ces “jeux de langage” ou ces “formes de vie”, pour recourir à des


formulations de Wittgenstein, qui a été le premier à identifier ces “objets
sociaux”, ou ces “types d’activité” selon Levinson (1992) comme ensei-
gner (Gilly et Bontang, 1999), réaliser un entretien d’embauche (Camus),
faire une réunion de synthèse (Chabrol), interroger un prévenu, transmettre
des informations lors d’une relève de poste (Kostulski et Trognon, 1999 ;
Lacoste et Grosjean, 1998 ; Grusenmeyer et Trognon, 1997), dialoguer
avec un ordinateur (Saint-Dizier et Trognon, à paraître ; Trognon, 1998),
etc., sont, sinon infinis comme le croyait Wittgenstein, du moins fort
nombreux, d’autant que certains sont spécifiques à des “métiers” et font
alors l’objet d’apprentissages explicites. Cependant, il semble que l’on
puisse les répartir en quelques grandes familles relativement floues et non
tout à fait exclusives les unes des autres, de transactions interlocutoires,
dont la négociation, le dialogue persuasif, le débat, la dispute, la délibé-
ration, le dialogue de recherche d’information, etc., sont des exemples. Ces
transactions découlent toutes de la conversation ordinaire, dont elles se
distinguent par des déviations systématiques. Elles se caractérisent par
leurs buts et par leurs règles, c’est-à-dire par les contraintes qu’elles impo-
sent aux cadres dans lesquels elles s’agencent, aux personnes qui y
participent, aux types de contributions permises. Les interlocuteurs que
nous sommes en ont une connaissance tacite très précoce.
Ces transactions interlocutoires peuvent être étudiées d’un point de vue
normatif, comme l’ont fait Vanderveken (1997) et Walton et Krabbe
(1995), voire d’un point de vue formel comme chez Lorenzen (1967) ou
plus récemment chez Barth et Krabbe (1982). On peut également les
étudier empiriquement. Cette perspective qui est celle mise en œuvre en
Psychologie Sociale du langage et qui considère, comme Clark (1996, 23-
25), que l’étude de l’usage du langage relève à la fois d’une science sociale
et d’une science cognitive, peut se déployer dans deux directions.
Tantôt on cherchera à montrer (le plus souvent expérimentalement,
comme dans Trognon, 1990 pour les débats) en quoi la transaction gouver-
ne ou détermine la production de ses composants. Les travaux qui ont été
consacrés au GRP à Paris 8 à l’entretien non directif d'enquête (Blanchet,
Bromberg, 1986 ; Jacobi, Blanchet, Bromberg, 1988 ; Blanchet, 1989 ;
Salez-Wuillemin, 1997) illustrent cette façon de faire. Dans la situation
d’entretien non directif (Blanchet, 1991), l’interviewer utilise fréquem-
ment un type de relance réputée “neutre” qui consiste à reprendre en écho
— relance sur le contenu — ou en miroir — relance sur les attitudes — une
partie du discours de l’interviewé, afin de faciliter — dit-on — sa production
CHAPITRE XXI : LA PSYCHOLOGIE SOCIALE DE L'USAGE DU LANGAGE 309

discursive. Or, il est clair que, si ce principe de neutralité avait quelque


réalité, l’interaction sociale entre les acteurs serait elle-même neutralisée,
neutralisation qui impliquerait à son tour celle des processus d’interpré-
tation des intentions communicatives de l’interviewer, et “la neutralisation
des rapports de face à face, la négation des influences mutuelles quelles
qu’elles soient” (Richard-Zappela, 1995). Ce principe de neutralité ne peut
fonctionner car toute interaction communicative est porteuse d’enjeu et
“on ne peut amputer la situation d’interlocution de mécanisme de co-
construction de sens” (Ghiglione, Trognon, 1993). Les expériences citées
vérifient l'impossibilité de ce principe. Elles montrent que les relances —
qui expriment dans des termes semblables un fragment du discours de
l’autre — ne sont pas seulement entendues par les interviewés comme
autant de validations de leur projet de sens, mais aussi et surtout comme
demandes implicites d’explicitation du contenu langagier de ces
validations. En effet, ainsi que le soulignent Jakobi er Al (op. cit.), “il est
clair [...] qu’une réitération en situation d’entretien ne contrevient pas aux
règles gérant les échanges interlocutoires sous réserve de répondre à
certaines caractéristiques. En effet, dans d’autres contrats de communi-
cation que celui de l’entretien, répéter terme à terme les propos de
l’interlocuteur risquerait d’apparaître comme une moquerie, une
incompréhension, etc. Or, rien de tel ici, l’interviewé considère à l’évi-
dence que le fait de réitérer est porteur d’un acte indirect de demande
d’information complémentaire de la part de l’interviewer”. En d’autres
termes, le locuteur prête une intention à l’interlocuteur et pour ce faire met
en œuvre un processus de traitement d’indicateurs langagiers et/ou non-
langagiers (Masse 1999a, 1999b) lui permettant de répondre à l’objet de
cette demande.
Tantôt, ce sont des modèles empiriques de la transaction étudiée que l’on
tentera de construire. Les travaux qui ont été consacrés au Débat, parce que
cette structure joue un rôle crucial dans certaines recherches de Psychologie
Sociale et de Psychologie Sociale du Développement (voir par exemple la
notion de Conflit socio-cognitif), illustrent cette seconde direction de
recherche (Ghiglione et Trognon, 1993 ; Ghiglione et Bromberg, 1998 ;
Trognon et Larrue, 1994 ; Trognon et Galimberti, 1996 ; Trognon, 1990,
1991, 1993). Un débat est ainsi un ensemble de tactiques et de stratégies
visant à attaquer une illocution. Il se déroule en trois phases. La première est
l’état initial du débat, qui s’accomplit dans un couple interlocutoire formé
d’une illocution et de l’illocution qui l’attaque. Hormis les implicatures et
les actes indirects, tous les composants d’une illocution sont susceptibles
de faire l’objet d’un débat. La seconde phase représentant l’état intermé-
diaire est la suite des mouvements grâce auxquels les interlocuteurs cher-
310 PSYCHOLOGIE SOCIALE

chent à gagner le débat. L'activité des débattants consiste dans cette phase
à essayer de mettre leur adversaire en contradiction et, pour celui-ci, à
échapper à cette situation. La troisième phase représentant l’état terminal
est la résolution du débat : l’un des adversaires gagne le débat et l’autre le
perd, le débat constituant un jeu à somme nulle. La structure du débat peut
aussi se décliner en sous-types : débats politiques télévisés (Trognon et
Larrue, 1994 ; Ghiglione et Bromberg, 1998 ; talk show Bromberg et
Landré, 1993 ; Bromberg et Landré, 1999 ; Charaudeau et Ghiglione, 1997).
Pour ce faire, Trognon et ses collaborateurs viennent d’ailleurs de pro-
poser dernièrement (Trognon, 1999 ; Trognon et Kostulski, 1999) une
théorie socio-cognitive de l’interlocution, la Logique Interlocutoire, qui est
censée exprimer la connaissance tacite que les conversants ont des jeux de
langage “naturels” ou artificiels auxquels ils participent en explicitant
l'émergence des relations sociales et cognitives qui se construisent pro-
gressivement au fur et à mesure que s’élabore une interlocution. Un exposé
de cette théorie excéderait de beaucoup l’objectif pédagogique qui a été
assigné au présent ouvrage. Ce qu’on peut cependant dire, c’est que la
Logique Interlocutoire, parce qu’elle analyse (y compris d’un point de vue
formel) l’interlocution comme un processus au cours duquel les
interactants élaborent conjointement leur discours, permet de bien montrer
en quoi la “pensée sociale” constitue une activité distribuée et située.

Dans l'extrait suivant, par exemple, qu’on analysera, pour ne pas


compliquer, uniquement au niveau élémentaire des actes de langage, on voit
ainsi l’affirmation de la “norme d’internalité” se construire progressivement,
sous la pression des interventions successives des interlocuteurs :
EI : Est-ce que vous voyez quelque chose à ajouter... quelque chose
dont on n’a pas parlé ?
FI : Au niveau stagiaire. leur attitude c’est-à-dire je ne les vois pas
comme des 16-18 ans. ils ne font pas 16-18 ans. c’est encore des
élèves. 1ls n’ont pas encore la maturité d’esprit... de compor-
tement
E2 : Vous pouvez m'expliquer mieux... c’est encore des élèves…
F2 : Ils refusent... c’est un rejet. ils refusent le système éducatif. ils
n'ont pas encore le comportement d’adultes.. ils ne réagissent
pas... ils n’ont pas les réactions d’un adulte... ils n’ont pas la
maturité en définitive. c’est l’impression qu'ils donnent
E3 : Est-ce que ces impressions-là on les retrouve au niveau des autres
membres de l’équipe ? c’est une impression ?
F3 : C’est une impression personnelle. c'est-à-dire que moi je les ai
perdus de vue ça fait pour certains un an... ils n’ont pas tellement
CHAPITRE XXI : LA PSYCHOLOGIE SOCIALE DE L'USAGE DU LANGAGE 311

changé... évolué... on s’attend à trouver des stagiaires de 16-


17 ans... on retrouve des élèves qu’on a quittés il y a un an. ils
n'ont pas eu la maturité qu’ils auraient dû avoir. peut-être parce
qu'ils ne sont pas dans le monde ouvrier. parce qu’ils n’ont pas eu
certaines responsabilités... parce qu’ils se sont retrouvés dans le
milieu familial. c’est peut-être à ce niveau-là... mais enfin c’est
une constatation que je fais.

Cet exemple est extrait d’une série d’entretiens menée avec des formateurs
16-18 ans pour étudier la façon dont ils expliquent les conduites de leurs
stagiaires (Trognon et Pillot, 1989). On voit que, suite à la première question
de l’intervieweur, le formateur décrit une conduite (“leur attitude”) en
l’expliquant dispositionnellement (“ils n’ont pas encore la maturité d’esprit”).
Suite à une première évaluation de l’enquêteur, le formateur reformule son
explication et la module quelque peu (“c’est l'impression qu’ils donnent”).
Suite à la seconde évaluation, où l’intervieweur redonne en l’interrogeant
l'énoncé modalisé que le formateur vient tout juste d'émettre, ce dernier
explique situationnellement la disposition qui lui servait antérieurement
d'explication de l’attitude des stagiaires, tout en modalisant ces explications
(“peut-être”), pour finalement revenir à l’explication dispositionnelle (“mais
enfin c’est une constatation que je fais”). Plus précisément, le formateur ne
fait pas que redire l’explication dispositionnelle. Il ne dit pas “mais enfin, 1ls
n’ont pas eu la maturité qu’ils auraient dû avoir”. Ce qu’il fait c’est augmenter
la “force” d’énonciation de la proposition précédente ; bref il déclare “il n’ont
pas eu la maturité” comme constatation d’un état de choses ou comme
description de la réalité alors que précédemment “ils n’ont pas la maturité”
fonctionnait plutôt comme contenu propositionnel de l’expression d’un état
psychologique du formateur. Ainsi, le couple d’énoncés “c’est une
impression personnelle”/“c’est une constatation que je fais”, dans lequel
“impression” devient “constatation” et “personnelle” devient “que Je fais”
correspond-il également à une transformation de degré de force de
l’énonciation de l’explication dispositionnelle. L'intervention du formateur
possède une seconde particularité qui appelle une conclusion convergente.
“C’est une constatation que je fais” est précédé du connecteur argumentatif
“mais enfin”. Ce connecteur, qui subordonne les constituants qui le précèdent,
ne saurait contredire les hypothèses situationnelles formulées juste avant, pas
plus qu’il ne saurait contredire “ils n’ont pas eu la maturité qu’ils auraient dû
avoir”. Ce qu’il subordonne et contredit, c’est la force illocutoire de
l'énonciation de “ils n’ont pas eu la maturité”, celle que l’intervieweur prête
au formateur et que ce dernier a prise en compte dans son propre discours,
pour mieux la réfuter. Bref, si les explications situationnelles sortent à la suite
312 PSYCHOLOGIE SOCIALE

des évaluations comme des concessions à l’intervieweur, c’est une


explication dispositionnelle qu’assume le formateur.

4, Conclusion
La Psychologie Sociale de l’usage du Langage est devenue au fil des
années une sous-discipline dynamique occupant maintenant rien que dans
l’espace francophone une quarantaine d’enseignant-chercheurs dont la
majorité se concentre actuellement dans trois ou quatre universités (Dijon,
Nancy 2 et Paris 8 notamment). Elle devrait se développer plus vigoureu-
sement encore dans les prochaines années, avec des retombées empiriques
et professionnelles significatives, dans la mesure où de nombreux métiers
apparaissent qui ont l’interlocution comme moyen essentiel de leur
exercice, soit que le métier consiste fondamentalement en l’accomplisse-
ment d’un certain type d’interlocution (par exemple les dialogues télépho-
niques d’aide, les différentes variétés de psychothérapies, les dialogues
mis en œuvre par des réceptionnaires d’appels (SAMU, pompiers, police,
etc.) soit que le métier (par exemple le contrôle aérien) implique un
collectif donc une coordination des activités individuelles, coordination
qui s’effectue principalement par des dialogues ou des polylogues.
Sur le plan théorique et méthodologique, dans une relation critique avec
des paradigmes (Trognon et Brassac, 1992 ; Ghiglione et Trognon, 1993 ;
Castel, 1999 ; Bromberg, 1999b ; Chabrol et Bromberg, 1999 ; Chabrol,
1994) issus d’autres disciplines que la Psychologie Sociale (par exemple
l'Analyse Conversationnelle, la Pragmatique) et donc dans un dialogue
constant avec la Sociologie, la Linguistique, la Logique, l’Intelligence
Artificielle, etc., la Psychologie Sociale de l’usage du Langage est en train
d'inventer une approche originale qui ne manquera pas de compléter dans
les prochaines années les connaissances qui ont été obtenues dans sa
discipline d’origine. C’est d’ailleurs sur cet apport qu’en dernière instance
elle devra y être jugée.
CHAPITRE XXII

Eléments de communication interculturelle

Gérard MARANDON

Vietnam 1968. Un village de maisons de paille et de torchis, aux abords de la


jungle. Un commando de la Compagnie Bravo, du 25° Régiment d'Infanterie
de l’Armée américaine, traque les Viet Cong, après avoir découvert la dispa-
rition de deux hommes. En présence de quelques autres soldats, dans un local
agricole, deux recrues de fraîche date — Taylor et Bonnie — viennent de déloger
de leur planque un Vietnamien unijambiste et une femme plus âgée.

Taylor (pointant son arme vers l’homme) : — “Quoi ? Qu'est-ce qui te prend toi ?
J’allais pas t'encadrer ! Est-ce que j'ai l'air de vouloir t'encadrer ? Pourquoi tu
m'écoutes pas, hein ? Pourquoi ? Pourquoi, espèce de con, tu m'écoutes pas ?
Est-ce que t'es con ? Mais t'es con comme un balai. (Il pousse le villageois
violemment, qui, déséquilibré, s'étale près de la femme). Allez, amène-toi ! Mais
amène-toi connard ! Mais qu'est-ce qui t'fait sourire ? Hein ? Pourquoi, bon dieu,
tu m'écoutes pas ?”
Bonnie : — “Allez mec, tu l’flingues !”
Taylor : - “Mais qu'est-ce qui t'fait sourire, hein ? Tu veux avoir une bonne
raison, hein ? Tu veux avoir une bonne raison ? Emmanché ! (Il tire des rafales
de fusil-mitrailleur près des pieds de l’homme) Allez danse, fumier ! Vas-\ !”
Bonnie : — “Refroidis-le ! Refroidis-le !”
Taylor : - “Danse ! Danse, l’unijambiste ! Danse ! Danse ! (Il pousse des cris
de rage) Danse ! Vas-y que j'fasse pas d'toi un cul d'jatte ! Danse ! (Il s'arrête,
pris de sanglots et de tremblements)”
Bonnie : “Regarde-le ! Il s'marre ! Regarde ! Il s'fout d'toi ! C'est comm'ça
qu'on rigole chez les Viets !”
Les deux hommes se dirigent vers la sortie, mais Bonnie se retourne brusque-
ment et, à coups de crosse de fusil-mitrailleur s'acharne sur l'unijambiste
jusqu'à lui “exploser” la tête, devant les autres, horrifiés, et la femme hébétée.

Scène extraite de Platoon, d'Oliver Stone, USA, 1986.


314 PSYCHOLOGIE SOCIALE

Situation extrême, malheureusement banale en temps de guerre. Mais


les périodes de paix ont également leur lot de rencontres dures et absurdes.
Surdéterminées — comme ici par la situation et l’état de tension des deux
militaires — les différences de codes verbaux et non verbaux y démulti-
plient le poids des stéréotypes et la force du conflit latent entre les parties.
Comment comprendre ce qui se passe lorsque des individus appartenant à
des groupes culturellement différents sont mis en contact ? Comment abor-
der la nature de la communication mise en œuvre ? Quelle place accorder
aux spécificités culturelles des interactants ? À leurs stratégies de com-
munication ? À la situation ? Il s’agit des questions majeures posées dans
le champ de la communication interculturelle. Pour tenter d’y apporter des
éléments de réponse, nous nous tournons, délibérément, vers les théori-
ciens nord-américains de ce champ, qui depuis près de trois décennies
l’ont hissé au rang de véritable discipline des sciences humaines.
Dans ce chapitre, après avoir rappelé comment, historiquement, la
communication interculturelle s’est constituée en tant que discipline uni-
versitaire, nous en proposons une conception s'appuyant sur le consensus
ralliant désormais l’ensemble des spécialistes de la communication et
mettons en relief les principales incidences logiques de la saillance cultu-
relle sur les processus relationnels. Ensuite, nous évoquons deux types de
phénomènes contribuant à particulariser la communication à mesure que
s’accentue le caractère interculturel de la situation de contact : les
différents facteurs culturels susceptibles de faire obstacle à la communi-
cation et les principaux aspects de la variation transculturelle des processus
intergroupaux. Enfin, dans une dernière partie, nous présentons brièvement
l'essentiel de trois des théories qui tentent d’élaborer des réponses
adéquates aux questions que posent les situations de communication —
contact, rencontre, confrontation, interaction — interculturelle.

1. La communication interculturelle américaine

1.1. Le champ : origine et évolution

La communication interculturelle, définie comme l’“étude des inter-


actions entre membres de cultures différentes” (Leeds-Hurwitz et Winkin,
1989, p. 36), constitue, au regard de l’histoire des sciences humaines, un
domaine de recherche et de réflexion qui est déjà ancien aux USA. Ce
courant s’est progressivement développé à partir des années 1960, sur la
lancée des nombreuses expériences de formation interculturelle, mises en
place depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et dont l’acte de
CHAPITRE XXII : ÉLÉMENTS DE COMMUNICATION INTERCULTURELLE 315

naissance (1946) remontait à la décision du Gouvernement américain de


confier au Foreign Service Institute la mission de former les diplomates
aux langues et cultures de leurs futurs lieux d’affectation. Ce secteur de
formation avait ensuite étendu son action, à la faveur de l’expansion éco-
nomique notamment, en direction d’autres personnels destinés à travailler
en dehors du territoire américain (cf. Leeds-Hurwitz, 1993 et Leeds-
Hurwitz et Winkin, 1989). Aussi, que ce soit pour répondre à des problè-
mes concrets de politique étrangère ou pour soutenir le développement des
implantations commerciales et industrielles des firmes américaines, la
recherche en communication interculturelle, comme la formation inter-
culturelle qui l’avait engendrée, s’était mise au service d’objectifs très
directement liés aux difficultés et aux questions rencontrées tant par les
formateurs que par les personnels séjournant à l'étranger eux-mêmes. Mais
à partir des années 1970 la communication interculturelle commence à
s'affirmer comme discipline scientifique à part entière. En quelques années
sont, d’une part, créées plusieurs revues spécialisées en même temps que
sont mis en place des enseignements spécialisés dans différentes
universités et, d’autre part, sont publiés les premiers manuels de communi-
cation interculturelle. La décennie suivante voit l’arrivée à maturité de la
nouvelle discipline, marquée par l’élaboration d’un cadre théorique, la
discussion sur les méthodes à mettre en œuvre et la détermination des
principales aires de recherche (Leeds-Hurwitz, 1993, p. 501).

1.2. Conception actuelle de la communication interculturelle

Les premières études sur la communication interculturelle tendaient à


la traiter comme un domaine spécifique et séparé de la communication
interhumaine (Casmir et Asuncion-Lande, 1989, p. 284 ; Gudykunst et
Nishida, 1989, p. 23 ; Sarbaugh, 1993). Mais, depuis la fin des années
1970, les chercheurs considèrent que les processus fondamentaux qui y
sont en jeu ne diffèrent pas de ceux qui opèrent dans toute situation de
communication (Gudykunst et Kim, 1984 ; Sarbaugh, 1993), autrement dit
que les processus sous-jacents, à l’œuvre dans tout acte de communication,
sont les mêmes. C’est Sarbaugh (1993, pp. 7-9) qui, le premier, a fixé le
cadre d’une taxonomie de la communication interculturelle, selon laquelle
le degré d’interculturalité est dépendant du degré d’hétérogénéité
culturelle des protagonistes. En fait, c’est le poids relatif des facteurs
personnels et culturels (Gudykunst et Kim, 1984) qui permet de diffé-
rencier l’interaction interpersonnelle de l’interaction interculturelle. Dans
la première, les aspects personnels sont au premier plan, alors que dans
l'interaction interculturelle, ce sont les facteurs culturels qui priment. Les
316 PSYCHOLOGIE SOCIALE

deux types d’interaction peuvent ainsi être distingués en fonction de leur


degré de “personnalisation” (personalness) et de ‘“culturalisation”
(culturalness) (Collier et Thomas, 1996 ; Cupach et Imahori, 1993, p. 115 ;
Gudykunst et Ting-Toomey, 1988). Pour Gudykunst (1985), un tel change-
ment de perspective fait disparaître le besoin de produire des théories
spécifiques à la communication interculturelle et pose en contrepartie la
nécessité de “construire des théories générales expliquant toutes les
formes de communication ou des théories intermédiaires expliquant des
aspects particuliers de la communication entre personnes de différentes
cultures ou entre groupes ethniques” (ibid., p. 24). Cela implique pratique-
ment de reconsidérer les théories de la communication de façon qu’elles
soient en mesure d’expliquer les interactions interculturelles (Gudykunst
et Nishida, 1989, p. 23). Désormais l’idée que les processus de base sont
identiques dans toute forme de communication sera reprise par l’ensemble
des spécialistes de la communication interculturelle et l’opposition entre
les deux formes de communication n’aura plus guère de défenseurs. Ce qui
domine donc à présent, c’est une conception intégrative de la communica-
tion, selon laquelle toute communication est toujours “plus ou moins
interpersonnelle et en même temps plus ou moins interculturelle” (Collier
et Thomas, 1988/1996, p. 101). Rapportée à la scène de Platoon, cette
position implique de considérer que la relation intergroupale potentielle
des protagonistes est surchargée de malentendus interculturels qui en
infléchissent le déroulement et rendent insuffisante toute interprétation de
la situation dans les termes classiques des théories psychosociales.

1.3. Effets de la saillance culturelle sur la communication

Le plus souvent, communication interpersonnelle et communication


interculturelle peuvent être distinguées en termes de “saillance de
l'identité culturelle” (Collier et Thomas, 1996 ; Cupach et Imahori, 1993,
p. 115). Dans notre exemple, la communication est fortement ‘cultu-
ralisée”. Le Vietnamien déploie toute son énergie dans les comportements
qu’il croît appropriés (respect, sourire), mais ceux-ci sont interprétés selon
d’autres grilles et se retournent contre lui, la barrière de la langue ne faisant
qu’augmenter la tension et l’incompréhension. Il ne suffit donc pas, pour
comprendre de telles situations de recourir aux seules théories des rela-
tions intergroupales. Selon la conception intégrative précédemment
évoquée, ces théories conservent, bien entendu, tout leur intérêt. Mais, à
mesure que croît le degré de culturalisation d’une situation, il est néces-
saire de prendre en compte les spécificités culturelles des protagonistes et
leurs interférences, c’est-à-dire les effets d’interculturalité. En réalité, face
CHAPITRE XXII : ÉLÉMENTS DE COMMUNICATION INTERCULTURELLE 317

aux situations interculturelles, il convient, pour gagner en pertinence,


d’accepter de perdre en universalité.
Il faut préciser que la nécessité d’une telle attitude déborde largement
le seul champ des relations interethniques et internationales. La notion
d’interculturalité, pour avoir sa pleine valeur, doit être étendue à toute
situation de rupture culturelle — résultant, essentiellement, de différences
de codes et de significations —, les différences en jeu pouvant être liées à
divers types d’appartenance (genre, génération, groupe social, organi-
sationnel, occupationnel). Il y a situation interculturelle dès que les
personnes ou les groupes en présence ne partagent pas les mêmes univers
de significations et les mêmes formes d’expression de ces significations.
On peut utilement considérer la situation interculturelle comme double-
ment déterminée par les facteurs culturels. D’une part, les différences de
culture — de valeurs, croyances, représentations, attitudes, normes et
standards comportementaux — sont, en grande partie implicitement, géné-
ratrices de malentendus et de conflits, que les protagonistes sont impuis-
sants à gérer de manière satisfaisante. D’autre part, ces différences cultu-
relles ont des incidences sur les processus relationnels interpersonnels et
intergroupaux eux-mêmes, et en particulier, outre les manières d’aborder
autrui et les attitudes à l’égard de l’étranger, sur la conception de l’intimité,
sur l’importance relative accordée à soi et à l’autre dans l’explication des
comportements d’autrui et sur l’expression des émotions. Il convient donc
d'examiner d’un peu plus près ces deux ordres de détermination de la
communication dans les situations interculturelles.

2. Obstacles culturels à la communication

Dans la scène de Platoon, l'agressivité et la colère de Taylor traduisent sa


peur et le soupçon croissant qui l’envahit, à mesure que s’accentue son
incompréhension du comportement du Vietnamien. La différence de langues
contribue largement à entretenir le malentendu, mais cette différence explicite
en masque beaucoup d’autres, dont l’incidence est d’autant plus grande sur
les interactions que ces différences sont implicites. Ces multiples différences
ont en commun de perturber les interactions, du fait de discordances entre
comportements attendus et comportements effectifs (Burgoon, 1995).

2.1. Différences culturelles fondamentales

À partir d’une importante étude portant sur cinquante-trois entreprises


multinationales, Hofstede (Dodd, 1995, pp. 102-105 ; Gudykunst, 1994,
318 PSYCHOLOGIE SOCIALE

pp. 40-48 ; Gudykunst et Ting-Toomey, 1988, pp. 40-50) a pu identifier


quatre dimensions de la variation culturelle.
— La dimension individualisme/collectivisme oppose les cultures valori-
sant les buts individuels à celles qui placent les buts collectifs au premier
plan. Les cultures individualistes privilégient la réalisation individuelle,
l'initiative et la réussite personnelle, tandis que les cultures collectivistes
mettent l’accent sur l’appartenance groupale et les activités collectives. Au
plan relationnel, les membres des sociétés individualistes tendent à établir
des liens amicaux privés, tandis que les sociétés collectivistes assujettis-
sent les relations interpersonnelles aux obligations sociales. À noter que
cette dimension majeure de la variation culturelle avait été identifiée bien
avant les travaux d’Hofstede, notamment par Parsons dans les années
1950, et qu’elle a fait depuis l’objet d’un nombre important de travaux
(Gudykunst et Ting-Toomey, 1988, p. 40).
— Le contrôle de l'incertitude (uncertainty avoidance) renvoie aux
manières propres à chaque société d’alléger l’anxiété face à l’incertitude
naturelle et existentielle, en termes de lois, dispositifs technologiques et
institutionnels, liés à des valeurs, représentations, croyances, etc. Dans
_ notre exemple épigraphique, le villageois vietnamien fait face à l’agressi-
vité du militaire américain, comme il a appris à le faire en pareille situa-
tion : en souriant, son sourire indiquant son désir de s’accorder avec
l'interlocuteur et de ne pas lui faire perdre la face. Il s’agit là d’une réponse
culturelle particulière à l’incertitude relationnelle. Chaque société dispose
ainsi d’un ensemble de réponses aux situations stressantes, auxquelles
leurs membres recourent de façon préférentielle, mais qui impliquent, pour
être correctement interprétées et efficaces, d’être connues de l’interlocu-
teur, faute de quoi elles sont source de malentendus.
— La distinction masculinité/féminité rend compte des modes de
répartition des rôles dans une société. Dans les sociétés masculines, les
rôles sont fortement différenciés et l’on y encourage l'affirmation mascu-
line, en termes d’ambition, d’esprit de compétition et de réussite matérielle
et sociale, tandis qu’on y attend des femmes qu’elles soient modestes et
soucieuses de la qualité de la vie. Dans les sociétés féminines, à l'inverse,
on y valorise la modestie, l’esprit de coopération et le souci de la qualité
de la vie, aussi bien chez les hommes que chez les femmes, et les rôles des
uns et des autres, au plan social et familial, sont considérés comme étant
interchangeables.
— La distance hiérarchique, enfin, est relative au traitement de l’iné-
galité par les diverses sociétés. Elle est définie comme étant “le degré
d’acceptation, par ceux qui ont le moins de pouvoir dans les institutions et
les organisations, d’une distribution inégale du pouvoir” (Gudykunst et
CHAPITRE XXII : ÉLÉMENTS DE COMMUNICATION INTERCULTURELLE 319

Ting-Toomey, 1988, p. 47). Ainsi, les sociétés à forte distance hiérarchique


sont caractérisées par un fort degré de dépendance et contre-dépendance à
l'égard des supérieurs hiérarchiques, tandis que dans les sociétés à faible
distance hiérarchique, on ne considère le pouvoir comme légitime que
lorsqu'il est fonctionnellement justifié et l’on y privilégie les relations
d’interdépendance entre membres de la société.
— Une cinquième dimension de la variation culturelle a pu être identi-
fiée grâce à l’étude dite Chinese Value Survey (Segall et al., 1990, pp. 57-
58) et ainsi compléter celle d’Hofstede, dont l'échantillon présentait certai-
nes limites. Il s’agit du dynamisme confucéen ou orientation à long ou
court terme. Les sociétés orientées vers le long terme sont dirigées vers le
futur, privilégiant certaines caractéristiques personnelles, comme le sens
de l’économie et la persévérance, en même temps qu’un attachement adap-
table aux traditions. À l’inverse, les membres des sociétés orientées vers le
court terme sont tournés vers le passé et le présent, sont attachés au respect
des traditions et des obligations sociales et accordent de l’importance au
maintien de la face.
Ces cinq grandes dimensions de la variation culturelle permettent
d'ores et déjà, à elles seules, d’envisager toute la complexité des relations
interculturelles. Mais la variation affecte des dimensions plus spécifique-
ment psychologiques, notamment la pensée et la communication.

2.2. Modalités cognitives

Avant de développer la question de la diversité du fonctionnement


cognitif, il convient de souligner que cette question doit être envisagée sur
fond de similitude et d’universalité des processus cognitifs de base (Segall et
al., 1990, p. 160). L'ensemble des travaux comparatifs de la cross-cultural
psychology impose, en effet, l’évidence d’une capacité universelle à se
souvenir, à généraliser, à catégoriser, à classifier, à former des concepts, à
manier l’abstraction et à raisonner logiquement. La variation culturelle se
manifeste en fait dans les modalités de mise en œuvre et les formes
d’articulation de ces processus, chaque groupe valorisant, à travers ses
croyances, représentations et attitudes collectives, des fonctionnements
cognitifs préférentiels. Pour le dire plus nettement, selon cette perspective,
l'équipement mental humain serait universel, mais chacun en disposerait de
façon culturellement orientée.
Plusieurs modèles permettent d’appréhender la variation culturelle des
fonctionnements cognitifs. En premier lieu, un ensemble d’études réali-
sées, notamment en Afrique, sur la conception culturelle de l'intelligence,
montrent que celle-ci varie sur la base de deux dimensions diversement
320 PSYCHOLOGIE SOCIALE

valorisées : une dimension technologique et cognitive et une dimension


sociale. Ainsi, les conceptions africaines de l’intelligence tendent à
octroyer aux aspects sociaux (en particulier, en Côte d’Ivoire, chez les
Baoulé : responsabilité, respect, politesse, obéissance, honnêteté, initia-
tive, habileté à parler et à se servir des proverbes [cf. Segall et al., 1990,
chap. 5]) une place qu’ils n’ont pas aux yeux des Occidentaux, et plus
particulièrement des psychologues et des enseignants. Ceux-ci, en
revanche, sur le versant de la dimension cognitive de l’intelligence, placent
au premier rang l’analyse, l’abstraction et la vitesse dans la réalisation des
tâches, tandis que la conception baoulé privilégie l’observation, l’atten-
tion, et plus spécifiquement, la dextérité manuelle dans les activités de
dessin et d’écriture, et la chance (être chanceux et porter chance).
Les “styles cognitifs” font également l’objet de la variation culturelle
et, en particulier, le degré de “dépendance/indépendance à l'égard du
champ (D.I.C.)”, champ perceptuel à l’origine, mais étendu, à la suite de
nombreux travaux, aux champs contextuel (plan cognitif) et relationnel
(plan affectif). La D.I. à l’égard du contexte, en particulier, renvoie à la
capacité de décontextualisation des informations, particulièrement déve-
loppée dans le monde occidental sous l’influence des pratiques d'écriture
et bien plus encore de la scolarisation. Cette capacité constitue même la
seule forme d’abstraction spécifique, et, donc, la propriété distinctive de la
pensée occidentale (Denny, 1991, p. 75), les deux autres formes —
abstraction par généralisation (caniche —> chien —> animal) et abstraction
de la substance (différence entre table et liberté) — étant actives dans toutes
les cultures. Concernant le champ relationnel, la D.I. varie culturellement
en fonction des modalités de communication valorisées dans le groupe
d'appartenance.
Le fonctionnement cognitif étant sollicité dans les interactions humai-
nes, sa variation culturelle n’est évidemment pas sans incidences sur le
déroulement de ces interactions (Porter et Samovar, 1994, p. 17). Elle peut
en effet affecter aussi bien la perception de la situation et des autres inter-
actants, que le choix des stratégies relationnelles à mettre en œuvre, choix
nécessairement infléchi par les normes relatives aux comportements
cognitifs socioculturellement valorisés.

2.3. Modalités de communication

On dispose, grâce aux travaux de la linguiste américaine Tannen, d’un


modèle théorique particulièrement sophistiqué, qui tente de rendre compte,
de façon très globale, de la variation des modalités de communication.
Cette chercheuse, qui prend appui sur des analyses d'enquêtes compara-
CHAPITRE XXII : ÉLÉMENTS DE COMMUNICATION INTERCULTURELLE 321

tives, croise en effet deux modèles théoriques antérieurs — le continuum


contexte faible/contexte élevé de Hall et la théorie des deux codes
(restreint et élaboré) de Bernstein — avec le sien propre (celui du
continuum oral/écrit).
La démarche de Tannen (1982) consiste d’abord à proposer de revisiter
la dichotomie code restreint-code élaboré, relative aux compétences ver-
bales des couches défavorisées (code restreint) et aisées (code élaboré), de
la population britannique en l’occurrence, et de revoir la notion d’élabora-
tion, laquelle est associée à la seule dimension verbale de la communi-
cation. S’appuyant sur sa propre conception d’un continuum linguistique
oral/écrit, elle reprend l’opposition de Hall entre cultures à contexte faible
(low) et cultures à contexte élevé (high) et remarque que la faiblesse de la
théorie des deux codes provient du fait que Bernstein a mis l’accent sur le
pôle verbal de la communication, au détriment du pôle contextuel, qui
comprend l’ensemble des aspects non verbaux et situationnels de la
communication.
En effet, lorsque l’on considère que l’exploitation des multiples moda-
lités non verbales de la communication et “la prise en compte de l'infor-
mation sur le contexte [sont] une forme d'élaboration” (ibid., p. 15) au
même titre que celle du code verbal, on doit alors concevoir l’élaboration
et la restriction comme deux opérations corrélatives : lorsque l’on élabore
sur un plan, on restreint sur l’autre et réciproquement. Tannen propose
ainsi un modèle bipolaire de l'élaboration de la communication,
distinguant deux pôles : la communication privilégiant l’élaboration
verbale et la communication privilégiant l’élaboration contextuelle (para-
linguistique, expression des émotions et implication interpersonnelle).
Mais la variation des modalités de la communication intervient sur bien
d’autres plans, essentiellement verbaux et non verbaux. Concernant la
communication verbale, ses aspects les plus implicites sont à l’origine de
fréquents malentendus — sémantiques et pragmatiques. Les malentendus
d’ordre sémantique sont la conséquence de la méconnaissance des conno-
tations attachées aux mots eux-mêmes. Les malentendus pragmatiques
sont liés aux manières différentes de recourir au langage pour agir sur
autrui et sur la situation. Sont à cet égard facilement sources de malen-
tendus des usages différents de la prise de parole, du silence, de l’inter-
ruption, de l'interrogation, de la requête, de l’ironie, du sous-entendu, du
mensonge, etc., ainsi que des façons plus ou moins directes de s'adresser
à autrui. |
Quant aux comportements non verbaux, leur variété culturelle est parti-
culièrement riche et diversifiée (Gudykunst et Ting-Toomey, 1988,
chap. 6 ; Dodd, 1995, chap. 8). Cette variété porte sur les divers aspects de
322 PSYCHOLOGIE SOCIALE

la communication non verbale, qui constituent autant de domaines d'étude.


La kinésique est le domaine des mouvements corporels dont relèvent la
gestualité, les expressions faciales, le contact des yeux, les postures, les
façons de saluer. La proxémique concerne les rapports à l’espace et plus
particulièrement la variation des distances interpersonnelles sur quatre
plans : intime, personnel, social, public. La chronémique a trait au rapport
au temps, dont elle rend compte en termes de temps monochronique
(consacré à une seule activité à la fois), de temps polychronique (activités
simultanées) et de synchronie culturelle, relative à la façon dont sont
collectivement réglés les mouvements et déplacements, les rythmes et
l’organisation temporelle. L’haptique est relative aux formes tactiles de
communication, tandis que la sensorique porte sur les modalités
sensorielles des échanges : odorat, goût, audition, chaleur. Enfin, l’intona-
tion et les divers sons audibles accompagnant les émissions verbales
relèvent de la paralinguistique.

3. La variation interculturelle des processus intergroupaux


L'une des aires de recherche de la communication interculturelle — la
communication transculturelle (Leeds-Hurwitz, 1993, p. 501) —est consacrée
à l’étude comparative des normes interactionnelles dans différentes cultures.
Voici quelques-uns des facteurs donnant lieu à variation, la majeure partie des
études prenant principalement en compte leur relation avec la dimension
individualisme/collectivisme (cf. Gudykunst et Bond, 1997).

3.1. Perception de la communication intergroupale

L’attitude à l’égard de la communication entre groupes, qui se traduit


par une plus où moins grande disposition à rencontrer des étrangers (des
membres d’autres groupes que les siens), varie en fonction de la dimension
individualisme/collectivisme : les membres des groupes culturellement
collectivistes marquent plus la distinction entre endogroupes et exogroupes
que ceux des groupes culturellement individualistes (Gudykunst et Bond,
1997, p. 139), ce qui va de pair avec une plus grande réticence de la part
des premiers à l’égard des rencontres intergroupales.

3.2. Dévoilement de soi à

Le dévoilement de soi (self-disclosure) est relatif au fait de donner des


informations sur soi et de conférer ainsi un caractère intime à la relation.
CHAPITRE XXII : ÉLÉMENTS DE COMMUNICATION INTERCULTURELLE 323

Ce comportement est généralement associé aux styles directs de communi-


cation qui prédominent dans les cultures individualistes. Il semble, par
conséquent, logique de trouver dans les cultures collectivistes, qui privilégient
la communication indirecte, une moindre propension au dévoilement de soi
et à établir des relations intimes. En réalité, les travaux sur ces questions
indiquent qu’il convient d'établir une distinction entre communication
endogroupale et exogroupale. Selon certaines recherches (cf. Gudykunst et
Bond, 1997, p. 141), en effet, lorsqu'on croise cette distinction avec la
dimension individualisme/collectivisme, il apparaît que plus une culture est
collectiviste, plus la communication à l’intérieur du groupe d’appartenance
(ëngroup) diffère des formes qu’elle prend lorsqu'elle est établie avec un
groupe inconnu (outgroup). Dans le premier cas, la communication est plus
intime, mieux synchronisée et plus facile que dans le second.

3.3. Attributions

Les façons d’expliquer son comportement et celui d’autrui, ainsi que


leurs résultats et leurs conséquences, sont, d’une manière générale, affec-
tées par les relations intergroupales, mais cet effet se complique avec
l’accentuation des différences culturelles entre les membres des groupes en
contact. Il y a une variation culturelle de la prédisposition à porter des
jugements plus ou moins en faveur de l’endogroupe. Mais, en matière
d'attribution, la différence culturelle la plus abordée par les spécialistes
concerne la corrélation entre collectivisme et externalisme (Gudykunst et
Bond, 1997, p. 139), c’est-à-dire la tendance des membres des sociétés
culturellement collectivistes à expliquer les comportements en termes de
facteurs externes et contextuels. Cette réalité culturelle a pour consé-
quence, en particulier, de devoir désormais considérer l’erreur fonda-
mentale d'attribution, ou tendance à privilégier les attributions internes,
comme culturellement variable. Mais, plus généralement, elle constitue
une source de difficultés propre à la communication interculturelle.

3.4. Expression des émotions

Du fait que les membres des sociétés culturellement collectivistes


évitent d’établir des relations d’intimité avec les membres des groupes qui
ne leur sont pas familiers (outgroup), ils s’abstiennent généralement de
manifester des émotions positives en leur présence. Ces mêmes membres
considèrent par ailleurs l’expression des émotions négatives, au sein du
groupe d’appartenance, comme inappropriée, lorsqu'elle concerne Pun de
ses membres, car cela est vécu comme une menace contre l'harmonie du
324 PSYCHOLOGIE SOCIALE

groupe. En revanche, si elle est dirigée contre un membre d’un exogroupe,


elle est alors perçue comme acceptable, du fait qu’elle renforce la cohésion
intragroupale. Globalement, le collectivisme est plus associé que
l’individualisme à l’expression des émotions négatives envers les membres
des exogroupes (Gudykunst et Bond, 1997, p. 146).

4, Théories de la communication interculturelle

Dans les années 1980, nombre de chercheurs se sont consacrés, sur les
nouvelles bases épistémologiques précédemment évoquées, à l'élaboration
de théories de la communication visant à rendre compte des
problématiques interculturelles. On en dénombre actuellement pas moins
d’une vingtaine, qui ont en commun de s’inscrire dans le champ de la
communication en général. Comme il n’est, bien entendu, pas possible,
dans le cadre de ce chapitre, de toutes les passer en revue, nous nous limi-
tons ici à une présentation succincte de trois d’entre elles, choisies parmi
les plus anciennes — respectivement les théories de la gestion de l’anxiété
et de l’incertitude, des contraintes culturelles d’interaction et de la culture
üerce. Mais, auparavant, il importe d’évoquer l’un des débats transversaux
du champ de la communication interhumaine, portant sur là relation entre
facteurs psychologiques et facteurs situationnels.

4.1. Le débat personnalité/situation

Le problème envisagé, dans le cadre de cette controverse entre


théoriciens, est celui du poids respectif dans les interactions des caracté-
ristiques personnelles et de la compétence interculturelle (Marandon, à
paraître), d’une part, et des variables situationnelles, d’autre part. Selon
certains chercheurs, en effet, “le type de situation et les autres participants
de la situation sont des facteurs plus fortement déterminants [...] que les
traits particuliers présentés par les individus” (Dinges et Baldwin, 1996,
p. 115). L'autre position théorique, en revanche, soutient que les compo-
santes personnelles influent sur la manière dont les individus interprètent
les situations (Kealey, 1996, pp. 93-94). En définitive, cette controverse
invite, pour toute situation d'interaction, à considérer les caractéristiques
personnelles et situationnelles comme des variables complémentaires,
toujours plus ou moins liées à des données conjoncturelles, et donc comme
susceptibles de limiter la portée explicative et prédictive des théories.
CHAPITRE XXII : ÉLÉMENTS DE COMMUNICATION INTERCULTURELLE 325

4.2. Théorie de la gestion de l'anxiété et de l'incertitude

Cette théorie, qui a fait l’objet d’élaborations successives depuis 1985,


vise à expliquer conjointement la communication interpersonnelle et la com-
munication intergroupale — synonyme, pour W. B. Gudykunst, de communi-
cation interculturelle. Elle articule les concepts d’inconnu (stranger),
incertitude, anxiété, communication efficace et vigilance mentale
(mindfulness) (Gudykunst, 1995, p. 9). Les inconnus sont ceux qui, tout en
étant proches de nous, sont différents parce qu’ils sont membres d’autres
groupes. L’incertitude affecte à la fois notre compréhension et notre
prévision du comportement d’un inconnu. L’anxiété, équivalent affectif de
l'incertitude, est une réponse émotionnelle aux situations chargées d’incer-
titude, qui tend à être plus élevée lors des contacts intergroupaux. La
communication est efficace lorsqu'elle tend vers la congruence entre
intentions et interprétations. La vigilance mentale réfère à la capacité de
gérer cognitivement ses affects de façon à faciliter cette congruence.
Pour Gudykunst, la gestion de l’anxiété et de l'incertitude est au
principe même de la communication efficace. Ces deux facteurs sont liés
aux autres variables de la situation, mais notre absence de conscience de
cette relation et de notre propre comportement, par insuffisance de vigi-
lance mentale, nous empêche d’éviter les malentendus lorsque nous
sommes en contact avec des inconnus, éventualité de fait propre à toute
interaction (Gudykunst, 1995, p. 18).

4.3. Théorie des contraintes culturelles d'interaction

Toute interaction se déroule sur la base de conventions implicites de


communication. Ces conventions sont propres à chaque groupe et, dans la
mesure où chacun attend d’autrui qu’il s’y conforme, elles tiennent lieu,
dans toute interaction, de contraintes culturelles. Parmi les facteurs de
contraintes culturelles, on peut citer : le rapport entre les modalités impli-
cites et explicites de la communication (Tannen, 1982), les règles conver-
sationnelles, l’humour, l’articulation langage/silence, les préséances liées
notamment à l’âge, au sexe et au statut social, le degré d’implication per-
sonnelle, le statut pragmatique des échanges, etc. Kim (1993, p. 134)
considère que la recherche en communication interculturelle, dont la
finalité est d'améliorer la communication et la compréhension entre les
membres des différents groupes culturels, doit aller au-delà de l’inventaire
descriptif des facteurs en jeu et s’intéresser à la dynamique élémentaire de
la communication. En ce sens, ce qui importe fondamentalement dans une
rencontre c’est, d’une part, de comprendre les intentions des autres et,
326 PSYCHOLOGIE SOCIALE

d’autre part, de prédire leurs choix stratégiques. Dans cette perspective, la


théorie de Kim postule l’existence de contraintes générales culturellement
induites : la clarté — permettant d’atteindre un but de façon explicite et rapide
— et i. préservation de la face — visant à atteindre un but sans heurter
l'interlocuteur. Dans la plupart des cas, il y a tension entre ces deux
contraintes, quels que soient les groupes, mais leur importance relative diffère
culturellement (Kim, 1995, p. 140). Ainsi, mais le développement théorique
de Kim est, bien entendu, beaucoup plus nuancé à ce propos, les cultures
individualistes tendent à privilégier la clarté dans les échanges, tandis que les
cultures collectivistes mettent l’accent sur le maintien de la face.

4.4, Théorie de la culture tierce

L'objectif, déjà ancien, de Casmir (cf. Casmir et Asuncion-Lande,


1989) est p: précisément orienté vers les dynamiques de communication
dans un contexte interculturel. Il considère que, malgré leurs divergences,
deux individus, du fait même de leur rencontre, créent un cadre unique
d'interaction. La rencontre de leurs cultures distinctes pose, de fait, les
bases d’une culture tierce, plus inclusive que les cultures originales et qui
leur permet de mieux communiquer. Une culture tierce n’est pas seulement
le résultat de la fusion de deux ou plusieurs entités culturelles séparées,
mais aussi le produit de l’harmonisation de ces cultures originelles en un
tout cohérent. Pour Casmir, “une culture tierce est une subculture situa-
tionnelle, au sein de laquelle des ajustements comportementaux
temporaires peuvent être effectués par des personnes en interaction,
lorsqu'elles essayent d'atteindre un accord mütuel sur des buts communs”
(Casmir et Asuncion-Lande, 1989, p. 294). Pour se développer, ce nouvel
espace culturel doit être sans limites préétablies, c’est-à-dire pouvoir à la
fois intégrer des éléments nouveaux et s’adapter à d’autres contextes. En
outre, une culture tierce doit être réceptive à toute demande d’ajustement
ou réajustement émanant des participants ou de la situation. Enfin, elle doit
être orientée vers le futur, car elle constitue le début, et non la fin, d’une
entreprise à risques partagés (joint venture), qui doit pouvoir se développer
dans le temps. Ce développement n’est possible qu’à certaines conditions.
En premier lieu des conditions individuelles, qui impliquent que les indivi-
dus en présence aillent au-delà de leurs limites psychoculturelles origi-
nelles et, en un mot, qu’ils se transforment psychologiquement, de façon à
développer progressivement une personnalité interculturelle (Kim et
Ruben, 1995) présentant certains traits tels que, notamment, flexibilité,
sensibilité culturelle, compréhension empathique et créativité. Mais, paral-
lèlement, le développement de cultures tierces requiert également des
CHAPITRE XXII : ÉLÉMENTS DE COMMUNICATION INTERCULTURELLE 327

conditions collectives — organisationnelles et médiatiques —, sans


lesquelles il ne peut véritablement s’opérer. Selon cette théorie générale de
la communication interculturelle, en effet, celle-ci, au plan international,
ne pourra véritablement se développer, que grâce à un effort éducationnel
plus global de co-construction du futur conjoignant le souci d’autrui, le
respect de la diversité et le désir de produire un univers commun pleine-
ment significatif.
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CHAPITRE XXII

Rumeurs et phénomènes de masse


Michel-Louis ROUQUETTE

Considérons un paradoxe se rapportant à notre sujet et pris à dessein


dans la littérature. Il se trouve sous forme dialoguée dans un court roman
de Simenon (L’Assassin) paru en 1937.

— Qui soupçonne-t-on du crime ?


— Personne ne sait rien. Que veux-tu qu'on raconte ?
— C’est justement quand on ne sait rien qu'on parle...

Dans sa sobriété, la vérité de cette caractérisation des rumeurs ne nous


échappe pas. Elle met bien en évidence que le lien entre connaissance,
communication et relations sociales n’est pas aussi transparent, pas aussi
banal et en tout cas pas aussi “rationnel” que notre éducation voudrait nous
le faire croire.
Modes de communication et modes de connaissance entretiennent des
liens nécessaires, au sens fort du terme. D’une part, en effet, l’analyse de
la communication effective requiert la prise en compte de connaissances
partagées, sans lesquelles cette communication serait impossible ;
symétriquement, il est patent que les connaissances de toute nature se
fabriquent et se diffusent dans le cadre des communications. Les exemples
privilégiés de ces relations symétriques sont fournis par les conversations
et par les médias. Aussi quotidiens les uns que les autres, ils se bouclent en
outre réciproquement : les contenus traités par les médias sont repris dans
les conversations, de même que les préoccupations de la vie quotidienne
sont reprises dans les médias.
Or la correspondance précise entre communications et connaissances
s'établit sur le plan de la sociabilité. On le voit bien, intuitivement,
lorsqu'on se pose les simples questions suivantes : qui parle avec qui et de
330 PSYCHOLOGIE SOCIALE

quoi ? Dans l’exemple ci-dessus, les bavardages sur le crime ne se produi-


sent évidemment pas entre des partenaires quelconques et leur cours ne
prend pas n'importe quelle direction. De même, qui lit (ou écoute ou
regarde) quoi ? Tout le monde a-t-il la même fréquentation de la
télévision ? Que signifie la préférence ou la répulsion pour telle ou telle
chaîne ? En définitive, et plus largement, qui influence qui et co-agit avec
lui ? Les réponses renvoient nécessairement à des notions d’identité,
d’appartenance, de différenciation et de communauté, autrement dit à des
aspects de la sociabilité. En définitive, tout nous invite à considérer en
permanence la triade “Liens sociaux-Communications-Connaissances”.
Deux ordres de phénomènes sont particulièrement révélateurs à cet égard :
les rumeurs et les manifestations de la violence collective, respectivement
caractéristiques des publics et des foules. On les considérera tour à tour.

1. Transmission et fabrication des rumeurs

Voici longtemps que les rumeurs retiennent l’attention des psycho-


logues sociaux et il faut commencer par un classique. Allport et Postman
(1945) ont conçu un dispositif à la fois simple et puissant pour mettre en
évidence les propriétés de la communication effective entre individus. Il
s’agit d’une chaîne instantanée de propagation dont la longueur se trouve
limitée à quelques sujets (généralement six ou sept). Une chaîne est un
réseau unilinéaire orienté : chaque individu y constitue un relais,
successivement récepteur de celui qui le précède puis émetteur pour celui
qui le suit ; la retransmission est immédiate, excluant en outre par
convention toute interaction conversationnelle. Ce dispositif extrêmement
ingénieux et dont on n’a pas fini d’épuiser l'intérêt rend manifestes trois
classes de phénomènes : tout d’abord la réduction de la longueur du
message au fil des transmissions ; complémentairement, l’accentuation de
certains éléments qui, ne se trouvant pas réduits, acquièrent du fait même
de leur conservation une saillance plus grande ; enfin l'assimilation
qu’opèrent les transmetteurs en rapportant le thème du message à des
connaissances familières et des intérêts caractéristiques de leur position
sociale. L’individu n’est pas une machine à encoder et décoder
l'information selon une logique interne immuable, fût-elle imparfaite,
mais un sujet de part en part socialisé ; ses performances comme ses
erreurs sont socialement motivées par son expérience et ses appartenances.
On le voit, connaissance, communication et sociabilité vont de pair.
Cette complémentarité apparaît concrètement si l’on examine les
choses plus en détail, en s’attachant à la description de quelques processus
CHAPITRE XXIII : RUMEURS ET PHÉNOMÈNES DE MASSE 331

typiques de transformation des messages (cf. Rouquette, 1975). En admet-


tant que l’on puisse distinguer Acteur et Prédicat de la rumeur, c’est-à-dire
si l’on veut la “cible” et l’argument, ou l’objet et l’imputation, on peut
observer entre autres :
a. la généralisation de l’ Acteur ou du Prédicat (on passe par exemple
de “la corruption d’un ministre” à la “corruption des hommes politiques”
ou bien d’une faute accidentelle à un écart habituel, selon les attitudes
dominantes ou les stéréotypes de la population) ;
b. l’intensification où polarisation, qui consiste à extrémiser, grossir,
exagérer le Prédicat (comme un orage peut devenir “une tornade”, une rixe
“un massacre”, un groupe “une foule” et ainsi de suite) ;
c. la surspécification, par laquelle on ajoute des détails au récit
rapporté, on développe le Prédicat de manière à en augmenter la
vraisemblance et la cohérence ;
d. l’inversion de polarité, plus fréquente qu’on ne pourrait croire, par
laquelle un argument est renversé en son contraire (les éléments à décharge
devenant des éléments à charge, les démentis passant pour des aveux
confirmatoires, etc.).

2. La rumeur comme révélateur

Au-delà de son intérêt spécifique en tant que problème social, la rumeur


est précisément un révélateur puissant de la connaissance commune. Elle
n’est pas un moment d’aberration ou de perte de contrôle, mais un moment
de vérité : la vérité d’une position sociale perçue. En voici quelques
démonstrations, prises dans une abondante littérature.
— Commençons par l’étude d’Allport et Lepkin (1945), l’une des plus
anciennes. Il apparaît, dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale aux
États-Unis, que plus les gens se déclarent gênés par les mesures de
rationnement prises par le gouvernement, plus ils croient aux rumeurs de
gaspillage et de passe-droits ; en outre, plus une rumeur en circulation leur
est familière, plus ils ont tendance à la croire (ce qui renvoie clairement à
leur position dans un réseau de communication socialement marqué).
— Peterson et Gist (1951). Leur observation de terrain, menée dans une
petite ville des États-Unis après un assassinat non élucidé, constate une
prolifération de rumeurs diverses pour expliquer le crime. Or celle-ci peut
être vraisemblablement reliée à la distribution des identités : à chaque
groupe social son contenu de rumeur (ceux qui incriminaient la corruption
de la police dans cette affaire n’étaient sans doute pas les mêmes que ceux
qui mettaient en cause un Noir, par exemple).
332 PSYCHOLOGIE SOCIALE

— Les rumeurs de lâchers de vipères, communes en France entre 1975


et 1985, prétendaient que des serpents venimeux étaient volontairement
lâchés dans la nature à des fins de repeuplement. Ces rumeurs ont eu une
forte emprise en milieu rural ; elles exprimaient l’hostilité traditionnelle au
monde urbain et aux pouvoirs qui y résident ou en émanent, qu’il s'agisse
du pouvoir administratif ou de la pression exercée par les mouvements
écologistes, perçus comme essentiellement citadins.
— La rumeur de Nîmes, consécutive aux inondations catastrophiques de
1988 : les habitants de cette ville du sud de la France pensaient que les
autorités avaient menti sur le nombre de victimes et qu’ils le minimisaient
à dessein. Malgré toutes les évidences contraires, cette conviction était
encore assez largement répandue dix ans après, comme l’ont montré deux
enquêtes menées sur place (Domergue, 1998).
Dans tous ces cas, que l’on pourrait facilement multiplier, les démentis
officiels sont sans effet. Il existe une méfiance tenace des populations à
l’égard des médias lorsque ceux-ci heurtent leur expérience directe ou
leurs convictions établies, et surtout à l’égard de la communication insti-
tuée émanant du pouvoir politique. C’est sans doute parce que rumeurs et
discours officiel n’ont pas le même rôle dans l’effectuation de la
sociabilité.

Les rumeurs, en effet, loin d’être une fantaisie plus ou moins gratuite,
assurent une fonction particulière dans les rapports interpersonnels. Les
quatre aspects de cette fonction sont les suivants :
— la rumeur renforce d’abord l'assimilation sociale en soulignant sur un
cas concret la similitude de condition entre les partenaires. C’est parce
qu’ils partagent les mêmes préoccupations, connaissent les mêmes situa-
tions, épousent le même mode de vie, qu’ils se retrouvent dans l'intérêt
porté à une même histoire ;
— en même temps, la rumeur réitère la différenciation sociale par la
mise en évidence de l’altérité : les soucis, les pratiques, les normes qui
caractérisent les autres sont différents des nôtres. Nous nous reconnaissons
aussi entre nous de ne pas nous reconnaître en eux ;
— d’autre part, la rumeur offre l'explication naïve d’un aspect de l’expé-
rience, que celle-ci soit réellement vécue ou seulement imaginée. Elle
suggère une théorie qui donne sens et cohérence à un aspect du monde ou
elle constitue i’exemplification d’une théorie déjà possédée implicitement ;
— enfin, la rumeur a une valeur pragmatique susceptible d’orienter
l’action : elle propose une sorte de leçon à tirer, une “morale de l’histoire”
valant conseil ou avertissement (“Évitez donc tel endroit” : “Ne faites pas
ceci ou cela” ; “Méfiez-vous de tel type de personne”, etc).
CHAPITRE XXII : RUMEURS ET PHÉNOMÈNES DE MASSE 333

Complémentaires l’une de l’autre, ces quatre fonctions sont toujours


présentes, chacune pouvant se trouver circonstanciellement plus ou moins
saillante.

3. Une définition en syndrome


Qu'est-ce alors qu’une rumeur ? La complexité du phénomène, la
multiplicité des visages qu’il peut offrir incitent plutôt à rechercher une
définition en syndrome qu’une définition en tout ou rien. On dispose ainsi
d’une souplesse diagnostique basée sur la co-présence variable de critères
opérationnels dont aucun n’est par lui-même suffisant. Dans cette
perspective, il semble que le syndrome de rumeur puisse être défini par
quatre traits : l’implication des individus transmetteurs, la négativité des
contenus, le mécanisme d’attribution et l’instabilité relative du message.
a. Il est évident que le thème de la rumeur concerne les personnes qui la
propagent (et la fabriquent en la propageant). La rumeur s’inscrit toujours
dans l’actualité, dans le champ des préoccupations vives d’une population,
ce qui permet notamment de comprendre son caractère épidémique. On
parlera à ce propos d’implication des sujets. Celle-ci peut être analysée selon
trois dimensions (cf. Rouquette, 1997) : le degré d’identification person-
nelle, c’est-à-dire le rapport plus ou moins étroit que l’on établit de l’objet à
soi-même (depuis “ça me touche directement” jusqu’à “ça ne me concerne
pas vraiment”) ; la valorisation de l’objet, c’est-à-dire l’importance subjec-
tive qu’on lui accorde (depuis “une question vitale” jusqu’à “une histoire
sans importance”) ; et enfin la possibilité perçue d’action, allant de “tout
dépend de moi” à “je n’y peux rien”. La première de ces dimensions renvoie
clairement à l’assimilation et à la différenciation sociales, la troisième à la
valeur pragmatique et à la théorisation naïve de l’expérience.
b. Il apparaît dans les relevés dont on dispose que plus de 90 % des
rumeurs sont négatives, anxiogènes, aversives ou agressives, ce qui suffit à
faire de la “négativité” un trait caractéristique d’une définition en syndro-
me. Il faut réserver toutefois un statut particulier aux situations de crise
extrême (catastrophes naturelles, conditions de guerre, par exemple, qui
mettent directement en jeu la vie des sujets) dans lesquelles on relève au
contraire des rumeurs d’espoir. Cette polarisation peut être précisément
rattachée à l’implication selon la loi de répartition suivante : absence
d’implication (ou très faible degré de celle-ci), absence de rumeur;
implication faible à forte (ce qui est de loin le cas le plus fréquent), rumeur
“noire” ; implication extrême, rumeur “rose”.
c. La rumeur est toujours attribuée à une source. Selon le cas, il s’agit
334 PSYCHOLOGIE SOCIALE

soit d’une attribution de compétence (source qui paraît autorisée), soit


d’une attribution anonyme (le “on”). L'attribution de compétence s'établit
sur le fond de valeurs et de normes partagées par les membres du groupe :
il faut que la compétence évoquée soit socialement reconnue, qu’elle appa-
raisse comme légitime. De son côté, même l’attribution anonyme renvoie
à la proche sociabilité des sujets ; la source est alors souvent médiatisée par
un proche d’un proche, ce qui conduit à parler d’un phénomène ADUA
(ami d’un ami). Ainsi l’attribution est une manifestation directe de la
sociabilité ; elle constitue à la fois le rappel et la sollicitation de la recon-
naissance d’une condition partagée, et elle renforce de ce fait la fonction
d’assimilation sociale dont on a parlé plus haut.
d. L’instabilité relative du message constitue le quatrième trait du
syndrome. Il faut distinguer les transformations génétiques, directement
productrices de la rumeur (celles que met en évidence le paradigme
d’Allport et Postman) et les transformations que l’on pourrait dire
“consommatoires”. Les premières sont une mise à conformité au système
de croyances, de valeurs et d’attitudes des sujets transmetteurs; elles carac-
térisent le processus qui conduit à une rumeur “bien formée” et cogniti-
vement stable. Les secondes ont un caractère adaptatif aux partenaires et
aux circonstances de la communication : se rendre intéressant, crédible,
avoir l’air bien informé, etc. Elles ne portent pas sur le noyau du système
des connaissances communes, mais sur des aspects périphériques ayant
une pertinence interpersonnelle. C’est pourquoi, une fois la rumeur bien
formée, elle varie très peu quant à l’essentiel ; on dira qu’elle est centrale-
ment stable et superficiellement changeante.

Toutes ces remarques s’appliquent à une classe encore plus large de


phénomènes. On peut en effet adjoindre aux rumeurs ce que les socio-
logues appellent “légendes contemporaines” ou “légendes urbaines” (voir
Renard, 1999). D'une part celles-ci se manifestent selon le même
syndrome : implication, négativité, attribution, transformations. D'autre
part elles assurent les mêmes fonctions que les rumeurs : assimilation et
différenciation sociales, explication naïve d’un aspect de l'expérience,
valeur pragmatique. Leur transmission fait également appel aux conver-
sations et aux médias, bouclés l’un sur l’autre comme on l’a déjà signalé.
Un exemple typique, minutieusement étudié par Campion-Vincent (1997),
est celui que fournissent les différentes versions de la légende des vols
d'organes.
La “population” de la rumeur n’est pas physiquement rassemblée : ce
sont des conditions communes de connaissance et de sociabilité, on vient
de le voir, qui lui donnent sa consistance ; elle correspond ainsi exactement
CHAPITRE XXII! : RUMEURS ET PHÉNOMÈNES DE MASSE 335

à la notion de “public” selon Tarde. C’est l’une des faces Caractéristiques


des phénomènes de masse (cf. Moscovici, 1981a). L'autre face. c’est la
foule, la réunion dans un espace restreint en vue d’une action commune.
Or, ce que la rumeur est au public (avec ses traits d’implication, de négati-
vité, d’instabilité et d'attribution légitimante), la violence l’est à la foule.

4. Masses, normes et violence


Dès l’origine, la prise en compte des masses par les sciences sociales a
été une prise en compte de leur violence. Au xix® siècle, Taine, Sighele,
Tarde et Le Bon, entre autres auteurs, ont été fascinés par les foules
révolutionnaires et les “foules criminelles”, comme si celles-ci exprimaient
une sorte d'essence bien plus qu’un accident des rassemblements. Ils y ont
vu, chacun à sa manière, une espèce de fatalité moderne, liée à la fois à des
facteurs psychologiques permanents et à la généralisation de la politique de
masse (cf. Rouquette, 1994). Ce regard peut être à bon droit critiqué. Il n’est
pas, toutefois, un simple préjugé dépourvu de base empirique : il a au moins
pour lui une foule d’observations, à toutes les échelles et dans tous les pays ;
périodiquement, à l’occasion de telle ou telle fièvre idéologique ou
nationaliste, l’actualité nous en rappelle la justesse ; et le souvenir des
totalitarismes du xx° siècle, incompréhensibles sans l'éclairage de la psy-
chologie des masses, achèverait à lui seul d’en montrer la pertinence. Mais
ce regard est désormais borné par l’émergence de nouvelles formes de socia-
bilité qui échappent aux descriptions classiques. Il n’arrive plus seulement,
en effet, que la foule déjà constituée, en proie ou non à un meneur, dérape,
dévie, bascule dans l’excès ; il lui arrive aussi de se former précisément pour
dévier, autrement dit de se former dans le projet de la délinquance. Elle
s'inscrit pour cela dans des cadres moraux ou institutionnels reconnus et
généralement admis (la protestation, la revendication, l’autodéfense, la fête,
le sport); mais alors le prétexte apparent ou affiché de sa réunion n’a plus de
rapport direct avec la réalité concrète de son action. En voici seulement deux
exemples, dont chacun pourra reconnaître la récurrence, ne serait-ce qu’en
regardant la télévision ou en écoutant les journaux.
— Un jeune voleur de voiture ayant été abattu par la police, les adoles-
cents de son quartier se regroupent, incendient plusieurs véhicules, pillent
quelques magasins et affrontent longuement les forces de l’ordre.
— Des supporters d’un club de football, armés de gourdins et de bouteil-
les, agressent avant le match un groupe de supporters adverses, faisant
plusieurs blessés. Ou encore, déçus par le résultat de leur équipe, 1ls
cassent des installations publiques aux abord du stade.
336 PSYCHOLOGIE SOCIALE

Il ne saurait être question de s’interroger sérieusement sur les causes


déclenchantes de tels événements (à supposer d’ailleurs que la notion
stricte de causalité ait ici un sens, mais ce serait un autre débat). L'état
présent de la connaissance ne le permet tout simplement pas et les théories
explicatives disponibles ne sont au mieux que des généralisations de
corrélations. Il n’est peut-être pas prématuré, en revanche, de réfléchir sur
les conditions psychosociales de possibilité de ces événements. Ces
conditions, quelles qu’elles soient, n’épuisent certes pas tous les aspects
pertinents du contexte ; d’autres disciplines, d’autres approches doivent
être convoquées pour dresser un tableau forcément plus complet de la
genèse de la violence. Mais s’il n’est assurément pas suffisant, le rôle des
facteurs psychosociaux est évidemment nécessaire. Ni automates ni
feuilles au gré du vent, les individus portent avec eux leur identité, leurs
appartenances et leur histoire. Réguliers ou occasionnels, leurs actes
n’échappent pas à l’influence de ce bagage ; plus, ils s’accomplissent en
fonction de ce bagage même, de ses contraintes et de ses ressources. On en
arrive ainsi à définir un champ dans lequel l’enchaînement des conduites
peut se produire et par rapport auquel il prend sens. On se rapproche ainsi
un peu plus précisément des mécanismes généraux qui sont à l’œuvre dans
tous les cas de violence collective.

5. Les conditions de la violence

Il semble que quatre conditions majeures, toutes en rapport avec la


notion de norme, s’agrègent pour composer le lieu et tracer le relief de la
scène violente. Ce qui pourra se produire, quelles qu’en soient les raisons
circonstancielles et les formes de détail, adviendra toujours dans ce cadre,
dont on peut dire sans abus de langage qu’il forme système.
Une première condition nécessaire à la manifestation de la violence des
masses est l'existence de ce qu’on appellera la clause de distinc-
tion ordonnée : la masse considérée formant groupe, c’est-à-dire se dotant
d’une identité, se distingue elle-même d’au moins un autre groupe selon
une hiérarchie politique, économique, religieuse ou morale (parfois toutes
confondues). Cette clause, dont la mise en œuvre se traduit par un
processus de catégorisation, permet la perception de l’autre et donc la
confrontation avec lui ; elle est concrétisée par des signes visibles d’appar-
tenance : emblèmes, vêtements, bannières, insignes, tatouages, coupe de
cheveux, lexique même, etc. Ces signes sont plus ou moins patents, plus
ou moins uniformes et plus ou moins répétés selon les circonstances; mais
leur fonction, identique sous ce rapport à celle des rumeurs (cf. supra, $ 2),
CHAPITRE XXIII : RUMEURS ET PHÉNOMÈNES DE MASSE 337

est toujours de combiner l’appartenance (on se reconnaît entre soi) et la


démarcation (on reconnaît l'étranger). À partir de là, peut prendre racine
une forme de logique péremptoire dont les conduites effectives ne seront
que l'application. Dans cette logique, toute norme identificatoire du
groupe-cible est contre-normative pour le groupe-agent, et passe aux yeux
de ce dernier pour une déviance : ce qu’“ils” croient ne doit pas être cru,
ce qu'“ils” font ne doit pas être fait, ce qu’“ils” disent ne mérite que le
silence, et ainsi de suite. Tout groupe est tendanciellement monopolis-
tique ; il le devient d’autant plus qu’il se distingue davantage des autres à
ses propres yeux et que cette distinction se traduit par une ordination plus
tranchée. Notons au passage que les groupes “moraux”, moralistes ou
moralisateurs, ne font pas ici exception.
Cette première clause, insuffisante par elle-même du fait de sa
généralité, s'accompagne d’une seconde, celle de minorisation. En effet, la
violence des masses s’exerce toujours contre des minorités : pogroms
traditionnels d'Europe centrale contre les Juifs, jacqueries des paysans
contre les seigneurs ou les représentants de l’État, agression de travailleurs
immigrés par des ouvriers qui estiment leur travail menacé, choix soudain
d’un bouc-émissaire par une foule en colère, attaque au détour d’une rue
d’un élément isolé, affrontement avec des policiers perçus comme
socialement minoritaires, etc. Le rapport de la masse violente à son objet
est ainsi un rapport de domination numérique, réelle ou supposée ; il n’a
rien à voir avec la violence sporadique exercée par des minorités armées,
qui est un choix stratégique ou tactique en vue d’atteindre des objectifs
déterminés. Rejoignant la clause précédente, la minorisation de
l’adversaire ou de la victime correspond aussi, au plan éthique, à une
minorisation de ses normes, une localisation de celles-ci dans une forme
de déviance et d’exception qui échappe, précisément, à la “normalité”
revendiquée. Ce trait ne peut que renforcer la légitimité perçue des actions
entreprises, dont l’excès même se proportionne, pour ainsi dire, à la
profondeur de la minorisation.
La troisième clause est celle d’exceptionnalité. Le temps de la violence
est un moment exceptionnel dans l’écoulement ordinaire des jours : il peut
s’agir d’une rencontre sportive, par exemple, d’une fête, d’une manifes-
tation, d’une grève, d’un incident notable ou d’un événement historique
plus large. Il existe alors une incertitude des normes, puisqu'on n’est plus
dans le temps ordinaire que celles-ci ont justement pour fonction de régler.
Les normes dont il s’agit ici sont avant tout celles de légitimité des
conduites publiques. D’une manière générale, celles-ci peuvent se décliner
sur une échelle graduée en quatre points, Non debet/Licet/Decet/Debet :
“On ne doit pas/Il est permis/Il convient/On doit”. La situation de paren-
338 PSYCHOLOGIE SOCIALE

thèse temporelle rend possible une oscillation ou parfois un glissement


d’une modalité à l’autre de cette échelle : on passe ainsi de l’interdiction
(Non debet) à la permission exceptionnelle qu’on croit pouvoir se donner
(Licet), de celle-ci à la convenance (Decef) et de cette dernière au devoir
collectif (Debet). Telle est à grands traits l’incertitude normative des
masses. Psychologiquement, on peut l’attribuer avec quelque vraisem-
blance à une baisse de la “clairvoyance normative”, celle-ci étant définie
comme “une connaissance (versus une non-connaissance) du caractère
normatif ou contre-normatif d’un type de comportements sociaux, ou d’un
type de jugements” (Py et Somat, 1991, p. 172). L'hypothèse que l’on peut
faire est que la clairvoyance normative s’exerce au mieux dans une
situation sociale normale, routinière, et individualisée. Or l’affoulement
est une situation relativement exceptionnelle et surtout désindividualisée,
comme la plupart des auteurs classiques l’ont souligné. La désindividua-
lisation même fait d’ailleurs partie de l’exception dans nos sociétés, qui ne
cessent de valoriser l’autonomie de l’électeur, la liberté de choix du
consommateur, la responsabilité du citoyen et ainsi de suite. Le sentiment
de partage ou de communauté qu’opèrent les rassemblements, sur le fond
de la distinction et de la minorisation dont on vient de parler, aboutit à une
suspension toute provisoire du recours différentiel à l’individu, et donc à
une suspension des habitudes socio-cognitives afférentes.
La quatrième clause enfin, souvent inaperçue, est proprement d’ordre
culturel. Les masses ne deviennent effectivement violentes que si elles
possèdent une certaine culture de la violence, c’est-à-dire une certaine
connaissance des modes appropriés de sa manifestation. Cette connais-
sance, aujourd’hui, vient d’abord des médias, mais il serait faux de croire,
ici comme ailleurs, à une responsabilité directe de ces derniers. Les médias
n’incitent pas plus à la violence qu’à la vertu, parce qu’ils sont eux-mêmes
les produits d’une configuration socio-cognitive plus large qui règle aussi
bien leur production que leur consommation ; ils ne peuvent rien inventer
qui ne soit déjà inventable, rien susciter qui ne soit déjà susceptible de
l’être. La connaissance que les médias diffusent sur la société est en
somme déjà une connaissance commune. Et il en va de même, on l’a vu,
pour les rumeurs.
Il y a plus. Si l’on considère les formes concrètes prises par l’agression
et la destruction, on peut parler d’une véritable rhétorique de la violence
(cf. Rouquette,1997). Ces formes, en effet, outre leurs effets de communi-
cation pour les acteurs et les témoins, se répètent dans un rapport
d’adéquation avec certaines circonstances : elles suivent des rituels, répon-
dent à des règles, de telle sorte qu’elles apparaissent adaptées, voire légi-
times, dans un contexte donné alors qu’elles seraient irrecevables dans un
CHAPITRE XXIII : RUMEURS ET PHÉNOMÈNES DE MASSE 339

autre. On sait bien que la violence des stades, par exemple, n’est pas celle
des banlieues, que les masses rurales n’ont pas le même style d’expression
que les foules urbaines et que le pillage des magasins ou l’incendie des
voitures, par exemple, ne se produisent que dans certains cas. Il serait
précieux d’inventorier la distribution de ces formes rhétoriques et de les
rattacher aux groupes qui les mettent en œuvre à une période donnée.
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TABLE DES MATIÈRES

PRÉSENTATION DE L'OUVRAGE, Nicolas ROUSSIQU sn.


INTRODUCTION nn

Plaidoyer pour l'étude de l'histoire de la psychologie sociale :


quelques arguments, Mohamed Doraï
L'ROUDIIS EE TÉL IILENCES
Ia DSYChHOlOPIE CES DEUDIE PR
Psychologie et SOCIOIONIER PR
Éntreindiviqualisme El MONS
de Fouriérisme, expérimentalisme et empirisme
ER

La psychologie sociale et les autres disciplines


de la psychologie, Brigitte Lecat et Nicolas Roussiau
1. La psychologie sociale et les grands courants
UC TA PSYCNO ONE
1.1. La psychologie sociale et la psychologie cognitive
1.2. La psychologie sociale et la psychologie du développement …….
1.3. La psychologie sociale et la psychologie clinique
2. Les espaces thématiques dé rencontre privilégiés
delapsychôlogie sociale
2.1. La psychologie sociale et la psychologie différentielle
2.2. La psychologie sociale et la psychologie interculturelle
2.3. La psychologie sociale et la psychologie de la santé
2.4. La psychologie sociale et la psychologie politique
2.5. La psychologie sociale et la psychologie économique
2.6. La psychologie sociale et la psychologie
du travail et des organisations COECELEEEE EE EEE EEE CESSE CESSE
TABLE DES MATIÈRES 377

I. La recherche en psychologie sociale :


des scénarios en quête de propositions attestées,
testées mais potentiellement contestables, Thierry Meyer ……. 53
1. Quelques critères de délimitation d’une recherche
ÉHDSYCNOIOZIC SOCIAIEEE RE RER nn il 54
1.1. Recherche ou fragment d'une pièce de théâtre ?
ÉCRAN LU SNA NE Re re 54
1.2. L'attestation d’une communauté scientifique ss)
1.3. Un phénomène intéressant et robuste abordé
selon les canons de la méthode scientifique 7
1.4. Une proposition testable donc potentiellement contestable … 58
D IROVUROR ER e RE RS ANNE EE 58
2. Délimitation de l’objet de recherche et niveaux d’analyse … 59
2 Recherche fondamentale etappliquéentenm rt. 60
A'RLCSIMEMOUES UE TeChE CHER nr. 61
S'Une recherche requctionniste et DOSIUVISLE 2... 62
6. Les cadres institutionnels et la formation par la recherche …… 63
TMUNÉTEChENCRE DIS COMPILE A MMNME ER TRANSNM 64

PREMIÈRE PARTIE
COMMENT/PENSE®T-ON LE MONDE 22 65

IV. Socialisation et culture, Zohra Guerraoui 67


L'APÉCONCEDOTO CR Se 68
1/1 À chaque discipline, sa définition... 68
DEPOT MR EMTENNION CONS ERSUE EME Te àare cree aesnres 70
2. Les processus d’intégration du sujet culturel et social 71
LME OH TAO EE ee ne Gene espere 71
2 LAPS OC SALUE Te nn bee ne en teen nn cent ta ase sure ses 72
3. Le lien culture-socialisation-personnalité 74
2 1 L'GDPTOCRECUIUTOUSCE 74
2.2: L'ODDIOCHE UHETOCILONISTE en cenpenssoctec
ces. ccm
renree nttee 76
3,3. L'APprOChE INMEFCUIUTEULE.. nissan nreronremvssosvneneee 76
CE CO ne re de 77

V.. L'approche structurale des représentations sociales,


Path CR ATEN RENE ER EN eee 79
1. Qu'est-ce qu’une représentation sociale ? 80
2 La théorie du/noyauncentral "MA MMRERT R Sin 82
2.1. Le système central sn 83
2.2. Le système périphérique 86
A CONCIUSIOT SEA ANR NUL MOINS RTE he. 88
378 PSYCHOLOGIE SOCIALE

VI. L'objectivation et la question de l'ancrage


dans l'étude des représentations sociales, Jean Viaud 89
1. L’objectivations "Pere ne RE 90
2.. L'ancragé fe SRE RE 93
2.1. Assimilation et contraste, prototypie et dénomination 93
2.2, Ancrage ehOTOUPeSOCIA IR SR Ne re 94
2.3. Ancrage.el DrinCipes OTRANISUICUTS Een ee 96
3... Unité de l’ancragentscmemmumemnm ren 98

VII. Les croyances, Christine Bonardi et Nicolas Roussiau 101


1. Petite histoire des grandes croyances se RAS 101
2. La mutation des croyances :
de l’anthropologie vers la psychologie sociale 104
3.-Ducôté dela psychologiésochle rer 106
4,2 CONCIUSION PEN 111

VIII. Les processus idéologiques, Jean-Pierre Deconchy 113


[ADÉHNUONS ÉT'ODÉTALIONS PNR 113
IDÉES USÉES ER DETSDEC VE a 114
1.2. Des mécanismes socio-cognitifs généraux 115
2. Psychologie sociale de l’“idéologie”
CTSOCIO10P1E DOS 115
2 1} UT CAS CXEMDION ER 115
222; Une CélTRTIANON SERRE [17
2:3. Un pOIRt Ce VUE DIUS GÉRÉE PF
DE MÉCANISMIES COMNATANS RS 118
3.1. Du côté de l’organisation des corpus de croyances 119
3.2. Du côté du traitement de l'information 119
3.3. Du côté de certaines productions cognitives 120

La mémoire, ses aspects sociaux et collectifs,


Valerie Haas er Denise JOUR Re 121
1. Les travaux pionniers de Frederick Bartlett 123
1 IP LES SChéMAS te CORNOSSONCE 124
1.2. Une mémoire écologique ou contextualisée 125
1.3. Le courant anglais et les pratiques conversationnelles 127
1.4, La mémoire énrAmeurs RER RER 128
2.:L'œuvre de Maurice HA4lDWAChS PR 129
2.1. Les cadres Sociaux de lamémoue Re 129
2.2. La mémoire collective : une pluralité de vues 130
2.3. Un regard nouveau sur les mémoires plurielles 192
TABLE DES MATIÈRES 379

DEUXIÈME PARTIE
COMMENT JUGE-T-ON LES AUTRES ?
COMMENT EST-ON JUGÉ PAR EUX ? 155

X. Théories implicites de la personnalité,


Jacques-Philippe Leyens et Jeroen Vaes 157
IP nportance dés NÉDTIES DALVESE 157
1.1. Théories naïves, attribution et catégorisation 157
IP LE Ar REINE DIONOS AR nd et: 138
2 Théories implicites de personnalité... 139
DA TIE AR UIORE RENTE nan nt 139
2.2. ASchet la formation d'impression ETAT rte. 139
2.3. Représentations structurales des théories implicites 140
2,4.Pspchiaquber physiquement 3e motaneiss 141
DARDIÉCÉSSITE ELA DOTE RS 143
UP APAMASCS CROIRE RE RE CE 2 Re 143
AND CR ODIIAISIES SRE LR de re 143
FOMThÉOTESIMDICUHeS el SLÉTÉAypeS Es de 144

XI. Préjugés et stéréotypes dans les relations inter-groupes,


NOTEER Le de us dune 147
AONCIQUÉS CIeMENRTSIUE CE TUTO er 148
2. Connaissance des stéréotypes culturellement partagés,
COUV AT ES DETSDHNCIIES EUDIS UE 151
3. Liens entre stéréotypes, préjugés,
saillance de l’appartenance groupale et identité sociale .…….. 55
3.1. L'origine de la dimension consensuelle des stéréotypes
SCOR ES MRÉOTICIENS EL IAETUINÉ SOCIALE... ordures 154
3.2. Les croyances personnelles structurées
PO GDDATIERONEEATOUDOA LES 155

XII. Pensée sociale et théories de l'attribution, Christine Bonardi ….. 157


1. Relations interpersonnelles : les théories de l’attribution ……. 158
1.1. Les inférences correspondantes (Jones et Davis, 1965) 159
12 Lacovananion(Kelle 1007) Re Ne ee 161
2ePadréhabiltatonedEsociale errsnsse RRNTME re t. 163
2.1. Biais et erreurs dans les attributions 163
2.2. Explications internes et externes, causes,
raisons et responsabilité... 165
2.3. Attributions internes et externes : questions de contenu 167
2.4. Fréquence des activités d'attribution :
LES ACTES AUECIENCREUTS DR NRA Rest tarte nl dede 168
380 PSYCHOLOGIE SOCIALE

2.5. Relations interpersonnelles, groupes et société 169


3 Conclusion te 172

XIII. “Nous" et "Eux" : quelques interrogations


sur la catégorisation et l'identité sociales, Nadège Soubiale …… 165
lALe-sroupe Comme CAtéLOnE 176
2 ML hYpOtDESEMOAVAIONNC UE 178
3.nQuelques DÉFSDECLIVESCTIIQUES PP RP 178
ÆSSYMOONSME CUMAÉTNANSINE PAPER 180

TROISIÈME PARTIE |
SOMMES-NOUS TOUS INFLUENÇABLES ? 183

XIV. Persuasion et résistance à la persuasion, Fabien Girandola 185


l'ALéswanablésdelapernuasion Re 185
2 [ces modèlesà deux woies dela persuasion "en 187
2.1. Le modèle de la probabilité d'élaboration (“Élaboration
Likelihood Model” ou ELM) de Petty et Cacioppo 187
2.2. Le modèle heuristique-systématique
(“Heuristic-Systematic Model” ou HSM) de Chaiken 190
3 ua résistance alain SU ONnEE 192
SSII ITIOCUICITOT RENE ER CRUE RSC CRT 192
2 IL ON O OO OMEN MR AUS QUE RS 193
DEL ONCOCO ERR REEUR RON ER UNe SES 194
3.4. Force et structure de l'attitude,
intensité du traitement de LInfOrMmAtIOn Se. 194
3.9.Hbudentiié terne Arles PRE PRE ee ES 196
4: Pourcontlhre seen 2 nn 196

XV. Engagement et dissonance dans la soumission


librement consentie, Valérie Fointiat 199
Lntéducuontaéstnment ce dt SN en 200
2. T2 SOUMUSSIONSANSDIES SO 201
2,1 HEe;pied dans lé por 202
22: L'AMOTL ALES LENS NÉ RE ER Ne 203
2.3. Comment comprendre les effets
de pied-dans-la-porte et d'amorçage ? a 205
3, 12 SOUMISSION ONE 207
JAADeurerpériencesphincenspee er ee 207
3.2. Comment comprendre les effets de soumission forcée ? ……. 208
4. Pour conclure. La soumission librement consentie 211
TABLE DES MATIÈRES 381

XVI. L'influence sociale, son rôle, sa place, Stéphane Laurens


1. L'influence dans la société : essentielle ou dommageable ? …
2 Lesorigineside l'influence 28 emeLi.
3. La modération et les concessions réciproques
SALUT GOPTES CRC EMIAICOACHONR PASCALE as.
ALU NOTHANSTIONRe renal a ere tn.

AÉMERCONONI
SM e RER te, peus Me AIRE
4.2. L0.5oumissonQlantontéfMss
nt eee he
SL'ActeNESOcIal en CONTE eee ne nan en Ai Re
5.1. Le système social dans le modèle fonctionnaliste
cilemodèleseneliques CAMES MSRENSRNRET ere À.
DeMShledeCompornementeLinlence en NE.
DUR TERCEOEINIUENCES TRE EC Mtese M RE
A EC ONMETSIDNENES TR RS, Aus mate Re

XVII. Influence sociale, sources et tâches : l'élaboration du conflit,


Gabriel Mugny et Juan Manuel Falomir
Llintinence Sociale -Hntécrenia diversités ss
2. La nature des conflits dans les tâches objectives
PONT ATOS LR SERRES AT
3. La nature des conflits dans les tâches d’aptitudes
4. La nature des conflits dans les tâches d’opinion
SA CONCHISIONSE SE ne RS it At ned n

XVIII. Les décisions collectives, Mohamed Doraï et Alain Delahousse .


1. Effet de normalisation et effet de polarisation
2. Comparaisons entre décisions individuelles
CLOS CL IONS COUCCINES an nm um ee
Le ES rene Er A Sr rater em ON
RNA M NS eee er
3.2. Le paradigme expérimental utilisé
3.3. L'ACCrOiSSement AU TISQUE ...... Messe srersronevesrereereees
3.4. Les explications de l'accroissement du risque
4" LA DOIATISAUON COLECTIVE ".enresrsveersssssnses
5. L'engagement dans l’interaction
0. REMATQUES LÉNÉTAIES ressens. ses seressrersersnss

XIX. Dynamique des groupes :


actualité d'un cadre théorique et pratique, Raymond Dupuy …….
1. Émergence de la “dynamique des groupes”
en psychologie sociale
382 PSYCHOLOGIE SOCIALE

1.1. L'approche lewinienne :


résumé de principes et mots clefs 256
1.2. Composantes dynamiques du groupe :
des NOHONSAOMOUTSNENIAISCUSSIONE Een re 207
2. Éléments de l’approche psychanalytique
ÉtIPSYChO SOCIOECINIQUE En 261
2.12 Lesthyporhèses de base RSBIONnR ERP 262
2.2. L'illusion groupale et le fantasme de casse : D. Anzieu 263
2.3. Sujet du groupe et intersubjectivités : R. Kaës 264
2.4. Le groupe espace d'émergence du sujet social :
J'Barus= Michel RER Re D DA RE CERN 264
3 Groupe OISANISAtION SU EE Re 265
3.1. Dynamique groupale et environnemeï:t organisationnel 265
3.2. Le groupe : instance d'analyse de l’organisation :
ENERNIQUERNE SR RE Ent PR R SU AR 268
3.3. Pluralité des groupes d'appartenance et émergence du sujet … 269
4 "Domaines ét ENJCUR FAP ICATION EEE 270

QUATRIÈME PARTIE
POURQUOI ET COMMENT COMMUNIQUE-T-ON ? 273

XX. La spécificité de l'approche psychosociale des processus


de communication : l'exemple d'une situation d'écoute
professionnelle, Brigitte Almudever et Alexis Le Blanc 275
1. Le modèle technique de la communication
et la théorie mathématique de l’information 277
LI. La communication comme transfert d’information 277
1:2#Lestobstäcles à-la commumeatons 278
2. Un modèle linguistique de la communication :
Jéimodéleé ROMAN TAROGSON RE 279
2'LSLES IORETIONS AN NANÉQR ER 279
2.2. Une centration sur l'émetteur du message 282
3. Le modèle systémique et pragmatique
de RÉCOIE deIPAlQ AIT RE 282
312 IntétacHoniet approche SEMI 283
Jias Une losique de lé MAMAN EE A 284
3.3. Uné/pathologie dela COMMUNICOHEN CRE 284
4. L'approche psychosociale des processus de communication … 287
4,15 Lesfacteurs débersonmnente el es aies 287
4.2, La situationcommune ARE RC 288
LINLES SIENCAHOR ER RE AR 290
TABLE DES MATIÈRES 383

XXI. La Psychologie Sociale de l'usage du langage,


MOrCe PB Mb EE AURAI TORNONE ed nee 293
1. La communication des pensées,
des perceptions et des représentations du monde 294
22 LinTeraCTIONCOMIAUNICAUVE 2 297
2.1 L'anhicipation dune inteTlOcution ee 297
222 L'UUPTIOCUIONCECRNER ER RER ARE A. 300
D LS GCHVMÉS CORIOINtE EN SR And nn 306
3.1. De l'événement langagier à la transaction interlocutoire ….. sU7
3.2. L'étude des transactions interlocutoires 308
AR CONS SO M es 12

XXII. Eléments de communication interculturelle, Gérard Marandon … 313


1. La communication interculturelle américaine 314
1.1, Lelchampéoneinett évolution RMesmremeesee 314
1.2. Conception actuelle de la communication interculturelle …. 315
1.3. Effets de la saillance culturelle sur la communication 316
2. Obstacles culturels à la communication S 17
2.1 Différences culturelles fondamentales". s17
DEMO ALES CD CRI VER Eee ee le ne ein 319
LP RMIOAG ILES CE COMINUIUCULLOI Rene ne eee e 320
3. La variation interculturelle des processus intergroupaux ….. 502
3.1. Perception de la communication intergroupale 922
32 DÉVOUEMENRPAE SOS LE RE Rte cteresesrse 322
ST AIT DUTTONI SR en nee ne nn en ane iast so seaemennsse 525
DL Expresso ES ÉROONS ER enr een eee eee 521
4. Théories de la communication interculturelle 324
4,12 Le debat personnalité SUUGNONR ER cn er rreremeenere 324
4.2. Théorie de la gestion de l'anxiété et de l'incertitude 525
4.3. Théorie des contraintes culturelles d'interaction 525
A AATRÉDIE CON CIOTE ICT CE RE seen sitter ensen creme stress 326

XXII. Rumeurs et phénomènes de masse, Michel-Louis Rouquette ….. 329


1. Transmission et fabrication des rumeurs 330
2 LA HIMCUR COMME TÉVÉ IAE. res e 331
3, Une définition en SYNndrOME 333
NTSSES DOME CENVIDICTCE 575
5.-Les conditions.de.la violence 336

BIBLIOGRAPHIE EE NU 341
LA COLLECTION “PSYCHO”

Ouvrages déjà parus :


+ L'entretien en clinique
sous la direction de Catherine Cyssau
(345 pages, 120 F)

+ La psychologie projective en pratique


professionnelle
sous la direction de Valérie Boucherat-Hue
(265 pages, 110 F)

« Histoire de la psychologie générale


Du behaviorisme au cognitivisme
Claudette Mariné et Christian Escribe
(200 pages, 110 F)

+ Psychologie cognitive
Bernard Cadet
(345 pages, 130 F)

+ Statistique en psychologie
Nathalie Rude et Olivier Retel
(350 pages, 140 F)

e Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent


Collège National des Universitaires de Psychiatrie
(350 pages, 130 F)

e Psychomotricité : entre théorie et pratique


sous la direction de Catherine Potel
(250 pages, 140 F)

EE
L —_—]—]—] ]—
—] — —_—]—]—_—_—]_
L TU
Achevé d’imprimer en novembre 2000
sur les presses de la Nouvelle Imprimerie Laballery — 58500 Clamecy
Dépôt légal : novembre 2000 Numéro d’impression : 010135

Imprimé en France
LA COLLECTION Feyche Brigitte ALMUDEVER

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psychologues, les psychiatres, les professionnels de la santé Marcel BROMBERG
et de l’éducation.
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adaptée à tous les cursus quels que soient le cycle ou la Alain DELAHOUSSE
Faculté.
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toutes les approches qui fondent cette discipline sont
traitées — avec clarté et rigueur — par des universitaires et Juan Manuel FALOMIR
des professionnels reconnus.
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Psychologie sociale Zohra GUERRAOUI

Sous la direction de Nicolas Roussiau Valérie HAAS

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À l'articulation du psychologique .et du social, la psychologie
sociale étudie les interactions entre l'individu et la société.
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Cet ouvrage présente les principaux champs théoriques de cette
science. Il est constitué de vingt-trois chapitres regroupés en
quatre grandes parties : Comment pense-t-on le monde ? Com- Brigitte LECAT
ment juge-t-on les autres, et comment est-on jugé par eux?
Sommes-nous tous influençables ? Pourquoi et comment com- Alexis LE BLANC
munique-t-on ? Autant de questions qui constituent les grands
axes de réflexion de la psychologie sociale. Dans chaque Jacques-Philippe LEYENS
chapitre, des exemples (faits divers, expériences, fonctionne-
ments quotidiens, extraits de romans...) illustrent la théorie. Gérard MARANDON
Cet ouvrage est issu de la collaboration de vingt-sept profes-
seurs, maîtres de conférences et chercheurs, enseignant la Thierry MEYER
psychologie sociale dans différentes universités. Tout en
présentant de manière classique les principaux champs de la
Gabriel MUGNY
psychologie sociale, il s'attache à développer une approche
vivante et dynamique de cette discipline.
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