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Dix nouvelles compétences

pour enseigner
Philippe Perrenoud

Dix nouvelles
compétences
pour enseigner

Invitation au voyage
Direction éditoriale : Sophie Courault
Édition : Sylvie Lejour
Coordination éditoriale : Maud Taïeb
Relecture – correction : Carole Fossati
Composition : Myriam Dutheil

© 1999 ESF éditeur


Division de la société Reed Business Information
SAS au capital de 4 099 168 €
Forum 52 – 52, rue Camille Desmoulins
92448 Issy-les-Moulineaux Cedex
Président : Antoine Duarte
Directeur de publication : Antoine Duarte
Actionnaire principal : Reed Elsevier
7e édition 2013

www.esf-editeur.fr
ISBN
978-2-7101-2932-5
ISSN 1158-4580

Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L. 122-5, 2e et 3e a, d’une


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nées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but
d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le
consentement de l’auteur ou ses ayants droit, ou ayants cause, est illicite » (art. L. 122-4). Cette repré-
sentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanc-
tionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Pédagogies
Collection dirigée par Philippe Meirieu

a collection PÉDAGOGIES propose aux enseignants, formateurs, animateurs, édu-


L cateurs et parents, des œuvres de référence associant étroitement la réflexion
théorique et le souci de l’instrumentation pratique.
Hommes et femmes de recherche et de terrain, les auteurs de ces livres ont, en effet,
la conviction que toute technique pédagogique ou didactique doit être référée à un
projet d’éducation. Pour eux, l’efficacité dans les apprentissages et l’accession aux
savoirs sont profondément liées à l’ensemble de la démarche éducative, et toute édu-
cation passe par l’appropriation d’objets culturels pour laquelle il convient d’inventer
sans cesse de nouvelles médiations.
Les ouvrages de cette collection, outils d’intelligibilité de la « chose éducative », don-
nent aux acteurs de l’éducation les moyens de comprendre les situations auxquelles
ils se trouvent confrontés, et d’agir sur elles dans la claire conscience des enjeux. Ils
contribuent ainsi à introduire davantage de cohérence dans un domaine où coexis-
tent trop souvent la générosité dans les intentions et l’improvisation dans les pra-
tiques. Ils associent enfin la force de l’argumentation et le plaisir de la lecture.
Car c’est sans doute par l’alliance, sans cesse à renouveler, de l’outil et du sens que
l’entreprise éducative devient vraiment créatrice d’humanité.

Pédagogies/Références : revenir vers l’essentiel pour mieux penser l’urgence.


Des livres qui permettent de comprendre les enjeux éducatifs à partir des
apports de l’histoire de la pédagogie et des travaux contemporains. Des textes
de travail, des outils de formation, des grilles d’analyse pour penser et transfor-
mer les pratiques.

*
* *
Voir en fin d’ouvrage la liste des titres disponibles
et sur le site www.esf-editeur.fr
Du même auteur

Compétences et contenus. Les curriculums en questions, avec François Audigier, Nicole


Tutiaux-Guillon, Paris, De Boeck, 2008.
Conflits de savoirs en formation des enseignants. Entre savoirs issus de la recherche et savoirs
issus de l’expérience, avec Marguerite Altet, Claude Lessard, Léopold Paquay, Paris, De
Boeck, 2008.
Construire des compétences dès l’école, Paris, ESF, 5e éd. 2008.
Développer la pratique réflexive dans le métier d’enseignant, Paris, ESF, 2001, 4e éd. 2008.
Enseigner : agir dans l’urgence, décider dans l’incertitude, Paris, ESF, 1996, 2e éd. 1999.
Entre parents et enseignants : un dialogue impossible ?, Berne, Lang, 1987, 2e éd. 1994 (en coll.
avec Cléopâtre Montandon).
L’évaluation des élèves. De la fabrication de l’excellence à la régulation des apprentissages,
Bruxelles, De Boeck, 1998.
Évaluation formative et didactique du francais, Neuchatel & Paris, Delachaux & Niestlé, 1993
(édité en coll. avec Linda Allal et Daniel Bain).
L’évaluation formative dans un enseignement différencié, Berne, Lang, 1979, 5e éd. 1989 (édité
en coll. avec Linda Allal et Jean Cardinet). Traduit en portugais.
La fabrication de l’excellence scolaire : du curriculum aux pratiques d’évaluation, Genève,
Droz, 1984, 2e éd. augmentée 1995. Traduit en espagnol.
La formation des enseignants entre théorie et pratique, Paris, L’Harmattan, 1994.
Former des enseignants professionnels. Quelles stratégies ? Quelles compétences ? Bruxelles,
De Boeck, 1996, 2e éd. 1998 (édité en coll. avec Leopold Paquay, Marguerite Altet et Éve-
lyne Charlier).
Métier d’élève et sens du travail scolaire, Paris, ESF, 1994, 5e éd. 2004. Traduit en portugais.
L’organisation du travail, clé de toute pédagogie différenciée, ESF éditeur, 2012.
Parole étouffée, parole libérée. Fondements et limites d’une pédagogie de l’oral, Neuchatel &
Paris, Delachaux & Niestlé, 1991 (édité en coll. avec Martine Wirthner et Daniel Martin).
La pédagogie à l’école des différences. Fragments d’une sociologie de l’échec scolaire, Paris,
ESF, 1995, 3e éd. 2005.
Pédagogie différenciée : des intentions à l’action, Paris, ESF, 1997, 4e éd. 2008.
Praticas pedagogicas, profissao docente e formacao : perspectivas sociologicas, Lisboa, Don
Quixote, 1993.
Quand l’école prétend préparer à la vie…, ESF éditeur, 2011.
Qui définit le curriculum, pour qui ?, Cousset (Suisse), Delval, 1990 (édité en coll. avec Jean-
Francois Perret).
Qui maîtrise l’école ? Politiques d’institutions et pratiques des acteurs, Lausanne, Réalités
sociales, 1988 (édité en coll. avec Cléopâtre Montandon).
À Cilette Cretton,
rédactrice de l’Éducateur,
magazine professionnel des enseignants de
Suisse romande, qui tisse depuis des années,
comme ses prédécesseurs, des liens entre la
recherche en éducation et les pratiques péda-
gogiques.
Table des matières

Introduction : De nouvelles compétences professionnelles


pour enseigner ...................................................................................... 13

Chapitre 1 : Organiser et animer des situations d’apprentissage ............. 25


Connaître, pour une discipline donnée, les contenus à enseigner
et leur traduction en objectifs d’apprentissage..................................... 27
Travailler à partir des représentations des élèves .................................. 29
Travailler à partir des erreurs et des obstacles à l’apprentissage .......... 31
Construire et planifier des dispositifs et des séquences didactiques .... 34
Engager les élèves dans des activités de recherche,
dans des projets de connaissance........................................................... 37

Chapitre 2 : Gérer la progression des apprentissages................................. 43


Concevoir et gérer des situations-problèmes ajustées au niveau
et aux possibilités des élèves.................................................................. 44
Acquérir une vision longitudinale des objectifs de l’enseignement..... 47
Établir des liens avec les théories qui sous-tendent les activités
d’apprentissage....................................................................................... 50
Observer et évaluer les élèves dans des situations d’apprentissage,
selon une approche formative ................................................................ 51
Établir des bilans périodiques de compétences et prendre des
décisions de progression ........................................................................ 53
Vers des cycles d’apprentissage............................................................. 54

Chapitre 3 : Concevoir et faire évoluer des dispositifs de


différenciation ...................................................................................... 57
Gérer l’hétérogénéité au sein d’un groupe-classe ................................. 59
Décloisonner, élargir la gestion de classe à un espace plus vaste......... 60
Pratiquer du soutien intégré, travailler avec des élèves
en grande difficulté................................................................................. 62
Développer la coopération entre élèves et certaines formes simples
d’enseignement mutuel .......................................................................... 63
Une double construction ........................................................................ 66

9
Table des matières

Chapitre 4 : Impliquer les élèves dans leurs apprentissages


et leur travail......................................................................................... 67
Susciter le désir d’apprendre, expliciter le rapport au savoir, le sens du
travail scolaire et développer la capacité d’autoévaluation
chez l’enfant ........................................................................................... 69
Instituer un conseil des élèves et négocier avec eux divers types de
règles et de contrats ................................................................................ 72
Offrir des activités de formation à options ............................................ 74
Favoriser la définition d’un projet personnel de l’élève........................ 75

Chapitre 5 : Travailler en équipe ................................................................... 77


Élaborer un projet d’équipe, des représentations communes ............... 80
Animer un groupe de travail, conduire des réunions ............................ 82
Former et renouveler une équipe pédagogique ..................................... 84
Affronter et analyser ensemble des situations complexes,
des pratiques et des problèmes professionnels...................................... 86
Gérer des crises ou des conflits entre personnes................................... 87

Chapitre 6 : Participer à la gestion de l’école............................................... 91


Élaborer, négocier un projet d’établissement ........................................ 92
Gérer les ressources de l’école............................................................... 97
Coordonner, animer une école avec tous les partenaires ...................... 99
Organiser et faire évoluer, au sein de l’école, la participation
des élèves .............................................................................................. 101
Des compétences pour travailler en cycles d’apprentissage............... 102

Chapitre 7 : Informer et impliquer les parents.......................................... 105


Animer des réunions d’information et de débat.................................. 110
Conduire des entretiens........................................................................ 112
Impliquer les parents dans la construction des savoirs ....................... 114
Dans la farine........................................................................................ 117

Chapitre 8 : Se servir des technologies nouvelles....................................... 121


L’informatique à l’école : discipline à part entière, savoir-faire
ou simple moyen d’enseignement ? .................................................... 122
Utiliser des logiciels d’édition de documents ..................................... 125
Exploiter les potentialités didactiques de logiciels en relation
avec les objectifs de l’enseignement.................................................... 128
Communiquer à distance par la télématique ....................................... 130

10
Table des matières

Utiliser les outils multimédias dans son enseignement ...................... 132


Des compétences fondées sur une culture technologique .................. 133

Chapitre 9 : Affronter les devoirs et les dilemmes éthiques


de la profession ................................................................................... 135
Prévenir la violence à l’école et dans la cité........................................ 137
Lutter contre les préjugés et les discriminations sexuelles,
ethniques et sociales............................................................................. 141
Participer à la mise en place de règles de vie commune touchant la
discipline à l’école, les sanctions, l’appréciation de la conduite ........ 143
Analyser la relation pédagogique, l’autorité, la communication
en classe................................................................................................ 144
Développer le sens des responsabilités, la solidarité, le sentiment
de justice ............................................................................................... 145
Dilemmes et compétences ................................................................... 146

Chapitre 10 : Gérer sa propre formation continue ................................... 149


Savoir expliciter ses pratiques.............................................................. 152
Établir son propre bilan de compétence et son programme
personnel de formation continue ......................................................... 155
Négocier un projet de formation commune avec des collègues
(équipe, école, réseau).......................................................................... 158
S’impliquer dans des tâches à l’échelle d’un ordre d’enseignement
ou du système éducatif......................................................................... 159
Accueillir et participer à la formation des collègues............................161
Être acteur du système de formation continue .....................................162

Conclusion : Vers un métier nouveau ?...................................................... 163


Un drôle d’exercice .............................................................................. 164
Deux métiers en un ?............................................................................ 166
Se professionnaliser tout seul ?............................................................ 169

Bibliographie .................................................................................................. 172

11
Introduction

De nouvelles compétences
professionnelles pour enseigner 1

Pratique réflexive, professionnalisation, travail en équipe et par projets, autono-


mie et responsabilité accrues, pédagogies différenciées, centration sur les dispo-
sitifs et les situations d’apprentissage, sensibilité au rapport au savoir et à la loi,
dessinent un « scénario pour un métier nouveau » (Meirieu, 1989). Il survient
sur fond de crise, en un temps où les enseignants tendent à se replier sur leur
classe et les pratiques qui ont fait leurs preuves. En l’état des politiques et des
finances publiques des pays développés, on serait malvenu de le leur reprocher.
On peut espérer pourtant que de nombreux enseignants relèveront le défi, par
refus de la société duale et de l’échec scolaire qui la prépare, par désir d’ensei-
gner et de faire apprendre en dépit de tout, ou encore, par crainte de « mourir
debout, une craie à la main, au tableau noir », selon la formule d’Huberman
(1989 a) lorsqu’il résume la question existentielle qui surgit à l’approche de la
quarantaine dans le cycle de vie des enseignants (1989 b).
Décider dans l’incertitude et agir dans l’urgence (Perrenoud, 1996 c) : c’est une
façon de caractériser l’expertise des enseignants, qui font un des trois métiers
que Freud disait « impossibles », parce que l’apprenant résiste au savoir et à la
prise en charge. Cette analyse de la nature et du fonctionnement des compé-
tences est loin d’être achevée. L’expertise, la pensée et les compétences des
enseignants font l’objet de nombreux travaux, inspirés de l’ergonomie et de
l’anthropologie cognitive, de la psychologie et de la sociologie du travail, de
l’analyse des pratiques.

1. La substance de ce livre a paru d’abord dans l’Éducateur, revue de la Société pédagogique romande, en
douze articles publiés à trois semaines d’intervalle durant l’année scolaire 1997-98. Je remercie vivement
Cilette Cretton, rédactrice de l’Éducateur, de m’avoir invité à écrire cette série d’articles. Ils figurent dans
l’Éducateur n° 10 (5 septembre 1997, p. 24-28), n° 11 (26 septembre 1997, p. 26-31), n° 12 (17 octobre
1997, p. 24-29), n° 13 (7 novembre 1997, p. 20-25), n° 14 (28 novembre 1997, p. 24-29), n° 15 (19 décembre
1997, p. 26-33), n° 1 (23 janvier 1998, p. 6-12), n° 2 (février 1998, p. 24-31), n° 3 (6 mars 1998, p. 20-27),
n° 4 (1er avril 1998, p. 22-30), n° 5 (10 avril 1998, p. 20-27), n° 8 (26 juin 1998, p. 22-27).

13
Introduction

Je tenterai ici d’aborder le métier d’enseignant de façon plus concrète, en propo-


sant un inventaire des compétences qui contribuent à redessiner la profession-
nalité enseignante (Altet, 1994). Je prendrai pour guide un référentiel de com-
pétences adopté à Genève en 1996 pour la formation continue, à l’élaboration
duquel j’ai activement participé.
Le commentaire de cette cinquantaine d’énoncés, d’une ligne chacun, n’engage
que moi. Il pourrait tenir en 10 pages aussi bien qu’en 2 000, car chaque entrée
renvoie à des pans entiers de la réflexion pédagogique ou de la recherche en
éducation. La taille raisonnable de cet ouvrage tient au fait que les compétences
retenues sont regroupées en dix grandes familles, chacune donnant lieu à un
chapitre autonome. J’ai tenu à leur conserver une dimension raisonnable, en ren-
voyant aux ouvrages de Develay (1995), Houssaye (1994), De Peretti, Boniface
et Legrand (1998) ou Raynal et Rieunier (1997) pour un traitement plus ency-
clopédique des diverses facettes de l’éducation.
Mon propos est différent : donner à voir des compétences professionnelles, en
privilégiant celles qui émergent actuellement. Ce livre ne couvrira pas les savoir-
faire les plus évidents, qui restent d’actualité pour « faire la classe » et dont Rey
(1998) a proposé une intéressante synthèse pour l’école élémentaire. Je mettrai
l’accent sur ce qui change et donc sur des compétences qui représentent un hori-
zon plutôt qu’un acquis consolidé.
Un référentiel de compétences reste en général un document assez sec, souvent
vite oublié et qui, peu après sa rédaction, prête déjà à toutes sortes d’interpréta-
tions. Le référentiel genevois qui me guidera ici a été développé dans une inten-
tion précise : orienter la formation continue pour la rendre cohérente avec les
rénovations en cours dans le système éducatif. On peut donc le lire comme une
déclaration d’intention.
Les institutions de formation initiale et continue ont besoin de référentiels pour
orienter leurs programmes, les corps d’inspection s’en servent pour évaluer les
enseignants en exercice et demander des comptes. Je ne vise pas ici un emploi
particulier du référentiel adopté. Il offre simplement un prétexte et un fil rouge
pour construire une représentation cohérente du métier d’enseignant et de son
évolution.
Cette représentation n’est pas neutre. Elle ne prétend pas rendre compte des
compétences de l’enseignant moyen d’aujourd’hui. Elle décrit plutôt un avenir
possible et, à mon sens, souhaitable de la profession.
Dans une période de transition, aggravée d’une crise des finances publiques et
des finalités de l’école, les représentations se fissurent, on ne sait plus très bien
d’où l’on vient et où l’on va. Il importe donc d’enfoncer des portes ouvertes et
d’en entrouvrir quelques autres. Sur de pareils thèmes, le consensus n’est ni pos-
sible, ni souhaitable. Lorsqu’on cherche l’unanimité, le plus sage est de rester
très abstrait et de dire, par exemple, que les enseignants doivent maîtriser les
savoirs à enseigner, être capables de donner des cours, de gérer une classe et

14
Introduction

d’évaluer. Si l’on s’en tient à des formulations synthétiques, chacun conviendra


probablement que le métier d’enseignant consiste aussi, par exemple, à « gérer
la progression des apprentissages » ou à « impliquer les élèves dans leurs
apprentissages et leur travail ».
L’accord sur ces évidences abstraites peut cacher de profondes divergences
quant à la façon de s’y prendre. Prenons un exemple :
• Pratiquer une pédagogie frontale, faire régulièrement des contrôles écrits et
mettre en garde les élèves en difficulté, en leur annonçant un échec probable
s’ils ne se ressaisissent pas : voici une façon assez classique de « gérer la pro-
gression des apprentissages ».
• Pratiquer une évaluation formative, un soutien intégré et d’autres formes de
différenciation, pour éviter que les écarts ne se creusent, est une autre manière,
plus novatrice.
Chaque élément d’un référentiel de compétences peut, de la même façon, ren-
voyer soit à des pratiques plutôt sélectives et conservatrices, soit à des pratiques
démocratisantes et novatrices. Pour savoir de quelle pédagogie et de quelle école
on parle, il est nécessaire d’aller au-delà des abstractions.
Il importe aussi d’analyser plus finement le fonctionnement des compétences
désignées, notamment pour dresser l’inventaire des connaissances théoriques et
méthodologiques qu’elles mobilisent. Un travail approfondi sur les compétences
consiste donc :
– d’abord à rapporter chacune à un ensemble délimité de problèmes et de
tâches ;
– ensuite à inventorier les ressources cognitives (savoirs, techniques, savoir-
faire, attitudes, compétences plus spécifiques) mobilisées par la compétence
considérée.
Il n’y a guère de façon neutre de faire ce travail, parce que l’identification même
des compétences suppose des options théoriques et idéologiques, donc un cer-
tain arbitraire dans la représentation du métier et de ses facettes. J’ai choisi de
reprendre le référentiel genevois mis en circulation en 1996, parce qu’il émane
d’une administration publique et qu’il a fait l’objet, avant d’être publié, de
diverses négociations entre l’autorité scolaire, l’association professionnelle, les
formateurs et les chercheurs. C’est le gage d’une plus grande représentativité
que celle qu’aurait un référentiel construit par une seule personne. En contrepar-
tie, il a perdu un peu en cohérence, dans la mesure où il résulte d’un compromis
entre diverses conceptions de la pratique et des compétences.
Cette fabrication institutionnelle ne signifie pas que ce découpage ferait l’una-
nimité au sein du corps enseignant, à supposer que chaque praticien en exercice
prenne la peine de l’étudier de près… Les divergences ne porteraient pas seule-
ment sur le contenu, mais sur l’opportunité même de décrire les compétences

15
Introduction

professionnelles de façon méthodique. Il n’est jamais innocent de mettre des


mots sur des pratiques et le refus d’entrer dans la logique des compétences peut
exprimer, d’abord, une réticence à verbaliser et collectiviser les représentations
du métier. L’individualisme des enseignants commence, en quelque sorte, avec
l’impression que chacun a une réponse personnelle et originale à des questions
telles que Qu’est-ce qu’enseigner ? Qu’est-ce qu’apprendre ?
Le métier n’est pas immuable. Ses transformations passent notamment par
l’émergence de compétences nouvelles (liées par exemple au travail avec
d’autres professionnels ou à l’évolution des didactiques) ou par l’accentuation
de compétences reconnues, par exemple pour faire face à l’hétérogénéité crois-
sante des publics et à l’évolution des programmes. Tout référentiel tend à se
démoder, à la fois parce que les pratiques changent et parce que la façon de les
concevoir se transforme. Il y a trente ans, on ne parlait pas aussi couramment de
traitement des différences, d’évaluation formative, de situations didactiques, de
pratique réflexive, de métacognition.
Le référentiel retenu met l’accent sur les compétences jugées prioritaires parce
qu’elles sont cohérentes avec le nouveau rôle des enseignants, l’évolution de la
formation continue, les réformes de la formation initiale, les ambitions des poli-
tiques de l’éducation. Il est compatible avec les axes de rénovation de l’école :
individualiser et diversifier les parcours de formation, introduire des cycles
d’apprentissage, différencier la pédagogie, aller vers une évaluation plus forma-
tive que normative, conduire des projets d’établissement, développer le travail
en équipe enseignante et la prise en charge collective des élèves, placer les
enfants au cœur de l’action pédagogique, recourir aux méthodes actives, aux
démarches de projet, au travail par problèmes ouverts et situations-problèmes,
développer des compétences et le transfert de connaissances, éduquer à la
citoyenneté.
Le référentiel dont on s’inspire ici tente donc de saisir le mouvement de la pro-
fession, en insistant sur dix grandes familles de compétences. Cet inventaire
n’est ni définitif, ni exhaustif. Aucun référentiel ne peut d’ailleurs garantir une
représentation consensuelle, complète et stable d’un métier ou des compétences
qu’il met en œuvre. Voici ces dix familles :
1. Organiser et animer des situations d’apprentissage
2. Gérer la progression des apprentissages
3. Concevoir et faire évoluer des dispositifs de différenciation
4. Impliquer les élèves dans leurs apprentissages et leur travail
5. Travailler en équipe
6. Participer à la gestion de l’école
7. Informer et impliquer les parents
8. Se servir des technologies nouvelles
9. Affronter les devoirs et les dilemmes éthiques de la profession
10. Gérer sa propre formation continue

16
Introduction

Pour associer des représentations à ces formules abstraites, on consacrera un cha-


pitre à chacune de ces dix familles. Si les titres sont empruntés à un référentiel
adopté par une institution particulière, la manière de les expliciter n’engage que
moi. Ces chapitres n’ont d’autre ambition que de contribuer à former des représen-
tations de plus en plus précises des compétences en question. C’est la condition
d’un débat et d’un rapprochement progressif des points de vue.
J’ai renoncé à des fiches techniques, plus analytiques, pour conserver une
approche discursive. Pour donner à voir des façons de faire la classe, par
exemple autour de la différenciation, de la création de situations didactiques ou
de la gestion des progressions au long d’un cycle d’apprentissage, une argumen-
tation a paru plus judicieuse qu’une liste d’items de plus en plus détaillés.
L’urgence n’est pas de classer le moindre geste professionnel dans un inventaire
sans faille. Comme y invite Paquay (1994), considérons un référentiel comme
un instrument pour penser les pratiques, débattre du métier, repérer des aspects
émergents ou des zones controversées.
Sans doute, pour construire des bilans de compétences ou des choix très précis
de modules de formation, il conviendrait de mettre à disposition des outils plus
fins. Cette entreprise me semble prématurée, ce pourrait être une étape ulté-
rieure.
Le concept même de compétence mériterait de longs développements. Cet
attracteur étrange (Le Boterf, 1994) suscite depuis quelques années de nom-
breux travaux, aux côtés des savoirs d’expérience et des savoirs d’action
(Barbier, 1996), dans le monde du travail et de la formation professionnelle
aussi bien que dans l’école. Dans plusieurs pays, on tend de même à orienter le
curriculum vers la construction de compétences dès l’école primaire (Perrenoud,
1998 a).
La notion de compétence désignera ici une capacité de mobiliser diverses res-
sources cognitives pour faire face à un type de situations. Cette définition insiste
sur quatre aspects :
1. Les compétences ne sont pas elles-mêmes des savoirs, des savoir-faire ou des
attitudes, mais elles mobilisent, intègrent, orchestrent de telles ressources.
2. Cette mobilisation n’a de pertinence qu’en situation, chaque situation étant
singulière, même si on peut la traiter par analogie avec d’autres, déjà rencon-
trées.
3. L’exercice de la compétence passe par des opérations mentales complexes,
sous-tendues par des schèmes de pensée (Altet, 1996 ; Perrenoud, 1996 l, 1998
g), ceux qui permettent de déterminer (plus ou moins consciemment et rapide-
ment) et de réaliser (plus ou moins efficacement) une action relativement adap-
tée à la situation.
4. Les compétences professionnelles se construisent, en formation, mais aussi
au gré de la navigation quotidienne d’un praticien, d’une situation de travail à
une autre (Le Boterf, 1997).

17
Introduction

Décrire une compétence revient donc, dans une large mesure, à évoquer trois
éléments complémentaires :
• les types de situations dont elle donne une certaine maîtrise ;
• les ressources qu’elle mobilise, savoirs théoriques et méthodologiques, atti-
tudes, savoir-faire et compétences plus spécifiques, schèmes moteurs, schèmes
de perception, d’évaluation, d’anticipation, de décision ;
• la nature des schèmes de pensée qui permettent la sollicitation, la mobilisation
et l’orchestration des ressources pertinentes, en situation complexe et en temps
réel.
Ce dernier aspect est le plus difficile à objectiver, parce que les schèmes de pen-
sée ne sont pas directement observables et ne peuvent être qu’inférés, à partir
des pratiques et des propos des acteurs. Il est en outre malaisé de faire la part de
l’intelligence générale de l’acteur – sa logique naturelle – et de schèmes de pen-
sée spécifiques développés dans le cadre d’une expertise particulière.
Intuitivement, on pressent que l’enseignant développe des schèmes de pensée
propres à son métier, différents de ceux du pilote, du joueur d’échecs, du chirur-
gien ou de l’agent de change. Il reste à les décrire plus concrètement.
On l’aura compris, l’analyse des compétences renvoie constamment à une théo-
rie de la pensée et de l’action situées (Gervais, 1998), mais aussi du travail, de la
pratique comme métier et condition (Descolonges, 1997 ; Perrenoud, 1996 c).
C’est dire que nous sommes en terrain mouvant, à la fois sur le plan des
concepts et des idéologies…
Un point mérite qu’on s’y arrête : parmi les ressources mobilisées par une com-
pétence majeure, on trouve en général d’autres compétences, de portée plus
limitée. Une situation de classe présente en général de multiples composantes,
qu’il faut traiter de façon coordonnée, voire simultanée, pour aboutir à une
action judicieuse. Le professionnel gère la situation globalement, mais mobilise
certaines compétences spécifiques, indépendantes les unes des autres, pour trai-
ter certains aspects du problème, à la manière dont une entreprise sous-traite
certaines opérations de production. On sait par exemple que les enseignants
expérimentés ont développé une compétence très précieuse, celle de percevoir
simultanément de multiples processus qui se déroulent en même temps dans sa
classe (Carbonneau et Hétu, 1996 ; Durand, 1996). L’enseignant expert « a des
yeux derrière le dos », il est capable de saisir l’essentiel de ce qui se trame sur
plusieurs scènes parallèles, sans être « sidéré » ou stressé par aucune. Cette
compétence n’est guère utile en elle-même, mais elle constitue une ressource
indispensable dans un métier où plusieurs dynamiques se développent constam-
ment en parallèle, même dans une pédagogie frontale et autoritaire. Cette com-
pétence est mobilisée par de nombreuses compétences plus globales de gestion
de classe (par exemple, savoir prévoir et prévenir l’agitation) ou d’animation
d’une activité didactique (par exemple, savoir repérer et impliquer les élèves dis-
traits ou dépassés).

18
Introduction

Le référentiel retenu ici associe à chaque compétence principale quelques com-


pétences plus spécifiques, qui sont en quelque sorte ses composantes princi-
pales. Par exemple, « Gérer la progression des apprentissages » mobilise cinq
compétences plus spécifiques :
• Concevoir et gérer des situations-problèmes ajustées au niveau et aux possibi-
lités des élèves.
• Acquérir une vision longitudinale des objectifs de l’enseignement.
• Établir des liens avec les théories qui sous-tendent les activités d’apprentis-
sage.
• Observer et évaluer les élèves dans des situations d’apprentissage, selon une
approche formative.
• Établir des bilans périodiques de compétences et prendre des décisions de pro-
gression.
Chacune pourrait être décomposée à son tour, mais on en restera à ce niveau, de
crainte que les arbres ne cachent la forêt. Une décomposition plus fine n’aurait
de sens que pour ceux qui partagent globalement les orientations et les concep-
tions globales de l’apprentissage et de l’action éducative qui sous-tendent les
deux premiers niveaux et entendent en outre mettre le référentiel au service d’un
projet commun.
Je ne proposerai pas un inventaire systématique des savoirs mis en jeu, pour ne
pas alourdir le propos. Ils sont d’ailleurs rarement reliés à une seule compé-
tence. C’est ainsi que les savoirs relatifs à la métacognition sont mobilisés par
des compétences traitées dans des chapitres différents, par exemple :
• Travailler à partir des représentations des élèves.
• Travailler à partir des erreurs et des obstacles à l’apprentissage.
• Concevoir et gérer des situations-problèmes ajustées aux niveaux et possibilités
des élèves.
• Observer et évaluer les élèves dans des situations d’apprentissage, selon une
approche formative.
• Pratiquer du soutien intégré, travailler avec des élèves en grande difficulté.
• Susciter le désir d’apprendre, expliciter le rapport au savoir, le sens du travail sco-
laire et développer la capacité d’autoévaluation chez l’enfant.
• Favoriser la définition d’un projet personnel de l’élève.
Une culture en psychosociologie des organisations sera, pour sa part, mobilisée
par les compétences suivantes :
• Instituer et faire fonctionner un conseil des élèves (conseil de classe ou d’école) et
négocier avec les élèves divers types de règles et de contrats.
• Décloisonner, élargir la gestion de classe à un espace plus vaste.
• Développer la coopération entre élèves et certaines formes simples d’enseigne-
ment mutuel.
• Élaborer un projet d’équipe, des représentations communes.

19
Introduction

• Animer un groupe de travail, conduire des réunions.


• Former et renouveler une équipe pédagogique.
• Gérer des crises ou des conflits entre personnes.
• Élaborer, négocier un projet d’établissement.
• Organiser et faire évoluer, au sein de l’école, la participation des élèves.
• Animer des réunions d’information et de débat.
• Prévenir la violence à l’école et dans la cité.
• Participer à la mise en place de règles de vie commune touchant la discipline à
l’école, les sanctions, l’appréciation de la conduite.
• Développer le sens des responsabilités, la solidarité, le sentiment de justice.
• Négocier un projet de formation commune avec des collègues (équipe, école,
réseau).
On saisit à travers ces deux exemples la relative indépendance du découpage
des savoirs et de celui des compétences, du moins pour ce qui touche aux
savoirs savants, issus des sciences de l’éducation. Les premiers s’organisent
selon des champs disciplinaires et des problématiques théoriques, alors que le
référentiel de compétences renvoie à un découpage plus pragmatique des pro-
blèmes à résoudre sur le terrain.
Souvent, les savoirs pertinents seront nommés « en passant ». Ils figureront fré-
quemment « en creux » dans la description des compétences. Si l’on veut « se
servir des technologies nouvelles », il faut évidemment maîtriser les concepts de
base et certaines connaissances informatiques et technologiques.
D’autres savoirs resteront implicites : tous les savoirs d’action et d’expérience
sans lesquels l’exercice d’une compétence est compromis. Ce sont souvent des
savoirs locaux : pour se servir d’un ordinateur dans une classe, il faut connaître
les particularités de la machine, de ses logiciels, de ses périphériques, de sa
connexion éventuelle à un réseau. Chaque praticien assimile de tels savoirs en
raison de son appartenance à un établissement ou une équipe. Il les construit
aussi au gré de son expérience, si bien que ces savoirs sont pour une part d’ordre
privé, donc faiblement communicables et difficiles à identifier. Trop généraux
ou trop spécifiques, les savoirs mobilisés ne sont donc pas des organisateurs
adéquats d’un référentiel de compétences.
Le découpage retenu n’est certainement pas le seul possible. On pourrait sans
doute proposer d’autres regroupements, tout aussi plausibles, des 44 compé-
tences spécifiques finalement distinguées. Notons toutefois que les dix grands
domaines ont été constitués d’abord, alors que les compétences plus spécifiques
n’ont été définies que dans un second temps. En ce sens, le référentiel n’est pas
issu d’une démarche inductive qui serait partie d’une myriade de gestes profes-
sionnels repérés sur le terrain. Une telle démarche, séduisante en apparence,
aboutirait à une vision assez conservatrice du métier et à un regroupement des
activités selon des critères relativement superficiels, par exemple selon les inter-
locuteurs (élèves, parents, collègues ou autres) ou selon les disciplines scolaires.

20
Introduction

Les dix familles résultent d’une construction théorique connectée à la probléma-


tique du changement.
C’est pourquoi on ne retrouvera pas dans ce référentiel les catégories les plus
convenues, telles que construction de séquences didactiques, évaluation, gestion
de classe. Par exemple, planifier un cours ou des leçons ne figure pas parmi les
compétences retenues, pour deux raisons :
– le désir de casser la représentation commune de l’enseignement comme
« suite de leçons » ;
– la volonté d’englober les cours dans une catégorie plus vaste (organiser et ani-
mer des situations d’apprentissage).
Ce choix n’invalide pas le recours à un enseignement magistral, qui est par-
fois la situation d’apprentissage la plus pertinente, compte tenu des contenus,
des objectifs visés et des contraintes. Le cours devrait cependant devenir un
dispositif didactique parmi d’autres, utilisé à bon escient, plutôt que
l’emblème de l’action pédagogique, toute autre modalité faisant figure
d’exception.
Sans être la seule possible, ni épuiser les diverses composantes de la réalité,
cette structure à deux niveaux nous guidera dans un voyage autour des com-
pétences qui, certes moins épique que le tour du monde en 80 jours, nous
conduira à passer en revue les multiples facettes du métier d’enseignant.

Ce livre se prête donc à plusieurs lectures :


– celles et ceux qui cherchent à identifier et à décrire les compétences profes-
sionnelles y trouveront un référentiel, un de plus, dont la seule originalité est
peut-être de se fonder sur une vision explicite et argumentée du métier et de son
évolution ;
– celles et ceux qui s’intéressent plutôt aux pratiques et au métier peuvent faire
abstraction des compétences elles-mêmes, pour ne retenir que les gestes profes-
sionnels qu’elles sous-tendent ;
– celles et ceux qui travaillent à moderniser et à démocratiser le système éduca-
tif y trouveront un ensemble de propositions relatives aux ressources dont
dépend le changement.
Sur aucun de ces points, la recherche ne donne de garantie quant aux moyens,
ni de réponse quant aux finalités. L’ouvrage se veut une invitation au voyage,
puis au débat, à partir d’un constat : les programmes de formation et les stra-
tégies d’innovation se fondent trop souvent sur des représentations peu expli-
cites et faiblement négociées du métier et des compétences sous-jacentes, ou
alors sur des référentiels techniques et secs dont le lecteur ne saisit pas les
fondements.

21
Introduction

RÉFÉRENTIEL COMPLET

Dix domaines de compétences reconnues comme prioritaires dans la formation


continue des enseignantes et des enseignants primaires

Compétences Compétences plus spécifiques à travailler


de référence en formation continue (exemples)

1. Organiser et animer • Connaître, pour une discipline donnée, les contenus


des situations à enseigner et leur traduction en objectifs d’appren-
d’apprentissage tissage
• Travailler à partir des représentations des élèves
• Travailler à partir des erreurs et des obstacles à l’appren-
tissage
• Construire et planifier des dispositifs et des séquences
didactiques
• Engager les élèves dans des activités de recherche, dans
des projets de connaissance
2. Gérer la progression • Concevoir et gérer des situations-problèmes
des apprentissages ajustées au niveau et aux possibilités des élèves
• Acquérir une vision longitudinale des objectifs de l’ensei-
gnement
• Établir des liens avec les théories qui sous-tendent les
activités d’apprentissage
• Observer et évaluer les élèves dans des situations
d’apprentissage, selon une approche formative
• Établir des bilans périodiques de compétences et prendre
des décisions de progression
3. Concevoir et faire • Gérer l’hétérogénéité au sein d’un groupe-classe
évoluer des dispositifs • Décloisonner, élargir la gestion de classe à un
de différenciation espace plus vaste
• Pratiquer du soutien intégré, travailler avec des élèves en
grande difficulté
• Développer la coopération entre élèves et certaines
formes simples d’enseignement mutuel
4. Impliquer les élèves • Susciter le désir d’apprendre, expliciter le rapport
dans leur apprentissage au savoir, le sens du travail scolaire et développer la
et leur travail capacité d’autoévaluation chez l’enfant
• Instituer et faire fonctionner un conseil des élèves (conseil
de classe ou d’école) et négocier avec les élèves divers
types de règles et de contrats
• Offrir des activités de formation optionnelles, « à la carte »
• Favoriser la définition d’un projet personnel de l’élève
5. Travailler en équipe • Élaborer un projet d’équipe, des représentations
communes
• Animer un groupe de travail, conduire des réunions

22
Introduction

• Former et renouveler une équipe pédagogique


• Affronter et analyser ensemble des situations complexes,
des pratiques et des problèmes professionnels
• Gérer des crises ou des conflits entre personnes

6. Participer • Élaborer, négocier un projet d’établissement


à la gestion de l’école • Gérer les ressources de l’école
• Coordonner, animer une école avec tous les partenaires
(parascolaires, quartier, associations de parents, ensei-
gnants de langue et culture d’origine)
• Organiser et faire évoluer, au sein de l’école, la participa-
tion des élèves

7. Informer et impliquer • Animer des réunions d’information et de débat


les parents • Conduire des entretiens
• Impliquer les parents dans la valorisation de la construc-
tion des savoirs
8. Se servir des • Utiliser des logiciels d’édition de documents
technologies • Exploiter les potentialités didactiques de logiciels en
nouvelles relation avec les objectifs des domaines d’enseignement
• Communiquer à distance par la télématique
• Utiliser les outils multimédias dans son enseignement

9. Affronter les devoirs • Prévenir la violence à l’école et dans la cité


et les dilemmes éthiques • Lutter contre les préjugés et les discriminations
de la profession sexuelles, ethniques et sociales.
• Participer à la mise en place de règles de vie commune
touchant la discipline à l’école, les sanctions, l’appréciation
de la conduite
• Analyser la relation pédagogique, l’autorité, la communi-
cation en classe
• Développer le sens des responsabilités, la solidarité, le
sentiment de justice

10. Gérer sa propre • Savoir expliciter ses pratiques


formation continue • Établir son propre bilan de compétences et son
programme personnel de formation continue
• Négocier un projet de formation commune avec des col-
lègues (équipe, école, réseau)
• S’impliquer dans des tâches à l’échelle d’un ordre d’ensei-
gnement ou du système éducatif
• Accueillir et participer à la formation des collègues

Compétences Compétences plus spécifiques à travailler


de référence en formation continue (exemples)

Source : Classeur Formation continue. Programme des cours 1996-97, Genève, Enseignement primaire,
Service du perfectionnement, 1996. Ce référentiel a été adopté par l’institution sur proposition de la com-
mission paritaire de la formation.

23
1

Organiser et animer
des situations d’apprentissage

Pourquoi présenter comme une compétence nouvelle la capacité d’organiser et


d’animer des situations d’apprentissage ? N’est-elle pas au cœur même du
métier d’enseignant ?
Tout dépend évidemment de ce qui se cache sous les mots. Le métier d’ensei-
gnant a longtemps été assimilé au cours magistral, suivi d’exercices. La figure
du Magister appelle celle du Disciple, qui « boit ses paroles » et n’a de cesse de
se former à son contact, puis en travaillant sa pensée. Écouter une leçon, faire
des exercices ou étudier dans un livre peuvent être des activités d’apprentissage.
Du coup, l’enseignant le plus traditionnel peut prétendre organiser et animer de
telles situations, un peu comme M. Jourdain faisait de la prose, sans le savoir,
ou plus exactement, sans y accorder d’importance. L’idée même de situation
d’apprentissage ne présente aucun intérêt pour ceux qui pensent qu’on va à
l’école pour apprendre et que toutes les situations sont censées servir ce dessein.
De ce point de vue, insister sur les « situations d’apprentissage » n’ajoute rien à
la vision classique du métier d’enseignant. Cette insistance peut même paraître
pédante, comme si l’on insistait pour dire qu’un médecin « conçoit et anime des
situations thérapeutiques », plutôt que de reconnaître simplement qu’il soigne
ses patients, comme le maître instruit ses élèves. À l’exception de ceux qui sont
familiers des pédagogies actives et des travaux en didactique des disciplines, les
enseignants d’aujourd’hui ne se conçoivent pas spontanément comme des
« concepteurs-animateurs de situations d’apprentissage ».
Est-ce une simple question de vocabulaire ou ont-ils des raisons de résister à une
façon de voir qui ne peut que leur compliquer la vie ? Prenons l’exemple de
l’enseignement universitaire de premier cycle, tel qu’il est encore dispensé dans
la plupart des pays. Le cours est donné dans un amphithéâtre, devant des cen-
taines de visages anonymes. Comprenne et apprenne qui pourra ! Le professeur
pourrait se bercer un instant de l’illusion qu’il crée de la sorte, pour chacun, une
situation d’apprentissage, définie par l’écoute de la parole magistrale et le tra-
vail de prise de notes, de compréhension et de réflexion qu’elle est censée susci-
ter. S’il réfléchit, il se rendra compte que la standardisation apparente de la

25
Organiser et animer des situations d’apprentissage

situation est une fiction, qu’il existe autant de situations différentes qu’il y a
d’étudiants. Chacun vit le cours en fonction de son humeur et de sa disponibi-
lité, de ce qu’il entend et comprend, selon ses moyens intellectuels, sa capacité
de concentration, ce qui l’intéresse, fait sens pour lui, se relie à d’autres savoirs
ou à des réalités qui lui sont familières ou qu’il parvient à imaginer. Arrivé à ce
stade de sa réflexion, le professeur aura la sagesse de la suspendre, sous peine
de mesurer qu’en fait, il ne sait pas grand-chose des situations d’apprentissage
qu’il crée… Se penser comme concepteur et organisateur de situations
d’apprentissage n’est pas sans risques : cela peut conduire à s’interroger sur leur
pertinence et leur efficacité !
Le système éducatif s’est construit par le haut. C’est pourquoi les mêmes
constats valent, jusqu’à un certain point, pour l’enseignement secondaire et,
dans une moindre mesure, pour l’enseignement primaire. Lorsque les élèves
sont des enfants ou des adolescents, ils sont moins nombreux et l’enseignement
est plus interactif ; on y accorde davantage de place aux exercices ou aux expé-
riences conduites par les élèves (et non devant eux). Cependant, aussi longtemps
qu’ils pratiquent une pédagogie magistrale et faiblement différenciée, les ensei-
gnants ne maîtrisent pas véritablement les situations d’apprentissage dans les-
quelles ils placent chacun de leurs élèves. Tout au plus peuvent-ils veiller, en
usant des moyens disciplinaires classiques, à ce que tous les élèves écoutent
attentivement et s’investissent activement, du moins en apparence, dans les
tâches assignées. La réflexion sur les situations didactiques commence avec la
question de Saint-Onge (1996) : « Moi j’enseigne, mais eux, apprennent-ils ? »
On sait depuis Bourdieu (1966) que n’apprennent vraiment, au gré d’une telle
pédagogie, que les « héritiers », ceux qui disposent des moyens culturels de tirer
profit d’un enseignement qui s’adresse formellement à tous, dans l’illusion de
l’équité, identifiée dans ce cas à l’égalité de traitement. Cela paraît aujourd’hui
évident. Pourtant, il a fallu un siècle de scolarité obligatoire pour commencer à
mettre ce modèle en question, en lui opposant un modèle plus centré sur les
apprenants, leurs représentations, leur activité, les situations concrètes dans les-
quelles on les plonge et leurs effets didactiques. Sans doute cette évolution –
inachevée et fragile – n’est-elle pas sans lien avec l’ouverture des études longues
à de nouveaux publics, qui oblige à se soucier de ceux pour lesquels écouter un
cours magistral et faire des exercices n’est pas suffisant pour apprendre. Il y a
des liens étroits entre la pédagogie différenciée et la réflexion sur les situations
d’apprentissage (Meirieu, 1989 ; 1990).
Dans la perspective d’une école plus efficace pour tous, organiser et animer des
situations d’apprentissage n’est plus une façon à la fois banale et compliquée de
désigner ce que font spontanément tous les enseignants. Ce langage met l’accent
sur la volonté de concevoir des situations didactiques optimales, y compris et
d’abord pour les élèves qui n’apprennent pas en écoutant des leçons. Les situa-
tions ainsi conçues s’éloignent des exercices classiques, qui n’exigent que la
mise en œuvre d’une procédure connue. Ils restent utiles, mais ne sont plus

26
Organiser et animer des situations d’apprentissage

l’alpha et l’oméga du travail en classe, pas plus que le cours magistral, limité à
des fonctions précises (Étienne et Lerouge, 1997, p. 64). Organiser et animer
des situations d’apprentissage, c’est conserver une juste place à de telles
démarches. C’est surtout dégager de l’énergie, du temps et disposer des compé-
tences professionnelles nécessaires pour imaginer et créer d’autres types de
situations d’apprentissage, que les didactiques contemporaines envisagent
comme des situations larges, ouvertes, porteuses de sens et de régulation, appe-
lant une démarche de recherche, d’identification et de résolution de problèmes.
Cette compétence globale mobilise plusieurs compétences des plus spécifiques :
• Connaître, pour une discipline donnée, les contenus à enseigner et leur traduc-
tion en objectifs d’apprentissage.
• Travailler à partir des représentations des élèves.
• Travailler à partir des erreurs et des obstacles à l’apprentissage.
• Construire et planifier des dispositifs et des séquences didactiques.
• Engager les élèves dans des activités de recherche, dans des projets de
connaissance.
Analysons-les, une à une, en nous souvenant qu’elles contribuent toutes à la
conception, à l’organisation et à l’animation de situations d’apprentissage.

Connaître, pour une discipline donnée, les contenus


à enseigner et leur traduction en objectifs d’apprentissage

Connaître les contenus à enseigner, c’est la moindre des choses, lorsqu’on pré-
tend instruire quelqu’un. Mais la véritable compétence pédagogique n’est pas là,
elle consiste à relier les contenus d’une part à des objectifs, d’autre part à des
situations d’apprentissage. Cela n’apparaît pas nécessaire lorsque l’enseignant
se borne à parcourir, chapitre après chapitre, page après page, le « texte du
savoir ». Certes, il y a déjà transposition didactique (Chevallard, 1991), dans la
mesure où le savoir est organisé en leçons successives, selon un plan et à un
rythme qui tiennent compte, en principe, du niveau moyen et des acquis anté-
rieurs des élèves, avec des moments de révision et d’autres d’évaluation. Dans
une telle pédagogie, les objectifs sont implicitement définis par les contenus : il
s’agit en somme, pour l’élève, d’assimiler le contenu et de faire la preuve de
cette assimilation lors d’une interrogation orale, d’un contrôle écrit ou d’un exa-
men.
Le souci des objectifs arrive sur le devant de la scène durant les années
soixante, avec la « pédagogie de maîtrise », traduction approximative de

27
Organiser et animer des situations d’apprentissage

l’expression anglaise mastery learning. Bloom (1979), son fondateur, plaide


pour un enseignement orienté par des critères de maîtrise, régulé par une
évaluation formative conduisant à des « remédiations ». Il propose à la même
époque (Bloom, 1975) la première « taxonomie des objectifs pédagogiques »,
autrement dit une classification complète des apprentissages visés à l’école.
Dans les pays francophones, cette approche a été souvent caricaturée sous l’éti-
quette de « pédagogie par objectifs ». Hameline (1979) a décrit les vertus aussi
bien que les excès et les limites du travail par objectifs. Huberman (1988) a
montré que le modèle de la pédagogie de maîtrise reste pertinent, à condition de
l’élargir et d’y intégrer des approches plus constructivistes. Aujourd’hui, nul ne
plaide pour un enseignement guidé à chaque pas par des objectifs très précis,
aussitôt testés en vue d’une remédiation immédiate. L’enseignement poursuit
certes des objectifs, mais pas de façon mécanique et obsessionnelle. Ils inter-
viennent à trois stades :
– celui de la planification didactique, non pas pour dicter des situations
d’apprentissage propres à chaque objectif, mais pour identifier les objectifs tra-
vaillés dans les situations envisagées, de sorte à les choisir et à les animer en
connaissance de cause ;
– celui de l’analyse a posteriori des situations et des activités, lorsqu’il s’agit de
cerner ce qu’on a réellement développé et d’infléchir la suite des activités pro-
posées ;
– celui de l’évaluation, lorsqu’il est question de contrôler les acquis des élèves.
Traduire le programme en objectifs d’apprentissage et ces derniers en situations
et activités réalisables n’est pas une activité linéaire, qui permettrait d’honorer
chaque objectif séparément. Les savoirs et savoir-faire de haut niveau se
construisent dans des situations multiples, complexes, dont chacune touche à
plusieurs objectifs, parfois dans plusieurs disciplines. Pour organiser et animer
de telles situations d’apprentissage, il est indispensable que l’enseignant maîtrise
les savoirs, qu’il ait plus d’une leçon d’avance sur les élèves et soit capable de
retrouver l’essentiel sous de multiples apparences, dans des contextes variés.
« Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent
aisément », disait Boileau. On est aujourd’hui bien au-delà de ce précepte. Il ne
suffit pas, pour faire apprendre, de structurer le texte du savoir, puis de le
« lire » de façon intelligible et vivante, quand bien même cela demande déjà des
talents didactiques. La compétence requise aujourd’hui est de maîtriser les
contenus avec suffisamment d’aisance et de distance pour les construire dans
des situations ouvertes et des tâches complexes, en saisissant des occasions, en
partant des intérêts des élèves, en exploitant les événements, bref, en favorisant
l’appropriation active et le transfert des savoirs, sans passer nécessairement par
leur exposé méthodique, dans l’ordre prescrit par une table des matières.
Cette aisance dans la gestion des situations et des contenus exige une maîtrise
personnelle, non seulement des savoirs, mais de ce que Develay (1992) appelle

28
Organiser et animer des situations d’apprentissage

la matrice disciplinaire, autrement dit les concepts, les questions, les para-
digmes qui structurent les savoirs au sein d’une discipline. Sans cette maîtrise,
l’unité des savoirs est perdue, les arbres cachent la forêt et la capacité de recons-
truire une planification didactique à partir des élèves et des événements se
trouve affaiblie.
D’où l’importance de savoir identifier des notions-noyaux (Meirieu, 1989, 1990)
ou des compétences clés (Perrenoud, 1998 a), autour desquelles organiser les
apprentissages et en fonction desquelles piloter le travail en classe et fixer des
priorités. Il n’est pas raisonnable de demander à chaque professeur de faire seul,
pour sa classe, une lecture des programmes pour en dégager les noyaux.
Cependant, même si l’institution propose une réécriture des programmes dans
ce sens, ils risquent de rester lettre morte pour les enseignants qui ne sont pas
prêts à consentir un important travail de va-et-vient entre les contenus, les
objectifs et les situations. C’est à ce prix qu’ils navigueront dans la chaîne de la
transposition didactique « comme des poissons dans l’eau » !

Travailler à partir des représentations des élèves

L’école ne construit pas à partir de zéro, l’apprenant n’est pas une table rase, un
esprit vide, il sait au contraire « plein de choses », il s’est posé des questions et a
assimilé ou élaboré des réponses qui le satisfont provisoirement. L’enseigne-
ment heurte donc souvent de plein fouet les conceptions des apprenants.
Aucun enseignant expérimenté ne l’ignore : les élèves croient savoir une partie
de ce qu’on veut leur enseigner. Une bonne pédagogie traditionnelle se sert par-
fois de ces bribes de savoir comme points d’appui, mais le professeur transmet,
au moins implicitement, le message suivant : « Oubliez ce que vous savez,
méfiez-vous du sens commun et de ce qu’on vous a raconté et écoutez-moi, je
vais vous dire comment les choses se passent vraiment ».
La didactique des sciences (Giordan et De Vecchi, 1987 ; De Vecchi, 1992,
1993 ; Astolfi et Develay, 1996 ; Astolfi, Darot, Ginsburger-Vogel et Toussaint,
1997 ; Joshua et Dupin, 1993) a montré qu’on ne se débarrasse pas aussi facile-
ment des conceptions préalables des apprenants. Elles font partie d’un système
de représentations qui a sa cohérence et ses fonctions d’explication du monde et
se reconstitue subrepticement, en dépit des démonstrations irréfutables et des
démentis formels apportés par le professeur. Même à l’issue d’études scienti-
fiques universitaires, les étudiants reviennent au sens commun lorsqu’ils sont,
hors du contexte du cours ou du laboratoire, aux prises avec un problème de
forces, de chaleur, de réaction chimique, de respiration ou de contagion. Tout se

29
Organiser et animer des situations d’apprentissage

passe comme si l’enseignement théorique chassait, le temps du cours et de


l’examen, un « naturel » prompt à revenir au galop dans les autres contextes.
Ce qui vaut pour les sciences se manifeste dans tous les domaines où l’occasion et
le besoin de comprendre n’ont pas attendu que le sujet soit traité à l’école…
Travailler à partir des représentations des élèves ne consiste pas à les faire s’expri-
mer pour les dévaloriser immédiatement. L’important est de leur donner régulière-
ment droit de cité dans la classe, de s’y intéresser, de tenter de comprendre leurs ra-
cines et leur forme de cohérence, de ne pas s’étonner qu’elles surgissent à nouveau
alors qu’on les croyait dépassées. Pour cela, il faut ouvrir un espace de parole, ne
pas censurer immédiatement les analogies fallacieuses, les explications animistes
ou anthropomorphiques, les raisonnements spontanés, sous prétexte qu’ils condui-
sent à des conclusions erronées.
Bachelard (1996) observe que les professeurs ont du mal à comprendre que leurs
élèves ne comprennent pas, puisqu’ils ont perdu la mémoire du chemin de la
connaissance, des obstacles, des incertitudes, des voies de traverse, des moments de
panique intellectuelle ou de vide. Pour l’enseignant, un nombre, une soustraction,
une fraction sont des savoirs acquis et banalisés, de même l’imparfait, la notion de
verbe, d’accord ou de subordonnée, ou encore la notion de cellule, de tension élec-
trique ou de dilatation. Le professeur qui travaille à partir des représentations des
élèves tente de retrouver la mémoire du temps où il ne savait pas encore, de se
mettre à la place des apprenants, de se souvenir que, s’ils ne comprennent pas, ce
n’est pas faute de bonne volonté, mais parce que ce qui semble évident à l’expert
paraît opaque et arbitraire aux apprenants. Il ne sert à rien d’expliquer cent fois la
technique de la retenue à un élève qui n’a pas compris le principe de la numération
en différentes bases. Pour accepter qu’un élève ne comprenne pas le principe
d’Archimède, il faut mesurer son extrême abstraction, la difficulté de conceptuali-
ser la résistance de l’eau ou de se défaire de l’idée intuitive qu’un corps flotte
« parce qu’il déploie des efforts pour surnager », comme un être vivant.
Pour imaginer la connaissance déjà construite dans l’esprit de l’élève, et qui fait
obstacle à l’enseignement, il ne suffit pas que les professeurs aient la mémoire
de leurs propres apprentissages. Une culture plus étendue en histoire et en philo-
sophie des sciences pourrait les aider, par exemple, à comprendre pourquoi
l’humanité a mis des siècles à se déprendre de l’idée que le Soleil tournait
autour de la Terre ou à accepter qu’une table soit un solide essentiellement vide,
compte tenu de la structure atomique de la matière. La plupart des savoirs
savants sont contraires à l’intuition. Les représentations et conceptions qu’on
leur oppose ne sont pas seulement celles des enfants, mais des sociétés du passé
et d’une partie des adultes contemporains. Il n’est pas inutile non plus que les
enseignants aient quelques notions de psychologie génétique. Enfin, il importe
qu’ils se confrontent aux limites de leurs propres savoirs et (re)découvrent que
les notions de nombre imaginaire, de quanta, de trou noir, de supraconducteur,
d’ADN, d’inflation ou de métacognition les mettent en difficulté, au même titre
que leurs élèves devant des notions plus élémentaires.

30
Organiser et animer des situations d’apprentissage

Il reste à travailler à partir des conceptions des élèves, à entrer en dialogue


avec elles, à les faire évoluer pour les rapprocher des savoirs savants à ensei-
gner. La compétence du professeur est alors essentiellement didactique. Elle
l’aide à prendre appui sur les représentations préalables des élèves, sans s’y
enfermer, à trouver un point d’entrée dans leur système cognitif, une façon de
les déstabiliser juste assez pour les amener à rétablir l’équilibre en incorpo-
rant des éléments nouveaux aux représentations existantes, au besoin en les
réorganisant.

Travailler à partir des erreurs


et des obstacles à l’apprentissage

Cette compétence est dans le droit fil de la précédente. Elle se fonde sur le pos-
tulat simple qu’apprendre, ce n’est pas d’abord mémoriser, engranger des infor-
mations, mais plutôt restructurer son système de compréhension du monde.
Cette restructuration ne va pas sans un important travail cognitif. On ne s’y
engage que pour rétablir un équilibre rompu, mieux maîtriser la réalité, symbo-
liquement et pratiquement.
Pourquoi l’ombre d’un arbre s’allonge-t-elle ? Parce que le Soleil s’est
déplacé, diront ceux qui, dans la vie quotidienne, continuent à penser que le
Soleil tourne autour de la Terre. Parce que la Terre a poursuivi sa rotation,
diront les disciples de Galilée. De là à établir un rapport précis entre la rota-
tion de la Terre (ou le mouvement apparent du Soleil) et l’allongement d’une
ombre portée, il y a un pas, qui suppose un modèle géométrique et trigono-
métrique que la plupart des adultes seraient bien en peine de retrouver ou
d’élaborer rapidement. Demander à des élèves de 11-12 ans de faire un
schéma pour représenter le phénomène les place donc devant des obstacles
cognitifs qu’ils ne pourront lever qu’au prix de certains apprentissages.
La pédagogie classique travaille à partir des obstacles, mais elle privilégie
ceux que propose la théorie, ceux que rencontre l’élève devant son livre de
mathématiques ou de physique, lorsque, lisant pour la troisième ou la hui-
tième fois l’énoncé d’un théorème ou d’une loi, il ne comprend toujours pas
pourquoi la somme des angles d’un triangle vaut 180° ou comment il se fait
qu’un corps tombe avec une accélération constante.
Supposons, par exemple, qu’on demande à des élèves d’imaginer qu’ils partent à
l’assaut d’un château fort et de calculer la longueur de l’échelle permettant de fran-
chir un fossé de 6 mètres de large pour atteindre le sommet d’un rempart de
9 mètres de haut. S’ils connaissent le théorème de Pythagore et sont capables d’en
voir la pertinence et de l’appliquer correctement aux données, ils feront la somme

31
Organiser et animer des situations d’apprentissage

des carrés de 6 et de 9, soit 36 + 81 = 117, et en déduiront qu’une échelle de


11 mètres suffira.

e
ll
he
9m

Ec Rempart

Fossé

6m

S’ils ne connaissent pas le théorème de Pythagore, ils devront, soit le découvrir,


soit procéder de façon plus pragmatique, par exemple en construisant une
maquette à échelle réduite. Selon l’âge des élèves et le programme qu’il a en
tête, l’enseignant peut introduire des contraintes, par exemple interdire la
démarche la plus empirique, s’il veut faire découvrir le théorème, ou au
contraire la favoriser, s’il veut induire un travail sur les proportions.

Selon qu’ils connaissent le théorème, qu’ils sont capables de le découvrir avec


de l’aide ou qu’ils en sont à mille lieues, les élèves ne feront pas les mêmes
apprentissages :

• S’ils connaissent le théorème, ils travailleront « simplement » la mise en


œuvre ou le transfert d’une connaissance acquise, dans un contexte où sa perti-
nence ne se donne pas à voir au premier coup d’œil, puisqu’il faut reconstituer
un triangle rectangle, donc assimiler le fossé et le rempart aux côtés de l’angle
droit, l’échelle à l’hypoténuse, en pensant à Pythagore. À ce niveau, on pourrait
suggérer aux élèves de tenir compte du fait qu’on ne posera pas l’échelle exacte-
ment au bord du fossé et qu’on visera à la faire dépasser un peu le sommet du
rempart.

• S’ils « s’approchent » du théorème, l’obstacle cognitif sera d’un autre ordre.


Les élèves devront construire l’intuition qu’il existe probablement une règle qui
leur permettrait, s’ils la trouvent, de calculer sans tâtonner. Il restera à la décou-
vrir, puis à la formaliser, phase dans laquelle le professeur interviendra sans
doute en proposant d’autres situations et peut-être le théorème lui-même, s’il
juge que le temps lui manque pour le faire découvrir ou s’il estime, à tort ou à
raison, que ses élèves « n’y arriveront jamais tout seuls ».

32
Organiser et animer des situations d’apprentissage

• Si les élèves n’ont aucune idée de l’existence possible d’un théorème applicable,
ils se contenteront de rechercher une solution pragmatique par estimations et simu-
lations. L’obstacle sera méthodologique plus que proprement mathématique, la si-
tuation s’apparentera à un problème ouvert plus qu’à une situation-problème.
Une véritable situation-problème oblige à franchir un obstacle au prix d’un
apprentissage inédit, qu’il s’agisse d’un simple transfert, d’une généralisation
ou de la construction d’un savoir entièrement nouveau. L’obstacle devient alors
l’objectif du moment, un objectif-obstacle, selon l’expression de Martinand
(1986) reprise par Meirieu, Astolfi et bien d’autres depuis. On y reviendra dans
le chapitre suivant, à propos de l’ajustement des situations-problèmes aux possi-
bilités des élèves.
Affronter l’obstacle, c’est dans un premier temps affronter le vide, l’absence
de toute solution, voire de toute piste ou de toute méthode, l’impression
qu’on n’y arrivera jamais, que c’est hors de portée. Ensuite, si la dévolution
du problème opère, autrement dit si les élèves se l’approprient, leur esprit se
met en mouvement, échafaude des hypothèses, procède à des explorations,
propose des essais « pour voir ». Dans un travail collectif, la discussion
s’engage, le choc des représentations oblige chacun à préciser sa pensée et à
tenir compte de celle des autres.
C’est alors que l’erreur de raisonnement et de stratégie menace. Ainsi, pour
démontrer le théorème de Pythagore, donc prouver que, dans le triangle rec-
tangle abc, le carré de l’hypoténuse est égal à la somme des carrés des côtés de
l’angle droit, on inscrit généralement le triangle rectangle dans un rectangle.
Que le lecteur tente de reconstituer la suite du raisonnement et mesure le
nombre d’opérations mentales qu’il faut enchaîner correctement et tenir en
mémoire de travail pour dire CQFD. ! De quoi multiplier les erreurs, une véri-
table course d’obstacles !

α' β'
a
h b

α
β
c
Devant une tâche complexe, les obstacles cognitifs sont, dans une large mesure,
constitués de fausses pistes, d’erreurs de raisonnement, d’estimation ou de calcul.

33
Organiser et animer des situations d’apprentissage

Cependant, l’erreur menace aussi dans les exercices les plus classiques : « J’avais
de l’argent sur moi en partant ce matin ; durant la journée, j’ai dépensé 70 francs,
puis encore 40 francs ; il me reste maintenant 120 francs. Combien avais-je en par-
tant ? » Beaucoup d’enfants calculeront 120 - 70 - 40 et obtiendront 10 francs, c’est-
à-dire un résultat numériquement juste au vu des opérations posées, mais qui n’est
pas la réponse au problème et qui est en outre invraisemblable, puisque la somme
de départ apparaît alors inférieure au montant de chaque dépense engagée… Pour
comprendre cette erreur, il faut analyser les difficultés de la soustraction, et faire la
part du fait qu’on demande en réalité une addition pour résoudre un problème posé
en termes de dépense, donc de soustraction (Vergnaud, 1980).
La didactique des disciplines s’intéresse de plus en plus aux erreurs et tente de
les comprendre, avant de les combattre. Astolfi (1997) propose de considérer
l’erreur comme un outil pour enseigner, un révélateur des mécanismes de pen-
sée de l’apprenant. Pour développer cette compétence, l’enseignant doit évidem-
ment avoir une culture en didactique et en psychologie cognitive. Il doit, en
amont, s’intéresser aux erreurs, les accepter comme des étapes estimables de
l’effort de comprendre, s’efforcer, non de les corriger (« Ne dites pas, mais
dites ! »), mais de donner à l’apprenant les moyens d’en prendre conscience,
d’en identifier la source et de les dépasser.

Construire et planifier des dispositifs


et des séquences didactiques

Une situation d’apprentissage s’inscrit dans un dispositif qui la rend possible et


parfois dans une séquence didactique où chaque situation est une étape dans une
progression. Séquences et dispositifs didactiques s’inscrivent à leur tour dans un
contrat pédagogique et didactique, des règles de fonctionnement, des institutions
internes à la classe.
Les notions de dispositif et de séquence didactiques attirent l’attention sur le fait
qu’une situation d’apprentissage ne survient pas au hasard, qu’elle est engen-
drée par un dispositif qui place les élèves devant une tâche à accomplir, un pro-
jet à réaliser, un problème à résoudre. Il n’y a pas de dispositif général, tout
dépend de la discipline, des contenus spécifiques, du niveau des élèves, des
options de l’enseignant. Pratiquer une démarche de projet induit certains dispo-
sitifs. Le travail par situations-problèmes en induit d’autres, les démarches de
recherche d’autres encore. Dans tous les cas, il y a un certain nombre de para-
mètres à contrôler pour que les apprentissages espérés se réalisent. Pour entrer
dans plus de détails, il conviendrait de considérer une discipline en particulier.
Une démarche de projet en géographie, une expérimentation en sciences, un tra-

34
Organiser et animer des situations d’apprentissage

vail sur des situations mathématiques ou une pédagogie du texte appellent des
dispositifs variés.
Prenons un exemple, une série d’expériences autour du principe d’Archimède,
telles qu’elles sont détaillées dans un ouvrage du Groupe français d’éducation
nouvelle (Laschkar et Bassis, 1985). Rappelons, pour ceux qui l’auraient oublié,
que le principe d’Archimède explique notamment pourquoi certains corps flot-
tent. Chaque corps plongé dans un liquide est l’objet d’une poussée égale à la
masse du volume de liquide qu’il occupe. Il s’ensuit que :
– les corps dont la densité (ou masse volumique) est supérieure à celle du
liquide couleront ;
– ceux qui ont une densité égale resteront en équilibre (comme un sous-marin
stabilisé en plongée) ;
– ceux dont la densité est inférieure à celle du liquide remonteront vers la sur-
face et flotteront (comme des bateaux), la ligne de flottaison délimitant la partie
immergée.
L’équilibre est atteint lorsque la masse du liquide déplacé par cette partie est
égale à la masse globale du corps qui flotte. Classiquement, on invite les élèves
à substituer au corps qui flotte, par la pensée, le liquide dont il a en quelque
sorte « pris la place ». Ils peuvent alors entrevoir que si ce liquide était enfermé
dans une enveloppe sans poids ni épaisseur, il resterait en place, ce qui indique
qu’il subit une poussée ascensionnelle équilibrant sa masse, qui l’attire vers le
fond.
Le professeur du GFEN, qui enseigne la physique dans une classe de collège
français (5e, 13-14 ans), a été formé en biologie. C’est sans doute pourquoi il
n’aborde pas le principe d’Archimède de façon aussi abstraite. Il commence par
faire réfléchir ses élèves sur des couples de matières : pain-sucre, bois-béton,
fer-plastique, sans référence à ce stade à un liquide. Il leur demande laquelle est
la plus lourde. Les premières réponses fusent sans raisonnement, basées sur
l’intuition sensible de la densité, sans que le concept soit construit. Puis vient le
constat décisif : on ne peut pas savoir, « ça dépend de combien on en prend ».
Combien ? Les élèves concluront – après réflexion – qu’un kilo de plume est
aussi lourd qu’un kilo de plomb. La quantité se réfère donc au volume. Le pro-
fesseur, acquis au principe d’autosocioconstruction des savoirs (Bassis, 1998 ;
Vellas, 1996), se garde de faciliter le travail. Il ne propose pas des volumes de
bois, de fer, de plastique ou de béton égaux et de même forme, qu’il suffirait de
peser. Il met à la disposition des élèves des morceaux de volumes, de formes et
de poids divers, qui ne se prêtent ni à une comparaison directe par une pesée, ni
à un découpage aisé en volumes égaux. Les conditions sont remplies pour
qu’émerge peu à peu le concept de masse volumique.
Dans une deuxième séquence, le professeur propose d’aborder le même pro-
blème autrement. Il donne à chaque équipe un morceau de pâte à modeler, en

35
Organiser et animer des situations d’apprentissage

demandant aux élèves d’en mesurer aussi précisément que possible la masse et
le volume. Ils ont à disposition des balances et des éprouvettes graduées qu’on
peut remplir d’eau et dans lesquelles on peut plonger les morceaux. On notera
que les concepts de masse et de volume sont, à ce stade du cursus, supposés
construits et mobilisables. L’enjeu nouveau est leur mise en relation, dont
découlera le concept de masse volumique.
Les élèves pèsent les blocs de pâte à modeler grâce à une balance et mesurent
leur volume par immersion, puis ils font un tableau comparatif :

Équipe 1 Équipe 2 Équipe 3 Équipe 4 Équipe 5

Masse en
grammes 22 42 90 50 150

Volume
en millilitres 15 30 150 35 100

Les résultats de l’équipe 3 mettent sur la voie : le rapport entre masse et volume
n’est pas vraisemblable. L’équipe est sûre du poids, elle veut mesurer à nouveau le
volume. Le professeur leur demande de calculer ce volume, sans retourner à
l’éprouvette. La classe se mobilise et parvient à des formulations du genre :
« Quand on divise masse par volume, le résultat est presque toujours le même ».
Ou : « Il faut multiplier le volume par un chiffre plus grand que 1 et plus petit que 2
pour trouver la masse ». Passons sur le détail des vérifications et essais qui parvien-
nent, après divers détours, à stabiliser, nommer et formaliser le concept de masse
volumique. La question de savoir si une matière est plus lourde ou légère qu’une
autre peut se reformuler plus « scientifiquement » : sa masse volumique est-elle su-
périeure ou inférieure ? Les élèves ont compris qu’on ne pouvait comparer les
masses qu’à volume égal et que c’était l’une des fonctions des unités de volume, qui
sont des volumes fictifs, qu’on ne découpe pas physiquement.
Le professeur introduit une troisième séquence, qu’il nomme Flotte ou coule ?, en
disant : « Un iceberg de 5 000 tonnes, ça flotte, une petite bille d’acier de
10 grammes, ça coule ! ». Les élèves lui répondent que l’acier est plus lourd que la
glace. Le professeur s’étonne, puisque dix grammes « c’est une masse plus petite
que 5 000 tonnes ». Les élèves répondent : « Mais non, il ne s’agit pas de la bille,
mais de l’acier. La masse volumique, quoi » (Laschkar et Bassis, 1985, p. 60).
La dissociation est faite, dans l’esprit des élèves, la masse volumique de l’acier
existe indépendamment de la bille, comme celle de la glace existe indépendam-
ment de l’iceberg. Le chemin jusqu’à la découverte du principe d’Archimède est
encore long et semé d’embûches, mais l’outil conceptuel indispensable est acquis.
Renvoyant à l’ouvrage pour la description fine de cette séquence, j’en retiens ici
l’essentiel, transposable à d’autres savoirs, dans d’autres disciplines : la

36
Organiser et animer des situations d’apprentissage

construction de la connaissance est un cheminement collectif que le professeur


oriente en créant des situations et en apportant de l’aide, sans devenir l’expert
qui transmet le savoir, ni le guide qui propose la solution du problème.
Plus on adhère à une démarche constructiviste, plus il importe de concevoir des
situations qui stimulent le conflit cognitif, entre élèves ou dans la tête de cha-
cun, par exemple entre ce qu’il anticipe et ce qu’il observe. Le professeur ne
s’interdit pas, dit-il, de « sortir des lapins de son chapeau » pour provoquer des
avancées. Par exemple, sans commentaires, il plonge deux morceaux de glace
identiques, l’un dans de l’eau, l’autre dans de l’alcool. Les effets différents obli-
gent les élèves à prendre en compte la masse volumique du liquide et à
construire un rapport entre masse volumique du solide immergé et masse volu-
mique du liquide, base du principe d’Archimède.
Dispositifs et séquences didactiques cherchent, pour faire apprendre, à mobiliser
les élèves soit pour comprendre, soit pour réussir, si possible les deux (Piaget,
1974). Leur conception et leur mise en place confrontent donc à l’un des dilemmes
de toute pédagogie active : soit investir dans des projets qui impliquent et passion-
nent les élèves, au risque qu’enseignants et élèves se retrouvent prisonniers d’une
logique de production et de réussite, soit mettre en place des dispositifs et des sé-
quences plus ouvertement centrées sur des apprentissages et retrouver les impasses
des pédagogies de la leçon et de l’exercice (Perrenoud, 1998 n).
Tout dispositif repose sur des hypothèses relatives à l’apprentissage et au rap-
port au savoir, au projet, à l’action, à la coopération, à l’erreur, à l’incertitude, à
la réussite et à l’échec, à l’obstacle, au temps. Si l’on construit des dispositifs en
partant du principe que chacun veut apprendre et accepte d’en payer le prix, on
marginalise les élèves pour lesquels l’entrée dans le savoir ne peut être aussi
directe. Inversement, des démarches de projet peuvent devenir des fins en elles-
mêmes et éloigner du programme. La compétence professionnelle consiste à
puiser dans un large répertoire de dispositifs et de séquences, à en adapter ou à
en construire, mais encore à identifier avec autant de perspicacité que possible
ce qu’ils mobilisent et font apprendre.

Engager les élèves dans des activités de recherche,


dans des projets de connaissance

On vient d’aborder ce thème à propos des dispositifs didactiques. On touche là


au phénomène plus général de la motivation (Viau, 1994 ; Chappaz, 1996 ;
Delannoy, 1997), du rapport au savoir (Charlot, Bautier et Rochex, 1994 ;
Charlot, 1997) et du sens de l’expérience et du travail scolaires (Develay, 1996 ;

37
Organiser
Titre et animer des situations d’apprentissage
courant

Rochex, 1995, Perrenoud, 1996 a ; Vellas, 1996). On y reviendra dans un autre


chapitre à propos de l’implication des élèves dans leurs apprentissages. Avant
d’être une compétence didactique pointue, liée à des contenus spécifiques,
savoir engager les élèves dans des activités de recherche et dans des projets de
connaissance passe par une capacité fondamentale de l’enseignant : rendre
accessible et enviable son propre rapport au savoir et à la recherche, incarner
un modèle plausible d’apprenant.

Lorsqu’on lit « De l’utilité des expériences de pensée pour faire flotter les
bateaux », on peut ne retenir que les aspects épistémologiques et didactiques
de la séquence décrite. Chaque filiation de concepts, chaque succession
d’expériences pose la question de ses fondements et de ses alternatives. On
peut débattre aussi du rôle de l’enseignant, entre interventionnisme et laisser
faire. Le plus important reste implicite : une telle séquence didactique ne se
développe que si les élèves se prennent au jeu et ont vraiment envie de savoir
si le béton est plus lourd que le fer ou pourquoi un iceberg flotte, alors qu’une
minuscule bille d’acier coule à pic.

Il ne s’agit plus, chez des élèves de treize ans, de cette curiosité insatiable et
de cette envie spontanée de comprendre qu’on prête aux enfants de trois ans,
l’âge des « Pourquoi ? » À ce stade du cursus, les adolescents ont appris
durant huit à dix ans déjà les ficelles du métier d’élève (Perrenoud, 1996 a).
On ne les appâte plus avec une quelconque énigme. Ils connaissent aussi les
ficelles du métier d’enseignant et reconnaissent au premier coup d’œil
l’ennui du travail répétitif sous les abords ludiques d’une tâche nouvelle. Ils
réfléchissent assez vite pour épuiser en cinq minutes une devinette pour jeux
télévisés. Pour qu’ils apprennent, il faut donc les engager dans une activité
d’une certaine importance et d’une certaine durée, tout en garantissant une
progression visible et des changements de paysage, pour tous ceux qui n’ont
pas la volonté obsessionnelle de plancher durant des jours sur un problème
qui résiste.

Le travail sur la densité et le principe d’Archimède n’est pas une classique


démarche de projet, au sens où il n’y a pas de production sociale visée. Le
produit, c’est le savoir ; le destinataire, c’est le groupe et ses membres. Il
n’est pas prévu de présenter le principe d’Archimède aux parents d’élèves
sous forme d’une exposition dans le style d’un musée des sciences et tech-
niques, avec panneaux, expériences, diaporama. Ce pourrait être une bonne
idée, mais elle mettrait l’accent sur la communication d’une connaissance
acquise, offrant certainement l’occasion de la consolider, voire d’y faire accé-
der in extremis une partie des élèves. Le professeur du Groupe français
d’éducation nouvelle ne choisit pas cette « couverture », au sens où l’on
parle de celle d’un agent secret. Il engage ouvertement ses élèves « dans des
activités de recherche, dans des projets de connaissance ».

38
Organiser et animer des situations d’apprentissage

Il engage… L’indicatif prend ici tout son sel. Dans un sport collectif, on peut
engager le ballon, il ne se défend pas. Mais les élèves, nul ne peut s’engager
à leur place. Le professeur ne peut que dire « engagez-vous, rengagez-vous ».
On aperçoit le délicat équilibre à trouver entre la structuration didactique de
la démarche et la dynamique du groupe-classe. Une activité de recherche se
déroule généralement en plusieurs épisodes, parce qu’elle prend du temps. À
l’école, la grille horaire et la capacité d’attention des élèves obligent à sus-
pendre la démarche pour la reprendre plus tard, le lendemain, parfois la
semaine suivante. Selon les moments et les élèves, ces interventions peuvent
être bénéfiques ou désastreuses. Elles cassent parfois l’essor des personnes
ou du groupe vers le savoir, elles permettent à d’autres moments de réfléchir,
de laisser les choses évoluer dans un coin de l’esprit et de reprendre avec de
nouvelles idées et une énergie reconstituée. La dynamique d’une recherche
est toujours à la fois intellectuelle, émotionnelle et relationnelle. Le rôle de
l’enseignant est de relier les moments forts, d’assurer la mémoire collective
ou de la confier à certains élèves, de mettre à disposition ou de faire recher-
cher ou confectionner par certains élèves les matériaux requis pour expéri-
menter. Durant chaque séance, l’intérêt fléchit, le découragement gagne
certains élèves, lorsque leurs efforts ne sont pas récompensés ou qu’ils
découvrent qu’un problème peut en cacher un autre, si bien qu’ils ne voient
pas le bout du tunnel et désinvestissent la question. L’engagement initial peut
être à chaque instant remis en jeu.

Dans une démarche de projet, le principal moteur auquel le professeur peut


faire appel est le défi de la réussite d’une tâche qui perd son sens si elle
n’aboutit pas à un produit. Souvent, ce défi personnel et collectif se double
d’un contrat moral avec des tiers : lorsqu’on a annoncé un journal ou un
spectacle, on tente d’honorer cette promesse. Dans une activité de recherche,
ce contrat fait défaut et il semble finalement assez facile de se résigner à vivre
sans connaître le principe d’Archimède, encore plus sans le comprendre.
Dans une société développée, la vie d’un adulte dépend d’un nombre
incroyable de processus technologiques dont il soupçonne à peine l’existence
et qu’il serait bien incapable d’expliquer. On peut nager et naviguer sans
connaître ni comprendre le principe d’Archimède.

On peut parier que la plupart des êtres humains qui font flotter des corps ou
des bateaux ignorent le principe d’Archimède. Ils utilisent des règles plus
pratiques, qui dérivent de l’expérience transmise de génération en génération
ou du savoir théorique des ingénieurs. Un professeur ne peut donc légitimer
une activité de recherche en démontrant facilement que le savoir visé est
d’une importance vitale dans la vie quotidienne des êtres humains. Ceux qui,
en raison d’une orientation spécialisée, auront à maîtriser véritablement ces
théories auront largement l’occasion de les apprendre et réapprendre à l’uni-
versité. Au niveau de l’école, du collège et même du lycée, l’utilitarisme ne
peut justifier la plupart des savoirs enseignés et exigés.

39
Organiser et animer des situations d’apprentissage

Un projet de connaissance n’est donc pas facile à déguiser en projet d’action ou à


placer dans une perspective « pratique », sauf à nier la division du travail et l’avenir
probable des élèves. Les élèves voient bien qu’autour d’eux, les adultes ne com-
prennent pas comment fonctionnent le réfrigérateur, la télévision ou le lecteur de
CD qui font partie de leur vie quotidienne. Comment leur faire croire qu’ils auront
besoin de connaissances scientifiques dans une société où les technologies fonc-
tionnent, qu’on le regrette ou qu’on s’en félicite, dans la méconnaissance de leurs
fondements théoriques chez la plupart de leurs usagers ? Pour animer ouvertement
un projet de connaissance, il faut donc être capable de susciter une passion désinté-
ressée pour le savoir, pour la théorie, sans tenter de la justifier, du moins durant la
scolarité de base, par un usage pratique qui sera l’apanage de quelques spécialistes.
Comment, alors, rendre le savoir passionnant par lui-même ? Ce n’est pas seule-
ment une question de compétence, mais d’identité et de projet personnel du pro-
fesseur. Hélas, tous les enseignants passionnés ne se donnent pas le droit de par-
tager leur passion, tous les enseignants curieux ne parviennent pas à rendre leur
goût du savoir intelligible et contagieux. La compétence visée ici passe par l’art
de communiquer, de séduire, d’encourager, de mobiliser, en se mettant en jeu
comme personne.
Sa passion personnelle ne suffit pas si le professeur n’est pas capable d’établir
une complicité et une solidarité crédibles dans la quête du savoir. Il doit cher-
cher avec ses élèves, même s’il a un peu d’avance, donc renoncer à défendre
l’image de l’enseignant « qui sait tout », accepter de donner à voir ses propres
errances et ignorances, ne pas céder à la tentation de jouer la comédie de la maî-
trise, ne pas placer toujours le savoir du côté de la raison, de la préparation de
l’avenir et de la réussite. Quant aux professeurs que les savoirs qu’ils enseignent
laissent de marbre, comment espérer qu’ils suscitent le moindre frémissement
chez leurs élèves ?
Toutes les compétences évoquées ici sont à forte composante didactique. Cette
dernière, plus que les autres, nous rappelle que la didactique bute sans cesse sur
la question du sens et de la subjectivité de l’enseignant et de l’apprenant, donc
aussi sur les relations intersubjectives qui se construisent à propos du savoir,
mais ne se développent pas seulement dans le registre cognitif.
On s’en doute, la capacité d’organiser et d’animer des situations-problèmes et
d’autres situations d’apprentissage fécondes suppose des compétences assez
voisines de celles qu’exige une démarche de recherche de plus longue haleine.
Toutefois, alors qu’une situation-problème s’organise autour d’un obstacle et
disparaît lorsqu’il est franchi, une démarche de recherche apparaît plus ambi-
tieuse, car elle invite les élèves à construire eux-mêmes de la théorie. La
démarche autour de la masse volumique et du principe d’Archimède peut
s’interpréter comme une suite de situations-problèmes : chacune permet
d’affronter un nouvel obstacle, qui doit être dépassé pour que le cheminement
se poursuive. La différence est alors que dans l’esprit de professeur et parfois

40
Organiser et animer des situations d’apprentissage

des élèves, on se trouve dans un programme de travail à moyen terme.


Idéalement, c’est sans doute de cette façon qu’il faudrait amener les élèves à
construire toutes les connaissances scientifiques, en biologie, chimie, géologie,
physique, mais aussi en économie ou en géographie. Hélas, les démarches de
recherche prennent du temps, si bien que les progressions didactiques, dont
nous allons maintenant parler, s’organisent souvent en fonction des notions pré-
vues au programme plus que dans une logique de recherche, plus capricieuse et
gourmande en temps.
Les situations-problèmes, on va le voir, représentent une forme de compromis
entre ces deux logiques.

41
2

Gérer la progression des apprentissages

L’école est en principe entièrement organisée pour favoriser la progression des


apprentissages des élèves vers les maîtrises visées à la fin de chaque cycle
d’études. Les programmes sont conçus dans cette perspective, de même que les
méthodes et les moyens d’enseignement proposés ou imposés aux enseignants.
On pourrait donc se dire que, prise en charge par le système, la progression
n’exige aucune compétence particulière des enseignants. Sur une chaîne de
montage, si les ingénieurs ont bien conçu la succession des tâches, chaque
ouvrier contribue à faire progresser le produit vers son état final sans avoir
besoin de prendre des décisions stratégiques. La stratégie est entièrement incor-
porée au dispositif de production, les travailleurs peuvent se borner à « faire ce
qu’ils ont à faire », sans prendre d’initiatives intempestives. On attend d’eux une
forme d’habileté et des ajustements marginaux apportés aux opérations prévues
en raison des menues variations des matériaux et conditions de travail. Il ne leur
appartient pas de penser l’ensemble du processus.

Il en va différemment à l’école, parce qu’on ne peut programmer les apprentis-


sages humains comme la production d’objets industriels. Ce n’est pas seulement
une question d’éthique. C’est tout simplement impossible, en raison de la diver-
sité des apprenants et de leur autonomie de sujets. Tout enseignement digne de
ce nom devrait donc être stratégique, au sens où l’entend Tardif (1992), autre-
ment dit conçu dans une perspective à long terme, chaque action étant décidée
en fonction de sa contribution attendue à la progression optimale des apprentis-
sages de chacun.

Ce qui semble aller de soi au plan des principes est en réalité extrêmement diffi-
cile dans les conditions de l’action quotidienne, si bien que la progression est
souvent bornée à l’année scolaire, si ce n’est aux activités en cours et au cha-
pitre ouvert du programme. La part des enseignants dans la gestion optimale des
progressions s’est considérablement élargie lorsqu’on a renoncé aux plans
d’études prescrivant une progression semaine par semaine. Un nouvel élargisse-
ment se dessine avec l’introduction de cycles d’apprentissages pluriannuels. De
plus, la progression de la classe n’est plus le seul souci. Le mouvement vers

43
Gérer la progression des apprentissages

l’individualisation des parcours de formation et la pédagogie différenciée


conduit à penser la progression de chaque élève.
La part des décisions de progression prise en charge par l’institution décroît, au
profit des décisions confiées aux enseignants. La compétence correspondante
prend donc une importance sans précédent et dépasse de loin la planification
didactique au jour le jour. Elle mobilise elle-même plusieurs compétences plus
spécifiques. Voici celles qui donnent sa trame au présent chapitre :
• Concevoir et gérer des situations-problèmes ajustées au niveau et aux possibi-
lités des élèves.
• Acquérir une vision longitudinale des objectifs de l’enseignement.
• Établir des liens avec les théories sous-jacentes aux activités d’apprentissage.
• Observer et évaluer les élèves dans des situations d’apprentissage, selon une
approche formative.
• Établir des bilans périodiques de compétences et prendre des décisions de pro-
gression.
Examinons-les successivement.

Concevoir et gérer des situations-problèmes


ajustées au niveau et aux possibilités des élèves

La notion de situation-problème a été introduite au chapitre précédent, avec


celle d’objectif-obstacle. On y revient ici sous l’angle de la pédagogie différen-
ciée. Les élèves n’abordent pas les situations avec les mêmes moyens et n’y ren-
contrent pas les mêmes obstacles. Pour ne pas revenir à une différenciation par
groupes de niveau, il faut parvenir à gérer l’hétérogénéité au sein d’une situa-
tion. La première condition est de savoir exactement ce qu’on en attend.
Astolfi définit de la sorte les dix caractéristiques d’une situation-problème :
1. Une situation-problème est organisée autour du franchissement d’un obs-
tacle par la classe, obstacle préalablement bien identifié.
2. L’étude s’organise autour d’une situation à caractère concret, qui permette
effectivement à l’élève de formuler hypothèses et conjectures. Il ne s’agit
donc pas d’une étude épurée, ni d’un exemple ad hoc, à caractère illustratif,
comme on en rencontre dans les situations classiques d’enseignement (y
compris en travaux pratiques).
3. Les élèves perçoivent la situation qui leur est proposée comme une véri-
table énigme à résoudre, dans laquelle ils sont en mesure de s’investir. C’est
la condition pour que fonctionne la dévolution : le problème, bien qu’initiale-
ment proposé par le maître devient alors « leur affaire ».

44
Gérer la progression des apprentissages

4. Les élèves ne disposent pas, au départ, des moyens de la solution recher-


chée, en raison de l’existence de l’obstacle qu’il doit franchir pour y parvenir.
C’est le besoin de résoudre qui conduit l’élève à élaborer ou à s’approprier
collectivement les instruments intellectuels qui seront nécessaires à la
construction d’une solution.
5. La situation doit offrir une résistance suffisante, amenant l’élève à y inves-
tir ses connaissances antérieures disponibles ainsi que ses représentations, de
façon à ce qu’elle conduise à leur remise en cause et à l’élaboration de nou-
velles idées.
6. Pour autant, la solution ne doit pourtant pas être perçue comme hors
d’atteinte pour les élèves, la situation-problème n’étant pas une situation à
caractère problématique. L’activité doit travailler dans une zone proximale,
propice au défi intellectuel à relever et à l’intériorisation des « règles du
jeu ».
7. L’anticipation des résultats et son expression collective précèdent la
recherche effective de la solution, le « risque » pris par chacun faisant partie
du « jeu ».
8. Le travail de la situation-problème fonctionne ainsi sur le mode du débat
scientifique à l’intérieur de la classe, stimulant les conflits socio-cognitifs
potentiels.
9. La validation de la solution et sa sanction n’est pas apportée de façon
externe par l’enseignant, mais résulte du mode de structuration de la situa-
tion elle-même.
10. Le réexamen collectif du cheminement parcouru est l’occasion d’un
retour réflexif, à caractère métacognitif ; il aide les élèves à conscientiser les
stratégies qu’ils ont mises en œuvre de façon heuristique, et à les stabiliser
en procédures disponibles pour de nouvelles situations-problèmes (in Astolfi
et al., 1997, pp. 144-145).
Comment gérer la progression des apprentissages en pratiquant une pédagogie
des situations-problèmes ? La réponse de principe est simple : optimiser la ges-
tion du temps qui reste, en proposant des situations-problèmes qui favorisent les
apprentissages visés, c’est-à-dire prennent les élèves là où ils sont et les mènent
un peu plus loin. Dans le langage d’aujourd’hui, on dira qu’il s’agit de solliciter
les élèves dans leur zone de proche développement (Vygotski, 1985), de propo-
ser des situations offrant des défis qui poussent chacun à progresser, tout en res-
tant à sa portée, donc mobilisatrices. Ce principe n’est pas aisé à mettre en
œuvre, pour deux raisons distinctes.
La première est qu’il est difficile de calibrer une situation-problème comme un
classique exercice. Lorsqu’on propose à des élèves – aux fins d’enrichir leur
vocabulaire – de raconter une histoire de dix lignes en se passant de la lettre E,
consigne inspirée d’un roman de Georges Perec qui la respecte d’un bout à
l’autre, on ne sait pas exactement ce que cette tâche va déclencher. En effet, il
n’existe pas de procédure toute faite. On peut imaginer un éventail d’attitudes et
de stratégies. Par exemple, un groupe peut s’interdire d’emblée de songer à
quelque mot que ce soit contenant la lettre E. Il sera donc en difficulté dès le

45
Gérer la progression des apprentissages

début et aura du mal à construire le moindre scénario. Un autre groupe inven-


tera une histoire sans trop se soucier de la consigne, puis tentera ensuite de rem-
placer les mots contenant la lettre interdite par d’autres, de sens proche, ce qui
l’obligera certainement à remanier son histoire, mais l’engagera dans une tâche
de transposition moins impossible que de « penser » sans employer aucun
concept dont le signifiant contiendrait la lettre E. Ces deux stratégies ne créent
pas les mêmes obstacles. Il est donc difficile de prévoir entièrement le niveau de
difficulté de la tâche, puisque cette dernière va dépendre de la dynamique de
groupe et de la stratégie collective, parfois surprenante, qui s’en dégage.
La seconde difficulté est évidemment qu’une situation-problème, en situation de
classe, s’adresse à un groupe. On peut tenter d’en limiter l’hétérogénéité, mais
ce n’est ni facile, ni forcément souhaitable :
• sauf à créer des groupes en fonction du niveau intellectuel, il est difficile de
prévoir la distance de chaque élève à une tâche inédite ; les capacités d’abstrac-
tion, d’expression, de leadership jouent bien sûr un rôle important dans les
situations ouvertes, mais leur contenu spécifique peut moduler ces hiérarchies
générales ;
• on peut se demander si des groupes de niveaux sont des configurations idéales
pour aborder une situation-problème ; les groupes de niveau élevé vivront des
conflits de pouvoir, mais ils feront face à la tâche ; les groupes de niveau faible
pourraient souffrir d’un manque de leadership ;
• le fonctionnement parallèle de groupes de niveaux très inégaux crée des pro-
blèmes insolubles de gestion de classe ; s’ils travaillent sur la même situation-
problème, les uns ont abouti à une solution alors que d’autres sont à peine entrés
dans la démarche ; s’ils travaillent sur des situations-problèmes différentes, cela
creuse les écarts et empêche la classe de fonctionner comme un forum où se
confrontent les hypothèses et les démarches des groupes.
Le fonctionnement en plusieurs groupes hétérogènes n’est, à vrai dire, guère
plus simple. Le problème se déplace. La même tâche ne représente pas le même
défi pour tous. Chacun ne joue pas le même rôle dans la démarche collective,
qui ne suscite par conséquent pas les mêmes apprentissages chez tous. C’est à la
fois un atout et un risque :
– c’est un atout, parce que cela permet de diversifier les modes de participation ;
– c’est un risque, parce que la division des tâches favorise, en général, les élèves
qui ont déjà le plus de moyens.
On affronte les mêmes dilemmes que dans une activité-cadre ou toute autre
démarche de projet : le fonctionnement collectif peut marginaliser les élèves qui
auraient le plus besoin d’apprendre. Pour neutraliser ce risque, il est donc indis-
pensable que la gestion des situations-problèmes se fasse à un double niveau :
– dans le choix des situations proposées, qui doivent, grosso modo, convenir au
niveau moyen du groupe et se situer dans la zone de proche développement de
la majorité des élèves ;

46
Gérer la progression des apprentissages

– à l’intérieur de chaque situation, à la fois pour l’infléchir dans le sens d’un


meilleur ajustement, la diversifier et maîtriser les effets pervers de la division
spontanée du travail, qui favorise les favorisés.
La compétence de l’enseignant est donc double : elle s’investit dans la concep-
tion, donc l’anticipation, l’ajustement des situations-problèmes au niveau et aux
possibilités des élèves ; elle se manifeste aussi sur le vif, en temps réel, pour gui-
der une improvisation didactique et des actions de régulation. La forme de lea-
dership et les compétences requises sont sans commune mesure avec celles
qu’exige la conduite d’une leçon planifiée, même interactive.

Acquérir une vision longitudinale


des objectifs de l’enseignement

L’histoire de l’institution scolaire a conduit à une structuration progressive du


cursus en années de programme. Toutefois, jusqu’au milieu du XXe siècle, on a
fait coexister plusieurs niveaux dans chaque classe, parfois jusqu’à six ou huit,
lorsqu’un village comptait peu d’enfants scolarisés. Les regroupements scolaires
et l’urbanisation des campagnes ont généralisé les classes à un seul niveau. Elles
ont borné l’horizon de la plupart des enseignants au programme d’une année.
Leur contrat est désormais d’accueillir des élèves censés être préparés à assimi-
ler le programme de l’année, puis de les restituer 35 à 40 semaines plus tard, en
état d’aborder le programme du niveau suivant.
Heureusement, toutes les écoles ne fonctionnent pas encore ou ne fonctionnent
plus selon ces progressions schématiques. L’habitude de suivre ses élèves deux
ans, la survivance de classes à degrés multiples, les expériences récentes de
décloisonnement et de classes multiâges, et surtout la création de cycles
d’apprentissage pluriannuels évitent l’enfermement total de chacun dans une
seule année de programme. En revanche, facteur moins favorable, la mobilité
des enseignants est entravée par des différences de statut et de formation, qui les
empêchent, dans nombre de systèmes éducatifs, de prendre en charge tous les
niveaux et tous les âges du début de l’école maternelle à la fin de la scolarité de
base. Aux divisions très répandues entre enseignement primaire et secondaire
s’ajoutent, dans certains systèmes éducatifs, des spécialisations moins univer-
selles, soit à l’intérieur du primaire (entre école maternelle et école élémentaire),
soit à l’intérieur du secondaire (entre enseignement obligatoire et postobliga-
toire).
Il s’ensuit que beaucoup d’enseignants n’ont, dès leur formation initiale,
qu’une vision limitée de l’ensemble du cursus. Leur expérience directe est

47
Gérer la progression des apprentissages

plus étroite encore. Si bien que chacun est porté à donner une importance
démesurée aux quelques années de programme dont il a l’expérience, sans
avoir clairement conscience de ce qui se passe avant et après. Il vaudrait
mieux que chacun ait une vision longitudinale des objectifs de l’enseigne-
ment, notamment pour juger en connaissance de cause de ce qui doit abso-
lument être acquis maintenant et de ce qui pourrait l’être plus tard sans que
cela porte à conséquence. La centration sur un ou deux programmes annuels
empêche de construire à bon escient des stratégies d’enseignement-appren-
tissage à long terme. C’est fâcheux, notamment pour tous les objectifs qu’il
serait absurde de vouloir atteindre en un an, par exemple apprendre à lire,
écrire, réfléchir, argumenter, s’évaluer, s’exprimer par le dessin ou la
musique, coopérer, former des projets, conduire des observations scienti-
fiques. L’enfermement de chacun dans « son programme » conduit, selon les
cas, à une forme d’acharnement pédagogique ou à un acte de foi dans un ave-
nir d’autant plus rose qu’on suppose que « quelqu’un », plus tard, se saisira
des problèmes irrésolus et « fera le nécessaire ». Cet enfermement empêche
de distinguer l’essentiel – la construction de compétences de base – de mille
apprentissages notionnels et ponctuels qui ne constituent pas des enjeux
majeurs.
Le travail en équipe est favorable à la maîtrise des progressions sur plusieurs
années, lorsqu’il conduit à coopérer avec des collègues qui enseignent à
d’autres niveaux. Cependant, il ne suffit pas d’avoir une idée approximative
des programmes des années précédentes et suivantes, à la manière dont ceux
qui résident dans un pays ont une vague connaissance des pays limitrophes.
L’enjeu véritable est la maîtrise de l’ensemble du cursus d’un cycle
d’apprentissage et, si possible, de la scolarité de base, non pas tellement
pour être capable d’enseigner indifféremment dans n’importe quel niveau ou
cycle, mais pour inscrire chaque apprentissage dans une continuité à long
terme, dont la logique primordiale est de contribuer à construire les compé-
tences visées en fin de cycle ou de cursus.
Dans les programmes modernes, en particulier lorsqu’ils sont orientés vers
des compétences, chaque enseignant travaille à la réalisation des mêmes
objectifs. Il reprend, en quelque sorte, le travail là où ses collègues interve-
nant en amont l’ont abandonné, un peu à la façon dont un médecin poursuit
un traitement commencé par un autre praticien. Dans ce cas, un profession-
nel ne recommence pas à zéro, il s’informe de ce qui a déjà été acquis, des
stratégies, des obstacles, il s’avance dans la même voie si elle lui paraît pro-
metteuse, change de stratégie dans le cas contraire, tout en visant les mêmes
maîtrises finales.
Cette façon de faire exige des compétences d’évaluation et d’enseignement qui
vont bien au-delà de la maîtrise d’un programme annuel. Concrètement, cela
signifie par exemple que chaque enseignant devrait être capable d’enseigner à
lire à ses élèves, quel que soit leur âge, aussi longtemps qu’ils n’ont pas atteint

48
Gérer la progression des apprentissages

le niveau de maîtrise jugé nécessaire à la fin d’un cycle ou du cursus. Il devrait


alors être capable de faire un diagnostic pointu des compétences des apprentis-
lecteurs (Rieben et Perfetti, 1989), quel que soit leur âge. Même et surtout en
dehors des heures vouées à l’enseignement du français, car c’est aussi en
sciences ou en histoire que les problèmes de lecture se révèlent, face à des types
de textes différents, et devraient être traités, au minimum sous l’angle qui
concerne la discipline – le texte historique, le texte scientifique comme genres
spécifiques –, mais si nécessaire de façon plus globale.
Cette vision longitudinale exige également une bonne connaissance des
stades de développement intellectuel de l’enfant et de l’adolescent, de sorte
à pouvoir articuler apprentissage et développement, et juger si les difficultés
d’apprentissage renvoient à une mauvaise appréciation du stade de dévelop-
pement et de la zone proximale, ou s’il y a d’autres causes. Elle requiert,
enfin, une maîtrise étendue des savoirs et compétences à faire acquérir.
Dans le passé, certains enseignants avaient une très courte avance sur les élèves,
ils en savaient à peine plus qu’eux. Cela les rendait totalement incapables de
développer des stratégies à long terme, ils vivaient au jour le jour, en suivant le
rail du programme et des manuels. Gérer des progressions pluriannuelles se
situe aux antipodes de cette façon de procéder, qui « fonctionne », mais fabrique
de l’échec… Dans une partie des pays du monde, il n’y a pas assez d’ensei-
gnants qualifiés pour exiger ce niveau de maîtrise. Dans les sociétés dévelop-
pées, lorsqu’on recrute des enseignants formés à bac + 5, on pourrait s’attendre
à une maîtrise de l’ensemble du cursus. Elle est d’ailleurs visée par les forma-
tions initiales bien conçues. Hélas, la prise en charge répétée des mêmes années
de programme (si possible dans la même filière ou le même type d’établisse-
ment !) conduit à une déqualification progressive : les savoirs théoriques ou
didactiques qui n’ont pas été mis en œuvre durant dix ans s’estompent, certains
deviennent d’ailleurs obsolètes, en regard des développements de la recherche.
Les enseignants s’habituent aussi à un ensemble de textes, de manuels,
d’épreuves qui concrétisent le produit final de la transposition didactique.
Reconstruire une démarche didactique à partir des programmes, a fortiori des
savoirs savants ou des pratiques sociales, apparaît un travail exorbitant, pour qui
a développé des outils et du matériel liés à une année spécifique de programme.
La capacité de concevoir et de gérer des progressions sur plusieurs années n’est
donc nullement un acquis solide et stable. On peut même avancer l’hypothèse
que cette compétence ne se développera vraiment que si les écoles fonctionnent
en cycles pluriannuels et si les enseignants se sentent institutionnellement res-
ponsables de l’ensemble du cursus de l’enseignement de base. On mesure ici
l’importance d’articuler les compétences émergentes aux évolutions structu-
relles du système éducatif : s’il persiste à fonctionner par années de programme
et conforte les pratiques individualistes, on ne voit pas comment des enseignants
qui auraient appris à gérer des cycles et à travailler en équipe pourraient conser-
ver des compétences non employées…

49
Gérer la progression des apprentissages

Établir des liens avec les théories


qui sous-tendent les activités d’apprentissage

Les activités d’apprentissage ne sont, en principe, que des moyens au service de


fins qui autoriseraient d’autres cheminements. Elles sont, dans cette perspective,
censées être choisies en fonction d’une « théorie » – savante ou naïve, person-
nelle ou partagée – de ce qui fait le mieux apprendre et donc progresser dans le
cursus.
Dans la pratique, les choses sont moins rationnelles. Certaines activités sont ins-
pirées par la tradition, l’imitation, les moyens d’enseignement. Elles ne sont pas
toujours pensées dans une perspective stratégique. Parfois, elles ne sont pas pen-
sées du tout… De plus, les activités et les situations proposées sont constam-
ment limitées par le temps, l’espace, le contrat didactique, les attentes des uns
et des autres, la coopération mesurée des élèves, l’imagination et les compé-
tences de l’enseignant. Si bien qu’une recherche dans le dictionnaire ou une
situation mathématique, conçues pour faire apprendre, peuvent devenir des dis-
positifs qui tournent à vide, faute de conditions suffisantes : manque de sens, de
temps, d’implication, de régulation.
Choisir et moduler les activités d’apprentissage est une compétence profession-
nelle essentielle, qui suppose non seulement une bonne connaissance des méca-
nismes généraux de développement et d’apprentissage, mais une maîtrise des
didactiques des disciplines. Lorsqu’un enseignant « fait des dictées » sans pou-
voir dire quelle vertu il prête à cette activité, se bornant à évoquer la tradition
pédagogique ou le sens commun, on peut penser qu’il ne maîtrise aucune théo-
rie de l’apprentissage de l’orthographe. Celle-ci lui permettrait de situer la dictée
parmi l’ensemble des activités possibles et de la choisir à bon escient, pour sa
valeur tactique et stratégique dans la progression des apprentissages, et non pas
« faute de mieux » ou « comme d’habitude ». On peut en dire autant de toute
activité proposée aux élèves, qu’elle soit traditionnelle ou nouvelle.
Cette façon de voir, qui pourrait sembler triviale, est en rupture avec le fonction-
nement classique de l’institution scolaire, qui a fortement investi dans des
moyens d’enseignement standardisés, notamment des fiches et des brochures
d’exercices, qui réduisent la compétence de l’enseignant au choix du bon exer-
cice. La formation des enseignants commence à peine à les rendre capables
d’inventer des activités et des séquences didactiques à partir des objectifs visés.
L’inventivité didactique des enseignants est faible et elle dépend de l’imagina-
tion personnelle ou de la créativité des mouvements d’école nouvelle plus que
de la formation professionnelle ou des moyens d’enseignement officiels. Il n’y a
aucune raison pour que chacun réinvente la roue dans son coin ou cherche l’ori-
ginalité pour l’originalité. Il importe, en revanche, que chaque enseignant soit
capable de penser constamment par soi-même, en fonction de ses élèves du

50
Gérer la progression des apprentissages

moment, le rapport entre ce qu’il leur fait faire et la progression des apprentis-
sages. Cela ne va pas de soi. La plupart des organisations humaines fonction-
nent selon des routines largement déconnectées de leurs raisons d’être et il faut
non seulement de la compétence, mais de l’énergie et parfois du courage, pour
se demander constamment pourquoi on fait ce qu’on fait…

Observer et évaluer les élèves dans des situations


d’apprentissage, selon une approche formative

Pour gérer la progression des apprentissages, on ne peut se passer de bilans


périodiques des acquis des élèves. On en a besoin pour fonder des décisions de
promotion ou d’orientation, dont il sera question plus loin. Ce n’est pas leur
seule fonction, ils doivent aussi contribuer à des stratégies d’enseignement-
apprentissage à l’intérieur d’un degré ou d’un cycle.
Loin de constituer une surprise, ces bilans devraient confirmer et affiner ce que
l’enseignant sait déjà ou pressent. Ils ne dispensent donc aucunement d’une
observation continue, dont l’une des fonctions est de mettre à jour et de com-
pléter une représentation des acquis de l’élève. Contrairement à ce qu’on croit
parfois, l’évaluation continue remplit une fonction sommative, voire certifica-
tive, parce que rien ne remplace l’observation des élèves au travail, si l’on veut
saisir leurs compétences, de même qu’on juge le maçon « au pied du mur »,
quotidiennement, plutôt que sur une « épreuve de maçonnerie ». Il ne suffit pas,
toutefois, de coexister en classe avec un élève pour savoir l’observer, ni de
l’observer attentivement pour en identifier clairement les acquis et les modes
d’apprentissage. Sans utiliser une instrumentation lourde, peu compatible avec
la gestion de la classe et des activités, il importe que l’enseignant sache repérer,
interpréter et mémoriser des moments significatifs qui, par petites touches,
contribuent à dresser un tableau d’ensemble de l’élève, aux prises avec diverses
tâches. Le recours conjoint à un portfolio et à un journal peut faciliter ce travail.
Bien entendu, l’observation continue n’a pas pour seule fonction d’engranger
des données en vue d’un bilan. Sa visée première est formative, ce qui, dans une
perspective pragmatique, signifie qu’elle tient compte de tout ce qui peut aider
l’élève à mieux apprendre : de ses acquis, qui conditionnent les tâches qu’on
peut lui proposer, aussi bien que de sa façon d’apprendre et de raisonner, de son
rapport au savoir, de ses angoisses et blocages éventuels devant certains types
de tâches, de ce qui fait sens pour lui et le mobilise, de ses intérêts, de ses pro-
jets, de son image de soi comme sujet plus ou moins capable d’apprendre, de
son environnement scolaire et familial.

51
Gérer la progression des apprentissages

Cardinet (1996 b) insiste sur l’évaluation des conditions d’apprentissage plutôt


que des acquis, car elle permet des régulations bien plus rapides. On ne peut
jamais être certain que des apprentissages sont en cours. Cependant, un ensei-
gnant expérimenté, modeste et lucide, est capable de détecter avec une certaine
précision :
• d’une part, les élèves qui ont de faibles chances d’apprendre, parce qu’ils sont
dépassés par la tâche, n’y entrent pas, s’ennuient, travaillent avec une lenteur
désespérante, copient sur leurs camarades, ne dialoguent avec personne, n’ont
aucun enjeu, se fixent de façon obsessionnelle sur des détails ou s’agitent pour
donner le change en attendant qu’on passe à autre chose ;
• d’autre part, les élèves qui ont au contraire de bonnes chances d’apprendre,
parce qu’ils s’impliquent, s’intéressent, s’expriment, s’engagent dans la tâche,
coopèrent, ont l’air de s’amuser, n’abandonnent pas au premier prétexte, posent
et se posent des questions.
Il faut être expérimenté pour déjouer les ruses des élèves, souvent passés maîtres
dans l’art d’avoir l’air actifs, mais savoir aussi que le silence concentré n’est pas
un gage d’apprentissage. Il arrive que les élèves qui bavardent apprennent mieux
que les écoliers modèles. Un enseignant expérimenté sait que les activités qu’il
met en place, aussi bien conçues et préparées soient-elles, ne donnent pas tou-
jours les résultats attendus. Le maître propose, les élèves disposent. Pourquoi
vouloir sauver à tout prix des activités engagées, pour la seule raison qu’elles
ont été prévues ? L’une des compétences cruciales, dans l’enseignement, est de
savoir réguler les processus d’apprentissage plutôt que d’aider à la réussite de
l’activité (Perrenoud, 1998 i).
Un travail de formation plus intensif aiderait les professeurs à mieux repérer les in-
dicateurs d’apprentissage qui permettent une régulation interactive, en particulier
lorsque l’enseignant poursuit des objectifs de haut niveau taxonomique. S’il sou-
haite développer chez ses élèves l’imagination, l’expression, l’argumentation, le
raisonnement, le sens de l’observation ou la coopération, il ne peut attendre de pro-
grès sensibles en quelques semaines. La construction d’attitudes, de compétences
ou de connaissances fondamentales prend des mois, voire des années. Lorsque le
temps d’évaluer les acquis est venu, la régulation n’est plus de mise, elle appartient
au mieux à un professeur œuvrant en aval dans le cursus.
Il y a longtemps que Carroll (1963, 1965) a attiré l’attention sur le temps passé
sur la tâche. Les élèves qui passent peu de temps sur la tâche ont peu de chances
d’apprendre, sauf s’ils ont une immense facilité. Les autres indicateurs
d’apprentissage sont plus subtils, car ils obligent à discerner ce qui, dans une
mobilisation effective, construit du savoir. Beaucoup d’élèves très actifs se bor-
nent à mobiliser ce qu’ils savent déjà, ce qui est gratifiant mais pas toujours
prioritaire (Perrenoud, 1996 n).
L’évaluation formative se situe dans une perspective pragmatique (Perrenoud,
1991, 1998 b), elle n’a aucune raison d’être standardisée, ni notifiée aux parents

52
Gérer la progression des apprentissages

ou à l’administration. Elle s’inscrit dans le rapport quotidien entre l’enseignant


et ses élèves, son but est d’aider chacun à apprendre, non de rendre compte à
autrui. L’enseignant a intérêt à proportionner l’ampleur du travail d’observation
et d’interprétation à la situation singulière de l’élève, dans une logique de réso-
lution de problèmes, en investissant faiblement lorsque tout va bien ou que les
difficultés sont visibles à l’œil nu, en s’engageant dans un diagnostic et un suivi
plus intensifs lorsque les difficultés résistent à une première analyse. L’ensei-
gnant a également le droit de faire confiance à son intuition (Allal, 1983, Weiss,
1986, 1992). Pour ne pas être débordé, il importe :
– qu’il parie sur des technologies et des dispositifs didactiques interactifs, por-
teurs de régulation (Weiss, 1993, Perrenoud, 1993 c 1998 b, 1998 i) ;
– qu’il forme ses élèves à l’évaluation mutuelle (Allal et Michel, 1993) ;
– qu’il développe une évaluation formatrice, prise en charge par le sujet appre-
nant (Nunziati, 1990) ; l’autoévaluation ne consiste pas alors à remplir soi-
même son carnet, mais à faire preuve d’une forme de lucidité à l’égard de la
façon dont on apprend ;
– qu’il favorise la métacognition comme source d’autorégulation des processus
d’apprentissage (Allal et Saada-Robert, 1992 ; Allal, 1984, 1993 a et b) ;
– qu’il parvienne à trier très vite un grand nombre d’observations fugaces, pour
identifier une Gestalt qui guidera son action et ses priorités d’intervention régu-
latrice.
De telles pratiques exigent une formation à l’évaluation formative (Allal, 1991 ;
Cardinet, 1986 a et b) et une connaissance des divers paradigmes de l’évalua-
tion (De Ketele, 1993). L’important est cependant d’intégrer évaluation continue
et didactique (Amigues et Zerbato-Poudou, 1996 ; Bain, 1988 ; Allal, Bain et
Perrenoud, 1993), d’apprendre à évaluer pour mieux enseigner (Gather Thurler
et Perrenoud, 1988), bref, de ne plus séparer évaluation et enseignement, de
considérer chaque situation d’apprentissage comme source d’informations ou
d’hypothèses précieuses pour mieux cerner les acquis et les fonctionnements
des élèves.

Établir des bilans périodiques de compétences


et prendre des décisions de progression

Le cursus scolaire oblige, à certains moments, à prendre des décisions de sélection


ou d’orientation. C’est le cas à la fin de chaque année scolaire, dans un cursus
structuré en étapes annuelles, ou à la fin de chaque cycle. Participer à de telles dé-
cisions, les négocier avec l’élève, ses parents et d’autres professionnels, trouver le

53
Gérer la progression des apprentissages

compromis optimal entre les projets et les exigences de l’institution scolaire, voilà
qui fait partie des compétences de base d’un professeur.
Sans sous-estimer l’importance de telles décisions, dont les incidences sur la car-
rière scolaire font des enjeux majeurs, pour les élèves et les familles, je privilégierai
ici les décisions de progression qui se situent dans une logique d’enseignement-ap-
prentissage, plus que d’orientation-sélection. Lorsque la scolarité est organisée en
paliers annuels, cela touche en partie au redoublement, dont l’opportunité est au-
jourd’hui appréciée en fonction d’une stratégie de formation plutôt que d’une stric-
te application de normes de promotion. Cela concerne aussi la décision d’envoyer
un élève en cours d’appui ou de soutien, ou encore de conseiller une prise en charge
médico-pédagogique plus lourde.
L’introduction de cycles d’apprentissage fait émerger des décisions d’un autre type.
D’un cycle au suivant, les décisions de passage semblent s’apparenter à des déci-
sions de promotion ou de redoublement. En fait, dans la mesure où le redouble-
ment d’un cycle n’a guère de sens, il s’agit plutôt de trancher un dilemme pédago-
gique. Vaut-il mieux garder un élève un an encore dans le même cycle, au risque de
ralentir son développement et d’accroître son retard scolaire, ou vaut-il mieux le
faire passer au cycle suivant, alors même qu’il n’en maîtrise pas tous les prérequis
et pourrait donc y perdre son temps et aggraver ses lacunes ?
D’autres décisions de progression appellent des compétences nouvelles dans le
cadre des cycles d’apprentissage : lorsqu’on travaille en groupes multiâge, en mo-
dules, en décloisonnements divers, un élève ne passe pas tout son temps, durant
deux ou trois ans, dans le même groupe. De mois en mois, parfois de semaine en se-
maine, les élèves sont redistribués entre divers groupes de niveaux, de besoins, de
projets. Chaque décision infléchit la progression vers les compétences visées et
constitue une sorte de micro-orientation, parfois judicieuse, parfois malheureuse.
J’ai analysé ailleurs (Perrenoud, 1997 b et c) le défi des cycles d’apprentissage :
passer d’une gestion « à flux poussés » à une gestion « à flux tendus », avec une uti-
lisation optimale du temps qui reste. Chaque jour, potentiellement, une décision
pourrait être prise à propos de chaque élève, en réponse à la question : dans quel
groupe, grâce à quelles activités et quelle prise en charge aurait-il le plus de chance
de progresser ?
Ces décisions sont prises sur la base à la fois d’un bilan des acquis, d’un pronostic
et d’une stratégie de formation qui tient compte des ressources et dispositifs dis-
ponibles. On se trouve donc, là, au cœur du métier d’enseignant.

Vers des cycles d’apprentissage


Le thème de la progression prend d’autant plus d’actualité qu’on s’oriente, dans
la plupart des systèmes éducatifs, à l’école primaire et même au-delà, vers des
cycles d’apprentissage. Cela modifie considérablement les données du pro-

54
Gérer la progression des apprentissages

blème, dans la mesure où cette organisation donne aux enseignants, collective-


ment, beaucoup plus de responsabilités et de pouvoir.
Le groupe qui accompagne les écoles primaires en innovation, à Genève, a
publié neuf thèses (Groupe de recherche et d’innovation, 1997) sur la progres-
sion dans la perspective des cycles :
1. La gestion de la progression des élèves dépend largement des représenta-
tions des enseignants quant à leur rôle et leur responsabilité dans la réussite
de chacun.
2. La gestion optimale de la progression passe par la conviction préalable
que chaque élève est capable d’atteindre les objectifs minimaux fixés à
condition d’individualiser son parcours.
3. La progression des élèves se gère dans le cadre d’un cycle d’apprentissage
dans lequel les élèves passent en principe le même nombre d’années pour
atteindre des objectifs d’apprentissage incontournables.
4. Une progression satisfaisante des élèves dans leurs apprentissages passe
par la remise en question de l’organisation scolaire actuelle, du découpage
de la scolarité par degrés, des échéances et programmes annuels.
5. Une gestion optimale de la progression des élèves dans leurs apprentis-
sages exige la mise en œuvre de plusieurs formes de regroupement et de tra-
vail.
6. Une gestion satisfaisante de la progression des élèves passe par une remise
en question des modes d’enseignement et d’apprentissage articulés à la
recherche d’un maximum de sens des savoirs et du travail scolaire pour
l’élève.
7. La gestion de la progression des élèves implique un réaménagement des
pratiques évaluatives, afin de pouvoir rendre visible et réguler le parcours
individuel de chaque élève.
8. La gestion de la progression des élèves exige que l’équipe enseignante
assume collectivement la responsabilité de toute décision relative au parcours
des élèves, en concertation avec l’ensemble des partenaires internes et
externes à l’école.
9. La gestion optimale de la progression des élèves implique, tant au niveau
individuel que collectif, l’acquisition par les enseignants de nouvelles com-
pétences, dans le cadre d’un plan progressif de réflexion et de formation.
La dernière souligne explicitement l’enjeu en termes de compétences, mais on
aura saisi que chacune des huit thèses précédentes appelle de nouveaux savoir-
faire, fondés sur de nouvelles représentations de l’apprentissage, de la différen-
ciation, des cycles, de la progression elle-même.
On ne saurait définir des compétences largement en avance sur les dispositifs.
Pourtant, les cycles n’évolueront que si les enseignants parviennent à inventer
des dispositifs de suivi des progressions sur plusieurs années. Au-delà des outils
et modèles d’observation formative, se pose un problème de gestion des par-
cours en forte interaction avec les modes de groupements des élèves et les dis-
positifs d’enseignement-apprentissage.

55
Gérer la progression des apprentissages

Sur le papier, rien n’est plus simple que de savoir constamment où en est chacun
et de réguler son parcours en conséquence. C’est ce que font les contrôleurs
aériens avec les vols qui leur sont confiés, ou les personnels soignants avec les
patients hospitalisés. Le suivi personnalisé est relativement facile si on dispose
d’un ratio favorable entre le nombre de trajectoires à suivre, d’informations à
recueillir et à interpréter, de microdécisions à prendre, d’une part, et d’autre part,
le nombre de professionnels affectés à ces tâches. Ce ratio est plus favorable
dans une tour de contrôle et dans un hôpital que dans une école, alors que les
trajectoires sont moins faciles à codifier et à contrôler, compte tenu, d’une part,
de la complexité et de l’opacité des processus d’apprentissage, d’autre part, de
l’autonomie des élèves et de leur coopération fluctuante, parfois de leur résis-
tance active à toute prise en charge. Devant ces difficultés, on se doute qu’à
l’école, le suivi personnalisé sera toujours imparfait.
Dans la mesure où le ratio élèves/enseignants ne va pas s’améliorer spectaculai-
rement, ce qui est une litote en une période où il tendrait plutôt à se dégrader,
on ne peut jouer que sur les groupements et les dispositifs. C’est pourquoi gérer
la progression des élèves, notamment dans des cycles, exige des compétences
en ingénierie de l’enseignement-apprentissage, de l’évaluation et du suivi indi-
vidualisé. Alors qu’on a insisté fortement sur les outils et les modèles de prise
de l’information, la question centrale est plutôt : comment organiser le travail
dans un cycle pour que les enseignants soient, en personne ou à travers des
relais ou des technologies, aussi souvent que possible en situation de recueillir
des informations et d’infléchir les activités sur cette base ? Le suivi dépend de la
gestion des ressources humaines, qui n’a pas, dans le cadre scolaire, atteint la
sophistication des outils d’évaluation critériée.
Faut-il ajouter que des progressions pluriannuelles ne peuvent être pilotées
qu’en fonction d’objectifs de développement et d’apprentissage à long terme ? Il
appartient au pouvoir organisateur de définir les objectifs de chaque cycle
d’apprentissage, en termes de compétences ou de noyaux de connaissances.
Leur bon usage délimite un nouveau champ de compétence pour les ensei-
gnants. À quoi bon éditer de magnifiques socles de compétences si les profes-
sionnels qui en sont nantis cherchent à y retrouver les anciens programmes
annuels ? Durant des décennies, des enseignants en avance sur leur époque ont
cherché à identifier les objectifs fondamentaux cachés « entre les lignes des pro-
grammes notionnels ». Lorsque change la conception institutionnelle des pro-
grammes, leurs pratiques sont soudain conformes à la norme. Dans le même
temps, d’autres enseignants entrent en dissidence, parce qu’ils ne se sentent pas
capables de gérer des progressions didactiques planifiées sur plus d’une année
et demandent le maintien des balises traditionnelles…

56
3

Concevoir et faire évoluer


des dispositifs de différenciation

Pour que chaque élève progresse vers les maîtrises visées, il convient de le pla-
cer très souvent dans une situation d’apprentissage optimale pour lui. Il ne suffit
pas qu’elle ait du sens, le concerne et le mobilise. Elle doit encore le solliciter
dans sa zone de développement proche.
Qui pourrait s’opposer à ce magnifique programme ? L’ennui, c’est qu’il y a de
nombreux élèves dans une classe. Or, une situation standard ne peut qu’excep-
tionnellement être optimale pour tous, parce qu’ils n’ont pas le même niveau de
développement, les mêmes acquis préalables, le même rapport au savoir, les
mêmes intérêts, les mêmes moyens et façons d’apprendre. Différencier, c’est
rompre avec la pédagogie frontale – la même leçon, les mêmes exercices pour
tous -, mais c’est surtout mettre en place une organisation du travail et des dis-
positifs didactiques qui placent régulièrement chacun dans une situation opti-
male, et d’abord ceux qui ont le plus à apprendre. Savoir concevoir et faire évo-
luer de tels dispositifs est une compétence dont rêvent et que construisent peu à
peu tous les enseignants qui pensent que l’échec scolaire n’est pas une fatalité,
que chacun peut apprendre. « Tous capables », affirme le Groupe français
d’éducation nouvelle et avec lui tous ceux qui défendent le principe d’éducabi-
lité. Il reste à proposer des situations d’apprentissage adéquates !
Aux yeux de beaucoup de praticiens, cela paraît encore une utopie. Bien sûr,
tout le monde est capable de différencier par moments, dans telle ou telle disci-
pline, en y mettant un peu d’énergie et d’imagination. Hélas, ces efforts sont
rarement à la hauteur des écarts entre élèves de la même classe. L’idéal,
lorsqu’on a vingt à trente élèves, serait d’offrir à chacun ce que Claparède appe-
lait, au début du siècle, une « éducation sur mesure ». C’est ce qui semble hors
de portée.
Le problème est en effet insoluble aussi longtemps qu’on imagine que, pour
créer une situation d’apprentissage optimale pour chaque élève, il faut le prendre
en charge personnellement. Ce n’est ni possible, ni souhaitable. La solution
n’est pas de transformer la classe en une série de relations duales, le professeur
prenant en charge chaque élève, à tour de rôle. Le calcul est facile : à raison de

57
Concevoir et faire évoluer des dispositifs de différenciation

26 élèves par classe pour 26 heures hebdomadaires, cela ferait, pour chacun, une
heure de tutorat individualisé par semaine… On ne pourra, même en abaissant
de façon spectaculaire l’effectif des classes, rendre un tel modèle réalisable.
Cela ne résoudrait d’ailleurs qu’une partie du problème :
• Placé devant huit élèves, trois, ou même un seul, un enseignant ne sait pas
nécessairement proposer à chacun une situation d’apprentissage optimale. Il ne
suffit pas de se rendre entièrement disponible pour un élève : il faut encore
comprendre pourquoi il a des difficultés d’apprentissage et savoir comment les
surmonter. Tous les enseignants qui ont tâté du soutien pédagogique ou ont
donné des leçons particulières, savent à quel point on peut se trouver démuni
dans une situation de tutorat, alors qu’elle est apparemment idéale.
• Certains apprentissages ne peuvent se faire qu’à la faveur d’interactions
sociales, soit parce qu’on vise le développement de compétences de commu-
nication ou de coordination, soit parce que l’interaction est indispensable pour
provoquer des apprentissages qui passent par un conflit cognitif ou une forme
de coopération.
Différencier l’enseignement ne saurait donc consister à multiplier les « cours
particuliers ». Pour trouver un moyen terme entre un enseignement frontal inef-
ficace et un enseignement individualisé impraticable, il faut organiser le travail
autrement en classe, casser la structuration en niveaux annuels, décloisonner,
créer de nouveaux espaces-temps de formation, jouer à une plus vaste échelle
sur les groupements, les tâches, les dispositifs didactiques, les interactions, les
régulations, l’enseignement mutuel, les technologies de la formation
(Perrenoud, 1997 b ; Tardif, 1998).
Cette compétence globale ne renvoie pas à un dispositif unique, encore moins à
des méthodes ou des outils particuliers. Elle consiste à utiliser toutes les res-
sources disponibles, à jouer sur tous les paramètres pour « organiser les interac-
tions et les activités de sorte que chaque élève soit constamment ou du moins
très souvent confronté aux situations didactiques les plus fécondes pour lui »
(Perrenoud, 1996 b, p. 29).
Cette compétence systémique mobilise des compétences plus spécifiques. On en
distinguera quatre :
• Gérer l’hétérogénéité au sein d’un groupe-classe.
• Décloisonner, élargir la gestion de classe à un espace plus vaste.
• Pratiquer du soutien intégré, travailler avec des élèves en grande difficulté.
• Développer la coopération entre élèves et certaines formes simples d’enseigne-
ment mutuel.

Passons-les en revue, sans oublier qu’elles renvoient à des compétences étroite-


ment complémentaires présentées dans d’autres chapitres, notamment organiser
et animer des situations d’apprentissage (chapitre 1), gérer la progression des

58
Concevoir et faire évoluer des dispositifs de différenciation

apprentissages (chapitre 2), impliquer les élèves dans leurs apprentissages et leur
travail (chapitre 4) et travailler en équipe (chapitre 5).

Gérer l’hétérogénéité au sein d’un groupe-classe

Le système scolaire tente d’homogénéiser chaque classe en y groupant des


élèves de même âge. Il en résulte une homogénéité très relative, en raison des
disparités, à âge égal, des niveaux de développement et des types de socialisa-
tion familiale. C’est pourquoi on corrige ce mécanisme sommaire :
– par le jeu des dispenses d’âge, en intégrant des élèves plus jeunes, qui mani-
festent une certaine précocité ;
– et surtout, par le jeu des redoublements, au gré desquels les élèves n’ayant pas
la maturité ou le niveau requis ne progressent pas dans le cursus en fin d’année
et répètent le programme en compagnie d’élèves plus jeunes.
L’action de ces mécanismes assure-t-elle que les élèves finalement inscrits dans
la même classe sont également préparés à suivre un enseignement indifféren-
cié ? On sait bien que non. Ils le sont d’autant moins que les systèmes éducatifs
n’osent plus, et c’est heureux, faire redoubler un élève sur cinq. Compte tenu de
l’efficacité très limitée de cette mesure, dont on prend progressivement
conscience grâce à de nombreux travaux critiques (Allal et Schubauer-Leoni,
1992 ; Crahay, 1996, 1997 ; Hutmacher, 1993 ; Paul, 1996 ; Perrenoud, 1996 h),
il est douteux que le redoublement puisse, à l’avenir, contribuer fortement à
l’homogénéité des classes. Même dans le secondaire, l’esprit du temps autorise
de moins en moins à créer ouvertement des filières très sélectives. Lorsqu’elles
existent, elles laissent d’ailleurs entière la question de l’hétérogénéité des classes
qui n’en font pas partie ! Un enseignant expérimenté sait aujourd’hui que
l’homogénéité totale est inaccessible, faute d’une sélection préalable assez
féroce, mais aussi parce que, même dans le groupe le plus sélectionné, elle se
recrée, sans doute de façon moins spectaculaire, dès le début de l’année et au fil
même de la progression dans le programme. Seul un enseignant débutant peut
encore rêver de n’avoir devant lui que des élèves également aptes et motivés à
tirer profit de son enseignement.
Lorsqu’on perd l’illusion de pouvoir sauvegarder une pédagogie frontale en
constituant des groupes homogènes, lorsqu’on s’attaque sérieusement aux dif-
férences, la première tentation demeure de répartir les élèves en groupes de
niveau homogène ou de réunir des élèves en difficulté pour leur offrir des
moments de soutien, en espérant de la sorte recréer des ensembles passibles du
même « traitement ». Face à la différence, classer et orienter les « cas » sem-
blables vers des traitements uniformes reste un modèle de pensée très vivace.

59
Concevoir et faire évoluer des dispositifs de différenciation

Or, cette façon de faire – outre de fortes limitations pratiques – postule que l’on
peut, avant d’engager les élèves dans un travail d’une certaine durée, savoir ce
qui leur convient.
Meirieu (1989 c, 1990, 1995, 1996 a) a plaidé avec force contre cette pédagogie
du « diagnostic préalable ». Il propose de renoncer à vouloir composer des
groupes homogènes dûment préparés à suivre un traitement standardisé, pour
affronter l’hétérogénéité au sein d’un groupe de travail, telle qu’elle se mani-
feste devant une tâche et en particulier une situation-problème. Ce qui amène,
sans renoncer à toute régulation rétroactive (remédiation, soutien) ou proactive
(micro-orientation vers des tâches et des groupes différents), à donner la priorité
aux régulations interactives en situation, les élèves restant ensemble (Allal,
1988). Cela ne veut pas dire qu’il faut renoncer à tout recours ponctuel à des
groupes de niveau, encore moins qu’il faut travailler dans une composition
stable. Meirieu (1989 a et b) a montré la pertinence de travailler, par moments,
en groupes de besoins, à d’autres moments, en groupes de projet.
L’important, dans une pédagogie différenciée, est de mettre en place des dispo-
sitifs multiples, de ne pas tout baser sur l’intervention de l’enseignant. Le travail
par plan de semaine, l’attribution de tâches autocorrectives et le recours à des
logiciels interactifs sont des ressources précieuses. Organiser l’espace en ateliers
ou en « coins » entre lesquels circulent les élèves est une autre façon de faire
face aux différences. Aucune n’est, à elle seule, une solution magique. La diffé-
renciation exige des méthodes complémentaires, donc une forme d’inventivité
didactique et organisationnelle, fondée sur une pensée architecturale et systé-
mique.
Si tout cela était simple, les spécialistes livreraient des pédagogies différenciées
« clés en main », assorties de formations donnant exactement les compétences vou-
lues. En réalité le chantier est ouvert, on tâtonne, aucun dispositif n’est à ce jour à la
hauteur des problèmes. Au point où en sont la recherche et l’innovation, les compé-
tences requises des enseignants les conduiront à contribuer à l’effort de développe-
ment davantage qu’à mettre en œuvre des modèles éprouvés.

Décloisonner, élargir la gestion de classe


à un espace plus vaste

Une chose paraît sûre : entre les quatre murs de leur classe et durant les huit à
neuf mois d’une année scolaire, peu d’enseignants sont capables de faire des
miracles. Il n’est pas impossible de trouver, ici ou là, un nouveau Freinet qui, à
lui seul, invente une pédagogie différenciée, active et coopérative, faite sur

60
Concevoir et faire évoluer des dispositifs de différenciation

mesure pour ses élèves. Cela suppose une créativité, une énergie, une persévé-
rance hors du commun.

Il semble raisonnable d’inviter les enseignants moins exceptionnels à mettre


leurs forces en commun pour organiser la différenciation à l’échelle de plusieurs
classes et si possible, sur plusieurs années. L’organisation officielle de l’école en
cycles d’apprentissage pluriannuels facilite cette coopération, mais c’est loin
d’être suffisant : dans certains systèmes formellement structurés en cycles, cha-
cun fonctionne comme avant, porte fermée, seul dans sa classe, parfois en
reconstituant les niveaux annuels occultes, contre l’esprit des textes. Dans
d’autres systèmes, encore organisés en étapes annuelles, certaines équipes péda-
gogiques ont créé des cycles avant la lettre, en décloisonnant les années et les
classes parallèles, en gérant des groupes multiâge ou en établissant une forte
continuité entre les niveaux annuels. Ils prouvent qu’on peut différencier tout de
suite, dans le cadre des textes en vigueur.

La gestion d’une classe traditionnelle fait l’objet de la formation initiale et se


consolide au gré de l’expérience. Le travail dans des espaces plus vastes exige
des compétences nouvelles. Les unes tournent autour de la coopération profes-
sionnelle. On y reviendra à propos du travail en équipe. Les autres touchent à la
gestion de la progression des apprentissages sur plusieurs années, dont il a été
question au chapitre précédent.

On insistera ici sur une compétence proprement gestionnaire, définie à une


échelle plus vaste que la classe : penser, organiser, habiter, faire vivre des
espaces de formation regroupant des dizaines d’élèves, durant plusieurs années.
Ces fonctionnements posent des problèmes inédits d’organisation et de coordi-
nation. Dans les systèmes traditionnels, ces aspects sont réglés par la structura-
tion du cursus en programmes annuels et la formation de classes stables à
chaque rentrée. Dans une pédagogie différenciée et une organisation par cycles
d’apprentissage, ces problèmes sont du ressort des enseignants, qui ne peuvent
les résoudre qu’en équipe et de façon locale (Maison des Trois Espaces,1993).

Si l’on travaille dans de tels espaces-temps de formation, c’est pour avoir plus
de temps devant soi, de ressources et de forces, d’imagination, de continuité et
de compétences pour construire des dispositifs didactiques efficaces, visant à
combattre l’échec scolaire. Cela oblige à maîtriser des paramètres plus com-
plexes et à prévenir des risques non négligeables de désorganisation ou de
dérive. Les équipes pédagogiques qui se lancent dans une gestion à cette échelle
s’épuisent, dans un premier temps, à résoudre des problèmes d’organisation, à
apprendre la concertation et la coopération, à reconstruire des routines écono-
miques, à retrouver des points de repère, à contrôler les effets des décisions, à
savoir où sont tous les élèves, ce qu’ils font, avec qui ils travaillent, où ils en
sont, de quoi ils ont besoin et vers quelles tâches ou quels groupes les orienter
demain ou la semaine prochaine.

61
Concevoir et faire évoluer des dispositifs de différenciation

Ici encore, des compétences nouvelles sont en train d’émerger. On n’en discernera
les contours que progressivement, puisque nul ne peut proposer un modèle idéal
d’organisation du travail dans une pédagogie différenciée (Perrenoud, 1997 b).

Pratiquer du soutien intégré,


travailler avec des élèves en grande difficulté

Certains enfants rencontrent des difficultés qui dépassent les possibilités ordi-
naires de différenciation et exigent des mesures exceptionnelles. On peut, dans
certains cas, envisager le placement dans une classe spécialisée, l’appui pédago-
gique hors de la classe, voire une forme ou une autre de redoublement, même si
l’on sait sa faible efficacité dans la plupart des cas.
Pourtant, l’idéal serait, dans une organisation d’équipe, de trouver les ressources
pour prendre en charge ces enfants, au besoin avec des appuis externes, mais
sans les exclure. Les mesures d’intégration d’enfants handicapés ou psycho-
tiques dans des classes ordinaires ont ouvert une voie, comme les pratiques de
soutien psychopédagogique intégrées à la salle de classe, l’intervenant et le titu-
laire de classe travaillant ensemble, l’un ou l’autre prenant plus particulièrement
en charge les élèves en grande difficulté. Du point de vue des compétences en
jeu, on saisit que les enseignants devront, à terme, s’approprier une partie des
savoirs et savoir-faire des enseignants spécialisés ou des enseignants de soutien,
même si tous n’exercent pas cette fonction en permanence. Cela suppose des
compétences plus pointues en didactique et en évaluation, mais aussi des capa-
cités relationnelles permettant de faire face, sans se démonter, ni se décourager,
à des résistances, des peurs, des rejets, des mécanismes de défense, des phéno-
mènes de transfert, des blocages, des régressions et toutes sortes de mécanismes
psychiques à l’occasion desquels dimensions affectives, cognitives et relation-
nelles se conjuguent pour empêcher des apprentissages décisifs de s’amorcer ou
de se poursuivre normalement.
En analysant la culture professionnelle des enseignants de soutien expérimentés,
leurs compétences, leurs représentations, leurs attitudes, leurs savoirs et savoir-
faire, on obtient la liste suivante :
A. Savoir observer un enfant en situation, avec ou sans instruments.
B. Maîtriser une démarche clinique (observer, agir, corriger, etc.), savoir tirer
un parti positif des essais et erreurs, être formé à une pratique méthodique,
systématique.
C. Savoir construire des situations didactiques sur mesure (à partir de l’élève
singulier plus que du programme).
D. Savoir négocier/expliciter un contrat didactique personnalisé (sur le modèle
du contrat thérapeutique).

62
Concevoir et faire évoluer des dispositifs de différenciation

E. Pratiquer une approche systémique, ne pas chercher de bouc émissaire ;


avoir l’expérience de la communication, du conflit, du paradoxe, du rejet, du
non-dit, ne pas se sentir attaqué ou menacé personnellement au moindre dys-
fonctionnement.
F. Être accoutumé à l’idée de supervision, être conscient des risques qu’on
encourt et fait encourir dans une relation de prise en charge.
G. Respecter un code de déontologie explicite plutôt que de s’en remettre à
l’amour des enfants et au sens commun.
H. Être familier d’une approche large de la personne, de la communication, de
l’observation, de l’intervention, de la régulation.
I. Avoir une maîtrise théorique et pratique des aspects affectifs et relationnels
de l’apprentissage, avoir une culture psychanalytique de base.
J. Savoir qu’il faut souvent sortir du registre proprement pédagogique pour
comprendre et intervenir efficacement.
K. Savoir tenir compte des rythmes des individus plus que des calendriers de
l’institution.
L. Être convaincu que les individus sont tous différents et que ce qui
« marche » pour l’un ne « marchera » pas nécessairement pour l’autre.
M. Avoir une réflexion spécifique sur l’échec scolaire, les différences person-
nelles et culturelles.
N. Disposer de bases théoriques fortes en psychologie sociale du développe-
ment et de l’apprentissage.
O. Participer à une culture (travail d’équipe, formation continue, prise de
risque, animation, autonomie) qui va dans le sens d’une forte professionnali-
sation, d’une maîtrise du changement.
P. Avoir l’habitude de prendre en compte les dynamiques et résistances fami-
liales, et de traiter avec les parents comme personnes complexes, plutôt que
comme responsables légaux d’un élève.
Sans transformer les enseignants en psychothérapeutes, ces compétences met-
tent l’accent sur une prise en charge plus individualisée, une démarche plus cli-
nique, avec des outils conceptuels différents de ceux qu’on mobilise pour gérer
un groupe (Perrenoud, 1991 a).

Développer la coopération entre élèves


et certaines formes simples d’enseignement mutuel

Aussi longtemps que les enseignants se perçoivent comme l’unique source


d’impulsion et de régulation des apprentissages des élèves, on peut craindre
qu’ils ne s’épuisent à tenter d’être « au four et au moulin ». Même s’ils conçoi-
vent des dispositifs ingénieux et recourent aux technologies les plus avancées,
ils n’arriveront pas à faire face à tous les problèmes.

63
Concevoir et faire évoluer des dispositifs de différenciation

Sans que cela constitue une solution miraculeuse, il n’est pas sans intérêt de
parier sur la coopération entre élèves. L’enseignement mutuel n’est pas une idée
neuve, il était florissant au siècle dernier dans la pédagogie inspirée par
Lancaster (Giolitto, 1983). L’enseignant avait cent ou deux cents élèves en
charge, de tous les âges, et ne pouvait évidemment s’occuper de tous, ni propo-
ser une leçon à un public aussi vaste et hétérogène. Le groupe était donc orga-
nisé en sous-ensembles, placés sous la responsabilité de « sous-maîtres », qui
étaient souvent des élèves plus âgés ou des moniteurs sans formation pédago-
gique. Le rôle du maître était de faire fonctionner l’ensemble, plutôt que
d’enseigner directement à tous.

La méthode lancastérienne reposait sur une discipline de fer et ne fonctionnait


évidemment qu’avec des pédagogies assez rudimentaires, basées sur le drill et
la mémorisation. Aujourd’hui, nous sommes condamnés à inventer de nouvelles
formes d’enseignement mutuel, qui font appel à l’autonomie et à la responsabi-
lité des élèves, ce qui n’est pas simple. Certes, en travaillant en équipe pédago-
gique, on peut demander à de grands élèves de jouer le rôle de moniteurs. Entre
élèves d’âges plus proches, on peut aussi favoriser certaines formes de « contrat
didactique », pour certaines tâches. On peut se demander toutefois si l’énergie
engagée pour faire fonctionner de tels dispositifs n’est pas disproportionnée en
regard des résultats qu’on peut espérer, dans la mesure où il paraît difficile
d’étendre de telles formules à l’ensemble des notions inscrites au programme.

Peut-être n’est-il pas nécessaire d’avoir constamment de telles ambitions. Les


élèves peuvent se former mutuellement sans que l’un joue le rôle de l’ensei-
gnant. Il suffit qu’ils soient impliqués dans une tâche coopérative qui provoque
des conflits sociocognitifs (Perret-Clermond, 1979 ; Perret-Clermond et Nicolet,
1988) et favorise l’évolution des représentations, des connaissances, des
méthodes de chacun par la confrontation avec d’autres façons de voir et de faire.
La confrontation des points de vue stimule une activité métacognitive dont cha-
cun tire un bénéfice (Allal, 1993 a et b ; Grangeat, 1997 ; Lehrhaus, 1998 ;
Rouiller, 1998), même si cela ne débouche par sur une action collective.

« On n’apprend pas tout seul ! », affirme le CRESAS (1987), en insistant sur le


rôle des interactions sociales dans la construction des connaissances. Le même
auteur collectif plaide (1991) pour une véritable pédagogie interactive. Cela
suppose que l’enseignant soit capable de faire travailler les élèves en équipe.
Notons toutefois qu’on se méprend souvent sur le sens de cette formule : tra-
vailler en équipe ne consiste pas à faire ensemble ce qu’on pourrait faire séparé-
ment, moins encore à « regarder faire » le leader ou l’élève le plus habile du
groupe. L’organisation du travail en équipe pose des problèmes de gestion de
classe, et notamment celui de l’alternance entre les cadrages et les mises en
commun en grand groupe et les moments de travail en sous-groupes. Cette com-
plexité coûte trop cher si son seul effet est de juxtaposer des activités que cha-
cun pourrait conduire seul. L’enjeu didactique est d’inventer des tâches qui

64
Concevoir et faire évoluer des dispositifs de différenciation

imposent une véritable coopération (Daniel et Schleifer, 1996 ; Groupe français


d’éducation nouvelle, 1996, ch. 15).
Ce n’est intéressant que si ces tâches provoquent les apprentissages visés. Or, il
n’est pas facile de concilier la logique de l’action réussie et celle de l’apprentis-
sage optimal : une action collective fonctionne d’autant mieux qu’elle amène
des individus autonomes et compétents à coopérer et à accepter, par souci d’effi-
cacité, un leadership fonctionnel. Dans une situation de classe, au sein d’un
groupe de trois ou cinq élèves, chacun apprend et ne constitue pas encore une
ressource très efficace pour le groupe. Les élèves qui ont le plus besoin
d’apprendre sont aussi ceux qui contribuent le plus à désorganiser et à ralentir
l’action collective… En sport, au travail, dans la vie, une équipe efficace écarte
les individus les moins compétents des tâches les plus cruciales, au risque de les
marginaliser socialement. L’apprentissage coopératif doit savoir privilégier
l’efficacité didactique au détriment de l’efficacité de l’action, sans quoi nul ne
pourra « apprendre, en le faisant, à faire ce qu’il ne sait pas faire » (Meirieu,
1996 b).
Le développement de la coopération passe donc par des attitudes, des règles du
jeu, une culture de la solidarité, de la tolérance, de la réciprocité et une pratique
régulière du conseil de classe (Philibert et Wiel, 1997). Savoir favoriser l’émer-
gence d’une telle culture et créer des institutions internes de concertation n’est
pas la moindre des compétences pédagogiques. Elle ne suffit pas à mettre les
élèves au travail sur de véritables tâches collectives, qui les rendent dépendants
les uns des autres. C’est en quelque sorte un préalable, une condition nécessaire,
car il est très coûteux, voire impossible, de créer les conditions de la coopéra-
tion au moment précis où on en a besoin. Lorsque les enseignants travaillent en
équipe, ils deviennent capables de développer ces attitudes et cette culture tout
au long du cursus, ce qui dispense chacun de la construire à partir de zéro,
chaque fois qu’il reçoit de nouveaux élèves.
Le bagage des enseignants devrait s’étendre non seulement aux variantes euro-
péennes et nord-américaines de la pédagogie coopérative, mais s’ouvrir à la
pédagogie institutionnelle, moins centrée sur les interactions didactiques, plus
sensible à la gestion coopérative de la classe comme communauté et comme
cité, et à la mise en place d’institutions internes qui sont autant d’occasions
d’apprendre la démocratie aussi bien que de réguler le travail collectif (Imbert,
1976, 1998 ; Lobrot, 1 070 ; Oury et Vasquez, 1971 ; Pochet, Oury et Oury,
1986 ; Vasquez et Oury, 1973). La pédagogie institutionnelle appartient souvent
à un courant libertaire, critique, autogestionnaire qui effraie les enseignants de
sensibilité politique moins affirmée. On peut le regretter, car au-delà des posi-
tions tranchées sur l’école et la société, la pédagogie institutionnelle, comme
celle de Freinet, qu’elle prolonge, propose des outils parfaitement utilisables à
plus large échelle, comme le « Quoi de neuf ? », le « Ça va, ça va pas ? » et bien
sûr le conseil de classe. Sans tourner le dos à une coopération dans le travail, ces
approches font de l’organisation du travail et de la classe un enjeu collectif.

65
Concevoir et faire évoluer des dispositifs de différenciation

Toute pédagogie différenciée exige la coopération active des élèves et de leurs


parents. C’est une ressource, aussi bien qu’une condition, pour qu’une discrimi-
nation positive ne soit pas vécue et dénoncée comme une injustice par les élèves
les plus favorisés. Il importe donc que l’enseignant donne toutes les explications
nécessaires pour emporter l’adhésion des élèves, sans laquelle toutes ses tenta-
tives seront sabotées par une partie de la classe. Qu’on y voie en outre une occa-
sion d’éducation à la citoyenneté ne saurait contredire les intentions de la péda-
gogie différenciée…

Une double construction

Toute compétence individuelle se construit, au sens où on ne peut la transmettre,


qu’elle ne peut que s’entraîner, naître de l’expérience et de la réflexion sur
l’expérience, même lorsqu’il existe des modèles théoriques, des outils, des
savoirs procéduraux.
Dans le domaine visé ici, les compétences à construire ne sont pas entièrement
identifiées, parce que les dispositifs de différenciation sont encore bien som-
maires, fragiles et limités. Construire des compétences individuelles dans ce
domaine, c’est donc participer à une démarche collective, qui mobilise les ensei-
gnants innovateurs et les chercheurs.
Dans le domaine technologique, les bureaux d’études développent des produits
sophistiqués et, lorsqu’ils sont au point, les diffusent avec un mode d’emploi et
éventuellement une formation des usagers. Les dispositifs de pédagogie diffé-
renciée ne sont pas de la même nature, ils seront toujours à concevoir et à
construire hic et nunc, à partir de trames et d’exemples dont les professeurs peu-
vent s’inspirer, sans pouvoir les reproduire intégralement. Les compétences
requises des enseignants dépassent donc le simple usage intelligent d’un outil.
On peut le regretter, parce que cela exige un investissement important des prati-
ciens. Ou s’en féliciter, car c’est là que se justifie et se joue la professionnalisa-
tion de leur métier.

66
4

Impliquer les élèves dans


leurs apprentissages et leur travail

« Je ne peux rien pour lui, s’il ne veut pas se soigner », dira encore aujourd’hui
un médecin désespéré par le manque de coopération de son patient. « Je ne peux
rien pour lui, s’il ne veut pas s’instruire », dira ou pensera de même un ensei-
gnant.
Il y a pourtant une différence : l’instruction est légalement obligatoire de six à
seize, voire à dix-huit ans, selon les pays ; en deçà et au-delà de la scolarité obli-
gatoire, le droit civil donne aux parents l’autorité d’instruire et de faire instruire
leurs enfants. On trouve donc, dans les écoles, une proportion importante
d’enfants et d’adolescents qui n’ont pas librement choisi de s’instruire et aux-
quels on ne peut dire : « Si tu ne veux ni travailler ni apprendre, rentre chez toi,
nul ne te force à venir à l’école ».
L’institution scolaire place les instituteurs et les professeurs dans une position
très difficile : ils doivent instruire, vingt-cinq à trente-cinq heures par semaine,
quarante semaines par an, durant dix à vingt ans, des enfants, puis des adoles-
cents dont certains n’ont rien demandé. Naïvement, on pourrait en conclure que
la compétence et l’envie de développer le désir de savoir et la décision
d’apprendre (Delannoy, 1997) sont au cœur du métier d’enseignant.
En réalité, désir de savoir et décision d’apprendre ont longtemps paru des fac-
teurs hors de portée de l’action pédagogique : s’ils étaient au rendez-vous, il
paraissait possible d’enseigner, s’ils faisaient défaut, aucun apprentissage ne
semblait concevable. Nul enseignant n’est entièrement affranchi de l’espoir de
n’avoir affaire qu’à des élèves « motivés ». Chacun attend des élèves qu’ils
s’impliquent dans leur travail, manifestent le désir de savoir et la volonté
d’apprendre. La motivation est trop souvent encore tenue pour un préalable,
dont la force ne dépend pas du maître.
D’où viendrait-elle alors ? Du patrimoine génétique, de la constitution physique,
de la personnalité, de la culture du milieu ou de la famille d’origine, des
influences de l’entourage familial, du bon ou du mauvais exemple des cama-
rades ? Les « théories subjectives » de la volonté de travailler et d’apprendre

67
Impliquer les élèves dans leurs apprentissages et leur travail

sont sans doute aussi diverses et floues que les représentations spontanées de
l’intelligence et de sa genèse. Toutefois, en dépit des différences, on trouve un
commun sentiment d’impuissance et d’irresponsabilité.
La démocratisation des études a amené dans les écoles secondaires des élèves
qui jadis entraient directement dans la vie active. C’en est fini des « héritiers »,
acquis à la culture scolaire et dont la seule résistance est de l’ordre de la paresse
et du chahut organisé. Les professeurs ont dû déchanter. Au secondaire, les éta-
blissements accueillent des élèves très hétérogènes sous l’angle du rapport au
savoir. Au primaire, la tradition est d’accueillir tout le monde, mais les ambi-
tions se sont élevées, confrontant le corps enseignant à des élèves faiblement
désireux d’apprendre, encore moins de travailler.
La prise en charge du désir et de la volonté s’est peu à peu inscrite dans le
métier d’enseignant, souvent faute de pouvoir faire autrement plutôt que par
envie d’éveiller des vocations. La vogue du « projet personnel de l’élève » ne
doit pas faire illusion : les enseignants savent bien que beaucoup d’élèves n’ont
guère de projet et qu’il est difficile de leur en proposer un. La nostalgie n’a pas
disparu de classes homogènes et prêtes à se mettre au travail. Mais il faut bien
faire avec la réalité de la scolarisation de masse.
Sans doute subsiste-t-il un large éventail d’attitudes parmi les enseignants : les
uns ne perdent toujours pas une seconde à développer la motivation des élèves et
pensent qu’ils « ne sont pas payés pour cela » ; ils se bornent à l’exiger et à rap-
peler les conséquences catastrophiques d’un manque de travail et de réussite.
D’autres consacrent une partie non négligeable de leur temps à encourager, à
renforcer une certaine curiosité. Le langage des centres d’intérêt, des activités
de libération, d’éveil ou de motivation est devenu banal. Il peut donner l’illusion
que susciter ou entretenir l’envie d’apprendre est une préoccupation désormais
largement répandue chez les enseignants. La réalité est moins rose. Très peu
d’enseignants sont prêts à se dire systématiquement : « Un grand nombre de
mes élèves ne voient ni l’intérêt, ni l’utilité des savoirs que je souhaite leur faire
apprendre. Je vais donc consacrer une partie importante de mon travail à déve-
lopper le désir de savoir et la décision d’apprendre. » Il est vrai qu’un tel constat
est profondément décourageant, lorsqu’on travaille dans une institution qui
entretient la fiction d’élèves disposés à apprendre et qui fixe les plans d’études
en conséquence.
Si l’école voulait créer et entretenir le désir de savoir et la décision d’apprendre,
elle devrait alléger considérablement ses programmes, de sorte à intégrer au
traitement d’un chapitre tout ce qui permet aux élèves de lui donner du sens et
d’avoir envie de se l’approprier. Or, les programmes sont conçus pour des
élèves dont l’intérêt, le désir de savoir et la volonté d’apprendre sont censés être
acquis et stables. Leurs auteurs n’ignorent pas que ces préalables font défaut à
certains élèves, mais ils parient alors sur une motivation « extrinsèque », imagi-
nant qu’ils travailleront sous la menace d’une mauvaise note, d’une sanction,

68
Impliquer les élèves dans leurs apprentissages et leur travail

d’un avenir compromis ou, pour les plus jeunes, d’un retrait d’amour ou
d’estime de la part des adultes. On ne peut demander aux enseignants de faire
des miracles lorsque leur cahier des charges est basé sur une fiction collective.
La prise en charge du sens à construire ne saurait reposer sur les épaules des
enseignants seulement.
Toutefois, n’attendons pas que les auteurs des programmes les aient allégés pour
nous demander comment on pourrait alors mieux impliquer les élèves dans leur
apprentissage et leur travail. Avoir plus de temps n’est qu’une condition néces-
saire. La compétence requise est d’ordre didactique, épistémologique, relation-
nel. On peut en isoler diverses composantes, qui sont autant de compétences
plus spécifiques :
• Susciter le désir d’apprendre, expliciter le rapport au savoir, le sens du travail
scolaire et développer la capacité d’autoévaluation chez l’enfant.
• Instituer et faire fonctionner un conseil des élèves (conseil de classe ou
d’école) et négocier avec les élèves divers types de règles et de contrats.
• Offrir des activités de formation optionnelles, « à la carte ».
• Favoriser la définition d’un projet personnel de l’élève.
Examinons-les, une à une.

Susciter le désir d’apprendre, expliciter le rapport


au savoir, le sens du travail scolaire et développer
la capacité d’autoévaluation chez l’enfant

La distinction entre désir de savoir et décision d’apprendre, telle que la propose


Delannoy (1997), suggère au moins deux moyens d’action. Certaines personnes
ont du plaisir à apprendre pour apprendre, elles aiment maîtriser des difficultés,
surmonter des obstacles. En définitive, peu leur importe le résultat. Seul le pro-
cessus les intéresse. Une fois qu’il a abouti, elles passent à autre chose, comme
l’écrivain se détourne du roman achevé pour commencer un autre livre. À de
tels élèves, l’enseignant peut se borner à proposer des défis intellectuels et des
problèmes, sans trop insister sur les aspects utilitaires.
Pour la plupart, les gens sont, par moments, susceptibles de se prendre au jeu de
l’apprentissage, si on leur offre des situations ouvertes, stimulantes, intéres-
santes. Il y a des façons plus ludiques que d’autres de proposer la même tâche
cognitive. Il n’est pas indispensable que le travail scolaire ressemble à un che-
min de croix, on peut apprendre en riant, en jouant, en ayant du plaisir.

69
Impliquer les élèves dans leurs apprentissages et leur travail

Hélas, cela ne suffira pas toujours, même lorsque l’enseignant fait tout ce qu’il
peut pour mobiliser le plus grand nombre. Sauf à quelques-uns, apprendre coûte
du temps, des efforts, des émotions douloureuses : angoisse de l’échec, frustra-
tion de ne pas y arriver, sentiment d’atteindre ses limites, peur du jugement
d’autrui. Pour consentir un tel investissement, donc prendre la décision
d’apprendre et s’y tenir, il faut une bonne raison. Le plaisir d’apprendre en est
une, le désir de savoir en est une autre.
Ce désir est multiple : savoir pour comprendre, pour agir efficacement, pour
réussir un examen, pour être aimé ou admiré, pour séduire, pour exercer un pou-
voir… Le désir de savoir n’est pas d’un seul tenant. L’école, même si elle plaide
dans l’absolu pour un rapport désintéressé au savoir, ne peut, au jour le jour, se
permettre de mépriser les autres mobiles. Les plus étrangers au contenu même
du savoir en jeu offrent inévitablement de moindres garanties d’une construction
active, personnelle et durable des connaissances. Toutefois, face à tant d’élèves
qui ne manifestent aucune envie de savoir, une volonté d’apprendre, même fra-
gile et superficielle, est déjà un cadeau.
Les stratégies des enseignants peuvent donc se développer dans un double
registre :
– créer, intensifier, diversifier le désir de savoir ;
– favoriser ou renforcer la décision d’apprendre.
Du désir de savoir à la décision d’apprendre, la ligne n’est pas droite. Même les
élèves les plus convaincus de l’intérêt qu’ils auraient à savoir les mathématiques
ou la géographie peuvent « craquer » face au travail requis pour mettre ce projet
en œuvre. L’enfer de l’échec scolaire est pavé de bonnes intentions. Il y a à peu
près autant de cohérence chez un enfant qui a décidé d’apprendre que chez un
adulte qui a décidé de maigrir ou d’arrêter de fumer. Si l’envie de savoir est une
condition nécessaire, elle n’est suffisante que chez les êtres très rationnels et
dotés de la volonté de faire, contre vents et marées, ce qu’ils ont décidé. Chez
les autres, les résistances du savoir et les coûts de l’apprentissage ne peuvent
laisser indemne une décision d’apprendre qui, elle-même, lorsqu’elle vacille,
affaiblit le désir de savoir qui était à son fondement. Nous ne cessons de renon-
cer à nombre de choses qui, un instant, nous ont paru désirables, car à l’usage,
nous nous rendons compte que l’investissement est plus lourd que nous ne pen-
sions ou qu’il entre en conflit avec d’autres projets ou d’autres désirs.
Enseigner, c’est donc renforcer la décision d’apprendre, sans faire comme si
elle était prise une fois pour toutes. C’est ne pas enfermer l’élève dans une
conception de l’être raisonnable et responsable qui ne convient même pas à la
plupart des adultes.
Enseigner, c’est aussi stimuler le désir de savoir. On ne peut désirer savoir lire,
calculer de tête, communiquer en allemand ou comprendre le cycle de l’eau que
si on se représente ces acquis et leurs usages. C’est parfois difficile, parce que la
pratique en jeu reste opaque, vue de l’extérieur. Comment quelqu’un qui n’ima-

70
Impliquer les élèves dans leurs apprentissages et leur travail

gine même pas ce qu’est le calcul différentiel pourrait-il désirer le maîtriser ?


Comment pourrait-il saisir ce dont il s’agit sans le maîtriser ?
Cependant, ce paradoxe ne vaut pas dans la même mesure pour toutes les com-
posantes du programme. Un enfant de quatre ans ne comprend pas exactement
ce que lire veut dire, d’un point de vue cognitif, mais il a parfois déjà une repré-
sentation de la lecture et des pouvoirs qu’elle donne. Un rapport au savoir
(Charlot, 1997) est toujours solidaire d’une représentation des pratiques sociales
dans lesquelles il s’investit.
Au départ, cette représentation n’est pas constituée chez tous ses élèves. Il
appartient à l’enseignant de la faire construire ou de la consolider. Même pour
les compétences de base, dont l’usage paraît « évident », rien ne va de soi.
L’entrée dans la culture écrite (Bernardin, 1997) est une étape souvent franchie
avant l’entrée à l’école par les enfants issus des milieux favorisés, mais très
incertaine chez les autres. Étudiant l’illettrisme qui frappe 8 % des jeunes
adultes français, Bentolila (1996) montre bien que ce sont l’observation et l’anti-
cipation des usages sociaux de la langue qui donnent du sens à son apprentis-
sage. C’est parce que cette familiarité lui fait défaut que Mathieu, 20 ans, est
illettré :
« Son père, représentant de commerce, il ne l’a vu ni très souvent ni bien
longtemps. Sa mère, infirmière dans un hôpital à l’autre bout de Paris, avait
bien autre chose à faire que lire. Non, les livres ne faisaient pas partie de
l’univers de la famille D. Le dialogue non plus d’ailleurs : on se parlait peu,
on s’écoutait encore moins […]. Les mots lui manquent pour dire le monde,
les phrases lui font défaut pour exprimer ce qu’il pense. L’idée même que
l’on puisse communiquer à quelqu’un d’autre ce que l’on pense lui est tota-
lement étrangère. Il désigne les objets et les êtres, il constate les événements,
mais il ne parle de rien ; il ne questionne sur rien » (Bentolila, 1996, p. 9-10).
Mathieu « ignore ce que parler veut dire » ! Comment pourrait-il construire un
désir de maîtrise à l’endroit d’une pratique dont il imagine à peine l’existence et
qui semble ne pas le concerner ?
De nombreux chercheurs travaillent aujourd’hui sur le sens des savoirs, du tra-
vail et de l’expérience scolaires. Les uns étudient d’un point de vue sociolo-
gique, le rapport aux savoirs enseignés (Charlot, 1997 ; Charlot, Bautier et
Rochex, 1995 ; Dubet et Martucelli, 1996 ; Montandon, 1997 ; Perrenoud,
1996 a ; Rochex, 1995). D’autres adoptent un point de vue plus didactique
(Astolfi, 1992 ; Baruk, 1985 ; Develay, 1996 ; De Vecchi et Carmona-Magnaldi,
1996 ; Jonnaert, 1985 ; Jonnaert et Lenoir ; Vellas, 1996). D’autres encore d’un
point de vue psychanalytique (Bettelheim et Zelan, 1983 ; Cifali, 1994 ;
Delannoy, 1997 ; Filloux, 1974 ; Imbert, 1994, 1996). Toutes ces approches
sont loin de faire le tour du problème, mais elles suggèrent qu’en ce domaine,
les compétences de l’enseignant auraient intérêt à se fonder sur une culture en
sciences humaines au-delà du sens commun. À la plupart des élèves qui ont
un rapport brouillé à l’école ou au savoir, il ne sert à rien de prodiguer des

71
Impliquer les élèves dans leurs apprentissages et leur travail

encouragements, d’en appeler à la raison, de dire : « C’est pour ton bien » ou


encore : « Tu comprendras plus tard ».
La compétence professionnelle visée ici fait appel à deux ressources plus poin-
tues :
– d’une part, une compréhension et une certaine maîtrise des facteurs et des
mécanismes sociologiques, didactiques et psychologiques en jeu dans la nais-
sance et le maintien du désir de savoir aussi bien que de la décision
d’apprendre ;
– d’autre part, des habiletés dans le domaine de la transposition didactique, des
situations, des compétences, du travail sur le transfert des connaissances, autant
de ressources pour aider les élèves à se représenter les pratiques sociales aux-
quelles on les prépare et le rôle des savoirs qui les rendent possibles.

Instituer un conseil des élèves et négocier avec eux


divers types de règles et de contrats

La construction de sens n’est pas entièrement dictée par la culture de l’acteur,


elle évolue avec la situation, au gré des interactions. Suffit-il, dès lors,
d’expliquer de temps en temps, à l’ensemble de la classe, la raison d’être de
tel ou tel chapitre ? Il en faut davantage pour convaincre ceux qui en auraient
le plus besoin. La construction du sens doit être en partie différenciée et sur-
tout s’inscrire dans un dialogue singulier avec un élève ou un petit groupe.
On peut cependant investir dans une définition collective des règles du jeu.
Le conseil de classe, inventé par Freinet, développé par la pédagogie institu-
tionnelle, est souvent ramené à un lieu de régulation des déviances et des
conflits : on ne s’écoute pas, on ne respecte pas les autres, on exerce des vio-
lences, on accapare des ressources ; les victimes se plaignent, les coupables
s’expliquent, le conseil prend des mesures. S’il parvient à rétablir l’harmonie,
il semble soudain perdre sa fonction médiatrice. Or, chez Freinet comme
dans la pédagogie institutionnelle, le conseil n’est pas en priorité un lieu de
résolution de conflits. Le travail, les savoirs et l’apprentissage n’ont aucune
raison d’être « chassés » du conseil de classe par les problèmes discipli-
naires, qui naissent d’ailleurs souvent de l’ennui et de l’absence de sens du
travail scolaire.
Le conseil de classe est un lieu où il est possible de gérer ouvertement l’écart
entre le programme et le sens que les élèves donnent à leur travail. Il y a,
dans chaque classe, un contrat pédagogique (Filloux, 1974) et didactique

72
Impliquer les élèves dans leurs apprentissages et leur travail

(Schubauer-Leoni, 1986 ; Brousseau, 1996 ; Jonnaert, 1996 ; Joshua, 1996)


au moins implicite, qui fixe certaines règles du jeu autour du savoir, interdi-
sant par exemple à l’enseignant de poser des questions sur des sujets qu’il n’a
pas encore abordés ou à l’élève de demander constamment pourquoi on étu-
die ceci ou cela. Le rapport légitime au savoir est défini par le contrat didac-
tique, qui enjoint par exemple à l’élève de se mettre au travail même s’il ne
comprend pas le but d’une activité.

Le conseil de classe pourrait être le lieu où l’on gère ouvertement la distance


entre les élèves et le programme, où l’on codifie des règles, par exemple les
« droits imprescriptibles de l’apprenant ». J’ai appelé de la sorte (Perrenoud,
1994 d), en m’inspirant des droits imprescriptibles du lecteur proposés par
Pennac (1991), une série de droits susceptibles d’amender le contrat pédago-
gique et didactique :

LES DROITS IMPRESCRIPTIBLES DE L’APPRENANT

1. Le droit de ne pas être constamment attentif.


2. Le droit à son for intérieur.
3. Le droit de n’apprendre que ce qui a du sens.
4. Le droit de ne pas obéir six à huit heures par jour.
5. Le droit de bouger.
6. Le droit de ne pas tenir toutes ses promesses.
7. Le droit de ne pas aimer l’école et de le dire.
8. Le droit de choisir avec qui on veut travailler.
9. Le droit de ne pas coopérer à son propre procès.
10. Le droit d’exister comme personne.

Que le lecteur se sente invité à compléter cette liste, en pensant au désir de


savoir et à la décision d’apprendre. Non pas pour imposer une charte toute faite
aux élèves, mais pour avoir une idée de ce qui pourrait surgir si le conseil de
classe se donnait pour tâche de rendre le travail scolaire acceptable.

Les pouvoirs du groupe-classe (Imbert, 1976, 1998) sont considérables et peuvent


jouer un rôle essentiel de médiation : le rapport au savoir peut être redéfini dans la
classe, au gré d’une véritable négociation du contrat didactique, ce qui suppose évi-
demment, du côté de l’enseignant, la volonté et la capacité d’écouter les élèves, de
les aider à formuler leur pensée et de tenir compte de leurs propos…

73
Impliquer les élèves dans leurs apprentissages et leur travail

Offrir des activités de formation à options

Cette compétence peut sembler mineure. Chacun est capable de proposer des
activités équivalentes à certains moments : thème d’un texte ou d’un dessin,
choix du poème ou de la chanson à apprendre, option entre plusieurs exercices
de même niveau. On peut à ce propos avancer quatre hypothèses :
1. Ces choix ne sont offerts que s’ils correspondent à des chemins différents
pour atteindre le même objectif de formation.
2. Les enseignants sous-estiment l’importance de ces choix pour les élèves et ne
s’appliquent pas à les offrir aussi souvent que possible. Ils y renoncent donc
chaque fois que cela « complique la vie » sans profit visible, en raison du maté-
riel requis, de la difficulté du suivi ou de l’évaluation d’activités dissemblables
ou des problèmes de justice qui s’ensuivent.
3. Les choix se concentrent plutôt sur les disciplines secondaires.
4. Ils ne sont aménagés que si l’enseignant maîtrise leurs implications en termes
de didactique, d’évaluation et de gestion de classe.
En bref : la standardisation paraît la règle, la diversification des activités
demeure l’exception ; on n’y pense pas systématiquement et on y renonce si elle
pose des problèmes d’organisation.
Pourtant, chacun le sait, le sens d’une activité, pour n’importe qui, dépend forte-
ment de son caractère choisi ou non ; lorsque l’activité elle-même est imposée,
son sens dépend encore de la possibilité de choisir la méthode, les moyens, les
étapes de réalisation, le lieu de travail, les échéances, les partenaires. L’activité
dont il ne choisit aucune composante a bien peu de chances d’impliquer l’élève.
Étudiant les effets de l’organisation du travail sur la dynamique psychique,
Dejours (1993) montre que la fatigue, le stress, l’insatisfaction, le sentiment
d’aliénation et de non-sens s’accroissent lorsque l’organisation du travail est
rigide et ne laisse aucune marge à la personne pour adapter la tâche à ses
rythmes, son corps, ses préférences, sa vision des choses. Ce qui vaut pour les
travailleurs dans l’entreprise vaut aussi pour les élèves !
On pourrait définir la compétence professionnelle visée ici comme « l’art de
faire de la diversité la règle », la standardisation des activités n’apparaissant que
de cas en cas, pour des raisons spécifiques. Dite de façon aussi radicale, la chose
peut paraître impossible. La diversification systématique des tâches pose en effet
des problèmes de gestion de classe et de matériel qui peuvent devenir prohibi-
tifs. Mieux vaut le reconnaître avec réalisme. Avant de se heurter à de tels obs-
tacles, on rencontre un problème didactique : aussi longtemps que l’enseignant
ne se sent pas libre de distendre les liens convenus (et souvent implicites) entre
un objectif d’apprentissage, une activité cognitive censée le servir et les moyens
d’enseignement correspondants, il aura tendance à « faire un paquet », ce qui

74
Impliquer les élèves dans leurs apprentissages et leur travail

conduit à laisser très peu de marge aux élèves. De fait, la formation des ensei-
gnants les familiarise souvent avec des activités associées à des chapitres du pro-
gramme plutôt que de les nantir des compétences nécessaires pour choisir ou
éliminer des activités en fonction d’un objectif de formation.
Sous l’apparente simplicité des options qu’offrent systématiquement certains
enseignants, notamment dans le cadre d’un « plan de semaine » ou de quin-
zaine, se cache donc une grande confiance dans les effets de formation des acti-
vités qu’ils mettent en place et la certitude qu’elles constituent des voies équiva-
lentes pour atteindre les mêmes objectifs. La dissociation alors opérée entre
contenus et objectifs concilie sécurité et liberté.

Favoriser la définition d’un projet personnel de l’élève

L’émergence du PPE (projet personnel de l’élève) en France peut laisser son-


geur. Faire comme si les élèves avaient un projet et s’il suffisait d’y répondre est
une forme de supercherie, et même d’injonction paradoxale, notamment pour
les élèves en difficulté. On masque, de la sorte, le caractère obligatoire de l’ins-
truction. On attend le PPP, « projet personnel du prisonnier » !
S’évader, voici peut-être le projet spontané de l’élève qui n’a pas demandé à
aller à l’école. S’évader physiquement n’est pas facile et toute tentative se paie
cher, mais on peut s’évader mentalement, en rêvant, les yeux dans le vague, en
bavardant ou en regardant par la fenêtre.
Comme le dit Delannoy (1997), « Évitons d’abord de démotiver ». Aux élèves qui
ont un projet personnel, l’école n’offre guère d’encouragements, sauf si leur projet
coïncide miraculeusement avec le programme et les conduit à faire spontanément
ce que le maître avait justement l’intention de leur demander… Une première fa-
cette de la compétence visée consiste donc à identifier les projets personnels exis-
tants, sous toutes leurs formes, à les valoriser, à les renforcer. Le projet personnel
d’un enfant n’est pas nécessairement complet, cohérent et stable. La meilleure ma-
nière de le faire disparaître est sans doute de lui appliquer une logique d’adulte.
Elias Canetti (1980) raconte :
« Mon père lisait journellement la Neue Freie Presse, et c’était un grand
moment quand il dépliait lentement son journal. Il n’avait plus d’yeux pour
moi une fois qu’il avait commencé à lire, je savais qu’il ne me répondrait en
aucun cas, ma mère elle-même ne lui demandait rien alors, même pas en
allemand. Je cherchais à savoir ce que ce journal pouvait bien avoir de si atti-
rant ; au début, je pensais que c’était son odeur ; quand j’étais seul et que
personne ne me voyait, je grimpais sur la chaise et flairais avidement le jour-
nal. Ensuite seulement, je m’aperçus que la tête de mon père ne cessait de
pivoter tout le long du journal ; je fis de même, derrière son dos, tandis que je

75
Impliquer les élèves dans leurs apprentissages et leur travail

jouais par terre, donc sans même avoir sous les yeux le journal qu’il tenait à
deux mains sur la table. Un visiteur entra une fois à l’improviste et appela
mon père qui se retourna et me surprit lisant un journal imaginaire. Il me
parla alors avant même de s’occuper du visiteur, m’expliquant qu’il s’agis-
sait des lettres, toutes les petites lettres, là, et il tapota dessus avec l’index. Je
les apprendrais bientôt moi-même, ajouta-t-il, éveillant en moi une curiosité
insatiable pour les lettres. »
Cet enfant amènera à l’école un projet : lire toutes les « petites lettres ». Hélas, on ne
peut exclure qu’un tel désir de savoir disparaisse si on le passe à la moulinette d’une
méthode orthodoxe d’apprentissage de la lecture. Les projets sont fragiles, pas tou-
jours rationnels, pas toujours justifiables, mais ce sont les vrais moteurs de notre ac-
tion. L’enseignant a donc intérêt à être formé pour les prendre comme ils sont et,
s’ils ne mènent pas très loin ou ne mènent pas là où l’école veut conduire les élèves,
à savoir les faire évoluer de façon concertée, de sorte qu’ils engendrent d’autres
projets, plus ambitieux ou plus conformes au programme.
Quant aux élèves qui n’ont pas de projet personnel, le plus grave serait de leur lais-
ser entendre qu’il leur « manque une case ». Étienne et al. (1992) soulignent que le
projet peut, si l’on n’y prend garde, devenir une nouvelle norme, et donc une nou-
velle fiction. Boutinet (1993) a montré que construire son identité et sa vie en for-
mant des projets est un rapport au monde parmi d’autres, qui caractérise les socié-
tés dites modernes. Se projeter dans l’avenir n’a guère de sens dans les sociétés où
l’identité ne passe pas par la réalisation de soi et la transformation du monde. On re-
trouve en partie cette diversité au sein de chaque société ; dans la nôtre, toutes les fa-
milles n’ont pas la même capacité à faire et réaliser des projets. Cette capacité est
fortement liée au pouvoir qu’on exerce sur sa propre vie et celle des autres. C’est
pourquoi les individus et les groupes dominés n’ont guère les moyens de former
des projets. Exiger d’un enfant qu’il exprime ou se donne rapidement un projet per-
sonnel est donc une forme de violence culturelle qui, aussi involontaire soit-elle,
manifeste un manque de respect de la diversité des rapports au monde.
En même temps, inscrire son effort présent dans un projet reste la plus sûre maniè-
re de lui donner un sens. Tentons de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain ! La pre-
mière facette de la compétence requise consiste donc à naviguer entre la manipula-
tion et le laxisme. Il est légitime de pousser un enfant à s’interroger, à faire des
projets, à inscrire son travail dans une perspective à moyen ou long terme. Peut-être
est-ce même un objectif majeur de la scolarité de base : devenir capable de former
des projets, de les réaliser, de les évaluer. A condition de se souvenir que c’est un
long chemin et il serait injuste et peu efficace d’en faire un prérequis pour les autres
apprentissages. S’ils s’inscrivent dans un projet personnel à moyen terme, tant
mieux ! Sinon, la construction du sens doit prendre d’autres détours.
On voit que cette dernière compétence, comme les autres, demande certes des
connaissances didactiques, mais aussi une forte capacité de communication, d’em-
pathie, de respect de l’identité de l’autre. Relire Frankenstein pédagogue (Meirieu,
1996) avant chaque rentrée scolaire éviterait de faire de l’exigence préalable d’un
projet personnel une nouvelle forme de violence symbolique…

76
5

Travailler en équipe

L’évolution de l’école va dans le sens de la coopération professionnelle. Effet de


mode, sous l’influence de rêveurs, diront ceux qui ne se sentent bien que « seuls
maîtres à bord ». Il y a pourtant de multiples raisons d’inscrire la coopération
dans les routines du métier d’enseignant. En voici quelques-unes :
• L’intervention croissante, dans l’école, de psychologues et d’autres profession-
nels du secteur médico-pédagogique ou médico-social, appelle des collabora-
tions nouvelles, autour de cas d’élèves qui ont de graves difficultés, souffrent de
handicaps ou sont l’objet de violences ou d’autres formes de maltraitance.
• La division du travail pédagogique s’accroît à l’école primaire, avec l’émer-
gence de rôles spécifiques (soutien pédagogique, coordinateurs de projets, inter-
vention de maîtres spécialistes) et le développement du travail en duo. Cela sus-
cite des formes nouvelles de coopération, par exemple la répartition équitable
des tâches et du partage de l’information au sein d’un duo, ou la délégation d’un
problème qui dépasse le titulaire à des spécialistes, avec le maximum d’indica-
tions pour faciliter leur travail.
• On insiste de plus en plus sur la continuité des pédagogies, d’une année sco-
laire à la suivante, comme facteur de réussite scolaire. La redéfinition du métier
d’élève, du contrat didactique, des exigences au début de chaque année scolaire
perturbent les élèves les plus fragiles et leurs familles ; de plus, l’absence de col-
laboration entre titulaires de degrés successifs accroît la probabilité de redouble-
ment des élèves en difficulté.
• L’évolution dans le sens de cycles d’apprentissage de deux ans ou davantage
induit une forte pression à la collaboration entre enseignants, auxquels on
demande une prise en charge conjointe et une coresponsabilité des élèves d’un
cycle.
• La volonté de différencier et de conduire des démarches de projet favorise des
décloisonnements ponctuels, voire des mises en commun plus larges.
• Les parents s’organisent, demandent un dialogue de groupe à groupe et espè-
rent des réponses cohérentes des enseignants, ce qui pousse ces derniers à faire
front commun.

77
Travailler en équipe

• La constitution des établissements en « personnes morales », en collectivités,


censées développer un projet, auxquelles le système envisage de concéder une
plus grande autonomie, appelle des fonctionnements coopératifs plus réguliers.

Il s’ensuit que travailler ensemble devient une nécessité, liée à l’évolution du


métier plus qu’un choix personnel. Dans le même temps, il y a de plus en plus
d’enseignants, jeunes ou moins jeunes, qui souhaitent travailler en équipe, en
visant des niveaux de coopération plus ou moins ambitieux. Certains excluent
radicalement de travailler en solitaires, d’autres sont plus ambivalents, mais
voient les avantages d’une coopération régulière si elle leur laisse une autono-
mie suffisante.

Travailler en équipe, à quoi cela engage-t-il au juste ? Il y a divers types


d’équipes. De l’arrangement qui permet de se partager des ressources à la cores-
ponsabilité d’un groupe d’élèves, il y a plusieurs paliers, qu’on peut schématiser
comme suit :

TRAVAILLER EN ÉQUIPE : NIVEAUX D’INTERDÉPENDANCE

Partage de Partage Partage de Partage


ressources d’idées pratiques d’élèves

Pseudo équipe =
arrangement •
matériel

Équipe lato sensu =


groupe • •
d’échange

Équipe stricto sensu =


coordination • • •
de pratiques

Équipe stricto sensu =


coresponsabilité • • • •
d’élèves

Même un arrangement purement matériel suppose quelques compétences, par


exemple pour garantir une certaine justice. Chaque fois qu’un collectif reçoit
des ressources à répartir, par exemple un fonds d’école, un matériel vidéo ou des
équipements informatiques, la question se pose : à chacun selon ses besoins, ses
mérites, ses projets, ou à chacun exactement la même chose ? Une pseudo

78
Travailler en équipe

équipe peut éclater et perdre ses ressources pour n’avoir pas su trouver une
répartition à la fois intelligente et équitable.
Dans une équipe lato sensu, on se borne à discuter des idées et des pratiques
respectives, sans rien décider. Pourtant, de tels échanges exigent une forme
d’équité dans la prise de parole et de risques : si ce sont toujours les mêmes
qui racontent, soumettent un problème, demandent un conseil, et toujours les
mêmes qui écoutent, critiquent ou disent « il n’y a qu’à… », cela ne durera
pas. De plus, un échange peut mettre à mal l’image de soi d’un praticien,
même si elle n’entame pas formellement son autonomie. Si chacun se protège
et n’offre qu’une surface lisse, les échanges restent creux. S’ils deviennent
plus authentiques, ils peuvent, s’ils sont mal conduits, laisser des blessures
durables à ceux qui ont l’impression de n’avoir pas été compris et soutenus,
mais plutôt jugés et désavoués. Les membres des équipes qui durent mani-
festent de fortes compétences de communication.
C’est encore plus évident dans une équipe stricto sensu, puisqu’elle fonc-
tionne comme un véritable collectif, au profit duquel chacun aliène, volon-
tairement, une partie de sa liberté professionnelle. Lorsqu’on se limite à une
coordination des pratiques, chacun gardant « ses » élèves, tout dépend de ce
qu’on met en commun : on survit facilement à un dysfonctionnement durant
dix jours d’ateliers décloisonnés avant Noël. C’est plus problématique dans
le cadre d’un dispositif qui exige, durant toute l’année scolaire, une division
du travail flexible et une concertation régulière sur le programme, les activi-
tés et l’évaluation. La coresponsabilité des mêmes élèves exige encore plus
de compétences, car même s’ils ne s’entendent pas, les enseignants ne peu-
vent alors se séparer en cours d’année…
Dans tous les cas, il faut que chacun trouve sa place, protège sa part de fantaisie,
voire de folie (Perrenoud, 1994 f, 1996 c). Même dans une équipe démocra-
tique, composée d’égaux, certains exercent une forte influence sur les décisions
de l’équipe et ont donc peu de mérite à y adhérer, alors que d’autres ont
l’impression de subir « la loi du groupe » ou de son leader. Sans compétences
de régulation, permettant d’exprimer de telles impressions et de proposer un
meilleur équilibre, l’équipe éclatera ou ira vers une parodie de coopération.
Travailler en équipe est donc une affaire de compétences, mais présuppose
aussi la conviction que la coopération est une valeur professionnelle. Les
deux aspects sont plus liés qu’on ne le pense : on dévalorise volontiers ce
qu’on ne maîtrise pas. Certaines des réticences à l’égard du travail d’équipe
masquent la peur de ne pas savoir tirer son épingle du jeu, de se faire « man-
ger » ou dominer par le groupe ou ses leaders. À l’inverse, une adhésion
enthousiaste au principe du travail en équipe faiblira si l’on découvre qu’on
ne sait pas fonctionner de façon coopérative, que cela prend beaucoup de
temps ou crée un ressentiment ou un stress qu’on n’arrive ni à dépasser, ni
même à verbaliser.

79
Travailler en équipe

Ce qui conduit à distinguer trois grandes compétences :


« 1. Savoir travailler efficacement en équipe et passer d’une « pseudo-
équipe » à une véritable équipe.
2. Savoir discerner les problèmes qui appellent une coopération intensive.
Être professionnel, ce n’est pas travailler en équipe « par principe », c’est
savoir le faire à bon escient, lorsque c’est plus efficace. C’est donc participer
à une culture de coopération, y être ouvert, savoir trouver et négocier les
modalités de travail optimales, en fonction des problèmes à résoudre.
3. Savoir percevoir, analyser et combattre les résistances, obstacles, para-
doxes et culs de sacs liés à la coopération, savoir s’autoévaluer, porter un
regard compréhensif sur un aspect de la profession qui n’ira jamais de soi,
vu sa complexité » (Gather Thurler, 1996 a, p. 151).
Je soulignerai particulièrement la deuxième idée : savoir travailler en équipe,
c’est aussi, paradoxalement, savoir ne pas travailler en équipe lorsque le jeu
n’en vaut pas la chandelle. La coopération est un moyen, qui doit présenter plus
d’avantages que d’inconvénients. Il ne faut pas s’y accrocher si, par exemple, le
temps de concertation et l’énergie psychique requis pour atteindre un consensus
sont disproportionnés en regard des bénéfices attendus. Une équipe qui dure a
un savoir irremplaçable : laisser à ses membres une large autonomie de concep-
tion ou de réalisation chaque fois qu’il n’est pas indispensable de se tenir par la
main…
Le référentiel adopté ici énumère des compétences plus précises :
• Élaborer un projet d’équipe, des représentations communes.
• Animer un groupe de travail, conduire des réunions.
• Former et renouveler une équipe pédagogique.
• Confronter et analyser ensemble des situations complexes, des pratiques et des
problèmes professionnels.
• Gérer des crises ou des conflits entre personnes.
Examinons chacune de ces compétences plus en détail.

Élaborer un projet d’équipe,


des représentations communes

La coopération n’implique pas toujours un projet commun. Même lorsque cha-


cun suit sa route et « fait ce qu’il a à faire », il arrive que son intérêt lui com-
mande de construire des alliances, des arrangements, des collaborations ponc-
tuelles, sans pour autant s’embarquer durablement sur la même galère. Savoir
coopérer est donc une compétence qui dépasse le travail d’équipe. S’entendre

80
Travailler en équipe

avec des parents pour faire face à l’absentéisme ou à l’indiscipline de leur


enfant, ou avec des collègues pour surveiller les récréations en alternance, ce
n’est pas encore former une véritable équipe.
On peut définir une équipe comme un groupe réuni par un projet commun, dont
l’accomplissement passe par diverses formes de concertation et de coopération.
Les projets sont aussi divers que les situations et les actions possibles dans le
métier. J’en distinguerai de deux types :
– les projets qui se nouent autour d’une activité pédagogique précise, par
exemple monter un spectacle en commun, organiser une journée sportive, pro-
poser des ateliers décloisonnés, éditer un journal ; la coopération est alors le
moyen de réaliser une entreprise que personne n’a la force ou l’envie de
conduire seul ; elle s’arrête au moment où l’entreprise s’achève ;
– les projets dont la coopération elle-même est l’enjeu, et qui n’ont pas
d’échéances précises, puisqu’ils visent à instaurer une forme de professionnalité
interactive (Gather Thurler, 1996 a) qui s’apparente à un mode de vie et de tra-
vail plutôt qu’à un détour pour atteindre un but précis.
Bien entendu, l’opposition n’est pas absolue : une équipe réunie pour conduire
une entreprise définie peut, à son terme, s’engager dans une nouvelle aventure et
s’instituer en réseau permanent de coopération ; à l’inverse, une équipe fondée
sur l’envie de travailler ensemble conduit à s’impliquer dans des entreprises
communes, qui deviennent parfois sa principale raison d’être.
Dans les deux cas, il importe de savoir élaborer un projet. Dans une « culture à
projet » (Boutinet, 1993), chacun est familier de l’idée de projet. De là à maîtri-
ser les phases de négociation et de conduite d’un projet collectif, il y a un pas…
Dans le projet de type « entreprise collective visant une réalisation », il est rela-
tivement facile d’identifier le produit visé, mais il reste à se mettre d’accord sur
l’image exacte qu’on s’en fait, le niveau d’exigence, les destinataires, le calen-
drier, la division des tâches, le leadership, toutes choses qui doivent être clari-
fiées pour que chacun puisse s’engager en connaissance de cause.
Dans un projet de type « mise en commun de forces et d’idées, coordination de
pratiques », la raison d’être de la coopération est moins facile à formuler. À la
question : « Qu’allons-nous faire ensemble ? », on peut alors répondre : « Nous
en déciderons ensemble », laissant le questionneur sur sa faim. C’est aussi plus
risqué : lorsqu’on projette de monter un spectacle, il s’agit d’une action délimi-
tée, alors que le projet de travailler ensemble s’étend aux relations profession-
nelles quotidiennes, manifeste le besoin de partager, de rompre la solitude, de
faire partie d’un groupe, toutes choses qui exposent parfois au ricanement des
cyniques, aux mises en garde des sceptiques ou aux railleries de ceux qui pren-
nent tout doute professionnel pour un aveu de faiblesse ou d’incompétence.
Dans les deux cas, la genèse d’un projet est une question de représentations
partagées de ce que les acteurs veulent faire ensemble. S’ils ne font pas ce tra-

81
Travailler en équipe

vail en amont, ils devront le faire par la suite, à la première divergence grave, à
la première crise. Si une équipe n’est pas capable de se dire, explicitement, ce
qui la tient ensemble, elle se défait ou régresse à un faux-semblant devant les
premiers obstacles. Or, articuler des représentations, c’est ouvrir un espace de
libre parole dans le projet et avant le projet, écouter les propositions, mais aussi
décoder les désirs moins avoués de ses partenaires, expliciter les siens, chercher
des compromis intelligents.
Cette compétence dépasse la simple capacité de communiquer. Elle suppose une
certaine compréhension des dynamiques de groupes et des diverses phases du
« cycle de vie d’un projet », notamment de sa genèse, toujours incertaine. Parler
des peurs, des fantasmes de perdre son autonomie, des territoires à protéger, des
pouvoirs à prendre ou à subir (Perrenoud, 1996 c), des compétences et des
incompétences à manifester ou à construire, bref, de toutes les vicissitudes des
relations intersubjectives (Cifali, 1994) n’est alors pas un luxe, mais une condi-
tion de démarrage, dans une relative transparence et un certain équilibre entre
les désirs des uns et des autres !

Animer un groupe de travail, conduire des réunions

Tous les membres d’un groupe sont collectivement responsables de son fonc-
tionnement : le respect des horaires et de l’ordre du jour, le souci d’arriver à des
décisions claires, le rappel des options prises, la répartition des tâches, la planifi-
cation des prochaines rencontres, l’évaluation et la régulation du fonctionnement
sont l’affaire de tous, ce qui signifie que chacun exerce en permanence une part
de la fonction d’animation et de conduite. Elle suppose à la fois :
– une posture, une certaine décentration, le souci que le groupe fonctionne, ce
qui conduit à des interventions en apparence « désintéressées », qui ne servent
pas une proposition ou un point de vue personnels, mais facilitent la communi-
cation et la prise de décisions efficaces et équitables ; en fait, à moyen terme,
chacun a intérêt à ce que son équipe fonctionne, mais il est parfois pris dans des
enjeux de pouvoir, des projets à défendre, des jeux relationnels ou des émotions
qui ajoutent plutôt de la divergence, de l’incertitude ou du désordre au fonction-
nement collectif ;
– des compétences d’observation et d’interprétation de ce qui se passe, doublées
de compétences d’intervention sur le processus de communication ou la structu-
ration de la tâche.
Dans un groupe d’une certaine taille, pressé par le temps ou menacé par un net
déséquilibre des forces en présence, il est sage, sans décharger le groupe de ce
souci, de le déléguer plus particulièrement à un animateur, désigné pour la

82
Travailler en équipe

réunion ou une période plus durable. Cette dernière formule est préférable, car
elle assure un suivi entre les réunions, l’animateur se sent responsable de donner
suite à la précédente et de préparer la suivante.
Jouer le rôle d’animateur exige, en plus affirmées, la posture et les compétences
évoquées plus haut. Ce n’est donc pas véritablement un rôle spécialisé, plutôt le
droit et le devoir de donner la priorité à la fonction d’animation et de conduite
de la réunion. Animer, c’est donner vie, donc ne pas se contenter de distribuer la
parole !
Pour faire émerger ce rôle et permettre à l’animateur de le jouer pleinement, il
importe que l’équipe affronte la question du leadership et ne le confonde pas
avec l’autorité administrative. Or, on constate une profonde ambivalence des
enseignants à l’égard d’une animation digne de ce nom. Tout le monde se plaint
assez souvent d’un ou plusieurs des dysfonctionnements suivants :
a. Tout le monde parle en même temps, on se coupe la parole, on ne s’écoute
plus.
b. Personne ne parle, tout le monde a l’air de se demander, embarrassé :
« Qu’est-ce que je fais là ? »
c. Des conversations naissent dans plusieurs coins parallèlement à l’échange
général, on ne sait plus qui écoute qui.
d. Les participants ne savent plus très bien pourquoi ils se sont réunis ; ils
passent un temps fou à se demander : « Avons-nous quelque chose à faire
ensemble ? »
e. La discussion part dans toutes les directions, on saute du coq à l’âne, per-
sonne ne s’y retrouve, c’est la pagaille…
f. Une ou deux personnes parlent sans arrêt, racontent leur vie, monopolisent
la parole.
g. Quelques personnes ne disent rien pendant toute la séance, on ne sait pas
ce qu’elles pensent, elles ne manifestent aucune envie de s’exprimer, per-
sonne n’ose les solliciter.
h. Certaines personnes semblent avoir envie de parler, mais elles hésitent à
se lancer à l’eau. Chaque fois qu’elles semblent se décider, quelqu’un d’autre
les devance ou les interrompt.
i. Certains participants arrivent en retard, ne comprennent pas très bien ce qui
se passe, n’osent pas le demander, alors que personne ne prend soin de le
leur expliquer.
j. On ne sait pas très bien jusqu’à quelle heure doit se poursuivre la réunion,
certains quittent la séance au milieu de la discussion, qui s’effiloche.
k. Deux personnes ou deux sous-groupes s’affrontent interminablement sur
un sujet sans intérêt pour les autres participants, qui assistent à la joute en
spectateurs impuissants.
l. Les avis sont partagés sur ce dont il faut discuter ou sur la façon de le faire.
On ne sait pas comment décider de la suite du débat, chacun poursuit son
idée.

83
Travailler en équipe

m. Quelques personnes émettent des avis catégoriques, stigmatisant toute


opinion divergente. D’autres, blessés, se taisent ou se retirent.
n. On se quitte sans décider du principe, du contenu ou de la date d’une nou-
velle rencontre (Perrenoud, 1986).
Tout le monde s’énerve lorsque cela se produit. Et pourtant, dès que quelqu’un
fait mine de prendre les choses en main, même lorsque c’est à la demande des
participants, il est rapidement l’objet de railleries telles que « Oui, chef ! » ou
« Attention, voilà le boss ». On ne perd pas une occasion de lui faire savoir qu’il
n’a pas intérêt à se prendre au sérieux. Ce qui encourage une animation molle,
« coupable », qui met finalement tout le monde mal à l’aise. Si les choses tour-
nent mal, l’animateur peut devenir le bouc émissaire idéal. Dans le même ordre
d’idées, certains groupes refusent tout recours à des outils d’animation, suspects
de favoriser la « manipulation ». Parfois, l’animateur désigné, à l’instar d’un
avant-centre remuant, est « marqué » de près par tous ceux qui, n’ayant pas
voulu assumer son rôle, craignent néanmoins de lui laisser trop de pouvoir. Bref,
il faut être naïf ou un peu kamikaze pour jouer ce rôle dans le milieu enseignant.
Une équipe pédagogique est justement un lieu où, idéalement, on a dépassé ces
malaises autour de l’autorité et du leadership, compris que le groupe a besoin
d’une force de régulation, que c’est un pouvoir mis en place par l’équipe et qu’il
n’y a donc pas lieu de le saboter dès qu’il paraît s’instituer… On voit, à ce pro-
pos, que les compétences, loin d’être de simples « savoir-faire d’animation »,
reposent sur une intelligence de ce que nous faisons fonctionner dans un groupe,
qui s’ancre dans une relecture de notre expérience, aussi bien que dans certains
savoirs issus des sciences humaines (psychanalyse, psychologie sociale, socio-
logie des groupes restreints).

Former et renouveler une équipe pédagogique

Dans certaines organisations, l’équipe est composée par l’organigramme ou la


hiérarchie : en prenant un poste, on se trouve ipso facto membre d’une équipe
dont les membres ne se sont pas choisis. Cette forme de « collégialité
contrainte » (Hargreaves, 1992) induit évidemment de nombreux effets pervers,
puisque la coopération n’y est pas la résultante d’un libre choix. Du moins cela
simplifie-t-il la question de la formation et de la recomposition des équipes de
travail.
Dans l’école, il arrive, sur le même modèle, qu’une administration tente de
constituer autoritairement un ensemble d’enseignants en équipe. En général,
toutefois, les équipes pédagogiques sont formées par choix mutuel. Elles se

84
Travailler en équipe

constituent autour d’un projet ou d’un contrat plus ou moins explicites. D’où
deux problèmes, qu’il appartient dès lors aux (futurs) équipiers de résoudre :
1. Comment faire naître une équipe lorsqu’il n’en existe aucune ?
2. Comment assurer la continuité de l’équipe par-delà des départs et des arri-
vées ?
Le premier problème appartient à ceux qui veulent prendre l’initiative de former
une équipe. On observe classiquement plusieurs types de genèse :
• La « boule de neige » : deux ou trois personnes commencent à collaborer,
d’autres s’y joignent ; un réseau de coopération naît avant d’être reconnu
comme une équipe, que ce soit par ses membres ou par les autres enseignants.
• La réponse à une sollicitation externe : l’autorité scolaire, une institution de
formation, un centre de recherche sont en quête d’une équipe pour entrer dans
un programme d’innovation, de formation ou de recherche. Deux ou trois ensei-
gnants se disent « pourquoi pas nous ? » et réunissent quelques collègues qui se
constituent en équipe à cette occasion.
• La coalition face à une menace : restrictions budgétaires, perspectives de
réduction de l’emploi ou de diminution des heures dans la grille horaire, plaintes
de parents contre un ensemble d’enseignants, conflit avec un autre établissement
ou l’autorité ou situation de crise. Tous ces événements créent une forme de
solidarité dont peut surgir une équipe.
• La participation à l’élaboration d’un projet d’établissement peut créer des
noyaux plus restreints, qui se constituent en acteurs collectifs désireux d’orienter
une dynamique plus large.
• L’attribution de ressources à des collectifs peut susciter des pseudo-équipes,
qui évoluent parfois vers de vraies équipes.
• Le militantisme innovateur : quelques enseignants esquissent un projet et cher-
chent à mobiliser des collègues.
Quel que soit le point de départ, ceux qui souhaitent lancer ou relancer une
dynamique de coopération doivent saisir des occasions et s’impliquer pour faire
émerger un projet commun, qui soit à la fois assez mobilisateur pour que cha-
cun ne retourne pas immédiatement dans sa tour d’ivoire, et assez ouvert pour
ne pas donner l’impression que tout est ficelé d’avance.
Le désir diffus de travailler de façon plus coopérative donnerait plus souvent
naissance à une équipe si les compétences requises pour soutenir cette dyna-
mique étaient mieux partagées. Souvent, la genèse d’une équipe avorte par
maladresse, excès de précipitation, manque d’écoute ou défaut d’organisation,
de mémoire ou de méthode. Les enseignants formés par le militantisme, la vie
associative, voire l’entreprise, ont en général les moyens et l’audace de créer un
mouvement collectif, alors que les enseignants privés de telles expériences
extrascolaires sont paralysés par la crainte, s’ils « sortent du rang », d’avoir l’air
de rechercher du pouvoir ou, pis encore, une promotion…

85
Travailler en équipe

Renouveler une équipe pédagogique fait appel à d’autres compétences encore. Il


s’agit de savoir « gérer », à la fois, les départs et les arrivées.
Les départs sont de plusieurs types. Les uns sont mal vécus, parce qu’ils appau-
vrissent l’équipe et la dévalorisent aux yeux de ceux qui restent et se sentent
« abandonnés » au plus mauvais moment. Il peut s’ensuivre des pressions pour
empêcher certains départs et des représailles lorsque la décision est prise, mais
pas encore effective. Comment se percevoir et être traité comme un acteur à part
entière dans une équipe qu’on s’apprête à quitter ? Pour relever ce défi, il faut
des capacités d’analyse, de verbalisation, de régulation.
D’autres départs sont, au contraire, bienvenus. Ils peuvent résulter d’une véri-
table exclusion, plus violente encore si elle reste dans le non-dit. Il est probable
alors que le départ mettra fin à une période de conflits et ouvrira une période de
culpabilité collective un peu déprimante…
Quant aux arrivées, elles posent un autre problème : comment faire une place
aux nouveaux sans tout renégocier ? Une équipe aguerrie sait :
– d’une part, saisir les moments où elle se recompose comme des occasions
positives de rouvrir le débat sur ses buts et son itinéraire ;
– d’autre part, transmettre aux nouveaux venus des informations qui les aideront
à assimiler la culture de l’équipe et à comprendre pourquoi on fait ce qu’on fait,
on dit ce qu’on dit, on ne revient pas sur certains sujets, on renonce d’avance à
certaines entreprises avec un catégorique « ça ne marche pas, on a déjà
essayé ! »

Affronter et analyser ensemble des situations complexes,


des pratiques et des problèmes professionnels

Une équipe s’étiole si elle ne parvient pas à « travailler sur le travail »


(Hutmacher, 1990). On peut passer un certain temps à se plaindre du système,
de l’inspection, des parents, des élèves, des programmes, de l’évaluation, des
locaux et de tout ce qui empêche de faire du bon travail, mais on se lasse de la
recherche d’un bouc émissaire. Le véritable travail d’équipe commence
lorsqu’on s’éloigne du « mur des lamentations » pour agir, en utilisant toute la
zone d’autonomie disponible et toute la capacité de négociation d’un acteur col-
lectif qui est déterminé, pour réaliser son projet, à repousser les contraintes insti-
tutionnelles et à obtenir les ressources et les soutiens nécessaires.
L’activisme peut porter une équipe durant des mois, voire des années, devenir
sa raison d’être, parfois de façon obsessionnelle. Concevoir des projets ambi-

86
Travailler en équipe

tieux et les mener à bien satisfait celles et ceux qui cherchent dans l’équipe,
avant tout, un moyen de démultiplier leur capacité d’action ou de vivre des
aventures passionnantes. On restera alors constamment dans la logique de
l’action efficace, ce qui n’exclut pas les débats, voire de vifs affrontements, mais
les limite à ce qu’il faut absolument clarifier pour prendre des décisions et les
assumer collectivement. Les compétences requises alors sont celles qui permet-
tent à un groupe de tâches de réaliser ses projets.
Lorsque les équipiers attendent de la coopération une forme de réflexion sur les
pratiques et les problèmes professionnels, ils ont intérêt à lutter contre la fuite
en avant dans l’activisme, à prendre le temps de se parler de ce qu’ils font,
croient, pensent, ressentent, et non de ce qu’il faut encore faire pour préparer la
fête, l’exposition ou la semaine musicale. Il faut alors certaines compétences,
pour naviguer à l’estime entre deux écueils : trop se protéger, au risque de ne
rien se dire, ou trop s’exposer, ce qui peut conduire certains à se replier sous leur
tente pour soigner leurs blessures.
Il est toujours utile qu’un membre de l’équipe soit, plus que d’autres, sensible
aux dérapages possibles vers l’échange vide de sens, aussi bien que vers le psy-
chodrame, mais la régulation repose sur une compétence collective, fondée sur
une commune intuition de la nécessité et de la fragilité de l’échange autour des
pratiques. Des savoir-faire plus méthodologiques peuvent alors prendre le relais,
pour organiser, par exemple, des visites mutuelles, le récit croisé de fragments
d’histoire de vie, l’analyse de situations complexes, éventuellement des
moments d’écriture professionnelle (Cifali, 1996 ; Perrenoud, 1996 j et l, 1998 g
et o).

Gérer des crises ou des conflits entre personnes

M. Schorderet et L. Schorderet y insistent (1997) : « Il faut impérativement sor-


tir de l’illusion des discours sur la paix et l’harmonie ». Le conflit fait partie de
la vie, il est l’expression d’une capacité de refuser et de diverger, qui est au prin-
cipe de notre autonomie et de l’individuation de notre rapport au monde. Une
société sans conflits serait, soit une société de moutons, qui s’inclinent sans
résistance devant l’autorité du chef, soit une société dans laquelle nul ne pense,
ce qui exclut la divergence, donc aussi le progrès, qui naît de la confrontation
sur l’action à entreprendre.
Cela ne signifie pas qu’il faut jeter de l’huile sur le feu et se nourrir du conflit,
comme le font quelques personnes qui cherchent leur identité en semant la dis-
corde. Cessons simplement de diaboliser le conflit, considérons-le comme une

87
Travailler en équipe

composante de l’action collective et demandons-nous comment on peut s’en


servir de façon constructive plutôt que destructive.
Chacun aborde un conflit avec sa propre identité, qui relève de son développe-
ment personnel, donc de son histoire de vie autant que de sa formation. Les
adultes n’en ont jamais fini d’osciller entre la soumission et la révolte contre les
pouvoirs, ils ne sont jamais sûrs d’avoir le droit d’être différents sans être
déviants. Le conflit souligne l’altérité et évoque l’autorité, voire la violence. Il
est normal que chacun ne devienne relativement tranquille, face à ces phéno-
mènes, qu’au gré d’un travail sur soi qui peut prendre toute la vie. Ce travail
avancera d’autant mieux qu’il est conçu comme banal, normal, qu’il n’est pas
un aveu de faiblesse. Il suppose aussi des compétences d’auto-analyse et de dia-
logue avec ses proches.
Restons-en ici, toutefois, à des compétences professionnelles plus spécifiques,
tout en sachant que le fonctionnement d’une équipe pédagogique reste forte-
ment dépendant de la maturité, de la stabilité, de la sérénité personnelles de
celles et ceux qui la composent. Ces caractéristiques peuvent évoluer, mais, au
jour le jour, elles sont ce qu’elles sont ; il faut « faire avec ». Il y a donc, dans la
plupart des équipes, certaines personnalités ou configurations de personnalités
plus favorables que d’autres à un fonctionnement harmonieux. Une partie de la
régulation consiste, dans une équipe, à apaiser les conflits qui proviennent du
« maillon faible de la chaîne », par exemple un coéquipier qui a peur de tout,
qui ne fait jamais de concession sur les principes ou qui manifeste un perfec-
tionnisme sans limites.
Un psychologue clinicien aborde sereinement (?) les névroses de ses patients,
parce qu’il n’a pas à vivre et agir avec eux en dehors de la rencontre thérapeu-
tique. Dans un groupe réel, les conflits viennent en partie des agacements que
provoquent quelques-uns des membres du groupe, ceux par exemple qui n’ont
jamais assez de place, de reconnaissance, de certitudes pour être bien dans leur
peau et qui, du coup, introduisent des demandes très égocentriques. Vivre avec
les « névroses » des autres exige non seulement une certaine tolérance et une
forme d’affection, mais aussi des compétences de régulation qui évitent le pire.
Il y a, dans chaque groupe, des médiateurs, des gens qui anticipent et atténuent
les affrontements. Dans les cas les plus dramatiques, on fait appel à des interve-
nants externes et spécialisés. Cela ne se produit pas automatiquement. L’une des
compétences requises par la vie en équipe est de savoir reconnaître que le
groupe est au bout de ses ressources internes de régulation et qu’il ne peut
dénouer la crise qu’en mobilisant des ressources externes. On peut souhaiter que
chaque équipe comprenne plusieurs personnes qui, sans être spécialisées, ni
mandatées, empêchent d’en arriver à ces extrémités en jouant un rôle formel ou
informel de médiation.
On aurait tort, toutefois, de penser que le conflit naît seulement des person-
nalités en présence. Il se greffe toujours sur des situations partiellement pro-

88
Travailler en équipe

voquées par des événements externes : une restriction des ressources dispo-
nibles, une demande des parents ou des élèves, une menace sur l’emploi, une
sollicitation de l’un des membres de l’équipe à prendre une fonction d’ani-
mation dans l’établissement ou tout simplement l’occasion de développer un
projet. Chaque fois qu’il faut décider, on court le risque de n’être pas
d’accord. Selon l’enjeu, si les points de vue diffèrent et si chacun est déter-
miné à défendre le sien, le désaccord peut se transformer en conflit. Les com-
pétences requises relèvent alors d’une modération centrée sur la tâche. Il
importe par exemple que, dans une équipe, plusieurs personnes aient assez
d’imagination, d’informations et de connaissances pour restructurer le débat
de sorte qu’émerge un compromis, une décision qui n’oppose pas brutale-
ment perdants et gagnants. L’appel à l’harmonie est alors moins efficace que
la reconstruction du problème, qui passe par un travail intellectuel assez
pointu, en général dans l’urgence. On peut aussi, faute d’une solution mira-
culeuse qui mette tout le monde d’accord sur le vif, proposer un calendrier et
une méthode qui pacifient le débat, par exemple en s’inspirant de ce principe
de Korczak que Philippe Meirieu rappelle volontiers : dans une classe, cha-
cun peut taper sur l’autre, à condition de le prévenir par écrit vingt-quatre
heures à l’avance…

Dans un débat, il y a généralement un réel enjeu, mais aussi une construction


collective plus éphémère, qui dramatise inutilement les oppositions, et des jeux
relationnels (jeux de pouvoir, concurrence, petites alliances, règlement de
comptes) qui parasitent la discussion engagée. Dans la gestion de conflits, une
compétence de base, précieuse, est la capacité de rompre les amalgames et les
spirales, de ramener un conflit à une divergence délimitée plutôt que d’attiser
une guerre de religion, un combat de chefs, une querelle entre les anciens et les
modernes ou un conflit idéologique classique. Bien sûr, ces clivages sont pré-
sents et constituent des lignes de fracture, toujours prêtes à se rouvrir en cas de
séisme. Le travail quotidien de la médiation est essentiellement préventif, il
consiste à empêcher chaque divergence de dégénérer en conflit. C’est une com-
pétence majeure dans un groupe. Construire des ponts relationnels, comme le
proposent Marianne et Louis Schorderet, ce n’est pas seulement en appeler à la
tolérance ou à l’empathie, c’est travailler intellectuellement sur ce qui réunit et
sur ce qui sépare, donc valoriser une forme de lucidité sur les enjeux véritables
du conflit naissant.

Bien entendu, si les clivages sont très forts et que chacun attend constamment
l’incident de frontière qui l’autorisera à ouvrir les hostilités en toute bonne
conscience, peut-être faudra-t-il faire appel à une compétence assez rare et
difficile à assumer, qui évoque l’euthanasie ou l’amputation. Il existe des
équipes dont il vaut mieux décider la dissolution, parce qu’elles alimentent
des haines et des régressions plutôt que des envies de coopération profes-
sionnelle. Parfois, nul ne voit par quel miracle cela évoluerait positivement.
Mieux vaut alors se séparer plutôt que de se faire souffrir réciproquement.

89
Travailler en équipe

Il y a aussi des équipes qui peuvent continuer à fonctionner en se séparant d’un


de leurs membres ou en se scindant. La compétence consiste aussi à voir la réa-
lité en face. Il est aussi absurde d’évoquer l’exclusion, la scission ou la dissolu-
tion à la moindre crise que de refuser d’y songer lorsque l’équipe, durablement,
accroît la souffrance au travail et la solitude de chacun. Or, ce qui paraît de bon
sens, est très difficile à accepter, d’abord parce qu’il faut reconnaître une forme
d’impuissance et d’échec, ensuite parce que cela amène à dire à autrui, en face,
des choses très dures, seule façon de dénouer la situation. Les spécialistes des
pathologies du couple le savent : on peut s’attacher à un enfer, au point de nier
farouchement qu’il y ait le moindre problème au moment où quelqu’un essaie
de dire : est-ce que ça peut continuer comme ça ? Dans une équipe, les enjeux
sont sans doute moins existentiels (?), mais les mécanismes de dénégation de
l’échec et de la souffrance sont aussi forts. Savoir les identifier et les neutraliser
est une compétence précieuse.
Il serait injuste, cependant, de conclure sur une note aussi noire. La vie d’équipe
est faite de petits conflits, qui la font avancer si on les règle avec humour et res-
pect des autres. Les conflits majeurs surviennent et sont parfois indépassables.
La capacité de les éviter, même lorsqu’elle n’est pas infaillible, aide au moins à
surmonter les divergences ordinaires.
Dans tous les cas, « une équipe avertie en vaut deux » (Gather Thurler, 1996 b).
La connaissance ne permet pas de maîtriser tous les événements, mais elle aide
à les anticiper, à les nommer, à les dédramatiser, à comprendre qu’ils sont inhé-
rents à la dynamique d’un groupe restreint, ce qui dispense de la recherche d’un
bouc émissaire et guérit du mythe de la « bonne équipe » comme paradis rela-
tionnel…

90
6

Participer à la gestion de l’école

Aujourd’hui, demande-t-on vraiment aux enseignants de participer à la gestion


de l’école ? En ont-ils d’ailleurs envie ? Il pourrait sembler « logique » d’avoir
des réponses claires à ces questions avant de considérer comme indispensables
les quatre composantes retenues par le référentiel adopté ici :
• Élaborer, négocier un projet d’établissement.
• Gérer les ressources de l’école.
• Coordonner, animer une école avec tous les partenaires (services parascolaires,
quartier, associations de parents, enseignants de langue et culture d’origine).
• Organiser et faire évoluer, au sein de l’école, la participation des élèves.
Si personne, ni du côté des enseignants, ni du côté de l’autorité scolaire, ne
voyait le sens de tels fonctionnements, il serait absurde de se référer aux compé-
tences correspondantes. En matière de gestion du système éducatif, cependant,
nous ne sommes plus dans une telle situation.
De toutes parts, les coutures des systèmes éducatifs craquent, pour mille raisons,
mais notamment parce que leur mode de gestion, malgré quelques progrès, reste
archaïque, bureaucratique, basé sur la méfiance plutôt que la confiance, la
liberté clandestine plutôt que l’autonomie assumée, la fiction du respect scrupu-
leux des textes plutôt que la délégation de pouvoir à partir d’objectifs généraux,
l’apparence du contrôle plutôt que la transparence des choix et l’obligation d’en
rendre compte. Professionnalisation, responsabilisation, participation, autono-
mie de gestion, projets d’établissement, coopération : ces thèmes, au-delà des
effets de mode, désignent des alternatives souhaitables au fonctionnement
bureaucratique.
Les compétences décrites ici correspondent à ces fonctionnements émergents,
que des acteurs encore minoritaires, mais de plus en plus nombreux, disent
appeler de leurs vœux, tant du côté de l’autorité scolaire que des associations
professionnelles (Bouvier, 1994 ; Broch et Cros, 1989 ; Hutmacher, 1990 ;
Demailly, 1991 ; Derouet, 1992 ; Obin, 1992, 1993 ; Gather Thurler, 1994 a et
b, 1996 b, 1997 b ; Pelletier, 1998 ; Pelletier et Charron, 1998 ; Perrenoud, 1993
a et b, 1998 p et q).

91
Participer à la gestion de l’école

Faut-il, avant de songer à former les enseignants à participer à la gestion de


l’école, attendre que cette évolution, seulement amorcée, se fasse pleinement,
dans les esprits, dans les textes législatifs, dans les procédures budgétaires, dans
les modes de travail ? Évidemment non ! Le changement se fera par la jonction
de deux démarches complémentaires : d’une part, une adhésion progressive des
acteurs à de nouveaux modèles, d’autre part, la construction, tout aussi progres-
sive, des savoirs et des compétences susceptibles de les faire fonctionner en pra-
tique. Il n’y a pire adversaire du changement que ce constat, que les sceptiques
aiment susurrer avec délice : « Vous voyez bien, ça ne peut pas marcher, ils ne
sont pas capables de prendre leurs responsabilités ».

Les enseignants ne sont pas les seuls acteurs de l’éducation appelés à construire
de nouvelles compétences. Les cadres doivent, dans le même temps, apprendre
à déléguer, demander des comptes, conduire, susciter, cautionner ou négocier
des projets, dresser et interpréter des bilans, inciter sans imposer, animer sans
déposséder. De telles compétences, de tels savoirs d’action ne se développent
guère, spontanément, sans formation, sans démarche réflexive, sans transforma-
tion identitaire (Gather Thurler, 1996 a ; Perrenoud, 1998 g). Tous les métiers
de l’éducation sont concernés et exigent de nouvelles compétences en matière
de gestion de l’école. Mais limitons-nous ici aux enseignants.

Pour décrire une compétence, il faut expliciter des pratiques de référence. Ici,
comme pour le travail en équipe, on sort de la salle de classe, pour s’intéresser à
la communauté éducative dans son ensemble. On aurait tort, cependant, de
croire que l’on s’éloigne des enjeux didactiques, pédagogiques et éducatifs,
qu’on se trouve dans le domaine de la « gestion pure », autorisé de ce fait à
oublier les apprentissages et le développement des élèves. L’ensemble du fonc-
tionnement d’une école participe du curriculum réel (Perrenoud, 1996 a) et
contribue à former les élèves, de façon délibérée ou involontaire. Gérer l’école,
c’est toujours, indirectement, aménager des espaces et des expériences de for-
mation.

Élaborer, négocier un projet d’établissement

Dans notre culture, il n’est nullement étrange de « réaliser des projets ». C’est
au contraire une façon d’être qui paraît s’imposer à tous, même à ceux qui n’en
ont pas les moyens ou la vocation. Nous vivons dans une culture à projet
(Boutinet, 1993), avec le risque permanent de tenir ce rapport au monde pour le
seul qui soit digne de la condition humaine. L’insistance mise sur le projet per-
sonnel de l’élève illustre les dérives normatives qui menacent une idée positive.

92
Participer à la gestion de l’école

Pour former un projet, pour « se projeter » dans l’avenir et vouloir le


construire, il faut une identité, des moyens, une sécurité, que tous les indivi-
dus n’ont pas, parce que cette confiance et cette assurance sont étroitement
liées à l’origine sociale et à l’expérience de vie. Former un projet, c’est dire
« Je », c’est se considérer comme un acteur qui a prise sur le monde, qui se
reconnaît assez de force, de droits et de compétences pour infléchir le cours
des choses. Cette conviction, que tous les dominants ont en partage, fait jus-
tement défaut à la plupart des dominés. Il est donc absurde d’exiger d’un
élève que son héritage culturel ne prédispose pas à se percevoir comme un
sujet autonome, qu’il ait immédiatement un projet. L’enjeu de l’éducation
scolaire est au contraire de donner à tous les moyens de concevoir et de
mener des projets, sans en faire un préalable.

L’idée de projet d’établissement est menacée des mêmes dérives normatives.


Certes, les enseignantes et les enseignants sont des adultes instruits, souvent
issus des classes moyennes ou supérieures. Dans sa vie personnelle, familiale,
professionnelle, un enseignant est en général capable de former et de conduire
des projets. Il valorise ce rapport au monde, vécu comme une forme d’accom-
plissement de soi. Pourquoi les mêmes personnes, travaillant dans le même éta-
blissement, ne pourraient-elles, de la même façon, s’engager dans un projet
commun ? Parce que des individualités, réunies presque par hasard ne peuvent
aisément se constituer en acteur collectif, en particulier dans le champ d’une
profession encore très individualiste. On peut avoir un projet personnel clair et
savoir le mener à bien sans être désireux, ni capable, de se joindre à un projet
collectif.

Dans l’enseignement public, une école n’est pas une entreprise indépendante.
Dans la législation suisse, par exemple, un établissement n’a aucun droit, ni
aucune responsabilité. C’est un lieu, un bâtiment ou un ensemble de bâtiments,
bref un site qui, en tant que tel, n’est pas une personne morale ou juridique.
Lorsqu’il existe, le chef d’établissement n’est pas l’émanation du corps ensei-
gnant, il est nommé par l’administration centrale. En droit français, un établisse-
ment scolaire est un sujet de droit, il est doté d’un conseil d’administration,
prend des décisions et en assume la responsabilité juridique et morale. Malgré
cette importante avancée, l’ambiguïté est loin d’être entièrement levée. Dans le
secteur public, un établissement scolaire n’est pas une entreprise autonome, il
tient l’essentiel de ses moyens de l’État et d’une administration centrale qui lui
assignent des missions et contrôlent la gestion de ses ressources. Les écoles
dites privées sont de même, assez souvent, incorporées à des réseaux ou dépen-
dantes de « pouvoirs organisateurs » dont elles tiennent leurs ressources. Ces
appartenances institutionnelles limitent fortement le sens qu’on peut donner à
un projet d’établissement. La plupart des établissements scolaires ne sont pas
réellement autonomes. Ils sont, au mieux, entre mandat et projet, invités à déve-
lopper un projet pour mieux accomplir leur mandat, à l’intérieur de limites et
de ressources faiblement négociables (Perrenoud, 1998 q).

93
Participer à la gestion de l’école

Hors du monde du travail, former et conduire des projets est une manifesta-
tion de liberté. Les individus ou les groupes définissent leurs objectifs, négo-
cient certes les moyens et les coopérations nécessaires, mais n’ont pas à
demander la permission de réaliser leur projet, sauf s’ils sollicitent un man-
dat sans lequel leur projet n’est pas réalisable. Qu’un projet se transforme en
mandat n’est pas, en soi, inhabituel : un bureau d’architectes, par exemple,
peut proposer un projet et, sur cette base, recevoir éventuellement le mandat
de le réaliser, à certains aménagements près. Le projet préexiste au mandat,
ses auteurs assument cette transformation comme condition de réalisation du
projet, même si elle impose parfois des échéances drastiques et rend difficile
un éventuel renoncement, compte tenu des risques juridiques et financiers
encourus. Réaliser « sous mandat » un projet qu’on a imaginé et proposé
aliène en partie la liberté de ses concepteurs et les contraint à des négocia-
tions difficiles, par exemple dès que survient un obstacle imprévu : terrain
moins propice que prévu, oppositions inattendues, dépassement de budget. Il
faut alors remanier ou redimensionner les plans. Du moins les auteurs peu-
vent-ils se dire : « C’est notre projet, nous l’avons proposé librement, nous
avons conclu un contrat qui l’a rendu possible, à nous d’assumer les com-
promis et les transactions qui le rendront réalisable ».
On peut, dans le champ de l’éducation, former des projets équivalents, par
exemple proposer d’organiser une université d’été ou une session de formation,
voire d’ouvrir une école privée et, si l’idée est acceptée, conclure un contrat avec
un organisme mandataire.
Dans l’école publique et les grands réseaux confessionnels, la logique est toute
différente : le mandat précède le contrat. Même lorsque les écoles se sont
constituées de façon autonome, leur intégration au réseau les conduit à renoncer
à leur indépendance et à fonctionner sous mandat.
La notion de projet d’établissement peut constituer une forme de dévoiement de
la notion de projet, donc une source fondamentale de malentendu. Dans de
nombreux systèmes éducatifs, un établissement scolaire peut encore fonctionner
sans projet, comme un rouage du service public. Certaines organisations sco-
laires ont longtemps dissuadé les établissements d’avoir un projet, craignant
qu’ils n’échappent alors à l’autorité centrale. Le « projet d’établissement » a été,
à l’origine, une forme de dissidence, de résistance au pouvoir organisateur.
Pourquoi, aujourd’hui, contre cette tradition centralisatrice, les systèmes sco-
laires proposent-ils d’ajouter une « couche de projet » à un fonctionnement
organisationnel qui pourrait s’en passer ? Les tenants des projets d’établisse-
ments les justifient en général dans un triple registre :
– la gestion optimale des services publics, qui exige une autonomisation accrue
des services et des fonctionnaires, et notamment des écoles et des enseignants,
pour mieux répondre à la diversité des situations et des dynamiques locales tout
en faisant des économies ;

94
Participer à la gestion de l’école

– la professionnalisation du métier d’enseignant, l’accroissement souhaitable de


l’autonomie individuelle et collective des enseignants, au nom de leur dignité,
de leur compétence, de leur responsabilité ;
– la nécessité de donner davantage de sens au métier et au changement, de
mieux concilier valeurs personnelles et mandat.
Or, l’idée de projet d’établissement, dès qu’elle devient un mode de gestion du
système, acquiert un statut ambigu. Comment imaginer que les raisons évoquées
puissent, presque du jour au lendemain, convaincre tous les acteurs ?
Lorsqu’une entreprise demande à ses filiales ou ses services de « prendre leurs
responsabilités », ce surcroît d’autonomie se paie d’un surcroît de risques. Il
appartient aux directions de l’assumer, les salariés ne sont pas nécessairement
impliqués.
Il en va différemment dans le champ scolaire, car on souhaite en général que le
projet d’établissement émane du corps enseignant. Décider collectivement, c’est
assumer de même les erreurs de stratégie. Les salariés ne voient pas tous ce
qu’ils gagneraient à prendre de tels risques. Seuls se laissent tenter ceux qui
aspirent à une véritable autonomie professionnelle, à ciel ouvert. Beaucoup
d’enseignants préfèrent ce que j’ai nommé (Perrenoud, 1996 m) une « liberté de
contrebande », celle, une fois refermée la porte de la classe, de faire comme on
l’entend, à condition que cela ne se sache pas…
À ces ambivalences des enseignants font écho celles des cadres et des adminis-
trations. Les pouvoirs organisateurs qui appellent les établissements à former
des projets, voire les exigent, font souvent preuve d’une inconséquence qui suf-
fit, à elle seule, à expliquer l’échec de cette politique : on ne peut encourager les
projets et, en même temps, pratiquer un contrôle tatillon, ne dégager aucune res-
source supplémentaire, ne donner aucun pouvoir nouveau aux établissements.
Les enseignants comprennent alors assez vite que c’est une mascarade, une
façon de leur faire « porter le chapeau » lorsque l’école est mise en cause.
Même lorsque l’administration joue le jeu avec cohérence et continuité, durant
plusieurs années, il reste très difficile de faire émerger, puis de réaliser, un projet
d’établissement, en raison des difficultés de la coopération professionnelle, évo-
quées plus haut, en raison, plus fondamentalement, d’une contradiction difficile
à dépasser rapidement : les enseignants en poste dans un établissement n’ont
guère plus de chances de se mettre d’accord sur un projet qu’un groupe de
même taille qu’on tirerait au sort dans l’ensemble du corps enseignant.
Imaginons que le hasard répartisse les électeurs entre les partis politiques, com-
ment pourrait-on espérer alors que ces ensembles disparates définissent un pro-
jet cohérent ? Rien ne prédisposerait les intéressés à s’entendre, puisqu’ils
seraient aussi divers que l’ensemble de la population, dont ils constitueraient, en
quelque sorte, un « échantillon représentatif ». Pour définir un projet politique, il
faut des complicités, des affinités, des visions du monde, sinon identiques, du
moins compatibles.

95
Participer à la gestion de l’école

Un projet d’établissement n’est pas « politique » au même titre que le projet


d’un parti. Il exige cependant, lui aussi, un certain rapprochement des points de
vue. Personne n’aurait l’idée de demander aux gens qui partagent un trajet en
ascenseur ou en avion d’avoir un projet commun. Il faut une catastrophe pour
qu’ils se constituent en acteur collectif. L’affrontement entre des gens réunis par
le hasard est d’ailleurs un ressort classique des films catastrophes : des circons-
tances dramatiques leur imposent, pour survivre, de se mettre d’accord alors que
rien ne les y prédispose. Certains projets d’établissement naissent d’une telle
logique de crise, mais les dangers sont rarement assez forts et perceptibles pour
qu’on puisse compter sur ce mode de genèse.
En temps ordinaire, favoriser le développement et la survie d’un projet d’établis-
sement exige donc des acteurs qu’ils aient des compétences hors du commun :
• saisir l’ambiguïté de cette démarche, la tension entre projet et mandat, la réa-
lité et les limites de l’autonomie, les accepter tout en restant critique, jouer avec
ces contraintes sans se faire piéger ;
• construire une stratégie collective à partir d’un ensemble de personnes qui ne
se sont pas choisies et n’ont en commun, a priori, que ce qui relève de l’exer-
cice du même job dans la même organisation, c’est-à-dire peu de choses dans
un métier de l’humain, où la part des valeurs, des croyances, des relations, de
l’affectivité, donc de la subjectivité, est immense.

Les projets d’établissement qui durent témoignent en général de la présence de


ces deux compétences. Sans doute la genèse d’un projet tient-elle en partie à des
conjonctures ou des contextes favorables, par exemple :
– un terrain qui oblige à se mettre en projet pour faire face à la réalité des élèves,
des familles, du quartier ;
– une politique du personnel qui garantit une certaine homogénéité du corps
enseignant en termes de vision pédagogique, de conception du métier, de rap-
port au travail, au temps, à la coopération, aux élèves, aux parents, à l’évalua-
tion ;
– un chef d’établissement qui saisit les occasions de créer une dynamique col-
lective et fonctionne comme un leader coopératif (Gather Thurler, 1996 a, 1997
a), un médiateur, un garant de la loi et de l’équité ;
– des partenaires externes (associations de parents, employeurs, pouvoirs
locaux) qui attendent de l’établissement une forte cohérence et un certain parte-
nariat.

Tirer le meilleur parti du terrain, des incitations, des occasions, des problèmes,
voire des crises, est une compétence cruciale. Toutefois, le savoir-faire tactique
ne suffit pas pour construire un projet. Il faut proposer un thème qui « parle »
au plus grand nombre, donc manifester une certaine lucidité sur ce qui pourrait
mobiliser les collègues, aussi bien que sur les contraintes qui limitent leur dispo-

96
Participer à la gestion de l’école

nibilité, leur envie de se former, de débattre, de s’exposer au regard des autres,


de prendre des risques.
Un projet d’établissement, dans un collège secondaire qui réunit cent profes-
seurs, ne saurait avoir le même sens que dans une petite école primaire qui
regroupe cinq ou six enseignants. On ne peut affirmer que small is beautiful.
Même à petite échelle, rien ne se passe si certains au moins des acteurs n’ont
pas la ferme volonté de créer une dynamique collective en développant les com-
pétences correspondantes. Vivre ensemble durant des années, connaître les qua-
lités et les défauts de chacun, n’invite pas nécessairement à s’engager ensemble
dans une démarche de projet. Une famille n’a souvent pas d’autre projet que de
continuer à vivre, les petites écoles peuvent fonctionner comme des familles,
harmonieuses ou déchirées, selon les cas.
À plus large échelle, la difficulté est inverse. Il n’est pas simple de mobiliser de
nombreux professionnels qui coexistent et se croisent dans l’établissement, sur-
tout s’ils ont des horaires éclatés et des spécialisations différentes. S’il y a un
chef d’établissement, mieux vaut l’avoir avec soi que contre soi. Son engage-
ment ne peut cependant faire de miracle : ce n’est pas un deus ex machina et,
dans le leadership d’un projet, son statut d’autorité peut représenter un handicap
plutôt qu’un atout. Seuls les chefs d’établissement très charismatiques ou mili-
tants arrivent à faire « oublier » les rapports hiérarchiques.
Il importe donc que certains enseignants portent les dynamiques de projet avec et
parfois contre les chefs d’établissement. On parle aujourd’hui de compétences col-
lectives. La formule est évocatrice, mais son sens n’est pas très clair. Du moins in-
siste-t-elle sur les synergies et les complémentarités : dans un établissement en pro-
jet, il n’est pas nécessaire que chacun sache tout faire, mais il importe que toutes les
compétences requises soient présentes, d’une manière ou d’une autre, si possible
réparties entre un nombre non négligeable de leaders informels. Les compétences
de communication, de négociation, de résolution de conflits, de planification
souple, d’intégration symbolique relèvent de savoirs d’innovation (Gather Thurler,
1998) qu’aucun statut ne devrait monopoliser dans les écoles.

Gérer les ressources de l’école

Voilà qui peut paraître plus terre à terre. Pourtant, investir des ressources
engage la responsabilité individuelle et collective des enseignants tout autant
qu’affirmer des valeurs ou défendre des idées pédagogiques. Les tendances
nouvelles de la gestion des finances publiques contribuent à légitimer les
timides tentatives faites auparavant dans divers systèmes scolaires. À l’heure
actuelle, l’attribution d’une enveloppe budgétaire globale à un sous-système

97
Participer à la gestion de l’école

se substitue progressivement à une pratique budgétaire selon laquelle chaque


dépense relève d’une « ligne » spécifique et doit en outre, pour être valable-
ment engagée, avoir l’aval préalable de l’échelon hiérarchique supérieur.
Aujourd’hui, on accepte volontiers l’idée d’un fonds d’école destiné à financer
certaines dépenses non standards : documentation, photocopies, fêtes, excur-
sions, équipements vidéo ou informatiques. Si on regarde de près, on voit que
l’autonomie porte plutôt sur la marge : la dotation de base est décidée au centre,
ce qui laisse aux établissements, souvent avec l’aide des collectivités locales, la
latitude d’apporter des extensions et des améliorations, un ordinateur de plus ou
une bibliothèque mieux fournie. On est très loin d’une véritable autonomie bud-
gétaire, qui consisterait à disposer librement d’une enveloppe budgétaire, à
condition d’atteindre les objectifs. Les pesanteurs tiennent parfois à la délicate
répartition des pouvoirs et des charges entre l’État, les régions et les communes,
avec des enjeux fiscaux et politiques qui dépassent l’école.
La standardisation des équipements, des mobiliers, des fournitures, des moyens
d’enseignement, instaurée pour des raisons à la fois financières et idéologiques,
vide l’autonomie financière d’une part de sa substance. Lorsqu’une école n’a le
choix ni de son aménagement intérieur, ni de sa décoration, ni de son mobilier,
ni de ses équipements technologiques, ni des moyens de travail remis aux élèves
(stylos, cahiers, livres, etc.), à quoi lui sert-il de gérer un budget ? Le surcroît de
travail et de responsabilité n’est alors assorti d’aucun avantage réel. Dans les
administrations scolaires, on vit encore souvent dans la méfiance, avec l’idée
que, livrés à eux-mêmes, les enseignants « achèteraient n’importe quoi », gas-
pilleraient les deniers publics et s’en remettraient à l’État pour couvrir leurs
déficits. La doctrine du New Public Management entend substituer un contrôle a
posteriori au régime des autorisations préalables. Cette innovation ne va pas
sans risques de dérapage, en particulier durant les périodes de transition. En une
période où les gouvernements ont tant de mal à contrôler leurs dépenses, on
comprend leurs réticences à décentraliser les décisions d’engagements des res-
sources.
L’accroissement des compétences gestionnaires des enseignants n’offre pas une
garantie absolue, mais rassure ceux qui, sans les soupçonner de mauvaises
intentions, pensent qu’ils n’ont aucune idée de la « réalité des coûts ». Quelques
connaissances comptables ne sauraient nuire, mais la compétence visée me
paraît plus politique qu’économique. Pour gérer, il faut sans doute avoir les
pieds sur terre, mais une vision réaliste des coûts et des contraintes ne dicte pas,
en tant que telle, des priorités et des stratégies.
Gérer les ressources d’une école, c’est faire des choix, donc prendre collective-
ment des décisions. En l’absence de projet fédérateur, une collectivité navigue à
vue, en s’efforçant surtout de préserver une certaine équité dans la répartition
des ressources. C’est pourquoi, si elle n’est pas mise au service d’un projet qui
propose des priorités, la gestion décentralisée des ressources peut, sans bénéfice

98
Participer à la gestion de l’école

visible, créer des tensions difficiles à vivre, avec des sentiments d’arbitraire ou
d’injustice peu propices à la coopération.

Coordonner, animer une école avec tous les partenaires

Un établissement regroupe en général des enseignants de statuts divers, selon


leur formation et leur niveau de qualification. Les uns travaillent à plein temps,
d’autres à temps partiel. Certains vont d’une école à une autre, alors que
d’autres sont installés durablement dans un seul établissement et s’y sentent
chez eux. Dans certains systèmes, à Genève par exemple, certains enseignants
généralistes ne sont pas titulaires d’une classe ; ils interviennent comme une
force d’appoint, notamment au titre du soutien pédagogique. Certaines disci-
plines sont enseignées par des spécialistes dès l’école primaire. Enfin, autour de
l’école gravitent d’autres professionnels, logopédistes, psychologues, conseillers
d’éducation ou d’orientation, travailleurs sociaux, éducateurs, animateurs socio-
culturels, infirmières scolaires. L’éventail dépend de la division du travail, diver-
sement développée selon les pays.

Lorsqu’il existe un chef d’établissement, son rôle est notamment de faciliter la


coopération de ces divers professionnels, par-delà les différences de cahier des
charges, de formation, de statut. Même alors, on voit mal comment les choses
se passeraient harmonieusement, et dans l’intérêt des enfants, si le souci de la
coordination n’était pas porté par chacun. Lorsque des professionnels de spécia-
lisations différentes coexistent, il est rare que chacun se sente reconnu dans ses
compétences spécifiques, sans craindre que l’on empiète sur son territoire ou ses
prérogatives. Coordonner le traitement des cas qui appellent des interventions
conjointes sera d’autant plus facile que les gens se connaissent, se parlent, s’esti-
ment réciproquement et ont une bonne représentation de leurs tâches et
méthodes de travail respectives. Cela suppose des attitudes et des compétences
chez tous. C’est d’autant plus nécessaire lorsque l’organisation scolaire ne pré-
voit pas de chef d’établissement et que personne n’a explicitement la tâche et
l’autorité de favoriser la coexistence et la coopération de tous.

La multiplication des intervenants spécialisés pourrait donner l’impression que


la coordination est liée d’abord à la pluralité des métiers en jeu. Or, aujourd’hui,
elle est indispensable, en priorité, entre les enseignants eux-mêmes. Avant de
penser à un travail d’équipe intensif ou à la gestion commune d’un projet d’éta-
blissement, songeons simplement au minimum de coordination requise pour
assurer une certaine cohérence de la prise en charge des élèves, une certaine
flexibilité des dispositifs d’accueil et d’encadrement, un dialogue organisé avec

99
Participer à la gestion de l’école

les associations de parents, les collectivités locales, voire l’administration cen-


trale.
Nombre d’enseignants se sentent encore « seuls maîtres à bord », une fois refer-
mée la porte de leur classe. Certains demandent et reçoivent immuablement les
mêmes classes, ne participent à aucun décloisonnement, à aucune entreprise
commune, travaillent en circuit fermé. Entre eux, la coordination se borne à la
surveillance des récréations, à la confection des horaires, à la répartition de
quelques tâches d’intérêt général, par exemple l’entretien de la photocopieuse,
les premiers secours, l’achat du café ou la répartition de la vaisselle à la salle des
maîtres. La coordination s’étend éventuellement à l’organisation d’une fête
annuelle ou d’une journée sportive. Sans aller jusqu’à dire que tous les pro-
blèmes sont réglés de façon harmonieuse et économique dans les écoles où pré-
vaut un tel individualisme, on peut estimer qu’une aussi faible coordination
exige surtout du bon sens et de la bonne volonté.
Quand les enseignants mettent des ressources didactiques ou des élèves en com-
mun, les choses se compliquent et la coordination devient décisive. Beaucoup
d’enseignants ont un grand sens de l’organisation lorsqu’ils travaillent seuls ou
avec un ou deux collègues proches. À plus large échelle, une véritable compé-
tence de coordination devient nécessaire, parce que la complicité dans l’impli-
cite ne suffit plus, parce qu’il faut discuter, entendre diverses propositions et
trancher. On rejoint ici les compétences requises par le travail d’équipe, mais à
un niveau plus élémentaire, celui qu’on attend désormais aussi de l’enseignant
le plus individualiste. Même sans travailler en équipe, au vrai sens du terme, on
peut de moins en moins tout décider tout seul, dans son coin. Les nouvelles
technologies, les démarches de projet, l’achat groupé de moyens d’enseigne-
ment ou d’équipements collectifs, la gestion de parcours diversifiés, de disposi-
tifs de soutien ou d’activités décloisonnées (spectacles, manifestations sportives,
ateliers, etc.), la cohérence minimale dans l’interprétation du programme et dans
l’évaluation, la concertation face aux parents et à l’autorité scolaire, appellent
des formes de coordination plus exigeantes qu’il y a dix ou vingt ans, donc des
compétences nouvelles qui, pour n’être pas très pointues, dépassent le simple
bon sens.
Les capacités d’expression et d’écoute, de négociation, de planification, d’ani-
mation du débat sont des ressources précieuses dans une école primaire
d’aujourd’hui. Coordonner : le mot évoque une tâche d’organisation, de mise en
synergie. Cela pourrait masquer une composante plus symbolique et relation-
nelle : travailler par exemple à la construction d’une identité collective ou à la
reconnaissance réciproque du travail et des compétences des uns et des autres ;
dans le mépris ou l’ignorance mutuelle, toute tentative d’organisation collective
est vaine. Silences et rumeurs habitent les établissements scolaires (Cifali,
1993). Coordonner, c’est d’abord contribuer à instituer et à faire fonctionner des
lieux de parole, pour que les choses se disent et se débattent ouvertement, dans
le respect mutuel.

100
Participer à la gestion de l’école

La coordination spontanée de l’action se limite aux réseaux restreints de gens


que leur histoire rend capables de se mettre d’accord et de travailler ensemble
dans une certaine complicité. Si aucune politique ne se soucie d’élargir ou de
fusionner ces réseaux, la coordination restera l’affaire interne de quelques clans,
entourés d’isolés, selon les cas marris ou contents de l’être. Cette « balkanisa-
tion » (Gather Thurler, 1994 b) empêche une coopération à l’échelle de l’éta-
blissement dans son ensemble.

Organiser et faire évoluer, au sein de l’école,


la participation des élèves

Toutes les initiatives précédentes ont des incidences sur la vie des élèves dans
l’école, le climat, la qualité de l’encadrement et de la formation, la cohérence
des attentes et des démarches didactiques. Ici, cependant, on s’attaque directe-
ment à une dimension pédagogique. La participation des élèves se justifie, en
effet, d’un double point de vue :
– c’est l’exercice d’un droit de l’être humain, le droit de participer, dès qu’il en
est capable, aux décisions qui le concernent, droit de l’enfant et de l’adolescent,
avant d’être droit de l’adulte ;
– c’est une forme d’éducation à la citoyenneté, par la pratique.
La classe est évidemment le premier lieu de participation démocratique et
d’éducation à la citoyenneté. C’est là qu’on affronte la contradiction entre le
désir d’émanciper les élèves et la tentation de les conformer, entre l’asymétrie
inscrite dans la relation pédagogique et la symétrie requise par la démocratie
interne. La pédagogie Freinet et la pédagogie institutionnelle offrent des
démarches concrètes pour concilier pratiquement ces contraires, en particulier
pour bâtir des institutions internes, à l’exemple du conseil de classe.
La tâche est plus difficile à l’échelle d’un établissement, même de taille res-
treinte, parce qu’on se connaît moins et que le nombre de personnes concernées
impose assez vite un système représentatif. Les démocraties politiques manifes-
tent le risque permanent que se creuse un fossé entre les élus et la base. Diverses
tentatives de conseil des élèves ou de parlement montrent cependant que ce
n’est pas impossible, même dans une école primaire, à condition que la partici-
pation à l’échelle de l’établissement prenne appui sur une participation vivante
au sein de chaque classe : comment les élèves pourraient-ils comprendre qu’on
leur offre un partage du pouvoir sur des questions qui concernent l’établisse-
ment si on le leur refuse dans l’organisation de la vie quotidienne et du travail en
classe ?

101
Participer à la gestion de l’école

Parmi les qualités requises des enseignants, sans doute y a-t-il une forme
d’inépuisable optimisme, doublée d’un immense respect de la capacité des
enfants et des adolescents à exercer des responsabilités. C’est une question de
valeurs, de croyances, mais aussi de compétences d’animation et d’étayage.
Démontrer qu’une catégorie d’acteurs est indigne de la confiance qu’on lui fait,
rien n’est plus facile : il suffit d’accorder de l’autonomie brutalement, puis
d’exiger que les intéressés s’en servent immédiatement de façon irréprochable !
Faire advenir la démocratie, c’est prévoir une transition, savoir d’avance que le
chemin est incertain, qu’il y aura des injustices, des abus de pouvoir, des
moments de désorganisation. Dans ce type de socialisation culminent tous les
dilemmes décrits par Meirieu (1996) dans Frankenstein pédagogue. Autant que
pour les apprentissages disciplinaires, la pédagogie exige une capacité d’étayer,
pour que les compétences et les savoirs se construisent dans une certaine sécu-
rité, puis de désétayer progressivement, pour que les élèves deviennent auto-
nomes. Des enseignants, on attendra alors – dans l’idéal, bien sûr… – qu’ils
aient eux-mêmes un rapport élaboré et serein au pouvoir, à la démocratie et à la
loi, qui leur permette à la fois de composer avec d’autres acteurs lorsqu’ils sont
en mesure de négocier et d’assumer la responsabilité de la décision lorsqu’elle
ne peut, pour diverses raisons légitimes, être prise par le groupe. J’ai insisté
ailleurs (Perrenoud, 1997 a) sur l’idée qu’une éducation à la citoyenneté et une
participation aux décisions pouvaient difficilement être crédibles si on en
excluait tout ce qui relève de la didactique, du programme, de l’évaluation, des
devoirs, du travail en classe, du métier d’élève (Perrenoud, 1997 a, 1998 k).
C’est pourquoi la participation des élèves renvoie à deux autres niveaux systé-
miques :
– la capacité du système éducatif de reconnaître aux établissements et aux
équipes pédagogiques une véritable autonomie de gestion ;
– la capacité des enseignants de ne pas monopoliser ce pouvoir délégué et de le
partager à leur tour avec leurs élèves.
Quant aux parents, c’est encore une autre histoire… On y reviendra dans le pro-
chain chapitre.

Des compétences pour travailler


en cycles d’apprentissage

Une partie des compétences décrites plus haut sont liées aux changements qu’ap-
pelle une lutte déterminée contre l’échec scolaire, par une pédagogie plus différen-
ciée et une plus grande individualisation des parcours de formation. L’existence de
degrés annuels et de classes stables limite en effet fortement la nécessité de partici-

102
Participer à la gestion de l’école

per à la gestion de l’école. Dans un immeuble, une fois chacun enfermé dans son
appartement, la gestion collective peut se borner aux espaces communs, marginaux
par rapport au « chez soi » de chacun.
Une nouvelle organisation du travail, par exemple par l’introduction de cycles
d’apprentissage, modifie l’équilibre entre responsabilités individuelles et res-
ponsabilités collectives et rend nécessaires, non seulement un travail en équipe
pédagogique mais une coopération à l’échelle de l’ensemble d’un établissement,
de préférence sur la base d’un projet (Perrenoud, 1997 b).
Il y a mille raisons de débattre de ces transformations. L’une des résistances les
plus fortes et les moins ouvertement reconnues tourne autour du sentiment
d’incompétence que suscitent ces perspectives. Traditionnellement, la formation
des enseignants les prépare à maîtriser une classe, espace qui leur est dévolu et
reconnu par l’institution. Lorsque la délimitation des espaces de formation
devient l’affaire des professionnels, cela élargit la gamme des compétences
pédagogiques et didactiques requises, et exige en outre des compétences de
négociation et de gestion à l’échelle d’une équipe ou d’une école entière.
Former à ces compétences est une façon de faire évoluer des résistances qui
tiennent avant tout à des inquiétudes, dans le registre de l’identité aussi bien que
de la maîtrise des situations professionnelles. Ces inquiétudes sont très compré-
hensibles, la construction de nouvelles compétences ne suffira pas à les dépas-
ser, mais elle peut y contribuer !

103
7

Informer et impliquer les parents

Les historiens retiendront peut-être, dans l’histoire de l’école au XXe siècle, un


seul événement marquant : l’irruption des parents comme partenaires de l’édu-
cation scolaire. Des parents ordinaires, ajoutera le sociologue : il est sûr que les
notables contrôlent l’école depuis sa fondation et ne se sont jamais privés, à tra-
vers les parlements, les municipalités, les commissions scolaires et d’autres
formes moins avouables d’influence, de faire advenir, puis de conserver, une
école conforme à leurs souhaits. Aussi longtemps qu’ont coexisté, dès la prime
enfance, deux voies de scolarisation cloisonnées, l’école primaire pour les
enfants des classes populaires et les « petites classes des lycées » pour les
enfants de bourgeois, les choses étaient plus claires. Les bourgeois contrôlaient
directement leur école, qu’elle soit privée ou publique et indirectement l’école
populaire, à travers les communes, l’État ou l’Église.
Depuis que le système a été unifié, souvent à la fin du XIXe ou au début du
XXe siècle, tous les enfants passent par l’école primaire, en principe « la même
pour tous », en particulier s’il s’agit de l’enseignement public. La scolarité obli-
gatoire a constitué une formidable machine à déposséder les parents de leur
pouvoir éducatif, pour « couler dans le moule » de bons croyants, puis de bons
citoyens, plus tard de bons travailleurs et de bons consommateurs. L’enfant a
cessé d’appartenir à sa famille. La loi oblige les parents non seulement à pour-
voir à l’éducation de leurs enfants, mais à en céder une partie à l’école. Les lois
les plus « libérales » n’imposent pas la scolarisation, mais l’instruction ; on sait
que cette liberté est une fiction pour tous les parents qui n’ont pas les moyens
de donner eux-mêmes ou de payer à leurs enfants un enseignement particulier
calqué sur les programmes scolaires. Au fil des remaniements des lois scolaires,
les choses sont dites moins crûment, les textes donnent aux parents davantage
de droits : droit d’entrer dans l’école, d’être informés, associés, consultés ; droit
de participer à la gestion des établissements. Les textes les plus hypocrites affir-
ment que l’école « seconde la famille dans l’éducation de ses enfants ». Ils se
gardent bien de souligner que cette « assistance » n’est pas négociable, qu’elle
n’est en rien une réponse à un besoin d’aide. De ce point de vue, l’école n’est
pas un simple service, qui ferait face à une demande sociale, comme les crèches.
Les parents ont intérêt à attendre de l’école exactement ce qu’elle offre, parce

105
Informer et impliquer les parents

qu’à défaut, elle le leur imposera de toute façon… Ils s’adaptent, donc, non sans
développer les diverses ruses et stratégies des acteurs qui n’ont pas le choix !
Pourquoi avoir rendu l’école obligatoire ? Personne ne songerait à rendre la res-
piration obligatoire, puisque chacun a spontanément besoin de respirer. L’école
est devenue obligatoire parce que les enfants n’avaient pas spontanément envie
d’y aller, ni les parents besoin de lui confier leurs enfants. Ils préféraient les gar-
der avec eux, notamment pour les faire travailler dès leur plus jeune âge. La sco-
larisation obligatoire a arraché les enfants à leur famille, dès six ans, pour des
raisons plus ou moins avouables. Il s’agissait, pour une part, d’assurer leur ins-
truction, de les protéger de l’exploitation, de la maltraitance, de la dépendance.
Pour une autre part, le but était de moraliser leur éducation, par l’éducation
civique, l’hygiène, la discipline, mais aussi de la normaliser, à commencer par
l’apprentissage d’une langue scolaire qui n’était pas la langue parlée dans la
famille au quotidien. Dans « Parler croquant », Duneton (1978) montre la vio-
lence linguistique de l’école obligatoire en France, qui combat les patois au pro-
fit de ce que Balibar et Laporte (1974) appellent le « français national », langue
de l’Île de France et des élites.
De nos jours, si l’on suspendait l’obligation légale de fréquenter l’école, il est
probable que l’immense majorité des parents y enverraient tout de même leurs
enfants. Presque tous les parents d’aujourd’hui ont fréquenté l’école quelques
années et y ont appris au moins une chose : sans instruction, ni diplôme, point
de salut ! 77 % des parents d’élèves de l’école primaire genevoise pensent que
« l’école est d’une importance capitale pour l’avenir des enfants » (Montandon,
1991, p. 107). Develay (1998) fait état de leur goût de s’informer et de se former
pour mieux aider leurs enfants. Pourtant, aucune société développée n’a, à ce
jour, pris le risque, ni même envisagé sérieusement, de rendre aux familles
l’entière responsabilité de l’éducation de leurs enfants…
L’institution scolaire n’a plus besoin, en général, d’exercer une contrainte nue,
elle a même intérêt à l’euphémiser, à s’arranger pour qu’elle n’apparaisse
qu’exceptionnellement à ciel ouvert, de sorte à entretenir l’illusion que la scola-
rité ne fait que répondre à la demande des familles. Si bien que le fonctionne-
ment actuel de l’école, si on n’y regarde pas de trop près, pourrait évoquer une
« libre consommation ». Si la contrainte subsiste, elle paraît s’exercer à l’endroit
des enfants, comme si tous les adultes concernés étaient d’accord sur la néces-
sité absolue d’aller à l’école, donc d’arriver à l’heure, d’être poli et attentif, de
bien travailler, de faire ses devoirs, d’avoir ses outils de travail, etc. Un observa-
teur pressé verrait, dans la relation des parents avec les enseignants, une figure
particulière de leur relation avec tous ceux qui s’occupent de leurs enfants : coif-
feur, médecin, dentiste, diététicien, entraîneur sportif, maître de musique ou de
danse, etc. Il imaginerait que les parents, n’ayant pas les compétences ou le
temps requis pour soigner ou éduquer eux-mêmes leurs enfants, délèguent
volontiers cette tâche à des professionnels plus disponibles et qualifiés. Le dia-
logue avec ces professionnels, une fois la tâche définie, porterait sur l’aménage-

106
Informer et impliquer les parents

ment des horaires, les disciplines à faire respecter, la bonne volonté à maintenir
chez l’enfant.
Pour une part, les rapports entre parents et enseignants fonctionnent sans doute sur
ce modèle : une mère et un professeur de piano peuvent débattre de la meilleure
façon de faire apprendre le solfège à un enfant qui n’en a pas envie, de la même
façon que cette mère peut discuter avec une enseignante de la meilleure façon d’en-
seigner à lire au même enfant. On retrouve ici la cohésion du team des adultes
(Besozzi, 1976), soucieux de faire le bien des enfants, fût-ce malgré eux (Miller,
1984). Mais cela ne se passe ainsi que s’il y a accord global entre le programme de
l’école et les intentions et les valeurs éducatives des parents. Lorsqu’ils n’attachent
pas la même importance que l’école aux apprentissages, ou ne souscrivent pas à ses
rythmes, à ses procédures disciplinaires – punitions, retenues, etc. –, à ses méthodes
ou au rapport pédagogique instauré, ils comprennent vite que le dialogue n’est pas
égalitaire (Montandon et Perrenoud, 1994). Entre des parents et un professeur de
natation ou de violon, il peut y avoir des divergences sur les contenus de la forma-
tion, les méthodes de travail ou la relation. Un maître d’art ou de sport demande en
général une certaine autonomie, refuse que les parents observent ou contrôlent ses
moindres gestes. S’ils insistent, il finit par leur dire : « Cherchez quelqu’un d’autre,
je ne travaille pas dans ces conditions ». Les parents écartés peuvent dire : « Votre
façon de faire ne nous convient pas ». Ce qui peut aboutir soit à une régulation, soit
à une séparation.
Entre enseignants et parents, la relation n’est pas aussi simple. Les parents ne sont
pas de simples usagers, ils n’ont pas le pouvoir de renoncer à la scolarité. Les plus
fortunés ou les plus habiles peuvent demander et obtenir un changement de classe
ou d’école. Dans certains pays, la coexistence de plusieurs réseaux en concurrence
crée des alternatives. L’existence d’un secteur privé, confessionnel ou commercial,
permet de choisir son école, mais cette liberté est souvent limitée par le coût de la
scolarité et l’implantation géographique des écoles privées. Dans l’enseignement
public, on n’accepte qu’exceptionnellement un changement de classe ou d’établis-
sement, de peur que les « consommateurs d’école » (Ballion, 1982) ne transfor-
ment le champ scolaire en marché ouvert.
On ne peut rien comprendre aux rapports entre les parents et l’école si l’on fait abs-
traction de l’impossibilité d’échapper à ce que Berthelot (1983) a appelé le « piège
scolaire ». Que le devoir d’informer et d’impliquer les parents fasse désormais par-
tie du cahier des charges des enseignants et appelle les compétences correspon-
dantes, ne devrait pas faire oublier que le droit à l’information et à la consultation
n’efface pas l’obligation scolaire, que c’est en quelque sorte une façon moderne de
la rendre vivable, acceptable, par des parents eux-mêmes scolarisés et qui refusent
désormais qu’on instruise et qu’on éduque leur enfant sans les consulter.
Ne sous-estimons pas davantage le décalage entre les textes qui prônent le dia-
logue, et la relative fermeture d’une partie des enseignants aux désirs et aux cri-
tiques des parents. Les textes sont proposés par des magistrats, des pédagogues ou

107
Informer et impliquer les parents

des hauts fonctionnaires, parfois adoptés par des parlementaires. Or, il est plus fa-
cile d’affirmer des principes que de les vivre au jour le jour : les ministres défen-
dent volontiers le droit à la différence et en appellent à la tolérance, mais ils ne vi-
vent pas entassés dans des HLM, au contact d’autres cultures, d’autres modes de
vie. De même, le dialogue avec les parents est facile à assumer dans l’abstrait,
alors qu’au jour le jour, lorsque la confiance n’est pas au rendez-vous, lorsqu’on se
heurte à des préjugés, des soupçons, des critiques continuelles ou des manœuvres
déloyales, la tentation de fermer le dialogue est bien réelle.
Ce sont les enseignants qui, au quotidien, incarnent le pouvoir de l’école, le
caractère contraignant de ses horaires, de ses disciplines, des « devoirs » qu’elle
assigne, des normes d’excellence, de l’évaluation et de la sélection qui en décou-
lent. Les enseignants semblent être les premiers artisans, voire les responsables,
de « ce que l’école fait aux familles » (Perrenoud, 1994 b). En première ligne, ce
sont eux qui sont confrontés à l’agressivité, à la critique des programmes, aux
propos sévères ou ironiques sur l’inanité des réformes, aux protestations devant
les exigences de l’école, aux comparaisons injustes entre établissements ou entre
professeurs, aux manœuvres de notables ou de clans pour obtenir gain de cause
contre toute raison.
On peut donc comprendre que le dialogue avec les parents ne soit pas vécu
avec bonheur par tous les enseignants. Certains le craignent ou n’y croient
plus, blessés par des paroles malheureuses ou des procédés sournois. Nul
n’est responsable des parents, de tous les parents, même les associations les
plus représentatives. Nul ne peut empêcher quelques-uns, ceux qui ne jouent
pas le jeu, de pervertir l’ensemble des relations, en alimentant la méfiance
réciproque. Les relations intergroupes pèsent sur les individus (Doise, 1976,
1979). Les enseignants apparaissent porteurs, qu’ils le veuillent, qu’ils le
sachent ou non, d’un pouvoir institutionnel qui les dépasse, et hypothèque
leurs initiatives personnelles. En miroir, les parents portent, individuelle-
ment, le poids de leur nombre et des abus d’une minorité. Que le dialogue
soit dès lors impossible, ici ou là, et souvent inégal et fragile (Montandon et
Perrenoud, 1994), qui pourrait s’en étonner ?
Ces quelques rappels montrent qu’il serait absurde de faire des relations
entre les familles et l’école une simple affaire de compétences. Toutefois, de
part et d’autre, un surcroît de compétences pourrait aider à nouer ou mainte-
nir le dialogue. Là où les choses se passent bien, on observe en général une
assez grande capacité de chaque partenaire à tenir compte du point de vue et
des attentes de l’autre.
La plupart des associations et de nombreux parents font preuve d’une grande intel-
ligence, saisissant par exemple que certaines réactions de défense des enseignants
expriment leur manque de confiance en ce qu’ils font, leur peur d’être mis en diffi-
culté, bien plus qu’une volonté de tenir les parents à l’écart de tout ce qui se passe en
classe. Lorsque les partenaires comprennent que le dialogue ne dure que si chacun
entend le point de vue de l’autre et ne pousse pas ses attentes au-delà du raison-

108
Informer et impliquer les parents

nable, chacun découvre que la collaboration est non seulement possible, mais fé-
conde, ce qui développe la confiance mutuelle. Hélas, à côté de tels cercles ver-
tueux, on connaît trop de cercles vicieux où la méfiance des uns renforce les méca-
nismes de défense des autres et inversement. Les compétences des parents et de
leurs associations sont très importantes, mais on ne saurait les exiger, même si l’on
peut attendre des associations qu’elles transmettent des savoir-faire à leurs nou-
veaux membres, pour éviter un éternel recommencement des mêmes « erreurs ».
Pourquoi serait-il fatal que les « nouveaux parents » manifestent un maximum de
naïveté, d’intransigeance ou de maladresse ? Les parents plus expérimentés et la
culture des associations de parents peuvent éviter les dérives les plus classiques.
Il reste que, dans l’affaire, les enseignants estiment être les professionnels. À ce
titre, il leur appartient de faire le gros du travail de développement et de maintien du
dialogue. Certains vivent cette asymétrie comme injuste et attendent des parents
qu’ils fassent autant d’efforts qu’eux. On peut comprendre ce désir de réciprocité,
mais il n’est pas réaliste : les parents d’aujourd’hui ont peu d’enfants, auxquels ils
tiennent comme à la prunelle de leurs yeux. Être parents d’élèves est pour eux une
condition nouvelle, pour certains un vrai « métier », qu’ils découvrent sans avoir eu
l’occasion de réfléchir ou de se former. Chaque année, leur enfant grandit, change
de classe. Ils doivent s’adapter à un nouveau programme, d’autres exigences, de
nouvelles façons d’enseigner, un style de communication différent. Si leur niveau
d’instruction, leur éthique, leur pratique de la négociation, leur expérience du
monde du travail ou leur personnalité les prédisposent à s’adapter à ce kaléidoscope
d’exigences et d’attitudes, à entrer facilement en dialogue, à poser des questions et
défendre leur point de vue, qui s’en plaindrait ? Mais l’école, en particulier lors-
qu’elle est obligatoire, doit faire avec tous les enfants et tous les parents, dans leur
diversité, y compris sous l’angle de leurs capacités de communication et de leur
adhésion au projet d’instruire leurs enfants.
Ces quelques éléments de réflexion, rappelés trop rapidement, suffisent à indiquer
que dialoguer avec les parents, avant d’être un problème de compétences, est une
question d’identité, de rapport au métier, de conception du dialogue et du partage
des tâches avec la famille. À quoi servirait-il d’avoir des compétences pour un dia-
logue dont on ne voit ni le sens, ni la légitimité ? À l’inverse, la maîtrise des situa-
tions permet de les envisager plus sereinement, sans se sentir aussitôt sur la défen-
sive. La capacité de communiquer tranquillement avec les parents ne peut suffire à
convaincre un enseignant d’adhérer au principe d’un tel dialogue. Elle le protège au
moins de la tentation de rejeter ou de mépriser ce dialogue pour l’unique raison
qu’il en a peur…
Informer et impliquer les parents est donc à la fois un mot d’ordre et une compéten-
ce. Le référentiel adopté ici retient trois composantes de cette compétence globale :
• Animer des réunions d’information et de débat.
• Conduire des entretiens.
• Impliquer les parents dans la construction des savoirs.

109
Informer et impliquer les parents

Qu’on n’oublie pas que derrière ces formulations très « raisonnables » se cachent
des attitudes et des valeurs, sur fond de rapports de pouvoir et de craintes mutuelles.
J’insisterai donc sur des compétences d’analyse de la relation et des situations au
moins autant que sur des savoir-faire en apparence « plus pratiques ». Être à la fois
parent et enseignant peut être une source de décentration salutaire (Maulini, 1997
a). Comme ce n’est pas un passage obligé, la formation des enseignants devrait ga-
rantir à tous ce que l’expérience de vie ne donne qu’à quelques-uns.

Animer des réunions d’information et de débat

Les pères et mères qui assistent à une « réunion de parents » savent – ou décou-
vrent – que ce n’est pas le moment idéal pour régler des cas particuliers.
Toutefois, lorsque la situation de leur enfant les préoccupe vraiment, ils peuvent
être tentés d’en parler à travers un problème général : trop ou pas assez de
devoirs à domicile, discipline trop stricte ou trop laxiste, carnets scolaires trop
prolixes ou trop elliptiques, évaluation trop sèche ou trop généreuse, vie en
classe trop animée ou trop contrôlée, activités trop sérieuses ou trop amu-
santes… C’est l’une des difficultés du professeur : décoder, sous des propos
d’apparence générale, des soucis particuliers et les traiter comme tels s’ils ne
justifient pas un débat global.
C’est pourquoi la première compétence d’un enseignant est de ne pas organiser
de réunions générales lorsque les parents ont avant tout des soucis particuliers.
Ce qui conduit à prévoir des réunions :
– soit en début d’année scolaire, lorsqu’il s’agit de repérer les attentes et de pré-
senter le système de travail, alors que la plupart des parents n’ont pas encore de
raisons de s’inquiéter pour leur enfant ;
– soit nettement plus tard, lorsque l’enseignant les aura rencontrés individuelle-
ment et aura répondu aux questions et aux préoccupations qui ne concernent pas
l’ensemble de la classe.
Il n’y a évidemment pas de règle infaillible. Formulons plutôt un principe :
mieux vaut ne pas organiser de réunion lorsqu’on pressent qu’elle sera le seul
lieu où explosent des angoisses ou des mécontentements particuliers, les traiter
d’abord dans un cadre plus approprié.
Même lorsque les parents ont pu, s’ils le souhaitaient, rencontrer individuellement
l’enseignant, une réunion de parents reste fréquemment perçue comme un champ
de mines. Il est très rare que, sur une vingtaine de pères et de mères réunis dans la
classe de leur enfant, tous aient un rapport entièrement serein à l’école. Au sein des
familles, la scolarité des enfants est souvent vécue sur un mode très émotionnel,

110
Informer et impliquer les parents

entre inquiétudes et espérances folles. Même lorsque l’échec scolaire ne menace


nullement leur enfant, les parents peuvent craindre pour son épanouissement, sa
socialisation, ses fréquentations, développer des fantasmes à propos de ce qu’il vit
dans un monde qui échappe largement à leur contrôle : la classe, mais aussi les cou-
loirs, le préau, le chemin de l’école. Il ne faut parfois pas grand-chose pour mettre le
feu aux poudres.
Dans les relations avec les parents, l’une des compétences majeures d’un ensei-
gnant est de distinguer clairement ce qui relève de son autonomie profession-
nelle, en l’assumant pleinement, et ce qui relève des instances chargées d’adop-
ter une politique de l’éducation, les programmes, les règles d’évaluation ou les
structures scolaires qui commandent le moment et la sévérité de la sélection. Se
désolidariser entièrement de l’institution qui l’emploie est aussi maladroit que
de « prendre sur soi » tous les articles de loi, toutes les pages du plan d’études,
toutes les réformes, toutes les décisions de l’administration. Il importe que
l’enseignant sache se situer, d’abord à ses propres yeux, ensuite à ceux des
parents. L’agressivité monte lorsqu’il entretient la confusion ou oscille entre des
attitudes contradictoires. Il peut assumer globalement les grandes orientations
du système éducatif, en faisant comprendre qu’il n’est pas comptable de tout. Il
peut, à ses risques et périls, se distancer ouvertement d’aspects définis de la poli-
tique éducative, mais les parents ne peuvent facilement faire confiance à un
enseignant qui dénigre tout ce qu’il est censé faire, pas plus qu’ils ne peuvent
estimer un professionnel qui ne manifeste aucune pensée personnelle. La pre-
mière compétence est donc d’être « bien dans sa peau », de trouver la juste dis-
tance, le ton qui convient, de ne pas louvoyer. Sur ces questions, il importe de
mettre les choses au point, de dire explicitement, lorsque c’est justifié : « Je ne
suis pas le bon interlocuteur ».
Ensuite, il importe bien sûr que la préparation et l’animation des réunions ne
cumulent pas les maladresses. De crainte d’être débordés, certains enseignants
« saoulent » les parents d’informations et d’explications, ne laissant aucun
espace pour le débat. Cette fermeture engendre de la frustration et de l’agressi-
vité. À l’inverse, il n’est pas plus probant d’ouvrir une réunion en disant :
« Vous savez comment nous travaillons dans cette classe, je suis à votre disposi-
tion pour répondre à vos questions, je vous écoute… » Une réunion n’est pas
une leçon, mais elle ne fonctionne pas sans un minimum de structure, ni sans
règles du jeu. Il paraît raisonnable de rappeler le but de la réunion, d’annoncer
quelques thèmes prévus en laissant la porte ouverte à d’autres, d’alterner des
temps d’information et des temps de questions et de débats.
L’une des compétences majeures que construit un enseignant expérimenté est de ne
pas se sentir « seul contre tous », de percevoir qu’il y a, entre les parents, beaucoup
de différences et de divergences. Il faut pourtant résister à la tentation machiavé-
lique de jouer les parents les uns contre les autres, pour démontrer in fine qu’il n’y a
rien à changer, puisque, sur chaque point, les avis contraires se neutralisent. Si cer-
tains demandent davantage de devoirs, alors que d’autres les trouvent trop lourds, il

111
Informer et impliquer les parents

est tentant de conclure à la légitimité du statu quo ! Un enseignant moins défensif


peut simplement faire confiance à la diversité pour que des régulations se produi-
sent spontanément. Il peut aider chacun à prendre la mesure des contradictions dans
lesquelles l’école se débat, sans en tirer argument pour refuser de chercher des com-
promis acceptables, cette année-là, avec ces parents-là. Il importe que l’enseignant
soit particulièrement lucide et délimite ce qu’il estime négociable. Ouvrir le débat
avec la ferme intention de ne rien entendre et de ne rien changer est une forme de
manipulation qui passe rarement inaperçue.
Réunir les parents dans le seul but de leur expliquer que tout ce qu’on fait est
irréprochable, à quoi bon ? Si la communication est à sens unique, si les parents
comprennent que l’enseignant ne veut rien entendre, ni rien changer, ils vien-
dront peut-être prendre de l’information, sachant qu’ils ne seront nullement
associés, ni même consultés. Certains s’en contentent, d’autres non.
Aujourd’hui encore, nombre de parents protestent intérieurement, estiment
qu’on ne les écoute pas, mais ils ne se mobilisent pas pour obtenir un meilleur
traitement, parfois par crainte que leurs enfants en pâtissent, souvent parce que
le jeu n’en vaut pas la chandelle. Le développement des associations de parents
rend cette résignation de moins en moins probable : il sera de plus en plus diffi-
cile de ne jamais réunir les parents ou de ne les réunir que pour leur expliquer
que tout va bien, sans ouvrir de débat contradictoire.
Au-delà des habiletés dans la conduite de réunions – qui pourraient s’appuyer
sur divers outils d’animation et divers dispositifs, dont les réunions avec les
élèves –, la compétence de base de l’enseignant relève de l’imagination sociolo-
gique : les parents occupent une autre position, ils ont d’autres soucis, un autre
point de vue sur l’école, une autre formation, une autre expérience de la vie. Ils
ne peuvent donc, a priori, comprendre et partager toutes les valeurs et représen-
tations de l’enseignant. Il serait naïf d’espérer de la plupart des parents l’effort
de décentration et la responsabilité qu’on peut attendre d’un professionnel formé
et expérimenté. De plus, ils sont fort différents les uns des autres. Chacun est le
produit d’une histoire de vie, d’une culture, d’une condition sociale, qui déter-
minent son rapport à l’école et au savoir. La compétence des enseignants
consiste à prendre les parents comme ils sont, dans leur diversité !

Conduire des entretiens

Ne nous enfermons pas dans les aspects techniques. Certes, un entretien se pré-
pare, son climat et son issue se jouent en partie dans la façon de le provoquer, de
définir son but, de l’amorcer, de mettre les interlocuteurs à l’aise. Convoquer les
parents autoritairement et les traiter comme des accusés au tribunal ne saurait
instaurer un dialogue d’égal à égal. Certains enseignants cultivent une telle asy-

112
Informer et impliquer les parents

métrie dans la relation qu’il ne faut pas s’étonner que les parents se sentent trai-
tés en élèves. Ici, cependant, comme dans le cadre des réunions, les mala-
dresses, de part et d’autre, manifestent des peurs davantage que de mauvaises
intentions ou du mépris. La compétence majeure est, à nouveau, de savoir se
situer clairement.
Si les entretiens avec les parents demandent des compétences, c’est qu’ils sont
rarement sans enjeu. Idéalement, parents et enseignants devraient se rencontrer
régulièrement, de préférence avec l’enfant, juste pour faire le point, du simple
fait qu’ils partagent une responsabilité éducative. Dans certaines classes, les
relations avec les parents fonctionnent sur ce modèle, l’entretien est alors une
routine, qui complète les réunions, la correspondance, les classes ouvertes. Ce
mode de faire demande une grande disponibilité et une forte conviction. Faute
de temps, dans la majorité des classes, on rencontre les parents seulement
lorsqu’un problème se pose.
Certains entretiens sont suscités par l’enseignant, qui a « besoin » de rencontrer
les parents pour leur faire part de son inquiétude, les mobiliser, les réprimander
ou les préparer au pire. Les parents sont alors en position de faiblesse : ils ima-
ginent – à tort ou à raison – qu’on va les rendre responsables des difficultés ou
de la mauvaise conduite de leur enfant, en laissant entendre qu’ils lui ont donné
une éducation trop laxiste, qu’ils manquent d’autorité ou, ce qui est encore plus
blessant, que l’enfant est à leur image, indiscipliné, paresseux, agressif, impoli,
sexiste ou pas très vif… Même lorsque les inquiétudes sont émises courtoise-
ment, dans le souci de ne pas blesser, dans l’espoir d’une coopération, comment
ne pas imaginer que les parents vont se sentir « dans leurs petits souliers » ?
Certains adopteront la position basse, s’excuseront, d’autres réagiront plus
agressivement ou prendront la fuite. La compétence est alors, du côté de l’ensei-
gnant, de tout faire pour ne pas mettre les parents en position de faiblesse, appli-
quant cette vieille maxime : « Traitons-les en égaux afin qu’ils le deviennent ».
Sans doute est-il difficile de croire que les parents ne sont nullement respon-
sables, directement ou indirectement, des difficultés de leurs enfants et plus
encore de leurs manières d’être. Il faut une grande sagesse pour se rendre
compte que cette fiction est créatrice, qu’elle libère les parents d’avoir à se justi-
fier ou à se disculper, et donc les constitue en véritables partenaires, dans un jeu
coopératif. En somme, dans ce cas de figure, la compétence consiste largement
à ne pas abuser d’une position dominante, donc à maîtriser la tentation de cul-
pabiliser et de juger les parents. Le travail sur soi et son rapport à autrui est alors
plus utile que l’habileté à conduire un entretien.
Il arrive aussi que l’entretien soit demandé par des parents qui ont des doutes ou
des griefs à formuler. L’enseignant est alors en position d’accusé. S’il se pré-
sente comme un professionnel compétent, en pleine possession de ses moyens,
les parents ne lui réserveront pas l’indulgence qu’ils auraient peut-être pour un
débutant ou un enseignant traversant une mauvaise passe. Toutefois, critiques et

113
Informer et impliquer les parents

interrogations seront assez souvent édulcorées. Seuls les parents les plus ins-
truits, sûrs de leur bon droit, appartenant à la classe moyenne ou supérieure,
osent en général s’en prendre directement aux enseignants et leur dire ce qui
provoque leur désaccord ou leur colère. Ils n’y vont pas alors de main morte et il
n’est pas rare d’entendre des enseignants se plaindre de l’agressivité ou de
l’arrogance de certains parents qui « se croient tout permis ». L’expérience
enseigne alors à faire le gros dos plutôt qu’à tenter de métacommuniquer pour
amener une régulation concertée de la relation.
Laisser passer l’orage est une forme de compétence. On peut douter qu’elle
contribue à un dialogue constructif. Elle relève plutôt des stratégies défensives :
« Un nombre non négligeable d’enseignants, sinon une majorité d’entre eux,
s’efforcent de délimiter avec soin leur propre territoire et de le protéger
d’empiétements éventuels de la part des parents, plutôt que de considérer les
conflits de territoires et d’objectifs comme inévitables, voire souhaitables,
pour un meilleur ajustement de l’action de chacun. Tout se passe comme si
le territoire des uns et des autres ne faisait et ne pouvait faire l’objet d’aucun
litige, comme s’il avait été défini une fois pour toutes le jour où a été insti-
tuée l’école obligatoire… » (Favre et Montandon, 1989, p. 139).

Les compétences requises d’un vrai professionnel consistent plutôt à ne pas


mettre toute son énergie à se défendre, à éconduire l’autre, mais au contraire à
accepter de négocier, d’entendre et de comprendre ce que les parents ont à dire,
sans pour autant renoncer à défendre ses propres convictions. Ici encore, les
compétences ne sont rien, si elles ne peuvent s’adosser à une identité, une
éthique et une forme de courage…

Impliquer les parents dans la construction des savoirs

On aborde ici un aspect un peu différent. « Impliquer les parents dans la


construction des savoirs » ne se borne pas à les inviter à jouer leur rôle dans le
contrôle du travail scolaire et à entretenir chez leurs enfants une « motivation » à
prendre l’école au sérieux et à apprendre. Cette injonction, relayée par chaque
enseignant, peut devenir assourdissante et aller à fin contraire ! Et surtout, elle
masque le rôle décisif des parents dans le rapport au savoir.
Il ne s’agit pas non plus, ou pas seulement, d’impliquer les parents dans le tra-
vail scolaire, en faisant « classe ouverte », en les mobilisant dans des ateliers
décloisonnés, des excursions, des spectacles, en les invitant à présenter leur
métier ou une passion ou en leur demandant une coopération active et intelli-
gente aux devoirs à domicile.

114
Informer et impliquer les parents

Tout cela favorise certainement le dialogue. Se pose cependant un problème de


fond : comment faire pour que les parents ne fassent pas obstacle aux apprentis-
sages scolaires ? La question peut paraître saugrenue : la plupart des parents n’ont-
ils pas un immense désir que leur enfant réussisse à l’école ? Pourquoi feraient-ils
obstacle à ses apprentissages ? À cette objection, on peut répondre en évoquant
l’existence d’une minorité de parents qui n’adhèrent pas à l’obligation scolaire et ne
relayent pas les attentes de l’école. Il y a des parents qui cherchent à convaincre
leur enfant de rester à la maison, pour se reposer ou se soigner, avec autant de
conviction que d’autres mettent à le persuader qu’il ne faut manquer l’école sous
aucun prétexte. Certains parents minimisent ou combattent les jugements de
l’école, alors que d’autres les dramatisent et les amplifient. Certains ne voient pas
l’intérêt d’étudier, alors que d’autres sont malades à la simple idée que leur enfant
pourrait ne pas accéder à l’enseignement supérieur. Tous les parents ne coopèrent
pas dans la même mesure au projet d’instruire leur enfant, ne pensent pas avec la
même conviction que c’est « pour son bien » et que cela justifie qu’il passe tant
d’années de sa vie en classe. Dans le registre des attitudes et des stratégies éduca-
tives (Kellerhals et Montandon, 1991), les enseignants vivent donc, à juste titre,
certains parents comme des alliés inconditionnels, d’autres comme des sceptiques,
voire des adversaires plus ou moins déclarés.

Il est plus difficile de comprendre comment des parents, désireux que leur enfant
réussisse, pourraient faire directement obstacle à leurs apprentissages. C’est pour-
tant ce qui arrive, en général involontairement, et préoccupe une partie des ensei-
gnants. C’est ainsi que de nombreux parents pensent encore que, pour acquérir des
connaissances, il faut souffrir, travailler dur, apprendre par cœur, répéter ses mots et
son livret, bref, allier l’effort et la mémoire, l’attention et la discipline, la soumis-
sion et la précision. Les enseignants qui partagent cette façon de voir n’ont guère de
problèmes avec ces parents. Ils peuvent allonger les devoirs, multiplier les
contrôles, retenir les enfants après les heures, punir et même frapper les enfants qui
ne travaillent pas, faire régner la terreur, dramatiser les mauvaises notes : ils auront
le soutien inconditionnel de ceux des parents qui pensent qu’on n’apprend que sous
la contrainte et dans la douleur. À l’inverse, les enseignants qui pratiquent les mé-
thodes actives et les démarches de projet suscitent l’adhésion des parents acquis à
ces approches et la méfiance des autres.

On ne saurait renvoyer ces approches dos à dos. On ne peut, si l’on veut la


démocratisation de l’enseignement, que plaider pour une pédagogie active et
différenciée. Il n’y a donc pas, dans mon esprit, de confusion entre enseignants
novateurs confrontés à des parents conservateurs et enseignants traditionnels
confrontés à des parents attendant des pédagogies plus ouvertes et participatives.
Pourtant, sous l’angle de la relation avec les parents, on perçoit bien la symétrie
des enjeux : quelle que soit sa pédagogie, un enseignant a besoin que les parents
de ses élèves la comprennent et y adhèrent, au moins globalement, au niveau
des intentions et des conceptions de l’enseignement et de l’apprentissage. Ce
besoin est sans doute plus fort du côté des pédagogies nouvelles, parce qu’elles

115
Informer et impliquer les parents

incitent davantage, pour des raisons idéologiques, mais aussi didactiques, à


mobiliser et impliquer les parents. Et aussi parce qu’elles sont plus anxiogènes
pour certains adultes, dans l’exacte mesure où elles parient sur l’autonomie et
les ressources de l’apprenant.
Même l’enseignant le plus conventionnel ne peut faire son travail si sa démarche est
mal comprise et dénigrée par de nombreux parents. Faut-il des compétences pour
affronter ce problème ? Peut-être les enseignants s’emploient-ils d’abord à l’éviter,
en choisissant, s’ils le peuvent, d’enseigner dans un quartier où les parents sont glo-
balement en accord avec leurs méthodes. On connaît les différences entre classes
populaires et bourgeoises. Il en est d’autres, plus subtiles. C’est ainsi que les nou-
velles classes moyennes – travailleurs des métiers de l’humain – sont plus favo-
rables aux pédagogies nouvelles que les classes moyennes traditionnelles, artisans
et petits commerçants (Perrenoud, 1996 b ; Maulini, 1997 b). Dans les classes fa-
vorisées, les intellectuels n’ont pas, à l’école, le même rapport que les cadres. Les
enseignants entretiennent une complicité privilégiée avec telle ou telle fraction de
classe sociale, en fonction de leurs choix pédagogiques, éthiques, esthétiques, de
leur itinéraire, de leur propre origine sociale. Toutefois, chaque enseignant n’a pas
le pouvoir de trouver et de garder un public fait « sur mesure », invariablement en
phase avec ses choix didactiques et pédagogiques. En début de carrière, on lui attri-
bue souvent les classes dont personne ne veut. Par la suite, un enseignant n’obtient
pas toujours le poste convoité, car la concurrence est rude. Même s’il y arrive, il doit
déchanter : aucune classe n’est homogène, du point de vue des attentes des parents
aussi bien que du niveau des élèves. Si bien que le pain quotidien de beaucoup d’en-
seignants est de mécontenter les uns lorsqu’ils comblent les autres…
La compétence d’un enseignant consiste alors à gagner au plus vite l’adhésion des
parents qui lui paraissent a priori réfractaires à sa pédagogie… sans s’aliéner les
autres ! Il cherche, dans un premier temps, à ne pas être en butte à des critiques per-
manentes. Il espère ne pas rendre la tâche des enfants trop difficile. Il n’est pas fa-
vorable à ses apprentissages qu’un élève vive chaque jour un conflit de loyauté. Si
ses parents ne comprennent pas ou n’acceptent pas ce qu’il fait en classe, ils vont,
dans le registre verbal ou non verbal, saper la confiance de leur enfant en ses pro-
fesseurs. Ils vont, ce qui est encore plus perturbant, tenter de corriger, de compenser
ce qui ne les convainc pas, en « faisant l’école à la maison ». Nombre d’élèves sont
confrontés chaque jour à deux pédagogies et ils ne savent plus à quel saint se vouer.
Ainsi, si l’enseignant valorise des activités de recherche et des jeux stratégiques
que les parents considèrent comme du temps perdu, l’élève vit en tension entre
deux conceptions de l’apprentissage. Certains élèves construisent, dès leur plus
jeune âge, un rapport autonome au savoir, qui les aide à survivre à toutes sortes de
pédagogies scolaires et familiales. D’autres ont moins de distance et de moyens
pour penser par eux-mêmes, surtout lorsqu’ils se trouvent ballottés entre des repré-
sentations contradictoires.
L’enseignant se perçoit, légitimement, comme un professionnel qualifié, informé et
formé, censé savoir ce qu’il fait. Il attend donc des parents une confiance de base,

116
Informer et impliquer les parents

qu’il n’obtient pas toujours. Même lorsqu’ils la lui accordent, il sait qu’elle est fra-
gile, que le moindre revers dans les apprentissages peut rendre vie au scepticisme
de départ. Il ne suffit donc pas de réclamer la confiance comme un droit, l’ensei-
gnant doit la gagner en expliquant ce qu’il fait et pourquoi. Au minimum, il cher-
chera à obtenir la neutralité bienveillante des parents. S’il veut les impliquer dans sa
démarche, leur donner un rôle actif, il aura besoin qu’ils adhèrent plus profondé-
ment à sa vision pédagogique Si l’enseignant souhaite, par exemple, que les pa-
rents soutiennent une approche constructiviste, qui valorise le tâtonnement expéri-
mental, la réflexion sur les erreurs, l’exploration, la réflexion à haute voix, le débat,
le doute, il ne lui suffira pas que les parents « ne s’en mêlent pas ». Il souhaitera
qu’ils interviennent dans le même sens que lui, sans pour autant « faire à la place »
de leur enfant, sans lui souffler les réponses, sans corriger ses erreurs avant même
qu’il les ait commises.
Plus les enseignants sont acquis à des didactiques pointues et aux pédagogies nou-
velles, plus leurs conceptions de l’enseignement-apprentissage paraissent, aux
yeux de beaucoup de parents, aux antipodes du sens commun. Ainsi, certains pa-
rents ne peuvent pas comprendre facilement pourquoi il n’est pas éducatif d’effacer
toute trace d’errement de la pensée ou toute forme d’hésitation dans un travail écrit.
Leur rapport au savoir les incite à valoriser la réponse juste, détachée du raisonne-
ment, évidente.
On sent bien qu’on se trouve ici aux limites de l’influence que peut exercer un en-
seignant isolé. Il est très difficile de convaincre des parents dont on accueille les en-
fants une seule année, qui changent de régime à chaque rentrée scolaire. Un dia-
logue plus substantiel peut s’instaurer entre une équipe pédagogique et l’ensemble
des parents concernés, car la même orientation sera défendue dans plusieurs classes
et durant plusieurs années. La cohérence et la continuité des pédagogies rassurent
les parents. Ils peuvent, à la rigueur, comme leurs enfants, s’adapter à des dé-
marches qui changent chaque année. Ils ne peuvent y adhérer et s’impliquer pro-
fondément, surtout si chaque enseignant défend sa propre conception, sans réfé-
rence à un projet d’établissement ou à une cohésion d’équipe, sans même savoir
dans quelle mesure ses collègues pensent et font comme lui.

Dans la farine

Les trois entrées retenues (animer des réunions d’information et de débat ;


conduire des entretiens et impliquer les parents dans la construction des savoirs)
n’épuisent certainement pas les formes de relations entre la famille et l’école.
On pourrait insister sur tout ce qui se joue à travers l’enfant, considéré comme
go-between, intermédiaire, messager et message entre la famille et l’école, deux

117
Informer et impliquer les parents

univers entre lesquels il va et vient. J’ai tenté, à ce propos, de montrer que


l’essentiel de la relation entre les familles et l’école ne se joue pas dans les ren-
contres en face à face, mais plutôt dans les informations, les jugements, les
attentes, les injonctions et les griefs qui circulent chaque jour entre les ensei-
gnants et les parents à travers l’enfant, messager et go-between, au gré de ce
qu’il apporte et rapporte de part et d’autre (Perrenoud, 1994 a).
Peut-être aura-t-on saisi que la compétence ne consiste pas à maîtriser toute la
gamme des formes de contacts – même si ce n’est pas inutile -, mais à
construire plus globalement une relation équilibrée avec les parents, fondée sur
cette estime réciproque que Goumaz (1992) place à la base de la relation ensei-
gnants-enseignés.
J’avais, il y a dix ans, par dérision, pour mettre en évidence une des tentations
des enseignants, proposé « Quelques recettes simples et pas chères pour rouler
les parents dans la farine » :
1. Nier les faits ou les minimiser.
2. Si c’est impossible, en proposer une autre interprétation, plus défendable.
3. Suggérer que l’interlocuteur ignorait le contexte et juge sans savoir.
4. Insister sur le caractère exceptionnel des faits.
5. Admettre qu’il y a des brebis galeuses et qu’elles doivent être sanctionnées.
6. Suggérer à son interlocuteur qu’il n’a pas les mains blanches.
7. Le renvoyer à ses propres incohérences ou à l’absence de consensus de son
groupe.
8. Se distancer des collègues absents.
9. Jouer les offensés (« Votre manque de confiance me blesse… »).
10. Suggérer que l’interlocuteur n’est pas représentatif.
11. Insinuer qu’il n’est pas bien dans sa peau ou qu’il règle des comptes per-
sonnels.
12. Clouer le bec de l’autre en invoquant le bien des enfants.
13. En appeler à des valeurs fondamentales (liberté, droit à la différence, res-
pect de la personnalité).
14. Invoquer les contradictions ou les défaillances de l’autorité.
15. Se cacher derrière le règlement ou l’arbitraire de l’institution.
16. Dire que la vie est dure pour tout le monde et demander un peu de com-
préhension.
17. Recourir à l’argument d’autorité (« Nous savons ce que nous avons à
faire »).
18. Rappeler le respect des territoires (« Que chacun balaie devant sa porte ! »)
et en appeler au sacro-saint professionnalisme.
19. Rappeler la difficulté des conditions de travail et de fonctionnement col-
lectif.
20. Donner des gages de bonne volonté et promettre de faire des efforts.

118
Informer et impliquer les parents

Savoir informer et impliquer les parents, en résumé, c’est être capable de n’utili-
ser qu’exceptionnellement de telles recettes, non parce qu’on les ignore, mais
parce qu’on les rejette délibérément, d’autant plus aisément qu’on n’en a pas
besoin !
De façon plus constructive, on peut rejoindre Maulini (1997 c) pour dire qu’une
clarification définitive des rôles des uns et des autres est impossible, que le par-
tenariat est une construction permanente, qui s’opérera d’autant mieux que les
enseignants acceptent d’en prendre l’initiative, sans monopoliser la parole, en
faisant preuve de sérénité collective, en l’incarnant dans quelques espaces per-
manents, en admettant une dose d’incertitude et de conflit et en acceptant la
nécessité d’instances de régulation. On voit mieux que jamais qu’il n’existe pas
de compétences qui ne s’appuient sur des connaissances, qui permettent à la
fois de maîtriser le désordre du monde et de comprendre que l’altérité et les
contradictions sont indépassables dans les métiers de l’humain et, pour tout dire,
dans la vie.

119
8

Se servir des technologies nouvelles

« Si elle ne se branche pas, l’école se disqualifiera ». Sous ce titre, un magazine


(supplément informatique de L’Hebdo, décembre 1997, p. 12). prête à Patrick
Mendelsohn, responsable de l’unité des technologies de la formation à la
Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’Université de Genève,
deux propos qui méritent qu’on s’y arrête :
« Les enfants naissent dans une culture où l’on clique, et le devoir des ensei-
gnants est de s’insérer dans l’univers de leurs élèves. »
« Si l’école dispense un enseignement qui n’est plus utile à l’extérieur, elle
court un risque de déqualification. Dès lors, comment voulez-vous que les
enfants aient confiance en elle ? »
Comment ne pas être d’accord ? L’école ne peut ignorer ce qui se passe dans le
monde. Or, les nouvelles technologies de l’information et de la communication
(TIC ou NTIC) transforment de façon spectaculaire nos façons de communi-
quer, mais aussi de travailler, de décider, de penser.
On peut regretter que le plaidoyer pour les nouvelles technologies (Negroponte,
1995 ; Nora, 1997), emphatiquement relayé par les médias, incite souvent les
gens ouverts, mais pas fanatiques, à rejoindre le camp des sceptiques. Toute
parole missionnaire irrite, surtout lorsqu’elle émane de ceux qui ont tout intérêt
à faire des adeptes. Il est parfois difficile de distinguer les propositions lucides et
désintéressées des effets de mode et des stratégies marchandes. Qui veut se faire
une idée du problème entre en effet dans un théâtre où la parole est largement
monopolisée par :
– les vendeurs de machines, de logiciels ou de communication en quête de mar-
chés, mais plus encore d’influence ;
– les politiques soucieux de ne pas rater le virage informatique et télématique,
prêts à des mesures spectaculaires, aussi mal fondées soient-elles ;
– les spécialistes des usages scolaires des technologies nouvelles, auteurs de
didacticiels, formateurs en informatique et autres gourous de l’Internet, qui
cherchent à vous faire adhérer à l’informatique sur le modèle de la foi et de la
conversion.

121
Se servir des technologies nouvelles

Pour qui se sent manipulé par des groupes de pression, la tentation est forte de
laisser le champ libre aux « croyants », en se disant qu’il sera toujours temps
d’en reparler le jour où les nouvelles technologies de l’information transforme-
ront véritablement ses propres conditions de travail.
Entre adeptes inconditionnels et sceptiques de mauvaise foi, peut-être y a-t-il
place pour une réflexion critique sur les nouvelles technologies, qui ne soit pas
d’emblée suspecte de se mettre au service soit de la modernité triomphante, soit
de la nostalgie du bon vieux temps, où l’on pouvait encore vivre dans l’univers
papier-crayon. Avec Patrick Mendelsohn, je pense qu’on peut aborder ces ques-
tions en termes d’analyse rigoureuse des liens entre technologies d’une part,
opérations mentales, apprentissages, construction de compétences d’autre part.
Ne rien dire des technologies nouvelles dans un référentiel de formation conti-
nue ou initiale serait indéfendable. Les mettre au centre de l’évolution du métier
d’enseignant, en particulier à l’école primaire, serait disproportionné en regard
des autres enjeux.
Le référentiel auquel je me réfère ici a choisi quatre entrées assez pratiques :
• Utiliser des logiciels d’édition de documents.
• Exploiter les potentialités didactiques de logiciels en relation avec les objectifs
de l’enseignement.
• Communiquer à distance par la télématique.
• Utiliser les outils multimédias dans son enseignement.
Ces compétences concernent l’enseignant, mais il est difficile de les dissocier
entièrement de la question de savoir quelle formation en informatique il doit
donner aux élèves.

L’informatique à l’école : discipline à part entière,


savoir-faire ou simple moyen d’enseignement ?

À l’école primaire, l’informatique n’est pas en général proposée comme une


discipline à enseigner pour elle-même, à l’exemple de la géographie ou de la
mathématique, un ensemble de savoirs et savoir-faire constitués, auxquels on
accorderait une part dans la grille horaire. C’est pourquoi les compétences atten-
dues des enseignants primaires ne sont pas de l’ordre d’une « didactique de
l’informatique ». Le problème ne se pose guère différemment pour les ensei-
gnants secondaires, sauf pour ceux qui sont explicitement chargés d’enseigner
l’informatique comme discipline.

122
Se servir des technologies nouvelles

Quelle place donner aux nouvelles technologies lorsqu’on ne vise pas à les
enseigner comme telles ? Sont-elles simplement des moyens, des outils de
travail, comme le tableau noir ? Ou attend-on de leur usage une forme de
familiarisation transposable à d’autres contextes ? Nul n’imagine qu’en uti-
lisant un tableau noir en classe, on prépare les élèves à s’en servir dans la vie.
Il en va différemment pour l’ordinateur. Ce n’est pas un outil propre à l’école,
bien au contraire. On peut espérer qu’en s’en servant dans ce cadre, les élèves
apprendront à le faire dans d’autres contextes. Est-ce une finalité de l’école
ou seulement un bénéfice secondaire, aussi appréciable soit-il ? Peut-on faire
d’une pierre deux coups ? Si, de l’usage banal des technologies en classe, on
attend des effets de familiarisation et de formation à l’informatique, on insis-
tera sur l’opportunité, pour cette seule raison, d’informatiser diverses activi-
tés et de développer des activités nouvelles, possibles seulement avec des
technologies et des logiciels nouveaux, par exemple la navigation sur le
World Wide Web.
Que ceux qui veulent former les enseignants aux TIC pour qu’à leur tour, ils
y « initient » leurs élèves, n’avancent pas masqués ! Cette visée n’est pas illé-
gitime, mais il n’est pas sain, sous couvert d’élargir ses moyens, d’infléchir
de façon implicite les finalités de l’école. Si l’appropriation d’une culture
informatique devait être considérée comme un objectif à part entière de la
scolarité de base, mieux vaudrait fonder cette proposition et en débattre
ouvertement, car telle n’est pas aujourd’hui la teneur des textes. L’école peine
à atteindre ses objectifs actuels, même les plus fondamentaux, comme la
maîtrise de la lecture et du raisonnement. Avant de charger insidieusement le
bateau, il serait sage de se demander s’il n’est pas déjà au-dessous de la ligne
de flottaison.
Il conviendrait également de se demander quelle culture informatique on veut
donner à l’école et au collège. Les défenseurs des nouvelles technologies ont
parfois une vue très courte et naïve de la transposition didactique. Il y a
moins de dix ans, certains proposaient, avec le plus grand sérieux, d’ensei-
gner dès l’école primaire un langage de programmation élémentaire comme
le Basic. Enseigner l’usage des logiciels actuels de navigation sur le World
Wide Web pourrait être un équivalent tout aussi absurde. On peut cependant
soutenir qu’il faut bien commencer un jour et qu’apprendre à manier un logi-
ciel qui sera vite dépassé est une façon d’entrer dans le monde de l’informa-
tique. Il suffira ensuite de suivre les transformations des outils.
Au rythme où vont les choses, la communication par courrier électronique et
la consultation du Web deviendront, en quelques années, aussi banales que
l’usage du téléphone. Cette comparaison plaide pour ne pas enseigner
l’usage des outils à l’école : il est un peu plus difficile de naviguer d’une
page à l’autre dans l’hypertexte que d’utiliser le téléphone, mais la vraie dif-
ficulté est ailleurs. Pour utiliser pleinement le téléphone, mieux vaut maîtri-
ser la lecture des annuaires et autres documents de référence et la

123
Se servir des technologies nouvelles

communication orale. De même, chacun peut apprendre à se servir d’un logi-


ciel, par essais et erreurs ou grâce aux manuels et aux aides en ligne, à condi-
tion de savoir lire couramment. Il est nettement plus difficile de maîtriser la
logique des liens hypertextes, l’architecture des réseaux, les stratégies de
navigation intelligente dans un monceau de données, de textes et d’images,
dont la valeur et la pertinence sont souvent malaisées à évaluer.
Former aux nouvelles technologies, c’est former le jugement, le sens cri-
tique, la pensée hypothétique et déductive, les facultés d’observation et de
recherche, l’imagination, la capacité de mémoriser et de classer, la lecture et
l’analyse de textes et d’images, la représentation de réseaux, d’enjeux et de
stratégies de communication.
Il est évident que le développement des technologies offre de nouveaux
champs de développement à ces compétences fondamentales (Perrenoud,
1998 a) et accroît sans doute la portée des inégalités dans la maîtrise des rap-
ports sociaux, de l’information et du monde. J’en tire une conséquence para-
doxale : préparer aux nouvelles technologies, c’est mieux atteindre, pour une
proportion croissante d’élèves, les objectifs les plus ambitieux de l’école.
Pourquoi faudrait-il d’abord apprendre à lire dans des livres et, ensuite,
apprendre à maîtriser l’écrit spécifique de la communication informatique ?
Lire à l’écran devient une pratique sociale courante et les hypertextes sont
désormais des écrits sociaux aussi légitimes que les documents imprimés
comme sources de la transposition didactique à partir des pratiques
(Perrenoud, 1998 j). Pourquoi enseigner d’abord à faire un plan papier-
crayon, pour ne faire découvrir qu’ensuite le mode « plan » des logiciels de
traitement de textes ? Ce dernier rend possible un aller et retour constant
entre la structure d’un texte et son contenu en cours de rédaction, et colle
donc avec réalisme à la réalité de la production textuelle, qui parfois surgit
d’un plan, parfois le fait émerger du texte lui-même !
S’il fallait initier sérieusement les élèves à l’informatique, la voie la plus
intéressante serait de l’imbriquer complètement aux diverses activités intel-
lectuelles dont on vise la maîtrise, en particulier chaque fois que les TIC
affranchissent des tâches longues et fastidieuses qui découragent les élèves,
rendent plus visibles les procédures de traitement ou les structures concep-
tuelles, ou permettent aux élèves de coopérer et de partager des ressources.
Les compétences analysées plus loin permettent, dans une large mesure, de
faire d’une pierre deux coups : accroître l’efficacité de l’enseignement et
familiariser les élèves avec les nouveaux outils informatiques du travail intel-
lectuel. La légitimité et la priorité accordées à ce dernier objectif dépendront
des débats en cours sur la formation des élèves et le développement de com-
pétences dès l’école (Perrenoud, 1998 a).

124
Se servir des technologies nouvelles

Utiliser des logiciels d’édition de documents

Traditionnellement, l’enseignement se fonde sur des documents. Un enseignant


peu inventif se contentera d’utiliser les manuels et autres « livres du maître »
proposés par le système éducatif ou les éditeurs spécialisés. Même alors, il est
probable qu’il n’échappera pas longtemps aux nouvelles technologies, dans la
mesure où les documents imprimés seront de plus en plus complétés, mis à jour,
voire intégralement remplacés par des documents enregistrés sous forme numé-
rique, mis à disposition sur CD-ROM ou sur un réseau. La compétence mini-
male requise consistera à les repérer, à les rapatrier sur son lieu de travail et à
les montrer aux élèves, soit en les imprimant, soit en les projetant sur un écran.
Il deviendra désuet d’installer deux ou trois cartes géographiques dans les
classes lorsqu’elles disposeront toutes d’un moyen de projeter sur écran des
images de la même taille ou d’équiper chaque place de travail d’un moniteur
vidéo. Enseignants et élèves auront alors accès à toutes les cartes imaginables,
politiques, physiques, économiques, démographiques, avec des possibilités illi-
mitées de changement d’échelle et de passage à des textes explicatifs ou à des
animations, voire à des images en direct, par satellite.
On voit que ce simple transfert de l’imprimé aux supports numériques suppose
que l’enseignant construise une forte capacité de savoir ce qui est disponible, de
se mouvoir dans ce monde et de faire des choix. On passe d’un univers docu-
mentaire borné (celui de la classe et du centre de documentation proche) à un
univers sans véritables limites, celui de l’hypertexte. Ce concept n’est pas lié au
réseau, mais à la possibilité qu’offre l’informatique de créer des liens entre
n’importe quelle partie d’un document et d’autres parties, ou d’autres docu-
ments. Tout le monde fait de l’hypertexte sans le savoir en consultant un dic-
tionnaire ou un atlas, lorsqu’une page le renvoie à une autre. La différence est
que l’informatique prévoit ces liens et les propose à l’utilisateur, ce qui exige
une moindre créativité et un moindre effort, mais en revanche met à sa portée
une navigation facile et rapide. Qui a le courage, lorsqu’il cherche un mot dans
le dictionnaire, de feuilleter dans tous les sens pour explorer un champ séman-
tique ? Prenons simplement l’exemple du mot maison. Le Robert propose
quatre acceptions principales : I. Habitation (XIIe). II. Bâtiment, édifice destiné à
un usage spécial. III. Fig. Personnes qui vivent ensemble, habitent la même mai-
son. IV. (XXe). En appos., qui a été fait à la maison, sur place.
Chacune est tour à tour détaillée. Voici un extrait du sens premier de la première
acception :
I. Habitation
◊ 1. Bâtiment d’habitation : Bâtiment, bâtisse, construction, édifice (cit. 5),
hôtel, immeuble (cit. 5), ménil ou mesnil (vx) ; abri, asile (cit. 4), bercail,
chaumière, chez-soi, couvert, demeure, domicile (cit. 3), établissement,
feu (infra cit. 27), foyer, gîte, habitation (cit. 2), home, intérieur (cit. 7),

125
Se servir des technologies nouvelles

lieu (cit. 18), logement, logis, pénates, pigeonnier (fig.), résidence,


retraite, toit ; (péj.) baraque, bicoque (cit. 3), bouge, cabane, case, cas-
sine (vx), clapier, galetas, masure, réduit, taudis (fam. et argotique :
Cagna, carrée, casbah, crèche, gourbi, guitoune, piaule, taule, turne ; et
aussi couloir, cit. 1 ; échantillon, cit. 1 ; habitat, cit. 4).
REM. Maison, terme concret, désigne un bâtiment entier, tandis que les mots
concernant l’habitation, la demeure (abri, asile, etc.) s’appliquent à tout lieu,
bâtiment ou partie de bâtiment où l’on habite. – (1873). Maison d’habita-
tion : se dit pour insister sur le fait que la maison sert effectivement d’habita-
tion et pour la distinguer d’autres bâtiments.
[…]
Maison de bois (cit. 1), de briques (cit. 1), de pierres de taille. Maison préfa-
briquée. Maison industrialisée. Maison traditionnelle (en construction non
préfabriquée). Maison enduite de chaux (cit. 1), de crépi. Maisons blanches
(Flot, cit. 8), d’un blanc (cit. 15) éclatant. Petite maison : Maisonnette.
Maison rudimentaire : Chaumière, hutte… Maison basse (cit. 5 ; kiosque,
cit. 3). Maison haute, élevée ; à pignon (cit. 1). Grande maison à nombreux
étages. : Immeuble ; caserne, gratte-ciel, tour. Maison de ville. Maison
bourgeoise, habitée bourgeoisement (opposé à maison garnie, meublée).
Maison de maître. Maison de banlieue (cit. 2) : Pavillon. Maison rustique,
champêtre, des champs… Maison de paysans : Ferme. Maison forestière –
(1756). Maison de chasse : Pavillon, rendez-vous. – Maison de bouteille
(vx) ; maison de plaisance. – Maison de campagne : maison appartenant à
une personne résidant en ville et servant aux séjours de vacances. Noms de
maisons : Bastide, bourrine, bungalow, cabanon, campagne, cassine, cas-
tel, chalet, chartreuse, château, cottage, ermitage, fermette, folie, gentil-
hommière, manoir, mas, pavillon, pied-à-terre, vide-bouteilles (vx), villa.
– Vx. Petite maison : maison de plaisance située dans un lieu discret et desti-
née ordinairement à des rendez-vous galants : Folie (cit. 27, cit. 5)
1 2 3 4 5 6 7 8
Qui aurait l’acharnement voulu pour chercher dans un dictionnaire classique
tous les mots en gras, pour voir si leur définition concorde avec la notion de
maison ou l’enrichisse, la précise, la diversifie ?
Lorsque le dictionnaire est accessible sur ordinateur, chaque mot en gras devient
un lien hypertexte. En cliquant sur le mot, on affiche immédiatement la défini-
tion correspondante, à partir de laquelle on peut continuer à naviguer, de proche
en proche. Les mots qui ne figurent pas en gras sont accessibles presque aussi
simplement : il suffit d’en taper les premières lettres. Quant aux numéros, ils
renvoient à des citations qui mettent le mot en contexte. L’ensemble de la défini-
tion du mot « maison » propose plus de quarante citations. Chacune des cita-
tions et des définitions peut être copiée dans un autre document. La consultation
sélective d’une telle masse de données implique déjà des fonctions élémentaires
d’édition, pour garder une trace ou un extrait des informations pertinentes. La
notion d’hypertexte s’élargit lorsque la connexion à un réseau permet d’accéder
à des documents situés n’importe où sur la planète.

126
Se servir des technologies nouvelles

Le problème se complique lorsque l’enseignant, non content de choisir et de


présenter des documents ou des extraits, veut les adapter, les enrichir, les combi-
ner. Il doit alors avoir la maîtrise des opérations d’édition, au sens le plus large :
intégrer des documents de diverses sources, les modifier ou, tout simplement,
dessiner un chemin qui les relie. Un traitement de textes évolué permet
aujourd’hui d’intégrer images et sons, de même qu’un logiciel de présentation.
Certains enseignants construisent directement des pages Web. Il n’est plus
nécessaire aujourd’hui de maîtriser le langage standard (langage compris par
tous les navigateurs Web, dit HTML, Hyper Text Markup Language). Les traite-
ments de texte évolués et d’autres outils permettent de transformer assez aisé-
ment un document ordinaire en page Web. On peut la publier sur le réseau, mais
aussi se borner à l’utiliser dans sa classe, comme base d’information dans
laquelle les élèves peuvent naviguer facilement, à condition de prévoir des liens
entre les pages… La compétence requise est de moins en moins technique, elle
est surtout logique, épistémologique et didactique.

Cela échappe, hélas, aux enseignants qui pensent encore qu’un ordinateur est
simplement une machine à écrire sophistiquée. Or, l’évolution des logiciels per-
met d’associer de plus en plus facilement textes, tableaux numériques, dessins,
photos, de faire de l’édition de qualité, de relier tous ces éléments en fonction
de problématiques précises et de diffuser ces informations sur le réseau. Il
deviendra presque aussi simple d’ajouter des animations, des séquences vidéo
ou des éléments interactifs. L’industrie informatique doit absolument, pour
continuer à se développer, rendre l’outil accessible au plus grand nombre, donc
à des gens nettement moins instruits que les enseignants. Ces derniers auront
donc de moins en moins d’excuses de continuer à affirmer qu’ils n’y compren-
nent rien.

Pourtant, rien n’interdira sans doute, durant les années à venir, de s’en tenir aux
livres et brochures, en poussant l’audace jusqu’à se servir d’un traitement de texte
pour composer quelques fiches d’exercices ou des épreuves. Il est peu probable que
le système éducatif impose autoritairement la maîtrise des nouveaux outils aux en-
seignants en place, alors que dans d’autres secteurs, elle n’est pas négociable. Peut-
être n’est-ce pas nécessaire : les enseignants qui ne voudront pas s’y mettre dispo-
seront d’informations scientifiques et de ressources documentaires toujours plus
pauvres, en regard de celles auxquelles accéderont leurs collègues plus avancés.
On ne peut exclure certains paradoxes : certains de ceux qui ont les moyens d’un
usage critique et sélectif des nouvelles technologies se tiendront à l’écart alors que
d’autres s’y jetteront à corps perdu sans avoir la formation requise pour évaluer et
comprendre… Cette dérive menace les élèves, même les plus jeunes, si l’école ne
leur donne pas les moyens d’un usage critique. L’évolution des médias, du com-
merce électronique et la généralisation des équipements familiaux rendront l’accès
de plus en plus banal sans que les compétences requises se développent au même
rythme. C’est pourquoi la responsabilité de l’école est engagée, au-delà des choix
individuels des enseignants.

127
Se servir des technologies nouvelles

Exploiter les potentialités didactiques de logiciels


en relation avec les objectifs de l’enseignement

Cette formulation un peu abstraite tente de couvrir l’usage didactique de deux


types de logiciels : ceux qui sont faits pour enseigner ou faire apprendre et ceux
qui ont des finalités plus générales mais peuvent être détournés à des fins didac-
tiques.
Les applications conçues pour faire apprendre – ou didacticiels – relèvent de ce
qu’on a appelé EAO (enseignement assisté par ordinateur), puis AAO (appren-
tissage assisté par ordinateur). À l’origine, ces logiciels dérivent de l’enseigne-
ment programmé des années 1960-1970. Ils tentent de transformer en un dia-
logue élève-machine la partie la plus répétitive et prévisible des dialogues entre
l’enseignant et les élèves. Poser des questions de calcul mental ou de conjugai-
son est à la portée d’un ordinateur. Ce qui évolue, c’est la formulation des ques-
tions (couleurs, animation, bruitage, synthèse vocale) et le traitement des
réponses (possibilité de décoder du texte libre, puis la parole, ce qui libère des
questions à choix multiples ou des réponses exactes ou fausses à la lettre près).
Autre évolution, qui s’enracine aussi dans l’intuition première de l’enseigne-
ment programmé : la sophistication croissante de la gestion des progressions, le
logiciel étant capable d’analyser un ensemble de réponses ou de choix et d’en
déduire une stratégie optimale d’entraînement.
Aux programmes qui automatisent une partie du travail scolaire classique
s’ajoutent ceux qui simulent des situations complexes. Aujourd’hui, on peut for-
mer des pilotes, des médecins, des ingénieurs, des dépanneurs, des militaires,
des décideurs grâce à des simulateurs très réalistes de situations complexes. À
l’école obligatoire, les situations sont moins liées à des pratiques sociales, plus
proches du jeu de stratégie que de la vraie vie, mais elles partent des mêmes pré-
misses : l’ordinateur propose une situation, qui appelle une réaction, qui fait
elle-même évoluer la situation, et ainsi de suite, jusqu’à une « fin de partie ».
D’autres programmes orientés vers l’apprentissage offrent des supports à des
tâches plus ouvertes, par exemple construction géométrique, modélisation scien-
tifique, composition de textes, ou de mots croisés, ou de mélodies. D’autres
encore facilitent l’accès à une documentation ou le traitement de données numé-
riques ou cartographiques.
Une partie des logiciels conçus pour assister l’enseignement ou l’apprentissage
sont des versions de logiciels d’usage plus général, qu’on a simplifiés et adaptés
pour les mettre à la portée des élèves. Ainsi, on trouve des versions « scolaires »
de tableurs, de solveurs d’équations, de logiciels de PAO (publication assistée
par ordinateur), de traitement de texte, de dessin vectoriel ou artistique, de trai-
tement d’image ou de son, de composition musicale, de traitement de fichiers et

128
Se servir des technologies nouvelles

de base de données, de navigation hypertexte, de courrier électronique. On


trouve de même des langages de programmation spécifiquement conçus pour
des enfants, dont LOGO est l’emblème (Papert, 1981).
Cette évolution est heureuse, au sens où elle rend ces outils accessibles à des
enfants assez jeunes. Toutefois, si ces logiciels commencent à ressembler à des
moyens d’enseignement par leur mise en forme, ils restent radicalement diffé-
rents des didacticiels, au sens où ce sont des outils de travail qui, en tant que
tels, ne prennent pas en charge des apprentissages spécifiques (sinon quant à
leur propre mode d’emploi). Ils aident à construire des connaissances ou des
compétences parce qu’ils rendent accessibles des opérations ou des manipula-
tions qui sont impossibles ou très décourageantes si l’on est réduit au papier-
crayon. Un traitement de textes n’enseigne pas à rédiger, même s’il inclut des
correcteurs d’orthographe, de ponctuation ou de syntaxe et s’il offre des facilités
de mise en forme et de structuration. C’est le travail d’écriture qui est formateur.
Le fait d’utiliser un logiciel permet simplement de corriger à l’infini, de dépla-
cer ou d’insérer des fragments, d’agir sur la table des matières, de conserver et
de comparer plusieurs versions, d’incorporer des illustrations. La puissance des
outils permet de se concentrer sur les tâches les plus qualifiées, en laissant au
logiciel les tâches répétitives. Célestin Freinet avait développé l’usage de
l’imprimerie en classe, pour confronter les élèves à des activités de production
de texte. On obtient aujourd’hui l’équivalent avec un ordinateur, un logiciel de
traitement de texte ou de PAO, une imprimante. Certes, on ne trie plus les carac-
tères de plomb pour les ranger dans la casse, on ne se salit plus les doigts avec
de l’encre, mais les opérations, pour être plus abstraites, ne sont pas moins for-
matrices, d’autant que l’on peut les multiplier et les rendre réversibles à l’infini.
Dans le domaine des mathématiques ou des sciences, on imagine ce qu’on peut
faire d’un tableur, d’un programme statistique, d’un outil de simulation. Un pro-
fesseur de biologie ou de chimie peut aujourd’hui remplacer une partie des
expériences de laboratoire – qui restent formatrices, pour d’autres raisons – par
des opérations virtuelles qui prennent beaucoup moins de temps, donc densifient
les apprentissages, parce qu’on peut multiplier les essais et les erreurs en
sachant immédiatement les résultats et en modifiant à vue les stratégies.
Les logiciels d’assistance au travail de création, de recherche, de traitement de
données, de communication, de décision sont faits pour faciliter des tâches pré-
cises et améliorer le rendement et la cohérence du travail humain. Leur maîtrise
oblige à planifier, décider, enchaîner des opérations, orchestrer et assembler des
ressources. Tout cela est formateur de compétences essentielles, dans la
construction desquelles l’outil est secondaire par rapport aux opérations men-
tales et aux qualités mobilisées : rigueur, mémoire, anticipation, régulation, etc.
Dans le cadre scolaire, on peut en outre s’autoriser à les détourner partiellement
de leur usage intensif, par exemple pour faire travailler les élèves à deux devant
un seul ordinateur, de façon à les inviter à coopérer, à verbaliser leurs hypo-
thèses, leurs opérations, pour gérer le processus en commun.

129
Se servir des technologies nouvelles

Tout cela n’a rien de magique et exige un important travail de conception,


d’organisation, de suivi, sans parler des équipements et les problèmes matériels.
La première compétence d’un enseignant, dans ce domaine, est d’être :
– un usager averti, critique, sélectif de ce que proposent les spécialistes des
didacticiels et de l’AAO ;
– un praticien des logiciels facilitant le travail intellectuel en général et dans une
discipline en particulier, avec une familiarité personnelle et assez d’imagination
didactique pour détourner ces outils de leur usage professionnel.
Il n’est pas nécessaire qu’un enseignant devienne informaticien ou program-
meur. Un certain nombre de didacticiels sont aujourd’hui conçus pour permettre
à l’usager de choisir lui-même de nombreux paramètres d’utilisation et le
contenu des exercices. D’autres logiciels permettent de créer des didacticiels
personnalisés sans être soi-même programmeur, en utilisant en quelque sorte
des structures et des procédures déjà programmées, en les reliant, en les spéci-
fiant, en leur donnant un contenu qui dépend du professeur.
Qu’il ne faille pas être soi-même un programmeur ou un informaticien pointu
ne signifie pas qu’on puisse se passer d’une culture informatique de base et d’un
entraînement à manier tous ces outils. L’aisance personnelle dans le maniement
de divers logiciels ne garantit pas un heureux détournement à des fins didac-
tiques, mais il le rend possible.

Communiquer à distance par la télématique

Cela paraissait de la science-fiction il y a quelques années, aujourd’hui, des


classes séparées par un océan peuvent échanger du courrier plusieurs fois par
jour, pour un prix modique d’une connexion à un serveur Internet par modem
(ligne téléphonique ordinaire). Freinet, encore lui, avait développé la correspon-
dance scolaire. Sans disparaître sous sa forme épistolaire, elle s’élargit mainte-
nant au « courrier électronique ». On écrit un message, de quelques lignes ou
quelques pages, peu importe. On joint ou non des documents plus volumineux
(textes, images, sons, etc.) et on envoie le tout à l’autre bout du monde ou dans
la classe voisine, en sélectionnant une adresse dans un répertoire. Le correspon-
dant relève sa boîte à lettres électronique quand il veut et répond de la même
manière. Progressivement, l’écrit fait place aux messages oraux et aux images :
c’est une simple question de débit des lignes et de taille des disques. On peut
aussi aller vers la conversation en direct, comme au téléphone, ou la visioconfé-
rence, dont s’équipent les entreprises et autres institutions qui travaillent sur de
nombreux sites : chacun voit et entend les autres, presque comme s’ils étaient
dans la même salle.

130
Se servir des technologies nouvelles

Il n’est pas sûr que de tels exploits technologiques soient indispensables dans les
classes. En revanche, un simple courrier électronique ouvre sur le monde entier.
Les langues constituent la seule barrière et on peut s’attendre à ce qu’elle tombe le
jour où une traduction automatique sera intégrée.
À ces communications à distance « classiques », entre deux interlocuteurs identi-
fiés, l’informatique ajoute d’autres possibilités : le mailing (publipostage) devient
très simple, puisqu’il suffit de multiplier les destinataires du message. Les groupes
de news (nouvelles) fonctionnent un peu différemment, puisque les messages sont
alors adressés à un forum, chacun peut les lire et y réagir publiquement.
Enfin, à distance, on peut consulter des bases de données et des sites Web de tous
genres, des horaires de train aux sites du Pentagone ou du Vatican, en passant par
tous les sites scientifiques, politiques, ludiques, artistiques ou commerciaux imagi-
nables, y compris la propagande raciste, le néonazisme et la pornographie. On com-
prend la réticence des parents et des enseignants devant une information aussi riche
qu’incontrôlée, où se côtoient le meilleur et le pire. En va-t-il autrement de la télé-
vision ? Suffit-il de ne pas l’installer en classe pour en protéger les enfants ?
On voit bien ici que l’imagination didactique et la familiarité personnelle avec les
technologies doivent s’allier à une perception lucide des risques éthiques. On peut
faire de mauvaises rencontres sur le Net autant que dans un quartier mal famé, mais
est-ce une raison de ne jamais s’y hasarder ? On pourrait à ce propos se demander si
l’école a mis à jour ses objectifs de formation en matière d’esprit critique, d’auto-
nomie, de respect de la vie privée, de citoyenneté. Dans une société où l’on s’habi-
tue à voter, acheter, s’informer, se divertir, chercher un logement, un emploi ou un
partenaire sur Internet, peut-être faudrait-il mieux armer les enfants et les adoles-
cents dans ce domaine, pour renforcer leur identité, leur capacité de prendre de la
distance, de résister aux manipulations, de protéger leur sphère personnelle, de ne
pas « embarquer » dans n’importe quelle aventure douteuse.
On conviendra que, pour utiliser les réseaux à des fins de formation dans les di-
verses disciplines scolaires, un minimum de précautions s’imposent. Toutefois,
pour que les élèves ne deviennent pas esclaves des technologies et fassent des choix
éclairés, le développement de l’esprit critique et de compétences pointues paraît
plus efficace que les censures. Dans tel collège, un logiciel empêche l’accès, depuis
les classes, à tout site contenant le mot « enfant » ! Pour se garder de la pédophilie,
on interdit bien d’autres choses. L’alternative serait évidemment de développer le
jugement et l’autonomie…
Une fois prises les précautions éthiques nécessaires, demeure la question principa-
le : comment mettre les outils au service de stratégies de formation ? Si l’on fait abs-
traction des bénéfices secondaires – familiariser avec les outils technologiques,
faire réfléchir sur leurs risques et leur avenir –, il reste à répondre à des questions di-
dactiques élémentaires : apprend-on mieux à lire en consultant un journal électro-
nique ? À mieux écrire grâce au courrier électronique ? À mieux assimiler des no-
tions de biologie en cherchant des informations sur le Web ? À mieux s’approprier

131
Se servir des technologies nouvelles

l’histoire contemporaine en participant à un forum électronique sur la Seconde


Guerre mondiale ? Il y a, dans chaque cas, des raisons de penser que l’implication
dans de véritables réseaux de communication accroît le sens des savoirs et du travail
scolaires (Perrenoud, 1996 a). On peut aussi associer les outils technologiques aux
méthodes actives, puisqu’ils favorisent l’exploration, la simulation, la recherche, le
débat, la construction de stratégies et de micro-mondes. Est-ce suffisant pour justi-
fier l’investissement ? Tout dépendra de la façon dont l’enseignant cadre et pilote
les activités. Sa maîtrise technique facilite les choses, mais ici, c’est de maîtrise di-
dactique et de rapport au savoir qu’il s’agit !
D’autres questions se posent : ces outils favoriseront-ils une différenciation de
l’enseignement, une individualisation des parcours de formation, une démocrati-
sation de l’accès aux savoirs et à l’information ? Si l’on n’y prend garde, les
nouvelles technologies peuvent creuser les écarts (Perrenoud, 1998 d). La
« cyberdémocratisation » est moins probable que le scénario inverse, qui verrait
les plus favorisés s’approprier les NTIC pour accroître leurs privilèges…

Utiliser les outils multimédias dans son enseignement

De plus en plus, les CD-ROM et les sites multimédias feront aux professeurs une
sérieuse concurrence, s’ils ne veulent ou ne savent s’en emparer pour enrichir leur
propre enseignement. Georges Friedmann avait présenté la télévision naissante
comme une école parallèle. Elle l’est, même si l’on entend souvent regretter qu’elle
dispense un « savoir en miettes », un savoir de jeux télévisés, qui n’enrichit vrai-
ment que ceux qui ont développé des structures d’accueil, à l’école ou dans le tra-
vail. Cela renforce le plaidoyer de Develay (1982) en faveur d’un investissement
prioritaire dans la construction de matrices disciplinaires. Il y aura, dans les réseaux
et les médias, de plus en plus d’informations scientifiques, de la vulgarisation de
base à des enseignements de haut niveau. Seuls pourront véritablement en tirer parti
ceux qui auront une bonne formation scolaire de base.
L’intégration de la vidéo à l’enseignement, sur laquelle on fondait dans les
années 1970 d’immenses espoirs, n’a pas tenu ses promesses, sans doute parce
qu’elle restait peu interactive et fonctionnait sur le mode de la sensibilisation à
certains problèmes – la famine au Sahel, l’érosion, le chômage, l’explosion
démographique, etc. – ou de l’illustration de notions théoriques : fonctionne-
ment du moteur à explosion, division cellulaire, crise économique, forme de la
tragédie classique, etc. La jonction de l’ordinateur et de l’image change les don-
nées du problème, car il est désormais possible de numériser les images, pour
leur faire subir toutes sortes de traitements. On peut aussi composer une image
de synthèse à partir de structures, de trames et de modèles, comme on peut
fabriquer une voix de synthèse. Pour l’animation et les films, c’est un peu plus
complexe, mais la « réalité virtuelle » est à nos portes.

132
Se servir des technologies nouvelles

Aujourd’hui, les présentations multimédias sont des spectacles « sons et


lumières » de plus en plus sophistiqués, dans lesquels on peut incorporer des
éléments de synthèse. Demain, la réalité virtuelle permettra à un élève muni du
casque adéquat d’explorer l’époque préhistorique, de voyager au centre de la
Terre ou d’aller sur la Lune. Non pas comme dans un simple film, où le specta-
teur est prisonnier du scénario, mais comme s’il était acteur et pouvait prendre
des décisions qui modifient effectivement la suite de l’histoire. On passe en
quelque sorte du roman dont vous êtes le héros au film documentaire dont vous
êtes l’explorateur et le réalisateur ou du film de fiction dont vous êtes un person-
nage central aussi bien que le scénariste. Les logiciels et les ordinateurs qui se
développent actuellement permettent en effet de calculer et de simuler des
scènes (images et sons) de synthèse de plus en plus réalistes. Ces développe-
ments intéressent la recherche et atteindront sans doute d’abord le marché du
divertissement. Le temps n’est pas venu, mais il s’approche, où un film virtuel
permettra de vivre en direct la découverte du virus de la rage ou de remontrer
l’Amazone à la recherche de l’Eldorado.
En quoi consiste la compétence des enseignants ? Sans doute à utiliser les outils
multimédias déjà disponibles, du banal CD-ROM à des animations ou à des
simulations plus sophistiquées. Peut-être aussi à développer dans ce domaine
une ouverture, une curiosité, et pourquoi pas, des attentes. Les vendeurs de
rêves et d’illusion sont à l’affût des développements technologiques, parce qu’ils
entrevoient des profits fabuleux. Faut-il leur abandonner ce terrain ? Le monde
de l’enseignement, plutôt que d’être toujours en retard d’une révolution techno-
logique, pourrait prendre la tête d’une commande sociale orientée vers la forma-
tion. Équiper et brancher les écoles, c’est bien, mais cela ne dispense pas d’une
politique plus ambitieuse quant aux finalités et aux didactiques.

Des compétences fondées sur une culture technologique

Les enseignants qui savent ce qu’apportent les nouvelles technologies aussi bien
que leurs dangers et leurs limites peuvent décider, en connaissance de cause, de
leur faire une très large place dans leur classe aussi bien que de les utiliser assez
marginalement. Dans ce dernier cas, ce ne sera pas par ignorance, mais parce
qu’ils ont pesé le pour et le contre, puis jugé que le jeu n’en valait pas la chan-
delle, compte tenu du niveau de leurs élèves, de la discipline considérée et de
l’état des technologies. Il peut être plus simple et aussi efficace d’enseigner la
physique ou l’histoire par des moyens traditionnels que de passer des heures à
chercher des documents ou à écrire des programmes, sans avoir le temps de
penser les aspects proprement didactiques.
Dans cinq ou dix ans, les technologies auront encore fortement évolué. Les spécia-
listes de l’industrie pratiquent la « veille technologique », autrement dit l’attention

133
Se servir des technologies nouvelles

permanente portée à ce qui s’annonce, pour ne pas s’enfermer dans les outils d’au-
jourd’hui. Mieux vaudrait que les enseignants exercent d’abord une veille culturel-
le, sociologique, pédagogique, et didactique, pour comprendre de quoi l’école, ses
publics et ses programmes seront faits demain. S’il leur reste un peu de disponibili-
té, une ouverture à ce qui se joue sur la scène des NTIC serait également bienvenue.
Une culture technologique de base est nécessaire aussi pour penser les rapports
entre l’évolution des outils (informatique et hypermédias), les compétences intel-
lectuelles et le rapport au savoir que l’école prétend former. Au moins sous cet
angle, les technologies nouvelles ne sauraient être indifférentes à aucun enseignant,
parce qu’elles modifient les façons de vivre, de s’amuser, de s’informer, de tra-
vailler et de penser. Cette évolution affecte donc les situations auxquelles sont et se-
ront confrontés les élèves, dans lesquelles ils sont et seront censés mobiliser ce
qu’ils ont appris à l’école.
C’est ainsi qu’on ne devrait pas, aujourd’hui, pouvoir penser une pédagogie et une
didactique du texte sans être conscient des transformations que l’informatique fait
subir aux pratiques de lecture et d’écriture. De même qu’on ne devrait pas pouvoir
penser une pédagogie et une didactique de la recherche documentaire sans mesurer
l’évolution des ressources et des modes d’accès. Tout enseignant qui se préoccupe
du transfert, du réinvestissement des acquis scolaires dans la vie (Mendelsohn,
1996) aurait intérêt à se faire une culture de base dans le domaine des technologies
– quelles que soient ses pratiques personnelles – de même qu’elle est nécessaire à
quiconque prétend lutter contre l’échec scolaire et l’exclusion sociale.
Dans un livre récent, Tardif (1998) propose un cadre pédagogique aux nouvelles
technologies. Il met l’accent sur le changement de paradigme qu’elles appellent et
en même temps facilitent. Le paradigme visé ne touche pas en tant que tel aux tech-
nologies. Il concerne les apprentissages. Il s’agit de passer d’une école centrée sur
l’enseignement (ses finalités, ses contenus, son évaluation, sa planification, sa mise
en œuvre sous forme de cours et exercices) à une école centrée non sur l’élève, mais
sur les apprentissages. Le métier d’enseignant se redéfinit : plutôt que d’enseigner,
il s’agit de faire apprendre. On peut ironiser et dire que ce changement de paradig-
me enfonce une porte ouverte. Faire apprendre n’est-il pas le but de chacun ? La
bonne question est alors celle de Saint-Onge (1996) : « Moi j’enseigne, mais eux,
apprennent-ils ? » Les nouvelles technologies peuvent renforcer l’apport des tra-
vaux pédagogiques et didactiques contemporains, car elles permettent de créer des
situations d’apprentissage riches, complexes, diversifiées, à la faveur d’une divi-
sion du travail qui ne fait plus reposer tout l’investissement sur le professeur,
puisque tant l’information que la dimension interactive sont prises en charge par les
producteurs des outils.
La véritable inconnue est de savoir si les professeurs vont se saisir des technologies
comme d’une aide à l’enseignement, pour faire des cours de mieux en mieux illus-
trés par des présentations multimédias, ou pour changer de paradigme et se
concentrer sur la création, la gestion et la régulation de situations d’apprentissage.

134
9

Affronter les devoirs et les dilemmes


éthiques de la profession

Il paraît de moins en moins raisonnable de refuser la dimension éducative du


métier d’enseignant, mais il serait aussi absurde qu’injuste d’attendre des
maîtres d’école des vertus éducatives infiniment plus grandes que celles de la
société qui les mandate. Seraient-ils exemplaires qu’ils ne sauraient masquer
l’état du monde. « Pas nette, la planète ! », tous les élèves le voient jour après
jour dans la ville et les médias.
Charles Péguy écrivait en 1904, dans une sorte d’éditorial qui s’appelait « Pour
la rentrée » :
« Quand une société ne peut pas enseigner, c’est que cette société ne peut pas
s’enseigner ; c’est qu’elle a honte, c’est qu’elle a peur de s’enseigner elle-
même ; pour toute humanité, enseigner, au fond, c’est s’enseigner ; une
société qui n’enseigne pas est une société qui ne s’aime pas, qui ne s’estime
pas ; et tel est précisément le cas de la société moderne ».
De la peur de s’enseigner elle-même, l’école ne saurait délivrer entièrement
notre société. La violence, la maltraitance, les préjugés, les inégalités, les discri-
minations existent, la télévision en donne chaque jour le spectacle. On ne peut
demander à l’école d’être ouverte sur la vie et de faire croire en même temps
que tous les adultes adhèrent aux vertus civiques et intellectuelles qu’elle
défend. Les adolescents ont beau jeu d’ironiser sur les paroles idéalistes de leurs
maîtres et de leurs parents. « Ce monde, je l’ai fait pour toi », disait le père. « Je
sais, tu me l’as dit déjà », disait l’enfant. « Il est fichu et je n’ai plus qu’à le
refaire, un peu plus souriant, pour mes petits-enfants ». Il n’est pas sûr que les
générations montantes soient aussi optimistes que dans cette vieille chanson de
Maxime Leforestier.
Faut-il pour autant démissionner, en ajoutant à la confusion et au cynisme ? Ce
serait une façon dérisoire d’esquiver la contradiction entre ce que « prêche » un
enseignant et ce que vivent et voient les enfants et les adolescents réunis dans sa
classe. Point n’est besoin de vivre à Sarajevo, Beyrouth, Saïgon ou Bogota pour
saisir que la vérité, la justice, le respect de l’autre, la liberté, la non-violence, les

135
Affronter les devoirs et les dilemmes éthiques de la profession

droits de l’homme et de l’enfant, l’égalité des sexes ne sont souvent que des for-
mules creuses. Le temps du catéchisme est révolu, aucune éducation ne peut
plus se réclamer de l’évidence, elle doit donc affronter ouvertement la contra-
diction entre les valeurs qu’elle affirme et les mœurs ambiantes. Comment
inculquer une morale dans un monde où l’on massacre à tour de bras, sans rime
ni raison ? Le contraste n’a jamais été aussi grand entre la misère du monde
(Bourdieu, 1993) et ce qu’on pourrait faire avec les technologies, les connais-
sances, les moyens intellectuels et matériels dont nous disposons. Nous vivons
dans une société où l’expansion des téléphones portables compense l’accroisse-
ment du nombre de chômeurs et de SDF, où le progrès consiste à installer les
gadgets électroniques les plus sophistiqués dans des bidonvilles où l’eau cou-
rante fait défaut. Misère et opulence, privations et gaspillage voisinent aussi
insolemment qu’au Moyen Âge, à l’échelle planétaire aussi bien que dans
chaque société.
Comment enseigner sereinement une telle société ? Et comment ne pas l’ensei-
gner ? Les compétences requises des enseignants de l’école publique sont sans
commune mesure avec la « foi communicative » qui suffit encore aux mission-
naires. Dans une société en crise et qui a honte d’elle-même, l’éducation est un
exercice de funambule. Comment reconnaître l’état du monde, l’expliquer,
l’assumer, jusqu’à un certain point, sans l’accepter, ni le justifier ?
On reparle de l’éducation civique ou, comme on dit aujourd’hui, de « l’éducation à
la citoyenneté ». Les bonnes intentions ne suffisent pas, ni un habile mélange de
conviction et de réalisme. Il faut encore créer des situations qui favorisent de véri-
tables apprentissages, des prises de conscience, la construction de valeurs, d’une
identité morale et civique. Si l’on entame ce travail didactique, on s’aperçoit qu’une
éducation à la citoyenneté ne peut être enfermée dans une grille horaire et que « la
formation du citoyen se cache, à l’école, au cœur de la construction des savoirs »
(Vellas, 1993). J’ajouterai qu’elle passe aussi par l’ensemble du curriculum, qu’il
soit explicite ou caché (Perrenoud, 1996 a, 1997 a). Comment prévenir la violence
dans la société si on la tolère dans l’enceinte de l’école ? Comment donner le goût
de la justice si elle n’est pas rendue en classe ? Comment inculquer le respect sans
incarner cette valeur au jour le jour ? On dit parfois que « l’on enseigne ce que l’on
est ». Dans le domaine qui nous occupe, c’est encore plus vrai. Le « faites comme je
dis, pas comme je fais », n’a guère de chance de changer les attitudes et les repré-
sentations des élèves.
On peut envisager les cinq compétences spécifiques retenues par le référentiel
adopté ici comme autant de ressources d’une éducation cohérente à la citoyenneté :
• Prévenir la violence à l’école et dans la cité.
• Lutter contre les préjugés et les discriminations sexuelles, ethniques et
sociales.
• Participer à la mise en place de règles de vie commune touchant la discipline à
l’école, les sanctions, l’appréciation de la conduite.

136
Affronter les devoirs et les dilemmes éthiques de la profession

• Analyser la relation pédagogique, l’autorité, la communication en classe.


• Développer le sens des responsabilités, la solidarité, le sentiment de justice.
Les enseignants qui développent de telles compétences œuvrent non seulement
pour l’avenir, mais pour le présent. Ils créent les conditions d’un travail scolaire
fécond dans l’ensemble des disciplines et des cycles d’études. Il ne s’agit pas
seulement d’inculquer un modèle pour que les élèves « l’emportent avec eux
dans la vie », mais de le mettre en œuvre « ici et maintenant », à la fois pour le
rendre crédible et pour en retirer des bénéfices immédiats.

Prévenir la violence à l’école et dans la cité

Nul ne peut apprendre s’il craint pour sa sécurité, son intégrité personnelle ou
simplement pour ses biens. On évoque volontiers, dans les médias, certaines
écoles où la violence prend des formes extrêmes, tant du côté de l’institution
(châtiments physiques, sadisme) que des élèves (chantages, agressions, racket,
viols). Cette violence est « à la une », elle fascine et elle fait peur. Les écoles
encore épargnées se demandent pour combien de temps. Lorsqu’on projetait
Graine de violence, dans les années 1960, on pouvait se dire que cela n’arrivait
que dans les ghettos américains, avec des adolescents laissés pour compte.
Aujourd’hui, tous les pays développés sont touchés et le groupe le plus violent,
ce sont les préadolescents, vers 11-13 ans. Dans les banlieues, mais aussi dans
certaines petites villes fortement minées par le chômage, la drogue, l’alcool et
l’ennui, les autorités sont préoccupées par une véritable délinquance, et l’on met
en place des dispositifs policiers et judiciaires au cœur de l’univers scolaire.
Peut-être en est-on arrivé là pour n’avoir pas vu que la violence est en germe
dans le rapport pédagogique, dès qu’il est rapport de force, et dans la coexis-
tence dans un établissement scolaire, dès qu’on ne reconnaît pas à tous les
mêmes droits ou qu’on n’en assure pas le respect. Lorsque certains élèves crai-
gnent chaque jour que de plus forts leur volent leur argent de poche, leurs
affaires ou leur blouson, la violence est déjà là, d’autant plus révoltante que les
coupables restent souvent impunis. On ne prête pas assez d’attention à la sécu-
rité des biens personnels comme indicateur de lien social. Il a existé et il existe
encore, dans quelques endroits protégés de la planète, des sociétés pauvres dans
lesquelles on pouvait ou on peut, sans crainte, laisser sa maison ouverte ou
abandonner des objets de valeur dans un espace public. Dans les sociétés
urbaines, la misère affaiblit les solidarités. Les clochards, qui passent la nuit en
plein air ou dans des abris collectifs, ne peuvent dormir sans craindre d’être
dépouillés du peu qui leur reste. Il en va de même des drogués ou des prison-
niers. Les plus nantis ont les moyens de multiplier les verrous… Cette évolution

137
Affronter les devoirs et les dilemmes éthiques de la profession

s’est opérée lentement, la crise économique ne fait que révéler un effritement du


contrat social, un affaiblissement des normes de réciprocité sans lesquelles cha-
cun devient, potentiellement, un ennemi.
Certains régimes intégristes luttent contre cet effritement par une répression
féroce, par exemple en coupant la main des voleurs sans autre forme de procès.
Les démocraties, sans renoncer à la répression, respectent des procédures
pénales qui exigent des preuves et donnent des droits à la défense. La solution
n’est évidemment pas de revenir à la loi du talion ou à une répression digne des
sociétés les plus totalitaires, par ailleurs extrêmement violentes. Il s’agit de la
rétablir ce qu’avec d’autres, Imbert (1994, 1998), Meirieu (1991, 1996 a et b)
ou Develay (1996) appellent la Loi, avec une majuscule, autrement dit l’interdit
de la violence, qui seul permet la vie en société. La compétence des enseignants
serait alors d’instaurer la Loi, non comme le shérif instaure la non-violence par
la menace d’une violence légitime, mais par le libre consentement, la reconnais-
sance par chacun du fait que la vie serait invivable si chacun est l’ennemi de
tous. Bref, par une redécouverte du contrat social cher à Rousseau.
On peut craindre, hélas, que la démonstration soit malaisée face à des publics
scolaires difficiles. Nous ne vivons pas dans la société de Mad Max, où chacun
règle ses comptes, hors de toute loi commune, mais pas non plus dans une
société de droit entièrement juste et convaincante. « Élites irrégulières », en un
titre, Lascoumes (1997) résume l’une des racines du problème : certains de ceux
qui exercent le pouvoir politique ou économique se mettent au-dessus des lois
ou s’en servent à leur avantage, comme en témoigne la multiplication des
« affaires » politico-financières. Ce n’est pas neuf, dans l’histoire, mais c’est
plus visible dans une société médiatique, et plus intolérable dans une société qui
se prétend démocratique.
Je conviens, avec les psychanalystes, les éthiciens et les pédagogues, que l’inter-
dit de la violence est une des bases de la civilisation humaine. Mais en tant que
sociologue pessimiste, je me dois d’ajouter que cette évidence n’est pas inscrite
dans notre patrimoine génétique. Il faut donc la redécouvrir, contre certaines
évidences : les sociétés nationales d’aujourd’hui se sont construites dans la vio-
lence, elles fondent encore leurs institutions sur une forte dose de violence
légale (policière, militaire, judiciaire, pénitentiaire, médicale, scolaire) et elles
vivent avec une part importante de violences illégales, qui sont loin d’être toutes
sanctionnées. La Loi n’est donc qu’un idéal, anthropologiquement fondé, mais
qui ne s’impose pas par lui-même et demeure très imparfaitement réalisé dans
les sociétés réelles. Ce qui prouve tout simplement, n’en déplaise aux idéalistes,
que les sociétés, même développées, tertiaires, technologiques ou « postmo-
dernes », ne sont pas civilisées jusqu’au bout des ongles…
Les enseignants ne peuvent donc se contenter de rappeler que « la violence ne paie
pas ». Certains de leurs élèves assistent chaque jour à la confirmation de cette thèse,
alors que d’autres vivent la démonstration inverse. Les publics scolaires difficiles

138
Affronter les devoirs et les dilemmes éthiques de la profession

en ont trop vu pour croire encore aux contes de fées. Les enseignants des zones à
hauts risques disent volontiers qu’ils se heurtent à un mur dans la communication :
les valeurs humanistes qu’ils défendent n’évoquent rien dans l’esprit d’une partie
de leurs élèves. L’interdit de la violence provoque une réaction d’incompréhension
ou d’amusement, certains jeunes l’entendent comme une norme tombée d’une
autre planète, qui se réfère à un jeu social qui n’a plus cours dans le monde où ils vi-
vent. Longtemps, l’éducation morale a travaillé sur la difficulté de mettre en œuvre
des principes auxquels les enfants et les adolescents adhéraient, même lorsqu’ils
les transgressaient. Les délinquants adultes condamnés pour divers délits accep-
tent souvent la loi et le jugement. Ce n’est plus vrai aujourd’hui des générations
nouvelles. Le respect de la vie humaine ? Certains adolescents n’y attachent guère
plus d’importance qu’à une interdiction de fumer !
Pour ne pas en arriver là, il ne suffit plus aux éducateurs d’enfoncer quelques
portes ouvertes, de rappeler la Loi. Il faut la construire à partir de rien, là où il
n’y a plus d’héritage, ni d’évidences partagées. C’est pourquoi, lutter contre la
violence à l’école, c’est d’abord parler, élaborer collectivement la signification
des actes de violence qui nous entourent, réinventer des règles et des principes
de civilisation. Si la violence est le vrai problème, alors il faut la mettre au cœur
de la pédagogie (Pain, 1992). Afficher quelques règles de bonne conduite et les
rappeler de temps à autre est une réponse dérisoire.
Il importe tout autant de travailler à limiter la part de la violence symbolique et
physique qu’exercent les adultes sur les enfants, l’école sur les élèves et leurs
familles. La violence, ce n’est pas seulement les coups et blessures, les vols, les
déprédations. C’est l’atteinte à la liberté de parole, de mouvement, de tenue.
L’obligation scolaire est une violence légale, qui se traduit tous les jours par des
contraintes physiques et mentales très fortes : l’école oblige les enfants, quatre
ou cinq jours par semaine, à se lever à sept heures du matin pour venir en classe.
Elle leur impose ensuite de rester assis des heures durant, de se taire, de ne pas
manger, de ne pas se balancer, de ne pas se déplacer sans autorisation, de ne pas
rêver, d’être attentif et productif. Elle les oblige à montrer leur travail, à se prêter
à mille évaluations, à accepter les jugements sur leur intelligence, leur culture,
leur comportement. L’école n’est pas seulement le lieu où éclate la violence
d’une partie des jeunes, elle participe à sa genèse, en exerçant sur eux une for-
midable pression.
Cette pression est inscrite dans le principe même de la scolarisation obligatoire,
les enseignants ne l’inventent pas de leur propre chef. Mais ils y ajoutent, car
instaurer une certaine discipline est pour eux une condition de survie profes-
sionnelle au moins autant qu’un choix éducatif. Dans les sociétés tradition-
nelles, l’ordre scolaire était à ce point cohérent et écrasant que nul ne songeait
une seconde à se révolter, sauf quelques déviants vite marginalisés ou rappelés
à l’ordre. La violence symbolique était si achevée qu’elle restait invisible, ce
qui, comme Bourdieu et Passeron (1970) l’ont montré, est le comble de la
domination. Ces dispositifs, qui excluaient l’idée même d’une contestation, se

139
Affronter les devoirs et les dilemmes éthiques de la profession

sont fissurés, sauf dans quelques régions du monde où, dans les classes, on
entend encore « voler une mouche ». L’école n’est plus protégée contre le
« retour de flammes », la résistance se fait multiple, parfois anomique, parfois
organisée. L’école devient la cible d’une partie de la violence des jeunes, ceux
qu’elle exclut prématurément ou relègue dans des filières sans avenir. L’institu-
tion est alors parfois tentée de rétablir une répression féroce, mais elle se rend
vite compte que l’équilibre ancien est rompu et que le recours à des techniques
de pouvoir, jadis efficaces, jette désormais de l’huile sur le feu.

L’école se sait désormais condamnée à négocier, à ne plus user de la violence


institutionnelle sans se soucier des réactions. Les professeurs des établissements
à hauts risques ne l’ignorent pas : une punition entraîne désormais des repré-
sailles plus ou moins directes. Si, pour un professeur, infliger deux heures de
retenue – même pleinement justifiées – se paie de pneus crevés, l’escalade de la
violence n’est plus la solution. Il importe donc que l’école devienne, selon
l’expression de Ballion (1993), une « cité à construire », dans laquelle l’ordre
n’est pas acquis dès lors qu’on y entre, mais doit être en permanence renégocié
et reconquis. « Nul n’entre ici s’il ne respecte les règles du jeu », aiment à dire
les institutions, se réservant d’exclure ceux qui transgressent ce pacte. Or,
comme le disent Meirieu et Guiraud (1997), « exclure les barbares » n’est pas
une solution dans une société qui les astreint à la scolarité et ne peut indéfini-
ment les reléguer dans l’équivalent scolaire des quartiers pénitentiaires de haute
sécurité.

Dans la mesure où la violence scolaire a partie liée avec la violence urbaine, il n’est
plus guère de collège, même dans les petites villes, où l’on puisse se vanter de vivre
sans violence aucune. L’école primaire paraît mieux protégée, en raison de l’âge
des enfants, de la dispersion des établissements sur le territoire, de leur taille, d’un
mode de vie moins fragmenté. Ici et là, on discerne des fissures, dans les quartiers
difficiles, les banlieues, les petites villes en crise. Peut-être l’enseignement primai-
re aurait-il intérêt à ne pas se sentir à l’abri de toute éternité.

L’école primaire devrait se montrer pleinement solidaire du second degré : ce sont


les plus jeunes élèves du collège qui causent, dans les zones à haut risque, le plus
d’inquiétudes. Ils sortent de l’école primaire, où la violence restait contenue, mas-
quée. Elle se déchaîne dès que la structure scolaire devient plus anonyme, grands
bâtiments, multiples professeurs qu’on connaît à peine, classes impersonnelles
vides de toute décoration. L’enseignement secondaire aurait certes intérêt à ne pas
sous-estimer l’écologie de la violence induite par le traitement bureaucratique des
espaces de travail, des relations et des populations scolarisées. En contrepartie,
l’école primaire devrait mesurer que la niche écologique qu’elle constitue n’offre
pas, en tant que telle, une éducation à la citoyenneté, qu’elle peut même favoriser la
violence d’enfants jetés brutalement dans un monde moins protégé. Il est préfé-
rable d’apprendre à négocier en temps de paix. S’il y a une cité à construire, c’est
avant la guerre civile (Meirieu et Guiraud, 1997).

140
Affronter les devoirs et les dilemmes éthiques de la profession

Lutter contre les préjugés et les discriminations


sexuelles, ethniques et sociales

L’énoncé d’une telle compétence laisse entendre qu’il s’agit de dispenser une
éducation à la tolérance et au respect des différences de tous genres. Ici encore,
une approche didactique s’imposerait : il ne suffit pas d’être soi-même contre
les préjugés et les discriminations sexuelles, ethniques et sociales. Ce n’est
qu’une condition nécessaire pour que les propos du maître soient crédibles. Il
reste à emporter l’adhésion des élèves et là, les bonnes paroles ne font pas sou-
vent de miracles. Tout simplement parce que les préjugés et les discriminations
traversent les milieux sociaux et les familles. Aucun élève n’est une table rase,
en ce domaine moins encore que dans le champ des savoirs disciplinaires. Il y a,
dans chaque classe, des élèves élevés dans le sexisme ou le racisme, qui véhicu-
lent des stéréotypes entendus dès le plus jeune âge, et aussi des enfants plus
tolérants, parce que leur condition sociale et leur famille ont favorisé cette atti-
tude.

Ici encore, la formation passe par l’ensemble du curriculum et par une mise en
pratique – réflexive – des valeurs à inculquer. Et, ici encore, les visées de for-
mation se confondent avec les exigences de la vie quotidienne. Lutter contre les
préjugés et les discriminations sexuelles, ethniques et sociales à l’école, ce n’est
pas seulement préparer l’avenir, c’est rendre le présent vivable et si possible
fécond. Nulle victime de préjugés et de discriminations ne peut apprendre dans
la sérénité. Si poser une question ou y répondre appelle des railleries, l’élève se
taira. Si le travail en équipe le met en butte à des ségrégations, il préférera rester
seul dans son coin. Si de bonnes notes suscitent l’agressivité ou l’exclusion fon-
dées sur des catégories sexuelles, confessionnelles ou ethniques, il se gardera de
trop bien réussir. Et ainsi de suite. C’est d’abord pour mettre les élèves en condi-
tion d’apprendre qu’il faut lutter contre les discriminations et les préjugés.

Cela demande une forme de perspicacité et de vigilance. Les élèves intolérants,


sexistes, racistes, savent bien que leur attitude n’est pas admise par la plupart
des enseignants. Ils opèrent donc subrepticement, lorsque le professeur a le dos
tourné ou en dehors de la classe. À moins qu’ils ne se sentent en force et tentent
d’imposer leur point de vue comme la norme. L’enseignant se trouve donc soit
devant des conduites individuelles fuyantes, difficiles à combattre ouvertement,
soit devant un sexisme ou un racisme qui s’affirment collectivement et le met-
tent au défi. Qu’il ait alors la tentation de fermer les yeux est compréhensible.
Traquer les préjugés demande une énergie inépuisable, souvent pour de maigres
résultats à court terme. Les enseignants écorchés par le sexisme ou le racisme
de leurs élèves suspendent le travail en cours pour discuter des incidents cri-
tiques sur-le-champ ou renvoyer explicitement leur traitement au prochain

141
Affronter les devoirs et les dilemmes éthiques de la profession

conseil de classe. D’autres professeurs estiment « qu’ils n’ont pas que cela à
faire », désapprouvent mollement et avancent dans le programme…
Les valeurs et l’engagement personnels de l’enseignant sont décisifs. Ils
devraient être travaillés en formation, dans le cadre d’une éthique profession-
nelle (Valentin, 1997). Ne sous-estimons pas, à attitude égale, le poids des com-
pétences pour faire face aux situations qui témoignent d’un défaut de socialisa-
tion, de citoyenneté, de solidarité chez tout ou partie des élèves. Lorsqu’un
enseignant ne trouve pas les mots, pressent qu’il ne sera pas entendu, craint
l’ironie des élèves ou pense qu’il aura le dessous dans une confrontation, il
fronce les sourcils, pour la forme, et poursuit son cours. Nul ne dispose d’une
infaillible recette, mais une bonne préparation permet de saisir chaque occasion
d’aider les élèves à expliciter et à mettre à distance les préjugés et les méca-
nismes de ségrégation qu’ils font fonctionner. Le professeur compétent ne sera
pas attentif seulement aux infractions les plus grossières, mais au mépris et à
l’indifférence ordinaires. Lorsqu’un garçon refuse une tâche en prétextant que
ce n’est pas son rôle, que c’est « pour les filles », il n’aura pas besoin d’en
entendre plus pour intervenir. Lorsqu’un enfant, au détour d’une lecture, dit
« évidemment, c’est un Arabe », un arrêt sur image s’impose, le professeur
ayant le sentiment qu’il ne faut pas accepter de tels stéréotypes, mais aussi les
moyens d’improviser une explication et d’ouvrir le débat.
Cette attitude est solidaire d’une conception de la classe et de l’éducation. Ceux
qui sont obsédés par l’avancement dans un programme notionnel ne prennent
jamais le temps d’aller au fond des choses, car ils ont l’impression de se mettre
en retard. Ils se donnent bonne conscience quelques fois par année, mais ils
savent bien, dans le fond, que seul un travail rigoureux, qui ne laisse rien pas-
ser, peut avoir des effets éducatifs. Or, ce travail ne peut se faire dans quelques
minutes volées au programme. Il fait partie du programme !
Ce qui signifie que l’enseignant doit être intimement convaincu qu’il ne
s’éloigne pas de l’essentiel lorsqu’il s’attaque aux préjugés et aux discrimina-
tions observées ou rapportées en classe. Non seulement parce qu’il croit à la
mission éducative de l’école, mais parce qu’il sait qu’une culture générale qui
ne permet pas de mettre ces phénomènes à distance n’a guère de valeur. Si un
jeune sort de l’école obligatoire persuadé que les filles, les Noirs ou les
Musulmans sont des catégories inférieures, peu importe qu’il sache la gram-
maire, l’algèbre ou une langue étrangère. L’école aura « raté son coup », drama-
tiquement, parce qu’aucun des enseignants qui auraient pu intervenir à divers
stades du cursus n’aura considéré que c’était prioritaire…
La raison et le débat (Perrenoud, 1998 k), le respect de la parole et de la pensée
de l’autre sont des enjeux bien plus importants que tel ou tel chapitre de
n’importe quelle discipline. Encore faut-il s’en rendre compte. Dans l’enseigne-
ment, comme dans d’autres métiers, la lucidité est une compétence de base,
lorsqu’il s’agit, ne pouvant tout faire, de repérer les enjeux majeurs.

142
Affronter les devoirs et les dilemmes éthiques de la profession

Participer à la mise en place de règles de vie commune


touchant la discipline à l’école, les sanctions,
l’appréciation de la conduite

Les compétences de gestion de classe s’entendent ordinairement en termes d’orga-


nisation du temps, de l’espace, des activités. Elles s’étendent aussi à l’instauration
de valeurs, d’attitudes et de rapports sociaux qui rendent possible le travail intellec-
tuel. Qu’il faille d’abord instaurer la Loi et réaffirmer l’interdit de la violence ne
règle pas le détail de la vie collective. De la Loi ne dérivent pas toutes les règles, un
important travail normatif reste à faire pour organiser la coexistence en classe et les
activités d’enseignement et d’apprentissage.
À l’école, les règles ont été longtemps imposées d’en haut, avec des sanctions à la
clé. La discipline – fondement historique des disciplines – est au principe de l’école
comme des ordres monastiques et d’autres institutions régies par une autorité sans
partage. Longtemps, seuls quelques pédagogues visionnaires, précurseurs ou fon-
dateurs de l’école nouvelle, ont osé imaginer qu’on pouvait négocier les règles avec
les élèves. Cette utopie s’est élargie aux divers courants d’école active. La pédago-
gie institutionnelle, reprenant les idées de Freinet, a plaidé pour des institutions in-
ternes, mises en place de façon concertée, dans la classe et l’établissement, dans le
cadre d’une autonomie accordée par le système ou conquise de haute lutte (Oury et
Vasquez, 1971 ; Vasquez et Oury, 1973). Le conseil de classe est la plus célèbre
d’entre elles.
Contrairement à ce qu’on imagine parfois, la négociation ne conduit nullement au
laxisme. Lorsque les règles sont adoptées par le groupe, elles s’imposent à tous et
chacun devient le garant de leur mise en œuvre. Alors que les élèves s’allient pour
tourner les règles qu’on leur impose de façon unilatérale, ils deviennent solidaires
pour faire respecter celles qu’ils ont contribué à définir. Les déviants sont alors trai-
tés sans mansuétude.
L’adhésion à la pédagogie institutionnelle ou même à la pédagogie Freinet reste un
engagement idéologique fort, qui va souvent de pair avec une formation militante,
dans le cadre d’un mouvement pédagogique. On ne peut attendre pareil engage-
ment de la plupart des enseignants. Ceux qui adhèrent, de façon moins politisée, au
principe de la négociation des règles s’appuient certes sur des valeurs démocra-
tiques, mais sans réflexion approfondie sur le pouvoir, ni révolte radicale contre les
rapports de domination dans la société et dans l’école. Les militants purs et durs se
moquent souvent des versions édulcorées de leurs convictions, mais si l’on veut
faire évoluer l’école, tout ce qui va dans le sens de la négociation des règles est bon
à prendre, même s’il subsiste une dose de naïveté, de bonne conscience, voire
d’aveuglement sur la part de manipulation qui subsiste dans toute pédagogie.
L’enseignant qui accepte de négocier n’abandonne ni son statut, ni ses responsabi-
lités d’adulte et de maître. Il n’instaure pas l’autogestion, mais plutôt, pour le dire

143
Affronter les devoirs et les dilemmes éthiques de la profession

avec un brin de provocation, l’équivalent d’une « monarchie constitutionnelle »


constamment réversible :
– l’enseignant fait tout ce qu’il peut pour que le groupe assume, de façon respon-
sable, une partie de la définition des règles et des décisions collectives :
– si le groupe ne « joue pas le jeu », il reprend tôt ou tard le pouvoir que l’institution
lui a délégué et s’en sert de façon traditionnelle, parfois la mort dans l’âme.
On mesure l’ambiguïté fondamentale de la situation. Dans l’école publique, c’est
difficilement inévitable, dans la mesure où une classe n’est pas une île, ni l’ensei-
gnant un artisan à son compte, seul maître à bord. La compétence fondamentale
d’un enseignant acquis à la concertation est sans doute de vivre cette ambiguïté de
façon relativement sereine, en maîtrisant son angoisse, sous peine de régresser à la
moindre alerte à une autorité unilatérale, sans prendre sur soi toutes les contradic-
tions du système, ni espérer qu’elles vont magiquement se dénouer.
L’enseignant négociera d’autant mieux qu’il sait s’y prendre et considère que cela
fait partie de son métier, que rien ne va de soi dans son esprit, qu’il estime normal de
reconstruire constamment les conditions du travail scolaire et de l’apprentissage, à
commencer par l’adhésion active des élèves au projet de les instruire et aux règles
de la vie commune.
La gestion des temps et des espaces de formation, la recherche d’un équilibre fragi-
le entre démarches de projet et activités structurées, entre temps de fonctionnement
et temps de régulation, entre travail autonome et activités coopératives, tout cela
constitue l’art de la gestion de classe, qui marie le sens de l’organisation et la capa-
cité de repérer, soutenir, mettre en synergie des dynamiques individuelles et collec-
tives. Aujourd’hui, ces compétences ne sont bien identifiées, paradoxalement, que
dans le cadre des pédagogies traditionnelles. Dès qu’on s’en éloigne, on ouvre un
vaste chantier, où l’on rencontre plus de questions que de réponses, plus d’essais in-
téressants que d’outils infaillibles…

Analyser la relation pédagogique, l’autorité,


la communication en classe

Savoir analyser les relations intersubjectives est une dimension majeure de la


pratique réflexive. Toute approche psychanalytique, didactique ou psychosocio-
logique de la classe suggère que les acteurs, les adultes y compris, ne savent pas
exactement ce qu’ils font. Le lien éducatif (Cifali, 1994) est trop complexe,
mobilise trop de couches de sa personnalité pour que l’enseignant maîtrise
rationnellement l’entier du rapport qu’il construit avec ses élèves. Séduction,
chantage affectif, sadisme, amour et haine, goût du pouvoir, envie de plaire, nar-
cissisme, peurs et angoisses ne sont jamais absents de la relation pédagogique.

144
Affronter les devoirs et les dilemmes éthiques de la profession

La première compétence d’un enseignant est d’accepter cette complexité, de


reconnaître les non-dits du métier (Perrenoud, 1996 c, ch. 3), les zones d’ombre,
la difficulté de savoir exactement dans quels mobiles et quelle histoire person-
nelle s’ancre son désir d’enseigner. Dans Frankenstein pédagogue, Meirieu
(1996) montre que la tentation démiurgique affleure dans le rapport pédago-
gique le plus rationnel. On peut tenter de s’en protéger en instaurant avec tous
les élèves des relations très formelles, froides et distantes : « Je ne suis pas là
pour vous aimer et je ne vous demande pas de m’aimer. Nous avons un contrat
de travail à respecter, ni plus, ni moins ».
Hélas, cette attitude désengagée se paie cher au plan pédagogique. La plupart
des élèves ont besoin d’être reconnus et valorisés comme personnes uniques. Ils
ne veulent pas être un numéro dans une classe portant un numéro. C’est pour-
quoi l’enseignement efficace est un métier à hauts risques, qui exige qu’on
s’implique sans abuser de son pouvoir. Les abus qui viennent immédiatement à
l’esprit s’appellent, en cette période troublée, maltraitance ou pédophilie. Sans
mésestimer ces phénomènes préoccupants, moins rares qu’on ne voulait le
croire, il importe de ne pas oublier les « petits abus de pouvoir », les « petits
dérapages ». Paroles blessantes, ingérence indue dans le travail personnel, ques-
tions indiscrètes, jugement global sur une personne ou sa famille, pronostic
d’échec, punitions collectives : ce sont des violences mineures. Il n’y a pas là de
quoi fouetter un chat, dira-t-on peut-être, en regard des sadiques et des malades
qui relèvent de la machine judiciaire. Pourtant, les violences quotidiennes dans
l’exercice banal du métier devraient nous préoccuper. Elles témoignent parfois
de déséquilibres de la personnalité, mais souvent d’un manque de prise de
conscience de ce qu’on exige, dit, fait ou laisse entendre en classe. La mécon-
naissance et la bonne conscience font plus de dégâts que le sadisme avéré.
Aucun enseignant ne peut renoncer entièrement à la séduction, à la captation, à
une certaine forme de manipulation. Il a besoin de ces ressources pour faire son
travail. Sa compétence est de savoir ce qu’il fait, ce qui suppose idéalement un
travail régulier de développement personnel et d’analyse des pratiques.

Développer le sens des responsabilités,


la solidarité, le sentiment de justice

Est-il juste de se déplacer librement durant telle activité et de devoir deman-


der la permission dans telle autre ? Juste qu’un élève soit aidé et un autre
laissé à lui-même ? Juste de proposer une activité qui intéresse les uns et
rebute les autres ? Juste de faire confiance aux uns et de surveiller les autres
de près ?

145
Affronter les devoirs et les dilemmes éthiques de la profession

Un enseignant rend la justice. Justice distributive et rétributive lorsqu’il


décide des récompenses et des privilèges, justice procédurale lorsqu’il « ins-
truit » des affaires litigieuses, justice réparatrice, lorsqu’il rétablit chacun
dans son bon droit. Or, la justice n’est pas une affaire objective, elle procède
d’une construction de la réalité qui fait l’objet de controverses et de senti-
ments (Kellerhals, Perrenoud et Modak, 1997).
Rendre la justice demande de la probité, mais aussi des compétences poin-
tues, celles qu’on attendait de Salomon, celles qui permettent de comparer
des grandeurs incommensurables (Boltanski et Thévenot, 1987). Derouet
(1992) a étudié ces problèmes à l’échelle du système et des établissements.
Ils se posent aussi dans chaque classe et l’enseignant navigue à vue entre
divers principes de justice et le souci des conséquences de toute décision :
une option juste n’est pas toujours efficace…
La solidarité et le sens des responsabilités sont étroitement dépendants du
sentiment de justice. On ne peut être solidaire de ceux qu’on estime indûment
privilégiés et se mobiliser en leur faveur lorsque leur chance tourne. Ici
encore, les enjeux de formation le disputent aux logiques d’action. Même un
professeur indifférent au développement du sentiment de justice au-delà de
l’école ne peut l’ignorer hic et nunc, parce que son travail quotidien en
dépend. Lorsqu’on demande aux élèves du monde entier ce qu’ils attendent
des enseignants, ils disent grosso modo : une certaine chaleur et le sens de la
justice. Le chouchou (Jubin, 1991) est une figure abhorrée de l’univers sco-
laire.
Au-delà d’une orientation idéologique stable, l’enseignant doit maîtriser des
« techniques de justice » globalement acceptables, sachant qu’il y aura ici ou
là un couac, mais que dans l’ensemble, ses élèves reconnaîtront qu’il fait de
son mieux. La pédagogie institutionnelle propose de faire du groupe-classe
une instance de justice, plutôt que de s’en remettre à la seule sagesse de
l’enseignant. Ce qui suppose une explicitation concertée des droits et devoirs
des apprenants (Perrenoud, 1994 d) aussi bien que des enseignants et une
clarification des procédures de justice internes à la classe et à l’établisse-
ment.

Dilemmes et compétences

Faut-il le souligner, violence, préjugés, abus de pouvoir, injustices, tout se tient.


Les compétences distinguées pour la clarté de l’analyse participent d’un
ensemble cohérent.

146
Affronter les devoirs et les dilemmes éthiques de la profession

Or, la cohérence, justement, fait défaut dans les systèmes éducatifs ! Notre
société invite les enseignants à s’asseoir sur le couvercle d’une marmite en
pleine ébullition. Ce qui jette les plus lucides dans un double dilemme : est-ce
légitime ? est-ce réaliste ?
Alors que les enseignants ont été longtemps porteurs des valeurs les plus pré-
sentables de leur société, ils doutent aujourd’hui de leur bon droit. Valoriser le
travail dans une société qui s’habitue à vivre avec dix pour cent de chômeurs,
est-ce une bonne action ? Dans une caricature récente, des jeunes se deman-
daient si l’école, plutôt que de les préparer aux examens, ne devrait pas les for-
mer à la « mise en examen » formule qu’on utilise en droit français pour dési-
gner l’ouverture d’une instruction judiciaire… Il est vrai que nombre de jeunes
auront à affronter des conditions assez précaires, faites de petits boulots et de
combines. Un analyste lucide de l’avenir probable de certains publics scolaires
pourrait conclure qu’inculquer le respect scrupuleux de la loi est moins utile que
de développer l’art de ne pas se faire prendre lorsqu’on vit d’expédients. Il y a
désormais un doute – du moins dans certains secteurs de la scolarité – sur la cor-
respondance entre les valeurs que l’enseignement est censé transmettre et ce
dont les jeunes auront réellement besoin. On peut toujours parier sur le proche
avènement d’une société idéale, mais l’avenir radieux a fait long feu, la naïveté
devient insoutenable. Ou plus exactement, elle est très inégalement répartie :
alors qu’une partie non négligeable des enseignants primaires et des enseignants
secondaires des filières longues peuvent camper dans un certain angélisme, les
enseignants confrontés aux publics difficiles et aux filières de relégation ont bien
du mal à défendre en toute bonne conscience des valeurs qui correspondent au
monde dont ils rêvent, pas à celui dans lequel leurs élèves vivent, cela en dépit
du militantisme de ceux qui ont choisi de travailler « là où la société se défait »,
selon l’expression de Pierre Lascoumes à propos du travail social.
Par ailleurs, est-ce réaliste ? Dans une société emportée vers l’individualisme,
comment ne pas se sentir un peu ridicule et surtout un peu seul au moment de
défendre de grands principes ?
Seul des enseignants retirés dans une zone très protégée, ayant décidé de ne pas
réfléchir à toutes ces questions ou animés par une foi de charbonnier, peuvent
estimer que le chemin est tout tracé. Pour les autres, il y a plus de dilemmes et
d’incertitudes que de réponses. Si nos sociétés parlent autant d’éducation à la
citoyenneté, c’est parce que plus rien ne va de soi. La compétence des ensei-
gnants est de prendre lucidement conscience de cet état des lieux, d’assumer
leurs responsabilités sans se surmandater. On peut leur souhaiter droiture, cou-
rage, optimisme, et mille autres qualités morales. Sans oublier que des compé-
tences d’analyse, de décentration, de communication, de négociation sont tout
aussi indispensables, pour naviguer de jour en jour dans les contradictions de
nos systèmes sociaux.

147
10

Gérer sa propre formation continue

Savoir gérer sa propre formation continue ne saurait nuire, chacun en convien-


dra. Pourquoi en faire l’une des dix compétences professionnelles à développer
en priorité ? Parce qu’elle conditionne la mise à jour et le développement de
toutes les autres.
Aucune compétence, une fois construite, ne reste acquise par simple inertie. Elle
doit au minimum être entretenue par son exercice régulier. La devise du Canard
Enchaîné proclame depuis des décennies que « la liberté ne s’use que si l’on ne
s’en sert pas ». Les compétences sont de la même famille. Ce ne sont pas des
pierres précieuses qu’on range dans un coffre, où elles resteraient, intactes, dans
l’attente du jour où l’on en aurait besoin. Organiser et animer des situations
d’apprentissage, gérer la progression des apprentissages, concevoir et faire évo-
luer des dispositifs de différenciation, impliquer les élèves dans leur apprentis-
sage et leur travail, travailler en équipe, participer à la gestion de l’école, infor-
mer et impliquer les parents, se servir des technologies nouvelles, affronter les
devoirs et les dilemmes éthiques de la profession : toutes ces compétences se
conservent grâce à un exercice constant. Certes, après une période sans pratique,
comme la natation ou la bicyclette, elles « reviennent ». Cependant, une com-
pétence qui suppose un nouvel apprentissage n’est pas disponible pour faire face
aux situations présentes, ce n’est qu’une promesse de compétence. Le temps de
la (re)construire, il sera souvent trop tard. La formation continue entretient cer-
taines compétences laissées en friche, du fait des circonstances.
L’exercice, l’entraînement pourraient suffire à maintenir les compétences essen-
tielles si l’école était un monde stable. Or, le métier s’exerce dans des contextes
inédits, devant des publics qui changent, en référence à des programmes repen-
sés, censés s’appuyer sur de nouvelles connaissances, voire de nouvelles
approches, de nouveaux paradigmes. D’où la nécessité d’une formation conti-
nue, qu’en italien on nomme aggiornamento, ce qui souligne le fait que les res-
sources cognitives mobilisées par les compétences doivent être mises à jour,
adaptées à des conditions de travail en évolution.
À certains égards, l’école peut paraître immobile : un maître, des élèves, des
pupitres, un tableau noir. Les jeans ont succédé aux blouses grises, les baskets

149
Gérer sa propre formation continue

aux sabots, il y a un ordinateur dans le coin de la classe, mais cela peut sembler
secondaire en regard de la permanence d’un groupe-classe, d’une relation péda-
gogique, de grille horaire, de programmes, de leçons, d’exercices scolaires,
d’épreuves, de carnets.
Or, sous les apparences de la continuité, les pratiques pédagogiques changent
lentement, mais profondément. Au fil des décennies, elles :
• sont fondées sur des objectifs de niveau taxonomique de plus en plus élevé, par
exemple apprendre à apprendre, à raisonner, à communiquer ;
• visent de plus en plus souvent à construire des compétences, au-delà des
connaissances qu’elles mobilisent ;
• recourent davantage aux méthodes actives et aux principes de l’école nouvelle,
aux pédagogies fondées sur le projet, le contrat, la coopération ;
• exigent une discipline moins stricte, laissent davantage de liberté aux élèves ;
• manifestent un plus grand respect de l’élève, de sa logique, de ses rythmes, de
ses besoins, de ses droits ;
• s’attachent davantage au développement de la personne, un peu moins à son
adaptation à la société ;
• se centrent davantage sur l’apprenant, ses représentations initiales et sa façon
d’apprendre ;
• conçoivent progressivement l’enseignement comme l’organisation de situa-
tions d’apprentissage, plutôt que comme une succession de leçons ;
• donnent davantage de place aux tâches ouvertes, au travail par situations-pro-
blèmes, aux démarches de projet ;
• valorisent la coopération entre élèves et leur proposent des activités qui exigent
une forme de partage, une division de travail, une négociation ;
• vont vers une planification didactique plus souple, négociée avec les élèves,
qui soit susceptible d’intégrer des occasions et des apports imprévisibles ;
• vont dans le sens d’une évaluation moins normative, plus critériée et formative ;
• sont plus sensibles à la pluralité des cultures, moins ethnocentriques, plus tolé-
rantes aux différences, plus soucieuses d’organiser leur coexistence en classe
que de les ramener à une norme ;
• prennent de moins en moins l’échec scolaire pour une fatalité et évoluent dans
le sens du soutien pédagogique, puis de la différenciation de l’enseignement
comme discrimination positive continue et préventive ;
• prennent en charge dans les classes ordinaires, au nom de l’intégration, des
élèves jadis placés dans des classes spécialisées, du fait de pathologies ou de
handicaps jugés incompatibles avec une scolarité normale ;
• tendent à faire éclater le groupe classe stable comme unique structure de tra-
vail, à composer des groupes de besoin, de projet, de niveau et à s’organiser à
l’échelle de cycles d’apprentissage pluriannuels ;

150
Gérer sa propre formation continue

• sont de plus en plus concertées avec d’autres intervenants, inscrites dans une
coopération professionnelle suivie, voire une véritable équipe pédagogique ;
• sont de plus en plus encadrées ou infléchies au niveau de l’établissement, qui
devient un acteur collectif et conduit un projet ou une politique ;
• s’articulent plus facilement avec les pratiques éducatives des parents, à la
faveur d’un dialogue plus équilibré entre les familles et l’école ;
• deviennent plus dépendantes des technologies audiovisuelles et informatiques
et s’en servent davantage ;
• font plus de place à l’action, à l’observation, à l’expérimentation ;
• tendent à devenir réflexives, sujettes à une évaluation et à une mise en ques-
tion périodique ;
• tiennent plus largement compte de la recherche, de savoirs établis hors d’une
expérience pratique, par d’autres méthodes ;
• sont socialement moins valorisées, donc moins protégées de la critique, parce
qu’elles apparaissent à la portée des gens instruits, plus nombreux ;
• sont en voie de professionnalisation, se fondent sur une plus forte autonomie,
assortie de responsabilités plus étendues et plus claires ;
• sont remises sur le métier de plus en plus souvent et explicitement, au gré des
réformes de structures, de programmes, de mode de gestion du cursus.
Le constat peut paraître un peu optimiste. Il est vrai que les pratiques pédago-
giques ne sont unifiées selon aucune de ces dimensions et que coexistent, dans
le même système, parfois dans le même établissement, des pratiques extrême-
ment diverses, les unes en avance sur leur temps, les autres dignes du musée. Le
changement ne fait que déplacer l’éventail, sans le réduire, mais n’est-ce pas la
« pratique moyenne » qui permet de caractériser l’état d’un métier ? Certes,
aujourd’hui, l’enseignant moyen n’entretient pas encore avec ses élèves et leurs
parents un dialogue de rêve, il n’organise pas des situations d’apprentissage
toutes issues des recherches pointues en didactique, il ne clarifie pas ses objec-
tifs autant qu’on pourrait le souhaiter, il ne met pas en œuvre une évaluation for-
mative et une pédagogie différenciée aussi conséquentes et convaincantes que
celles que préconisent les spécialistes, il ne jongle pas avec des dispositifs mul-
tiâge aussi agilement qu’on pourrait le souhaiter, il ne rend pas compte de sa
pratique ou ne coopère pas avec ses collègues sans ambivalences. En regard des
enjeux d’aujourd’hui, on pourrait souhaiter des évolutions plus rapides. Cela
n’autorise pas à nier un mouvement progressif selon tous ces axes.
Il appelle un renouvellement, un développement des compétences acquises en
formation initiale, et parfois la construction, sinon de compétences entièrement
nouvelles, du moins de compétences qui deviennent nécessaires dans la plupart
des établissements, alors qu’elles n’étaient requises qu’exceptionnellement dans
le passé. Intégrer en cours d’année un élève venant d’un autre continent, ne par-
lant aucune langue connue de l’enseignant et parfois scolarisé pour la première

151
Gérer sa propre formation continue

fois de sa vie, voilà qui n’est plus une expérience exceptionnelle, de même
qu’accueillir dans sa classe un de ces enfants qu’on dit « différents ».
La formation continue accompagne aussi des transformations identitaires. Son
institutionnalisation même, encore récente et fragile, en est le premier signe.
Certes, le perfectionnement n’est pas une invention qui date d’aujourd’hui. Il
s’est limité longtemps à la maîtrise de techniques artisanales ou à la familiarisa-
tion avec de nouveaux programmes, de nouvelles méthodes et de nouveaux
moyens d’enseignement. Aujourd’hui, toutes les dimensions de la formation ini-
tiale sont reprises et développées en formation continue. Certains paradigmes
nouveaux s’y développent avant d’être intégrés à la formation initiale.
Savoir gérer sa formation continue, aujourd’hui, c’est donc bien davantage que
de savoir choisir avec discernement entre divers cours dans un catalogue… Le
référentiel genevois adopté ici distingue cinq composantes principales de cette
compétence :
• Savoir expliciter ses pratiques.
• Établir son propre bilan de compétences et son programme personnel de for-
mation continue.
• Négocier un projet de formation commune avec des collègues (équipe, école,
réseau).
• S’impliquer dans des tâches à l’échelle d’un ordre d’enseignement ou du sys-
tème éducatif.
• Accueillir et participer à la formation des collègues.
Reprenons-les séparément.

Savoir expliciter ses pratiques

Il y a dix ans, le rapport entre formation continue et explicitation des pratiques


n’était pas évident. On ne parlait d’ailleurs pas encore souvent d’explicitation
dans le sens précis développé par Vermersch (1994). Même l’analyse de pra-
tiques, expression plus ancienne en formation des adultes, n’était pas très
connue dans le champ de la formation des enseignants (Perrenoud, 1996 j, 1998
g et 0).
Depuis sa naissance, la formation continue des enseignants se réfère aux pra-
tiques professionnelles, mais ce n’est que depuis peu qu’elle part régulièrement
des pratiques en vigueur, pour les faire changer au gré d’un détour réflexif. Cette
évolution n’est pas achevée et certains formateurs restent dans un rapport nor-
matif-prescriptif aux pratiques : ils ignorent ce que font vraiment, en classe, les

152
Gérer sa propre formation continue

enseignants qu’ils forment. Certains s’organisent même pour ne pas le savoir, ce


qui facilite grandement leur travail, en les dispensant de prendre en charge la
distance entre ce qu’ils proposent et les pratiques réelles des enseignants.
Contre cette tradition, on a assisté à un double mouvement :
– l’offre progressive, en formation initiale ou continue, de sessions intensives ou
de séminaires d’analyse et d’explicitation des pratiques, dans le cadre de
groupes d’échanges entre praticiens ou dans des dispositifs plus sophistiqués,
faisant par exemple appel à l’écriture professionnelle (Cifali, 1994, 1995, 1996)
ou à la vidéoformation (Faingold, 1996 ; Mottet, 1997 ; Paquay et Wagner,
1996) ;
– l’évolution des formations technologiques, didactiques ou transversales vers
une prise en compte des attentes, des représentations préalables et des pratiques
des formés.
On peut donc estimer que les enseignants capables d’expliciter et d’analyser
leurs pratiques tireront un meilleur parti de ces nouvelles modalités de forma-
tion continue. Cela doit, toutefois, rester un bénéfice secondaire. Il serait pour le
moins paradoxal de demander aux enseignants de savoir expliciter leurs pra-
tiques juste pour être mieux adaptés aux nouvelles démarches de formation
continue. Ou plus exactement, cela signifierait que la formation continue s’est
fortement scolarisée et attend des enseignants qui la fréquentent la maîtrise du
« métier de formé » comme on attend des enfants et des adolescents, pour que la
classe fonctionne, la maîtrise du métier d’élève…
Si les enseignants ont intérêt à savoir analyser et expliciter leurs pratiques, ce
n’est pas d’abord pour tenir leur rôle dans les dispositifs de formation continue.
Cette compétence est en réalité la base d’une autoformation :
• se former, ce n’est pas – comme une vision bureaucratique pourrait parfois le
faire croire – aller suivre des cours (même activement) ; c’est apprendre, chan-
ger, à partir de diverses démarches personnelles et collectives d’autoformation ;
• parmi ces démarches, on peut mentionner la lecture, l’expérimentation, l’inno-
vation, le travail d’équipe, la participation à un projet d’établissement, la
réflexion personnelle régulière, l’écriture d’un journal ou la simple discussion
avec des collègues ;
• on sait de plus en plus clairement que le mécanisme fondamental relève de ce
qu’on appelle désormais avec Schön (1994, 1996) une pratique réflexive
(Perrenoud, 1998 g).
Réflexive : l’adjectif prête à confusion. Toute pratique est réflexive, au double
sens où son auteur réfléchit pour agir et entretient dans l’après-coup un rapport
réflexif à l’action menée. Une partie de notre vie mentale consiste à penser à ce
que nous allons faire, à ce que nous faisons, à ce que nous avons fait. Tout être
humain est un praticien réflexif. Si l’on y insiste, c’est pour inviter à une

153
Gérer sa propre formation continue

réflexion plus méthodique, qui ne soit pas mue seulement par ses mobiles habi-
tuels – angoisse, souci d’anticiper, résistance du réel, régulation ou justification
de l’action – mais par une volonté d’apprendre méthodiquement de l’expérience
et de transformer sa pratique d’année en année.
Dans tous les cas, la pratique réflexive est une source d’apprentissage et de
régulation. La différence est que notre plus forte pente est de mettre ces méca-
nismes au service d’une adaptation aux circonstances, d’un gain de confort et de
sécurité, alors que l’exercice méthodique d’une pratique réflexive pourrait deve-
nir un levier essentiel d’autoformation et d’innovation, donc de construction de
nouvelles compétences et de nouvelles pratiques.
Savoir analyser et expliciter sa pratique permet l’exercice d’une lucidité profes-
sionnelle qui n’est jamais totale et définitive, pour la simple raison que nous
avons aussi besoin, pour rester en vie, de nous raconter des histoires. Une pra-
tique réflexive ne se fonde pas seulement sur un savoir-analyser (Altet, 1994,
1996), mais sur une forme de « sagesse », celle qui permet de trouver son che-
min entre l’autosatisfaction conservatrice et l’autodénigrement destructeur…
Il reste à apprendre à analyser, à expliciter, à prendre conscience de ce que l’on
fait. Participer à un groupe d’analyse de pratiques constitue une forme d’entraî-
nement, qui permet d’intérioriser des postures, des démarches, des questionne-
ments qu’on pourra transposer le jour où on se retrouvera seul dans sa classe ou
mieux, actif au sein d’une équipe ou d’un groupe d’échanges. Il existe d’autres
approches, par exemple l’initiation aux entretiens d’explicitation (Vermersch,
1996 ; Vermersch et Maurel, 1997) ou d’autres techniques, développées en ergo-
nomie, en psychologie du travail ou dans d’autres domaines. Clot, par exemple,
a repris et développé la technique dite d’instruction au sosie créée par Oddone
(1981) chez Fiat. Voici ce qu’il dit à un praticien : « Suppose que je sois ton
sosie et que demain je me trouve en situation de devoir te remplacer dans ton
travail. Quelles instructions voudrais-tu me transmettre pour que personne ne
s’avise de la substitution ? » (Clot, 1995, p. 180). On voit immédiatement que
cela favorise une élaboration et une formalisation de l’expérience profession-
nelle (Werthe, 1997). Les travaux de St-Arnaud (1992, 1995) ouvrent d’autres
pistes de formation.
L’exercice de la lucidité professionnelle n’est pas nécessairement un « plaisir
solitaire ». Aucune coopération digne de ce nom ne peut se développer si les
enseignants ne savent pas ou n’osent pas décrire, expliquer et justifier ce qu’ils
font. Ils se cantonnent alors à des échanges d’idées. Les équipes pédagogiques
qui vont au-delà ont créé le climat de confiance nécessaire pour que chacun
raconte des bribes de sa pratique, sans craindre d’être immédiatement jugé et
condamné.
Il se peut aussi que la capacité d’expliciter sa pratique soit à la base d’une évolu-
tion vers d’autres façons de rendre compte. J’ai plaidé pour une obligation de
compétences, à distinguer de l’obligation de résultats ou de procédure

154
Gérer sa propre formation continue

(Perrenoud, 1996 d, e, f, g, 1997 e). La professionnalisation du métier d’ensei-


gnant passe par là : savoir démontrer à un interlocuteur qu’on a analysé les
situations problématiques et fait, non pas des miracles, mais ce que d’autres pro-
fessionnels compétents auraient fait, ou du moins envisagé, face aux mêmes
élèves et dans les mêmes circonstances. Le pédagogue, pas plus que le théra-
peute, n’est tenu de réussir, mais il doit pouvoir rendre compte de tentatives
variées et méthodiques de cerner les problèmes, d’établir un diagnostic, de
construire des stratégies et de surmonter les obstacles. Dans cette approche, la
capacité de rendre compte n’est pas celle du comptable, qui aligne des chiffres,
mais de l’expert qui décrit et commente sa pratique face à un autre profession-
nel, capable, lui, de juger des compétences professionnelles mises en jeu et de
renvoyer un feed-back formatif.

Établir son propre bilan de compétence et


son programme personnel de formation continue

La formule fleure bon le « management moderne ». On imagine un enseignant


s’attablant pour dresser son bilan de compétence comme on remplit sa déclara-
tion d’impôts, et élaborant un programme de formation comme un plan
d’épargne logement.
Les choses pourraient se passer de façon plus fluide, continue, « naturelle ».
L’exercice de la lucidité professionnelle conduit à divers types de conclusions :
• Parfois, on n’atteint pas ses objectifs parce qu’on s’y est mal pris, qu’on a
oublié certains paramètres, omis de vérifier certaines hypothèses, sous-estimé
certains obstacles, mal évalué le temps requis ou le niveau des élèves. Ces
échecs relatifs pointent certes sur des compétences à améliorer, mais la pratique
réflexive permet, à elle seule, de consolider des savoirs d’action ou de dévelop-
per des méthodes qui, la prochaine fois, éviteront la même déconvenue. Il y a
bel et bien apprentissage, mais il est en quelque sorte solidaire de la réflexion
elle-même et des régulations qu’elle engendre.
• Parfois, l’analyse conduit au constat qu’il y a des choses qu’on ne sait pas faire et
qu’on ne peut apprendre à faire simplement en y réfléchissant et en s’entraînant. À
terme, il se peut certes que n’importe qui de suffisamment obstiné et lucide appren-
ne n’importe quoi, par essais et erreurs, au gré de sa seule expérience. C’est d’au-
tant plus facile que la vie propose des occasions répétées de faire des progrès. Mais
certains incidents critiques se produisent trop rarement pour que le développement
de compétences se fasse par le simple enregistrement de l’erreur. C’est ainsi qu’ac-
cueillir un élève immigré ou faire face à la violence en classe n’est pas nécessaire-
ment le pain quotidien de chaque enseignant. Cela arrive de temps en temps, mais

155
Gérer sa propre formation continue

alors, il n’a pas droit à l’erreur. C’est l’un des paradoxes des compétences : les plus
élevées permettent de faire face à des situations de crise qui, par définition, sauf
dans quelques métiers – urgences, soins intensifs par exemple – ne se produisent
pas tous les jours. Être compétent, c’est être prêt à affronter ces crises au moment où
elles surviennent, en général à l’improviste, car elles exigent alors une réaction
aussi immédiate qu’adéquate. Les chefs d’établissement doivent, comme les ensei-
gnants, savoir agir dans une situation de crise qui rompt soudain avec un travail de
routine. Il n’est pas facile de maintenir des compétences de pointe qui ne trouvent à
s’exercer que de façon épisodique (Perrenoud, 1998 h).
Les pratiques plus régulières permettent des ajustements plus fréquents, mais
une banale pratique réflexive ne suffit pas toujours à découvrir qu’un change-
ment de paradigme s’impose. On peut réfléchir toute sa vie sur les épreuves sco-
laires, leur formulation, leur correction, leurs barèmes, sans découvrir pour
autant le principe de base d’une évaluation formative. On peut se poser des
questions sur les activités didactiques qu’on propose sans reconstruire tout seul
les notions de contrat didactique, de dévolution, d’objectif-obstacle ou de rap-
port au savoir.
St-Arnaud (1992) montre que l’existence d’une boucle de régulation métho-
dique à partir de la réflexion sur l’action accroît rapidement l’efficacité profes-
sionnelle des praticiens débutants, mais que cet effet s’amenuise au fur et à
mesure que le praticien devient plus expérimenté. Pour « crever le plafond », il
faut en quelque sorte un saut qualitatif, qui passe par la construction de nou-
veaux modèles d’action pédagogique et didactique, donc par un travail d’auto-
formation qui fait appel à des apports externes.
La lucidité professionnelle consiste donc aussi à savoir quand on peut progresser
par les moyens du bord (individuellement ou en équipe) et quand il est plus éco-
nomique et rapide de faire appel à de nouvelles ressources d’autoformation :
lecture, consultation, accompagnement de projet, supervision, recherche-action
ou apports structurés de formateurs susceptibles de proposer de nouveaux
savoirs et de nouveaux dispositifs d’enseignement-apprentissage. Cela ne signi-
fie pas que les praticiens vont adopter, sans autre forme de procès, les modèles
qu’on leur propose. Ils vont plutôt les adapter, voire construire tout autre chose,
mais la formation leur aura permis d’arrêter de faire « plus du même », d’opérer
une rupture, de prendre du champ, d’imaginer des façons tout à fait différentes
d’empoigner les problèmes. On peut regretter que les formateurs s’attachent
trop souvent à convaincre d’une orthodoxie, alors que leur apport principal est
d’alimenter un processus d’autoformation, d’enrichir et d’instrumenter une pra-
tique réflexive, sur le modèle : « Mieux vaut enseigner à pêcher que de donner
un poisson ».
Lorsqu’elle n’est pas obligatoire, beaucoup d’enseignants échappent complète-
ment à la formation continue. Certains d’entre eux se forment en autodidactes,
ils se passent de la formation continue institutionnelle, sans que leurs compé-

156
Gérer sa propre formation continue

tences professionnelles ne cessent de se développer. D’autres, qui hélas repré-


sentent plus qu’une marge, vivent sur les acquis de leur formation initiale et de
leur expérience personnelle. L’urgence serait de les faire entrer dans le circuit
de la formation continue, si possible par des voies qui ne les confortent pas
immédiatement dans l’idée qu’ils n’ont rien à en attendre…

Pour d’autres, qui choisissent plus régulièrement de se former, la capacité de


s’orienter face aux offres de formation devient plus décisive. Les services de
formation continue proposent des catalogues de plus en plus riches de cours,
séminaires et autres dispositifs. Or, lorsqu’il n’est pas fortement contraint par
l’introduction d’un nouveau programme ou une réforme de structures, on ne sait
pas très bien ce qui préside au choix des enseignants. Sans doute faut-il faire la
part des effets de mode : gestion mentale, projet personnel de l’élève, métaco-
gnition, évaluation formative, travail sur les objectifs, pédagogie différenciée,
démarches de projet, conseil de classe, éducation à la citoyenneté ou usage
d’Internet en classe, autant de thèmes qui connaissent leur moment de gloire,
mais vivront ensuite une phase de déclin. Il en va de même des thèmes propres à
chaque discipline scolaire.

On peut avancer l’hypothèse qu’une partie de ces choix expriment une volonté
de se tenir au courant des développements « à la mode » plutôt qu’une stratégie
d’autoformation fondée sur une analyse fine des limites qu’on rencontre en
classe. On peut être majeur, instruit et intelligent sans savoir exactement ce dont
on a besoin. Les spécialistes de la médecine et de la diététique détiennent des
savoirs et ont des outils de diagnostic qui vont au-delà des intuitions du sens
commun, et nous nous en remettons à eux pour savoir ce qui manque à notre
équilibre physiologique. Dans le champ du travail, les bilans de compétences
sont faits par des centres de bilans, qui aident par exemple les chômeurs ou les
personnes en quête d’une reconversion professionnelle à construire un projet de
formation.

Sans exclure cette approche, souhaitons qu’elle reste une voie de recours et que
chacun sache de mieux en mieux pointer ses propres failles et traduire l’écart
entre ce qu’il fait et ce qu’il voudrait faire en un projet de formation. Pourquoi
se placer dans la dépendance d’experts du diagnostic si l’on peut devenir expert
soi-même ? La multiplication des reconversions professionnelles et des procé-
dures de validation d’acquis expérientiels élargit graduellement le cercle des
professionnels capables d’autoévaluation de leurs compétences.

On parle volontiers d’autoévaluation à ce propos. Il me semble que l’idée de


bilan de compétences a des connotations moins malheureuses. Ce devrait être
d’abord une pratique volontaire, dans le cadre de l’autonomie d’un profession-
nel. Toutefois, il n’est pas impensable que l’institution scolaire, en quête de nou-
velles façons de demander et de rendre des comptes, « invite » progressivement
les enseignants à proposer un bilan de compétences et un projet de formation.

157
Gérer sa propre formation continue

Mieux vaudrait alors que cette exigence aille à la rencontre d’une pratique spon-
tanée, sans quoi elle sera vécue comme une brimade bureaucratique.

Négocier un projet de formation commune


avec des collègues (équipe, école, réseau)

On observe partout la tendance à déplacer la formation vers des établissements,


éventuellement des équipes ou des réseaux. J’ai analysé ailleurs les incidences
de cette évolution sur les pratiques de formation continue et les compétences de
formation (Perrenoud, 1996 k). Ici, il s’agit de la demande. L’idée est simple,
mais sa mise en œuvre l’est moins. Lorsqu’il existe un collectif fort au niveau
de l’établissement, avec une démarche de projet, il est relativement facile de
définir des besoins de formation connectés au projet commun. Il en va de même
dans une équipe pédagogique novatrice. Hélas, ces conditions sont loin d’être
partout remplies.
Dans nombre d’établissements où la coopération professionnelle est balbutiante,
c’est justement autour de la formation continue qu’elle peut s’amorcer. La
genèse d’un projet de formation ne peut alors s’appuyer sur des habitudes de
travail en commun déjà construites. Il faut donc que quelqu’un prenne l’initia-
tive et parvienne à convaincre ses collègues qu’il serait intéressant de formuler
un projet de formation commune dans le cadre de l’établissement.
Il se heurte d’abord à ceux qui ne veulent pas entendre parler de formation
continue, sous quelque forme que ce soit. Ce peut être un obstacle définitif s’ils
sont fortement majoritaires au sein du corps enseignant. Dans les écoles où suf-
fisamment d’enseignants sont preneurs de formation, il reste à les convaincre :
– qu’une formation commune n’est pas un renoncement à satisfaire des besoins
personnels prioritaires ;
– qu’elle ne provoquera pas des mises en question, des dévoilements ou des
phénomènes de « dynamique de groupe » qui font peur à plus d’un ;
– qu’elle n’entraînera pas les uns et les autres, subrepticement, vers un projet
d’établissement ou une autre démarche collective.
Ces résistances ne sont nullement absurdes : un projet de formation en commun,
surtout si l’on coexiste dans la même école, peut enclencher un processus
d’explicitation et de confrontation des pratiques dont nul ne sortira indemne.
C’est précisément pour cette raison que c’est un modèle intéressant de forma-
tion : alors que la formation continue hors de l’établissement procède d’un
choix individuel et coupe l’enseignant de son milieu de travail, une formation
commune, dans l’établissement, fait évoluer l’ensemble du groupe, dans des

158
Gérer sa propre formation continue

conditions plus proches de ce que les uns et les autres vivent quotidiennement.
Cela représente une chance d’avancer plus vite si les conditions s’y prêtent,
mais aussi un risque de conflits et de souffrance si les rapports entre les ensei-
gnants sont difficiles et si la paix n’est entretenue que parce que chacun se garde
d’exprimer un avis sur les pratiques des autres…
La compétence visée ici est donc double : savoir ne pas manquer l’occasion de
proposer et de développer des projets collectifs lorsque la situation le permet, et
savoir y renoncer lorsque l’école n’a pas encore atteint un stade de coopération
minimale. Un projet de formation commune peut renforcer une culture de
coopération, il ne la crée pas de toutes pièces et peut l’entraver s’il fait violence
à certains enseignants.

S’impliquer dans des tâches à l’échelle d’un ordre


d’enseignement ou du système éducatif

Le chapitre 6 a décrit la compétence de « participer à la gestion de l’école », en


la déclinant en quatre composantes :
• Élaborer, négocier un projet d’établissement.
• Gérer les ressources de l’école.
• Coordonner, animer une école avec tous les partenaires.
• Organiser et faire évoluer, au sein de l’école, la participation des élèves.
On se situe ici à une plus vaste échelle, celle d’un ordre d’enseignement (pre-
mier ou second degré), voire de l’ensemble du système éducatif local, régional,
voire national. Les compétences professionnelles requises sont en partie les
mêmes, mais les dimensions politico-administratives et budgétaires prennent à
cette échelle davantage d’importance, alors que les préoccupations pédago-
giques et didactiques, sans disparaître, deviennent de plus en plus abstraites, et
sont traitées en termes de programmes, moyens d’enseignement, directives
quant aux devoirs à domicile, procédures d’évaluation formelle, statuts et res-
ponsabilités des enseignants.
Faut-il que tous les enseignants soient capables d’agir à cette échelle, dans le
cadre de l’action syndicale, de « structures de participation », ou encore de mis-
sions ou de détachements de plus ou moins longue durée ? Il importe bien
entendu que d’assez nombreux enseignants prennent des responsabilités à cette
échelle, mais ce ne saurait être une exigence pour tous.
Pourquoi, dans ces conditions, valoriser une telle compétence ? Parce que
« s’impliquer dans des tâches à l’échelle d’un ordre d’enseignement ou du

159
Gérer sa propre formation continue

système éducatif » est une voie de formation continue très féconde, même si
la formation est alors un bénéfice secondaire, davantage que le but premier.
Ce type d’expérience impose une décentration, une vision plus systémique,
la prise de conscience de la diversité des pratiques et des discours, une per-
ception plus lucide des ressources et des contraintes de l’organisation, aussi
bien que des défis auxquels elle est ou sera confrontée.
Presque tous les praticiens qui s’éloignent de leur classe, pour jouer d’autres rôles
dans le système, en ressortent transformés. Pour certains, c’est le début d’une mu-
tation identitaire et ils ne reviennent pas en classe une fois qu’ils ont accédé à une
fonction de formation, de recherche, d’encadrement ou d’inspection. Même alors,
l’accès n’est pas immédiat, la période de transition peut durer plusieurs années, du-
rant lesquelles la pratique en classe est fécondée par ce que l’on observe, vit et ap-
prend ailleurs. Certains praticiens, qui ne se préparent pas une reconversion ou une
promotion, veulent élargir leur horizon, pour ne pas rester confinés dans leur classe.
D’autres encore prennent des responsabilités pour faire avancer des causes qui leur
tiennent à cœur.
Qu’apprend-on en choisissant ces chemins de traverse ? A défaut d’une enquête
méthodique auprès de ceux qui les empruntent, on ne peut qu’avancer des hypo-
thèses. L’une d’elles pourrait porter sur l’apprentissage de la négociation. Plus on
s’éloigne de sa classe, plus on est confronté à d’autres adultes, qui défendent
d’autres valeurs ou d’autres intérêts, avec lesquels il faut apprendre à gérer des sys-
tèmes, construire des programmes, élaborer des moyens d’enseignement, conce-
voir ou piloter des réformes, choisir des investissements ou des coupures budgé-
taires. Cet apprentissage de la négociation, de la médiation, de la décision collective
est évidemment transposable à l’échelle de l’établissement, même si les enjeux sont
différents. Ceux qui ont un pied en dehors de l’établissement sont souvent des per-
sonnes-ressources : modérateurs à l’intérieur, porte-parole à l’extérieur, informa-
teurs sur ce qui se fait ailleurs, experts dans les démarches de projet et la prise de dé-
cision. Ces compétences sont transposables également aux négociations avec les
élèves et les parents.
Ceux qui « prennent du champ » apprennent aussi que le système n’est pas une ma-
chine monolithique, qu’on peut peser sur son évolution en travaillant des dossiers,
en faisant des alliances, en formulant des propositions. Cela participe de ce que les
Anglo-Saxons appellent « empowerment » (Hargreaves, and Hopkins, 1991), le
sentiment d’avoir prise sur les décisions qui conditionnent les budgets, les struc-
tures, voire les finalités. Cela passe par la conscience d’être en droit de participer
aux décisions collectives et d’en avoir les moyens. Cela introduit une rupture avec
l’attitude bureaucratique qui traite le « système » comme une pure contrainte et se
borne à y creuser une « niche écologique » aussi vivable que possible.
Plus globalement, la participation à d’autres niveaux de fonctionnement du systè-
me éducatif élargit la culture politique, économique, administrative, juridique, so-
ciologique des enseignants en exercice, avec les retombées qu’on imagine pour leur

160
Gérer sa propre formation continue

pratique quotidienne, dans un double sens : enrichissement des contenus de l’en-


seignement et approche plus analytique et moins défensive des phénomènes de
pouvoir et de conflit et, en général, des fonctionnements institutionnels.

Accueillir et participer à la formation des collègues

Lorsqu’on demande aux enseignants qui acceptent d’accueillir des étudiants-sta-


giaires ce que cela leur apporte, ils disent volontiers qu’ils cherchent des
contacts et une occasion de se renouveler à travers la rencontre. Les tenants des
pédagogies nouvelles et de l’enseignement mutuel ont découvert depuis long-
temps que former quelqu’un est l’une des plus sûres façons de se former.
Bien entendu, il faut atteindre un certain niveau d’expertise pour prétendre for-
mer autrui. C’est sans doute pourquoi il est plus facile d’accueillir un étudiant
en formation initiale qu’un collègue : l’écart est plus évident. À partir de cette
expertise, le souci de partager des savoirs ou de créer des expériences forma-
trices pousse à expliciter, organiser et approfondir ce que l’on sait. On note sou-
vent que la transposition didactique s’accompagne d’un appauvrissement des
savoirs savants, nécessairement simplifiés à l’intention d’enfants ou d’adoles-
cents. On ne souligne pas assez que la transposition enrichit le formateur qui la
prend en charge, parce qu’elle l’oblige à réfléchir à ce qu’il croyait maîtriser, à
mesurer la part d’implicite, d’à peu près et de confusion, à identifier des savoirs
dépassés, fragiles ou en jachère (Cifali, 1994). Elle conduit aussi à reconnaître
l’opacité de ses propres pratiques, le nombre de choses que l’on fait sans savoir
exactement depuis quand, ni pourquoi, par habitude. Le travail sur l’habitus, sur
l’inconscient professionnel, est fortement stimulé par la présence de quelqu’un
qui, sans vous menacer, vous observe au travail et a le droit de s’étonner, de
questionner, de faire état de sa propre façon de faire, ou de pratiques différentes
observées ou évoquées ailleurs. Nul ne peut agir efficacement, dans l’urgence et
l’incertitude (Perrenoud, 1996 c) en étant constamment conscient de la genèse et
de l’arbitraire relatif de sa pratique. Dans l’immédiat, cette cécité est fonction-
nelle, mais à terme, elle enferme chacun dans ses propres évidences.
La rencontre dans une classe permet parfois une rupture avec les évidences du sens
commun et de la bonne conscience. C’est aussi la fonction de l’analyse de pra-
tiques, mais un praticien ne peut raconter que ce qu’il sait. Un questionnement bien
conduit peut lui en faire dire un peu plus que ce qu’il livre spontanément, mais pas
au point de mettre à jour des pans entièrement inconscients de sa pratique et de ses
attitudes en classe. Un observateur voit des choses élémentaires que le discours
masque, parce que le praticien, littéralement, « ne sait pas ce qu’il fait » ou parce
qu’il ne tient pas à mettre en mots certaines pratiques dans lesquelles il se sent vul-
nérable.

161
Gérer sa propre formation continue

L’observation est formatrice dans l’autre sens : en voyant un stagiaire réagir,


même s’il n’est pas « en responsabilité », le praticien le plus expérimenté prend,
par contraste, conscience de ce qu’il fait. Il tente d’expliquer la différence, il se
rend compte qu’elle ne tient pas seulement à son niveau d’expertise, qu’elle
dépend des personnalités, des choix, des histoires de vie, des obsessions et des
angoisses des uns et des autres. Ce qui est très formateur pour le praticien expé-
rimenté et, s’il accepte de verbaliser ses réflexions et d’en discuter, pour le sta-
giaire (Perrenoud, 1994 c, 1998 c, 1998 e).
L’effet n’est pas moins grand lorsqu’on s’engage dans une véritable action de
« coaching », à la manière d’un entraîneur, ou même de modélisation, à la
manière d’un instructeur qui prescrit une procédure efficace et la contrôle en
doubles commandes.
Peut-on étendre ces démarches à la formation continue ? C’est plus récent, et les
praticiens hésitent encore à s’observer mutuellement. On assiste cependant au
développement de l’intervision, sur la base d’un contrat clair qui spécifie des
règles du jeu et garantit notamment un feed-back. On peut imaginer que la for-
mation mutuelle, sous diverses formes, progressera au cours des prochaines
années, une fois tombées les peurs qui surgissent à l’idée de travailler sous le
regard d’un collègue expérimenté.

Être acteur du système de formation continue

Gérer sa propre formation continue est une chose, gérer le système de formation
continue en est une autre. Ce dernier a été longtemps dans la dépendance des
administrations scolaires ou de centres de formation indépendants, notamment
les universités. La professionnalisation du métier d’enseignant appelle des parte-
nariats entre les pouvoirs organisateurs de l’école, les centres de formation indé-
pendants et les associations professionnelles d’enseignants.
Pour que ce partenariat se développe, il importe que le débat s’amorce dans les
lieux de formation continue, à la faveur d’un dialogue entre professionnels, for-
mateurs et responsables de formation, avant de faire l’objet de négociations « au
sommet ». À ce dernier niveau, on peut négocier des ressources, des temps de
formation, des statuts, mais les orientations, les priorités, les contenus et les
démarches devraient relever d’une élaboration coopérative, d’une parole parta-
gée sur la formation. Aujourd’hui, elle n’est pas encore très développée. Il
importerait que de plus en plus d’enseignants se sentent responsables de la poli-
tique de formation continue et interviennent, individuellement ou collective-
ment, dans les processus de décision.

162
Conclusion

Vers un métier nouveau ?

Voici la fin du voyage. Nous avons exploré, tour à tour, dix familles de compé-
tences dont je rappelle les intitulés :
1. Organiser et animer des situations d’apprentissage.
2. Gérer la progression des apprentissages.
3. Concevoir et faire évoluer des dispositifs de différenciation.
4. Impliquer les élèves dans leur apprentissage et leur travail.
5. Travailler en équipe.
6. Participer à la gestion de l’école.
7. Informer et impliquer les parents.
8. Se servir des technologies nouvelles.
9. Affronter les devoirs et les dilemmes éthiques de la profession.
10. Gérer sa propre formation continue.
Comme en suivant un guide de voyage, le lecteur a été conduit à « visiter », de
façon méthodique, mais nécessairement rapide et un peu superficielle, des conti-
nents et des pays qui auraient mérité qu’on s’y arrête plus longuement. Chacun
aura noté les limites et les partis pris de l’auteur du guide. Certains des conti-
nents et des pays explorés me sont familiers, je les ai maintes fois arpentés. De
certains autres, j’ai une idée moins précise, des connaissances de seconde main.
Certains me passionnent, d’autres moins…
Nul ne peut observer et conceptualiser également toutes les facettes du métier d’en-
seignant, se représenter avec la même précision et la même pertinence toutes les
compétences correspondantes. J’avais songé à mobiliser, sur chaque thème, un ex-
pert différent. J’ai reculé devant les problèmes de coordination qu’aurait posés une
telle entreprise collective, mais aussi devant ses difficultés théoriques : nul ensei-
gnant, nul chercheur ne découpe la réalité complexe du métier exactement comme
les autres. Les facettes du travail pédagogique, les familles de compétences n’exis-
tent pas « objectivement », elles sont construites, certes à partir du réel, mais aussi
de trames conceptuelles et de partis pris théoriques et idéologiques. Il serait diffici-
le de faire adhérer au même référentiel dix auteurs ayant réfléchi de façon pointue
sur certaines compétences des enseignants. De plus, rappelons-le, le voyage était

163
Conclusion

« organisé » par le référentiel genevois de la formation continue des enseignants


primaires, publié en 1996.

Un drôle d’exercice

Sans doute le lecteur a-t-il, ici ou là, éprouvé l’arbitraire de la formulation des
compétences retenues, comme de leur regroupement en dix familles. Même si
j’ai activement participé à la rédaction de ce référentiel, il m’est arrivé de le res-
sentir comme une contrainte. Cela n’a rien d’étrange : tout texte élaboré dans un
cadre institutionnel, surtout s’il est négocié entre de nombreux acteurs, témoigne
d’un compromis entre des logiques différentes, parfois des intérêts opposés. Il
perd en cohérence ce qu’il gagne en représentativité. Je peux donc, comme
n’importe qui, m’y reconnaître pleinement sur certains points, un peu moins sur
d’autres.
L’exercice même de l’explicitation des items m’a fait découvrir des zones de
flou et d’arbitraire que je ne soupçonnais pas. Lorsqu’un groupe rédige un réfé-
rentiel, il ne conduit pas l’explicitation jusqu’au bout, faute de temps, peut-être
aussi de peur d’être paralysé par trop de précision. Comme dans toute entreprise
collective complexe, le consensus repose en partie sur des malentendus. On pro-
pose des titres et des sous-titres, on les commente rapidement, juste assez pour
avoir l’impression d’être d’accord, ce qui permet d’avancer dans la tâche.
Chacun mesure la fragilité du découpage et se demande parfois si les interlocu-
teurs ont la même chose en tête. La sagesse l’invite à taire ses doutes, à « faire
comme si ». Cette fiction est créatrice : que de nombreuses personnes tombent
d’accord sur une table des matières est déjà miraculeux ; comment pourrait-on
espérer qu’elles écrivent ensuite le même livre ? Des énoncés aussi synthétiques
laissent une grande marge d’interprétation. « Gérer la progression des appren-
tissages » ou « Impliquer les élèves dans leur apprentissage et leur travail » : ces
compétences renvoient à des représentations multiples et parfois contradictoires
de l’action concernée, de ses composantes, en fonction des visions et des théo-
ries de l’apprentissage et de l’enseignement des uns et des autres.
J’ai, à tel ou tel moment, eu la tentation de prendre des libertés, pour recons-
truire le référentiel à ma manière. J’y ai renoncé, car mon propos n’était pas de
proposer un référentiel de plus. Je voulais m’essayer à un autre exercice : propo-
ser une lecture possible, personnelle, mais cohérente, d’un référentiel existant,
auquel je peux globalement adhérer. J’étais également sensible au caractère
fécond de la contrainte. Partir d’un référentiel « institutionnel » m’a dispensé de
rouvrir sans cesse la question des fondements du découpage et m’a obligé à
entrer dans le vif de la description des compétences, ce qui est certainement plus

164
Conclusion

fécond que des hésitations sans fin sur une table des matières. J’ai donc opté
pour un respect quasi intégral des intitulés du référentiel genevois, en annonçant
ici ou là une perplexité, et surtout, en retrouvant ma liberté au moment d’expli-
citer les énoncés, qui ne proposaient que des titres et des sous-titres.
Si le lecteur reste souvent perplexe devant les référentiels qui foisonnent
aujourd’hui, peut-être est-ce parce qu’il y a un investissement démesuré dans la
confection d’un « produit » – une liste de compétences structurées en niveaux -,
plutôt qu’un usage de divers référentiels pour penser la pratique dans sa com-
plexité (Paquay, 1996 ; Paquay et al., 1996). L’essentiel est dans le choc des
représentations du métier. Le débat sur un référentiel oblige chacun à mettre ses
idées en forme, à percevoir ses propres incertitudes, aussi bien qu’à mesurer la
diversité des points de vue et les limites du consensus.
L’écriture même d’un référentiel est une tâche technique qui exige une certaine
unité de pensée et de style. On pourrait souhaiter en revanche qu’un référentiel soit
soumis à une large consultation avant son adoption, que sa formulation soit provi-
soire et que le débat se poursuive. Un référentiel offre un langage commun pour
cerner les divergences de fond sur la réalité du métier et son avenir, distinguer les
désaccords des malentendus sémantiques. Il oblige en outre à verbaliser ce que cha-
cun a dans la tête, donc à prendre la mesure des accords et des désaccords.
Idéalement, une communauté professionnelle devrait se donner les moyens de
partir d’un projet de référentiel et de construire collectivement l’explicitation des
divers items. La « professionnalisation interactive » (Gather Thurler, 1996)
prendrait alors toute sa mesure. Comme on se trouve rarement dans des condi-
tions aussi privilégiées, il m’a semblé utile de proposer une explicitation, parmi
d’autres. Je l’ai voulue discursive et argumentative, pour souligner qu’on peut
voir des choses différemment. Mon propos n’était pas d’enfermer le lecteur dans
ma façon de concevoir la pratique enseignante et les compétences qu’elle exige,
mais de contribuer, d’une autre manière, au débat sur les contours d’un « métier
nouveau » (Meirieu, 1990), qui se rapproche d’une profession et parle le lan-
gage des compétences, tant pour les élèves que pour les enseignants.
Cet essai m’a d’abord paru utile pour la communauté genevoise qui s’est donné
ce référentiel. L’avenir dira si ce pari était fondé. Il m’a semblé qu’un tel « exer-
cice de style » pouvait avoir d’autres vertus :
• Il illustre une démarche qui pourrait être intéressante au moment de réviser ou
construire un plan de formation initiale ou continue des enseignants, non pas
pour adopter intégralement le référentiel commenté ici, mais pour en emprunter
certains éléments en les aménageant ou en rejeter d’autres en connaissance de
cause.
• Il suggère de travailler les référentiels, dans le cadre de groupes de formation
ou de projet, pour clarifier les objectifs, mesurer le cheminement, mais surtout
susciter des explications et une confrontation des représentations des uns et des
autres.

165
Conclusion

• Un tel référentiel peut être utilisé dans une démarche d’innovation. C’est ainsi
que le dispositif d’accompagnement de la rénovation genevoise a organisé sa
réflexion en prenant appui sur les premières familles de compétences évoquées,
pour approfondir les maîtrises requises par une pédagogie différenciée, un tra-
vail par situations-problèmes ou une gestion des progressions dans le cadre de
cycles d’apprentissage (Groupe de recherche et d’innovation, 1997). Les mêmes
acteurs étant engagés dans ces divers chantiers, les connexions étaient plus
faciles à établir. Je crois cependant que ce pourrait être une démarche – parmi
d’autres – à conduire dans toute recherche-action, recherche-développement ou
innovation touchant aux pratiques : tenter d’expliciter les compétences qui font
défaut, à partir de l’analyse des pratiques, mais aussi se servir d’un référentiel
existant, orienté vers des compétences émergentes, pour « relire » ce qu’on fait
déjà ou ce qu’on cherche à faire.

Deux métiers en un ?

J’ai le sentiment que ce référentiel ne passe à côté de rien d’essentiel. C’est une
question que chaque lecteur peut se poser : en faisant un instant l’impasse sur le
découpage, a-t-il retrouvé, au fil des pages, sinon toutes les facettes du métier,
du moins celles qui « bougent » en ce moment, au gré des transformations de
l’école et du processus de professionnalisation du métier ? Qu’on se souvienne à
ce propos qu’il ne s’agissait pas de dresser un inventaire exhaustif des compé-
tences des enseignants. Le référentiel genevois tente de saisir le mouvement de
la profession, en insistant sur des compétences émergentes ou des compétences
existantes dont l’importance se renforce en raison des ambitions nouvelles du
système éducatif, qui exige des niveaux de maîtrise toujours plus élevés.
M’intéressant aux compétences émergentes, je me suis demandé si, pour être
exhaustif, je devais proposer une liste complémentaire, celle des compétences
« classiques » d’un enseignant. À la réflexion, cette liste ne m’a pas semblé
pertinente, car les compétences de base du métier sont contenues dans les com-
pétences examinées. On ne retrouvera certes pas des formulations classiques,
telles que suivre le programme, préparer et donner des cours et des exercices,
se servir des moyens d’enseignement officiels et des méthodes recommandées,
faire régner le silence, l’ordre et la discipline, mettre des notes, coexister pacifi-
quement avec des collègues en parlant de la pluie et du beau temps, dans une
école où, d’année en année, chacun reprend les mêmes degrés et les mêmes
méthodes. Tout cela n’est pas entièrement démodé, il reste nécessaire de don-
ner des leçons et des exercices, d’obtenir une forme de discipline, d’évaluer de
façon certificative. Toutefois, plus on va vers une pratique réflexive (Schön,
1994, 1996), plus le métier devient une profession à part entière, à la fois auto-

166
Conclusion

nome et responsable (Altet, 1994 ; Perrenoud, 1994 e, 1996 c et m), plus ces
pratiques traditionnelles changent de sens et de place. Elles ne sont plus l’alpha
et l’oméga de l’enseignement, mais des composantes parmi d’autres, corres-
pondant à un niveau de départ, à dépasser dès qu’on en a les moyens.
Cette intégration des compétences « traditionnelles » aux compétences « émer-
gentes » ne fera pas l’unanimité, pas plus d’ailleurs que d’autres choix, qui
paraîtront arbitraires, mais sans lesquels aucune organisation des représenta-
tions n’est possible. Le débat importe plus que le consensus. Il convient en
revanche de distinguer deux raisons bien différentes de ne pas adhérer aux
compétences analysées ici ou à la façon de les découper :
– les uns s’en distancent parce que, se réclamant de la même conception du
métier et de son évolution, ils adoptent un autre découpage de ses principales
composantes ; on peut alors tenter de rapprocher les points de vue, de confron-
ter diverses manières de mettre de l’ordre dans la complexité ;
– les autres s’en séparent parce qu’ils n’ont pas le même métier en tête, parce
que certains refusent l’évolution, la combattent, alors que d’autres la précèdent
et la suscitent ; le désaccord est alors difficile à dépasser, il ne tient pas au
découpage, mais à une orientation globale vers un autre type de professionna-
lité (Altet, 1994).

Lorsque coexistent, dans le même système éducatif, des conceptions contradic-


toires du métier d’enseignant, leur opposition renvoie, en creux, à des référen-
tiels de compétences professionnelles incompatibles. Dans un métier en évolu-
tion, qui autorise en outre une forte diversité des représentations et des pratiques
personnelles, il est impossible de fabriquer un référentiel accepté par chacun.
Qu’il serve au moins à clarifier les enjeux et à poser des problèmes de fond.
L’idée même de construire un référentiel ne fait pas l’unanimité : l’aile mar-
chante de la profession a besoin d’inventorier les compétences constitutives
d’une nouvelle identité et d’un nouveau rapport à l’institution et au programme,
alors que l’aile conservatrice dénie la nécessité même d’expliciter les gestes pro-
fessionnels et les compétences requises. Elle oppose une résistance passive à
toute entreprise de « mise en mots », sous le couvert de l’évidence. Pourquoi
« couper les cheveux en quatre » alors que tout le monde sait ce qu’enseigner
veut dire ? Il n’y a pas lieu de compliquer ce qui va de soi. Cette différence dans
le besoin de dire les choses masque les divergences de fond, ce qui permet sans
doute à des enseignants qui ne font pas et ne veulent pas faire le même métier
de coexister au quotidien, dans le même établissement, le même groupe disci-
plinaire ou le même syndicat.
Pour montrer plus concrètement qu’il y a deux images du métier en présence, je re-
prendrai ici une analyse que j’avais esquissée à propos de l’évaluation (Perrenoud,
1988), sur un thème que j’ai développé plus récemment en situant les pratiques
d’évaluation « entre deux logiques », la fabrication de l’excellence et la régulation

167
Conclusion

des apprentissages, (Perrenoud, 1998 b et i). Confrontons sommairement deux


conceptions de l’expertise en évaluation, l’une traditionnelle, l’autre nouvelle.

DEUX CONCEPTIONS DE L’EXPERTISE EN ÉVALUATION

Expertise traditionnelle Expertise nouvelle

• Évaluer rapidement, au stade de la • Analyser précisément les objectifs


planification des épreuves, de leur d’une année ou d’un module d’ensei-
composition, de leur correction, de la gnement.
détermination des barèmes, de l’attri- • Avoir une claire conscience des
bution des notes. Mener rondement notions travaillées, des apprentissages
les inévitables négociations avec cer- favorisés et de ce qui a été laissé dans
tains élèves ou leurs parents. l’ombre — faute de temps ou d’inté-
• Évaluer selon toutes les apparences rêt — et ne peut donc être décemment
de l’impartialité, du sérieux, de la évalué.
rigueur compréhensive (être sévère • Se servir de l’évaluation pour dia-
mais juste, parfois indulgent !). gnostiquer les difficultés individuelles
• Se servir du système d’évaluation et y remédier rapidement par une
pour obtenir la coopération des élèves pédagogie différenciée ou par l’appel à
et leur respect du contrat didactique. des maîtres de soutien ou d’autres
• Évaluer de façon à rassurer ou mobili- intervenants externes.
ser les parents tout en les tenant à • Faire le bilan précis des acquisitions
l’écart de la gestion de la classe. essentielles, pour certifier le niveau des
• Conserver une routine d’évaluation élèves en fin de parcours, lorsqu’ils
par-delà les changements de curricu- prétendent à un titre ou à l’accès à la
lum et les discours réformistes du sys- classe supérieure ou à une autre
tème. école.

• Utiliser l’évaluation pour moduler la • Permettre aux parents de com-


progression dans le programme de prendre et de suivre les progrès de
sorte à retomber sur ses pieds en fin leur enfant, sans les entraîner dans un
d’année. excès de spécialisation.

• Maintenir le niveau des élèves et les • Donner aux élèves l’occasion de


taux de redoublement, d’abandon ou s’autoévaluer ou de participer à leur
d’échec dans des limites « raison- évaluation.
nables ».
• Limiter les doutes ou la culpabilité qui
accompagnent souvent l’évaluation.

168
Conclusion

Cet exemple nous permet de comprendre pourquoi le désaccord sur les compé-
tences peut en cacher un autre, sur le métier et son évolution probable ou souhai-
table. Ceux qui préfèrent que rien ne bouge n’ont que faire de référentiels qui se
distancent des pratiques plus faciles à justifier dans le clair-obscur de la tradition et
du « Tout le monde le fait ». Le bon sens et l’accord tacite sur l’essence du métier
jettent un voile protecteur sur la réalité des pratiques. Le débat sur les référentiels
concerne, en revanche, ceux qui œuvrent au changement vers la professionnalisa-
tion et doivent, pour le justifier, prendre appui sur l’état actuel des pratiques.
Cette prise de distance suggère parfois que la place est vacante, qu’il suffit d’intro-
duire des pratiques nouvelles. Les innovateurs qui proposent d’autres façons d’éva-
luer, plus formatives, pointent sur des compétences émergentes, qui font défaut à
une partie des enseignants d’aujourd’hui, d’abord au niveau des connaissances et
des concepts – évaluation critériée, régulation interactive, autoévaluation, métaco-
gnition, par exemple -, ensuite au niveau de leur mise en pratique. Ce qui pourrait
suggérer que les enseignants qui ne se rangent pas sous cette bannière ne savent
pas évaluer ou n’ont que des compétences mineures en évaluation. Je soutiens, au
contraire, que la plupart des enseignants expérimentés témoignent de certaines
compétences en évaluation, qui ne sont pas à la portée des débutants. Sans doute,
l’expertise traditionnelle a-t-elle partie liée avec la fabrication des inégalités. Cela
explique une certaine pudeur dans sa mise en évidence : qui voudrait souligner crû-
ment que l’expertise traditionnelle en évaluation n’est guère soucieuse de cerner et
d’optimiser les apprentissages ? Qu’elle a plus d’aspects gestionnaires que pédago-
giques ? De plus, l’expertise traditionnelle en évaluation est acquise largement au
gré de l’expérience, « sur le tas » ou en s’inspirant de collègues plus expérimentés,
ce qui ne favorise pas sa description. Cela n’autorise pas à en dénier l’existence :
toute action compétente n’est pas, ipso facto, une action pédagogiquement ou éthi-
quement recommandable.

Se professionnaliser tout seul ?

Quelle est la réaction d’un professionnel qui lit un référentiel de compétences


décrivant « ce qu’il est censé savoir faire » ? C’est sans doute de dresser, de
façon intuitive, à titre personnel, un petit « bilan de compétence ». Le premier
mouvement est de se sentir menacé d’incompétence, de « faire des complexes »
ou de rejeter ce fatras d’énoncés abstraits. Cela peut engendrer la tentation de
rejoindre le camp des conservateurs, faute d’avoir la force d’affronter l’écart
entre ce qu’on est et ce qu’on voudrait être.
On peut aussi concevoir des usages moins défensifs, le lecteur se disant : je ne maî-
trise pas tous ces aspects, mais je vais dans cette direction, je partage globalement

169
Conclusion

cette image du métier et je vais orienter ma réflexion, ma formation et ma pratique


dans ce sens, pour me rapprocher graduellement de tout ce à quoi j’adhère. On peut
aussi envisager un travail collectif, à l’échelle de la profession, d’une association,
d’un établissement, d’une équipe.
La professionnalisation est une transformation structurelle que nul ne peut maî-
triser à lui seul. Pour autant, elle ne se décrète pas, même si les lois, les statuts,
les politiques de l’éducation peuvent favoriser ou freiner le processus. Ce qui
signifie que la professionnalisation d’un métier est une aventure collective, mais
qu’elle se joue aussi, dans une large mesure, à travers les choix personnels des
enseignants, leurs projets, leurs stratégies de formation. Telle est la complexité
des changements sociaux : ils ne sont ni la simple addition d’initiatives indivi-
duelles, ni la simple conséquence d’une politique centralisée.
La professionnalisation n’avancera pas si elle n’est pas délibérément favorisée
par des politiques concertées touchant à la formation des enseignants, à leur
cahier des charges, à la façon dont ils rendent compte de leur travail, au statut
des établissements et des équipes pédagogiques. Elle n’avancera pas davantage
si ces politiques ne rencontrent pas des attitudes, des projets, des investissements
de personnes ou de groupes.
Chacun peut contribuer, à sa mesure, à faire évoluer le métier vers la profession-
nalisation. Comment ? Par exemple en s’efforçant de :
• se centrer sur les compétences à développer chez les élèves et les situations
d’apprentissage les plus fécondes ;
• différencier son enseignement, pratiquer une évaluation formative, pour lutter
activement contre l’échec scolaire ;
• développer une pédagogie active et coopérative, fondée sur des projets ;
• se donner une éthique explicite de la relation pédagogique et s’y tenir ;
• continuer à se former, à lire, à participer aux manifestations et réflexions péda-
gogiques ;
• se mettre en question, réfléchir sur sa pratique, individuellement ou en
groupe ;
• participer à la formation initiale des futurs enseignants ou à la formation conti-
nue ;
• travailler en équipe, raconter ce qu’on fait, coopérer avec des collègues ;
• s’impliquer dans un projet d’établissement ou un réseau ;
• s’engager dans des démarches d’innovation individuelles ou collectives.
De telles orientations supposent l’élargissement des compétences acquises, voire
la construction de compétences nouvelles. Il est préférable d’être lucide, de ne
pas se lancer dans des pratiques alternatives sans mesurer qu’on se heurtera à
des obstacles, qui ne pourront être surmontés qu’au prix d’une réflexion, d’un
travail sur soi, de la construction de nouveaux savoirs et de nouvelles compé-

170
Conclusion

tences. Cela peut renvoyer à une formation continue, suivie dans le cadre d’un
centre ou proposée dans l’établissement. Là n’est pas l’essentiel : c’est le pro-
cessus d’autoformation qui importe, avec le temps, l’énergie qu’il demande, les
déséquilibres et les changements identitaires qu’il peut provoquer, son coût et
ses risques, aussi bien que ce qu’il rend possible.
Travailler, individuellement ou collectivement, à des référentiels de compé-
tences, c’est se donner les moyens d’un bilan personnel et d’un projet de forma-
tion réaliste. C’est aussi se préparer à rendre compte de son action profession-
nelle en termes d’obligation de compétences plus que de résultats ou de
procédures (Perrenoud, 1997 e). Dans le meilleur des mondes, les enseignants
choisissent librement de dresser un bilan et de construire des compétences, sans
qu’il soit nécessaire de les y inciter de façon autoritaire ou avec des sanctions
ou des récompenses à la clé. L’autoformation résulte, idéalement, d’une pratique
réflexive qui doit davantage à un projet (personnel ou collectif) qu’à une attente
explicite de l’institution. Dans le monde tel qu’il est, il n’est pas illégitime que
les référentiels de compétences soient aussi des outils de contrôle. L’école vient
d’une tradition selon laquelle la formation continue est gérée par l’État ou le
pouvoir organisateur, alors qu’on rend compte à un corps d’inspecteurs ou aux
chefs d’établissements. Peut-on se libérer de cet héritage sans justifier le chacun
pour soi ?
La prise en charge de leur formation continue par les intéressés est un des plus
sûrs indices de professionnalisation d’un métier. De même que la mise en place
de dispositifs permettant à chacun de rendre compte de son travail à ses pairs,
au moins autant qu’à une hiérarchie.
Aucune avancée ne peut se réaliser sans une représentation partagée des com-
pétences professionnelles qui sont au cœur de la qualification, celles qu’il
convient d’entretenir et de développer, et dont les professionnels doivent rendre
compte. Aider à formuler et à stabiliser une vision claire du métier et des com-
pétences est une fonction majeure – sous-estimée – des référentiels de compé-
tences. Ils ne sont donc pas des outils réservés aux experts, mais des moyens,
pour les professionnels, de construire une identité collective.

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188
Dans la collection Pédagogies

À L’ÉCOLE DE L’INTELLIGENCE COMPRENDRE ET AIDER


Comprendre pour apprendre LES ÉLÈVES EN ÉCHEC
Jean-Yves Fournier L’instant d’apprendre
Emmanuelle Plantevin-Yanni
À L’ÉCOLE DES BANLIEUES
Gérard Chauveau, CONSTRUIRE LA FORMATION CEPEC,
Éliane Rogovas-Chauveau Sous la direction de Pierre Gillet
L’ANNÉE DE L’ÉCOLE COURANTS ET CONTRE-COURANTS
De Luc Chatel à Vincent Peillon DANS LA PÉDAGOGIE CONTEMPORAINE
François Jarraud Daniel Hameline
APPRENDRE À PENSER, PARLER, DE L’APPRENTISSAGE À L’ENSEIGNEMENT
LIRE, ÉCRIRE Pour une épistémologie scolaire
Acquisition du langage oral et écrit Michel Develay
Laurence Lentin
DÉBUTER DANS L’ENSEIGNEMENT
APPRENDRE AVEC LES PÉDAGOGIES Témoignages d’enseignants, conseils d’experts
COOPÉRATIVES
Coordonné par Jean-Luc Ubaldi
Démarches et outils pour l’école
Sylvain Connac
DE L’ÉDUCATION TECHNOLOGIQUE
APPRENDRE ENSEMBLE, À la culture technique
APPRENDRE EN CYCLES Yves Deforge
Classes maternelles et primaires
avec la Maison des Trois Espaces DE LA FORMATION AU MÉTIER
Savoir transférer ses connaissances dans l’action
APPRENDRE… OUI, MAIS COMMENT ? Louis Toupin
Philippe Meirieu
LA DÉMOCRATIE AU LYCÉE
L’APPRENTI-CITOYEN Robert Ballion
Une éducation civique et morale pour notre temps
Georges Roche LA DÉMOCRATISATION
DE L’ENSEIGNEMENT AUJOURD’HUI
L’AUTORITÉ ÉDUCATIVE DANS LA CLASSE Gabriel Langouët
Douze situations pour apprendre à l’exercer
Bruno Robbes DES ENFANTS ET DES HOMMES
LITTÉRATURE ET PÉDAGOGIE 1 :
L’AUTORITÉ EN ÉDUCATION la promesse de grandir
Sortir de la crise Philippe Meirieu
Gérard Guillot
DÉVELOPPER LA CAPACITÉ D’APPRENDRE
AUTORITÉ ET DISCIPLINE À L’ÉCOLE Jean Berbaum
Maria Teresa Estrela
DÉVELOPPER LA PRATIQUE RÉFLEXIVE
AUTORITÉ OU ÉDUCATION ? DANS LE MÉTIER D’ENSEIGNANT
Entre savoir et socialisation : le sens de l’éducation Professionnalisation et raison pédagogique
Jean Houssaye Philippe Perrenoud
BANLIEUES : DEVENIR COLLÉGIEN
LES DÉFIS D’UN COLLÈGE CITOYEN L’entrée en classe de sixième
Jacques Pain, Marie-Pierre Grandin-Degois,
Olivier Cousin, Georges Felouzis
Claude Le Goff

LE CHOIX D’ÉDUQUER DICTIONNAIRE DES INÉGALITÉS SCOLAIRES


Éthique et pédagogie Coordonné par Jean-Michel Barreau
Philippe Meirieu
DIX NOUVELLES COMPÉTENCES
LES CLASSES RELAIS POUR ENSEIGNER
Un dispositif pour les élèves en rupture avec l’école Invitation au voyage
Élisabeth Martin, Stéphane Bonnéry Philippe Perrenoud

COMMENT IMPLIQUER L’ÉLÈVE L’ÉCOLE À L’ÉPREUVE DE L’ACTUALITÉ


DANS SES APPRENTISSAGES Enseigner des questions vives
L’autorégulation, une voie pour la réussite scolaire Coordonné par Alain Legardez et Laurence Simonneaux
Charles Hadji
L’ÉCOLE FACE AUX PARENTS
LES COMPÉTENCES TRANSVERSALES Analyse d’une pratique de médiation
EN QUESTION Patrick Bouveau, Olivier Cousin,
Bernard Rey Joëlle Favre-Perroton
L’ÉCOLE HORS L’ÉCOLE L’ENTRETIEN D’EXPLICITATION
Soutien scolaire et quartiers En formation initiale et en formation continue
Sous la direction de Dominique Glasman Pierre Vermersch

L’ÉCOLE, MODE D’EMPLOI L’ENVERS DU TABLEAU


Des « méthodes actives » à la pédagogie différenciée Quelle pédagogie pour quelle école ?
Philippe Meirieu Philippe Meirieu

L’ÉCOLE POUR APPRENDRE L’ÉTABLISSEMENT SCOLAIRE, AUTONOMIE


Jean-Pierre Astolfi LOCALE ET SERVICE PUBLIC
Jean-Louis Derouet, Yves Dutercq
L’ÉDUCATION CIVIQUE AUJOURD’HUI :
DICTIONNAIRE ENCYCLOPÉDIQUE L’ÉVALUATION EN QUESTIONS
Georges Roche avec Y. Basset, J.-M. Fayol-Noireterre, Charles Delorme et le CEPEC
M. Langanay, C. Paillole, G. Bach
L’ÉVALUATION, RÈGLES DU JEU
ÉDUCATION ET FORMATION : NOUVELLES Des intentions aux outils
QUESTIONS, NOUVEAUX MÉTIERS Charles Hadji
Sous la direction de Jean-Pierre Astolfi
L’ÉVALUATION SCOLAIRE,
ÉDUCATION ET PHILOSOPHIE MYTHES ET RÉALITÉS
Approches contemporaines Michel Barlow
Sous la direction de Jean Houssaye
FAIRE L’ÉCOLE, FAIRE LA CLASSE
L’ÉDUCATION, SES IMAGES ET SON PROPOS Philippe Meirieu
Daniel Hameline
FAIRE TRAVAILLER LES ÉLÈVES À L’ÉCOLE
ÉDUQUER CONTRE AUSCHWITZ Sylvain Grandserre, Laurent Lescouarch
Histoire et mémoire
Jean-François Forges LA FINLANDE : UN MODÈLE ÉDUCATIF
POUR LA FRANCE ?
ÉLÈVES À PROBLÈMES, ÉCOLES À SOLUTIONS ? Paul Robert
Cécile Delannoy
FOOTBALL : UN TERRAIN IDÉAL
ÉLÈVES ET PROFESSEURS, RÉUSSIR ENSEMBLE POUR L’ÉDUCATION
Outils pour les professeurs principaux Michel Amram, Emmanuel Audusse
et les équipes pédagogiques
Jean-Luc Guillaumé GUIDE DE L’ACCOMPAGNATEUR BÉNÉVOLE
AFEV, Muriel Florin
ÉMILE, REVIENS VITE…
ILS SONT DEVENUS FOUS LE GUIDE JURIDIQUE DES ENSEIGNANTS
Philippe Meirieu, Michel Develay Écoles, collèges et lycées de l’enseignement public
Laurent Piau
ENCYCLOPÉDIE DE L’ÉVALUATION
EN FORMATION ET EN ÉDUCATION L’IMPOSSIBLE MÉTIER DE PÉDAGOGUE
André de Peretti, Jean Boniface, Jean-André Legrand Praxis ou poièsis. Éthique ou morale
Francis Imbert
ENFANTS EN SOUFFRANCE, ÉLÈVES EN ÉCHEC
Ouvrir des chemins L’INCONSCIENT DANS LA CLASSE
Francis Imbert Transferts et contre-transferts
Francis Imbert et le Groupe de Recherche
L’ENFANT PHILOSOPHE, en Pédagogie Institutionnelle
AVENIR DE L’HUMANITÉ
Ateliers AGSAS de réflexion sur la condition humaine INNOVER AU CŒUR
(ARCH) DE L’ÉTABLISSEMENT SCOLAIRE
Jacques Lévine avec la collaboration Monica Gather Thurler
de Geneviève Chambard, Michèle Sillam, Daniel Gostain
INNOVER POUR RÉUSSIR
L’ENSEIGNEMENT PROFESSIONNEL Sous la direction de Charles Hadji
AUJOURD’HUI
Dominique Raulin JE EST UN AUTRE
Pour un dialogue pédagogie-psychanalyse
ENSEIGNER À L’ÉCOLE MATERNELLE Jacques Lévine, Jeanne Moll
Quelles pratiques pour quels enjeux ?
Jacqueline Pillot LES MATHÉMATIQUES AU LYCÉE
Clés pour une réussite
ENSEIGNER : AGIR DANS L’URGENCE, Sylviane Gasquet
DÉCIDER DANS L’INCERTITUDE
Philippe Perrenoud MÉDIATIONS, INSTITUTIONS
ET LOI DANS LA CLASSE
ENSEIGNER, SCÉNARIO Francis Imbert et le Groupe de Recherche
POUR UN MÉTIER NOUVEAU en Pédagogie Institutionnelle
Philippe Meirieu
LA MÉTACOGNITION,
ENTRER DANS L’ÉCRIT UNE AIDE AU TRAVAIL DES ÉLÈVES
AVEC LA LITTÉRATURE DE JEUNESSE Coordonné par Michel Grangeat,
Laurence Pasa, Serge Ragano, Jacques Fijalkow sous la direction de Philippe Meirieu
MÉTIER D’ÉLÈVE PENSER L’ÉDUCATION
ET SENS DU TRAVAIL SCOLAIRE Notions clés en philosophie de l’éducation
Philippe Perrenoud Coordonné par Alain Vergnioux

MÉTIER IMPOSSIBLE LA PERSONNALISATION DES APPRENTISSAGES


La situation morale des enseignants Agir face à l’hétérogénéité, à l’école et au collège
Pascal Bouchard Sylvain Connac

1914-1998, LE TRAVAIL DE MÉMOIRE PETITE ENFANCE :


Dossier pédagogique sous la direction ENJEUX ÉDUCATIFS DE 0 À 6 ANS
du Parc de la Villette Coordonné par Nicole Geneix et Laurence Chartier
Jean-François Forges
PEUT-ON FORMER LES ENSEIGNANTS ?
MILLE ET UNE PROPOSITIONS PÉDAGOGIQUES Michel Develay
Pour animer son cours et innover en classe
André de Peretti, François Muller LES POLITIQUES ET L’ÉCOLE
Entre le mensonge et l’ignorance
MOTIVATION, PROJET PERSONNEL, Maurice Niveau
APPRENTISSAGES
Monique Croizier LES POLITIQUES SCOLAIRES MISES EN EXAMEN
Onze questions en débat
MOTS POUR MAUX À L’ÉCOLE PRIMAIRE Claude Lelièvre
Enseigner, c’est possible !
Élisabeth Godon POUR MIEUX APPRENDRE
Conseils et exercices pour élèves
MUTATIONS TERRITORIALES ET ÉDUCATION de lycées, étudiants, adultes
De la forme scolaire vers la forme éducative Jean Berbaum
Bernard Bier, André Chambon,
Jean-Manuel de Queiroz POUR UNE DÉONTOLOGIE DE L’ENSEIGNEMENT
Gilbert Longhi
LA NEUVILLE : L’ÉCOLE AVEC FRANÇOISE DOLTO
suivi de DIX ANS APRÈS POUR UNE ÉTHIQUE DE L’INSPECTION
Fabienne d’Ortoli et Michel Amram Dominique Sénore
LES OBJECTIFS PÉDAGOGIQUES POUR UNE PÉDAGOGIE DE LA PAROLE
En formation initiale et en formation continue De la culture à l’éthique
Daniel Hameline
Claude Lagarde avec Annie Laporte,
Joël Molinario, Christian Picard
L’ORGANISATION DU TRAVAIL,
CLÉ DE TOUTE PÉDAGOGIE DIFFÉRENCIÉE,
Philippe Perrenoud
POUR UNE SOCIÉTÉ ÉDUCATIVEUNE
réflexion syndicale sur l’école et la société
ORTHOGRAPHE : À QUI LA FAUTE ? Unsa Éducation – Textes rassemblés
Danièle Manesse, Danièle Cogis, par Dominique Lassarre
Michèle Dorgans, Christine Tallet
PRATIQUES DE L’ENTRETIEN D’EXPLICITATION
LA PÉDAGOGIE À L’ÉCOLE DES DIFFÉRENCES Sous la direction de Pierre Vermersch et Maryse Maurel
Fragments d’une sociologie de l’échec
Philippe Perrenoud PREMIERS PÉDAGOGUES :
DE L’ANTIQUITÉ À LA RENAISSANCE
PÉDAGOGIE ALTERNATIVE Sous la direction de Jean Houssaye
EN FORMATION D’ADULTE
Rémi Casanova, Sébastien Pesce PRÉPARER UN COURS
Tome 1 : Applications pratiques
PÉDAGOGIE : Alain Rieunier
DICTIONNAIRE DES CONCEPTS CLÉS
Apprentissage, formation et psychologie cognitive. PRÉPARER UN COURS
Françoise Raynal, Alain Rieunier Tome 2 : Les stratégies pédagogiques efficaces
Alain Rieunier
PÉDAGOGIE DIFFÉRENCIÉE :
DES INTENTIONS À L’ACTION PRÉVENIR LES SOUFFRANCES D’ÉCOLE
Philippe Perrenoud Pratique du Soutien au Soutien
Jacques Lévine, Jeanne Moll
LA PÉDAGOGIE ENTRE LE DIRE ET LE FAIRE
Le courage des commencements PROFESSEURS ET ÉLÈVES :
Philippe Meirieu LES BONS ET LES MAUVAIS
Jean Houssaye
LA PÉDAGOGIE :
UNE ENCYCLOPÉDIE POUR AUJOURD’HUI QUAND L’ÉCOLE PRÉTEND
Sous la direction de Jean Houssaye PRÉPARER À LA VIE…
Philippe Perrenoud
PÉDAGOGUE ET RÉPUBLICAIN :
L’IMPOSSIBLE SYNTHÈSE ? QU’EST-CE QUE LA PÉDAGOGIE ?
Philippe Lecarme Le pédagogue au risque de la philosophie
Michel Soëtard
PÉDAGOGUES DE L’EXTRÊME
L’éducabilité à l’épreuve du réel QUESTIONS DE SAVOIR
Rémy Casanova, Sébastien Pesce Gabrielle Di Lorenzo
QUESTIONNER POUR ENSEIGNER SYSTÈME, PERSONNE ET PÉDAGOGIE
ET POUR APPRENDRE Une nouvelle voie pour l’Éducation
Le rapport au savoir dans la classe Georges Lerbet
Olivier Maulini
VIOLENCES ENTRE ÉLÈVES,
RADIOGRAPHIE DU PEUPLE LYCÉEN HARCÈLEMENTS ET BRUTALITÉS
Pour changer le lycée Les faits, les solutions
Coordonné par Roger Establet Dan Olweus

LES RUSES ÉDUCATIVES VIVRE ENSEMBLE, UN ENJEU POUR L’ÉCOLE


Cent stratégies pour mobiliser les élèves Francis Imbert et le Groupe de Recherche
Yves Guégan en Pédagogie Institutionnelle

LA SAVEUR DES SAVOIRS Y A-T-IL UNE VIE APRÈS L’ÉCOLE ?


Disciplines et plaisir d’apprendre Georges Snyder
Jean-Pierre Astolfi
ÉCOLE CHERCHE MINISTRE
SAVOIRS SCOLAIRES ET DIDACTIQUES Pascal Bouchard
DES DISCIPLINES
Une encyclopédie pour aujourd’hui ÉCOLE, DEMANDEZ LE PROGRAMME
Sous la direction de Michel Develay Philippe Meirieu

LES SCIENCES DE L’ÉDUCATION, LETTRE À UN JEUNE PROFESSEUR


UN ENJEU, UN DÉFI Philippe Meirieu
Bernard Charlot avec la collaboration de la CORESE,
J. Gautherin, J. Hédoux et A. Tuijnman PÉDAGOGIE : LE DEVOIR DE RÉSISTER
Philippe Meirieu
SE CONSTRUIRE DANS LE SAVOIR
À L’ÉCOLE, EN FORMATION D’ADULTE QUI VA SAUVER L’ÉCOLE ?
Odette Bassis Emmanuelle Daviet, Sylvain Grandserre

SOCLE COMMUN ET COMPÉTENCES


Annie Di Martino, Anne-Marie Sanchez

STIMULER LA MÉMOIRE
ET LA MOTIVATION DES ÉLÈVES
Jean-Philippe Abgrall

Hors série
ÉCOLE CHERCHE MINISTRE QUI VA SAUVER L’ÉCOLE ?
Pascal Bouchard Emmanuelle Daviet, Sylvain Grandserre

ÉCOLE, DEMANDEZ LE PROGRAMME RÉUSSIR SA PREMIÈRE CLASSE


Philippe Meirieu Ostiane Mathon

LETTRE À UN JEUNE PROFESSEUR RÉUSSIR SES PREMIERS COURS


Philippe Meirieu Jean-Michel Zakhartchouk

LES MÉTHODES QUI FONT RÉUSSIR LES ÉLÈVES


Danielle Alexandre

PÉDAGOGIE : LE DEVOIR DE RÉSISTER


Philippe Meirieu

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