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René AMIGUES
Marie-Thérèse ZERBATO-POUDOU
Comment
l’enfant
devient élève
ISBN : 978-2-7256-2897-4
© Retz/HER, 2000 pour la première édition
© Retz, 2009 pour la présente édition
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SOMMAIRE
Avertissement 7
Introduction 10
« L’institution école maternelle » 11
La socialisation en maternelle 12
Analyse d’un dispositif pédagogique spécifique 14
Première partie
ÉVOLUTION DES FORMES DE SCOLARISATION
DE LA PETITE ENFANCE
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Le cadre matériel 55
Les contenus se déclinent sous forme d’objectifs 58
Les nouveaux dispositifs pédagogiques 61
• Les centres de vie, ateliers et chantiers 61
La mainmise de la structure formative 62
Les tendances qui se profilent 65
Deuxième partie
ENSEIGNER EN MATERNELLE :
UN ACTE D’INSTITUTION
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Sommaire
Troisième partie
L’APPRENTISSAGE PREMIER DE L’ÉCRITURE,
NOUVELLES CONCEPTIONS
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Conclusion 214
Questionner les dispositifs pédagogiques 214
Les questions de l’École maternelle sont aussi
les questions de l’École 216
Bibliographie 219
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AVERTISSEMENT
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L’élève dont nous parlons dans cet ouvrage n’est pas l’individu autonome
et apte à transformer ses capacités individuelles en moyens d’apprentissage,
tel qu’il est présenté par la prescription. À l’école maternelle, l’enfant est un
élève en devenir parce qu’il entre progressivement dans la culture selon un
mode de socialisation propre aux activités humaines de conceptualisation et
aux apprentissages spécifiques qui en résultent (lecture, numération…). Ce
sont donc les ressources des situations, externes à lui-même, qui fournissent
la manière et la matière pour agir et pour penser son action. Ressources que
l’enfant s’appropriera progressivement et transformera en connaissances en
devenant un sujet agissant. C’est en confrontant maintes fois ses manières de
faire, de dire et de penser, aux diverses situations, aux autres et à lui-même,
qu’il parviendra à construire ses connaissances, à faire et à penser par lui-
même et pour lui-même. À l’école maternelle, l’autonomie et la responsabi-
lité de l’élève ne sont pas des points de départ, mais bien une des conséquences
des apprentissages scolaires. L’élève apprend aujourd’hui avec les autres ce
qu’il pourra faire tout seul demain. Mais lire ou écrire tout seul aujourd’hui,
par plaisir ou par « devoir », (ce qui n’est pas la même activité) résulte d’un
long chemin parcouru préalablement avec les autres.
Pour ce qui est des situations, plusieurs chapitres de cet ouvrage montrent
combien elles sont variées, mais comment chacune est conçue par les ensei-
gnants pour produire des effets cognitifs durables. Ces dernières sont autant
d’espaces de médiation, de confrontation et de variété de modes de sociali-
sation liés à la nature des savoirs à manipuler. La richesse et la diversité de
ces situations engendrent des conflits, des doutes, des contradictions qui sont
débattus dans la classe. Ces débats, ainsi que les cadres scolaires construits
à cet effet par les enseignants, ne peuvent être uniquement tranchés par des
règles de politesse ni par le strict respect de conventions sociales, comme le
prétend la prescription. Cette dernière repose essentiellement sur le couple
comportements/normes alors que sur ce point, comme sur bien d’autres,
l’école maternelle est plus ambitieuse pour ses élèves parce qu’elle sait com-
biner, à travers les situations qu’elle propose, les savoirs, leur normativité et
les valeurs (« lire c’est… »). C’est parce qu’ils entrent dans des apprentis-
sages structurés et des modes de raisonnements particuliers que les élèves
découvrent le caractère instrumental des connaissances : une connaissance
devient un instrument de pensée à partir du moment où son efficacité est
socialement reconnue par le groupe-classe.
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Avertissement
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INTRODUCTION
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Introduction
provisation n’a pas sa place » et que « l’organisation, pour n’être pas rigide,
est néanmoins rigoureuse ».
Comment cette forme scolaire a-t-elle évolué dans le temps ? Comment
se traduit-elle dans les pratiques pédagogiques et les dispositifs ? Quelles en
sont les conséquences aujourd’hui ? Autant de questions auxquelles cet
ouvrage se propose de répondre. Pour cela, il montrera les changements de
programmes (changements curriculaires) repérés à travers l’histoire de l’école
maternelle et soumettra à l’analyse quelques pratiques scolaires usuelles
pour en dégager et discuter les règles qui les régissent. Ce sera un moyen
pour les enseignants d’identifier les outils constitutifs de leur « poste de
travail ».
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l’école sans livres, sans leçons, ce mythe de la scolarisation des petits, rejailli
des sources de l’utopie », selon la formule de Dajez (1994).
Pour affirmer sa spécificité, cette école a eu tendance à se refermer sur
elle-même : spécificités des cursus, des finalités, des objectifs, des pratiques
pédagogiques et des objets d’apprentissage ; nettes séparations avec les autres
institutions : familles, garderies, école élémentaire.
Ainsi, l’école maternelle offre aux jeunes enfants un cadre particulier des-
tiné à leur permettre de tisser des relations avec des objets de savoir, des
individus (adultes et pairs), des règles de vie, selon des procédés supposés
adaptés à leur niveau de maturité. Bien que longtemps controversé et dif-
féremment interprété, le statut scolaire de cette école est renforcé dans les
textes officiels, notamment par la mise en place des cycles. De fait, la confron-
tation immédiate de l’enfant avec des systèmes symboliques, qu’il doit uti-
liser et s’approprier, prouve que cette école participe pleinement à
l’acculturation scolaire. L’école maternelle est bien une école !
Le point de vue historique, qui fait l’objet de la première partie de cet
ouvrage, donne des repères sur la construction et l’évolution du cadre qui
compose la « forme scolaire » de l’école maternelle ; la forme scolaire se
définissant comme le mode d’organisation spécifique de l’institution sco-
laire, dont l’objectif est de transmettre des savoirs. En découlent non
seulement toute une série de règles et de procédés d’enseignement, mais
également une structure matérielle, des supports pédagogiques adaptés, un
personnel sélectionné et formé selon certaines normes, etc. Bref, tout ce qui
contribue à aménager le milieu scolaire pour que l’élève apprenne. Nous
verrons les différentes formes prises par ce cadre au cours des années et
leurs effets sur le rapport au savoir qu’instaure l’institution scolaire. Ce qui
nous conduira à souligner les enjeux inhérents aux différents dispositifs mis
en place dans les écoles maternelles.
La socialisation en maternelle
Les enjeux de l’école maternelle sont particulièrement mis en avant à
l’heure actuelle et concernent prioritairement l’accès aux langages, langue
orale et langue écrite en premier lieu. De ce fait, il s’agit de traiter d’un
mode de socialisation particulier qui ne se réduit pas à un simple proces-
sus d’insertion sociale dans un groupe de pairs par l’apprentissage de règles
de vie en commun. Ce mode de socialisation consiste à proposer aux enfants
un rapport aux savoirs et au monde spécifique car médiatisé par des sys-
tèmes symboliques. C’est déjà à l’école maternelle que les pratiques sociales
du « lire-écrire-compter » sont transformées en culture scolaire. Cependant,
la culture scolaire étant principalement une culture écrite, les objets de
savoir ne sont pas seulement à manipuler et à acquérir. Bien plus, ils consti-
tuent des objets de pensée, ce qui rend leur maîtrise si importante. Il ne
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Introduction
faut pas perdre de vue que l’appropriation des systèmes symboliques est
un véritable enjeu pour l’école et qu’elle ne peut être envisagée indépen-
damment de l’organisation sociale d’apprentissage et du développement
personnel de l’élève.
Cette « socialisation scolaire » repose sur trois processus fondamentaux :
le rapport aux objets de savoir, le rapport aux autres et le rapport à
soi.
• Le rapport aux objets de savoir : il s’élabore dans des situations d’en-
seignement-apprentissage où ces savoirs sont « mis en scène ». À l’école
maternelle, tout en incitant l’enfant à établir un rapport direct à ces objets
(par des activités corporelles diverses, notamment des manipulations), on
l’initie à un autre type de rapport au monde plus distancié, médiatisé par
les langages (langues orale et écrite, langage mathématique), par les sys-
tèmes symboliques (dessins, images, etc.). Très tôt en effet, l’enfant est placé
devant des situations où il manipule des symboles et des signes : dessiner,
schématiser, tracer des trajectoires, relier par un trait des objets entre eux,
marquer son travail, reconnaître son prénom, etc. Les formes que prennent
les situations d’enseignement-apprentissage sont, par conséquent, particu-
lièrement importantes au regard des objectifs définis par l’institution.
• Le rapport aux autres : la partie de l’ouvrage consacrée à l’activité
d’apprentissage de l’écriture montrera également le caractère social de la
construction de la connaissance. En effet, le rapport aux autres n’est pas à
considérer uniquement sous l’aspect de la convivialité. Dans le cadre qui nous
concerne, ce rapport s’inscrit dans la continuité de la théorie de la forme sco-
laire qui définit l’école comme un lieu spécifique de « pédagogisation des rela-
tions sociales d’apprentissage » (Vincent, Lahire et Thin, 1994). C’est-à-dire
qu’à l’école, les relations sociales sont constitutives du processus d’apprentis-
sage : la rencontre avec les savoirs mis en jeu s’effectue d’abord avec les
autres et par leur intermédiaire, c’est une rencontre publique, collective, une
expérience partagée avant de devenir une construction individuelle.
La réflexion sur cet aspect sera plus particulièrement développée dans la
seconde partie de cet ouvrage, qui présente les fonctions du milieu-classe et
souligne en quoi l’aménagement de ce milieu repose sur l’activité collective,
sur une construction partagée par les acteurs, grâce aux systèmes de média-
tion mis en place par l’enseignant. Dans ce cadre, l’analyse faite des rituels
renforce l’importance à accorder aux dispositifs qui permettent à l’enfant de
devenir un élève.
• Le rapport à soi : cette conception du processus de socialisation n’a en
définitive d’autre finalité pour l’élève, au-delà de l’appropriation des savoirs,
que de contribuer à la construction de soi. Le rapport à soi-même est un
rapport subtil qui repose sur la relation entre les processus d’extériorisation
et d’appropriation. Les échanges collectifs, à l’origine de la pensée indivi-
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PREMIÈRE
PARTIE
L’ orsqu’un visiteur non initié pénètre dans une école maternelle, la spé-
cificité de ce lieu, même vide d’enfants, lui est d’abord signalée par ses
aspects matériels originaux : la disposition des locaux, la nature et la taille
du mobilier, son agencement dans les classes, l’existence de divers espaces
particuliers (la bibliothèque, les « coins jeux », le coin peinture, le tapis qui
signale le coin regroupement, les casiers de rangement, etc.). D’autres objets
attirent également son attention : les affichages muraux (comme les listes
de prénoms, les frises temporelles), le matériel mis à la portée des enfants
(ciseaux, colle, papiers, feutres). Ces divers agencements et l’usage des maté-
riaux sont assez faciles à décoder et le visiteur en devine aisément les fonc-
tions.
Mais dès que les élèves sont là, la perception des choses se complexifie
dans la mesure où l’investissement des lieux et du matériel semble parfois
désordonné, soumis à des règles opaques paraissant aléatoires. Quelles sont
les finalités des activités auxquelles s’adonnent ces élèves ? Car ceux-ci sont
manifestement actifs : ils peignent, dessinent, écrivent, jouent, réalisent des
puzzles, découpent, ordonnent des images… Mais que font-ils en réalité ?
Qu’apprennent-ils ? Quels sont les savoirs visés ? Les repères fournis habi-
tuellement par les disciplines sont ici peu fiables. Ces enfants, attentivement
penchés sur leur feuille, font-ils du coloriage, un jeu sensoriel d’association,
ou plutôt des mathématiques ? Quelles sont les intentions du maître ?
Il est facile pour un enseignant de répondre à ces questions. Il mettra alors
en évidence le principe fédérateur qui légitime les actions des élèves comme
l’organisation matérielle de la classe, c’est-à-dire le mode d’action du dispo-
sitif pédagogique mis au service des apprentissages des élèves.
Se dévoile ainsi un système qui constitue un cadre supposé favorable aux
apprentissages, la forme scolaire, cadre aux règles particulières, au travers
duquel s’organise toute entreprise éducative.
Nous allons voir, dans cette partie, comment la forme scolaire joue un
rôle fondamental dans le rapport au savoir qu’élaborent les élèves et com-
ment cette forme évolue dans le temps pour répondre aux divers objectifs
de l’institution et des enseignants.
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des enfants pauvres (livrés aux vices de la rue comme de leur famille) et la
régénération des familles ouvrières par l’instauration d’une nouvelle mora-
lité, rejoignant en cela les missions de l’infant school. La misère des classes
ouvrières et les nouvelles modalités de travail féminin, dues en grande par-
tie à l’industrialisation, font, en effet, que les plus jeunes enfants sont livrés
à eux-mêmes, errant dans les rues, parfois sous la garde de leurs aînés.
Toutefois, dès l’âge de 7-8 ans, les enfants sont déjà au travail.
Cependant, les contenus et procédés éducatifs des salles d’asile diffèrent
sensiblement de leur modèle anglais. En effet, les salles d’asile se position-
nent immédiatement comme de petites écoles, comme on peut le lire dans
la circulaire aux recteurs du 4 juillet 1833, signée par Guizot :
Tel est le projet social élaboré par les autorités pour les classes populaires :
faire acquérir des habitudes d’ordre, de discipline, installer les débuts de la
moralité. Le discours officiel souligne en outre les finalités d’ordre écono-
mique, puisque l’on peut lire plus loin dans cette circulaire que les salles
d’asile :
« […] profitent enfin directement aux parents eux-mêmes, car les mères,
libres des soins qu’exigeaient d’elles leurs jeunes enfants, peuvent se livrer
sans inquiétude au travail et tirer constamment un salaire de leur journée ».
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Compte tenu de ces objectifs, nous verrons que les procédés éducatifs,
s’appuyant sur un dispositif matériel approprié, se présentent comme une
entreprise de « dressage collectif ».
En ce qui concerne le personnel en charge des salles d’asile, le recrute-
ment se fait initialement auprès de laïcs, souvent des hommes (ceux-ci seront
écartés par le décret de 1855, qui réserve cet emploi aux seules femmes, ce
qui va dans le sens de la vocation maternelle de ces salles) et parfois des
religieuses. Pour être surveillante de salle d’asile (directrice ou sous-
directrice), la postulante laïque doit posséder : un certificat de moralité, l’au-
torisation du maire de la commune où elle exerce et le brevet de capacité
attestant qu’elle a reçu une formation à la « méthode » Cochin. En 1847, la
formation se fait en quelques mois dans une maison d’études, transformée
en « cours pratique » en 1852, avec asile modèle pour apprendre la méthode.
Les salles d’asile sont inspectées par les « dames patronnesses », c’est-à-dire
les dames charitables qui veillent à l’application de la méthode et à la tenue
de la salle comme à celle des enfants. Dès la mise sous tutelle de l’Université,
des inspecteurs prendront en charge cette surveillance, mais les dames patron-
nesses garderont encore leur droit de visite.
Les congrégations religieuses s’intéresseront rapidement à ce nouveau
mode de garde de la petite enfance car il offre un lieu permettant une évan-
gélisation massive et précoce. De plus, les religieuses sont dispensées de pas-
ser les épreuves du brevet de capacité par lettre d’obédience. En effet, cette
lettre, produite par la Supérieure de l’ordre, atteste des capacités de la reli-
gieuse postulante à la direction d’une salle d’asile. En 1850, la loi Falloux
renforce ce privilège. La conséquence sera que, en 1867, 73 % des salles d’asile
seront dirigées par des religieuses contre 18,60 % en 1846.
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Les jeux de cour, souvent réglementés, doivent être libres, est-il précisé,
car ils sont faits pour combattre l’immobilisme imposé aux enfants et tenir
compte de leur développement. La durée globale des leçons est diminuée
et, fait plus remarquable, l’enseignement de l’écriture est supprimé, comme
celui du dessin linéaire, de la géographie, de l’histoire, ainsi que les ensei-
gnements à tendance scientifique. Les exercices de calcul se réduisent à du
calcul pratique, les leçons de chant sont également simplifiées afin :
Il semble cependant que ces directives soient peu suivies, pour preuve la
circulaire du 10 mai 1869 :
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décrits, les contenus dispensés dans les salles d’asile sont plus familiers au
lecteur que les domaines d’activités actuels. Les savoirs disciplinaires domi-
nent, l’éducation religieuse et morale est omniprésente. Le rôle social
demeure, mais en arrière-plan. Si pour l’institution, l’éducation morale et
religieuse prime – elle occupe toujours la première place dans les programmes
– les abus d’instruction montrent que, sur le terrain, la hiérarchie des objec-
tifs s’inverse : les apprentissages disciplinaires revêtent de l’importance. Les
listes de contenus ne sont cependant qu’un inventaire des enseignements
dispensés. Bien qu’ils nous informent sur la nature des savoirs retenus et
hiérarchisés par l’institution, ils ne nous disent rien sur leurs modalités de
transmission et les valeurs privilégiées. Se pose alors la question des condi-
tions de leur émergence. Qu’est-il attendu de ces enfants face aux savoirs
énoncés ? Que doivent-ils s’approprier et comment ?
C’est bien au travers des procédés éducatifs et des aménagements maté-
riels que l’on peut appréhender comment est conçue et organisée la rela-
tion aux objets de savoir.
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se déplacent par colonne pour grimper aux gradins ou aller aux cercles, en
ordre militaire ; leurs déplacements sont scandés par le claquoir ou le sifflet.
Le matériel éducatif répond à l’organisation générale ; il est manipulé par
la directrice, loin des yeux des élèves : boulier-compteur, tableau noir, tableaux
de lettres et chiffres, portefeuilles d’images à lecture collective. Pas de maté-
riel individuel, quelques ardoises pour les plus grands, quand la salle d’asile
est assez fortunée. Il convient néanmoins de souligner que les salles d’asile
« ont contribué au développement de l’usage de matériels pédagogiques tels que
les tableaux de lettres ou de chiffres, les bouliers-compteurs » (Plaisance, 1996).
Ainsi, ces quatre éléments (le temps, l’espace, l’ordonnance de la popula-
tion d’enfants et la méthode) sont la matrice d’un système fonctionnel des-
tiné à l’éducation morale et intellectuelle d’un grand nombre d’enfants.
Dès la création des salles d’asile se sont instituées les structures fondamen-
tales propres à l’institution scolaire sur lesquelles fonctionneront ultérieure-
ment les écoles maternelles. Les salles d’asile avaient pour objectif la garde,
la sauvegarde, la moralisation et l’obéissance de l’enfance indigente. Nous
avons vu comment l’organisation des invariants structuraux permettait l’at-
teinte de ces objectifs. Les locaux, le mobilier, le matériel éducatif, les conte-
nus, les procédés éducatifs se combinent pour créer un dispositif approprié
aux finalités définies par cette institution.
Dans ce cadre, les enfants reçoivent une éducation de masse, jamais indivi-
dualisée, ce qui renforce les effets du dressage et rend plus rapide l’atteinte des
objectifs d’obéissance, de soumission. Le dialogue pédagogique, nous l’avons vu,
centré sur les énoncés de l’adulte, consiste en un jeu de questions-réponses dont
l’enfant doit acquérir le mécanisme pour donner la réponse idoine. D’après les
analyses de Luc (1997), ce tableau serait à nuancer, les procédés de transmis-
sion faisant l’objet de propositions et de succès divers. Néanmoins, l’apprentis-
sage repose sur l’imitation passive, la capacité des enfants à mémoriser et répéter
des notions abstraites. Le bon élève est un élève docile, respectueux, specta-
teurs des actions des surveillantes qui manipulent le matériel. C’est grâce à
cette attitude qu’il peut mémoriser les contenus.
Cette forme scolaire inscrit les enfants dans un rapport aux objets de savoir
coercitif et factice. Ils deviennent le réceptacle de connaissances le plus sou-
vent de type encyclopédique, qu’ils ne comprennent pas toujours. Mais ce
rapport est accessoire car, en définitive, ce qui prime, c’est moins la somme
des connaissances transmises, même si l’on se plaît à afficher les perfor-
mances des élèves, que l’obéissance.
Les contenus, calqués sur ceux de l’école primaire, les dépassant même
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ses idées audacieuses et, bien que souvent critiquée à son époque, elle est
reconnue comme étant la véritable fondatrice de l’école maternelle moderne.
Par ses discours et écrits (ses articles ont paru principalement dans L’Ami de
l’enfance et ont été réunis dans L’Éducation maternelle dans l’école, Hachette,
1886 et 1895 et réédités en 1974), elle diffuse ses conceptions pédagogiques
novatrices, refusant des procédés ou techniques formalisés et ouvrant la voie
à des pratiques plus souples, moins dogmatiques, adaptées aux caractéris-
tiques physiques et intellectuelles du jeune enfant comme aux particularités
locales. Ses conseils relèvent autant de l’intuition que des connaissances psy-
chologiques et physiologiques de l’enfant. Comme le souligne fort justement
E. Plaisance (1996) : « la lecture de Pauline Kergomard et de ses conceptions
de “l’éducation maternelle dans l’école” demeure une forte et féconde source
d’inspiration ». L’ambition éducative de P. Kergomard est plus proche des
visées du pasteur Oberlin que de celles d’Owen. En effet, dans son Aperçu
rapide des écoles maternelles (1910), elle attribue aux créateurs des salles d’asile
l’héritage du célèbre pasteur, sans jamais faire référence à Owen. Or, on sait
que les premières salles d’asile s’inspirèrent du modèle de l’infant school.
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des petits », car « le jeu, c’est le travail de l’enfant, c’est son métier, c’est sa
vie. L’enfant qui joue à l’école maternelle s’initie à la vie sociale, et l’on ose-
rait dire qu’il n’apprend rien en jouant ? » (L’Éducation maternelle dans l’école,
1886). Le jeu sera placé en tête des programmes dès 1887 avec l’éducation
physique. Pour P. Kergomard, en effet, le développement physique est la
base de l’éducation.
Nous allons voir comment les modifications apportées aux éléments
pérennes du système contribuent à concrétiser ces nouvelles perspectives en
élaborant une forme scolaire inédite, ce qui conduit à transformer la nature
même du métier d’élève et son rapport aux objets de savoir.
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dit P. Kergomard (1886), « c’est la leçon par excellence parce qu’elle est inti-
mement liée à l’acquisition de la langue maternelle et à la culture de tous les
sens. L’enfant prend des leçons de choses dès le berceau. Grâce à la curiosité
de ses yeux avides de voir, de ses doigts avides de toucher, de ses narines avides
de sentir, de ses oreilles avides d’entendre, de son palais avide de goûter, les
leçons se succèdent, se multiplient, se lient entre elles, se confondent ». La direc-
tion est donnée, l’enfant doit voir et manipuler librement de vrais objets
pour acquérir des connaissances en relation avec ses intérêts spontanés.
Or, si la leçon de choses apparaît explicitement dans le programme de 1882,
il est à noter que ce procédé pédagogique existait depuis la création des salles
d’asile. En effet, Luc signale dans son dernier ouvrage (1997) « la place pri-
vilégiée accordée à la leçon de choses » par Cochin, leçon associée à l’histoire
naturelle, qui alimentait la pratique des causeries. On peut cependant s’in-
terroger sur les usages que recouvre à cette époque le vocable « causeries ».
S’agissait-il d’exercices de reformulation ou de véritables conversations ? La
description de la méthode des salles d’asile nous porte à croire que ces cau-
series n’ont rien à voir avec des entretiens de type familier.
Pour Charrier, c’est Marie Pape-Carpantier, directrice de l’École normale
des salles d’asile en 1848 et de la revue L’Ami de l’enfance, qui aurait donné
les premiers modèles de la leçon de choses, l’objectif de ce dispositif étant
d’intéresser, d’instruire les enfants et de solliciter leurs sens. Dans le contexte
de l’époque, ces leçons sont de véritables cours de vocabulaire, la présenta-
tion d’objets ou d’images s’accompagnant de leçons, d’interrogations, de répé-
titions. Leçons de choses « sans choses » critiquera P. Kergomard. On peut
penser effectivement que, compte tenu des modalités de la méthode, des
difficultés de fonctionnement de nombreuses salles d’asile (étroitesse et insa-
lubrité des locaux, mobilier inadapté, matériel pédagogique absent ou réduit,
surpopulation, ignorance de certaines directrices, etc.), les leçons de choses
ne remplissaient pas vraiment leur rôle, certaines directrices des salles d’asile
les refusant même, les considérant comme des exercices inutiles et même
nuisibles (Luc, 1997).
Cependant, la leçon de choses, telle qu’elle est présentée dans les textes
de 1882, répond aussi à un autre objectif : il ne s’agit pas seulement de faire
acquérir des connaissances usuelles sur un thème commun mais, par ce pro-
cédé, de fédérer plusieurs activités, de les finaliser en quelque sorte. Toutefois,
ce principe fédérateur n’est pas, lui non plus, une innovation : il avait été
conçu antérieurement à 1882. En effet, dans son ouvrage consacré à l’étude
du travail manuel dans les écoles, Lebeaume (1996) décrit le principe édu-
catif “des causeries de la mère” utilisées dans les Kindergärten de Fröbel
(vers 1830) et inspirées du Livre des mères de Pestalozzi. Ces causeries, dit-
il, sont à la fois « leçons de choses, exercices de motricité et modèles de morale ».
Le développement intellectuel se fait alors grâce « à la mise en relation des
choses », les jeux qui en découlent s’accompagnant de chansons. Ces pra-
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« […] non sur des combinaisons difficiles de lettres, ni sur des syllabes
inintelligibles pour l’enfant, mais sur des mots usuels et phrases simples ».
Règlement du 18 janvier 1887.
Ce qui rend obsolètes les tableaux de syllabes des salles d’asile. Nous avons
ici en germe une approche de la méthode mixte d’apprentissage de la lec-
ture. P. Kergomard avait développé cette nouvelle conception en 1886 dans
L’Éducation maternelle dans l’école :
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Le nouveau projet éducatif pour la petite enfance induit, nous l’avons vu, une
rupture avec la méthode des salles d’asile qui ne demandait, rappelons-le, aucune
compétence particulière à leur directrice. L’organisation entière de la journée
étant codifiée, il lui suffisait alors d’appliquer minute par minute la méthode
qui englobait tout : le temps, l’espace, les groupements d’élèves, les contenus,
les procédés. Maintenant, il n’y a pas lieu de suivre une méthode particulière
mais d’être inventif. Les directives indiquent l’esprit selon lequel il faut œuvrer,
mais aucune référence stable ne vient en aide pour organiser le travail. Les
horaires ne sont plus strictement établis ; on suggère seulement de :
« […] préparer un plan quotidien qui réponde le mieux à ses (la maî-
tresse) aptitudes et connaissances et s’adapte plus exactement à l’âge, au
caractère, au développement des enfants, aussi bien qu’aux circonstances
locales ».
Circulaire du 22 février 1905.
On comprend que les institutrices résistent et aient du mal à abandonner
la méthode des salles d’asile qu’il suffisait d’appliquer et qui donnait certains
résultats. Dès lors, il est plus aisé pour la maîtresse de s’en tenir à la méthode
Cochin. Pour sa part, P. Kergomard considère que les programmes sont là
uniquement pour indiquer des sujets de causerie. Or, il se trouve que le seul
élément clairement identifiable – le programme – est en contradiction avec
les grandes orientations par ses contenus excessifs, et ce malgré certains allé-
gements.
La circulaire du 22 février 1905 souligne ces dérives et ambiguïtés :
« Le programme de 1882, trop ambitieux, surtout dans sa forme, entre-
tenait dans l’esprit des maîtresses des visées trop hautes. Il perdait trop
de vue et les conditions du développement physiologique de l’enfance et
les lois de son développement intellectuel […]. De là une discordance tout
à fait regrettable et une contradiction évidente entre le principe même
de la réforme et les moyens proposés pour son application. Ce programme
ancien, pour d’autres raisons encore, ne saurait plus convenir à la situa-
tion présente. »
Ces contradictions constituent une entrave aux efforts faits par les inspec-
trices pour briser les résistances des maîtresses. Pour que l’école maternelle
fonctionne comme le souhaitent les décideurs, il faut d’autres moyens que les
textes officiels. Tout cela demande un profond changement dans les façons de
penser et d’agir ; se pose alors la question de la formation des enseignantes.
En premier lieu, ce sont dans les écoles normales de filles, formant les insti-
tutrices des écoles maternelles, que les procédés innovants se répandent de
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façon directe. Les « Cours normaux maternels », formant les institutrices des
écoles maternelles, sont annexés en 1881 aux écoles normales d’institutrices puis,
à partir de 1884, la formation se fera au sein même de ces écoles normales, en
commun avec les institutrices du primaire, mais avec des épreuves spécifiques
pour la petite enfance. En second lieu, l’utilisation des nouveaux procédés s’ac-
compagne de l’institutionnalisation d’un réseau permettant la diffusion des idées
modernes : un corps spécifique d’inspection pour les écoles maternelles com-
posé d’inspectrices générales et d’inspectrices départementales nommées par
l’institution depuis 1881 (en 1921 sont seulement en poste 4 inspectrices géné-
rales et 13 inspectrices départementales, ces dernières ne seront que 21 en 1945).
S’ajoutent à ce dispositif institutionnel les nouvelles revues pédagogiques,
qui sont plus nombreuses et diversifiées (la première publication de la revue
L’Éducation enfantine, Nathan, date de 1902) ; la création en 1921 de
l’Association des institutrices de l’école maternelle, l’AGIEM, toujours active ;
l’organisation de conférences pédagogiques, de congrès nationaux et inter-
nationaux dont les thèmes reflètent les préoccupations de l’époque ; l’orga-
nisation de prix pour récompenser les institutrices méritantes : prix
P. Kergomard, prix de l’Éducation enfantine, fondation Nathan, etc.
En outre, les enseignantes des écoles maternelles voient, en 1921, leur statut
s’aligner sur celui de leurs collègues d’école primaire. En effet, bien que les
modalités de recrutement et leur traitement soient égaux à ceux des ensei-
gnantes de l’école primaire depuis 1881, elles ne bénéficiaient pas des mêmes
congés ni des mêmes horaires de travail journaliers (les écoles maternelles sont
alors ouvertes de 7 h du matin à 7 h du soir l’été, toute l’année, tous les jours
sauf le dimanche et les jours fériés). En 1882, un mois de vacances leur est
accordé, mais les départs des enseignantes doivent être successifs pour ne point
fermer l’école. En 1887, la fermeture est autorisée la première semaine d’août,
puis tout le mois en 1894. En 1921, la journée passe à 8 heures, les municipa-
lités mettent en place des garderies si nécessaire, les congés sont alignés sur
ceux des institutrices de l’école élémentaire. Par le décret de 1921, leurs mis-
sions sont institutionnellement reconnues et l’on peut supposer que leur impli-
cation s’en est trouvée modifiée. La spécificité de leur fonction est attestée par
la création d’un cadre spécial d’institutrices vouées aux enfants d’âge présco-
laire, et certifiée par des épreuves de pédagogie de l’école maternelle, de pué-
riculture, d’hygiène et de science appliquée à la puériculture et l’hygiène au
brevet supérieur (cette spécificité sera supprimée en 1940), ainsi que par l’obli-
gation d’avoir exercé cinq ans dans une école maternelle pour occuper un poste
de direction. On espère ainsi un personnel « bien adapté à sa mission ».
Ainsi, se met en place la structure formative avec la plupart des éléments
que nous lui connaissons actuellement. Elle ira en s’enrichissant et sa pré-
sence sera un atout fondamental au cours de la période suivante. Par ailleurs,
la reconnaissance institutionnelle du statut des maîtresses de maternelle
permet la création d’un corps spécifique qui, par ses qualités, s’ouvrira à
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une population féminine d’horizon social différent, ce qui ne sera pas sans
conséquences sur les choix éducatifs, comme le montre Plaisance (1986).
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« Mois de septembre :
– Leçons de choses : la chasse : chevreuil, cerf, sanglier, loup, renard,
lièvre, lapin, perdrix, alouette, caille ; fusils. La fête du village : foire, bou-
tique, feu d’artifice, poudre ; guerre, commerce, monnaie.
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Les rappels à ce propos sont nombreux et donnent lieu, dans cette même
circulaire, à une sévère critique non seulement des pratiques enseignantes,
mais également des inspecteurs de l’école « primaire-élémentaire » qui pro-
cèdent majoritairement aux inspections des écoles maternelles et :
« […] jugent une école et apprécient les maîtresses par les progrès en
lecture, écriture, calcul ; sauf honorables mais trop rares exceptions, ils
ne semblent attacher qu’une importance secondaire aux soins de pro-
preté, à la surveillance des repas, aux jeux et aux travaux manuels ».
Ainsi, si les contenus disciplinaires sont encore fortement présents sous leur
forme initiale, ce qui change, c’est bien la conception des modes de transmis-
sion qui entraîne des modifications dans la présentation des contenus et leur
organisation. En effet, à présent, l’observation et la manipulation sont requises
pour l’acquisition des connaissances usuelles, les exercices manuels perdent leur
caractère utilitaire de formation au travail, le dessin libre commence à exister,
l’enseignement de la lecture s’oriente vers une méthode moins abstraite, l’ac-
tivité ludique s’impose. Par ailleurs, la description de la méthode française et
le principe des leçons de choses modifient le rapport au savoir créé par le nou-
veau contexte. Il faudra cependant encore du temps pour transformer en pro-
fondeur les approches disciplinaires. Cependant, les programmes de 1887 et 1921
montrent l’accentuation du mouvement qui s’est amorcé en 1881-1882.
La structure fondamentale, dont nous avions souligné le rôle pour les salles
d’asile, se trouve, durant cette période où l’école maternelle est en construc-
tion, profondément bouleversée mais, dans un premier temps, davantage
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dans les textes que sur le terrain. Cependant, le nouvel agencement des
locaux, l’organisation différente des salles, le mobilier, le matériel individuel
d’éducation, la gestion du temps et des contenus, la répartition des enfants,
tout concourt finalement à étayer les nouvelles pratiques éducatives. Les
méthodes pédagogiques se révèlent alors être un élément organisationnel
fondamental. Ce sont bien les procédés de transmission qui sont au centre
du changement. Les structures de formation et de diffusion des idées vont
permettre à ce dispositif de se généraliser, ce qui s’avérera bien plus effi-
cace que les injonctions ministérielles.
Dans ce contexte, la priorité est donnée à l’expérience directe de l’enfant.
De ce fait, le rapport au savoir n’est plus tributaire de discours abstraits et
exclusivement collectifs de l’adulte, l’enfant participe à cette construction en
exerçant des actions. En effet, les apprentissages s’appuient sur l’action
concrète, le rapport aux objets de savoir s’effectue par l’intermédiaire d’ob-
jets (manipulations de bûchettes en calcul), d’un matériel pédagogique appro-
prié, d’un dispositif pédagogique original, les leçons de choses, par le jeu. Ces
activités intermédiaires préfigurent le principe de médiation qui sera ulté-
rieurement revendiqué. Ce qui conduit à une centration excessive sur la mani-
pulation plus que sur les connaissances visées. Effectivement, le matériel
éducatif, spécialement créé pour répondre aux objectifs éducatifs, occupe une
place de plus en plus considérable dans les nouvelles pratiques pédagogiques.
Ce matériel, inspiré dans un premier temps des « dons » de Fröbel, puis des
pratiques montessoriennes, se dégagera peu à peu de ces modèles pour se
diversifier et s’adapter aux pratiques définies par la méthode française. Les
maîtresses recevront des conseils par l’intermédiaire des revues pédagogiques
pour les fabriquer et, très rapidement, les maisons d’édition en proposeront
à la vente. La prolifération des « jeux sensoriels », puis des « jeux éduca-
tifs », marquera pour longtemps les pratiques éducatives de l’école mater-
nelle, au point que l’on attribue à ces supports, véritables « outils fétiches »,
des vertus éducatives intrinsèques. Par ailleurs, on constate que certaines de
ces pratiques intermédiaires se substituent progressivement à certaines disci-
plines, comme les exercices graphiques, par exemple, qui commencent à émer-
ger vers la fin de cette période et se positionnent comme substitut de l’écriture,
comme nous le verrons dans la troisième partie de l’ouvrage.
Le rôle de l’enseignante n’est plus de démontrer, d’exposer, mais de faire
vivre les bonnes habitudes plutôt que de les inculquer, de favoriser l’éclo-
sion de l’individualité. Le dialogue pédagogique de type « causeries » est
encouragé. La parole de l’enfant est sollicitée, il décrit les objets qu’il observe
ou le résultat de ses actions. Ce qui est visé, c’est le développement de
toutes ses facultés. Il lui est toujours demandé, certes, d’être obéissant, mais
avant tout de prendre goût à ce qu’il fait, d’être curieux plutôt que « savant ».
Les contenus restent encore largement inscrits dans une logique discipli-
naire, mais on a vu l’influence du dispositif la « leçon de choses » – sur le
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CHAPITRE
4
Le plein essor
de 1921 à 1977 :
une école qui s’affirme
dans un silence institutionnel
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LE CONTEXTE
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LE CADRE MATÉRIEL
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« […] L’espace scolaire doit être adapté à l’enfant et lui permettre des
moments de regroupement et d’isolement, de mouvement et de repos,
d’activité et de détente, […] le traitement des espaces extérieurs s’inspi-
rera de préoccupations esthétiques […]. »
Les équipements de cour apparaissent vers 1936. Cependant, il faut attendre
les années cinquante pour que ces constructions connaissent un essor signi-
ficatif.
En ce qui concerne le mobilier, l’idée de chaises et tables indépendantes
et mobiles est l’une des grandes conquêtes des écoles maternelles.
P. Kergomard en avait immédiatement perçu l’utilité et la nécessité, comme
l’avait fait ultérieurement de son côté Maria Montessori. En 1931, le congrès
international de l’AGIEM propose une réflexion sur « la valeur et le rôle du
mobilier et du matériel éducatif ». L’intérêt stratégique de ce mobilier, ins-
titué par les textes de 1927, est qu’il permet d’aménager différemment la
classe selon les besoins, ce qui va dans le sens des objectifs éducatifs nou-
veaux. Il réussit à s’imposer comme achat obligatoire auprès des municipa-
lités. La fabrication s’industrialise et les prix baissent. Ainsi, les conditions
matérielles permettent-elles aux institutrices d’organiser leur classe comme
elles le souhaitent pour « créer une ambiance ».
L’agencement des classes évolue puisque, dès lors, les classes maternelles
ne sont plus des classes « d’écoutants » où règne la passivité, mais « des
ateliers d’artisans et d’artistes », des classes actives où la vie est souveraine.
Les instructions de 1977 en soulignent l’importance :
« L’organisation matérielle de l’école ou de la classe, tout en favori-
sant l’autonomie des enfants, leur permettra de satisfaire leur besoin natu-
rel d’ordre et de rangement.
Des ateliers ou des aires fixes seront aménagés pour les activités et tra-
vaux de construction et de fabrication (établis avec outils divers), le mode-
lage (bacs à terre maintenue humide, tournettes), le dessin et la peinture
(grandes surfaces inclinées, bien éclairées, permettant à l’enfant de
peindre en station debout, avec, à sa portée immédiate, couleurs en pots
et pinceaux divers).
Des aires de rassemblement, plus intimes, seront réservées aux regrou-
pements collectifs, au moment du conte, de la poésie, du chant.
Des coins de déguisements, de jeux, voisineront, surtout chez les plus
grands, avec ceux réservés aux apprentissages premiers (mathématiques,
lecture). Ici, les jeux éducatifs trouveront leur place.
Il serait bon de prévoir des installations (casiers, petits meubles à tiroirs)
suggérant à la fois le goût des collections d’éléments naturels ou fabriqués.
Il est souhaitable enfin que les enfants participent de leur mieux selon
leur âge et leur goût, avec l’aide de la maîtresse, à la décoration des
locaux où se déroule leur vie commune. Ces apports, ces activités peuvent
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Par ailleurs, l’organisation des classes fait l’objet d’une réflexion particu-
lière qui a donné lieu à plusieurs textes publiés dans les revues pédagogiques.
On peut voir dans la revue Les cahiers de pédagogie moderne (Bourrelier)
l’évolution des conceptions dans ce domaine. En 1948, des plans de classe
montrent l’agencement d’une petite section, avec trois secteurs principaux :
secteur « jeux libres » (tapis entouré de meubles bas), secteur « repos »
(petits lits installés dans la classe, parfois isolés par des meubles), secteur
« activités dirigées » (regroupement de tables ovales). En 1963, la même
revue propose pour la même section un aménagement ne comprenant pas
moins de 20 ateliers : peinture, modelage, bac à sable, plusieurs espaces de
jeux sensoriels, des coins chambre, cuisine, poupées, garage, des bassines
pour laver le linge, la vaisselle, etc. On n’y trouve plus de secteur « activi-
tés dirigées ». Il faut, par ailleurs souligner, la place accordée dans les ins-
tructions officielles de 1977 à la présence, dans chaque classe, de bibliothèques
d’albums, de livres d’images.
Encore une fois, l’organisation matérielle répond aux exigences des pro-
cédures éducatives, tout comme le matériel éducatif.
La nature et la finalité du matériel éducatif évoluent également. Déjà,
vers 1923, celui-ci s’est développé sous l’influence de Maria Montessori, sa
confection représente l’une des tâches essentielles de l’institutrice. Ces jeux
éducatifs connaissent alors une inflation considérable, dans la mesure où
l’éducation sensorielle (vue, ouïe, odorat, goût, toucher) est considérée
comme étant à la base du développement enfantin. Les exercices sensoriels
priment sur les interventions des enseignantes. En 1926, le congrès AGIEM
de Lille porte sur l’éducation sensorielle et l’enseignement individuel, ainsi
que celui de 1933 à Bordeaux (« Les exercices sensoriels en petite section »).
En 1927 (instructions du 15 janvier), le matériel éducatif, dont il est pré-
cisé qu’il est d’éducation et d’enseignement, souligne la volonté des déci-
deurs de rompre avec les procédés habituels. Les jouets entrent officiellement
dans les classes : poupées, ménages, animaux en bois…, sont également cités
les outils et matières premières pour le travail manuel, on note la présence
de perles, de pâte à modeler, de raphia, de laine, de terre, de ciseaux à bout
rond, de papier pour le découpage et le pliage, etc. Il n’est plus question de
sifflet, ni de globe terrestre, ni de carte de France murale, ni d’exercices de
géographie ; on ne signale plus également les lettres mobiles pour la lecture
(pourtant toujours utilisées si l’on se réfère aux revues pédagogiques de
l’époque). Durant cette période, le matériel, investi alors de vertus éduca-
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« – l’affectivité ;
– le corps, le mouvement, l’action ; les représentations motrices,
l’expression corporelle, l’expression vocale, la musique ;
– l’image, les représentations iconiques ;
– l’expression plastique ;
– le langage oral et le langage écrit ;
– le développement cognitif. »
Circulaire du 2 août 1977.
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sation des aspects culturels conduisent cette école à élaborer des objectifs édu-
catifs et des situations d’apprentissage intellectualisés qui concordent avec les
pratiques éducatives des familles bourgeoises. Selon Plaisance (1986), la place
des activités plus scolaires, qui correspondent, pour leur part, à l’attente des
familles populaires, manifeste un net recul après les années cinquante. En effet,
les activités de lecture, écriture et calcul, mentionnées dans les rapports d’ins-
pection examinés par Plaisance, représentent 40,3 % des activités au cours de
la période 1945-1952 et chutent à partir de 1955, pour ne représenter que 6,1 %
des activités entre 1975 et 1980. En revanche, au cours des mêmes périodes, on
constate la progression des activités physiques (qui passent de 6,4 % à 20,4 %),
du travail manuel (de 9,7 % à 20,4 %), du chant (de 8,1 % à 12,2 %), du lan-
gage oral (de 19,3 % à 30,6 %). Cependant, comme le fait remarquer Plaisance,
ces activités « ne révèlent que très partiellement la pédagogie pratiquée au cours
d’une journée » car elles doivent être « exactement situées dans le cadre où elles
ont été observées, c’est-à-dire au cours d’une inspection », ce qui est significatif
des représentations des attentes institutionnelles.
Le rôle « propédeutique » de l’école maternelle, bien que cité dans les
textes de 1977, est minimisé. Pourtant, dans les années soixante-dix, se déve-
loppe l’idée selon laquelle les apprentissages précoces seraient scientifique-
ment possibles, socialement acceptés et scolairement profitables. Les
expériences faites avec des bébés connaissent un succès de librairie (par
exemple : « J’apprends à lire à mon bébé », Doman, Retz, 1965). Certaines
écoles maternelles proposent aux jeunes enfants l’apprentissage d’une langue
vivante étrangère (pratique envisagée comme une sensibilisation dans les
textes officiels de 1972 et 1977). Des chercheurs comme R. Cohen (1977) sou-
tiennent un plaidoyer en faveur de l’apprentissage précoce de la lecture. L’idée
repose sur la certitude que « tout se joue avant six ans », selon l’expression
de Dodson (1970) et que les apprentissages précoces sont possibles grâce à la
forte plasticité neurologique des jeunes enfants. Cette pratique des appren-
tissages précoces auprès d’un public défavorisé devrait permettre, disent les
auteurs, de réduire l’échec scolaire. Se développe parallèlement une littéra-
ture orientée vers l’enfant, notamment les abécédaires et albums de lecture.
Cette question des apprentissages précoces demeure toujours d’actualité.
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Qu’en est-il de la forme scolaire pour cette période ? Quel type de rapport
aux objets de savoir est instauré ? Les savoirs scolaires sont-ils modifiés ?
Nous venons de voir que de nouvelles valeurs apparaissent au sein de
l’école, valeurs qui orientent la forme des dispositifs. Pour répondre à l’ob-
jectif premier de développement global de l’enfant, pour favoriser sa spon-
tanéité, sa créativité, etc., les éléments pérennes du système doivent s’adapter
sous l’impulsion des nouveaux dispositifs, les centres de vie, instrumentés
par les ateliers et chantiers. L’aménagement des classes comme la gestion
du temps est plus souple, le matériel pédagogique, plus varié, se détache
peu à peu du matériel éducatif abstrait pour s’enrichir d’objets « naturels ».
Du reste, les thèmes choisis pour les activités portent majoritairement sur
la nature et les animaux, comme le montre Plaisance (1986).
La forme scolaire se présente comme un cadre moins rigide où la règle
n’est pas facile à identifier, ce qui donne des classes différentes et mouvantes
dans leurs modalités de fonctionnement, mais s’inscrivant dans l’objectif com-
mun de favoriser toutes les formes de l’expression enfantine. Cependant,
sous l’illusion libertaire, la forme scolaire n’en est pas moins présente, bien
que rendue opaque. Ce qui pose problème pour les enseignants, c’est d’éla-
borer un milieu à la fois malléable et suffisamment réfléchi et organisé pour
atteindre les objectifs d’apprentissage visés. Les textes officiels demandent à
ce que « tous les types d’activité soient offerts à tous les enfants à tout moment
de la journée » sans que l’enseignant perde de vue la poursuite des objectifs
d’apprentissage. Cette difficulté sera contournée par les vertus éducatives
attribuées aux dispositifs. Il suffit de considérer qu’en fréquentant un ate-
lier, l’enfant a acquis, de fait, des compétences, comme si un vécu concret
ou corporel était à lui seul vecteur de connaissances. Cette conception est
renforcée par les instructions officielles de 1977 qui font l’apologie d’une
« pédagogie des situations vécues » où les enfants se mobilisent « en vue
d’actions perçues comme répondant à une impérieuse nécessité » et où les inter-
ventions de l’enseignant ne doivent être qu’occasionnelles. Cette mise au tra-
vail, sous forme d’ateliers, se double, nous l’avons vu, d’une idéologie
culturelle.
Ainsi, le rapport aux objets de savoir est médiatisé par les dispositifs péda-
gogiques, au gré des circonstances, sans être orienté par les enseignants.
La relation hiérarchique avec ceux-ci est atténuée, le dialogue pédagogique
peut s’installer à propos des œuvres produites en atelier, mais le dialogue
entre pairs, s’il est accepté, n’est pas encore considéré comme vecteur d’ap-
prentissage. Pour apprendre, l’élève doit se montrer curieux, inventif, auto-
nome. Il tâtonne, expérimente : c’est un mode d’apprentissage empirique et
individuel basé en grande partie sur l’activité ludique. Mais qu’apprend l’en-
fant ? Où sont les objets de savoir ?
Nous avons vu que le processus qui consiste à fédérer les disciplines autour
d’un thème commun et à privilégier l’investissement global de l’enfant dans
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des ateliers conduit à gommer ces disciplines au profit, d’une part, des
œuvres, du produit final et, d’autre part, au profit des comportements, des
activités concrètes des élèves. Les objets de savoir sont moins visibles parce
qu’intégrés dans les dispositifs. Les apprentissages dits fondamentaux (lire-
écrire-compter) sont toujours là mais déclinés différemment. On peut dire
que l’enfant apprend les manières d’apprendre, non pas des attitudes cogni-
tives, mais des comportements en termes de savoir-être (être inventif, curieux,
autonome, etc.) qui font écran aux objectifs disciplinaires. Ce « code inté-
gré » dont parle Bernstein, et qui « met l’accent sur les manières de connaître
plus que sur les acquisitions immédiates » (Plaisance, 1986), conduit à en
rendre implicites les règles d’acquisition. Ce phénomène est à présent consi-
déré comme source de difficultés d’apprentissage.
Dans ce contexte, le processus de socialisation est considéré comme l’ap-
propriation d’une culture valorisée par l’école, dont nous avons vu qu’elle
était spécifique d’un certain groupe social auquel appartenaient majoritai-
rement les enseignantes. Ce constat pose la question de la distance cultu-
relle entre les enseignants et les familles populaires dont les enfants ont du
mal à décoder ces règles, question qui débouche sur le problème de l’échec
scolaire, qui sera au centre des préoccupations de la période suivante.
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CHAPITRE
5
La période contemporaine :
une redéfinition des missions
de l’école maternelle
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La période contemporaine
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LA STRUCTURE INSTITUTIONNELLE
ET LES NOUVELLES ORGANISATIONS
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La période contemporaine
sur le rôle scolaire de l’école maternelle. Les nouveaux objectifs de cette école
sont clairement énoncés : « scolariser, socialiser, apprendre et exercer ». Il s’agit
tout d’abord de « scolariser » l’enfant, c’est-à-dire de lui donner à connaître
« une nouvelle vie, un nouveau milieu » qui a sa propre logique et ses propres
exigences ; la deuxième mission est de « socialiser », d’acculturer l’enfant, de
le mettre en présence de cultures différentes (le texte insiste sur les différences
culturelles) ; la troisième mission est de « faire apprendre et exercer ». L’accent
mis alors sur les démarches des enfants est significatif des options éducatives
adoptées, l’apprentissage est réhabilité. Au congrès AGIEM de Toulouse en
1987, J. Fargeas, inspectrice générale, souligne que, lors des journées d’études
passées, on n’a traité que très exceptionnellement de l’éducation intellectuelle
des jeunes enfants : « […] si j’ai bien lu, cela s’est produit deux fois : en 1949,
lorsque Piaget participa à votre congrès sur le calcul à Lyon, et en 1971 à Vichy,
où l’on “osa” parler apprentissage et enseignement… Le verbe “oser” est trou-
blant. Serait-ce qu’à l’école maternelle nous hésiterions à aborder ce sujet ? […]
quoi qu’il en soit, nous intéresser à l’apprendre ne peut que nous aider à mieux
conduire notre action éducative ».
Dans un contexte où, nous l’avons vu, l’échec scolaire devient la préoc-
cupation dominante, les écoles maternelles constituent l’un des dispositifs
susceptibles de corriger l’inégalité sociale et de contribuer à la réussite de
tous les élèves en misant sur la socialisation précoce et l’amorce des appren-
tissages dits fondamentaux car « la fréquentation de l’école maternelle est l’un
des facteurs importants de la réussite scolaire ultérieure » (IO, 1986).
L’importance de l’école maternelle dans le système scolaire est affirmée :
« c’est la première école ».
Ces textes de 1986 se présentent comme une mise en ordre, une mise en
conformité, qui serait nécessaire après la période des grandes innovations qui
ont façonné cette école, à présent bien rodée dans son fonctionnement. Il n’est
plus question de « programme » ni « d’objectifs » mais d’orientations. La cir-
culaire du 30 janvier 1986 présente ainsi les grands domaines d’activités :
« – les activités physiques (activités de motricité globale, activités de
coordination motrice, activités d’expression corporelle) ;
– les activités de communication et d’expression orale et écrite ;
– les activités artistiques et esthétiques (les activités de production artis-
tique, les activités de perception esthétique) ;
– les activités scientifiques et techniques. »
À la lecture de ces rubriques, on remarque, en premier lieu, leur nombre
réduit. Ce constat va dans le sens du mouvement amorcé dans les instruc-
tions de 1977, qui conduit à ne plus énoncer les contenus selon la logique des
disciplines mais selon celle des enfants. À présent, les disciplines sont défini-
tivement gommées, tout au moins dans leur appellation, au profit de
« domaines d’activités » qui, sauf pour les activités physiques, sont constitués
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La période contemporaine
« – vivre ensemble ;
– apprendre à parler et à construire son langage, s’initier au monde
de l’écrit ;
– agir dans le monde ;
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– découvrir le monde ;
– imaginer, sentir, créer ;
– des instruments pour apprendre : l’activité graphique ; les activités
de classification, sériation, dénombrement, mesurage, reconnaissance des
formes et relations spatiales ».
On remarque, de prime abord, que la priorité n’est plus aux activités phy-
siques (« agir dans le monde ») mais à la socialisation et à l’apprentissage
de la langue, ce qui va dans le sens des nouvelles préoccupations de l’école,
en résonance avec les problèmes sociaux.
Le fait nouveau, nous l’avons dit, c’est l’accent porté sur l’activité de l’en-
fant lui-même et l’acquisition de compétences plutôt que sur des activités ou
apprentissages de type scolaire. Du reste, les textes de ce programme préci-
sent bien qu’« à aucun moment l’organisation des savoirs de l’école maternelle
ne relève du découpage traditionnel des disciplines scolaires ». Les verbes d’ac-
tion qui nomment les rubriques sont, de ce point de vue, significatifs : « vivre
ensemble », « apprendre », « s’initier », « agir », « découvrir », « imagi-
ner », « sentir », « créer ». Toutefois, le fait le plus innovant réside dans une
nouvelle rubrique qui ne répond pas à la logique précédente : il s’agit des
« instruments pour apprendre ». Son intérêt réside dans le fait de souligner
le rôle des technologies des apprentissages, décrites comme des « instruments
essentiels au travail de l’intelligence », que sont l’activité graphique (dessin,
écriture) et les activités de classification, sériation, dénombrement, mesurage,
la reconnaissance des formes et des relations spatiales qui sont à la fois objets
et outils d’apprentissage.
Ainsi, dans ce programme, l’enfant est présenté comme engagé dans un
processus qui le conduit à s’insérer dans le monde. Pour cela, l’enseignant
doit le doter de divers instruments qui ne sont pas seulement ancrés dans les
disciplines. En effet, l’importance accordée à la socialisation, à la citoyenneté,
à la communication est également l’indice d’une volonté de souligner ce pro-
cessus d’intégration. De ce fait, les grands domaines d’activités nous semblent
familiers dans la mesure où ils proposent un assemblage d’activités scolaires
en cohérence avec l’activité humaine qui les sollicite et les justifie.
Pour cette période, où la présentation des contenus sous forme de
domaines d’activités n’est pas remise en cause, nous allons voir comment
ont évolué les pratiques des enseignants, notamment au regard des nouvelles
directives institutionnelles.
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Toutes ces raisons, plus le fait que de trop nombreux élèves arriveraient
« illettrés » au collège, conduisent l’institution, et le public, à se centrer sur la
recherche de la « bonne » méthode, au risque de masquer les autres causes de
ces difficultés qui ne sont pas directement liées aux pratiques pédagogiques.
3. « La Loi organique des Lois des finances (LOLF) modifie le financement des
actions de tous les ministères, y compris celui de l’éducation nationale. Le principe
est basé sur une exigence de résultats et non plus sur les besoins comme cela était
jusqu’ici. La logique est différente, ce qui signifie que les établissements et les
Académies affichent un projet de « performances » à chaque rentrée scolaire et les
objectifs fixés doivent être atteints. ». BO n° 13 du 31 mars 2006 : Préparation de la
rentrée 2006.
4. Rapport de la commission Thélot, 2004.
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La période contemporaine
• Les conséquences
Malgré l’apparente stabilité des écoles maternelles, force est de constater
que ces divers changements, les pressions, aussi bien sociales qu’institution-
nelles, associés à l’insuffisance de formation initiale spécifique, influencent
les pratiques et conduisent les enseignants à opérer un glissement « vers le
haut » des exigences en matière d’apprentissage, notamment pour la langue
écrite. Ce qui se traduit par des enseignements souvent prématurés, une
réduction des activités jugées moins capitales (EPS, arts plastiques, musique,
activités de jeux) et une inflation de fiches photocopiées, comme si les ensei-
gnants souhaitaient rendre plus visibles les apprentissages effectués. Ces choix
pédagogiques mettent en évidence le retour du « style productif » défini par
Plaisance (1986) « selon les critères de perfection technique et d’adéquation à
une norme de réussite pré-établie ». La « culture de l’évaluation », sous-tendue
par une obligation de résultats, n’est-elle pas une forme moderne de cette
productivité pédagogique ?
5. « Ces classes jouent en effet un rôle de première importance, d’une part pour pré-
parer les apprentissages ultérieurs, qu’ils soient de l’ordre de la maîtrise progressive de
la langue, de l’initiation au monde de l’écrit ou de l’appréhension du monde environ-
nant, d’autre part pour aider l’élève à trouver ses repères, à affirmer sa place dans le
groupe et à s’approprier les premières règles de la vie en commun ». Rapport Thélot.
6. Interview du 12 octobre 2004 conduite par l’AEF (Agence enseignement supé-
rieur emploi formation).
7. Les inégalités de réussite à l’école élémentaire : construction et évolution, Jean-
Paul Caille et Fabienne Rosenwald. Ministère de l’Éducation nationale, de
l’Enseignement supérieur et de la Recherche, 2006.
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8. Des programmes avaient été publiés en 2007 mais les quelques modifications,
dues surtout à la question des méthodes d’apprentissage de la lecture, n’avaient pas
modifié les programmes de 2002 pour l’école maternelle.
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• Devenir élève
Ce nouvel énoncé « Devenir élève » souligne plus particulièrement ces choix
éducatifs : obligation est faite pour l’enfant d’avoir à acquérir, le plus rapi-
dement possible, une posture d’élève. Ce qui pose problème, entre autre, c’est
que cette posture se décline uniquement selon des règles de civilité et un rap-
port à la morale (« apprendre les règles de civilité et les principes d’un com-
portement conforme à la morale »), comme si devenir élève demandait
uniquement d’être poli et sage, d’écouter et de répondre à des questions, de
canaliser ses sentiments (« contrôler ses émotions »). Ceci vise un processus
de « conformisation » plus que de développement. Or, comme nous le sou-
lignons dans cet ouvrage, pour devenir élève, l’enfant doit donner du sens
aux situations scolaires, aux savoirs, aux tâches scolaires ; il doit pouvoir se
repérer dans l’univers complexe des tâches scolaires pour élaborer un rapport
au savoir, identifier ce qui relève de l’essentiel et de l’accessoire, bref, acqué-
rir une culture scolaire. Ce qui rejoint les propos de Ivic (1989)12 : « L’essentiel
de l’éducation est donc d’assurer le développement de l’élève en lui procurant
des outils, des techniques intérieures, des opérations intellectuelles… ».
L’avertissement apporté à cet ouvrage développe plus amplement cette
question du « devenir élève ».
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La période contemporaine
ses fonctions. Si elle est fondamentale, disent les textes de 1986, elle ne doit
pas être exclusive :
« Il serait déraisonnable de vouloir que toute activité à l’école mater-
nelle soit ludique. Ce serait non seulement trahir l’école, mais également
tromper l’enfant et dénaturer le jeu. »
Cette restriction est renforcée dans les textes de 1995. Les grands thèmes
de vie sont en régression, les « centres de vie » et tables de vie disparais-
sent. Les activités restent néanmoins structurées autour de thèmes fédéra-
teurs, qui sont plus proches du vécu quotidien de l’enfant, souvent axés sur
la connaissance de cultures différentes ; ils sont également plus limités dans
le temps pour leur exploitation. Les textes de 1995 suggèrent l’élaboration
de « projets » par les enfants, nouvelle façon de fédérer les diverses activi-
tés scolaires. Le travail en projet évite la juxtaposition de connaissances,
comme dans le travail par thèmes, et offre l’avantage d’impliquer les enfants
dans des actions qui prennent sens car elles concourent à faire vivre et abou-
tir le projet. Pour autant, ce nouveau dispositif doit se garder de la dérive
productive omniprésente qui consiste à ne viser que l’atteinte du produit
final, au détriment des objectifs d’apprentissage.
Il est à présent admis que les dispositifs ont leur importance, sans pour
autant être formateurs en soi. On peut lire dans les instructions de 1986 de
nombreuses observations, plus ou moins explicites, à propos des anciennes
pratiques, pour preuve ces deux extraits :
« […] c’est savoir leur (les enfants) laisser la marge de liberté néces-
saire, sans trop les protéger, mais, également, sans croire qu’il suffit d’or-
ganiser parfaitement le milieu pour qu’ils puissent en tirer le meilleur
parti. Il est probable que livrés trop longtemps à eux-mêmes, ils progres-
seraient plus lentement » ;
« les ateliers ou chantiers peuvent fournir des cadres efficaces à la com-
munication (entre enfants). Toutefois, ils n’ont pas de vertu en eux-mêmes,
et ne doivent être créés que s’ils répondent à un objectif précis, et s’ils
favorisent les échanges entre enfants. »
Nous avons vu comment, au cours de la période précédente, le dispositif
pédagogique « formatait » l’action pédagogique. Le maître organisait les situa-
tions en laissant l’enfant exprimer ses potentialités. C’est un mouvement inverse
qui est exposé à travers les textes de 1986, où l’action du maître devient le
rouage essentiel. Le dispositif n’est plus aussi prégnant et, ce qui constitue à
présent l’épine dorsale du système, c’est la relation pédagogique, les inter-
actions sociales, la réflexion sur l’action. De ce fait, le dispositif pédago-
gique ne se concrétise pas de la même façon. Ce sont les rapports sociaux à
l’intérieur de la classe qui constituent le filtre assimilateur des connaissances.
Bien que les rapports entre enfants soient reconnus comme formateurs :
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La période contemporaine
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CHAPITRE
6
L’école maternelle :
ruptures ou continuités ?
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• Le métier
Le métier d’enseignant a fortement changé, les missions confiées à l’école
sont de plus en plus nombreuses, on assiste à une multiplication de nou-
velles charges : éducation à la santé, à la sécurité (routière et autres), à la
nutrition et au goût, au civisme, à l’environnement, aux arts visuels, aux
médias, aux nouvelles technologies, etc. L’enseignant doit, plus qu’avant,
savoir communiquer avec les parents, travailler en équipe, élaborer des pro-
jets pour toute sorte d’activités, apprendre à gérer le handicap… tout en
assurant les apprentissages fondamentaux, en enseignant une langue étran-
gère ou régionale. Paradoxalement, la notion de polyvalence, souvent mise
en doute, apparaît extensible…
A.M. Chartier1 souligne très justement cette inflation : « On attend en effet
de l’école qu’elle apprenne aux enfants à lire et à écrire sur des livres et des
cahiers, comme hier, mais aussi comme demain, sur des écrans […], à parler
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français, mais aussi anglais […]. Les élèves doivent y acquérir une conscience
civique, faire l’expérience d’une première forme de démocratie, désigner des
représentants, apprendre à vivre ensemble, respecter la liberté de penser et de
s’exprimer de toutes les familles d’esprit […] »
Ces missions posent des dilemmes pédagogiques qui sont coûteux en éner-
gie : « Faut-il privilégier le respect de la règle ou la libre initiative ? Le travail
ou le jeu ? L’imagination ou la mémoire ? Le dire ou le faire ? » questionne A.M.
Chartier. Ainsi, les prescriptions demandent de réaliser une multitude de
tâches sans les hiérarchiser, si bien que chaque enseignant doit souvent faire
ce que les directives ne font pas : trancher entre des critères contradictoires,
arbitrer des décisions en évitant l’arbitraire individuel…
Comme nous l’avons déjà souligné, l’école est soumise aux changements
sociaux. Elle évolue en fonction de la société, par le biais des élèves qui la
fréquentent. Si le métier change c’est que la société et les enfants eux-mêmes
ont changé, mais en quoi ?
• Les élèves
Semblables mais différents… tel est le paradoxe qu’offrent ces enfants que
nous accueillons en maternelle. Ce sont toujours des enfants, avec les mêmes
besoins fondamentaux : amour, protection, soins, action, rêves, affirmation
de soi, progrès, désir de grandir.
De nos jours, on les considère comme étant particulièrement éveillés, pré-
coces, plus intelligents plus débrouillards plus autonomes, plus grands, mieux
portants, mieux suivis médicalement. Ils ont un fort potentiel de dévelop-
pement, aussi bien physique qu’intellectuel (il n’est qu’à voir comment ils
s’approprient les jeux vidéos, les ordinateurs…), ils nous étonnent par leur
capacité d’adaptation à un environnement en constante évolution.
S’adaptent-ils bien ? C’est là le problème.
• Les missions
Quoi qu’il en soit, l’école doit gérer toutes ces transformations, mais a-t-elle
su rebondir face aux mutations aussi bien sociales qu’institutionnelles ? A-t-
elle su mobiliser ses ressources pour régénérer ses pratiques ? En effet, aider
les enfants à construire un rapport au savoir nécessite de s’affranchir des
modèles antérieurs non pas pour les rejeter, mais pour en sélectionner les
aspects les plus fonctionnels afin de les adapter aux situations éducatives que
nécessitent les contextes actuels. Les dispositifs pédagogiques majoritairement
usités, sont-ils devenus obsolètes ? Ou bien ont-ils simplement perdu de leur
sens parce que leurs finalités se sont dissoutes, dévoyées au fil du temps, et,
d’auxiliaires à l’activité d’enseignement, ils sont devenus des modalités d’en-
seignement, comme si leur présence était en soi porteuse de développement.
Ainsi, le travail en ateliers, sert-il à l’enseignant pour développer, avec un
petit groupe, une analyse réflexive sur la résolution des tâches, ou est-ce une
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qui pourraient la concerner, d’autant plus que cette école n’est pas obliga-
toire et qu’elle est une « exception » française, au regard des autres pays
européens… On sait que la volonté d’harmonisation des pays européens,
notamment en matière d’éducation, fragilise la position française sur l’école
maternelle.
Pour assurer son avenir et surtout répondre aux exigences de ses missions,
l’école maternelle doit, nous semble-t-il, répondre à deux exigences. D’une
part, comme le précisait l’introduction aux programmes de 2002, il faut qu’elle
« fasse comprendre et justifie ses choix, qu’elle donne à voir et à comprendre
ses façons de faire », ce qui demande la mise en place de dispositifs spéci-
fiques à promouvoir ou inventer. Et d’autre part, il est nécessaire d’élaborer
une réflexion collective sur l’action pédagogique, pour initier des situations
d’enseignement adaptées aux élèves actuels, ce qui passe nécessairement par
les formations initiales et continues, alimentées aux sources des recherches
sur le développement, les apprentissages, la pédagogie et la didactique, tout
en tenant compte des besoins fondamentaux des enfants de cet âge.
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nue – en particulier par le réseau des inspecteurs comme par les revues péda-
gogiques – que les transformations ont pu se réaliser. Sans elle, aucune dif-
fusion des innovations n’est possible, la voie institutionnelle n’étant pas
toujours la plus pertinente dans ce domaine. Les enseignants savent bien
qu’une formation initiale complète relève de l’utopie, et que la formation
continue est nécessaire pour relancer la dynamique éducative, connaître et
s’approprier les innovations, les derniers résultats des recherches en éduca-
tion, psychologie, sociologie, etc.
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DEUXIÈME
PARTIE
Enseigner
en maternelle :
un acte d’institution
R. Amigues
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partie qu’elles étaient le résultat d’un processus historique. Les règles imper-
sonnelles sont les règles institutionnelles auxquelles tous les individus sont
soumis. Bien qu’impersonnelles, elles sont cependant socialement construites
et partagées par tous. Elles assurent ainsi une fonction de « mémoire col-
lective ». Souvent considérées comme « anonymes » ou « arbitraires », ces
règles protègent l’élève de l’arbitraire individuel de l’enseignant. C’est en
grande partie la raison pour laquelle un enseignant se comporte envers les
élèves comme le ferait un de ses collègues. En d’autres termes, prendre en
considération l’histoire des situations d’enseignement en maternelle revient
à regarder autrement « ce qui va de soi », ce qui « est comme ça parce que
c’est comme ça ! ». C’est regarder la façon dont sont mises en scène les acti-
vités scolaires. C’est à la fois comprendre leur grande efficacité pédagogique
et repérer les raisons pour lesquelles cela échappe en partie au regard même
des enseignants qui les mettent en œuvre.
• Le point de vue du rapport aux savoirs, à propos desquels on a pu
noter qu’ils coévoluaient avec les façons d’apprendre. Mais, pour comprendre
le processus de socialisation scolaire, il est nécessaire de rendre compte de
la façon dont l’école s’y prend pour instaurer un rapport à ces savoirs. Sans
cela, on ne peut comprendre ni la façon dont les professeurs et les élèves
régulent leurs conduites sociales, ni les raisons pour lesquelles ils le font de
la sorte et pas autrement. L’élève accède à ces savoirs à travers des usages
sociaux, des pratiques de classe particulières qui s’appuient sur les échanges
avec les autres.
• Le point de vue de la socialisation scolaire, qui ne peut être seulement
conçue comme une conformation à des normes externes, parce qu’elle est aussi
une activité dynamique de construction de la personnalité. Ce long processus
s’inscrit dans un cadre institutionnel qui met en scène des rapports à des objets
de savoir, à des actions individuelles et collectives, à d’autres personnes (ensei-
gnants, ATSEM, élèves), à d’autres institutions (scolaires, parentales…), à des
« genres culturels » (différents types d’oral, d’écrit, des récits, du chant, des his-
toires, des mathématiques…) internes ou externes à l’école, etc.
C’est « dans ce réseau de confrontations » interpersonnelles, sociales, ins-
titutionnelles, culturelles que l’enfant construira sa personnalité. Le savoir
assure ici sa fonction de mise en relation entre ces différents systèmes. C’est
ce que nous aurons l’occasion de voir à l’œuvre dans plusieurs situations.
Mais le savoir se trouve aussi dans les « livres » et les « œuvres » humaines
que présente l’école (le calendrier, la numération…).
Ainsi, c’est au sein du collectif de travail que l’enfant se positionnera
comme élève, qu’il repérera parmi les actions réalisées les techniques les
plus efficaces, celles qui font consensus, etc. De fait, le travail de personna-
lisation dépend de ce qu’autorise, tolère ou interdit l’institution scolaire. Sur
ce point, nous nous interrogerons, en d’ouvrage, sur les rapports entre per-
sonnalisation et individualisation de l’enseignement.
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CHAPITRE
7
1. « L’homme est le seul animal qui ne soit pas en prise directe sur le réel, phy-
sique ou humain ; il n’agit que par le moyen d’intermédiaires, de médiateurs, d’ins-
truments matériels ou d’instruments mentaux », I. Meyerson, Écrits, 1920-1983, p. 105.
2. La fonction opératoire des signes « montre » les opérations à réaliser, ils orien-
tent l’action, ibid., p. 111.
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Ce choix est réalisé par le professeur dans une intention didactique pré-
cise : que l’élève apprenne à utiliser un calendrier, à lire une date, à écrire
son nom, etc. Pour ce faire, l’élève doit apprendre à utiliser des outils conçus
par d’autres que par lui (des nombres, des lettres, des calendriers, des hor-
loges, des chansons, des histoires…) pour entrer dans la culture scolaire et,
plus largement encore, pour partager et s’approprier les œuvres humaines
(la littérature, l’art, les sciences et les techniques, etc.) que transmet l’école.
Cependant, ces dernières sont l’aboutissement d’actes humains volontaires
et orientés pour répondre à des besoins particuliers. Ces œuvres ou ces outils
sont en quelque sorte la cristallisation d’un acte, de la même manière qu’un
objet technique est la cristallisation d’une pensée qui a trouvé une solution
(Simondon, 1969). Ainsi, le rapport au temps ou à l’espace ne peut se conce-
voir indépendamment des instruments qui permettent de les apprécier (calen-
driers, montres, système métrique, par exemple) et qu’enseigne l’école. Les
signes qu’utilise l’école sont autant de médiateurs entre l’élève et le monde.
Pour connaître le monde qui l’entoure, l’élève n’agit pas directement sur
cette réalité physique. Il utilise des documents intermédiaires, des techniques,
des représentations particulières à partir desquels il construit des connais-
sances et établit un rapport au monde qui l’entoure. C’est ainsi, par exemple,
qu’il pourra acquérir des connaissances sur les déserts ou les volcans, sans
pour autant avoir eu une expérience particulière dans ces lieux. Le rapport
au monde n’est jamais un rapport immédiat mais toujours médiatisé. Le seul
fait de nommer les objets, de les dessiner, de les classer… est déjà une média-
tion. Mais le rôle de l’école est de transmettre ces outils, qui permettent
d’établir ce rapport culturel à un objet particulier.
En plus d’être des médiateurs, les outils assurent aussi une fonction de
mémoire. Ils contiennent des connaissances qui ont déjà été façonnées, cali-
brées, formalisées par l’activité humaine. Ils sont le résultat d’actions
humaines inscrites dans des systèmes de signes, des techniques ou des cadres
de pensée, normatifs et structurés. Il suffit de penser à la grammaire, à l’or-
thographe, à l’algèbre, etc. Ce sont des actions humaines qui aboutissent à
des œuvres et qui se cristallisent en elles (Meyerson, 1948-1995).
L’école assure ainsi une transmission culturelle qui vise non seulement
l’intelligibilité du monde dans lequel évolue l’enfant, mais aussi la trans-
mission d’une mémoire. La transmission de ces savoirs consiste de fait à
diffuser des actes antérieurs de pensée comme les histoires, les modes
de classification, les systèmes de catégorie, l’écriture, le schéma narratif,
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D’une façon générale, les sociologues considèrent qu’il existe un lien étroit
entre l’appartenance sociale et la disposition scolaire à se repérer dans les
règles institutionnelles. C’est ainsi que les élèves de milieu populaire, plus loin
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de la culture scolaire que les enfants de milieu social favorisé, auraient davan-
tage de difficulté pour repérer ce que l’on attend explicitement d’eux. Cette
difficulté à déchiffrer ce code serait à l’origine de la ségrégation scolaire, du
rejet de l’école ou encore des phénomènes d’incivilité ou de violence.
En ce qui concerne les travaux relatifs à l’école maternelle, ces derniers
établissent une concordance entre les dispositions sociales acquises dans les
milieux aisés et les dispositions scolaires requises par l’école. À cet égard,
l’idée d’« affinité culturelle » (Chamboredon et Prévot, 1973) ou encore celle
de « connivence culturelle » (Plaisance, 1986) ont été avancées pour rendre
compte des rapports existants entre les pratiques familiales et les pratiques
pédagogiques en maternelle. Ces dernières, considérées globalement comme
« actives », correspondent davantage aux savoir-faire des enfants de classes
sociales élevées (engagement dans des activités, formes socialisées de rai-
sonnement, attitude à l’égard des autres et des jeux de langage, etc.).
Cependant, ces conceptions « déterministes » reposent essentiellement sur
des variables sociologiques éloignées des pratiques effectives. C’est ainsi, par
exemple, qu’il n’existe pas un mode de socialisation ou d’éducation propre
aux familles aisées, que l’on pourrait opposer à un autre mode de socialisa-
tion ou d’éducation propre aux familles populaires. En effet, des travaux
récents insistent justement sur l’hétérogénéité des pratiques parentales aussi
bien dans des familles populaires (Glasman, 1991 ; Charlot, Bautier, Rochex,
1992) que dans des familles socialement favorisées (Danic, 1998).
Il en est de même du milieu scolaire. Il est tout aussi difficile de classer
une fois pour toutes les pratiques pédagogiques comme « dirigistes » ou
comme « actives » et de les opposer lorsqu’on considère les contenus de
savoirs, les activités conduites, le matériel utilisé, ou encore les moments
dans la journée où alternent le « travail » et le « jeu ». L’hétérogénéité des
pratiques pédagogiques à l’école maternelle est la règle et non l’exception.
Et les enseignants savent très bien se montrer « directifs » à certains moments
et plus « souples » à d’autres pour laisser l’initiative ou le libre choix à
l’élève, selon les objectifs poursuivis.
En somme, l’activité de l’enfant se trouve partagée entre des milieux sépa-
rés (la famille et l’école), mais chacun d’eux pouvant comporter des « sous-
milieux », comme c’est le cas à l’école. La transition d’un milieu à l’autre,
que l’on désigne souvent sous les termes de socialisation et d’acculturation,
n’a rien de naturel, dans le sens où elle s’effectuerait sans heurts ou sans
dommage psychologique. Au contraire, cette transition, qui est à l’origine
de la construction de l’activité individuelle et de la personnalité, est por-
teuse de tensions et de conflits, que nous examinerons plus en détail dans
le chapitre 10.
La psychologie historique (Meyerson, 1948-1995 ; Vygotski, 1934-1985, ; Wallon,
1954-1985) a particulièrement insisté sur le fait que cette transition était placée
sous une double contrainte : celle du milieu matériel, technique et symbolique
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La classe offre divers milieux aux élèves, dans lesquels se déroule une acti-
vité spécifique. Le milieu-classe auquel nous nous intéresserons tout parti-
culièrement est ce que l’on nomme le « regroupement du tapis ». Nous
analyserons plus précisément son organisation spatiale et ses fonctions dans
le chapitre 9. Nous voudrions insister ici sur le fait que le milieu-classe est
à la fois donné aux acteurs et construit par leur action. Pour cela, nous
considérerons que l’interaction entre ce milieu et les actions qui y sont
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teractions stable dans le temps et dans lequel évoluent les connaissances des
élèves pendant ces trois années. Par exemple, c’est dans ce cadre que les
élèves parviendront à écrire leur prénom selon des graphies différentes en
fonction des sections. La situation analysée maintenant est extraite d’une
étude plus large3. Il s’agit d’une séquence se déroulant au mois de février
en petite section de maternelle. Les élèves doivent, en entrant dans la classe,
placer leur « étiquette-photo » au tableau des présents, ce qui permet de
nommer les absents chaque matin.
Les abréviations utilisées sont les suivantes :
E : l’enseignant ;
CL : toute la classe.
Chaque intervention est numérotée.
Pour respecter l’anonymat, les prénoms sont fictifs.
35- E : Bon, on va compter combien il y a d’enfants absents. Qui est-ce qui
manque là ?
36- E : Parce que je les marque sur mon grand cahier.
37- CL : Nathalie !
38- E : Nathalie, ça fait « un » (E montre un doigt.)
39- CL : Aurore !
40- E : Aurore, ça fait « deux » Après ? (E montre deux doigts.)
41- CL : Juliette !
42- E : Juliette, ça fait « trois » (E montre trois doigts.)
43- Un élève : Laurence.
44- E. : Laurence n’est pas là ?
45- Un élève : Elle est malade.
46- Laurence : Je suis là !
47- E : Est-ce que Laurence est malade ?
48- CL : Non !
49- E : Où est-elle ?
50- CL : Là !
51- E : Alors, Laurence, va vite. Elle a oublié de s’inscrire au tableau des
présents.
52- E : On allait la compter absente.
53- E (à Laurence) : Juste à côté, ne laisse pas de trou entre les deux (dans
le groupe de cinq étiquettes).
54- E : Alors, qu’est-ce qu’il faut faire en bas ? (La largeur de chaque éti-
quette correspond exactement avec la largeur de la case pour
chaque nombre écrit sur la bande des nombres.)
55- Un enfant : Là, il y a un trou.
56- E : Y a un trou en bas, est-ce qu’on peut compter alors ?
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Mais, pour engendrer cette activité, les élèves doivent préalablement s’ac-
quitter d’une tâche quotidienne : afficher leur étiquette-photo en haut du
tableau. Ensuite, l’élève de service range les étiquettes des absents au bas du
tableau. Pour ce faire, il doit placer les étiquettes-photos, celles des présents
comme celles des absents, sans laisser d’espace entre elles, en commençant
une nouvelle ligne par la gauche. En effet, dans cette classe, les étiquettes-
photos des absents sont accrochées juste au-dessus de la bande numérique, la
largeur de chaque étiquette correspondant exactement à la largeur de chaque
case pour chaque nombre écrit sur la bande numérique (la première étiquette
se trouvant ainsi juste au-dessus du nombre « 1 »). Il est important de ne pas
laisser d’espace entre les étiquettes-photos car le déplacement du curseur, de
la gauche vers la droite, jusqu’à la dernière étiquette des absents permet de
lire, sur la bande numérique, le cardinal de la collection des absents.
L’organisation du milieu et les actions que sont supposées réaliser les élèves
ont donc partie liée, au point que, si un acteur ne joue pas son rôle, l’activité
collective de comptage ne peut se dérouler. C’est ce qui se passe avec Laurence
qui a oublié de mettre son étiquette-photo, par exemple, ou encore avec le
rangement des étiquettes pour qu’il n’y ait pas de « trou » de façon à pou-
voir compter les absents. Un espace entre ces étiquettes arrête l’effectuation
de l’action et nécessite un réaménagement du milieu. Le travail de la maî-
tresse consiste alors à veiller à l’aménagement et au réaménagement de ce
milieu en cours d’action, de façon que s’accomplisse l’activité collective.
AMÉNAGEMENT/RÉAMÉNAGEMENT
DU MILIEU DE TRAVAIL PAR L’ENSEIGNANT
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sée absente, est de fait présente : pour compter, il faut que tous les objets
matériels ou symboliques (étiquettes-photos…) soient disposés dans le milieu
de travail. Si ce n’est pas le cas, on ne peut commencer à compter ou, pour
continuer, on doit réaménager le milieu. C’est ce qui se passe (lignes 51 et
suivantes) lorsque l’étiquette-photo de l’élève supposée absente doit glisser
parmi celles des enfants présents. Dans ce cas, il faut ranger à nouveau les
étiquettes-photos « sans laisser de trou » (voir lignes ci-dessous 53 à 58).
53- E (à Laurence) : Juste à côté, ne laisse pas de trou entre les deux. (Dans
le groupe de cinq étiquettes.)
54- E : Alors, qu’est-ce qu’il faut faire en bas ? (La largeur de chaque éti-
quette correspond exactement à la largeur de la case pour chaque
nombre écrit sur la bande des nombres.)
55- Un enfant : Là, il y a un trou.
56- E : Y a un trou en bas, est-ce qu’on peut compter alors ?
57- Un élève : Non, y a Daniel !
58- E : Y a ton copain Daniel, Maguy, va corriger, vas-y Maguy.
Il convient de noter que ce réaménagement du milieu en cours de réali-
sation n’est pas effectué directement par l’enseignant, mais il est contrôlé
par lui en y associant les élèves. On peut voir dans ces brefs échanges que
trois élèves participent physiquement à la restauration du milieu de travail.
Si l’enseignant a conçu initialement cet environnement, il le gère de façon
collective avec les élèves.
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Dans l’extrait présenté, les erreurs des élèves sont à l’origine des retours en
arrière.
Placer son étiquette-photo en haut du tableau si l’on est présent fait par-
tie du travail des élèves avant de venir s’asseoir sur le tapis. Cela n’exclut
pas qu’en février, lorsque l’enseignant constate une erreur sur le tableau des
présences, il interrompt le déroulement de la situation (« compter les
absents ») pour revenir à la situation précédente (« le tableau des pré-
sences ») et réaménager collectivement le milieu en respectant les règles
prescrites. Le rappel de ces règles ne fait pas l’objet d’un rappel à l’ordre de
l’élève incriminée mais transite par le réaménagement nécessaire de la situa-
tion pour sortir de l’impasse (on ne peut plus compter les absents). En somme,
ce qui, à première vue, pourrait être considéré comme un aménagement
matériel dissimule, de fait, un enjeu de savoir (énumérer, compter). Nous
verrons dans un instant l’importance que revêt le fait que les savoirs et les
techniques de pensée sont inscrits dans des dispositifs matériels et symbo-
liques.
L’enseignant s’arrête à nouveau lorsqu’une élève ne montre pas le bon
nombre de doigts de la main pour cardinaliser la collection des absents
(ligne 66 : « Oh, tant que ça, elle montre comme ça. » (toute la main).
Jusque-là, l’activité était occupée par l’objet « nommer les absents » en regar-
dant les étiquettes-photos. Il reprend donc pour l’élève (compter sur ses
doigts), interroge toute la classe et répète la réponse : « Voilà, un, deux,
trois, quatre, il y a quatre doigts » (ligne 68) avant de clore. Ici aussi l’en-
seignant associe les élèves. Il remet en scène des « ratés » individuelles pour
s’assurer que « tout le monde agit comme il faut ».
Pour que les élèves instaurent un rapport à des objets de l’activité (énu-
mérer, compter, cardinaliser) et des relations entre eux, l’enseignant s’ap-
puie alternativement sur le milieu, sur des actions individuelles et des actions
collectives. En d’autres termes, le changement d’objet de savoir s’accom-
pagne chaque fois d’un changement d’acteurs. Ainsi, l’enseignant n’orchestre
pas seulement la transition entre les objets, les actions, les acteurs, mais il
signale aussi les significations communes, par la stabilisation d’un énoncé, par
exemple : « Tu as raison, ça s’écrit comme ça. ».
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CHAPITRE
9
L’organisation de la classe
comme système de médiation
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tiels des élèves consiste à savoir comment se repérer dans ces lieux pour se
comporter différemment de l’un à l’autre et de façon particulière dans cha-
cun d’eux. Nous faisons ainsi l’hypothèse que cette médiation est effective-
ment prise en charge par les enseignants, même si elle n’apparaît pas en tant
que telle à leurs yeux puisqu’elle fait l’objet de l’activité d’un travail partagé
avec les élèves. Cependant, le regroupement du « tapis » est, comme nous
l’avons vu, le siège de cette activité conjointe. Cette organisation spatiale est
en effet porteuse d’une intention, non seulement dans son expression (signi-
fier le but à atteindre), mais aussi dans son accomplissement collectif (ce qu’il
convient de faire). Elle assure ainsi deux médiations didactiques essentielles :
• L’organisation spatiale permet de gérer l’accomplissement de l’action col-
lective
La structuration de cet espace permet de mettre en jeu les rapports entre
l’enseignant et les élèves, conformes à la relation asymétrique enseignant/ensei-
gné. Ces rapports spatiaux sont également des rapports sociaux dès lors qu’ils
positionnent la place que chacun des acteurs occupe dans cet espace, et on
verra, plus loin, combien « tenir sa place » est important. Le fait que les élèves
soient côte à côte face à l’enseignante et au tableau, à égale distance, de l’es-
pace du savoir, n’est pas anodin. Ces rapports témoignent, à ce moment pré-
cis, du rôle qu’ils doivent jouer pour réaliser un travail particulier.
• L’organisation spatiale structure aussi les modes de communication
Dans cette configuration, c’est la maîtresse qui distribue la parole, gère
les contenus du dialogue, règle les échanges entre élèves. Ces derniers doi-
vent être attentifs à « ce qui ce fait », à « ce qui se voit » et à « ce qui se
dit publiquement » et doivent prendre la parole lorsque l’enseignante les
interroge ou les y autorise. Ce sont là les éléments constitutifs d’une com-
pétence scolaire attendue dont ne disposent pas encore les élèves de mater-
nelle. Cette organisation spatiale témoigne, à ce moment-là, d’un mode
d’assujettissement propre à une organisation cognitive particulière qui uti-
lise des techniques participatives spécifiques. De ce point de vue, les « rap-
pels à l’ordre » constituent tout autant des indicateurs d’assujettissement
des élèves que des techniques pédagogiques correspondantes.
RAPPELS À L’ORDRE
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Grande section
– Arthur, rapproche-toi, tu es trop loin. (Arthur se tenait en retrait et dépas-
sait du tapis.)
– Allez, on regarde.
– (Tout bas :) Thierry, mets-toi sur les fesses.
Ces quelques exemples montrent que les rappels à l’ordre portent sur les
dispositions corporelles des élèves ou, plus précisément, visent à corriger des
positions corporelles considérées comme des dispositions psychiques face à
la tâche à réaliser. Une des techniques qu’utilisent alors les enseignantes de
PS consiste à menacer l’élève d’exclusion, puisqu’il ne participe pas au tra-
vail collectif, ou à le changer de place, de manière à ce qu’il « tienne son
rôle ». Pour les aider à occuper leur place d’élèves, les enseignantes leur
signifient clairement qu’ils doivent « se tenir en place ». Nous assistons ici
à un événement encore inédit pour les élèves de PS : la mise en place des
rôles réciproques maître-élève dans une situation de travail scolaire.
Celle-ci se réalise selon un mode de coopération particulier : l’enseignante
impose une position à l’élève pour l’aider à se réaliser en tant que tel.
« Accomplir une tâche, c’est être solidaire, c’est donc être à la fois soutenu et
contraint, reconnu comme socius et obligé d’agir ainsi » (G. Sounalet, 1976).
On remarquera que ces rappels à l’ordre, dans leur ensemble, ne sont pas
spécifiques de l’école maternelle mais propres à l’école. On les retrouve aussi
bien dans le premier que dans le second degré, où de tels comportements
d’élèves peuvent être interprétés comme des « incivilités ». Or, ces conduites
ne peuvent pas être considérées, a priori, comme déviantes par rapport à un
ordre social, stricto sensu. Elles doivent d’abord être situées par rapport à un
ordre didactique, propre d’une institution scolaire. D’ailleurs, le faible nombre
des rappels à l’ordre et l’évolution du contenu de la PS à la GS tendent à
montrer que les élèves « incorporent » progressivement les conditions de
travail, non pas de façon strictement impositive (comme le suggérerait un
ordre social externe à l’activité scolaire) mais par la découverte progressive
des règles du jeu constitutives des activités qu’ils réalisent. On notera éga-
lement que le passage du lieu d’accueil ou de jeu au lieu de travail ne « va
pas de soi », surtout chez les élèves de PS, mais que cette question est loin
d’être réglée une fois pour toutes, dans les autres classes, où les rappels à
l’ordre persistent, mais de façon plus ténue ou plus « laconique1 ».
L’organisation spatiale de la classe induit un mode d’assujettissement parti-
culier auquel correspondent des techniques spécifiques que partagent néces-
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sairement les enseignants. Parmi celles-ci, le regard est l’une des techniques
les plus efficaces pour soumettre les élèves à un ordre didactique.
LE REGARD PROFESSORAL,
UNE TECHNIQUE PÉDAGOGIQUE EFFICACE
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ici, est d’examiner plus précisément la façon dont les enseignants vont éta-
blir un rapport intellectuel à des objets culturels particuliers.
À cet égard, il convient de noter que l’attention particulière que les ensei-
gnants de maternelle portent à l’aménagement du milieu se réalise à travers
l’usage de techniques spécifiées. Par exemple, l’existence de la « boîte des
mamans » dans les classes permet aux élèves de déposer des « objets pré-
cieux » (doudou, carte postale, jouet…), de les mettre en sécurité de façon
à les retrouver lorsqu’il faudra rentrer chez soi. Cette technique, quasi géné-
ralisée dans les classes, illustre tout à fait bien l’idée que les enseignants
aménagent le milieu pour focaliser l’attention des élèves sur des objets par-
ticuliers et pas sur d’autres, parce que susceptibles de les distraire de l’acti-
vité à réaliser. De sorte que mobiliser l’attention des élèves revient
concrètement à orienter leur regard.
Dans ce cas, il s’agit moins du regard des enseignants porté sur les élèves
que de celui des élèves qu’il convient d’orienter sur le maître, sur des objets
ou sur les autres : attirer et fixer le regard des élèves sur tel objet ou telle
action, c’est mobiliser leur attention.
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Fixer son attention, c’est d’abord orienter son regard vers l’objet de l’ac-
tivité. C’est la raison pour laquelle cette focalisation sur l’objet relève tout
autant de la responsabilité de l’élève que de celle de l’enseignant. Cette « res-
ponsabilité partagée » se trouve concrètement mise en scène dans la réali-
sation de la tâche :
E1 : Et, pour savoir comment ça s’écrit, on regarde ici.
Est-ce que c’est juste là ? Regardez…
E2 : Comment ça s’écrit « 3 » ? (E montre le 3 sur le calendrier.)
Viens regarder là. Tu as vu ?
Alors, tu le retrouves là-dessus (E montre les étiquettes nombres.)
E3 : On vérifie, on regarde ce qu’elle fait.
On ne la laisse pas se tromper !
E4 : On regarde ici, on va vérifier…
Tu vois celui qui est tout seul ?
Le regard de l’élève est guidé par l’enseignante (« Viens regarder là. Tu
as vu ? ») et supporté par l’organisation du milieu. La technique du regard
devient, dans le cours de la réalisation, un moyen pour chercher de l’infor-
mation, comparer des objets, les classer, vérifier leur contenu, contrôler la
conformité d’une action, etc.
E : Vous regardez sur la bande numérique où se trouve le « 25 ».
Quand vous l’avez trouvé, vous levez la main sans dire où il est.
Oui, c’est bien les yeux qui cherchent. Et, c’est bien Ben de regarder là.
(Il regarde le calendrier.)
E : Vous pouvez regarder là aussi. (E montre le calendrier.)
Chut, tais-toi ! (E s’adresse à un élève pressé de donner la réponse, mais
qui n’a encore rien dit) Chut, allez, Adeline. (E l’encourage à chercher.)
(E montre la date affichée au tableau.)
E : Allez, vous regardez.
Vous la lisez dans vos têtes…
Ça y est ?
Vous êtes prêts ? Allez (À l’adresse de la classe, qui clame en chœur…)
CL : Jeudi 25 mars.
E : Walter, viens, il faut que tu barres.
Et vous pouvez l’aider, lui dire ce qu’il doit barrer sans lui montrer.
La réalisation d’une tâche pour l’élève suppose que soient coordonnées
dans l’action :
– la technique du regard (« c’est bien les yeux qui cherchent », « vous
regardez… vous lisez dans vos têtes ») ;
– la technique du doigt, pour montrer ou pour demander la parole et
attendre son tour en écoutant ce qui est dit (« vous levez la main sans dire
où il est ») ;
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savoirs », permet, tout aussi bien que des situations structurées autour de
contenus spécifiques, d’assujettir des élèves à un savoir, fût-il supposé ou
« décoratif », dès lors qu’il est enseigné ! Le fait que la date soit enseignée
mobilise des techniques de transmission-apprentissage qui prennent en charge
l’activité des protagonistes. C’est la raison pour laquelle nous avons été ame-
nés à proposer (Amigues, Garcion-Vautor, à paraître) que les pratiques péda-
gogiques dissimulaient des savoirs. La dissimulation consiste, d’une part, à
« escamoter » les savoirs savants de référence, mais consiste, d’autre part,
à présenter les savoirs enseignés comme le résultat du travail collectif.
Dès lors, ce serait une erreur de discréditer la portée formative de tels
objets au nom d’une faiblesse épistémologique. Ils sont tout aussi dignes que
des savoirs disciplinaires (les histoires, les comptines, les jeux de classement,
de désignation, etc.) sont autant d’instruments de transmission sociale et de
forme d’expérience sociale partagée (voir entre autres Bruner, 1991 ; Netchine-
Grynberg et Netchine, 1999) qui jouent le rôle « d’instruments psycholo-
giques » (Vygotski, 1934-1985) ou de « disciplines mentales » (Wallon,
1941-1957). La comptine numérique, les gestes du doigt et de la main, le
regard et le mot-nombre prononcé sont autant d’éléments constitutifs de
schèmes (au sens de Vergnaud, 1993) qui permettront l’assimilation de savoirs
ultérieurs. Leur rôle n’est donc pas mineur du point de vue de l’acquisition
de compétences numériques et les enseignants qui leur prêtent une atten-
tion particulière ne s’y trompent pas.
À l’école maternelle, ce n’est pas la nature du savoir qui fait que les élèves
distinguent le travail du jeu ou les activités entre elles. C’est le lieu et le
moment de la journée qui les disposeront autrement dans un rapport à un
objet de savoir, lui-même différent. D’où l’importance à accorder aux divers
milieux de travail dans lesquels sont inscrits les objets culturels, qui sont
autant de systèmes de médiation pour le déroulement de l’activité collec-
tive. Nous retrouvons ici la question de la « transition » d’un milieu à un
autre, mais nous sommes amenés à nous en poser une autre, qui lui est étroi-
tement liée : comment des techniques acquises par les élèves dans un milieu
donné peuvent-elles se reproduire ou se stabiliser dans le temps ? En d’autres
termes, la question est de savoir comment s’y prend l’institution pour que
se conservent ces techniques dans le temps alors qu’elles sont appelées à
évoluer avec les divers objets de savoir ? De ce point de vue, les pratiques
rituelles sont vraisemblablement la manifestation organisationnelle qui tra-
duit le mieux l’intention de l’institution.
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CHAPITRE
9
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observer ces processus déployés dans leur ensemble, alors que, plus tard,
dans la scolarité ils se présentent davantage sous forme de traces. Nous
reviendrons sur les pratiques rituelles en maternelle à la fin de ce chapitre,
mais, pour l’instant, nous allons présenter les fonctions qu’assurent ces rituels
scolaires de façon à mieux rendre compte des rapports qu’entretiennent les
conduites corporelles, les rapports sociaux et le milieu.
Dans leur fonction sociale, les rituels scolaires tendent à consacrer ou à légi-
timer une limite arbitraire. C’est signifier, à travers une pratique collective,
ce qui est licite et ce qui ne l’est pas ; c’est un « acte d’institution » (Bourdieu,
1982) qui consacre simultanément un ordre social et un ordre mental, et
rend visible désormais une ligne de démarcation. Par exemple, passer du
milieu familial au milieu scolaire, passer d’un lieu d’activité ludique à un
lieu de travail, c’est franchir une frontière – physique et symbolique – à par-
tir de laquelle l’élève doit se comporter différemment.
En considérant les rites comme des actes d’institution, Bourdieu (1982)
considère que la ligne de démarcation est plus importante que la « notion
de passage » habituellement véhiculée par le rite. L’importance réside dans
le fait qu’une fois la limite franchie l’élève est justiciable de ce que l’on
attend de lui. « Ainsi, l’acte d’institution est un acte de communication mais
d’une espèce particulière : il signifie à quelqu’un son identité, mais au sens à
la fois où il la lui exprime et la lui impose en l’exprimant à la face de tous [...]
et en lui notifiant ainsi avec autorité ce qu’il est et a à être » (Bourdieu, 1982).
C’est ce que nous avons observé avec les rappels à l’ordre, par exemple.
Ainsi, cet acte va transformer n’importe quel enfant en élève. Se taire quand
la maîtresse parle, lever le doigt avant de prendre la parole, ne pas se dépla-
cer sans autorisation, etc., constituent en quelque sorte des conséquences
rituelles qui signifient comment l’élève doit se comporter, à un moment
donné, dans un lieu donné, pour réaliser une tâche particulière.
Dans un tel cadre, le type de communication, nous l’avons vu, est parti-
culièrement remarquable dès l’instant où, souvent réduite à un dixit muet,
elle désigne des attentes, des comportements, et constitue un moyen effi-
cace d’assigner leur place et leur espace d’activité aux acteurs (les élèves au
tableau doivent raisonner à haute voix et les autres « dans leur tête »). Cette
efficacité silencieuse de la distribution des places et des rôles des acteurs
constitue un réducteur de tension sociale et un dispositif cognitif d’une effi-
cience sans pareille. « L’institution est un acte de magie sociale qui peut créer
la différence ex nihilo ou bien, et c’est le cas le plus fréquent, exploiter en
quelque sorte les différences préexistantes » (Bourdieu, 1982). C’est ce qui va
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position par rapport aux autres, de sa place parmi les autres. L’interprétation
de ses actes par autrui, qui peut se réduire à un « simple » regard, le ren-
voie à lui-même dans son rapport au monde et au groupe. Les rituels per-
mettent que l’enfant confronte son expérience à celle des autres, qu’il la mette
à l’épreuve des autres. L’émotion est le trait d’union entre soi et les autres
qui interroge ses propres conditions d’existence. Elle préfigure la prise de
conscience qui se fera progressivement dans les rapports aux autres. Les rituels
permettent que se rejoue cette mise à l’épreuve dans un cadre qui contient
l’angoisse et rassure l’élève ; c’est le lieu où il peut prendre des risques sans
que soit menacée son intégrité. Les rituels fixent des limites pour que la parole
devienne une double ouverture, ouverture sur soi et sur les autres et non une
confiscation de soi dans une limite qui devient clôture4.
Les rituels scolaires désignent les limites du rapport au savoir non seule-
ment par rapport à des frontières spatiales qui le maintiennent, mais aussi
par rapport à des limites temporelles qui le font évoluer. L’élève doit être
« enrôlé » dans le cours de l’action elle-même, dans le déroulement tem-
porel de l’activité.
Les deux situations suivantes mettent en scène, dans deux classes différentes,
deux élèves de service qui doivent donner la date du jour dans un tableau
à double entrée.
• E : On peut aussi dire…
Élève 1 : 3 + 0 = 3.
E : Allez vite les mettre dans le panier (les étiquettes-nombres).
E : On regarde le calendrier. Oui, c’est bien la case suivante.
E : Regarde quel jour c’était. Remets le doigt dans la case. Monte pour voir
le jour. Alors, c’est quel jour ?
Élève 2 : Samedi.
• E : Allez, regardez vite le calendrier, quatre enfants absents.
(Deux élèves sont au tableau et doivent trouver le jour, « samedi » :)
E : Allez, montrez-nous où on s’était arrêtés ? On essaie d’aller un peu plus
vite.
E : C’était quel jour, ça ?
(L’enseignante écrit « samedi » au tableau, sans le dire à haute voix.)
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E : Je vous l’écris pour les autres, pour que vous le voyiez, c’est ce jour-là
qu’elles cherchent.
(Les élèves manifestent leur intention de répondre.)
E : Chut !
(Les élèves au tableau doivent répondre pendant que les autres doi-
vent chercher silencieusement « dans leur tête ».)
E : Dis, Sarah, toi, tu devrais vraiment savoir le lire !
(Sarah est l’une des deux élèves de service directement interpellée pour
s’acquitter de sa tâche.)
On remarquera que, dans ces deux classes différentes, le cadre de fonc-
tionnement est analogue. À chaque fois, les élèves sont soumis à un rythme
imposé par la maîtresse et ils ne peuvent pas faire autrement que de s’y sou-
mettre. Dans ces situations, les élèves sont captifs de l’accomplissement tem-
porel de l’action. L’élève est constamment contraint de « suivre le rythme »,
il est assujetti au déroulement du « temps didactique » (Chevallard et Mercier,
1987).
Les enseignants organisent les conditions dans lesquelles les élèves ren-
contrent les objets de savoir et dans lesquelles évoluera le rapport à ces
objets, ce que l’on nomme généralement la « progression pédagogique ».
Or, ce déroulement temporel ne se ramène pas à du « temps qui passe »
mais à du savoir qui avance. C’est ce que Chevallard nomme la « chrono-
génèse ». Pour avancer dans le savoir, l’enseignant fait avancer le temps
(« on essaie d’aller plus vite », la maîtresse écrit pour les autres, les élèves
sont davantage guidés de façon à « gagner du temps »). Mais il peut aussi
le ralentir lorsqu’il s’agit d’instaurer un rapport particulier à un objet. Dans
ce cas, les élèves cherchent davantage par eux-mêmes, dialoguent, le pro-
fesseur les « laisse mijoter pendant un moment ».
La fonction chronogénétique est ce qui fait que l’enseignant est amené à
introduire de nouveaux objets lorsque les élèves maîtrisent suffisamment les
techniques opératoires correspondantes ou lorsqu’il veut les faire évoluer :
E (à la classe) : Qu’est-ce qu’il nous reste à faire ?
La classe : La croix.
E : La croix pour dire que le jour est là [sur un calendrier du commerce].
Regardez une chose, il reste combien de jours pour que le mois de mars
soit fini ?
E : Allez, on compte.
La classe : 1, 2, 3, 4, 5.
E : Il reste cinq jours et quand le mois de mars sera fini, qu’est-ce qu’on va
faire ?
La classe : On va déchirer la page.
E : On va enlever la feuille (du calendrier) et ce sera quel mois ?
Juan : Avril.
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FONCTION CONTRACTUELLE
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FONCTION INTÉGRATIVE
5. C’est ce que l’on peut observer, par exemple, auprès de professeurs débutants
qui éprouvent parfois des difficultés pour « récupérer » certaines situations, ou chez
des stagiaires remplaçants qui ignorent les « règles » du groupe-classe.
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intéressant de noter qu’un élève donne la règle que la maîtresse voulait que
la classe trouve. Ainsi, ce cadre permet de réinscrire une connaissance déjà
ancienne et de montrer qu’elle est connue de tous. Le fait qu’elle soit pro-
noncée par un élève témoigne de l’avancée collective des connaissances. La
fonction symbolique du rituel consiste ici à montrer que la classe construit
un savoir commun et qu’il est partagé par tous.
On retrouve à peu près le même scénario dans l’exemple suivant, où les
élèves doivent donner la date du jour.
E : Cathy, va-y, on écoute Cathy, chut !
E : Alors, est-ce que quelqu’un sait le nom du jour ?
Élève 1 : Mardi.
E : Comment tu le sais ?
Élève 2 : Parce que ça commence par « M ».
E : Ça commence par « M » comme qui ?
Élève 3 : Comme « Maman ».
Élève 4 : Comme « Marie ».
E : Comme « Maman », comme « Marie ».
Élève 5 : Comme « Mars ».
E : Comme « Mars », très bien !
Les pratiques rituelles véhiculent l’idée qu’une communauté de travail par-
tage des savoirs, mais aussi les moyens de les produire : « Comment tu le
sais, parce que ça commence par “M”. » Ces effets d’intégration repose sur
une « extériorisation », une « objectivation » des manières de faire, des
techniques à l’œuvre. Ils expriment ainsi des normes ou des conventions,
non seulement des échanges, mais aussi des modes publics de production et
de contrôle. Cependant, cette vérification publique peut perdre son carac-
tère systématique lorsque la maîtrise de la technique en question n’est plus
problématique. C’est ce que l’on nomme alors des routines.
Louise : Tout le monde est là ce matin.
E : Louise nous a gentiment fait remarquer que tout le monde est là ce matin,
il n’y a pas d’absent.
E : Bon, alors, qui va mettre la date ?
Aujourd’hui, c’est à Léo de mettre la date.
(Léo se lève et va au tableau.)
Louise a anticipé sur le travail à faire. À son initiative, elle prend la res-
ponsabilité de vérifier les absences, alors que la tradition voudrait qu’elle le
fût par le collectif. À travers cet exemple, on peut apprécier la progression
des manières de faire entre la petite section et la grande section. Ce qui était
dans la PS une tâche problématique, qui demandait une mise en scène
(mettre les étiquettes-photos, etc.) et une réalisation collective, devient un
geste individuel à la GS. De plus, ce geste est repéré par le groupe comme
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6. À l’instar de Louise, les élèves qui prennent des initiatives sont relativement
nombreux, ce qui tendrait à montrer qu’ils savent s’affranchir des contraintes aux-
quelles ils ont été soumis en les transformant en règles de conduite autonome.
7. Ces observations n’étaient pas réalisées dans une perspective évaluative ou quan-
titative, si bien que nous ne pouvons pas dire si les rituels sont « bien faits » ou
« mal faits » et dans quelle proportion.
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CHAPITRE
10
Devenir un élève,
c’est apprendre avec les autres
pour se construire soi-même
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pas, et que lui pose l’enseignant. De sorte que les perceptions, les actions,
le langage permettent d’observer, de catégoriser, de prendre conscience de
ce qui est fait et de rendre compte du rapport que l’élève instaure, non seu-
lement aux objets considérés et aux actions conduites, mais aussi aux autres.
– En troisième lieu, l’élève de maternelle découvre que la réflexion sur
l’action se conduit de façon collective : ce qui est nouveau, c’est de réfléchir
ensemble sur ce que chacun a fait et sur ce qu’il convient de faire.
L’école maternelle inaugure ainsi des pratiques scolaires (Amigues, Zerbato-
Poudou, 1996), inédites jusqu’alors pour l’enfant, qui se distinguent des pra-
tiques familières. Pour la première fois l’élève exerce de façon
systématique sa pensée sur son action. Mais ce qui est tout aussi nou-
veau – et spécifique de l’école – c’est que l’élève exerce sa pensée avec les
autres, dans l’interaction didactique et la communication avec autrui.
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Par la question « Qui peut me dire quel jour on est ? », par exemple, la maî-
tresse tente de faire partager aux élèves une intention didactique qui consiste
à obtenir une réponse construite sur des indices objectifs présents dans le
milieu (le calendrier, par exemple) ou sur une expérience partagée (« Qu’est-
ce qu’on a vu au cirque ? »), évocable, racontable et vérifiable par chacun.
Pour fournir sa réponse, l’élève travaille dans l’incertitude car il ignore si
ce qu’il dit ou fait correspond à l’intention manifestée par l’enseignant, et
si cela sera approuvé ou pas. En fait, la construction du sens, en situation,
est provisoire. Le statut cognitif de la réponse dépend des réactions des autres
élèves et de la sanction du maître. Selon que la réponse est confirmée ou
non dépend la reconstruction du sens de celle-ci. S’il a dit « vrai », le tra-
vail continue, sinon il faut « reprendre le raisonnement » pour pouvoir avan-
cer. L’élève peut en être l’artisan, il peut se faire aider par un camarade ou
le relais est pris par un autre élève1.
L’évaluation de l’enseignant ponctue ces différents mouvements. Ce type
d’évaluation produit un effet rétroactif. Elle montre l’effet de chaque acte
d’élève sur les précédents, au besoin par des retours en arrière, ce qui est
un moyen de « montrer » à tous la « manière de raisonner », en dialoguant,
en réfléchissant et en argumentant. L’exemple proposé au début de cette
partie illustre bien cette série d’enchaînements qui s’achève par une insti-
tutionnalisation de la réponse par l’enseignant : « Ça, ça avec une barre, tu
as raison, ça s’écrit comme ça ». C’est ce que les élèves devront désormais
savoir. Ce sera à cet instant précis que nombre d’élèves comprendront ce
qu’ils avaient à faire. La construction du sens requiert généralement une
reconstruction dans l’après-coup.
Le dialogue didactique met en scène les processus intellectuels que les
élèves doivent intérioriser, mais organise aussi les conditions de leur appro-
priation. Ces évaluations sont autant de scansions temporelles qui permet-
tent de resituer telle action dans un projet collectif, de distinguer ce qui ne
peut plus arriver, ce qui doit se reproduire et ce qui est en devenir2.
1. Ces différents mouvements n’engendrent pas seulement des effets cognitifs mais
aussi des effets affectifs. La possibilité de répondre « juste » ou celle d’être dessaisi
de la réponse ne sont pas sans conséquences sur la mobilisation de l’élève et son
émotivité. Tenir sa place lorsqu’on a répondu juste n’est pas la même chose que
tenir sa place lorsqu’on est dessaisi. Accepter ces changements de statut témoigne
que la réflexivité prend le pas sur la spontanéité. En outre, ces mouvements sont
acceptables parce qu’ils participent d’une expérience émotionnelle partagée.
2. Présenté ainsi, le dialogue didactique est à rapprocher du concept de « zone de
proche développement », proposé par Vygotski (1934-1985). Ce que l’on fait, ici et
maintenant avec l’aide des autres, ouvre sur des possibilités d’action ultérieures. On
retrouve ici une idée déjà proposée, à savoir que ce que retiendra l’élève dépend des
interactions mises en place dans la construction du milieu de travail.
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C’est parce que l’enfant est « enseigné » qu’il devient un élève et, en tant
que tel, il apprend différemment à l’école que dans sa famille.
3. Ce dépassement est rendu possible par l’enseignement qui « tire » l’élève au-delà
de ce qu’il pourrait faire, compte tenu de son niveau de développement psychologique.
C’est la raison pour laquelle Vygotski soutient que l’apprentissage précède le dévelop-
pement, contrairement à Piaget pour lequel « l’apprentissage est à la remorque du déve-
loppement » (Vygotski, 1934-1985). Ce mouvement vers ce qu’il est possible de faire est
une des caractéristiques du concept de « zone de proche développement ».
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EXTÉRIORISATION/APPROPRIATION
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CONTEXTUALISATION/DÉCONTEXTUALISATION
Nous avons vu que les savoirs, les techniques de pensée étaient déjà consti-
tués, formalisés dans des systèmes de signes et conservés sous forme d’œuvres.
L’enseignement de tels savoirs ne peut se réaliser directement, il suppose un
contexte de transmission qui les met en scène. Cette contextualisation per-
met de réifier leurs significations dans des mises en œuvre pratiques. Ils assu-
rent ainsi une fonction d’outils pour répondre à telle ou telle question,
résoudre tel type de problème, etc. Cette contextualisation permet ainsi d’éta-
blir un rapport à un objet de savoir particulier à travers une activité col-
lective. C’est pris dans cette activité dialogique que l’élève est appelé à
extérioriser ce qu’il sait, à le présenter comme un objet extérieur inscrit dans
la situation présente et la réflexion commune.
La décontextualisation contient l’idée de recul, de prise de distance par rap-
port à la situation initiale de mise en œuvre. Elle suppose aussi l’idée de
réflexion sur l’action passée, de montée en généralisation de la pensée, déga-
gée des conditions matérielles de réalisation qui l’ont produite. En bref, le
sujet reconstruit un schéma de pensée affranchie des contraintes de la situa-
tion initiale. On parle alors volontiers d’abstraction, de généralisation, d’au-
tonomie de la pensée, etc. Cette décontextualisation correspondrait au
moment d’appropriation individuelle.
Cependant, cette conception, au demeurant classique, est bousculée par
les systèmes d’enseignement-apprentissage (Amigues, 1994 ; Amigues,
Zerbato-Poudou, 1996 ; Brossard, 1993 ; Mercer, 1992). Parce que les situa-
tions de décontextualisation à l’école sont systématiquement des situations
de recontextualisation marquées par l’avancée du savoir. Les questions d’un
maître sortent l’élève d’un contexte pour le resituer dans un autre. Ces ques-
tions et les situations proposées déstabilisent l’élève dans ce qu’il sait et,
pour répondre aux nouvelles exigences, celui-ci doit remettre en jeu ses
connaissances, c’est-à-dire extérioriser ce qu’il sait pour le regarder d’un autre
point de vue. Si bien que l’élève reconstruit en situation le sens de ce qu’il
fait, en le mettant à l’épreuve de nouvelles significations et de confronta-
tions avec les autres. L’élève passe bel et bien d’un contexte à un autre, en
reconstruisant le sens de ses actions, mais en contact permanent avec les
significations culturelles. C’est donc dans une continuité culturelle que s’opère
le passage entre les contextes : l’élève n’est jamais seul lorsqu’il reconstruit
pour lui-même le sens d’une action. Mais cette continuité est toute relative.
Il ne faut pas seulement la considérer du point de vue de la seule pro-
gression de l’élève dans l’acquisition de savoirs de plus en plus formali-
sés. Il faut aussi prendre en compte les divers domaines de connaissances,
les « classes d’œuvres », selon l’expression meyersonnienne, chacune
constituée d’outils ou de techniques propres (les mathématiques, la litté-
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rature, la peinture, le chant, etc.). Si bien que ce que l’élève aura appris
à faire dans un domaine devient un moyen de construire un nouveau
cadre d’intelligibilité pour un autre domaine. Cette mise en rapport, ce
passage constant d’un domaine à un autre, constitue autant de change-
ments de contextes à partir desquels l’élève est appelé à reformuler ce
qu’il sait, à l’examiner d’un autre point de vue, etc. Mais cette différen-
ciation conceptuelle repose aussi sur une différenciation de genres cultu-
rels. Par exemple, un genre musical ou littéraire n’a de sens que par
rapport à d’autres genres musicaux ou littéraires ; il s’inspire de certains
et se distingue d’autres (le genre policier ou romanesque, par exemple).
Sur ce point, le rôle de l’école maternelle est décisif parce que ces chan-
gements de contextes sont à l’origine de la différenciation conceptuelle
qui balisera le parcours intellectuel de l’élève. Elle accorde une attention
particulière à la différenciation de genres culturels qui préfigurent les
découpages disciplinaires. La formation polyvalente des enseignants de
l’école élémentaire répond à cette exigence. C’est ce qui permet de pré-
parer le devenir scolaire des élèves en leur fournissant des repères « socio-
culturels » dès lors que la variété des œuvres renvoie à une diversité de
pratiques sociales appartenant à une même communauté culturelle.
La question qui se pose est alors de savoir comment l’école maternelle
tient tout cela ensemble pour que l’élève ne se perde pas dans un environ-
nement qui peut lui paraître hétérogène ou contradictoire. Comment l’élève
parvient-il à se construire socialement dans ce dédale de contextes qui s’ex-
cluent ou s’opposent mutuellement, qui suscitent des conflits internes ?
MILIEU-CLASSE ET GROUPE-CLASSE
Il est clair, d’un côté, que si le milieu n’est pas suffisamment stable ou s’il
évolue trop vite dans le temps, les élèves éprouvent des difficultés d’ap-
prentissage ou décrochent. Mais, inversement, si le milieu ne change pas suf-
fisamment, les élèves n’apprennent plus et décrochent aussi.
D’un autre côté, il n’est pas aisé de répondre à ce type de question. Trois
sources essentielles de stabilité ont été évoquées au fil de ce texte : les rituels
scolaires, le dialogue didactique et les significations culturelles liées aux
savoirs (numération, alphabet…) qui assurent une forme de continuité. Ces
sources sont, bien sûr, interdépendantes et leur conjugaison produit cet effet
de stabilité, dont nous allons dire quelques mots en reprenant l’idée de
contextes différents associés à des genres culturels.
L’école maternelle organise la mise en rapport entre ces contextes, par
exemple lorsqu’elle propose différents types de textes ou de musiques. À nou-
veau, la mise en contact avec ces œuvres culturelles nécessite une mise en
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scène qui se fonde sur l’émotion, ou plus précisément sur le partage des
émotions : les écrits ou les musiques peuvent être gais ou tristes, par exemple.
L’Apprenti sorcier, Pierre et le loup sont des « classiques » en la matière et
constituent les éléments d’une mémoire collective pour un bon nombre
d’élèves. Le classement des impressions auquel on procède dans la classe pré-
figure des différenciations conceptuelles qui correspondent culturellement à
des catégories socialement établies ou à des significations sociales. Il en va
de même pour le classement des impressions sur les choses (sucré, salé,
chaud, froid) qui rentre dans des rubriques préexistantes, relativement stables
et impersonnelles (les objets animés ou inanimés, les animaux, les plantes),
mais que l’élève découvre.
La stabilité provient ici des significations sociales du savoir enseigné (la
fonction mémoire assurée par les signes). Le nom des choses, le sens attribué
à ces mots permettent de reconfigurer des émotions, des événements, des
actions, sous des formes discursives. Celles-ci se stabilisent autant qu’elles évo-
luent avec le dialogue didactique, qui est lui-même à l’origine de l’incorpo-
ration de schèmes d’action qui permettent la répétition des mêmes actions
dans des situations analogues et leur généralisation à des objets variés.
En fait, la stabilité n’est pas à rechercher dans ces éléments, même si, empi-
riquement, on trouve des traces. La raison est la suivante : il ne faut pas
confondre la continuité historique avec le développement des compétences et
la construction de la personne. Il n’y a pas plus de continuité entre les senti-
ments, les actes, la réflexion que de ruptures brutales engendrées par les chan-
gements de situations dès lors que les événements, les contingences et les actes
se solidarisent, qu’ils font corps, dans des scénarios sociaux. Ils ouvrent sur une
expérience partagée et des réalisations communes qui ont valeur d’œuvres
pour les acteurs. Des œuvres produites par l’activité collective et dans les-
quelles chacun se trouve semblable à l’autre, tout en y repérant son identité.
L’élève « frotte » sa propre histoire à celle des autres, et ce faisant, il ren-
contre forcément ce que l’on nomme l’« histoire collective », la « mémoire
collective », l’« inconscient collectif », mais aussi des histoires singulières.
À l’école maternelle, comme dans toutes les classes, quel que soit le niveau
d’enseignement, on n’apprend jamais seul, on apprend des autres avant d’ap-
prendre de soi même et par soi-même, tout comme on pense avec les autres
pour pouvoir penser par soi-même. Nous avons insisté sur la solidarité fonc-
tionnelle entre l’organisation du milieu et l’organisation des rapports sociaux.
On voit ici toute son importance dès lors qu’elle délimite un espace d’ap-
prentissage construit et partagé par un collectif. La stabilité ou le change-
ment observés sont des conséquences de l’activité collective de travail. « Le
verbe “apprendre” mérite bien ses guillemets, car l’enfant qui apprend parti-
cipe à une sorte de géographie culturelle qui soutient et donne forme à ce qu’il
est en train de faire, sans laquelle il n’y aurait tout simplement pas d’appren-
tissage. » (Bruner, 1991.)
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TROISIÈME
PARTIE
L’apprentissage
premier de l’écriture
Nouvelles conceptions
M.-T. Zerbato-Poudou
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CHAPITRE
11
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à l’écrit : d’une part, donner du sens à l’objet de savoir et, d’autre part, faire
en sorte que l’élève donne du sens à son activité de « scripteur ».
Malgré un entraînement graphique quotidien, de nombreux enfants éprou-
vent des difficultés face à la maîtrise des aspects graphiques de l’écriture.
Comment se fait-il que certains, ayant atteint un niveau de maîtrise gestuelle
acceptable, ne contrôlent pas pour autant le tracé de mots ou de lettres, réa-
lisant souvent d’astucieux bricolages pour résoudre le problème que leur
pose le tracé de certaines lettres, comme s’ils ne reconnaissaient pas dans le
mot ou la lettre « à écrire » les formes si souvent « dessinées » par ailleurs,
mais dans des contextes différents ? Le document joint, qui nous montre le
travail d’Élodie (4 ans 1/2), en est un exemple frappant.
Par son dessin, Élodie manifeste son aisance gestuelle. Elle maîtrise par-
faitement la trajectoire, ainsi que les mouvements fondamentaux de trans-
lation et rotation requis pour l’écriture cursive : on n’observe aucune coupure
ni raccord dans le déroulement des boucles. De toute évidence, Élodie peut
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aborder ce type d’écriture sans problème. Toutefois, ayant voulu signer son
travail, avec le modèle de son prénom sous les yeux, Élodie ne parvient pas
à organiser l’enchaînement des premières lettres de son prénom. Or, c’est
bien ce type de liaison qu’elle utilise spontanément, et sans difficulté, dans
son dessin. Pourquoi le tracé des boucles n’est-il pas réinvesti naturellement
dans l’écriture de son prénom ? Où se situent les obstacles pour Élodie ? Ces
interrogations nous conduisent à poser la question : à quoi servent les entraî-
nements graphiques ?
De plus, nombre de difficultés grapho-motrices perdurent souvent dans les
classes élémentaires où certains enseignants regrettent que leurs élèves aient
déjà acquis de « mauvaises habitudes » graphiques. Une étude conduite par
E. Fijalkow et J. Fijalkow (1994) montre l’importance accordée au statut de
la calligraphie dans les classes de cours préparatoire. En effet, seulement 4 %
des enseignants consultés laissent les enfants écrire « sans se soucier de la
manière dont ils forment les lettres ». S’il apparaît nécessaire d’éduquer le tracé
des lettres à l’école élémentaire, est-ce à dire que les entraînements graphiques
conduits pendant les trois ans de scolarisation (en moyenne) à l’école mater-
nelle ne sont pas naturellement réinvestis dans l’écriture ? Constat paradoxal
compte tenu que, d’une part, la plupart des enseignants de maternelle pro-
posent quotidiennement aux élèves des situations de productions graphiques
diversifiées, et ce quelle que soit la section, et que, d’autre part, la scolarisa-
tion dans cette école est de plus en plus précoce et régulière.
Pourtant, dans les écoles maternelles, l’apprentissage de la trace écrite est
une préoccupation constante et pose de nombreux problèmes aux ensei-
gnants. Quand est-il bon de commencer cet apprentissage ? Dans quel type
de graphie ? Faut-il entreprendre directement l’apprentissage de l’écriture
cursive ? Faut-il imposer le ductus des lettres (trajectoire conventionnelle pour
le tracé des lettres) dès les premiers essais ? Quels exercices d’entraînement
proposer pour arriver à une bonne écriture ? Faut-il respecter une hiérarchie
dans l’apprentissage des formes ? etc. Ces questions dénotent la présence
d’un problème réel, d’une difficulté pratique qui n’est pas résolue. Fort curieu-
sement, la pédagogie de l’enseignement de l’écriture (du point de vue de la
trace) n’est pas remise en question, les exercices d’entraînement grapho-
moteurs demeurent la seule réponse. Cette centration sur la trace semble
légitime : pour être lu, donc compris, il est nécessaire que l’écrit soit
« lisible ». Néanmoins, cet investissement laisse parfois sous-entendre que
la maîtrise grapho-motrice serait une compétence qui favoriserait une réus-
site ultérieure dans le domaine de la langue écrite.
Les constats de difficultés rencontrées par les élèves lors du passage à
l’écrit remettent en cause la suprématie accordée aux exercices d’entraîne-
ment perceptivo- et grapho-moteurs traditionnellement estimés comme pré-
requis fondamentaux à l’apprentissage de l’écriture. De nombreux auteurs
comme Vygotski, Charmeux et Ferreiro se sont élevés contre des pratiques
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CHAPITRE
12
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sociaux ». Comme le soulignent les auteurs, d’une façon générale dans ces
classes, « l’accent est mis principalement sur le versant “geste habile” de l’écri-
ture. Son aspect “langage écrit” semble très peu être l’objet d’une préparation ».
Si les conceptions sur l’approche de la langue écrite ont évolué depuis
cette enquête, notamment par l’attention portée aux écrits sociaux dans les
classes, il n’en demeure pas moins qu’en matière d’apprentissage premier de
l’écriture, la centration sur les aspects formels domine dans les pratiques,
notamment par la référence faite aux exercices graphiques et au dessin
comme situations favorables à la maîtrise future de l’écriture.
Nous allons à présent examiner l’usage scolaire des différentes activités
graphiques, afin d’éclaircir leur parenté avec la pratique de la langue écrite.
Bien que comportant des éléments graphiques, comme les lignes, les
formes, les motifs graphiques et le dessin, nous ne réduisons pas les arts plas-
tiques à ces deux dernières activités dans la mesure où d’autres dimensions
sont concernées. Nous considérons en effet que le moment où l’on procède
à l’étude des lignes, formes et motifs graphiques relève d’une situation par-
ticulière où domine l’analyse du modèle ainsi que l’analyse des procédures
nécessaires à la reproduction du modèle. Dès lors qu’on introduit des varia-
tions esthétiques, comme la couleur, lors des situations de réinvestissement,
alors la dimension plastique peut être prise en compte. Il va de soi que si
les motifs graphiques sont réinvestis au cours d’activités d’arts plastiques, la
réciproque est vraie : les œuvres plastiques fournissent de quoi alimenter
l’étude graphique, comme nous le verrons plus loin. Dans ce travail, nous
limitons l’examen des exercices graphiques à l’aspect « étude et apprentis-
sage d’une forme ». De notre point de vue, les usages décoratifs ou créatifs
s’inscrivent dans une autre démarche.
L’ÉCRITURE
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effet. En 1881, avec l’avènement des écoles maternelles, les textes officiels
recommandent d’enseigner simultanément la lecture et l’écriture (décret du
2 août 1881) et de réserver cet enseignement aux sections de grands (arrêté
du 28 juillet 1882). Par la suite, le règlement du 18 janvier 1887 spécifie que :
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Les recherches
En ce qui concerne la recherche, les études sur l’écriture conduites jusqu’à
présent portent sur les troubles de l’écriture et sa rééducation (Ajuriaguerra,
1964), sa vitesse et sa lisibilité (Bang, 1955), sur la période d’apprentissage
(Auzias, 1966, 1977), sur l’acquisition de l’acte moteur et son automatisation
(Lurçat, 1974, 1981), sur la psychogenèse de l’écrit (E. Ferreiro, 1988, 1990).
Nous avons retenu plus particulièrement les travaux de Lurçat, Auzias et
Ferreiro en ce qu’ils s’intéressent, plus ou moins directement, à l’apprentis-
sage de l’écriture à l’école maternelle.
Liliane Lurçat (1974) a étudié l’évolution de l’activité graphique de l’en-
fant, l’organisation du mouvement et les composantes motrices lui permet-
tant d’associer forme et trajectoire. Elle se centre sur les aspects
perceptivo-moteurs pour élaborer une genèse de l’activité graphique.
Apprendre à écrire, pour L. Lurçat, « c’est apprendre à organiser certains mou-
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trace et le sens, ces deux dimensions n’étant plus considérés comme deux
aspects distincts de l’activité d’écriture mais comme deux activités qui
s’étayent mutuellement. Notre propre recherche (Zerbato-Poudou, 1994)
montre comment l’acte matériel, composante essentielle de l’écriture, peut
être considéré comme issu de l’activité conceptuelle elle-même, sous cer-
taines conditions. Cette position nous incite à prendre en considération les
conditions d’apprentissage de l’écriture susceptibles de permettre l’interac-
tion de ces « deux apprentissages ».
LE DESSIN
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sés représenter des segments de lettres. Ces exercices sont la plupart du temps
présentés sous forme ludique de dessins à décorer ou à compléter. C’est ainsi,
par exemple, que les « écailles du poisson » ou les « tuiles du toit » figurent
les arceaux, traditionnellement nommés « ponts » ou « cannes », considérés
comme les parties des lettres « m » ou « n ». Le tracé des lettres « l », « e »
ou « g » sera étudié en dessinant des suites de boucles figurant la « fumée
du train », les serpentins, etc. Par la suite, ces formes seront reproduites pour
elles-mêmes, combinées entre elles, selon la trajectoire conventionnelle de
l’écriture. Dans cette optique, il suffirait ensuite, pour écrire, de rassembler
ces tracés épars pour composer les lettres et les mots.
De la sorte, les compétences pour écrire sont éduquées hors contexte
écriture, et les analogies fréquemment utilisées (le serpent pour le « s », la
« canne », le « pont », etc.) attirent plus l’attention de l’élève sur les aspects
formels de l’écrit que sur son aspect « langue écrite ».
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sont très souvent utilisées, à l’école maternelle, dans l’unique but de former la
main de l’enfant à l’écriture. C’est trop en réduire l’intérêt ». Ces exercices se
voient ainsi institués dans leur véritable statut qui est de former non seule-
ment l’activité motrice manuelle, mais aussi l’observation, l’analyse des
modèles, leur reproduction : « L’observation et l’analyse des formes sont cer-
tainement l’aspect le plus délicat de l’activité graphique. Ce sont des processus
perceptifs qui restent difficiles jusqu’à l’école élémentaire. Là encore, la verba-
lisation joue un rôle déterminant », ce qui rejoint nos propos, de même que
l’accent porté sur l’importance de la verbalisation qui est au cœur de nos
travaux : « La verbalisation des activités permet de donner sens aux productions
et de les rendre communicables, elle permet aussi à l’enfant de se repérer et de
se situer dans les étapes successives de l’apprentissage ».
On remarque la position très nette qui est prise à propos des exercices gra-
phiques dans le livret d’accompagnement « Le langage à l’école maternelle »
(2006) : « Les activités graphiques proposées sous forme de jeux aident le jeune
enfant à construire des habilités perceptives et motrices, à développer des compé-
tences utiles pour la maîtrise du geste de l’écriture cursive. Cependant, elles ne
constituent pas des activités préparatoires au sens strict car il n’y a pas de conti-
nuité directe avec l’écriture» ce qui reprend nos propos antérieurs. De nom-
breuses situations d’apprentissage sont évoquées qui ouvrent des pistes de travail
et les principes de progressivité donnent des repères2.
Si le lien entre graphisme et écriture est relativisé en 20023, celui-ci est
renforcé dans les programmes de 2008 bien qu’un petit bémol semble évo-
qué (souligné par nous) : « Sans qu’on doive réduire l’activité graphique à la
préparation de l’écriture, les enfants observent et reproduisent quotidiennement
des motifs graphiques afin d’acquérir le geste le mieux adapté et le plus effi-
cace. » (p. 14) sauf que cet énoncé se place directement sous le titre :
« Apprendre les gestes de l’écriture » Ce qui laisse penser que le « geste le
mieux adapté et le plus efficace » est résolument le geste de l’écriture, donc
qu’il faut dessiner un rond, une ligne, en respectant le sens de l’écriture !
De plus, ces activités graphiques sont toutes définies comme des activités
« Pour s’acheminer vers le geste de l’écriture » (p. 30), dès la petite section.
Plus préoccupante est l’affirmation selon laquelle : « L’entrée dans l’écriture
s’appuie sur les compétences développées par les activités graphiques (enchaî-
nements de lignes simples, courbes, continues…) » qui semble accréditer la
thèse des tracés comme une fin en soi (relayée par l’usage abondant et sys-
2. Pour des propositions plus concrètes, on peut se référer aux mallettes publiées
chez Retz : « Activités graphiques et créatives » (2004) et « Arts visuels et jeux gra-
phiques » (2007).
3. « Les activités graphiques sont très souvent utilisées, à l’école maternelle, dans
l’unique but de former la main de l’enfant à l’écriture. C’est trop en réduire l’inté-
rêt » (B. O. p. 23).
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stéréotypées, incluses dans des dessins qui se veulent attractifs, mais sans
modèle cinétique ni véritable réflexion didactique.
Un renversement va se produire en 2002 lors de la publication de nou-
veaux programmes. En effet, contrairement aux instructions précédentes,
une nette distinction est faite entre les trois activités graphiques de l’école
maternelle : le dessin, l’écriture et les exercices graphiques : « Ces trois dimen-
sions de l’activité symbolique sont exercées à tous les niveaux de l’école mater-
nelle sans jamais être confondues ».
Pourquoi les exercices graphiques se sont-ils imposés auprès des ensei-
gnants de maternelle ? Plusieurs raisons peuvent être envisagées : combler
le vide provoqué par les interdictions vis-à-vis de l’apprentissage de l’écri-
ture dans les petites sections (textes officiels de 1882, 1905, 1921), aider à
l’apprentissage de l’écriture en décomposant la lettre en éléments simples,
respecter les besoins fondamentaux de l’enfant en proposant des activités
ludiques et néanmoins éducatives ? L’objectif légitime d’aide à l’apprentis-
sage du tracé des lettres domine.
Cependant, il en ressort que les exercices graphiques ne sont sans doute
pas la solution pour apprendre à écrire. D’une part, ils mettent outranciè-
rement l’accent sur les aspects formels de l’écriture au détriment de l’aspect
langage écrit, et, d’autre part, les amalgames entre tracés imposés, dessin et
écriture nous paraissent susceptibles d’entraîner des confusions dans le rap-
port au savoir qu’élaborent les enfants, comme nous le verrons plus loin.
Dans notre conception, si le graphisme ne sert pas à apprendre à écrire, il
a toutefois un rôle à jouer dans les classes, une utilité qui lui est propre.
C’est ce que nous allons mettre en évidence.
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dont il est animé. Mais le modèle n’est qu’un signe social indiquant seulement
le pattern d’action à utiliser ». À 4-5 ans, l’enfant comprend que c’est un
schéma régulateur de l’activité, mais le modèle « n’est pas encore conçu comme
objet de référence et s’il est complexe, la perception n’est plus capable de l’en-
visager en entier par une seule opération ». Ce n’est que vers 5-6 ans que l’en-
fant « comprend le modèle comme un guide et un appui, c’est-à-dire comme un
régulateur absolu de l’action ». Sounalet ajoute cependant que devant un
modèle complexe, même si l’enfant en comprend la nature « il n’utilise encore
que les seules liaisons visuo-motrices. Or, celles-ci ne suffisent pas. Pour traduire
fidèlement le modèle, elles doivent se doubler d’un espace mental qui leur don-
nera de la profondeur et comme une sorte de quatrième dimension ». En ce qui
concerne la reproduction du modèle graphique, les relations convenables entre
les formes n’apparaîtraient qu’à l’âge de 7 ans. Or, un modèle d’écriture est
sans aucun doute un modèle complexe et sa reproduction nécessite, outre
des habiletés motrices, l’élaboration de significations.
Les obstacles relatifs à la compréhension du modèle sont à relier aux par-
ticularités de la perception enfantine. Pour reproduire un modèle, il faut pou-
voir en discriminer les différentes composantes, en identifier les éléments
constitutifs, percevoir les relations topologiques qu’ils entretiennent pour fina-
lement utiliser correctement ces informations. Diverses expériences démon-
trent que la perception enfantine peut être appréhendée comme un processus
discernant soit les détails, soit la globalité de l’objet.
Selon Wallon (1941) la perception enfantine est fugace, « singulière » plu-
tôt que globale, elle s’égare dans les détails et porte « sur des unités succes-
sives et mutuellement indépendantes ou plutôt n’ayant entre elles d’autre
lien que leur énumération même », chacune d’elle est en soi-même un tout.
Ainsi, le principal obstacle pour l’enfant résiderait principalement dans la
capacité de pouvoir établir des rapports entre les parties et le tout, c’est-à-
dire d’organiser les données perceptives.
De la sorte, les enfants peuvent rencontrer des difficultés pour « lire » le
modèle, pour le reproduire et attribuer du sens à leur activité graphique sur
la seule injonction « de faire pareil que le modèle ». La plupart du temps,
une consigne verbale accompagne la présentation du modèle. Or, précise
Sounalet, la consigne est le plus souvent comprise par les jeunes enfants
comme un signal déclencheur d’action plutôt que comme un organisateur
de l’action. Elle ne leur est donc pas toujours d’une aide efficace. Il faut, de
surcroît, ajouter à ces obstacles d’autres difficultés que l’enfant doit sur-
monter pour réaliser les tâches scolaires, comme faire la distinction entre le
jeu et le travail, comprendre les « règles du jeu scolaire » et les valeurs qui
s’y rattachent, attribuer à ses actions les significations attendues par l’adulte,
comprendre la signification des tâches scolaires, en distinguer l’essentiel (les
finalités) de l’accessoire (les aspects techniques). Cet aspect est considéré par
Brossard (1993) comme un élément fondamental pour les élèves : « […] une
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CHAPITRE
13
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Le modèle de Boudon
Boudon définit ainsi chacune des grammaires :
• La grammaire graphémique est un système récursif (qui va vers la gauche
ou la droite), utilisant des formes unitaires, successives et discontinues
(lettres), pouvant acquérir des propriétés de composition plus riches (mots,
phrases). On note la présence d’un référent et la linéarité du signifiant (l’or-
ganisation des formes entre elles). Seules les formes élémentaires et leur
agencement font sens et non la surface du support laissée libre.
• La grammaire graphique, pour sa part, se compose de motifs souvent élé-
mentaires, orientables, qui se répondent, se dédoublent, se redoublent, s’in-
versent, se permutent. On observe une grande liberté de composition, les
motifs n’ont aucun rapport avec un objet externe à eux, il n’y a pas ici de
notion de « référence » ni « d’analogie ». La mise en page répond à une
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LA GRILLE DE LECTURE
Nous avons donc élaboré une grille de lecture selon quatre dimensions pour
analyser les différentes activités graphiques proposées en classe :
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Analyse
En ce qui concerne la première des dimensions, la nature et la spécificité de
l’objet, nous constatons de prime abord, la différence de statut du graphisme
en regard de celui du dessin et de l’écriture. En effet, si ces deux dernières
activités, d’origine sociale et culturelle, symbolisent le réel et impliquent la
présence d’un référent (présent ou absent), le graphisme, pour sa part, est
un objet abstrait, sans référents sociaux, d’invention scolaire : cercles, spi-
rales, boucles, lignes brisées, etc. pour s’exercer, décorer, qu’ils soient ou non
inclus dans des dessins (il est entendu que le graphisme dont il est question
dans cette étude représente les motifs et tracés non figuratifs, donnés aux
élèves comme modèles à imiter, sans ancrage dans un contexte symbolique
comme on le voit dans certaines cultures). Par ailleurs, les spécificités des
formes graphiques marquent également les différences : le dessin requiert
le plus souvent des figures à visée représentative, le graphisme est centré
sur la reproduction de motifs, de formes élémentaires et abstraites, alors que
l’écrit, construit selon le principe d’une double symbolisation, relève d’un
système codifié de signes conventionnels.
Les règles de fonctionnement soulignent également, et très nettement, la
différence entre ces trois activités graphiques. Alors que pour le dessin, l’or-
ganisation des figures est libre et relève d’une création personnalisée (les
règles sont soumises à la logique du sujet), pour le graphisme, les règles
organisationnelles sont variables et interchangeables, soumises le plus sou-
vent aux consignes externes à l’objet comme au sujet et relativement « oppor-
tunistes » (inféodées aux objectifs de l’adulte) tandis que pour l’écriture, les
règles sont incluses dans l’objet même, elles sont incontournables, sociale-
ment élaborées, collectives et normées. Ce sont ces règles qui organisent les
aspects formels des graphismes. Elles sont à la source des ambiguïtés et des
confusions observées en classe lorsqu’elles ne sont pas suffisamment distin-
guées (voir l’exemple plus haut du « s » et du serpent).
L’analyse des fonctions montre quelles sont les fonctions communes et/ou
spécifiques requises auprès de l’élève par chacune de ces activités. Le fait
central est que les fonctions motrices et perceptives sont nécessaires aux
trois activités. Ce lien commun est si dominant qu’il a été le seul retenu
pour justifier les usages scolaires de ces activités, mettant ainsi dans l’ombre
les facteurs symboliques et sémiotiques du dessin et de l’écrit. En effet, on
ne peut réduire ces deux dernières activités aux seuls aspects moteurs et
perceptifs. Partant de ce constat, on peut alors questionner les pratiques
habituelles qui confèrent au graphisme le pouvoir de mettre en place les
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Dessins
Écritures
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activités, afin d’en clarifier le statut et, par voie de conséquence, les fonc-
tions qu’elles remplissent auprès des enfants. À la suite de ce travail, nous
sommes à même de comprendre les difficultés d’apprentissage de l’écriture
engendrées par les situations scolaires qui ne distinguent pas suffisamment
ces diverses fonctionnalités. La centration sur l’éducation grapho-motrice
semble être principalement à l’origine des amalgames préjudiciables. On peut
en conclure que ni le graphisme ni le dessin ne servent directement à
apprendre à écrire. Ils ont leur fonctionnalité propre et, malgré certaines
analogies, c’est bien en étant confronté au système d’écriture que l’enfant
va apprendre à écrire et donner du sens à son activité. Il pourra sans doute
avoir recours au graphisme mais a posteriori, pour parfaire le tracé de cer-
taines lettres ou automatiser un geste. Certes, les compétences grapho-
motrices sont également requises pour écrire, mais il faut prendre en
considération le fait qu’il n’y a pas de filiation directe entre les exercices
graphiques et l’écriture.
De la sorte, c’est non seulement la nature des tâches graphiques qui est à
reconsidérer, mais également le contexte dans lequel se déroulent ces tâches.
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CHAPITRE
14
Apprendre à écrire,
une entreprise collective
LE CADRE THÉORIQUE
Il ne faut pas perdre de vue que les élèves ne construisent pas le système
d’écriture mais qu’ils doivent apprendre et s’approprier un langage. Ce lan-
gage est également un outil, « un instrument pour apprendre », comme le
signalent les programmes de 1995, un « instrument psychologique » selon
l’expression de Vygotski, outil qui transforme l’activité mentale même, ce
qui souligne les enjeux de cet apprentissage. Cependant, le fait de s’appro-
prier un outil préexistant n’exclut pas la nécessité pour l’enfant d’élaborer
des hypothèses, d’attribuer du sens à son action, d’être actif. Or, ce n’est pas
seulement l’outil que l’enseignant doit transmettre à l’enfant mais ses usages
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des dysfonctionnements internes de tel élève, mais dans une moindre capacité
à se repérer dans l’univers social des tâches scolaires ». En effet, la forme que
prend le contexte scolaire et les ressources qu’il mobilise (sociales, symbo-
liques) peuvent rendre plus ou moins lisibles les intentions didactiques de
l’enseignant. Dans cette même perspective théorique, Amigues et Zerbato-
Poudou (1996) considèrent les situations scolaires, et par extension la classe,
comme « des organisations cognitives » à l’origine des acquis scolaires.
De ce point de vue, la relation de l’élève au savoir, la relation à l’écrit,
ne se fait pas directement par expérience concrète, entraînement, ou par
simple imitation gestuelle mais par la médiation des situations scolaires qui
proposent un certain type de relation au savoir. De ce fait, les modalités de
la situation d’apprentissage de l’écriture, notamment les interactions adulte-
enfant, auront une influence sur la compréhension de la tâche et le sens
que donnent les élèves à leur activité. On peut dès lors s’interroger sur la
nature du rapport au savoir élaboré dans les classes maternelles en ce qui
concerne l’apprentissage de l’écriture au travers des exercices graphiques.
Dans notre recherche, nous avons accordé une importance capitale au lan-
gage en référence à sa double fonction de communication et de construc-
tion de la pensée. Mais il ne suffit pas que se produisent des échanges verbaux
pour que ceux-ci soient pertinents pour l’apprentissage visé. Encore faut-il
qu’ils permettent d’inscrire l’action de l’enfant dans une activité d’écriture
et non de dessin, et qu’ils apportent des éléments utiles à l’action. Nous ver-
rons combien cet aspect est fondamental.
LE DISPOSITIF DE CLASSE
Les enfants concernés par l’étude avaient entre 3 et 4 ans (classe composée
d’enfants de moyenne et petite section d’une école située en zone d’éduca-
tion prioritaire). Certains enfants avaient été scolarisés l’année précédente,
sans avoir pour autant manipulé leur prénom, les plus jeunes venaient en
classe pour la première fois. Ils ont été confrontés à l’écrit dans des situa-
tions classiques : reconnaissance et manipulation de leur prénom, dictée à
l’adulte, écrits sociaux commentés, contact avec des textes diversifiés, etc.
Du point de vue des activités graphiques, les enfants n’étaient soumis à
aucun entraînement graphique traditionnel (exercices graphiques suppri-
més) ; ont été conservées les activités de dessin.
Dès les premiers jours de classe, l’enseignante a pris soin d’écrire le pré-
nom de chaque enfant sous leurs yeux, en commentant son activité, sur une
étiquette de moyen format (10 cm sur 3 cm environ). Les commentaires
visaient à signifier l’activité scripturale et à montrer aux élèves comment se
transforme l’énoncé de leur prénom en signes.
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(E : l’enseignante)
E : Je vais écrire ton prénom, il commence par un « M »… ah, regarde, il
y a deux fois la lettre « A »… alors j’écris « MA-RI-NA »…
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Nous retrouvons ici une des finalités premières des exercices graphiques :
apprendre à lire un modèle. Effectivement, cette verbalisation permet à l’en-
fant d’organiser les données perceptives. Lorsque le travail de rectification
est délicat, difficile (« je n’y arrive pas »), alors l’enseignant sollicite le groupe
pour demander « comment il faut faire pour faire », afin que chacun décrive
les procédures d’action mises en œuvre. Dans ce cas, ce sont alors les cri-
tères de réalisation qui sont examinés. Chacun peut exposer sa technique,
sa procédure. Quant à celui qui « n’y arrive pas », il trouve bien souvent,
auprès des procédés des autres, une solution à son problème. Sinon, l’en-
seignant apporte son aide. S’il y a partage de la tâche d’évaluation, il y a
également partage des procédures de réalisation. C’est en ce sens que l’on
peut parler d’apprentissage collectif, avec l’enseignant, mais également avec
les autres enfants du groupe.
Les critères de réussite comme les critères de réalisation deviennent des
instruments collectivement découverts que chacun s’approprie. À ce stade de
l’apprentissage, ce n’est pas la « bonne » technique qui est requise, mais la
technique qui permet de résoudre le problème de l’organisation de l’action.
L’important est que les enfants décrivent, argumentent, découvrent ou appren-
nent et utilisent les règles, établissent des relations, s’intéressent à leur acti-
vité et l’inscrivent dans une activité d’écriture et non dans une activité de
conformisation graphique. Ainsi, la confrontation à la tâche d’écriture ne s’ar-
rête pas aux seuls aspects instrumentaux (maîtrise du geste) mais interpelle
les aspects fonctionnels de l’écrit. On peut avancer l’hypothèse que, contrai-
rement aux pratiques habituelles, certains exercices graphiques que l’on
appelle « graphismes d’écriture », placés en aval de l’apprentissage de l’écri-
ture, et non en amont comme prérequis, seraient une aide technique à la
résolution d’un problème de tracé plutôt que d’être un entraînement à vide.
LES INTERACTIONS
Exemple n° 1.
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M : Oui.
E : Maria, est-ce que tu as écrit cette lettre, le « N » de NOËL ?
(Mouvement de tête négatif.)
E : Non ? Tu n’as pas su ?… Tu ne sais pas la faire ?
M : Non.
E : Eh bien voilà, tu n’as pas su… Et cette lettre-là, qui s’appelle un « O »,
tu l’as faite ?
M : Oui.
M : Où est-ce que tu l’as écrite ?
(Maria la désigne sur sa feuille.)
E : Oui ! Tu vois, tu as su ! Et cette lettre-là, qui s’appelle un « E », est-ce
que tu l’as écrite ?
(Regards inquiets de Maria vers l’écriture du « E », qui comporte des
erreurs.)
E : Voilà, elle a essayé de la faire là.
(L’enseignante n’insiste pas sur le tracé du « E », qu’elle souhaite abor-
der plus tard, mais la voisine, qui a bien vu le défaut de la lettre, veut
à tout prix le signaler.)
A : Elle a… elle a… elle arrive pas… elle arrive pas à faire un… comme
ça ! Elle arrive pas à faire comme ça !
(Elle montre trois doigts pour représenter les trois traits horizontaux
du « E ».)
E : Ça veut dire quoi, « comme ça », ce que tu montres avec tes doigts ?
Combien de traits il faut pour faire un « E » ?
(Elle ne sait pas nommer et brandit ses doigts.)
E : Trois ! Comme tu montres trois avec tes doigts, il faut faire trois petits
traits ?
A : Ça, regarde.
(Elle montre sa propre production qui est correcte.)
E : Oui, on va regarder.
[…]
Dans cet exemple, on voit comment l’enseignante conduit la vérification
du critère de complétude, par comparaison terme à terme. Par la suite, cette
procédure sera intériorisée par les enfants qui apprennent également à jus-
tifier leurs observations. Une élève attire l’attention sur le critère de confor-
mité de la lettre « E », ce qui donne lieu à un examen collectif de ce critère.
Suivra l’examen des procédures de réalisation pour apprendre à tracer la
lettre qui pose problème.
Exemple n° 2.
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E : Ah, regarde toi, il manque quelque chose, une petite chose il manque.
[…]
E : Ah, tiens, tiens ! Allez, voilà, regardez un peu, regardez, qu’est-ce qui
manque ?
[…]
E : Alors, est-ce que tu as trouvé ce qui te manquait, toi, qu’est-ce qui te
manquait ?
[…]
E : Tu as un problème, toi, est-ce que tu es content de ce que tu as écrit là ?
[…]
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E : Ah, regarde, toi, il manque une chose, une petite chose il manque, regarde
bien le mot « fille », regarde-le, compte les boucles… Compte, compte,
regarde, il y a deux « l » et un « e », alors qu’est-ce qu’on gomme ?
Alors vas-y, gomme-le, je tiens la feuille. Alors regarde bien, là une grande,
deux grandes et une petite. Elle est petite celle-là, regarde bien, elle est
facile, voilà, à toi, vas-y, y en a combien de grandes ? Deux grandes et
une… ? Allez vas-y, tu en as fait une grande, il faut encore une grande.
(Un moment après, l’élève a reproduit la même erreur, un seul « l »
est tracé.)
E : Alors, est ce que tu as trouvé ce qui te manquait, toi, qu’est-ce qui te
manquait ? Entoure, tiens, entoure avec le crayon, tu vas entourer dans
mon mot la lettre que toi tu n’as pas dessinée. Regarde bien, montre-moi
ce que tu as oublié d’écrire, et où est-ce qu’elle se place ? Où est-ce que
tu vas la placer ?
(Plus tard, l’élève ajoute la lettre manquante, le « l » de fille, qu’elle
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met à la fin du mot, on peut lire : « FILEL ». Après une autre ten-
tative infructueuse, l’enseignante prend la main de l’élève et la guide
pour que le mot « fille » soit écrit correctement.)
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E : enseignante, B : Benjamin.
E : Benjamin, est-ce que tu as su écrire NOËL ?
B : Oui.
E : Oui… tu as tout écrit ?
B : Non ! J’ai fait le rond.
E : Oui, tu as écrit une lettre, celle-ci, comment elle s’appelle déjà ?
B : Un rond.
E : Oui, mais c’est un « O ». Tu as su écrire le « O », est-ce que tu as su
écrire les autres lettres ?
(Benjamin fait un signe de tête négatif et insiste.)
B: C’est un rond !
E: Oui, pour écrire le « O » de NOËL, il faut tracer un rond. Mais c’est un
« O ».
B: C’est un « O » ? (Étonné.)
E: Oui.
B: Alors, je sais écrire !
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CHAPITRE
15
A près leur premier contact avec l’écriture du mot « NOËL », les élèves
de cette classe ont ultérieurement appris à écrire leur prénom, toujours en
majuscules, selon le même procédé : tracé sous leurs yeux du prénom, copie
du mot, évaluation en référence aux règles de fonctionnement de l’écrit,
énoncé des procédures d’exécution.
À la suite de la mise en œuvre de cette pratique différente d’apprentis-
sage de l’écriture, des contrôles ont eu lieu pour en vérifier les effets, d’une
part, sur la maîtrise gestuelle des enfants lors du passage à l’écriture cursive
et, d’autre part, sur leur degré de compréhension du système d’écriture.
Des tests ont été appliqués en fin d’année scolaire, dans cette classe comme
dans deux autres classes de niveau équivalent, mais aux pratiques différentes.
Dans l’une, située également en ZEP, dans le même quartier que la classe appe-
lée « expérimentale », les élèves n’étaient soumis à aucun exercice graphique,
ils dessinaient quand ils le souhaitaient. L’enseignant écrivait lui-même le pré-
nom sur les travaux. Ancré dans une conception des apprentissages et du déve-
loppement de type spontanéiste, il proposait, de ce fait, un environnement non
contraignant, laissant aux enfants le plus de liberté possible. Les écrits ne lui
paraissaient pas nécessaires à examiner, compte tenu de l’âge des enfants. Dans
l’autre classe, située dans un quartier dit « favorisé », les élèves étaient soumis
à des entraînements graphiques traditionnels (lignes droites, lignes courbes :
arceaux, boucles, etc., quelques motifs graphiques simples) planifiés sur l’an-
née. Les entraînements étaient d’abord d’ordre moteur : déplacements en salle,
gestes avec le bras « dans l’air », puis avec le doigt sur la feuille, avant d’abou-
tir à un tracé sur feuille. Dans cette classe, les enfants « signaient » leur tra-
vail à l’aide de motifs différenciés qui n’étaient pas accompagnés du prénom :
cercle, spirale, carré, croix, petits traits parallèles, etc. L’enseignante pensait
qu’un environnement scolaire ou familial riche et des exercices soigneusement
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conclusions de Sounalet, nous pouvons penser que les enfants habitués à ana-
lyser leurs productions, ayant acquis la signification du modèle, ont su y per-
cevoir les aspects régulateurs de l’action. En revanche, les enfants
graphiquement entraînés n’ont pas su transférer à la tâche d’écriture les
formes exercées lors des exercices graphiques. S’ils n’ont pas su décrypter les
aspects formels du modèle, on peut également supposer qu’ils ont probable-
ment été déconcertés par la nature scripturale de l’objet : ils n’étaient plus
placés devant une simple tâche graphique et n’ont pas reconnu, dans le mot
à écrire, les formes si souvent exercées par ailleurs.
Il faut cependant prendre en compte le rôle joué par le contexte de la classe
en ce qui concerne les rencontres avec les écrits, contexte qui a eu, sans nul
doute, une influence sur la nature de ces résultats. En effet, d’une part, les
élèves de la classe expérimentale ont été confrontés à l’écrit, au cours d’activi-
tés de reconnaissance et d’écriture du prénom et, d’autre part, les écrits sociaux
occupaient dans la classe une place importante, la présence de l’outil infor-
matique et de la machine à écrire favorisaient également le rapport à l’écrit.
En bref, les élèves savaient ce qu’était l’écrit et ce qu’il représentait. S’ils n’ont
pas été surpris par la demande, il n’en demeure pas moins que les difficultés
liées à l’écriture cursive, et qui reposent sur une bonne maîtrise grapho-motrice,
ont pu être réduites de toute évidence par le développement de l’observation
et l’anticipation des procédures adéquates. Pour preuve, les résultats au test de
Bender, qui a également été proposé aux trois classes à la même époque. Il
s’agissait pour les élèves de reproduire neuf figures géométriques de plus en
plus complexes (allant de la croix à un rectangle dont il faut tracer les diago-
nales et médianes, en passant par des cercles tangents, séquents, etc.). Ce test
permet d’analyser, selon l’auteur, les facteurs intellectuels, les facteurs instru-
mentaux (orientation et position relative de deux figures, structuration spatiale,
construction des angles) et les facteurs affectifs (les inhibitions centrées sur le
graphisme peuvent être mis en évidence). Sur un score maximal de 34 points,
les élèves de la classe expérimentale ont atteint 22,06 points (moyenne qui cor-
respond aux performances d’élèves de 5 à 6 ans alors qu’ils ont de 3 ans et
demi à 4 ans), ceux de la classe ZEP ont obtenu 8,85 points, et les élèves de la
classe en milieu favorisé 13,10 points. Ces deux derniers groupes s’inscrivent
dans les scores correspondant à leur âge effectif. Dans le cas du test de Bender,
le contexte écrit n’a pas pu agir, on peut donc en déduire que les élèves ayant
verbalisé ont, sans nul doute, su « lire » les modèles et mettre en œuvre les
procédures adaptées, comme ils l’ont fait pour la copie en écriture cursive.
Le « test du bonhomme » de Goodenough, appliqué aux trois classes en
début et fin d’année scolaire, a confirmé les résultats précédents comme il
a souligné l’impact de l’apprentissage premier de l’écriture sur les élèves de
la classe expérimentale. Ce test d’intelligence est destiné à évaluer la matu-
ration affective et motrice, l’adaptation sociale des sujets, il est sensible aux
troubles grapho-perceptifs de la structuration spatiale et du schéma corpo-
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rel. Il s’agit d’attribuer une note aux différents éléments du corps qui sont
dessinés. Associé au test de Bender, il permet de confirmer les constats pré-
cédents. Les élèves de la classe expérimentale ont gagné 10,89 points
(moyenne des productions) entre les deux passations contre un gain de 4,78
points pour les élèves de la classe ZEP et de 7,58 points pour ceux de la
classe en milieu favorisé. On peut en conclure, d’une part, que les élèves
ayant appris à écrire leur prénom se sont bien adaptés à la scolarité, que
leur maturation affective et motrice s’en sont trouvées renforcées et, d’autre
part, qu’ils ont développé une bonne « image de soi », ce test traduisant,
selon A. Abraham et S.R Graham, une « représentation cohérente de l’image
de soi ». On peut supposer que le sentiment de la promotion sociale que
donne la maîtrise de l’écrit a joué un rôle dans ce processus. D’ailleurs E.
Ferreiro (1988) a noté l’importance de l’écriture du prénom en ce sens qu’il
est « une voie d’accès pour pouvoir signer, cette conduite fondamentale de la
vie adulte », d’autant, il ne faut pas l’oublier, que ces élèves sont en ZEP.
Il ressort de ces travaux plusieurs constats : le choix de la pratique péda-
gogique a un impact essentiel sur la nature de la construction du rap-
port au savoir et, dans le cas de l’apprentissage premier de l’écriture,
les entraînements moteurs se révèlent insuffisants. En revanche, le
dialogue pédagogique, considéré comme un outil de pensée et envi-
sagé dans ses dimensions didactiques, a montré toute son efficacité.
Vygotski soulignait que, pour progresser, les élèves doivent être assistés et
stimulés dans leurs apprentissages pour que se développent certaines fonc-
tions. Les résultats que nous venons de présenter accréditent ce point de
vue et, de plus, attribuent à l’école son rôle fondamental dans les quartiers
défavorisés. Par ailleurs, les situations de manipulation de l’écrit revêtent un
caractère vital pour initier les enfants à la culture scolaire, à la culture écrite.
Les élèves qui n’ont pas eu à manipuler leur prénom, qui ont eu très peu
de rencontres avec l’écrit en milieu scolaire, se sont trouvés devant une tâche
difficile à décrypter lors des tests d’écriture.
LE DOMAINE CONCEPTUEL
Cependant, le travail cognitif que réalisent les enfants sur l’écrit ne peut
être perçu au travers des qualités graphiques de la production d’écritures.
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Ainsi, afin d’examiner les acquis dans le domaine conceptuel, les enfants des
trois classes ont été soumis à deux tests, issus des travaux d’Emilia Ferreiro
(1988) : d’une part, l’analyse des parties du prénom, c’est-à-dire comprendre
que le prénom est constitué d’un ensemble de parties (identifier la succes-
sion des séquences sonores) et, d’autre part, la dictée de mots, pour voir
« comment les enfants écrivent avant de savoir écrire », comment ils inter-
prètent le fonctionnement de l’écrit. Ces deux tests permettent de dégager
différents niveaux de conceptualisation.
Pour l’analyse des parties du prénom, l’expérimentateur montre tour à tour
les séquences graphiques du prénom (il laisse visible le début du prénom et
cache le reste, ensuite il laisse visible la fin du prénom, puis la séquence du
milieu). Cinq niveaux sont possibles : niveau D, absence de différenciation
entre le tout et les parties ; niveau C, les élèves commencent à considérer que
le tout peut être découpé mais il y a échec d’interprétation ; niveau B, il y a
mise en correspondance son-graphie, mais échec pour nommer un segment ;
niveau A, toutes les parties sont interprétées correctement ; au niveau X, les
élèves se contentent de nommer les lettres qu’ils connaissent.
En ce qui concerne la dictée de mots, il s’agit de demander aux élèves d’écrire
des mots alors qu’ils ne savent pas les écrire. Plusieurs niveaux sont également
distingués par Ferreiro : le niveau B présyllabique, qui se traduit par des simu-
lacres d’écriture ou la production de quelques lettres sans lien avec le mot
dicté, parfois les lettres du prénom sont utilisées ; le niveau C syllabique, où
il y a une tentative de correspondance graphie-phonie (les syllabes sont iden-
tifiées mais sans correspondance sonore) ; le niveau D syllabico-alphabétique,
ou niveau de l’analyse phonétique, dans lequel la valeur conventionnelle est
marquée mais incomplète (par exemple, le mot « SALADE » est écrit « AAE ») ;
enfin, le niveau E de l’hypothèse alphabétique, où les élèves utilisent la valeur
conventionnelle des lettres (le mot « RAT » est écrit « RA »).
Par ces tests, il est possible de voir dans quelle mesure les pratiques sco-
laires, en matière d’apprentissage premier de l’écriture, permettent aux élèves
d’inscrire leur activité dans une activité d’écriture et de donner du sens à
l’objet d’apprentissage. Ces tests ont été proposés à la rentrée scolaire sui-
vante, en septembre.
Les élèves ayant verbalisé ont obtenu les meilleurs scores dans l’analyse
des parties du prénom ; plus de la moitié se situe au niveau B (ils identifient
deux segments du prénom sur trois) deux d’entre eux se situent au niveau A.
Les élèves de l’autre classe, située en ZEP, sont tous au niveau D, quant à
ceux de la classe en « milieu favorisé », seuls trois atteignent le niveau C,
les autres se situent au niveau D, dont deux au niveau X. L’identification
des segments montre que les élèves font la relation entre la chaîne parlée
et la chaîne écrite.
En ce qui concerne la dictée de mots, dans un premier temps, tous les élèves
de la classe expérimentale ont refusé de faire semblant, contrairement aux
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ner du sens aux exigences graphiques inhérentes à l’écriture et, par consé-
quent, à ses efforts visuo- et grapho-moteurs. En effet, lorsque l’activité de
l’enfant s’inscrit dans un contexte porteur de sens pour l’écriture, il apprend
à exécuter certains tracés parce qu’ils sont nécessaires à son entreprise d’écri-
ture. Son activité est finalisée dans une relation au savoir pertinente. De ce
fait, la dichotomie entre la trace et le sens se réduit.
En second lieu, nous voyons en quoi le contexte de la tâche permet aux
enfants d’être confrontés à la langue écrite, dans la mesure où ils sont conduits
à analyser leur activité du point de vue du fonctionnement de la langue et
non seulement du point de vue de la conformité au modèle. Ils ne sont pas
focalisés sur les aspects formels de l’écrit, mais sur son mode d’organisation,
sur l’étude du fonctionnement d’un objet social et l’analyse de leurs propres
procédures. Contrairement aux situations traditionnelles, les enfants ne sont
pas centrés sur la réussite technique de la tâche mais sur leur activité propre.
Le troisième constat porte sur la construction collective des savoirs à pro-
pos de l’écrit. Les situations interactives adulte-enfant ou enfant-enfant mon-
trent que, contrairement aux représentations habituelles, l’apprentissage de
l’écriture n’est pas une activité individuelle où l’entraînement moteur est fon-
damental. Par ce dispositif interactif où prime l’analyse de l’activité, l’ap-
prentissage de l’écriture peut être considéré comme un véritable processus
social au cours duquel l’attribution collective de sens aux actions devient, par
la suite, des règles de conduite individuelle. C’est le passage de l’interpsychique
(construction collective) à l’intrapsychique (appropriation individuelle). En effet,
la confrontation, dans un petit groupe d’enfants, des résultats de l’action,
comme des procédures d’exécution, montre que les règles de l’écrit se décou-
vrent et se construisent collectivement et ne se réduisent pas à un exercice
gestuel privé. La maîtrise de la trace, la conformité au modèle seront, in fine,
la marque d’une appropriation individuelle, la concrétisation personnelle de
la réflexion collective. En ce sens, nous rejoignons les affirmations de Bruner
(1991), qui souligne le caractère « situé et distribué » des connaissances.
En outre, le fait que l’enseignant sollicite les enfants et partage avec eux
la tâche d’évaluation, c’est-à-dire qu’il procède à « l’enrôlement de l’enfant
comme partenaire de tutelle » (Bruner, 1987), accrédite la conception de la
construction sociale des connaissances.
Tous ces constats montrent à quel point la nature du contexte de travail
– contexte global et contexte de la tâche – influe sur la relation au savoir
qu’élaborent les enfants. Dans cette optique, Brossard (1991) souligne l’im-
portance de ce contexte pour que l’enfant élabore des significations à pro-
pos de son activité d’écriture, celui-ci prend, dit-il, « appui sur la signification
globale de la situation et sur ce que l’on y fait » car « c’est l’acte global tel
qu’il fonctionne en contexte qui est compris ».
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CHAPITRE
16
De l’écriture à l’écrit :
l’acquisition d’un objet de savoir
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CONCLUSION
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Conclusion
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point de vue de leur structure et des objets qu’ils contiennent, ils ne se rédui-
sent pas pour autant à la seule organisation matérielle du milieu.
L’enfant qui se contrôle émotionnellement pour prendre la parole, s’adres-
ser aux autres, et à soi-même, exposer publiquement son point de vue et
s’exposer aux autres, ne peut le faire que si le maître des lieux les a orga-
nisés dans ce but. Le « laisser faire » ne peut en aucun cas être une recon-
naissance de l’action de quiconque. La « neutralité » du milieu discrédite
aussi bien la parole professorale que celle des élèves. Une parole n’est plus
le témoin d’une identité qui s’inscrirait dans une histoire collective. Le milieu
neutre, supposé favoriser au mieux la prise de parole individuelle, devient
de fait une machine à exclure les plus faibles, non seulement comme
membres du groupe de travail, mais aussi comme personnes.
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Conclusion
1. Par exemple, on peut se demander dans quelle mesure la prise en charge des
élèves en difficulté scolaire par les RASED (Réseau d’aide spécialisée aux élèves en
difficulté) est envisagée en termes de rapports entre deux milieux (celui de la classe
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dans des milieux différents, l’élève est conduit à considérer ces milieux
(milieux sociaux, domaines d’activité, champs culturels…) comme distincts,
indépendants les uns des autres. Ainsi, plutôt que de parvenir à se situer
dans un réseau de milieux auxquels il participe, l’élève est amené à jouer
un milieu contre un autre, selon les circonstances. Comment peut-il se
construire comme personne s’il n’a pas de lieu où il peut inscrire son iden-
tité ? Comment peut-il percevoir les conséquences de ses actes individuels,
dans ce processus de désocialisation ?
Faire le vide social autour de l’élève, c’est aussi faire le vide à l’intérieur
du sujet2 ; c’est susciter désintérêt, désinvestissement, décrochage. Cette cou-
pure entre l’individu et le collectif s’avère d’autant plus préjudiciable qu’elle
est contraire au fonctionnement des classes ordinaires. Le progrès pédago-
gique ne se situe pas dans l’individualisation de l’enseignement, mais dans
l’organisation du travail collectif qui produit des connaissances individuelles.
La question de l’intégration du sujet dans l’institution scolaire se pose simul-
tanément avec celle de son affirmation comme singularité. La réponse est
vraisemblablement à rechercher du côté de l’interstructuration des institu-
tions et du sujet, plutôt que du côté de l’individualisme.
La prise en compte des difficultés individuelles de façon que chaque élève
ait davantage de chances de réussir à l’école et de se construire comme per-
sonne est une visée incontestable. Toutefois, ce qui est discutable, ce sont
les moyens pour y parvenir et l’idéologie individualiste qui les inspire. L’école
maternelle est au cœur de ce débat. Elle est, en quelque sorte, en première
ligne. De la façon dont l’enfant franchira cette ligne et en éprouvera les
limites dépend pour une large part son avenir d’élève et de personne.
et celui de l’aide spécialisée), si l’on suppose que celui qui assure la transition est
l’élève. La même question se pose à propos des dispositifs de consolidation en 6e, où
le professeur de la classe peut ignorer (dans le sens aussi de ne pas reconnaître) le
travail réalisé par l’élève en groupe de consolidation.
2. « Ce n’est pas moins de social qui conduit au sujet, ou qui permettrait de le
retrouver, mais plus de social, au sens d’un social plus complexe, saisi de manière
dialectique, dans son hétérogénéité, ses discordances et ses contradictions. Le social
n’est pas ce qui vient au sujet préalablement constitué, mais ce dans et par quoi il
se constitue », Rochex (1999).
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BIBLIOGRAPHIE
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