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Sous la direction de
Gérard TOUPIOL, président de la FNAME

Apprendre
et
Comprendre
Place et rôle de la métacognition
dans l’aide spécialisée

Armelle Balas-Chanel, Britt-Mari Barth, Rémi Brissiaud,


Sylvie Cèbe, Gérard Chauveau, Philippe Cormier, Anne-Marie Doly,
Frank Jamet, Denis Legros, Emmanuelle Maître de Pembroke,
Jean-Michel Zakhartchouk, Marie-Thérèse Zerbato-Poudou

FNAME
www.fname.fr www.editions-retz.com
22, rue Saint-Michel 1, RUE DU DÉPART
66490 Saint-Jean-Pla-de-Corts 75014 PARIS
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La Fédération Nationale des Associations de Maîtres E (FNAME)


regroupe les enseignants spécialisés chargés de l’aide à dominante
pédagogique dans les écoles maternelles et élémentaires, et a pour
but de promouvoir l’information, la recherche, la formation et l’inno-
vation pédagogique. Elle s’est fixé pour objectif de favoriser la recon-
naissance de la spécificité du travail et de l’identité des enseignants
spécialisés, option E et assimilés, travaillant sur des postes spéciali-
sés dans le cadre de l’école publique.
Voir : www.fname.fr

Direction éditoriale : Sylvie Cuchin


Édition : Joëlle Gardette
Réalisation : AGD
Maquette de couverture : Pictorus
Corrections : Bérengère Allaire

N° de projet : 10120596
Dépôt légal : juin 2006
Achevé d’imprimer en France en juin 2006 sur les presses
de FRANCE QUERCY, 46090 Mercues

© Retz, 2006
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Sommaire

Présentation des auteurs 5

PARTIE I APPRENDRE, COMPRENDRE 7


• La conceptualisation se fait par domaines, comment
la favoriser ?, Rémi Brissiaud 9
• Apprendre, comprendre la lecture et les « choses
de l’école », Gérard Chauveau 29
• Aides et remédiations aux difficultés de compréhension
de textes, Frank Jamet, Denis Legros et Emmanuelle
Maître de Pembroke 47

PARTIE II MÉTACOGNITION, REMÉDIATION 63


• La construction du sens : une approche socio-cognitive
de la médiation, Britt-Mari Barth 65
• La métacognition : de sa définition par la psychologie
à sa mise en œuvre à l’école, Anne-Marie Doly 83
• Aider à apprendre : métacognition et explicitation,
Armelle Balas-Chanel 125
• La métacognition dans les apprentissages :
l’exemple de la compréhension des consignes,
Jean-Michel Zakhartchouk 147
• Quel fondement pour l’aide spécialisée
« psychopédagogique » aux élèves en difficulté ?,
Philippe Cormier 169
• Apprendre à comprendre : pas de métacognition
sans cognition, Sylvie Cèbe 185
• La réflexion sur l’action est-elle une activité
métacognitive ?, Marie-Thérèse Zerbato-Poudou 205

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Présentation des auteurs

Armelle Balas-Chanel Docteur en sciences de l’éducation, for-


matrice de formateurs indépendante,
Lyon, membre du groupe de recherche
sur l’explicitation et la prise de
conscience (GREX), Paris.

Britt-Mari Barth Professeur émérite de sciences de l’édu-


cation à L’institut Catholique de Paris
(ICP), Professeur invité à l’Université
Catholique de l’Ouest (l’UCO).

Rémi Brissiaud Maître de conférences de psychologie à


l’IUFM de Versailles, chercheur au
Laboratoire CNRS-Paris VIII, « Cogni-
tion et usages ».

Sylvie Cèbe Maître de conférences en sciences de


l’éducation, directrice adjointe chargée
de la recherche à l’IUFM de l’Académie
de Lyon, Unité mixte de recherche
« Apprentissage, Didactique, Évalua-
tion, Formation ».

Gérard Chauveau Chargé de recherche à l’INRP et au


Laboratoire ERTE, Paris V.

Philippe Cormier Professeur de philosophie, ancien res-


ponsable du Centre de formation AIS,
formateur à l’IUFM des Pays de la Loire.

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Anne-Marie Doly Agrégée de philosophie, maître de


conférences en sciences de l’éducation
à l’IUFM d’Auvergne, membre du labo-
ratoire PAEDI (JE 2432) de l’IUFM
d’Auvergne, membre du conseil scien-
tifique de l’AGIEM.

Frank Jamet Maître de conférences en psychologie à


l’IUFM de l’Académie de Rouen, CRAC
EA 349, Université Paris-VIII.

Denis Legros Professeur des universités, Équipe


CoDitexte, à l’IUFM de l’Académie de
Créteil, Laboratoire « Cognition et
Usages », Université Paris-VIII.

Emmanuelle Maître de Pembroke Maître de conférences en sciences


du langage, Équipe CoDitexte à l’IUFM
de l’Académie de Créteil, Laboratoire
« Cognition et Usages », Université
Paris-VIII.

Jean-Michel Zakhartchouk Professeur de lettres au collège Jean-


Jacques Rousseau de Creil et formateur
à l’IUFM d’Amiens, membre de la
rédaction des Cahiers pédagogiques, res-
ponsable de la collection « Repères
pour agir, dispositifs » au CRDP
d’Amiens et auteur de plusieurs livres
dont Comprendre les énoncés et les
consignes, Amiens, CRDP de Picardie,
1987.

Marie-Thérèse Zerbato-Poudou Ancien maître de conférence à l’IUFM


d’Aix-Marseille, docteur en sciences de
l’éducation, Laboratoire UMR-ADEF.
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PREMIÈRE
PARTIE

Apprendre,
comprendre
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La conceptualisation
se fait par domaines,
comment la favoriser ?

Rémi Brissiaud

C e texte vise à présenter, d’une part, quelques recherches récentes


concernant la conceptualisation chez l’enfant et, d’autre part, des dispo-
sitifs pédagogiques qui s’inspirent de ces travaux de recherche. L’idée
principale qui sera défendue est que la conceptualisation se fait par
domaines et que, par conséquent, les pédagogues ne doivent pas seule-
ment s’intéresser aux aspects généraux des processus de conceptualisa-
tion, mais aussi à ce qu’ils ont de spécifique, au sein de chaque domaine.
Ceci sera abordé concernant la conceptualisation de l’« esprit » (Quels
liens les enfants établissent-ils entre les pensées d’une personne et son
comportement ?) et la conceptualisation du vivant (Qu’est-ce qu’un être
vivant pour un enfant ?). Cependant, le point de vue défendu ici concer-
nant ces deux domaines pourrait l’être concernant la conceptualisation
du nombre, la conceptualisation de l’écrit, etc.

Les deux sortes d’« œuvres humaines » :


théories (ou systèmes conceptuels) et histoires
La distinction entre deux sortes d’œuvres humaines – théories (ou
systèmes conceptuels) et histoires – a été avancée par Bruner (1986/2000).
Pour comprendre cette distinction, il faut d’abord remarquer que, dans
cet usage, le mot théorie ne renvoie pas seulement à de « grandes théo-
ries scientifiques », mais aussi à ce qu’il faudrait appeler des « petites théo-
ries du quotidien », c’est-à-dire des théories dont la portée reste très locale :

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Apprendre, comprendre

quelqu’un peut avoir, par exemple, une théorie de la façon dont il


convient de poser les bûches dans sa cheminée pour qu’elle ne fume pas.
Le plus important réside dans le fait que, comme la plupart des psycho-
logues contemporains, Bruner considère aujourd’hui que les concepts eux-
mêmes doivent être appréhendés comme des sortes de théories.

Les concepts sont des sortes de théories


En effet, pour s’approprier le concept de tournevis, par exemple,
il ne suffit pas d’en connaître les propriétés perceptives (forme, couleur,
texture des différentes matières qui le composent, etc.), les propriétés
structurales (il est fait d’un manche et d’une tige aplatie en son extré-
mité), les propriétés fonctionnelles (il sert à enfoncer ou à extraire les
vis) ou procédurales (pour s’en servir, on le saisit par le manche, on insère
l’extrémité dans la fente de la vis, etc.). Il faut, de plus, connaître tout
un réseau de relations entre elles ainsi qu’un réseau de relations entre
ces propriétés et celles d’autres entités appartenant au même domaine.
Par exemple, c’est la configuration spécifique des vis (l’existence d’un
« pas de vis ») qui explique qu’il faille tourner le tournevis et non appuyer
dessus de toutes ses forces ou frapper dessus comme on le fait avec un
marteau sur un clou. Parmi toutes les propriétés qu’il convient de
connaître, les relations causales apparaissent cruciales pour accéder à la
conceptualisation : telle propriété (l’existence d’un « pas de vis ») est la
cause de telle autre (pour se servir de cet outil, on le tourne). Au total,
on peut dire que s’approprier le concept de tournevis, c’est s’approprier
une sorte de théorie de cet objet.

Théories et histoires : deux points de vue différents sur la réalité


L’autre grand type d’œuvre humaine distingué par Bruner est
l’histoire. Théories et histoires diffèrent parce qu’elles n’ont pas la même
fonction. Celle des théories est de procurer des connaissances vraies ou opéra-
toires : une théorie permet de réguler les transactions avec la réalité lorsque
celle-ci est appréhendée dans ses aspects objectifs. En revanche, Bruner
(1990 /1991) considère que la fonction essentielle d’une histoire est de rendre
compréhensible le comportement d’autrui lorsque celui-ci ne se déroule pas
conformément à ce qu’il devrait normalement être.
Ainsi, personne ne raconte l’« histoire » d’un repas au restaurant en ne
rapportant que les éléments qui sont communs à tous les repas dans ce lieu
ou qui font partie des « variantes normales » de tels repas. Imaginez que

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La conceptualisation se fait par domaines, comment la favoriser ?

quelqu’un dise : « Quand je suis rentré dans le restaurant, le serveur m’a


demandé si j’étais fumeur ou non fumeur, il m’a indiqué une place et m’a
donné la carte en me demandant si je voulais un apéritif… » et qu’il continue
ainsi à rapporter une suite de « non-événements ». De toute évidence, cela
ne fait pas une histoire. En revanche, si l’on nous raconte que le serveur a
accueilli un nouveau client en regardant autour de lui pour s’assurer que
personne ne s’intéressait à ce qu’il allait lui dire et qu’il lui a alors chuchoté
à l’oreille : « Fumeur ou non fumeur ? », c’est bel et bien une histoire qui
commence ! En effet, les interrogations suivantes surgissent : quelle est l’inten-
tion du serveur ? Que fume-t-on dans ce restaurant ? Et, comme le soutient
Bruner (1990/1991), la fonction de l’histoire que l’on attend dorénavant « est
de trouver une intention qui atténue ou du moins rende compréhensible
une déviation par rapport à un élément culturel canonique ».
L’histoire permet ainsi de réguler les transactions avec la réalité lorsque
celle-ci est appréhendée dans ses aspects intersubjectifs et, en ce sens, sa
vérité importe peu : il lui suffit en effet d’être vraisemblable pour fournir
un exemple de régulation.

La conceptualisation se fait par domaines


Des chercheurs comme Keil (1989) ou Carey (1985) ont montré que,
chez les enfants comme chez les scientifiques, la conceptualisation se fait
par domaines de connaissances : les concepts ne se construisent pas de
manière isolée mais en relation les uns avec les autres au sein d’un même
domaine. Cela conforte évidemment l’idée que les concepts constituent
des sortes de théories.
Dans l’une de ses recherches, Keil interroge, par exemple, des enfants
de 5 ans, 8 ans, 10 ans et des adultes, pour apprécier leur niveau de
conceptualisation de divers concepts moraux (le vol, le mensonge, la trom-
perie, etc.), de divers concepts exprimant des relations parentales (grand-
mère, grand-père, oncle, etc.), de divers concepts correspondant à des
outils (scie, marteau, etc.) et de divers concepts géographiques (une île,
une montagne, etc.). Pour chaque concept, il propose aux sujets deux
textes décrivant une situation ou une entité avant de les interroger pour
savoir si la situation ou l’entité décrite correspond ou non à un concept
donné. Par exemple, deux textes sont montrés à l’enfant, dont l’un décrit
une entité qui :
1. correspond effectivement au concept géographique choisi (une île,
par exemple) : le lieu décrit est effectivement une île parce qu’il est expli-
cite dans le texte que la mer l’entoure complètement ;

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Apprendre, comprendre

2. mais l’entité décrite est très différente de la représentation typique


que l’on se fait généralement d’un tel concept : cette île n’a aucune végé-
tation, il y fait très froid et elle est remplie d’immeubles, par exemple.
Dans l’autre texte, c’est l’inverse :
1. il décrit une entité qui ne correspond pas au concept : on y lit que
le lieu est entouré presque partout par la mer, sauf en un endroit qui le
rattache à la terre ;
2. mais l’entité décrite a beaucoup de propriétés de la représentation
typique d’un tel concept : le lieu est planté de cocotiers, il y fait toujours
beau, les femmes y portent des colliers de fleurs, etc.
Les réponses des enfants à la question : le lieu géographique précédent
est-il une île ?, permettent de savoir s’ils distinguent ou non les propriétés
définitoires de ce concept (et, plus généralement, du concept choisi) de
celles qui ne sont qu’occasionnelles. Les résultats de cette recherche
montrent que :
1. À l’intérieur d’un même domaine (les relations parentales, par
exemple), les enfants progressent de la même manière. Concernant les
concepts de grand-mère et de tante, par exemple, les enfants de 5 ans
tombent très souvent dans le piège qui leur est tendu : une personne âgée
qui est très gentille avec un enfant est systématiquement considérée
comme la grand-mère de cet enfant, même lorsqu’il est explicite dans le
texte que ce lien de parenté n’existe pas. À l’intérieur d’un même domaine
de connaissance, les courbes rapportant les taux de bonnes réponses pour
les différents concepts ont la même allure. C’est à peu près au même âge
que les enfants cessent de considérer qu’une femme âgée qui est une
amie de la famille est la grand-mère d’un enfant donné et une femme
plus jeune sa « tata ».
2. Il existe un domaine où les enfants répondent aussi bien que les adultes
de manière précoce (dès 5 ans) : c’est celui des concepts moraux (mensonge,
vol, etc.). Plus généralement, on sait aujourd’hui que les enfants disposent
précocement d’une « théorie de l’esprit » (Astington, 1993/1999).

La « conceptualisation de l’esprit » et la compréhension


des histoires
Très tôt, dès 3 ans, les enfants sont capables de distinguer entre
les pensées et les choses : un enfant qui fait semblant de téléphoner en
saisissant une banane, par exemple, sait très bien faire la part entre ce
qui est réel et ce qui est simulé. Dès 3 ans également, ils sont capables

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La conceptualisation se fait par domaines, comment la favoriser ?

de distinguer les actions qui sont effectuées de manière intentionnelle


de celles dont l’effet est accidentel, qu’il s’agisse de leurs actions ou de
celles d’enfants qu’ils observent. Précocement, donc, les enfants ont des
connaissances psychologiques au sens où ils commencent à tisser des
liens entre ce que font les gens et ce qu’ils pensent. Cependant, avant
4 ans environ, c’est seulement dans les cas simples qu’ils sont capables
d’établir de tels liens ; avant cet âge, lorsque le protagoniste d’une histoire
a une croyance erronée, ils se trompent dans l’anticipation de son
comportement.
Rappelons le protocole et les résultats de la célèbre expérience des
psychologues Wimmer et Perner (1983). L’histoire suivante est racontée
à des enfants en utilisant des marionnettes et les accessoires ad hoc pour
que les enfants comprennent bien ce qui se passe. Un petit garçon (Max)
met du chocolat dans un tiroir du buffet du salon et sort jouer. Pendant
qu’il joue dehors, sa mère enlève le chocolat du tiroir du buffet, va dans
la cuisine et le met dans une coupe. Max a faim, il veut manger son
chocolat, il rentre dans la maison… À ce moment, la saynète est inter-
rompue et on interroge les enfants sur ce que va faire Max. Où va-t-il
aller chercher son chocolat ? Avant 4 ans en moyenne, les enfants
échouent à prévoir que Max va chercher son chocolat dans le tiroir du
salon, c’est-à-dire là où il croit qu’il est. Comme les enfants ont assisté à
la suite des événements, ils savent, eux, que le chocolat est dans la cuisine
et ils n’arrivent pas à concevoir que quelqu’un puisse agir conformément
à ce qu’il croit et non conformément à ce qu’ils feraient, eux.

Un progrès décisif pour la compréhension des histoires


Comprendre que les fausses croyances expliquent tout autant le
comportement d’autrui que les connaissances vraies s’avère être un
progrès décisif pour la compréhension des histoires. Dans celle du Petit
Chaperon rouge, par exemple, le moment crucial est celui où l’héroïne
parle avec le Loup qui a pris la place de la grand-mère dans le lit. Or,
si la petite fille reste là, à côté du Loup, au lieu de s’enfuir, c’est parce
qu’elle croit de manière erronée être à côté de sa grand-mère ! C’est
donc une croyance erronée qui explique son comportement. De
manière générale, comme l’écrit Bruner (1986/2000) : « L’histoire doit
réussir à construire simultanément deux paysages. Le premier est celui
de l’action : l’agent, l’intention ou le but, la situation, l’instrument,
toutes choses que l’on pourrait considérer comme la grammaire de
l’histoire. L’autre paysage est celui de la conscience : que savent ceux

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Apprendre, comprendre

qui y sont impliqués, que pensent-ils, que sentent-ils ? Qu’est-ce qu’ils


ignorent, ne pensent ni ne sentent ? Ces deux paysages sont à la fois
essentiels et distincts. »
L’enfant qui, alors qu’il écoute une histoire, n’appréhende pas le
« paysage de la conscience » de cette histoire, ne la comprend pas vrai-
ment. Et le même point de vue peut être défendu lorsqu’un enfant
raconte une histoire plutôt que de l’écouter. S’il se contente de rapporter
une succession d’événements (« Il a fait…, et puis après il a fait…, et
puis après… ») sans, à aucun moment, exprimer une quelconque
émotion au moment où se produit un décalage entre les croyances du
héros et la réalité des faits, on a fortement envie de dire qu’il ne sait
pas raconter une histoire. Restituer l’histoire du Petit Chaperon rouge,
c’est amener l’auditeur à avoir peur pour l’héroïne du conte au moment
où celle-ci se croit en train de converser avec sa grand-mère alors que
c’est avec le Loup.
Parmi les deux paysages évoqués par Bruner, celui dont la construc-
tion par l’enfant est la plus difficile est évidemment le paysage de la
conscience. D’une manière générale, on peut d’ailleurs douter qu’un
enfant puisse pleinement le construire avant 4 ans environ, l’âge où,
en moyenne, les enfants réussissent le test de Wimmer et Perner. D’un
point de vue pédagogique, cependant, nous allons voir qu’il est raison-
nable de penser qu’en apprenant aux enfants à raconter une histoire,
on les aide à progresser dans la conceptualisation de l’esprit.

Théorie de l’esprit et interactions langagières


Les enfants ne réussissent pas le test de Wimmer et Perner du
jour au lendemain et c’est évidemment dans la durée qu’ils s’appro-
prient ce que les psychologues appellent le plus souvent aujourd’hui
une « théorie de l’esprit ». Les échanges langagiers avec leur entourage
sont très vraisemblablement l’une des principales sources de progrès.
Concernant des entités psychologiques comme les sentiments et les
émotions, par exemple, une étude longitudinale de Dunn et al. (1991),
a montré l’importance des pratiques langagières familiales. Dans cette
étude, des enfants de 3 ans environ sont observés à leur domicile. Il
s’agit d’apprécier si leur entourage leur parle volontiers de sentiments.
Les mêmes enfants passent, vers 6 ans et demi (3 ans plus tard, donc),
un test qui permet d’évaluer leur capacité à identifier les sentiments
d’autrui (joie, tristesse, etc.). Les enfants les plus performants ont été
ceux qui avaient grandi dans une famille où l’on parle fréquemment

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La conceptualisation se fait par domaines, comment la favoriser ?

des émotions. Des recherches analogues concernant les fausses


croyances n’ont pas, à ma connaissance, été menées, mais il est raison-
nable de penser que le fait d’être engagé dans des pratiques langa-
gières concernant les croyances aide les enfants à comprendre qu’elles
expliquent le comportement d’autrui.
Un problème se pose cependant : dans la vie quotidienne, on est beau-
coup plus souvent amené à parler de ses sentiments et de ses émotions
que de ses fausses croyances ou de celles d’autrui. Si les enseignants
attendent en classe une occasion qui s’y prête, ils risquent d’attendre
longtemps… Cependant, il existe un contexte pédagogique facile à créer
et qui est susceptible d’amener l’enfant à évoquer les fausses croyances
d’autrui : celui où il raconte une histoire. L’intérêt pédagogique d’une
telle activité est donc considérable : apprendre à raconter une histoire
en restituant ses deux paysages, celui de l’action et celui de la
conscience, est vraisemblablement un contexte privilégié pour apprendre
le monde de la conscience.

L’album Il croit que…1


C’est ce qui a motivé l’élaboration de l’album Il croit que… Dans
celui-ci, afin de multiplier les occasions de parler de fausses croyances,
chaque « histoire » est résumée en deux doubles pages. La première
met en scène un personnage dans une situation illustrée de sorte que
l’on puisse assez facilement reconstituer la façon dont ce personnage
vit la situation. La seconde double page montre que la situation n’est
pas conforme à ce que le personnage croyait. Par exemple :

Première double page :


Un jeune homme est en bas d’un escalier, un bouquet à la main ; sur
le palier du haut, une jeune femme a l’air réjouie.

L’adulte qui anime la découverte par les enfants de cette double page
a pour objectif qu’ils la décrivent et anticipent ce que va faire le person-
nage : il va offrir les fleurs à la jeune femme ; c’est son amoureux, elle
va l’embrasser.

1. Brissiaud R., Malaussena P., Il croit que…, Paris, Retz, 2002.

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Apprendre, comprendre

Deuxième double page :


On découvre la suite (et la fin) de l’histoire : en fait, le jeune homme

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La conceptualisation se fait par domaines, comment la favoriser ?

s’est arrêté à la première porte rencontrée et il offre le bouquet à sa


grand-mère.

L’objectif de l’adulte est que les enfants comprennent comment les


éléments des deux doubles pages s’articulent : « Que s’est-il passé ? Où
était la vieille dame sur l’image précédente ? » Il interroge sur les éléments
comportementaux du personnage qui résultent de ses croyances erronées :
« Pourquoi la jeune femme a-t-elle l’air déçue ? ».

L’animation est similaire avec cette autre « histoire ».

Première double page :


C’est l’anniversaire d’un garçon (un gâteau avec des bougies apparaît
sur l’image). Cet enfant, visiblement heureux, voit sa mère ouvrir la porte
au facteur qui tient un gros colis.

L’adulte aide les enfants à reconstituer cette situation. Qu’est-ce que


c’est que ce gâteau ? Pourquoi l’enfant est-il heureux ? Qu’y a-t-il dans le
colis ?

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Apprendre, comprendre

Deuxième double page :


Le colis est ouvert et la maman en a sorti une robe. L’enfant n’est plus
content du tout.

L’adulte interroge les enfants sur les raisons qui expliquent le chan-
gement d’humeur de l’enfant.

Remarque : lors de cette première rencontre avec l’album, il serait


évidemment prématuré de vouloir que les enfants parlent de croyances.
Ils n’ont aucune raison de le faire lorsqu’ils découvrent pour la première
fois la première double page. À ce moment, en effet, ils sont dans la
même situation que le personnage de l’histoire : ils découvrent comme
lui un « état du monde » et l’on ne parle de croyances que lorsqu’un état
du monde n’est pas conforme à ce que l’on avait anticipé. De même,
lorsqu’ils découvrent pour la première fois la seconde double page, il
serait encore prématuré d’insister sur la fausse croyance. À ce moment,
en effet, la plupart des enfants « collent » à l’histoire dans son aspect
événementiel ; le paysage de la conscience ne leur apparaît pas pleine-
ment. En revanche, lorsqu’on lit une deuxième fois l’album et dès la
rencontre avec la première double page de chacune des histoires, l’effet
« fausse croyance » se produit : il y a en effet un décalage entre la joie

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La conceptualisation se fait par domaines, comment la favoriser ?

du garçon qui voit le gros colis et ce que le lecteur sait du contenu du


colis. Il y a un décalage entre la croyance de la femme qui s’attend à
recevoir un bouquet et ce que le lecteur connaît du destinataire de ce
bouquet. Lors de la deuxième rencontre avec l’album, chacune des
premières pages est alors un déclencheur du récit dans son entier : « C’est
l’anniversaire du garçon et puis il croit que le facteur apporte un cadeau
pour lui et puis c’est même pas vrai parce que c’est pour la maman… »
(la deuxième page de chacune des histoires ne fait, elle, que confirmer
le déroulement de l’histoire tel qu’il vient d’être rapporté ; elle n’est pas,
comme la première, le déclencheur d’un récit). Il importe donc de relire
collectivement cet album tout de suite après l’avoir découvert une
première fois ou, du moins, peu de temps après.
Cet album a été utilisé avec des élèves de grandes sections d’écoles
maternelles scolarisés en zone d’éducation prioritaire. De l’avis général
des enseignants impliqués dans la recherche, son usage apparaît comme
un moyen privilégié de favoriser chez les élèves la production d’une
histoire en rapportant non seulement le paysage de l’action, mais aussi
celui de la conscience. On a pu observer des enfants « petits parleurs »
se révéler, en cette occasion, avides de prendre la parole, et la prendre
effectivement de manière jubilatoire. Le fait que dans les narrations susci-
tées par cet album, les deux paysages d’une histoire se trouvent réunis,
n’y est sûrement pas étranger2.

Favoriser la conceptualisation du vivant : d’une conception


« psychologisante » à une biologie de sens commun
Quand on demande à un enfant de 4/5 ans si un ver de terre est
un animal, il répond souvent par la négative. À cet âge, en effet, l’enfant
attribue aux animaux une psychologie sur le modèle de la psychologie
humaine dont on vient de voir qu’ils l’appréhendent précocement (la
« maman chat » aime ses chatons, elle les gronde quand ils ne sont pas
sages, etc.). Par ailleurs, plus un être est proche de l’homme dans ses

2. Depuis, quatre autres albums sont parus dans la même collection (« Apprendre à
parler… parler pour apprendre ») : « C’est pas possible », « Mon papa, il est gentil mais… »,
« Ma maîtresse, elle est gentille, mais… » et « Dis papy, c’est quoi le bonheur ? ». Chacun
d’eux propose des scénarios en deux doubles pages, les secondes faisant le contrepoint des
premières. Après la découverte de l’album, les premières doubles pages servent de déclen-
cheurs d’une activité langagière complexe parce que les enfants sont amenés à utiliser des
connecteurs logiques et chronologiques tels que : « mais », « quand », « parce que », etc.

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Apprendre, comprendre

dimensions morphologiques et dans la dimension psychologique que les


enfants lui attribuent, plus ils le considèrent spontanément comme un
animal. Or, d’un point de vue morphologique, le ver de terre est beau-
coup plus petit que l’homme, il n’a pas de tête bien différenciée, etc. Du
point de vue psychologique, lorsqu’on montre à un enfant un grand ver
de terre et un petit ver de terre, il ne considère pas facilement que le
petit puisse être le « bébé » du grand ; les jeunes enfants n’attribuent pas
de relations de maternage aux vers de terre. Ils ont raison, mais ceci ne
les aide pas à considérer le ver de terre comme semblable à l’animal qu’ils
considèrent, à tort, comme le prototype des animaux : l’homme. Celui-ci,
en effet, est loin d’être l’animal le plus typique parce qu’il possède des
propriétés psychologiques tout à fait particulières.
Selon Carey (1985), pour que les enfants comprennent mieux le statut
de l’homme parmi les animaux, il convient vraisemblablement qu’ils
comprennent mieux le statut des uns et des autres parmi les êtres vivants
(animaux + plantes). De son point de vue, les enfants reconceptualisent
la notion de vivant vers environ 6 ans. Avant cet âge, ils considèrent les
animaux comme les seuls êtres vivants. Pour eux, donc, est vivant ce qui
se déplace par auto-mouvement, agit, grandit, tombe malade, meurt et
se reproduit. Mais l’explication qu’ils donnent à de tels comportements
est pour l’essentiel, de type psychologique : les animaux mangent parce
qu’ils aiment la nourriture, ils grandissent parce que c’est bien de devenir
grand, etc. Or, vers 6 ans, les enfants sont susceptibles de découvrir que
les plantes, elles aussi, grandissent, tombent malades, meurent, se repro-
duisent. Et pourtant, elles ne se déplacent pas, et l’enfant ne leur attribue
pas des intentions ; il ne les considère pas comme des agents.
Aussi, de même qu’il y a quelque chose chez les animaux qui est cause
de leurs actions (ils sont doués d’intentions), l’enfant est amené à consi-
dérer qu’il y a quelque chose qui, chez les animaux comme chez les plantes,
est la cause de leur développement : c’est une sorte de « force vitale ». À
partir de ce moment, lorsque l’on demande à des enfants pourquoi nous
mangeons tous les jours – par exemple, dans des conditions où on leur
propose le choix entre deux réponses : « Parce qu’on veut manger de bonnes
choses » et « Parce que notre estomac extrait de la nourriture ce qu’il nous
faut pour vivre » –, ils choisissent la seconde réponse plutôt que la première
(Inagaki et Hatano, 1993). Les enfants passent ainsi, vers 6 ans, d’une expli-
cation des phénomènes biologiques reposant sur une psychologie de sens
commun, à une explication reposant sur une biologie de sens commun
qui se fonde dans la croyance en une sorte de « force vitale » ; ils chan-
gent de théorie concernant la notion de vivant.

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La conceptualisation se fait par domaines, comment la favoriser ?

Favoriser, vers 6 ans, l’accès à une « biologie de sens commun »


Comment accompagner et favoriser en classe une telle recon-
ceptualisation ? Il convient avant tout que les élèves connaissent les
propriétés communes aux plantes et aux animaux. Il apparaît donc parti-
culièrement important, en moyenne et grande section au moins, de faire
germer des lentilles par exemple, de les planter et de les entretenir
jusqu’à, si possible, obtenir de nouvelles lentilles. Une telle activité
permet évidemment de parler en classe des conditions dans lesquelles
les plantes grandissent, meurent (lorsqu’on ne les arrose pas !) et se
reproduisent.
Mais cela ne suffit pas : il convient encore d’organiser le rapproche-
ment entre ces propriétés et celles des animaux. Or ceci ne peut guère
se faire spontanément. Dans un classement spontané d’images représen-
tant des plantes, des animaux, des jouets, etc., on ne peut guère espérer
que les enfants regroupent au sein d’une même classe les plantes et les
animaux ; ils auraient plutôt tendance à les opposer.
C’est pourquoi nous avons choisi une autre forme d’activité. Dans
celle-ci, ce ne sont pas les enfants qui classent des images ; ce classement
est pris en charge par l’enseignant (il met certaines images dans une
boîte, présentée comme celle « où l’on met tout ce qui va ensemble » et
d’autres images dans une « boîte-poubelle »). La tâche des enfants est de
trouver les critères utilisés par l’enseignant, c’est-à-dire les raisons de son
classement : pourquoi met-il ensemble ces images-ci alors qu’il met celles-
là dans la « boîte-poubelle » ? Cette forme d’activité a été utilisée par
divers auteurs comme Britt-Mari Barth (1987) et, plus récemment, Sylvie
Cèbe (Cèbe et Paour, 1996). Elle présente l’avantage d’autoriser une mise
en scène de regroupements très différents de ceux auxquels conduit
l’expérience quotidienne. Elle permet aussi une explicitation de la diffé-
rence entre un usage quotidien et un usage scolaire d’un même mot : le
mot « vivant » dans l’exemple que nous allons présenter. Le dispositif
des boîtes, qui est bien adapté pour ce type d’activité à l’école mater-
nelle, est repris des recherches de Sylvie Cèbe.
Présentons un exemple de déroulement de cette activité avec des élèves
de moyenne et de grande sections de ZEP, qui est rapporté ici à partir
d’un enregistrement vidéo effectué lors de la recherche. Rappelons d’abord
que les élèves ont auparavant fait pousser des lentilles ou des haricots
en classe : sinon la plupart d’entre eux seraient dépourvus de cette expé-
rience qui est absolument indispensable pour participer à la séance décrite
ci-dessous. Une douzaine d’élèves sont regroupés autour de l’enseignant.

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Apprendre, comprendre

Celui-ci a placé devant lui et face aux élèves la boîte où il va mettre


« tout ce qui va ensemble » (dans la suite, on appellera cette boîte la
« boîte-concept ») et il a placé sur le côté la « boîte-poubelle ». La séquence
peut s’analyser en deux phases :
– une première phase où il s’agit de dégager quelques propriétés carac-
téristiques des êtres vivants. Cette phase s’achève sur une définition de
ce qu’on appellera à l’école « un être vivant ».
– une seconde phase où l’interrogation prend la forme suivante : tel
ou tel être est-il un être vivant ? Il s’agit d’asseoir cet usage du mot vivant
qui regroupe sous le même vocable non seulement les animaux, mais
aussi les végétaux.

Première phase : avant qu’une définition du vivant ne soit explicitée


L’enseignant sort successivement des images représentant ce qui
est décrit ci-dessous dans la colonne de gauche et la met soit dans la
boîte-concept, soit dans la boîte-poubelle après l’avoir fait commenter
collectivement (« Qu’est-ce que c’est ? ») :
Un kangourou avec son bébé dans la poche ––> Dans la boîte-concept
Un singe et un bébé singe ––> Dans la boîte-concept
Un chien et un bébé chien ––> ?
L’enseignant interroge les élèves : « Où vais-je mettre cette image ? ».
La boîte proposée, de façon unanime, est la boîte-concept, et la raison
invoquée est qu’on y met les animaux ou, plus précisément, les images
représentant un animal et son bébé.
Un chien et un bébé chien ––> Dans la boîte-concept
Un haricot qui commence à germer
et un haricot à l’état de plante ––> ?
Là encore, l’enseignant interroge les élèves : « Où vais-je mettre cette
image ? » ; et il crée un premier « événement ». Alors que tous les élèves
pensent qu’il va la mettre dans la boîte-poubelle, il la met dans la
boîte-concept. L’enseignant sort les images d’animaux et, les confron-
tant à celle des haricots, organise le débat en interrogeant : « Qu’est-
ce que ça a de pareil, le chien et le bébé chien, comme sur cette image,
et le haricot qui germe et le grand haricot, comme sur celle-là ? ». La
réponse fournie est : « C’est parce que il y a deux haricots, un petit et
un grand. »
Un vélo d’adulte et un petit vélo d’enfant ––> ?
L’enseignant crée un second « événement ». Alors que tous les élèves
pensent qu’il va mettre l’image dans la boîte-concept, il la met dans la
boîte-poubelle.

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La conceptualisation se fait par domaines, comment la favoriser ?

Remarquons que les deux « événements » précédents ne sont pas de


même nature. Dans le premier cas, les élèves faisaient une hypothèse
trop spécifique (ils pensaient que la catégorie à déterminer était celle
d’animal alors qu’en fait, elle regroupait les animaux et les végétaux). Il
était donc nécessaire que les élèves accèdent à une hypothèse plus géné-
rale : d’où, le choix du haricot comme exemple positif parce qu’il allait
permettre d’étendre les limites de la catégorie à laquelle les élèves pensent
(on parle dans ce cas de processus d’« abstraction »). Dans le second
« événement », en revanche, les enfants ont fait une hypothèse trop géné-
rale : ils pensaient que tout ce qui peut se décliner sous forme de deux
exemplaires, l’un petit et l’autre grand, appartient à la catégorie à déter-
miner. Ils ont besoin de spécifier cette catégorie, d’en restreindre les
limites : d’où, l’exemple du petit vélo et du grand vélo comme exemple
négatif (on parle, dans ce cas, de processus de « particularisation »).
L’enseignant organise le débat à partir de l’interrogation : « Qu’est-ce
qui n’est pas pareil entre un haricot qui germe et un grand haricot, d’une
part, et un petit vélo et un grand vélo, d’autre part ? » ou : « Qu’est-ce qui
n’est pas pareil dans le cas d’un chien et son bébé, d’une part, et dans
celui d’un grand vélo et d’un petit vélo, d’autre part ? » Si cela est néces-
saire, il peut interroger plus précisément : « Est-ce que le petit vélo va
devenir grand ? » Les propriétés communes à ce qui est mis dans la boîte-
concept émergent alors du débat : dans le cas du haricot ou du chien, le
petit « grandit » ; pour cela, il faut l’arroser ou le nourrir alors qu’un petit
vélo restera toujours un petit vélo. Il se peut qu’un vélo se casse ; mais,
aussi bien les plantes que les animaux, eux, ne se cassent pas : ils tombent
malades, ils peuvent même mourir. De même que le chien a des bébés
chiens, la plante qu’on appelle haricot a des petits haricots alors qu’un
petit vélo, c’est l’homme qui l’a fabriqué, etc.
Remarquons que l’ordre des images pourrait être différent de celui qui
a été proposé ici. Dans tous les cas, pour que les élèves accèdent à la
catégorie recherchée en explicitant les propriétés communes à tous ses
éléments (« grandit », « a besoin de nourriture », etc.), un double mouve-
ment, soit d’abstraction (quand l’hypothèse faite par les élèves est trop
spécifique), soit de particularisation (quand elle est trop générale), est
nécessaire. Il est vraisemblable qu’une suite d’exemples et de contre-
exemples constituée à l’avance – telle que celle qui a été utilisée ici –,
produise toujours les mêmes effets en termes d’hypothèses faites par les
élèves et d’ajustements de ces hypothèses. Dans le cas contraire, il est de
la responsabilité de l’enseignant d’analyser les hypothèses faites pour,
selon le cas, choisir l’exemple qui permettra d’accéder à une hypothèse

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Apprendre, comprendre

plus générale ou le contre-exemple qui permettra de spécifier l’hypothèse


de départ.
Décrivons la suite de l’activité. Pour interroger de nombreux enfants
sur l’ensemble des propriétés communes à ce qui est mis dans la boîte-
concept (« grandit », « a besoin de nourriture », etc.) et que ne possède
pas ce qui est mis dans la boîte-poubelle, l’enseignant utilise les images
suivantes :
Une poule et un poussin ––> Dans la boîte-concept
Une voiture et une voiture jouet ––> Dans la boîte-poubelle
Une grande cuillère et une petite cuillère ––> Dans la boîte-poubelle
Un gland qui germe et un chêne ––> Dans la boîte-concept

Un dernier événement peut être créé en proposant l’image d’une


femme (ou d’un homme) et de son bébé. Le plus souvent, les élèves
proposent de la mettre dans la boîte-poubelle parce que ce n’est pas un
animal. Cela s’explique aisément. Appréhender le contenu de la boîte-
concept à partir des propriétés communes aux entités qu’elle contient et
à partir des propriétés qui les différencient de celles de la boîte-poubelle
n’est pas la seule possibilité. Le contenu de la boîte-concept peut aussi
être défini à partir de sous-catégories : la boîte contient les animaux, les
plantes et les arbres ; or les jeunes enfants, sur un plan langagier, ne consi-
dèrent pas l’homme comme un animal. Le plus souvent, ils proposent
donc de mettre l’image correspondante à la poubelle.
Il convient alors de se rappeler collectivement et une nouvelle fois les
propriétés qui fondent le regroupement dans la boîte-concept : « Est-ce
que le bébé va grandir ? » ; « Que faut-il pour qu’il grandisse ? » ; « Est-ce
qu’il lui arrive d’être malade ? », etc. Dès ce moment ou après quelques
autres exemples et contre-exemples, il est possible de dire aux enfants
que tout ce qu’on a mis dans la boîte peut être appelé un « être vivant ».
Le haricot est un être vivant, le chêne est un être vivant, la poule est un
être vivant, l’homme est un être vivant. Ils ont tous en commun le fait
de se reproduire, d’avoir des petits qui grandissent quand on les
nourrit, etc. C’est ainsi une sorte de définition du vivant qui est expli-
citée aux enfants.

Seconde phase : après qu’une définition du vivant ait été explicitée


La séance se poursuit en montrant successivement un marron qui
germe et un marronnier, une chenille et un papillon, un petit nuage et
un gros nuage, etc., et en demandant à chaque fois aux élèves s’il s’agit,

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La conceptualisation se fait par domaines, comment la favoriser ?

ou non, d’un être vivant. Un certain type d’erreurs apparaît fréquemment


chez les enfants, notamment chez ceux de moyenne section : ils sont
nombreux, lorsqu’on leur présente un végétal, à répondre rapidement,
sans réfléchir : « C’est pas vivant ! » (ce qui correspond à un usage quoti-
dien du mot vivant). En revanche, il suffit, la plupart du temps, de leur
demander de s’interroger : « La plante que l’on voit surgir du marron va-
t-elle grandir ? » ; « Est-ce qu’un arbre comme le marronnier, meurt ? », etc.,
pour qu’ils rectifient leur réponse en étant, semble-t-il, convaincus de
cette autre réponse. En fait, le comportement de ces enfants laisse penser
que leurs erreurs proviennent plus d’un défaut d’inhibition de la réponse
spontanée – « Le marronnier n’est pas vivant » – que d’un défaut de
compréhension des raisons qui fondent l’affirmation « Le marronnier est
un être vivant » (ce qui correspond à un usage « savant » ou « scolaire »
de ce mot). Une telle erreur peut être comparée à celle que l’on observe
à cet âge concernant la conservation des ensembles (Piaget et Szeminska,
1941). Face à deux rangées de jetons, les enfants disent que c’est la plus
longue qui en contient le plus, sans tenir compte de l’écartement des
jetons. Il existe tout un courant de chercheurs en psychologie (notam-
ment Houdé, 1995), qui interprètent ce type d’erreurs, comme un défaut
d’inhibition de la réponse spontanée plutôt que comme un défaut de
connaissance. Dans le cas de la conservation des ensembles, les enfants
tombent dans le piège de la comparaison des longueurs ; dans l’interro-
gation sur le vivant, ils répondent en fonction du caractère animé ou
non-animé de l’entité.
Convient-il de reporter à l’école élémentaire ce type de travail ?
Aujourd’hui, il n’existe plus de pédagogues préconisant un report des acti-
vités numériques de l’école maternelle vers l’école élémentaire, comme
ce fut le cas vers 1970, sous prétexte que les enfants d’école maternelle
« ne sont pas conservants ». De même, il nous semble qu’il n’y a aucun
intérêt à différer l’activité qui vient d’être décrite, ni même d’en différer
la deuxième phase, celle qui correspond à un enseignement de l’usage
savant du mot vivant. En effet, cet enseignement ne peut que favoriser
l’emploi savant du mot vivant dès que les problèmes attentionnels qui
empêchent l’inhibition de la réponse spontanée seront résolus. Il est incon-
tournable que l’enfant apprenne qu’on ne s’exprime pas toujours à l’école
comme à l’extérieur de celle-ci. L’éducation scientifique exige un tel
apprentissage (comme les enseignants le savent, l’usage mathématique et
l’usage quotidien du mot carré, par exemple, sont différents parce qu’en
mathématiques, le carré est un rectangle). Dans le cas où l’usage savant
d’un mot ne coïncide pas avec son usage quotidien, ancrer longtemps un

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Apprendre, comprendre

enfant dans ce dernier usage ne peut que faire obstacle au premier. Dans
la mesure où l’activité qui vient d’être décrite semble motiver l’ensemble
des élèves, cette première rencontre avec l’usage savant du mot vivant
ne peut qu’avoir des effets bénéfiques, même si les enfants ont tempo-
rairement des difficultés à réinvestir cet usage sans l’aide de l’adulte.

Conclusion
La conceptualisation a souvent été décrite comme résultant de
l’organisation des entités selon leurs ressemblances et leurs différences,
ce qui revient à la considérer comme résultant seulement d’un processus
d’abstraction-particularisation : un fauteuil, par exemple, est un siège
(processus d’abstraction) qui a un dossier et des accoudoirs (processus de
particularisation). Cependant, cette approche, très générale, ne met guère
en évidence le fait que, dans la conceptualisation, l’appropriation des rela-
tions causales entre propriétés apparaît souvent cruciale. S’il s’agit de
« conceptualiser l’esprit », par exemple, il est crucial de savoir ce qui cause
tel ou tel comportement ; pour conceptualiser le vivant, il est crucial de
savoir ce qui cause notre besoin de manger, celui de dormir, etc.
L’approche récente de la conceptualisation comme théorisation souligne
bien, en revanche, l’importance de ces relations causales.
De plus, cette approche récente de la conceptualisation souligne que
ces relations causales sont pratiquement toujours spécifiques à un domaine
de connaissances : trouver la cause des comportements d’un sujet dans ce
qu’il pense est l’objet spécifique de la psychologie du quotidien ; trouver
la cause des processus vitaux est celui de la biologie, etc. La conceptua-
lisation doit donc être étudiée domaine par domaine. De ce point de vue,
il est clair que la psychologie cognitive contemporaine conforte l’approche
des didactiques disciplinaires : l’étude des processus de conceptualisation
ne peut pas se faire sans s’intéresser aux spécificités du contenu à concep-
tualiser. Et il serait facile de montrer que cela reste vrai lorsqu’on s’inté-
resse à d’autres domaines comme celui de l’arithmétique élémentaire
(Brissiaud, 1995 ; 2003) ou encore de l’écrit.
Enfin, la présentation qui a été faite de l’album Il croit que… et celle
de séquences de classe favorisant la conceptualisation du vivant, prou-
vent qu’il est possible de s’inspirer de recherches récentes dans ces
domaines pour inventer de nouveaux dispositifs pédagogiques qui, vrai-
semblablement, favorisent mieux le progrès des élèves.

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La conceptualisation se fait par domaines, comment la favoriser ?

Bibliographie
Astington J.-W., Comment les enfants découvrent la pensée, Paris, Retz, 1993/1999.
Barth B.-M., L’Apprentissage de l’abstraction, Paris, Retz, 1987.
Brissiaud R., « Une analyse du comptage en tant que pratique langagière en
souligne le rôle ambivalent dans le progrès de l’enfant », in Astolfi J.-P. et
Ducancel G. (éd.), « Apprentissages langagiers, apprentissages scientifiques »,
Repères, n° 12, 1995, pp. 143-164.
Brissiaud R., Comment les enfants apprennent à calculer (nouvelle édition) : le rôle
du langage, des représentations figurées et du calcul dans la conceptualisation
des nombres, Paris, Retz, 2003.
Brissiaud R. et Malaussena P., Il croit que…, Paris, Retz, 2002.
Bruner J., Culture et modes de pensée, Paris, Retz, 1986/2000.
Bruner J., Car la culture donne forme à l’esprit, Paris, Eshel, 1990/1991.
Carey S., Conceptual Change in Childhood, Cambridge, MIT Press, 1985.
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Rayna S., Deleau M. et Laevers M. (éd.), L’Éducation préscolaire : quels objec-
tifs pédagogiques ?, Paris, INRP/Nathan, 1996, pp. 103-122.
Dunn J., Brown J. et Beardsall L., « Family talk about feeling states and chil-
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n° 27, 1991, pp. 448-455.
Houdé O., Rationalité, développement et inhibition : un nouveau cadre d’analyse,
Paris, PUF, 1995.
Inagi K. et Hatano G., « Young children’s understanding of the mind-body distinc-
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Keil F., Concepts, Kinds and Cognitive Development, MIT Press, 1989.
Piaget J. et Szeminska A., La genèse du nombre chez l’enfant. Pari, Delachaux &
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Wimmer H. et Perner J., « Beliefs about beliefs : representation and constraining
function of wrong beliefs in young children’s understanding of deception »,
Cognition, n° 13, 1983, pp. 103-128.

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Apprendre, comprendre
la lecture et
les « choses de l’école »

Gérard Chauveau

J e vais vous raconter une petite histoire, une histoire fort banale. Romain
et Jordan sont deux copains de six ans qui fréquentent la même classe de
CP. Au début, tout se passe normalement à l’école pour l’un et l’autre ;
l’enseignante constate qu’ils semblent « bien partis » et que, par exemple,
ils participent avec succès aux exercices de lecture-écriture : combinatoire,
déchiffrage, copie, reconnaissance de mots… Puis, assez vite, leurs parcours
divergent : dès la Toussaint, Romain fait partie du groupe des « bons »
tandis que Jordan « décroche ». Que s’est-il passé ? Romain a compris que
ce qui est à lire dans le manuel (Ratus), « c’est des histoires » ; il a compris
que ces textes à lire « sont drôles » et que l’on peut passer un bon moment
avec eux ; il a compris que les exercices de déchiffrage et de combinatoire
ont un sens : il peut les réutiliser quand il essaie de lire « une histoire de
Ratus », il peut les mettre au service de la lecture-compréhension. Et il a
compris que ce qu’il apprend avec le manuel Ratus est transférable : il peut
s’en servir pour lire dans un livre de la bibliothèque ou pour lire les affiches
dans la rue. Jordan n’a encore rien compris de tout cela : il pense que lire
dans Ratus, c’est « trouver des mots », point final.
Quelle est la morale de l’histoire ? Traditionnellement, l’enseignement
et la psychologie cognitive de la lecture se centrent – voire « se fixent » –
sur le décodage et l’identification des mots au CP. Jordan et Romain nous
montrent que c’est pour le moins insuffisant. Si l’on veut aider tous les
enfants de CP à devenir lecteurs, il faut aller au-delà des « méthodes de
lecture », au-delà de l’apprentissage/enseignement de la lecture, c’est-à-dire

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Apprendre, comprendre

au-delà des aspects instrumentaux de l’accès au savoir-lire. Bref, il faut


développer l’apprendre-comprendre la lecture, ce qui signifie permettre
aux enfants de comprendre la lecture… et d’en maîtriser les savoir-faire.

Si l’on veut mieux comprendre les processus et les difficultés d’appren-


tissage de la lecture, il faut regarder au-delà des mécanismes de base de
la lecture-écriture. La non-maîtrise de ces mécanismes est une compo-
sante importante des difficultés en lecture mais ce n’est qu’une partie de
ces difficultés. Elle est en fait associée à une mauvaise compréhension de
la lecture : au-delà de l’habilité à décoder-identifier les mots, c’est
l’apprendre-comprendre la lecture qui est défectueux – ou défaillant –
chez l’enfant mauvais lecteur. À l’inverse, le (futur) bon lecteur de CP a
des « idées claires » – et des connaissances variées – sur quatre objets : le
fonctionnement de l’écrit (la langue écrite), les fonctions de l’écrit (la
culture écrite), l’activité de lecture (le savoir-lire) et l’activité d’écriture
(le savoir-écrire, communiquer avec l’écrit). Il apprend-comprend « l’Écrit »
(l’ensemble de ces quatre objets).

Comprendre la lecture
Dans un premier temps, l’acquisition de la lecture (et de l’écriture)
– l’entrée dans l’écrit – est une acquisition pratique (ou pragmatique)1.
Au cours de cette première période – la phase d’expérience –, l’enfant
apprenti lecteur prend des habitudes… ou on lui donne des habitudes de
lecture et d’écriture : celle de se faire lire des histoires, celle d’observer
et de questionner les pratiques de lecture et d’écriture des « grands »,
celle de les imiter… Tous ces comportements, lorsqu’ils sont fréquents et
intégrés dans un rapport amical avec l’écrit, annoncent une probable réus-
site en lecture au CP. Ils servent de base pratique à l’acquisition des
connaissances et des compétences en lecture-écriture.

Mais, dès le début du CP – et même dès la grande section de mater-


nelle –, c’est la dynamique de l’apprendre-comprendre la lecture (et l’écri-
ture) qui joue un rôle déterminant dans la progression de l’enfant apprenti
lecteur. Cette dynamique correspond à la seconde période – la phase de
compréhension – de l’acquisition de la lecture. L’enfant se pose alors –
ou on lui pose – trois questions : pourquoi lire et apprendre à lire ?

1. Certains auteurs disent « expérientielle ».

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Apprendre, comprendre la lecture et les « choses de l’école »

Comment fonctionne l’écriture ? Que faire pour lire ? Peu à peu, il


comprend – ou on l’aide à comprendre – ce que sont l’écriture et la
lecture ; il élabore des réponses de plus en plus pertinentes aux trois ques-
tions initiales ; il développe une conception – une prise de conscience –
du lire-écrire de plus en plus « nette » et « ajustée ».

1. L’enfant comprend la culture écrite. Il ne sait pas encore lire, mais


il est capable d’exprimer un projet personnel de lecteur (le « vouloir lire ») :
« Je veux apprendre à lire parce que je pourrai lire des livres d’aventures,
j’aime bien les livres d’aventures… Pour faire des mathématiques ou de
la géographie… Pour apprendre des choses à l’école… Comme ça je lirai
des livres sur les dinosaures… Pour faire les courses (ou pour ne pas se
tromper quand on fait les commissions)… Pour écrire à ma grand-mère…
Pour lire des histoires à mon petit frère… » Il sait donner environ cinq
raisons culturelles d’apprendre à lire (compétence culturelle).

2. L’enfant comprend le principe alphabétique de notre écriture.


Même s’il ne sait pas lire, il peut découper en mots et ordonner une
phrase écrite (lue par l’adulte) ; il sait, par exemple, que le troisième
segment de l’énoncé « Bébé éléphant joue dans la rivière » est « joue ».
Il sait que les mots écrits transcrivent les éléments sonores des mêmes
mots entendus ou prononcés ; même s’il ne sait pas écrire « train », il a
compris que c’est « un petit mot » et qu’il faut trois marques (les lettres-
sons) pour noter les trois sons de la langue qui composent « train » à
l’oral (compétence linguistique).

3. L’enfant comprend la nature de l’activité de lecture. Il ne sait


pas encore lire mais il a à peu près saisi ce qu’il faut faire pour lire ; il
sait que pour lire un énoncé, il faut traiter trois sortes d’unités linguis-
tiques écrites : « se servir des lettres » (décodage), « trouver les mots »
(reconnaissance des mots, identification lexicale), « arranger les mots dans
sa tête pour que ça fasse une histoire » (organisation des mots, calcul
syntaxique, reconstruction de l’énoncé). Il a compris que lire, c’est « déchif-
frer et comprendre » (compétence lecturale ou stratégique).

Cette seconde période constitue la partie conceptuelle de l’acquisi-


tion de la lecture. Elle prend appui sur les expériences de l’enfant dans
le monde écrit : le jeune apprenti lecteur pense (sur) l’écrit, il (se) pose
des questions et (s’)interroge à propos de l’écrit, élabore des idées ou des
« théories » fragiles et provisoires à partir de sa pratique de l’écrit, à partir

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Apprendre, comprendre

de ses activités sur/avec l’écrit partagées avec des « lettrés » (ceux qui
savent lire et écrire). Et cette partie conceptuelle sert elle-même de base
à l’installation des savoir-faire – les mécanismes, les outils – de la lecture.

Les enfants qui arrivent au CP en ayant compris la lecture-écriture –


en ayant notamment découvert le principe phonographique et élaboré
un projet personnel de lecteur – ont neuf chances sur dix de réussir
l’apprentissage de la lecture. À l’inverse, certains sont déjà en difficulté
dès leur entrée au CP. Ces difficultés « conceptuelles », spécifiques de
l’apprentissage de la lecture, ne se rencontrent pas dans un seul domaine
mais dans les trois secteurs ; ces enfants n’ont pas (encore) compris ni
« comment ça marche » (le système d’écriture), ni « pourquoi apprendre
à lire » (la culture écrite), ni « ce qu’il faut faire pour lire » (l’acte de lire).

Voici l’exemple de Mélanie. Celle-ci se dit contente d’être au CP et


d’apprendre à lire.
– Le chercheur : « Pourquoi tu aimes ça ? À quoi ça sert de savoir lire ? »
– Mélanie : « Ça sert à connaître des mots : papa, maman, Mélanie,
joue, Ratus… »
– Le chercheur : « À quoi ça sert de connaître ces mots ? »
– Mélanie : « Ça sert à les écrire. »
– Le chercheur : « Et à quoi ça sert de les écrire ? »
– Mélanie : « Ça sert à apprendre à lire. »
– Le chercheur : « Ça sert à apprendre à lire quoi ? »
– Mélanie : « Des mots … papa, maman, Ratus… »
– Le chercheur : « Comment tu fais pour lire ce qui est écrit ici ? » (On
montre un court texte du manuel utilisé en classe).
– Mélanie : « La maîtresse elle le dit ; nous on écoute et on s’en
rappelle… et après, moi, je le dis. »
– Le chercheur : « Comment tu fais pour écrire un papillon ? Dis-moi,
montre-moi comment tu as fait ? » (mots dictés : un papillon, la farine,
le gâteau ; phrase dictée : un papillon vole sur les fleurs).
Mélanie écrit liatec puis dit « un papillon » en montrant d’un geste
continu ce qu’elle a écrit. Elle note lictatce (pour la farine), elle « lit »
(dit) « la farine », puis montre d’une traite lictatce en disant « la farine ».
Elle écrit éliatrec (pour le gâteau) et « lit » (dit) « le gâteau ». De même,
elle écrit lilisil et « lit » (dit) « un papillon vole sur les fleurs ».

Habituellement, quand on parle des difficultés d’apprentissage de la


lecture, on a en tête les difficultés « instrumentales », celles qui relèvent

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Apprendre, comprendre la lecture et les « choses de l’école »

de la conscience phonologique et de la connaissance du code grapho-


phonique. Effectivement, Mélanie obtient des scores faibles à plusieurs
épreuves « instrumentales » : nommer les lettres (a, p, e, t, f…), fusionner
deux phonèmes (/r/…/a/→/ra/ ; /f/…/u/→/fu/…). Mais ces difficultés qui
concernent les « mécanismes de base de la lecture » ne sont pas isolées ;
elles sont associées à d’autres difficultés spécifiques de l’acquisition de
l’Écrit : celles qui relèvent de la « mécompréhension » (de la méconnais-
sance) des aspects techniques et culturels de l’écriture et de la lecture.
Derrière les difficultés phonologiques (et phonographiques) de Mélanie
au tout début de l’enseignement systématique de la lecture au CP, c’est
en réalité l’ensemble de l’apprendre-comprendre la lecture qui est fragile
ou « déficient ».

Résumons : commencer à apprendre à lire, c’est comprendre l’écriture


et la lecture, c’est découvrir les trois dimensions de l’acquisition du lire-
écrire (G. Chauveau, 1997 ; G. Chauveau, 2001 ; G. Chauveau et É. Rogovas-
Chauveau, 2001) :
– culturelle : les pratiques et les finalités de l’écrit ;
– linguistique : le principe alphabétique de notre écriture ;
– stratégique : les principales opérations en jeu dans l’acte de lire.

Mais il faut aller plus loin. Pour l’enfant-écolier de six ans, apprendre-
comprendre les choses de l’école ne se limite pas à apprendre-comprendre
la lecture ou, plus exactement, apprendre-comprendre « l’Écrit »
(l’ensemble langue écrite-lecture-écriture-culture écrite).

Comprendre l’activité de l’apprenant


La manière d’apprendre à lire pose un problème, elle aussi, à une
partie des élèves de CP. Les fausses hypothèses sur « comment apprendre
à lire » constituent une source fréquente de difficulté chez les enfants
apprentis lecteurs.
– Le chercheur : « Comment fais-tu pour apprendre à lire ? Par exemple,
quand c’est la leçon de lecture en classe, qu’est-ce que tu fais ? Comment
tu fais ? »
Voici les réponses de quelques élèves de CP signalés pour leurs diffi-
cultés d’apprentissage.
– Anne : « Il faut être sage et gentille avec la maîtresse…, c’est tout. »
– Sébastien : « Je peux pas lire, j’ai pas de ciseaux. »
– Rachid : « Il faut copier, copier beaucoup de livres. »

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Apprendre, comprendre

– Mikaël : « Je sais presque parce que je sais les lettres de l’alphabet :


a, b, c, d, e, f… »
– Nadia : « Quand je dors, je rêve, je pense à qu’est-ce qu’il faut lire. »

Ces enfants ont besoin d’« apprendre à apprendre ». Plus précisément,


ils ont besoin d’apprendre-comprendre ce qu’il faut faire pour apprendre
à lire. Ils n’ont pas (encore) compris la nature de l’activité apprenante
« intelligente ». La première, Anne, a adopté un comportement « passif »,
attentiste face aux apprentissages de l’école et face à l’enseignant parce
qu’elle confond deux rôles : celui de l’élève (sage et obéissant) et celui de
l’apprenant (qui pense, cherche, raisonne, mobilise ses connaissances et
son intelligence). Les deux suivants sont dans l’activisme, dans le « faire »
parce qu’ils confondent activité physique et activité intellectuelle ; pour
eux, « travailler » ou être « en activité », c’est faire un travail manuel,
manipuler des objets, découper, coller, tracer des lettres, copier mécani-
quement… Ces enfants sont « en dehors des apprentissages » – en dehors
de l’apprendre – parce qu’ils ne savent pas (encore) différencier le fait
d’écouter la maîtresse (obéir) et celui d’écouter la leçon (s’instruire,
apprendre), ou « être actif » (être dans l’action) et « être acteur de son
apprentissage » (être en activité intellectuelle, acquérir des connaissances
et des compétences).

Pour les élèves qui « fonctionnent bien » au CP, le mot « travailler »


est associé à apprendre-comprendre, c’est-à-dire à la maîtrise des appren-
tissages fondamentaux : savoir lire, savoir communiquer ou s’exprimer par
écrit, etc. Pour de nombreux enfants de CP ou de CE1 signalés comme
étant en difficulté, « travailler » en classe (pendant les leçons de lecture
ou d’écriture) a un sens tout à fait différent ; c’est effectuer une succes-
sion de petites actions ponctuelles : « On écrit la date… on écrit maison…
on écrit dans les trous… on écrit dans le cahier bleu… y’a des mots écrits,
il faut les écrire… » Ou bien c’est réaliser une grande quantité d’actions
mal identifiées : « On fait plein de choses… on fait plein de travail… y’en
a beaucoup (ou on travaille beaucoup)… on écrit… c’est dur. » Quelques-
uns précisent que « c’est bien » ou que « c’est mieux que la maternelle.
En maternelle, on fait que jouer ».
« Qu’est-ce que tu viens de faire et qu’est-ce que tu viens d’apprendre
avec la maîtresse ? ». Quand cette question leur est posée à la suite d’une
séquence de lecture et/ou d’écriture, une partie des écoliers de CP font
bien la différence entre « j’ai fait » (manié, manipulé…) et « j’ai appris »
(acquis telle connaissance ou tel savoir-faire) : « On a appris à lire et écrire

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Apprendre, comprendre la lecture et les « choses de l’école »

les jours de la semaine : lundi, mardi… On a appris “di” : ça s’écrit


“d, i”… ». En revanche, quelques-uns ne parlent que du « faire » : « On a
colorié… ». Ils prennent un moment, un procédé, une petite partie de
« l’activité » ou de la séquence de travail (colorier, remplir des cases…)
pour l’activité cognitive (en l’occurrence, une activité de lecture-écriture).
Au cours de cette leçon, ils ont colorié (ou peut-être appris à colorier)
pendant que les premiers apprenaient à lire.

Des élèves en difficulté peuvent assez souvent trouver du plaisir ou de


l’intérêt à des activités de lecture-écriture, surtout si elles sont présentées
sous une forme attractive. Mais quand ils expliquent ce qui leur a plu,
ils n’évoquent que l’aspect ludique : « C’était un jeu… il fallait lever la
main en premier… ». Leur intérêt pour la langue écrite elle-même et leur
implication cognitive dans l’écrit ne semblent guère avoir progressé.

Comprendre l’activité de l’enseignant


Dans bien des cas, comme on vient de le voir, si un élève ne
comprend pas bien ce qu’il doit faire dans les situations d’enseigne-
ment/apprentissage, s’il est à côté de l’activité apprenante, c’est qu’il
comprend mal « ce qui se passe » du côté de l’enseignant, il appréhende
mal « ce que veut/propose » ce dernier.

Dans cette classe de CP, tous les élèves « réussissent » l’exercice du


moment qui consiste à écrire « le bon mot » (lapin) sous l’image d’un
lapin. Et pourtant ! Quand on discute avec chaque enfant, on s’aperçoit
que quelques-uns ont interprété la tâche d’une façon singulière ; ils
pensent qu’il s’agit d’associer deux formes graphiques, de rapprocher deux
dessins : l’un figuratif (l’image du lapin) et l’autre abstrait ou géométrique
(constitué de boucles, de ronds, de barres). Ils sont loin de la logique de
l’enseignant, loin d’avoir saisi son objectif didactique et loin d’avoir acquis
la compétence visée : comprendre que 1. lapin est composé de deux syllabes
« la + pin » ; 2. la se retrouve dans d’autres mots : laver, lama, salade… ;
3. pin est présent dans d’autres mots comme sapin, pintade, pince… ;
4. ces éléments sont utiles pour décoder des mots mais aussi pour lire-
comprendre des textes.

Dans un autre CP, au cours d’une séquence de lecture, l’enseignant


présente trois mots écrits : rouge, poule, mouton. La tâche semble très
simple : 1. remarquer que ces trois mots contiennent le son « ou » et le

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Apprendre, comprendre

phonogramme ou ; 2. en tirer une règle : « ou » s’écrit ou et ou note « ou » ;


3. mettre cette connaissance phonographique au service de la lecture (ou
de l’écriture) de mots et de phrases. Mais deux ou trois enfants n’ont pas
perçu ce que fait et ce qu’attend l’enseignant. Ils donnent un tout autre
sens à l’exercice : il s’agit seulement de répéter, après le maître, « rouge »,
« poule », « mouton ». Certes, ils « participent » ; ils peuvent même avoir
l’illusion – et donner l’illusion – de lire. Ils croient « bien faire » ; ils croient
faire ce que demande le maître, mais ils sont « à côté » ou « ailleurs ».

Ainsi, des enfants d’intelligence normale sont en difficulté dans des


situations scolaires tout à fait banales, dans des tâches qui semblent
simples, voire évidentes, du point de vue des éducateurs. Ces enfants
« n’entrent pas – ou entrent mal – dans les apprentissages » parce qu’ils
comprennent mal « le travail » du maître, parce qu’ils se méprennent sur
le comportement et les intentions de l’enseignant : où veut-il en venir ?
Qu’est-il en train de faire ? Quel est le sens de la tâche qu’il propose ?

Comprendre l’activité des « partenaires


d’apprentissage »
Je vais vous raconter une nouvelle petite histoire aussi banale que
celle de Romain et Jordan. C’est celle de Marie. Après quatre mois de
CP, Marie se caractérise, d’après l’enseignante, par ses difficultés d’appren-
tissage de la lecture et sa grande timidité. Au cours d’une séance indivi-
duelle de lecture (avec un chercheur), elle se lance dans une syllabation
pénible du petit texte et délaisse toute recherche de sens : « Je lis comme
avec maman », explique-t-elle. Au second essai, après avoir écouté les
remarques de l’adulte, elle regarde l’image qui accompagne l’énoncé écrit,
repère deux ou trois mots puis invente une histoire. Elle se justifie en
disant : « Je lis comme avec la maîtresse. »
Marie est incapable (pour l’instant) de combiner, d’associer les aides
et les informations fournies par l’enseignante pendant la journée de classe
et celles apportées par la mère, le soir à la maison. Elle « ne voit pas le
rapport » entre ce que fait la première (centrée sur « le tout sens ») et ce
que fait la seconde (centrée sur « le tout son »). Plus même : elle entend
– ou croit entendre – des oppositions, des désaccords entre les deux inter-
venants et entre les deux méthodes. Ceci l’a conduite à élaborer une
conception « étrange » de l’activité de lecture : il y a un savoir-lire domes-
tique (on produit du son en assemblant des lettres-sons) et un savoir-lire
scolaire (on produit du sens en devinant l’histoire).

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Apprendre, comprendre la lecture et les « choses de l’école »

À six ans, des enfants d’intelligence normale éprouvent de sérieuses


difficultés d’apprentissage parce qu’ils « vivent » un conflit (relationnel
ou pédagogique) entre l’école et la famille. Ils se représentent les diffé-
rents lieux (l’école et la maison) et les différentes interventions (celle de
l’enseignant, celle des parents) comme « contraires ». Ce sont des appre-
nants « écartelés » qui ne savent pas quel guide choisir ni quelle conduite
adopter face aux apprentissages.
Même quand il n’y a pas de conflit vécu par l’enfant ou de situation-
problème douloureuse, des difficultés d’apprentissage analogues peuvent
exister. L’élève perçoit alors une juxtaposition d’interventions isolées les
unes des autres, une addition d’actes ponctuels et séparés, une succes-
sion discontinue ou disparate d’intervenants. Il ne construit aucun
« pont », aucun lien entre celui qui lui lit une belle histoire dans un livre
et celui qui lui fait étudier le son « oi » ; entre celui qui « fait la lecture »
– celui qui fait des leçons de lecture – et celui qui le fait lire – celui qui
l’aide à lire – (Chauveau, 2000).

Les difficultés d’apprentissage au CP


On estime qu’environ 15 % d’enfants de six ans dits « normaux » –
c’est-à-dire sans handicaps avérés – connaissent de sérieuses difficultés
d’apprentissage au CP, notamment dans le domaine de la lecture et de
l’écriture. Les observations et les études que je viens d’évoquer permet-
tent de mieux identifier et de mieux comprendre ces difficultés d’appren-
tissage – ces problèmes et ces obstacles cognitifs – qui se manifestent
dès le début de la scolarité obligatoire, dès le début de l’apprentissage
systématique (en particulier, celui de l’écrit).
Traditionnellement, on commet deux erreurs de diagnostic à leur sujet.
La première consiste à réduire les difficultés d’apprentissage de la
lecture aux seuls aspects « instrumentaux », voire « mécaniques » du savoir-
lire. Selon ce point de vue largement répandu dans et hors de l’école, la
difficulté du non-lecteur (ou du futur mauvais lecteur) se situe entière-
ment au niveau du décodage et de la combinatoire (analyse et synthèse
des éléments grapho-phoniques). Or, pour l’enfant de six ans, l’appren-
tissage de la lecture ne se résume pas à une question de mécanismes ou
d’habiletés instrumentales ; c’est également « une affaire d’intelligence »,
une affaire de réflexion cognitive et linguistique2. L’enfant apprenti

2. Voir, par exemple, Émilia Ferreiro, Éducation et culture écrite, Paris, Retz, 2001.

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Apprendre, comprendre

lecteur rencontre des problèmes de type logico-mathématique pour


comprendre « le code », c’est-à-dire pour comprendre la nature de notre
système d’écriture. Dans un premier temps, les jeunes enfants – y compris
une partie des écoliers de CP – ont une conception non linguistique (ou
prélinguistique) de notre écriture. La « chose écrite » est alors pensée
comme un logo (une image graphique) qui se rapporte directement au
référent (l’objet) et non comme un mot ou une suite de mots qui trans-
crit la parole.
C’est le cas de Mélanie (voir p. 32). Mélanie a eu des contacts avec
l’écrit mais elle n’est pas encore « entrée dans la langue écrite », dans le
code écrit. Pour elle, les choses écrites sont en dehors de la langue, indé-
pendantes de la langue. Elle peut manipuler des lettres mais comme des
objets physiques ou des formes géométriques, non comme des objets
linguistiques (phonographiques) qui notent des sons du langage ; pour
elle, un O, c’est « un rond », un A, c’est « un pointu » ou « un triangle ».
Elle peut aligner des lettres quand elle essaie d’écrire « papillon » ou
« gâteau », mais il s’agit pour elle de deviner (ou de produire) les éléments
visuels (grapho-perceptifs) d’une sorte de « dessin abstrait » de l’objet
papillon ou gâteau et non de transcrire (reproduire) la forme orale du
mot « papillon » ou « gâteau ».
Autre exemple : pendant cette phase logographique, pour écrire
« fourmi » ou « girafe », des enfants peuvent se centrer sur les caracté-
ristiques physiques, matérielles des deux animaux et non sur les caracté-
ristiques linguistiques et phonologiques des deux mots. Pour l’un, il faut
plus de lettres (ou « plus d’écritures ») pour écrire girafe que fourmi
« parce que la girafe elle est très grande » ; pour tel autre, il faut plus de
lettres pour écrire fourmi « parce qu’il y a beaucoup de fourmis ».

Bien qu’ayant le même statut de non-lecteur ou de pré-lecteur, une


bonne partie des enfants de six ans ont déjà découvert (compris) le prin-
cipe alphabétique de notre écriture avant d’entrer au CP. Certains
peuvent, par exemple, écrire « HATO » pour « chaton » et découper le
mot écrit en HA (« cha ») et TO (« ton ») ou même épeler « ch », « a »,
« t », « on » en montrant chaque lettre utilisée (H, A, T, O). Les « niveaux »
de lecture-écriture sont donc très différents d’un enfant à l’autre dès le
premier jour de la scolarisation obligatoire et dès la première leçon de
lecture. Les enfants de six ans qui ont compris que la « chose écrite »,
c’est de la langue, de la parole mise par écrit, qui ont compris que ce qui
s’écrit, c’est ce qui se dit (ou ce qui s’entend), ont de grandes chances de
savoir lire à la fin de l’année de CP. Le succès des enfants « logogra-

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Apprendre, comprendre la lecture et les « choses de l’école »

phiques » (ou « prélinguistiques ») est plus incertain : il dépend fortement


des pratiques de l’écrit qui sont développées dans l’école (et donc des
pratiques pédagogiques des enseignants) et hors de l’école (dans le milieu
familial, dans les structures périscolaires…).

La seconde erreur de diagnostic consiste à ignorer les difficultés


d’apprentissage qui ne portent pas directement ou uniquement sur l’objet
« officiel » d’enseignement/apprentissage, en l’occurrence ici la langue
écrite ou « l’Écrit ». Or, fréquemment, une difficulté dans le domaine du
lire-écrire est associée à une difficulté à comprendre « l’École », c’est-à-
dire les situations scolaires, les règles du jeu de l’apprentissage scolaire.
Ainsi, les enfants classés mauvais lecteurs ou non lecteurs ont souvent
bien du mal à saisir « ce qu’il faut faire » pendant les leçons de lecture-
écriture, « ce qu’il faut faire » pour apprendre à lire. Quelques-uns utili-
sent régulièrement la « méthode du loto » : ils croient que, comme à la
loterie, seuls le hasard et la chance interviennent. Certains emploient la
« méthode du marteau » : ils pensent que, comme avec un marteau, il suffit
de refaire, de réitérer tel ou tel geste pour apprendre à lire et savoir lire.
D’autres encore recourent à la fameuse « méthode du perroquet » : ils écou-
tent puis ils répètent, ils récitent au lieu de traiter l’information écrite.
Anne, Sébastien et Rachid (voir pp. 33-34) le mettaient déjà en
évidence : les « méthodes » des enfants pour ne pas apprendre à lire sont
variées. Mais elles expriment toutes la même difficulté : c’est la nature
même de l’activité intellectuelle, de l’activité apprenante scolaire
(apprendre à lire, à écrire, à calculer) qui reste opaque. Nombre d’élèves
en difficulté sont « à côté de l’apprendre », et, en particulier, hors de la
lecture, parce qu’ils ne comprennent pas ce que veut dire « apprendre à
l’école » ou « apprendre à lire ».
De même, les enfants qui sont en difficulté dans l’apprentissage de la
lecture appréhendent mal, très souvent, la nature du « jeu » ou de l’exer-
cice proposé par l’enseignant.
C’est le cas de Simon qui « n’entend pas le son “a” » :

Enseignant : « “Chat… chat”… Tu n’entends pas “a” ? »


Simon : ……
Enseignant : « “chat”… Qu’est-ce que tu entends dans “chat” ? »
Simon : « Miaou ! »

On peut dire que Simon présente un déficit linguistique – ou, plus


précisément, métalinguistique – particulier : sa capacité à traiter les

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Apprendre, comprendre

phonèmes (la conscience phonique) semble faible. Mais on peut dire aussi
que cet enfant ne comprend pas la tâche ou la situation d’enseigne-
ment/apprentissage. Ou plutôt, il l’interprète d’une façon non scolaire : il
s’intéresse à l’objet concret, à l’animal (un chat) qu’on entend miauler
(« Miaou ») alors que l’enseignant attend qu’il s’intéresse à la forme sonore
du mot « chat » et à ses constituants phonologiques (on entend « a », on
isole « a »).

La mise en activité intellectuelle


Dès le CP, la grande affaire de l’école (et des enseignants), c’est
la mobilisation de l’intelligence, la mise en activité intellectuelle de tous
les élèves, et notamment celle des élèves dits fragiles ou en difficulté.
Et c’est probablement aussi la plus grande difficulté de l’école (et des
enseignants).
L’exemple de Romain et Jordan (voir p. 29) nous le rappelle : certaines
pratiques pédagogiques, certaines « méthodes » d’enseignement de la
lecture ne parviennent pas à faire réussir des enfants, même quand ils
semblent « bien partis ». On peut « faire de la lecture » tous les jours, on
peut effectuer des « activités (dites) intellectuelles » tous les jours… sans
être – ou sans se mettre – en activité intellectuelle.

Certains acquis en lecture-écriture peuvent être trompeurs et certains


apprentis lecteurs peuvent faire illusion. Il y a, par exemple, l’enfant qui
« connaît ses lettres » – il sait réciter a, b, c, d, e, f…, il sait dire « bé »
en voyant b et pé en montrant p – mais qui ne connaît pas « la valeur »
des lettres b et p, c’est-à-dire qui n’a pas encore compris leur rôle linguis-
tique, grapho-phonique. Il y a celui qui « sait lire » des dizaines de mots
– il reconnaît des formes graphiques comme lapin ou mouton – mais il
ne fait pas le rapprochement entre le la de lapin et le petit mot la (la
poule, la vache…) et il ne sait pas décomposer lapin en la + pin. Il y a
encore celui qui sait dire que « c’est pareil à la fin » en observant la série
de mots écrits « lundi, mardi, mercredi, jeudi… » mais qui ne peut établir
le lien entre le graphe di et la syllabe sonore « di ».
Pour l’essentiel, ces trois enfants appliquent à l’écrit un traitement
psychomoteur ou visuel… mais ils ne sont pas vraiment (ou pas encore)
en activité intellectuelle : ils mobilisent des habiletés qui relèvent de la
perception visuelle, de la discrimination visuelle, de l’organisation grapho-
perceptive, de la mémoire visuelle… mais ils ne sont pas (ou pas encore)
« entrés dans la langue écrite » ou « dans le savoir-lire ».

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Apprendre, comprendre la lecture et les « choses de l’école »

Apprendre à lire ou commencer à savoir lire, c’est autre chose. C’est


apprendre-comprendre que l’important ce ne sont pas les lettres de
l’alphabet mais les lettres-sons du code grapho-phonique ; c’est savoir
(comprendre) que b note le son « b » et p le son « p », que ou transcrit
le son « ou » ; c’est savoir que le son « ou » est toujours transcrit par ou,
que le son « b » est toujours transcrit par b et que le son « p » est toujours
transcrit par p. C’est apprendre-comprendre des règles du genre : le son
« ba » s’écrit b-a ou le son « di » s’écrit d-i. C’est apprendre-comprendre
que la lettre a a deux « valeurs » : ou bien c’est une lettre-son qui note
le « a » de « papa », « chat », « rat »… ; ou bien c’est un élément d’une
lettre-son : le « ai » de « maison », le « au » de « jaune », le « eau » de
« chapeau », le « an » de « maman », le « ain » de « demain ». Apprendre-
comprendre le code (le code grapho-phonique), être en activité intellec-
tuelle – en activité intelligente – sur le code, c’est être en position de
« linguiste ». C’est d’abord vouloir découvrir (comprendre) le code
(« comment ça marche »), vouloir percer « le secret des grands » qui savent
lire et écrire. Ensuite, c’est « être un chercheur » qui découvre (comprend)
« les bases » – ou les règles de base – de notre système d’écriture.

Mais, il faut le dire et le redire : 1. la plupart des enfants en difficulté


dans l’apprentissage de la lecture au CP, y compris les enfants « normaux »,
n’ont pas du tout acquis cette « position du linguiste » ; 2. l’enseignement
« ordinaire » de la lecture – « celui de tous les jours » dans l’école et hors
de l’école – ne stimule guère l’activité intellectuelle sur l’écrit des enfants
en difficulté.
Évidemment, l’activité intellectuelle sur l’écrit – ou l’activité intelli-
gente – ne concerne pas que le code grapho-phonique. Il faut rappeler
que les enfants fragiles (ou à risques) en lecture au CP ne possèdent pas
les trois clés qui « ouvrent les portes » du savoir-lire : comprendre les fonc-
tions et les usages de l’écrit, comprendre le fonctionnement de notre
système d’écriture et comprendre l’activité de lecture. Et malheureuse-
ment, en guise de situations d’apprentissage, en guise d’activités intel-
lectuelles, certains d’entre eux sont confrontés soit à l’étude d’un son
isolé, soit à des phrases écrites qu’il faut lire « globalement », c’est-à-dire
en fait apprendre par cœur. Pendant des semaines et des semaines, le
même « travail » se reproduit quotidiennement. Mais ces élèves n’ont
pratiquement pas l’occasion de poser les bonnes questions et de recher-
cher les réponses avec leurs enseignants : pourquoi lire et apprendre à
lire ? Comment fonctionne le code écrit ? Que faire pour lire ? Que faire
pour apprendre à lire ? À la fin du premier trimestre, ils ont – dans le

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Apprendre, comprendre

meilleur des cas – des « acquis » : ils connaissent n lettres, ils reconnais-
sent x mots… Mais la majorité d’entre eux n’a pas intégré ces connais-
sances ponctuelles, parcellaires dans une conception pertinente du
lire-écrire : c’est un savoir en miettes, voire un pseudo-savoir.

De la même façon, on peut faire des dictées tous les jours sans
apprendre l’orthographe. Il y a en fait deux sortes d’activités scolaires
nommées « dictées », deux façons radicalement différentes de faire – ou
de donner – une dictée3.
La première est exclusivement un exercice de contrôle qui permet de
noter et de classer les élèves.
La seconde est une situation d’apprentissage, un type particulier de
situation de résolution de problème : c’est l’occasion, pour chaque élève,
avec l’aide de l’enseignant ou/et du groupe, d’observer, de chercher,
d’analyser le fonctionnement de la langue écrite, l’occasion de comprendre
ses erreurs et d’améliorer ses techniques de production écrite. Le même
mot « corriger » peut prendre deux sens et renvoyer à deux conduites
contrastées, sinon opposées : soit l’élève corrige « mécaniquement » ou
« docilement » en exécutant l’injonction de l’enseignant (« Je mets un s
parce que le maître l’a dit. ») ; soit il corrige « intelligemment » en exer-
çant son activité réflexive ou son esprit (auto)critique (« Je mets un s
parce que j’ai réfléchi à la règle des adjectifs au pluriel ou/et parce que,
en me relisant, je m’aperçois que j’ai oublié le s. »). Certains élèves vivent
– et interprètent – toutes les tâches sur le seul mode du contrôle (ou de
l’exercice punitif)… et certains enseignants ne proposent que des dictées
de ce type.

On peut faire des remarques analogues à propos des techniques de


rééducation ou de remédiation pour les enfants en difficulté d’appren-
tissage de la lecture (« les dyslexiques »). Ces mauvais lecteurs font
souvent, régulièrement, longtemps des exercices de combinaison du genre :
« r + a », « p + é », « m + o »… Mais si cet entraînement n’est pas intégré
dans une activité intellectuelle – un travail intelligent – sur « le code »
(le système d’écriture), il peut générer des erreurs et de fausses connais-
sances… qui vont pérenniser, conforter les difficultés des enfants. Ainsi,
certains pensent que l’unité de base du code est la lettre (la lettre de

3. Faut-il noter l’existence d’une troisième sorte de dictée qui a pour but d’occuper les
élèves un certain temps ? Et d’une quatrième : la dictée-punition ?

42
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Apprendre, comprendre la lecture et les « choses de l’école »

l’alphabet) : ils vont donc avoir tendance à épeler les mots au lieu de les
décoder et de les identifier ; ils vont par exemple déchiffrer (décomposer)
« chat » en « c, h, a, t », ou « oiseau » en « o, i, s, e, a, u ». Ou bien ils
croient que la syllabe écrite se compose toujours de deux lettres présen-
tées dans l’ordre consonne + voyelle : peinture sera donc décodé « pe-ni-
tu-re » et armoire sera « lu » « ra-mo-ri-re ».
Avec des techniques voisines – et à première vue semblables – d’autres
intervenants réussissent quotidiennement à provoquer, activer « l’intelli-
gence » (la mobilisation intellectuelle) des faibles lecteurs sur le code.
Reprenons l’exemple des jours de la semaine. L’enfant a remarqué que
« “lundi, mardi, mercredi…”, ça finit pareil, ça s’écrit pareil à la fin ». De
même, il a noté que « “Mathieu, Marie, Mamadou…”, ça commence
pareil, ça s’écrit pareil au début ». Ces observations relèvent de l’activité
– et des habiletés – visuelles et grapho-perceptives… mais pas – ou pas
encore – de l’activité intellectuelle sur la langue écrite. L’enfant est en
activité intellectuelle quand, avec l’aide de l’adulte (éducateur ou réédu-
cateur), il réussit à dégager deux règles : « di » s’écrit d-i et « ma » s’écrit
m-a. Mettre l’enfant apprenti lecteur en activité intellectuelle sur le code,
sur « la mécanique » grapho-phonique de notre système d’écriture, c’est
l’aider à passer d’une logique visuelle ou grapho-perceptive à celle de
l’activité réflexive et linguistique.

Traditionnellement, on se focalise sur les méthodes de lecture – pour


ou contre « la globale », pour ou contre « la syllabique » ou « la phonique »
– alors que la différence essentielle est probablement entre « les
méthodes » (les procédés, les techniques, les aides) qui stimulent et orga-
nisent l’activité intellectuelle des enfants et celles qui ne le font pas (ou
qui le font peu). Il existe bien des « méthodes » (du côté des adultes) pour
ne pas mettre en activité intellectuelle, sur le code, les enfants fragiles
ou en difficulté. Quelques-unes se consacrent entièrement au « montage
des mécanismes de base » les plus simples : « ba, bo, bi, bu… » D’autres
ne proposent que des activités de discrimination visuelle : entourer la
graphie (la forme) ba, repérer le mot (la forme graphique ou la silhouette)
bateau… Certains ne mobilisent que la mémoire visuelle : installer le
« capital mots » ou le « capital phrases »… D’autres encore stimulent
uniquement l’activité motrice : cocher (plus ou moins au hasard), tracer,
colorier, remplir les cases ou « les trous »… Et il y a celles qui présentent
de « vrais textes » ou de « vrais livres »… et qui s’arrêtent là, qui se servent
du « plaisir » ou de la « motivation » comme substitut de l’activité intel-
lectuelle sur le code.

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Apprendre, comprendre

C’est pourquoi la majorité des enfants en difficulté dans l’apprentissage


de la lecture sont des enfants qui sont en sous-activité intellectuelle (au
moins en ce qui concerne le code). Traditionnellement, on les présente
comme des enfants « qui ne savent pas » (ou qui ne savent pas faire) alors
que ce sont aussi – ou peut-être d’abord ? – des enfants « qui ne pensent
pas » (sur l’Écrit), des enfants qu’on ne met pas (ou trop rarement) en acti-
vité intellectuelle, qu’on ne met pas en position de chercheur (sur l’Écrit).

Conclusion : vers une pédagogie


de l’apprendre-comprendre
L’enfant qui arrive en CP n’est pas seulement confronté aux objets
d’apprentissage « officiels » qui sont ceux des programmes. Il est aussi
face à trois objets d’apprentissage qui ne sont pas mentionnés dans les
programmes scolaires et qui sont donc rarement enseignés, c’est-à-dire
étudiés de façon explicite. Ces trois objets constituent la face cachée des
apprentissages scolaires fondamentaux.
À côté de – ou imbriqué dans – l’apprendre-comprendre la lecture, il
y a l’apprendre-comprendre l’école. L’apprendre-comprendre la lecture
est déjà fort complexe puisqu’il s’agit pour l’élève de CP de maîtriser non
pas un seul objet, nommé « lecture » ou « langue écrite », mais quatre :
le système d’écriture (le code écrit), l’activité de lecture (le savoir-lire),
l’activité de production écrite (le savoir-écrire) et « le monde de l’écrit »
(la culture écrite, l’ensemble de ses pratiques et de ses objets).
Mais en plus – ou en même temps –, cet élève doit maîtriser trois
autres « choses de l’école » qui ne sont presque jamais nommées et mises
au grand jour : l’activité de l’élève apprenant (comment apprendre à
l’école), l’activité de l’enseignant (ce que veut, ce que fait le maître), et
l’activité des différents intervenants dans les apprentissages scolaires (le
lien et la complémentarité des partenaires et des lieux).
Si l’on veut prévenir l’illettrisme, prévenir les échecs en lecture-écri-
ture, il faut sans doute mettre l’apprendre-comprendre la lecture et
l’apprendre-comprendre les choses de l’école au centre du CP (ou au
centre du cycle 2). Les enfants de six ans, et en particulier les enfants
« fragiles » ou « à risques » en lecture-écriture ont besoin d’apprendre-
maîtriser les deux savoir-faire de base de la lecture : décoder-identifier les
mots et explorer-questionner les énoncés écrits. Mais ils ont également
besoin d’apprendre à comprendre « les autres choses » de l’école. Tout
cela est l’affaire de l’école. Celle-ci doit enseigner la compréhension, c’est-
à-dire, au niveau du CP, la compréhension des choses de l’école.

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Apprendre, comprendre la lecture et les « choses de l’école »

Je me suis beaucoup intéressé jusqu’ici à l’apprendre-comprendre au


CP et à l’apprendre-comprendre à lire. On sait bien que le CP et l’appren-
tissage de la lecture occupent une place particulièrement importante dans
le système scolaire et dans la vie des élèves. Mais je voudrais élargir mon
propos en guise de conclusion.
Pour moi, se centrer sur les apprentissages scolaires et la réussite
scolaire, cela veut dire vouloir former des enfants chercheurs, des enfants
intelligents, de la maternelle au collège (mais on peut continuer au-delà !).
C’est se centrer sur l’apprendre-comprendre, c’est-à-dire sur une dyna-
mique « à sept dimensions », un objet complexe « à sept faces » :
– les connaissances et les savoir-faire scolaires ;
– les méthodes de travail : techniques pour organiser son travail, étudier
une leçon, comprendre une consigne, un questionnaire ; stratégies à
utiliser dans les tâches de résolution de problèmes ;
– les capacités cognitives : mémoire, raisonnement, pensée logique,
esprit critique… ;
– les attitudes : curiosité intellectuelle, relation amicale aux choses de
l’école (les livres, l’écrit, les mathématiques…), écoute de l’autre et prise
en compte de son point de vue ;
– l’activité réflexive : réfléchir sur le sens et la nature de la tâche, sur
ses erreurs et ses succès, sur la manière d’apprendre ;
– l’utilisation des connaissances et des savoir-faire : s’en servir pour
découvrir-comprendre « le monde » ;
– le plaisir d’apprendre et de comprendre.

C’est en étant une école pour apprendre-comprendre, une école de


l’apprendre-comprendre que l’école pourra, enfin, devenir l’école de la
réussite dont tout le monde parle – en vain ? – depuis de longues années.

Bibliographie
Chauveau G., Comment l’enfant devient lecteur, Paris, Retz, 1997.
Chauveau G. (dir), Comprendre l’enfant apprenti lecteur, Paris, Retz, 2001.
Chauveau G., Rogovas-Chauveau É., « Des difficultés de lecture avant six ans »,
Psychologie et Éducation, n° 47, 2001, pp. 97-110.
Chauveau G., Comment réussir en ZEP, Paris, Retz, 2000.

Dossier « Réussir ses apprentissages à l’école », Nouvelle Revue de l’AIS, n° 25,


2004.

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Aides et remédiations
aux difficultés
de compréhension de textes

Frank Jamet
Denis Legros
Emmanuelle Maître de Pembroke

C omprendre les besoins éducatifs particuliers d’un élève, c’est intégrer


un système hypercomplexe où de multiples « univers » interagissent. Ces
univers – univers du sujet, univers de la famille, univers de l’école, univers
de la classe, etc. – peuvent constituer, pour le psychologue, pour l’ensei-
gnant spécialisé, des domaines qui pourront être à la fois la cause et le
vecteur de difficultés ou de dysfonctionnements dans les situations
d’apprentissage. Pour tel sujet, ce sera son histoire familiale qui contri-
buera à ce qu’il n’apprenne pas, pour tel autre, la représentation de l’école
constituera l’obstacle majeur…
Notre propos n’a pas pour objectif de détailler ces différents univers
et de voir en quoi ils interfèrent avec les difficultés d’apprentissage. Nous
tenions, par ses propos liminaires, à rappeler que les composantes qui
peuvent engendrer et amplifier les difficultés d’apprentissage sont
nombreuses et diverses. S’intéresser à l’une d’entre elles, cognitive en
l’occurrence, ne signifie pas pour autant que nous nions l’existence des
autres. Appliquant le proverbe « Qui trop embrasse mal étreint », nous
préférons donc nous focaliser sur ce seul domaine.
La lecture des circulaires 2002-111, 2002-113 indique que les actions des
enseignants spécialisés, intervenant au sein des RASED (Réseaux d’aide

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Apprendre, comprendre

spécialisée aux élèves en difficulté), peuvent se déployer sur l’ensemble


des cycles. « Des réponses peuvent être recherchées avec l’aide des person-
nels spécialisés des réseaux d’aide, de manière à organiser des regroupe-
ments d’adaptation permettant à ces élèves de consolider la maîtrise des
apprentissages fondamentaux sans les priver de la stimulation que repré-
sente leur classe de référence.1 » À la lumière de ces circulaires, nous
proposons de faire un point sur les difficultés d’apprentissage dans le
domaine de la maîtrise de la langue écrite en nous intéressant plus parti-
culièrement au versant réceptif, c’est-à-dire à la compréhension. Le cycle
III vise à assurer la transition entre l’attention centrée sur le travail du
code au cycle II et la focalisation sur la compréhension. Pour comprendre
les élèves à besoins éducatifs particuliers présentant des difficultés de
compréhension, nous rappelerons brièvement, dans une première partie,
les processus qui opèrent dans l’acte de lecture ainsi que les caractéris-
tiques du lecteur expert. Dans une seconde partie, nous présenterons un
rapide tableau des « logiques » qui sous-tendent les aides et les remédia-
tions dans le domaine de la lecture. Nous nous intéresserons ensuite aux
composantes majeures du traitement sémantique, puis à quelques facteurs
qui les favorisent. Enfin, la dernière partie sera consacrée à la présenta-
tion de quelques données expérimentales qui prennent un sens particu-
lier avec des élèves du cycle III.

Processus cognitifs et compréhension de texte


L’approche générale de la compréhension de textes dans laquelle
nous nous situons s’inscrit dans le cadre de la théorie du traitement de
l’information. Quatre principes fondent cette théorie : 1. La pensée résulte
de processus de traitement de l’information (si l’on souhaite saisir
comment s’effectuent ces traitements, il est indispensable de prendre en
compte à la fois la qualité des représentations, mais également les limites
du système cognitif). 2. La pensée résulte d’un traitement cognitif de
l’information (les mécanismes qui opèrent sont donc identifiables). 3. Avec
l’âge, la qualité des traitements de l’information évolue de façon dyna-
mique et continue. 4. Les processus de traitement de l’information sont
toujours mis en évidence par une activité, une tâche.
Comprendre ces processus de traitement implique nécessairement de
saisir ce qui compose l’activité demandée au sujet. Si nous appliquons

1. Circulaire n° 2002-113.

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Aides et remédiations aux difficultés de compréhension de textes

ces principes à l’activité de lecture, lire consiste à transformer de l’infor-


mation textuelle en représentations mentales. Cette transformation fait
appel à la fois à une série de processus qui opèrent simultanément ou
séquentiellement, et à des connaissances : connaissances générales (concep-
tuelles, langagières) et connaissances spécifiques. Le traitement textuel
est essentiellement un processus dynamique. Pour qu’il soit opérant, il
est nécessaire que la construction de la représentation s’effectue de
manière continue. En effet, au fur et à mesure que le lecteur avance dans
la lecture de son texte, il doit saisir avec attention toutes les marques et
tous les indices linguistiques, mais également intégrer dans sa représen-
tation, initialement activée ou construite, les nouvelles informations véhi-
culées. Ces dernières peuvent résulter du texte lui-même, mais également
provenir d’inférences « élaboratives » qui permettent d’activer les connais-
sances stockées en mémoire à long terme et que le lecteur possède sur
le domaine évoqué par le texte (St-George, Mannes et Hoffman, 1994).
L’activité de lecture, activité complexe, mobilise des capacités atten-
tionnelles importantes, qui se développent avec l’âge. Ces capacités
portent et sur le code et sur la compréhension. Plus le lecteur automa-
tise le traitement du code, plus il dégage de ressources attentionnelles
qu’il pourra consacrer à la compréhension.

Examinons brièvement les processus en œuvre.


Les processus cognitifs mis en œuvre consiste en un ensemble d’opéra-
tions qui vont permettre au sujet d’accéder à ses connaissances lexicales,
d’identifier les mots et ses différentes propriétés comme leur orthographe,
leur morphologie, leur phonologie, leur occurrence, et de réaliser un appa-
riement entre le signifiant et le signifié et ce, en fonction du mot, du
groupe de mots et de la phrase. Il devra également identifier la structure
syntaxique, élaborer les propositions sémantiques et leur signification
(traitement syntaxico-sémantique), les combiner et les intégrer de façon
cohérente. Pour comprendre ce qu’il lit, il établit des liens de cohérence
entre les informations ; cohérence locale (microstructure) ou signification
des phrases, puis cohérence globale ou signification de l’ensemble du texte
(Denhière et Baudet, 1992 ; Fayol, 1992, 2003 ; Perfetti, 1994).
La construction de la cohérence de la signification du texte s’effectue
par une mise en rapport, d’une part, entre les différentes informations
du texte (cohérence locale) et, d’autre part, entre l’ensemble des infor-
mations issues du texte et les connaissances inférées et stockées en
mémoire à long terme. Cette activité de construction se traduit par l’élabo-
ration de la macrostructure du texte.

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Apprendre, comprendre

Cette cohérence globale de la signification du texte est construite à


l’aide des connaissances générales et spécifiques que l’individu possède
sur le « micromonde » évoqué par le texte, mais également sur le contexte
et le monde environnant de l’élève. La signification psychologique de ces
différentes connaissances, qui est donc propre à chaque individu, est inté-
grée dans une représentation qui pourra être décrite en termes de modèle
de situation (Kintsch, 1998 ; Van Dijk et Kintsch, 1983) ou de modèle
mental (Johnson-Laird, 1983).
Les travaux conduits sur les spécificités des processus cognitifs du
lecteur expert indiquent : 1. que celui-ci réalise les processus de recon-
naissance et de signification de mots plus rapidement que le novice ;
2. que dans certaines situations, comme celle de la lecture de mots rares,
l’expert recourt en plus à un traitement phonologique automatique sur
lequel il n’a pas prise (Baccino et Colé, 1995) ; 3. que le lecteur expert est
dans l’incapacité de préciser les modalités de traitement ; en revanche, il
est conscient que le résultat est opérant.

Les « logiques » des remédiations


Si l’on examine les « logiques » qui sous-tendent les aides et les
remédiations proposées pour améliorer la compréhension en lecture,
on constate qu’elles se sont portées, d’une part, sur les deux compo-
santes du couple « lecteur/texte » et, d’autre part, sur le système
« lecteur/texte » en tant que tel (Daguet, Legros, Ghiglione et Denhière,
1999). Une dernière voie est également explorée : elle consiste à prendre
en compte le contexte linguistique et culturel du lecteur, et, plus préci-
sément, le système de connaissance/croyance construit dans son envi-
ronnement et sa culture (Hoareau et Legros, 2006 ; Legros et Maître
de Pembroke, 2005).

Les remédiations du couple « lecteur/texte »


La remédiation aux difficultés du couple « lecteur/texte » s’est déve-
loppée en agissant soit sur le lecteur, soit sur le texte lui-même.
L’idée princeps des remédiations qui portent sur le lecteur consiste à
développer des procédures métacognitives actives. En fonction d’objec-
tifs précis, l’élève applique de façon délibérée une ou des procédures
qu’il a lui-même construites. En fonction des besoins particuliers de
l’élève, on lui enseignera un nombre limité de procédures pour améliorer
ses capacités de compréhension de textes. L’accent pourra alors être mis

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Aides et remédiations aux difficultés de compréhension de textes

sur la construction de microstructures (cohérence locale), l’activation des


connaissances spécifiques pour produire des inférences qui permettent
de saisir les informations manquantes, l’identification des informations
importantes ou pertinentes, etc. Un autre objectif sera de développer
chez le lecteur des procédures de contrôle de sa propre compréhension.
Il pourra ainsi maîtriser leur efficacité. Pour ce faire, il convient d’expli-
citer de manière « magistrale » les procédures à utiliser ou à accompa-
gner le travail cognitif du sujet (Fayol, 1992 ; Gombert, 1990 ; Gombert
et Colé, 2000).
Les remédiations qui se focalisent sur le texte partent du principe que
l’objet texte est en lui-même complexe et que les difficultés que le lecteur
rencontre sont « co-substantielles » au texte même. Pour accroître l’atten-
tion portée au texte, ces remédiations s’appuient sur l’art typographique
en jouant sur l’enrichissement du texte, avec des soulignés, des encadre-
ments, des tailles de caractères ajustées, ainsi que sur sa mise en page.
Ces artefacts permettent de mettre davantage en évidence les informa-
tions importantes ou pertinentes nécessaires à l’élaboration de la macro-
structure du texte. Cette organisation du texte a pour but d’aider le lecteur
à identifier et à hiérarchiser les unités de signification en fonction de leur
niveau d’importance relative ou de pertinence. Dans cette même optique,
la présence de résumés constitue une aide. L’ensemble de ces aménage-
ments du texte contribue également à un allégement des capacités
mnésiques.

Les remédiations du système « lecteur/texte »


Les travaux développés en particulier par Denhière et Legros
ouvrent une troisième voie en s’intéressant non plus au texte et au lecteur,
mais en partant du principe que lecteur et texte forme un système.
L’approche débute par un diagnostic initial des compétences en compré-
hension de textes qui débouche sur un profil précis des compétences du
lecteur. La remédiation consiste, d’une part, à élaborer des textes qui
répondent aux problèmes rencontrés, et, d’autre part, à agir sur le versant
cognitif du lecteur (Daguet, Legros, Ghiglione et Denhière, 1999 ;
Denhière, Thomas, Legros et Caillies, 1998 ; Legros, Mervan, Denhière et
Salvan, 1998).

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Apprendre, comprendre

Les composantes majeures du traitement sémantique


Trois composantes majeures participent à l’élaboration de la
construction de la cohérence de la signification du texte : 1. l’établisse-
ment des relations temporelles et causales entre les éléments ; 2. la hiérar-
chisation de l’information en fonction de son niveau d’importance
relative ; 3. la « lyophilisation » (condensation) de l’information. Les deux
derniers traitements ont pour effet d’alléger la charge de la mémoire de
travail et ainsi de favoriser ces deux traitements en fonction du niveau
d’importance relative et de pertinence de l’information et de son contexte.
L’aide à l’établissement des relations temporelles et causales entre les
informations contenues dans le texte contribue à la construction de la
cohérence de la représentation mentale en permettant d’optimiser l’enco-
dage des données extraites du texte. Elle permet également une meilleure
récupération de l’information en mémoire. Toutes les tâches qui impli-
quent la remise en ordre de phrases d’un texte contribuent à l’élabora-
tion d’une représentation mentale cohérente.
Le processus de hiérarchisation des informations contenues dans le
texte se traduit par un jugement d’importance relative de ces infor-
mations. Ce processus est activé lorsque l’on demande par exemple à
un sujet de classer en trois catégories – « importante », « moyennement
importante » et « peu importante » – les phrases d’un texte. Cette acti-
vité de hiérarchisation se réalise par un double mécanisme d’élimina-
tion de l’information non pertinente ou de sélection des données
textuelles importantes. Ces deux mécanismes ne sont pas du même
niveau de difficulté. Il est plus facile d’éliminer les informations non
pertinentes ou peu importantes d’un texte que de sélectionner celles
qui sont les plus importantes ou les plus pertinentes. Le processus de
hiérarchisation des informations permet au lecteur de lier les informa-
tions contenues à l’intérieur d’une phrase, entre les phrases, au sein des
paragraphes et entre paragraphes, et de l’ensemble du texte. Le
processus de hiérarchisation de l’information en fonction de son impor-
tance relative ou de sa pertinence joue un rôle déterminant dans la
construction de la signification globale du texte. Ces processus mis en
œuvre dans des tâches d’apprentissage explicite de la compréhension
améliorent le contrôle de l’activité de compréhension et la gestion des
capacités mnémoniques.
Les deux types de processus (établissement des relations temporelles
et causales, et hiérarchisation) sont complémentaires. La mise en relation
des informations contribue à la hiérarchisation, et la hiérarchisation est

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Aides et remédiations aux difficultés de compréhension de textes

nécessaire pour mettre en cohérence l’ensemble des informations (Legros,


Mervan, Denhière et Salvan, 1998).

Les facteurs favorisant la mise en œuvre


des processus cognitifs
Pour mettre en jeu les processus de construction de la significa-
tion d’un texte, le lecteur doit disposer d’une connaissance lexicale mini-
male. On gardera à l’esprit que 900 mots constituent 90 % des occurrences
de mots utilisés dans les textes de l’école élémentaire. Un élève qui possède
ces 900 mots, c’est-à-dire qui est capable de les utiliser dans leur sens
propre et figuré dispose des pré-requis sur le plan lexical pour comprendre
les textes qu’il rencontrera.
Les travaux en psychologie montrent que si l’on utilise certaines
propriétés des mots, on accroît la rapidité du processus de reconnaissance.
Par exemple, si l’on propose une tâche dans laquelle les mots utilisés ont
une fréquence d’occurrence2 élevée, ces mots auront tendance à être
reconnus plus rapidement par la majorité des lecteurs. L’effet de fréquence
s’observe dans de nombreuses tâches, comme les tâches de décision lexi-
cale (mot versus non-mot), de dénomination, de catégorisation ou de juge-
ment d’association (Brysbaert, Lange et Van Wijnendaele, 2000).

Quelques données expérimentales


L’ensemble des recherches que nous évoquons porte pour l’essen-
tiel sur des populations d’élèves de fin de cycle II ou de cycle III ; certaines
se sont intéressées à des élèves plus âgés (adolescents et jeunes adultes)
scolarisés en lycée professionnel.
Il se dégage des résultats issus de la recherche ou des évaluations natio-
nales, d’une part, que la maîtrise de la reconnaissance des mots, même
fréquents, est peu sûre et, d’autre part, que l’intégration du traitement
des mots comme des phrases, ainsi que leur compréhension ne sont pas
encore maîtrisées chez de nombreux élèves.
Les résultats que nous présenterons dans cette partie sont issus de deux
générations de travaux. Dans leur phase initiale, les recherches en séman-
tique cognitive ont eu pour objectif de dégager des invariants cognitifs ayant
trait aux processus comme aux représentations. Certes, des améliorations

2. Taux relatif d’utilisation dans la langue.

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Apprendre, comprendre

patentes ont pu être observées ; il n’en demeure pas moins que dans certaines
situations, les progrès ne sont pas toujours au rendez-vous. Ce constat a
conduit les chercheurs à intégrer dans leurs conceptualisations de nouvelles
approches comme celle de la psychologie culturelle comparative.
Comprendre un écrit est, comme nous l’avons vu, un processus
complexe. Il résulte d’une interaction entre un sujet caractérisé par des
connaissances générales, des connaissances spécifiques, des croyances, et
un texte. Si les connaissances générales ont été prises en compte dans la
première génération de travaux par l’identification des mécanismes de
traitement de l’information textuelle, l’incidence des connaissances spéci-
fiques et idiosyncrasiques (Fayol, 1985), liées en particulier à la culture,
n’apparaissent que dans les travaux de la seconde génération.

Résultats des travaux de la première génération


Sur le plan méthodologique, l’approche consiste en un diagnostic
initial (des séquences d’aide ou de remédiation), puis en un diagnostic
final (Legros, Mervan, Denhière et Salvan, 1998). Le diagnostic initial et
le diagnostic final s’effectuent à l’aide de deux types de tâches : 1. une
tâche de jugement d’importance relative ; 2. une tâche de remise en ordre.
Dans la tâche de jugement d’importance relative, l’expérimentateur lit
un récit aux élèves. Il leur remet ensuite le texte et leur demande
d’entourer en rouge les numéros des phrases les plus importantes, en
bleu les numéros des phrases un peu moins importantes et en vert les
numéros de celles qui sont peu importantes. Par exemple :

1 Un petit âne gris se retrouva seul.


2 Il vivait dans une immense prairie verdoyante.
3 Il avait été vendu par ses propriétaires.
4 Le petit âne regardait le ciel bleu.
5 Il observait la nature.
6 Il découvrait le monde immense.
7 Le soleil s’était mis à briller.
8 L’attention du petit âne fut attirée par un chant bizarre.

Les résultats sont comparés à ceux d’une population de référence.


L’épreuve de jugement d’importance relative des informations permet
de rendre compte de la capacité du lecteur à hiérarchiser et à sélec-
tionner le contenu des informations lues. La construction de la cohé-
rence de la signification est tributaire de cette compétence. En l’absence

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Aides et remédiations aux difficultés de compréhension de textes

de celle-ci, il est légitime de s’attendre à ce que les stratégies adoptées


par le lecteur soient de l’ordre du rappel des informations présentes en
mémoire à court terme, informations segmentées et sélectionnées en
fonction de leur récence, et non en fonction de leur importance (Legros
et al., 1998). La tâche de remise en ordre de phrases présentées de façon
aléatoire consiste à remettre dans l’ordre un texte de huit phrases décri-
vant les actions (exemple 1) ou les événements (exemple 2) d’un récit
ou d’un texte explicatif. Cette tâche a pour but de rendre compte de la
mise en relation des informations sélectionnées en mémoire de travail.
Nous pensons que cette compétence reflète les capacités du lecteur à
construire la cohérence de la signification d’un texte. L’activité cogni-
tive qui consiste, pour le lecteur, à lier entre elles les informations
données par la succession des phrases, des paragraphes et des parties
d’un texte est essentielle pour construire la cohérence de la signification
(Pagé et Drolet, 1994). L’expérimentateur lit les phrases dans le désordre.
Il précise que la première et la dernière phrase correspondent au début
et à la fin de l’histoire. L’exemple n° 1 porte sur une séquence d’actions,
l’exemple n° 2 sur une séquence d’événements.

Exemple 1 :
État initial : Au lever du jour, les chiens du chasseur étaient sur
leur garde.
– Un canard s’envola du lac.
– Le chasseur saisit son fusil.
– Le chasseur tira sur la bête.
– L’oiseau s’écrasa lourdement au milieu des champs.
– Le chasseur lâcha les chiens.
– Les chiens se précipitèrent sur le cadavre ensanglanté.
État final : Il faisait nuit, les chiens du chasseur étaient assoupis.

Exemple 2 :
État initial : La montagne était calme.
– L’avalanche se déclencha au-dessus du village.
– La coulée dévala les pentes à une vitesse vertigineuse.
– Les sapins furent emportés comme des allumettes sous la
poussée.
– Le toit de la première maison s’effondra.
– La maison fut emportée rapidement par la masse neigeuse.
– La cloche sonna le tocsin pour appeler les secours.
État final : La montagne était dévastée.

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Apprendre, comprendre

Pour le diagnostic final, le même type de tâche est proposé, mais avec
des textes dits « parallèles », c’est-à-dire présentant les mêmes structures
morpho-syntaxiques, et dont seul le contenu diffère.
Les séances d’aide et de remédiation portent sur une tâche où l’on
demande aux sujets de sélectionner le « mot-résumé » qui explique le
mieux l’histoire qui vient d’être lue. L’activité se structure en quatre
phases. Dans un premier temps, l’expérimentateur travaille l’explicitation
de la consigne. Dans un second temps, les élèves réalisent la tâche ; ils
doivent sélectionner parmi quatre propositions le mot qui explique le
mieux l’histoire. Le troisième temps se caractérise par une mise en
commun des stratégies utilisées. Le quatrième temps est consacré à une
synthèse des stratégies proposées. L’ensemble des séances est bâti sur ce
modèle.

Les résultats montrent qu’entre l’évaluation initiale et l’évaluation


finale, les élèves progressent et ce, dans les deux types de tâches (juge-
ment d’importance relative et remise en ordre). On constate également
qu’il est plus difficile de remettre en ordre un texte qui a trait à une
séquence d’événements relatifs à un phénomène physique plutôt qu’à
une séquence d’actions (voir Jamet, Legros et Pudelko, 2004).

Résultats des travaux de la seconde génération


Comprendre un texte, c’est activer des connaissances générales,
mais également des connaissances spécifiques qui trouvent leur origine
dans l’expérience, dans la culture de l’individu. Ces connaissances spéci-
fiques recoupent ce que l’on appelle les ethnothéories, qui comportent
l’ensemble des connaissances comme des croyances qui permettent au
sujet d’agir sur le monde et de comprendre le monde. Les recherches ont
montré que les ethnothéories parentales peuvent avoir une influence sur
l’apprentissage.
Produire du discours ne peut pas se réduire à un simple appariement
entre une pensée et du langage, mais résulte d’un télescopage entre la
pensée et les cadres linguistiques disponibles de la langue. Des recherches
conduites sur la compréhension de texte réalisées au Togo (Cordier et
Legros, 2005) ou à la Réunion (Hoareau et Legros, 2005) montrent qu’il
n’est pas possible d’ignorer le contexte culturel et linguistique de l’enfant
si l’on veut comprendre certaines de ses difficultés.
Dans une expérience conduite à Lomé (Legros, Maître de Pembroke
et Acuna, 2005), deux contes ont été lus à 40 élèves scolarisés en CE2,

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Aides et remédiations aux difficultés de compréhension de textes

20 en France et 20 à Lomé. Les deux textes proposés étaient Le Roi


grenouille de Grimm et le conte africain Sikouloum.
L’étude du rôle de l’origine culturelle du texte (récit européen vs récit
africain) et du lecteur (lecteur africain vs lecteur français) nous oblige à
proposer un matériel qui respecte la structure propre à chaque culture.
Les contes ont été légèrement simplifiés, afin d’être égalisés quant au
nombre de propositions.
L’école togolaise imposant le français comme langue d’enseignement,
les deux textes ont été proposés en français dans les deux groupes. La
consigne demandait aux enfants de lire le premier conte – le conte de
Grimm – de façon à bien comprendre l’histoire qu’il raconte. La consigne
leur indiquait aussi qu’après la lecture, ils seraient interrogés sur le
contenu de l’histoire. Une épreuve de rappel suivait immédiatement la
lecture du conte. La consigne leur prescrivait d’écrire tout ce dont ils se
souvenaient du texte. Ensuite, il leur était demandé d’écrire un résumé
de cette histoire. Il s’agissait d’écrire uniquement tout ce qui leur parais-
sait important et nécessaire à la compréhension de l’histoire racontée. La
même procédure a été utilisée pour le conte africain Sikouloum.
Les enfants africains produisent plus de propositions dans leur tâche de
rappel écrit de propositions, quel que soit le conte, que les enfants fran-
çais. Le type de propositions rappelées (identiques au texte source, c’est-à-
dire sous forme de mot à mot, vs similaires, c’est-à-dire avec modification
indiquant un traitement sémantique) varie en fonction du conte. Le nombre
de propositions du conte africain rappelées sous forme identique est sensi-
blement le même que le nombre de propositions rappelées sous forme simi-
laire. En revanche, le nombre de propositions du conte européen rappelées
sous forme similaire est beaucoup plus important que le nombre de propo-
sitions rappelées sous forme identique. La différence entre les types de
rappel des propositions des deux contes varie donc en fonction des groupes.
Comme dans l’épreuve de rappel, les enfants africains produisent plus
de propositions dans le résumé des deux contes que les enfants français,
mais la différence ne varie pas en fonction des deux contes. Les types de
propositions produites, et donc, par hypothèse, les types de traitement
qu’ils permettent d’inférer, varient en fonction des groupes. Alors que les
élèves français produisent dans leur résumé presque autant de proposi-
tions sous forme identique que de propositions sous forme similaire, les
élèves africains produisent beaucoup plus de propositions sous forme iden-
tique que de propositions sous forme similaire.
Le premier constat est que l’ensemble des enfants (français et africains)
rappellent plus de propositions similaires à celles du texte lu que de propo-

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Apprendre, comprendre

sitions identiques. Si nous supposons que les deux formes de propositions


rappelées (identique vs similaire) peuvent résulter de processus de trai-
tement différents, nous constatons que les deux populations d’enfants
mettent en jeu ces deux types de processus. De plus si, globalement, ils
produisent tous davantage de propositions similaires, cela pourrait signi-
fier, selon le paradigme classique, que les deux groupes traitent les deux
contes au niveau sémantique. Cela est confirmé par la non signification
de l’interaction des facteurs groupe et type de proposition.
La double interaction des facteurs groupe, conte et type de proposition
nous permet de constater que, même si tous les enfants peuvent traiter le
niveau de la surface textuelle, comme le niveau sémantique et donc refor-
muler le texte avec leurs propres mots, les enfants africains adaptent leurs
stratégies en fonction de l’origine du conte lu. En effet, chez les enfants
français, les deux modalités de rappel (identique vs similaire) sont utilisées
sensiblement de la même façon, quel que soit le conte. Chez les enfants
africains, le conte Sikouloum est davantage rappelé sous forme identique,
alors que le conte européen l’est davantage sous forme similaire.
Deux hypothèses interprétatives sont possibles. Nous pouvons tout
d’abord supposer que l’ensemble des enfants connaît davantage le conte
européen que le conte africain. Nous pourrions conclure, dans ce cas,
que les connaissances en mémoire facilitent le traitement du niveau
sémantique de ce conte. Cependant, cette explication est également
valable pour les enfants français.
C’est pourquoi, nous proposons une seconde interprétation. En effet,
nous ne pouvons négliger l’importance de la tradition orale et le contexte
de l’école togolaise dans le mode de transmission des textes. Ce mode de
transmission permet non seulement de transmettre l’héritage littéraire et
culturel mais aussi de rappeler toute l’histoire et la structure de la société ;
d’où l’importance de l’exactitude des mots. La prise en compte, dans notre
recherche, des contextes nous incite donc à considérer un type de rapport
au texte tout à fait particulier et peu – si ce n’est jamais – pris en compte
dans les recherches sur la compréhension. Le mode de transmission orale
nécessite en effet de transmettre non seulement l’histoire, mais aussi le
véhicule de l’histoire, c’est-à-dire les mots. On peut donc supposer que ce
mode de transmission développe chez les individus un mode de perception
et de traitement des informations – en vue de leur mémorisation – diffé-
rent de celui développé chez les individus vivant dans les cultures écrites.
De plus, les enfants africains vivent dans un contexte bilingue, mais
aussi bi-culturel. Ils sont confrontés très tôt à des textes d’origines diverses,
mais présentés dans des contextes culturels complètement différents. Les

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Aides et remédiations aux difficultés de compréhension de textes

élèves français sont eux aussi confrontés actuellement à des textes prove-
nant de cultures différentes, notamment à toutes sortes de contes origi-
naires de toutes les parties du monde. Mais ces contes sont présentés
dans le même contexte scolaire, ils sont proposés dans les mêmes manuels,
ou sur des photocopies, ou dans des recueils que l’on trouve sur les mêmes
rayons de bibliothèques (Legros, Acuna et Maître de Pembroke, 2006).

Il semble donc que les enfants français traitent de la même manière les
différents textes proposés. En revanche, les enfants togolais, face à des
textes d’origines culturelles diverses, et qui leur sont présentés dans des
contextes différents, adaptent leurs modalités de traitement. Contrairement
à nos hypothèses de départ, ce résultat nous conduit à penser que les
enfants africains, même dans un contexte de diglossie, ou à cause de ce
contexte, ont un répertoire de modalités de traitement plus varié, que l’on
ne prend pas en compte dans la recherche didactique interculturelle.

Conclusion
Au terme de ce travail, nous avons montré qu’il est possible d’agir
pour réduire les difficultés de compréhension. La logique de ces inter-
ventions doit s’appuyer à la fois sur la dimension cognitive, mais égale-
ment sur la dimension culturelle. Comprendre, c’est mobiliser des
mécanismes qui permettent d’établir des relations temporelles et causales
entre les éléments du texte ; comprendre, c’est hiérarchiser l’importance
de cette information et être capable de condenser les données collectées.
Ces mécanismes universaux pourront être plus opérants grâce à la prise
en compte des contextes. Ainsi, les connaissances ne sont plus conçues
comme déterminées par une vérité et un ordre inscrit dans le monde,
mais, au contraire, fondées sur l’expérience et les contextes, ce qui remet
en cause bien des modèles de référence, conçus de façon ethnocentrée.
Les invariants cognitifs peuvent être (re)construits à partir des facteurs
de variabilité. L’individu peut alors être envisagé dans sa dimension cogni-
tive sans être réduit à une machine de « traitement de l’information ».
Fidèle à la tradition républicaine du monolinguisme et du monocultura-
lisme, l’école en France ne répond pas toujours à la complexité des situa-
tions linguistiques. Or, l’école devrait faciliter l’ouverture à l’autre et
faciliter la compréhension des difficultés des enfants. C’est loin d’être le
cas (Bertucci et Corbin, 2004).
Ce travail spécifique sur la prise en compte des contextes dans la
conception des aides à la compréhension doit évidemment être enrichi

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Apprendre, comprendre

par le travail sur les aides au développement d’autres stratégies, comme


celles qui consistent à alléger la charge cognitive en offrant au lecteur
des textes qui ne présentent pas de difficulté dans le traitement du code.
Mais là encore, la difficulté du traitement du code et donc la conception
des systèmes d’aide varie en fonction du contexte linguistique et culturel
de l’élève (Cloutier et Leclerc, 2004).
Il ne s’agit pas, bien évidemment, de nier l’universalisme, mais il s’agit
de reconstruire l’universalisme à partir des différences. Dans le domaine
de la recherche sur la compréhension et l’apprentissage, il ne s’agit donc
plus d’intégrer dans une monoculture les élèves porteurs de différences ;
il s’agit de tirer parti de ces différences qui constituent une richesse pour
développer la diversité des stratégies d’apprentissage. Les travaux des
spécialistes ont en effet montré que cette diversité de stratégies permet-
tait de développer la « flexibilité cognitive », la « pensée critique »
(Jonassen, 2000) et donc la richesse des modalités de traitement et
d’apprentissage (Legros, 2005).

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Aides et remédiations aux difficultés de compréhension de textes

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Apprendre, comprendre

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DEUXIÈME
PARTIE

Métacognition,
remédiation
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La construction du sens :
une approche socio-cognitive
de la médiation 1

Britt-Mari Barth

D ans une orientation culturelle de la psychologie cognitive, la média-


tion des apprentissages joue un rôle central pour favoriser la construc-
tion du sens. C’est Lev Vygotski qui est à l’origine de ce cadre théorique,
partagé et développé par Jerome Bruner. Quelle est alors la mission de
l’enseignant-médiateur ? Quelles conditions met-il en œuvre pour aider
les enfants à comprendre ce qu’ils apprennent à l’école ?
Ces questions étaient largement partagées avec un public d’enseignants
spécialisés déjà au moment de la parution de L’apprentissage de l’abstrac-
tion, méthodes pour une meilleure réussite de l’école (1987). Elles sont
toujours d’actualité. Ma contribution à cet ouvrage se propose de revi-
siter un exemple illustrant cette approche pédagogique afin d’observer le
processus enseigner-apprendre tel qu’il peut se dérouler lors d’une
« leçon ». Nous analyserons ensuite la conception de l’apprentissage qui
sous-tend une telle approche et la façon dont l’enseignant-médiateur
accompagne et instrumente les élèves intellectuellement dans la co-
construction du sens. Nous nous poserons la question de savoir pourquoi
« ça marche » et au nom de quoi l’on peut adhérer à une telle concep-
tion de la pédagogie.

1. D’après l’entretien mené par Isabelle Vinatier avec Britt-Mari Barth, La nouvelle revue
de l’AIS, n° 1/2, 2e trimestre 1998, pp. 80-90.

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Métacognition, remédiation

Que signifie apprendre ? Analyse des difficultés de


compréhension des élèves
Mes efforts pour réfléchir sur le savoir et sur les conditions dans
lesquelles il se construit à l’école ont commencé par une analyse des diffi-
cultés de compréhension des élèves. J’avais en effet été frappée par leur
attitude : leur passivité, leur manque de confiance en eux… Le plus
souvent, on leur reprochait de ne pas être « motivés »… J’ai fini par me
demander si ce que l’on appelle « motivation » ne pouvait pas être vu
comme une conséquence de l’apprentissage réussi plutôt que comme une
condition préalable. Au lieu de supposer une motivation de la part des
élèves pour qu’ils apprennent, ne s’agissait-il pas de faire en sorte qu’une
motivation intrinsèque se construise, que le rapport qu’ils développent
au savoir durant l’apprentissage les amène à vouloir y participer tout en
ayant confiance dans leurs capacités de réussite ?
En observant les élèves en classe, une cause possible de leurs difficultés
de compréhension avait attiré mon attention : ils semblaient confondre
les mots et le sens, comme si les mots – les « bonnes réponses » – étaient
le sens. Quand il fallait se servir de ces connaissances dans des situations
ultérieures, ils n’étaient pas capables de faire le lien entre celles-ci et les
situations dans lesquelles elles auraient pu être utiles. En fait, ils n’avaient
appris que des mots, des mots vides de sens, sans intérêt pour eux. On
disait d’eux qu’ils n’étaient pas capables d’abstraction, et qu’il n’y avait
pas eu de transfert de connaissances. Comme si on voulait dire par là
que le transfert est l’affaire des élèves, et que ce phénomène doit se
produire ultérieurement, comme une preuve de ce que l’élève a intégré
le savoir et qu’il sait donc l’appliquer dans des situations nouvelles. Mais
pour qu’un savoir appris soit transférable, l’apprenant doit en comprendre
l’utilité au moment où il l’apprend et prendre conscience des contextes
dans lesquels il peut s’en resservir.
Il y avait également confusion entre les éléments pertinents et les
éléments non pertinents : ainsi, ce petit garçon qui, malgré les explica-
tions portées sur ce qu’est un rectangle et malgré le découpage des
rectangles dans du papier, a vite oublié ce qui n’avait pas de significa-
tion pour lui et n’a retenu que ce qu’il savait déjà : la couleur. Le hasard
a fait que ce jour-là, il n’y avait que du papier bleu à l’école et quand la
question a été posée de ce qu’est un rectangle, il a agité sa main pour
répondre : « Maîtresse, maîtresse, c’est bleu ! ». Tout le monde a ri ; il s’est
senti confus. Mais, ce jour-là, il a surtout appris que lorsque l’on n’est
pas sûr d’avoir la bonne réponse, il vaut mieux se taire et ne pas courir

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La construction du sens : une approche socio-cognitive de la médiation

le risque de se ridiculiser… Ce genre d’incident, fréquemment observé,


me renvoyait à mon questionnement sur le lien entre l’affectif et le
cognitif : quel est le lien entre l’estime de soi et la capacité d’être à l’initia-
tive de son propre apprentissage ? Le rectangle bleu peut symboliser
nombre de situations quotidiennes. Souvent, on ne sait pas sur quoi il
faut porter son attention devant un problème posé : qu’est-ce qui est essen-
tiel ? Qu’est-ce qui est secondaire ? Par rapport à quoi ?
Voici encore un exemple : une classe de 6e qui étudie la notion de
« solidité ». La leçon est suivie d’un exercice d’application qui consiste à
observer un morceau de sucre. L’enseignant attend une définition
montrant que les élèves ont compris la notion enseignée. La réponse des
élèves est la suivante : le morceau de sucre est blanc, sa surface est
rugueuse ; il est sucré ; il est dur mais on peut le casser ; il est rectangu-
laire. C’est comme s’ils avaient tout compris sauf de quoi il s’agissait !
Mais comment savoir que la couleur n’est pas importante quand il s’agit
d’un rectangle ? Et que la forme rectangulaire n’est pas à retenir quand
il s’agit d’une matière solide ? Quand les élèves arrivent à une autre
conceptualisation que celle prévue par l’enseignant, faut-il en conclure
qu’ils ne sont pas attentifs ? Ou qu’ils sont inintelligents ?
Quand je parle de confusion chez les enfants, leur comportement
semble fortement influencé par ce qu’ils pensent – à tort ou à raison
– que l’on attend d’eux. La « culture de l’école » influence leur compor-
tement et celle-ci semble témoigner d’un manque de réelle participa-
tion de la part des élèves, comme si la communication était un
processus à sens unique. J’ai retenu les facteurs suivants pour expli-
quer ce phénomène :
– le manque d’activités et de réflexion communes entre l’enseignant
et les élèves, d’une part, et entre les élèves, d’autre part ;
– le manque de compréhension de ce qu’il faut comprendre et de ce
que veut dire « comprendre » : les élèves n’ont pas d’outils communs de
réflexion ; ils semblent plutôt attendre qu’on leur apporte le savoir déjà
tout construit ; ils pensent que pour apprendre, il faut mémoriser des
réponses plutôt que chercher du sens ;
– ils n’essaient donc pas d’explorer l’information, de questionner ou
d’exprimer des doutes. De ce fait, l’image d’apprenants passifs ou ineffi-
caces qu’ils ont d’eux-mêmes se renforce ;
– à cela s’ajoute l’emploi, par l’enseignant, de mots d’un haut niveau
d’abstraction, fréquemment vides de sens pour les élèves. Même s’ils ont
déjà une notion de ce dont on parle, ils n’arrivent pas à le relier à ce
qu’ils savent déjà. On peut prendre l’image de voies parallèles qui ne se

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Métacognition, remédiation

rencontrent jamais. Dans ce cas, le savoir ne se construit pas, il ne peut


donc pas être mobilisé ultérieurement.

Les observations retenues ici m’ont fourni une première grille rudi-
mentaire pour analyser les difficultés de compréhension des élèves. Une
question s’imposait alors : quelles conceptions du savoir et de l’appren-
tissage peut-on induire de ces observations ?
Le savoir semble être considéré comme un produit statique, figé : un
ensemble de réponses préétablies qui existent en dehors de leur contexte
d’utilisation. Des définitions universelles en quelque sorte, qui prétendent,
dans la tradition du positivisme, refléter la réalité comme un miroir.
Certaines questions posées par les élèves témoignent de cette conception
du savoir, comme celle-ci, posée juste avant une interrogation : « Monsieur,
quelle question poserez-vous pour cette réponse ? » Un métasavoir – un
savoir sur le savoir – leur est transmis en même temps, à leur insu : à une
question correspond une réponse, la plus juste. C’est comme s’il suffisait
de faire un lien stimulus/réponse pour apprendre… Cette attitude risque
fort de devenir un obstacle pour de futurs apprentissages. L’apprentissage
semble être perçu comme une activité solitaire : les connaissances s’acquiè-
rent – ou non – dans la pensée de chaque individu, indépendamment des
contextes ou des interactions. Le contenu semble être perçu comme ce
qu’on fait entrer dans la tête de l’élève et qui sort en tant que produit
mémorisé. La métaphore de l’ordinateur vient à l’esprit… La relation péda-
gogique, quant à elle, est fortement hiérarchisée et autoritaire dans cette
conception. Il n’y a pas beaucoup de place pour l’exploration ou le doute,
pour l’initiative ou l’auto-évaluation.
On peut constater que les individus adhèrent vite aux croyances et aux
attitudes qu’ils trouvent dans leur vie quotidienne. Certes, l’école ne peut
pas tout, mais elle a un grand pouvoir d’éduquer par la « culture », par le
genre de vie qu’elle offre tous les jours aux élèves. Il y a là une question
importante. L’école ne prépare pas seulement à la vie future, l’école est la
vie, ici et maintenant. Et la manière dont on mène cette vie forme l’indi-
vidu : sa façon de connaître, son rapport au savoir, ses attitudes, ses valeurs,
l’image qu’il aura de lui-même plus tard, et qui détermineront ses choix.

Construire son savoir, construire sa personne


Construire son savoir, c’est construire sa personne. La façon dont
on apprend devient donc aussi importante que le savoir lui-même.
Comment aider les élèves à donner sens à ce qu’ils apprennent à l’école ?

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La construction du sens : une approche socio-cognitive de la médiation

Cela a été une préoccupation centrale dans mon travail. Pour tenter
d’aborder cette question, je me propose de décrire l’un des « scénarios »
pédagogiques que j’ai élaborés et expérimentés dans ce but2. Dans ses
travaux sur l’acquisition du langage (1987), Bruner observe que les mères
mettent en œuvre toutes sortes d’activités pour favoriser la communica-
tion avec leurs jeunes enfants. Il appelle ces activités « formats » ou
« scénarios » pour signifier qu’on pouvait y distinguer une structure
d’interaction entre un adulte et un enfant, laquelle se répétait de façon
rituelle. Il montre comment cette interaction familière et routinière
permet à l’enfant et à l’adulte de participer à une activité commune,
chacun ayant un rôle à jouer. Le scénario devient une manière à soutenir
l’enfant jusqu’à ce qu’il maîtrise son rôle et arrive à le jouer tout seul.
Grâce à cette dynamique, une relation de confiance s’installe, qui invite
l’enfant à réellement s’engager dans l’activité intellectuelle. Ces scénarios
ne sont pas à voir comme des « recettes » qu’il faudrait reproduire à la
lettre, mais simplement comme des exemples concrets d’une théorie de
l’apprentissage. Je m’en suis d’abord servi comme moyen pour étudier le
processus enseigner/apprendre ; je m’en sers à présent comme exemple
pour réfléchir sur ce processus et sur son lien avec les attitudes des élèves.
Voici un exemple modélisé d’un scénario pour apprendre, c’est-à-dire une
façon de ritualiser une situation d’interaction pour que le processus puisse
par la suite devenir une habitude, voire un outil de pensée :

SCÉNARIO POUR APPRENDRE

À la recherche d’une signification commune…


On se met d’accord sur le fait que, dans ce groupe, apprendre
consiste à chercher, à partir d’exemples et de contre-exemples que
l’enseignant met à la disposition des apprenants, une signification
commune.

... exprimée par des attributs…


Celle-ci sera exprimée par des mots choisis ensemble et qu’on appel-
lera les attributs. Les attributs sont les mots qui sont plus importants
que les autres et qui représentent les éléments de sens qui revien-
nent dans tous les exemples ; les attributs ont pour fonction de définir.

2. Ces scénarios pédagogiques sont décrits dans le détail dans mon premier livre,
L’Apprentissage de l’abstraction, Paris, Éditions Retz, 1987, nouvelle édition augmentée, 2001.

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Métacognition, remédiation

Notre tâche consiste à comparer les exemples entre eux pour trouver
ce qu’ils ont en commun à chaque fois. Les contre-exemples servent
à délimiter le sens. L’enseignant notera toutes les idées au fur et à
mesure sur le tableau.
... pertinents…
Pour savoir ce qui est pertinent, on a une règle de pertinence : il
faut retrouver les éléments proposés dans tous les exemples, à chaque
fois. Si ce n’est pas le cas, on les barre. En cas de désaccord, les
exemples sont la référence et il faut aller vérifier. Il ne suffit pas de
répondre oui ou non, ou de simplement donner une réponse, il faut
toujours savoir justifier sa réponse et être prêt à l’argumenter. Chacun
a son tour pour discuter ses interprétations avec les autres.
... dont les critères de choix sont déterminés ensemble…
Chacun peut être juge ; les critères se déterminent ensemble ; l’ensei-
gnant aide à confirmer et à infirmer les exemples en cas de besoin.
Quand on est capable de vérifier la cohérence entre le mot, les
exemples et les attributs, et que l’on se trouve capable d’analyser des
exemples nouveaux de la même manière, on peut considérer qu’on
a compris. Cette compréhension peut être évaluée par chacun et
discutée ensemble, les critères étant connus de tous.
... avec, comme outils d’analyse, nos erreurs et les exemples et
contre-exemples proposés ou construits
Les erreurs sont admises et servent d’outils d’analyse ; on peut s’en
servir autant qu’il le faut. On peut demander autant d’exemples
nouveaux que nécessaire. Pour aller plus loin, on peut proposer ses
propres exemples et essayer de voir comment ils peuvent être utilisés
dans des situations et des domaines différents.

Scénario pour apprendre


L’activité proposée consiste donc à construire une notion, un
concept, à partir d’exemples et de contre-exemples qui « incarnent » en
quelque sorte le concept : le « contenu » à apprendre est transformé en
une « activité » contextualisée qui correspond à celle que l’on met en
œuvre quand on « connaît » le concept en question3. Ces exemples-situa-

3. Comme j’aurai l’occasion de le dire plus tard, cela présuppose une conception dyna-
mique du savoir qui est de l’ordre du faire et non pas une mémorisation de réponses.

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La construction du sens : une approche socio-cognitive de la médiation

tions servent de point de départ pour mettre en marche la réflexion. Les


apprenants ont comme consigne d’observer les exemples, (individuelle-
ment, dans un premier temps) pour dire ce qu’ils en pensent ; ils doivent
ensuite les comparer entre eux pour chercher, ensemble, ce qu’ils ont en
commun, malgré leurs différences. Des contre-exemples permettent de
limiter le sens donné. Toute observation est notée sur le tableau ; on ne
parle pas d’erreur. Mais on ne garde que les observations qui sont perti-
nentes pour tous les exemples ; les autres sont barrées. Cela amène à
distinguer les critères qui sont validés dans les exemples. Le but de cette
consigne est, dans un premier temps, d’engager les apprenants dans un
processus de réflexion en leur offrant une structure d’expression, d’écoute
et d’interaction. Dans un deuxième temps, la démarche va induire un
processus de conceptualisation, en passant par la comparaison, l’inférence
et sa vérification, la généralisation et sa vérification. Il convient alors de
choisir des situations variées qui « parlent » aux enfants, et qui peuvent
être mises en relation avec leur cadre de références et – si possible – avec
leurs intérêts, leurs interrogations.
Prenons un exemple spécifique dans le cadre d’une expérimentation
menée avec un groupe d’enfants de 5 à 6 ans dans une grande section
maternelle. Ceux-ci avaient des difficultés à comprendre ce que veut dire
le mot « contraire ». Ce dernier est un concept difficile, car sa significa-
tion est liée à une relation entre deux éléments : en quoi un élément est-
il opposé à un autre ? Dans la mesure où c’est cette relation qu’il faut
comprendre, la présence de ces deux éléments est requise dans chaque
exemple. Nous avons commencé avec plusieurs exemples sensoriels, invi-
tant les enfants à utiliser leurs sens pour les explorer et pour trouver ce
qu’ils ont en commun :
– un verre d’eau froide et un verre d’eau chaude (à toucher) ;
– du sel et du sucre (à goûter) ;
– un morceau de tissu doux et un morceau rêche (à toucher et à
regarder) ;
– une surface brillante et une surface mate (à toucher et à regarder).
La consigne invitait les enfants à participer à une activité ludique où
l’action elle-même les amènerait à déployer ces processus de pensée à
leur insu. Les sens deviennent ici le vecteur pour chercher le sens, la
signification. Un premier contre-exemple, avec un seul objet, avait pour
but d’attirer l’attention des enfants, par le contraste, sur le fait qu’il y a
deux éléments dans tous les exemples « oui ». Pourquoi ? Un deuxième
contre-exemple pouvait contenir deux éléments, mais sans qu’ils soient
des opposés, par exemple deux verres d’eau tiède. Les enfants ont d’abord

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Métacognition, remédiation

eu un temps pour explorer, individuellement, ces exemples, à partir de


leur compréhension initiale. Ils ont goûté, touché et exprimé leurs réac-
tions spontanées, en participant à cœur joie : une question est posée, cela
donne envie de chercher la réponse. Chacun, même le plus timide, peut
contribuer avec quelques observations car tous vivent l’expérience : c’est
le moment de prendre conscience de ce que l’on peut dire soi-même et
de ce que les autres perçoivent, sachant que toutes les observations seront
prises en compte et notées au tableau. Il n’y a pas de « juste » ou de
« faux » dans un premier temps, mais attention : chacun doit être prêt à
justifier ce qu’il dit en se référant aux exemples qui sont les repères. Si
ce que l’on propose ne se retrouve pas dans tous les exemples, c’est que
l’on se trompe et qu’il faut recommencer. Cette mise en situation permet
en même temps à l’enseignant de comprendre ce que les élèves compren-
nent, condition première pour qu’ait lieu un échange susceptible de faire
évoluer les idées.
Au fur et à mesure que les exemples progressent et évoluent dans les
niveaux d’abstraction – à travers des histoires racontées, par exemple –,
et deviennent plus abstraits – comme fort/faible, toujours/jamais,
dedans/dehors –, les enfants discutent pour décider ensemble, selon des
critères déjà validés (et notés pour mémoire sur le tableau), les proposi-
tions que l’on garde et celles que l’on élimine. Pendant ces échanges,
chacun utilise le langage dont il dispose : écouter les interprétations et
les mots des autres augmente les chances de comprendre et de se faire
comprendre. Ce qui compte est la pertinence par rapport aux références
données – les exemples – et non pas quelque « bonne réponse » (ce qui
présuppose encore une certaine conception du savoir). Progressivement,
chacun situe sa pensée par rapport à celle des autres et un langage
commun commence à s’élaborer dans cette interaction. Il faut en effet
que plusieurs « regards » puissent s’adapter les uns aux autres pour se
comprendre. Il s’agit de distinguer plusieurs interprétations, et de
comprendre les raisons pour lesquelles certaines sont plus pertinentes que
d’autres. Les situations-exemples sont là comme une source de références ;
leur choix est donc très important. L’enseignant est très présent, même
si ce sont d’abord les élèves qui réfléchissent et discutent. Il guide la
discussion, les incite à faire des inférences et à les vérifier, aide dans la
confirmation ou dans l’infirmation des exemples proposés par les élèves
(et ceci, toujours par rapport aux critères retenus). Il modélise son raison-
nement, en pensant à haute voix avec les élèves. Il rend ainsi observable
une méthode de pensée autrement invisible, et rend ainsi l’abstraction
accessible à tous les enfants qui participent à cette « leçon ». Lorsque les

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La construction du sens : une approche socio-cognitive de la médiation

élèves essayent à leur tour de verbaliser leur pensée (et il faut les y inviter,
ce n’est pas nécessairement spontané), il faut leur offrir un feed-back
constant pour qu’ils prennent conscience, explicitement, de l’utilisation
de ces « outils de pensée », au moment même où ils s’en servent. Savoir
ce que l’on fait quand on compare, par exemple, ou quand on fait une
inférence, prépare à un transfert de ces capacités. Quand ces activités
mentales ont pris un sens, dans des situations vécues, le moment est venu
(il n’est pas plus difficile) de les désigner par des mots précis.
Progressivement, les enfant peuvent devenir conscients de ce qu’ils font
quand ils pensent, et acquérir un langage qui leur permet d’en parler.
Comme disait cette petite fille qui avait participé, dans une classe spécia-
lisée, à un entraînement à la comparaison : « Comme c’est amusant, on
compare partout ! » C’est en faisant prendre conscience aux enfants de
ce qu’ils savent faire (y compris penser) – et des situations futures dans
lesquelles ils peuvent à nouveau réinvestir ce savoir – que l’on prépare
au transfert des capacités intellectuelles et des connaissances. Éduquer à
une pensée réfléchie est un travail à long terme, bien sûr, pour lequel il
faut se former. Mais cette éducation ne se fera que si l’enseignant peut
assurer ce guidage quotidien dans le cadre de la classe ordinaire. Pour
les enfants, c’est une habitude à prendre, dès le plus jeune âge.
Progressivement, dans ce processus d’aller-retour immédiat entre une
situation vécue et la verbalisation de cette situation (j’appelle cela « alter-
nance simultanée » pour insister sur l’importance de verbaliser ce que
l’on fait au moment même où on le fait), ils s’habituent à être conscients
du cheminement de leur pensée. Dans cette démarche, les élèves appren-
nent à évaluer eux-mêmes la pertinence de leurs réponses. Cette situa-
tion diffère d’une situation plus traditionnelle où l’on écouter d’abord la
leçon, et où l’on en fait ensuite une « application », sans nécessairement
percevoir les liens entre les deux. Par exemple, pour revenir à notre
« scénario », quand l’un des enfants a proposé que la grande tour Eiffel
soit le contraire de la toute petite voiture, les autres enfants ont immé-
diatement réagi et une discussion s’est engagée, qui a permis de préciser
que les deux éléments qui sont comparés par des critères qui les oppo-
sent, doivent être de la même catégorie. Celui qui avait proposé cet
exemple a pu comprendre la raison pour laquelle il n’était pas pertinent.
De cette façon, il a pu modifier sa compréhension en cours de route, au
lieu de laisser s’installer une fausse conception. D’autres exemples,
toujours argumentés et justifiés par rapport à la référence, ont été
proposés : un enfant a raconté une histoire mettant en scène deux chats,
l’un domestiqué, l’autre sauvage ; le premier habitait à l’intérieur, le

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Métacognition, remédiation

second à l’extérieur… Les autres enfants l’ont aidé à compléter l’histoire


avec beaucoup d’exemples de « contraires ». Une petite fille a eu l’idée
de sortir sa flûte de son cartable et a fait une démonstration de la diffé-
rence entre un ton aigu et un ton grave, etc. La justification, à chaque
fois, oblige à la cohérence des propos, et permet à chacun d’approfondir
sa compréhension à travers la diversité des réponses. Il convient de
profiter de cette diversité comme moyen de créer une cohérence. C’est
dans ce processus que l’on apprend, dans ce va-et-vient entre une pensée
interprétative, contextualisée, complétée par une pensée explicative et
décontextualisée qui permet, à des degrés variés, de généraliser. La rela-
tion pédagogique change dans un tel processus ; elle ressemble à un
partenariat où chacun apporte sa contribution pour le but commun ; on
pourrait parler d’une véritable éducation à la citoyenneté.
Les enfants ont exprimé leur opinion sur cette manière de travailler :
« C’était bien, parce que la maîtresse ne servait à rien ! » La fierté d’avoir
construit eux-mêmes leur savoir était visible – mais une telle attitude n’est
possible que si pareil exploit est valorisé dans leur « culture ». Les attitudes
jouent un rôle essentiel dans les apprentissages, et celles-ci devront égale-
ment faire l’objet d’une éducation et d’une prise de conscience explicite.
Certains enfants ont déjà eu cette éducation dans leur famille. Si ce n’est
pas le cas, il devient d’autant plus important d’y remédier à l’école. Des
recherches ont montré que même au niveau universitaire, beaucoup
d’étudiants ne sont pas conscients du fait que leurs attitudes influencent
leurs résultats. Celui qui s’implique et cherche consciemment à donner une
signification personnelle à ce qu’il apprend, réussit à un niveau de perfor-
mance supérieure. Il s’agit, en fait, d’un rapport au savoir dont il faudrait
déjà être conscient pour pouvoir le modifier. Les pratiques métacognitives
(et le transfert recherché) concernent donc également les attitudes : ce serait
une erreur de séparer l’affectif du cognitif (Barth, 1987/2001).

Quelle théorie d’apprentissage fonde une telle démarche pédagogique ?


Pour reprendre les termes de Jerome Bruner, « connaître est un
processus et non pas un produit ». Comme notre exemple l’a montré, ce
processus, n’est pas solitaire : il s’agit d’une réflexion commune, d’une
action commune. Le savoir s’élabore dans cette rencontre, dans cette rela-
tion. Il ne s’agit plus d’une communication à sens unique, décrite plus
haut. La transmission du savoir est devenue une transaction. Les exemples
– les situations dans lesquelles le savoir s’exprime dans cette démarche –
jouent un rôle essentiel. Ils ont au moins quatre fonctions :

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La construction du sens : une approche socio-cognitive de la médiation

1. Ils offrent des expériences multiples et contextualisées avec le savoir


nouveau, surtout pour ceux qui n’en ont pas eues. Ils incarnent un savoir
abstrait dans le but de le rendre vivant.
2. Ils expriment le savoir dans une forme globale et analogique, et
dans toute sa complexité (dont le niveau est déterminé par l’enseignant
qui connaît ses élèves), par opposition à une forme linéaire et analy-
tique qui décompose le savoir en éléments isolés dont on ne perçoit
pas nécessairement les liens. Une forme analogique rend l’accès au sens
plus immédiat, même si, par la suite, il faut recourir à l’analyse pour
bien vérifier sa compréhension.
3. Ils permettent aux apprenants, contrairement à l’écoute passive,
d’avoir une attention et une action communes. On ne peut pas réfléchir
dans le vide. Les exemples invitent au dialogue, à l’argumentation.
L’expression orale devient un outil pour développer la pensée de chacun
(et donc son intelligence) et n’est pas un effet de son développement.
L’apprentissage individuel passe par le collectif élèves-enseignant qui sert
de support pour intérioriser la nouvelle compréhension.
4. Enfin, et c’est peut-être la fonction la plus importante : ils permettent
de « dévoiler » le mécanisme de la construction du savoir et offrent ainsi
un métasavoir (un savoir sur le savoir) utile : même le savoir le plus abstrait,
le plus savant, s’est construit à partir des interrogations qu’ont eues des
individus dans des situations réelles. On apprend ainsi que le savoir se
construit, qu’on peut le construire (ou le reconstruire) soi-même. C’est une
conception bien plus motivante que celle qui consiste à mémoriser des
réponses toutes faites ! Avec le temps, les élèves vont pouvoir réaliser que
le savoir n’est pas nécessairement universel et qu’il faut avoir des critères
pour choisir… In fine, il s’agit d’apprendre à porter un jugement.

Au lieu de dire aux enfants ce qu’ils doivent comprendre, cette approche


cherche à proposer des situations contextualisées et plutôt complexes qui
créent un défi : « On a envie de trouver, donc, on cherche ! » On crée ainsi
une communauté d’apprenants dans laquelle chacun peut participer d’une
façon intelligente pour faire avancer la compréhension, la sienne et celle
des autres. On collabore plutôt que de se mettre en concurrence ; on
devient responsable de son apprentissage et, pourquoi pas, également de
celui des autres : munis d’outils intellectuels explicites (qui sont fournis
par l’enseignant en cours de route, en cas de besoin), les élèves devien-
nent capables de comprendre par eux-mêmes. Cette réussite dans la
compréhension – prouvée par la justification des propos – est valorisée
et vécue comme une satisfaction que l’on cherche à renouveler. La

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Métacognition, remédiation

meilleure façon de prouver à quelqu’un qu’il peut réussir consiste à le


mettre dans des conditions qui le font réussir.

Dans cette perspective, on ne conçoit plus le savoir comme un condi-


tionnement venant de l’extérieur, selon le modèle comportementaliste ;
on n’adhère pas non plus à un modèle explicatif qui perçoit la réflexion
individuelle comme étant à l’origine du savoir. En dépassant ces modèles,
on peut concevoir le savoir lui-même non pas comme un produit, mais
plutôt comme un processus : un processus de constante interprétation,
modelé par les interactions avec les autres acteurs de notre culture et qui
évolue par cette participation à des activités authentiques. Le savoir
n’existe pas sous une forme isolée chez un seul individu ; il naît de
l’échange, il est toujours partagé : il est culturel. Il n’est pas limité à ce
qui est mémorisé par un individu ou des individus. Il peut aussi se trouver
« distribué » dans les notes rédigées par lui ou dans d’autres supports
physiques qui servent d’étayage à sa pensée. Il est lié à une situation
d’utilisation, Wittgenstein nous l’a appris, et ne peut pas être compris en
dehors de celle-ci. C’est ce contexte qui va lui donner sens. Le savoir est
donc contextualisé. Il se construit et se structure à partir de situations
particulières et chacun construit le sien en suivant un ordre personnel.
Selon la belle métaphore d’Edgar Morin, la structure de la pensée
ressemble plus à une musique qu’à un édifice, à une symphonie qui se
déroule dans le temps en prenant son propre élan sur soi-même. On pour-
rait donc parler d’une symphonie inachevée…
Autre spécificité du savoir : il n’est pas neutre, il est mêlé à notre affec-
tivité. Si nous percevons notre savoir comme étant dévalorisé dans le
milieu où nous nous trouvons, nous pouvons être amenés à ne plus nous
en servir comme cadre de compréhension. Nous devenons « voiceless »,
selon les termes de Carol Giligan, c’est-à-dire « sans voix » et donc dépen-
dant du savoir des autres, le seul valable à nos yeux. Pourtant, notre savoir
personnel est l’unique base que nous avons pour comprendre un savoir
nouveau. Priver l’apprenant de cette base est lourd de conséquences.
L’enjeu pédagogique consiste à aider l’apprenant à construire une image
de lui-même qui soit valorisante à ses propres yeux, sinon il risque de
devenir passif. Il peut même chercher à ne plus comprendre du tout et
se mettre en retrait : c’est le début d’une forme d’exclusion scolaire.
Concevoir le savoir comme étant à la fois structuré, évolutif, culturel,
contextualisé et affectif – et par conséquent plutôt de l’ordre d’un
processus que d’un produit – constitue la conclusion d’une recherche sur
le savoir à l’école développée dans Le savoir en construction (Barth, 1993).

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La construction du sens : une approche socio-cognitive de la médiation

Dans cette perspective, on pourrait envisager l’apprentissage comme


un processus de participation authentique dans un domaine donné. Cette
participation se manifeste dans un contexte partagé et implique une
compréhension commune du but de l’activité et des outils dont on se
sert, y compris les outils intellectuels. L’apport de chacun, l’interaction
et la « négociation du sens » permettent de donner une signification à
l’activité commune. Apprendre veut donc essentiellement dire pouvoir
donner sens à une réalité donnée, y compris les réalités que sont les
domaines de connaissance. Le sens est le fruit d’un travail permanent
d’interprétation et de discernement (souvent inconscient, mais qui gagne-
rait à devenir conscient). Chaque domaine est lié à une façon de connaître :
aux questions que l’on se pose à son sujet, aux modes d’analyse qu’on
utilise pour y réfléchir, aux ressources physiques et humaines qui permet-
tent d’aller « au-delà de l’information donnée ». Pour comprendre un
domaine de savoir, il est nécessaire de faire l’effort « d’entrer » dans ses
concepts, dans les questions qui sont à son origine.
Le sens est pour chacun ce qu’il peut inscrire dans son existence singu-
lière parmi les significations culturellement disponibles. Selon cette pers-
pective, le sens peut être dit subjectif. Mais l’existence est par définition
coexistence, le devenir de chacun est lié à celui des autres. Ainsi, le sens
peut être également intersubjectif ; il se crée dans l’interaction, il est
partagé. Pour comprendre et se comprendre, il faut cultiver la disposi-
tion d’esprit nécessaire pour que plusieurs « pratiques de regard » puis-
sent se rencontrer, s’ajuster, évoluer. Il faut des repères communs, des
références…

Comment définir l’abstraction ?


Abstraire est la capacité de réduire une expérience vécue en langage
symbolique – à des niveaux différents. Quand le jeune enfant dit
« Maman » pour la première fois, il est déjà dans l’abstraction. Abstraire
ou conceptualiser, c’est « voir à part », séparer par la pensée ce qui n’est
pas séparé dans la réalité (comme le rectangle bleu). Mais il ne s’agit pas
d’opposer l’abstrait au concret comme on le fait souvent, il s’agit plutôt
d’aller d’un niveau moins élevé d’abstraction à un niveau plus élevé.
L’abstraction est donc une question de relation : nous pouvons, à partir
d’une situation réelle, nous en éloigner de plus en plus quand nous nous
référons à elle. Mais sans cette capacité à transformer notre expérience
en langages symboliques – quels qu’ils soient : le langage, la musique, la
danse, les formules mathématiques, le dessin, la poésie… –, nous ne

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Métacognition, remédiation

pouvons pas communiquer avec les autres ou faire évoluer notre compré-
hension du monde. C’est pourquoi, il est tellement important de donner
accès aux langages symboliques à tous les enfants – et tout spécialement
à ceux qui ont des difficultés pour y arriver. On a tendance à penser qu’il
faut leur donner « du concret » alors que c’est justement les mots pour
le dire qui leur manquent. Ils ont davantage besoin d’être encouragés et
aidés à formaliser, à la fois pour prendre conscience eux-mêmes qu’ils
savent le faire et pour se faire prendre au sérieux par les autres. Les mots,
une fois qu’ils ont pris sens, modifient le regard, éclairent les expériences
à venir. Les mots vides de sens ne sont que des bruits, et ne peuvent
servir d’instruments pour comprendre le monde. Ils sont plutôt une
charge. La modification du regard – le sien et celui des autres – est le
début d’une identité. On ne peut donc pas séparer les connaissances de
la personne : quand on construit son savoir, on construit en même temps
sa personne. C’est pour cela qu’il est essentiel de réfléchir sur les manières
d’apprendre ! Ce sont les connaissances et les attitudes ainsi développées
qui vont permettre – ou non – à des individus de participer à une commu-
nauté et de donner sens à leur vie.

Dans cette perspective, on peut concevoir le savoir comme une manière


d’être au monde, une façon de connaître, de voir les choses… On peut
alors voir l’éducation comme la construction d’un regard.

Quels sont les facteurs qui conditionnent


un apprentissage réussi ?
Après avoir analysé les effets produits par la mise en œuvre des
« scénarios » pour apprendre (dont l’exemple relaté précédemment), j’ai
retenu, dans Le savoir en construction : former à une pédagogie de la
compréhension, cinq facteurs qui pouvaient expliquer (en termes péda-
gogiques) la réussite des apprentissages des élèves. Ces conditions qui
affectent l’apprentissage forment un cadre explicatif dans lequel s’insè-
rent les concepts clés qui le précisent et les outils pédagogiques qui le
font fonctionner. Cet ensemble fonctionne alors comme une grille
d’analyse qui peut être qualifiée de « modèle socio-cognitif de média-
tion » pour indiquer qu’il se situe dans un courant plus large de pensée,
lequel présuppose que l’homme est un être situé socialement, histori-
quement et culturellement. La grille ne peut donc pas être séparée des
théories qui la fondent. L’approche pédagogique proposée – dont elle
est un outil principal – consiste en ces trois dimensions réunies : outillage

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La construction du sens : une approche socio-cognitive de la médiation

méthodologique, cadre explicatif pédagogique, fondements théoriques


interdisciplinaires.
Telle qu’elle se présente actuellement, cette grille d’analyse peut être
schématisée comme suit.

Un modèle socio-cognitif de médiation

Conditions qui affectent le processus enseigner-apprendre :


un modèle socio-cognitif de médiation

Avant la situation d’apprentissage :


RENDRE LE SAVOIR ACCESSIBLE
Étape 1 Définir le savoir à enseigner en fonction du transfert
recherché
Étape 2 Exprimer le savoir dans des formes concrètes

Pendant la situation d’apprentissage :


NÉGOCIER LE SENS POUR COMPRENDRE
Étape 3 Engager l’apprenant dans un processus d’élaboration de
sens
Étape 4 Guider le processus de co-construction de sens
Étape 5 Préparer au transfert des connaissances et à la capacité
d’abstraction par la métacognition

Les « étapes » correspondent aux conditions qui ont affecté l’apprentis-


sage. Bien que présentées de façon linéaire, elles sont en interaction
constante. La séquence d’apprentissage décrite plus haut peut s’insérer
dans cette grille comme un exemple parmi beaucoup d’autres possibles.
Il serait trop long d’expliquer la grille dans le cadre de cette contribution.
Voici une brève synthèse des principaux concepts qu’elle met en œuvre.
La grille centre l’analyse sur la façon dont l’enseignant-médiateur induit
un processus de recherche collective de sens en suscitant l’implication affec-
tive et cognitive de l’apprenant dans la construction de son savoir par :
– une préparation attentive de la situation d’apprentissage à l’aide de
l’outil « modèle opératoire du concept », afin de transformer l’objet de la
connaissance d’un contenu statique en un « savoir-connaître » dynamique,
ceci en fonction du transfert recherché ;

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Métacognition, remédiation

– le choix de supports authentiques concrets, exprimant le savoir dans


toute sa complexité et véhiculant le sens dans différentes formes contex-
tualisées (récits, études de cas, mises en situation réelles, simulations, drama-
tisations, etc.) afin de faciliter l’accès à sa signification ; celles-ci permettent
de créer une « attention conjointe » et de faire comprendre comment le
savoir se construit (un métasavoir) dans le cadre théorique choisi ;
– l’établissement de l’intersubjectivité par un « contrat » (voir, par
exemple, le « scénario pour apprendre », pp. 69-70) permettant aux
apprenants d’avoir une méthode de pensée, d’exprimer ce qu’ils savent
et de savoir quand ils ont compris ; par l’explicitation des contextes
affectifs et sociaux (qui concernent les relations dans l’interaction, les
enjeux personnels) incitant les apprenants à participer en leur assurant
une « liberté intellectuelle » et une « sécurité psychologique », créant
ainsi une confiance mutuelle ;
– « l’alternance-simultanée », un aller-retour très serré entre expérience
et réflexion sur celle-ci, suscitant des comparaisons analogiques et analy-
tiques, induisant la mise en œuvre d’une pensée interprétative et contex-
tualisée, d’une part, et d’une pensée explicative et décontextualisée d’autre
part ;
– la « modélisation des processus » qui permet aux apprenants d’en
prendre conscience ;
– le « dialogue cognitif » qui suscite l’activité et la réflexion communes,
donnant le temps d’explorer et de cerner progressivement l’objet de la
connaissance, et d’en négocier le sens ;
– « l’autoévaluation et l’autorégulation » progressives, permettant la
validation du savoir, par l’argumentation et la justification de la perti-
nence des arguments ;
– les « actes de compréhension » variés, permettant de faire la démons-
tration de la compréhension de façon pertinente, en fonction de diffé-
rents contextes ;
– la métacognition, un retour réflexif sur le parcours, permettant la
prise de conscience de la disposition nécessaire pour apprendre, de la
structure du savoir, de ce qu’on a appris, de la façon dont on l’a appris
et de la façon dont on peut réutiliser ses connaissances ; ce retour prépare
au transfert des connaissances.

Cette grille, avec toutes ses limites, cherche ainsi à prendre en compte
l’apprenant dans sa globalité, en situant l’apprentissage dans ses dimen-
sions à la fois cognitive, affective et socioculturelle. Les différents « scéna-
rios » qu’un tel cadre théorique peut induire ont en commun de chercher

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La construction du sens : une approche socio-cognitive de la médiation

à outiller l’apprenant pour le rendre, à long terme, conscient de ses


propres capacités intellectuelles, plus confiant et donc plus autonome
dans ses apprentissages futurs. Dans cette perspective, le rôle de l’ensei-
gnant-médiateur – chargé de créer une culture d’apprentissage qui rend
cela possible – reprend sa place essentielle.

Je laisse le dernier mot à ce jeune garçon de onze ans que j’ai connu
dans une classe de ZEP. Lui et ses camarades ont rapidement saisi l’intérêt
de travailler de cette façon et après une séance de mathématiques parti-
culièrement réussie, il s’est exclamé : « Vous savez, Madame, si c’est
comme ça que ça marche, on pourra aider les profs ! »

L’enseignant-médiateur, au nom de quoi ?


Je crois que c’est ce jeune garçon qui a confirmé mon intuition,
présente au début de mon analyse des difficultés scolaires. La participa-
tion, dans le sens engagement intellectuel et affectif, est indispensable à
l’apprentissage ; mais celle-ci n’est pas gagnée d’avance, il faut la construire
et c’est la manière dont les acteurs perçoivent les enjeux personnels qui
la conditionne. Avoir une place reconnue pour participer, être muni
d’outils pour pouvoir le faire, se sentir en confiance pour le désirer sont
donc des conditions pour avoir l’intention de participer, et dans cette
optique, c’est l’enseignant et l’école tout entière qui ont la responsabilité
de les mettre en œuvre. Comme le dit Jerome Bruner, mon maître et
ami, « le programme d’une école ne se réduit pas aux disciplines qu’elle
enseigne. La discipline principale d’une école, vue sous l’angle culturel,
c’est l’école elle-même. C’est ainsi que les élèves la vivent, et c’est cela
qui détermine le sens qu’elle a pour eux. »
Si une telle participation engage les élèves dès leur jeune âge, ils peuvent
découvrir leurs forces, développer leur goût pour telle ou telle matière,
construire leur motivation, avoir confiance dans leurs capacités à apprendre.
Ce genre d’expérience scolaire donnera naturellement sens à leurs études
parce qu’elle les touche dans leur existence même et leur fait découvrir non
seulement leur savoir en construction, mais aussi leur identité en devenir.

Bibliographie
Barth Britt-Mari :
– « L’apprentissage des concepts : stratégies d’apprentissages et stratégies d’ensei-
gnement », Les Dossiers du CEPEC, Lyon, 1981.

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Métacognition, remédiation

– « Bruner et l’innovation pédagogique », La revue de communication et langage,


n° 6, Paris, Retz, 1985, pp. 46-59.
– L’Apprentissage de l’abstraction, méthodes pour une meilleure réussite de l’école.
Paris, Retz, 1987, nouvelle édition augmentée 2001.
– « L’épanouissement intellectuel : un parcours interculturel », Chercheurs en Éduca-
tion, Paris, INRP, L’Harmattan, 1992, pp. 55-65.
– « La détermination et l’apprentissage des concepts », in Jean Houssaye (dir.), La
Pédagogie : une encyclopédie pour aujourd’hui, Paris, ESF, 1993, pp. 275-289.
– Le Savoir en construction : former à une pédagogie de la compréhension, Paris,
Retz, 1993.
• Articles signés :
– « L’émergence d’une psychologie culturelle et les processus d’éducation », Revue
française de pédagogie, n° 111, avril-mai-juin 1995, pp. 5-11.
– « Le rectangle bleu : le rôle du médiateur dans la cohérence du sens », in Alain
Bentolila (dir.), L’École : diversité et cohérence, Les Entretiens Nathan, Paris,
Nathan-Pédagogie, 1996, pp. 11-25.
– « Pratiquer la métacognition avec les élèves pour leur apprendre à réfléchir »,
Cahiers Pédagogiques, Dossier « Apprendre à raisonner », n° 344-345, mai-juin
1996, pp. 51-57.
– « Construire son savoir : apprendre dans un contexte de formation d’adultes »,
in Étienne Bourgeois (dir.), L’Adulte en formation : regards pluriels, Bruxelles, de
Boeck, 1996, pp. 18-36.
– « Construire des concepts : construire le passé pour comprendre le présent », in
Jadoulle J.-L., Bouhon M. (sous la dir. de), Développer des compétences en classe
d’histoire », Louvain-la-Neuve, UCL, 2000, pp. 23-33.
– « La médiation dans les démarches d’apprentissage : un nouveau rapport au
savoir », in La Médiation : une nouvelle relation dans l’action, Les Cahiers de l’ISP,
n° 35, 2002, pp. 17-34.
– « Le transfert des connaissances : quels présupposés ? quelles implications péda-
gogiques ? », in Presseau A., Frenay M. (éd.), Le Transfert des apprentissages :
comprendre pour mieux intervenir, Québec, Presses Universitaires de Laval, 2004.
– « De la pratique à la théorie : apprendre à construire son savoir », in Leleux C.
(sous la dir. de), La Philosophie pour enfants : le modèle de Mathew Lipman en
discussion, Bruxelles, De Boeck, 2005.
– « Abstraction », pp. 33-34 ; « Bruner », pp. 148-150, in Dictionnaire encyclopédique
de l’éducation et de la formation, Paris, Retz, 2005.
Bruner J. S., Comment les enfants apprennent à parler, Paris, Éditions Retz 1983/1987.
Vygotski L. S., Pensée et Langage, Paris, Éditions sociales, 1934/1997.
Wertsch J., « La pensée de Lev Vygotski et ses implications pour la pédagogie
contemporaine », in Barth B.-M. (dir.), Lev Vygotski aujourd’hui : Actes de la
Journée d’étude de LAREDESCO, ISP-Faculté d’Education, 2001.

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La métacognition :
de sa définition
par la psychologie
à sa mise en œuvre à l’école

Anne-Marie Doly

Introduction
La métacognition – qui est d’abord à comprendre dans le champ
de la psychologie d’où elle est issue et qui l’a définie et expérimentée
comme un processus cognitif en jeu dans la résolution de problèmes favo-
risant à la fois les apprentissages, le transfert et la motivation – peut être
comprise, aussi et plus philosophiquement, du côté de la distanciation et
de la conscience de soi, c’est-à-dire d’une pensée qui peut fonctionner de
façon critique et réflexive : c’est dans cette double acception qu’apparaît
son intérêt pédagogique, en particulier pour les élèves en difficulté scolaire
puisqu’elle favorise à la fois la réussite et la motivation.

La métacognition apparaît en effet avec la notion de « contrôle


interne », dès le début du XXe siècle, à travers les travaux sur la méta-
compréhension1 – le sujet qui veut comprendre ce qu’il lit étant appelé

1. Voir, par exemple : Baker L., « How Do we Know when we Don’t Understand ? Standarts
For Evaluating Text Comprehension », in Forrest-Presley D. L. & co (ed.), Metacognition,
Cognition, and Human Performance, vol. 1, Academic Press, 1985 ; Gombert J.-E., « Le rôle
des capacités métalinguistiques dans l’acquisition de la langue écrite », Repères, n° 3, 1991 ;
Ehrlich M.-F., Cahour B., « Contrôle métacognitif de la compréhension : cohésion d’un texte
expositif et auto-évaluation de la compréhension », Bulletin de psychologie, n° 399, 1991.

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Métacognition, remédiation

à être à la fois celui qui lit et celui qui surveille son activité de lecture
pour en assurer la réussite. Elle s’affirme ensuite, pendant et après la
guerre, avec les travaux sur la métamémoire et la méta-attention, avec
l’apprentissage de stratégies de mémoire et d’attention, en particulier
chez les sujets en difficulté d’apprentissage2. Souvent mise en rapport
avec la notion piagétienne de « prise de conscience » – Piaget ne parle
pas de métacognition – qui s’exerce après coup, selon des niveaux
d’abstraction différents avec la maturation, elle ne peut lui être assimilée
puisque ce processus de contrôle indispensable à la résolution de problème
s’exerce avant, pendant et après la gestion de la tâche. On retrouve son
rôle dans des travaux de didacticiens sur l’apprentissage de la lecture, la
compréhension, l’écriture de texte, l’orthographe ou la résolution de
problèmes en mathématiques où le contrôle du sujet sur son activité est
indispensable. Elle est découverte également comme caractéristique des
élèves en réussite scolaire qui sont dits « experts en apprentissage »,
« métacognitifs », « transféreurs » et motivés (Wong, 1985 ; Bouffard-
Bouchard et al., 1991).
Cette dimension de réussite scolaire et de motivation de la métaco-
gnition, associée à la distanciation et au contrôle qu’exige l’appropriation
des savoirs de culture, se retrouve chez des sociologues de l’école comme
Élizabeth Bautier et Jean-Yves Rochex, dans leurs analyses des rapports
des élèves de banlieues difficiles à la scolarité et au savoir, des facteurs
d’échec social et langagier de jeunes adultes, ainsi que chez Bernard
Lahire, qui l’utilise pour comprendre l’échec des enfants de milieux popu-
laires à réussir dans une école qui transmet une culture à tradition écrite.
La tradition philosophique, qui définit depuis Platon et Descartes ce
qu’est penser par une capacité de distanciation réflexive et critique,
permet d’éclairer cette analyse. Ainsi, chez Kant, tout acte de connaître
exige une conscience de soi comme condition première et nécessaire, chez
Hegel, cette conscience de soi, significative d’humanité et de liberté se
construit et cela, dans la dynamique d’un rapport du sujet à l’autre, au
travail et à la culture (rapports que l’on retrouve à l’école) – la culture
étant comprise comme une sorte de pensée du monde des hommes et
des choses, qui reconstruit ce monde selon différents modes de repré-

2. Voir, en particulier : Cullen J. L., « Children’s ability to cope with failure : implica-
tion of a metacognitive approach for classroom », in Forrest-Presley D. L. & co. (ed.),
Metacognition, Cognition and Human Performance, vol. 2, Academic Press, 1985 ; Wong B. Y. L.,
« Metacognition and learning disabilities », in Forrest-Presley D. L. & co. (ed.), Metacognition,
Cognition and Human Performance, vol. 2, Academic Press, 1985.

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La métacognition : de sa définition par la psychologie à sa mise en œuvre à l’école

sentation propres à la pensée humaine, du langage aux sciences, des arts


aux règles de droit et de morale, qui le rend intelligible et maîtrisable,
et par là, moyen de liberté : c’est en prenant conscience de la nature et
des effets de son « travail » par lequel il transforme la nature en culture
sous l’injonction d’un « maître » et avec les autres, que l’homme se
construit comme conscience de soi.
Notre hypothèse de pédagogue est que ce sera dans un rapport méta-
cognitif à cette culture qui « présente le monde », comme dit Hannah
Arendt3, en le mettant en signes – symboles et images – que l’enfant
pourra construire sa pensée en même temps que son pouvoir sur le monde
et, par là, sa liberté. Encore faut-il que les enseignants initient les élèves
à ce rapport métacognitif : « Lorsqu’on voit l’intérêt des compétences
métacognitives pour l’enfant à l’école, on peut penser que les maîtres ne
devraient pas se contenter de choisir les tâches en fonction des contenus
mais aussi en fonction des habiletés métacognitives qu’elle peuvent mettre
en œuvre. » (Biggs, 1985) C’est en apprenant aux élèves l’usage de la
métacognition pour apprendre et s’approprier la culture que transmet
l’école que les enseignants leur apprendront à la fois une stratégie de
réussite aux apprentissages scolaires et une pensée critique et réflexive
– que, après Kant et Condorcet, Ferdinand Buisson et Jules Ferry appel-
lent « la raison » –, seule capable de faire d’un « fils de famille » un homme
libre capable de jugement autonome et, par là, de citoyenneté.
Mais le pédagogue qui « sort » cette fonction pédagogique de la méta-
cognition de son contexte psychologique pour l’adapter aux exigences de
la transmission scolaire doit pouvoir rendre compte de ces adaptations
pour que chacun, chercheur ou praticien, puisse se l’approprier, la mettre
en œuvre à sa guise et la modifier, voire la reconstruire. Le but étant
que cet outil pédagogique ne devienne pas une prescription dogmatique
de plus, oublieuse de ce qui la fonde, à la fois du côté de la psychologie
et du côté des fins de l’école. Il faut donc que cet outil soit « réfutable »,
comme dit Popper (1985), pour définir la validité d’une théorie par sa
capacité à être à la fois compréhensible et critiquable : pour cela, il doit
présenter « l’ordre de ses raisons » en commençant par la référence à ses
fondements dans la psychologie pour en envisager le transfert dans le
champ pédagogique, didactique et culturel de l’école.

3. Arendt H., « La crise de l’éducation », in La crise de la culture, Paris, Gallimard, 1972,


pp. 223-252.

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Métacognition, remédiation

La métacognition : définition, intérêts, modes


et conditions de fonctionnement

Les définitions de la psychologie


Flavell différencie d’abord le métacognitif du cognitif dans une défi-
nition très générale qui situe le sujet métacognitif dans une attitude distan-
ciée et réflexive sur sa propre « cognition » : « On l’appelle métacognition
parce que son sens profond est la cognition sur la cognition. » (Flavell,
1985) Yussen et Flavell précisent : « La métacognition recouvre un corps
de connaissances et de modes de compréhension qui portent sur la cogni-
tion elle-même. La métacognition est cette activité mentale pour laquelle
les autres états ou processus mentaux deviennent des objets de réflexion »
(Yussen, 1985) ; « La métacognition se réfère aux connaissances du sujet
sur ses propres processus et produits cognitifs. Elle renvoie aussi au contrôle
actif, à la régulation et à l’orchestration de ces processus. » (Flavell, 1976)4
La métacognition se définit donc selon deux pôles, déclaratif et procé-
dural : des connaissances métacognitives (ou métaconnaissances) qui
portent sur deux types de connaissances, et des compétences ou processus
de contrôle.

Les métaconnaissances
Portant sur les produits et sur les processus, les métaconnaissances
peuvent être justes ou fausses ; elles sont générales, mais aussi et surtout
personnelles. Flavell distingue quatre catégories :
– les métaconnaissances sur les personnes et le fonctionnement cognitif
(celui de la mémoire, par exemple) et sur le sujet lui-même (comment je
fonctionne : savoir que j’ai une mauvaise mémoire, que je suis distrait…) ;
– les métaconnaissances sur les tâches, sur les connaissances, acquises
par des expériences et prises de conscience répétées (je sais que ce sont
tel et tel critères qui définissent un texte narratif et que personnellement
j’ai tendance à oublier ; je sais que j’ai des connaissances sur telle période
de l’histoire mais pas sur telle autre, etc.) ;
– les métaconnaissances sur les stratégies (procédures, méthodes de
travail) en général et personnelles : savoir que « la représentation du but
est déterminante dans le contrôle et la régulation » (Flavell, 1985) ; savoir

4. Souligné par nous.

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La métacognition : de sa définition par la psychologie à sa mise en œuvre à l’école

comment faire pour apprendre sa leçon de mathématiques, et savoir situer


ses compétences propres par rapport à cela ;
– le plus souvent, les métaconnaissances sur l’interaction entre les trois
catégories ci-dessus (je peux savoir que des stratégies pour résoudre un
problème particulier en EPS ou en orthographe existent et sont meilleures
que les miennes, mais savoir aussi que je ne sais pas très bien les utiliser).

Les habiletés de contrôle


Les habiletés de contrôle désignent un ensemble d’opérations
mentales mis en œuvre par le sujet, qui visent à contrôler et à réguler sa
propre activité pour la guider jusqu’au but : le sujet se distancie donc de
ce qu’il fait pour le surveiller et en assurer une plus grande réussite. Ces
processus sont automatisés chez les experts et les élèves en réussite scolaire
(voir « Les différences entre experts et novices, et les objectifs des ensei-
gnants », p. 89) mais absent chez les novices et les élèves en échec.
Concernant ces processus de contrôle, il y a trois types d’opérations :
– l’anticipation et la prévision, qui supposent une planification (même
embryonnaire) à partir des données et du but, et une représentation
(même intuitive et élémentaire) de ce but. Elles se précisent avec l’avancée
de la gestion de la tâche ;
– l’évaluation-régulation (ou l’autorégulation), qui permet le guidage
par rapport au but. Elle s’effectue par des prises de conscience sur les
procédures mises en œuvre, le rapport procédures-but, ces prises de
conscience visant à les comprendre pour les guider et les surveiller par
le maintien de l’orientation vers le but, par le repérage et l’analyse
d’erreurs avec d’éventuels retours en arrière, prises de décisions et anti-
cipations sur les conséquences des choix effectués ;
(Ces deux premières opérations s’effectuent avec le rappel de connais-
sances et de métaconnaissances utiles ou jugées telles par le sujet.)
– l’évaluation terminale, qui se fait par mise en rapport des procé-
dures, du but visé et du résultat et, au besoin, conceptualisation du résultat.
Ces trois opérations exigent toutes une représentation de la tâche,
même incomplète : en particulier, que le but (situation finale) soit défini
(en particulier par des critères d’évaluation donnés par le formateur ou
construits par le sujet), que des ressources et des contraintes puissent être
rappelées, qu’un problème-obstacle soit identifié et délimité. À l’école, il
peut y avoir retour de l’opération 2 à l’opération 1 (pour redéfinir le
problème, le but) et même de l’opération 3 aux opérations 1 et 2, ce qui
correspond à ce que l’on appelle « l’évaluation formative ».

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Métacognition, remédiation

Ce contrôle s’exerce par des « expériences métacognitives », qui sont


des prises de conscience plus ou moins explicites du sujet sur ce qu’il fait,
qui mettent en rapport données, procédures et but, et qui activent des
métaconnaissances sur soi et sur le thème, sur la tâche, sur les stratégies
utiles, etc. Il s’exerce de façon intermittente, est plus ou moins présent
et explicite selon l’expertise du sujet mais aussi selon d’autres facteurs
(motivation, demande expresse), et s’exerce selon trois moments : avant,
pendant et après la gestion de la tâche.
Ce contrôle s’opère dans plusieurs cas : s’il y a demande (et aide) de
l’expert/tuteur ; s’il y a une motivation pour atteindre le but et donc une
représentation de ce but (son absence est facteur de démotivation : je suis
métacognitif pour accomplir une tâche dont je sais l’utilité ou dont j’ai
le goût) ; s’il y a un travail en commun, avec ou sans conflit socio-cognitif5 ;
s’il y a une habitude de le faire et une confiance dans ce mode de gestion ;
s’il y a une difficulté particulière, imprévue ; s’il y a un problème à
résoudre qui fait obstacle.

À quoi sert La métacognition ?


Les intérêts pédagogiques de la métacognition sont les suivants :
– assurer plus de réussite dans la gestion des tâches ; favoriser la mise
en mémoire ; faire acquérir des connaissances et des compétences plus
assurées ;
– favoriser le transfert des connaissances et des compétences
construites avec contrôle métacognitif et donc favoriser l’apprentissage :
« La métacognition vise un des problèmes permanents de l’enseignement,
celui du transfert ou généralisation de ce qui a été appris […]. C’est le
moyen le plus important par lequel un individu devient capable de modi-
fier et d’adapter son activité cognitive à des tâches à contextes différents.
[…] Elle fait de l’apprenant un théoricien implicite ou explicite de sa cogni-
tion – il sait ce qu’il sait et comment il le sait, ce qui lui permet de trans-
férer sa compétence à différentes tâches » (Gaveleck et Raphael, 1985) ;
– faire apprendre les compétences de contrôle et d’autorégulation et
développer l’autonomie, en particulier dans le travail personnel ; favoriser

5. Voir les travaux de M. Gilly et A. Baudry sur la gestion en dyade qui favorise la
gestion métacognitive des tâches : Gilly M., « Mécanismes psycho-sociaux de construction
cognitive », in Netchine-Grynberg G., Développement et fonctionnement cognitifs chez l’enfant,
Paris, PUF, 1990 ; Baudry A., Apprendre à deux. Études psycho-sociales de situations didac-
tiques, Paris, PUF, 1997 ; Baudry A., « Interactions sociales et apprentissages scolaires », Revue
française de pédagogie, n° 122, 1998.

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La métacognition : de sa définition par la psychologie à sa mise en œuvre à l’école

la réussite scolaire (« La promesse de la métacognition […], c’est qu’elle


permet la généralisation des performances à des situations différentes,
c’est qu’elle fait de l’apprenant un sujet auto-évaluateur, quelqu’un qui
a appris comment apprendre », Gaveleck et Raphael, 1985) ;
– développer la motivation et l’estime de soi (ce que nous analyse-
rons dans « Explications possibles à ces constats : motivation et métaco-
gnition », pp. 95-96).

Les différences entre experts et novices, et les objectifs des enseignants


Les experts (dans le domaine en jeu) n’ont pas forcément besoin
d’exercer un contrôle conscient et peuvent être, au contraire, plus
rapides et efficaces en agissant, contrairement aux novices, de manière
plus automatisée. De plus, si certaines tâches ou connaissances/compé-
tences sont automatisées, le fonctionnement cognitif est plus disponible
pour se focaliser sur ce qui est moins connu. D’où l’intérêt, pour l’ensei-
gnant qui a affaire à des novices qu’il souhaite rendre experts, d’auto-
matiser ou de prendre en charge certaines tâches, connaissances ou
compétences, de façon à décharger l’activité cognitive de l’élève et lui
permettre d’être métacognitive sur ce qui importe, le contrôle méta-
cognitif étant coûteux cognitivement. Le but poursuivi n’est pas de faire
exercer ce contrôle métacognitif en permanence par tous les élèves sur
tous les sujets, mais d’en faire peu à peu une « habitude cognitive »
pour qu’il devienne une stratégie toujours disponible, et, par la suite,
de permettre aux élèves d’automatiser des stratégies, des compétences,
la restitution de connaissances, etc., autrement dit, d’en faire des
« experts en apprentissage ».

Les conclusions des études sur les prototypes de la métacognition


La métacognition a été également observée et définie dans son
fonctionnement à travers ce qu’on appelle ses « prototypes », c’est-à-dire
les manières dont les sujets l’utilisent dans certaines activités : « Par
exemple : 1. se demander, entre deux stratégies, laquelle il vaut mieux
utiliser pour aider au rappel d’une liste de mots (métamémoire) ; 2. véri-
fier qu’un message est bien compris (métacompréhension) ; 3. analyser
les conditions dans lesquelles se produisent les moindres distractions
(méta-attention). » (Yussen, 19856) L’utilisation du contrôle métacognitif
pour l’apprentissage de la lecture, la compréhension, l’écriture de texte,

6. Suite du texte précédemment cité.

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Métacognition, remédiation

l’apprentissage de stratégies de mémorisation, d’attention a été exploré


aux États-Unis et en France. Ces travaux, qui sont des travaux de psycho-
logie menés en laboratoire sur des adolescents ou de jeunes adultes le
plus souvent, et non des travaux de pédagogues sur des apprentissages
scolaires, s’accordent sur trois points :
– l’intérêt de la métacognition pour l’efficacité de la gestion des tâches
et pour le développement de la motivation à apprendre ;
– les sujets en échec d’apprentissage manquent plus de compétences
et de connaissances métacognitives que de connaissances « cognitives » ;
– ces compétences métacognitives peuvent être apprises, y compris par
de jeunes enfants.

Pour conclure, être métacognitif, c’est opérer un contrôle de ce que


l’on fait en utilisant des métaconnaissances adéquates. Ce contrôle
implique une distanciation réflexive. Il est d’autant plus efficace que le
sujet peut rappeler des métaconnaissances adéquates : d’où l’intérêt de
faire construire aux élèves des métaconnaissances justes et utiles à la
gestion des tâches scolaires, et de leur faire apprendre le contrôle méta-
cognitif (c’est un travail de ce type qui sera proposé en seconde partie).
Retenons l’hypothèse que construire des connaissances et des stratégies
métacognitives pour les utiliser s’apprend, mais qu’il y a des conditions.
Comment faire utiliser et apprendre la métacognition à l’école ?

La métacognition, comment ça marche ? Modalités et conditions


de fonctionnement
Les études sur les élèves en échec, outre qu’elles font apparaître
qu’ils manquent en particulier de compétences métacognitives, révèlent
« que l’explication la plus précise pour rendre compte [de leurs] diffi-
cultés […] est leur incapacité à retrouver une stratégie apprise spécifique
à la tâche » (Cullen, 1985). Or, « l’utilisation de stratégies dépend large-
ment des connaissances métacognitives que les sujets possèdent sur les
stratégies » (Mélot et Corroyer, 1992) et « il ne suffit pas d’avoir des
connaissances et des stratégies, encore faut-il savoir qu’on les a pour
pouvoir les utiliser à bon escient […]. Il est nécessaire d’être conscient
de ce que l’on sait et ne sait pas pour réguler l’usage de son savoir de
manière appropriée » (Cullen, 1985). Ainsi, pour pouvoir mettre en œuvre
des compétences métacognitives, il faut en avoir et savoir qu’on les
possède, ce qui demande des modalités d’apprentissage spécifiques, la
question étant : comment peut s’apprendre une stratégie comme la méta-

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La métacognition : de sa définition par la psychologie à sa mise en œuvre à l’école

cognition de telle sorte qu’elle soit consciente et transférable ? Et, plus


généralement, à quelles conditions la métacognition peut-elle s’apprendre
et être mise en œuvre dans les apprentissages ?7
Les conditions de fonctionnement de la métacognition décrites ici sont
à mettre en rapport avec ce que doit faire l’enseignant lorsqu’il vise à
faire utiliser la métacognition par ses élèves et à leur en apprendre l’usage,
question centrale sur laquelle nous reviendrons (voir « Caractéristiques
de la tutelle langagière dans son contenu et dans sa forme », pp. 96-99).
Ces conditions sont les suivantes :
1. Le sujet doit posséder au départ des métaconnaissances utiles
sur le domaine concerné.
2. Il doit pouvoir les activer au moment voulu, ce qui dépend de :
– l’âge. Les jeunes enfants seraient en effet incapables de métacogni-
tion, mais il y a discussion sur ce point. Des travaux8 centrés sur la notion
de « tutelle » montrent que des mères d’enfants très jeunes savent leur
apprendre à être métacognitifs (voir « Caractéristiques de la tutelle langa-
gière dans son contenu et dans sa forme », pp. 96-99), et que le contrôle
métacognitif est pris en charge par des enfants très jeunes dans leurs jeux
d’autant plus qu’ils y ont été habitués par les adultes. La question qui
subsiste est celle du degré de conscience auquel l’enfant9 parvient pour
opérer ce contrôle : il est très difficile à évaluer, mais il augmente avec
l’âge et avec l’aide de l’adulte qui le sollicite ;
– l’entraînement ;
– du fait que le sujet sait qu’il les a ;

7. Il y a deux sources aux conditions énoncées : les travaux de recherche en psychologie


cognitive notamment sur la métamémoire, qui font apparaître cette perte de stratégies
apprises dès que cesse l’entraînement (Mélot et Corroyer, 1992) ; les travaux que nous avons
effectués dans quatre classes de cycle 2 et surtout de cycle 3 et dans deux classes de collège,
pendant deux à quatre ans sur les apprentissages scolaires.
8. Bouffard-Bouchard T., Gagné-Dupuis N., « Pratiques parentales et développement
métacognitif chez l’enfant d’age préscolaire », Enfance, vol. 1., 1994, pp. 17-26.
9. La question du degré de conscience dans le contrôle métacognitif est très débattue
par les « métacognitivistes ». Pour certains, comme Wellman, elle est fonction du dévelop-
pement mental ; pour Karmiloff-Smith, elle se développe selon trois stades ; d’autres parlent
de semi-conscience (idée piagétienne) ou d’épi-conscience (Gombert) ; pour Flavell et Brown,
le contrôle se fait par « expériences métacognitives », qui sont définies comme des prises
de conscience mais intermittentes. Il y a aussi ceux qui pensent que ce contrôle s’effectue
le plus souvent (sauf exception) sans conscience du tout. Nous nous en tenons ici à cette
dernière idée avec l’hypothèse, largement partagée, que les novices ont besoin, pour
apprendre, de passer par une phase de conscience (ce qui correspond assez bien à l’hypo-
thèse de Karmiloff-Smith).

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Métacognition, remédiation

– et, pour cela, de l’aide apportée dans cette perspective.


3. Le sujet doit opérer des prises de conscience (et être éventuelle-
ment aidé pour cela) sur son activité pour la comprendre et pouvoir la
guider :
– avant la gestion, pour anticiper, prévoir, se représenter la tâche, en
particulier son but (ce qui veut dire que la tâche est dans sa « zone proxi-
male »). Pour cela, il doit prendre le temps, ne pas se jeter dans la tâche
avec trop de précipitation ;
– pendant la gestion, de façon à mettre en rapport les données, les
procédures et le but pour comprendre l’activité mentale et pouvoir l’auto-
réguler, puis l’expliciter, la verbaliser au besoin pour l’évaluer (ce travail
sera fait à l’école en co-régulation avec le professeur) ;
– après la gestion, pour évaluer la performance et estimer la valeur et
le bénéfice de l’usage de la stratégie.
La capacité à retrouver et à réutiliser une stratégie (ou une connais-
sance) dépend largement du fait que le sujet a pris conscience de ce
qu’elle était précisément et du bénéfice qu’il peut tirer de son usage, y
compris en terme de progrès personnel dans l’apprentissage. Cela suppose
qu’il y ait eu prises de conscience lors de ces trois moments10.
Le sujet doit opérer une « réélaboration à un niveau plus abstrait »
(Cauzinille-Marmèche, 1991) décontextualisée, formalisée, conceptualisée
pour pouvoir fixer la stratégie en mémoire de façon à ce qu’elle soit trans-
férable. On retrouve ici l’analyse piagétienne du développement de l’intel-
ligence et de la capacité d’abstraction qui lui est nécessaire pour passer
de l’intelligence sensori-motrice puis préopératoire à l’intelligence opéra-
toire concrète puis formelle. Cette abstraction, qui s’opère par prise de
conscience du sujet sur son activité, se développe selon trois niveaux :
empirique (l’enfant décrit la succession de ses actes et de leurs résultats :
« J’ai fait ceci et puis cela, et puis, etc. »), réfléchissant (l’enfant interroge
son action et ses résultats : « J’ai fait ceci et je me suis aperçu que alors
j’ai pensé qu’il fallait faire cela, etc. ») et réfléchi (« Le sujet est devenu
capable de théorie », Piaget, 1974a). À ce niveau d’abstraction réfléchie,

10. Par la comparaison de résultats d’élèves obtenus après des leçons effectuées sur le
même thème avec et sans métacognition tout au long des séances, nos travaux en classe
nous ont permis de constater que les élèves ont beaucoup de mal à rappeler les procédures
utilisées lorsqu’il n’y a pas eu de réflexion métacognitive pendant les différentes séances
(Doly, 1996b, 1999). Cela est confirmé par les travaux sur la mémoire : on se souvient
d’autant mieux d’événements (mentaux ou non) qu’ils ont été soumis au contrôle métaco-
gnitif (Mélot et Corroyer, 1992 ; Cauzinille-Marmèche, 1991).

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La métacognition : de sa définition par la psychologie à sa mise en œuvre à l’école

il a « reconstruit » (Piaget, 1974b) son action sur un plan conceptuel ; il


peut concevoir son action avant de l’effectuer.
Le rôle du langage oral et de l’écriture est très important dans cette
opération de conceptualisation11 : « Le langage est l’outil le plus avancé
que nous ayons […]. Ce n’est pas un outil ordinaire mais un outil qui
entre dans la constitution même de la pensée et des relations sociales
[…]. Il a un certain nombre de propriétés qui lui permettent de jouer un
rôle essentiel dans le développement de la conscience. […] Il […] permet
[à l’enfant] de prendre de la distance vis-à-vis de ses actes que ceux-ci
soient linguistiques ou non. C’est la forme de conscience qu’on appelle
“réflexion” depuis Platon. Cet outil est privilégié par le fait qu’il permet
non seulement la prise de conscience mais aussi la communication et les
relations sociales. » (Bruner, 1983) Pour rendre compte d’une pensée struc-
turée et conceptuelle, la langue orale doit donc être suffisamment
élaborée et explicite. Le passage à l’écriture, en cours et/ou au terme d’un
travail d’apprentissage des élèves en classe, préparé par un oral élaboré,
est un moyen privilégié de contraindre les élèves à une pensée explicite
et objective.
Ce travail de réélaboration doit être effectué par le sujet lui-même : il
peut être collectif ou plus individualisé, mais est conduit, dans les deux
cas, par le professeur qui a des objectifs didactiques. C’est au sujet lui-
même qu’il faut faire effectuer le passage, voire « la rupture épistémolo-
gique », pour reprendre l’expression de Bachelard (voir « Difficultés des
ZEP et exigences métacognitives », pp. 116-118) de son activité, d’abord
verbalisée à un niveau « empirique » puis « réfléchie », vers sa « recons-
truction » sur le plan conceptuel qui en fait une connaissance générale.
C’est à lui d’encoder ce qui est à mettre dans sa mémoire pour qu’il puisse
à la fois le com-prendre (prendre avec ses moyens intellectuels) et avoir
des chances de le récupérer, c’est-à-dire aussi de le transférer. Ainsi faut-
il éviter à tout prix de donner aux élèves des polycopiés écrits par l’ensei-
gnant sur ce qui a été construit par les élèves dans une démarche
constructiviste : ce serait oublier que le rôle de ce travail de structuration
n’est pas un travail « en plus » et facultatif de l’apprentissage, mais une
tâche interne et nécessaire à la dynamique d’un apprentissage que l’on
veut transférable.

11. Voir la constitution de fiches de critères par les élèves (« Apprendre à écrire des
textes : exemple du texte narratif », pp. 100-105).

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Métacognition, remédiation

Il faut rappeler que la situation proposée doit être en zone proximale


du sujet, c’est-à-dire être à la fois problématique (et sans moyens spon-
tanés de résoudre le problème) et surmontable à partir des acquis, des
ressources, parmi lesquelles l’aide extérieure de l’expert.
Le contrôle métacognitif et l’autorégulation que ce dernier suppose
ne sont pas spontanés, tout particulièrement chez les élèves issus de
milieux populaires, comme le remarquent Bernard Lahire (1993b) ainsi
qu’Élisabeth Bautier et Jean-Yves Rochex (1995). On comprend le rôle
majeur de la médiation – comprise du côté de l’aide systématique et spéci-
fique de l’éducateur (voir « Caractéristiques de la tutelle langagière dans
son contenu et dans sa forme », sur la notion de « tutelle », pp. 98-99) et,
en même temps, des savoirs et du langage – pour une gestion plus effi-
cace des tâches, pour la réussite scolaire et la démocratisation de l’école.
Pour pouvoir mettre en œuvre cette aide spécifique, l’enseignant doit
avoir à la fois des connaissances sur la métacognition et une volonté expli-
cite de l’utiliser mais aussi des objectifs didactiques clairs et une connais-
sance précise du domaine de l’apprentissage. De la même façon qu’il ne
saurait y avoir de conscience sans objet, la métacognition, tout particu-
lièrement à l’école, ne saurait fonctionner « à vide ».
Le travail en commun, avec ou sans conflit socio-cognitif, favorise une
gestion métacognitive et plus efficace des tâches (Gilly, 1997 ; Baudry,
1997). Rappelons qu’en classe, ce travail exige lui aussi une aide de l’ensei-
gnant de façon à ce que chaque membre du groupe participe à et profite
de l’apprentissage et de la gestion métacognitive.
Enfin, il est important que ces comportements métacognitifs se répè-
tent pour devenir plus automatiques et efficaces ; ce qui veut dire qu’en
classe, il sera nécessaire de répéter les modalités d’aide à la gestion méta-
cognitive des tâches et de façon semblable, quelles que soient les tâches
et les disciplines, pour installer des habitudes métacognitives chez les élèves.

La métacognition, dont on a dit tout l’intérêt pour l’apprentissage à


l’école, n’est un comportement ni spontané ni partagé par l’ensemble des
élèves. Il est cependant, comme le montrent des études sur ce point, très
caractéristique des élèves qui réussissent. La question se pose donc préci-
sément de savoir comment l’enseignant peut faire pour apprendre aux
élèves à utiliser la métacognition.

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La métacognition : de sa définition par la psychologie à sa mise en œuvre à l’école

Métacognition, motivation, apprentissage et tutelle

Comparaison entre élèves en échec et élèves en réussite


De nombreuses études (Cullen, 1985 ; Wong, 1985 ; Ostad, 1999 ;
Bräten, Stokke Olaussen, 2000) montrent l’intérêt d’apprendre la méta-
cognition aux sujets en échec d’apprentissage pour les faire progresser en
même temps dans leur capacité à résoudre des problèmes et dans leur
motivation, qui paraît déterminante dans ce progrès. Certaines d’entre
elles (Bouffard-Bouchard et al., 1991a et 1991b) interrogent ce qui diffé-
rencie les élèves qui réussissent (notés ER) et ceux qui échouent (notés
EE), et concluent :
– Les EE ne sont pas métacognitifs (ce que confirment des sociologues
comme Jean-Yves Rochex et Bernard Lahire) : ils ne savent ni ce qu’ils
savent ni ce qu’ils ne savent pas, autrement dit, ils ne disposent pas de
métaconnaissances utiles ; ils n’utilisent pas de stratégie de contrôle, mais
se jettent dans la tâche (ou sont inactifs), gèrent au hasard sans prise de
conscience, s’appuient sur des indices de surface et encodent mal la tâche,
les données, le but ; ils ne comprennent donc pas ce qu’ils font ; ils aban-
donnent devant l’échec et sont dépendants de l’aide extérieure (mais sans
pouvoir l’aider à les aider) ; ils ne mémorisent pas ce qu’ils font même
quand ils réussissent et ne transfèrent pas.
– À l’inverse, les ER sont « métacognitifs », « autorégulés », « transfé-
reurs », « experts en apprentissage » (Bouffard-Bouchard, 1991). Et ces
transféreurs « sont aussi ceux qui planifient, évaluent et sont autocor-
rectifs : ils contrôlent leur activité. Les non-transféreurs agissent sans ordre,
sans planification, changent facilement de procédure, et l’erreur ne leur
apprend rien. » (Brown, 1987, repris par Mendelsohn, 1994) Bouffard-
Bouchard précise que ces ER ont des stratégies devant l’échec et sont
persévérants, ce qui traduit la motivation.

Explications possibles à ces constats : motivation et métacognition


Pour comprendre ces différences, des études (Bouffard-Bouchard,
1991 ; Doly, 1996a, 1996b, 2005) mettent en rapport l’affectif et le cognitif
avec la notion de « motivation ». Les élèves qui réussissent (notés ER)
sont « motivés » : de quoi est faite la motivation ? comment se développe-
t-elle ? Rappelons que des réflexions de sociologues12 font apparaître que

12. Bautier É., Charlot B., Rochex J.-Y., École et savoirs dans les banlieues et… ailleurs,
Paris, Armand Colin, 1992.

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Métacognition, remédiation

les ER sont des élèves qui reconnaissent l’école comme une fin en soi –
apprendre des connaissances – et non comme un moyen – être « utile »,
apprendre un métier.
Les psychologues (Paris et Winograd, 1990 ; Bräten, 2000 ; Bouffard-
Bouchard, 1991a, 1991b ; Doly, 1996a, 1996b) mettent en avant que les ER
se connaissent comme apprenants : ils ont des métaconnaissances – et
peuvent en faire état – sur leur rapport aux stratégies, aux savoirs, aux
tâches. Ils ont développé une attribution interne : ils savent « que leurs
actions sont bien ce qui est responsable de leur performance et de leur
succès et que l’échec n’est jamais inévitable et incontrôlable » (Paris et
Winograd, 1990). Ils ont développé une « perception de [leur] efficacité »,
du rapport entre l’action et la performance (Bouffard-Bouchard, 1991b)
et, par là, une estime de soi « qui a les plus grands effets sur l’autorégu-
lation et les performances » (Paris et Winograd, 1990).
Ces études permettent de conclure, comme le montrent les observa-
tions menées sur les modalités éducatives des mères ou éducatrices de
jeunes enfants (Day, 1985 ; Bruner, 1983 sur les « règles d’interaction de
tutelle »), que ces compétences – qui définissent la motivation – s’appren-
nent et peuvent s’apprendre très tôt. Les mères/éducatrices d’enfants qui
deviennent « métacognitifs » font deux types de choses :
– elles choisissent des situations de type situation-problème, situées au-
delà de ce que l’élève peut faire seul mais « juste » au-delà, c’est-à-dire
en « zone proximale » (Vygotski, 1985) ;
– elles mettent en œuvre une aide systématique de type « tutelle sociale
langagière » (Bruner, 1983).

Caractéristiques de la tutelle langagière dans son contenu


et dans sa forme
La grande majorité de ces recherches (Day, 1985 ; Doly, 1996a,
1996b) se situe, après la référence au dialogue socratique et sa « maïeu-
tique », dans le même cadre théorique vygotskien dont on peut rappeler
les principales idées à travers les extraits empruntés au texte de Vygotski
(Shneuwly et Bronckard, 1985) : « Chaque fonction apparaît deux fois dans
le développement culturel de l’enfant, d’abord entre les individus puis
dans l’enfant. Cela s’applique aussi bien à l’attention volontaire qu’à la
mémoire logique et à la formation des concepts. Toutes les fonctions
supérieures (à savoir “conscientes et volontaires”) débutent comme des
relations effectives entre individus humains. » Ce qui est affirmé ici, ce
sont les conditions sociales et culturelles du développement de l’intelli-

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La métacognition : de sa définition par la psychologie à sa mise en œuvre à l’école

gence de l’enfant comprise du côté de ses « fonctions » comme des connais-


sances, « les concepts ». Autrement dit, c’est parce que l’enfant apprend,
dans et par une relation sociale d’abord asymétrique, culturelle et langa-
gière – le langage étant à la fois moyen et fin de cette relation éduca-
tive – que son intelligence peut se développer. Vygotski insiste sur le rôle
des adultes dans ce qui le définit comme « aide » à apprendre, c’est-à-dire
à aller au-delà de ce que l’enfant sait faire seul, en « zone proximale »
ainsi que sur l’aspect transmissif de cette relation : « Ce que l’enfant est
en mesure de faire aujourd’hui à l’aide des adultes, il pourra l’accomplir
seul demain. » Ce qui va permettre à cette aide transmissive de produire
un apprentissage est le fait qu’elle est langagière : le langage remplit la
double fonction de signification (construire le sens des actes plus exac-
tement, mettre les actes en sens) et de communication13, et il est ce qui
permet à l’enfant « d’intérioriser » ces significations et leurs modes de
construction que l’adulte était seul à maîtriser au départ et qu’il a « mis »
dans la communication : « L’apprentissage anime chez l’enfant […] des
processus qui, à un moment donné, ne lui sont accessibles que dans le
cadre de la communication avec l’adulte et de la collaboration avec des
camarades mais qui, une fois intériorisés, deviendront une conquête
propre de l’enfant [...]. » Par cette médiation spécifique, l’enfant peut
passer d’une dépendance de la régulation par l’adulte de ce qu’il fait à
une co-régulation puis à une autorégulation, autrement dit, à ce que l’on
appelle aussi un contrôle métacognitif, par « l’autolangage » – l’enfant se
disant peu à peu à lui-même ce que l’adulte disait pour l’aider : « L’enfant
apprend d’abord à conformer son comportement à un ensemble de règles
externes [...] et ce n’est qu’ensuite qu’apparaît l’autorégulation volontaire
du comportement comme une fonction intérieure de l’enfant lui-même. »
Et Bruner (1983) d’ajouter : « Bien que les adultes assistent l’apprentis-
sage des enfants de façon systématique, ceux-ci doivent pouvoir s’aider
eux-mêmes et, pour ce faire, doivent prendre conscience de leurs propres
activités. » L’aide langagière de l’adulte sous forme de « tutelle », comme
Bruner en développe l’idée (1983), étant ce qui permet cette prise de
conscience en même temps que l’appropriation progressive de ses moda-
lités et donc le désétayage. Ainsi, le sujet construit-il son intelligence par
des apprentissages effectués sous la conduite d’une tutelle sociolangagière

13. Contrairement à la thèse piagétienne, les actes de l’enfant ne portent pas en eux-
mêmes tout ce qui permet de les comprendre, même s’il en portent le substrat : c’est le
langage de l’adulte qui médiatise le rapport au monde de l’enfant et à ses propres actes,
qui construit ce sens et le communique à l’enfant.

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Métacognition, remédiation

des adultes qui permet à l’enfant d’opérer une intériorisation progressive


de cette tutelle et de la culture qui l’accompagne, d’une hétéro- et d’une
co-régulation à une autorégulation.

• Objectifs et forme de la tutelle14


Concernant les objectifs de la tutelle, il s’agit de faire opérer, pour
« l’intérioriser » le contrôle métacognitif, d’abord effectué par et avec
l’adulte, à savoir : faire émerger les connaissances et métaconnaissances
de départ utiles, et faire opérer les différents processus nécessaires au
contrôle métacognitif tels que nous les avons décrits (voir « Les habiletés
de contrôle », pp. 87-88) :
– faire anticiper et prévoir en aidant à la représentation du but et à
la planification ;
– favoriser l’autorégulation par une aide à définir le but par des
critères et à maintenir l’orientation vers ce but, à sélectionner les indices
pertinents pour conduire l’activité, à abandonner les tâtonnements inutiles
et les indices non pertinents, à anticiper les conséquences des choix effec-
tués, à rappeler des ressources utiles – connaissances et métaconnais-
sances –, à expliciter les procédures mises en jeu et à en garder le rapport
au but visé, à repérer les erreurs et à envisager des régulations ;
– faire procéder à une évaluation terminale – aider à évaluer le
résultat et pour cela, à revenir sur le rapport entre la procédure et le but
visé qui a été mis en œuvre, à le décontextualiser et à le conceptualiser
pour aller vers des compétences, des stratégies et/ou des connaissances
ainsi construites mémorisables et généralisables. À l’école, cette évalua-
tion peut se faire avec profit à travers une comparaison des diverses procé-
dures utilisées et des résultats obtenus, une demande de leur justification
et la détermination des procédures et résultats à retenir (parce que les
plus efficaces et/ou les plus rationnels, et/ou conformes à la vérité scien-
tifique ou historique).

14. Sur ce point, on peut consulter une synthèse d’études comparatives sur les caracté-
ristiques de l’environnement qui favorise ou défavorise la réussite, effectuée dans Dossiers
d’éducation et Formation, n° 101, juin 1998. Il y est notamment signalé que l’environnement
qui favorise la réussite, aide à l’exploration, oriente vers la tâche, encourage l’enfant à
évaluer les conséquences de ses actions, donne davantage de feed-back positifs, donne plus
d’indices et d’informations spécifiques et pertinentes, pose plus de questions, présente des
pratiques éducatives flexibles. Tandis que celui qui défavorise la réussite est plus directif,
intervient à la place de l’enfant, s’exprime sous forme impérative, donne la solution du
problème, oriente peu vers la tâche, donne plus de feed-back négatifs. On peut aussi consulter
le célèbre ouvrage de Bruner sur « le rôle de l’interaction de tutelle », 1985, pp. 261-280.

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La métacognition : de sa définition par la psychologie à sa mise en œuvre à l’école

La tutelle quant à sa forme, qui doit conduire le novice de la dépen-


dance à l’autorégulation, doit favoriser l’intériorisation et ne pas laisser
le sujet dans la dépendance de l’expert. Pour cela, elle doit préférer une
aide par reformulation, demande de reformulation, et questionnement à
une forme sanctionnante : elle guide sans prescrire ; elle invite à dire et
à faire, elle suggère plutôt qu’elle ne dit comment faire ou ce qu’il ne
faut pas faire.

Dès l’école maternelle, l’enseignant peut solliciter les compétences


métacognitives de contrôle, de réflexion sur l’action et le langage : l’enfant
qui joue seul avec son jeu de construction est souvent métacognitif pour
parvenir à son but. Au début, l’enseignant verbalise et reformule l’acti-
vité, ce qu’il fait beaucoup chez les 2-4 ans, tout en s’adressant à l’enfant
et donc en lui faisant sa place d’interlocuteur ; puis, il laisse de plus en
plus de place à l’enfant. Ce cheminement est à comprendre à la fois
comme une évolution liée à l’âge et aux habitudes scolaires acquises, et
comme les étapes d’une même séquence d’apprentissage, à la condition
que l’enseignant aide les élèves selon le schéma de tutelle décrit ci-dessus.
Plus généralement, il faut rappeler qu’il n’y a pas de verbalisation ni
évaluation possible si le sujet n’a pas opéré – aidé ou non – de prises de
conscience sur son activité avant et pendant la gestion de sa tâche.

La mise en pratique de ces éléments théoriques nous amène à l’hypo-


thèse de travail suivante.

Une hypothèse de travail en classe


La situation d’apprentissage proposée doit être, comme on l’a déjà
dit, en zone proximale pour que le sujet puisse surmonter l’obstacle et
aller au but avec l’aide d’une tutelle dont on a précisé aussi la forme et
les contenus. Comme le dit Bruner (1983), « le débutant ne peut tirer
bénéfice d’une tutelle si une condition n’est pas remplie : la compréhen-
sion doit précéder la production. […] L’apprenant doit être capable de
reconnaître une bonne solution15 avant de et pour être capable de produire
lui-même les démarches qui y conduiront sans aide. » D’où l’hypothèse
de travail en classe que nous avons suivie : il faut aider les élèves à
progresser dans leur capacité d’évaluer et, plus précisément, de construire

15. Autrement dit, l’apprenant doit être capable d’évaluer ce qui va et ne va pas dans
une solution, ou encore se représenter le but par des critères d’évaluation.

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Métacognition, remédiation

les critères d’évaluation qui décrivent le but à atteindre (« À quelles condi-


tions pourra-t-on dire que l’on a, ou non, réussi ? ») avant que et pour
qu’ils progressent dans la capacité de produire en contrôlant ce qu’ils
font. Nous avons choisi de faire construire par les élèves (en co-construc-
tion et co-régulation) ces critères afin qu’ils soient bien situés en zone
proximale et non au-delà, comme cela est souvent le cas, particulière-
ment pour les élèves en difficulté, lorsque ce sont les enseignants qui
« donnent » ces critères, souvent trop nombreux et abstraits. Ils ont ainsi
plus de chances d’être compris, maîtrisés et donc utilisés par les élèves.
Au terme de cette élucidation conceptuelle qui concernait à la fois la
nature précise et les conditions de fonctionnement de la métacognition,
nous pouvons présenter des exemples de mise en œuvre de la métaco-
gnition à l’école : il s’agit de faire utiliser et apprendre la métacognition
dans ses différents aspects aux élèves afin de favoriser la réussite des
apprentissages, c’est-à-dire également leur capacité à se transférer, en
même temps que la motivation et l’estime de soi, comme élève.

Exemples de mises en pratique en classe :


propositions de modélisation
Les modélisations proposées ici sont le fruit d’un travail effectué
sur plusieurs années, et dans plusieurs classes de CE1 pour l’orthographe,
de CM1 et CM2 et au collège pour l’orthographe et le texte narratif, de
petite section et de grande section pour les ateliers d’écriture16.

Apprendre à écrire des textes : exemple du texte narratif 17


L’objectif général est d’apprendre à écrire un texte narratif : il s’agit
d’apprendre à la fois des connaissances et des compétences, des méta-
connaissances et des métacompétences. Les objectifs spécifiques sont de

16. Notre recherche a également porté sur l’enseignement de la biologie au CM1 et au


CM2 : voir les Actes du Colloque international de Charleville-Mézières, 12-14 mai 2003. La
modélisation proposée pour l’écriture a été utilisée en anglais en classe de 1re dans le cadre
d’un mémoire de PLC2.
17. Cette recherche et sa modélisation ont fait l’objet d’une communication au colloque
international « Early Sig Writing 02 » de Stafford des 10-13 juillet 2002 et d’une publica-
tion : « Metacognition, Motivation and learning : learning to write texts at school», in
G. Rijlaarsdam (Series Ed.) and Rijlaarsdam G., Van den Bergh H. & Couzijn M. (vol. Eds.),
Studies in writing, Volume 14, Effective learning and teaching of writing, 2nd edition, start-
page-endpage. Dordrecht : Kluwer Academic Publishers.

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La métacognition : de sa définition par la psychologie à sa mise en œuvre à l’école

deux ordres : 1. opérationnel : faire construire aux élèves les critères


d’évaluation qui définissent le texte narratif et qui représentent le but
à atteindre et les critères de réalisation, qui décrivent des modes de réali-
sation possible ; 2. pédagogique et stratégique : apprendre à se
connaître dans l’écriture de texte narratif pour mieux apprendre à
contrôler l’activité d’écriture de texte narratif et viser à automatiser des
compétences ; développer la motivation à écrire.
La modélisation effectuée peut se décrire en une succession d’étapes
correspondant à une ou plusieurs séances de classe :
1. Le professeur avertit les élèves des modalités générales du travail et
de ses objectifs didactiques et pédagogiques.
2. Il fait élaborer une première liste de critères élémentaires d’évalua-
tion à partir de lectures de récits et de comparaisons ou de tris de textes.
Il s’agit de permettre aux élèves d’avoir une première représentation du
but à atteindre et de faire émerger leurs représentations premières de ce
qu’est un texte narratif.
3. Les élèves produisent individuellement un écrit sachant qu’ils vont
avoir à l’évaluer et à produire des fiches de critères. Pendant la produc-
tion, le professeur peut aider certains élèves en difficulté pour qu’ils
comprennent la tâche, qu’ils prennent conscience de ce qu’ils font en
rapport avec le but, qu’ils soient plus autorégulateurs mais, surtout, pour
qu’ils puissent verbaliser et participer aux séances d’évaluation. L’aide est
donc réduite au minimum.
4. Le professeur évalue les copies sans les annoter. Sur une fiche, il note
pour chaque élève les difficultés rencontrées. Puis, il les synthétise et les
ordonne en fonction des difficultés les plus souvent rencontrées dans la
classe et de ses priorités : ses connaissances didactiques et littéraires sont
aussi indispensables que ses connaissances sur la métacognition. Il sélec-
tionne environ trois copies qui manifestent de façon claire les difficultés
dont il veut que les élèves prennent conscience. L’une d’elles représente
une réalisation réussie par rapport aux critères exigibles : il recopie, en les
modifiant au besoin, ces productions à l’ordinateur, ce qui permet d’éliminer
les variables non pertinentes pour la tâche des élèves – l’orthographe, la
ponctuation, les répétitions, etc., si ce ne sont pas des critères visés par le
professeur – et de les aider à se focaliser sur des éléments pertinents.
5. Le professeur redistribue ces copies aux élèves réunis en groupe ou
en binôme. Ils devront évaluer ces copies en écrivant sur une fiche séparée
« ce qui va, ce qui ne va pas et les conseils que l’on pourrait donner à
l’auteur pour qu’il améliore sa production lors de la réécriture ». Pendant
ce travail, le professeur aide systématiquement et de façon différenciée

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Métacognition, remédiation

les élèves selon les objectifs et les formes de tutelle décrites (voir
« Caractéristiques de la tutelle langagière dans son contenu et dans sa
forme », pp. 96-99). C’est un moment essentiel de l’apprentissage : le
professeur vise à faire progresser les élèves dans leur capacité à évaluer
un texte narratif et, en même temps, comme on l’a dit, à représenter le
but à atteindre, c’est-à-dire ce qui définit le texte narratif, de façon à
améliorer leur capacité à le produire en vertu de l’hypothèse retenue
(voir « Une hypothèse de travail en classe », pp. 99-100), selon laquelle le
progrès dans la capacité à évaluer une production fait progresser dans la
capacité à la produire. Une meilleure représentation du but, plus précise
et consciente, construite peu à peu par les élèves avec ce travail d’évalua-
tion, est ce qui leur permettra de devenir plus contrôlés dans leur propre
production. Il s’agit donc pour le professeur de les aider à passer d’une
évaluation spontanée, globale et intuitive des copies proposées à une
évaluation précise et explicitable par critères, qu’ils devront utiliser pour
réécrire leur texte en les faisant « passer du non conscient au conscient
et volontaire », comme dit Vygotski (1985). L’aide plus individualisée
permet aussi au professeur de mieux connaître les difficultés des élèves
(« Qui a pu trouver quels critères ? ») et d’être plus efficace dans sa tutelle,
dans ses choix didactiques et dans la conduite de la séance d’évaluation
orale collective. Le professeur peut aussi sensibiliser les élèves à la ques-
tion, le plus souvent inhabituelle, de leurs procédures d’écriture qui sera
développée dans une étape ultérieure.
6. Le professeur ramasse les fiches, les analyse et en fait une synthèse
(« Qui a perçu quoi ? »). Cela lui permet également de prévoir l’aide à
apporter lors de la réécriture, les objectifs sur lesquels insister ou qu’il
conviendra d’abandonner pour un temps ; de prévoir, plus précisément
qu’au départ et de façon plus centrée sur les élèves, les critères vers
lesquels il veut les conduire.
7. Le professeur mène une séance orale et collective d’évaluation qui
doit conduire à l’écriture décontextualisée, formalisée, conceptualisée pour
être généralisable, des critères d’évaluation. Ce travail de reformulation
écrite collective est très important pour l’appropriation, par chacun, de
ces critères et pour la valorisation d’une sorte de savoir commun – profes-
seur et élèves – de référence sur la tâche d’écriture. Les élèves font part
de leur évaluation, échangent, discutent, sous le guidage éclairé du profes-
seur, qui note au tableau, au fur et à mesure, les propositions en les clas-
sant et en demandant au besoin un travail de reformulation. Il pourra,
par exemple, différencier ce qui concerne l’aspect local (répétition, style,
grammaire, orthographe, etc.) et l’aspect global (macrostructure). Les

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La métacognition : de sa définition par la psychologie à sa mise en œuvre à l’école

élèves prennent ainsi conscience de leurs propres erreurs dès ce moment-


là. Le professeur intervient donc pour : recentrer l’échange, donner la
parole aux silencieux, reprendre au vol des intuitions à faire reformuler
(d’autant qu’il a lu les fiches d’évaluation et qu’il a des objectifs didac-
tiques), faire dépasser le niveau local et empirique pour atteindre un
niveau plus décontextualisé (« réélaborer à un niveau abstrait »), conduire
chacun le plus loin possible dans sa zone proximale, au-delà de ce qu’il
aurait fait seul mais sans pour autant faire à sa place. Ce guidage requiert
du professeur une grande disponibilité, une écoute liée à la confiance
qu’il a dans la compétence des élèves, ce qui se développe chez les ensei-
gnants au fur et à mesure qu’ils avancent dans ce travail. À la fin de cette
séance, les élèves ont donc une fiche de critères d’évaluation qui décrit
le produit à viser. Le plus souvent18, ils demandent qu’une fiche supplé-
mentaire, souvent appelée « Attention ! », soit faite concernant les diffi-
cultés qu’ils ont du mal à vaincre ou même à percevoir (par exemple,
l’usage de mots familiers, la déperdition ou l’émergence brutale de person-
nages, le changement de temps, etc.)19. Le professeur interroge enfin les
élèves sur les procédures mises en œuvre: «Comment vous y êtes vous pris?»;
« Comment avez-vous commencé ? » ; « Qu’est-ce qui vous a aidés ? » ;
« Comment vous êtes vous assurés que vous aviez fait ce qu’il fallait ? »,
etc. Cette réflexion, d’abord collective puis individuelle et écrite (selon le
scénario déjà décrit pour les critères d’évaluation), doit mener à l’écri-
ture d’une seconde fiche, centrée sur les « critères de procédure » ou « de
réalisation ». Ce qui ressort de cette réflexion est qu’il y a deux grands
types de procédures : 1. « J’ai imaginé l’histoire dans ma tête et je l’ai
écrite ensuite » (ce qui correspond à la « planification ») avec des préci-
sions comme « J’ai pensé très vite à la fin de mon histoire », « J’ai pensé
à des personnages », « Je me suis inspiré de telle histoire », « J’ai cherché
de jolis mots », etc) ; 2. « J’ai écrit petits bouts par petits bouts ». Cette
dernière procédure ayant été reconnue comme peu efficace, elle a été
complétée par : « Quand on écrit petits bouts par petits bouts, il faut
relire le tout à chaque petit bout nouveau pour être sûr qu’ils vont
ensemble » ou encore « Il faut faire des phrases de transition pour lier
les bouts ».

18. Cela s’est produit dans toutes les classes.


19. Cette fiche peut être plus ou moins personnalisée et permet à chacun de mieux se
connaître.

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Métacognition, remédiation

Cinq objectifs ont été visés dans cette évaluation collective : prendre
conscience des procédures utilisées spontanément par chacun (et le plus
souvent ignorées au départ) ; prendre conscience qu’il y en a d’autres (par
comparaison) ; prendre conscience qu’il y en a de plus efficaces que
d’autres (en comparant procédures et performances) ; prendre conscience
de la différence entre ordre de réalisation de procédures (sélection d’infor-
mations, introduction, conclusion, plan, relecture, etc.) et ordre de présen-
tation pour les lecteurs (ce qui exige une logique différente) ; faire évoluer
sa procédure (il ne sert à rien d’obliger un élève à mettre en œuvre une
procédure totalement extérieure à ses compétences actuelles ; cela retarde
au contraire son efficacité).
8. Les élèves évaluent individuellement leur copie avec leurs fiches
pour prendre conscience de leurs propres erreurs et se donner des objec-
tifs de réécriture. Ce travail individuel est difficile et demande l’aide du
professeur : il faut éviter la surcharge cognitive, et le contrôle de trois,
quatre erreurs est déjà exigeant.
9. Les élèves réécrivent leur texte individuellement avec l’aide-tutelle
systématique et différenciée du professeur. Ce dernier les aide surtout à
partir de leurs questions, qui sont beaucoup plus précises et pertinentes
après ce travail : ils ont appris à « se faire aider », ils peuvent dire quelque
chose de leurs difficultés, ils ont une référence commune avec le profes-
seur, à savoir la fiche de critères. Cette réécriture est totale ou partielle
selon les conseils du professeur et le choix de l’élève.
10. Le professeur évalue cette réécriture en annotant la copie elle-même
de telle sorte que l’élève sache sur quels critères il a progressé et ceux qui
restent à travailler. L’élève pourra ainsi se connaître comme « scripteur »,
et pourra éventuellement réécrire une seconde fois, ce qui a été le cas le
plus souvent et à leur demande. Il convient d’éviter les évaluations néga-
tives et sanctionnantes du type « charabia », « hors sujet », « incompré-
hensible », « incohérent », etc., et préférer les formules comme : « Réécris
cette phrase plus clairement », « Ajoute une phrase pour que l’on
comprenne », « Trouve un plus joli mot », « Annonce l’arrivée du person-
nage dans une phrase précédente », etc. Il s’agit en effet d’aider l’élève à
repérer ses erreurs par rapport aux critères connus afin qu’il puisse réécrire,
et non de le sanctionner par rapport à une norme non dite. Il n’est pas
nécessaire (et peu possible, surtout au collège) de reproduire ce schéma
complet à chaque écriture, mais les élèves qui s’habituent à ce travail
l’effectuent avec plus de rapidité. Ce travail développe clairement la moti-
vation et la persévérance des élèves qui se découvrent compétents et
capables de progrès, en développant une internalité du contrôle et un

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La métacognition : de sa définition par la psychologie à sa mise en œuvre à l’école

sentiment d’autoefficacité. Une évaluation de ce travail auprès des élèves


fait en effet apparaître :
– leur progrès dans la compétence à l’écriture elle-même ;
– leur progrès dans la conscience de leurs compétences, la connais-
sance d’eux-mêmes (défauts, progrès). Ils ont davantage confiance en eux
pour écrire, d’autant plus qu’ils ont le sentiment de maîtriser les règles
et donc les moyens du progrès ; ils sont également beaucoup plus persé-
vérants et ont nettement développé une motivation (« On devient plus
intelligents ! », ce que notent aussi les professeurs, lorsqu’ils déclarent, par
exemple : « Je les vois devenir intelligents ») ;
– leur appréciation positive de cette forme de travail : « La fiche nous
aide » ; « Elle nous sécurise » ; « C’est plus facile d’écrire avec la fiche »,
etc. ;
– la fiche est une sorte d’intermédiaire de tutelle et un outil : « On s’en
sert beaucoup au début et puis après on la connaît » ; « Après, la fiche
est trop raide et on devient meilleur que la fiche ».

Apprendre à contrôler son orthographe


Ce travail d’apprentissage de l’orthographe chez les élèves par déve-
loppement de leur capacité de contrôle métacognitif a fait l’objet de trois
séries de recherche : en CM1 et en CM2 (1998/1999), en CE (2000/2001),
en CM et au collège (ZEP) (2003/2004). Il peut être mis en rapport avec
la réflexion d’Anne-Marie Chartier, qui attribue la supériorité en dictée
des élèves des années 1920 sur ceux de 1995 à « de meilleures capacités
d’autocorrection, […] d’autocontrôle en dictée », autrement dit de compé-
tences métacognitives et « au progrès dans l’intériorisation d’une
conscience orthographique », autrement dit à l’acquisition de métacon-
naissances en orthographe. D’où elle conclut que « pour améliorer les
performances des élèves […], il faudrait jouer tout autant sur la capacité
d’autocontrôle […]. La vigilance attentionnelle conditionne les capacités
d’autoévaluation, exige concentration, retour sur la tâche, distanciation,
dissociation entre contenu et forme. Or c’est une compétence dont on
peut supposer qu’elle s’investit dans d’autres activités scolaires et qu’elle
constitue un atout important pour rendre tous les apprentissages effi-
caces, une fois les savoirs compris et acquis »20. La mise en œuvre de ce

20. Chartier A.-M., « Épreuves du certificat d’études primaires en 1995. Études de quelques
facteurs ayant pu agir sur les résultats des élèves », Éducation et Formation, n° 53, mars 1998,
pp. 19-34.

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Métacognition, remédiation

contrôle métacognitif exige que les élèves apprennent à se connaître en


orthographe (Quelles fautes font-ils ? Quelles procédures de correction
utilisent-ils ? Qu’est-ce qui est su, ignoré ? Etc.). C’est dans ce sens que
nous avons mis en œuvre le travail dans les classes qui a ensuite conduit
à la modélisation proposée ici.

L’objectif didactique général est de faire progresser les élèves en ortho-


graphe par l’usage du contrôle métacognitif, l’objectif opérationnel étant
de conduire les élèves à prendre conscience de leurs lacunes, des types
de fautes qu’ils font, autrement dit de construire des métaconnais-
sances en orthographe pour favoriser la mise en œuvre et l’apprentis-
sage du contrôle orthographique. Il s’agit par là de développer une
motivation pour l’orthographe par le développement d’une attribution
interne et d’un sentiment d’autoefficacité. Une première modalité péda-
gogique de ce travail a été de faire construire aux élèves deux outils :
– un tableau d’évaluation des fautes soumises au contrôle dans lequel
chaque élèves note celles qu’il fait à chaque dictée ;
– une fiche-outil qui constitue une ressource facilement utilisable pour
que les élèves « s’aident eux-mêmes » à effectuer le contrôle.

Les différentes étapes de la démarche ; la construction


et l’usage du tableau d’évaluation
1. Au départ, le professeur fait faire une dictée non préparée, choisie
parce qu’elle présente des problèmes orthographiques en zone proximale,
c’est-à-dire déjà rencontrés mais non maîtrisés, sur lesquels le professeur
veut faire progresser les élèves.
2. Il écrit le texte au tableau. Avec les élèves, il identifie et nomme
toutes les fautes faites par la classe : on veillera à travailler la dénomi-
nation des fautes pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté pour les élèves. Par
exemple, les élèves repèrent les confusions « et/est » ou « on/ont ». Le
professeur interroge : « Comment peut-on les désigner dans les colonnes
de notre tableau ? » Une discussion s’engage, qui conduit à la désignation
par « homonymes ». On fait de même avec toutes les fautes, ce qui abou-
tira à un tableau de trois à huit types de faute, selon le niveau de classe,
désignés par « liaison » (comme dans « les zamis), « accord sujet-verbe »,
« terminaison de verbe », « mots invariables » et même « mots inconnus »,
etc. Chaque élève commence à prendre conscience de « ses » fautes. On
rajoute et on enlève des colonnes au fur et à mesure de l’avancée.

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La métacognition : de sa définition par la psychologie à sa mise en œuvre à l’école

3. Le professeur aide chaque élève à faire un tableau à double entrée –


types de faute en abscisse, ordre des dictées en ordonnée – de ses propres
fautes (pas plus de trois ou quatre pour éviter la surcharge cognitive).
4. On fait une deuxième dictée (puis d’autres, sur le même schéma) :
– le professeur lit le texte et repère oralement avec les élèves les
problèmes orthographiques qu’ils doivent contrôler et qui constituent ses
objectifs didactiques. Si besoin est, il donne les mots non connus au
tableau ;
– il dicte le texte phrase par phrase, si c’est nécessaire. Les élèves auto-
contrôlent après chaque phrase dictée puis après la dictée de l’ensemble
du texte, avec leur tableau et leur outil-ressource ;
– il peut aider les élèves qui sont le plus en difficulté. Il intervient plus
systématiquement par aide-tutelle différenciée, dans les classes difficiles
pour aider les élèves à effectuer le contrôle. Les fautes corrigées lors de
cette relecture le sont en vert ;
– il ramasse les copies et les corrige en faisant pour lui une fiche
d’évaluation (« Qui a fait quelles fautes ? »), en signalant en rouge les
fautes non perçues (elles sont soulignées, ou signalées dans la marge, ou
encore désignées en tête de page par le nom des fautes en question) et
en corrigeant (en bleu) les fautes non soumises au contrôle des élèves. Il
peut mettre une première note (en cycle 3 ou au collège) ;
– il redonne les copies et fait refaire une correction soit individuelle,
soit collective, voire les deux.
Dans le cas d’une correction individuelle, le professeur offre une aide-
tutelle différenciée. Au moment de la correction collective – qui n’a pas
toujours lieu –, il fait une synthèse des fautes qui disparaissent et de celles
qui subsistent. Il fait revenir les élèves sur les connaissances qui étaient
nécessaires à la correction ; il leur demande de trouver des moyens
mnémotechniques pour ne pas se tromper dans l’orthographe de tel ou
tel mot. Tout cela pourra figurer dans l’outil-ressource.
À la fin de chaque séquence, chaque élève doit noter, avec l’aide du
professeur, dans son tableau, les fautes qui n’ont pas été repérées et
corrigées après la première relecture, et supprimer les colonnes deve-
nues inutiles. Chacun doit pouvoir prendre conscience des progrès qu’il
a effectués et des fautes qui subsistent : chacun apprend ainsi à se
connaître en construisant des « métaconnaissances » sur son rapport à
l’orthographe. Au troisième trimestre, le professeur n’aidera plus que
ceux qui sont le plus en difficulté. Il mettra deux notes (avant relec-
ture et après) pour faire percevoir les progrès faits par chaque élève (la
perception du progrès, même minime, est facteur d’internalité du

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Métacognition, remédiation

contrôle et de sentiment d’autoefficacité, et donc de motivation), mais


aussi des erreurs restantes.

L’expérience et les difficultés rencontrées dans ce travail nous ont


conduit à repérer des modalités pédagogiques qui facilitent la tâche du
professeur et des élèves.

Les facteurs pédagogiques facilitants


• Les variables pédagogiques
– Le professeur peut produire lui-même ses dictées en fonction de ses
objectifs et des difficultés des élèves. Il pourra ainsi éviter leur surcharge
cognitive et aussi faire répéter et réinvestir des apprentissages effectués.
– Il proposera au moins deux dictées de suite sur les mêmes objectifs,
puis il fera une pause et reprendra le travail afin d’évaluer le transfert
de l’apprentissage.
– Il peut viser à automatiser certains apprentissages nécessaires pour
faciliter le contrôle en faisant faire des dictées de mots d’usage ou de
tout autre élément de l’outil-ressource : un élève est chargé de réperto-
rier cinq ou six mots/expressions repérés comme difficiles, et les dicte aux
autres, à la manière du calcul mental que font certains enseignants.
– Le professeur mène en parallèle des activités didactiques sur les objec-
tifs fixés à partir des évaluations : ces activités sont pédagogiquement
variées (magistrale, situation-problème, entraînement, etc.) et doivent
donner aux élèves les connaissances qui permettront aussi leur contrôle.
Le type de travail proposé permet justement aux élèves de prendre
conscience qu’ils ont, ou n’ont pas, assimilé ces connaissances : c’est une
forme de métaconnaissances.

• Faire élaborer un outil-ressource pour faciliter


le contrôle métacognitif des élèves
L’outil le plus communément utilisé par les enseignants est un carnet
de mots et de règles, le plus souvent trop important en particulier pour
les élèves auxquels il devrait être le plus utile. Il faut donc construire un
outil facilement utilisable et, pour cela : le construire avec les élèves en
plusieurs fois ; le construire et le faire évoluer à partir d’une réflexion sur
leurs dictées, sur les textes qu’ils font en lecture et les éléments qu’ils y
rencontrent le plus souvent ; l’élaborer sur une feuille ou deux, divisée
en cases distinctes et inégales dévolues à des rubriques différentes et inha-
bituelles : mots d’usage, expressions fréquentes, fautes spécifiques et réci-

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La métacognition : de sa définition par la psychologie à sa mise en œuvre à l’école

divantes du type homonymes, exemples de fautes fréquentes, mots inva-


riables, etc. ; moyens mnémotechniques, règles de référence (pour diffé-
rencier à et a, ou et où, verbe conjugué et participe passé, participe passé
et infinitif, etc.) ; revoir l’outil régulièrement : pour le connaître (on peut
le faire réciter), pour le faire évoluer : supprimer des éléments acquis, les
remplacer par d’autres.

• Mettre en œuvre une tutelle pédagogique adaptée


Pour intervenir auprès des élèves, comme on l’a vu à propos de la
tutelle, il faut éviter à la fois d’être non-directif et de faire à leur place,
de « laisser faire » et d’être « sanctionneur » et prescriptif afin de
conduire chacun vers une meilleure connaissance de soi et vers la possi-
bilité de contrôler sa propre activité en utilisant les outils. Dans cette
perspective, le professeur peut aider : en faisant anticiper les élèves sur
les erreurs possibles au moment de la lecture du texte qui va être dicté ;
en dictant phrase par phrase (ou deux phrases par deux phrases) pour
éviter la surcharge cognitive et laisser le temps du contrôle ; en facili-
tant l’usage du tableau pour relire et en signalant le type de faute
effectuée dans telle ou telle phrase. Pour ceux qui sont le plus en diffi-
culté, il pourra diminuer le nombre de fautes à contrôler (moins de
colonnes dans le tableau), voire la longueur de la dictée ; pointer le
lieu et le nom de la faute lors de l’autoévaluation ; faire un groupe de
besoin permettant d’entraîner les élèves sur les types de faute qui les
concernent.

Évaluation de ce travail
Les évaluations régulières de ce travail montrent un progrès de
l’ensemble des élèves en orthographe, même si ce progrès est plus lent
pour les élèves de très bas niveau : il n’y a aucun élève qui ne progresse
pas du tout. Elles montrent aussi, et avec évidence, un progrès général
de la motivation, qui devient forte et très inhabituelle en orthographe
pour ce type de travail (« Chic, on va faire une dictée, je vais voir combien
je fais de fautes en moins », dit un élève de CM2), qui dédramatise le
rapport de l’élève à l’orthographe en permettant d’internaliser le contrôle,
en développant un sentiment d’autoefficacité, en particulier chez les
élèves qui progressent très lentement.

Cependant, un problème subsiste : la difficulté à évaluer le transfert


de ces progrès à long terme.

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Métacognition, remédiation

Les ateliers d’écriture en maternelle ou l’écriture inventée


Apprendre à écrire relève de deux types d’apprentissage, qui corres-
pondent à deux grandes orientations et perspectives dans ce domaine :
l’apprentissage du geste graphique de type perceptivo-moteur, construit à
partir des travaux de Lurçat et la perspective de Ferreiro, Jaffré et Zerbato-
Poudou, selon laquelle apprendre à écrire, ce n’est pas seulement
apprendre un geste graphique, c’est apprendre à écrire une langue, c’est-
à-dire un système de signes signifiants. Le choix d’une perspective n’exclut
pas l’autre, et les deux types d’objectifs poursuivis nous paraissent devoir
être développés : dans un cas comme dans l’autre, comme le montre Marie-
Thérèse Zerbato-Poudou21, il s’agit de mettre en œuvre une démarche utili-
sant le contrôle métacognitif, et de faire prendre conscience aux élèves de
ce qui constitue l’écriture : des mots et des lettres écrits selon des règles
d’ordre et des formes qui traduisent des sons, et sont signifiants. Cette
perspective suppose un travail sur la conscience phonique et n’exclut pas,
bien au contraire, d’autres travaux sur le geste graphique comme sur la
lecture, la reconnaissance de mots, de lettres, etc.
Le travail proposé se présente sous forme de situation-problème : l’élève
a à écrire alors qu’il ne sait pas écrire mais qu’il a des acquis, variables
selon les élèves et les niveaux de classe, qui concernent la langue orale,
la langue écrite et leurs rapports et qui servent de point de départ.
Nous avons modélisé un travail effectué dans deux classes de mater-
nelle, une petite section et une grande section, après deux années succes-
sives de mise en œuvre.
– Procédure pédagogique : un objectif didactique vise à apprendre
aux élèves des connaissances et des compétences sur la langue écrite, et,
en particulier, le rapport entre écrit et oral. L’objectif opérationnel vise
à faire apprendre à contrôler son écriture en apprenant et en utilisant
des métaconnaissances sur l’écriture et la langue écrite.
– Déroulement des séances : on place les élèves (en atelier de 6 à 8)
en situation-problème : ils ont à écrire quelque chose, un mot, une phrase,
ce qu’ils ne savent pas faire, mais sur quoi ils ont des ressources. Ils ont
en effet des acquis : ils connaissent des mots, des lettres, pour les plus
grands ; ils savent différencier mots et images, ils ont des compétences
orales et quelques connaissances sur l’oral pour les plus jeunes. Ils ont

21. « L’apprentissage de l’écriture en maternelle : rôle de la médiation sémiotique », Skholê,


n° 2, 1995, pp. 57-83 ; « À quoi servent les exercices graphiques », Repères, n° 26-27, 2003,
pp. 61-71.

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La métacognition : de sa définition par la psychologie à sa mise en œuvre à l’école

des ressources avec les divers outils constitués en classe (affichages, fiches,
productions écrites diverses, etc.), et, surtout, l’aide-tutelle du professeur
qui intervient pour aider au contrôle métacognitif avant, pendant et après
la gestion de la tâche, pour les faire progresser dans la représentation de
l’écriture et du but à atteindre, c’est-à-dire dans leurs connaissances de
l’écrit et leurs compétences à écrire. Il intervient pour faire verbaliser et
analyser leur procédure et leurs résultats : en effet, ils inventent des règles,
font des analogies pour construire une procédure, parvenir à produire
quelque chose qui « ressemble » à la représentation qu’ils ont de l’écriture.
Le professeur vise à leur faire expliciter ces procédures et résultats, afin
de leur en faire prendre conscience, le but étant qu’ils saisissent égale-
ment la différence avec celles et ceux qui sont justes et, ce faisant, de les
leur faire acquérir progressivement. Il vise aussi à faire prendre conscience
aux élèves qu’ils progressent dans leurs compétences à écrire, ce qui permet
de développer leur motivation à apprendre à écrire et à lire.

– Étapes du travail :
Situation de départ : on apprend à écrire son prénom ; on écrit la phrase
qui suit une lecture arrêtée ; on écrit un mot à notre marotte pour lui
dire que nous sommes au cinéma, etc. Le maître choisit un énoncé dans
lequel de nombreux mots sont connus des élèves ou que ces derniers
peuvent retrouver facilement.
Premier jet : chacun écrit la même chose. Le professeur rappelle ou fait
rappeler des ressources utiles : mots connus, affichages, dictionnaire, etc.
Cette étape lui permet de savoir où en sont les élève dans la connais-
sance de la langue (ordre des lettres, des mots ? segmentation ? rapport
graphie/phonie ? principe alphabétique ?), de constater leurs procédures
(ils se disent lentement les mots pour bien articuler tous les sons) ; il les
aide à les reformuler, à identifier certaines erreurs (il peut aussi évaluer
le transfert d’autres activités sur l’écrit).
– Évaluation :
Le professeur demande à chacun de lire en suivant avec le doigt : il
vise à faire prendre conscience à l’enfant du rapport entre ce qu’il a écrit
et ce qu’il entendait et voulait écrire : « De ce qu’on a dit, qu’est-ce qui
est écrit ? » (Compter les mots, montrer tel mot, telle partie de mot…)
Il vise aussi à faire expliciter aux élèves les procédures qu’ils ont utilisées,
d’autant qu’il les aura aidés à en prendre conscience pendant l’écriture.
Il fait opérer des comparaisons entre les différentes productions des
élèves afin de leur faire prendre conscience de ce qu’ils ont fait et du fait
que d’autres ont fait autrement.

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Métacognition, remédiation

Le professeur présente le modèle et fait faire des comparaisons entre


le modèle et les productions des élèves, le but étant que ces derniers
prennent conscience de leurs erreurs (en fonction des critères visés) et
construisent des critères d’évaluation qui permettront de refaire la produc-
tion en corrigeant leurs propres erreurs et en progressant dans la connais-
sance de la langue écrite. (Exemples de critères, en PS : il y a plusieurs
mots, une seule ligne, des mots et des espaces, éventuellement, des mots
longs, des mots courts, le premier mot qui commence par A, etc. ; en GS :
nombre de mots, les différentes lettres dans tel ou tel mot, majuscules,
etc.)
– Réécriture :
Le professeur fait redire les deux à quatre critères d’évaluation retenus.
Les élèves réécrivent tandis que le professeur passe parmi eux et aide
par tutelle ceux qui le demandent ou qui en ont besoin.
On fait une autre co-évaluation : qu’est-ce qui a été corrigé ? Qu’est-ce
qui ne l’a pas été ?

Par ce travail, les élèves réalisent ce que signifient et impliquent écrire,


contrôler son activité et progresser dans l’écriture ; ils prennent conscience
de leurs connaissances et leurs compétences : ils élaborent des métacon-
naissances pour aider à ce contrôle.

Métacognition et échec scolaire : réflexions et travaux


venant d’autres champs que celui de la psychologie
sur le rapport entre métacognition et réussite scolaire
La transmission culturelle par l’école et l’exigence de métacognition :
l’analyse de Bernard Lahire et le rôle de la métacognition
dans la réussite scolaire
Métacognition et transmission de la culture : des exigences communes
Une culture, comprise comme l’ensemble de systèmes symboliques22
qui représentent le monde en en construisant le sens, est ce qui le rend

22. Nous ne développons pas ici cette question, mais on pourra consulter Cassirer E.,
L’Idée d’Histoire, Paris, Éditions de Minuit, 1988, et La Philosophie des formes symboliques,
tome 3, Paris, Éditions de Minuit, 1972 ; Lévi-Strauss C., « Introduction », in Sociologie et
anthropologie, Paris, PUF, 1966 ; Doly A.-M. et De Rosa R., Construire son identité à l’école
maternelle, Paris, Nathan, 1999 ; Doly A.-M., Métacognition et Pédagogie : enjeux et proposi-
tions pour l’introduction de la métacognition à l’école, Thèse de doctorat, Lyon 2, 1998.

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La métacognition : de sa définition par la psychologie à sa mise en œuvre à l’école

intelligible et maîtrisable par tous, en particulier grâce à l’école qui, dès


ses premiers principes et rapports fondateurs23, devait permettre d’en faire
un « bien commun », comme le disait Condorcet, constructeur d’identité
humaine et d’autonomie par rapport aux déterminismes naturels et
sociaux. Ces systèmes symboliques, parmi lesquels et en premier lieu, la
langue, les connaissances scientifiques, la littérature, les arts, le droit, etc.,
tous ces savoirs de culture à valeur universelle, devaient en effet préparer
chez tous les enfants l’exercice de la raison, et permettre à tous les
hommes de vivre ensemble, citoyens et libres. Or, l’appropriation de ces
systèmes – qui construisent en eux-mêmes le sens du monde qu’ils re-
présentent mais sans « ressemblance » avec lui (Quelle ressemblance entre
la loi de la chute des corps et la chute d’une feuille, entre le mot table
et la table réelle, etc. ?) – exige que les élèves se détournent du monde
réel (qui n’est qu’images fugitives, opinions et croyances), qui « en lui-
même n’apprend rien »24, pour se concentrer sur ces systèmes qui portent
leurs « raisons », c’est-à-dire pour y consacrer une pensée qui réfléchit,
« cogite », les psychologues diraient qui « contrôle de façon métacogni-
tive » : en d’autres termes, une pensée qui se distancie du monde, revient
sur elle-même – et non sur le monde ou sur les autres25 – pour le
comprendre et juger. Ainsi, la compréhension de l’idée de culture, telle
que l’école doit en assurer en grande partie la transmission, permet de
saisir l’importance des comportements métacognitifs de contrôle, distan-
ciés et réfléchis.
Et c’est justement dans ce rapport à la transmission culturelle par l’école
que la métacognition nous paraît prendre à la fois sens et valeur : en
donnant à la notion de « conscience » des philosophes, qui définit ce qu’est
penser, un mouvement dynamique, la métacognition permet de
comprendre ce que peut vouloir dire « apprendre à penser » dans ce milieu
spécifique et unique qu’est l’école, dévolu à « l’éducation par l’instruc-
tion » « à la raison », comme dit Hannah Arendt26. La métacognition à
l’école, si elle n’est pas rapportée aux savoirs et à la culture à transmettre,
mais utilisée seulement « psychologiquement », laisse l’espace de la rela-

23. Voir Condorcet, « Rapport et projet de décret sur l’organisation générale de l’instruc-
tion publique » (1792), in Vive l’école républicaine, Textes et discours fondateurs, Paris, Librio,
1999.
24. Voir Élizabeth Bautier et Jean-Yves Rochex, pp. 116-118.
25. La pensée « critique » et réflexive qu’est la raison n’est pas une pensée « qui critique »
mais une pensée qui est capable de « se critiquer », c’est-à-dire de différencier en elle-même
croyance et connaissance, vérité et fausseté, bien et mal et, par là, de juger.
26. Arendt H., « La crise de l’éducation », in La crise de la culture, Paris, PUF, 1972.

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Métacognition, remédiation

tion élève-professeur vacant, ce qui fait courir à l’élève, redevenu une


personne privée (qui n’est plus définie et protégée par le rapport insti-
tutionnel au savoir et au professeur qui en est la figure), le risque d’être
« livré » au professeur, redevenu lui aussi une personne privée, et à sa
volonté, même « bonne », à ses croyances et opinions, bref, à la possibi-
lité de n’être plus « éduqué par l’instruction » au « bien commun »
constructeur de liberté en même temps que de « vivre ensemble », mais
manipulé, voire, « gouroutisé » par des actions incontrôlables, ce qui met
en cause le sens de l’école et son principe de laïcité.

Métacognition et tradition écrite de la culture


Le fait que cette culture soit à tradition écrite, qu’elle se construise
et se transmette par l’écrit, donne une forme particulière à la culture
qui oblige ceux qu’elle doit « civiliser » à des comportements spécifiques
sous peine d’en être exclus. C’est par cette thèse que Bernard Lahire
(1993a et 1993b) veut comprendre l’échec scolaire en le rapportant à la
difficulté des élèves de milieux populaires, plus familiers de pratiques,
en particulier langagières, propres aux cultures orales, à mettre en œuvre
des compétences métacognitives exigées par les pratiques liées aux
cultures à transmission écrite. Le langage est en effet à la fois un véhi-
cule majeur de la culture, l’un des moyens de son appropriation et de
ses usages, et, par là même, un facteur de liberté et d’exercice du pouvoir
citoyen. En effet, les sociétés qui transmettent la culture par l’écriture,
comme c’est notre cas, créent des conditions et des exigences de rapport
au monde, et d’abord au langage, distanciées, réflexives, des comporte-
ments de contrôle métacognitif, édictées en particulier par le souci de
la norme, érigée et fixée par l’écrit, qui l’emporte sur celui de l’utilité
et de l’efficacité27.
L’écriture a permis et engagé le développement d’une pensée réflexive
et scientifique, l’esprit étant devenu capable de « rumination intellec-
tuelle », de distance et de retour critique, en même temps que son expres-
sion langagière s’est trouvée contrainte par des normes désormais fixées.
Les exigences métacognitives propres à l’écriture (et qui permettent d’en

27. Ceci est peut-être bien en train de changer dans notre école devenue plus encline à
chercher à s’adapter au monde qu’à éduquer les élèves à la raison et à la liberté et, par là,
à la citoyenneté, comme ces valeurs fondatrices l’y invitaient. Dans cette réflexion, le socio-
logue s’inspire du travail de Jack Goody (La Raison graphique, Paris, Éditions de Minuit,
1979) sur la signification et les conséquences du passage des cultures, de la tradition orale
à la tradition écrite.

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La métacognition : de sa définition par la psychologie à sa mise en œuvre à l’école

comprendre la difficulté en même temps que le « coût cognitif ») et que


l’oral ne connaît pas (avoir à communiquer par l’écrit oblige à un
ensemble d’opérations métacognitives et la soumission à des règles que
la même communication par l’oral n’exige pas puisque le sens du message
peut être co-construit par les deux partenaires et que les règles y sont
plus fluctuantes) se répercutent sur l’ensemble des rapports au monde
dont le langage est le moyen majeur. Ainsi, à l’inverse, les rapports cultu-
rels oraux au monde, dont Lahire rapproche les comportements des élèves
de milieux populaires, sont plus immédiats et pragmatiques ; ils visent
plutôt l’utilité et l’efficacité que le respect de la norme et n’exigent pas
les mêmes comportements métacognitifs : « La prise de conscience, la
distanciation, et les autres processus de contrôle métacognitif ne sont pas
des comportements habituels ayant du sens dans le quotidien des enfants
de milieux populaires. » (Rochex, 1995) Or, notre école qui vise à trans-
mettre une culture écrite, exige de tous les élèves ces mêmes comporte-
ments métacognitifs, en particulier pour ce qui concerne l’apprentissage
de la langue, y compris orale. On comprend la difficulté des enfants de
milieux populaires, qui n’y ont pas été habitués dans leur quotidien
éducatif, à y réussir et d’abord à comprendre ce qui leur est demandé :
« Ce rapport réflexif [...] exigé implicitement de tous les élèves, ne fait
que rarement l’objet d’un enseignement visant à le construire pour ceux
qui n’en ont pas été dotés par leur prime éducation. » (Rochex, 1995) Et
Lahire (1993b) d’expliquer : « À l’école, l’élève est invité à adopter une
attitude réflexive à l’égard du langage. [...] L’école développe un rapport
spécifique au langage supposant que celui-ci soit mis à distance, consi-
déré comme un objet étudiable en lui-même de multiples points de vue
[...] en dehors de toute considération sur le signifié et le référent. [...] Les
élèves qui échouent s’obstinent malgré les injonctions, à ne pas vouloir
considérer le langage comme quelque chose de dissociable de ce qu’il
permet d’évoquer [...]. Apprendre à être le grammairien de son propre
langage, à le corriger [...], à être le législateur de ses pensées [...], c’est
non seulement changer son rapport au langage, ses démarches cognitives,
mais aussi se mettre objectivement en position de dominer ceux qui ne
le maîtrisent pas. [...] Apprendre à être les législateurs de leur propre
langage en prenant conscience du langage en tant que tel, [...] apprendre
la production d’écrits ou la grammaire, l’orthographe, la lecture et l’écri-
ture ou l’expression orale, c’est en quelque sorte faire l’apprentissage du
pouvoir. » On le voit, l’enjeu de l’apprentissage de ces compétences méta-
cognitives, en particulier métalinguistiques et métalangagières, dépasse
largement les seuls aspects techniques des apprentissages scolaires puisqu’à

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Métacognition, remédiation

travers eux, il s’agit de la conquête de son humanité par et dans sa culture,


et de la capacité à exercer le pouvoir social et politique de tout citoyen.

Difficultés des ZEP et exigences métacognitives : une étude d’Élizabeth


Bautier et Jean-Yves Rochex, l’exemple de la pédagogie de projet
En 1995 déjà, Élizabeth Bautier et Jean-Yves Rochex (1995) inter-
rogeaient la difficulté des ZEP, réaffirmée récemment, à gagner leur pari
de la démocratisation de l’école. Ils mettaient en cause, entre autres,
certains choix pédagogiques « inspirés par l’ouverture de l’école et la péda-
gogie de projet, [...] postulée comme plus efficace parce que plus moti-
vante et plus attractive » et « plus démocratisante », inspirés en même
temps par la recherche et la valorisation chez les élèves de comporte-
ments « sociaux », « créatifs », « épanouissants », qui font passer au second
plan, voire effacent, les objectifs de l’école et, du même coup, sa signifi-
cation. Ces analyses font apparaître que ces choix pédagogiques, qui visent
une meilleure intégration et une meilleure réussite de ces élèves en diffi-
culté à l’école, aboutissent en réalité à l’inverse : ceux qui en profitent
sont « les bons élèves », qui sont capables de la réflexion métacognitive
nécessaire pour lire, au-delà des projets et derrière la « motivation » affi-
chée, les objectifs des professeurs et, par là, le sens de l’école. Ainsi, peut-
on lire à propos de la pédagogie du projet : « Il n’est souvent guère possible
de savoir à quel type d’apprentissage [les productions issues de projets]
ont donné lieu pour les élèves : le produit se donne à voir plus aisément
que le processus de fabrication, et il n’est pas évident que la réalisation
du produit, la motivation pour le but du projet se traduisent ipso facto
en apprentissage. [...] La profusion des réalisations [...] ne risque-t-elle pas
de rendre plus difficile aux élèves l’identification des objets de savoirs ?
[...] Question d’importance quand on sait que la capacité [...] à se situer
sur un registre métacognitif ou métalangagier, à faire la distinction entre
tâches et objets d’apprentissage apparaît comme l’un des traits les plus
différenciateurs tant du point de vue social que cognitif, entre « bons
élèves » et « élèves en difficultés » et donc comme l’un des principaux
enjeux d’une démarche réellement démocratisante. Le problème se pose
alors de la nécessité de ne pas confondre le souci de donner aux activités
scolaires un caractère attractif et celui de faire que les élèves reconnais-
sent [...] la nécessité et la pertinence d’un travail cognitif. » Les pédago-
gies qui visent la motivation et un rapport immédiat et facile à un monde
plus « concret », censé être plus « signifiant » pour ces élèves qui n’ont
que l’école pour apprendre des savoirs de culture, risquent, au contraire

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La métacognition : de sa définition par la psychologie à sa mise en œuvre à l’école

de ce qu’ils visent, de ne faire que renchérir sur leur échec scolaire. Le


souci de motiver les apprentissages, s’il fait confondre aux élèves ce qui
motive et épanouit avec ce qui apprend, risque de laisser les élèves dans
l’immédiateté béate du rapport aux « habillages » pédagogiques, qui leur
cachent le sens réel de l’école et le moyen de leur progrès, s’il n’est pas
compensé par la volonté d’apprendre, en même temps que les savoirs,
les compétences métacognitives qui en permettent l’appropriation.
L’apprentissage de la métacognition, comme moyen de prendre le recul
nécessaire pour penser la réalité au-delà de ses apparences, pour la
comprendre et la maîtriser, apparaît comme une condition nécessaire de
la réussite scolaire. Bautier et Rochex poursuivent sur cette exigence de
distanciation du réel et de refus d’une immédiateté aliénante : « Le réel
en lui-même n’apprend rien, c’est l’activité de pensée sur le réel, en
rupture avec le donné et avec l’action immédiate, qui est productrice
d’apprentissage et de progrès […] Les conceptions trop exclusivement
expressives, épanouissantes, ou récréatives [...] s’exercent trop souvent au
détriment de la nécessité de faire que les élèves s’y approprient les
contenus de savoirs [...]. Ainsi, les évaluations font-elles le plus souvent
état d’amélioration portant sur le climat scolaire, sur des critères d’atti-
tude, de plaisir ou d’épanouissement des élèves sans pour autant faire
apparaître de progrès concernant les apprentissages et aussi la réconci-
liation avec l’école comme lieu d’apprentissage [...] » Le registre des
apprentissages et du développement cognitif ne peut-il être en lui-même
producteur d’effets de socialisation ? L’évitement de ces questions, qui
sont aussi des questions politiques, nous semble mener tout droit à une
École à deux vitesses où, d’un côté, les apprentissages et la culture parti-
ciperaient du développement des enfants d’origine favorisée, tandis que,
de l’autre, on viserait à socialiser et à « consoler les pauvres » plus qu’à
leur fournir les instruments intellectuels de leur émancipation. On répon-
drait à une perte ou une absence de sens des apprentissages de leurs
contenus par la promotion ou le développement d’une sociabilité et d’une
convivialité sans objet. N’est-ce pas là l’un des moyens les plus sûrs d’aller
à l’encontre des objectifs de démocratisation affichés ?

Les comportements métacognitifs apparaissent ainsi comme caracté-


ristiques des élèves en réussite scolaire et comme condition de démocra-
tisation de l’enseignement. Ce sont eux qui permettent d’effectuer les
distanciations nécessaires pour opérer les « ruptures épistémologiques »
sans lesquelles aucun apprentissage n’est possible – l’élève restant englué
dans la « variété colorée » et immédiate du réel au lieu d’être guidé dans

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Métacognition, remédiation

la « variation »28 propre à l’expression de la pensée réflexive et scienti-


fique. L’école a donc bien à se préoccuper d’apprendre aux élèves, et
particulièrement à ceux de milieux populaires, ces compétences métaco-
gnitives mais rapportées aux savoirs visés par la transmission scolaire,
sans quoi l’école risque fort d’épanouir sans émanciper29, et de manquer
à sa mission « d’instruction publique ».

Échec scolaire, langagier et social, et métacognition :


l’analyse d’Élisabeth Bautier (1995)
L’échec scolaire, social et identitaire de jeunes adultes est mis en
rapport avec un apprentissage du langage qui a négligé à la fois le rapport
à l’adulte et les compétences métacognitives nécessaires. L’auteur fait des
constats sur ces jeunes adultes :
– Ils ne se perçoivent pas comme sujets, producteurs de leur discours.
Leur parole est brève, ils ne parviennent pas à accéder au discours long.
Or, c’est lui qui permet de dépasser le constat, la désignation, l’expression
du besoin immédiat et le rapport pragmatique au monde vers l’explication,
le projet, le désir, l’abstraction, l’expression de la pensée critique et réflexive,
autrement dit, c’est lui qui pose l’individu comme sujet de sa parole, capable
d’utiliser le langage pour modifier une situation, pour comprendre le monde
(et lui-même) et communiquer cette compréhension.
– Ils ne manifestent aucune activité métalinguistique, voire la refuse.
Or, elle est indispensable pour conquérir une maîtrise de la langue qui
suppose à la fois une connaissance de la langue comme objet et une
pratique fonctionnelle contrôlée de la langue (comme outil) pour pouvoir

28. Nous reprenons cette expression à Bachelard qui, dans La Formation de l’esprit scien-
tifique (Paris, Vrin, 1960) fait dépendre la construction de la pensée scientifique de la capa-
cité à problématiser le réel pour le reconstruire dans et par les variations propres à
l’expérimentation, par une distance « cathartique » par rapport à « l’expérience première »,
immédiate, colorée et variée, et aux croyances et opinions qu’elle produit inévitablement.
29. Nous empruntons cette expression à la philosophe C. Kinstler dans La République
en question (Paris, Minerve, 1996) : « L’école est un espace où l’on s’instruit des raisons des
choses, des raisons des discours, des raisons des actes et des pensées [...] (ce qui exige
distance, réflexivité, rupture) pour acquérir la force et la puissance, celles qui permettent
de se passer de guide et de maître. [...] et cela ne peut se faire qu’en se soustrayant d’abord
aux forces qui font obstacle à cette conquête de l’autonomie. Il faut échapper à la force
de l’opinion, [...] à la demande d’adaptation, [...] aux données sociales pour construire sa
propre force ; l’école n’a donc pas pour tâche première d’ouvrir l’enfant à un monde qui
ne l’entoure que trop : elle doit lui ouvrir ce que le monde lui cache ; il ne s’agit pas
d’adapter, ni d’épanouir, mais d’émanciper. »

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La métacognition : de sa définition par la psychologie à sa mise en œuvre à l’école

la conformer aux règles exigées par l’écriture et donc par l’ensemble de


l’appropriation de notre culture. Comme le dit Lahire, ces compétences
et ces connaissances métacognitives sont indispensables pour faire en sorte
que chacun puisse devenir « législateur de sa propre langage » comme « de
sa propre pensée » et produire soi-même du sens – être sujet de sa parole
– et le communiquer à tout individu, quelle que soit sa situation.
Élisabeth Bautier fait alors une double hypothèse explicative :
1. La non-maîtrise du langage viendrait de l’absence de situations
d’usage, en particulier de situations d’interactions asymétriques
enfants/adultes dans lesquelles la langue de l’adulte sert à la fois de modèle
en zone proximale (au-delà de celui du sujet mais accessible), d’interlo-
cuteur non connivent capable à la fois de le reconnaître comme sujet
d’une parole autonome, et de lui servir de miroir évaluatif qui le renvoie
à sa propre parole pour en favoriser la prise de conscience et le contrôle,
pour la modifier et la faire progresser.
2. « Pour apprendre, il faut se penser dans une situation d’apprentis-
sage » : il faut savoir que l’on apprend et savoir ce que signifie progresser
quand on apprend. Autrement dit, et lorsqu’il s’agit d’apprentissage de
la langue orale, le sujet doit pouvoir mettre sa parole à distance pour
« l’autoévaluer ». Cela suppose qu’il sache ce que sont les critères qui défi-
nissent le « savoir parler » – et donc de connaître la langue comme objet
– afin qu’il puisse y rapporter sa parole et savoir comment la faire
progresser ; ce qui ne peut se faire que dans un rapport régulier avec des
« experts » en parole et en apprentissage de parole (des adultes, des ensei-
gnants), qui soient à la fois des modèles, des pédagogues, qui aient la
volonté de faire progresser les novices et, pour cela, de jouer les rôles
nécessaires – évaluateur, interlocuteur ou co-acteur d’une situation, conni-
vente ou non, etc. – ainsi que des pédagogues experts en métacognition,
qui puissent apprendre aux novices à l’utiliser pour progresser dans leur
langue comme dans son usage normal. En effet, les situations d’usage
entre pairs n’ont pas ces vertus : elles visent davantage au maintien de
la connivence, du lien et des rituels communs, qui ne permettent de
construire et de maintenir qu’une identité « communautaire » conjonc-
turelle, qu’au progrès vers un « bien parler » à valeur universelle. Là
encore, la métacognition apparaît comme indispensable au progrès du
sujet, dans sa construction identitaire à la fois langagière, sociale et cultu-
relle. Mais ici aussi, la médiation sociale, culturelle et langagière de
l’adulte est indispensable, car les comportements métacognitifs, comme
on l’a dit déjà, ne sont pas spontanés, en particulier lorsqu’il s’agit de la
parole et de celle des enfants de milieux populaires.

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Métacognition, remédiation

Dans cette même perspective d’analyse d’une école qui se trompe sur
les moyens pédagogiques de sa démocratisation, valoriser, dans le cadre
d’un apprentissage de la langue, son usage comme outil de communica-
tion au détriment de l’étude de sa nature, de son fonctionnement et de
ses normes, ce qui exige un travail métacognitif précoce et continu, a
pour conséquences, contrairement à ce qui en est attendu, de creuser les
inégalités scolaires et de rendre plus difficile pour les élèves qui en sont
privés chez eux, le passage à une langue de culture et à l’écriture et donc
à la langue du pouvoir social et culturel30. C’est, là encore, le rôle culturel
d’émancipation et de préparation à la citoyenneté de l’école qui est remis
en cause31.

Conclusion
La métacognition telle qu’elle est définie par les psychologues, c’est-
à-dire ni au sens de connaissances métacognitives, ni comme autorégu-
lation, ni comme prise de conscience après coup, encore moins comme
modalité psychanalytique32, mais en tant que caractéristique des élèves
« experts en apprentissage », est prometteuse de motivation – dont nous
avons vu l’apport à la construction identitaire par le biais du concept de
soi – et de réussite dans les apprentissages. Cette fonction de contrôle et
de distanciation réflexive apparaît chez certains sociologues de l’école
comme indispensable à la réussite scolaire dans la mesure où le rôle de
l’école est de transmettre à tous les élèves les savoirs de leur culture, au
premier rang desquels figure le langage, à la fois outil et objet de cette

30. Voir à ce propos l’ouvrage de Bautier É., Pratiques langagières, pratiques sociales,
Paris, L’Harmattan, 1997.
31. Il faudrait rappeler le rôle de la métacognition dans des apprentissages fondamentaux
comme l’apprentissage de la lecture et la compréhension en lecture. Voir pour cela : Fayol M.,
David J., Dubois D., Rémond M., Maîtriser la lecture, Paris, Odile Jacob, 2000 ; Rémond M.,
Quet F., « Apprendre à comprendre l’écrit. Psycholinguistique et métacognition : l’exemple
du CM2 », Repères, n° 19, 1999, pp. 33-45. Sur l’écriture de textes, deux articles de Pratiques,
49, 1986 : Charolles M., Coltier D., « L’analyse des processus rédactionnels : aspects linguis-
tiques, psychologiques et didactiques », pp. 51-66 ; Garcia-Debanca C., « Intérêt des modèles
du processus rédactionnel pour une pédagogie de l’écriture », pp. 23-49.
32. Même s’il est possible de trouver des points de comparaison entre psychanalyse et
métacognition, comme, par exemple, l’exigence de la médiation langagière spécifique de
l’analyste pour que se fasse l’analyse, ce travail d’analyse de l’analysant n’a rien de commun
avec la prise de conscience liée à la métacognition : les objets de la prise de conscience du
sujet sur lesquels il exerce un contrôle métacognitif n’ont jamais fait l’objet d’une censure,
comme c’est le cas des éléments inconscients sur lesquels s’exerce le travail de l’analysant.

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La métacognition : de sa définition par la psychologie à sa mise en œuvre à l’école

transmission. Or, alors même que cette compétence tend à faire défaut
aux enfants issus de milieux populaires, l’école l’exige mais ne l’apprend
pas de façon spécifique. Le philosophe, et avec lui les fondateurs de l’école
qui parlent de conscience de soi, de liberté, de culture et de raison pour
définir ce qui humanise l’individu et le prépare à la citoyenneté, pour-
rait bien voir dans la métacognition, une médiation pédagogique et
scolaire capable de permettre aux élèves d’accéder dans le même temps
à une culture et à une pensée réflexive. Le pédagogue, particulièrement
soucieux des élèves qui n’ont que l’école pour apprendre et qui y sont
en difficulté, ne peut pas se désintéresser de la possibilité de faire de ce
processus mental un outil au service des apprentissages scolaires même
s’il sait aussi qu’il n’est pas le seul.
Nous avons présenté la métacognition dans ses fondements et dans des
modélisations pédagogiques et didactiques possibles qui ont été mises en
œuvre à l’école et évaluées qualitativement33. Ces modèles ne sont que
des mises en pratique possibles du concept de la psychologie. Il faut
rappeler deux choses à ce propos : il peut y avoir d’autres réalisations
possibles et il y a d’autres manières d’apprendre et d’enseigner qui ne
sont nullement contradictoires avec cet usage de la métacognition ; les
caractéristiques de la médiation par tutelle à la métacognition des élèves
que nous avons définies peuvent être mises en œuvre, à quelques nuances
près, dans un groupe classe et dans une situation d’enseignement de type
magistral34.
Notre thèse est que si la métacognition peut devenir un outil pédago-
gique digne d’intérêt à l’école, en particulier pour les élèves en difficulté,
cela ne peut se faire que dans certaines conditions : tout d’abord, des condi-

33. Notons que, parmi les « promesses » de la métacognition, la motivation des élèves
est la seule qui ait pu être clairement mise en évidence. Le rapport entre la métacognition
d’une part, et le transfert et la réussite d’autre part, même si nous en avons vu des effets
certains en comparant plusieurs classes, exigerait une étude quantitative sur le long terme,
ce qui est impossible dans un fonctionnement normal de classe. Mais il n’y pas qu’une
manière, qui serait scientifique et quantitative, de rationaliser le réel pour le maîtriser. Et
le pédagogue qui a à « conduire » sa classe, fait des choix dont il doit seulement pouvoir
rendre compte pour les soumettre à la réflexion critique, la sienne ou celle des autres. On
peut noter que les psychologues eux-mêmes ne sont pas parvenus à mettre ces rapports en
évidence de manière claire et scientifique.
34. Nous avons en effet effectué un travail de cette nature au collège (en orthographe
et en écriture de texte) et au lycée (en anglais) : cet enseignement doit simplement inté-
grer un ou deux moments de travail à deux ou trois, ou un temps de travail personnel à
la maison.

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Métacognition, remédiation

tions de médiation dans laquelle il faut comprendre à la fois les moda-


lités et objectifs de l’intervention de l’enseignant, le langage oral et écrit,
le rôle de l’élève, et le rapport aux savoirs didactisés par l’enseignant. Mais
la métacognition doit aussi être rapportée, d’une part à ce qui la définit
dans la psychologie, ce qui permet d’en garder les fondements, de savoir
de quoi on parle et de permettre ainsi à chacun de pouvoir disposer des
mêmes références ; et d’autre part, à ce qui justifie son usage à l’école, à
savoir la transmission des savoirs de culture à valeur universelle dont
l’appropriation, comme on l’a dit, exige distanciation, réflexivité et donc
contrôle métacognitif. Si, en effet, l’école doit former la pensée des élèves,
cela ne peut se faire sans « la culture qui [est ce qui] donne forme à
l’esprit », comme dit Bruner35. En même temps, l’école est ce qui prépare
l’élève à l’intelligence du monde et, par là, à son autonomie. De fait, c’est
pour cette tâche que l’école a été fondée par la « volonté générale » et
que les enseignants ont été formés, reconnus et institués. Sans ces deux
références, le risque est grand que la métacognition à l’école, ainsi vidée
de son sens et de son objet, ne devienne une relation purement formelle
entre des enfants et un adulte, dans laquelle les enfants, qui ne seraient
plus protégés par la médiation des savoirs qui en fait des élèves – les ensei-
gnants étant à l’école, non pas des personnes privées mais des messagers
de la culture universelle et des valeurs républicaines – soient livrés à une
volonté adulte non contrôlable, même remplie de « bonnes intentions ».
Enfants et enseignants risquent alors d’entrer dans une relation de type
thérapeutique mais sans la médiation d’un savoir médical repérable, et
donc dans une relation « privée » qui met en question les valeurs et les
finalités de l’école qui font son « autorité » et celle des enseignants, à savoir
la formation de l’enfant à une pensée critique par les savoirs de sa culture.
Cette formation exige en effet que l’école soit laïque c’est-à-dire garante
que ce qui s’y fait est de l’ordre de la transmission de savoirs avérés à
caractère universel et non de l’ordre de croyances ou d’opinions qui aliè-
nent l’enfant à ses « formateurs » (qui ne sont alors plus des enseignants),
seuls détenteurs des croyances en jeu, au lieu de les émanciper de tous
leurs pères et maîtres. Si la métacognition présente un intérêt pour le
pédagogue à l’école, c’est dans la mesure où elle n’est ni une fin en soi
ni l’outil d’une relation privée36 mais où elle peut aider à préparer tous

35. J. Bruner, Car la culture donne forme à l’esprit, de la révolution cognitive à la psycho-
logie culturelle, Paris, ESHEL, 1991.
36. Une relation de nature thérapeutique peut tout à fait avoir sa place auprès d’enfants
ou d’adolescents en difficulté psychologique, tels qu’on en rencontre dans l’éducation spécia-

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La métacognition : de sa définition par la psychologie à sa mise en œuvre à l’école

les élèves à l’exercice du pouvoir citoyen, ce dernier exigeant à la fois la


possibilité de partager ce bien commun qu’est la culture, l’usage
« contrôlé » de la langue et d’une pensée capable de « juger d’après la
seule raison » comme disait Buisson (in Prost, 1968), c’est-à-dire indépen-
damment de tout déterminisme physique et social.

Bibliographie
Bautier E., Rochex J.-Y., « Questions sur la politique ZEP », Éducations, n° 3,
juin 1995, pp. 44-47.
Bouffard-Bouchard T., Parent S., Larivée S., « Compétences cognitives, capacités
d’apprentissage et métacognition », Journal International de Psychologie, 26,
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lisée, mais cela doit se faire en dehors de l’école et tout d’abord de la classe, ces dernières
ne pouvant renoncer à leur rôle d’émancipation par les savoirs universels, en particulier
pour les enfants de milieux populaires, sans perdre ce qui fait leur sens, leur valeur, leur
raison d’être, bref leur « autorité ». Ne serait-ce pas en effet, la porte ouverte à toute forme
de « gouroutisation » des élèves dans la mesure où l’obligation scolaire les « livrerait » à des
pratiques incontrôlables dans leurs formes comme dans leurs contenus et leurs résultats.

123
MP 083_124 Fname 2006 1/06/06 17:23 Page 124

Métacognition, remédiation

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MP 125_146 Fname 2006 1/06/06 17:24 Page 125

Aider à apprendre :
métacognition et explicitation

Armelle Balas-Chanel1

L a formation des adultes, et notamment des adultes de faible niveau de


qualification, a développé depuis les années 1980-1990 des méthodes dites
de « remédiation cognitive », qui s’appuient sur l’hypothèse que les capa-
cités cognitives peuvent s’améliorer par leur entraînement et/ou par la
réflexion sur l’acte d’« apprendre ». Ces méthodes insistent sur la néces-
saire prise de conscience des stratégies mises en œuvre lors d’un appren-
tissage. Par ailleurs, la formation des enseignants a instauré depuis
quelques années des temps d’analyse de la pratique visant à aider les
professeurs stagiaires, mais aussi les enseignants chevronnés, à prendre
du recul vis-à-vis de leur pratique pour l’améliorer, voire pour dépasser
leurs difficultés. Il s’agit, pour l’enseignant, de prendre conscience de ce
qu’il a fait, et de la manière dont il l’a fait (dans le contexte singulier du

1. Docteur en sciences de l’éducation, Armelle Balas Chanel est formatrice de forma-


teurs (armelle.balas@wanadoo.fr). Longtemps formatrice d’adultes en difficulté d’appren-
tissage, elle a étudié la place et le rôle de la prise de conscience dans le développement
des capacités d’apprentissage, au sein de l’équipe de recherche de Jean Berbaum (Grenoble
II). Formée aux techniques d’explicitation, elle participe aux travaux de recherche sur l’expli-
citation et la psycho-phénoménologie animés par Pierre Vermersch. Elle anime des forma-
tions autour de la question de l’aide à l’apprentissage et de l’accompagnement du
développement des compétences (auprès de formateurs d’entreprises, d’IUFM ou d’orga-
nismes de formation et d’insertion). Elle accompagne des groupes dans l’analyse de leurs
pratiques professionnelles (auprès de formateurs d’IUFM et de professionnels de la VAE)
pour favoriser l’élaboration de l’identité et des compétences professionnelles, au-delà des
apports théoriques ou méthodologiques. Elle développe également l’idée d’« analyse de la
pratique apprenante » pour favoriser le développement des capacités métacognitives des
apprenants.

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Métacognition, remédiation

moment, en fonction des buts qui étaient les siens et des connaissances
qu’il a mobilisées) pour comprendre « comment il en est arrivé là » et
envisager comment « il aurait pu jouer sa partition autrement ». Il devient
alors praticien réflexif et engage un processus de métacognition.
Ces méthodes et cette posture réflexive proposées aux adultes et aux
praticiens sont-elles envisageables dans le cadre de l’aide à l’apprentis-
sage des enfants et, particulièrement, des jeunes élèves en grande diffi-
culté d’apprentissage ? La métacognition peut-elle aider ces derniers à
apprendre ? En quoi peut consister l’analyse de la pratique apprenante ?
Pour répondre à ces questions, nous définirons, dans une première
partie, à l’aide du modèle systémique de Jean Berbaum, ce qu’est
« apprendre », quelles sont les fonctions de l’apprenant et comment ce
modèle peut favoriser l’aide à l’apprentissage. Nous distinguerons, en
deuxième partie, la métacognition implicite de la métacognition explicite
pour étudier ce sur quoi porte la prise de conscience dans la métacogni-
tion explicite et quels peuvent en être les freins. Enfin, nous évoquerons
les techniques d’explicitation que peuvent utiliser les enseignants pour
faciliter « l’analyse de la pratique apprenante » des élèves en difficulté
d’apprentissage.

L’acte d’« apprendre », ce grand inconnu


L’acte d’« apprendre » est omniprésent dans l’activité quotidienne
des élèves, et pourtant, transparent, il est rarement objet d’enseignement.
L’attention des élèves est plus guidée vers les contenus disciplinaires et
les règles à respecter pour réussir que vers leurs pratiques effectives et
singulières d’apprenants. Tout se passe comme s’il suffisait de faire pour
apprendre à faire, comme s’il suffisait d’apprendre pour apprendre à
apprendre.
En réalité, l’alchimie de l’apprentissage ne se réalise que dans la
rencontre de différents éléments, dont le principal est l’apprenant. Le
modèle systémique2 de l’apprendre proposé par Jean Berbaum (1991)
fournit les outils conceptuels qui permettent de comprendre ce qui
constitue l’apprentissage, et détermine les invariants de l’activité de
l’apprenant quand il apprend. Grâce au recueil et à l’analyse de témoi-
gnages de personnes à propos de leur manière d’apprendre, Berbaum a
clarifié non seulement ce qu’est apprendre et pourquoi on apprend mais
aussi comment « fonctionne » l’apprentissage. Il a formalisé un modèle

2. Berbaum J., Développer la capacité d’apprendre, Paris, ESF, 1991.

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Aider à apprendre : métacognition et explicitation

systémique, c’est-à-dire un modèle qui considère « l’apprendre » comme


un ensemble d’éléments en interaction dynamique, organisé en fonction
d’un but et doté d’une capacité de régulation3. Il a ainsi pu décrire de
manière structurelle et fonctionnelle le « système apprendre ».

Un modèle pour comprendre


Les éléments structurels de l’apprendre
Un apprentissage peut avoir pour finalité d’interagir avec l’envi-
ronnement (par exemple, apprendre à se repérer dans une ville pour
trouver son chemin), de s’adapter à une situation nouvelle (comprendre,
par exemple, le fonctionnement d’un nouvel appareil multimédia), etc.
Il peut aussi avoir pour but d’être reconnu par son entourage familial,
scolaire ou professionnel. Il peut encore correspondre au désir de
« grandir », d’évoluer, de changer.
Quand il y a apprentissage, il y a nécessairement un apprenant, acteur
essentiel de l’apprentissage. Cet apprenant se trouve en interaction avec
un objet d’apprentissage, scolaire ou non (lecture, expression artistique,
calcul, conduite automobile, etc.), et il évolue dans des situations dans
lesquelles s’organise l’apprentissage. Ces différents éléments structurels
(apprenant, objet, situations) interagissent nécessairement dans un envi-
ronnement particulier.

Schéma 1 : Le modèle structurel de l’apprentissage

Environnement

Apprenant

Objet Situation

T Évolution T’

3. Rosnay (de) J., Le macrocosme. Vers une vision globale, Le Seuil, 1975.

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Métacognition, remédiation

Dans un apprentissage donné, chacun de ces éléments peut être


caractérisé :
– L’objet peut être décrit par la nature de son contenu, par la manière
dont il est présenté, par son degré d’organisation et par les critères qui
permettront d’évaluer sa réussite. Par exemple, la musculature d’un
animal peut être présentée par la dissection de l’animal, par des planches
dessinées. L’apprentissage visé peut être de savoir soigner les muscles ou
de savoir les nommer.
– L’apprenant peut être caractérisé d’un point de vue psychologique
(sa pensée, ses sentiments, sa volonté) mais aussi par son histoire et ses
projets, qui déterminent ses connaissances et ses attitudes, et par son
comportement social et mental. Entre un enfant curieux, physiquement
actif, entouré d’amis, qui aime la compétition et un enfant rêveur, soli-
taire et imaginatif, les styles et les stratégies d’apprentissage4 pourront
être sensiblement différents.
– Les situations peuvent être analysées aussi bien dans leur dimension
temporelle et spatiale (les périodes, les durées, le rythme de l’apprentis-
sage et l’espace dans lequel il s’inscrit) que psychologiques et sociales
(seul ou avec d’autres, dans une ambiance de confiance ou de tension…).
Produire un texte poétique à deux ou trois ou le produire seul, pour le
plaisir ou pour préparer un concours d’entrée dans une école artistique,
constituent des apprentissages différents.
– L’environnement de l’apprentissage enfin, peut se caractériser d’un
point de vue social, familial, culturel et institutionnel. L’enfant dont les
parents pratiquent peu l’activité d’écriture se distinguera sans doute
dans ses apprentissages de l’enfant encouragé par son environnement
familial à lire et à écrire dans toutes les situations quotidiennes qui se
présentent ; lui-même se différenciera d’un enfant du Sahel, récemment
arrivé en France. De même, l’enfant en difficulté d’apprentissage solli-
cité par le maître E qui l’accompagne ne vit pas le même type d’appren-
tissage que ses camarades, restés au sein du groupe que constitue la
classe.

Les fonctions de l’apprenant


Comme dans tout système, chaque élément de l’apprendre
contribue à atteindre le but du système. Les didacticiens s’intéressent à

4. Astolfi J.-P., « Styles d’apprentissage et modes de pensée », in Houssayne J. (sous la


dir. de), La Pédagogie, une encyclopédie pour aujourd’hui, Paris, ESF, 1996, pp. 301-314.

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Aider à apprendre : métacognition et explicitation

la manière de présenter l’objet d’apprentissage. Jean Berbaum, pour sa


part, a plus spécifiquement étudié les fonctions de l’apprenant (voir le
schéma 2, page suivante).
Pour qu’un apprentissage, quel qu’il soit, se réalise, il est nécessaire
que l’apprenant manifeste, sans en être forcément conscient, un minimum
de confiance en soi (« Je suis capable de… ») ainsi qu’une certaine curio-
sité et un intérêt pour l’objet d’apprentissage (« Je m’intéresse à… »). Il
faut également qu’il ait une certaine foi dans l’action d’apprendre (« Je
ne peux pas savoir faire sans apprendre un minimum ») et de la confiance
face au changement (« Ça vaut le coup de changer mes représentations
ou mon comportement ! »). Sans ces attitudes positives, l’apprentissage
ne peut pas avoir lieu, ou sera plus difficile.
Selon Berbaum, c’est le fait d’avoir un projet plus ou moins explicite
qui déclenche tout apprentissage (réussir un exercice, faire plaisir à Papa,
confectionner un objet, devenir infirmière…). Pour réaliser ce projet,
l’apprenant se donnera des situations d’apprentissage adaptées à cet
objectif (ou s’adaptera, plus ou moins facilement, à celles qui lui sont
proposées). Dans ces situations, il traitera de l’information et prendra de
la distance pour se demander si l’objectif est atteint ou si la situation
choisie lui apporte encore quelque chose. Toutes ces fonctions peuvent
être réalisées sans que l’apprenant y prête attention. Si vous lisez ce texte,
c’est que vous avez choisi de le faire, dans un but plus ou moins expli-
cite qui vous appartient ; spontanément, vous revenez en arrière si une
phrase reste obscure pour vous ; vous avez peut-être décidé de surligner
certains points qui vous intéressent… Pour cela, il vous a fallu « saisir »
(lire) l’information écrite et la « traiter » mentalement (liens avec des
questions que vous vous posez, des écrits connus de vous ou des situa-
tions pédagogiques vécues) pour « élaborer une réponse » (sélectionner
les mots et les surligner). Tous ces actes mentaux, vous les faites proba-
blement sans y prêter attention, de manière préréfléchie : vous êtes attentif
au texte (l’objet), mais pas à votre activité cognitive (fonction de traite-
ment de l’information). Peut-être avez-vous commencé à mémoriser
certains points. Parce que vous avez un style d’apprentissage qui vous est
propre, à tout moment de ce traitement de l’information, vous adoptez
une stratégie particulière (par exemple réflexive ou impulsive, visuelle ou
auditive…)5 et vous vous situez à un degré d’élaboration particulier

5. Voir Philippe Meirieu, « Les stratégies d’apprentissage », Cahiers Pédagogiques, n° 254-


255, 1987, p. 13.

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Métacognition, remédiation

(recueil des données par la simple lecture de cet article, mise en relation
avec d’autres textes, d’autres connaissances ou des expériences person-
nelles antérieures ; élaboration de sens pour votre pratique d’enseignant
ou de formateur, si vous l’êtes…). Enfin, vous utilisez des voies d’accès à
la connaissance : un pôle physique (ici, la vue, sauf si quelqu’un vous lit
le texte ; auquel cas, il s’agit de l’ouïe), un canal sensoriel (auditif, si vous
vous entendez lire, visuel si vous vous faites des images) et un niveau de
conscience (ici, vous avez probablement conscience du contenu, mais avec
quelle conscience de vos stratégies pour comprendre et pour mémoriser ?).

Schéma 2 : Le modèle fonctionnel de l’apprentissage,


les fonctions de l’apprenant
Énoncer un projet Développer des attitudes

Prendre de la distance Se donner


des situations

Traiter l’information
En « exploitant » ainsi cette situation de lecture, si les informations
fournies sont nouvelles, vous allez sans doute élaborer une représenta-
tion nouvelle et compléter vos connaissances anciennes. Peut-être, si ces
connaissances vous permettent de le faire et si vous y trouvez un intérêt,
adopterez-vous ensuite un comportement nouveau dans vos pratiques
pédagogiques.

La cinquième fonction que souligne le modèle de J. Berbaum et qui


contribue à l’acte d’« apprendre » est la prise de distance. L’apprenant
peut prendre de la distance par rapport à ce qu’il a produit ; son atten-
tion est alors tournée vers le résultat atteint (« Ai-je réussi ? Qu’ai-je
appris ? »). Mais il peut aussi évaluer sa stratégie pour atteindre ce résultat ;
son attention est alors tournée vers sa manière de produire (« Comment
ai-je fait pour résoudre le problème ? Comment faut-il faire pour résoudre
ce type de problème ? »). Il peut enfin évaluer sa stratégie pour apprendre ;
son attention est alors tournée vers sa manière d’apprendre (« Comment

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Aider à apprendre : métacognition et explicitation

ai-je fait pour réussir – ou non – à apprendre ? Comment ai-je fait pour
comprendre ce texte et en mémoriser des éléments ? Qu’est-ce que je
garde de ma manière d’apprendre ? Qu’est-ce que je pourrais faire d’autre
pour apprendre mieux, plus efficacement ? »). Il met alors en relation
l’objectif visé et l’objectif atteint avec les démarches adoptées pour
l’atteindre. Cette mise en relation permet d’évaluer l’efficacité des stra-
tégies adoptées et de procéder à leurs améliorations successives.
Les traits du schéma qui relient toutes les fonctions signifient que ces
cinq fonctions interagissent et peuvent toutes s’effectuer sur une autre
fonction du système : par exemple, l’apprenant peut prendre de la distance
par rapport à sa manière de formuler son projet ou au choix de ses situa-
tions d’apprentissage ; il peut traiter de l’information à propos de ses atti-
tudes, du choix des situations, de sa manière de prendre de la distance
ou de l’objet d’apprentissage lui-même ; il peut formuler un projet quant
à sa manière de prendre de la distance, etc.

Les différents usages de ce modèle


Ce modèle structurel et fonctionnel peut être une base de réflexion
pour l’enseignant qui, en préparant son cours, cherche à adapter les situa-
tions pédagogiques à l’objet d’apprentissage et aux apprenants dont il a
la responsabilité. Il peut aussi lui permettre d’anticiper son intervention
auprès d’un élève en difficulté : qui est cet élève ? Quelles sont ses diffi-
cultés ? Quelles sont ses habitudes mentales ? Où en est-il dans l’appren-
tissage visé ? Quel est cet « objet » à apprendre (objectifs, critères
d’évaluation, etc.) ?
Il fournit également à l’enseignant une grille pour analyser la manière
dont s’est déroulé l’apprentissage d’un élève et la manière dont ce dernier
apprend. L’enseignant peut en effet utiliser ce modèle pour chercher à
comprendre les difficultés des élèves qui n’ont pas réussi un apprentis-
sage. Dans ce cas, l’enseignant adopte une posture « en troisième
personne »6 pour analyser l’apprentissage réalisé : il observe et analyse les
actions des élèves en parallèle avec leurs productions.
Ce modèle peut également être une grille de lecture pour l’élève lui-
même, à condition que celui-ci sache que réussir à apprendre ne dépend
pas d’un gène particulier ou d’une fatalité mais des stratégies adoptées
pour un apprentissage et un apprenant donnés. Car, si on peut penser

6. Vermersch P. et Maurel M., Pratiques de l’explicitation, Paris, ESF, 1998, p. 245.

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Métacognition, remédiation

avec Berbaum que tout apprenant réalise les fonctions décrites plus haut,
on peut se demander ce qu’il sait de sa manière d’apprendre : générale-
ment, il en est peu ou pas conscient. L’élève peut n’être conscient que du
résultat obtenu ; peut-être met-il ce résultat en relation avec le but visé,
pour l’évaluer (le fait-il toujours ?). Mais prête-t-il attention à la démarche
qu’il a adoptée pour obtenir ce résultat ? Adopte-t-il une posture réflexive
par rapport à sa manière d’apprendre ? Aidé par l’enseignant, l’élève peut
lui-même décrire son apprentissage, notamment toute son activité mentale.
L’analyse se fait alors à la « première personne ». Cette posture nécessite
souvent un médiateur qui favorise, en l’accompagnant, ce retour réflexif,
et ainsi, la prise de conscience de sa manière d’apprendre.

L’acte d’« apprendre à apprendre » : la métacognition trop


souvent implicite
Agir, apprendre, apprendre à apprendre : action, cognition, métacogni-
tion implicite et explicite
Lors d’un apprentissage, l’élève peut agir (faire des longueurs dans
la piscine), apprendre (comprendre en quoi tel geste est plus efficace et
savoir le réaliser) et apprendre à apprendre (apprendre comment il
comprend et intègre tel geste et n’intègre pas tel autre, et en tirer des
conclusions pour réaliser d’autres apprentissages).
Parallèlement à ce que fait l’apprenant, que vise l’accompagnateur
(enseignant, parent, maître E, répétiteur) quand il l’aide à apprendre ?
Cherche-t-il à le faire agir, c’est-à-dire à favoriser la réussite de l’exer-
cice proposé ? Cherche-t-il à le faire apprendre, et ainsi à favoriser le
développement de sa capacité à refaire des exercices de même type ? Ou
bien cherche-t-il à le conduire à apprendre à apprendre, et à favoriser
le développement de sa capacité à refaire ce qui lui convient pour
apprendre tel ou tel objet d’apprentissage ? Ces questions mettent l’accent
sur la distinction entre action, cognition, métacognition implicite, méta-
cognition explicite7 :
– l’action est un processus de comportements qui produisent un effet ;
– la cognition correspond aux connaissances sur lesquelles reposent
l’action et l’ensemble des actes ; elle est processus de connaissance ;

7. Balas-Chanel A., « La prise de conscience de sa manière d’apprendre », thèse télé-


chargeable sur le site www.expliciter.net, 1998.

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Aider à apprendre : métacognition et explicitation

– la métacognition implicite correspond à la gestion (contrôle et régu-


lation) non consciente de l’action et de la cognition ;
– la métacognition explicite correspond à la gestion réfléchie de
l’action et de la cognition.
Agir, c’est « faire », le but étant d’atteindre un résultat. Pour agir, la
personne mobilise l’action et la cognition, qui peut être implicite.
Apprendre, c’est « savoir refaire », le but étant l’acquisition de lois et de
règles associées à l’objet d’apprentissage. Pour apprendre, la personne
mobilise l’action, la cognition et la métacognition (qui peut être impli-
cite). Car même la régulation de sa manière d’apprendre peut être pré-
réfléchie8. Apprendre à apprendre, c’est savoir « apprendre à nouveau »,
le but étant l’acquisition de stratégies d’apprentissage efficaces. Pour
apprendre à apprendre, la personne mobilise l’action, la cognition et la
métacognition explicite. Prenons un exemple : lors d’une conférence, j’ai
rencontré un problème dans l’usage du vidéo-projecteur ; plusieurs
collègues et moi-même avons cherché des solutions pour faire fonctionner
l’appareil. En effectuant cette recherche, nous avions déjà commencé à
apprendre ; et si nous avions résolu le problème, à ce moment-là, nous
aurions appris (par l’action) à le faire fonctionner. Un collègue nous a
quittés avant que nous n’ayons trouvé la solution. Cette dernière nous a
été donnée par un technicien joint par téléphone. Grâce à cette aide,
nous avons appris pour agir (acquisition de connaissances, avant l’action).
Quand le collègue est revenu et nous a demandé comment il aurait fallu
faire, il ne cherchait plus à agir (le problème était résolu), mais il voulait
apprendre. Quant à moi, qui ai rencontré plusieurs fois le même problème
auparavant, je me suis demandé comment j’avais pu faire pour ne pas
réussir à mémoriser la manière de dépasser ce problème récurrent mais,
surtout, ce qu’il faudrait que je fasse pour mémoriser cette procédure !
J’étais alors en train d’apprendre à mieux apprendre. Pourtant, lors de
cette recherche de solutions, j’ai réalisé des actions physiques (manipu-
lations des branchements et de l’ordre de mise en route) et mentales
(rappel de situations similaires en mémoire, raisonnement…). J’ai égale-
ment contrôlé et régulé mon activité cognitive (constat que telle piste
n’est pas porteuse de solution, changement de « direction » dans la
recherche, décision de faire appel à une personne compétente…). Mais
je l’ai fait sans y prêter véritablement attention (métacognition impli-
cite). C’est quand j’ai décidé de réfléchir à la manière dont je n’avais pas

8. Vermersch P., Conscience directe et conscience réfléchie, Paris, Intellectica, 2001.

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Métacognition, remédiation

appris et à la manière dont je pourrais mémoriser cette procédure que


j’ai réfléchi explicitement à ma manière d’apprendre ; ma métacognition
est alors devenue explicite.
La démarche peut se résumer ainsi :

Résoudre un problème Action


Agir ☞ Résultat + cognition implicite

Savoir refaire Action + cognition


Apprendre ☞ Lois, règles de l’objet + métacognition implicite

Savoir « réapprendre » Action + cognition


Apprendre à apprendre ☞ Stratégies efficaces + métacognition explicite

De même que nous savons qu’un sujet peut avoir appris sans inten-
tion de le faire (apprentissage incident), on peut faire l’hypothèse qu’il
peut également apprendre à apprendre sans en avoir eu l’intention : le
simple fait d’avoir appris quelque chose permet en effet de construire
des connaissances implicites, transférables à d’autres apprentissages. J’ai
pu constater, lors d’entretiens de recherche, que la métacognition des
sujets pouvait être de « qualité » différente.
Les uns ont une métacognition élaborée de bric et de broc, sans
conscience réfléchie. Apprenant depuis sa plus tendre enfance, le sujet a
acquis des habitudes pour apprendre, plus ou moins cohérentes, plus ou
moins structurées, sous l’influence de modèles familiaux ou scolaires, et
sous la « pression » de l’environnement. Il a également développé, sans
s’en rendre compte, un état d’esprit qui lui donne, ou non, le goût
d’apprendre et qui pèse lourdement sur sa motivation et sa pugnacité à
réussir. De plus, il a acquis des connaissances implicites à propos de lui-
même, des différentes tâches à accomplir, des moyens dont il peut
disposer, de ses stratégies personnelles ou des stratégies possibles, et il
s’appuie plus ou moins explicitement sur ces connaissances pour mener
à son terme l’apprentissage en cours. Ces connaissances sont loin d’être
exhaustives, et elles peuvent être de nature scientifique, rationnelle ou,
au contraire, complètement « magique ».
D’autres apprenants ont une métacognition « clé en main », c’est-à-dire
qu’ils s’appuient sur des méthodes d’apprentissage déjà élaborées, souvent
issues de recherches menées dans les années 1980 autour de la « remédia-

134
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Aider à apprendre : métacognition et explicitation

tion », qui visent le développement des capacités cognitives (par exemple,


la Gestion mentale, les ateliers de raisonnement logique, le PEI9…).
D’autres enfin élaborent une métacognition « sur mesure », et pren-
nent appui sur leurs connaissances métacognitives pour contrôler et
réguler chaque apprentissage, éventuellement de manière implicite, mais
en se donnant le temps de prendre conscience ensuite des stratégies adop-
tées pour construire de nouvelles connaissances métacognitives10.

Schéma 3 : Le développement de la capacité à contrôler


et réguler ses stratégies cognitives11

permet, en fin d’action


Processus d’autorégulation ou d’apprentissage
pendant l’action

Issue finale de la démarche


permet de faire avec validation ou non
progresser

permet, en cours permet de faire progresser


d’apprentissage

Savoir métacognitif :
ce que je sais sur …

Ainsi, l’activité métacognitive, qui consiste à gérer l’activité d’appren-


tissage par un contrôle et une régulation constants, est tout aussi omni-
présente dans l’activité des élèves que l’acte d’« apprendre ». Mais elle est

9. Sorel M., Questions de pratique. L’éducabilité cognitive : une nouvelle compréhension des
conduites d’apprentissage, Paris, Rapport d’étude pédagogique, 1991.
10. Pinard P., La Conscience psychologique, Québec, Presses de l’université du Québec,
1989.
11. Schéma élaboré à partir de l’ouvrage d’A. Pinard, op. cit., tiré de Balas-Chanel A., La
prise de sa manière d’apprendre, de la métacognition implicite à la métacognition explicite,
thèse, 1998, p. 47.

135
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Métacognition, remédiation

la plupart du temps implicite et désorganisée, donc rarement efficace : les


compétences requises pour conduire cette activité métacognitive sont rare-
ment abordées et travaillées dans le cadre scolaire. Ici, tout se passe comme
s’il suffisait d’apprendre pour apprendre à apprendre. Or, la métacognition
est d’autant plus efficace qu’elle est consciente. Apprendre à apprendre,
c’est apprendre à gérer sa métacognition de manière explicite ; c’est
réussir et comprendre « l’apprendre » et non plus seulement l’action.

La prise de conscience
Les contenus de la prise de conscience en métacognition
Le passage de la métacognition implicite à la métacognition expli-
cite nécessite tout d’abord la prise de conscience de l’existence même des
activités mentales, difficilement observables mais essentielles dans l’acte
d’apprentissage : par exemple, la découverte de son propre dialogue inté-
rieur ou de ses représentations visuelles plus ou moins nettes et précises.
Ce n’est qu’après cette première étape que le sujet peut commencer
à observer sa manière d’apprendre (« Comment je fais ? »). Il peut alors
expliciter les connaissances métacognitives jusqu’alors implicites sur
lesquelles sa manière d’apprendre se fonde (« Qu’est-ce que je sais, qui
fait que j’apprends ainsi ? »). En explicitant ses connaissances métacogni-
tives, il peut les nuancer, les faire évoluer, les modifier, voire en mesurer
le caractère rationnel (« Est-ce vrai que les maths ne sont “pas pour
moi” ? »)
L’entraînement à ce type de centration sur sa manière d’apprendre
peut favoriser une attitude métacognitive de la part du sujet, qui devient
ainsi capable d’être attentif alternativement au contenu de l’apprentis-
sage et à sa démarche pour apprendre. Il devient alors capable d’avoir
des « bulles métacognitives » durant son apprentissage, ce qui lui permet
de contrôler et de réguler explicitement ce dernier chaque fois que cela
est nécessaire. Ces « bulles » sont d’autant plus fréquentes que le sujet
est sensibilisé aux différents niveaux de conscience (précons-
cient / conscient) et aux différents contenus de la conscience et de l’atten-
tion (contenu de l’apprentissage/démarche d’apprentissage).
La prise de conscience ne joue pas le même rôle, et elle est de qualité
différente, selon qu’elle se déroule après, pendant ou avant l’apprentis-
sage. Si elle fait suite à l’apprentissage, elle sert à contrôler a posteriori
la pertinence de la démarche adoptée, au regard de la qualité des résul-
tats atteints et des efforts fournis. Cette prise de conscience nécessite un

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Aider à apprendre : métacognition et explicitation

retour en arrière pour expliciter l’activité mise en œuvre pour apprendre.


Le travail réflexif demande ici à l’apprenant des compétences pour
évoquer et décrire a posteriori son activité passée. Il peut alors, à l’aide
de différents critères (parmi lesquels les résultats, le temps passé et les
efforts fournis), évaluer la réussite de son apprentissage et chercher à
pérenniser sa stratégie si celle-ci s’avère efficace ou chercher à l’améliorer
si elle ne l’est pas.
Durant l’apprentissage, la prise de conscience sert à gérer intention-
nellement l’activité en cours pour apprendre. Ici, elle suppose de la part
du sujet une forme de vigilance tournée vers sa manière d’être et
d’apprendre, alors qu’il cherche surtout à atteindre un certain résultat.
Il s’agit, pour l’apprenant, de « naviguer entre deux eaux » et d’être attentif
à la fois au contenu de l’apprentissage et à la démarche à adopter. Ce
travail de gestion « à vue » requiert de l’apprenant des compétences pour
évaluer la progression de sa démarche d’apprentissage en plus de l’évalua-
tion du résultat de cet apprentissage (buts de l’apprentissage, sous-buts,
résultats intermédiaires, difficultés possibles, autres moyens disponibles
ou autres stratégies possibles).
Quand elle précède l’apprentissage, la « prise de conscience »12 a pour
objectif de l’anticiper, de l’organiser, de le programmer pour le meilleur
résultat possible en fonction des efforts à fournir. Elle demande à l’appre-
nant de savoir anticiper son activité. Elle est abstraite, dans la mesure où
le sujet ne sait rien du contenu de l’apprentissage à venir et ne peut faire
que des hypothèses quant à la manière dont il peut l’organiser. Va-t-il
rencontrer des difficultés ? S’intéressera-t-il à ce qu’il doit apprendre ? Le
contexte sera-t-il facilitateur ? Pour répondre à ces questions, le sujet ne
peut que prendre pour référence ses expériences antérieures qui ne sont
pas exactement comparables à l’apprentissage à venir.
On le voit, si la première prise de conscience repose sur des aptitudes
à décrire et à rendre compte, la seconde demande de savoir prendre des
informations à propos du déroulement de l’apprentissage et de posséder
des solutions de rechange en cas de difficulté ; la dernière exige des compé-
tences de raisonnement hypothético-déductif.

12. Peut-on parler encore de prise de conscience, quand l’action n’a pas encore eu lieu ?
Ne vaut-il pas mieux parler d’anticipation ?

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Métacognition, remédiation

Les freins à la métacognition


Quand on cherche à favoriser la métacognition explicite des élèves,
il faut savoir qu’il existe des freins à la prise de conscience de sa manière
d’apprendre.
Le premier frein vient du fait que le sujet ne peut pas être attentif à
ce dont il ignore l’existence : l’acte d’apprendre. Dans la mesure où un
certain nombre d’activités mentales ou de manières d’être sont préréflé-
chies, l’apprenant a du mal à se tourner vers ce qu’il ne connaît qu’en
acte, mais il peut en devenir conscient en raison d’une difficulté surve-
nant durant l’apprentissage, qui l’oblige à changer de niveau de
conscience. C’est pourquoi, les sujets ne rencontrant pas de difficulté pour
apprendre n’ont pas l’occasion, si aucune formation ne les y incite, de
centrer leur attention sur l’acte d’apprentissage. La médiation peut donc
les aider à centrer leur attention sur leur manière d’apprendre.
La seconde difficulté tient à la nature de l’explicitation de ses propres
stratégies, en particulier quand elles sont mentales. Connaître ses propres
gestes mentaux requiert en effet une gymnastique de l’esprit à laquelle
on est peu habitué. Certains sujets ne font pas la différence entre ce qu’ils
« doivent faire », c’est-à-dire les consignes qui leur sont données, et ce
qu’ils font réellement. Ils ne distinguent pas la tâche donnée de leurs
stratégies personnelles. D’autres ne distinguent pas le contenu de l’appren-
tissage de leur démarche pour apprendre. Ils continuent à raisonner à
propos du problème à résoudre sans réussir à porter leur attention sur
la structure de leur manière d’apprendre.
Une autre difficulté que peut rencontrer l’enseignant ou le formateur qui
veut favoriser la prise de conscience vient du fait qu’interrogés sur leur
manière d’apprendre, les apprenants décrivent des généralités et non ce
qu’ils ont fait dans un cas précis. Car si la similitude des actions est possible
pour des gestes très automatisés, les stratégies mises en œuvre pour
apprendre peuvent différer d’un apprentissage à l’autre en fonction des
objectifs, de la situation ou du contexte. Cette difficulté peut être contournée
en guidant le sujet vers la description fine d’un apprentissage spécifié13
(moment unique parmi tous les autres moments qui lui ressemblent).
Une difficulté particulière peut tenir à l’état d’esprit de l’apprenant.
Par exemple, savoir qu’un apprentissage peut réussir avec de bonnes stra-
tégies, mais ne pas accepter qu’on puisse soi-même réussir dans une disci-
pline dans laquelle on se croit « incapable ». On le voit, la prise de

13. Vermersch P. et Maurel M., Pratiques de l’explicitation, Paris, ESF, 1998, p. 255.

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Aider à apprendre : métacognition et explicitation

conscience ne s’arrête pas à l’explicitation. Si cette dernière permet au


sujet de prendre conscience – au sens d’accéder consciemment à une
information –, il reste une étape très subjective qui consiste à accepter
ce qu’on s’est révélé. Autrement dit, le sujet doit s’approprier les connais-
sances qu’il a mises au jour pour en faire un objet de travail personnel.
Cela suppose de sa part une volonté de changement et une forme de
confiance qui ne sont pas évidentes. Cela signifie qu’il ne suffit pas de
prendre conscience de sa manière d’apprendre pour apprendre à
apprendre. Il reste à décider de faire autrement et… de le faire.
En conclusion, prendre conscience de sa propre manière d’apprendre,
ce n’est pas comprendre les mathématiques, l’orthographe ou la lecture,
mais comprendre son propre fonctionnement pour apprendre les mathé-
matiques, l’orthographe ou la lecture. En se décentrant de l’action en
cours (le calcul, l’écriture, la lecture) pour se centrer sur l’apprentissage,
le sujet passe de la métacognition implicite, ou « en acte », à la métaco-
gnition explicite et réfléchie. Cela signifie que le sujet porte son atten-
tion vers ses stratégies cognitives mais également vers son état d’esprit
et ses caractéristiques mentales ou psychologiques. Par ailleurs, en se réfé-
rant au modèle structurel de Berbaum, il peut aussi s’interroger sur ce
qui caractérise l’apprentissage en cours : les buts visés, la tâche prescrite,
les moyens dont il dispose pour apprendre, les critères de réussite asso-
ciés, les stratégies possibles, le temps dont il dispose, les étapes intermé-
diaires de l’apprentissage, etc.

Les techniques d’explicitation pour « l’analyse


de la pratique apprenante » ou l’entretien métacognitif
Pour poursuivre le parallèle avec l’analyse de la pratique profes-
sionnelle, amorcé au début de cette contribution, l’analyse de la pratique
apprenante veut permettre à l’apprenant de prendre conscience de sa
manière d’apprendre, pour apprendre à apprendre. Ce qui est à mettre
au jour, c’est sa pratique personnelle, réelle, passée et singulière. La
pratique apprenante est l’ensemble des actes réalisés par l’apprenant pour
« apprendre », quel que soit le résultat atteint ; c’est ce qui a été réelle-
ment réalisé. C’est aussi le point de vue, à la première personne, de
l’apprenant. Autrement dit, si l’apprenant a appris comme il l’a fait, c’est
« parce que c’est lui », face à un objet d’apprentissage singulier, à un
moment spécifié. Ce qui est recherché, dans l’analyse de la pratique en
général, et donc dans l’analyse de la pratique apprenante, c’est que le

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Métacognition, remédiation

sujet décrive de manière objective son vécu subjectif ; c’est qu’il prenne
ainsi connaissance, « avec une neutralité bienveillante », de ce qu’il a fait
pour apprendre et de la manière dont il l’a fait, quel qu’en soit le résultat.
Il ne s’agit pas de dire ce qu’il aurait « dû » faire, ni ce qu’il fait en général,
ni même d’« expliquer » comment ça s’est passé. Il s’agit de prendre le
temps de revivre le moment de l’apprentissage afin de décrire plus spéci-
fiquement ce qu’il a fait « à ce moment-là », et d’en prendre ainsi plei-
nement conscience.
Mais pour expliciter sa manière d’apprendre, l’apprenant a besoin d’un
« médiateur ». Les techniques d’explicitation utilisées par le maître E vont
permettre, d’une part, à l’apprenant de prendre conscience de ses stra-
tégies et, d’autre part, à l’enseignant de s’informer de la pratique appre-
nante de l’élève et de comprendre ainsi ses difficultés singulières. Il pourra
d’autant mieux répondre ensuite aux besoins de l’élève, d’un point de
vue pédagogique.
À ce titre, Pierre Vermersch (1994) repère trois buts aux entretiens
d’explicitation en général : aider l’intervieweur à s’informer (analyse
d’erreurs, expertise, recherche), aider l’interviewé à s’auto-informer (retour
réflexif sur la démarche suivie pour une tâche, qui permet de construire
l’expérience de l’apprenant), lui apprendre à s’auto-informer (moyen
d’apprendre à apprendre dans la mesure où il apprend à décrire sa
manière de faire et ainsi à en prendre conscience). Le maître E, en utili-
sant les techniques d’explicitation lors de l’analyse de la pratique appre-
nante, peut espérer atteindre ces trois objectifs.

Des techniques contre-intuitives


Analyser la « pratique apprenante » requiert des conditions propres
à permettre le retour réflexif ainsi que des techniques d’écoute et de ques-
tionnement développées par Vermersch : il s’agit de favoriser l’évocation de
la situation d’apprentissage et la description de son déroulement.
Pour décrire sa manière d’apprendre (au sens large : comprendre,
mémoriser, résoudre, créer…), il importe que l’apprenant soit « au plus
près » de ce moment passé, c’est-à-dire qu’il cherche à ce que la descrip-
tion soit faite « comme s’il y était ». Cela rejoint l’une des quatre règles
énoncées par Py et Ginet (199514) pour favoriser le souvenir d’un événe-
ment : « Se remettre mentalement dans le contexte à la fois environne-

14. Py J. et Ginet M., « L’entretien cognitif ; un bilan de douze années de recherche appli-
quée », Psychologie Française, n° 40-3, 1995, pp. 255-280.

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Aider à apprendre : métacognition et explicitation

mental et émotionnel présent au moment de l’événement. » Pour ce faire,


le praticien guide l’interviewé vers l’évocation15 de ce moment précis, en
particulier en faisant spécifier certains éléments du contexte. Cette posi-
tion, Vermersch la nomme « position de parole incarnée » (PPI) pour
différencier cette évocation d’un événement passé, retrouvé sensorielle-
ment (incarné : je revois, j’entends comme si j’y étais…) de l’évocation
de connaissances, par exemple évoquer une règle de grammaire (repré-
sentation conceptuelle).
L’intervieweur, qui ignore le déroulement de l’action du point de vue
de l’apprenant, va l’aider à mettre en mots son expérience en l’invitant
à décrire le déroulement de son action. Les questions de l’entretien d’expli-
citation visent en effet à recueillir la description fine de l’action. Celle-ci
peut être décrite par la succession de ses étapes, qui correspondent aux
buts intermédiaires, implicites durant l’action, dans le déroulement de
cette dernière. Elles-mêmes sont descriptibles en actions élémentaires,
puis en opérations physiques ou mentales. Enfin, les opérations cogni-
tives peuvent être fragmentées en sous-opérations – prises d’information
et identification (« J’ai vu que c’était faux » ; « Comment tu l’as vu ? ») –
ou des sous-opérations de prises de décision et d’exécution (« J’ai décidé
de faire autrement » ; « Comment as-tu fait pour décider ? » ; « Comment
as-tu fait autrement ? »).
C’est souvent dès le niveau des opérations que l’action est implicite. En
plus de cette fragmentation chronologique de l’action, l’apprenant sera
guidé vers le dépliement synchronique de l’action, c’est-à-dire la descrip-
tion de ce qui se déroule, ce qui se joue dans le même temps, chaque fois
qu’il sera incité à préciser ce qu’il sait ou les buts qu’il poursuit quand il
fait ce qu’il fait, voire comment il évalue ce qu’il a fait et quels sont ses
critères pour évaluer (« Comment as-tu su, à ce moment-là, que c’était
juste ? ou faux ? »).
Une fois le déroulement de l’action décrit, l’apprentissage spécifié est
devenu objet de connaissance et le travail peut s’orienter vers la
réflexion pour comprendre « comment l’élève a fait pour échouer ou
réussir » et même pour comprendre jusqu’où il a réellement progressé et
à partir de quand il n’a plus su avancer.

15. « Être en évocation, c’est faire exister mentalement une situation qui n’est pas
présente ; c’est remplacer la perception par la représentation. Subjectivement, c’est être plus
présent à la situation passée qu’à la situation présente. C’est une activité où le sujet peut
retrouver les images, les sons, les sensations de l’expérience passée. » (P. Vermersch, in Les
Cahiers de Beaumont, n° 52 bis-53, avril 1991, pp. 63-70).

141
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Métacognition, remédiation

Les techniques d’explicitation16 pour l’aide à l’analyse de la pratique


apprenante
Favoriser l’explicitation, c’est donc proposer cette pratique réflexive
dans un cadre particulier. L’enseignant est là pour accompagner la mise
en mots ; il ne sait pas comment l’élève a fait et ne porte pas de juge-
ment sur la manière dont l’élève a procédé. Il sait qu’il ne peut s’informer
de la manière d’apprendre de l’élève qu’en lui permettant de s’informer
lui-même de ses actions physiques et mentales. Il a d’abord besoin
d’entendre l’élève pour pouvoir l’aider ensuite, le cas échéant.
Favoriser l’explicitation, c’est donc écouter et « relancer », c’est-à-dire
poser les questions qui vont permettre la position de parole incarnée et
la description de l’action à la première personne.
Dans les limites de cette contribution, nous ne pouvons revenir en détail
sur les techniques d’explicitation, par ailleurs largement décrites sur le site
www.expliciter.net, mais le tableau ci-dessous récapitule l’essentiel.

Les techniques d’explicitation

Enseignant Apprenant Techniques

Propose l’explicitation Laisse revenir Mettre en place les conditions de


l’explicitation :
Cadre défini, explicite, négocié
Contrat de communication : « Est-
ce que tu es d’accord pour… ? »

Guide vers l’évocation Évoque Partir de ce qui revient : « Qu’est-ce


qui te revient ? »
Questionner le contexte (moment,
emplacement, objets)
Respecter les étapes de la prise de
conscience (évoquer avant de
décrire)

Écoute ce que dit réelle- Décrit son action Repérer les contenus de verbalisa-
ment l’élève (et rien réelle passée et tion qui sont à approfondir par
d’autre) singulière l’explicitation : vécu + action de
l’élève

16. Vermersch P., L’Entretien d’explicitation en formation initiale et en formation continue,


Paris, ESF, 1994.

142
MP 125_146 Fname 2006 1/06/06 17:24 Page 143

Aider à apprendre : métacognition et explicitation

Relance pour favoriser Décrit son action Ne relancer que sur l’action passée,
l’explicitation du déroule- réelle passée et réelle et singulière avant de ques-
ment de l’action singulière tionner les savoirs et les buts asso-
ciés à l’action réelle ; demander :
« Qu’est-ce que tu as fait ?
Comment tu l’as fait ? » avant de
demander : « Et quand tu fais cela,
comment tu sais qu’il faut le
faire ? » ou : « Et quand tu fais ça,
qu’est-ce que tu vises ? »
S’appuyer sur les propos de l’élève
(sans induire)
S’appuyer sur les caractéristiques
de l’action : temps, espace, frag-
mentation, satellites.

Toutes ces techniques sont contre-intuitives, c’est-à-dire que le praticien


cherche spontanément à accéder aux causes de la difficulté d’apprentissage
(« Pourquoi tu as fait ça ? »). Pourtant, si l’élève savait pourquoi il se trompe,
il ne se tromperait pas ! C’est la raison pour laquelle lui poser cette ques-
tion ne produirait aucun résultat tangible ni fiable. Une autre difficulté
vient du fait que l’enseignant ou le formateur fait spontanément des hypo-
thèses sur les causes de la difficulté de l’élève, avant même de savoir
comment il a fait. Il oriente donc ses questions vers des moments particu-
liers qui ne sont peut-être pas les plus problématiques. Par ailleurs, une
croyance naturelle forte consiste à penser qu’il n’est pas possible d’accéder
à des activités cognitives et de les décrire finement. Or, le vocabulaire de
l’explicitation puise dans les propos de l’interviewé, et questionne concrè-
tement l’action, même mentale, de l’apprenant. Enfin, il est souvent diffi-
cile à l’enseignant de « lâcher » le contenu de l’apprentissage pour se tourner
vers l’activité cognitive de l’élève.
Pour accompagner l’élève dans l’explicitation de sa manière
d’apprendre, l’enseignant doit donc apprendre à questionner l’action de
l’élève, et attendre la description en « je », à écouter ce que lui dit l’élève,
sans projeter ses propres représentations ou sa propre manière
d’apprendre et, enfin, à ne pas juger ou chercher à « corriger » celle de
l’élève, pour pouvoir l’entendre jusqu’au bout. Il doit apprendre égale-
ment à relancer, en particulier à poser des questions ouvertes qui n’indui-
sent rien et vont jusqu’à la description concrète de l’apprentissage réel,
des questions qui partent du contenu, du « matériau » apporté par l’élève.
Renoncer à apporter immédiatement ses propres réponses ou ses propres
commentaires sur la manière d’apprendre de l’élève, c’est chercher à

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Métacognition, remédiation

« abattre l’arbre qui cache la forêt », c’est-à-dire prendre en compte la


vraie difficulté de l’élève que ce dernier est seul à pouvoir nous livrer (ce
qu’il fait de faux, ce qu’il ne sait pas ou ce qu’il sait de faux, ce qu’il
croit…). Enfin, favoriser l’explicitation des stratégies d’apprentissage
d’autrui, c’est adopter une posture d’accompagnement, qui postule que
seul l’apprenant est « compétent » pour savoir ce qu’il a fait, même s’il
ne le sait qu’en acte. L’enseignant, pour sa part, n’est compétent que
dans l’écoute, dans le questionnement et dans la discipline qu’il enseigne.
Cette posture « d’humilité » s’accompagne du ton particulier que prend
le questionnement, et ne peut être comprise par l’élève que si elle est
nommée (« Je vais te poser des questions, parce qu’il n’y a que toi qui
sais comment tu as fait dans ta tête ! »).
Cet accompagnement peut être réalisé en tête à tête : on peut alors
parler d’un « entretien métacognitif ». Il peut aussi être pratiqué en
groupe17 : chaque élève évoque et décrit comment il a réalisé l’appren-
tissage dont il est question. Comme dans des séances d’analyse de la
pratique professionnelle, le regard croisé des participants peut enrichir la
compréhension d’une réussite ou d’une difficulté. Par ailleurs, l’écoute
des différentes stratégies mises en œuvre par les participants à ce genre
d’analyse de la pratique apprenante permet de relativiser l’idée qu’il n’y
a qu’une seule bonne méthode pour réussir. Enfin, les élèves en difficulté
peuvent essayer les stratégies de leurs camarades, pour évaluer en quoi
elles leur conviennent ou non.
Quelle que soit l’organisation pratique (entretien métacognitif ou
analyse de la pratique apprenante), l’important est que celle-ci favorise
le retour réflexif de l’apprenant par une écoute bienveillante et un ques-
tionnement pertinent.

Bibliographie
Balas-Chanel A., La Prise de conscience de sa manière d’apprendre. De la méta-
cognition implicite à la métacognition explicite, 1998. Thèse téléchargeable sur
le site www.expliciter.net

17. Plusieurs articles décrivent cette pratique d’accompagnement : Balas-Chanel A., « Une
aide à l’apprentissage : le PADéCA », Cahiers pédagogiques, n° 311, 1993, pp. 58-60 ; « Mieux
apprendre par la prise de conscience de sa démarche : témoignages », Nancy, CRDP de
Lorraine, Collection « Clé à Venir », n° 12, 1996 ; Balas-Chanel A., Boudant M.-J., Gineste C.,
« Compte rendu d’une expérience : un PADéCA avec des élèves en grande difficulté », Cahiers
de Beaumont, numéro spécial, 1993, pp. 113-118.

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Aider à apprendre : métacognition et explicitation

Balas-Chanel A., « Une aide à l’apprentissage : le PADéCA », Cahiers pédago-


giques, n° 311, 1993, pp. 58-60.
Balas-Chanel A., « Mieux apprendre par la prise de conscience de sa démarche :
témoignages », Clé à Venir, n° 12, Nancy, CRDP de Lorraine, 1996.
Balas-Chanel A., Boudant M.-J. et Gineste C., « Compte rendu d’une expérience :
un PADéCA avec des élèves en grande difficulté », Cahiers de Beaumont,
numéro spécial, 1993, pp. 113-118.
Berbaum J., « Un programme d’aide au développement de la capacité d’appren-
tissage », Recherche et Formation, Paris, INRP, n° 7.
Berbaum J., Développer la capacité d’apprendre, Paris, ESF, 1991.
Vermersch P., « L’Entretien d’explicitation », Cahiers de Beaumont, n° 52 bis-53,
1991, pp 63-70.
Vermersch P. L’Entretien d’explicitation en formation initiale et en formation
continue, Paris, ESF, 1994.
Vermersch P. et Maurel M., Pratiques de l’explicitation, Paris, ESF, 1998.

145
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La métacognition dans
les apprentissages :
l’exemple de la compréhension
des consignes

Jean-Michel Zakhartchouk

D epuis une vingtaine d’années, je m’intéresse à la question des consignes


scolaires, problème qui m’est apparu très vite comme une question
pratique majeure. Enseignant en milieu populaire, avec des élèves en
difficulté, j’ai bien perçu qu’ils comprenaient souvent mal ce qui leur
était demandé. La solution ne pouvait pas être de supprimer le problème
en simplifiant trop nos consignes, en aidant trop les élèves, à la manière
du professeur Topaze qui prononce « les moutonsses » pour que ses élèves
ne fassent pas d’erreur. J’ai donc entrepris de travailler la question de la
compréhension des consignes. Il ne s’agissait au départ que de rédiger des
fiches techniques pour aider les élèves, d’inventer des exercices d’entraî-
nement ou de remédiation. Mais très vite, je me suis rendu compte qu’il
y avait là un fil qui, si on le tirait, amenait au premier plan des enjeux
essentiels en matière d’apprentissages scolaires. Finalement, c’est tout le
sens des activités scolaires qui est en question : pourquoi donne-t-on aux
élèves ces exercices, ces questions ? Pourquoi leur demande-t-on de « faire »
telle ou telle chose ? Comment relie-t-on et, plus encore, permet-on aux
élèves de relier ces activités à l’acte même d’apprendre ? On est au-delà
d’un « simple problème de lecture », d’autant que le problème concerne
aussi les consignes orales. De même, on aurait tort de penser que les diffi-
cultés à bien comprendre les consignes sont limitées à certaines catégo-
ries d’élèves. Elles peuvent concerner tout le monde, puisqu’elles sont

147
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Métacognition, remédiation

inhérentes à l’apprentissage. Du coup, la compréhension des consignes


ne doit pas échapper à un travail systématique tout au long de la scola-
rité. Il me paraît important de préciser tout cela en introduction d’une
contribution qui s’appuie avant tout sur un savoir pratique que j’ai accu-
mulé depuis une vingtaine d’années, que j’ai essayé de théoriser, modes-
tement, dans un domaine où les recherches restent trop limitées. C’est à
partir de là que je situerai la question de la place possible pour la méta-
cognition…

Quelles sont les vertus de la métacognition ?


La métacognition, c’est, comme le disent notamment Marc
Romainville et Bernadette Noël1, des opérations mentales sur des opéra-
tions mentales. D’une part, ces opérations mentales vont produire des
connaissances (ou métaconnaissances) pour chaque apprenant sur sa
manière d’apprendre ; d’autre part, elles vont permettre d’agir sur les
apprentissages, de les réguler, de les contrôler. Il est important de distin-
guer ces deux fonctions. La métacognition permet de mieux se connaître
sur le plan cognitif et permet, en principe, de mieux agir. Ce qui inté-
resse le pédagogue, c’est d’aboutir à une définition fonctionnelle, et ces
définitions sommaires ne sont pas sans poser de multiples problèmes.
Notamment celui-ci : la connaissance que l’on a de son fonctionnement
cognitif est-elle utile, indispensable pour contrôler son action ? Jusqu’à
quel point peut-on connaître son fonctionnement cognitif, en pratiquant
une introspection mentale qui peut être, tout au contraire, source de
méconnaissance ? Par ailleurs, le contrôle de l’action, le fait de « s’asseoir
pour se regarder marcher » ne peut-il pas être nuisible pour l’action effi-
cace ? Ne risque-t-il pas de nous entraîner vers des actions pédagogiques
peu rentables par rapport à des automatisations et des savoirs plus méca-
niques, moins réflexifs, mais plus performants ? La question mérite d’être
posée ; la réponse n’est sans doute pas uniforme et il convient de l’adapter
selon les cas. La question se reformule donc ainsi : quand est-il bon (ou
pas) de pratiquer la métacognition, en particulier quand on travaille avec
des enfants à besoins particuliers ?

1. Marc Romainville et Bernadette Noël, « La Métacognition, facettes et pertinence du


concept en éducation », Revue française de pédagogie, n° 112, été 1995, pp. 47-56 ; « La
Métacognition : sens et pertinence en éducation », Cahiers pédagogiques, spécial
« Apprendre », 1998, pp. 11-12.

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La métacognition dans les apprentissages : l’exemple de la compréhension des consignes

De nombreux travaux semblent démontrer une efficacité réelle des


activités métacognitives 2 ou, du moins, réflexives. Mais on sait, a
contrario, qu’un enfant en échec a beaucoup de mal à parler de la
manière dont il travaille et apprend (ou n’apprend pas). S’agit-il d’un
effet ou d’une cause ? Ou les deux sont-ils mêlés ? On n’apprend pas bien
quand on ne sait pas ou quand on sait peu comment l’on apprend ; on
ne sait pas parler de la manière dont on apprend quand on ne parvient
pas à apprendre…
La métacognition met en jeu des facteurs non cognitifs, et, notam-
ment, la confiance en soi et le sentiment d’auto-efficacité, mis en avant
par le grand psychologue américain Albert Bandura3. Peut-on vraiment
avancer dans la connaissance de son fonctionnement, et dans le retour
sur la manière dont on s’y prend sans un minimum de confiance en soi ?
Si ce minimum est inexistant, ne vaut-il pas mieux se réfugier dans des
représentations stéréotypées mais sécurisantes et dans des discours
convenus « pour plaire au professeur » ou résignés (« De toute façon, je
suis nul, je ne sais pas faire, je n’y comprends rien ») ? Un point capital
lorsque l’on envisage un apprentissage méthodologique comme la compré-
hension des consignes. À noter qu’un sentiment excessif de confiance en
soi peut également masquer un manque d’assurance : l’élève proclame
qu’il n’a besoin ni d’aide ni de méthodes, qu’il sait faire comme il a
toujours fait ; il rejette ainsi l’aide qu’on lui propose.
La métacognition met en jeu, cela va de soi, la verbalisation, orale ou
écrite. Et il y a un apprentissage à faire du parler ou de l’écrire sur. Les
pistes ouvertes, par exemple, par la narration de recherches en mathé-
matiques4 sont très intéressantes. Il faut aussi aller voir du côté des tech-
niques de l’entretien d’explicitation (Pierre Vermersch5) et du dialogue
pédagogique (y compris chez Antoine de la Garanderie6, propagateur de

2. Lire à ce sujet l’excellente contribution de Marc Romainville, « Savoir comment


apprendre suffit-il à mieux apprendre ? métacognition et amélioration des performances »,
Pour une pensée réflexive en éducation, Montréal, Presses de l’université du Québec, 2000,
pp. 71-85.
3. Voir l’article de Jacques Lecomte, « Trois clés », Les Cahiers pédagogiques, dossier « Cette
fameuse motivation », n° 429-430, décembre 2004, p. 10, et l’épais volume d’Albert Bandura,
Auto-efficacité, le sentiment d’efficacité personnelle, Bruxelles, de Boeck, 2003.
4. Voir, par exemple, un bon résumé de ce qu’est une narration de recherches sur le
lien : http://sierra.univ-lyon1.fr/irem/c2ipc/narrechM.pdf
5. Notamment dans L’Entretien d’explicitation, Paris, ESF, 1994.
6. Voir notamment Le Dialogue pédagogique avec l’élève. Paris, Centurion, 1984.

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Métacognition, remédiation

la « gestion mentale », théorie dont les vertus pragmatiques restent


entières, malgré les réserves qu’on peut faire sur sa validité scientifique)7
Apprendre par la métacognition nécessite d’apprendre la métacognition,
et cela est d’autant plus vrai pour des élèves qui maîtrisent mal le langage.
Cet apprentissage, qui s’inscrit dans le vaste ensemble des activités méta,
peut d’ailleurs avoir un effet bénéfique sur l’acquisition d’un langage
multidimensionnel (savoir argumenter, expliquer, mais aussi prendre du
recul par rapport à sa langue dans des activités « d’observation réflé-
chie »). Nous rejoignons l’important courant de la didactique de la lecture
qui met l’accent sur l’importance de l’enseignement de la compréhension
et des stratégies. Dans les recommandations du jury du PIREF sur la
lecture (décembre 2003), il est notamment dit : « Il faut installer chez
tous les élèves des mécanismes de régulation c’est-à-dire une conscience
des stratégies auxquelles ils peuvent recourir pour améliorer leur
compréhension. Pour l’élève qui apprend à lire, il s’agit en fait de savoir :
– quand il comprend ou ne comprend pas ;
– ce qu’il comprend ou ne comprend pas ;
– ce qui lui manque ou ce dont il a besoin pour comprendre ;
– ce qu’il peut faire pour améliorer sa compréhension. »8
Les travaux de Roland Goigoux, par exemple, vont tout à fait dans ce
sens9. Malheureusement, il est peu question de cela dans les débats média-
tiques autour de la lecture, où l’on s’empoigne autour des questions dites
de « méthode » en oubliant de parler de stratégie, de sens donné à l’acti-
vité, de signification pour l’élève. Gérard Chauveau a montré comment
l’on pouvait repérer assez facilement les élèves se préparant à l’échec en
lecture lorsque ceux-ci répondent que lire, « ça servira à ne pas se faire
gronder par la maîtresse, par ses parents, ou à ne pas redoubler ». D’autres,
au contraire, savent donner du sens à l’activité de lecture : « Comme ça,
je pourrai lire des histoires à ma petite sœur », « je pourrai regarder les
programmes de télé », etc. Bien entendu, l’école peut contrecarrer ces
tendances spontanées, justement en faisant parler sur le sens de la lecture,
et plus généralement des apprentissages.

7. Voir à ce sujet ma contribution « Gestion mentale, mérites et dérives », in Gardou,


C. (sous la dir. de), La Gestion mentale en questions, Toulouse, Erès, 1995, p. 49-66.
8. Recommandations de la conférence de consensus sur la lecture « L’enseignement de
la lecture à l’école primaire : des premiers apprentissages au lecteur compétent », Paris, les
4 et 5 décembre 2003.
9. Les élèves en grande difficulté de lecture et les enseignements adaptés, CNEFEI, 2001.

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La métacognition dans les apprentissages : l’exemple de la compréhension des consignes

Nous reviendrons plus loin sur le champ qui peut être couvert, selon
nous, par la métacognition, notamment en ce qui concerne l’aide à l’élève
en difficulté. Mais abordons maintenant notre sujet par l’exemple évoqué
plus haut et qui est tout sauf anecdotique ou microscopique : la compré-
hension des consignes. Question essentielle, puisque comme le dit Philippe
Meirieu « les consignes constituent la pierre de touche de tout enseigne-
ment » : en effet, « que fait un enseignant sinon donner des consignes »10 ?

Les consignes scolaires ?


Les consignes sont données par les professeurs aux élèves qui les
exécutent. Mais pourquoi donc sont-elles données ? Quel est leur but ? Il
sera important de faire réfléchir les élèves, même en difficulté, sur ce
but. Au départ, les enseignants eux-mêmes devraient y réfléchir davan-
tage : ne donne-t-on pas trop souvent telle ou telle consigne parce que
« ça leur fera un bon entraînement », parce qu’« ils risquent d’avoir ça à
leur examen », voire parce que « c’est facile à corriger » ? La métacogni-
tion est d’abord à mettre en œuvre par le professeur pour lui-même : il
doit se demander pourquoi il donne telle ou telle consigne, dans quelles
conditions, avec quelles attentes, analyser ses habitudes : qu’est-ce qui
tient de son choix personnel ? Qu’est-ce qui tient des routines profes-
sionnelles, du travail collectif avec les collègues ?...
Rappelons d’emblée qu’il y a une grande différence entre les consignes
scolaires et les consignes dans la vie ordinaire. Dans le premier cas, le
but n’est pas la réussite dans l’exécution d’une tâche, mais bien ce que
l’exécution de la consigne permet comme apprentissage, y compris dans
l’erreur féconde. Cette distinction est capitale et ne peut être comprise
par l’élève que si le système évolue et reconnaît à l’erreur des vertus
pédagogiques (au lieu de la considérer comme faute).

Donc, en classe, à tout moment, le professeur donne des consignes à


ses élèves. Quelles habitudes transmet-il à travers la dévolution de ces
consignes ? Laisse-t-il aux élèves le temps nécessaire pour les « digérer » ?
N’explicite-t-il pas trop ? Ou, au contraire, ne laisse-t-il pas trop de choses
dans l’implicite ? Aide-t-il les élèves à distinguer les types de consignes
(par exemple, celles qui concernent la vie de la classe et celles qui ont à

10. Préface de l’ouvrage de Jean-Michel Zakhartchouk, Comprendre les énoncés et


consignes, Amiens, CRDP d’Amiens, 1999.

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Métacognition, remédiation

voir avec l’apprentissage, les consignes-procédures et les consignes-buts,


les consignes et les critères et conseils). Un élève pourra d’autant plus
facilement être aidé que les consignes auront été « bonnes », c’est-à-dire
non pas forcément faciles, brèves, concrètes, etc., mais plutôt adaptées à
l’objectif, faisables, diversifiées, selon que l’on est au début d’un appren-
tissage ou à la fin, que la compréhension même de la consigne fait partie
de la tâche ou au contraire introduit une complication supplémentaire…
On pourra revenir avec l’élève, lors d’une séance d’aide, sur la manière
dont les consignes ont été données, ce qu’a dit (ou pas) l’enseignant, la
ressemblance avec des consignes passées ou au contraire la différence…
Il demeure qu’en amont, le professeur doit accompagner la distribu-
tion des consignes de moments réflexifs qu’il provoque : « Pourquoi, à
votre avis, est-ce que je vous donne cet exercice ? Comprenez-vous pour-
quoi je vous ai donné ce devoir à faire ? Qu’est-ce que je vais vous
demander maintenant, à votre avis ? … » On est là dans un enseigne-
ment explicite qui accompagne la sollicitation de l’élève, sa mise en acti-
vité intellectuelle. Les pauses réflexives organisées par le professeur sont
autant d’aides à un « enregistrement » par les élèves, lequel est forcément
une réappropriation personnelle. Rien à voir avec la simple répétition,
souvent mécaniste, de la consigne. Mieux vaut, par exemple, faire refor-
muler mentalement, à haute voix ou non, ce qui vient d’être donné.

Métacognition pour l’enseignant qui donne des consignes :


quelques bonnes questions, quelques « dilemmes »

• Pourquoi est-ce que je donne cette consigne-là ? Quel est mon


objectif ? S’agira-t-il de « contrôle » ou de « mise en activité et en
recherche » ?
• Est-ce que dans ce travail donné, la compréhension de la consigne
est partie intégrante de la tâche, ce qui justifie une certaine
complexité, ou est-ce que, au contraire, l’introduction d’une
certaine complexité ne risque-t-elle pas de m’interdire d’évaluer
ce qui est vraiment en jeu ? (Ce qui risque d’être évalué serait
alors uniquement la compréhension de la consigne.)
• Est-ce qu’il est nécessaire d’expliciter, de décomposer la consigne ?
• Est-ce que cela va aider l’élève ? Cela ne risque-t-il pas, au
contraire, de compliquer les choses pour lui ? De supprimer toute
difficulté ?

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La métacognition dans les apprentissages : l’exemple de la compréhension des consignes

• Est-ce que j’ai besoin d’être très minutieux dans la présentation


de la réponse (lorsque l’on demande de mettre en évidence tels
mots, va-t-on attacher de l’importance à ce que ce soit, par
exemple, souligné ou encadré ?) ? Ou est-ce que je ne peux pas
laisser une marge d’autonomie dans cette présentation en tenant
compte, en particulier, des différents profils d’élèves ?
• Est-ce que je vais me préoccuper de la manière dont vont être
données ces consignes ? Comment vais-je intervenir pendant ce
travail que je vais donner ? Apporterai-je des aides ? Est-ce que je
prévois des attitudes différentes prenant en compte la diversité
des élèves (pédagogie différenciée) ? Y aura-t-il oralisation, totale
ou partielle, de la consigne écrite ?
• Combien de temps vais-je donner aux élèves pour effectuer cet
exercice ? Le facteur temps sera-t-il un critère de réussite impor-
tant ?

Qu’est-ce qu’un bon « compreneur » de consignes ?


Il s’agit bien, pour les élèves, d’acquérir des méthodes, des « gestes
professionnels » leur permettant de dépasser un certain stade et d’arriver
à une certaine automatisation devant une consigne. Un peu comme le
professionnel devant les consignes de sécurité ou l’expert en informatique
devant des consignes de fonctionnement d’ordinateur ou de logiciel. Une
démarche laborieuse, qui caractérise le « novice », se transformant peu à
peu en une démarche plus experte, au risque d’ailleurs, parfois, pour ce
dernier de se tromper par excès de confiance et manque de vigilance !
Savoir lire une consigne met en jeu de nombreuses compétences et,
bien évidemment, c’est surtout lorsque la consigne est complexe que la
mise en œuvre de ces compétences est importante.

On pourrait dire qu’il s’agit de gérer les trois dimensions temporelles :


– Le passé, c’est-à-dire le lien avec le cours, avec ce qui a été fait avant,
avec des savoir-faire antérieurs. L’élève doit savoir mobiliser ses connais-
sances et ses savoir-faire antérieurs. On voit l’aide que l’on pourrait alors
lui apporter : il s’agit d’établir des ponts avec ce qui a été vu. Tel élève
qui demande ce qu’est une diagonale n’a pas souvent le réflexe de regarder
dans son manuel de maths. Celui qui a déjà tracé des tableaux à double
entrée ne pense pas à mobiliser ce savoir-faire (qu’il utilise parfois dans
la vie courante pour lire un tableau de matchs de football) à l’occasion

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Métacognition, remédiation

d’une consigne où l’habillage le déroute un peu. Le passé de la consigne


se trouve dans les données explicites parfois, mais bien souvent, il faut
aller chercher ailleurs ces données (dans une encyclopédie, dans son expé-
rience personnelle, dans d’autres leçons…).
– Le présent de la consigne, ce qui est là devant soi et qu’on ne sait
pas toujours par quel bout prendre. Un bon lecteur peut chercher les
mots importants, y être attentif, les souligner. Il va reformuler avec ses
propres mots, se redire la consigne, transformer l’injonction en question
pour lui-même (« Voyons, là, on me demande de… »). On ne lit pas une
consigne comme on lit un récit ou une explication. Il s’agit bien d’un
mode de lecture particulier où il faut hiérarchiser et comprendre pour
agir. On entend parfois des enseignants en formation clamer que, pour
pouvoir lire des consignes, il faut d’abord savoir… lire. Or, bien souvent,
c’est mal poser le problème, puisqu’on ne sait pas bien de quoi l’on parle.
Pour savoir lire une consigne, ce n’est pas une lapalissade de dire qu’il
faut apprendre à… lire des consignes, c’est-à-dire adopter un mode spéci-
fique de lecture, minutieux, mais aussi sélectif, où il faut à la fois s’atta-
cher au moindre détail (la présence du déterminant « le » et non « un »
dans la consigne de maths), mais aussi se détacher de certains détails
dans les données (qu’il s’agisse d’une place de théâtre ou de cinéma n’a
aucune importance dans un problème de maths, alors que cela peut être
crucial dans un roman !) pour aller à l’essentiel (la tâche à effectuer).

Exemple de fiche conseil pour aider


le travail personnel (collège)11

Tu as un travail à faire. À quoi dois-tu penser


au moment de commencer ?

1. Je lis la consigne, qui peut être une question ou une sorte d’ordre
qui s’adresse à moi. Je la relis et j’essaie ensuite de la redire sans
la regarder. Si je n’y arrive pas, je recommence. Je ne commence

11. Élaborée collectivement, dans un groupe d’études dirigées en 6e au collège Jean-


Jacques Rousseau de Creil.

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La métacognition dans les apprentissages : l’exemple de la compréhension des consignes

pas mon travail sans être capable de me redire la consigne, exac-


tement telle qu’elle est énoncée ou avec mes mots à moi.

2. Je repère les mots qui m’indiquent ce que j’ai à faire : verbes de


consignes ou petit mot interrogatif, par exemple : « Comparez » ;
« Tracez » ; « Soulignez » ou « Quand ? » « À quel moment ? »
« Pourquoi ? »

3. Je me demande de quoi j’ai besoin pour faire ce que l’on me


demande : les données de l’exercice, de l’énoncé. Ces données
sont souvent au début ; parfois, cependant, il faut aller chercher
ailleurs (dictionnaire, leçon du manuel, classeur ou cahier, ency-
clopédie…).

– Enfin, le futur de la consigne, c’est-à-dire le résultat attendu. Il faut,


là aussi, exercer les élèves à anticiper. Ceux qui ont le plus de difficultés
ont du mal à le faire, ils vivent dans le présent, l’immédiateté. Raison de
plus pour les entraîner dans cette démarche si efficace. Cela peut passer
par une phrase très simple du genre : « Qu’est-ce qui va faire que ton
professeur sera content de lire ton devoir ? Qu’est-ce qui lui fera dire :
tiens aujourd’hui, il a vraiment bien compris ce qu’on lui demandait ? »
Il faut à vrai dire combattre deux obstacles opposés :
– pour certains élèves, il n’est pas possible d’anticiper : tant qu’on n’a
pas répondu aux consignes, on ne peut connaître le résultat (comme si
l’on était enfermé dans ce tout ou rien) ;
– d’autres risquent, en anticipant à l’excès, de se forger une représen-
tation du résultat dont ils ne pourront sortir ; ils refuseront alors l’ascèse
de la vérification et de l’éventuelle remise en cause des hypothèses de
départ.

Comme c’est le cas bien souvent en pédagogie, c’est en se gardant de


dérives opposées qu’on parviendra à trouver les positions d’équilibre. En
l’occurrence, il faut développer chez les élèves le goût de la prise de
risques : ils ne doivent pas rester paralysés parce qu’ils n’auraient pas
compris du premier coup. On ne comprend souvent bien les consignes
qu’en osant se lancer dans le travail. Mais, en même temps, il faut garder
tout le long du travail une vigilance critique vis-à-vis de soi-même, accepter
de remettre en cause le résultat qu’on a obtenu, et, à certains moments,
surseoir à l’exécution immédiate. Disons qu’il faudra inciter certains élèves

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Métacognition, remédiation

à l’action, et d’autres plutôt à la réflexion. On retrouve d’ailleurs les


mêmes situations avec des groupes d’adultes : certains attendent d’avoir
tout compris avant de démarrer, au risque de ne jamais démarrer, tandis
que d’autres se lancent trop vite et devraient davantage douter d’eux-
mêmes.
Ajoutons une autre dimension, évoquée plus haut. L’élève se doit aussi
d’aborder la consigne sans être paralysé par la peur de ne pas savoir (mais
aussi sans excès de confiance) : il doit apprendre à se méfier du trop facile,
mais aussi à ne pas voir des « pièges » partout. Il est vrai que, là aussi,
l’attitude du professeur en amont va être déterminante. Pourquoi ne pas
laisser les élèves entrer, par exemple, dans une tâche par quelques exer-
cices de respiration, de relaxation et de mise en confiance par quelques
paroles rassurantes ? On peut aisément appliquer ces préceptes en aide
individualisée. Bien entendu, cela concerne au plus haut point les élèves
ayant des difficultés particulières. Il faut notamment parvenir à leur
montrer que les consignes ne sont pas là pour les « piéger » comme nous
le disions plus haut. Relativiser l’erreur, ou plutôt en faire un véritable
outil pour apprendre est plus indispensable que jamais !

Reste qu’il n’y a pas un profil idéal de bon lecteur de consignes. S’il
existe des « je dois faire » incontournables, il y a des marges, des variables
individuelles, des « je peux » incontestables… Le rôle de la métacognition
peut être de faire découvrir ce qui va le mieux à chacun à l’intérieur de
quelques grands principes d’action. Rappelons qu’elle peut permettre à
l’individu à la fois de mieux connaître son « style cognitif » et d’agir en
connaissance de cause.
À cet égard, il est intéressant d’évoquer la psychologie différentielle et
les travaux sur les styles cognitifs et les systèmes de pilotage personnels.
Tout en restant prudents : le but n’est pas d’établir une typologie scien-
tifique ni d’hypostasier les différences. De même, il convient de ne pas
confondre ce que les élèves disent de leurs « préférences » et ce qui leur
va le mieux effectivement, et qui peut être contraire à leurs habitudes.
L’important n’est-il pas, au fond, de déclencher une réflexion sur les
manières de faire de chacun, le chemin étant plus important que le
but ?

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La métacognition dans les apprentissages : l’exemple de la compréhension des consignes

Quelques exemples de styles personnels d’apprentissage


en rapport avec les consignes12

– Les élèves « dépendants du champ » accordent une grande impor-


tance au vécu, à l’affectif. Ils risquent, en lisant un exercice, de trop
rester prisonniers des données concrètes, du contexte précis. La présen-
tation d’un exercice de maths sous forme de récit de la vie quoti-
dienne leur plaira, mais il y a danger que leur attention soit trop
orientée vers la situation concrète et non sur les opérations à mettre
en œuvre. Ils ont du mal à effectuer des exercices qui ne sont pas de
simples applications.

– Les élèves « indépendants du champ » s’abstraient facilement du


vécu et du contexte, parfois de façon excessive. Leur expérience pour-
rait parfois leur donner des indices, mais ils n’en tiennent pas assez
compte.

– Les « réflexifs » avancent avec prudence ; ils craignent l’erreur.


Qualité certes, mais également danger d’inefficacité, signe de perfec-
tionnisme excessif lorsque l’on demande de la rapidité (en situation
d’examen notamment, ou de prise de décision immédiate). Parfois un
peu d’audace, quitte à se tromper, serait utile. Il arrive que ces élèves
restent bloqués devant telle ou telle question au lieu de passer à la suite.

– Les « impulsifs » foncent « tête baissée ». Tant pis s’ils se trom-


pent ; ils n’aiment pas attendre. Leur impulsivité a du bon, mais il
leur faudrait un peu plus de réflexion, de méthode : des exercices qui
les contraignent à la rigueur, les obligeant à surseoir à l’effectuation
immédiate de la tâche leur seront utiles.

– Les « visuels » doivent se représenter mentalement l’exercice à


partir d’images. Il est utile pour eux de se remémorer le texte écrit
de l’exercice, voire de le réécrire, avec une représentation claire et
espacée. Il fait veiller à ce qu’ils fassent surgir les images mentales
pertinentes. Dans un devoir de maths, le visuel doit moins se repré-
senter d’éventuels personnages que les symboles dans le cas d’un

12. Typologie inspirée du travail de Jean-Pierre Astolfi, « Styles d’apprentissage et diffé-


renciation pédagogique », Cahiers Pédagogiques, n° 254-255, 1987, pp. 12-14.

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Métacognition, remédiation

énoncé « concret ». Ils ont une représentation globale de l’exercice et


ils risquent d’en oublier les détails, les enchaînements.

– Les « auditifs » (ou à stratégie plus verbale)13 se représentent


mieux l’exercice en se le répétant mentalement, en se souvenant de
l’énoncé oral du professeur ou en reformulant l’énoncé écrit avec
leurs propres mots, à l’oral. Ils utilisent une vision plus analytique,
reprenant point par point les enchaînements de l’exercice. Aussi
doivent-ils parallèlement travailler la représentation globale de
l’ensemble du travail demandé, car ce n’est pas leur point fort.

– Les « productifs » ont besoin de faire pour savoir faire. Trop de


réflexion préalable est impossible. On ne peut leur demander de passer
trop de temps à décortiquer la consigne avant d’agir, à lire avec préci-
sion la notice avant de se lancer dans le montage, à bien comprendre
la règle du jeu avant de jouer. On peut cependant leur faire prendre
conscience des vertus de l’observation. Leur seront profitables des
travaux de fabrication de consignes et de mises en situation.

– Les « consommateurs » apprennent en regardant. Ils profiteront


davantage des fiches conseils, de la présentation méthodologique du
professeur que les productifs. Ils pourront faire l’économie de certains
exercices du type « fabriquer des consignes » alors que des questions
d’observation de travaux réalisés ou de consignes leur conviendront
davantage.

– Les « conviviaux » (expression que j’adopte ici pour les besoins


de la cause) aiment le travail en groupe. On peut leur proposer des
exercices à plusieurs, on peut aussi en faire, à l’occasion, des « moni-
teurs » pour leurs camarades en difficulté. Bien entendu, il faut aussi
qu’ils réalisent des fiches individuelles et se dispensent du feed-back
permanent avec les pairs ou le professeur.

13. En réalité, nous ignorons encore la réelle validité de la distinction auditifs/visuels.


Des débats existent en ce domaine, opposant notamment Antoine de La Garanderie et Alain
Lieury, spécialiste de psychologie cognitive. Nous n’avons pas la prétention de trancher. Ce
qui est important, c’est que l’élève réfléchisse aux ressources qu’il utilise (ce qui peut
d’ailleurs être différent selon les matières).

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La métacognition dans les apprentissages : l’exemple de la compréhension des consignes

– Les « individualistes » aiment travailler seuls et découvrir par eux-


mêmes (cela rejoint l’indépendance par rapport au champ). On peut
leur montrer l’intérêt du travail de groupe, de la confrontation avec
les remarques de camarades, à l’occasion d’un exercice de fabrication
de consignes (ou de construction de la consigne manquante), mais à
petite dose et avec souplesse.

– Les « intensifs » se donnent à fond dans la tâche. Les obliger à


trop parcelliser leur travail reviendrait à les brimer. Ils fonctionnent
à plein régime au risque d’épuiser leur énergie. On pourra les aider
à planifier leur travail et à économiser leurs forces. Dans un devoir,
ils devront davantage percevoir l’essentiel, avoir une stratégie de réso-
lution plus fine, sérier les outils nécessaires pour le mener à bien.

– Les « économes » ménagent leurs forces. Ils sauront ne pas se


donner à fond pour n’importe quel exercice, hiérarchiser les diffi-
cultés auxquelles ils seront confrontés dans un exercice. À l’occasion,
il faut les pousser à « se donner » un peu plus.

En quoi la métacognition aide-t-elle à acquérir


des compétences de compréhension de consignes ?
Pour faire acquérir aux élèves les bonnes stratégies, les capacités
à comprendre assez facilement les consignes qu’on leur donne, pour les
conduire à devenir plus experts, quel rôle peut jouer la métacognition ?

Plusieurs pistes sont à explorer :


Certaines activités d’entraînement n’ont d’intérêt que si elles sont
menées à l’aide de la métacognition. Sans cela, le transfert est impos-
sible. Demander à des élèves de repérer des mots-clés, de chercher les
données manquantes dans un énoncé, de distinguer énoncés et consignes,
de retrouver une consigne d’après la réponse, tout cela n’a de chances
d’avoir un effet sur la compréhension ordinaire des consignes que si une
réflexion l’accompagne : « En quoi ce travail peut-il t’être utile ? Est-ce
que tu ne rencontres pas des situations semblables tous les jours ? Est-ce
que le fait d’inventer une consigne ne peut pas t’aider à mieux comprendre
ce que veut l’enseignant quand il te donne une consigne ? » Autant d’inter-
rogations qui invitent l’élève à comprendre qu’il faut effectuer un détour

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Métacognition, remédiation

réflexif pour être davantage capable au quotidien d’accomplir son métier


d’élève ordinaire. Les élèves en difficulté ont beaucoup plus de mal à s’en
convaincre. Les élèves de 3e qui rechignent à réfléchir aux questions ordi-
nairement posées au brevet, et réclament plutôt de faire et de refaire des
épreuves-tests, les élèves qui, au cours de séances d’aide au travail
personnel, préfèrent une batterie d’exercices à trous à un entraînement
à la compréhension de consignes, plus déconnectée en apparence du
travail scolaire, en sont les témoins.

Inventaire d’activités possibles pour apprendre


à mieux lire des consignes
• Proposer des énoncés comportant plus de données que nécessaire ;
faire identifier ces données inutiles.
• Proposer des énoncés avec des données manquantes indispen-
sables ; les faire reconnaître.
• Demander de formuler des consignes à partir de données.
• Faire surligner, ou souligner de couleurs différentes, données et
opérations à effectuer.
• Faire identifier le nombre d’étapes nécessaires à la résolution d’un
problème, ou, plus simplement, le nombre de consignes à effec-
tuer.
• Proposer une consigne, avec des extraits de travaux d’élèves corres-
pondants. Faire évaluer l’adéquation de ces extraits au travail
demandé.
• Demander de classer des questions sur un texte en fonction du
type de question (La réponse est-elle directement dans le texte,
ou faut-il l’interpréter, lire entre les lignes, chercher ou non la
réponse à la question en dehors du texte ? Etc.).
• Faire reformuler les consignes (les questions deviennent phrases
injonctives et inversement).
• Faire repérer des consignes dans un ensemble de textes injonc-
tifs ou non.
• Sur un énoncé donné, demander si certaines questions posées par
les élèves sont légitimes ou non (par exemple : « Faut-il souligner ?
A-t-on droit au livre ? En combien de lignes faut-il rédiger la
réponse ? Etc. »).

Mener ce type d’activités n’a de sens que si cela s’accompagne d’une


verbalisation et d’une explicitation. Or, parfois, des équipes utilisent ces

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La métacognition dans les apprentissages : l’exemple de la compréhension des consignes

activités comme des « batteries d’exercices » qui peuvent être aussi vides
de sens que les exercices à trous classiques de rabâchage qui ont fait la
preuve de leur inutilité. Et notre ouvrage Comprendre les énoncés et
consignes a pu, à son corps défendant, être utilisé de cette manière. Isoler
telle fiche, telle activité de son contexte global qui lui donne sens réduit
le travail sur les consignes à un apprentissage méthodologique qui naîtrait
de l’entraînement et de la répétition, et qui s’avère vite illusoire…
On doit, à tout moment, se poser la question de savoir si ce genre de
pratique aide vraiment les élèves qui ont justement le plus besoin d’aide,
ou favorise des élèves déjà autonomes, conscients de leur manière de
faire, capables de prendre du recul, habitués à un mode d’éducation où
la question du « pourquoi c’est comme ça ? » n’est pas incongrue, bien au
contraire, où la souplesse est érigée en valeur-clé.
Ce type de travail est désormais peu ou prou mis en œuvre par un
nombre grandissant d’enseignants, mais il doit s’inscrire dans le cadre
d’une pédagogie de maîtrise centrée sur la relation d’apprentissage ;
il ne peut qu’être exigeant et nécessite à la fois beaucoup de savoir-
faire, mais aussi de modestie de la part de l’enseignant qui doit accepter
les remises en cause permanentes de ses croyances et ambitions. Comme
le dit Philippe Perrenoud, il importe tout autant de « ne pas réinventer
la poudre et de s’inspirer des façons de faire qui ont fait leur preuve »
que de « réinventer la poudre, de récréer pour un groupe spécifique,
dans une situation singulière, des raisons d’adhérer, de réfléchir,
d’apprendre »14.

On ne surmontera l’obstacle que si l’on persévère, que si l’on explique


encore et encore, mais surtout que si l’on parvient à convaincre les élèves
que c’est profitable pour eux, ce qui n’est pas toujours simple car les
effets ne sont pas forcément à court terme. Il est cependant intéressant
de leur montrer que dans un domaine populaire comme le sport, le retour
après la compétition sur ce qui s’est passé, est de plus en plus fréquent.
On peut considérer qu’il s’agit là d’une forme de métacognition, accom-
pagnée pour le haut niveau par la vidéo et l’ordinateur.
Une autre manière d’agir consiste à revenir sur les erreurs commises par
les élèves. On s’efforce alors d’identifier celles qui proviennent d’une
mauvaise compréhension de consignes et on propose des remédiations. Il

14. « Rendre l’élève actif… c’est vite dit ! », Migrants Formation, n° 104, mars 1996, pp. 166-
181.

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Métacognition, remédiation

est important de pratiquer la métacognition collectivement, les élèves échan-


geant sur leurs démarches, leurs stratégies, leurs méthodes personnelles.
Reste l’utilisation de la métacognition in medias res, lorsqu’on est en
train de réaliser une tâche. On peut pratiquer des pauses réflexives en
demandant : « Regardez comment vous vous y êtes pris ; est-ce que vous
avez bien suivi les conseils vus précédemment pour lire les consignes ? Quels
risques d’erreur vous guettent ? Etc. » On peut échanger à l’oral là-dessus,
faire écrire, ou simplement demander à chacun de « réfléchir dans sa tête ».

Quelques questions métacognitives à l’adresse des élèves


lors d’un travail méthodologique sur les consignes

• Comment t’y es-tu pris ? Penses-tu avoir bien réussi ? Qu’est-ce


qui te fait dire ça ?
• Est-ce que la consigne que tu avais à exécuter t’était familière,
ou est-ce qu’elle t’a surpris ?
• Quelles difficultés as-tu rencontrées ? Qu’as-tu fait pour les
surmonter ?
• Est-ce que tu as utilisé des conseils vus auparavant ? Pourquoi ?
Qu’est-ce que tu pourrais réutiliser ailleurs ?
• Qu’est-ce qui t’aurait été utile pour faire ce travail ?
• Penses-tu réutiliser plus tard ce que l’on vient d’apprendre
ensemble ?
• As-tu repéré des façons personnelles de faire ? En quoi est-ce diffé-
rent de la manière de faire de tes camarades ?

Ce type de pense-bête n’est qu’un outil ; il doit être complété par l’habi-
leté professionnelle de l’enseignant qui posera les bonnes questions au
bon moment, qui évitera le style « interrogatoire de police » qu’on trouve
dans ce dessin de Pol Le Gall (voir page suivante), tiré du numéro « Aider
à travailler, aider à apprendre » des Cahiers pédagogiques (n° 336), où des
adultes se penchent sur un malheureux élève et l’assaillent de questions
(« Est-ce qu’il a parlé ? »).
À noter que les théoriciens de « l’entretien d’explicitation » insistent
sur l’importance de poser des questions commençant par « comment »
plutôt que par « pourquoi » (Sait-on toujours pourquoi on a dit ou écrit
telle ou telle chose ? Ne vaut-il pas mieux se demander comment on a
fait pour répondre, quelles procédures on a engagées, etc. ?).

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La métacognition dans les apprentissages : l’exemple de la compréhension des consignes

© Pol Le Gall
Obstacles à cette démarche, en particulier
dans l’enseignement spécialisé
De nombreux obstacles existent, nous l’avons déjà évoqué, pour
une mise en œuvre de la métacognition, en ce qui concerne la compré-
hension des consignes, comme pour d’autres thèmes d’apprentissage :
mémoriser des leçons, porter son attention sur l’objet d’apprentissage,
participer de manière pertinente à l’oral, s’organiser dans son travail, etc.
Ces obstacles sont liés aux élèves, mais également aux enseignants.
Actuellement, une pression existe pour le retour à une certaine auto-
matisation, en particulier pour les élèves les plus en difficulté. Le
« soutien » est davantage conçu comme un rabâchage, une reprise du
« même » plutôt que comme un retour réflexif sur les difficultés. On
critique, sur le plan de la lecture, des activités qui font appel au sens stra-
tégique pour mieux prôner le retour aux activités mécaniques « qui
auraient fait leurs preuves dans le passé ». Les enseignants sont tentés
par ce retour, car à court terme, faire remplir les trous d’un exercice de
Bled paraît plus rentable et demande beaucoup moins d’inventivité, de
psychologie, de sens de la communication (et de mille autres compé-
tences) qu’une mise en œuvre efficace de la métacognition. Il s’agit bien

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Métacognition, remédiation

de démontrer, face au chant des sirènes de la facilité, que cette exigence


intellectuelle forte que nous prônons, ce pari sur l’intelligence de l’élève
ne sont pas des élucubrations des sciences de l’éducation, et qu’elles sont
bien au service de la réussite de tous, même si les effets ne sont pas spec-
taculaires à court terme…
En même temps, il faut arriver à montrer qu’il est passionnant d’accom-
pagner un élève dans le cheminement intérieur qui l’amène à trouver ses
propres voies d’apprentissage, de l’aider à trouver les bonnes stratégies,
de l’amener à les confronter avec celles des autres, en instaurant des
moments de communication qui portent spécifiquement sur le savoir. Il
faut, et c’est la tâche difficile des formateurs, susciter le désir de ces
activités, qui font appel aux intelligences. Il est important de souligner
que tout cela n’est pas contradictoire avec l’acquisition d’automatismes,
qu’il y a là une juste combinaison à trouver. Les pédagogies nouvelles en
sont parfaitement conscientes et nul ne conteste sérieusement la néces-
sité de cette acquisition des « bons gestes » quasi automatiques, ceux qui
permettent d’alléger les tâches, et de libérer l’esprit pour des activités de
haut niveau.
Il ne faut pas cependant taire les obstacles liés aux élèves. Il faut
travailler, nous l’avons dit, la dimension motivation pour parvenir à
surmonter la peur qu’ils ressentent de se confronter à leur fonctionne-
ment cognitif. Apprendre tout de l’autre et non par soi-même paraît telle-
ment plus simple : « Dites-nous, monsieur, ce qu’il faut faire ! » Dans le
cas d’élèves relevant de l’enseignement spécialisé, cette attitude est encore
plus accentuée : la tentation de recourir à des tâches simples, réussies
aisément, la sous-estimation de la capacité des élèves à penser avec réflexi-
vité…, même si cela demande plus de patience, plus de temps, plus de
doigté de la part du professeur.

Dans des situations d’aide, il paraît en tout cas important de consacrer


du temps à un retour réflexif sur les travaux effectués, mais aussi d’anti-
ciper sur les travaux à faire, à partir de ce qui est demandé aux élèves :
de quoi disposent-ils pour faire leur travail ? Comment vont-ils être
évalués ? Qu’est-ce qu’on attend d’eux ? Etc. Il s’agit de travailler autour
des deux axes de la métacognition évoqués plus haut :
– aboutir à une meilleure connaissance, par les élèves, de leurs manières
de faire, de leurs difficultés, de leurs atouts aussi, en utilisant l’entretien
d’explicitation, en combinant oral et écrit, travail individuel et travail
collectif… Ce travail favorisera les transferts dans d’autres situations, grâce
à une certaine décontextualisation et généralisation ;

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La métacognition dans les apprentissages : l’exemple de la compréhension des consignes

– faire utiliser la métacognition comme moyen de régulation, de


contrôle, d’évaluation formative en cours de parcours. Les élèves seront
amenés à apprendre à comprendre et pas seulement à comprendre.

On soulignera l’intérêt de rendre l’élève actif dans ce genre de travail,


en lui faisant inventer des consignes et des questions métacognitives pour
d’autres.

Ajoutons encore que le travail sur les consignes doit également avoir
pour objectif d’aider l’élève à comprendre le sens de l’école. Les
consignes ne tombent pas du ciel, elles sont des moments de l’appren-
tissage. Encore faut-il que l’enseignant lui-même en soit convaincu et se
situe dans une perspective de formation de citoyens actifs et lucides. Dans
la vie future, le jeune sortant de l’école devra continuer à répondre à des
consignes, il devra aussi en saisir le sens (pourquoi faut-il voter, respecter
l’environnement ou suivre le code de la route ?) afin d’être un acteur et,
aussi peut-être, un auteur qui aura à réinventer des consignes (à parti-
ciper à l’élaboration de nouvelles règles). La manière dont l’école l’aura
aidé ou pas à se construire un rapport à la fois positif et critique (les
deux sont indispensables) aura des effets sur son futur. Et cela est d’une
importance toute particulière pour les enfants qui ont des difficultés spéci-
fiques d’intégration à la société.

Se former au travail sur les consignes


Il est essentiel que les enseignants de toutes disciplines et de tous
niveaux, se forment à la fois sur ce que représente la compréhension des
consignes dans le travail scolaire, et sur la manière d’utiliser la métaco-
gnition pour rendre les élèves plus efficaces. On est encore loin du compte.
En tout cas, cela passe par des dispositifs divers, dont on peut ici énumérer
quelques grandes catégories :

• Un travail sur les représentations que chacun se fait d’une


« bonne consigne » et surtout des qualités d’un « bon lecteur de
consignes » ; travail qui permet de démarrer sur le sujet en invento-
riant nombre de problèmes. On se rend compte, en particulier, que le
profil du bon lecteur oscille entre l’élève qui respecte bien les règles, se
conforme aux demandes, est attentif et rigoureux, et l’élève qui prend
du recul, sait faire preuve d’esprit critique, d’adaptabilité, de flexibilité.
Si un groupe de formés met trop l’accent sur l’un des deux types d’items,

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Métacognition, remédiation

sans doute pourra-t-on lui faire remarquer que la lecture de consignes


nécessite en fait tout autant de conformité que d’autonomie. Lorsqu’il
s’agit d’enseignement spécialisé, sans doute faut-il lutter contre la
tendance à l’assistanat et à supprimer les difficultés quand il faut au
contraire aider les élèves à les affronter vraiment…

• Des études de cas : analyser avec les élèves la raison pour laquelle
ces derniers ont commis telles erreurs, ou les aider à anticiper les diffi-
cultés qu’ils risquent de rencontrer, etc. On se rend compte qu’il peut y
avoir sous-estimation de ces difficultés (par exemple, la complexité
syntaxique de certaines consignes) comme surestimation (on imagine que
les élèves auront du mal avec telle formulation, en oubliant que le
contexte peut faciliter la compréhension). L’enseignement spécialisé est
souvent friand d’analyses cliniques (et possède sans doute une longueur
d’avance sur les autres !). Le positionnement de tel ou tel élève face à
une consigne scolaire est souvent un révélateur du comportement de
l’élève devant le savoir en général.

• Les mises en situation : organiser la confrontation des enseignants


avec des consignes parfois difficiles à bien comprendre, en particulier en
utilisant des consignes d’autres disciplines, peut être un atout majeur
pour une prise de conscience. Les codes implicites de telle ou telle matière
peuvent être ainsi mieux décelés et on voit là tout l’avantage de forma-
tions interdisciplinaires.

• La fabrication d’activités sur les consignes : les formés sont amenés


à réaliser, à partir d’exemples donnés par le formateur, des exercices
analogues (mais aussi à en inventer d’inédits). Une phase d’analyse critique
peut suivre et permettre de se poser la question à chaque fois de l’intérêt
de tel exercice, des conditions pour qu’il soit efficace… On ne fera prati-
quer la métacognition que si l’on commence par soi-même, en groupe
d’analyse de pratiques professionnelles.

• Le repérage des dérives possibles : à travers l’étude de textes théo-


riques, de travail sur les objections qui sont faites à un travail spécifique,
les formés sont amenés à inventorier ces dérives ou illusions. Croire que
tout le monde fait cela depuis longtemps est tout autant nuisible que
d’espérer des résultats rapides et spectaculaires grâce à un entraînement
systématique.

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La métacognition dans les apprentissages : l’exemple de la compréhension des consignes

Bref, un chantier passionnant reste à mettre en œuvre. Nous savons


bien que le travail sur les consignes ne se limite pas à la métacognition,
mais il s’agit là d’un terrain très révélateur, où l’on peut et l’on doit
exercer l’intelligence de l’élève pour qu’il trouve du sens à ce qu’on lui
demande, au lieu de se conformer à ce qu’« on lui dit de faire ». Peut-
être deux conceptions de l’école et du rapport au savoir sont-elles
présentes, sous-jacentes. Mon exposé laisse clairement entendre quelle est
la mienne.

Bibliographie
Zakhartchouk J.-M., Comprendre les énoncés et consignes, CRDP d’Amiens et
CRAP, 1999.
« Consignes : aider les élèves à décoder », Pratiques, n° 90, juin 1996, pp. 9-25.
« Les consignes au cœur de la classe », Repères, revue de l’INRP, dossier « les
outils de l’enseignement du français », n° 22, 2000, pp. 61-81.
« Les aider à comprendre les consignes », NRAIS, dossier « Réussir ses appren-
tissages à l’école et au collège », n° 25, 1er trimestre 2004, pp. 95-104.
« Quelques pistes pour “enseigner” la lecture de consignes », L’apprentissage
de la lecture, revue des HEP de Suisse romande et du Tessin, n° 1, 2004,
pp. 71-82.

Sur la métacognition :
– Les Cahiers pédagogiques (www.cahiers-pedagogiques.com).
– Dossier « Savoir, c’est pouvoir transférer », n° 408, novembre 2002.
– Apprendre, hors série 1998, pp. 58-75.

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Quel fondement
pour l’aide spécialisée
« psychopédagogique »
aux élèves en difficulté ?

Philippe Cormier

P roposer une autre référence théorique que la métacognition pour


fonder les pratiques d’aide spécialisée dite « à dominante pédagogique »1
n’a pas pour but de commettre un crime de « lèse-métacognition », ni de
remplacer une mode par une autre. La métacognition est et demeure un
concept nécessaire pour penser l’activité cognitive chez l’adulte comme
chez l’enfant. Mais – telle sera la thèse avancée ici – elle est insuffisante
pour comprendre les difficultés d’apprentissage et, surtout, pour fonder
une pratique d’aide, parce qu’elle ignore l’histoire du sujet. Aborder
de façon vraiment pertinente la question de savoir comment tel sujet
« fonctionne » exige de prendre en compte son histoire, autrement dit la
manière dont ses difficultés (autres que simplement passagères) se sont
« construites » en lui.
Le paradigme proposé ici, sous l’appellation quelque peu savante
d’« anamnèse cognitive », n’a donc pas d’autre utilité que d’aider les ensei-
gnants spécialisés à construire leur démarche d’aide en prenant en compte

1. Je pense à ce propos que la FNAME est fondée à les appeler psychopédagogiques. De


fait, elles ne sauraient se réduire à du soutien pédagogique ou, encore moins, à du rattra-
page, et elles supposent un détour pour se centrer non pas sur les contenus scolaires à
maîtriser mais sur le fonctionnement personnel de l’enfant-élève. Cette appellation pourrait
avoir le mérite de contribuer à forger une identité professionnelle de « psychopédagogue »
plus forte que n’a pu le faire jusqu’à présent la lettre « E » !

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Métacognition, remédiation

la dimension historique de la difficulté comme un fait essentiel, qui


empêche de l’aborder comme si elle n’avait pas de passé, d’histoire inscrite
dans le sujet. Comprendre que la façon de penser, d’aborder un problème
aujourd’hui, mobilise des schèmes passés sur lesquels l’enfant (n’ayant pu
en construire d’autres) est resté fixé, voilà qui peut modifier la démarche
d’aide en la fondant radicalement sur la façon de penser de l’enfant et
non sur une volonté et une méthodologie métacognitives qui risquent à
tout moment de s’avérer inadéquates par rapport aux moyens de pensée
réels de l’enfant.
L’effort métacognitif demandé peut se présenter comme la partie visible
de l’activité du sujet cognitif face à lui-même et rester impuissant, igno-
rant qu’il est du « lieu » où gisent véritablement ses difficultés. C’est pour-
quoi il importe, comme dans la maïeutique, de repartir de ses modes de
pensée tels qu’ils se sont construits et sédimentés au point de constituer
une espèce d’« inconscient cognitif » que la conscience cognitive ne suffit
pas à explorer et à décrypter, et, surtout, à faire « bouger ».
L’idée directrice poursuivie ici sera bien plutôt de permettre à chaque
élève de « régresser » vers ses modes de pensée profonds, effectifs (et non
pas surimprimés sous la pression d’apprentissages scolaires non maîtrisés).
Sur la base d’une telle « régression », il devient envisageable de mettre
en œuvre une activité à la fois cognitive et métacognitive sur mesure,
celle même de l’enfant, qui permette une « remontée » vers des construc-
tions plus opérantes. Il s’agit en quelque sorte d’introduire la dimension
d’histoire, propre au sujet, dans la métacognition, ce qui conduit inévi-
tablement à un remaniement des méthodologies d’inspiration métaco-
gnitive.
Je proposerai donc en premier lieu quelques réflexions critiques sur la
métacognition en tant que telle et sur son usage « psychopédagogique ».
En second lieu, je me centrerai sur ce qui me semble plus décisif pour
caractériser la démarche d’aide spécialisée, à savoir l’anamnèse cognitive.

La métacognition et son usage psychopédagogique


Le concept de métacognition
La métacognition est construite en référence au métalangage : il y
a un lexique, des énoncés qui portent sur le langage ; il y a un mot qui
désigne ce qui est « mot » dans la langue (le mot « mot ») et un mot pour
désigner chaque entité ou chaque fonction langagière. Bref, le langage
est capable de parler du langage. Il faut tout de suite remarquer que

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Quel fondement pour l’aide spécialisée « psychopédagogique » aux élèves en difficulté ?

ce métalangage est structurellement du langage, fonctionne dans la


langue, obéit à la même morphologie et à la même syntaxe que la langue.
Pour le parler, il faut parler la langue. Il y a donc, plutôt qu’un méta-
langage, une fonction métalinguistique du langage, plus ou moins déve-
loppée dans chaque langue2.

Le métalangage permet deux choses fondamentales : parler de la langue,


comme on vient de le voir, mais aussi parler de celui qui parle, ou plutôt
permettre à celui qui parle de se parler, de se dire, de dire que c’est lui ;
d’être, et, pour cela, de se dire, sujet de sa parole. Car il faut pouvoir se
le dire pour l’être, et pour cela, il faut pouvoir dire je, autrement dit
pouvoir s’assigner soi-même dans la fonction sujet, au sens grammatical
du terme. Pour pouvoir « faire de la grammaire », parler de la langue, il
faut être dans la langue, et, pour cela, être un sujet qui peut se dire,
s’exprimer à la première personne. Concrètement, je (sujet ontologique)
est celui qui peut dire je (sujet grammatical). L’accès à la parole est la
condition de la maîtrise du langage, et non l’inverse… Lacan dit à juste
titre que l’homme est un « parlêtre », un être de parole, et il ne le serait
pas sans cette fameuse fonction métalinguistique. Or, on ne saurait parler
de sujet cognitif et, a fortiori, de sujet métacognitif sans envisager la
constitution première du sujet comme tel.
Cela nous indique ce que peut être la position initiale d’un enseignant
spécialisé : ne pas se précipiter sur « l’apprenant » mais remettre en valeur
le sujet, se centrer sur l’élève en tant que sujet (celui qui s’éprouve soi-
même comme vivant – éprouvant ce qu’il vit), l’aider à advenir comme
sujet de sa propre expérience, capable de la dire, de la « parler ». C’est
seulement une fois la cognition reconnue comme une expérience subjec-
tive, donc personnelle, que l’on pourra commencer à prendre en compte
le fait que ce sujet est aussi un « sujet cognitif apprenant ».

La métacognition dans la perspective du métalangage


Il ne suffit pas de « penser à haute voix », de se formuler à soi-
même ce qu’on est en train de faire, de parler de… pour être « techni-
quement » dans la métacognition. Encore faut-il que cette parole parle

2. De même, pour notre propos, il faudra avoir à l’esprit que la métacognition est inhé-
rente à la cognition. Il y a dans la pensée humaine une dimension et une fonction méta-
cognitives de la cognition, et non pas une activité métacognitive qui pourrait exister à côté
de l’activité cognitive elle-même (auquel cas, on entre dans la réflexion méthodologique).

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Métacognition, remédiation

cognition, c’est-à-dire énonce un tant soit peu les opérations (au sens
cognitif) mises en œuvre dans le traitement d’un problème, et pas simple-
ment les procédures employées3. Je dis un tant soit peu, car, bien sûr, il
n’y a pas qu’un seul niveau d’énonciation métacognitive traduisant une
conscience (méta)cognitive plus ou moins élaborée : un enfant n’aura pas
la même compétence métacognitive qu’un enseignant spécialisé qui a
étudié les processus d’apprentissage !
Si je demande à un élève ce qu’il fait :
– « Je lis », répond l’élève.
– « Qu’est-ce que tu fais quand tu lis ? »
– « Je fais attention à ce qui est écrit. »
– « C’est quoi, faire attention ? »
– « Je me concentre, je regarde bien… Je pense à une image dans ma
tête… »
L’élève me montre qu’il a une certaine conscience cognitive, mais
complètement indéterminée quant à son objet ou son contenu. La
conscience de l’activité est présente, mais ce qu’est cette activité de lire
reste inconnu. La conscience que l’on a d’un phénomène psychologique
ne donne en effet aucune connaissance sur la nature de ce phénomène.
L’acte de lire implique une activité mentale complexe, et il ne suffit
pas d’attirer l’attention de l’enfant sur ce qui lui est plus ou moins acces-
sible, à savoir :
– la conscience supposée du genre d’activité (lire). Celle-ci correspond
en réalité à une représentation très vague de ce qu’est l’acte de lire, ainsi
que de la réalité de l’écriture ;
– la conscience qu’il se passe « des choses dans la tête » (parce qu’on
l’a dit à l’enfant, lequel est bien loin d’en avoir la même conscience que
l’adulte qui lui en parle). Sur ces « choses », on met des étiquettes, comme
« faire attention », « imaginer ». Mais qu’est-ce qu’imaginer ? Qu’est-ce que
je fais quand je fais attention ? Et je dois faire attention à quoi ? Pourquoi,
quelquefois, je n’y arrive pas ? Comment est-ce que je peux savoir ce qui
se passe dans ma tête ?
On voit que le guidage métacognitif reste impuissant à aider l’enfant,
parce qu’il ne porte pas sur le contenu de l’activité cognitive elle-même,
et que celle-ci reste inaccessible au sujet. L’enfant a certes une conscience
élémentaire de soi comme sujet de l’activité, mais cette conscience n’a
pas vraiment de contenu métacognitif, de sorte qu’une sollicitation méta-
cognitive qui ne vient pas de lui mais qui lui est suggérée, voire imposée

3. Je reviendrai sur la distinction processus/procédure, pp. 174-177.

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Quel fondement pour l’aide spécialisée « psychopédagogique » aux élèves en difficulté ?

de manière trop artificielle, ne l’aide pas forcément… sinon à le distraire


du problème auquel il a déjà bien du mal à s’appliquer ! En disant cela,
je ne dis pas qu’à certains moments, on ne va pas l’aider en lui posant
des questions qui vont le guider en facilitant la prise de conscience d’un
élément ou d’un lien dans le problème ; mais il s’agit là tout simplement
de l’étayage métacognitif (réflexif) de la procédure de résolution, sans
qu’il soit nécessaire d’en expliciter ni la nature ni le contenu formelle-
ment métacognitifs. Si l’on veut bien remettre les choses à l’endroit, mieux
vaut accompagner l’enfant dans sa démarche cognitive avant de se soucier
de métacognition.

Voilà qui nous permet de faire un pas de plus pour mieux comprendre
le contenu de la métacognition, en nous centrant sur la dimension de
raisonnement inhérente à toutes les situations d’apprentissage, de construc-
tion de savoirs et de construction de compétences intellectuelles (et pas
simplement pratiques). Considérons, par exemple, le petit problème
suivant (on excusera son faible intérêt pédagogique).

J’ai 5 roses et 4 tulipes. J’enlève 2 tulipes : combien reste-t-il de tulipes ?


J’enlève (les) 5 roses : combien reste-t-il de roses ? Etc. (On peut bien sûr
varier et multiplier les questions.)

C’est le traitement du problème par chaque enfant qui est à analyser.


Chacun peut dire ce qu’il a fait, mais cela n’est vraiment instructif que
dans la mesure où ce qu’il dit ou montre est révélateur des représenta-
tions, des concepts et des processus logiques mobilisés (le raisonnement,
les opérations intellectuelles) et, plus largement, de sa manière propre
de « traiter l’information ». L’élève peut « oublier » une donnée, ne pas
« entendre » la question ou en entendre une autre. De tels micro-événe-
ments cognitifs sont révélateurs de son fonctionnement mental personnel,
par exemple de sa difficulté à analyser (décomposer) et à inclure (« fleurs »
est un mot absent de l’énoncé, mais l’enfant peut implicitement « penser
à », se représenter des fleurs plutôt que des roses et des tulipes) ; ou encore
de sa difficulté à déduire (si… [j’ajoute, j’enlève…] x de y qui appartient
à z…, alors…), etc.
On remarquera ici que la structure formelle (logico-conceptuelle) du
problème est un indicateur éclairant de sa complexité, autrement dit de
ce qu’il y a à comprendre. Elle doit par conséquent nous servir de réfé-
rence, de pierre de touche, pour analyser ensuite la démarche intellec-
tuelle mise en œuvre par l’enfant, les processus mentaux mobilisés (et

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Métacognition, remédiation

pas simplement les procédures techniques employées), en référence à leur


contenu : l’analyse des processus ne saurait aller sans une analyse du
contenu épistémique, logico-conceptuel, de la situation-problème.

Procédure et processus
Par rapport au contenu de l’activité et à l’activité elle-même, procé-
dure et processus sont à distinguer. L’enfant peut décrire, plus ou moins
fidèlement, la suite des gestes ou des opérations techniques effectués
(« J’ai enlevé 2 fleurs » ; « J’ai mis le signe plus » ; « J’ai fait la soustraction
des deux chiffres ici » ; « J’ai mis –ent à la fin »…). Cela ne veut pas dire
qu’il soit en mesure d’expliciter les processus mentaux, autrement dit les
représentations, les concepts et la logique opératoire, la suite des opéra-
tions mentales mises en œuvre.

Les procédures
Parler des procédures peut s’envisager à deux niveaux :
– Répondre, par exemple, à la question « Et là, qu’est-ce que tu fais de
ça ? » permet à l’enfant, au moyen du langage et à certains moments de
l’activité (par exemple, lorsque l’on fait une pause pour prendre du recul),
de faire des liens ponctuels, de prendre conscience de certains détails
dans la chaîne opératoire. C’est utile : j’insiste, dans la mesure où cela
représente un guidage-accompagnement (non directif, puisqu’il ne
fournit pas d’éléments de réponse) et, par suite, un étayage cognitif
non négligeable.
– Mais être capable de répondre à la question « Comment as-tu fait ? »,
être capable de rendre compte d’une procédure dans son ensemble
suppose le problème résolu, donc que l’enfant a compris et qu’il sait faire.
Nous pouvons alors parler de compétence ou de maîtrise opératoire : c’est
lorsque l’on a vraiment compris que l’on peut expliquer ce qu’on a compris
et comment on a fait, à condition de maîtriser suffisamment le langage
correspondant à la procédure. Une telle performance prend valeur de
renforcement a posteriori de la confiance en soi et de la conscience cogni-
tive. En revanche, ce genre de question (« Comment as-tu fait ? ») n’aide
le processus de compréhension (tant qu’il est en chantier, inachevé et se
heurte à des obstacles) que dans la mesure où l’on accepte de suivre
patiemment l’enfant dans son tâtonnement, sans chercher à le diriger
vers « la » réponse et en sachant bien qu’il est encore loin de la maîtrise
opératoire qu’elle suppose.

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Quel fondement pour l’aide spécialisée « psychopédagogique » aux élèves en difficulté ?

C’est pourquoi demander a priori à un élève en difficulté, comme un


préalable euristique, d’expliciter ses démarches mentales, alors qu’il n’en
a peut-être tout simplement pas à sa disposition, ou qu’il s’y perd, le moins
qu’on puisse dire est que cela peut le mettre en « métadifficulté » – osons
le terme ! – au lieu de l’aider à trouver. Cela peut être une vraie violence
qu’involontairement on lui fait, si bien qu’il va, par exemple, chercher à
s’en sortir en récitant la « langue de bois » qu’on lui a apprise, par exemple :
« Avant d’écrire, je réfléchis dans ma tête » ; « Je ne dessine pas tout, je
ne dessine que ce qui est important dans l’énoncé ». La difficulté est préci-
sément de savoir ce qui est important (pertinent) dans l’énoncé… Là-
dessus, le point de vue de l’enfant peut être très éloigné de l’attente du
maître et de son guidage méthodologique. En outre, il ne suffit pas de
désigner une démarche mentale pour atteindre son contenu opéra-
toire (articuler ce qui est cognitif avec ce qui est métacognitif).
Il convient donc, ici, de ne pas assimiler guidage méthodologique (éven-
tuellement sur un plan supposé métacognitif) au niveau procédural,
gestion mentale4, et métacognition (en tout état de cause, on se situe à
un bas niveau métacognitif). Le mieux que l’on puisse faire est de s’en
tenir à l’idée d’accompagnement ou de guidage non directif (qui ne
parasite pas le cheminement propre à chaque élève, dans l’ici et le main-
tenant de l’activité) ; rester prudent avec la requête métacognitive, en
quelque sorte dirigée au moyen de consignes méthodologiques qui
risquent d’être inadaptées à la fois au regard de la singularité de la pensée
de chaque enfant et de la singularité de la situation. Il importe assuré-
ment de respecter et même de solliciter le niveau métacognitif d’auto-
régulation des opérations de la pensée, mais, j’insiste, dans l’activité
cognitive elle-même et non en amont ou à côté, comme si l’on redoutait
de se confronter au registre cognitif lui-même.

Les processus
À la différence des procédures (induites par le contenu explicite de
la situation–problème, le langage, les techniques, les règles, la présenta-
tion utilisés, etc.), les processus mentaux se situent au niveau opératoire
de la pensée, essentiellement conceptuelle et logique (mais impliquant aussi,
bien entendu, des représentations, des images mentales). On dira que les

4. La gestion mentale peut être définie comme un effort métacognitif, volontaire et


méthodique.

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Métacognition, remédiation

procédures pratiques et les techniques de résolution supposent des


processus mentaux, des enchaînements opératoires proprement cognitifs.
Ce niveau d’activité implique bien une composante métacognitive (des
opérations portant sur les opérations) : l’esprit tâtonne, fait des hypo-
thèses (« Si je… »), les abandonne, induit, déduit, inclut, exclut, essaye
un rapport au moyen d’une catégorie5 (par exemple, tel élément sur lequel
l’attention se fixe est « plus grand que » tel autre, « fait partie de… », etc.) ;
l’esprit fait tel ou tel lien, correct ou non, et ce travail s’effectue de
manière tellement rapide que le sujet ne peut en avoir une conscience
claire et distincte. Cela ne va pas sans une certaine conscience ou réflexi-
vité sporadiquement métacognitive verbalisée mentalement : sans que le
sujet se le dise en le faisant. D’une part, en effet, la pensée ne peut pas
agir sans le savoir et sans s’autoréguler réflexivement ; mais, d’autre part,
il faut bien dire qu’elle n’a qu’une très faible conscience de ses propres
processus. Faible mais plus ou moins suffisante, car la régulation
consciente ne se fait qu’aux entrées et aux sorties de processus opéra-
toires largement inconscients et automatiques, et d’une complexité
extrême. De même qu’il n’est pas nécessaire d’avoir conscience du
processus de digestion pour digérer, de même il n’est pas nécessaire (ni
possible) de penser consciemment à tout ce que l’on pense pour penser…

Si l’on se fixe trop vite sur la réflexivité métacognitive (qui, de toute


façon, existe comme fait de conscience spontané), on perturbe l’activité
cognitive (y compris métacognitive) spontanée, et cela entrave la compré-
hension de la situation-problème à laquelle la pensée s’applique. D’un
autre côté, il est certain que la pensée a constamment besoin d’examiner
tel contenu d’un concept ou telle opération (logique) établissant tel ou
tel rapport au moyen de telle ou telle catégorie, pour progresser dans la
résolution. Le risque pour le maître est d’être tenté de penser trop vite
à la place de l’élève ou de l’aider au niveau de la procédure, ou en amont,
en quelque sorte préventivement, par des consignes méthodologiques,
alors que c’est à penser (et dans sa pensée en action) qu’il faut l’aider.

On l’aura compris, le travail premier du maître spécialisé ne consiste


pas tant à intervenir, à diriger l’élève, qu’à le suivre en essayant de saisir

5. Ici, catégorie est à prendre au sens d’outil de jugement (pour établir des rapports entre
des éléments). Par exemple, « plus (grand) que/plus (petit) que » est une catégorie qui me
permet de comparer la grandeur des objets, donc de porter des jugements de grandeur (en
grec, catégorein signifie juger). La catégorie n’est pas le concept d’un objet mais d’un rapport.

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Quel fondement pour l’aide spécialisée « psychopédagogique » aux élèves en difficulté ?

quelque chose de ses représentations et de son cheminement opératoire


(logique et conceptuel). C’est ainsi qu’il pourra l’aider à partir de et dans
ce cheminement même (en accompagnant sa façon de penser). Le mieux
est donc de laisser les élèves un peu tranquilles, en se disant : « Oui, il y
a bien de la métacognition dans ce cheminement, mais de toute façon
celui-ci est tout à fait singulier, propre à chacun (chacun a un fonction-
nement cognitif singulier), et qui plus est, propre à la situation ». Il
importe à la fois de soutenir et de faire confiance à l’activité cognitive
propre des élèves, y compris dans sa composante métacognitive.
Ce qu’il faut craindre en revanche, c’est qu’un guidage intempestif
(sous couvert de « maîtrise des méthodes et des techniques de travail »
et de « prise de conscience des manières de faire qui conduisent à la réus-
site »6) parasite l’activité cognitive et, qui plus est, constitue involontai-
rement un prétexte pour contourner cette dernière. On peut craindre
qu’un tel guidage trop directif et inducteur masque mal :
– soit l’anxiété du maître chargé de l’aide (et, derrière lui, de tous ceux
qui sont dans l’attente d’un résultat) ;
– soit la volonté de maîtrise (la volonté de faire progresser l’élève vite
et à tout prix) ;
– ou encore un certain contournement des processus cognitifs.
Alors que l’essentiel de la démarche d’aide se situe au contraire dans
le respect que l’on doit accorder au départ à la façon de penser de l’enfant,
telle qu’il nous la donne à voir et à entendre séance après séance, et telle
que son évolution ne peut être ni anticipée ni programmée ; car même
si cela agace, en particulier les autorités, chaque élève ne peut rien
apprendre ni comprendre mieux ni plus vite qu’il ne peut. On peut savoir
où l’on veut l’emmener, mais l’on ne peut pas maîtriser du dehors ses
processus internes7.

6. Circulaire 2002-113, B.O. n° 19 du 9 mai 2002, § II.3.


7. Je profite de cette première conclusion pour faire un petit point sur le concept de
« méthode ». Étymologiquement, la méthode (méta-odos) est le regard rétrospectif que l’on
jette sur le chemin parcouru, dans l’après-coup. Ce regard, qui donne l’idée qu’il y a un
cheminement, aide à poursuivre ; mais il ne donne pas vraiment de recette pour la prochaine
étape qui reste à parcourir, qui est une avancée dans l’inconnu, vers un nouvel inconnu à
découvrir. C’est en parcourant le sentier qu’on le trace ; c’est en se retournant qu’on le voit.
Il est illusoire de penser que la méthode puisse vraiment précéder l’action. Elle va bien
plutôt se forger au fur et à mesure.

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Métacognition, remédiation

Pour une démarche qui prenne en compte l’histoire


de la construction cognitive
J’en arrive au second volet de mon propos : la métacognition ne
permet pas à elle seule de remonter à l’origine de ce qui est difficile et
qui met l’élève en difficulté ou en échec. Cette remontée vers l’origine
– anamnèse – suppose la prise en compte de la dimension d’histoire cogni-
tive, autrement dit de la genèse des difficultés actuelles.

Quand on en reste à des démarches de remédiation portant directe-


ment et sans détour sur ce qui bloque ou est difficile du côté des contenus
d’apprentissage, que ce soit ou non à grand renfort de métacognition et
de conflit sociocognitif (certainement utile et même important mais insuf-
fisant, et qui peut en tout état de cause se pratiquer dans la classe, dans
le cadre de la pédagogie interactive la plus ordinaire) :
– premièrement, on n’interroge pas suffisamment, comme on l’a vu,
la nature cognitive de la difficulté, ce qui suppose de remonter du
symptôme (la performance de l’enfant face à un contenu scolaire
donné) à la structure cognitive (logico-conceptuelle) qui se trouve être
chez lui non opératoire et par suite non opérationnelle, non efficiente
(en tenant le plus grand compte de ses représentations, de sa culture,
de son monde personnel). Prendre au sérieux l’activité cognitive, opéra-
toire, de l’élève, implique de mettre en œuvre une démarche rigou-
reusement clinique, telle que Piaget l’a initiée, qui ne vise pas
l’acquisition d’un contenu mais l’activité du sujet et dans laquelle la
métacognition a bien sûr tout naturellement sa place. Une telle
démarche s’oppose à la démarche didactique caractéristique de l’ensei-
gnement ordinaire en classe.
– deuxièmement, en confrontant de nouveau l’enfant, sans détour suffi-
sant et sécurisant, à ce qui est devenu difficile, voire désormais doulou-
reux pour lui, on risque à tout moment de renforcer les blocages, les
inhibitions cognitives : l’élève se sent de nouveau confronté, à son corps
défendant, aux mêmes difficultés qu’auparavant. Il convient donc d’éviter
l’acharnement cognitif ou métacognitif lié à la répétition des situations
qui ont produit l’échec.
– enfin et surtout, on néglige trop le fait que la cognition a une histoire,
autrement dit que l’enfant, depuis sa naissance, s’est construit des façons
de penser, de se représenter, de concevoir, de faire des liens ou d’établir
des rapports, bref qu’il s’est construit une « boîte à outils » cognitive qui
se révèle au cours du temps de plus en plus mal opérante (sinon, il ne

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Quel fondement pour l’aide spécialisée « psychopédagogique » aux élèves en difficulté ?

serait pas aujourd’hui en difficulté). Elle représente pourtant sa façon à


lui d’essayer de s’en sortir, ou de se protéger de la violence de ce qu’on
lui demande et qui le dépasse, l’affole. Il cherche alors son salut dans la
fuite, l’évitement, ou en se réfugiant dans des stéréotypes, des façons de
penser en quelque sorte gelées. L’élève en difficulté reste attaché à des
schèmes opératoires et à des représentations qui n’ont pas évolué et qui
sont devenus inadaptés aux attentes présentes.

Si, par conséquent, un élève est en difficulté dans un type de situa-


tion-problème ou de contenu d’apprentissage, il ne sert à rien de
s’acharner en se fixant sur l’objet de la difficulté. La difficulté n’est pas
dans l’objet ou le contenu de la difficulté, mais dans une construction
qui s’avère aujourd’hui insuffisante, défaillante, ou dans un déficit de
construction du côté du sujet ; et cette construction a une histoire. Il faut
donc commencer par se demander, non seulement fonctionnellement
mais également historiquement comment il peut en être là. Mais comme
le cerveau de l’enfant n’est pas transparent, comment le savoir ? Et l’enfant
lui-même ne peut pas davantage comprendre pourquoi il n’y arrive pas
(il commencerait alors peut-être à y arriver…). L’histoire qui fait qu’il en
est arrivé là est tout aussi opaque pour lui que pour les autres, y compris
pour le maître spécialisé !

Pourtant, c’est l’enfant, et lui seul, qui va être capable de nous emmener
là où il est en difficulté en lui-même, dans son fonctionnement personnel,
même si, naturellement, il ne sait pas où, ni pourquoi, ni comment il est
en difficulté : c’est ce fonctionnement personnel même qui va nous y
conduire, à condition que nous le laissions nous le montrer… L’essentiel,
pour le maître spécialisé, est alors de suivre l’enfant dans ses méandres
et dans son brouillard cognitif, de l’accompagner pas à pas dans son
cheminement personnel. Au psychopédagogue clinicien d’apprendre de
l’enfant comment il pense, sans trop le lui demander a priori, sans lui
demander « comment il doit faire » pour y arriver.

Cela suppose un certain renversement méthodologique : l’abandon de


toute prétention didactique visant l’acquisition de nouveaux contenus ;
l’abandon d’un guidage méthodologique directif. En revanche, cela
requiert un dispositif, un cadre et du matériel ou des supports variés
(papier et crayon, tableau, bien sûr, ressources documentaires, livres,
dictionnaires, encyclopédies, mais aussi jeux logiques, jeux de société, jeux
de cartes, jeux à règles… et même, pourquoi pas, un ordinateur)

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Métacognition, remédiation

permettant aux élèves de faire marcher leur pensée en toute sécurité,


de façon à rencontrer, le moment venu, les difficultés là où elles gisent
en eux.
Prenons par comparaison l’exemple des peurs, des angoisses, des inhi-
bitions. On ne parvient pas à les lever en essayant de redresser le compor-
tement par un effort systématique, de style cognitivo-comportemental,
car la souffrance qui est à l’origine d’une angoisse ira se loger ailleurs,
ira s’exprimer autrement, dans un nouveau symptôme. Que l’on veuille
ou non traiter le symptôme (cela peut être accessoirement légitime),
l’important est d’abord que la souffrance se sente entendue, donc écoutée.
L’enjeu est alors de pouvoir aider le sujet à signifier cette souffrance, à
la rendre représentable, donc à aller à sa rencontre, et l’on sait qu’elle a
une histoire : une telle démarche représente de fait une espèce d’archéo-
logie personnelle, d’exploration de soi, de remontée dans la mémoire
inconsciente, dans le passé du sujet – et seul le sujet lui-même peut faire
ce travail sur soi, ce travail de soi. C’est ce que signifie ici anamnèse :
faire mémoire, se livrer à un travail de mémoire, à une remontée dans
sa propre histoire, dans sa propre construction. Cette mémoire ou anam-
nèse ne se fait que si elle se sent entendue, reçue par quelqu’un. C’est
l’enjeu d’une relation d’aide, étant entendu que le maître spécialisé est
un professionnel de la relation d’aide.
Il en va tout à fait de même dans le domaine cognitif. Là aussi, nous
avons affaire à une construction historique qui s’exprime dans un présent
symptomatique fait de représentations, de schèmes, de stratégies. Il faut
donc suivre l’enfant pour qu’il nous conduise, ou, plutôt, pour qu’il se
conduise lui-même vers lui-même, vers les nœuds non dénoués, les struc-
tures à remanier… Permettre des remaniements cognitifs, tel me semble
être le travail d’aide spécialisée de type « psychopédagogique ». C’est pour-
quoi le contenu est accessoire ; c’est pourquoi les situations-problèmes,
les activités proposées ou choisies par les élèves ne sont que des supports
ou des médiations sans finalité didactique.
Seuls importent vraiment :
– le rapport de l’enfant au contenu, ce que sa façon de faire signifie
de ses modes de pensée ;
– le moment opportun, le kaïros, et, par conséquent, la durée qui lui
laisse le temps de re-trouver, à sa vitesse à lui, ce qu’il n’avait pas eu le
temps de comprendre. En re-prenant, en ayant l’occasion d’une re-prise,
l’enfant trouve la possibilité, en toute sécurité, d’une re-construction, d’un
remaniement d’une structure qui, à un moment donné, s’était construite
de manière défaillante ou insuffisante et sur laquelle il est resté car le

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Quel fondement pour l’aide spécialisée « psychopédagogique » aux élèves en difficulté ?

cours ultérieur des apprentissages ne lui avait pas permis les accommo-
dations nécessaires. L’élève en difficulté reste fixé sur des modes de pensée
dans lesquels il se réfugie car, autour de lui, tout va trop vite, tout est
trop compliqué pour lui.
Les difficultés en lecture au CP renvoient ainsi largement à la manière
dont l’enfant s’est construit une représentation et une certaine concep-
tion de l’écrit depuis qu’il est tout petit, comme le montrent, par exemple,
les travaux d’Emilia Ferreiro. Avec un élève qui rencontre des difficultés
en lecture, il convient d’éviter de se fixer sur ses difficultés pour, à travers
toutes sortes de supports (langagiers ou non), le suivre dans sa façon de
les éviter ou de les aborder et d’en faire quelque chose, autrement dit
de les ré-élaborer. Le contenu d’une séance d’aide n’est donc pas program-
mable : seul le cadre et, à un moindre degré, les supports sont prévisibles.
On peut bien mettre par écrit le diagnostic, les objectifs (établis en concer-
tation avec le maître de la classe) et les moyens (démarche, supports),
mais c’est bien tout, et cela suffit ! Le maître chargé de l’aide spécialisé
doit réussir à se détacher de la prégnance du contenu qui, dans la rela-
tion d’aide, risque toujours de faire écran entre lui et les élèves.
C’est ainsi que :
– chaque enfant va apprendre au maître spécialisé, lui laisser décou-
vrir peu à peu, au détour du chemin, ses façons de penser, là où préci-
sément elles sont bloquées ;
– l’enfant va lui-même rencontrer ses propres difficultés, enfouies en
lui et non maîtrisées. Il ne peut les résoudre qu’à sa propre vitesse et
avec ses propres outils (mais justement, en les modifiant pour l’occasion).
C’est ainsi qu’il va pouvoir devenir « sujet » de ses difficultés au lieu de
les subir.
Ce travail d’auto-reconstruction ne peut être que stimulé par les inter-
actions cognitives dans un groupe accompagné par le maître spécialisé,
lequel peut demander des explications, pointer des « oublis », poser des
questions…
Loin d’être systématiquement interventionniste (pour telle difficulté,
on applique telle remédiation), l’aide spécialisée doit aussi donner l’occa-
sion de mettre en place un dispositif avec des supports ouverts permet-
tant à chacun, même dans un groupe, même avec un support commun
et des interactions, de reconstruire, à sa propre vitesse et dans sa propre
tête, son rapport personnel, singulier, à des objets de savoir. En cela, elle
n’est jamais didactique, et ne saurait viser de nouvelles acquisitions (qui
restent de la responsabilité du maître de la classe). Elle ne peut être
méthodologique qu’a posteriori, dans l’après-coup, certainement pas a

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Métacognition, remédiation

priori. L’objet du travail d’aide n’est donc nullement l’objet du savoir en


tant que tel, mais la construction personnelle de l’enfant face à cet objet
(sachant que cette construction a une histoire largement inconsciente sur
laquelle il faut permettre à l’enfant de revenir). On ne lui demandera
évidemment pas de chercher de manière consciente à retrouver ses façons
de penser « passées » ; on se contentera d’œuvrer au présent, dans le vécu
actuel de l’enfant en situation.

Ainsi, à la différence d’un simple étayage (soutien) qui peut se faire


au quotidien dans la classe, l’aide spécialisée suppose une pause et un
détour nécessaires dans le cours des apprentissages, le temps d’un
retour en arrière. Elle implique une mise en suspens du programme et
des progressions (là précisément où l’élève s’est trouvé en difficulté) afin
de permettre une centration complète sur l’élève et non sur les contenus :
ce travail de retour et de reprise ne peut être réalisé dans la classe, en
restant en prise et aux prises avec les progressions et les contenus dont
il s’agit, au contraire, de se déprendre temporairement. Est requis un
espace propre qui garantisse un temps propre, lequel ne saurait être que
le temps de l’élève.

Un élève, par exemple, qui ne fait pas de lien opératoire (et de fait,
ce lien est très complexe) entre l’oral et l’écrit est peut-être un enfant
qui n’a pas encore différencié l’énoncé et le sens de l’énoncé, le contenu
sémantique et la forme verbale. Le signifiant et le signifié demeurent
« collés » pour lui. S’il ne peut séparer le contenu sémantique de l’énon-
ciation orale et, par suite, ne peut l’investir dans l’énonciation graphique :
– soit il relève d’une aide à la séparation symbolique et affective (et
une telle aide ne saurait être « à dominante pédagogique ») ;
– soit il va pouvoir explorer sans peur, dans un cadre sécurisant, le va-
et-vient entre « ce que je dis, je peux le dire, mais aussi l’écrire ; ce qui
est écrit, on peut le dire en parlant ; ces petits signes dessinés sont de
l’écriture qui dit quelque chose ». La tâche du psychopédagogue sera de
créer les conditions de cette exploration.
Sans la réversibilité entre le code oral et le code écrit impliquant la
conservation du signifié, l’enfant ne peut pas entrer dans la compréhen-
sion de l’écrit ; il reste dans l’oralité préopératoire, dans une structure de
pensée archaïque. Pour savoir où il en est, il faut se mettre à l’école de
l’enfant, mais aussi disposer pour cela d’une théorie suffisante du déve-
loppement cognitif. Ce sont ces deux composantes qui font un bon clini-
cien du rapport au savoir.

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Quel fondement pour l’aide spécialisée « psychopédagogique » aux élèves en difficulté ?

On ne peut pas forcer une pensée préopératoire à devenir réversible,


mais, à l’inverse de ce qui se passe dans le cursus scolaire, on peut, dans
le cadre de l’aide spécialisée, permettre à l’élève de régresser, autrement
dit de revenir et de réaccéder à des modes de pensée plus archaïques,
plus primitifs, plus « enfantins », voire infantiles : les siens, réels mais
ignorés, écrasés sous la demande scolaire. C’est en les redécouvrant qu’il
va pouvoir repartir ; c’est sur eux qu’il va pouvoir se réassurer, prendre
appui, parce qu’à l’époque (pour rester dans l’exemple précédent) l’indif-
férenciation entre signifiant et signifié n’était pas encore une source de
confusion, de difficulté, de découragement, d’image de soi négative.

Autrement dit, on ne peut pas construire sans se demander ce qu’il y


a « en dessous », sans s’interroger sur la date des fondations, et sans essayer
d’y revenir. Cette démarche est donc un peu une machine à remonter le
temps : le temps de l’enfant, son histoire subjective. Or l’histoire person-
nelle subjective est l’histoire en partie inconsciente de la construction
d’un sujet qui s’éprouve soi-même, qui sent, qui vit dans un monde : son
monde à lui.
Cette histoire n’est pas qu’une histoire affective et relationnelle, bien
que ce soit très important (c’est pourquoi la relation d’aide même « à
dominante pédagogique » ou « psychopédagogique » est et reste d’abord
une relation). Cette histoire est aussi une histoire cognitive qui est, par
conséquent, aussi celle d’une conscience et d’un inconscient cognitifs.
C’est fondamentalement sur la base de cette prise en compte de l’élève
en tant que sujet de son histoire (en l’occurrence cognitive) que l’aide
spécialisée me semble pertinente. Cela n’implique absolument pas de tout
savoir du sujet et de son histoire, car c’est inutile et impossible : il suffit
de savoir que « ça » existe, et c’est au moins à cela que sert la théorie…
Ensuite, il ne reste plus au maître spécialisé qu’à se mettre à l’écoute et
à l’école de celui qui vit et qui a vécu cette histoire, en lui donnant le
temps d’en remonter le fil. Ce faisant, il lui donnera une nouvelle chance
de se reconstruire : l’aide spécialisée est une nouvelle chance pour chaque
élève en difficulté.

Bibliographie
Andler D., Introduction aux sciences cognitives, Paris, Gallimard, 1992.
Barth B.-M., L’Apprentissage de l’abstraction, Paris, Retz, 1987.
Dor J., Introduction à la lecture de Lacan, Paris, Denoël, 1985-1992.

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Métacognition, remédiation

Ferreiro E., Lire – écrire à l’école : comment s’y apprennent-ils ?, Lyon, CRDP de
Lyon, 1998.
Flavell J. H., « Développement métacognitif », in J. Bideaud et M. Richelle,
Psychologie développementale, problèmes et réalité. Hommage à P. Oléron,
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Apprendre à comprendre :
pas de métacognition
sans cognition

Sylvie Cèbe

L e texte officiel qui définit les missions assignées aux enseignants spécia-
lisés stipule que leur intervention « doit permettre la prévention des diffi-
cultés d’apprentissage ou de leur aggravation et favoriser la réussite
scolaire des élèves »1. Le même texte précise que le maître E doit apporter
« son concours aux équipes pédagogiques pour l’analyse et le traitement
des situations scolaires qui peuvent faire obstacle au bon déroulement
des apprentissages des élèves. Il contribue, avec les autres enseignants, à
identifier les besoins éducatifs particuliers de certains élèves et favorise
autant que possible la mise en œuvre dans les classes d’“actions péda-
gogiques différenciées et adaptées permettant d’y répondre” »2. La tâche
qui échoit aux maîtres E pourrait donc être paraphrasée ainsi : rendre
possible (ou de nouveau possible) le travail et l’apprentissage des élèves
dans leur classe d’origine, autrement dit, leur permettre de suivre la classe
en bénéficiant des tâches proposées à tous. Si l’on s’accorde sur le bien-
fondé de cet objectif, il nous semble que le consensus disparaît dès lors
que l’on s’interroge sur les moyens à employer pour y parvenir.

Régularités, diversités et singularités


En préambule, nous tenons à dire qu’il est, plus que jamais, essen-
tiel de ne pas déstabiliser l’identité professionnelle des maîtres et

1. BOEN spécial n° 4 du 26 février 2004.


2. Ibidem.

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Métacognition, remédiation

maîtresses E en les transformant en « médecins de la pédagogie », spécia-


listes des « dys… quelque chose ». Le but premier de leur travail n’est pas
de soigner ni même de réparer, de remédier, de préserver ou de prévenir :
c’est d’abord et avant tout d’enseigner, d’aider les élèves à acquérir les
compétences critiques qui sous-tendent la réussite scolaire et l’améliora-
tion du développement que l’école ordinaire, en l’état actuel de ses
pratiques, peine encore à faire acquérir aux élèves les moins familiers de
l’univers scolaire.

Si l’éducation spécialisée doit apporter des réponses concrètes aux diffi-


cultés des élèves « à besoins éducatifs particuliers », il nous semble égale-
ment qu’il faut renoncer à une conception qui inscrirait la prise en charge
dans une logique de réponse individuelle, logique qui ferait du métier de
maître E un « métier impossible » car elle vouerait toute entreprise collec-
tive (même en petit groupe) à l’échec sauf à défendre une modalité de
prise en charge elle aussi singulière. Nous n’avons pas fait, en France, le
choix politique du préceptorat généralisé ; on finirait presque par l’oublier.
C’est pourquoi nous considérons que les discours sur l’évaluation sont
contre-productifs s’ils attirent trop l’attention des maîtres sur l’élève singu-
lier, ses compétences et son histoire, s’ils laissent entendre qu’une péda-
gogie spécialisée ne peut que s’appuyer sur des bilans débouchant sur des
remédiations individualisées ou, plus précisément, personnalisées (cf. la
logique des PPAP – Programmes personnalisés d’aide et de progrès –,
puis des PPRE – Programmes personnalisés de réussite éducative3). Il ne
nous paraît pas pertinent de tenter de (re)fonder le métier des maîtres
E sur un traitement « sur mesure » des difficultés des élèves : ce serait les
renvoyer, par avance, à leur impuissance et dévaloriser leurs principaux
outils de travail (qui sont, le plus souvent, des outils à usage collectif).
Nous pensons plus utile de les aider à identifier :
– les ressemblances interindividuelles : ce qui est régulier ou invariant
dans le développement des enfants et dans leurs processus d’apprentis-
sage ;
– la temporalité et l’ordre (partiel) dans lequel s’apprennent ou se
construisent, habituellement, les connaissances des enfants, ce qui est
normal, au triple sens développemental, statistique et social du terme, et
ce qui ne l’est pas.

3. Voir JO du 25 août 2005 et BO n° 31 du 1er septembre 2005.

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Apprendre à comprendre : pas de métacognition sans cognition

Ce n’est, en effet, que sur la base de ce qui est « régulier », requis et


déterminant pour la suite des apprentissages que le maître E peut plani-
fier son activité et la réguler. C’est aussi sur cette base qu’il peut orga-
niser un enseignement collectif en petit groupe en n’évacuant ni les savoirs
ni la singularité du sujet. La connaissance de ces régularités permet de
porter une réelle attention aux enfants comme personnes toujours singu-
lières, si l’on admet que régularité n’est pas synonyme d’uniformité : et
c’est bien parce qu’il sait identifier ce que les élèves ont en commun que
le maître E peut cerner leur part de singularité (et leurs difficultés spéci-
fiques), s’y intéresser et intervenir. Tous les maîtres savent à quel point
il existe des écarts de performance entre les élèves d’une même classe.
Mais tous savent aussi qu’il n’y a pas, pour autant, cinquante manières
d’apprendre. C’est pourquoi nous préférons appréhender la difficulté
scolaire comme un décalage temporel4, un « retard » développemental
plutôt que comme une caractéristique de l’enfant. C’est un fait, certains
élèves ne sont pas capables de réaliser ce que la grande majorité de leurs
camarades savent faire six ou douze mois plus tôt, et sont très vite mis
hors jeu de la plupart des activités scolaires dans leur classe. Ceci posé,
reste à savoir comment intervenir dans le cadre de la prise en charge « à
dominante pédagogique ».

Quelle(s) place(s), quel(s) rôle(s) pour le maître E ?


De nombreux travaux et les observations que nous avons faites
dans des classes ordinaires5 ont mis en évidence que l’école requiert
souvent des compétences et des procédures cognitives qu’elle n’enseigne
pas, ou pas assez, ou qu’elle enseigne à un moment donné et n’enseigne
plus ensuite. À ceci, plusieurs raisons : un certain nombre d’apprentis-
sages sont « naturalisés » par les enseignants un peu comme s’ils allaient
de soi, comme s’ils allaient « sans dire », parce que, pour le plus grand
nombre d’élèves, ils ont été construits ailleurs (le plus souvent dans les

4. À ce sujet, rappelons que l’enquête de l’inspection générale de l’Éducation nationale


confirme que « les enfants qui sont nés en fin d’année civile sont plus fréquemment pris en
charge que ceux qui sont nés au début de l’année civile ; ces enfants de moindre maturité
peut-être, conséquence de leur âge, voient ainsi une différence de développement banale,
que le maître de la classe devrait prendre en compte, convertie en difficulté » (Ferrier, 1998).
5. Voir l’étude que nous réalisons actuellement dans le cadre du Réseau « Recherches
sur la socialisation, l’enseignement, les inégalités et les différenciations dans les apprentis-
sages » (RESEIDA).

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Métacognition, remédiation

familles). En outre, les difficultés rencontrées par les élèves les moins
avancés sont souvent masquées par la réussite du groupe et l’on en vient
à considérer comme acquises par tous des connaissances qui, de fait, font
encore défaut à certain(e)s. D’autres compétences font bien l’objet d’un
enseignement à un moment donné du parcours scolaire mais ne le sont
plus ensuite. Aussi les élèves qui n’auront pas réussi à profiter de cet
enseignement au bon moment n’auront-ils plus jamais l’occasion de le
faire ensuite. On ne peut pas véritablement en faire grief aux ensei-
gnants ordinaires, contraints par les exigences des programmes, du
collectif, des grands effectifs, etc. : « On ne peut pas tout faire, encore
moins tout refaire ! »
Les maîtres E qui enseignent plus intensément, qui offrent une réponse
adaptée aux élèves qui ont besoin de plus d’explications, de plus de temps,
de plus de « redescriptions6 », de plus de tâches, de plus d’entraînements,
de plus d’aides et de plus de guidages pour arriver aux mêmes résultats
que leurs camarades sont donc, pour nous, le dernier rempart contre
l’échec scolaire précoce.

Identité professionnelle, spécificités, spécialités,


spécialisations
On pourrait légitimement nous opposer qu’il est contradictoire
de charger les enseignants spécialisés de l’enseignement de compétences
communes. En adoptant cette position, ne court-on pas à la perte de
l’identité professionnelle des enseignants spécialisés et à leur transfor-
mation en « maîtres de soutien » ? Nous ne le pensons pas : les évalua-
tions récentes de notre système éducatif permettent de soutenir que si
les maîtres E ne relèvent pas ce défi, personne ne le fera, et que l’on
continuera d’observer que les élèves en échec à l’entrée du CE2 l’étaient
déjà à la sortie de la grande section et le sont encore à la fin du CM2.
Bien entendu, il ne s’agit pas d’inféoder les pratiques des maîtres E aux
formes pédagogiques de l’école élémentaire : il s’agit de ne faire
l’impasse sur aucun contenu décisif. Et c’est bien une marque de profes-
sionnalisme que de ne pas réduire l’offre éducative : les maîtres E ne
sont pas seulement des spécialistes de la relation pédagogique ; leur
professionnalisme repose sur leur capacité à enseigner autrement. Et
l’observation montre que les maîtres E experts visent tous un objectif

6. Terme que nous empruntons aux travaux de Karmiloff-Smith (1992, 1994).

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Apprendre à comprendre : pas de métacognition sans cognition

prioritaire : rendre possible les apprentissages proposés dans la classe


ordinaire. Pour cela, ils sont au plus près des enseignements effectués
dans la classe d’origine des élèves et des apprentissages réalisés ; ils se
centrent sur les compétences critiques qui font défaut et qui empêchent
l’élève de profiter des enseignements dispensés dans la classe, donc
d’apprendre.

Se pose ici la légitime question professionnelle du transfert. Tous les


enseignants se demandent comment aider l’élève à comprendre que les
apprentissages qu’il réalise dans un contexte donné (la classe d’adap-
tation, par exemple) peuvent être utilisés dans un autre (la classe ordi-
naire, la vie quotidienne…), et inversement. La réponse la plus
immédiate et la plus triviale tient en un mot : la métacognition. On
sait en effet que la prise de conscience des mécanismes (ou des procé-
dures) utilisés dans la résolution d’un problème améliore les capacités
à résoudre d’autres problèmes du même type. Mais cette réponse nous
paraît insuffisante si elle amène les maîtres spécialisés à centrer direc-
tement leurs interventions sur l’enseignement de compétences méta-
cognitives. Il nous semble en effet que l’on est souvent trop pressé de
chercher le transfert sans avoir garanti que les connaissances ou les
procédures cibles de l’enseignement ont « bien » été apprises (au sens
de comprises) par les élèves. À la question de savoir « quelle est la place
de la métacognition dans l’aide pédagogique7 », nous répondons : la
seconde, juste après la cognition ! C’est ainsi qu’il faut comprendre le
titre que nous avons donné à cette contribution : « Pas de métacogni-
tion sans cognition ».

Reste à savoir comment s’y prendre, en classe ou en regroupement


d’adaptation, pour améliorer la qualité du développement cognitif. Voici
ce que nous proposons.

Apprendre à comprendre ce que l’on sait réussir


La littérature scientifique consacrée aux jeunes enfants invite à
constater que ces derniers ont, dans leur grande majorité, recours à des
types de fonctionnement plus guidés par les contenus des tâches que par
leur logique interne, et plus centrés sur la réussite, la performance, le

7. Intitulé du 3e congrès de la FNAME, Angers, novembre 2005.

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Métacognition, remédiation

résultat que sur la recherche de l’opération à mobiliser et la compré-


hension. Cette modalité fonctionnelle, qui demande peu d’attention, se
révèle suffisante quand l’apprentissage ne demande qu’un faible niveau
de prise de conscience. Mais elle ne conduit qu’à ce que Karmiloff-Smith
(1992) appelle « une maîtrise procédurale » ou à ce que Vergnaud (1996)
désigne comme « une réussite en acte », c’est-à-dire des compétences effi-
caces mais qui restent implicites (et donc peu flexibles et peu transfé-
rables). Quand il devient chronique, ce type de fonctionnement, qui
permet de réussir mais ne permet pas de comprendre, prend une part
non négligeable dans la formation des difficultés d’apprentissage tout au
long du développement.

De là vient notre conviction que si l’aide pédagogique peut et doit user


de moyens variés pour répondre à la multiplicité des causes, elle doit, en
bout de course, contribuer à développer la compréhension, améliorer la
qualité du fonctionnement cognitif et permettre l’acquisition des capa-
cités qui sous-tendent son autorégulation (ou son contrôle). C’est aussi le
parti pris par le ministère de l’Éducation nationale lorsqu’en 1991, il a
demandé aux enseignants de travailler à la construction de compétences
dites « transversales », et ce, dès l’école maternelle afin d’aider les élèves
à construire : 1. des concepts fondamentaux (comparaison, catégorisation,
sériation, dénombrement…) impliqués dans un grand nombre de tâches
scolaires ; 2. des stratégies relativement générales qui assurent une effi-
cacité minimale au traitement (prendre et trier l’information, émettre des
suppositions, planifier, organiser, contrôler, évaluer, corriger…).

Mais la prescription s’arrête là et si l’on enjoint bien aux enseignants


de faire construire lesdites compétences, aucun texte officiel (ni celui-ci,
ni les suivants) ne statue sur les pratiques d’enseignement ou les
méthodes pédagogiques capables de les faire apprendre. Autrement dit,
même à supposer que les maîtres E sont convaincus du bien-fondé d’une
telle injonction, ils ignorent le plus souvent comment s’y prendre. Dans
cette perspective, deux pistes méritent d’être explorées : l’une consiste à
montrer qu’il est possible de gérer autrement les tâches qu’ils ont l’habi-
tude de demander à leurs élèves ; l’autre à proposer de nouvelles tâches
explicitement conçues pour développer la compréhension et l’améliora-
tion du fonctionnement. C’est cette seconde voie que nous allons d’abord
explorer en présentant, à titre d’exemple, l’un des outils que nous avons
construits : Catégoriser des catégories (Paour, Cèbe et Goigoux, en prépa-
ration, sortie prévue en 2007, Hatier). Puis, nous nous appuierons sur

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Apprendre à comprendre : pas de métacognition sans cognition

cet exemple pour présenter nos options théoriques, didactiques et péda-


gogiques. Enfin, nous dirons comment nous avons essayé d’appliquer ces
principes dans la conception d’un autre outil, Phono (Goigoux, Cèbe et
Paour, 2004), qui vise le développement de la conscience phonologique.

Un exemple d’outil : catégoriser des catégories


Catégoriser des catégories est un outil destiné aux maîtres E qui
cherchent à développer la conceptualisation, par les élèves, des procé-
dures impliquées dans les activités de catégorisation. Si celles-ci sont
requises dans le traitement de nombreuses tâches scolaires de l’école
élémentaire, elles font rarement l’objet d’un apprentissage en tant que
tel. Or, l’observation montre que les élèves les moins performants
échouent parfois dans le traitement des tâches proposées dans la plupart
des disciplines (mathématiques, français, sciences et vie de la terre…)
parce qu’ils ne dominent pas la logique de la catégorisation. C’est ce
constat qui a présidé à la conception de cet instrument : doter les maîtres
d’un outil capable de faire construire aux élèves un ensemble de procé-
dures efficaces dans le domaine de la catégorisation et de les amener
ensuite à en prendre conscience.

Réussir à catégoriser ne suffit pas : réussir n’est pas comprendre


Pour construire cet outil, nous nous sommes appuyés sur les
travaux menés en psychologie du développement de l’enfant, qui permet-
tent de soutenir que le développement cognitif prend naissance dans la
formation d’un répertoire de procédures efficaces. Grâce aux expériences
qu’il fait sur le monde, l’enfant acquiert progressivement des suites orga-
nisées d’actions (ou des procédures) qui lui permettent de réussir. Grâce
à elles, il parvient à comparer des objets, à les trier et à les catégoriser.
Mais réussir n’est pas comprendre. Et si l’enfant de 3/4 ans réussit à caté-
goriser et sait qu’il a réussi, il ne sait pas expliquer les règles qu’il a utili-
sées ni la suite des opérations qui l’ont amené à la bonne réponse.
Contrairement à ce que l’on pense souvent, il ne s’agit pas seulement
d’un problème de connaissances, de vocabulaire ou de langage. Même
les enfants « qui parlent bien » ne savent pas expliciter la manière dont
ils s’y sont pris pour atteindre le résultat parce qu’ils ne l’ont pas compris.
Autrement dit, ils ont réussi mais sans comprendre. Et cela ne les gêne
pas tant que la procédure les amène au résultat attendu et qu’ils se
contentent du succès (l’absence de compréhension ne rend pas leur action
moins efficace).

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Métacognition, remédiation

Tout va bien, donc, tant que la situation est familière, que les contenus
sont connus et que la perception n’est pas trompeuse. Mais dès que la
situation change ou que la solution exige une modification de leurs procé-
dures, le problème devient intraitable. En conséquence, une procédure,
même si elle réussit, est inopérante à long terme pour celui qui ne la
comprend pas.

Réussir pour comprendre : le rôle de l’explicitation


C’est pourquoi, on s’accorde aujourd’hui pour penser qu’une
bonne partie du développement consiste à amener les enfants à dégager
(ou à expliciter) la logique implicite contenue dans leurs procédures
efficaces. Certains enfants le font spontanément parce qu’ils veulent
comprendre, mais d’autres se contentent de réussir : le processus d’expli-
citation n’a rien d’automatique et n’est pas une conséquence obligée
de l’action, de la réussite ou du jeu. Il résulte nécessairement d’un trai-
tement actif par l’enfant.

Pour cela, nous pensons qu’il ne suffit pas de laisser les enfants agir
librement, de modifier les supports de leur activité ou de leur faire refaire
les mêmes exercices en se bornant à augmenter le nombre de détails :
il faut les aider à comprendre les raisons de leur réussite en les amenant
à déplacer leur attention du résultat de leur action (leur performance,
le tri réalisé) à la manière dont ils l’ont atteint, c’est-à-dire la procédure
elle-même. Même si l’on a montré que le jeune enfant est capable, assez
tôt, de produire des catégories taxonomiques (quand il rassemble des
animaux ou des fruits, par exemple), il nous paraît raisonnable de penser
qu’il s’appuie toujours sur des schémas pour les construire (en regrou-
pant, par exemple, les fruits du compotier, les animaux d’un livre
d’images ou d’un dessin animé). Le jeune enfant qui regroupe des images
d’animaux puis désigne son regroupement par l’étiquette « des animaux »
n’est pas conscient de la nature des relations catégorielles qu’il vient
d’utiliser, ni de la manière dont les catégories qu’il connaît et qu’il utilise
sont organisées. Le plus souvent, le jeune enfant ne planifie pas son
rangement (il ne se fixe pas une règle dès le départ) ; il se laisse guider
par ce qu’il voit et se demande, après coup, quelle est la propriété
commune aux éléments rassemblés. Ce n’est qu’après avoir rangé les
éléments qu’il peut énoncer sa règle de tri et expliquer pourquoi ces
éléments « vont bien ensemble ». De surcroît, même lorsque la règle lui
« saute aux yeux », ses verbalisations ne correspondent pas toujours au

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Apprendre à comprendre : pas de métacognition sans cognition

contenu de ses tris. Les connaissances catégorielles du jeune enfant


demeurent longtemps lacunaires, et les frontières de ces catégories sont
floues et donc perméables. C’est pourquoi, il accepte facilement l’intro-
duction d’intrus si ceux-ci partagent un point commun avec l’un des
membres de la catégorie qu’il a constituée (ainsi il n’hésite pas à ranger
la chemise dans la catégorie « êtres humains » ou la cage dans la caté-
gorie « animaux »). C’est pour la même raison qu’il refuse de mettre le
loup dans la boîte des « animaux ». Il sait bien que le loup est un animal,
mais il sait aussi que c’est un animal dangereux qu’il ne peut raisonna-
blement introduire dans une boîte où il a déjà rangé le cochon dodu, le
tendre lapin et l’innocent mouton ! À 4 ans, il n’est pas facile de tenir
une logique de catégorisation quand la « vraie vie » vient la contredire ;
pas facile de se centrer sur la seule dimension cognitive du langage sans
prendre en compte sa dimension affective.

Tant que les jeunes enfants n’ont pas compris la logique des procé-
dures qu’ils manipulent, ils ne peuvent pas utiliser leurs connaissances
de façon flexible. Ainsi par exemple, lorsqu’on présente à des enfants de
4 ans un ensemble d’images qui représentent des exemplaires de trois
catégories taxonomiques (humains, animaux et véhicules) que l’on peut
également insérer dans deux schémas connus (celui de la plage et celui
de la ferme), ils ont du mal à adopter successivement deux règles de tri
différentes. Bref, si les jeunes enfants savent bien trier, ranger, catégo-
riser, il s’agit davantage d’une maîtrise de type procédural (savoir-faire,
réussite en actes) que d’une compréhension conceptuelle de leur activité :
la difficulté à anticiper les tris, à les expliciter en les nommant, à modi-
fier les tris réalisés, à trouver d’autres tris possibles, à justifier les intrus,
à utiliser leurs connaissances catégorielles de manière stratégique (pour
planifier ou pour mémoriser, par exemple) en atteste.

Comment déplacer l’attention des élèves du résultat


à la compréhension de la procédure ?
À partir de 4/5 ans, il est important de tout mettre en œuvre pour
les inciter à différer leur action, pour leur apprendre à s’arrêter sur les
propriétés des objets (tailles, formes, couleurs, fonctions, etc.) et à
examiner les stratégies qui rendent cette action efficace, en d’autres termes
à découvrir par quels mécanismes ils sont arrivés à la bonne solution.
Une fois ce type de logique dominé, l’enfant peut entreprendre n’importe
quelle tâche analogue, de quelque manière qu’on l’habille : par exemple,

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Métacognition, remédiation

passer de la catégorisation d’objets à la catégorisation de mots, de sons,


d’images, de nombres…

La difficulté ou l’art de la pédagogie va donc consister à déplacer


l’attention de l’élève de la réalisation de sa procédure (en l’occurrence,
le résultat du tri) à la compréhension de sa procédure. Sur ce point,
nous nous démarquons des applications pédagogiques naïves du modèle
piagétien puisque, pour nous, ce n’est pas l’action qui est le moteur du
développement mais la prise de conscience de ses propriétés. Nous
pensons, en outre, que donner un matériel à trier (faire faire des tris)
est de peu d’intérêt : on ne voit pas le bénéfice que l’élève retirerait à
activer une procédure qu’il maîtrise déjà bien. D’autre part, les ensei-
gnants connaissent les difficultés que l’on rencontre quand on cherche
à faire expliquer aux élèves comment ils ont procédé une fois que la
procédure a été mise en œuvre. C’est pourquoi nous avons cherché à
imaginer des situations où la procédure à traiter est le moyen pour
résoudre la tâche et non le but.

Présentation de l’outil « Catégoriser des catégories »


Cet instrument poursuit deux objectifs : faire construire un concept
de catégorie et d’appartenance catégorielle flexible et relativement
détaché des extensions des catégories particulières que l’enfant connaît ;
induire le développement de prises de conscience relatives aux conduites
de catégorisation et à l’autorégulation du fonctionnement.
Les activités proposées ont pour but de faire comprendre aux élèves :
1. que tout item est porteur d’une multitude de propriétés en fonction
desquelles il peut être apparié à une multitude d’autres items ; 2. qu’un
groupe d’items donné peut faire l’objet d’une multitude de regroupe-
ments selon les propriétés prises en compte ; 3. que l’étendue d’un grou-
pement est définie par une règle.
Les onze leçons qui composent l’instrument s’organisent en deux
grandes étapes qui se différencient par rapport au degré de conceptuali-
sation de la catégorisation.

Présentation des activités : 11 semaines d’intervention


Le prétexte de toutes les activités présentes dans l’outil consiste à
demander aux élèves d’aider l’enseignant à terminer un rangement. Pour
cela, ils sont mis face à des boîtes fermées par un couvercle (ils n’en
voient donc pas les contenus) :

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Apprendre à comprendre : pas de métacognition sans cognition

– la première (BT pour « Boîte triée ») contient le rangement commencé


(mais non fini) par l’enseignant ;
– la deuxième (BNT pour « Boîte non triée ») contient les items (objets
réels, images, photos…) qu’il faudra ranger une fois la règle de tri décou-
verte ;
– la troisième (FT pour « Fourre-tout ») recevra ceux qui ne corres-
pondent pas à la règle de tri et qu’il faudra jeter.

Les élèves savent que l’enseignant a fait un bon rangement : la boîte


BT ne contient que des items (objets réels, photos, dessins…) qui vont
bien ensemble. Puisqu’ils ne peuvent voir qu’un seul item à la fois, les
élèves vont devoir utiliser ce qu’ils savent des propriétés des objets et
des catégories pour déduire le contenu des boîtes en fonction des items
sortis successivement : si l’item est un chien, que peut-il y avoir d’autre
avec lui ? Il y a bien des chances pour que les enfants ne donnent pas
la même réponse : l’un dira des animaux, un autre des chiens, un troi-
sième une niche… À ce stade, tout est possible, sauf ce qui, de l’avis du
groupe (supervisé par l’enseignant), ne pourrait vraiment pas se trouver
associé à un chien ! Celui-ci retourne dans la boîte dont on sort… une
vache. Sachant maintenant qu’il y a un chien et une vache, que peuvent
dire les élèves du contenu de la boîte ? Toujours des animaux, peut-être
la ferme ou les animaux de la ferme mais pas seulement des chiens. La
vache retourne dans la boîte dont on sort… un tracteur. Sachant main-
tenant qu’il y a un chien, une vache et un tracteur, que peuvent dire
les élèves du contenu de la boîte ? Toujours la ferme, mais plus seule-
ment des animaux de la ferme et plus du tout des animaux « parce que
le tracteur, c’est pas un animaux ; on a trouvé, c’est la règle “Ferme” ».
On incite les élèves à vérifier leur règle en piochant un item supplé-
mentaire (une fermière) et on inscrit la règle « Ferme » à l’aide d’une
pince à linge.

On voit comment, d’un tirage à l’autre, les élèves sont amenés à utiliser
leurs connaissances catégorielles pour trouver une règle de tri compatible
avec chacun des éléments déjà tirés. Précisons que l’important n’est pas
la découverte de la règle elle-même mais la mobilisation des connaissances
catégorielles mises en œuvre et la prise en compte du contenu de la boîte,
qui permettent de découvrir la règle (et non de trier) et la prise de
conscience des procédures efficaces. Notons d’ailleurs que les élèves
n’auraient aucun mal à la déceler si on leur présentait d’emblée le contenu
de la boîte. Dans ce cas, l’activité n’aurait pas d’autre intérêt que de révéler

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Métacognition, remédiation

s’ils connaissent ou non la catégorie en question et ne leur donnerait pas


l’occasion d’exploiter leurs connaissances de manière réflexive : pour rejeter
les réponses antérieures à la découverte d’un nouvel item, il faut en effet
mobiliser la compréhension qu’une catégorie est organisée par une règle.
D’autre part, cette activité aide les élèves à prendre conscience de la diver-
sité des propriétés portées par un objet, propriétés sur la base desquelles
on peut imaginer une grande variété de tris possibles8.

Une fois la règle découverte, les élèves sont ensuite amenés à pour-
suivre le tri en s’occupant de vider la boîte BNT et de ranger les items
à leur place. Ceux qui correspondent à la règle de tri (râteau, clapier,
poule) seront placés dans la boîte BT, les autres (lion, immeuble, requin)
dans la boîte FT. Chaque élève tire une carte, annonce dans quelle boîte
il compte la ranger et explique systématiquement son choix. Les autres
élèves valident ou invalident son choix. Cette activité donne lieu à des
échanges souvent instructifs et animés quand, par exemple, un élève
décide de ranger l’image « cage » dans la boîte « animaux » parce que
celle-ci contient un canari, la carte « pneu » dans la catégorie « véhicule »
ou une poupée dans la catégorie « êtres humains »…

Plus spécifiquement, l’outil peut être décomposé en trois sous-parties.


Dans un premier temps (semaines 1 à 4), on cherche à familiariser les
élèves avec le dispositif et à centrer leur attention sur les procédures de
catégorisation : l’enseignant commence par leur faire prendre conscience
des différences entre les termes ranger et trier, puis introduit le dispositif
« boîtes » (BT, NT et FT). On cherche ensuite à faire prendre conscience
aux élèves qu’en cherchant à savoir pourquoi plusieurs objets vont tous
bien ensemble, on peut trouver une règle de tri (un critère, une caté-
gorie) qui permet de donner un nom à l’ensemble. On centre aussi l’atten-
tion des élèves sur le fait que, pour réaliser correctement un tri, il faut
se souvenir de la règle qu’on a choisie et ne ranger dans la boîte que les
objets qui la respectent sans se laisser tromper par ceux qui, s’ils peuvent
« bien aller » avec l’un des éléments rangés dans la boîte, ne respectent

8. Précisons que ce sont les élèves qui décident quand il faut arrêter de sortir les objets
de la boîte, c’est-à-dire quand ils pensent que tout nouveau tirage ne modifiera plus leur
compréhension du contenu de la boîte. Cette caractéristique a une conséquence métaco-
gnitive importante : dans nos activités, c’est toujours aux élèves qu’il revient de dire quand
ils sont sûrs d’avoir fini, et de faire connaître leur critère d’arrêt.

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Apprendre à comprendre : pas de métacognition sans cognition

cependant pas la règle (un pneu dans la catégorie « véhicule » ou une


cage dans la catégorie « oiseau », par exemple).

Dans un deuxième temps (semaines 5 à 8), on cherche essentiellement


à développer la flexibilité des procédures de tri en amenant les élèves à
prendre conscience qu’un même objet peut légitimement entrer dans
plusieurs catégories différentes (« pomme » va aussi bien dans la catégorie
« dessert » que dans la catégorie « repas », « fruits », « a des pépins »…).
Cette prise de conscience est rendue plus facile par l’introduction de la
seconde boîte BT. Cette fois, les élèves vont avoir à trouver les deux règles
choisies par l’enseignant (celle de BT1, puis celle de BT2) pour, comme
précédemment, terminer le tri en vidant la boîte NT. C’est ainsi, par
exemple, qu’ils découvriront que « le lion » et « le cheval » peuvent aussi
bien aller dans la boîte qui contient des « animaux » que dans celle qui
renferme les éléments présents dans un « cirque » ; « le clown », quant à
lui, ne peut être rangé que dans la deuxième boîte et le « ver de terre »,
seulement dans la première.

Dans un troisième temps (semaines 9 à 11), on poursuit l’objectif de


faire prendre conscience aux élèves que la mobilisation réfléchie des procé-
dures de catégorisation est une aide importante dans une grande variété
de tâches différentes : pour se souvenir, pour planifier ses actions, pour
organiser les mots en mémoire…

De la pratique à la théorie
Il nous faut à présent justifier théoriquement nos choix et les objec-
tifs que nous poursuivons.

Induire le développement de cadres conceptuels généraux


Avec d’autres (Piaget, Karmiloff-Smith, Vergnaud, Campbell et
Bickhard…), nous considérons que le développement cognitif prend nais-
sance dans la formation d’un répertoire de procédures efficaces. À travers
les expériences qu’il fait sur le monde, l’enfant apprend progressivement
des suites organisées d’actions (ou des procédures) qui lui permettent
d’atteindre les buts qu’il se fixe (de réussir). Ces séquences d’actions qui
régissent le fonctionnement opératoire quotidien des jeunes enfants
(3/4 ans) sont extrêmement puissantes. Faciles d’accès et cognitivement
peu coûteuses, n’ayant pas à s’exprimer autrement que par l’action, elles

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Métacognition, remédiation

n’exigent pas (ou exigent peu) de contrôle intentionnel. Elles permettent


donc de réussir dans des situations pour lesquelles le jeune enfant ne
dispose d’aucune théorie abstraite. Grâce à elles, il peut très bien traiter
des relations (quand il compare en « pareil » et en « différent »), catégo-
rise (quand il rassemble différents animaux), ordonne (quand il aligne
des objets les uns derrière les autres), égalise (quand il construit deux
collections de même quantité en les rangeant terme à terme). Mais ces
réussites en actes ne doivent pas leurrer : si l’enfant réussit et a conscience
du résultat de ses actions, il ne peut expliciter ni les règles ni la suite des
opérations qui l’ont amené à la bonne réponse. Les raisons de l’efficacité
de son action (mettre en équilibre, égaliser, aligner, rassembler…) – ce
que Piaget désigne comme la « logique de l’action » – ne lui sont pas
connues : elles restent implicites. Or, une procédure, même si elle réussit,
est inopérante à long terme pour celui qui ne la comprend pas. C’est
pourquoi, on s’accorde aujourd’hui pour penser qu’une bonne partie du
développement consiste à abstraire (ou à expliciter) la logique implicite
contenue dans les actions. Mais ce processus d’explicitation (ou de redes-
cription) n’a rien d’automatique. Il n’est pas une conséquence obligée de
l’action, de la réussite ou du jeu : il résulte nécessairement d’un traite-
ment actif. Il dépend donc fortement de la motivation éprouvée par
l’enfant mais aussi et surtout des conditions d’apprentissage qui lui sont
faites, notamment à l’école maternelle. C’est pourquoi nous pensons qu’il
ne suffit pas de laisser les élèves agir librement (de les mettre en acti-
vité, de leur faire faire des exercices), mais qu’il est nécessaire de déplacer
leur attention de la performance (du résultat) à la procédure elle-même.

Réguler le fonctionnement
Même si la centration sur la procédure est une aide fondamentale,
il faut encore s’assurer que les élèves traitent ces activités de manière effi-
cace. C’est là que le guidage de l’enseignant devient décisif : un guidage
effectif et serré. À première vue, il peut paraître paradoxal de proposer
(voire d’imposer) un cadre dans une intervention qui vise à donner à l’élève
le plus de contrôle possible sur le déroulement de l’activité et à accroître
ses capacités d’autorégulation. Mais le paradoxe n’est qu’apparent. Nous
pensons que ce sont justement ces contraintes qui favorisent – particu-
lièrement chez le jeune enfant – l’autonomie, qui confèrent à l’action son
caractère constructif. Une fois que l’élève aura formé ses compétences
dans l’interaction avec l’enseignant et les autres élèves, il pourra faire face,
tout seul, aux demandes scolaires en pariant que l’aide reçue dans son

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Apprendre à comprendre : pas de métacognition sans cognition

apprentissage deviendra « invisiblement présente et impliquée dans [sa]


résolution apparemment autonome du problème » (Vygotski, 1985).

Principes pédagogiques et didactiques de nos outils

Stabiliser les différents formats


Les élèves les moins performants ont particulièrement besoin de
stabilité dans les modalités de présentation et de réalisation des activités
pour pouvoir les explorer en toute sécurité. C’est en effet quand le monde
devient prévisible que l’élève peut être sensible aux variations introduites
et prendre une part de plus en plus grande dans le contrôle de son fonc-
tionnement. C’est pourquoi, nos instruments ne comprennent que deux
ou trois tâches dont on modifie les contenus et le mode de présentation
en fonction des prises de conscience que l’on cherche à induire. Ce
« formatage » des tâches nous paraît de nature à favoriser les anticipa-
tions des actions et leur contrôle, une expérimentation effective et
prolongée. C’est pour la même raison que nous stabilisons le déroule-
ment des séances. La manière dont nous nous y prenons n’a rien d’original.
Inspirée de l’apport des travaux portant sur la résolution de problèmes,
elle reproduit les principales phases d’une résolution réflexive : rappel des
acquis, présentation de l’objectif, prise d’information, planification des
procédures, réalisation de l’activité guidée par l’enseignant, contrôle en
cours de résolution, évaluation, prise de conscience.

Un matériel connu et épuré


Nous avons choisi d’utiliser un matériel connu et épuré :
– connu pour que son traitement interfère le moins possible avec
l’objectif visé et que les élèves puissent désigner sans hésitation les objets
et leurs propriétés ;
– épuré, c’est-à-dire réduit aux seules propriétés que les élèves doivent
prendre en compte, pour éviter qu’ils ne s’égarent dans le traitement de
propriétés ou de relations non pertinentes par rapport à l’objectif.

La conceptualisation des procédures et les prises de conscience que


nous attendons exigent un effort cognitif important et un maximum
d’attention. Or, on a montré que les jeunes élèves sont particulièrement
sensibles aux traits de surface des tâches et ont du mal à inhiber les infor-
mations non pertinentes. Aussi est-il inutile, voire néfaste, d’introduire

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Métacognition, remédiation

dans les tâches des dimensions sémantiques ou esthétiques superflues :


appauvrir et réduire au maximum la richesse sémantique du dispositif
(comme on le fait, par exemple, dans les épreuves piagétiennes) oblige
l’élève à traiter ce qui est jugé central par l’enseignant.

Enfin, mis face aux difficultés que pose – toujours et pour tous – l’utili-
sation des connaissances relativement générales dans de nouvelles tâches
(le transfert), nous croyons essentiel de donner aux élèves des occasions
d’appliquer leurs compétences dans des activités aux contenus plus riches,
plus scolaires : c’est la fonction de nos tâches de transposition.

Les tâches de transposition


Les tâches de transposition visent à apprendre aux élèves les procé-
dures qui sous-tendent un transfert efficace : leur structure est proche de
celle des tâches utilisées dans les séances menées en petits groupes mais
leurs contenus sont différents (riches, complexes et inscrits dans les diffé-
rentes disciplines scolaires). Elles permettent d’amener les élèves à mettre
à l’épreuve les compétences acquises (et faire preuve de leur expertise).
Cela dit, nous n’ignorons pas que le transfert peut, s’il est commandé par
les traits de surface (les contenus) des tâches, conduire à des traitements
erronés. C’est pourquoi, l’enseignant demande systématiquement aux
élèves de conduire une activité de « transposition analogique » que nous
définissons comme la mise en relation exigeante et précise de deux tâches,
avant de passer à l’exécution : les élèves doivent indiquer en quoi la tâche
proposée ressemble à celle qu’ils ont traitée avant, et en quoi elle en
diffère du point de vue de la structure, du matériel, des contenus, de la
quantité d’informations et indiquer en quoi ces modifications vont influer
sur leur mode de fonctionnement (ou de traitement). Enfin, nous propo-
sons aux enseignants d’autres tâches (riches et scolaires) que les élèves
devront traiter sans aide. Mais, avant de les laisser travailler seuls, l’ensei-
gnant mène, avec eux, une activité de « transposition analogique ».
Les études que nous avons menées pour évaluer le bien-fondé de ces
propositions montrent que la stabilité, la cohérence du type de tâches au
regard des objectifs conceptuels visés, la progressivité de la difficulté des
exercices et le nombre élevé de séances de travail favorisent les prises de
conscience touchant la conceptualisation des procédures.
Ce sont ces principes (centrer l’attention des élèves sur leurs procé-
dures, guider et réguler le fonctionnement, stabiliser le déroulement des
séances, proposer un matériel connu et familier, etc.) que le maître E

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Apprendre à comprendre : pas de métacognition sans cognition

peut retenir dans tous les domaines de son intervention, notamment les
plus spécifiques, les plus disciplinaires.

Ce sont ceux que nous avons retenus pour construire Phono (Goigoux,
Cèbe, Paour, 2004), un outil dédié à l’enseignement des compétences
phonologiques qui peut être d’une aide utile aux enseignants spécialisés
qui interviennent au cycle II.

Quelle progression mettre en place pour le développement de la


conscience phonologique ? Une légitime question professionnelle
À la fin de leur scolarité de maternelle, il ne suffit pas que les
élèves sachent « à quoi sert la langue écrite » ; il faut aussi qu’ils aient
commencé à comprendre « comment elle marche » (notamment ce qu’elle
représente et les liens qu’elle entretient avec la langue orale). Or, un
certain nombre de travaux montrent qu’à l’entrée au cours préparatoire,
certains élèves ne savent pas relier les manipulations linguistiques portant
sur des unités autonomes et vides de sens (par exemple, transformer des
lettres en sons) et les activités langagières riches de significations qui leur
sont familières (Goigoux, 1993). Ils ne savent pas non plus interrompre
leur activité langagière habituelle pour en développer une nouvelle à
propos de la langue, c’est-à-dire « uniquement centrée sur la dimension
linguistique, mais sans les dimensions affective et cognitive du langage »
(Brigaudiot, 1997). En résumé, ils échouent à traiter le langage comme
un objet autonome que l’on peut étudier d’un point de vue strictement
phonologique. Ce sont ces compétences que nous cherchons à développer
avec l’outil Phono.

Un second exemple d’outil : Phono


Phono vise à apprendre progressivement aux élèves à considérer la
langue comme un objet d’étude (et plus seulement comme un outil de
communication) et à prendre conscience de ses dimensions phonologiques
dans des activités conçues pour cela. Il présente cinq caractéristiques :
– il permet un enseignement adressé à tous les élèves et non une remé-
diation ciblée sur quelques-uns ;
– il est utilisable en collectif ;
– il propose une planification des tâches en rapport avec la progressi-
vité des apprentissages des élèves et adaptée à ceux qui ont le plus besoin
d’école ;

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Métacognition, remédiation

– il ne vise pas seulement la maîtrise de procédures, il organise systé-


matiquement une réflexion métacognitive ;
– il introduit de nouvelles tâches mais utilise abondamment les tâches
habituelles de l’école maternelle en leur assignant de nouveaux objectifs
(entraînement, variation, réinvestissement, évaluation).

L’outil comprend deux parties distinctes.


La première partie (semaines 1 à 11) fait travailler les élèves sur le
concept de syllabes. Au cours des trois premières semaines, les élèves
apprennent à segmenter les mots, à frapper et à compter les syllabes puis
à les fusionner. Les trois suivantes sont consacrées à la localisation d’une
syllabe modèle dans différents mots qui la contiennent. Il s’agit ensuite
d’apprendre à segmenter un énoncé en mots, à localiser les mots écrits
et à fusionner les mots pour reconstituer un énoncé. Enfin, les élèves
sont amenés à transformer des mots en ajoutant, en supprimant ou en
inversant des syllabes. Les dernières séances sont dédiées à la compa-
raison de syllabes phonologiquement proches.

La seconde partie (semaines 12 à 21) vise à familiariser les jeunes élèves


avec les phonèmes (d’abord les rimes puis les attaques). Dans un premier
temps, ils vont devoir comparer différents mots pour trouver une « règle
de tri » qui permette d’expliquer pourquoi les mots énoncés vont bien
ensemble (« ils finissent [ou commencent] tous par la même syllabe ou
la même rime ») et chasser les intrus (les mots qui ne respectent pas la
règle). Dans les deux séances suivantes, les élèves doivent trouver la règle
utilisée par l’enseignant(e) pour transformer des mots (il/elle ajoute un
phonème donné en attaque ou en rime à tous les mots) et l’appliquer à
leur tour. Dans les trois dernières séances, les élèves doivent fusionner
des phonèmes pour former un mot, localiser un phonème dans une syllabe
à l’intérieur d’un mot, segmenter des mots monosyllabiques en phonèmes.

À l’heure actuelle, les données dont nous disposons justifient l’intro-


duction de Phono dans les pratiques d’enseignement. Elles indiquent que
son utilisation systématique en grande section de maternelle REP a permis
à la grande majorité des élèves d’atteindre un niveau d’habileté phono-
logique qui autorise à envisager l’apprentissage de la lecture avec
confiance9.

9. Goigoux R., Cèbe S., Paour J.-L., « Favoriser le développement de compétences phono-
logiques pour tous les élèves en grande section maternelle », Repères, n° 27, 2004, pp. 71-92.

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Apprendre à comprendre : pas de métacognition sans cognition

Conclusion
On l’aura compris, si la prise en charge est toujours singulière, la
démarche que nous proposons pour améliorer la qualité du développe-
ment conceptuel des élèves est, elle, régulière et peut être schématisée
de la manière suivante : faire, réussir, redécrire, comprendre, s’entraîner,
transférer, systématiser. Nous comptons sur l’intelligence professionnelle
des maîtres E et sur la connaissance experte qu’ils ont du niveau d’acqui-
sition de leurs élèves pour savoir à quelle étape faire démarrer la prise
en charge. Il serait, en effet, tout aussi contre-productif et démobilisateur
de commencer par essayer de faire « comprendre » une procédure aux
élèves (sans s’être préalablement assuré qu’ils en disposaient bien) que
de séjourner trop longtemps à « faire faire » des tâches que les élèves
savent réussir depuis longtemps.

Bibliographie
Brigaudiot M., « Quelles connaissances linguistiques pour aider les élèves dans
la maîtrise des discours à l’école maternelle ? », in Elalouf M.-L. (éd.), Professeur
d’école enseignant de français, Paris, AFLA, 1997.
Campbell R. L. et Bickhard M. H. (eds.), Knowing Levels and Developmental
Stages, vol. 16, Basel, Karger, 1986.
Bruner J. S., Le Développement de l’enfant : savoir faire, savoir dire, Paris, PUF,
1983.
Bruner J. S., Contextes et formats : langage et communication à l’âge préscolaire,
Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 1984.
Bruner J. S., Comment les enfants apprennent à parler, Paris, Retz, 1987.
Cèbe S., Paour J.-L. et Goigoux R., Catégo, un imagier pour apprendre à catégo-
riser, Paris, Hatier, 2004.
Goigoux R., L’Apprentissage initial de la lecture : de la didactique à la psychologie
cognitive (étude longitudinale), Thèse de doctorat de l’Université René-
Descartes, Sorbonne-Sciences Humaines, 1993.
Goigoux R., Cèbe S. et Paour J.-L., « Favoriser le développement de compétences
phonologiques pour tous les élèves en grande section maternelle », Repères,
27, 2004, pp. 71-92.
Goigoux R., Cèbe S. et Paour J.-L., Phono, un outil pour développer la conscience
phonologique en grande section de maternelle et au début du CP, Paris, Hatier,
2004.
Karmiloff-Smith A., Beyond Modularity : A Developmental Perspective on Cognitive
Science, Cambridge, MA, MIT Press, 1992.
Karmiloff-Smith A., « Precis of beyond modularity : a developmental perspective
on cognitive science », Behavioral and Brain Sciences, 17, 1994, pp. 693-745.

203
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Métacognition, remédiation

Karmiloff-Smith A. et Clark A., « What’s special about the development of the


human mind/brain », Mind and Language, vol. 8, 4, 1993, pp. 569-581.
Piaget J., La Prise de conscience, Paris, PUF, 1974.
Piaget J., Réussir et Comprendre, Paris, PUF, 1974.
Piaget J., L’Équilibration des structures cognitives : problème central du développe-
ment, Paris, PUF, 1975.
Vergnaud G., « Au fond de l’action, la conceptualisation », in Barbier J.-M. (éd.),
Savoirs théoriques et savoirs d’action, Paris, PUF, 1996, pp. 275-292.
Vygotski L. S., « La Méthode instrumentale en psychologie », in Schneuwly B. et
Bronckart J.-P. (éds.), Vygotski aujourd’hui, Neuchâtel-Paris, Delachaux et
Niestlé, 1985, pp. 39-47.
Vygotski L. S., « Le Problème de l’enseignement et du développement mental
à l’âge scolaire », in Schneuwly B. et Bronckart J.-P. (éds.), Vygotski aujourd’hui,
Neuchâtel-Paris, Delachaux et Niestlé, 1985, pp. 139-168.
Vygotski L. S., Pensée et Langage, Paris, Messidor, Éditions sociales, 1986.

204
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La réflexion sur l’action est-elle


une activité métacognitive ?

Marie-Thérèse Zerbato-Poudou

M a contribution vise à questionner l’activité métacognitive telle qu’elle


est présentée dans la littérature, au travers d’une expérience conduite
dans une classe de maternelle auprès d’élèves âgés de 3 et 1/2 à 4 ans. Il
s’agit, en l’occurrence, d’une recherche portant sur l’apprentissage premier
de l’écriture1. Les modalités de cet apprentissage diffèrent nettement des
situations traditionnelles qui s’appuient principalement sur l’entraînement
moteur et la répétition, par les élèves, du tracé de certaines formes. Je
me propose donc d’apporter une contribution à la fois critique et pratique
à propos de cette pratique « métacognitive », considérée comme une aide
efficace aux apprentissages scolaires, en particulier parce qu’elle permet
le transfert des connaissances.
Le débat sur la métacognition offre un large éventail d’approches et
de travaux, si bien que ce concept se décline différemment selon les
auteurs2. Les processus de prise de conscience, d’autorégulation et de
transfert en sont néanmoins les dimensions fondamentales. Les recherches
sur la verbalisation en constituent l’un des axes majeurs, ce qui interpelle
directement mes propres travaux qui portent sur la verbalisation de
l’action des élèves.

1. Zerbato-Poudou M.-T., De la trace au sens : rôle de la médiation sociale dans l’appren-


tissage de l’écriture chez de jeunes enfants de maternelle, Thèse de doctorat (nouveau régime),
Systèmes d’apprentissage, systèmes d’évaluation, UFR de Psychologie et Sciences de l’Éduca-
tion, Université de Provence, Aix-Marseille I, 1994.
2. Voir à ce propos la thèse de LEE Hwado : Étude de la métacognition chez les enfants
d’âge préscolaire, Université Paris V, UFR des Sciences de l’Éducation, directeur G. Vergnaud,
2002.

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Métacognition, remédiation

Dans un premier temps, je vais décrire cette situation particulière


d’apprentissage de l’écriture dont je ferai une analyse critique à l’aune
de la métacognition. Puis, je présenterai certaines critiques envers les
pratiques métacognitives qui me conduiront à procéder à une autre lecture
de ce concept. Suivra alors l’analyse d’une situation originale de « dictée
à l’adulte » permettant d’appréhender différemment la nature des
interactions verbales élève/adulte et de poser le problème de la nature
des situations d’apprentissage scolaire.

La recherche
Mes travaux de recherche, qui ont donné lieu à plusieurs publica-
tions (1994, 1995, 1997, 1998, 2000, 2003, 2004), portent sur les appren-
tissages scolaires à l’école maternelle. J’ai notamment étudié le rôle de
la médiation sociale et du langage dans une situation d’apprentissage
premier de l’écriture avec des élèves de moyenne section d’une école
maternelle en ZEP. Cette situation d’apprentissage, fondée sur la verba-
lisation par les élèves de leur activité, peut, en première analyse, être
comprise comme un travail métacognitif. Cette perspective fait émerger
bon nombre de questions par rapport au concept lui-même, ses modes
d’action, ses principes de fonctionnement, mais aussi par rapport aux
conclusions apportées à mes propres travaux : est-il possible de parler de
métacognition compte tenu de l’âge des élèves ? Les rapports qu’entre-
tiennent les échanges verbaux et la prise de conscience peuvent-ils soutenir
l’activité des enfants dans les situations scolaires ?

Principes de fonctionnement de l’expérimentation


La question posée est celle de la relation, allant de soi et jamais
questionnée, entre les exercices graphiques et l’écriture, relation consi-
dérée comme une filiation directe entre ces deux activités : l’écriture sorti-
rait toute armée des exercices graphiques. Je rappelle rapidement que les
exercices graphiques consistent à proposer aux élèves la copie et la repro-
duction en nombre d’une forme censée représenter un segment de lettre.
L’objet d’apprentissage – la langue écrite – est ainsi morcelée en éléments
qui font l’objet d’entraînements moteurs, dans des situations de repro-
ductions graphiques souvent figuratives (la fumée du train pour les
boucles, l’herbe pour les verticales, etc.). L’écriture en serait ainsi faci-
litée, car il suffirait par la suite de « rassembler » ces éléments pour tracer
des lettres. Ces prérequis reposent sur l’idée que le processus d’appren-

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La réflexion sur l’action est-elle une activité métacognitive ?

tissage se déroule selon une direction qui va du simple au complexe. Le


constat est que, après avoir réalisé de nombreux exercices graphiques
destinés à mettre en place les compétences grapho-motrices nécessaires
pour tracer des lettres et des mots, les élèves éprouvent des difficultés
pour la copie de mots en écriture cursive, que ce soit en grande section
de maternelle ou au cours préparatoire.
D’où l’idée de proposer une situation d’apprentissage qui s’affranchi-
rait des entraînements moteurs (sur lesquels Emilia Ferreiro3 porte des
critiques assez virulentes), des automatismes grapho-moteurs exercés sur
d’autres objets que l’écrit lui-même. J’ai donc supprimé tout exercice
graphique traditionnel de la classe dite « expérimentale » ; les élèves ont
appris à écrire leur prénom (copie en capitales d’imprimerie) selon le
dispositif de recherche. Les choix opérés s’appuient, d’une part sur les
thèses énoncées par Vygotski (1934) – la double construction des fonc-
tions psychiques supérieures (de l’inter à l’intra), la médiation sémiotique
du langage, la zone de prochain développement –, et, d’autre part, sur
les travaux en évaluation conduits par l’équipe des sciences de l’éduca-
tion d’Aix-en-Provence, et, plus particulièrement, par la prise en compte
des critères de la tâche4 dans une évaluation dite « formative » au sein
d’un collectif de travail. La situation d’apprentissage s’est élaborée selon
un double principe : si le langage, dans un contexte social spécifique (qui
tient compte du rôle de l’adulte et du collectif de travail), permet la
construction de la pensée, il doit porter sur des objets qui permettent
aux élèves de contrôler concrètement le résultat de leur action. C’est ce
processus qui leur permet de s’approprier non seulement des outils (ou
instruments psychologiques, selon Vygotski) pour réussir la tâche, mais
aussi leur usage dans un contexte d’écriture visant à donner du sens à
cet apprentissage. Concrètement, les objets de médiation, les critères de
réussite et les critères de réalisation sont manipulés conjointement par
les élèves et l’enseignante, ce qui fonde l’hypothèse de travail sur le rôle
de l’adulte et des instruments sémiotiques comme consubstantiels de l’acti-

3. Emilia Ferreiro (1990) : « L’enseignement dans ce domaine reste attaché aux pratiques
les plus désuètes de l’école traditionnelle, celles qui prétendent que l’on apprend seulement
au moyen de la répétition, de la mémorisation, de la copie systématique du modèle, de
l’automatisme […] on refuse l’accès à l’information linguistique jusqu’à ce que l’on ait
sacrifié aux rites d’initiation (prérequis), la langue écrite se présente hors tout contexte. »
4. Les critères de réalisation désignent les procédures d’exécution appropriées à la nature
de la tâche : pour l’écriture, le respect de la trajectoire du mot, des lettres, de l’ordre du
tracé des lettres…

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Métacognition, remédiation

vité de contrôle que les élèves exercent sur leur action. Mon attente était
donc double ; d’où l’énoncé des hypothèses suivantes :
– Les élèves ayant appris à écrire dans une situation de verbalisation
de critères sont censés obtenir des résultats plus performants dans
l’apprentissage formel de l’écriture comme dans le traitement de tâches
connexes : les caractéristiques de la situation d’apprentissage sont consti-
tutives de la régulation de l’action ;
– Les élèves bénéficiant de la situation de verbalisation des critères
sont censés atteindre un niveau conceptuel plus élaboré pour la compré-
hension du système d’écriture. Cette deuxième attente concerne l’acqui-
sition de concepts et la prise de conscience. Par l’entremise des dialogues,
la reconstruction par les élèves des modalités d’action sur le plan conscient
accroît les modes de régulation de leur activité cognitive.

Le dispositif
La recherche s’est déroulée « sur le terrain » de la réalité scolaire.
À l’aide de tests, ont été comparées les performances de trois groupes
d’élèves, issus de trois classes différentes de moyenne section, dans trois
écoles d’une même ville. Deux de ces groupes étaient situés dans une
ZEP, le troisième groupe dans un quartier socialement plus « favorisé ».
La classe dite « expérimentale » accueillait des élèves de ZEP. Dans la
deuxième classe située en ZEP, l’enseignant proposait quelques exercices
graphiques traditionnels et fondait ses activités sur les principes initiés
par la psychomotricité. Dans la classe située dans le quartier favorisé,
l’enseignante proposait quotidiennement des exercices graphiques tradi-
tionnels, hiérarchisés.
Les tests proposés pour vérifier la première hypothèse sur la régula-
tion de l’action comprenaient la copie d’un mot en cursive (ce type d’écri-
ture n’avait jamais été abordé dans aucune des classes ; la notation s’est
faite d’après les travaux de Auzias, 1966), ainsi que le test de Bender et
le test du bonhomme.
Pour vérifier la seconde hypothèse, les tests ont été empruntés à Emilia
Ferreiro : test de dictée de mots, test d’analyse des parties du prénom.

Les séances dans la classe expérimentale


Voici comment se déroulaient les séances d’apprentissage :
L’enseignante écrit sous les yeux des élèves leur prénom, directement sur
leur feuille de travail. Les élèves sont toujours en groupe (de 5 à 6).

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La réflexion sur l’action est-elle une activité métacognitive ?

Ils sont ensuite invités à écrire à leur tour, c’est-à-dire à produire la copie
de leur prénom. L’enseignante observe sans intervenir. De la sorte, elle
identifie les acquis des élèves dans ce domaine (tracé des lettres, séquen-
tialité, trajectoire, alignement, etc.) ; elle observe ainsi les réussites et les
difficultés, les procédures utilisées. Le travail de copie fini, il n’y a pas
d’évaluation de type validation : « c’est bien », ou « tu t’es trompé,
regarde… » ; les élèves sont invités à analyser leur production écrite,
réussie ou non, complète ou incomplète, au regard des critères énoncés
par l’enseignante (lors des premières séances, l’enseignante aura énoncé
les critères ; par la suite, le rappel sera fait par les élèves), ceci de façon
collective (l’intéressé doit d’abord s’exprimer, les autres élèves peuvent
ensuite réagir). La consigne est la suivante : « Nous allons voir si le mot
écrit est correct, si je peux lire votre prénom. » Voici l’énoncé des critères
retenus : « Pour que le mot soit bien écrit, que je puisse le lire, il faut :
qu’il y ait toutes les lettres (critère de complétude), dans l’ordre (critère
d’ordre), qu’elles ressemblent bien au modèle (critère de similitude ou
d’identité) et soient alignées. » Ces critères sont des critères de réussite,
des critères généraux non seulement pour l’écriture du prénom, mais
aussi pour toute écriture. Ce sont les règles élémentaires de fonctionne-
ment du système d’écriture qui sont énoncées. On peut ajouter ou réduire
le nombre de critères selon les besoins, le déroulement des séances, le
rythme de l’apprentissage, la nature de l’objet d’apprentissage (certains
sont minimisés selon le moment d’apprentissage, d’autres sont rajoutés,
comme les critères particuliers pour l’écriture cursive), etc. Les élèves véri-
fient si chaque critère est respecté en observant, en comparant leur propre
travail au modèle mais aussi à la production des autres élèves. Et c’est
sur ces « observables » que portent les échanges verbaux. Ensuite, afin de
rectifier le tracé de certaines lettres, l’enseignante demande aux élèves
d’expliciter leur procédure et les critères de réalisation qu’ils ont suivis.
J’insiste sur le fait qu’il s’agit d’une tâche concrète. Deux sortes de procé-
dures peuvent être distinguées : d’une part, celles qui sont inhérentes à
l’objet d’apprentissage lui-même, que l’on peut qualifier de « formelles »
(orientation gauche/droite de l’écrit, alignement des lettres) et, d’autre
part, celles qui sont propres à chacun des élèves, les procédures « person-
nelles » (stratégies de mise au travail – se précipiter sur la tâche ou bien
observer longuement le modèle ou bien encore observer les actions des
autres élèves – ; choix des procédures d’exécution, comme par exemple,
commencer par la lettre la plus facile, et non par la première, etc.). Dans
la situation expérimentale, les questions portaient aussi bien sur les procé-
dures personnelles que sur les procédures formelles.

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Métacognition, remédiation

Voici un exemple de mode de questionnement :


– Enseignante : « Pour écrire cette lettre, qui s’appelle A, comment faut-
il faire ? »
Les élèves esquissent des réponses en accompagnant fréquemment leurs
propos de gestes :
– Élèves : « On fait comme ça et comme ça ! »
La plupart du temps, ils reproduisent leur geste d’écriture, soit sur la
table, soit en l’air, mais ne le décrivent pas oralement. L’enseignante les
sollicite pour qu’ils décrivent verbalement le geste à accomplir.
– Enseignante : « Dis-le avec la bouche, pas avec le doigt ! »
Cependant, s’ils n’arrivent pas à exprimer verbalement leur procédure,
les élèves peuvent tracer sur la feuille ; c’est alors l’enseignante qui prendra
en charge la description verbale des gestes et des tracés de l’élève
concerné. Elle ouvre ainsi une perspective nouvelle en montrant comment
on peut mettre des mots sur des gestes et comment les mots permettent
de désigner des gestes sans les accomplir : un devenir probable. Lorsqu’un
élève ne sait pas faire un tracé, elle demandera à ceux qui l’ont réussi
d’expliquer « comment il faut faire », oralement dans un premier temps,
puis en traçant le modèle sur la feuille si nécessaire.

Voici un exemple d’interaction élève/élève :


– Élève 1 : « Pour écrire le “A” il faut faire un trait penché avec un
autre qui se touchent. »
– Élève 2 : « Je le sais, mais je sais pas faire le “pointu” (sous-entendu
l’angle aigu représentant le “A”). »
Dans ce cas, le tracé sur la feuille par l’élève-ressource a aidé l’élève
en difficulté qui, ayant observé une technique, s’en est immédiatement
emparé pour réaliser un « A » pointu.

Bien évidemment, l’approche de la langue écrite ne se limite pas à ces


moments-là. Comme dans toutes les classes, l’écrit est observé (albums,
magazines, journaux), manipulé (étiquettes du prénom), etc. Une machine
à écrire est à la disposition des élèves ; l’enseignante écrit quotidienne-
ment au tableau des phrases ou des mots usuels qu’elle commente5, les
moments d’écriture sont fortement ritualisés par l’environnement

5. Exemples : « Regardez, quand j’écris “CARNAVAL”, combien de fois j’écris la lettre


“A” ? » ; « Qui a cette lettre qui s’appelle “A” dans son prénom ? » (exercice de mémoire) ;
« Quel est le mot le plus long ? le plus court ? », etc.

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La réflexion sur l’action est-elle une activité métacognitive ?

temporel, spatial, matériel, mais aussi par le mode de fonctionnement :


observation, copie, analyse, évaluation, comparaisons, commentaires, etc.
Par ailleurs, l’enseignante lit les mots incomplets à haute voix pour que
les élèves puissent établir des relations entre ce qui est dit, ce qui est lu
et ce qui est écrit.

Au terme de ce travail, on peut avancer que les résultats ont confirmé


les hypothèses : les élèves qui ont appris à écrire leur prénom dans ces
conditions ont réalisé plus facilement la copie en écriture cursive que
ceux qui avaient fait beaucoup d’exercices graphiques (dans le quartier
« favorisé »). Par ailleurs, ils ont eu des résultats remarquables aux tests
de Bender et du Bonhomme.
Les performances aux tests empruntés à Emilia Ferreiro sont égale-
ment en faveur des élèves qui ont verbalisé dans les conditions expéri-
mentales (identification plus précoce de la relation graphie/phonie). Ces
performances ont été attribuées à la mise en place du dispositif de la
recherche, basé sur la médiation sémiotique et sociale : médiation sémio-
tique par la verbalisation, associée à des actions concrètes, par le
contexte plus global qui prend en compte le statut accordé à l’objet langue
écrite (l’intérêt porté au fonctionnement de la langue) ; médiation sociale
par les interactions en classe, par les valorisations sociales induites
par les réussites (valorisation de la part des adultes : enseignants, personnel
éducatif, parents).

Analyse de ce dispositif du point de vue métacognitif


Il s’agit à présent de confronter le dispositif que je viens de décrire
aux principes de la métacognition. Pour cela, je vais me référer à la contri-
bution d’Anne-Marie Doly (1997), où elle présente les fonctions éduca-
tives de la métacognition et ses conditions de fonctionnement.
Considérons le principe de médiation qui, tel qu’il est défini par Anne-
Marie Doly, repose sur des références théoriques également présentes
dans ma recherche :
– la notion de zone proximale de développement ;
– la notion d’interaction sociale ;
– le processus d’intériorisation ;
– le rôle du langage ;
– le rôle de l’imitation ;
– les conditions de l’efficacité de l’interaction : la référence aux formats
d’échanges de Bruner ;

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Métacognition, remédiation

– le rôle du tuteur, nécessairement expert, et les principes de


l’interaction de tutelle avec les différents niveaux de l’étayage (Bruner) ;
– l’intérêt du groupe comme élément de médiation.
Tous ces éléments sont pris en compte dans la situation expérimentale.

Les principes qui conduisent au transfert sont également présents dans


la recherche :
– décentration par rapport à l’activité concrète, mise à distance de la
réalisation de la tâche, source de prise de conscience ;
– processus de décontextualisation par rapport au contexte concret, et
de recontextualisation linguistique, recours au langage pour examiner son
travail, échanges à propos des activités ;
– identification des principes généraux de la tâche et des compétences
à mettre en œuvre pour la réaliser ; attitude réflexive sur les procédures
de résolution, apports d’autres techniques, comparaisons.

Je vais maintenant envisager les conditions de fonctionnement de la


métacognition en mettant en relation, point par point, les modalités du
dispositif de la recherche avec les conditions exposées par Anne-Marie
Doly :
– « L’environnement des sujets en apprentissage est systématiquement
organisé par les médiateurs – parents, éducateurs, experts – pour faciliter
l’apprentissage », ce qui correspond au dispositif mis en œuvre dans la
recherche ;
– « Les situations utilisées sont des situations de type résolution de
problèmes […] où le sujet est invité à faire quelque chose qu’il ne sait
pas faire seul en vue d’atteindre un but » : la tâche de copie d’un mot,
lors de l’apprentissage premier de l’écriture, peut être considérée
comme une situation-problème que les élèves ne peuvent résoudre seuls
en totalité ;
– « Le médiateur apporte une aide systématique pour aider le sujet à
faire ce qu’il ne sait pas faire seul et qui est nécessaire pour guider son
activité jusqu’au but » : dans ma recherche, l’aide se situe à plusieurs
niveaux – enrôlement dans la tâche d’évaluation, sollicitation du groupe,
démonstration ;
– « Cette aide commence par la mise en œuvre par l’éducateur lui-
même de l’activité de résolution […], toujours en parlant de ce qu’il fait » :
l’enseignante écrit sous les yeux des élèves le mot à copier, commente
son activité, comme celle des élèves ;
– « Elle se poursuit en intégrant de plus en plus l’enfant dans la situa-

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La réflexion sur l’action est-elle une activité métacognitive ?

tion, sous forme d’une interaction langagière qui questionne l’enfant sur
tous les éléments pertinents de l’activité […] » : les interactions langa-
gières portent sur des objets pertinents de la tâche : les critères de réus-
site (analyse du produit, comparaison) et les critères de réalisation
(énoncé, découverte de procédures), ce qui permet un meilleur contrôle
de l’action et des conditions de l’activité ;
– « Le médiateur n’évalue pas de l’extérieur et de façon normative et
sanctionneuse, ne donne pas d’ordre, ne dit pas ce qu’il faut faire ou ne
pas faire » : dans la recherche, l’enseignante ne valide pas le travail
accompli, mais engage une co-évaluation avec l’élève concerné et le
collectif de travail en référence aux critères énoncés. Elle veille à ce que
les procédures proposées conduisent à la réussite de la tâche.

Au vu de ces principes de fonctionnement, on peut penser qu’effecti-


vement, les élèves de maternelle qui ont appris à écrire selon le dispo-
sitif mis en place dans la recherche ont été sollicités dans une activité de
type métacognitif. Les résultats aux tests confirment cette approche théo-
rique : les élèves ont des performances significatives aux différents tests,
notamment lors du passage à l’écriture cursive. Pour autant, les élèves
ont-ils pu prendre conscience de leur activité ? Peut-on penser qu’il s’agit
simplement de l’ouverture d’une zone de proche développement ? En
d’autres termes, nous sommes placés devant une alternative : d’un côté,
supposer que les activités scolaires qui solliciteraient des processus
« méta » déjà là gagneraient en efficacité et réduiraient les difficultés des
élèves ; d’un autre côté, penser que les activités scolaires, qui ouvrent sur
une zone de proche développement, favorisent le développement de
modes de contrôle à la fois de plus en plus fins et de plus en plus effi-
caces. Ce qui signifie que l’engagement dans cette zone ne réduirait pas
seulement des difficultés chez les élèves mais en introduirait de nouvelles :
le dialogue initié par l’enseignant peut représenter des difficultés pour
certains élèves qui ont à expliciter des processus, des difficultés langa-
gières, mais aussi des difficultés à identifier l’objet sur lequel porte le
dialogue (c’est-à-dire comprendre les intentions de l’enseignant). De plus,
si cette zone vise le développement de certains processus, parallèlement
elle exclut, repousse, suspend des développements en sommeil ou ignorés :
s’il y a développement, il y a donc aussi du non-développement, ce qui
induit d’autres difficultés pour les élèves ainsi « empêchés ». En outre,
plusieurs aspects sont à prendre en considération et à analyser, en premier
lieu les obstacles génétiques : l’âge des élèves autorise-t-il que l’on parle
de métacognition, de prise de conscience ? Sur quels aspects de la tâche

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Métacognition, remédiation

portent en réalité les échanges verbaux ? Ne seraient-ils qu’un simple jeu


de questions-réponses ? Etc.

Les obstacles génétiques selon Piaget


Plusieurs obstacles génétiques sont à prendre en compte lorsqu’on
analyse les apprentissages des jeunes enfants, à l’aune des théories piagé-
tiennes. Nous en retenons trois en ce qui concerne la métacognition : la
fonction constituante, la prise de conscience, le rôle du langage. Leur
analyse montre leur imbrication, mais il est utile de les décrire séparé-
ment, pour examiner leur mode de fonctionnement. La question posée
par les obstacles génétiques est fondamentale pour examiner la pratique
de la métacognition auprès de jeunes élèves.

Premier obstacle génétique : la fonction constituante versus


la fonction constituée
Demander à des enfants de 4 ans de mettre en relation, de trier,
de classer, de discriminer, d’entrer dans un processus d’évaluation, d’iden-
tification, de comparaison, c’est faire appel à des opérations qu’ils ne
peuvent, en principe, exercer à cet âge, car, selon Piaget (1968), la fonc-
tion n’est pas constituée. Durant la période sensori-motrice qui concerne
nos sujets, la fonction est dite constituante. Pour Piaget, l’intérêt des fonc-
tions constituantes, c’est qu’elles « représentent la matrice formatrice des
futures structures opératoires, autrement dit expriment ce en quoi les
actions conduisent aux opérations ». Mais la fonction n’étant pas encore
constituée, il faut attendre la maîtrise de la réversibilité, qui marque
l’apparition de la pensée opératoire, pour engager certains apprentissages.
C’est ici que se situe la question du rapport entre développement et
apprentissage. Dans la conception piagétienne, l’apprentissage est tribu-
taire du développement de la pensée opératoire ; de ce fait, il est « alors
à la remorque du développement », dit Vygotski pour qui « l’apprentis-
sage n’est valable que s’il devance le développement. Il suscite alors, fait
naître toute une série de fonctions qui se trouvent au stade de la matu-
ration, qui sont dans la zone de proche développement » (1934/1985). Dans
ce cas, l’apprentissage n’est pas l’exercice d’opérations déjà acquises mais
bien le mouvement qui permet aux opérations de se construire. Cette
opposition constitue l’une des ruptures fondamentales entre les concep-
tions piagétiennes et vygotskiennes. Ferreiro (1988), qui a débattu du
problème de la logique constituante, pose la question du rapport entre

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La réflexion sur l’action est-elle une activité métacognitive ?

la psychogenèse des catégories logiques de la pensée et l’apprentissage


de la langue écrite. Elle s’inscrit en faux contre l’idée6 qu’il faudrait
attendre que la logique soit constituée pour qu’elle puisse s’appliquer à
de nouveaux contenus et donc supposer que le niveau de structuration
logique propre aux opérations concrètes soit nécessaire pour commencer
l’apprentissage de l’écriture. Mais alors, dit-elle, « comment se constitue-
t-elle ? […] la dichotomie est claire : ou bien les opérations cognitives sont
la réponse du sujet aux problèmes posés par le monde qu’il essaie de
comprendre […] ou bien les opérations cognitives sont le produit de
processus purement endogènes… ». Cette question interroge directement
la position piagétienne sur les rapports entre développement et appren-
tissage. D’autres recherches mettent en évidence que, sous certaines condi-
tions, des enfants sont capables de construire très rapidement la notion
logique en jeu (Doise, Mugny, 1981 ; Perret-Clermont, 1979).
Au cours de ma recherche, les élèves ont été sollicités dans l’exercice
d’opérations comme l’analyse, la comparaison, l’évaluation au sein d’un
collectif de travail spécifiquement organisé, qui avait pour objectif
d’orienter la pédagogie « non sur l’hier mais sur le demain du dévelop-
pement enfantin » (Vygotski). Ce qui leur a sans doute permis de ne pas
rester seulement sur un constat mais d’établir des relations entre l’action
concrète et son résultat. Il est dès lors possible de reprendre la question
de Ferreiro – « Comment se constitue la fonction ? » – et de répondre, en
souscrivant à la position vygotskienne : « Le développement par l’appren-
tissage scolaire est le fait fondamental […] le seul apprentissage valable
pendant l’enfance est celui qui anticipe sur le développement et le fait
progresser ». C’est l’apprentissage scolaire qui est alors important et non
le seul développement interne.
Les élèves de maternelle peuvent sans doute s’engager dans cette voie.
Encore faut-il en spécifier les conditions.

Deuxième obstacle génétique : la prise de conscience de l’action


La question de la prise de conscience est au cœur même des diver-
gences entre Piaget et Vygotski. Selon Piaget (1974), la prise de conscience
serait le passage de l’action à sa représentation : « Prendre conscience

6. Référence faite à Elkind (1976), selon lequel « puisque l’enfant doit classifier et sérier
et puisque de telles opérations caractérisent la période des opérations dites concrètes, il
vaut mieux attendre qu’il se situe dans cette période pour avoir des garanties de succès
dans l’apprentissage de la langue écrite » (p. 37).

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Métacognition, remédiation

d’une opération, c’est en effet, la faire passer du plan de l’action sur celui
du langage, c’est donc la réinventer en imagination pour pouvoir
l’exprimer en mots. » Ce qui suppose un processus d’abstraction réfléchie
sur les modalités de l’action et non une simple description de ce qui a
été fait. Dans un premier temps, il s’agit d’une prise de « connaissance »
sur l’objet, qui donne lieu à des régulations automatiques, c’est le palier
de l’action matérielle. Dans un second temps, la prise de conscience
s’oriente vers l’action du sujet ; il y a alors recherche de moyens nouveaux
et délibérés, ce qui suppose la conscience. Il faut donc que les sujets puis-
sent se représenter l’action et pas seulement son résultat, c’est-à-dire, dans
le cas de tracés de lettres, se représenter mentalement le mouvement, la
trajectoire gestuelle adéquate. Or, selon Piaget, au stade de la pensée pré-
opératoire, l’enfant ne prend en compte que les changements d’état et
non les actions qui les produisent. Ce stade est caractérisé par le primat
de la perception (qui est une fonction figurative vs la fonction opérative).
Dans des tâches à composante spatiale, les images mentales sont statiques,
les représentations sont d’ordre topologique et non dynamique à l’âge
des élèves considérés par la recherche (Châtillon, 1988). Il s’ensuit qu’une
régulation de l’action ne peut être proposée avant l’étape des opérations
concrètes où se manifestent les images cinétiques. Selon Châtillon, cette
indifférenciation entre le but et les moyens ne permet ni la décentration,
ni la prise de conscience, ni la thématisation. Il faudrait donc envisager
de sensibiliser les élèves à cette dichotomie entre l’action et le résultat
de l’action pour favoriser la prise de conscience : la trace est le résultat
d’un geste orienté (ce qui est d’ailleurs régulièrement exigé des élèves
qui doivent respecter la trajectoire du tracé des lettres, notamment en
écriture cursive). Or, dans cette optique, il serait vain de demander aux
élèves d’élaborer une réflexion sur leurs procédures de résolution, et, dans
le cas de l’écriture, de décrire la manière dont ils ont procédé pour réaliser
tel ou tel tracé, et surtout d’anticiper sur la manière de réguler leur action,
sachant qu’ils doivent alors se centrer sur les procédures conduisant à un
changement d’état. Car écrire, c’est toujours anticiper sur l’adéquation
entre un geste et son résultat (respect de la forme, de la trajectoire, de
l’organisation temporelle des actions, des liaisons topologiques, etc.). Ainsi,
en ce qui concerne l’apprentissage de l’écriture, selon la théorie piagé-
tienne, la régulation ne pourrait porter que sur les états, sur la forme de
la lettre, le résultat de l’action et non l’action elle-même ; l’élève ne
pouvant dissocier le but des moyens, il ne peut avoir conscience des
actions motrices (donc des procédures) qui produisent la trace. Le mouve-
ment n’est pas identifié comme étant à l’origine du résultat. En revanche,

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La réflexion sur l’action est-elle une activité métacognitive ?

d’autres travaux (Marmor, 19777) confirment l’existence d’une capacité


précoce (entre 4 et 5 ans) de rotation de l’image mentale en deçà du
niveau opératoire. Dans cette optique, la saisie d’une image cinétique
précoce serait possible ; on peut donc envisager une régulation s’exerçant
sur l’action motrice et non seulement à partir du seul résultat de l’action,
du produit statique, la régulation par les résultats étant moins perfor-
mante que la régulation par les procédures. Cette capacité permet de
penser a minima qu’il est possible pour les élèves de décrire leurs procé-
dures d’exécution, sans pour autant augurer de ses effets sur la prise de
conscience et la régulation souhaitée. Si l’on suit Piaget, la réussite précède
la compréhension, mais, dans notre cas, le rôle de l’incorporation, de
l’expérience sentie compte plus que la pensée logique. Pour Vygotski, la
prise de conscience n’est pas due à la loi du « déplacement » du domaine
de l’action au domaine de la représentation comme le suggère Piaget ;
elle est en relation étroite avec les opérations de pensée volontaires (atten-
tion volontaire et mémoire volontaire), qui marquent l’avènement des
fonctions psychiques supérieures, et se manifestent dans le passage des
concepts spontanés aux concepts scientifiques. Or, ces opérations de
pensée « volontaires » ne peuvent s’exercer avant l’âge de la scolarisation
selon Vygotski (ce qui correspond à l’entrée en école élémentaire, à 6 ou
7 ans) : « À l’âge scolaire toutes les fonctions intellectuelles essentielles
s’intellectualisent et deviennent volontaires, excepté l’intellect lui-même
au sens propre. » Pour reprendre une expression de Brossard (2004)
commentant les travaux de Vygotski : « La prise de conscience n’est pas
l’irruption mystérieuse du “méta” dans la conscience de l’enfant. » C’est
l’aspect volontaire qui va initier la prise de conscience8 par la mise en
relation des connaissances anciennes et nouvelles, le problème de la
conceptualisation étant fondamentalement lié à ces dimensions.

Dans le cadre de la recherche, il faut concéder que la prise de conscience,


donc la métacognition, n’a pas été possible, et, bien que le caractère volon-
taire de l’activité (attention et mémoire) ait été sollicité par la verbalisa-
tion, le support concret fut toujours nécessaire pour que les élèves
identifient leurs procédures (support visuel et concret : avoir l’écriture des
mots sous les yeux, tracer avec le doigt sur la table la forme de la lettre).

7. Cité par Bideaud, Houdé, Pédinielli, L’Homme en développement, Paris, PUF, 1993,
pp. 143-145.
8. « J’ai conscience que je me souviens, c’est-à-dire que je fais de mon propre souvenir
l’objet de la conscience. » (Vygotski, 1934/1985)

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Métacognition, remédiation

Cependant, par la verbalisation des critères, les analyses et comparai-


sons qui s’y rattachent, les élèves ont été conduits à établir des relations
entre l’action et son résultat, à apprendre à se décentrer, à envisager
diverses modalités de l’action dans sa composante motrice et, de ce fait,
à considérer leur activité d’un autre point de vue, langagier celui-là, les
mots établissant alors d’autres relations, élaborant un autre contexte à
l’activité. C’est ce contexte langagier qui permet d’observer l’action et qui
initie le développement d’une prise de conscience.

Troisième obstacle génétique : le rôle du langage


Le langage n’est pas unanimement considéré dans sa fonction de
régulation, c’est un « périphénomène » dans la perspective piagétienne
où les origines des conduites opératoires de l’intelligence sont issues des
schèmes moteurs. Pour Piaget, l’aspect figuratif (dans lequel sont inclus
le langage, la fonction sémiotique et la perception) est statique et sous
la dépendance de l’aspect opératif qui, lui, agit. Le langage n’est donc
pas perçu comme actif ; ce n’est que plus tard, au stade formel, qu’il parti-
cipe au fonctionnement de la pensée.
Dans cette même optique, les travaux de Sinclair montrent qu’aucun
apprentissage verbal organisé n’est suffisant à lui tout seul pour déter-
miner des progrès dans le niveau opératoire. Ses arguments s’appuient
sur l’apprentissage par les sujets d’expressions verbales comme « plus
que », « moins que », etc., et non sur la fonction sémiotique du langage.
Inhelder (1966) note également l’insuffisance du langage dans la forma-
tion des opérations concrètes. Elle signale cependant que le rôle régula-
teur signalé par Luria (1958) reste à débattre et que le langage peut jouer
un rôle différent « selon les niveaux de l’opérativité et selon le domaine
de leur application ». Elle souligne le développement analogue du langage
et des opérations intellectuelles, mais donne au développement intellec-
tuel « le principal rôle formateur ». Ferreiro (1988) procède aux mêmes
conclusions ; ses arguments concernent la filiation des structures logiques
qu’elle ne réfère pas non plus aux activités linguistiques. D’autres concep-
tions attribuent au langage un rôle plus actif. La fonction « intellectuelle »
du langage avait été mise en évidence par Oléron (1972), qui présentait
le langage comme un « instrument ». Pour Luria (1958) et Beaudichon
(1970), le rôle régulateur du langage s’exerce très tôt (dès 3 ou 4 ans).
Pour Bruner, c’est dès l’apparition du système de représentation symbo-
lique, qui met en jeu le langage, que le développement cognitif et le
développement du langage sont indissociables. Cette convergence se fait

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La réflexion sur l’action est-elle une activité métacognitive ?

vers l’âge de 2 ans. C’est Vygotski (1985) qui attribue au langage le rôle
le plus puissant dans l’élaboration de la pensée (c’est « l’instrument
psychologique » par excellence) : « La pensée ne s’exprime pas dans le
mot, mais se réalise dans le mot […]. La relation de la pensée au mot
n’est pas une chose statique, mais un processus, un mouvement perpé-
tuel allant et venant de la pensée au mot et du mot à la pensée […]. Les
mots ne se contentent pas d’exprimer la pensée, ils lui donnent nais-
sance. » L’activité langagière est considérée comme étant fondamentale
dans le processus de métacognition. Pour autant, lorsque les élèves sont
sollicités pour dire « comment ils s’y prennent pour faire », élaborent-ils
une réflexion sur leurs processus de pensée ou, plus simplement, décri-
vent-ils leurs actions concrètes (en supposant qu’ils en aient conscience
et qu’ils verbalisent ce qu’ils ont réellement fait9) ? S’il n’y a pas de pensée
sans langage, le langage dans sa forme expressive ne suffit pas pour penser.
Seul un contexte dialogique précis peut être « productif » et la difficulté
dans l’enseignement consiste justement à instaurer, maintenir et faire
vivre un tel contexte.
D’où les questions : suffit-il d’échanger pour induire un processus méta-
cognitif ? La réflexion sur l’action est-elle un processus métacognitif ? La
réponse est très réservée, même en s’appuyant sur l’approche
vygotskienne. En effet, si Vygotski soutient que « la communication
verbale avec les adultes est un moteur, un facteur puissant du dévelop-
pement des concepts enfantins », il relativise la portée de ces interactions
pour les enfants d’âge préscolaire qui en sont au stade de la pensée par
complexes ou pseudo-concepts, les apparences étant trompeuses :
« L’enfant au stade de la pensée par complexes pense sous la significa-
tion d’un mot les mêmes objets que les adultes, ce qui permet la compré-
hension entre eux et lui, mais il pense cette même chose autrement, par
un autre procédé, à l’aide d’autres opérations intellectuelles. » Au regard
de ces propos, la verbalisation des élèves sur leur activité, les analyses
conduites au cours de la recherche par l’énoncé des critères seraient appré-
hendées comme de simples actes de communication fondés sur la mise

9. Il est intéressant de citer ici les propos de Vygotski à la fin de son ouvrage Pensée et
Langage, 1934/1985 : « Nous arrivons ainsi à la conclusion que la pensée ne coïncide pas
immédiatement avec l’expression verbale. […] Ce qui existe simultanément dans la pensée
se développe successivement dans le langage […]. C’est pourquoi le passage de la pensée
au langage est un processus extrêmement complexe de décomposition de la pensée et de
reconstitution de celle-ci dans les mots. » Ce qui implique un décalage, pas seulement
temporel, entre l’expression verbale et la pensée.

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Métacognition, remédiation

en convergence de l’activité au plan interpsychologique. Dans ce cas, le


langage concerne les relations entre les signes et la réalité extra-linguis-
tique – le contexte concret – ; il introduit une référence objective dans
un contexte de communication, mais, comme le signale Vygotski, les
opérations de pensée, à ce stade, ne sont pas d’ordre conceptuel10 à propre-
ment parler : « Comme on sait, la compréhension verbale entre l’adulte
et l’enfant, la communication verbale, apparaît extrêmement tôt et c’est,
on l’a vu, ce qui autorise nombre de chercheurs à penser que les concepts
se développent tout aussi tôt. Cependant, nous l’avons dit également, les
concepts de pleine valeur se développent relativement tard dans la pensée
enfantine, alors que la compréhension verbale mutuelle entre l’enfant et
l’adulte s’établit très tôt. » (1934/1985) D’où l’illusion de penser que par
la verbalisation de leurs actions, les élèves se situent au même niveau de
réflexion que l’adulte : expliciter son activité pour un enfant ce n’est
pas, ipso facto, entrer dans un processus métacognitif.

Faut-il pour autant renoncer à engager les élèves dans cette activité
de verbalisation ? Bien évidemment non, car c’est bien parce que l’élève
est sollicité par l’adulte que le développement des concepts pourra avoir
lieu en son temps. Il faut simplement rester modeste quant à la nature
des changements observés (les réussites) et l’interprétation des interac-
tions car la possibilité de parler de ses processus de pensée nécessite que
l’enfant puisse réaliser un processus d’abstraction « des idées sur les
choses » et non un travail d’abstraction sur les choses. Or, c’est ce
deuxième travail qui est le plus à même d’être effectué en réalité avec
de jeunes élèves. Je pense que le processus de métacognition – la prise
de conscience des processus de pensée – est trop rapidement invoqué dès
lors que s’instaure un dialogue élève/adulte à propos de l’activité des
élèves. En effet, l’enfant d’âge scolaire (ce qui correspond à l’âge d’entrée
dans l’école élémentaire) « s’avère incapable encore de maîtriser les
processus de sa pensée propre et d’en prendre conscience […] son atten-
tion est toujours dirigée sur l’objet qu’il représente et non sur l’acte même
de la pensée qui l’appréhende » (Vygotski, 1934/1985).

10. Pour Vygotski, la voie de développement des concepts passe par trois stades : le
premier est basé sur des liaisons syncrétiques, le deuxième est la pensée par complexes, le
troisième concerne les pseudo-concepts : « Extérieurement c’est un concept, intérieurement
c’est un complexe. C’est pourquoi nous l’appelons pseudo-concept » souligne Vygotski, qui
ajoute : « Dans la pensée réelle et vivante de l’enfant d’âge préscolaire, les pseudo-concepts
sont la forme de pensée par complexes la plus répandue, prévalant sur toutes les autres et
souvent presque exclusive. » (1934/1985)

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La réflexion sur l’action est-elle une activité métacognitive ?

Conclusion sur les obstacles génétiques


Évoquer la métacognition à propos des interactions qui se déroulent
en classe, c’est oublier que cette question est au cœur d’un débat scienti-
fique que j’ai tenté d’illustrer par les obstacles génétiques. Les limites géné-
tiques représentent bien un obstacle à la prise de conscience et à la
métacognition pour les élèves de maternelle (et même au-delà) bien que
des arguments conduisent à penser que si ces processus ne sont pas réalistes
à ce stade, ils peuvent néanmoins faire l’objet d’une attention de la part de
l’adulte dans des situations spécifiquement organisées en ce sens. Les
interactions enseignant/élèves, élèves/élèves, l’analyse de l’activité, les compa-
raisons, les verbalisations, etc., ne sont pas à exclure. Ces situations ont
l’avantage d’induire une décentration par rapport aux activités concrètes,
de mobiliser l’attention, de nommer les actions qui sont alors signifiées par
le langage. Encore faut-il organiser ces situations d’une façon spécifique et
choisir les objets sur lesquels vont porter ces interactions. C’est aussi se situer
dans une perspective développementale et non pas se centrer uniquement
sur le fonctionnement de l’élève mais sur un usage social des « instruments
psychologiques » qui ont un devenir. Ce qui suppose de prendre en compte
d’autres dimensions. Pour Vygotski, les instruments psychologiques, par
analogie avec la technique, sont les outils du développement des processus
psychiques. Ce sont des élaborations artificielles, ils sont sociaux par nature :
le langage, le comptage, le calcul, l’écriture, les symboles algébriques, les
schémas, les cartes et plans, les diagrammes, les œuvres d’art…11

En ce qui concerne ma recherche, les élèves ont été performants dans


toutes les activités de contrôle proposées ; il semble même que des trans-
ferts aient eu lieu. Compte tenu des analyses précédentes sur les limites
génétiques, des questions sont soulevées : les élèves se sont-ils engagés
dans un processus de régulation ou ont-ils effectué un simple réajuste-
ment visant à se mettre en conformité avec les demandes de l’adulte ?
La régulation portait-elle sur l’action concrète, sur les procédures ou sur
les processus de pensée ? Les élèves ont-ils régulé leur activité ou simple-
ment rectifié le résultat ? Poser ces questions me conduit à prendre en
compte certaines critiques énoncées à propos de l’usage d’une pratique
métacognitive supposée efficace en tout circonstance. Les propos de
Brossard et Johsua ont plus particulièrement attiré mon attention.

11. Voir à ce sujet : « La méthode instrumentale en psychologie », in Vygotski aujourd’hui,


Textes de base, Paris, Delachaux et Niestlé, 1985.

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Métacognition, remédiation

Points de vue critiques


Pour répondre à mes préoccupations, je vous fais part de deux
types de critiques.
On trouve la première dans les commentaires de Brossard (2004) sur
l’œuvre de Vygotski : « Travailler avec l’élève à un niveau “métalinguis-
tique” a été une orientation didactique très en vogue ces dernières années.
La capacité de faire du “méta” était mystérieusement inscrite dans la
structure de la conscience. Nous avons, en son temps12, critiqué cette
orientation qui conduisait inévitablement à se détourner des contenus.
Nous mettions l’accent sur les situations scolaires comme condition de
possibilité d’accéder à la conscience de sa propre pratique en particulier
en ce qui concerne les pratiques langagières. Mais nous n’avions pas vu
alors la relation consubstantielle entre le caractère systématique des
connaissances et l’effectuation de la prise de conscience. » Brossard
souligne ici le fait que la prise de conscience n’est pas indépendante de
l’objet de l’activité. Le « méta » n’est pas un processus qui, à un moment
donné, se rajouterait aux autres, ou ferait l’objet d’un apprentissage en
soi. La prise de conscience, la réflexion métacognitive et leur évolution
se développeraient progressivement dans le temps, en relation étroite
avec les contenus d’apprentissage eux-mêmes.
À ce titre, les situations scolaires sont fondamentales non seulement
parce qu’elles sont socialement vécues mais aussi parce qu’elles portent sur
des objets d’apprentissages spécifiques, les « savoirs scolaires », les « concepts
scientifiques » selon la dénomination de Vygotski, dont la maîtrise néces-
site plusieurs années, bien souvent au-delà de la scolarisation. Brossard
signale la dépendance entre la prise de conscience et le caractère systé-
matique des connaissances. Ce caractère systématique renvoie à la nature
même du savoir considéré, qui est organisé spécifiquement par l’école pour
être transmis (transposition didactique). Les savoirs scolaires font
système. Pour Vygotski, c’est la tension entre ces deux domaines de connais-
sances – connaissances spontanées et connaissances scientifiques – qui
provoque la prise de conscience. Pour lui, les concepts13 se présentent sous

12. Brossard M., « Activités métalinguistiques et situations scolaires », Repères, n° 9, 1994,


pp. 16-19.
13. Contrairement à Piaget pour qui la formation des concepts suit une trajectoire unique,
allant du concret à l’abstrait, pour Vygotski, il existe deux natures de concepts, les concepts
scientifiques et les concepts spontanés, qui suivent des voies opposées (une « germination »
vers le haut ou le bas, dit-il) mais qui sont cependant liés l’un à l’autre par des rapports
internes profonds.

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La réflexion sur l’action est-elle une activité métacognitive ?

une forme originale qui porte la marque de leurs modes d’élaboration :


« On peut désigner comme la longitude d’un concept donné la place qu’il
occupe entre le pôle de l’idée concrète à l’extrême et celui de l’idée abstraite
à l’extrême de l’objet. Les concepts se différencieront alors dans leur longi-
tude en fonction de la mesure d’unité du concret de l’abstrait représenté
dans chaque concept donné. […] On pourra désigner comme la latitude
du concept la place qu’il occupe parmi les autres concepts ayant la même
longitude mais se rapportant à d’autres point de la réalité. […] La longi-
tude et la latitude du concept doivent donner une représentation exhaus-
tive de la nature du concept sous l’angle de deux éléments – l’acte de
pensée qu’il implique (longitude : son degré d’abstraction14) et l’objet qu’il
représente (latitude : ses relations avec les autres concepts). »

Cette organisation a une incidence sur les processus de prise de


conscience et de conceptualisation que doivent prendre en charge les
situations scolaires, d’abord parce que plusieurs formulations sont
possibles, ce qui explique, selon Brossard, que l’on puisse faire reformuler
de différentes façons un même concept aux élèves. Ensuite parce que les
difficultés conceptuelles ne sont pas équivalentes selon les contenus des
savoirs étudiés. Autrement dit, la prise de conscience n’est pas unique-
ment l’affaire d’un processus de pensée qui serait soudainement objec-
tivé par des échanges langagiers ; ce processus est amené à se développer
au sein d’activités langagières et dépend étroitement de la nature des
savoirs à s’approprier. Du coup, la métacognition est sans doute un
processus moins uniforme qu’il n’y paraît, d’une part, parce que les
différences conceptuelles ne sont pas du même ordre selon les disciplines
et, d’autre part, parce que les difficultés des élèves sont différentes d’une
discipline à l’autre.

Que nous apportent ces constats pour comprendre le processus de méta-


cognition ? Ils nous incitent à prendre en compte la nature de l’objet de
savoir, son caractère systémique qui est, comme l’a reconnu Brossard,
« consubstantiel » du processus de prise de conscience. Ce qui conduit à
considérer l’élaboration de nouvelles connaissances scolaires en relation
avec tout le système composant le domaine de connaissances mais aussi
avec les connaissances plus concrètes, les techniques, que possèdent les
élèves, et les modes d’explicitations qu’ils utilisent pour expliquer. En
classe, même si les élèves de maternelle ne peuvent prendre conscience

14. Souligné par nous.

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Métacognition, remédiation

de leur activité comme un adulte peut le faire, le fait d’instaurer un cadre


dialogique sur des objets « concrets visibles », les conduit à se décentrer
du contexte concret, à considérer leur geste différemment : du point de
vue des autres élèves mais aussi du point de vue langagier. Expliquer
« autrement » les actions concrètes, le tracé des lettres, revient à effec-
tuer un parcours différent pour exprimer sa pensée, ses actions, pour
établir des liens. C’est ainsi que découvrir que le rond est en réalité un
« O » parce que lettre nécessaire pour écrire le mot NOËL15 provoque un
changement de point de vue : la lettre « O » acquiert un autre statut que
son aspect formel : le tracé d’un rond. Il y a alors changement de signi-
fication.

La seconde critique nous est fournie par Johsua au cours d’un entre-
tien avec R. Amigues et M. Kherroubi (2003). Il critique fortement les
pratiques métacognitives qui seraient, selon lui, une impasse : « La
tendance la plus répandue consiste à penser que ce qui manque aux élèves
qui sont en difficulté pour maîtriser les concepts spécifiques d’une disci-
pline, ce sont des aspects métaconceptuels […]. J’estime qu’au lieu de
chercher la solution dans le “méta”, il faut s’attacher à trouver des solu-
tions par le bas, c’est-à-dire dans des techniques de bas niveau, que
j’appelle les techniques hypodidactiques. J’avoue que cette façon de faire
relève davantage d’une intuition que de résultats de recherche […]. Passer
par le haut, contrairement à ce qu’on pense, conduit à une impasse, et
il vaut mieux travailler une solution hypodidactique. » Il s’agit donc
surtout de ne pas négliger l’apprentissage de techniques élémentaires
spécifiques à chacune des disciplines. Demander un travail « méta » alors
que les bases ne sont pas suffisamment maîtrisées n’aide en rien les élèves
mais engendre pour eux davantage de difficultés.
Cependant, Johsua met en garde contre les perversions possibles liées
aux aides hypodidactiques qui consisteraient à maintenir trop longtemps
les élèves dans des tâches coupées les unes des autres, de rester sur un
apprentissage de techniques qui perdent leur sens car isolées de l’objet
d’apprentissage, dérives portées par la pédagogie par objectifs. C’est, par
exemple, à propos d’exercices de mathématiques : « Souligner les mots
importants. Voilà un exemple typique qui vient de la pédagogie de

15. Comme le montre l’exemple cité dans l’article de 1998 à propos de l’écriture du mot
« NOËL » : « Pour écrire le “O” de “NOËL”, il faut tracer un rond. Mais c’est un “O”. »,
p. 120.

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La réflexion sur l’action est-elle une activité métacognitive ?

maîtrise […]. Trouver les mots importants n’aide pas à solutionner le


problème. Donc en proposant cela on n’a pas aidé les élèves ! C’est ainsi
que l’on trouve dans les classes des élèves qui ont souligné tous les mots
[…]. Au motif de vouloir les aider, on accroît les difficultés, parce que
les techniques employées ne remplissent pas la fonctionnalité recherchée.
Donc l’idée des techniques de bas niveau n’est pas mauvaise, mais à condi-
tion de bien choisir la technique, sinon on engendre d’autres difficultés
à celles qu’on voulait réduire. »
Ramener l’activité des élèves à l’usage d’une procédure de traitement
de l’information qui n’a rien à voir avec l’objet de l’activité (souligner les
mots est-ce faire des mathématiques ?) risque non seulement de main-
tenir les élèves dans un sous-fonctionnement cognitif, mais aussi d’entre-
tenir des malentendus. En effet, certains élèves restent centrés sur les
aspects matériels de la tâche au détriment des objectifs d’apprentissage.
Pour eux « bien coller » par exemple, ce n’est pas reconstituer une phrase
c’est « aligner des étiquettes » proprement16. Pour éviter cet écueil, Johsua
précise qu’il « faudrait réorienter certaines recherches en didactique pour
identifier quelles sont vraiment les techniques de bas niveau, concep-
tuellement puissantes, qu’il faudrait “prioriser” ». Ce qui implique, semble-
t-il, la nécessité de repenser les rapports entre les techniques (postulat
praxéologique de Chevallard). D’où la nécessité d’éviter, avec les élèves,
un dépassement par le « dessus » (le méta) aussi bien qu’un dépassement
par le « dessous » (l’hypo) tout en sachant qu’on ne peut penser l’un indé-
pendamment de l’autre.

Dans la recherche, le fait de faire verbaliser les critères a peut-être


introduit une difficulté supplémentaire, car, non seulement les élèves
avaient à résoudre le problème de copie du mot, mais aussi à comprendre
l’usage des critères et les intentions de l’enseignante. Grossen (1988)
montre que les enfants placés dans une situation de test doivent, en même
temps, résoudre le problème posé par la situation elle-même, et donner
une signification à celle-ci comme à l’activité qu’ils y déploient. Que se

16. « Les travaux de Charlot, Bautier, Rochex (1992) montrent que les élèves en diffi-
culté, et ce dès le cours préparatoire, sont justement ceux qui n’ont pas élaboré un rapport
au savoir adéquat. Ils n’identifient pas les objectifs didactiques des enseignants, restent
centrés sur les aspects concrets de l’exercice, sur la réussite de la tâche et non sur ses fina-
lités. Ils privilégient le concret, les manipulations, les actions visibles et matérielles au détri-
ment des objectifs didactiques. » (Zerbato-Poudou M.-T., « Spécificités de la consigne à l’école
maternelle et définition de la tâche », Pratiques, n° 111-112, 2001, p. 117)

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Métacognition, remédiation

passe-t-il lorsque les élèves doivent analyser leurs productions sur la base
des critères proposés par l’enseignante ? Ne sont-ils pas simplement dans
une activité de contrôle et de justification pilotée par l’adulte ? Le guidage
est externe, direct et explicite, l’attention des élèves est balisée de l’exté-
rieur ; ils répondent aux questions posées. Est-ce un processus d’autoré-
gulation ou de conformisation aux règles établies par l’enseignante ?

Il ressort de ces deux approches la nécessité d’examiner avec attention


la nature des objets de savoir concernés par la situation scolaire comme
la nature des interactions qui s’y déroulent. Ceci me conduit à relativiser
la situation d’apprentissage créée par la recherche et à revisiter une autre
situation interactive qui se déroulait en classe et qui s’appuie sur une
pratique différente de la verbalisation ; il s’agit de la dictée à l’adulte. Le
changement de rôle qui est alors proposé ouvre d’autres possibilités.

Dictée à l’adulte
Dans cette situation, l’enseignante va écrire elle-même le mot ou
les lettres sous la dictée des élèves (collectif). Prenons l’exemple du tracé
d’une lettre : l’enseignante décide d’écrire elle-même la lettre, non pas en
se positionnant comme modèle, mais en suivant scrupuleusement les indi-
cations des élèves. Si les consignes sont imprécises, elle n’anticipe pas sur
le tracé qu’elle connaît, mais répond strictement à la consigne, ce qui se
traduit la plupart du temps par un tracé erroné, plus ou moins volon-
taire :
– Enseignante : « Pour écrire cette lettre qui s’appelle un “E”, comment
je fais ? »
– Élèves : « Tu fais un grand trait tout droit ! »
L’enseignante trace un trait droit mais incliné alors que les élèves
l’attendent vertical (le modèle est sous les yeux). Ils réagissent vigoureu-
sement.
– Élèves : « Non, non ! tout droit, comme ça… »
Ils montrent avec leur doigt la trajectoire verticale.
– Enseignante : « Mais vous ne m’avez pas dit qu’il devait être comme
ça, vertical. Je fais ce que vous me dites moi ! (elle trace le trait vertical).
Et puis ? »
– Élèves : « Tu fais les petits traits… »
L’enseignante trace des traits en évitant de les placer au bon endroit,
n’importe où sur la feuille, puisque rien n’a été dit à ce sujet.
– Élèves : « Non ! accrochés au grand ! »

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La réflexion sur l’action est-elle une activité métacognitive ?

– Enseignante : « Ah, vous avez dit “des petits traits”, et moi j’ai écouté,
j’ai fait des petits traits. Bon, alors je les accroche. »
Elle trace les petits traits accrochés au trait vertical mais en grand
nombre et positionnés au hasard (pas les trois attendus). La réaction est
toujours aussi vive.
– Élèves : « Non ! pas comme ça. Il en faut pas beaucoup ! Il en faut
comme ça… »
Ils montrent 3 avec leurs doigts.
– Élèves : « Ils sont pas mis comme ça ! c’est là et là… »
Ils désignent leur emplacement.
L’enseignante nomme les positions : en haut, en bas, au milieu…
Le jeu se poursuit jusqu’à réalisation complète et correcte de la lettre.
C’est un temps fort, ritualisé, et très productif pour les écritures ulté-
rieures de la lettre17. Dans cette situation, les interactions ne sont pas
du même type que celles qui sollicitent la verbalisation des critères. Elles
ne visent pas à questionner les procédures de chacun, ni à engager une
réflexion métacognitive. Ni à vérifier expressément l’adéquation à des
critères, forcément abstraits. Il s’agit ici d’instructions qui concernent la
nature des tracés, leur position et leur organisation spatiale, instructions
données à un autre scripteur et portant sur le résultat à atteindre et pas
nécessairement sur des procédures des actions motrices (le mouvement
de la main n’est pas signalé18). Ce faisant, les élèves sont engagés dans
un double processus de décentration : d’une part, ils n’effectuent pas
eux-mêmes les tracés ; ils sont libérés de la tâche concrète, et, d’autre
part, en désignant les actions, en décrivant verbalement les segments de
lettre, ils engagent un processus de décentration verbale qui peut sembler
identique à celui qu’ils devaient effectuer lors de la verbalisation des
critères. Or, il ne s’agit pas du tout de la même fonction. Pour
comprendre ceci, il faut se reporter à l’hypothèse centrale de Vygotski :
la loi génétique générale du développement humain : « Au cours du déve-
loppement culturel de l’enfant chaque fonction apparaît deux fois sur

17. Tous les enseignants qui utilisent ce procédé en constatent les effets positifs et rela-
tivement rapides.
18. Pour une même forme, deux mouvements ou plus parfois sont possibles. Le cercle
peut se tracer avec un geste orienté vers la gauche ou vers la droite, le résultat sera iden-
tique. Il en est de même pour tout tracé ; la trajectoire relève d’abord d’une procédure
personnelle, comme l’a montré L. Lurçat. Ces détails sur les procédures d’exécution sont à
prendre en compte à l’école, notamment lors de l’écriture cursive, qui impose des conven-
tions pour la trajectoire des lettres.

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Métacognition, remédiation

la scène, sur deux plans ; d’abord le plan social, ensuite le plan psycho-
logique ; d’abord entre les personnes en tant que catégorie interpsy-
chique, ensuite à l’intérieur de l’enfant en tant que catégorie
intrapsychique. » (1983) Dans le cas de la verbalisation des critères, les
élèves répondent à des questions qu’ils ne se posent pas, l’adulte énonce
les critères et conduit les élèves à vérifier leur travail et à expliciter leur
procédure : le guidage et la régulation sont externes. On suppose qu’ils
seront intériorisés. Le passage de l’inter à l’intra est traité ici de cette
façon : ce qui est énoncé collectivement peut être intériorisé par chacun.
Dans le cas de la dictée à l’adulte, les élèves sont en situation de régu-
lation externe sur autrui ; ce sont eux qui proposent des actions desti-
nées à réguler celle qu’autrui devra réaliser, pour pouvoir les utiliser
eux-mêmes. Ainsi, les règles sont exercées dans le social avant d’être
reconstruites et appliquées pour soi : « En signifiant à autrui son
approche de la situation, l’enfant commence à se signifier à lui-même
la situation – et donc d’une certaine façon à se la re-présenter. »
(Brossard, 2004) Le recours à l’analyse des multiples fonctions du langage
mentionnées par Vygotski et regroupées par Wertsch (présentées par
Deleau, 198919) permet de traduire ce processus : le signe gestuel, puis
le mot-signe sont à l’origine des indicateurs pour agir, contrôler, réguler
la conduite d’autrui20 ; ils servent également à agir sur soi par intériori-
sation. Les fonctions du langage se décrivent par couples, où interagis-
sent les fonctions sociale et individuelle. On est là dans la situation décrite
par Vygotski, qui est au fondement même de sa théorie qui atteste de
l’essence sociale de la structure du psychisme : la loi développementale
du passage de l’interpsychique à l’intrapsychique, « l’action propre pour
ainsi dire, s’extériorise aux yeux de l’enfant et se réfléchit dans la réponse
d’autrui avant de s’intérioriser » (Deleau, préface de l’ouvrage de Bruner,
1983). Ainsi, considérer que le processus de l’inter à l’intra se déroule
ipso facto en situation de dialogue est insuffisant. Il faut également
prendre en compte l’activité même de communication et l’origine des
énonciations : qui parle ? Dans quel but ? Dans la dictée à l’adulte, les
élèves font l’expérience sur autrui des processus de contrôle qu’ils pour-
ront s’appliquer à eux-mêmes : le concept « en soi » et « pour autrui » se

19. Fonction de signalisation et fonction de signification ; fonction sociale et fonction


individuelle ; fonction communicative et fonction intellectuelle ; fonction indicative et fonc-
tion significative ou symbolique.
20. Brossard cite cette réflexion de Van der Veer : « Janet considérait que l’acte de
commander était parmi les actes sociaux l’un des plus importants. »

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La réflexion sur l’action est-elle une activité métacognitive ?

développe chez l’enfant avant le concept « pour soi »21. Par ailleurs, dans
cette situation, les élèves traduisent l’action concrète à un niveau symbo-
lique : le langage devient l’organisateur de l’action. À la différence de la
verbalisation des critères, les élèves ne sont pas dans une situation de
justification, ils n’appliquent pas des directives, mais organisent l’action
de l’enseignante, comme si le mot était le prolongement de la main. Ce
faisant, la fonction indicative du langage leur permet d’établir un
rapport nouveau avec les mots qui, non seulement décrivent les actions
mais introduisent également des rapports entre eux : les mots devien-
nent à eux-mêmes leur propre contexte. Le choix des mots acquiert ici
de l’importance car il faut s’intéresser alors à l’énoncé dans sa forme et
son contenu propres. Si, comme le dit Vygotski, la prise de conscience
est solidaire des nouvelles connaissances, on peut penser que la nouvelle
connaissance est, dans ce cas, l’expérience d’une nouvelle fonction du
langage : la valeur des mots ou signes est source de réorganisation
psychique. L’élève regarde ses connaissances anciennes du point de vue
de cette connaissance nouvelle : la fonction du langage. « Si une mise à
distance s’effectue entre l’enfant et la situation, une distance s’instaure
également entre l’enfant et lui-même. » (Brossard, 2004) Ainsi, on n’est
plus dans une perspective métacognitive qui s’exercerait sur sa propre
pensée mais sur la prise de conscience de l’usage des signes. La conscience
porte sur les mots pour faire, d’où l’importance donnée à l’hypo plutôt
qu’au méta, pour reprendre les termes de Johsua.

Conclusion
À travers les différentes situations présentées, j’ai tenté de montrer
que le simple jeu de questions/réponses, que ce soit sur l’action ou sur
les procédures, ne suffit pas, à lui seul, à engager le processus de prise
de conscience, surtout avec de jeunes enfants, si on se réfère aux analyses
de Piaget et de Vygotski. En outre, la prise de conscience n’est pas un
processus inédit qui s’élabore en dehors de la nature de l’objet d’appren-
tissage lui-même ni en dehors des connaissances préalables.

21. « Le concept “en soi” et “pour autrui” qui est déjà présent dans le pseudo-concept
est la prémisse génétique fondamentale pour que se développe un concept au sens véri-
table du mot. » Pour Vygotski, les pseudo-concepts coïncident avec les concepts adultes
parce qu’ils permettent la communication, mais ils n’ont pas la même signification ; leur
nature psychique est tout autre.

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Métacognition, remédiation

Cependant, les élèves de maternelle peuvent s’engager dans une situa-


tion de communication ayant pour objet leur propre activité et celle
d’autrui, dans la mesure où ils font alors l’expérience de la fonction du
langage en tant qu’instrument psychologique, ceci dans un milieu conçu
comme un collectif de travail qui va transmettre des connaissances socia-
lement élaborées, connaissances qui peuvent questionner leurs connais-
sance anciennes. Comme nous l’avons vu lors de la dictée à l’adulte, la
situation scolaire se prête à ce jeu de double distanciation (concrète et
sémiotique) par sa nature même. « Ainsi les apprentissages scolaires ne
produisent pas du développement, mais mettent en mouvement des
processus internes, un travail intérieur de conceptualisation. » (Brossard,
2004) De ce fait, il faut penser l’environnement scolaire, le milieu de
travail, par la mise en œuvre de situations qui ne soient pas uniquement
centrées sur une introspection verbale, mais prennent en compte des
dimensions plus techniques de réalisation concrète (voir la dictée à
l’adulte).
Il ne faut pas oublier cependant que c’est également le milieu scolaire,
dans sa globalité et sa quotidienneté, qui participe à la construction, par
les élèves, de leur rapport au savoir. La connaissance est « située » et
« distribuée », nous dit Bruner. Je pense que c’est bien la culture spéci-
fique autour de l’écrit qui a permis aux élèves d’acquérir des connais-
sances et des habiletés, motrices et cognitives, et pas les seuls moments
ciblés par la recherche. C’est le contexte dans sa totalité, avec ses divers
acteurs et outils qui a sa part dans cette construction.

Pour répondre à la question posée – la réflexion sur l’action est-elle


une activité métacognitive ? –, je dirai qu’il ne suffit pas d’engager les
élèves dans une verbalisation, que ce soit sur leurs processus de pensée
ou les produits de leurs actions, pour que se crée une activité de prise
de conscience fonctionnant à un niveau métacognitif. Ce leurre qui consis-
terait à penser que la pédagogie pourrait « implanter » dans le fonction-
nement des élèves, et des élèves en difficulté en particulier, des processus
méta, serait la mort de la pédagogie. Si la tâche est prescriptible, l’acti-
vité de l’élève, elle, ne l’est pas. Le développement n’est pas orienté, il
est indescriptible et imprescriptible. On ne peut savoir à l’avance ce qui
va se passer, quel chemin interne chacun des élèves va suivre dans cette
construction (ce que Brossard nomme la face cachée de la zone de proche
développement) : « Il y a un processus d’apprentissage scolaire ; celui-ci a
sa structure interne, son enchaînement, sa logique de développement ; et
intérieurement dans l’esprit de chaque écolier pris isolément, il y a en

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La réflexion sur l’action est-elle une activité métacognitive ?

quelque sorte un réseau interne de processus qui bien qu’ils soient suscités
et mis en mouvement au cours de l’apprentissage scolaire, ont leur logique
propre de développement. » (Vygotski, 1934/1985) Quelles attentes raison-
nables peut-on avoir envers les élèves de maternelle ? Je citerai encore
Vygotski dans cet extrait d’un texte récemment publié : « L’enfant de cet
âge passe à un tout nouveau type d’activité. Je suis forcé de caractériser
ce type nouveau d’activité comme le passage à une activité créatrice, si
l’on considère que dans tous les aspects de l’activité d’un enfant d’âge
préscolaire des rapports tout à fait originaux apparaissent entre la pensée
et l’action, en particulier la possibilité de réaliser concrètement un projet,
la possibilité d’aller de la pensée à la situation, et non pas de la situa-
tion à la pensée. »22

Pour finir, je ferai une critique de l’école qui a trop souvent tendance
à se saisir de concepts élaborés en situations de recherche souvent épurées
des nombreuses variables que l’on rencontre en classe, ce qui conduit à
normaliser ces concepts, à les détourner et même les pervertir. Il en est
ainsi de la métacognition, comme du conflit socio-cognitif, de la zone de
proche développement et d’autres dispositifs qui, livrés « clés en main »,
se dissolvent dans des pratiques aseptisées. Phénomène que Y. Clot (2003)
désigne comme « la chosification de l’œuvre de Vygotski dans une psycho-
logie orthopédique qui lui tourne le dos ». Selon Bruner, dit-il, « la critique
commence à poindre contre une “zone prochaine de développement”
tellement amorphe qu’elle n’est plus qu’une implantation chez l’enfant
d’une conscience déléguée ».
C’est en rendant lisibles et manipulables des manières de faire que les
élèves s’approprient des outils pour nourrir leur développement.

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22. « Apprentissage et développement à l’âge préscolaire », Société Française, n° 2 (52),


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