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OU QUALITATIF
ANTHROPOLOGIE PROSPECTIVE • N° 3
ACADEMIA
11 IB
111
BRUYlANT
I
INTRODUCTION.
, , .
ADEQUATION EMPIRIQUE, THEORIE,
ANTHROPOLOGIE
A. L'approximative rigueur...
sociale. d'elles.
logie, OU de l'histoire. Certaines configurations méthodologiques, Certes, dans chaque bibliotheque figurent des livres empruntés
certaines configurations institutionnelles, certaines configurations aux disciplines voisines: qui n'a pas lu Georges Duby, Claude Lévi
culturelles entrent dans des rapports d'« affinité sélective» avec Strauss ou Pierre Bourdieu, quelle que soit son appartenance pro
chacune d'entre eIles. fessionnelle? Mais ces références prises chez le voisin, qui suivent
Commençons par la méthodologie. Anthropologie, histoire et souvent les modes de l'intelligentsia, caricaturent plus souvent
sociologie ne produisent pas nécessairement leurs données de la une discipline cousine qu'elles ne permettent d'ouvrir sur ses sec
même façon. Elles semblent se distinguer relativement par les teurs novateurs. Pour prendre l'exemple de l'anthropologie, le fait
formes d'investigation empirique que chacune d'entre eIles privi que Claude Lévi-Strauss apparaisse encore fréquemment en France
légie. Les archives pour l'historien, l'enquête par questionnaires comme sa figure emblématique pour des chercheurs d'autres
pour la sociologie, le «terrain» pour l'anthropologie: ces trois disciplines n'est pas sans en donner une image largement biaisée,
modes de production de données distincts, ces trois configurations qui ne correspond guere aux profonds changements intervenus
méthodologiques spécifiques, semblent relativement «attachés» depuis trente ou quarante ans.
à chacune de ces disciplines, au moins à titre de dominantes. Le En fait, nombre de stéréotypes attachés à l'anthropologie sont
mode de production des données propre à l'anthropologie sera autant de pesanteurs «culturelles» héritées du passé (il faut
particulierement développé dans le chapitre lI, consacré à la poli convenir, hélas, qu'elles sont parfois encore présentes dans cer
tique du terrain, deux propriétés cardinales incorporées dans ce tains travaux contemporains, minoritaires mais parfois plus
mode de production étant ensuite analysées (1' émicité dans le connus), qui tendent à produire de cette discipline une image tres
chapitre III, la descriptivité dans le chapitre( IV}~ ,~ réductrice et fortement inexacte, L'~thnologie pa~éiste, traditio
Quant aux contraintes institutionnelles, au sens large, eIles ne naliste, coloniale, culturaliste, patrimonialiste, a certes eu ses
peuvent être bien sur sous-estimées. Chaque discipline ases cursus heures de gloire et connaít encore des vestales nostalgiques, mais
et ses diplômes, ses commissions et ses associations, ses filieres de ne représente plus vraiment l'anthropologie vivante, en tout cas
recrutement et ses réseaux, ses labels et ses sociétés savantes, ses pas ceIle dont parle cet ouvrage (on y reviendra ci-dessous) 16. Les
revues et ses salons. Chacune ases pesanteurs, ses réflexes corpo fascinations mal informées ou mystifiantes envers les «sociétés
ratistes, sa réputation externe. Ainsi, I'histoire a son agrégation, primitives », l'idéalisation de soi-disant sociétés du don refusant
ses bataillons d'enseignants dans le secondaire, son débouché vers l'État ou la Marchandise, les dérives et les complaisances exoti
le grand publico L'anthropologie n'a pas encore fini de se débattre santes, le renvoi systématique à une « culture» ancestrale, ces
avec son" héritage exotique, et les fascinations ambigues qu'elle traits n'ont pas disparu (cf chapitres VI, VII et VIII), mais on les
exerce à ce titre. La sociologie quant à eIle se voit vite affublée de trouve tout autant chez certains sociologues ou historiens,
fonctions de consultance ou d'expertise sur les problemes dits de lorsqu'ils disent s'inspirer de l'anthropologie, que chez les anthro
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société. pologues eux-mêmes, ceux du moins qui jouent encore à ce
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Viennent enfin les configurations «culturelles ». Chaque disci jeu-Ià.
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pline a, tendanciellement au moins, sa culture savante, son sys
o teme de référencesthéoriques,sa « bibliotheque ». La« bibliotheque»
::::l 16. li y a plus de vingt ans on pouvait déjà écrire: « While the classical z
a de l'anthropologue standard, qu'il s'agisse de sa bibliotheque anthropologist normally spent lengthy celibate periods among "his tribe", o
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LIJ «réelle» (les livres qu'il détient ou qu'il a lus) ou de sa bibliotheque contemporary researchers are to be found within a bewildering variety of U
::::l
::::l groups and institutions, including prisons, communes, sects, welfare agencies, a
\,!J «mentale» (ce qu'il a retenu de ses lectures ou les auteurs qu'il cite street gangs, the police, the military, fishing villages; they are even to be
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< volontiers) n'est pas identique à celle de l'historien moyen, ni à ceIle found skulking in morgues, funeral parlors and embalming units» (Punch, Z
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du sociologue de base, au-delà des quelques ancêtres communs. 1986, p. 12). La liste pourrait s'allonger à l'infini.
En réaction à cette ethnologie passéiste dont l' image colIe vaux sur des matériaux de seconde rnain, les analyses compara
encore à la discipline, on constate parfois une plongée inverse dans tives plus vastes, les syntheses érudites, les recherches qui portent
l'essayisme moderniste, ou certains découvrent à grands cris les sur I'histoire ou l' épistémologie de la discipline, ont leur nécessité.
mille facettes de la «globalisation» ou de la «modernité» et s'em Mais cette nécessité-Ià ne doit pas pour autant occulter l'exigence
pressent de faire part à tout un chacun des réflexions que ce monde ultime de validité empirique sur laquelIe se fonde la légitimité de
nouveau leur inspire. L'ethnographie ancienne était méticuleuse I'anthropologie 18.
ment passéiste, l'anthropologie post- ou sur-moderne serait donc De ce point de vue, l'anthropologie comme discipline de
superficielIement futuriste 17• Mais ne peut-on donc produire une recherche est aux antipodes de l'anthropologie philosophique, celIe
anthropologie à la fois scrupuleuse et non passéiste ? Notre réponse, par exemple de Kant, et sans doute aussi de l'anthropologie au
au fi1 de cet ouvrage, sera bien sur positive. sens de Lévi-Strauss, qui, dans son schéma à trois étages, réserve
Traditionalisme nostalgique ou modernisme anecdotique: il à l'ethnographie et à l'ethnologie le soin de produire et d'interpréter
est certes facile de détecter ces deux effets pervers chez les autres, des matériaux empiriques, pour affecter à l'anthropologie le soin
mais chacun d'entre nous en a subi les tentations, et y a même d'édifier une théorie générale des sociétés humaines 19 •
parfois cédé. Leur propriété commune, c'est sans doute d'être l'un Aussi, l' épistémologie qui est proposée dans cet ouvrage se
et l'autre décrochés de toute enquête sérieuse. On constatera faci veut-elIe avant tout une épistémologie du terrain 20, autrement dit
lement que ceux qui y succombent le plus sont ceux, justement, centrée sur les rapports entre les données produites sur le terrain
qui ont rompu tout lien avec le travail de recherche empirique. et les interprétations savantes qui en découlent. En s'inspirant de
Or, il n'ést pas d'anthropologie sans travail de recherche empirique. I'expression de Barney Glaser et Anselm Strauss grounded theory 21,
Ceci est vrai à tout âge, et pas seulement en début de carriere, à titre on pourrait évoquer une grounded epistemology, une épistémo
initiatique ou pour préparer une these. Imagine-t-on un histo logie «enracinée dans le terrain». Certes, de ce fait, la frontiere
rien, aussi reconnu soit-il, qui ne ferait plus du travail d'archive? avec la méthodologie est mince, souvent poreuse, parfois franchie.
Mais notre focalisation sur l'adéquation empirique des interpré
tations socio-anthropologiques inscrit cependant selon nous ce
lU I Épistémologie, théorie et terrain travail dans un registre principalement épistémologique.
Prenons l'exemple de I'histoire: Jacques Revel insiste sur le fait
Dissipons ici tout malentendu: il ne s'agit pas de condamner que la critique des sources «est inséparable du métier d'historien,
tout anthropologue au « terrain forcé » ou de stigmatiser ceux qui
s'en sont éloignés au fi1 des années, mais de rappeler que le cceur 18. En France, la mise en contexte historique, depuis le XVIII e siecle, du
u.. de la légitimité anthropologique, ce au nom de quoi elIe réclame « terra in des sciences humaines» (Blanckaert, 1996), ou la publication d 'un
I reader commenté restituant les principales réflexions produites depuis un
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une audience ou au nom de quoi on lui en accorde, est bien le tra siecle sur « l'enquête de terrain» (Cefai, dir., 2003) sont des illustrations tant
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<t: vail d'enquête. Bien évidemment, autour de ce noyau empirique de l'intérêt des réflexions historiques ou épistémologiques que de la centra
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o de la discipline, de nombreux travaux « loin du terrain » proliferent, lité du «terrain» dans la discipline.
::::> 19. Lévi-Strauss, 1958. z
o et nombre d'entre eux sont utiles, voire indispensables. Les tra o
a: 20. Jean-Claude Gardin a employé l'expression voisine d'« épistémologie I
::::> u
UJ pratique», mais dans un sens quelque peu différent du nôtre, puisqu'il s'agit ::::>
::::> 17. On pourrait de même souhaiter qu'une anthropologie qui se reven
\.:) chez lui d'un projet d'analyse logiciste des procédures argumentaires telles o
a: dique de la « modernité» se consacre à des objets lestés d 'enjeux sociaux, plutôt oa:
qu'elles sont mises en reuvre dans les textes des chercheurs (Gardin, 1981;
<t: I
...J que de marquer sa préférence pour des objets futiles ou « plats» (cf, à propos 2001). Z
des themes de recherche africanistes, Olivier de Sardan, 2007). 21. Glaser/Strauss, 1973.
gnent, à travers des dispositifs d'enquête qualitative raisonnés, de caine des années 1980, par les theses déconstructionnistes) n'est
ce que nos interprétations ont un ancrage empirique indéniable. pas en lui-même un signe de qualité théorique 24 • La pertinence
Le terra in constitue ainsi un ensemble de ressources et de interprétative n'est pas meilleure du fait qu'eIle est plus préten
contraintes qui définissent le creur de la spécifidté anthropolo tieuse, et se permet de s'extraire des contraintes spatio-temporelles
gique. Mais qu'on ne se méprenne pas: ces contraintes et ressources ou d'être indifférente aux contre-exemples. Il est trop de généra
sont destinées à stimuler l'imagination anthropologique 23, non lisations excessives, ou trop hâtives 25 , qui sautent sans filet du cas
à la brider. L'opposition entre théorie et terrain n'a aucun sens, particulier au propos universel (cf chapitre VII), et I'on y verrait
d'autant qu'elle exprime le plus souvent de facto une valorisation volontiers un péché mignon de la virtuosité anthropologique
systématique (et injustifiée) du premier terme de ces dichotomies quand eIle oublie par trop ses contraintes empiriques et veut par
aux dépens du second, les vedettes de la théorie érudite traitant trop pâturer sur les terres de la philosophie.
avec condescendance les soutiers de l'enquête descriptive. Peut-on Le mérite de la formule de grounded theory est de relier terrain
alors lui substituer une opposition plus satisfaisante entre « théories et théorie, non de les opposer, et d'insister sur la génération de
fondées sur des théories» et « théories fondées sur des enquêtes » ? théories à partir des données de terrain 26• Cette démarche semblera
Non, dans la mesure ou cette formulation pourrait laisser sup
plutôt inductive, mais il ne faudrait pas en déduire que la sodo
poser que les théories fondées sur des enquêtes ignoreraient les
autres théories, ce qui serait inepte. Les interprétations théoriques 24· Becker (2002, p. 202) déplore que « les sociologues ne connaissent
enracinées dans le terrain se donnent simplement plus de contraintes souvent aucune étape intermédiaire entre les données brutes du cas qu'ils étu
que celies qui ne le sont pas. EIles"sont tout autant «théoriques », dient et les catégories les plus vastes et les plus générales de l'analyse socio
logique ». On pourrait en direaumoins autant, sinon plus, des anthropologues.
mais autrement, et loin de ne construire leurs théories que sur des Mais d'autres disciplines ne sont pas en reste. L'excês d'ambition généralisa
livres et des réfIexions, eIles les construisent aussi et parfois sur trice a été ainsi relevé par Geddes (2003) à propos des recherches en politique
tout sur des enquêtes. Autrement dit, eIles sont plus exigeantes, ce comparée: «According to Geddes, the problem is principally that the levei
qui les rend souvent moins populaires dans les mondes académi of ambition has been too high [... ] The solution proposed by Geddes is to
break down the big questions [... ] into their constituant parts, the multiple
ques. S'il existe une opposition, eIle est bel et bien, de facto, entre processes that contribute to them» (Booth, 2008, p. 9).
«théories fondées sur des théories» et « théories fondées sur des 25· On peut en effet estimer que la rigueur socio-anthropologique réside
enquêtes et des théories ». Le marché sdentifique et universitaire aussi dans le fait qu'elle difjere la généralisation en la soumettant aux
contraintes de l'enquête « ... resistance not to generalization per se but to
tend soU\;ent à privilégier les premieres, qui, en outre, nécessitent rushing prematurely to generalization» (Schatz, 200 7, p.
moins d'investissements intellectuels et personnels. Mais rien 26. Par leur ouvrage, Barney Glaser et Anselm Strauss ont contribué à
n'autorise l'anthropologie d'érudition à disqualifier l'anthropo donner ses lettres de noblesse méthodologique à la sociologie dite qualita
logie de terrain sous prétexte qu'elle verserait dans le péché d'em tive. Mais sous ce nom ont été aussi promues toute une série de procédures
l,L. qualitatives systématisées (coding, memoing sampling... ), intégrées en une
I piridsme. Il est vrai que les théories enradnées dans le terra in orthodoxie méthodologique, qui, selon nous, doivent rester optíonnelles et
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sont souvent (mais pas toujours) d'un moindre niveau de généra souples, et ne peuvent résumer la variété des approches qualitatives. On peut
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::::> lité que les théories qui s'affranchissent de toute rigueur empi parmi celles-ci mentionner aussi l'induction analytique, fondée sur I'analyse
o successive de cas suffisamment contrastés pour que chacun exige une rééla
::::> rique. Mais elles n'en sont pas pour autant moins «théoriques », boration théorique de l'interprétation précédente, avec une attention parti
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ex: ou moins intéressantes. L'exces de généralité (fortement valorisée culiere portée à la recherche de cas négatifs ou marginaux en raison des défis o
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dans le cadre de l'anthropologie française des années 1960 par le analytiques qu'ils soulêvent (cf Becker, 2002, pp. 301-324, qui distingue u
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courant structuraliste et, dans le cadre de l'anthropologie améri « l'induction analytique rigoureuse» et « l'induction analytique-pas-trop o
ex:
rigoureuse », qui aurait notre préférence et que nombre de chercheurs prati oa::
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--' quent sans le savoir; cf également Katz, 1983; Cefal, dir., 2003, pp. 521-522; I
Z
23. Cf L'imagination sociologique (Mills, 1967). Paillé, in Mucchielli, dir., 2004, pp. 121-122).
..,
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Cette remarque a également été faite par Cefai', dir., 2003, p. 193, et Hirschauer,
I..:)
Cette traduction peut être plus ou moins maitrisée, plus ou moins n'est évidemment pas à proscrire. Dans une définition minima
explicite, effectuée avec plus ou moins de brio, de ressources, de liste et mesurée, pour décrire un ensemble de représentations et/
compétences ou de ruses. Mais sa légitimité est toujours d'avoir ou de comportements significativement partagés par un ensemble
pour objectif de se rapprocher au plus pres du « réel des autres », défini d'acteurs sociaux dans un contexte donné, il reste irrem
sans jamais avoir les moyens d'y arriver totalement. Toutefois, dans plaçable, et figure sur tout agenda de recherche en sciences sociales.
la métaphore de la traduction d'une culture vers une autre, le pro Mais la prudence impose, s~lon nous, de recourir à des modula
blerne est moins du côté de ce qu'on entend par « traduction» que tions nettement circonscrites et empiriquement validées de ce
ter me (cultures locales, cultures professionnelles, logiques cultu
du côté de ce qu'on entend par « culture ».
relles particulieres, sub-cultures), en évitant résolument les formu
lations trop générales (culture nationale, culture ethnique, identité
culturelle).
VI I Une socio-anthropologie non culturaliste
En effet, si 1'on s'éloigne de cet usage pragmatique et inévitable
de « culture », on dérive vite vers un usage idéologique, qui le charge
On aura peut-être compris que nous défendons ici une concep de malentendus, de facilités et de sur-interprétations, et projette
tion non culturaliste de 1'anthropologie, au sens ou le culturalisme une série de préconceptions sur 1'objet étudié. Avec le culturalisme,
constitue une de ces idéologies scientifiques qui pesent sans cesse toutes les repré.sen~ations importantes (pertinentes) et tous les
sur les sciences sociales' et énvers lesquelles une vigilance inces comportements importants (pertinents) d'un groupe social (à base
sante est nécessaire. Le culturalisme comme idéologie scientifique linguistique ou « ethnique» dans 1'ethnologie classique) devien
est directement et typiquement associé à l'anthropologie. Le concept draient nécessairement partagés: c'est pourtant un probleme de
de culture a en effet été, des les débuts du xxe siecle, décisif dans recherche empirique que de savoir quelles représentations et quels
la constitution de 1'ethnologie, et il reste, pour de nombreux comportements sont partagés et lesquels ne le sont pas. Avec le
auteurs, au centre de sa définition 39. En outre, le culturalisme, qui culturalisme, les représentations et comportements partagés le
a beaucoup évolué dans ses manifestations, a joué un rôle histo seraient en toutes circonstances et non en fonction des contextes :
rique indéniablement positif dans 1'histoire des sciences sociales, c'est pourtant un probleme de recherche empirique que de savoir
à partir de Franz Boas, en mettant en cause les théories évolution quelles représentations et quels comportements sont partagés dans
nist~s dominantes, et en réhabilitant les cultures des peuples tel contexte, et lesquels ne le sont pas dans tel autre. Avec le cultu
dominés40. Mais le culturalisme est, selon nous, devenu désormais ralisme, les représentations et comportements partagés releveraient
U une des principales menaces dans la quête de rigueur anthro- de « valeurs» communes (pour ne pas parler de « visions du
I-
;:: monde »): ce sont là pourtant des assertions qu'aucune recheiche
...J 38. Cette réflexion a souvent été faite, entre autres par Geertz, 1973 (mais empirique ne peut actuellement garantir ou valider, tant l'univers
<::
:::> ce dernier la met au service d 'une conception contestable de la« culture comme
o z
:::> texte »).
o
a 39. Par exemple, et entre mille autres citations du même geme: «Ethno 41. Sur ce plan nous nous séparons de Bayart (1996), sa charge souvent fort I
a:: bienvenue contre 1'« illusion identitaire» ne laisse plus aucune place à des u
:::> graphy is the science - and art - of cultural description» (Frake, 1983, p. 60). :::>
UJ
«The concept [of culture] has come to be so completely associated with anthro acceptions prudentes et ciblées du concept de culture. Mais il est vrai que a
:::> oa::
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pological thinking that [...] we could define an anthropologist as sOl;neone l'association entre «culture» et «identité », largement répandue dans l'intel I
a::
<:: who use the word "culture" habituallp (Wagner, in Kuper, 1999, p. 16).
ligentsia et chez les entrepreneurs politiques, se situe dans un autre registre Z
...J que le culturalisme comme idéologie savante qui nous intéresse ici .
40. Cf Kuper, 1999; Cuche, 1996.
conceptuel des « valeurs» est fiou, ambivalent et saturé d'idéo prétention scientifique, ne se soient jamais attaqués à l'idéologie
logie 42 • culturaliste, et, au contraire, en soient totalement imprégnés au
Le culturalisme, en préjugeant de ce qui est partagé, et en lui point d'être souvent désignés par l'expression « cultural studies»
accordant une signification essentialiste ou totalisante, pollue le ou « cultural anthropology»4 6 • En fait, ils ont non seulement repro
travail de production et d'interprétation des données. C'est en duit I' idéologie culturaliste sous sa forme «naturalisée », mais ils
fait la forme que prend, en anthropologie, le holisme idéologique l'ont démultipliée, en l'appliquant à des référents collectifs qui, tout
(comme idéologie de la totaHté; cf chapitre VI), alors qu'un usage en restant pour une part « ethniques », se sont élargis à la classe
raisonné et prudent du concept de culture releverait plutôt du sociale, au genre, aux identités sexuelles, aux « tribus modernes »,
holisme méthodologique (comme usage de la transversalité). Oublier aux marginalités multiples de l'êre de la globalisation. Des lors
que, selon la formule de Sapir (1967), «la culture est une fiction qu'une quelconque entité sociale apparait com me justiciable d'une
commode », c'est la transformer en une essence surplombante, en analyse culturelle, autrement qu'elle est décrétée dotée d'une
une catégorie naturalisée et tenue pour allant de soi 43, dominant « culture », eIle devient une communauté épistémique produisant
les acteurs sodaux et leur imposant représentations et comporte son propre «texte », son propre « discours », sa propre vision du
ments. L'invocation de la culture permet de donner à peu de frais monde, son propre savoir 47• Certes le concept de culture a perdu
une valeur explicative à cette fiction commode, sans se donner la dans l'aventure ses acceptions traditionalistes-patrimoniales, et
peine de procéder à une démonstration empirique 44 • Il est signi c'est l'hybridisation qui est au contraire le maitre mot, mais la
ficatif que les courants déconstructionnistes, postmodernes et culture reste plus que jamais une totalité discrete et toute-puis
critiques se réclamant du «reflexive turn» ou «interpretative sante; le culturalisme regne encore.
tum »45, particulierement implantés aux États-Unis, qui ont mis Cependant, malgré ces développements récents, le culturalisme,
en question avec virulence à peu pres tous les fondements et qui s'est entre-temps diffusé dans toutes les sciences sociales,
toutes les dimensions de l'anthropologie, y compris et surtout sa continue bien souvent à alIe r encore de pair avec les vieux démons
récurrents de l'ethnologie, comme le traditionalisme ou l'ethnisme,
42. Divers débats intéressants ont été ouverts à cet égard autour de la en particulier des qu'il est question de l'Afrique 4s • On ne s'y attar
détermination, au sein d'un même groupe, des savoirs partagés (ou non), des dera pas id. Le probleme, avec ces héritages idéologiques gênants,
diversités cognitives, et des variations intraculturelles: cf PeIto/PeIto, 1975; est qu'une partie des sodologues et anthropologues y succombe
Gardner, 1976; Boster, 1985.
43. De nombreux artefacts des sdences sodales (comme «sodété», encore, une autre partie passe un temps non négligeable à s'en
«classe sociale » ou « culture») ont été ainsi «essentialisés » pour devenir des défendre, et une derniere entend s'en libérer en attaquant l'anthro
«super-acteurs». «As Edmund Leach once argued "The ethnographer has pologie elIe-même, considérée comme responsable à tout jamais
often only managed to discern the existence of a tribe because he took it as
axiomatic that this kind of cultural entity must exist". To describe a group de ces péchés.
w.. can be no more than to impose a categoricaI groupness that the researcher
i=
«
takes for granted. The same can be said for how "culture" is treated in politicaI 46. Cf Marcus, 1999, p. 6.
~
...J
science; it is usually reified, naturalízed, rarely problematized, and leaves 47. «Once the privileged veil of truth is lifted, feminism, Afro-Amer
« little room for individual agency» (Schatz, 2007, p. 5). ican, gay and other disparaged discourses rise to the same epistemological
:::>
o 44. Par exemple, un auteur comme Michel Crozier, pourtant critique status as the dominant discourse [celui de la science, alliée au pouvoir]»
:::> vis-à-vis des explícations sociologiques totalisantes préétablies, et qui a eu le (Richardson, 1991, p. 173). Richard Pottier impute la responsabilíté du cultu z
o o
o:: grand mérite de développer en France la sociologie des organisations, fait ralisme moderne (sous sa forme sémiologique) à Geertz dont la position i=
:::>
paradoxalement appel en dernier recours au concept de culture pour « expli relativiste aboutit à ce qu'« on en vient logiquement à considérer que les v
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:::>
quer», dans son analyse de la bureaucratie, tout ce qui a résisté à son analyse cultures constituent des univers cognitifs completement refermés sur eux o
\!l o
o:: empirique (Crozier, 1963). mêmes» (Pottier, 2003, p. 57). o::
~
«
...J 45. Rabinow/Sullivan, 1987. Pour une présentation du « tournant inter 48. Pour un exemple venant de la science poli tique, cf ChabaVDalloz, Z
LA POLITIQUE DU TERRAIN.
EN SOCIO-ANTHROPOLOGIE
I I Introduction
I I Introduction
Le positivisme classique plus ou moins durkheimien est aujour
'};:
d'hui bien loin, ceci a déjà été souligné plus hauP. En scielJ-ces
sociales, la progression exponentielle des textes écrits à la pre
miere personne témoigne de ce que la subjectivité de l'auteur n'est
, plus honteuse et qu'i1 apparait désormais de bon gout d'en faire
;.J:
un discret - et parfois moins discret - étalage. Journaux de terrain,
biographies et autobiographies de chercheurs, auto-analyses plus
ou moins méthodologiques, réflexions de tous ordres autour de la
subjectivité, le « je» envahit désormais les textes sociologiques et
anthropologiques, voire même historiques. Il est vrai que cette
l invasion se fait dans des registres variés. Tantôt la premiere per
sonne signe un produit parallele nettement distinct d'une reuvre
u..
scientifique par ailleurs classique, tantôt elle est revendiquée comme
.... ". un drapeau et entend servir de signe de ralliement à une révolu LU
:::l
~ o
...J
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tion épistémologique autoproclamée, tantôt elle se targue d'être 1.7
o
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o l'expression d'une vigilance méthodologique nouvelle, tantôt elle ...J
o
o
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o se glisse distraitement ou systématiquement dans l'écriture finale o
I
IX
:::l d'une recherche, tantôt elle est elle-même objet de réflexion. En ....
'W
LU
:::l s'inspirant de René Lourau (1988) qui distingue le texte (l'article :E
!::! "
....,
LU
IX
<I:
...J 1.Une premiere ébauche de ce chapitre a été publiée dans Revue Fran"
LU
...J
çaise de Sociologie, 41 (3), 2000, pp. 417-445
......
ou l'ouvrage savant) et le hors-texte (le journal de terrain), on Leiris, qui, lorsqu'il exerce son métier d'ethnologue, publie des
pourrait dire que la subjectivité du chercheur autrefois confinée textes savants n' évoquant guere l'obsession de lui-même pourtant
dans le hors-texte s'exprime désormais de plus en plus dans le texte, au cceur de son autre métier d'écrivain ó •
voire même devient l'objet spécifique d'un méta-texte (c'est-à Mais il faut rappeler l'existence d'un autre précurseur, souvent
dire d'une réflexion sur les aspects subjectifs des textes)z. oublié, Gerald Berreman, qui s'est appuyé sur son expérience per
C'est sans doute dans la filiere anthropologique que cette pré sonnelle dans un long article, à orientation ouvertement métho
sence du moi s'est fait le plus sentir, et depuis le plus longtemps. dologique, entierement consacré à la question de la gestion de la
Si l'ouvrage de Jeanne Favret-Saada est la référence francophone mise en scene (impression managment, concept emprunté à Erving
contemporaine la plus citée Cy compris dans la littérature anglo Goffman) des rapports entre anthropologue, interpretes et acteurs
saxonne) et apparait comme le précurseur incontestable de la vogue locaux 7• Il combinait ainsi, peut-être pour la premiere fois, texte,
des années 1980-90, avec, simultanément, du côté anglophone, hors-texte et méta-texte. Avec lui, la mobilisation du vécu de l'en
Paul Rabinow\ on doit rappeler que, des les débuts de l'ethnologie quête devenait simultanément objet de réflexion méthodologique
de terrain, Franz Boas, Bronislaw Malinowski ou Edward Evails et theme de publication savante.
Pritchard n'avaient pas dédaigné de recourir ici ou là à la pre La vague postmoderne américaine a entrainé, à partir des
miere personne. On ne saurait non plus oublier qu'il ya plus de années 1980, une déferlante d'ouvrages sur le rapport subjectif de
60 ans Laura Bohannan publiait un récit tres personnel de son l'anthropologue à son terrain, la nature de ses relations avec les
expérience anthropologique de terrain (sous un faux nom il est sujets de son enquête, la mise en récit de son expérience person
vrai, et dans une forme romancée: Smith Bowen, 1954), suivie par 'neUe, ses heurs et ses malheurs, ou ses affects 8•
Hortense Powdermaker (967). En France, les figures illustres de Depuis une bonne vingtaine d'années, la sociologie française,
Victor Segalen (966) et de Michel Leiris (951) ont inauguré l'exer restée longtemps à l'écart, écrit à son tour de plus en plus à la
cice il y a bien longtemps. Un peu plus tard, quelques anthropo ..: premiere personne. L'auto-analyse s'est installée dans une revue
logues de renom s'y sont exercés occasionnellement (Claude comme Geneses 9, qui se situe pourtant au confluent de traditions
Lévi-Strauss, pour ses fameux Tristes Tropiques, mais aussi Georges qu'on aurait pu croire peu enclines au subjectivisme, comme le
Balandier, avec L'Afrique ambigu( 4 ), tandis que Georges Condo marxisme ou la postérité sociologique de Georges Canguilhem. Il
minas en faisait un moyen d'exposition plus systématique 5• est vraí que cette auto-analyse se présente comme la condition
Claude Lévi-Strauss est évidemment l'exemple même de ce d'une plus grande objectivité. On pourrait faíre les mêmes remar
que la mise en récit de l'expérience subjective n'est pas incompa ques à propos de disciples de Píerre Bourdieu, suívant l'appel de
tible avec une ceuvre par ailleurs classiquement «objectiviste », ce dernier à la réflexivité 10.
u. souvent caractérisée d'« intellectualiste» : il suffit que les ouvrages Il est d'autant plus étonnant de voir ceux qui se sont lancés
~
LU
ri,
soient nettement distincts. Il en est d'ailleurs de même avec Michel récemment dans la ronde du « moi» prendre souvent des postures =>
o
..J
<I: \!J
=> o
o
2. Louvrage inaugural des analyses méta-textuelles sur le comporte ..J
6. Leiris, 1948, 1958. L'Afrique fantôme est au carrefour des deux métiers o
=> ment des chercheurs sur le terrain est Observers observed (Stocking, 1983).
de Michel Leiris. Mais ce texte reste de bout en bout subjectíf et fait incontes o
o o
a:. 3. Les deux ouvrages sont parus pour la premiere fois en 1977 (Favret tablement partie de la catégorie des «hors-textes». ::t:
=> I
LU Saada, 1985; Rabinow, 1988).
7. Berreman, 1962. w
=> 4· Lévi-Strauss, 1955; Balandier, 1957. Un véritable bilan devrait évi
:lE
\!J 8. Et même sa sexualité (Kullick/Willson, 1995; Markowitz/Ashkenazi, '"
LU
a:. demment cíter tous les chercheurs ayant publié dans la collection «Terre 1999)· .....
<I: Humaine», qui en France a donné ses lettres de noblesse à ce geme. "
..J
9. Cf Weber, 199 0 • LU
..J
5. Condominas, 1977, 1982. 10. Bourdieu, 1992, 2001; Pinçon/Pinçon-Charlot, 1997.
-,.~.".,
connait le terme néo-foucaldien passe-partout de «discours» (ou nisme érudit n'est plus simplement toléré, i1 devient valorisé. Le moi
son dérivé « discursif»). On a donc assisté à l' émergence de nom n'est décidément plus haIssable, bien au contraire. Recourir au
breux méta-textes largement focalisés sur I'ethnologie comme «je» ethnographique, c'est donc s'insérer tres logiquement dans
subjectivité de I'auteur.
peut reconnattre la présence éventuelle de dialogues 17 ou I 'expres
Dans un ouvrage souvent cité, John Van Maanen a ainsi dégagé
..... sionnel, et le genre impressionniste (Van Maanen, 1988). Le genre sociologie. De même Max Weber, dans Le savant et le politique, dénonçait la
I-
réaliste y apparatt comme le genre dassique, fondé sur une absence
... recherche de l'influence sur le lecteur qui ne soit pas purement rationnelle w
:::>
\.!:l
....J
< de l'ethnologue de son propre texte. Le genre confessionnel repré 1997, p. 111). On évoquera en écho Georges Condominas se défendant en o
....
:::>
o sente évidemment une posture inverse.Quant au genre impres publiant « une collection de documents bruts ... tirés tels quels de (ses) car o
amalgames. l' époque et de donner une base empirique aux sciences sociales.
d'une opprobre morale implicite tous ceux qui, par pudeur ou 'r
niveau particulier de la production des données. La subjectivité de
timidité, se retiennent de se raconter dans leurs publications). Le
l'anthropologue est un point de passage obligé du travail anthropo
«je» se présenterait alors comme la condition nécessaire du « lui »
logique de terrain, c'est une caractéristique en quelque sorte profes
ou du «tu», c'est-à-dire du respect 34 • Il y aurait même du risque ."
sionnelle, fondamentale, incontournable. Cette subjectivité s'ancre
dans cette entreprise salvatrice: « Il nous semble que nous devrions
d'ailleurs dans une intersubjectivité, dans la mesure ou c'est par
ainsi nous exposer» (Pinçon/Pinçon-Charlot, 1997, p. 118). Il faut
le dialogue avec d'autres subjectivités que la recherche procede.
se laisser «affecter» et «réhabiliter la vieille sensibilité» (Favret
Comment gérer au mieux ou au moins mal ce probleme par
Saada, 1990, p. 4), contre la «communication ethnographique ordi
ticulier que pose le rôle de la subjectivité du chercheur dans la
naire [qui] constitue l'une des variétés les plus pauvres de la
production des données de terra in ? C'est dans ce seul registre
communication humaine» (id., p. 8). "~
« grand róle. De toutes les sciences sociales, l'anthropologie (ou la sait qu'une certaine sociologie des sciences s'est fait une spécialité \!)
::>
o sociologie de terrain) est celle ou le rôle méthodologique de la per de traquer le facteur personnel (qui est évidemment aussi social ....o
oQ
::>
Q sonne même du chercheur (son observation, son écoute, ses rela ou culturel qu'idiosyncratique) au creu r des laboratoires 35 • o
a: ::r:
::> tions personnelles, son intuition, etc.), est le plus important, au Le facteur personnel spécifique aux sciences sociales, c'est-à-dire I
'LU
w
~
::>
\!)
aux sciences historiques 36 , est inhérent aux contraintes propres à ~
a: 34. « Seul un être humain se dénommant lui-même "je" peut en désigner ....,
LLI
«
~
un autre comme "ils" et il ne saurait le faire qu' à l'adresse d'un "tu"» (Favret 35. Cf. Callon/Latour, 1989; Latour, 1989; Latour/Woolgar, 1988. "
w
-'
Saada, 197711985, p. 55). 36. Cf. Passeron, 1991a.
'~"T
,
ces sciences, privées de dispositifs expérimentaux, condamnées à Bien StU, dans le produit final d'une enquête ethnographique,
se servir pour l'essentiel du langage naturel, soumises aux pressions ces trois types de facteurs personnels se cumulent, et bien malin
des idéologies, interprétatives de part en part, peu cumulatives, qui pourrait faire la part de chacun d'entre eux. On pourrait pense r
enfermées dans' une « double herméneutique» 37. Dans de teIles que tous sont facteurs de biais et méritent vigilance ou réflexivité.
conditions la virtuosité interprétative ou narrative du chercheur, Toutefois l'expérience montre que le socio-anthropologue tend à
comme ses reglements de compte, ses présupposés ou ses dogmes, ne rendre compte de façon autonome que du seul troisieme facteur
pesent d'un poids parfois redoutable. et à relater essentiellement son expérience de terrain ou à réfléchir
Enfin, le facteur personnel spécifique à l'enquête de terrain en sur eIle. Cette littérature que noUs évoquions plus haut, sous forme
sciences socfales (dont l'enquête ethnographique est l'exemple-type) de texte, de hors texte ou de méta-texte, est bel et bien centrée sur
releve des particularités des dispositifs d'enquête dite qualitative, " le rapport personnel de l'ethnologue à son terra in, qui semble donc
par contraste avec les séquences relativement standardisées des s'autonomiser par rapport aux deux autres facteurs personnels.
dispositifs d'enquête à base statistique. On a en effet affaire à une Alors que les effets cumulés du «facteur personnel présent dans
situation d'enquête ou les interactions du chercheur avec des toute activité scientifique» et du « facteur personnel spécifique aux
membres des groupes aupres de qui il enquête jouent un rôle cen sciences sociales» s'expriment préférentiellement, si 1'0n considere
tral dans la production même des données à travers tant l'insertion une reuvre quelconque en science sociale, dans le choix et dans la
prolongée que la conduite d'entretiens ou l'observation au sens construction du sujet, dans les hypotheses et dans les schémas
restreint. interprétatifs, et, enfin et en même temps, dans la mise en rédt,
tout ceci de.façon relativement indiscernable et sans auto-analyse
u,
.,• du chercheur, l'effet propre du «facteur personne1 spécifique à
SCHÉMA 9
l'enquête de terrain en sciences sociales» s'isole plus nettement et
Les trois niveaux de la subjectivité socio-anthropologique
se fait volontiers réflexif à travers diverses mises en scene ou mises
en analyses que l'auteur opere de ses rapports avec ses interlocu
subjectivité
teurs locaux.
des scientifiques
S
-'
subjectivité propre duit, quel «rôle)} adopte-t-il sur son terrain, et quel rapport ce rôle
:::>
o
I.!)
cC à I'enquête socio entretient-il à la fois avec son propre parcours biographique et avec o-'
:::>
o anthropologique des exigences méthodologiques? Y a-t-H des implications plus ou oQ
:::> o
Q
ex:
moins nécessaires ou productives? En aIlant à l'extrême, le cher ::I:
.....
:::> cheur doit-il « être affecté» (Favret-Saada, 1990), doit-il même se .....
LU :E
:::>
« converti r )} (Jules-Rosette, 1976) ?
~
I.!) w
ex:
~ ....,
cC 2. D'un autre côté, comment rend-il compte de sa propre forme '"
LU
-' -'
37. Giddens, 19 87. de participation, et jusqu'à quel point doit-il pousser la restitution
de son histoíre personnelle sur le terrain? Quel contrôle métho qu'en donne Jeanne Favret-Saada est double. D'un côté, l'idéologie
dologique la narration de ses relations avec les «enquêtés» permet de la Raison, qui domine en Franee depuís le siecle des Lumieres
elle, ou, plus exactement, quel type de narration aurait une valeur et que l' école a largement diffusée, disqualifie les « super
méthodologique? Jusqu'ou doit-on aller dans l'explicitation de la ~ stitions »: face à un chereheur ordinaire, intellectue1 parisien
posture du chereheur ? représentant le savoir rationaliste, les paysans concernés par la
sorcellerie et le désenvoutement ne peuvent que se taire, nier,
Derriere la «question de la subjeetivité », abordée désormais dissimuler. D'un autre côté, la soreellerie serait un «proces de
ici dans une perspective fondamentalement méthodologique et parole », earactérisée par des. rôles relevant de l' énonciation: qui
centrée sur le rapport du ehercheur à son terrain, nous déeouvrons eonque n'occupe pas un de ees rôles ne voit rien, n'apprend rien,
done deux questions eomplémentaires: la question de l'implieation ne sait rien.
et la question de l'explicitation. Ce sont ees deux questions que La stratégie de l'implieation personnelle direete mise en reuvre
nous allons eonsidérer désormais en détail. par Jeanne Favret-Saada répond done d'abord et avant tout à une
contrainte de la situation. Pour réussir son enquête, le ehercheur
doit « jouer le jeu)} (<< faire la guerre ») et apparaitre aux enquêtés
IH I L'implication comme engagé à leurs côtés, du même bord qu'eux. Ce type de
contrainte pourrait d'ailleurs amener en toute logique le eher
Nous évoquerons tout d'abord trois cas différents d'« implica eheur à se «déguiser» (comme 1'0nt fait eertains journalistes pour
tion forte», comme représentatifs dilutant d'idéal-ty-pes: l'enga des enquêtes « participal{tes,,~ célebres sur les Turcs en Allemagne
gement ambigu, la conversion et le dédoublement statutaire. On ou le Front National). Une telle solution poserait évidemment de
pourrait bien évidemment endégager de nombreux autres. réels problemes déontologiques, mais c'est une autre histoire. Le
déguísement anthropologique ou sociologique ne va guere jusqu'au
ehangement eomplet d'identité et se restreint plus souvent à une
A. Jeanne Favret-Saada ou l'engagement ambigu plus innocente tromperie sur la croyance, une sorte de cynisme
méthodologique ou 1'0n ferait croire aux autres que 1'0n eroit
«Autant dire qu'il n'y a pas de position neutre de la parole: en sor
cellerie, la parole, c'est la guerre. Quiconque en pade est un belligé comme eux. Mais l'implication directe selon Jeanne Favret-Saada
rant, et l'ethnographe comme tout le monde. Il n'ya pas de place pour ne se veut pas une forme atténuée de déguisement. Au contraire,
un observateur non engagé» (Favret-Saada, 1985, p. 27). «Quand la loin de «trompen> les gens en faisant eroire qu'elle est de leur bord,
parole cJest la guerre totale, il faut bien se résoudre à pratique r une Jeanne Favret-Saada affirme se mettre vraiment de leu r côté. Le
autre ethnographie» (id., cité par Laplantine, 1996, p. 25). chercheur «fait la guerre avec eux», pour de vrai.
u..
Pour de vrai? Ce n'est pas si sur, et ee type d'implication directe u.J
S
-'
I:argument de Jeanne Favret-Saada pour légitimer son inser
":
est chargé d'ambigulté. Treize années plus tard, Jeanne Favret
:::>
Cf
I.!)
<
:::>
tion « pratique» dans l'univers de la soreellerie du boeage normand Saada n'écrit-elle pas: «Bien sur, je n'ai jamais cru eomme à une o
-'
Cf
(en tant que «désensorcelleuse ») est à l'origine fondamentalement proposition vraie qu'un sorcier puisse me nuire en posant des o
:::> o
o o
<I:
méthodologique et contextuel. Il n'y avait pas de plaee possible en charmes ou en prononçant des incantations, mais je doute que les ::c
I
:::>
uJ cette affaire-Iã pour unsimple observateur, nous dit-elle, et e'est ee paysans eux-mêmes y aient eru de eette façon. En fait ils exigeaient 'W
:E
:::>
I.!) qu'elle-même a découvert peu à peu, et presque malgré elle. Pour de moi que j'expérimente pour mon eompte personnel- pas celui u"
...,
.J
<I:
enquêter sur la soreellerie dans ces terres, il faut aecepter de s' im
~
1990, p. 5). À mon tour, je doute que les paysans aient cru à la les «indigenes» à l'intérieur de leur «monde naturel» (selon l'ex
sorcellerie sous la forme de cette métaphorisation à laquelle pro pression de Alfred Schutz), teI chercheur, qui se veut plus qu'un
cede Jeanne Favret-Saada, qui aboutit étrangement à déposséder simple observateur de rituel ou un simple interlocuteur de magi
les acteurs locaux de leurs croyances en l'efficadté des charmes cien et se met à « pratiquer », se sent obligé, sans doute pour ne pas
ou des incantations. Il ne s'agirait plus que d'une forme particu être accusé d'hypocrisie, de s'engager « en un certain sens », de
liere de réseau de communication! Le probleme, avec cette inter croire sans croire tout en croyant, de faire comme s'il franchissait
prétation euphémisée et intellectualisée de la sorcellerie, tout à en toute bonne foi la ligne sans pourtant jamais la franchir vrai
fait légitime en tant qu'interprétation savante, est que Jeanne ment. Pour opérer un tel exerdce .d' équilibriste intellectuel, il doit
Favret-Saada la transforme en interprétation émique, plus ou moins transformer les croyances des «indigenes» en une figure symbo
latente, et donc l'impute aux « indigenes» dans le but évident de lique compatible avec ses propres configurations de pensée, c'est
nous convaincre que la réalité sorcellaire vécue et pensée par les à-dire ceIles de son milieu intellectuel, évidemment fort éloignées.
paysans du bocage et celle vécue et pensée par Jeanne Favret La poésie (les références préférées sont alors Georges Bataille ou
Saada étaient à peu pres identiques, et donc que l'implication de Antonin Artaud) peut fournir certains opérateurs pour cette trans
cette derniere était « pour de vrai », même si eIle ne croyait pas à mutation, mais bien moins que la psychanalyse qui permet de
l'efficadté des charmes et des incantations. On aboutit plutôt à légitimer avec virtuosité cet art de l'entre-deux 39. Il est en tout cas
être convaincu du contraire, à savoir que les vécus et les croyances diverses ressources intellectuelles qui permettent de se situer au
respectifs de Jeanne Favret-Saada et des paysans du bocage face à second degré quand les « indigenes» sont au premier, au troisieme
la'sorcellerie restent pour le moins différents, au départ commeà quand ils sont au second, etc., tout en se donnant l' élégance de
l'arrivée, malgré le mal que se donne Jeanne Favret-Saada pour faire semblant de parler de la même chose de la même façon. Mais
faire croire qu'il s'agit des mêmes (et la bonne description qu'elle l'implication ambigue a ses limites en quelque sorte« objectives»,
donne de ce que vivent et croient les gens du terroir). En fait et le temps en est une, qui est un bon révélateur: à de tres rares
exceptions pres (on pense à Pierre Verger 40 ), la plongée contrôlée
l'ambigui'té est au fondement même de ce type d'implication. En
dans les croyances et pratiques d'autrui s'acheve une fois le livre
partidpant aux rituels des autres, le chercheur ne leur fait pas croire
écrit, ou la mission finie ... C'est là a priori une grande différence
plus ou moins cyniquement qu'il partage leurs croyances (stra
avec la «conversion ».
tégie du déguisement), il se fait croire à lui-même qu'il partage
«en un certaiJ? sens» les croyances des autres (stratégie de l'ambi
guité). On connait pourtant depuis longtemps toutes les ambiguités
de la croyance, résumées par l'interrogation de Paul Veyne: Les Paul Stoller (1989a) et Jean-Marie Gibbal (1988) dans le champ africaniste;
Grecs ont-ils cru à leurs mythes? (Veyne, 1983), à propos de laquelle pour une critique de leurs ouvrages, cf Olivier de Sardan, 1988, 1989.
w
39. Cf la collaboration entre Jeanne Favret-Saada et une psychanalyste ;:,
§ Jean-Claude Passeron rappelle le fait que plusieurs «régimes de (Contreras/Favret-Saada, 1990). On trouve chez Tobie Nathan un usage par o
::;
«
croyance» coexistent toujours dans une même culture (Passeron, ticulierement débridé et non informé du «jouer à croire» à la sauce psycha \.!:l
o
;:, nalytique (cf la critique de Jaffré, 1996). ....I
o 1995, p. 69). o
Cl
;:,
La littérature anthropologique n'est pas avare de telles impli 40. La position de Pierre Verger est à de nombreux égards particuliere; o
Cl
a::
s'illégitimaít parfois son implication à 10ng terme dans le candomblé (en par J:
I
;:, cations ambigues 38 ou, pour entrer dans une relation « active» avec ticulier comme devin babalawo) au nom d'arguments relevant de l'engagement 'UI
UI ~
;:, ambigu, il n'en faisait pas étalage publiquement. Il estimait manifestement
\.!:l
38. Sans alIer jusqu'à Carlos Castaneda, grand maitre du genre, mais qu'il n'y avait là matiere ni à proclamation méthodologique ni à récit autosa ...,'"
w
a::
« tisfait (sur sa position distanciée vís-à-vís de I'ethnologie, cf Souty, 1998). w"
....I
ethnologue tn!s contesté, on peut prendre les exemples d'anthropologues ....I
mieux insérés dans la profession, à l'image de Jeanne Favret-Saada, comme Cette attitude le rapproche pour une part de celle de certains « convertis ».
T
B. Benetta Jules-Rosette ou la conversion
I
I En fait, dans de teIles situations, le chercheur releve alors d 'une
certaine façon de ce qu'on a parfois appelé 1'« endo-ethnologie»
Benetta Jules-Rosette, en quittant les États-Unis pour le Zalre dans la mesure ou il est devenu à certains égards un insider. Le
et la Zambie afin d'étudier une église syncrétique et prophétique terme d'endo-ethnologie (com me celui d'insider) est inapproprié
locale (cf Jules-Rosette, 1975, 1976, 1978), n'avait aucune stratégie à strictement parler: faire de I'ethnologie ou de la sociologie « chez
d'implication particuliere en tête. Cependant, l'Église apostolique soi» n'est jamais completement vrai, sauf si le chercheur enquête
de John Maranke 1'a séduite au point qu'eIle s'est convertie, sous sur ses collegues. Il faudrait plutôt parler d'« endo-ethonologie
une certaine pression il est vrai du contexte local (cf Jules-Rosette, relative ». Le chercheur origfnaire du milieu ou il enquête, ou qui
1976, pp. 148-151). lei, l'immersion va d'une certaine façon jusqu'à fait partie d'une même communauté linguistique (ou cultureIle
son terme (surtout s'agissant d'un baptême), mais eIle change de au sens tres large) que ceux auxquels il s'intéresse, est toujours,
nature, puisqu'il ne s'agit plus d'une option méthodologique déli parce qu'il est devenu à l'issue d'un long parcours scolaire un cher
bérée, mais d 'un choix de vie personneL Certes, la conversion cheur en sciences sociales, un inteIlectuel qui s'est extrait de son
comporte en l'occurrence une valeur heuristique ajoutée, et Benetta groupe ou de sa culture d'origine, et qui occupe une position net
Jules-Rosette reconnait eIle-même que la curiosité n'a pas été sans tement distincte de ceIles de ses «compatriotes}l. Dans ces limites,
intervenir 4 '. Mais le changement de rôle est ici assumé publique qui sont importantes, le converti (ou celui qui s'en approche) est
ment, pour des raisons personnelles et non directement pour les dans une position assez analogue à ceIle du fils du pays qui revient
nécessités de 1'enquête. 11 releve plutôt du parcours biographique faíre son terrain dans son village d'origine ou, à un moindre degré,
ducheccheur, même·s'il a des conséquences évidentes sur l'exercice ~~ de l'et.Qnologue qui a pris épouse ou époux localement: les uns et ,I
de son métier. Alors que l'engagement ambigu se voulait métho les autres ne se sont pas considérés comme des étrangers, tout en
dologiquement exemplaire, il n'en est pas de même de la conver étant éloignés du niveau de compétence propre aux «vrais indi
sion, qui en l'occurrence ne s'assortit d'aucun prosélytisme genes» (au moins initialement), et tout en relevant d'une «double
méthodologique, tout en reconnaissant l'existence d'une «valeur appartenance» (ce sont aussi, voire surtout, des inteIlectuels liés au
ajoutée» en termes d'enquête 4l • su de tous à une communauté savante extéríeure). Dans certains
Cependant la différence entre ces deux positions s'estompe cas (fils du pays) cette position « interne» particuliere est d'orígine
dans la pratique de terrain, en particulier du fait que toutes deux (ascription), dans d'autre cas (conversion, engagement ambigu) elle
aboutissent à « jouer le jeu ~~ du point de vue même des acteurs est acquise (achievment). Occuper une telle position est incontes
locaux, « éomme un acteur local ». Nous avons donc deux cas d'ob tablement à divers égards favorable pour la recherche (à degré égal
servation participante tres particum~re, ou la participation devient de compétence et de formation), bien que cela ne soit pas sans
maximale, sans abolir en quoi que ce soit l'observation 43 • impliquer diverses contraintes assorties de quelques inconvé
u.. IJJ
i= nients: parfois, un observateur plus extérieur aux jeux et enjeux ::>
<:
41. «Both personal commitment and curiosity influenced this deci o
I
:::; locaux sera mieux informé par les diverses fractions ou factions ~
<: sion}) (1978, p. 555). o....I
::> 42. « My experience included becoming a member of the groups that I
de la place, et il ne faut pas oublier que l'implication forte est en o
o C
::> studied. While it would be unrealistic to recommend such a procedure as the général synonyme d'« endiquage» (cf chapitre II) 44. Mais en tous o
c basis for all ethnographic study, my membership opened a perspective and :t:
a: cas, si l'endo-ethnologie constitue pour l'enquête une configura I
'IJ..I
::>
IJJ
body of informations that I had never imagined before}) (Jules-Rosette, 1975, tion de ressources et de contraintes supplémentaires, en aucun ::E
::> p.21). '"
~ w
a: 43. Benetta Jules-Rosette parLe ainsi d'une «gradual transition from """
<: the perspective of a participant observation to that of an observing partici 44. Pour une analyse des problemes que pose le fait d'enquêter «chez W
...J
...J
pant» (1975, p. 22). soi», cf Stephenson/Greer, 1981; Diawara, 1985; Ouattara, 2004.
cas eIle ne peut être proposée comme modele méthodologique. Thierry Berche, dans le cas eité, a choisi d'adopter un profil bas,
On ne peut considérer que la conversion, le mariage, ou l'autoch et, dans I' écriture de son ouvrage, de dé-subjectiviser au maximum
tonie soient des points de passage préférentiels des parcours pro son propre rôle. Lorsqu'il évoque l'action du « chef de projet», dont
fessionnels en anthropologie, ni des conditions nécessaires d'un il ne parle qu'à la troisieme personne, rien ne rappelle qu'il s'agit
bon travail de terrain. en fait de lui-même (seules quelques lignes dans l'introduction
permettent de savoir qu'il a occupé cette fonction). On voit là que
C. lhierry Berche ou le dédoublement statutaire l'implication et l'explieitation n'ont pas nécessairement partie liée
et ne varient pas nécessairement de façon concomitante. D'autres
Méd~ein de santé publique, Thierry Berche était responsable chercheurs ayant un statut similaire d'acteur intervenant sur la
pour le compte de l'agence de coopération allemande (GTZ) d'un scene sociale qu'ils étudient pourront au contraire recourir au
projet de soins de santé primaire au Mali, en pays dogon. Cette « je», et faire nettement plus état de leur position propre et des
expérience a constitué son terrain. Le contexte et l'histoire de ce rapports qu'ils ont entretenus avec les autres acteurs. Mais, dans
« projet» sont devenus ainsi objets anthropologiques. Le chef de tous les cas, on a affaíre à une situation qui pose au départ des
projet s'est fait en même temps ethnologue ou soeiologue (Berche, problemes méthodologiques quasiment inverses à ceux des deux
1998). situatíons précédentes, ou la recherche de terrain reposait sur une
Dans les situations précédentes, le groupe étudié étaít censé
stratégie d'intégration forte au milieu (cf engagement ambigu)
partager une identité forte, autrement dit être uni par une même
ou l'accompagnait (cf conversion). Le chercheur qui est déjà
«culture». L'implication volQntariste du chercheur, sous forme
~imp1iqué sur sonferrain par son statut professionnel, hors recherche,
d'engagement ambigu ou de conversion, aboutissait à ce qu'un
outsiderdevienne, d'une façon ou d'une autre, un insider (au moins n'est pas en quête d'intégration, il a au contraire plutôt besoin de
partiel et à durée limitée). lei nous sommes au contraire dans une trouver des procédures de «mise à distance» lui permettant d'être
situation multiculturelle, ou se confrontent des acteurs dotés le moins possible juge et partie, et de se dégager en tant que cher
d'appartenances variées, ou coexistent des rôles et des statuts rele cheur des positions et des jugements qui sont les siens en tant
vant d'identités et de cultures hétérogenes. C'est d'ailleurs là un qu'acteur 4Ó • Cela aboutit à une sorte de schizophrénie ou la même
trait caractéristique des contextes de « développement», qui fonde personne est à la fois le chercheur et I' informateur du chercheur,
l'originalité de l'anthropologie du développement 45 • Les cas ne sont l'observateur tenu à l'impartialité au moins relative et le pratieien
pas rares ou le chercheur occupe dans ce type de contexte un statut voué à la déeision et à l'arbitrage.
professionnel spéeifique, pour des raisons biographiques propres Comme pour les contextes d'« endo-ethnologie relative», le
et non en fonction d'une stratégie de recherche délibérée. li est alors dédoublement statutaire offre des avantages et des inconvénients,
LI.
le plus souvent un opérateur de développement (consultant, expert, et combine des ressources nouvelles et des contraintes supplé
UJ
;:)
§ technieien, chef de projet, etc.) qui fait « de surcroit» de la recherche mentaires. Là encore, il faut «faire avec », et on ne peut y voir un
o
\!)
....I
< (Thierry Berche parle même de «chercheur du di manche »). li est o
;:) modele exportable et encore moins généralisable. o
....I
LI..
D. La position du chercheur au sein de la société locale 48. Certains textes de La misere du monde (Bourdieu, 1993) illustrent
S
...J
Elle peut osciller entre deux pôles. Nous venons d'examiner un
cette stratégie.
49· On pense bien sur à Mareei Griaule (cf Van Beek, 1991; Clifford,
w
:::l
CJ
\.::I
<C
:::l pôle, qui regroupe les stratégies, volontaires ou non, de l'implica 1988). o
...J
CJ 50. On peut également releve r diverses variations plus ou moins sophis
:::l tion forte. A l'autre pôle, on aura l'extériorité forte, qui, poussée à oQ
Q tiquées autour des termes insiderloutsider (Cefa1, 2006, pp. 45-46). Snow/ o
cc Benford/Anderson (1986) distinguent, quant à eux, quatre rôles dérivés: J:
:::l f
w 47. Vn mode d'insertion «fort» à la fois semblable à celui de Thierry « controlled skeptic, ardent activíst, buddy-researcher and credentíaled UI
:::l
Berche (double statut) et inverse (car choísi uniquement pour l'enquête) :E
\.::I expert» et évaluent leurs effets en termes de connaíssance.
ex: consiste à acquérir délibérément un rôle offidel (par exemple salarié) dans "
w
....,
51. Ced est de moins en moins vrai: à mesure que les enquêtes se mul
<C
...J le groupe, l'ínstitution ou l'arene choísie, cf Jean Peneff, s'embauchant comme tiplient de par le monde, la position de « sodologue» devient de plus en plus
"
W
...J
brancardier (Peneff, 1992). souvent un rôle connu localement.
>1-
dance plus ou moins approximative. Ainsi, dans les villages Iogiques aussi bien cognitives que pragmatiques de ses interlocu
africains, la position de 1'« hôte» de passage (ou d'« étranger sym teurs, autrement dit d'être à l'aise au sein du groupe social que
pathisant »), doté de «logeurs» qui sont considérés plus ou moins l'on étudie, s'effectue, on l'a vu plus haut, par un ensemble de
comme ses «tuteurs» et avec lesquels il noue des sortes de liens de processus d'imprégnation typiques de l'observation participante
parenté fictifs mais commodes, est une position classique, dispo (cf chapitre lI). Les apprentissages du chercheur sur le terrain sont
nible, qui est particulierement favorable à ce que s'y coule l'an pour une part informeIs et passent par ses relations avec les acteurs
thropologue ou Ie sociologue en séjour de terrain. On attend d'un locaux. A cet égard l'empathie qu'illeur témoigne est évidemment
teI hôte qu'il manifeste une connaissance minimale des regles de un facteur favorable, au même titre que les relations de sympathie
bienséance et qu' il respecte comme il se doit certains codes sociaux, mutuelle qui se tissent. Il semble difficile de pratique r une bonne
à la différence du touriste ou de l'expert de passage. On n'attend ethnographie au sein d'un groupe qui ne susciterait qu'antipathie
pas de lui qu'il soit candidat à la chefferie pour lui parler du pou ou angoisse. Mais, à l'inverse, une situation d'émerveillement
voir, qu'il cultive un champ de mil pour lui parler des systemes de permanent n'est pas forcément beaucoup plus saine, et évoque le
cuIture, qu'il se marie sur place pour lui parler de la parenté, qu'il piêge populiste bien connu (cf chapitre VI). En outre, un excês
soit possédé pour lui parler des génies 52 • d'implication subjective et sentimentale (cf Roth, 1989) de l'an
On remarquera cependant que la maítrise de la langue locale
thropologue dans les croyances de ceux qu' il étudie aboutit souvent
pourrait être prise comme un assez bon indicateur d'une insertion
à présenter les croyances vécues et perçues par l'ethnologue
ou d'une implication minimale, au moins dans Ies cas ou le cher
participant-séduit-et-enthousiaste comme étant celles-Ià mêmes
cheur n'est pas initialement locuteur de cette langue. On peut en
vécues et perçues par les intéressés, oubliant par là à la fois les
dÚe autant de la maítrise des dialectes professionneIs ou des jar
différences de position et de trajectoire entre le chercheur et ses
gons techniques. Sans cette maitrise, on peut craindre une exté
sujets et les pieges ou ruses d'un moi qui est loin d'être innocent,
riorité trop importante 53. Mais la langue n'est pas simplement un
mode d'insertion, c'est aussi une forme d'empathie et d'impré fidele et transparent. On a alors affaire à une double illusion: illu
sion fusionnelle (<<je suis un des leurs») et illusion communica
gnation.
tionnelle (<<je suis sur la même longueur d'onde qu'eux»). Quand
il s'agit de situations ayant une dimension «exotique », l'égocen
E. Empathie et imprégnation trisme se mêle volontiers à l'ethnocentrisme 54 •
L' insertion «normale» dans une société locale n'est-eIle pas
La capacité de comprendre non seulement ce qui se passe mais
plutôt d'y avoir, com me tout un chacun, ses sympathies et ses anti
aussi les raisons de ce qui se passe, de maítriser les principales
pathies, ses accords et ses désaccords, ceux (ce) que l'on aime et
u.
52. Benetta Jules-Rosette (1978, p. 565), qui plaide certes pour une «more
ceux (ce) que l'on n'aime pas? w
3 reflexive and less objectivist social science », souhaíte réduire la distance et Tout chercheur menant une enquête prolongée (comme toute
:;)
o
\!)
...J
« non la supprimer, et souligne les avantages de la position d '« apprenti », tout personne qui séjourne un certain temps au sein d'un groupe social o
:;)
o en prédsant: «this of course is not to suggest that the student of the gay bar quelconque) développe une certaine forme d'insertion affective. O
-'
:;) become gay, of poverty poor» (ibid.). La position d'« apprenti» est d'ailleurs Q
O
a souvent compatible avec celle d'« étranger sympathisant ». Appelons-la l'insertion sentimentale du chercheur sur son terrain. :::r:
cc
I
:;)
w 53. D'ou la supériorité de l'ethnographie anglaise, qui rendait l'apprentis
.....
::iE
:;)
sage de la langue obligatoire, sur l'ethnographie française, qui s'en soudait 54. On pourrait parler d'« ethno-ego-centrisme» (cf Olivier de Sardan,
\!)
beaucoup moins. Ceci étant, il est évidemment des types d'enquête ou des
w"
-..
cc 1988). De son cÔté, Ioan Lewis a associé la combinaison d'ethnocentrisme et
« themes d'enquête ou le travail avec traducteur peut être nécessaire ettou ne d'égocentrisme aux effets du postmodernisme américain des années 1980 "
w
...J
-'
produit pas inéluctablement de mauvais résultats. 1990 (Lewis, 1999, p. 140).
Cette insertion sentimentale est induite par le processus d'enquête lement et intégralement «affecté»55. Une façon nouvelle de faire de
et a des effets importants sur ses résultats et sa qualité. Mais elle l'ethnographie, qui serait enfin la «vraie» ethnographie, en dépen
est, d'abord et surtout, liée à un ensemble de facteurs personnels drait. De son côté François Laplantine prône « l'immersion totale »,
et situationnels non reproductibles et peu maitrisables. Le cher et nous affirme que «l'ethnographe est celui qui doit être capable
cheur sur son terrain n'est pas que chercheur (espérons-Ie), et il de vivre en lui-même la tendance principale de la culture qu'il
transporte aussi avec lui un monde personnel qui entre au contact étudie. Si, par exemple, la société a des préoccupations religieuses,
avec les mondes personnels de ceux aupres de qui il travaille et i1 doit lui-même prier avec ses hôtes» (Laplantine, 1996, p. 20). La
vit, pour un temps. Cette part-Ià de la présence sur le terrain n'est « compréhension » ou la «compétence culturelle» propre à l'anthro
(heureusement) pas au sens strict «professionnalisable », c'est-à pologue ne suffisent plus. Il ne doit pas simplement «pouvoir agir
dire régulable par des normes professionnelles, bien qu'elle ait comme un indigene », selon la définition dassique de Ward Goo
indubitablement des effets sur la production professionnelle. De denough, il faut qu' il agisse effectivement «en indigene ».
chacun selon son caractere, ses gouts, ses affects, ses intuitions, sa Nous préférerions pour notre part qu'on laisse l'imprégnation
sensibilité, sa capacité de contact. La socio-anthropologie implique informelle faire son reuvre, variable pour chacun, et que l'insertion
sentimentale ou le mode d'implication du chercheur restent pour
à l' évidence que ceux qui la pratiquent aient une compétence mini
l'essentiel une affaire privée non soumise à des injonctions métho
male en communication, en sociabilité, et en écoute interperson
dologiques d'immersion radicale, même si les sous-produits pro
nelle. Mais on ne voit pas comment transformer cette compétence
fessionnels de telles immersions sont parfois importants (mais ils
latente en savoir formalisé ou en cahier des charges détaillé.
sont loin. de l' être toujours 56). Autrement dit, l'ethnographie ou la
n,nsertion sel'ltimentale est un fait, mais elle varie considéra
sociographie de terrain nous semblent avoir peu à gagner à suivre
blement d'un chercheur à l'autre, d'un terrain à l'autre. Il est
les extrémistes de l'empathie et les ayatollahs de l'implication.
cependant probable qu'elle ne soit corrélée ni aux positions épis
Opposer une ethnologie des corpus à une ethnologie de l'impli
témologiques de l'anthropologue, ni à son narcissisme littéraire. cation n'a pas plus de senso Il n'est pas d'anthropologie sans corpus,
Divers signes laissent accroire que certains, parmi les anthropo c'est-à-dire sans ensemble pertinent de données produites de
logues les plus classiques, avaient une insertion sentimentale forte façon contrôlée, que ces données soient des entretiens, des obser
sur leurs terrains, dont la pudeur propre à leur époque les a sans vations ou des recensions. Mais il n'est pas non plus d'anthropo
doute empêchés de faire état ou étalage. Ceci est connu depuis logie sans implication du chercheur, que l'on voit mal, sauf tristes
longtemps: «Le plus grand obstade à la création d'une science du exceptions, être réduit à ne fonctionner, dans ses séjours de terrain,
comportement qui soit scientifique est le fait, mal exploité, que le que comme une froide machine à produire des corpus. Corpus et
chercheur est émotionnellement impliqué dans son matériau, implication n'ont cependant pas le même statut méthodologique.
LI... auquel il s'identifie» (Devereux, 1980, P.30). Les corpus de données ont une relative standardisation, ils sont w
i= :;)
~ L' insertion sentimentale fait que tout chercheur est «affecté» justiciables de certaines formes de contrôle, et sont mis en scene a
..4 \!)
«
:;)
par son terrain. Mais chez Jeanne Favret-Saada, le terme se veut dans la rédaction finale. Par contre, les styles et les contenus de o..4
a beaucoup plus fort. Elle voudrait que nous soyons bien plus o
l'implication sont aussi variables que personnels, aucun critere o
:;)
o o
« affectés» que cela, au-delà donc de nos sympathies et antipathies :z:
a: I
'W
:;)
w habituelles, de nos émotions, voire de nos amours discretes. Elle 55. Favret-Saada, 1990, pp. 4-6. ::E
:;)
56. Si le travail de Jeanne Favret-Saada releve incontestablement de la "
\!) récuse d'ailleurs l'empathie comme l'observation participante au ...,
UJ
a: bonne ethnographie. on trouvera divers cas de mauvaises ethnographies issues
« nom d'une position radicale: il s'agit avant tout de se mettre vrai d'implications se voulant radicales et se réclamant d'elle (cf par exemple '"
UJ
..4 ..4
ment «à la place de l'indigene», pour être comme lui personnel Fidaali, 1987).
seientifique ne permet de les évaluer, et si nombre de chercheurs personnelles, mais qu'il n'est pas absolument indispensable de
n'en font pas étalage dans le produit écrit, rien ne permet pour livrer ses états d'âme et son histoire personnelle quand on en rend
autant ni de disqualifier pour cela ce dernier ni de supposer qu'il compte par la suite» (eitée in Obadia, 2003, p. 21).
se fonde sur une (fort improbable) implication nulle. Du côté de l'exposition de soi, c'est le courage de rompre un
Nous devons donc, rendus à ce point, nous poser notre seconde interdit que 1'0n met volontiers en avant: Florence Weber entend,
question, et nous demander si en ce domaine la pudeur ne serait en publiant des extraits de son journal d'enquête et des bribes
pas une erreur, et si un contrôle méthodologique rigoureux n'exi d'auto-analyse (Weber, 1989), poser un «acte théorique» (Weber,
gerait pas qu'au.contraire l'ethnologue ou le soeiologue de terrain 1990, p. 146) contre la tradition deTethnologie française ou le ter
en disent plus sur leur implication durant l'enquête (quels que rain est «magnifié comme une expérience mystique dont on ne
soient le style et le contenu de ladite implication). peut rien dire» (id., p. 139).
En fait, les arguments proprement méthodologiques se résu
ment à trois positions prineipales, parfois combinables.
IV I L'explicitation
Jusqu'ou doit-on aller ou ne pas aller dans la mise au jour des A. La position «objectiviste»
rapports que le chercheur a entretenus avec les « indigenes» ? On
sait le trouble qu'a suseité la publication posthume du «journal» Il s'agirait de neutraliser l'effet subjectif par une sorte de «calcul
[. de Bronislaw Malinowski, ou les défauts et les aigreurs de l'homme del'erreur». C'est paradoxalement Michel Leiris qui emploie cette
privé s'exposaient parfois sans fard, aux dépens du mythe de expression 57. On trouve la formulation dassique de cette positi~n
l'homme publico Doit-on demander à chacun de se dévoiler sans dans l'ouvrage de Georges Devereux dont un chapitre traite de
complaisance, afin de mieux pouvoir décrypter les propos savants «l'exploitation des perturbation,s produites par l'observation»
qu'il nous livre? Faut-il aller jusqu'à s'intéresser au comportement (Devereux, 1980, p. 363). La méthodologie «doit exploiter la sub
sexuel des chercheurs sur le terra in ? Comment se situer entre le jectivité inhérente à toute observation en la considérant comme
refoulement et l'exhibition? Quand on nous dit, tres normative la voie royale vers une objectivité authentique plutôt que fictive»
ment, « l'expérience ethnographique, en tant que pratique per (id., p. 16). On doit prendre acte de l'impossibilité d'échapper à
sonnelle, doit apparaitre comme partie intégrante de l'analyse, et une appréhension subjective de la réalité, en tenir compte, et fina
l'anthropologue doit la textualiser en tant que telle» (Kilani, 1994, lement s'en servir, pour, à travers la mise en évidence du facteur
p. 17), jusqu'ou devrait aller cette textualisation ? personnel, parvenir à une appréeiation finalement plus objective
11 est d'autant plus difficile de rester dans le registre de la de la réalité elle-même. 11 faut « accepter et exploiter la subjecti
u..
méthodologie que, sur cette question aussi, les argumentaires vité de 1'observateur», et ne pas la considérer comme «un fâcheux w
S
-'
éthiques ou les jugements normatifs affleurent vite. Du côté de contretemps dont la meilleure façon de se débarrasser est de l'esca
::>
o
<.!l
« I'éloge de la pudeur, c'est Genevieve Calame Griaule qui légitime motel» (id., p. 30). lei, l'explieitation remplit une fonction d'objec o-'
::>
o ascétisme intellectuel» de son pere (Marcel Griaule) par sa o
::> tivation du rôle du facteur personnel et d'évaluation de ses effets. c
c « volonté de s'effacer derriere les gens qu'il observait» (eité in
o
cc Florence Weber nous explique ainsi: « [ ...] je livrais des éléments :J:
I
::>
w Laplantine, 1996, p. 44), ou Françoise Héritier qui affirme: «Je [...] subjectifs par souci d'objectivité» (Weber, 1990, p. 139), quand
'W
~
::>
<.!l fais partie d'une école de pensée qui considere qu'on peut faire de d'autres nous invitent à leur suite à « donner la plus grande trans- -."
w
cc
«
-'
l'ethnologie en étant profondément impliqué par ce qu'on fait sur w"
-'
le terra in et par ce qui s'y passe dans le domaine des relations 57. Leiris, 1992, pp. 50-55.
parence possible au travail d'objectivation du chercheur en socio tégie de dévoilement, il combattrait la stratégie d'occultation des
logie» (Pinçon/Pinçon-Charlot, 1997, p. 11). structures de domination 60. En créant un nouveau type de dia
logue, fondé sur une conscience mutuelle de la relation inégale, on
pourrait déboucher sur une anthropologie « dialogique» (Fabian,
B. La position « dominocentrique »5 8
1983), respectueuse, enfin, de l'autre ...
La situation d'enquête étant considérée comme fondamenta
lement inégalitaire, dans la mesure ou elle prend le plus souvent C. La position « hyper-interáctionniste »
la forme d'un chercheur intellectuel lié aux classes dominantes
s'adressant à des «indigênes» faisant partie des classes (ou des Elle déchiffre la situation d'enquête comme caractérisée avant
peuples) dominés, la conscience et la maitrise de ce biais devien tout par une coproduction de savoir entre le chercheur et ses
nent des enjeux centraux de toute explicitation méthodologique informateurs. Les données ainsi engendrées sont la résultante des
(cf. chapitre VI). «La situation d'enquête doit être analysée comme stratégies respectives des acteurs en contact et doivent être sans
une sorte de procês, ou les enquêtés sont et se savent toujours cesse référées à ces stratégies et à leur interaction contextualisée.
mesurés à une norme» (Mauger, 1991, p. 131). « Du point de vue des La négociation informelle permettant d'aboutir ou non à une défi
enquêtés, entrer en relation d'enquête avec le sociologue, c'est se nition com mune de la situation est alors un enjeu méthodologique
placer en situation d'être doublement dominé» (id., p. 134). centraL Décrire systématiquement l'interaction de recherche
Plus géI,!éralement, tout~ une sociologie et anthropologie cri devient une tâche scientifique en soi, essentielle au processus de
tiques aux États-Unis, influencées par les courants postmodernes recherche.
(mais aussi féministes ou marxistes), insistent sur les effets de la On ne s' étonnera sans doute pas que ces trois positions soient
position sociale du chercheur et sur son appartenance identitaire, parfois cumulées. L'analyse que fait Charles Briggs des pratiques
considérée comme inéluctable, qui le rattacherait à une commu de l'interview combine ainsi un point de vue interactionniste,
nauté interprétative, en général« dominante» (la fameuseconnexion entiêrement focalisé sur les modalités «méta-communication
savoir/pouvoir imputée à Michel Foucault), dont il refléterait nelles» de la situation d'entretien, et un point de vue domino
consciemment ou inconsciemment les points de vue et la vision centrique, qui privilégie les « effets de domination» dans ces
du monde 59 • interactions: « We commonly impose our communicative norms
La relation de domination, liée aux légitimités culturelles, pese on our consultants. This practice amounts to communicative hege
rait à ce point sur les contextes d'entretien et d'observation que mony [...]. Communicative hegemony is a rather more subtle and
seule la description des efforts du chercheur pour en révéler/effacer persistent form of scientific colonialism» (Briggs, 1986, p. 121).
U
..... les effets pourrait réhabiliter une entreprise de connaissance qui De même, 1'« objectivation participante» prônée par Pierre
LU
:::l
~ autrement serait suspecte. En se mettant en scene, l'anthropologue CJ
-'
« Bourdieu, centrée sur une stratégie d'objectivation utilisant la I..:)
:::l mettrait en scêne sa relation inégale aux autres et, par cette stra- o...J
CJ o
C\
:::l
C\
60. Lo!c Wacquant parle de la «réflexivité épistémique» prõnée par Pierre o
a:: 58. L'expression se trouve dans Grígnon et Passeron, 1989.
Bourdieu, de son souci d'une «auto-analyse du sociologue comme producteur J:
:::l
.....
LU
59. «Behind [the qualitative process] stands the personal biography of
culturel» et des trois biais qu'une telle auto-analyse, qui se veut aux antipodes 'W
:::l ::i:
the gendered researcher, who speaks from a particular class, racial, cultural
de la mode diariste et confessionnelle, se doit de mettre au jour: le biais lié à
...."
I..:)
LU
cc and ethnic community perspective [... ]. Every researcher speaks from within la trajectoire biographique du chercheur, le biais induit par sa position dans
« a distinctive interpretative community, which configures, in its special way, "
LU
-' le champ académique et le biais intellectualiste ... (Bourdieu, 1992, pp. 31-32; ...J
gendered components of the research act» (Denzin/Lincoln, 1994, p. 11). cf aussi Bourdieu, 2001).
plan les réalités sociales dont ces interactions n' étaient initialement E. La contextualisation personnelle
qu'une porte d'entrée? N'y a-t-il pas peu à peu dissolution du
référent externe? On constate alors que la focalisation sur l'inter La durée du ou des séjours, les lieux d'enquête et le mode de vie
action de recherche produit d'autant plus de connaissances sur sur place, la part accordée aux entretiens, l'usage de transcriptions
cette interaction qu'elle en produit moins sur l'objet proprement et/ou traductions, le recours à un collaborateur local et/ou inter
dit de la recherche. Le piege ethnométhodologique guette. prete, la maitrise de la langue, et enfin les formes d'implication
Est-ce à dire que toute explicitation en devient inutile? Ce du chercheur, si celles-ci offrent des aspects particuliers par rap
serait évidemment absurde. Simplement les arguments «lourds» port aux formes habituelles de l'observation participante, tout cela
en sa faveur pesent moins qu'il y parait et les trois positions évo semble constituer une sorte d'explicitation méthodologique mini
quées n'ont de sens que si elles sont adoptées avec modération et male qui fournit aux lecteurs et aux pairs quelques indications
sans illusion excessive (ce que ne font hélas pas les hérauts de ces nécessaires sur le rapport du chercheur au terra in. Aller au-delà,
trois positions). Autrement dit, un minimum d'explicitation semble c'est quitter l'explicitation méthodologique pour un autre registre.
nécessaire, tant pour édairer sur la trajectoire personnelle du cher
cheur sur le terrain que pour mettre au jour d'éventuels effets de
domination ou décrire certaines interactions de recherche parti F. L'usage des difficultés
culierement significatives. Plus généralement, la restitution au lec
Faire état des principaux obstades rencontrés et des solutions
teur des méthodes de travail employées fait indubitablement partie
trouvées, que ce soit au niveau de la construction du sujet, avec les
du cahier des charges de notre profession 65 •
inévitables glissements qui's'operent au contact d'un terrain, ou sur
Mais les considérations méthodologiques propres à l'enquête
le plan des procédures de travail, avec les dérives que les réactions
de terrain supportent mall'inflation et la prétention, et devraient
des interlocuteurs infligent aux meilleures intentions méthodolo
rester au second plan, au même titre que les questionnaires, les
giques, fait désormais partie d'une réflexivité salutaire, qui donne
procédures et les tableaux, qui ont dans les enquêtes quantitatives
à connaitre certains éléments saillants de la trajectoire propre d'une
un statut de complément indispensable sans jamais prendre la
recherche en même temps qu'on en fournit les résultats. Faut-il
vedette ni se substituer aux résultats et à leurs interprétations. En
rappeler qu'en l'occurrence le héros du récit est, toujours d'un point
l'occurrence trop de méthodologie tue la méthodologie ...
de vue méthodologique, la recherche et non le chercheur, et que
En fait, les formes banalisées et mesurées de l'explicitation (par
la pertinence des épisodes sélectionnés s' évalue en fonction de
oppo'sition aux formes « bruyantes)} ou excessives) sont multiples.
leurs effets cognitifs sur le produit final, sa plausibilité ou sa véri
On se limitera à une description des plus courantes d'entre eIles.
dicité, et non en raison de leur pittoresque ou de leur exotisme?
u..
UJ
i= :::>
« o
I
..... G. L'explicitation du cas implicant 1!1
« o
:::> .....
o Parfois le témoignage personnel du chercheur, que ce soit dans o
:::> 65. Il y a évidemment d'innombrables exemples d'introductions ou a
a o
ex: d'annexes méthodologiques qui explicitent à bon escient la position du cher une position plutôt observatrice ou plutôt participante, prend un :r:
I
:::> cheur sur le terrain. L' école de Chicago, en particulier, s'est préoccupée de cette '\JJ
UJ statut de « donnée empirique» et fonctionne comme {{ cas », com me ~
Ilj
:::> question depuis longtemps (cf Chapoulie, 1996, p. 38, qui évoque l'exemple
1!1
ex: dassique de Whyte, 1955). Pour une tentative de réflexivité mesurée, dans
exemple, ou comme illustration. Une bonne partie des case studies, "
w
......
~
«
..... des contextes d'enquête ou les hiérarchies sociales jouent un rôle important, qui restent parmi les meilleurs moyens dont disposent les sciences UJ
.....
cf Leservoisier, 2005. sociales de terra in pour argumenter empiriquement, accordent
réflexivité pour dépasser 1'« objectivisme nalf »61 au profit de ce ou cultures dominantes et l'enquêté aux classes ou cultures domi
qu'on pourrait appeler un objectivisme complexe, est manifeste nées, fait peu cas des ressources, considérables (y compris l'exit
ment enchâssée dans une perspective clairement « dominocen option), dont disposent les enquêtés pour « manipuler» eux aussi
trique». les enquêteurs 63. Si l' écart social et/ou culturel entre l'enquêteur
et l'enquêté est évidemment fréquent dans les relations d'enquête,
D. Pour un usage mesuré comment évaluer le poids de ce facteur sur le comportement des
enquêtés parmi les multiple.s variables qui induisent ou minimi
On voit cependant les limites de ces trois positions, des lors sent des « biais» ? Tant du côté des enquêtés, moins «soumis)} et
qu'elles se veulent radicales ou qu'on les prend en quelque sorte au plus « autonomes» qu'on ne l'a dit, que du côté des enquêteurs, dont
mot. le savoir-faire tend à réduire les effets du décalage, diverses res
1. Le « calcul de l'erreur» n'est jamais effectué et la métaphore sources ou stratégies amenent à douter que la légitimité sociale ou
tourne vite court, car nul n'a jamais trouvé la formule permettant culturelle soit un probleme aussi central, en tout cas en ce qui
d'évaluer « scientifiquement» l'effet du facteur personnel et sa concerne l'interaction d'enquête de longue durée menée par un
transformation en indicateur du réel objectif. La déclaration reste chercheur expérimenté 64 • Michel Pinçon et Monique Pinçon
de pur principe. L'explicitation ne permet hélas pratiquement jamais Charlot en donnent d'ailleurs un bien involontaire contre-exemple :
de garantir le sérieux méthodologique des énoncés du chercheur tout ce qu'ils invoquent comme autant de spécificités d'une situa
en faisant la part exacte de sa subjectivité. Lorsqu'on écrit: « Le tion d'enquête inversée (le chercheur petit-bourgeois enquêtant
lecteur doit pouvoir se faire une idée de la façon dont je me suis aupres d'indigenes « grands-bourgeois» par qui il se sent dominé)
comporté sur le terrain et dont ma personnalité a pu influencer est en fait d'une étonnante banalité et renvoie aux difficultés tout
la sélection et la présentation des données» (Riesman, 1974, p. 16), à fait ordinaires de toute enquête.
ce souhait (y compris dans l'ouvrage en question) reste largement 3. Quant à la description de la situation de recherche deve
un vreu pieux 62 : la personnalité d'un chercheur, les multiples réa nant elle-même objet de recherche, on connait la dérive autoréfé
lités d'un terra in et les interactions entre les deux sont trop com rentielle qui en découle. Le chercheur se décrivant à l'exces en train
plexes pour qu'on puisse contrôler à travers quelques bribes de de co-chercher et de co-produire de la réalité continue-t-H vrai
témoignages, de souvenirs, d'impressions ou de récits, l'alchimie ment à se préoccuper de ce qu'il cherchait et la focalisation sur les
qui produit le texte ethnographique et le poids de telles ou telles interactions auxquelles il participe ne fait-elle pas passer au second
variable.s personnelles. La réflexivité n' éclaire en fait que fort peu
les assertions argumentatives et la mobilisation des données telles 63. Du côté de l'ethnologie, Marc Abéles critique à juste titre la naiveté
u.
qu'elles se donnent à lire dans les écrits de celui qui y procede. selon laquelle ({ on présuppose que les "ethnographiés" ont subi de part en
w
2. La réduction de la situation d'enquête à une situation de part la présence (dominatrice) du chercheur)} (Abéles, 2002, p. 41) et insiste
S
:i domination, du simple fait que l'enquêteur appartient aux classes
sur la négociation de fait qui caractérise les relations de terrain. Du côté de
::l
o
'-:l
« la sociologie des classes populaires, Daniel Bizeul remarque que ({ nombre de o
::l -'
o récits d'enquête en milieu populaire montrent en fait des chercheurs mal à o
Cl
::l 61. Cf Ghasarian, 2002, pp. 11-13. l'aise, mis à l'épreuve, éconduits, rarement en position de dominants, et des o
Cl :r:
IX 62. II en est de même de cette affirmation: « We can better understand enquêtés indifférents, ennuyés d'être dérangés, trouvant antipathique la I
::l 'W
w and evaluate an ethnographic text if we know something about the writer, personne du chercheur, peu disposés à s'en laisser compter [sic] par le pre ::E
::l
'-:l the experiences upon which the text is based and the circumstances of its mier venu» (Bizeul, 1998, p. 755). w"
o: production. Furthermore, these reflections turn anthropologist into better 64. Dans l'enquête par questionnaire, ou sur certains sujets particuliers .....
« w"
-' fieldworkers by making them aware of their own practice, emotions, biases (on pense aux enquêtes sociolinguistiques menées par William Labov), il -'
and experiences» (Sluka/Robben, 2007, p. 2). peut toutefois en être autrement.
ainsi un rôle au chercheur lui-même, à un titre ou à un autre. et logiques (représentationnelles et pragmatiques) du groupe étudié.
L'explicitation de ce rôle est donc souvent nécessaire. La présence Cet apprentissage culturel, au creur de la pratique du terrain, est
de l'anthropologue peut servir de déclencheur, de révélateur, sans doute plus important que les quelques relations fortes, parti
d'enjeu. 11 peut parfois devenir lui-même acteur, ne serait-ce que culieres ou éminentes qu'ont entretenues sur place les chercheurs:
pour une séquence sociale circonscrite. Mais l'étude de cas, si eIle or ce sont ceIles-Ià dont nous parle volontiers la littérature d'auto
peut légitimement mobiliser la premiere personne, parfois avec analyse, qui reste par contre muette sur l'imprégnation quoti
bonheur, n'en est pas par principe dépendante et peut aussi se dienne, banale et discrete. Celle-ci n'est pas plus modélisable que
satisfaire de procédures plus dassiques et objectivantes (observa racontable ou explicitable. Mais eIle est décisive.
tions, entretiens) 66. D'autre part, le chercheur exerce un contrôle largement non
verbalisé, voire non conscient sur les modes de production de don
nées auxquels il recourt (observation, interactions, entretiens,
H. Imprégnation, vigilance routiniêre et explicitation recensions), contrôle qui exprime un savoir-faire méthodologique
antérieur incorporé ainsi qu'une adaptation aux contextes parti
Au bout du compte, les limites de toute explieitation sont liées culiers de l'enquête. De tels micro-réglages, à la différence des
à la nature même de ce qu'est la part méthodologique subjective « grands choix» théoriques ou épistémologiques qui sont volontiers
propre au terrain. Cette « part méthodologique subjective » renvoie mis en scene, détaillés, justifiés, expliqués, restent au contraire le
à deux ordresde phénomenes, dont aucun ne peut être soumis à plus souvent non verbalisés. La vigilance routiniere, qui garantit
une .véritable explicitation: I' imprégnation et la vigilance routi pour une bonne part la valeur des données produites, n' étant que
niere. peu explicitable pour le chercheur lui-même, ne sera à plus forte
Le chercheur est soumis à un processus d'imprégnation, quí a raison pas explicitée pour ses lecteurs. De fait, les explicitations
déjà été évoqué plusieurs fois, et dont l'implication n'est qu'un subjectives que l'on rencontre habituellement portent donc sur le
élément parmi d'autres. Il faut iei ajouter que cette imprégnation plus visible, voire le plus spectaculaire, mais c'est ce qui est le moins
n'est que fort peu explicitable. La présence prolongée sur le terrain . important. Daniel Cefa'i rejoint sur cette question nos analyses,
et les multiples interactions qui en découlent entre le chercheur et lorsqu'il insiste sur les multiples savoir-faire du chercheur: «Ces
les acteurs locaux produisent des effets silencieux, qui ne se rédui minuscules opérations sont loin d'être dérisoires. Elles témoi
sent ni aux corpus, aux entretiens, aux données plus ou moins gnent de l'exercice d'une réflexivité pratique en acte et sur site». Il
objectivables, ni aux rencontres spectaculaires ou aux scenes émo s'agit de« savoirs tacites» (Polanyi), de« tricks ofthe trade» (Becker),
tionnellement chargées, et qui cependant expriment l'acquisition « d'habiletés interactionnelles ou de ruses situationnelles »67.
progressive d'une maitrise au moins partielle des codes, usages, Non seulement le récit ex post que produit un chercheur
LL emporté dans un projet réflexif ne livre rien des microstratégies UJ
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66. En un sens, nos trois catégories (la contextualisation personnelle,
l'usage des difficultés et le cas impliquant) recoupent en partie les trois usages
qu'il a employées, mais, en outre, il tend à dramatiser certains épi
sodes ou à présenter une image beaucoup plus cohérente ou déli
o
I,!)
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o possibles de la réflexivité ou de l'auto-analyse dans l'enquête de terrain selon o
bérée du processus de recherche que cela n'a été en généralle caso o
:;) Beaud et Weber (1998, p. 298): la présentation du témoin, l'explicitation des o
o :c
o:: surprises et l'analyse de l'interaction d'enquête. La «présentation du témoin », I
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UJ
expression inspirée de Marc Bloch, équivaut à la contextualisation person 67. CefaI, 2003, p. 592. Dans son livre récent, ou il publie de nombreux ::í!
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nelle. L'« explicitation des surprises» nous semble être plutôt un cas particulier textes fondamentaux en épistémologie de l'anthropologie et de la sociologie ~
I,!) ..,
UJ
o:: de l'usage des difficultés. Enfin, 1'« analyse de l'interaction d'enquête» n'a de qualitative, d'origine anglophone, qu'il com mente longuement et met en
« contexte dans une perspective d'histoire de la discipline, ses positions rejoi
"
UJ
-' sens, selon nous, que lorsqu'on a affaire à un «cas impliquant», sortant de -'
l'ordinaire largement connu des interactions habituelles. gnent souvent celles que nous avons développées au cours des années 1990.
1
«En fait, les tactiques relationnelles du chercheur sont probable sance simultanément empirique et conceptualisée du social, sans
ment moins définies et moins assurées que ne le laissent croire la illusion ni sur la transparence des sujets ni sur notre capacité à
plupart des récits d'enquête [...l. Certaines décisions, présentées établir des relations radicalement nouvelles. Cet objectíf de connais
comme le résultat d'une stratégie de recherche, ont surtout consisté sance est suffisamment complexe en lui-même, et les gens que nous
à écarter des formules d'enquête stéréotypées pour recourir à des rencontrons à cet effet ont suffisamment d'épaisseur et de densité
moyens d'infiltration, de renseignement et de manipulation dont propres pour que l'on ne charge pas trop la barque en voulant que
chacun peut avoir l'expérience dans la vie courante, à son avantage le terrain soit aussi et en même temps une rédemption, une conver
ou à sono détriment. Le risque du sociologue de terrain, lorsqu'il sion, une révolution, une fusion, un salut ou une psychothérapie.
fait le récit de son enquête, est de se payer de mots» (Bizeul, 1998, Le terrain fait se superposer pour un temps une entreprise cir
P·775). conscrite de recherche, avec ses « regles du jeu» méthodolo
Au bout du compte, la « part méthodologique subjective» du giques, et une séquence biographique du chercheur, avec ses regles
terrain, bien qu'étant un élément incontestable de la compétence du «je» personnelles et ses formes d'implication particulieres,
anthropologique dont elle informe de façon non négligeable les selon des modalités tour à tour poétiques ou émotionnelles, affec
produits, ne se prête que peu à des commentaires personnels expli tíves ou affectées, baroques ou burlesques, etc. Ces deux registres,
citatifs ayant valeur de véritable explicitation méthodologique. malgré leurs évidentes interactions, gagnent à ne pas être confondus,
En ce sens, la position prudente et mesurée qui est la nôtre sur la et l'explicitation de leurs relations ne se justifie, si l'on y réfléchit
« question de la subjectivité» consiste à faire de nécessité vertu. bien, qu' à faible dose, méthodologiquement parlant.
N'est-ce pas en un sens la conclusion à laquelle aboutit elle
aussi, bien que quelque peu sur la défensive, une pratiquante de la
v I Condusion réflexivité méthodologique: «On m'a dit que c' était banal, et même
qu'il y avait là une forme de complaisance. C'est en effet un des
Peut-être faut-H enfin dissiper clairement une illusion: l'an risques de ce genre d'exercice; risque que je n'ai pas completement
thropologie et la sociologie n'ont pas pour but l'exaltation de la dominé» (F. Weber, 1990, p. 139) ?
subjectívité, ni celle des chercheurs, ni celle des populations Nous refuserons donc de nous laisser enfermer, en tout cas
enquêtées, même si l'intersubjectivité est au creur des situations pour des raisons de méthode, dans cette dichotomie entre ce que
d'enquête. De même, l'anthropologie et la sociologie n'ont pas pour Clifford Geertz appelait respectivement « author-evacuated texts»
.objectíf premier d'établir une communication idéale, transparente, et « author-saturated texts}} 69 •
égalitaire, fusionnelle, même si la communication est le moyen
principal de I'enquête. Qu' il y ait beaucoup de subjectivité et de
u. w
communication dans l'entreprise de recherche, c'est une évidence. ::J
S
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Que l'acteur social, ses affects, ses représentations, ses stratégies,
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1.!:1
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« soient au centre de cette entreprise, c'est une autre évidence, qui -I
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fut parfois oubliée et ne peut plus l'être désormais. Qu'il y ait de o
::J o
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o:: surcroit, dans le séjour de terrain, de l'investissement affectif, des f
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w émotions 68 , de la rencontre, de l'enthousiasme, c'est encore une ::E
::J 69. Geertz, 1988, p. 9. On peut aussí évoquer la formule de Sylvie Fain w
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1.!:1
évidence. Mais l'objet de nos sciences reste cependant la connais zang: «Contre ce qu'on pourraít appeler le narcissísme méthodologique, il .....
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me semble préférable de prôner une humilité méthodologíque» (Faínzang, W
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