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pour enseigner
Philippe Perrenoud
Dix nouvelles
compétences
pour enseigner
Invitation au voyage
Direction éditoriale : Sophie Courault
Édition : Sylvie Lejour
Coordination éditoriale : Maud Taïeb
Relecture – correction : Carole Fossati
Composition : Myriam Dutheil
www.esf-editeur.fr
ISBN
978-2-7101-2932-5
ISSN 1158-4580
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et sur le site www.esf-editeur.fr
Du même auteur
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Table des matières
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Table des matières
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Introduction
De nouvelles compétences
professionnelles pour enseigner 1
1. La substance de ce livre a paru d’abord dans l’Éducateur, revue de la Société pédagogique romande, en
douze articles publiés à trois semaines d’intervalle durant l’année scolaire 1997-98. Je remercie vivement
Cilette Cretton, rédactrice de l’Éducateur, de m’avoir invité à écrire cette série d’articles. Ils figurent dans
l’Éducateur n° 10 (5 septembre 1997, p. 24-28), n° 11 (26 septembre 1997, p. 26-31), n° 12 (17 octobre
1997, p. 24-29), n° 13 (7 novembre 1997, p. 20-25), n° 14 (28 novembre 1997, p. 24-29), n° 15 (19 décembre
1997, p. 26-33), n° 1 (23 janvier 1998, p. 6-12), n° 2 (février 1998, p. 24-31), n° 3 (6 mars 1998, p. 20-27),
n° 4 (1er avril 1998, p. 22-30), n° 5 (10 avril 1998, p. 20-27), n° 8 (26 juin 1998, p. 22-27).
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Introduction
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Introduction
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Introduction
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Introduction
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Introduction
Décrire une compétence revient donc, dans une large mesure, à évoquer trois
éléments complémentaires :
• les types de situations dont elle donne une certaine maîtrise ;
• les ressources qu’elle mobilise, savoirs théoriques et méthodologiques, atti-
tudes, savoir-faire et compétences plus spécifiques, schèmes moteurs, schèmes
de perception, d’évaluation, d’anticipation, de décision ;
• la nature des schèmes de pensée qui permettent la sollicitation, la mobilisation
et l’orchestration des ressources pertinentes, en situation complexe et en temps
réel.
Ce dernier aspect est le plus difficile à objectiver, parce que les schèmes de pen-
sée ne sont pas directement observables et ne peuvent être qu’inférés, à partir
des pratiques et des propos des acteurs. Il est en outre malaisé de faire la part de
l’intelligence générale de l’acteur – sa logique naturelle – et de schèmes de pen-
sée spécifiques développés dans le cadre d’une expertise particulière.
Intuitivement, on pressent que l’enseignant développe des schèmes de pensée
propres à son métier, différents de ceux du pilote, du joueur d’échecs, du chirur-
gien ou de l’agent de change. Il reste à les décrire plus concrètement.
On l’aura compris, l’analyse des compétences renvoie constamment à une théo-
rie de la pensée et de l’action situées (Gervais, 1998), mais aussi du travail, de la
pratique comme métier et condition (Descolonges, 1997 ; Perrenoud, 1996 c).
C’est dire que nous sommes en terrain mouvant, à la fois sur le plan des
concepts et des idéologies…
Un point mérite qu’on s’y arrête : parmi les ressources mobilisées par une com-
pétence majeure, on trouve en général d’autres compétences, de portée plus
limitée. Une situation de classe présente en général de multiples composantes,
qu’il faut traiter de façon coordonnée, voire simultanée, pour aboutir à une
action judicieuse. Le professionnel gère la situation globalement, mais mobilise
certaines compétences spécifiques, indépendantes les unes des autres, pour trai-
ter certains aspects du problème, à la manière dont une entreprise sous-traite
certaines opérations de production. On sait par exemple que les enseignants
expérimentés ont développé une compétence très précieuse, celle de percevoir
simultanément de multiples processus qui se déroulent en même temps dans sa
classe (Carbonneau et Hétu, 1996 ; Durand, 1996). L’enseignant expert « a des
yeux derrière le dos », il est capable de saisir l’essentiel de ce qui se trame sur
plusieurs scènes parallèles, sans être « sidéré » ou stressé par aucune. Cette
compétence n’est guère utile en elle-même, mais elle constitue une ressource
indispensable dans un métier où plusieurs dynamiques se développent constam-
ment en parallèle, même dans une pédagogie frontale et autoritaire. Cette com-
pétence est mobilisée par de nombreuses compétences plus globales de gestion
de classe (par exemple, savoir prévoir et prévenir l’agitation) ou d’animation
d’une activité didactique (par exemple, savoir repérer et impliquer les élèves dis-
traits ou dépassés).
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Introduction
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Introduction
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Introduction
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Introduction
RÉFÉRENTIEL COMPLET
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Introduction
Source : Classeur Formation continue. Programme des cours 1996-97, Genève, Enseignement primaire,
Service du perfectionnement, 1996. Ce référentiel a été adopté par l’institution sur proposition de la com-
mission paritaire de la formation.
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Organiser et animer
des situations d’apprentissage
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Organiser et animer des situations d’apprentissage
situation est une fiction, qu’il existe autant de situations différentes qu’il y a
d’étudiants. Chacun vit le cours en fonction de son humeur et de sa disponibi-
lité, de ce qu’il entend et comprend, selon ses moyens intellectuels, sa capacité
de concentration, ce qui l’intéresse, fait sens pour lui, se relie à d’autres savoirs
ou à des réalités qui lui sont familières ou qu’il parvient à imaginer. Arrivé à ce
stade de sa réflexion, le professeur aura la sagesse de la suspendre, sous peine
de mesurer qu’en fait, il ne sait pas grand-chose des situations d’apprentissage
qu’il crée… Se penser comme concepteur et organisateur de situations
d’apprentissage n’est pas sans risques : cela peut conduire à s’interroger sur leur
pertinence et leur efficacité !
Le système éducatif s’est construit par le haut. C’est pourquoi les mêmes
constats valent, jusqu’à un certain point, pour l’enseignement secondaire et,
dans une moindre mesure, pour l’enseignement primaire. Lorsque les élèves
sont des enfants ou des adolescents, ils sont moins nombreux et l’enseignement
est plus interactif ; on y accorde davantage de place aux exercices ou aux expé-
riences conduites par les élèves (et non devant eux). Cependant, aussi longtemps
qu’ils pratiquent une pédagogie magistrale et faiblement différenciée, les ensei-
gnants ne maîtrisent pas véritablement les situations d’apprentissage dans les-
quelles ils placent chacun de leurs élèves. Tout au plus peuvent-ils veiller, en
usant des moyens disciplinaires classiques, à ce que tous les élèves écoutent
attentivement et s’investissent activement, du moins en apparence, dans les
tâches assignées. La réflexion sur les situations didactiques commence avec la
question de Saint-Onge (1996) : « Moi j’enseigne, mais eux, apprennent-ils ? »
On sait depuis Bourdieu (1966) que n’apprennent vraiment, au gré d’une telle
pédagogie, que les « héritiers », ceux qui disposent des moyens culturels de tirer
profit d’un enseignement qui s’adresse formellement à tous, dans l’illusion de
l’équité, identifiée dans ce cas à l’égalité de traitement. Cela paraît aujourd’hui
évident. Pourtant, il a fallu un siècle de scolarité obligatoire pour commencer à
mettre ce modèle en question, en lui opposant un modèle plus centré sur les
apprenants, leurs représentations, leur activité, les situations concrètes dans les-
quelles on les plonge et leurs effets didactiques. Sans doute cette évolution –
inachevée et fragile – n’est-elle pas sans lien avec l’ouverture des études longues
à de nouveaux publics, qui oblige à se soucier de ceux pour lesquels écouter un
cours magistral et faire des exercices n’est pas suffisant pour apprendre. Il y a
des liens étroits entre la pédagogie différenciée et la réflexion sur les situations
d’apprentissage (Meirieu, 1989 ; 1990).
Dans la perspective d’une école plus efficace pour tous, organiser et animer des
situations d’apprentissage n’est plus une façon à la fois banale et compliquée de
désigner ce que font spontanément tous les enseignants. Ce langage met l’accent
sur la volonté de concevoir des situations didactiques optimales, y compris et
d’abord pour les élèves qui n’apprennent pas en écoutant des leçons. Les situa-
tions ainsi conçues s’éloignent des exercices classiques, qui n’exigent que la
mise en œuvre d’une procédure connue. Ils restent utiles, mais ne sont plus
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Organiser et animer des situations d’apprentissage
l’alpha et l’oméga du travail en classe, pas plus que le cours magistral, limité à
des fonctions précises (Étienne et Lerouge, 1997, p. 64). Organiser et animer
des situations d’apprentissage, c’est conserver une juste place à de telles
démarches. C’est surtout dégager de l’énergie, du temps et disposer des compé-
tences professionnelles nécessaires pour imaginer et créer d’autres types de
situations d’apprentissage, que les didactiques contemporaines envisagent
comme des situations larges, ouvertes, porteuses de sens et de régulation, appe-
lant une démarche de recherche, d’identification et de résolution de problèmes.
Cette compétence globale mobilise plusieurs compétences des plus spécifiques :
• Connaître, pour une discipline donnée, les contenus à enseigner et leur traduc-
tion en objectifs d’apprentissage.
• Travailler à partir des représentations des élèves.
• Travailler à partir des erreurs et des obstacles à l’apprentissage.
• Construire et planifier des dispositifs et des séquences didactiques.
• Engager les élèves dans des activités de recherche, dans des projets de
connaissance.
Analysons-les, une à une, en nous souvenant qu’elles contribuent toutes à la
conception, à l’organisation et à l’animation de situations d’apprentissage.
Connaître les contenus à enseigner, c’est la moindre des choses, lorsqu’on pré-
tend instruire quelqu’un. Mais la véritable compétence pédagogique n’est pas là,
elle consiste à relier les contenus d’une part à des objectifs, d’autre part à des
situations d’apprentissage. Cela n’apparaît pas nécessaire lorsque l’enseignant
se borne à parcourir, chapitre après chapitre, page après page, le « texte du
savoir ». Certes, il y a déjà transposition didactique (Chevallard, 1991), dans la
mesure où le savoir est organisé en leçons successives, selon un plan et à un
rythme qui tiennent compte, en principe, du niveau moyen et des acquis anté-
rieurs des élèves, avec des moments de révision et d’autres d’évaluation. Dans
une telle pédagogie, les objectifs sont implicitement définis par les contenus : il
s’agit en somme, pour l’élève, d’assimiler le contenu et de faire la preuve de
cette assimilation lors d’une interrogation orale, d’un contrôle écrit ou d’un exa-
men.
Le souci des objectifs arrive sur le devant de la scène durant les années
soixante, avec la « pédagogie de maîtrise », traduction approximative de
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Organiser et animer des situations d’apprentissage
la matrice disciplinaire, autrement dit les concepts, les questions, les para-
digmes qui structurent les savoirs au sein d’une discipline. Sans cette maîtrise,
l’unité des savoirs est perdue, les arbres cachent la forêt et la capacité de recons-
truire une planification didactique à partir des élèves et des événements se
trouve affaiblie.
D’où l’importance de savoir identifier des notions-noyaux (Meirieu, 1989, 1990)
ou des compétences clés (Perrenoud, 1998 a), autour desquelles organiser les
apprentissages et en fonction desquelles piloter le travail en classe et fixer des
priorités. Il n’est pas raisonnable de demander à chaque professeur de faire seul,
pour sa classe, une lecture des programmes pour en dégager les noyaux.
Cependant, même si l’institution propose une réécriture des programmes dans
ce sens, ils risquent de rester lettre morte pour les enseignants qui ne sont pas
prêts à consentir un important travail de va-et-vient entre les contenus, les
objectifs et les situations. C’est à ce prix qu’ils navigueront dans la chaîne de la
transposition didactique « comme des poissons dans l’eau » !
L’école ne construit pas à partir de zéro, l’apprenant n’est pas une table rase, un
esprit vide, il sait au contraire « plein de choses », il s’est posé des questions et a
assimilé ou élaboré des réponses qui le satisfont provisoirement. L’enseigne-
ment heurte donc souvent de plein fouet les conceptions des apprenants.
Aucun enseignant expérimenté ne l’ignore : les élèves croient savoir une partie
de ce qu’on veut leur enseigner. Une bonne pédagogie traditionnelle se sert par-
fois de ces bribes de savoir comme points d’appui, mais le professeur transmet,
au moins implicitement, le message suivant : « Oubliez ce que vous savez,
méfiez-vous du sens commun et de ce qu’on vous a raconté et écoutez-moi, je
vais vous dire comment les choses se passent vraiment ».
La didactique des sciences (Giordan et De Vecchi, 1987 ; De Vecchi, 1992,
1993 ; Astolfi et Develay, 1996 ; Astolfi, Darot, Ginsburger-Vogel et Toussaint,
1997 ; Joshua et Dupin, 1993) a montré qu’on ne se débarrasse pas aussi facile-
ment des conceptions préalables des apprenants. Elles font partie d’un système
de représentations qui a sa cohérence et ses fonctions d’explication du monde et
se reconstitue subrepticement, en dépit des démonstrations irréfutables et des
démentis formels apportés par le professeur. Même à l’issue d’études scienti-
fiques universitaires, les étudiants reviennent au sens commun lorsqu’ils sont,
hors du contexte du cours ou du laboratoire, aux prises avec un problème de
forces, de chaleur, de réaction chimique, de respiration ou de contagion. Tout se
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Organiser et animer des situations d’apprentissage
Cette compétence est dans le droit fil de la précédente. Elle se fonde sur le pos-
tulat simple qu’apprendre, ce n’est pas d’abord mémoriser, engranger des infor-
mations, mais plutôt restructurer son système de compréhension du monde.
Cette restructuration ne va pas sans un important travail cognitif. On ne s’y
engage que pour rétablir un équilibre rompu, mieux maîtriser la réalité, symbo-
liquement et pratiquement.
Pourquoi l’ombre d’un arbre s’allonge-t-elle ? Parce que le Soleil s’est
déplacé, diront ceux qui, dans la vie quotidienne, continuent à penser que le
Soleil tourne autour de la Terre. Parce que la Terre a poursuivi sa rotation,
diront les disciples de Galilée. De là à établir un rapport précis entre la rota-
tion de la Terre (ou le mouvement apparent du Soleil) et l’allongement d’une
ombre portée, il y a un pas, qui suppose un modèle géométrique et trigono-
métrique que la plupart des adultes seraient bien en peine de retrouver ou
d’élaborer rapidement. Demander à des élèves de 11-12 ans de faire un
schéma pour représenter le phénomène les place donc devant des obstacles
cognitifs qu’ils ne pourront lever qu’au prix de certains apprentissages.
La pédagogie classique travaille à partir des obstacles, mais elle privilégie
ceux que propose la théorie, ceux que rencontre l’élève devant son livre de
mathématiques ou de physique, lorsque, lisant pour la troisième ou la hui-
tième fois l’énoncé d’un théorème ou d’une loi, il ne comprend toujours pas
pourquoi la somme des angles d’un triangle vaut 180° ou comment il se fait
qu’un corps tombe avec une accélération constante.
Supposons, par exemple, qu’on demande à des élèves d’imaginer qu’ils partent à
l’assaut d’un château fort et de calculer la longueur de l’échelle permettant de fran-
chir un fossé de 6 mètres de large pour atteindre le sommet d’un rempart de
9 mètres de haut. S’ils connaissent le théorème de Pythagore et sont capables d’en
voir la pertinence et de l’appliquer correctement aux données, ils feront la somme
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e
ll
he
9m
Ec Rempart
Fossé
6m
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Organiser et animer des situations d’apprentissage
• Si les élèves n’ont aucune idée de l’existence possible d’un théorème applicable,
ils se contenteront de rechercher une solution pragmatique par estimations et simu-
lations. L’obstacle sera méthodologique plus que proprement mathématique, la si-
tuation s’apparentera à un problème ouvert plus qu’à une situation-problème.
Une véritable situation-problème oblige à franchir un obstacle au prix d’un
apprentissage inédit, qu’il s’agisse d’un simple transfert, d’une généralisation
ou de la construction d’un savoir entièrement nouveau. L’obstacle devient alors
l’objectif du moment, un objectif-obstacle, selon l’expression de Martinand
(1986) reprise par Meirieu, Astolfi et bien d’autres depuis. On y reviendra dans
le chapitre suivant, à propos de l’ajustement des situations-problèmes aux possi-
bilités des élèves.
Affronter l’obstacle, c’est dans un premier temps affronter le vide, l’absence
de toute solution, voire de toute piste ou de toute méthode, l’impression
qu’on n’y arrivera jamais, que c’est hors de portée. Ensuite, si la dévolution
du problème opère, autrement dit si les élèves se l’approprient, leur esprit se
met en mouvement, échafaude des hypothèses, procède à des explorations,
propose des essais « pour voir ». Dans un travail collectif, la discussion
s’engage, le choc des représentations oblige chacun à préciser sa pensée et à
tenir compte de celle des autres.
C’est alors que l’erreur de raisonnement et de stratégie menace. Ainsi, pour
démontrer le théorème de Pythagore, donc prouver que, dans le triangle rec-
tangle abc, le carré de l’hypoténuse est égal à la somme des carrés des côtés de
l’angle droit, on inscrit généralement le triangle rectangle dans un rectangle.
Que le lecteur tente de reconstituer la suite du raisonnement et mesure le
nombre d’opérations mentales qu’il faut enchaîner correctement et tenir en
mémoire de travail pour dire CQFD. ! De quoi multiplier les erreurs, une véri-
table course d’obstacles !
α' β'
a
h b
α
β
c
Devant une tâche complexe, les obstacles cognitifs sont, dans une large mesure,
constitués de fausses pistes, d’erreurs de raisonnement, d’estimation ou de calcul.
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Organiser et animer des situations d’apprentissage
Cependant, l’erreur menace aussi dans les exercices les plus classiques : « J’avais
de l’argent sur moi en partant ce matin ; durant la journée, j’ai dépensé 70 francs,
puis encore 40 francs ; il me reste maintenant 120 francs. Combien avais-je en par-
tant ? » Beaucoup d’enfants calculeront 120 - 70 - 40 et obtiendront 10 francs, c’est-
à-dire un résultat numériquement juste au vu des opérations posées, mais qui n’est
pas la réponse au problème et qui est en outre invraisemblable, puisque la somme
de départ apparaît alors inférieure au montant de chaque dépense engagée… Pour
comprendre cette erreur, il faut analyser les difficultés de la soustraction, et faire la
part du fait qu’on demande en réalité une addition pour résoudre un problème posé
en termes de dépense, donc de soustraction (Vergnaud, 1980).
La didactique des disciplines s’intéresse de plus en plus aux erreurs et tente de
les comprendre, avant de les combattre. Astolfi (1997) propose de considérer
l’erreur comme un outil pour enseigner, un révélateur des mécanismes de pen-
sée de l’apprenant. Pour développer cette compétence, l’enseignant doit évidem-
ment avoir une culture en didactique et en psychologie cognitive. Il doit, en
amont, s’intéresser aux erreurs, les accepter comme des étapes estimables de
l’effort de comprendre, s’efforcer, non de les corriger (« Ne dites pas, mais
dites ! »), mais de donner à l’apprenant les moyens d’en prendre conscience,
d’en identifier la source et de les dépasser.
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Organiser et animer des situations d’apprentissage
vail sur des situations mathématiques ou une pédagogie du texte appellent des
dispositifs variés.
Prenons un exemple, une série d’expériences autour du principe d’Archimède,
telles qu’elles sont détaillées dans un ouvrage du Groupe français d’éducation
nouvelle (Laschkar et Bassis, 1985). Rappelons, pour ceux qui l’auraient oublié,
que le principe d’Archimède explique notamment pourquoi certains corps flot-
tent. Chaque corps plongé dans un liquide est l’objet d’une poussée égale à la
masse du volume de liquide qu’il occupe. Il s’ensuit que :
– les corps dont la densité (ou masse volumique) est supérieure à celle du
liquide couleront ;
– ceux qui ont une densité égale resteront en équilibre (comme un sous-marin
stabilisé en plongée) ;
– ceux dont la densité est inférieure à celle du liquide remonteront vers la sur-
face et flotteront (comme des bateaux), la ligne de flottaison délimitant la partie
immergée.
L’équilibre est atteint lorsque la masse du liquide déplacé par cette partie est
égale à la masse globale du corps qui flotte. Classiquement, on invite les élèves
à substituer au corps qui flotte, par la pensée, le liquide dont il a en quelque
sorte « pris la place ». Ils peuvent alors entrevoir que si ce liquide était enfermé
dans une enveloppe sans poids ni épaisseur, il resterait en place, ce qui indique
qu’il subit une poussée ascensionnelle équilibrant sa masse, qui l’attire vers le
fond.
Le professeur du GFEN, qui enseigne la physique dans une classe de collège
français (5e, 13-14 ans), a été formé en biologie. C’est sans doute pourquoi il
n’aborde pas le principe d’Archimède de façon aussi abstraite. Il commence par
faire réfléchir ses élèves sur des couples de matières : pain-sucre, bois-béton,
fer-plastique, sans référence à ce stade à un liquide. Il leur demande laquelle est
la plus lourde. Les premières réponses fusent sans raisonnement, basées sur
l’intuition sensible de la densité, sans que le concept soit construit. Puis vient le
constat décisif : on ne peut pas savoir, « ça dépend de combien on en prend ».
Combien ? Les élèves concluront – après réflexion – qu’un kilo de plume est
aussi lourd qu’un kilo de plomb. La quantité se réfère donc au volume. Le pro-
fesseur, acquis au principe d’autosocioconstruction des savoirs (Bassis, 1998 ;
Vellas, 1996), se garde de faciliter le travail. Il ne propose pas des volumes de
bois, de fer, de plastique ou de béton égaux et de même forme, qu’il suffirait de
peser. Il met à la disposition des élèves des morceaux de volumes, de formes et
de poids divers, qui ne se prêtent ni à une comparaison directe par une pesée, ni
à un découpage aisé en volumes égaux. Les conditions sont remplies pour
qu’émerge peu à peu le concept de masse volumique.
Dans une deuxième séquence, le professeur propose d’aborder le même pro-
blème autrement. Il donne à chaque équipe un morceau de pâte à modeler, en
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Organiser et animer des situations d’apprentissage
demandant aux élèves d’en mesurer aussi précisément que possible la masse et
le volume. Ils ont à disposition des balances et des éprouvettes graduées qu’on
peut remplir d’eau et dans lesquelles on peut plonger les morceaux. On notera
que les concepts de masse et de volume sont, à ce stade du cursus, supposés
construits et mobilisables. L’enjeu nouveau est leur mise en relation, dont
découlera le concept de masse volumique.
Les élèves pèsent les blocs de pâte à modeler grâce à une balance et mesurent
leur volume par immersion, puis ils font un tableau comparatif :
Masse en
grammes 22 42 90 50 150
Volume
en millilitres 15 30 150 35 100
Les résultats de l’équipe 3 mettent sur la voie : le rapport entre masse et volume
n’est pas vraisemblable. L’équipe est sûre du poids, elle veut mesurer à nouveau le
volume. Le professeur leur demande de calculer ce volume, sans retourner à
l’éprouvette. La classe se mobilise et parvient à des formulations du genre :
« Quand on divise masse par volume, le résultat est presque toujours le même ».
Ou : « Il faut multiplier le volume par un chiffre plus grand que 1 et plus petit que 2
pour trouver la masse ». Passons sur le détail des vérifications et essais qui parvien-
nent, après divers détours, à stabiliser, nommer et formaliser le concept de masse
volumique. La question de savoir si une matière est plus lourde ou légère qu’une
autre peut se reformuler plus « scientifiquement » : sa masse volumique est-elle su-
périeure ou inférieure ? Les élèves ont compris qu’on ne pouvait comparer les
masses qu’à volume égal et que c’était l’une des fonctions des unités de volume, qui
sont des volumes fictifs, qu’on ne découpe pas physiquement.
Le professeur introduit une troisième séquence, qu’il nomme Flotte ou coule ?, en
disant : « Un iceberg de 5 000 tonnes, ça flotte, une petite bille d’acier de
10 grammes, ça coule ! ». Les élèves lui répondent que l’acier est plus lourd que la
glace. Le professeur s’étonne, puisque dix grammes « c’est une masse plus petite
que 5 000 tonnes ». Les élèves répondent : « Mais non, il ne s’agit pas de la bille,
mais de l’acier. La masse volumique, quoi » (Laschkar et Bassis, 1985, p. 60).
La dissociation est faite, dans l’esprit des élèves, la masse volumique de l’acier
existe indépendamment de la bille, comme celle de la glace existe indépendam-
ment de l’iceberg. Le chemin jusqu’à la découverte du principe d’Archimède est
encore long et semé d’embûches, mais l’outil conceptuel indispensable est acquis.
Renvoyant à l’ouvrage pour la description fine de cette séquence, j’en retiens ici
l’essentiel, transposable à d’autres savoirs, dans d’autres disciplines : la
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Organiser et animer des situations d’apprentissage
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Organiser
Titre et animer des situations d’apprentissage
courant
Lorsqu’on lit « De l’utilité des expériences de pensée pour faire flotter les
bateaux », on peut ne retenir que les aspects épistémologiques et didactiques
de la séquence décrite. Chaque filiation de concepts, chaque succession
d’expériences pose la question de ses fondements et de ses alternatives. On
peut débattre aussi du rôle de l’enseignant, entre interventionnisme et laisser
faire. Le plus important reste implicite : une telle séquence didactique ne se
développe que si les élèves se prennent au jeu et ont vraiment envie de savoir
si le béton est plus lourd que le fer ou pourquoi un iceberg flotte, alors qu’une
minuscule bille d’acier coule à pic.
Il ne s’agit plus, chez des élèves de treize ans, de cette curiosité insatiable et
de cette envie spontanée de comprendre qu’on prête aux enfants de trois ans,
l’âge des « Pourquoi ? » À ce stade du cursus, les adolescents ont appris
durant huit à dix ans déjà les ficelles du métier d’élève (Perrenoud, 1996 a).
On ne les appâte plus avec une quelconque énigme. Ils connaissent aussi les
ficelles du métier d’enseignant et reconnaissent au premier coup d’œil
l’ennui du travail répétitif sous les abords ludiques d’une tâche nouvelle. Ils
réfléchissent assez vite pour épuiser en cinq minutes une devinette pour jeux
télévisés. Pour qu’ils apprennent, il faut donc les engager dans une activité
d’une certaine importance et d’une certaine durée, tout en garantissant une
progression visible et des changements de paysage, pour tous ceux qui n’ont
pas la volonté obsessionnelle de plancher durant des jours sur un problème
qui résiste.
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Organiser et animer des situations d’apprentissage
Il engage… L’indicatif prend ici tout son sel. Dans un sport collectif, on peut
engager le ballon, il ne se défend pas. Mais les élèves, nul ne peut s’engager
à leur place. Le professeur ne peut que dire « engagez-vous, rengagez-vous ».
On aperçoit le délicat équilibre à trouver entre la structuration didactique de
la démarche et la dynamique du groupe-classe. Une activité de recherche se
déroule généralement en plusieurs épisodes, parce qu’elle prend du temps. À
l’école, la grille horaire et la capacité d’attention des élèves obligent à sus-
pendre la démarche pour la reprendre plus tard, le lendemain, parfois la
semaine suivante. Selon les moments et les élèves, ces interventions peuvent
être bénéfiques ou désastreuses. Elles cassent parfois l’essor des personnes
ou du groupe vers le savoir, elles permettent à d’autres moments de réfléchir,
de laisser les choses évoluer dans un coin de l’esprit et de reprendre avec de
nouvelles idées et une énergie reconstituée. La dynamique d’une recherche
est toujours à la fois intellectuelle, émotionnelle et relationnelle. Le rôle de
l’enseignant est de relier les moments forts, d’assurer la mémoire collective
ou de la confier à certains élèves, de mettre à disposition ou de faire recher-
cher ou confectionner par certains élèves les matériaux requis pour expéri-
menter. Durant chaque séance, l’intérêt fléchit, le découragement gagne
certains élèves, lorsque leurs efforts ne sont pas récompensés ou qu’ils
découvrent qu’un problème peut en cacher un autre, si bien qu’ils ne voient
pas le bout du tunnel et désinvestissent la question. L’engagement initial peut
être à chaque instant remis en jeu.
On peut parier que la plupart des êtres humains qui font flotter des corps ou
des bateaux ignorent le principe d’Archimède. Ils utilisent des règles plus
pratiques, qui dérivent de l’expérience transmise de génération en génération
ou du savoir théorique des ingénieurs. Un professeur ne peut donc légitimer
une activité de recherche en démontrant facilement que le savoir visé est
d’une importance vitale dans la vie quotidienne des êtres humains. Ceux qui,
en raison d’une orientation spécialisée, auront à maîtriser véritablement ces
théories auront largement l’occasion de les apprendre et réapprendre à l’uni-
versité. Au niveau de l’école, du collège et même du lycée, l’utilitarisme ne
peut justifier la plupart des savoirs enseignés et exigés.
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Organiser et animer des situations d’apprentissage
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Ce qui semble aller de soi au plan des principes est en réalité extrêmement diffi-
cile dans les conditions de l’action quotidienne, si bien que la progression est
souvent bornée à l’année scolaire, si ce n’est aux activités en cours et au cha-
pitre ouvert du programme. La part des enseignants dans la gestion optimale des
progressions s’est considérablement élargie lorsqu’on a renoncé aux plans
d’études prescrivant une progression semaine par semaine. Un nouvel élargisse-
ment se dessine avec l’introduction de cycles d’apprentissages pluriannuels. De
plus, la progression de la classe n’est plus le seul souci. Le mouvement vers
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plus étroite encore. Si bien que chacun est porté à donner une importance
démesurée aux quelques années de programme dont il a l’expérience, sans
avoir clairement conscience de ce qui se passe avant et après. Il vaudrait
mieux que chacun ait une vision longitudinale des objectifs de l’enseigne-
ment, notamment pour juger en connaissance de cause de ce qui doit abso-
lument être acquis maintenant et de ce qui pourrait l’être plus tard sans que
cela porte à conséquence. La centration sur un ou deux programmes annuels
empêche de construire à bon escient des stratégies d’enseignement-appren-
tissage à long terme. C’est fâcheux, notamment pour tous les objectifs qu’il
serait absurde de vouloir atteindre en un an, par exemple apprendre à lire,
écrire, réfléchir, argumenter, s’évaluer, s’exprimer par le dessin ou la
musique, coopérer, former des projets, conduire des observations scienti-
fiques. L’enfermement de chacun dans « son programme » conduit, selon les
cas, à une forme d’acharnement pédagogique ou à un acte de foi dans un ave-
nir d’autant plus rose qu’on suppose que « quelqu’un », plus tard, se saisira
des problèmes irrésolus et « fera le nécessaire ». Cet enfermement empêche
de distinguer l’essentiel – la construction de compétences de base – de mille
apprentissages notionnels et ponctuels qui ne constituent pas des enjeux
majeurs.
Le travail en équipe est favorable à la maîtrise des progressions sur plusieurs
années, lorsqu’il conduit à coopérer avec des collègues qui enseignent à
d’autres niveaux. Cependant, il ne suffit pas d’avoir une idée approximative
des programmes des années précédentes et suivantes, à la manière dont ceux
qui résident dans un pays ont une vague connaissance des pays limitrophes.
L’enjeu véritable est la maîtrise de l’ensemble du cursus d’un cycle
d’apprentissage et, si possible, de la scolarité de base, non pas tellement
pour être capable d’enseigner indifféremment dans n’importe quel niveau ou
cycle, mais pour inscrire chaque apprentissage dans une continuité à long
terme, dont la logique primordiale est de contribuer à construire les compé-
tences visées en fin de cycle ou de cursus.
Dans les programmes modernes, en particulier lorsqu’ils sont orientés vers
des compétences, chaque enseignant travaille à la réalisation des mêmes
objectifs. Il reprend, en quelque sorte, le travail là où ses collègues interve-
nant en amont l’ont abandonné, un peu à la façon dont un médecin poursuit
un traitement commencé par un autre praticien. Dans ce cas, un profession-
nel ne recommence pas à zéro, il s’informe de ce qui a déjà été acquis, des
stratégies, des obstacles, il s’avance dans la même voie si elle lui paraît pro-
metteuse, change de stratégie dans le cas contraire, tout en visant les mêmes
maîtrises finales.
Cette façon de faire exige des compétences d’évaluation et d’enseignement qui
vont bien au-delà de la maîtrise d’un programme annuel. Concrètement, cela
signifie par exemple que chaque enseignant devrait être capable d’enseigner à
lire à ses élèves, quel que soit leur âge, aussi longtemps qu’ils n’ont pas atteint
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moment, le rapport entre ce qu’il leur fait faire et la progression des apprentis-
sages. Cela ne va pas de soi. La plupart des organisations humaines fonction-
nent selon des routines largement déconnectées de leurs raisons d’être et il faut
non seulement de la compétence, mais de l’énergie et parfois du courage, pour
se demander constamment pourquoi on fait ce qu’on fait…
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compromis optimal entre les projets et les exigences de l’institution scolaire, voilà
qui fait partie des compétences de base d’un professeur.
Sans sous-estimer l’importance de telles décisions, dont les incidences sur la car-
rière scolaire font des enjeux majeurs, pour les élèves et les familles, je privilégierai
ici les décisions de progression qui se situent dans une logique d’enseignement-ap-
prentissage, plus que d’orientation-sélection. Lorsque la scolarité est organisée en
paliers annuels, cela touche en partie au redoublement, dont l’opportunité est au-
jourd’hui appréciée en fonction d’une stratégie de formation plutôt que d’une stric-
te application de normes de promotion. Cela concerne aussi la décision d’envoyer
un élève en cours d’appui ou de soutien, ou encore de conseiller une prise en charge
médico-pédagogique plus lourde.
L’introduction de cycles d’apprentissage fait émerger des décisions d’un autre type.
D’un cycle au suivant, les décisions de passage semblent s’apparenter à des déci-
sions de promotion ou de redoublement. En fait, dans la mesure où le redouble-
ment d’un cycle n’a guère de sens, il s’agit plutôt de trancher un dilemme pédago-
gique. Vaut-il mieux garder un élève un an encore dans le même cycle, au risque de
ralentir son développement et d’accroître son retard scolaire, ou vaut-il mieux le
faire passer au cycle suivant, alors même qu’il n’en maîtrise pas tous les prérequis
et pourrait donc y perdre son temps et aggraver ses lacunes ?
D’autres décisions de progression appellent des compétences nouvelles dans le
cadre des cycles d’apprentissage : lorsqu’on travaille en groupes multiâge, en mo-
dules, en décloisonnements divers, un élève ne passe pas tout son temps, durant
deux ou trois ans, dans le même groupe. De mois en mois, parfois de semaine en se-
maine, les élèves sont redistribués entre divers groupes de niveaux, de besoins, de
projets. Chaque décision infléchit la progression vers les compétences visées et
constitue une sorte de micro-orientation, parfois judicieuse, parfois malheureuse.
J’ai analysé ailleurs (Perrenoud, 1997 b et c) le défi des cycles d’apprentissage :
passer d’une gestion « à flux poussés » à une gestion « à flux tendus », avec une uti-
lisation optimale du temps qui reste. Chaque jour, potentiellement, une décision
pourrait être prise à propos de chaque élève, en réponse à la question : dans quel
groupe, grâce à quelles activités et quelle prise en charge aurait-il le plus de chance
de progresser ?
Ces décisions sont prises sur la base à la fois d’un bilan des acquis, d’un pronostic
et d’une stratégie de formation qui tient compte des ressources et dispositifs dis-
ponibles. On se trouve donc, là, au cœur du métier d’enseignant.
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Sur le papier, rien n’est plus simple que de savoir constamment où en est chacun
et de réguler son parcours en conséquence. C’est ce que font les contrôleurs
aériens avec les vols qui leur sont confiés, ou les personnels soignants avec les
patients hospitalisés. Le suivi personnalisé est relativement facile si on dispose
d’un ratio favorable entre le nombre de trajectoires à suivre, d’informations à
recueillir et à interpréter, de microdécisions à prendre, d’une part, et d’autre part,
le nombre de professionnels affectés à ces tâches. Ce ratio est plus favorable
dans une tour de contrôle et dans un hôpital que dans une école, alors que les
trajectoires sont moins faciles à codifier et à contrôler, compte tenu, d’une part,
de la complexité et de l’opacité des processus d’apprentissage, d’autre part, de
l’autonomie des élèves et de leur coopération fluctuante, parfois de leur résis-
tance active à toute prise en charge. Devant ces difficultés, on se doute qu’à
l’école, le suivi personnalisé sera toujours imparfait.
Dans la mesure où le ratio élèves/enseignants ne va pas s’améliorer spectaculai-
rement, ce qui est une litote en une période où il tendrait plutôt à se dégrader,
on ne peut jouer que sur les groupements et les dispositifs. C’est pourquoi gérer
la progression des élèves, notamment dans des cycles, exige des compétences
en ingénierie de l’enseignement-apprentissage, de l’évaluation et du suivi indi-
vidualisé. Alors qu’on a insisté fortement sur les outils et les modèles de prise
de l’information, la question centrale est plutôt : comment organiser le travail
dans un cycle pour que les enseignants soient, en personne ou à travers des
relais ou des technologies, aussi souvent que possible en situation de recueillir
des informations et d’infléchir les activités sur cette base ? Le suivi dépend de la
gestion des ressources humaines, qui n’a pas, dans le cadre scolaire, atteint la
sophistication des outils d’évaluation critériée.
Faut-il ajouter que des progressions pluriannuelles ne peuvent être pilotées
qu’en fonction d’objectifs de développement et d’apprentissage à long terme ? Il
appartient au pouvoir organisateur de définir les objectifs de chaque cycle
d’apprentissage, en termes de compétences ou de noyaux de connaissances.
Leur bon usage délimite un nouveau champ de compétence pour les ensei-
gnants. À quoi bon éditer de magnifiques socles de compétences si les profes-
sionnels qui en sont nantis cherchent à y retrouver les anciens programmes
annuels ? Durant des décennies, des enseignants en avance sur leur époque ont
cherché à identifier les objectifs fondamentaux cachés « entre les lignes des pro-
grammes notionnels ». Lorsque change la conception institutionnelle des pro-
grammes, leurs pratiques sont soudain conformes à la norme. Dans le même
temps, d’autres enseignants entrent en dissidence, parce qu’ils ne se sentent pas
capables de gérer des progressions didactiques planifiées sur plus d’une année
et demandent le maintien des balises traditionnelles…
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Pour que chaque élève progresse vers les maîtrises visées, il convient de le pla-
cer très souvent dans une situation d’apprentissage optimale pour lui. Il ne suffit
pas qu’elle ait du sens, le concerne et le mobilise. Elle doit encore le solliciter
dans sa zone de développement proche.
Qui pourrait s’opposer à ce magnifique programme ? L’ennui, c’est qu’il y a de
nombreux élèves dans une classe. Or, une situation standard ne peut qu’excep-
tionnellement être optimale pour tous, parce qu’ils n’ont pas le même niveau de
développement, les mêmes acquis préalables, le même rapport au savoir, les
mêmes intérêts, les mêmes moyens et façons d’apprendre. Différencier, c’est
rompre avec la pédagogie frontale – la même leçon, les mêmes exercices pour
tous -, mais c’est surtout mettre en place une organisation du travail et des dis-
positifs didactiques qui placent régulièrement chacun dans une situation opti-
male, et d’abord ceux qui ont le plus à apprendre. Savoir concevoir et faire évo-
luer de tels dispositifs est une compétence dont rêvent et que construisent peu à
peu tous les enseignants qui pensent que l’échec scolaire n’est pas une fatalité,
que chacun peut apprendre. « Tous capables », affirme le Groupe français
d’éducation nouvelle et avec lui tous ceux qui défendent le principe d’éducabi-
lité. Il reste à proposer des situations d’apprentissage adéquates !
Aux yeux de beaucoup de praticiens, cela paraît encore une utopie. Bien sûr,
tout le monde est capable de différencier par moments, dans telle ou telle disci-
pline, en y mettant un peu d’énergie et d’imagination. Hélas, ces efforts sont
rarement à la hauteur des écarts entre élèves de la même classe. L’idéal,
lorsqu’on a vingt à trente élèves, serait d’offrir à chacun ce que Claparède appe-
lait, au début du siècle, une « éducation sur mesure ». C’est ce qui semble hors
de portée.
Le problème est en effet insoluble aussi longtemps qu’on imagine que, pour
créer une situation d’apprentissage optimale pour chaque élève, il faut le prendre
en charge personnellement. Ce n’est ni possible, ni souhaitable. La solution
n’est pas de transformer la classe en une série de relations duales, le professeur
prenant en charge chaque élève, à tour de rôle. Le calcul est facile : à raison de
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26 élèves par classe pour 26 heures hebdomadaires, cela ferait, pour chacun, une
heure de tutorat individualisé par semaine… On ne pourra, même en abaissant
de façon spectaculaire l’effectif des classes, rendre un tel modèle réalisable.
Cela ne résoudrait d’ailleurs qu’une partie du problème :
• Placé devant huit élèves, trois, ou même un seul, un enseignant ne sait pas
nécessairement proposer à chacun une situation d’apprentissage optimale. Il ne
suffit pas de se rendre entièrement disponible pour un élève : il faut encore
comprendre pourquoi il a des difficultés d’apprentissage et savoir comment les
surmonter. Tous les enseignants qui ont tâté du soutien pédagogique ou ont
donné des leçons particulières, savent à quel point on peut se trouver démuni
dans une situation de tutorat, alors qu’elle est apparemment idéale.
• Certains apprentissages ne peuvent se faire qu’à la faveur d’interactions
sociales, soit parce qu’on vise le développement de compétences de commu-
nication ou de coordination, soit parce que l’interaction est indispensable pour
provoquer des apprentissages qui passent par un conflit cognitif ou une forme
de coopération.
Différencier l’enseignement ne saurait donc consister à multiplier les « cours
particuliers ». Pour trouver un moyen terme entre un enseignement frontal inef-
ficace et un enseignement individualisé impraticable, il faut organiser le travail
autrement en classe, casser la structuration en niveaux annuels, décloisonner,
créer de nouveaux espaces-temps de formation, jouer à une plus vaste échelle
sur les groupements, les tâches, les dispositifs didactiques, les interactions, les
régulations, l’enseignement mutuel, les technologies de la formation
(Perrenoud, 1997 b ; Tardif, 1998).
Cette compétence globale ne renvoie pas à un dispositif unique, encore moins à
des méthodes ou des outils particuliers. Elle consiste à utiliser toutes les res-
sources disponibles, à jouer sur tous les paramètres pour « organiser les interac-
tions et les activités de sorte que chaque élève soit constamment ou du moins
très souvent confronté aux situations didactiques les plus fécondes pour lui »
(Perrenoud, 1996 b, p. 29).
Cette compétence systémique mobilise des compétences plus spécifiques. On en
distinguera quatre :
• Gérer l’hétérogénéité au sein d’un groupe-classe.
• Décloisonner, élargir la gestion de classe à un espace plus vaste.
• Pratiquer du soutien intégré, travailler avec des élèves en grande difficulté.
• Développer la coopération entre élèves et certaines formes simples d’enseigne-
ment mutuel.
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Concevoir et faire évoluer des dispositifs de différenciation
apprentissages (chapitre 2), impliquer les élèves dans leurs apprentissages et leur
travail (chapitre 4) et travailler en équipe (chapitre 5).
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Concevoir et faire évoluer des dispositifs de différenciation
Or, cette façon de faire – outre de fortes limitations pratiques – postule que l’on
peut, avant d’engager les élèves dans un travail d’une certaine durée, savoir ce
qui leur convient.
Meirieu (1989 c, 1990, 1995, 1996 a) a plaidé avec force contre cette pédagogie
du « diagnostic préalable ». Il propose de renoncer à vouloir composer des
groupes homogènes dûment préparés à suivre un traitement standardisé, pour
affronter l’hétérogénéité au sein d’un groupe de travail, telle qu’elle se mani-
feste devant une tâche et en particulier une situation-problème. Ce qui amène,
sans renoncer à toute régulation rétroactive (remédiation, soutien) ou proactive
(micro-orientation vers des tâches et des groupes différents), à donner la priorité
aux régulations interactives en situation, les élèves restant ensemble (Allal,
1988). Cela ne veut pas dire qu’il faut renoncer à tout recours ponctuel à des
groupes de niveau, encore moins qu’il faut travailler dans une composition
stable. Meirieu (1989 a et b) a montré la pertinence de travailler, par moments,
en groupes de besoins, à d’autres moments, en groupes de projet.
L’important, dans une pédagogie différenciée, est de mettre en place des dispo-
sitifs multiples, de ne pas tout baser sur l’intervention de l’enseignant. Le travail
par plan de semaine, l’attribution de tâches autocorrectives et le recours à des
logiciels interactifs sont des ressources précieuses. Organiser l’espace en ateliers
ou en « coins » entre lesquels circulent les élèves est une autre façon de faire
face aux différences. Aucune n’est, à elle seule, une solution magique. La diffé-
renciation exige des méthodes complémentaires, donc une forme d’inventivité
didactique et organisationnelle, fondée sur une pensée architecturale et systé-
mique.
Si tout cela était simple, les spécialistes livreraient des pédagogies différenciées
« clés en main », assorties de formations donnant exactement les compétences vou-
lues. En réalité le chantier est ouvert, on tâtonne, aucun dispositif n’est à ce jour à la
hauteur des problèmes. Au point où en sont la recherche et l’innovation, les compé-
tences requises des enseignants les conduiront à contribuer à l’effort de développe-
ment davantage qu’à mettre en œuvre des modèles éprouvés.
Une chose paraît sûre : entre les quatre murs de leur classe et durant les huit à
neuf mois d’une année scolaire, peu d’enseignants sont capables de faire des
miracles. Il n’est pas impossible de trouver, ici ou là, un nouveau Freinet qui, à
lui seul, invente une pédagogie différenciée, active et coopérative, faite sur
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Concevoir et faire évoluer des dispositifs de différenciation
mesure pour ses élèves. Cela suppose une créativité, une énergie, une persévé-
rance hors du commun.
Si l’on travaille dans de tels espaces-temps de formation, c’est pour avoir plus
de temps devant soi, de ressources et de forces, d’imagination, de continuité et
de compétences pour construire des dispositifs didactiques efficaces, visant à
combattre l’échec scolaire. Cela oblige à maîtriser des paramètres plus com-
plexes et à prévenir des risques non négligeables de désorganisation ou de
dérive. Les équipes pédagogiques qui se lancent dans une gestion à cette échelle
s’épuisent, dans un premier temps, à résoudre des problèmes d’organisation, à
apprendre la concertation et la coopération, à reconstruire des routines écono-
miques, à retrouver des points de repère, à contrôler les effets des décisions, à
savoir où sont tous les élèves, ce qu’ils font, avec qui ils travaillent, où ils en
sont, de quoi ils ont besoin et vers quelles tâches ou quels groupes les orienter
demain ou la semaine prochaine.
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Concevoir et faire évoluer des dispositifs de différenciation
Ici encore, des compétences nouvelles sont en train d’émerger. On n’en discernera
les contours que progressivement, puisque nul ne peut proposer un modèle idéal
d’organisation du travail dans une pédagogie différenciée (Perrenoud, 1997 b).
Certains enfants rencontrent des difficultés qui dépassent les possibilités ordi-
naires de différenciation et exigent des mesures exceptionnelles. On peut, dans
certains cas, envisager le placement dans une classe spécialisée, l’appui pédago-
gique hors de la classe, voire une forme ou une autre de redoublement, même si
l’on sait sa faible efficacité dans la plupart des cas.
Pourtant, l’idéal serait, dans une organisation d’équipe, de trouver les ressources
pour prendre en charge ces enfants, au besoin avec des appuis externes, mais
sans les exclure. Les mesures d’intégration d’enfants handicapés ou psycho-
tiques dans des classes ordinaires ont ouvert une voie, comme les pratiques de
soutien psychopédagogique intégrées à la salle de classe, l’intervenant et le titu-
laire de classe travaillant ensemble, l’un ou l’autre prenant plus particulièrement
en charge les élèves en grande difficulté. Du point de vue des compétences en
jeu, on saisit que les enseignants devront, à terme, s’approprier une partie des
savoirs et savoir-faire des enseignants spécialisés ou des enseignants de soutien,
même si tous n’exercent pas cette fonction en permanence. Cela suppose des
compétences plus pointues en didactique et en évaluation, mais aussi des capa-
cités relationnelles permettant de faire face, sans se démonter, ni se décourager,
à des résistances, des peurs, des rejets, des mécanismes de défense, des phéno-
mènes de transfert, des blocages, des régressions et toutes sortes de mécanismes
psychiques à l’occasion desquels dimensions affectives, cognitives et relation-
nelles se conjuguent pour empêcher des apprentissages décisifs de s’amorcer ou
de se poursuivre normalement.
En analysant la culture professionnelle des enseignants de soutien expérimentés,
leurs compétences, leurs représentations, leurs attitudes, leurs savoirs et savoir-
faire, on obtient la liste suivante :
A. Savoir observer un enfant en situation, avec ou sans instruments.
B. Maîtriser une démarche clinique (observer, agir, corriger, etc.), savoir tirer
un parti positif des essais et erreurs, être formé à une pratique méthodique,
systématique.
C. Savoir construire des situations didactiques sur mesure (à partir de l’élève
singulier plus que du programme).
D. Savoir négocier/expliciter un contrat didactique personnalisé (sur le modèle
du contrat thérapeutique).
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Concevoir et faire évoluer des dispositifs de différenciation
Sans que cela constitue une solution miraculeuse, il n’est pas sans intérêt de
parier sur la coopération entre élèves. L’enseignement mutuel n’est pas une idée
neuve, il était florissant au siècle dernier dans la pédagogie inspirée par
Lancaster (Giolitto, 1983). L’enseignant avait cent ou deux cents élèves en
charge, de tous les âges, et ne pouvait évidemment s’occuper de tous, ni propo-
ser une leçon à un public aussi vaste et hétérogène. Le groupe était donc orga-
nisé en sous-ensembles, placés sous la responsabilité de « sous-maîtres », qui
étaient souvent des élèves plus âgés ou des moniteurs sans formation pédago-
gique. Le rôle du maître était de faire fonctionner l’ensemble, plutôt que
d’enseigner directement à tous.
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« Je ne peux rien pour lui, s’il ne veut pas se soigner », dira encore aujourd’hui
un médecin désespéré par le manque de coopération de son patient. « Je ne peux
rien pour lui, s’il ne veut pas s’instruire », dira ou pensera de même un ensei-
gnant.
Il y a pourtant une différence : l’instruction est légalement obligatoire de six à
seize, voire à dix-huit ans, selon les pays ; en deçà et au-delà de la scolarité obli-
gatoire, le droit civil donne aux parents l’autorité d’instruire et de faire instruire
leurs enfants. On trouve donc, dans les écoles, une proportion importante
d’enfants et d’adolescents qui n’ont pas librement choisi de s’instruire et aux-
quels on ne peut dire : « Si tu ne veux ni travailler ni apprendre, rentre chez toi,
nul ne te force à venir à l’école ».
L’institution scolaire place les instituteurs et les professeurs dans une position
très difficile : ils doivent instruire, vingt-cinq à trente-cinq heures par semaine,
quarante semaines par an, durant dix à vingt ans, des enfants, puis des adoles-
cents dont certains n’ont rien demandé. Naïvement, on pourrait en conclure que
la compétence et l’envie de développer le désir de savoir et la décision
d’apprendre (Delannoy, 1997) sont au cœur du métier d’enseignant.
En réalité, désir de savoir et décision d’apprendre ont longtemps paru des fac-
teurs hors de portée de l’action pédagogique : s’ils étaient au rendez-vous, il
paraissait possible d’enseigner, s’ils faisaient défaut, aucun apprentissage ne
semblait concevable. Nul enseignant n’est entièrement affranchi de l’espoir de
n’avoir affaire qu’à des élèves « motivés ». Chacun attend des élèves qu’ils
s’impliquent dans leur travail, manifestent le désir de savoir et la volonté
d’apprendre. La motivation est trop souvent encore tenue pour un préalable,
dont la force ne dépend pas du maître.
D’où viendrait-elle alors ? Du patrimoine génétique, de la constitution physique,
de la personnalité, de la culture du milieu ou de la famille d’origine, des
influences de l’entourage familial, du bon ou du mauvais exemple des cama-
rades ? Les « théories subjectives » de la volonté de travailler et d’apprendre
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Impliquer les élèves dans leurs apprentissages et leur travail
sont sans doute aussi diverses et floues que les représentations spontanées de
l’intelligence et de sa genèse. Toutefois, en dépit des différences, on trouve un
commun sentiment d’impuissance et d’irresponsabilité.
La démocratisation des études a amené dans les écoles secondaires des élèves
qui jadis entraient directement dans la vie active. C’en est fini des « héritiers »,
acquis à la culture scolaire et dont la seule résistance est de l’ordre de la paresse
et du chahut organisé. Les professeurs ont dû déchanter. Au secondaire, les éta-
blissements accueillent des élèves très hétérogènes sous l’angle du rapport au
savoir. Au primaire, la tradition est d’accueillir tout le monde, mais les ambi-
tions se sont élevées, confrontant le corps enseignant à des élèves faiblement
désireux d’apprendre, encore moins de travailler.
La prise en charge du désir et de la volonté s’est peu à peu inscrite dans le
métier d’enseignant, souvent faute de pouvoir faire autrement plutôt que par
envie d’éveiller des vocations. La vogue du « projet personnel de l’élève » ne
doit pas faire illusion : les enseignants savent bien que beaucoup d’élèves n’ont
guère de projet et qu’il est difficile de leur en proposer un. La nostalgie n’a pas
disparu de classes homogènes et prêtes à se mettre au travail. Mais il faut bien
faire avec la réalité de la scolarisation de masse.
Sans doute subsiste-t-il un large éventail d’attitudes parmi les enseignants : les
uns ne perdent toujours pas une seconde à développer la motivation des élèves et
pensent qu’ils « ne sont pas payés pour cela » ; ils se bornent à l’exiger et à rap-
peler les conséquences catastrophiques d’un manque de travail et de réussite.
D’autres consacrent une partie non négligeable de leur temps à encourager, à
renforcer une certaine curiosité. Le langage des centres d’intérêt, des activités
de libération, d’éveil ou de motivation est devenu banal. Il peut donner l’illusion
que susciter ou entretenir l’envie d’apprendre est une préoccupation désormais
largement répandue chez les enseignants. La réalité est moins rose. Très peu
d’enseignants sont prêts à se dire systématiquement : « Un grand nombre de
mes élèves ne voient ni l’intérêt, ni l’utilité des savoirs que je souhaite leur faire
apprendre. Je vais donc consacrer une partie importante de mon travail à déve-
lopper le désir de savoir et la décision d’apprendre. » Il est vrai qu’un tel constat
est profondément décourageant, lorsqu’on travaille dans une institution qui
entretient la fiction d’élèves disposés à apprendre et qui fixe les plans d’études
en conséquence.
Si l’école voulait créer et entretenir le désir de savoir et la décision d’apprendre,
elle devrait alléger considérablement ses programmes, de sorte à intégrer au
traitement d’un chapitre tout ce qui permet aux élèves de lui donner du sens et
d’avoir envie de se l’approprier. Or, les programmes sont conçus pour des
élèves dont l’intérêt, le désir de savoir et la volonté d’apprendre sont censés être
acquis et stables. Leurs auteurs n’ignorent pas que ces préalables font défaut à
certains élèves, mais ils parient alors sur une motivation « extrinsèque », imagi-
nant qu’ils travailleront sous la menace d’une mauvaise note, d’une sanction,
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Impliquer les élèves dans leurs apprentissages et leur travail
d’un avenir compromis ou, pour les plus jeunes, d’un retrait d’amour ou
d’estime de la part des adultes. On ne peut demander aux enseignants de faire
des miracles lorsque leur cahier des charges est basé sur une fiction collective.
La prise en charge du sens à construire ne saurait reposer sur les épaules des
enseignants seulement.
Toutefois, n’attendons pas que les auteurs des programmes les aient allégés pour
nous demander comment on pourrait alors mieux impliquer les élèves dans leur
apprentissage et leur travail. Avoir plus de temps n’est qu’une condition néces-
saire. La compétence requise est d’ordre didactique, épistémologique, relation-
nel. On peut en isoler diverses composantes, qui sont autant de compétences
plus spécifiques :
• Susciter le désir d’apprendre, expliciter le rapport au savoir, le sens du travail
scolaire et développer la capacité d’autoévaluation chez l’enfant.
• Instituer et faire fonctionner un conseil des élèves (conseil de classe ou
d’école) et négocier avec les élèves divers types de règles et de contrats.
• Offrir des activités de formation optionnelles, « à la carte ».
• Favoriser la définition d’un projet personnel de l’élève.
Examinons-les, une à une.
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Impliquer les élèves dans leurs apprentissages et leur travail
Hélas, cela ne suffira pas toujours, même lorsque l’enseignant fait tout ce qu’il
peut pour mobiliser le plus grand nombre. Sauf à quelques-uns, apprendre coûte
du temps, des efforts, des émotions douloureuses : angoisse de l’échec, frustra-
tion de ne pas y arriver, sentiment d’atteindre ses limites, peur du jugement
d’autrui. Pour consentir un tel investissement, donc prendre la décision
d’apprendre et s’y tenir, il faut une bonne raison. Le plaisir d’apprendre en est
une, le désir de savoir en est une autre.
Ce désir est multiple : savoir pour comprendre, pour agir efficacement, pour
réussir un examen, pour être aimé ou admiré, pour séduire, pour exercer un pou-
voir… Le désir de savoir n’est pas d’un seul tenant. L’école, même si elle plaide
dans l’absolu pour un rapport désintéressé au savoir, ne peut, au jour le jour, se
permettre de mépriser les autres mobiles. Les plus étrangers au contenu même
du savoir en jeu offrent inévitablement de moindres garanties d’une construction
active, personnelle et durable des connaissances. Toutefois, face à tant d’élèves
qui ne manifestent aucune envie de savoir, une volonté d’apprendre, même fra-
gile et superficielle, est déjà un cadeau.
Les stratégies des enseignants peuvent donc se développer dans un double
registre :
– créer, intensifier, diversifier le désir de savoir ;
– favoriser ou renforcer la décision d’apprendre.
Du désir de savoir à la décision d’apprendre, la ligne n’est pas droite. Même les
élèves les plus convaincus de l’intérêt qu’ils auraient à savoir les mathématiques
ou la géographie peuvent « craquer » face au travail requis pour mettre ce projet
en œuvre. L’enfer de l’échec scolaire est pavé de bonnes intentions. Il y a à peu
près autant de cohérence chez un enfant qui a décidé d’apprendre que chez un
adulte qui a décidé de maigrir ou d’arrêter de fumer. Si l’envie de savoir est une
condition nécessaire, elle n’est suffisante que chez les êtres très rationnels et
dotés de la volonté de faire, contre vents et marées, ce qu’ils ont décidé. Chez
les autres, les résistances du savoir et les coûts de l’apprentissage ne peuvent
laisser indemne une décision d’apprendre qui, elle-même, lorsqu’elle vacille,
affaiblit le désir de savoir qui était à son fondement. Nous ne cessons de renon-
cer à nombre de choses qui, un instant, nous ont paru désirables, car à l’usage,
nous nous rendons compte que l’investissement est plus lourd que nous ne pen-
sions ou qu’il entre en conflit avec d’autres projets ou d’autres désirs.
Enseigner, c’est donc renforcer la décision d’apprendre, sans faire comme si
elle était prise une fois pour toutes. C’est ne pas enfermer l’élève dans une
conception de l’être raisonnable et responsable qui ne convient même pas à la
plupart des adultes.
Enseigner, c’est aussi stimuler le désir de savoir. On ne peut désirer savoir lire,
calculer de tête, communiquer en allemand ou comprendre le cycle de l’eau que
si on se représente ces acquis et leurs usages. C’est parfois difficile, parce que la
pratique en jeu reste opaque, vue de l’extérieur. Comment quelqu’un qui n’ima-
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Impliquer les élèves dans leurs apprentissages et leur travail
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Impliquer les élèves dans leurs apprentissages et leur travail
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Impliquer les élèves dans leurs apprentissages et leur travail
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Impliquer les élèves dans leurs apprentissages et leur travail
Cette compétence peut sembler mineure. Chacun est capable de proposer des
activités équivalentes à certains moments : thème d’un texte ou d’un dessin,
choix du poème ou de la chanson à apprendre, option entre plusieurs exercices
de même niveau. On peut à ce propos avancer quatre hypothèses :
1. Ces choix ne sont offerts que s’ils correspondent à des chemins différents
pour atteindre le même objectif de formation.
2. Les enseignants sous-estiment l’importance de ces choix pour les élèves et ne
s’appliquent pas à les offrir aussi souvent que possible. Ils y renoncent donc
chaque fois que cela « complique la vie » sans profit visible, en raison du maté-
riel requis, de la difficulté du suivi ou de l’évaluation d’activités dissemblables
ou des problèmes de justice qui s’ensuivent.
3. Les choix se concentrent plutôt sur les disciplines secondaires.
4. Ils ne sont aménagés que si l’enseignant maîtrise leurs implications en termes
de didactique, d’évaluation et de gestion de classe.
En bref : la standardisation paraît la règle, la diversification des activités
demeure l’exception ; on n’y pense pas systématiquement et on y renonce si elle
pose des problèmes d’organisation.
Pourtant, chacun le sait, le sens d’une activité, pour n’importe qui, dépend forte-
ment de son caractère choisi ou non ; lorsque l’activité elle-même est imposée,
son sens dépend encore de la possibilité de choisir la méthode, les moyens, les
étapes de réalisation, le lieu de travail, les échéances, les partenaires. L’activité
dont il ne choisit aucune composante a bien peu de chances d’impliquer l’élève.
Étudiant les effets de l’organisation du travail sur la dynamique psychique,
Dejours (1993) montre que la fatigue, le stress, l’insatisfaction, le sentiment
d’aliénation et de non-sens s’accroissent lorsque l’organisation du travail est
rigide et ne laisse aucune marge à la personne pour adapter la tâche à ses
rythmes, son corps, ses préférences, sa vision des choses. Ce qui vaut pour les
travailleurs dans l’entreprise vaut aussi pour les élèves !
On pourrait définir la compétence professionnelle visée ici comme « l’art de
faire de la diversité la règle », la standardisation des activités n’apparaissant que
de cas en cas, pour des raisons spécifiques. Dite de façon aussi radicale, la chose
peut paraître impossible. La diversification systématique des tâches pose en effet
des problèmes de gestion de classe et de matériel qui peuvent devenir prohibi-
tifs. Mieux vaut le reconnaître avec réalisme. Avant de se heurter à de tels obs-
tacles, on rencontre un problème didactique : aussi longtemps que l’enseignant
ne se sent pas libre de distendre les liens convenus (et souvent implicites) entre
un objectif d’apprentissage, une activité cognitive censée le servir et les moyens
d’enseignement correspondants, il aura tendance à « faire un paquet », ce qui
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Impliquer les élèves dans leurs apprentissages et leur travail
conduit à laisser très peu de marge aux élèves. De fait, la formation des ensei-
gnants les familiarise souvent avec des activités associées à des chapitres du pro-
gramme plutôt que de les nantir des compétences nécessaires pour choisir ou
éliminer des activités en fonction d’un objectif de formation.
Sous l’apparente simplicité des options qu’offrent systématiquement certains
enseignants, notamment dans le cadre d’un « plan de semaine » ou de quin-
zaine, se cache donc une grande confiance dans les effets de formation des acti-
vités qu’ils mettent en place et la certitude qu’elles constituent des voies équiva-
lentes pour atteindre les mêmes objectifs. La dissociation alors opérée entre
contenus et objectifs concilie sécurité et liberté.
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Impliquer les élèves dans leurs apprentissages et leur travail
jouais par terre, donc sans même avoir sous les yeux le journal qu’il tenait à
deux mains sur la table. Un visiteur entra une fois à l’improviste et appela
mon père qui se retourna et me surprit lisant un journal imaginaire. Il me
parla alors avant même de s’occuper du visiteur, m’expliquant qu’il s’agis-
sait des lettres, toutes les petites lettres, là, et il tapota dessus avec l’index. Je
les apprendrais bientôt moi-même, ajouta-t-il, éveillant en moi une curiosité
insatiable pour les lettres. »
Cet enfant amènera à l’école un projet : lire toutes les « petites lettres ». Hélas, on ne
peut exclure qu’un tel désir de savoir disparaisse si on le passe à la moulinette d’une
méthode orthodoxe d’apprentissage de la lecture. Les projets sont fragiles, pas tou-
jours rationnels, pas toujours justifiables, mais ce sont les vrais moteurs de notre ac-
tion. L’enseignant a donc intérêt à être formé pour les prendre comme ils sont et,
s’ils ne mènent pas très loin ou ne mènent pas là où l’école veut conduire les élèves,
à savoir les faire évoluer de façon concertée, de sorte qu’ils engendrent d’autres
projets, plus ambitieux ou plus conformes au programme.
Quant aux élèves qui n’ont pas de projet personnel, le plus grave serait de leur lais-
ser entendre qu’il leur « manque une case ». Étienne et al. (1992) soulignent que le
projet peut, si l’on n’y prend garde, devenir une nouvelle norme, et donc une nou-
velle fiction. Boutinet (1993) a montré que construire son identité et sa vie en for-
mant des projets est un rapport au monde parmi d’autres, qui caractérise les socié-
tés dites modernes. Se projeter dans l’avenir n’a guère de sens dans les sociétés où
l’identité ne passe pas par la réalisation de soi et la transformation du monde. On re-
trouve en partie cette diversité au sein de chaque société ; dans la nôtre, toutes les fa-
milles n’ont pas la même capacité à faire et réaliser des projets. Cette capacité est
fortement liée au pouvoir qu’on exerce sur sa propre vie et celle des autres. C’est
pourquoi les individus et les groupes dominés n’ont guère les moyens de former
des projets. Exiger d’un enfant qu’il exprime ou se donne rapidement un projet per-
sonnel est donc une forme de violence culturelle qui, aussi involontaire soit-elle,
manifeste un manque de respect de la diversité des rapports au monde.
En même temps, inscrire son effort présent dans un projet reste la plus sûre maniè-
re de lui donner un sens. Tentons de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain ! La pre-
mière facette de la compétence requise consiste donc à naviguer entre la manipula-
tion et le laxisme. Il est légitime de pousser un enfant à s’interroger, à faire des
projets, à inscrire son travail dans une perspective à moyen ou long terme. Peut-être
est-ce même un objectif majeur de la scolarité de base : devenir capable de former
des projets, de les réaliser, de les évaluer. A condition de se souvenir que c’est un
long chemin et il serait injuste et peu efficace d’en faire un prérequis pour les autres
apprentissages. S’ils s’inscrivent dans un projet personnel à moyen terme, tant
mieux ! Sinon, la construction du sens doit prendre d’autres détours.
On voit que cette dernière compétence, comme les autres, demande certes des
connaissances didactiques, mais aussi une forte capacité de communication, d’em-
pathie, de respect de l’identité de l’autre. Relire Frankenstein pédagogue (Meirieu,
1996) avant chaque rentrée scolaire éviterait de faire de l’exigence préalable d’un
projet personnel une nouvelle forme de violence symbolique…
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Travailler en équipe
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Travailler en équipe
Pseudo équipe =
arrangement •
matériel
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Travailler en équipe
équipe peut éclater et perdre ses ressources pour n’avoir pas su trouver une
répartition à la fois intelligente et équitable.
Dans une équipe lato sensu, on se borne à discuter des idées et des pratiques
respectives, sans rien décider. Pourtant, de tels échanges exigent une forme
d’équité dans la prise de parole et de risques : si ce sont toujours les mêmes
qui racontent, soumettent un problème, demandent un conseil, et toujours les
mêmes qui écoutent, critiquent ou disent « il n’y a qu’à… », cela ne durera
pas. De plus, un échange peut mettre à mal l’image de soi d’un praticien,
même si elle n’entame pas formellement son autonomie. Si chacun se protège
et n’offre qu’une surface lisse, les échanges restent creux. S’ils deviennent
plus authentiques, ils peuvent, s’ils sont mal conduits, laisser des blessures
durables à ceux qui ont l’impression de n’avoir pas été compris et soutenus,
mais plutôt jugés et désavoués. Les membres des équipes qui durent mani-
festent de fortes compétences de communication.
C’est encore plus évident dans une équipe stricto sensu, puisqu’elle fonc-
tionne comme un véritable collectif, au profit duquel chacun aliène, volon-
tairement, une partie de sa liberté professionnelle. Lorsqu’on se limite à une
coordination des pratiques, chacun gardant « ses » élèves, tout dépend de ce
qu’on met en commun : on survit facilement à un dysfonctionnement durant
dix jours d’ateliers décloisonnés avant Noël. C’est plus problématique dans
le cadre d’un dispositif qui exige, durant toute l’année scolaire, une division
du travail flexible et une concertation régulière sur le programme, les activi-
tés et l’évaluation. La coresponsabilité des mêmes élèves exige encore plus
de compétences, car même s’ils ne s’entendent pas, les enseignants ne peu-
vent alors se séparer en cours d’année…
Dans tous les cas, il faut que chacun trouve sa place, protège sa part de fantaisie,
voire de folie (Perrenoud, 1994 f, 1996 c). Même dans une équipe démocra-
tique, composée d’égaux, certains exercent une forte influence sur les décisions
de l’équipe et ont donc peu de mérite à y adhérer, alors que d’autres ont
l’impression de subir « la loi du groupe » ou de son leader. Sans compétences
de régulation, permettant d’exprimer de telles impressions et de proposer un
meilleur équilibre, l’équipe éclatera ou ira vers une parodie de coopération.
Travailler en équipe est donc une affaire de compétences, mais présuppose
aussi la conviction que la coopération est une valeur professionnelle. Les
deux aspects sont plus liés qu’on ne le pense : on dévalorise volontiers ce
qu’on ne maîtrise pas. Certaines des réticences à l’égard du travail d’équipe
masquent la peur de ne pas savoir tirer son épingle du jeu, de se faire « man-
ger » ou dominer par le groupe ou ses leaders. À l’inverse, une adhésion
enthousiaste au principe du travail en équipe faiblira si l’on découvre qu’on
ne sait pas fonctionner de façon coopérative, que cela prend beaucoup de
temps ou crée un ressentiment ou un stress qu’on n’arrive ni à dépasser, ni
même à verbaliser.
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Travailler en équipe
vail en amont, ils devront le faire par la suite, à la première divergence grave, à
la première crise. Si une équipe n’est pas capable de se dire, explicitement, ce
qui la tient ensemble, elle se défait ou régresse à un faux-semblant devant les
premiers obstacles. Or, articuler des représentations, c’est ouvrir un espace de
libre parole dans le projet et avant le projet, écouter les propositions, mais aussi
décoder les désirs moins avoués de ses partenaires, expliciter les siens, chercher
des compromis intelligents.
Cette compétence dépasse la simple capacité de communiquer. Elle suppose une
certaine compréhension des dynamiques de groupes et des diverses phases du
« cycle de vie d’un projet », notamment de sa genèse, toujours incertaine. Parler
des peurs, des fantasmes de perdre son autonomie, des territoires à protéger, des
pouvoirs à prendre ou à subir (Perrenoud, 1996 c), des compétences et des
incompétences à manifester ou à construire, bref, de toutes les vicissitudes des
relations intersubjectives (Cifali, 1994) n’est alors pas un luxe, mais une condi-
tion de démarrage, dans une relative transparence et un certain équilibre entre
les désirs des uns et des autres !
Tous les membres d’un groupe sont collectivement responsables de son fonc-
tionnement : le respect des horaires et de l’ordre du jour, le souci d’arriver à des
décisions claires, le rappel des options prises, la répartition des tâches, la planifi-
cation des prochaines rencontres, l’évaluation et la régulation du fonctionnement
sont l’affaire de tous, ce qui signifie que chacun exerce en permanence une part
de la fonction d’animation et de conduite. Elle suppose à la fois :
– une posture, une certaine décentration, le souci que le groupe fonctionne, ce
qui conduit à des interventions en apparence « désintéressées », qui ne servent
pas une proposition ou un point de vue personnels, mais facilitent la communi-
cation et la prise de décisions efficaces et équitables ; en fait, à moyen terme,
chacun a intérêt à ce que son équipe fonctionne, mais il est parfois pris dans des
enjeux de pouvoir, des projets à défendre, des jeux relationnels ou des émotions
qui ajoutent plutôt de la divergence, de l’incertitude ou du désordre au fonction-
nement collectif ;
– des compétences d’observation et d’interprétation de ce qui se passe, doublées
de compétences d’intervention sur le processus de communication ou la structu-
ration de la tâche.
Dans un groupe d’une certaine taille, pressé par le temps ou menacé par un net
déséquilibre des forces en présence, il est sage, sans décharger le groupe de ce
souci, de le déléguer plus particulièrement à un animateur, désigné pour la
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Travailler en équipe
réunion ou une période plus durable. Cette dernière formule est préférable, car
elle assure un suivi entre les réunions, l’animateur se sent responsable de donner
suite à la précédente et de préparer la suivante.
Jouer le rôle d’animateur exige, en plus affirmées, la posture et les compétences
évoquées plus haut. Ce n’est donc pas véritablement un rôle spécialisé, plutôt le
droit et le devoir de donner la priorité à la fonction d’animation et de conduite
de la réunion. Animer, c’est donner vie, donc ne pas se contenter de distribuer la
parole !
Pour faire émerger ce rôle et permettre à l’animateur de le jouer pleinement, il
importe que l’équipe affronte la question du leadership et ne le confonde pas
avec l’autorité administrative. Or, on constate une profonde ambivalence des
enseignants à l’égard d’une animation digne de ce nom. Tout le monde se plaint
assez souvent d’un ou plusieurs des dysfonctionnements suivants :
a. Tout le monde parle en même temps, on se coupe la parole, on ne s’écoute
plus.
b. Personne ne parle, tout le monde a l’air de se demander, embarrassé :
« Qu’est-ce que je fais là ? »
c. Des conversations naissent dans plusieurs coins parallèlement à l’échange
général, on ne sait plus qui écoute qui.
d. Les participants ne savent plus très bien pourquoi ils se sont réunis ; ils
passent un temps fou à se demander : « Avons-nous quelque chose à faire
ensemble ? »
e. La discussion part dans toutes les directions, on saute du coq à l’âne, per-
sonne ne s’y retrouve, c’est la pagaille…
f. Une ou deux personnes parlent sans arrêt, racontent leur vie, monopolisent
la parole.
g. Quelques personnes ne disent rien pendant toute la séance, on ne sait pas
ce qu’elles pensent, elles ne manifestent aucune envie de s’exprimer, per-
sonne n’ose les solliciter.
h. Certaines personnes semblent avoir envie de parler, mais elles hésitent à
se lancer à l’eau. Chaque fois qu’elles semblent se décider, quelqu’un d’autre
les devance ou les interrompt.
i. Certains participants arrivent en retard, ne comprennent pas très bien ce qui
se passe, n’osent pas le demander, alors que personne ne prend soin de le
leur expliquer.
j. On ne sait pas très bien jusqu’à quelle heure doit se poursuivre la réunion,
certains quittent la séance au milieu de la discussion, qui s’effiloche.
k. Deux personnes ou deux sous-groupes s’affrontent interminablement sur
un sujet sans intérêt pour les autres participants, qui assistent à la joute en
spectateurs impuissants.
l. Les avis sont partagés sur ce dont il faut discuter ou sur la façon de le faire.
On ne sait pas comment décider de la suite du débat, chacun poursuit son
idée.
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Travailler en équipe
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Travailler en équipe
constituent autour d’un projet ou d’un contrat plus ou moins explicites. D’où
deux problèmes, qu’il appartient dès lors aux (futurs) équipiers de résoudre :
1. Comment faire naître une équipe lorsqu’il n’en existe aucune ?
2. Comment assurer la continuité de l’équipe par-delà des départs et des arri-
vées ?
Le premier problème appartient à ceux qui veulent prendre l’initiative de former
une équipe. On observe classiquement plusieurs types de genèse :
• La « boule de neige » : deux ou trois personnes commencent à collaborer,
d’autres s’y joignent ; un réseau de coopération naît avant d’être reconnu
comme une équipe, que ce soit par ses membres ou par les autres enseignants.
• La réponse à une sollicitation externe : l’autorité scolaire, une institution de
formation, un centre de recherche sont en quête d’une équipe pour entrer dans
un programme d’innovation, de formation ou de recherche. Deux ou trois ensei-
gnants se disent « pourquoi pas nous ? » et réunissent quelques collègues qui se
constituent en équipe à cette occasion.
• La coalition face à une menace : restrictions budgétaires, perspectives de
réduction de l’emploi ou de diminution des heures dans la grille horaire, plaintes
de parents contre un ensemble d’enseignants, conflit avec un autre établissement
ou l’autorité ou situation de crise. Tous ces événements créent une forme de
solidarité dont peut surgir une équipe.
• La participation à l’élaboration d’un projet d’établissement peut créer des
noyaux plus restreints, qui se constituent en acteurs collectifs désireux d’orienter
une dynamique plus large.
• L’attribution de ressources à des collectifs peut susciter des pseudo-équipes,
qui évoluent parfois vers de vraies équipes.
• Le militantisme innovateur : quelques enseignants esquissent un projet et cher-
chent à mobiliser des collègues.
Quel que soit le point de départ, ceux qui souhaitent lancer ou relancer une
dynamique de coopération doivent saisir des occasions et s’impliquer pour faire
émerger un projet commun, qui soit à la fois assez mobilisateur pour que cha-
cun ne retourne pas immédiatement dans sa tour d’ivoire, et assez ouvert pour
ne pas donner l’impression que tout est ficelé d’avance.
Le désir diffus de travailler de façon plus coopérative donnerait plus souvent
naissance à une équipe si les compétences requises pour soutenir cette dyna-
mique étaient mieux partagées. Souvent, la genèse d’une équipe avorte par
maladresse, excès de précipitation, manque d’écoute ou défaut d’organisation,
de mémoire ou de méthode. Les enseignants formés par le militantisme, la vie
associative, voire l’entreprise, ont en général les moyens et l’audace de créer un
mouvement collectif, alors que les enseignants privés de telles expériences
extrascolaires sont paralysés par la crainte, s’ils « sortent du rang », d’avoir l’air
de rechercher du pouvoir ou, pis encore, une promotion…
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tieux et les mener à bien satisfait celles et ceux qui cherchent dans l’équipe,
avant tout, un moyen de démultiplier leur capacité d’action ou de vivre des
aventures passionnantes. On restera alors constamment dans la logique de
l’action efficace, ce qui n’exclut pas les débats, voire de vifs affrontements, mais
les limite à ce qu’il faut absolument clarifier pour prendre des décisions et les
assumer collectivement. Les compétences requises alors sont celles qui permet-
tent à un groupe de tâches de réaliser ses projets.
Lorsque les équipiers attendent de la coopération une forme de réflexion sur les
pratiques et les problèmes professionnels, ils ont intérêt à lutter contre la fuite
en avant dans l’activisme, à prendre le temps de se parler de ce qu’ils font,
croient, pensent, ressentent, et non de ce qu’il faut encore faire pour préparer la
fête, l’exposition ou la semaine musicale. Il faut alors certaines compétences,
pour naviguer à l’estime entre deux écueils : trop se protéger, au risque de ne
rien se dire, ou trop s’exposer, ce qui peut conduire certains à se replier sous leur
tente pour soigner leurs blessures.
Il est toujours utile qu’un membre de l’équipe soit, plus que d’autres, sensible
aux dérapages possibles vers l’échange vide de sens, aussi bien que vers le psy-
chodrame, mais la régulation repose sur une compétence collective, fondée sur
une commune intuition de la nécessité et de la fragilité de l’échange autour des
pratiques. Des savoir-faire plus méthodologiques peuvent alors prendre le relais,
pour organiser, par exemple, des visites mutuelles, le récit croisé de fragments
d’histoire de vie, l’analyse de situations complexes, éventuellement des
moments d’écriture professionnelle (Cifali, 1996 ; Perrenoud, 1996 j et l, 1998 g
et o).
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voquées par des événements externes : une restriction des ressources dispo-
nibles, une demande des parents ou des élèves, une menace sur l’emploi, une
sollicitation de l’un des membres de l’équipe à prendre une fonction d’ani-
mation dans l’établissement ou tout simplement l’occasion de développer un
projet. Chaque fois qu’il faut décider, on court le risque de n’être pas
d’accord. Selon l’enjeu, si les points de vue diffèrent et si chacun est déter-
miné à défendre le sien, le désaccord peut se transformer en conflit. Les com-
pétences requises relèvent alors d’une modération centrée sur la tâche. Il
importe par exemple que, dans une équipe, plusieurs personnes aient assez
d’imagination, d’informations et de connaissances pour restructurer le débat
de sorte qu’émerge un compromis, une décision qui n’oppose pas brutale-
ment perdants et gagnants. L’appel à l’harmonie est alors moins efficace que
la reconstruction du problème, qui passe par un travail intellectuel assez
pointu, en général dans l’urgence. On peut aussi, faute d’une solution mira-
culeuse qui mette tout le monde d’accord sur le vif, proposer un calendrier et
une méthode qui pacifient le débat, par exemple en s’inspirant de ce principe
de Korczak que Philippe Meirieu rappelle volontiers : dans une classe, cha-
cun peut taper sur l’autre, à condition de le prévenir par écrit vingt-quatre
heures à l’avance…
Bien entendu, si les clivages sont très forts et que chacun attend constamment
l’incident de frontière qui l’autorisera à ouvrir les hostilités en toute bonne
conscience, peut-être faudra-t-il faire appel à une compétence assez rare et
difficile à assumer, qui évoque l’euthanasie ou l’amputation. Il existe des
équipes dont il vaut mieux décider la dissolution, parce qu’elles alimentent
des haines et des régressions plutôt que des envies de coopération profes-
sionnelle. Parfois, nul ne voit par quel miracle cela évoluerait positivement.
Mieux vaut alors se séparer plutôt que de se faire souffrir réciproquement.
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Participer à la gestion de l’école
Les enseignants ne sont pas les seuls acteurs de l’éducation appelés à construire
de nouvelles compétences. Les cadres doivent, dans le même temps, apprendre
à déléguer, demander des comptes, conduire, susciter, cautionner ou négocier
des projets, dresser et interpréter des bilans, inciter sans imposer, animer sans
déposséder. De telles compétences, de tels savoirs d’action ne se développent
guère, spontanément, sans formation, sans démarche réflexive, sans transforma-
tion identitaire (Gather Thurler, 1996 a ; Perrenoud, 1998 g). Tous les métiers
de l’éducation sont concernés et exigent de nouvelles compétences en matière
de gestion de l’école. Mais limitons-nous ici aux enseignants.
Pour décrire une compétence, il faut expliciter des pratiques de référence. Ici,
comme pour le travail en équipe, on sort de la salle de classe, pour s’intéresser à
la communauté éducative dans son ensemble. On aurait tort, cependant, de
croire que l’on s’éloigne des enjeux didactiques, pédagogiques et éducatifs,
qu’on se trouve dans le domaine de la « gestion pure », autorisé de ce fait à
oublier les apprentissages et le développement des élèves. L’ensemble du fonc-
tionnement d’une école participe du curriculum réel (Perrenoud, 1996 a) et
contribue à former les élèves, de façon délibérée ou involontaire. Gérer l’école,
c’est toujours, indirectement, aménager des espaces et des expériences de for-
mation.
Dans notre culture, il n’est nullement étrange de « réaliser des projets ». C’est
au contraire une façon d’être qui paraît s’imposer à tous, même à ceux qui n’en
ont pas les moyens ou la vocation. Nous vivons dans une culture à projet
(Boutinet, 1993), avec le risque permanent de tenir ce rapport au monde pour le
seul qui soit digne de la condition humaine. L’insistance mise sur le projet per-
sonnel de l’élève illustre les dérives normatives qui menacent une idée positive.
92
Participer à la gestion de l’école
Dans l’enseignement public, une école n’est pas une entreprise indépendante.
Dans la législation suisse, par exemple, un établissement n’a aucun droit, ni
aucune responsabilité. C’est un lieu, un bâtiment ou un ensemble de bâtiments,
bref un site qui, en tant que tel, n’est pas une personne morale ou juridique.
Lorsqu’il existe, le chef d’établissement n’est pas l’émanation du corps ensei-
gnant, il est nommé par l’administration centrale. En droit français, un établisse-
ment scolaire est un sujet de droit, il est doté d’un conseil d’administration,
prend des décisions et en assume la responsabilité juridique et morale. Malgré
cette importante avancée, l’ambiguïté est loin d’être entièrement levée. Dans le
secteur public, un établissement scolaire n’est pas une entreprise autonome, il
tient l’essentiel de ses moyens de l’État et d’une administration centrale qui lui
assignent des missions et contrôlent la gestion de ses ressources. Les écoles
dites privées sont de même, assez souvent, incorporées à des réseaux ou dépen-
dantes de « pouvoirs organisateurs » dont elles tiennent leurs ressources. Ces
appartenances institutionnelles limitent fortement le sens qu’on peut donner à
un projet d’établissement. La plupart des établissements scolaires ne sont pas
réellement autonomes. Ils sont, au mieux, entre mandat et projet, invités à déve-
lopper un projet pour mieux accomplir leur mandat, à l’intérieur de limites et
de ressources faiblement négociables (Perrenoud, 1998 q).
93
Participer à la gestion de l’école
Hors du monde du travail, former et conduire des projets est une manifesta-
tion de liberté. Les individus ou les groupes définissent leurs objectifs, négo-
cient certes les moyens et les coopérations nécessaires, mais n’ont pas à
demander la permission de réaliser leur projet, sauf s’ils sollicitent un man-
dat sans lequel leur projet n’est pas réalisable. Qu’un projet se transforme en
mandat n’est pas, en soi, inhabituel : un bureau d’architectes, par exemple,
peut proposer un projet et, sur cette base, recevoir éventuellement le mandat
de le réaliser, à certains aménagements près. Le projet préexiste au mandat,
ses auteurs assument cette transformation comme condition de réalisation du
projet, même si elle impose parfois des échéances drastiques et rend difficile
un éventuel renoncement, compte tenu des risques juridiques et financiers
encourus. Réaliser « sous mandat » un projet qu’on a imaginé et proposé
aliène en partie la liberté de ses concepteurs et les contraint à des négocia-
tions difficiles, par exemple dès que survient un obstacle imprévu : terrain
moins propice que prévu, oppositions inattendues, dépassement de budget. Il
faut alors remanier ou redimensionner les plans. Du moins les auteurs peu-
vent-ils se dire : « C’est notre projet, nous l’avons proposé librement, nous
avons conclu un contrat qui l’a rendu possible, à nous d’assumer les com-
promis et les transactions qui le rendront réalisable ».
On peut, dans le champ de l’éducation, former des projets équivalents, par
exemple proposer d’organiser une université d’été ou une session de formation,
voire d’ouvrir une école privée et, si l’idée est acceptée, conclure un contrat avec
un organisme mandataire.
Dans l’école publique et les grands réseaux confessionnels, la logique est toute
différente : le mandat précède le contrat. Même lorsque les écoles se sont
constituées de façon autonome, leur intégration au réseau les conduit à renoncer
à leur indépendance et à fonctionner sous mandat.
La notion de projet d’établissement peut constituer une forme de dévoiement de
la notion de projet, donc une source fondamentale de malentendu. Dans de
nombreux systèmes éducatifs, un établissement scolaire peut encore fonctionner
sans projet, comme un rouage du service public. Certaines organisations sco-
laires ont longtemps dissuadé les établissements d’avoir un projet, craignant
qu’ils n’échappent alors à l’autorité centrale. Le « projet d’établissement » a été,
à l’origine, une forme de dissidence, de résistance au pouvoir organisateur.
Pourquoi, aujourd’hui, contre cette tradition centralisatrice, les systèmes sco-
laires proposent-ils d’ajouter une « couche de projet » à un fonctionnement
organisationnel qui pourrait s’en passer ? Les tenants des projets d’établisse-
ments les justifient en général dans un triple registre :
– la gestion optimale des services publics, qui exige une autonomisation accrue
des services et des fonctionnaires, et notamment des écoles et des enseignants,
pour mieux répondre à la diversité des situations et des dynamiques locales tout
en faisant des économies ;
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Participer à la gestion de l’école
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Participer à la gestion de l’école
Tirer le meilleur parti du terrain, des incitations, des occasions, des problèmes,
voire des crises, est une compétence cruciale. Toutefois, le savoir-faire tactique
ne suffit pas pour construire un projet. Il faut proposer un thème qui « parle »
au plus grand nombre, donc manifester une certaine lucidité sur ce qui pourrait
mobiliser les collègues, aussi bien que sur les contraintes qui limitent leur dispo-
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Participer à la gestion de l’école
Voilà qui peut paraître plus terre à terre. Pourtant, investir des ressources
engage la responsabilité individuelle et collective des enseignants tout autant
qu’affirmer des valeurs ou défendre des idées pédagogiques. Les tendances
nouvelles de la gestion des finances publiques contribuent à légitimer les
timides tentatives faites auparavant dans divers systèmes scolaires. À l’heure
actuelle, l’attribution d’une enveloppe budgétaire globale à un sous-système
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Participer à la gestion de l’école
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Participer à la gestion de l’école
visible, créer des tensions difficiles à vivre, avec des sentiments d’arbitraire ou
d’injustice peu propices à la coopération.
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Participer à la gestion de l’école
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Participer à la gestion de l’école
Toutes les initiatives précédentes ont des incidences sur la vie des élèves dans
l’école, le climat, la qualité de l’encadrement et de la formation, la cohérence
des attentes et des démarches didactiques. Ici, cependant, on s’attaque directe-
ment à une dimension pédagogique. La participation des élèves se justifie, en
effet, d’un double point de vue :
– c’est l’exercice d’un droit de l’être humain, le droit de participer, dès qu’il en
est capable, aux décisions qui le concernent, droit de l’enfant et de l’adolescent,
avant d’être droit de l’adulte ;
– c’est une forme d’éducation à la citoyenneté, par la pratique.
La classe est évidemment le premier lieu de participation démocratique et
d’éducation à la citoyenneté. C’est là qu’on affronte la contradiction entre le
désir d’émanciper les élèves et la tentation de les conformer, entre l’asymétrie
inscrite dans la relation pédagogique et la symétrie requise par la démocratie
interne. La pédagogie Freinet et la pédagogie institutionnelle offrent des
démarches concrètes pour concilier pratiquement ces contraires, en particulier
pour bâtir des institutions internes, à l’exemple du conseil de classe.
La tâche est plus difficile à l’échelle d’un établissement, même de taille res-
treinte, parce qu’on se connaît moins et que le nombre de personnes concernées
impose assez vite un système représentatif. Les démocraties politiques manifes-
tent le risque permanent que se creuse un fossé entre les élus et la base. Diverses
tentatives de conseil des élèves ou de parlement montrent cependant que ce
n’est pas impossible, même dans une école primaire, à condition que la partici-
pation à l’échelle de l’établissement prenne appui sur une participation vivante
au sein de chaque classe : comment les élèves pourraient-ils comprendre qu’on
leur offre un partage du pouvoir sur des questions qui concernent l’établisse-
ment si on le leur refuse dans l’organisation de la vie quotidienne et du travail en
classe ?
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Participer à la gestion de l’école
Parmi les qualités requises des enseignants, sans doute y a-t-il une forme
d’inépuisable optimisme, doublée d’un immense respect de la capacité des
enfants et des adolescents à exercer des responsabilités. C’est une question de
valeurs, de croyances, mais aussi de compétences d’animation et d’étayage.
Démontrer qu’une catégorie d’acteurs est indigne de la confiance qu’on lui fait,
rien n’est plus facile : il suffit d’accorder de l’autonomie brutalement, puis
d’exiger que les intéressés s’en servent immédiatement de façon irréprochable !
Faire advenir la démocratie, c’est prévoir une transition, savoir d’avance que le
chemin est incertain, qu’il y aura des injustices, des abus de pouvoir, des
moments de désorganisation. Dans ce type de socialisation culminent tous les
dilemmes décrits par Meirieu (1996) dans Frankenstein pédagogue. Autant que
pour les apprentissages disciplinaires, la pédagogie exige une capacité d’étayer,
pour que les compétences et les savoirs se construisent dans une certaine sécu-
rité, puis de désétayer progressivement, pour que les élèves deviennent auto-
nomes. Des enseignants, on attendra alors – dans l’idéal, bien sûr… – qu’ils
aient eux-mêmes un rapport élaboré et serein au pouvoir, à la démocratie et à la
loi, qui leur permette à la fois de composer avec d’autres acteurs lorsqu’ils sont
en mesure de négocier et d’assumer la responsabilité de la décision lorsqu’elle
ne peut, pour diverses raisons légitimes, être prise par le groupe. J’ai insisté
ailleurs (Perrenoud, 1997 a) sur l’idée qu’une éducation à la citoyenneté et une
participation aux décisions pouvaient difficilement être crédibles si on en
excluait tout ce qui relève de la didactique, du programme, de l’évaluation, des
devoirs, du travail en classe, du métier d’élève (Perrenoud, 1997 a, 1998 k).
C’est pourquoi la participation des élèves renvoie à deux autres niveaux systé-
miques :
– la capacité du système éducatif de reconnaître aux établissements et aux
équipes pédagogiques une véritable autonomie de gestion ;
– la capacité des enseignants de ne pas monopoliser ce pouvoir délégué et de le
partager à leur tour avec leurs élèves.
Quant aux parents, c’est encore une autre histoire… On y reviendra dans le pro-
chain chapitre.
Une partie des compétences décrites plus haut sont liées aux changements qu’ap-
pelle une lutte déterminée contre l’échec scolaire, par une pédagogie plus différen-
ciée et une plus grande individualisation des parcours de formation. L’existence de
degrés annuels et de classes stables limite en effet fortement la nécessité de partici-
102
Participer à la gestion de l’école
per à la gestion de l’école. Dans un immeuble, une fois chacun enfermé dans son
appartement, la gestion collective peut se borner aux espaces communs, marginaux
par rapport au « chez soi » de chacun.
Une nouvelle organisation du travail, par exemple par l’introduction de cycles
d’apprentissage, modifie l’équilibre entre responsabilités individuelles et res-
ponsabilités collectives et rend nécessaires, non seulement un travail en équipe
pédagogique mais une coopération à l’échelle de l’ensemble d’un établissement,
de préférence sur la base d’un projet (Perrenoud, 1997 b).
Il y a mille raisons de débattre de ces transformations. L’une des résistances les
plus fortes et les moins ouvertement reconnues tourne autour du sentiment
d’incompétence que suscitent ces perspectives. Traditionnellement, la formation
des enseignants les prépare à maîtriser une classe, espace qui leur est dévolu et
reconnu par l’institution. Lorsque la délimitation des espaces de formation
devient l’affaire des professionnels, cela élargit la gamme des compétences
pédagogiques et didactiques requises, et exige en outre des compétences de
négociation et de gestion à l’échelle d’une équipe ou d’une école entière.
Former à ces compétences est une façon de faire évoluer des résistances qui
tiennent avant tout à des inquiétudes, dans le registre de l’identité aussi bien que
de la maîtrise des situations professionnelles. Ces inquiétudes sont très compré-
hensibles, la construction de nouvelles compétences ne suffira pas à les dépas-
ser, mais elle peut y contribuer !
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105
Informer et impliquer les parents
qu’à défaut, elle le leur imposera de toute façon… Ils s’adaptent, donc, non sans
développer les diverses ruses et stratégies des acteurs qui n’ont pas le choix !
Pourquoi avoir rendu l’école obligatoire ? Personne ne songerait à rendre la res-
piration obligatoire, puisque chacun a spontanément besoin de respirer. L’école
est devenue obligatoire parce que les enfants n’avaient pas spontanément envie
d’y aller, ni les parents besoin de lui confier leurs enfants. Ils préféraient les gar-
der avec eux, notamment pour les faire travailler dès leur plus jeune âge. La sco-
larisation obligatoire a arraché les enfants à leur famille, dès six ans, pour des
raisons plus ou moins avouables. Il s’agissait, pour une part, d’assurer leur ins-
truction, de les protéger de l’exploitation, de la maltraitance, de la dépendance.
Pour une autre part, le but était de moraliser leur éducation, par l’éducation
civique, l’hygiène, la discipline, mais aussi de la normaliser, à commencer par
l’apprentissage d’une langue scolaire qui n’était pas la langue parlée dans la
famille au quotidien. Dans « Parler croquant », Duneton (1978) montre la vio-
lence linguistique de l’école obligatoire en France, qui combat les patois au pro-
fit de ce que Balibar et Laporte (1974) appellent le « français national », langue
de l’Île de France et des élites.
De nos jours, si l’on suspendait l’obligation légale de fréquenter l’école, il est
probable que l’immense majorité des parents y enverraient tout de même leurs
enfants. Presque tous les parents d’aujourd’hui ont fréquenté l’école quelques
années et y ont appris au moins une chose : sans instruction, ni diplôme, point
de salut ! 77 % des parents d’élèves de l’école primaire genevoise pensent que
« l’école est d’une importance capitale pour l’avenir des enfants » (Montandon,
1991, p. 107). Develay (1998) fait état de leur goût de s’informer et de se former
pour mieux aider leurs enfants. Pourtant, aucune société développée n’a, à ce
jour, pris le risque, ni même envisagé sérieusement, de rendre aux familles
l’entière responsabilité de l’éducation de leurs enfants…
L’institution scolaire n’a plus besoin, en général, d’exercer une contrainte nue,
elle a même intérêt à l’euphémiser, à s’arranger pour qu’elle n’apparaisse
qu’exceptionnellement à ciel ouvert, de sorte à entretenir l’illusion que la scola-
rité ne fait que répondre à la demande des familles. Si bien que le fonctionne-
ment actuel de l’école, si on n’y regarde pas de trop près, pourrait évoquer une
« libre consommation ». Si la contrainte subsiste, elle paraît s’exercer à l’endroit
des enfants, comme si tous les adultes concernés étaient d’accord sur la néces-
sité absolue d’aller à l’école, donc d’arriver à l’heure, d’être poli et attentif, de
bien travailler, de faire ses devoirs, d’avoir ses outils de travail, etc. Un observa-
teur pressé verrait, dans la relation des parents avec les enseignants, une figure
particulière de leur relation avec tous ceux qui s’occupent de leurs enfants : coif-
feur, médecin, dentiste, diététicien, entraîneur sportif, maître de musique ou de
danse, etc. Il imaginerait que les parents, n’ayant pas les compétences ou le
temps requis pour soigner ou éduquer eux-mêmes leurs enfants, délèguent
volontiers cette tâche à des professionnels plus disponibles et qualifiés. Le dia-
logue avec ces professionnels, une fois la tâche définie, porterait sur l’aménage-
106
Informer et impliquer les parents
ment des horaires, les disciplines à faire respecter, la bonne volonté à maintenir
chez l’enfant.
Pour une part, les rapports entre parents et enseignants fonctionnent sans doute sur
ce modèle : une mère et un professeur de piano peuvent débattre de la meilleure
façon de faire apprendre le solfège à un enfant qui n’en a pas envie, de la même
façon que cette mère peut discuter avec une enseignante de la meilleure façon d’en-
seigner à lire au même enfant. On retrouve ici la cohésion du team des adultes
(Besozzi, 1976), soucieux de faire le bien des enfants, fût-ce malgré eux (Miller,
1984). Mais cela ne se passe ainsi que s’il y a accord global entre le programme de
l’école et les intentions et les valeurs éducatives des parents. Lorsqu’ils n’attachent
pas la même importance que l’école aux apprentissages, ou ne souscrivent pas à ses
rythmes, à ses procédures disciplinaires – punitions, retenues, etc. –, à ses méthodes
ou au rapport pédagogique instauré, ils comprennent vite que le dialogue n’est pas
égalitaire (Montandon et Perrenoud, 1994). Entre des parents et un professeur de
natation ou de violon, il peut y avoir des divergences sur les contenus de la forma-
tion, les méthodes de travail ou la relation. Un maître d’art ou de sport demande en
général une certaine autonomie, refuse que les parents observent ou contrôlent ses
moindres gestes. S’ils insistent, il finit par leur dire : « Cherchez quelqu’un d’autre,
je ne travaille pas dans ces conditions ». Les parents écartés peuvent dire : « Votre
façon de faire ne nous convient pas ». Ce qui peut aboutir soit à une régulation, soit
à une séparation.
Entre enseignants et parents, la relation n’est pas aussi simple. Les parents ne sont
pas de simples usagers, ils n’ont pas le pouvoir de renoncer à la scolarité. Les plus
fortunés ou les plus habiles peuvent demander et obtenir un changement de classe
ou d’école. Dans certains pays, la coexistence de plusieurs réseaux en concurrence
crée des alternatives. L’existence d’un secteur privé, confessionnel ou commercial,
permet de choisir son école, mais cette liberté est souvent limitée par le coût de la
scolarité et l’implantation géographique des écoles privées. Dans l’enseignement
public, on n’accepte qu’exceptionnellement un changement de classe ou d’établis-
sement, de peur que les « consommateurs d’école » (Ballion, 1982) ne transfor-
ment le champ scolaire en marché ouvert.
On ne peut rien comprendre aux rapports entre les parents et l’école si l’on fait abs-
traction de l’impossibilité d’échapper à ce que Berthelot (1983) a appelé le « piège
scolaire ». Que le devoir d’informer et d’impliquer les parents fasse désormais par-
tie du cahier des charges des enseignants et appelle les compétences correspon-
dantes, ne devrait pas faire oublier que le droit à l’information et à la consultation
n’efface pas l’obligation scolaire, que c’est en quelque sorte une façon moderne de
la rendre vivable, acceptable, par des parents eux-mêmes scolarisés et qui refusent
désormais qu’on instruise et qu’on éduque leur enfant sans les consulter.
Ne sous-estimons pas davantage le décalage entre les textes qui prônent le dia-
logue, et la relative fermeture d’une partie des enseignants aux désirs et aux cri-
tiques des parents. Les textes sont proposés par des magistrats, des pédagogues ou
107
Informer et impliquer les parents
des hauts fonctionnaires, parfois adoptés par des parlementaires. Or, il est plus fa-
cile d’affirmer des principes que de les vivre au jour le jour : les ministres défen-
dent volontiers le droit à la différence et en appellent à la tolérance, mais ils ne vi-
vent pas entassés dans des HLM, au contact d’autres cultures, d’autres modes de
vie. De même, le dialogue avec les parents est facile à assumer dans l’abstrait,
alors qu’au jour le jour, lorsque la confiance n’est pas au rendez-vous, lorsqu’on se
heurte à des préjugés, des soupçons, des critiques continuelles ou des manœuvres
déloyales, la tentation de fermer le dialogue est bien réelle.
Ce sont les enseignants qui, au quotidien, incarnent le pouvoir de l’école, le
caractère contraignant de ses horaires, de ses disciplines, des « devoirs » qu’elle
assigne, des normes d’excellence, de l’évaluation et de la sélection qui en décou-
lent. Les enseignants semblent être les premiers artisans, voire les responsables,
de « ce que l’école fait aux familles » (Perrenoud, 1994 b). En première ligne, ce
sont eux qui sont confrontés à l’agressivité, à la critique des programmes, aux
propos sévères ou ironiques sur l’inanité des réformes, aux protestations devant
les exigences de l’école, aux comparaisons injustes entre établissements ou entre
professeurs, aux manœuvres de notables ou de clans pour obtenir gain de cause
contre toute raison.
On peut donc comprendre que le dialogue avec les parents ne soit pas vécu
avec bonheur par tous les enseignants. Certains le craignent ou n’y croient
plus, blessés par des paroles malheureuses ou des procédés sournois. Nul
n’est responsable des parents, de tous les parents, même les associations les
plus représentatives. Nul ne peut empêcher quelques-uns, ceux qui ne jouent
pas le jeu, de pervertir l’ensemble des relations, en alimentant la méfiance
réciproque. Les relations intergroupes pèsent sur les individus (Doise, 1976,
1979). Les enseignants apparaissent porteurs, qu’ils le veuillent, qu’ils le
sachent ou non, d’un pouvoir institutionnel qui les dépasse, et hypothèque
leurs initiatives personnelles. En miroir, les parents portent, individuelle-
ment, le poids de leur nombre et des abus d’une minorité. Que le dialogue
soit dès lors impossible, ici ou là, et souvent inégal et fragile (Montandon et
Perrenoud, 1994), qui pourrait s’en étonner ?
Ces quelques rappels montrent qu’il serait absurde de faire des relations
entre les familles et l’école une simple affaire de compétences. Toutefois, de
part et d’autre, un surcroît de compétences pourrait aider à nouer ou mainte-
nir le dialogue. Là où les choses se passent bien, on observe en général une
assez grande capacité de chaque partenaire à tenir compte du point de vue et
des attentes de l’autre.
La plupart des associations et de nombreux parents font preuve d’une grande intel-
ligence, saisissant par exemple que certaines réactions de défense des enseignants
expriment leur manque de confiance en ce qu’ils font, leur peur d’être mis en diffi-
culté, bien plus qu’une volonté de tenir les parents à l’écart de tout ce qui se passe en
classe. Lorsque les partenaires comprennent que le dialogue ne dure que si chacun
entend le point de vue de l’autre et ne pousse pas ses attentes au-delà du raison-
108
Informer et impliquer les parents
nable, chacun découvre que la collaboration est non seulement possible, mais fé-
conde, ce qui développe la confiance mutuelle. Hélas, à côté de tels cercles ver-
tueux, on connaît trop de cercles vicieux où la méfiance des uns renforce les méca-
nismes de défense des autres et inversement. Les compétences des parents et de
leurs associations sont très importantes, mais on ne saurait les exiger, même si l’on
peut attendre des associations qu’elles transmettent des savoir-faire à leurs nou-
veaux membres, pour éviter un éternel recommencement des mêmes « erreurs ».
Pourquoi serait-il fatal que les « nouveaux parents » manifestent un maximum de
naïveté, d’intransigeance ou de maladresse ? Les parents plus expérimentés et la
culture des associations de parents peuvent éviter les dérives les plus classiques.
Il reste que, dans l’affaire, les enseignants estiment être les professionnels. À ce
titre, il leur appartient de faire le gros du travail de développement et de maintien du
dialogue. Certains vivent cette asymétrie comme injuste et attendent des parents
qu’ils fassent autant d’efforts qu’eux. On peut comprendre ce désir de réciprocité,
mais il n’est pas réaliste : les parents d’aujourd’hui ont peu d’enfants, auxquels ils
tiennent comme à la prunelle de leurs yeux. Être parents d’élèves est pour eux une
condition nouvelle, pour certains un vrai « métier », qu’ils découvrent sans avoir eu
l’occasion de réfléchir ou de se former. Chaque année, leur enfant grandit, change
de classe. Ils doivent s’adapter à un nouveau programme, d’autres exigences, de
nouvelles façons d’enseigner, un style de communication différent. Si leur niveau
d’instruction, leur éthique, leur pratique de la négociation, leur expérience du
monde du travail ou leur personnalité les prédisposent à s’adapter à ce kaléidoscope
d’exigences et d’attitudes, à entrer facilement en dialogue, à poser des questions et
défendre leur point de vue, qui s’en plaindrait ? Mais l’école, en particulier lors-
qu’elle est obligatoire, doit faire avec tous les enfants et tous les parents, dans leur
diversité, y compris sous l’angle de leurs capacités de communication et de leur
adhésion au projet d’instruire leurs enfants.
Ces quelques éléments de réflexion, rappelés trop rapidement, suffisent à indiquer
que dialoguer avec les parents, avant d’être un problème de compétences, est une
question d’identité, de rapport au métier, de conception du dialogue et du partage
des tâches avec la famille. À quoi servirait-il d’avoir des compétences pour un dia-
logue dont on ne voit ni le sens, ni la légitimité ? À l’inverse, la maîtrise des situa-
tions permet de les envisager plus sereinement, sans se sentir aussitôt sur la défen-
sive. La capacité de communiquer tranquillement avec les parents ne peut suffire à
convaincre un enseignant d’adhérer au principe d’un tel dialogue. Elle le protège au
moins de la tentation de rejeter ou de mépriser ce dialogue pour l’unique raison
qu’il en a peur…
Informer et impliquer les parents est donc à la fois un mot d’ordre et une compéten-
ce. Le référentiel adopté ici retient trois composantes de cette compétence globale :
• Animer des réunions d’information et de débat.
• Conduire des entretiens.
• Impliquer les parents dans la construction des savoirs.
109
Informer et impliquer les parents
Qu’on n’oublie pas que derrière ces formulations très « raisonnables » se cachent
des attitudes et des valeurs, sur fond de rapports de pouvoir et de craintes mutuelles.
J’insisterai donc sur des compétences d’analyse de la relation et des situations au
moins autant que sur des savoir-faire en apparence « plus pratiques ». Être à la fois
parent et enseignant peut être une source de décentration salutaire (Maulini, 1997
a). Comme ce n’est pas un passage obligé, la formation des enseignants devrait ga-
rantir à tous ce que l’expérience de vie ne donne qu’à quelques-uns.
Les pères et mères qui assistent à une « réunion de parents » savent – ou décou-
vrent – que ce n’est pas le moment idéal pour régler des cas particuliers.
Toutefois, lorsque la situation de leur enfant les préoccupe vraiment, ils peuvent
être tentés d’en parler à travers un problème général : trop ou pas assez de
devoirs à domicile, discipline trop stricte ou trop laxiste, carnets scolaires trop
prolixes ou trop elliptiques, évaluation trop sèche ou trop généreuse, vie en
classe trop animée ou trop contrôlée, activités trop sérieuses ou trop amu-
santes… C’est l’une des difficultés du professeur : décoder, sous des propos
d’apparence générale, des soucis particuliers et les traiter comme tels s’ils ne
justifient pas un débat global.
C’est pourquoi la première compétence d’un enseignant est de ne pas organiser
de réunions générales lorsque les parents ont avant tout des soucis particuliers.
Ce qui conduit à prévoir des réunions :
– soit en début d’année scolaire, lorsqu’il s’agit de repérer les attentes et de pré-
senter le système de travail, alors que la plupart des parents n’ont pas encore de
raisons de s’inquiéter pour leur enfant ;
– soit nettement plus tard, lorsque l’enseignant les aura rencontrés individuelle-
ment et aura répondu aux questions et aux préoccupations qui ne concernent pas
l’ensemble de la classe.
Il n’y a évidemment pas de règle infaillible. Formulons plutôt un principe :
mieux vaut ne pas organiser de réunion lorsqu’on pressent qu’elle sera le seul
lieu où explosent des angoisses ou des mécontentements particuliers, les traiter
d’abord dans un cadre plus approprié.
Même lorsque les parents ont pu, s’ils le souhaitaient, rencontrer individuellement
l’enseignant, une réunion de parents reste fréquemment perçue comme un champ
de mines. Il est très rare que, sur une vingtaine de pères et de mères réunis dans la
classe de leur enfant, tous aient un rapport entièrement serein à l’école. Au sein des
familles, la scolarité des enfants est souvent vécue sur un mode très émotionnel,
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Informer et impliquer les parents
111
Informer et impliquer les parents
Ne nous enfermons pas dans les aspects techniques. Certes, un entretien se pré-
pare, son climat et son issue se jouent en partie dans la façon de le provoquer, de
définir son but, de l’amorcer, de mettre les interlocuteurs à l’aise. Convoquer les
parents autoritairement et les traiter comme des accusés au tribunal ne saurait
instaurer un dialogue d’égal à égal. Certains enseignants cultivent une telle asy-
112
Informer et impliquer les parents
métrie dans la relation qu’il ne faut pas s’étonner que les parents se sentent trai-
tés en élèves. Ici, cependant, comme dans le cadre des réunions, les mala-
dresses, de part et d’autre, manifestent des peurs davantage que de mauvaises
intentions ou du mépris. La compétence majeure est, à nouveau, de savoir se
situer clairement.
Si les entretiens avec les parents demandent des compétences, c’est qu’ils sont
rarement sans enjeu. Idéalement, parents et enseignants devraient se rencontrer
régulièrement, de préférence avec l’enfant, juste pour faire le point, du simple
fait qu’ils partagent une responsabilité éducative. Dans certaines classes, les
relations avec les parents fonctionnent sur ce modèle, l’entretien est alors une
routine, qui complète les réunions, la correspondance, les classes ouvertes. Ce
mode de faire demande une grande disponibilité et une forte conviction. Faute
de temps, dans la majorité des classes, on rencontre les parents seulement
lorsqu’un problème se pose.
Certains entretiens sont suscités par l’enseignant, qui a « besoin » de rencontrer
les parents pour leur faire part de son inquiétude, les mobiliser, les réprimander
ou les préparer au pire. Les parents sont alors en position de faiblesse : ils ima-
ginent – à tort ou à raison – qu’on va les rendre responsables des difficultés ou
de la mauvaise conduite de leur enfant, en laissant entendre qu’ils lui ont donné
une éducation trop laxiste, qu’ils manquent d’autorité ou, ce qui est encore plus
blessant, que l’enfant est à leur image, indiscipliné, paresseux, agressif, impoli,
sexiste ou pas très vif… Même lorsque les inquiétudes sont émises courtoise-
ment, dans le souci de ne pas blesser, dans l’espoir d’une coopération, comment
ne pas imaginer que les parents vont se sentir « dans leurs petits souliers » ?
Certains adopteront la position basse, s’excuseront, d’autres réagiront plus
agressivement ou prendront la fuite. La compétence est alors, du côté de l’ensei-
gnant, de tout faire pour ne pas mettre les parents en position de faiblesse, appli-
quant cette vieille maxime : « Traitons-les en égaux afin qu’ils le deviennent ».
Sans doute est-il difficile de croire que les parents ne sont nullement respon-
sables, directement ou indirectement, des difficultés de leurs enfants et plus
encore de leurs manières d’être. Il faut une grande sagesse pour se rendre
compte que cette fiction est créatrice, qu’elle libère les parents d’avoir à se justi-
fier ou à se disculper, et donc les constitue en véritables partenaires, dans un jeu
coopératif. En somme, dans ce cas de figure, la compétence consiste largement
à ne pas abuser d’une position dominante, donc à maîtriser la tentation de cul-
pabiliser et de juger les parents. Le travail sur soi et son rapport à autrui est alors
plus utile que l’habileté à conduire un entretien.
Il arrive aussi que l’entretien soit demandé par des parents qui ont des doutes ou
des griefs à formuler. L’enseignant est alors en position d’accusé. S’il se pré-
sente comme un professionnel compétent, en pleine possession de ses moyens,
les parents ne lui réserveront pas l’indulgence qu’ils auraient peut-être pour un
débutant ou un enseignant traversant une mauvaise passe. Toutefois, critiques et
113
Informer et impliquer les parents
interrogations seront assez souvent édulcorées. Seuls les parents les plus ins-
truits, sûrs de leur bon droit, appartenant à la classe moyenne ou supérieure,
osent en général s’en prendre directement aux enseignants et leur dire ce qui
provoque leur désaccord ou leur colère. Ils n’y vont pas alors de main morte et il
n’est pas rare d’entendre des enseignants se plaindre de l’agressivité ou de
l’arrogance de certains parents qui « se croient tout permis ». L’expérience
enseigne alors à faire le gros dos plutôt qu’à tenter de métacommuniquer pour
amener une régulation concertée de la relation.
Laisser passer l’orage est une forme de compétence. On peut douter qu’elle
contribue à un dialogue constructif. Elle relève plutôt des stratégies défensives :
« Un nombre non négligeable d’enseignants, sinon une majorité d’entre eux,
s’efforcent de délimiter avec soin leur propre territoire et de le protéger
d’empiétements éventuels de la part des parents, plutôt que de considérer les
conflits de territoires et d’objectifs comme inévitables, voire souhaitables,
pour un meilleur ajustement de l’action de chacun. Tout se passe comme si
le territoire des uns et des autres ne faisait et ne pouvait faire l’objet d’aucun
litige, comme s’il avait été défini une fois pour toutes le jour où a été insti-
tuée l’école obligatoire… » (Favre et Montandon, 1989, p. 139).
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Informer et impliquer les parents
Il est plus difficile de comprendre comment des parents, désireux que leur enfant
réussisse, pourraient faire directement obstacle à leurs apprentissages. C’est pour-
tant ce qui arrive, en général involontairement, et préoccupe une partie des ensei-
gnants. C’est ainsi que de nombreux parents pensent encore que, pour acquérir des
connaissances, il faut souffrir, travailler dur, apprendre par cœur, répéter ses mots et
son livret, bref, allier l’effort et la mémoire, l’attention et la discipline, la soumis-
sion et la précision. Les enseignants qui partagent cette façon de voir n’ont guère de
problèmes avec ces parents. Ils peuvent allonger les devoirs, multiplier les
contrôles, retenir les enfants après les heures, punir et même frapper les enfants qui
ne travaillent pas, faire régner la terreur, dramatiser les mauvaises notes : ils auront
le soutien inconditionnel de ceux des parents qui pensent qu’on n’apprend que sous
la contrainte et dans la douleur. À l’inverse, les enseignants qui pratiquent les mé-
thodes actives et les démarches de projet suscitent l’adhésion des parents acquis à
ces approches et la méfiance des autres.
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Informer et impliquer les parents
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Informer et impliquer les parents
qu’il n’obtient pas toujours. Même lorsqu’ils la lui accordent, il sait qu’elle est fra-
gile, que le moindre revers dans les apprentissages peut rendre vie au scepticisme
de départ. Il ne suffit donc pas de réclamer la confiance comme un droit, l’ensei-
gnant doit la gagner en expliquant ce qu’il fait et pourquoi. Au minimum, il cher-
chera à obtenir la neutralité bienveillante des parents. S’il veut les impliquer dans sa
démarche, leur donner un rôle actif, il aura besoin qu’ils adhèrent plus profondé-
ment à sa vision pédagogique Si l’enseignant souhaite, par exemple, que les pa-
rents soutiennent une approche constructiviste, qui valorise le tâtonnement expéri-
mental, la réflexion sur les erreurs, l’exploration, la réflexion à haute voix, le débat,
le doute, il ne lui suffira pas que les parents « ne s’en mêlent pas ». Il souhaitera
qu’ils interviennent dans le même sens que lui, sans pour autant « faire à la place »
de leur enfant, sans lui souffler les réponses, sans corriger ses erreurs avant même
qu’il les ait commises.
Plus les enseignants sont acquis à des didactiques pointues et aux pédagogies nou-
velles, plus leurs conceptions de l’enseignement-apprentissage paraissent, aux
yeux de beaucoup de parents, aux antipodes du sens commun. Ainsi, certains pa-
rents ne peuvent pas comprendre facilement pourquoi il n’est pas éducatif d’effacer
toute trace d’errement de la pensée ou toute forme d’hésitation dans un travail écrit.
Leur rapport au savoir les incite à valoriser la réponse juste, détachée du raisonne-
ment, évidente.
On sent bien qu’on se trouve ici aux limites de l’influence que peut exercer un en-
seignant isolé. Il est très difficile de convaincre des parents dont on accueille les en-
fants une seule année, qui changent de régime à chaque rentrée scolaire. Un dia-
logue plus substantiel peut s’instaurer entre une équipe pédagogique et l’ensemble
des parents concernés, car la même orientation sera défendue dans plusieurs classes
et durant plusieurs années. La cohérence et la continuité des pédagogies rassurent
les parents. Ils peuvent, à la rigueur, comme leurs enfants, s’adapter à des dé-
marches qui changent chaque année. Ils ne peuvent y adhérer et s’impliquer pro-
fondément, surtout si chaque enseignant défend sa propre conception, sans réfé-
rence à un projet d’établissement ou à une cohésion d’équipe, sans même savoir
dans quelle mesure ses collègues pensent et font comme lui.
Dans la farine
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Informer et impliquer les parents
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Informer et impliquer les parents
Savoir informer et impliquer les parents, en résumé, c’est être capable de n’utili-
ser qu’exceptionnellement de telles recettes, non parce qu’on les ignore, mais
parce qu’on les rejette délibérément, d’autant plus aisément qu’on n’en a pas
besoin !
De façon plus constructive, on peut rejoindre Maulini (1997 c) pour dire qu’une
clarification définitive des rôles des uns et des autres est impossible, que le par-
tenariat est une construction permanente, qui s’opérera d’autant mieux que les
enseignants acceptent d’en prendre l’initiative, sans monopoliser la parole, en
faisant preuve de sérénité collective, en l’incarnant dans quelques espaces per-
manents, en admettant une dose d’incertitude et de conflit et en acceptant la
nécessité d’instances de régulation. On voit mieux que jamais qu’il n’existe pas
de compétences qui ne s’appuient sur des connaissances, qui permettent à la
fois de maîtriser le désordre du monde et de comprendre que l’altérité et les
contradictions sont indépassables dans les métiers de l’humain et, pour tout dire,
dans la vie.
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8
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Se servir des technologies nouvelles
Pour qui se sent manipulé par des groupes de pression, la tentation est forte de
laisser le champ libre aux « croyants », en se disant qu’il sera toujours temps
d’en reparler le jour où les nouvelles technologies de l’information transforme-
ront véritablement ses propres conditions de travail.
Entre adeptes inconditionnels et sceptiques de mauvaise foi, peut-être y a-t-il
place pour une réflexion critique sur les nouvelles technologies, qui ne soit pas
d’emblée suspecte de se mettre au service soit de la modernité triomphante, soit
de la nostalgie du bon vieux temps, où l’on pouvait encore vivre dans l’univers
papier-crayon. Avec Patrick Mendelsohn, je pense qu’on peut aborder ces ques-
tions en termes d’analyse rigoureuse des liens entre technologies d’une part,
opérations mentales, apprentissages, construction de compétences d’autre part.
Ne rien dire des technologies nouvelles dans un référentiel de formation conti-
nue ou initiale serait indéfendable. Les mettre au centre de l’évolution du métier
d’enseignant, en particulier à l’école primaire, serait disproportionné en regard
des autres enjeux.
Le référentiel auquel je me réfère ici a choisi quatre entrées assez pratiques :
• Utiliser des logiciels d’édition de documents.
• Exploiter les potentialités didactiques de logiciels en relation avec les objectifs
de l’enseignement.
• Communiquer à distance par la télématique.
• Utiliser les outils multimédias dans son enseignement.
Ces compétences concernent l’enseignant, mais il est difficile de les dissocier
entièrement de la question de savoir quelle formation en informatique il doit
donner aux élèves.
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Se servir des technologies nouvelles
Quelle place donner aux nouvelles technologies lorsqu’on ne vise pas à les
enseigner comme telles ? Sont-elles simplement des moyens, des outils de
travail, comme le tableau noir ? Ou attend-on de leur usage une forme de
familiarisation transposable à d’autres contextes ? Nul n’imagine qu’en uti-
lisant un tableau noir en classe, on prépare les élèves à s’en servir dans la vie.
Il en va différemment pour l’ordinateur. Ce n’est pas un outil propre à l’école,
bien au contraire. On peut espérer qu’en s’en servant dans ce cadre, les élèves
apprendront à le faire dans d’autres contextes. Est-ce une finalité de l’école
ou seulement un bénéfice secondaire, aussi appréciable soit-il ? Peut-on faire
d’une pierre deux coups ? Si, de l’usage banal des technologies en classe, on
attend des effets de familiarisation et de formation à l’informatique, on insis-
tera sur l’opportunité, pour cette seule raison, d’informatiser diverses activi-
tés et de développer des activités nouvelles, possibles seulement avec des
technologies et des logiciels nouveaux, par exemple la navigation sur le
World Wide Web.
Que ceux qui veulent former les enseignants aux TIC pour qu’à leur tour, ils
y « initient » leurs élèves, n’avancent pas masqués ! Cette visée n’est pas illé-
gitime, mais il n’est pas sain, sous couvert d’élargir ses moyens, d’infléchir
de façon implicite les finalités de l’école. Si l’appropriation d’une culture
informatique devait être considérée comme un objectif à part entière de la
scolarité de base, mieux vaudrait fonder cette proposition et en débattre
ouvertement, car telle n’est pas aujourd’hui la teneur des textes. L’école peine
à atteindre ses objectifs actuels, même les plus fondamentaux, comme la
maîtrise de la lecture et du raisonnement. Avant de charger insidieusement le
bateau, il serait sage de se demander s’il n’est pas déjà au-dessous de la ligne
de flottaison.
Il conviendrait également de se demander quelle culture informatique on veut
donner à l’école et au collège. Les défenseurs des nouvelles technologies ont
parfois une vue très courte et naïve de la transposition didactique. Il y a
moins de dix ans, certains proposaient, avec le plus grand sérieux, d’ensei-
gner dès l’école primaire un langage de programmation élémentaire comme
le Basic. Enseigner l’usage des logiciels actuels de navigation sur le World
Wide Web pourrait être un équivalent tout aussi absurde. On peut cependant
soutenir qu’il faut bien commencer un jour et qu’apprendre à manier un logi-
ciel qui sera vite dépassé est une façon d’entrer dans le monde de l’informa-
tique. Il suffira ensuite de suivre les transformations des outils.
Au rythme où vont les choses, la communication par courrier électronique et
la consultation du Web deviendront, en quelques années, aussi banales que
l’usage du téléphone. Cette comparaison plaide pour ne pas enseigner
l’usage des outils à l’école : il est un peu plus difficile de naviguer d’une
page à l’autre dans l’hypertexte que d’utiliser le téléphone, mais la vraie dif-
ficulté est ailleurs. Pour utiliser pleinement le téléphone, mieux vaut maîtri-
ser la lecture des annuaires et autres documents de référence et la
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Se servir des technologies nouvelles
Cela échappe, hélas, aux enseignants qui pensent encore qu’un ordinateur est
simplement une machine à écrire sophistiquée. Or, l’évolution des logiciels per-
met d’associer de plus en plus facilement textes, tableaux numériques, dessins,
photos, de faire de l’édition de qualité, de relier tous ces éléments en fonction
de problématiques précises et de diffuser ces informations sur le réseau. Il
deviendra presque aussi simple d’ajouter des animations, des séquences vidéo
ou des éléments interactifs. L’industrie informatique doit absolument, pour
continuer à se développer, rendre l’outil accessible au plus grand nombre, donc
à des gens nettement moins instruits que les enseignants. Ces derniers auront
donc de moins en moins d’excuses de continuer à affirmer qu’ils n’y compren-
nent rien.
Pourtant, rien n’interdira sans doute, durant les années à venir, de s’en tenir aux
livres et brochures, en poussant l’audace jusqu’à se servir d’un traitement de texte
pour composer quelques fiches d’exercices ou des épreuves. Il est peu probable que
le système éducatif impose autoritairement la maîtrise des nouveaux outils aux en-
seignants en place, alors que dans d’autres secteurs, elle n’est pas négociable. Peut-
être n’est-ce pas nécessaire : les enseignants qui ne voudront pas s’y mettre dispo-
seront d’informations scientifiques et de ressources documentaires toujours plus
pauvres, en regard de celles auxquelles accéderont leurs collègues plus avancés.
On ne peut exclure certains paradoxes : certains de ceux qui ont les moyens d’un
usage critique et sélectif des nouvelles technologies se tiendront à l’écart alors que
d’autres s’y jetteront à corps perdu sans avoir la formation requise pour évaluer et
comprendre… Cette dérive menace les élèves, même les plus jeunes, si l’école ne
leur donne pas les moyens d’un usage critique. L’évolution des médias, du com-
merce électronique et la généralisation des équipements familiaux rendront l’accès
de plus en plus banal sans que les compétences requises se développent au même
rythme. C’est pourquoi la responsabilité de l’école est engagée, au-delà des choix
individuels des enseignants.
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Se servir des technologies nouvelles
Il n’est pas sûr que de tels exploits technologiques soient indispensables dans les
classes. En revanche, un simple courrier électronique ouvre sur le monde entier.
Les langues constituent la seule barrière et on peut s’attendre à ce qu’elle tombe le
jour où une traduction automatique sera intégrée.
À ces communications à distance « classiques », entre deux interlocuteurs identi-
fiés, l’informatique ajoute d’autres possibilités : le mailing (publipostage) devient
très simple, puisqu’il suffit de multiplier les destinataires du message. Les groupes
de news (nouvelles) fonctionnent un peu différemment, puisque les messages sont
alors adressés à un forum, chacun peut les lire et y réagir publiquement.
Enfin, à distance, on peut consulter des bases de données et des sites Web de tous
genres, des horaires de train aux sites du Pentagone ou du Vatican, en passant par
tous les sites scientifiques, politiques, ludiques, artistiques ou commerciaux imagi-
nables, y compris la propagande raciste, le néonazisme et la pornographie. On com-
prend la réticence des parents et des enseignants devant une information aussi riche
qu’incontrôlée, où se côtoient le meilleur et le pire. En va-t-il autrement de la télé-
vision ? Suffit-il de ne pas l’installer en classe pour en protéger les enfants ?
On voit bien ici que l’imagination didactique et la familiarité personnelle avec les
technologies doivent s’allier à une perception lucide des risques éthiques. On peut
faire de mauvaises rencontres sur le Net autant que dans un quartier mal famé, mais
est-ce une raison de ne jamais s’y hasarder ? On pourrait à ce propos se demander si
l’école a mis à jour ses objectifs de formation en matière d’esprit critique, d’auto-
nomie, de respect de la vie privée, de citoyenneté. Dans une société où l’on s’habi-
tue à voter, acheter, s’informer, se divertir, chercher un logement, un emploi ou un
partenaire sur Internet, peut-être faudrait-il mieux armer les enfants et les adoles-
cents dans ce domaine, pour renforcer leur identité, leur capacité de prendre de la
distance, de résister aux manipulations, de protéger leur sphère personnelle, de ne
pas « embarquer » dans n’importe quelle aventure douteuse.
On conviendra que, pour utiliser les réseaux à des fins de formation dans les di-
verses disciplines scolaires, un minimum de précautions s’imposent. Toutefois,
pour que les élèves ne deviennent pas esclaves des technologies et fassent des choix
éclairés, le développement de l’esprit critique et de compétences pointues paraît
plus efficace que les censures. Dans tel collège, un logiciel empêche l’accès, depuis
les classes, à tout site contenant le mot « enfant » ! Pour se garder de la pédophilie,
on interdit bien d’autres choses. L’alternative serait évidemment de développer le
jugement et l’autonomie…
Une fois prises les précautions éthiques nécessaires, demeure la question principa-
le : comment mettre les outils au service de stratégies de formation ? Si l’on fait abs-
traction des bénéfices secondaires – familiariser avec les outils technologiques,
faire réfléchir sur leurs risques et leur avenir –, il reste à répondre à des questions di-
dactiques élémentaires : apprend-on mieux à lire en consultant un journal électro-
nique ? À mieux écrire grâce au courrier électronique ? À mieux assimiler des no-
tions de biologie en cherchant des informations sur le Web ? À mieux s’approprier
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Se servir des technologies nouvelles
De plus en plus, les CD-ROM et les sites multimédias feront aux professeurs une
sérieuse concurrence, s’ils ne veulent ou ne savent s’en emparer pour enrichir leur
propre enseignement. Georges Friedmann avait présenté la télévision naissante
comme une école parallèle. Elle l’est, même si l’on entend souvent regretter qu’elle
dispense un « savoir en miettes », un savoir de jeux télévisés, qui n’enrichit vrai-
ment que ceux qui ont développé des structures d’accueil, à l’école ou dans le tra-
vail. Cela renforce le plaidoyer de Develay (1982) en faveur d’un investissement
prioritaire dans la construction de matrices disciplinaires. Il y aura, dans les réseaux
et les médias, de plus en plus d’informations scientifiques, de la vulgarisation de
base à des enseignements de haut niveau. Seuls pourront véritablement en tirer parti
ceux qui auront une bonne formation scolaire de base.
L’intégration de la vidéo à l’enseignement, sur laquelle on fondait dans les
années 1970 d’immenses espoirs, n’a pas tenu ses promesses, sans doute parce
qu’elle restait peu interactive et fonctionnait sur le mode de la sensibilisation à
certains problèmes – la famine au Sahel, l’érosion, le chômage, l’explosion
démographique, etc. – ou de l’illustration de notions théoriques : fonctionne-
ment du moteur à explosion, division cellulaire, crise économique, forme de la
tragédie classique, etc. La jonction de l’ordinateur et de l’image change les don-
nées du problème, car il est désormais possible de numériser les images, pour
leur faire subir toutes sortes de traitements. On peut aussi composer une image
de synthèse à partir de structures, de trames et de modèles, comme on peut
fabriquer une voix de synthèse. Pour l’animation et les films, c’est un peu plus
complexe, mais la « réalité virtuelle » est à nos portes.
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Se servir des technologies nouvelles
Les enseignants qui savent ce qu’apportent les nouvelles technologies aussi bien
que leurs dangers et leurs limites peuvent décider, en connaissance de cause, de
leur faire une très large place dans leur classe aussi bien que de les utiliser assez
marginalement. Dans ce dernier cas, ce ne sera pas par ignorance, mais parce
qu’ils ont pesé le pour et le contre, puis jugé que le jeu n’en valait pas la chan-
delle, compte tenu du niveau de leurs élèves, de la discipline considérée et de
l’état des technologies. Il peut être plus simple et aussi efficace d’enseigner la
physique ou l’histoire par des moyens traditionnels que de passer des heures à
chercher des documents ou à écrire des programmes, sans avoir le temps de
penser les aspects proprement didactiques.
Dans cinq ou dix ans, les technologies auront encore fortement évolué. Les spécia-
listes de l’industrie pratiquent la « veille technologique », autrement dit l’attention
133
Se servir des technologies nouvelles
permanente portée à ce qui s’annonce, pour ne pas s’enfermer dans les outils d’au-
jourd’hui. Mieux vaudrait que les enseignants exercent d’abord une veille culturel-
le, sociologique, pédagogique, et didactique, pour comprendre de quoi l’école, ses
publics et ses programmes seront faits demain. S’il leur reste un peu de disponibili-
té, une ouverture à ce qui se joue sur la scène des NTIC serait également bienvenue.
Une culture technologique de base est nécessaire aussi pour penser les rapports
entre l’évolution des outils (informatique et hypermédias), les compétences intel-
lectuelles et le rapport au savoir que l’école prétend former. Au moins sous cet
angle, les technologies nouvelles ne sauraient être indifférentes à aucun enseignant,
parce qu’elles modifient les façons de vivre, de s’amuser, de s’informer, de tra-
vailler et de penser. Cette évolution affecte donc les situations auxquelles sont et se-
ront confrontés les élèves, dans lesquelles ils sont et seront censés mobiliser ce
qu’ils ont appris à l’école.
C’est ainsi qu’on ne devrait pas, aujourd’hui, pouvoir penser une pédagogie et une
didactique du texte sans être conscient des transformations que l’informatique fait
subir aux pratiques de lecture et d’écriture. De même qu’on ne devrait pas pouvoir
penser une pédagogie et une didactique de la recherche documentaire sans mesurer
l’évolution des ressources et des modes d’accès. Tout enseignant qui se préoccupe
du transfert, du réinvestissement des acquis scolaires dans la vie (Mendelsohn,
1996) aurait intérêt à se faire une culture de base dans le domaine des technologies
– quelles que soient ses pratiques personnelles – de même qu’elle est nécessaire à
quiconque prétend lutter contre l’échec scolaire et l’exclusion sociale.
Dans un livre récent, Tardif (1998) propose un cadre pédagogique aux nouvelles
technologies. Il met l’accent sur le changement de paradigme qu’elles appellent et
en même temps facilitent. Le paradigme visé ne touche pas en tant que tel aux tech-
nologies. Il concerne les apprentissages. Il s’agit de passer d’une école centrée sur
l’enseignement (ses finalités, ses contenus, son évaluation, sa planification, sa mise
en œuvre sous forme de cours et exercices) à une école centrée non sur l’élève, mais
sur les apprentissages. Le métier d’enseignant se redéfinit : plutôt que d’enseigner,
il s’agit de faire apprendre. On peut ironiser et dire que ce changement de paradig-
me enfonce une porte ouverte. Faire apprendre n’est-il pas le but de chacun ? La
bonne question est alors celle de Saint-Onge (1996) : « Moi j’enseigne, mais eux,
apprennent-ils ? » Les nouvelles technologies peuvent renforcer l’apport des tra-
vaux pédagogiques et didactiques contemporains, car elles permettent de créer des
situations d’apprentissage riches, complexes, diversifiées, à la faveur d’une divi-
sion du travail qui ne fait plus reposer tout l’investissement sur le professeur,
puisque tant l’information que la dimension interactive sont prises en charge par les
producteurs des outils.
La véritable inconnue est de savoir si les professeurs vont se saisir des technologies
comme d’une aide à l’enseignement, pour faire des cours de mieux en mieux illus-
trés par des présentations multimédias, ou pour changer de paradigme et se
concentrer sur la création, la gestion et la régulation de situations d’apprentissage.
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Affronter les devoirs et les dilemmes éthiques de la profession
droits de l’homme et de l’enfant, l’égalité des sexes ne sont souvent que des for-
mules creuses. Le temps du catéchisme est révolu, aucune éducation ne peut
plus se réclamer de l’évidence, elle doit donc affronter ouvertement la contra-
diction entre les valeurs qu’elle affirme et les mœurs ambiantes. Comment
inculquer une morale dans un monde où l’on massacre à tour de bras, sans rime
ni raison ? Le contraste n’a jamais été aussi grand entre la misère du monde
(Bourdieu, 1993) et ce qu’on pourrait faire avec les technologies, les connais-
sances, les moyens intellectuels et matériels dont nous disposons. Nous vivons
dans une société où l’expansion des téléphones portables compense l’accroisse-
ment du nombre de chômeurs et de SDF, où le progrès consiste à installer les
gadgets électroniques les plus sophistiqués dans des bidonvilles où l’eau cou-
rante fait défaut. Misère et opulence, privations et gaspillage voisinent aussi
insolemment qu’au Moyen Âge, à l’échelle planétaire aussi bien que dans
chaque société.
Comment enseigner sereinement une telle société ? Et comment ne pas l’ensei-
gner ? Les compétences requises des enseignants de l’école publique sont sans
commune mesure avec la « foi communicative » qui suffit encore aux mission-
naires. Dans une société en crise et qui a honte d’elle-même, l’éducation est un
exercice de funambule. Comment reconnaître l’état du monde, l’expliquer,
l’assumer, jusqu’à un certain point, sans l’accepter, ni le justifier ?
On reparle de l’éducation civique ou, comme on dit aujourd’hui, de « l’éducation à
la citoyenneté ». Les bonnes intentions ne suffisent pas, ni un habile mélange de
conviction et de réalisme. Il faut encore créer des situations qui favorisent de véri-
tables apprentissages, des prises de conscience, la construction de valeurs, d’une
identité morale et civique. Si l’on entame ce travail didactique, on s’aperçoit qu’une
éducation à la citoyenneté ne peut être enfermée dans une grille horaire et que « la
formation du citoyen se cache, à l’école, au cœur de la construction des savoirs »
(Vellas, 1993). J’ajouterai qu’elle passe aussi par l’ensemble du curriculum, qu’il
soit explicite ou caché (Perrenoud, 1996 a, 1997 a). Comment prévenir la violence
dans la société si on la tolère dans l’enceinte de l’école ? Comment donner le goût
de la justice si elle n’est pas rendue en classe ? Comment inculquer le respect sans
incarner cette valeur au jour le jour ? On dit parfois que « l’on enseigne ce que l’on
est ». Dans le domaine qui nous occupe, c’est encore plus vrai. Le « faites comme je
dis, pas comme je fais », n’a guère de chance de changer les attitudes et les repré-
sentations des élèves.
On peut envisager les cinq compétences spécifiques retenues par le référentiel
adopté ici comme autant de ressources d’une éducation cohérente à la citoyenneté :
• Prévenir la violence à l’école et dans la cité.
• Lutter contre les préjugés et les discriminations sexuelles, ethniques et
sociales.
• Participer à la mise en place de règles de vie commune touchant la discipline à
l’école, les sanctions, l’appréciation de la conduite.
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Affronter les devoirs et les dilemmes éthiques de la profession
Nul ne peut apprendre s’il craint pour sa sécurité, son intégrité personnelle ou
simplement pour ses biens. On évoque volontiers, dans les médias, certaines
écoles où la violence prend des formes extrêmes, tant du côté de l’institution
(châtiments physiques, sadisme) que des élèves (chantages, agressions, racket,
viols). Cette violence est « à la une », elle fascine et elle fait peur. Les écoles
encore épargnées se demandent pour combien de temps. Lorsqu’on projetait
Graine de violence, dans les années 1960, on pouvait se dire que cela n’arrivait
que dans les ghettos américains, avec des adolescents laissés pour compte.
Aujourd’hui, tous les pays développés sont touchés et le groupe le plus violent,
ce sont les préadolescents, vers 11-13 ans. Dans les banlieues, mais aussi dans
certaines petites villes fortement minées par le chômage, la drogue, l’alcool et
l’ennui, les autorités sont préoccupées par une véritable délinquance, et l’on met
en place des dispositifs policiers et judiciaires au cœur de l’univers scolaire.
Peut-être en est-on arrivé là pour n’avoir pas vu que la violence est en germe
dans le rapport pédagogique, dès qu’il est rapport de force, et dans la coexis-
tence dans un établissement scolaire, dès qu’on ne reconnaît pas à tous les
mêmes droits ou qu’on n’en assure pas le respect. Lorsque certains élèves crai-
gnent chaque jour que de plus forts leur volent leur argent de poche, leurs
affaires ou leur blouson, la violence est déjà là, d’autant plus révoltante que les
coupables restent souvent impunis. On ne prête pas assez d’attention à la sécu-
rité des biens personnels comme indicateur de lien social. Il a existé et il existe
encore, dans quelques endroits protégés de la planète, des sociétés pauvres dans
lesquelles on pouvait ou on peut, sans crainte, laisser sa maison ouverte ou
abandonner des objets de valeur dans un espace public. Dans les sociétés
urbaines, la misère affaiblit les solidarités. Les clochards, qui passent la nuit en
plein air ou dans des abris collectifs, ne peuvent dormir sans craindre d’être
dépouillés du peu qui leur reste. Il en va de même des drogués ou des prison-
niers. Les plus nantis ont les moyens de multiplier les verrous… Cette évolution
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Affronter les devoirs et les dilemmes éthiques de la profession
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Affronter les devoirs et les dilemmes éthiques de la profession
en ont trop vu pour croire encore aux contes de fées. Les enseignants des zones à
hauts risques disent volontiers qu’ils se heurtent à un mur dans la communication :
les valeurs humanistes qu’ils défendent n’évoquent rien dans l’esprit d’une partie
de leurs élèves. L’interdit de la violence provoque une réaction d’incompréhension
ou d’amusement, certains jeunes l’entendent comme une norme tombée d’une
autre planète, qui se réfère à un jeu social qui n’a plus cours dans le monde où ils vi-
vent. Longtemps, l’éducation morale a travaillé sur la difficulté de mettre en œuvre
des principes auxquels les enfants et les adolescents adhéraient, même lorsqu’ils
les transgressaient. Les délinquants adultes condamnés pour divers délits accep-
tent souvent la loi et le jugement. Ce n’est plus vrai aujourd’hui des générations
nouvelles. Le respect de la vie humaine ? Certains adolescents n’y attachent guère
plus d’importance qu’à une interdiction de fumer !
Pour ne pas en arriver là, il ne suffit plus aux éducateurs d’enfoncer quelques
portes ouvertes, de rappeler la Loi. Il faut la construire à partir de rien, là où il
n’y a plus d’héritage, ni d’évidences partagées. C’est pourquoi, lutter contre la
violence à l’école, c’est d’abord parler, élaborer collectivement la signification
des actes de violence qui nous entourent, réinventer des règles et des principes
de civilisation. Si la violence est le vrai problème, alors il faut la mettre au cœur
de la pédagogie (Pain, 1992). Afficher quelques règles de bonne conduite et les
rappeler de temps à autre est une réponse dérisoire.
Il importe tout autant de travailler à limiter la part de la violence symbolique et
physique qu’exercent les adultes sur les enfants, l’école sur les élèves et leurs
familles. La violence, ce n’est pas seulement les coups et blessures, les vols, les
déprédations. C’est l’atteinte à la liberté de parole, de mouvement, de tenue.
L’obligation scolaire est une violence légale, qui se traduit tous les jours par des
contraintes physiques et mentales très fortes : l’école oblige les enfants, quatre
ou cinq jours par semaine, à se lever à sept heures du matin pour venir en classe.
Elle leur impose ensuite de rester assis des heures durant, de se taire, de ne pas
manger, de ne pas se balancer, de ne pas se déplacer sans autorisation, de ne pas
rêver, d’être attentif et productif. Elle les oblige à montrer leur travail, à se prêter
à mille évaluations, à accepter les jugements sur leur intelligence, leur culture,
leur comportement. L’école n’est pas seulement le lieu où éclate la violence
d’une partie des jeunes, elle participe à sa genèse, en exerçant sur eux une for-
midable pression.
Cette pression est inscrite dans le principe même de la scolarisation obligatoire,
les enseignants ne l’inventent pas de leur propre chef. Mais ils y ajoutent, car
instaurer une certaine discipline est pour eux une condition de survie profes-
sionnelle au moins autant qu’un choix éducatif. Dans les sociétés tradition-
nelles, l’ordre scolaire était à ce point cohérent et écrasant que nul ne songeait
une seconde à se révolter, sauf quelques déviants vite marginalisés ou rappelés
à l’ordre. La violence symbolique était si achevée qu’elle restait invisible, ce
qui, comme Bourdieu et Passeron (1970) l’ont montré, est le comble de la
domination. Ces dispositifs, qui excluaient l’idée même d’une contestation, se
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Affronter les devoirs et les dilemmes éthiques de la profession
sont fissurés, sauf dans quelques régions du monde où, dans les classes, on
entend encore « voler une mouche ». L’école n’est plus protégée contre le
« retour de flammes », la résistance se fait multiple, parfois anomique, parfois
organisée. L’école devient la cible d’une partie de la violence des jeunes, ceux
qu’elle exclut prématurément ou relègue dans des filières sans avenir. L’institu-
tion est alors parfois tentée de rétablir une répression féroce, mais elle se rend
vite compte que l’équilibre ancien est rompu et que le recours à des techniques
de pouvoir, jadis efficaces, jette désormais de l’huile sur le feu.
Dans la mesure où la violence scolaire a partie liée avec la violence urbaine, il n’est
plus guère de collège, même dans les petites villes, où l’on puisse se vanter de vivre
sans violence aucune. L’école primaire paraît mieux protégée, en raison de l’âge
des enfants, de la dispersion des établissements sur le territoire, de leur taille, d’un
mode de vie moins fragmenté. Ici et là, on discerne des fissures, dans les quartiers
difficiles, les banlieues, les petites villes en crise. Peut-être l’enseignement primai-
re aurait-il intérêt à ne pas se sentir à l’abri de toute éternité.
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Affronter les devoirs et les dilemmes éthiques de la profession
L’énoncé d’une telle compétence laisse entendre qu’il s’agit de dispenser une
éducation à la tolérance et au respect des différences de tous genres. Ici encore,
une approche didactique s’imposerait : il ne suffit pas d’être soi-même contre
les préjugés et les discriminations sexuelles, ethniques et sociales. Ce n’est
qu’une condition nécessaire pour que les propos du maître soient crédibles. Il
reste à emporter l’adhésion des élèves et là, les bonnes paroles ne font pas sou-
vent de miracles. Tout simplement parce que les préjugés et les discriminations
traversent les milieux sociaux et les familles. Aucun élève n’est une table rase,
en ce domaine moins encore que dans le champ des savoirs disciplinaires. Il y a,
dans chaque classe, des élèves élevés dans le sexisme ou le racisme, qui véhicu-
lent des stéréotypes entendus dès le plus jeune âge, et aussi des enfants plus
tolérants, parce que leur condition sociale et leur famille ont favorisé cette atti-
tude.
Ici encore, la formation passe par l’ensemble du curriculum et par une mise en
pratique – réflexive – des valeurs à inculquer. Et, ici encore, les visées de for-
mation se confondent avec les exigences de la vie quotidienne. Lutter contre les
préjugés et les discriminations sexuelles, ethniques et sociales à l’école, ce n’est
pas seulement préparer l’avenir, c’est rendre le présent vivable et si possible
fécond. Nulle victime de préjugés et de discriminations ne peut apprendre dans
la sérénité. Si poser une question ou y répondre appelle des railleries, l’élève se
taira. Si le travail en équipe le met en butte à des ségrégations, il préférera rester
seul dans son coin. Si de bonnes notes suscitent l’agressivité ou l’exclusion fon-
dées sur des catégories sexuelles, confessionnelles ou ethniques, il se gardera de
trop bien réussir. Et ainsi de suite. C’est d’abord pour mettre les élèves en condi-
tion d’apprendre qu’il faut lutter contre les discriminations et les préjugés.
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Affronter les devoirs et les dilemmes éthiques de la profession
conseil de classe. D’autres professeurs estiment « qu’ils n’ont pas que cela à
faire », désapprouvent mollement et avancent dans le programme…
Les valeurs et l’engagement personnels de l’enseignant sont décisifs. Ils
devraient être travaillés en formation, dans le cadre d’une éthique profession-
nelle (Valentin, 1997). Ne sous-estimons pas, à attitude égale, le poids des com-
pétences pour faire face aux situations qui témoignent d’un défaut de socialisa-
tion, de citoyenneté, de solidarité chez tout ou partie des élèves. Lorsqu’un
enseignant ne trouve pas les mots, pressent qu’il ne sera pas entendu, craint
l’ironie des élèves ou pense qu’il aura le dessous dans une confrontation, il
fronce les sourcils, pour la forme, et poursuit son cours. Nul ne dispose d’une
infaillible recette, mais une bonne préparation permet de saisir chaque occasion
d’aider les élèves à expliciter et à mettre à distance les préjugés et les méca-
nismes de ségrégation qu’ils font fonctionner. Le professeur compétent ne sera
pas attentif seulement aux infractions les plus grossières, mais au mépris et à
l’indifférence ordinaires. Lorsqu’un garçon refuse une tâche en prétextant que
ce n’est pas son rôle, que c’est « pour les filles », il n’aura pas besoin d’en
entendre plus pour intervenir. Lorsqu’un enfant, au détour d’une lecture, dit
« évidemment, c’est un Arabe », un arrêt sur image s’impose, le professeur
ayant le sentiment qu’il ne faut pas accepter de tels stéréotypes, mais aussi les
moyens d’improviser une explication et d’ouvrir le débat.
Cette attitude est solidaire d’une conception de la classe et de l’éducation. Ceux
qui sont obsédés par l’avancement dans un programme notionnel ne prennent
jamais le temps d’aller au fond des choses, car ils ont l’impression de se mettre
en retard. Ils se donnent bonne conscience quelques fois par année, mais ils
savent bien, dans le fond, que seul un travail rigoureux, qui ne laisse rien pas-
ser, peut avoir des effets éducatifs. Or, ce travail ne peut se faire dans quelques
minutes volées au programme. Il fait partie du programme !
Ce qui signifie que l’enseignant doit être intimement convaincu qu’il ne
s’éloigne pas de l’essentiel lorsqu’il s’attaque aux préjugés et aux discrimina-
tions observées ou rapportées en classe. Non seulement parce qu’il croit à la
mission éducative de l’école, mais parce qu’il sait qu’une culture générale qui
ne permet pas de mettre ces phénomènes à distance n’a guère de valeur. Si un
jeune sort de l’école obligatoire persuadé que les filles, les Noirs ou les
Musulmans sont des catégories inférieures, peu importe qu’il sache la gram-
maire, l’algèbre ou une langue étrangère. L’école aura « raté son coup », drama-
tiquement, parce qu’aucun des enseignants qui auraient pu intervenir à divers
stades du cursus n’aura considéré que c’était prioritaire…
La raison et le débat (Perrenoud, 1998 k), le respect de la parole et de la pensée
de l’autre sont des enjeux bien plus importants que tel ou tel chapitre de
n’importe quelle discipline. Encore faut-il s’en rendre compte. Dans l’enseigne-
ment, comme dans d’autres métiers, la lucidité est une compétence de base,
lorsqu’il s’agit, ne pouvant tout faire, de repérer les enjeux majeurs.
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Dilemmes et compétences
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Affronter les devoirs et les dilemmes éthiques de la profession
Or, la cohérence, justement, fait défaut dans les systèmes éducatifs ! Notre
société invite les enseignants à s’asseoir sur le couvercle d’une marmite en
pleine ébullition. Ce qui jette les plus lucides dans un double dilemme : est-ce
légitime ? est-ce réaliste ?
Alors que les enseignants ont été longtemps porteurs des valeurs les plus pré-
sentables de leur société, ils doutent aujourd’hui de leur bon droit. Valoriser le
travail dans une société qui s’habitue à vivre avec dix pour cent de chômeurs,
est-ce une bonne action ? Dans une caricature récente, des jeunes se deman-
daient si l’école, plutôt que de les préparer aux examens, ne devrait pas les for-
mer à la « mise en examen » formule qu’on utilise en droit français pour dési-
gner l’ouverture d’une instruction judiciaire… Il est vrai que nombre de jeunes
auront à affronter des conditions assez précaires, faites de petits boulots et de
combines. Un analyste lucide de l’avenir probable de certains publics scolaires
pourrait conclure qu’inculquer le respect scrupuleux de la loi est moins utile que
de développer l’art de ne pas se faire prendre lorsqu’on vit d’expédients. Il y a
désormais un doute – du moins dans certains secteurs de la scolarité – sur la cor-
respondance entre les valeurs que l’enseignement est censé transmettre et ce
dont les jeunes auront réellement besoin. On peut toujours parier sur le proche
avènement d’une société idéale, mais l’avenir radieux a fait long feu, la naïveté
devient insoutenable. Ou plus exactement, elle est très inégalement répartie :
alors qu’une partie non négligeable des enseignants primaires et des enseignants
secondaires des filières longues peuvent camper dans un certain angélisme, les
enseignants confrontés aux publics difficiles et aux filières de relégation ont bien
du mal à défendre en toute bonne conscience des valeurs qui correspondent au
monde dont ils rêvent, pas à celui dans lequel leurs élèves vivent, cela en dépit
du militantisme de ceux qui ont choisi de travailler « là où la société se défait »,
selon l’expression de Pierre Lascoumes à propos du travail social.
Par ailleurs, est-ce réaliste ? Dans une société emportée vers l’individualisme,
comment ne pas se sentir un peu ridicule et surtout un peu seul au moment de
défendre de grands principes ?
Seul des enseignants retirés dans une zone très protégée, ayant décidé de ne pas
réfléchir à toutes ces questions ou animés par une foi de charbonnier, peuvent
estimer que le chemin est tout tracé. Pour les autres, il y a plus de dilemmes et
d’incertitudes que de réponses. Si nos sociétés parlent autant d’éducation à la
citoyenneté, c’est parce que plus rien ne va de soi. La compétence des ensei-
gnants est de prendre lucidement conscience de cet état des lieux, d’assumer
leurs responsabilités sans se surmandater. On peut leur souhaiter droiture, cou-
rage, optimisme, et mille autres qualités morales. Sans oublier que des compé-
tences d’analyse, de décentration, de communication, de négociation sont tout
aussi indispensables, pour naviguer de jour en jour dans les contradictions de
nos systèmes sociaux.
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Gérer sa propre formation continue
aux sabots, il y a un ordinateur dans le coin de la classe, mais cela peut sembler
secondaire en regard de la permanence d’un groupe-classe, d’une relation péda-
gogique, de grille horaire, de programmes, de leçons, d’exercices scolaires,
d’épreuves, de carnets.
Or, sous les apparences de la continuité, les pratiques pédagogiques changent
lentement, mais profondément. Au fil des décennies, elles :
• sont fondées sur des objectifs de niveau taxonomique de plus en plus élevé, par
exemple apprendre à apprendre, à raisonner, à communiquer ;
• visent de plus en plus souvent à construire des compétences, au-delà des
connaissances qu’elles mobilisent ;
• recourent davantage aux méthodes actives et aux principes de l’école nouvelle,
aux pédagogies fondées sur le projet, le contrat, la coopération ;
• exigent une discipline moins stricte, laissent davantage de liberté aux élèves ;
• manifestent un plus grand respect de l’élève, de sa logique, de ses rythmes, de
ses besoins, de ses droits ;
• s’attachent davantage au développement de la personne, un peu moins à son
adaptation à la société ;
• se centrent davantage sur l’apprenant, ses représentations initiales et sa façon
d’apprendre ;
• conçoivent progressivement l’enseignement comme l’organisation de situa-
tions d’apprentissage, plutôt que comme une succession de leçons ;
• donnent davantage de place aux tâches ouvertes, au travail par situations-pro-
blèmes, aux démarches de projet ;
• valorisent la coopération entre élèves et leur proposent des activités qui exigent
une forme de partage, une division de travail, une négociation ;
• vont vers une planification didactique plus souple, négociée avec les élèves,
qui soit susceptible d’intégrer des occasions et des apports imprévisibles ;
• vont dans le sens d’une évaluation moins normative, plus critériée et formative ;
• sont plus sensibles à la pluralité des cultures, moins ethnocentriques, plus tolé-
rantes aux différences, plus soucieuses d’organiser leur coexistence en classe
que de les ramener à une norme ;
• prennent de moins en moins l’échec scolaire pour une fatalité et évoluent dans
le sens du soutien pédagogique, puis de la différenciation de l’enseignement
comme discrimination positive continue et préventive ;
• prennent en charge dans les classes ordinaires, au nom de l’intégration, des
élèves jadis placés dans des classes spécialisées, du fait de pathologies ou de
handicaps jugés incompatibles avec une scolarité normale ;
• tendent à faire éclater le groupe classe stable comme unique structure de tra-
vail, à composer des groupes de besoin, de projet, de niveau et à s’organiser à
l’échelle de cycles d’apprentissage pluriannuels ;
150
Gérer sa propre formation continue
• sont de plus en plus concertées avec d’autres intervenants, inscrites dans une
coopération professionnelle suivie, voire une véritable équipe pédagogique ;
• sont de plus en plus encadrées ou infléchies au niveau de l’établissement, qui
devient un acteur collectif et conduit un projet ou une politique ;
• s’articulent plus facilement avec les pratiques éducatives des parents, à la
faveur d’un dialogue plus équilibré entre les familles et l’école ;
• deviennent plus dépendantes des technologies audiovisuelles et informatiques
et s’en servent davantage ;
• font plus de place à l’action, à l’observation, à l’expérimentation ;
• tendent à devenir réflexives, sujettes à une évaluation et à une mise en ques-
tion périodique ;
• tiennent plus largement compte de la recherche, de savoirs établis hors d’une
expérience pratique, par d’autres méthodes ;
• sont socialement moins valorisées, donc moins protégées de la critique, parce
qu’elles apparaissent à la portée des gens instruits, plus nombreux ;
• sont en voie de professionnalisation, se fondent sur une plus forte autonomie,
assortie de responsabilités plus étendues et plus claires ;
• sont remises sur le métier de plus en plus souvent et explicitement, au gré des
réformes de structures, de programmes, de mode de gestion du cursus.
Le constat peut paraître un peu optimiste. Il est vrai que les pratiques pédago-
giques ne sont unifiées selon aucune de ces dimensions et que coexistent, dans
le même système, parfois dans le même établissement, des pratiques extrême-
ment diverses, les unes en avance sur leur temps, les autres dignes du musée. Le
changement ne fait que déplacer l’éventail, sans le réduire, mais n’est-ce pas la
« pratique moyenne » qui permet de caractériser l’état d’un métier ? Certes,
aujourd’hui, l’enseignant moyen n’entretient pas encore avec ses élèves et leurs
parents un dialogue de rêve, il n’organise pas des situations d’apprentissage
toutes issues des recherches pointues en didactique, il ne clarifie pas ses objec-
tifs autant qu’on pourrait le souhaiter, il ne met pas en œuvre une évaluation for-
mative et une pédagogie différenciée aussi conséquentes et convaincantes que
celles que préconisent les spécialistes, il ne jongle pas avec des dispositifs mul-
tiâge aussi agilement qu’on pourrait le souhaiter, il ne rend pas compte de sa
pratique ou ne coopère pas avec ses collègues sans ambivalences. En regard des
enjeux d’aujourd’hui, on pourrait souhaiter des évolutions plus rapides. Cela
n’autorise pas à nier un mouvement progressif selon tous ces axes.
Il appelle un renouvellement, un développement des compétences acquises en
formation initiale, et parfois la construction, sinon de compétences entièrement
nouvelles, du moins de compétences qui deviennent nécessaires dans la plupart
des établissements, alors qu’elles n’étaient requises qu’exceptionnellement dans
le passé. Intégrer en cours d’année un élève venant d’un autre continent, ne par-
lant aucune langue connue de l’enseignant et parfois scolarisé pour la première
151
Gérer sa propre formation continue
fois de sa vie, voilà qui n’est plus une expérience exceptionnelle, de même
qu’accueillir dans sa classe un de ces enfants qu’on dit « différents ».
La formation continue accompagne aussi des transformations identitaires. Son
institutionnalisation même, encore récente et fragile, en est le premier signe.
Certes, le perfectionnement n’est pas une invention qui date d’aujourd’hui. Il
s’est limité longtemps à la maîtrise de techniques artisanales ou à la familiarisa-
tion avec de nouveaux programmes, de nouvelles méthodes et de nouveaux
moyens d’enseignement. Aujourd’hui, toutes les dimensions de la formation ini-
tiale sont reprises et développées en formation continue. Certains paradigmes
nouveaux s’y développent avant d’être intégrés à la formation initiale.
Savoir gérer sa formation continue, aujourd’hui, c’est donc bien davantage que
de savoir choisir avec discernement entre divers cours dans un catalogue… Le
référentiel genevois adopté ici distingue cinq composantes principales de cette
compétence :
• Savoir expliciter ses pratiques.
• Établir son propre bilan de compétences et son programme personnel de for-
mation continue.
• Négocier un projet de formation commune avec des collègues (équipe, école,
réseau).
• S’impliquer dans des tâches à l’échelle d’un ordre d’enseignement ou du sys-
tème éducatif.
• Accueillir et participer à la formation des collègues.
Reprenons-les séparément.
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Gérer sa propre formation continue
réflexion plus méthodique, qui ne soit pas mue seulement par ses mobiles habi-
tuels – angoisse, souci d’anticiper, résistance du réel, régulation ou justification
de l’action – mais par une volonté d’apprendre méthodiquement de l’expérience
et de transformer sa pratique d’année en année.
Dans tous les cas, la pratique réflexive est une source d’apprentissage et de
régulation. La différence est que notre plus forte pente est de mettre ces méca-
nismes au service d’une adaptation aux circonstances, d’un gain de confort et de
sécurité, alors que l’exercice méthodique d’une pratique réflexive pourrait deve-
nir un levier essentiel d’autoformation et d’innovation, donc de construction de
nouvelles compétences et de nouvelles pratiques.
Savoir analyser et expliciter sa pratique permet l’exercice d’une lucidité profes-
sionnelle qui n’est jamais totale et définitive, pour la simple raison que nous
avons aussi besoin, pour rester en vie, de nous raconter des histoires. Une pra-
tique réflexive ne se fonde pas seulement sur un savoir-analyser (Altet, 1994,
1996), mais sur une forme de « sagesse », celle qui permet de trouver son che-
min entre l’autosatisfaction conservatrice et l’autodénigrement destructeur…
Il reste à apprendre à analyser, à expliciter, à prendre conscience de ce que l’on
fait. Participer à un groupe d’analyse de pratiques constitue une forme d’entraî-
nement, qui permet d’intérioriser des postures, des démarches, des questionne-
ments qu’on pourra transposer le jour où on se retrouvera seul dans sa classe ou
mieux, actif au sein d’une équipe ou d’un groupe d’échanges. Il existe d’autres
approches, par exemple l’initiation aux entretiens d’explicitation (Vermersch,
1996 ; Vermersch et Maurel, 1997) ou d’autres techniques, développées en ergo-
nomie, en psychologie du travail ou dans d’autres domaines. Clot, par exemple,
a repris et développé la technique dite d’instruction au sosie créée par Oddone
(1981) chez Fiat. Voici ce qu’il dit à un praticien : « Suppose que je sois ton
sosie et que demain je me trouve en situation de devoir te remplacer dans ton
travail. Quelles instructions voudrais-tu me transmettre pour que personne ne
s’avise de la substitution ? » (Clot, 1995, p. 180). On voit immédiatement que
cela favorise une élaboration et une formalisation de l’expérience profession-
nelle (Werthe, 1997). Les travaux de St-Arnaud (1992, 1995) ouvrent d’autres
pistes de formation.
L’exercice de la lucidité professionnelle n’est pas nécessairement un « plaisir
solitaire ». Aucune coopération digne de ce nom ne peut se développer si les
enseignants ne savent pas ou n’osent pas décrire, expliquer et justifier ce qu’ils
font. Ils se cantonnent alors à des échanges d’idées. Les équipes pédagogiques
qui vont au-delà ont créé le climat de confiance nécessaire pour que chacun
raconte des bribes de sa pratique, sans craindre d’être immédiatement jugé et
condamné.
Il se peut aussi que la capacité d’expliciter sa pratique soit à la base d’une évolu-
tion vers d’autres façons de rendre compte. J’ai plaidé pour une obligation de
compétences, à distinguer de l’obligation de résultats ou de procédure
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Gérer sa propre formation continue
155
Gérer sa propre formation continue
alors, il n’a pas droit à l’erreur. C’est l’un des paradoxes des compétences : les plus
élevées permettent de faire face à des situations de crise qui, par définition, sauf
dans quelques métiers – urgences, soins intensifs par exemple – ne se produisent
pas tous les jours. Être compétent, c’est être prêt à affronter ces crises au moment où
elles surviennent, en général à l’improviste, car elles exigent alors une réaction
aussi immédiate qu’adéquate. Les chefs d’établissement doivent, comme les ensei-
gnants, savoir agir dans une situation de crise qui rompt soudain avec un travail de
routine. Il n’est pas facile de maintenir des compétences de pointe qui ne trouvent à
s’exercer que de façon épisodique (Perrenoud, 1998 h).
Les pratiques plus régulières permettent des ajustements plus fréquents, mais
une banale pratique réflexive ne suffit pas toujours à découvrir qu’un change-
ment de paradigme s’impose. On peut réfléchir toute sa vie sur les épreuves sco-
laires, leur formulation, leur correction, leurs barèmes, sans découvrir pour
autant le principe de base d’une évaluation formative. On peut se poser des
questions sur les activités didactiques qu’on propose sans reconstruire tout seul
les notions de contrat didactique, de dévolution, d’objectif-obstacle ou de rap-
port au savoir.
St-Arnaud (1992) montre que l’existence d’une boucle de régulation métho-
dique à partir de la réflexion sur l’action accroît rapidement l’efficacité profes-
sionnelle des praticiens débutants, mais que cet effet s’amenuise au fur et à
mesure que le praticien devient plus expérimenté. Pour « crever le plafond », il
faut en quelque sorte un saut qualitatif, qui passe par la construction de nou-
veaux modèles d’action pédagogique et didactique, donc par un travail d’auto-
formation qui fait appel à des apports externes.
La lucidité professionnelle consiste donc aussi à savoir quand on peut progresser
par les moyens du bord (individuellement ou en équipe) et quand il est plus éco-
nomique et rapide de faire appel à de nouvelles ressources d’autoformation :
lecture, consultation, accompagnement de projet, supervision, recherche-action
ou apports structurés de formateurs susceptibles de proposer de nouveaux
savoirs et de nouveaux dispositifs d’enseignement-apprentissage. Cela ne signi-
fie pas que les praticiens vont adopter, sans autre forme de procès, les modèles
qu’on leur propose. Ils vont plutôt les adapter, voire construire tout autre chose,
mais la formation leur aura permis d’arrêter de faire « plus du même », d’opérer
une rupture, de prendre du champ, d’imaginer des façons tout à fait différentes
d’empoigner les problèmes. On peut regretter que les formateurs s’attachent
trop souvent à convaincre d’une orthodoxie, alors que leur apport principal est
d’alimenter un processus d’autoformation, d’enrichir et d’instrumenter une pra-
tique réflexive, sur le modèle : « Mieux vaut enseigner à pêcher que de donner
un poisson ».
Lorsqu’elle n’est pas obligatoire, beaucoup d’enseignants échappent complète-
ment à la formation continue. Certains d’entre eux se forment en autodidactes,
ils se passent de la formation continue institutionnelle, sans que leurs compé-
156
Gérer sa propre formation continue
On peut avancer l’hypothèse qu’une partie de ces choix expriment une volonté
de se tenir au courant des développements « à la mode » plutôt qu’une stratégie
d’autoformation fondée sur une analyse fine des limites qu’on rencontre en
classe. On peut être majeur, instruit et intelligent sans savoir exactement ce dont
on a besoin. Les spécialistes de la médecine et de la diététique détiennent des
savoirs et ont des outils de diagnostic qui vont au-delà des intuitions du sens
commun, et nous nous en remettons à eux pour savoir ce qui manque à notre
équilibre physiologique. Dans le champ du travail, les bilans de compétences
sont faits par des centres de bilans, qui aident par exemple les chômeurs ou les
personnes en quête d’une reconversion professionnelle à construire un projet de
formation.
Sans exclure cette approche, souhaitons qu’elle reste une voie de recours et que
chacun sache de mieux en mieux pointer ses propres failles et traduire l’écart
entre ce qu’il fait et ce qu’il voudrait faire en un projet de formation. Pourquoi
se placer dans la dépendance d’experts du diagnostic si l’on peut devenir expert
soi-même ? La multiplication des reconversions professionnelles et des procé-
dures de validation d’acquis expérientiels élargit graduellement le cercle des
professionnels capables d’autoévaluation de leurs compétences.
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Gérer sa propre formation continue
Mieux vaudrait alors que cette exigence aille à la rencontre d’une pratique spon-
tanée, sans quoi elle sera vécue comme une brimade bureaucratique.
158
Gérer sa propre formation continue
conditions plus proches de ce que les uns et les autres vivent quotidiennement.
Cela représente une chance d’avancer plus vite si les conditions s’y prêtent,
mais aussi un risque de conflits et de souffrance si les rapports entre les ensei-
gnants sont difficiles et si la paix n’est entretenue que parce que chacun se garde
d’exprimer un avis sur les pratiques des autres…
La compétence visée ici est donc double : savoir ne pas manquer l’occasion de
proposer et de développer des projets collectifs lorsque la situation le permet, et
savoir y renoncer lorsque l’école n’a pas encore atteint un stade de coopération
minimale. Un projet de formation commune peut renforcer une culture de
coopération, il ne la crée pas de toutes pièces et peut l’entraver s’il fait violence
à certains enseignants.
159
Gérer sa propre formation continue
système éducatif » est une voie de formation continue très féconde, même si
la formation est alors un bénéfice secondaire, davantage que le but premier.
Ce type d’expérience impose une décentration, une vision plus systémique,
la prise de conscience de la diversité des pratiques et des discours, une per-
ception plus lucide des ressources et des contraintes de l’organisation, aussi
bien que des défis auxquels elle est ou sera confrontée.
Presque tous les praticiens qui s’éloignent de leur classe, pour jouer d’autres rôles
dans le système, en ressortent transformés. Pour certains, c’est le début d’une mu-
tation identitaire et ils ne reviennent pas en classe une fois qu’ils ont accédé à une
fonction de formation, de recherche, d’encadrement ou d’inspection. Même alors,
l’accès n’est pas immédiat, la période de transition peut durer plusieurs années, du-
rant lesquelles la pratique en classe est fécondée par ce que l’on observe, vit et ap-
prend ailleurs. Certains praticiens, qui ne se préparent pas une reconversion ou une
promotion, veulent élargir leur horizon, pour ne pas rester confinés dans leur classe.
D’autres encore prennent des responsabilités pour faire avancer des causes qui leur
tiennent à cœur.
Qu’apprend-on en choisissant ces chemins de traverse ? A défaut d’une enquête
méthodique auprès de ceux qui les empruntent, on ne peut qu’avancer des hypo-
thèses. L’une d’elles pourrait porter sur l’apprentissage de la négociation. Plus on
s’éloigne de sa classe, plus on est confronté à d’autres adultes, qui défendent
d’autres valeurs ou d’autres intérêts, avec lesquels il faut apprendre à gérer des sys-
tèmes, construire des programmes, élaborer des moyens d’enseignement, conce-
voir ou piloter des réformes, choisir des investissements ou des coupures budgé-
taires. Cet apprentissage de la négociation, de la médiation, de la décision collective
est évidemment transposable à l’échelle de l’établissement, même si les enjeux sont
différents. Ceux qui ont un pied en dehors de l’établissement sont souvent des per-
sonnes-ressources : modérateurs à l’intérieur, porte-parole à l’extérieur, informa-
teurs sur ce qui se fait ailleurs, experts dans les démarches de projet et la prise de dé-
cision. Ces compétences sont transposables également aux négociations avec les
élèves et les parents.
Ceux qui « prennent du champ » apprennent aussi que le système n’est pas une ma-
chine monolithique, qu’on peut peser sur son évolution en travaillant des dossiers,
en faisant des alliances, en formulant des propositions. Cela participe de ce que les
Anglo-Saxons appellent « empowerment » (Hargreaves, and Hopkins, 1991), le
sentiment d’avoir prise sur les décisions qui conditionnent les budgets, les struc-
tures, voire les finalités. Cela passe par la conscience d’être en droit de participer
aux décisions collectives et d’en avoir les moyens. Cela introduit une rupture avec
l’attitude bureaucratique qui traite le « système » comme une pure contrainte et se
borne à y creuser une « niche écologique » aussi vivable que possible.
Plus globalement, la participation à d’autres niveaux de fonctionnement du systè-
me éducatif élargit la culture politique, économique, administrative, juridique, so-
ciologique des enseignants en exercice, avec les retombées qu’on imagine pour leur
160
Gérer sa propre formation continue
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Gérer sa propre formation continue
Gérer sa propre formation continue est une chose, gérer le système de formation
continue en est une autre. Ce dernier a été longtemps dans la dépendance des
administrations scolaires ou de centres de formation indépendants, notamment
les universités. La professionnalisation du métier d’enseignant appelle des parte-
nariats entre les pouvoirs organisateurs de l’école, les centres de formation indé-
pendants et les associations professionnelles d’enseignants.
Pour que ce partenariat se développe, il importe que le débat s’amorce dans les
lieux de formation continue, à la faveur d’un dialogue entre professionnels, for-
mateurs et responsables de formation, avant de faire l’objet de négociations « au
sommet ». À ce dernier niveau, on peut négocier des ressources, des temps de
formation, des statuts, mais les orientations, les priorités, les contenus et les
démarches devraient relever d’une élaboration coopérative, d’une parole parta-
gée sur la formation. Aujourd’hui, elle n’est pas encore très développée. Il
importerait que de plus en plus d’enseignants se sentent responsables de la poli-
tique de formation continue et interviennent, individuellement ou collective-
ment, dans les processus de décision.
162
Conclusion
Voici la fin du voyage. Nous avons exploré, tour à tour, dix familles de compé-
tences dont je rappelle les intitulés :
1. Organiser et animer des situations d’apprentissage.
2. Gérer la progression des apprentissages.
3. Concevoir et faire évoluer des dispositifs de différenciation.
4. Impliquer les élèves dans leur apprentissage et leur travail.
5. Travailler en équipe.
6. Participer à la gestion de l’école.
7. Informer et impliquer les parents.
8. Se servir des technologies nouvelles.
9. Affronter les devoirs et les dilemmes éthiques de la profession.
10. Gérer sa propre formation continue.
Comme en suivant un guide de voyage, le lecteur a été conduit à « visiter », de
façon méthodique, mais nécessairement rapide et un peu superficielle, des conti-
nents et des pays qui auraient mérité qu’on s’y arrête plus longuement. Chacun
aura noté les limites et les partis pris de l’auteur du guide. Certains des conti-
nents et des pays explorés me sont familiers, je les ai maintes fois arpentés. De
certains autres, j’ai une idée moins précise, des connaissances de seconde main.
Certains me passionnent, d’autres moins…
Nul ne peut observer et conceptualiser également toutes les facettes du métier d’en-
seignant, se représenter avec la même précision et la même pertinence toutes les
compétences correspondantes. J’avais songé à mobiliser, sur chaque thème, un ex-
pert différent. J’ai reculé devant les problèmes de coordination qu’aurait posés une
telle entreprise collective, mais aussi devant ses difficultés théoriques : nul ensei-
gnant, nul chercheur ne découpe la réalité complexe du métier exactement comme
les autres. Les facettes du travail pédagogique, les familles de compétences n’exis-
tent pas « objectivement », elles sont construites, certes à partir du réel, mais aussi
de trames conceptuelles et de partis pris théoriques et idéologiques. Il serait diffici-
le de faire adhérer au même référentiel dix auteurs ayant réfléchi de façon pointue
sur certaines compétences des enseignants. De plus, rappelons-le, le voyage était
163
Conclusion
Un drôle d’exercice
Sans doute le lecteur a-t-il, ici ou là, éprouvé l’arbitraire de la formulation des
compétences retenues, comme de leur regroupement en dix familles. Même si
j’ai activement participé à la rédaction de ce référentiel, il m’est arrivé de le res-
sentir comme une contrainte. Cela n’a rien d’étrange : tout texte élaboré dans un
cadre institutionnel, surtout s’il est négocié entre de nombreux acteurs, témoigne
d’un compromis entre des logiques différentes, parfois des intérêts opposés. Il
perd en cohérence ce qu’il gagne en représentativité. Je peux donc, comme
n’importe qui, m’y reconnaître pleinement sur certains points, un peu moins sur
d’autres.
L’exercice même de l’explicitation des items m’a fait découvrir des zones de
flou et d’arbitraire que je ne soupçonnais pas. Lorsqu’un groupe rédige un réfé-
rentiel, il ne conduit pas l’explicitation jusqu’au bout, faute de temps, peut-être
aussi de peur d’être paralysé par trop de précision. Comme dans toute entreprise
collective complexe, le consensus repose en partie sur des malentendus. On pro-
pose des titres et des sous-titres, on les commente rapidement, juste assez pour
avoir l’impression d’être d’accord, ce qui permet d’avancer dans la tâche.
Chacun mesure la fragilité du découpage et se demande parfois si les interlocu-
teurs ont la même chose en tête. La sagesse l’invite à taire ses doutes, à « faire
comme si ». Cette fiction est créatrice : que de nombreuses personnes tombent
d’accord sur une table des matières est déjà miraculeux ; comment pourrait-on
espérer qu’elles écrivent ensuite le même livre ? Des énoncés aussi synthétiques
laissent une grande marge d’interprétation. « Gérer la progression des appren-
tissages » ou « Impliquer les élèves dans leur apprentissage et leur travail » : ces
compétences renvoient à des représentations multiples et parfois contradictoires
de l’action concernée, de ses composantes, en fonction des visions et des théo-
ries de l’apprentissage et de l’enseignement des uns et des autres.
J’ai, à tel ou tel moment, eu la tentation de prendre des libertés, pour recons-
truire le référentiel à ma manière. J’y ai renoncé, car mon propos n’était pas de
proposer un référentiel de plus. Je voulais m’essayer à un autre exercice : propo-
ser une lecture possible, personnelle, mais cohérente, d’un référentiel existant,
auquel je peux globalement adhérer. J’étais également sensible au caractère
fécond de la contrainte. Partir d’un référentiel « institutionnel » m’a dispensé de
rouvrir sans cesse la question des fondements du découpage et m’a obligé à
entrer dans le vif de la description des compétences, ce qui est certainement plus
164
Conclusion
fécond que des hésitations sans fin sur une table des matières. J’ai donc opté
pour un respect quasi intégral des intitulés du référentiel genevois, en annonçant
ici ou là une perplexité, et surtout, en retrouvant ma liberté au moment d’expli-
citer les énoncés, qui ne proposaient que des titres et des sous-titres.
Si le lecteur reste souvent perplexe devant les référentiels qui foisonnent
aujourd’hui, peut-être est-ce parce qu’il y a un investissement démesuré dans la
confection d’un « produit » – une liste de compétences structurées en niveaux -,
plutôt qu’un usage de divers référentiels pour penser la pratique dans sa com-
plexité (Paquay, 1996 ; Paquay et al., 1996). L’essentiel est dans le choc des
représentations du métier. Le débat sur un référentiel oblige chacun à mettre ses
idées en forme, à percevoir ses propres incertitudes, aussi bien qu’à mesurer la
diversité des points de vue et les limites du consensus.
L’écriture même d’un référentiel est une tâche technique qui exige une certaine
unité de pensée et de style. On pourrait souhaiter en revanche qu’un référentiel soit
soumis à une large consultation avant son adoption, que sa formulation soit provi-
soire et que le débat se poursuive. Un référentiel offre un langage commun pour
cerner les divergences de fond sur la réalité du métier et son avenir, distinguer les
désaccords des malentendus sémantiques. Il oblige en outre à verbaliser ce que cha-
cun a dans la tête, donc à prendre la mesure des accords et des désaccords.
Idéalement, une communauté professionnelle devrait se donner les moyens de
partir d’un projet de référentiel et de construire collectivement l’explicitation des
divers items. La « professionnalisation interactive » (Gather Thurler, 1996)
prendrait alors toute sa mesure. Comme on se trouve rarement dans des condi-
tions aussi privilégiées, il m’a semblé utile de proposer une explicitation, parmi
d’autres. Je l’ai voulue discursive et argumentative, pour souligner qu’on peut
voir des choses différemment. Mon propos n’était pas d’enfermer le lecteur dans
ma façon de concevoir la pratique enseignante et les compétences qu’elle exige,
mais de contribuer, d’une autre manière, au débat sur les contours d’un « métier
nouveau » (Meirieu, 1990), qui se rapproche d’une profession et parle le lan-
gage des compétences, tant pour les élèves que pour les enseignants.
Cet essai m’a d’abord paru utile pour la communauté genevoise qui s’est donné
ce référentiel. L’avenir dira si ce pari était fondé. Il m’a semblé qu’un tel « exer-
cice de style » pouvait avoir d’autres vertus :
• Il illustre une démarche qui pourrait être intéressante au moment de réviser ou
construire un plan de formation initiale ou continue des enseignants, non pas
pour adopter intégralement le référentiel commenté ici, mais pour en emprunter
certains éléments en les aménageant ou en rejeter d’autres en connaissance de
cause.
• Il suggère de travailler les référentiels, dans le cadre de groupes de formation
ou de projet, pour clarifier les objectifs, mesurer le cheminement, mais surtout
susciter des explications et une confrontation des représentations des uns et des
autres.
165
Conclusion
• Un tel référentiel peut être utilisé dans une démarche d’innovation. C’est ainsi
que le dispositif d’accompagnement de la rénovation genevoise a organisé sa
réflexion en prenant appui sur les premières familles de compétences évoquées,
pour approfondir les maîtrises requises par une pédagogie différenciée, un tra-
vail par situations-problèmes ou une gestion des progressions dans le cadre de
cycles d’apprentissage (Groupe de recherche et d’innovation, 1997). Les mêmes
acteurs étant engagés dans ces divers chantiers, les connexions étaient plus
faciles à établir. Je crois cependant que ce pourrait être une démarche – parmi
d’autres – à conduire dans toute recherche-action, recherche-développement ou
innovation touchant aux pratiques : tenter d’expliciter les compétences qui font
défaut, à partir de l’analyse des pratiques, mais aussi se servir d’un référentiel
existant, orienté vers des compétences émergentes, pour « relire » ce qu’on fait
déjà ou ce qu’on cherche à faire.
Deux métiers en un ?
J’ai le sentiment que ce référentiel ne passe à côté de rien d’essentiel. C’est une
question que chaque lecteur peut se poser : en faisant un instant l’impasse sur le
découpage, a-t-il retrouvé, au fil des pages, sinon toutes les facettes du métier,
du moins celles qui « bougent » en ce moment, au gré des transformations de
l’école et du processus de professionnalisation du métier ? Qu’on se souvienne à
ce propos qu’il ne s’agissait pas de dresser un inventaire exhaustif des compé-
tences des enseignants. Le référentiel genevois tente de saisir le mouvement de
la profession, en insistant sur des compétences émergentes ou des compétences
existantes dont l’importance se renforce en raison des ambitions nouvelles du
système éducatif, qui exige des niveaux de maîtrise toujours plus élevés.
M’intéressant aux compétences émergentes, je me suis demandé si, pour être
exhaustif, je devais proposer une liste complémentaire, celle des compétences
« classiques » d’un enseignant. À la réflexion, cette liste ne m’a pas semblé
pertinente, car les compétences de base du métier sont contenues dans les com-
pétences examinées. On ne retrouvera certes pas des formulations classiques,
telles que suivre le programme, préparer et donner des cours et des exercices,
se servir des moyens d’enseignement officiels et des méthodes recommandées,
faire régner le silence, l’ordre et la discipline, mettre des notes, coexister pacifi-
quement avec des collègues en parlant de la pluie et du beau temps, dans une
école où, d’année en année, chacun reprend les mêmes degrés et les mêmes
méthodes. Tout cela n’est pas entièrement démodé, il reste nécessaire de don-
ner des leçons et des exercices, d’obtenir une forme de discipline, d’évaluer de
façon certificative. Toutefois, plus on va vers une pratique réflexive (Schön,
1994, 1996), plus le métier devient une profession à part entière, à la fois auto-
166
Conclusion
nome et responsable (Altet, 1994 ; Perrenoud, 1994 e, 1996 c et m), plus ces
pratiques traditionnelles changent de sens et de place. Elles ne sont plus l’alpha
et l’oméga de l’enseignement, mais des composantes parmi d’autres, corres-
pondant à un niveau de départ, à dépasser dès qu’on en a les moyens.
Cette intégration des compétences « traditionnelles » aux compétences « émer-
gentes » ne fera pas l’unanimité, pas plus d’ailleurs que d’autres choix, qui
paraîtront arbitraires, mais sans lesquels aucune organisation des représenta-
tions n’est possible. Le débat importe plus que le consensus. Il convient en
revanche de distinguer deux raisons bien différentes de ne pas adhérer aux
compétences analysées ici ou à la façon de les découper :
– les uns s’en distancent parce que, se réclamant de la même conception du
métier et de son évolution, ils adoptent un autre découpage de ses principales
composantes ; on peut alors tenter de rapprocher les points de vue, de confron-
ter diverses manières de mettre de l’ordre dans la complexité ;
– les autres s’en séparent parce qu’ils n’ont pas le même métier en tête, parce
que certains refusent l’évolution, la combattent, alors que d’autres la précèdent
et la suscitent ; le désaccord est alors difficile à dépasser, il ne tient pas au
découpage, mais à une orientation globale vers un autre type de professionna-
lité (Altet, 1994).
167
Conclusion
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Conclusion
Cet exemple nous permet de comprendre pourquoi le désaccord sur les compé-
tences peut en cacher un autre, sur le métier et son évolution probable ou souhai-
table. Ceux qui préfèrent que rien ne bouge n’ont que faire de référentiels qui se
distancent des pratiques plus faciles à justifier dans le clair-obscur de la tradition et
du « Tout le monde le fait ». Le bon sens et l’accord tacite sur l’essence du métier
jettent un voile protecteur sur la réalité des pratiques. Le débat sur les référentiels
concerne, en revanche, ceux qui œuvrent au changement vers la professionnalisa-
tion et doivent, pour le justifier, prendre appui sur l’état actuel des pratiques.
Cette prise de distance suggère parfois que la place est vacante, qu’il suffit d’intro-
duire des pratiques nouvelles. Les innovateurs qui proposent d’autres façons d’éva-
luer, plus formatives, pointent sur des compétences émergentes, qui font défaut à
une partie des enseignants d’aujourd’hui, d’abord au niveau des connaissances et
des concepts – évaluation critériée, régulation interactive, autoévaluation, métaco-
gnition, par exemple -, ensuite au niveau de leur mise en pratique. Ce qui pourrait
suggérer que les enseignants qui ne se rangent pas sous cette bannière ne savent
pas évaluer ou n’ont que des compétences mineures en évaluation. Je soutiens, au
contraire, que la plupart des enseignants expérimentés témoignent de certaines
compétences en évaluation, qui ne sont pas à la portée des débutants. Sans doute,
l’expertise traditionnelle a-t-elle partie liée avec la fabrication des inégalités. Cela
explique une certaine pudeur dans sa mise en évidence : qui voudrait souligner crû-
ment que l’expertise traditionnelle en évaluation n’est guère soucieuse de cerner et
d’optimiser les apprentissages ? Qu’elle a plus d’aspects gestionnaires que pédago-
giques ? De plus, l’expertise traditionnelle en évaluation est acquise largement au
gré de l’expérience, « sur le tas » ou en s’inspirant de collègues plus expérimentés,
ce qui ne favorise pas sa description. Cela n’autorise pas à en dénier l’existence :
toute action compétente n’est pas, ipso facto, une action pédagogiquement ou éthi-
quement recommandable.
169
Conclusion
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Conclusion
tences. Cela peut renvoyer à une formation continue, suivie dans le cadre d’un
centre ou proposée dans l’établissement. Là n’est pas l’essentiel : c’est le pro-
cessus d’autoformation qui importe, avec le temps, l’énergie qu’il demande, les
déséquilibres et les changements identitaires qu’il peut provoquer, son coût et
ses risques, aussi bien que ce qu’il rend possible.
Travailler, individuellement ou collectivement, à des référentiels de compé-
tences, c’est se donner les moyens d’un bilan personnel et d’un projet de forma-
tion réaliste. C’est aussi se préparer à rendre compte de son action profession-
nelle en termes d’obligation de compétences plus que de résultats ou de
procédures (Perrenoud, 1997 e). Dans le meilleur des mondes, les enseignants
choisissent librement de dresser un bilan et de construire des compétences, sans
qu’il soit nécessaire de les y inciter de façon autoritaire ou avec des sanctions
ou des récompenses à la clé. L’autoformation résulte, idéalement, d’une pratique
réflexive qui doit davantage à un projet (personnel ou collectif) qu’à une attente
explicite de l’institution. Dans le monde tel qu’il est, il n’est pas illégitime que
les référentiels de compétences soient aussi des outils de contrôle. L’école vient
d’une tradition selon laquelle la formation continue est gérée par l’État ou le
pouvoir organisateur, alors qu’on rend compte à un corps d’inspecteurs ou aux
chefs d’établissements. Peut-on se libérer de cet héritage sans justifier le chacun
pour soi ?
La prise en charge de leur formation continue par les intéressés est un des plus
sûrs indices de professionnalisation d’un métier. De même que la mise en place
de dispositifs permettant à chacun de rendre compte de son travail à ses pairs,
au moins autant qu’à une hiérarchie.
Aucune avancée ne peut se réaliser sans une représentation partagée des com-
pétences professionnelles qui sont au cœur de la qualification, celles qu’il
convient d’entretenir et de développer, et dont les professionnels doivent rendre
compte. Aider à formuler et à stabiliser une vision claire du métier et des com-
pétences est une fonction majeure – sous-estimée – des référentiels de compé-
tences. Ils ne sont donc pas des outils réservés aux experts, mais des moyens,
pour les professionnels, de construire une identité collective.
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Dans la collection Pédagogies
STIMULER LA MÉMOIRE
ET LA MOTIVATION DES ÉLÈVES
Jean-Philippe Abgrall
Hors série
ÉCOLE CHERCHE MINISTRE QUI VA SAUVER L’ÉCOLE ?
Pascal Bouchard Emmanuelle Daviet, Sylvain Grandserre