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Gérard TOUPIOL, président de la FNAME
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29, rue des Grez 9BIS, RUE ABEL HOVELACQUE
60600 Breuil le Vert 75013 PARIS
MP 001_006 Fname 2007 21/09/07 15:11 Page 2
ISBN : 978-2-7256-2708-3
© Retz, 2007
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Sommaire
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PREMIÈRE
PARTIE
Pratiques scolaires et
cadres d’intervention
du maître E
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Pratiques scolaires
et difficultés des élèves
Élisabeth Bautier
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action avec les cadres de travail qui sont construits pour eux, par l’école
et les pratiques scolaires et enseignantes. C’est aussi parce que l’on peut
constater que l’école, loin de réduire les écarts entre élèves, semble géné-
ralement les accroître, et ce dès la maternelle1, qu’il est urgent de
comprendre le rôle que jouent les pratiques scolaires, alors même que
les enseignants ont le sentiment de s’épuiser à faire ce qu’il faut pour
aider les élèves.
L’objectif est ainsi d’analyser en quoi les pratiques scolaires (et non
seulement la pratique de l’enseignant à tel ou tel moment) peuvent parti-
ciper des difficultés scolaires et des difficultés d’apprentissage des
élèves. Ces difficultés pouvant certes relever d’un écart entre les attentes
de l’institution et ce que produisent les élèves spontanément, mais aussi,
et c’est cela qui nous intéresse, des habitudes scolaires et cognitives
construites dans le cadre même de la scolarité par les dispositifs de travail,
les pratiques scolaires et les discours pédagogiques de l’enseignant, et qui
participent de l’interprétation que l’élève fait des situations, du sens qu’il
donne à l’école (Bautier, 2005). De là la question : en quoi les modes de
travail scolaire actuels entraînent-ils des ambiguïtés dans la construction
des références et n’autorisent-ils pas plus que d’autres des fréquentations
socialement différenciées d’univers de savoir ainsi que des constructions
différentes de registre de travail pour les élèves ?
1. En attestent les évaluations nationales, mais aussi le suivi des élèves d’une classe à
l’autre, pour lesquels il y a rarement « rattrapage » des acquis non effectués et change-
ment de « postures » intellectuelles et langagières.
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2. L’« école de la Reproduction » fait référence aux travaux initiés par Pierre Bourdieu
et Jean-Claude Passeron avec l’ouvrage La Reproduction (1970).
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6. Le choix de ces supports étant souvent motivé pour les enseignants par des raisons
diverses (choix du thème, de la forme, de l’économie de l’écrit…) plus que par la perti-
nence dans l’avancée d’un apprentissage.
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L’IDENTIFICATION
DES OBJETS D’APPRENTISSAGE ET DES ENJEUX COGNITIFS
DES TÂCHES ET DES SITUATIONS
Pour l’enseignant, en situation idéale, les tâches qu’il présente,
les situations de travail qu’il construit correspondent à un apprentis-
sage spécifique, à une visée cognitive, voire à une hiérarchie dans une
pluralité d’apprentissages possibles. Certes, dans le cadre d’une péda-
gogie différenciée, cette visée peut ne pas être identique pour chacun
des élèves. Mais là n’est pas notre propos. Ce qui nous intéresse, c’est
le fait que tous les élèves n’attribuent pas à la tâche proposée la
même visée, sans que cette différence entre les élèves soit toujours
visible dans la production réalisée. Ainsi se creusent les écarts entre les
apprentissages des élèves.
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Enfin, peu familiarisés avec l’écrit et ses usages les plus élaborés, les
élèves peuvent résister aux activités leur demandant de constituer la
langue et ses usages en objets de description et d’analyse, de mobiliser
leur attention et leur intérêt sur les aspects formels du langage et des
discours qui mettent à distance le contenu référentiel des textes et
énoncés et les situations, autrement dit les usages quotidiens et peu
scolaires du langage (Bautier & Branca-Rosoff, 2002). En particulier, les
modalités actuelles de valorisation de l’expression et des échanges langa-
giers peuvent se faire au détriment d’un accent porté sur la métalangue
de la discipline. Dans le même sens, l’importance des « mots pour
dire » les savoirs, pour dire la nature des tâches cognitives propres à
l’apprentissage (qui devrait être partie prenante du contrat didactique)
est souvent minorée au motif des habitudes évoquées ci-dessus, minorée
également dans le discours de l’enseignant, qui peut se vouloir proche
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7. Pour le développement de ces notions, qui sont inhérentes au travail scolaire, voir
Bautier & Rochex, 2004 ; Bautier, 2005a ; Bautier, 2005b.
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Pour conclure
L’orientation des analyses que nous avons présentées vise à mettre
au jour la complexité des éléments situationnels et contextuels à prendre
en considération dans une démarche de compréhension des difficultés de
certains élèves, en particulier d’origine populaire, dans les apprentissages
scolaires. Elle permet d’identifier les raisons pour lesquelles des manières,
aujourd’hui largement dominantes, de faire la classe, de penser les appren-
tissages ne permettent pas pour autant à tous les élèves de s’approprier
ces derniers.
Nous n’avons pas ici développé des modes de faire des enseignants, plus
spécifiques de comportements individuels qui, même s’ils sont largement
partagés dans les classes hétérogènes, les conduisent à des adaptations
pour les élèves en difficulté. Ces adaptations vont souvent dans le sens
d’une modification des tâches à effectuer, plus procédurales pour ces élèves,
par exemple. Cette redéfinition des tâches pour certains élèves ne relève
pas d’une pédagogie différenciée mais, sans doute à l’insu des enseignants
eux-mêmes, d’une moindre exigence réflexive et cognitive pour les élèves
qui en auraient pourtant le plus besoin dans le cadre scolaire.
Bibliographie
Bautier É, « Formes et activités scolaires. Secondarisation, reconfiguration, diffé-
renciation sociale », in N. Ramognino & P. Vergès, Le Français hier et
aujourd’hui : politiques de la langue et apprentissages scolaires. Hommage à
Viviane Isambert-Jamati, Presses universitaires de Provence, 2005a.
Bautier É., « Mobilisation de soi, exigences langagières scolaires et processus de
différenciation », Langage et société, 2005b, n° 111, pp. 51-72.
Bautier É. & Branca-Rosoff S., « Pratiques linguistiques des élèves en échec
scolaire et enseignement », Ville-École-Intégration Enjeux, n° 130, Pratiques
langagières urbaines. Enjeux identitaires, enjeux cognitifs, 2002, pp. 196-213.
Bautier É., Bonnéry S., Terrail J.-P., Bébi A., Branca-Rosoff S. & Lesort B.,
Décrochage scolaire : genèse et logique des parcours, rapport de recherche pour
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Le cadre du métier
Roland Depierre
In/out
« Les enseignants exerçant dans le cadre des réseaux d’aides spécia-
lisées aux élèves en difficulté interviennent en complémentarité des
actions d’aides conduites par l’enseignant non spécialisé de la classe et
en concertation étroite avec ce dernier », nous rappelle le référentiel de
compétences 20041. Comment concevoir le cadre de nos dispositifs d’inter-
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2. Notre réflexion se limite aux seules actions conduites par les maîtres de l’option E,
sans aborder l’aide à dominante rééducative ni les interventions des psychologues scolaires
au sein des RASED, qui relèvent les unes et les autres de problématiques fort différentes,
mêmes si elles peuvent se conjuguer ou se succéder.
3. La Charte, B.O. n° 13, 26 novembre 1998.
4. Les personnels spécialisés des réseaux sont invités à travailler en étroite collaboration
avec les maîtres pour « mettre en œuvre une différenciation des réponses pédagogiques,
adaptée à la variété des besoins des élèves ».
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Le cadre du métier
liser les processus cognitifs appropriés, sur le lien entre le désir de savoir
et l’envie d’apprendre dans ces conditions, sur les effets d’une triangula-
tion à plusieurs faces ou pyramidale, sur les dispositifs d’évaluation et de
régulation, etc. Toutes ces références devraient être convoquées, mais
nous nous limiterons ici à essayer de mieux cerner la seule question du
cadre de leur ajustement dans sa complexité.
Un vieux dilemme
Les enjeux concernant la nature et la localisation du cadre (in/out ?)
nous ramènent au dilemme qu’ont connu les maîtres spécialisés, depuis
la création, en 1909, des classes de perfectionnement.
D’un côté, nous savons que « plus l’enfant peut intégrer sa difficulté
d’apprentissage à une lignée normale de scolarité, plus l’aide apportée
sera bénéfique » (Seknadje-Askenazi, 2003), qu’il faut tout faire pour
éviter la logique de ghetto, pour suspendre toute pratique stigmatisante
à l’égard d’élèves repérés comme en difficulté avérée et chronicisée. Aussi
devons-nous symboliquement et socialement les maintenir dans « la
lignée » du curriculum formel. Dans cette perspective, le cadre doit
s’effacer, devenir invisible, imperceptible ; certains pensent même qu’il
doit disparaître, mais ne réapparaît-il pas ailleurs autrement5 ?
D’un autre côté, nous devons avoir le courage d’affronter le paradoxe
de ces élèves qui n’apprennent pas dans les conditions ordinaires, qui
semblent « ne pas entrer dans les apprentissages » alors qu’ils baignent
dedans depuis des années. Des élèves qui vivent dans la classe, mais dont
le cadre-classe ne semble pas suffisamment bon pour qu’ils y réussissent,
des élèves pour lesquels le maître, garant des apprentissages et responsable
de la construction des situations didactiques, fait l’épreuve douloureuse et
répétée de l’impuissance didactique, pédagogique, voire éducative.
Impuissance qui est rarement renoncement, mais souvent culpabilisation
et angoisse face à l’éventualité d’un « Mozart assassiné ». Car, comme
dans toute question éthique, se heurtent principe – ici d’éducabilité – et
5. Rien n’illustre mieux cette tension que l’évolution de la CLAD depuis sa création en
1970. Instaurée pour la prévention des inadaptations comme alternative à la classe de perfec-
tionnement, elle va servir en fait de soupape pour éviter le redoublement du CP, puis
remplacer la classe de perfectionnement en alternative aux GAPP, puis au sein des RASED
en alternative au regroupement pédagogique d’adaptation. Vint ensuite le temps de
nouvelles improvisations avec les CLAD « ouvertes » et des dispositifs proches des classes
relais… Ainsi, la CLAD est toujours apparue comme une espèce dont la disparition
programmée était difficilement exécutoire…
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expérience de mise en œuvre. Depuis Kant, nous savons que l’on ne devient
homme que par l’éducation, et, depuis Ferry, que ce devoir envers soi-
même est un droit opposable. « C’est pourquoi, rappelle Meirieu, décider
– ou même accepter – de priver délibérément, ne serait-ce qu’un seul indi-
vidu, de la possibilité d’accéder aux formes les plus élevées du langage tech-
nique et artistique, à l’émotion poétique, à l’intelligence des modèles
scientifiques, aux enjeux de notre histoire et aux grands systèmes philoso-
phiques, c’est l’exclure du cercle de l’humanité, c’est s’exclure soi-même de
ce cercle. C’est en réalité briser le cercle lui-même et compromettre la
promotion de l’humain. » (Meirieu, 1998) Mais n’ignorant pas qu’il y a
loin de l’affirmation de principe à la réussite de l’action, Meirieu reconnaît
qu’« il faut viser le partage total des savoirs entre les hommes sans espérer
que la réussite survienne. Il faut même se battre jusqu’à la limite de ses
forces pour prouver que ce que nous savons impossible est quand même
possible. Plus exactement mais non moins difficilement, il nous faut prouver
que l’acte est possible même quand le résultat est impossible. »
Les maîtres spécialisés ont pour tâche de permettre à leurs collègues
d’échapper au tragique de cette entreprise obligatoire mais vaine, et de
construire un dispositif d’accompagnement spécifique qui permette à tous
les élèves de rester dans le cercle, malgré les forces centrifuges qui les
en écartent. Quelle forme prendra « l’accompagnement spécifique », où
se mènera « l’analyse approfondie » pour ces élèves dont « la situation
nécessite une attention plus soutenue6 » ? Dans quel « cadre » peut se
perpétuer la relation éducative et se tenir la situation didactique pour
éviter que le « cercle » se brise ?
Cette question, Alfred Binet se la posait déjà au début du siècle dernier :
« Il y a des élèves qui ne profitent pour ainsi dire jamais de l’enseigne-
ment donné en classe ; ils y restent aussi étrangers que les mendiants qui
vont l’hiver se chauffer dans notre musée du Louvre restent indifférents à
la beauté des Rembrandt. » Pour eux, estimait-il, « la pédagogie doit avoir
comme préliminaire une étude de psychologie individuelle » (Binet, 1911).
Mais il refuse le piège d’un enseignement individualisé dans le cadre d’une
éducation spéciale, car l’instruction et l’éducation ont pour but de faciliter
l’adaptation de chaque homme à un milieu commun. Au lieu d’une « péda-
gogie spéciale7 », il cherchera donc les conditions effectives de l’appren-
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Le cadre du métier
8. Binet construira le concept d’« anormal d’école » pour désigner l’élève en retard
dans ses apprentissages parce qu’il ne répond pas, à l’âge normal, aux « normes » scolaires
de son groupe d’âge, mais pour lequel nul, et surtout pas le maître, ne peut déceler d’autre
« anormalité », qu’elle soit physique ou psychique (vue, audition, intellection, etc.). Voir
Monique Vial, Les Enfants anormaux à l’école : aux origines de l’enseignement spécial, 1882-
1909, Paris, Armand Colin, 1991.
9. Comme Marie Duru-Bellat, dans « De quelques effets pervers des pédagogies diffé-
renciées », Éducations, janv.-fév. 1996. Celle-ci remet en question les résultats des pratiques
et dispositifs qu’elle appelle « différenciateurs », comme les groupes de niveau, le dispo-
sitif GAPP, les ZEP, etc.
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Le cadre du métier
Du cadre
Voici l’heure de Kévin, de Cynthia et d’Alexis. Le maître spécialisé
va chercher à l’entrée de leur classe ces trois élèves, dont « la prise en
charge » bihebdomadaire a été prévue pendant les 45 minutes qui précè-
dent la récréation. On entrouvre une porte jusque-là bien fermée.
Entrebâillement retenu comme un souffle jusqu’à ce que le maître de la
classe prenne conscience que le regard de la classe, brusquement silen-
cieuse, s’est détourné de son tableau pour observer le discret signal adressé
aux trois élus : « Kévin, Cynthia, Alexis, vous pouvez y aller. Vous finirez
la correction au retour de la récréation ! » Petit rangement qui fait une
longue attente. Et voici la petite troupe qui traverse couloirs, préaux et
cour pour rejoindre un petit local obtenu de haute lutte auprès d’une
municipalité économe des deniers publics.
Le cadre, que ces enfants connaissent mais dont tous leurs camarades
n’ont pas fait l’expérience, c’est d’abord un lieu à part de celui de la
classe, un temps pris sur le temps de la classe et un environnement parti-
cularisé, plus ou moins décoré, plus ou moins aménagé, où l’on peut
venir « respirer ». Le cadre, pour un maître spécialisé, c’est aussi un
lieu, un espace reconstruits à côté, de côté, mais pas sur le côté (négocié
auprès d’un directeur finalement compréhensif, mais qui aimerait bien
pouvoir y déposer quelques bricoles qui encombrent son propre
bureau…), c’est une organisation négociée de l’emploi du temps pour y
dégager une petite période repérable par l’élève, etc. Un cadre propre,
qui l’identifie et le distingue d’une classe de cours ordinaire, et dont la
négociation lui a permis de se faire reconnaître mais pas toujours de
se faire comprendre…
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Du latin quadrum (le carré), le mot cadre désigne aussi bien la bordure
d’un tableau qu’elle révèle par sa discrétion ou qu’elle orne par sa déco-
ration que l’armature de bois qui sert de soutènement aux galeries d’une
mine. Délimitation et contention. Structure visible par sa matérialité
bordante et sa force de maintenance quand il est cadre de travail et qu’il
synthétise les contraintes qui s’appliquent à une activité, le cadre s’efface
quand il devient cadre de vie pour désigner tout cet ensemble invisible
et symbolique qui forme le paysage d’une existence. Il peut se présenter
comme réalité immatérielle, comme cadre de référence10.
On peut simplifier en disant que la notion de cadre de regroupement
d’adaptation, comme organisation pédagogique spécifique11 au sein de
l’école pour mener un travail d’aide spécialisée, n’est ni un cadre de
travail, ni un cadre de vie ni un cadre de référence, mais un mixte formant
un cadre d’intervention 12 qui renvoie au moins à trois niveaux
d’analyse :
– Dans sa première dimension, le cadre désigne d’abord un horaire fonc-
tionnel et un espace géographique associé à une réalité architecturale :
quel local, dans quel lieu de l’école, de quelle dimension, quel parcours,
pendant quelle durée, selon quelles phases ? C’est le cadre que l’élève
peut décrire.
– Dans sa deuxième dimension, il renvoie à un ensemble de règles fonc-
tionnelles et de réalités techniques : depuis le contenu de l’armoire
jusqu’à la règle qui indique qui peut lire les dossiers, il marque bien, par
10. C’est le philosophe canadien Charles Taylor qui a forgé le concept de cadre de réfé-
rence pour comprendre le sens de nos positionnements moraux : « Il comprend un ensemble
de distinctions qualitatives déterminantes. Penser, sentir, juger à l’intérieur d’un tel cadre,
c’est agir avec l’idée que certaines actions, certains modes de vie ou certains sentiments
sont incomparablement supérieurs à d’autres qui nous sont plus aisément accessibles. », in
Les Sources du Moi, Paris, Le Seuil, 1998.
11. On pourrait la qualifier d’extra-ordinaire, par rapport à la classe qui est un cadre ordi-
naire : c’est un regroupement externe dont la règle de composition ne dépend ni de la
personne de ceux qui y appartiennent ni de la personne de ceux qui y enseignent, tandis
que la composition interne d’un groupe d’adaptation (RPA ou CLAD) est liée au profil indi-
viduel de ses membres, profil en contraste avec l’image modèle de l’élève moyen-ordinaire-
sans histoire.
12. Assumons le concept d’intervention. Inter-venir, c’est venir activement se placer entre,
se mettre en position de tiers pour agir. C’est une intervention qui vient en accompagne-
ment de l’élève dans son rapport au savoir, qui vient se mettre en tiers dans la relation du
maître vis-à-vis de l’élève en difficulté, ou encore en charnière entre l’élève comme sujet
épistémique et l’élève comme sujet social, car c’est souvent l’un qui ne permet pas à l’autre
de réussir. C’est pourquoi nous inscrivons nos missions dans les métiers de la relation.
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les objets qu’il contient comme par les règles et les procédures qui assu-
rent son fonctionnement, les missions qui lui sont confiées. C’est ce cadre
qui fait l’objet de l’accord du projet d’école-réseau.
– Mais on ne saurait oublier une troisième dimension qui est à la fois
sociale et symbolique13. Qui entre dans ce cadre est défini comme « en
difficulté » s’il est élève, comme « spécialisé » s’il est maître. Un cadre
confère statut et définit des pouvoirs/devoirs. C’est cet aspect qui suscite
la réticence des parents quand on souhaite obtenir leur autorisation. Mais
il est aussi un cadre de référence, non seulement déontologique, mais
aussi pédagogique car il requiert un positionnement éthico-professionnel
qui recouvre une hiérarchisation des valeurs et des distinctions qualita-
tives déterminantes. C’est à travers cette dernière dimension que nous
allons traiter les questions touchant à la conception, à la construction et
à l’évaluation du cadre d’intervention du dispositif d’aides à dominante
pédagogique14.
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Déconstruire le cadre ?
De nombreux reproches sont adressés au cadre, que nous ne
pouvons ici qu’évoquer. D’abord d’être un cadre dont les trois dimensions
se neutraliseraient ou se perturberaient. La dimension sociale d’intégra-
tion contre la dimension symbolique d’exclusion, la dimension fonction-
nelle de soutien contre la dimension architecturale d’écartement, etc.
Faire « sortir les élèves de la classe » pour mieux les faire « rentrer
dans les apprentissages » serait un leurre. Il ne s’agirait que d’un voyage
sans retour : on les emmènerait se perdre dans la forêt. D’autres critiques
portent sur les deux premières dimensions.
La première porte sur la valeur des effets de nos actions et de nos
interventions et sur notre dérive procédurale. On nous interpelle sur
l’opacité des procédures d’indication d’aide et de construction de projets
d’aides spécialisées. Comment construire des projets suffisamment précis
et validés pour garantir leur efficience et leur efficacité, en tenant compte
cependant du caractère évolutif de la relation d’aide qui s’y joue ?
La deuxième porte sur notre rapport à l’école et au travail scolaire,
et nous interpelle sur l’orientation de notre travail de remédiation. Nos
démarches de « détour » pour permettre à l’élève de se reconstruire
comme élève-acteur peuvent être perçues comme des dérives. Comment
opérer des détours qui ne soient pas des perditions ?
La troisième touche au rapport à la parole de l’enfant et à la dérive
thérapeutique dans l’usage de la parole comme catharsis. « Donner la
parole à l’élève », est-ce perdre son temps ? Comment pratiquer une
écoute qui ne soit pas une compréhension laxiste ?
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Le cadre du métier
16. Païedeïa (le pédagogique) ou éducation scolaire : celle qui consiste à sortir l’enfant
de l’éducation sociale et familiale pour l’envoyer dans un cadre spécifique, l’école, où il
s’élève par la culture savante de son temps. Au lieu d’entrer dans la vie et de se former
par le jeu et l’expérience, il entre dans le monde des citoyens et des hommes libres par
l’acquisition de savoirs culturels liés à l’écriture et d’habiletés spécifiques de haut niveau.
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aux activités. Or, tous les travaux récents le montrent, les élèves qui réus-
sissent le moins bien dans leurs apprentissages scolaires sont ceux qui ont
une vision scolaire et consumériste du rapport au savoir17 comme réussite
aux activités et succès aux exercices scolaires. Ces faits ne sauraient pour
autant légitimer la moindre ambiguïté à l’égard de la légitimité de la culture
scolaire et de ses modes de transmission, car certains de nos élèves peuvent
espérer nous embarquer dans une connivence voire une conspiration anti-
scolaire. Construisons un cadre pour une aide pédagogique, qui marque
notre distance par rapport à la vie (la question du « vécu » plutôt que
du « su ») ou envers les seuls « événements » que sont les échecs ou
réussites aux épreuves scolaires.
17. B. Charlot, Du rapport au savoir : éléments pour une théorie, Paris, Anthropos, 1997 :
« Le rapport au savoir est une relation de sens, et donc de valeur, entre un individu et les
processus ou produits du savoir. »
18. Invoquer l’écoute psychanalytique, est-ce une dérive qui ferait passer subrepticement
de la difficulté scolaire de l’élève au trouble psychique de l’enfant ? À la naïveté de l’action
par la parole viendrait s’ajouter la vanité de l’acte de soin ? Pourtant, nos écoutes se distin-
guent profondément de celles des psychothérapeutes, en particulier par leur cadre. Elles
visent à permettre à l’élève de modifier son jugement sur le savoir scolaire, sur son maître,
de pratiquer « l’intégration psychologique » au sens de Winnicott : assumer comme siens
les sentiments négatifs qu’il nourrit à l’égard de l’institution scolaire pour lever les résis-
tances qui l’empêchent d’apprendre. Néanmoins, ce soupçon nous oblige à mieux préciser
le cadre de nos interventions.
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Le cadre du métier
relation d’aide telle qu’elle fut modélisée par Carl Rogers dans l’entre-
tien d’aide (empathie, congruence) que certains remettent en question.
La non-directivité de l’entretien ne serait-elle pas une sorte de laisser-
faire/laisser-dire qui, au nom d’une éthique de la compassion et de l’hospi-
talité, ferait fi de l’avenir scolaire de l’élève, au risque d’un enfermement
dans l’émotionnel présent ou dans le réactionnel passé ? Le choix d’un
lieu d’intervention séparé, hors la classe, d’un temps décalé, en rupture
avec la situation vivante d’apprentissage, et la place accordée à la parole
plutôt qu’à la performance scolaire viendraient confirmer, pour ces
critiques, cette « dérive » psychologisante. Qu’en est-il de la place réel-
lement donnée à la parole de l’élève dans le dispositif d’aide et quelle
ressource apporte-t-elle à l’élève qui éprouve une difficulté à exercer son
« métier d’élève » ? Ce questionnement a le mérite de mettre en exergue
les difficiles conditions de passage d’une logique de l’assistanat (où l’enfant
est objet d’assistance) à une logique d’aide où l’élève est sujet. Comment
éviter l’installation d’une relation de dépendance qui reste une menace
permanente pour le travail d’aide spécialisée et peut faire obstacle à la
reconstruction d’un positionnement d’apprenant-acteur ?
Déconstruire n’est pas démolir : c’est repérer les composants cachés
d’une réalité qui se montre autant qu’elle se dissimule. Engager le dialogue
sur « le cadre de notre métier », c’est d’abord montrer que nous n’avons
rien à cacher, c’est aussi mieux cerner les obstacles que rencontrent nos
interventions, mais c’est surtout oser assumer les « qualités déterminantes
de notre cadre de référence », comme dirait Taylor.
Politique d’inclusion
D’abord confirmer que l’aide spécialisée s’inscrit dans une politique
d’inclusion à l’égard d’enfants qui vivent des processus d’exclusion. En
effet, un élève en grande difficulté à l’école n’est pas seulement un élève
qui échoue dans une ou plusieurs des activités, ce n’est pas non plus un
élève qui ne parvient pas à stabiliser des compétences apparemment
acquises, ni à maîtriser les codes du métier d’élève : c’est un élève qui,
d’une certaine façon, consciente ou non, se soustrait à l’éducation comme
« institution des enfants ». Derrière tout élève en grave difficulté19 se
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20. Aider en réseau, brochure AIS de l’IA de l’Indre-et-Loire, commission FNAME, spéci-
ficité du maître E.
21. « Une mission de prévention des difficultés d’apprentissage et une mission de remé-
diation aux difficultés persistantes d’acquisition ou d’adaptation à l’école, en accompagne-
ment et en complément des mesures de différenciation prises par le maître de la classe et
l’équipe pédagogique, auprès d’élèves en situation de difficulté scolaire grave. », Référentiel
des compétences caractéristiques d’un enseignant spécialisé du 1er degré, Annexe 1 du B.O.-HS
n° 4, 26.02.2004, p. 29.
22. Circulaire RASED, B.O., n° 2002-113.
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Mais est-ce une remédiation qui répond aux besoins particuliers de tout
élève23, en particulier de ceux qui nous sont confiés ? La remédiation, en
tant qu’elle vient après l’échec des dispositifs d’aide méthodologique, de
différenciation et de soutien, est une action nouvelle qui concerne un réap-
prentissage des éléments de base non assimilés, et souvent une nouvelle
tentative après une « médiation » inappropriée, voire après un soutien
qui ont mis l’élève en difficulté, pas seulement parce qu’il les vit comme
un « acharnement pédagogique », une tâche complémentaire qui lui
demande une énergie psychique supplémentaire, mais aussi parce qu’ils
viennent exacerber la zone inflammatoire de la relation pédagogique, rela-
tion fragilisée avec le maître et au sein du groupe classe. Si tel est le cas,
la réévaluation de la pertinence de la situation didactique et du niveau de
l’épreuve, avec l’analyse critique de la médiation, nous font passer à une
étape différente de la rupture du contrat didactique. Un nouveau contexte
se crée en effet, avec le risque de voir remettre en question la valeur de
ce que fait le maître dans sa classe. En proposant « un réajustement » in
situ, le maître spécialisé ne se glisse-t-il pas subrepticement dans la peau
du maître-expert spécialiste, voire d’un conseiller pédagogique24 ? Et par
son intervention intrusive et précoce, ne met-il pas en péril un travail ulté-
rieur et spécifique avec les élèves en grande difficulté scolaire ?
Ne faut-il pas que cette remédiation s’opère dans un espace, un temps
différents, avec un ensemble de consignes et de contraintes qui soient
complémentaires mais aussi distanciées par rapport à celles des média-
tions proposées par le maître ? C’est ce moment et ce lieu de « reprise »
pour les élèves en difficulté que cherchent à établir les regroupements
pédagogiques extra-muros. Comment concevoir le rapport de la relation
d’aide avec la situation pédagogique initiale, qu’il s’agisse d’observation,
de mise en situation de travail, de dialogue avec l’élève, d’évaluation ou
de transfert ?
23. « Ce n’est pas en soi le diagnostic qui détermine le choix de l’aide, mais la nature des
besoins de l’élève », rappelle le nouveau référentiel, B.O. n° 4, D.2004-13 du 05.01.2004, p. 27.
24. Pour de nombreuses raisons que certains IDEN ne veulent pas comprendre, la fonc-
tion de conseil par le maître spécialisé à l’endroit du maître garant des apprentissages est
incompatible avec les dispositifs d’aide pour leurs élèves. Elle en fait éclater le cadre.
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ce titre d’une culture qui est née dans l’enseignement spécialisé, dont ce
fut toujours la mission générale. Celui-ci doit jouer son rôle dans les actions
qui sont centrées sur des besoins repérés des élèves sans ignorer ni doubler
les actions hors de son champ d’intervention. C’est le domaine où se mani-
feste la plus grande créativité des RASED, même si les contraintes d’emploi
du temps ne laissent pas aux maîtres spécialisés le temps qu’ils aimeraient
pouvoir y consacrer. Bien conduites, elles ont des effets de contagion péda-
gogique et favorisent le partenariat équipe d’école/RASED pour l’affine-
ment des protocoles de remédiation. De nombreux travaux, y compris les
mémoires du CAAPSAIS, illustrent cette prolifération.
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Conclusion
Les cadres d’intervention ne sont pas faits pour être transgressés,
car ils doivent « tenir » les maîtres autant que les élèves auxquels ils
sont destinés, même quand ils sont invisibles. Leur diversité doit permettre
de répondre aux besoins particuliers d’élèves aux profils différents, selon
des démarches différentes. L’école, dans sa lutte contre la difficulté
scolaire, et les aides spécialisées aux élèves en situation de difficulté avérée
doivent joindre et conjoindre leurs efforts, mais reconnaître la spécificité
de leurs dispositifs respectifs. On le voit, « la place des réseaux dans la
vie des écoles reste encore largement à construire33 ».
Comment accroître l’efficacité des réseaux et favoriser par les écoles
la prise en compte des problèmes des élèves en grande difficulté ? Depuis
quelques années le climat a changé. D’insensibles glissements de pers-
pective ont modifié nos approches qui, soit attribuaient cette difficulté à
33. Rapport Gossot, Les Réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté, IGEN, 1996.
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Bibliographie
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DEUXIÈME
PARTIE
Le partenariat : outil
du maître E ?
ou comment tisser des liens
pour faire réussir les élèves ?
Corinne Mérini
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1. Tel qu’il est analysé et traité dans le sous-groupe de recherche coordonné par J.-F. Marcel
au sein du réseau international « Observation des pratiques enseignantes » (OPEN).
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TRAVAILLER EN ÉQUIPE
Parler de « travail en équipe » a le mérite d’insérer cette action collec-
tive dans le champ du travail et donc dans celui d’un métier. Dans les
textes officiels mais aussi scientifiques (Zay, 1994), il est usuel de posi-
tionner le « travail d’équipe » à l’intérieur des murs de l’école et de
situer le « partenariat » à l’extérieur de ceux-ci. En ce qui nous concerne,
nous préférons situer la distinction dans le degré de cohésion du travail
collectif, l’équipe étant plus cohésive que l’action partenariale. Cette
distinction intérieur/extérieur et le travail en équipe marquent plus des
appartenances à des communautés professionnelles et des frontières orga-
nisationnelles qu’une différence de nature de relation.
Le suffixe -ariat désigne un système, une organisation qui peut se situer
à l’intérieur ou être en relation avec l’extérieur de l’école ou de la commu-
nauté. Avec Friedberg (1993), on peut aborder le travail en équipe comme
le partenariat sous l’angle de l’action organisée dans ses dimensions socio-
logiques. Dans le cadre de l’éducation spécialisée, le travail collectif est
une manière de mobiliser des systèmes de ressources et d’intérêts autour
d’un problème commun ; ici, la réussite scolaire des élèves. Au plan théo-
rique, l’analyse stratégique des sociologues des organisations (Crozier,
Friedberg, 1977) est sans doute l’une des plus pertinentes pour comprendre
l’agencement de ces différences, qui mêle des systèmes d’intérêts très
différents, voire divergents. En effet, les partenaires n’ont pas, a priori,
vocation à agir ensemble et à produire des effets communs. Qu’est-ce qui
lie ainsi une municipalité, la justice, des enseignants, le secteur médico-
social et les parents en dehors de la réussite des élèves ? Le problème
commun est conçu à partir de systèmes d’intérêts différents (ce qui peut
être source de tensions) : la paix sociale pour les uns, les apprentissages
et la transmission de savoir pour les autres, mais aussi le développement
personnel et la réussite de leur enfant pour les parents.
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Ainsi, pour que la structure cellulaire (la classe) puisse fonctionner avec
et pour les élèves en difficulté, le travail enseignant doit être élargi au
travail conjoint et laisser place à la relation partenariale.
LA RELATION PARTENARIALE
Les trois dimensions de la relation partenariale
Pour le maître E, la relation partenariale se décline essentiellement
dans la relation aux pairs, aux parents, aux acteurs sanitaires et sociaux
et, quoique de manière plus contestée, aux élèves eux-mêmes. Comme
l’a fait apparaître l’analyse étymologique, cette relation est complexe et
paradoxale. Elle est constituée de trois dimensions caractéristiques :
– une dimension de monopole ;
– une dimension de concurrence ;
– une dimension de complémentarité.
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UN TRAVAIL EN RÉSEAU
Partant de ce constat, nous avons modélisé ces structures par la
typologie dite des réseaux d’ouverture et de collaboration (ROC1). Nous
avons pu, en effet, caractériser trois types de réseaux à partir de leur forme,
de leur durée, de leur enjeu et du type d’ouverture qu’ils agencent.
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binaire ; son enjeu est de former, ce qui suppose une durée suffisante
(au minimum 6 ou 7 semaines). C’est sans doute la configuration la plus
classique en matière d’aide à la réussite, puisqu’il s’agit du groupement
d’adaptation, mais on peut l’imaginer également sous des formes de travail
diversifiées associant un maître ordinaire, un maître E, un directeur
déchargé, un maître BCD, etc. afin d’organiser des groupes de niveau, de
remédiation, etc., selon les choix et les possibilités locales.
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Mais il nous faut aussi rendre compte des obstacles et des conditions
de réussite d’un travail qui cherche à tisser des liens pour « faire
apprendre » et « faire réussir les élèves ».
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En préambule
Une réunion, pour quoi faire ? La réponse doit permettre de dégager
clairement les enjeux pour définir ensuite les objectifs de la réunion,
l’ordre du jour et déterminer les indicateurs de réussite de cette réunion
(nombre de présents, décisions prises, moyens/autorisation obtenus, etc.).
Les invitations
• Qui est concerné ? Qui sera invité ? Quand ? Où ? Combien de
temps ? Si l’on veut espérer la présence de chacun, il est indispensable
de rendre les choses possibles, que le créneau horaire soit acceptable et
que l’on connaisse à l’avance la durée de la réunion. L’idéal est de fixer
le calendrier et de ritualiser les rencontres dès le début d’année.
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La préparation de la réunion
• Rassembler les informations nécessaires aux prises de décisions.
• Relancer ceux qui n’ont pas répondu un peu avant la réunion.
• Constituer des dossiers pour les participants avec les informations
nécessaires au traitement des points de l’ordre du jour ; faire une liste
des invités avec leurs fonctions et leurs coordonnées ; prévoir de quoi
boire ou « grignoter ».
• Le jour même, s’assurer de la disponibilité des locaux, de la disposi-
tion de la salle, de la présence du matériel de rétroprojection, de paper
board, de feutres, etc.
• Prévoir des feuilles pour les prises de notes, la feuille d’émargement,
etc.
La conduite de réunion
• Respecter impérativement les horaires annoncés et donc commencer la
réunion même s’il manque quelques retardataires, pour finir à l’heure dite.
• Rappeler les intentions de la réunion et les phases antérieures s’il y
en a eu.
• Rappeler clairement le ou les objectifs de la réunion.
• Commencer la réunion en faisant systématiquement un tour de table
(il y a toujours des nouveaux !) ; désigner la personne chargée de la prise
de notes et du compte-rendu.
• Travailler les points de l’ordre du jour en répartissant le temps équi-
tablement si les questions sont de valeur égale ou en accordant plus ou
moins de temps aux points ayant une importance inégale.
• Noter les décisions prises.
• Garder quelques minutes pour les rappeler en fin de réunion ; prendre
rendez-vous pour une prochaine rencontre et en donner les perspectives.
Le compte-rendu
• Il permet de rendre compte des objectifs, des résultats des débats et
des décisions, de la tonalité des débats et des perspectives à envisager.
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LA STRUCTURATION DE LA COMMUNICATION
Nous avons pu constater que les systèmes de communication sont
les grands absents du travail collectif mené par les écoles, voire qu’ils
inspirent une certaine méfiance. Les équipes répugnent, disent-elles, à
« se vendre ». Une directrice à qui nous demandions comment elle s’y
prenait pour faire circuler les décisions prises lors d’une concertation diffi-
cile se déclara surprise d’avoir créé des tensions entre les enseignants en
les informant au fur et à mesure qu’ils entraient dans la salle des maîtres.
Les premiers se sentant « investis d’un message » ou « mieux aimés »
que les derniers. Ainsi, si travailler collectivement permet de prendre des
décisions renouvelées supposées plus efficaces à résoudre les problèmes,
ce travail collectif induit des formes organisationnelles encore peu maîtri-
sées par les enseignants et qui élargissent les contours de leur profes-
sionnalité en illustrant par là le passage du métier d’enseignement au
métier d’enseignant. De ce point de vue, le maître E en tant que « maître
sans classe » est un maître en quelque sorte « a-classé. » Si ce néolo-
gisme marque à la fois une position particulière liée à l’absence de classe,
il marque aussi un risque de marginalisation. Cette situation singulière
dans le système peut constituer une force si son travail est tissé avec celui
de ses collègues et partenaires, mais aussi une grande faiblesse s’il est
isolé de la dynamique collective de travail. La communication et les
échanges avec ses partenaires sont indispensables pour entretenir le
contrat de collaboration.
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En conclusion
Nous avons vu que le travail conjoint est fondé sur une relation
partenariale. Relation qui est complexe et paradoxale et dont les dimen-
sions de monopole, de concurrence et de complémentarité se régulent grâce
au contrat de collaboration qui unit les partenaires dans l’action commune.
L’action conjointe permet de mettre en relation des acteurs et des pratiques
à partir de réseaux qui peuvent être définis par leur forme, leurs enjeux,
leur durée et l’ouverture qu’ils aménagent. À l’intérieur de ces réseaux, la
mise en synergie des pratiques se fait selon deux modes caractéristiques
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Bibliographie
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Groupe de recherche d’Écouen, Former des enfants lecteurs de textes, Paris,
Hachette, 1991.
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L’enfant en difficulté :
comment lui permettre
de passer de la dimension blessée
à l’ouverture sur l’avenir ?
Jeanne Moll
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L’enfant en difficulté
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L’enfant en difficulté
l’enseignement général vers cette autre voie ? Est-ce que je conçois l’aide
à dominante pédagogique comme un apport, voire comme un don de ma
personne destiné à me mettre en avant, ou bien comme une démarche
visant à autoriser l’élève barré dans son désir à redémarrer, à se remettre
en route vers les apprentissages ?
Et comment est-ce que je me situe dans l’établissement, par rapport
aux collègues qui enseignent dans les classes entières ? et par rapport
aux parents ? Mes conseils à leur égard ne sont-ils pas parfois sous-tendus
par le désir orgueilleux de leur en remontrer, de leur donner à entendre
que je sais mieux qu’eux ?
J’ai évoqué brièvement le rôle fondateur, au début de la vie, du regard
de l’Autre primordial. Nous en sommes toujours à quêter intimement
son acquiescement, au sein de la famille comme dans le milieu profes-
sionnel : chacun de nous souhaite faire ses preuves aux yeux des autres
– et à ses propres yeux –, car nous ne cessons d’avoir besoin de la recon-
naissance d’autrui – tel l’air pour respirer, disait M. Balint (1988) – pour
nous sentir exister.
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L’enfant en difficulté
Je ne suis pas en train de plaider pour que les maîtres E jouent avec
les enfants – ce qui est du ressort d’autres spécialistes –, mais pour qu’ils
prennent le temps de tisser avec eux des liens de confiance tels qu’ils se
sentent pleinement, totalement acceptés, avec leurs blessures et leurs
lacunes. Il est intéressant de relever que Le Monde de l’éducation de
septembre 2006 consacre un dossier à la confiance en soi, clé de la réus-
site. De même, les Cahiers pédagogiques de ce même mois publient
plusieurs articles sur le sujet : comme si l’on découvrait enfin et de
manière concrète que l’on n’apprend pas qu’avec sa tête, mais avec tout
son être et que l’on n’apprend pas tout seul, mais avec le soutien et le
regard positif d’autrui, ainsi qu’en témoignent, depuis longtemps, les
travaux du CRESAS et de l’AGSAS.
Il est vital que les élèves en difficulté se sentent étayés, vitalisés, portés
par la foi en leurs aptitudes cachées que leur témoignent des enseignants.
Certes, il leur arrivera de mettre cette foi à l’épreuve pour tester la fiabi-
lité des adultes ; mais, un jour, si l’on ne cesse d’être attentif à eux, si
on leur fait don de temps et de présence, ils pourront mettre leur
angoisse entre parenthèses et s’aventurer dans le champ de la réalité exté-
rieure ; ils pourront oser aborder un texte écrit par un autre sans se
sentir menacés ; ils oseront, par exemple, se saisir des mots de la langue
pour jouer avec eux et trouver à la fois sens et plaisir à leur maniement…
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L’enfant en difficulté
2. Voir l’article « La maison n’est jamais loin », Je est un autre, n° 16, pp. 38-43.
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élèves en difficulté, mais ils ont parfois tendance à croire qu’avec ces
antécédents, rien n’est plus possible. Ils se résignent donc, soulagés malgré
tout que des maîtres spécialisés consentent à s’occuper de ceux qu’ils
pensent secrètement irrécupérables. Or, nous l’avons vu, l’enfant ressent
le poids des regards dépréciatifs, voire méprisants, sans parler des paroles
dégradantes qui lui sont parfois adressées. Elles ne font que renforcer sa
mauvaise image de soi et alimenter le sentiment de sa non-valeur, tant
personnelle que familiale et scolaire.
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L’enfant en difficulté
Les contes et les mythes fascinent les enfants car ils viennent du fond
des temps tout en posant les questions essentielles sur l’origine du monde,
le devenir des humains, le mystère de la souffrance et du mal, l’énigme de
la mort. Nous connaissons tous les livres de Serge Boimare dans lesquels
il raconte comment il a pu apprivoiser des jeunes en grande difficulté,
envahis par toutes sortes d’angoisses, en leur lisant des contes de Grimm
– « contes de crimes » –, un roman de Jules Verne, des récits de la Bible
et de la mythologie grecque. En s’appuyant sur les hypothèses de S. Boimare,
Rémi Casanova montre à son tour, dans un petit livre extrêmement riche
et documenté, comment il s’y est pris dans sa classe spécialisée pour mobi-
liser la curiosité des élèves, après avoir mis en place les conditions d’une
revalorisation narcissique basée sur un renforcement positif de chacun.
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L’enfant en difficulté
Bibliographie
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Pierre Périer
1. Décliné, par exemple, à travers des objectifs tels que « faciliter la communication
avec les familles », « ouvrir l’école aux parents » ou avec des actions comme « la semaine
des parents à l’école ».
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2. Toutes ont au moins un enfant scolarisé au collège. Très souvent, elles en ont égale-
ment un au niveau élémentaire. Pour une partie d’entre elles, il s’agit d’écoles et d’établis-
sements en zones d’éducation prioritaire (ZEP). Pour le détail des enquêtes, voir Pierre
Périer, École et familles populaires. Sociologie d’un différend, Rennes, PUR, 2005.
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Autrement dit, les familles les plus éloignées de l’école sont soumises à
un processus d’acculturation parfois coûteux au regard de leur mode d’être
et de faire, de leur manière de se reproduire dans leur identité et leur
devenir. Les familles qui possèdent « le moins », en termes de richesses
économiques ou de capital culturel scolairement rentable, développent un
rapport à l’école fait d’espérance et de dépendance mêlées. Une enquête
récente montrait ainsi que les familles ouvrières ne se différencient guère
du reste de la population quant aux types de métiers visés pour leurs enfants
(Poullaouec, 2004). Enseignant, médecin, vétérinaire, ingénieur ou encore
avocat sont parmi les plus cités, ce qui signifie que ces familles ont progres-
sivement « rattrapé » les modèles qui prévalaient dans les classes domi-
nantes. Objet d’investissements importants, l’école entretient des ambitions
parfois démesurées au regard des scolarités réelles et des conditions néces-
saires (de durée, de parcours, de mobilisation) pour accéder aux métiers
visés. Elles s’apparentent parfois à des formes d’irréalisme scolaire et annon-
cent, sur fond de méconnaissance du système éducatif, le désenchantement
consécutif aux espérances de promotion et de mobilité déçues.
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7. Adoptée en juillet 1989, la loi d’orientation stipule, entre autres, que les parents sont
membres de la communauté éducative. Celle-ci « rassemble les élèves et tous ceux qui,
dans l’établissement scolaire ou en relation avec lui, participent à la formation des élèves »
(article 11).
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8. Robert Ballion a esquissé une typologie des différents états de la relation entre l’usager
et l’école, en distinguant, selon un ordre d’apparition historique, l’usager contraint et admi-
nistré situé dans un rapport de soumission à l’institution dont il dépend ; l’usager abstrait
ou citoyen qui se voit accorder des droits et une représentation au sein d’établissements
scolaires adoptant des principes de représentation démocratique au service de l’intérêt
général ; enfin, l’usager averti puis stratège, c’est-à-dire capable de faire des choix informés
et rationnels au regard des intérêts scolaires de sa progéniture. Voir Ballion R., La Démocratie
au lycée, Paris, ESF, 2002.
9. Selon une définition proposée par Paul Durning in Éducation familiale. Acteurs,
processus et enjeux, Paris, PUF, 1995, p. 198.
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UN PARTENARIAT INÉGAL
Ce paradoxe d’une plus grande difficulté de partenariat avec les
parents d’élèves en difficulté interroge sur les conditions implicites du
partenariat (Comment devient-on partenaire ?), sur les fonctions effecti-
vement remplies par ce mode de régulation et d’ajustement des relations
entre les familles et l’école (À quoi sert-il ?) et, en définitive, sur les béné-
ficiaires réels de l’ouverture de l’école en direction des parents (À qui
cela profite-t-il ?).
Certes, des travaux ont montré que l’implication des parents de mino-
rités ethniques ou des groupes les plus dominés et démunis, y compris
sous la forme d’une simple présence dans l’enceinte de l’école et de
quelques contacts avec les enseignants, était de nature à changer les
perceptions réciproques, à relier symboliquement les mondes scolaire et
domestique, à donner du sens aux apprentissages (Clark, 1983 ; Chauveau
& Rogovas-Chauveau, 1992). Il n’en demeure pas moins que les parents
des classes moyennes seraient, du fait d’une plus grande proximité sociale
avec les agents de l’institution scolaire, les premiers bénéficiaires d’une
offre de partenariat opérant sur un mode qui leur est plus familier
(Henriot-van Zanten, 1996). Parce qu’il requiert des familles des disposi-
tions et des ressources culturelles inégalement partagées, l’accès à ce mode
de relation s’adresse implicitement à des usagers avertis et aptes à satis-
faire, par le biais d’une connivence culturelle et de codes partagés, les
critères pour s’afficher en « bon parent » et, précisément, en parent
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10. Pour une clarification des termes de « famille », « parent » et « parent d’élève »
ainsi qu’une analyse de leurs usages, voir Glasman D., « “Parents” ou “familles” : critique
d’un vocabulaire générique », Revue française de pédagogie, n° 100, 1992b, pp. 19-33, et
Périer P., École et familles populaires, 2005. Indiquons simplement que le rapport à l’école
implique une conversion au sein des familles afin de transformer les enfants en élèves et
faire que les parents se comportent en « parents d’élèves ».
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11. Récemment, la menace de suppression des allocations familiales pour cause de compor-
tement « déviant » au regard des règles et normes scolaires est venue rappeler le contrôle
éducatif que l’État entend exercer, à travers l’école, sur les familles.
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– Une seconde logique met l’accent sur les critiques que les familles
font à l’égard des enseignants, avec, en toile de fond, une scolarité diffi-
cile et parfois déjà compromise. La critique se nourrit alors d’un certain
ressentiment et se déploie principalement sous trois registres : l’élitisme
scolaire, le manque d’autorité, la discrimination sociale ou ethnique. L’un
des griefs porte, en effet, sur l’élitisme des enseignants ou l’élitisme de la
culture scolaire portée par les enseignants. Les savoirs enseignés sont jugés
peu pertinents au regard des métiers visés. De même, l’ampleur des devoirs
à la maison est vécue comme une façon de mettre les enfants en diffi-
culté puisqu’ils ne pourront pas être aidés (sans parler des conditions maté-
rielles au domicile). Les parents reprochent également aux enseignants de
manquer d’autorité (les enseignants faisant ce même reproche aux parents).
Les parents disent que les professeurs ne se comportent pas comme des
adultes face aux élèves et ils ne comprennent pas toujours la proximité
dans les relations entre enseignants et élèves, les modes de communica-
tion et d’échange faits de proximité et de complicité (tutoiement, échanges
téléphoniques, individualisation des « règles »…). Enfin, ils redoutent
qu’un traitement aux accents discriminatoires, sur une base sociale et
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12. Voir aussi Léger A. & Tripier M., Fuir ou construire l’école populaire ?, Paris, Méridiens
Klienscksieck, 1986.
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qui a longtemps prévalu dans les relations entre le maître d’école et les
familles qui se côtoyaient de manière informelle dans les espaces de
sociabilité ordinaire ou au travers des activités de leur commune de rési-
dence. À bien des égards (mais sans nostalgie), ce mode d’échange spon-
tané, dégagé de la contrainte programmatique des rendez-vous et des
effets de domination induits par une rencontre dans l’école, a semblé
mieux accordé aux conditions sociales d’existence des familles populaires
et à leur rapport d’intérêt et de méfiance mêlés aux institutions sociales
et éducatives (Thin, 1998).
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Conclusion
Aborder les difficultés d’apprentissage de l’enfant, son comporte-
ment de passivité ou d’indiscipline en classe, c’est toujours s’engager au-
delà des aspects purement scolaires et déplacer subrepticement le regard
vers l’éducation fournie par les parents. Qu’ils soient jugés à distance ou
convoqués pour aborder les problèmes rencontrés par l’enfant, les parents
s’exposent alors à apparaître incompétents, « dépassés » ou démission-
naires. Si le renforcement du lien entre l’école et les familles peut préven-
tivement éviter la mésentente et lever les différends, postulant par ailleurs
ses retombées bénéfiques sur l’investissement scolaire des élèves, il ne
revêt pour autant, sous la forme actuelle du partenariat, aucun caractère
d’évidence. Car l’école exige sans le dire un travail d’acculturation et de
mise en conformité des parents, inégalement dotés et disposés pour
s’inscrire dans le modèle du dialogue, de la participation et de la complé-
mentarité de rôles valorisé par les enseignants. Ainsi, ouvrir l’école aux
parents, et avec les meilleures intentions, ne suffit pas pour que tous vien-
nent et peut avoir précisément pour effet de faciliter la participation et
parfois l’intrusion des parents les plus proches de l’institution (Meirieu,
1999). En ce sens, plutôt que de déplorer l’absence de certaines familles
et ses supposées conséquences sur la scolarité des enfants, l’analyse nous
invite à reconsidérer le modèle du partenariat et, sans en abandonner le
principe, à inventer et à construire des formes du lien plus proches des
intérêts des familles qui en bénéficient le moins.
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1. Rappelons que corrélation statistique ne signifie pas relation de causalité (Cf. B. Charlot,
E. Bautier et J.-Y. Rochex, 1992). Pour éclairer la différence entre corrélation et causalité,
on peut prendre l’exemple de la corrélation statistique entre l’apprentissage de la lecture
en un an, pour un enfant, et le fait d’habiter une maison ou un appartement doté d’une
salle de bain. Le lien de causalité conduirait à dire que le fait de prendre une douche le
matin fait apprendre à lire ! S’il y a fort probablement un rapport entre cette caractéris-
tique de l’habitat et l’apprentissage de la lecture, il ne saurait être de causalité. Il passera
par la situation sociale, économique et culturelle de la famille, par des pratiques familiales,
et finalement par une plus grande familiarité entre les pratiques familiales et celles de
l’école… Il s’agit donc de construire la chaîne de médiations qui relie les deux éléments de
la corrélation.
2. Pierre Bourdieu (1989) parle pour sa part de « miraculés sociaux » et Jean-Pierre
Terrail (1985) de « transfuges de classe ».
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dette et de trahison : la dette envers les parents qui ont contribué à cette
réussite scolaire (se devant encore d’être monnayée sur le marché du
travail), mais également la trahison, puisqu’ils ont été obligés de « nier »
l’héritage familial pour réussir à l’école… Sans oublier la fierté et la souf-
france des parents : la fierté, bien sûr, de voir leurs enfants réussir, mais
aussi la souffrance de les voir s’éloigner culturellement de leur univers
d’origine, de voir se distendre les liens affectifs3.
Par ses travaux pionniers, Jean-Pierre Terrail a ouvert de nouvelles pistes
de recherche. Par la suite et dans un esprit voisin, d’autres chercheurs,
comme ceux de l’équipe ESCOL4, ont travaillé à repérer et à analyser plus
étroitement les médiations qui permettent de mieux comprendre ce
qui relie le fait d’appartenir à tel milieu familial et social et le fait de
réussir (ou d’échouer) à l’école, en interrogeant notamment le rapport
que les élèves entretiennent au savoir et à l’école, le sens qu’ils trou-
vent à apprendre, leurs façons de travailler, ce qui se noue entre expérience
scolaire et projets familiaux, etc. L’enjeu de recherche est ici de comprendre
les constructions sociales et scolaires des inégalités, c’est-à-dire de saisir et
d’analyser la part que prend le « social » (les formes et les modalités
concrètes de la socialisation familiale) et la part que prend l’école (ses
modes de fonctionnement, ses choix pédagogiques, ses pratiques ordinaires
de transmission des savoirs) dans la production de ces inégalités, car il s’agit
aussi de répondre à cette question pratique et cruciale pour les enseignants :
comment permettre à tous les élèves d’acquérir à l’école ce que certains ont
déjà acquis dans la famille ? Les cas de réussite exceptionnelle en milieu
populaire obligent à mieux penser la confrontation entre ces deux univers
de pratiques que sont la famille (au sens large) et l’école, à mieux penser
les liens de réciprocité et les effets qui en découlent.
Tenter de comprendre ces situations atypiques constitue un véritable
défi pour les sociologues de l’éducation, « un mystère à élucider », selon
l’expression de Bernard Lahire (1994 et 1995).
L’étude de l’atypisme scolaire5 peut constituer pour les enseignants une
source de réflexion sur ce qui permet de parler de « réussite » ou d’« échec »
3. Voir l’équivalent littéraire des histoires de transfuges analysés par Terrail dans l’œuvre
d’Annie Ernaux, en particulier ses premiers livres : Les Armoires vides, Paris, Gallimard, 1974 ;
La Place, Paris, Gallimard, 1983, etc.
4. Désormais réunis autour d’Élisabeth Bautier et de Jean-Yves Rochex.
5. L’atypisme scolaire concerne également les « échecs paradoxaux » des enfants issus
de milieux socioculturels privilégiés. Les études sur ce sujet sont plus rares. Citons cepen-
dant les travaux de Carole Daverne (2003).
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6. Sans doute faudrait-il spécifier, beaucoup plus qu’il n’est possible de le faire ici, ce
que l’on entend par le vocable « populaire ».
7. C’est encore souvent le cas dans certaines familles de milieux populaires et/ou immi-
grées. On sait par exemple que l’inactivité des femmes originaires du Maghreb (qui tend
d’ailleurs à persister) est beaucoup plus fréquente que chez les natives du Portugal.
8. Dans un contexte de développement de l’éducation et d’expansion continue des scola-
rités, il faudrait se demander, pour les différents milieux sociaux, quels effets produit le travail
de la mère (ou son inactivité) sur l’histoire scolaire de son enfant. Nous pensons, comme bien
d’autres, que face à l’investissement croissant des familles dans la scolarité de leurs enfants,
l’école, comme la société, a assigné aux mères un rôle de plus en plus actif dans leur capa-
cité à préparer leurs enfants aux exigences et aux attentes de l’institution scolaire.
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sion dans ledit dossier) peut être aussi bien employée du tertiaire
qu’employée de services9, ce qui ne renvoie absolument pas à la même
réalité, en terme, notamment, de « bonne volonté culturelle »10, au sens
où Pierre Bourdieu l’emploie (1979).
On sait, par ailleurs, que le travail d’enquête du sociologue demande
de manière générale le concours et la confiance de l’enquêté, et qu’il
consiste aussi « à donner les moyens à ce dernier de dire des choses qui,
sans lui, ne trouveraient pas (ou mal) le chemin de leur mise en visibi-
lité » (Bernard Lahire, 2005). Autrement dit, il s’agit pour le chercheur
d’aider l’enquêté à « accoucher » de son expérience, tâche d’autant plus
délicate qu’on touche de près à la question identitaire lorsqu’on interroge
des élèves sur leur réussite scolaire exceptionnelle ; des élèves qui, de plus,
ont souvent tendance à s’autoattribuer spontanément leur réussite
scolaire11, gommant du même coup les dimensions sociales de celle-ci.
9. Et que dire des « employées » des centres d’appel, qui ont souvent un niveau de
diplôme égal ou supérieur à bac + 2, mais qui n’en constituent pas moins une sorte de
nouveau « prolétariat », en raison des fortes contraintes auxquelles elles sont assujetties ?
10. Même si l’on sait que depuis les années 1960, la mobilisation des parents à l’égard
de l’école a considérablement augmenté dans tous les milieux sociaux, et, tout particuliè-
rement, dans les milieux populaires.
11. Nous faisons ici référence à la théorie de « l’attribution ». Celle-ci définit l’attribu-
tion comme un processus cognitif mis en œuvre dans les explications que les gens, dans la
vie quotidienne, avancent de leurs propres comportements et de ceux d’autrui. On sait que
la tendance est plutôt à l’autoattribution quand il nous arrive quelque chose de gratifiant
et plutôt à l’hétéroattribution (à la mise en accusation de l’autre et/ou de l’environnement
social) dans le cas inverse.
12. Ce « marché (noir) scolaire », comme le disent les sociologues, trouve ses origines
dans le recul des régulations nationales, dans la montée en puissance du consumérisme
scolaire au fil des ans et dans la diversification croissante de l’offre d’éducation en prove-
nance des établissements. Pour autant, en France, le service public d’éducation n’en est pas
(encore) au stade où il serait « piloté » par la demande parentale (et celle des entreprises),
comme dans les pays anglo-saxons.
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16. Les travaux réalisés sur l’immigration portugaise en France révèlent une sociabilité
de type communautaire qui s’exprime avec discrétion, à tel point qu’à propos des Portugais
de France, Albano Cordeiro (P. Dewitte, 1999) intitule son article : « Les Portugais, une
population “invisible” ? ».
17. Il faut souligner l’importance de la foi catholique et l’attachement aux cultes tradi-
tionnels (autour notamment de la figure de Fatima) comme autant de facteurs structurants
de l’identité.
18. Ces familles immigrées gardent avec le Portugal des liens étroits qu’elles cultivent
par des allers et retours réguliers.
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19. Voir l’enquête sur les populations d’origine étrangère de Michèle Tribalat (1996).
20. Voir les travaux de Yaël Brinbaum (2002).
21. Concernant notre terrain d’enquête, c’est à partir du matériau recueilli (entretiens
semi-directifs auprès des mères de famille et observation d’indices dans l’espace domestique
familial) que nous avons notamment reconstruit ces deux configurations familiales.
22. Il ne s’agit pas, par cette formule, de réduire la vie d’Antonia à un principe unique
qui résumerait l’ensemble de ses modes de pensée et d’agir, mais plutôt de mettre en
lumière, à partir du discours produit, la ou les dominantes qui apparaissent de façon récur-
rente et qui sont significatives de ce qui se joue dans le rapport à la scolarisation.
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23. Selon la mère, il se contentait de signer les bulletins sans trop savoir dans quelle
classe elle se trouvait.
24. Le nombre réduit d’entrées à l’université était une question de notoriété et renfor-
çait la valeur sacrée du savoir.
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(J.-Y. Rochex, 1995). Dans la famille de Gisela, envisager que les enfants
se déplacent dans une autre ville pour suivre leurs études, c’est les auto-
riser à s’approprier une autre place sociale, c’est leur permettre d’opérer
des choix dans l’espace des possibles, de réaliser des expériences qui dépla-
cent les frontières symboliques tracées par l’histoire migratoire.
Si, dans la famille de Gisela, l’école est désormais vue à travers le
prisme des « études » (mot récurrent tout au long de l’entretien), si elle
est devenue un moyen d’ascension sociale, il n’en va pas de même dans
la famille d’Antonia. L’école est perçue comme importante, sans doute
parce qu’elle permet d’accéder aux apprentissages de base comme lire et
écrire, mais surtout parce qu’elle permet d’inaugurer une première sortie
de la précarité. Lorsque nous lui avons demandé si l’école en France était
différente du Portugal, Antonia répond : « Oui, la langue est différente et
l’école est différente, tout le monde est obligé d’y aller, c’est déjà une grande
chose et déjà à ce moment-là au Portugal, l’école était obligatoire. La première
chose que j’ai fait ici, c’est mettre mes enfants à l’école… »
25. Nous parlons surtout de la génération de parents arrivés dans les années 1960-1970.
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26. C’est dans la mise en mots et dans le recours à des catégories du langage qu’il est
possible de saisir les modes de pensée.
27. Rappelons que Gisela a été en partie élevée par un prêtre, son oncle. Au Portugal,
devenir prêtre a longtemps été le moyen de faire des études.
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pation majeur. D’abord, parce que le travail et, par suite, les gains produits
donnent sens à la trajectoire et à l’histoire migratoire tout autant qu’aux
projets qui y sont liés, comme, par exemple, celui d’épargner pour pouvoir
acheter une maison au Portugal. Ensuite, parce que le travail incarne un
certain nombre de valeurs et de qualités : « Le travail est lui-même la
valeur dominante, valeur des valeurs. Issu de la morale et des valeurs
religieuses, il s’en libère pour se constituer lui-même comme fondement
de l’éthique moderne », écrit Roger Sue (1994). Et on observera aussi que
pour ces deux familles, la socialisation des enfants passe par l’inculcation
d’une morale autour de la question du travail28… Mais il existe néan-
moins une différence importante entre la famille d’Antonia et celle de
Gisela. Au sein de cette dernière, les valeurs associées au travail, telles
que l’effort, le sacrifice, la persévérance, seront mobilisées comme
ressources au service du travail scolaire. « Ah, ils travaillaient ! Ah oui, oui,
oui ! », s’exclamera-t-elle à propos des devoirs à la maison. Chez cette
mère de famille, il y a l’idée que le travail procure, au-delà des bénéfices
d’ordre pécuniaire, des bénéfices subjectifs comme la satisfaction d’accom-
plir son devoir, la fierté et le plaisir que l’on éprouve devant la recon-
naissance des autres, qu’il s’agisse de la famille élargie ou des enseignants.
Plutôt que d’imposer sa volonté à ses enfants, Gisela explique le bien-
fondé de ses attentes, elle incite à la prise de conscience, elle joue sur
leur libre arbitre : « C’est pour vous. Si vous faites les devoirs, demain le
professeur va être content. Moi, on ne m’a pas laissé faire des études malheu-
reusement. Vous, vous pourrez faire ce que vous voulez. Vous travaillez ou
vous ne travaillez pas, c’est à vous de choisir. Ou alors vous allez faire comme
moi femme de ménage. Qu’est-ce que vous voulez que je fasse ? Papa travaille
dans le chantier. C’est à vous de choisir. Antonio me disait : “Papa gagne
bien sa vie ! Moi je m’en fous d’aller dans le chantier. – Mais c’est dur,
Antonio ! – Et l’école, tu penses que ce n’est pas dur ? – C’est à toi de voir,
tu choisis.” » Ce passage laisse bien entendre la violence de l’expérience
vécue (« Et l’école, tu penses que ce n’est pas dur ? »). Non seulement
Antonio doit se montrer à la hauteur des sacrifices (y compris financiers)
de ses parents, mais il doit aussi se montrer à la hauteur des réussites
scolaires de ses sœurs (d’après les dires de Gisela, les enseignants ne se
privent pas de jouer cette carte…). Dans ce contexte, les enfants doivent
intérioriser les enjeux d’une réussite scolaire grâce à leur travail,
sans jamais oublier que le travail détermine la condition de l’immigré.
28. Rappelons brièvement que la société traditionnelle portugaise initiait très tôt l’enfant
à des modes d’apprentissage liés à l’univers et à une culture du travail.
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ont toujours travaillé de droite à gauche, et ils ont de bonnes paies quand
même. » Nous apprenons aussi qu’Antonia et son mari ont préparé très
tôt leurs enfants au monde du travail : « On allait avec les enfants… avant
qu’ils aillent à l’école… faire des ménages dans une entreprise, ça les a habi-
tués à travailler tout jeunes. »
On retrouve ici un milieu à forte structuration communautaire où la
socialisation de l’enfant se réalise en apprenant sur le tas et par imita-
tion des adultes. Mais, surtout, pour Antonia, le devenir et à bien des
égards la réussite des enfants passe par un équilibre à trouver entre travail,
mariage et maison. C’est sur un ton ferme qu’elle prononce ces paroles :
« Que chacun trouve du travail, que chacun a commencé à travailler, que
chacun continue sa vie, se marie, qu’ils achètent une maison. » C’est bien
dans cet ordre, dans cette linéarité qu’elle énonce les trois grands événe-
ments qui font sens pour elle, en tant que destin humain à reproduire
chez les enfants. Et ce modèle de réussite fait partie intégrante du projet
migratoire, avec ses objectifs d’amélioration des conditions de vie et
d’achat d’une « maison de rêve »29. Celle-ci, en tant qu’objet symbolique
et social (voire « œuvre », au sens fort, quand la maison a été conçue
et construite de leurs mains par les propriétaires), concrétise la réussite
pour les générations futures. La mobilisation économique de la famille,
entièrement tournée vers l’acquisition d’une maison, traduit une volonté
tenace de s’extraire non pas de leur milieu d’origine, mais de leur milieu
social précaire. C’est pourquoi les enfants doivent apprendre à devenir
« travailleurs » et à « se débrouiller » (à user de « dispositions pragma-
tiques », comme le dirait B. Lahire, 1995), pour que ces savoir-faire et
ces savoir-être soient ensuite mobilisés dans leur vie. C’est bien, du moins,
pour cette génération d’immigrés portugais, la continuité d’un modèle de
socialisation qui oppose volontiers socialisation scolaire et socialisation
familiale, le monde de l’école et la « vraie vie ».
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Conclusion
Si ces deux études de cas mettent en évidence les influences « socia-
lisatrices » familiales sur les parcours scolaires des enfants, nous savons
peu de choses sur la manière dont ces derniers ont tiré profit de l’école
et des situations d’apprentissage auxquelles ils se sont vus confrontés.
S’agissant de questions aussi complexes que celles de l’« échec » et de la
« réussite » scolaires, il nous semble important de rappeler que la seule
socialisation familiale ne peut expliquer les destins scolaires de ces deux
familles. Précisons également que l’exemple de « réussite paradoxale »
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30. Nous pensons plus particulièrement à cette lycéenne portugaise, en forte réussite
scolaire et scolarisée dans un lycée « d’élite », qui lors de l’entretien raconte non sans fierté
que lorsqu’elle était enfant, son père (niveau d’étude primaire) s’est mis à prendre des cours
du soir (remise à niveau 3e) pour être capable, plus tard, de mieux l’accompagner dans sa
scolarité.
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avec les origines quand il s’agit aussi de maintenir une continuité de son
histoire. Cette sociologie n’oublie pas, en référence aux travaux de Pierre
Bourdieu, que l’élève évolue dans un univers des possibles socialement
marqué (qui n’est évidemment pas le même pour le fils d’un médecin à
Neuilly ou pour le fils d’un maçon d’origine immigrée à Argenteuil), mais
elle va plus loin en s’efforçant de mieux comprendre la manière dont
s’effectue la scolarité de l’élève comme expérience de confrontation
aux savoirs et à l’apprendre, au monde, aux autres et à lui-même,
qu’il traverse et interprète. Elle contribue autrement dit à tisser des liens
entre des apports théoriques anciens et d’autres plus récents, de façon à
pouvoir mieux analyser les processus à l’œuvre, leurs logiques et leurs
interdépendances dans la construction de la réussite ou de l’échec scolaire.
Des processus complexes certes, mais dont l’étude permet d’appréhender
les multiples médiations ou pratiques de toutes sortes (sociales, familiales,
enseignantes autant qu’individuelles) par l’intermédiaire desquelles les
élèves sont construits et se construisent.
L’étude de réussites scolaires d’élèves de milieu populaire invite les
enseignants à porter leur attention sur ce qui se produit entre l’univers
familial, social et culturel de l’enfant et l’univers des savoirs et des acti-
vités d’apprentissage de l’école. L’objectif étant alors de les aider à
repenser ou à mieux identifier les rapports qui se nouent entre l’école et
l’enfant, tous deux pris dans des enjeux et des situations d’apprentissage.
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130
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En quoi la collaboration
entre maître de classe
et maître E a-t-elle un effet
sur leurs pratiques et sur
les élèves « peu
performants » ?
Marie Toullec-Théry
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En quoi la collaboration entre maître de classe et maître E a-t-elle un effet sur leurs pratiques… ?
Cadre de la recherche
LE CADRE THÉORIQUE
L’objectif global de la recherche menée auprès de maîtres de classe
et de maîtres E consiste à repérer et à analyser les actions et les contraintes
didactiques liées à chaque pôle (regroupement d’adaptation et classe).
Pour ce faire, nous avons emprunté à la didactique des mathématiques
quelques concepts clés, notamment le « contrat didactique » et le
« milieu4 spécifié » (Brousseau, 1998). Pour décrire les pratiques des
enseignants, nous avons pris en compte trois dimensions (Sensevy et al.,
2000) qui orientent l’action du professeur :
– la topogénèse, qui décrit les places et les territoires respectifs du profes-
seur et des élèves ;
– la chronogénèse ou l’avancée du temps didactique5 ;
– la mésogénèse, qui concerne l’organisation et l’aménagement du
milieu. En effet, dans toute situation d’enseignement/apprentissage, le
professeur va introduire dans le milieu (par exemple, la situation offerte
aux élèves), au fil de la séance, des éléments qui pourront provoquer
l’accélération du temps didactique (ainsi, pour faire avancer le savoir, le
professeur peut interroger un élève dont il sait qu’il aura la réponse
attendue ou réaménager le milieu en introduisant un élément nouveau).
Se dessinent, dans ce contexte, des places particulières (topoi) : généra-
lement, le maître questionne, un élève répond ou le professeur prend des
décisions qui lui donnent une position surplombante. Ces catégories seront
des analyseurs de l’action professorale que nous utiliserons dans cet article.
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ME6 et MC7 travaillent dans une école située dans la banlieue privilé-
giée d’une grande ville. Elles sont l’une et l’autre expérimentées, mais
travaillent ensemble seulement depuis la rentrée précédente (l’implanta-
tion du réseau d’aides aux élèves en difficulté, sur cette partie de la
circonscription, est récente). C’est aussi une première pour MC, qui,
jusqu’alors remplaçante, n’a jamais eu l’occasion d’avoir de relations de
travail suivies avec un maître E.
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En quoi la collaboration entre maître de classe et maître E a-t-elle un effet sur leurs pratiques… ?
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les difficultés observées chez ces élèves ». Dans les faits, MC demande régu-
lièrement à ME de retravailler certaines situations d’apprentissage de
classe où les élèves ont échoué. MC pense en effet que pour aider effi-
cacement des élèves présentant des difficultés d’apprentissage, « le
premier critère, c’est pas un critère affectif, dans le sens où les élèves se
sentent intégrés dans un groupe classe, ça va être aussi que ça réponde à
leur questionnement du moment en fait ». MC émet donc des attentes en
termes d’apprentissages, apprentissages intimement connectés à ceux de
la classe.
Si cette dyade s’accorde à collaborer à propos des difficultés des élèves,
le maître de classe attend de manière explicite que le maître E apporte
une expertise et des réponses en termes d’apprentissage au sein du regrou-
pement d’adaptation. Si les attentes au sein de la dyade ne sont pas les
mêmes, il pourrait alors y avoir dissonance, voire désaccord entre le
discours de collaboration et les pratiques effectives.
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En quoi la collaboration entre maître de classe et maître E a-t-elle un effet sur leurs pratiques… ?
8. Ici, le terme « classe » est aussi à prendre au sens de « groupe », dans le cadre du
regroupement d’adaptation.
9. Les objectifs de ce projet ont évolué au fil du temps. La première étape concernait
la numération. Puis s’est décidée une deuxième étape, qui s’intéressait à la fois à la construc-
tion du nombre, à la numération de position, aux techniques opératoires. ME, au moment
de la séance filmée, met en œuvre la troisième étape et travaille la compréhension des
énoncés de problèmes (langage mathématique, utilisation des opérations, procédures).
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La séance
MC propose aux deux élèves la situation des « rectangles », issue du
livre Ermel CE2 sur les calculs multiplicatifs10. À partir d’un quadrillage
(un rectangle de 12 carreaux sur 77), l’objectif est de mettre en évidence
que compter le nombre de carreaux des deux dimensions du rectangle et
effectuer leur produit est une procédure performante pour trouver le
nombre total de carreaux du rectangle11.
La situation originale est la suivante : « Trace un trait rouge pour
obtenir un rectangle de 444 carreaux. » Marie et Martine disposent du
« même habillage », mais MC a adapté la situation au binôme et a
« juste modifié les nombres, de 444. J’ai mis 48 pour que ce soit plus facile
10. J. Colomb, ERMEL CE2, Paris, Hatier, 2001, pp. 219-223. Dans le manuel, on peut lire
les objectifs suivants :
– utiliser des écritures multiplicatives dans des situations de produits de mesures ;
– savoir utiliser la multiplication pour trouver le nombre d’éléments d’une configura-
tion rectangulaire ;
– savoir résoudre des problèmes de division liés à cette configuration (sans connaître la
technique opératoire) ;
– élaborer des procédures personnelles de résolution de problèmes de division et les
améliorer.
11. Ainsi, pour obtenir un rectangle de 48 carreaux, l’élève doit tracer un rectangle de
12 carreaux sur 4 carreaux.
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En quoi la collaboration entre maître de classe et maître E a-t-elle un effet sur leurs pratiques… ?
pour elles deux, sinon elles n’y arriveraient pas ». Cette conjoncture est
fréquente chez cette enseignante. En effet, elle dit que lorsque les
« prérequis » sont absents, « du coup, on revient à des objectifs anté-
rieurs ».
La situation « les rectangles » correspond à une situation idéale pour
MC car, pour cette dernière, toute situation doit permettre de faire en
sorte que les élèves soient « confrontés tout le temps à des problèmes ».
Pour aider à une meilleure compréhension, elle est très attentive à « avoir
une consigne très précise pour qu’ils [les élèves] aient une représentation
très précise de l’attente ». Elle essaie également de toujours « les ramener
à : “Qu’est-ce que tu as pensé ? Qu’est-ce que tu penses ?” ». Elle agit ainsi
de manière usuelle, quels que soient les élèves auxquels elle s’adresse.
Elle propose, en effet, la situation « les rectangles » aux deux élèves peu
performantes de la même façon qu’elle la présentera en classe. Il n’y a
pas d’autre adaptation que la simplification des variables numériques.
Elle se dit ne pas avoir utilisé le guide du maître parce que « c’est une
situation que je connais bien et qui est simple à mettre en œuvre […], surtout
quand [les élèves] travaillent en groupe, y en a toujours un qui réussit à
trouver la solution ». D’expérience, elle souligne que la situation « n’a
pas posé de problème. Les élèves arrivent tout de suite à s’organiser dans le
rectangle. Ils commencent par compter les cases et en binôme arrivent à
trouver en tâtonnant le plus souvent […] et, tout de suite, y a des élèves qui
ont vu qu’il y avait 12 carreaux en largeur et que ce côté-là allait leur servir.
Ils ont essayé par des additions 12 + 12 + 12, mais c’était dur. Elena, je crois
que c’est elle, a trouvé très vite 12 x 10 = 120 ; 12 x 20 = 240 et par tâton-
nement, elle a trouvé le nombre de lignes ».
MC n’aborde pas davantage les enjeux de savoirs de cette situation.
Elle reste très générale et parle du programme en mathématiques plutôt
que de la situation elle-même. À cette période de l’année, pour les CE2,
le travail en mathématiques concerne la multiplication : « On a déjà fait
un travail sur les paquets de bonbons, un paquet de 5 bonbons, 20 paquets
de 15 bonbons. On a déjà travaillé sur une autre image, une autre repré-
sentation mentale. Donc, là, c’est une nouvelle parce que j’ai vu que la
première n’était pas acquise. » MC veut donc mettre en œuvre « un travail
de représentation mentale, d’une multiplication, à savoir que j’ai remarqué
que la plupart de mes élèves étaient opérants sur la technique, mais avaient,
pour certains, une difficulté à se représenter la situation ».
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L’analyse de l’épisode
MC a donné la fiche support de la situation à Marie et à Martine,
et leur a demandé de faire l’exercice en suivant la consigne. Aucune des
deux fillettes n’a obtenu le résultat attendu. S’ensuit un dialogue (ques-
tions de l’enseignante/réponses des élèves), qui tente, à partir de la
consigne, de définir et, ainsi, de comprendre la situation.
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En quoi la collaboration entre maître de classe et maître E a-t-elle un effet sur leurs pratiques… ?
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celle qui ne sait pas (tdp 111). Elle ne réaménage pas la situation en deman-
dant, par exemple, une description de la situation ou une reformulation-
explicitation de la consigne. Pourtant, les énoncés des élèves montrent
une non-compréhension de la structure de la phrase : « Tracer un trait
rouge pour obtenir un rectangle de 48 carreaux » (tdp 99) devient, chez
les élèves : « Un trait de 48 carreaux » (tdp 105) et « Ça veut dire qu’on
va tracer 48 carreaux là aussi et là aussi » (tdp 110). Elles ne semblent
pas prendre en compte « pour obtenir », dont le sens leur échappe sans
doute. Comme l’obstacle ne s’estompe pas, MC simplifie à nouveau la
situation (première simplification lors de la préparation de la séance :
passage de 444 à 48 ; seconde simplification au cours de l’action : passage
de 48 à 6 carreaux). Or cette simplification de la situation entraîne, dans
les faits, un changement de situation (il est impossible de tracer un trait
rouge pour faire un rectangle de 6 carreaux).
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En quoi la collaboration entre maître de classe et maître E a-t-elle un effet sur leurs pratiques… ?
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L’analyse de l’épisode
Voici l’énoncé du problème n° 8 qu’a lu Marie : « Quel nombre
obtient-on si on retranche 5 à 9 ? » Dès la présentation de la situation,
un problème surgit autour de la signification du terme « retrancher »16.
16. Notons que participent à ce regroupement deux autres élèves, Tom et Tiphanie,
élèves d’une autre classe de CE2.
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En quoi la collaboration entre maître de classe et maître E a-t-elle un effet sur leurs pratiques… ?
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gement du milieu ne permet pas l’autonomie des élèves qui n’ont aucun
moyen de contrôler l’exactitude ou l’inexactitude de leurs propositions.
– Elle ne s’appuie pas sur une situation de référence (issue du regrou-
pement et de la classe) qui « débloquerait » la situation.
ME se retrouve alors dans une impasse due :
– au peu de cohérence de la situation (Comment résoudre une situa-
tion qui nécessite la maîtrise d’un certain vocabulaire alors qu’il est
inconnu ? Pour réussir cette situation, il faut en effet connaître la défi-
nition du terme « retrancher ». Or les éléments de l’énoncé ne sont pas
suffisants pour inférer le sens de ce mot : si ME n’apporte pas la défi-
nition, la résolution ne peut alors passer que par la devinette…) ;
– au manque d’analyse a priori de la situation : ME n’a pas anticipé
les obstacles potentiels relatifs à la situation et ne peut, dans l’urgence,
y faire face ;
– à l’aspect concret de la situation, qui mène les élèves « hors champ »
mathématique (« retrancher » est perçu comme le fait de trancher à
nouveau…).
Les élèves, qui ne peuvent résoudre cette situation de manière auto-
nome, ne sont alors que dans le désir de l’adulte.
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En quoi la collaboration entre maître de classe et maître E a-t-elle un effet sur leurs pratiques… ?
Si chacun agit dans « son coin » et soumet les élèves à deux temps
didactiques, le risque existe que l’élève échoue dans les deux pôles :
comment alors lui permettre de se réassurer ? Se pose aussi la question
du lien entre classe et regroupement : comment l’élève peut-il recon-
textualiser en classe des apprentissages effectués en regroupement d’adap-
tation si le maître de classe n’aide pas l’élève à faire des liens ? La
non-connaissance réciproque des situations utilisées en classe et en regrou-
pement n’aide pas à l’articulation, à une cohérence explicite, à une mise
en perspective des apprentissages.
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En quoi la collaboration entre maître de classe et maître E a-t-elle un effet sur leurs pratiques… ?
Maîtres
Maîtres E
de classe
Nb. cit. Fréq. Nb. cit. Fréq.
Un objet qui est travaillé en même temps
1219 44,4 % 5 10,6 %
en classe
Un objet qui a déjà été travaillé en classe
et acquis par la plupart des autres élèves 8 29,6 % 27 57,4 %
(reprise d’apprentissage)
Un objet qui n’a pas été abordé en classe 1 3,7 % 2 4,3 %
Un objet qui n’a pas de lien particulier avec
6 22,2 % 13 27,7 %
ce qui est fait en classe
Total 27 47
19. Le tableau est à lire comme suit : 12 des 27 maîtres de classe interrogés pensent que
le maître E aborde en regroupement un objet d’apprentissage qui est travaillé en même
temps dans la classe.
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revendiquent en effet un travail sur des objets anciens (57,4 %), non acquis
par les élèves éprouvant des difficultés (donc des temps didactiques
séparés, celui du regroupement courant toujours après celui de la classe),
donc une reprise d’apprentissage ; alors que cette attente est nettement
moins importante chez les maîtres de classe (29,6 %).
Ces réponses non congruentes sont-elles le signe d’un manque de savoirs
relatifs à ce qui se passe dans l’autre pôle ou touche-t-on du doigt des
genres professionnels dont les représentations de ce qu’est une aide sont
opposées ? Dans ce cas, une collaboration peut-elle être envisagée ?
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En quoi la collaboration entre maître de classe et maître E a-t-elle un effet sur leurs pratiques… ?
Maîtres
Maîtres E
de classe
Jamais 1 3,7 % 0 0%
Total 27 47
Maîtres
Maîtres E
de classe
Rencontres formelles Nb. cit. Fréq. Nb. cit. Fréq.
Non réponse 0 0% 2 4,3 %
Avant la mise en œuvre du projet 17 47,2 % 42 89,4 %
Une fois par mois 11 30,5 % 8 17 %
Moins d’une fois par mois 2 5,5 % 1 16,7 %
À la fin du projet d’aide 6 16,7 % 33 70,2 %
Jamais 0 0% 1 2,1 %
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En quoi la collaboration entre maître de classe et maître E a-t-elle un effet sur leurs pratiques… ?
à le faire, ou même que c’est à faire, que cette exigence demeure très
largement implicite et opaque, aux yeux même des enseignants pour
lesquels ces changements de statut et de registre vont de soi » (Bautier
& Rochex, 2004).
22. Nous qualifions cette épistémologie de pratique « parce qu’elle a des conséquences
pratiques, elle est directement ou indirectement agissante dans le fonctionnement de la
classe ; elle est pratique parce qu’elle est produite en grande partie par la pratique, dans
la confrontation aux causalités que le professeur pense identifier dans celles-ci, et dans les
habitudes de perception et d’action cristallisées dans les tâches au moyen desquelles il
enseigne ; elle est pratique parce que, même si elle est en grande partie non intention-
nelle, elle est produite pour la pratique, comme réponse générique aux multiples problèmes
qu’elle révèle » (Sensevy, 2006).
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Bibliographie
Bautier E. & Rochex J.-Y., « Activité conjointe ne signifie pas significations parta-
gées », Raisons éducatives, n° 8, 2004, Bruxelles, De Boeck.
Bautier E. & Goigoux R., « Difficultés d’apprentissage, processus de secondari-
sation et pratiques enseignantes : une hypothèse relationnelle », Revue fran-
çaise de pédagogie, n° 148, 2004, pp.89-100.
Brousseau G., La théorie des situations didactiques, Grenoble, La Pensée sauvage,
1998.
Brousseau G. & Centeno J., « Rôle de la mémoire didactique de l’enseignant »,
Recherche en didactique des mathématiques, vol 11, n° 2-3, 1991, pp. 167-210.
Butlen D., Peltier-Barbier M.-L. & Pézard M., « Nommés en REP, comment font-
ils ? Pratiques de professeurs d’école enseignant les mathématiques en REP.
Contradictions et cohérence », Revue française de pédagogie, n° 140, juillet-
août-septembre 2002.
Conne F., « Pouvons-nous parler d’une didactique des mathématiques de l’ensei-
gnement spécialisé ? », Actes de la Xe école de didactique des mathématiques,
Houlgate, ARDM, 1999.
156
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En quoi la collaboration entre maître de classe et maître E a-t-elle un effet sur leurs pratiques… ?
157
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Modalités de collaboration
entre maîtres E
et enseignants non spécialisés
Christine Brisset
et
Christine Berzin
L’ aide aux élèves en difficulté est un vaste sujet qui, avant de faire
l’objet de l’étude que nous présentons ici, nous a successivement préoc-
cupées en tant qu’enseignantes, psychologues et formatrices d’ensei-
gnants spécialisés. Dans le cadre de cette contribution, nous nous
intéresserons à l’aide apportée par le maître E en complémentarité du
maître de la classe. À la différence d’autres articles de cet ouvrage rela-
tifs à la collaboration entre les maîtres E et leurs collègues, notre travail
ne se situe pas dans un cadre de référence didactique et ne s’appuie pas
sur des observations in situ, mais sur les dires des protagonistes de l’aide
avec un objectif directement lié à la formation. Notre objectif vise ensuite
à dresser un état des lieux du fonctionnement des RASED (Réseau d’aides
spécialisées aux élèves en difficulté) dans le département de la Somme,
en vue d’une réflexion sur les contenus et les modalités de formation.
Cette aide apportée à un certain nombre d’élèves est en effet spécifique :
elle est développée par un membre du réseau en complémentarité du
maître de la classe. Nous avons donc entrepris d’étudier, dans une
recherche-action (Brisset, Berzin, Villers & Volck) menée dans le cadre
d’un appel d’offres de l’IUFM de l’académie d’Amiens, les modalités de
collaboration, que ce soit dans les textes ou dans les paroles, en parti-
culier entre le maître E et l’enseignant non spécialisé. Dans un premier
temps, nous avons démarré notre étude par une analyse des textes offi-
ciels récents (Gossot, 1996 ; Goigoux, 1997 ; Ferrier, 1998 ; circulaires
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albums… L’année dernière, ils travaillaient sur le cirque, j’ai suivi leur projet
de cycle, ça m’a permis de travailler avec des albums, de développer des jeux
qui étaient faits par les enfants et qui étaient ramenés en classe. Et là, c’est
sûr, il y avait une vraie mise en valeur… » Les bilans réalisés font l’objet
en premier lieu d’une analyse en conseils de cycle. Cette analyse débouche
sur la constitution de groupes de besoins pouvant réunir des élèves de
classes différentes. L’aide apportée s’inscrit par ailleurs dans un thème de
travail commun à l’ensemble du cycle tout en répondant aux objectifs
spécifiques définis en concertation dans le projet individualisé. On se situe,
dans ce dernier cas, dans la « perspective d’un travail en équipe, c’est-à-dire
en équipe de cycle, où toute l’école se doit d’avoir un regard sur les enfants,
sur ces enfants dits en difficulté et pris en charge par le réseau », comme
le mentionne le maître E d’un autre réseau dans lequel ce type de colla-
boration est énoncé en tant qu’objectif à atteindre.
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Bibliographie
Brisset C., « La collaboration entre enseignants spécialisés et équipes pédago-
giques d’écoles : quelle formation ? L’exemple de l’académie d’Amiens », La
Nouvelle Revue de l’AIS, n° 28, 4e trimestre 2004, pp. 101-110.
Brisset C. & Berzin C., « La collaboration entre enseignants (non spécialisés) et
membres du RASED », Actes université d’automne du SNUIPP, La-Londe-les-
Maures, 21, 22 et 23 octobre 2005, Cd-Rom.
Gilly M., « Psychologie et éducation dans l’œuvre de René Zazzo », Enfance,
n° 2, 1996, pp. 191-210.
Textes officiels
Circulaire n° 90-082 du 3 avril 1990, Missions des psychologues scolaires.
Circulaire n° 90-082 du 9 avril 1990, Mise en place et organisation des réseaux
d’aides spécialisées aux élèves en difficulté.
Circulaire n° 2002-111 du 30 avril 2002, Adaptation et intégration scolaires : des
ressources au service d’une intégration réussie pour tous les élèves.
Circulaire n° 2002-113 du 30 avril 2002, Les dispositifs de l’adaptation et de l’inté-
gration scolaires dans le premier degré.
Rapport Ferrier, Améliorer l’efficacité de l’école primaire, Rapport du groupe de
l’enseignement primaire de l’Inspection générale de l’Éducation nationale, 1998.
Rapport Goigoux, Les élèves en grande difficulté de lecture et les enseignements
adaptés, Étude M.E.N. de la Direction de l’enseignement scolaire, 02.04.1997.
Rapport Gossot, Les réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté, Rapport
du Groupe de l’enseignement primaire de l’Inspection générale de l’Éduca-
tion nationale, sept. 1996.
4. Voir p. 89.
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Annexe
Guide d’entretien
RECHERCHE IUFM DE L’ACADÉMIE D’AMIENS
C. BRISSET, C. BERZIN, A. VILLERS & A. VOLCK
I. L’élève en difficulté
1. Selon vous, qu’est-ce qu’un élève en difficulté (définition(s), critère(s),
signification(s), conséquences) ?
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11. Quelles interactions doit-il y avoir entre le maître et/ou les équipes
pédagogiques et le(s) membre(s) du RASED ?
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22. Que faudrait-il faire pour améliorer le dispositif d’aide aux élèves
en difficulté ?
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Isabelle Nédélec-Trohel
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LE DISPOSITIF DE RECHERCHE
Il convient de décrire l’organisation du dispositif de recherche dans
le temps. Ce dispositif comprend huit séances en adaptation et une séance
terminale dans la classe sur une durée de douze semaines (mars à mi-
mai, vacances de printemps incluses). Chaque séance est ponctuée de
trois types d’entretiens menés par le chercheur et le maître E : entretien
pré- et post-séance, puis entretien de coopération pour préparer la séance
suivante. Le maître E et le maître de classe se réunissent à quatre reprises :
avant l’amorce des séances, après la quatrième séance (donc à mi-
parcours), lors du post-entretien de la séance de diffusion dans la classe
et lors de la synthèse du projet.
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LA MÉTHODOLOGIE
Les séances et les entretiens (pré-, post-séance et entretien de colla-
boration que nous détaillons ensuite) sont filmés (la caméra vidéo, en
plan large fixe, est placée dans un coin de la salle de classe ou de la salle
d’adaptation) et transcrits, puis, à partir de l’étude synoptique effectuée
pour chacun d’eux et de l’analyse a priori (Assude & Mercier, 2007) des
situations d’apprentissage choisies par le professeur, nous identifions des
épisodes typiques. Nous présentons ici l’un de ces épisodes, nommé
« Échanges au cours du second entretien de collaboration » (figure 1),
composé de trois extraits issus du second entretien de collaboration entre
le maître E et le maître de classe.
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QUESTIONNEMENT
À l’origine, le professeur constate les difficultés durables de
quelques élèves de sa classe (nous désignons cette classe par « Pôle 1 »).
La procédure habituelle de demande d’aide, effectuée par le maître de
classe, appelle la mise en œuvre, par le maître E, d’un projet d’aide spécia-
lisée. Les élèves moins performants dans la classe sont alors suivis par ce
dernier dans le cadre d’un regroupement d’adaptation (« Pôle 2 ») situé
en dehors de la classe. A priori, le maître E ne connaît pas ces élèves et
il n’est pas connecté au vécu de la classe. Il s’agit d’un défi à relever. La
question que nous nous posons est la suivante : quelles peuvent être les
actions du maître E en faveur des élèves moins performants pour réin-
sérer ces derniers, dans la mesure du possible, dans le temps didactique
de la classe ? Pour relever ce défi, quel appui le maître E peut-il trouver
en collaborant avec le professeur de la classe ? Quel type de collabora-
tion un maître E et un maître de classe peuvent-ils construire ?
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Pôle Adaptation
Temps didactique 3
Diffusion
Objets d’apprentissage
Temps didactique 2
Anticipation
Objets d’apprentissage
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LA GESTION DE L’HÉTÉROGÉNÉITÉ
En classe, ce professeur organise habituellement un temps de remé-
diation d’environ 20 minutes à la fin des séances de mathématiques en
fonction des besoins des élèves. Il veille à différencier les tâches de ces
derniers lorsque des objets nouveaux d’apprentissage sont appréhendés.
En tant que praticien, sa difficulté réside dans la gestion quotidienne du
décalage entre le groupe de cinq élèves « moins performants » et leurs
pairs : il parvient difficilement à concevoir une reprise d’apprentissage
solide en numération qui permettrait à ces cinq élèves de profiter des
apprentissages au moment T. C’est la raison pour laquelle il sollicite l’aide
du réseau d’aides spécialisées.
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5. La boîte jaune est une situation issue de ERMEL (CE1) : le maître donne oralement
aux élèves des énoncés de problèmes à résoudre mentalement.
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6. Lors du premier entretien, le maître de classe avait confié au maître E que sa façon
de travailler les problèmes ne le satisfaisait pas.
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Léonie joue au jeu de l’oie, elle est sur la case 42, elle recule de 9 cases.
Sur quelle case arrive-t-elle ?
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l’exemple de Kali – tdp 355-357 : « Il y a Kali qui est intervenue parce qu’il
y avait un problème avec une diminution » [...] « Il fallait reculer ». Il précise
sa pensée et, tout en parlant, se remémore la situation-problème – tdp 357 :
« C’était le jeu, un jeu de l’oie » ; « Il fallait reculer… de tant de cases ».
Nous observons que pour répondre aux attentes du maître de classe,
le maître E évoque tardivement et succinctement la résolution du
problème « Léonie » dans l’entretien de collaboration. Le maître E
explique le rôle de l’outil bande numérique dans la validation opérée par
les élèves. Cette étape de validation signifie que le maître E engage les
élèves à vérifier leurs résultats respectifs : si le résultat est correct, cela
signifie que la technique est pertinente, si le résultat est incorrect, l’élève
sait qu’il doit réajuster sa technique de calcul. Mais il nous semble que
cette description n’est pas suffisamment précise pour que le maître de
classe puisse comprendre la démarche du maître E. Or nous pensons que
le maître de classe attend du maître E des informations sur le comment
on s’y prend pour corriger des problèmes.
Cette contextualisation nécessaire de la situation permet ensuite au
maître E de transmettre au maître de classe une description plus affinée
du comportement de Kali, élève la plus en difficulté, dans l’apprentissage.
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• Synthèse de l’épisode
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Discussion
LES PROFESSEURS : POURQUOI ET COMMENT COMMUNIQUER ?
La collaboration réclame un type de communication particulier entre
les deux enseignants pour se connaître et connaître les élèves : il s’agit
d’établir une relation de confiance et de mutualiser les informations les
concernant. Il s’agit également d’un moment privilégié, suspensif, où les
deux enseignants regardent ensemble leur travail respectif. Les extraits
analysés montrent que les deux professionnels échangent dans la trans-
parence leurs points de vue, leurs préoccupations et leurs convictions péda-
gogiques. Ces échanges formels ou informels constituent la base de la
collaboration à établir. La formalisation des échanges sous la forme d’un
ou de plusieurs entretiens offre, comme nous l’avons observé, un cadre
permettant de livrer et de mutualiser les informations : profils des élèves,
attitudes scolaires, conduites cognitives… Ce cadre permet aussi de
construire conjointement un projet de travail écrit à destination du groupe
d’élèves concerné (projet de groupe), qui veille également à répondre aux
besoins de chacun d’entre eux (projet individuel) et qui vise des régula-
tions. L’inscription de cette action dans la rubrique « Aide aux élèves en
difficulté » du projet d’école lui accorde sa légitimité et sa raison d’être.
Pour optimiser ce type de communication, il paraît opportun de le
contractualiser. L’institutionnalisation des échanges formels sous forme
d’entretiens effectifs, dont les dates sont fixées au préalable ou en fonc-
tion de l’avancée du travail au sein de chaque pôle, assure le bon fonc-
tionnement du dispositif. À titre d’exemple, trois entretiens formels
(figure 3, page suivante) ont été effectués par les deux praticiens dans ce
projet de travail : un avant la première séance, un à mi-parcours et un
dernier pour clore le dispositif (l’évaluation de problèmes effectuée ensuite
un mois plus tard dans la classe a fait l’objet d’une analyse conjointe). De
plus, des échanges informels sont indispensables : ils permettent de faire
le point régulièrement sur les séances effectuées, sur les événements
porteurs, sur l’évolution du comportement des élèves face aux apprentis-
sages au sein de chaque pôle. Ce système d’allers-retours entre la classe
et le pôle d’adaptation assure la circulation des informations.
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Collaboration 2
Régulations à mi-parcours
Tps
Figure 3 : Dispositif d’aide en adaptation
(collaborations maître E/maître de classe)
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Conclusion
Dans le dispositif ici construit, une partie de l’aide, mise en œuvre
au sein du regroupement d’adaptation, est anticipée et pensée en termes
de collaboration entre le maître E et le maître de la classe, ce qui
permettra la diffusion, par les élèves en difficulté, de savoirs nouveaux
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Maîtres E
Rencontres formelles Nb. cit. Fréq.
Non-réponse 2 4,3 %
Avant la mise en œuvre du projet 42 89,4 %
Une fois par mois 8 17 %
Moins d’une fois par mois 1 16,7 %
À la fin du projet d’aide 33 70,2 %
Jamais 1 2,1 %
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Dans notre article, notre attention s’est portée sur l’entretien dit « à
mi-parcours » car il témoigne des ajustements nécessaires aux deux
acteurs pour comprendre la logique respective de la classe et celle du
regroupement d’adaptation. Cet entretien constitue un moment clé dans
le dispositif d’aide. En effet, à ce moment précis du projet de travail, le
maître E a affiné ses connaissances sur les élèves moins performants. Il
est donc en mesure de décrire les conduites pertinentes de certains, de
préciser des outils ou des supports utiles à leur compréhension et de livrer
les modalités de travail qui devraient s’avérer efficaces. Le maître de classe
pourra ensuite adapter son fonctionnement dans la classe. De son côté,
ce dernier transmet au maître E ses préoccupations et ses attentes. Le
facteur temps est donc bel et bien une donnée à ne pas négliger. L’orga-
nisation des trois réunions de travail au cours du dispositif d’aide est déli-
cate et réclame la disponibilité de chacun des enseignants. C’est là une
condition à prendre en considération pour construire une collaboration
efficace et porteuse entre maître E et maître de classe. La clarification
des enjeux de savoir en classe et en regroupement d’adaptation permet
d’assurer la cohérence de l’articulation entre le pôle adaptation et le pôle
classe. La cohérence de cette articulation, ici créée par les deux praticiens
pour relier les deux systèmes adaptation et classe, favorise l’adaptabilité
des élèves soumis à la fréquentation de ces deux systèmes et le travail
du maître E pour réinsérer les élèves dans la classe.
La mise en œuvre de situations d’aide avec un groupe restreint d’élèves
(homogène ou hétérogène) dans ou hors de la classe constitue un terrain
de recherche heuristique. Nous avons amorcé ici une réflexion sur le
mode et les enjeux de la collaboration d’un maître E et d’un maître de
classe dans un dispositif d’aide pensé pour favoriser l’insertion des élèves
moins performants dans la classe. Nous pensons que la manière de faire
apprendre constitue un élément clé dans la transmission entre maître E
et maître de classe.
Bibliographie
Assude T. & Mercier A., « L’action conjointe professeur-élèves dans un système
didactique orienté vers les mathématiques », in G. Sensevy, A. Mercier &
M.-L. Schubauer-Leoni (eds), Agir ensemble, l’action didactique conjointe du
professeur et des élèves, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007.
Brousseau G. & Centeno J., « Rôle de la mémoire didactique de l’enseignant »,
Recherche en didactique des mathématiques, vol. 11, n° 2-3, Grenoble, La Pensée
sauvage, 1991.
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TROISIÈME
PARTIE
Prévention, médiation,
remédiation
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Michel Brossard
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2. C’est à l’intérieur de ce cadre de pensée que nous intégrons, en ce qui nous concerne,
l’apport essentiel que constituent les travaux de Jack Goody (1979), de Marcel Détienne
(1992) et de bien d’autres, concernant le rôle révolutionnaire joué au sein d’une culture
orale par l’invention de l’écriture. L’invention de l’écriture permit de faire un pas de géant
quant à l’excentration et au stockage des savoirs. Lorsque l’on parle de cultures orales et
de cultures écrites, on ne parle pas de simples variations dans les formes d’existence de la
culture mais de modes de constitution d’une culture et de fonctionnements psychologiques
en grande partie différents.
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quer ce que vous voyez comme surface ? » Certains enfants indiquent les
murs de la classe, la cour de l’école, la carte de géographie. Puis, après
distribution d’un matériel préparé pour la leçon, le maître fait travailler
les élèves sur la notion d’encadrement. La leçon se poursuivra par un
travail sur le calcul de la surface.
3. Il résulte de cette analyse que le contexte à l’intérieur duquel le sujet fonctionne est
à chaque instant un compromis entre le micromonde intenté et le micromonde ratifié par
l’interlocuteur.
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1. Ce concept est issu des travaux menés par Vygotski sur les enfants
déficients. Vygotski était très insatisfait de l’information apportée par la
simple mesure d’un niveau intellectuel établi à l’aide d’un test (du type
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Enfin, il nous faut avancer une dernière idée, à savoir qu’il existe diffé-
rents types de situations d’apprentissage, et que selon le type de situa-
tions dans lequel on se trouve, la construction du contexte adéquat est
plus ou moins aisée.
Pour simplifier, opposons deux types de situations d’apprentissage :
les situations quotidiennes dites « informelles » et les situations scolaires
d’apprentissage dites « formelles ».
Dans les situations informelles d’apprentissage, l’enfant s’approprie une
part importante de la culture sans qu’il y ait nécessairement chez l’adulte
une intention explicite de transmission. Pensons à l’acquisition du langage
oral. C’est au cours des échanges, dans le plein des situations quotidiennes,
que l’enfant s’approprie les usages de sa langue maternelle. Dans ces situa-
tions, l’enfant apprend moins un savoir que des manières de faire. Il ne
s’agit pas en effet d’un savoir explicite, systématique. L’apport des adultes
se situe ici dans le prolongement des besoins, des intérêts et des questions
des enfants. Enfin, ces apprentissages se situent dans les situations quoti-
diennes familières à l’enfant, qui font spontanément sens à ses yeux.
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Alors que dans les sociétés sans écriture, les connaissances sont
« incorporées » dans les individus qui les détiennent, l’apparition des
systèmes d’écriture et des pratiques d’écrit a permis à certaines sociétés
de détacher les connaissances des pratiques où elles étaient jusque-là
investies pour les soumettre à un travail d’élaboration et de systémati-
sation. Des savoirs spécialisés se sont ainsi constitués : mathématiques,
logique, histoire, sciences naturelles, etc. (Détienne, 1992). La trans-
mission de ces savoirs et, en particulier, du système d’écriture nécessite
l’instauration de situations formelles d’apprentissage.
Sur un certain nombre de points, les situations formelles d’apprentis-
sage s’opposent aux situations informelles.
Dans le cas des situations dites formelles :
– Nous avons affaire à une intention de transmission des savoirs
explicite et socialement organisée.
– Les contenus des savoirs sont explicités, organisés. Le déroule-
ment des apprentissages dépend de la cohérence du savoir transmis et
non des questions spontanées des élèves. L’enfant apprend désormais non
plus en fonction de son propre programme, mais en fonction du
programme de l’école (Schneuwly, 1995). En liaison avec les contenus
enseignés, l’école fait émerger des besoins proprement cognitifs.
– Ces apprentissages ne se situent donc pas dans le prolongement des
intérêts spontanés des élèves. L’école propose aux élèves des savoirs qui
anticipent sur le développement et agissent comme transformateurs de
ce développement. Selon les termes de Vygotski, il s’agit d’apprentis-
sages provoqués (par opposition aux apprentissages spontanés).
– Enfin, la transmission de ces savoirs élaborés nécessite la construc-
tion de situations qui permettent aux élèves de construire les contextes
d’appropriation adéquats (pertinents) si l’on veut qu’ils saisissent le sens
des connaissances que l’on se propose de leur transmettre. La construc-
tion des contextes adéquats est un aspect particulièrement crucial pour
le fonctionnement des situations scolaires d’apprentissage.
Alors que dans les situations informelles, l’adulte intervient au plus
près du niveau de développement actuel de l’enfant, dans les situations
scolaires, l’enseignant exploite au maximum les possibilités offertes par
la zone de développement prochain. Entre le niveau actuel et les opéra-
tions que l’enfant est amené à effectuer en coopération avec le maître,
existe une tension maximale susceptible d’être génératrice d’un dévelop-
pement optimal. C’est cette analyse qui conduit Vygotski à mettre les
apprentissages scolaires au cœur de sa théorie du développement
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Conclusion
Les pages qui précèdent n’ont pour seule ambition que d’apporter
quelques éléments de réflexion aux chercheurs, aux enseignants et aux
éducateurs. Il ne s’agit, pour l’essentiel, que d’hypothèses qui ont encore
besoin d’être étayées théoriquement et soumises à l’expérimentation ainsi
qu’à la critique de la pratique. Il commence à exister néanmoins un
nombre assez élevé de travaux qui confirment le bien-fondé des orienta-
tions que nous avons brièvement présentées.
Si nous invitons l’enseignant à se pencher sur les situations proposées
aux élèves et à s’interroger sur les contextes attendus et les contextes
effectivement construits par les élèves, ceci ne revient pas à affirmer pour
autant que les difficultés seraient de nature exclusivement contextuelle,
et que pour y remédier il suffirait de replacer les élèves dans des contextes
communicatifs. Ceci reviendrait à tomber dans un discours idéologique
très à la mode, portant sur le « tout communication », idéologie selon
laquelle on serait, par la communication, en mesure de résoudre tous les
problèmes. Les apprentissages scolaires sont un travail et ce travail est
source de différentes « familles » de difficultés. Nous n’avons fait
qu’essayer d’identifier l’une de ces familles.
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Marianne Hardy
« Tisser des liens pour apprendre » est une belle définition de la fonc-
tion des maîtres E, appelés en quelque sorte à jouer un rôle de média-
tion entre les enfants en difficulté et leurs enseignants, pour les aider,
dans les situations d’apprentissage, à renouer entre eux le dialogue.
Membres du RASED mais toujours enseignants, les maîtres E portent
un regard distancié sur les situations scolaires, tout en étant à l’écoute
des préoccupations de leurs collègues en charge des enfants qui leur
sont confiés. Fondée sur l’observation en classe et la recherche de situa-
tions de re-médiation, leur action ouvre, dans le dialogue avec les ensei-
gnants, des voies pour faire évoluer les pratiques de classe et, dans le
dialogue avec les enfants, des stratégies pour les faire progresser. Quand
ils interviennent auprès des enfants, les maîtres E veillent à l’articula-
tion entre le temps d’enseignement de la classe et le temps de re-média-
tion, dans un souci de cohérence et de continuité auprès des enfants.
Par leur spécificité – l’aide psychopédagogique –, il leur revient d’orga-
niser et d’aider à aménager au mieux la rencontre entre les enfants en
froid avec les apprentissages scolaires et les contenus que l’école a à
leur faire acquérir, en se focalisant sur ce que Vygotski a nommé la
« zone de développement proche ». Enfin, dans leur façon de faire
travailler les enfants en petits groupes, les maîtres E s’efforcent de les
faire communiquer entre eux, pour qu’ils apprennent ensemble, les uns
avec les autres et les uns par les autres, en étayant leurs efforts pour
les faire progresser à partir de là où ils en sont. Ainsi, par leur voca-
tion à intervenir auprès des enseignants et auprès des enfants, ils
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Centrée sur l’observation des enfants dans les activités qui leur sont
proposées, l’approche interactive vise à ajuster et à faire évoluer les
situations d’apprentissage au vu des conduites intellectuelles et sociales
que les enfants y développent, jusqu’à obtenir, même des plus rétifs,
des preuves tangibles de leur implication et de leur progression. La
démarche adoptée, dite d’auto-évaluation régulatrice, s’est révélée très
fructueuse pour engager des collaborations entre adultes, centrée sur
une observation conjointe des enfants. Aussi, ces recherches viennent-
elles éclairer la façon dont se tissent « des liens pour apprendre », tant
entre pairs (enfants entre eux, adultes entre eux) que dans la relation
pédagogique apprenants/enseignant (spécialisé ou non).
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classe et aux catégories sociales des familles. Pour mener ces recherches,
nous avons opté pour une méthode d’entretien clinique : un chercheur
questionne un enfant en laissant une part au dialogue et à l’improvisa-
tion. Les premiers travaux menés dans cette perspective ont à nouveau
confirmé le lien entre catégories sociales et modes de participation en
classe, ainsi qu’une correspondance forte entre performances en classe et
performances durant les examens cliniques. En effet, la majorité des enfants
qui avaient donné des réponses très imprécises ou peu pertinentes dans
le cadre de l’examen clinique avaient été repérés comme peu participants
par leurs enseignants (Cresas, 1978). Cependant, frappés par le fait que
beaucoup d’entre eux se montraient totalement inhibés dans les situations
où nous les interrogions, nous nous sommes demandé s’il était légitime
d’interpréter leurs réponses comme la manifestation de leur niveau de
pensée, et d’en tirer des conclusions sur leurs capacités cognitives ou
linguistiques. En analysant de plus près les dialogues adulte/enfant que
nous avions enregistrés, nous avons pris conscience du côté un peu absurde
de ces examens où un adulte pose des questions à un enfant intimidé qui
ne saisit pas dans quelle situation de communication il se trouve. Nous
avons alors décidé de revoir les enfants qui s’étaient montrés peu perfor-
mants en introduisant de nouvelles modalités de communication. Dans
des conditions favorisant le dialogue entre pairs, à propos de tâches ayant
un but clair pour eux, ces enfants ont amélioré leurs productions, et
certains se sont même révélés très performants.
Ces résultats nous ont montré à quel point les conditions d’examen
influaient sur la qualité des productions intellectuelles et linguistiques des
enfants. En même temps, ils mettaient en doute la neutralité du cher-
cheur qui se trouvait en connivence avec certains enfants et dans le malen-
tendu complet avec d’autres. Simultanément, des observations ont été
effectuées en classe dans le but de saisir les mécanismes par lesquels
certains enfants se trouvaient marginalisés, perdus et en difficulté en situa-
tion scolaire. Nous avons constaté une grande similarité entre le dialogue
engagé par le chercheur dans l’examen clinique et celui conduit par l’ensei-
gnant dans les situations d’apprentissage : dans les deux cas, l’adulte inter-
rogeait les enfants sur des questions qu’ils ne se posaient pas, selon des
règles que certains paraissaient comprendre et accepter, et d’autres non.
Ces conclusions allaient dans le sens des débats sur l’école et l’éducation
marqués par des auteurs comme Illitch (1971), Freire (1974), et Labov (1976).
Elles rencontraient aussi les positions d’une association de familles de
milieux populaires – « École et Famille » – avec laquelle nous avions
noué des contacts. Cette association, très active, s’insurgeait en connais-
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sance de cause contre le discours que l’institution portait sur leurs caté-
gories sociales et sur leurs enfants. Dans ce paysage politico-scientifique,
la prise de conscience qui fut la nôtre nous a amenés à revoir notre propre
pratique de chercheurs. Il nous semblait en effet que, avant de mettre en
cause les enseignants, on pouvait s’interroger sur les méthodes et les
concepts de la recherche en éducation qui influaient sur l’école. C’est ainsi
que nous avons opéré une véritable rupture épistémologique et métho-
dologique avec nos recherches antérieures (Cresas, 1981).
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que nous avions aménagées, les enfants observés avaient tous manifesté
des capacités bien supérieures à celles enregistrées dans des situations
d’examen usuelles. Mais il y avait plus : la méthode que nous avions
conçue afin d’examiner les capacités des enfants nous semblait pouvoir
servir aussi des objectifs pédagogiques. En effet, en donnant aux enfants
le temps et l’autorisation de penser et d’échanger leurs points de vue
librement, nous les avions vus progresser : ils avaient été de fait placés
dans des conditions d’apprentissage qui leur convenaient. En nous atta-
chant à ce que tous communiquent et mobilisent leur réflexion, nous
avions trouvé des principes pour organiser et animer le travail par
groupes (ce dernier posant généralement de nombreux problèmes aux
enseignants). Dès lors, nous avons décidé d’inscrire nos recherches dans
le champ de la pédagogie. Nous avons tissé des collaborations étroites
avec des équipes d’écoles volontaires pour participer à des recherches-
actions, dont la visée était de mobiliser et d’inclure tous les enfants dans
les situations d’apprentissage.
C’est dans le cadre de ces recherches que nous avons élaboré ce qui
allait devenir l’approche interactive du Cresas (Cresas, 1991). Cette
approche a été déclinée à la crèche, à l’école primaire et dans le second
degré, dans des domaines d’activités variés : logico-mathématique,
physique, symbolique, linguistique… Nous avons engagé ces recherches-
actions à l’époque où, du côté de l’institution, des politiques de lutte
contre les inégalités scolaires furent lancées – les Zones d’éducation prio-
ritaire (ZEP) notamment. En inscrivant ces recherches dans des dyna-
miques locales de transformation impliquant la participation de différents
acteurs – hiérarchie, parents, collectivités locales… –, nous avons mesuré
l’impact du contexte institutionnel et politique sur le fonctionnement de
l’école. Le mouvement fut porteur, les enseignants engagés dans la trans-
formation de leur pratique se sentaient soutenus, légitimés, et avec eux,
nous n’avions plus l’impression de « ramer à contre-courant ». C’est en
nous appuyant sur cette expérience que nous avons par la suite mis en
œuvre des formations, en prenant soin d’insérer celles-ci dans les dyna-
miques institutionnelles locales ou nationales.
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actions sur le modèle des recherches-actions, qui ont été mises en œuvre
dans différents secteurs : petite enfance, premier et second degré, insti-
tutions spécialisées (Hugon, 2006). Au niveau de l’école primaire, ces
formations, qui s’adressaient à des équipes d’écoles (plusieurs enseignants
de plusieurs écoles), furent annoncées sous le titre : « Observer les
enfants pour faire évoluer les pratiques en équipe. » Le dispositif de
formation faisait alterner les temps de stage – pour définir et analyser
les situations qu’on se propose d’expérimenter – et les temps de mise en
œuvre et d’observation dans les établissements. Les formateurs propo-
saient aux équipes un cadre conceptuel et méthodologique, et ils se
donnaient pour mission de les accompagner dans leur cheminement. Ce
rôle d’accompagnateur fut lui aussi objet de formation : il intéressait des
directeurs d’école, des conseillers pédagogiques, des membres de RASED,
bref tout professionnel amené à travailler sur le pédagogique avec les
enseignants (Cresas, 2000).
RENVERSEMENTS
On voit comment le Cresas a opéré un changement progressif mais
radical de ses perspectives de départ. Pour caractériser ce renversement,
je dirais que nous sommes passés de l’étude des enfants de l’école à
l’étude des enfants à l’école, c’est-à-dire en situation scolaire ; de
l’interrogation sur les échecs scolaires à l’interrogation sur l’échec
scolaire, considéré comme un produit de l’institution ; de l’investiga-
tion des manques à la prospection des potentialités des enfants et,
enfin, de l’analyse critique de l’existant à l’invention des possibles.
Cette nouvelle perspective peut paraître faire l’impasse sur les diffi-
cultés des enfants et sur les dysfonctionnements de l’école. Ce n’est pas
le cas ; bien au contraire. Dans l’approche du Cresas, c’est en s’appuyant
sur les acquis qu’on peut surmonter les difficultés et combler les lacunes :
on ne construit pas sur du vide, mais à partir de points d’appui. C’est en
cherchant les similitudes que l’on trouve des chemins pour réduire les
différences : on ne rassemble pas sans tisser des liens autour d’intérêts
communs. C’est en impulsant un mouvement que l’on peut faire émerger
la source des dysfonctionnements, et y remédier. C’est en ayant une vision
de ce vers quoi on veut aller qu’on trouve des solutions aux problèmes
rencontrés.
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LA DÉMARCHE
Au sens large, la démarche consiste à travailler dans un esprit
de recherche visant à relever « le défi du tous » : réussir à ce que tous
les enfants d’un groupe de travail aient envie de comprendre (une tâche,
un problème, une notion, une proposition…) et de se faire comprendre.
L’idée générale est d’organiser les conditions de l’activité des enfants –
la « macrogestion » de la situation – de telle façon qu’ils puissent y
travailler librement – prendre en charge sa « microgestion ». Pour prendre
une image : les adultes plantent un décor qui, s’il est bien pensé,
« parle » si bien aux enfants qu’il les pousse à improviser un scénario
sur un thème donné, selon des règles de travail connues et intégrées.
Au sens étroit, il s’agit de mener collectivement des expérimentations
pédagogiques en milieu naturel, qui font appel aux savoirs, aux expé-
riences et à la créativité des enseignants, mais réorientés dans une pers-
pective clairement constructiviste et interactionniste. Pour cela, on adopte
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LES EFFETS
Il faut certes du temps pour s’approprier la démarche, mais dès les
premiers essais, on peut constater certains gains. C’est d’ailleurs cela qui
donne aux équipes l’énergie pour poursuivre l’aventure.
Très vite, aux dires des enseignants, c’est leur regard sur les enfants
qui change : ils ont tendance à prendre plus au sérieux leurs proposi-
tions, même si celles-ci semblent bizarres ou formulées maladroitement,
à leur accorder plus de temps pour réfléchir et à les observer plus fine-
ment. On peut en rester là. Mais on peut également aller jusqu’à des
transformations très spectaculaires des enfants, de la classe et des ensei-
gnants. Pour exemple, je prendrai le témoignage de deux enseignantes
qui se sont approprié l’approche interactive au cours d’une année de colla-
boration avec des chercheurs du Cresas. Ces enseignantes disent avoir
« redoublé de confiance » dans les capacités de leurs élèves, avoir pu
« utiliser l’imprévu », et « s’ouvrir à une façon plus intéressante de
pratiquer le métier », « avec une plus grande liberté d’esprit par rapport
aux connaissances à enseigner », ce qui leur a permis d’obtenir « l’impli-
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Le rôle de l’adulte
CONCEVOIR DES ACTIVITÉS POUR PERCEVOIR LES CAPACITÉS DES ENFANTS
Les situations mises en œuvre doivent permettre aux enfants de
manifester leurs savoirs, et aux adultes de percevoir leur démarche
d’apprentissage. Elles sont conçues à partir de deux postulats :
– Par son action, l’adulte a un impact considérable sur les conduites
des enfants.
– À travers leurs interactions, les enfants peuvent manifester de façon
particulièrement visible leurs savoirs et leurs compétences.
C’est pourquoi, il est important de préciser plus avant le rôle de l’adulte
comme organisateur et animateur des activités des enfants, de façon à
ce qu’il assure au mieux le développement de dynamiques interactives
d’apprentissage.
Nous avons dit plus haut que le rôle de l’adulte consistait d’abord à
mettre en œuvre des situations « qui parlent aux enfants », dont les
conditions sont pensées pour leur assurer une grande autonomie dans
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leur démarche, leur réflexion. Bien sûr, plus une situation est familière
aux enfants, mieux ils savent ce qu’ils ont à y faire et comment. D’où,
l’importance de trouver des types d’activités qui, à partir d’une même
matrice, peuvent évoluer ou être déclinés sous de multiples formes. L’auto-
nomie sera d’autant mieux garantie que pour les enfants, les règles de
travail n’auront à leurs yeux rien d’arbitraire – en particulier, celles qui
induisent un certain type de rapports sociaux : par exemple, l’idée que
chacun doit pouvoir justifier du résultat d’un travail dans un petit groupe,
ou que les moins avancés doivent avoir un rôle qui les fait exister au
même titre que les autres dans le groupe.
De telles contraintes ont un impact très important non seulement au
niveau du climat de travail, mais également dans la dynamique réflexive,
car elles obligent chacun à tenter de comprendre et de se faire
comprendre, pour pouvoir s’accorder sur des solutions que chacun pourra
non seulement admettre mais aussi défendre.
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3. Une analyse détaillée de cet épisode a été publiée dans Hardy et al., 2001.
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(Royon et al., 1999 ; Cresas, 2000). Nous nous limiterons ici à décrire un
processus lié à l’explication, qui nous semble particulièrement utile à
repérer pour pouvoir reconnaître et soutenir l’effort réflexif des enfants
aux prises avec des problèmes difficiles pour eux.
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De telles situations sont bel et bien des situations privilégiées pour les
enfants et pour les enseignants.
Du côté des enfants, l’expérience qu’ils vivent là, dans la proximité avec
leur enseignant, a des répercussions sur leurs conduites intellectuelles, leur
rapport au savoir, leurs relations avec les autres, bref sur leur façon d’exercer
leur « métier d’élève ». C’est une source de satisfaction pour les ensei-
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gnants qui, dans un climat alliant sérieux et bonne humeur, ont souvent
l’impression d’être portés par le dynamisme intellectuel de leurs élèves,
plutôt que d’avoir à se battre pour leur faire comprendre une règle, une
consigne, ou leur faire produire la bonne réponse (celle que l’on a prévue).
De leur côté, les enseignants se forgent là des savoirs qui éclairent
l’ensemble de leur pratique, y compris pour conduire les moments d’ensei-
gnement frontal. En effet, en prenant le temps de regarder ce que font
les enfants et en s’y intéressant, ils acquièrent une connaissance accrue
de chacun d’eux, en tant que personne et en tant qu’apprenant. Plus
ouverts à l’inattendu, moins impatients d’obtenir des résultats, ils s’exer-
cent à filtrer, orienter, structurer ce qui vient des enfants, en leur lais-
sant le temps de penser par eux-mêmes.
Conclusion
Le maître spécialisé, par sa centration sur les difficultés scolaires
et par sa « semi-extériorité » par rapport aux équipes d’enseignants, tisse
des liens entre les enfants qui ont besoin d’une aide spécialisée pour pour-
suivre leurs apprentissages et leurs enseignants qui ont besoin d’être
accompagnés pour faire reculer le nombre et la gravité des difficultés
scolaires. Quand l’action de re-médiation auprès des enfants est arti-
culée à l’action de prévention auprès des enseignants, son efficacité
s’en trouve accrue durablement. Cette efficacité est de nature à
renforcer la reconnaissance du maître E comme l’un des acteurs essen-
tiels dans la prévention et la réduction des échecs et marginalisations
scolaires.
La circulaire qui oriente les missions du RASED4 vers la complémen-
tarité et l’accompagnement des équipes pédagogiques va dans ce sens.
Elle invite les spécialistes à agir non seulement auprès des élèves mais
aussi auprès des enseignants. L’accent est notamment mis sur la colla-
boration entre l’enseignant de la classe et l’enseignant d’adaptation de
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