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SOCIOLOGIE

U32 N. Ribet ENSAB 2013


AVAULEE Mathias - BARGAIN Antoine - BOULIOU Thibaud - CARISSAN
Gaétan - CORDIER Gatien - DABLIN Thibault - LANGUILLAT Florent -
LE CARO Melaine - LEJEUNE Marc - WEERTZ Simon
INTRODUCTION

Michel Bonetti, diplômé de HEC et docteur en sociologie, collaborateur du Laboratoire de


Changement Sociale, cofondateur et animateur avec J. Fraisse et V. de Gaulejac du groupe d'intervention et
de recherche Germinal, est maître de recherche et responsable de la division Prospective de l'Habiter et de
la Construction du département Sciences Humaines du Centre Scientifique et Technique du Bâtiment. Il a
notamment travaillé sur la question de la gestion urbaine, en tant que conseiller pour les bailleurs sociaux.

L'idée principale du livre de Michel Bonetti est celle du "Bricolage imaginaire de l'espace". Nous
n'habitons pas les espaces de logement proprement dit mais des constructions imaginaires issues de notre
esprit. Plus précisément, c'est un amalgame de tout ce qui constitue notre vision du monde: nos souvenirs,
nos expériences, nos impressions, notre statut social, notre état émotionnel, nos codes idéologiques ...

L'auteur différencie 3 types de productions mentales:

- Une production imaginaire. Elle provient de nos impressions directes, parfois liées au passé : logement
sombre, lumineux, ouvert, fermé, renfermé, froid…

- Une production symbolique. Elle provient des a priori de chacun sur des éléments du logement: digicodes,
préfabriqué ...

- Une production idéologique. Elle provient des normes sociales auxquelles nous sommes rattachés. Ce sont
donc des considérations extérieures que l'on s'approprie.

La somme de ces productions forme notre habitat, perçu comme une entité vivante, un « espace
potentiel », sur lequel on projette l’ensemble de ces éléments. Par conséquent, vivre sous le même toit ne
signifie pas vivre dans le même habitat. L'habitat imaginaire est également le reflet de notre personnalité. Il
peut donc être plus ou moins cohérent, fragmenté, positif ou négatif.

Aussi, le livre est construit sur un passage en revue des différents éléments qui contribuent à ce
bricolage imaginaire et ne propose pas un développement conventionnel. Chaque élément fait
inévitablement référence à d’autres vus plus en amont du livre, ce qui participe parfois d’un sentiment de
confusion.

CHAPITRE 1 : La fabrication imaginaire de l’espace

Les multiples bricolages imaginaires que les individus réalisent dans leur rapport à l'habitat ne font
sans doute que prolonger l'imaginaire social investi par chaque groupe humain dans la fabrication concrète
de l'espace. Si l'organisation de l'espace répond certes aux nécessités économiques et fonctionnelles
propres à chaque société et sa production sous-tendue par les rapports sociaux qui la traversent, les
travaux d'anthropologues comme Rapoport ont montré que les solutions adoptées par chaque société ne
se réduisent pas à ces contraintes. Tout ce qui se présente à nous y compris la production, est tissé au
symbolique puisque les actes réels sont impossibles en dehors d'un réseau symbolique On peut alors parler
d'opérations symbolique. Les réalisations architecturales et spatiales sont prises dans ces réseaux
symboliques et sont l'expression de l'imaginaire social qui est pour Castoriadis au fondement de
l'autocréation de chaque société et de son historicité. Ainsi selon lui chaque maison, même banale est la
concrétisation d'une part de rêve, d'un sentiment ou encore d'une idéologie ou d'une conception du
monde. Toutefois, l'espace construit qui sollicite l'ensemble de nos sens, laisse à chacun le choix de son

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mode de lecture et d'utilisation. Cet espace est une image, un reflet du monde, qui le contient dans ses
limites tout en nous en séparant en même temps et en nous protégeant de ses dangers.

Chaque forme de pouvoir a secrété une idéologie particulière, promu des valeurs, manipulé
l'imaginaire et l'a inscrit dans la pierre pour à la fois l'affirmer, le rendre visible et lui garantir sa pérennité.
La manipulation de l'imaginaire spatial est aussi un moyen d'action qui permet de renforcer le pouvoir en
s'appuyant sur l'attrait qu'il peut susciter. Tous les dictateurs l'ont clairement compris, Franco, Mussolini,
Staline comme Hitler nous ont ainsi offert un urbanisme monumental pour affirmer leur puissance. Si lors
de la seconde guerre mondiale les Alliés se sont acharnés à détruire des villes allemandes alors que la
victoire militaire était pratiquement assurée, c'était donc aussi pour anéantir la symbolique du régime
dictatorial et chasser les craintes de le voir revenir. On retrouve aussi une expression du pouvoir et de
l'idéologie sur des réalisations plus modestes, comme celles de logements sociaux promu par Salazar à la
périphérie de Lisbonne. En créant des logements sociaux inspirés des fermes rurales, l'objectif est de
tenter de diffuser les valeurs familiales rurales dans la classe ouvrière. L'expérience du patronat mulhousien
au XIXe siècle avec la cité ouvrière de Mulhouse soutient la politique de développement des maisons
individuelles.

La symbolique architecturale léguée par l'histoire peut également être appelée à la rescousse et
réactualisée en fonction des besoins du moment. Il suffit qu'un style ait correspondu à une situation
politique à laquelle les dirigeants se réfèrent, pour qu'ils s'en emparent, afin de renouer avec cet état
antérieur. C'est ainsi qu'en 1870 la municipalité de Vienne a commandé aux architectes un hôtel de ville de
style gothique, car au Moyen-Age la ville bénéficiait d'une large autonomie vis-à-vis du pouvoir impérial,
autonomie que les Habsbourg lui avaient retirée. Schorske qui fait cette constatation ajoute que « si en
Autriche comme ailleurs, la bourgeoisie triomphante affirmait haut et fort son indépendance du passé dans
le droit et la science, chaque fois qu'elle devait inscrire ses valeurs dans la pierre, c'est vers le passé qu'elle
se tournait. » En Angleterre on peut aussi voir dans la référence à l'architecture gothique, au moment de la
révolution industrielle, un moyen pour l'aristocratie de se convaincre qu'elle reste fidèle à ses valeurs
traditionnelles, alors qu'elle se mue en bourgeoisie financière, et qu'elle puise dans sa splendeur passée sa
légitimité à conserver le pouvoir. Les même symboles peuvent donc être convoqués pour servir des valeurs
différentes, faire l'objet de réinterprétations multiples pour étayer des intérêts en mal de légitimé.

L'importance qu'une classe dominante accorde à la symbolique architecturale, les moyens qu'elle y
consacre, sont aussi l'expression de ses valeurs et de ses finalités. On peut opposer la luxuriance des
réalisations architecturales de la bourgeoisie du XIXe siècle, dont les usines sont souvent des œuvres d'art,
à la sobriété fonctionnelle du patronat d'après-guerre, préoccupé de réduire les réalisations dispendieuses
et soucieux d'efficacité. De même dans le logement, après la Seconde Guerre mondiale, la bourgeoisie a
cessé d'exhiber une certaine opulence dans ses logements en se montrant plus discrète au point qu'on ne
distingue à peine malgré les apparences les résidences pour cadres supérieurs dites « de standing » des
années 60 des grands ensembles de logement social, si ce n'est par leur taille plus réduite, la qualité des
matériaux et des finitions.

CHAPITRE 2 : La spatialisation des identités sociales

Tout d’abord, Michel Bonetti constate qu’aux yeux des promoteurs et des économistes, l’habitat est
un objet de vente, un simple bien de consommation ; ainsi l’habitat se voit appliquer les principes du
marketing au même titre que n’importe quel produit jetable. Certains estiment que les constructions
doivent être prévues pour une certaine durée de vie d’environ 10 à 20 ans comme des objets jetables or

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cette vision de l’habitat ne prend pas compte de la complexité de l’habitat.

En effet, l’habitat a un statut particulier qui le distingue du statut de produit ou d’objet. Il est un
support de développement pour les habitants, un support à la fois « d’investissement affectif et
esthétique » ; c’est le résultat de nombreuses innovations et il nécessite pour sa compréhension une
palette d’outils très large.
Ainsi sans être le facteur originel de développement de l’individu, l’habitat contribue à l’enrichir, à
lui donner une « forme » ; de ce point de vue l’habitat n’est donc pas limité à ses caractères spatiaux. Il est
véritablement le support de développement des identités individuelles et collectives.

Limiter l’habitat au strict logement ou au bâtiment serait abusif puisque l’on y définirait l’habiter
comme étant l’acte de se loger, qui est un aspect mineur de l’habiter : l’habitat intègre les rapports à
l’environnement, et à ce qui lui confère son sens propre. Environnement entendu au sens topographique
mais aussi de l’organisation du quartier et bien évidemment des activités socio-économiques locales.
L’espace habité est perçu comme l’association d’une « cellule–logement» et d’une multitude d’autres
fragments d’espace formant un système.
On remarque que chaque individu délimite son habitat en fonction de sa propre expérience. L’analyse des
rapports de l’individu à son habitat montre une diversité étonnante dans la manière de s’approprier
l’espace, entre deux personnes de même classe socioculturelle, et ayant un même logement. On retrouve
cela à plus grande échelle, dans deux quartiers construits selon un même modèle, occupés par le même
type de population qui vont connaissent des dynamiques sociales et relationnelles très différentes.

L’habitat permet le développement individuel et collectif à travers les significations et les


expériences vécues en son sein. Les lieux acquièrent une valeur symbolique considérable. L’habitant
donne du sens à l’espace qu’il habite : en l’aménageant mais aussi en y réalisant ses désirs. Il peut décider
d’occulter ou non ce qui se passe au sein du logement. Les espaces habités sont des repères dans la vie des
individus, incarnant une valeur spécifique en fonction des événements dont ils ont été le cadre spatial.
Ainsi, cette valeur symbolique peut être négative, et rendre les lieux parfaitement inhabitables si le
souvenir qu’ils incarnent est insupportable, par exemple. C’est ainsi à l’usage et de manière souvent
inattendue que les limites architecturales en termes de qualité des espaces apparaissent. Cette potentialité
symbolique dépend des possibilités de réaménagement, de modifications et d’acquisition des usages de
l’espace, autrement dit s’il s’agit ou non d’un espace flexible. Cette appropriation est très réduite si le
support spatial est neutre et ne permet pas de développement imaginaire, de même s’il est trop structuré,
l’individu se retrouvant contraint et n’osant perturber la rigueur préétablie.

La hiérarchisation des espaces se fait majoritairement par l’environnement et les divers facteurs qui
l’entourent constituant ainsi une véritable écologie sociale urbaine. La valeur attachée à un espace varie
aussi avec le temps, l’exemple des villes américaines le montre : dans les années 1960, les classes
supérieures migrent en périphérie abandonnant le centre-ville, on notera d’ailleurs que de nos jours la
tendance est à l’inverse. Ainsi un phénomène permanent de valorisation-dévalorisation des espaces affecte
les formes urbaines, la spéculation foncière y joue un rôle primordial et de nombreux mécanismes
financiers contribuent à cela. Cette homogénéité économique alliée à une culture commune conduit à la
formation d’un stéréotype d’habitat, qui va jusqu’à affecter le choix des couleurs, matériaux et
aménagements.

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Les formes et symboles pris par l’habitat sont donc corrélatifs aux valeurs sociales. L’existence de
cette correspondance entre caractéristiques de l’habitat et appartenance socioculturelle fait de l’espace
habité un support d’identité sociale. Le choix de l’habitat est un compromis entre l’aspect financier et
l’aspiration sociale des individus.
Cette valeur sociale si elle ne correspond pas aux attentes mène à une insatisfaction à l’égard de
l’habitat, le principal cas étant une dévalorisation sociale liée à l’apparition de population pauvre ou exclue.
Ainsi les habitants de certains logements sociaux à l’architecture douteuse, ne se plaignent pas tant de
celle-ci mais du symbole qu’elle véhicule. Dans ces conditions, l’habitat tend à saper l’identité sociale et
collective plutôt qu’à la renforcer. En ce sens, certaines conceptions architecturales peuvent créer une
perte de l’identité sociale si l’usage proposé est en contradiction avec la valeur symbolique donnée ; ces
conceptions mènent à une sorte de schizophrénie de l’identité sociale. Les considérations esthétiques
doivent donc être reprises par l’apport d’une valeur sociale symbolique.
Bonetti conclut ce chapitre en rappelant toutefois que chaque élément prend une valeur différente
inhérente à chaque individu, qui y puise à sa manière pour construire son identité sociale et spatiale en
fonction de ses propres motivations. Il doit tout de même se positionner par rapport à la vision collective
en y adhérant ou en la réfutant.

CHAPITRE 3 : La formation des relations socio-spatiales

En quoi l’espace habité et son organisation structurent les relations sociales ?


Dans la mesure où espace construit et espace social ne peuvent pas être fondamentalement
distingués, l’auteur choisit d’étudier les interactions entre espaces construits et espaces sociaux plutôt que
de les cliver. Le chapitre se construit donc sur une présentation des grands courants théoriques d’analyse
des relations socio-spatiales qui se répartissent en deux catégories : ceux qui considèrent ces relations
comme l’expression de l’organisation de l’espace construit et ceux qui détachent le développement des
relations sociales du contexte spatial. Bonetti en propose toujours une critique. Nous avons donc : les
approches fonctionnalistes, les conceptions écologiques des rapports sociaux, les conceptions marxistes,
les approches psychanalytiques.

1) Les approches fonctionnalistes

D’inspiration anglo-saxonne, ces courants prônent que l’organisation de l’espace à un rôle


d’organisateur social.
Selon certains chercheurs, l’intensité des liens sociaux serait fonction de la taille des bâtiments et
les bâtiments situés autour d’une cour favoriseraient les interactions sociales. La localisation des habitants
conditionnerait donc la nature des relations avec le voisinage : placés à la périphérie d’un quartier, ils
s’isolent alors que ceux situés au centre s’insèrent plus aisément. Enfin, jusqu’à un certain seuil
l’augmentation de la densité de population favoriserait le développement des relations, devenant un
facteur qui les rend de plus en plus conflictuelles au-delà de ce seuil.
Seulement Bonetti indique que ces résultats ne prennent en compte que des données statistiques
et sociométriques. Il faut donc nuancer ces données mesurées et ne pas prendre ces facteurs pour
univoques ; l’organisation de l’espace a bien une influence sur les relations sociales mais pas de manière

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mécaniste. L’auteur en vient à critiquer les architectes des années 1960 qui ont pensé que modifier
l’espace pourrait changer la société. Henry Chombart de Lauwe en 1963 voyait dans les grands ensembles
l’avènement des laboratoires sociaux capable de générer des modes de relations sociales inédits, tout
comme le rappelle le slogan « Changer la ville, changer la vie ». Pour le cas de ces grands ensembles et des
villes nouvelles, le système de relations sociales préexistant a été oublié, et l’histoire du lieu par la même
occasion, or selon Bonetti, il est impossible de faire table rase de ces données. Il s’en prend donc au mythe
de l’homme nouveau, citant Wright qui proposait dans les années 1930 de délaisser le modèle de la
concentration urbaine au profit d’une « société nouvelle », dans des maisons disséminées dans l’espace,
faisant corps avec la nature, le chez soi devenant le seul centre, ce qu’il développe dans sa ville du futur
Broadacre.
2) Les conceptions écologiques des rapports sociaux

Il s’agit des conceptions développées par les chercheurs de l’école de Chicago : Grafmeyer, Joseph
puis Burgess, Park, Mac Kenzie, Wirth. L’environnement urbain est pour eux la matrice des rapports
sociaux. La ville est alors un « organisme produisant une culture et des relations sociales spécifiques ».
Selon Park : « La ville a toujours été… la source et le centre du changement social » et il s’agit d’un
gigantesque mécanisme, une machine « qui sélectionne infailliblement dans l’ensemble de la population
les individus les mieux à même de vivre dans un milieu particulier ». De plus, « La ville croit par expansion,
mais elle tient son caractère de la sélection et de la ségrégation de sa population, de telle sorte que chacun
trouve en fin de compte l’endroit dans lequel il peut vivre et doit vivre ». Il y a donc ségrégation positive
selon Park, qui ne prône pas la proximité sociale mais une réponse à une nécessité : « les gens vivent
ensemble non parce qu’ils sont semblables, mais parce qu’ils sont utiles les uns aux autres ». La répartition
des individus dans la ville est donc rationnelle, puis les individus s’adaptent à ces conditions. Park propose
une analyse limitée à la distribution des individus dans l’ensemble de l’espace urbain.
Mac Kenzie change d’échelle et s’intéresse aux facteurs qui conditionnent les relations de voisinage.
Premièrement, la ville favorise le développement de l’individualité et la différenciation entre les individus
et selon lui les unités de voisinage sont déterminées plus par l’homogénéité sociale qui les distingue des
autres regroupements que par l’intensité des relations internes. La mobilité et les choix de l’installation
seraient par ailleurs deux facteurs empêchant le développement du sentiment d’appartenance à une unité
résidentielle. Deuxièmement, les caractéristiques de l’espace jouent un grand rôle dans le développement
des relations de voisinage : plus la taille du quartier augmente, moins ces relations sont intenses. Par
exemple, un quartier qui se développe en avenue verra se former plusieurs groupes de voisinage. Les
nouveaux moyens de transports participent à distendre ces relations puisque la mobilité interne à
l’agglomération est plus forte. A nouveau Bonetti nuance ces propos en indiquant que les variables
qu’utilise Mac Kenzie ne sont pas univoques et varient selon les groupes sociaux et les cultures.

Ernest Burgess considère que les modifications de l’organisation sociale opérées par le
développement urbain sont comme un « processus métabolique », identique à celui du corps humain. La
croissance urbaine résulterait « de processus d’organisation et désorganisation de métabolisme corporel ».
De même qu’on trouve la corrélation entre ségrégation et agrégation, les processus de désorganisation
forment des formes nouvelles d’organisation, vecteur de progrès et d’adaptations plus efficaces. La
désorganisation affecte les individus qui sont alors désorientés et en proie à des conflits (abandon des
habitudes), et se commue à long terme en une émancipation et une poursuite de nouveaux objectifs.
Comme Park, Burgess voit dans l’expansion urbaine une machine qui sélectionne les individus et les
répartit rationnellement, à ce titre les « aires en cours de détérioration » présentes dans la ville sont aussi
des « aires de régénération », dans lesquelles les artistes et les revendications sont « préoccupés par la
vision d’un monde nouveau et meilleur ». La mobilité constitue alors la cause principale des
transformations puisqu’elle est stimulante (expérience nouvelle, changement), chaque stimulation étant à
l’origine d’une réponse. Les stimulations non-intégrées à la personnalité sont les causes des tensions

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urbaines car un trop grand nombre de stimulations (mobilité) entraine la confusion et la démoralisation
des individus ébranlant le système de contrôle global. Cela explique pourquoi les zones de forte mobilité
sont les lieux où se développent la délinquance et une concentration de la pauvreté, la mobilité est donc le
principal facteur de tension sociale si elle est trop rapide et importante ; elle favorise le développement
des individus si elle est raisonnée.

3) Les conceptions marxistes


Ces conceptions sont du courant contraire aux précédentes : les relations sociales dans l’espace
construit ne seraient que « l’expression spatialisée des rapports sociaux de production » c'est-à-dire que
l’habitat n’est qu’un lieu de reconstitution de la force de travail et ne peut pas contribuer à la formation
des rapports sociaux. Mais rapports sociaux et organisation spatiale entretiennent forcément des
correspondances puisque ils sont déterminés par les rapports sociaux de production : l’espace construit
sert de support et loge les relations nécessaires à la reproduction de la force de travail. L’organisation
spatiale est fondée sur la ségrégation sociale, et vise même à la renforcer, mais vise aussi à « opérer un
contrôle social sur la classe ouvrière afin de maintenir sa soumission ». On ne peut donc pas disjoindre
totalement organisation spatiale et relations sociales hors travail puisque la ville capitaliste favorise à la fois
la concentration industrielle et accueille les populations nécessaires à son développement. Ces conceptions
ne sont donc pas utiles à l’étude des relations sociales liées à l’habitat.
4) Les approches psychanalytiques

« La psychanalyse interroge les rapports que chaque individu entretient avec l’espace habité », un
rapport à un objet : cette approche se réduit strictement au rapport de l’individu à son logement mais
n’établit pas de lien avec le tissu urbain. Le sujet projette ainsi ses pulsions sur l’objet « habitat », qu’il faut
prendre comme « un support d’investissement libidinal, symbolique et imaginaire » dans la mesure où ce
lieu est le support des souvenirs, l’endroit symbolisant les relations affectives ou amoureuses… Cet habitat
permet au sujet de renouer avec son passé ou au contraire s’en tenir à distance.
L’organisation des logements aurait une influence selon l’auteur sur les relations affectives
familiales, même si à nouveau ce n’est pas univoque puisque dépendant des dynamiques familiales. Et ces
dynamiques interagissent indéniablement avec l’espace, c’est-à-dire qu’il y a un lien entre les volumes et
formes spatiales et ces dynamiques. L’exemple des logements dotés de façades rideaux très fine n’ayant
pas d’entrée mais une arrivée directe dans la pièce à vivre traduisent un sentiment d’insécurité, les gens ne
se sentent pas protégés de l’extérieur ; mais cela dépend des « dynamiques psychiques des individus » et
cela se manifeste lorsque la fragilité de l’espace rencontre une fragilité personnelle. Selon les cultures, ce
phénomène n’a donc pas le même ressenti = conférer civilisations nordiques Pays-Bas, Danemark…
Il semble donc y avoir deux courants qui ne peuvent être entièrement entendus : le premier
« annule la différence de nature entre les relations humaines et l’espace » les soumettant entièrement à sa
matérialité et le second fait disparaitre tous les processus d’interactions. Bonetti cherche donc à saisir
quelles sont les interactions entre relations sociales et espace habité.
La position sociale et le statut économique des individus sont issus des rapports de production, qui
eux même conditionnent leur distribution dans l’espace urbain et par conséquent les relations et les
représentations qu’ils ont avec celui-ci ; mais ne les déterminent pas pour autant. Il y a interaction de
différents facteurs : culturels, idéologiques, psychologiques qui contribuent à former les groupes sociaux et
les trajectoires individuelles.

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Donc Bonetti en conclue que les rapports sociaux dans l’habitat sont arbitraires, dépendant des
facteurs économiques et surtout institutionnels : c’est une politique de construction, un promoteur, les
règles d’attributions qui peuvent regrouper des individus dans un lieu où ils cohabitent. En somme, « tout
rapport social entre des individus nécessite l’existence d’un support de médiation » qu’est l’espace
construit. Les locataires sont mis en relation à travers l’usage d’un même espace, dans lequel ils dépendent
économiquement d’un bailleur.

CHAPITRE 4 : La construction du sens de l’habitat à travers les trajectoires résidentielles

Dans ce chapitre, Bonetti traite de la mobilité résidentielle, donc du déménagement. Il explique que
chaque individu se construit une image et un sens de son habitat par rapport à ses habitats passés. Il décrit
un processus historique souvent chaotique liés aux multiples rebondissements de la vie. Cependant, ce
processus de bricolage imaginaire est spontané, ne répondant à aucune nécessité.

- Processus de mobilité résidentiel

La mobilité résidentielle est due à des facteurs culturels, économiques et sociaux. Certains facteurs
favorisent cette mobilité, comme la délocalisation et l’affaiblissement de l’attachement à l’environnement.
D’autres la freinent, comme la crise ou l’accession à la propriété. Cependant, les causes de la mobilité
résidentielles ne déterminent pas nécessairement la signification de l’habitat.

Ensuite, Bonetti rappelle quelques statistiques sur la mobilité résidentielle dans les années 90. Ainsi,
l’accession à la propriété a augmenté au cours de la seconde partie du XXème siècle, passant de 45% en
1960 à 55% en 1990. 5% de la population déménage tous les ans alors que certaines personnes vivent toute
leur vie dans le même habitat, ce qui montre la grande diversité des cas de mobilité résidentielle.
Cependant, on peut établir une moyenne nationale : chaque habitant change en moyenne d’habitat tous
les 20 ans et connait 4 logements dans sa vie. Les déménagements sont plus fréquents en ville qu’à la
campagne, où l’attachement à la terre est fort. Les déménagements sont plus nombreux de 20 à 30 ans, âge
de l’établissement de la vie adulte, et à la retraite, vécue par beaucoup comme une seconde jeunesse.
Enfin, l’auteur nous rappelle qu’il y a 4 éléments importants à prendre en compte lorsqu’on parle de
mobilité résidentielle : la diversité des lieux, le nombre de déménagement, l’ampleur et la fréquence des
ces derniers.

Moins il y a de déménagements, plus ils tiennent une place importante dans le sens de l’habitat,
d’autant plus qu’ils sont associés à des moments importants de la vie comme la migration vers la ville, le
mariage, l’accession ou la retraite. Cependant, vivre longtemps dans un habitat n’augmente pas
l’attachement à cet habitat, qui peut être contraint par des causes économiques alors que des lieux
d’habitat éphémères peuvent prendre une grande signification dans la vie. Enfin, l’attachement à un lieu ne
réduit pas la mobilité sociale. Aux Etats-Unis, par exemple, la facilité d’intégration dans les quartiers
résidentiels encourage la mobilité.

- Carte du tendre des changements

A la manière de la carte du tendre qui décrit les trajectoires amoureuses et amicales, les trajectoires
résidentielles sont complexes et tortueuses. Les tentatives d’appropriation ne réussissent pas toujours et la
mobilité peut se résumer parfois à une série d’échecs d’appropriation. Chaque individu à sa propre
dynamique psychique qui influe sur la mobilité. Ainsi, il y a par exemple la volonté d’échapper à sa famille,
de s’en rapprocher ou la recherche d’un logement idéal. Cependant, l’idée de changer d’espace pour

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changer de vie est un mythe. Enfin, l’auteur remarque le caractère essentiel de l’habitat d’enfance, amenant
la suite du chapitre à traiter du sens de l’espace dans l’enfance.

- A la recherche de l’enfance perdue

C’est au moment de l’enfance que se crée le rapport à l’espace et la séparation entre soi et
l’extérieur, entraînant des conséquences importantes sur la psychologie à l’âge adulte. Au début, le bébé
existe en dépendant de sa mère et ne ressent pas de différence avec son environnement. Ensuite se créé la
distinction entre la maison et l’extérieur. La maison est proche et palpable, comme une extension de son
corps alors que l’extérieur est loin et son accession limitée par les parents. De cette période subsiste à l’âge
adulte le sens de l’habitat comme extension du corps, visible à travers l’idée de « violation du domicile ».
Ensuite, l’enfant se rend petit à petit compte qu’il n’est que l’ « invité » dans la maison de ses parents qui en
contrôlent l’accès, les usages et l’accès à l’extérieur. Ceci entraîne à l’adolescence une volonté
d’autonomisation sans cesser le lien avec les parents, équilibre souvent difficile à trouver.

L’espace de la maison reflète aussi l’affection et la place dans la famille des enfants. Ainsi des
différences de taille et d’ameublement des chambres peuvent être ressenties comme une différence
d’affection avec ses frères et sœurs. L’espace est aussi le seul élément témoignant d’une régression sociale
visible par les enfants et sa stabilité peut être interprétée comme stabilité familiale. Au final, à l’âge adulte,
on essaye de rester dans l’univers familial ou de s’en détacher. Dans les milieux paysan ou commerçant, on
hérite souvent du patrimoine des parents et reprend leur mode de vie. Les migrants, quant à eux,
reviennent souvent à leur lieu d’origine après avoir réussi socialement, ce qu’ils ressentent comme une
revanche. Globalement, l’expérience de l’habitat de l’enfance influence les décisions et les significations de
l’habitat à l’âge adulte, consciemment ou non.

- L’habitat ou le palimpseste

Le sens de l’habitat se construit en fonction de la culture de l’habitant et des caractéristiques


propres de l’habitat. Le sens d’un habitat dépend toujours des habitats précédents et des espoirs et projets
d’habitats futurs. Un nouvel habitat vient s’inscrire sur la signification des autres habitats comme un
palimpseste (texte à plusieurs couches d’écritures). On tente donc toujours d’adapter son logement à sa
vision de l’espace, tentative parfois ratée. On peut « loger sans habiter ». Le sens de l’habitat est résultant
de l’histoire familiale, la trajectoire sociale, les tribulations amoureuses, les investissements professionnels
et affectifs qui se sont inscrits dans les lieux d’habitations précédents. Ainsi, il y a une distance entre
ressenti de l’espace et ses qualités architecturales car il n'est au final que le décor des souvenirs des
événements qui s’y sont passés. Il peut cependant par ses caractéristiques atténuer ou augmenter le
ressenti des souvenirs. Au final, le décor reste souvent dans l'esprit le dernier témoin des événements
passés, considéré même parfois comme à leur origine. Ainsi, certains tentent de trouver un lieu proche de
leur souvenir pour essayer de le revivre, ce qui est une illusion totale.

- Trajectoires sociales et trajectoires résidentielles

Les sociétés créaient toujours des systèmes de différenciation ou de hiérarchisation. Dans les
sociétés utopiques ayant cru pouvoir abolir ce mécanisme, il s'est reformé sous une forme perverse. Ainsi,
le communisme en URSS a en réalité donné naissance à un système totalitaire intransigeant.

Dans notre société, on crée la différenciation à travers les activités sociales, et notamment
professionnelles, mais aussi à travers les capitaux accumulés qu'ils soient économiques ou intellectuels. Par
exemple, dans la hiérarchie sociale, les cadres et les intellectuels dominent les ouvriers : les premiers par le
fait qu'ils gagnent plus d'argent (capital économique) et les seconds de par leur culture générale plus

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développée (capital intellectuel). Parmi les éléments creusant les écarts entre les statuts sociaux, l'habitat
joue un rôle de premier plan. En effet si on cherche sa place dans l'espace social (virtuel, intangible), il n'est
pas étonnant de le reporter sur l'espace réel. On assiste alors à une spatialisation des identités sociales. Par
exemple, on ne trouve pas une absolue équité de classes sociales dans les différents arrondissements de
Paris. On sait pertinemment que le 16ème arrondissement contient bien plus de personnes à revenus élevés
que le 13ème arrondissement. Ainsi, les adresses peuvent suffirent à stigmatiser certaines personnes et à les
classer immédiatement dans une certaine catégorie sociale. On voit par exemple des habitants de banlieues
défavorisées ne pas indiquer leur réelle adresse sur leur CV pour augmenter leurs chances à l'embauche. A
l'inverse, certains membres ruinés de la bourgeoisie cherchent à tout faire pour se maintenir dans le 16ème
arrondissement de Paris quitte à ce que ce soit dans une chambre de bonne. Même processus pour les
intellectuels mais avec le Quartier Latin, le Marais ou Beaubourg.
Les lieux et les formes d'habitat sont donc fortement connotés socialement. A travers son habitat on se
donne à voir. On révèle ou l'on cache son appartenance à telle ou telle classe sociale. La valeur sociale d'un
logement dépend : de sa localisation, de sa forme, et de sa qualité mais également du statut social des gens
du voisinage.

Les lieux que l'on choisit d'habiter résultent toujours d'un compromis entre les aspirations, les
moyens dont on dispose et les possibilités qu'offre le marché. L'intérieur d'un habitat peut être très
représentatif de la personnalité de ses occupants. Entrer chez une personne chez qui on n'est jamais allé
auparavant relève du domaine de l'intimité. En effet, l'individu va exprimer pleinement chez lui des aspects
de sa personnalité qu'il ne montre peut être pas quand il paraît à l'extérieur. L'auteur fait justement
référence aux personnes donnant à voir un aspect d'eux même qui dénote totalement avec leur mode
d'habitat. Il explique que cela leur permet de ne pas se sentir aliéné par des références matérielles.

Le changement de statut social est fortement marqué par le logement mais plus encore par le
passage du statut de locataire à celui de propriétaire. Cela permet de concrétiser de manière tangible la
réussite sociale : de l'inscrire dans le sol et dans l'espace. C'est pour ça que la maison individuelle (contour
facilement identifiable) est le rêve du consommateur lambda à la différence de l'appartement qui, lui, est
noyé dans la masse de l'immeuble et n'est donc pas aisément identifiable par autrui.
Lorsque la profession exige le maintien d'une capacité de mobilité (diplomate, haut fonctionnaire, …) on se
tourne plutôt vers l’acquisition d'une résidence secondaire qui pourra faire office de maison de vacances
avant que l'on vienne s'y installer après avoir pris sa retraite. C'est une sorte d'ancrage spatial, un point fixe
sur lequel va pouvoir reposer leurs investissements qu'ils ne peuvent faire sur leur habitat principal
puisqu'il change régulièrement.

Certains quartiers à l'origine occupés par des classes populaires se trouvent aujourd'hui assaillis par
la bourgeoisie, certains intellectuels s'installant dans les quartiers populaires pour être « proche du
peuple » au nom de certains idéaux. Cela chasse progressivement la classe ouvrière car il s'y installe
généralement des lofts somptueux et autres demeures clinquantes qui attirent la bourgeoisie, et font
monter les prix. Les classes ouvrières vendent donc leurs biens pour laisser la place à la classe bourgeoise.
Dans les années 1970, les politiques ont favorisé l'accession à la propriété, notamment avec l'APL. Cela a
contribué à vider les grands ensembles des classes moyennes pour n'y laisser que les classes les plus
pauvres ne pouvant pas se permettre même avec l'aide gouvernementale de s'offrir un bien immobilier. On
mesure aujourd'hui les conséquences catastrophiques de cette paupérisation (Cf. banlieues nord de
Marseille) sans réussir à l'enrayer.
L'entretien de la maison : jardinage, bricolage, … permettrait selon l'auteur de tenir l'homme du foyer
éloigné des lieux de débauches comme le cabaret ou aujourd'hui des bars et boites de nuit ?

- Régression sociale

L'habitat joue un rôle crucial pour les gens en régression sociale : il accompagne, amplifie, dissimule

Sociologie U32 N. RIBET ENSAB 2013 |Habiter, le bricolage imaginaire de l’espace – M. Bonetti 9
ou atténue leur déchéance sociale. Différenciation : régression sociale personnelle ou régression par non
maintien du statut social de leurs parents. Dans les cas les moins atteints, lors de la régression sociale, les
personnes parviennent à conserver leur logement ou au moins à s'en procurer un similaire. L'habitat joue
alors un rôle d'amortisseur de la chute sociale. Il permet d'atténuer la régression car il y a conservation du
même cadre de vie. Cela donne le sentiment aux habitants de ne pas avoir tout perdu et permet de donner
le change à son entourage. Ainsi, le regard des autres n'est pas un fardeau en plus à porter dans l'épreuve
traversée. Dans le cas où la régression sociale s'accompagne d'une dégradation des conditions d'habitat
rien ne vient alors freiner la chute ou la cacher. L'individu n'a plus aucun support auquel il peut se
raccrocher. Cela risque d'affecter les enfants puisqu'il y a déménagement, perte de confort, perte d'amis, …
Cette épreuve en plus à surmonter dans une période déjà très déstabilisante exacerbe les fragilités des
individus (psychologique, sentimentale, …) et peut les pousser à la rupture (dépression, divorce, …).

- Les identités futurisées et l'orientation des trajectoires

« Identités futurisées » concept de Françoise Lugassy : agrégée de philosophie et professeure de


psychologie clinique à l'université de Nancy II (1989) : les individus anticipent l'identité qu'ils souhaitent
avoir dans les années futures.

Cette aptitude varie selon les classes sociales. En effet pour les plus démunis dépensant leur argent
au jour le jour, il est difficile de se projeter sur le lointain. Cela leur pose des problèmes car ils peuvent être
la proie des organismes de crédit à la consommation, et n'hésitent pas à s'endetter sans imaginer les
difficultés qui surviendront par la suite pour eux. A l'inverse les classes plus aisées peuvent se permettre
d'envisager leur avenir sur le long terme. Ainsi, ils n'hésitent pas dans les premières années de leur majorité
à vivre différents types d'existences, accumulant les expériences de logement, de relations sociales et
amoureuses tout en sachant qu'à tout moment leur appartenance sociale et les réseaux sociaux qu'ils
peuvent mobiliser seront à même de les sortir de leur situation chaotique pour retrouver le confort de leur
enfance bourgeoise.

- La diversité des trajectoires et des espaces de référence

Les trajectoires individuelles personnelles se composent de divers espaces que l'individu a pu


expérimenter au cours de son existence. L'auteur parle ainsi du fait que chacun se compose une « carte du
tendre » des espaces significatifs pour chacun : les lieux où l'on a été heureux, qu'on a quitté avec regret …
Ainsi, en mixant cet ensemble de lieux de références jugés idylliques, l'individu va imaginer le lieu idéal
dans lequel viendra s'inscrire son habitat.

CHAPITRE 5 : La protection contre l'environnement naturel

- L'habitat support de médiation entre l'homme et la nature.

Dans cette partie introductive du chapitre Michel Bonetti explique que l'habitat est un support de
médiation dans les transactions entre l'homme et la nature. L'habitat est une construction matérielle qui
est sensé offrir des réponses aux problèmes que pose la nature dans chaque lieu. La nature contraint
l'homme à agir en créateur et à cultiver ses savoir-faire pour parer à l'hostilité de l'environnement dans
lequel il évolue.

- L'environnement : une figure hostile.

Sociologie U32 N. RIBET ENSAB 2013 |Habiter, le bricolage imaginaire de l’espace – M. Bonetti 10
La nature peut être perçue comme un élément fragile, nourricier et bienveillant, c'est l'idée que
défendent les écologistes. Mais il faut rappeler que ce n'est que lors de la première révolution industrielle
que cette vision de l'environnement a émergé. Ce sont les avancées technologiques de l'ère industrielle qui
ont permis aux hommes de devenir de moins en moins dépendants de la nature. Le rapport de domination
nature/homme s'est inversé et ce dernier a pris l'avantage. La nature est devenue une source à exploiter.
Les philosophes des Lumières ont eux-mêmes soulevé l'idée que l'homme moderne devait s'extraire de la
nature, s'en émanciper et ne pas se laisser déterminer par les contraintes qu'elle lui impose. Cette
domination a engendré une forme d’empathie de l'homme pour son environnement. Il est capable de le
dominer, il l'exploite et le modèle selon ses besoins, cela entraîne des altérations et des dégradations de la
nature.

Il faut rappeler qu'avant que le rapport de domination homme/nature, l'homme a passé son temps
à la combattre, à devoir s'y adapter et la maîtriser. Elle était un élément hostile. Les religions ont permis de
créer un support intellectuel pour rendre intelligible cet environnement violent. C'est la tension entre
l'homme et son environnement qui est à l'origine de la production de ses habitats. Le sujet construit son
foyer pour répondre aux contraintes que la nature lui impose. Chaque culture à une représentation
symbolique différente de la nature. L'habitat est également une réponse aux symboles qui rendent
intelligible la nature. C'est pourquoi on peut dire que l'ingéniosité de l'humanité dans la conception de son
habitat réside dans une articulation permanente entre les exigences formelle qu'elle se fixe ou qu'elle peut
atteindre et les significations esthétiques et symboliques qu'elle recherche.

- Répondre aux contraintes support de création architecturale.

Le positionnement de l'habitat se fait en fonction des contraintes que lui impose le cadre naturel.
Selon les conceptions d'une première pensée la production d'une forme architecturale est la réponse
formelle à des exigences fonctionnelles par rapport à des contraintes qu'impose un lieu. Cela correspond au
«form follows function » de Sullivan.

La seconde conception, celle de Bonetti, est que l’architecte recherche des solutions esthétiques
pour résoudre des problèmes fonctionnels. Ainsi une même solution de réponse aux mêmes questions est
possible. Ces questions ne sont jamais posées de la même manière et avec les même termes d'une culture
à une autre. Cette manière d'apporter une solution permet qu'elle se conforme aux conceptions de
l'environnement culturel dans lequel elle va s'inscrire.

- La vivacité du sentiment de menace

La société perçoit toujours l'environnement naturel comme une source de menace. L'intrusion de la
nature dans le foyer provoque la crainte chez les habitants, ces intrusions sont perçues comme de
l'inconfort, de l'insalubrité, et les renvoient à leur propre vulnérabilité. Ainsi une bonne habitation est jugée
premièrement en fonction de ses aptitudes à mettre à distance ses habitants des menaces de la nature. La
protection contre le froid paraît particulièrement importante. Les variations de températures sont perçues
de façon particulièrement fine et intense par les sens. Une forme de constance est recherchée au sein de
l'habitat, elle se place en opposition par rapport à l'instabilité climatique. La stabilité du foyer est
rassurante. Le sentiment de menace fait appel à des craintes primitives qui ne sont plus forcément justifiées
de nos jours. Le sentiment de protection qui doit recouvrir l'habitat est donc particulièrement important.
On se sent d'avantage en sécurité dans une maison en agglo avec des murs épais, parce qu'elle représente
l'idée de la robustesse, que dans une maison à ossature bois qui peut pourtant avoir des qualités de confort
plus élevée.

- Les difficultés d'adaptation à la nature.

Sociologie U32 N. RIBET ENSAB 2013 |Habiter, le bricolage imaginaire de l’espace – M. Bonetti 11
Plus les hommes se détachent de la nature grâce à la technique, plus ils sont sensibles aux aléas
climatiques et aux exigences de leur protection. Plus on domestique la nature, plus l'individu s'en coupe et
ne développe plus ses propres moyens de protections. Lorsque que les systèmes de maîtrise de
l’environnement disparaissent, le sujet devient complètement vulnérable. Batail définit la nature comme ce
qui constitue la part maudite de la société, dans le sens où elle est ce qui n'a pas été maîtrisé par la
rationalité et la technicité. L'homme dans la société moderne ne s'adapte pas à la nature mais adapte la
nature à ses besoins.

- Les modalités de rapport à l'environnement

Les dispositifs techniques de l'habitat voués à dominer la nature conduisent à une mise à distance,
une rupture voir une négation de la nature. Si on prend le cas de l'air climatisé : l'homme dans le but de
s'extraire des contraintes du climat se met lui-même à imposer de nouvelles contraintes. Par exemple une
porte ne peut plus rester longuement ouverte parce que la chaleur ou la fraîcheur du foyer s'en échappe.
Ainsi l'habitant peut devenir contraint par ses propres systèmes de protections. Les techniques de gestions
de l'humidité et de la température de l'air ont pour but de créer un environnement constant sans
variations. Ce qui pourrait rappeler la vie intra-utérine. Avec la gestion de l'air (chauffage, climatisation), le
confort devient lui-même un bien, une nécessité qui est jalousement surveillé et contrôlé. L'habitat est géré
de façon à limiter au maximum les pertes et son organisation vient s'articuler autour de cela. Les sens de
l'individu ne sont plus sollicités, il n'y a plus besoin de faire appel aux sens pour gérer l'habitat. La
perception d'une variation dans la chaleur devient alors un signe de défaillance des systèmes de contrôle.

- Le rêve du retour à la nature

Le désir d'accession à un jardin et a une maison individuelle a initié un certain mouvement de


désurbanisation. Ce mouvement se fait du centre-ville vers la périphérie. L'accès au logement individuel
pavillonnaire est dû à un désir d'individualisation, d'accès à la propriété ainsi qu'un contact avec la nature
au travers du jardin et de la proximité de la campagne. Mais la conception de la campagne qu'ont les
urbains est construite sur des expériences ponctuelles et éphémères, celles d’échappées bucoliques et
divertissantes hors de la ville. Pour l'urbain la campagne s'oppose à la ville. La ville est considérée comme
un espace dégénéré, violent et brutal. C'est une espace exigu et inconstant dont le mouvement perpétuel
n'offre pas certitude. La ville est pour l'espace du travail et de la contrainte. La campagne quant à elle,
expérimentée lors des vacances ou d'excursion est l'espace du plaisir. La campagne est vaste, calme, libérée
de la contrainte des tissus urbains. L'espace naturel est paisible et intemporel.

Cependant l'installation à la campagne n'est pas une rupture avec la ville. Le plus souvent les
personnes cherchent à rester en périphérie de la ville pour continuer de profiter de ses avantages. Ils ne
cherchent pas à s'immerger dans la campagne mais davantage un contact « membranaire » avec elle. Les
individus qui ont quitté le centre-ville emportent avec eux les moyens techniques pour garder un lien avec
le confort de la vie en ville. Il y a le téléphone, la télévision, internet… On peut dire finalement que c'est la
ville qui s'exporte à la campagne. Dans les pavillons le jardin symbolise l’immersion de la nature dans
l'habitat. Le jardin est une nature contrôlée, totalement maîtrisée. On y coupe l'herbe grâce des tondeuses,
on contrôle quelles plantes ont droit de cité avec des herbicides, et le placement des végétaux est
soigneusement choisit. Le jardin n'est qu'un simulacre de nature, c’est une forme de projection de l'esprit
vers la nature, une transition entre le foyer et son environnement.

- Le retrait vis à vis de la nature

L'auteur souligne qu'il est fréquent que les sujets s'installent à proximité d'un lieu qu'ils aiment
fréquenter. Une fois qu'ils s'y sont installés il semble qu'ils les fréquentent de manière moins assidue voir
qu'ils ne s'y rendent plus du tout. On dirait que la simple proximité du lieu qu'ils affectionnent suffit à les

Sociologie U32 N. RIBET ENSAB 2013 |Habiter, le bricolage imaginaire de l’espace – M. Bonetti 12
réjouir. On pourrait également se dire que la proximité de ce lieu lui enlève son onirisme et son attrait par la
facilité de son accès. La plaisir à se rendre dans ce lieu était-il en parti du à son inaccessibilité? Son accès
conduisait à devoir s'extraire de sa vie quotidienne créant ainsi une visite du lieu événementielle. La nature
qu'offre les zones pavillonnaire est ennuyeuse, maîtrisée et sans éclat. Il n'y a rien de spectaculaire à
l'admirer, elle ne provoque plus aucune dynamique puisqu'elle est devenue une part du quotidien. La zone
pavillonnaire n'a pas non plus le dynamisme social ni de mouvement comparable à la ville. Pour cette
raison on remarque que sous prétexte d'une contrainte telle qu'une mutation ou l'accès à un service
qu’offrent la ville, les citadins choisissent un retour à la ville.

- Le retour aux sources des ruraux immigrés

Le retour à la campagne d'un individu d'origine rurale est d'avantage mu par le souhait de renouer
avec son passé et avec une culture qui lui manque que par la volonté d'un retour à une nature magnifiée.
En effet l'individu issu d'un contexte rural connaît la nature pour ce qu'elle est, il a intégré sa rudesse et sa
violence. Cependant le retour à la campagne peut être violent car des années de vie à la ville peuvent avoir
créé un décalage entre les mentalités des ruraux et de celui qui revient.

- La frénésie de loisirs naturels

On remarque que bon nombre de loisirs prennent place dans un environnement naturel. La nature
peut donc être un lieu de plaisir. Ce plaisir peut être retiré du fait que la nature offre une échappatoire à la
ville. Elle peut devenir hostile et opère une négation des processus naturels. La ville détourne la nature qui
constitue l'environnement mais elle détourne également l'homme de la part de nature qui le constitue. Il
est admis que le corps et l'esprit sont liés l'un à l'autre. Le loisir en espace naturel est une forme de
célébration et de reconstitution de notre part de nature. On remarque que dans la culture et l'entretien du
corps, le cadre naturel sert support aux activités sportives (jogging, kayak, marche à pied …) mais
également que la pratique de ces activités peuvent même devenir des prétextes pour côtoyer la nature.
Mais on pourrait voir également le loisir naturel comme une célébration de la domination de l'homme sur
la nature, il se confronte personnellement à la nature pour la vaincre lui-même. Cependant ces activités se
font toujours avec un filet de sécurité, une assistance est toujours possible qu'elle vienne d'autre personne
ou d'instruments importés de la ville.

- Une lutte incessante

Il ne suffit pas de construire des édifices, il faut les entretenir. On peut bâtir le plus solide des
bâtiments peu importe, la nature en viendra à bout un jour ou l'autre. Les blockhaus du mur de l'atlantique
se font peu à peu engloutir par la mer, recouvrir par les sables ou s'érodent. La nature réussit toujours à
déjouer les remparts qu'on lui oppose, le temps est son allié. La lutte entre l'homme et la nature n'a pas de
fin. On ne peut pas dire que l'homme peut vaincre la nature, il peut seulement prendre momentanément le
dessus. Cette lutte permanente rappel constamment que la nature est plus forte que l'homme. Le combat
est unidirectionnel, la nature ne se bat pas contre l'homme elle se contente d'être. C'est l'homme qui tente
de s'extraire de ce à quoi la nature pourrait le réduire. En refusant de se laisser déterminer par celle-ci,
l'homme gagne son existence et sa liberté.

CHAPITRE 6 : La technique et le rapport à la nature

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‘’ Les techniques et les formes de construction renvoient à différentes conceptions du rapport à la nature et
témoignent des modes d’adaptation des sociétés à ses contraintes et aux valeurs qui lui sont conférées et
qu’elle incarne ’’
Bonetti émet un constat sur notre société actuelle, et explique par la suite que la technique reflète
le rapport à la nature, ce qu’il développe selon trois axes d’étude.
- Il commence par s’intéresser aux ouvertures et murs.
Il nous rappelle qu’autrefois les murs étaient épais, avec de petites ouvertures et assuraient une
inertie thermique, une protection contre les variations climatiques, et confronte cela à notre époque,
dénonçant une recherche, quasi frénétique de réduction de cette épaisseur. Le souhait de faire des
logements ouverts sur leur environnement, ceci menant paradoxalement à des constructions légères et
transparentes, mais étanches et closes où il « y règne une atmosphère artificielle ». S’opère donc une
véritable protection contre l’extérieur, un isolement. Il y a de fortes résistances psychologiques et
culturelles à ce phénomène car un mur épais subsiste le seul garant d’une protection efficace dans la vision
de la société, étant de plus un signe de distinction sociale notamment avec un rejet des maisons de
promoteurs ayant aujourd’hui de plus en plus cette fragilité apparente. Cet exemple nous conduit à penser
la « dimension psychologique » des techniques de construction en opposant deux visions différentes de
l’habitat et son rapport à la nature selon les cultures.
Il y aurait deux manières de faire : soit se protéger du ciel, la maison est réduite à un toit, un abri,
soit créer un espace clos pour se protéger de l’extérieur. Cela mène typologies différentes de bâti : la
maison soutenue par des poteaux, légère et modulable qui semble léviter, et celle ceinte par des murs
massifs, fermée, comme si elle était sortie de terre.
- Il en vient donc au rapport au sol
Dans nos sociétés occidentales le sol a toujours eu des connotations négatives à cause des trois
niveaux d’espace au fondement de toutes les religions indo-européennes. D’abord l’Enfer, en opposition le
Ciel et entre les deux, l’homme, médiateur de ces deux espaces. Cela explique pourquoi l’on a toujours eu
un souhait d’éloignement réel et/ou symbolique du sol en tant que tel, allant de la paillasse à la création
d’éléments permettant de s’en détacher type plancher, pilotis, ou même créer un sous-sol, qui devient lui-
même source d’angoisse et de crainte. En revanche, s’élever ne convient pas forcément à toutes les
populations, la perte du rapport avec la terre peut être est insupportable (civilisation rurale). Il évoque
également le rapport au ciel, on note que la toiture terrasse est psychologiquement ressentie comme une
déchirure avec le ciel, alors que la toiture en double pente permet d’atténuer la brutalité de cette rupture,
on en revient donc à la forme primitive de la tente.
- Développement des techniques sans fin
Avec l’évolution de la technique, plus on a la possibilité de se protéger contre la nature, plus elle en
devient hostile, cela formant un cercle vicieux nous rendant par conséquent de plus en plus vulnérables.
L’auteur explique qu’avec l’évolution technologique, nos exigences se sont accrues. Autrement dit, le
problème apparait et s’aggrave au fur et à mesure qu’on sait le résoudre.

CHAPITRE 7 : Protection contre la nature et protection sociale

1) La mise à distance des autres

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Il y a bien une relation entre un habitat et son environnement extérieur, notamment avec le
dispositif servant à s’en protéger et la mise à distance d’individus qui sont en dehors du cadre familiale.
Cela s’exprime par l’épaisseur des murs et leur résistance, qui constituent un moyen de stabiliser les
édifices face aux différentes intempéries mais également face aux agresseurs potentiels.
« Chaque maison est une forteresse »
La plupart des historiens voient la construction des bâtiments défensifs comme le moyen de
protéger les multiples richesses, tel que les récoltes ou le fruit du commerce avec d’autres citées. On peut
en déduire, qu’à partir du moment au l’homme a pu cultiver de la terre, et a constitué ses réserves, il s’est
trouvé menacé simultanément par les aléas du climat, les différentes saisons de l’année, et la cupidité de
ses congénères moins travailleurs ou moins fortunés...
Mais de nos jours, où l’individualisme s’accroit dans notre société, où l’autre semble de plus en plus
menaçant, épaissir les murs et isoler thermiquement son habitation est une forme de prétexte pour se
protéger de l’environnement extérieur ; et l’installation des climatisations qui retire le besoin d’ouvrir les
fenêtres et les portes, contribue à l’individualisme. Certains se mettent à l’écart par choix, notamment des
personnes âgées ou des handicapés, qui se sentent opprimés dans leur intégrité corporelle, lorsqu’ils sont
en rapport avec les autres. D’autres sont victimes de cette mise à distance, certains ont envie de s’intégrer
au mieux mais souffrent du regard des autres, leur renvoyant une image insupportable de la dégradation
humaine. Au 18ème siècle, les gens porteurs de maladies, et de problèmes mentaux étaient rassemblés dans
un même lieu pour les écarter des personnes considérées dès lors comme « normales ». Le mouvement
hygiéniste a cherché à solutionner les problèmes d’insalubrité des bâtiments, puis plus tard, la lumière est
devenue le maitre mot du mouvement. Les thérapies par le soleil se sont multipliées, notamment pour les
tuberculeux qui étaient allongés sur les sanatoriums, jusqu’au jour où on a découverts que le soleil avait
des effets cancérigènes.
2) La protection contre la nature
Savoir se protéger contre les menaces naturelles, construire la nature à partir de rien, employer des
matériaux qui garantissent une stabilité et une pérennité, permet d’acquérir un statut social prestigieux, et
se distinguer des autres.
« La pauvreté est toujours signifiée par des maisons froides et humides »
La fragilité des constructions apparait comme l’expression de la précarité sociale et de l’insécurité
du foyer, le changement de l’habitat est nécessaire pour changement du statut social. Les promoteurs des
années 1960 en France s’en sont rendu compte, d’où cette idéologie du logement social destiné aux classes
ouvrières favorisant l’acquisition d’un logement solide, chauffé et protecteur. Mais aujourd’hui, habiter un
grand ensemble de logement n’est plus socialement valorisant. On peut comprendre maintenant
l’importance de la réhabilitation des logements sociaux par des travaux d’isolations extérieurs, de la pause
d’un double vitrage, pour lutter contre le froid et l’humidité.
Les habitant des classes plus aisées n’ont de cesse d’éliminer les facteurs visuels de pauvreté et de
fragilité, eux aussi épaississent leurs murs, s’isolent davantage, emploient le triple vitrage. Dans cette idée,
l’emploi de matériaux lourds, denses, et massifs est privilégié, par rapport au bois ou à la terre, c’est donc
en béton ou en pierre que ces constructions voient le jour. Cela pour assurer une efficacité impartiale face
aux intempéries, et aux agresseurs potentiels. Les vacances en milieu rural sont très prisées par les classes
aisées. Les chalets de montagne, utilisés que rarement dans l’année, font office de seconde résidence, un
moyen de se payer paradoxalement le luxe d’être en insécurité, face à la montagne, un territoire
dangereux mais des plus prisés.

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CHAPITRE 8 Les dispositifs spatiaux de maitrise des jeux relationnels

Le développement du "je" s'effectue au travers de l'autre. Cela implique donc une balance des
risques chez l'individu : le risque de ne pas se construire face à celui de se faire envahir par l'autre.
L'habitat est construit dans cette perspective, néanmoins, la perception de cet habitat et de sa
conception va dépendre de chaque individu, de leur culture et de leur disposition sociale. Par conséquent,
on découvre souvent un écart entre la conception spatiale d'un logement et son organisation sociale par
ses habitants. Ceux-ci doivent effectuer un nécessaire travail d'ajustement. Un ajustement par ailleurs
possible par la gestion des rapports dedans-dehors. Ces rapports intérieur-extérieur sont ancrés dans une
multitude de dispositifs spatiaux maîtrisant à la fois le rapport aux autres et le rapport à la nature. Dans ce
contexte, on notera que la sortie de son logement n'est pas anodine pour un habitant : il effectue avant
cela, consciemment ou non, une modification de sa posture, à la fois physique et mentale, mettant par
exemple de l'ordre dans sa tenue. Cette série de rituels est supportée par une série de sas tel que le
vestibule, le palier, l'ascenseur, etc. Par ailleurs, ces sas ont aussi un autre usage : ils servent à compléter le
filtre social offert par les ouvertures d'une habitation.
Dans cette notion de rapport à l'extérieur, on retrouve aussi le jardin, doté de différents usages
selon son contexte rural ou urbain. Mais quel qu’il soit, il viendra servir d'opérateur social distinguant
l’espace public de l’espace privé par une série de zones franches : portail/jardin/perron/véranda... Cet
usage du jardin découvre une multitude de variantes par l'adjonction d'autres éléments tel qu'un balcon
ou encore un garage. Ces différents espaces possibles viennent ainsi réguler le statut des échanges qui y
prennent lieu de par leur propre statut. Ces constations quant à l'importance des sas entre le dedans et le
dehors viennent mettre en lumière les problèmes récurrents posés par les immeubles de rapport et les
grands ensembles : on y trouve une évidente absence de jardin, supprimant la majorité des espaces de
transitions intérieurs/extérieurs possibles, ainsi qu'une réduction drastique des espaces de transitions
restants.
Cependant, qu'il s'agisse d'un contexte urbain ou rural, on constate l'existence de codes sociaux
tacites, notamment de placement, intégrés par chacun. Ces codes reposent ainsi sur des limites à la fois
physiques et symboliques. Néanmoins, ces limites doivent pouvoir être posées par l'habitant. Ce qui n'est
généralement pas le cas des ensembles de logements.
Sur le sujet des fenêtres et des jeux de regards qu'elles viennent proposer entre l'habitant et le
monde extérieur, on se surprend à découvrir un appareillage complexe d'occultation des ouvertures doté
de multiples couches, multifonctionnelles certes, mais dont le but premier reste bel et bien de se protéger
d'un regard extérieur. On note ainsi une volonté farouche chez l'habitant de doter son espace intime de
protections contre toute intrusion du dehors. Cette volonté est d'ailleurs sensible jusque dans
l'organisation de l'espace intérieur du logement.

L'autre aspect de ces jeux de regards se porte sur le "laisser voir", la surveillance. Ces ouvertures
doivent pouvoir offrir à l'habitant la possibilité de voir sans en être vu. La fenêtre se développe ainsi
comme un système réversible : bien que l'habitant cherche ardemment à l'occulter, il peut aussi devenir un
efficace système de contrôle et de filtre social. Chose qui devient par ailleurs un problème quand cette
possibilité se retrouve poussée à l'extrême dans certains quartiers.

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Cependant, la fenêtre dispose aussi d'autres fonctions, notamment celle d'offrir à voir à l'habitant le
spectacle de la rue. Elle lui permet alors de se sentir encore lié au monde du dehors tout en étant bien à
l'abri à l'intérieur. La fenêtre vient alors, par son embrasure, découper un espace scénique digne d'un
théâtre à partir des ressources offertes par la rue. D'une certaine manière, la fenêtre, par son ouverture au
monde extérieur, se découvre comme les poumons de l'habitat. Les espaces permettant ce genre
d'exercice, de mise à distance et de surveillance du dehors, se sont multipliés au cours des siècles. Il s'avère
cependant qu'ils sont généralement oubliés dans les constructions contemporaines.
Toujours dans le registre de ces espaces de transitions avec l'extérieur, on ne peut que prendre
conscience de l'importance de la disposition spatiale d'une fenêtre, de même que de celles d'un balcon, ou
de sa simple existence. En effet, il s'agit là d'un espace supplémentaire à l'habitation dont la simple
présence viendra considérablement améliorer les conditions de vie des habitants. Et ce, quel que soit son
utilisation.

Face à la notion du monde "extérieur", on découvre une certaine crainte chez l'habitant. Une
crainte naturelle mais largement amplifiée par la rationalisation et l'aseptisation de la société. Cette peur
qu'éprouve la société pourrait avoir plusieurs origines : est-ce simplement la crainte d'un retour de leur
monde à des conditions de vie plus anciennes, plus dures? Ou s'agit-il d'une peur plus immatérielle? Une
peur de l'extérieur comme entité impalpable et indiscernable. Sans limite. Plus vraisemblablement, il
semble que ce soit un melting pot de ces différentes raisons. On constate néanmoins que la seconde
origine semble plus prégnante et plus ancienne que la première. En effet, même les sociétés les plus
anciennes ont éprouvés une puissante volonté de division, de délimitations. L'homme a toujours cherché à
quadriller et à cartographier l'espace plus ou moins lointain qui l'environnait afin de mieux le contrôler.
Lorsque l'on s'attache à comprendre l'origine de cette volonté de délimitation de l'homme, on
constate une chose surprenante. Plus que les limites d'un lieu, il s'agit des limites de l'homme, en tant
qu'"être". Elles sont floues. L'être humain se développe en se nourrissant, ou en subissant, des influences
extérieures. Comme nous le disions en préambule, chaque être doit effectuer une balance des risques et
des apports que lui offre le monde extérieur. Cette nécessaire balance est due à ces limites floues et
incertaines de l'être. Ainsi, l'une des possibilités dont disposent l'individu pour fixer ces limites et les définir
et d'user d'un lieu. En s'accrochant à un lieu, à un habitat, l'individu définit les propres limites de son être
en se fixer sur celles que lui offrent son logement.
De ce fait provient une peur grandissante du vagabondage, de l'errance et les difficultés qu'un
individu va éprouver en ayant à modifier ou changer ce lieu d'accroche, dans le cadre d'un déménagement
par exemple.

CONCLUSION

En conclusion, l'auteur pose une nouvelle question: L'habitat est-il le support d'une recomposition
de l'identité ou plutôt de sa fragmentation.

Il faut tout d'abord comprendre que l'habitat est le support sur lequel s'affirme la personnalité de
l'habitant. Par conséquent, la réponse se trouve dans l'addition de l'état du logement lui-même et de celui
de l'habitant. Par exemple, une personne en position de précarité, peut se raccrocher à son logement pour
conserver son identité sociale et son identité individuelle. Si le logement change lui aussi, ou s'il se dégrade,
alors il participera du malaise de l'habitant, à sa remise en question. Cependant, un logement qui change
souvent et de manière irrégulière peut également convenir à une personne, si le fait de changer souvent
d'habitat fait partie de son identité, alors que rester au même endroit le fera se sentir à l'étroit.

Sociologie U32 N. RIBET ENSAB 2013 |Habiter, le bricolage imaginaire de l’espace – M. Bonetti 17

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