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Les stratégies d'apprentissage

Comment accompagner les élèves


dans l'appropriation des savoirs
COLLECTION E
élève-école-enseignement
dirigée par René LA BORDERIE et Franc MORANDI

Dans la même collection


ANDREANI F., LARTIGUE P., L'orientation des élèves: comment concilier son caractère
individuel et sa dimension sociale, 2006.
DUBUS A., La notation des élèves: comment utiliser la docimologie pour une évaluation
raisonnée, 2006.

Dans la collection «Sociétales»


BASTIEN C., BASTIEN-TONIAZZO M., Apprendre à l'école (série «Regards
psychosociaux» ), 2004.
DEBARBIEUX E., Violence à l'école: un défi mondial? 2006.
GOFFARD M., WEIL-BARAIS A. (sous la dir. de), Enseigner et apprendre les sciences,
2005.
LENOIR Yves, XYPAS Constantin,JAMET Christian, École et citoyenneté: un défi
multiculturel, 2006.
TOCZEK M.-C., MARTINOT D. et al., Le défi éducatif. Des situations pour réussir
(série «Regards psychosociaux»), 2004.

Dans la collection « 128 »


BLAYA C., Violences et maltraitances en milieu scolaire, 2006.
FOULIN J.-N., TOCZEK M.-C., Psychologie de l'enseignement, 2006.
MORANDI F., Introduction à la pédagogie, 2006.

Conception de couverture: Pierre Klipfel

Conception de maquette intérieure: Dominique Guillaumin

© Armand Colin, Paris, 2006.

ISBN: 2-200-34535-6
Internet: http://www.armand-colin.com

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pour tous pays. • Toute reproduction ou représentation intégrale ou partielle, par quel-
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part, les reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées
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tère scientifique ou d'information de l'œuvre dans laquelle elles sont incorporées (art.
L.-122-4, L.-122-S et L.-33S-2 du Code de la propriété intellectuelle).

ARMAND COLIN ÉDITEUR. 21, RUE DU MONTPARNASSE. 75006 PARIS


Michel PERRAUDEAU

Les stratégies
d'apprentissage
Comment accompagner les élèves
dans l'appropriation des savoirs
Du MÊME AUTEUR

2006 - Article « Main », in B. Andrieu (dir.), Dictionnaire du corps en sciences humai-


nes et sociales, Paris, éditions CNRS.
2005 - Le Métier d'enseignant en 70 questions, Paris, Retz.
2005 - « Les difficultés ordinaires d'apprentissage », Cahiers Pédagogiques, n° 436.
2004 -« Accompagner l'apprentissage », inA. Weil-Barais (dir.), Les Apprentissages
scolaires, Paris, Bréal.
2004 - « Les compétences à l'école primaire », in R. Toussaint et C. Xypas (dir.), La
Notion de compétence en éducation et en formation, Paris, L'Harmattan.
2002 - « L'entretien de type critique: un dispositif pour comprendre l'élève et
l'aider à se comprendre », Éduquer (ex-revue Binet-Simon), n° 1, p. 55-80.
2002 - L'Entretien Cognitif à visée d'Apprentissage: un dispositifpour aider l'élève en ma-
thématiques, Paris, L'Harmattan, coll. « Savoir et Formation ».
2000 -« L'éducation intellectuelle dans l'approche de Jean Piaget », inJ.-P. Gate
(dir.), De l'éducation intellectuelle, Paris, L'Harmattan, p. 79-94.
2000 - «Accompagner la construction du raisonnement: les ARL à l'école », in
J.-P. Gate (dir.) , De l'éducation intellectuelle, Paris, L'Harmattan, p. 117-135.
1998 - Échanger pour apprendre: l'entretien critique, Paris, Armand Colin (2 e éd. Bor-
das: 2000).
1996 - Les Méthodes cognitives: apprendre autrement à l'école, Paris, Armand Colin,
Bordas (2 e éd. : 2001).
1996 - Piaget aujourd 'hui: réponses à une controverse, Paris, Armand Colin, Bordas
(2 e éd. : 2002).
1994 - Les Cycles et la Différenciation pédagogique, Paris, Armand Colin, Bordas (nouv.
éd. : 1997,2001).
Sommaire

INTRODUCTION 7
CHAPITRE 1. QU'EST-CE QU'APPRENDRE? 13
1. Définitions de l'apprentissage 14
II. Les composantes de l'apprentissage 23
III. Les activités mentales mobilisées lors de l'apprentissage 35

CHAPITRE 2. LES PROCÉDURES ET STRATÉGIES MISES EN ŒUVRE


PAR L'ÉLÈVE 55
1. L'aspect cognitif des conduites observées 55
II. La prise de conscience et les aspects métacognitifs 68
III. Les stratégies des élèves en français et en mathématiques 77

CHAPITRE 3. LES STRATÉGIES DE L'ÉLÈVE EN DIFFICULTÉ 89


1. Les stratégies de l'élève en difficulté en mathématiques 89
II. Les stratégies de l'élève en difficulté en français 100
III. Une typologie des difficultés «ordinaires» 109

CHAPITRE 4. COMPRENDRE LA GRANDE DIFFICULTÉ ET LES TROUBLES


D'APPRENTISSAGE 117
1. Les distinctions entre difficultés, handicaps et troubles 117
II. L'approche neuropsychologique des grandes difficultés
et des troubles 128
III. L'approche socioconstructiviste des grandes difficultés
et des troubles 134

CHAPITRE 5. PEUT-ON ENSEIGNER LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE? 141


1. Les démarches liées au langage 142
II. Les dispositifs liés au raisonnement logique 148
III. D'autres méthodes cognitives 156

5
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

CHAPITRE 6. LES STRATÉGIES D'ENSEIGNEMENT MISES EN ŒUVRE


PAR LE PROFESSEUR 171
1. Accompagner l'élève dans la mobilisation de ses procédures 172
II. Varier les entrées de l'élève dans l' apprentissage 185
III. Utiliser un dispositif microgénétique 190

CHAPITRE 7. PEUT-ON ENRICHIR LES STRATÉGIES D'ENSEIGNEMENT? 203


1. Clarifier la posture du professeur: la médiation et la tutelle 204
II. Analyser la pratique: le modèle de la médiation critique 215
III. Mettre en place des microsimulations fonctionnelles 228

CONCLUSION 235

BIBLIOGRAPHIE 239

INDEX DES TABLEAUX, ENCADRÉS ET ILLUSTRATIONS 247

INDEX DES NOTIONS 251


Introduction

Dans le quotidien de la classe, lorsqu'il propose des situations d'ap-


prentissage, le professeur est étonné de constater que les élèves dé-
ploient une multitude de conduites. Certaines, qui semblent peu
logiques, s'avèrent efficaces alors que d'autres, à l'apparence plus
conforme, donnent des résultats déroutants. Comment comprendre
ce que fait ou a voulu faire l'élève? Comment l'aider plus directement
dans ses apprentissages? Comment adapter l'enseignement aux be-
soins réels observés?
L'ouvrage aborde ces questions sous l'angle des stratégies: aussi
bien celles que l'élève met en place pour apprendre, que celles que le
professeur mobilise pour enseigner.
La définition, généralement admise, de ce qu'est une stratégie dans
le champ de l'enseignement-apprentissage consiste à dire qu'il s'agit
d'une coordination de procédés, choisis dans un panel de possibles, en raison
d'une efficience supposée et en fonction d'une finalité donnée. Cette défini-
tion suppose la réunion de plusieurs conditions, parmi lesquelles, la lu-
cidité du sujet sur la tâche à réaliser (selon le cas, il s'agit de l'élève ou
du professeur), la lisibilité de l'objectif assigné, la capacité à mobiliser
un certain nombre de procédures différentes et à effectuer un choix
parmi elles. Un procédé qui s'impose automatiquement sans alterna-
tive, des procédures qu'il est impossible de coordonner à d'autres, une
attention qui fait défaut ou un contrôle qui ne s'effectue pas, tous ces
éléments sont de nature à moduler voire à remettre en cause l'idée
même de stratégie. Il s'agit donc d'une conduite de haut niveau, mise en
œuvre aussi bien par le professeur que par l'élève, dont la complexité
renvoie à de nombreux aspects de l'enseignement-apprentissage.
À partir de cette définition, les questions qui se posent sont nom-
breuses. D'autant plus que les résultats aux évaluations nationales
- que ce soit celles du collège réalisées en début de 6e ou celles effec-
tuées à l'école élémentaire, en classe de CE2 - conduisent à observer

7
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

que s'installe très vite une grande hétérogénéité de comportements


face aux tâches scolaires. Les interrogations sont multiples. Les élè-
ves qui réussissent sont-ils ceux qui maîtrisent, le mieux, une ou deux
stratégies «classiques» ou ceux qui possèdent un répertoire plus vaste
et moins conventionnel de procédures? Un élève utilise-t-il toujours
la même stratégie lorsqu'il est confronté à des situations identiques?
Quand un élève ne développe pas une procédure attendue, est-ce
parce qu'il ne la possède pas ou parce que, la possédant, il ne sait pas
l'utiliser? Est-il possible, quand un élève est en difficulté, de lui ensei-
gner les stratégies les plus performantes? Un élève handicapé peut-il
mobiliser des procédures efficaces? Pour l'enseignement d'une même
notion, le professeur met-il en œuvre plusieurs stratégies différentes?
Est-il possible qu'il modifie ses procédures en cours d'enseignement?
Le professeur peut-il acquérir de nouvelles stratégies professionnel-
les?
L'ouvrage ouvre des pistes de réflexion en direction de ces inter-
rogations. C'est ainsi qu'une place importante est faite à la compré-
hension de la difficulté ordinaire, qui est entendue, désormais, comme
consubstantielle à l'apprentissage. Elle se manifeste de manière plus
ou moins apparente, plus ou moins ancrée, plus ou moins violente.
Elle concerne chacun des partenaires de l'éducation scolaire: non
seulement l'élève qui y est confronté mais aussi le professeur, souvent
démuni, pour éviter que l'élève ne s'y enferme.
Certaines difficultés, manifestées par l'élève, sont spectaculaires et
faciles à identifier, ce qui ne signifie cependant pas qu'il soit aisé d'y
remédier. L'écolier qui effectue une soustraction en se trompant dans
les retenues, le collégien qui lit laborieusement un court texte, en sont
des exemples que chaque professeur connaît. En revanche, il est des
situations, plus anodines, où l'élève peut se tromper sans en avoir la
lucidité. Prenons une illustration à travers une expérience simple, pré-
sentée par Tijus (2001) :
Lire la phrase suivante : L'ARBRE EST DANS LA
LA FORÊT

Lorsque le sujet lit «L'arbre est dans la forêt» alors que la phrase
écrite est «L'arbre est dans la la forêt», l'erreur commise ne relève pas
directement d'un défaut de reconnaissance, d'identification ou de com-
pétence en lecture. Il s'agit davantage d'une «cécité» relative à la répé-
tition de l'article. Regardons de plus près comment opère le lecteur.

8
INTRODUCTION

Lorsqu'il s'agit d'un collégien, dont on suppose qu'il maîtrise ce type


de texte, les deux «la» consécutifs ne sont pas attendus, compte tenu
du fait que la situation de répétition de mots est assez inhabituelle
pour lui, par rapport à ses expériences de lecture. En conséquence, il
ya absence de vigilance. L'attention s'exerce de façon efficace, elle est
centrée sur le sens de la phrase et non sur la lecture de chaque mot
dont la perception globale montre qu'ils sont aisément identifiables.
En outre, la disposition spatiale de la phrase, sur deux lignes, accentue
l'effet de non-vigilance. La centration sur le sens permet une lecture
immédiate et renforce le lecteur dans la persuasion d'avoir correc-
tement lu «L'arbre est dans la forêt». Le traitement automatique de
l'assemblage des mots, qui est une compétence aboutie, nécessaire au
lecteur expérimenté, peut donc, paradoxalement, entraîner des er-
reurs car il inhibe toute vigilance.
Le biais perceptif (présence des deux mots, lus une seule fois) pa-
rasite la compétence de traitement et, au-delà de la situation anodine
présentée, peut avoir des conséquences plus importantes pour l'ap-
prentissage. L'articulation entre perception et processus cognitif de
résolution d'une tâche complexe (c'est-à-dire lecture, écriture, réso-
lution de problèmes) peut amener l'élève à commettre des erreurs
alors qu'il dispose de tous les outils mentaux pour réussir. Un double
problème se retrouve ainsi posé à l'enseignant. Comment le profes-
seur peut-il comprendre ces mécanismes complexes qui, s'ils ne sont
pas repérés et analysés, risquent d'entraîner l'élève vers des difficultés
de plus en plus grandes? Comment peut-il aider l'élève à exercer un
contrôle sur ses procédés, afin d'éviter que la difficulté non dépassée
ne le conduise vers l'échec et l'exclusion.
Pour faire le tour d'un panorama aussi vaste et riche, le livre propo-
se un ensemble de chapitres qui abordent les interrogations énoncées
dans cette introduction.
Le premier s'intéresse à la question de l'apprentissage. Les détermi-
nants essentiels ainsi que les principaux modèles sont rappelés: tous
ne donnent pas même importance à l'usage des stratégies de l'élève,
et par conséquence à l'enseignement du professeur.
Dans le deuxième chapitre, sont présentées les conduites cognitives
des élèves, la capacité de raisonner, la question de l'attention et celle de la
prise de conscience. Les procédures qu'ils mobilisent sont illustrées par
l'étude de productions concrètes, dans le champ des activités fonda-
mentales: l'expression écrite et la résolution de problème.

9
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

Le troisième chapitre aborde le problème de la difficulté ordinaire,


des dysfonctionnements quotidiens qui entravent l'acquisition harmo-
nieuse des notions. Nous distinguons, d'une part, ce qui relève de la
confusion de procédés et qui conduit l'élève à effectuer une tâche
d'une façon inadéquate malgré sa compétence réelle, et d'autre part
ce qui se rapporte à une cause plus profonde, mettant en évidence une
mauvaise construction des structures de la pensée. Plusieurs travaux
d'élèves, donnés en illustration, sont analysés.
Le quatrième chapitre distingue grande difficulté, trouble sévère et han-
dicap. Ce chapitre se justifie, notamment, par les nouvelles dispositions
relatives au handicap. Rappelons que la loi de février 2005 fait désor-
mais obligation à tous les établissements, primaires et secondaires,
d'accueillir et scolariser les enfants handicapés ou atteints de troubles
graves. Après avoir navigué longtemps entre deux rives, celle de l'indif-
férence (enseigner de façon non différenciée) et celle de la compas-
sion (enseigner sous l'angle de la charité), il est important d'engager
une réflexion formative sur ces sujets.
Le cinquième chapitre pose la question de l'aide concrète que le pro-
fesseur peut apporter à l'élève. Quels sont, dans le champ du langage
comme dans le domaine logico-mathématique, les dispositifs possibles
à mettre en place? Il n'est cependant pas de méthodes miracles et les
exemples sont donnés sous l'angle d'une approche critique.
Le sixième chapitre approfondit la question de la posture de l'ensei-
gnant. S'il n'est plus le simple transmetteur d'un savoir de plus en plus
diversifié, comme peut-il penser et mettre en place un enseignement
qui favorise les apprentissages? Comment construire un cours autre-
ment qu'en présentant, de façon formelle, des connaissances abstrai-
tes? Comment mener un bref entretien avec l'élève, après qu'il a réalisé
une tâche, afin de mieux comprendre son fonctionnement?
Le dernier chapitre réfléchit sur les grands modes de l'interaction
professeur-élève: la tutelle, au sens de collaboration active, et la média-
tion, plus distanciée. Il s'arrête également sur ce que peuvent apporter
au professeur l'analyse des pratiques professionnelles et les nouveaux
dispositifs utilisés en formation pour analyser et comprendre des situa-
tions rencontrées à l'école.
L'enseignant est comme le navigateur qui sait que le cap est tenu
au prix de manœuvres délicates. Il progresse dans une mer agitée, lou-
voyant de bâbord à tribord. Le professeur travaille dans sa classe en
utilisant des stratégies diverses et souples, afin d'aider l'élève qui, pour

10
INTRODUCTION

sa part, s'appuie sur des procédures nombreuses et variées. Ce livre


a l'ambition d'accompagner le professeur dans la navigation délicate
de l'éducation scolaire, dont l'un des buts premiers, comme le rappe-
lait Henri Wallon, consiste à «assurer aux aptitudes de chacun tout le
développement dont elles sont susceptibles ».
1
Qu'est-ce qu'apprendre?

Le mot apprentissage est l'un des plus difficiles à définir, dans un do-
maine - celui de l'éducation - où la complexité est une constante.
Remarquons, en premier lieu, qu'apprendre est volontiers confondu
avec comprendre. Nous commencerons par voir s'il est possible de dis-
tinguer les deux termes. En outre, l'apprentissage peut se définir
à partir du comportement de l'élève (visible), comme à partir des
structures de pensée (non visibles) qui sous-tendent ce comporte-
ment. Il peut, aussi, être défini à partir des performances observées
ou des compétences mises en œuvre pour atteindre ces performan-
ces.
Selon les points de vue théoriques choisis, les définitions peuvent
se révéler fortement antagonistes. En conséquence, l'idée de stratégie
d'apprentissage varie, également, en fonction de la définition choisie.
Nous nous limiterons à donner quelques approches essentielles, sans
visée exhaustive, de façon à situer les questions de l'apprentissage et
des stratégies dans un réseau de définitions qui s'alimente autant à
l'approche psychologique qu'à l'entrée plus directement éducative.
Ces deux entrées se complètent utilement pour aider le professeur à
comprendre l'élève lorsqu'il apprend.
Complémentairement, les activités mentales que l'élève mobilise
pour résoudre des tâches scolaires peuvent s'entendre dans une di-
mension universelle, ce qui est identique chez chaque élève qui ap-
prend, mais aussi dans une dimension individuelle, qui se traduit par
l'hétérogénéité des conduites d'apprentissage observées en classe.

13
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

1. DÉFINITIONS DE L'APPRENTISSAGE

Avant de définir l'apprentissage à travers deux entrées possibles, l'une


davantage psychologique et l'autre plus directement éducative, il sem-
ble utile de préciser deux termes souvent confondus: apprendre et com-
prendre.
Apprendre
Situé historiquement, le terme «apprentissage» se réfère,
à l'époque aujourd'hui, autant au champ scolaire qu'aux pratiques profession-
médiévale nelles qui laissent une large place aux acquisitions techniques le plus
souvent transmises par les pairs. Les deux domaines demeurent re-
lativement cloisonnés, avec des degrés de reconnaissance bien dif-
férents. Le vocabulaire contemporain véhicule cette distinction: le
mot apprenti, malgré la proximité, ne désigne pas la même personne
que le terme apprenant. Avant leur quasi synonymie, ces deux mots
eurent longtemps une signification très différente, marquant les diver-
ses étapes de l'apprentissage. Chez Chrétien de Troyes, par exemple,
vers 1175, l' aprentif est celui qui reçoit l'enseignement de l'aprendeor.
L'aprentifdevient ainsi aprenant, c'est-à-dire instruit, selon le sens déjà
utilisé par Benoît de Saint-Maure, dans sa Chronique des ducs de Norman-
die, de 1160.
Aujourd'hui, hors de l'enseignement général, l'apprentissage pro-
fessionnel est sanctionné par une formation qualifiante (CAP, BEP... )
où l'alternance et la maîtrise technique laissent une place détermi-
nante à un mode de transmission fondé sur l'observation et l'imitation.
La mise en activité de l'apprenti est progressive et commence souvent
par des tâches subalternes. Il est fréquemment entendu qu'il convient de
débuter la formation par les tâches les plus simples et d'en augmenter
progressivement la complexité. Dans cette logique, le produit terminé
importe plus que le processus qui y conduit. L'accent est moins mis sur
la compréhension au sens intellectuel, bien qu'elle ne soit pas exclue de
la formation de l'apprenti, que sur l'efficacité du travail produit.
Dans l'enseignement scolaire, durant de nombreuses décennies, au
XIX e siècle et pendant une partie du xx e siècle, la fonction utilitariste a
également présidé aux apprentissages fondamentaux. Savoir lire l'affi-
chage municipal et savoir arpenter un champ étaient des compétences
auxquelles préparait l'école primaire obligatoire. L'accumulation et la
répétition étaient alors des modalités pédagogiques préférées à l'ex-
plication et à l'argumentation, utilisées à un niveau supérieur d'ensei-
gnement. Au milieu du xxe siècle, les progrès dans la connaissance du

14
QU'EST-CE QU'APPRENDRE?

développement de l'enfant et la naissance de la psychologie cognitive


ont bouleversé les conceptions de l'apprentissage. Ainsi furent pro-
gressivement différenciées les tâches strictement d'apprentissage, visant à Apprendre
faire mémoriser, consolider, réinvestir des savoirs ou des savoir-faire et à l'époque
les tâches de compréhension, destinées à faire réfléchir, poser problème, contem-
poraine
amener à forger de nouvelles procédures. Les situations d'application,
dans le premier cas, les situations de recherche, dans le second, tradui-
sent cette différence d'objectifs complémentaires. Cependant, cette
dichotomie reste formelle, les pratiques effectives sont loin d'avoir
évolué au même rythme. Les ambiguïtés demeurent.
Pour René La Borderie, «le terme apprentissage englobe en réalité
des activités plus complexes que celles liées à apprendre: on regroupe
ainsi derrière ce concept tout ce qui relève du comprendre; c'est pour-
quoi certains préfèrent distinguer ces deux activités et parlent d'ap-
prentissage d'une part et de comprentissage d'autre part» (1998, voir
aussi 1994). Il est, ainsi, possible d'identifier deux aspects du terme
apprendre:
- une première acception renvoie au conditionnement et aux
automatismes, elle tend à valider l'idée d'un apprentissage qui se
dispense de compréhension. Pour illustration, songeons au bébé qui
apprend à marcher sans comprendre les multiples relations, entre
le système nerveux et le système musculaire, qui lui permettent de
tenir debout et d'avancer;
- une seconde définition fait intervenir la conscience de celui
qui s'engage dans l'apprentissage. Apprendre à résoudre des
problèmes ne peut se réduire à l'acquisition d'un algorithme de
résolution qui serait identiquement transférable à toute nouvelle
situation, mais nécessite que l'élève mobilise une compréhension
fine dans différents domaines: mathématique, langagier, logique,
cognitif, social...
Le psychologue Jean Piaget a également consacré de nombreuses
pages à cette question en différenciant l'apprentissage qui procède du
réussir et s'adresse au savoir-faire et l'apprentissage qui procède du com-
prendre «ce qui est le propre de la conceptualisation» (1974). Notons
qu'il n'oppose pas les deux aspects mais les considère complémen-
taires : pour lui, la réussite est une sorte de compréhension en action.

15
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

À la suite de ces différents auteurs, l'apprentissage scolaire dont nous


parlons dans ce livre se réfère le plus souvent à la compréhension mais,
cependant, il n'exclut pas, nous aurons l'occasion d'y revenir plus pré-
cisément, certaines activités plus concrètes, fondées sur l'acquisition de
mécanismes.
L'apprentissage, au sens large et malgré toutes les ambiguïtés soulevées
par le terme lui-même, peut alors caractériser tout ce qui regroupe:
- les activités liées à apprendre, au sens classique de mémoriser des al-
gorithmes (encore faudrait-il s'assurer qu'il n'y ait pas intervention de
la compréhension dans cette activité de mémorisation), favoriser des
automatismes, utiliser et appliquer des procédures simples, etc. ;
- les activités liées à comprendre, c'est-à-dire ce qui a trait à la réflexion,
au raisonnement, mais aussi aux échanges verbaux, à la création, à l'in-
novation, à la prise de décision, etc.

ApPRENTISSAGE ET ENTRÉE PSYCHOLOGIQUE

L'entrée psychologique, ici privilégiée, est celle de la psychologie de


l'éducation, au sens donné par René La Borderie (op. cit.) qui distin-
Apprendre gue trois composantes: la psychologie des apprentissages (dans sa di-
et modifier
des compé-
mension cognitive, notamment), la psychologie des sujets (les aspects
tences développemental et génétique) et la psychologie des relations inte-
rindividuelles (on sait l'importance de la dimension sociale dans les
activités d'enseignement-apprentissage). Pour la psychologie, l'appren-
tissage, au sens large défini supra, consiste en une modification de la
capacité d'un individu à effectuer une tâche, sous l'effet d'interactions
avec l'environnement. Le mot peut désigner le processus de modifica-
tion ou le résultat du processus. Les progrès que l'on présuppose d'un
apprentissage sont, notamment, observables par la modification de la
performance.
Ceci posé, une première remarque s'impose: la performance est
elle-même soumise à d'autres facteurs internes, comme la motivation
du sujet, sa vigilance ou sa fatigabilité. Il devient alors difficile d'éva-
luer avec précision ce qui relève strictement du seul apprentissage
dans la modification observée.
Une seconde remarque est relative au fait que l'apprentissage est dé-
pendant de la situation dans laquelle il se déroule. Pour un même ap-
prentissage, certaines situations seront considérées comme facilitantes,
contrairement à d'autres. L'apprentissage se trouve ainsi au cœur d'un
réseau de variables dont les interdépendances agissent sur les effets.

16
QU'EST-CE QU'APPRENDRE?

Comme la plupart des psychologues, Olivier Houdé (1998) distin-


gue deux catégories d'apprentissages: certains sont dits élémentaires,
d'autres sont qualifiés de complexes. Ils renvoient, d'une certaine ma-
nière, à notre définition préalable de l'apprentissage fédérant appren-
dre et comprendre. Pour Houdé, les premiers dépendent des stimuli de
l'environnement, telles les diverses formes de conditionnements; les
seconds sont liés au sens que le sujet attribue aux stimuli. Schémati-
quement, cette distinction a donné naissance à deux types de théories,
situées historiquement:
- le comportementalisme, encore nommé behaviorisme, qui a
exercé son monopole durant la première moitié du xx e siècle;
- le cognitivisme (apparu aux États-Unis) et le constructivisme
(né en Europe) qui ont pris le relais, critiquant et contredisant le
modèle comportementaliste.

Le modèle «traditionnel» du comportementalisme


Pour le modèle, généralement considéré comme traditionnel ou com-
portementaliste, le conditionnement est le mécanisme initial de l'ap- Apprendre
comme le
prentissage. Ce modèle, issu des thèses positivistes, a régné durant
résultat de
toute la première moitié du xx e siècle. Il postule que le sujet adopte répétitions
un comportement directement en réponse à une situation donnée.
Un système de renforcement, positif ou négatif selon le cas, vient sti-
muler le sujet pour l'amener à formuler la réponse adéquate. Toute
une conception de la pratique éducative, y compris dans l'utilisation
d'outils pédagogiques, s'est inspirée de ces principes, depuis l'utilisa-
tion de renforcements (notes, récompenses, punitions... ) jusqu'à l'en-
seignement programmé, les jeux éducatifs ou le soutien à l'écolier en
échec. C'est ainsi qu'une croyance pédagogique, encore bien ancrée,
s'appuie sur l'idée qu'il est nécessaire de proposer à un élève en diffi-
culté des savoirs simplifiés, de façon répétitive et découpés en petites
unités, supposées plus faciles à acquérir. La réalité montre que ce n'est
pas aussi simple. Dans certains cas, la répétition permet de construire
des repères utiles, mais, très souvent, enfermer l'élève en difficulté
dans des comportements de ce type, autour de situations identiques et
dépouillées de tout obstacle, peut le rapprocher d'une réussite tempo-
raire mais l'éloigner d'une compréhension réelle.

17
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

Le modèle nouveau américain du cognitivisme en deux figures fortes: le


symbolisme et le connexionnisme
Le cognitivisme centre la question de l'apprentissage, non sur les
comportements observables, mais sur la planification de l'action et
le traitement des informations recueillies. De ce point de vue, il s'op-
pose au modèle précédent en s'intéressant au fonctionnement de la
pensée. Les auteurs avancent la date de 1948 comme marquant le
début du cognitivisme. Les psychologues présents affirmèrent que
les modèles behavioristes étaient incapables de comprendre en quoi
la pensée pouvait déterminer le comportement. Dès lors, la nouvelle
approche s'imposa dans le milieu de la recherche et se divisa en deux
branches contrastées: le symbolisme et le connexionnisme.
Pour le symbolisme, aussi désigné par l'anglicisme computationnisme
(de l'anglais computer: «ordinateur»), ce sont des symboles, organi-
sés par des règles, qui fondent les mécanismes de pensée. L'infor-
mation est traitée de façon séquentielle, étape après étape, à partir
de modules spécialisés. Le travail est alors ralenti par le traitement
Le rôle du systématique mais il ne laisse aucune place au hasard. Cette approche
cerveau a influencé de nombreux chercheurs, notamment dans le champ de
dans
la neuropsychologie, science qui étudie les rapports entre les activi-
l'appren-
tissage tés mentales et le cerveau, notamment lorsque les personnes sont
atteintes de lésions (le modèle neuropsychologique est développé au
chapitre 4).
Pour le connexionnisme, le cerveau est un ensemble complexe qui
impose un traitement de l'information non pas séquentielle mais pa-
rallèle. Cette complexité implique de prendre en compte le jeu de
connexions entre neurones. Cette approche s'oppose à l'idée des
modules spécialisés du symbolisme, dont le fonctionnement systémati-
que est trop lent, selon les connexionnistes, pour constituer un mo-
dèle opérationnel du traitement de l'information.
Plusieurs chercheurs contemporains proposent des modèles de
traitement de l'information, principalement fondés sur la mémoire,
qui empruntent, synthétisent ou dépassent les deux modèles. Selon
Tulving, la mémoire à long terme (MLT) comporte deux grandes
composantes: la mémoire épisodique (celle des souvenirs concrets)
et la mémoire sémantique (celles des savoirs abstraits). Ce modèle
permet d'expliquer la conduite de certains malades cérébrolésés
qui ont conservé des connaissances sur le monde mais ont oublié
de nombreux souvenirs personnels. Le «modulariste» Tulving arrive

18
QU'EST-CE QU'APPRENDRE?

aux conclusions que ce nouveau modèle de la mémoire fonctionne,


pour une part, en parallèle. Selon McClelland et al. (1995), à partir
du connexionnisme, la mémoire se décompose en deux organisa-
tions distinctes. L'une se situe dans l'hippocampe et correspond, à
peu près, à la mémoire épisodique de Tulving, l'autre se situe dans le
néocortex et effectue un traitement plus lent.

Le modèle nouveau européen du constructivisme


À ces deux conceptions fortes de l'apprentissage, le comportemen-
talisme et le cognitivisme, Annick Weil-Barais (2004) ajoute d'autres
entrées, dont celle du constructivisme. Né dans les années 1950 en Eu-
Apprendre
rope, et toujours fortement présent dans le monde latin, le construc- par la mise
tivisme s'est développé autour des travaux de Piaget et de l'école de en activité
Genève. Il s'oppose au behaviorisme, notamment en ce qu'il recon-
naît le sujet comme acteur agissant dans son apprentissage et non
plus seulement comme sujet subissant son environnement.
Dans cette approche (Piaget, 2001), la pensée humaine est com-
prise comme un ensemble de structures qui s'élaborent au cours du
développement, sous l'influence de deux mécanismes: l'assimilation
et l'accommodation. L'assimilation est intégration de l'objet par le
sujet. Dans ce cas, le schème, peu ou pas conscientisé, intègre la don-
née externe pour être enrichi. L'accommodation est, complémen-
tairement, la modification profonde du schème initial ou la création
d'un nouveau schème. Dans le domaine de l'apprentissage, l'activité
cognitive de l'élève, en tant qu'elle vise à répondre au questionne-
ment de l'environnement, constitue le moteur des acquisitions.
De manière synthétique, il est possible de regrouper les trois ap-
proches psychologiques, et leur prolongement dans le champ de
l'enseignement, dans le tableau comparatif 1.1.

19
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

Tableau 1.1. Les systèmes d'apprentissage, entrée psychologique


Comportementalisme Cognitivisme Constructivisme
Le conditionnement est un La pensée est considérée, La pensée est fondée sur des
mécanisme qui permet au par ce modèle, comme un structures logiques qui l'orga-
sujet de modifier son com- système destiné au traite- nisent. Elles permettent d'ap-
portement à partir du pro- ment de l'information. prendre par interaction avec
cessus stimulus-réponse. le milieu et/ou avec autrui.
L'enseignement découpe L'enseignement prend, L'enseignement privilégie
souvent le savoir en petites notamment, en compte la la mise en place d'activités
unités. Son acquisition, sur compréhension, l'attention, où l'élève sera amené à se
un mode souvent répétitif, le raisonnement ou le rôle décentrer pour construire
est alors facilitée. de la mémoire. des réponses nouvelles.
L'adulte détient le savoir. L'adulte est un expert qui Le questionnement de
Son questionnement a pour vise à permettre au novice l'adulte cherche à déstabi-
objet de vérifier et renforcer d'acquérir davantage d'ex- liser le novice pour lui faire
les acquis de l'apprenant. pertise. prendre conscience de ses
procédés.

Depuis quelques décennies, le paradigme constructiviste classique


s'est enrichi de l'apport de la composante sociale. L'interaction, sour-
Apprendre ce d'apprentissage, est alors moins celle liant le sujet et le milieu (y
avec un compris l'objet de savoir), mais celle liant le sujet à autrui. Leur inte-
autre
raction devient un dispositif susceptible de majorer l'apprentissage de
chacun des deux partenaires.
On passe alors d'un modèle bipolaire de l'apprentissage:
[SUJET OBJET]
à un modèle tripolaire :

[SUJET
interagissant avec OBJET
AUTRUI]
Ce modèle prend toute son importance en situation d'apprentis-
sage scolaire puisque l'élève n'est jamais seul, mais il est inséré dans
un ensemble de réseaux interactifs qui facilite ou complexifie ses pro-
cessus d'acquisition.

ApPRENTISSAGE ET ENTRÉE ÉDUCATIVE


Pour l'éducation, dans le contexte scolaire, l'apprentissage consiste à
s'approprier des savoirs, des savoir-faire, des savoir-être. Selon Hous-
saye (1993), il s'agit d'un processus, qui lie de façon privilégiée l'élève

20
QU'EST-CE QU'APPRENDRE?

au savoir, dans le cadre défini par le triangle pédagogique. Dans ce


schéma tripolaire, la place du mort ou du fou est attribuée à l'ensei-
gnant, contrairement aux processus former (axe professeur-élèves) et
enseigner (axe professeur-savoir) où il intervient plus directement. S'ap-
puyant sur ce cadre, il est possible de relever trois modèles principaux
dans l'apprentissage: celui qui accorde la primauté à l'intériorité de
l'élève, celui qui donne primat aux facteurs extérieurs, celui qui insiste
sur les effets des interactions.
L'importance donnée à l'élève comme auteur de ses apprentissages,
ou auto-structuration (Not, 1988), se retrouve dans certaines théories,
telle maturationnisme (ou théorie du primat biologique) de Gesell. On Trois
grands
parle, à propos de cette approche, de pédagogie du sujet ou pédagogie modèles de
de la première personne. Selon le point de vue maturationniste, c'est l'appren-
le mécanisme biologique de maturation qui régule la croissance. Pour tissage
Gesell, l'enfant, entre 0 et 16 ans, parcourt vingt-quatre étapes. Ce sont
des paliers, immuables, dans le déroulement desquels l'environnement
n'a guère d'incidence puisque la maturation est essentiellement liée
au développement du système nerveux du sujet. Gesell précise que
l'enfant «possède des traits et des tendances constitutionnels, pour la
plupart innés, qui déterminent comment, ce que et,jusqu'à un certain
point, quand, il pourra apprendre» (cité par Tran-Thong, 1980). Dans
une telle conception, le rôle de l'éducation scolaire est minoré puis-
que la prédétermination interne constitue un fort préalable.
Dans la deuxième position, la thèse de l'extériorité est privilégiée. Elle
rejoint, d'une certaine façon, la conception comportementaliste pré-
sentée supra. On parle de pédagogie de l'objet ou pédagogie de la troi-
sième personne. Le savoir est le centre d'apprentissage, l'enseignant
dispense, le plus souvent par transmission impositive, un savoir exté-
rieur à l'apprenant. La prise en compte des besoins particuliers d'un
élève singulier, de ses attentes, de ses désirs, n'est pas prioritaire. Dans
le domaine de l'éducation scolaire, le rôle de transmetteur de savoir
peut-être tenu non seulement par le professeur mais aussi par un autre
médium tel que le livre, l'ordinateur ou le fichier autocorrectif.
La troisième entrée est celle qui privilégie l'interaction entre les
deux conceptions précédentes, ou interstructuration, dialectisant le rap-
port sujet-objet. Elle considère que les facilitateurs de l'apprentissage
ne sont ni l'objet seul ni l'élève seul mais leur interaction structurante.
D'un point de vue constructiviste, le mécanisme d'assimilation et d'ac-
commodation implique que le professeur se préoccupe des relations

21
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

entre les structures logiques et infralogiques de l'élève, d'une part, et


le savoir enjeu, d'autre part, sans perdre de vue les conditions contex-
tuelles et sociales de la réalisation de la tâche.
L'importance de la composante sociale, comme facilitateur de l'ap-
prentissage, fut particulièrement étudiée par Doise et Mugny (1997)
ainsi que par Perret-Clermont et Nicolet (2001) qui ont défini le
concept de conflit sociocognitif et ses conditions d'émergence. Pour ces
Appren- auteurs, il ne suffit pas de mettre ensemble deux ou plusieurs élèves
tissage et pour que le regroupement majore l'apprentissage. Il est nécessaire de
coopéra-
tion
réunir plusieurs conditions pour que le fonctionnement groupaI pro-
fite à tous. Parmi celles-ci, il y a la nécessité pour chaque interactant
de connaître l'objectif visé, de se mobiliser pour y parvenir, d'avoir
la volonté de travailler ensemble et de coopérer, soit sous forme de
collaboration (mobilisation des énergies en un même cheminement),
soit sous forme de confrontation (exposition au point de vue de
l'autre, à sa critique). Ce courant est alimenté par les travaux théo-
riques de Vygotski et de Bruner. Un autre courant américain, celui
du «constructionnisme », se définit de façon assez proche: il se veut
prolongement critique du constructivisme initial de Piaget. Son repré-
sentant principal est Papert, mathématicien qui travailla longtemps au
Centre d'épistémologie de Genève, et qui fut le concepteur du langage
informatique LOGO.
Il est possible de mettre en perspective ces trois approches, dans le
tableau 1.2.

Tableau 1.2. Les systèmes d'apprentissage, entrée éducationnelle


Auto-structuration Hétérostructuration Interstructuration
Le centre de l'apprentissage Le centre de l'apprentissage Le centre de l'apprentissage
est l'élève (le sujet) est le savoir (l'objet) est l'interaction élève-savoir
(sujet-objet)

L'apprentissage s'effectue L'apprentissage résulte de L'apprentissage se fonde sur


par l'observation ou par la transmission de savoir. Le la construction du savoir par
l'expérience. Celle-ci peut professeur joue un rôle pre- l'élève, soit en interaction
être soit individuelle soit mier, comme détenteur du avec son milieu soit en inter-
collective. savoir. action avec autrui.
L'enseignant peut rester Le mode de transmission Le professeur organise la
en retrait de l'activité de peut être traditionnel et situation. L'interaction entre
l'élève. frontal ou moderne : la péda- pairs est un moteur de l'ap-
gogie par objectifs s'intègre à prentissage.
cette entrée.

22
QU'EST-CE QU'APPRENDRE?

Auto-structuration Hétérostructuration 1nterstructuration


Méthodes non directives, Méthodes transmissives, Méthodes constructives,
inspirées, par exemple, des inspirées du philosophe inspirées des travaux de
travaux de Rogers ou des Alain ou des recherches de Piaget, de Vygotski, de Perret-
pratiques de Neill. Skinner. Clermont.

Il est possible d'établir un lien entre entrée psychologique et entrée


éducationnelle autour de deux grands modèles d'apprentissage sco-
laire : l'un favorisant un apport de savoir extérieur à l'apprenant, ins-
piré des modalités utilisant plus ou moins le Itonditionnement; l'autre
considérant l'interaction comme structuranfe, fondée sur une appro-
che constructive où la dimension sociale est plus ou moins marquée.
Le choix du modèle est déterminant car il engage la pratique de
l'enseignant dans un sens qui, dans un cas, donne primat au savoir et
à la manière de l'enseigner (modèles de type comportementaliste),
qui, dans l'autre cas, centre l'activité du professeur sur les besoins de
l'élève et les processus qu'il met en œuvre (modèles de type construc-
tiviste). Selon la pratique choisie, le regard porté sur l'élève, sur son
apprentissage, sur ses stratégies mobilisées, sera différent.

Il. LES COMPOSANTES DE L'APPRENTISSAGE

Les définitions qui précèdent montrent la diversité des regards sur la


façon dont l'élève apprend. Elles s'inscrivent toutes dans des réalités
historiques, théoriques et contextuelles qui les justifient. Quelle que Comment
soit l'entrée choisie par le professeur, un certain nombre d'interro- l'élève
gations surgissent auxquelles il lui faut apporter des réponses. Selon apprend-il ?
l'approche choisie, le point de vue sera différent. Certaines pratiques
pédagogiques permettent-elles d'engager l'élève dans les acquisitions,
avec plus de cohérence? Comment utiliser l'erreur de l'élève? Existe-
t-il des conditions préalables à l'apprentissage? L'influence du groupe
est-elle de nature à modifier le travail de l'élève? Ces différents points,
composantes incontournables de l'acte d'apprendre, sont évoqués
dans cette deuxième partie.

LES PRATIQUES PÉDAGOGIQUES FAVORISANT L'APPRENTISSAGE


Depuis la loi d'orientation du 10 juillet 1989, toutes les instructions
ministérielles promeuvent des pratiques scolaires qui renforcent le

23
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

rôle de l'élève, acteur de sa formation, à partir de rythmes et des be-


soins particuliers auxquels le professeur doit répondre. Les pratiques
d'enseignement «traditionnelles », celles ayant pour principal objet
l'accumulation indifférenciée de connaissances et celles consistant à
attendre que l'élève soit prêt à apprendre, laissent la place aux dispo-
sitifs plus attentifs à l'écolier et susceptibles de le placer en situation
de réussite: « [... ] la seule règle est le regard positif porté sur l'en-
fant, même en extrême difficulté. Les maîtres doivent donc veiller à
mettre en valeur les résultats déjà atteints plutôt que les manques»
(MEN, 2002). La circulaire 90-082 du 9 avril 1990 indiquait déjà que,
si l'écolier rencontre des difficultés, «la première aide à apporter»
relève du maître. La difficulté est davantage comprise comme un mo-
ment de l'apprentissage que comme un acte sanctionnable.
Est-il possible de caractériser des pratiques pédagogies qui, confor-
mément aux instructions ministérielles, sont orientées vers l'activité
cognitive de l'élève? Selon Marguerite Altet (1997), pour parvenir à
l'objectif d'un apprentissage soucieux de la réussite de tous les élèves,
certaines pédagogies sont plus efficientes que d'autres. Elle dégage
plusieurs critères caractérisant ces «pédagogies de l'apprentissage ».
Celles-ci s'appuient sur des repères théoriques qui, en rupture avec les
conceptions behavioristes du conditionnement, sont ceux du construc-
tivisme ou de l'interactionnisme. Le schéma piagétien de l'activité co-
gnitive du sujet apprenant est avancé. Il est, en outre, prolongé par
l'apport de l'interaction sociale tel que défini par la perspective vygots-
kienne du développement.
Pour Vygotski (1985), la transmission sociale est la médiation indis-
Vygotski
et la zone pensable à l'apprentissage. Le concept de zone de proche développement
de proche renvoie à l'idée que l'élève, lorsqu'il est accompagné par un pair ou
développe- un adulte, peut être sollicité au-delà de son potentiel cognitif exprimé.
ment L'appropriation d'une connaissance et, conséquemment, le dévelop-
pement du sujet, s'opère en deux temps: d'abord une construction
avec autrui, ensuite une reconstruction, seul. L'enseignant se décentre
de son pôle d'enseignement pour mieux développer son rôle d'inter-
médiaire entre l'élève et le savoir. Le professeur n'est plus dispensateur
de connaissances mais il tient un rôle d'accompagnateur. Les deux
conduites de l'entraide maître-élève sont la médiation et la tutelle.
La différence entre ces deux notions ne fait pas consensus au sein
de la communauté. Nous aurons l'occasion de présenter, plus loin, les
éléments du débat. Disons, pour le moment, que nous considérons

24
QU'EST-CE QU'APPRENDRE?

avec Bruner (1983) que l'étayage de tutelle est davantage un mode


où l'intervention de l'enseignant est comprise comme une forme de
«collaboration» avec l'élève en activité. Complémentairement, nous
définirons la médiation comme marquant davantage une distance de
l'adulte vis-à-vis de l'écolier lorsqu'il réalise la tâche. Cette distance ne
signifie ni désintérêt ni indifférence mais elle manifeste le souci de ne
pas intervenir quand l'élève exécute l'activité.
Dernière caractéristique qu'avance Marguerite Altet (op. cit.) pour
L'appren-
définir les pédagogies de l'apprentissage, ces pratiques permettent à tissage
l'élève de développer sa réflexion sur ses procédures. Elles se situent réflexif
dans une perspective métacognitive. Il s'agit moins d'amener l'élève à
réussir sa tâche que de le conduire à comprendre ce qui a généré la
réussite ou l'échec.
L'un des dispositifs utilisés pour équiper l'élève de cette réflexivité
est de provoquer la mise en mots de son activité. Deux types de parole
peuvent être provoqués. Le questionnement de l'enseignant amène
le sujet à produire une parole descriptive, qui permet de rétablir la
chronologie de l'activité passée, les questions commençant prioritai-
rement par «comment». Les échanges visent à produire une parole
argumentative qui s'oriente sur l'élucidation des causes du choix des
procédures utilisées: le questionnement commence alors souvent par
«pourquoi ».

LE RÔLE DE L'ERREUR DANS L'APPRENTISSAGE


Il est une autre caractéristique importante à mentionner et qui marque
la différence entre les deux grands modèles d'apprentissage scolaire:
il s'agit de la conception de l'erreur.
Dans une pratique focalisée sur l'accumulation de connaissances
et sur la performance observable, l'erreur est l'image inversée de la
réussite. Elle peut être sanctionnée par la note qui est le curseur du
degré de performance. Elle est prise en compte de façon négative,
indiquant les lacunes sans donner les moyens d'y remédier. Elle est in-
terprétée comme la manifestation d'une incompréhension passagère
(nécessitant une accumulation supplémentaire), d'une paresse (à la-
quelle la correction est supposée remédier) ou d'une insuffisance plus
ou moins ancrée (le redoublement ou l'écartement du cursus étant les
solutions les plus courantes). L'erreur porte le plus souvent le nom de
faute, renvoyant au schéma d'une culpabilisation impliquant pénitence
et repentance.

25
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

À l'opposé de cette approche, deux éléments principaux carac-


térisent le statut de l'erreur dans les pédagogies de l'apprentissage.
D'une part, le droit à l'erreur est reconnu et celle-ci est utilisée com-
me indicateur traduisant «la démarche authentique de la pensée en
évolution» selon Inhelder, Sinclair et Bovet (1974). On trouve cette
conception dans grand nombre de pratiques d'apprentissage ou de
remédiation (pour exemples, Barth, 1987; Higelé, 1997). D'autre part,
Le rôle de
l'erreur la démarche bachelardienne postule que l'erreur est consubstantielle
à l'apprentissage. La rencontre de l'élève avec de nouveaux obstacles,
souvent provoqués par l'enseignant, est destinée à lui faire non pas ac-
quérir un nouveau savoir, mais «changer de culture» et «renverser les
obstacles déjà amoncelés par la vie quotidienne» (Bachelard, 1993).
L'apprentissage devient dépassement d'une erreur dont le caractère
est clairement structurant. L'erreur est même considérée comme «un
outil pour enseigner» (Astolfi, 1997).

LES PÔLES QUI STRUCTURENT L'APPRENTISSAGE


Le choix d'un modèle pédagogique et la pratique de l'enseignant dé-
terminent, pour une part, l'apprentissage engagé. Outre ces aspects,
les conditions élargies, déterminant l'acte d'apprendre, peuvent être
groupées en trois pôles qui loin d'être séparés les uns des autres sont
le plus souvent en interdépendance.

Le pôle individuel
Il concerne l'élève en tant que sujet apprenant qui, se trouvant à une
certaine étape de son développement, est confronté à une tâche. Les
composantes de ce pôle, que l'élève sollicite pour parvenir à l'objectif,
sont principalement au nombre de trois.
La composante cognitive: les principales fonctions sont relatives au
développement de la pensée, dans ses aspects logiques (comparer, ran-
ger, classer... ) et infralogiques (se repérer dans le temps et l'espace) ; à
la capacité de l'élève à comprendre l'information donnée, à la traiter
dans le contexte, à la contrôler; etc. La maîtrise langagière est aussi
une condition de l'apprentissage même si elle ne dépend pas unique-
ment de la composante cognitive.
La composante conative, moins directement visible, est aussi présente
en situation d'apprentissage: il s'agit de la confiance en soi, plus ou
moins grande, que manifeste l'élève; de l'image qu'il a de lui-même
et qu'il pense que les autres ont de lui; de la motivation qui influence

26
QU'EST-CE QU'APPRENDRE?

le degré d'investissement dans la tâche-; du niveau d'internalité dans


l'attribution, par l'élève, de sa réussite ou de son échec; etc.
La composante affective, souvent rattachée à la précédente, tient éga-
lement toute sa place. L'investissement et le lien que l'élève noue avec
l'école, avec ses pairs, avec son professeur peuvent constituer une
condition de la réussite.

Le pôle social
Il concerne le sujet en ce qu'il appartient à divers groupes et struc-
Les com-
tures où l'influence d'autrui est présente et regroupe les structures posantes
importantes, telle milieu culturel auquel l' élève appartient, telles sociales de
la famille et la représentation de l'école dans famille de l'élève, l'apprentis-
etc. L'appartenance des parents de l'élève à une catégorie sociopro- sage
fessionnelle a aussi une influence sur sa réussite, mais il ne faut ce-
pendant pas prendre ce critère au sens d'un déterminisme absolu.
On note, à partir d'indications données par le ministère de
l'Éducation nationale, à la suite des évaluations annuelles réalisées
en classe de sixième, que les enfants de professeurs et de cadres su-
périeurs ont une réussite nettement supérieure à celle des enfants
d'ouvriers ou d'agriculteurs (statistiques présentées dans le livre
d'Annick Weil-Barais, 2004). Cependant, le constat ne confère pas
un caractère déterminant au phénomène car de nombreuses réus-
sites paradoxales et de multiples contre-exemples sont enregistrés.
Il semble, en effet, que d'autres facteurs, propres aux relations de
proximité entre pairs ou au caractère singulier d'une classe, puis-
sent contrebalancer les effets a priori négatifs d'une origine socio-
professionnelle.

Le pôle contextuel représente ttenvironnement direct de ttéco/e.


La capacité pour l'enseignant de mobiliser ses élèves autour de situa-
tions motivantes et significatives est une façon de favoriser l'enrôle-
ment dans les apprentissages. L'importance de la singularité de ce qui
se joue dans une classe, et non dans une autre, se traduit à travers
l'effet-maître ou l'effet-classe, détaillés plus loin. De même, la présen-
tation du savoir, la qualité des transpositions dans les mises en scènes
proposées, le degré de difficulté retenu par le professeur comme sup-
portable par l'élève, sont des éléments importants sur lesquels nous
reviendrons dans les prochains chapitres.

27
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

Toutes ces conditions, réunies en trois pôles, sont à considérer dans


leur autonomie et leur singularité, mais aussi dans leur transversalité
et leur mise en perspective constante.

LES STRATÉGIES DE L'ÉLÈVE DANS UN APPRENTISSAGE DE TYPE


COMPORTEMENTALISTE
Dans une optique compC?rtementale, la stratégie d'apprentissage est
comprise comme acquisition d'une façon de procéder, aisément trans-
férable en vue d'une optimisation du résultat. Il s'agit d'aboutir à un
produit fini. Le philosophe Alain (1976) exposait cette idée lorsqu'il
écrivait:
«Les nombres sont des mécaniques en un sens. J'ajoute un, et encore un;
le comptable joint et sépare comme le mécanicien joint et sépare [... ].
Puisqu'une machine à compter est possible, une machine à raisonner
est possible. Et l'algèbre est déjà une sorte de machine à raisonner; vous
tournez la manivelle, et vous obtenez sans fatigue un résultat auquel la
pensée n'arriverait qu'avec des peines infinies.» (op. cit., «Propos LXV»).

Ce point de vue insiste sur la nécessité d'efficacité et de réussite et


Appren- non sur celle de compréhension. Instruire signifie alors doter l'élève
tissage par de mécanismes performants qu'il est à même d'appliquer dès que la
reproduc- situation le demande. Une telle perspective correspond à un enjeu
tion
social qui vise à former de futurs citoyens obéissants et prêts à ser-
vir efficacement. Il ne s'agit pas, dans cette optique, de détruire en
l'élève tout sens critique mais plutôt d'élever la pensée par la maîtrise
de nombreux automatismes. «Autant que je veux mettre ces enfants
en état de gagner leur vie, je les dresse comme on dresse des singes»
(id., «Propos LXIII»). Cependant, le philosophe nuance son propos:
«Mais je réserve des heures aussi pour la pensée» (ibid.).
Alain représente un courant de la pratique pédagogique qui, sans
revendiquer aujourd'hui le «dressage» de l'élève, cherche à dévelop-
per des comportements performants. Est privilégiée l'appropriation
de stratégies, jugées transférables à l'identique car fondées sur la ré-
pétition, sur l'idée qu'apprendre consiste en une dynamique allant du
simple au complexe, que l'accumulation progressive de connaissances
est le meilleur moyen d'en faciliter l'appropriation globale.
La stratégie se rapporte, dans cette hypothèse, à un mécanisme.
Pourtant, il n'est pas certain que l'élève la réinvestisse lorsque le
contexte change. Par exemple, la répétition, lors d'activités de gram-

28
QU'EST-CE QU'APPRENDRE?

maire, d'un certain nombre de procédures identifiant une difficulté


- comme différencier l'écriture de la préposition à de celle du verbe
a - se fonde moins sur la compréhension du sens de chaque mot que
sur l'apprentissage d'une procédure visant à réussir. Cette procédure
consisterait ici dans le fait que le remplacement par avait est possible,
Le rôle de
alors il faut écrire a: il s'agit du verbe avoir. La stratégie de substi-
la réussite
tution, qui évacue la recherche d'une causalité, qui économise la ré-
flexion au profit d'une application, peut aider certains élèves lors de
tâches précises. Il reste à montrer que tous peuvent en tirer un réel
profit. Certains élèves peuvent devenir performants pour les exercices
à trous (compléter par a ou à), mais rien n'indique qu'ils seront aussi
compétents pour différencier et écrire correctement ces deux mots
dans un texte ordinaire ou un résumé, c'est-à-dire dans un contexte
différent de celui du travail initial.
Instituer un système d'apprentissage dans lequel toute acquisition
de stratégies se réduit à la maîtrise d'automatismes risque d'aboutir à
une pratique réduite de l'éducation.
Cependant, il ne faut pas, à l'opposé, refuser toute modalité d'ap-
propriation de mécanismes. Les grands apprentissages fondamentaux
(lire, écrire, résoudre des problèmes) nécessitent qu'un certain nom-
bre de préalables soient automatisés pour libérer l'attention et l'éner-
gie cognitive vers des tâches essentielles. La maîtrise automatisée des
tables de multiplication comme la connaissance des règles d'accords
sont indispensables pour que l'écolier puisse se centrer sur la recher-
che des relations au sein du problème à résoudre ou sur l'organisation
chronologique du texte à rédiger.

LES STRATÉGIES DE L'ÉLÈVE DANS UN APPRENTISSAGE


DE TYPE CONSTRUCTIVISTE

Selon le point de vue constructiviste, ce terme étant pris ici au sens


large, il faut distinguer réussir de comprendre, produit de processus. La
stratégie, lorsqu'elle répond à la définition donnée en introduction,
Le rôle de
est plutôt envisagée comme liée à la compréhension. Elle concerne la compré-
la façon d'aboutir à l'objectif de la tâche, elle s'attache plus à la com- hension
pétence (ce qui est mobilisé pour parvenir au résultat) qu'à la per-
formance (l'exactitude du résultat). Dans cette perspective, on ne
propose pas à l'élève une notion qu'il connaît et qu'il va répéter; au
contraire, le professeur met volontairement en place une situation
qui confronte l'élève à un obstacle nouveau. Le postulat bachelardien

29
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

sur lequel s'appuie cette démarche (Astolfi, Peterfalvi et Vérin, 1998;


Fabre, 1999) se traduit dans le fait que la confrontation à l'obstacle
L'obstacle est susceptible d'amener l'apprenant à modifier profondément ses
de
représentations et ses stratégies anciennes. Michel Fabre (op. cit.) dis-
Bachelard
tingue l'obstacle de la difficulté. L'obstacle ne résulte pas du manque
de connaissance mais du fait que la connaissance est contextualisée et
donc génératrice d'erreurs lorsque sollicitée hors contexte initial. Il se
singularise de la difficulté qui est davantage liée au manque de connais-
sance ou à la trop grande complexité de la situation. L'un des obstacles
les plus typiques, volontairement placé par le professeur sur le chemin
de l'apprentissage de l'élève, est le puzzle de Brousseau (1998), utilisé
en mathématiques.

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8 Cin 8 enl
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Figure 1.1. Version simplifiée du « puzzle de Brousseau»

La version présentée ici (IREM de Rennes, 1997) (fig. 1.1) est simpli-
fiée, afin d'être proposée avec profit aux élèves de cycle moyen. La
consigne qui leur est donnée est la suivante:

30
QU'EST-CE QU'APPRENDRE?

Ce puzzle comporte quatre pièces. Il faut fabriquer un autre puzzle,


plus grand, en respectant la consigne suivante: un segment de 4 cm de
la figure donnée devra mesurer 6 cm sur la nouvelle figure. Construire
chaque pièce et reconstituer le nouveau carré avec les quatre pièces
agrandies. Comment as-tu trouvé les nouvelles mesures?
La situation est donnée quand les élèves de cycle 3 découvrent la
proportionnalité. Il est suggéré que les écoliers travaillent par groupe,
chaque membre du groupe réalisant un agrandissement. Il est atten-
du que chacun procède, prioritairement, par itération additive et non
par utilisation d'un schème multiplicatif. Lors de la mise en commun
des recherches individuelles, l'assemblage des pièces agrandies sur le
mode additif aboutit à un puzzle impossible à reconstituer. L'objectif
de la séquence est de déstabiliser l'élève afin qu'il crée une nouvelle
stratégie et élabore ainsi une première approche de la proportionna-
lité.
Au regard de la définition de la stratégie d'apprentissage, un certain L'élève,
acteur de
nombre de critères sont identifiés qui permettent de rendre l'élève
son appren-
acteur dans la construction de son apprentissage: tissage

- la situation met l'élève en état de disponibilité. Il s'agit de


solliciter des procédures connues qui, parce qu'elles ne fonctionnent
pas dans le cas présent, nécessitent d'en créer de nouvelles. Le
puzzle, en outre, s'appuie sur une coopération entre élèves, ce qui
confère une dimension sociale à la réalisation de la tâche;
-l'activité d'agrandissement du puzzle met l'élève en situation
de constater les procédures qui ne fonctionnent pas, de les inhiber
et de choisir ou créer une meilleure stratégie. L'apprentissage ne
résulte plus de l'application d'une procédure mais du choix dans
un répertoire de procédures dont certaines sont disponibles et
d'autres sont à créer. Contrairement au modèle pédagogique de
type comportementaliste, l'activité cognitive ne consiste pas à
appliquer une stratégie enseignée par le professeur mais à ce que
l'écolier découvre et teste une nouvelle stratégie;
- cette tâche place l'élève en situation de contrôle direct, sans
passer par le professeur. L'écolier évalue lui-même sa stratégie en
réalisant son activité. Pour un groupe de quatre élèves, si chacun
effectue l'agrandissement d'une partie, par itération additive,
l'assemblage ne correspond pas à l'agrandissement de la figure
initiale. Le contrôle est alors immédiat qui invalide la stratégie

31
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

adoptée et implique de chercher de nouvelles procédures. Le


professeur n'a pas à porter un jugement sur le travail effectué, il
réserve ses interventions à la relance de l'activité, à l'encouragement,
à l'incitation aux échanges entre pairs. Il peut promouvoir un débat
argumenté au cours duquel chaque groupe présente à l'ensemble
de la classe sa façon de procéder, ses tâtonnements, ses choix.

QU'EST-CE QUE LE CONTRAT DIDACTIQUE?

Ce qui prime, dans une telle pratique, est que la situation dans laquelle
l'élève est placé lui permette d'agir de façon authentique. Il agit soit
seul soit en interaction sociale, avec le professeur ou avec les autres
élèves, dans le cadre d'un groupe. Dans la situation du puzzle, le statut
de chacun est à clarifier. Selon que le statut de l'enseignant est fondé
sur l'autorité ou sur l'interaction, l'action de l'élève sera différente.
Dans le premier cas, le statut de l'enseignant fondé sur l'autorité, il
Ce que est attendu que le professeur, détenteur du savoir, transmette celui-ci
l'élève
attend du aux élèves, à partir de supports ou de modalités diverses, eux-mêmes
professeur faisant l'effort nécessaire pour accéder à la connaissance transmise.
Ce que les uns (élèves) attendent de l'autre (le professeur) et récipro-
quement, le plus souvent non explicite, non verbalisé, est le contrat
didactique, «système d'obligations réciproques», selon l'expression de
Brousseau.
Dans le second cas, le statut de l'enseignant fondé sur l'interaction,
qui correspond davantage au modèle d'apprentissage par la mise
en construction active du savoir par l'élève, le contrat didactique est
d'une certaine façon rompu. Dans la situation du puzzle, il n'est plus
question, pour l'enseignant, de transmettre ni d'évaluer. L'évaluation,
au sens sommatif du terme, n'intervient pas en situation de décou-
verte ou de recherche. Le fait que la validation résulte de la tâche
elle-même, donc résulte d'objectivation, rend caduque l'intention di-
dactique telle que le professeur peut l'exprimer, y compris à travers ses
non-dits. Ces situations sont nommées «adidactiques ». Cela ne signifie
pas que l'on quitte le terrain de la didactique, au contraire, mais que
l'on a opéré une rupture entre les situations d'application, nécessitant
de se conformer au désir du professeur, et les situations problèmes
nécessitant de trouver une réponse conforme à l'exigence de la tâche
et du savoir en jeu.

32
QU'EST-CE QU'APPRENDRE?

Ce type de situation, où l'élève est l'acteur premier de la construc-


tion en coopération avec ses pairs, inclut une phase plus large d'échan-
ges, collectivement, visant à construire une culture commune. Ce mo-
ment annonce une nouvelle phase de travail qui permet à l'enseignant
d'institutionnaliser le savoir découvert. Il lui revient de dégager, à par-
tir de la situation vécue, le concept ou le théorème qui fait que la tâche
contient sa propre logique scientifique et qui facilite les réinvestisse-
ments futurs.

Problème absurde qui permet de mieux comprendre la stratégie de


l'élève
Les effets du contrat didactique sont observables dans de multiples cas. Lors
d'une recherche antérieure, nous avions posé à plusieurs classes de CM2 un
problème directement inspiré de «l'âge du capitaine» de Baruck (1992).11 s'agis-
sait du problème suivant: «Dans une classe, il y a huit rangées de quatre tables.
Quel est l'âge de la maîtresse?»
Un très grand nombre d'élèves (tous types d'école confondus: rural, centre-
ville, ZEP) répondait: «La maîtresse a 32 ans.»
Nous avons ensuite mené des entretiens avec quelques-uns de ceux qui avaient
L'impor-
fourni cette réponse. Il ressort que la majorité d'entre eux a parfaitement com-
tance de la
pris l'absurdité du problème qui est qualifié de «bête» par certains, d'« impos- demande
sible» pour d'autres. Cependant, comme il est proposé par un adulte, les élèves du
l'effectuent: «il faut bien donner une réponse» dit l'un de ceux que nous avons professeur
interrogés. Ils utilisent, alors, les nombres de l'énoncé pour les mettre en rela-
tion et les opérer avec une certaine pertinence. Lorsque, en cours d'entretien,
nous leur posons la question sur les raisons qui les ont poussés à effectuer une
multiplication, ils répondent «une maîtresse ne peut pas avoir 12 ans ». Il y a
donc, au-delà de l'aspect absurde, une vraie réflexion sur les quantités et leurs
relations afin d'évaluer la pertinence d'une réponse (issue de la multiplication)
ou l'impossibilité d'une autre (résultant de l'addition).
Ces réponses montrent que les élèves interrogés ne sont pas aussi naïfs qu'on
l'imagine. Les entretiens indiquent que les écoliers manifestent une certaine
lucidité, seulement ils ne peuvent ou ne veulent dire leur doute et leur désac-
cord. Ils ne remettent pas en cause explicitement, ouvertement, ce que dit ou
demande l'enseignant. La force du contrat didactique, non verbalisé, empêche
les élèves de s'exprimer. Ils considèrent qu'il faut se couler dans un moule déter-
miné par le rapport qu'ils considèrent comme défini a priori par l'enseignant.
L'espace relationnel habituel et l'espace verbal ordinaire ne permettent pas
l'exercice, par l'élève, de son sens critique.
Cette situation mathématique du problème absurde a fait l'objet de nombreuses

33
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

recherches. De multiples variantes ont été étudiées, notamment par 1'1 REM de
Grenoble, avec un troupeau de moutons, des chiens de garde... et l'âge du
berger. Indépendamment des personnages mis en scène, les constats effectués
sur les représentations des élèves sont souvent les mêmes:
- l'objectif premier des élèves, en résolution de problème, est de répondre à la
question posée;
- ils trouvent une réponse, qui leur semble acceptable, en utilisant l'algorithme
qui leur paraît le plus pertinent;
- plus largement, en situation d'apprentissage, il appert que l'important, selon
eux, consiste à donner une réponse à l'exercice, au problème ou à la question
du professeur, à faire son « métier d'élève»;
- le savoir s'apprend du professeur, qui en est le détenteur premier;
- la réussite est plus importante que la compréhension;
- se tromper est une faute à éviter à tout prix, etc.

Les représentations, qui renvoient à des modèles d'apprentissage


«traditionnels », paraissent en décalage avec les pratiques préconisées
par les directives ministérielles, qui se réfèrent à des modèles plus ac-
tifs. Ce qui pose question autant sur les préconisations officielles que
sur les pratiques constatées.
Ressort, cependant, de ces recherches le fait que les élèves disposent
de lucidité et de compétences qui ne sont guère prises en compte. Ils
sont en capacité de mobiliser des stratégies pertinentes, mais certaines
pratiques pédagogiques, surtout lorsqu'elles ne sont pas explicitées,
L'ensei-
entravent leur compréhension, déforment ou interdisent même de
gnant construire des apprentissages critiques.
accompa- Le rôle de l'enseignant, dans le modèle de pratique active, n'est
gne l'élève plus celui du transmetteur qui évalue un résultat. C'est l'effectuation
de la tâche qui permet de valider ou non l'action de l'élève. Le rôle
du professeur demeure, cependant, important car il veille à mettre en
place une situation dont le caractère structurant (contrat explicité, tra-
vail et échanges en groupe, droit à l'erreur et au tâtonnement, absence
de jugement magistral, production des justifications pour les procédu-
res utilisées ... ) évite que l'obstacle ne se transforme en difficulté ou
en blocage pour certains élèves. Cette pratique nécessite aussi que le
professeur connaisse les stratégies disponibles, connues et employées
par les élèves, afin de les accompagner dans la création de coordina-
tions nouvelles.

34
QU'EST-CE QU'APPRENDRE?

III. LES ACTIVITÉS MENTALES MOBILISÉES


LORS DE L'APPRENTISSAGE

Dans la conception psychologique définie par Piaget, la capacité d'ap-


prentissage de l'élève dépend directement du niveau de développe-
ment de sa pensée. Le point de vue du psychologue biélorusse Vygotski
est inverse: le développement de la pensée est favorisé par les appren-
tissages engagés. Moins linéaire et moins univoque, la conception ac-
tuellement entendue montre que les deux points de vue se complètent
plus qu'ils ne s'opposent: développement de la pensée et apprentis-
sage s'alimentent l'un l'autre. C'est cette relation, souvent complexe,
entre pôle d'apprentissage et pôle développemental qui fait l'objet de
la troisième partie.
Comprendre l'élève qui apprend, pour l'aider dans ses acquisitions,
nécessite de savoir en quoi consistent les structures de l'intelligence,
comment se constituent les schèmes (qui sont les briques élémentaires
de la pensée logique), comment identifier ce qui est identique chez
chaque élève et ce qui diffère, ce que sont les stratégies de détour qu'il
mobilise parfois. L'une des clés de l'apprentissage se situe dans ces
explications.

LE DÉVELOPPEMENT DE LA PENSÉE:
LA COMPOSANTE COMMUNE À TOUS
Les étapes du développement de l'intelligence sont identifiées. La La théorie
théorie piagétienne les a précisées. Il convient, cependant, de les pren- de Piaget
dre comme étapes souples, à la succession non linéaire, susceptibles de
modulations, les indications d'âges n'étant pas normatives mais seule-
ment indicatives.

Llin te lIigence sensori-motrice


La première période de la vie (de la naissance à 2 ans environ) est mar-
quée par la découverte du monde à travers les actions engagées, l'ac-
tion étant une activité matérielle et pratique du sujet sur l'environne-
ment. L'enfant structure ainsi progressivement le réel qui l'entoure.
Il construit les premières conservations: l'objet existe (il est conservé)
hors des cadres perceptifs. La permanence de l'objet (existence de l'objet
en dehors de la perception) entre dans ce cadre. Il commence aussi à
construire un invariant: le déplacement spatial ne modifie pas l'objet (dépla-
cer une boîte ne change pas le statut de l'objet qui y est inclus). Cette

35
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

étape (généralement construite vers 6 ou 8 mois, et même avant, selon


certains auteurs) est importante car, par la suite, l'enfant peut com-
prendre que l'orientation spatiale d'un objet n'affecte pas le concept
lui-même.
Piaget parle de «groupe des déplacements» pour définir cette struc-
turation en acte. Le «groupe des déplacements» réunit plusieurs ca-
ractéristiques importantes: l'une conduira l'enfant vers la réversibilité
d'abord en acte puis mentale (effectuer le déplacement de A vers B
implique la possibilité d'effectuer le déplacement inverse de B vers
A).

La pensée préopératoire
À la phase de construction du réel par les actions du sujet sur celui-ci,
succède une phase de construction par opérations, celles-ci étant des
ensembles d'actions intériorisées, réversibles, qui se coordonnent en
des systèmes. Cette période se prépare lors d'une étape dite préopéra-
toire (de 2 à 6 ans environ) au cours de laquelle se développe ce que
Piaget (2001) nomme «la fonction symbolique» : il s'agit de la capaci-
té d'évoquer des objets ou des situations, en se servant de signes ou de
symboles. Parmi les grandes conduites symboliques, il y a l'imitation, le
jeu, le dessin, le langage. La pensée devient alors «intuitive ».

La pensée opératoire concrète


La différence entre pensée intuitive et pensée opératoire concrète (de
6 à 12 ans, environ) tient à ce que l'action intériorisée est liée aux
Les modes
transformations et non plus aux seules manipulations de l'objet. Ce-
de pensée
pendant, cette intériorisation n'est possible que parce que le sujet utili-
se encore des supports concrets. La transformation prend un caractère
de réversibilité qui,jusqu'alors en acte, devient mentale. Elle entraîne
la construction d'invariants qui fondent de nouvelles conservations.
Le triangle va être conceptualisé dès que l'élève identifie ses proprié-
tés invariantes (polygones de trois côtés) sans prendre en compte les
caractères perceptifs secondaires comme la taille, la couleur ou l'orien-
tation de la figure. C'est une étape dont la construction est longue et
qui ne se déroule pas au même rythme chez tous les enfants.

La pensée opératoire formelle


On appelle encore logique des propositions l'étape de la pensée for-
melle. Les propositions sont des énoncés pouvant être vrais ou faux.

36
QU'EST-CE QU'APPRENDRE?

L'enfant aborde ainsi le domaine des hypothèses, du possible et du


vraisemblable. Ce stade est parfois appelé «hypothético-déductif ».
La pensée devient capable d'inférer de façon inductive ou déductive
sur les objets et leurs transformations sans se reporter aux supports
concrets. Cette étape n'est pas limitée dans le temps.

Exemple du passage de la pensée préopératoire à la pensée opératoire


L'exemple qui suit illustre le passage de la pensée de l'enfant d'une pensée
dont les actes sont encore non structurés à une pensée capable de coordonner
logiquement les actions.
On propose un alignement de jetons rouges, espacés, et on demande à l'enfant
de placer autant de jetons bleus.
Vers 4 ans (l'âge est indicatif et non normatif), il tasse les jetons et vise à obtenir Évolution
la même longueur. L'aspect visuel, l'apparence, est le principal critère utilisé par compé-
tences
l'enfant de cet âge.
Vers 6 ans, il devient capable d'effectuer une correspondance terme à terme
et donne une réponse plus conforme à la logique d'adulte. La pensée s'est pro-
gressivement organisée autour d'opérations (ranger, classer, sérier, comparer,
mettre en correspondance, etc.) qui lui permettent d'agir logiquement.
Il est passé du critère «espace occupé}} au critère «quantité de jetons }} (critère
encore fragile car si on éloigne le dernier jeton, l'enfant indique souvent que
la série rouge est celle où il yale plus de jetons: prégnance de l'occupation
spatiale à nouveau). La pensée préopératoire demeure encore rigide et non
réversible.
En devenant plus âgé, et surtout en multipliant ses expériences directes, l'enfant
devient capable de réaliser ces opérations de façon intériorisée, sans avoir à les
réaliser concrètement. La pensée est alors devenue formelle.

Les facteurs du développement


Pour Piaget, l'intelligence se développe et se manifeste par des structu-
res, ensembles organisés d'opérations, se caractérisant par des systèmes
en interaction. Cette théorie est structuraliste. L'intelligence se déve-
loppe et se structure du fait que le sujet agit sur le milieu, le transforme,
ainsi il construit les opérations et à chaque étape de son développement'
il les reconstruit. Cette nouvelle voie se situe entre l'empirisme qui pri-
vilégie le rôle du milieu (le comportementalisme s'inscrit dans cette
composante) et le maturationnisme qui privilégie le rôle de l'organisme
propre à l'individu. Il dépasse ces deux modes, hétérostructuration et
auto-structuration, en privilégiant l'interstructuration.

37
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

On retrouve la dimension d'interstructuration dans les facteurs du


développement, permettant l'évolution des stades. Ils sont, essentielle-
ment, au nombre de quatre:
-la maturation nerveuse: pour voir, toucher, se déplacer, il faut que
le jeune enfant ait un développement équilibré du système nerveux
et de son organisme en général. C'est une condition nécessaire;
- l'activité cognitive qui est de deux types: l'activité simple
correspond à une construction de l'objet à partir de ses propriétés
simples. L'enfant s'appuie sur ce qu'il effectue à partir de
Le dévelop- sensation (A est plus lourd que B), de rapport spatial topologique
pement de Uuxtaposition : A est à côté de B), de différenciation perceptive
la pensée (comparaison: A est plus grand que B) ; l'activité logique construit
l'objet avec ses propriétés relationnelles. L'intériorisation des
actions (en opérations) entraîne la réversibilité et la construction
de structures;
-la composante sociale: les interactions sociales constituent aussi un
facteur qui majore le développement du sujet. La socialisation que
permet la scolarisation dujeune enfant est une façon d'entraîner
l'apprentissage. Cependant, l'interaction pour être profitable doit
être structurante: le rôle des pairs ainsi que celui de l'adulte tuteur
doivent être définis et analysés clairement;
- l'équilibration: Piaget considère qu'elle régule les trois autres
composantes. Puisque le sujet évolue constamment et que le milieu
est lui-même en développement, l'adaptation est la réorganisation
permanente des structures du sujet en fonction du milieu.
L'adaptation est interaction entre deux modalités liant le sujet
au milieu: l'assimilation et l'accommodation. Dans le premier
cas, l'assimilation, le sujet s'approprie un nouvel objet grâce aux
structures dont il dispose. Le milieu enrichit les structures du
sujet, les complète, les augmente sans en modifier l'organisation
fondamentale. Il n'y a pas conflit entre les structures du sujet et
l'objet nouveau. Dans le second cas, celui de l'accommodation, les
structures disponibles sont insuffisantes ou entrent en contradiction
avec le nouvel objet. Il y a conflit cognitif. Le milieu déstabilise les
structures du sujet, les modifie, les réorganise. Cette restructuration
par accommodation peut être longue et coûteuse (cognitivement)
avec même des phénomènes de refus (non conscientisés, non
verbalisés) et de refoulement vers un inconscient cognitif.

38
QU'EST-CE QU'APPRENDRE?

Un nouveau moteur de l'apprentissage: l'inhibition


Relevons, tout d'abord, qu'un dépassement, une critique, un enrichis-
sement de la conception constructiviste, est proposé par Olivier Houdé.
Pour lui, le rôle que Piaget donne à l'action est excessif. Il suggère que
le «mécanisme essentiel de la sélection attentionnelle est l'inhibition»
Houdé et
(Houdé, 1998). Dans le champ de la construction (du nombre, de la l'inhibition
catégorisation, du raisonnement. .. ), le développement relève non seu- cognitive
lement d'acquisitions croissantes à partir de structures de mieux en
mieux organisées mais aussi de la capacité qu'a le sujet à inhiber des
réactions qui parasitent les procédures qu'il doit mobiliser.

L'épreuve de la conservation des quantités discrètes


Pour comprendre la position d'Houdé et ce qu'elle peut introduire comme
nouveauté dans le cadre de la classe, reprenons une épreuve piagétienne clas-
sique : la conservation des quantités discrètes.

000000
o 0 000 o
Dans cette épreuve, que nous avons réalisée à de nombreuses reprises avec
des élèves de maternelle, l'expérimentateur propose à de jeunes enfants des
jetons, en nombre égal, disposés en deux rangées strictement identiques. Puis
il écarte les jetons de la seconde rangée, de façon à laisser plus d'espace entre
eux et à obtenir deux longueurs différentes pour les deux rangées (figure 1.
d). Il demande ensuite à l'élève de comparer les deux rangées de jetons en
demandant de désigner la rangée « où il y en a le plus». La majorité des enfants
interrogés, jusqu'à 6 ou 7 ans, indique la seconde rangée. Pour justifier leur
réponse ils disent « Parce que c'est le plus long. »
À partir de 6 à 7 ans, ils résolvent, avec moins de fréquence d'erreur, la situation,
développant progressivement trois classes d'arguments:
- argument d1identité : le nombre est identique puisqu'aucun jeton n'est enlevé,
aucun n'est ajouté;
- argument de compensation: si la seconde rangée est plus longue c'est que
l'espace entre les jetons est plus grand;
- argument de réversibilité: on écarte pour que la rangée soit plus longue mais
on peut revenir à l'écart initial pour retrouver la longueur initiale (rangée 1).

39
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

Tant que l'enfant ne maîtrise pas ces arguments, la conservation n'est pas
acquise. La conservation est alors liée à la mobilisation de la procédure logique
qui consiste à compter, elle-même fondée sur plusieurs propriétés du nombre
telles que la distinction entre ordinal et cardinal. L'interprétation qu'en donne
Houdé est toute différente. Pour la situation donnée en exemple, il y a compé-
tition entre deux stratégies. L'une est un algorithme (le dénombrement ou algo-
rithme de quantification), l'autre, qui est plus économe, est une heuristique liée
à la perception (longueur et quantité sont supposées co-varier). L'expérience
pratique indique qu'il y a co-variance entre longueur et nombre. C'est ainsi que
l'alignement de boîtes de conserve au supermarché montre que plus la série,
sur l'étagère, est longue et plus la quantité de boîtes est importante. Il y a donc
un véritable conflit entre la perception et la réalité

Dans cette approche, il y a conservation quand l'enfant est capable d'inhiber,


de façon stable et constante, l'heuristique au profit de l'algorithme. Pour Houdé,
({ penser c'est inhiber».
Les
réussites Notons un point troublant. S'il faut attendre un âge de 6 à 7 ans
précoces
pour que les erreurs disparaissent, il est une situation qui est réussie
dès 2 ans. On propose une situation modifiée en deux points: les je-
tons sont remplacés par des bonbons; le nombre de la seconde rangée
diminue, sans que l'aspect perceptif ne change (moins de bonbons
mais rangée plus longue) .

000000
o o o o o Figure 1.2 Épreuve des bonbons
Dans cette nouvelle situation et lorsqu'est demandé à l'enfant de
choisir celle qu'il veut manger, il opte, correctement, pour la seconde
rangée. La réussite est observée dès 2 ans! Il semble que lorsque la
tâche comprend un enjeu réel, lié à l'émotion (ici, la gourmandise) le
jeune enfant se révèle «mathématicien» précoce (Houdé, 2004). Ceci
étant, la réussite à une épreuve ne signifie pas la stabilité de la compré-
hension. La précocité, observée dans d'autres domaines, et que Piaget
n'avait pas envisagée, n'a pas de signification quant à la construction

40
QU'EST-CE QU'APPRENDRE?

précoce de la conservation. En revanche, il faut retenir de l'exemple


des « bonbons» (figure 1.2) le rôle moteur de l'émotion dans les situa-
tions de résolution de tâche. Les relations paraissent donc plus étroi-
tes, qu'on ne l'imaginait il y a quelques décennies, entre émotion et
raisonnement lorsque le sujet est en situation d'apprentissage.

Autres critiques de la conception du développement


par étapes régulières
Durant plusieurs décennies, la conception du développement cognitif
dans une optique constructiviste avec Piaget ou maturationniste avec
Gesell, mais aussi du développement affectif, avec Freud, et du déve-
loppement moral, avec Kohlberg, s'est construite autour d'étapes orga-
nisées qui ont constitué des références incontournables. Aujourd'hui,
la recherche a mis à distance ces organisations structurées pour en
tempérer les effets et, tout en admettant leur importance, a proposé
des modèles de développement plus souples.
Parmi les recherches critiquant la notion de stades, il faut noter
celle de Wynne Dans un article publié en 1992, la psychologue affirme
que le bébé est capable, dès l'âge de 3 à 4 mois, d'additionner deux Le bébé
nombres, ce qui s'oppose au point de vue piagétien. Dans l'expéri- mathéma-
mentation menée, elle place un Mickey bien visible sur un fond. Puis ticien

un écran vient cacher la première peluche et la psychologue place


ostensiblement un second Mickey derrière le cache. L'écran est alors
enlevé. L'expérience revient alors à proposer au bébé une alternative
entre deux situations additives: l'une est possible car elle présente les
deux peluches (1 + 1 = 2) ; l'autre est impossible, car la psychologue
a enlevé, sans que le bébé s'en aperçoive, l'une des deux peluches
et propose une situation absurde (1 + 1 = 1). Wynn a mesuré que le
temps de fixation du regard était plus long dans le cas d'impossibi-
lité (1 + 1 = 1), déduisant ainsi que le bébé est capable d'identifier
l'erreur de calcul. Plusieurs auteurs ont repris des expériences de ce
type, qui semblent confirmer l'hypothèse selon laquelle il y aurait une
précocité dans le développement de la pensée du bébé, pour des opé-
rations de raisonnement, de dénombrement ou de catégorisation. Ce
qui permet à certains chercheurs d'affirmer que l'enfant naît équipé
d'outils cognitifs performants: ceux-ci ne résulteraient donc pas d'une
construction dans l'action, comme Piaget l'a affirmé, mais seraient in-
nés. D'autres auteurs pensent que le bébé ne pouvant verbaliser ce
qu'il fait ou pense, les résultats obtenus lors des expérimentations avec

41
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

les peluches et celles qui ont suivi, réalisées sur écran informatique,
sont plus des interprétations subjectives à partir de présupposés des
expérimentateurs que des données scientifiques incontestables.
Une autre recherche, parmi les plus signifiantes, est le travail mené
par Siegler (2000) à partir d'expériences sur la manière dont les jeu-
nes enfants de 5/6 ans effectuent des additions. Il s'est rendu compte
Siegler et la que, loin d'avoir une homogénéité de stratégies pour un calcul simple
variabilité (comme ajouter 3 et 2), les enfants utilisent des procédures variées.
cognitive Pour cette addition, il a identifié quatre stratégies différentes permet-
tant de parvenir à la réponse: comptage sur les doigts avec oralisation,
comptage sur les doigts sans oralisation, oralisation sans support digi-
tal, ni oralisation ni support digital apparent. Autre découverte, un
même enfant peut utiliser différentes stratégies pour un même type
de calcul. Il semble que le fait de disposer d'un panel de procédures
soit utilisable toute la vie. D'une certaine façon, selon ces constats, le
passage d'un stade à un autre ne se fait pas par substitution mais par
enrichissement. Pour un même niveau de développement, il semble
qu'il n'y ait pas une conduite unique déterminée par une structure
cognitive mais un ensemble de répertoires possibles que le sujet peut
solliciter.
La notion de variabilité cognitive, ainsi définie, vient nuancer la
conception stadiste et donne une importance supplémentaire à l'as-
pect différentiel et singulier du développement.

LE DÉVELOPPEMENT DE LA PENSÉE:
LA COMPOSANTE PROPRE À CHACUN

Les étapes du développement déterminent, pour une part, l'apprentis-


sage qu'engage le sujet. En retour, comme l'a montré Vygotski, le fait
d'apprendre influence le développement du sujet. À l'universalité des
étapes développementales s'oppose la singularité des façons d'entrer
dans l'apprentissage. La conduite cognitive propre à l'écolier pour une
classe donnée de tâches peut être différente de celle de ses pairs. Ces
conduites, qu'il est possible d'identifier chez l'élève, sont nombreuses.
Il s'agit de la manière dont l'écolier conduit son apprentissage (Hu-
teau, 1987). Parmi les principales, nous en retiendrons cinq: la dé-
pendance-indépendance à l'égard du champ, l'impulsivité-réflexivité,
l'égalisation-accentuation, la consommation et la production, l'appro-
che douce ou l'approche dure. Le tableau 1.3 en donne une synthèse,

42
QU'EST-CE QU' APPREN DRE ?

chaque conduite étant caractérisée par sa binarité. Nous avons détaillé


cette question, par ailleurs (Perraudeau, 1996a).

Tableau 1.3. Les conduites cognitives du sujet


Conduites cognitives
Caractéristiques des deux termes de la conduite
et chercheurs
Dépendance et indépen- Le sujet «dépendant» est celui qui a besoin de cadrages précis:
dance à l'égard du champ consigne répétée, sollicitation fréquente du maître, retours fré-
(H. Witkin) quents aux documents écrits...
À l'inverse, le sujet qui a prioritairement confiance en ses pro-
pres repères est dit« indépendant».
Impulsivité et réflexivité L'élève «impulsif» est très réactif à la sollicitation, parfois même
(J. Kagan) il la précède. L'impulsivité est une conduite souvent observée
chez les élèves en difficulté.
L'élève «réflexif» mentalise sa réponse avant de la donner.
Égalisation et accentuation L'élève procédant par accentuation a tendance à s'approprier
(O. Ausubel) le savoir nouveau à partir des différences qu'il identifie avec les
connaissances anciennes.
Procéder par égalisation signifie rechercher les similitudes, les
analogies entre savoir nouveau et ancien.
Consommation et produc- Des élèves apprennent mieux en état de réception de savoir (ce
tion qui n'exclut pas une activité cognitive interne), lors d'activités
(J.-L. Gouzien et G. Lerbet) d'écoute ou de lecture, par exemple.
D'autres ont davantage besoin d'agir concrètement. Ils sont
«producteurs» et apprennent plus par l'échange, le questionne-
ment, l'écriture.
Approche dure et maîtrise Les élèves peuvent avoir une façon organisée, structurée, d'ap-
douce (S. Papert) prendre. Ils ont besoin de repères fiables et clairement identi-
fiés.
D'autres ont une façon d'apprendre plus spontanée, à la manière
du chercheur qui tâtonne. Ils créent leurs propres méthodes.

En effectuant une telle observation, il ne s'agit ni d'étiqueter ni


de normer les conduites des élèves. Le rôle de l'enseignant, une fois
renseigné sur la façon privilégiée dont l'élève se conduit pour une
tâche précise, est de prendre en compte ces styles dans les situations
qu'il propose: tel élève a besoin d'une consigne très stricte, tel autre
a besoin d'identifier les différences entre une tâche nouvelle et celle
qu'il a effectuée la fois précédente, etc.
Ces styles de travail influencent les stratégies que l'élève met en pla-
ce. Le professeur, en s'appuyant sur la conduite forte, va favoriser le
développement de la conduite fragile. L'objectif consiste à équiper les

43
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

écoliers de façon plus complète, à augmenter leur panel de conduites


cognitives, à enrichir leurs procédures face à la tâche.

SCHÈMES ET PROCÉDURES
Comprendre la façon dont l'élève apprend, après identification des
conduites privilégiées, consiste à chercher les procédures qu'il utilise
pour réaliser une tâche donnée. La procédure est la partie visible,
l'expression observable, de cette unité fondamentale de la pensée
dans la théorie constructiviste qu'est le schème. Jean Piaget nomme
La procé-
dure, partie «schème» ce qui, dans une action (ou une opération), peut être géné-
visible du ralisé et transposé d'une situation à une autre. Les schèmes primaires
schème réflexes (crier, sucer, attraper... ) permettent la construction de schè-
mes secondaires plus élaborés (secouer, déplacer ... ) et ainsi de suite.
Les schèmes moteurs (en acte) préparant les schèmes opératoires (en
pensée).
L'un des modèles forts de l'apprentissage s'appuyant sur le concept
de schème est celui défini sous le nom de «champs conceptuels ».
Selon Gérard Vergnaud (1996), dans une perspective socioconstructi-
viste, un champ conceptuel est un ensemble de situations dont le trai-
tement nécessite la mise en œuvre, par l'élève, de conceptualisations
(schèmes et concepts) et de représentations (symboliques ou langagiè-
res). Les conceptualisations se construisent à partir de «connaissances
en acte », compétences que l'écolier se forge, lors de ses multiples acti-
vités d'apprentissage, scolaires et sociales. Comme ces savoirs d'action
sont le plus souvent non conscientisés, ils échappent au contrôle de
l'écolier.
L'exemple, souvent avancé, de la proportionnalité est une illustra-
tion de ce que peut être un champ conceptuel. La proportionnalité
est une modélisation de la réalité utilisant divers concepts (fonction,
grandeur, nombre ... ) et des outils mathématiques appartenant à dif-
férents registres sémiotiques pour représenter ces concepts (tableau,
graphique ... ). Pour s'approprier un tel champ, l'élève fait appel à des
connaissances relevant de ces différentes catégories.
L'action de l'écolier, en résolution de tâche, mobilise donc les schè-
mes. Pour Gérard Vergnaud (op. cit.) le schème se caractérise par qua-
tre éléments: le but, les règles d'action, les invariants, les inférences.
Dans l'exemple du schème du dénombrement, Annick Weil-Barais
(2004) identifie chacune des quatre caractéristiques:

44
QU'EST-CE QU'APPRENDRE?

- le but consiste à associer une collection à un nombre qui en


est sa mesure;
-les règles consistent à compter tous les éléments de la collection
et à ne les compter qu'une seule fois chacun;
-les invariants sont des propriétés telle l'itération additive;
- une inférence possible consiste à considérer que, le cardinal
étant indépendant de la disposition spatiale, le sujet peut dénombrer
la collection en commençant par la droite ou par la gauche.
Dans cette perspective, la modification d'un schème en fonction
Le schème
d'un objectif peut être de nature rétroactive (pour une activité anté- et l'activité
rieure) ou anticipatrice (pour une activité en cours ou à venir), quel
que soit le niveau du sujet, sensori-moteur ou opératoire. Le jeune
enfant qui va chercher un ballon derrière une table anticipe sur le
déplacement à effectuer en coordonnant les schèmes mobilisés et les
régule constamment en fonction des obstacles qu'il rencontre. La ré-
gulation compensatrice, au sens socioconstructiviste, est l'accommoda-
tion constante qui modifie la structure des conduites pour les adapter
au milieu. La stratégie devient coordination de schèmes anciens et de
schèmes modifiés, mobilisés en fonction de l'exigence de la situation.
L'un des aspects de la stratégie que développe l'élève, confronté à
un savoir complexe, dépend de sa capacité à solliciter et à choisir une
procédure adéquate, autrement dit à mobiliser les schèmes correspon-
dant à la situation. Le plus souvent cette connaissance procédurale
est non conscientisée. L'une des tâches de l'enseignant pratiquant
une pédagogie de l'apprentissage consiste à faciliter la mise en mots,
par l'élève, de ses «connaissances en acte », pour l'aider à en prendre
conscience et faciliter leur transformation en schèmes opératoires. Les
dispositifs microgénétiques, présentés dans le chapitre 5, donnent une
illustration des accompagnements possibles.

45
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

STRUCTURES DE LA PENSÉE: LOGIQUE, TEMPS, ESPACE


Les structures de la pensée sont formées de schèmes alimentant les
structures logiques ainsi que les instruments cognitifs qui en sont les
vecteurs et alimentés par eux. Elles forment l'organisation propre à
l'ensemble des conduites qui caractérisent chaque étape ou registre
de fonctionnement cognitif.
Les instruments cognitifs sont les compétences que constituent la
permanence de l'objet et les conservations, la réversibilité et les argu-
ments d'identité et de compensation qui fondent les conservations, les
formes d'abstraction.
Une conservation est considérée comme établie et stabilisée lorsque
l'enfant est capable d'argumenter de trois façons différentes. Pour la
L'enfant et
conservation des liquides, on considère un contenu B (dont la quan-
la logique tité est strictement équivalente à un liquide A, servant de témoin) qui
est versé dans un contenant C plus évasé puis dans un contenant D
plus allongé. La perception indique en C un niveau plus bas et en D
un niveau plus élevé. L'enfant est dit conservant lorsqu'il reconnaît
que, au-delà de la perception, la quantité demeure la même: parce
qu'on n'a rien ajouté ni enlevé (argument d'identité), parce que le
niveau qui paraît plus haut s'explique par l'étroitesse du contenant
(argument de compensation), parce que si on reverse le liquide dans
le vase initial, on retrouve le même niveau (argument de réversibilité) .
Tant que les conservations ne sont pas construites, l'élève, engagé dans
certains apprentissages, restera dépendant de la perception et n'évo-
luera pas vers la conceptualisation.
Les structures logiques sont l'organisation coordonnée des opéra-
tions logiques de la pensée. Au niveau opératoire concret, les princi-
pales opérations logiques qui forment les groupements sont liées aux
composantes de classe (classification, inclusion, complémentarité),
aux composantes de relation (sériation, transitivité), à la combinatoire
(permutation, combinaison). Une dèscription précise et leur rôle dans
les exercices scolaires sont présentés par Higelé (1997). Le tableau 1.4
synthétise la définition et l'illustration de ces opérations.

46
QU'EST-CE QU'APPRENDRE?

Tableau 1.4. Les opérations logiques de la pensée


Classification ou catégorisation: regroupe- Exemple: tous les poly-
ment d'éléments selon des critères com- gones à quatre côtés se
muns. nomment quadrilatères.
Inclusion: emboîtement d'une classe dans Exemple: la sous-classe des
Structures
une autre. pronoms personnels est
de classe
Complémentarité: forme de classification incluse dans la classe des
correspondant au mode de calcul d'un sous- pronoms.
ensemble dont on connaît le second sous-
ensemble et la totalité.
Sériation: comparaison et établissement Exemple: comparer 2,9 et
d'une série, de deux ou plusieurs termes, 2,12
allant du plus petit au plus grand ou inverse- Exemple: ranger des mots
Structures
ment. Le classement ou le rangement sont des dans l'ordre alphabétique.
de relation
sériations.
Transitivité: désignation d'une sériation sur un
nombre de termes, supérieur à deux.
Permutation : groupement d'éléments donnés Exemple: composer tous
en tenant compte de l'ordre (ab différent de les nombres possibles
Combina-
ba). supérieurs à cent avec: 2;
toire
Combinaison: groupements partiels sans 4 et6.
ordre (abc identique à cba)

Ces opérations interviennent, de façon transversale, indépendam-


ment du domaine disciplinaire étudié, dans l'effectuation de tâches
scolaires. Dans les exemples, donnés infra, la maîtrise (ou non) de ces
op érationsjoue un rôle fondamental dans la stratégie de l'élève.
À côté des opérations logiques (ou logico-mathématiques), il existe
des opérations infralogiques ou spatio-temporelles, qui ont la même
structure mais portent sur des éléments d'objets continus tels le temps
ou l'espace.
Cette catégorie est également présente lors des différentes étapes
de la résolution de tâche. On sait l'importance de la discrimination
droite-gauche dans de nombreux apprentissages. Dans les tableaux 1.5
et 1.6, les âges sont toujours indicatifs et non normatifs.

47
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

Tableau 1.5. La construction du temps

Niveau 1 (2-5 ans) Niveau 2 (6-9 ans) Niveau 3 (après 9 ans)


Intuition immédiate Intuition articulée Stade opératoire
Difficulté à reconstituer Intuition de la durée, Coordination de la-durée
un ordre de succes- de la succession tem- et établissement de
Événements
sion. porelle et début de la l'ordre dans la succession.
et durées réversi bilité. Construction d'un temps
qualitatif et métrique.
Difficulté à utiliser un Utilisation des instru- La montre (ou l'horloge) est
instrument, l'enfant ments de mesure, de considérée comme ayant
Temps
pense que la durée plus en plus ration- une vitesse constante indi-
physique varie selon l'action nelle. quant des temps successifs
menée. égaux.
Égocentrisme tem- Les différences d'âge Conservation des diffé-
porel. sont conservées mais rences et coordination
L'âge se résume à persistance de la diffi- dans l'ordre de succession
Temps vécu
la taille: vieillir c'est culté à établir un ordre des naissances.
grandir. correct dans la succes-
sion des naissances.
Différenciation matin/ Indication du jour, du Estimation des durées
Orientation après-midi. Identifi- quantième, du mois. fines, capacité progres-
cation et utilisation Reconnaissance des sive à donner l'heure à 15
dans le temps des connecteurs hier, jours avant et après. minutes près.
demain.

Tableau 1.6. La construction de l'espace


Niveau 1 (2-5 ans) Niveau 2 (6-9 ans) Niveau 3 (après 9 ans)
Intuition immédiate Intuition articulée Stade opératoire
Espace vécu corporelle- Suite de l'apprentissage Activités permettant de
ment dans des relations précédent: les situa- comprendre qu'une figure
d'opposition binaire: tions ne sont plus uni- est située par rapport à sa
Espace
près de/loin de; devant/ quement corporelles donnée topologique et par
topologique derrière; dessus/des- mais représentées. sa donnée d'orientation.
sous; gauche/droite.

Mouvements dans l'es- Construction progres- Perception et conservation


Espaces
pace, cheminements, sive des figures géomé- des similitudes et des pro-
projectif déplacements et repé- triques. portions.
et affine rage d'une case.
Construction progres- Utilisation d'outils et Travail sur symétries, per-
sive d'une organisation d'instruments de repro- pendicularité et construc-
de l'espace vécu. duction. tions diverses.
Espace L'établissement d'une
euclidien métrique et d'un espace
cartésien intervient à ce
niveau.

48
QU'EST-CE QU'APPRENDRE?

STRUCTURES LOGIQUES ET STRATÉGIES DE DÉTOUR

Les structures logiques et infralogiques sont nécessaires mais pas


toujours suffisantes, les connaissances et représentations du sujet, le
fonctionnement de sa mémoire, par exemple, interfèrent directement
dans l'apprentissage. C'est pourquoi, le constat effectué dans les clas-
ses révèle que la réalité de l'apprentissage est souvent éloignée de ce à
quoi s'attend le professeur. La mobilisation, par l'élève, des stratégies
ne s'effectue pas nécessairement de façon efficiente. Soit parce que
l'écolier rencontre une difficulté non prévue, l'empêchant de mobili-
ser les opérations de pensée adéquates, soit parce que le professeur a
volontairement mis en place une situation qui confronte l'élève à un
obstacle inattendu.
Dans le premier cas, lorsque le professeur n'a pas l'intention de
dresser un obstacle sur le chemin de l'élève, celui-ci fait l'expérience Le rôle
de l'in-
d'une déstabilisation, d'un conflit de centrations, qui le conduit à re- conscient
manier les schèmes antérieurs. Cependant, il est possible que la désta- cognitif
bilisation, provoquée par une situation trop éloignée du potentiel de
l'écolier, soit tellement forte que celui-ci ne puisse la supporter. Ou
bien il utilise une stratégie de contournement en usant d'une procé-
dure connue et antérieurement validée mais qui risque de s'avérer ina-
daptée au nouveau contexte. Ou bien il refoule ce qui le déstabilise en
une instance que certains auteurs identifient comme inconscient cognitif
(Piaget, 1977; Kihlstrom, 1987). Il s'agit d'un mécanisme inhibiteur
qui évacue, hors du champ de la conscience du sujet, certains éléments
attachés à un savoir fortement déstabilisateur.
Une illustration est donnée par l'apprentissage de la notion d'attri-
but du sujet. Pour un élève de cycle 3, les deux phrases: «Mon père
parle au garagiste» et «Mon père est garagiste» sont construites sur
des structures grammaticales proches. L'imprégnation, depuis le cy-
cle 2, lui a permis d'intégrer le pattern syntaxique couramment ré-
pandu Sujet/Verbe/Complément. La déstabilisation qui résulte de
la nouvelle fonction d'attribut, due à la présence d'un verbe d'état,
peut être telle que, même ayant acquis en apparence cette nouvelle
fonction, l'appropriation compréhensive et transférentielle soit long-
temps impossible. Pour Piaget (op. cit.) , l'enfant «a écarté la prise de
conscience du schème, c'est-à-dire qu'il a refoulé le schème du champ
de la conscience avant qu'il n'y pénètre sous une forme conceptuali-
sée ». Ce mécanisme de refoulement est à placer en perspective avec

49
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

la tension, vécue par des élèves en échec, entre envie de savoir et peur
d'apprendre. Ces écoliers craignent la déstabilisation que provoque
la nouveauté au point de la refouler dans l'inconscient. Le désir d'ap-
prendre est en lien avec l'inconscient cognitif et peut réactualiser des
craintes secrètes et enfouies.
On peut observer, et amener les élèves à constater, que notre langa-
ge est porteur d'archaïsmes scientifiques, probablement traces de re-
Le poids
des repré- foulements à caractère social. C'est ainsi que chacun sait que la Terre
sentations tourne autour du Soleil: pourtant les expressions comme «Le Soleil se
anciennes lève à l'Est» «Le Soleil se couche à l'Ouest» tendent encore à valider
une conception erronée, mais profondément ancrée, d'un système so-
laire dont la Terre occuperait le centre!
Dans le second cas, le professeur met volontairement en place une
situation qui confronte l'élève à un obstacle nouveau. Le problème
des «5 triangles» en est une illustration, qu'il est possible de proposer
aussi bien à des élèves de cycle 3 qu'à des adultes. Une présentation
complète de la situation est donnée par Bassis (1998).

Figure 1.3. Le jeu des « 5 triangles»


La consigne est la suivante : «Voici cinq triangles formés de douze segments. Il faut
déplacer deux segments pour obtenir quatre triangles.» Elle peut se compléter de
recommandations qui guident davantage l'action. Celles qui suivent ont été
définies par des élèves qui considéraient la consigne initiale insuffisamment
précise:
- il ne faut pas laisser de segment seul (n'appartenant pas à un triangle) ;
- il ne faut pas placer deux segments l'un sur l'autre;
- les nouveaux triangles doivent avoir la même taille que ceux du modèle initial;
- il existe plusieurs possibilités.

50
QU'EST-CE QU'APPRENDRE?

Ce qui est en jeu dans cette situation est en lien avec les différentes
composantes de l'activité:
- composante mathématique: savoir lié aux triangles;
- composantes logique et infralogique: liées à la représentation de
l'espace et aux rapports topologiques;
- composante cognitive: planification de l'activité (clarifier l'objectif,
activer ses connaissances, utiliser une stratégie pragmatique ou
canonique), contrôle (mise à distance, appréciation de la réponse,
conscience des différentes possibilités) ;
- composante conative: renforcement de la motivation (importance
d'une présentation ludique), variation de l'estime de soi par le
besoin de réussite ou la peur de l'échec, développement de l'aspect
social (travailler en groupe sur l'activité) et rôle des attributions
(interne ou externe) ;
- composante langagière: compréhension de la formulation de Stratégie
l'énoncé, de l'implicite de l'énoncé (les propriétés de la figure canonique
géométrique), du vocabulaire spécifique (segments), explications et stratégie
causales (justifier sa procédure, répondre, argumenter). par tâton-
nement
La stratégie peut être pragmatique (tâtonnement) ou canonique
(utilisation de propriétés des triangles) avec une dimension d'abstrac-
tion simple (rester dans une dimension perceptive des triangles) ou
d'abstraction réfléchissante (mettre en perspective les propriétés des
triangles et les actions possibles du sujet) .
Les constats effectués montrent que la majorité des adultes, à qui la
situation est proposée, mobilise moins de stratégies ou de procédures
que les enfants et que, de surcroît, elles sont plus rigides. Pourquoi en
est-il ainsi?
Développer une réflexion didactique (composante mathématique)
sur la situation invite à noter qu'il y a douze segments et que l'on
demande de former quatre triangles. Le triangle étant un polygone
à trois côtés, la réalisation est objectivement possible, à condition que
dans la reconstruction il n'y ait aucun côté commun. Il suffit alors
d'opposer les triangles par les sommets.
Ce savoir élémentaire, dont dispose en principe chaque élève et,
partant, chaque adulte, est cependant très rarement mobilisé en pre-
mière instance. La stratégie canonique, que chacun pourrait mettre
en œuvre, est occultée par des stratégies de contournement souvent
moins productives. L'observation des mises en situation effectuées

51
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

montre que les élèves disposent d'un panel plus important que les
adultes, c'est ainsi qu'ils utilisent volontiers, dans cette situation, des
crayons pour représenter les segments. Cette manipulation facilite le
déplacement des segments et permet d'aboutir assez facilement à des
solutions. Les adultes, à l'inverse, privilégient la recherche mentale ou
l'utilisation d'un support écrit. Ils parviennent à un résultat au bout
de nombreux efforts et d'une dépense cognitive souvent plus impor-
tante.
Ce type de situation, que le professeur peut proposer à partir du
cycle 3, permet d'observer la conduite des élèves et les stratégies mi-
ses en place. Elles peuvent être liées directement au savoir en jeu ou
procéder de tâtonnements. L'important est de comprendre le procédé
de l'élève, pour les activités disciplinaires ordinaires, afin d'être en
mesure de l'accompagner plus directement.
Nous pouvons rappeler que la mise en œuvre de stratégies effica-
ces nécessite que l'élève dispose de structures de pensée correctement
organisées: opérations logiques et infralogiques stables, instruments
cognitifs (conservation, réversibilité ... ) disponibles. Elles donnent
l'opportunité au sujet de mettre en œuvre des compétences de type
cognitif, soit directement relatives au savoir, soit davantage relatives à
la mise à distance du savoir: il s'agit d'une dimension métacognitive.
Stratégies
et compé- Il ne faut pas les confondre, même si elles en font partie, avec les com-
tences pétences «générales» présentées par les instructions ministérielles de
2002 (cf. Perraudeau, 2004b). Les compétences, dont il est ici question,
sont de trois ordres:
- principales compétences liées au domaine disciplinaire: capacité
à comprendre les enjeux de savoir et savoir-faire de ce domaine;
capacité à situer la tâche à effectuer dans le contexte disciplinaire,
à identifier les concepts mobilisés (théorie des champs conceptuels,
voir supra) ; capacité à prendre en compte les paramètres conatifs
(confiance, estime de soi, motivation ... ) intervenant dans les
activités de ce domaine disciplinaire;
- principales compétences liées à la spécificité de la tâche:
compréhension de l'objectif, mobilisation de la maîtrise langagière
relative à la situation; évaluation de ses propres capacités à résoudre
la tâche, seul ou en groupe; évaluation de ses limites possibles;
- principales compétences liées aux stratégies mobilisées pour la tâche:
capacité à identifier et sélectionner les informations importantes à

52
QU'EST-CE QU'APPRENDRE?

traiter; capacité à mobiliser un panel de procédures en cohérence


avec la tâche; capacité à effectuer un choix justifié parmi les
procédures puis à contrôler les effets de ce choix. Dans cette
catégorie se rangent les stratégies métacognitives, liées à la capacité
du sujet de mettre à distance son action, qui sont abordées au
chapitre 2.

Résumons-nous
Ce premier chapitre fixe le cadre de l'apprentissage. Le terme est entendu
ici au sens large comme ensemble des activités destinées à apprendre, acte
davantage lié aux automatismes, mais aussi comme comprendre, acte davan-
tage porté par le raisonnement et la réflexion.
Les divers modèles de l'apprentissage considèrent l'élève différemment
selon que les professeurs privilégient de travailler sur le comportement de
l'élève, ce qui est observable, ou sur les structures de la pensée, non visibles
directement, qui sous-tendent ce comportement.
Les pratiques d'enseignement varient selon les modèles utilisés et les prio-
rités considérées. Il semble, toutefois, que se retrouvent deux grandes com-
posantes qui demeurent incontournables pour tout enseignant qui veut
comprendre et aider l'élève.
- D'une part, chaque élève est doté de structures de la pensée, similaires,
qui lui permettent de mobiliser son intelligence. Le psychologue Jean Piaget,
dont les travaux font toujours référence, a montré que la mise en activité
directe de l'élève était la meilleure façon de l'engager dans les apprentissages
scolaires. Il est alors conseillé de confronter l'élève à des tâches complexes,
certes adaptées à son niveau, mais qui se fondent sur une exigence réelle,
afin de l'amener à mobiliser non seulement les connaissances qu'il possède
mais aussi d'en créer de nouvelles et donc d'augmenter son répertoire.
- D'autre part, chaque élève possède une part de singularité qui l'amène
à mobiliser des conduites cognitives qui peuvent différer de celles de ses
condisciples. Le professeur doit prendre en compte que, à intelligence égale,
un élève peut avoir un comportement impulsif alors qu'un autre aura une
conduite plus réflexive. Il lui faudra considérer que le premier élève a besoin
d'être confronté à des situations qui l'amènent à développer sa patience,
alors que le second aura, à l'inverse, besoin d'être fréquemment stimulé
pour dynamiser sa conduite.

53
Parmi les pistes de mises en œuvre possibles nous avons, notamment,
insisté sur le fait que:
- le professeur a intérêt à prendre en compte les erreurs de l'élève, non pour
les sanctionner mais parce qu'elles constituent un bon indicateur de l'état
de ses connaissances;
- le professeur gagne à meUre en mots puis à faire vivre le contrat didac-
tique, c'est-à-dire le contrat de vie scolaire établi entre lui et ses élèves, qui
définit ce que chacun peut attendre de l'autre. Le manque de lisibilité dans
les attentes et les objectifs réciproques occasionne souvent des malentendus
et des conflits qui pourraient être facilement évités.
2
Les procédures et stratégies
mises en œuvre par l'élève

Mettre en place une pratique pédagogique qui permette à l'élève de


construire des apprentissages structurants induit de connaître ses
conduites cognitives. Elles offrent une meilleure compréhension des
activités mentales mobilisées par chaque élève pour résoudre une tâ-
che scolaire. Elles sont liées au traitement du savoir, c'est-à-dire le do-
maine qui touche à la cognition, mais elles concernent aussi la capacité
de l'élève à se distancier, avec l'aide du professeur, de ses procédés
pour les remettre en cause et les modifier si nécessaire. C'est le do-
maine appelé métacognition.
Ces conduites élucidées, il devient possible d'étudier les produc-
tions écrites des élèves dans les grands domaines de l'apprentissage.
L'objet de ce chapitre est d'en présenter quelques-unes, en langue et
en mathématiques, afin de les analyser pour comprendre les procédures
mises en œuvre par les élèves.

1. L'ASPECT COGNITIF DES CONDUITES OBSERVÉES

DISTINCTIONS ENTRE ASPECT COGNITIF ET NON COGNITIF

Par aspect cognitif, on entend habituellement les fonctions qui acti-


vent le traitement des données, qui produisent de la connaissance,
qui permettent l'apprentissage. Elles déterminent la place du fonc-
tionnement mental lors de la réalisation de tâches d'apprentissage.
Ces fonctions se regroupent en plusieurs composantes, qui, telles que
présentées ici, ne sont ni hiérarchisées, ni cloisonnées.

55
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

Aspect conatif
Il s'agit, tout d'abord, de distinguer ce qui relève du cognitif, détaillé
plus loin, de tout ce qui ne s'y rapporte pas. Le terme conatifregroupe
ce qui est du domaine de la motivation, de la confiance, de l'estime de
soi, du stress, des affects.
Dans le registre conatif, des termes que les professeurs considèrent
comme synonymes sont employés par erreur. C'est ainsi que stress et
anxiété sont parfois utilisés de façon indifférenciée:
- le stress est une réponse adaptative de l'organisme à une
sollicitation qui est exercée sur lui. Le stress est une situation
ordinaire de la vie quotidienne, qui touche chacun et se gère plus
ou moins facilement selon les sujets;
- la peur est un état émotionnel de tension. L'objet de la
peur peut être connu. Pour les jeunes enfants, nommer sa peur
est une façon de commencer à l'apprivoiser. Il est important de
pouvoir mettre des mots sur la peur (avoir peur du noir, du bruit,
Stress, peur
et angoisse des insectes, du loup ... ), en revanche avoir peur sans possibilité
d'identifier la cause peut être source d'anxiété;
- l'anxiété est un état émotionnel de tension dont la source
n'est pas toujours bien connue. Si les composantes de la situation
générant l'anxiété ne sont pas, ou sont mal, identifiées, celle-
ci s'installe parfois durablement chez le sujet. Dans un sens plus
large, à la période de l'adolescence, est fréquemment considéré
comme anxieux le collégien qui tout à la fois n'est pas considéré
comme facile à vivre, n'est pas à l'aise avec les autres et a du mal à
se concentrer;
- l'angoisse peut être définie comme une étape supérieure
de l'anxiété. Elle peut entraîner une sensation d'oppression
par crainte de malheur ou sentiment de souffrance. Devant ces
sensations, le sujet se sent iJ?puissant. S'il n'est pas aidé, l'état peut
perdurer, s'étendre à de nouvelles situations de la vie et prendre
une dimension pathologique.

Aspect affectif: son rôle au collège


Parfois rangés dans le champ conatif, les affects jouent un rôle impor-
tant dans la réalité des apprentissages. Cette question sera évoquée à
diverses reprises et de façon transversale dans l'ouvrage. Pourtant, il
est un point sur lequel nous voulons nous arrêter un instant. Présente

56
LES PROCÉDURES ET STRATÉGIES MISES EN ŒUVRE PAR L'ÉLÈVE

dès la maternelle, la dimension affective, plus atténuée en élémen-


taire, s'exacerbe au collège, se traduisant chez certains élèves par un
mal-être.
Le concept d' adolescence est très récent au regard de l'histoire. Il date
du XIXe siècle. L'Antiquité, le Moyen Âge pas plus que les Temps mo-
dernes ne reconnaissaient cette période du développement. Période
charnière, transitionnelle, entre l'enfance et l'âge adulte, l'adolescen- Le mal-être
ce est une étape particulièrement instable. Elle est souvent marquée
par le regret de l'époque révolue et par l'incertitude ou la crainte de la
période à venir. Les transitions physiologique, psychologique, sociale,
peuvent se traduire par un démarquage des repères traditionnels (fa-
miliaux, scolaires), par des conflits, des incompréhensions, des ruptu-
res. La construction d'une nouvelle identité est plus ou moins rapide,
plus ou moins heurtée, selon les individus. L'opposition, qui peut aussi
être mal vécue par le parent ou le professeur, est une façon qu'a l'ado-
lescent d'éprouver les liens qui l'attachent au monde adulte. Si, en re-
tour, il reçoit écoute, patience et disponibilité, les liens peuvent se ren-
forcer durablement. À l'inverse, une incompréhension, une méfiance,
un rejet de l'adulte peuvent entraîner des blocages préjudiciables. Il
arrive alors que l'adolescent cherche auprès de ses semblables la re-
connaissance qu'il n'obtient pas au sein de la famille. L'appartenance
à des groupes de pairs, régis par leurs propres lois, est une manière de
retrouver identification et reconnaissance refusées ailleurs.
Entre les enfants restant dans la conformité et ceux entrant ouverte-
ment dans la rupture, les uns et les autres étant assez facilement identi-
fiables, il y a ceux que Gaberan (1996) nomme «les enfants chauve-sou-
ris ». Ces jeunes à part supportent mal la violence de l'école, s'excluent
souvent plus qu'ils ne sont exclus d'un système qui ne les comprend
pas. L'enfant chauve-souris, ni oiseau ni souris, n'est d'aucun monde:
ni totalement sur terre ni entièrement dans le ciel. Gaberan donne
quelques caractéristiques de ces jeunes:
- ils traînent ici ou là, sans se fixer définitivement, ni au collège,
ni dans la rue. Ce nomadisme nonchalant est particulièrement mal
compris par l'adulte sédentaire et intégré;
- ils ne souhaitent pas la rupture avec le monde adulte: ils
portent par exemple des vêtements dont l'ostentation n'est pas
recherche de provocation, contrairement à d'autres jeunes qui sont
davantage dans la rupture;

57
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

- enfant du divorce ou enfant du Maghreb, l'adolescent chauve-


souris «est la première victime du mensonge» (Gaberan, op. cit.).
La valeur du vrai se confond avec celle du faux. Le nom connu
n'est pas toujours reconnu, tout comme la peau peut porter une
origine que les papiers d'identité ne confirment pas. L'affirmation
d'une identité devient une lutte constante.
L'enfant
chauve- Être mal dans sa peau implique que l'investissement dans le par-
souris cours scolaire se fait difficilement. Les enfants chauve-souris sont sou-
vent insatisfaits de l'école et des propositions de celle-ci. Pour leur ve-
nir en aide, Gaberan préconise, parmi un certain nombre de solutions,
que la langue étrangère étudiée ne soit pas systématiquement l'anglais.
Dans certains quartiers, l'étude de l'arabe, dès la maternelle, pourrait
être un facteur d'inclusion ouvrant, ensuite, un accès plus naturel vers
d'autres langues étrangères. Est aussi préconisée une plus grande sou-
plesse de filière et d'orientation. Le fonctionnement alternatif (classes
Freinet, lycée autogéré ... ) peut également apporter des solutions dans
un système éducatif souvent limité dans ses habitudes. La question
n'étant pas unique, les réponses sont aussi multiples, avec un objectif,
vrai pour l'école élémentaire et plus encore pour le collège: celui de
la nécessité d'enrayer l'exclusion effective ou symbolique des élèves.

Aspect cognitif: la composante liée au traitement de l'information


En psychologie cognitive, le traitement de l'information est une suite
d'opérations dont les principales sont: l'anticipation, la compréhen-
sion (du contexte de la situation, des registres sémiotiques sollicités),
les inférences (modifiant éventuellement les schèmes et procédures),
le contrôle (ou capacité à apprécier la validité des procédures mobi-
lisées et de la réponse fournie, par rapport à la question posée). Ce
traitement fait aussi appel à des fonctions cognitives de haut niveau
telles que le raisonnement, la mémorisation, l'attention ...
L'anticipation est un comportement indiquant que le sujet se pré-
pare à se confronter à une situation. Dans le cadre scolaire, c'est, par
exemple, le cas de l'élève qui prépare son cahier ou sa feuille pour se
mettre au travail, mais aussi de celui qui lit plusieurs fois une consigne
pour s'en imprégner avant de démarrer la tâche.
Les schèmes, les procédures et les stratégies sont ensuite mobilisés
pour résoudre la tâche. Comprendre la façon dont l'élève apprend,
après identification des conduites privilégiées, consiste à chercher les

58
LES PROCÉDURES ET STRATÉGIES MISES EN ŒUVRE PAR L'ÉLÈVE

procédures qu'il utilise pour réaliser une tâche donnée. La procédure


est la partie visible, l'expression observable, de cette unité fondamen-
tale de la pensée dans la théorie constructiviste qu'est le schème. Jean
Piaget nomme schème ce qui, dans une action (ou une opération),
peut être généralisé et transposé d'une situation à une autre, dans
une même classe de situations. Les schèmes primaires réflexes (crier,
Les
sucer, attraper... ) permettent la construction de schèmes secondaires schèmes
plus élaborés (secouer, déplacer... ) et ainsi de suite. Gérard Vergnaud en acte
a développé cette question en différenciant les schèmes en acte des
schèmes opératoires, qui sont conscientisés par la mise en mots que le
sujet a pu effectuer.
L'un des aspects de la stratégie que développe l'élève, confronté à
un savoir complexe, dépend de sa capacité à solliciter et à choisir une
procédure adéquate, autrement dit à mobiliser les schèmes correspon-
dant à la tâche. Le plus souvent, chez l'écolier et même chez le collé-
gien, cette connaissance procédurale est non conscientisée. L'une des
tâches de l'enseignant pratiquant une pédagogie active de l'apprentis-
sage consiste à faciliter la mise en mots, par l'élève, de ses «connais-
sances en acte» (Vergnaud), pour l'aider à en prendre conscience et
faciliter leur transformation en schèmes opératoires.
Avant d'aborder les grandes fonctions cognitives, il est possible de rap-
porter les premiers aspects présentés, dans le tableau de synthèse 2.1.

Tableau 2.1. Les trois aspects des conduites observées


Aspect conatif Aspect affectif Aspect cognitif
Le terme conatif regroupe Les affects jouent un rôle L'aspect cognitif concerne la
l'ensemble de ce qui est du important dans la réalité suite d'opérations permettant
domaine de la motivation, des apprentissages. de traiter les informations. Les
de la confiance, de l'estime, Certains élèves ne peuvent principales étapes sont l'antici-
de l'image de soi, etc. se dégager de l'impression pation, la compréhension, les
Il est possible d'établir des qu'on ne les «aime pas» et inférences, le contrôle.
distinctions entre stress, restent moins disponibles Le traitement fait aussi appel
peur, anxiété, angoisse. pour le travail scolaire. à des fonctions cognitives de
haut niveau.

LES fONCTIONS COGNITIVES DE HAUT NIVEAU

Il est d'usage de regrouper sous ce terme de grandes fonctions comme


la représentation, le raisonnement, la mémoire, l'attention.

59
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

La représentation
Elle est définie comme un élément cognitif en relation avec un élé-
ment extérieur à lui et qui peut s'y substituer comme objet de traite-
ment. Il est possible de distinguer deux sortes de représentations:
-la représentation physique (c'est-à-dire un dessin, un schéma, un
tableau ... ) qui entretient une relation de type analogique avec le
réel;
- la représentation mentale pouvant être implicite ou explicite. Le
sujet apprend rarement à partir de rien: il dispose toujours d'une
idée, d'une représentation mentale, même sur ce qui lui semble
radicalement nouveau. L'élève peut apprendre à partir de sa propre
expérience qui est influencée, pour une part significative, par sa
culture, sa famille, son vécu personnel.
L'élève apprend aussi à partir de ce qu'il croit savoir. Des expérien-
ces faites auprès d'enfants de 6 à 12 ans sur leur représentation de la
forme de la Terre montre que le modèle scientifique -la Terre est une
sphère - s'élabore avec l'âge. Avant cela, il y a des modèles premiers,
encore nommés «représentations naïves ». La plus couramment ren-
Les repré-
sentations contrée assimile la Terre à un disque. La raison est que cette forme
archaïques concilie deux idées: la rondeur (connaissance implicite dont l'enfant
est imprégné) et la platitude (heuristique résultant d'un constat pra-
tique que le paysage est plan et non sphérique). Cette représentation
induit l'idée que se trouver de «l'autre côté de la Terre» signifie que
l'on peut tomber dans le vide. D'ailleurs, lorsqu'un enfant produit une
représentation graphique de la Terre, les habitants de pays situés à
l'opposé de la France sont représentés la tête en bas. Il met de nom-
breuses années à sortir de cette représentation, doublement fondée
sur de l'implicite non élucidé et de la pratique dont la dimension lo-
cale de l'espace en question ne permet pas d'en construire une repré-
sentation globale et scientifiquement exacte. Dans un domaine voisin,
le vocabulaire utilisé porte toujours la marque de croyances anciennes
et non scientifiques: le soleil «se lève» encore à l'Est et «se couche» à
l'Ouest, comme s'il tournait autour de la Terre!
Apprendre consiste à partir de ce que l'on sait, ou de ce que l'on
sait faire, pour se dégager des représentations initiales et naïves par
déstabilisations successives.

60
lES PROCÉDURES ET STRATÉGIES MISES EN ŒUVRE PAR l'ÉLÈVE

Le raisonnement
Le mot « raisonnement» est un terme polysémique. Il désigne un pro-
cessus inférentiel- raisonner, c'est faire des inférences -, mais il dési-
gne aussi le résultat de l'inférence et l'expression du résultat. Envisagé
sous l'angle de la logique, ce qui importe est la validité des données et
du résultat. Il est alors régi par des règles strictes, celles de la logique
formelle. En revanche, la psychologie de l'éducation s'intéressera da-
vantage au déroulement du raisonnement, domaine qui est indépen-
dant de la validité.
La déduction est la figure majeure du raisonnement logique. Il s'agit
de produire du vrai à partir du vrai. L'exemple le plus concret de la Trois
façons de
déduction réside dans l'activité mathématique. Si deux droites sont
raisonner
parallèles alors toute droite perpendiculaire à la première est néces-
sairement perpendiculaire à la seconde. La confusion entre déductif
et inductif est souvent commise. La démarche de Sherlock Holmes,
et plus généralement celle des enquêteurs, est plus inductive qu'elle
n'est déductive.
L'induction est une autre figure importante. Il s'agit alors de pro-
duire du vrai à partir du possible. C'est le domaine de l'émission d'hy-
pothèses que l'on cherche à vérifier. L'exemple significatif d'un rai-
sonnement par induction est la démarche scientifique expérimentale.
Il existe des démarches cognitives destinées à favoriser, chez l'élève,
ce mode de raisonnement: voir à ce propos, le modèle des inférences
inductives, proposé par Britt-Mari Barth, présenté au chapitre 6.
L'analogie est un autre mode, différent des deux premiers puisqu'il
s'appuie sur la réorganisation du connu. Il essaie de s'appuyer sur une
situation antérieure identifiée comme étant du même type que celle
en cours de résolution. À partir d'une situation nouvelle, ou situation-
cible, on cherche une situation-source déjà résolue et qui permet alors
l'économie cognitive d'un travail inférentiel.
Il existe de nombreuses autres formes de logique: modale ou floue,
le raisonnement s'effectuant par récurrence ou par l'absurde, etc.
Une question qu'il est possible de soulever est de savoir comment
il se fait que l'homme, quoique parvenu au stade des opérations for-
melles de la pensée, est souvent dans l'incapacité d'exercer un raison-
nement logique (déductif, inductif ou analogique) et se laisse envahir
par des façons de procéder a utomatisées et non réfléchies, qui sont
souvent des connaissances ou des jugements en acte, forgées dans la
vie quotidienne. La littérature est abondante sur une telle question.

61
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

Biais de raisonnement et conduites non rationnelles


Rappelons un fait souvent vérifié. Rouler en voiture et apercevoir un gendarme
impliquent, dans une très grande majorité de cas observés, un ralentissement
de la part du conducteur, alors même qu'il roule à vitesse normale. Le compor-
tement quitte le champ de la rationalité pour celui des représentations: celle
que le conducteur a du rôle du gendarme; celle qu'il a aussi de sa possible
transgression du code de la route.
Soit une proposition vraisemblable qui peut se formuler de la sorte: JI est rare
de trouver un enfant qui ne soit jamais allé au bord de la mer. Cette proposition
peut être fondée sur deux types différents de connaissances:
- on sait que les enfants aiment se baigner or les parents partent souvent en
vacances au bord de la mer. En conséquence, il est rare de trouver des enfants
Fiabilité qui n'y soient jamais allés. En fait, cette inférence ne se fonde sur aucun élément
du raison- scientifique. Il s'agit simplement d'une reconstruction de la réalité par le sujet à
nement partir de présupposés;
- si la proposition est formulée à partir d'un sondage qui indique que 90% des
enfants de moins de dix ans ont déjà séjourné au moins une fois à la mer, alors
il s'agit d'une proposition logique car elle est fondée sur la réalité objective des
faits.
Les biais, ou erreurs dans le cheminement du raisonnement, sont nombreux
et peuvent être attribués à la faiblesse de la pensée qui, souvent par économie
cognitive, utilise des chemins qui semblent plus courts ou qui semblent mieux
connus alors qu'en réalité leur manque de pertinence logique rend invalide
toute conclusion.

La mémoire
Dans une étude réalisée sur la mémoire, Alain Lieury montre que,
dans les manuels de sixième de collège, les élèves vont rencontrer en-
viron six mille mots nouveaux. En moyenne, ils en retiendront deux
mille cinq cents, soit environ mille pour les collégiens qui en retien-
nent moins et environ quatre mille pour ceux qui en retiennent plus.
Ces travaux et d'autres (Lieury, 1999) mettent en lumière le fait que
chacun n'utilise pas sa mémoire de la même façon. L'hétérogénéité est
un constat observé dans ce domaine aussi. Il faut distinguer plusieurs
formes de mémoire :
- la mémoire à long terme (MLT) est le mode et le lieu de stockage des
informations. Les modalités organisationnelles majorent le stockage
(organisation soit phonétique, soit sémantique, soit structurelle, soit

62
LES PROCÉDURES ET STRATÉGIES MISES EN ŒUVRE PAR L'ÉLÈVE

par réseau ou par association ... ). Pour exemple du fonctionnement


du lexique (il s'agit de la mémoire des mots) : il est plus facile Les
de mémoriser dix mots sur un même thème (par exemple, liés à formes de
l'environnement de la cuisine ou à un thème disciplinaire donné) mémoire
que dix mots n'entretenant aucun rapport entre eux;
- la mémoire immédiate (MI) ne retient les données que quelques
secondes pour effectuer des actions. Cette mémoire est limitée dans
le temps mais aussi limitée en termes de capacité de travail. C'est
le siège du rappel des données stockées. Par exemple, «4 x 7 = 28 »
est un algorithme, appelé de la MLT, pour effectuer une opération
qui nécessite de connaître ce produit. Il ne sert à rien que cette
information, une fois utilisée, reste en mémoire immédiate et
l'encombre;
- la mémoire de travail (MT) est l'instance qui permet de réaliser
l'activité de traitement de l'information rappelée de la MLT. Le
nombre d'informations correctement traitées se nomme l'empan
de la MT. Pour tous les individus, il est limité. Dans un exercice
consistant à se souvenir d'une liste de lettres que l'on demande de
redonner dans l'ordre inverse (par exemple, liste initiale: E, R, A,
T, l, U, G; liste à redonner: G, U, l, T, A, R, E), l'empan est de 1 (en
moyenne) à 5-6 ans, c'est-à-dire qu'il est ordinaire qu'un sujet de
cet âge ne se souvienne pas plus d'une lettre. L'empan augmente
avec l'âge mais aussi avec l'entraînement, notamment celui réalisé
durant la scolarisation du sujet. Il a tendance à diminuer avec le
vieillissement.
Le travail sur la mémoire est important pour l'apprentissage. L'auto-
matisation des opérations de traitement peut faire reculer les limites
de la MT. Par exemple, dans le cas de phrases énoncées, c'est-à-dire
un traitement liant rappel du lexique et règles syntaxiques, les phrases
produites sont plus riches et plus complexes selon l'automatisation
qui en est faite. D'où la grande difficulté pour le professeur, surtout
à l'université, de satisfaire l'étudiant qui lui demande de répéter mot
pour mot une phrase qu'il vient d'énoncer. Ceci est d'ailleurs la preu-
ve que l'étudiant qui est plus attaché à la forme (la phrase énoncée)
qu'à l'idée présentée, est pénalisé.
Réaliser des tâches, effectuer des exercices, toutes les opérations
liées aux modalités de l'apprentissage mobilisent la mémoire. La mé-
moire se travaille et les techniques mécaniques pouvant y contribuer

63
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

sont nombreuses. Pour faire réfléchir le lecteur, quelle notion est sup-
portée par le moyen mnémotechnique qui se traduit par la proposi-
tion suivante: Me Voici Tout Mouillé, Je Suis Un Nageur Pressé?

L/AlTENTION

L'attention est une fonction cognitive de haut niveau: «C'est un fonc-


tionnement inter et intrapsychique qui se développe avec la nécessité
Attention
et appren- du milieu et la volonté de progrès cognitifs» (Boujon, 2004). Habituel-
tissage lement, l'attention est identifiée par deux types de conduites fréquem-
ment rencontrées dans le discours des parents comme dans celui des
enseignants. C'est, en premier, «l'élève dans la lune», dont la difficulté
de contact direct avec le mode environnant rend difficile les échanges
et les apprentissages. L'autre figure est celle de l'enfant dispersé, dont
l'instabilité motrice empêche une centration sur la tâche en cours,
ce qui a pour résultat qu'il donne des réponses en décalage avec la
question posée.

Les formes de fattention


La littérature identifie habituellement plusieurs formes d'attentions:
certaines sont élémentaires et précoces; d'autres formes sont plus éla-
borées et constituent des schèmes de haut niveau.
1) Les formes premières et précoces :
- L'attention sélective intervient chez le nourrisson, par les premiè-
res explorations, visuelle et auditive, de l'environnement direct. Cette
activité d'attention focalisée est un élément déterminant du dévelop-
pement. À partir de données expérimentales sur la réaction à la nou-
veauté, les chercheurs ont catégorisé trois types de nourrissons: «les
curieux» qui passent du temps à regarder la nouveauté et à la fixer en
mémoire; le groupe des «indifférents» qui consacrent peu de temps
à l'observation de la nouveauté et ne la mettent pas en mémoire; le
groupe des «fluctuants» rassemble les nourrissons qui passent moins
de temps que ceux du premier groupe à s'intéresser aux nouveautés
de leur environnement mais semblent cependant les mémoriser.
- L'attention conjointe est une capacité bien spécifique que met en pla-
ce un bébé de moins d'} an. Il s'agit que son regard suive la même di-
rection que celle suivie par le regard de sa mère. Il semble qu'un jeune
enfant sur quatre ne soit pas en capacité d'effectuer cette conduite.
- L'attention exogène résulte de l'environnement externe (sollicitation
auditive, visuelle, contextuelle, sociale).

64
LES PROCÉDURES ET STRATÉGIES MISES EN ŒUVRE PAR L'ÉLÈVE

- L'attention endogène est liée à la volonté du sujet. Pour Boujon


(1997, 2004) l'attention n'est pas réellement intériorisée avant l'âge
moyen de cinq ans.
2) Les formes élaborées et de haut niveau:
- L'attention partagée: lors des apprentissages, les formes d'attention
sollicitées sont d'un niveau plus élevé, d'une complexité plus grande
que les premières formes relevées. Les tâches complexes (comme lire, Les façons
écrire, résoudre des problèmes) font appel à de nombreuses fonctions d'être
attentif
cognitives: anticiper, comprendre, inférer, utiliser la mémoire, véri-
fier, contrôler... Cependant ces fonctions s'articulent à la fois dans la
simultanéité et dans la chronologie. Leur gestion nécessite que l'atten-
tion soit partagée entre elles.
- L'attention divisée: les chercheurs distinguent attention partagée et
attention divisée. La première, comme indiqué dans l'alinéa précédent,
concerne la gestion d'un ensemble de fonctions qui sont toutes orien-
tées vers un même but. En revanche, lorsque l'élève écoute son pro-
fesseur, tout en dessinant sur une feuille ou en parlant à son voisin,
lorsqu'il regarde le tableau tout en pensant au dernier film qu'il a vu,
autrement dit lorsqu'il essaie de gérer des activités dont les finalités
sont différentes, alors on parle d'attention divisée. Les risques de dis-
traction et de dispersion sont alors réels, l'attention devenantjonglage
entre deux buts ayant peu ou même rien à voir. Lors de l'exécution ex-
périmentale de deux tâches différentes (comme effectuer un calcul et
écrire une liste de mots), l'une est traitée par le sujet prioritairement,
elle est la tâche principale. Si la tâche secondaire est traitée plus laborieu-
sement, c'est que la disponibilité attentionnelle s'est épuisée dans la
tâche principale.
Pour parvenir à l'effectuation également qualitative de chacune des
deux tâches, il convient que l'une des deux soit automatisée de façon
à ne dépenser aucune énergie attentionnelle pouvant faire défaut.
C'est le cas des lecteurs expérimentés qui maîtrisent l'assemblage et
la combinaison des lettres, pouvant ainsi consacrer une plus grande
attention à la compréhension du texte, contrairement au lecteur no-
vice qui est confronté à plusieurs gestions simultanées. C'est aussi le
cas de l'élève, dans la résolution de problème, qui, ayant mémorisé les
tables d'additions et de multiplications, peut disposer de son attention
pour comprendre les relations numériques en jeu dans la situation. La
capacité de développer l'attention se construit au fil des années pour
se stabiliser vers 14 ou 16 ans, selon les sujets.

65
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

L'amélioration de l'attention
- Représentations de l'attention chez les élèves: il semble que les élèves,
en situation d'apprentissage, développent des compétences, d'abord
dans le domaine de l'attention élémentaire (sélective) puis ensuite
plus complexe (partagée et divisée). Les compétences attentionnelles
sont en lien avec le travail de la mémoire à long terme: stockage, or-
ganisation, rappel. Reste à savoir comment les élèves se représentent
l'attention.
Une question a été posée à des collégiens de l'académie d'Amiens:
«En classe, que veut dire être attentif?» (Boujon, id.). Les résultats
obtenus figurent dans le tableau 2.2.

Tableau 2.2. Représentation de l'attention chez les collégiens


(Boujon, 2004)
Collégiens de sixième Collégiens de quatrième
L'attention Les réponses renvoient principalement au Les réponses porteuses de justifications phy-
selon les domaine des postures physiques avec une siques ont nettement diminué: pour 43 0/0
élèves forte connotation morale: des élèves, «faire attention» c'est ne pas
- être calme; bavarder.
- bien se tenir; En revanche, pour 96 010 des collégiens de
- se taire; quatrième, l'écoute est une forme principale
- ne pas jouer avec son voisin; de l'attention.
- ne pas faire de bêtises, etc. D'autres composantes cognitives intervien-
Moins nombreuses sont les réponses s'inscri- nent également qui n'existaient pas chez
vant dans une composante plus cognitive: les collégiens plus jeunes: répondre, com-
- écouter ce que dit le professeur; prendre, participer.
- écouter les camarades.

La question que l'on peut maintenant se poser est de savoir si l'ac-


croissement de l'attention, et de sa représentation subséquente, est le
résultat du développement du sujet et de sa maturation biologique ou
bien s'il résulte de l'effet de l'environnement scolaire et des situations
rencontrées en classe.
Pour Christophe Boujon, qui rapporte un grand nombre d'expéri-
mentations (id.), l'attention se développe en acte: «On devient plus
et mieux attentif parce qu'on l'a déjà plusieurs fois été» (id., p. 263).
Ce constat prend le contre-pied de l'idée souvent rencontrée, selon
laquelle il suffit que le sujet prenne conscience, par évocation, de la
capacité de mobiliser l'attention pour la maîtriser mieux. En effet, les
expériences conduites prouvent le contraire: les situations scolaires
impliquant l'attention (comme l'activité de lecture) ont un effet majo-

66
LES PROCÉDURES ET STRATÉGIES MISES EN ŒUVRE PAR L'ÉLÈVE

rant sur la maîtrise de la fonction attentionnelle par l'élève. Autre idée


répandue, les individus disposeraient, de façon plus ou moins innée,
d'une forme déterminée d'attention, soit visuelle soit auditive (hors
déficience sensorielle), qu'il conviendrait d'identifier pour mieux
connaître le fonctionnement cognitif dans son ensemble. Les recher-
ches ont montré que si en maternelle les élèves ont, de façon mas-
sive, une meilleure attention auditive que visuelle, à partir de l'école
élémentaire et jusqu'à la fin du collège, «l'attention visuelle ne cesse
de progresser alors que l'attention auditive atteint son maximum aux
alentours de 8 ans» (id.). Il n'y a donc pas de détermination, variable
Améliorer
selon les individus, mais des conduites dont les caractéristiques com- l'attention
munes se retrouvent chez chacun.
En conséquence, aider l'élève, dans le cadre de la classe, à amélio-
rer son attention passe moins par les dispositifs de conscientisation a
priori et passe plus par la mise en œuvre d'activités variées, favorisant
la sollicitation de ce type de fonction. La recherche d'une prise de
conscience de sa conduite, par le sujet, peut s'effectuer a posteriori, à
partir de nombreuses mises en situation qui seront verbalisées.
- L'alternance entre activités de différentes disciplines est l'un des pre-
miers modes permettant de trouver une certaine efficacité attention-
nelle. De même, au sein d'une même séance, la variation des supports
ou des activités, en évitant trop de dispersion, peut apporter un renou-
vellement de l'attention. L'alternance est plus facile à proposer à l'éco-
le élémentaire qu'au collège, en raison du statut de l'enseignant dont
la polyvalence lui permet plus de souplesse dans ses interventions.
- La présence d'une pause au cours d'une séance est également consi-
dérée comme bénéfique. Dans une étude réalisée en cours de latin,
dans des classes de quatrième, Boujon a comparé deux groupes d'élè-
ves. Le premier effectue trois activités (thème, version, grammaire) qui
s'enchaînent en une demi-heure (dix minutes chacune). Le second
groupe de collégiens effectue le même travail mais avec une pause de
cinq minutes entre chacune des trois activités. Les notes obtenues par
les élèves du groupe «avec pause» sont meilleures que celles obtenues
par les élèves du premier groupe.
Pauses et courtes ruptures, dans les activités engagées comme dans
l'organisation de l'emploi du temps, semblent être de nature à favori-
ser l'efficience des conduites attentionnelles.
Notons enfin que chez les enfants ou adolescents atteints de la pa-
thologie THADA (troubles de l'hyperactivité avec déficit attentionnel),

67
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

l'hyperactivité, lorsqu'elle est avérée, n'induit pas obligatoirement un


défit attentionnel. Réciproquement, le déficit d'attention n'entraîne
pas automatiquement de trouble de l'hyperactivité.

Il. LA PRISE DE CONSCIENCE


ET LES ASPECTS MÉTACOGNITIFS

Réussir une tâche est une chose, cependant un élève peut réussir un
travail sans avoir totalement compris ce qui était en jeu, en termes de
La connais- savoir comme en termes de procédés utilisés. La compréhension né-
sance cessite une lucidité, une conscience de l'activité engagée. La prise de
sur la conscience, souvent facilitée par la mise en mots des procédures, per-
connais-
met à l'élève de se doter des outils de réflexion pour être en capacité
sance
de réutiliser ou d'adapter une procédure valide. La métacognition est la
compétence qui permet de mettre à distance, d'analyser et d'utiliser ce
qui a été fait précédemment. Les théoriciens de la prise de conscience
et de la métacognition sont essentiellement Piaget et Flavell, dont nous
présentons quelques points de repères importants.

PIAGET, LA RÉGULATION ET LA PRISE DE CONSCIENCE

Pour Piaget (1974), la prise de conscience est le passage de la connais-


sance pratique à la connaissance réfléchie: c'est la conceptualisation des
«connaissances en acte », au sens de Vergnaud, ou encore la transforma-
tion des schèmes d'action en opérations. La conscience vient de l'action
du sujet et de la représentation qu'il s'en est construite. Elle est liée à
l'abstraction dans sa double dimension, empirique et réfléchissante:
- l'abstraction empirique porte sur les objets et leurs propriétés
tandis que l'abstraction réfléchissante porte sur l'activité cognitive
du sujet sur l'objet et la capacité du sujet à transposer une action
devenue réfléchie;
- l'abstraction réfléchissante comprend deux aspects: le
«réfléchissement» qui est projection au niveau supérieur de ce
qui est transféré du niveau inférieur puis la «réflexion» qui est la
réorganisation structurale, au niveau supérieur. Dans une action
d'accompagnement, le rôle de l'enseignant, quand il favorise la
verbalisation explicative, est déterminant pour mener l'élève vers
la prise de conscience.

68
LES PROCÉDURES ET STRATÉGIES MISES EN ŒUVRE PAR L'ÉLÈVE

Les différents niveaux de la prise de conscience


Piaget (1974) distingue plusieurs étapes dans la prise de conscience:
-le niveau l,jusqu'à 4-6 ans: les enfants parviennent au résultat
de l'action par tâtonnement mais sans vraiment expliquer leur
action réelle;
-le niveau II, vers 7-8 ans: les enfants commencent tout d'abord
à anticiper l'action, dans son déroulement, puis, plus difficilement,
dans son effet. Cependant, comme la maîtrise n'est pas installée,
des tensions peuvent intervenir entre l'anticipation et l'action;
- le niveau III, à partir de 11-12 ans: la prise de conscience des Prendre
conditions de la réussite et sa compréhension (anticipation, action, conscience
effets) commencent à se stabiliser. Le travail de compréhension
et de réflexion que le professeur engage avec ses élèves, sur leurs
apprentissages, prend un sens plus ample au collège.

Les différents niveaux de la régulation, par le sujet, de son action


Dans l'approche piagétienne, la régulation est une modification com-
pensatrice des schèmes en fonction de l'activité cognitive du sujet.
Elle est au cœur du mécanisme d'interaction conflictuelle sujet-mi-
lieu, qui se traduit dans la dialectique assimilation-accommodation.
Les régulations compensatrices donnent naissance aux accommodations
qui modifient les schèmes et la structure des conduites, devenus ina-
daptés, en vue de les ajuster aux contraintes nouvelles de l'objet ou
du milieu.
Comme il existe plusieurs niveaux dans le développement de la
prise de conscience, il existe, selon Piaget, plusieurs niveaux dans le
développement du mécanisme de régulation qui tient, indépendam-
ment de l'étape à laquelle il se situe, une même fonction: «Toutes les
régulations sont du point de vue du sujet des réponses à des perturba-
tions» (Piaget, 1975). Trois étapes principales sont identifiées:
- les accommodations anticipatrices (stade sensori-moteur, jusqu'à
environ 2 ans) permettent au sujet de prévoir et de mettre en
œuvre les régulations motrices nécessaires aux schèmes pour
qu'ils s'adaptent à la situation nouvelle. C'est, par exemple, la
construction du schème de la permanence de l'objet;
- le développement des décentrations (stade préopératoire, entre 2
et 6 ans, environ) traduit une nouvelle étape de la régulation, par

69
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

Contrôler coordination de centrations permettant de déplacer un point de


ses vue en fonction de composantes externes. C'est, par exemple, la
procédés construction de fonctions infralogiques de nature temporelle ou
spatiale;
- les régulations anticipatrices et rétroactives (stade opératoire).
La réversibilité permet de faire correspondre à une opération
son inverse. La régulation, s'appuyant sur la fonction cognitive
de réversibilité, apporte une réponse opératoire au déséquilibre
occasionné par l'inadaptation du schème au milieu.
Cette répartition en niveaux retrouve les grandes périodes du dé-
veloppement du sujet, définies par la psychologie génétique: la pé-
riode préopératoire et les hésitations nombreuses, liées aux phases
de tâtonnement; la période opératoire ensuite, s'appuyant d'abord
sur le concret puis, ensuite, capable d'intériorisation et de travail sur
des hypothèses. Selon Piaget, l'accès du sujet à la prise de conscience
correspond au «caractère inévitable du besoin d'explication causale»
(1974). La verbalisation explicative joue un rôle dans l'établissement
de la prise de conscience.

FLAVELL ET LA MÉTACOGNITION

Pour Flavell, qui a défini le premier ce concept, «la métacognition se


rapporte à la connaissance qu'on a de ses propres processus cognitifs,
de leurs produits et de tout ce qui y touche, par exemple les propriétés
pertinentes pour l' apprentissage d'informations ou de données» (cité
dans Noël, 1990).
Cette définition induit que le concept de métacognition se com-
pose de deux catégories: les connaissances métacognitives et les conditions
d'apprentissage et de résolution de tâche. Les connaissances métacognitives
sont le fruit des expériences cognitives du sujet accumulées au fil des
tâches. Pour Flavell, les connaissances métacognitives se déclinent de
plusieurs façons:
- les connaissances relatives aux personnes: elles peuvent être
intra-individuelles (il s'agit des connaissances que le sujet a de
lui-même et de ses compétences) ou interindividuelles (l'élève
compare ses connaissances à celles des autres) ;
- les connaissances relatives aux activités: elles sont liées à la
compréhension de la tâche dans ses composantes (compréhension,
raisonnement, mémoire ... ) ;

70
LES PROCÉDURES ET STRATÉGIES MISES EN ŒUVRE PAR L'ÉLÈVE

-les connaissances relatives aux stratégies: elles sont directement


cognitives (anticiper, planifier une tâche) ou distanciées (gestion
globale de la tâche, mise à distance, contrôle ... ).
À la suite de Flavell, Brown (1975) s'est surtout intéressée à la ges- Planifier ses
tion de l'activité mentale. Cela renvoie au contrôle et à la régulation des procédés
processus mentaux, aux décisions et aux comportements stratégiques
qui accompagnent l'activité et qui permettent de la modifier en cas de
nécessité. On y retrouve des activités de planification, de contrôle et
de régulation :
- des activités de planification: il s'agit ici d'organiser la réalisation
de la tâche, en partant de l'analyse des informations à traiter, des
caractéristiques et des exigences de la situation, ce qui permet
d'adopter une stratégie efficace. Il s'agit de prévoir les étapes de
réalisation tout en estimant le résultat attendu, en prenant en
compte les objectifs de la tâche, le temps nécessaire à la réalisation,
les chances de succès... ;
- des activités de contrôle: cela consiste à vérifier l'efficacité de
l'activité en cours et la pertinence des stratégies adoptées. Le sujet
peut alors comparer un résultat avec l'estimation réalisée lors de
la phase de planification, se poser des questions supplémentaires
pour s'assurer de la compréhension ... ;
- des activités de régulation: la décision régulatrice suit généralement
l'activité de contrôle et représente toutes les modifications de
stratégie en fonction de ce qui a été détecté lors du contrôle. Cela
peut entraîner des corrections, un changement de procédure ou au
contraire une poursuite de la procédure en cours.

KLUWE ET LA RÉGULATION

La régulation, élément du fonctionnement cognitif résultant de la


compréhension par le sujet de la tâche qu'il effectue, est dépendante
du contrôle du sujet sur la réalisation de la tâche. Dans cette appro-
che, la notion de régulation se comprend en lien avec celles de prise
de conscience et de métacognition. Le contrôle intervient à plusieurs
niveaux:
-la fixation de la tâche mobilisant les ressources cognitives;
- la planification de l'activité en fonction d'objectifs;
-la réalisation et l'exécution de la tâche;

71
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

- l'évaluation des résultats obtenus en perspective avec les


objectifs fixés.
«Le contrôle et la régulation des activités cognitives supposent que
Réguler ses
procédés
le sujet dispose de connaissances sur ses activités et d'informations sur
son déroulement.» (Nguyen-Xuan, Richard et Hoc, 1990).
Kluwe (1980) distingue quatre types de processus dans l'activité de
régulation :
- la régulation de la capacité de traitement de l'information, qui
s'attache à la quantité et à la répartition des efforts fournis au cours
de la tâche;
- la régulation du matériel traité, qui s'attache aux décisions prises
par le sujet par rapport au matériel dont il dispose (sélectionner les
informations importantes et s'y attarder davantage) ;
- la régulation de l'intensité du traitement de l'information, qui
s'attache à tout ce qui relève de la gestion du temps au cours de la
tâche;
- la régulation de la vitesse de traitement de l'information, qui renvoie
à tout ce qui permet de diminuer ou d'augmenter le temps
normalement requis pour réaliser une tâche.
Le processus de régulation est non seulement en rapport avec la com-
posante temporelle dans la réalisation de l'activité, comme la gestion
des écarts entre le temps prévu a priori pour la tâche et le temps effec-
tivement passé, mais aussi avec les intentions du sujet dans ses objectifs
de réalisation. Ces différents paramètres, prise de conscience et méta-
cognition, maîtrise du temps et intentions interagissent entre eux.

VVGOTSKI, LA PRISE EN COMPTE DE LA DIMENSION SOCIALE


ET LA MÉTACOGNITION

Contrairement à Piaget qui s'interroge sur la construction de connais-


sances dans l'interaction du sujet à l'objet, Vygotski (1985) s'est inté-
ressé à la construction de connaissances dans l'interaction à autrui. Plu-
sieurs notions vygotskiennes peuvent prendre place dans ce chapitre.

Llintériorisation
Vygotski et Pour le psychologue biélorusse, une fonction psychique naît d'abord
l'accompa- dans la culture d'appartenance du sujet avant d'être intériorisée par
gnement
ce même sujet. L'exemple du langage l'illustre: il est un processus

72
LES PROCÉDURES ET STRATÉGIES MISES EN ŒUVRE PAR L'ÉLÈVE

culturel, issu d'un groupe, un processus social avant de devenir une


construction individuelle. Le langage, en s'intériorisant, prend une
fonction cognitive et métacognitive permettant de comprendre les ex-
périences auxquelles le sujet est confronté, mais aussi de contrôler,
de les verbaliser, de les partager.

La zone de proche développement


Elle est définie par l'auteur comme la «disparité» entre le niveau de
développement de l'enfant lorsqu'il résout une tâche de façon auto-
nome et le niveau atteint lorsqu'il résout une tâche en collaboration. Il
parvient à ce niveau potentiel uniquement parce qu'il est accompagné
dans sa conduite. La connaissance est alors construite en deux temps:
une première fois avec autrui puis une deuxième fois pour être sta-
bilisée lorsque l'enfant rencontre, seul, la même situation qu'il peut
désormais résoudre. Notons que Vygotski ne dit rien sur la nature de
l'accompagnement et la posture de celui qui aide.
Cette double élaboration de la connaissance fondée sur l'interaction
avec l'autre est de nature à conduire le sujet à mettre à distance ses
procédés, à les critiquer et à les reconstruire de façon plus efficiente.
Le langage est alors un vecteur important de la mise en lucidité, de la
mise en compréhension de l'activité menée.

BARTH ET LA MÉTACOGNITION DANS LA CONSTRUCTION DE CONCEPTS

Se situant dans le courant brunérien, Britt-Mari Barth considère que


le rôle d'autrui dans la construction de savoirs est une condition fon-
datrice. Comme pour la plupart des constructivistes - Piaget l'avait
dit autrefois - le savoir est envisagé non comme un produit mais comme
un processus. Son appropriation résulte d'une mise en activité dans la-
quelle la dimension sociale est primordiale. Il n'est de compréhension
ni de prise de conscience sans intervention d'autrui. C'est dire, dans le
cadre des apprentissages, l'importance du professeur lorsqu'il adopte
la posture de guidage. Dans cette perspective, Barth explique que la
Barth et
métacognition est une activité pédagogique qui «consiste à aider l'élè- l'accompa-
ve à prendre conscience de sa pensée» (1987). gnement
La méthode que développe Britt Mari Barth, celle qui s'appuie sur les
inférences inductives, consiste à permettre à l'élève de mettre en évidence
les attributs invariants de l'objet à construire. Ces invariants permettent
de catégoriser et a mènent le sujet à conceptualiser. Cette mise en évi-
dence s'effectue par la distinction entre invariants et attributs variables.

73
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

En proposant à l'élève d'émettre des hypothèses à partir d'exemples


(contenant des invariants) et de contre-exemples (dont les attributs ne
sont pas essentiels), le professeur provoque la nécessité pour le sujet
d'expliquer, de justifier, d'argumenter, c'est-à-dire de produire des ac-
tivités verbales et cognitives facilitant la conceptualisation. Un exemple
de cette modalité pédagogique, qui rend l'élève acteur premier de ses
apprentissages, est présenté au chapitre 6.

MÉTACOGNITION ET ATTRIBUTION

Apprendre se situe prioritairement dans le domaine du «cognitif» :


compréhension, raisonnement, mémoire, procédure ... Il Ya d'autres
paramètres qui interviennent: ils sont de nature plus conative, comme
la motivation, qui peut être soit extrinsèque (l'élève travaille pour faire
plaisir à ses parents, ses professeurs, etc.), soit intrinsèque (il travaille
pour son avenir, pour lui). L'un de ces paramètres consiste à attribuer la
réussite ou l'échec à des causes diverses qui sont recherchées souvent
avec difficulté tant elles sont nombreuses et complexes à identifier.
Pour une mauvaise note reçue (en mathématiques ou en expression
écrite), deux séries de causes sont, le plus souvent, entendues:

- dans le premier cas, on entend l'élève affirmer que le professeur


est sévère, que l'exercice était difficile;
- dans le second cas, l'élève considère qu'il est responsable
de l'échec car, pense-t-il, il n'a pas appris la leçon, il n'a pas fait
attention, il est incapable de réussir, etc.
L'attribution selon qu'elle est externe ou interne n'a pas le même effet:
- dans le premier cas, celui où le sujet pense que la cause est
extérieure à lui (professeur sévère ou exercice difficile) , il Ya risque
de déconnexion, de désintérêt, de manque d'implication de l'élève
puisqu'il estime qu'il n'y est pour rien. Dans ce cas, pourquoi
ferait-il des efforts, pourquoi s'investirait-il, puisque la question lui
échappe, puisque les conditions ne dépendent pas de lui?
- dans le second cas, celui où le sujet pense qu'il porte une part
plus ou moins importante de la responsabilité, il est plus disponible
pour progresser et, généralement, il progresse plus que l'élève de
«l'attribution externe ». Le risque cependant est d'aboutir à une
paralysie, par peur de «mal faire », conduisant à une perte de
confiance dans ses compétences.

74
LES PROCÉDURES ET STRATÉGIES MISES EN ŒUVRE PAR L'ÉLÈVE

Tableau 2.3. Prise de conscience et métacognition : les différents niveaux


de la conscientisation, lors de la réalisation d'un travail en classe
Niveaux Définitions Exemples
La réussite Parvenir à effectuer une tâche, par L'élève sait faire une opération,
l'usage d'une heuristique (procé- un exercice de grammaire...
dure utilisée dans la vie quotidienne L'entraînement régulier à la réso-
et souvent efficace) ou la maîtrise lution d'une situation, apparte-
d'un algorithme. nant à la même classe de tâches,
facilite la réussite.
La compréhen- Travail sur le traitement du sens à L'élève franchit un premier
sion et la prise de donner à la tâche. Comprendre palier: il sait qu'il sait.
conscience n'implique pas toujours la réussite La confrontation à des présen-
mais y prépare. tations diversifiées d'une même
tâche facilite la compréhension.
la métacognition Le possible et le transfert adaptatif Un nouveau palier est franchi
sont envisagés. L'usage réflexif de par l'élève: savoir que l'on peut
la compréhension est transféré dans et que l'on va utiliser le fait de
de nouveaux champs (notionnel, savoir que l'on sait.
disciplinaire, social, etc.) La mise en mots des résolutions
de la tâche est un facilitateur.

MOBILISER DES PROCÉDURES CONSCIEMMENT OU INCONSCIEMMENT?

Autre question qu'il faut se poser: y a-t-il toujours conscience, de la


part de l'élève, des procédés qu'il utilise? Pour de nombreux auteurs
(une revue des travaux en est donnée par Merikle, 1992), il est fondé
de penser que la perception s'appuie sur des processus conscients mais
aussi non conscients. Cependant, les recherches dans le domaine mon-
trent qu'il est scientifiquement difficile de prouver que la perception
sans intervention de la conscience existe. Pour Merikle (1992), les
processus non conscients (il utilise l'expression de processus «incons-
cients ») ne sont pourtant pas des «versions atrophiées» des processus
conscients. Reste à savoir en quoi ils diffèrent. Pour tenter de répon-
dre à cette interrogation, l'auteur rappelle plusieurs expériences.
La première, réalisée par Groeger (1984, présentée dans Merikle,
1998), est relative aux stimuli visuels. Le chercheur présente des mots
isolés (mots-cibles) au sujet, puis une liste de mots, dont certains sont
proches par la structure des mots cibles et d'autres proches par leur
sens. Lorsque les mots-cibles sont perçus sans en avoir conscience, le
sujet a tendance à identifier, dans la liste, des mots dont le sens est pro-
che. En revanche, lorsque les mots-cibles sont perçus consciemment,

75
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

le sujet choisit dans la liste des mots visuellement, structurellement,


proches des mots-cibles.
Le test de Stroop est souvent utilisé en psychologie de la cognition.
La
conscience Cette expérience a montré que le sujet met plus de temps pour nom-
dans l'ap- mer la couleur employée pour écrire un mot lorsque ce mot désigne
prentissage une couleur différente que celle utilisée pour l'écrire. C'est ainsi
qu'une encre verte pour écrire le mot «noir» est plus longue à dési-
gner que l'encre verte lorsqu'elle sert à écrire le mot «vert». Merikle
(1998) propose une variante dans laquelle le nom de couleur est suivi
d'une tache pouvant être ou non de la même couleur que le mot: le
mot «vert» est suivi ou non d'une tache verte. La congruence (nom
et tache de même couleur) est vérifiée dans 75 % des cas présentés.
L'expérience se complète d'une autre variable: le nom de couleur qui
précède la tache peut être visible ou masqué.
Dans les deux cas (mots visibles ou masqués) l'effet Stroop est
confirmé. Cependant, le fait que le nom de la couleur soit prédictif
dans les trois-quarts des cas a facilité la désignation de la couleur uni-
quement lorsque le nom était visible. Merikle en tire la conclusion que
«la conscience est un prérequis à toute stratégie prédictive» (id.).
Une autre expérience, réalisée par Marcel (1980, présentée dans
Merikle, ibid.), semble aboutir au même constat. Il s'agit de proposer
au sujet une série de trois mots. Le premier indique le contexte, le
deuxième offre deux sens possibles et éloignés, le troisième est un
mot-cible. L'hypothèse de Marcel était de vérifier que la perception
et le choix de l'un des deux mots sémantiquement différents variaient
selon que le contexte était perçu consciemment ou non. Fut alors
mesuré le temps de décision du mot-cible dans les deux conditions.
Exemples de deux séries choisies: hand, palm, wrist (main, paume,
poignet) et tree, palm, wrist (arbre, palmier, poignet). Dans la premiè-
re série, mot-contexte et mot-cible renvoient au même sens du mot-
polysémie.
Les observations de l'expérience montrent que le mot-contexte
oriente le sens du mot-polysémie lorsqu'il est perçu consciemment. La
conscience, selon l'auteur de cette recherche, est utile à l'interpréta-
tion exacte du mot-polysémie.
Les constats qui résultent de ces expériences, liées essentiellement à
la perception, montrent que les performances du sujet diffèrent selon
que ses conduites sont conscientes ou ne le sont pas. Une extrapola-
tion peut mener à formuler l'hypothèse qu'il en va probablement de

76
LES PROCÉDURES ET STRATÉGIES MISES EN ŒUVRE PAR L'ÉLÈVE

même avec des tâches de nature non perceptible et pour des objectifs
liés à l'apprentissage. L'un des marqueurs de la conscience est la verba-
lisation que le sujet peut produire après l'exécution de la tâche.
De la maternelle au lycée, la verbalisation de l'activité, qu'elle soit
de nature perceptive ou de nature opératoire, est l'une des seules
façons pour le sujet de faciliter la conscience de la tâche qu'il a
menée.

III. LES STRATÉGIES DES ÉLÈVES EN FRANÇAIS


ET EN MATHÉMATIQUES

Pour aborder le domaine de la compréhension des stratégies que l'élè-


ve met en place quand il est confronté à une tâche d'apprentissage en
classe, nous utilisons des exemples de travaux d'écoliers dans les deux
champs essentiels des apprentissages élémentaires: la production de
texte et la résolution de problèmes.

STRATÉGIES ET PRODUCTION DE TEXTE

L'objectif est de comprendre les procédures convoquées lors de la ré- Les pro-
daction d'un texte, travail d'une grande complexité car faisant appel cédés en
français
à la mobilisation de compétences de divers registres. L'illustration en
est donnée par la production contrastée de deux élèves d'une même
classe de CM2. Deux autres productions sont présentées, chapitre
suivant. La consigne donnée est: «Raconter un de vos souvenirs. »
Les deux textes sont contrastés dans la présentation, l'un est bref,
composé d'une seule longue phrase. L'autre se présente sous une
forme plus élaborée avec plusieurs paragraphes. L'hétérogénéité des
deux écrits, qui ne touche pas uniquement la présentation, corres-
pond à la réalité de la majorité des classes élémentaires.

77
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

Production de Henri

Production de Jean

78
LES PROCÉDURES ET STRATÉGIES MISES EN ŒUVRE PAR L'ÉLÈVE

Pour objectiver l'observation, il est nécessaire de se doter d'outils fia-


bles, de grilles d'analyse, de façon à dégager les critères permettant de
mieux comprendre les procédés des écoliers. Dans le cas présent, les
grilles sont établies à partir de la répartition des activités langagières
du cycle 3 : d'une part, ce qui relève de la production, en tant qu'elle
représente une activité cognitive propre; d'autre part, des outils de la
langue qui permettent de mener à bien la première activité. Nous avons
volontairement réduit à cinq le nombre de critères de chaque grille afin
de centrer l'observation sur les domaines les plus importants.
Ces grilles reprennent certains critères didactiques, présentés par les
programmes officiels (MEN, 2002), dans le domaine du «savoir écrire»,
comme étant les compétences essentielles à maîtriser.
Les compétences en production
Elles regroupent les actions que mène l'élève et qui sont liées au traite-
Produire
ment de l'écrit dans sa globalité. On y distingue ce qui se rapporte au un écrit
respect de la consigne donnée, à la pertinence logique du récit aussi
bien dans son architecture et dans l'emboîtement des idées que dans la
mise en scène de personnages, au sens de la chronologie et de la coordi-
nation des actions, ce qui renvoie à la gestion du temps, à la capacité de
revenir sur l'écrit une fois fini, à la présentation et à la lisibilité générale
des opérations qui renvoient à la gestion de l'espace de la feuille, etc.
Pour les deux élèves, il est possible d'identifier un certain nombre
de ces conduites et de les réunir dans le tableau 2.4.
Tableau 2.4. Compétences en production, mobilisées
pour l'écriture d'un texte
Henri Jean
Respect de la consigne. Respect de la consigne. Situation pré-
A L'élève raconte un souvenir qui se sentée selon les repères temporo-spa-
La consigne déroule dans un passé récent. tiaux. Présence d'autres indicateurs
temporels U'avais 6 ans; 3 heures après).

Le récit présente une histoire dont La logique du récit est respectée. La com-
l'enfant est le protagoniste. préhension s'appuie sur une présentation
Il y a une construction logique du progressive de l'action avec un effet de
récit entre une cause (j'ai pris 3 mise en scène certain (ce qui devait
B brèmes) et une conséquence U'étais arriver, arriva).
Le contexte très content). L'enchaînement logique des actions est
logique Cependant, le texte ne comporte marqué par des connecteurs (alors, mais,
aucun connecteur. Hest construit sur puis...).
une juxtaposition d'actes ou d'im- Ces indicateurs sont à rapporter au
pressions. développement de la pensée logique du
sujet.

79
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

Henri Jean
Il existe une chronologie dans le La chronologie est construite sur les trois
récit entre éléments de la narration : temps forts: présentation, action, consé-
e effectuation du stage puis prise de quence.
La chrono- poissons. La concordance des temps est maÎ-
logie Cependant le lien entre les deux est tri sée (passé composé/imparfait/passé
assuré par une conjonction de coor- simple).
dination (et) et non un lien causal.
Le sujet est présent autant dans son Implication du sujet dans la narration du
D action (3 fois je ou F) que dans son souvenir. Autre protagoniste: le père.
l'énoncia- impression U' et je). L'articulation, dans la narration, entre
tion Il n'y a pas d'autres personnages que l'importance donnée à chacun des deux
lui. protagonistes est équilibrée.
Une grande phrase présente toute Trois paragraphes structurent l'action
l'histoire. narrée dans le récit. L'auteur guide le lec-
E La notion de paragraphe ou de teur par la main.
la présenta- séparation entre parties (narration et La relecture est manifeste (phrases bar-
tion point de vue) est absente. rées).
La ponctuation est peu présente. La ponctuation est maîtrisée.

Les compétences dans la maÎtrise des outils de la langue


Elles réunissent les activités spécialisées, relatives aux secteurs discipli-
Les compé-
tences en naires liés au vocabulaire, à l'orthographe, à la syntaxe, à la morpho-
écriture syntaxe verbale. Nous retenons la compétence à construire une phrase,
sémantiquement et syntaxiquement, dans ses formes et types divers; la
diversité de vocabulaire, emploi des synonymes et substituts pour dési-
gner les protagonistes du récit; le respect de l'écriture orthographique
et syntaxique selon les contextes et relations entre les mots, etc.
Pour chacun des deux élèves, il est également possible d'identifier
cinq conduites et de les réunir dans le tableau 2.5.

Tableau 2.5. Compétences dans la maÎtrise


des outils de la langue, mobilisées pour l'écriture
Henri Jean
L'écriture des phrases représente Les phrases sont construites correcte-
une difficulté. Il n'est pas certain ment: elles font sens avec pertinence.
que l'élève en maîtrise le sens. La ponctuation est présente.
F Il regroupe tout son récit en une Le texte est organisé en paragraphes
les phrases seule phrase (comprenant cinq regroupant des phrases porteuses de
verbes) ou deux si l'on considère sens.
que le groupe «4kSOO de poisson»
est une phrase.

80
LES PROCÉDURES ET STRATÉGIES MISES EN ŒUVRE PAR L'ÉLÈVE

Henri Jean
La phrase est déclarative et affirma- Présence d'une phrase à la forme négative. Le
G tive. récit pouvait permettre l'écriture de phrases
Le type de divers types (exclamatif ou interrogatif, par
et la forme exemple) mais ce n'est pas le cas.

Le texte est trop court pour que l'on La pronominalisation est exprimée. Le
H y note la présence de substituts. père est désigné par il.
Les substituts L'araignée est désignée par /'.
Le doigt également.

Les mots assez fréquents (pêchel Une incorrection syntaxique: mon père
poissonl content grosl aussi) ou peu mIen badigeonna sur le doigt.
courant (brème) sont correctement Une confusion entre «fût» (imparfait du
1 orthographiés; d'autres ne le sont subjonctif) et «fut» (passé simple de l'in-
L'ortho- pas (il s'agit des verbes dans leurs dicatifj.
graphe formes conjuguées). Mis à part ces détails, le registre ortho-
Il y a une mauvaise segmentation graphique est manifestement riche et
de certaines unités: rai vais (pour maîtrisé.
ravais), je navais (pour je nlavais).
Il y a quelques fautes d'accord Très peu de fautes orthographiques (badi-
(stages, brème, poisson). geoana).
L'hypothèse est qu'il s'agit d'un Maîtrise des accords en genre et en
J problème d'attention et non de nombre.
Les accords méconnaissance des accords. Le Maîtrise de l'accord du participe passé
texte ne semble pas avoir été relu, avec avoir.
ce qui aurait probablement permis
quelques corrections.

Pour une même tâche, deux élèves d'une même classe montrent
une forte hétérogénéité dans la conduite de production de texte com-
me dans la maîtrise des outils de la langue.

Le cas de Jean
Jean maîtrise les éléments fondamentaux du code écrit. Le pronostic
d'évolution, au collège, est optimiste. La stratégie développée illustre
une maîtrise certaine de l'écrit. Les indicateurs de cette maîtrise sont
nombreux. Retenons en deux parmi les plus significatifs:
- un début de rédaction, relu et critiqué, barré, puis une reprise
sur un thème qui paraît à l'élève plus en conformité avec la
consigne, preuve d'une capacité de contrôle sur l'activité menée;
- une organisation du texte pertinente et chronologique qui
montre que l'élève dispose d'une pensée dont les opérations
logiques et infralogiques sont correctement construites.

81
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

Cet élève réunit un grand nombre des compétences cognitives liées


au domaine disciplinaire (prise en compte des enjeux de ce travail), à
la tâche (maîtrise de ce qu'il est cohérent d'écrire ou de ne pas écrire),
aux procédures mises en œuvre (sélection des informations importan-
tes à narrer et choix des termes pour les présenter).

Le cas d'Henri
Le travail illustre quelques difficultés autant pour la construction du
récit que pour l'utilisation des outils.
La stratégie mobilisée consiste en une rédaction immédiate, une
écriture instantanée, sans détail dans la narration, sans distance une
fois la production faite. Le texte semble davantage réalisé par un éco-
lier de cycle 2 que par un élève de cycle 3, tant l'unicité de la phrase
appauvrit le récit, tant les détails sont inexistants et les connecteurs,
entre actions, absents. Pourtant, le texte en lui-même est original, l'élè-
ve ayant choisi un souvenir très personnalisé. Il semble que le potentiel
existe, cet élève a beaucoup à dire, mais le traitement qu'il en fait est
en retrait par rapport à ce potentiel.
Compé- On note des difficultés orthographiques, qui semblent ancrées et
tences paraissent traduire un rapport difficile de cet élève vis-à-vis de l'écrit.
et limites
Certains mots courants (pêche, poisson) ou non (brème) sont bien or-
thographiés. En revanche, les verbes présentent un obstacle pour
l'écriture de leurs formes conjuguées. Il y a trace d'une mauvaise seg-
mentation de certaines unités. Cela concerne aussi les verbes: j'ai vais
(j'avais), je navais (je n'avais).
Sachant que l'acquisition des formes des conjugaisons verbales pro-
cède d'un travail de mémorisation, il est possible qu'il faille explorer
cet aspect: comment cet élève stocke-t-il des données en mémoire et
quelle est sa capacité de rappel? Il serait aussi intéressant de connaî-
tre son niveau de maîtrise de la lecture et sa représentation de l'écrit
en production. Toutes ces informations nécessiteraient de s'entrete-
nir avec l'écolier dont la production indique à la fois un potentiel de
narration et des difficultés dans la mise en œuvre, celles-ci demeurant
cependant relatives, au regard des autres productions présentées dans
le chapitre suivant.

STRATÉGIES ET RÉSOLUTION DE PROBLÈME

Il s'agit de comprendre les procédés mis en place par deux élèves


d'une même classe de CM2 (cette étude est identiquement valable

82
LES PROCÉDURES ET STRATÉGIES MISES EN ŒUVRE PAR L'ÉLÈVE

pour les sixième et cinquième de collège) pour résoudre un problème


de proportionnalité.

Production de Léa

Prénom : ._ _FJ. •• Çü2ûr...•...•. Date CM2

et cinq bouteilles à deux euros et demi

Production de Juliette

Prénom: ;. ,.,...,.,.,·'t""r7'r . Age:

....
J.,.
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.J
,.\
cO 00 .J
/'
2. ..,1
_J

t: ...

83
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

Le premier consiste à remarquer la différence de traitement entre


chacune des productions, pour une tâche certes complexe mais dont
l'effectuation est habituelle dans une classe de CM2.
Pour comprendre le travail de ces élèves, au regard d'une tâche
comme celle-ci, il est nécessaire d'utiliser une grille d'analyse qui per-
mette d'identifier les caractéristiques fortes de chaque composante en
jeu dans la résolution du problème. Nous en avons dégagé cinq pour
ce type de tâche complexe (Perraudeau, 2ÜÜ4a).
- Composante mathématique: il s'agit de la structure du problème:
ici, une double structure multiplicative (deux espaces de mesure: gâ-
teaux et prix; deux autres espaces: bouteilles et prix) et une structure
additive (pour réunir les deux sous-totaux) ; les relations en jeu dans
cette structure entre les différents espaces de mesure; les algorithmes
numériques permettant d'effectuer les calculs avec des nombres déci-
maux...
- Composante logique et infralogique : il s'agit des structures de classe
Résoudre
un (complémentarité, inclusion, réunion ... ) ; des structures de relation
problème (sériation permettant de comparer un total avec une donnée du pro-
blème) ; du lien cause-conséquence (si les dépenses s'élèvent à... alors
je peux acheter ... ) .
- Composante cognitive: il s'agit de la capacité à traiter l'information;
sélectionner parmi les données celles qui sont en relation; planifier
l'activité qui s'engage; utiliser la mémoire à long terme pour récupé-
rer des données arithmétiques; contrôler la validité des résultats ob-
tenus.
- Composante langagière: cette compétence concerne la compréhen-
sion dans les différents aspects de la situation: l'énoncé, la question
posée, le vocabulaire plus spécifique utilisé (les mots «pièce» et «uni-
té» sont-ils, par exemple, connus de chaque écolier?).
- Composante sociale: il s'agit de la mise en scène de la situation; de
sa proximité avec le vécu réel de l'enfant (est-il habitué à faire des
achats?). Il s'agit aussi, bien qu'ici cela ne se justifie pas, d'échanger
entre pairs, de confronter, de négocier, de s'écouter, de contredire,
etc.
Identifier ces composantes nécessite que le professeur soit en me-
sure de les maîtriser. Il lui faut être capable d'identifier les fondements
logiques et cognitifs de la situation d'apprentissage. Il doit avoir ré-
pertorié les stratégies les plus attendues, selon le niveau des élèves. Il
lui faut maîtriser le savoir en jeu, sa transposition didactique, qui en

84
LES PROCÉDURES ET STRATÉGIES MISES EN ŒUVRE PAR L'ÉLÈVE

permet la dévolution. Il doit vérifier la connaissance, par l'élève, du


vocabulaire dans la spécificité de son utilisation.

Le cas de Léa
La réponse est exacte, le résultat est justifié par une phrase d'expli-
cation. L'ensemble est correctement formalisé, la syntaxe mathéma-
tique est maîtrisée. Le traitement est cohérent qui indique que Léa
s'est occupée, en premier, des données relatives aux gâteaux, puis de Stratégie
celles relatives aux bouteilles avant d'effectuer une addition. La séria- canonique
tion n'est pas explicite mais elle est présente et maîtrisée. Les seules
incorrections, au regard du savoir scientifique, sont la présence des
symboles des unités à l'intérieur de calculs, ainsi que l'oubli d'une
virgule au premier terme de l'addition.
Cette élève possède les compétences nécessaires pour résoudre ce
type de problème. Il est à noter qu'elle n'utilise pas de support graphi-
que, le seul registre sémiotique est la convention écrite. La stratégie de
résolution est très proche du mode canonique.

Le cas de Juliette
Il est à noter que l'identification de la relation multiplicative existe,
mais que la procédure algorithmique n'est pas maîtrisée. Juliette choi-
sit de répondre en utilisant une addition. Cependant, la technique
opératoire non stabilisée, pour l'addition des nombres décimaux, lui
Stratégie
fait commettre une erreur dans le résultat. En outre, elle ne se cen- pragma-
tre que sur une partie de la tâche (les bouteilles) et laisse de côté les tique
gâteaux: la centration cognitive sur un aspect l'empêche de partager
son attention. Il s'agit d'un comportement fréquemment rencontré
dans le cas de difficulté passagère, l'énergie cognitive est totalement
mobilisée par (et sur) ce qui pose problème à l'élève. Juliette utilise
un support graphique comme aide au traitement. Il est cependant dif-
ficile de savoir quelle aide ce mode lui a apportée.
Cette élève est confrontée à des difficultés «ordinaires» au regard
de la tâche. Elle n'utilise pas les bonnes procédures mais dispose po-
tentiellement des outils pour résoudre la situation (relations et espa-
ces de mesure sont identifiés). De plus, la gestion de la tâche, bien
qu'incomplète, est correctement menée: tentative de résolution de
type multiplicatif puis, devant l'impasse, utilisation d'une stratégie de
substitution, l'itération additive. Une sollicitation amenant à la mise
en mots de son activité peut constituer un accompagnement, parmi

85
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

d'autres possibles, susceptible de l'aider à dépasser les difficultés ren-


contrées.
À partir des deux exemples donnés, l'un en écriture, l'autre en ré-
solution de problèmes, on se rend compte que les stratégies mobilisées
par les élèves, d'une même classe de CM2, sont nombreuses. Rappe-
lons que ces constats peuvent être étendus à l'ensemble des classes
de cycle 3 des écoles ainsi qu'aux classes de sixième et cinquième des
collèges.
Les unes, celles de Jean en production écrite et celles de Léa en
mathématiques, montrent la capacité de certains élèves à intégrer et
réinvestir des stratégies canoniques. Leur planification de l'activité, le
contrôle qu'ils exercent constamment sur leur action, l'usage perti-
nent d'algorithmes numériques ou grammaticaux, renforcent l'idée
d'une maîtrise réelle des procédures efficaces et illustrent leur capacité
à s'engager dans une tâche avec un maximum d'économie cognitive.
Le« brico-
lage» ingé- Il resterait cependant à vérifier que, dans d'autres situations, en des
nieux contextes différents, ces mêmes élèves mettent en œuvre des procédu-
res aussi efficientes.
Les autres, celles d'Henri et de Juliette, illustrent l'intervention de
stratégies pragmatiques, soit de détour, soit de substitution, soit de com-
pensation. Ce sont souvent des bricolages ingénieux et parfois effica-
ces que l'élève utilise. Pour certains écoliers est-ce, probablement, une
façon de ne pas perdre pied et de dépasser les difficultés qui se pré-
sentent. Pour Henri, le traitement reste en retrait d'un potentiel réel,
non exploité, pour des raisons qui mériteraient d'être explorées. Pour
d'autres élèves, comme Juliette, probablement s'agit-il d'une réponse
procédurale durant une période de transition: un nouveau savoir est
compris mais reste encore en construction, encore non assimilé.
L'usage de stratégies anciennes montre la disponibilité de celles-ci
et la capacité, lorsque l'écolier est en difficulté, de les mobiliser, pour
contourner une nouveauté qu'il ne maîtrise pas encore ou y résister.

86
LES PROCÉDURES ET STRATÉGIES MISES EN ŒUVRE PAR L'ÉLÈVE

Résumons-nous
Ce chapitre a permis d'entrer plus concrètement dans l'univers de l'ap-
prentissage tel que l'élève le vi t.
Nous avons montré l'importance des aspects cognitifs (directement liés
au savoir) comme, par exemple, le rôle des grandes fonctions que sont la
mémorisation, l'attention ou les diverses formes de raisonnement. Nous
avons aussi indiqué que les aspects conatifs et affectifs (les affects, la moti-
vation, la confiance en soi, l'estime de soL.) constituent le moteur, l'énergie
des apprentissages.
L'un des objets de ce chapitre fut d'étudier des productions d'élèves afin d'il-
lustrer la façon dont ils mobilisent les composantes cognitives et conatives.
Nous avons présenté quelques travaux, en langue et en mathématiques, en
dépassant la simple observation et en se dotant de grilles d'analyse. Elles
permettent de comprendre les procédures mises en œuvre et d'identifier les
compétences présentes, donc, aussi, celles qui sont absentes.

Parmi les pistes d'activités professionnelles présentées dans ce chapitre,


l'utilisation des grilles d'analyse citées est un mode réinvestissable, adaptable
à tous les niveaux d'enseignement.
Notons encore le bénéfice pour l'élève lorsque le professeur l'amène à élu-
cider les stratégies qu'il emploie. Il s'agit de le conduire vers la compréhen-
sion de ce qu'il fait, vers la compréhension des raisons et des choix qu'il
a effectués, vers le fait qu'il a compris ces raisons et qu'il est en capacité
de remobiliser les procédés lors d'autres tâches. Certains auteurs nomment
métacognition cette compétence nouvelle et complexe qui permet à quel-
qu'un de se distancier de son action pour l'analyser et la modifier.
3
Les stratégies de l'élève en difficulté

Nous analysons, en reprenant la méthodologie utilisée dans le chapitre 2,


des travaux d'élèves en difficulté «ordinaire», c'est-à-dire mobilisant
des stratégies déroutantes par rapport à ce qui est généralement obser-
vé par les professeurs. Cependant, il s'agit de productions telles qu'as-
sez fréquemment rencontrées dans les classes, chez des élèves suivant
un cursus ordinaire. Ces travaux ont été produits lors des tâches de
français, en production de textes, et lors des tâches de mathématiques,
en résolution de problèmes.
Avant d'étudier les productions, nous revenons sur les constructions
fondamentales qui se mettent en place, en maternelle, lors du cycle 1.
Il s'agit de la numération, d'une part, et du langage oral, d'autre part.
L'observation des procédures que développe l'élève, lors de ces pre-
miers apprentissages, permet de cerner la genèse des stratégies ino-
pérantes qui se mettent en place, par la suite de la scolarité, dans les
activités plus complexes d'écriture et de problème.
À la suite de ces études, nous proposons une typologie de la diffi-
culté «ordinaire» d'origine cognitive, distinguant deux sources possi-
bles: l'une venant des structures de la pensée, l'autre en lien avec les
procédures mises en œuvre.

1. LES STRATÉGIES DE L'ÉLÈVE EN DIFFICULTÉ


EN MATHÉMATIQUES

STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE DE LA NUMÉRATION

Lors d'un travail mené en moyenne section, les élèves sont confrontés
à la situation consistant à compter une quantité de neuf billes, certai-

89
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

nes étant blanches et d'autres noires. Les billes sont disposées de la


façon suivante: groupées en amas avec l'une d'entre elles plus isolée
vers la droite (voir figure 3.1).

•O •0°.
•• ° Figure 3.1. Dénombrement de billes en cycle 1

Si l'on catégorise les diverses conduites, une partie des élèves par-
vient à dénombrer sans se tromper, tandis que certains donnent un
résultat erroné. Deux types de conduites, parmi les écoliers donnant
un résultat faux, interviennent le plus fréquemment:
- les élèves qui comptent mais se trompent dans le résultat
verbalisé, soit parce qu'ils ont compté deux fois (ou plus) un même
objet (ou plusieurs), soit parce qu'ils ne les ont pas tous pris en
compte. Le résultat est soit supérieur soit inférieur au cardinal
attendu de la collection;
- les élèves qui comptent les objets un à un mais s'avèrent
incapables, une fois la verbalisation produite, de donner le cardinal
résultant du dénombrement.
- Dans le premier cas, il est intéressant de regarder l'élève travailler
afin d'observer la stratégie mise en place pour compter les billes de la
Compter situation ci-dessus. En règle générale, les élèves «oublient» de compter
en mater-
nelle
la bille de droite, spatialement en décalage par rapport aux autres. La
disposition spatiale influence leur capacité de compter, la bille éloignée
du nuage constitué par l'amas des autres n'étant pas considérée comme
appartenant au groupe. Le critère «billes», dans la consigne de compter
toutes les billes, n'est en effet pas retenu pour cet élément isolé. Il est
alors intéressant de demander à l'élève si celle située le plus à droite est
bien «une bille ». Si elle l'est «aussi », ce qui est généralement admis par
l'enfant, on l'amène à constater qu'il est possible de la déplacer pour
faciliter le comptage, le déplacement n'ayant rien ajouté ni enlevé à la
collection initiale. Cette première conduite d'élèves montre la prédomi-
nance de la perception sur la réflexion, l'espace étant un domaine où
l'erreur due à la centration perceptive s'enracine aisément.

90
LES STRATÉGIES DE L'ÉLÈVE EN DIFFICULTÉ

Nous avons aussi rencontré des élèves ne comptant que les noires
(tandis que d'autres enfants ne s'intéressent qu'aux blanches). Lors-
qu'on leur demande ce qu'est pour eux une bille, le critère de forme
est massivement reconnu. Cette fois-ci c'est la prégnance de la cou-
leur qui vient parasiter la réflexion. Afin de les aider, nous leur avons
demandé de fermer les yeux et de compter, par le seul toucher, le
nombre d'objets manipulés et la réponse donnée permet de mettre en
évidence que la couleur n'a aucune influence sur le nombre total.
Autre cas rencontré, celui d'élèves qui comptent deux ou trois fois
le même objet. Dans ce cas, le schème du dénombrement n'est pas fixé
car l'un des invariants est bien la nécessité de ne pas compter plusieurs
fois le même objet. Il est possible, lors de la manipulation, de déplacer
chaque bille et de la placer derrière une ligne, préalablement tracée,
de façon à s'assurer que l'enfant ne compte qu'une fois chaque objet.
La verbalisation vient appuyer le dénombrement. Il est souhaitable
La difficulté
que la mise en mots amène l'élève à constater que chaque objet est de compter
compté une seule fois. La diversité des contextes de comptage, par
exemple compter le nombre d'élèves regroupés dans l'atelier, est aussi
une façon d'amener à comprendre que chaque objet, comme chaque
personne, ne doit être nommé qu'une seule fois.
- Dans le second cas évoqué, les élèves comptent les objets un à un,
le plus souvent sans erreur, mais s'avèrent incapables, la verbalisation
finie, d'oraliser le cardinal résultant du dénombrement. La sollicitation
«Combien as-tu compté de billes?» n'est pas plus productive. Bien qu'il
ait compté chaque bille, une à une, l'élève ne sait pas répondre. L'hypo-
thèse de mémoire défaillante, pour une petite quantité, n'est pas celle
qui est la plus significative même si le bon fonctionnement de la mé-
moire de travail demande vérification. L'hypothèse la plus heuristique
est celle d'un lien qui n'est pas établi entre ordinalité et cardinalité.
L'oralisation la plus fréquemment observée, pour la collection don-
née, prend la forme suivante : un ; deux; trois; quatre; cinq; six; sept;
huit; neuf... neuf! Le premier «neuf» correspond à l'ordre de comp-
tage, il représente la valeur ordinale, tandis que le second correspond
à la sommation de la collection: il représente la valeur cardinale. C'est
ainsi que se construit le nombre. L'élève qui ne donne pas la seconde
valeur au «neuf» éprouve de la difficulté à construire la différenciation
entre ordinal et cardinal. À cet âge, cette absence de discrimination est
ordinaire, simplement est-il nécessaire d'aider l'enfant à franchir cette
étape, pour l'aider à se doter d'une stratégie efficiente.

91
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

NUMÉRATION ET STRATÉGIES INOPÉRANTES

Lecture et écriture de nombres


Des élèves de cycle 2 peuvent confondre certains nombres en lecture,
comme 50 et 15; 405 et 45. L'un sera lu à la place de l'autre. Il ne
semble pas que le rappel en mémoire soit incorrect car lorsqu'on de-
mande à l'élève qui a lu 25 pour 205 de lire 200, il l'effectue correcte-
ment et, mis sur la piste de cette façon, il se corrige. Il semble que ce
soit la place du zéro et son statut qui soit mal fixé. Un élève de CP nous
a dit: «Ton zéro ça veut dire qu'il y a rien, alors c'est pas la peine de
le marquer!» C'est fréquemment le système de groupement par dix
qui, n'étant pas compris, empêche l'élève d'écrire ou de calculer avec
exactitude. Il suffit, dans beaucoup de cas, de reprendre l'explication,
à travers des situations simples de la vie scolaire pour reconstruire une
procédure manquée.
Peut aussi entraîner des erreurs la dénomination des dizaines. Il
La n'est pas évident, pour des jeunes enfants, de comprendre que vingt
numération correspond à deux dizaines, tout comme trente peut être confondu
décimale avec treize. Certains auteurs suggèrent de revenir, temporairement, à
une forme traditionnelle de numération dite «numération Tchou»
(selon l'expression utilisée par Brissiaud). Dans quelques pays d'Asie
ou d'Mrique, on utilise encore non pas vingt ou trente mais deux-dix,
trois-dix, etc. Cette façon de procéder est facilitante pour l'élève qui
a de la difficulté à faire correspondre un mot nouveau à une écritu-
re chiffrée. Elle a l'avantage de l'amener à la compréhension de la
construction du nombre et, une fois celle-ci fixée, il pourra lui donner
un nom plus conventionnel.

Les opérations
Les erreurs fréquemment relevées pour les additions sont sur ces mo-
dèles:

Exemples d'erreurs rencontrées pour l'addition


27 27
+ 5 + 5

12 212

92
LES STRATÉGIES DE L'ÉLÈVE EN DIFFICULTÉ

Dans le premier cas, l'élève a centré son activité cognitive sur l'addi-
tion des unités: le chiffre 7 et le 5 sont pris en compte, les dizaines
ne sont pas traitées. Le déficit d'attention est une explication perti-
nente. Il est possible, lorsqu'on travaille sur des petites quantités, de
passer par une phase de manipulation qui conduise l'élève à se rendre
compte de son erreur.
Dans le second cas, c'est la compréhension du statut de chaque chif- Faire des
fre qui est mise en cause. Il n'est pas certain que l'élève ait clairement opérations
compris le rôle de la position de chaque chiffre. Le professeur peut re-
venir au tableau de position classique permettant d'identifier chaque
chiffre par rapport aux autres (tableau 3.1).

Tableau 3.1.
Centaines Dizaines Unités
2 7
1 5+
- -
3 2

Pour les multiplications, les procédures rencontrées sont également


de divers ordres. Voici deux conduites fréquentes.
Erreurs rencontrées pour la multiplication
72 72
x 24 x 24

288 286
144 144

432 1726

Dans le premier cas, le produit de chacun des nombres est correct.


La somme (telle qu'elle est posée) est également correcte. En revan-
che, la disposition ne tient pas compte du statut du chiffre des dizai-
nes du multiplicateur, soit par non-indifférenciation entre unités et
dizaines, soit par inattention en raison d'une centration cognitive sur
le rappel en mémoire des produits. Dans l'une et l'autre hypothèse,
le fait de demander à l'élève de décrire à haute voix ce qu'il a fait
permettra probablement l'élucidation et la modification. L'usage du
tableau peut, si besoin, réorganiser la position des chiffres.

93
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

Le second cas de multiplication est plus discuté. Il existe effective-


ment plusieurs interprétations possibles:
- selon une approche davantage orientée par la prise en
compte du fonctionnement cérébral de l'enfant, comme l'entrée
neuropsychologique (voir une présentation plus complète, au
chapitre 4), l'erreur vient de la difficulté de cet élève à retrouver
en mémoire à long terme les faits numériques intermédiaires.
Les tables de multiplication font difficulté alors que la disposition
spatiale est correcte et que l'addition des calculs intermédiaires est
exacte;
- selon une approche plus orientée par le constructivisme
Les erreurs
de la multi-
(Meljac, 2001) , l'erreur principale vient de ce que l'écolier distingue
plication mal structures additives et structures multiplicatives. La forme de
l'opération est celle d'une multiplication mais plusieurs indicateurs
montrent que l'élève n'a pas différencié addition et multiplication:
4 x 2 est traité comme 4 + 2; de même il n'est pas possible de savoir
si l'élève a effectué 2 x 2 ou 2 + 2 pour trouver 4, dans la seconde
ligne intermédiaire.
Afin de procéder à une identification plus fine du travail de l'élève,
pour connaître la source de l'erreur, la mise en mots de la tâche, me-
née par le professeur, est une façon productive d'élucider la procé-
dure. La seule production écrite, comme source d'interprétation,
montre ici ses limites.

Explication des stratégies inopérantes


Comme les observations antérieures l'indiquent, il existe plusieurs fa-
çons de comprendre les erreurs. Si elles ne sont pas forcément contra-
dictoires, elles ne se rapportent pas toutes aux mêmes référents théo-
riques. La connaissance des deux points de vue principaux peut être
utile à l'identification de la difficulté et, ultérieurement, à la mise en
œuvre de la remédiation.
Un premier point de vue s'intéresse à la capacité de l'élève à utili-
ser les algorithmes numériques et à leur installation en mémoire. La
dyscalculie est définie, par les neuropsychologues, comme déficience
des aptitudes à réaliser les opérations arithmétiques. Les déficiences
peuvent être attachées au mécanisme de traitement ou au mécanisme
de calcul.

94
LES STRATÉGIES DE L'ÉLÈVE EN DIFFICULTÉ

Le mécanisme de traitement numérique concerne le système de


compréhension des nombres et le transcodage: comprendre la nu-
mération orale et écrite (un, deux, trois ... , cent. .. l, 2, 3... ) ; savoir
identifier les règles syntaxiques (vingt-sept). Ce mécanisme concerne
aussi le système de production des nombres (lettres et chiffres) : écrire
la numération orale et écrite (un, deux, trois ... , cent. .. , 1,2 ... ), sa-
voir utiliser les règles syntaxiques (vingt-sept). Le mécanisme de calcul
concerne les procédures relationnelles (additionner, soustraire ... ), les
symboles (+, -, x ... ), les faits arithmétiques et leur stockage (tables
d'addition, de multiplication).
Le second point de vue, inspiré du constructivisme (et présenté de
façon développée, au chapitre 4) est orienté par la difficulté de l'élève
à conceptualiser le nombre. La conceptualisation sollicite, d'une part,
une pensée logique fondée sur une architecture structurale correcte-
ment construite. D'autre part, elle nécessite la mobilisation de schè- Les sources
mes, souvent fondés sur l'action propre, qui, une fois conscientisés, d'erreurs
prennent un caractère opératoire. par les opé-
Lors de l'effectuation d'opérations, une hypothèse d'erreur est en- rations

visageable à partir de la composante infralogique : il s'agit de la diffi-


culté pour l'écolier d'inscrire des nombres dans un espace convention-
nel, déterminé par la position des chiffres, qui suppose de maîtriser
la disposition décrochée. Pour certains élèves, c'est une difficulté bien
plus importante que ne le croient généralement les enseignants. Ils
peuvent confondre les rapports topologiques fondamentaux: au-des-
sus, au-dessous, sur, sous, à l'intérieur, à l'extérieur. Plus fréquente
encore, la confusion droite-gauche mène à disposer les chiffres d'un
nombre de façon inverse ou à commencer une opération par la gau-
che, entraînant les erreurs que l'on suppose. La gestion, par l'élève, de
l'écriture des nombres dans l'espace de travail, en raison d'une repré-
sentation topologique fragile, peut créer un obstacle supplémentaire.
En conclusion, la maîtrise de la numération renvoie, notamment, à
la construction par l'élève du concept de nombre, en rapport avec la
variété des expériences vécues; à sa capacité à installer et rappeler en
mémoire des données numériques; à la gestion des procédures logi-
ques correctes; à la construction de l'espace. Autant de sources d'er-
reurs provoquant des stratégies paradoxales que le professeur doit être
en mesure d'identifier pour les prévenir.

95
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

RÉSOLUTION DE PROBLÈME ET STRATÉGIES INOPÉRANTES

Il s'agit de comprendre les procédés mis en place par un élève pour ré-
soudre le problème de proportionnalité «gâteaux-bouteilles» déjà pré-
senté dans le chapitre 2. Les trois élèves Léa, Juliette (dont les produc-
tions sont présentées et étudiées au chapitre 2) et Victor (production
ci-dessous) appartiennent à la même classe de CM2. La comparaison
entre les trois productions contrastées est intéressante.

Production de Victor

Prénom: "" _.. . Age: .".4 • • • • • '-'''''14 Date: CM2

euros et cinq bouteilles à deux euros et demi


tout ?

Premiers constats
La réponse, donnée par cet élève à la question posée, est exacte sans,
Les problè- cependant, être justifiée. Si l'évaluation s'effectuait sur la seule ré-
mes sont ponse écrite à la question, alors ce travail serait évalué favorablement!
compliqués
Pourtant l'opération présente est sans relation apparente avec l'en-
semble des données. Une addition est posée puis traitée comme une
soustraction fausse. Victor ne semble établir aucune relation entre des
espaces de mesure. Les termes «pièce» et «unité» sont-ils connus? De
plus, la présentation traduit une certaine rigidité dans la modalité de
résolution: séparation entre opération et phrase réponse, sans sup-
port schématique, contrairement àJuliette.

Le cas de Victor
L'analyse conduite à l'aide de la grille présentée dans le chapitre 2 et
qui s'appuie sur les cinq composantes en jeu (didactique, logique et

96
LES STRATÉGIES DE L'ÉLÈVE EN DIFFICULTÉ

infralogique, cognitive, langagière, sociale), fait apparaître plusieurs


éléments qui indiquent que les procédures s'enracinent dans une dif-
ficulté importante.
Il semble que la production du résultat et sa présentation priment
sur la compréhension de la situation. L'organisation graphique de sa
réponse est typique d'une assimilation mécanique à un modèle magis-
tral impositif: l'opération est à la droite d'un trait vertical partageant
la page et la phrase-réponse est écrite à gauche, en regard. L'élève
considère peut-être qu'en pratiquant ainsi, en faisant son «métier
d'élève », il satisfait la demande du professeur et donc répond «cor-
rectement», selon lui, au problème posé. C'est ce qu'il confirme dans
l'entretien post-tâche que nous avons réalisé.
La transcription numérique de «deux euros et demi» est erronée,
de même que l'opération d'addition, traitée comme une soustraction.
Compren-
La production traduit le fait que l'élève n'a identifié ni espaces de dre les
mesure ni relations en jeu. De plus, à la différence des deux autres relations
écoliers, il ne justifie pas son résultat. L'entretien, qui a suivi la réali- numériques
sation, montre que Victor assimile «et demi» à l'écriture numérique
«30 », en raison de l'apprentissage de la lecture de l'heure et qu'il
n'est pas en capacité d'inhiber cette représentation contextualisée (cf.
à ce propos Perraudeau, 2004a). Il ne dispose pas des outils critiques
lui permettant d'envisager le traitement de cette tâche d'une autre fa-
çon que celle qu'il a fournie. Il est en outre persuadé que sa «réponse
est bonne».
En résumé, les outils (cognitifs, logiques ... ) sont mal construits ou
n'existent pas. Certaines conservations ne sont pas établies, la décen-
tration ne s'effectue pas ou mal. L'élève est dans l'incapacité de met-
tre en œuvre, de façon efficiente, les opérations de réunion ou de
sériation. Les algorithmes numériques sont confondus. La rigidité du
traitement finalisé par la seule production d'un résultat laisse peu de
place à la mobilisation de la compréhension, de la planification, du
contrôle. Les stratégies sont orientées vers la réponse à donner, sans
distance envers le travail effectué, sans mise en doute de la validité de
celui-ci. Ces stratégies sont exclusives, basées probablement sur un rai-
sonnement de type analogique qui cherche à reproduire à l'identique
ce qui est connu et a été validé dans un autre contexte.
Contrairement aux travaux présentés au chapitre 2 - Léa, en grande
réussite, etJuliette, en difficulté transitoire car en une phase d'accom-
modation - Victor est en grande difficulté. Son accompagnement,

97
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

dans le cadre collectif de la classe, est probablement plus difficile à


mener que ne peut l'être l'aide àJuliette.

LE LIEN ÉCOLE-COLLÈGE EN MATHÉMATIQUES

Ce lien se traduit chaque année, depuis 1989, par la mise en place


d'évaluations à caractère national permettant d'apprécier, pour une
population entrant en classe de sixième, les compétences et connais-
sances en mathématiques et en français. Nous nous sommes intéressés
pour l'épreuve de mathématiques, à l'item concernant la proportion-
nalité qui nous a particulièrement poussés à nous interroger sur les
intentions ministérielles.
Avant 1998, l'exercice de proportionnalité figurant dans les épreu-
ves relevait du modèle suivant (item de 1997) :
Pour faire une purée pour quatre personnes, il faut 800 g de pommes de terre,
30 cl de lait, 40 g de beurre. Complète le tableau en inscrivant les quantités
pour 20 personnes et pour 10 personnes:

Pour 4 personnes Pour 20 personnes Pour 10 personnes


Pommes de terre 800 g
Lait 30 cl
Beurre 40 g

L'objectif de l'exercice était de «reconnaître une situation de pro-


Les
portionnalité et la traiter avec les moyens de son choix» (MEN, 1998).
évaluations
nationales Les réponses exactes pour la première série de questions (pour 20
personnes) variaient entre 12 % et 30 %, celles pour la seconde série
(pour 10 personnes) entre 7,5 % et 39,5 %.
Nous pouvons effectuer plusieurs types de commentaires que nous
avons développés par ailleurs (Perraudeau, 2002) :
- l'exercice comporte des mesures différentes, exprimées en
grammes et en centilitres;
- le tableau donné induit les rapports à utiliser, pourtant
«multiplier par 5 » est moins bien réussi que «divisé par 2 »;
- pour réussir la résolution, il faut admettre que le rapport entre
produits ne change pas quand on augmente les quantités, ce qui est
très discutable lorsque l'on confectionne une purée.

98
LES STRATÉGIES DE L'ÉLÈVE EN DIFFICULTÉ

Les résultats montrent qu'une situation de proportionnalité, pour la


première question posée (pour 20 personnes) est reconnue et traitée
correctement par seulement trois élèves sur dix.
À partir de 1998, l'exercice est modifié, dans le sens d'une simplifi-
cation de structure, comme le montre l'item de cette même année.
30 morceaux de sucre pèsent 240 grammes.
50 morceaux de sucre pèsent 400 grammes.
Dans chaque cas, remplace les pointillés par le nombre qui convient.
a) 80 morceaux de sucre pèsent. grammes.
b) 15 morceaux de sucre pèsent.......... grammes.
c) J'ai mis des morceaux de sucre sur la balance, elle indique 1 200 grammes: il
ya morceaux de sucre sur la balance.

Les objectifs déclarés sont identiques à ceux de 1997, les résultats


en revanche sont différents puisque les réussites sont les suivantes: a)
63 %; b) 68,3 %; c) 43,2 %. Les commentaires officiels mettent en avant
le fait que «l'exercice est assez bien réussi», ajoutant qu'à la fin de la
scolarité primaire «l'idée de proportionnalité est liée à la possibilité de
faire fonctionner certains types de raisonnement» (MEN, 1999).
Nous pouvons effectuer plusieurs remarques:
- contrairem"ent à l'item de 1997, les unités de mesure sont
uniques (des grammes) ;
- la présentation semble induire l'idée que la réponse à la
première question (80 grammes) est donnée par addition des
quantités 30 et 50;
-le mode de résolution renvoie à des traitements mathématiques
différents, structure multiplicative en 1997, structure additive en
1998;
- en conséquence, la réussite est spectaculairement meilleure
en 1998.
En conclusion, l'évaluation conduite à l'arrivée en sixième vise
à donner un état des lieux des connaissances dans le champ de la
proportionnalité. Avant 1998, un tiers des élèves reconnaît et traite
une situation de proportionnalité mettant en œuvre une procédure
multiplicative. Devant le faible taux de réussite, à partir de 1998, le
ministère, tout en conservant le même objectif, propose une situa-
tion nécessitant une procédure additive, plus simple d'utilisation et
mieux maîtrisée par les élèves, familiarisés depuis longtemps avec

99
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

cette opération. Il n'est donc pas étonnant que le taux de réussite


augmente sensiblement.
Il semble bien que le système éducatif, conscient des difficultés que
les élèves rencontrent dans leurs apprentissages mathématiques, mini-
mise celles-ci au point de transformer les évaluations. Dans le même
temps, ni la formation des enseignants ni les programmes officiels
n'ont été modifiés!

Il. LES STRATÉGIES DE L'ÉLÈVE


EN DIFFICULTÉ EN FRANÇAIS

Pour comprendre une stratégie complexe et les difficultés qu'elle peut


entraîner, il est possible de s'arrêter sur les stratégies de compréhen-
sion, dans le cadre de l'apprentissage de la lecture, à partir d'une ex-
périence présentée par Khomsi (1995).

Une expérience liée aux stratégies mobilisées pour comprendre


un écrit
Une série d'images est montrée aux élèves, sur lesquelles ils voient un même
garçon en diverses situations.
Lire et
compren- Image 1 - Le garçon caresse un chien.
dre Image 2 - Le garçon pleure, le visage griffé, un chat au poil hérissé se tient à
côté de lui.
Image 3 - Le garçon tire la queue du chat qui se repose.
1mage 4 - Le garçon caresse le chat.
Les élèves doivent choisir l'image qui correspond le mieux à un énoncé (soit
écrit, soit oral, selon l'âge des sujets). Dans le cas présent, il s'agit d'élèves de 5-6
ans et de la phrase: « Le chat dont j'ai tiré la queue m'a griffé.»
Pour Khomsi, le choix d'une image ou d'une autre est un bon indicateur de la
stratégie de compréhension de l'élève:
- le choix de l'image 1 est le plus rare. Il montre que le choix s'effectue sur des
critères différents de l'information linguistique;
- le choix de l'image 4 correspond à une stratégie lexicale qui met en relation un
mot, fortement connoté du point de vue affectif, avec la proposition énoncée;
- le choix de l'image 3 relève d'une stratégie propositionnelle: « une seule
des propositions de cet énoncé complexe est prise en compte, en fonction du
contexte imagé» (Khomsi, op. cit.);
- le choix de l'image 2 traduit une stratégie inférentielle, l'image est identifiée à
travers le résultat des actions énoncées dans la proposition.

100
LES STRATÉGIES DE L'ÉLÈVE EN DIFFICULTÉ

L'exemple montre que la compréhension, qui est une activité mentale de haut
niveau, suppose une capacité de mise à distance et de contrôle des inférences
réalisées. Ce sont autant d'éventualités de difficulté, celle-ci ne constituant en
rien un pronostic de fonctionnement mental déficient. Simplement, l'élève qui
ne choisit pas l'image 2 n'a pas pu ou pas su mobiliser tous les éléments straté-
giques cohérents.

Certaines difficultés rencontrées au quotidien peuvent tenir au fait


que l'élève, même s'il possède les outils pour le faire, n'est pas en ca-
pacité de mettre en place la stratégie la plus adaptée. C'est un constat
qui appuie l'hypothèse de Vygotski (1985) selon laquelle il existe un
décalage entre ce que l'élève peut faire et ce qu'il fait réellement, le
professeur devant prendre en compte l'un et l'autre aspect, pour pro-
poser des situations qui permettent l'évolution.
Avant d'étudier plus précisément des travaux d'élèves, nous présen-
tons, de façon synthétique, la manière dont se développe le langage
articulé.

LE LANGAGE ARTICULÉ

Le langage articulé est abordé dans les paragraphes qui suivent à tra-
vers deux entrées: d'une part la naissance et le développement préhis-
toriques, il s'agit de la phylogenèse; d'autre part la dimension individuel-
le, la progression du langage chez chaque sujet, composante encore
nommée l'ontogenèse.

Phylogenèse du langage articulé


L'origine précise du langage oral est difficile à situer. Le langage écrit Comment
est relativement jeune (environ cinq mille ans à Sumer) au regard du les
langage articulé de l' homo sapiens, peut-être cent mille ans, voire davan- hommes
parlent-ils?
tage selon certains chercheurs. En revanche, il semble établi que les
Australopithèques ne parlaient pas: l'irrigation du cerveau que néces-
site l'utilisation du langage laisse des traces sur l'intérieur de la calotte
crânienne, or, chez eux, ces traces sont absentes.
Les hommes ont, probablement, commencé à émettre quelques
phonèmes en raison de la possibilité physiologique nouvelle, donnée
par la station verticale entraînant le développement du larynx. Le
larynx permet de créer les sons différenciés. Les sons sont articulés
grâce à la cavité buccale (langue, dents, palais, lèvres). Les premiers
sons articulés furent des voyelles, les sons consonantiques vinrent

101
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

après. L'association entre phonèmes voyelliques et consonantiques


permit les premiers langages articulés.

Ontogenèse du langage articulé


L'ontogenèse de l'homme, le développement interne et propre à l'in-
dividu, reproduit, en accéléré, la phylogenèse, le développement de
l'espèce. Le développement du nourrisson suit effectivement le même
développement à travers les grandes phases du langage articulé.
Avant 8 ou 10 mois (âge indicatif), on observe un développement
à caractère universel, indépendamment des pressions et sollicitations
sociales: il y a nécessité de créer un équipement physiologique préa-
lable à l'acquisition du langage articulé. C'est en accéléré un dévelop-
pement proche de celui de l'espèce. Le bébé découvre en premier les
voyelles et commence à vocaliser. Il découvre ensuite les consonnes.
Les premiers assemblages ont lieu ensuite dans l'ordre de découverte
Le bébé
(voyelle/consonne: am, ar, ac, ap, op... ), dans un deuxième temps il
parle inverse ces premiers phonèmes (ma, ra, ca, pa, po... ) , puis les redouble
enjeux de production sonores d'autant plus amusants qu'ils font sens
pour l'adulte qui réagit à ces productions et les répète lui-même: c'est
l'époque des papa, mama, tata, caca, pipi, dodo... Une nouvelle phase
consiste ensuite à associer des phonèmes non identiques et apparaît la
capacité à former ce qui deviendra des mots.
À partir de 8 à 10 mois, environ, l'équipement physiologique et
psychologique permet à l'enfant d'être réceptif aux sollicitations des
parents et à développer le vocabulaire. Il les copie, les imite en faisant
progressivement l'apprentissage d'un langage adulte dans sa particu-
larité culturelle (vocabulaire, syntaxe ... nécessairement partagés avec
les autres membres du groupe familial ou social) et différentialiste (le
petit Vietnamien construit un langage autour d'autres normes linguis-
tiques et culturelles que le petit Français) .
Ensuite, se distinguent trois grandes périodes de développement
du langage oral, favorisées par le développement physiologique (pro-
lifération des synapses, remaniements neuronaux) et par l'expérience
sociale (interaction familiale, scolarisation). Le tableau 3.2 en donne
une synthèse.

102
LES STRATÉGIES DE L'ÉLÈVE EN DIFFICULTÉ

Tableau 3.2. Développement du langage lors des premières années


Première Découverte et premiers éléments de communication. Période de passage
année du langage personnel à celui de la communication élargie aux proches.
Émergence des premiers comportements de verbalisation. Premières asso-
De 1 à 2 ans ciations des mots, constitution des premiers éléments d'une syntaxe.

De 2 à 6 ans Croissance forte des registres lexicaux et syntaxiques.

Après 6 ans Élaboration d'un langage se formalisant et s'universalisant.

LANGAGE EN CYCLE 1 : STRATÉGIE DE «CONNIVENCE»,


STRATÉGIE DE COMMUNICATION

L'entrée à l'école maternelle est l'occasion, pour l'enfant, de changer


de partenaires conversationnels. Il quitte son univers pour conquérir
une nouvelle place, dans un nouveau groupe, avec un nouvel adulte de
référence. Pour Florin (1991), l'entrée à l'école est l'occasion de pas-
ser d'un «langage de connivence », celui de la famille avec ses propres
codes parfois non verbalisés, à un langage de communication élargie
qui va s'universaliser et se formaliser. L'enfant est contraint de faire
l'effort de verbaliser en respectant un code commun afin d'être com-
pris de tous les autres.
Ce langage de communication élargie s'apprend. L'apprentissage Le langage
emprunte plusieurs voies. Celles de la production, tout d'abord, en en
développant la capacité à se faire comprendre des autres; à prendre la maternelle
parole devant les pairs; à la garder et à répondre aux questions. Cel-
les de l'écoute qui consiste à respecter les conditions de production
orale d'autrui: calme, silence, attention ... Celles de la réaction, à la
parole de l'autre, à la consigne donnée, aux échanges... Ces éléments
valident le fait qu'il est déterminant que l'enseignant de maternelle
mette en mots ce qui se fait en classe dans l'instant de l'action, ce qui
s'est fait antérieurement à l'action et se fera en conséquence de l'ac-
tion. C'est une façon de construire le langage en l'ancrant dans une
composante temporelle, dans une dimension causale également, et en
permettant à l'enfant de construire de nombreux repères langagiers
et structuraux.
L'élève gagne, selon Florin (op. cit.) , à rencontrer la plus grande
variété possible de situations conversationnelles. Être locuteur dans un
groupe conversationnel hétérogène, où les novices se confrontent et
sont entraînés par des locuteurs plus expérimentés. Être locuteur dans
un groupe conversationnel homogène, plus sécurisant, où il trouve

103
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

plus aisément sa place. Être en situation d'interlocution duelle (pair/


pair ou élève/professeur) ou d'échanges avec des élèves d'autres clas-
ses, etc.
La pratique de l'oral, en cycle l, ambitionne, au-delà des compé-
tences spécifiques, de préparer l'élève à la langue écrite. Les grandes
activités langagières - écouter, parler, lire, écrire - sont solidaires. Au
cycle l, parce que l'élève écoute et parle, parce que, aussi, il fréquente
l'écrit, il se prépare à l'apprentissage de la lecture et de l'écriture.
En grande section, les professeurs insistent sur les réalités sonores du
langage, pour développer des compétences phonologiques. C'est ainsi
qu'ils amènent l'élève à reconnaître une même syllabe dans plusieurs
mots énoncés ou à jouer avec les rimes. Dans ce cas, l'enseignant vise à
créer et à développer des compétences métalinguistiques: le langage,
mode de communication élargi, devient progressivement, pour l'élève
de cycle l, un objet d'étude.

TROUBLES DU LANGAGE ORAL

Malgré une construction correcte de cet équipement physiologique


préalable, les troubles du langage oral peuvent survenir nombreux et
variés dans leur forme. Certains, chez le très jeune enfant, sont identi-
Les
problèmes fiés à partir des indicateurs qui touchent:
de langage
-les sons et leur organisation à l'intérieur des mots: on parle de
phonologie;
- le vocabulaire de référence: c'est le lexique;
-les marques grammaticales modifiant les mots ou morphologie;
-l'organisation de mots dans la phrase: il s'agit de la syntaxe;
-la signification de mots utilisés: c'est la sémantique;
- le langage comme instrument de communication: encore
nommé pragmatique.
Les origines des troubles du langage oral sont également diverses:
- l'origine culturelle et sociale de l'élève peut contribuer à
l'édification d'obstacles au développement du langage oral, en cas
de non ou faible stimulation ou lorsque les locuteurs de la famille
proche s'expriment dans un langage lui-même peu structuré. La
pluralité des cultures, celle de la maison, celle de l'école, peut
entraîner des difficultés à utiliser les stratégies langagières en usage
dans la culture scolaire;

104
LES STRATÉGIES DE L'ÉLÈVE EN DIFFICULTÉ

- des troubles sensoriels peuvent causer des difficultés dans


l'appropriation du langage oral. Il arrive qu'un élève ne différencie
pas les mots du locuteur en raison d'un problème de perception
auditive;
- des difficultés dans Xa construction des structures cognitives
(pensée logique, repères liés au temps et à l'espace) peuvent
également générer des obstacles à l'appropriation et à la mani-
pulation du langage. La capacité d'abstraction peut s'en trouver
altérée: l'élève n'ayant à sa disposition qu'un vocabulaire réduit,
et souvent lié au monde concret, ne pourra que difficilement
exprimer des idées ou des concepts (voir Ramozzi, chap. 4).
Aux troubles du langage oral de l'individu sont souvent associées
des difficultés relationnelles, comme la marginalisation, l'isolement, le Origine des
troubles
retrait dans la communauté d'origine, dues à la faible possibilité à en-
trer en communication verbale avec un environnement humain plus
diversifié. Les risques de dérive sont nombreux: le linguiste Bentolila
note, par exemple, que «celui qui a des difficultés à conceptualiser et
à argumenter sera perméable aux dogmes et aux discours sectaires»
(2002) .
S'ajoutent aussi des problèmes de comportement. Parmi les mani-
festations rencontrées, on observe, selon les cas, une hyper ou une
hypo-activité en réaction à l'entourage. Parfois les sujets développent
une rigidité comportementale, le plus souvent ils ont recours aux actes
et non aux mots dans leurs relations avec les pairs.
En revanche, il n'est pas rare de constater que de jeunes élèves ayant
des troubles du langage développent des conduites de compensation sur
lesquelles il est possible de prendre appui pour les aider. Ils cherchent
à communiquer par le regard, par des mimiques, en utilisant une ges-
tuelle inhabituelle chez les autres élèves. Les tâches qui ne requièrent
pas le langage peuvent être mieux réussies que chez les autres écoliers.
En outre, ces élèves peuvent s'avérer plus autonomes pour certaines ac-
tivités de manipulation et développer des stratégies plus riches.

PRODUCTIONS ÉCRITES ET STRATÉGIES INOPÉRANTES

Le texte étudié est produit par un élève qui appartient à la même


classe que les deux élèves Oean et Henri) dont les productions ont été
présentées au chapitre 2. La consigne est la même: il s'agit de raconter
un souvenir.

lOS
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

Texte de Ser

Tableau 3.3. Compétences en production, mobilisées pour l'écriture

Ser
A Respect de la consigne. Le scripteur raconte un épisode familial, situé
Consigne pour l'espace de l'action (chez mamie) mais non pour le temps.
Le récit progresse, mais l'enchaînement des actions n'est pas toujours
clairement posé. La présentation des (trois?) chiens est confuse. La
B fin demeure incertaine: pour quelle raison l'élève ne pourra-t-il pas
Contexte logique recommencer alors qu'il ne se met pas en scène?
Il n'y a ni conjonction ni connecteurs logiques: l'action est une suc-
cession de faits qui semblent peu liés.
Le souci de regrouper et d'organiser les actions en fonction de leur
C
déroulement n'existe pas. Les verbes employés sont à l'imparfait, sauf
Chronologie
le dernier.
Présence des termes moi et je en début et en fin de texte. Le reste du
D récit présente le frère. Récit dont l'élève est spectateur plus qu'acteur.
Dénonciation
Je est impliqué de façon indirecte, distanciée, presque absente.
Le texte se présente au lecteur comme un bloc monolithique. La lec-
E
ture n'est pas facilitée. Le texte semble non relu: la première phrase/
Présentation
non phrase le montre. La ponctuation est assez souvent absente.

106
LES STRATÉGIES DE L'ÉLÈVE EN DIFFICULTÉ

Tableau 3.4. Compétences dans la maîtrise des outils de la langue


Ser
F L'écriture des phrases pose problème. Le début du récit commence
Phrases par un groupe de mots qui n'est pas une phrase. Dans le cœur du
récit, les phrases ne sont pas clairement différenciées.
G
Une phrase, la dernière, est à la forme négative.
Type/forme
1/ n'y a pas présence d'autre type différent que le type déclaratif.

H La pronominalisation est présente. Le frère est désigné par il. Le chien


Substituts aussi. Cependant, les répétitions sont nombreuses (mon frère: cinq
occurrences).
1
Les mots de grande fréquence (frère, chien, cousin, voiture) sont
Orthographe
connus; d'autres ne le sont pas (chez, dos).
Non-segmentation de certaines unités lexicales: quon, sanficher.

J Le nombre de fautes d'accord reste très important.


Accords Aucune terminaison de verbe n'est orthographiée correctement.
Accord en nombre des noms communs dont l'écriture est non maî-
trisée (voitures, bruits).

Le cas de Ser
Il présente, au contraire de Jean et Henri, des difficultés aussi bien
pour la construction du récit que pour l'utilisation des outils de la
langue. La stratégie mise en place ne se fonde ni sur le contrôle de
l'activité ni sur la construction maîtrisée de la narration. Les indica- Le
teurs sont nombreux qui traduisent les difficultés. Parmi celles-ci, on «concept»
en relève deux significatives. de mot

Quelques mots sont non ou mal segmentés (quon, sanficher). Ils sont
traces d'anciennes difficultés, non entièrement résorbées, probable-
ment liées à un apprentissage de la lecture difficile et montrent que,
chez l'élève, la conscience métalinguistique du concept de «mot» n'est
pas totalement construite (cf. Karmiloff et Karmiloff-Smith, 2003).
L'écriture du mot «chez» n'est pas correcte. Il faudrait vérifier s'il
s'agit là d'un défaut d'attention dans l'instant de l'activité ou d'une
impossibilité à rappeler ce mot de la mémoire à long terme (MLT).
Si cette dernière hypothèse se vérifiait, il serait intéressant de com-
prendre l'organisation de sa MLT et de voir de quelle façon cet élève
mémorise les données lexicales. Il faut encore noter qu'à partir des
constats réalisés lors des évaluations nationales, 75 % des élèves de CE2
maîtrisent l'écriture du mot «chez ».

107
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

Cet élève n'a que peu de contrôle sur sa production écrite. Pour
repérer le sens et l'écriture des mots, il ne semble pas disposer de stra-
tégies particulières, contrairement au scripteur précédent. Ser répond
à la commande, fait son métier d'élève, mais semble difficilement
pouvoir mobiliser les compétences nécessaires, qui lui sont probable-
ment assez étrangères. L'hypothèse est que cet élève ne dispose pas
d'opérations logiques et infralogiques construites avec stabilité (faits
peu coordonnés, connecteurs logiques absents ... ). Ces préalables fai-
sant défaut, l'élève n'arrive pas à développer une stratégie d'écriture
experte, alors même que le récit présenté montre toute la richesse
dont cet enfant est porteur.
La production de Ser n'illustre cependant pas les difficultés sévères
d'autres élèves, pourtant scolarisés dans les classes ordinaires. Nous
proposons, en illustration, le texte rédigé par Moussa, élève de CM2
d'une ZEP.

-
i
t

L'écrit étant impossible à lire, nous avons noté la transcription faite


par la maîtresse qui a demandé à son élève: «Relis à haute voix ce que
tu as écrit, moi je note tout ce que tu dis. »

108
LES STRATÉGIES DE L'ÉLÈVE EN DIFFICULTÉ

Voilà le texte de la transcription:


Si le chat parle à Thomas, il sera plus un chat comme les autres. Si le docteur va
savoir qui fait plus un miaulement. Quand Thomas rentre de l'école et qui voit
plus son chat, Thomas a commencé à pleurer. Son papa achète un autre chat.
Gaspard revient, Gaspard jaloux.

Le cas de Moussa
L'écrit est consécutif à un travail de lecture. Il semble que cet élève ait
une grande difficulté à comprendre l'histoire qu'il a lue et à restituer
ce qu'il en a compris. Si l'on considère que l'écriture est une activité
langagière de haut niveau, qui fait suite à d'autres activités langagières
complexes comme la lecture, alors on mesure que les difficultés per-
ceptibles résultent d'autres difficultés, installées depuis longtemps. La
Trouble
chaîne langagière - écouter, parler, lire, écrire - indique l'interaction sévère
qui existe entre les compétences de chacune de ces activités. de l'écrit
Cet élève, lorsqu'il dit au professeur ce qu'il a écrit, ajoute du conte-
nu. Pense-t-il avoir écrit ce qu'il énonce à la maîtresse ou bien pense-
t-il que ce qu'il a écrit traduit tout ce qu'il énonce? Les indications
manquent pour répondre, mais l'observation est symptomatique de
certaines réalités scolaires, plus fréquentes qu'on ne le pense. Le pré-
sent constat montre le trouble sévère dans lequel se trouve cet élève
et la grande difficulté conséquente pour la maîtresse à gérer un élève
dans une telle détresse. L'objectif du professeur est de développer vi-
gilance et intervention afin que l'élève ne se décourage pas, avec les
risques de désinvestissement que cela induit, et aussi qu'il ne perde
pas son temps lors des activités de langage avec les autres élèves de la
classe, avec lesquels il est en grand décalage.

III. UNE TYPOLOGIE DES DIFFICULTÉS


« ORDINAIRES»

Nous remarquons que les sources de la difficulté, auxquels renvoient


les stratégies des élèves que nous venons d'étudier, sont au nombre
de deux. L'une est en lien avec la composante universelle, structurale
(liée à l'organisation des opérations logiques et infralogiques, l'abs-
traction, le degré de conservation ... ) ; la seconde avec la composante
fonctionnelle ou cognitive (résultant des procédures mobilisées et des

109
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

conditions de leur mobilisation). Nous désignons sous le terme «struc-


tural-procédural» ce modèle d'explication.
Nous retrouvons, pour une part, les éléments d'une classification
présentée, dans le champ des mathématiques, par Botelho, Castro et
Mordago (2001) pour qui l'erreur observée chez l'élève «peut être
due à une absence de mécanismes structuraux pour résoudre le pro-
blème posé ou, au contraire, elle peut être issue d'une difficulté d'or-
dre fonctionnel».
Nous nous fondons également sur les travaux, plus théoriques, de
deux assistants de Piaget, Inhelder et Cellérier, pour qui «les structures
forment l'ensemble des possibles de départ qui permettent à l'activité
procédurale de se dérouler ». Les structures sont caractérisées par leur
organisation intégrative «de type hiérarchique» (1992), finalisées par
la macrogenèse. Les procédures, complémentairement, sont des sé-
quences d'actions finalisées et se rapportent à la microgenèse. Elles se
traduisent par leur diversité et leur pluralité, alors que les structures se
fondent sur leur cohérence. L'organisation structurale, génératrice de
schèmes, permet la mise en œuvre de procédures et, réciproquement,
la variabilité procédurale contribue à la consolidation des structures
opératoires.

DIFFICULTÉS STRUCTURALES,
LIÉES AUX COMPOSANTES LOGIQUES DE LA PENSÉE

La construction et la disponibilité des opérations logiques (classifier,


La pensée
inclure, sérier, ranger, comparer, combiner, mettre en relation ... ),
mal des opérations spatiales (les rapports topologiques droite/gauche;
construite devant/derrière; au dessus/ au-dessous; à l'intérieur de/à!' extérieur
de ... ) ainsi que des grands mécanismes mentaux (conservation: avec
les arguments d'identité, de compensation et de réversibilité; abstrac-
tion simple et réfléchissante) déterminent, pour une part importante,
l'appropriation des apprentissages. Les décalages dans le développe-
ment des opérations entre plusieurs sujets ou entre diverses opérations
chez un même sujet peuvent engendrer des erreurs qui sont difficiles
à dépasser. Une erreur en langage ou en mathématiques peut être
l'indicateur d'une difficulté structurale, d'un trouble plus ancré. La
difficulté résulte du fait que les structures ou les opérations les com-
posant sont déficientes. Nous parlerons de «difficultés structurales ».
Les décalages dans le développement des opérations logiques entre
plusieurs sujets ou entre opérations d'une même structure, chez un

110
LES STRATÉGIES DE L'ÉLÈVE EN DIFFICULTÉ

même sujet, peuvent engendrer des erreurs pouvant s'avérer difficiles


à dépasser.
Les stratégies alors mobilisées sont inadaptées, souvent utilisées hors
contexte, l'élève ayant peu conscience de ces décalages. La remédia-
tian peut être longue. Elle est surtout travail de spécialiste, relative-
ment difficile à réaliser en classe. L'utilisation d'un support spécifique,
comme les exercices d'ARL présentés au chapitre 5, peut être envisa-
gée.

DIFFICULTÉS PROCÉOURALES, LIÉES AUX COMPOSANTES COGNITIVES

Les composantes cognitive et procédurale des difficultés de l'appren-


tissage peuvent se décliner en deux aspects complémentaires: les
connaissances nécessaires à l'apprentissage ainsi que leur organisation
en mémoire; les procédures de traitement et les conditions de mobili-
sation de ces procédures.

Les connaissances nécessaires et leur organisation en mémoire


Quand on cherche à comprendre ce qui différencie élèves réussissants Les pro-
et élèves en difficulté, on se rend compte que les premiers disposent de cédés mal
utilisés
deux compétences dont les seconds ne disposent pas ou peu et, dans
ce second cas, qu'ils utilisent mal. Les élèves réussissants possèdent une
connaissance thématique élargie, ce qui, pour une classe de situations
données, leur facilite la compréhension d'une situation nouvelle. Ils
disposent aussi d'une compétence complémentaire: une organisation
de ces connaissances en mémoire à long terme leur permettant d'ef-
fectuer avec cohérence la mise en relation des informations nouvelles
à traiter avec les anciennes.
On sait, par exemple, qu'un lecteur peu expert, lorsqu'il est connais-
seur du thème particulier d'une lecture, peut partiellement compen-
ser sa difficulté de lecture par sa connaissance thématique; l'inverse
est également vrai. Identiquement, un élève qui maîtrise les différents
sens du mot «pièce» comprend plus facilement la situation mathéma-
tique «trois gâteaux à quatre€ pièce» qu'un élève moins expert en
langage.

111
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

Les procédures de traitement et les conditions de mobilisation


de ces procédures
La difficulté peut alors être relative à la représentation de l'énoncé
(sens, contexte) et à son traitement (anticipation, planification, pro-
duction, contrôle) : l'apprentissage «implique la mise en œuvre d'ac-
tivités cognitives fondamentales (inhiber les réponses impulsives, anti-
ciper, orienter l'attention, planifier, contrôler, abstraire, etc.)>> (Cèbe
et al., 2001).
La difficulté peut aussi être plus strictement attachée à la procédure
ou aux coordinations de procédures mises en œuvre par l'élève. Les
erreurs de ce type sont dues au fait que la stratégie employée pour
réaliser une tâche ne convient pas à la situation donnée. La procédure
est l'indicateur du schème mobilisé et, plus largement, elle illustre la
façon dont l'élève a résolu la situation.
Parmi les illustrations d'une difficulté de type procédural, citons
cette conduite fréquente en cycle 2. L'expérience de l'élève lui permet
Change-
ment de de se doter de «connaissances en acte» (Vergnaud) relatives, par exem-
contexte ple, à la commutativité de l'addition. L'élève a rarement conscience de
et nouvelle cette propriété, pas plus qu'il n'est en capacité de la verbaliser. C'est
difficulté
ainsi qu'il effectue 9 + 2 lorsqu'il lui est demandé le résultat de 2 + 9.
La règle implicite qu'il s'est forgée, guidée par l'économie cognitive,
est valable localement comme propriété de certaines opérations numé-
riques. En revanche, lorsque le domaine change, pour la soustraction
par exemple, 2 - 9 ne peut devenir 9 - 2. La connaissance en acte,
et la stratégie conséquente dont s'équipe l'élève, peut devenir autant
source de réussite que d'erreur, qui, dans ce cas, lui demeure incom-
préhensible.
Cette seconde source d'erreurs est de type procédural (ou fonction-
nel). Elle renvoie à la façon dont l'élève a effectué la tâche. La stratégie
ne convient pas, mais, contrairement à la catégorie précédente, l'élève
dispose des outils logiques et cognitifs lui permettant de comprendre.
Ce type d'erreurs peut être régulé par un dispositif verbal, suivant la
réalisation de la tâche, au cours duquel l'élève sera invité à mettre en
mots ses procédés. Cette verbalisation est considérée comme un dispo-
sitif favorisant la compréhension, par l'élève, de l'inadaptation de la
stratégie qu'il a mobilisée et de la possibilité à la modifier.
En suivant Inhelder et Cellérier (op. cit.) , nous remarquons qu'il
est souvent possible d'identifier les difficultés qui relèvent du champ
structural (dans nos exemples, le travail de mathématiques de Victor

112
LES STRATÉGIES DE L'ÉLÈVE EN DIFFICULTÉ

ou la production écrite de Ser) de celles qui se rapportent au champ


procédural (comme le travail de mathématiques de Juliette). En re-
vanche, il est parfois plus complexe de les distinguer. D'un point de
vue théorique, certains chercheurs font remarquer que cela ne peut
vraiment surprendre: structures et procédures sont deux «indissocia-
bles». Leurs relations sont intimes puisque les unes comme les autres
sont des organisateurs de l'activité cognitive du sujet.
Cependant, il faut admettre que s'il est nécessaire de nuancer leurs
différences -les nouvelles procédures alimentent probablement l'ins-
tallation et la consolidation de structures opératoires, et inversement
Structures
-, les caractéristiques des unes et des autres excluent de les assimiler. et procé-
Inhelder et Cellérier, dans l'ouvrage cité, écrivent qu'on peut «conce- dures
voir les procédures comme des "improvisations" ou sources de varia-
tions adaptatives de la conduite ». Si elles ne sont pas directement
observables, elles peuvent donner lieu à verbalisation qui amène le
sujet à la conscience du procédé qu'il a utilisé. En revanche, les struc-
tures «relèvent de ce que l'enfant «sait faire» indépendamment de la
conscience qu'il en a» (id.). Les distinctions de nature et de fonction
demeurent irréductibles.

Tableau 3.5. Caractéristiques des difficultés individuelles:


les composantes structurale et procédurale
Difficultés structurales Difficultés procédurales
Ces difficultés sont liées à l'absence ou à la Ces difficultés sont d'ordre fonctionnel,
mauvaise élaboration des mécanismes struc- lorsque le sujet utilise un procédé inadapté
turaux de la pensée. ou une stratégie incomplète.
Les structures se caractérisent par leur cohé- Les procédures se caractérisent par leur diver-
rence et leur dimension universelle. sité et leur adaptabilité.
Les structures permettent la constitution de Les procédures sont la partie «expressive»
schèmes. des schèmes mobilisés pour une classe de
tâches.
Les structures sont de deux ordres: Cette catégorie de difficultés se rencontre lors
- les opérations logiques de la pensée d'un apprentissage nouveau quand l'élève
(classer, ranger, comparer, inclure, mettre en doit quitter les représentations anciennes
correspondance...) ; pour en construire de nouvelles.
- les opérations infralogiques, liées à la repré- Cette phase, si elle est mal négociée, peut
sentation, par le sujet, de l'espace (droite/ ancrer l'élève dans des procédés anciens qu'il
gauche, dessus/dessous... ) et du temps pense efficients en toutes circonstances.
(avant/après, hier/demain...).

113
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

Cette distinction entre sources structurale et procédurale de la difficul-


té (tableau 3.5) nous semble opérante dans le domaine des apprentissa-
ges scolaires. L'identification de la source par le professeur est possible à
partir des grilles présentées plus haut, pour analyser le travail en langage
écrit et en mathématiques. Ces grilles sont des outils d'analyse qui sont
utilisables en cycle 2 et surtout en cycle 3 d'école primaire tout autant,
avec un aménagement, qu'en classes de collège. L'identification est aussi
possible par l'utilisation d'outils d'évaluation plus spécifiques (celui des
ARL ou des ASLOS, présentés au chapitre 5, en est un bon exemple) .
L'accompagnement de l'élève, selon la source identifiée, est alors
différent. Dans le cas d'une origine procédurale : faciliter la mise en
mots, varier les situations et ne pas multiplier les obstacles d'une situa-
tion (sans pour autant les réduire ou les supprimer) sont des pratiques
Prévenir
facilitantes pour l'élève. Pour la difficulté de type structural, l'aide est
la difficulté d'une autre nature. Il est inutile de s'obstiner à mettre en place un
renforcement dans le champ disciplinaire échoué, ou plus exactement,
tout en reprenant le travail (pour éviter que l'élève n'éprouve un senti-
ment de rupture ou d'exclusion), il s'avère nécessaire de reconstruire
l'opération (logique, spatiale, temporelle) mal ou non construite et
qui empêche les apprentissages disciplinaires. Le chapitre 6 apporte
plusieurs pistes de réflexion concrètes en ce domaine.

EST-IL POSSIBLE D'AGIR PRÉVENTIVEMENT?

En conclusion à ce chapitre sur la difficulté dite ordinaire, est abordée


la question de la prévention. Est-il toujours possible de prévenir? Quel-
les conditions sont nécessaires à sa mise en place? Et tout d'abord,
qu'entend-on par prévention? Contrairement à une idée admise, la
prévention peut être envisagée, non seulement à l'école primaire mais
aussi au second degré. Il est cependant nécessaire de définir ce que
recouvre exactement le terme de prévention. Selon les chercheurs
anglo-saxons, qui ont particulièrement travaillé sur cette question, elle
comporte trois composantes (Snow et al., 1998).

La prévention primaire
Elle concerne l'ensemble des élèves d'une classe et correspond à ce
que Vitaro et Gagnon (2000) identifient comme les conditions péda-
gogiques de l'apprentissage qui permettent à tous les élèves de réussir.
Il existe, au niveau institutionnel, plusieurs modalités qui correspon-
dent à cet objet. L'une d'elles consiste en la mise en œuvre d'une pé-

114
LES STRATÉGIES DE L'ÉLÈVE EN DIFFICULTÉ

dagogie différenciée, où le professeur diversifie les situations et les


supports selon les besoins identifiés des élèves. Une autre modalité
possible est la conception cyclique des apprentissages. Les outils de la
pensée, les procédés, les compétences ne se construisent pas, au même
rythme, chez chaque élève. La disponibilité de l'enseignant qui inscrit
les apprentissages dans la temporalité de l'élève et non dans celle des
injonctions officielles, qui admet les tâtonnements de l'élève et recon-
naît la diversité des procédures au lieu de privilégier uniquement ceux
qui sont le plus logique, cette façon d'enseigner entre dans le cadre de
la forme élémentaire de la prévention. Sa généralisation permettrait
d'éviter la naissance de nombre de difficultés.
Plusieurs
La prévention secondaire
formes de
Elle concerne non plus tous les élèves mais ceux qui présentent une fra- prévention
gilité avérée. Cette forme de prévention est ciblée. À la fois par rapport à
la population scolaire concernée et aussi par rapport aux dispositifs qui
sont utilisés par le professeur. Elle peut intervenir, en soutien, à certai-
nes périodes sensibles de la scolarité, qui rendent l'élève plus vulnérable
(le passage de la maternelle au primaire, le passage du CM2 à la sixième,
par exemple). Elle intervient aussi lorsque des structures de la pensée
(opérations logiques ou infralogiques) éprouvent quelques difficultés à
se construire avec harmonie. Elle peut encore intervenir lorsque l'élève
rencontre des conditions sociales ou familiales qui l'empêchent, tempo-
rairement, de s'investir dans les apprentissages. Cette forme de préven-
tion réclame une grande attention de la part du professeur et de la sou-
plesse dans l'emploi du temps, pour offrir la mise en place de moments
de travail en petits groupes, voire de façon individualisée.

La prévention tertiaire
Lorsque les difficultés sont apparues, la prévention revêt une autre
nature. Elle vise à en éviter le développement autant qu'à les réduire,
en conjuguant prévention et remédiation. Cependant, il s'agit moins
d'intervenir rapidement que de chercher à observer et comprendre
les manifestations avérées de la difficulté. La prévention comme la
remédiation prennent place dans un second temps, elles ne sont effi-
cientes qu'en réunissant plusieurs conditions: le constat et l'analyse,
préalables à l'intervention, nécessitent que le professeur dispose de
connaissances sur le développement de l'enfant et de l'adolescent;
qu'il soit en mesure d'identifier la nature des difficultés (par exemple,

115
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

celles d'ordre structural et celles d'ordre procédural) ; qu'il travaille en


équipe avec ses collègues ou, à l'école primaire, avec les enseignants
spécialisés, qui peuvent être amenés à aider l'élève; qu'il entretienne
des relations d'information et de confiance avec les parents.
Pour chacune des trois formes, l'important est moins la maîtrise
et la mise en œuvre par le professeur de dispositifs techniques, plus
ou moins sophistiqués, que le développement d'une posture nouvelle
fondée sur la disponibilité, l'attention à l'élève, ce qui n'exclut ni l'exi-
gence, ni la rigueur. La prévention vise alors, soit seule (pour les deux
premières composantes) soit en accompagnement de la remédiation
déjà engagée (pour la composante tertiaire), à éviter un décrochage
qui se traduit par le désintérêt progressif chez les enfants d'âge pri-
maire et par l'exclusion chez les collégiens.

Résumons-nous
Ce chapitre se centre sur l'élève en difficulté, réalité qui s'est imposée au
fil des années, à tous les niveaux du système éducatif.
Nous avons abordé cette question de façon concrète, à travers des travaux
d'élèves en mathématiques et en français. L'objet fut de comprendre ce qui
bloque l'acquisition de la numération ou l'effectuation d'opérations simples,
ce qui entrave la résolution d'un problème, ce qui gêne la compréhension
d'un texte lu, ce qui parasite la production d'un écrit. Il s'agit moins d'ap-
porter des réponses définitives à ces questions, tant leur variabilité les rend
complexes, que de proposer des explications possibles, des pistes de réflexion
qui nourriront les pratiques.

Nous avons insisté sur ce qui permet de comprendre l'origine de la diffi-


culté cognitive et plus précisément de faire la distinction entre ce qui relève
d'une cause structurale et ce qui relève d'une cause procédurale.
Dans le premier cas, les structures opératoires de la pensée dysfonctionnent :
la pensée logique est peu efficiente; les opérations de temps et d'espace sont
mal construites. Le travail de remédiation portera sur ces aspects. Le profes-
seur s'assurera, par exemple, que l'élève présentant des difficultés est bien
latéralisé, ce qui ne préoccupe pas, contrairement aux idées reçues, la seule
école maternelle.
Dans le second cas, les stratégies mises en œuvre sont en cause. L'élève
dispose des structures de la pensée, mais il n'utilise pas, au bon moment,
pour une tâche donnée, celles qui sont les mieux adaptées. La remédiation
est plus facile que dans le premier cas. Elle s'appuie, pour une part, sur le fait
d'amener l'élève à mettre en mots les procédures qu'il a mobilisées.
4

Comprendre la grande difficulté


et les troubles d'apprentissage

L'élève en grande difficulté est-il seulement celui qui n'utilise pas les
bonnes stratégies? Dispose-t-il de stratégies qui seraient inadaptées ou
ne dispose-t-il d'aucune stratégie précise? Selon le modèle d'appren-
tissage de référence, les réponses diffèrent. Tout comme change, selon
les entrées théoriques, la définition des troubles graves et des grandes
difficultés qui influencent les procédures.
Ce chapitre relève les indicateurs les plus pertinents pour définir les
dysfonctionnements lourds dans l'apprentissage, puis distingue ce qui
se rapporte à la difficulté, au trouble sévère et au handicap.
L'identification des stratégies en cause dans l'échec scolaire est bien
différente selon le type d'entrée: psychanalytique (apprentissage et ré-
seau d'affects), neuropsychologique (apprentissage et fonctionnement
du cerveau) ou socioconstructiviste (apprentissage et activité cogni-
tive). Ces deux dernières entrées, qui sont les plus répandues dans les
pratiques d'identification comme dans celles de remédiation, utilisent
des critères d'analyse divergents. Elles font l'objet d'une présentation
détaillée.

1. LES DISTINCTIONS ENTRE DIFFICULTÉS,


HANDICAPS ET TROUBLES

LES INDICATEURS DE LA DIFFICULTÉ LORSqU'ELLE N'EST PAS


SEULEMENT COGNITIVE

Dans le prolongement du chapitre précédent et avant de définir les


troubles de l'apprentissage et les handicaps pouvant se montrer inva-

117
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

lidants, il est utile de cerner les indicateurs d'une autre manifestation


de la difficulté qui, à la différence de ce qui a été présenté, peut em-
prunter des chemins non strictement cognitifs.
Dans une approche inspirée du constructivisme social, apprendre
est en soi une source de difficultés car s'approprier du nouveau désta-
bilise celui qui apprend. La difficulté se traduit dans l'erreur identifiée
dans le travail oral ou écrit de l'élève. Nous en donnons des exemples,
plus loin. La difficulté se traduit aussi par la conduite de l'élève. Son
observation permet d'identifier quelques indicateurs significatifs.
À la déstabilisation qu'induit tout apprentissage, il convient d'ajouter
que la nouveauté peut effrayer. Un savoir nouveau peut faire peur, placer
Appren-
tissage et en insécurité un écolier, en raison de son caractère inconnu. Confron-
déstabili- tés à une nouveauté, certains élèves sont assaillis par le sentiment de
sation ne pas parvenir à se l'approprier, de n'être pas «à la hauteur», de dé-
cevoir (l'enseignant, les parents), de faire moins bien que les autres.
Dans un tel cas, le refus d'apprendre est une conduite fréquente, en
réponse à ces risques éventuels. Ce refus n'est pas à interpréter comme
une incapacité de l'apprenant, en ce qu'il ne disposerait pas des com-
pétences requises, mais plutôt comme un retrait temporaire devant ce
qu'il considère comme incertain, désagréable ou dangereux.
En outre, tout savoir est un savoir instable car il présente les particula-
rités d'être situé et contextualisé. Chaque écolier sait qu'après 9 il Ya
10, or après 2,9 il n'y a pas 2,10 l Sortir de la numération entière pour
aborder un autre système demande une grande capacité de décentra-
tion. C'est une difficulté sur laquelle butent la plupart des élèves de
CM. Le savoir est également temporaire: la connaissance du système
solaire durant l'Antiquité, à la Renaissance ou au XXl e siècle a radicale-
ment changé. S'engager dans l'apprentissage ne va donc pas de soi. La
crainte de ce que l'on va apprendre, crainte de perte de tranquillité ou
de confort intellectuel, peut déboucher sur une conduite de refus. Le
langage courant est porteur de ces craintes, les expressions telles que
«Je ne veux pas le savoir» ou «Je ne veux pas l'entendre» traduisent le
malaise devant certains savoirs déstabilisateurs. Il n'est pas rare d'ob-
server des élèves qui préfèrent n'engager aucune stratégie, de crainte
de se tromper et d'être jugés comme étant en faute.
Certaines conduites de refus sont visibles, les signes sont spectacu-
laires et identifiables. L'opposition, qu'elle soit gestuelle, verbale, me-
naçante ou violente, est immédiatement perceptible. Il est pourtant
des conduites moins visibles, moins faciles à identifier, qui sont des

118
COMPRENDRE LA GRANDE DIFFICULTÉ

marqueurs discrets mais révélateurs réels de difficulté. Sans en limiter la


liste, les comportements suivants peuvent alerter les professeurs:
- l'enfant utilisant des procédures systématiquement
incohérentes, des stratégies inhabituelles, des conduites
d'apprentissage en décalage;
-l'écolier qui oublie: oubli d'apprendre une leçon, de faire un
Indicateurs
exercice, d'apporter tel outil de travail, tel livre ; de difficulté
- l'élève se réfugiant dans le mutisme, dans l'évitement de
prise de parole, qui refuse d'aller au tableau, participe peu, se fait
oublier;
-l'élève qui a le sentiment, parfois correspondant à la réalité, de
n'être pas écouté, d'être exclu, d'être rejeté par son enseignant;
- l'élève qui se sent marginalisé ou tenu l'écart par ses pairs
en récréation, ne se sent pas à l'aise avec ses camarades, a de la
difficulté à s'insérer dans une activité de groupe;
-l'élève qui recherche de façon exclusive le contact avec l'adulte,
parle volontiers aux enseignants tout en ayant peu de contact avec
les autres enfants;
-l'enfant qui perd l'appétit, refuse de manger avant de venir à
l'école, se plaint de maux de ventre ou de céphalées;
- l'élève qui opère un cloisonnement important entre vie de
l'école et vie familiale.
Ces conduites ne sont pourtant pas à prendre au sens strict car on
rencontre des élèves qui parlent peu de leur vie en classe à leurs pa-
rents, ou d'autres quijouent peu avec leurs camarades sans pour autant
qu'il faille y voir des marqueurs de la difficulté. Une fois écartées les
conduites particulières, caractérisant le style singulier d'un élève, ou
les hypothèses pathologiques (par exemple, un comportement proche
de l'autisme), alors ces marqueurs discrets peuvent être indicateurs de
rapports problématiques à la classe, aux pairs, au maître ou au savoir,
qu'il convient de prendre en compte.
Ces conduites paradoxales, s'exprimant parfois par un refus de tra-
vail ou par des procédures inadaptées, pouvant traduire des difficul-
tés d'apprentissage, peuvent aussi, dans certains cas, être le signe de
dysfonctionnements plus profonds tels que le handicap ou le trouble,
que nous allons définir pour les différencier des difficultés. Les élèves
atteints de handicap ou de trouble peuvent bénéficier de structures
éducatives spécifiques ou d'interventions particulières, destinées à les

119
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

intégrer le mieux possible en fonction de leurs caractéristiques singu-


lières.

LES HANDICAPS
Sont habituellement désignés sous le terme «handicapés» les élèves
présentant des déficiences intellectuelles, sensorielles (visuelles ou
auditives) ou motrices. Le terme désigne, désormais, aussi, des élèves
présentant des dysfonctionnements sévères de la conduite, ainsi que
ceux qui sont atteints de troubles invalidants de la santé. Élargissant
l'arrêté du 9 janvier 1989, qui articulait le handicap aux notions stric-
tes de déficience, incapacité et désavantage, la loi de 2005 donne une
définition plus vaste. L'article 2 précise que «constitue un handicap
toute limitation d'activité ou restriction de participation à la vie en so-
Laide ciété subie dans son environnement par une personne en raison d'une
2005 et altération substantielle, durable ou définitive, d'une ou plusieurs fonc-
handicap tions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d'un
polyhandicap ou d'un trouble de santé invalidant. » La conception du
handicap quitte donc le champ de la seule déficience individuelle pour
l'inscrire dans une dimension sociale. De même, certains troubles sé-
vères sont désormais considérés comme handicapant. Ces nouvelles
entrées n'abolissent pas le concept de déficience.
Pour l'OMS, la déficience intellectuelle est identifiée par un QI in-
férieur à 70. À l'école, l'intelligence est généralement évaluée, par le
psychologue scolaire, à l'aide de tests qui reposent souvent sur une
conception factorielle de l'intelligence. C'est le cas du WISC ou du
K-ABC:
- le WISC III est la troisième révision du test Wechsler Intelligence
Scale for Children. Il est constitué de deux parties. L'échelle verbale
est composée d'épreuves relatives à l'information, aux similitudes,
à l'arithmétique, au vocabulaire, à la compréhension, à la mémoire
des chiffres. L'échelle de performance est relative au complément
d'images, à l'arrangement d'images, aux cubes pour reproduire
des modèles géométriques, aux assemblages d'objets, au code et
aux symboles;
- le K-ABC (Kaufman-Assessment Battery for Children) est utilisé
pour les enfants entre deux et douze ans. Ce test se distingue
du précédent sur plusieurs points. Il différencie les processus
simultanés des processus successifs, eux-mêmes différents de

120
COMPRENDRE LA GRANDE DIFFICULTÉ

l'échelle des connaissances. Le test comporte, également, une


épreuve de compréhension de lecture. La résolution des items s'effectue
sans limite de temps. Pour les psychologues, le K-ABC donne une
évaluation plus complète de l'empan de la mémoire de travail.
Les critères de l'OMS sont repris par l'Éducation nationale et utili-
sés par les commissions spécialisées chargées d'orienter les élèves han-
dicapés. Depuis 2005, la situation de la prise en charge du handicap est
en grande évolution. Retenons notamment deux points concernant
l'école.
Jusqu'en 2005, les dossiers de l'élève en situation de handicap
étaient étudiés par les commissions de circonscription - CCPE pour
le premier degré, CCSD pour le second degré - ainsi que par la com-
mission départementale CDES. À partir de 2006, l'ensemble de ces
questions (le handicap chez l'enfant comme chez l'adulte) est géré
par une instance unique: la Maison Départementale des Personnes
Handicapées. Les commissions de suivi qui y sont rattachées sont char-
gées de la gestion des dossiers de la scolarité des élèves concernés. Des Les structu-
«référents» s'assurent de la cohérence de la scolarisation de l'élève res spéciali-
sées
handicapé.
Désormais, depuis la loi de février 2005, les écoliers reconnus comme
handicapés sont placés prioritairement en intégration individuelle dans
les classes ordinaires de l'établissement de secteur. Les classes spéciali-
sées continuent à exister: les CLIS (classes d'intégration, pour le pre-
mier degré) , les UPI (unités d'intégration, pour le collège) ainsi que les
établissements spécialisés, mais elles ne constituent plus les seuls lieux
d'accueil. C'est une modification importante de la scolarisation des élè-
ves handicapés. Cette intégration ne va pas sans poser de problème aux
professeurs qui, le plus souvent, n'ont pas de formation spéciale pour
l'accueil de ces populations. Nous consacrons les trois derniers chapitres
du livre aux stratégies que l'enseignant peut mettre en place et propo-
sons, entre autres, une réflexion sur la nouvelle posture du professeur
confronté au problème (chapitre 7). Pour aider les élèves pris en charge
dans les classes ordinaires, des auxiliaires de vie scolaires (AVS) sont
parfois chargés de les assister. Outre la présence, en classe, de l'AVS aux
côtés de l'élève handicapé, lIn partenariat est souvent effectif avec des
services spécialisés comme le SESSAD (service d'éducation spéciale et
de soins à domicile), qui, avec une équipe pluridisciplinaire, peut inter-
venir sur les lieux de vie de l'enfant et de l'adolescent.

121
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

LES TROUBLES
Une deuxième catégorie de dysfonctionnements concerne les troubles
qui se présentent sous diverses formes (tableau 3.6).
Les troubles de la personnalité ou psychiques relèvent d'une aide ou
de soins psychothérapiques. Ceux-ci sont administrés par un service
médico-psychologique (CMP ou CMPP) ou par des pédopsychiatres,
en institution ou en secteur libéral. Le CMP reçoit des enfants atteints
de troubles psychiques. Il fonctionne en externat, assurant diagnostic
et soins en liaison avec un centre hospitalier. Le CMPP (centre médico-
psycho-pédagogique) fonctionne aussi en externat. Il reçoit des jeunes
enfants manifestant des troubles qui peuvent être de nature langa-
gière, de nature psycho-affective, de nature psychomotrice. Il assure la
prise en charge thérapeutique et la rééducation.
Les troubles de la santé concernent les enfants atteints de dysfonctionne-
Les caté-
ments qui évoluent sur des grandes durées, qui ne touchent pas les fonc-
gories de tions cognitives et qui n'empêchent pas la scolarité. Les troubles neuro-
troubles logiques peuvent aussi rendre difficile une scolarité ordinaire, c'est le cas
de certaines épilepsies. La scolarisation peut s'effectuer en hôpital ou au
domicile, l'enseignement étant dispensé par un enseignant spécialisé.
L'élève peut encore être scolarisé en classe ordinaire, avec accompagne-
ment et assistance médicale permanente ou partielle, après mise en place
d'un projet de suivi scolaire individualisé, dans une classe.
Dans le prolongement de l'alinéa précédent, une approche plus
psychiatrique de la question met en lumière la répercussion que peu-
vent avoir certains troubles sur le travail scolaire des élèves (Gueniche,
2002).
Les troubles du sommeil, qui altèrent les temps de repos nocturnes
du corps, se traduisent par des insomnies, des cauchemars, des dérè-
glements quantitatifs et qualitatifs. Les angoisses de séparation (peurs
de diverses origines), l'hyperactivité, les oppositions sont sources de
perturbations du rythme de sommeil avec des incidences, parfois pro-
fondes, sur le cursus scolaire.
Les troubles psychomoteurs se traduisent de différentes manières. Gue-
niche (2002) en identifie plusieurs catégories: l'inhibition psychomo-
trice, la dyspraxie sans atteinte neurologique, les tics, l'hyperkinésie,
tous peuvent avoir un caractère invalidant pour les apprentissages.
Les troubles liés à la dépression de l'enfant ou de l'adolescent peuvent
se manifester et perturber la scolarité. Le syndrome dépressif peut se

122
COMPRENDRE LA GRANDE DIFFICULTÉ

traduire par une dépréciation de soi et du monde, il est parfois accom-


pagné de troubles du comportement (comme les fugues). À l'adoles-
cence, période particulièrement fragile, les états dépressifs peuvent
soit disparaître, soit, plus rarement cependant, évoluer vers des névro-
ses obsessionnelles ou des bouffées délirantes.
Les troubles du comportement se traduisent par une gamme variée de
conduites, qui désarment d'autant plus les adultes que leur irruption
est parfois inattendue: mensonges, vols, fagues, conduites hétéro ou
auto-agressives. Ces troubles s'observent principalement auprès des
adolescents.
Les troubles spécifiques du langage concernent les élèves dont les diffi-
cultés à parler et à lire sortent de l'ordinaire des difficultés générale-
ment constatées, et sont générateurs «de souffrance pour les élèves et
leurs familles ».
Le rapport Ringard (publié par le ministère de l'Éducation nationa- Les
le en 2000) a permis d'étudier puis de proposer un plan d'action pour troubles
«les enfants atteints d'un trouble spécifique du langage ». Ce rapport du langage
estime entre 4 % et 5 % de la population scolaire le pourcentage des
enfants «porteurs d'un trouble spécifique », étiqueté sous le nom de
dysphasie, pour la langue orale, et de dyslexie, pour la langue écrite.
Il est à noter que ces termes, introduits par le préfixe «dys », ont été
abandonnés dans la version finale du plan d'action qui suivit le rap-
port. Parmi les axes définis par le plan d'action ministériel de 2001,
à la suite du travail de la commission Ringard, il est fait mention de
lancer la prévention dès la maternelle pour les identifier le plus tôt
possible et les prendre en charge lorsque cela est nécessaire. L'objectif
est que chaque élève puisse, au cours de sa scolarité, bénéficier d'un
apprentissage de la langue, selon ses ressources et ses besoins, pour lui
permettre de s'insérer au mieux dans la société.
Ces troubles sont parfois considérés comme relevant de la grande
difficulté scolaire, par opposition à la difficulté ordinaire. Cette ex-
pression peu précise regroupe généralement, comme mentionné plus
haut, des élèves non déficients intellectuels mais qui se trouvent en
échec et en décalage, avec généralement un retard de deux ans par
rapport aux autres écoliers. L'aide peut être envisagée au niveau de la
classe, par l'enseignant, à travers un projet pédagogique individualisé
telle programme personnalisé d'aide et de progrès (PPAP). Le PPAP
peut être mis en place pour des élèves qui changent de cycle sans maî-
triser les compétences attendues au cycle inférieur dans le champ de

123
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

la lecture, de l'écriture, des mathématiques. Les Bü (Bulletin officiel


du ministère de l'Éducation nationale) n° 42 du 23 novembre 2000 et
n° 13 du 29 mars 2001 en précisent les objectifs et modalités. Le PPRE
(programme personnalisé de réussite éducative) est appelé à se substi-
tuer au PPAP à compter de 2006.
L'aide peut être fournie dans le cadre de la classe ou de l'école par
le RASED, réseau d'aides spécifiques regroupant un psychologue sco-
Aide à la
grande laire, un rééducateur, un maître spécialisé dans l'aide pédagogique.
difficulté L'aide peut .encore être apportée par une classe adaptée aux besoins
de l'élève: la ClAD (classe d'adaptation) peut accueillir l'élève soit
pour une année, soit pour une période plus courte, quelques semai-
nes ou quelques mois. Dans le second degré, la structure d'adaptation
est la SEGPA (section adaptée à visée de formation professionnelle).
Enfin, dans le cas de troubles sévères identifiés comme tels, et lorsque
cela se justifie, une médicalisation peut être envisagée.
Pour la prise en charge de ces dysfonctionnements importants
correspondent des personnels spécifiquement formés. Le secteur re-
groupant structures et personnels est celui de l'ASH (adaptation et
scolarisation des élèves en situation de handicap) , encore nommé «en-
seignement pour élèves à besoins éducatifs particuliers ». Les ensei-
gnants reçoivent une formation spécifique, dispensée par les IUFM ou
l'Institut national supérieur pour la formation des enseignants spécia-
lisés de Suresnes, et obtiennent une certification, le CAPA-SR (certifi-
cat pour les enseignements adaptés et la scolarisation des élèves en si-
tuation de handicap). Le Bulletin officiel spécial n° 4, du 26 février 2004,
définit la formation aux options du CAPA-SR. Celles-ci sont désignées
par des lettres: A, B, C (enseignement pour les élèves déficients mo-
teurs et sensoriels), D (enseignement en intégration, CLIS et UPI du
second degré), E (intervention en réseau et en classes d'adaptation),
F (enseignement en SEGPA, classes d'adaptation du second degré), G
(rééducation au sein du réseau).

124
COMPRENDRE LA GRANDE DIFFICULTÉ

Tableau 3.6. Définitions et caractéristiques essentielles


des handicaps et des troubles
Les handicaps Les troubles
Le handicap est articulé autour de la notion « Le trouble (du langage) est par nature
de déficience tout autant qu'il s'inscrit dans durable dans le temps, résistant pour partie
une dimension sociale. La déficience est aux remédiations, divers dans ses formes et
définie comme altération d'une fonction ana- dans les signes associés, variable par sa gra-
tomique, physiologique ou psychologique de vité et par les incapacités générées». (Rapport
l'organisme. Ringard, 2000).
La situation de handicap est « une altération Les troubles se manifestent donc de façons
substantielle, durable ou définitive, d'une ou variées:
plusieurs fonctions physiques, sensorielles, - les troubles de la personnalité ou psychi-
mentales, cognitives ou psychiques, un poly- ques;
handicap ou un trouble de santé invalidant». - les troubles de la santé concernant les
Depuis la loi de février 2005, les élèves handi- enfants atteints de dysfonctionnements qui
capés (et certains élèves atteints de troubles) évoluent sur des grandes durées;
sont prioritairement scolarisés dans l'établisse- - les troubles spécifiques du langage;
ment scolaire (primaire et secondaire) de leur - et de nombreux autres (tels les troubles psy-
secteur. chomoteurs, les troubles du sommeil, etc).

Avant d'aborder une explication de la grande difficulté et des


troubles selon les deux entrées fortes de la neuropsychologie et du
constructivisme, il nous semble utile, afin de balayer un panorama plus
complet, de présenter l'approche psychanalytique. Nous avons choisi
d'y entrer sous l'angle des travaux deJacques Lévine qui s'est toujours
intéressé au système éducatif, aussi bien aux élèves dans leurs appren-
tissages qu'aux professeurs en difficulté et en souffrance.

DIFFICULTÉ ET TROUBLES
SELON LE POINT DE VUE DE LA PSYCHANALYSE

Les stratégies de travail que mobilisent les élèves atteints de troubles


ou développant de grandes difficultés sont souvent déroutantes pour
l'enseignant non spécialisé. En fonction du point de vue théorique,
l'explication et la compréhension des troubles et difficultés peuvent
être très différentes. Le constructiviste adopte une catégorisation dis-
tincte de celle du psychanalyste, les deux étant également éloignées
de celle fournie par le neuropsychologue. Nous présentons, dans les
alinéas qui suivent, le point de vue de Lévine exposé dans sa loi des
quatre affiliations.
Dans cette conception, le primat est donné au sujet apprenant, à
son histoire, à sa singularité. Lévine (2001) a particulièrement observé
l'élève dans une classe clé de sa scolarité, le CP, étape médiane entre

125
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

entrée en maternelle et entrée au collège, moment déterminant de


l'entrée en lecture et plus largement de l'acquisition de codes symbo-
liques qui conduit à quitter le «monde socio-maternel» pour intégrer
le «monde socio-paternel». Toute classe peut être divisée en trois caté-
gories d'élèves: ceux qui ont un rapport à l'écrit se développant avec
une relative harmonie; ceux dont le rapport montre des insuffisances,
probablement fondées sur un imaginaire cognitif pauvre; ceux qui
développent un rejet ou une grande passivité vis-à-vis de l'écrit. Pour
mieux comprendre la façon dont chacune de ces catégories d'élèves
mène son rapport à l'écrit, Lévine a défini «la loi des quatre affiliations
comme fondements des apprentissages» (op. cit.). Les quatre phases
de ce développement, de ce système d'organisation de la personnalité,
de ce système langagier pluriel, sont les suivantes:
- la phase familiale duelle : le bébé «forme couple» avec sa mère.
Cette première étape est une phase de découverte progressive
du corps propre, de la conquête d'une première autonomie.
L'intelligence de l'enfant est gourmande, se nourrissant des
multiples indications fournies par les gestes et la parole de l'adulte.
Lévine et
les quatre L'auteur rapproche cette activité de ce que Bion nommait «la
affiliations fonction alpha» ;
- la phase triangulaire: l'enfant prend conscience de son
inscription identitaire. D'une part, il s'inscrit pleinement dans
cet ensemble (cet «être ensemble») qu'est la famille. L'enfant y
prend et y apprend des savoirs et des savoir-faire, y tisse un réseau
d'affects essentiels et vitaux, y construit un langage de connivence et
d'appartenance. D'autre part, il fait l'apprentissage du moi secret.
Il comprend ce qui se montre et peut se dire et ce qui ne se montre
pas ou se dit autrement, par le dessin ou le jeu. C'est la période
du «bi-être ». Cognitivement c'est une phase où l'identification
différenciée de ce qu'il est le conduit à nommer, compter, ranger,
trier le monde, les êtres et les objets qui l'entourent;
- la phase de la maternelle: la découverte de supports et
d'environnements nouveaux donne un écho aux pouvoirs
découverts précédemment. La composante fortement sociale
du milieu scolaire peut entraîner une frustration qu'il faudra
apprendre à réguler. Il est parfois difficile d'être «je» à certains
moments et «il» à d'autres, de passer de l'un à l'autre, d'être en
harmonie avec l'un et avec l'autre. En conséquence, cette période

126
COMPRENDRE LA GRANDE DIFFICULTÉ

voit s'élargir la «fonction alpha» à des contextes environnementaux


et sociaux divers, dont l' enfant découvre les limites et les règles;
- la phase du CP: l'entrée à la grande école est un événement.
L'école est perçue comme «un père symbolique», dont la charge
institutionnelle et la puissance mystérieuse dépassent ce qui était
alors connu (la famille, l'environnement proche). Lire est l'activité
inaugurale de cette transformation. Lire c'est entrer en dialogue,
secret et inconscient, avec une personne qui n'est pas présente,
le concepteur du texte. Lire c'est accéder aux archives du savoir,
les partager avec ceux qui savent déjà. L'intelligence de la lecture
permet «l'affiliation au monde du père de l'ordre social».
L'affiliation aux quatre phases successives permet de gagner la ba-
taille des appartenançes et facilite un accès au code écrit. Ces batailles
sont gagnées parce que le sujet est accompagné dans son parcours de
construction du moi identitaire et du moi cognitif.
Les difficultés qui attendent l'enfant sont cependant nombreuses.
C'est ainsi que l'articulation entre le «je» et le «il» peut s'avérer insur- Affects
montable temporairement, si le «je» n'est pas tout d'abord construit. et appren-
La qualité de l'accompagnement au sein de la famille dans les phases tissage
A et B est déterminante. De même, la loi et les rappels à la loi, formu-
lés de façon maladroite à l'école, lors des phases C et D, peuvent être
source de difficultés et défavoriser les apprentissages. Autre risque, le
fait que l'apprentissage de la lecture devienne une technique consti-
tuant sa propre finalité au lieu d'être un outil d'échange avec l'autre
permettant la découverte et la construction du sens.
Lévine pose la question fondamentale de l'importance et de l'ins-
cription de la vie non scolaire de l'enfant (tels le conflit œdipien) dans
l'aventure scolaire que constitue l'entrée dans l'écrit. L'interdépen-
dance entre les deux vies, et l'harmonie possible ou non, peut être
facteur de réussite ou source d'échec: «L'apprentissage dérape dans
l'artificialité lorsqu'il est vécu comme arrivant trop tôt ou trop à côté
des vraies préoccupations du moi. »
Notons encore qu'il serait possible d'ajouter à ce courant de pen-
sée, qui donne primat à l'élève dans son histoire singulière d'enfant,
les travaux de deux auteurs dont l'importance est largement admise.
Il s'agit de Serge Boimare (1999), qui montre le bénéfice que retire
l'élève quand le professeur lui propose des textes culturels comme
facilitateurs du dépassement des peurs d'apprendre; il s'agit, égale-

127
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

ment, d'Yves de La Monneraye (1991) qui insiste sur le double rôle de


l'éducateur: amener l'élève à mettre en mots et à se rendre disponi-
ble, et?- développant une vraie compétence d'écoute, à la parole ainsi
provoquée. Rappelons que les populations auxquelles se réfèrent ces
deux auteurs sont nettement installées dans la grande difficulté et le
trouble, pour autant que leur réflexion sur les pratiques pédagogiques
peut concerner l'ensemble des situations de classes «ordinaires».

Il. L'APPROCHE NEUROPSYCHOLOGIQUE


DES GRANDES DIFFICULTÉS ET DES TROUBLES

Si les handicaps sont assez clairement identifiés et catégorisés, il en va


autrement des difficultés et des troubles ordinaires, passagers et tran-
sitoires ou plus ancrés, ceux auxquels les enseignants sont confron-
tés chaque jour, dans leurs classes. Selon le point de vue théorique
qu'adoptent les auteurs, les interprétations peuvent être très diffé-
rentes: les stratégies ne sont pas repérées de la même façon et ne
prennent pas la même importance. Les typologies qui existent trai-
tent le plus souvent de la difficulté lato sensu, sans toujours distinguer
ce qui est relatif aux troubles de l'apprentissage ou aux difficultés
ordinaires.

LE CHAMP D'EXPLICATION DE LA NEUROPSYCHOLOGIE

Appren-
«La neuropsychologie est l'étude de la relation entre les diverses
tissage et structures du cerveau et le comportement» (Lussier et Flessas, 2001).
cerveau L'étude de personnes cérébrolésées et le retentissement de la lésion
sur l'activité neuronale fondent cette approche qui a essentiellement
pris naissance dans le milieu médical, avant de se diffuser plus large-
ment. Dans cette perspective, les difficultés d'ordre cognitif comme
celles du développement sont considérées à partir de l'organisation
cérébrale du sujet.
La typologie, telle que celle proposée, par exemple, par Van Hout
(dans Van Hout et Meljac, 2001), s'articule autour de la distinction
entre trouble secondaire et trouble sans cause évidente. Pour l'auteur,
les troubles secondaires dérivent d'une cause repérable soit de nature
extrinsèque (milieu peu stimulant, enseignement irrégulier... ), soit
de nature intrinsèque (déficience, troubles neurologiques... ). Les trou-

128
COMPRENDRE LA GRANDE DIFFICULTÉ

hles sans cause évidente sont différenciés, par l'auteur, entre «difficultés
d'apprentissage transitoires» et «troubles durables» :
- dans le premier cas, celui des difficultés transitoires, le retard
scolaire est faible (moins de deux ans) et les erreurs rappellent les
productions d'élèves plus jeunes;
- dans le second cas, celui des troubles durables, on note une
grande hétérogénéité des productions et un retard fréquent de
deux ans par rapport à une scolarité ordinaire.
Le critère discriminant, entre difficulté et trouble, est ici celui de
la maturation. Soit il y a retard maturationnel, ce qui entraîne des
difficultés dans l'apprentissage, soit il y a retard spécifique avec suspi- Dévelop-
per certains
cion d'origine neurologique et les troubles conséquents sont identifiés
centres du
sous les noms de dysphasies pour le langage oral, de dyslexies pour le cerveau
langage écrit, de dyscalculies pour la numération et les opérations.
Les remédiations engagées, à partir des identifications neurologiques,
visent à développer des centres du cerveau, dont l'activité serait alors
susceptible de compenser ceux qui sont atteints. La remédiation est
menée dans le but de développer des stratégies de renforcement ou
de compensation, grâce à des procédés privilégiant la répétition, l'ac-
quisition d'automatismes, la ritualisation.

LES DYSPHASIES, LES DYSLEXIES ET LES DYSORTHOGRAPHIES

Les dysphasies désignent une famille de troubles variés du langage oral.


Ils sont soit symptomatiques et viennent d'un accident cérébral ou
d'un trouble plus global, tel l'autisme, soit idiopathiques quand ils se
développent au cours du développement.
En ce qui concerne les dyslexies, pour les neuropsychologues, les hy-
pothèses affectives, logiques, cognitives, sociales des difficultés d'ap-
prentissage sont le plus souvent écartées au profit de l'hypothèse neu-
rologique: «Dans un grand nombre de cas, l'origine des difficultés de
lecture s'inscrit dans une atteinte constitutionnelle touchant les méca-
nismes cérébraux de l'enfant» (Lussier et Flessas, op. cit.).
Décrite et définie depuis une centaine d'années, la notion de dys-
lexie s'appuie sur un modèle de la lecture qui met en avant deux voies
par lesquelles un lecteur peut prononcer un même mot écrit. La voie
lexicale (ou adressage) est l'identification visuelle rapide de mots fa-
miliers. La voie phonologique (ou assemblage) est l'ensemble des sys-
tèmes de règles permettant la conversion graphèmes-phonèmes. Elle

129
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

est indispensable à la lecture des non-mots ou de mots nouveaux. La


dyslexie est considérée comme la non-efficience de l'une et/ou de
l'autre voie.
Les neuropsychologues considèrent donc deux types essentiels de
dyslexies (un troisième existe également, considéré comme «mixte»).
La dyslexie «lexicale» entrave la reconnaissance visuelle des formes
impliquées dans la lecture des mots irréguliers. La dyslexie «phonolo-
gique» entrave la mise en place des stratégies alphabétiques et donc la
capacité à lire et à orthographier des mots nouveaux.
Parmi les travaux les plus récents, concernant ces troubles, il faut
Neuropsy-
chologie mentionner ceux de TallaI et Merzenich (cités par Le Doux, 2003).
et langage Ces deux chercheurs ont découvert que les enfants considérés comme
dyslexiques semblent présenter un déficit dans l'identification des sons
qui changent rapidement. Des expériences sont actuellement réalisées
avec des jeux vidéo proposés à ces enfants, les exposant à des stimuli
destinés à améliorer progressivement leur capacité de traitement des
sons. Les résultats, qui ne sont pas encore analysés complètement, sem-
blent indiquer qu'il existerait des marges de progression quand on
utilise ce type de remédiation.
Les dysorthographies concernent les dysfonctionnements du langage
écrit, en production. Ces difficultés sont moins bien étudiées que les
dyslexies, en raison du fait que les erreurs commises par le sujet lors-
qu'il écrit sont variables selon les contextes, selon les enjeux, selon les
périodes, selon l'expérience propre à chacun et en raison aussi de la
difficulté objective de la langue française.

LES DYSCALCULIES

Les premières études sur les troubles du calcul datent du début du


xxe siècle. C'est le terme acalculie qui apparaît en 1919 pour nommer
l'incapacité à effectuer des opérations, à la suite d'une lésion céré-
brale. Dans les années 1960, se pose une série de questions sur le fait
de savoir s'il y a une ou plusieurs acalculies, si elles sont liées aux trou-
bles du langage ou non, si elles correspondent à des centres nerveux
spécifiques. Dans les années 1970, une définition de base de ce qui
est désormais nommé dyscalculie est donnée comme déficience des ap-
titudes à réaliser les opérations arithmétiques. Pour expliquer cette
déficience, un modèle théorique est construit, dans les années 1980,
qui porte le nom de son auteur: le modèle de McCloskey. Il s'agit
d'un modèle de référence, dans le champ de la neuropsychologie de

130
COMPRENDRE LA GRANDE DIFFICULTÉ

l'adulte, résultant de l'étude de sujets cérébrolésés. Ce modèle permet


de définir une distinction entre:
- les troubles du traitement de nombres (lecture, écriture des
nombres) ;
- les troubles relatifs aux faits numériques (mémorisation de
calculs simples et des tables de multiplication) ;
-les troubles dans les procédures de calcul (erreurs dans la façon
de poser ou d'effectuer les opérations) .
Selon Van Hout (op. cit.) , à propos des lésions cérébrales, l'atteinte
de l'hémisphère gauche semble impliquer des difficultés dans la capa-
cité à mémoriser les tables d'addition et de multiplication. L'atteinte
de l'hémisphère droite montre plutôt des difficultés dans le calcul
mental et indique des troubles visuo-spatiaux.
Parmi les pathologies occasionnant des déficits mathématiques, et 'Neuropsy-
donc la mise en place de stratégies particulières par l'élève, l'auteur chologie
en relève plusieurs : et calcul

-le syndrome de Gerstman porte le nom du chercheur qui l'a défini


la première fois en 1924. La confusion manifestée pourrait être l'un
des symptômes possibles de ce trouble. Ce syndrome est associé
à une atteinte postéro-pariétale, lésion dont les conséquences
affectent la capacité de lire et écrire les nombres, de disposer
les chiffres dans une opération, de différencier les signes et plus
généralement de coordonner les composantes spatiales;
- le syndrome de Turner, d'origine génétique, concerne les filles
dans une proportion d'environ 1 pour 3000, leurs difficultés
touchant moins le raisonnement que les mécanismes de calcul
proprement dits, touchant également moins les stratégies auditivo-
verbales que les stratégies visuo-spatiales;
- le syndrome Williams-Beuren est une maladie se traduisant par
un retard mental, avec des conduites d'incapacité numérique qui
semblent cependant laisser une marge réelle d'amélioration lors
des prises en charge spécialisées.
Pour une étude détaillée de ces syndromes et des conduites mathé-
matiques afférentes, voir Van Hout et Meljac (id.) ainsi que Lussier et
Flessas (op. cit.). Selon cette typologie, chaque catégorie de troubles
génère des procédures et des stratégies déficientes.

131
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

LA DYSPRAXIE
Les neuropsychologues utilisent ce terme pour désigner les troubles
liés aux conduites motrices, qu'elles soient générales ou fines, aux ha-
biletés de l'enfant à manipuler les objets de la vie quotidienne, aux
gestes intentionnels et à la coordination volontaire de ses gestes. Dans
la vie courante, ils sont nommés maladresse ou gaucherie. Ces termes
usuels ne recouvrent cependant pas toute la complexité des troubles.
Il est possible de dégager quelques conduites générales caractéristi-
ques des enfants dyspraxiques.
Troubles - le dysfonctionnement moteur peut entraîner une partie du
moteurs
corps à effectuer un mouvement inutile à l'exécution du geste
intentionnel;
- il peut aussi se traduire par une rigidité du poignet obligeant le
bras à effectuer un mouvement inutile;
-l'enfant dyspraxique se cogne ou tombe plus fréquemment que
d'autres, il lui est plus difficile d'effectuer des gestes fins de la vie
quotidienne: verser de l'eau dans un verre, tenir une fourchette ou
un crayon, se peigner ou lacer ses chaussures, etc.
Les procédures défaillantes concernent essentiellement la motricité
fine et générale du sujet.
Avant de conclure cette présentation de l'entrée neuropsychologi-
que, le tableau 3.7 synthétise l'essentiel des informations présentées.

Tableau 3.7.
Difficultés et troubles
du point de vue de la neuropsychologie

Troubles du langage Troubles mathématiques Troubles


de la conduite motrice
Les dysphasies désignent les Il y a un siècle on nom- On nomme dyspraxies, les
troubles du langage oral. mait acalculie l'incapacité troubles liés aux conduites
Les dysorthographies concer- à effectuer des opérations. motrices, aux habiletés à
nent les troubles du langage Aujourd'hui, est nommée dys- manipuler les objets, aux
écrit, en production. calculie la déficience des apti- gestes intentionnels et à la
Les dyslexies sont les troubles tudes du sujet à réaliser des coordination volontaire des
de la lecture. opérations arithmétiques. gestes.

132
COMPRENDRE LA GRANDE DIFFICULTÉ

Troubles du langage Troubles mathématiques Troubles


de la conduite motrice
La dyslexie lexicale empêche Le modèle de McCloskey Les signes sont divers: mou-
l'élève de reconnaître les constitue la référence. Il vements inutiles et parasites,
formes visuelles des mots. résulte de l'étude de sujets rigidité des articulations, ren-
La dyslexie phonologique cérébrolésés. versement d'objets, chutes
empêche la capacité à lire et Il distingue: fréquentes, etc.
orthographier des mots nou- - les troubles du traitement
veaux. de nombres;
- les troubles relatifs aux faits
numériques;
- les troubles dans les procé-
dures de calcul.

En conclusion, il semble que certaines difficultés ou certains trou-


bles des fonctions langagières et mathématiques soient imputables à
des causes neurologiques. Elles empêchent les sujets de développer
des stratégies pertinentes au regard de la performance attendue. L'ap-
proche neuropsychologique, qui propose un modèle d'explications
et un système de remédiations, peut présenter un apport intéressant
pour ce qui concerne le travail de reconstruction d'automatismes, d'al-
gorithmes et de procédures fondées sur des mécanismes lexicaux ou
numériques. Certains élèves ont besoin, à travers des méthodes répéti- Limites
tives, de se doter de stratégies aisément identifiables, sur lesquelles ils dela
peuvent poser de nouveaux repères. neuropsy-
En revanche, le présupposé de départ est de produire un modèle chologie

général, qui serve à l'identification et à la rééducation de tous les trou-


bles, à partir de cas très particuliers que sont les sujets cérébrolésés.
Or toutes les difficultés observées en classe ne peuvent être rapportées
à l'origine, par ailleurs extrêmement restreinte, d'atteinte cérébrale.
La seule hypothèse neuropsychologique fondée sur la déficience de
maturation ou les troubles neurologiques est réductrice par rapport
à la diversité des conduites observées dans les dysfonctionnements de
l'apprentissage. Le modèle neuropsychologique, qui constitue une
réponse principalement médicale et souvent étrangère au champ
éducationnel, ne tient pas ou peu compte des dimensions logiques,
cognitives, conatives, affectives, sociales, engagées dans tout apprentis-
sage qui, soit en elles-mêmes soit en leurs interactions, sont autant de
sources possibles de stratégies qui dysfonctionnent.

133
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

III. L'APPROCHE SOCIOCONSTRUCTIVISTE


DES GRANDES DIFFICULTÉS ET DES TROUBLES

Dans cette approche, l'apprentissage s'effectue par interaction entre


sujet apprenant et objet de savoir. Apprendre, au sens large qui fédère
apprendre et comprendre, résulte d'une mise en situation de l'élève
avec son environnement, y compris lorsque ce dernier est de nature
à déstabiliser. Le schéma piagétien est une entrée pertinente pour
comprendre ce qu'est le rapport entre développement de l'enfant et
apprentissage de l'élève. Les opérations logiques (ranger, mettre en re-
lation, comparer, permuter... ) sont construites par le sujet dès le plus
jeune âge, en fonction de la fréquence et de la qualité des interactions
avec le milieu. Elles sont sollicitées constamment lors des apprentis-
sages instrumentaux. Une approche interstructurée et constructiviste
des difficultés d'apprendre s'intéresse donc prioritairement, mais non
exclusivement, aux dysfonctionnements affectant les structures logi-
ques (et infralogiques) de la pensée de l' enfant. Elle s'intéresse aussi
Troubles et
stratégies
à la construction de procédures et stratégies particulières, adaptées
cognitives aux contextes rencontrés. C'est le modèle «structural-procédural »,
qui figure à la troisième partie du chapitre 3, qui différencie, pour
les difficultés habituellement rencontrées en classe, celles d'origine
structurale et celles d'origine procédurale.
Dans cette perspective, l'élève en grande difficulté ou manifestant
un trouble peut aussi être celui qui n'a pas ou qui a mal construit
les opérations, les structures logiques ou les abstractions constituant
sa pensée. L'élève chez qui ce dysfonctionnement n'est pas identifié,
pour qui l'accompagnement n'est pas mis en œuvre, risque un an-
crage, une cristallisation de la difficulté qui la transforme en conduite
durable et plus difficile à faire évoluer. Parmi les nombreux systèmes
d'explication qui existent, outre le modèle «structural-procédural »,
trois apports contrastés peuvent illustrer cette perspective théorique.

LE MODÈLE DES «CONTENANTS DE PENSÉE»


Pour Gibello (1995), les contenants de pensée sont des espaces men-
taux, structures diversifiées de différents niveaux de complexité, inclus
ou emboîtés les uns aux autres. Il distingue les contenants prélanga-
giers, de type narcissique ou cognitif, les contenants de pensée langa-
giers, composés de structures linguistiques, les contenants de pensée
sociaux ou groupaux. Ces contenants sont inconscients à l'inverse des

134
COMPRENDRE LA GRANDE DIFFICULTÉ

contenus qu'ils accueillent. Les contenus sont composés de mots ou


d'images, de sentiments ou de souvenirs, avec divers degrés de com-
plexité.
Lorsque les contenants de pensée sont mal structurés, ils entraînent
des troubles des fonctions cognitives essentielles comme la perception
du temps et de l'espace, ainsi que des difficultés dans l'apprentissage.
Ces difficultés apparaissent indépendamment de déficiences mentale
ou sensorielle. Selon Gibello, ces difficultés provoquent des dysharmo-
nies cognitives pathologiques (DCP) et des retards dans l'organisation
du raisonnement (RÜR).
Les DCP traduisent un déséquilibre entre les différentes opérations
logiques ou infralogiques nécessaires au raisonnement. Tel enfant de
Le modèle
collège peut avoir construit des opérations de type concret, nécessaires de Gibello
à la réalisation d'une tâche, et être ancré dans une étape préopératoire
pour la réalisation d'une autre tâche. Le décalage est alors invalidant
pour cet élève qui sera en situation de difficulté pour une classe don-
née de tâches faisant appel à l'opération mentale non construite, donc
à une stratégie non disponible. Son QI n'est pas affecté de façon signi-
fiante par ce retard, ce qui rend le repérage de la dysharmonie plus
difficile. Cette faille dans le système cognitif, entraînant un retard dans
la construction du raisonnement, peut résulter d'événements divers:
carence affective, traumatismes crâniens, stress prolongé, etc.
Les dysharmonies sont donc des troubles des contenants de pensée
sans altération des contenus. Lorsque l'anomalie touche les deux ins-
tances (contenants et contenus), Gibello parle de déficience mentale.
Cette catégorisation, qui s'appuie de façon non exclusive sur l'épis-
témologie génétique de Piaget, facilite la compréhension du fonction-
nement cognitif et affectif du sujet. L'auteur indique que les interven-
tions thérapeutiques sur les contenants de pensée visent à réorganiser
ces structures mentales, elles sont proposées avant de travailler sur les
contenus disciplinaires déficients, symptômes de la difficulté. Les stra-
tégies d'apprentissage à (re) construire, ne se résument pas à des outils
d'ordre disciplinaire mais concernent prioritairement la pensée cogni-
tive dans son organisation structurale.

L'APPROCHE DE RAMOZZI
Le travail de la psychologue Ramozzi (1989) auprès des enfants bré-
siliens se situe à mi-chemin entre la démarche clinique et l'approche cogni-
tive. Pour cet auteur, les enfants qui sont «incapables d'apprendre,

135
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

de connaître ou de donner du sens» présentent quelques déficiences


dans la formation du processus cognitif. Cependant, les difficultés ob-
servées sont diverses, aussi distingue-t-elle trois catégories d'enfants.
La première catégorie regroupe ceux qui n'ont pas eu la possibilité
d'agir sur la réalité, principalement en raison de leur milieu social.
C'est massivement le cas des jeunes enfants des bidonvilles qui acquiè-
rent des compétences spécifiques au monde de la rue et n'ont du réel
qu'un aspect très particulier et qui, en conséquence, sont inadaptés à
une vie scolaire. C'est, à l'inverse, le cas plus marginal d'enfants issus
de la haute société que l'on a empêché d'agir par un excès de protec-
tion. Les retards et troubles langagiers constatés sont nombreux, tant
à l'oral qu'à l'écrit.
Les productions demeurent dans des registres simplistes, avec un
Le modèle
de vocabulaire pauvre, peu de traces d'intentions ou d'objectifs dans
Ramozzi l'énonciation, peu de connexions logiques ou de coordinations, le
discours se résumant souvent à la concaténation difficile de phrases
ou expressions descriptives. Les stratégies sont élémentaires, le plus
souvent décalées et inadaptées au nouveau contexte.
La deuxième catégorie regroupe les enfants qui organisent malle
réel: la réalité est confondue avec sa représentation. Ramozzi donne
l'exemple de ce garçon qui soutient que le rhinocéros du parc anima-
lier n'est pas un vrai rhinocéros. Lorsque la psychologue lui demande
la raison de cette affirmation, il répond que l'animal du parc ne res-
semble pas à ceux qu'il a vus dans les bandes dessinées! On peut rap-
procher cette conduite de celles d'élèves qui produisent un rectangle
jaune quand on leur demande de dessiner un poisson: l'aliment pané
et conditionné étant leur seul référent à la réalité.
L'élève élabore des notions à partir de représentations factices, par-
cellaires ou erronées. Il peut parfois donner l'illusion de connaître les
notions abordées, mais la représentation fausse et l'incapacité à situer
le savoir dans une structuration d'ensemble ralentissent et fragilisent
les apprentissages. Il reproduit des stratégies qu'il considère efficientes
au motif qu'elles le furent dans un autre contexte.
La troisième catégorie réunit des enfants qui possèdent une organi-
sation du réel correcte mais trop enracinée dans le présent. Les diffi-
cultés de ces élèves affectent deux domaines: celui de leur capacité à
se souvenir, celui de leur capacité à se projeter. Il leur est difficile de se
représenter des situations autres que celles qu'ils vivent dans l'instant.
Selon l'auteur, le milieu familial est insuffisant pour motiver les en-

136
COMPRENDRE LA GRANDE DIFFICULTÉ

fants et les aider à dégager un projet. Leurs actions sont plus orientées
vers la réussite immédiate que vers une compréhension plus ancrée.
Cette absence rend difficile l'inscription de leurs actions dans le
temps et l'espace. Ces élèves sont capables d'agir et de représenter
correctement la réalité mais il leur manque l'énergétique sous forme
de motivation, de sollicitation. Les stratégies manquent de distance
vis-à-vis de la tâche réalisée, ce qui est fortement lié au fait que l'élève
a peu, ou mal, construit ses repères temporo-spatiaux.

LE MODÈLE DES «DÉSORGANISATIONS COGNITIVES» DE BAK


Parmi les modèles qui existent dans ce courant, il y a aussi celui des
désorganisations cognitives, présenté par Bak (2001).
L'auteur note que les enfants qu'il a observés ne manifestent «aucu-
ne atteinte physiologique ou neurologique identifiable ». Cependant,
les difficultés d'apprentissage manifestées indiquent qu'ils «n'ont pu
structurer les organisations opératoires nécessaires à leur autonomisa-
tion ». À partir de ces observations, Bak distingue quatre catégories de
Bak et les
désorganisations, concernant les périodes préopératoire et opératoire troubles de
concrète. l'appren-
tissage
La non-construction du réel
Elle traduit la confusion du sujet entre le résultat et le processus. La
relation de causalité est absente du raisonnement, transformant le
processus cause-effet-conséquence en une chaîne aux modalités sou-
vent indifférenciées. La répétition d'une action passée qui semble ef-
ficiente parce qu'elle a été éprouvée est la réponse privilégiée à toute
nouvelle situation. La chronologie des éléments composant l'activité
est peu prise en compte, les repères temporels n'étant guère identifiés.
Le réel ne se gère pas pour ce qu'il est mais à partir de la reproduction
de conduites antérieures qui ont été validées par le sujet. Ce compor-
tement, lorsqu'il s'avère inefficient, ce qui est souvent le cas lors de
confrontations à des tâches nouvelles, peut se révéler générateur d'an-
goisses fortes déstabilisant le sujet.

La figurativité
Le sujet considère le réel «sous forme d'états qui se succèdent, sans
aucune transformation qui les lie entre eux». Le sujet agit mais de
façon limitée puisque l'objet est considéré sous le seul angle de ses
propriétés, mais n'est pas envisagé sous l'angle des transformations

137
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

possibles: l'abstraction réfléchissante n'est pas construite. L'élève éla-


bore alors des savoirs par automatisme, par assimilation de nouveaux
schèmes, éventuellement par réfléchissement mais pas par réflexion:
il n'y a pas réorganisation des savoirs nouveaux en savoirs décontextua-
lisables, organisés en un nouveau système plus large, plus opératoire,
que le système antérieur.

La sédimentation de la pensée
La différence avec les deux catégories précédentes est que le sujet se
situe à un niveau de pensée qui lui permet de se détacher de la per-
ception. Dans la théorie piagétienne, la conservation d'une notion est
établie lorsque le sujet est capable de justifier en avançant trois argu-
ments. Dans l'épreuve de la conservation des liquides, la baisse ou
la montée du nouveau niveau ne trompe pas le sujet conservant qui
indique que la quantité est la même par identité, compensation ou
réversibilité (voir le chapitre 2). Selon Bak, seul l'argument d'identité
est disponible chez certains sujets, qu'il réunit dans cette catégorie.
La conservation est en cours de constitution, il y a donc construction
du réel, contrairement à la première catégorie de sujets, mais elle est
momentanément réduite et bloquée à un seul système d'explications.
Les stratégies qui font appel à d'autres classes d'arguments ne peuvent
être engagées par l'élève ni apprises par lui avec profit.

Les oscillations cognitives


Elles marquent la difficulté du sujet à se décentrer, une confusion exis-
tant entre son point de vue propre et celui d'autrui. La conduite se
traduit soit par un blocage sur son opinion soit par un ralliement à
l'opinion de l'autre et donc à une dépendance cognitive. Les inter-
rogations de type critique, qui visent à vérifier la stabilité de la procé-
dure utilisée par le sujet, peuvent s'avérer contre-productives. Au lieu
d'amener le sujet àjustifier son procédé, elles vont aboutir à établir un
doute qu'il n'est pas en mesure de lever, si ce n'est par ralliement à la
contre-suggestion avancée. Dans le quotidien de la classe, la difficulté
d'un tel élève dépend moins de sa structure opératoire, générale dis-
ponible, que de la fragilité des stratégies mises en œuvre.
Ces trois modèles, issus du courant constructiviste, mettent en lumiè-
re une série de conduites procédurales et stratégiques inopérantes:

138
COMPRENDRE lA GRANDE DIFFICULTÉ

- la répétition sans distance critique d'une procédure, validée


dans un contexte (situation-source) mais inadaptée à un autre
(situation-cible) ;
- le manque de coordination entre procédures, interdisant
toute forme de stratégie autre qu'une simple accumulation ou
juxtaposition de procédés;
- la déficience dans les repères temporo-spatiaux interdisant
au sujet de conférer une chronologie à ses actions, l'empêchant
d'anticiper ou de se projeter;
-l'absence de lien de causalité permettant de situer une action
par rapport à sa cause et sa conséquence, les stratégies employées
devenant mécaniques et inadaptées (tableau 3.8).
Tableau 3.8. Trois modèles d'explication de la grande difficulté, selon le
point de vue théorique du constructivisme
Les contenants de pensée La démarche cognitivo- Les désorganisations
(Gibello) clinique (Ramozzi) cognitives (Bak)
Les contenants de pensée sont Ramozzi distingue trois catégo- Il existe quatre catégories de
des espaces mentaux prélanga- ries d'enfants en difficulté: désorganisations:
giers, langagiers, ou sociaux. -la première regroupe ceux qui - la non-eonstruction du réel tra-
Lorsqu'ils sont mal structurés, ils n'ont pas eu la possibilité d'agir duit la confusion entre résultat
entraînent des difficultés dans sur la réalité; et processus;
l'apprentissage. Ces difficultés - la deuxième regroupe les - la figurativité considère l'objet
provoquent des dysharmonies enfants qui organisent mal le sous ses seules propriétés;
cognitives pathologiques (DCP) réel, confondu avec sa repré- - la sédimentation de la pensée
et des retards dans l'organisa- sentation; réduit la compréhension à un
tion du raisonnement (ROR). - la troisième réunit les enfants seul niveau d'explication;
qui possèdent une organisation - les oscillations cognitives indi-
du réel mais trop centrée sur le quent la difficulté de décentra-
présent. tion du sujet.
Les interventions sur les conte- Les interventions varient selon Dans le premier cas, sont
nants de pensée visent à réor- les catégories : notamment travaillés la chrono-
ganiser les structures mentales, - dans le premier cas, il s'agit logie et les repères temporels.
elles sont proposées avant de d'apprendre à nommer les Dans le deuxième cas, est visée
travailler sur les contenus disci- objets et à construire un dis- la construction de l'objet sous
plinaires déficients, symptômes cours structuré; l'angle des transformations.
de la difficulté. - dans le deuxième cas, l'aide Dans le troisième cas, l'expli-
consiste à travailler sur le réel et cation est étendue à plusieurs
non sa seule représentation; classes d'arguments.
- dans le troisième cas, il s'agit Dans le quatrième cas, l'utili-
d'amener le sujet à se décentrer sation d'échanges contre-argu-
et à varier ses stratégies. mentatifs pourra se révéler
utile.

Ces trois présentations complètent celles relatives aux explications


de la difficulté habituelle et notamment la typologie des difficultés,

139
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

présentée au chapitre précédent, que nous avons qualifiée de modèle


«structural-procédural ».

Résumons-nous
Ce chapitre constitue une suite logique au précédent. Il permet de définir ce
qu'est la grande difficulté, la distinguant de celle ordinairement rencontrée
(présentée dans le chapitre trois) et de préciser ce que sont troubles et han-
dicaps. Il prend aussi un sens particulier compte tenu de la loi de février 2005
sur le handicap. Désormais, les élèves handicapés poursuivent leur scolarité,
de façon préférentielle, dans les classes ordinaires des écoles et des collèges.
Tous les professeurs, débutants comme expérimentés, sont concernés par
cette situation.

Si le handicap fait l'objet de définitions consensuelles, en revanche, la grande


difficulté et les troubles sont soumis à diverses interprétations. Nous présen-
tons plusieurs systèmes d'explication parmi les plus importants:
- le modèle psychanalytique constate que certains enfants éprouvent une
grande difficulté à devenir élèves. Les méandres d'une histoire singulière,
personnelle et familiale, peuvent se traduire par la peur d'apprendre;
- la neuropsychologie étudie les relations entre conduites de l'élève et cer-
veau. Le modèle explicatif est le sujet cérébrolésé. La remédiation consiste à
aider l'élève à (re)créer des automatismes ou à développer des systèmes de
compensations pour pallier les déficiences;
- le modèle socioconstructiviste s'intéresse prioritairement aux composantes
cognitives de l'activité de l'élève quand il apprend. Certains troubles vien-
nent de ce que l'élève ne parvient pas à désigner correctement les objets,
confond la réalité et sa représentation, n'organise pas ses structures men-
tales. L'accompagnateur favorise les activités qui visent à désigner, comparer,
sérier, mettre en relation les objets de l'apprentissage. La mise en mots et les
échanges, au cours desquels le professeur contre-argumente, ont aussi leur
importance.
Ces modèles, leurs explications et les propositions de remédiation qu'ils
avancent peuvent permettre à l'enseignant de mieux comprendre ce qui se
joue dans les dysfonctionnements qu'il observe, mais aussi de les accompa-
gner dans la mise en œuvre d'une aide.
5
Peut-on enseigner
les stratégies d'apprentissage?

Est-il nécessaire, est-il possible que le professeur enseigne à l'élève les


stratégies facilitant ses apprentissages? Le professeur va-t-il s'adresser
aux seuls élèves en difficulté? La question a-t-elle un sens? Yrépondre
nécessiterait un ouvrage entier et encore sans certitude d'exhaustivité.
Nous pouvons cependant dégager quelques pistes pour amorcer la ré-
flexion.
La première piste s'intéresse au langage. Les démarches qui permet-
tent d'engager des apprentissages nouveaux ou de reconstruire ceux
qui seraient défaillants existent. Nous en présentons quelques-unes
qui, tels les ateliers d'écriture, sont expérimentées aussi bien en école
primaire qu'au collège.
La deuxième piste de réflexion est relative aux méthodes cognitives
orientées vers le développement ou le renforcement de la pensée 10-
Les
gico-mathématique : il s'agit principalement des ARL (ateliers de rai- méthodes
sonnement logique) et des ASLOS (ateliers de structuration logique cognitives
et spatiale) .
La troisième piste présente d'autres outils cognitifs, souvent peu ou
mal connus des professeurs. Certaines de ces méthodes sont contestées
par les chercheurs, nous ne les présenterons pas, d'autres à l'inverse
peuvent constituer des ressources intéressantes, au premier chef pour
les élèves en difficulté ou en risque d'exclusion des apprentissages,
mais aussi plus largement pour la plupart des autres.

141
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

1. LES DÉMARCHES LIÉES AU LANGAGE

Parmi les multiples démarches qui visent à faciliter l'appropriation


par l'élève du langage maternel et à l'aider à développer les stratégies
d'entrée dans l'écrit, nous avons choisi d'en présenter deux. L'une
est utilisée par un spécialiste de l'apprentissage de la lecture, André
Ouzoulias, et est plutôt destinée aux élèves de l'école primaire, mais
sans exclusive; l'autre est une démarche utilisée fréquemment avec
des adultes mais qu'il est possible d'adapter au collège et même au
cycle 3, il s'agit des ateliers d'écriture.

LIRE DES TEXTES ÉTRANGES

Cette mise en situation, particulièrement motivante, est présentée


par Ouzoulias (2004). Elle procède d'une mise en déstabilisation, en
proposant, à l'élève, un texte a priori incompréhensible. Une mise en
scène possible consiste à dire que la classe a reçu un message écrit dans
une langue étrange. Comment le décrypter pour comprendre ce qui
est écrit?
la classe a reçu un texte étrange
Yv ÔEUÇ 'tpota
Yv ÔEUÇ 'tpota
Noua tpova au

8ua'tpE Xtv8 mç
XUEtÀÀtp ôEa XEptaEa

Stratégies LE1t't 11 Ut't YEU<\>


de lecture ilava uv 1taVtEp VEU<\>

iltç OVSE ÔOUSE


EÀÀEa aEpov't 'tou'tEa pou)'êa

Cet exercice pose les questions essentielles: Comment lire? Qu'est-


ce que lire? Quelle stratégie va-t-on mobiliser?
Ouzoulias rappelle que face à l'inconnu, la stratégie peut être systé-
matique et séquentielle ou bien sélective en procédant par repérage
d'indices. Dans le cas présent y a-t-il des lettres ressemblant à «notre»
alphabet? Rappelons que cette dernière stratégie, la stratégie sélec-

142
PEUT-ON ENSEIGNER LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE?

tive, suppose une certaine expertise de la part du lecteur: capacité


d'anticipation, formulation d'hypothèses, possibilité d'analyse puis de
contrôle. L'intérêt de confronter les élèves à une telle situation est
manifeste, du point de vue cognitif.
Ouzoulias (op. cit.) propose plusieurs textes, afin que les élèves - ré-
partis en groupe pour un maintien de la confiance et la facilitation du
travail - puissent relever des indices, établir des comparaisons, cher-
cher des similitudes leur permettant de donner du sens à cette écriture
qui les interroge.
Découverte d'autres textes étranges
Au XÀatp 8E Àa ÀuVEAa croupta mEp'tE
Au XÀatp 8E Àa ÀuvEYvE aoupta mEp'tE
Mov aJ.lt ntEppo't8ut xoupat't 8ava À
I1pl 'tE-J.lOt 'ta 1tÀUJ.lE'ÔE À a't'tpa1tE 1tap Àa eUEUE
I10up f XptpE uv J.lO't'ÔE Àa fJlOV'tpE a XEa J.lEacrtEupa
Ma Xllav8EÀÀE Ea't J.lOp'tEXEa J.lEcrcrtEupa J.lE 8taEv't
'ÔE v at 1tÀua 8E <\>EuTpEJ.l1tEÇ-Àa 8ava À llUtÀE
OumpE-J.l0t Àa 1top'tETpEJ.l1tEÇ-Àa 8ava À Eau
I10up À aJ.loup 8E L\tEUXa <l>Epa uv Eaxapyo't 'tou't Xllau8 !

Aa 1tOUÀE aup uv J.lupA Àa XÀatpE <\>ov'tatVE

YVE 1tOUÂE aup uv J.lupA Âa XÂatpE </>ov'tatVE


8Ut 1ttxo'tat't 8u 1tatv 8upM EV aÀÀav't 1tP0J.lEVEp
I1txo'tt E't 1ttxo'ta'Ô at 'tpournf À Eau m
mE Àa eUEUE8uE <pE J.l '1' crUta yvf
E't 1tuta a EV ma
lÀ 'l'a ÀOVytEJ.l1ta eUE <pE't atJ.lE
'ÔaJ.lata <pE VE 't

S'il s'agit de textes étranges, le langage n'est pas «étranger» puis-


qu'ils sont d'abord rédigés dans une police ordinaire avant d'être mo-
difiés en police «symbol». Il ne s'agit donc pas, malgré la perception
première que le lecteur peut en avoir, d'un texte écrit en une langue
étrangère, souvent pris pour du grec.
Il faut prévoir que les élèves, déstabilisés et risquant d'être décou-
ragés, aient besoins d'une aide progressive. Il est possible de leur indi-
quer que, dans le texte initial, il yale mot «Elles» en début d'un vers,
ce qui peut faciliter l'identification. On peut aussi indiquer, si l'échec

143
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

persiste, que le mot «bois », le mot «cerises », le mot «rouges» sont


des mots qui terminent les vers de la comptine. Le texte est alors plus
facilement identifié car c'est une comptine connue de la majorité des
élèves (<< Un, deux, trois/Nous irons aux bois ... »). La «traduction»
entière devient alors possible.
D'autres activités complémentaires peuvent être proposées comme
celle d'écrire en langage «étrange» : Des cerises sont rouges. L'exercice
implique une recherche fine de chaque mot: «sont» n'étant pas pré-
sent, il faut transformer «seront» en «sont». Il faut aussi chercher la
majuscule du mot «Des» dans les mots «Dans» ou «Dix». La «traduc-
tion» devient : XEptcrEcr crov't pou')"Ecr.
LES ATELIERS D'ÉCRITURE

L'atelier d'écriture, dans le sens le plus fréquent, consiste à réunir plu-


sieurs personnes, adultes ou enfants - dans le cadre scolaire, profes-
seur et élèves - autour d'un meneur de jeu, dans le but d'écrire. Ce
dernier propose une situation motivante, destinée à faciliter, déclen-
cher l'acte d'écrire.
L'origine des ateliers est à situer, pour une part significative, dans les
jeux littéraires pratiqués par les écrivains. Au Moyen Âge, lajoute ver-
Appren-
tissage et bale ou écrite, qui se nommait jeu-parti, permettait aux rimailleurs de
littérature s'affronter en ballade ou rondeau. Villon fut de ceux-là. Plus contempo-
rain, l'Oulipo (1987), Ouvroir de littérature potentielle créé en 1960,
avec Perec et Queneau, développe une énergie créatrice, inventant
mille jeux verbaux à contraintes.

Mise en œuvre
Longtemps considéré comme pratique adulte, du fait même qu'il im-
plique une certaine maîtrise de la langue, l'atelier pénètre désormais
les établissements scolaires. Le meneur est le professeur, seul ou ac-
compagné d'un écrivain.
De plus en plus d'auteurs acceptent de se prêter à ces séances et
de travailler avec les élèves, c'est le cas du poète Daniel Biga (1993).
Il ne s'agit pas de faire venir, en classe, un spécialiste qui parle sur la
langue, transformant l'élève en auditeur passif, mais bien de rencon-
trer un praticien du langage qui vient partager un moment actif de
confrontation avec les mots. Le rôle de chacun des interactants s'en
trouve modifié.

144
PEUT-ON ENSEIGNER LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE?

L'atelier est alors un moment d'appropriation de la langue. Il s'agit


de dédramatiser, de créer, de malaxer et partager le langage pour
mieux se l'approprier. La création n'empêche pas l'atelier d'être ins-
titutionnalisé: il peut s'inscrire dans l'emploi du temps de la classe,
comme rendez-vous littéraire de la semaine (en primaire) ou du mois
(en secondaire), au même titre que l'art plastique ou la musique avec
lesquels il partage une identique ambition culturelle.
Les BDC (bibliothèques, centres de documentation), qui sont main-
tenant bien présents dans les établissements, peuvent constituer un re-
lais de ces travaux et un lieu où les productions des différentes classes
sont conservées et disponibles pour tous.
Une question se pose souvent: toute personne se considérant com-
me écrivain peut-elle animer ce type de séance? Notre idée est qu'il
est nécessaire, pour le professeur qui reste toujours responsable de sa
classe, de discuter des objectifs avec l'éventuel intervenant. En outre,
une précaution objective est de choisir un écrivain si ce n'est connu
du moins reconnu, c'est-à-dire ayant publié autrement qu'à compte
d'auteur.

Thématiques d1écriture possibles en atelier


l

Le premier grand thème, susceptible de constituer un moment créa- Les ateliers


teur, est celui des jeux sur les mots. Les situations sont nombreuses: d'écriture
des mots tordus aux mots-valises, des anagrammes aux paronymes, des pro-
verbes inventés aux collages de textes et au cadavre exquis.
Un autre thème est celui de l'écriture plus intime: les situations
d'anamnèse, possibles à amorcer plus particulièrement avec les élèves
de collège; les écritures induites par une formule «magique», comme
le fameux «Je me souviens... » de Georges Perec, possibles à mener
avec les élèves plus jeunes du cycle 3 de l'école élémentaire.
Troisième thème envisageable: une approche plus littéraire de
l' écrit. Les carnets de voyage, les portraits, les parodies, les poésies et les jables
constituent des ancrages fortement inducteurs. Collecter puis étudier
des textes d'auteurs peut aussi constituer une porte d'entrée dans l'ac-
tivité ou, au contraire, en être son prolongement.
Les ouvrages de référence, sur la thématique de l'atelier et des
jeux d'écriture, sont nombreux: parmi ceux-là mentionnons Ber-
theloo (1997), Bing (1982), Duchesne et Leguay (1993), Perraudeau
(1994) .

145
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

SÉANCES POSSIBLES À MENER DANS LE CADRE D'ATELIERS D'ÉCRITURE


Les cinq exercices présentés dans ces pages ont tous été réalisés en
cycle 3 d'école ou en 6e et 5e de collège. Ils sont adaptables à d'autres
niveaux, à d'autres contextes. Ils ne constituent pas un panorama
complet de ce qu'il est possible d'effectuer mais ils forment quelques
ensembles n'ayant d'autre fonction qu'illustrer le propos. Pour plus
d'informations, le lecteur consultera les ouvrages de référence, cités à
l'alinéa du dessus. Le trait commun à chacun, le but général est d'en-
gager une appropriation du langage écrit, en développant et renforçant les
stratégies d'écriture et lecture chez les élèves qui en ont le plus besoin.

Les gammes de mots


Objectif spécifique: exercice en lien avec le langage oral, pouvant même se
pratiquer dès la maternelle.
Donner un mot simple de départ, comme «la maison» et demander aux élèves
de trouver, à partir de lui, d'autres mots en ne changeant qu'un seul son (par
oral) ou une seule lettre (par écrit). Pour la plupart des mots, il est assez facile
Jeux
de modifier la première lettre (dans le cas donné: «la saison », «la raison »...)
d'écriture
en revanche, l'intervention sur les lettres médianes ou terminales est plus com-
plexes. Il revient au professeur de choisir les mots de départ pour permettre
plusieurs modifications. De nombreuses variantes peuvent exister, en français
ou, plus difficile, dans la langue étrangère étudiée:
- en groupe, chacun modifie une lettre d'un mot (exemple réalisé en col-
lège: «boire», «poire», «paire», «pire», «tire», «tors», «fort», «sort», «mors»,
«mer»...) ;
- sur le même modèle, on peut faire participer une classe entière à partir d'un
mot de départ et des transformations successives, en jouant avec le temps. Si
un élève ne trouve pas de transformation au mot en moins de dix secondes, il
est éliminé.

Le cadavre exquis
Objectif spécifique: débrider l'imaginaire par une association de mots, souvent
surprenante.
Le point de départ consiste à dire que l'on va jouer au «cadavre exquis ». Le
professeur explique (ou fait expliquer par un élève qui le connaîtrait) l'origine
et le principe du jeu. La spontanéité, la rapidité et le hasard sont des moteurs
essentiels. Dans un premier temps, il est conseillé de choisir une structure de
phrase simple sur le modèle: sujet, verbe, complément. Les élèves sont répartis
en groupes de trois. Le premier note le sujet, sans être vu des autres, il plie la

146
PEUT-ON ENSEIGNER LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE?

feuille pour cacher le mot, puis transmet au deuxième, etc. Il n'est pas rare que
les premiers essais restent assez conventionnels et décevants.
Après plusieurs essais, un grand nombre de variantes peut développer la situa-
tion:
- enrichir le pattern initial (S + V + COD + CCir...);
- un premier élève note une question commençant par «Pourquoi... », il plie et
transmet la feuille au second qui note une réponse commençant par «Parce
que... »;
- un premier élève note une question débutant par «Est-ce que... » ou «Je ris
parce que... » ou toute autre expression inductrice, possible, etc.

J'aime, je n'aime pas


Objectif spécifique: utiliser un point de départ à caractère littéraire. Un texte de
Roland Barthes (1975) sert de déclencheur.
Le professeur peut lire ou distribuer un bref extrait du livre cité. L'auteur y
écrit «J'aime: la salade, la cannelle, le fromage, les piments, la pâte d'amande,
l'odeur du foin coupé... » puis ensuite décline l'inverse «Je n'aime pas: les
loulous blancs, les femmes en pantalon, les géraniums, les fraises, le clavecin,
Miro... ». Une explication peut être nécessaire pour des mots ou expressions
peu familiers des élèves.
Lorsqu'ils y sont invités, les élèves n'hésitent pas à livrer leurs préférences
ou leurs rejets. Cependant, afin d'éviter la dispersion, le professeur gagne à
demander aux élèves de rester dans un champ précis et de conserver une neu-
tralité pour le thème choisi: les aliments, les animaux, les sports...

Les connexions logiques


Précisons que nous appelons «connecteurs logiques» non seulement les termes
reconnus comme tels par la logique formelle (<<et», «ou» dans ses deux valeurs,
«si... alors... »), mais plus largement les mots et expressions liant des propositions
par une relation causale. L'objectif de la séance consiste alors à utiliser à escient
les connecteurs de cause et de conséquence intervenant dans le discours. Ils
permettent d'habituer l'élève à mieux fixer la relation logique entre des propo-
sitions à l'intérieur d'une phrase et, en conséquence, à mobiliser une pensée
mieux organisée.
Lors d'une première phase, le professeur peut demander aux élèves de travailler
par oral et par deux. Le premier questionne et invite le second à répondre en
argumentant. Exemple: «Pourquoi as-tu pris ton blouson?» dit le premier, «J'ai
pris mon blouson parce que j'ai froid », répond le second.
Après cette phase orale, le passage à l'écrit peut s'entendre sur plusieurs
modèles. Soit une cause est donnée et l'élève cherche une éventuelle consé-

147
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

quence, soit la conséquence est donnée, le travail de l'élève consistant à donner


une cause plausible. Pour les écoliers, comme pour nombre de collégiens, ces
exercices ne sont pas aussi simples que la logique d'adulte veut l'entendre.
Compléter les phrases:
Mon frère est malade parce que .
Le chien est malade donc .
Ma sœur est à la maison car .
· parce qu'il a trop mangé.
· parce qu'elle a couru trop vite.
· parce qu'il neigeait.

L'acrostiche
Objectif: mise en confiance de l'élève qui, le plus souvent, n'éprouve aucune
difficulté à rédiger un acrostiche. Cette figure de style est un poème dont la
suite des premières lettres de chaque vers forme un mot, généralement le nom
ou le prénom de l'auteur ou du destinataire.
Le point de départ peut consister à donner à lire des acrostiches littéraires
(François Villon, Ballade à s'amie ou Guillaume Apollinaire, Poèmes à Lou) et
demander aux élèves d'en parler. Ils n'identifient pas toujours la contrainte, du
moins chez Villon. Après que le professeur les a aidés à constater le mode par-
ticulier d'écriture, les élèves s'essaient volontiers.
Lors d'une autre séance, il est possible de demander que les premières lettres
de chaque vers forment le prénom d'un(e) ami(e) et même, pour contraindre
davantage l'écriture, de rédiger en composant des rimes en fin de vers.

Les ateliers d'écriture offrent la possibilité d'utiliser et de créer des


procédures innovantes. La contrainte devient un jeu dont la maîtrise
facilite une entrée réelle dans le monde du langage. Les ateliers appar-
tiennent aux dispositifs susceptibles d'aider les élèves, pour qui l'en-
trée habituelle dans la langue française, et les disciplines scolaires qui
la formalisent, est vécue comme une souffrance.

Il. LES DISPOSITIFS LIÉS AU RAISONNEMENT


LOGIQUE

Contrairement au point précédent où les dispositifs d'écriture condui-


sent les sujets à se confronter concrètement à un champ disciplinaire
précis, il s'agit ici de travailler dans des domaines décontextualisés des

148
PEUT-ON ENSEIGNER LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE?

contenus scolaires habituels. Le but visé est de favoriser le dévelop-


pement organisé de la pensée de l'élève, des structures logiques et
infralogiques, des fonctions cognitives.
Nous présentons deux grands dispositifs centrés sur la (re) construction
des opérations logiques (raisonnement) et infralogiques (structuration
de l'espace) de la pensée du sujet. Le premier, les ARL (ateliers de rai-
sonnement logique), existe depuis plusieurs décennies, utilisé en pre- Travailler
le raisonne-
mier et encore maintenant dans la formation pour adultes. Le second
ment
est plus récent, il s'agit des ASLOS (ateliers de structuration logique et
spatiale) notamment destinés aux classes de SEGPA.
Ces dispositifs, à condition d'être adaptés au public scolaire auquel
on s'adresse, peuvent aider les professeurs. Ceux de l'enseignement
spécialisé, primaire (ClAD, CLIS) comme secondaire (SEGPA, UPI) ,
sont les premiers concernés. Rappelons qu'une initiation, visant à la
connaissance et à la maîtrise de ces outils, fait partie de la formation au
CAPA-SH et au 2CA-SH, formations pour les professeurs du premier
ou du second degré qui se destinent à enseigner auprès d'élèves en
grande difficulté, dans les classes précitées. Cependant, compte tenu
de l'hétérogénéité des classes, peuvent aussi en tirer profit les profes-
seurs confrontés à des élèves dont les stratégies sont inefficientes car
les difficultés manifestées sont de type structural et donc fortement
ancrées (voir le chapitre 3).

LES ARL : LES ATELIERS DE RAISONNEMENT LOGIQUE

Principe
L'origine des ARL se situe dans les années 1970 lorsqu'il a fallu déve-
lopper des actions de formation continue à destination des ouvriers
du secteur sidérurgique de l'est de la France, touchés par la crise. Hi-
gelé, Hommage et Perry (1992), les auteurs des premiers travaux qui
donnèrent naissance aux ARL, avaient pour visée principale la «réha-
bilitation des fonctions cognitives déficientes ». Pour la première fois,
une formation proposée ne concernait ni les contenus scolaires ni les
contenus professionnels, mais tentait d'intervenir dans la reconstruc-
tion ou la consolidation des structures opératoires de la pensée, cet
équipement cognitif étant considéré comme la base des apprentissages
futurs et des pratiques professionnelles à venir.
Les ARL se fondent sur le principe piagétien que l'intelligence n'est
pas innée mais qu'elle se construit par une interaction constante entre

149
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

le sujet et l'environnement. Le primat est donné à l'action du sujet,


aidé par le formateur médiateur, attentif aux besoins de chaque sta-
giaire. Le médiateur n'intervient pas pour corriger l'éventuelle erreur
du stagiaire mais il tient le rôle de guide pour l'amener à la lucidité sur
sa conduite et à envisager des modifications. Cette activité est majorée
lorsque le sujet se trouve dans un milieu où l'interaction sociale per-
met des échanges (Perret-Clermont et Nicolet, op. cit.).
Les situations proposées se composent de cent soixante-dix-sept
exercices, groupés en seize séries, réparties sur trois niveaux. Elles se
fondent exactement sur les opérations logiques, définies et étudiées
par Piaget.
Le premier niveau (correspondant à l'étape préopératoire et aux
premières opérations concrètes) consiste en la découverte et l'utili-
sation de blocs logiques qui permettent les manipulations s'avérant
nécessaires.
Le deuxième niveau (correspondant aux opérations concrètes) est
partagé entre quatre catégories, chacune regroupant des séries d'exer-
cices aux difficultés progressives:
- structure de relation: transitivité, double transitivité, transitivité
généralisée;
- structure de classe: classification, inclusion, classification
généralisée;
- combinatoire;
- proportionnalité qualitative.
Le troisième niveau (correspondant aux opérations formelles) se
compose de trois catégories:
- combinatoire formelle;
- opérations propositionnelles: et/ou; inclusion formelle,
implication;
- proportionnalité quantitative.

Mise en œuvre
Lorsqu'un groupe entame une formation, la première action des for-
mateurs consiste à évaluer, pour chacune des opérations logiques, le
niveau du sujet. Les domaines à travailler sont ainsi mis en évidence et
permettent de constituer des sous-groupes dont les besoins sont assez
proches.

150
PEUT-ON ENSEIGNER LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE?

La séance de formation proprement dite débute par la découverte


des exercices à effectuer. L'information sur l'importance à donner
au processus, sur la dédramatisation de l'erreur, fait partie de ces
moments inauguraux. L'exercice est lu et éventuellement précisé si
un stagiaire ne comprend pas ce dont il est question: pour autant ce
qui est dit par le formateur relève de la précision et non de l'expli-
cation. La méthodologie préconisée par les concepteurs consiste en
deux étapes :
- la première est individuelle, chaque stagiaire cherchant à
comprendre et à résoudre l'exercice seul;
- la seconde est groupale, les stagiaires confrontant leur
recherche individuelle en petit groupe, puis les échanges devenant
collectifs.
Lors de cette dernière étape il convient, pour le formateur, non de
corriger l'exercice mais de permettre aux différentes stratégies mobi-
lisées d'être exposées, sans jugement de valeur, et discutées.
Il est possible d'adapter à la réalité de l'école un tel dispositif, les
principaux concernant la présentation et la mise en scène
de situations afin de les rendre plus attrayantes pour un public d'en-
fants: l'opération ou la structure logique sous-jacente demeure in-
changée.
Exemple d'adaptation d'un exercice: le premier énoncé est l'ori-
ginel, celui qui figure dans les ARL destinés aux stagiaires adultes, le
second est une modification destinée à être proposée à des élèves de
cycle 3. Le contexte de présentation du premier exercice convient à
des adultes mais n'appartient pas à l'univers habituel de l'enfant.

Exercice ARL (destiné aux adultes) et son adaptation à des élèves


Exercice AR!, lié aux opérations de combinaison:
Dans J!atelier de menuiserie où vous faites un stage, plusieurs catégories de bois
sont entreposées et il y a plusieurs machines. Sont stockées des planches de
chêne et de pin. Dans l'atelier, vous pouvez vous servir d'une scie circulaire,
d'une dégauchisseuse, d'une mortaise.
Vous devez essayer toutes les machines sur les deux sortes de bois. Combien
d'essais ferez-vous?
Exercice adapté, lié aux mêmes opérations de combinaison:
Au supermarché, il y a des bouteilles de jus d'orange et des bouteilles de jus de
raisin. Les unes et les autres ont plusieurs contenances: 33 cl, 50 cl, 75 cl.

151
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

Donne toutes les possibilités de bouteilles de jus d'orange et de jus de raisin que
tu peux acheter dans ce magasin.
Ce type d'exercice permet de confronter le sujet avec des situations
qui font directement appel à une opération ou à une structure logique.
Le fait de travailler, de rechercher, de se confronter et d'échanger avec
des pairs, d'être amené à justifier une démarche ou une procédure est
de nature à faciliter une reconstruction de l'opération défaillante. Ce-
pendant, les auteurs le disent: les ARL ne constituent pas un remède
miracle.

LES ASLOS : LES ATELIERS DE STRUCTURATION LOGIQUE ET SPATIALE

Principe
Les auteurs des ARL ont souhaité développer un nouvel outil, dans
le même esprit que le premier, mais présentant deux caractéristiques
propres: présenter des exercices d'un niveau plus accessible et offrir
des situations permettant, aussi, la (re) construction des opérations in-
fralogiques liées à l'espace.
Les principes des ASLOS sont les mêmes que ceux des ARL (théorie
opératoire, rôle de l'assimilation-accommodation, apport des échan-
ges à caractère sociocognitif, etc.) la dimension spatiale en plus. Les
exercices se regroupent donc en deux catégories:
- la structuration logique est, essentiellement, de niveau
préopératoire et vise à travailler les opérations de combinatoire, de
sériation (structure de relation), de catégorisation et d'inclusion
(structure de classe) ;
- les constructions spatiales se composent de quatre séries
d'exercices au niveau préopératoire (composition de figures,
horizontalité et verticalité, localisations spatiales, reconstruction
de figures) et de trois séries au niveau opératoire concret
(transformations spatiales, rotations et symétries, changements de
point de vue).
Travailler au niveau préopératoire suppose que les sujets aient la
possibilité de manipuler un matériel adapté. Cette conduite motrice
est une étape préparant à des représentations mentales et intériori-
sées. Selon les exercices, des étiquettes, des jetons peuvent servir pour
les manipulations.

152
PEUT-ON ENSEIGNER LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE?

Pour la même raison - favoriser l'accès aux exercices, par les sta-
giaires, de façon autonome -les consignes des exercices sont réduites
à l'essentiel, une partie des sujets pouvant, par exemple, être non-lec-
teurs. Certains exercices peuvent même se comprendre sans lecture ou
par la seule lecture effectuée par le formateur.
La structure des exercices proposés par les ASLOS est également
simple, les opérations logiques travaillées sont d'un niveau inférieur
à celui des ARL.

Mise en œuvre
Exercices liés à la catégorisation (structure de classe) : il s'agit d'organiser
les objets à partir de leurs points communs. Ils peuvent être adaptés à
différents niveaux (de la maternelle au collège).

Exercices d'ASLOS correspondant à l'opération de catégorisation


1. Quel objet va bien avec la lampe de poche?
La lampe de chevet - Le réveil - Le ballon - Les ciseaux - Le briquet.
2. Le mot ou l'image donnée est une trompette. Entourer ou désigner l'objet
différent parmi les images des objets suivants:
Pipe - Gâteau - Bonbon - Sifflet - Chapeau - Cigarettes - Brosse à dents.
3. Regrouper les éléments qui vont ensemble.
Pomme - Grille pain - Veste - Flacon doseur - Mètre - Pain - Combinaison
- Perceuse - Chaussette - Fer à repasser
Remarques:
- avec des élèves non-lecteurs, on utilise des images;
-la maîtrise sémantique est un préalable, il faut donc s'assurer
de la proximité entre mots (ou images) et réalité sociale des élèves,
source première de compréhension et d'intérêt;
- le nombre d'objets, qui complexifie la tâche, peut être
augmenté ou diminué selon le niveau et/ou le besoin des élèves;
- l'objet de ces exercices n'est pas de trouver la «bonne» ou
la «mauvaise» réponse, certains objets étant plus pertinents que
d'autres, l'essentiel est d'amener l'élève à verbaliser et justifier ses
choix, résultant de l'opération logique de catégorisation.
Exercices liés aux structures de relation: il s'agit d'organiser les objets à
partir de leurs différences.

153
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

Exercices
Exercice correspondant à l'opération de sériation
1. Bernard a lancé la balle plus loin que Jean. Jean a lancé la balle plus loin que
Marc. Qui a lancé la balle le plus loin? Range les enfants de celui qui lance le
plus loin à celui qui lance le moins loin.
2. Le 9 janvier on remarque qu'il fait moins froid à Paris qu'à Nevers et qu'il
fait moins froid à Lyon qu'à Paris. Dans laquelle de ces villes faisait-il le moins
froid? Dans laquelle de ces villes faisait-il le plus froid?
3. Il Y a plus d'habitants en Chine qu'en Mongolie. Il y a moins d'habitants au
Japon qu'en Chine. À partir de ces informations, quel est le pays le plus peuplé?
Quel est le pays le moins peuplé?

Exercices liés à la combinatoire


Il s'agit d'organiser les objets en les combinant et en les reliant.

Exercices correspondant aux opérations de combinaison et permutation


Combinaison (l'ordre n'est pas pris en compte) :
Tu passes une journée à la mer: il est possible de bronzer, faire de la plongée,
faire du surf. Tu ne peux faire que deux activités. Quels sont les choix possi-
bles?
Permutation (l'ordre est à prendre en compte) :
Dimanche tu vas t'occuper de trois façons: en regardant la télévision, en jouant
avec les copains, en écoutant de la musique. Donne tous les ordres possibles
de faire ces trois activités.
Multiplication logique:
1. Tu es invité à l'anniversaire de ton cousin. Tu lui offres un CD et un livre. Pour
le CD, tu as le choix entre Lorie et Jennifer. Pour le livre, tu as le choix entre un
album sur les loups et une bande dessinée.
Quelles sont toutes les possibilités que tu as d'offrir un CO et un livre?
2. Au self service, tu prends une entrée, un plat principal et un dessert. Parmi les
entrées, tu as le choix entre avocat et carottes râpées; pour le plat principal, tu
as viande ou poisson; pour le dessert, tu peux choisir entre yaourt, crème ou
fruit. Combien de menus différents peux-tu composer (entrée, plat et dessert) ?

L'autre grande composante des ASLOS est le domaine spatial. Com-


me pour le champ logique, un bilan préalable permet de détermi-
ner les compétences, et conséquemment les besoins, de l'élève. Les
auteurs des ASLOS utilisent le test de la figure de Rey, qui est un bon
prédicteur de la maîtrise des représentations spatiales du sujet.

154
PEUT-ON ENSEIGNER LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE?

Ce qui est travaillé par les ASLOS relève pour le principal de l'es-
pace topologique. Celui-ci concerne les rapports de voisinage, de sépa-
ration, d'enveloppement, de continuité entre objets. Il porte sur l'ob-
jet considéré en lui-même et en ses propriétés établies de proche en
proche (gauche, droite; intérieur, extérieur; au-dessus, au-dessous ... ).
La conservation de la séparation, comme celle des rapports d'envelop-
pement, apparaît vers 7 ans.
Les composantes de l'espace topologique à travailler avec les élèves
sont les rapports binaires: droite/gauche; dessus/dessous; des com-
binaisons entre rapports: droite et gauche avec dessus et dessous; les
rapports ternaires : intérieur/extérieur/sur.
Outre l'espace topologique, la psychologie génétique distingue l'es-
pace projectif (coordination des objets relativement à des points de
vue déterminés, ex : solides et polygones... ), l'espace euclidien (coor-
dination des objets envisagés en eux-mêmes dans leurs déplacements
objectifs, ex : pavages, symétrie, perpendicularité ... ), l'espace carté-
sien (conservation des longueurs et constitution d'une métrique, par
exemple, mesures et calculs des mesures).
On trouve dans les ASLOS des situations en rapport avec des symé-
tries ou des déplacements. À propos des constructions spatiales, les
exercices sont aussi facilement compréhensibles par des élèves pou-
vant présenter des difficultés (comme ceux scolarisés en SEGPA). Pour
les localisations, une scène familière est présentée: par exemple, un
personnage de dos se tient dans une cuisine, le stagiaire va identifier
et nommer des objets qui se situent à la droite du personnage, à sa
gauche, sous la table, etc.
Une des situations, aisément reproductible, consiste à donner à
l'élève une planche à clous (modèle du genre Géoplan) et un élasti-
que. Les clous distribués en colonnes et en rangées régulières permet-
tent au positionnement modifiable de l'élastique de définir des figures
géométriques de type polygone. L'enseignant peut réaliser un modèle
que l'élève reproduit de mémoire ou par imitation. De nombreuses
possibilités existent qui permettent d'utiliser, par la manipulation, les
rapports spatiaux, de les nommer, de travailler à deux, etc.
Comme pour les ARL, la recherche individuelle est souhaitable dans
un premier temps, les échanges intervenant dans un second temps.
Le transfert visé, aspect qui fait l'objet des critiques évoquées plus
haut, est double:

155
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

-le transfert cognitif: réinvestissement de l'opération abordée


par les ASLOS, lors de séances d'apprentissages disciplinaires, et
réinvestissement de la méthodologie travaillée;
- le transfert conatif: réinstallation de l'estime de soi, de la
confiance, de la motivation, dépassement de l'impulsivité au
bénéfice de la réflexivité.
La souplesse et la simplicité des exercices permettent aux ASLOS
de constituer un dispositif s'avérant utile pour les remédiations ini-
tiées par les maîtres E des réseaux d'aide, et, plus généralement, par
les professeurs des cycles 2 et 3, lors d'activités différenciées avec des
petits groupes d'élèves ayant des conduites proches.
Outre ces deux méthodes, il existe de nombreux dispositifs s'intéres-
sant aux opérations cognitives. Leur diffusion est peut-être plus confi-
dentielle, mais ils n'en présentent pas moins un intérêt, à condition
d'adaptation critique, pour aider les élèves à construire des stratégies
efficientes. Nous présentons plusieurs d'entre elles dans la partie qui
suit.

III. D'AUTRES MÉTHODES COGNITIVES

À la différence des démarches préventives, les méthodes cogni-


tives - dont un grand nombre s'intéresse au champ logico-mathéma-
tique - se rapportent prioritairement à des pratiques de remédiation.
Diverses
méthodes Du point de vue de leur développement historique, les méthodes co-
cognitives gnitives sont des outils dont dispose un adulte, formateur, pour aider
d'autres adultes, en formation. Leur origine théorique et leur contexte
d'émergence sont souvent loin de l'environnement scolaire puisque la
majorité d'entre elles vient de la formation continue des adultes. Elles
sont très nombreuses et plusieurs catégorisations ont été proposées
(Deret et al., 1991 ; Sorel, 1994; Perraudeau, 1996a). Nous avons recen-
sé trois grandes familles de méthodes, à partir des processus auxquels
elles prétendent apporter réponse:
- la première, regroupe les outils centrés sur la reconstruction
des opérations mentales, tels les ARL, présentés supra;
- une deuxième réunit les dispositifs centrés sur les démarches
d'apprentissage, telle la méthode des inférences inductives de Britt-
Mari Barth (1987) ;

156
PEUT-ON ENSEIGNER LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE?

- une troisième catégorie regroupe les autres méthodes, aux


objectifs plus difficiles à cerner, aux pratiques plus incertaines, à la
durée d'existence plus aléatoire.
La plupart de ces méthodes ont fait l'objet de fortes critiques (voir
notamment: Huteau et Loarer, 1992; Chartier et Lautrey, 1992), les
unes en raison de fondements théoriques incertains, les autres pour
des contenus jugés peu précis, d'autres encore en raison d'évalua-
tions qui, soit n'existent pas, soit, quand elles existent, ne sont guère
convaincantes sur les effets supposés du dispositif.
Les dispositifs de remédiation que nous présentons se fondent sur
le principe d'éducabilité, qui postule que chaque sujet possède une
marge de progression, qu'il est possible d'activer sous certaines condi-
tions. Ces conditions sont généralement les suivantes: Le principe
d'éduca-
-la présence d'un formateur ayant une posture de médiateur; bilité
-le travail en petit groupe, favorisant les interactions;
- l'effectuation d'exercices décontextualisés des savoirs disci-
plinaires;
-la recherche d'une déstabilisation cognitive du sujet;
- le rôle de l'erreur, considérée comme indicateur de procé-
dures;
- l'importance donnée à la stratégie développée et non au
résultat obtenu.
Dans cet esprit, nous présentons l'ACIM (activité cognitive et ima-
ges mathématiques), le PEI (programme d'enrichissement instrumen-
tal) , le langage informatique Logo ainsi que d'autres démarches moins
connues.

L'ACIM : ACTIVITÉ COGNITIVE ET IMAGES MATHÉMATIQUES

Définition
L'ACIM fut mis au point par Henri Planchon. Le postulat initial est
que l'échec de l'élève en mathématiques ne procède d'aucune fata-
lité. À l'inverse, la notion d'échec, selon l'auteur, rejoint celle du cou-
rant socioconstructiviste. L'erreur - il parle «d'errance» constitutive
de tout cheminement vers le savoir - est un moment plus ou moins
passager de l'apprentissage, un dysfonctionnement de l'élève qui ne
peut apporter une réponse scientifiquement correcte à une situation
donnée. L'erreur est admise comme conduite habituelle, qu'il est ce-

157
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

pendant nécessaire de dédramatiser si elle envahit le sujet au point


d'inhiber son activité.
Depuis longtemps, Planchon travaille sur la question de la réédu-
cation mathématique. Il fait le constat que les difficultés dans cette
discipline existent, qu'elles sont nombreuses, mais parce qu'elles se
manifestent de façon moins spectaculaire que celles de la langue, el-
les sont moins prises en compte. C'est parce que l'institution scolaire
reste souvent peu efficiente à aider ces écoliers ou ces collégiens, que
l'auteur qualifie soit de «mathématoplégiques» soit de «mathémato-
phobes », qu'il a engagé une réflexion active sur ces questions.

Principe
Dans son premier ouvrage de référence (1989), Planchon distingue
quatre domaines comme champs possibles du réapprentissage mathé-
La rééduca-
matique: le raisonnement, l'abstraction, l'organisation et la mentali-
tion mathé- sation:
matique
- le raisonnement se fonde sur des démarches logiques dont la
rigueur de la construction constitue une culture commune;
- l'abstraction se développe par l'utilisation d'une symbolique,
dont la constitution nécessite des interactions qui facilitent la
décentration du sujet;
-l'organisation signifie qu'aucun objet mathématique n'a de sens
isolément, mais qu'il est en lien avec d'autres dans une architecture
organisationnelle qui les structure;
- la mentalisation renvoie à la compétence du sujet à intérioriser
les objets, les actions sur les objets, l'anticipation et les conséquences
de l'action.
L'activité de mathématique est attachée au réel qu'elle reconstruit
et dépasse. La forme géométrique donne une indication sur la figure
sans pour autant que cette perception constitue la réalité conceptuelle
de l'objet. Derrière la perception demeure le concept. Il se définit
à partir d'invariants que le réel perceptible peut masquer. Travailler
cette dimension permet à l'élève de dépasser la perception qui cor-
respond souvent à une forme prototypique occupant tout l'espace de
représentation de l'objet.
Le triangle, que les manuels présentent le plus souvent sous la forme
«montagne », entraîne une réduction de la représentation conceptuel-
le. Certains élèves du premier degré n'identifient pas les autres figures

158
PEUT-ON ENSEIGNER LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE?

à trois côtés comme triangles, mais comme des «presque triangles»


ou des «montagnes aplaties ». La force de cette représentation quasi
exclusive fait dire à certains collégiens qu'un triangle n'a qu'un seul
sommet, tout comme la montagne! La prégnance de la typicalité, effet
occultant d'un objet représentant toute une classe, s'appuie sur des
caractères variables qui empêchent l'élève d'accéder aux invariants.
Dans le même temps où la typicalité fixe des repères permettant la
catégorisation, le fait de ne pas amener les élèves à la dépasser risque
de créer des ancrages dans des représentations réduites à la forme la
plus prégnante, niant les points communs qui caractérisent tous les
éléments de la classe. La classe est, pour ces élèves que nous qualifie-
rons de «perceptivo-dépendants», une collection d'apparences sem-
blables, résultant d'un lent engourdissement cognitif dû à l'absence
de confrontation à de réelles situations-problèmes.

Mise en œuvre
Pour aider les élèves, de la maternelle au collège, ceux des classes or- Les
dinaires comme ceux des classes spécialisées (CLIS, SEGPA... ), Plan- « modules»
chon propose des outils, telles les représentations graphiques. Celles-
ci, aussi nommées «modules », sont de trois types: les planches, les
algorithmes, les organigrammes.
La planche est un tableau de coordonnées qui se veut une machine à
fabriquer des nombres. En abscisse, se trouvent des lettres qui symboli-
sent les chiffres possibles d'un nombre en numération de position: le A
(symbole des unités) est encadré par B et B', à sa gauche, il est précédé
de B (symbole des dizaines), puis à gauche de B se trouve le C (symbole
des centaines), etc., et à droite de A, se trouve B' (symbole des dixiè-
mes), etc. En ordonnée, se succèdent, de bas en haut, des chiffres de 1
à 9. Pour représenter un nombre, il suffit de tracer le graphique à partir
des coordonnées. Ainsi, tracer un graphique qui relie les couples (B', 6),
(A, 5), (B, 2), C, 1) revient à désigner le nombre 125,6.
Ce module est à la fois un outil personnel de l'élève qui peut à tout
moment l'utiliser pour s'assurer de la lecture ou de l'écriture d'un
nombre, mais aussi un outil commun, objet maîtrisé par la classe, à par-
tir duquel les élèves peuvent communiquer et s'interroger: l'un trace
un graphique, l'autre lit le nombre ainsi représenté. L'outil prend une
valeur collective quand il est utilisé par tous les élèves en même temps
et quand le module est affiché en classe et permet à l'enseignant de
mobiliser sa classe vers le même objet.

159
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

Le dispositif, plus complexe que ce qui est présenté ici et dont les
exercices proposés partent de la maternelle pour aller jusqu'au collège
et au-delà, n'a pas vocation à enseigner à l'élève tout le programme
de mathématiques d'une classe. L'objectif est non seulement de re-
construire des concepts mathématiques mais aussi de développer les
capacités de représentation, de mener vers l'abstraction, de faciliter les
interactions entre élèves.

LE PEI: LE PROGRAMME D'ENRICHISSEMENT INSTRUMENTAL


Définition
En observant, dans les années 1950, les résultats aux tests auxquels
sont soumis de jeunes migrants vers l'État d'Israël, Reuven Feuerstein
constate qu'il existe en chacun un potentiel d'évolution de sa pen-
sée opératoire. Critiquant les tests classiques qui réduisent l'individu
à l'identification de ses seules compétences au moment du test, sans
prendre en compte son potentiel d'évolution, il crée le LPAD (Lear-
L'enrichis-
sement
ning Potential Assesment Deviee) destiné à cerner l'évolution du potentiel
instru- d'apprentissage du sujet. Il vise ainsi à mesurer la conduite du sujet
mentai de avant puis après lui avoir donné des éléments de stratégie pour résou-
Feuerstein dre la tâche à laquelle il est confronté. Celui qui fut élève de Piaget
s'appuie ainsi, complémentairement, sur une conception vygotskienne
d'un apprentissage en deux étapes distinctes: d'abord avec un tuteur
puis seul.

Principe
L'idée principale du PEI est que, grâce à la médiation d'un formateur,
le sujet, qu'il soit élève ou adulte, peut développer son potentiel co-
gnitif. Pour cela, le médiateur doit effectuer un certain nombre d'ac-
tions:
- il intervient sur les fonctions cognitives déficientes chez le
sujet, soit lors des opérations de tri des informations (input), soit
lors du traitement proprement dit, soit lors de la transmission du
traitement effectué (output) ;
- il corrige les prérequis mal construits comme le vocabulaire ou
les procédures;
- il développe et entretient la motivation du sujet, tout comme il
inscrit l'action en cours dans un ensemble possédant un objectif et
nécessitant une durée d'exécution. Il s'emploie à faire sortir le sujet

160
PEUT-ON ENSEIGNER LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE?

d'une conception de la tâche fondée sur l'obtention d'un résultat


obtenu dans l'immédiateté;
- il veut modifier l'estime et l'image que le sujet a de lui-même,
les revaloriser, et lui faire prendre conscience que la réussite peut
amener à des modifications sur la façon dont il aborde la tâche.

Mise en œuvre
Une des épreuves les plus connues est celle de l'organisation des
points. On distribue au sujet une fiche comportant un ensemble de
cases. La première constitue le modèle, une figure géométrique y est
tracée. Dans les autres cases, il y a des nuages de points. Le sujet va en
relier certains afin de réaliser tel ou tel objet géométrique demandé
dans la première case. L'objectif est de développer la capacité d'anti-
cipation, d'entraîner l'attention, de solliciter le contrôle, de se décen-
trer des orientations spatiales habituelles, telle triangle en position
pyramidale ou le carré reposant de façon horizontale, etc.
L'ensemble des exercices est réparti sur quinze cahiers. L'alternan-
ce de phases individuelles et de mises en commun permet des échan-
ges, entraînant soit des conflits d'ordre cognitif, soit des coopérations
structurantes. Les situations, comme celles des ARL et des ASLOS, sont
décontextualisées des contenus disciplinaires afin d'éviter de repro-
duire des contextes identifiés comme engendrant l'échec. Les séances
ont une durée de trente minutes à une heure, selon les possibilités
attentionnelles des élèves. Il est possible de les répartir sur une période
d'une ou deux années.

LE LANGAGE INFORMATIQUE Logo


Définition
Logo est un langage informatique conçu aux États-Unis, dans les an-
nées 1970, à partir de la confluence de plusieurs courants: l'intelligen-
Un langage
ce artificielle et les systèmes experts, le constructivisme piagétien, le infor-
premier développement grand public de l'informatique et notamment matique
l'arrivée dans les écoles des premiers ordinateurs. Un assistant de Pia- comme
support
get, le mathématicien d'origine sud-africaine Seymour Papert, élabore d'appren-
alors un langage qui a vocation à être support d'apprentissage, souple tissage
dans sa conception et son utilisation tout en restant exigeant dans sa
programmation. L'idée de base, inspirée du principe constructiviste

161
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

de mise en activité du sujet, est que les élèves s'emparent d'un langage
informatique pour programmer la machine.

Principe
L'élève, utilisant Logo pour concevoir son programme, est avant tout
confronté à un problème qu'il devra, seul ou en groupe, résoudre dans
toutes les phases de la tâche. En utilisant Logo, l'élève mobilise des schè-
mes liés au traitement des informations et au raisonnement, il en crée
aussi de nouveaux par confrontation à des situations déstabilisantes.
L'enfant informaticien s'aperçoit que la programmation ne suit pas un
Un langage
développement linéaire mais qu'à chaque nouvelle étape la pensée tâ-
simplifié tonne, avance, recule pour mieux redémarrer, se réorganise en perma-
nence. Ce processus sollicite chez le sujet la capacité de penser l'objet
dont il programme la construction ou le déplacement, non de façon
isolée mais en constant rapport avec les autres objets et les autres pro-
cessus mobilisés. À la différence d'autres langages de programmation
également modulaires, comme Pascal, Logo utilise un vocabulaire et une
syntaxe à la portée des collégiens et même des écoliers.
Un curseur de forme triangulaire apparaît au centre de l'écran de
l'ordinateur et se déplace en fonction des ordres donnés par l'élève
programmeur. Toute action programmée s'inscrit visuellement sur
l'écran. Un déplacement est matérialisé sous la forme d'une ligne.
Un changement d'orientation apparaît par le mouvement de rotation
du curseur. Il est alors possible de réaliser des figures à partir d'or-
dres simples, appelés «primitives ». Comme nous l'indiquions, Logo se
caractérise par un langage simplifié: les primitives se formulent en
français et peuvent même être réduites aux premières lettres du mot.
Ainsi la primitive AV 10, rentrée au clavier de l'ordinateur, signifie
«avance de 10 pas». Sur l'écran, le curseur se déplace de dix espaces.
Un ensemble de primitives se nomme une «procédure». Primitives et
procédures, rentrées au clavier, permettent au curseur de se déplacer
et de tracer ainsi une figure sur l'écran. L'élève peut alors program-
mer non seulement des constructions graphiques (exploitation la plus
accessible et la plus spectaculaire pour l'élève), mais aussi du texte ou
de la musique.

Mise en œuvre
La condition première est de posséder le langage Logo sur le maté-
riel informatique de l'établissement. L'élève qui souhaite tracer une

162
PEUT-ON ENSEIGNER LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE?

figure, par exemple un carré, est obligé de définir le concept de la


figure. La démarche mobilise des fonctions cognitives de haut niveau
comme l'émission d'hypothèse, l'anticipation, l'inférence, le contrôle.
L'élève peut immédiatement tester son hypothèse. S'il identifie deux
primitives essentielles (AV 50 et TD 90 : avance de 50 pas et tourne de
90 degrés), il lui faudra les répéter quatre fois. D'où la facilitation que
permet la procédure suivante:

Procédure du tracé d'un carré en langage Logo


Algorithme à définir: Écriture en Logo:
POUR nom de la procédure POUR CARRÉ
n fois les primitives [AV a TD 90] REPETE 4 [AV 50 TD 90]
FIN FIN

Après cela, le programme reconnaît désormais CARRÉ comme une


nouvelle primitive qui peut être rappelée et utilisée à tout moment.
Pour dessiner à l'écran une maison, l'élève (OUi le groupe d'élèves)
est conduit à définir une stratégie qui s'organise autour de plusieurs
étapes comme le montre l'encadré qui suit.

Procédures nécessaires au tracé d'une maison en langage Logo


Pour tracer une maison, en Logo, prévoir et lister les procédures à partir des
modules définis: le toit en forme de rectangle et les murs en forme de carré.
L'élève peut alors créer les procédures suivantes:
POUR CARRÉ POUR TRIANGLE
REPETE 4 [AV 50 TD 90] REPETE 3 [AV 50 TD 120]
FIN FIN
Ensuite la procédure MAISON peut être définie:
POUR MAISON
CARRÉ
AV SOTO 30
TRIANGLE
FIN

Autre situation possible: faire réfléchir les élèves sur une situation
inverse. On donne un programme dont il s'agit de prévoir ce qu'il
produira sur l'écran quand on le rentrera au clavier.

163
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

POUR FIGURE
AV 60 TD 90 AV 30 TD 90
FIN
REPETE 12 [FIGURE TG 30 AV 5]

La situation est intéressante en ce qu'elle nécessite une réflexion,


crayon en main, pour produire des hypothèses qui seront ensuite véri-
fiées grâce à l'ordinateur, sans le recours direct au professeur.
L'une des caractéristiques de ce dispositif est que l'élève peut valider
son travail en temps réel et tout seul, sans l'intervention de l'adulte.
Cela permet donc d'inclure cette activité dans la classe des situations-
problèmes, qui ont toutes ce même trait commun. L'élève peut vérifier
son hypothèse sans intervention magistrale qui viendrait l'évaluer. Il
exerce son autonomie et, en conséquence, utilise la possibilité de se
tromper sans risquer la sanction ou la perte d'estime de soi aux yeux
de l'adulte.
Lejeu Pour des élèves plus jeunes ou pour les professeurs ne disposant
du robot pas d'ordinateur avec Logo, il est possible de mettre en place certaines
situations:
- Le jeu du robot: l'objectif est d'effectuer des déplacements à partir
de consignes orales. Les élèves travaillent par deux, un élève conduit
l'autre qui a les yeux fermés. Il donne des ordres simples pour se dé-
placer d'un point à un autre. Très vite les élèves s'aperçoivent que les
premiers ordres donnés manquent de précision: «Avance» est moins
porteur de sens que «Avance tout droit de dix pas».
- Le codage d'un déplacement: l'objectif est d'analyser un déplacement
pour le coder en vue de le communiquer. Les élèves travaillent par
deux. L'un effectue un déplacement simple, un parcours en forme de
ligne brisée, par exemple. Il réalise ce déplacement et le verbalise tan-
dis que le second élève note les actions, selon ses modalités propres:
mots, schéma, dessins ... Ensuite ils proposent leur production à un
autre groupe qui tente d'effectuer le déplacement à partir du codage.
Les discussions qui s'ensuivent sont très riches. L'un des intérêts de
ce type de situation est d'amener les élèves à comprendre la nécessité
d'un codage partagé et compris de tous. La construction d'un langage
commun passe par la décentration de son point de vue et de sa straté-
gie propres.
Après une période d'éclipse, le langage Logo et les démarches
connexes, qui sont riches et nombreuses, semblent à nouveau réin-

164
PEUT-ON ENSEIGNER LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE?

vestir les pratiques pédagogiques. C'est le sens du travail de recherche


que poursuit, par exemple, Éric Greff avec des professeurs d'écoles
(voir le chapitre qu'il consacre à cette question dans l'ouvrage que
dirige Annick Weil-Barais, 2004).

LA PI : PÉDAGOGIE INTERACTIVE
Définition
Selon Racle (1983), la pédagogie se situe dans une approche transdis-
ciplinaire qui se nourrit autant aux sources traditionnelles qu'à celles
de la neurologie, de la musicothérapie ou de la chronobiologie. Très Remédia-
liée au développement des recherches sur le cerveau, la PI se veut lieu tian et
de rencontre entre facteurs internes à l'élève et facteurs externes, in- interaction
troduisant dans le triangle traditionnel (élève, savoir, enseignant) des
composantes relationnelle, artistique, scientifique, émotionnelle.

Principe et mise en œuvre


L'interactivité traverse tous les champs disciplinaires. Dans l'exemple
suivant, il s'agit de présenter une figure aux élèves (mais l'auteur rap-
pelle que l'expérience peut aussi être effectuée avec des adultes: étu-
diants ou professeurs en formation continue).
Soit un carré de 4 x 4 cases. Il est présenté aux sujets pendant une
durée limitée (une quinzaine de secondes), après quoi on demande à
chacun de donner le nombre de carrés du modèle (fig. 5.1).

Figure 5.1. Le carré de Racle

165
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

La majorité des sujets interrogés donne comme résultat 16 ou 17,


correspondant au nombre de «petits» carrés identifiés par l'opération
4 x 4, auquel certains ajoutent le grand carré correspondant à la forme
d'ensemble.
La réponse correcte est tout autre. Il y a 30 carrés dont 16 ayant 1
comme unité de côté; 9 ayant 2 comme unité; 4 carrés de 3 unités de
côté et 1 carré d'unité 4. Pour Racle, les sujets sont gênés par la notion
d'exclusivité: ce qui a servi une fois ne peut être utilisé à nouveau dans
un autre environnement.
La conclusion donnée par l'auteur est que les élèves sont trop
souvent victimes de leur perception et des habitudes qui les condui-
sent vers une même modalité de travail. Ils ne sont pas suffisamment
confrontés à des activités multidimensionnelles et globalisantes qui fa-
vorisent la décentration des points de vue habituels et développent de
nouvelles stratégies.

LA MÉTHODE TANAGRA: TECHNIQUES D'ANALYSE GRAPHIQUES

Une
Définition
démarche Un ingénieur, Yves Pimor, et un psychologue, Henrijean Cottin, ont
analytique conçu une méthode destinée à répondre aux problèmes rencontrés
par des opérateurs informaticiens. Pour cela ils se sont fondés sur deux
apports théoriques importants:
-le socioconstructivisme d'origine piagétienne, dans la version
sociale qu'en donne Perret-Clermont (2001). C'est par l'interaction
sociale que se construisent et se consolident les registres opératoires
des sujets;
-les travaux de Sperry sur le cerveau qui ont permis de distinguer
plusieurs niveaux: l'hypothalamus, de nature reptilienne, siège des
instincts; le cerveau limbique, siège des affects; le cortex, siège du
raisonnement.
À partir de ces deux entrées, Cottin et Pimor (1991) ont postulé que
l'individu doit être envisagé sous l'angle d'une dialectique, cognitive et
affective, réflexive et sensible, la communication prenant un caractère
transversal.

166
PEUT-ON ENSEIGNER LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE?

Principe et mise en œuvre


Comme dans beaucoup de méthodes, la formation à Tanagra commen-
ce par une évaluation permettant de définir le registre opératoire des
sujets. Ces bilans permettent d'initier des travaux différenciés selon les
besoins identifiés.
La séance Tanagra débute par un temps d'échauffement logique, de
gymnastique mentale à caractère individuel, de la même façon que la
leçon de mathématiques commence par un temps de calcul réfléchi.
Ensuite, à la différence des autres méthodes présentées, les exercices
proposés sont fortement contextualisés, s'appuyant sur le vécu concret,
facilitant les comparaisons entre sujets. Toute situation est traduite
dans un registre sémiotique iconique (schéma, diagramme, tableau,
dessin ... ). Ces représentations graphiques sont des moyens et non des
finalités d'apprentissage. Elles sont utiles pour les échanges entre les
sujets.

Utiliser la méthode Tanagra en classe


Transposé au domaine de la classe, le principe Tanagra pourrait se présenter
ainsi. Commencer en prenant une action simple, effectuée quotidiennement
par un élève comme rechercher un mot dans un dictionnaire ou tracer une
figure géométrique. Essayer d'en donner l'algorithme le plus pertinent.
Plusieurs solutions peuvent se présenter.
1. L'algorithme est linéaire, c'est le plus simple qui consiste en un enchaînement
d'actions:
Jean prend le dictionnaire.
Il ouvre à une page.
C'est la bonne page.
Il lit la définition.
2. L'algorithme est plus complexe, il y a itération de séquences, c'est une situa-
tion de répétition:
Jean prend le dictionnaire.
Il ouvre une page.
Est-ce la bonne page?
Si oui: Si non:
Il lit la définition. Retour à l'action précédente: «II ouvre une page»
jusqu'à ce qu'il trouve la bonne page.
3. D'autres algorithmes sont possibles comme ceux qui mettent en avant la
notion de choix.
Jean prend le dictionnaire.
Il ouvre à une page.

167
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

C'est la bonne page.


Trouve-t-i1le mot?
Si oui: Si non:
Il lit la définition. Il prend un autre dictionnaire.
Et l'algorithme reprend son déroulement.

Ce travail permet de différencier l'action de ses causes et consé-


quences. Il met en lumière la complexité des situations, même simples,
qui pour être représentées ne peuvent se satisfaire uniquement d'un
traitement linéaire. L'organigramme produit ne constitue pas l'objec-
tif de la remédiation, ce qui est important n'est pas le produit mais
le processus de la production, l'occasion d'organiser sa pensée, de
construire de nouvelles procédures et d'échanger avec l'autre.
Pour terminer cette présentation, il est à remarquer que, dans les
années 1980, un engouement certain a porté quelques-uns de ces dis-
positifs (et d'autres non présentés) vers une utilisation pédagogique
qui ne fut pas toujours celle pour laquelle ils avaient été créés. De plus,
les professeurs ne disposaient parfois pas de la formation nécessaire
pour en tirer tout le profit possible avec leurs élèves.
Il convient donc, alors qu'aujourd'hui certaines de ces méthodes
renouent avec les pratiques de classe, de les utiliser avec prudence et
sous certaines conditions:
- il est utile que le professeur soit formé tant au dispositif lui-
même qu'aux théories sur lesquelles il se fonde;
- se former en équipe et travailler en projet est aussi une garantie
de cohérence de l'action auprès des élèves;
- il est nécessaire d'adapter les situations de ces méthodes aux
besoins réels et à l'intérêt du public scolaire auquel elles sont
proposées;
- il convient d'engager une réflexion afin d'interroger la nature
des transferts qui sont attendus;
- il est également utile d'évaluer les effets sur les stratégies des
élèves, ainsi que les limites, non moins réelles, de ces outils qui ne
sont en rien des outils miraculeux et ne se substituent aucunement
aux apprentissages disciplinaires.

168
PEUT-ON ENSEIGNER LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE?

Résumons-nous
Ce chapitre pose une question d'apparence simple: si l'enseignant veut
aider l'élève, pourquoi ne pas lui apprendre les stratégies les plus efficaces?
Comme nous le montrons, la réponse est en réalité complexe. En effet,
comme les chapitres précédents l'ont indiqué, les difficultés ne sont pas
toutes du même ordre, et, d'autre part, les conduites des élèves peuvent se
manifester très différemment.

S'il n'existe pas de réponse unique, le chapitre propose, cependant, de


nombreuses idées. Elles sont essentiellement de trois ordres:
- dans le champ langagier, les ateliers d'écriture sont possibles à mettre
en place à tous les niveaux de la scolarisation. Nous proposons plusieurs
séances qui peuvent être adaptées;
- dans le domaine logico-mathématique, les Ateliers de raisonnement
logique, outil initialement conçu pour les adultes en formation continue,
s'avèrent d'une réelle utilité pour les élèves ayant des difficultés dans l'orga-
nisation de leur pensée;
- d'autres méthodes cognitives sont présentées afin que le professeur iden-
tifie celles qui peuvent lui être utiles pour aider les élèves dont il a la charge.

La mise en place de telles démarches nécessite, pour réussir, la conjonction


de plusieurs conditions. Rappelons celles qui nous semblent les plus impor-
tantes: la formation du professeur à la démarche qu'il veut utiliser, le travail
en équipe pour éviter l'isolement, la réflexion sur les transferts attendus vers
les savoirs fondamentaux.
6

Les stratégies d'enseignement mises


en œuvre par le professeur

Dans une logique d'enseignement-apprentissage, aux stratégies des


élèves correspondent des stratégies enseignantes. Elles sont relatives
aux modalités de transmission et aux postures du professeur dans ses
interactions éducatives avec l'élève.
Le premier aspect de la question se centre sur les dispositifs de pré-
vention. Elle se penche sur le rôle et les moyens dont dispose l'ensei-
gnant pour aider l'élève à mobiliser des procédures, à effectuer un
choix, à modifier ce qui ne convient pas. Le professeur peut, notam-
ment, utiliser des stratégies fondées sur la différenciation des situa-

Le deuxième aspect est relatif aux diverses façons que le professeur


peut employer pour conduire l'élève à entrer dans l'apprentissage:
le choix peut prendre un chemin narratif ou plus philosophique ou
encore esthétique.
Le troisième aspect est constitué des dispositifs microgénétiques
amenant l'élève à verbaliser. Ils ont un double objectif: permettre au
professeur de comprendre les procédures de l'écolier; amener ce der-
nier à mieux élucider ses stratégies et les modifier quand cela est né-
cessaire. L'entretien cognitif à visée d'apprentissage (ECA) , présenté
ici, en donne une illustration pertinente.

171
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

1. ACCOMPAGNER L'ÉLÈVE DANS LA


MOBILISATION DE SES PROCÉDURES

Dans une note de synthèse sur la question, Fayol et Monteil (1994)


remarquent que le bon emploi d'une stratégie demande une mobi-
lisation spontanée par le sujet de ses procédures, une conscience de
cette mobilisation ainsi que de la procédure choisie, une conscien-
ce également de l'efficacité du choix et de la validité de la mise en
place. L'articulation entre l'automatisme de mise en œuvre, à condi-
tion qu'il soit disponible, et la lucidité de celle-ci, à condition qu'elle
existe, pourrait alors faire l'objet d'un apprentissage, mais, ajoutent
les auteurs, «l'acquisition et la maîtrise de ces diverses composantes
et de leur coordination est tellement complexe qu'il convient de se
demander comment l'apprentissage pourrait en être conduit de façon
optimale» (op. cit.).
Il s'agit donc moins d'envisager un programme d'acquisition de
stratégies que de dégager les conditions qui favorisent la prise de
conscience, par le sujet, de ses procédures, selon le type des tâches
réalisées, afin que les élèves deviennent plus «stratégiques» qu'ils ne
le sont spontanément.

LES PRATIQUES PÉDAGOGIQUES « ORDINAIRES»

Pédagogie Une part conséquente de l'impossibilité à mobiliser des stratégies ef-


et ficientes est de nature exogène. On peut les rapporter, pour partie,
difficultés au contexte social, familial et culturel de l'enfant. Dans ce cas, le rôle
de l'école est important qui compense, dans la mesure du possible, à
partir de ce qu'elle peut offrir: un cadre sécurisant, un climat apaisé,
des repères dans l'agir, des contenus structurés. On peut, surtout, les
rapporter au contexte scolaire comprenant les situations d'apprentis-
sage et les pratiques d'enseignement. L'intervention de l'enseignant
est directement prise en compte comme facteur possible générant ces
difficultés. Nous pouvons lister, dans cette catégorie, un grand nombre
de composantes en les rangeant en deux ensembles: celles liées au
type de tâche proposée, celles liées à la conduite du professeur.

Stratégies erronées, pouvant être occasionnées par le type de tâche


proposée par l'enseignant
La première source de difficulté est celle du manque de sens, pour
l'élève, de l'activité engagée. La tâche est, certes, identifiée comme

172
LES STRATÉGIES D'ENSEIGNEMENT MISES EN ŒUVRE

appartenant à une discipline scolaire, mais coupée de la réalité sociale.


Les «relations entre la situation d'apprentissage et son usage possi-
ble» (Develay, 1996) sont absentes de l'enseignement. La tâche reste
extérieure au vécu et au projet de l'élève qui ne peut s'y investir et y
répond par des procédures peu réfléchies.
Le statut de l'activité de l'élève n'est pas valorisé. Le rythme im-
posé par le respect de la programmation fait qu'une fois une notion
vue, il n'est guère de temps pour y revenir. Le savoir est implicitement
compris comme accumulation de connaissances, l'activité de l'élève
comme actions successives programmées et non comme temps d'ap-
prentissage. L'action est nécessaire mais non suffisante à l'apprentis-
sage. La temporalité de la procédure n'est pas prise en compte. Les
stratégies non sollicitées risquent de s'oublier.
Le statut de la discipline est rarement discuté. Pourquoi étudie-t-on
la grammaire, pourquoi la géométrie ou l'histoire? Quelle est la fonc-
tion des enseignements? Cette question renvoie à la précédente. Le
manque d'implication peut résulter du manque de compréhension de
la raison pour laquelle une discipline est enseignée.
Le manque de variété dans les situations proposées et dans les so-
lutions à ces situations est source de difficultés. En mathématiques, le
fait de proposer des problèmes à plusieurs solutions ou impossibles à
résoudre, le fait de varier leur présentation et les registres sémiotiques
sont l'occasion de ne pas enfermer l'élève dans un format unique de
résolution.
Autre source potentielle de difficultés: l'extension abusive, voire
exclusive, d'une stratégie valable pour une classe de situations à l'en-
semble des situations rencontrées. La présence systématique du terme
«plus» dans certains problèmes est une prédiction de l'opération
d'addition, alors que dans d'autres situations le même terme devra
être analysé avec une signification inverse. Exemple: «Marc a 5 billes,
il en a 3 de plus que Jean. Combien Jean a-t-il de billes?»
Le primat est encore trop souvent donné à la stratégie performante,
à la technique de résolution et non à la réflexion. La « bonne» réponse
est préférée au processus; le résultat à la démarche. La connaissance
et la maîtrise des outils syntaxiques de la langue sont nécessaires, ce-
pendant, la performance d'un élève en grammaire ou en conjugaison
n'implique pas sa compétence à produire des textes.

173
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

Stratégies erronées, pouvant être conséquentes à la conduite


pédagogique du professeur
Les choix pédagogiques et les choix éthiques de l'enseignant sont-ils
compatibles avec la mise en œuvre de la construction de savoirs? Peut-
on se référer au principe d'éducabilité et développer une pratique
essentiellement accumulative et répétitive? Les «univers de référen-
ce» de l'enseignant et de l'élève sont-ils en osmose? Il est parfois des
contradictions, entre univers des uns et des autres, dans lesquelles les
élèves se perdent (Perret-Clermont et Nicolet, 2001).
Il existe des dispositifs pédagogiques qui favorisent l'exclusion ou le
rejet: que ce soit d'ordre social ou sexuel. C'est, par exemple, la mise
en place de groupes de niveaux qui stigmatisent certains élèves iden-
Pratiques
pédagogi- tifiés comme «mauvais»; c'est, également, et bien que celui-ci s'en
ques défende, les conduites discriminantes de l'enseignant, dans la division
et échec des tâches en classe, dans les responsabilités données aux écoliers,
dans la nature de la parole adressée à tel garçon ou à telle fille.
Complémentairement, les dispositifs didactiques mal maîtrisés, les
contenus non vérifiés, entraînent la mise en place de situations ina-
daptées et non structurantes. Les tâches dans lesquelles les écoliers
sont engagés, conduisent inévitablement l'élève fragile à la difficulté et
risquent même de l'enfermer dans l'échec. Les élèves n'ont pas l'aide
nécessaire à la rectification de stratégies inadéquates.
Le désir d'apprendre est-il suscité? Selon le point de vue psycha-
nalytique, qui, sur ce point, rejoint le point de vue constructiviste, le
désir est un lien à créer entre besoin et demande. Si le besoin est une
nécessité à caractère universel, qui rythme l'évolution psychique de
l'écolier, la demande est alors une conduite singulière, propre au déve-
loppement personnel de l'élève. En classe, l'émergence du désir peut
se dévoiler par la possibilité, donnée à l'élève, de mettre en mots ses
demandes.
Quel est le statut de la parole de l'élève? Dans quelle mesure peut-il
réellement parler en classe? La confiance est-elle suffisante pour que
l'élève puisse dire à son professeur qu'il ne sait pas ou qu'il n'a pas
compris? Il ne s'agit pas seulement de privilégier le cours dialogué, ce
dispositif pouvant dissimuler le fait de provoquer une parole alibi. Il
est, en outre, établi que dans ce format interactif c'est le professeur qui
occupe la parole très majoritairement. Enfin, les bons locuteurs, plus
à l'aise dans cette situation, continuent de développer des stratégies

174
LES STRATÉGIES D'ENSEIGNEMENT MISES EN ŒUVRE

langagières de haute compétence et souvent de creuser l'écart avec les


locuteurs moins à l'aise ou en difficulté (Florin, 1991).

DIFFÉRENCIER LES INTERVENTIONS PÉDAGOGIQUES


Définition
La différenciation pédagogique est un moyen, permettant de varier
les outils, supports et modes d'apprentissage, au service d'une finalité
constituée par la construction d'une culture commune à tous les éco-
liers.
C'est ainsi que tous les élèves de cycle 2 d'école primaire sont menés
vers la maîtrise de la lecture, mais avec des moyens qui peuvent diffé-
rer selon les élèves. De même, tous les élèves de cycle 3 construisent la
numération décimale, mais à des rythmes et à partir de situations qui
peuvent être variés.
La différenciation est apparue en France en 1973, sous la plume
La diffé-
de Louis Legrand, à propos de pédagogies pratiquées en collège. Elle renciation
fut ensuite reprise et développée au premier degré, notamment par pédago-
Philippe Meirieu. Nous avons développé les divers aspects de cette pra- gique

tique dans un précédent ouvrage (Perraudeau, 1994).


Pourtant, il est possible de trouver des origines plus lointaines à ce
qu'est la mise en œuvre d'une pratique différenciée. Le plan «Dal-
ton », dans les États-Unis de 1920, n'est pas sans lien avec le travail de
Dottrens en Suisse ou de Freinet en France et les courants de la péda-
gogie utilisant une approche attentive à chaque élève. Plusieurs de ces
pratiques ou contextes singuliers sont identifiables en ce qu'ils s'ap-
puient ou favorisent une différenciation dans l'apprentissage. Parmi
eux, il est possible d'en rappeler quelques-uns.

Le travail individualisé, par fiche


Le travail par fiche individuelle fonde une part de la particularité du
courant Freinet. Pour qu'elle soit bénéfique, structurante, pour l'élève,
il lui faut contenir tous les éléments permettant à l'écolier de dévelop-
per une autonomie de conduite (références, consignes, explications,
conditions de réalisation ... ). La fiche est considérée comme une aide
dans le cheminement cognitif de l'élève. Elle ne constitue pas une
finalité mais est un moyen mis à la disposition de l'élève.
La dérive éventuelle d'une utilisation excessive d'une telle pédago-
gie est que l'usage de la fiche remplace la nécessaire phase de mani-

175
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

pulation, en cycles 2 et 3 et qu'elle se substitue à l'expérience et à la


recherche, au cycle 3 et au collège.

Le travail par groupe


Il existe différents modes de regroupement, correspondant à divers
objectifs. Nous développons ce point un plus loin. Néanmoins, tous
les fonctionnements en groupes se retrouvent autour de mêmes prin-
cipes : durée limitée, constitution non définitive, objectifs du travail
annoncés, recherche d'un refus de stigmatisation selon l'appartenance
à tel ou tel regroupement, etc.

Llin terdisciplinarité
Il s'agit d'un décloisonnement des disciplines scolaires pour aborder
les contenus (savoirs autant que savoir-faire) de façon plus transver-
sale. Elle est relativement difficile à mettre en place car elle suppose,
en premier, une maîtrise des contenus de chacune des disciplines
convoquées. Elle nécessite, ensuite, une phase de préparation minu-
tieuse, articulant les éléments des diverses matières. Enfin, la réalisa-
tion concrète peut déstabiliser les élèves, puisqu'ils sont amenés hors
des cadres traditionnels. Autre problème en suspens: les conceptions
des chercheurs sur les trans, inter, co ou pluridisciplinarités sont nom-
breuses et sans consensus satisfaisant.

Ce que nlest pas la différenciation


Si la différenciation est un moyen utile pour l'enseignant, il ne faut
pas la confondre avec le différencialisme, qui peut être défini comme
l'action pédagogique consistant à ne prendre en compte que ce qui
différencie chaque élève. Le risque d'un enseignement exclusivement
différentialiste est que le groupe social que constitue la classe, avec ses
objectifs culturels et ses projets communs d'appropriation de savoirs,
indépendamment du niveau des élèves, disparaisse.
De même, une différenciation qui serait uniquement structurelle,
spatialement identifiée par l'organisation permanente des tables en
groupes, mais sans que le travail de chaque groupe diffère de celui des
autres, semble un dispositif vain. L'organisation groupale de la classe
ne peut se rigidifier au point d'être le seul mode relationnel entre
élèves.

176
LES STRATÉGIES D'ENSEIGNEMENT MISES EN ŒUVRE

Ce qu1est la différenciation
Une différenciation pédagogique réfléchie suppose la reconnaissance
de besoins hétérogènes selon les élèves, dans le cadre d'objectifs communs
de savoirs, impliquant la diversification des supports et/ou des modes
d'apprentissage (Perraudeau, 1994).
La différenciation est un mode de régulation des hétérogénéités: cel-
les-ci peuvent être d'ordre culturel, social et surtout cognitif. Il est pos-
sible de distinguer ce qui relève de l'inter-hétérogénéité, qui différen-
cie les élèves entre eux dans leurs différents rythmes d'appropriation,
de l'intra-hétérogénéité qui définit les variations dans la résolution de
tâche pour un même élève, en fonction des opérations cognitives sol-
licitées selon les contenus.
Pour Meirieu (1990), deux pratiques principales de différenciation
Les
sont possibles: soit de façon successive, soit de façon simultanée. pratiques
La première, qui concerne la classe dans son ensemble et alterne de diffé-
supports et conduites est plus facile à mettre en œuvre. renciation
La seconde demande plus de connaissance de la classe car elle se
fonde sur la gestion en parallèle de plusieurs groupes. Chaque groupe,
selon ses besoins identifiés au préalable, effectue une tâche particu-
lière.
Il est possible d'illustrer les deux modes pour une même activité de
résolution de problème (tableaux 6.1 et 6.2).

Tableau 6.1. Éléments pour une pratique de différenciation successive


Principes Exemples pour une activité Quelques conduites
de résolution de problème cognitives mobilisées
- Concerne ren- - Lecture de l'énoncé. - Lire, écouter, comprendre.
semble de la classe. - Phase de recherche individuelle. - Raisonner, inférer.
- Alterne diverses - Phase de confrontation et débat en - Échanger, débattre.
phases. petits groupes. - Écouter, argu menter.
- S'appuie sur les - Phase de mise en commun. - Contrôler, écrire.
ressources des - Synthèse collective.
élèves.

177
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

Tableau 6.2. Éléments pour une pratique de différenciation simultanée


Principes Exemples pour une activité de Quelques conduites cogni-
résolution de problème tives mobilisées
- Concerne les - Un groupe peut travailler les À l'intérieur de chaque groupe
élèves répartis en énoncés (pertinence des données, se succèdent des phases
groupes. chercher les questions possibles, etc.) de recherche, d'inférences,
- Chaque groupe a - Un groupe peut travailler les regis- d'écoute, d'écriture, de lecture,
son travail propre. tres et représentations graphiques. d'échange, d'argumentation, de
- Le travail slappuie - Un autre groupe invente un nou- réfutation, etc.
sur les besoins iden- veau problème qui sera proposé aux
tifiés des élèves du pairs, etc.
groupe.

Parmi les questions que soulève une pratique différenciée de la clas-


se, il est deux points qui méritent réflexion de la part du professeur et
de l'équipe de professeurs: la question de l'évaluation et celle de la
constitution des groupes de travail.

DIFFÉRENCIER ET ÉVALUER
À l'instar des autres types de tâches d'apprentissage, menées en classe,
il faut réfléchir aux modalités évaluatives pendant et après les périodes
de différenciation. Les modalités sont nombreuses (voir par exemple,
Allal et al., 1991). Les deux principales sont l'évaluation sommative et
la formative.
L'évaluation sommativeest la plus connue, la mieux identifiée, la plus
pratiquée. Mettre une note constitue la manière la plus simple d'éva-
luer le travail de l'élève. La note permet la comparaison entre élèves
Différentes
modalités
et constitue un mode de communication accessible à tous, notamment
évaluatives aux parents. En revanche, elle présente plusieurs limites dont celle de
ne donner qu'une image restreinte des compétences de l'élève en les
figeant.
L'évaluation formative est celle qui intervient en cours d'apprentissa-
ge. Elle permet à l'enseignant, en fonction des réponses des élèves, de
réajuster son enseignement, de le réorienter si nécessaire. Elle a un ca-
ractère plus dynamique et temporaire. À la différence de la précédente
et de sa composante quantitative, l'évaluation formative possède une
composante qualitative. Il s'agit moins d'attribuer une note à l'élève
que d'identifier les compétences en cours de construction et la nature
éventuelle des dysfonctionnements intervenant dans l'apprentissage.

178
LES STRATÉGIES D'ENSEIGNEMENT MISES EN ŒUVRE

Le tableau 6.3 synthétise les principales caractéristiques sans pour


autant en réduire l'usage, parfois plus subtil que la classification indi-
quée.
Tableau 6.3. Nature et objets des modes évaluatifs
Nature de Sujet de Objet de Déterminants de
l'évaluation l'évaluation l'évaluation l'évaluation
Évaluation de L'ensemble des élèves Les contenus de savoir C'est la programmation
nature somma- avec des effets possi- et les compétences externe qui impose l'éva-
tive. bles de comparaison. qui s'y rattachent. luation sommative.
Évaluation de Chaque élève en parti- L'adéquation entre les C'est la progression indivi-
nature forma- culier dans son propre besoins de l'élève, les duelle qui rythme l'évalua-
tive. rythme d'acquisition savoirs étudiés et les tion formative.
de connaissances compétences mises
en œuvre.

Il est une autre modalité d'évaluation qui se situe en amont de l'ap-


prentissage, qui est préalable et peut prendre une valeur prédictive. Il
s'agit de mener une observation de l'élève, avant qu'il ne s'engage ou
en tout début d'apprentissage, pour identifier ses compétences préa-
lables et ses conduites face au nouvel enjeu.
L'observation peut être menée lors de la découverte d'un savoir
nouveau, complexe, s'appuyant non sur une nouvelle notion mais fai-
sant appel à un champ conceptuel (par exemple, la proportionnalité,
au cycle 3 d'école ou en sixième). Le cadre considéré consiste à met-
tre l'élève en situation de tâche et à l'observer. Il existe de nombreux
outils pour mener cette observation. Nous présentons ici une fiche
simplifiée qui peut être enrichie selon le contenu de connaissances,
le contexte de la classe, selon aussi le type d'informations à recueillir.
L'observation a lieu durant la tâche mais peut être prolongée après
celle-ci, par un entretien avec l'élève.

Fiche d'observation
Informations générales
Classe :......... Prénom:. ........ Âge: Date: .
Domaine disciplinaire observé et contenu de la séquence (notion, compé-
tence) :

Nature et modalité de la tâche (orale, écrite, collectif, groupe...) :

179
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

Pendant la tâche
Temps mis à réaliser la tâche (en fonction du temps imparti, en fonction des
autres élèves) :

Conduite observée de l'élève durant la tâche (concentration, désaffection,


opposition, demande d'aide, perturbation...) :

Conduite observée de l'élève par rapport au savoir (aisance, connaissances


semblant parcellaires, absentes...)

Après la tâche
Type de difficulté constatée (passagère, continue, plus ancrée...) et indica-
teurs:

Nature et domaine de la difficulté remarquée (plusieurs composantes sont pos-


sibles : disciplinaire, cognitive, logique, linguistique, sociale...)

Regard de l'élève sur sa réalisation (conscience de la difficulté, désintérêt appa-


rent, demande plus ou moins explicite d'aide...) :

DIFFÉRENCIER ET TRAVAILLER EN GROUPE

Travailler par groupe est un moyen et non une finalité. Il se justi-


fie par les apports singuliers qui permettent la confrontation ou la
coopération. Placer les élèves par groupe s'entend à condition de res-
pecter plusieurs conditions:
- se mettre à plusieurs suppose que la tâche ne puisse être effectuée
de façon individuelle ou alors que le gain que chaque élève y trouve
est supérieur au gain apporté dans un cadre d'effectuation
individuelle;
- le groupe constitué a une durée déterminée, cette répartition
n'étant qu'une phase parmi d'autre d'une même séance. Les

180
LES STRATÉGIES D'ENSEIGNEMENT MISES EN ŒUVRE

élèves sont informés de la raison du dispositif, de la composition


du groupe et de la durée de son fonctionnement;
- tous les élèves ne tirent pas le même profit de la structure groupale.
Pour certains d'entre eux (aussi bien en maternelle qu'au collège)
le dispositif suppose une décentration et une disponibilité à l'autre
qui sont trop exigeantes pour leur niveau de développement. Le
rôle du professeur, médiateur et régulateur, est alors important
pour s'assurer du bon déroulement du dispositif.
Il existe différentes formes de regroupement possibles:
- le groupe de niveaux est couramment pratiqué dans les classes à
Différentes
cours multiples. Ce modèle, ancien, favorise le mutualisme entre formes de
élèves, notamment dans les classes uniques, les plus grands écoliers groupes
pouvant tutorer les plus jeunes lors de certaines activités;
- le groupe de besoins est plus transversal. Des élèves d'une même
classe ou de plusieurs classes peuvent être regroupés pour un temps
limité et une tâche précise dont chacun tire profit. Si la réalisation
est plus difficile dans le secondaire, compte tenu de la monovalence
des enseignants et de la difficulté à croiser les emplois du temps,
la polyvalence des professeurs du premier degré rend la pratique
plus facile. Les enseignants peuvent décider de regrouper les
élèves de plusieurs classes de cycle 3 pour un domaine (comme
la résolution de problèmes ou la production de textes écrits).
Chaque professeur prend en charge un groupe, en fonction des
besoins identifiés chez les élèves lors d'une évaluation prédictive.
La constitution des groupes varie au fil des évaluations formatives
pratiquées régulièrement.
Les échanges peuvent être productifs dès que les élèves travaillent
par deux, effectif minimum du groupe. La situation de dyade a été Le fonction-
particulièrement étudiée par l'équipe de Perret-Clermont et Nicolet nement
(2001) qui a mené des observations relatives à la conduite de cha- en dyades
cun des deux membres. Quatre modalités contrastées caractérisent le
fonctionnement en dyades (niveau d'école primaire pour une activité
de résolution de problèmes). Il est possible de les synthétiser dans le
tableau 6.4.

181
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

Tableau 6.4. Modalités collaboratives,


observées quand deux élèves travaillent ensemble
Élève A Élève B Remarques

1er mode de Il prend l'initiative Il écoute la propo- La collaboration est simplement


fonctionnement et élabore la solu- sition de A et lui acquiescante. Il n'y a pas de
tion. donne son accord. conflit de centration entre les
deux interactants.
2e mode de Il prend l'initiative Il poursuit l'action La collaboration est davantage
fonctionnement en commençant mais sans rien (ou partagée, cependant les deux
l'action. peu) changer à la élèves n'entrent pas en opposi-
modalité de A. tion cognitive.
3e mode de Il prend l'initiative Il manifeste son Il Y a opposition de points de
fonctionnement en commençant désaccord mais vue. Parfois A ne sait plus com-
l'action. sans faire de propo- ment continuer. Parfois A ne
sition alternative. prend pas en compte B et le
cheminement des deux élèves
devient parallèle.
4e mode de Il prend l'initiative Il y a désaccord L'opposition devient une
fonctionnement en commençant avec argument et/ confrontation qui peut alors
l'action. ou avec une propo- mener à un conflit de centrations
sition. de type sociocognitif.

Mettre les élèves par deux (et plus) n'est pas la garantie de produire
un conflit sociocognitif. De même, le conflit sociocognitif n'est pas la
seule source de confrontation ou de collaboration structurante. Dans
l'hypothèse d'un travail par deux, plus encore qu'avec un groupe à ef-
fectif plus important, il convient de respecter une proximité cognitive
entre les interactants, la zone de proche développement de Vygotski,
afin de ne pas transformer l'échange en dépendance.
Exemple de pratique respectant le rythme de l'élève
Un exemple de pédagogie respectant la différenciation - qui permet
à chaque élève de progresser à son rythme, sans stigmatisation vis-à-vis
de ceux qui ont plus de difficultés - est donné par le travail sur les in-
férences inductives, présenté par Britt-Mari Barth (1987, 1993).
Pour Barth, une «méthode pour apprendre» est un «modèle
pour comprendre». Ce qui est visé en situation d'apprentissage, c'est
la «compréhension conceptuelle d'un savoir ou d'un savoir-faire»
(1993). Pour l'auteur, qui qualifie son modèle de «modèle cognitif de
la médiation» fondé sur les travaux de Bruner et de Vygotski, toute si-
tuation pédagogique, indépendamment de son contenu peut se struc-
turer autour de cinq phases:

182
LES STRATÉGIES D'ENSEIGNEMENT MISES EN ŒUVRE

- transposer le savoir en fonction des besoins des élèves;


- permettre aux élèves de s'approprier le savoir, en choisissant la
forme la plus adaptée;
- amener l'élève à s'engager dans un processus de compré-
hension;
- appuyer la posture du professeur sur une interaction de
guidage;
- faire entrer le travail métacognitif permettant le réinvestissement
dans les objectifs.
Le modèle vise à ce que l'élève construise des concepts, à son ryth-
me propre, en interaction avec les autres. L'appropriation du concept,
à la fois processus et produit, est donc envisagée sous l'angle social. Le
La
langage joue un rôle important dans cette co-construction. méthode
Le concept s'exprime par un mot (ou une expression) qui coor- inductive
donne une pluralité de cas concrets identifiables par des attributs in-
variants qui le caractérisent. Le triangle (qu'il soit scalène, isocèle ou
rectangle) est un polygone à trois côtés. L'élève est conduit à dépasser
la simple dimension perceptive de l'objet, souvent assimilée à la for-
me prototypique (celle de la montagne). Pour permettre à l'élève de
construire le concept, Barth propose des mises en situation où l'élève
est confronté au savoir à travers des exemples (comportant un inva-
riant du concept ou de la notion travaillée) et des contre-exemples qui
ne contiennent pas d'attributs essentiels (tableaux 6.5 et 6.6).
Prenons le concept d'attribut du sujet. L'auteur considère que le
professeur doit en premier lieu choisir des exemples (contenant le
concept) et des contre-exemples (ne le contenant pas).

Tableau 6.5. Les exemples


dans le modèle des inférences inductives de Britt-Mari Barth
Exemples Commentaires
Éléonore est souriante. Présence du verbe être et accord adjectif/
Dimitri est souriant. attribut avec le sujet du verbe.
Les coureurs paraissent fatigués. L'attribut du sujet n'est pas seulement sous la
Le facteur semble malade. forme d'un adjectif.
Mon chien devient vieux.
Son oncle est commerçant.
Monsieur Philippe est un bon dentiste.

183
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

Tableau 6.6. Les contre-exemples dans le modèle


des inférences inductives
Contre-exemples Commentaires
Les élèves travaillent en silence. Les exemples et contre-exemples sont très
Éléonore a mal aux dents. proches sémantiquement ou dans la mise
Dimitri sourit. en scène des situations pour mieux amener
Le vieux chien a mordu le facteur. l'élève à différencier les aspects syntaxiques.
Le facteur ne passera pas aujourd'hui.
Son oncle a mangé un gâteau.
Monsieur Philippe, le dentiste, soignera
Dimitri.

Le professeur propose alternativement un exemple et un contre-


exemple. Il revient aux élèves de «mener l'enquête» pour identifier
la notion cachée dans les phrases. Ils émettent des hypothèses, les vé-
rifient ou les infirment en fonction de la succession des exemples et
contre-exemples donnés.
L'objectif n'est pas de «deviner» de quoi on veut parler mais de
construire une notion disciplinaire à partir des identifications effec-
tuées tout au long de la séance. Les élèves aidés par leur professeur co-
construisent un savoir nouveau: le verbe est particulier (verbe d'état) ;
il est suivi d'un adjectif, d'un nom ou d'un groupe de mots; ce mot ou
groupe de mots exprime une qualité ou un état du sujet; il a alors la
fonction d'attribut du sujet. Il est possible de travailler de façon diffé-
renciée, par groupe, en fonction des besoins des élèves: certains ayant
besoin de plus ou moins d'exemples.
En résumé, il est possible de rappeler que la pratique différenciée
du professeur s'inscrit dans une stratégie plus large de préparation de
la classe qui, au-delà des variables disciplinaires, peut mettre en lumière
plusieurs invariants pédagogiques.

Les invariants pédagogiques pour la préparation d'une séance visant


la découverte d'une notion
1. En amont: la préparation (travail du professeur)
- S'assurer de la maîtrise notionnelle.
- Analyser le savoir en jeu (composantes cognitive, logique, disciplinaire).
- Réfléchir à la situation de départ et aux situations proposées

Il. La phase d'apprentissage (travail d'interaction professeur-é/èves)


- Mettre les élèves en situation de recherche.
- Susciter le questionnement de l'élève.

184
LES STRATÉGIES D'ENSEIGNEMENT MISES EN ŒUVRE

- Mise en pratique des phases de différenciation (simultanée, successive) :


• temps de découverte, d'anticipation, de compréhension;
• temps de latence, de réflexion, d'inférence;
• temps de parole, d' d'échanges argumentatifs;
• temps d'écriture, de contrôle, etc.

III. En aval: le transfert (travail des élèves aidés par le professeur)


- Temps de réflexion sur le savoir, de mise à distance, de prise de conscience.
- Recherches de contextes possibles d'utilisation et d'adaptation de la notion
découverte.
- Construction d'outils individualisés que l'élève pourra utiliser dans les diffé-
rentes tâches ultérieures.

Il. VARIER LES ENTRÉES DE L'ÉLÈVE


DANS L' APPRE NTISSAG E

Howard Gardner dans L'Intelligence et l'École (1996) présente cinq fa-


çons d'entrer dans les apprentissages: il s'agit des entrées déductive et
logique, philosophique, inductive, narrative et esthétique. Ces divers
modes peuvent être utilisés au collège. Nous avons eu l'occasion de
travailler ces modalités avec des professeurs de plusieurs collèges.

L'ENTRÉE DÉDUCTIVE ET LOGIQUE

C'est le mode d'entrée le plus ordinaire: le professeur présente d'abord


la règle et ensuite les collégiens réalisent des exercices d'application.
Cette façon de faire suppose que l'élève ait avancé dans son dévelop-
pement intellectuel (ce qui est généralement le cas en classes de qua-
trième et troisième) et qu'il dispose de tous les outils qui lui permet-
tent d'abord de comprendre pour ensuite réussir. Or ce n'est pas ce
qui correspond le mieux, sur le plan psychologique, aux possibilités
des écoliers du cycle 3 comme des élèves de sixième et cinquième: il
est préférable de les mettre en situation de réussite pour qu'ensuite ils
amorcent la compréhension.
Ce mode d'entrée fonctionne pour l'essentiel sur le vieux modèle d'ap-
Un modèle
prentissage de la première moitié du xxe siècle: le modèle comportemen- comporte-
taliste. Certes, il est des contextes où cette entrée peut être utile, mais mentaliste
lorsqu'elle est le seul mode d'entrée dans les apprentissages, on s'aperçoit
que cette façon de procéder laisse beaucoup d'élèves hors de ceux-ci.

185
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

L'ENTRÉE PHILOSOPHIQUE
Gardner qualifie ce mode d'entrée de «fondateur», qui «favorise la
réflexion». Lipman (1988), aux États-Unis, essaie de développer chez
de très jeunes élèves, de 4 à 5 ans, des débats, des échanges autour de
thèmes qui sont rarement abordés en classe: la justice ou la mort par
exemple. Ce sont des thèmes tout à fait prégnants pour l'enfant. Gard-
ner dit que, dans un certain nombre de domaines, on peut aborder des
notions et des savoirs nouveaux en provoquant une réflexion, en ame-
nant les élèves à discuter. Cela nécessite une certaine maîtrise dans la
gestion de la classe, une bonne connaissance des élèves. Les nouveaux
programmes de 2002, concernant l'école primaire, sont implicitement
Favoriser la influencés par ce type de recherches, puisqu'il y est suggéré d'instaurer
réflexion
une demi-heure par semaine de «débat réglé» où un certain nombre
de problèmes sont évoqués, qui ne sont pas directement liés au travail
de classe mais davantage à la vie sociale. Ces nouvelles directives favo-
risent une pratique innovante, la discussion de type philosophique - il
s'agit d'apprendre à réfléchir et échanger et non d'étudier Descartes
ou Kant - qui peut être poursuivie au collège avant d'être formalisée
au lycée et plus précisément en terminale.

L'ENTRÉE INDUCTIVE
L'induction est ici comprise comme raisonnement inverse de la déduc-
tion. C'est la formulation d'hypothèses, selon la méthode scientifique:
on émet une hypothèse pour la vérifier par l'expérience. Si l'expé-
rience ne vérifie pas l'hypothèse, c'est que celle-ci est fausse et qu'il
faut la modifier ou en formuler une nouvelle. Il s'agit donc d'amener
les élèves à cette forme de travail.
Piaget (2001) a expliqué le phénomène de l'accommodation/assi-
milation. L'assimilation est ce que le sujet va s'approprier facilement
Accommo-
dation/
parce que l'apprentissage n'entre pas en opposition avec ce qu'il sait
assimilation déjà. L'accommodation, c'est quand le savoir nouveau entre en contra-
diction avec les représentations ou les schèmes de l'élève. Ce méca-
nisme est plus long et peut amener le sujet à passer par des phases
de rejet ou de refoulement, mais on constate que l'accommodation
permet des constructions plus stables. En outre, il y a des situations
pédagogiques qui vont favoriser l'accommodation et d'autres non.
Mettre les élèves en situation de recherche, et pas uniquement dans
les disciplines scientifiques, les conduire à émettre des hypothèses, à

186
LES D'ENSEIGNEMENT MISES EN ŒUVRE

les vérifier, à les expliquer aux autres élèves: ces actes professionnels
procèdent d'une démarche inductive.
C'est ainsi que les travaux de Britt-Mari Barth (1987, 1993) propo-
sent des activités où ce n'est pas le professeur qui donne la règle, mais
les élèves qui la découvrent. Nous en avons donné l'illustration, un
peu plus haut. Dans un tel dispositif, l'enseignant annonce aux élèves
qu'il ne va pas leur dire ce qu'ils vont apprendre, mais que c'est à eux
de le découvrir. Une telle façon de procéder peut déstabiliser. Le pro-
fesseur propose des éléments (dans notre exemple supra, en cours de
grammaire, des phrases) qui contiennent la notion à découvrir puis
d'autres éléments ne contenant pas le savoir nouveau. Il s'agit d'indi-
ces de différentes natures qui ont chacun leur importance. L'élève va
travailler sur l'analogie et l'opposition pour émettre des hypothèses.
Petit à petit, par validation ou réfutation des hypothèses énoncées, la
notion va se dégager. C'est l'élève qui va lui-même découvrir, construi-
re, s'approprier le savoir ou la notion nouvelle. Le professeur a un rôle
déterminant: il prépare et met en place la situation, il accompagne
l'élève dans sa réflexion, sans se substituer à son activité. L'entrée in-
ductive permet de construire des notions en impliquant l'élève, acteur
authentique de son apprentissage.

Un exemple de travail en sciences, à partir d'une méthode inductive


(Brown, 1975)
Il est intéressant d'amener les élèves à réfléchir à des questions absolument dés-
La
tabilisantes du genre de celle-ci qui peut être le point de départ d'une séance de méthode
sciences: «Dans la savane africaine, toutes les gazelles sont mortes, que vont de Brown
manger les guépards?)}
Une telle entrée s'avère un révélateur intéressant pour observer la réaction des
élèves dans une situation inattendue. Certains collégiens affirment que les gué-
pards doivent se mettre à manger de l'herbe. La réponse est pertinente puis-
qu'elle permet d'aborder la question de l'adaptation de l'organisme d'un être
vivant en fonction du contexte.
D'autres élèves, généralement les plus jeunes, répondent que les guépards n'ont
pas de chance ou qu'ils doivent être tristes. Ce registre de réponses indique une
centration excessive: les élèves vivent la situation à la place de l'animal, ils ont
de la difficulté à objectiver une question scientifique, à se décentrer de leur
vécu. Le professeur peut commencer par travailler sur la décentration, parce
que, tant que l'élève sera autocentré, sa progression sera limitée.
D'autres élèves, encore, envisagent la possibilité pour les guépards de se
déplacer et d'aller ailleurs.

187
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

La classification des réponses obtenues permet de dégager des pistes de


réflexion et d'amener les élèves à discuter entre eux, en argumentant. Une telle
situation est plus productive pour l'élève que l'écoute d'un cours magistral du
professeur sur la digestion. Les élèves vont non seulement se poser des ques-
tions sur la question mais, également, ils vont commencer à construire leurs
réponses. L'objectif de ce travail est de déstabiliser les collégiens, les prendre à
contre-pied, les obliger à se décentrer, à émettre des hypothèses, à y réfléchir
en les mettant à l'épreuve et à se poser les nouvelles questions auxquelles ils
n'avaient pas pensé par eux-mêmes.

L'ENTRÉE NARRATIVE
Ce mode d'entrée était rarement pratiqué. Il tend à se développer. Il
est des domaines où partir d'une histoire que l'on raconte peut aider
les élèves à s'engager dans une tâche. Les professeurs savent combien
il est compliqué d'enseigner l'histoire et la géographie à des élèves
de dix ou douze ans, parce que ces matières renvoient au temps et à
l'espace, repères dont la stabilité se construit lentement. Le fait de ra-
conter comment on vivait à une certaine époque, ce qui s'y passait, le
fait de mettre l'élève en contact avec des textes d'auteurs ou des écrits
de la période étudiée permet de jouer dans un registre plus motivant.
Appren-
tissage et Quand on demande à des enfants ce qu'est le Moyen Âge, leur
narration vient à l'esprit sa représentation classique: les rois, les châteaux forts,
les chevaliers. Cette représentation est réductrice car le Moyen Âge a
commencé avec les mottes féodales et s'est terminé avec les châteaux
de la Renaissance. De même, pour nombre de collégiens, le cheva-
lier représente la force, la puissance, l'argent. L'image est forte mais
souvent fausse. Pourtant, c'est bien souvent la réduction erronée que
l'élève mémorise. Dans un autre domaine disciplinaire, l'expérience
bien connue qui consiste à demander à des écoliers ou des collégiens
de tracer un triangle donne un résultat constant. C'est la forme consi-
dérée comme la plus typique, celle de la pyramide, qui émerge. En
classe de quatrième, un élève nous dit que, «dans le triangle, il y a
un seul sommet», proposition influencée par le sommet de la monta-
gne, autre représentation prototypique, longtemps utilisée en classe
comme représentation symbolique pratique. La typicalité, effet mas-
quant d'un objet qui occupe l'espace de toute la classe à laquelle il
appartient (comme l'aigle ou le pigeon représentent plus la classe des
oiseaux que la poule ou l'autruche), peut aider à construire un savoir,
en exemplifiant l'objet de la classe, mais peut aussi réduire la pensée.

188
LES STRATÉGIES D'ENSEIGNEMENT MISES EN ŒUVRE

Elle risque de se scléroser sur un seul aspect, tellement investi qu'il va


empêcher les représentations plus fines.
Aborder une situation d'apprentissage par la narration va permettre
de fixer ou de consolider un certain nombre de notions. Nous avons,
par exemple, rencontré un professeur qui, dans ses classes de collège,
a abandonné le cours magistral sur la lutte entre Capétiens et Plantage-
nêts pour la maîtrise de l'Europe occidentale. En revanche, il a choisi
de «raconter» l'histoire d'Éléonore d'Aquitaine, deux fois reine, qui,
à 60 ans, parcourait l'Europe à cheval, croisant loups et brigands, pour
recueillir l'argent de la rançon nécessaire à libérer son fils Richard
Cœur de Lion, prisonnier en Autriche. La narration suscita, de la part
des élèves, un intérêt tout nouveau pour la période.
L'entrée narrative est un mode d'entrée en apprentissage, ce n'est
pas l'apprentissage en lui-même. Ce qui est intéressant dans cette ap-
proche est que l'élève soit confronté à un récit. L'enseignant fait ren-
trer l'élève dans un univers, l'amène à se poser des questions, à effec-
tuer des constats qui le poussent à s'interroger, à s'apercevoir qu'il n'a
pas toutes les réponses. Il est alors conduit à approfondir, à rechercher,
à faire des liens. C'est à partir de cette amorce que l'élève entre vrai-
ment dans l'apprentissage.

L'ENTRÉE ESTHÉTIQUE
Une dimension que connaissent bien les professeurs d'art plastique Appren-
ou de musique est celle que Gardner qualifie d'entrée esthétique. Il tissage
est certain qu'amener les élèves au musée est souvent compliqué: ils y et art
vont rarement de manière spontanée. Cependant, pour aborder cer-
tains aspects de l'histoire de France, notamment ce que fut la Renais-
sance, un tableau comme La Bataille de San Romano de Paolo Uccello,
dont l'un des trois éléments du triptyque se trouve au Louvre, permet
une entrée d'une grande pertinence. Nous avons pu mener ce type de
travail et nous apercevoir que, par l'observation guidée du tableau, les
élèves vont construire des connaissances. Ils découvrent, par exemple,
l'importance du cheval, dont on a oublié aujourd'hui le rôle détermi-
nant qu'il a tenu pendant des siècles. Comment le cheval est-il pictu-
ralement traité par Uccello? On s'aperçoit que sa représentation n'est
pas une reproduction du réel: il y a, par exemple, un cheval à cinq pat-
tes dans ce tableau! Pourquoi donner une telle importance au cheval?
Certaines évidences d'adultes -le cheval animal de guerre mais aussi
de travail- échappent aux élèves. En outre, à partir de cette œuvre,

189
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

toute une exploitation plastique est possible tant l'esprit du tableau du


peintre florentin du xve siècle est proche de celui de la bande dessinée
du XXI e • Enfin on peut amener les élèves à s'interroger sur le fait que
ce tableau est, en réalité, un volet d'un triptyque. Pourquoi peindre
sur un triptyque? Où sont les deux autres parties (à Londres et à Flo-
rence) ? Pourquoi ne sont-elles pas réunies?
L'entrée esthétique, par les tableaux, par la littérature ou par la mu-
sique, recèle des opportunités pédagogiques multiples. Le Guernica de
Picasso dit toute la souffrance de la guerre d'Espagne. Les musiques de
jazz et les chansons de blues permettent d'aborder l'histoire et l'éco-
nomie des États-Unis. Le Horla de Maupassant permet de comprendre
la complexité de la personnalité humaine. Etc.

III. UTILISER UN DISPOSITIF MICROGÉNÉTIQUE

Par dispositifs microgénétiques nous entendons tout dispositif susceptible


La verba-
d'amener l'élève à verbaliser. Ils sont «micro» en ce qu'ils concernent
lisation
de l'élève un élève particulier pour une tâche donnée et «génétiques» par le fait
qu'ils visent à faire émerger la genèse des procédures mises en place
par le sujet, pour résoudre la tâche donnée. La verbalisation est alors
inséparable du travail effectué, elle est provoquée à distance, une fois
que l'exécution d'une tâche est finie.

PRATIQUE PÉDAGOGIQUE ET PAROLE DE L'ÉLÈVE


Le langage oral
La psychologie reconnaît quatre activités langagières de base: écouter,
parler, lire et écrire. Les professeurs des classes élémentaires considè-
rent souvent que la construction du langage oral est affaire de l'école
maternelle et, qu'en conséquence, la «grande école» doit se consacrer
aux tâches, supposées plus nobles, de l'écrit. Pour beaucoup d'élèves,
le travail sur l'oral, dans les deux figures de l'écoute et de la produc-
tion, est nécessaire, tant leurs constructions sont laborieuses et fragiles.
Il est utile de saisir toutes les occasions qui permettront à l'élève de
verbaliser, les instructions ministérielles de 2002 rappelant aux ensei-
gnants que le langage oral a statut de moyen de communication et
qu'il est aussi objet d'étude.
Les psycholinguistes qui ont étudié la question (notamment Florin,
1991 ; Karmiloff et Karmiloff-Smith, 2003) rappellent les conditions

190
LES STRATÉGIES D'ENSEIGNEMENT MISES EN ŒUVRE

essentielles de la production de parole: qu'elle soit partageable par le


groupe et structurante pour l'individu.
-le partage consiste, dans le cadre de la collectivité que constitue
la classe, à socialiser les échanges: prendre l'habitude d'écouter
le locuteur sans l'interrompre, lui poser des questions, contre-
argumenter, etc. ;
-la structuration se fonde sur la ritualisation de la demande et de
la distribution de parole, sur la qualité expressive qui vise à se faire
comprendre des pairs, sur la capacité du locuteur à développer,
expliquer etjustifier son propos, à formuler des phrases complètes
(ne pas répondre seulement par oui ou non), etc. Si, au contraire, la
parole n'offre aucun relief, si elle n'accroche aucune oreille, si elle
ne porte aucune information, si elle n'incite à aucun échange ni ne
provoque aucune demande de développement, si elle n'intéresse
personne d'autre que le propre locuteur, alors l'activité relève plus
de l'occupationnel verbal ou de l'alibi de production orale. Dans
un tel cas, le verbe est dénué d'intérêt social, de profit cognitif, il
est appauvri et se dévalorise.
Il est à noter que la parole produite par l'élève en classe peut s'ins- Divers
crire dans plusieurs registres: registres de
parole
- le cognitif se rapporte à la verbalisation concernant
l'apprentissage des savoirs;
-le social concerne la communication et les échanges impliquant
la personne dans le groupe;
-le domaine privé n'est pas directement sollicité en classe, mais la
sphère individuelle n'est jamais loin des préoccupations de l'élève.
Sur ce dernier point, le professeur peut être amené à accueillir
une parole privée, cependant, n'étant pas psychologue, il lui est
difficile de proposer une réponse en retour. L'écoute peut être
nécessaire mais l'orientation de l'élève vers d'autres spécialistes ou
la sollicitation par le professeur d'un avis autorisé est conseillée.
Pour porter les divers registres de parole, plusieurs dispositifs co-
existent:
-le quoi de neufoù chacun peut s'exprimer sur un thème souvent
en lien avec le vécu direct (l'observation montre que ce type de

191
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

dispositif peut s'avérer contre-productif dans le cas où la parole est


la propriété des mêmes élèves) ;
-le conseil de coopérative ou l'assemblée d'élèves, qui permet de faire
le point régulièrement sur les problèmes de fonctionnement et de
relation entre élèves;
- les débats scientifiques qui sont l'occasion de confrontations
entre écoliers à propos de leurs représentations, sur un thème
directement en prise avec l'apprentissage;
- les moments d'aide individualisée, de soutien ou
d'accompagnement pouvant se traduire par des entretiens cognitifs,
entre professeur et élève.
Dans la perspective synthétique qui préside à cet ouvrage nous re-
tenons une modalité facilitant l'émergence du verbe de l'écolier, celle
du débat entre élèves, dans le domaine scientifique. L'entretien cogni-
tif sera présenté plus loin.

Le débat scientifique entre élèves


Le débat est pratiqué, de façon très variable, selon les classes, sous des
Débat
scientifique formes diverses comme le débat réglé, le débat à visée philosophique
et enjeux (présenté plus haut, à partir du travail de Lipman) ou le débat scienti-
de savoir fique. Il existe également des expériences de débats, menées dans des
champs disciplinaires qui s'y prêtent, comme les mathématiques ou
l'histoire. La présentation qui suit concerne le débat scientifique tel
que présenté chez Michel Fabre (1999) ou Christian Orange (2001).
La finalité du dispositif est d'amener les élèves à travailler par grou-
pe sur un thème lié à l'apprentissage. Le professeur ne fait pas un
cours au sens traditionnel: les écoliers cherchent dans la documenta-
tion à leur portée, livres et documents de la BCD, informations prises
sur internet, pour construire leur nouvelle connaissance. Ils sont re-
groupés par trois ou quatre pour conduire ces recherches et élaborer
un système d'explication pour la question qui leur est posée. La pre-
mière production de parole se développe dans le groupe restreint où
se négocient des enjeux de savoir pouvant conforter ou contredire les
représentations de tel ou tel membre. Dans un second temps, les grou-
pes mettent en commun leurs recherches, chaque groupe présentant
ses travaux à l'ensemble de la classe.
Le premier aspect que revêtent ces échanges est lié à la controverse
entre élèves: chaque groupe présente sa thèse, les autres groupes pou-

192
LES STRATÉGIES D'ENSEIGNEMENT MISES EN ŒUVRE

vant ensuite développer une objection voire une antithèse. Le second


aspect du débat est lié au rôle du professeur. Selon Fabre (op. cit.) ,
l'enseignant remplit plusieurs fonctions distinctes qu'il est possible de
repérer:
- une fonction de cadrage par rappel des contraintes de la
verbalisation et du respect des règles de communication; Rôle du
- une fonction d'émergence, permettant la formulation des professeur
réponses, incitant ou régulant selon la nécessité;
- une fonction de positionnement, visant à faciliter la mise en
lumière des ressemblances et des différences entre les différents
exposés;
- une fonction de critique en usant d'un questionnement qui
cherche à déstabiliser les représentations, à avancer des suggestions
alternatives: l'idée de susciter le conflit cognitif chez l'élève
apparaît alors clairement;
- enfin une fonction de reconstruction: les questions que le
professeur peut être conduit à poser permettent l'édification
cohérente d'une représentation nouvelle. Le professeur est le
garant de la qualité scientifique des propos qui
en fin de séance.
L'émergence de la parole, quel que soit le dispositif choisi, impli-
que deux conditions principales: pas de jugement sur la production
(il y a d'autres moments pour cela) et maîtrise par le professeur des
savoirs enjeu, afin d'être en mesure d'en proposer une transposition
didactique permettant aux élèves d'être confrontés à des situations
réellement structurantes.

L'ENTRETIEN COGNITIF À ViSÉE D'APPRENTISSAGE (ECA)

Les raisons du dispositif d1entretien avec fé/ève


Mettre en mots son activité est une façon, pour l'élève, de la placer à
distance et de mieux la comprendre. Cependant, ce recul n'est pas une
conduite spontanée de l'enfant. Comme pour la production d'écrits, la
verbalisation est provoquée à l'initiative du professeur. Celui-ci, attentif
à la manière dont l'élève engage ses apprentissages, invite l'écolier à
produire des traces écrites lorsqu'il est en situation de tâche. Pourtant,
celles-ci s'avèrent limitées et il est nécessaire d'installer un autre dispo-

193
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

sitif afin de mieux identifier les stratégies. Provoquer la verbalisation


de l'élève s'inscrit alors dans un double objectif:
- d'une part, permettre au professeur de comprendre les
procédés de l'élève, ce que la seule observation de l'écolier
travaillant ou celle de ses traces écrites offre de façon limitée;
- d'autre part, permettre à l'élève de prendre conscience de ses
procédés afin de les modifier si nécessaire.
Le modèle d'entretien cognitif à visée d'apprentissage (ECA) que
nous avons élaboré (Perraudeau, 2002) se comprend comme un dispo-
sitif de prévention de la difficulté, utilisable en classe primaire comme
secondaire, soit en petit groupe, soit individuellement, au cours d'ac-
tivités différenciées.

Les principes
Il est nécessaire d'amener les élèves à se rendre compte que «dire» va
permettre de produire de la clarté, d'établir un peu de lucidité dans
la pensée et dans le fonctionnement. Combien de fois, lorsqu'un élève
se trompe, dans une situation tout à fait banale, et que le professeur
lui demande de relire son écrit, il va le lire et, en lisant, il va dire: «Ah
oui, je me suis trompé! ». Parfois, le simple fait de mettre en mots,
c'est-à-dire de mettre à distance, déclenche une première lucidité.
Cependant, parler, au-delà de paroles convenues, suppose tout
d'abord que l'on soit en situation de confiance. L'élève ne pourra par-
Être en
situation de ler, il n'aura envie de s'engager verbalement, que s'il est en confiance.
confiance La classe constitue un environnement, offre un climat de confiance,
c'est-à-dire que l'élève sait qu'il peut dire ce qu'il a à dire sans qu'il y
ait les moqueries des pairs ni le jugement du professeur. Le temps de
la verbalisation n'est pas celui de l'évaluation. Il y a des temps d'évalua-
tion, qui suivent tout apprentissage, mais ils sont clairement identifiés.
La verbalisation appartient à la phase de recherche, de construction,
pas à celle du jugement.
L'enseignant provoque d'autant mieux les mots de l'élève qu'il est
à son écoute. Le type de dialogue employé, semi-directif, suppose que
l'intervieweur a une hypothèse qui sert d'architecture aux échanges,
même si ceux-ci ne sont pas prévus ni prévisibles à l'avance. Cette hy-
pothèse passe à travers un questionnement qui est adaptateur, c'est-
à-dire que le professeur est en capacité de s'adapter à ce que va dire
l'élève. Ici réside une difficulté: suivre en même temps le fil de son

194
LES STRATÉGIES D'ENSEIGNEMENT MISES EN ŒUVRE

idée et être en capacité de le quitter dès lors que l'élève produit de


l'inattendu. Le questionnement adaptateur (au sens d'Altet, 1997) il-
lustre la compétence paradoxale qui allie rigueur et disponibilité dans
la conduite des échanges.
L'entretien fait suite à une tâche effectuée, dans un domaine de
savoir précis, que le professeur maîtrise. Le dialogue se conduit plu-
sieurs jours après la tâche. D'une part, en raison de la nécessité de
ne pas ajouter un stress supplémentaire (s'entretenir avec un adulte)
à un premier stress (réaliser une tâche) ; d'autre part, afin de confé-
rer au travail effectué un statut revalorisé. En situation de classe, les
apprentissages se succèdent, en raison des programmations, sans que
l'enseignant ait toujours l'opportunité de s'arrêter ou de revenir à un
travail plus ancien. C'est aussi une façon de faire savoir à l'élève que
ce qu'il a fait est important et mérite que l'on y revienne pour mieux
le comprendre.
L'ECA prend son origine dans l'entretien critique, dont la méthodo- Origine de
logie a été mise au point par Piaget. La parole provoquée peut être de l'entretien
type descriptif lorsqu'il s'agit de resituer l'activité dans sa chronologie, cognitif
mais elle est prioritairement de type argumentatif. L'objet consiste à
conduire l'élève vers la prise de conscience de ses stratégies. Les ques-
tions conduisent à une élucidation des causalités de l'action engagée,
or, dans la perspective piagétienne, raisonnement causal et prise de
consciences sont totalement liés (Piaget, 1974). Pour amener l'élève
à identifier les raisons de la mise en œuvre d'une procédure, le ques-
tionnement vise à produire l'explication, lajustification, l'argumenta-
tion. Ces conduites verbales, qui demeurent tributaires du niveau de
langage et de réflexion des élèves, cherchent une origine à l'action et
une relation causale aux procédures engagées.
La suggestion alternative est un moyen utilisé pour apprécier la vali-
dité d'une réponse ou d'un argument avancé par l'écolier. Il s'agit de
déstabiliser l'élève, pour voir s'il s'agit d'un argument de conformité
ou bien si c'est vraiment un engagement propre. L'enfant peut répon-
dre uniquement à partir de ce qu'il pense que l'adulte attend de lui. Il
importe alors de vérifier la parole, de provoquer un conflit sociocogni-
tif en évitant cependant que cela entraîne un blocage.
Si la posture de tutelle est plus orientée vers l'intervention de
l'enseignant au côté de l'élève et si celle de médiation se caractérise
par davantage de distance, alors le professeur praticien de l'ECA est
médiateur. De ce fait, il considère différemment le rôle de l'élève.

195
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

Celui-ci est novice pour une tâche à laquelle il a peut-être échoué, mais
il a, en revanche, l'expérience des procédés qu'il a utilisés. Le ques-
tionnement s'appuie sur l'idée que l'élève détient une part du savoir
exprimable mais non exprimée. Le rôle du médiateur consiste à en
favoriser l'émergence, à condition que l'écolier se sente suffisamment
en confiance pour verbaliser: le médiateur fait alors preuve d'empa-
thie en manifestant à l'élève qu'il comprend ses difficultés et reconnaît
sa part d'expertise.
La nature du contrat, didactique ou expérimental, est importante
à dégager, pour une clarification de la place de chacun des interac-
tants. Le contrat qui va s'établir gagne à être mis en mots au début du
Le contrat
expéri- dialogue (et même bien avant, dans toute relation pédagogique). Il
mentai ne s'agit pas d'une conduite naïve reposant sur l'idée que «tout» dire
permettrait «d'enseigner mieux», mais il s'agit d'une conception de
la pratique appelant à clarifier les enjeux, y compris, et surtout, dans
leurs aspects contradictoires. Guy Brousseau (1992) rappelle que le
contrat didactique est «l'ensemble des comportements (spécifiques) du
maître qui sont attendus de l'élève et l'ensemble des comportements
de l'élève qui sont attendus du maître », en situation habituelle d'en-
seignement-apprentissage. Maria-Luisa Schubauer-Leoni (1986) parle
de contrat expérimental pour définir les relations qui ne relèvent pas
du contrat didactique, principalement lorsque l'adulte intervenant,
tout en appartenant à l'institution, n'est pas l'enseignant titulaire de
la classe. Dans le cas du contrat expérimental, il n'est pas question
«d'organiser sciemment un apprentissage» au sens de la relation ha-
bituelle professeur-élève, mais plutôt d'observer ou d'aider, en dehors
des contraintes inhérentes à la classe (programmation, évaluation ... ).
Ce type de contrat, pour se différencier du didactique, peut concerner
les maîtres spécialisés des RASED tout autant qu'un enseignant avec
un groupe d'élèves d'une classe autre que la sienne, dans le cadre d'un
décloisonnement, par exemple.

Les modalités de mise en œuvre et illustrations


Nous avons, dans d'autres publications (notamment Perraudeau, 1998,
2002), précisé les modalités pratiques présidant à la mise en place de
l'ECA en contexte scolaire. Nous y présentons, également, la manière
dont il est possible d'analyser la parole de l'élève. Ce choix résulte
du fait qu'il est important d'objectiver la compréhension de la parole
obtenue afin de ne pas jeter ses propres représentations dans le dis-

196
LES D'ENSEIGNEMENT MISES EN ŒUVRE

cours de l'élève. Nous enregistrons les entretiens, les transcrivons et les


étudions à l'aide d'outils d'analyse de discours (travail, par exemple,
sur les relations disjonctives et sur la présence des modalités épistémi-
ques).
En illustration, voici deux courts extraits d'ECA dans deux domai-
nes disciplinaires contrastés: les mathématiques et la géographie.
Premier extrait d'ECA, en mathématiques

Il s'agit d'une élève de CM2, qui n'a pas utilisé la multiplication pour calculer un
produit simple mais a préféré additionner. Est-ce à dire qu'elle n'a pas compris
la structure multiplicative et n'établit pas les relations entre les deux espaces de
mesure (objets et prix) ?
9. [...] On va revenir sur un problème pour lequel je voudrais que tu me dises
comment tu as fait. [...]
10. Donc moi j'ai fait 59 plus 59 égale 118.
11. Pourquoi 59 plus 59 ?
12. Parce que comme il a acheté 2 lots, eh ben ça fait 59 + 59.
13. Est-ce que tu aurais pu faire une autre opération pour trouver?
14. 2 fois 59.
15. Est-ce que ça fera la même chose comme résultat?
16. Oui.
17. Pourquoi n'as-tu pas écrit 2 fois 59?
18. Bah, les additions c'est plus facile que les multiplications.
19. Ah oui, c'est plus facile. Et si au lieu d'acheter 2 lots, il avait acheté 25 lots?
20. Là j'aurais fait 25 fois 59, c'est plus simple.
21. Qu'est-ce qui est plus simple?
22. Parce que l'addition c'est plus compliqué.
23. Oui mais ce n'est pas plus facile d'additionner?
24. Ah non pas quand il y en a trop.
25. Qu'est-ce que ça veut dire «quand il y en a trop}) ?
26. Beh, je sais pas moi... plus que 10.
27. Tu veux dire que quand les quantités sont plus grandes que 10, tu multi-
plies?
28. Oui. [...]

Commentaires de l'extrait 1 : les échanges permettent de mettre en


lumière le fait que l'élève identifie (et peut-être maîtrise) la structure
multiplicative, contrairement à l'hypothèse que l'on pouvait formuler
à partir de son seul résultat écrit puisqu'elle avait noté une addition.

197
lES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

L'ECA, dont l'extrait ici est représentatif, consiste à poser des ques-
tions à l'élève pour le faire progresser dans sa réflexion, mais sans in-
duire ce que le professeur a envie d'entendre:
- il n'y a pas de jugement sur ce que dit l'élève, il ne s'agit pas de
lui indiquer qu'elle a tort ou raison;
-la relance par reprise des termes utilisés par l'élève assure la
continuité des échanges, sans détour de sens ni rupture (tours de
parole 21 ou 25) ;
- la suggestion alternative, consistant à élargir ou à énoncer
un point de vue différent de celui de l'élève, permet de vérifier la
stabilité de l'opinion de celui-ci (tour 19) ;
-la verbalisation ne se contente pas de provoquer une description
par l'élève de son action, mais elle vise à élucider les raisons de
cette action: le questionnement est explicatif (<< Pourquoi ... » :
tours Il et 17). C'est une façon d'atteindre les causes de l'intention
de l'élève;
- enfin, il ne faut pas hésiter à reformuler ce qu'énonce l'élève
afin de s'assurer que c'est bien ce qu'elle voulait dire (tour 27).

Second extrait d'ECA, en géographie


Un élève de CM 1 n'a pas construit la notion de fleuve qu'il confond avec celle
de rivière. Le but de l'entretien cognitif, dont deux extraits sont donnés, est de
l'amener à construire ce savoir, sans le faire à sa place.
1. Pour toi, qu'est-ce qu'un fleuve?
2. C'est une rivière en plus grand.
3. Est-ce que c'est pareil un fleuve et une rivière?
4. Non.
5. Pourquoi?
6. Parce que le fleuve est très grand.
[... ]
[Sur une carte, il repère l'Orne qu'il qualifie de rivière.
Vérifiant sur le dictionnaire, l'élève note que l'Orne est un fleuve.]
31. Ils disent que c'est un fleuve.
32. Pourquoi est-il marqué que c'est un fleuve?
33. Ils se sont peut-être trompés?
34. Comment savoir?
35. Chercher dans un autre dictionnaire.
[La seconde recherche donne la même définition.]
36. Alors, pourquoi est-il marqué que c'est un fleuve?

198
LES STRATÉGIES D'ENSEIGNEMENT MISES EN ŒUVRE

37. Je sais pas.


38. Qu'est-ce qui est pareil entre la Seine, la Loire et l'Orne?
39. Ça peut pas être la longueur... Je sais pas.
40. Comment peux-tu savoir?
41. Si vous me le dites ou si je demande à mon père.
[... ]
Commentaires de l'extrait 2 : dans ce cas, la connaissance est ancrée à
un ancien modèle d'explications (début d'entretien). La connaissance
se fonde sur la perception: ce qui est «grand» s'appelle fleuve, ce qui
est «petit» se nomme rivière. Cependant, on note que le processus
d'accommodation s'installe progressivement. La représentation pre-
mière est déstabilisée (présence de «je sais pas», à partir du tour 37),
mais la représentation scientifique n'est pas encore installée.
La conservation de la notion en jeu n'est pas acquise lorsque les
arguments logiques (identité, compensation, réversibilité) ne sont pas Bénéfice
avancés par l'enfant. Il y a chez cet élève une évolution, un passage de
qui s'opère progressivement d'une connaissance ancienne à un savoir l'entretien
nouveau: l'ECA favorise le passage vers la conceptualisation.

Les apports de fECA


Les apports de l'ECA concernent principalement deux domaines:
- pour l'élève: ce dialogue constitue une aide au cheminement
vers la conceptualisation, surtout pour ceux qui échouent dans
les situations habituelles de travail écrit. De plus, l'élève est
placé dans une conduite de recherche. Le fait que le professeur
propose des suggestions alternatives, qu'il fasse varier les registres
sémiotiques (supports écrits, imagés, symboliques) oblige l'élève
à la décentration et facilite la coordination de nouveaux points
de vue extérieurs. La verbalisation devient alors un mode de
compréhension par l'élève de ses procédures et, dans le cas de leur
inadaptation à la situation, impulse la recherche de procédés plus
adaptés;
- pour l'enseignant, il convient de redire que celui-ci doit
maîtriser la structure du savoir en jeu et être en capacité
d'identifier les opérations logiques sous-tendant l'exercice. Il lui
est aussi nécessaire de mettre en mots le contrat didactique liant
les interactants : dire ce que l'on attend du dialogue, vérifier que
l'élève soit d'accord et reconnaître à l'écolier sa part d'expertise.

199
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

Tableau 6.7. Les composantes du modèle d'entretien cognitif


à visée d'apprentissage (ECA)
Composante cognitive Composante verbale Composante sociale
Phase de maÎtrise Mode de communication Modèle de médiation
- Maîtrise de la didactique du - Questions sur un mode prin- - Le professeur médiateur
domaine de savoir cipalement adaptateur est intermédiaire entre élève
- Maîtrise des structures logi- - Questionnement de type: et savoir
ques et des fonctions cogni- question/réponse/relance (la - L'élève dispose d'une com-
tives engagées par l'élève relance est ici demande de pétence propre à laquelle le
en situation de résolution de précision, de justification...) médiateur accède par empa-
tâche thie
Phase de diagnostic Type de parole provoquée Mode de contrat
- Conception d'une classe de - Parole éventuellement des- - Contrat didactique (média-
tâches pour évaluer l'élève criptive mais principalement teur principalement en posi-
- Conception d'une grille (à explicative tion d'accompagnant)
partir des tâches) d'analyse - Différencier les usages du - Contrat expérimental
des procédés comment et du pourquoi (médiateur principalement
- Réalisation, par l'élève, - Le professeur peut énoncer en position d'observateur ou
d'une autre tâche de la même des suggestions alternatives professeur autre que le titu-
classe, devenant support de - Il respecte les silences laire habituel)
l'entretien

Entretien cognitif à visée


d'apprentissage (ECA)

Le médiateur L'élève
Il accroît ses connaissances: Il accroît ses connaissances:
- sur l'identification et la compréhension des - sur ses propres difficultés;
procédés de l'élève; - sur le savoir expert et sur le panel des pro-
- sur la manière d'aider l'élève à mettre en cédures dont il dispose (ou ne dispose pas
mots ses procédures, afin de l'accompagner encore) pour y accéder.
à les modifier ou en changer.

200
LES STRATÉGIES D'ENSEIGNEMENT MISES EN ŒUVRE

La mise en œuvre d'un ECA dans la relation enseignement-apprentis-


sage peut se faire de façon informelle, en collectif, lors d'une séquence,
par quelques échanges rapides. Elle peut aussi prendre place lors de
séquences d'accompagnement plus personnalisées, durant lesquelles le
professeur s'occupe plus précisément d'un élève ou d'un petit groupe,
tandis que les autres effectuent un travail en autonomie. Dans tous les
cas, il s'agit d'un dispositifvisant à faciliter l'élucidation des stratégies de
résolution, dont tirent profit les différents interactants.

Résumons-nous
Aider un élève lorsqu'il rencontre un obstacle est un acte de remédia-
tion, mais n'est-il pas plus utile de prévenir, d'anticiper l'obstacle pour agir en
amont ? C'est sur le terrain de l'activité du professeur, de ses stratégies dans
le quotidien de sa classe, que le chapitre propose de réfléchir.
Un point important qui est abordé concerne la façon de faire cours. La leçon
« classique» - exposé du professeur, écoute des élèves puis exercices d'ap-
plication - a montré ses limites. Le chapitre propose des modes d'entrée
alternatifs. Ils sont illustrés d'exemples vécus sur le terrain.
Autre point développé, celui de la mise en mots par l'élève de son activité.
Ce type d'entretien (l'ECA, entretien cognitif à visée d'apprentissage), qui suit
la réalisation d'une tâche par l'écolier ou le collégien, a un double objectif: la
verbalisation permet au professeur de mieux comprendre les procédés que
l'élève a mobilisés; elle aide l'élève à mieux comprendre ce qu'il a fait et,
donc, facilite les modifications.

Ce mode d'entretien cognitif est plus facile à mettre en œuvre qu'il y paraît
a priori. Il est pourtant nécessaire, pour qu'il soit structurant, de respecter
quelques conditions: le professeur aménage, dans son emploi du temps,
un moment de disponibilité pour certains élèves ; l'élève est parfaitement
au courant des enjeux de l'entretien (pas de jugement mais une recherche
de compréhension mutuelle); les questions de l'enseignant amène l'élève à
décrire son activité mais aussi et surtout à l'expliquer; si l'objet est d'amener
l'élève à parler, le professeur gagne à privilégier l'écoute... ce qui est loin
d'être une pratique enseignante habituelle!
7
Peut-on enrichir les stratégies
d'enseignement?

Est-il envisageable d'aider les enseignants à enrichir leur répertoire de


stratégies d'enseignement? Le professeur déploie en permanence des
stratégies, lesquelles font l'objet de réflexion et de régulations constan-
tes, pour s'adapter au contexte d'exercice. Plusieurs sources alimen-
tent la conduite réflexive de l'enseignant.
Le premier élément de cette réflexion convoque la notion de pos-
ture du professeur dans l'interaction avec les élèves. Il développe des
procédures, fondées sur le guidage, mais quelle forme prend celui-
ci : s'agit-il de tutelle, au sens de la collaboration professeur-élève, ou
s'agit-il de médiation, plus distanciée?
Le deuxième élément concerne la capacité à mettre à distance sa
pratique, d'en partager avec des collègues les aspérités et les moments
qui font problème, afin de les analyser. C'est la question de l'analyse
de la pratique professionnelle qui est ici évoquée.
Le troisième élément concerne les professeurs et leur formation,
qu'elle soit initiale ol,;t continue. Est-il possible de les aider, de façon
dédramatisée et ludique, à envisager de nouvelles stratégies? Un dis-
positif novateur, présenté dans ces pages, semble le montrer: il s'agit
de réfléchir sur des simulations très proches de la réalité pour mieux
en cerner la complexité, tout en l'objectivant.
Ces trois éléments sont très directement en prise avec la formation
du professeur - aussi bien PE que PLC, PLP ou CPE -, nous dirons un
mot de cette dimension dans la conclusion.

203
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

1. CLARIFIER LA POSTURE DU PROFESSEUR ·


LA MÉDIATION ET LA TUTELLE

Les sources de difficultés liées au contexte d'apprentissage sont nom-


breuses. Leur trait unificateur est la non-identification par le profes-
seur du fait qu'une démarche mal pensée, un exercice anodin mais
inadapté ou une parole mal comprise peut entraîner, chez l'élève, des
répercussions insoupçonnées engageant l'apprentissage dans une im-
passe alors même que son potentiel cognitif, structural comme pro-
cédural, est a priori réel. C'est cette réflexion sur la posture de l'ensei-
gnant que nous abordons dans cette partie, consacrant une part du
développement aux deux figures du guidage de l'interaction, souvent
confondues: la médiation et la tutelle.

L'EFFET-MAÎTRE
Les études montrent que pour des populations identiques, dans des
conditions similaires, plusieurs maîtres dont on analyse les effets de
l'enseignement ne parviennent pas tous à faciliter l'apprentissage
Les compé- de leurs élèves avec la même efficience. Cette variabilité des condui-
tences du
tes pédagogiques est particulièrement sensible auprès d'élèves fragi-
professeur
les ou en difficulté. C'est ainsi que Chauveau (2000) est parvenu à
dégager les caractéristiques professionnelles de ceux qu'il nomme
«maîtres réussissants» en zone d'éducation prioritaire, pour les
classes de CP.
Selon lui, les caractéristiques que réunissent ces maîtres experts,
particulièrement aptes à engager les élèves dans des apprentissages
structurants, sont au nombre de quatre.
- ils manifestent une compétence éthique: travailler dans une classe
de CP, en ZEP, est une décision choisie et non subie. Ce choix
correspond au fait que ces enseignants postulent une éducabilité
de leurs élèves, majorée par la posture de médiateur ou de tuteur
qu'ils déploient;
- ils développent une compétence didactique: leur méthodologie du
écouter-parler-lire-écrire est rigoureusement pensée. Ils maîtrisent
les savoirs langagiers en jeu, dans leur épistémologie comme dans
leur transposition, et disposent de stratégies de mise en place,
modulables et différenciées, adaptées aux besoins identifiés chez
leurs écoliers;

204
PEUT-ON ENRICHIR LES STRATÉGIES D'ENSEIGNEMENT?

- ils font preuve d'une compétence organisationnelle: l'orga-


nisation de la classe, des conditions de travail dans ses composan-
tes de gestion de temps et d'espace, est structurée. Ils savent créer
les conditions tout à la fois exigeantes et chaleureuses. Les situa-
tions susceptibles de devenir anxiogènes sont dédramatisées. Les
emplois du temps sont aménagés pour faciliter les regroupements
nécessaires;
- ils disposent d'une compétence sociale: ces maîtres sont disponibles
pour rencontrer les familles, favoriser la communication. Ils sont
attentifs aux représentations de l'école que les parents peuvent
développer, surtout ceux qui en sont culturellement éloignés.
Ces quatre caractéristiques mettent en évidence une double néces-
sité institutionnelle. D'une part, il est nécessaire qu'existe une forma-
tion initiale de haut niveau qui engage le stagiaire à conquérir une
identité professionnelle structurée et pensée. D'autre part, il est tout
aussi utile qu'existe une formation continue qui accompagne et réflé-
chisse la pratique quotidienne pour maintenir la confiance et transfor-
mer l'expérience en expertise.

LE STYLE D'ENSEIGNEMENT DU PROFESSEUR


L'effet de la pratique de l'enseignant sur l'apprentissage de l'élève
est un facteur déterminant. Comme l'élève développe une conduite Les carac-
cognitive qui lui est propre, l'activité professionnelle de l'enseignant téristiques
dépend d'un certain nombre de critères qui constituent son «style pé- des com-
pétences
dagogique ». de l'ensei-
Pour Marguerite Altet (1993), ce style s'articule autour de trois com- gnant
posantes:
- la composante cognitive: il s'agit des traits cognitifs de l'enseignant.
On trouve les mêmes caractéristiques que celles définies pour les
conduites cognitives des élèves (chapitre 2) : dépendance et in-
dépendance à l'égard du champ, impulsivité-réflexivité, produc-
tion-consommation, etc. Comme pour les élèves, ces conduites
n'enferment pas le professeur dans un comportement unique.
Elles sont variables, évolutives, contextualisées. La connaissance,
par l'enseignant, de son mode de fonctionnement paraît impor-
tante afin d'éviter que ne s'installe une trop grande différence avec
les conduites cognitives observées chez les élèves;

205
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

- la composante relationnelle: sous cette expression est groupé l' en-


semble des modes de gestion de la relation enseignant-élèves, dont
l'aspect le plus perceptible est la composante verbale. Il est désor-
mais admis que la communication verbale est un élément déter-
minant des processus d'enseignement-apprentissage. Cependant, il
n'est pas certain que toutes les pratiques donnent la même impor-
tance aux échanges. La communication peut être réduite, comme
ces cours dialogués où les échanges se résument à un questionne-
ment alibi, généralement fermé, le professeur n'attendant qu'une
seule réponse de la part de l'élève. À l'inverse, la communication
peut être très ouverte, la conduite du professeur étant suffisamment
souple pour permettre à l'élève de s'exprimer sans contrainte;
- la composante didactique: il s'agit des choix méthodologiques ef-
fectués par le professeur. Donne-t-il plus d'importance au processus
ou au produit? Accorde-t-il plus d'attention au savoir ou aux straté-
gies d'apprentissage? Parvient-il à harmoniser ces domaines et non
à les opposer? Les réponses sont souvent complexes. L'époque des
grands mouvements de pédagogie moderne, s'opposant aux sys-
tèmes traditionnels, s'est estompée. Il est vrai qu'ils n'ont pas per-
mis d'éviter certaines pesanteurs de fonctionnement, certaines con-
tradictions fortes, comme ces « textes libres» que les élèves devaient
rédiger à heure fixe!
Il ne s'agit pas, pour ces différents domaines, d'établir des normes
de la conduite enseignante, mais davantage de permettre à chacun de
s'interroger sur son propre mode de fonctionnement. Ceci permet de
se rendre compte que le clivage classique entre enseignant «tradition-
nel» et enseignant «moderne» n'est peut-être plus une opposition qui
fait sens. Il conviendrait alors de s'interroger sur la capacité de dispo-
nibilité et d'écoute réelle du professeur, quelle que soit la théorie qui
inspire sa pratique professionnelle.

LA POSTURE INTERACTIVE DU PROFESSEUR: MÉDIATION OU TUTELLE

Accompagner l'élève dans la mobilisation de ses procédures suppose


de développer une pratique où l'enseignant est disponible et attentif à
l'écolier. La posture de simple répétiteur et de transmetteur de savoir
a laissé place à des conduites interactives de guidage. Dans le cadre
de l'enseignement-apprentissage, l'interaction est ce qui se joue entre
deux interactants : celui qui apprend (l'élève) et celui qui l'assiste dans

206
PEUT-ON ENRICHIR lES STRATÉGIES D'ENSEIGNEMENT?

l'apprentissage (le professeur). L'assistance du professeur envers l'élè-


ve est une question pédagogique sans cesse renouvelée qui varie selon
un ensemble de paramètres: l'époque, la demande institutionnelle,
le contexte (enseigner en école ou en collège, en mathématiques ou
en histoire, ne sont pas identiques), la style du professeur (son point
de vue pédagogique, ses choix didactiques, ses conduites cognitives
peuvent varier de l'un à l'autre), l'objectif (une séance de découverte
ou de consolidation sont des variables importantes), etc.
Les conduites interactives de guidage se traduisent le plus fréquem-
ment par les postures de tutelle ou de médiation. Ces termes, proches
au point d'être fréquemment confondus, ne recouvrent pourtant pas
la même réalité enseignante. Les recherches sur la question de la tu-
telle et de ses effets, sur la médiation, sur l'expertise de l'enseignant
tuteur ou médiateur, sont nombreuses. En voici quelques-unes, fon- Vygotski et
l'interaction
dées, pour certaines, sur un travail de synthèse, coordonné par Dumas
Carré etWeil-Barais (1998).

Le modèle de Vygotski
Vygotski postule que l'apprentissage s'effectue de l'espace social vers
l'espace mental du sujet. La première étape est celle de la régulation
interpersonnelle (interaction à l'environnement, facilitée par l'inter-
médiaire social), la seconde étant celle de la régulation intra-indivi-
duelle. Espace social puis espace mental.
Si le psychologue biélorusse n'insiste pas sur les outils de l'interac-
tion ni sur les modalités de ses apports, il présente le langage dialogi-
que comme élément fondamental dans l'étape de guidage pour per-
mettre la progression du novice à l'intérieur de sa propre zone de
développement cognitif.
Dans cette optique, l'engagement concret de l'adulte (communi-
cation, démonstration, modélisation) vis-à-vis du novice, dans le ca-
dre d'une activité visant son développement cognitif, pourrait être
considéré comme caractérisant une posture de guidance. La finalité
de cette conduite reste l'autonomie du sujet socialisé dans ses actes
d' apprentissage, car «un processus interpersonnel se transforme en
un processus intrapersonnel : chaque fonction apparaît deux fois
dans le développement culturel de l'enfant d'abord entre individus
(interpsychologique) et ensuite dans l'enfant (intrapsychologique) »
(Vygotski, 1985).

207
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

Les travaux de Winnykamen


Pour Winnykamen (1998), l'interaction de tutelle suppose la dissy-
métrie entre interactants, l'implication des partenaires dans la tâche,
l'aide du tuteur. L'auteur donne une précision sur chacun des trois
points.
La dissymétrie est davantage liée aux compétences lorsqu'il s'agit d'in-
teraction entre pairs. Elle est davantage fondée sur le statut lorsqu'il
s'agit de la relation enseignant-élève. La relation éducative est, par es-
sence, dissymétrique, ce qui peut être difficile à dépasser pour certains
élèves. Nous avons montré au chapitre 6 que la situation d'entretien
cognitif permet de réduire la dissymétrie et restaure chez l'élève une
dimension d'expertise qui rééquilibre la relation.
L'implication et l'intérêt des interactants sont une nécessité: l'ob-
jectif de l'un est d'apprendre tandis que l'autre se donne l'objectif de
L'inter-
faire apprendre. En complément du point précédent, nous pouvons
action de préciser que le professeur, dont la tâche est d'enseigner, apprend lui
tutelle aussi sur le fonctionnement de l'élève, à partir de ce que ce dernier
peut lui dire lors des échanges.
L'aide comporte différents degrés selon qu'il s'agit d'un apport plus
ou moins important à la réalisation de la tâche. L'auteur ne dissocie
pas nettement la tutelle de la médiation, mais il semble que ces deux
modes interactifs se distinguent justement par le degré d'aide mis en
œuvre par le professeur.
Winnykamen (op. cit.) fait également la distinction entre deux for-
mes de travail à deux: la dyade expert-novice et la dyade tuteur-novice.
Selon elle, «l'expert devient tuteur s'il prend conscience de son rôle et
se met en mesure de faire progresser le novice ». Dans une étude sur
les institutrices de maternelle aidant spontanément leurs élèves dans la
réalisation d'un puzzle, elle relève plusieurs catégories d'interventions
caractérisant la tutelle:
- recentration de l'élève sur la tâche (désignation d'une pièce
par pointage) ;
- guidage dans la progression de la tâche (indication de la pièce
nécessaire) ;
- aide au dépassement d'un obstacle (suggestion de change-
ment) ;
- aide à la gestion procédurale (indication d'une autre straté-
gie) ;

208
PEUT-ON ENRICHIR LES STRATÉGIES D'ENSEIGNEMENT?

- maintien de la relation (encouragements) ;


- implication de la maîtresse dans la relation (disponibilité).
Ces catégories sont assez proches des caractéristiques identifiées par
Bruner et présentées plus bas. Elles désignent clairement ce qu'est la
tutelle dans le cadre singulier de l'école maternelle, à une période
où l'enfant n'est pas encore totalement élève et où il dépend encore
beaucoup de l'adulte.

Les travaux de Wertsch


Ces recherches sont relatives aux dyades d'enfants, dont l'âge varie
entre 2 ans 6 mois et 4 ans 6 mois, en interaction avec leur mère, pour
une tâche de réalisation d'un puzzle.
Wertsch (cité par Winnykamen, 1998) distingue quatre étapes:
-l'enfant est incapable de tirer profit des indices verbaux de sa
mère car il ne perçoit pas les rapports entre indices et situation;
-l'enfant comprend les indices quand ils sont formulés de façon
explicite;
- le passage des régulations externes aux régulations internes.
Il y a compréhension des directives implicites, mise en place d'une
autorégulation, prise en charge progressive de la tâche;
-l'enfant assume la responsabilité de la tâche. La mère approuve
et encourage les initiatives de l'enfant.
Dans une dimension dialogique qui n'est pas éloignée de celle de
Vygotski, l'interaction verbale n'a de sens que parce qu'elle aboutit à
«une coopération avec soi-même », sanctionnant le passage d'un es-
pace verbal à caractère social à un «espace mental».

Les travaux de Vandenplas-Holper (cités par Winnykamen, 1998)


Il s'agit de la gestion par l'adulte des activités tutorielles des enfants. Il
y a donc deux niveaux dans l'interaction: l'adulte qui régule l'activité
du groupe d'enfants et les enfants qui travaillent par groupe de trois.
Les sujets travaillent en triade: il y a un enfant non conservant, un
enfant intermédiaire et un enfant conservant. Le fait d'être conservant
signifie que l'enfant a construit le schème sollicité. Dans l'expérience,
c'est un schème permettant de se déplacer et de se repérer dans l'es-
pace. L'adulte assure la fonction de régulation des échanges au sein
de la triade. La dissymétrie de compétence (et non de statut) permet

209
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

au plus «expert» des enfants d'assister ceux qui le sont moins. C'est
une conduite qui est rarement spontanée chez le jeune enfant. Le rôle
essentiel de l'adulte est alors d'inciter les enfants àjustifier leur point
de vue ou à se corriger mutuellement. Ses interventions de guidage
sont classées en quatre catégories:
- reformulation et explications;
- invitation à l'expression et à l'explication;
- suggestion de déplacement (pour changer de point de vue et
prendre en compte celui du partenaire) ;
- rappel de l'attention et encouragements.
Le langage tient ici, aussi, un rôle fondamental aussi bien dans
l'étayage entre enfants que dans la régulation adulte-enfants. La possi-
bilité et la qualité de la mise en mots interviennent fortement dans ces
interactions emboîtées.

Les travaux de julo


JeanJulo distingue la tutelle spontanée de la tutelle experte. Son hy-
La tutelle
experte pothèse de départ est que «les tuteurs-experts n'existent pas a priori
et qu' [... ] n faut d'abord les "fabriquer"» (1998). Il est à noter que la
notion de « tuteur-expert» renvoie à celle de «tuteur efficace» présen-
tée par Bruner, pour qui le tuteur efficace maîtrise la tâche et donc
dispose d'une théorie de la tâche et d'une théorie des procédures de
l'élève.
La définition de la tutelle adoptée par Julo est identique à celle de
Bruner.Julo la définit d'ailleurs comme «un cas particulier de la mé-
diation ». Selon lui, la tutelle est un soutien, une aide qui contribue à la
réussite de la résolution de la tâche entreprise et à la maîtrise «au plan
du fonctionnement cognitif, des différents aspects de la situation ».
Il cerne plusieurs conditions pour la mise en œuvre d'une tutelle ex-
perte:
-la tâche présentée est étudiée et analysée;
- le tuteur est un expert de la tâche;
- il a aussi expérimenté la posture de tuteur pour cette tâche.
Donc, un enseignant n'est pas a priori un expert des interactions
de tutelle: «il a appris à expliquer mais pas à aider; il sait comment
exploiter une situation à des fins d'institutionnalisation mais il ne sait
pas agir dans une logique constructiviste.»

210
PEUT-ON ENRICHIR LES STRATÉGIES D'ENSEIGNEMENT?

Il rappelle que Bruner lui-même remarque que, dans une situation


d'expérience où l'action de tutelle est codifiée, le tuteur novice (qui,
paradoxalement peut être un enseignant expérimenté) «finit par
transgresser les règles en offrant plus d'aide que prévu» et probable-
ment plus que nécessaire. La tutelle risque alors de devenir de l'assis-
tanat qui dépouille le tutoré de toute initiative et peut l'enfermer dans
un schéma de routines proche du comportementalisme.

Le point de vue de Dionnet


Dionnet (1998) a étudié la manière dont la tutelle et la médiation
sont présentes en formation d'enseignants. Pour lui, il convient, en
premier, de se méfier de l'utilisation des termes et du «poids des mots
et des non-dits dans la relation pédagogique» :
-la tutelle renvoie à la «mise sous tutelle» (sorte de dépendance
infantilisante) et induit que les rapports maître-élèves sont
fortement hiérarchisés;
-la médiation (et la fonction de médiateur) induit un rapport
plus équilibré.
Pour Dionnet, la dimension d'interaction savoir-tâche-élève-profes- Former les
seur donne une importance nouvelle au sujet et peut minorer la place professeurs
du savoir. En tout état de cause, elle implique de la part du médiateur, à la tutelle
si ce n'est le recours, du moins la connaissance d'apports théoriques
et d'outils conceptuels extérieurs aux disciplines d'enseignement
«comme la psychologie, la sémiologie, la linguistique ». De même, la
constante référence aux diverses formes du constructivisme doit être
interrogée.
Il existe pour lui un modèle d'interaction de tutelle: c'est l'entre-
tien critique piagétien (que nous avons présenté dans le chapitre 6,
sous le titre «Les dispositifs microgénétiques») dont le chercheur dit
qu'il permet de «rendre l'élève médiateur de lui-même».
L'idée est que celui qui sait (l'adulte) vise à amener le sujet à réflé-
chir, se comprendre, prendre conscience de ses procédés et des raisons
de la mobilisation de ces procédés-là et non d'autres. Cela sans jamais
lui apporter de réponse, nijuger ni évaluer ce qu'il dit
Contrairement à Dionnet pour qui l'adulte est tuteur, nous disons
que, dans ce contexte, il nous semble davantage médiateur, car, si
l'élève apprend de lui, il apprend aussi de l'élève. Les échanges sont

211
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

structurants pour les deux interactants et ils ne sont pas fondés sur la
performance: on s'attache aux processus et non aux produits.
La contre-suggestion ou suggestion alternative joue un rôle de dés-
tabilisation du point de vue du sujet. Elle passe non par l'adulte mais
par la présentation par l'adulte du point de vue différent d'un tiers
absent (celui d'un autre élève).
Pour Dionnet, il y a nécessité, dans le cadre de la formation des
enseignants, de réfléchir à ces nouveaux rapports d'interaction liant
les maîtres à l'élève: introduction de nouveaux apports conceptuels
indispensables à la compréhension de l'élève résolvant sa tâche; in-
troduction de modèles d'interaction sous forme de dispositifs verbaux
tels les entretiens de type critique.

La posture de tutelle
Bruner et la
La figure du tuteur a été, clairement, décrite par Bruner (1983) à par-
tutelle tir de la fonction d'étayage : «entreprise de collaboration à travers la-
quelle on aide l'enfant à se développer». Les six fonctions de la tutelle,
définies par le psychologue américain (op. cit.) , sont:
- l'enrôlement du sujet dans la tâche, où il s'agit pour le tuteur de
susciter l'intérêt et la motivation chez le tutoré;
- la réduction de la difficulté vise à supprimer les obstacles qui
ne sont pas nécessaires à l'apprentissage et risquent de le rendre
artificiellement difficile;
- le maintien de l'orientation ou le rappel par la mise en évidence
du but de la tâche et des sous-buts qui y mènent;
- la signalisation des caractéristiques cherche à donner les
informations complémentaires utiles à la réalisation de la tâche;
- le contrôle de la frustration vise à maintenir l'intérêt et la
motivation qui risquent de s'émousser en fonction de la difficulté
rencontrée par l'élève;
- la démonstration est la reprise par l'enseignant de ce que dit
l'élève pour produire une exécution.
Il ressort de cette description que la tutelle au sens brunérien, que
chacun s'accorde à admettre comme définition efficiente, est un étaya-
ge marqué par la présence active de l'adulte au côté du tutoré, lors de
la réalisation de sa tâche.

212
PEUT-ON ENRICHIR lES STRATÉGIES D'ENSEIGNEMENT?

La posture de médiation
À la lumière de ces différents travaux, on se rend compte que la dis-
tinction médiation-tutelle n'est pas immédiate. Pour de nombreux
auteurs, elle n'est pas envisageable, puisque l'une est soit variante soit
sous-partie de l'autre. En revanche, pour Weil-Barais et Dumas Carré
(dans Dumas Carré et Weil-Barais, 1998), le médiateur est intermé-
diaire entre l'univers des connaissances et des pratiques scientifiques,
d'une part, et les élèves, d'autre part. Dans le cadre des activités scien-
tifiques, et notamment des débats, le professeur est médiateur quand il
permet que «s'instaure un accord sur des propositions, des procédés,
des conceptualisations, des modes de schématisation et d'écriture, des
modes de validation, etc.» (Dumas Carré et Weil-Barais, op. cit.).
En se situant dans ce cadre, à la différence du tuteur, le professeur mé-
diateurinstalle une «stratégie de prévention ». Il n'intervient pas avec Le
l'élève dans l'activité engagée: il reste à distance. Il est garant du pas- professeur
sage du savoir en acte ou du savoir-faire vers la conceptualisation, sus- médiateur
citant l'émergence du savoir-dire comme dynamique de passage vers la
conceptualisation. Nous retenons cette distinction pour caractériser la
médiation et la différencier de la tutelle sous un double aspect: dans
sa forme (distance du médiateur vis-à-vis du sujet) et dans son objet
(intervention sur les conditions du rapport au savoir et non sur l'exé-
cution de la tâche). La lucidité sur l'adoption, par le professeur, d'une
de ces deux postures contrastées - tutelle marquée par la présence ou
médiation marquée par la distance - apparaît comme appartenant aux
conditions pour un accompagnement structurant et expert (voir notre
recherche à paraître) .
Tutelle et médiation sont deux figures de l'interaction. Elles ne
s'opposent pas mais il convient que le professeur les distingue et en
informe les élèves. Dans une situation classique de mise en travail des
élèves par groupes, les conditions de cette modalité sont à préciser. Le
professeur passe-t-il de groupe en groupe (position de tutelle) ou lais-
se-t-illes élèves rechercher seuls pendant un temps dont il précise la
durée (position de médiation) ? Est-il possible que les élèves lui posent
des questions durant cette phase de travail et qu'il y réponde (position
de tutelle) ou bien est-il seulement observateur qui n'intervient pas
ni ne répond aux questions à propos de la tâche (position de média-
tion) ? Les deux postures se justifient d'un point de vue pédagogique,
elles interviennent selon l'objectif du professeur. Il privilégie la tutelle
s'il souhaite accompagner pas à pas les élèves dans une découverte

213
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

pour laquelle il considère qu'ils risquent d'être en échec s'ils agissent


seuls. Il adopte une posture de médiation s'il souhaite laisser les élèves
échanger et confronter leurs points de vue, sans interférer. Il lui faut
avoir réfléchi à sa posture pour ensuite l'expliquer aux élèves afin de
les engager dans le travail en connaissant bien les conditions de la réa-
lisation. Le tableau 7.1 synthétise les caractéristiques des deux figures
interactives.

Tableau 7.1. Tutelle et médiation: points communs et différences


Les points communs Les distinctions
Mode d'interaction destiné La tutelle La médiation
à susciter l'intérêt et les Présence collaborative mar- Position de distance du média-
échanges chez les élèves. quée par la présence du teur qui observe les élèves
Avant la tâche, préparation de tuteur lors de la réalisation travailler. Il reste garant du
la situation de recherche et de la tâche. déroulement.
suppression des obstacles qui Le tuteur intervient à propos Le médiateur peut encou-
s'avèrent inutiles. de la tâche, donne des infor- rager mais il n'intervient pas
Après la tâche, reprise par mations, répond aux ques- à propos de la tâche engagée.
l'enseignant de ce qu'ont dit tions pendant que les élèves Il reprend la parole (liée à l'ac-
les élèves: phase d'institu- réalisent l'activité. tivité) seulement lorsque les
tionnalisation. élèves ont terminé.

Qu'elle soit inspirée par la médiation ou par la tutelle, la posture du


Tutelle et
médiation professeur s'inscrit dans ce que Lemmel (2000) identifie comme les
démarches préventives. Selon la recherche qu'il a conduite, centrée sur
le champ mathématique, les modalités suivantes, si elles étaient géné-
ralisées dans les classes, pourraient éviter une grande part des échecs:
inciter les élèves à rechercher plusieurs solutions au problème; étudier
la validité des procédures engagées dans telle ou telle solution; multi-
plier les supports de présentation des solutions; habituer l'élève à ver-
baliser; analyser systématiquement les erreurs et non les repousser.
Dans une telle perspective, guider l'élève dans ses apprentissages
c'est lui permettre de s'équiper du panel le plus diversifié possible de
procédures et lui offrir l'habitude de les discuter, soit entre pairs soit
avec le professeur.

214
PEUT-ON ENRICHIR LES STRATÉGIES D'ENSEIGNEMENT?

Il. ANALYSER LA PRATIQUE · LE MODÈLE DE LA


MÉDIATION CRITIQUE

L'analyse des pratiques enseignantes est une démarche qui vise à ques-
tionner l'action du professeur, qui cherche à identifier les composan-
tes de cette action pour leur donner du sens afin qu'il soit en capacité
de les modifier, en fonction des contextes d'exercice, sans cesse renou-
velés. Comprendre la pratique professionnelle de l'enseignant s'op-
pose aux anciens schémas de formation, portés par la reproduction
ou l'application à l'identique de leçons modèles. Avant de présenter
le dispositif de la médiation critique, dressons un petit panorama des
modèles existants.

LES DIFFÉRENTS MODÈLES D'ANALYSE DES PRATIQUES


Il existe plusieurs dispositifs d'analyse, inspirés de théories diverses.
Ces modèles, lorsqu'ils sont utilisés en formation initiale, à l'IUFM,
aussi bien qu'en formation continue, se retrouvent autour de quelques
préalables à leur mise en œuvre :
- importance de la parole du stagiaire ou du support (écrit,
enregistrement audio ou vidéo) à partir duquel se conduit
Analyser sa
l'analyse; pratique
- nécessité de respect, de confiance, de confidentialité entre
interactants;
- absence de jugement et d'évaluation de la part du groupe de
pairs;
- règles acceptées par le groupe et garanties par l'animateur;
- succession de phases dans le déroulement de la séance,
succession qui n'est pas toujours la même selon les modèles, mais
qui différencie le temps de l'exposé, le temps des questions, le
temps de la compréhension;
- stabilité du groupe de participants et régularité des
rencontres.
Précisons encore un point, commun à la grande majorité des mo-
dèles : l'analyse de pratique se distingue du conseil pédagogique, elle
n'est pas davantage un lieu de thérapie.
Il serait audacieux de présenter une liste ou une typologie de mé-
thodes qui, pour certaines, demeurent d'une étonnante stabilité, tan-
dis que d'autres évoluent et se modifient au fil des années, au gré des

215
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

pratiques, en fonction de la personnalité des animateurs. L'exhausti-


vité en ce domaine est, pour la présentation que nous en faisons dans
cet ouvrage, un objectif totalement inatteignable. Pour un traitement
très complet de la question, le lecteur peut se reporter au rapport ré-
digé sous la direction de Richard Wittorski (2003) à propos des dispo-
sitifs d'analyse de pratiques mis en œuvre à l'IUFM de Bretagne. Autre
grande source d'informations: le site internet personnel de Patrick
Les raisons
de l'analyse Robo, formateur à l'IUFM de Montpellier (probo.free.fr) qui accueille
des de nombreuses contributions sur la question et est régulièrement re-
pratiques mis àjour.

L1analyse comme constituant essentiel d1une formation


professionnalisante
L'analyse de pratique est considérée, par ceux qui la mettent en place,
comme le moment essentiel de la formation initiale des professeurs.
Marguerite Altet (2000) considère que ce qui se joue dans ces grou-
pes est au-delà de la conversation entre pairs, que ce qui s'y vit n'est
pas «un simple échange autour des pratiques ni une confrontation de
points de vue ». Elle caractérise le dispositif d'analyse autour des trois
points suivants:
- il est finalisé: la construction de l'identité professionnelle
passe par le développement d'une conduite réflexive sur les
comportements et compétences mis ou à mettre en œuvre dans la
pratique quotidienne;
- il est accompagné: le formateur, considéré comme expert, est en
capacité d'émettre des hypothèses sur la situation rapportée par le
stagiaire, de l'analyser, d'amener l'intéressé et le groupe de pairs
vers la recherche de pistes d'actions alternatives;
- il est instrumenté: des «savoirs outils », des éléments de théorie,
aident à analyser et à comprendre les situations évoquées. Ils
permettent d'orienter le travail d'analyse soit vers une dimension
didactique, soit vers une dimension pédagogique, soit vers une
approche plus subjective et clinique.
Les modèles présentés à la suite ne sont bien évidemment pas ex-
clusifs d'autres modes de fonctionnement. L'observation sur le terrain
montre que de nombreux modèles «mixtes» existent, les formateurs
adaptant un modèle au contexte de formation, aux stagiaires auxquels
ils s'adressent et à leurs propres références théoriques.

216
PEUT-ON ENRICHIR LES STRATÉGIES D'ENSEIGNEMENT?

Le GEASE (groupe d'entraÎnement à l'analyse des pratiques)


Dans ce modèle, le cadrage est très prégnant. Il se compose de quatre
temps successifs (Fumat, Vincens et Étienne, 2003). L'exposition consis-
te en la prise de parole par un narrateur, sans qu'il soit interrompu,
et trouve, très souvent, son origine dans «un trouble, un malaise, une
difficulté professionnelle ». L'exploration est un temps où les membres
du groupe, une dizaine en général, relancent ou posent des questions
au narrateur pour l'amener à préciser un aspect du récit. L'interpréta-
tion est le moment où le groupe formule des hypothèses visant à faci-
liter l'élucidation; le narrateur n'a plus la parole, il écoute le groupe
échanger. La réaction consiste à redonner la parole au narrateur qui
peut alors réagir aux hypothèses émises.
Les stagiaires ayant vécu un GEASE ont des points de vue assez tran-
chés sur le modèle. Pour certains participants, le cadre rigoureux est
une sécurité nécessaire à la prise de risque que constitue la prise de
parole, alors que pour d'autres, le carcan est considéré comme trop
rigide.

Le Soutien au Soutien
Plus adapté aux professeurs ayant terminé leur formation initiale, sans
pour autant y être réduit, ce modèle a été développé par Jacques Lé-
vine (Lévine et Moll, 2001). Tout autant que l'enseignant en difficulté,
le dispositif a pour objet l'élève en souffrance. Le Soutien au Soutien
(S au S), regroupe exclusivement des participants volontaires. Il se
déroule, le plus souvent, en quatre temps: la narration, «transfert au
groupe de l'échec infligé à la logique de l'adulte par l'échec de l'en-
fant»; les interventions des autres participants afin de rentrer dans la
logique mise en mots; la recherche du modifiable en fonction des écarts
constatés; l'interrogation de l'adulte« au travers du miroir du groupe sur
ses modes de fonctionnement professionnel».
La référence psychanalytique (notamment à Winnicott) se traduit,
entre autres, par le fait de travailler les associations libres à partir de la
narration, ainsi que par la disponibilité et l'écoute de l'animateur qui
peut être un psychanalyste.

Le GAPP (groupe d'analyse de pratiques professionnelles)


Il s'agit du modèle présenté par Patrick Robo et mis en œuvre à Mont-
pellier (voir le site internet mentionné plus haut). Comme dans les
autres modèles, l'animateur régule la rencontre qui, ici, se déroule en

217
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

six temps distincts. Le démarrage est l'occasion d'un rappel des règles
et du choix de la situation qui sera travaillée. La narration est faite par
un des participants volontaires. Les questions des autres participants
permettent de préciser l'exposé. Les hypothèses sont ensuite émises,
visant à comprendre la situation exposée. La conclusion est formulée
par le narrateur, au terme des étapes précédentes. Une mise à distance
termine la séance, précisant ce qui s'y est dit, les difficultés qui ont été
soulevées et/ou levées.
Selon Robo, les GAPP «ne sont pas des groupes de résolution de
problème, ni d'échange de pratiques, ni de conseils (donnés), encore
moins de thérapie».

Quelques autres modèles référentiels


Les GAP (groupes d'approfondissement professionnel) créés dans les
années 1975 par André de Peretti, inspirés, pour une part, des théories
de Rogers et tournés vers la résolution de «problèmes professionnels»
à partir de l'exposé d'un participant.
Les groupes d'inspiration Balint, tels que ceux initiés par Claudine
Blanchard-Laville (voir, par exemple, Blanchard-Laville et Fablet,
2001), qui situe ses sources théoriques également chez un autre psy-
chanalyste, Reznik, et dont la pratique s'inscrit dans ses recherches sur
le fonctionnement psychique des professeurs.
L'analyse subjective est un dispositif mis en œuvre par Yves de La
Monneraye, psychanalyste et formateur à l'IUFM de Nantes. Pour lui,
enseigner engage le professeur dans le double processus de parole et
d'écoute. L'analyse de la pratique est alors un dispositif permettant à
la parole de se dire et surtout aux pairs de l'écouter avant de réagir.
À côté de ces modèles, d'inspiration clinique, il faut ajouter les dis-
positifs qui utilisent d'autres supports que la parole, citons pour illus-
tration le travail d'analyse à partir d'écrits, qu'il s'agisse de monogra-
phies, de récits biographiques ou de journaux de bord.
Analyse pédagogique, didactique, réflexive, subjective, clinique, les
modèles sont tellement nombreux qu'il est difficile de les recenser
tous. Nous présentons maintenant le modèle que nous pratiquons aus-
si bien avec des professeurs débutants en formation continue qu'avec
les futurs maîtres E, en formation ASH.

218
PEUT-ON ENRICHIR LES STRATÉGIES D'ENSEIGNEMENT?

L'ANALYSE DE LA PRATIQUE PROFESSIONNELLE


PAR LA MÉDIATION CRITIQUE

En ce qui concerne le modèle que nous présentons ici et compte tenu


de la polysémie des mots employés dans le titre, notre premier travail
consiste à interroger chacun de ces termes. Nous pouvons poser qua-
tre questions, qui définissent les quatre parties de cette présentation:
- comment peut-on définir la pratique d'enseignement?
- qu'est-ce que la médiation?
- en quoi une médiation peut-elle être critique?
- comment conduire une telle analyse?

CONCEPTION DE LA PRATIQUE D'ENSEIGNEMENT

Prémisses théoriques
La construction des connaissances procède de l'interaction du sujet
avec le milieu. Le milieu est l'environnement humain autant que le
monde des objets et des savoirs (voir notamment Piaget, 1993; Vygotski,
1985; Perret-Clermont, 2001). La connaissance se fonde sur la com- Analyse et
préhension, par le sujet, de l'interaction engagée grâce aux schèmes médiation
mobilisés (Vergnaud, 1990). La verbalisation des procédures, exactes
ou erronées, est un élément déterminant de cette compréhension. Le
procédé inadapté, ou erreur, est un indicateur qui peut s'avérer une
source structurante de l'apprentissage.
L'enseignant crée des situations pour engendrer des déstabilisations
cognitives, pour inciter l'élève à interroger la réalité et à la conceptua-
liser, pour qu'il interagisse avec ses pairs. Il est aussi en capacité d'iden-
tifier l'activité cognitive de l'élève, d'analyser les procédures mises en
œuvre, de reconnaître les besoins et les difficultés qui émergent.
Il lui est nécessaire de développer une maîtrise des savoirs et sa-
voir-faire enjeu, de développer aussi une conduite d'empathie (dispo-
nibilité, écoute, dédramatisation des situations d'apprentissage) qui
facilite la mise en mots, de développer encore une réflexion critique
sur sa pratique, ses effets et ses limites.

Les dimensions de la pratique


Compte tenu de ces prémisses, le professeur peut interroger plusieurs
dimensions de sa pratique.
La première est relative à la façon dont il met en place des tâches
structurantes pour amener l'élève vers l'appropriation du savoir et sa

219
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

conceptualisation. La question renvoie aux compétences pour le pi-


lotage des situations d'enseignement-apprentissage. Les indicateurs
Les
situations peuvent être relatifs à :
d'ensei-
gnement-
-la nature de la tâche, la maîtrise du savoir, son inscription dans
appren- une progression;
tissage -la place de la tâche dans la séquence et son niveau d'activation
cognitive;
- le rôle des pairs et celui du médiateur lors de la réalisation de
la tâche.

Le mode
La deuxième concerne le mode communicationnel privilégié par le
communi- professeur, dans son interaction avec les élèves. L'interaction est com-
cationnel prise dans sa dimension sociale (position de place, empathie) comme
dans sa dimension langagière (questionnement, suggestion alterna-
tive). Les échanges peuvent concerner les points suivants:
- le mode de communication (inducteur, adaptateur, autre)
privilégié par le professeur (Altet, 1994) ;
- les stratégies pour amener l'élève à mettre en mots son
expérience et son expertise (Perraudeau, 2002) ;
- l'empathie comme réduction de la dissymétrie inévitable du
rapport de places (Kerbrat, 1998).
La troisième dimension relève de l'identification et de la prise en
L'erreur
compte de l'erreur de l'élève. La question porte sur les besoins de
l'élève (et la mise en place possible de pratiques différenciées), ainsi
que sur la manière dont les erreurs sont mises à profit pour permettre
à l'élève de progresser. Plusieurs possibilités se présentent au profes-
seur:
- il ignore l'erreur de l'élève;
- HIa prend en compte et la corrige;
- il la prend en compte et conduit l'élève à sa régulation (soit en
le questionnant, soit en lui proposant de reprendre la situation avec
un pair, soit en lui proposant une nouvelle situation, etc.).
Les professeurs stagiaires rencontrent ces questions lors de leur pra-
tique en responsabilité (PE) ou en alternance (PLC). Elles peuvent
être débattues en groupe, soit en formation initiale, soit, par la suite,
en formation continue. Elles peuvent aussi faire l'objet de verbalisa-

220
PEUT-ON ENRICHIR LES STRATÉGIES D'ENSEIGNEMENT?

tion partagée en groupe plus restreint, à partir de situations concrètes,


vécues, lors des moments d'analyse des pratiques.

QU'EST-CE QUE LA MÉDIATION?

Enseignement et dissymétrie
Le système d'enseignement-apprentissage peut être considéré, pour
une part significative, comme un système communicationnel dont une
caractéristique forte est la dissymétrie (Kerbrat, 1998). Le professeur
est généralement en «position haute », en raison de la différence de
statut et d'expertise avec l'élève. Le cours dialogué s'est, cependant,
largement substitué au cours magistral. Pourtant, le dialogue peut
prendre des formes qui vont de la production par l'élève d'une parole
alibi, justifiant l'apport magistral, jusqu'à la production d'échanges
beaucoup plus équilibrés entre interactants (Altet, 1994).
La dissymétrie peut entraîner des rapports de subordination dont
les effets sont plus ou moins tolérés par l'élève. La contrainte ressentie Dissymétrie
peut varier selon les contenus disciplinaires abordés. Le caractère plus professeur/
normatif des matières scientifiques (leur vocabulaire, leurs concepts élève
spécifiques) implique que la dissymétrie est renforcée, ce qui peut ex-
pliquer un rejet parfois important de ces disciplines. «Les élèves peu-
vent ainsi renvoyer à leur professeur des affects négatifs qui sont asso-
ciés à des éprouvés psychiques pénibles, voire douloureux. La négation
des affects des élèves (ne pas en parler, par exemple) contribue bien
entendu à entretenir une telle confusion souvent vécue de manière
difficile par les professeurs concernés» (Weil-Barais, 2004). L'enjeu,
pour le professeur, est de briser les non-dits relatifs à ces effets de dis-
symétrie (cognitive et affective) pour accompagner les élèves dans la
mise en mots des affects.
L'accompagnement de l'élève: tutelle ou médiation? Ces deux postures
étant définies plus haut, nous rappelons simplement que Bruner a
défini l'action du maître près de l'élève, qu'il nomme «étayage de tu-
telle» (1983). De sa définition, il ressort que dans une situation de tu-
telle, le professeur est présent, par la parole, par l'action, pour précé-
der (le guidage) ou suivre (le soutien) l'élève. La figure du médiateur
est différente. Elle est mise à distance mais non mise en indifférence
du professeur. Notre hypothèse de travail est que la posture de média-
tion est plus adaptée à l'analyse de pratique. Ceci étant, l'interaction,
qu'elle soit de tutelle ou de médiation, nécessite une double maîtrise

221
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

du professeur. Celle des savoirs enjeu dans la tâche d'apprentissage et


celle de la compréhension des procédés des élèves pour l'activité don-
née. Elle suppose que le professeur accepte de se décentrer et d'en-
trer dans le mode de pensée de l'élève. Celui-ci possède une expertise
propre, pragmatique, souvent éloignée de l'expertise canonique. Il est
donc important que l'enseignant médiateur laisse le sujet exprimer
ses procédures. Après la réalisation de la tâche, lors de la verbalisation
qui suit, il conduit le sujet à élucider les procédés mis en œuvre, à en
apprécier la cohérence, éventuellement à envisager de les modifier.
La médiation en formation initiale: la pratique pédagogique est sou-
vent imprévisible: elle peut se heurter à des réticences, des hostili-
tés, elle peut mettre l'enseignant novice en insécurité, le déstabiliser.
L'analyse est possibilité de dévoilement de sens cachés, à partir de ce
qui est dit de façon parfois douloureuse ou urgente, parfois abrupte
L'ensei-
gnant ou rigide. L'analyse des pratiques, des interactions parfois déstabilisan-
médiateur tes, constitue un moyen de comprendre ce qui fonde les interventions
du professeur dans le domaine des conduites didactiques, pédagogi-
ques et relationnelles.
Le formateur médiateur, parce qu'il se décentre de ses attentes pro-
pres et laisse le professeur développer sa pensée, lui offre les condi-
tions de produire une parole élucidante. Dans ce dispositif, ce qui est
important, «ce qui est dominant, c'est la parole des professeurs» (Al-
tet, 2000). Cette parole, parfois incertaine, hésitante, prend son sens
et sa valeur parce qu'elle est écoutée. Et si, dans le groupe d'analyse,
personne n'est obligé de parler, il faut considérer que «chacun est
contraint à écouter» (de La Monneraye, 1999).
Une fois que le professeur a mis en mots son vécu ou ce dont il veut
parler, le formateur peut intervenir, tout comme les autres membres
du groupe, pour amener le locuteur à engager sa réflexion. Le groupe
d'analyse est ainsi, non seulement espace d'écoute, lieu d'échange,
mais aussi moment d'un accompagnement qui invite à prendre du
recul pour transformer sa pratique. Il faut rappeler que, comme dans
la majorité des dispositifs mis en œuvre, l'écoute et les échanges qui la
suivent ne génèrent aucun jugement de valeur chez les interactants.

222
PEUT-ON ENRICHIR LES STRATÉGIES D'ENSEIGNEMENT?

EN QUOI UNE MÉDIATION PEUT-ELLE ÊTRE CRITIQUE?

LIentretien critique
Le qualificatif «critique» n'est pas à considérer dans son acception tri-
viale. Il réfère à la modalité d'entretien, initiée par Piaget (voir le cha-
pitre 6). Le dialogue, mis en œuvre par l'épistémologue dès les années
1920, avait pour objet de comprendre le raisonnement de l'enfant, en
rompant avec les méthodes d'investigation de l'époque, essentielle-
ment basées sur l'utilisation de tests.
Piaget (1947) met ensuite au point un entretien qui recueille la pa-
role du sujet en conversant librement, pour éviter les questions stan-
dardisées, et en proposant à l'enfant des contre-suggestions afin de le
conduire à préciser sa parole. Il provoque un discours non seulement
descriptif mais aussi, surtout, explicatif. L'objectif est double: com-
prendre la pensée de l'enfant et l'amener, selon le mot de Piaget, «au
maximum de prise de conscience ».

La médiation critique
Après avoir mis en mots ce qu'il souhaite dire, le professeur échange L'accompa-
avec les autres interactants. Les questions posées visent à faire émerger gnement
des informations supplémentaires, à l'amener à préciser. Elles peuvent critique
permettre au locuteur de lever d'éventuelles contradictions, le condui-
re à expliquer, à argumenter, à mettre en lumière des éléments que
son discours a esquissés ou occultés. La volonté de mise en lumière
correspond au fait qu'une part de l'action reste opaque: on ne sait pas
toujours qu'on sait! Les échanges peuvent rendre ces actions visibles,
puis lisibles, puis réfléchies.
L'accompagnement aide à la construction de la pratique en per-
mettant de mettre à jour des faits ou des procédés qui ont pu passer
inaperçus ou sembler anodins pour le professeur locuteur qui, comme
acteur, peut manquer de distance par rapport à son action vécue.
L'objet du dispositif critique est de favoriser le réfléchissement (au
sens de Piaget, 1974), élément de passage de la prise de connaissance
à la prise de conscience, par la verbalisation. Le réfléchissement est la
projection de l'acte énoncé à distance, permettant au locuteur de le
lire de façon plus critique. Ce mécanisme vise à conduire à la réflexion,
notamment à partir des échanges critiques, qui est la deuxième étape
de la prise de conscience. Elle permet de modifier l'agir professionnel, fa-
ciliter la réorganisation de l'action, enrichir le registre des actions, en

223
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

un degré de pratique plus averti. Elle contribue au passage du savoir


en acte à un savoir réfléchi.
Le réfléchissement fait dire au professeur: «Je comprends ce que j'ai
fait» et la réflexion lui fait dire : «Je sais que je peux faire autrement».
Ce sont deux paliers complémentaires de la prise de conscience, qui
dépassent le simple passage de l'implicite à l'explicite. Néanmoins,
l'expérience montre que cet enchaînement réfléchissement-réflexion
ne s'inscrit pas toujours dans l'immédiateté. Il est plus ou moins long,
laborieux, coûteux cognitivement selon les sujets. Ce qui fait qu'après
une séance d'analyse critique, on peut constater que certains profes-
seurs sont encore dans la déstabilisation alors que d'autres ont entamé
un travail de réorganisation. Le «Je sais que je peux faire autrement»
n'implique pas une automaticité de la réalisation de cet« autrement».
Les modalités (le «comment faire autrement») restent à construire,
de façon située: les échanges ne produisent pas de pratiques miracles
et universelles, ils élargissent le champ de la compréhension et des
possibles.

COMMENT CONDUIRE UNE TELLE ANALYSE?


L'analyse par la médiation critique réunit, pour un temps limité, un
Utiliser la
médiation petit groupe de professeurs stagiaires et un formateur: ce sont les inter-
critique actants. Elle conduit à augmenter le panel des réponses possibles, des
ressources opérantes, des nouveaux savoirs pratiques réfléchis, face à
l'incertain et l'inattendu des situations d'enseignement. Ce qui se dit,
en groupe d'analyse, repose sur des savoir-faire, les savoirs de l'action.
Le dispositif critique, grâce aux échanges et à l'éventuel éclairage théo-
rique, transforme ces savoirs de l'action en savoir-faire réfléchis. En se
référant à Vergnaud (1990), on peut dire que le savoir-faire est une
«connaissance en acte », rarement conscientisé, rarement coordonné
à d'autres savoir-faire. En revanche, le savoir-faire réfléchi permet la
construction de nouveaux schèmes, qui tiennent leur cohérence de
leur organisation par des règles, des inférences, des invariants et un
but. La mise en place d'un tel dispositif nécessite l'acceptation de plu-
sieurs présupposés.

Un savoir et un langage partagés


Il est nécessaire que les interactants partagent un même savoir lato
sensu (savoirs, savoir-faire, savoir-être). C'est le rôle de la formation ini-
tiale d'élaborer un corpus d'ancrages communs (notionnel, concep-

224
PEUT-ON ENRICHIR LES STRATÉGIES D'ENSEIGNEMENT?

tuel, linguistique, expérientiel. .. ) de façon à ce que les interactants


évoluent dans le même «univers de référence» (Perret-Clermont,
2001). Interagir signifie que les termes véhiculés par la parole ont la
même signification pour chacun: on sait ce dont on parle parce qu'on
s'est accordé sur le sens à donner à ce dont on parle.

Le respect et la confiance
La première forme de respect est d'accueillir la parole du locuteur
sans chercher, pour le formateur, à la faire entrer dans son propre ca-
dre d'intelligibilité. Respect de l'ipséité de chacun. Il s'agit de ne pas
interrompre ou reprendre le locuteur en lui signalant une éventuelle
erreur. Cela tendrait à dévaloriser, à disqualifier la parole.
Lors du temps d'analyse, personne n'exprime de jugement, person-
ne n'évalue. Les appréciations morales manichéennes sont également
exclues: «c'est bien, c'est mal, c'est juste, c'est faux, tu as raison, tu
as tort, c'est normaL .. ». Ce cadre construit une confiance récipro-
que qui permet progressivement à la parole de circuler, sans trop de
contrainte, au sein du groupe. En outre, ce qui se dit dans le groupe
reste dans le groupe, une nécessité de confidentialité s'impose. Il est
Conditions
nécessaire de définir une unité, à la fois de temps et de lieu, hors de dela
laquelle l'analyse est exclue. médiation
critique
La parole du professeur
Le locuteur s'exprime sur le point qu'il désire exposer. Il demeure
libre de ce choix, à condition que la situation présentée soit une situa-
tion professionnelle qu'il a vécue et qui l'a poussé à s'interroger, qui
lui a laissé un ressenti qui continue à l'habiter. Yves de La Monneraye
(1999) rappelle le même impératif lorsqu'il écrit: «Chacun parle donc
de sa pratique professionnelle, c'est-à-dire ni de lui personnellement,
ni des élèves pour eux-mêmes, mais de la relation entre les deux».
Le professeur qui prend la parole a la possibilité d'exposer unique-
ment verbalement ce dont il décide de parler ou de s'appuyer sur un
support. Si cela lui permet de structurer son propos, de le sécuriser
dans son intervention, il peut prendre appui sur des supports non spé-
cifiquement verbaux, pouvant être en lien avec la pratique dite: un
support écrit, un enregistrement, une production d'élève. Ce choix
peut offrir la possibilité d'objectiver le propos: en élargissant la parole
aux éléments contextuels, elle tend à devenir moins celle de l'action
déclarée que celle de l'action effective.

225
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

L'écoute coopérative et l'échange entre interactants


L'éthique conversationnelle (le respect des principes qui règlent les
échanges) est la garantie et l'incitation à la production de parole dans
le cadre de la médiation critique. Les interactants n'interrompent pas
le locuteur et interviennent quand celui-ci a terminé de présenter ce
qu'il avait à dire. La mise en commun de vécus singuliers est une façon
de rompre l'isolement. Elle mène à construire une identité profession-
nelle qui prend le risque de s'exposer à l'écoute des pairs. Le dispo-
sitif est alors incitatif, pour la pratique ultérieure, après la formation
initiale, à se situer dans une perspective d'échanges et de partage des
pratiques.
Lors des échanges critiques, les membres du groupe sont amenés à
questionner, demander des compléments d'informations, des préci-
sions, solliciter une explication supplémentaire, provoquer une refor-
mulation pour rendre la pratique exposée plus communicable. Ils ne
jugent ni n'évaluent la parole du locuteur.

Le rôle du médiateur
Dans ce dispositif critique, le formateur est surtout un médiateur, au
sens indiqué plus haut. Il est garant du respect des règles de fonction-
nement du groupe, il s'assure que s'instaure un contexte communica-
tionnel favorable, écartant toute malveillance dans les propos ou toute
forme de jugement moral. Il est aussi garant du temps dont dispose le
groupe et chacun de ses membres. Il ouvre la séance par un tour de
table permettant une expression de chacun (exposé bref d'une situa-
tion à présenter éventuellement). La séance suivante, il invite celui (ou
ceux) qui a exposé lors de la séance précédente à revenir sur le travail
«interne» qui s'est produit depuis la rencontre et sur les éventuelles
modifications de sa pratique. Le médiateur clôt la séance.
Il est expert dans la gestion du groupe de parole. S'il est garant
du fonctionnement, il peut prendre sa part aux échanges, après avoir
laissé le groupe travailler, sans rechercher la prescription (au sens mé-
dical) ou la remédiation (au sens d'une méthode d'action qui serait
considérée comme remède) qui pourraient impliquer des normes
(de type conseil pédagogique), donc désigner des conduites pouvant,
conséquemment, être considérées et évaluées comme «anormales».
En revanche, les échanges avec le groupe peuvent conduire à des
modifications situées, à des pistes d'action inscrites dans le contexte
d'exercice: le dispositif devient professionnalisant car «le professeur

226
PEUT-ON ENRICHIR LES STRATÉGIES D'ENSEIGNEMENT?

analyse ce qu'il fait et essaie de construire une stratégie adaptée» (Al-


tet, 2000). Ces échanges ne prennent pas de caractère normatif tant
la pratique pédagogique est avant tout une gestion de l'incertain, en
raison de nombreuses variables: hétérogénéité des élèves, contenus
complexes, pratiques situées, travail plus ou moins en équipe, effet-
maître, effet-école ...
En conclusion, la synthèse du fonctionnement d'analyse peut se ré-
sumer dans l'encadré qui suit.

Modalités de l'analyse de pratique par la médiation critique


La finalité de la médiation critique est d'amener le professeur à prendre
conscience de sa pratique (savoir-faire et compétences) dans l'échange avec
ses pairs et un formateur. Il met en mots ce qui l'interroge et pour lequel il
manque de lucidité.
Le groupe de participants, par son écoute et ses questions, amène le locuteur à
se comprendre, à prendre conscience des procédés (savoir-faire en acte) qu'il a
utilisés, dans ses effets comme dans ses limites, afin de les faire évoluer, de les
Éléments
modifier (vers des savoir-faire réfléchis), d'augmenter son panel de ressources dela
opérantes. médiation
Le formateur-médiateur est garant du bon fonctionnement du dispositif fondé critique
sur la confiance et la confidentialité.
Le travail du groupe (participants et médiateur) favorise le passage d'un savoir-
faire en acte à un savoir-faire réfléchi, par la communication partagée: verbali-
sation du locuteur, écoute et échanges avec les pairs.
Le travail partagé se termine avec la séance, le travail interne du locuteur se
poursuit bien au-delà.
Les étapes du passage sont les suivantes:
- dire ce qui a provoqué une interrogation (mise en mots des savoir-faire en
acte);
- afin de mieux le comprendre (mise à distance ou réfléchissement);
- pour identifier d'autres actions possibles (mise en modification ou réflexion);
- puis les mettre à l'épreuve (mise en situation des savoir-faire réfléchis).

L'analyse des pratiques professionnelles par la médiation critique


vise à transformer les savoir-faire spontanés en savoirs pratiques, ré-
fléchis. Elle cherche à développer les compétences professionnelles
puisqu'il s'agit d'aider le professeur à mettre à distance un savoir-fai-
re (le réfléchissement) qui va lui permettre de repenser son action
didactique, pédagogique et relationnelle, en enrichissant son réper-
toire de savoirs pratiques (la réflexion) dans l'environnement situé

227
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

de la classe. Elle permet des échanges collaboratifs entre pairs, qui


s'efforcent de les dénuer de jugement ou d'évaluation. Ce dispositif
- comme ceux qui précèdent - trouvent leur place essentiellement en
formation initiale. Cependant, ils posent la question de l'instauration
et du développement de groupes d'analyse de pratiques dans le cadre
de la formation continue des professeurs. Question qui reste ouverte
car l'efficience et l'existence même de l'analyse de pratique supposent
qu'elle se situe en dehors de tout enjeu hiérarchique et de toute éva-
luation institutionnelle.

III. METTRE EN PLACE DES MICROSIMULATIONS


FONCTIONNELLES

Dans ce dernier chapitre, nous ouvrons plus directement la ré-


flexion vers la formation professionnelle. Comment informer et
Simuler des
situations former les professeurs à l' enrichissement de leur répertoire de
de classe stratégies d'enseignement? Des dispositifs originaux, nouveaux,
existent. Celui que nous présentons peut être mis en place avec
des collégiens ou des lycéens. Cependant, la présentation qui en
est faite s'inscrit davantage dans le cadre de la formation conti-
nue des professeurs, dans ses aspects relationnels et transversaux:
nous l'avons mis en œuvre dans le premier comme dans le second
degré. Il s'agit d'un dispositif que nous avons élaboré et que nous
nommons microsimulations fonctionnelles. Il nous semble s'intégrer
à ce chapitre en ce que l'objectif du dispositif vise la réflexion du
stagiaire sur la situation à laquelle il est confronté ou la tâche qu'il
a à résoudre.

DÉFINITION DE LA SIMULATION

Le principe consiste à mettre en place des moments « simulant» la réa-


lité pour que les participants vivent la situation au plus proche de ce
qu'ils sont amenés à connaître dans leur pratique professionnelle. Se-
lon Chamberland (1996), les simulations peuvent être de trois types:
- un premier type de simulation consiste à utiliser un appareil
ou un simulateur. Il est utilisé en prévention dans le cadre de la
sécurité ou pour développer la maîtrise d'équipements importants
(les contrôleurs aériens, les capitaines de la marine, les pilotes

228
PEUT-ON ENRICHIR LES STRATÉGIES D'ENSEIGNEMENT?

d'avions s'entraînent avec des simulateurs). Le primat est donné


à l'aspect technique de l'activité. Il s'agit d'acquérir des schèmes de
comportement, liés à un environnement technique donné;
- un autre type de simulation consiste à créer une duplication
du milieu de travail. Cette duplication peut être aussi simple
que la reproduction du poste de travail (par exemple, création
des conditions d'un véritable incendie pour l'entraînement des
pompiers ou création d'un environnement en apesanteur pour
l'entraînement des astronautes). Le primat est donné à l'expérience
accélérée et à la maîtrise du geste juste au moment opportun;
- un troisième type de simulation est appelé la simulation
fonctionnelle: les participants sont amenés à vivre une situation
simulée, dont on fournit des éléments détaillés, pour analyser et
prendre des décisions qui affecteront les activités futures. Ils sont
amenés à agir et à prendre des décisions comme ils devraient le
faire s'ils étaient confrontés aux mêmes situations dans leur réalité
professionnelle. Le primat est donné à la réflexion sur l'activité.

DÉFINITION DE LA SIMULATION FONCTIONNELLE

La simulation fonctionnelle (au sens donné par Chamberland) est Modèle


la reproduction, par des interlocuteurs, généralement deux, d'une dela
situation donnée de la vie quotidienne ou professionnelle. La simu- simulation
lation est présentée sous forme d'échanges verbaux. Un groupe de de situation
participants observe puis débat du déroulement de l'activité simulée
et de l'action des interlocuteurs. Ces derniers n'ont, le plus souvent,
pas vécu à l'identique la situation qui est toujours en lien avec leur
pratique. La simulation peut, de ce fait, être utilisée avec un objectif
d'anticipation, dans des actions de formation.

AUTRES DISPOSITIFS PROCHES DE LA SIMULATION

Avant de développer l'utilisation de la simulation fonctionnelle dans


la formation des enseignants, définissons d'un mot deux autres dispo-
sitifs : la méthode des cas et le jeu de rôle.

La méthode des cas


Cette méthode est née à la Business School de Harvard, en 1935. Le
dispositif consiste à étudier un cas écrit (texte) ou filmé (vidéo), à
en discuter et à dégager des solutions. L'utilisation de connaissances

229
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

théoriques ou techniques est un élément important du dispositif. Ces


connaissances sont appliquées à l'analyse de la situation (par exemple,
comprendre les raisons d'un conflit entre un salarié et son employeur)
et à la résolution du problème (comment régler ce conflit?).

Le jeu de rôle
C'est une application, au domaine des relations humaines, du psycho-
drame. Elle a été créée par Moreno en 1965. Il s'agit d'improviser
une scène à partir d'une situation précise (par exemple: un entretien
d'embauche). Le participant est amené à mimer une situation qu'il
aura à assumer réellement dans sa pratique professionnelle. À travers
ce jeu, il s'agit de comprendre les éléments importants du problème
posé et de chercher des solutions possibles.
La simulation fonctionnelle peut, à plusieurs égards, être confondue
avec ces dispositifs dont elle est proche. Cependant des différences
existent. La méthode des cas s'appuie essentiellement sur un support
distancié (texte ou vidéo), sans appropriation directe de la situation
par les participants. Dans le jeu de rôle, «chacun peut toujours dire qu'il
ajoué la situation comme un acteur mais qu'il n'aurait pas agi ainsi»
(Chalvin, 1996). D'après Chamberland, Lavoie et Marquis (1995),
«l'objectif premier de la simulation est de permettre une compréhen-
sion objective de la réalité, ce qui la distingue nettement du jeu de rôle
où c'est la subjectivité qui domine ». D'une part, les acteurs interprè-
tent un jeu (dans le jeu de rôle), d'autre part, les interlocuteurs vivent
une situation pour la discuter avec les observateurs (dans la simulation
fonctionnelle) .

DÉFINITION DE LA MICROSIMULATION FONCTIONNELLE

Nous nommons microsimulation fonctionnelle (MSF) la situation repro-


duisant un bref épisode de l'environnement professionnel, appelant
en réponse un comportement possible de la part des interlocuteurs
qui vivent la situation.
Cette situation est préparée et présentée, sous forme d'échanges
verbaux, par deux (ou trois) stagiaires pour, ensuite, être discutée avec
les participants observateurs (une dizaine). La simulation à deux inter-
locuteurs peut permettre ensuite d'inverser les rôles.
Le dispositif, ainsi mené sur un aspect précis de la pratique, peut
s'inscrire dans une proximité des analyses de pratiques puisqu'il s'agit
d'observer, d'écouter, de décrire, de discuter, de comprendre, de met-

230
PEUT-ON ENRICHIR LES STRATÉGIES D'ENSEIGNEMENT?

tre en lumière et en relation les diverses variables professionnelles


intervenant (sociale, langagière, pédagogique, didactique, etc.) que
favorisent la décentration (le retour réflexif) et la prise de conscience.
Autre trait commun, les jugements et les évaluations sont écartés du
dispositif. Grande différence avec l'analyse de pratique: s'il s'agit de
cas réellement vécus, ils ne l'ont pas été par les interlocuteurs.
Exemples de microsimulations fonctionnelles (MSF)l
1. Lors d'un stage, une PE2 surveille la cour de récréation avec une collègue.
Une mère d'élève se dirige vers les professeurs et se montre agressive envers la
collègue PE2 au motif qu'elle ne fait pas assez travailler les élèves, qu'ils «pas-
sent leur temps à discuter et dessiner».
2. Dans sa classe de cinquième, Marc est un élève sérieux et travailleur qui ne
se fait guère remarquer. Dehors, dans la cour, dans la rue, tout le monde se
plaint de son agressivité, de ses insultes et de sa violence.
3. Vous êtes nommé(e) dans l'un des deux CP de l'école. Votre collègue utilise
une méthode syllabique de lecture et vous conseille d'en faire autant «parce
qu'il ne faut pas se compliquer la vie».

Chaque MSF renvoie à une question relevant d'un aspect de la pra-


tique du professeur. Dans la première, il s'agit de la relation école-fa-
mille dans la gestion de rapports pouvant s'avérer difficiles. La deuxiè-
me MSF est centrée sur le comportement de l'élève, sur sa psychologie,
selon qu'il est ou non en classe, selon qu'il développe des conduites
impulsives ou agressives. Dans la troisième, c'est la question du travail
en équipe qui est posée avec, aussi, les différences de formation, d'ex-
périence et de culture entre enseignants du premier degré.
Ces MSF ont pour objet de confronter le professeur à des situations
diverses, que certains ont peut-être déjà rencontrées sous une forme
proche ou qu'ils peuvent aisément identifier comme appartenant à la
réalité professionnelle dans sa grande diversité.
La présentation d'une situation possible par deux stagiaires, l'écou-
te et l'observation par d'autres, les échanges et les explications sont
des moments conduisant les participants au recul réflexif. Ce travail
participe, dans sa singularité, à la formation professionnelle.

1. Tous les épisodes sont tirés de situations authentiques de la pratique pro-


fessionnelle, rapportées par des stagiaires.

231
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

MISE EN PLACE DE LA MICROSIMULATION FONCTIONNELLE

Une formation de ce type se conduit avec un nombre limité de par-


ticipants (dix à douze). Une série de situations sur un même thème
est proposée: le formateur en prépare mais il peut aussi, lors de ren-
contres précédentes, solliciter les stagiaires. Chaque groupe de deux
ou trois stagiaires en choisit une au hasard. Les autres participants
deviennent observateurs.
- Avant la MSF : informer (ou rappeler) l'activité qui sera effectuée
par les stagiaires. Elle met en scène deux ou trois interlocuteurs pen-
dant que la dizaine d'autres les observe. Les interlocuteurs ont cinq
minutes pour découvrir le thème, se préparer et envisager les diffé-
rentes conduites. L'activité de simulation proprement dite dure, au
maximum, cinq minutes.
- Durant la MSF : le formateur n'intervient pas, les observateurs
non plus. Le formateur laisse les interlocuteurs dérouler leur activité.
Il veille cependant à ce que le temps soit respecté.
- Après la MSF : les cinq minutes passées, les interlocuteurs met-
tent en mots ce qu'ils ont présenté, ce qu'ils ont voulu exprimer. Les
participants peuvent, ensuite, leur poser des questions, expliquer leur
accord ou leur désaccord avec la façon de traiter la situation, en évitant
d'énoncer des jugements. Le formateur peut intervenir pour faire des
liens entre la MSF, les échanges qui ont suivi et différents modèles
théoriques ou administratifs permettant de mieux comprendre les en-
jeux évoqués par la MSF.

INTÉRÊT ET LIMITES DU DISPOSITIF


Aspects positifs
Les MSF fournissent des modèles réalistes tirés de la pratique et donc
proches de ce que vivent ou vont vivre les interlocuteurs et les parti-
cipants. Cependant, le fait de ne pas avoir rencontré soi-même ladite
situation permet une mise à distance et libère l'esprit des tensions in-
hérentes à un vécu douloureux. Elles peuvent fournir l'occasion de
réfléchir, de façon anticipée, à des situations insécurisantes voire po-
tentiellement dangereuses.
Elles permettent de mettre en œuvre, sans exposition réelle, avec
droit à l'erreur, puis de discuter plusieurs stratégies de réponses pour
une situation donnée et fournissent un retour aux interlocuteurs
concernant les comportements simulés pour la situation vécue. Enfin,

232
PEUT-ON ENRICHIR LES STRATÉGIES D'ENSEIGNEMENT?

elles incitent au débat entre les interlocuteurs et les observateurs en


faisant ressortir des points forts de la question posée par la MSF.
Limites
La mise en œuvre des MSF requiert un nombre réduit de participants.
Elles concernent des épisodes très particuliers de l'activité profession-
nelle et les bénéfices qu'apportent les débats ne sont pas toujours gé-
néralisables à d'autres aspects de la pratique et peuvent dérouter, désta-
biliser des stagiaires débutants ayant peu de pratique. La discussion qui
suit la simulation peut être très critique en pointant principalement
des comportements négatifs, ce que des interlocuteurs peuvent mal
supporter. Les MSF consomment généralement beaucoup de temps.
Compte tenu du fait que le dispositif n'est pas encore très dévelop-
pé, on dispose de peu de données aussi bien théoriques que pratiques
pour améliorer le dispositif.

Résumons-nous
Comment les professeurs peuvent-ils enrichir le panel de leurs stratégies
d1enseignement? Le chapitre propose, très concrètement, une réflexion sur
cette question. Est interrogée la posture de renseignant: lui faut-il être «avec»
ses élèves afin de les aider pas à pas, convient-il au contraire de les laisser agir
en autonomie? Il n'y a pas de bonne réponse mais il convient que le profes-
seur soit lucide sur sa façon d'enseigner et en informe la classe. Comment,
de façon plus générale, comprendre sa pratique d1enseignement, comment
la modifier, surtout lorsqu'elle est sujette à des turbulences, quand elle est
l'objet de conflits? Peut-on en parler? À qui et de quelle façon?
La réflexion que propose ce chapitre sur la posture interactive du professeur,
sur son action de médiation, sur la possibilité de réfléchir à partir de dispo-
sitifs d'analyse de pratique, sur la lucidité que facilitent les jeux de rôle et les
simulations fonctionnelles, ces différents aspects interrogent la formation.

La formation initiale est-elle satisfaisante? Par définition, elle ne peut être


qu'insatisfaisante puisqu'il est impossible d'aborder, lors du court temps
passé à l'IUFM, la variété et la complexité des situations auxquelles le sta-
giaire sera confronté, qu'elles soient pédagogiques, didactiques, administra-
tives, sociales, institutionnelles. Reste la formation continue et la nécessaire
réflexion que le professeur engage tout au long de sa pratique, soit seul, soit
en équipe. Les éléments abordés dans ce chapitre s'inscrivent dans une pers-
pective complémentaire - mettre à distance son activité pratique, en parler
avec d'autres pour mieux la comprendre - et caressent l'ambition de contri-
buer à une meilleure construction de l'identité professionnelle.
Conclusion

Les stratégies d'apprentissage sont des procédures choisies et coordon-


nées par l'élève, en fonction des objectifs de savoir qu'il poursuit: elles
peuvent être relativement simples, comme réaliser un accord gramma-
tical ou mémoriser une table de multiplication, elles peuvent être de
haut niveau, comme effectuer le résumé d'une lecture ou résoudre un
problème. Les procédures que certains mettent en œuvre lors d'une
activité de langage font défaut aux autres, tandis que la tendance peut
s'inverser pour un domaine disciplinaire différent. Il est, de surcroît,
fréquent que les stratégies employées soient non conscientisées. De
plus, la variabilité cognitive empêche d'assurer la pérennité d'une stra-
tégie construite, dans le temps comme pour une catégorie de tâches.
Dans certains cas, l'élève peut se trouver en difficulté, en raison de
la défaillance des structures logiques ou temporo-spatiales de sa pen-
sée. Les procédures risquent alors d'être inefficientes car sans fonde-
ments structuraux stables. Autre cas possible: l'élève peut se trouver
en difficulté en raison de la mobilisation de procédures inadaptées ou
incomplètes. Assez fréquemment, la verbalisation menée après l'effec-
tuation d'une tâche aide à (re) mettre en place la procédure adéquate.
Nous avons développé cette explication des sources possibles de la dif-
ficulté sous le nom de «modèle structural-procédural».
Les stratégies d'enseignement sont constituées de l'ensemble des
conduites didactiques, pédagogiques, relationnelles que le professeur
mobilise pour faire son cours. Elles ne se résument pas à un exposé in-
différencié de savoirs plus ou moins éloignés de la réalité de l'élève. El-
les se fondent sur une posture d'interaction qui vise à comprendre l'élève
dans ses choix de procédés afin de l'accompagner le plus efficacement
possible dans ses apprentissages.
Le professeur dispose d'outils pour comprendre l'élève. Nous avons,
par exemple, montré l'intérêt de susciter la mise en mots, par le jeune,
de ses procédures grâce au dispositif de l'entretien cognitif. Il est égale-

235
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

ment possible de favoriser le travail en groupe pour que l'enseignant


puisse observer l'élève parmi ses pairs. Autre possibilité: multiplier les
situations pour permettre à l'écolier ou au collégien d'être confronté
à la plus grande variété de tâches. Cette confrontation avec une diver-
sité de situations est de nature à favoriser la construction d'un regis-
tre de procédures, originales et différenciées. C'est dans cette double
rencontre, avec des tâches déstabilisantes proposées par le professeur
médiateur, d'une part, avec les pairs et les échanges critiques, d'autre
part, que peut se créer progressivement le répertoire de stratégies di-
verses, susceptible d'aider l'élève à s'adapter aux situations d'appren-
tissage les plus inattendues.
Un livre n'a pas pour objet de remplacer un temps de formation. Ce-
pendant, il peut jouer un rôle complémentaire. C'est la raison pour la-
quelle le chapitre 7 propose une ouverture vers ce domaine. Suzanne
Nadot, lors d'une rencontre sur l'analyse des pratiques professionnelles,
à l'IUFM de Champagne Ardenne, rapportait une recherche conduite
entre 1996 et 2000 auprès de stagiaires. Il en ressort que quatre modali-
tés de formation sont identifiées et appréciées diversement:
- le «faire» regroupe toutes les mises en activité concrètes, en
exercice sur le terrain. Ce sont notamment les périodes de stage
(alternance pour les PLC, responsabilité pour les PE). Cette
modalité est la plus appréciée des stagiaires;
-le «regarder faire» est moins cité que la précédente modalité
mais reste cependant assez prisé. Cette catégorie comprend
essentiellement les temps d'observation dans les classes;
- la modalité du «écouter-dire» regroupe non seulement les
cours dispensés mais aussi toutes les occasions d'échanges avec
les conseillers pédagogiques ou les maîtres formateurs. C'est la
modalité, reconnaît l'auteur du rapport, «la plus demandée et la
plus critiquée» par les stagiaires;
- le «dire» correspond au fait que la pratique devient objet
d'échanges entre pairs et formateurs, objet de réflexion et d'analyse.
C'est une forme de modalité qui ne laisse personne indifférent:
elle est soit plébiscitée soit controversée.
Cette recherche montre que tout type de formation est diversement
apprécié selon la modalité et qu'il demeure perfectible. Une des fa-
çons d'améliorer le système peut consister à conduire la formation sur
une autre temporalité. Deux exemples brefs vont illustrer le propos.

236
CONCLUSION

La formation des maîtres spécialisés de l'ASH s'étend sur une cour-


te année (de septembre à avril, en alternance) et est précédée d'un
regroupement l'année précédente (trois semaines en juin). Selon tous
les stagiaires, il manque à cette architecture un prolongement pendant
l'année qui suit la formation. Une fois la certification acquise, les sta-
giaires éprouvent la nécessité d'effectuer une mise à distance, pour
échanger entre pairs et avec les formateurs, pour mutualiser les res-
sources mises au point par chacun, pour prendre du temps afin d'ana-
lyser et comprendre la pratique. L'enjeu est de taille: il s'agit de passer
de l'errance, dans laquelle se trouvent certains collègues découvrant
une nouvelle fonction parfois difficile à exercer, à la « co-hérence» d'une
pratique lorsqu'elle devient régulièrement discutée et réfléchie.
Lorsqu'ils obtiennent leur premier poste, les «anciens» PE2 sont de-
mandeurs d'un retour de quelques semaines à l'IUFM, essentiellement
pour évoquer et travailler les problèmes qu'ils découvrent et auxquels
ils ne s'attendaient pas. Comme novices, ils sont en quête, eux aussi, de
réflexion et de mutualisation. Pour animer, chaque année, des groupes
d'analyse de pratiques avec ces jeunes collègues et pour observer les
bénéfices qu'ils en retirent, nous savons que ces retours à l'IUFM gagne-
raient à être systématisés les premières années de pratique.
Complémentairement à ces propositions, la formation continue des
professeurs peut s'enrichir de modalités nouvelles. Les dispositifs per-
mettant de réfléchir au quotidien de la classe, comme l'analyse de pra-
tique ou les microsimulations fonctionnelles, ne sont pas encore répandus
dans toutes les académies. Rien n'empêche une équipe de professeurs
volontaires d'intervenir auprès de l'IEN de la circonscription ou de
l'IPR de la discipline afin d'inscrire de telles actions de formation au
plan départemental ou au plan académique de formation, selon le de-
gré considéré. Les modalités de mise en place nécessitent, cependant,
d'être dépouillées de tout enjeu institutionnel.
But de la formation et objet de ce livre partagent, au moins, une
même ambition: aider le professeur dans sa pratique quotidienne qui
est de plus en plus sujette à l'incertain, au difficile et à l'inattendu.
Nous sommes convaincu qu'il faut inlassablement tenter de dépasser
les pratiques cristallisées dans les habitudes et se remémorer la phrase
fameuse de Sénèque: «Ce n'est pas parce que les choses sont difficiles
que nous ne les faisons pas, c'est parce que nous ne les faisons pas
qu'elles sont difficiles. »
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Index des tableaux,
encadrés et illustrations

Les systèmes d'apprentissage, entrée psychologique, 20


Les systèmes d'apprentissage, entrée éducationnelle, 22
Version simplifiée du «puzzle de Brousseau », 30
Problème absurde qui permet de mieux comprendre la stratégie de l'élève,
33
Exemple du passage de la pensée préopératoire à la pensée opératoire, 37
L'épreuve de la conservation des quantités discrètes, 40
L'épreuve des bonbons, 40
Les conduites cognitives du sujet, 43
Les opérations logiques de la pensée, 47
La construction du temps, 48
La construction de l'espace, 48
Lejeu des «5 triangles», 50
Les trois aspects des conduites observées, 59
Biais de raisonnement et conduites non rationnelles, 62
Représentation de l'attention chez les collégiens (Boujon, 2004), 66
Prise de conscience et métacognition : les différents niveaux de la conscien-
tisation, lors de la réalisation d'un travail en classe, 75
Texte d'Henri, 78
Texte deJean, 78
Compétences en production, mobilisées pour l'écriture d'un texte, 79-80
Compétences dans la maîtrise des outils de la langue, mobilisées pour l'écri-
ture, 80-81
Production de Léa, 83
Production de Juliette, 83
Dénombrement de billes en cycle 1, 90
Exemples d'erreurs rencontrées pour l'addition, 92
Erreurs rencontrées pour la multiplication, 93
Production de Victor, 96

247
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

Une expérience liée aux stratégies mobilisées pour comprendre un écrit, 100-
101
Développement du langage lors des premières années, 103
Texte de Ser, 106
Compétences en production, mobilisées pour l'écriture, 106
Compétences dans la maîtrise des outils de la langue, 107
Texte de Moussa, 108
Caractéristiques des difficultés individuelles: les composantes structurale et
procédurale, 113
Définitions et caractéristiques essentielles des handicaps et des troubles, 125
Difficultés et troubles du point de vue de la neuropsychologie, 132-133
Trois modèles d'explication de la grande difficulté, selon le point de vue théo-
rique du constructivisme, 139
La classe a reçu un texte étrange, 142
Découverte d'autres textes étranges, 143
Les gammes de mots, 146
Le cadavre exquis, 146-147
J'aime,je n'aime pas, 147
Les connexions logiques, 147-148
L'acrostiche, 148
Exercice ARL (destiné aux adultes) et son adaptation à des élèves, 151-152
Exercices d'ASLOS correspondant à l'opération de catégorisation, 153
Exercices correspondant à l'opération de sériation, 154
Exercices correspondant aux opérations de combinaison et permutation,
154
Procédure du tracé d'un carré en langage Logo, 163
Procédures nécessaires au tracé d'une maison en langage Logo, 163
Le carré de Racle, 165
Utiliser, en classe, la méthode Tanagra, 166-167
Éléments pour une pratique de différenciation successive, 177
Éléments pour une pratique de différenciation simultanée, 178
Nature et objets des modes évaluatifs, 179
Fiche d'observation, 179-180
Modalités collaboratives, observées quand deux élèves travaillent ensemble,
182
Les exemples dans le modèle des inférences inductives de Britt-Mari Barth,
183
Les contre-exemples dans le modèle des inférences inductives, 184
Les invariants pédagogiques pour la préparation d'une séance visant la décou-
verte d'une notion, 184-185

248
INDEX DES TABLEAUX, ENCADRÉS ET ILLUSTRATIONS

Un exemple de travail en sciences, à partir d'une méthode inductive (Brown,


1975),187-188
Premier extrait d'ECA, en mathématiques, 197
Second extrait d'ECA, en géographie, 198-199
Les composantes du modèle d'entretien cognitif à visée d'apprentissage
(ECA) , 200
Tutelle et médiation: points communs et différences, 214
Modalités de l'analyse de pratique par la médiation critique, 227
Exemples de microsimulations fonctionnelles, 231
Index des notions

A constructivisme 17, 19, 22, 24, 94,


95,118,125,139,161,166,211
abstraction 46,51,68,105,109,110,
contrat didactique 32, 33, 54, 196,
138, 158, 160
199
adolescence 56, 57, 123
AIS 218,237 D
algorithme 15, 34, 40, 63, 75, 167,
168 différenciation pédagogique 175,
ASH 124 177
attention 7, 9, 20, 29, 58-59, 64, 65, dyslexies 129, 130, 132
66,67,68,74,81,85,87,93,103,
E
107,112,115-116,161,206,210
attribution 27,74 erreur 8, 23, 25, 26, 34, 39, 41, 56,
automatisme 138, 172 85,90,91,93,94,95, 110, 112,
118,150,151,157,219,220,225,
c 232
cognltlVlsme 17,18,19
H
compétence 8,9, 10, 29, 68, 80, 84,
87, 111, 128, 158, 173, 175, 179, handicap 10, 117, 119, 121, 124,
125, 140
comportementalisme 17, 19, 37, hétérostructuration 37
211
conditionnement 15, 17, 20, 23, 24 1
conduite cognitive 42, 205 inconscient cognitif 38,49,50
conflit cognitif 38, 193 intelligence 35,37,53,120, 126-127,
conflit de centration 49, 182 149, 161
conflit sociocognitif 22, 182, 195 interstructuration 21, 37, 38

251
LES STRATÉGIES D'APPRENTISSAGE

M 135, 137, 139, 141, 148-149, 158,


mathématiques 30, 44, 47, 55, 74, 162,166,169,186,195,223
77, 86, 87, 89, 98-100, 110, 112, régulation 45, 68-72, 177, 207, 209,
114, 116, 124, 131-133, 157, 160, 210,220
167,173,192,197,207 remédiation 26, 94, 111, 115-117,
maturationnisme 21, 37 129, 130, 140, 156, 157, 168, 201,
médiation 10,24-25, 160, 182, 195, 226
200, 203, 204, 206-208, 210, 211, représentation 27,51, 59, 60, 66, 68,
213, 214, 215, 219, 221-223, 224, 82,95,97,112-113,136,139-140,
226,227,233,247 158, 160, 188-189, 193, 199
mémoire 18, 20, 49, 59, 62-66, 70, réussir 9,15,25,29,68,74,98,114,
74,82, 84, 91-95, 107, 111, 120- 169, 185
121, 155
métacognition 55,68, 70-73, 75, 87
S
N schème 19,31,44,45,49,59,69,70,
neuropsychologie 18, 125, 128, 130, 91,112,209
132, 140 structural-procédural 110,134,140,
numération 89,92,95, 116, 118, 235
129,159,175 symbolisme 18
p
T
prise de conscience 9, 49, 67-73, 75,
172,185,195,223-224,231 tutelle 10,24,25,195,203-214,221
psychanalyse 125

R z
raisonnement 16, 20, 39, 41, 53, 58, zone de proche développement 24,
59,61-62,70,74,87,97,99,131, 73, 182
IMPRESSION, BROCHAGE

42540 ST-JUST-LA-PENDUE
SEPTEMBRE 2006
DÉPÔT LÉGAL 2006 N° 2157

11002295 - (1) - (2) - OSB 100° - EXT - ACT

IMPRIMÉ EN FRANCE

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