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1. Notion d’habitat.
1.1. Introduction.

On a souvent défini les termes habitat, habitation, logement, habiter, habité etc. avec
beaucoup d’imprécision. Tous ces termes on certes un sens commun mais différent selon les
situations, le contexte dans lequel ils sont utilisés.

Architecte, géographes, sociologues, statisticiens ne définissent pas le terme habitat de la


même manière ; dans le langage technique et administratif par exemple, le terme logement est
plus couramment utilisé que celui d’habitat, pour des raisons pratiques ayant trait aux échelles
d’unité de production.

Les termes qui reviennent cependant le plus souvent de nos jours, sont « l’habiter », « l’habité
». C’est le cas de John F. C. Turner qui précise qu’il faut considérer l’habitat « as a verb not
as a noun » (l’habitat comme verbe et pas comme un nom).

Nous avons trouvé nécessaire de clarifier le sens de ces concepts afin d’éviter toutes
confusions.

1.2. Définitions de la notion d’habitat.

1.2.1. Etymologie du terme.

Le mot habitat appartient au domaine de la botanique et à la zoologie. En 1808, le mot habitat


définit d’abord le lieu occupé par une plante à l’état naturel.

En 1881, il indique le lieu géographique adapté à la vie d’une espèce animale ou végétale
désignée par « niche écologique ».

L’habitat est aussi définit comme une aire habitée par un individu, une espèce, un groupe
d’espèce et d’individus.

Au début du 20ème siècle, l’habitat est le milieu dans lequel l’homme évolue.

1.2.2. Notion contemporaine d’habitat.

« L’habitat » est une notion complexe souvent mal définie ; On l’a souvent confondu avec les
termes logement, habitation, demeure, maison, logis etc. Ainsi, selon JésabelleEkambi
Schmidt l’habitat c’est « l’environnement restreint, l’environnement privé de l’individu ou de
la famille… ce sont toutes les formes de maisons, appartements, abris , servant de sphère
d’appropriation personnelle à l’homme » (1).

Dans le même ordre d’idée Lloyd Khan dans son ouvrage « Habitat, constructions
traditionnelles et originales », « …les hommes primitifs vivaient sous les arbres et les étoiles,
les premiers types d’habitat firent leur apparition par la suite. C’était parfois une caverne, une
construction qu’on improvisait… » (2).
2

Quant à Robert Leroux, il trouve que « l’habitat est ce qui protège l’individu contre les
intempéries, le vent, la pluie, la neige, le soleil…, et lui procure l’intimité nécessaire contre
les indiscrets » (3).

Cependant, il nous faut dépasser ces imprécisions dans la définition du terme habitat, qui en
réalité, n’est pas seulement un abri, un espace clos, une maison ou un logement ; c’est un
ensemble plus vaste et surtout plus complexe ; elle est très difficile à cerner, à circonscrire
dans l’espace, car elle dépend de plusieurs aspect ; géographique, socio-économique,
politique, administratif etc. dans son rapport à la ville.

L’habitat est le plus présent dans la ville et s’organise en secteur distinct, unité de voisinage,
quartier qui sont reliés entre eux, se définissant dans son rapport à la centralité (4).

L’habitat comprend d’abord l’habitation qui est son premier élément de composition quel que
soit sa typologie appartement ou maison individuelle. Il inclut d’autres éléments
d’appréciation qui concerne la qualité du logement proprement dit à savoir son aménagement,
l’agencement de ses espaces, son confort, thermique et acoustique, son esthétique (couleur,
matériaux de construction etc.), les conditions d’habitabilité (eau potable, gaz, électricité,
téléphone), capacité de répondre aux besoins aux modes de vie des habitants et des éléments
d’accompagnement du logement qui sont des équipements socio-économiques et des
infrastructure de viabilisation. Il comprend toutes les commodités concernant l’environnement
résidentiel (espace de jeux, mobilier urbain, circulation piétonne etc.).

Tous ces éléments sont une condition à la qualité de la vie, du bien-être et d’épanouissement
de l’habitant. Donc, en plus du logement, l’habitat comprend un certain niveau d’installations
et de services dont le rôle est de lier l’individu à la collectivité et celle-ci à la région dans
laquelle elle se développe et progresse.

La diversité et la qualité des éléments complétant le logement permettent de parler d’habitat et


de le distinguer de simples zones résidentielles, de cité dortoirs où l’absence des éléments
d’accompagnement condamne toute vie urbaine et surtout toute vie sociale.

Les éléments d’accompagnement du logement devront être fixés en fonction des besoins et
des manières de vivre des habitants.

Ainsi, « l’habitat dépasse et englobe l’espace du logement. Il comprend non seulement des
espaces non physiques, (immeuble, espace extérieur, lieu collectif, localisation urbaine) mais
aussi des activités humaines (présence de services, modes de gestion) et l’ensemble des
relations sociales qui se nouent (caractéristiques des populations et rapports sociaux).
L’habitat intègre ainsi les rapports et complexes du logement avec l’ensemble qui composent
l’environnement dans lequel il s’insère et qui confère tout son sens à l’espace habité.

En référence à l’habiter, l’habitat doit être analysé comme un espace potentiel, qui favorise ou
non certaines pratiques, qui suscitent des réactions et suggère des significations selon les
individus et les groupes qui l’habitent. On parlera d’espace habité » (5).
3

Henri Lefebvre, préoccupé par l’analyse de l’espace produit autour de nous écrit : «
méthodiquement, on a défini une fonction et un objectif de l’être humain dans sa vie sociale :
se loger, autrement détenir un certain espace pour organiser sa vie « privée », individuelle et
familiale. On a créé un néologisme pour désigner cet ensemble de faits l’habitat » (6).

L’expression d’Henri Lefebvre résume bien le sens du terme habitat dont il dit que c’est
également « une forme qui rapproche, rassemble, permet l’échange ».

2. Notion d’habitation.
2.1. Etymologie du terme.

« Habitation » provient du latin « habitatio » et exprime le fait d’habiter une demeure. Le


terme « habituer » a longtemps signifié « habiter » comme définit dans l’étymologie latine : «
Habituari » qui signifie avoir une « manière d’être » en rapport avec la façon de se vêtir.

Du terme « habituari » provient le terme « habitus » issu du latin classique et dont la


signification est la manière d’être (7).

D’ailleurs, en français, le mot « habit » est synonyme de « « maintien », de « tenue » au sens


de tenir sa place, son rang.

Ce terme rarement utilisé, fut repris par Empilé Durkheim et devint un concept important de
la sociologie française (8).

2.2. Définition du concept.

On donne souvent une image d’objet, une image fonction technique au terme habitation. Par
exemple le Petit Robert définit l’habitation comme suit : « du latin habitatio , de habitare, le
fait de se loger d’une manière durable dans une maison, sous un toit.»

Le dictionnaire hachette le définit comme étant « …lieu où on habite, maison, logis,


demeure… .»

Les statisticiens considèrent l’habitation ou le logement comme un objet qu’on peut surtout
compter (cité des 1600 logements), c’est un lieu clos ou couvert habité par une personne ou
plusieurs vivant ensemble ou inhabité mais prévu pour l’habitation.

Pour les sociologues c’est un bien de consommation, c’est le lieu de pratiques sociales de la
reproduction de la force de travail. C’est un objet qu’on achète, un bien matériel soumis à la
logique productiviste axée sur la maximisation du rendement (rapport input/output).C’est un
objet économique incontestable.

L’habitation dans notre société actuelle, a été réduite à son sens le plus restreint, pour des
besoins quantitatifs ; c’est le cas des sociétés à économie planifiée où le logement est un bien
essentiel qu’il faut produire en grand nombre, pour pallieraux crises toujours croissantes en
logement.
4

Ces définitions sont restrictives et ne donnent pas à l’habitation toute sa dimension.

L’habitation est la composante principale et essentielle de l’ensemble habitat qui, à son tour
est le plus présent dans la ville.

2.3. L’habitation, une multitude de dimensions

Le terme habitation signifie tout à fait autre chose qu’un objet que l’on compte, vend et
achète. C’est certes un espace définit couverts d’un toit, limité par des frontières franches,
mais c’est aussi le lieu du développement de la famille, de la vie domestique et relationnelle.
C’est une entité vivante dotée d’une vie propre intensément liée à celle de ses habitants ;
l’âme de l’habitation est en fait le résultat d’une subtile appropriation de l’espace par ses
habitants qui l’imprègnent de leur être, de leurs usages et manières de vivre, ainsi que de leur
affection (9).

Une habitation peut dégager soit une sensation de fascination ou une répulsion ; on parle
également d’habitation maléfique. Sa durée de vie étant plus longue que celle de la vie de
l’habitant, elle véhicule les traditions et coutumes des ancêtres et permet de perpétuer le mode
de vie d’une époque à une autre et assure donc la continuité culturelle.

« …Le terme de « logement » me semble un peu trop fonctionnel, je préfère employer celui
d’« habitation ». Cette habitation à un intérieur, c'est ce que pour ma part j'appelle «logement
», mais aussi un extérieur et des rapports avec son entourage. Comme un « habit» qui, à la fois
protège et est offert au regard de l'autre.

L'habitation, c'est l'abri, le lieu où l'on trouve refuge, où l'on est « chez soi », que l'on demeure
en milieu rural ou urbain » (10).

Il est important de considérer les différentes dimensions de l’habitation et l’habitation en elle-


même et sa dimension matérielle (matériaux, technique, etc.), les habitants qui constituent une
famille formée d’individus liés par des rapport sociaux et qui s’approprient et pratiquent
l’espace tout en le modifiant ainsi que les représentations qui se font de l’habitation.

Une autre dimension est celle des normes et des valeurs qui influencent d’une manière
significative les pratiques mais aussi la matérialité de l’habitation (11).

2.4. Certaines logiques fondamentales liées à l’habitation.

Nous avons déjà évoqué la logique économique qui considère l’habitation comme un bien de
consommation courante, qui peut être vendu, loué et à qui on consacre des moyens financiers
importants, de production, de main d’œuvre, de technologie, de site etc. impliquant différents
intervenants à différents niveaux, mode de production, planification etc.

Actuellement, le marché de l’habitation est sans conteste un enjeu économique très important.
Dans la logique sociale, dans toute société, les habitants se caractérisent par leur niveau de vie
et leur niveau culturel qui leur permet d’accéder ou non à un certain type d’habitation.
5

« La valeur de l'habitation ne me paraît pas révolue, contrairement à ce que l'on peut entendre
ici ou là. On n'habite pas « partout ». On ne réside pas dans le virtuel, dans les moyens de
transport ou sur les réseaux. L'habitation conserve toujours ses fonctions de protection, d'abri,
en même temps que les valeurs affectives, sentimentales qui s'y rattachent. Elle évolue, bien
sûr, dans la mesure où les formes d'occupation se diversifient et se complexifient, où les
familles se déforment et se reforment, ne sont plus traditionnelles au sens bourgeois du 19ème
siècle. Mais la notion d'occupation d'un lieu particulier, « à soi », est trop fondamentale et trop
profonde pour disparaître. Être « de quelque part »est indispensable pour avoir des marques,
des repères. Cela constitue un tremplin, en tant que «situation » et image de soi indispensables
à une identité et à une reconnaissance sociale » (12).

Par conséquent, l’habitation reflète le statut social de la famille et forge l’image de soi ou bien
l’identité de l’habitant. L’habitation peut favoriser la rencontre et le contact avec la
collectivité ou au contraire l’empêcher et isoler les habitants par sa conception ou son
aménagement. Elle leur permet aussi e communiquer avec leur environnement, le quartier etc.

Dans la ville, où l'on cohabite, prime, selon moi, le rapport entre l'intérieur et l'extérieur, dans
tout type de relations. C'est la notion de départ, le B.A. BA du fonctionnement social et
spatial. Lorsqu'on conçoit une habitation, elle remplit bien sûr la fonction de logement, mais
elle permet aussi à son occupant de se montrer ou non, de voir et d'être vu. II y a en effet toute
une gradation de séquences de perception d'un habitat, entre la rue d'où l'on aperçoit la
silhouette ou la façade d'un bâtiment et une porte d'entrée d'appartement à laquelle on vient
sonner; c'est le parcours intermédiaire entre la ville et le «dedans », entre le public et le privé,
dont les rythmes et les volumes doivent aussi être soigneusement étudiés. Dans ce sens,
lorsque l'on conçoit un habitat, il ne s'agit pas simplement de dessiner… » (13).
Universellement, l’habitation se résume à un abri où se protègent les familles des dangers et
les conditions climatiques favorables, qui favorise la reproduction biologique, sociale et
psychologique et leur permet de se reposer, de consommer, de s’éduquer etc.

La logique fonctionnaliste, considérant ces activités, a mis au point des conceptions


architecturales et des techniques de construction adaptées à l’organisation utile et au
déroulement des activités domestiques. Mais l’on ne peut réduire l’habitation aux seules
exigences de la fonctionnalité. « Le logement n’est pas une machine à habiter » susceptible de
procurer une « vie harmonieuse » par la satisfaction de besoins répertoriés une fois pour toute,
quelque que soit l’individu auquel il est destiné » (14).

L’habitation est organisée en conformité avec des modèles qui impliquent à la fois une
pratique et une symbolique. L’habitant s’approprie l’espace de son habitation en le marquant,
en le signifiant en référence à des modèles culturels inculqués par l’éducation.
6

L'habitat

L'habitat dépasse et englobe l'espace du logement. II comprend non seulement des espaces
physiques (immeuble, espaces extérieurs, lieux collectifs, localisation urbaine, ) mais aussi
des activités humaines (présence de services, modes de gestion) et l'ensemble des relations
sociales qui se nouent (caractéristiques des populations et rapports sociaux).

L'habitat intègre ainsi les rapports multiples et complexes du logement avec l'ensemble des
éléments qui composent l'environnement dans lequel il s'insère et qui confère tout son sens à
l'espace habité.

En référence à l'habiter, l'habitat doit être analysé comme un espace potentiel, qui favorise ou
non certaines pratiques, qui suscitent des réactions et suggère des significations. II se prête à
une grande variété d'interprétations et d'utilisations selon les individus et les groupes qui
l'habitent. On parlera alors d'espace habité.
7

1. Notion de modèle culturel.

1.1 Le contexte de leur apparition.

La période 1950-1960, en France, où s’est faite la reconstruction d’après-guerre et qui a


engendré le grand ensemble a vu se développer plusieurs courants de pensée, de méthodologie
dont les méthodes qualitatives étaient privilégiées. Apparaissait alors une pensée qui était
soucieuse de la prise en compte du cadre de vie et des modes de vie d’individus et de groupes
sociaux tout en privilégiant leur spécificité.

Les sciences sociales participèrent par de nombreux travaux et s’intéressèrent aux relations de
l’homme et de son habitat. Les penseurs du 19ème siècle, tels Volnay ont été à l’origine de
cette pensée fonctionnaliste qui s’appuie sur la notion de besoins dans le but de répondre aux
aspirations des habitants et devant la difficulté de construire pour un client anonyme, on a
tenté de répertorier les besoins « moyens » que le logement devait satisfaire.

A la fin des années 1970, les chercheurs ont étudié la diversité des modes de vie et des modes
de cohabitation dans l’espace construit, de l’usage des espaces, des effets des normes sur le
vécu des habitants. C’est donc sous l’effet de mouvements sociaux que l’idée d’une meilleure
prise en charge des exigences de la société civile s’est imposée aux décideurs qui ont tendance
à ajuster les pratiques du logement aux besoins de l’industrie.

Les recherches de Chombart de Lauwe, considéré en France comme le père de sociologie


urbaine, va utiliser dans ses travaux durant les années 1950 les deux notions de besoin et
d’aspiration plaçant cette dernière « à la charnière du personnel et du social ».

« Il ouvrait la voie à la prise en compte d’un désir profond, face à l’espace ou dans les
rapports sociaux, du silence, beauté, dignité, autant de perceptions ou d’attitudes où l’essence
même de l’architecture pouvait se glisser » (1).

D’autres sociologues vont adopter d’autres méthodes d’approches dont Amos Rappoport
(Anthropologie de la maison) et T. Hall (La dimension cachée) qui se sont intéressés à la
lecture de l’espace par différents groupes culturels.

Quant à Henri Raymond, il s’est intéressé durant les années 1960 aux comportements de
familles, tels que les rapports homme/femme dans le logement grâce à ses recherches, les
concepts de besoins, d’usages et de pratiques ont fait leur apparition.

Les chercheurs Jean Michel Léger, parmi d’autres, a été à l’origine du concept de mode de vie
et ceci après avoir fait connaître les mutations réalisées pendant les dernières décennies à
travers l’étude de l’évolution de l’habitat moderne tout en montrant comment l’organisation
de l’espace répond à l’évolution de la société (2).

Les sociologues vont se servir alors de deux concepts principaux, celui du modèle culturel et
de mode de vie
8

1.2. Le concept de modèle culturel.

« Quand on parle de manières de faire, voire de bonnes manières, quand on parle de mode
opératoire, de recettes, de relations, on se réfère généralement à des modèles qui performent
les pratiques de tout un chacun dans une société ; ce sont ces modèles qu’on appelle culturels
ou sociaux suivant qu’on les rapproche d’une culture ou d’une nation, les relations entre
parents et enfants (l’habitude de corriger les soins d’éducation, de propreté, les politesses), les
méthodes culinaires, les méthodes sexuelles, tous l’immense aspect routinier de la sociabilité
de la vie quotidienne relève de ce que l’on appelle modèle » (3).

C’est Henri Raymond qui a emprunté la notion de modèle culturel à l’anthropologie


américaine et fondé une méthode spécifique permettant l’analyser les relations entre la
pratique et la symbolique de l’habitat.

Selon son point de vue, l’idée du modèle culturel « devait être moins comprisse comme un
modèle figé répondant à des besoins permanents de nature universelle, que comme le principe
à partir duquel les habitants peuvent procéder à leurs propres arrangements et devenir acteur
de l’habiter (4).

Notons que le principe de modèle culturel a été d’abord boudé que ce soit par les sociologues
ou les architectes craignant une sorte de nouvelle normalisation de l’espace, bien que
certaines terminologies ce sont répandues tels que « espace de transition », « rapport public-
privé » etc.

1.3. L’expression de la notion de modèle culturel dans l’espace.

Plusieurs chercheurs se sont intéressés à la relation entre le modèle culturel et l’habitat dont
Nicole Haumont, Marion Ségaud, Pierre Bourdieu, Levi straussetc, et ont été unanime sur le
fait que le logement ne constituait pas uniquement « le lieu de satisfaction de quelques
besoins simples, manger, dormir, procréer, mais que ces besoins ne se manifestaient qu’ à
travers des modèles propres à chaque nation : le japonais ne dort pas comme le français,
l’allemand ne cuisine pas comme l’espagnol, et quant aux manières de faire sexuelles et
surtout à leur éventuelle proximité des autres, il existe de grandes variations de l’américaine à
la russe… » (5).

Le modèle culturel suppose l’existence de comportements communs à la majorité des


individus d’une société donnée, parents, enfants, hommes, femmes, tout système qui évolue
lentement ; en plus de la particularité ou spécificité avec lesquelles est exprimé chaque
comportement par l’utilisateur.

La notion la plus importante est la notion d’intimité. Elle s’intéresse au rapport qu’entretient
l’individu avec son environnement qu’il soit proche ou lointain, de ce qu’il accepte de révéler
au regard des autres et ce qu’il tient au contraire à préserver ; ce qui va avoir des
conséquences sur la manière d’organiser l’espace.
9

« En arrivant dans une maison neuve il faut l’habiller entièrement à ses goûts, la refaire pour
soit » (6).

Ainsi, l’espace qualifié par des signes sera organisé en espace public privé, des lieux intimes
et ceux destinés à la vie collective, en espace conjugale et familiale, en espaces considérés
comme étant sales et d’autres comme étant propres. L’habitant entretiendra les espaces du
propre qui sont destinés à être montrés. Certains espaces seront qualifiés de « sales » où il
peut régner un certain désordre, soi temporaire comme la cuisine ou permanent comme
l’espace de bricolage. Ils seront quant à eux cachés.

Donc, la manière de compartimenter l’espace, de le marquer, son utilisation différenciée, sont


liés à des modèles culturels particuliers – rôle masculin-féminin, opposition public-privé etc. -
spécifiques par leur caractéristiques, propre à une culture. Ainsi, la notion de public-privé ou
de sale-propre, tel que conçue par les sociétés musulmanes, par exemple, paraît bien
appartenir à un modèle culturel.

Très souvent, ces modèles culturels évidents sont délibérément ignorés par les concepteurs de
l’espace et les décideurs qui continuent à produire un habitat inadapté, non conforme aux
modèles culturels des habitants. Cette attitude a été à l’origine d’une déculturation progressive
- qui peut être irréversibles – des familles algériennes. L’exemple de l’impossibilité de
perpétuer le sacrifice du mouton de l’Aïd El Kébir par manque d’espace assigné à cette
pratique dans le logement ou au niveau du quartier, est édifiant. Un autre exemple est celui du
balcon dont la balustrade est en ferronnerie que la famille algérienne s’empresse de fermer
avec des moyens rudimentaires (plaques opaques, tôles ondulées ou en même en maçonnerie)
pour protéger l’intimité familiale. Les femmes utilisent rarement le balcon parce que
contrairement au fait que celui-ci constitue un espace intermédiaire entre l’extérieur et
l’intérieur dans la maison occidentale, il est considéré dans le contexte algérien comme un
espace extérieur et dont public. Le balcon est également fermé pour se protéger des conditions
climatiques ou alors pour être annexé à la cuisine ou à une pièce qui sont souvent exigu dans
le logement social où la logique minimaliste domine.

La reconversion du siège du WC à l’anglaise en WC à la turque est un autre exemple qui


illustre les relations conflictuelles qui existe entre la pratique et l’espace dans lequel elle est
censée se dérouler.

1.4. Comment appliquer le modèle culturel au logement.

« Le logement n’est pas « une machine à habiter » susceptible de procurer une vie «
harmonieuse » par la satisfaction de besoins répertoriés une fois pour toute, quel que soit
l’individu auquel il est destiné. On ne peut pas demander à l’habitant de s’adapter à un
logement qui lui est « attribué » sans tenir compte de ce que signifie pour lui le fait d’ «
habiter ». L’espace habité n’est ni neutre ni homogène, il possède des significations qui sont
liées à l’ensemble de l’existence de l’habitant. Celui-ci s’approprie l’espace habité par un
marquage en référence à des modèles culturels transmis par l’éducation. C’est l’étude de ce
10

marquage, et de sa socialisation qui devrait permettre de mieux comprendre le besoin général


d’ « habiter » et la satisfaction que lui apporte des modes de logements différents » (7).

Ainsi il est indéniable que, comme l’affirme également Henry Raymond que même si les
modèles culturels ne sont pas tout, car il y a le mode de vie qui a une grande influence sur le
logement-nous le verrons plus tard- un grand nombre de caractéristiques sont des
cristallisations des modèles culturels. Toutes les attitudes et comportements qui se déroulent
dans le logement correspondent à l’inscription dans l’espace de modèles bien déterminés.
Même si de point de vue des architectes tout l’ensemble de dispositions prises dans le
logement sont d’ordre naturel « il y a dans le logement peu de nature et énormément de
culture au moins dans notre système de vie » (8).

Le logement produit aujourd’hui reflète de moins en moins les modèles culturels. Les
architectes modernes, attachés à leur idéologies fonctionnaliste qui a tendance à ajuster les
produits du logement aux besoins de l’industrie (production en série), on produit un logement
«exportable », et l’on retrouve le béton jusque chez les indiens Molitones où ils remplacent
mal, note Jaulin, le matériau local (9).

Ainsi, les idéaux « progressistes » repris de façon universelle ont engendré une architecture
répressive en proclamant que tout l’univers a les mêmes besoins au profit d’une taylorisation
de l’habitat et d’un modernisme fordiste ravageur ; pour expliquer ce qui a été déjà abordé
dans un chapitre précédent.

1.5 Comment produire un logement de qualité.

Tous logement peut posséder ou non certaines qualités ; il peut être vaste ou étroit, bien ou
mal orienté, posséder des espaces hiérarchisés ou non. Il peut faire l’objet de transformations
plus ou moins importantes selon le degré de conformité ou de non-conformité à la manière de
vivre de l’habitant. La qualité du logement dépend donc de l’inscription ou la non inscription
dans l’espace des modes de vies et modèles culturels. La tâche de l’architecte est immense en
même temps que très délicate ; il doit tout faire pour permettre l’expression des modes de vies
et des modèles culturels. Cela signifie tout simplement que l’architecte doit prendre en
considération ces derniers dans la conception du logement, une certaine flexibilité qui puisse
permettre à l’utilisateur d’organiser et de constituer librement son « chez soi ».

« La notion de modèle culturel se présente modestement comme un outil spécifique et neutre


que le sociologue met à la disposition de l’architecte, afin que ce dernier puisse mieux juger
de l’habitat qu’il crée conformément aux pratiques réels des gens qui ne se contentent pas de
l’occuper mais d’y vivre, en tant que japonais etc. jeunes ou vieux, bourgeois ou prolétaires,
mariés ou non, chrétiens ou hâtés.

Naturellement, comme l’architecte ne construit pas pour des catégories très étroites, ni des
périodes courtes il s’agit de découvrir le plus petit dénominateur commun l’ensemble des
personnes susceptibles d’habiter aujourd’hui ou demain dans un logement donné. C’est le
modèle culturel » (10).
11

Cependant l’architecte en se basant sur les modèles culturels dans la conception de logement
ne doit pas en faire des règles strictes et conduire à une forme stéréotypée et uniforme du
logement.

Le manque de qualité qui caractérise le logement collectif en particulier a fait que le logement
idéal, pour beaucoup reste le logement individuel qui contrairement au point de vue
fonctionnaliste et minimaliste du logement collectif, permet l’expression la plus complète du
mode de vie et du modèle culturel. La maison individuelle représente à la fois le rêve ultime
et la seule possibilité concrète d’indépendance et de liberté (11).
12

3. La notion de l’habiter.

L’habiter

Revenons à l'habitant : la première piste d'élucidation de la création des milieux de vie est
l'habiter. Habiter, c'est départager un monde entre le dedans et le dehors. La maison, le foyer,
le logement constituent l'idée même d'habiter. Pour qu'il y ait un bien-être, il faut qu'il y ait la
possibilité de se créer une sphère protectrice, qui préserve I ‘autonomie ; il faut la possibilité
de s'inscrire dans la totalité tout en préservant sa singularité : pour qu'il y ait habitat, il faut
donc y ait possibilité de se le créer. L'univers familier, saisi comme une chose, ou un objet qui
vous définit, englobe la maison et l’espace de déplacement, la maison et l'espace de
projection. C'est un réservoir de formes qui permet de se représenter les lieux, un univers de
pratiques qui possède sa force d'inertie et définit, au-delà la saisie individuelle ou collective
des choses, un patrimoine, un univers hérité. La subjectivité trace de ce fait une cartographie
qui déborde les limites corporelles (d'après Felix Guattari, cité par Bourriaud, 2001).

Mais, et ceci ouvre la seconde piste à explorer pour donner à l'habitant toute sa place dans la
perspective d'un développement durable, parler de « milieu de vie » c'est ouvrir un univers qui
13

dépasse l'horizon même du vécu, et certaines de ses composantes, naturelles par exemple,
assurent la part informulée du monde ; c'est une réserve dans laquelle chacun puise pour
s'assurer qu'il y vit. Le sens de l'habiter est dans un rapport constamment renouvelé entre
fabrication du monde et dépassement du vécu par le monde; plus précisément encore, il est
dans les significations données a ce rapport. L’idée de dépassement est donc la deuxième piste
pour explorer l'habiter. Comment penser la part non-formulée, la réserve naturelle de
l'habiter ? Et de quelle manière s'agit-il de le penser : est-ce une réserve d’extase, ou une
réserve d'effroi en perspective, imagination étant le mode privilégie d'exploration de ce qui
nous dépasse ? En effet, l’habitant participe d'un milieu de vie incorporant des éléments,
choses, paysages, animaux, humains, lieux, qui ont une logique propre, une autonomie de
sens. Les nourrisseurs d'animaux, par exemple, reconfigurent la ville et fondent leur habiter
sur la prolifération des espèces, à l'aune de leur visée protectrice et de l'idée de vile vivante
qui les anime. Un milieu de vie est ainsi défini par la familiarité sensible avec une totalité
d'objets instrurnentaux chargés de significations. Cependant, comprend aussi une part qui
nous étonne, qui nous dépasse, qui est le produit de nos techniques, de nos gestes et qui,
parfois, fait figure de réserve. Cette réserve, cette « part in formulée est aussi celle qui fait
office de création : par exemple, la prolifération d'un animal en ville — le chat errant — fait
surgir de nouveaux enjeux : stérilisation, décret confiant sa gestion a des mères nourricière ».

Habiter

L'habiter désigne une relation à l'espace et aux autres. On dit que des individus et des groupes
habitent un espace lorsqu'ils parviennent à y trouver leur place et à lui donner du sens. Ils
l'investissent de pratiques et de significations imaginaires ou symboliques qui en font des
lieux de vie. (B. Salignon).

Habiter, comme rapport au monde et expression de la vie quotidienne

La notion d'habiter a été utilisée, dans les années 1950, par rapport à une réflexion sur la vie
quotidienne dans la société moderne (H. Lefebvre). II s'agissait d'une position philosophique
qui mettait au premier plan la question du sens et qui portait l'accent sur les pratiquez du
quotidien dans les actions les plus modestes. En décalage avec les interprétations marxistes en
cours, la vie quotidienne était appréhendée comme un fondement de la pratique sociale (et
non comme son reflet). Dès lors, elle jouait un rôle spécifique dans la lutte contre les
aliénations et comme moteur du changement social.

La notion d'habiter a été reprise par les sociologues de l'habitat en réaction aux théories
fonctionnalistes et aux théories marxistes. Elle s'est développée à la fin des années 1960,
notamment après les recherches effectuées sur l'habitat pavillonnaire. L'accent était mis sur
les dimensions sociales, spatiales, temporelles à l'œuvre dans la vie quotidienne (attitude
morale, rapport au monde social, possibilité de jouir de lieux « où d'être un homme d'honneur
14

on ait la liberté »). Actuellement, l'utilisation de cette notion prévaut sur d'autres qui lui
étaient liées, comme celle d'appropriation de l'espace.

Habiter comme création de l'habitat par l'habitant lui-même

La formule de Holderlin « l'homme habite en poète », ouvrait la voie à des recherches


centrées sur la poétique de l'espace, c'est à dire à la création de l'habitat par l'habitant lui-
même. Bachelard, dans « fa poétique de l'espace », mettait l'accent sur les valeurs d'intimité.
H.Lefebvre référait la notion d'habiter à la réalité urbaine et à un devenir social en formation.
Dans cette perspective, l'enjeu dépasse la seule création par l'habitant de son habitat. II s'agit
de construire des identités individuelles et collectives dans un espace de liberté.

L'habiter se fonde dans un conflit opposant les règles instituées et les forces d'appropriation. Il
s'agit d'une conduite par laquelle des hommes donnent un sens à l'espace où ils vivent, sens
qui à la fois les protège, renforce la permanence de leur identité et leur permet de faire face
aux changements en adaptant leur personnalité sans rompre l'unité. (M. Conan).

Habiter et normalisation de l'espace

Le débat habitat-habitera mobilisé dans les années 1970 les architectes et l'administration,
notamment le corps des Ponts et Chaussée. II s'agissait de montrer que l'habiter ne pourrait
être couvert paf un système de normes : mise en cause de la société de confort (1. Dreyfus),
études des réactions des habitants à des types d'architecture imposés (Boudon), critique des
présupposés présidant la conception des logements types qui ont été généralisés dans le
logement social.

La valeur symbolique d'un espace ne se réduit pas à des caractéristiques objectives et


esthétiques, mais elle est l'expression d'un rapport entre les intentions de ceux qui ont créé
l'espace, de ceux qui les font vivre et de ceux qui les habitent (1. Palmade). L'espace habité
réduit ou amplifie les problèmes liés aux situations de vie du moment, soutient ou fragilise les
gens dans leur vie quotidienne, conforte ou entrave la construction des identités individuelles
et collectives.

3.1. Etymologie du terme

« Habiter » qui signifie « habitare » en latin est apparu au 12ème siècle. Les définitions des
dictionnaires concernant ce terme sont très limitées ; elles réduisent le sens du terme habiter
en lui attribuant une signification matérielle ; il est définit par le terme « demeurer, « loger »,
15

« résider », définition qui reste incomplète par rapport à la richesse des sens divers que recèle
le terme habiter.

Notre habitation est marquée, signifiée par notre manière de vivre qui se reflète à travers des
manifestations extérieures perçues dans « habit » et dans « habitude ».

Dans le terme habiter ressort le sens d’avoir, « habere » en latin qui signifie posséder, tirer,
tenir, se tenir : c’est une façon d’être symboliser par le vêtement mais également en rapport
avec la localisation de l’habiter.

Habitude du latin « habuare » : fait référence à une « disposition acquise par des actes répétés,
manière de vivre (dictionnaire Larousse).

L’habitude est liée à la durée. Habiter signifie selon les définitions avancées par de nombreux
dictionnaires de langues françaises, vivre à l’intransitif, (vivre en un endroit), est au transitif,
il signifie « être » en un endroit, comme dans une demeure. Il existe un rapport étroit entre
habiter et demeurer (de demorari en latin), qui signifie « tarder, être de façon continue dans un
lieu, rester, habiter, avoir son domicile » selon le dictionnaire Larousse, d’où séjourner (durer
un certain temps, demeurer quelques temps dans un lieu, habiter).

Là aussi, on retrouve la notion de durée et de stabilité. D’après H. Tonka, dans ses notes sur
l’habiter, d’autres précisions sont nécessaires pour compléter le sens du terme habiter.

Avoir (du latin « habere ») possède trois sens selon celui-ci :

1. s’arrêter, tarder e, quelque endroit.

2. passer du temps à faire quelque chose. Il s’agit bien de passer son temps à faire
quelque chose dans l’étymologie du terme habiter.

3. faire sa demeure en quelque lieu, ce qui renvoie à être, gîter, loger, nicher etc. et à
toute une typologie de logements etc. (15).

4. Nous retrouvons dans les trois significations précédentes également la notion de durée
et de stabilité.

Que signifie le terme habiter en grec ?

1. Vivre dans sa maison (olxla). Son sens général c’est : habiter, demeurer, résider,
séjourner en quelque endroit d’où « vivre ». Habiter, occuper, au passif être habité, la terre
habitée…

2. Bâtir, au passif, être bâti et établi.

3. Administrer, gouverner une maison, une cité. Action d’habiter, de s’établir.


Habitation, palais, dernière demeure, tombes. Résidence, séjour, gîte d’animaux, nids
d’oiseaux etc. (16).
16

Liiceanu découvre l’existence dans l’utilisation grecque des verbes de l’habitation à l’aide de
l’idée de durée et de stabilité, de telle manière qu’en grec il était possible de les substituer au
verbe « être » dont il était de véritables synonymes.

Il trouve dans le terme « ethos » et son évolution une autre possibilité du sens de l’habiter, qui
signifie à son origine « caractère » et « essence », « manière d’être », il signifiait « séjour
habituel », habitation. Cette parenté démontre que la manière d’être d’un individu est le «
réflexe » de son mode d’habitation.

« Le mode d’être de l’habitant et les gestes qui traduisent ce mode dans la maison en
deviennent la marque propre et l’empreinte » (17).

L’étymologie grec nous donne la même richesse dans le sens du terme habiter, et on y trouve
le même dynamisme que dans l’étymologie latine.

3.2. Signification disparues du terme habiter.

La plupart des écrits sur l’habiter font référence aux études philosophiques par ce terme, qui a
consacré dans ses « essais et conférences », tout un chapitre au terme habiter, en se basant sur
l’exploitation étymologique des termes allemands. Il expose les signification que peut avoir le
terme habiter en s’éloignant des définitions appauvries qu’on donne aujourd’hui à ce terme,
chargé pourtant de sens. Il entreprit de mettre à jour des significations perdues, oubliées du
terme habiter. Martin Hedegger écrit : « Cet essai ne présent aucunement le bâtir du point de
vue de l’architecture et de la technique, mais il le poursuit pour le ramener au domaine de tout
ce qui est. Nous nous demandons : 1/ ce qui fait l’habitation (note 1 dans la texte : fait et
façon d’habiter et non logement sauf rares exceptions). 2/ Comment bâtir fait-il partie de
l’habitation ?... on ne parvient pas semble-t-il à l’habitation que par le « bâtir » (de l’allemand
« bauen » : qui veut dire bâtir, cultiver et qui a signifié habiter), celui-ci, le bâtir, à celle-là
l’habitation, pour but » (18).

Martin Hedegger souligne qu’il n’est pas possible de confondre bâtiment et habitation parce
que tous les bâtiments ne sont pas destinés uniquement à l’habitation. D’ailleurs, l’habitation
a un sens beaucoup plus riche que celui de bâtiment construit et destiné au logement.

Heidegger donne des précisions quant au terme bâtir : « Le mot du vieux allemand pour bâtir,
Buan, signifie habiter. Ce qui veut dire demeurer, séjourner. Nous avons perdu la signification
propre du verbe Bauen (bâtir) à savoir habiter. Maintenant, à vrai dire, le vieux mot, Buan ne
nous apprend pas seulement que Bauen (forme moderne de Buan) est proprement habiter,
mais en même temps il nous laisse entendre comment nous devons penser cette habitation
qu’il désigne.

D’ordinaire, quand il est question d’habiter, nous nous représentons un comportement que
l’homme adopte à côté de beaucoup d’autres. Nous travaillons ici et nous habitons là (…). A
17

l’origine, le mot Bauan veut dire habiter. Là où le mot Bauen parie encore son langage
d’origine, il dit en même temps jusqu’où s’étend l’être de l’habitation » (19).

Martin Heidegger rappelle donc, qu’être et habiter sont un seul et même verbe.

Henri Lefebvre constate que « le logement construit selon les prescriptions économiques et
techniques s’éloignent de l’habiter… » (20).

En effet, le sens spirituel de l’habiter a été masqué par les modes de production de l’habitat,
les technologies appliquées dans la production de celui-ci, ses dimensions matériels, ainsi que
l’évolution du mode d’habiter. Cependant, on découvre le sens spirituel de l’habiter
actuellement ou on essaye de le rechercher.

Des études menées en psychologie animale et la psychiatrie tentent de démontrer l’importance


de l’adaptation de son être à l’environnement privilégié qui est l’habitat. Il est important de
considérer le lien étroit qui doit s’établir entre le mode d’être de l’individu ou de la famille
avec son mode d’habiter.

3.4. Le sens philosophique de l’habiter.

Pour M. Heidegger, le terme « habiter » a un sens abstrait. Selon lui, le fait d’ « habiter »
serait « une relation symbolique, voire poétique entre l’habitant et l’habitat » (21).

Cette approche va ouvrir un nouveau champ aux études sociologiques sur la notion d’habiter
méconnue jusque là, et remet en cause la neutralité qui caractérise cette action en même temps
que l’habitat.

Le concept de M. Heidegger, qui « poétise » la notion de l’habiter va cependant susciter


beaucoup de réserve chez plusieurs écrivains et philosophes, dans la mesure où pour celui-ci
la compréhension de l’essence de l’habiter passe par le rapprochement entre cette notion et «
être », qui ressort de l’analyse étymologique des termes allemands, ce qui lui a permis
d’établir la parenté entre « habite et je suis ».

Il estime que le fait que ces deux termes aient pu être utilisé comme un seul et même mot dans
la langue allemande, qui dans son évolution, a identifié l’habiter au bâtir, est une indication de
la nature coextensive de l’être et de l’habiter (22).

L’homme en venant au monde est dès les premiers instants en relation avec son
environnement aussi bien naturel que social. Il est par conséquent intégré dans une
communauté. Exister, être, signifient « être là » alors que « venir au monde » exprime le
mouvement de l’être vers celui-ci et la manière avec laquelle il va s’y intégrer en y puisant les
éléments nécessaires à sa vie tout en participant à l’édification de c e monde par son action sur
celui-ci.
18

Selon M. Heidegger, l’habiter fonde « l’être de l’homme ». Selon lui, il signifie organiser le
monde à partir d’un centre. C’est être actif, agir sur l’espace dans le monde afin de le signifier
et le qualifier, d’édifier son habitation en traçant son territoire, en définissant son seuil, son
intérieur et son extérieur, en organisant et en agençant les espaces le composant etc.

C’est de son milieu environnant que l’homme va puiser et sélectionner tous les éléments qui
vont lui permettre de former son habitation.

« La demeure est un lieu centré, structuré, significatif et concentré ; elle permet le retrait et
ouvre sur des horizons, elle organise un univers à partir duquel l’habitant rayonne, va et vient
etc. » (23).

Du point de vue philosophique « habiter » c’est être responsable. Il s’agit pour l’être de
s’engager et d’assumer sa participation dans l’évolution de l’univers d’une manière générale,
et dans son action sur le monde naturel et social d’une manière particulière.

Dans ce sens, toute l’importance de l’habitation, son appropriation, son marquage, son
entretien ou sa maintenance, l’attachement dont elle fait l’objet etc. rentre dans des principes
d’ordre moral qui est l’éthique des relation humaines et de la construction des occupants.

Selon Lévinas, l’habiter et sa manifestation dans l’appropriation, s’accomplissent à partir


d’une habitation, d’un « chez soi ».

« La maison bâtie de briques et de mortier est l’endroit où le sujet peut ensuite à posteriori
enfermer l’événement de demeurer. La demeure en soi, cette intériorité du moi est ainsi
d’abord, essentiellement une retraite. Le moi existe en se recueillant, en se séparant du monde
à partir d’une amitié à l’égard de lui-même et, partant, à l’égard des choses du monde. Ce
n’est qu’après coup, sur la fondation du recueillement, que l’homme se réfugie
empiriquement dans l’intimité de la maison construite. Et c’est seulement lorsque ce refuge
est accompli que le bâtiment prend son plein sens de demeure, de maison » (24).

Un bâtiment ne peut être considéré comme demeure, maison ou habitation tant que c’est un
abri qui protège contre les intempéries et les dangers, une réserve pour les ustensiles et les
aliments, un espace purement fonctionnel.

3.5. Le sens sociologique de l’habiter.

H. Lefebvre a utilisé le terme habiter dans les années 1950, par rapport à une réflexion sur la
vie quotidienne dans la société moderne, qui était en faite une position philosophique et
privilégiait la question du sens et insistait sur la vie quotidienne.

Contrairement aux idées et interprétations marxistes en cours, les pratiques du quotidien


constituaient les fondements de la pratique sociale (et non son reflet). Dès lors, elle joutait un
19

rôle spécifique dans la lutte contre les aliénations et comme moteur du changement social
(25).

La sociologie de l’habitat a repris cette notion pour réagir contre les théories fonctionnalistes
et marxistes. Henri Lefebvre, dans les années 1960 introduisit la notion de l’habiter en France
avec l’ « introduction » à l’étude sur « l’habitat pavillonnaire » dans laquelle il prend
clairement position pour M. Heidegger sur la notion de l’habiter.

Il écrit en effet : « La terre est l’habiter de l’homme, c’est cet « être » exceptionnel parmi les «
êtres » (les étants) », comme son langage est la demeure de l’être » (26).

Cependant, H. Lefebvre explique la notion d’habiter conformément à ses propres théories qui
sont beaucoup plus en rapport avec « la production », « les relations sociales », « la dimension
du travail » et également avec les idées sociologiques en cours qu’il va enrichir par
l’introduction de nouveaux termes tels « appropriation », « espaces », « forme », « structure »
etc.

Dans son ouvrage très connu, « La révolution urbaine » (27), il met en exergue le processus
qui était à l’origine du déséquilibre ville/campagne, introduit un nouveau terme « l’urbain »,
et réutilise la notion d’habiter de façon plus proche et plus conforme de la théorie de M.
Heidegger. Il écrit : « L'être humain ne peut pas ne pas bâtir et demeurer, c'est-à-dire avoir
une demeure où il vit, sans quelque chose de plus (ou de moins) que lui-même : sa relation
avec le possible comme avec l'imaginaire… l'être humain (ne disons pas l'homme) ne peut pas
ne pas habiter en poète. Si on ne lui donne pas, comme of¬frande et don, une possibilité
d'habiter poétiquement ou d'inventer une poésie, il la fabrique à sa manière» (28).

Pour H. Lefebvre, l’habiter constitue une dimension humaine différente au cours de l’histoire,
d’une société à une autre. Il précise que la vie quotidienne est l’essence même de la
production de l’espace, qui est l’expression de l’initiative humaine. Ceci se manifeste
particulièrement dans les objets de l’habiter, dans la fonction est utilitaire et exprime en même
temps des valeurs symboliques propres à une société donnée. « L’habiter est d’abord constitué
par des objets, des produits de l’activité pratique : des biens meubles et immeubles…qui
enveloppe et signifient des relations sociales » (29).

Henri Lefebvre estime également que l’habiter entretient des rapports étroits avec le langage,
et non pas seulement par des pratiques et des objets fonctionnels et symboliques. Il écrit à ce
propos : « La façon d’habiter, le mode ou les modalités de l’habiter s’expriment dans le
langage…La vie quotidienne exige une perpétuelle traduction en langage courant de ces
systèmes de signes que sont les objets qui servent à l’habiter, aux vêtements, à la nourriture »
(30).

L’habiter possède un mode qui s’exprime par un langage spécifique et singulier qui se
matérialise dans des « objets et des œuvres » remplient de significations.

Pour H. Lefebvre, l’habiter est inconcevable sans son environnement social et sans la ville.
L’habiter est un niveau privilégié de l’être au monde mais il reste lié aux autres modes de
20

l’existence. Habiter, n’est pas se replier sur un « privé », et ne se limite pas à un espace intime
du logement mais se cristallise dans le quartier, l’agglomération, la ville.

H. Lefebvre s’oppose par sa position à l’idée de Gaston Bachelard pour qui habiter « c’est
occuper une maison particulière, cadre des premiers apprentissages ; et retrouver l’enfance :
l’intimité de l’atmosphère familiale et la découverte du monde cosmique de la nature » (31). Il
accepte que la maison constitue le cadre de la quotidienneté, des premiers apprentissages, des
souvenirs d’enfance (G. Bachelard écrit : peut être qu’habiter c’est aussi être habiter), mais
estime que « celle-ci est d’abord le point de départ, le développement de l’enfant, un point
d’appui de l’imaginaire, les tremplin vers les possibles. A la coquille ronde et concentrée
s’oppose un espace qui est ouverture au monde » (32).

3.6. L’habitant fabrique son propre habiter.

L’expression célèbre de M. Heidegger commentant Höderlin « l’homme habite en poète »


(33) a permis aux chercheurs : sociologues, ethnologues et philosophes, de mener des
recherches qui se sont focalisés sur la « poétique de l’espace ». C'est-à-dire que l’habitant
façonne son habiter par lui-même. Il va s’approprier l’espace, le marquer, le signifier,
l’habiter, se fondre dans un conflit opposant les règles instituées les forces d’appropriation ; à
la pauvreté des objets qu’on lui propose, il projettera de la richesse, de la variété. L’habitant
aspire à faire de son logement un abri contre ce qui contre ce qui est essentiel dans sa vie et
auquel il consacre la majorité de son temps, à savoir, le travail ; l’habitation va lui paraître
comme une sorte de compensation possible à la vie de travail.

La maison comme le note H. Lefebvre comprend un niveau familial et individuel, mais il


n’est pas le seul, car la maison s’insère dans un ensemble, dans une totalité qui est l’urbain,
l’environnement social.

3.7. Rapport Habitat/habiter.

Dès la fin du 19ème siècle, l’habiter a été négligé et mis entre parenthèses. La conception de
l’habitat a été simplifiée et réduite aux fonction élémentaires : manger, dormir, se reproduire,
et seul l’espace bâti (villas, bâtiments etc.) et pris en considération.

L’habitat ne reconnaît pas la réalité de l’habiter, le fait d’être un niveau important et


spécifique dans la réalité urbaine. Il méconnaît « La diversité des façons de vivre, des types
urbains, des patterns, modèles culturels, et valeurs attachées a des modalités ou modulations
de la vie quotidienne » (34).
21

L’habiter devrait selon Henry Lefebvre prendre en considération et respecter toute les
diversités sociales et différences pouvant exister chez les individus ou groupes sociaux.

Il ne se résume pas uniquement au lieu familial, aux voisins, et aux relations « simplistes ».
En effet, pour celui-ci l’habiter est refoulé dans l’inconscience par l’habitat. Il écrit « Avant
l’habitat, l’habiter était une pratique millénaire, mal exprimée, mal portée au langage et au
concept, plus ou moins vivantes ou dégradé, mais qui restait concrète, c'est-à-dire a la fois
fonctionnelle, multi fonctionnelle, transfonctionnelle » (35).

L’habiter en tant que cadre de la quotidienneté de la famille, lieu des premiers apprentissages
pour l’enfant, des souvenirs habitant l’habitant (Gaston Bachelard), d’ « intimité protégée »
n’existe plus comme c’est le cas de ce qui relie l’individu au « possible comme l’imaginaire »
(Henry Le Febvre). L’habiter a perdu de sa diversité. Henry Lefebvre soucieux de penser
l’habitation de manière a ce qu’elle soit différente de l’habitat se pose la question suivante : «
comment créer un habiter qui donne forme sans appauvrir une coquille qui permette a la
jeunesse de croître sans prématurément se clore…comment offrir une demeure ? » (36).

En réalité, il est tout a fait possible de retrouver les acceptions de l’habiter dans l’habitation
qui serait a la fois la maison idéale avec ces valeurs d’ « intimité protégée », le cadre
d’épanouissement des ces occupants abritant rêves, souvenirs, en même temps «la maison «
tournée vers le monde, l’action dans le monde voire sur le monde. » comme le précise Henry
Le Febvre (37).

Dans cette perspective l’habiter désigne une relation entre l’espace et les autres. On eut
affirmer que des individus habitent un espace lorsqu’ils y trouvent leur place, lui donnent un
sens l’investissent de pratiques et de significations qui ont font des lieux de vie.

M.Conan écrit dans ce sens a propos de l’habiter : « il s’agit d’une conduite par laquelle les
hommes donnent un sens a l’espace où ils vivent, sens qui a la fois les protège, renforce la
permanence de leur identité et leur permet de faire face aux changements en adaptant leur
personnalité sans rompre l’unité » (38).

Maïté Clavel a brièvement et si bien résumé l’acception de la notion d’habiter : « habiter est a
la fois inventer, créer son espace quotidien et se trouver inséré sans un vaste cercle de
relations, de paysages familiers et ce pendant toujours a découvrir » (39).

Références.

(1) Ekambi Schmidt Jésabelle, « La perception de l’habitat » Editions Universitaires, Paris,


1982, p.26.

(2) cité in JésabelleEkambi Schmidt, op. cit., p. 32.

(3) Cité in JésabelleEkambi Schmidt, op. cit., p. 32.


22

(4) Marion Segaud, Catherine Bonvalet, Jacques Brun, (sous la dir. De), « Logement et
habitat : l'état des savoirs », Éd. la Découverte, Paris, 1998.

(5) Danièle Weiller, « La cité des mots », PUCA, Paris, 2000, p.99.

(6) N. Haumont, MG Raymond, H. Raymond, (collectif), « Introduction de l’habitat


pavillonnaire », in Cahiers Internationaux de Sociologie, Vol. LXXII, Nouvelle série, 29
année, janvier/juin 1982 p. 159.

(7) Petit Robert, dictionnaire de la langue française.

(8) Jean-Pierre Frey, « Réflexions sur le rapport habitus/habitat », Institut de Sociologie


urbaine, recherche, Le Creusot, janvier 1981.

(9) Ekambi Schmidt Jésabelle, « La perception de l’habitat », op. cit.,pp. 25-26.

(10) In revue « Urbanisme », janvier/février 1998, N° 298, p.56.

(11) P. H. Combart de Lauwe, « Famille et habitation », Sciences humaines et conceptions de


l’habitation », Ed. du CNRS, 2 tomes, Paris, 1955, 1967.

(12) Bassand Michel, Chevalier Gérard, Zimmermann Erwin, « Politique et logement »,


Collection «Villes, Régions et Sociétés», Presses Polytechniques Romandes, Lausanne ,1984.

(13) In revue « Urbanisme », janvier/février 1998, N° 298, p.56.

(14) Nicole Haumont, « Habitat et modèles culturels », revue française de sociologie, IX,
1968, p. 181.

(15) cité in Ekambi Schmidt Jésabelle, « La perception de l’habitat », op. cit., p. 32.

(16) cité in Ekambi Schmidt Jésabelle, « La perception de l’habitat », op. cit., p. 32.

(17) Segaud Marion, Brun Jacques, Driant Jacques, « Dictionnaire de l’habitat et du logement
», Armand Colin, Paris, 2002, p. 213.

(18) cité in Ekambi Schmidt Jésabelle, op. cit., p. 32.

(19) cité in Ekambi Schmidt Jésabelle, « La perception de l’habitat », op. cit., p. 32.

(20) Henri Lefebvre in Cahiers internationaux de Sociologie, Vol. LXXII, nouvelle série,
29ème année, janvier-février 1982, p. 2.

(21) Extrait de Heidegger, « Bâtir, habiter et penser » p. 430-435 in Choay F., « l'Urbanisme
- Utopie et Réalité, une anthologie », éditions du seuil, collection Point, Paris, 1965.

(22) Segaud Marion, Brun Jacques, Driant Jacques, op. cit., p. 211.

(23) Cité in Segaud Marion, Brun Jacques, Driant Jacques, op. cit., p. 213.

(24) Cité in Segaud Marion, Brun Jacques, Driant Jacques, op. cit., p. 214.
23

(25) Danièle Weiller, « La cité des mots », PUCA, Paris, 2000, p.99.

(26) N. Haumont, M.-G. Raymond, H. Raymond, L'Habitat pavillonnaire, éditions du CRU,


Paris, 1968, p134.

(27) H. Lefebvre, « La révolution urbaine », Gallimard, coll. Idées, Paris, 1970.

(28) Henri Lefebvre, op. cit., p. l13.

(29) Cité dans in Cahiers Internationaux de Sociologie, Vol. LXXII, nouvelle série, 29ème
année, Janvier-février 1982, p. 23.

(30) Cité dans in Cahiers Internationaux de Sociologie, op. cit., p. 24.

(31) Cité dans in Cahiers Internationaux de Sociologie, op. cit., p. 27.

(32) Cité dans in Cahiers Internationaux de Sociologie, op. cit., p. 27.

(33) Heidegger Martin, « Bâtir, Habiter, penser », in « Essais et conférences », Gallimard,


Paris, 1979.

(34) Henry Lefebvre, op. cit.

(35) Cité dans in Cahiers Internationaux de Sociologie, op. cit., p. 27.

(36) Cité dans in Cahiers Internationaux de Sociologie, op. cit., p.27.

(37) Cité dans in Cahiers Internationaux de Sociologie, op. cit., p. 27.

(38) M.Conan, « L'invention des lieux », Théétète, Paris, 1997.

(39) Maïté Clavel, « L’habiter », Cité dans in Cahiers Internationaux de Sociologie, Vol.
LXXII, nouvelle série, 29ème année, Janvier-février 1982, p. 18.
24

1. Notion de modèle culturel.

1.1 Le contexte de leur apparition.

La période 1950-1960, en France, où s’est faite la reconstruction d’après-guerre et qui a


engendré le grand ensemble a vu se développer plusieurs courants de pensée, de méthodologie
dont les méthodes qualitatives étaient privilégiées. Apparaissait alors une pensée qui
soucieuse de la prise en compte du cadre de vie et des modes de vie d’individus et de groupes
sociaux tout en privilégiant leur spécificité.

Les sciences sociales participèrent par de nombreux travaux et s’intéressèrent aux relations de
l’homme et de son habitat. Les penseurs du 19ème siècle, tels Volnay ont été à l’origine de
pensée fonctionnaliste qui s’appuie sur la notion de besoins dans le but de répondre aux
aspirations des habitants et devant la difficulté de construire pour un client anonyme, on a
tenté de répertorier les besoins « moyens » que le logement devait satisfaire.

A la fin des années 1970, les chercheurs ont étudié la diversité des modes de vie et des modes
de cohabitation dans l’espace construit, de l’usage des espaces, des effets des normes sur le
25

vécu des habitants. C’est donc sous l’effet de mouvements sociaux que l’idée d’une meilleure
prise en charge des exigences de la société civile s’est imposée aux décideurs qui ont tendance
à ajuster les pratiques du logement aux besoins de l’industrie.

Les recherches de Chombart de Lauwe, considéré en France comme le père de sociologie


urbaine, va utiliser dans ses travaux durant les années 1950 les deux notions de besoin et
d’aspiration plaçant cette dernière « à la charnière du personnel et du social ».

« Il ouvrait la voie à la prise en compte d’un désir profond, face à l’espace ou dans les
rapports sociaux, du silence, beauté, dignité, autant de perceptions ou d’attitudes où l’essence
même de l’architecture pouvait se glisser » (1).

D’autres sociologues vont adopter d’autres méthodes d’approches dont Amos Rappoport
(Anthropologie de la maison) et T. Hall (La dimension cachée) qui se sont intéressés à la
lecture de l’espace par différents groupes culturels.

Quant à Henri Raymond, il s’est intéressé durant les années 1960 aux comportements de
familles, tels que les rapports homme/femme dans le logement grâce à ses recherches, les
concepts de besoins, d’usages et de pratiques ont fait leur apparition.

Les chercheurs Jean Michel Léger, parmi d’autres, a été à l’origine du concept de mode de vie
et ceci après avoir fait connaître les mutations réalisées pendant les dernières décennies à
travers l’étude de l’évolution de l’habitat moderne tout en montrant comment l’organisation
de l’espace répond à l’évolution de la société (2).

Les sociologues vont se servir alors de deux concepts principaux, celui du modèle culturel et
de mode de vie

1.2. Le concept de modèle culturel.

« Quand on parle de manières de faire, voire de bonnes manières, quand on parle de mode
opératoire, de recettes, de relations, on se réfère généralement à des modèles qui performent
les pratiques de tout un chacun dans une société ; ce sont ces modèles qu’on appelle culturels
ou sociaux suivant qu’on les rapproche d’une culture ou d’une nation, les relations entre
parents et enfants (l’habitude de corriger les soins d’éduction, de propreté, les politesses), les
méthodes culinaires, les méthodes sexuelles, tous l’immense aspect routinier de la sociabilité
de la vie quotidienne relève de ce que l’on appelle modèle » (3).

C’est Henri Raymond qui a emprunté la notion de modèle culturel à l’anthropologie


américaine et fondé une méthode spécifique permettant l’analyser les relations entre la
pratique et la symbolique de l’habitat.

Selon son point de vue, l’idée du modèle culturel « devait être moins comprisse comme un
modèle figé répondant à des besoins permanents de nature universelle, que comme le principe
à partir duquel les habitants peuvent procéder à leurs propres arrangements et devenir acteur
de l’habiter (4).
26

Notons que le principe de modèle culturel a été d’abord boudé que ce soit par les sociologues
ou les architectes craignant une sorte de nouvelle normalisation de l’espace, bien que
certaines terminologies ce sont répandues tels que « espace de transition », « rapport public-
privé » etc.

1.3. L’expression de la notion de modèle culturel dans l’espace.

Plusieurs chercheurs se sont intéressés à la relation entre le modèle culturel et l’habitat dont
Nicole Haumont, Marion Ségaud, Pierre Bourdieu, Levi straussetc, et ont été unanime sur le
fait que le logement ne constituait pas uniquement « le lieu de satisfaction de quelques
besoins simples, manger, dormir, procréer, mais que ces besoins ne se manifestaient qu’à des
modèles propres à chaque nation : le japonais ne dort pas comme le français, l’allemand ne
cuisine pas comme l’espagnol, et quant aux manières de faire sexuelles et surtout à leur
éventuelle proximité des autres, il existe de grandes variations de l’américaine à la russe… »
(5).

Le modèle culturel suppose l’existence de comportements communs à la majorité des


individus d’une société donnée, parents, enfants, hommes, femmes, tout système qui évolue
lentement ; en plus de la particularité ou spécificité avec lesquelles est exprimé chaque
comportement par l’utilisateur.

La notion la plus importante est la notion d’intimité. Elle s’intéresse au rapport qu’entretient
l’individu avec son environnement qu’il soit proche ou lointain, de ce qu’il accepte de révéler
au regard des autres et ce qu’il tient au contraire à préserver ; ce qui va avoir des
conséquences sur la manière d’organiser l’espace.

« En arrivant dans une maison neuve il faut l’habiller entièrement à ses goûts, la refaire pour
soit » (6).

Ainsi, l’espace qualifié par des signes sera organisé en espace public privé, des lieux intimes
et ceux destinés à la vie collective, en espace conjugale et familiale, en espaces considérés
comme étant sales et d’autres comme étant propres. L’habitant entretiendra les espaces du
propre qui sont destinés à être montrés. Certains espaces seront qualifiés de « sales » où il
peut régner un certain désordre, soi temporaire comme la cuisine ou permanent comme
l’espace de bricolage. Ils seront quant à eux cachés.

Donc, la manière de compartimenter l’espace, de le marquer, son utilisation différenciée, sont


liés à des modèles culturels particuliers – rôle masculin-féminin, opposition public-privé etc. -
spécifiques par leur caractéristiques, propre à une culture. Ainsi, la notion de public-privé ou
de sale-propre, tel que conçue par les sociétés musulmanes, par exemple, paraît bien
appartenir à un modèle culturel.

Très souvent, ces modèles culturels évidents sont délibérément ignorés par les concepteurs de
l’espace et les décideurs qui continuent à produire un habitat inadapté, non conforme aux
modèles culturels des habitants. Cette attitude a été à l’origine d’une déculturation progressive
27

- qui peut être irréversibles – des familles algériennes. L’exemple de l’impossibilité de


perpétuer le sacrifice du mouton de l’Aïd El Kébir par manque d’espace assigné à cette
pratique dans le logement ou au niveau du quartier, est édifiant. Un autre exemple est celui du
balcon dont la balustrade est en ferronnerie que la famille algérienne s’empresse de fermer
avec des moyens rudimentaires (plaques opaques, tôles ondulées ou en même en maçonnerie)
pour protéger l’intimité familiale. Les femmes utilisent rarement le balcon parce que
contrairement au fait que celui-ci constitue un espace intermédiaire entre l’extérieur et
l’intérieur dans la maison occidentale, il est considéré dans le contexte algérien comme un
espace extérieur et dont public. Le balcon est également fermé pour se protéger des conditions
climatiques ou alors pour être annexé à la cuisine ou à une pièce qui sont souvent exigu dans
le logement social où la logique minimaliste domine.

La reconversion du siège du WC à l’anglaise en WC à la turque est un autre exemple qui


illustre les relations conflictuelles qui existe entre la pratique et l’espace dans lequel elle est
censée se dérouler.

1.4. Comment appliquer le modèle culturel au logement.

« Le logement n’est pas « une machine à habiter » susceptible de procurer une vie «
harmonieuse » par la satisfaction de besoins répertoriés une fois pour toute, quelque soit
l’individu auquel il est destiné. On ne peut pas demander a l’habitant de s’adapter a un
logement qui lui est « attribué » sans tenir compte de ce que signifie pour lui le fait d’ «
habiter ». L’espace habité n’est ni neutre ni homogène, il possède des significations qui sont
liées à l’ensemble de l’existence de l’habitant. Celui-ci s’approprie l’espace habité par un
marquage en référence à des modèles culturels transmis par l’éducation. C’est l’étude de ce
marquage, et de sa socialisation qui devrait permettre de mieux comprendre le besoin général
d’ « habiter » et la satisfaction que lui apporte des modes de logements différents » (7).

Ainsi il est indéniable que, comme l’affirme également Henry Raymond que même si les
modèles culturels ne sont pas tout, car il y a le mode de vie qui a une grande influence sur le
logement-nous le verrons plus tard- un grand nombre de caractéristiques sont des
cristallisations des modèles culturels. Toutes les attitudes et comportements qui se déroulent
dans le logement correspondent à l’inscription dans l’espace de modèles bien déterminés.
Même si de point de vue des architectes tout l’ensemble de dispositions prises dans le
logement sont d’ordre naturel « il y a dans le logement peu de nature et énormément de
culture au moins dans notre système de vie » (8).

Le logement produit aujourd’hui reflète de moins en moins les modèles culturels. Les
architectes modernes, attachés à leur idéologies fonctionnaliste qui a tendance à ajuster les
produits du logement aux besoins de l’industrie (production en série), on produit un logement
«exportable », et l’on retrouve le béton jusque chez les indiens Molitones où ils remplacent
mal, note Jaulin, le matériau local (9).
28

Ainsi, les idéaux « progressistes » repris de façon universelle ont engendré une architecture
répressive en proclamant que tout l’univers a les mêmes besoins au profit d’une taylorisation
de l’habitat et d’un modernisme fordiste ravageur ; pour expliquer ce qui a été déjà abordé
dans un chapitre précédent.

1.5 Comment produire un logement de qualité.

Tous logement peut posséder ou non certaines qualités ; il peut être vaste ou étroit, bien ou
mal orienté, posséder des espaces hiérarchisés ou non. Il peut faire l’objet de transformations
plus ou moins importantes selon le degré de conformité ou de non-conformité à la manière de
vivre de l’habitant. La qualité du logement dépend donc de l’inscription ou la non inscription
dans l’espace des modes de vies et modèles culturels. La tâche de l’architecte est immense en
même temps que très délicate ; il doit tout faire pour permettre l’expression des modes de vies
et des modèles culturels. Cela signifie tout simplement que l’architecte doit prendre en
considération ces derniers dans la conception du logement, une certaine flexibilité qui puisse
permettre à l’utilisateur d’organiser et de constituer librement son « chez soi ».

« La notion de modèle culturel se présente modestement comme un outil spécifique et neutre


que le sociologue met à la disposition de l’architecte, afin que ce dernier puisse mieux juger
de l’habitat qu’il crée aux pratiques réels des gens qui ne se contentent pas de l’occuper mais
d’y vivre, en tant que japonais etc. jeunes ou vieux, bourgeois ou prolétaires, mariés ou non,
chrétiens ou hâtés.

Naturellement, comme l’architecte ne construit pas pour des catégories très étroites, ni des
périodes courtes il s’agit de découvrir le plus petit dénominateur commun a l’ensemble des
personnes susceptibles d’habiter aujourd’hui ou demain dans un logement donné. C’est le
modèle culturel » (10).

Cependant l’architecte en se basant sur les modèles culturels dans la conception de logement
ne doit pas en faire des règles strictes et conduire a une forme stéréotypée et uniforme du
logement.

Le manque de qualité qui caractérise le logement collectif comme particulier a fait que le
logement idéal, pour beaucoup reste le logement individuel qui contrairement au point de vue
fonctionnaliste et minimaliste du logement collectif, permet l’expression la plus complète du
mode de vie et du modèle culturel. La maison individuelle représente à la fois le rêve ultime
et la seule possibilité concrète d’indépendance et de liberté (11).
29

2. La notion d’habitus

Habitus

La notion d'habitus mêle l'influence de critères objectifs et subjectifs. II s'agit d'un


schéma générateur et organisateur des pratiques, structuré à partir des conditions
objectives d'existence ainsi que de l'expérience antérieure de l'acteur. C'est la position
de classe des individus, c'est à dire leur place dans le système de production, qui
détermine en partie leurs valeurs et leurs pratiques. Mais chacun réagit aussi de
manière personnelle en fonction de son expérience individuelle.

Bourdieu présente le monde social sous la forme d'un espace à plusieurs dimensions,
construit sur la base de principes de différenciation et de distribution. Les agents et
groupes d'agents sont définis par leurs positions relatives dans cet espace. Le principe de
30

distinction amène chaque fraction de classe sociale de se démarquer des autres en


affirmant des valeurs et des pratiques différentes. Bourdieu a ainsi effectué une
classification de groupes : les classes supérieures (dominantes et dominées), les classes
moyennes (la petite bourgeoisie nouvelle, d'exécution, ou traditionnelle), les classes
populaires (les ouvriers, contremaitres, et petits agriculteurs, les petits salariés et
personnels de service).

L'habitus selon Bourdieu :

La notion d’habitus a été popularisée en France par le sociologue Pierre Bourdieu et met
en évidence les mécanismes d'inégalité sociale. Il semble avoir découvert ce terme dans
les traductions qu'il fit, au début de sa carrière, de certains ouvrages d'Erwin Panofsky,
consacrés à l'esthétique et la scolastique médiévales1. L'habitus est pour lui le fait de se
socialiser dans un peuple traditionnel, définition qu'il résume comme un "système de
dispositions réglées". Il permet à un individu de se mouvoir dans le monde social et de
l'interpréter d'une manière qui d'une part lui est propre, qui d'autre part est commune
aux membres des catégories sociales auxquelles il appartient.

Le rôle des socialisations primaire (enfance, adolescence) et secondaire (âge adulte) est
très important dans la structuration de l'habitus. Par le biais de cette acquisition
commune de capital social, les individus de mêmes classes peuvent ainsi voir leurs
comportements, leurs goûts et leurs "styles de vie" se rapprocher jusqu'à créer un
habitus de classe3. Chacune des socialisations vécues va être incorporée (les expériences
étant elles-mêmes différentes selon la classe d'origine) ce qui donnera les grilles
d'interprétation pour se conduire dans le monde. L'habitus est alors la matrice des
comportements individuels, et permet de rompre un déterminisme supra-individuel en
montrant que le déterminisme prend appui sur les individus. Cet habitus influence tous
les domaines de la vie (loisirs, alimentation, culture, travail, éducation, consommation...)

2.1. Définition.

La notion d’habitus s’intéresse aux questions de l’espace et particulièrement celles de


l’habitat.

Domaine privilégié de l’existence, l’habitat constitue, selon H. Heidegger la part essentielle


de son être (12).
31

C’es un système de dispositions pratiques et symboliques qui permettent à l’habitant d’agir


quotidiennement sur l’espace qu’il s’approprie par un marquage en référence à de modèles
culturels inculqués par l’éducation.

En d’autres termes, il s’agit « d’un schéma générateur et organisateur de pratiques, structuré à


partir de conditions objectives d’existence ainsi que de l’expérience antérieure de l’acteur.

C’est la position de classe des individus, c'est-à-dire leur place dans le système de production,
qui détermine en partie leurs valeurs et leurs pratiques. Mais chacun réagit aussi de manière
personnelle en fonction de son expérience individuelle » (13).

Pour Pierre Bourdieu, le monde social comporte plusieurs dimensions, et est basé sur la
différenciation sociale. Il effectue ainsi, une classification des groupes d’individus (classes
supérieures, classes moyennes, classes populaires) ; c’est l’appartenance des individus à une
classe, et par conséquent leur position dans le système de production qui va définir leurs
valeurs et leurs pratiques.

Le principe de distinction permettra à chaque catégorie sociale de se distinguer des autres en


adoptant des valeurs et des pratiques différentes. Mais, chacun peut réagir selon sa propre
expérience.

La notion d’habitus développée par Pierre Bourdieu « est une combinaison complexe entre
des pratiques et des modèles culturels transmis par l’éducation qui fondent l’organisation de la
vie quotidienne, déterminent les pratiques qui sont le produit d’une conjoncture, comme
évoqué auparavant » (14).

2.2. Relation Habitus/Habitat.

Dans les années 1970, la sociologie s’oppose aux idéologies qui stipulaient que l’habiter est «
produit » de la conception de l’architecte.

Elle s’attellera à démontrer que toute architecture porte la trace d’un mode d’habiter propre à
une culture dans une société donnée.

La notion d’habitus ou de modèle culturel va permettre d’expliquer, d’appréhender le


pourquoi de certaines formes architecturales et la relation qu’elles entretiennent avec les
pratiques de l’habiter.

2.3. Production et transformation des habitus.


32

Les initiateurs du concept « d’habitus » durant les années 1970 s’opposent aux idées des
architectes progressistes leur imputant la stagnation des modes d’habiter.

Les partisans de l’habitus avaient pour objectif de parvenir à établir un équilibre, de réduire la
fracture entre la demande sociale d’espace approprié, saisissable dans le vécu quotidien des
habitants ainsi que dans leurs projets d’habitat.

Ils vont dénoncer les contradictions existantes dans la production de l’espace ou par le moyen
de la division du travail dans le cadre du logement pour tous, les professionnels ont imposé
une conception de l’espace architectural en tant qu’instrument destiné à modifier ou à changer
les rapports sociaux (comme l’ont déjà fait les leaders du mouvement moderne dans les
années).

Le logement universel, conçu à partir de besoins supposés universels, ainsi que l’homme
universel étaient la définition d’un homme universel, la standardisation des structures
familiales devaient conduire à des organisations types du logement.

Ce présupposé oubliait les grandes différences régionales encore très présentes. La production
du logement n’a pas tenu compte des changements, des évolutions et des permanences dans le
mode de vie algérien et à continuer à imposer aux algériens des logements types.

3. Notion de mode de vie

3.1. Définition.

La notion de mode de vie dépendait étroitement de la classe sociale. Les modes de vie
peuvent varier avec les groupes sociaux.

Autrefois, chaque catégorie sociale se caractérisait par des modes de vie particuliers : mode de
la de la classe paysanne, de la classe ouvrière et de la classe bourgeoise.

Chambart de Lauwe est parvenue à définir les modes de vie et la classe ouvrière. Le fait
d’évoluer socialement était à l’origine de conflits entre les catégories sociales, ou statuts
sociaux.

Anatole Haumont a théorisé la notion de mode de vie en 1975 en référence à la position des
individus dans le système de production, ce qui distingue du modèle culturel.

Modèles culturels et modes de vie évoluent selon le rythme lent de formation et de maturation
des classes sociales, le second selon le rythme de consommation (15).

3.2. Rapport mode de vie Habitat.


33

Généralement, le mode de vie est la manière dont la vie quotidienne de la famille est
influencée et liée à l’activité générale de la société, système de production, consommation,
travail, loisir, etc.

Le mode de vie est constitué donc par « un succession d’événements suffisamment quotidiens
et répétés pour qu’ils constituent en effet une manière de vivre : se lever, sortir, aller vers telle
occupation, rentrer, retrouver sa famille ou ses voisins. D’autres événements sont moins
quotidiens au sens strict du terme mais ne sont pas pour autant hasardeux : trouver du travail,
choisir son conjoint, changer de domicile. Diverses structures présentes dans la société sont
évidemment en filigrane : par exemple l’emploi, les modèles d’organisation des familles, la
division du territoire urbain.

Par les différences sociales et fonctionnelle, le mode de vie apparaît comme un ordre, avec ses
régularités, ses répétitions, ses relatives stabilités» (16).

Ce qui est important c’est de saisir ce qui est à l’origine de cet ordre et sa durabilité ; il y a
d’abord tout ce qui est extérieur au mode de vie et qui exerce une influence sur celui-ci tels
que le type de travail qu’on fait et le niveau de revenu qui lui correspond, ensuite les
différents objectifs que les individus se fixent eux-mêmes en vertu de normes et de modèles
intériorisés (éducation des enfants, ou même le nombre d’enfants souhaités).

On constante que le système practico-symbolique de l’habitat est le résultat des deux


mécanismes de régulations ; ceux imposés et ceux intériorisés. A.H. « Habiter », Idem.

L’évolution dans ces deux types de régulations se fait différemment, pas au même rythme.

Ainsi, les modèles culturels qui servent de « matrices » aux individus pour mettre en œuvre
les faits et gestes de leur vie quotidienne évoluent beaucoup plus lentement que les modes de
vie et leurs conditions matérielles (les nouveautés telles que les inventions technologiques qui
sont presque quotidiennes etc.), qui généralement évoluent rapidement.

Aujourd’hui, on constate qu’il n’existe pas vraiment une adéquation entre mode de vie et des
types d’organisation de l’espace. La conception des logements sociaux continue de perpétuer
toujours les mêmes erreurs qui sont dues à l’incompréhension de ce que peut être comme l’a
stipulé A.H. « la culture de l’habitat » : la répétition à l’infini d’espaces mal définis, mal
agencés, mal hiérarchisés, soumis aux normes basées sur l’espace minimum, la typification…

Tout ceci a constitué un accélérateur dans la détérioration et la dégradation de l’image des


quartiers d’habitat social, qui n’est déjà pas de qualité à l’origine, à cause des tentatives
désespérées des habitants des les adapter à leurs manières de vivre, à travers des
transformations relevant du bricolage.

Cette situation est aggravée par le surpeuplement, me manque d’emploi et d’équipements,


environnement dégradé etc. De nombreuses familles se trouvent dans des situations des plus
34

graves et contradictoires : « l’impossibilité de mettre en pratique les modèles sociaux et


culturels qui donnent les moyens d’utiliser l’espace » (17).

Le retour à la réalisation des tours à étage multiples pour les familles algériennes (allant
jusqu’à 10 étages notamment dans les villes), constitue un autre échec, un échec considérable
qui marquera l’histoire de l’habitat et de l’urbanisme en Algérie.

Les modes de vie et modèles culturels doivent avoir leur incidence sur l’organisation spatiale
du logement, car on ne peut programmer, concevoir, construire sans une connaissance
qualitative des modes de vie, sans se référer à ce qui, pour les habitants représente la qualité.

4. Les pratiques de l’espace

4.1. Qu’est ce qu’une pratique de l’espace ?

Il n’est pas possible de parler de pratiques de l’espace qui soient générales ou universelles,
mais de pratiques de l’espace qui changent d’une région géographique à une autre.

C’est ce qu’Henri Lefevbre appelle l’espace concret ou celui de l’habitat «geste, parcours,
corps et mémoire, symbole et sens » (18).

L’espace entretient avec la vie quotidienne une relation d’interdépendance très étroite. La
pratique est perceptible à travers le déroulement du vécu ou de la quotidienneté des gens.
Comme l’affirme Jean Charles De Paule « La pratique se repère à travers les manifestations
qu’elle organise, structure et met en système. Concevoir la pratique comme mise en système
de la vie quotidienne en relation a l’espace, cela n’est t-il pas réducteur ? Bien sur, et cela
nous engage a concevoir « des systèmes temporels ». La pratique s’engage autant, elle est
développement, reconduction, rythme » (19).

La pratique de l’espace est tout ce que cela engage de culturel, de dimensions symboliques de
la vie quotidiennes. La pratique ne se limite pas uniquement en termes de fonctions. Les
activités ne sont jamais prises en leurs termes les plus restreints.

4.2. L’intérêt accordé a la pratique de l’espace


35

Diverses raisons et conditions historiques ont amenés les architectes et sociologues à


considérer les pratiques dans la conception de l’espace. A partir de l’année 1960 s’opère un
éclatement social dans les pays occidentaux qui s’est traduit par la division de la société en
catégories, la division du travail, la distribution des rôles, et des attributs dans le mode de
production et le système de consommation.

La division de la société en classe, s’est suivie de la division du travail, celle du pouvoir et la


répétition du temps en temps de production et reproduction de la force de travail.

Dans le domaine de l’architecture, la division de la société a été a l’origine d’une


différenciation nette entre demande et commande, praticien et consommateur : par conséquent
la production sociale est réduite au stricte minimum nécessaire, et est soumise aux aléas d’un
système socioéconomique subordonné a la logique étroitement productiviste. Basé sur la
maximisation du rendement dans les productions a économie du marché, l’habitat devenant
une marchandise. Alors que, dans les pays de développement, on pratique selon l’expression
empruntée à Daniel Pinson, la distribution de rations de logements.

Aujourd’hui, avec la mondialisation l’habitat est plus que jamais une marchandise, un simple
produit dépendant des critères liés a l’équilibre entre la production et la consommation. Dans
certains pays, il existe une volonté des pouvoirs publics d’opérer un changement social,
comme c’est le cas de l’Algérie.

Cependant, ce changement pourrait être un bouleversement traumatisant pour les masses, une
véritable acculturation. Il y a eu certes, un « apprentissage » de la pratique de l’espace de type
colonial, mais, il ne faut pas négliger les permanences dans les attitudes encore encrées dans
la mémoire des familles algériennes dans la conception de l’espace.

4.3. L’approche fonctionnaliste par rapport à la pratique de l’espace.

La pensée fonctionnaliste s’est appuyée sur la notion de besoin, développée par les penseurs
du 19ème siècle.

Elle vise la rentabilisation de l’espace qui a été appliqué surtout au logement. « Toute
l’histoire du logement dans l’architecture moderne n’est rien d’autre que l’histoire de la
réduction au minimum d’espace. Ce minimum encore n’étant pas celui des modèles, mais
celui des besoins » (20).

Ainsi, Le Corbusier, à travers sa « cuisine laboratoire » a créer un espace limitatif parce que
les fonctions ont été considérées dans leur dimension les plus minimales et restreintes dans le
but de rentabilisation, les geste quotidiens ont été réduits, limités au strict essentiel, aux gestes
possibles ; « les gestes rentables » selon l’expression de Jean Charles Depaule.

« non, manger, boire, se laver etc. toute pratique, tout geste, n’est pas en fait seulement boire,
dormir, se laver etc. cela engage toute une culture. Cela répond à toute une symbolique de la
36

vie quotidienne. Nos gestes ne pas réductibles à la seule utilité matérielle. Ils mettent en jeu
par la technique du corps toute une gamme de posture, de positions, de mimiques, exprimant
sur le vif la forme de relation à autrui, la fonction, la hiérarchie des rôles entre autres à travers
un complexe symbolique vaste » (21).

La pratique ne se limite pas uniquement à la fonction. Les activités ne sont jamais considérées
dans leur sens le plus retreint. Elles sont empreintes de significations, de symboles, de
cultures. La fonction ne peut être à elle seule apte à générer la projet parce qu’elle a un sens
réducteur.

4.4. Les pratiques sociales.

Il est nécessaire de faire distinction entre les pratiques de l’espace et les pratiques sociales.
Qu’est-ce que la pratique sociale ? On pourrait dire que ce sont les manières de faire et d’être.
Ce qui reste assez vague. Nous nous en en tiendrons à la définition de Jean Charles Depaule
qui selon sont point de vue, la pratique sociale est celle qui comprend « les activités
concrètes : travail, non travail, consommation, fréquentation, trajets, relations sociales, rites,
représentation (y compris de cette pratique) qui engagent et influencent la vie quotidienne.
Elle s’exprime à travers une autre, la pratique de l’espace » (22).

La pratique sociale est l’ensemble des comportements sociaux (conflits, travail, dehors du
travail etc.), individuels ou familiaux, engendrés par les modèles culturels et modes de vie, ou
selon Pierre Bourdieu « l’habitus » ou systèmes de disposition ; pour celui-ci le terme
dispositions « exprime d abord le résultat d’une action organisatrice…il désigne par ailleurs
une manière d’être, un état habituelle (en particulier du corps) et en particulier, une
prédisposition, une tendance, une propension ou une inclination » (23).

Ces comportements sont à l’origine de « l’identité sociale » d’un individu ou d’un groupe
d’individus. Ils peuvent être explicités « par un certain nombre de déterminants et de variables
tels que les ressources et les contraintes qui pèsent sur l’individu (ou le groupe) dont
l’agencement et la hiérarchisation son conçus selon un système de valeurs ou un modèle de
référence et qui renvoient explicitement ou non, aux rapports sociaux de production et de
consommation » (24).

Nous retiendrons deux aspects qui nous semblent essentiels de ce qui précède : le premier
concerne le système dont l’équilibre peut être rompu lorsque le mode de vie et les pratiques
subissent des changements à un niveau social supérieur. Le deuxième aspect concerne les
modèles qui influent sur l’élaboration économique, culturelle et idéologiques des pratiques
sociales.

4.5. Identification de la pratique.


37

Il n’est pas aisé de lire la pratique dans un espace bâti ; l’espace peut être révélateur de la
pratique qui ne peut être également devinée ou interprétée d’une manière personnelle.

« Il est possible de saisir la pratique dans le marquage, c'est-à-dire dans les manifestations
concrètes à travers lesquelles elle s’affirme et dépose ses traces qui sont toujours
significatives et d’autre part dans la parole de l’habitant qui révèle les différences pratiques et
symboliques selon lesquels les lieux son vécus, faisant apparaître comment l’espace sert à
qualifier les relations sociales et vice versa » (25).

Donc, la pratique de l’espace peut être connue. Il faut la saisir à travers les lieux des activités,
la présence des personnes, le rythme des activités, les rites , les traces, les objets que les gens
utilisent, le marquage de l’espace ( endroit sale-propre, endroit pour mettre des fleurs, des
rideaux, des couleurs..).

Les transformations que l’habitant peut apporter à un cadre bâti sont autant de manifestations
de cette pratique.

En fait, il s’agit de mener une investigation afin de déceler la pratique qui doit porter sur les
modalités par lesquelles les habitants s’approprient l’espace et se trouvent dans une certaine
relation harmonieuse ou conflictuelle, en regard d’une certaine forme architecturale
considérée comme l’expression d’une culture constructive.

Il faut essayer de saisir le sens des actes d’appropriation que manifestent les habitants par des
aménagements d’espace, afin de mettre en correspondance ce dernier avec leurs manières de
vivre.

On utilise le découpage des pièces et des lieux, orienter, hiérarchiser, différencier afin de
saisir la structure de la pratique et sa relation avec l’espace vécu. La connaissance des
pratiques des individus vivant dans l’espace est primordiale pour la compréhension du lieu
construit en regard de son usage.

Analyser l’usage à travers une grille de fonctions qui serait l’application de la taylorisation,
réduction concrète et théorique de la vie quotidienne n’est pas judicieux. Le marquage intègre
les activités, fréquentation, gestes, rites et leurs traces ( ordre-désordre, propreté-saleté, décor,
différents aménagements, transformations etc.).

Le dialogue de l’habitant permet de saisir le sens du déroulement de la pratique.

4.6. La pratique spatiale repose sur un système spatio-symbolique.

Jean Charles Depaule propose une méthode efficace pour identifier la pratique de l’espace. Il
explique que « Pour décrypter la pratique, il faut une « clé », il faut un système
d’interprétation. Elle n’est pas une chose qui se montre dans la constatation des faits.
38

Mais où chercher, où se manifeste-t-elle dans toute sa complexité ? D’abord, il faut repérer les
activités, leurs liens de prédilection, leurs rythmes de reproduction. A chaque endroit, y a-t-il
présence ou absence de personnes, suivant quelle fréquentation ?

Il est utile aussi de remarquer le mobilier, sa disposition, les ustensiles, leurs usages, leur
rangement. Les objets particuliers : fleurs, rideaux, bibelots,… leur présentation.

Il faut aussi veiller à relever ce qui est entretenu, ce qui est délaissé, ce qui est peint, ce qui est
nettoyé… La position de la corde à linge, les clous d’attaches,… les graffitis, dessins
d’enfants,… tous les marquages.

Il y a aussi les activités de détournement tels que les bricolages, aménagements, modifications
: vitres peintes, déplacement d’une parois, portes condamnées, percées de fenêtres, de
cloisons montées,… annexes construites, appentis… toutes les transformations » (26).

La première étude concernant l’appropriation de l’espace dans « l’habitat pavillonnaire »


devient une référence pour tous les travaux de recherche ultérieurs.

L’analyse des récits dans lesquels les habitants décrivaient leur logement révélait certaines
préoccupations.

Les différents lieux de la maison étaient qualifiés soit de propre, soit de sale, de montré ou de
caché, de privé ou public, par rapport aux autres. Ainsi, on pourrait représenter ces
considérations en établissant une hiérarchie le long d’un axe, allant du plus privé au plus
public, en faisant figurer sur l’axe les valeurs intermédiaires attribués à chacun des lieux du
logement.

Les axes représentatifs des qualités des lieux de l’habitat pavillonnaire en relation avec les
qualités fixes de l’espace urbain constituaient un tout cohérent, un système.

Il ressort du discours des habitants l’existence d’un système relatif à l’espace ainsi qu’à la
pratique « le système spatio-symbolique ».

Pierre Bourdieu, dans son analyse de la maison kabyle « La maison kabyle ou le monde
renversé » fait ressortir un nombre important d’oppositions. Il s’est basé sur l’étude de dictons
parmi lesquels « la femme est la lampe du dedans, l’homme la lampe du dehors », et qu’il
considère comme étant le dicton clef. Ainsi, il dégage deux oppositions, qu’il considère
comme opposition de base, le féminin/masculin, puis le dedans/dehors.

Pierre Bourdieu dans son analyse de la maison kabyle, réalise que dans l’architecture
traditionnelle l’espace est produit culturellement ; il s’agit d’une culture architecturale et aussi
technique, cristallisée, matérialisée dans la construction, culture savante qui a su prendre en
considération avec pertinence l’existence d’une pratique habitante dans l’élaboration de
l’espace qui répond parfaitement aux exigences sociales d’usage de l’habitant, culture
totalement auto produite par ce dernier.

Dans son investigation, P. Bourdieu examine les modalités par lesquels les habitants
s’approprient l’espace : la forme de l’espace ainsi que les éléments de construction,
39

l’aménagement de l’espace, les activités et le lieu où elle se déroule, les objets utilisés pour
les accomplir, le rôle de chaque membre de la famille etc.

En résumé, il a appréhendé, saisi la quotidienneté des habitants avec toutes leur signification,
leur symbole, la culture dont elle est chargé.

A travers le contenu imagé des contes, proverbes et dictons kabyles, Bourdieu parvient à
dégager d’autres couples d’opposition symbolique : homme/femme, dehors/dedans,
sec/humide, nord/sud, etc.

Bourdieu écrit : « On pourrait être tenté de donner à ces oppositions une explication
strictement technique… si nombre d’indices ne suggèrent que ce oppositions sont le centre de
faisceaux d’oppositions qui ne doivent jamais toutes leurs nécessités aux impératifs
techniques et contraintes fonctionnelles ? » (27).

Tout se mélange complexe de lieux, d’objets, de symboles, gestes, parcours etc. constitue un
tout cohérent, un système culturel et par conséquent social qui est le système spatio-
symbolique tel que présenté par Jean Charles Depaule.

« La pratique ne se fait au hasard, elle a une régularité certaine, elle est structurée entre autre
par des systèmes spatio-symboliques » (28).

4.7. Transformation de la pratique.

La pratique change ou se transforme lentement, ce qui l’a met en contradiction avec le mode
de vie, qui change au rythme rapide des mutations économiques, technologiques et sociales
(rythme rapide des évolutions du mode de production et du système de consommation et la
manière dont il affecte la vie quotidienne des utilisateurs) comme déjà évoqué plus haut.

La pratique peut s’opposer à toute une série de modèles créés par la société : modes de
consommation, changement de statut (rapport entre les membres d’une famille, père/mère,
frère/sœur etc.

Aussi, la pratique résiste farouchement à un espace imposé. Pourtant, elle « absorbe des
éléments nouveaux, qu’elle réinscrit dans son système » (29).

L’exemple de l’introduction de la télévision dans la vie familiale, est souvent cité comme
facteur renforçant le sens de la vie familiale et transformant fondamentalement les rapports à
autrui.

Dans la société algérienne, la télévision avec le système de satellite véhicule un grand nombre
de valeurs totalement en contradiction avec le modèle culturel de la famille algérienne. Ainsi,
le regroupement de la famille autour de la télévision se fait uniquement pour pour les
informations ou des émissions à caractère culturel. Films et émissions de divertissement sont
gênants par les images considérées comme immorales par beaucoup de familles.
40

Dans ce cas la télévision modifie le rapport à autrui plutôt négativement, puisque le temps
passé ensemble en famille est réduit ; certaines familles aisées installent une télévision dans
chaque pièce où on s’isole pour regarder l’émission de son choix. (Ceci a été constaté lors des
travaux n’analyse d’habitat mené avec les étudiants de 2ème année). La télévision dans une
société arabo-musulmane n’a pas renforcé le sens de la vie familiale comme l’affirme J.C.
Depaule.

La pratique est structurée par les modèles culturels selon certains théoriciens comme H.
Raymond, ou par des habitus comme P. Bourdieu. « La pratique se montre comme le domaine
des habitudes, elle en a toutes les caractéristiques. En fait, elle se présente comme le réservoir,
plutôt comme matrice des comportements » (30).

4. 8. Intervention de l’espace dans la formation et la transformation de la pratique.

A travers Pessac, Le Corbusier voulait créer « l’homme nouveau », l’homme moderne qui a
rompu les liens avec son histoire, à la manière du projet du 19ème siècle dont le but était de
changer radicalement l’idéologie de la classe ouvrière, à travers l’habitat ouvrier.

Les transformations et réaménagements par les habitants sur leur espace expriment leur
volonté de faire correspondre celui-ci avec leur mode de vie et leur représentation mentale du
« chez soi ».

« Quand on donne aux habitants la possibilité de se réapproprier l’espace où ils vivent, ils le
font suivant le système spatio-symbolique qui leur est propre. La pratique est vivace, tenace,
elle se reproduit de gré ou de force » (31).

L’espace peut contrôler, peu gérer, réduire ou bloquer la pratique, comme il peut favoriser son
développement ; « la pratique de l’espace est ce que Henri Lefebvre appellerait espace concret
ou ce lui de l’habitat, « gestes, parcours, corps et mémoire, symbole et sens… » (32). La
connaissance des pratiques des personnes directement concernées par l’espace, soit les
habitants, est essentielle pour la compréhension du lieu construit en regard de son usage,
importante pour la définition du lieu construit.

5. Notion d’usage

5. 1. Etymologie du terme.

Selon dictionnaire historique de langue française (Petit Robert), son étymologie vient du latin
« Usus » ou de « Us », « usage », « pratique », « expérience ».
41

Au 12ème siècle, le terme signifie une pratique courante ans une société ainsi que l’ensemble
de ses coutumes et habitudes. Il signifie également le droit de se servir d’une chose qui
appartient à autrui et d’en bénéficier.

Le sens du mot évolue et signifie à partir du 15ème siècle la pratique, l’exercice d’une activité
et l’expérience qui en découle.

« Usage », s’étend au sens de « pratique sociale », qui signifie la connaissance de ce qu’il


convient de faire et dire, c’est à dire les bonnes manières, l’acquisition d’une expérience du
monde (Molière).

Au 19ème siècle, le mot « usage » désigne une pratique particulière dans un groupe.

Il est important de considérer le mot usage du point de vue social et dans la durée. Le mot
évoque une expérience acquise soit du monde, de l’habiter, de la vie avec les autres. Cette
expérience dure dans le temps. « Au départ, elle est une découverte, une mise à l’épreuve, une
création maîtrisée et partagée, une pratique sociale, coutume, qui peut se figer ou évoluer avec
la rencontre d’autres expériences. (L’usage peut aussi renvoyer à des comportements
réguliers, organisés, cas des attitudes collectives fluctuantes, inattendues, novatrices selon G ?
Gurvitch). Ces conduites se manifestent à tout instant de l’existence sociale, entrant dans des
combinaisons variées avec les différents temps sociaux. Leur sens est toujours inspiré par des
idées et des valeurs. C’est le temps de l’élaboration collective et la relation à l’autre (aux
institutions) qui légitiment l’usage et lui permet de s’ériger en droit » (33).

H. Arendt dans « Condition de l’homme moderne », s’intéresse à identifier les distinctions


existantes entre les notions travail, œuvre, action : le travail fournit des produit de
consommation et ne fait que maintenir le cycle de vie, alors que les produits de l’œuvre
(création) sont destinés à l’usage.

Les deux notions varient dans la durée ; le travail est bref (marque le passage) tandis que le
second se prolonge dans le temps (durable). Les produits de l’œuvre sont loin d’être purement
fonctionnels et utilitaires, comme c’est le cas des produits de consommation dont le rôle est
uniquement de maintenir de cycle de vie.

Les produits de l’œuvre constituent au contraire un ensemble d’objets durables dont on se sert
: « Ils offrent aux mortels un séjour plus durable et plus stable qu’eux-mêmes » (34).

H. Arendt, rejoint Martin Heidegger dans son point de vue qui souligne que l’usage se
rapproche à l’acte « d’habiter ».

Aujourd’hui le terme a une signification sociale dans une dimension temporelle. Le mot
renvoie à une expérience qui peut être celle du monde, de l’habiter, de vivre ensemble et qui
évolue avec le temps.

Il évoque la manière avec laquelle un individu ou groupe d’individus marquent, occupent un


espace (espace du logement ou espace communautaire et de proximité etc.) en y inscrivant
leur mode de vie, modèle culturel, qui conditionne la manière dont ils investissent leur habitat.
42

Il faut y rajouter les relations sociales dans et hors du logement. Tout ceci a une relation avec
des valeurs et de façons d’être qu l’on peut appeler « l’habiter ». Il important de noter que le
terme usage au singulier est synonyme d’utilisation sans en avoir strictement le sens ; l’usage
par rapport à l’utilisation signifie « l’emploi d’un objet, d’un produit ou d’un service en vue
de sa consommation (usage de bonne chaussure) ou comme moyen permettant d’atteindre un
objectif donné (l’usage d’une automobile pour se rendre au travail) (35).

5. 2. Intérêt des architectes pour la notion d’usage.

Les architectes ont de tout temps donné de l’importance aux usages sociaux qui sont dérivés
des trois concepts d’architecture à l’Antiquité par énoncés par Vitruve : Firmitas (solidité),
Utilitas (utilitas), Venustas (beauté), critères définissant l’architecture.

Plus tard, Alberti à la Renaissance dans son traité « De reaedificatoria » où l’architecture était
également définie par trois concepts synonymes de ceux évoqués près de quinze siècles avant
par Vitruve : « Necessitas, Commoditas, Voluptas ».

Alberti classait les bâtiments en deux catégories : les bâtiments publics et les édifices privés
en montrant la correspondance existante entre l’espace et les pratiques sociales qui s’y
déroulent. Le statut social est fondamental dans la notion de commodité d’Alberti. Celui-ci
décrivit avec précision les activités sociales (vie quotidienne, vie relationnelle) et fit des
recommandations architecturales dans lesquelles ils suggérait la forme la plus adéquate des
constructions aux besoins exprimés ; ceci fut abordé dans son Livre V dont l’objet était la
villa, et le thème de la commodité évoquée dans son Livre IV.

Le concept de distribution remplaça peut à peu celui de commodité du temps de Blondel au


19ème siècle, il était plus riche puisqu’il groupait les aspects fonctionnels en même temps que
l’organisation de l’espace. Le concept de la distribution était considéré par Blondel comme
étant le premier « objet de l’architecte ». Selon lui « c’est la distribution qui établit les
longueurs et hauteurs d’un édifice » (36).

Le dégagement remplace la disposition en enfilade des pièces donnant naissance au couloir


pour s’éloigner de l’architecture aristocratique. Cette évolution était le résultat de la prise en
compte d’usage et de confort dans la conception du logement.

Viollet-le-duc fait référence dans son ouvrage « L’histoire d’une maison » (1873) au concept
d’usage qui sera introduit progressivement en temps que dispositif architectural et
perfectionnement de la vie familiale.

5. 3. La qualité et valeur d’usage.


43

Pour les professionnels, la qualité d’usage est un moyen de rendre compte de l’adéquation ou
adaptation du logement à la manière de vivre et aux aspirations des utilisateurs. C’est la
capacité d’offrir le plus d’opportunité ou de possibilités dans l’usage du logement, en
particulier la capacité des lieux à répondre aux fonctions essentielles auxquelles a été rajoutée
( par Guadet) une fonction non sans importances et qui est le besoin d’intimité dans le
logement (37).

L’évolution des modes de vie accorde de plus en plus d’importance au développement de


l’identité personnelle.

Ainsi, l’évolution de vie s’intéresse de près à l’épanouissement de l’identité de l’individu à


travers la conception du logement. Plus l’espace disponible est étroit, plus le besoin d’intimité
prime sur les fonctions de représentation. Cela se traduit par un besoin d’une pièce
complémentaire, un rangement, une pièce fourre-tout pour ranger, stoker, le besoin de créer
un coin à soi.

Pour parvenir à une qualité d’usage, il s’agit de permettre à chaque membre de la famille de
trouver ses marques, de trouver sa place dans le logement et de s’épanouir ; les problèmes
d’indépendance et de sociabilité, de communion et d’intimité, l’expression du rapport
public/privé doivent trouver une réponse.

Une définition récente de la qualité d’usage présente celle-ci comme « la qualité des lieux qui
répond aux besoins et attentes des habitants tant au plan matériel et pratique, qu’au plan social
et symbolique» (38).

5. 4. La question de l’usage liée à l’habiter

Cette question constitue un enjeu de connaissance et d’application essentielle pour la société


d’une part, et les professionnels concernés par la production du logement et de la ville d’autre
part.

Tout le monde s’accorde qu’il est indispensable de faire correspondre les usages et les
configurations du logement. Il faut cependant tenir compte du fait que les modes de vie
évoluent vit et de manière imprévisibles. Il est donc important d’anticiper ces évolutions dans
les modes de vie et penser plus des logements qui soient flexibles afin de permettre des
adaptations possibles sans gêner les usages ; les systèmes préfabriqués, par leur rigidité
n’autorisent aucune action nouvelle sur le logement qui est basé sur une normalisation
contraignante et a contribué à la réduction de l’expression de l’habitus.

La primauté du technique et des normes sur l’usage, imposée par exemple dans le confort au
sanitaire détriment des normes spatiales, ainsi que le développement du technique ont
contribué à augmenter le coût du logement.
44

Les effets réducteurs destinés à amoindrir le coût du logement ont en un impact déterminant
sur l’usage dans le logement. L’importance de l’attention aux usages comme exigences de
qualité du logement reste une attente forte de l’utilisateur.

Références.

(1) Christian Queffelec, « La conception du logement aujourd’hui », Ministère de


l’Equipements (France), Paris, 2002, p. 94.

(2) Christian Queffelec op. cit. p. 94.

(3) Henri Raymond, « Habitat, modèles culturels et architecture », in Architecture


d’Aujourd’hui, N° 174, juillet-août 1974, p. 9.

(4) Daniel Weiller, « La cité des mots » PUCA, Paris, 2000, p. 109.

(5) Henri Raymond, « Habitat, modèles culturels et architecture », op.cit., p. 8.

(6) Coing H. « Rénovation urbaine et changement social », édition ouvrières, Paris, 1966.

(7) Nicole Haumont, « Habitat et modèles culturels », revue française de sociologie, IX, 1968.

(8) Henri Raymond, op. cit..

(9) Henry Raymond op.cit., p. 10.

(10) Denis Duclos, « de la notion de modèle culturel aux concepts de la pratique de la vie
quotidienne », in « modèles culturels, habitat », centre d’études et de recherches, Paris, 1980,
p.1.

(11) Nicole Haumont, op. cit., p. 37.

(12) André Kopp, « Architecture et révolution », in J.P. Frey, Réflexion sur le rapport
habitus/habitat, Janvier 1981.

(13) Danielle Weiller, op. cit. p. 57.

(14) Pierre Bourdieu, « Esquisse d’une théorie de la pratique ». Droz, Genève, 1972.

(15) Danielle Weiller, « La Cité des mots », op. cit., p.10.

(16) André Haumont, « Habiter », Centre de recherche sur l’habitat, Ecole d’architecture
Paris-Défense, sans date.
45

(17) André Haumont « Habiter », op. cit..

(18) Henri Lefevbre, La révolution urbaine, Gallimard, Paris,1970, Page 240.

(19) Jean Charles Depaule, « Pratique de l’espace et projet d’architecture », conférence


donnée a l’IAUC de constantinene1978.

(20) H. Raymond, « Habitat modèles culturels et architecture », op. cit., p. 8.

(21) Jean Charles Depaule, « Pratiques de l’espace et projet d’architecture », op. cit.

(22) Jean Charles Depaule, Philippe Panerai, Marcelle Demorgon, Michelle Veyrenche
(collectif) « Eléments d’analyse urbaine », Paris, 1974, p. 127.

(23) Pierre Bourdieu, « Esquisse d’une théorie de la pratique », op. cit., p. 247.

(24) M. de Certeau, « Arts de faire », Col. 10/18, UGE, 1980, p. 320.

(25) Jean Charles Depaule, Philippe Panerai, Marcelle Demorgon, Michelle Veyrenche
(collectif), op. cit., p. 135.

(26)Depaule J. Ch. « Pratique de l’espace et projet d’architecture », op. cit.

(27) cité in Jean Charles Depaule, op. cit.

(28) cité in Jean Charles Depaule, op. cit.

(29) cité in Jean Charles Depaule , op. cit.

(30) cité in Jean Charles Depaule, op. cit.

(31) cité in Jean charlesDepaule, op. cit

(32) Cité in Jean Charles Depaule, Philippe Panerai, Marcelle Demorgon, Michelle
Veyrenche (collectif), op. cit. , p. 135.

(33) Daniel Weiller, « La cité des mots », op. cit.,p. 19.

(34) Danièle Wieller, « La cité des mots », op. cit., p. 19.

(35) Segaud Marion, Brun Jacques, Driant Jacques, « Dictionnaire de l’habitat et du logement
», Armand Colin, Paris, 2002, p. 410.

(36) cité in Christian Queffelec, « La conception du logement aujourd’hui », op.cit., p. 29.

(37) Christian Queffelec, op. cit., p.32.

(38) Danièle Weiller, « La cité des mots », op. cit., p. 18.

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