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Collection
Pratiques et enjeux pédagogiques
dirigée par Michel Develay
www.esf-editeur.fr
ISBN 978-2-7101-2863-2
ISSN 1275-0212
Donner du sens
à l’École
Issy-les-Moulineaux
M ichel Develay, après avoir enseigné dans le premier degré,
a été formateur en École normale et professeur en sciences de
l’éducation à l’Université Lumière Lyon 2 où il a dirigé le Centre de
recherches en sciences de l’éducation. Ses travaux qui ont donné lieu
à plusieurs ouvrages sont centrés sur les apprentissages scolaires et
la formation des enseignants.
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Une École en crise,
dans une société en crise
L’École est en crise. Des preuves ? On les trouve d’abord dans les
manifestations d’étudiants et d’élèves, tous les trois à quatre ans, au
cours des dix dernières années. On les découvre ensuite dans la presse
syndicale à propos du collège ou du lycée, dans les déclarations d’en-
seignants recueillies par les sociologues de l’éducation, dans les pro-
pos des associations de parents d’élèves à l’occasion de leurs congrès.
Tous ces discours témoignent de la relation ambivalente que les
jeunes vivent avec l’école, du désarroi de certains professeurs à
accueillir de nouveaux élèves, des critiques des parents à l’égard
d’une institution qualifiée de « ringarde » quand ce n’est pas de
dépassée. Des universitaires, enfin, évoquent fréquemment la néces-
saire rénovation de leur institution.
À tous les niveaux l’École oscille entre la révolte et la résignation,
et cette crise se révèle au niveau des attentes et des évaluations que
font les élèves, les parents et les enseignants.
La société, de son côté, se débat dans des soubresauts que l’année
1995 a mis au jour de manière flagrante. En décembre, les fonction-
naires paralysent l’économie du pays, mais l’opinion semble com-
prendre le mouvement et le dit, sondage après sondage, tout au long
de trois semaines de perturbations. Des revendications concernant les
conditions de travail et les salaires sont énoncées, mais ce qui paraît
davantage en jeu, c’est la revendication des agents de l’État d’être
compris dans leurs identités, identités qui s’ancrent dans des histoires
que les gestionnaires voudraient renier et qui ne s’expriment jamais
autant que dans une société en mutation.
Le mot est lâché, qui est aujourd’hui un étendard pour de nom-
breuses professions. Les infirmières, les paysans, les fonctionnaires
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plines enseignées, élus par leurs pairs pour quelques années, dans
le but de participer à toute décision pédagogique.
Et il y aurait sans doute beaucoup d’autres modifications qui pour-
raient se centrer sur des questions d’organisation ou de pratiques
et qui intéresseraient les conseils de classe, les bulletins scolaires,
la vie éducative… et qui ne coûteraient rien.
• La crise liée à la dimension professionnalisante de l’École
Les identifications parentales s’atténuent, les enfants ayant de plus
en plus de difficultés à caractériser le métier de leurs parents. Le
monde du travail se transforme rapidement. Le milieu paysan se rétré-
cit, le monde ouvrier perd de sa spécificité, le tertiaire se développe.
Les enfants ne vivent plus un rapport direct avec le milieu du travail,
aussi leur est-il de plus en plus difficile de préciser ce qu’ils souhai-
tent faire demain en termes de métier. Pas étonnant alors qu’ils pen-
sent davantage en termes d’études : longues ou courtes.
Les familles ont, elles, le sentiment que le système scolaire ne se
préoccupe pas suffisamment de la formation professionnelle car l’É-
cole, hier, aimait à se dire hors du monde du travail, attentive seule-
ment à une formation générale. Or, aujourd’hui, elle cherche à s’adap-
ter à la réalité économique et sociale. Les filières professionnelles
« des bacs pros », les classes de BTS, les IUT, les IUP en constituent
des illustrations. Dans le temps où les familles font au système sco-
laire le reproche de son repliement et de son manque d’ouverture au
monde du travail, ce dernier s’épuise à suivre le rythme d’évolution
de plus en plus rapide des emplois.
À propos du rapport entre l’École et le monde du travail, n’ou-
blions pas que la première n’a pas toujours constitué le lieu où l’on
apprend. On a d’abord étudié la taille des pierres, la confection des
étoffes, la fabrication du pain au contact du tailleur de pierres, du tis-
serand ou du boulanger. L’École s’est créée en se dégageant de la
pression du système de production, pour permettre, comme l’écrit
Coménius (Prévot, 1981), aux apprentis de se tromper, de prendre du
temps, d’apprendre dans l’ordre de la complexité des tâches à exécu-
ter. Mais l’École a ressenti progressivement les limites de cette action.
En didactisant les savoirs, c’est-à-dire en les organisant dans des pro-
gressions logiques en fonction de la nature de chaque discipline, les
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Nous avons suggéré une trilogie pour analyser la crise qui affecte
les relations entre l’École et la société et qui tient aux divergences en
termes de valeurs, de choix budgétaires, d’appréciation des relations
avec l’entreprise. D’autres découpages auraient été possibles.
Notre propos n’est pas de faire un inventaire complet des causes
de la crise. Il est simplement de rappeler qu’en 1995, davantage
qu’auparavant, on assiste à un décalage entre les visées de l’École et
de la société, décalage que nous avons qualifié de crise, terme qu’il
nous faut maintenant justifier.
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쑺 Le concept de crise
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Origine externe car les désaccords sociaux tirent leur origine des
visées parfois antinomiques entre l’École et son environnement ; c’est
le cas des rapports École et collectivités territoriales, École et parte-
naires potentiels économiques, administration et tutelle, enseignants et
inspection, notamment.
La crise dans la troisième analyse renvoie à des transformations
qui doivent être permanentes à cause des rapports de force à l’inté-
rieur du système scolaire et des rapports de force entre le système sco-
laire et son environnement. Par opposition aux deux autres visions de
la crise situées plus dans l’ordre du temporaire, du passager, du
conjoncturel, cette conception de la crise renvoie à la durée. On est
dans une logique d’alarme permanente, de crise à considérer dans la
continuité. On peut parler de crise structurelle pour l’École.
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• Première interrogation
Une société est démocratique non pas seulement parce qu’on y
vote, mais parce que les citoyens comprennent les enjeux des votes
auxquels ils participent. Laisser des technocrates, sous prétexte de
compétences, gouverner la société entraîne un risque de confiscation
du pouvoir par cette caste. « La guerre est une chose trop grave pour
pouvoir être confiée aux militaires » déclarait Clémenceau. La marche
d’une société est une affaire trop importante pour que des techno-
crates en aient la charge, par politiques interposés. Le savoir doit en
permanence être diffusé pour tous, avec un niveau de vulgarisation tel
qu’il soit accessible au plus grand nombre. La vulgarisation, le trans-
fert des connaissances depuis l’institution qui les élabore jusqu’à
celles qui les utilisent, l’accès aux banques de données constituent de
réels enjeux démocratiques. Une société démocratique doit penser le
rapport des citoyens aux savoirs afin d’éviter que les technocrates, les
élites intellectuelles aient seuls accès à ces derniers.
Parallèlement et simultanément, l’institution scolaire doit se pré-
occuper davantage, à travers les enseignements dont elle a la charge,
du rapport des élèves aux savoirs. C’est parce qu’ils seront capables
de comprendre, d’expliquer et, le cas échéant, d’influer sur le rap-
port des élèves au savoir que les enseignants seront reconnus
comme des professionnels de l’apprentissage de ces savoirs. Ce rap-
port au savoir dans l’École peut être analysé en termes sociolo-
giques : le rapport au savoir est le rapport à la culture et nous savons
comment, selon les familles, ce rapport diffère. Le rapport au savoir
s’interprète aussi à travers les outils de la psychanalyse : le rapport
au savoir est un rapport à son propre désir. « Apprendre, c’est inves-
tir du désir dans un objet de savoir » a écrit Freud. Enfin le rapport
au savoir s’examine à travers les particularités des savoirs discipli-
naires : le rapport aux mathématiques n’est pas le rapport à l’his-
toire, car ces deux disciplines présentent des différences de nature
qu’il faut comprendre. Nous consacrerons le prochain chapitre à
cette question.
• Deuxième interrogation
Il n’existe pas de société durable avec des liens sociaux faibles. Le
rapport de chaque citoyen à la loi, pour l’accepter, la soumettre à la
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On ne peut sans doute pas réussir en classe si l’on n’a pas compris
qu’on ne parle pas à un adulte comme à un copain, à un enseignant
comme à un voisin. On échoue si on ne saisit pas qu’il n’est pas
possible de regarder un enseignant plus de sept à huit secondes
dans les yeux, d’intervenir inopinément pendant le cours.
On réussit si on comprend quel est le contrat implicite qui lie l’en-
seignant et la classe. Par exemple, si la maîtresse demande à des
élèves de huit ans d’écrire un texte qui relate les activités du mer-
credi, il faut avoir assimilé qu’il n’est pas nécessaire d’écrire ce
que l’on a fait. Il faut seulement éviter les fautes en utilisant des
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aucun élève qui agit totalement comme son voisin pour faire ses
devoirs, apprendre ses leçons, malgré quelques constantes dans les
manières de faire. Alors peut-on imaginer des équipes d’ensei-
gnants qui se convaincraient de la richesse de leurs différences, et
qui un temps aideraient les élèves selon les manières de faire qui
apparaîtraient le mieux convenir à chacun d’eux, personne ne pre-
nant ombrage à ne pas intervenir avec tous ?
On notera que ce couple homogénéité-hétérogénéité que nous
situons au niveau de la pratique d’un enseignant, existe au niveau de
l’organisation scolaire toute entière. L’École a en effet constamment
oscillé entre une organisation qui homogénéise, créant, dans le souci
d’une pédagogie adaptée à ce public, des classes d’accueil pour les
élèves en difficultés. Puis, un jour, ces classes apparaissent comme
des classes ghettos d’élèves se vivant en marge de l’institution. Alors
on recrée une organisation en classes totalement hétérogènes dans les-
quelles les élèves en difficultés sont en plus grandes difficultés. Les
solutions au niveau de l’École en tant qu’institution résident là aussi
dans sa capacité à envisager simultanément des groupes hétérogènes
qui deviennent homogènes pour un temps.
Ensuite il faut qu’ils mutent d’une vision individuelle à une vision
collective du métier.
Dans une étude en mathématiques, Sylviane Gasquet (1991) inter-
roge des professeurs de mathématiques enseignant en seconde et
en première. Elle leur propose une liste de 39 objectifs du pro-
gramme de seconde en leur demandant de les classer du plus
important au moins important pour réussir en première. Selon les
professeurs, le même item peut être classé comme prioritaire ou à
l’inverse comme très secondaire !
Il est vraisemblable qu’un travail en commun des enseignants de
mathématiques atténuerait ces disparités qui attestent du caractère
hasardeux d’une scolarité d’élève.
Travailler en équipes est une nécessité parce que contrairement à
beaucoup d’autres professions, plusieurs personnes concourent à la
réalisation d’un produit (éduquer un élève) qui sera la résultante de
leurs actions. Dans une salle d’opérations, une nécessaire entente doit
exister entre l’anesthésiste, le chirurgien, l’instrumentiste penchés sur
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qu’on peut demander de l’aide quand on est en difficulté. Une école qui
lie instruction et éducation est une école qui permet à la cohésion sociale
de retrouver son fondement.
La laïcité constitue le liant social fondateur de l’École française.
Le risque de la laïcité est de gommer les différences afin de considé-
rer les élèves comme des sujets de droit et non comme des sujets de
fait. Aussi l’enseignement doit-il faire exister une éthique laïque qui
dans le temps où elle tolère et encourage les différences, défend des
valeurs comme la solidarité, la liberté, la citoyenneté.
Dans un système scolaire qui doit affronter des défis nouveaux et
variés, sans avoir comme par le passé l’expérience d’une situation
proche, l’enseignement devient un nouveau métier. Nous avons des-
siné une multitude de transformations nécessaires. Elles convergent
vers une vision du métier de professeur qui ne peut plus seulement
penser son action en termes d’enseignement mais aussi en termes
d’apprentissage.
L’enseignant doit devenir un professionnel des apprentissages sco-
laires (M. Develay, 1992 ; Ph. Meirieu, 1992 ; J.-P. Astolfi, 1994).
Demain n’existeront plus des professeurs de mathématiques, mais des
professeurs de l’apprentissage des mathématiques. Demain les profes-
seurs de français céderont la place à des professeurs de l’apprentis-
sage de la langue ou de la littérature.
En se centrant sur l’apprenant (nous préférons ce terme à celui
d’élève car il introduit le couple écolier et contenu à acquérir), l’École
ne fait que matérialiser l’évolution d’une société de la modernité vers
une société de la post-modernité (A. Touraine, 1992). Une société
attentive à faire émerger l’acteur dans le système (l’élève au centre du
système éducatif), attentive à développer une éthique de l’altérité
(éduquer, c’est aider à l’émergence de l’altérité, et non pas
contraindre ou conformer et encore moins dresser), et à aider à penser
l’historicité des événements (leur contingence, leur localité, leur cir-
constance)
Une École en crise dans une société en crise. L’occasion pour que
l’une et l’autre réfléchissent à leurs fondements démocratiques à travers
la question du rapport à la loi et la question du rapport au savoir.
Comment ? C’est ce que les chapitres suivants s’efforceront de détailler.
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• Le savoir
Le terme est parfois distingué de celui de connaissance ou d’infor-
mation et se confond alors avec celui de science. Le savoir, ce n’est
plus dans ce cas ce qui est personnel, mais c’est ce qui relève d’une
communauté qui a décidé de statuer sur une connaissance pour l’éri-
ger en savoir. Dans ce cas le savoir serait universel, la connaissance
singulière. Jacques Legroux (1981) va dans ce sens.
L’information, pour cet auteur, désigne des faits, des commentaires
dont il est possible de prendre connaissance dans son entourage par la
radio, la télévision, la presse, une conférence, une discussion, une lectu-
re. L’information constitue une donnée extérieure à la personne, qu’il est
possible de stocker (livre, bande magnétique ou magnétoscopique, mé-
moire d’ordinateur, et de redécouvrir identique à plusieurs années de dis-
tance.
Lorsque l’information est reçue par une personne, celle-ci se l’ap-
proprie, la fait sienne. L’information externe devient sa connaissance
propre. Ainsi le même discours est entendu diversement par ses audi-
teurs, le même livre est perçu différemment selon ses lecteurs. Pour
chacun, l’information impersonnelle devient connaissance person-
nelle.
La connaissance est intérieure à la personne et, en tant que telle,
n’est pas stockable ailleurs que dans la mémoire du sujet où le temps
la transforme. Elle risque de ne pas être identique chez un sujet à plu-
sieurs années de distance.
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Le rapport au savoir
Le savoir a pour origine une rupture opérée par le sujet avec ses
connaissances, rupture qui crée une instance nouvelle que Jacques
Legroux nomme savoir. Le savoir correspond à une mise à distance
du sujet à l’égard de sa connaissance, grâce à l’usage d’un cadre théo-
rique. Les informations de cet ouvrage que vous parcourez des yeux
deviendront pour vous des connaissances qui conduiront peut-être
l’un d’entre vous à produire un savoir nouveau sur l’éducation à partir
d’une théorie qu’il aura construite. Une trilogie s’organise alors : des
informations impersonnelles transformées en connaissances person-
nelles peuvent donner naissance à des savoirs qui, diffusés à un
public, deviendront à leur tour des informations ; jusqu’au jour où une
personne, reconsidérant les connaissances qu’elle s’est construite à
partir de ces nouvelles informations, produira un nouveau savoir. À
l’origine de la production de savoir à partir des connaissances, il
existe une rupture, une phase de mise à distance du sujet à l’endroit
de ce qu’il acceptait jusqu’alors.
Par la suite nous n’utiliserons pas le mot savoir dans le sens précis
et restreint que nous venons de rappeler. Le savoir correspondra à ce
qui est enseigné à l’École, à ce pour quoi l’École existe en partie :
enseigner des savoirs. Utilisant le mot savoir dans l’extension large de
ce qui est enseigné, il nous faut éclairer trois ambiguïtés.
L’École a pour finalité de transmettre des savoirs. D’autres institu-
tions avec elle partagent cette charge : les musées, les bibliothèques, les
banques de données, la télévision et la radio entre autres. Le mot savoir a
une connotation plus large que celui de savoir scolaire. Le savoir s’orne
d’une majuscule – le Savoir – assimilable à la culture. Le rapport au sa-
voir de l’élève à l’École est ainsi en relation avec le rapport de l’élève à la
culture, à ce qui présente pour lui une signification au quotidien et dont
on devine des variations fortes selon les élèves.
Ensuite, la culture est distribuée à l’École à travers des disciplines
scolaires : les mathématiques, les langues vivantes, la musique, la tech-
nologie… Le rapport au savoir mériterait dans ce cas d’être écrit sous
une forme plurielle : « rapports aux savoirs ». Ainsi pour un élève le rap-
port au savoir mathématique n’est pas le même que le rapport au savoir
en grammaire ou en histoire. En mathématiques même, le rapport à l’al-
gèbre est distinct du rapport à la géométrie ou du rapport à la trigonomé-
trie. En français, le rapport à l’orthographe se différencie du rapport à la
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Elles nous sont fournies par trois regards que nous distinguerons
pour la clarté de notre propos, mais qui sont imbriqués dans la réalité
d’un individu donné.
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a b
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qu’il existe une école hors l’École, soit sous la forme de cours particu-
liers qui continuent à s’étendre auprès d’enfants de milieux « favori-
sés », soit sous la forme d’un soutien scolaire développé sous des
formes diverses par des travailleurs sociaux, des militants associatifs,
des bénévoles auprès d’enfants de milieux « défavorisés ». Cette
école hors l’École est sans doute en train d’opérer une nouvelle dis-
crimination, selon la nature de l’aide apportée soit sous forme de
cours privés opérationnels parce que dispensés par des enseignants
avertis de ce domaine, soit sous celle d’actions de soutien scolaire
mises en place par des bénévoles souvent non formés et employés par
des associations ou des municipalités.
Les relations avec les enseignants sont très diverses et seules les
familles porteuses d’un projet, plus d’ailleurs dans l’enseignement
primaire que secondaire, engagent une collaboration avec les ensei-
gnants vécus comme de véritables alliés. Quant aux enseignants, leur
origine sociale semble intervenir dans cette relation. Ceux d’entre eux
qui sont issus des classes supérieures développent des initiatives indi-
viduelles de contact avec les familles que manifestent moins les
autres, issus des classes moyennes.
Le rapport au savoir de l’élève se construit dans son milieu fami-
lial à travers le système d’attentes et le jeu des attitudes que celui-ci
entretient avec l’institution scolaire. Mais intervient aussi le rapport au
savoir des familles à travers les divers médias écrits, sonores ou
audiovisuels, ou visuels. La place et la nature des livres à la maison,
les incitations à la lecture dans le milieu familial et à travers la fré-
quentation des bibliothèques, les éventuelles visites de musée, les pro-
grammes télévisuels ou radiophoniques vus, entendus et le cas
échéant discutés, la présence de journaux, hebdomadaires, revues
diverses déterminent un certain rapport au savoir dans le cadre fami-
lial. Mais les pratiques domestiques de jardinage, de bricolage, de cui-
sine, de réparation et le maintien du matériel technique, organisent
aussi un rapport au savoir et renvoient à des identifications parentales
diverses, avons-nous déjà affirmé. Reprenant Pierre Bourdieu (1985),
on pourrait distinguer aux deux extrêmes d’un gradient, des familles
dans lesquelles le rapport au savoir est un rapport d’usage et des
familles dans lesquelles il est un rapport de distinction. Dans les pre-
mières, le savoir permet de faire. On cherche à savoir pour agir. Dans
les secondes, le savoir permet de se distinguer. On cherche à savoir
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pour montrer que l’on sait. Et si l’on ne sait rien à propos de quelque
chose dont on parle, on peut avoir suffisamment confiance en soi ou
suffisamment d’aplomb pour donner le sentiment qu’on sait tout ou
presque sur le sujet. Peu importe de connaître, pourvu qu’on puisse
donner l’impression de savoir. Entre ces deux pôles existent des
familles qui sont en attente de réussite sociale pour leurs enfants et
qui, bien que vivant avec le savoir un rapport d’usage, généralement,
s’occupent des enfants, leur font réciter les leçons, et montrent ainsi
des attentes qui incitent les enfants à la réussite.
Il existe encore de nombreuses attitudes familiales comme celle, que
privilégie l’École sans le dire, d’entretenir avec le savoir un rapport de
gratuité intime. On ne cherche pas à montrer qu’on sait. On aime savoir
par plaisir personnel de comprendre les réalités du monde.
Le savoir est dans la réalité une tentative pour expliquer les
choses, les hommes et leurs interrelations. Mais dans l’imaginaire et
le symbolique, il est ce qui permet de faire, d’espérer être, de paraître.
Le rapport au savoir est ainsi chargé de tous les symboles qui opèrent
dans le rapport du sujet avec ce qui l’entoure. Les comportements
familiaux, dans leur rapport au savoir, sont autant des attitudes rela-
tives aux savoirs en tant que contenus d’explication du monde, que
des attitudes ayant trait à des principes éducatifs, des valeurs, à un
rapport au monde et aux autres. Ainsi le rapport au savoir dans la
famille traduit l’existence plus généralement d’un modèle éducatif
dont Daniel Gayet (1995) propose qu’il peut être circonscrit à quatre
stratégies évoluant dans une matrice, entre, d’une part, un axe avec
deux pôles, un pôle coopératif (altruiste, démocratique) et un pôle
compétitif (individualiste et élitiste), et d’autre part, un axe avec un
pôle centrifuge (anxiogène, tolérant mal une échappée à leur sur-
veillance) et un pôle centripète (inconscient parfois qui rejette les
enfants hors de leur vue). Cet auteur en vient à distinguer quatre stra-
tégies éducatives : libérale (pôle compétitif et centrifuge), libertaire
(pôle coopératif et centrifuge), fermée (pôle compétitif et centripète),
populaire (pôle coopératif et centripète). La plus adaptée de ces straté-
gies aux exigences scolaires est pour cet auteur la stratégie libérale.
Il faut comprendre qu’il est très difficile à un élève de milieu
« défavorisé » d’avoir des ambitions scolaires supérieures à que ce
que furent les trajectoires scolaires parentales. Pour espérer un
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livre à l’inventaire des notions qui, articulées les unes aux autres, don-
nent corps à cette notion. Le champ notionnel de la notion de civilisa-
tion regroupe entre autres les notions de société, de religion, de
science, de techniques, de morale. La notion de société regroupe, elle,
dans son champ notionnel, entre autres les notions de classe sociale et
de pouvoirs politiques. Et on pourrait à son tour dissocier la notion de
classe sociale, etc.
Les connaissances procédurales sont de l’ordre des savoir-faire.
Savoir calculer la valeur du rayon d’un cercle en connaissant son aire
est une connaissance procédurale, comme savoir rédiger l’introduc-
tion d’une dissertation. Une des questions clés des apprentissages sco-
laires est de comprendre comment s’opère chez les élèves le passage
des connaissances procédurales en connaissances déclaratives et vice-
versa.
Une tâche est un but à atteindre dans des conditions déterminées.
Résoudre un problème en mathématiques est une tâche, comme écrire
une dissertation en français ou arbitrer un match en EPS. On consta-
tera que certaines disciplines sont caractérisées autant par des tâches
que par des connaissances déclaratives (le français). Pour d’autres,
c’est l’inverse, les connaissances déclaratives semblent prendre le pas
sur les tâches (l’histoire).
La matrice disciplinaire correspond au critère d’intelligibilité de la
discipline. Hier la matrice disciplinaire de l’enseignement du français
relevait de la littérature, puis elle a correspondu à la compréhension
de la langue. Aujourd’hui elle se centre sans doute sur la compréhen-
sion de la spécificité des formes d’écrits (distinguer un texte narratif,
un texte argumentatif, un texte explicatif…). La matrice disciplinaire
correspond à la structure d’une discipline. Elle évolue alors que les
disciplines conservent le même intitulé. Les professeurs qui ensei-
gnent la biologie aujourd’hui enseignent le vivant au niveau de la cel-
lule, alors qu’hier ils l’enseignaient au niveau de l’organisme.
• Les rapports aux savoirs de l’élève dans leur dimension
épistémologique
Nous venons de chercher à illustrer qu’appréhender une discipline
scolaire, c’est en comprendre les principes, les méthodes et en appré-
cier les conclusions. Ainsi le bon élève en économie se différencie-t-il
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de l’élève qui peine parce qu’il a assimilé les clés de cette discipline.
Les clés quand il a compris quelles questions on se posait en écono-
mie, quels étaient les concepts importants qui permettaient de les
aborder, quelles méthodes étaient spécifiques de ce domaine, quel
était l’état du savoir actuellement (quelles questions nouvelles on se
posait, quelles questions anciennes on ne se posait plus).
Une des grandes différences qui existent entre l’élève et l’ensei-
gnant est que ce dernier possède (en principe) les clés des disciplines
dont il a la charge. Lorsque l’année scolaire débute, l’enseignant est
capable de préciser quelles sont les trois idées essentielles que ses
élèves devront avoir retenues en fin d’année. Les élèves sont dans
l’attitude inverse qui va être, dans le meilleur des cas, d’identifier ces
trois idées. Le rapport des élèves aux savoirs scolaires réside dans la
compréhension des enjeux disciplinaires qui leur sont enseignés. De
sorte que posséder des savoirs de haut niveau pour les enseignants,
c’est d’abord être capable de regarder les savoirs enseignés, de haut.
Le questionnaire ci-contre s’adresse à des élèves de terminale en
fin d’année. Un questionnement de même nature, susceptible de per-
mettre une mise à distance à l’égard d’un contenu enseigné, pourrait
être proposé à d’autres niveaux de classe, même de petites classes.
1. Quelles sont les trois idées clés que vous retenez de la biologie
qui vous a été enseignée cette année ?
2. Quelles différences faites-vous entre la biologie et la physique :
- en termes d’objets (ce qui est étudié dans les deux cas) ?
- en termes de méthodes (la manière dont on répond aux questions
qu’on se pose) ?
- en termes d’usage technologique des savoirs en jeu ?
3. Quelles questions éthiques (morales) un biologiste devrait-il se
poser ?
4. Quelles différences entrevoyez-vous entre la biologie enseignée
en classe de terminale et la biologie telle qu’elle se construit dans
un laboratoire ?
5. Si vous comparez la biologie, les mathématiques et la philoso-
phie, quelles différences entrevoyez-vous entre ces domaines ?
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rapport au Savoir, rapports aux savoirs
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Les médias en 1995 ont fait leurs titres sur le thème de la violence
à l’école. Le Premier ministre d’alors en a fait une priorité. Le
ministre de l’Éducation Nationale a réclamé le retour à « l’École sanc-
tuaire ».
La violence serait donc entrée à l’école et il ne se passe plus de
jours sans que l’on ne relate à son propos des incidents plus ou moins
graves. Agressions verbales et physiques d’enseignants, de chefs
d’établissement ou de surveillants, rackets d’élèves, dégradations
d’établissements, vandalisme à l’égard de voitures de professeurs,
vols dans les écoles.
Les signes de violence se développent certes, mais il convient de
les rapporter à la population scolarisée, et on découvre alors que le
pourcentage est somme toute très faible. Il suffit parfois d’un éclai-
rage différent pour qu’une peinture prenne un autre relief. Il suffit de
parler de violence, sinon pour la faire exister, tout au moins pour en
accentuer l’importance.
Néanmoins, plus que des signes de violence, il y a lieu sans doute
d’évoquer l’existence d’un climat de violence qui angoisse prioritai-
rement le corps enseignant et les administrateurs, et aussi certains
parents. Climat qui se traduit dans les établissements par de la suspi-
cion à l’égard de certains élèves auxquels on fait jouer parfois le rôle
de bouc émissaire, par une augmentation préventive des sanctions à
appliquer si…, mais plus fondamentalement par des interrogations à
propos de la vie scolaire, du fonctionnement des institutions dans les-
quelles les délégués d’élèves peuvent « prendre » la parole (conseils
de classe et conseil d’administration). Dans le même temps on notera
que les pratiques pédagogiques internes aux établissements viennent
peu en discussion. On parle de violence à l’école, et peu de violence
de l’école, et pourtant…
Premier conseil de classe, en sixième dans un collège, la séance
ressemblant davantage à une litanie de noms auxquels chaque
enseignant accroche une appréciation qu’à un temps d’apprécia-
tion collective de la vie d’une classe en relation avec des exigences
de niveau à atteindre, discipline par discipline, qui auraient été
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쑺 La règle et la loi
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Le rapport à la loi
1992).
Lorsqu’un jeune enseignant accorde d’emblée des libertés à ses
élèves comme s’ils étaient déjà éduqués, il arrive fréquemment que
bien vite il le regrette. Il s’aperçoit souvent que ses écoliers
n’avaient pas d’expérience du travail autonome, n’étaient pas
capables de fonctionner en autodiscipline, bref ne possédaient pas
tout ce sur quoi il faisait l’impasse pour aller au plus vite à son
enseignement. Les élèves ne sont jamais tels qu’on souhaiterait
qu’ils soient et l’habileté de l’enseignant d’expérience est de se
satisfaire de ce qu’ils sont pour progresser. Ainsi se passent souvent
les années scolaires entre relâchement et discipline de choc, selon
l’image de l’accordéon, occultant qu’en matière d’éducation il
conviendrait de penser la même progressivité et la même anticipa-
tion qu’en matière d’enseignement. La même progressivité est à
penser en matière d’autonomie, de socialisation, de développement
de l’esprit critique, ou de créativité qu’en matière d’acquisition de
contenus disciplinaires. Il est nécessaire de proposer des étapes et
de ne jamais confondre l’espéré et l’existant. Une égale anticipation
est nécessaire pour éduquer et pour instruire parce que l’une et
l’autre de ces intentions nécessitent de se positionner vis-à-vis de
l’élève comme s’il pouvait parvenir aux fins qu’on lui assigne. Pour
qu’un élève apprenne, il faut que je lui laisse entendre qu’il peut le
faire, donc que je postule la réussite alors que je crains parfois
l’échec. Mais le convaincre de mon espoir en sa réussite, ce n’est en
aucune manière lui laisser croire qu’il a réussi.
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Le rapport à la loi
Droits :
1. Droit à une bonne hygiène de vie (toilettes, cantines)
2. Droit de travailler dans le calme
3. Liberté d’expression dans la limite du respect des autres
4. Droit de bénéficier de sorties pour la mise en pratique des cours et pour
son enrichissement personnel
Devoirs :
1. Respect du règlement intérieur
2. Respect envers les adultes
3. Les élèves doivent se respecter mutuellement
4. Respect du matériel et des locaux du collège
5. Violence et gestes interdits sous peine de sanctions
6. Ne pas tenir de propos racistes
7. Établir un climat de confiance avec les adultes (ne pas mentir)
8. Les élèves ne doivent pas tutoyer les adultes
9. Ne pas être misogyne envers le personnel féminin
10. L’écoute et l’attention sont indispensables en classe
11. Les entrées en cours doivent s’effectuer dans le calme
12. L’élève doit lever la main pour prendre la parole
13. L’élève doit faire le travail demandé par le professeur
Droits :
1. Droit au respect des élèves
2. Droit de réprimander un élève
3. Droit d’infliger une sanction à un élève
Devoirs :
1. La prise en charge de tous les élèves est une obligation
2. Respect envers les élèves et interdiction de les humilier
3. Interdiction de faire des discriminations raciales
4. Interdiction de frapper les élèves
5. Le professeur doit s’exprimer clairement et assez fort pour la bonne com-
préhension de tous les élèves
6. Un professeur doit prendre le temps de répondre aux élèves et de donner
des explications
7. Obligation d’expliquer les motifs de toute punition
8. Un professeur doit veiller à ne pas prolonger ses cours au-delà de la sonnerie
9. Un professeur ne doit pas permettre à ses élèves de sortir pendant les
cours
10. L’organisation de sorties avec ses élèves est possible en fonction de ses
disponibilités.
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Le rapport à la loi
des devoirs et des droits qui puissent être discutés. Il n’y a éducation
que si l’élève est respecté autant qu’il respecte le maître, afin que le
second ne se comporte pas en dresseur ou en séducteur, faisant du
premier une victime ou un pantin.
Le rapport Fotinos dont nous avons fait état plus haut, joint un
tableau des droits et des devoirs des élèves et des enseignants tels
qu’ils ont été élaborés dans le collège « Le village », de Trappes.
Nous reproduisons ce document ci-avant, p. 79.
Nous ne nous prononcerons pas sur la pertinence des items cette
liste. Du côté des enseignants, elle préfigure ce qui pourrait figurer
dans un code d’éthique ou de déontologie dont nous pouvons regretter
qu’il n’existe pas dans notre pays, alors qu’il est fréquemment présent
dans de nombreux autres.
• L’École comme lieu d’émergence de la loi, et pas uniquement
comme lieu d’application des règlements
La loi constitue un ensemble de règles impératives à respecter,
qu’elle émane du législateur au plan national ou de conventions éta-
blies à l’intérieur d’un groupement donné. Elle prend forme dans des
règlements qui ont toute leur signification dans le registre du droit.
La loi est la résultante d’un compromis de valeurs et d’intérêts
entre ceux qui l’ont élaborée. Elle masque donc les inclinations de ses
rédacteurs, elle occulte la loi symbolique de chacun de ceux qui l’ont
établie avec leurs penchants, donc leurs désirs et leurs pulsions.
Convenir que les élèves devront se lever lorsque le chef d’établis-
sement franchit le seuil de la porte, entrer en classe en silence, consti-
tue une règle. Tout comme rendre les devoirs au jour fixé par l’ensei-
gnant. La loi, c’est ce qui a déterminé l’existence de ces règles et qui a
correspondu à un choix de valeurs discutées. Dans le premier cas, ce
peut-être une volonté de faire respecter la hiérarchie dans l’institution
scolaire (on ne se lèverait pas si la femme de ménage entrait), ou la
réussite sociale (on se lèverait pour un adulte ayant réussi sociale-
ment, quelle que soit sa profession), ou l’âge (on ne se lèverait pas
pour un jeune adulte).
À l’École si on veut éduquer, il ne s’agit pas seulement que les
élèves respectent la loi, mais qu’ils l’élaborent, en échangeant à partir
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Le rapport à la loi
de leur propre loi. La règle peut être prescrite, on peut toujours impo-
ser aux élèves des conventions arbitraires. L’important en éducation
n’est pas seulement le respect de la contrainte, il se situe en amont,
dans la construction de cette contrainte, à partir de la confrontation
des lois individuelles. Dans ces conditions la contrainte peut être
imposée.
• La loi
La distinction que nous avons rappelée entre la règle et la loi nous
amène à préciser les raisons pour lesquelles la construction de la loi
constitue le fondement de l’éducation.
La théorie psychanalytique fait état de l’influence des deux ins-
tances du psychisme que sont le surmoi et le ça dans la constitution
du moi. Elle explique que la conscience de l’individu qui assure son
autoconservation : le moi, se trouve en position de médiateur entre
d’une part, un pôle pulsionnel qui ignore les jugements de valeur, le
bien, le mal, la morale et fonctionne sur le principe de plaisir (de vie
et de mort) : le ça, et d’autre part, ce qui constitue une véritable
conscience morale, une censure permanente : le surmoi. Ainsi se
construit la personnalité de chacun, tiraillée de manière inconsciente
entre un principe de plaisir et un principe de réalité. La loi structure la
personnalité du sujet car elle représente pour lui la conscience de ce
qu’il peut se permettre et de ce qu’il s’interdit.
Seulement, en fonction des histoires de chacun, les lois person-
nelles divergent. Construire ensemble la loi dans un groupe c’est par-
venir à assumer des renoncements narcissiques pour entendre les
autres désirs, les autres pulsions des membres du groupe, et pouvoir
ainsi échapper aux deux dérives de l’indifférenciation fusionnelle et
de la rupture obsessionnelle d’avec le groupe (Ph. Meirieu,
M. Develay, 1992). La fusion de soi avec le groupe, c’est ce qui se
passe quand un sujet fait tellement corps avec un groupe qu’il ne s’en
différencie pas, ce qui peut le conduire au risque d’une perte de
contrôle de ses sentiments. La seule manière d’être totalement dans
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Le rapport à la loi
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Le rapport à la loi
Notons pour terminer que cette loi composée entre les élèves et
l’enseignant sera véritablement respectée par les élèves parce qu’elle
renvoie à des principes admis par eux, si bien que les devoirs aux-
quels s’astreindre n’en sont plus, ce ne sont plus que des contraintes
examinées librement. Construire de la loi, c’est transformer des
devoirs en obligations assumées parce que revendiquées.
• Des temps, des lieux et des objets pour faire vivre la loi
Ce sont les pédagogies institutionnelles qui se sont le plus large-
ment intéressées à la construction de la loi dans la classe comme prin-
cipe éducatif clé. Trois instances semblent nécessaires pour construire
de la loi. D’abord faire exister des instances de parole qui permettent
de prendre de la distance vis-à-vis de ce qui est vécu (le texte libre, le
journal de classe chez Freinet, l’entretien du matin), des lieux de déci-
sion et de régulation en cas de conflit concernant la vie du groupe (le
conseil de coopérative, organe de co-gestion et de communication
avec l’extérieur), des objets qui permettent de négocier au niveau de
chacun des engagements divers (la charte de l’établissement, le
contrat).
Cependant la construction de la loi déborde sans doute la pédago-
gie institutionnelle pour se référer à quelques principes forts :
– Il est possible de remettre dans les mains du groupe-classe tout ce
qui est du domaine de l’institution, à l’exclusion des programmes et
de la décision des examens qui ne sont pas du ressort de la classe.
L’émergence de l’acteur comme auteur de sa destinée guide l’action
éducative.
– Le pouvoir de décision à négocier concerne l’ensemble de la vie de
la classe, des activités à conduire, de l’organisation et des méthodes.
Ce qui est en jeu, c’est de chercher à rendre fonctionnelles les activi-
tés d’apprentissage des élèves en leur permettant de sentir ce qu’est
une institution et la marge de manœuvre qui est négociable à l’inté-
rieur. La visée autogestionnaire, qui concerne le groupe et pas seule-
ment l’individu, est largement présente dans cette manière de voir.
– Le rôle de l’enseignant dans un tel système est d’intervenir dans le
cadre et selon les modalités fixées par la loi du groupe. Répondant à
la demande, cette demande peut viser trois catégories d’interventions :
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Les organes des sens nous permettent de nous construire des sen-
sations au sujet des objets qui nous entourent. Un homme de bon sens
est un individu qui a la capacité de juger sereinement, sans passion.
Le sens d’une droite correspond à la direction vers laquelle elle se
dirige. Reliant ces trois acceptions du mot, le sens nous paraît corres-
pondre à la capacité à penser sereinement en fixant une direction à sa
réflexion. On trouve du sens à sa vie, on donne du sens à son exis-
tence, quand on se rend capable de manière paisible, sans emporte-
ment, avec sagesse, de tendre par la pensée vers une direction que
l’on s’est fixée.
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• L’élève psychologue
On se souvient de Psyché, mortelle, qui consacra une grande partie
de son existence à tenter de rejoindre son bien-aimé, Eros, dont la
mère, Aphrodite, refusait qu’il l’épousât et lui ordonna pour ce faire
mille travaux. Psyché s’en acquitta, devint même déesse, et symbolise
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Donner du sens à l’École
depuis la recherche de son idéal, quelles que soient les difficultés pour
y parvenir. L’élève psychologue aurait, par analogie à entreprendre la
quête jamais achevée de la connaissance tant au plan cognitif qu’af-
fectif, de ses mécanismes d’action.
On se rappelle de la caractérologie de Le Senne qui considérait la
personnalité comme résultante de l’émotivité (l’émotif est celui qui
est troublé par des événements d’importance minime), de l’activité
(l’actif est celui qui a des projets, qui les exécute, qui agit) et du reten-
tissement (le primaire vit dans l’instant et le passé ne compte guère,
le secondaire voit le passé retentir fortement chez lui). Et partant de
cette trilogie, cet auteur différenciait huit types de personnalités, du
colérique – émotif, actif, primaire – à l’apathique – non émotif, non
actif, secondaire. Ainsi fut installée l’idée d’invariants affectivo-moti-
vationnels qui ignoraient leurs homologues cognitifs.
La notion de style cognitif vise aujourd’hui à rechercher des inva-
riants à la fois cognitifs et affectivo-motivationnels dans les comporte-
ments humains. Elle correspond à l’idée que nos conduites cognitives
et affectives montrent au delà de leur plasticité évidente, une certaine
unité. Tout l’enjeu serait de connaître comment nous réagissons préfé-
rentiellement dans une circonstance déterminée.
Ci-après nous reproduisons le début d’un questionnaire de 104
questions destiné à permettre à des apprenants de se reconnaître. Il
s’agit du questionnaire de deux auteurs américains : Dunn et Price.
1. J’ai besoin de calme pour étudier
2. J’aime faire plaisir à mes parents en ayant de bonnes notes
3. J’ai besoin d’une lumière forte pour étudier
4. J’aime qu’on me dise exactement ce que je dois faire
5. Je me concentre mieux quand j’ai chaud
6. J’ai besoin d’une table ou d’un bureau pour étudier
7. Quand j’étudie, j’aime m’asseoir dans une chaise confortable ou
être couché
8. J’aime étudier avec un ou des amis.
9. J’aime que mon travail scolaire soit bien fait
10. Habituellement, je me sens mieux lorsqu’il fait chaud que lors-
qu’il fait froid
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Réflexivité Impulsivité
Tendance à différer la réponse pour Tendance à répondre rapidement,
s’assurer d’une solution exacte. quitte à commettre des erreurs.
Indécision préférée au risque d’erreur. Intolérance à l’incertitude.
Centration Balayage
Tendance à se centrer sur une seule Tendance à considérer plusieurs
chose à la fois et à clarifier complète- choses simultanément, en n’exami-
ment un point avant de passer au nant chacune que partiellement, quitte
suivant. à y revenir ultérieurement.
Travail à dominante intensive. Travail à dominante extensive.
Production Consommation
Tendance à s’approprier le savoir Tendance à s’approprier le savoir
par une attitude engagée. par une attitude réservée.
Apprentissage par l’action. Apprentissage par l’observation.
Importance d’une activité motrice Intériorisation de l’apprentissage sans
d’accompagnement (orale, graphique, manifestations motrices.
gestuelle…).
Formalisation Idéalisation
Tendance à fonctionner régulièrement Tendance à adapter le niveau
au maximum de ses possibilités d’exigence intellectuelle aux caracté-
intellectuelles, quelle que soit la nature ristiques de la tâche.
de la tâche. Fonctionnement possible sur plusieurs
Fonctionnement sur un mode unique, registres, en « s’économisant »
à « plein régime ». lorsque c’est possible.
Accentuation Égalisation
Tendance à rechercher les diffé- Tendance à rechercher des régulari-
rences, les oppositions, les contradic- tés, des éléments connus, des
tions, quitte à en accentuer le carac- habitudes de pensée, quitte à ne pas
tère. apercevoir les détails originaux.
Insistance sur l’écart avec le déjà Tendance à ramener le nouveau au
connu. connu.
Plaisir à la nouveauté. Plaisir à la prévisibilité.
Auditif Visuel
Tendance à restituer le savoir en Tendance à restituer le savoir en
reconstituant sa dynamique, en s’en reconstruisant des images, en s’en
racontant le déroulement. figurant les éléments.
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toute provisoire
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Le second obstacle est spéculatif. Parmi les cinq pistes que nous
avons suggérées pour permettre à l’élève de trouver du sens à
l’école, la plus difficile à explorer, et la plus neuve sans doute en
l’état de la réflexion didactique est celle qui facilitera l’émergence
d’un élève épistémologue. A ce propos nous avons évoqué la possi-
bilité de faire découvrir aux élèves la dimension anthropologique
des savoirs enseignés. Nous avons en quelques mots tenté de mon-
trer qu’enseigner des mathématiques, c’était faire découvrir com-
ment cette discipline permet d’aborder des questions aussi centrales
pour tout homme que l’infini, la recherche d’idéalité, l’idée de
limite, la pluralité des vérités ; qu’enseigner de la biologie, c’était
faire ressentir à travers la découverte du fonctionnement des vivants
des interrogations comme celles de l’identité, de l’interdépendance
corps esprit, de la loterie de la naissance, des relations nature-cul-
ture, de l’interdépendance entre la vie et la mort, du droit que s’ar-
roge l’homme à connaître et à transformer les espèces. Il faudrait
poursuivre cette réflexion dans l’ensemble des disciplines, aux
divers niveaux de l’enseignement afin de l’opérationnaliser par des
exemples, des outils pour les enseignants. La route sera difficile
mais l’horizon en vaut la peine : inscrire la connaissance au cœur
des questions de l’homme sur lui-même, les autres et le monde.
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Conclusion
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Conclusion
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Bibliographie
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Bibliographie
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Bibliographie
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DANS LA COLLECTION
PRATIQUES ET ENJEUX PÉDAGOGIQUES
Brigitte Sandrin-Berthon - n° 10
Apprendre la santé à l’École,
Nathalie Amoudru - n° 28
Apprentissage et identité sociale. Un parcours diversifié,
Rémi Casanova - n° 21
La classe spécialisée, une classe ordinaire ?,
Philippe Perrenoud - n° 14
Construire des compétences dès l’École ?,
Béatrice Missant - n° 37
Des ateliers Montessori à l’école. Une expérience en maternelle,
Michel Develay - n° 1
Donner du sens à l’École,
Alain Kerlan - n° 18
L’École à venir,
Paul Ravel - n° 34
L’école aujourd’hui : quelles réalités ? Obstacles, réussites, perspectives,
François Galichet, n° 50
L’école, lieu de citoyenneté,
Isabelle Ardouin - n° 13
L’éducation artistique à l’École,
Joël Lebeaume - n° 27
L’éducation technologique,
Philippe Gaberan - n° 3
Éduquer les enfants sans repères,
Christiane Page - n° 7
Éduquer par le Jeu Dramatique,
Jean-Michel Zakhartchouk - n° 22
L’enseignant, un passeur culturel,
Christiane Valentin - n° 9
Enseignants : reconnaître ses valeurs pour agir,
François Robert - n° 26
Enseigner le droit à l’école,
Jean-Pierre Astolfi - n° 8
L’erreur, un outil pour enseigner,
Nathalie Amoudru - n° 41
Les études dirigées au collège. Problèmatique et propositions,
Louise Bélair - n° 23
L’évaluation dans l’école. Nouvelles pratiques,
Charles Hadji - n° 11
L’évaluation démystifiée,
Bernard Rey - n° 15
Faire la classe à l’école élémentaire,
Anne Lalanne - n° 44
Faire de la philosophie à l’école élémentaire,
Philippe Meirieu - n° 2
Frankenstein pédagogue,
Jacques Tardif - n° 19
Intégrer les nouvelles technologies. Quel cadre pédagogique ?,
Nicole Allieu - n° 4
Laïcité et culture religieuse à l’École,
Michel Develay - n° 20
Parents, comment aider votre enfant ?
André de Peretti - n° 35
Pertinences en éducation. Tome 1,
André de Peretti - n° 36
Pertinences en éducation. Tome 2,
Patrick Fargier - n° 12
Pour une éducation du corps par l’EPS,
Roland Charnay - n° 5
Pourquoi des mathématiques à l’École ?,
Nicole Pierre - n° 42
Avec des jeunes et dans les groupes,
Yves Grellier - n° 17
Profession, chef d’établissement,
Anne Jorro - n° 45
Professionnaliser le métier d’enseignant,
Michel Develay - n° 33
Propos sur les sciences de l’éducation,
Georges Roche - n° 16
Quelle École pour quelle citoyenneté ?,
Frédérique Marcillet - n° 29
Recherche documentaire et apprentissage. Maîtriser l’information,
Jean-Jacques Paul - n° 6
Le redoublement : pour ou contre ?,
Judith Migeot-Alvarado - n° 32
La relation école-familles. « Peut mieux faire »,
Bernard Rey - n° 25
Les relations dans la classe, au collège et au lycée,
Richard Étienne - n° 30
Les réseaux d’établissements. Enjeux à venir,