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Comment aider

les couples
en crise ?
Carrefour des psychothérapies
Collection dirigée par Édith Goldbeter-Merinfeld

Carrefour des psychothérapies a pour objectif de proposer


à un large public de psychothérapeutes (psychologues,
psychanalystes, psychiatres, etc.) des ouvrages écrits par
des professionnels portant sur les différentes approches
psychothérapeutiques.
La collection accueillera également des ouvrages de
réflexion sur la psychothérapie, ainsi que des auteurs
qui apportent un éclairage original sur la pratique du
thérapeute.

Résolument pluridisciplinaire, la collection est avant


tout dédiée à la rencontre des pratiques et de théories
d’orientation très diversifiées.
Maurizio Andolfi
Anna Mascellani

Comment aider
les couples
en crise ?
Le modèle multigénérationnel
en thérapie de couple

Traduction de Dominique Bardou


Pour toute information sur notre fonds et les nouveautés dans votre domaine de spécialisa-
tion, consultez notre site web : www.deboecksuperieur.com

Ouvrage original : Intimità di coppia e trame familiari (978-8-8328-5138-0)


© 2019, Raffaello Cortina Editore

© De Boeck supérieur, s.a., 2022


Rue du Bosquet, 7 – B-1348 Louvain-la-Neuve

Tous droits réservés pour tous pays.


Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partielle-
ment ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au
public, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.

1re édition
Dépôt légal :
Bibliothèque nationale, Paris : Février 2022 ISSN : 1780-9517
Bibliothèque royale de Belgique, Bruxelles : 2022/13647/007 ISBN : 978-2-8073-3045-0
Sommaire

Remerciements 7
Introduction 9

CHAPITRE 1. Les différentes approches de la thérapie familiale 21

CHAPITRE 2. Naissance et évolution de la relation de couple 33

CHAPITRE 3. Une évaluation multidimensionnelle


de la relation de couple 43

CHAPITRE 4. Le tiers dans la relation de couple 65

CHAPITRE 5. La demande d’aide 77

CHAPITRE 6. La présence symbolique des familles d’origine 87

CHAPITRE 7. La famille d’origine en séance 103

CHAPITRE 8. Les enfants comme consultants dans la thérapie de couple 119

CHAPITRE 9. Les amis comme consultants dans la thérapie de couple 135

CHAPITRE 10. Les séances individuelles dans la thérapie de couple 145

CHAPITRE 11. La dimension horizontale du couple 153

CHAPITRE 12. La conclusion de la thérapie 163

Sommaire 5
CHAPITRE 13. Le couple dans le divorce 177

CHAPITRE 14. Le couple dans la famille reconstituée 203

Liste des cas cliniques 237


Glossaire 239
Bibliographie 243
Table des matières 251

6 Comment aider les couples en crise ?


Remerciements

Nous voulons exprimer une reconnaissance spéciale aux différents collègues


qui nous ont encouragés à rédiger cet ouvrage : parmi tant d’autres, un remer-
ciement particulier va à Lorena Cavalieri, Alessandra Santona, Massimo
Falcucci et Fulvio Sciamplicotti, membres fondateurs avec nous de l’équipe
du service de psychothérapie de couple, véritable laboratoire d’expérimen-
tation clinique à l’intérieur de l’académie de psychothérapie de la famille.
Nous avons beaucoup partagé avec eux, et cela nous a permis de transfor-
mer les nombreux et précieux contenus qui ont émergé pendant de si nom-
breuses années de travail sur le terrain, en un livre important sur la thérapie
de couple.
Nous remercions chaleureusement Silvia Mazzoni pour sa relecture géné-
reuse et critique des chapitres relatifs au couple dans le divorce et dans la
famille reconstituée, ainsi que Lucia Porcedda pour sa contribution au glossaire
et à la relecture finale de la bibliographie.
De plus, nous voulons remercier les participants, nombreux et enthou-
siastes, italiens et étrangers, aux diverses sessions d’un cours clinique sur le
couple, que nous avons mené au fil des années, pour nous avoir demandé à cor
et à cri d’écrire un livre qui présente notre modèle de travail avec les couples,
en suivant l’évolution du processus thérapeutique.
Un remerciement du fond du cœur est réservé aux nombreux couples qui
ont entrepris une thérapie avec nous au fil des années, et qui, avec leurs his-
toires de vie, ont donné l’élan vital à ce livre. Beaucoup d’entre eux, grâce aux
feedbacks, in vivo ou par écrit, relatant les transformations concrètes survenues
dans leur existence, ont influencé profondément et enrichi nos critères d’éva-
luation diagnostique et d’intervention clinique.

Remerciements 7
Enfin, un remerciement spécial, affectueux et reconnaissant, est réservé à
nos conjoints Lorena et Carlo, pour nous avoir supportés à la maison, tantôt
fatigués, tantôt absorbés, entre engagements professionnels et inspirations sou-
daines, durant les neuf mois de gestation traversés pour donner naissance à ce
livre.

8 Comment aider les couples en crise ?


Introduction

« La thérapie de couple n’existe pas ! »


Jusqu’aux années 1970, on ne parlait pas de thérapie de couple, et on ne la pra-
tiquait pas. La formation des thérapeutes, elle aussi, était orientée sur l’inter-
vention individuelle. Et la thérapie familiale, à ses origines, s’appliquait plus
aux pathologies psychiatriques, surtout après la fermeture des asiles, et sou-
vent en dernier recours, après les échecs des autres formes d’intervention, soit
individuelle soit pharmacologique. S’il existait une stigmatisation du patient
psychotique et la peur de devoir recourir au psychiatre (le médecin des fous),
il existait aussi une sorte de négation sociale des problèmes de couple, qui
empêchait le recours à la psychothérapie, suivant le vieux dicton voulant que
le linge sale se lave en famille. Au mieux, les couples en crise pouvaient consulter
des personnes sages à l’intérieur de la famille, ou le prêtre de la paroisse, dans
une sorte de confession à deux. Le résultat était généralement semblable, et
correspondait au mandat social de l’époque. La recette était toujours la même :
Pour le bien des enfants, il faut tout supporter et sacrifier sa propre liberté.
Dans divers pays du monde occidental, il était encore rare, dans les
années 1970, d’aller en thérapie à deux. Ainsi, en Italie, c’est seulement après la
loi sur le divorce en 1974 et la laïcisation progressive des coutumes des italiens,
que les couples en crise commencèrent à s’adresser à des thérapeutes de couple,
qui venaient d’une formation systémique ou psychanalytique. Auparavant, le
partenaire le plus motivé ou le plus souffrant prenait généralement l’initiative
et affrontait un parcours individuel. Bien que beaucoup de temps se soit écoulé
et que l’offre de thérapie de couple se soit élargie de façon exponentielle, encore
aujourd’hui, face à une problématique grave de couple, on recourt souvent
à la thérapie individuelle, éventuellement bilatérale. Autrement dit, chacun

Introduction 9
des partenaires choisit de parler des difficultés qu’il a avec l’autre à un tiers, le
thérapeute, au lieu d’affronter ensemble les problèmes. Cependant, les crises
de couple, les divorces hostiles et les retombées sur la santé, tant physique que
psychologique, des enfants se sont accrus démesurément, au point que certains
experts influents de la famille ou du couple affirment que les demandes de
thérapie de couple sont en constante augmentation.
Une erreur historique de la thérapie de couple d’orientation systémique a été
de créer une sorte de frontière infranchissable entre ce qui tient à la famille et
ce qui regarde le couple ; frontière par ailleurs en contradiction avec le concept
même de système familial, où la totalité n’est pas égale à la somme des parties.
Ainsi, il peut arriver que des thérapeutes de couple ne rencontrent jamais de
famille dans leur pratique clinique, réservant toute leur attention exclusivement
aux dynamiques entre les partenaires. Il arrive même que, faisant référence à sa
propre formation de psychothérapie, on choisisse d’énumérer ses compétences
spécifiques : thérapie individuelle, de couple et familiale, comme si elles étaient
des interventions très diversifiées, quand au contraire la matrice théorique de
référence devrait être la même. Je me souviens de façon encore assez nette,
de deux pionniers de la thérapie familiale, avec une sensibilité et une formation
très différentes, qui affirmaient au congrès international de Florence de 1978 :
« La thérapie de couple n’existe pas ! » Il s’agissait de Mara Selvini Palazzoli et
de Jay Haley, qui soulignaient que le couple est seulement un sous-système de la
famille, et qu’on doit affronter ses problématiques dans un cadre familial. Cette
pensée, qui à l’époque me semblait un peu catégorique, guiderait mon travail
clinique avec les couples dans les quarante années suivantes, malgré la proli-
fération, au fil du temps, des thérapeutes et des écoles de formation de théra-
pie de couple. Mais alors jeune thérapeute j’avais besoin, au-delà des petites
phrases, d’apprendre concrètement comment affronter le thème du couple
dans la dimension intergénérationnelle. Dans cette recherche de compétence,
la rencontre de Murray Bowen à Washington et celle avec James Framo à
Philadelphie, tous les deux venant d’une formation psychodynamique, furent
fondamentales pour ma croissance personnelle et professionnelle.
Bowen avait développé une théorie révolutionnaire sur la famille, qui est
encore aujourd’hui une pierre angulaire de la thérapie familiale multigénéra-
tionnelle. En réalité, nous pourrions affirmer que ses énoncés offrent une des-
cription évolutive très sophistiquée de la croissance d’un individu à l’intérieur
de ses relations familiales. C’est précisément en réfléchissant sur cela que j’ai
choisi d’intituler Dalla famiglia all’individuo (Bowen, 1979 ; « De la famille à l’in-
dividu ») la traduction italienne parue sous ma direction qui réunit les essais
les plus importants de Bowen. Pour travailler sur le couple dans une dimen-
sion intergénérationnelle, les concepts de différenciation du Soi de sa famille
d’origine, de coupure émotionnelle, de transmission intergénérationnelle des
processus d’immaturité, d’onde de choc affective qui traverse les triangles fami-
liaux en situation de stress, pour n’en citer que quelques-uns, sont un manuel

10 Comment aider les couples en crise ?


relationnel qui guide l’intervention dans la compréhension de l’individu, autant
sur un plan horizontal (la dimension du couple) que vertical (le développement
de la famille). Sa théorie, nommée General System Theory et plus connue comme
la Bowen System Theory, en opposition peut-être à la System Theory du Mental
Research Institute de Palo Alto, est certainement une contribution exception-
nelle au mouvement de la thérapie familiale. Comme thérapeute, Bowen était
plutôt cérébral, avec une attitude hiératique et solennelle, assez détaché et froid
sur le plan émotionnel. Malgré cela, en observant ses thérapies de couple, on
peut apprendre que, quand un couple, plutôt qu’interagir, tend à l’escalade et à
la disqualification réciproque, il est plus utile d’interrompre l’échange entre les
partenaires. Le thérapeute, au lieu de faire des efforts extrêmes pour faciliter la
communication, peut se mettre entre les deux comme un élément de séparation,
et déplacer le plan du discours du feeling au thinking. Formuler des questions qui
sollicitent la réflexion est plus productif que rester sur le plan du ressenti, qui
peut conduire plus facilement à l’animosité et au manque de respect réciproque.
Une fois établie une frontière mentale entre les deux individus, il sera plus facile
et moins confus de se déplacer sur le plan miné des émotions.
Ma relation avec James Framo commence à Rome il y a longtemps,
en 1971, et se poursuit pendant de nombreuses années aux États-Unis, d’abord
à Philadelphie, puis à San Diego. Le fait d’être souvent hébergé dans sa maison
de Philadelphie m’a permis de mieux connaître les évènements personnels et
familiaux les plus significatifs, en particulier la perte de deux garçons en bas âge
en raison d’une pathologie cardiaque congénitale. Suivra quasi inévitablement
sa séparation d’avec Mary, avec qui il avait été marié pendant de nombreuses
années. Lors d’un séminaire de l’American Association of Marital and Family
Therapy, mené par Framo et moi à Tucson, en Arizona, bien des années plus
tard, Jim révélera publiquement ses expériences de perte et sa difficulté à travail-
ler en thérapie avec les enfants, privilégiant le travail sur le couple adulte. J’ai
souvent assisté à ses thérapies de couple, et surtout à son travail très original avec
les multicouples, expérience répétée par moi en Italie durant plusieurs années.
Dans son travail intergénérationnel avec le couple, Framo part de la théorie des
relations objectales de Fairbairn, soutenant que les partenaires se choisissent sur
la base de la redécouverte des aspects perdus de leurs propres relations objec-
tales primaires. Et l’affirmation qui en découle, avec laquelle je suis tout à fait
d’accord, est que les personnes en général ne choisissent pas le partenaire qu’ils
veulent, mais celui dont ils ont le plus besoin. Utiliser la famille d’origine comme
ressource pour la thérapie de couple est le résultat logique de l’idée que des forces
transgénérationnelles exercent une influence critique sur les relations intimes
actuelles. Célèbre et provocatrice à cet égard est la phrase de Carl Whitaker,
quand il décrit les deux membres du couple comme « boucs émissaires de leurs
familles d’origine respectives, envoyés par celles-ci pour se reproduire ».
De nombreux couples, durant la thérapie, consacrent beaucoup de temps
à parler de leurs familles d’origine, et ils le font souvent selon des scénarios

Introduction 11
éprouvés. Framo préférait la rencontre avec les personnes réelles, et préparait
soigneusement avec chaque partenaire une rencontre spéciale avec sa famille
d’origine. Dans ces séances, que Framo appelait « la chirurgie majeure de la
thérapie familiale », les familles élaboraient leur passé et leur présent. Il affir-
mait que les enfants devenus adultes doivent résoudre leurs conflits avec leurs
parents avant que ceux-ci ne meurent. Réussissant à pardonner à ses parents,
on peut percevoir le partenaire d’une façon plus réaliste. Je peux confirmer
que je fus très impressionné par le travail préparatoire pour ces rencontres spé-
ciales, et par la conduite chaleureuse et respectueuse de Framo ; mais je dois
admettre, comme nous le verrons dans le cours de ce livre, que l’idée de séparer
le couple dans les rencontres respectives me semblait manquer une occasion
spéciale, où chaque partenaire pourrait apprendre quelque chose sur soi et sur
la relation de couple à travers l’expérience en direct et très engageante de
l’autre. Peut-être le long parcours clinique partagé avec Whitaker m’empê-
chait-il de servir de pont entre les deux conjoints, surtout face au dévoilement
des vérités familiales importantes tant pour l’un que pour l’autre partenaire.
Suivant la devise whitakerienne, « on ne fait jamais de plans dans le dos des
familles » ; il me paraissait difficile de devenir dépositaire de connaissances
profondes sur la croissance d’un partenaire en excluant l’autre.
Fort différentes et très originales étaient les séances de multicouples, qui étaient
conduites en cothérapie. La structure générale était très simple. Il s’agissait de
trois couples, et chacun parlait pendant vingt-cinq minutes des problèmes les
plus importants de leur relation, guidé par les questions et les interventions de
Framo. Puis, pendant les cinq minutes qui suivaient, les deux autres couples four-
nissaient leurs réflexions à ce sujet. Et le même schéma se répétait pour chaque
couple. D’une certaine façon, on introduisait un concept social de soutien émo-
tionnel et de solidarité réciproque à l’intérieur de la séance, qui devenait à tous
égards une thérapie de groupe, où chaque couple pouvait se refléter dans l’autre, et
transformer ses propres problèmes en ressources relationnelles. Pendant quelques
années, de retour en Italie, je me suis moi aussi essayé au travail clinique avec les
multicouples, sans toutefois élaborer à fond l’expérience, et sans rien écrire sur cette
intéressante forme d’intervention groupale, reprise plus amplement par de nom-
breux cliniciens dans le travail multifamilial.
Whitaker n’avait pas un schéma de travail spécifique par rapport aux problèmes
de couple, pas plus que concernant les problèmes liés aux conflits entre parents
et enfants. Son modèle était un travail trigénérationnel naturel, quasi instinctif,
visant à dépathologiser la famille, en élargissant le champ d’observation soit vers le
haut (la génération aînée) soit vers le bas (les enfants), dans le but de saisir au sein
de ce voyage dans l’histoire l’essence de chaque individu, à travers l’expérience
de la thérapie. Ses interventions étaient basées sur ses intuitions et associations
libres (son contre-transfert), où des sauts temporels d’une génération à l’autre,
des questions métaphoriques et des self-disclosure permettaient de rompre les sché-
mas défensifs, et de mettre à nu la partie la plus intime de chacun. Son modèle

12 Comment aider les couples en crise ?


de thérapie était symbolique-expérientielle, à la recherche de l’inner self, aussi bien
du thérapeute que de ses patients. Sur cette proposition de rencontre aux niveaux
profonds, il fondait son expérience clinique et humaine, anticipant de beaucoup
les études ultérieures sur l’intersubjectivité de Daniel Stern. Bien que l’on rapproche
son modèle théorique de référence de celui de Virginia Satir, et contrairement à
ce que proposera par la suite la thérapie expérientielle focale de Sue Johnson et de
ses collaborateurs, son parcours ne suit pas les traces de la Gestalt.
En ce qui concerne le couple, Whitaker, peut-être « prisonnier de son
époque », avait une foi inébranlable dans les ressources du couple et dans celles
normalisantes de la famille élargie. Il estimait que les deux partenaires devaient
résoudre leurs conflits à l’intérieur de leur vie de relation, sans recourir aux sépa-
rations ni aux divorces. Il affirmait que le mariage est le processus thérapeutique
naturel dans notre culture, terrain d’essai pour l’individuation par rapport à la
famille d’origine, et pour la renégociation de l’intimité et de l’autonomie dans
la première relation adulte-adulte, où chacun exerce une influence égale. Dans
un monde, comme l’actuel, où l’on s’unit en ayant déjà en poche les papiers
de la séparation, l’avertissement de Whitaker a encore plus de sens et invite à
penser qu’il est plus vital de conserver que de détruire, et que la thérapie peut
être un rempart contre des fragmentations familiales trop faciles.
Il ne fait aucun doute que, dans mon travail avec les couples et les familles
en difficulté, les théories du développement de la famille m’ont été d’une grande
aide, en particulier l’étude des phases du cycle de vie de la famille, telles que
les a décrites Monica McGoldrick, ainsi que le concept de résilience familiale
de Walsh comme recherche des ressources familiales et sociales de la famille.
Lebow, dans un éditorial en 2016 dans Family Process, affirme que Froma Walsh
a provoqué une vraie révolution à l’intérieur du mouvement de la thérapie fami-
liale de l’époque, entièrement centré sur l’étude de la pathologie dans la famille,
publiant un livre désormais historique, intitulé Normal Family Processes (Walsh,
1982 ; « Styles de fonctionnement familial »). Les études sur la résilience fami-
liale, et sur une approche plus humaniste et culturelle, face à des expériences
traumatiques de diverses natures, se sont multipliées au cours des décennies sui-
vantes jusqu’à aujourd’hui, dans une tentative de lutter contre la fureur diagnos-
tique et étiquetante du DSM-5 et de la psychiatrie en général, où la santé mentale
continue d’être décrite principalement en termes d’élimination de symptômes.
Certainement, dans cette recherche des ressources familiales et cultu-
relles, même là où elles sont submergées dans des contextes destructeurs et
aliénants, mes formations en psychiatrie sociale communautaire à New York
et en psychodynamie hornéienne se sont bien complétées et m’ont été d’une
grande aide. Avec la première loupe, j’ai pu observer la dimension fondamen-
tale du contexte social, des appartenances culturelles de la famille, y compris
ses déracinements et ses coupures émotionnelles. Avec la seconde perspec-
tive, en revanche, j’ai incorporé pleinement la positive psychology de Horney,

Introduction 13
de Fromm, Sullivan et Thompson, qui s’étaient détachés de la pensée freu-
dienne pour leur vision positive de l’homme, qui porte en lui une nécessité
vitale de se réaliser, un élan vers la vie plutôt que vers la destructivité.
La disponibilité, l’humanité du thérapeute face à la douleur authentique du
patient ainsi que sa sécurité intérieure et ses résonances affectives sont les élé-
ments essentiels du processus thérapeutique selon Morrone, l’inspirateur de la
thérapie hornéienne en Italie. Intéressante et convergente est la description du
développement de la thérapie familiale fournie par Minuchin, lors du congrès
historique de Rome en 2000 consacré aux pionniers de la thérapie familiale.
Minuchin illustre l’American quilt of family therapy en distinguant deux sortes de
thérapeutes, l’un plus chaud et interventionniste, et l’autre plus froid et déta-
ché. Et dans la première catégorie, il identifie comme précurseur du mouvement
naissant de thérapie familiale justement le groupe néofreudien cité plus haut.
Les attitudes thérapeutiques de recherche du positif, apprises dans ma
formation psychanalytique, je les ai amplement transférées dans mon travail
avec les couples en crise, où se rencontrent deux histoires de souffrance et
d’espérance. La danse relationnelle entre deux partenaires et l’harmonie dans
les mouvements s’apprennent, si on restitue la subjectivité de l’un comme de
l’autre, en dépassant les emboîtements de couple et les complémentarités dys-
fonctionnelles. De deux moitiés qui se mélangent, on peut passer à deux unités
qui se rencontrent : si ce passage évolutif a lieu, on peut reformuler le choix de
l’autre, et passer du partenaire dont on a besoin, à celui entier avec qui partager
les expériences de vie. Ce virage sera possible si chaque partenaire réussit à
redécouvrir son vrai Soi, et à donner un sens à son histoire de développement.
Les ennemis à vaincre, selon Horney, sont aux deux extrêmes : d’un côté, le
Soi idéalisé, qui pousse vers une perception grandiose et sans limite de sa propre
existence, et qui nécessite une approbation constante de l’environnement
extérieur ; à l’autre extrême, au contraire, se situe le Soi méprisé, qui s’exprime
avec une forme de haine et de dévalorisation totale vis-à-vis de soi-même.
Nous avons déjà écrit à propos du couple à plusieurs occasions. La première,
chronologiquement, remonte à 1988, à la suite d’un extraordinaire congrès
international sur la Thérapie de couple, organisé par l’Institut de thérapie
familiale de Rome l’année précédente. En effet, est sorti alors La crisi della
coppia (Andolfi, 1999 ; « La crise du couple »), un livre historique qui découle
d’un travail de grande valeur, encore très actuel, et dédié à la mémoire de
Virginia Satir qui avait participé activement au congrès susnommé.
Il y a vingt-sept ans (1993), naissait l’académie de psychothérapie de la famille,
véritable pépinière d’expériences cliniques et de réflexions théoriques sur la famille
et sur le couple. Après plusieurs années de travail de collecte de données, est ainsi
paru le livre La thérapie racontée par les familles (Andolfi, Angelo, D’Atena, 2001),
qui recueillait une recherche qualitative sur les résultats à distance de la thérapie
familiale. À l’intérieur de la recherche, un sous-groupe significatif était représenté

14 Comment aider les couples en crise ?


par les couples qui avaient conclu ou interrompu un parcours thérapeutique.
Ensuite, est sorti le manuel La terapia di coppia in una prospettiva trigenerazionale
(Andolfi et al., 2006 ; « La thérapie de couple dans une perspective trigénération-
nelle »), édité par l’académie, qui recueillait les idées présentées par moi-même
dans un séminaire intensif sur le couple. Ce petit volume a de fait représenté le
point de départ, plus de dix ans plus tard, du présent travail.
Pendant de nombreuses années, un groupe de thérapeutes experts a conduit,
en cothérapie, des thérapies de couple, se rencontrant un jour par semaine au pôle
clinique de l’académie, affinant autant le modèle multigénérationnel que les tech-
niques d’intervention. Anna Mascellani n’a pas seulement fait partie de ce groupe
spécifique, elle y a apporté un bagage de créativité et de compétences cliniques
exceptionnelles. Avec Anna, j’ai écrit, il y a des années, un livre d’une épais-
seur considérable, intitulé Histoires d’adolescence (Andolfi, Mascellani, 2010) ; et
ensemble nous voulons offrir désormais au lecteur un travail original et pratique
sur la thérapie de couple, selon un modèle multigénérationnel, qui recueille en son
sein les résultats de milliers de thérapies différentes menées avec cette méthode,
dans l’école de formation de l’académie de psychothérapie de la famille de Rome.
Dans ce modèle d’intervention, nous avons inclus, non seulement l’étage
d’au-dessus, celui occupé par la famille d’origine, mais aussi celui d’au-dessous,
représenté par les enfants, souvent négligé ou à tout le moins non engagé acti-
vement dans la thérapie. Selon les canons de la pédagogie et de l’usage psycho-
thérapique prévalent, les enfants et les adolescents sont considérés comme le
maillon faible de la famille, à protéger et à tenir à l’écart des conflits, et non pas
comme sujets compétents à écouter et à valoriser en tant que témoins privilé-
giés des évènements familiaux. Tout cela est d’autant plus vrai et paradoxal dans
les situations de crise et les séparations de couple, qui impliquent les mineurs
personnellement, et dans les conséquences nuisibles, parfois dévastatrices, qui
suivent les divorces hostiles et vindicatifs. Nous avons constaté la valeur hau-
tement curative et rassurante des enfants à l’intérieur de la thérapie de couple,
et nous en parlerons amplement dans ce volume. Dans ce livre, nous parlerons
aussi d’un autre phénomène qui, si l’on s’en tenait à une observation super-
ficielle, pourrait ne pas concerner la thérapie de couple. Dans notre pratique
clinique, nous avons été amenés à rencontrer en thérapie de très nombreuses
familles, avec une demande urgente d’intervention, pour des problématiques
infantiles les plus diverses : des troubles psychosomatiques ou relationnels
jusqu’aux troubles de l’humeur ou du comportement. Dans la grande majorité
des cas, nous avons pu constater de façon tangible combien ces troubles étaient
soutenus et alimentés par les conflits, voire par les vraies hostilités dans le couple
ou encore par les conflits ouverts avec les familles d’origine. Au lieu de culpa-
biliser les parents, ou de travailler sur le couple en laissant les enfants à la mai-
son, nous avons construit un modèle d’intervention décrit comme une thérapie
de couple camouflée. Nous avons accueilli de façon positive les problèmes des
enfants, quels qu’ils soient, parce qu’ils représentaient une occasion spéciale,

Introduction 15
le pont relationnel privilégié, pour rencontrer leur famille. Grâce au guidage par
les enfants et à la spécificité de leurs troubles, nous sommes remontés aux pro-
blèmes les plus lourds et les plus pressants du couple, qui n’aurait jamais réussi
à formuler une demande d’aide explicite et directe, soit par peur de la sépara-
tion, soit à cause des traumas et des blessures encore ouvertes avec les familles
d’origine respectives. Dans ce parcours à rebours, que nous pourrions appeler du
bas vers le haut des générations, ma formation de pédopsychiatre, qui m’amenait
à un rapport constant et assidu avec les enfants, m’a été d’une grande aide. Les
enfants m’ont ouvert la porte sur leurs familles, et en les prenant comme guides,
j’ai pu orienter mes explorations et mes interventions. À mon tour, pendant
cinquante ans, j’ai cherché à transmettre à de nombreux collègues et institu-
tions de soins la même philosophie, et avec Anna Mascellani, nous voudrions
maintenant emmener le lecteur dans ce voyage au cœur des trames de la famille,
à la recherche de transformations de couple authentiques et durables.

Maurizio Andolfi

Se sentir seul en couple


On parle beaucoup du couple. À la maison, entre amis, dans les journaux,
entre spécialistes des professions d’aide, dans les tribunaux, on exprime tou-
jours plus combien il est difficile aujourd’hui de rester unis une fois mariés.
Conseils, remèdes et règles spéciales à suivre pour faire fonctionner la relation
de couple sont délivrés quotidiennement via les réseaux sociaux, la télévision,
les livres et les manuels spécifiques. Nous devrions nous demander pour-
quoi tout cela arrive ; souvent, on parle de quelque chose quand on en sent
le manque. La relation sentimentale, quand elle se présente comme un lien
stable, consacré ou non par le mariage, vit des temps sombres et compliqués,
enserrée qu’elle est désormais à n’en pas douter entre vieux modèles et nou-
velles exigences difficiles à satisfaire. Le nombre croissant de divorces et l’offre
de diverses sortes d’interventions de soutien, ou les thérapies pour conjoints
et parents, nous révèlent que la relation du couple moderne, bien qu’elle ait
moins d’un siècle de vie, souffre profondément.
Les êtres humains sont génétiquement programmés pour tomber amoureux,
et pourtant dans la société actuelle, le célibataire est souvent considéré comme
un privilégié, en possession de son propre temps, de sa liberté, d’un avenir.
Même si, pour beaucoup de personnes qui vivent seules, le désir d’avoir une
vie sentimentale établie est encore présent, les espoirs de réussite semblent
peu nombreux, et les craintes sont fortes. Faire famille est perçu comme une
contrainte, comme le risque de perdre des parties précieuses de soi, plutôt que
comme une nouvelle aventure dans laquelle expérimenter sa propre capacité à
affronter des compromis. En substance, choisir de s’engager dans un lien stable

16 Comment aider les couples en crise ?


équivaut à renoncer. Mais de nos jours, la renonciation n’est pas très à la mode.
Ainsi, si autrefois un célibataire ou une vieille fille étaient considérés comme
des personnes seules et désavantagées, aujourd’hui, celui qui se sent seul, parce
qu’incompris par son partenaire ou parce qu’enfoui dans une vie contre toute
attente épuisante, est souvent celui qui est en couple et en famille.
La complexité des instances psychiques de l’individu de notre époque a aug-
menté énormément, et quand un couple se forme, ce sont deux complexités en
devenir qui se rencontrent. Aujourd’hui, il est socialement accepté que la liberté
personnelle soit un objectif incontournable, mais en même temps, on s’en sent
coupable, parce qu’on voudrait être des parents attentionnés et présents ; on
poursuit sa carrière, mais on souffre, parce que le couple se dessèche, privé de
temps dédié et d’énergie pour l’intimité. La femme est mécontente : de soi, parce
que tout en se sentant plus forte qu’avant, elle a du mal à retrouver une harmonie
interne ; et de son partenaire, qu’elle voit toujours moins capable de répondre
à ses exigences nouvelles et multiformes. Le devenir-mère est seulement une
des aspirations de la réalisation féminine, et souvent même pas la principale.
Évidemment, il ne s’agit pas d’un manque d’amour pour ses propres enfants, mais
ont émergé des exigences individuelles contradictoires, et il est inutile de faire
semblant qu’elles n’existent pas. Et cela n’est ni une limite ni une faute, mais
une réalité qui doit être acceptée. L’homme, de son côté, est mécontent de sa
partenaire, qu’il considère comme une personne qui n’est jamais contente, et
qui ne sait pas bien ce qu’elle veut. Ou peut-être est-il mécontent de lui seul,
parce qu’il se trompe plus facilement, se racontant que tout va bien. Il n’est
plus le héros monolithique d’autrefois, mais il doit composer avec ses émotions
nouvelles, qu’il ne sait souvent pas comment gérer, ainsi qu’avec ses contradic-
tions internes qui ont besoin d’être écoutées, et non pas comprimées dans des
rôles traditionnels, ce qui risquerait seulement de les faire exploser. C’est souvent
ainsi que le couple arrive à demander de l’aide aux spécialistes, s’il veut se donner
une dernière chance avant de se séparer, ou faire en sorte qu’on prenne acte de
l’inéluctabilité de la séparation. Il est socialement admis désormais que le lien
de couple doit être quotidiennement nourri et maintenu en vie par l’amour entre
les partenaires, et que, s’il y a l’amour, tout peut fonctionner. Si on ne se sent pas
aimé pour ce qu’on est, mieux vaut se séparer.
J’ai toujours été étonnée de voir comment un symptôme d’enfant ou d’ado-
lescent, soudainement apparu, va tout aussi vite disparaître à partir du moment
où le thérapeute réussit à intervenir sur les distorsions intergénérationnelles
non résolues du couple des parents.
Dès les premiers temps de mon expérience clinique comme thérapeute
familiale, j’ai appris que, pour aborder les différents problèmes amenés par les
enfants et les adolescents en thérapie, je ne pouvais pas faire abstraction de
la fonction parentale des conjoints. La casuistique avec laquelle je me retrou-
vais alors comprenait plus souvent les problèmes des familles, et moins ceux

Introduction 17
du couple conjugal. Toutefois, il arrivait souvent que, après un premier par-
cours thérapeutique avec la famille pour un problème d’un enfant, on réus-
sissait à entrer dans les problématiques du couple plus purement relatives au
rapport conjugal. Et justement, ce dernier passage consolidait tout le travail
fait avec la famille. C’était une sorte de parcours thérapeutique à rebours, qui
partait d’un symptôme constaté d’un dysfonctionnement parental pour arriver
à la distorsion de base pertinente de la conjugalité. Il s’agissait de thérapies de
couple camouflées, amplement citées et décrites dans ce livre.
Si je devais dire ce que j’ai appris de plus dans mon expérience clinique
depuis tant d’années, c’est que la thérapie de couple devrait être considérée
comme une thérapie préventive, vers laquelle se tourner quand la crise entre
les partenaires est manifeste et se prolonge dans le temps, surtout s’ils sont déjà
parents ou veulent le devenir. Le sous-système du couple est l’axe central de
tout l’échafaudage familial : si celui-ci vacille, tout l’édifice Famille sera tou-
jours en danger.
Au fil des années, la thérapie de couple en tant que telle s’est révélée de
plus en plus comme une richesse explicite, également à l’académie de psycho-
thérapie de la famille. Et c’est ainsi qu’en 2004, un petit groupe de six per-
sonnes (Maurizio Andolfi, Lorena Cavalieri, Alessandra Santona, Massimo
Falcucci, Fulvio Sciamplicotti et moi-même) décida de former une équipe
stable, donnant vie au service de psychothérapie du couple au sein du pôle cli-
nique de l’académie. L’idée de fond était d’utiliser le modèle de thérapie fami-
liale multigénérationnelle directement dans le sous-système du couple, mais aussi
celle de proposer une méthode de travail qui voit la cothérapie homme-femme
comme une constante de toutes les interventions, avec l’aide de tout le groupe
derrière la glace sans tain. Tous les jeudis, pendant de nombreuses années,
l’équipe se rencontrait pour travailler ensemble, avec un nombre croissant de
couples qui demandaient à être aidés pour eux-mêmes, en affinant toujours
plus une intervention spécifique : la thérapie de couple intergénérationnelle. Dans
un climat de grand enthousiasme et de curiosité, nous nous essayions à former
différents couples thérapeutiques, en alternant le suivi des cas, et en apprenant
toujours quelque chose de nouveau, soit de la part des couples soit de notre
groupe. Cette expérience professionnelle qui est la nôtre a été présentée dans
divers congrès et a été la source d’articles et de recherches conduites au sein
de l’académie.
Depuis quelques années, Maurizio Andolfi a déménagé en Australie, où
il vit la majeure partie de l’année et où il continue de travailler, rencontrant
couples et familles dans un contexte culturel évidemment très différent du
contexte italien. À titre d’exemple, en Australie, le nombre moyen d’enfants
par famille est de deux/trois ; ils quittent très jeunes la maison ; et la famille
d’origine n’est quasiment jamais en soutien du couple : soit elle vit très loin,
soit du moins elle n’est pas impliquée et engagée comme celle italienne.

18 Comment aider les couples en crise ?


En ce qui concerne la réalité italienne, où je vis et travaille, particuliè-
rement ces dernières années, l’attitude vis-à-vis de la thérapie de la part des
couples a changé. Dans les expériences cliniques du passé, on voyait la grande
partie d’entre eux demander de l’aide pour retrouver un climat serein, soit
pour eux-mêmes soit pour leur famille. Aujourd’hui, il nous arrive toujours plus
souvent de rencontrer des couples qui voient dans la séparation la solution la
plus rapide à leurs problèmes, mais qui ne réussissent pas à se séparer sans se
faire de mal ni blesser profondément leurs enfants. Quand le couple ne cherche
pas d’aide de manière autonome pour trouver des solutions personnelles, l’aug-
mentation des éclatements familiaux à travers de violentes séparations judi-
ciaires nuit à la demande d’aide, au profit d’une aide contrainte qui, comme
nous le verrons, est instrumentalisée par des figures professionnelles interdis-
ciplinaires variées, laissant une marge de manœuvre étroite et vacillante à la
relation thérapeutique. Même dans ces cas, toutefois, on peut travailler, si le
thérapeute utilise une approche spéciale, qui encadre et met l’accent sur les
spécificités qui, dans son histoire particulière, ont empêché le couple d’affron-
ter avec succès ses tâches évolutives.
L’intention de ce livre est d’illustrer notre modèle thérapeutique avec les
couples, désormais bien établi. Un modèle de travail qui va au-delà de l’idée de
devoir réparer les dégâts, pour aller plutôt chercher le sens d’un arrêt évolutif
dans l’histoire des individus qui composent le couple.
L’ouvrage se développe en quatorze chapitres. Dans les deux premiers, après
une analyse initiale des différentes approches de la thérapie de couple actuelle-
ment présentes dans le panorama international, nous décrivons notre modalité
d’observation du couple à partir de sa formation, en la corrélant avec ses tâches
évolutives en fonction de son cycle de vie.
Le troisième chapitre est dédié à l’évaluation multidimensionnelle de la
relation de couple dans ses diverses composantes : intergénérationnelle, sociale
et interne au couple lui-même. Tandis que dans le chapitre suivant, un ample
espace est réservé à la description de l’importance du tiers dans la relation
de couple, en termes négatifs ou positifs, description conforme à la modalité
d’observation triadique, que nous partageons avec les principaux représentants
de la thérapie systémico-relationnelle depuis l’origine de la thérapie familiale.
Successivement, du cinquième au douzième chapitre, le texte se développe
en décrivant le processus thérapeutique en fonction de son évolution. Ce pro-
cessus démarre par sa phase initiale, qui voit la construction de la motivation
conjointe et de l’alliance en fonction du type de demande. Vient ensuite la
phase intermédiaire, dédiée aux convocations des différents consultants en
séance. Il se termine par la phase de conclusion et d’évaluation à distance de la
thérapie.
Les deux derniers chapitres illustrent notre travail avec les couples, quand
la séparation ou le divorce sont désormais présents dans leur vie. En particulier,

Introduction 19
dans le treizième chapitre, nous décrirons notre méthode de travail dans les situa-
tions de divorce bloqué, souvent à l’origine d’une symptomatologie des enfants,
pour laquelle arrive une demande d’aide, ainsi que ces demandes contraintes de
la part d’institutions pour des couples en phase de séparation et fortement hos-
tiles, afin de les aider à retrouver une fonctionnalité sur le plan parental.
Dans le dernier chapitre, nous traitons enfin le travail avec le couple dans
les familles reconstituées, en illustrant comment notre modèle thérapeutique
intergénérationnel est appliqué dans ces situations qui voient vraiment dans
la capacité de survie du couple, face aux différents défis que ce type de famille
lui impose, le facteur le plus significatif pour le bien-être et le développement
sain de la famille entière.
Nous aurions voulu conclure ce livre en consacrant un chapitre à la thérapie
avec les couples homosexuels, thème sans doute significatif dans la conjoncture
actuelle. Mais nous avons préféré ne pas le faire, parce que nous aurions dû
nous limiter à raisonner sur une revue bibliographique, étant donné que notre
casuistique en matière de thérapie des couples du même sexe est très limitée.
Comme on le verra, le livre entier a une physionomie essentiellement clinique.
À partir de notre double expérience, celle de Maurizio Andolfi dans l’hémis-
phère austral, et la mienne en Italie, nous avons choisi de proposer au lecteur
notre modèle thérapeutique, en offrant deux cultures différentes : l’italienne,
résolument latine et sans aucun doute plus expressive, et l’anglo-saxonne, plus
détachée et introvertie. Et nous avons choisi de le faire en utilisant notamment
le récit d’histoires thérapeutiques, certaines vécues ensemble en cothérapie,
d’autres séparément, chacune dans son contexte de travail actuel. Dans le désir
d’illustrer l’exposé des constructions théoriques et la description de la pratique
thérapeutique à travers des exemples ponctuels, quarante-sept vignettes cli-
niques sont présentées dans ce livre, rendant vivante la présence des nom-
breux couples que nous avons rencontrés, ainsi que leurs enfants, leurs familles
d’origine et leurs amis, en tant d’années d’expérience clinique. Évidemment,
pour des motifs de confidentialité, les noms et les références des nombreux
protagonistes ont été modifiés, mais tous les cas cliniques présentés sont réels.
Au terme de notre long travail, en relisant les différents cas racontés, nous
avons vu notre intuition initiale confirmée : bien que les couples diffèrent
entre eux d’un point de vue culturel, les problèmes que nous sommes amenés
à affronter quotidiennement sont partout très semblables, comme s’il existait
une composante universelle du malaise de couple. Et la méthode intergéné-
rationnelle s’avère également efficace dans des cultures et des modalités de
faire-famille très différentes les unes des autres. Comme nous le verrons sous
peu, les dynamiques et les problématiques de couple d’un bout à l’autre du
monde, sont presque les mêmes.

Anna Mascellani

20 Comment aider les couples en crise ?


CHAPITRE 1
Les différentes approches
de la thérapie familiale

C’est seulement au milieu des années 1980 que la thérapie de couple a


commencé à émerger comme un traitement spécifique indépendant de la théra-
pie familiale. Ces dernières années, le développement de différentes approches
théoriques et de la recherche a connu une expansion rapide, à tel point que,
selon divers auteurs, la thérapie de couple serait devenue aujourd’hui la « pièce
maîtresse » de la psychothérapie. Et, selon eux, elle le deviendra toujours
plus, dépassant les demandes de thérapie individuelle et de thérapie familiale
(Gurman, Lebow, Snyder, 2015). Cela semble correspondre de fait à la fragilité
croissante de la relation de couple, où le lien fondateur entre les deux parte-
naires, celui que nous pourrions définir avec Scabini et Cigoli (2000) comme
le pacte fiduciaire de couple, paraît être toujours plus faible et provisoire, avec
pour résultat des éclatements familiaux fréquents et précoces.
Au cours des dernières décennies, trois axes se sont accrus significative-
ment : l’approche cognitivo-comportementale (CBCT, Cognitive Behavioural
Couple Therapy), la thérapie de couple psychanalytique et la thérapie de couple
centrée sur les émotions, en lien avec la théorie de l’attachement. Les deux pre-
mières approches dérivent de la tradition psychologique et psychodynamique,
liée pendant longtemps à l’étude de l’individu et ensuite appliquée au couple.
Pourtant, en dépit de leurs profondes différences théoriques et méthodo-
logiques, ces deux approches sont pareillement centrées sur les partenaires en
tant qu’individus et sur leur relation duelle, en excluant toute implication des
aspects sociaux et familiaux dans l’étude du fonctionnement du couple et dans
la thérapie. Elles reproposent pour le couple le même angle d’observation uti-
lisé pour l’individu, c’est-à-dire que dans le setting thérapeutique, il y a seule-
ment deux adultes en conflit et un ou deux thérapeutes soignants. Avec leur
aide, le couple pourra dépasser les erreurs dans l’élaboration des informations,
découvrant des cognitions positives (dans la CBCT), ou les deux partenaires

Les différentes approches de la thérapie familiale 21


pourront rétablir des niveaux de confiance réciproque de leur monde intérieur
à travers l’encastrement inconscient des relations objectales de l’un avec celles de
l’autre, dans le modèle psychanalytique.
Bien loin de ces deux modalités thérapeutiques, il y a la possibilité d’élargir
le cadre à la famille, en invitant en séance les familles d’origine ou les enfants
des couples en traitement. Si tout cela nous semble cohérent avec les modèles
décrits, plus surprenant est le fait que la thérapie de couple centrée sur les émo-
tions, comme celles proposées par Sue Johnson (Johnson, 2004, 2015) ou par
Gottman et Gottman (Gottman, Silver, 1999 ; Gottman, Gottman, 2015a),
s’adresse exclusivement aux deux partenaires et se focalise sur leur fonctionne-
ment de couple, partageant assez peu avec le cadre théorique intergénérationnel
de la thérapie familiale, dont de tels auteurs semblent s’être inspirés dans une
certaine mesure. Mais nous en parlerons ultérieurement, en réaffirmant ce qui a
déjà été mentionné dans l’introduction, à savoir que depuis les origines s’est créée
une barrière infranchissable entre la thérapie familiale et la thérapie de couple.

L’approche cognitivo-comportementale
L’approche cognitivo-comportementale dans la thérapie de couple tend à mettre
l’accent sur les processus cognitifs et les interactions comportementales à l’in-
térieur du couple, en aidant chaque partenaire à devenir un meilleur observa-
teur de ses propres pensées automatiques, ainsi que de ses hypothèses et de ses
schémas cognitifs au sujet de leur relation qui se sont enracinés au cours du
temps (Baucom, Epstein, Kirby, 2015). Le postulat de base est que les réponses
dysfonctionnelles de chaque partenaire, émotionnelles ou comportementales,
aux évènements relationnels sont influencées par les erreurs dans l’élaboration
des informations, et par les évaluations cognitives faussées ou arbitraires des
évènements mêmes (par exemple : « Tu es sorti boire avec tes amis après le
travail parce que tu t’intéresses plus à eux qu’à moi ! »), ou par des standards
déraisonnables et extrêmes sur la façon dont la relation de couple devrait être
(par exemple : « Si notre mariage était vraiment heureux, nous ne devrions
jamais être en désaccord ni nous disputer ! ») (Baucom, Epstein, 1990).
Frank Dattilio, représentant éminent de la thérapie cognitivo-
comportementale de couple, a été profondément influencé par les idées de
Beck, qui déjà en 1967 affirmait que les individus répondent aux stimuli à tra-
vers une combinaison de réponses cognitives, affectives et comportementales,
et que chacun de ces stimuli interagit avec les autres. Dattilio (2010), dans
son livre Cognitive-Behavioral Therapy with Couples and Families, présente une
intégration des concepts clés des théories neurobiologiques, systémiques et de
l’attachement, et illustre comment la Schema Therapy, basée sur les schémas
(les croyances) du Soi propres aux individus, peut être appliquée aux couples,
une fois mis en lumière les schémas émotionnels de chaque partenaire.

22 Comment aider les couples en crise ?


Jacobson et Christensen aussi (McKenzie et al., 2016), en accord avec
d’autres approches, comme l’EFT (Emotionally Focused Therapy) de Johnson,
décrivent une Integrative Behavioral Cognitive Therapy, où les changements
comportementaux du couple sont favorisés par l’accent mis sur les émotions,
ainsi que par la réparation des liens d’attachement insécures.
La CBCT se présente comme une approche de thérapie brève, qui se ter-
mine progressivement quand le couple montre qu’il a remplacé ses interactions
dysfonctionnelles, en acquérant une maîtrise des habiletés pour développer de
nouvelles formes d’interaction et de cognition positives. Tout cela a lieu aussi
grâce à des tâches à la maison, qui permettent au couple de pratiquer des habi-
letés d’expression et d’écoute entre les séances.

La thérapie psychanalytique de couple


Très différente est la thérapie psychanalytique de couple (PCT, Psychoanalytic
Couple Therapy), tant pour ce qui concerne les hypothèses de base que les
modalités et la temporalité de la thérapie. En règle générale, des séances heb-
domadaires sont prévues, menées souvent par un couple de thérapeutes, qui
se déroulent sur plusieurs années et dans lesquelles la suspension de l’action
est favorisée, au contraire du modèle cognitivo-comportemental comme de la
thérapie systémique, où l’on fait levier par des prescriptions, des attributions de
tâches ou des restructurations expérientielles en séance.
La PCT voit le jour au Tavistock Marital Studies Institute de Londres,
dans les années 1960, et ses bases conceptuelles se réfèrent à celles de la psy-
chanalyse individuelle, adaptées et appliquées aux dynamiques du couple.
Selon Fairbairn (1952), en fait, l’individu est organisé par le besoin fonda-
mental de relations significatives tout au long de la vie. Est réaffirmée la
centralité de l’organisation inconsciente, de l’influence des expériences pré-
coces de vie et des relations objectales dans le fonctionnement de couple.
Le mariage, selon Dicks (1967), est une sorte de relation thérapeutique
naturelle, faite de confiance mutuelle, des aspects de son monde interne.
En pratique, il s’agit d’un état d’identification projective, continue et réci-
proque ; et la qualité à long terme de la relation de couple est déterminée
par l’encastrement inconscient entre les relations objectales internes de
l’un et celles de l’autre partenaire. Les mêmes concepts ont été ultérieure-
ment élaborés par Sharff et Sharff (2003) aux États-Unis, qui ont trouvé,
dans la centralité de l’organisation inconsciente et dans le concept d’iden-
tification projective, la résultante de la structure interprétative des rapports
de couple.
La boîte à outils est la même que dans la psychanalyse individuelle. On
travaille avec les rêves et les fantaisies. On utilise l’interprétation pour aider le
couple à comprendre sa dynamique relationnelle. Et on confirme l’importance

Les différentes approches de la thérapie familiale 23


du transfert et du contre-transfert, évidemment avec des spécificités, vu
la coprésence des deux partenaires en séance. En effet, les deux conjoints
viennent en thérapie en amenant déjà leur transfert, c’est-à-dire que la rela-
tion de couple peut être décrite en soi comme une relation transférentielle
(Sharff, Sharff, 1987 ; Ruszczynsky, Fisher, 1995). Ensuite, un autre niveau à
considérer est celui du transfert sur le couple thérapeutique.
La relation de couple représente un barycentre important de la vie affective
des êtres humains. En observant le lien d’attachement adulte, les relations
intimes peuvent mieux se comprendre. Santona et Zavattini (2007) affirment
à ce propos que les études sur l’attachement romantique ont mis en évidence que
le lien de couple peut être considéré comme une construction relationnelle,
ouvrant de nombreuses questions sur le problème de la continuité/disconti-
nuité des Modèles opérationnels internes (MOI) et des styles d’attachement.
Bartholomey et Horowitz (1991) ont décrit divers patterns1 d’attachement, qui
se corrèlent avec des relations de couples saines ou plutôt avec des relations à
risque d’abus et de violence.
Comme nous le verrons dans le paragraphe qui suit consacré à la thérapie
de couple centrée sur les émotions, la théorie de l’attachement semble pouvoir
traverser transversalement et faire le pont entre ces trois approches très diffé-
rentes entre elles. C’est peut-être précisément sa nature purement dyadique,
qui se réfère à la relation précoce mère-enfant ou au lien de couple, qui permet
sa fonction de fil rouge entre des idées et des pratiques très différentes. Dans
les chapitres suivants, nous comprendrons en quoi il est plus difficile d’adopter
les concepts de base de la théorie de l’attachement quand on passe d’un prisme
dyadique à un autre triadique pour observer les relations familiales, dont celles
de couple, dans un cadre multigénérationnel.

La thérapie de couple centrée sur les émotions


Nous allons maintenant décrire brièvement le modèle de thérapie de couple centré
sur les émotions d’origine systémico-relationnelle. Sue Johnson, chercheuse et
thérapeute de couple connue, à partir des années 1990, a développé un modèle
qui a connu un grand succès, validé empiriquement, et nommé Emotionally
Focused Therapy (EFT), une fusion des thérapies systémiques, de la Gestalt
et de la théorie de l’attachement (Johnson, 2004). Certainement, Johnson
a le mérite d’avoir construit un corps d’études et de recherches sur la théra-
pie de couple, bien distinct des thérapies de couple déjà bien affirmées d’ori-
gine cognitive et psychanalytique, restituant un espace important au travail
clinique sur les émotions, sûrement longtemps négligé au sein du monde des
théories et des thérapies systémiques. Malgré des personnes éclairées comme
1. Patterns : séquences relationnelles répétitives, N.d.T.

24 Comment aider les couples en crise ?


Virginia Satir qui, déjà en 1967, parlait du pouvoir des émotions, Johnson
affirme que le climat prévalent dans le champ du mouvement familial et de
couple est la méfiance totale à l’égard des émotions et que les théories des sys-
tèmes n’incluent pas les émotions dans leur prisme d’observation, bien qu’il n’y
ait rien de non systémique à reconnaître les émotions et à les utiliser comme
impulsion au changement (ibidem).
Malgré ces réticences à intégrer le monde émotionnel des patients dans
les théories systémiques, il convient de rappeler qu’en 1992 fut organisé à
Sorrente le premier congrès de l’European Family Therapy Association, avec
justement comme titre Feelings and Systems, auquel prirent part les pionniers
et les thérapeutes familiaux et de couple les plus influents du Vieux Continent
et d’Amérique du Nord. L’objectif explicite était de faire rentrer le thème des
sentiments et des affects dans le monde des systémiciens, qui depuis longtemps
avaient privilégié le langage verbal (les fameuses questions circulaires) en igno-
rant celui du corps et du regard, et en se réfugiant dans les niches protectrices
de la neutralité et du purisme, au détriment de l’expérience thérapeutique, où
la rencontre et le changement se produisent sur le plan subjectif des émotions, ce
qui revient à dire des sentiments, soit ceux des membres de la famille, soit ceux
des thérapeutes (Andolfi, Angelo, De Nichilo, 1996).
Nous sommes cependant d’accord avec Johnson quand elle dénonce cette
limite des théories systémiques, mais peut-être néglige-t-elle le second cou-
rant du mouvement de la thérapie familiale, celui plus psychodynamique qui
s’était développé sur la côte est des États-Unis et qui avait à cœur l’individu
et son histoire de développement familial, comme nous l’avons décrit dans
divers travaux (Andolfi, Angelo, 1987 ; Andolfi, Angelo, De Nichilo, 1996 ;
Andolfi, Mascellani, 2010 ; Andolfi, 2015), qui prolongeaient le livre historique
Psychothérapies familiales (Boszormenyi-Nagy, Framo, 1980), dans lequel le monde
émotionnel de la famille et du couple était considéré comme fondamental.
De fait, la dimension intergénérationnelle, les contraintes exercées par les
familles d’origine sur la qualité de la relation de couple et la convocation des
membres de la famille élargie en séance ne sont pas prises en considération par
tous ces thérapeutes de couple qui, comme Johnson (2004), Gottman (1994),
Schnarch (1991), pour ne citer que les plus reconnus sur le plan international,
considèrent le couple comme l’unité exclusive d’observation, d’intervention et
de recherche clinique.
Comme dans les approches cognitivo-comportementales, dans la thérapie
de couple centrée sur les émotions, l’intervention est directement focalisée
sur les aspects dysfonctionnels présents dans la relation entre les partenaires.
Personne d’autre que le couple ne participe aux séances. Une fois identifiés les
domaines spécifiques dans lesquels se déroulera le parcours thérapeutique, le
thérapeute aura comme objectif principal de faire apprendre aux partenaires
des stratégies spécifiques de changement, utiles pour maximiser les avantages

Les différentes approches de la thérapie familiale 25


de la relation, en augmentant le nombre d’interactions positives, et dans
le même temps en diminuant les interactions négatives, qu’elles soient de type
cognitivo-comportemental ou de type émotionnel.
La perspective positive est embrassée pleinement aussi par John et Julie
Gottman (Gottman, Gottman, 2015a) dans leur travail extraordinaire sur le
couple, quand ils affirment que les sentiments positifs l’emportent sur la réac-
tion négative qui pourrait prendre naissance chez l’un des partenaires, face à
un comportement mauvais et occasionnel de l’autre. La perspective positive
est un élément constitutif de la métaphore de la maison de la relation solide, ainsi
que d’autres qualités relationnelles, comme le partage d’affect et d’admiration,
et la construction des cartes de l’amour. En réalité, les auteurs affirment que
leur méthode de travail avec les couples est une approche intégrative qui se
focalise sur les émotions ; en même temps elle est toutefois comportementale
en ce qu’elle vise à changer les patterns interactifs, mais aussi cognitive, exis-
tentielle, narrative, systémique et psychodynamique.

La thérapie de couple intergénérationnelle


Mais qu’en est-il de la thérapie familiale intergénérationnelle et des idées bril-
lantes de Bowen, de Boszormenyi-Nagy, de Williamson et surtout de Framo, à
propos des problèmes de couple ?
Dans la cinquième édition du notoire Clinical Handbook of Couple Therapy,
parue en 2015, Alan Gurman et ses collaborateurs décrivent les diverses
approches de la thérapie de couple, en prenant en considération de façon
très analytique les différents modèles d’intervention, élaborés pendant cin-
quante ans, à partir de l’approche cognitivo-comportementale et des théories
psychanalytiques, pour arriver au monde systémique. En réalité, des modèles
d’intervention variés sont décrits, expérimentés essentiellement en théra-
pie individuelle ou familiale, appliqués ensuite au couple, et classés de façon
assez arbitraire, à l’exception du chapitre sur les Emotion-Centered Approaches,
où sont rapportées les thérapies de couple élaborées de façon originale par
Johnson, Gottman et Gottman, et dont nous avons déjà parlé.
Ainsi, dans le chapitre sur les approches systémiques de la thérapie de
couple, apparaissent exclusivement la thérapie stratégique brève et la théra-
pie structurale, et dans les Social Constructionist Approaches figurent les thé-
rapies narratives et celles centrées sur la solution. Plus incomplet et confus
apparaît le chapitre sur la Multigenerational Approach, où n’est abordé qu’à la
fin un travail sur le Bowen Family System Couple Coaching, qui reprend dans
le travail de couple les hypothèses boweniennes désormais classiques, appli-
quées à l’étude de l’individu par rapport à ses processus de différenciation
de sa famille d’origine. Malheureusement, il manque un chapitre de, ou sur,
James Framo, le seul pionnier de première génération qui a travaillé toute

26 Comment aider les couples en crise ?


sa vie avec les couples, selon un modèle intergénérationnel, en invitant res-
pectivement en séance les familles d’origine, aussi bien de l’un que de l’autre
partenaire. Framo n’est même pas cité, bien qu’il ait écrit des articles et des
livres fondamentaux sur ce thème (Framo, 1981, 1992).
Peut-être à vrai dire, du fait de la rareté des autres écoles de pensée multi-
générationnelle, ce chapitre est-il associé aux Psychodynamic Approaches de
nature strictement psychanalytique, qui ont très peu à voir avec la pensée
et les interventions cliniques des disciples de Bowen. Nous nous sommes
inspirés du Clinical Handbook of Couple Therapy pour son prestige internatio-
nal ; et en lisant vraiment cette œuvre, nous avons eu la confirmation que
la pensée multigénérationnelle est faiblement présente dans les thérapies de
couple les plus connues et les plus pratiquées actuellement. Déjà en 2003,
Andolfi affirmait que, quand on parle de psychothérapie familiale, on a la
sensation d’entrer dans un territoire où les principes communs n’existent
pas, où il n’y a même pas un accord de base sur les modèles de référence ni sur
le mot « famille » lui-même (Andolfi, Cigoli, 2003). Tout cela se répercute
évidemment aussi dans la thérapie de couple. Bertrando et Toffanetti (2000)
ont la même réflexion dans leur précieux livre Storia della terapia familiare
(« Histoire de la thérapie familiale »), quand ils affirment qu’il existe peu
d’histoires de la thérapie familiale ; et en plus d’être peu nombreuses, elles
sont brèves : pour la plupart, ce sont des introductions à des manuels ou des
chapitres de livres, par opposition aux nombreuses et longues histoires de la
psychanalyse.
À l’exclusion de Canevaro (1999, 2009), qui développe sa méthode psycho-
dynamique d’intervention sur le couple, profondément influencée par les idées
de Framo, pour lequel la participation en séance des familles d’origine, une fois
de l’un, une fois de l’autre partenaire, revêt une grande importance, le pano-
rama international de la thérapie de couple intergénérationnelle semble très
décourageant. Ainsi, Andolfi s’exprime à cet égard : « j’ai l’impression d’être
un mouton à cinq pattes ou, pour le dire à la Bertrando de façon plus raffinée,
une antiquité » ; la famille comme présence collective et comme ressource
thérapeutique n’entre pas dans la pensée postmoderne, comme l’a bien décrit
Minuchin dans son article intitulé « Dov’è la famiglia nella terapia familiare
narrativa ? » (Minuchin, 1999 ; « Où est la famille dans la thérapie familiale
narrative ? »).
Avec ce livre, nous voudrions combler cette lacune et présenter notre tra-
vail de plusieurs décennies sur la thérapie de couple intergénérationnelle qui,
bien que partant des idées pionnières de matrice psychodynamique de Bowen,
Whitaker, Williamson, Boszormenyi-Nagy et surtout de Framo, a connu son
développement original avec des résultats cliniques surprenants, validés par
des recherches cliniques conduites par nous sur un échantillonnage de milliers
de couples traités à l’académie de psychothérapie de la famille de Rome.

Les différentes approches de la thérapie familiale 27


La métaphore du Rubik’s cube
De notre point de vue de thérapeutes familiaux militants, il n’est pas si étrange
que la thérapie de couple ne se soit jamais différenciée comme un traitement
à part entière dans le champ de la thérapie familiale, simplement parce que
la thérapie de couple, de fait, a toujours été la pièce maîtresse de la thérapie
familiale elle-même. Comme nous le décrirons mieux plus loin, notre modèle
de travail voit le couple comme l’axe intermédiaire et l’échafaudage de soutien
de tout l’archipel familial, qui va se répartir dans les différentes générations,
dont le couple est l’étage central. Le symptôme d’un enfant ramène toujours
le thérapeute familial à une évaluation de la relation conjugale, étroitement
connectée à la fonctionnalité parentale. En ce sens, la relation de couple
représente souvent la criticité sur laquelle diriger le traitement de la part
du thérapeute familial, même si la demande d’aide arrive pour un tout autre
motif. Nous avons appelé ce type d’interventions thérapies de couple camouflées
(Andolfi et al., 2006).
Il y a ensuite beaucoup de situations dans lesquelles les conjoints se rendent
compte de manière autonome que leurs problèmes familiaux dépendent d’une
crise conjugale, et sont prêts à prendre leur courage à deux mains et à demander
une intervention spécifique de thérapie de couple. Ils traînent, peut-être pen-
dant des années, dans un état de souffrance enfouie, et puis, dans ces moments
souvent définis par eux-mêmes comme « la dernière chance », ils demandent
de l’aide. Pour ne pas parler des thérapies de couple demandées du fait d’écla-
tements familiaux imminents, s’ils ne sont pas déjà en cours (lesdites thérapies
du divorce), où généralement les thérapeutes de couple excluent les enfants du
contexte thérapeutique pour les protéger, au lieu de les écouter et peut-être, ce
faisant, de comprendre aussi leurs raisons et leurs difficultés à être considérés
comme des bagages qu’on déplace d’une maison à l’autre.
Si parler d’amour, quand il semble ne plus exister, est difficile et doulou-
reux, notre expérience clinique de thérapeutes familiaux nous enseigne que
soigner l’amour peut être encore plus risqué si on ne prend pas en considé-
ration un ensemble de variables qui interfèrent de manière concomitante
avec la vie du couple. Selon nous, il n’est pas possible d’intervenir sur les
problèmes de couple en isolant ce dernier de ses liens intergénérationnels
et de la transformation historique et culturelle de la famille. Par exemple,
le sacrifice des mères (aujourd’hui grands-mères) de ne pas rompre le lien de
couple pour le bien des enfants, amplement renforcé par les principes sociaux
de leur époque, est aujourd’hui remplacé par la pression sociale à l’autoréali-
sation personnelle et professionnelle de la femme, souvent au détriment du
bien des enfants qui ressentiront sûrement les effets des divorces précoces et
peu élaborés. L’indépendance économique du monde féminin obtenue sur le
monde masculin qui, pendant des siècles, avait maintenu la femme cloîtrée
à l’intérieur de son foyer, a définitivement transformé le panorama familial.

28 Comment aider les couples en crise ?


Avec l’émancipation féminine, s’est aussi estompé, quand il n’a pas totale-
ment disparu, le mythe de l’instinct maternel, avec l’exigence autant de la
femme que de l’homme de réinventer les rôles parentaux, et par conséquent
ceux du couple. Pour ne pas parler des couples sandwich que nous avons déjà
décrits dans de précédents travaux (Andolfi, 2015 ; Andolfi et al., 2006) et
dont nous parlerons plus loin, écrasés entre les exigences croissantes de leurs
parents, âgés et souvent malades, ou handicapés, et le départ tardif de la mai-
son de leurs enfants adolescents ou jeunes adultes, incapables de sortir d’une
dépendance économique et émotionnelle vis-à-vis de leurs parents. Ou encore
des couples mixtes ou interculturels qui, partant d’une attraction réciproque liée
aux diversités, peuvent avec le temps souffrir d’incompréhensions ou de domi-
nance culturelle de la famille d’un partenaire vis-à-vis de l’autre, parce que la
diversité, au lieu d’être une valeur ajoutée, devient un élément de préjudice
ou de vexation (Andolfi, Mascellani, Santona, 2011). On peut retrouver le
même discours pour les couples homosexuels, chez lesquels les problématiques
relatives au choix d’un partenaire du même sexe peuvent devenir un élément
encore plus dramatique de divisions familiales et de conflits sociaux.
Vivant depuis quelques années en Australie, en contact étroit avec le
monde oriental et ses traditions culturelles, Andolfi a pu constater les limites
du modèle occidental appliqué de façon rigide aux familles du Sud-Est asia-
tique. En nous référant au concept de la dyade dominante (Andolfi, 2015), il
est hors de doute que la dyade prévalente dans les pays asiatiques est celle
parent-enfant. Il en résulte alors que la dyade conjugale est moins fondatrice,
au contraire de ce que l’on vérifie en Europe et en Amérique du Nord. Pour
ne pas parler des processus de différenciation du Soi de l’adulte vis-à-vis de
sa famille d’origine et des loyautés intergénérationnelles : l’émancipation
de la génération du milieu est très complexe et parfois difficilement réalisable,
puisque les parents restent hiérarchiquement dominants et demandeurs jusqu’à
la fin de leur vie avec une série infinie d’obligations et de règles de comporte-
ment attendues de leurs enfants adultes, et renforcées au niveau social. Tout
cela demande de rendre nos modèles de pensée et d’intervention plus flexibles,
capables d’incorporer des valeurs et des traditions très différentes de la nôtre,
et d’apprendre sur le terrain comment être thérapeutes, plutôt que suivre des
manuels académiques ou des classifications psychiatriques.
C’est seulement si l’on considère l’évolution de la structure familiale, en
particulier celle du couple, à l’intérieur des cultures d’appartenance, qu’on peut
avoir une vision plus complète de l’ensemble. Le risque de ne pas tenir compte
de cet aspect transformateur, en isolant le couple et en croyant le voir mieux
sans considérer ce qui existe au-delà du setting, est de répéter paradoxalement
la même erreur que la psychanalyse, qui a focalisé son intervention exclusive-
ment sur la relation patient-thérapeute, et qui a jugé secondaire tout ce qui
était en dehors. Introduire dans le prisme de notre intervention la culture,
l’histoire de la famille, les valeurs éthiques et spirituelles, et les personnes

Les différentes approches de la thérapie familiale 29


réelles qui sont autour du couple que nous rencontrons, permet de replacer nos
patients dans le processus historique et évolutif qu’ils sont en train de vivre.
En dehors de ce contexte, on perd la partie la plus vivante de la thérapie, la
dimension humaine et sociale, qui a trait à nous-mêmes comme à ceux qui
viennent chercher de l’aide. Si l’on n’utilise pas les dimensions évolutive et
sociale comme cadre de référence aux problèmes qui nous arrivent en théra-
pie, on risque de travailler avec des œillères, d’être exagérément focalisé sur la
douleur, sur la souffrance, sur les incompréhensions réciproques, et de ne pas
réussir à contextualiser le tout.
Dans les chapitres qui suivront, nous décrirons en détail notre modèle de
travail avec les couples. Mais pour commencer à avoir une idée de la comple-
xité d’une observation relationnelle-systémique du couple selon l’approche
intergénérationnelle, essayons d’imaginer avoir entre les mains le fameux
Rubik’s cube. Attribuons à chaque face les différentes variables que le couple
doit gérer dans son champ relationnel et qui influencent son état de fonction-
nement, depuis sa formation et pour toute la durée de son cycle de vie.
Sur la face rouge de notre cube, nous plaçons le Nous de couple, c’est-à-dire
l’identité du couple venue à se former à travers la consolidation du lien affectif
et cognitif entre les deux partenaires, leur sentiment de confiance réciproque
et de complicité. Sur les deux faces à droite et à gauche de la rouge, qui pour-
raient être la blanche et la jaune, il y a respectivement les deux individus que
nous considérons comme la matière première pour la formation du couple. Sur
les deux faces au-dessus et au-dessous par rapport au Nous de couple, nous trou-
vons sur la verte les enfants, réels ou seulement imaginés, avec leurs besoins
évolutifs et leurs ressources relationnelles, et sur l’orange les familles d’origine,
avec lesquelles les partenaires maintiennent des rapports et des liens affectifs
significatifs, ou parfois avec qui ils vivent des coupures émotionnelles ou des
conflits ouverts non moins importants. Enfin, derrière le couple, sur la face
bleue du cube, nous plaçons la dimension sociale : le travail, les amis, la culture
d’appartenance.
Chaque face de notre cube a une vie propre, mais, en même temps, cha-
cune est interdépendante et dynamiquement engagée avec les autres faces, à
travers des connexions et des liens internes au cube. La face rouge, celle du
Nous de couple, en tant que face principale du cube, nous permet d’évaluer
la force et la qualité du lien, dans le moment où nous l’observons, et nous
informe sur la capacité du couple à entrer en relation de façon dynamique,
avec les évolutions et les évènements qui se produisent simultanément sur les
cinq autres faces. Sur cette face, évidemment, deux carreaux, un blanc et un
jaune, devraient toujours être présents pour symboliser la présence des deux
individus, distincts et solidement liés l’un à l’autre. Pour le couple, la solution
de ce difficile travail d’intégration ne sera certainement pas de repousser ou de
se soustraire aux sollicitations qu’il reçoit des autres faces, mais de supporter

30 Comment aider les couples en crise ?


les stimulations et les déséquilibres constants, et de trouver de nouveaux équi-
libres relationnels avec et entre les différentes faces du cube, dans une sorte de
danse qui se maintient dans le temps.
Si nous avons réussi à comprendre le sens de cette métaphore, nous pou-
vons bien imaginer combien le Nous de couple devra pouvoir compter sur une
bonne dose de flexibilité et d’harmonie en son sein, pour réussir à « diriger l’or-
chestre » et à ne pas se désagréger. Et le Nous de couple est l’identité commune,
le pacte fiduciaire, autrement dit le projet que les deux individus ont construit
ensemble dans le temps. Plus les individus sont complets et matures, et plus ils
seront capables de gérer le rapport proximité/distance entre eux et les autres
parties, pour maintenir l’équilibre relationnel du cube dans sa totalité, sans la
peur de se perdre. Pour la santé et le bon fonctionnement du couple, il faut
commencer par l’individu, par sa consistance interne pour affronter les pro-
blèmes de la vie ensemble. Et notre expérience clinique nous enseigne qu’il n’y
a pas de meilleure thérapie individuelle que la thérapie de couple.

Les différentes approches de la thérapie familiale 31


CHAPITRE 2
Naissance et évolution
de la relation de couple

Le choix du partenaire
Deux personnes qui tombent amoureuses et décident ensuite de se marier, ou
de vivre ensemble, ne se choisissent jamais par hasard. L’attraction physique a
la fonction d’un aimant, qui permet aux partenaires de ressentir un intérêt spé-
cial et un désir de contact qui passent par des sensations ressenties fortement
dans le corps. Or nous savons bien qu’à travers le regard, les gestes, le ton de la
voix et le contact physique, on peut arriver à conclure des relations sexuelles,
d’ailleurs très agréables et épanouissantes, mais cela ne conduit pas toujours à
tomber amoureux. Alors, qu’est-ce qui déclenche le désir de se lier vraiment
à cette personne-là, que peut-être à une autre occasion nous n’aurions jamais
imaginé choisir ? La volonté de s’unir à quelqu’un définitivement se base sur un
jeu extrêmement subtil et sophistiqué, dans lequel l’attraction est plus psycho-
logique que physique et est corrélée avec le contexte et un moment précis du
processus évolutif de chacun des deux individus. Le passage de l’état d’engoue-
ment, et donc de l’idéalisation de l’autre, et du rapport qui fait perdre le vrai
sens de la réalité dans une sorte de fusion à deux, à un amour « moins aveugle »
et plus mature est complexe et demande du temps.
De nombreux auteurs ont étudié et décrit les raisons profondes qui amènent
à choisir le partenaire et à stabiliser une relation amoureuse, en utilisant dif-
férents prismes d’observation. D’un côté, nous avons ceux qui ont embrassé
la théorie de l’attachement, pensant que le choix du partenaire et l’amour
adulte peuvent se comprendre en se basant sur les styles d’attachement infan-
tiles (Mikulincer, 1995 ; Shaver, Mikulincer, 2002 ; Bowlby, 1979 ; Johnson,
Whiffen, 2003 ; Santona, Zavattini, 2007). Ils pensent aussi que la formation
d’un couple repose sur la capacité du partenaire de confirmer les représenta-
tions de soi et des autres développées dans la petite enfance.

Naissance et évolution de la relation de couple 33


D’autres chercheurs, plus proches de notre modèle de référence intergé-
nérationnel, comme Scabini et Cigoli, parlent d’emboîtement inédit du couple
(Centro di Ateneo Studi e Ricerche sulla Famiglia, 2017), qui naît de la ren-
contre spectaculaire entre différences cruciales : différences de genre, tout
comme différences entre les histoires et les éléments apportés par chaque
partenaire. Et c’est précisément en partant de l’union de ces différences
incontournables, des manques et des besoins que chaque partenaire porte en
lui, que le couple est appelé à faire une synthèse. « Le passage de l’amour-pas-
sion à l’amour mature se situe précisément dans cette articulation symbolique,
à savoir dans la capacité des partenaires de passer du j’épouse ceci en toi au je
t’épouse parce que tu es toi » (ibidem, p. 81).
Avec un langage similaire, nous affirmons depuis longtemps que le couple
doit passer de l’image romantique et fusionnelle tu es ma moitié à la rencontre
entre deux entiers qui, plus ils auront la capacité de s’unir, seront d’autant plus
capables de rester entiers et séparés.
Au-delà des théories de référence, nous pouvons affirmer comme donnée
générale qu’aucun couple ne commence une relation à partir de zéro. Chaque
individu du couple appartient à un système de relations, basé sur l’expérience
vécue dans sa famille d’origine, sur les éventuelles relations amoureuses pré-
cédentes, le tout à l’intérieur d’une communauté spécifique et d’un contexte
culturel propre d’appartenance, qui influencent et conditionnent les façons de
vivre et d’intégrer la relation de couple.
On se choisit par ressemblances et différences. L’attention induite par son
histoire familiale et relationnelle envers des éléments spécifiques d’intérêt
dans l’aspect et dans le comportement d’une personne précise, s’accompagne
d’une négligence tout aussi sélective à l’égard de ces éléments de son caractère
et de la relation avec celle-ci qui pourraient rendre problématique la relation
ou contrarier le mandat familial (Angelo, 1999).
Chez les deux amoureux, se rallument des sensations connues, souvent
très anciennes, faites de désir de proximité, de besoin de prise en charge, de
perceptions de résonance et de ne pas vouloir se perdre, mais plus en profon-
deur émerge l’espoir d’avoir une occasion spéciale pour donner une direction
nouvelle et plus complète à leur vie relationnelle. La première attraction est
généralement déterminée par la perception d’un sentiment de familiarité, mal
défini, qui fait ressurgir l’essence d’un quelque chose de déjà vu dans le passé, et
à quoi chaque partenaire a associé des émotions plaisantes et des significations
rassurantes. De telles ressemblances s’expriment dans la rencontre et dans la
première partie de la construction de la relation sentimentale à travers des
emblèmes mimiques (ibidem), des gestes ou des comportements symboliques que
nous avons l’impression de retrouver parce qu’ils se lient d’une certaine façon
à des modèles relationnels du passé, au mythe familial, matrice fondatrice de
notre identité. Mais ce qui fait ressentir une attraction encore plus forte repose

34 Comment aider les couples en crise ?


plus souvent sur les différences qui pourraient exister précisément à l’intérieur
de ces ressemblances : avoir expérimenté les mêmes sensations produit bien
sûr de la proximité et de la complicité, mais dans certains cas, ce qui est le
plus important est la possibilité de raviver l’espoir de pouvoir donner une issue
différente à son parcours individuel, avec de nouvelles réponses aux mandats
induits par le mythe familial. Ce qui vient d’être dit ressort plus clairement
dans ces situations dans lesquelles l’histoire familiale a été particulièrement
difficile, avec une charge significative d’attentes réparatrices.

CAS CLINIQUE
Un épisode particulier

Paul et Sandrine se rencontrent un soir d’été et tombent amoureux. Elle vient d’une
famille aisée, plutôt sophistiquée, dans laquelle les thèmes de la culture et du formalisme
ont depuis toujours marqué la distinction. Dernière de quatre filles et préférée de son
père, un professeur de philosophie qui la comblait de cadeaux, souvent des livres,
Sandrine a toujours eu un rapport difficile avec sa mère, femme raffinée, mais épouse
négligente d’un homme éternellement en quête d’approbation. Le conflit profond,
mais enfoui, entre ses parents a été le leitmotiv de la vie familiale, dans un contexte de
haute imprévisibilité émotionnelle, et Sandrine, qui depuis toujours s’est chargée du
maintien de la stabilité couvrant les tensions conjugales, a incarné pour toute la famille
la valeur de la sécurité. Sandrine est une femme forte, décidée et rigoureuse. Appliquée,
avec d’excellents résultats scolaires, elle est diplômée en histoire de l’art et a réussi le
concours pour enseigner à l’université.
Paul, fils unique, a perdu son père à l’âge de 2 ans dans un accident de voiture. À la
suite de la tragédie, la jeune mère au foyer retourna vivre chez ses parents, âgés, retraités,
d’origines modestes, assumant le rôle de chef de famille, se trouvant un travail, consa-
crant ses journées entières à soutenir sa famille. Elle n’a jamais refait sa vie, et Paul a
quasiment été élevé par ses grands-parents. Grandissant parmi les adultes, et avec de
rares fréquentations d’enfants, passionné de lecture depuis petit, Paul passait son temps
libre tout d’abord en jouant seul, puis en lisant des bandes dessinées et des romans
d’aventures. Aujourd’hui, c’est un homme timide et introverti, mais avec de profondes
valeurs morales. Après une période houleuse en début d’adolescence, il se ressaisit en
commençant à étudier avec d’excellents résultats, et en choisissant une profession sûre
comme celle d’ingénieur.
« Ce qui m’a fait tomber amoureuse de lui, c’est sa simplicité et sa spontanéité ! » dira
Sandrine en parlant de Paul aux thérapeutes. Et elle racontera l’épisode, apparemment
insignifiant, qui lui avait fait penser avoir finalement rencontré la bonne personne pour
elle. Un jour, elle était allée avec Paul acheter un jouet pour un neveu. Une fois sortis
du magasin, assis dans la voiture, Paul lui avait donné un cadeau, un paquet pour elle,
tout juste acheté en cachette. Il contenait une poupée faite de chiffons colorés, un
emblème mimique de la générosité de son papa, mais aussi de son enfance bafouée,
finalement reconnue.

Naissance et évolution de la relation de couple 35


Le pacte d’alliance
Le couple, compris comme étage générationnel intermédiaire de l’échafaudage
entier de la famille trigénérationnelle, naît quand, entre les deux partenaires,
prend forme et se constitue le pacte conjugal, bien décrit par Scabini et Cigoli
dans leur livre Il famigliare (2000 ; « Le familial »). Les auteurs présentent leur
très intéressant modèle circonflexe de lecture des réelles potentialités de déve-
loppement de la relation de couple. Et ils décrivent le pacte conjugal comme
un enchevêtrement complexe qui comprend autant la composante éthique
que la composante affective de la relation : « c’est le pacte qui fonde et orga-
nise la relation ; dans ce sens, nous pourrions dire que c’est un organisateur
relationnel. Ses éléments constitutifs sont : l’attractivité commune, le consen-
sus, la compréhension, l’engagement à le respecter, la délimitation d’un but »
(Scabini, Cigoli, 2000, p. 70).
Évidemment, la simple rencontre alchimique entre deux personnes n’est
pas suffisante pour définir l’existence du couple. Par ailleurs, nous sommes à
l’époque du marriage strike, terme inventé aux États-Unis, et de nos jours, on
se marie de moins en moins ; donc les substantifs époux/épouse ou conjugalité
pourraient risquer d’être obsolètes et non représentatifs des relations actuelles
de couple. C’est pourquoi nous désignerons le pacte conjugal par le nom pacte
d’alliance, qui est le pacte fiduciaire qui se constitue quand deux partenaires
décident de consolider leur lien sentimental, en partageant un projet de vie
ensemble. Il s’agit d’un pacte qui naît de deux composantes distinctes, toutes
les deux fondamentales dans la formation du couple : une partie consciente
et socialement reconnaissable, et une partie inconsciente, d’origine psycho-
logique, qui a trait exclusivement à la sphère la plus intime de chaque parte-
naire, et qui contient en soi la grande partie de l’investissement affectif.

L’emboîtement affectif, profond et inconscient


À partir de la perception de ces résonances émotives emblématiques décrites
précédemment, qui survient dès les premières fréquentations, naissent les pro-
dromes pour la construction de l’emboîtement affectif entre les partenaires,
cet enchevêtrement profond et inconscient du choix réciproque (Pincus,
Dare, 1978). Un tel emboîtement, que nous appellerons pacte intime, n’est
autre que l’ensemble des besoins, des désirs et des peurs liés aux histoires res-
pectives préexistantes, que les membres du couple s’attendent à traiter dans
leur relation. C’est un accord parfait et unique, pour lequel les deux semblent
reconnaître dans l’autre exactement la réponse la plus adaptée à ses nécessités
psychologiques du moment. Dans un tel contrat implicite, chaque partenaire
déverse ses exigences affectives et relationnelles fondamentales, et surtout
ses demandes de protection du danger et de renouvellement du lien (Scabini,
Cigoli, 2000).

36 Comment aider les couples en crise ?


Dans les premiers temps d’une histoire d’amour, le pacte intime qui tient
uni le couple est quasi toujours fonctionnel : on tombe amoureux de quelque
chose du partenaire, plus que de la personne, l’idéalisation typique de la phase
romantique est forte, et l’inattention sélective aide à scotomiser ces aspects
de l’autre moins en accord avec nous-même. En réalité, on peut parler d’un
emboîtement profond réellement fonctionnel, seulement quand celui-ci est
suffisamment flexible pour se modifier en fonction des besoins qui évolueront
avec le temps. Mais ce type de couple n’arrivera jamais dans nos cabinets, car
ce sont des couples harmonieux, qui réussissent à utiliser leurs ressources pour
dépasser leurs inévitables périodes critiques.
L’emboîtement profond qui unit Paul et Sandrine prend forme sur le désir de
tous les deux d’épouser chez l’autre exactement ce qui, dans cette période his-
torique de leur vie et dans ce contexte, leur fait sentir qu’ils peuvent renaître :
Sandrine épouse en Paul la simplicité et l’immédiateté désirées depuis toujours,
pendant que Paul trouve en Sandrine la sécurité qu’il n’a jamais eue. Il faudra
attendre quelque temps pour comprendre si leur pacte est vraiment fonction-
nel, capable de se rénover quand, par exemple, Sandrine pourrait lire derrière
la simplicité et l’immédiateté de Paul un manque d’ambition et une certaine
négligence, alors que pour Paul, il pourrait arriver que cette fascinante sécurité
de Sandrine se révèle en réalité comme une cage dorée, faite d’obsession et de
contrôle de soi, dans laquelle il ne voudra jamais entrer. Il arrive souvent que
précisément ces aspects de l’autre qui nous ont le plus frappés initialement
dans une histoire d’amour deviennent ensuite les raisons pour lesquelles la
relation finira par nous décevoir. Seront-ils capables de continuer à s’aimer,
en demandant à l’autre quelque chose de différent ? Ou leurs demandes sont-
elles vitales pour leur intégrité psychologique et ne peuvent-elles être aban-
données ? Tout dépend du niveau de maturation individuelle que les deux ont
atteint, du niveau de flexibilité et donc d’élaboration du mythe familial et des
missions qui en découlent (Boszormenyi-Nagy, Spark, 1973). Plus le mythe est
rigide, et moins les choix comportementaux sont disponibles. L’élaboration du
mythe et de son histoire familiale est la grande tâche évolutive dont l’individu
devra s’occuper pour pouvoir construire de nouvelles appartenances significa-
tives d’un point de vue affectif.
Dans différentes relations de couple, avec le passage du temps, le pacte
intime initial ne réussit pas à se renouveler ; bien que l’échange entre les parte-
naires ait eu lieu, l’entente semble s’être consumée dans l’évolution des besoins
de chacun des deux. Un ou les deux partenaires ne perçoivent pas les nouvelles
exigences de l’autre et, incapables d’avancer, ils se rigidifient dans la position
de « demandeur déçu », provoquant un arrêt évolutif du couple. Des moda-
lités hautement dysfonctionnelles de relation peuvent faire confondre ces
situations avec celles de l’échange impossible, bien pires. Dans certains cas,
en effet, les demandes compensatoires entre les partenaires sont excessives,
impossibles à satisfaire, et l’échange ne peut avoir lieu ; les besoins individuels

Naissance et évolution de la relation de couple 37


sont continuellement négligés dans des relations perverses, dans lesquelles l’un
tente constamment de soumettre l’autre, et vice versa. Séduction, violence,
indifférence caractérisent la relation, et la discorde peut accompagner toute la
vie du couple.

CAS CLINIQUE
Un faux départ

Alain et Claire sont en couple de longue date. Mariés depuis plus de trente ans, deux
enfants jeunes adultes partis depuis peu de la maison. Lui est un chirurgien cardiaque
pédiatrique reconnu, alors qu’elle est employée dans une petite entreprise, sans beau-
coup de satisfaction. Ils ont une très belle maison, soignée dans les moindres détails,
et Claire est une épouse impeccable, presque parfaite, qui s’occupe de son mari comme
s’il était un oracle. Cinq chemises repassées sur le lit tous les matins, chaussettes et
cravates de différentes couleurs : il doit seulement choisir lesquelles enfiler pour aller
au travail. Claire anticipe tous ses désirs, prépare le café avant même qu’il ne le demande,
et inonde la maison d’une musique douce, celle qu’il préfère.
C’est Alain qui fait la demande de thérapie de couple. Il a un peu plus de 60 ans, il se
rapproche de la retraite, ses enfants sont partis, et il a des troubles psychosomatiques
qui l’inquiètent : tension élevée, tachycardie, il se sent comme s’il était en prison. Dorée,
mais une prison quand même. Il dit ne plus vouloir vivre ainsi, avec ce sentiment de
culpabilité qui l’envahit et est en train de le tuer. Depuis toujours, il trompe son épouse
avec de multiples femmes, essentiellement ses collaboratrices, rien d’important, mais
pour lui tout cela a toujours été nécessaire, il n’arrivait pas à en faire moins. Aujourd’hui,
toutefois, il n’en peut plus. Il veut comprendre s’il aime sa femme, qu’il apprécie beau-
coup, et s’il peut rester seulement avec elle.
Claire a toujours connu et accepté avec une tranquillité apparente l’existence des rela-
tions extraconjugales de son mari, dont il lui a toujours raconté même les détails. Elle
n’a jamais fait de scène de jalousie. Elle a suivi une longue thérapie individuelle, de plus
de dix ans, pour sa dépression, compagne de vie depuis la naissance de son premier
enfant ou peut-être même avant. Elle accepte de venir en thérapie avec Alain, dit vouloir
changer les choses, mais elle sait qu’elle ne pourrait pas vivre sans lui. Elle ne peut pas
le perdre.
En réalité, le pacte intime sur lequel les deux conjoints se sont unis il y a tant d’années
était un pacte impossible, basé sur l’alimentation d’un sentiment de culpabilité paralysante.
Ils se sont connus à 18 ans, au moment où Claire s’était retrouvée presque seule au
monde : son père était mort avant sa naissance dans un accident de la route, sa mère
mourut d’un cancer quand Claire avait à peine 15 ans, et son unique frère venait de
décéder d’une leucémie foudroyante. Alain raconte que, précisément sur le parvis
de l’église où venaient d’être célébrées les funérailles du frère de Claire, une tante de cette
dernière la lui confia, lui demandant d’en prendre désormais soin pour toute la vie.
Alain, troisième de cinq frères, a toujours été le fils modèle, le seul vraiment fiable aux
yeux d’un père très fier de lui, qui le préférait aux autres, suivant toujours ses conseils
brillants et géniaux, les seuls en mesure de sauver son activité commerciale, et créant
des jalousies et des rivalités entre les frères. Ce fils et ce frère « infaillible » a été en réalité

38 Comment aider les couples en crise ?


un enfant né vieux, entièrement voué à accomplir ses devoirs, un garçon un peu anor-
mal qui vivait dans une position extérieure à son groupe d’amis, regardant leur vie de
jeunes comme depuis la fenêtre d’un train, dans lequel lui voyageait vite vers l’accom-
plissement d’objectifs ambitieux. Excellent dans ses études et dans son métier, encore
aujourd’hui, quand il parle de son travail, il dit de lui-même : « Je ne dis jamais non, et
je m’intéresse tellement aux patients que, quelquefois, je m’aperçois que même quand
mes collègues me demandent un simple avis, ils me confient ensuite totalement les
cas et… ils me laissent seul. » La « solitude du trône » est un syndrome insidieux, très
dangereux, parce que si, d’un côté, il donne une grande visibilité, d’un autre, il naît sur
le sentiment de culpabilité, sur l’automarginalisation, parce qu’on se sent coupable
d’occuper une situation privilégiée. Et chez Alain, c’est sa solitude que Claire a épousée,
elle qui n’a jamais pu détourner le regard des tombes familiales, coupable d’être l’unique
survivante. Leur pacte secret est un pacte d’union impossible : « Tu ne pourras jamais
me quitter. Tu devras essayer de me sauver, mais sans y réussir ! Le plaisir, tu devras le
trouver ailleurs, parce que moi, je ne peux pas être heureuse ! » semble-t-elle dire,
restant dépendante de lui et sans jamais le rejoindre, tandis que lui semble lui demander
à elle de l’aider à rester sur le trône, le seul endroit où il se sent visible. Pour toute sa
vie, Alain acceptera l’unique forme possible de pseudo-individuation, flirtant avec
d’autres femmes, mais encore une fois la vraie transgression, celle de laisser mourir sa
patiente, il ne pourra pas se la permettre, se contentant de regarder sa vie passer depuis
la fenêtre d’un train.

L’engagement dans le lien


L’autre composante fondamentale dans la constitution du pacte d’alliance
concerne la valence éthique attribuée par les partenaires au lien sentimental
et à l’engagement qu’ils ont pris envers le lien affectif (Scabini, Cigoli, 2000 ;
Sternberg, Barnes, 1988). Celui que nous appellerons pacte officiel du couple
caractérise le projet de vie en commun dans ses valeurs concrètes, et il est
reconnaissable par la communauté sociale. Il se manifeste dans la promesse
de fidélité dans les différentes circonstances de la vie, et il concerne les obli-
gations réciproques de la part des partenaires, qui sont attestées publiquement
dans le rite matrimonial.
Comme il arrivait souvent dans les mariages arrangés d’autrefois, plus les
valences du pacte officiel sont purement contractuelles, et moins l’investisse-
ment émotionnel à l’intérieur revêt de l’importance. Un exemple est donné
par ces mariages « prudents », dans lesquels la logique du droit individuel pré-
vaut sur celle du partage des risques. Dans ces cas, l’accord est rigide, et la
parité dans le mariage est entendue comme garantie des droits acquis, plus
que des devoirs assumés. C’est un pacte officiel axé plus sur l’acquisition d’un
statut social, et moins sur l’engagement intériorisé émotionnellement, idéal
pour un bon divorce : dans ces situations, les contrats de mariage souscrits chez

Naissance et évolution de la relation de couple 39


le notaire nous démontrent que, fréquemment, on s’organise pour se séparer
avant même de se marier.
Quand, à l’inverse, le pacte officiel est conscient et bien intériorisé, chaque
partenaire partage avec l’autre un projet de vie commune, ainsi que l’enga-
gement réciproque à le réaliser. Le soin pour le maintien du lien ne passe pas
seulement par la promesse de loyauté faite à l’autre, mais encore plus dans le
respect de son choix. Dans ce cas, le lien représenté par le pacte officiel agit
comme une sorte de contenant du lien sentimental, utile pour le faire résister
aux premières secousses découlant des changements structuraux, concédant au
couple le temps nécessaire pour trouver une nouvelle organisation fonction-
nelle en son sein.
Beaucoup de couples modernes fondent la persistance de la relation essen-
tiellement sur des contingences émotionnelles-affectives, mettant au second
plan la partie officielle du pacte d’alliance. Ce sont les couples qui ne se marient
pas, qui préfèrent cohabiter, voire, dans certains cas, maintenir chacun des
membres dans sa propre résidence individuelle. D’un autre côté, de nos jours,
l’autoréalisation et l’autonomie personnelle sont les objectifs premiers poursui-
vis autant par les femmes que par les hommes. Le couple est essentiellement
romantique : on s’unit à l’autre surtout pour son propre bien-être psychique et
physique. Ainsi, la mesure obtenue par le niveau de l’amour, jour après jour,
détermine la quantité d’investissement dans le lien de la part du couple. Les
aspects d’idéalisation prévalent sur les aspects réalistes, et donc la désillusion,
quand elle arrive, met en péril la relation, qui n’est pas protégée : le pacte offi-
ciel peu consistant et la faiblesse de l’engagement, dans ces situations, n’aident
pas les membres du couple à tolérer la frustration des déstabilisations cycliques,
et, trop souvent, le couple renonce et résout la désillusion avec la séparation,
avant même de comprendre que, peut-être, il aurait suffi d’attendre pour se
donner une autre possibilité. Une recherche américaine (Hawkins et al., 2017)
a montré que, sur un échantillon de trois mille personnes, de 25 à 50 ans, qui
avaient pensé divorcer récemment (dans les six derniers mois), la moitié avait
changé d’idée un an plus tard. Parmi ceux qui, à l’inverse, avaient sérieusement
pensé au divorce dans un passé non récent, environ 90 % affirmaient être heu-
reux de ne l’avoir pas fait.
Si le pacte intime et profond symbolise la relation affective entre les
membres du couple, le pacte officiel en définit le lien. Les deux branches
constituant le pacte d’alliance jouent un rôle fondamental dans la vie du
couple. Et de la façon dont leurs caractéristiques respectives se rencontrent,
mais surtout de leur coexistence et de leur flexibilité, dépendra la modalité
avec laquelle le couple pourra affronter ses phases de transition, ces moments
physiologiques critiques, parce que soumis aux transformations relationnelles
imposées par le cycle de vie, ainsi que par d’autres moments, ceux liés à la
maturation personnelle de chaque partenaire, en phase avec la mutation de
ses besoins évolutifs.

40 Comment aider les couples en crise ?


Le cycle de vie du couple
Dans notre modèle thérapeutique, le regard sur le processus évolutif de cha-
cun des deux membres du couple se déplace simultanément dans deux direc-
tions bien distinctes, qui s’inscrivent sur une ligne verticale et une horizontale.
Mais pour pouvoir évaluer instantanément la santé du couple, le thérapeute
ne pourra pas ne pas prendre en compte également une troisième dimension
fondamentale, celle de son temps évolutif spécifique. La situation est bien dif-
férente entre un couple jeune et sans enfant et un autre de plus longue date
avec enfants, tout comme entre un couple avec de petits enfants et un autre
avec des adolescents ou des enfants adultes.
La relation de couple se développe dans le temps selon un cycle de vie
propre, qui comprend des phases distinctes (McGoldrick, Carter, 1982 ;
Scabini, Cigoli, 2000 ; Andolfi et al., 2006). Il s’agit d’un processus évolu-
tif à deux, qui comporte des moments de transition déstabilisants, tout à fait
physiologiques, des phases de réorganisation et des périodes d’ajustement. Le
dépassement de telles crises dépendra de la capacité des deux partenaires d’af-
fronter une série de tâches relationnelles importantes qui, si elles sont réalisées,
produiront des répercussions fondamentales pour la croissance individuelle de
chacun des deux, et pour la progression du couple vers la phase suivante.
La première période du cycle de vie du couple, qui commence par la
rencontre entre les deux, est la phase romantique, celle de l’état naissant de
l’amour et de l’idéalisation, durant laquelle la passion offre l’apport maximal
à la construction de l’espace du Nous, qui à ce moment-là est identifié par le
niveau d’intimité et de complicité existant entre les partenaires. Dans ce nid
à deux, les partenaires fusionnent et se retrouvent comme les deux éléments
constitutifs d’un cocon relationnel totalement nouveau, à qui il va falloir don-
ner une identité d’ensemble, qui deviendra l’identité de couple. Pour ce faire,
les tâches évolutives que chacun des deux devra affronter portent sur deux
rôles simultanément : dans une optique verticale, celui des enfants, bien établi
en soi-même au cours des histoires familiales respectives, et dans une optique
horizontale, celui des individus appartenant à la même génération, rôle jusqu’à
présent joué dans les relations fraternelles et dans les relations amicales. Dans
cette dimension horizontale, les partenaires devront jeter les bases de la créa-
tion de l’identité de couple, à travers la réciprocité et le dépassement de l’auto-
référence. En tant qu’enfants, ils devront, au contraire, savoir se différencier
des familles d’origine, et construire en même temps un nouveau type de lien
avec elles, moins complémentaire et basé sur la parité générationnelle.
La seconde phase du cycle de vie du couple commence à l’arrivée des
enfants, et est la phase de la parentalité, qui prévoit la construction d’un rap-
port responsable et d’entente entre les partenaires pour élever leur progéniture,
grandissant ensemble grâce à un tiers. L’espace du Nous, défini par les frontières

Naissance et évolution de la relation de couple 41


du couple par rapport aux générations précédentes et suivantes, devra se réor-
ganiser avec l’arrivée des enfants, se distinguant en son sein en deux dimen-
sions, celle de l’intimité conjugale et celle de la complicité parentale, qui assument
une coexistence stable, quoiqu’avec des prévalences variables en fonction des
différentes périodes du cycle de vie de la nouvelle famille. Par exemple, dans la
situation de deux parents d’un nouveau-né, la cohésion des partenaires autour
de l’enfant et le partage dans la prise en charge seront un bon indicateur de
fonctionnalité, même si le sous-espace parental occupera probablement quasi
complètement l’espace du Nous, aux dépens du conjugal. Cela permettra aux
partenaires d’entrer respectivement dans des nouveaux rôles de mère et de père,
dans l’attente de se retrouver plus pleinement comme conjoints dans une phase
suivante. Au contraire, un couple avec des enfants adolescents devra s’acti-
ver pour trouver un équilibre adéquat, en faisant en sorte que l’espace conju-
gal augmente à l’intérieur du Nous de couple. Cela permettra aux partenaires
de continuer à être parents plus dans des fonctions de guide que dans celles de
prise en charge pour leurs enfants, lesquels pourront s’occuper d’eux-mêmes
dans la sécurité de ne pas trahir leurs parents, qui de leur côté puiseront dans
le réservoir de l’espace conjugal le carburant affectif pour leur avenir serein.
Dans la troisième et dernière phase, correspondant à l’âge avancé des parte-
naires, restés seuls désormais après le départ de la maison des enfants, l’espace
du Nous pourra être plus pleinement occupé par la dimension de couple, qui
prendra différentes nuances : de la passion avec laquelle la vie à deux avait
commencé, on passera à une relation plus mature et profonde, avec de fortes
capacités affectives et de prise en charge réciproque.
Parmi les nombreuses tâches évolutives que le couple doit affronter en
fonction du moment du cycle de vie qu’il est en train de vivre, il y en a une qui
traverse la vie entière du couple : c’est le devoir permanent de s’occuper de soi-
même et de se renouveler, maintenant toujours en vie l’entente et l’intimité
à deux, qui, même au milieu des vicissitudes de la vie, le caractérisent comme
couple, tant à l’égard de chaque partenaire que vis-à-vis de l’extérieur.
Les transformations personnelles et relationnelles requises dans le cours
évolutif de la vie de couple sont considérables, et pas toujours faciles à affron-
ter ; ainsi, il peut arriver qu’à l’apparition des premières difficultés, l’un ou les
deux individus se retrouvent à réfléchir à rester ensemble ou se séparer, sans se
donner le temps nécessaire pour mettre en acte le changement. La désillusion
et le désarroi éprouvés dans les phases de transition, s’ils ne sont pas partagés
et accueillis réciproquement, peuvent donner lieu à un effondrement face à des
moments critiques, et conduire à la rupture de la relation. Notre expérience
clinique, confirmant ce qu’a énoncé Walsh (1988), nous amène à conclure
que, souvent, la solution des difficultés de couple pourrait ne pas se concrétiser
en changeant de partenaire, mais plus simplement en étant capable de changer
de type de contrat avec le même partenaire.

42 Comment aider les couples en crise ?


CHAPITRE 3
Une évaluation
multidimensionnelle
de la relation de couple

Diagnostic intergénérationnel du fonctionnement


de couple
Avec la formation d’un nouveau couple, s’ouvre un des moments critiques
dans le cycle de vie des deux familles d’origine des partenaires. Ces derniers se
trouvent à un carrefour de leur existence, où convergent deux histoires fami-
liales, qui doivent être intégrées de façon suffisamment harmonieuse pour per-
mettre au nouveau noyau de commencer son parcours de vie, avec un bagage
qui ne soit pas trop plein, mais pas non plus complètement vide. Les héritages
familiaux de chacun des deux, enfermés dans les histoires des familles respec-
tives, ne seront dispersés que s’ils laissent un espace à la transformation des
liens originaires et à la formation d’un nouveau noyau identitaire, le Nous de
couple, qui constituera l’humus dans lequel pourra naître une nouvelle famille.
Le couple représente le niveau intermédiaire de trois générations, et selon
Whitaker, c’est le résultat historique du contrat entre deux familles, indépen-
damment du fait que ces dernières ne soient pas explicitement impliquées ni
conscientes (Whitaker, 1989).
Dès la première observation du couple, il est fondamental de se demander
quel est le degré de différenciation du Soi (Bowen, 1979) que chacun des deux
membres a atteint vis-à-vis de sa famille d’origine. En utilisant l’image d’une
balance, nous pouvons considérer le processus de différenciation comme un
équilibre dynamique entre appartenance et séparation. Le sentiment d’apparte-
nance à sa famille d’origine est une valeur qu’on amène avec soi à l’intérieur

Une évaluation multidimensionnelle de la relation de couple 43


de la relation de couple, mais cette valeur doit être contrebalancée par la capa-
cité de se séparer (Andolfi, 2015).
Pour formuler un diagnostic du fonctionnement de couple, il sera fonda-
mental d’observer cet équilibre : l’appartenance est un concept positif, mais
une dépendance excessive empêchera une bonne séparation ; et une sépara-
tion forcée tout comme une rupture du lien pourront endommager le senti-
ment d’appartenance.
Le lien conjugal représente une occasion décisive de différenciation de sa
famille d’origine, mais il peut arriver que l’acquisition des nouvelles loyautés
envers le conjoint soit perçue par les parents comme une forme de déloyauté
à leur égard. La tâche principale du couple sera de se confronter à toutes ces
loyautés, anciennes et nouvelles, verticales et horizontales, et de diriger la
rencontre entre elles, de façon à éviter le conflit entre les différents niveaux,
pour pouvoir transmettre à la génération des enfants un bagage identitaire
bien équilibré. Pour ce faire, chaque membre du couple devra se consacrer à
la conquête de l’autorité personnelle (Williamson, 1982), cette conquête indi-
viduelle qui ne consent pas de compromis entre les générations, mais produit
la parité entre ces dernières. Les parents devront renoncer au niveau hiérar-
chique de la relation avec leurs enfants (l’autorité) pour assumer une position
égalitaire dans leurs rencontres ; et les enfants auront le pouvoir et le devoir de
déclencher cette transformation du lien, qui met fin à l’intimidation intergénéra-
tionnelle (ibidem). C’est seulement quand un individu atteint ce degré d’auto-
rité intrinsèque qu’il peut percevoir pleinement le fait d’être adulte. Cela peut
se produire seulement si le jeune adulte cesse de craindre sa propre liberté,
s’il assume ses responsabilités dans le présent avec courage et confiance, et
s’il résout les problèmes liés à sa dépendance émotionnelle à ses parents.
Justement en raison de sa complexité, on peut prévoir que ce processus d’ac-
quisition d’une position Je peut être considéré comme terminé seulement à un
âge plus mature, vers 35 ou 40 ans (Bowen, 1979 ; Andolfi, 2015).
Explorer la relation de couple demande d’entrer dans l’aire la plus vulné-
rable de la structure familiale tout entière, souvent accablée d’importantes
responsabilités, de collusions intergénérationnelles et de séparations partielles
ou incomplètes des familles d’origine respectives, et exposée à la pression de
modèles culturels et éducatifs différents, et de modalités particulières pour pla-
nifier et organiser la vie. Les membres d’un couple sont dans une relation de
réciprocité, et, en même temps, ils sont aussi enfants dans la relation avec leurs
propres parents, et une fois créée leur propre famille, ils deviennent à leur tour
parents (Andolfi, 1999). Ce réseau de fonctions et de rôles se structure le long
de deux axes, un vertical qui comprend les différents niveaux hiérarchiques
(grands-parents, parents, enfants), et un horizontal qui représente les rela-
tions paritaires à l’intérieur d’un même niveau hiérarchique (frères et sœurs,
conjoints, amis).

44 Comment aider les couples en crise ?


Les premières expériences de réciprocité en famille sont vécues dans les
rapports avec la fratrie. Les frères et sœurs grandissent, maturent et vieillissent
ensemble. Ils sont « gardiens de la frontière familiale », représentant le pre-
mier laboratoire dans lequel les enfants peuvent se tester dans leurs relations
sociales. L’observation de la relation existante entre chaque partenaire du
couple et ses propres frères et sœurs nous permet de comprendre plus précisé-
ment la position du membre du couple dans sa famille, en évaluant la perméa-
bilité des frontières familiales (Minuchin, 1974), la présence de triangulations
positives ou négatives dans l’histoire familiale, les alliances et les coalitions, les
processus de parentification précoce (Andolfi, 2015) ou les déconnexions émo-
tionnelles, souvent provoqués par les ambiguïtés et les favoritismes familiaux,
en fonction de l’âge, du genre ou des différences physiques ou caractérielles.
En résumé, les relations horizontales entre frères et sœurs, indépendamment
du genre et de l’âge, dépendent fortement de la façon dont les parents per-
mettent à leurs enfants de vivre la fraternité et la sororité, sans les trianguler
négativement, et sans les impliquer dans leur dynamique de couple, ou dans
des mandats familiaux, qui vont affaiblir l’alliance générationnelle naturelle
entre frères et sœurs.
Pour considérer un couple et son fonctionnement par rapport au niveau
de différenciation du Soi des deux partenaires de leurs familles d’origine res-
pectives, il est utile de sous-diviser les trois plans générationnels, celui de la
famille d’origine, celui du couple et celui des enfants, en cherchant à identifier
les divers types de positions que le couple et la famille peuvent assumer. Pour
tenir compte des trois plans, il est important de pouvoir évaluer combien les
appartenances, c’est-à-dire les éléments de contenus, de valeurs, de traditions,
d’attitudes que chaque membre du couple possède, font partie du patrimoine
affectif, émotionnel et cognitif de sa famille.
Dans des travaux précédents (Andolfi, 2003, 2015 ; Andolfi et al., 2006),
nous avons décrit les différentes sortes de fonctionnement de couple sur la base
des modalités dans lesquelles sa formation et son évolution sont influencées
par la qualité des liens intergénérationnels, ce qui détermine aussi la façon
dont le couple affronte la parentalité.
Grâce à l’expérience clinique et à un constant travail d’analyse des résul-
tats, nous avons mieux systématisé les critères d’évaluation du fonctionnement
intergénérationnel du couple afin de les rendre pleinement exploitables pour
le lecteur.

Le couple harmonieux
Cette première sorte de configuration de couple est composée de deux parte-
naires capables de partager les expériences de la vie et de se respecter récipro-
quement dans une relation stable et intime. Tous les deux ont réussi à réaliser

Une évaluation multidimensionnelle de la relation de couple 45


une individuation satisfaisante de leurs familles d’origine respectives ; et ce qui
appartient au passé, comme les attentes, les mythes, les traditions, n’envahit
pas l’espace du couple, mais représente une valeur précieuse que chacun des
deux porte à l’intérieur de soi et de la relation, comme une sorte de dot affec-
tive. La balance entre appartenance et séparation est équilibrée, les lignes de
connexion entre les familles d’origine et chacun des partenaires sont directes,
et les plans générationnels restent bien distincts, définis par des frontières claires
(Minuchin, 1974). Chacun des deux individus décrit son propre processus de
croissance au sein de sa famille de façon positive, sans avoir subi de pression
ni d’interférence de la part de cette dernière dans la vie de couple, et en même
temps, chacun réussit à avoir un regard critique sur celle-ci et à préserver sa
liberté, tout en respectant son histoire familiale. Les partenaires ont tous les
deux surmonté avec succès la phase évolutive des enfants, et ils ont été en
mesure d’assumer de nouveaux rôles et responsabilités, avec la reconnaissance
et la légitimation de leurs familles d’origine. Ils ont pu construire des relations
saines et positives avec leurs frères et sœurs, étant donné que leur enfance a
été dégagée de triangulations négatives, et ils ont eu un réseau social et amical
satisfaisant (Andolfi, 2015).
D’un couple harmonieux, on attend qu’il ait des enfants en mesure de rester
sur leur plan générationnel, sans devoir assumer des fonctions parentales, don-
nant lieu à une famille équilibrée. En séance, il suffit de regarder comment un
enfant se déplace en présence de ses parents pour pouvoir déjà faire une hypo-
thèse diagnostique du fonctionnement du couple. Si l’enfant est en mesure de
se déplacer sans problème, de jouer spontanément, de sourire et d’entrer en
contact avec ses parents, en entrant et en sortant librement de leur espace,
sans se sentir coincé entre eux, nous pourrions déjà penser à une famille fonc-
tionnant bien, où prévalent les relations positives.

Le couple déséquilibré
Les couples qui ne peuvent pas se reconnaître dans la configuration décrite
ci-dessus sont identifiés par nous comme des couples déséquilibrés, dans lesquels
le lien à deux est sérieusement compromis par un ensemble de distorsions rela-
tionnelles. Retenons que le terme de distorsion est plus adapté que celui de
relations pathologiques ou perverses, parce que, plutôt que de se concentrer
sur des aspects symptomatiques, il favorise une attitude bienveillante chez le
thérapeute, assurément beaucoup plus adéquate dans la construction de l’al-
liance thérapeutique, et dans l’attente d’une transformation positive.
Les couples déséquilibrés sont des couples insuffisamment équipés pour
accomplir leurs tâches de développement, parce que l’équilibre entre appar-
tenance et séparation est définitivement compromis, et que les frontières
générationnelles sont confuses. L’aspect le plus problématique de ces situa-
tions concerne l’impossibilité de modifier cette organisation de couple quand

46 Comment aider les couples en crise ?


surviennent des épreuves dans le cours de son cycle de vie. Ce type de couple
pourra difficilement se reconnaître comme l’épine dorsale de l’ossature fami-
liale trigénérationnelle entière ; et les enfants auront beaucoup de difficulté
à se positionner à leur étage, en assumant des rôles et des fonctions compen-
satoires des distorsions relationnelles susnommées. Un tel arrêt évolutif du
couple influencera fortement les équilibres relationnels de tout le sous-système
des enfants, créant une dysharmonie familiale, dans laquelle se produira une
inversion générationnelle, qui voit l’enfant prendre une position adulte en ce
qui concerne le soutien émotionnel de ses propres parents. En substance, c’est
comme si l’enfant devait remplir deux fonctions simultanément : vivre son
enfance et être le « grand-père de lui-même ».
Dans ces cas, nous devons considérer la grande capacité qu’ont les enfants
de rester dans deux positions aussi différentes simultanément. Effectivement,
un enfant peut vivre à l’intérieur d’une relation inversée, dans laquelle les
besoins émotionnels de ses parents lui sont en quelque sorte confiés, et dans le
même temps rechercher dans cette situation une réponse à son propre besoin
d’appartenance et d’attention. Mais malheureusement, si cela se prolonge dans
le temps, tout cela a un prix, et l’enfant peut présenter des problèmes parfois
graves, parce que jouer ce double rôle est très fatigant pour lui. Nous rencon-
trons en thérapie diverses sortes de positions déséquilibrées dans la relation de
couple. Voyons-en quelques-unes parmi les plus fréquentes.

a) Le couple conflictuel
La tension et la souffrance vécues quotidiennement par ce type de couple
en fait la configuration que nous rencontrons majoritairement en thérapie.
Dans le couple conflictuel, il n’y a pas d’harmonie, mais des oppositions et
des désaccords à de nombreux niveaux. D’un côté, nous trouvons un par-
tenaire qui ne s’est jamais vraiment séparé de sa famille d’origine, mais a
vécu une coupure émotionnelle précoce (Bowen, 1979), fuyant tout type de
lien familial, tout en continuant à alimenter sa colère vis-à-vis des ques-
tions laissées en suspens avec ses parents et ses frères et sœurs. L’autre par-
tenaire, à l’inverse, n’a pas réussi à se séparer / s’individuer du lien avec sa
famille, avec laquelle il maintient encore une forte relation de dépendance
émotionnelle. Ce sont ces situations dans lesquelles le couple est en pratique
adopté par la famille du partenaire indifférencié, dès lors qu’aucun des deux
n’est en mesure de nourrir ni de protéger l’unité du couple de l’intrusion
de la famille d’origine. L’un est trop impliqué, et l’autre est trop distant.
En réalité, le partenaire qui a vécu une condition de privation émotionnelle
de ses premières figures d’attachement, pourrait inconsciemment désirer la
dépendance de la famille de l’autre, favorisant ainsi le développement d’une
relation de couple de type concurrentiel, semblable à celle entre des frères
et sœurs querelleurs.

Une évaluation multidimensionnelle de la relation de couple 47


Que se passe-t-il pour ce type de couple avec l’arrivée d’un enfant ? Les
couples conflictuels ont plus de difficulté à accepter un enfant de façon sereine
et joyeuse. Souvent, ils ne réussissent pas à le partager du fait de leurs fré-
quentes disputes, ou encore pire, ils peuvent finir par le trianguler dans leur
conflictualité. Il peut aussi arriver qu’une relation dysfonctionnelle de couple,
dans laquelle « un fait le parent de l’autre » puisse éclater avec l’arrivée d’un
enfant, avec le risque d’une soudaine séparation. Souvent, c’est vraiment après
l’arrivée d’un enfant que vient la demande de thérapie de couple, face à une
crise profonde due aux aspects compétitifs, aux malentendus réciproques, aux
éventuelles trahisons. Parfois, ce seront des problématiques psychosomatiques,
comportementales ou relationnelles, manifestées par un petit enfant, qui amè-
neront le couple à demander l’intervention. Il s’agit dans ces cas de thérapies de
couple camouflées, où la demande initiale se base sur les symptômes de l’enfant,
alors qu’en réalité, la distorsion concerne la conflictualité accrue du couple,
aggravée par des problèmes non résolus avec leurs familles (Andolfi, Haber,
1994 ; Andolfi et al., 2007 ; Andolfi, 2015).

CAS CLINIQUE
Une adoption mal réussie

Régis et Sylvie, 41 et 37 ans, sont les parents de jumeaux de 12 ans, qu’ils ont eus
immédiatement après leur mariage. Ils habitent à proximité de la maison des parents
et des sœurs de Sylvie, et ils travaillent tous les deux dans la boulangerie dont ils sont
propriétaires, située au centre du petit village où ils résident. Ils demandent une thérapie,
sur les conseils d’un ami à elle, pour les disputes continuelles qui rendent la vie à la
maison impossible, mais aussi parce que Sylvie a découvert que son mari prend du
temps sur son travail pour aller le passer sur les machines à sous d’un bar situé dans
le chef-lieu du département.
Régis est le dernier de cinq garçons qui, depuis qu’ils sont petits, ont appris le métier
de leur père boulanger et qui, par la suite, ont émigré à Paris pour ouvrir tous ensemble
une affaire, plutôt florissante encore aujourd’hui. À l’âge de 15 ans, Régis suivit ses frères
en s’installant à Paris ; mais après une brève période, il sentit qu’il n’arriverait pas à rester
dans cette grande ville, et il est retourné au pays vivre avec sa mère, désormais seule,
et qui entretenait une relation spéciale avec lui. Il rencontre Sylvie, une fille du même
endroit très liée à sa famille, et l’épouse. Dernière de trois sœurs, Sylvie est une jeune
débrouillarde et une grande travailleuse, entièrement dévouée jusqu’au sacrifice pour
garantir le confort économique à sa famille. À la mort de sa mère, qui se produira peu
de temps après, Régis souffrira énormément, et les parents de Sylvie sauront l’accueillir
comme un fils dans leur grande famille, qui au-delà d’offrir son aide quotidienne pour
les petits-enfants, soutiendra économiquement le couple dans l’ouverture au village
de l’activité commerciale, dans laquelle Régis et Sylvie investiront toute leur énergie.
Régis se liera fortement à ses beaux-parents, et particulièrement au père de Sylvie,
représentant pour ce dernier le fils qu’il n’a jamais eu. Ce sera malheureusement la
découverte d’une maladie incurable du beau-père qui générera les premières frictions
dans le couple : Régis aurait voulu tout faire pour le sauver, en le faisant opérer par le

48 Comment aider les couples en crise ?


meilleur chirurgien disponible, mais Sylvie et ses sœurs adopteront la simple solution
de laisser mourir leur père chez lui. À partir de ce moment, la relation entre les deux
commence à dégénérer, et Régis, dans une sorte de rébellion car il ne se sent pas
reconnu, même pas par sa nouvelle fratrie, comme fils digne de confiance, et laissé
seul par sa femme, qui lui préfère sa famille, décoche une attaque insidieuse, en mettant
en péril le patrimoine ainsi que le mariage.

b) Le couple instable
Ce type de couple est généralement composé de deux personnes très insécures
et seules, qui ont vécu des expériences analogues de négligence ou de détache-
ment dans leurs familles d’origine. L’attraction entre les partenaires apparaît
fortement centrée sur la condition commune de privation affective. Dans la
tentative de satisfaire les besoins frustrés d’attention et d’affection, chacun
demande à l’autre de devenir le parent qu’il n’a jamais eu, créant une grande
confusion quant aux attentes et aux demandes à l’intérieur du couple. Tout
cela donne lieu à une relation instrumentale qui ne conduit pas à une réelle
intimité ni à une complicité de couple, mais plutôt à une demande pressante
de présence et de proximité affective qui limite la liberté des deux en étant le
résultat de l’incapacité de chacun à supporter la distance.
Le manque de sécurité et l’instabilité sont les ingrédients essentiels de ce type
de couple, dans lequel les deux partenaires se comportent comme des orphelins,
même si les parents sont encore en vie, mais pas disponibles pour répondre à
leurs demandes. Métaphoriquement, nous avons défini cette condition comme
celle de deux orphelins psychosociaux, dans laquelle les partenaires, pour sup-
porter leur situation douloureuse d’incertitude et de grande confusion, sont à
la recherche constante de réassurance. Si celle-ci n’est pas reçue par les étages
élevés (la génération précédente) ou, encore moins, par leur relation de couple,
ils la chercheront à l’étage des enfants. Il n’est pas difficile de comprendre qu’un
enfant mis au monde pour remplir un vide sera prématurément privé de soins et
d’attentions authentiques pour bien grandir (Andolfi, 2015).

CAS CLINIQUE
La fille avec la valise et l’ermite

Alexandra et Lionel demandent une consultation, car ils ont reçu des alertes de la part
de l’école de Marco, leur enfant de 7 ans, qui ne reste jamais tranquille, ne suit pas, et
surtout perturbe le déroulement des leçons. Effectivement, durant la première séance,
à laquelle est présent l’enfant, ce dernier est très agité, il se contorsionne, mais surtout,
à peine repris par ses parents, il manifeste un niveau élevé de rage, à laquelle il donne
voix par tous les moyens, menaçant de tout casser. Ce qui frappe les thérapeutes est
l’attitude des deux adultes face aux attaques continuelles de l’enfant : ils lui parlent

Une évaluation multidimensionnelle de la relation de couple 49


tièdement, en lui demandant de raisonner et de se comporter mieux ; en somme, ils
traitent leur fils comme s’il avait dépassé de beaucoup la majorité.
Lorsqu’ils nous raconteront l’histoire de leur union, certaines métaphores éclairantes émer-
geront en séance : Alexandra, en parlant d’elle-même à l’époque des débuts de sa fré-
quentation de Lionel, se dépeindra comme la « fille avec la valise, à la recherche d’un port
sécure ». Première fille d’un père fortement dépressif et d’une mère distante à son égard,
mais très proche de ses deux autres enfants, Alexandra a joué pendant trop d’années,
dans la solitude, la fonction de « thérapeute de papa ». Aujourd’hui que son père n’est
plus là, elle vit dans le même immeuble que sa mère, mais malgré le voisinage physique,
elle n’a jamais réussi à sentir chez celle-ci une proximité affective qui l’accueille, et encore
moins à l’impliquer dans une aide quotidienne. En fait, devant travailler, elle laisse souvent
Marco chez sa sœur, en compagnie du fils de celle-ci, un jeune adulte psychotique qui
passe le plus clair de son temps sur le divan à regarder des films pour adultes.
Lionel, depuis tout petit, a été celui pour lequel ses parents avaient de fortes attentes
et des projets ambitieux : il devait atteindre une bonne position sociale, comme celle
de son père architecte, incarnant en même temps le seul petit-fils diplômé dans la
famille de sa mère. Effectivement, Lionel obtiendra son diplôme, mais ensuite il ne
s’orientera pas vers cette profession, choisissant de viser plus bas et se reconvertissant
en maçon, tout en connotant tout cela comme un choix idéologique. En réalité, trian-
gulé dans un conflit de couple, de cette façon, il acceptait le mandat familial, en en
avilissant toutefois les significations les plus profondes. Lionel racontera qu’il ne s’est
jamais senti bien émotionnellement à l’intérieur de sa famille, par rapport à laquelle il
a pris rapidement ses distances en partant vivre seul à la campagne, vivotant avec le
peu qu’il réussissait à gagner. « Seul, on est plus sûr ! » affirmera-t-il en parlant de lui.
C’est dans cette période qu’il connut Alexandra, qui pendant longtemps, se rendra chez
lui le soir pour en repartir le matin, avec la valise toujours à la main, en pensant peut-être
ne pas être digne de demander plus que ce qu’il venait de lui offrir.
La vie commune entre Alexandra et Lionel ne naîtra qu’avec l’arrivée de Marco, que le
couple accepte avec surprise, mais aussi avec un secret espoir : ce sera à Marco de légitimer
leur union, de leur donner une maison, de leur donner un futur d’adultes. Ce sera donc lui
qui, prenant soin de leur invisibilité, pourra finalement les faire se sentir en sécurité.

c) Le couple uni à travers les poids familiaux réciproques


C’est une configuration de couple que nous avons rencontrée de nombreuses
fois dans les dernières années. Parfois, les personnes se rencontrent et décident
de s’unir pour partager ensemble les charges familiales dont chacun des deux
a hérité. Ce sont souvent des enfants uniques qui choisissent de s’associer,
pour partager des poids qui autrement seraient insupportables. Ce sont des
situations très difficiles qui, au fil des années, mettent fortement en péril la
persistance du lien, qui ne peut pas se renouveler. Dans une telle position, où
les deux membres du couple se sont engagés dans la tentative de partager leurs
fardeaux, il reste peu de place pour un enfant : la génération du couple est
constamment orientée vers la génération supérieure, laissant un espace trop
exigu à la dimension de couple, aussi bien conjugal que parental.

50 Comment aider les couples en crise ?


CAS CLINIQUE
Une étrange demande

Généralement, les demandes de thérapie arrivent par un premier appel téléphonique,


lors duquel on sollicite un rendez-vous pour une première consultation. Grégoire et
Mireille, tous les deux médecins, décident au contraire de se présenter en personne à
notre centre clinique, en demandant à parler avec le directeur. Une fois accueillis, ils
débutent ainsi : « Nous voudrions comprendre si notre fils a une pathologie évolutive ! »
Les deux ont autour de la cinquantaine, et leur fils unique Pierre, de 19 ans, est à la
traîne dans ses études universitaires à peine commencées. D’après la mère, il étudie
peu et mal, et échoue à ses examens. De plus, il passe beaucoup de temps avec son
oncle Luc, le frère de madame, avec lequel cette dernière a vraiment de très mauvaises
relations. Mais le problème majeur, selon les deux parents, concerne l’attitude du garçon
vis-à-vis de l’engagement pris avec eux d’apporter sa contribution domestique comme
s’il avait un ordre du jour ! Cette famille est en fait très organisée pour ce qui est de la
répartition des tâches à exécuter afin de garder la maison en ordre, faire les courses,
préparer les repas, le tout selon des horaires à respecter et un compte rendu des
dépenses engagées, même la plus petite, de la part de chacun des trois.
Comme cela émergera dans le processus thérapeutique, l’histoire de ce couple voit
deux jeunes étudiants en médecine s’unir, sur la base d’un pacte intime désespérant,
celui de s’entraider pour conquérir finalement une visibilité comme enfant à l’intérieur
de leurs propres familles d’origine, mettant à la disposition de ces dernières leurs deux
blouses blanches. À travers leurs compétences professionnelles, associées à un enga-
gement loyal, les conjoints auraient finalement pu contrôler les émergences psycho-
tiques anciennes et récurrentes de la mère de monsieur, et la forte dépression du père
de madame qui, depuis toujours, la maintient en état de vigilance. Il est facile de deviner
que leur fils Pierre, comme ce fut le cas pour eux, devra donner un coup de main pour
assurer le bon fonctionnement du « siège des Urgences ».

d) Le couple sandwich
Écrasé entre deux générations, le couple sandwich représente la configuration
de beaucoup de couples contemporains. La génération ancienne, avec une
durée de vie toujours plus longue, est souvent présente dans la vie du couple
et dans le développement des petits-enfants, selon des modalités cohérentes
avec des modèles et des traditions culturelles très divers. Dans les situations
où est présent un parent âgé, malade physiquement ou mentalement, quand
on n’est pas en état de recourir à des structures de soutien, comme des maisons
de retraite ou des aides à domicile, il est très commun que ce soit la famille
qui doive s’en occuper, imposant de gros sacrifices aux générations les plus
jeunes. Prendre soin de parents âgés nécessitant une assistance, peut-être pour
de nombreuses années, peut devenir pour le couple un engagement pénible et
épuisant, tant d’un point de vue émotionnel que de celui plus purement orga-
nisationnel. À cette situation, nous devons en ajouter une autre toujours plus

Une évaluation multidimensionnelle de la relation de couple 51


fréquente, en particulier dans les pays dans lesquels la crise économique et
de l’emploi entraîne un départ tardif des enfants du noyau familial. Dans ces
cas, nous assistons au phénomène de nid plein, que nous pourrions définir par
opposition à l’expérience évolutive des familles vivant dans d’autres contextes
socioéconomiques, dans lesquels le départ de la maison des enfants jeunes cor-
respond à la phase du nid vide. Dans le cycle de vie normal du couple, comme
décrit ci-dessus, le départ des enfants facilite pour le couple l’affrontement
à un autre stade évolutif, celui dans lequel les partenaires peuvent trouver
une nouvelle entente et de nouveaux équilibres affectifs, après des années
où l’intérêt est resté concentré principalement sur la prise en charge et la
croissance des enfants. Sinon, une fois partis ces derniers, le risque sera qu’il
n’existe plus de raisons pour rester ensemble. Mais dans le cas du nid plein,
si les enfants ne partent plus de la maison et que les anciens vivent beaucoup
plus longtemps, combien de possibilités a le couple, même le plus solide, de
se sentir à deux et de maintenir une frontière conjugale claire ? De nombreux
couples entrent souvent en crise dans ces situations. Des phénomènes dépres-
sifs peuvent émerger chez l’un ou les deux partenaires, ou la relation peut
s’user progressivement et conduire à des phénomènes de désagrégation qui
prennent leur origine dans des contingences lourdes, qui malheureusement
ont peu à voir avec la qualité du lien de couple, mais plutôt avec l’architec-
ture sociale tout entière, à l’intérieur de laquelle se développent beaucoup de
couples d’aujourd’hui (Andolfi, 2015).

Diagnostic social du fonctionnement de couple


Si, d’un côté, le thérapeute observe et évalue le fonctionnement du couple
dans sa dimension historique, en explorant les relations avec les familles d’ori-
gine respectives, d’un autre côté, il consacre autant d’attention à la qualité des
relations sociales du couple, en premier lieu celles qui concernent les amis.

Le système des amis


Les amis représentent le réseau social le plus important, à l’intérieur duquel
chacun de nous croît et tisse des relations durables et significatives, depuis
l’école maternelle jusqu’à un âge très avancé de la vie. Les amitiés se choi-
sissent et se renouvellent dans le temps, même si généralement les amis les plus
authentiques et disponibles sont ceux avec lesquels se sont partagées les expé-
riences infantiles, adolescentes et de jeune adulte.
Les amis remplissent des fonctions thérapeutiques naturelles, surtout dans
les moments critiques de la vie, à partir de l’adolescence, où le groupe de pairs
a une fonction extraordinaire de regroupement et de soutien affectif. Ils sont
une présence irremplaçable et précieuse à l’âge adulte, et dans les vicissitudes
de couple d’abord, et de parents tout de suite après, étant souvent plus efficaces

52 Comment aider les couples en crise ?


et disponibles que les membres mêmes de la famille d’origine, et sans doute
plus sollicités et utilisés que les thérapeutes de couple.
Avec les amis, surtout ceux de longue date, on peut affronter n’importe
quelle thématique de la vie, dans une relation de confiance et d’intimité qui
a fait ses preuves, sans le risque de se sentir trahi ou pas écouté. Cela parce
qu’avec eux, généralement, il n’y a pas de problème de dépendance affective
ni de peur de ne pas être aimé ou reconnu, comme à l’inverse cela survient
souvent avec les membres de sa famille. Contrairement à ce qui se produit en
famille, dans une amitié vraie, il n’existe pas d’obligations morales ni d’atti-
tudes jugeantes, ni non plus ne se développe un sentiment de honte à parler de
comportements incorrects et contradictoires. Avec les amis, on ne se demande
pas s’ils pourront supporter l’impact émotionnel quand on communique sur ses
limites ou ses échecs sentimentaux. Avec la famille, à l’inverse, il existe souvent
un sentiment de honte ou de protection, qui ne permet pas de se laisser aller et
d’être authentique. De plus, avec les amis, il n’y a pas le problème de la jalousie
ni du favoritisme entre frères et sœurs, qui est à la base de tant de dysfonction-
nements familiaux et de détachements affectifs. Avec eux, on peut partager des
expériences communes et des processus évolutifs parallèles : de la formation
du couple à la naissance des enfants, à leur départ de la maison, jusqu’à l’étape
suivante qui est de devenir grands-parents. Avec les amis, on peut affronter
des thèmes liés à des faits négatifs de la vie, comme des morts prématurées, des
maladies chroniques, une perte d’emploi ou des aventures extraconjugales.
Une limite des amitiés de longue date peut être inhérente à la loyauté mûrie
au fil du temps à l’égard de son ami, qui empêche ce dernier de maintenir une
attitude équilibrée plutôt que partisane, quand un soutien affectif ou des conseils
lui sont demandés, dans des situations de crise de couple ou de séparation hostile.
Une limite opposée des amitiés plus récentes, créées ensemble en couple, est la
moindre confiance et la moindre intimité individuelle à l’égard des amis communs,
qui ne peuvent pas réellement comprendre comment vont les choses, parce qu’au
fond, ce ne sont pas « mes amis » qui m’ont vu grandir au fil des années ; cepen-
dant, une moindre connaissance de la vie passée de chaque membre du couple
peut aussi être un avantage, étant donné que les amis peuvent avoir une vision plus
objective des choses, sans devoir prendre position pour l’un ou l’autre partenaire.
Il convient d’ajouter que, comme dans toutes les relations d’intimité, les
évènements de la vie, les transformations individuelles et de couple, les collu-
sions, qui peuvent se créer entre les processus parallèles de croissance ou de
changement, peuvent conduire à l’effondrement soudain de la confiance à
l’égard des amitiés considérées comme étant de nature sexuelle. En fait, le
phénomène de couples qui se séparent, avec l’un des deux partenaires qui se lie
sentimentalement avec le meilleur ami de l’autre, n’est pas rare.
Il est très utile d’évaluer la qualité des rapports d’amitié dans le cours de
la thérapie de couple, et comme nous le verrons dans un chapitre ultérieur,

Une évaluation multidimensionnelle de la relation de couple 53


les amis peuvent être convoqués en thérapie comme consultants, afin d’en
activer les ressources.
Chez un couple harmonieux, il sera simple d’observer combien les amis
sont agréablement partagés entre les deux partenaires ; ce seront les amitiés
construites ensemble après leur rencontre, mais également la bonne habitude
de partager les amitiés plus personnelles, nées encore avant le début de leur
lien, enrichissant la vie relationnelle du couple. Il est intéressant de réfléchir
sur la façon dont la fréquentation des amis communs peut représenter une
ressource, non seulement pour la consolidation de l’identité du couple, mais
aussi pour le dépassement de certains moments critiques, inévitables même
pour les couples les plus soudés. Dans de telles situations, les amis communs
encourageront le couple et adopteront un comportement stabilisant de la rela-
tion, à partir du moment où le lien d’amitié est instauré plus avec le Nous
de couple qu’avec les individus. Recevant les confidences de la part des deux
partenaires, les amis du couple pourront œuvrer pour favoriser la tolérance
et l’écoute active entre eux, sans évidemment interférer dans les décisions ni
dans leur monde affectif.
Au contraire, dans les couples hautement conflictuels, où la confiance
réciproque semble avoir désormais disparu, nous ne trouverons pas fréquem-
ment d’amitiés partagées. Parmi les amis communs, beaucoup disparaissent
avec l’émergence des premières difficultés, effrayés d’être contaminés par des
tensions dérangeantes ou touchés par des résonances dangereuses pour leur
propre équilibre de couple. Dans d’autres situations, ce sera le couple lui-même
qui, par honte ou par un sentiment d’inadéquation, se fermera aux relations
externes, évitant de devoir parler de ses problèmes, dans une sorte de négation
défensive. Dans tous ces cas, la souffrance et la peur de l’échec découlant de
la crise de couple s’accompagnent souvent d’une profonde solitude de chaque
partenaire, due à la perte des autres relations importantes, et parfois à des
déceptions profondes causées par les réactions inattendues de la part de ceux
que l’on croyait ses vrais amis.

CAS CLINIQUE
Je ne veux pas m’en mêler !

Simone et Paul sont mariés depuis dix ans, ils ont trois enfants de 8, 6 et 4 ans, tous
les trois désirés, selon un projet partagé depuis les premiers moments de leur relation :
les jeunes conjoints allaient construire ensemble une grande famille, pleine de joie et
d’allégresse. Depuis les premières années de mariage, Simone et Paul ont instauré des
relations de profonde amitié avec différents couples semblables au leur, dans lesquelles
les adultes se fréquentent à tour de rôle dans les habitations respectives, toujours avec
leurs enfants, dans un contexte festif et familier. Avec une famille en particulier, qui
habite sur le même palier, et composée de Stéphane, Marie et de leurs trois enfants,

54 Comment aider les couples en crise ?


les relations sont devenues toujours plus étroites avec le temps ; les familles dînent très
souvent ensemble, et les enfants ont des rapports quasi fraternels. Simone est très amie
avec Marie, tandis que Paul nourrit une grande affection pour Stéphane, en même
temps qu’une profonde estime. Dans les deux dernières années, les disputes entre
Simone et Paul ont beaucoup augmenté, souvent à cause de l’éducation des enfants.
Ils ont des idées différentes, et sont en compétition pour les mettre en acte. De plus,
Simone s’est aperçue que Paul s’est un peu défilé, et passe beaucoup de temps à
l’ordinateur durant la nuit, alors qu’elle se donne du mal entre la maison et le travail
pour mener à bien les obligations quotidiennes. La relation se détériore rapidement,
et Simone confie à Marie ses problèmes avec Paul. Ce dernier, de son côté, décide de
s’ouvrir à Stéphane, lui racontant une relation affective qui est en train de naître entre
lui et une autre femme, mais aussi lui demandant conseil sur la façon d’affronter sa
profonde confusion quant à la manière de procéder, à partir du moment où l’idée de
divorcer et de quitter sa famille est quelque chose qui l’empêche de dormir : pour lui,
la famille a toujours été la chose la plus importante de sa vie ! La déception de Paul
face à la réaction évitante de Stéphane est féroce. Il ne comprend pas, il le croyait son
ami, mais en réalité, la réponse qu’il reçoit est plutôt banale et évasive : « Je ne veux
pas m’en mêler ! » Seulement de nombreuses années plus tard, Paul comprendra cette
réaction : Stéphane a depuis toujours eu une maîtresse soigneusement cachée.

D’autres types d’amis, ceux qui ne fuient pas face au couple hautement
conflictuel, auront tendance à prendre parti pour l’un ou l’autre partenaire,
devenant leurs confidents, et alimentant les incompréhensions entre les deux,
au lieu d’œuvrer pour une recomposition du conflit. Surtout, quand ce dernier
est particulièrement ouvert et perdure, il y aura très probablement de nouveaux
amis pour elle et de nouveaux amis pour lui, fréquentés individuellement et
inconnus du partenaire. C’est la façon classique de se préparer à une sépara-
tion. Il est facile de comprendre en quoi ces situations auront des conséquences
néfastes sur le Nous de couple, qui perdra une part toujours plus importante de sa
valeur identitaire, celle conférée par la reconnaissance externe du pacte officiel.
Normalement, les amis qui comptent réellement sont ceux qui, face à un
couple en crise, sont capables d’être là sans encombrer, de ne pas disparaître de
la circulation, et en même temps de ne pas prendre parti pour l’un ou l’autre.
Ce sont des ressources affectives très importantes et, à notre avis, des ressources
thérapeutiques fondamentales.

Le soutien social du travail


Un domaine à considérer dans l’évaluation du fonctionnement social du
couple concerne le monde professionnel de chacun des deux. Dans une société
toujours plus focalisée sur la double carrière, il arrive souvent que chaque par-
tenaire passe plus de temps au travail qu’à la maison, et que les relations avec
les collègues, en plus d’être significatives sur le plan professionnel, revêtent
aussi des fonctions de soutien affectif et d’échange personnel. Dans un couple

Une évaluation multidimensionnelle de la relation de couple 55


harmonieux, les relations professionnelles de chacun pourront enrichir le
rapport et la connaissance réciproque. Dans des situations de conflit ouvert,
le domaine professionnel pourra aussi être à l’inverse considéré comme une
menace ou comme un ennemi de qui se défendre. Il n’est pas rare que, dans
des situations de faible vitalité du couple, le milieu professionnel puisse repré-
senter l’occasion pour l’un ou l’autre de développer des relations affectives ou
sexuelles extraconjugales, qui en général finiront par nuire à l’entente et à la
confiance dans le couple.

Le psychothérapeute individuel
À notre époque, où les séparations de couple sont à l’ordre du jour, il arrive
souvent que les partenaires que nous rencontrons affirment avoir déjà tenté
d’autres thérapies dans le passé ou en suivre actuellement une de type indivi-
duel. Dans de nombreux cas, la souffrance que les personnes se retrouvent à
affronter dans une crise de couple prolongée peut se manifester par une symp-
tomatologie individuelle parfois lourde. Attaques de panique, états dépressifs,
troubles alimentaires peuvent se manifester chez l’un ou les deux partenaires,
les amenant à penser que le trouble doit être traité par un psychothérapeute
individuel, ou mieux encore par un psychiatre qui peut administrer des médi-
caments appropriés et résoudre le problème en peu de temps.

CAS CLINIQUE
La complicité perdue

Sébastien et Thérèse, deux professionnels avertis, nous demandent une thérapie de


couple pour « retrouver entre eux une complicité qui semble perdue ». Leurs enfants
sont grands désormais, et ils ont depuis longtemps quitté la maison des parents. Lors
de la première rencontre en consultation, ils nous racontent énormément de choses
sur eux, sur leur vie ensemble ; mais ils nous disent aussi que tous les deux sont suivis,
chacun par son propre psychanalyste, depuis plus de dix ans, et qu’ils ne pourront pas
parler de certains sujets, strictement personnels, en présence de leur conjoint, parce
que « certaines choses, on peut seulement les dire à son thérapeute individuel ». Et tant
pis pour la complicité perdue !

Au-delà de ce cas limite, il est toujours vrai qu’une relation thérapeutique


est profondément intime. Et cela peut ne pas être un problème pour le théra-
peute qui travaille avec le couple. Dans différentes occasions, nous pouvons
travailler ensemble, nous avec le couple, et un autre professionnel avec un des
deux individus, à condition que nous allions dans la même direction, celle de
renouer les fils des liens significatifs entre les personnes qui s’aiment, et de s’abs-
tenir de faire intrusion dans le pacte d’alliance du couple. Le point d’achop-
pement que nous voudrions toutefois mettre en évidence a à voir justement

56 Comment aider les couples en crise ?


avec le choix de ne pas risquer de s’ouvrir au partenaire pour partager les pro-
blématiques individuelles, parce que nous estimons que celles-ci influencent
presque toujours la relation de couple. Le premier emboîtement de couple s’est
formé très souvent justement pour tenter de résoudre les problématiques indi-
viduelles ! Et si on ne risque pas, comment est-il possible de reconstruire la
confiance, élément essentiel de chaque union sentimentale stable ?
Nombreuses sont les personnes qui parlent pendant des heures avec leur thé-
rapeute de choses qui devraient être dites à leur partenaire, aux membres de
leurs familles, à leurs enfants. Certes, une aide professionnelle est légitime et
aussi utile, mais le problème est autre : la relation thérapeutique individuelle,
même si elle corrige des dysfonctionnements personnels du patient, alimentera
toujours la méfiance de la personne dans les possibilités de réhabiliter la relation
originaire, à l’intérieur de laquelle naît la souffrance. En résumé, et pour conclure
métaphoriquement, une jambe cassée restera cassée, à plus forte raison si nous
n’essayons pas de la réparer et choisissons de marcher avec une prothèse !
Nous sommes convaincus que, face à une demande d’aide de la part d’une
personne impliquée sentimentalement de façon stable, il est toujours néces-
saire de s’interroger sur le fonctionnement de ce lien, en élargissant l’explora-
tion en phase de consultation dans cette direction. Il est toujours risqué, pour
le bien du couple, d’aider seulement un des deux partenaires. La relation théra-
peutique individuelle, promouvant le renforcement et le saut maturatif de la
personne seule, crée en même temps une augmentation de la distance entre
les conjoints : l’un va de l’avant, et l’autre reste sur le carreau. Nombreuses
sont les situations où, justement à la suite d’une thérapie individuelle, le par-
tenaire déçu de sa relation de couple décide de se séparer. Rien n’empêche,
en revanche, de conseiller une thérapie individuelle pour un des deux parte-
naires au terme d’une thérapie de couple, quand le déséquilibre maturatif entre
les deux reste significatif, malgré le travail fait ensemble. Ces situations, en
général, concernent les cas dans lesquels il y a des formes psychopathologiques
plus importantes, souvent à caractère dépressif, découlant de troubles de la
personnalité sévères. Dans ces cas, l’autre partenaire du couple ne se sentira
pas abandonné ni trahi par son conjoint, mais acceptera de bon gré que ce
dernier puisse se fier à une nouvelle relation intime, faute de quoi elle serait
vue comme une menace, ou pire encore, comme une trahison.

Évaluation des ressources internes du couple


La force du Nous
Dans le cadre de l’évaluation du fonctionnement du couple, le premier objec-
tif du thérapeute relationnel est de connaître les deux personnes qui compo-
sent le couple, en cherchant à les placer sur la face du Nous de couple de notre

Une évaluation multidimensionnelle de la relation de couple 57


Rubik’s cube métaphorique. En imaginant cette dernière comme un échiquier
vide, le thérapeute se demandera : « Y sont-elles ? Toutes les deux ? Et si oui,
à quelle distance l’une de l’autre ? Et est-ce une distance variable ou rigide ? »
On pourrait les trouver toutes les deux présentes, mais dans les positions les
plus diverses ; par exemple, une un peu plus au centre, assez bien située dans la
vie de couple, et l’autre placée vers l’extérieur, en bas vers la face des enfants,
ou en haut vers celle de sa famille d’origine, ou encore en position externe
vers la face de sa vie individuelle, où il peut lui être plus facile de rester.
Ou bien ce pourrait être tout le contraire, ou encore complètement différent.
Nous avons vu comment les sollicitations provenant des autres faces du
cube interfèrent avec l’organisation du couple, dans son champ relationnel et
son évolution. Toutefois, le couple a une potentialité interne, la force du Nous,
avec laquelle il peut contrebalancer de telles influences, en faisant en sorte
que, même dans les moments où les deux individus sont plus distants l’un de
l’autre, ils puissent continuer à se sentir ensemble, car unis par un sentiment
profond, fondé sur le partage de tout ce qui crée et renforce le lien affectif, et
qui est alimenté constamment dans le temps. Une telle force se révèle être un
puissant antidote au stress émotionnel et relationnel de la vie à deux, parce
qu’elle permet la confiance réciproque, cette dimension affective qui unit
malgré tout, et dans laquelle chaque partenaire se sent protégé par un pluriel
rassurant, le Nous, capable à son tour de créer une confiance réciproque, indis-
pensable pour aller de l’avant, pour s’alimenter dans le respect de soi-même et de
l’autre, et se reconnaître dans l’intimité constituant son extraordinaire ciment.
En résumé, la force du Nous n’est autre que cette formidable énergie qui ren-
force profondément le lien de complicité, le rendant invulnérable aux crises
physiologiques et aux épreuves quotidiennes.
S’il est vrai que la force du Nous dépend du niveau de différenciation atteint
par les partenaires au moment de la formation du couple, il est aussi vrai que
la relation de couple est précisément une expérience dans laquelle on peut
vivre une saine dépendance (Andolfi, Mascellani, 2010). Donc, il est possible
que cette relation soit justement en mesure de relancer le développement indi-
viduel des partenaires. La relation de couple est toujours observée comme un
moment évolutif qui résulte de la poussée différenciante que chaque nouvelle
relation affective produit chez les individus.
L’amitié et la complicité sont à considérer comme le vrai ciment de la
relation de couple, qui permet aux partenaires d’aller dans la même direc-
tion, pour ce qui concerne la dimension des valeurs et de la spiritualité d’une
vie à deux. Plus les points de vue sur les grands thèmes seront convergents,
et plus la relation sera forte. Cela ne veut pas dire qu’il faut être d’accord sur
tous les aspects spirituels et philosophiques de la vie, mais que la relation
devra être complice dans de nombreux autres aspects pour pouvoir neutra-
liser les différences.

58 Comment aider les couples en crise ?


L’intimité
L’intimité est une condition relationnelle un peu magique et mystérieuse, aux
frontières invisibles, quasi indéfinissables. Mais quand elle est présente, elle
se ressent sans équivoque, car elle influence intensément la qualité de la vie
affective. Elle présuppose le niveau le plus élevé de participation entre deux
personnes qui s’aiment, elle naît et se consolide sur la base de diverses percep-
tions à l’intérieur de la relation, sur les plans physique, sexuel, mental, émo-
tionnel, spirituel. Ce sont ces perceptions qui nous donnent la sensation d’être
appréciés et acceptés par l’autre, quoi qu’il arrive. Nous sommes dans l’intimité
si nous éprouvons le sentiment de sécurité, de désinvolture d’être ensemble, de
liberté de dévoiler nos sentiments, de dire ce que nous pensons et ressentons,
nous sentant forts d’être vulnérables. Une telle et profonde proximité affective
est capable de favoriser le lien, de garantir soutien et compréhension, et elle
peut demeurer dans diverses relations, telles que les relations familiales ou ami-
cales, au-delà de celle du couple. Il existe une infinité de formes de familiarité
en dehors du sexe. Depuis toujours, toutefois, l’intimité est l’élément central
de la relation de couple, et joue ici un rôle protecteur très important. Étudiée
et analysée par de nombreuses études scientifiques (Kelley et al., 1983 ; Hinde,
1995 ; Cusinato, 1992 ; Feeney, Noller, Ward, 1998 ; Sternberg, 2004), l’inti-
mité est proposée comme dimension essentielle dans la relation : sans intimité,
il n’y a pas de couple.
Un ensemble de facteurs, plus que d’autres, caractérisent la construction
de l’intimité (Moss, Schwebel, 1993) : associées à une perception générale de
proximité réciproque, sont présentes une interaction mutuelle et réciproque,
une profonde sensibilité affective, cognitive et physique, alliée à la capacité
d’expression des sentiments, selon diverses modalités et graduations, et à la
capacité de communiquer et de se confier. Il semble donc que les concepts fon-
damentaux qui définissent l’intimité soient un sentiment de proximité émo-
tive, d’ouverture de soi et de validation réciproque. Scabini et Cigoli (2000)
identifient, dans l’intimité de couple, la capacité issue du partage des joies et
des peines, en résumé la réalisation et la complétude du pacte, comme résultat
d’une rencontre et comme la récompense la plus importante de la relation
affective.
Le couple est un système émotif avec son niveau moyen de différenciation,
c’est-à-dire de maturité (Bowen, 1979). Plus simplement, nous nous référons
au degré d’harmonie entre les fonctionnements émotionnel et intellectuel des
partenaires. Un couple avec un niveau suffisant de différenciation est composé
de personnes qui présentent un équilibre intellectuel et émotif variable, qui
sont capables de manifester leurs sentiments de façon intense et ouverte, et
dont les relations avec les autres vont au-delà du besoin d’obtenir de la proxi-
mité et de l’approbation. Dans le couple, comme dans la famille, l’accroisse-
ment de l’intimité va de pair avec l’accroissement de l’autonomie personnelle.

Une évaluation multidimensionnelle de la relation de couple 59


L’une ne peut s’accroître sans qu’il y ait aussi une augmentation de l’autre.
On ne peut être proche que tant qu’on peut rester séparé, et vice versa, et les
règles implicites déterminent le point jusqu’où on peut tolérer cette pression,
selon un baromètre occulte très précis.
La dimension dialogique, dans ses différents aspects de communication
interpersonnelle, constitue donc la vraie opportunité de construire et de conso-
lider l’intimité de couple, qui naît du partage, et qui croît avec celui-ci. Une
bonne intimité entre les partenaires ne peut faire abstraction d’une commu-
nication ouverte ni de la confiance de base dans la relation.

La sexualité dans l’intimité de couple


On utilise rarement le terme passion quand on parle du couple sur le plan psy-
chologique, et pourtant la passion est un point de repère intéressant pour éva-
luer la santé relationnelle du couple. C’est ce sentiment qui donne une vitalité
extraordinaire au concept d’amour, et il donne consistance à la sexualité.
Mais cette dernière n’est pas toujours synonyme d’intimité. Ce n’est pas un
hasard si, aujourd’hui, il est commun de désigner l’acte sexuel par l’expression
« tirer un coup » plutôt que « faire l’amour ». Beaucoup de partenaires sexuels
ne songent même pas à se définir comme un couple ou au moins comme des
amoureux : en l’absence d’intimité affective, ils s’attirent réciproquement dans
une sorte de contrat implicite, dans lequel chacun se sert de l’autre pour assou-
vir son plaisir, sans partager beaucoup plus.
Dans la relation stable de couple, dans le mariage ou le concubinage, la
sexualité revêt en revanche des caractéristiques différentes et beaucoup plus
importantes. En général, on estime que le sexe est seulement un aspect de la
relation de couple, alors que l’activité sexuelle est substantielle dans le cycle de
vie du couple pour la tenue même du lien. Le sexe est le langage de l’intimité.
C’est la meilleure façon que les partenaires aient de se parler d’eux-mêmes et de
croître ensemble : faire l’amour équivaut à remettre les clés à l’autre, pour le faire
rentrer complètement dans son intimité, dans un lien d’affection fait d’atten-
tions réciproques, de responsabilité, de confiance, de communication ouverte
des sentiments et des sensations. La chambre à coucher peut ainsi devenir le
gymnase de la différenciation, où une bonne activité sexuelle est en mesure de
favoriser l’accroissement de la complicité, qui est le vrai nutriment pour le bien-
être du couple. Dans le rapport sexuel, on se démontre son amour et le désir de
faire confiance complètement à l’autre ; mais aussi, dans cette forme de commu-
nication, le niveau de confiance relationnelle dépend de combien on est séparés
émotionnellement, pour ne pas courir le risque de se confondre avec l’autre et
de se perdre soi-même. En résumé, la sexualité n’est autre que le miroir de la rela-
tion (Schnarch, 1999), le mode dans lequel les partenaires communiquent l’un
avec l’autre sur le degré d’intimité atteignable, un langage chargé de nuances
qui exprime une quantité de significations relatives au niveau de maturation

60 Comment aider les couples en crise ?


de chacun des deux. On peut se perdre dans l’autre seulement en fonction du
degré auquel on se sent entier. Plus on est différencié, plus le sentiment d’in-
tégrité de soi-même est fort, et plus on peut tolérer l’intimité avec quelqu’un
qu’on aime, sans perdre le sens de qui on est comme individu. Et inversement,
on ne peut sous-estimer la façon dont le sexe peut se modifier dans la relation au
fil du temps. Si la communication ou le partage changent vraiment au sein de la
relation, cela se reflétera probablement sur la vie sexuelle du couple.
La sexualité offre une grande possibilité au couple d’observer et de connaître
en profondeur d’abord lui-même, puis la qualité de sa propre relation, les nœuds
à résoudre et son potentiel à développer. Quand le sexe ne fonctionne pas, la
relation s’en ressent aussi, que le malaise soit ou non reconnu ou exprimé par
les partenaires. Si, à l’inverse, le couple réussit à maintenir vive et intacte la
dimension sexuelle, il y aura très probablement des améliorations aussi dans
d’autres sphères de la relation, ainsi qu’un plus haut niveau de respect envers le
partenaire. En d’autres termes, le sentiment de bien-être et la sensation d’être
unis s’étendront bien au-delà de la chambre à coucher.

La confiance
Dans les demandes de thérapie, souvent les couples affirment que la cause de
leurs conflits conjugaux est le manque de communication ou son inefficacité.
On ne se parle pas beaucoup ou on ne se comprend pas. L’importance de pou-
voir parler ou d’être écoutés entre partenaires est donc perçue par eux-mêmes.
Toutefois, on devrait se demander pourquoi, parfois, on parle plus facilement
avec des inconnus de ce qui compte le plus pour nous émotionnellement, plu-
tôt qu’avec les personnes affectivement significatives. Pourquoi, parfois, ne
peut-on pas, ou ne sait-on pas, parler avec qui devrait réellement écouter ce
que nous avons à dire ?
L’intimité peut faire très peur, car elle peut amener de la souffrance. Par
exemple, quand l’autre n’est plus là, laissant un vide effrayant en nous ; ou
encore, de façon sournoise, quand il profite de nous, nous manipule et abuse de
notre disponibilité. Tout cela peut provoquer en nous une grande douleur et
nous pousser à faire un pas en arrière, à nous retirer, car nous sentons au fond
que, plus l’autre se rapproche, plus nous risquons de souffrir.
Une communication ouverte et efficace dans les relations affectivement
significatives ne peut pas ne pas dépendre du niveau de sécurité de la rela-
tion. Quand on exprime un désaccord, on ne peut que décevoir les attentes
de celui qui nous écoute, et cela pourrait aussi représenter un défi à affronter ;
mais ce qui ne doit pas être en danger, c’est la continuité de la relation, en
fonction justement de ce sentiment d’appartenance qui nous lie à une iden-
tité commune. Perdre la relation serait un prix trop élevé à payer ; donc, si ce
risque existe, mieux vaut le silence.

Une évaluation multidimensionnelle de la relation de couple 61


La confiance relationnelle naît seulement dans un environnement sain et
sécure, où les malentendus, les désaccords et les discussions peuvent être expli-
cités, sans la peur d’être abandonné. Chaque relation de couple apporte des
problèmes et des adversités ; mais, quand les difficultés sont affrontées avec un
esprit ouvert, la confiance s’accroît et devient chaque jour plus solide. Avoir
confiance, en résumé, signifie savoir compter sur l’autre, indépendamment
de ce qui arrive dans la relation. La confiance est le meilleur instrument que
les partenaires ont à leur disposition pour affronter le conflit, et le clarifier.
Et les conflits doivent être affrontés pour être résolus. Par ailleurs, chaque fois
que le conflit est dépassé de manière autonome par le couple, la confiance
entre les partenaires augmente, générant une nouvelle occasion de croissance.
Avoir confiance dans la relation signifie pouvoir dire ce qu’on pense et ce
qu’on éprouve clairement, exprimer ses sentiments sans réserve. Le dialogue
est toujours le moyen idéal pour résoudre les problèmes dans une relation
de couple, mais le paradoxe est que, pour avoir un dialogue, il y a besoin de
confiance. Sans se concentrer trop sur l’autre, mais plutôt sur nous-mêmes, le
dialogue ne sert pas à pointer du doigt le partenaire pour les actions commises,
mais à lui dire ce que son comportement nous fait ressentir. Il sert à l’aider
à comprendre d’où vient notre agacement. Dialoguer veut dire aussi savoir
écouter, sans préjugés ni réactions instinctives. Savoir que l’on peut se fier
aveuglément aux paroles d’autrui, et que chaque pensée peut être exprimée
sans peur, permet de construire un lien fort et de valeur, car il sous-tend la
confiance en soi et l’estime de l’autre, jugé authentiquement capable d’accueil-
lir la différence et de négocier par le compromis. Ce n’est pas toujours facile.
Très souvent dans les couples, les partenaires cachent leurs exigences les plus
profondes, laissant l’autre comprendre ce qu’il serait nécessaire de faire ou de
dire dans des occasions déterminées. Le manque de confiance en soi peut, dans
certains cas, se refléter dans une relation dans laquelle on pense ne pas pouvoir
demander ou ne pas pouvoir être écouté. Prêter attention aux besoins du par-
tenaire et chercher à les satisfaire est certainement correct, mais parfois il y a
le risque que celui des deux qui voit ses besoins constamment satisfaits se sente
trop cerné, tandis que l’autre souffrira à l’inverse d’une excessive négligence.
Aucun des deux scénarios n’est souhaitable.
Le sentiment de confiance dans la relation de couple est étroitement lié à
la perception d’un niveau de liberté personnelle adéquat, liberté qui permet
d’appartenir au lien sans dépendre de lui. Tout cela est très important, parce
que cela implique la continuité du choix d’être ensemble malgré les adversités
quotidiennes. Croire qu’on peut affronter les difficultés à deux est la concep-
tion parfaite d’une relation réussie, fondée sur la réciprocité.
La tendance à attendre que le pire se produise toujours dans toutes les situa-
tions est un indicateur clair d’un manque de confiance, alors qu’avoir confiance
dans le partenaire signifie être toujours disposé à lui accorder le bénéfice du
doute. La confiance n’existe plus quand on agit dans le dos de son partenaire ;

62 Comment aider les couples en crise ?


tôt ou tard, la vérité finira par éclater, et la personne trompée perdra à son tour
toute confiance dans l’autre ; la confiance détruite ne sera jamais complète-
ment rétablie, mais sera toujours sapée par l’ombre du doute.

Le respect
Le respect est un comportement qui caractérise toutes les relations saines et
fortes. Généralement, on estime que, dans la relation sentimentale, l’amour est
l’ingrédient suffisant pour générer la satisfaction réciproque, mais en réalité,
cela survient seulement quand l’amour est accompagné par le respect. L’amour
et le respect sont à considérer comme les deux piliers principaux d’une relation
solide et gratifiante. Avec le respect réciproque, beaucoup peut être fait dans
une relation.
Selon Peter Gray (2012), le respect pourrait aussi être plus crucial que
l’amour pour le succès de la relation de couple. Apprendre à manifester un res-
pect réciproque augmentera la satisfaction conjugale, favorisera la proximité
entre partenaires et renforcera l’union pour les années à venir.
Dans la relation de couple, le respect peut être beaucoup plus difficile à
reconnaître que l’amour. Un partenaire peut offrir à l’autre des manifestations
claires d’amour, mais cela pourrait être carrément une façon de cacher un pro-
fond manque de respect. L’autre peut ne pas s’en rendre compte, pensant être
aimé plus que toute autre chose, mais à long terme, cet état se révélera être
une recette désastreuse. Une personne qui montre de l’amour, mais pas de
respect, est seulement intéressée par la récolte des bénéfices d’une relation ; et
en réalité, elle ne fait rien pour rendre heureux aussi son partenaire. Un parte-
naire vraiment attentionné respectera l’autre et le reconnaîtra comme un être
humain autre que soi-même.
Être disposé à faire des compromis dans le mariage est une démonstration
de respect pour le partenaire, parce qu’on honore ses désirs comme s’ils étaient
les nôtres. Et le compromis confère de la flexibilité à une relation. Connaître
l’autre personne, valider ses besoins, ses peurs, ses désirs, et évaluer ce qui
est important pour elle, sont les clés d’une saine collaboration. Chercher à
comprendre le point de vue de l’autre et l’écouter quand il se confie à nous,
signifie lui démontrer non seulement qu’il peut nous faire confiance, mais aussi
que nous respectons sa personne et que nous sommes en mesure de valider ses
émotions.
Quand un partenaire ne cherche pas à contrôler la vie privée de l’autre et
ne s’immisce pas dans toutes ses interactions sociales, c’est un bon signe de
respect, ainsi que de confiance. Savoir s’arrêter dans la limite fixée par l’autre
démontre du respect pour son indépendance et sa stature en tant qu’être
humain autonome. De plus, un partenaire respectueux saura ce qui ne plaît pas
à l’autre et fera tout son possible pour l’éviter. Le respect, toutefois, va toujours

Une évaluation multidimensionnelle de la relation de couple 63


de pair avec l’honnêteté et la sincérité, en ôtant sa place au mensonge, même
si c’est pour la bonne cause. Par exemple, un partenaire respectueux ne s’abs-
tiendra pas de partager avec l’autre une mauvaise nouvelle pour le protéger de
la tristesse ou de la colère, mais il sera sincère, faisant preuve de respect pour
son intelligence et sa capacité de prendre des décisions.
Une autre façon de montrer du respect concerne la capacité du partenaire
de soutenir l’autre vers la réalisation de ses objectifs individuels, personnels
ou professionnels. Une fois atteints de tels objectifs, le partenaire en sera fier,
parce qu’il a vraiment à cœur le développement de l’autre en tant que per-
sonne, ainsi que son bonheur.
Peter Gray (ibidem) affirme succinctement : « Respecter, c’est comprendre
que vous n’êtes pas l’autre personne, que ce n’est pas une extension de vous,
pas un reflet de vous, pas votre jouet, pas votre animal domestique, pas votre
produit. Dans une relation de respect, votre tâche est de voir l’autre personne
comme un individu unique, d’apprendre comment mettre en relation vos
besoins avec les siens, et d’aider cette personne à atteindre ce que lui ou elle
veut atteindre. »
Selon Gottman et Gottman (2015b), le mépris et le manque de respect
sont les signes sans équivoque que la pérennité du couple en est à un stade
vraiment critique. Quand, dans les interactions entre les partenaires, sont pré-
sents le sarcasme, le cynisme, les insultes, l’absence volontaire d’attention, la
moquerie ou l’humour hostile, nous sommes face au plus complet manque de
respect entre eux. La relation vole en éclats, de même que tombe en morceaux
l’estime de soi des personnes qui ont à côté d’elles un compagnon qui les dépré-
cie. Comme un coup provoque un hématome, les mots peuvent infliger une
blessure émotionnelle.
Le respect ne devrait jamais passer au second plan dans la relation de
couple. Un partenaire respectueux mènera équitablement ses propres batailles,
en écoutant les arguments d’autrui et en y répondant rationnellement, sans
coups bas, sans offense, ni sans violence physique.

64 Comment aider les couples en crise ?


CHAPITRE 4
Le tiers dans la relation
de couple

En dehors de ceux qui choisissent une vie de célibataire, vivre en couple


semble être la dimension relationnelle la plus satisfaisante et la plus durable
quand on est devenu adulte, en plus d’être la base de la construction d’une
famille. Certainement, comme nous l’avons vu, le couple évolue et se renou-
velle grâce aux évènements de la vie et à son cycle vital. C’est donc une dyade
forte ; et pourtant, la meilleure façon de l’observer dans son développement, et
de l’aider en thérapie, est d’utiliser comme unité de mesure le triangle, surtout
si on choisit un prisme systémique. Nombreux sont les auteurs qui ont proposé
le triangle comme unité de mesure des relations familiales, en tant que base
géométrique de chaque système émotionnel : Bowen (1979), Framo (1992),
Whitaker (1989), Walsh (1982), Haley (1980), Hoffman (1981), Minuchin
(1974), Scabini (1985), Andolfi (1977), pour ne citer que les plus importants,
alors que sur le plan de la recherche, on mentionnera les études d’Elisabeth
Fivaz sur le triangle primaire (Fivaz-Depeursinge, Corboz-Warnéry, 1999).
Si ensuite nous élargissons le prisme depuis l’observation du triangle pri-
maire vers les relations triangulaires qui s’articulent dans l’espace de trois
générations, nous réussirons à comprendre que chaque individu se trouve à
l’intérieur d’une carte familiale complexe où, en fonction des évènements de
la vie, nous verrons les liens entre les comportements et les vécus actuels, et les
enchevêtrements relationnels qui proviennent des autres espaces et des autres
temps de son histoire de développement (Andolfi, Angelo, 1987 ; Andolfi,
2003 ; Andolfi et al., 2006).
Une fois acquise la triade comme unité d’étude des relations humaines,
les observations sur la dynamique de couple seront profondément différentes
de celles de beaucoup d’études et de thérapeutes, comme les psychanalystes
de couple, qui utilisent exclusivement la dyade comme prisme d’observation.

Le tiers dans la relation de couple 65


Nous retenons en fait que, dans le développement de chaque relation significa-
tive, s’active un réseau de forces émotionnelles qui suivent des schémas trian-
gulaires, véritable soupape de sécurité pour contenir un excès de tension ou
d’anxiété qui peut s’alimenter dans les relations duelles, surtout dans les situa-
tions de conflit ou de peur. Bowen est l’auteur qui a particulièrement contribué
à décrire ce mécanisme permettant de réguler la tension émotionnelle entre
deux personnes en en triangulant une troisième. « Il est cliniquement prouvé
que le système de tension originaire, composé de deux personnes, se résoudra
automatiquement quand il sera contenu dans un système à trois, dans lequel
l’un reste émotionnellement distant » (Bowen, 1979, p. 48).
Dans la situation idéale d’une relation de couple, quand l’anxiété n’est pas
trop oppressante ou que le conflit n’est pas particulièrement marqué, et que
les conditions externes sont favorables, le flux et le reflux des émotions des, et
entre, les deux partenaires peuvent être positifs et rassurants. Mais les rapports
humains restent difficilement longtemps idéaux, même dans les meilleures
conditions, avant tout car la relation duelle est déjà instable en elle-même, et
ensuite car elle est facilement perturbée par les forces et les pressions émotion-
nelles qui agissent depuis l’extérieur. Et nous avons vu que, dans l’arc du cycle
de vie, il y a différents moments critiques de déstabilisation du couple. On peut
donc facilement comprendre le risque que la triangulation, c’est-à-dire la pré-
sence d’un tiers dans la dynamique à deux, par un phénomène protecteur
comme l’a décrit Bowen, dans des situations d’anxiété accentuée ou de peur,
puisse se transformer en une réelle condition pathologique. Il suffit de penser au
concept de triade perverse (Haley, 1977), qui voit l’enfant contraint de se coa-
liser avec un parent contre l’autre, de façon latente ou explicite ; aux diverses
sortes de triades rigides décrites par Minuchin (1974) ; jusqu’aux concepts
d’instigation et de tromperie relationnelle (Selvini Palazzoli, Cirillo, Sorrentino,
1988), liés à l’apparition d’une grave psychopathologie d’un enfant ; et pour
conclure, à la parentification, modalité triadique dysfonctionnelle très fréquente
(Minuchin, 1974 ; Selvini Palazzoli, Cirillo, Sorrentino, 1988 ; Andolfi et al.,
2007), dans laquelle un enfant assume une fonction de prise en charge de l’un
ou des deux parents, incapables de remplir le rôle qui leur incombe, et finit
par supporter des responsabilités adultes. Comme nous avons pu le vérifier au
cours de longues années d’activité clinique, cette inversion de rôle comporte
inévitablement un abus émotionnel à l’égard d’un enfant qui, prolongé dans le
temps, peut compromettre son développement en pleine santé, et lui causer de
graves problèmes psychosomatiques et relationnels (Andolfi, 2015).
Après avoir décrit les aspects protecteurs et pathologiques du tiers dans
les relations duelles, nous voudrions réfléchir maintenant sur les aspects de
croissance et de renouvellement de la triangulation positive référée au système
couple. Dans ce cas, le tiers, qui peut être un enfant, un parent, un frère, une
sœur ou un ami, peut agir comme un activateur des ressources relationnelles et
maturatives, à un niveau soit individuel soit de couple.

66 Comment aider les couples en crise ?


Élever ensemble un enfant n’est pas seulement lui garantir les soins et
l’amour ; c’est aussi une occasion unique de permettre, justement grâce à l’en-
fant, d’augmenter les niveaux d’intimité et de connaissance réciproque entre
les deux partenaires, ainsi que d’arbitrer d’éventuels conflits et divergences.
Souvent, grâce à la voix, au sourire, aux comportements d’un enfant, qu’il soit
petit ou adolescent, les deux adultes réussiront à se voir plus en profondeur
et à se mettre mieux à l’écoute l’un de l’autre. Le langage affectif des parents,
d’un frère ou d’une sœur peut être aussi puissant et enrichissant pour le couple,
même en situation d’opposition ou de désaccord apparent. Le NON à l’inté-
rieur des liens familiaux est souvent plus riche de signification et de réflexions
profondes que les nombreux et faciles OUI.
Et c’est vraiment notre conviction profonde de la valeur de ressource du
tiers dans les relations duelles qui nous a amenés à convoquer, au cours de la
thérapie de couple, en qualité de consultants pour nous, autant de tiers signi-
ficatifs dans la croissance de chaque partenaire, qu’ils soient enfants, parents,
frères et sœurs, ou amis. Mais, nous parlerons de cela plus loin dans ce livre.

La trahison
Dans les couples harmonieux, la communication émotionnelle, quand elle
concerne le tiers, prend généralement la forme de la triangulation positive.
C’est une dynamique relationnelle physiologique dans la gestion du flux émo-
tionnel de la relation même, qui ne constitue pas une menace, mais qui, en
fait, soutient le pacte d’alliance et fertilise le terrain de l’espace du Nous. Dans
le couple, toutefois, la présence du tiers peut toujours être risquée, quand la
vitalité de son espace intime est mise à dure épreuve par des moments critiques
du cycle vital et par des adversités de la vie.
La crise de couple commence toujours par l’arrêt évolutif du pacte intime
ou par son caractère irréalisable. Les partenaires, généralement, ne s’en
rendent pas compte, car l’emboîtement profond entre les deux est inconscient.
Ce qu’ils perçoivent, toutefois, est que le mal-être, la déception et le désarroi
commencent à occuper toujours plus l’espace de couple, qui devra se donner le
moyen et le temps de reconnaître et d’affronter la crise. Si cela ne se produit
pas, le risque d’impliquer une autre personne dans une triangulation négative
augmente considérablement, donnant lieu à différentes formes de trahison,
plus ou moins graves, plus ou moins explosives. Il y a la trahison qui implique
un tiers pour contrebalancer l’équilibre relationnel du couple, quand le pacte
intime est inapplicable ou incapable de se renouveler ; et puis, il y a celle plus
féroce, capable de réduire en morceaux tout le pacte d’alliance, parce qu’en
plus du pacte intime, déjà mort, elle détruit aussi le pacte officiel, le lien, cette
partie consciente du pacte d’alliance à l’intérieur du couple, et surtout recon-
naissable par l’extérieur.

Le tiers dans la relation de couple 67


Dans les couples hautement conflictuels, au sein desquels le niveau de dif-
férenciation du Soi est faible et où sont présentes des distorsions relationnelles
depuis leur formation, le type d’emboîtement de couple est déséquilibré ; donc,
il est possible que l’implication d’un tiers ait une finalité compensatoire d’une
relation inexistante ou devenue décevante, dans laquelle la confiance réci-
proque se fait rare, et le respect est totalement absent. Pour les mêmes raisons,
l’implication d’un tiers aura un but implicite punitif contre le partenaire perçu
comme coupable ou incapable. Dans un tel cas, le pacte intime est subtilement
attaqué par la formation d’une coalition entre le tiers impliqué et l’un des par-
tenaires, à l’encontre de l’autre. Particulièrement dans ce dernier cas, nous ne
trouverons probablement pas l’implication de plusieurs tiers, mais d’un seul,
choisi souvent avec soin.
En résumé, chaque fois que l’implication d’un tiers envahit l’espace du
Nous, de l’intimité et de la complicité de couple, et donc de sa matrice iden-
titaire, on peut déjà parler de trahison, même si elle est inconsciente de la
part de celui ou de celle qui la met en acte. Quand, ensuite, l’invasion d’un
tiers attaque aussi le pacte officiel dans son aspect éthique de promesse et de
lien conscient entre partenaires, la trahison est beaucoup plus grave ; le pacte
d’alliance tout entier risque hautement la rupture, et la reconstruction de la
confiance entre les partenaires sera beaucoup plus difficile.
Nous avons individualisé différentes sortes de trahison à l’intérieur de la
relation de couple. Voyons-en quelques-unes.

L’amant ou la maîtresse comme blessure profonde


dans l’intimité de couple
Il est très fréquent que la demande de thérapie de couple arrive à la suite de
la découverte d’une relation extraconjugale. L’amant ou la maîtresse, une fois
découvert(e), produit une des blessures les plus douloureuses pour le parte-
naire trompé, parce qu’il ou elle viole l’intimité de couple, détruisant en un
instant un des éléments essentiels du lien sentimental, la confiance. Le par-
tenaire traître, de son côté, est souvent en proie à de profonds sentiments de
culpabilité.
Si le pacte intime se forme sur la base d’emboîtements inconscients de
couple, le pacte officiel a, en revanche, à voir avec le choix conscient de l’en-
gagement, soit envers l’autre soit envers l’union elle-même, en qualité de choix
personnel. De plus, c’est cette partie du pacte visible à l’extérieur, et qui qua-
lifie le couple en tant que tel aux yeux du monde, qui en juge la stabilité, la
fiabilité et la correction, à prendre ou à ne pas prendre comme modèle.
« Je me demande : mais qui ai-je épousé ? » est l’exclamation la plus fré-
quente que nous entendons prononcer par un partenaire trompé, qui se retrouve
soudainement à ne plus reconnaître cette personne qui lui avait promis fidélité

68 Comment aider les couples en crise ?


et qui, aujourd’hui, l’humilie devant le monde. Parce qu’il s’agit d’humilia-
tion, et si cela arrive à quelqu’un qui a déjà une faible estime de soi, cela peut
détruire l’image qu’il a de lui-même. Dans ces cas, il est très difficile pour le
partenaire trompé de se concentrer sur les dysfonctionnements de couple qui
ont amené à mettre en acte la trahison, pour en analyser les significations,
alors qu’il est plus simple de culpabiliser le partenaire ou le tiers, vécu comme
voleur, intrus, coupable d’être considéré comme meilleur.

CAS CLINIQUE
Une voix dans le silence

Pierre et Jenny, 45 et 43 ans, sont deux carriéristes. Tous les deux de belle apparence,
très soignés esthétiquement, et affables dans leurs manières, ils demandent une thé-
rapie de couple parce qu’elle a découvert que son mari, depuis environ trois ans, a
une relation extraconjugale avec une femme d’une autre ville, dans laquelle il se rend
souvent pour des raisons professionnelles. Pierre affirme que sa relation a été un déra-
page et qu’elle est définitivement terminée depuis déjà quelques mois ; mais, Jenny
est bouleversée par cet incident et dit ne pas savoir si elle arrivera jamais à dépasser
cette trahison, parce que désormais la confiance est irrécupérable. Pour Jenny, la
découverte a été dévastatrice ; le monde s’est écroulé autour d’elle, d’autant plus que,
depuis environ trois ans, le couple cherchait à avoir un enfant par procréation médi-
calement assistée. Ils ont fait diverses tentatives, qui ont malheureusement échoué,
et Jenny ne réussit pas à supporter le fait que, justement pendant qu’elle était en train
de se soumettre à la dernière insémination, Pierre était avec sa belle dans un lieu de
vacances. Le couple est ensemble depuis plus de dix ans, et marié depuis huit ans.
Depuis le mariage, Jenny aurait voulu un enfant, mais elle n’a jamais voulu le demander
à Pierre, dans l’attente que ce soit lui qui le désire. Ils se sont traînés en silence pendant
des années dans une relation monotone, dans une sexualité tiède, sans jamais affronter
leur insatisfaction.
Jenny est née dans un pays nord-européen ; c’était une fille qui ne posait jamais de
problème à sa famille, à la différence de son frère qui a toujours concentré sur lui les
préoccupations de leurs parents, en raison de diverses difficultés physiques et psycho-
logiques apparues dans les premières années de vie. Ayant grandi en silence, dans un
petit coin invisible, elle a représenté pour sa famille la fille accomplie : bonne à l’école,
excellente dans le travail, toujours irréprochable. Venue dans le pays pour ses études
universitaires, Jenny choisira d’y rester, connaîtra Pierre et s’unira à lui.
Aujourd’hui, Jenny maintient des liens avec sa famille d’origine, la voyant quelques fois
durant l’année, mais leur confie peu sur elle, et absolument rien de ce qui concerne ses
problèmes personnels. Par exemple, les siens ne savent pas qu’elle cherche à avoir un enfant
par procréation assistée, et évidemment, ils ne devront jamais avoir connaissance de ce qui
se passe maintenant, parce que : « Je ne peux leur causer aucun chagrin. Maintenant, ils
sont finalement heureux, parce que mon frère leur a donné deux petits-fils ! ».
Seul garçon d’une famille bourgeoise, Pierre a suivi les traces professionnelles de son
père, homme prospère et très aimé de tous pour sa générosité et sa correction, un
modèle autant pour sa famille que pour la collectivité. Un homme qui avait toujours

Le tiers dans la relation de couple 69


entièrement diffusé sur sa nouvelle famille son besoin d’amour et de reconnaissance,
après que ses rapports avec les siens s’étaient interrompus, dans sa jeunesse, à la suite
de son choix d’épouser une très jeune femme, sans père et dans le besoin d’aide.
Le mythe de l’union, de l’harmonie et du respect distinguera au contraire sa nouvelle
famille. Un soir, il y a quatre ans, le père de Pierre meurt brusquement d’un infarctus.
Pierre en souffre énormément, mais met rapidement sa douleur de côté, parce qu’il
sent qu’il doit, lui, s’occuper de soutenir ce qu’il reste de sa famille, qu’il estime incapable
de dépasser la grave perte. En réalité, dans les jours qui suivent, il est stupéfait de
découvrir que sa mère est beaucoup plus forte et autonome qu’il n’aurait jamais pensé,
et que, autant elle que ses sœurs, sont parfaitement en mesure d’affronter tout ce qu’il
y a à affronter.
Peu après la perte de son beau-père, fatiguée d’attendre, Jenny demande ouvertement
à Pierre d’essayer d’avoir un enfant. Pierre accepte, comme à son habitude, mais mal-
heureusement, l’horloge biologique trop avancée ne donne pas le résultat escompté.
Déçue et en colère d’avoir trop attendu que Pierre soit prêt à fonder une famille, elle
le rappelle au devoir, et ils décident de tenter médicalement. Pierre accepte de nouveau,
mais en réalité, il commence en même temps sa relation extraconjugale.
Dans toute cette histoire, que peut signifier la trahison de Pierre ? Peut-être se remettre
de son adolescence perdue, comme une revanche de l’instrumentalisation silencieuse
qu’il ressent avoir vécue de la part des figures féminines ? C’est possible. Pierre a sauté
à pieds joints par-dessus sa jeunesse insouciante, en répondant aux attentes d’une
mère considérée comme trop fragile pour être abandonnée et d’un père en demande
de reconnaissance. En réalité, à la mort de ce dernier, il découvre que sa mère, avec
son silence, l’a depuis toujours trompé. Le silence de Jenny, qui pendant tant d’années
a caché sa colère de ne pas réussir à donner un petit-enfant à ses parents, et de ne
pas être finalement vue par eux, a pour lui la même saveur : « Les femmes ne parlent
pas clairement et n’ont pas besoin de moi ! ».

Le couple ne réussit pas toujours à dépasser la profonde rupture provoquée


par une relation extraconjugale. L’existence d’un amant ou d’une maîtresse
dans l’histoire de l’intimité de couple produit une cicatrice qui restera sensible
pour toujours. Toutefois, même dans ce cas, quand il y a de solides sentiments
d’affection et que la relation conjugale est suffisamment satisfaisante et stable
sous les aspects fondamentaux, il est quand même possible d’utiliser la crise
comme une opportunité pour reconstruire dans le temps une intimité plus
profonde et pour développer de nouvelles capacités relationnelles de soutien
réciproque.
Dans notre expérience clinique, nous avons pu constater que l’amant ou la
maîtresse ne constitue pas toujours la fin traumatique de la relation de couple.
Dans certains cas, il ou elle peut être considéré(e) au même titre qu’un grave
« accident de parcours » ou qu’une blessure dans l’intimité, qui peut cicatriser
si les partenaires savent en saisir la profonde valeur communicationnelle face à
une relation de couple préexistante dans laquelle confiance et intimité étaient
déjà profondément compromises. Mettre fin à une relation pour en commencer

70 Comment aider les couples en crise ?


une autre est très différent d’entamer une relation extraconjugale clandestine.
Dans ce dernier cas, la nouvelle relation a une valeur déstabilisante pour le
couple, qui est souvent inconsciemment voulue justement par celui des deux
qui la met en acte. Beaucoup de couples qui vivent un état d’insatisfaction
dissimulé, et qui désormais sont définitivement éteints au niveau de la sphère
intime, traînent leur relation dans le temps, selon un parcours prévisible et
immuable. Dans ces cas-là, l’amant ou la maîtresse qui arrive soudainement
peut représenter non seulement le désir d’évasion du partenaire qui trompe,
mais aussi le besoin de rompre une routine conjugale vécue comme mortifère,
qui ne réussit plus à se renouveler, que l’un ne réussit pas à expliciter d’une
autre façon, et que l’autre ne réussit pas à reconnaître. En pareille situation, il
sera utile d’accompagner ces couples dans l’élaboration d’un deuil vrai et juste,
et de les aider à reconstruire un Nous de couple nouveau et plus solide.

La présence d’un enfant comme évènement


bouleversant dans la dynamique de couple
L’arrivée d’un enfant est le premier moment où le couple met à l’épreuve la
tenue du lien, puisqu’un tel évènement exige sans appel la transformation
de l’espace du Nous, qui devra se scinder en deux sous-espaces, celui de l’in-
timité de couple et celui de la parentalité. Comme nous l’avons déjà décrit
précédemment, l’ingrédient le plus important pour affronter ces changements
est constitué d’une certaine flexibilité du pacte d’alliance, qui devra être en
mesure de tolérer la déstabilisation nécessaire pour une nouvelle organisation
structurale du couple, amené à devenir une part substantielle d’une nouvelle
famille. De plus, le nouvel arrivé entraîne la naissance de nouveaux rôles à
l’intérieur de la famille trigénérationnelle tout entière, avec lesquels le couple
devra interagir. En plus de ceux de père et de mère incarnés par ses parents,
il y aura dans la famille en même temps quelqu’un qui deviendra grand-père,
grand-mère, oncle, tante. Une série de nouveaux triangles relationnels se
structurent, impliquant un ou les deux membres du couple, qui se sentiront
tiraillés de toutes parts. Au-delà des diverses significations affectives qu’un
nouveau-né peut endosser pour le réseau familial entier, et qui évidemment
pâtissent de l’histoire multigénérationnelle des deux familles d’origine, ainsi
que des mythes et des valeurs liés à celle-ci, dans certains cas, la présence d’un
enfant peut représenter un évènement bouleversant.
Dans le couple harmonieux, comme décrit précédemment, l’arrivée d’un
enfant pourra représenter la consolidation de l’union entre les partenaires, qui
affronteront le parcours évolutif, grandissant ensemble avec l’aide d’un tiers.
Dans le couple déséquilibré, en revanche, l’arrivée d’un bébé peut constituer
une bombe à retardement, parce que justement l’enfant, aussi inoffensif qu’il
puisse paraître, peut devenir l’amant par excellence.

Le tiers dans la relation de couple 71


CAS CLINIQUE
Une mère pour deux

Christine et Fabrice sont deux quadragénaires mariés seulement depuis trois ans. Ils
ont un fils de 1 an. Ils demandent une thérapie de couple, car les choses entre eux ne
vont plus bien, et Christine suspecte Fabrice d’avoir d’autres intérêts sentimentaux.
Cette femme est depuis toujours très liée à sa famille d’origine, dans une relation de
dépendance, tandis que Fabrice, à la suite d’une coupure émotionnelle, semble avoir
trouvé en elle et dans sa belle-famille un lieu où il se sent finalement reconnu comme
fils. Dans ce cas, la distorsion de base de la relation, qui a à voir avec le non-
accomplissement de la première tâche évolutive du couple, celle de se différencier de
leurs familles, a empêché la construction de l’espace du Nous, basé sur la complicité,
la confiance et le respect. Avec l’arrivée du bébé, le couple s’est engagé vers une dis-
torsion encore pire, qui concerne la relation avec leur fils : Fabrice qui, avant même
d’être père, avait instauré avec sa femme une relation de type mère-enfant, dans laquelle
il jouait le rôle de fils, se retrouve, avec la naissance du bébé réel, au même étage,
comme s’il en était le frère, en concurrence avec lui pour les soins maternels. Christine,
de son côté, une fois qu’elle a finalement eu son vrai bébé, n’est plus disposée à jouer
son ancien rôle dans le couple ; au contraire, elle rappelle avec force son mari à ses
devoirs parentaux et de réciprocité. Fabrice, se sentant trahi, vit son fils comme l’amant
de sa femme, et réagit peut-être au vécu d’abandon par une trahison réelle.

CAS CLINIQUE
Ma vie, ma joie !

François et Isabelle ont une fillette de 2 ans, Marie-Laure, conçue juste après leur
mariage. C’est François qui demande de l’aide, car depuis l’arrivée de Marie-Laure, la
vie de couple semble s’être complètement éteinte. Si, avant la naissance de la fillette,
les conjoints fréquentaient des amis soit chez eux soit à l’extérieur, et s’ils prenaient du
temps pour eux, depuis cet évènement, leur vie quotidienne tourne exclusivement
autour des besoins de leur fille, qu’Isabelle refuse de laisser aux grands-parents, par
ailleurs disponibles, en recourant à une baby-sitter pendant ses heures de travail. La nuit,
la fillette dort entre eux depuis longtemps.
Le rapport entre Isabelle et ses parents est le même depuis toujours, presque inexistant
pour elle qui n’a jamais senti de leur part un véritable intérêt à son égard, et sûrement
pas à l’égal de celui qu’elle a vu à l’inverse pour sa sœur plus petite, éternellement
demandeuse de soins. Isabelle a grandi en toute hâte, niant de fait ses besoins de
dépendance et faisant montre d’une grande autonomie dans ses relations extérieures,
laissant penser qu’elle était quasiment autosuffisante. C’est ainsi qu’elle rencontre François,
dernier de trois enfants de parents qui ont toujours valorisé ses capacités personnelles,
lui donnant le sentiment d’être un fils réussi, de qui ils pouvaient être fiers.
L’autonomie d’Isabelle sera un motif de fascination pour François, qui se sentira moins
sollicité sur le plan de l’attention émotionnelle. Une femme comme elle, moins dépen-
dante de lui que ne le fut sa mère, aurait pu lui garantir la liberté de se dédier à lui-même

72 Comment aider les couples en crise ?


et au couple. Tout cela se produira en réalité jusqu’à l’arrivée de Marie-Laure, qui illu-
minera avec sa splendeur la vie d’Isabelle, la faisant finalement se sentir importante
pour quelqu’un : le rapport passionnel, de sang, avec sa fille est quelque chose d’éternel
pour elle, qui la dédommage de tout ce qu’elle n’a jamais eu, et auquel elle croyait
avoir renoncé. François, moins éternel que sa fille, peut attendre.

La famille d’origine comme intrus encombrant


Les membres de la famille d’origine d’un des deux partenaires peuvent repré-
senter un des éléments perturbateurs les plus insidieux de la relation de couple,
si les limites ne sont pas claires entre ce partenaire et sa famille. Dans ce cas,
la distorsion de base de la relation de couple peut avoir pour conséquence que
le partenaire, encore enchevêtré dans sa famille, ne se rende pas compte que
la relation est née plus pour des motifs instrumentaux, pour maintenir active
une triangulation négative avec sa propre famille, que pour poursuivre son
processus évolutif avec son partenaire. Reprenons, à titre d’exemple, l’histoire
de Paul et Sandrine décrite précédemment.

CAS CLINIQUE
La fiancée de papa

Sandrine, depuis petite, a toujours eu un rapport spécial avec son père, de qui elle était
la fille préférée. De plus, à la différence de sa femme, énigmatique et distante, sa fille
a été pour cet homme l’unique femme de sa vie qui a su le valoriser, approuvant et
imitant beaucoup ses choix, tant ludiques que professionnels. En réalité, le comporte-
ment de Sandrine, en dehors de lui garantir la proximité d’au moins un parent affectueux
et généreux, répondait à la demande implicite de ses parents de compenser la décep-
tion paternelle, due à une relation conjugale insatisfaisante. Sandrine, fortement trian-
gulée dans la relation parentale, a depuis toujours occupé la place de sa mère, jouant
le rôle de la « fiancée de papa ». Encore aujourd’hui, c’est ainsi pour elle ; son père reste
à la première place comme figure masculine irremplaçable, un mythe inaccessible pour
n’importe quel homme qu’elle peut rencontrer. Évidemment, si Sandrine ne réussit pas
à divorcer de son père, elle ne pourra jamais réellement épouser quelqu’un d’autre.

CAS CLINIQUE
Fais attention, tu vas le perdre !

Flora et Gaëtan sont deux conjoints de la cinquantaine, parents de deux garçons en


pleine adolescence. Lui est chef d’entreprise, alors qu’elle a quitté son travail pour se

Le tiers dans la relation de couple 73


marier ; et depuis ce jour, elle s’est toujours consacrée exclusivement à la famille.
Ils vivent dans une petite ville, où ils sont très connus.
La demande de thérapie arrive par le frère de Gaëtan, qui se dit très préoccupé par la
situation que le couple est en train de vivre actuellement. Ils se disputent farouchement,
et il craint qu’ils ne se séparent. De plus, selon ses dires, la dépression de son frère
l’inquiète. Il voudrait prendre un rendez-vous pour eux, mais il accepte ensuite d’attendre
que ce soient directement les conjoints qui nous appellent.
Gaëtan, de caractère ombrageux et irascible, est le fils préféré d’une mère qui l’a toujours
considéré comme le meilleur de la famille, le plus doué, le plus beau, le plus intelligent,
et par rapport à laquelle il cherche encore aujourd’hui de toutes les façons à prendre
ses distances de peur de la décevoir. Un faux-self très pesant à endosser l’a contraint à
se fermer sur lui-même à maintes reprises, et à penser aussi au suicide comme fuite
définitive de cette relation enchevêtrée, particulièrement maintenant que les affaires
ne marchent plus comme avant. Il trompe sa femme depuis toujours, peut-être dans
l’espoir de pouvoir la fuir.
Flora, première-née d’une famille de plus modeste extraction que son mari, est une
femme au contraire très ouverte. Fille modèle, depuis toujours impliquée pour garder
unis ses parents, au seuil de ses 30 ans, elle se vit contrainte d’accepter sa défaite : ses
parents se séparèrent légalement. C’est alors que la famille de son futur mari lui ouvrit
la porte de leur maison, et elle accepta de bon gré la garde de ce fils difficile. Flora a
toujours senti qu’elle devait jouer le rôle important de celle qui pouvait, et qui devait,
lui garantir la proximité de sa famille d’origine, médiatisant quotidiennement les relations
entre son mari et les membres de sa famille, et renonçant totalement à exister comme
femme dans un lien de réciprocité. Sa robe de mariée fut soigneusement substituée,
parce que celle qu’elle avait choisie était trop simple pour ce genre de famille. Après
la naissance de leur premier enfant, étant restée en surpoids, des avertissements conti-
nus lui étaient adressés par sa belle-mère : « Fais attention, tu vas le perdre ! » lui chu-
chotait-elle le soir au téléphone. Quand, désormais femme plus adulte, elle supportait
mal l’état d’invisibilité dans lequel il la laissait en quelque sorte, ainsi que les infidélités
subies, elle était immédiatement soutenue par son beau-frère, qui œuvrait pour ne pas
la faire exploser.
Seulement aujourd’hui, à travers la thérapie, Flora pourra contacter sa vraie souffrance,
celle qu’elle a toujours éprouvée, mais qu’elle a toujours niée en croyant que, « tenant
les portes ouvertes », elle aurait finalement réussi à ne plus se sentir seule.

Le travail comme liaison légitime


Pour de nombreux hommes, mais aujourd’hui nous pourrions dire aussi pour de
nombreuses femmes, le travail peut souvent symboliser la maîtresse ou l’amant
légitime. Il est facile pour un partenaire d’accepter que l’autre consacre plus
de temps au travail qu’à sa famille sans se sentir trompé, parce que le travail
représente un moyen très important pour atteindre la réalisation personnelle,
reconnue universellement aujourd’hui comme objectif premier et fondamental
de chaque individu, indépendamment du sexe.

74 Comment aider les couples en crise ?


En réalité, le travail, avec ses gratifications plus ou moins quotidiennes,
peut devenir une sorte d’antidépresseur, pour soigner les pires formes d’insatis-
faction de couple. Surtout quand il s’agit d’un travail qui plaît, qui passionne,
le risque de le faire devenir le seul vrai réservoir d’alimentation pour son bien-
être augmente. Dans ce cas, on finit par ne pas s’apercevoir qu’on demande
toujours moins au couple, et que la solitude vécue dans la relation est convertie
en repos bien mérité. C’est à cela, à notre avis, que tient le sentiment de tra-
hison. Le partenaire trompé peut réagir au vécu d’abandon en se lamentant,
mais cela reste souvent lettre morte, ou bien il peut plus simplement accepter
les choses comme elles sont, car il a peu de moyens pour évaluer les possibili-
tés réelles de changer un équilibre de couple insatisfaisant. Souvent, dans ces
cas-là, il peut arriver qu’à la tromperie légitime, on réponde par une contre-tra-
hison réelle ou virtuelle, équilibrant la situation.

L’auto-trahison : l’aveuglement
Parmi toutes les sortes de trahisons possibles, il y en a une, la trahison de soi-
même, qui est probablement la plus sérieuse et la plus dangereuse de toutes,
car une fois découverte, elle peut donner lieu à une douleur profonde, très
semblable à celle qu’on éprouve à la suite d’un deuil dévastateur.
Développant le concept de Soi idéalisé / Soi méprisé, Horney (1950) affirme
que, pour arriver à la construction d’un Soi réel, qui permet d’être authentique
à l’intérieur de la relation, on oscille souvent entre deux extrêmes : d’un côté,
une forme idéalisée de soi, la grandeur ; et de l’autre, une forme méprisée de
soi, la dévalorisation. Winnicott (1965), avec son concept de faux-self, fait
réfléchir sur ces situations dans lesquelles l’enfant confond soi-même avec les
besoins plus enracinés de ses caregivers1, et niant l’existence d’une partie de
soi, il la façonne pour l’acceptation de l’autre. Endosser un masque pour vivre,
quand on ne se sent pas digne d’être accepté pour ce que l’on est, est le pire
destin de tout être humain, car cela signifie se trahir profondément soi-même.
Nous avons déjà décrit dans de précédents travaux (Andolfi, Angelo,
D’Atena, 2001 ; Andolfi et al., 2006) le concept d’aveuglement. Il s’agit d’une
forme sournoise de trahison, parce qu’elle est fondée sur des actions volon-
taires et conscientes, qui amènent la personne à choisir de réduire au silence,
pendant de nombreuses années, sa propre authenticité. Nous rapportons un
fragment de la lettre qu’une femme a écrite à Maurizio Andolfi à la fin d’une
longue thérapie de couple :
Certes, la connaissance implique la souffrance, notamment pour qui doit
admettre, ne laissant envahir son territoire par personne et oubliant de vivre,
qu’il a accompli la plus grave, impardonnable et irrémédiable des trahisons, non
1. Caregivers : personnes apportant du soin et de l’attention à un enfant, en premier lieu ses
parents, N.d.T.

Le tiers dans la relation de couple 75


seulement vis-à-vis de soi-même, mais aussi envers ses enfants. Mais, je ne savais
pas… pourrais-je dire. Mais, n’est-ce pas ça, vraiment, la faute ? Ne pas avoir
voulu savoir, ne pas avoir voulu comprendre une réalité, qui pourtant parlait
d’elle-même ? Et ne pas voir, aveuglée aussi longtemps et grotesquement, au prix
d’énormes souffrances du corps et de l’âme, pour tous. Si je pense à quel point
il s’en est fallu de peu que ma vie ne se poursuive aussi aveuglément et de façon
incontrôlable jusqu’à la fin, je m’effraye et ma reconnaissance envers la thérapie
augmente en flèche.
Ces mots semblent confirmer que les pires trahisons sont celles contre
soi-même et que, le plus souvent, elles sont niées et jamais reconnues.
L’affirmation : Je ne le savais pas, je ne le voyais pas, je ne le comprenais pas
est fausse. Quand l’existence d’une trahison est trop lourde à supporter, on
la nie, et ensuite on construit une réalité dans laquelle on n’est pas réelle-
ment comme on croit être. Nous devrions nous interroger alors sur les temps du
changement, thème encore profondément mystérieux, autant dans la vie per-
sonnelle que dans les théories construites par les disciplines psychologiques
et psychothérapeutiques. La question de fond est : « Pourquoi les personnes
sont-elles en mesure de changer en quelques minutes, après trente ans durant
lesquels elles sont toujours restées égales à elles-mêmes ? » L’expérience cli-
nique semble nous démontrer que les changements surviennent à des moments
précis ; le problème est que, pour arriver à ces moments, les personnes doivent
souvent passer des années de servitude et de souffrance, parce que changer fait
beaucoup plus peur que rester prisonnier d’un état de tristesse chronique, avec
laquelle s’est développée au fil du temps une grande familiarité.
Très semblable à l’aveuglement est la relation de mauvaise foi, très bien
décrite par Vella et Ruberto (1980). Dans ce cas, la trahison ne concerne pas
l’individu, mais bien le couple, qui décide consciemment d’être ensemble, ce
qu’on n’est pas, renonçant à une relation basée sur la vérité authentique. Dans
ces cas, émerge souvent un aspect du lien très dramatique, la boucle de la pro-
tection réciproque : plus les partenaires se protègent l’un l’autre, et plus ils se
privent de la possibilité de se rencontrer sur des noyaux réels qui leur appar-
tiennent. Les partenaires finissent souvent par ne plus se dire ce qu’ils pensent
réellement d’eux-mêmes ni de l’autre, pour ne pas détruire la relation, un peu
par peur de perdre le lien et un peu par peur de rester seul. La solitude pourrait
ne pas être un choix si tragique, mais parfois, rester seul avec nous-mêmes peut
beaucoup nous effrayer, parce que cela nous contraint à nous demander qui
nous sommes.

76 Comment aider les couples en crise ?


CHAPITRE 5
La demande d’aide

Généralement, les couples ne s’adressent pas à nous pour faire une demande
de thérapie dès les premières difficultés de relation ; ils s’éternisent longtemps
dans des situations difficiles, cherchant à résoudre leurs problèmes comme ils
le peuvent. C’est une petite minorité d’entre eux qui cherche un professionnel
pour se faire aider, dès les premiers parfums de crise dans la relation de couple ;
tous les autres ne pensent à se fier à la thérapie qu’au moment où ils n’ont
plus aucune possibilité d’affronter, avec leurs propres forces, les problèmes qui
les affligent. Depuis toujours, la tradition, l’éducation sous ses aspects les plus
formels et une certaine forme de réserve relationnelle tendent à détourner les
partenaires d’une prise de conscience qui amène à une demande d’aide. Les
problèmes de couple, à la maison, sont parmi les plus délicats : les préjugés
relatifs aux difficultés sexuelles et aux éventuelles trahisons conjugales sont
délétères, même quand la problématique ne concerne ni les unes ni les autres.
Un autre facteur à ne pas sous-évaluer est que, sur le couple et son harmo-
nie présumée, pèse lourdement la peur des partenaires d’être jugés par leurs
familles respectives, comme s’ils devaient souffrir aussi, au-delà de leurs diffi-
cultés personnelles et de relation, des peines qu’ils vont infliger aux familles
d’origine. Il y a enfin la peur que la demande d’intervention puisse conduire à
la dissolution de la famille, peur par ailleurs déjà ressentie à la maison dans les
moments de conflit ouvert.
Tout cela, à notre avis, dissuade d’une demande simple et explicite de thé-
rapie de couple dans les moments importants de crise conjugale. Souvent, si
on est mal dans la relation, on choisit le chemin le plus simple de la thérapie
individuelle ; ou on attend que la tension entre les partenaires fasse exploser
certains symptômes chez les enfants. En effet, demander de l’aide pour les dif-
ficultés d’un enfant ou d’un adolescent est plus facilement accepté, que ce soit
au sein de la famille ou dans le tissu social.
Ce retard à demander une intervention professionnelle a à voir avec cer-
tains stéréotypes sociaux et de couple qui concernent les genres masculin et

La demande d’aide 77
féminin. Il y a longtemps déjà, nous nous interrogions sur la façon dont était
formulée une demande d’aide face à une difficulté de couple (Andolfi, 1996).
À l’époque aussi, c’était principalement la femme qui prenait l’initiative, en
demandant à fixer un rendez-vous pour les deux, pendant que l’homme avait
tendance à repousser ou à suivre sa femme pour lui faire plaisir, déclarant que, si
cela n’avait tenu qu’à lui, il ne l’aurait jamais fait. Notre expérience nous révèle
que, encore aujourd’hui, dans la majorité des cas, c’est la femme qui cherche
une aide professionnelle spécifique pour le couple. Toutefois, les demandes
masculines sont en constante augmentation dans les dernières années, parti-
culièrement de la part de pères d’adolescents, et encore plus de la part de maris
déjà avancés en âge (Andolfi, Mascellani, 2012). Ces hommes nous appellent
quasiment toujours pour sauver une famille de la volonté de rupture de leur
épouse. Nous devons reconnaître que les difficultés survenues dans la relation
de couple ne sont pas nécessairement ressenties par les partenaires de la même
façon, ni au même moment. Il arrive souvent qu’à notre question : « Quand les
problèmes sont-ils apparus entre vous ? », les réponses soient très différentes.
Par exemple, alors que l’un peut indiquer que le début de la crise remonte
à environ trois ou quatre mois auparavant, l’autre peut affirmer que les pro-
blèmes entre eux ont commencé il y a bien cinq ans. Il est évident que déjà ces
premières informations revêtent une importance notable pour le thérapeute,
qui devra s’occuper initialement de comprendre les attentes implicites de cha-
cun des deux afin d’estimer leur motivation à s’impliquer dans un processus de
changement.
Un autre élément important dans cette première évaluation est comment
le couple arrive : si c’est à la suite d’un choix autonome des deux partenaires
ou d’un d’entre eux ; s’il a été conseillé, et éventuellement par qui ; ou encore
s’il ne s’agit pas d’un non-choix et, comme cela arrive quelquefois, d’une
obligation. Dans leur spécificité, les diverses sortes de référents informent
implicitement le thérapeute sur les attentes que le couple amène avec lui à
la première rencontre. Par exemple, dans les cas où l’envoi en thérapie est de
type contraint, comme cela arrive quand sont impliqués les services sociaux ou
le tribunal, il est facile d’imaginer que le couple aura très probablement peu
d’attentes, ou de désir réel de changer quelque chose dans la relation ; et donc,
le premier objectif du thérapeute sera de devoir transformer une obligation
en désir. Dans la situation opposée, quand le couple choisit de demander une
thérapie de façon autonome, les attentes du référent ne seront plus les seules
impulsions à l’intervention ; toutefois, elles auront leur poids, il sera donc utile
de les prendre toujours en considération.
Si le couple arrive à la suite d’un conseil, il sera important d’en connaître
la provenance. Quand celui-ci émane d’un parent ou d’un ami, il sera utile
de comprendre le rôle ou les fonctions que revêt cette personne, dans la
vie du couple ou de la famille élargie. C’est différent si le conseil vient plu-
tôt du psychothérapeute individuel d’un des deux, du médecin de famille

78 Comment aider les couples en crise ?


ou du psychiatre chez qui est en traitement un des deux partenaires. Dans
ces cas, ce sera un envoi fait à la suite d’une évaluation professionnelle du
problème ; et il n’est pas dit que le choix soit partagé pareillement par les
partenaires, même s’ils acceptent tous les deux de participer à la première ren-
contre. Il y a ensuite des situations dans lesquelles le couple arrive conseillé
par quelqu’un qui nous connaît bien, pour avoir fait un parcours thérapeu-
tique avec nous avec de bons résultats. Il est évident que les attentes du réfé-
rent quant au résultat attendu influenceront la motivation des partenaires du
couple : il s’agira de comprendre dans quelle direction elles œuvreront ; en
d’autres termes, si elles influenceront vers la passivité le couple, qui se reposera
sur des aspects de délégation, ou à l’inverse si elles le stimuleront à s’impliquer.
Enfin, les couples qui demandent une thérapie en utilisant leur réseau pour
trouver le professionnel ne sont pas rares : il sera intéressant, dans ces cas, de
comprendre comment on peut se fier à un inconnu, même s’il a de bonnes
références, pour traiter ses difficultés existentielles.

La construction de la motivation conjointe


Motifs et motivation
Il est rare que deux conjoints se tournent vers nous avec un accord solide sur
la manière de procéder, ou avec un projet commun. Ils vont mal individuelle-
ment, ils sont très préoccupés par leurs enfants qu’ils voient souffrir, ou encore
un des deux veut retrouver la relation tandis que l’autre veut être aidé pour se
séparer, etc. À propos des motifs qu’ils attribuent à leurs difficultés de couple,
les divergences entre les réponses des partenaires à notre question spécifique
dépassent de loin les concordances : environ 55 % contre 26 %. Dix-neuf pour
cent des couples répondent plutôt de façon confuse (Andolfi, Mascellani, 2012).
Quand c’est l’un des deux partenaires qui a amené l’autre en thérapie, les
motifs pour lesquels le couple se présente au premier rendez-vous sont qua-
siment toujours différents. Celui ou celle qui a traîné l’autre en séance peut
avoir réellement la conscience que l’origine de sa souffrance est à l’intérieur de
la relation de couple, et demande de l’aide pour résoudre le problème. Mais, il
peut aussi penser que c’est le contexte qui est finalement capable de « soigner
le partenaire dysfonctionnel », qui devient en pareil cas une sorte de patient
désigné : la demande implicite faite au thérapeute, par celui ou celle qui semble
le plus motivé(e), serait de faire changer le partenaire considéré comme pro-
blématique, car incapable de vivre une relation conjugale de façon satisfai-
sante, conviction souvent renforcée par une histoire psychiatrique préalable
de ce dernier. Particulièrement dans les cas où le couple est entré en crise
à la suite d’une trahison, le partenaire trompé peut demander implicitement
au thérapeute d’assumer la fonction de juge, qui devra, avec une sentence,

La demande d’aide 79
attribuer les fautes et les punitions. Il incombera au thérapeute de ne pas accé-
der à une telle demande ; et de faire en sorte que, non seulement le partenaire
trompeur trouve un authentique intérêt à s’impliquer en thérapie, mais aussi
que l’autre, qui semble avoir une grande raison d’être là, le fasse plus encore,
car en réalité il a peu de motivation à jouer le jeu.
Il y a ensuite ces couples qui ont compris depuis longtemps que leur vie rela-
tionnelle est définitivement éteinte, mais qui n’arrivent pas tout seuls à mettre
en acte la séparation. La demande implicite est alors de les aider à affronter la
fin de la relation conjugale et de gérer de façon adéquate le rapport de chacun
des deux avec leurs enfants. Dans ces cas-là, la motivation est conjointe, mais
les deux doivent affronter les difficultés et la souffrance liées à la rupture.
Même dans ces situations apparemment plus équilibrées, quand les deux par-
tenaires affirment être d’accord pour rechercher un meilleur climat de couple,
la possibilité demeure que leurs objectifs implicites soient profondément dif-
férents. Et pendant que l’un voudrait restaurer la relation, l’autre demande à
être aidé à se séparer de façon correcte, sans trop de bruit, de pleurs ni de souf-
france, peut-être dans la crainte de devoir en quelque sorte subir des rétorsions,
par exemple la peur de perdre ses enfants. Parfois, derrière cette demande en
apparence noble, le détachement émotionnel d’un des deux s’est déjà produit
il y a longtemps ; et de la part de ce dernier, peut se cacher la demande impli-
cite de déléguer au thérapeute la responsabilité d’une séparation inévitable, à
servir comme un plat froid à quelqu’un qui ne veut pas l’accepter.

CAS CLINIQUE
Dis-lui toi, s’il te plaît !

Jean-François et Sylvie, mariés depuis plus de trente ans et parents de quatre enfants
jeunes adultes, demandent de l’aide pour leur relation, en crise à la suite de la décou-
verte d’une trahison de sa part à lui. En réalité, ce n’est que la dernière d’une série de
tromperies survenues au fil des ans, toujours pardonnées par madame, femme conci-
liante, médiatrice et apparemment héroïque dans sa capacité de dépasser les adversités
de la vie depuis qu’elle est devenue orpheline quand elle était petite et qu’elle s’est
chargée du soin de quatre de ses frères et sœurs cadets. Sylvie est en thérapie indivi-
duelle depuis environ un an, et cette fois, elle n’est plus disposée à pardonner : avec
force, bien que souffrant beaucoup, elle a imposé à Jean-François de s’en aller de la
maison. De cette séparation de fait, c’est Sylvie qui souffre le plus authentiquement, et
elle ne semble pas disposée à engager une séparation légale. Lui s’est immédiatement
trouvé un hébergement plutôt plaisant, et il vit ses journées de façon sereine, fréquen-
tant des amis « privés ». Par ailleurs, il n’est pas si clair que sa relation extraconjugale
ait été interrompue.
C’est lui qui demande la thérapie de couple. Après une recherche soigneuse du thé-
rapeute approprié pour lui, arrive le premier appel téléphonique, lors duquel Jean-
François se présente en demandant explicitement une thérapie de couple, pour

80 Comment aider les couples en crise ?


retrouver un climat serein avec sa femme, « compagne d’une vie, à qui il est très atta-
ché ». Ce qui frappe tout de suite, c’est que, plus que de ses problèmes de couple, il
parle de ses enfants, soulignant que tous ont bien réussi dans leurs études et dans le
démarrage de leurs carrières, suivant les traces de leur père.
Déjà durant la première rencontre, émerge que ces enfants sont depuis toujours complè-
tement ligués avec leur mère, qu’ils se sentent maintenant obligés de soutenir, étant
donné qu’ils ont une complète connaissance de ce qui est arrivé. D’autre part, la mère a
divulgué la nouvelle de la trahison à ses enfants, aux deux familles d’origine et aux amis
communs, leur demandant explicitement d’intervenir pour raisonner son mari, dont le
comportement est la cause de ses souffrances et du probable désastre familial.
Maintenant, Sylvie, qui accepte tout de suite la proposition de Jean-François de faire
une thérapie de couple, s’attend à la même chose de la part du thérapeute, c’est-à-dire
qu’il la soutienne tandis que son mari volage sera traité afin de guérir de sa maladie
récurrente. Si cela apparaît clairement dès le début, la raison pour laquelle lui veut
une thérapie de couple peut paraître moins claire. Il trompe sa femme depuis toujours,
sans jamais la quitter ; il trouve donc sa façon d’être visible comme un homme, et non
comme un enfant parmi les nombreuses personnes de la maison ; mais, il se rend compte
qu’il est seul contre tous, et que seulement un allié qui l’aide à montrer son éternelle
insatisfaction de couple, et à légitimer une séparation inéluctable, pourra lui permettre,
encore une fois, de ne pas assumer ses responsabilités et de ne pas en payer le prix.
Dans un cas comme celui-ci, dans lequel il paraît plutôt improbable de pouvoir
construire la motivation conjointe, le thérapeute peut décider de ne pas commencer
la thérapie, étant donné que ne subsistent pas les conditions nécessaires pour en
garantir l’efficacité. Rendre explicite une telle évaluation peut constituer un stimulus
important pour le couple afin qu’il réfléchisse sur son réel désir de changement.

La meilleure configuration de couple, au moment de la demande de thérapie,


est évidemment celle qui voit les deux partenaires décidés à affronter la crise
de leur relation, se faisant aider par un professionnel, car ils désirent résoudre
un conflit de couple en cours, qui traîne souvent depuis longtemps. Même dans
ces cas, toutefois, nous avons souvent à faire face à des attentes irréalistes :
comme un jouet cassé, le couple demande à être réparé, pour recommencer à
fonctionner comme seulement lui, jadis, savait le faire. Il demande à retour-
ner en arrière, alors que nous, nous pouvons seulement lui offrir la possibilité
d’aller de l’avant.
Les diverses raisons pour lesquelles les membres du couple arrivent chez
nous ne sont rien d’autre que la carte de visite du couple, qui doit être acceptée
telle quelle, parce qu’elle constitue cette matière première à transformer en
produit fini, à travers le processus d’affiliation. Laisser coexister des motiva-
tions partielles ou discordantes dans le couple sans prendre parti, s’efforcer de
les équilibrer et donner vie à une motivation conjointe est le premier objectif à
poursuivre pour construire un système thérapeutique, dans lequel naît et se
consolide l’alliance thérapeutique, prémisse nécessaire pour que chaque sorte de
thérapie puisse prendre son envol.

La demande d’aide 81
Le processus d’affiliation
À la différence de la thérapie individuelle, dans laquelle l’alliance est clairement
formée par la dyade thérapeute-patient, dans la thérapie de couple, comme dans
la thérapie familiale, les choses sont un peu plus complexes. Dès la première
séance, le thérapeute devra s’engager dans la construction d’une relation de
confiance avec le couple ; et il est évident que, s’agissant de deux personnes, il
est nécessaire que le processus d’affiliation soit double. L’utilisation d’un modèle
triadique dans le travail avec le couple, comme dans celui avec la famille, est
fondamentale pour comprendre que le thérapeute ne se lie pas à l’un ou à l’autre
partenaire dans une dimension duelle, mais que l’alliance va se construire dans
la mesure où, à travers la relation avec l’un, on vient aussi associer l’autre par-
tenaire. Le premier pas dans la construction de l’alliance thérapeutique consiste
dans l’attention constante de la part du thérapeute pour que chacun des par-
ticipants à la rencontre, thérapeute compris, garde vivace son intérêt pour ce
qui arrive ou est dit en séance ; métaphoriquement parlant, nous pourrions dire
que chacun des présents devrait toujours se sentir « sur le terrain, et non sur le
banc de touche ». Cet intérêt n’est autre que la première pierre de la motiva-
tion conjointe : la motivation à revenir. Si les deux partenaires désirent nous
rencontrer une autre fois, les raisons pour lesquelles ils nous ont demandé de
l’aide peuvent même rester différentes ; et le thérapeute ne sera pas choisi sur la
base de sa coalition avec l’un ou avec l’autre, mais pour sa capacité à accueillir
la réalité amenée par chacun des deux et, en même temps, ces divergences à
l’origine de la crise de couple. C’est avec ces dernières que le thérapeute doit
surtout s’allier, pendant qu’il se met à la recherche, avec le couple et les deux
individus qui le composent, des ressources avec lesquelles les affronter.
La motivation conjointe, une fois construite, devra ensuite être cultivée
durant l’expérience même de la thérapie, car c’est la prémisse relationnelle qui
arrose, séance après séance, la plante de l’alliance thérapeutique. Chaque par-
tenaire devra pouvoir sentir qu’elle est présente aux rencontres pour lui-même,
et non pas seulement pour le couple.
Le processus d’affiliation avec la famille qui cherche de l’aide pour un
symptôme d’un enfant amène immédiatement en séance un certain niveau
de consensus : la famille, concentrée sur le problème, confère une déléga-
tion substantielle au thérapeute, aussi parce que souvent, dans ces cas, l’en-
voi implique un professionnel. Pourtant, si les différentes composantes de la
famille peuvent ne pas partager la nature du problème et le type de solutions
à adopter, la motivation du groupe converge sur le problème de l’enfant. Mais
comment peut-on, en revanche, construire une alliance avec le couple, pour
qu’il puisse transformer une compétition et un désaccord en une collaboration
active, et en une confiance réelle dans un projet thérapeutique ? Et de quelle
façon, comme thérapeutes, pouvons-nous éviter le risque de prendre parti pour
l’un ou l’autre en écoutant seulement les arguments d’un des deux ?

82 Comment aider les couples en crise ?


Au lieu de nous placer comme troisième sommet du triangle formé par nous
et le couple, nous devrons nous déplacer au-dedans et en dehors des interac-
tions, devenant une connexion relationnelle capable d’activer la dimension
verticale qui concerne les relations des deux partenaires avec leurs configura-
tions familiales sur plusieurs générations. Il y a déjà plusieurs années, Andolfi
et Angelo affirmaient :
À travers ses modalités spécifiques de comportement vis-à-vis de sa famille tri-
générationnelle, chaque individu apparaît comme une entité complexe, pleine de
contradictions et de conflits, qui deviennent cependant des éléments de compré-
hension de son monde interne, pour un thérapeute qui vise à saisir les liaisons
implicites entre les comportements et les vécus actuels et les besoins insatisfaits du
passé. (Andolfi, Angelo, 1987, p. 38)
Réussir à nous placer comme connexion relationnelle entre chacun des
partenaires et les évènements et les personnes significatives de son histoire, est
un geste efficace pour ne pas nous faire piéger dans le triangle horizontal pré-
sent en séance, celui constitué par les membres du couple et par le thérapeute,
triangle vide de significations relationnelles évolutives des partenaires. Un tel
geste permet de mettre en scène d’autres possibilités de lecture de la réalité,
d’activer la curiosité, et donc d’injecter de la flexibilité dans l’image cristallisée
que chaque partenaire a de lui-même et de l’autre. Le faire d’emblée produit
des avantages immédiats : d’un côté, le conflit de couple diminue sensible-
ment à la suite d’un déplacement de l’attention qui ne pèse plus sur eux ; et
de l’autre, cela permet au thérapeute de commencer à construire une relation
solide avec chacun des deux individus.
La relation thérapeutique crée un mouvement dynamique entre la singu-
larité de chaque individu et sa famille d’origine, comme un ensemble, entre
passé et présent.
Il est nécessaire de comprendre, et de prendre en considération à part égale la
réalité/vérité présentée par chaque membre du couple ; et le thérapeute devra
se considérer comme un jongleur, qui tient en équilibre dynamique trois-quatre
balles en même temps, avec une certaine désinvolture, en faisant pourtant preuve
d’une grande prudence pour ne pas les faire tomber ! (Andolfi, 2015, p. 110)
Nous avons repris une métaphore visuelle, celle de la troisième planète
(Andolfi, Angelo, 1987), pour décrire un espace ouvert, dans lequel la famille
ou le couple peuvent se rencontrer avec le thérapeute afin de découvrir
ensemble des significations relationnelles nouvelles des évènements passés et
des problèmes actuels, pour partager une expérience de croissance intérieure
visant à amorcer un changement. Les membres du couple seront une part
active du système thérapeutique, comme le sera le thérapeute, qui s’utilise soi-
même de façon créative et libre ; dans ce cadre, la rencontre se produira sur la
base d’une influence et d’un investissement émotionnel réciproques.

La demande d’aide 83
CAS CLINIQUE
La trottinette sur l’autoroute

Joël et Gabrielle arrivent en thérapie en affirmant que c’est le dernier recours. Lui en
particulier est en train de penser sérieusement à la séparation, y voyant l’unique pos-
sibilité de réacquérir un peu de sérénité dans sa vie. Durant la première séance, ils
exposent leurs problèmes de manque complet de communication. Lui, il le fait sur un
mode désinvolte et destructeur, utilisant des termes tranchants et manifestant du mépris
pour cette femme incapable ; elle, elle déplore le détachement de son mari, qui s’en
est allé désormais vivre dans la zone des invités, une dépendance de leur maison, parce
qu’ils ne réussissent même plus à partager un petit espace commun. Si Joël veut se
séparer, Gabrielle voudrait tout faire pour retrouver l’harmonie d’antan. Ils ont deux
enfants de 5 et 7 ans, qui s’efforcent, comme ils le peuvent, de faire en sorte qu’à la
maison, il y ait un semblant de sérénité. Alors que Gabrielle, d’une voix faible et un peu
tremblante, raconte ses efforts quotidiens pour essayer de se faire entendre par son
mari, le thérapeute l’interrompt.
THÉRAPEUTE : Quand avez-vous appris à vous battre contre des moulins à vent ?
GABRIELLE : Quand j’étais petite, et que ma mère me disait que je ne réussirais jamais à
attirer l’attention de papa, qui passait tout son temps au milieu de ses livres…
et qui ne voulait pas être dérangé ! Sinon…
THÉRAPEUTE : Ça devait être dur de vous sentir sur une trottinette qui voyage à contresens
sur l’autoroute !
Saisir, à travers une image métaphorique, le sentiment de solitude et de danger vécu
par cette femme durant ses efforts continus pour chercher une proximité, et le mettre
au premier plan en le reliant à un passé ancien dans lequel son mari n’était pas encore
présent dans sa vie, permet à Gabrielle de se sentir vue et comprise par le thérapeute
dans ses expériences les plus profondes, et dans le même temps, de concentrer l’at-
tention sur elle et sur son destin presque évident, mais sur lequel elle n’a jamais réfléchi
jusqu’à aujourd’hui.

Les compétences relationnelles du thérapeute


L’aspect de délégation de la part des patients est toujours présent dans les
demandes de thérapie. Celui ou celle qui amène le problème s’attend à ce
que le thérapeute l’accueille, et qu’il soit en mesure, à travers sa compétence
professionnelle et l’utilisation de techniques spécialisées, de le décoder et de
le résoudre, sans penser que sa propre implication ait une valeur ou une utilité
spéciale pour sortir de l’impasse dans laquelle il ou elle se trouve et pour mettre
un terme à sa souffrance. Dans toutes les thérapies, et dans la thérapie de
couple aussi, les partenaires s’attendent à ce que le thérapeute mène son travail
à partir d’une position asymétrique de la relation, de même que dans le modèle
médical, qui voit comme bonne collaboration de la part des patients précisé-
ment qu’ils s’en remettent passivement à l’intervention spécialisée résolutive.

84 Comment aider les couples en crise ?


Le modèle multigénérationnel, appliqué à la famille comme au couple,
est différent du modèle médical. Il s’agit de lire la demande d’aide avec les
« lunettes de la vie ». C’est un modèle écologique, par lequel le thérapeute
devra savoir s’immerger dans le flux de la réalité des patients, pour en réactiver
les arrêts évolutifs et les aider à repartir sur le bon chemin. Il se base sur le
présupposé que les relations affectives sont fondamentales pour croître ; mais
que l’acceptation des limites, les siennes et celles des autres, est tout autant
fondamentale ; que, entre les êtres humains, les expériences intersubjectives
sont des soupapes libératrices pour se sentir en contact avec les autres, compris
et accepté comme on est. Dans l’optique multigénérationnelle, l’utilité de la
thérapie de couple ne concerne pas seulement le changement dans la relation,
qui par ailleurs reste un objectif nécessaire, mais surtout la possibilité d’attri-
buer une valeur positive, parce que cela permet au thérapeute de produire des
modifications beaucoup plus importantes dans la maturation individuelle des
partenaires et, par ricochet, de leur réseau relationnel dans son ensemble.
Comme il sera désormais clair pour le lecteur, notre modèle thérapeu-
tique est centré sur la rencontre entre personnes, et la vraie compétence pro-
fessionnelle du thérapeute est particulièrement constituée par sa formation
personnelle, par sa maturation, par son humanité. L’asymétrie de la relation
patient-thérapeute concerne exclusivement le bagage professionnel du théra-
peute, qui pourra être mis en jeu seulement à la suite d’une forte alliance entre
personnes, sur une base de réciprocité, faisant en sorte que tous les participants
soient simultanément impliqués activement dans l’expérience transformative
de la thérapie.
Des compétences relationnelles, telles que l’empathie, la faculté de se
mettre dans la peau de l’autre, l’écoute active et la capacité de rester dans le
silence quand on rencontre sa propre impuissance, la curiosité authentique
exercée avec créativité, l’honnêteté intellectuelle et le respect pour l’autre qui
permettent d’être direct dans la façon de parler et de se placer, sont les carac-
téristiques fondamentales pour notre thérapeute (Andolfi, 2015). De cette
façon, on peut créer un joining profond avec les personnes qui nous apportent
les dilemmes et les espoirs de changement ; et on pourra consolider la relation
thérapeutique, en affrontant des drames et des conflits douloureux, dans un
contexte de légèreté et de ludicité, parce que, souvent, la fantaisie et l’humour
sont ces parfaits anesthésiques qui nous aident à dédramatiser les évènements
de la vie, dans laquelle la tragédie et la comédie se côtoient toujours.

La motivation du thérapeute
Pour que ce qui vient à peine d’être décrit puisse se réaliser, il est extrêmement
important que le thérapeute s’interroge aussi sur sa propre motivation à s’enga-
ger dans l’expérience thérapeutique. Si, pour des raisons variées, le thérapeute

La demande d’aide 85
n’est pas suffisamment motivé, le risque d’accepter silencieusement la moti-
vation partielle du partenaire demandeur, voire d’épouser la motivation du
référent, devient plus important, compromettant lourdement la possibilité de
construire la motivation conjointe.
Les patients arrivent avec leur demande, ils s’attendent à pouvoir trouver
la solution à leurs problèmes auprès de quelqu’un qui, à leur avis, la vend.
La disponibilité en temps du thérapeute, ses qualités humaines et relation-
nelles, sa curiosité pour connaître les personnes qu’il a face à lui comme si
c’était toujours une première rencontre, une pensée non jugeante, la patience
de rester dans l’incertitude, la mise en relation avec les patients dans sa qua-
lité de chercheur en possession seulement d’une méthode de lecture, plutôt
que d’un expert en solutions, sont des éléments fondamentaux pour évaluer la
motivation du thérapeute à transformer les attentes des patients. C’est donc
vraiment la motivation du thérapeute qui sera la mise à la table de jeu de la
thérapie. D’un autre côté, si le couple peut être confus, le thérapeute doit avoir
les idées claires sur quoi proposer, et il se doit de toujours montrer qui il est.

86 Comment aider les couples en crise ?


CHAPITRE 6
La présence symbolique
des familles d’origine

Ce qui caractérise réellement notre modèle intergénérationnel de thérapie de


couple, c’est l’attention du thérapeute constamment tournée vers la présence
symbolique des familles d’origine dans le contexte thérapeutique. Une telle
présence fait émerger des fragments d’histoire du développement de chaque
partenaire, dès le premier appel téléphonique de demande d’intervention, puis
durant tout le processus thérapeutique, jusqu’à la conclusion des rencontres et
à d’éventuels follow-up suivants.
Partons d’un exemple de notre expérience quotidienne. Une femme
appelle pour une thérapie de couple. Et déjà, dans le cours de la conversa-
tion, elle précise que son mari « est trop dépendant de sa mère, qu’elle réclame
toutes ses attentions comme s’il n’était jamais parti de la maison ». Ou bien
un mari téléphone, parce qu’il voudrait résoudre ses problèmes avec sa femme,
qui « est complètement manipulée par sa sœur, qui n’a jamais accepté notre
mariage ». De très nombreux appels de ce type sont passés par l’un ou l’autre
partenaire au service clinique de l’académie, qui a la tâche de rédiger, pour
le thérapeute, un dossier clinique avec les informations reçues. Ces dernières
décrivent souvent des conflits, des tensions, des intrusions, des triangulations,
des abus perpétrés par quelqu’un de la famille de l’autre à l’encontre du par-
tenaire qui nous appelle, et qui justement pour ces raisons, voudrait démarrer
une thérapie de couple. Plus rarement, un partenaire appelle pour une thé-
rapie de couple parce qu’il est conscient de certaines intrusions ou prévari-
cations d’un membre de sa propre famille d’origine, qui semble abîmer leur
relation. Il est encore plus rare que soit formulée une demande où l’on sent
que le couple est en difficulté pour des raisons qui n’impliquent pas les parents,
les frères et sœurs, les enfants ou les amants, mais qu’il y a quelque chose qui
ne va pas dans la relation à deux, indépendamment d’influences négatives de
tiers. Quoi qu’il en soit, nous avons compris très tôt que ce n’est pas nous

La présence symbolique des familles d’origine 87


qui introduisons le cadre intergénérationnel, mais que celui-ci vient tout seul
et s’impose d’emblée. Ou plutôt, au moins au début, nous devons simplement
accepter la description des préjudices et des scénarios familiaux, qui émergent
avec force par la voix de l’un ou l’autre partenaire. Tout cela nous a amenés
à la décision de ne pas écouter le son d’une seule voix, et de demander que le
second partenaire nous contacte aussi par téléphone, afin de nous expliquer ses
motivations pour solliciter une intervention de couple. Au moins ainsi, nous
pourrons nous rencontrer dans une position moins déséquilibrée par rapport
aux demandes pressantes qui viennent d’un seul partenaire, et qui pourraient
être considérées à tort comme la vérité absolue, influençant de cette manière
le déroulement de la thérapie.
Par rapport à ce qui vient d’être dit, il est clair que la présence symbolique de
la famille d’origine est à l’esprit du thérapeute à compter de la première séance,
quand s’explorent mieux les raisons de la demande d’aide, de façon à dessiner
une sorte de carte multigénérationnelle de la famille, où puiser des ressources
actives pour ouvrir de nouveaux chemins. Ainsi, comme nous sommes deve-
nus au fil des années des maîtres dans la redéfinition des symptômes présentés
par un individu, aussi bien un enfant qu’un adolescent, et dans la construction
d’une alliance thérapeutique à partir précisément des symptômes-guides, nous
faisons de même avec les préjugés et les scénarios familiaux. Byng-Hall (1995)
décrit justement comme des scripts, les attentes partagées par la famille sur les
rôles familiaux qui doivent être respectés, comme dans un scénario, à l’inté-
rieur des contextes les plus différents, et surtout dans la relation de couple.
Il s’agit en général de patterns de répétition des interactions familiales, qui
passent d’une génération à l’autre.
Un concept similaire à celui des scripts familiaux est présent dans notre
description du sceau du besoin (Andolfi, 1987), qui se réfère au manque de
réponse aux besoins affectifs précoces spécifiques avec les figures familiales
les plus significatives, et à la demande compensatoire de ces mêmes besoins
affectifs à l’égard d’autres personnes, comme le partenaire, qui devraient les
satisfaire, et qui malheureusement se révéleront inadéquats pour combler
les carences originaires (le partenaire, par exemple, ne pourra jamais remplacer
un père ou un frère). Au lieu de laisser hors du champ d’observation du couple
les scénarios familiaux avec lesquels ils ont grandi (« laissons en dehors vos
familles, et parlons de vous deux »), ou de les subir passivement en se faisant
conditionner par celui qui les présente avec le plus de force et de conviction,
nous nous faisons guider initialement par ce qui nous est dit, pour ensuite le
redéfinir ou en modifier la signification.
Dans notre modèle thérapeutique, dès la première rencontre, les ques-
tions, les commentaires ou les observations du thérapeute à propos de ce qui
arrive dans le récit du couple, auront pour objectif de déplacer l’attention des
partenaires de l’ici et maintenant à là-bas et alors, vers ces détails qui peuvent

88 Comment aider les couples en crise ?


commencer à nous faire imaginer les histoires de développement de chacun
des deux partenaires, avec leurs vides et leurs pleins relationnels. Ce sont des
informations essentielles pour commencer à faire des hypothèses sur le fonc-
tionnement du couple et, surtout dans cette phase initiale, sur celles qui ont
été les premières pierres dans la construction du pacte d’alliance.
Si nos interventions sur le plan intergénérationnel sont accueillantes, mais
surtout ajustées, nous verrons que le couple, petit à petit, s’adaptera à notre
façon de lire la réalité et nous suivra, agréablement intrigué de découvrir ce
que nous avons en tête.

CAS CLINIQUE
Un cavalier parfait

La demande de thérapie de la part de Malaurie a un caractère d’urgence. Cette dame


téléphone au service clinique de l’académie de psychothérapie de la famille et répond
à notre proposition de rendez-vous pour la semaine suivante par un : « Peut-être qu’à
cette date, nous serons déjà séparés ! » En réalité, la semaine suivante, les conjoints se
présentent, ponctuels et plutôt tranquilles. Ils nous racontent être mariés depuis cinq
ans et avoir des jumeaux nés grâce à une procréation médicalement assistée, étant
donné que cette femme, âgée de 45 ans, avait désormais bien peu de possibilités
d’avoir des enfants naturellement. Gérald est un homme calme dans ses façons, mais
qui laisse transparaître quelques fermetures de son caractère, surtout concernant l’ex-
pression des émotions négatives. Très gentil, il est plutôt logorrhéique et normalisant.
Malaurie a, en revanche, un aspect triste, découragé, quasiment résigné.
Le couple se lamente sur une routine surchargée d’engagements et sur la sensation
commune d’un éloignement entre eux deux, qui se manifeste par de longs silences et
qui fait sérieusement envisager à Malaurie de se séparer.
Encore avant d’analyser les problèmes pour lesquels le couple en est arrivé à demander
maintenant de l’aide, le thérapeute s’intéresse aux personnes qu’il a face à lui, cherchant
à deviner ce qui les a unies. À ses premières questions sur la façon dont ils se sont
connus et sur ce qui les a attirés l’un vers l’autre, ce sont les partenaires eux-mêmes
qui commencent à faire entrer des éléments de leurs histoires passées : une relation
sentimentale très longue, malheureusement interrompue brutalement juste au moment
où Malaurie se sentait finalement prête à avoir un enfant, a laissé un grand vide dans
sa vie. Après une période de grave dépression, pour laquelle elle a débuté une thérapie
individuelle, elle a réussi à oublier, se dédiant à sa passion pour les chevaux. Enfant,
raconte-t-elle, elle a grandi avec ses grands-parents paternels à la campagne, étant
donné que ses parents, séparés après sa naissance, la leur ont quasiment confiée, se
sont remariés et ont reconstruit chacun une nouvelle famille. Quand son père allait la
voir, il ne parlait pas beaucoup, mais ils passaient la journée chevauchant ensemble
jusqu’au soir, et Malaurie en conserve un souvenir de bonheur insouciant.
Elle rencontre Gérald grâce à des amis, dans une fête de campagne. Passionné de
voyages à moto, il a dix ans de plus qu’elle, et ses manières gentilles et enjouées l’ont
tout de suite fascinée. Il manifestait beaucoup d’attentions à son égard : ça allait de
lui ouvrir la portière de la voiture, en la couvrant de son manteau pour la protéger

La présence symbolique des familles d’origine 89


de la pluie, jusqu’à lui offrir précisément les gâteaux qu’elle préférait. « Un “cavalier”
parfait, capable de faire oublier… mais quoi ?! » demande le thérapeute.
Gérald, de son côté, soutient être tombé amoureux de Malaurie pour ses caractéristiques
de femme autonome et capable, une femme qu’il estime beaucoup, parce qu’elle a
toujours su réagir avec fermeté aux torts subis dans la vie. « À l’inverse, qui dans votre
vie n’a pas su le faire ? » demande le thérapeute. Les yeux subitement remplis de larmes,
Gérald répond : « Ma mère. Sa mère s’est suicidée juste après l’avoir mise au monde,
et son père l’a reniée. Malheureusement, elle en a souffert toute sa vie, sans réussir à
s’en sortir ! »

Le génogramme comme porte d’entrée


du monde familial des deux partenaires
Comme nous pouvons le voir dans l’exemple décrit ci-dessus, les références
aux histoires de vie amenées par les partenaires, qui nous ont immédiatement
offert des éléments significatifs concernant leur rencontre, ainsi que les per-
sonnages qui les ont vécues, ont déjà fait leur première entrée dans la salle de
thérapie. C’est à ce moment que le thérapeute peut proposer, dans un temps
de compréhension du sens, d’approfondir le récit grâce au génogramme des
deux histoires familiales. Cela aide à découvrir d’autres éléments utiles pour
retracer ensemble tout le processus évolutif de chacun des deux. Il peut le faire
en demandant aux partenaires de préparer, à la maison, chacun le schéma de
sa propre famille, ou bien de le construire ensemble avec le thérapeute, à la
séance suivante.
Le génogramme familial, décrit par de nombreux auteurs, parmi lesquels
McGoldrick et Gerson (1985), Guerin et Pendgast (1976), Montagano et
Pazzagli (1989), Byng-Hall (1995), Andolfi (1977), est devenu un instrument
répandu pour l’évaluation du fonctionnement familial. Utilisé par les théra-
peutes familiaux partout dans le monde, que ce soit en pratique clinique privée
ou dans des contextes institutionnels, il est sans doute l’instrument visuel le
plus complet pour nous informer sur les composantes d’une famille, sur les
évènements les plus significatifs (naissances, morts, mariages, séparations,
avortements, etc.), et sur les connexions et les déconnexions affectives entre
les diverses générations. À travers la présentation du génogramme en séance,
quelle que soit la façon dont il est réalisé, seront portées à notre connaissance
beaucoup d’informations sur la famille ; mais aussi beaucoup d’éléments sup-
primés ou restés dans l’ombre seront portés à la lumière. Pourront s’activer
des émotions intenses et des réflexions profondes sur les expériences du passé,
sur des pertes importantes ou sur des conflits familiaux encore ouverts, per-
mettant la découverte de nouvelles connexions émotives et de significations

90 Comment aider les couples en crise ?


différentes, à attribuer aux faits et aux vicissitudes familiales. Le génogramme
a en effet une retombée thérapeutique, aussi bien que diagnostique. Aux côtés
des patients, nous pouvons identifier ces triangles relationnels qui s’avèrent
émotionnellement les plus impliqués, en relation avec des évènements fami-
liaux significatifs, avec les personnes qui se trouvent à leurs sommets. Ces der-
nières sont les personnes qui, chargées de responsabilités ou de problématiques
personnelles, semblent fondamentales pour dépasser des phases critiques et
favoriser le développement affectif de la famille, ou au contraire, pour créer
des situations de blocage évolutif (Andolfi, 2015).

CAS CLINIQUE
Héros et malfaiteurs, honte et salut

Marianne est la quatrième fille de deux parents voleurs de profession, morts jeunes
dans un accident de voiture gravissime, durant leur fuite après le cambriolage d’un
petit magasin de village, alors qu’ils étaient poursuivis par la police. Les quatre orphelines,
entre privations et honte, ont grandi avec leur grand-mère maternelle, seule, sans le
sou et avec peu de scrupules. Plus grandes qu’elle, ses sœurs ont été entraînées dans
le circuit de la prostitution. Seule Marianne a réussi à étudier un peu plus et à prendre
de la distance avec ces valeurs négatives qui ont caractérisé sa famille depuis toujours.
Honnête et capable, elle n’a jamais rechigné à faire les travaux les plus humbles, pour
réussir à réaliser ce qu’elle avait en tête et abandonner le pays où elle était née et avait
grandi pendant de nombreuses années, sous le poids de la honte.
Sur le dessin de son génogramme, Marianne se met elle-même loin de sa famille, le
petit cercle qui la désigne émerge plus à l’extérieur et est formé d’un trait décidé.
Des autres, elle fait un tas plutôt indistinct, dessiné au crayon avec un trait léger, faci-
lement effaçable.
Aux alentours de ses 18 ans, à peine diplômée, Marianne trouve un emploi dans l’entre-
prise la plus importante de la région où elle vit. Elle s’y consacre avec conscience et
assiduité, obtenant en peu de temps l’admiration du propriétaire, un homme tout d’un
bloc, de peu de paroles, mais qui comme elle, a construit entièrement à la seule force
du poignet tout ce qu’il a. Petit à petit, Marianne assume des charges toujours plus
importantes, dont elle s’acquitte avec la plus grande précision. Durant le récit de son
histoire, Marianne nous montre les photos de cette époque. Ce sont des photos qui la
représentent souriante et soignée, devant l’entreprise, avec le propriétaire et ses collè-
gues. C’est l’époque, nous dit-elle, où elle était heureuse.
Peu de temps après, elle rencontre Romain, fils unique de son employeur, tout juste
revenu d’une mission en Afrique, où il faisait du bénévolat. Ils tombent amoureux et,
au bout de deux ans, se marient avec l’approbation complète de la famille de Romain,
qui a toujours reconnu l’honnêteté et le désintérêt économique de Marianne : exacte-
ment ce qui la distingue de sa famille d’origine. Romain représente pour elle la possibilité
de rachat de cette vie humble et malchanceuse de quand elle était enfant, et en même
temps, un projet à long terme, dans lequel elle est encore une fois protagoniste.
Dans son génogramme, Romain se représente seul et détaché de ses parents, vécus
par lui comme toujours très unis et complices. « Ils ont toujours été surtout un couple ;

La présence symbolique des familles d’origine 91


ils savent peu de choses sur moi. Je n’ai jamais manqué de rien, au moins au sens
matériel… » Il nous parle d’une mère condescendante et silencieuse, dans l’ombre du
père et solidaire avec lui, mais aussi d’un sentiment d’étrangeté vis-à-vis de l’entreprise
paternelle, vécue depuis toujours comme un adversaire affectif. Il n’a jamais voulu y
travailler, préférant voyager pour aider de plus malheureux et rabaissant comme une
vie misérable la quotidienneté routinière de son père : « Toujours au même endroit, à
la même heure ! » Depuis toujours, Romain aime bouger, dans une tentative continue
d’accueillir son besoin de s’exprimer de façon originale.
Dans le dessin de sa famille, Romain insère Marcel, son grand-père paternel, le définissant
comme un homme mythique pour lui. Il nous illustre son apparence à l’aide d’une
vieille photo, qui le montre sur un bateau, agile et bronzé, pendant qu’il remonte les
filets de pêche. « C’était un loup de mer ; et en mer, il a sauvé tant de gens ! C’était un
héros ! » affirme Romain. En réalité, à partir du récit, émerge une figure masculine soli-
taire, qui a mis au monde des enfants dans divers endroits et avec différentes femmes,
laissant à ces dernières la tâche de les élever. Le père de Romain était l’un d’eux, et ce
fut à lui de s’occuper de sa mère et de ses frères, se retroussant les manches depuis
l’enfance. De son père, le père de Romain ne parlait jamais, même si, dans son village,
il a toujours été appelé le « fils de Marcel », malgré l’âge et la position sociale atteinte.
Pendant qu’il dessine, Romain raconte que, comme pour son grand-père, être un
homme signifie se donner au monde pour sauver des vies, s’occuper de ses passions
et de ses idéaux, et peu importe que l’on manque à ses devoirs quotidiens.
Deux histoires se rencontrent en une histoire unique, dans laquelle les héros et les mal-
faiteurs émergent, comme les protagonistes d’un destin croisé, fait de valeurs suprêmes
à préserver et de valeurs négatives viles à oublier, pour se sentir être soi-même. Le mythe
du salut et de l’honnêteté semble unir le couple, la solitude éternelle est le prix à payer.

Un génogramme alternatif
Il est intéressant maintenant de décrire brièvement une méthode de recueil des
informations, simple et en même temps très efficace, surtout si on travaille dans
un contexte privé plutôt que dans un cadre institutionnel. C’est une modalité
qu’Andolfi a commencé à utiliser en Australie, où il vit depuis quelques années
et où les demandes de thérapie arrivent souvent de villes très éloignées de celle
où il réside. Sur le continent australien, caractérisé par des distances substan-
tielles entre une ville et une autre du pays, le courrier électronique est un des
moyens de communication les plus utilisés.
Face à la demande d’aide formulée au téléphone ou par e-mail par un des
deux partenaires, plutôt que de repousser le recueil des informations à une pre-
mière rencontre, on peut demander que chaque partenaire envoie par e-mail
au thérapeute des informations séparées sur deux aspects en particulier : la des-
cription du problème pour lequel chacun voudrait être aidé et les informations
les plus significatives sur l’histoire du développement de chacun des deux dans
sa famille d’origine.

92 Comment aider les couples en crise ?


La façon dont ils répondront à la demande du thérapeute est déjà indica-
tive de l’état d’esprit et de la raison qui pousse chacun des deux à demander
de l’aide, et introduit tout de suite l’idée que nous sommes intéressés par les
histoires de vie des deux partenaires. Sans que ne soit donnée une explication,
la méthode de travail multigénérationnelle appliquée aux problèmes de couple
devient opérationnelle avant même la rencontre.

CAS CLINIQUE
Deux récits pour une histoire

Victoria et Peter sont envoyés par la thérapeute individuelle de Victoria, qui la suit depuis
longtemps et estime utile une intervention centrée sur le couple. Le thérapeute, avant
même de les rencontrer, leur demande de lui faire parvenir par e-mail, les informations
concernant leur histoire qui, selon eux, sont les plus significatives, ainsi qu’une brève
description du problème. Tous les deux répondent avec application, et de façon très
structurée, étant lui un professeur d’université, et elle une enseignante de sciences en
écoles supérieures.
Victoria a 53 ans et présente son histoire dans le détail, en phases, depuis la prime
enfance, et progressivement au travers de son cycle scolaire, jusqu’à arriver à décrire
son premier amour qui la conduira à son premier mariage, pendant cinq ans, qui s’est
terminé par un divorce, avant de rencontrer Peter, l’homme de sa vie, auquel elle a
toujours demandé un amour inconditionnel ! Cette recherche totalisante d’amour conju-
gal contraste avec la description pleine de carences affectives de ses années d’enfance,
marquée d’abord par une difficile émigration en Australie depuis le Sud du Pakistan et
ensuite par des relations violentes et abusives en famille, que ce soit entre ses parents
ou entre ceux-ci et ses grands-parents maternels.
Victoria décrit ensuite la naissance de ses trois enfants, très rapprochés en âge, aux
soins desquels elle a dû pourvoir toute seule dans leurs premières années de vie,
soit parce que son mari était trop occupé à mener sa carrière académique, soit
parce que sa belle-mère ne l’a jamais acceptée dans sa famille, du fait de préjugés
à l’égard de ses origines pakistanaises. Elle ne s’est jamais sentie défendue par son
mari, qui, selon ses dires, a toujours été plus proche émotionnellement de sa mère
que d’elle.
Dans la seconde partie de l’e-mail, Victoria se décrit nettement comme la personne
fragile du couple, soit du fait d’une dépression du post-partum commencée après la
naissance de son premier enfant, soit du fait de l’émergence ultérieure de troubles
obsessionnels-compulsifs. Pour ce qui concerne la situation actuelle, elle raconte une
relation faite de disputes et de solitude réciproque, le tout accentué par des modèles
éducatifs très différents à l’égard des enfants, désormais tous en fin d’adolescence, et
malheureusement souvent ralliés à leur père.
Bien qu’elle ait envoyé deux pages qui décrivent une enfance très difficile, des oppo-
sitions conjugales violentes, des exclusions de la part de ses enfants et un rejet à son
encontre de la part de la mère de Peter, Victoria termine son écrit par le souhait que
la thérapie puisse les aider à retrouver non seulement une entente conjugale, mais
aussi un « mariage heureux avec Peter, fait d’amour inconditionnel ».

La présence symbolique des familles d’origine 93


À l’e-mail de Victoria succède celui de Peter, qui, à la fin de trois pages pleines, conclut
en s’excusant pour la longueur de son écrit, avec l’espoir cependant qu’il aide à donner
de la consistance à notre première rencontre.
Le style de Peter est très différent, plus descriptif et détaché, même s’il commence en
racontant une enfance merveilleuse faite d’amour et de soin, en particulier de la part
de sa mère, étant donné que son père était très souvent absent pour le travail.
Contrairement aux évènements tumultueux de Victoria, dans les premières années de
sa vie en famille, tout semblait assez positif dans la croissance de Peter, qui aime rendre
visite le plus souvent possible à ses parents, désormais âgés et vivant à une distance
notable.
Après une ample description de sa carrière universitaire faisant largement état de ses
intérêts principaux, le reste de son récit se concentre sur les problématiques de Victoria,
qu’il définit avec un langage quasi psychiatrique et qui sont la raison principale de la
rupture de Victoria avec sa famille. Il décrit ses enfants avec beaucoup de soin et d’at-
tention, comme s’ils étaient seulement ses enfants à lui, et leur mère comme une
menace constante pour leur santé mentale et pour l’harmonie familiale.
Il y a environ quatre ans, il a essayé de se séparer de Victoria pendant six mois, mais
cela a été très difficile, que ce soit parce qu’il nourrit un profond sentiment de respon-
sabilité à l’égard du mariage ou du fait de l’éloignement de ses enfants. Dans les derniers
temps, Peter ressent des crises d’anxiété croissantes et craint de perdre le contrôle
devant les crises de nerfs véhémentes et répétées de Victoria, dont il conclut que, si
les choses ne changent pas pour un mieux, la meilleure option sera la séparation. Avec
ces préalables, il est disponible pour venir en thérapie.
Bien qu’elles semblent très éloignées et vraiment contradictoires entre elles, les infor-
mations reçues des deux conjoints, comme leurs attentes, seront très utiles pour
commencer à construire une motivation conjointe et un projet thérapeutique. Leur
engagement à réfléchir sur ce qui a été demandé et le compte rendu sous forme écrite
sont déjà une preuve tangible de la motivation individuelle et d’une confiance de base
à l’égard d’un thérapeute qu’ils ne connaissent pas encore. En outre, pour ce dernier,
leurs informations représentent une base d’où partir et réduisent la durée de l’engage-
ment thérapeutique. Il est clair qu’il s’agit de deux descriptions de la réalité (et non
seulement celles relatives aux problèmes de couple, mais au développement familial)
basées sur des scénarios et des mythes familiaux, sur des dimensions compensatoires
et des demandes idéalisées et magiques vis-à-vis du système couple. Par exemple, il
semble que Victoria désire un amour inconditionnel de la part de Peter, d’autant plus
nécessaire et impossible que son sentiment de manque total d’amour dans sa famille
d’origine est plus grand. Le vide de soin originaire doit être rempli par un plein d’at-
tentions et d’affection de la part d’un mari qui, pour sa part, préfère se défendre des
changements d’humeur et des crises de nerfs de Victoria, pour lui insoutenables, au
moyen de son travail et de l’accord complice de ses enfants.
La stigmatisation de Victoria, cause de tous les maux avec son instabilité et sa recherche
effrénée d’attentions, changera dès que Peter sera en mesure de s’exposer personnel-
lement en séance, en exprimant tout son ressentiment à l’égard de sa femme, en retirant
sa carapace anglo-saxonne et en montrant ses fragilités, jusqu’à maintenant inscrites
dans son corps, avec une fréquente tension rétrosternale qui prend la forme d’une angine
de poitrine. Dans son explosion libératoire (dont, jusque-là, la spécialiste était Victoria),

94 Comment aider les couples en crise ?


il sera capable de dire que Victoria est comme sa mère, toutes les deux étant instables
sur le plan de l’humeur et avides d’attention, et qu’il est fatigué d’être au milieu de ces
deux femmes impossibles. Grâce à cela, il modifiera ce qu’il relatait de son enfance
merveilleuse, affirmant à l’inverse avoir été prisonnier des besoins de sa mère, qu’elle a
reportés en particulier sur lui pour compenser l’absence totale de son mari. Il est inté-
ressant de constater que, quand on passe d’une construction défensive à une recherche
d’authenticité, l’autre conjoint change aussi sa position sur-le-champ. Victoria écoutera
en silence, sans interrompre l’explosion de son mari, comme si elle n’était plus au centre
de la scène, et qu’elle pouvait même exprimer d’un geste affectueux son sentiment de
soutien vis-à-vis de Peter. Les fragilités des deux se saisiront désormais mieux, et seront
la base pour construire un projet thérapeutique partagé.

Les questions intergénérationnelles


Ce type de questions est un instrument extraordinaire pour entrer dans l’his-
toire du développement de chaque partenaire et pour mieux comprendre les
dynamiques de couple (Andolfi, 2003, 2005 ; Andolfi, Mascellani, 2010).
Ce que nous souhaitons souligner est la propriété inhérente à ces questions
de produire du mouvement à travers des sauts temporels, c’est-à-dire de jouer
avec le temps, et ainsi de connecter les évènements du passé avec les relations
présentes et les fantaisies du futur.

CAS CLINIQUE
Ont-ils quitté leurs maisons d’origine ?

Reprenons l’exemple d’Annie, une femme qui, déjà dans son premier appel au service
clinique affirmait que son mari Marc était trop dépendant de sa mère, comme s’il n’avait
jamais quitté sa maison d’origine, et que cela interférait avec la qualité de leur relation
de couple. Une fois en séance, nous pourrions lui demander de nous faire mieux
comprendre, avec un exemple concret, de quelle façon son mari manifeste sa dépen-
dance à sa mère ; et ensuite, nous pourrions lui demander ce que représente la dépen-
dance pour elle, et quels sentiments cela suscite en elle. Nous pourrions étudier qui,
dans sa famille d’origine, était le plus dépendant de l’autre, et comment cela a interféré
avec les relations familiales. Nous voudrions ensuite lui demander comment elle a réussi
à quitter sa maison, et comment se sont comportés son frère aîné et sa sœur cadette.
Selon l’idée de Keeney (1983), qui considérait la conversation thérapeutique comme
« une visite de musée », nous pouvons transférer par exemple le mot dépendance de
la phrase faisant référence à son mari, pour explorer les processus de dépendance et
d’autonomie dans la famille de l’épouse, élargissant ainsi le cadre familial afin de mieux
comprendre l’entrelacement de couple et la complémentarité possible entre celui qui
a grandi dans la dépendance et celle qui peut-être est devenue autonome à un stade
précoce.

La présence symbolique des familles d’origine 95


Pendant que nous dialoguons avec Annie, nous sommes très attentifs à observer le langage
non verbal de Marc, qui peut nous faire comprendre beaucoup sur lui et sur la relation
de couple, avant même de l’engager directement sur le plan verbal. À ce point, nous
pouvons repartir de la phrase d’Annie, qui fait allusion à sa dépendance, pour connaître
son opinion à ce sujet. Nous pouvons ensuite extraire le mot maison du contexte jugeant
avec lequel il était utilisé par l’épouse (pleine de ressentiments, parce que son mari « n’avait
jamais quitté sa maison »), et retourner en arrière en posant une série de questions à Marc
afin d’explorer ses processus de développement : « Comment était la maison dans laquelle
il a grandi enfant ? L’aimait-il ? Avait-il une chambre pour lui ? Y restait-il volontiers seul,
avec sa fratrie ou avec ses parents ? Était-ce une maison joyeuse ou obscure ? Sa mère
était-elle le centre de la maison ? Quand il a quitté sa maison, qu’a-t-il eu l’impression de
perdre ? » Et puis, nous pouvons revenir au présent et demander toujours à Marc comment
il se sent dans sa nouvelle maison (la conjugale) et ce qu’il voudrait voir changer pour y
être bien. Nous pouvons faire la même demande à Annie pour comprendre qui est dans
la nouvelle maison et comment ils pourraient y vivre mieux tous les deux.
Nous avons ainsi changé le contexte de la séance et commencé une exploration de
l’histoire du développement des deux, au-delà de la présentation initiale, qui voit Annie
à la recherche de compensations affectives et Marc en défense sur tous les fronts.

Dès la première rencontre avec le couple, à travers les questions inter-


générationnelles, le thérapeute peut facilement introduire du dynamisme dans
une réalité perçue comme immobile par les partenaires. Et cela est très utile :
lier tout de suite les informations relatives à certaines caractéristiques per-
sonnelles de chacun des deux à leurs modèles familiaux, plutôt que les laisser
dans le territoire du couple, introduit de la curiosité et réduit notablement
le risque concret qu’elles soient utilisées comme des armes d’attaque ou de
défense (Andolfi, 2015).

CAS CLINIQUE
Un arbre desséché dans le silence

Jonathan se décrit comme taciturne et absent de la maison, Mélanie se présente comme


dépressive et déçue du manque total d’attentions de son mari à son égard. Sa vie à
lui est entièrement tournée vers l’extérieur, entre le travail et le sport, pendant que la
sienne à elle est totalement concentrée sur leurs trois petits enfants, selon un scénario
très commun. Tous les deux sont insatisfaits de la qualité de leur relation, mais aucun
des deux ne sait quoi faire pour changer les patterns de comportement rigides et
éprouvés au fil des années. Il est possible d’observer un changement radical dans le
climat de la séance : si on déplace ces caractéristiques de chacun, lui taciturne et absent,
et elle dépressive et privée de toute attention, du plan du couple à celui
intergénérationnel.
À la question de savoir qui il a trouvé le plus absent à la maison pendant sa croissance,
Jonathan change de ton de voix et décrit combien son père lui a manqué : il se le
rappelle assis dans un fauteuil de la mansarde de la maison, toujours caché derrière

96 Comment aider les couples en crise ?


un journal et entièrement tourné vers son travail de personnage politique hors du foyer,
dont la gestion retombait entièrement sur sa mère. Sa voix se fait encore plus tremblante
quand il décrit sa mort prématurée et les longs silences entre lui, fils aîné, et son père.
Puis, il se souvient que lui aussi, enfant, suivant les traces de son père, se réfugiait dans
la mansarde pour lire ses bandes dessinées. Aujourd’hui que son père n’est plus, il se
reproche de n’avoir jamais réussi à lui parler de façon directe et personnelle.
À la question du côté, maternel ou paternel, dont provenait la dépression, Mélanie n’a
pas de doute : « De ma mère, qui a tellement souffert du manque des plus petites
attentions de la part de mon père » ; et puis elle ajoute : « Ce problème du manque
d’attention et d’affection a été le drame de ma famille, et j’ai grandi comme un arbre
desséché » ; et enfin, avec ressentiment, elle conclut : « Voilà que je me suis mariée
avec quelqu’un qui n’est jamais là ! »

En figeant momentanément le mal-être conjugal et en explorant les compo-


santes intergénérationnelles des emboîtements de couple, on fait un saut tem-
porel. Cela permet aux deux de revivre en séance des sensations expérimentées
dans le passé comme enfants, et qui semblent se reproduire dans la relation
de couple, comme des scénarios éprouvés. Tous les deux peuvent réfléchir sur
leur propre monde interne et sur les comportements appris et reproduits dans
le couple, afin de se sentir finalement empathiques et bienveillants l’un avec
l’autre, parce que les insécurités, les fragilités, les défenses font partie de la vie
de chacun, et peuvent être acceptées et devenir des ressources thérapeutiques
si elles cessent d’être des occasions de combat. Tel sera le projet de la théra-
pie de couple, qui est proposé dès la première rencontre, non pas en paroles,
mais à travers l’engagement émotionnel et cognitif des deux partenaires, pour
réfléchir d’abord sur soi et sur ses propres processus identitaires, et ensuite sur
la relation, qui deviendra plus satisfaisante une fois découvert le fait d’être
devenus deux entités distinctes et complètes.

Les questions comme si et le jeu de rôle


Les questions comme si sont des questions hypothétiques présentes dans le lan-
gage commun et familier, et leur usage peut être illimité. Il suffit d’adapter le
langage aux circonstances, aux thématiques qu’on veut explorer et aux rela-
tions qu’on veut étudier (Andolfi, 2015).

CAS CLINIQUE
Un arbre desséché dans le silence (suite)

En prolongeant l’exemple ci-dessus de Mélanie et Jonathan, nous pourrions facilement


demander à Jonathan : « Si votre père était encore en vie et que nous pouvions
l’inviter à l’une de nos rencontres, que pourrait-il dire de vous enfant et de votre

La présence symbolique des familles d’origine 97


refuge dans la mansarde, tout seul, pour lire vos bandes dessinées ? Au fond, votre
père était l’expert pour se cacher derrière un journal dans la mansarde ; qu’aurait-il
pu vous dire en tant que père s’il avait réussi à fermer son journal et à sortir de son
mutisme ? » Cette expérimentation de se mettre dans la peau de son père dans ce
jeu de rôle peut être très libératoire pour Jonathan qui, donnant voix à son père,
pourrait sentir avec une très grande intensité la solitude de toute sa croissance, quand
la mansarde était devenue un refuge rassurant pour tous les deux, eux qui se sentaient
trop insécures pour sortir à découvert et prendre des risques dans la relation. Mélanie
pourrait éprouver son profond malaise, et peut-être l’aider à « sortir de la mansarde »,
pour être présent dans leur vie de couple, au lieu de seulement lui reprocher de ne
pas y être pour elle. Blâmer l’autre est une des modalités les plus délétères et des-
tructrices dans la relation de couple, comme l’ont bien décrit Gottman et Gottman
(2015a).
À Mélanie, nous pourrions demander d’incarner sa mère et de nous faire sentir
comment cette femme a elle-même été privée d’attention dans ses relations les plus
significatives, et combien elle n’a pas réussi à donner de l’affection et de l’attention à
sa fille, peut-être parce qu’elle-même, dans son rôle de mère, se sentait comme le
premier arbre desséché de sa famille. Nous pourrions aussi lui demander de faire
semblant d’appeler sa mère au téléphone (sans faire le numéro) et de l’inviter à l’une
de nos rencontres, pour l’aider ainsi à ne pas se sentir comme un arbre desséché.
Peut-être, en venant ensemble, pourraient-elles découvrir comment on peut donner
suffisamment d’eau à ces deux plantes pour les faire refleurir. Jonathan, en écoutant
le « dialogue téléphonique entre mère et fille » de sa femme, pourrait sentir que lui
aussi peut participer en tant qu’époux au refleurissement de Mélanie, s’il est en mesure
de sortir de ses défenses. Appeler un familier au téléphone, sans réellement le faire,
comme si c’était un jeu (et donc sans prendre les mêmes risques), suscite des émotions
fortes, permet d’expérimenter deux positions relationnelles différentes et donne l’im-
pression d’écouter réellement un dialogue téléphonique. En outre, cela représente
aussi les prémices d’une possible convocation de la mère dans le futur (cela devient
plus facile de l’inviter après l’avoir déjà engagée par téléphone) et ainsi de passer d’une
présence symbolique à une présence réelle.
Nous pourrions enfin demander à Mélanie et à Jonathan de nous dire simplement
comment son père à lui et sa mère à elle, une fois présents en séance, pourraient nous
aider à mieux connaître les qualités de l’un et de l’autre. Ce faisant, nous aiderons les
deux partenaires à se focaliser sur leurs propres aspects positifs, véritable antidote au
blâme et à la critique réciproque.

La valeur évocatrice et transformatrice des questions comme si et de se


mettre dans la peau de l’autre est incroyable : s’extraire du plan de la logique
et de la réalité concrète peut permettre de surmonter des situations d’impasse
et de découvrir d’autres façons de sentir et d’affronter les difficultés réelles,
enrichi que l’on est par des expériences symboliques caractérisées par un fort
engagement émotionnel.

98 Comment aider les couples en crise ?


Construire des métaphores en séance
Nous avons décrit dans divers travaux (Andolfi, Angelo, 1987 ; Andolfi,
Mascellani, 2010 ; Andolfi, 2015) combien la construction d’images et d’ob-
jets métaphoriques en séance est utile. En réalité, construire des métaphores
est une des modalités les plus efficaces pour nouer une alliance thérapeutique
avec les deux partenaires, comme nous l’avons vu dans le récit Un cavalier
parfait, où c’est le thérapeute lui-même qui offre des images représentant l’en-
trelacement relationnel du couple et ses composantes intergénérationnelles.
Souvent également, l’image métaphorique est apportée en séance par les
patients eux-mêmes, telle celle de se sentir comme un arbre desséché décrite
par Mélanie. Il sera utile que le thérapeute la saisisse et la garde en mémoire,
pour la réutiliser au mieux, à travers des redéfinitions ou assemblages de signi-
fications alternatives.

CAS CLINIQUE
Le citron pressé et la sainte femme

« Je me sentais vidée comme un citron pressé » : c’est l’image fournie par Julie lors de
la première rencontre de couple avec son mari Clovis, lequel vient en thérapie pour
elle, qui semble avoir aussi souffert de dépression à la suite d’un cancer du sein, par
chance en rémission ces dernières années. Ils sont tous les deux designers à succès et,
après avoir passé quelques années de formation professionnelle à l’étranger, sont rentrés
dans leur ville natale où vivent leurs familles respectives et où ils ont eu leurs deux
enfants.
Tout est allé bien dans leur relation tant qu’ils vivaient libres d’obligations et loin de la
maison. Le retour a coïncidé avec la nécessité de s’affirmer professionnellement et de
faire famille. De surcroît, à la naissance de leur fille aînée, Julie développe une tumeur
du sein, et après la naissance du second, elle subit une intervention d’hystérectomie.
Deux évènements heureux, assombris par deux problèmes de santé de Julie très pré-
occupants, et qui déstabilisent le couple. En réalité, la dépression de Julie débute à la
suite de sa tumeur, mais encore plus à cause de l’attitude de Clovis, qui ne sait pas
comment être proche d’elle et qui soigne ses propres angoisses « en retournant dans
le ventre de sa mère ». Sa mère s’est depuis toujours occupée jour et nuit de ses trois
garçons pendant leur croissance, sans jamais se plaindre et sans avoir le soutien de son
mari, trop occupé au travail ; et elle est heureuse de protéger son fils maintenant qu’elle
le sent aussi fragile. Clovis affirme que les mères croates sont ainsi, comme si c’était
une donnée culturelle, et que lui n’est pas capable de prendre soin de quelqu’un. Il peut
seulement se réfugier dans le travail, dont il reçoit de nombreuses satisfactions, selon
un code masculin (Garfield, 2015) ancestral et dur à faire disparaître, bien plus répandu
que dans la seule Croatie.
Julie est une perfectionniste – et on peut aussi comprendre cela comme une défense
contre ses angoisses – qui consacre beaucoup de son temps à la maison et aux enfants,
mais qui se plaint constamment, amenant Clovis à se sentir perpétuellement en faute.

La présence symbolique des familles d’origine 99


Elle est aussi contrainte de se mettre à temps partiel au travail qui pourtant lui plaît,
pour s’occuper de sa fille aînée qui a des traits obsessionnels-compulsifs ! Julie est
décrite comme la copie de sa mère, elle aussi perfectionniste et vouée au sacrifice pour
tous, depuis toujours. Elle est le premier « citron pressé » de la famille ; et Julie, durant
toute son enfance et toute son adolescence, a seulement entendu et absorbé les
plaintes à haute voix de sa mère, exténuée par tant de fatigue.
La métaphore du « citron pressé » sera longtemps au centre de la thérapie, par contraste
avec celle de la « sainte femme », image donnée par le thérapeute pour décrire le sens
du sacrifice chrétien de la mère de Clovis, d’origine croate et très religieuse.

La thérapie de couple devra alors partir des mythes originaires des deux,
qui se basent sur des systèmes de valeurs et des comportements appris et qui,
comme nous le savons, peuvent avoir une forte fonction contraignante pour
les générations suivantes (Andolfi, Angelo, 1987 ; Andolfi, 2015). La proposi-
tion thérapeutique sera de se libérer des scripts familiaux répétitifs pour réussir
à construire des relations plus harmonieuses et équilibrées, dans lesquelles les
stéréotypes de genre (les femmes se sacrifient à la maison, les hommes sont
dépendants et se réfugient dans le travail) et les loyautés familiales ne repré-
sentent plus une prison pour aucun des deux.

Objets métaphoriques et photos en séance


Si la métaphore est la substitution d’un terme propre par un figuré, à la suite de
la transposition symbolique d’une image, par exemple : « Je me sens pressée »
(comme si elle était un citron), utiliser des objets concrets et symboliques,
avec une haute teneur évocatrice, est une modalité thérapeutique très utile
pour rendre présents en séance des membres importants des familles d’origine
(Andolfi, 2015).
L’observation du génogramme familial d’un partenaire, avec les symboles
des personnes décédées ou des liens conjugaux coupés, ou encore la recherche
dans un atlas du pays d’où a émigré de force la famille d’origine de l’un ou de
l’autre conjoint, sont des façons très efficaces de susciter des émotions, des souve-
nirs, des peurs, des sentiments de perte liés à leurs processus de développement.
Ce sont aussi des moyens pour mieux comprendre le rapport entre les connexions
affectives du passé et les relations actuelles. Par exemple, on pourra demander
à Jonathan (que nous avons précédemment décrit comme le garçon qui se réfu-
giait pour lire ses bandes dessinées dans sa mansarde) ce qu’a représenté pour lui
la perte de son père, quel impact elle a eu sur sa famille. Nous pourrons ensuite
nous faire indiquer sur le génogramme qui a le plus souffert de sa mort. Regarder
ensemble la carte de sa famille pourra susciter de fortes émotions chez Jonathan
et le faire s’exprimer sur sa souffrance, lui qui se décrit comme taciturne et déta-
ché, permettant aux deux conjoints de partager un moment d’intimité.

100 Comment aider les couples en crise ?


Si, ensuite, nous demandons à deux adultes d’apporter en séance les photos
les plus significatives de leurs familles quand ils étaient enfants, ou des objets
personnels, comme un pendentif, un sac, un instrument de musique, avec une
haute valeur affective, d’un parent disparu ou d’un frère ou d’une sœur qui est
loin, nous nous rendons compte combien le cadre familial est important pour
décrire leurs processus de croissance et les relations du présent, autant celles
de couple que celles avec leurs enfants. Cela permet de réduire les niveaux de
compétition ou de conflictualité de couple (quand on retourne aux souvenirs
d’enfance, même douloureux, il y a toujours plus d’empathie et de curiosité) et
d’augmenter le niveau de confiance à l’égard du thérapeute et du climat affectif
dans lequel se déroule la séance. En outre, c’est un très bon test pour évaluer le
fonctionnement du couple et l’évolution de la thérapie.
Une fois que la famille est présente en séance symboliquement, par le biais
d’images et d’objets concrets qui la représentent, il sera plus facile, tant pour le
thérapeute que pour les membres du couple, de convoquer ultérieurement les
familles d’origine pour une rencontre conjointe.

L’utilisation de l’espace thérapeutique


Comme nous l’avons écrit à plusieurs reprises (Andolfi, Mascellani, 2010 ;
Andolfi, 2015), le mouvement, l’action concrète en séance, la construction
de sculptures familiales, l’utilisation de l’imagination sont très utiles, que ce
soit au niveau de l’évaluation du fonctionnement du couple ou pour activer les
processus de changement, tant individuels que de couple.

CAS CLINIQUE
Le citron pressé et la sainte femme (suite)

Reprenons le cas de Julie et Clovis. Nous demanderons aux deux de nous faire voir
leurs relations avec leurs mères respectives, en créant une image spatiale et en utilisant
des objets : celle de Julie, sacrificielle et plaintive, qui se sent comme un citron pressé
(métaphore que Julie utilise aussi pour elle), et celle de Clovis, mère universelle et ventre
maternel toujours prêt à accueillir ses enfants. Sa mère pourra être représentée par
Julie à l’aide d’objets ou peluches, ou en posant sur une chaise quelque chose qui en
évoque la présence, et en décrivant le rapport spatial de proximité ou d’éloignement
entre elles deux. Après avoir farfouillé dans le panier des objets et des jeux de la salle
de thérapie, Julie prendra deux balles dégonflées de dimensions différentes (en l’ab-
sence de citrons), elle y dessinera deux émoticônes tristes et les posera sur deux petites
chaises d’enfant bancales, l’une face à l’autre, afin d’évoquer un sentiment de fragilité
et de précarité dans leur dimension de femmes. Clovis, à son tour, dessinera une carte
géographique de la Croatie (très belle, étant donné que c’est un dessinateur profes-
sionnel) sur un tablier enveloppant, à l’intérieur duquel il mettra trois oursons en peluche
blancs pour représenter les trois frères. Lui sera l’ours le plus grand, au centre de la scène,

La présence symbolique des familles d’origine 101


le fils qui aidera sa mère aux prises avec les problèmes de handicap de son frère cadet.
À la question s’il avait oublié quelqu’un, Clovis demeurera surpris au début, et puis,
avec embarras, il se rendra compte qu’il a oublié son père et se justifiera en disant :
« Mais lui, il n’était jamais là ! » Dans le cours de la thérapie, il sera souvent souligné
que Clovis non plus n’est pas beaucoup à la maison, ni comme mari ni comme père,
reproduisant ainsi le même scénario familial.

Visualiser en thérapie, par l’imagination et le jeu symbolique, les dys-


fonctionnements relationnels qui se reproduisent de génération en génération,
étouffant la vie d’un couple, est une expérience douloureuse mais très utile.
Cela permet à chaque partenaire de s’observer à partir de plusieurs dimensions,
celles d’enfant, de conjoint et de parent en même temps. De là, avec l’aide de
la thérapie, on pourra partir ensemble (et pas l’un contre l’autre) à la recherche
de nouvelles modalités d’exister en tant que personne et se connecter avec les
autres, une fois libérés des stéréotypes de genre et des rôles familiaux répétitifs
et cristallisés.

102 Comment aider les couples en crise ?


CHAPITRE 7
La famille d’origine en séance

De la présence symbolique
à la présence physique
La convocation de la famille d’origine en séance marque le début de la phase
intermédiaire de la thérapie de couple. Comme nous avons pu le voir dans
les chapitres précédents, le travail effectué dans la partie initiale du proces-
sus thérapeutique se base sur l’objectif d’accompagner les partenaires vers la
perception de la crise de couple qu’ils sont en train de traverser comme un
arrêt évolutif, étroitement connecté aux modalités relationnelles apprises
par chacun des deux durant leur processus de développement au sein de leurs
familles, et à l’histoire de ces dernières. Le pacte intime, qui naît à distance et
qui se base sur un dialogue profond qui a à voir avec des demandes implicites
de réparation, est désormais plutôt clair pour le couple. Travailler la dimen-
sion intergénérationnelle, durant la première phase de la thérapie, a permis de
retracer et de partager justement ces limites personnelles, qui empêchent les
partenaires de poursuivre naturellement et en autonomie le chemin évolutif
du couple, dans le moment actuel. Jusqu’à maintenant, le thérapeute, utilisant
tous ses instruments, a réussi à insinuer des doutes, à susciter de la curiosité et
donc de la flexibilité, vis-à-vis des préjudices et des convictions que chaque
partenaire a sur sa propre histoire et sur lui-même. Et tout cela a amené au
sein du contexte thérapeutique et, de façon spéculaire, au sein de la relation de
couple, une nouvelle capacité partagée d’écoute et de compréhension.
Mais on peut faire plus : si le passé est passé et qu’on ne peut pas changer
l’histoire, on peut la reraconter par la voix de qui était réellement présent, et
l’a vécue, se donnant l’opportunité de la comprendre plus complètement.
L’idée de Whitaker (1989), que même la pire des familles a en elle les
ressources pour affronter ses problèmes, est une pensée que nous partageons.
Et notre conviction est que l’amour à l’intérieur de la famille est le carburant

La famille d’origine en séance 103


qui la maintient en vie, et qui la fait aller de l’avant. Le problème est plutôt
que, parfois, dans la famille, l’amour ne circule pas comme il le devrait ; et donc
il n’est pas perçu, en raison d’une communication émotionnelle inefficace,
due à la nécessité de répondre à des besoins plus impérieux, ceux par exemple
d’adhérer ou non aux mandats qui garantissent la matrice identitaire de la
famille même, sous peine de désagrégation. De là les différentes dynamiques :
triangulations négatives inclusives, exclusives, protectrices, agressives, etc.,
que les familles adoptent pour continuer à exister, mais qui génèrent beaucoup
d’équivoques vis-à-vis des sentiments.
Notre expérience clinique de thérapeutes familiaux nous a enseigné que
tous les enfants, petits et grands, cherchent de toutes les façons à sentir l’amour
familial pour croître, parce que cela se traduit par un sentiment d’appartenance
et un sentiment de sécurité, éléments fondamentaux pour pouvoir explorer le
monde sans peur de se perdre. Nous sommes particulièrement reconnaissants
aux nombreux adolescents que nous avons rencontrés, qui nous ont enseigné
qu’ils ont besoin de trouver leur espace individuel au sein de leur famille, avant
de pouvoir le chercher ailleurs.
La présence de la famille d’origine de chaque partenaire en séance durant
la thérapie de couple est une grande opportunité : réévoquer ensemble le passé
révolu permet d’en relire la signification, à travers d’autres points de vue ; mais
surtout, cela ouvre à la possibilité de se dire ce qui ne s’est jamais dit, enrichis-
sant ou parfois bouleversant complètement ces vérités jusqu’alors inchangées
et immuables. Le souvenir collectif avec plusieurs générations dans la même
pièce a un énorme potentiel curatif ; et surtout, c’est un rituel extrêmement
utile pour construire l’expérience thérapeutique, qui ne concerne plus seule-
ment le couple, mais aussi le thérapeute, lequel entre toujours plus dans l’his-
toire de la famille, c’est-à-dire dans l’unique fil conducteur en mesure d’intégrer
ou de rejeter les stimuli qui viennent de l’extérieur. Il n’y aurait probablement
jamais une telle rencontre de la famille chez eux, parce que généralement les
familles se voient pour ne pas parler, ou bien, si cela se produisait, les conflits
encore ouverts se réactiveraient.
Le souvenir collectif dans un contexte spécial, guidé par le thérapeute, per-
met de revivre en séance quelques passages importants de la vie relationnelle
de la famille. Retracer les étapes évolutives a un pouvoir énorme au niveau
de la croissance individuelle de chacun des deux partenaires, avec aussi des
retombées positives dans toute la famille d’origine.
En bref, nous pourrions résumer en affirmant que la rencontre avec la famille
d’origine, dans un contexte spécial, produit simultanément un ensemble
d’avantages : elle promeut la proximité, et donc l’appartenance ; elle favo-
rise la confrontation dans une dimension de séparation individuelle ; et elle
construit l’expérience thérapeutique, sous l’angle de modèle appris de relation
(Andolfi et al., 2006).

104 Comment aider les couples en crise ?


Différents modèles de thérapie de couple
intergénérationnelle
Depuis plus de trente ans, nous expérimentons l’inclusion des familles d’ori-
gine et des enfants au cours du processus thérapeutique avec les couples. Déjà
en 1987, dans le congrès international historique consacré au couple en crise
qui s’est tenu à Rome, nous exposions notre pensée, et par la suite, nous avons
élaboré notre modèle de thérapie et nous en avons décrit l’évolution et la pra-
tique clinique dans de nombreux travaux (Andolfi, 1988, 2015 ; Andolfi et al.,
2007 ; Andolfi, Mascellani, 2010).
Dans l’introduction de ce livre, nous avons reconnu l’influence profonde de
Framo sur notre façon de penser et de pratiquer la thérapie de couple intergé-
nérationnelle. Toutefois, dans notre pratique thérapeutique, nous avons choisi
de convoquer ensemble les deux partenaires aux rencontres consacrées aux
familles respectives, avec des motivations quasiment opposées à celles qui ont
conduit Framo à faire des rencontres séparées.
Framo affirmait que, quand les membres d’une famille s’efforcent d’affronter
les nœuds problématiques irrésolus, soit du passé soit du présent, la présence du
conjoint pourrait inhiber ou rendre confuse une entreprise aussi importante.
De surcroît, sa présence serait une invitation pour les parents et la fratrie à
parler des difficultés de couple, donnant naissance à une forme de triangula-
tion qui s’écarte de l’objectif de ces séances, ce dernier étant de se réconcilier
entre générations grâce à la compréhension et au pardon (Framo, 1992). Étant
donné l’importance de ces rencontres, il est nécessaire de les préparer avec soin
et sans précipitation, dans le cours de la thérapie. Il est aussi possible que les
séances soient réalisées à des moments différents, ou qu’un membre du couple
n’y soit pas disposé.
Nous aussi, nous sommes bien conscients de la plus grande liberté de se
sentir famille et de s’exprimer pleinement sans la présence de celui ou de celle
qui est, cependant, un membre de la famille par alliance sans lien de filiation.
Malgré cela, nous avons choisi de faire participer les deux partenaires, pour leur
permettre de partager une expérience importante et souvent source de souf-
france, celle de la confrontation/dialogue avec les familles d’origine respectives.
De surcroît, la présence du partenaire en séance est une confirmation que, bien
qu’indirectement, on est en train de travailler sur les problématiques de couple ;
et cela permet d’évaluer la capacité de chacun de s’exposer face à l’autre, dans la
rencontre avec son propre monde familial. Il sera possible d’observer combien
les besoins et les attentes affectives à l’égard de ses parents et de ses frères et
sœurs ont reçu des réponses satisfaisantes au cours de la croissance de chaque
partenaire, ou au contraire combien les conjoints ont souffert du manque de ces
réponses satisfaisantes. Affleurent en séance des sentiments et des pensées qui
viennent de loin, qui ont contribué à forger la personnalité individuelle, qui ont

La famille d’origine en séance 105


un poids dans les relations actuelles, et qui souvent sont cachés ou mécon-
nus par le conjoint, même après plusieurs années de vie de couple (Andolfi,
1988). Toutefois, justement parce que conscients du risque de triangulations
ou de conflictualités entre les familles, nous stipulons bien, avant et pendant la
séance, que l’autre partenaire est présent exclusivement comme un observateur
participant, qui suit la rencontre sans intervenir. Cela est facilité par le fait que,
dans ces séances, on n’entre jamais dans les problématiques du couple.
Nous sommes par contre d’accord avec Framo quand il explique pourquoi
ne pas inclure les enfants dans les séances avec les familles d’origine. Nous
évoquerons dans un autre chapitre l’objectif de la convocation des enfants au
cours de la thérapie de couple.
Le modèle de Canevaro (1999, 2009) est différent. Il utilise la méthode inva-
riante, convoquant séparément au début de la consultation le membre du couple
avec sa famille, en l’absence de son partenaire. Les deux partenaires doivent
être d’accord avec la modalité de ces séances, qui doivent se dérouler à très peu
de distance l’une de l’autre. Cette méthode, que Canevaro considère comme
stratégique et paradoxale, sert à lutter contre la symbiose de couple, et à déblo-
quer des situations d’impasse, avec l’objectif de restaurer « l’amour cothérapeu-
tique » à l’intérieur du couple, ce qui revient à dire l’aide réciproque dans le
détachement graduel d’avec sa propre famille. Alors que Framo envoyait l’en-
registrement audio de la séance familiale au conjoint absent, afin qu’il puisse se
documenter sur ce qui s’était passé, Canevaro maintient la confidentialité de ce
qui a été dit lors de l’entretien avec la famille au même titre qu’un secret profes-
sionnel qu’il ne va pas révéler. Cette modalité permet de comprendre beaucoup
de choses, choses qui parfois nécessitent un long traitement avant qu’elles ne
s’explicitent, et qui souvent ne se révèlent jamais (Canevaro, 1994).
Comme on peut bien le voir, les modalités et les objectifs de la convocation
de la famille d’origine en thérapie de couple sont différents, bien qu’à l’inté-
rieur de la même matrice de pensée.

Quand inviter la famille d’origine en séance


En réalité, la présence physique des familles d’origine, bien qu’elle puisse pro-
duire des transformations significatives, est limitée à une ou deux rencontres de
l’ensemble de la thérapie de couple. Il s’agit de rencontres très délicates qui, de
notre point de vue, représentent un objectif intermédiaire atteint à l’intérieur
du processus thérapeutique, constituant un tournant décisif très important.
Au fil du temps, nous avons modifié quelques aspects de méthode, à la
lumière aussi d’un livre éclairant : La thérapie racontée par les familles (Andolfi,
Angelo, D’Atena, 2001). Recueillant à distance des souvenirs et des évalua-
tions de la part de nombreux couples après la conclusion de la thérapie, nous
avons eu la confirmation de l’importance fondamentale de la convocation

106 Comment aider les couples en crise ?


des familles d’origine. Toutefois, nous avons appris que, justement pour la
valeur transformatrice de ces rencontres, nous devions changer le timing de
ces séances, qui généralement se déroulaient dans les phases initiales, presque
comme un élément diagnostique du fonctionnement de couple, et comme
cadre théorique du modèle multigénérationnel. La présence des familles d’ori-
gine avait alors pour but d’ouvrir une porte sur l’histoire des deux partenaires,
et la demande découlait plus d’une pratique que d’une motivation réelle, matu-
rée au cours du processus thérapeutique.
« La rencontre avec ma famille a été perturbante, et je n’étais pas encore
prête à un impact émotionnellement aussi fort. » « Elle [son épouse] en a tiré
beaucoup de bénéfices ; pour moi, ça n’a rien donné, et ça a été une confir-
mation du détachement total de mes parents. » « Nous avons peut-être perdu
une occasion unique, mais tous les deux, nous n’étions pas prêts. » Ce sont
quelques-unes des réponses insatisfaites que nous avons reçues, à l’intérieur
d’un échantillon très large, où pour beaucoup le souvenir était extrêmement
positif et avait déclenché des changements, autant au niveau du couple que
dans les liens intergénérationnels.
Les observations critiques, rapportées par certains, coïncidaient avec notre
impression, comme thérapeutes, qu’il n’y avait pas eu le temps suffisant pour
passer d’une pratique standard dans la première phase évaluative à une oppor-
tunité vitale mieux élaborée par tous.
Nous nous sommes ainsi rendu compte que, pour ne pas perdre une occa-
sion unique, comme cela a été bien décrit par un membre d’un des couples
interrogés, il est nécessaire d’avoir construit d’abord une forte alliance théra-
peutique avec le couple, et un climat de confiance et de croyance à notre
égard. En même temps, les deux partenaires doivent avoir acquis le courage
et la conviction suffisante pour demander de l’aide à leurs parents, ainsi que
la conscience de la signification de ce type de rencontres ouvertes avec leurs
familles. Mais encore plus, ils doivent être préparés à accepter le risque d’un
éventuel refus de la part de leurs parents, sans le ressentir comme la réouverture
de blessures douloureuses provoquées par d’autres refus, vécus dans l’enfance
ou dans l’adolescence. De cette façon, même un refus ou une présence néga-
tive en séance, peuvent être néanmoins perçus comme un succès personnel,
comme pour dire : « Moi, la tentative, je l’ai faite ; et je peux constater avec
sérénité leur indisponibilité affective à mon égard. De surcroît, mon partenaire
a assisté à ma tentative sincère. »
En effet, par notre recherche clinique avec les couples (ibidem), nous nous
sommes sentis confirmés dans notre idée, décrite par le passé (Andolfi, 1999),
que la présence des deux partenaires dans les rencontres avec les familles
respectives est utile et thérapeutique. Aucune des personnes interrogées ne
nous a jamais signalé avoir éprouvé un sentiment de gêne ou de malaise dans
les rencontres auxquelles l’autre avait invité sa propre famille. Au contraire,

La famille d’origine en séance 107


la présence du partenaire en séance était ressentie comme un soutien émo-
tionnel important, face à une entreprise vécue comme difficile et douloureuse.
En outre, il y avait un sentiment de partage, car l’autre aussi devrait passer par
la même expérience. Tout cela en dépit du fait que beaucoup de ces couples
étaient venus en thérapie du fait d’un niveau élevé de conflictualité conjugale.
L’expérience nous a aussi démontré que, une fois qu’a eu lieu de façon posi-
tive la rencontre avec les membres de la famille d’origine, on peut program-
mer une seconde séance dans la phase de conclusion de la thérapie de couple
ou dans le follow-up1, afin de témoigner des changements survenus, autant au
niveau du couple que dans la relation entre chaque partenaire et sa propre
famille. Cette rencontre peut aussi avoir la signification d’un acte rituel, à célé-
brer en séance, en présence de tous. Dans notre expérience de formation au
sein d’une école de spécialisation, nous avons pu apprécier la valeur de célébra-
tion de la remise des diplômes finaux, en présence des familles des élèves. Une
même valeur célébratoire peut être revêtue par la remise en séance à un enfant,
aujourd’hui devenu adulte, mais qui a souffert pendant des années d’une hyper-
dépendance à sa famille, un « diplôme de maturité en tant qu’enfant », contre-
signé par ses parents ou par les membres de sa famille, en présence de son
partenaire. C’est comme sceller le parcours accompli ensemble par le couple,
maintenant en mesure de mieux définir les frontières conjugales par rapport
à celles intergénérationnelles. Ou encore, peuvent être rapportés les progrès
extraordinaires dans les relations rompues ou distantes entre un parent et un
enfant, comme sceau d’un processus de rapprochement, déclenché justement
lors de la précédente rencontre en présence de la famille d’origine.
Dans d’autres situations, une seconde rencontre avec la famille d’origine
peut être programmée en fonction d’étapes évolutives importantes du couple,
comme la naissance d’un enfant ou la fin de ses études, ou le déménagement
dans un autre pays, ou alors dans des situations encore différentes, pour des
évènements moins heureux, mais encore plus importants, comme l’élaboration
du deuil à la suite de la mort prématurée d’un parent, d’un frère ou d’une sœur.
Dans ces cas, le couple peut décider si le lieu où s’est déroulée leur thérapie est
aussi valable pour affronter un deuil commun, en présence du thérapeute, et
ainsi permettre que la souffrance circule à l’intérieur des relations familiales les
plus significatives, et ne reste pas seulement une douleur individuelle.

Quels membres de la famille élargie convoquer


Qui convoquer de la famille d’origine et quand convoquer certains membres
de la famille plutôt que d’autres dépendent de l’histoire du couple, de l’his-
toire individuelle de chacun et de la façon dont les membres de la famille sont
1. Follow-up : évaluation à distance, N.d.T.

108 Comment aider les couples en crise ?


décrits au cours de la thérapie ou perçus par chaque conjoint. En général, il est
utile de convoquer les personnes qui ont eu des relations significatives durant
la croissance de chaque partenaire. Outre les membres les plus proches de la
famille, cela peut être des oncles et tantes, des nounous ou des baby-sitters, des
voisins ou des amis qui ont eu un rôle parfois plus important que les parents
eux-mêmes dans le processus de croissance. Nous parlerons plus amplement
dans un autre chapitre des amis comme consultants dans la thérapie de couple.
Dans la réalité toujours plus fréquente des couples reconstitués, sont aussi
ajoutés les enfants adultes, issus des relations sentimentales ou des mariages
précédents.
Comme cela se produit souvent un peu dans toutes les familles, il y a des
parents ou des frères et sœurs dont on se souvient et qui sont décrits comme
très positifs et prenant soin d’autrui, et d’autres au contraire, comme distants,
indifférents ou complètement absents. Au fil du temps, nous avons choisi de
commencer par la partie de la famille, décrite en thérapie par un membre du
couple comme la plus proche et disponible, afin de rendre la tâche de les inviter
plus facile. Il y aura plutôt une seconde rencontre visant à affronter des thèmes
plus conflictuels avec des membres de la famille « négatifs ». L’expérience
nous a enseigné que cette façon d’attribuer aux membres de leurs familles
des connotations positives ou négatives est dépassée ou révisée une fois que
tous, y compris les familiers négatifs, acceptent de venir en séance pour aider
un enfant adulte en difficulté. D’ailleurs, ce fait surprendra vraiment l’enfant
adulte qui pourra affirmer : « Je n’aurais jamais cru que mon père viendrait en
séance pour moi ! »
Il y a ensuite des situations dans lesquelles un partenaire vit subitement un
deuil brutal, ou a eu des comportements hautement autodestructeurs, comme des
tentatives de suicide ou un grave état dépressif. Dans ces cas-là, il nous semble
utile de demander au conjoint en question de convoquer tous les membres de la
famille élargie qui peuvent nous aider. Ces derniers, une fois invités, pourront
jouer un rôle de contenant affectif, et nous donner des informations importantes
sur leur famille. Il s’agit d’une sorte de consultation de crise ; mais à la fin, les
motivations sont les mêmes, et consistent à faire sentir une disponibilité affec-
tive et un soutien, pour qui se trouve dans une situation de fragilité.

À quel titre convoquer la famille d’origine


Grâce à notre expérience clinique accumulée pendant toutes ces années, nous
avons compris qu’il est presque automatique que, face aux difficultés d’un
enfant, ou face à celui qui est en train de vivre un problème dans sa vie de
couple, les parents aient tendance à facilement se culpabiliser (« Sur quoi nous
sommes-nous trompés, comme parents, durant ses années de croissance ? »)
et à craindre que ces difficultés puissent renvoyer un reflet négatif sur leurs

La famille d’origine en séance 109


petits-enfants. Il est aussi possible que ce sentiment de blâme soit projeté sur
le partenaire, qui pourrait être considéré comme inadéquat et cause principale
de la crise de couple.
Pour éviter tout cela, dans la préparation de ces rencontres, nous expli-
quons bien que les membres de la famille sont invités en séance comme nos
consultants, afin de nous faire mieux comprendre la croissance de leur enfant/
frère/sœur dans la famille. Nous expliquons de plus que, dans cette rencontre
avec la famille d’origine, les problématiques de couple ne seront pas abordées
et que le partenaire sera présent dans le rôle d’observateur participant. Cela ne
veut pas dire que les parents ne se sentiront pas automatiquement coupables
ou responsables, en quelque sorte, des difficultés actuelles d’un enfant, ou qu’ils
n’auront pas leur mot à dire sur la relation/crise de couple en séance, considé-
rant que le partenaire est aussi présent dans cette séance. La tâche du théra-
peute sera justement de créer un contexte approprié, qui permette de décaler le
temps vers ces phases évolutives qui précèdent la vie de couple. Ces dernières,
si elles sont explorées, peuvent nous faire comprendre beaucoup de choses
sur les comportements actuels d’un adulte, et sur ses patterns relationnels, qui
peuvent être affectés fortement par tous ces apprentissages et ces modèles de
relation absorbés en famille.

Objectifs de la séance
La convocation des parents
Les raisons qui nous poussent à organiser ces rencontres spéciales sont diverses,
et évidemment les motivations concernant l’invitation des parents peuvent
aussi être très différentes de celles concernant les frères et sœurs.
Les parents sont invités en séance pour aider un enfant en difficulté. C’est le
message que nous voudrions transmettre dans cette convocation. Les parents,
en général, sont disposés à aider un enfant en plein développement, qu’il soit
petit ou adolescent, s’il présente un problème. Il est moins probable que cela
se produise quand il est devenu adulte, et encore moins quand il a construit sa
propre famille et qu’il jouit d’une complète autonomie. Il convient de considé-
rer que nous voyons des couples en crise de jeunes adultes, mais aussi d’adultes
matures de 40 ou 50 ans, et même au-delà. À 25 ans, tout juste au début d’une
relation de coupe, on peut s’attendre majoritairement à une aide, à un support
affectif de la part des parents. À un âge mature, après des années de vie de
couple et avec des enfants adolescents ou adultes, l’idée d’être aidés par ses
parents, peut-être âgés ou en mauvaise santé, pour une crise de couple pro-
fonde et souvent destructrice, est différente.
Évidemment, la demande d’aide et la réponse à une telle demande varient
selon un ensemble de raisons, dont l’âge n’est seulement qu’une composante.

110 Comment aider les couples en crise ?


Un enfant adulte peut avoir atteint une complète autonomie, mais, comme
nous l’avons souvent souligné dans ce livre, il peut être encore très dépen-
dant affectivement (et parfois aussi économiquement), ou au contraire, il peut
avoir fait une coupure émotionnelle et avoir rompu ses liens affectifs du passé.
Demander de l’aide à ses parents quand on n’a pas atteint une différenciation
suffisante n’est pas facile, parce qu’on peut sentir le risque d’être ultérieure-
ment étouffé ou blâmé pour ne pas être à la hauteur des attentes parentales.
Et la demander après une longue période de détachement et de silence peut
être encore plus difficile, parce que prévaut ce système de l’orgueil, bien décrit
par Horney (1950), qui empêche de demander pour soi, même quand on se
sent dévasté ou seul, parce que demander serait un échec trop grand à suppor-
ter et donc qu’il vaut mieux rester dans la position du « perdant grandiose ».
Demander de l’aide à des adultes relève évidemment d’aspects culturels
souvent très spécifiques. Les modèles culturels d’éducation et d’autonomisa-
tion varient fortement, depuis la culture anglo-saxonne, où l’on s’attend à ce
que les enfants partent de la maison très jeunes, à la latine, où l’on tend à
garder à la maison les enfants plus longtemps, et encore plus à l’asiatique, où
l’on devient adulte et où l’on se marie à l’intérieur d’une multitude de devoirs
à l’égard de la famille d’origine, qui vont de la cohabitation à la prise en charge
des parents âgés.
Il n’est pas rare que les couples qui vivent une crise depuis longtemps, ou
qui sont au bord d’une séparation, déclarent que les membres de leurs propres
familles ne sont pas au courant de leurs difficultés, ou qu’ils les ont bien mas-
quées, pour éviter des chocs émotionnels, surtout vis-à-vis de parents malades
ou émotionnellement instables.
Par conséquent, si les membres de la famille doivent être invités à nos ren-
contres, les partenaires devront inévitablement faire une sorte de coming-out
et trouver la façon de communiquer qu’ils sont en train de faire une thérapie
de couple pour affronter et résoudre leurs difficultés. Ce passage permet à cha-
cun des deux de se libérer du poids du camouflage de la réalité en se mettant
à la recherche de formes plus authentiques de relation, non plus basées sur
la protection réciproque ou sur la peur d’être blâmé pour ne pas avoir rendu
heureux ses parents. Comme si le bien-être de ces derniers devait se fonder sur
le modèle du couple parfait, qui ne vit pas de conflit et ne procure aucun pro-
blème aux autres, surtout s’il s’agit de leurs parents ou de leurs enfants.
Nous avons pu observer qu’une fois trouvé le courage de se révéler auprès
des siens, dépassant cet état d’intimidation générationnelle, amplement décrit par
Williamson (1982), ces derniers se sentent soulagés, comme si le jeu de ne pas
voir et de ne pas savoir pouvait être interrompu, à plus forte raison que, dans
la très grande majorité des cas, les parents avaient depuis longtemps perçu
les difficultés et la tristesse de leurs enfants, sans savoir comment les en sor-
tir. Comme on peut bien le comprendre, cela n’est pas seulement une phase

La famille d’origine en séance 111


préparatoire, mais est déjà à part entière un acte thérapeutique, avant même
les véritables rencontres avec les familles d’origine respectives.
Il est encore plus important de trouver la force d’inviter les parents distants
ou absents, parce que cela permet d’affronter le thème du refus, qu’on retrouve
par exemple dans des phrases du type : « Il ne viendra jamais pour m’aider, il ne
l’a jamais fait durant toutes nos années de vie dans la même maison ! » Au lieu
de soutenir les résistances fondées d’un adulte pour rouvrir un dialogue avec un
parent, nous préférons que ce ne soit pas lui qui dise non en premier, et qu’il puisse
plutôt se confronter à l’incertitude de la demande, surtout quand le chapitre ne
semble pas encore clos. Au lieu de rester dans une sorte de suspension affective ou
de colère chronique du fait des refus essuyés dans le passé, une nouvelle confron-
tation avec la réalité, aujourd’hui, sera utile. Nous avons pu ainsi constater des
situations dans lesquelles il a été réellement possible de rouvrir une relation parent-
enfant interrompue depuis longtemps, avec de la surprise chez les deux, stupéfaits
du désir assoupi depuis longtemps de se retrouver et d’arriver à une réconciliation.

CAS CLINIQUE
Un maudit malentendu

L’histoire de David est significative pour illustrer ce que nous venons de dire. David,
rempli de colère et de rancœurs anciennes, est en crise depuis longtemps avec son
épouse, qui se déclare incapable de maintenir une relation sereine avec un homme
toujours tendu et impulsif. Après une longue période de travail sur le couple et de
préparation à cette rencontre, David trouve le courage d’inviter sa mère, désormais
âgée, avec laquelle il a coupé les ponts depuis de très nombreuses années, en la
décrivant comme hypocrite et égoïste, et anticipant : « Elle ne viendra sûrement
jamais ! » Sa mère, à sa grande surprise, accepte l’invitation et se présente en séance
avec un fourre-tout plein de « preuves » qu’elle a été une mère aimante, pour ainsi se
défendre des accusations possibles de son fils. Accusations qui ne tardent pas à venir,
avec le risque de rouvrir des conflits jamais apaisés. Néanmoins, après un échange initial
de revendications réciproques, le climat affectif de la séance change positivement, après
que la mère en larmes a réussi à se défouler et à révéler, quasiment en hurlant, l’élément
déclencheur de leur rupture : son fils, alors jeune adulte de 21 ans, présent à la maison,
n’avait pas voulu prendre sa défense contre son mari pendant que ce dernier était en
train de la frapper ; au contraire, il avait dit à son père de lui donner plus de coups.
Après un long silence, chargé d’émotion, le fils réussit à se rapprocher de sa mère, à
lui demander pardon pour cet épisode qui a marqué sa (leur) vie, au point de couper
toute relation avec elle, et à lui dire que, malgré tout, il l’a toujours aimée. Ce moment
important de réconciliation est ensuite scellé par un geste de pacification : mère et fils
réussissent à se tenir la main tendrement et à se regarder finalement dans les yeux.
Ce moment magique ne peut certes pas changer la longue et triste histoire du passé,
mais il peut sûrement libérer David de son armure, pleine de rancœur et de sentiment
de culpabilité, pour le plus grand bien de la relation de couple, qui peut finalement se
libérer de poids qui ne la regardent pas.

112 Comment aider les couples en crise ?


Dans différents cas, bien que ce soit une minorité, nous avons assisté à un
refus net et irrévocable, de la part des parents, de participer à une rencontre
conjointe, venant ainsi confirmer ce qui était déjà connu et dit par l’enfant
adulte en séance. Mais, c’est vraiment la tentative de faire quand même une
demande authentique aujourd’hui, pour soi et pour le bien-être du couple, qui
peut avoir un effet transformateur. Finalement, il est possible d’accepter le
refus, sans plus éprouver de sentiments de colère ou de revendication affec-
tive. Au « syndrome d’indemnisation » (appelé ainsi par les compagnies d’as-
surance) peut être substituée l’acceptation sereine de la perte d’une relation
significative, au même titre qu’un deuil dû à la mort d’une personne chère.
Et cela peut devenir une occasion de croissance personnelle et relationnelle,
au profit de la vie de couple et de la dimension propre de parent.

La convocation des frères et sœurs


Le discours relatif à la convocation des frères et sœurs est bien différent et sou-
vent sous-estimé. Il est parfois difficile de demander de l’aide à un frère ou à une
sœur, surtout s’il y a eu dans la famille des triangulations rigides et du favori-
tisme à l’égard d’un enfant vis-à-vis d’un autre. Les phénomènes de rivalité ou
de détachements anciens entre fratries adultes sont souvent le résultat de rôles
distordus, joués depuis que les enfants étaient petits, en raison de droit d’aînesse,
de genre sexuel ou d’évènements familiaux, comme des morts, des traumatismes
précoces ou des séparations hostiles, qui ont fini par produire des alliances dys-
fonctionnelles et des coalitions rigides, montant les uns contre les autres ou pro-
voquant des distances affectives très douloureuses. Cette dernière éventualité
est fréquente quand un enfant est contraint de vivre avec un parent et un autre
avec le second parent, avec le risque de grandir comme des étrangers.
Inviter les fratries en séance peut permettre de retracer les phases évolutives
importantes, relatives au partage d’expériences significatives de croissance, et
de réparer d’éventuelles distorsions relationnelles, liées à des rôles rigides joués
en famille et à la difficulté de construire ou de maintenir une alliance géné-
rationnelle entre frères et sœurs. Nous avons constaté que, quand l’entente
horizontale dans la fratrie a été difficile et qu’elle est substituée par des compor-
tements de rivalité et de revendication, ces modalités relationnelles acquises
en famille peuvent facilement se reproduire dans la relation de couple.

CAS CLINIQUE
Le nœud à l’estomac

L’histoire de Lucas illustre comment la mort de la mère a accentué la distance affective


dans la fratrie. Lucas est un homme dans la quarantaine, en crise profonde avec sa
compagne, qui se plaint qu’il ait toujours été fermé comme une huître, absolument

La famille d’origine en séance 113


incapable de montrer ses émotions les plus profondes, et que tout cela ait miné la relation
de couple. Au cours de la thérapie, Lucas trouve le courage d’inviter ses sœurs, avec
lesquelles la relation a été très froide et distante, surtout après la mort de leur mère, veuve
depuis longtemps et centre affectif pour les enfants. Les sœurs se fréquentent avec leurs
familles et se soutiennent réciproquement, mais Lucas a rompu avec le passé, et il ne les
considère plus comme un point de repère dans sa vie adulte, bien que depuis petit, il
ait été pris en charge et aimé par elles deux. Ses sœurs ne sont pas au courant de ses
problèmes de couple ; elles ne le voient plus, et encore moins sa compagne et leur petite
fille, le fait qu’ils vivent dans des villes différentes devant être pris en considération.
L’arrivée en séance des sœurs permet d’entrer plus en profondeur dans le deuil lié à la
mort de leur mère, jamais élaboré par Lucas, qui n’a plus jamais voulu parler de la perte
de sa mère avec personne, ni en famille, ni avec ses amis ni avec ses collègues. En fait,
il a aussi refusé d’aller aux funérailles, et il ne sait pas non plus où elle est enterrée.
Après un long silence, Lucas réussit finalement à s’exprimer et à parler du « nœud à
l’estomac » qu’il ressent depuis des années et qu’il estime lié à la mort de sa mère. Mère
qui, on vient de l’apprendre, avait toujours eu une relation privilégiée avec lui qui était
le plus jeune et l’unique garçon. Lucas écoute longuement ses sœurs qui, sur l’invitation
du thérapeute, parlent des funérailles de leur mère, de l’émotion de tous et de la douleur
ressentie par elles-mêmes et par les autres membres de la famille du fait de son absence.
Entre deux sanglots, les sœurs affirment ne pas avoir seulement perdu leur mère, mais
aussi leur frère, qu’elles avaient toujours aimé, s’occupant de lui par tous les moyens
quand il était petit. L’émotion prend le dessus, et les trois se prennent dans les bras dans
un geste profond et libérateur. La séance se conclut sur la proposition que Lucas se
rende avec ses sœurs visiter leur mère là où elle est enterrée, afin de réduire une fracture
affective douloureuse pour tous. La compagne de Lucas est présente et participe de
façon discrète, mais impliquée émotionnellement, à ce moment magique de réconci-
liation. Dans les séances suivantes, elle rapportera combien Lucas a changé après la
rencontre avec ses sœurs : « Il ne semble plus lui-même, maintenant il me parle ! »

Dans le cas des frères et sœurs non plus, comme cela peut arriver avec la
convocation des parents, on n’obtient pas toujours l’ouverture et la réconci-
liation espérées. Il y a des histoires familiales cristallisées, où des rancœurs
anciennes et des distorsions de rôle à l’égard des parents ne réussissent pas non
plus à être ébranlées. Malgré cela, mettre un adulte face à une nouvelle tenta-
tive authentique d’ouvrir un contact avec ses frères ou ses sœurs distants peut
avoir une valeur thérapeutique en soi. Cela peut transformer la colère ou la
rancœur, pour ce qu’on ressent avoir perdu ou avoir payé émotionnellement à
l’égard des frères et sœurs dans les phases de croissance, en une douleur sincère
pour une perte définitive. Grâce au non à sa demande d’aide, un adulte mature
peut réussir à accepter de façon sereine le détachement affectif, au même titre
qu’une mort réelle. Cette acceptation devient un élément de résilience très
positif, qui permet de croître à un niveau personnel et aussi dans la relation de
couple, parce qu’une frontière claire a été marquée entre l’histoire et les bles-
sures du passé d’un côté, et les vicissitudes actuelles de l’autre.

114 Comment aider les couples en crise ?


La convocation des enfants de l’union précédente
Avec l’augmentation du nombre des séparations et des divorces partout dans le
monde, les occasions de mélanger les cartes, et de former des noyaux familiaux
recomposés, sont presque en train d’égaler le nombre des familles convention-
nelles. Le processus de cohabitation et de formation d’une nouvelle famille
recomposée, qui comprend les enfants de l’un et de l’autre partenaire, nés
d’une relation précédente, n’est pas un parcours facile et est une expérience
très exigeante. Nous en parlerons longuement dans un chapitre ultérieur.
Surtout quand les enfants des unions précédentes ont atteint un âge adulte,
les convoquer en séance à l’intérieur de la thérapie de couple peut être très
instructif, et aussi très différent de la convocation des enfants eus ensemble par
les deux partenaires. Parfois, ils ont été une sorte de gardes du corps d’un parent
particulièrement fragile, ou ils ont assumé un rôle parental. Dans tous les cas,
ce sont des témoins privilégiés des relations familiales, à l’intérieur du noyau
précédent de l’un ou l’autre conjoint, ainsi que des évènements significatifs qui
ont marqué les étapes de développement de leur propre famille. Les enfants
connaissent beaucoup d’aspects intimes et caractériels de leurs parents, par-
fois plus en profondeur que le nouveau partenaire. Ils sont souvent l’aiguille
de la balance de la construction de la nouvelle famille. Ils sont en mesure
de la mettre en crise, et de la faire échouer, s’ils sentent que la séparation de
leurs propres parents est survenue de façon orageuse ou destructrice, ou s’ils
se sentent abandonnés ou pas assez pris en compte par rapport aux enfants de
l’autre partenaire, ou plus encore, par rapport à d’éventuels nouveaux enfants
du couple reconstitué. Enfin, dans ce cas aussi, les séparations hostiles, les
rivalités, les compétitions, les favoritismes, les triangulations diverses peuvent
faire vaciller le nouveau noyau familial. Au contraire, si rien de tout cela n’a
lieu, les enfants d’un premier lit peuvent être une valeur ajoutée et enrichir la
vie relationnelle de la nouvelle famille.

CAS CLINIQUE
Déborah n’est plus là

Greg vient en thérapie de couple avec Louise, après plusieurs années de cohabitation.
Ils se sont connus et fréquentés à Paris, après la fin de leurs précédents mariages, dans
lesquels Louise a eu deux filles, aujourd’hui jeunes adultes, et Greg, deux garçons qui ont
plus de 30 ans. Pour des raisons très différentes, ces unions précédentes se sont terminées
sur un mode très douloureux. Louise à cause d’épisodes répétés de violence physique
et psychologique de la part de son mari, qu’elle a quitté de façon houleuse, emmenant
ses deux filles encore petites. Greg, en revanche, a perdu son épouse, à qui il était très
lié, à cause d’une tumeur qui l’a affaiblie progressivement au fil des années. À l’égard de
ses garçons, Greg a développé un sentiment de protection et de préoccupation, même
si aujourd’hui tous les deux font leur vie sans manifester de problèmes particuliers.

La famille d’origine en séance 115


Louise a une carrière affirmée comme architecte et une vie sociale très active, alors que
Greg est un solitaire, et qu’il passe de nombreuses heures dans sa remise à la maison, où
il cultive son hobby de l’aéromodélisme. Le fantôme de Déborah, la première épouse de
Greg, a été très présent et encombrant dans le développement de leur relation de couple,
en plus d’une certaine dose de jalousie de Greg par rapport aux succès professionnels
de sa compagne. Greg a grandi dans un orphelinat ; et de sa croissance, il ne se souvient
avec nostalgie que de la relation avec un éducateur à qui il était très lié et de son soutien
affectif. Pour le reste, son histoire a été celle d’un abandon précoce, et sa vie n’a revêtu
un aspect positif qu’après la rencontre et au fil des années heureuses passées avec
Déborah qui, selon ses dires, était une femme exceptionnelle. « Mais, aujourd’hui, elle n’est
plus là ! » sera une phrase répétée souvent au cours de la thérapie de couple.
Greg est taciturne en séance aussi et s’anime surtout quand arrive dans le discours le
souvenir de Déborah. Louise, qui aime beaucoup Greg, se sent constamment comme
un second choix, et semble devoir conserver une position de stand-by dans la relation
sentimentale avec Greg, qui est réticent à toute forme d’effusion affective.
Les choses prennent vraiment une autre direction quand Greg, après de multiples
résistances, accepte d’inviter en séance ses deux fils adultes. Il dit que, de toute sa vie,
il n’a jamais rien demandé à ses enfants et que le fait de leur demander de l’aide pour
sa thérapie de couple lui semble complètement inapproprié. Il ajoute enfin qu’il ne
veut pas qu’ils souffrent encore, si on rouvre la discussion sur la mort de Déborah.
Nonobstant, il a le courage de les inviter. Les deux fils acceptent de venir et, dès le
premier moment, ils apparaissent comme deux hommes matures et affectueux, qui
ont su élaborer au fil des années la perte de leur mère. L’aîné a de plus affronté avec
courage la survenue d’un cancer, heureusement résolu après une intervention chirur-
gicale suivie d’une chimiothérapie. Le thème de la mère ne tarde pas à surgir, introduit
justement par les fils, lesquels ne comprennent pas pourquoi leur père, qui est celui
qui a le plus besoin d’aide, s’obstine à les protéger et à les maintenir hors de sa vie. De
fait, il n’a jamais voulu parler avec eux de Déborah, de sa longue maladie ni de sa mort,
finissant par les priver de ses confidences. « Papa ne parle jamais de lui-même avec
nous, et nous sommes contents que, finalement, pour une fois, il nous ait demandé
notre aide ! » affirme un des deux.
La présence des fils semble avoir ouvert une brèche dans la cuirasse du père, qui peut
enfin se libérer de ses peurs et du « syndrome de l’orphelin », pour vivre de façon plus
authentique sa relation avec Louise. Mais seulement après que ses enfants lui ont
montré, par leur présence active en séance, que la vie a continué pour eux deux, qu’ils
profitent de leurs nouvelles familles et qu’il peut aller de l’avant lui aussi, s’il est en mesure
d’accepter les pertes, qui l’ont rendu orphelin d’abord et veuf ensuite, et en même
temps de sortir de la remise de la maison.

116 Comment aider les couples en crise ?


Les effets positifs sur les dynamiques de couple
Comme on peut le déduire de ce que nous avons décrit jusqu’à présent, les
effets positifs des rencontres avec les familles d’origine dans la dynamique des
relations de couple sont nombreux.
Un des résultats les plus significatifs est sans aucun doute la solidarité aug-
mentée à l’intérieur du couple, même dans les situations de forte conflictualité
entre les partenaires. Comme si avoir pris des risques personnels vis-à-vis des
familles d’origine respectives réussissait à produire, contre toute attente, une
plus grande entente et un sentiment de bienveillance réciproque. C’est un peu
comme se retrouver plus unis après avoir affronté une sorte d’examen sur la vie
et avoir couru un danger commun, celui de rouvrir un dialogue avec le passé,
souvent douloureux et rempli de blessures encore ouvertes.
Il n’est pas rare que cette proximité se perçoive aussi à travers des gestes et
des regards affectueux d’encouragement et de reflet de l’un dans l’histoire de
l’autre.
Un second résultat est la curiosité augmentée de chacun vis-à-vis de l’histoire
du développement de l’autre. Beaucoup d’informations sur les évènements de
vie ou de mort ne sont pas nouvelles ; peut-être ont-elles été l’objet de discus-
sion, d’échange ou même de désaccord à l’intérieur du couple. Mais le contexte
dans lequel la narration familiale prend corps est nouveau, faisant entrevoir
des aspects de changement et de transformation, au-delà des nombreux préju-
gés et des scénarios de comportement transmis de génération en génération.
Retraçant ensemble par le souvenir des expériences d’abandon, de deuil
et de souffrance avec des témoins privilégiés de son développement comme
des parents, des frères et sœurs, ou des oncles et tantes, chaque partenaire
pourra acquérir une plus grande conscience de soi et de la relation de couple,
et avoir une meilleure perception des frontières : individuelles, de couple et
intergénérationnelles.

La famille d’origine en séance 117


CHAPITRE 8
Les enfants
comme consultants
dans la thérapie de couple

Nous avons déjà mentionné dans l’introduction de ce livre l’erreur historique


de la thérapie familiale de créer une barrière entre thérapie familiale et thérapie
de couple, comme s’il s’agissait de deux disciplines et de modalités thérapeu-
tiques bien distinctes. Ce faisant, sont trahis les énoncés pivots de la pensée
systémique, où la totalité est à un niveau méta par rapport à l’observation des
différentes parties, et où la connexion entre les différents sous-systèmes fami-
liaux est fondamentale pour comprendre ce qui se passe à l’intérieur de chacun
d’eux. Par exemple, si l’on se concentre sur le sous-système des enfants, on
ne peut pas ne pas observer en même temps le fonctionnement de celui des
parents. Ou bien, si on s’arrête sur le sous-système du couple conjugal, on doit
en observer les connexions avec celui relatif aux familles d’origine respectives
et au sous-système des enfants.
La thérapie familiale naît justement de l’intérêt de déplacer le focus de
l’intervention depuis l’individu, vu comme une monade, à la famille, en tant
que système plus ample et complexe. On parlait ainsi de problème présenté par
une personne, aussi bien un adulte qu’un mineur, et de patient identifié (ID,
identified patient), pour désigner la famille comme le patient, et ensemble comme
la ressource principale pour mener une évaluation et une intervention efficace
par rapport aux problèmes d’un individu seul.
Avec la thérapie de couple, on a fait la même erreur qu’on avait voulu
corriger (à l’origine de la systémie) par rapport à l’individu : les problèmes
présentés par un couple, au lieu d’être évalués comme l’aspect émergent d’un
problème familial, ont été codifiés comme exclusifs et propres à la dimension
conjugale.

Les enfants comme consultants dans la thérapie de couple 119


Les enfants et les familles d’origine ne sont pas partie intégrante de la thé-
rapie de couple, qui se concentre surtout sur les modèles de communication et
sur les dynamiques relationnelles entre deux adultes, de sexe différent ou du
même sexe, qui ont conclu un pacte conjugal, qui partagent une habitation
(même si ce n’est pas toujours le cas) et qui ont des rapports affectifs et d’in-
timité de durée variable. Très souvent, ces couples ont des enfants, qui gran-
dissent avec eux, qui en partagent les joies et les douleurs, qui sont considérés
comme le centre de leur vie, au point de consacrer et/ou de sacrifier pour eux
du temps et une énergie infinis. Mais si le couple a un conflit important, est
en crise profonde ou est proche de la séparation, cela devient son problème
exclusif, et les enfants, surtout s’ils sont jeunes, sont protégés et tenus hors des
conflits de couple, comme s’ils ne les concernaient pas.
L’attitude protectrice même, vis-à-vis des enfants, est renforcée générale-
ment par les thérapeutes de couple, qui trouvent absolument inopportun de
les inviter dans le cours de la thérapie, pour ne pas les exposer à des théma-
tiques scabreuses ou les impliquant trop pour leur jeune âge. S’il s’agit ensuite
d’adolescents, les thérapeutes de couple estiment cela encore moins opportun,
car s’ils sont invités, ils pourraient ajouter leur colère ou leur souffrance à un
problème, celui du couple, déjà suffisamment éprouvant.
Depuis 1988 (Andolfi, 1988) et dans des publications ultérieures (Andolfi,
1994 ; Andolfi et al., 2007), nous avons parlé de la nécessité de substituer la
protection de l’enfant par le respect à l’égard de leurs extraordinaires compé-
tences relationnelles. Donner voix aux enfants et aux adolescents a été pour
nous une sorte de mission thérapeutique, et aussi éducative, pour lutter contre
le stéréotype culturel et professionnel qui voit les enfants aveugles, muets et
détachés vis-à-vis des problèmes entre les adultes du couple. Au contraire, ces
problèmes les regardent en personne, surtout quand la continuité même de la
vie familiale semble compromise par les hostilités conjugales ; et leur voix peut
être précieuse, autant pour les parents que pour les thérapeutes qui veulent et
savent les écouter.

La présence symbolique des enfants


Comme cela se fait pour les familles d’origine, les enfants aussi peuvent être
présents en séance de couple dès le début des rencontres de manière figurée,
élargissant tout de suite le cadre conceptuel et affectif de la rencontre.

Les photos des enfants


Il est très simple, même face à un conflit de couple évident, de demander aux
conjoints de nous montrer les photos de leurs enfants avant d’entrer sur le
champ de bataille. Généralement, c’est une demande accueillie avec plaisir

120 Comment aider les couples en crise ?


et fierté (« Ils sont la meilleure partie de nous ! »), et cela suspend momenta-
nément l’animosité ou le sentiment d’échec et de frustration qui amène deux
adultes à demander de l’aide à un thérapeute pour leurs difficultés relationnelles.
La curiosité manifestée par le thérapeute en voyant les photos des enfants et
les réactions verbales et non verbales des parents, permet de poser une série de
questions visant à comprendre la qualité des relations parents-enfants, et aussi
l’entente plus ou moins grande au niveau de la fratrie. Il suffira de demander
des informations sur les ressemblances physiques : « De qui tient-il ces yeux
noirs ou verts, ce sourire enjôleur, cette couleur de cheveux ? », ou encore
sur des traits de caractère (une photo peut montrer aussi le tempérament, ou
l’intensité du regard) pour avoir une première idée des alliances familiales, et
aussi des différentes fonctions et des rôles joués par l’un ou l’autre des enfants.
Il n’est pas rare que les parents portent sur eux, dans leurs portefeuilles,
des photos spéciales de leurs enfants, souvent peu récentes mais significatives,
parce qu’elles immortalisent des moments ou des sourires magiques dans des
contextes particuliers, peut-être lors de voyages effectués ensemble avec les
parents dans des temps heureux pour la famille. D’autres fois, apparaissent
les grands-parents avec leurs petits-enfants, quand ils étaient tout-petits.
Réévoquer, par le biais de photos du passé des enfants, des phases évolutives
précédentes de la famille est très utile pour avoir une idée de la famille dans
son ensemble et du fonctionnement parental, avant d’affronter les difficul-
tés conjugales pour lesquelles a été demandée l’intervention. De surcroît, tout
cela permet au thérapeute d’entrer tout de suite dans la famille, réduisant les
distances, la méfiance, et les hiérarchies qui pourraient se créer entre celui
qui vient demander de l’aide et celui qui devrait se présenter comme l’expert.
Introduisant un climat affectif positif, basé sur la curiosité et la recherche des
valeurs familiales, on réussit souvent à éviter que se crée en séance un contexte
jugeant et à réduire le risque pour le thérapeute d’être triangulé et forcé à faire
siens les arguments d’un des deux partenaires, plutôt que de maintenir une
équidistance. Le danger d’assumer une position déséquilibrée est encore plus
grand quand les conjoints arrivent en thérapie avec deux programmes diffé-
rents : l’un voudrait améliorer la vie de couple, l’autre en revanche voudrait
surtout aider les enfants face aux difficultés conjugales.

Les questions comme si et l’utilisation


de l’espace thérapeutique
En ce qui concerne aussi la relation avec les enfants, les questions comme si
sont très utiles pour les rendre concrètement présents en séance. Voyons-en
quelques exemples :
« Où serait assis votre fils aîné, et où serait assise votre petite ? Au
milieu de vous, à côté, dans les bras de maman, sur le sol, à jouer ? »

Les enfants comme consultants dans la thérapie de couple 121


« Si votre fils était ici en séance, et que je lui demandais comment
je pourrais vous aider, que me dirait-il ? »
« Si votre fille venait en séance et que je lui demandais si elle pense
que vous réussirez à dépasser les difficultés que vous êtes en train
de traverser, que me répondrait-elle ? Et où me dirait-elle de cher-
cher les aspects positifs de votre famille ? Qui penses-tu pouvoir être
une aide pour tes parents dans leurs familles d’origine ? Tes grands-
parents, tes oncles et tantes ? »
« Est-ce que vos enfants croient qu’une thérapie de couple soit utile
pour résoudre les difficultés actuelles ? Ont-ils peur que vous puissiez
vous séparer ? Que pensent-ils qu’il se passera après la séparation ? »

Les questions hypothétiques peuvent être multiples et modulées selon le


contexte affectif de la séance et de la problématique présentée. Leur objectif
est de permettre aux deux partenaires de répondre en se mettant dans la peau
de leurs enfants. Cela, en général, produit de fortes émotions chez les parents,
qui doivent s’identifier à leurs enfants, à leurs peurs, à leurs espoirs, à leurs
pensées.
En introduisant un tiers (les enfants) dans la séance, on réussit à élargir
la gamme des réponses, et on peut observer les réactions émotionnelles de
chaque partenaire quand il doit s’identifier à un enfant, ou quand il observe
l’autre en train de répondre à la place d’un enfant. Il est plus facile de se mettre
dans la peau d’un enfant que dans celle de l’autre conjoint, surtout quand se
sont construites des barrières défensives à l’intérieur du couple.
Demander d’indiquer où se seraient assis les enfants s’ils étaient présents
en séance permet de dresser une première carte des relations familiales et du
fonctionnement du couple. Imaginons les configurations spatiales possibles,
choisies par les parents : trois chaises mises au milieu pour les trois enfants
avec les parents aux deux extrémités ; ou deux enfants séparés par un parent
au milieu d’eux et l’autre parent assis plus loin ; ou encore un petit enfant qui
joue par terre entre ses deux parents, et l’autre enfant, un adolescent, sur une
chaise près de la porte de sortie.
L’espace est une métaphore des relations, et observer les dynamiques rela-
tionnelles d’une famille à travers l’utilisation de l’espace permet d’en voir les
points forts et les faiblesses, en offrant une vue d’ensemble de son fonction-
nement. À l’intérieur de ce cadre, il sera plus facile de contextualiser les dif-
ficultés du couple, d’en comprendre les raisons et d’identifier les directions
thérapeutiques possibles. Le couple parle de sa crise, de ses incompréhensions,
de ses échecs, mais la famille est déjà dans la salle de thérapie ; et de la famille
(des enfants comme de la famille d’origine) viendront les suggestions et les
propositions visant au changement.

122 Comment aider les couples en crise ?


L’enfant imaginaire
La présence symbolique d’un enfant est tellement utile et enrichissante dans
la thérapie de couple qu’on peut demander à deux partenaires qui n’ont pas
encore d’enfant, ou qui ne désirent pas du tout en avoir un, de le représenter
en séance (Andolfi, 1994). On peut proposer d’imaginer avoir un enfant d’une
façon très concrète : « Si vous aviez un enfant, quel âge aurait-il maintenant,
serait-ce un garçon ou une fille ? » Il est incroyable d’observer comment deux
adultes peuvent se transformer et s’enthousiasmer à la seule suggestion d’ima-
giner avoir un enfant, même dans le cas où ils ont décidé de ne pas en avoir,
du simple fait qu’il ne représente pas une menace pour leur relation, et qu’il ne
nécessite pas d’assumer la responsabilité d’un vrai parent. Au fond, il s’agit d’un
jeu d’imagination. Après une réticence initiale, les partenaires sont tous les
deux disposés à jouer avec une réalité fictive comme si elle était vraie : « Alors,
ce serait un petit garçon de 6 ans, et il s’appellerait Arthur », dit la compagne
d’une manière amusée. « Donc, ce serait sa première année où il sort de la mai-
son comme un grand pour aller à l’école », poursuit le thérapeute. « Oui, mais
Arthur est un enfant mature, et il sait se débrouiller même sans nous », réplique
le compagnon. « Et de qui tient-il cette maturité, plus du côté maternel ou du
côté paternel ? », enchaîne le thérapeute. « Sûrement du côté maternel ; moi
à 6 ans, j’allais déjà toute seule à l’école et je prenais le bus à l’arrêt devant
la maison », répond la compagne. « Et vous, vous étiez un peu plus lent dans
votre croissance ? », demande le thérapeute au mari. « Certainement, mes
parents étaient très protecteurs et ont même souffert quand je me suis marié…
j’étais leur seul fils, et ma mère s’est sentie très seule quand je suis parti de la
maison ; papa n’était jamais là ! », poursuit le compagnon.
Après quelques répliques, Arthur semble être devenu un vrai garçon, qui
fait partie de cette famille, et qui nous permet de recueillir déjà quelques infor-
mations importantes sur les styles relationnels des deux familles d’origine et
sur les possibles emboîtements de couple. À ce point, il sera très facile de pour-
suivre et de demander aux deux « parents » comment Arthur pourrait aider le
thérapeute s’il était présent en séance. On pourrait poser les mêmes questions
comme si que nous avons décrites ci-dessus, et ouvrir la voie à des réflexions et
à des sensations plus authentiques entre les deux partenaires, qui peuvent dès
lors utiliser un tiers imaginaire (Arthur) pour parler ensemble de leurs difficul-
tés et de leur désir commun de trouver des solutions positives à leurs conflits.
Arthur restera dans la salle de thérapie comme une présence positive vers qui
on pourra se retourner de temps en temps, quand on veut élargir le cadre d’ob-
servation. Et peut-être, par la suite, pourra naître un vrai bébé, qui pourrait être
appelé Arthur, en souvenir d’une présence importante qui les a accompagnés
amoureusement dans une période de grande difficulté.
Même dans le cas d’un couple en crise qui a déjà un enfant, on peut construire
au cours de la thérapie la fantaisie d’un second bébé, en imaginant la présence

Les enfants comme consultants dans la thérapie de couple 123


d’un autre enfant. Dans ce cas aussi, jouer avec l’imaginaire peut permettre de
mieux comprendre les dynamiques relationnelles du couple ; et si l’on invite
le véritable enfant en séance pour une consultance, on peut explorer avec lui
ce qui changerait à la maison s’il avait un petit frère ou une petite sœur. Face à
un enfant parentifié, imaginer la présence d’un petit frère peut être une façon
d’explorer comment pourrait être divisée en deux la grande responsabilité de
prendre soin des parents et d’éviter le danger d’une séparation conjugale, avec
désagrégation ultérieure de la famille. Donner voix aux peurs d’un petit, ou
amplifier en séance l’abus affectif d’un enfant qui doit être toujours plus mature
que ses parents, ou en mesure de les protéger quand ils se disputent, par le biais
de la présence fictive d’un second enfant, peut être un moyen non jugeant
mais tangible, pour faire réfléchir les deux partenaires sur leur responsabilité à
l’égard de leur enfant, et pour substituer au blâme et à la critique réciproques
un plus grand sentiment d’estime personnelle et relationnelle.

Pourquoi convoquer les enfants


en thérapie de couple
Comme nous le savons bien, dans chaque culture et dans chaque configuration
familiale, les enfants représentent le bien le plus précieux et le lien le plus fort
entre deux partenaires. Alors que convoquer en séance les membres de la famille
d’origine peut être une entreprise complexe et engendrer de fortes résistances
chez les deux conjoints, il est plus facile en général de solliciter la présence des
enfants pour aider le thérapeute à mieux connaître la famille. Toutefois, il existe
toujours une certaine préoccupation chez les parents, qui craignent que leurs
enfants puissent être trop impliqués, et qui tendent à avoir une attitude pro-
tectrice à leur égard, surtout s’ils sont jeunes. Ils sont encore plus réticents à
accepter l’invitation du thérapeute quand le couple est en voie de séparation et
que les enfants ont été en quelque sorte impliqués dans leurs hostilités et forcés
de prendre le parti de l’un ou de l’autre. Le sentiment de culpabilité et de gêne
vis-à-vis du jugement des enfants, surtout s’ils sont adolescents, peut prendre le
dessus et décourager de s’exposer devant eux. Par conséquent, pour cette convo-
cation aussi, comme pour celle des membres de la famille d’origine, il est impor-
tant de trouver le bon timing et l’assentiment complet des deux parents. Elle peut
avoir lieu dans les phases initiales de la thérapie pour abattre le mur qui sépare
les deux partenaires, dans une phase d’impasse de la thérapie de couple, ou dans
les phases de conclusion, comme évaluation du processus thérapeutique.

Les résistances de couple et l’écoute active


La présence des enfants en séance fait sûrement diminuer les résistances du
couple et facilite l’écoute active de la part de chaque partenaire. Bowen (1979)

124 Comment aider les couples en crise ?


affirmait que, quand deux partenaires ne sont plus en mesure d’interagir, ils
finissent par réagir automatiquement aux paroles de l’autre, sans aucune pos-
sibilité d’écoute. Dans ces cas, la voix des enfants est mieux accueillie, parce
qu’elle est moins hypocrite et plus libre d’exprimer des pensées et des senti-
ments authentiques. L’expérience clinique nous a amenés à partager ce qu’affir-
mait Schnarch (1997) : chez les membres d’un couple, le sentiment de honte et
d’échec ne se constitue pas tant parce que l’autre insulte, offense ou blesse, mais
plutôt parce que s’active un fort mécanisme protecteur réciproque, où prévaut la
négation de la réalité et se construit dans le temps un mur de fausseté. Justement
pour abattre ce mur, il peut être utile d’explorer et de renforcer, dans la pre-
mière phase de la thérapie, le Nous parental afin d’affronter ensuite les aspects
plus fragiles et idiosyncrasiques du Nous conjugal ; et la présence des enfants en
séance peut être une occasion spéciale de relancer une entente parentale.

Le jeu et la créativité
La présence des enfants en séance crée un contexte ouvert au jeu et à la créati-
vité. Nous utilisons souvent une baguette magique, avec de nombreuses petites
étoiles à l’intérieur, en demandant à un enfant de faire de la magie pour rame-
ner l’harmonie dans la famille, donnant ainsi la parole à l’espoir de change-
ment et au désir de mettre fin aux comportements hostiles et violents entre les
conjoints. C’est incroyable d’observer la capacité d’imagination des enfants et
les réponses émotionnelles des parents, qui parviennent à participer à un jeu
créatif comme si c’était la réalité.
Quelquefois, nous recourons à la construction d’un conte comme canal ver-
bal pour un possible dépassement des conflits conjugaux. Nous créons ainsi,
avec les petits enfants, une histoire avec un canevas général, qui part toujours
d’Il était une fois une époque où la famille était heureuse…, pour passer ensuite
à la description de ce qui s’est passé qui a rendu tout le monde triste et en
colère, afin de découvrir à la fin que le chemin peut prendre une direction dif-
férente, et permettre à tous de retourner vivre heureux pour toujours. Le théra-
peute peut commencer le conte par Il était une fois une famille… pour ensuite
passer la parole à l’enfant, qui devra le continuer, tandis que c’est finalement
aux parents de le conclure. Ces derniers, grâce au conte, peuvent se libérer du
poids de positions rigides et défensives, et transmettre des messages implicites
de changement à eux-mêmes comme couple, à leurs enfants et au thérapeute.
Dans d’autres cas, le dessin peut être utilisé comme véhicule projectif, en
demandant aux enfants de dessiner les personnages principaux de la famille et
le monde qui les entoure. Généralement, du dessin émerge la vision qu’ont les
enfants des relations familiales ; et grâce aux couleurs qu’ils choisissent d’utili-
ser, les sentiments et les états d’âme de chaque membre de la famille peuvent
être décrits. Avec les couples où prévaut la colère ou l’anxiété, on peut deman-
der aux enfants de les décrire avec des feutres sur un papier cartonné : en ayant

Les enfants comme consultants dans la thérapie de couple 125


recours à la fantaisie, la colère peut être dessinée comme un volcan en érup-
tion, ou l’anxiété comme un petit serpent qui enveloppe tous les membres de la
famille. Ensuite, on peut demander aux parents à quel point ils se reconnaissent
dans ces images produites par leurs enfants, lesquels peuvent signer leur propre
dessin et l’emporter à la maison. On pourra éventuellement l’accrocher dans la
cuisine, afin que tous puissent réfléchir à la façon d’éviter l’éruption du volcan
ou de tenir à bonne distance le petit serpent.

La définition de frontières plus harmonieuses


entre les générations
Comme nous l’avons déjà vu dans les chapitres précédents, une crise de couple
peut aussi être aggravée à la suite de distorsions intergénérationnelles présentes
pendant la croissance de l’un ou des deux membres d’un couple. Le même dan-
ger peut se présenter pour le couple vis-à-vis de ses enfants si, pour des motifs
divers, les frontières générationnelles sont trop perméables ou envahies par du
favoritisme, des triangulations rigides, des abus affectifs à l’encontre d’enfants
contraints à contrecœur de devenir des enfants parentifiés, ou amenés à présen-
ter des symptômes de nature variée face aux tensions et aux pressions familiales
très fortes. Par conséquent, un objectif de travail avec les couples est de rétablir
des frontières générationnelles plus saines pour tous, afin de restaurer l’alliance
entre les conjoints, ainsi que celle du sous-système des frères et sœurs. Dans ce
sens, la ou les séances en présence des enfants sont très utiles pour transformer
des triangulations rigides en triangulations flexibles, où les enfants peuvent
devenir des liens affectifs et des ponts relationnels entre les générations.
Rapportons une brève séquence paradigmatique de la façon dont les frères
et sœurs peuvent être séparés, du fait du rôle de ligne de partage des eaux que
la fille aînée Zoé doit jouer entre ses deux parents, en forte contradiction entre
eux. Quatre enfants sont invités en séance ; les trois plus petits restent à jouer
tranquillement au milieu de la salle de thérapie ; Zoé, une fillette de 10 ans,
avec un comportement sérieux d’adulte, est assise entre ses parents. Le théra-
peute lui demande : « Où aimerais-tu être, à jouer avec tes petits frères sur le
sol ou rester assise entre tes parents ? » Zoé répond : « À jouer avec mes petits
frères. » « Alors, descends ! », lui propose le thérapeute. Zoé, les larmes aux
yeux, réplique : « Je ne peux pas ! »

CAS CLINIQUE
Les cartons jaunes et rouges :
histoire d’un couple impossible

Anne et David se sont connus à Dublin, où ils étudiaient tous les deux, et leur amour
a été irrésistible. Par amour, il a tout quitté, sa famille, ses amis, son travail à l’université

126 Comment aider les couples en crise ?


de Dublin, pour déménager sur un autre continent, l’Australie, où il ne connaissait
personne, et où il se sent encore étranger après douze ans. Le déménagement a eu
lieu quand Anne était enceinte de leur premier enfant, Jonathan, parce qu’elle voulait
qu’il naisse à Sydney, pris en charge par ses parents âgés, à qui Anne est très liée et
dépendante sur le plan affectif. L’amour a disparu depuis très longtemps et a fait place
à des récriminations continues et des querelles verbales qui impliquent les familles
d’origine respectives, dont chacun des deux parle très mal en présence des enfants.
Joel a été conçu car tous les deux aiment les enfants, et parce qu’ils espéraient qu’avec
sa naissance « tout se remettrait en place ». De fait, pour David, les garçons sont comme
une possession affective ; leur amour est l’unique chose qui lui est restée, mais il n’a
aucun respect à leur égard, les impliquant dans sa guerre ouverte contre Anne. Cette
dernière, à son tour, considère ses fils comme un don de reconnaissance affective envers
ses parents, qui détestent David pensant qu’il a été sa ruine.
Les séances de couple sont dramatiques, aussi parce que tous les deux ont une capacité
incroyable de se blesser, sans jamais succomber aux attaques de l’autre et sans quitter
le champ de bataille. Imaginons la vie de ces deux garçons dans un terrain miné, où
l’on peut sauter d’un moment à l’autre. Cependant, Anne et David sont contents d’avoir
trouvé un thérapeute qui n’a pas peur de finir sous le feu croisé de leurs armes d’attaque,
et qui réussit à maintenir le calme et une position équidistante. On travaille sur les
familles d’origine, et sur la façon dont chacun des deux a des dettes à solder avec sa
propre histoire de développement. Est ensuite conduite une séance Skype avec ses
parents à lui, qui à l’autre bout du monde, supplient le thérapeute, presque en pleurant,
d’aider leur fils à revenir à Dublin, où il a tout, et de quitter cette « cinglée » d’épouse,
dont David dit être encore amoureux. Après avoir acquis leur confiance sur le champ
de bataille et avoir touché leur douleur à tous les deux dans les évènements familiaux
pénibles, le thérapeute propose d’inviter les deux garçons à une séance spéciale, centrée
sur eux, avec l’engagement des parents de faire une trêve pour l’occasion et de ne pas
intervenir avec les querelles habituelles. La motivation pour cette rencontre avec les
enfants est très forte de la part des deux parents, qui acceptent de venir à la séance
un samedi, bien que l’utilisation de la voiture ce jour de la semaine leur soit interdite,
puisqu’ils sont juifs orthodoxes et pratiquants. Ils viennent ainsi tous les quatre, parcou-
rant à pied plus de quatre kilomètres.
La première observation qui saute aux yeux est l’aspect physique et le comportement
des deux garçons. Ils sont très beaux (souvent, à tort, on s’attend à voir deux « monstres »
du fait des guerres familiales), souriants et prêts à aider le thérapeute, comme cela leur
a été annoncé par leurs parents. Jonathan a 11 ans, il apparaît tout de suite comme le
plus actif et semble l’expert de famille, alors que Joel a un aspect plus rêveur et moins
affirmé. On part de l’école ; ils sont tous les deux des élèves brillants ; et on passe
rapidement aux thèmes de la X-Box, de Fifa 2016, etc. Ayant un fils du même âge que
Jonathan, il n’est pas difficile pour le thérapeute d’entrer dans leur monde numérique.
Par ailleurs, tous les deux jouent au foot, et Jonathan se présente avec un maillot où il
est inscrit Messi. Le thérapeute complimente les parents d’avoir deux fils fantastiques,
bien qu’ils soient impliqués lourdement dans leurs conflits, et il propose de faire tous
ensemble un contrat thérapeutique pour soustraire les garçons à leurs litiges, qui
peuvent continuer, s’ils ne réussissent pas à s’en passer, mais sans trianguler les enfants.
Jonathan et Joel doivent écrire le contenu du contrat après l’avoir discuté avec leurs
parents, et avoir obtenu leur assentiment. Le thérapeute introduit la métaphore des

Les enfants comme consultants dans la thérapie de couple 127


cartons jaunes et rouges, empruntée au football, selon que des actions incorrectes de
gravité mineure ou majeure doivent être punies. Les garçons s’enthousiasment à l’idée
des cartons jaunes et rouges, et identifient rapidement trois domaines de comporte-
ments incorrects des parents qui les impliquent directement : les querelles, les gros
mots qu’ils s’adressent l’un l’autre et le fait que l’un parle négativement de la famille
d’origine de l’autre en leur présence.
David et Anne, touchés par l’honnêteté et la lucidité de leurs fils, s’engagent à respecter
le contrat. Les garçons ont la tâche de tenir un agenda, sur lequel ils écrivent le contenu
et les circonstances qui ont amené à enfreindre les règles, et doivent signaler s’il s’agit
de cartons jaunes ou rouges.
Il a été très instructif de constater qu’après cette séance avec les enfants, les infractions
aux règles ont diminué notablement, jusqu’à une seconde rencontre d’évaluation du
contrat, en présence des garçons trois mois plus tard. Les cartons rouges surtout avaient
quasiment disparu, et même les jaunes avaient progressivement diminué, à la satisfac-
tion de tous. Maintenant que des frontières plus claires entre les parents et les enfants
avaient été rétablies, on pouvait mieux travailler sur les problèmes de fond du couple,
et remonter aux blessures encore ouvertes avec les familles d’origine respectives.

Donner des notes aux parents


À propos d’évaluation, dans diverses circonstances, nous avons invité les
enfants en âge d’être scolarisés comme nos consultants, créant un contexte
de type scolaire. Nous avons demandé aux enfants d’aller au tableau, et de
donner des notes aux parents, comme cela se passe pour eux à l’école. Nous
avons aussi expliqué que la thérapie est une sorte d’école de la vie, et que
c’est une occasion spéciale pour les parents de pouvoir être évalués par leurs
enfants. D’ailleurs, qui les connaît plus qu’eux ? Depuis leur naissance, ils sont
les témoins privilégiés des vicissitudes familiales, de la façon dont les parents
affrontent les évènements de la vie, y compris leurs difficultés, soit avec les
enfants soit comme couple.
Il est incroyable d’observer avec quelle impatience et quelle curiosité deux
adultes attendent d’être évalués par leurs propres enfants, acceptant volontiers
les critiques et les commentaires positifs qui viennent d’eux. Certains pour-
raient trouver cette méthode antiéducative, peu respectueuse du rôle parental,
et, qui plus est, inappropriée à l’égard des enfants, comme s’ils devaient s’ériger
en juges de leurs propres parents. Au contraire, nous pensons que les enfants
voient les comportements des adultes et se font une opinion ; ils respirent l’air
de la maison, et ils entendent tout ce qui se passe, que ce soit positif ou négatif.
Non seulement ils ont leurs pensées et leurs préoccupations en ce qui concerne
la dimension parentale, mais aussi en ce qui concerne la sphère plus intime du
couple. Les enfants scrutent les positions sur le terrain : si les parents dorment
ensemble et se tiennent par la main, ou s’ils sortent le soir, ils savent que tout

128 Comment aider les couples en crise ?


va bien ; si à l’inverse, papa dort sur le canapé dans le salon, et maman, dans
la chambre à coucher, s’ils ont tendance à s’éviter aussi dans la maison, ou s’ils
se disputent tout le temps, comme dans le cas de Jonathan et Joel, ils savent
que tout ne va pas bien, et ils craignent que quelque chose de mauvais puisse
arriver, voire peut-être qu’ils se séparent.
Donner voix aux enfants et leur permettre de s’exprimer sur les comporte-
ments des parents est instructif pour les uns comme pour les autres. Par ailleurs,
les enfants ont en général un sens authentique de justice ; ils disent les choses
de façon claire, sans hypocrisie ni besoin de stigmatiser. Quand ils donnent
des notes au tableau, c’est toujours un jeu pour eux ; mais par le biais du jeu, ils
peuvent transmettre aux parents et au thérapeute des informations très utiles.
Pour un enfant, il est toujours possible de passer d’un 4 à un 10, et puis il y a
toujours le dernier trimestre où tout peut s’arranger, si on s’y engage !

Inviter les enfants tout-petits en séance


On ne peut certes pas inviter un nouveau-né ou un bambin de 1 ou 2 ans en
séance comme consultant du thérapeute, mais sa présence et ses mouvements
actifs peuvent sans aucun doute donner beaucoup d’informations sur la qualité
des relations familiales, surtout quand le couple est en crise depuis les phases
précoces de son histoire, ou peut-être justement dans le délicat passage de la
dyade conjugale à la triade familiale. En effet, les demandes de thérapie de
couple à cette phase sont en progression, comme si le nourrisson, face aux
incompréhensions et aux fragilités de la relation de couple, finissait plus par
séparer que par unir.
Quand un nouveau-né ou un tout-petit est présent, on peut saisir comment
le climat émotionnel peut changer par rapport aux rencontres à deux, en
accroissant souvent la vitalité, les échanges de sourires et d’effusions dans la
salle de thérapie. On peut observer la façon dont chaque parent le tient dans
les bras ou se met en relation, et comment l’autre parent participe à l’action ou
se tient à distance. Beaucoup de couples ne savent pas partager, ni les émotions
ni les enfants petits ; et cela peut être visible par la manière dont ils se sont
assis, dont ils se déplacent et occupent l’espace thérapeutique.
Dans certains cas, un enfant peut adopter la même attitude émotionnelle
qu’un parent particulièrement fragile ; ainsi, il peut avoir un visage triste qui
reflète celui d’un père dépressif, ou une fillette peut se serrer très fort contre sa
mère plus pour la protéger que pour un échange affectif.
Si un père reste distant et pensif, pendant que de l’autre côté la mère joue
amoureusement avec une fillette de 3 ans, on peut imaginer que le divorce
affectif du couple a déjà eu lieu, et que la mère et la fille sont le « nouveau
couple ». Indubitablement, ce sont des suggestions visuelles qui devront être
validées dans le processus thérapeutique, mais les intuitions thérapeutiques

Les enfants comme consultants dans la thérapie de couple 129


doivent toujours être utilisées et verbalisées. Par exemple, on peut demander à
la mère depuis combien de temps cela est le couple qui prévaut dans la famille
(en indiquant la mère et la fille) et ce qu’il est arrivé au couple originaire (mari
et femme). Ou on peut demander au mari depuis combien de temps il se sent
hors de la maison, et ce qui serait nécessaire pour que sa fille vienne jouer aussi
avec lui et peut-être s’asseoir volontiers sur ses genoux. On peut aussi inviter la
fillette à faire une expérience, en lui demandant si elle peut changer de place
pour jouer avec papa, sans que maman ne se sente abandonnée. Parfois, cer-
tains enfants se déplacent en séance comme des machines à mouvement per-
pétuel, comme pour vouloir concentrer l’attention de tous sur eux, peut-être
pour faire comprendre que, s’ils s’arrêtaient, d’autres problèmes plus sérieux
pourraient émerger.
Dans tous les cas, la présence des très petits enfants dans une ou plusieurs
séances avec les parents représente souvent une bouffée d’oxygène et offre
la possibilité aux couples en crise d’écouter leur voix, y compris le langage
du corps et des regards, et d’apprendre, grâce à eux, comment rechercher les
lignes de l’espoir et la voie d’un changement. Parfois, l’ingénuité amoureuse
des enfants est mise à dure épreuve par le système de l’orgueil des parents, qui
choisissent de rester mal dans une situation de retranchement défensif, plutôt
que de risquer de s’exposer dans la relation. Pour cette raison précisément,
et souvent à contrecœur, nous devons admettre qu’ils semblent plus imma-
tures que leurs enfants. Mais cette constatation n’est pas synonyme de stig-
matisation. Au contraire, il faut la souligner pour leur faire trouver cette force
capable de rétablir qui est le parent et qui est l’enfant. Et il ne nous semble pas
problématique de dire à un parent, avec un ton joueur : « Vous savez que je ne
m’attendais vraiment pas à ce que vous soyez plus jeune que votre fils ? Mais
ne vous inquiétez pas, si on s’y met, on peut regagner trente ans en quelques
semaines ! »

Les enfants adolescents comme consultants


dans la thérapie de couple
Il est différent de convoquer en séance des adolescents, moins disposés à offrir
ouvertement leur aide à leurs parents en crise. Leur langage est plus ambi-
valent et cryptique que celui des enfants plus jeunes, mais cela ne veut pas dire
qu’il est moins utile pour provoquer un changement, si on l’écoute et qu’on
l’interprète.
L’expérience clinique nous a démontré combien un adolescent peut se
mettre sur les épaules les ressentiments et les échecs conjugaux, pour ensuite
devenir la soupape de sécurité des tensions et de l’agressivité qui, au moins
en partie, ne leur appartiennent pas, jusqu’à devenir dans les cas extrêmes le
bras armé du couple, ou d’un conjoint contre l’autre. Beaucoup d’agressions

130 Comment aider les couples en crise ?


verbales entre un père et un fils adolescent peuvent être activées par une
épouse méfiante et rancunière qui, au lieu d’affronter directement ses conflits
de couple, finit par se faire remplacer par un enfant dans un combat ouvert
contre son père.
Les adolescents sont certainement les témoins privilégiés de la crois-
sance de la famille, et de ses crises de développement. Ils peuvent adopter un
comportement très critique et tranchant face aux torts, aux prévarications,
aux abandons subis par un parent de la part de l’autre, comme si l’adolescent
devait protéger le plus faible, souvent la mère, des attaques et de l’égoïsme de
l’autre conjoint. Il n’est pas rare, quand ils sont convoqués en séance, que ces
enfants décrivent avoir été longtemps comme le garde du corps du parent le
plus fragile, presque à vouloir rééquilibrer les lignes du pouvoir dans la famille.
Ce comportement est encore plus accentué en présence d’une relation
extraconjugale d’un des deux partenaires, avec un ou plusieurs enfants alliés
au parent qui a subi un coup souvent difficile à dépasser. Parfois, en séance,
les enfants révèlent au grand jour, sans retenue, les effets d’une infidélité d’un
conjoint vis-à-vis de l’autre, avec comme conséquence un possible éclatement
familial ; et ils poussent vers un changement avec un langage résolument
provocateur. C’est à nous, les thérapeutes, de favoriser l’écoute, à certains
moments désespérante, d’un adolescent, qui à sa façon s’emploie à ce que ses
parents parviennent à une réconciliation difficile ; et c’est à nous aussi d’aider
le couple à retrouver une confiance de base l’un avec l’autre, sans laquelle il est
difficile de reconstruire une relation viable.
Les adolescents nous ont en particulier enseigné combien il est illusoire de
séparer de façon rigide ce qui tient au territoire du couple de ce qui concerne
plutôt toute la famille, parce qu’ils portent, gravés sur le corps et dans leurs
comportements souvent agressifs, les effets des distorsions générationnelles,
dues au manque de respect, de confiance et d’intimité au niveau du couple
conjugal. Dans ces cas aussi, nous devrons donc aider les couples en difficulté à
rétablir des frontières claires entre les générations, que ce soit par rapport aux
enfants ou vis-à-vis des familles d’origine respectives. D’autre part, il est indé-
niable que les adolescents enchevêtrés dans le jeu du couple, parfois pendant
des années, peuvent se construire des identités multiples et confuses, avec un
risque évolutif qui n’est pas neutre.
En réalité, nombre d’états dépressifs ou de comportements violents et des-
tructeurs à l’adolescence, qui arrivent en thérapie familiale comme le problème
le plus urgent, sont en fait le sommet de l’iceberg des tensions et des échecs
de couple, et des graves interférences des familles d’origine dans les destinées
des nouvelles générations. C’est pour cela que nous les avons appelées théra-
pies de couple camouflées (Andolfi et al., 2006). Ce phénomène peut créer un
cercle vicieux, dans lequel le problème du couple alimente les comportements
et les fonctions altérées chez les enfants, lesquels à leur tour, avec leur trouble

Les enfants comme consultants dans la thérapie de couple 131


du comportement et leurs demandes de compensation, finissent par épuiser
ultérieurement les déjà fragiles équilibres de couple.
Il est ensuite indéniable que les émergences psychopathologiques crois-
santes, présentées par les adolescents d’aujourd’hui, toujours plus isolés à la
maison et émotionnellement fragiles, peuvent représenter un facteur de risque
ultérieur pour le bon fonctionnement du couple, qui se sent le devoir de se
consacrer prioritairement à la santé mentale et psychologique de leurs enfants,
renonçant à nourrir leur relation d’intimité et leurs espaces de couple.

CAS CLINIQUE
Pères absents et mariages de substitution

Martin est le fils aîné d’un couple en crise de longue date, qui vient en thérapie pour
retrouver une entente et une intimité perdues depuis longtemps. Quand nous convo-
quons Martin en séance comme consultant, le garçon est un fleuve en crue. Il décrit
la famille comme brisée depuis environ douze ans. Il a aujourd’hui 20 ans, et il affirme
que son père, Richard, a toujours été absent, engagé comme ingénieur dans un travail
qui le maintenait en Arabie Saoudite plusieurs mois par an. Sa mère, Catherine, bien
qu’ayant épousé son mari par amour, et ayant accepté son travail qui l’obligeait à vivre
autant à l’étranger, a de fait élevé ses deux fils, Martin l’aîné et George de deux ans son
cadet, comme si elle était un parent célibataire.
Martin est non seulement devenu précocement l’adulte de la maison, mais aussi le
vrai partenaire de sa mère. Dans ce rôle, il se souvient avoir représenté depuis tout
petit le soutien affectif de sa mère, qui non seulement était seule à la maison avec
deux enfants, mais en plus venait d’une famille avec une histoire très longue de dépres-
sions et d’hospitalisations psychiatriques. Bien qu’ayant mis une distance considérable
entre elle et la Suède, son pays d’origine, elle avait emmené énormément de tristesse
et de sentiment de culpabilité d’avoir abandonné ses proches. Martin rapporte en
séance ne pas se souvenir d’un sourire de sa mère, et que, petit, il la chatouillait pour
la faire sourire !
Le couple vient en thérapie car il voudrait retrouver une entente conjugale après des
années d’éloignement physique et de vide d’intimité. Elle, elle se présente comme la
victime qui a sacrifié toute sa vie pour ses enfants ; lui, il se sent coupable de ne pas
avoir compris la solitude de sa femme, et d’avoir délégué totalement son rôle paternel
à Catherine, et implicitement à Martin, qui apparaît très ambivalent et méfiant à l’idée
de céder aujourd’hui à son père sa place comme vrai partenaire de sa mère. Par ailleurs,
il est difficile pour Richard de reconquérir un espace significatif à la maison, bien qu’il
veuille réussir à se faire accepter comme père par ses deux garçons.
Les deux séances avec les enfants sont très utiles pour mieux comprendre les dyna-
miques familiales, et rétablir un peu d’ordre. De fait, au cours des années, s’est créé un
lien très fort entre mère et fils, un lien que nous pourrions définir de survie affective
pour la mère, et hautement dysfonctionnel pour Martin. Ce dernier, engagé à protéger
sa mère, a renoncé à poursuivre ses études et à se projeter à l’extérieur des murs
domestiques. Il est énorme, ce qui contraste avec le corps minuscule de Catherine.
Tous les deux passent beaucoup de temps à la maison dans la journée, elle à remplir

132 Comment aider les couples en crise ?


les tâches ménagères, lui dans sa chambre avec sa PlayStation. De garde du corps de
sa mère, Martin est devenu videur de boîte de nuit.
À un mariage de substitution mère-fils s’ajoutent deux divorces psychologiques, celui
d’un couple trop distant et celui de deux enfants divisés et concurrents avec des fonc-
tions familiales opposées. Martin est engagé à protéger sa mère, renonçant en partie
à sa vie d’adolescent ; George est brillant à l’université et projeté à l’extérieur dans un
groupe de pairs. Entre les deux, il y a une distance intersidérale, et bien qu’ils souffrent
d’être aussi éloignés l’un de l’autre, aucun des deux ne réussit à faire le premier pas
pour se rapprocher.
Les séances avec les garçons sont très utiles, parce que, partant justement de ce divorce
entre les enfants, très mal vécu par les parents aussi, on réussira au cours de la thérapie
à transformer les liens familiaux distordus, et à retrouver une harmonie de couple, avec
un partage plus grand des fonctions et des rôles parentaux. Dans une séance ultérieure,
le père nous confiera avoir compris que ses fils avaient beaucoup souffert de son
absence et qu’ils voulaient finalement récupérer le temps perdu.

Les enfants comme consultants dans la thérapie de couple 133


CHAPITRE 9
Les amis comme consultants
dans la thérapie de couple

Au cours de la thérapie de couple, il peut arriver que soient relatées des expé-
riences importantes, vécues avec des amis dans des situations particulières de
la vie. Ou encore peuvent être décrits des aspects conviviaux de moments
spéciaux vécus avec eux au cours de voyages ou de week-ends passés ensemble.
Tout cela sera utile pour réfléchir sur la valeur des rapports amicaux dans la
dynamique de couple, et sur la grande ou la moindre ouverture du couple sur
le versant social.
Il est assez prévisible que, pour les couples harmonieux et unis, les amis
soient une ressource extraordinaire de leur réseau social et qu’ils soient dis-
ponibles en cas de besoin. Comme ces couples réussiront à partager de nom-
breuses expériences de vie et à croître ensemble, ils sauront aussi comment
faire avec leurs amis, à qui ils peuvent demander du soutien et de l’aide en
toutes circonstances.
À ce propos, nous pourrions décrire brièvement l’histoire d’un couple qui,
en proie au désespoir, a demandé une intervention thérapeutique, après la mort
brutale d’un de leurs enfants adolescent, des suites d’un accident domestique.
En fait, les conjoints, ainsi que leur fils cadet, avaient littéralement fugué de
chez eux, avec de nombreux bagages, tout de suite après ce tragique évène-
ment, demandant l’hospitalité à un couple d’amis, qui pendant plus d’un mois
les avait accueillis à bras ouverts, les aidant à dépasser le premier impact terrible
de cette perte soudaine. Ce sont toujours ces mêmes amis qui, par la suite, leur
ont conseillé de suivre une thérapie pour faire face à leur deuil et redonner un
sens à leur vie. Au cours de la thérapie, il a donc été très touchant d’apprécier
l’épaisseur humaine et la générosité de ces amis, à travers les paroles du couple,
pleines de reconnaissance et de gratitude. Il a été très simple pour le thérapeute
de demander leur présence en séance, afin de donner une plus grande valeur
et une perspective au « travail thérapeutique » déjà accompli par eux dans

Les amis comme consultants dans la thérapie de couple 135


la phase la plus délicate et dramatique, à la suite de la mort du garçon. En pré-
sence de leurs amis, le couple commencera à discuter en séance d’un retour dans
leur maison, et de l’exigence d’en restructurer les espaces internes, de façon adé-
quate à leurs conditions de vie modifiées. Il est intéressant de noter que le refuge
affectif cherché par le couple en question, face à une adversité de si grande
ampleur, n’a été ni sa famille à elle ni encore moins sa famille à lui. Les amis ont
su accueillir leur douleur affectueusement, sans rajouter celle inévitable, mais
dans ce moment peut-être excessive, des familles d’origine respectives.
Au contraire de couples très ouverts sur l’extérieur, il y a des couples très
seuls, affectivement fermés à l’extérieur des murs domestiques, totalement
absorbés par le travail et par les devoirs vis-à-vis des enfants. Il s’agit de couples
sérieux, privés de créativité, détachés émotionnellement, où les poids de la res-
ponsabilité et des devoirs ont prévalu dans la croissance des deux conjoints :
pour eux, il n’existe pas d’espace pour le jeu ni pour éprouver du plaisir dans les
choses. Et les partenaires se sont choisis sur ces carences de base. Ils se sont ren-
contrés sur l’expérience commune du devoir et de la responsabilité. Et ils auront
tendance à la fermeture et au dévouement total à l’égard des enfants. Les seules
amitiés qu’ils réussiront à se permettre seront plutôt celles induites par l’école de
leurs enfants, comme si celles-ci rentraient aussi dans un devoir social. Si l’on
demande à ce type de couples de parler de leurs amis, ils seront surpris d’une
telle question, jugée absolument hors de propos par rapport à leur demande
d’aide, souvent liée à des troubles psychosomatiques, ou à l’état dépressif de
l’un ou l’autre des conjoints. Pour eux, le monde extérieur n’existe que pour
ce qui concerne le travail et l’école des enfants, et la tâche du thérapeute sera
justement de les aider à construire un réseau social de relations, en mesure de
rompre le cercle vicieux des devoirs domestiques. Pour ce faire, il sera nécessaire
d’abord que chaque conjoint réussisse à sortir de sa propre niche de solitude, et
à reconnaître en soi et dans l’autre une certaine forme de vitalité.
Comme décrit précédemment, dans les couples hautement conflictuels, où la
confiance réciproque semble remplacée par le blâme et la critique constante, il
sera difficile de partager une soirée plaisante avec des amis. Et à la fin, il deviendra
difficile de maintenir des amitiés communes, du fait du risque d’être exposés aussi
à la critique dans le contexte des rapports sociaux et amicaux. Ainsi, les amis ne
seront plus décrits comme les « nôtres », mais plutôt comme les « miens », en
opposition aux « siens ». Quand même le respect réciproque semble remplacé
par des manifestations d’hostilité ouverte, il y a le danger que les amis finissent
par prendre vraiment parti pour l’un ou l’autre membre du couple, un peu comme
il arrive avec les enfants des couples au bord de la séparation.
Dans tous les cas, faire entrer les amis en séance, c’est-à-dire les rendre
présents dans le dialogue thérapeutique et les faire parler, peut servir à élargir
le cadre et à mieux évaluer le fonctionnement du couple et les ressources indi-
viduelles de chacun, même en situation d’hostilité ouverte.

136 Comment aider les couples en crise ?


Nous avons amplement décrit l’utilité du langage comme si et de la
construction des présences symboliques positives en thérapie. Ainsi, on pour-
rait demander à une hypothétique Elle : « Si votre amie la plus chère était
présente en séance, comment pourrait-elle décrire votre état d’âme actuel ? »
Et à Lui : « Si votre ami que vous connaissez depuis l’école venait en séance,
que pourrait-il me dire de positif sur vous, pour vous aider dans un moment
aussi difficile pour votre famille ? »
Même en l’absence d’amitiés partagées, et en présence de seuls « amis par-
tisans », il sera utile d’apprécier en séance la valeur des amitiés pour chacun
des deux partenaires, dans une période aussi critique et douloureuse de leur vie.
Les amis peuvent constituer une bouée de sauvetage et un soutien émotionnel
extraordinaire, souvent bien plus disponibles qu’un parent, un frère ou une
sœur, du fait de toutes ces dynamiques familiales de protection réciproque, ou
de manque de confiance, qui empêchent de se sentir réellement accueilli et
compris. Surtout quand on est devenu adulte, et qu’on est passé du rôle d’en-
fant à la maison à celui de parent, surgit la peur de montrer sa fragilité et sa
souffrance à sa famille d’origine, particulièrement quand on n’a pas dépassé le
complexe d’intimidation intergénérationnelle (Williamson, 1982). Dans ces cas,
échouer dans son projet de couple, et se séparer, surtout quand on a des enfants
petits, amène à se sentir jugé par ses propres parents, pour avoir raté quelque
chose d’important dans la vie. On craint de ne pas être accepté et soutenu et,
au lieu d’une proximité affective, peut se créer un mur, une distance qui ne
permet pas de se retrouver au moment où il y en a le plus besoin. Au cours
de ce livre, nous avons amplement illustré comment dépasser ces barrières et
favoriser un dialogue entre les générations. Toutefois, justement à cause de ces
difficultés relationnelles et du fait des capacités thérapeutiques naturelles du
système amical, il pourrait être très utile de proposer au couple d’inviter leurs
amis en séance en qualité de consultants.

Comment et quand inviter les amis en séance


S’il est vrai que le système des amis est une ressource extraordinaire dans la
vie relationnelle et dans la croissance de nombreux couples, nous sommes
frappés du peu d’écrits dans la littérature internationale au sujet de la convo-
cation des amis au cours d’une thérapie de couple. Russell Haber a été le
premier à mettre l’accent sur l’importance des amis en thérapie familiale, dans
un livre historique intitulé Please Help Me with this Family : Using Consultants
as Resources in Family Therapy (Andolfi, Haber, 1994). Nous nous sommes
inspirés de ses idées et de ses expériences cliniques pour introduire dans notre
modèle de pensée le réseau social, représenté en premier par les amis, comme
élément d’évaluation du fonctionnement de couple et comme ressource
thérapeutique.

Les amis comme consultants dans la thérapie de couple 137


Uniquement si on dépasse l’idée dominante que le couple est l’unité
exclusive d’analyse et d’intervention clinique, on peut apprécier la recherche
d’autres composants fondamentaux dans la compréhension des dynamiques
de couple, particulièrement en situation de crise et d’éclatement familial.
C’est justement la présence d’une crise ou d’une conflictualité marquée qui
nous amène à apprécier les fondements du modèle systémique, qui nous four-
nissent la base méthodologique pour élargir le contexte, et aller chercher et
solliciter des ressources dans la famille élargie, dans le système des amitiés,
jusqu’au réseau communautaire plus large.

Les amis comme témoins privilégiés dans les crises


et les séparations de couple
En présence d’une crise de couple qui peut déboucher sur une séparation, il
est difficile de pouvoir compter sur des amis partagés. Dans la description du
cas qui suit, nous voudrions faire ressortir l’importance de la convocation en
séance des amis strictement liés à l’un ou à l’autre conjoint.

CAS CLINIQUE
Se regarder sous un autre jour…

Joanna et Marco sont un couple mixte, lui italien d’origine toscane, elle péruvienne. Ils
vivent à Rome et ont un fils de 3 ans.
La relation entre les deux, née d’un coup de foudre, s’est dégradée très tôt, et est devenue
vraiment hostile après la naissance de leur bébé. Joanna affirme que Marco la disqualifie
constamment dans ses fonctions de mère devant leur enfant, pendant que Marco utilise
sa profession de médecin pour la critiquer sur tout, soutenant qu’elle est une mère
dépourvue de sentiments, intéressée seulement par son travail social à temps plein avec
la communauté péruvienne de Rome, travail par ailleurs très peu payé. Elle est fatiguée
de cette vie, faite d’humiliations constantes. Elle ne l’aime plus et voudrait le quitter.
Marco, bien que se sentant méfiant dans la relation avec Joanna, défend l’institution
Famille, et énumère tous les dégâts et les éventuelles maladies de l’enfant qui pourraient
dériver du possible traumatisme de la séparation. En fait, ce qui rassemble le couple,
c’est un sentiment de profonde solitude : elle a quitté le Pérou, sa famille, ses amis en
espérant que Marco aurait été pour elle un soutien affectif solide, en mesure d’atténuer
son sentiment de détachement de son monde originaire. Et c’est justement pour
compenser ce vide que Joanna travaille à temps plein pour la communauté péruvienne.
En aidant d’autres personnes déracinées comme elle, elle espère se sentir moins seule.
Évidemment, leur conflit ouvert et quotidien provoque des réactions négatives chez
leur fils, qui souffre d’eczéma et de coliques récurrentes, confirmant de cette manière
les prévisions paternelles de troubles dus au traumatisme de l’enfant. Comment aider
alors deux conjoints qui se sentent impuissants et qui attribuent tous les torts à l’autre ?
La famille de Joanna est loin physiquement, celle de Marco est encore plus indisponible.
Le père de Marco est mort quand lui et ses deux petites sœurs étaient très jeunes,

138 Comment aider les couples en crise ?


et il y a quelques années, sa mère aussi est décédée. Cette dernière est celle qui s’est
occupée toute seule de la croissance de ses trois enfants, réussissant à les envoyer tous
à l’université et assurant à chacun un futur travail honorable. À la mort de sa mère,
Marco subit un choc ; il se détache de ses sœurs à tel point qu’il refuse d’aller aux
funérailles. Une telle perte a fait s’écrouler son monde, l’éloignant de tous, et finissant
même par ne plus lui permettre de fréquenter ses amis.
Joanna avait représenté la seule lueur de sa vitalité renouvelée, mais la naissance de
leur bébé et les conflits conjugaux suivants l’ont fait replonger dans un état dépressif.
Au cours de la thérapie, il faudra beaucoup de temps pour réussir à ouvrir la discussion
sur les familles réciproques, pour entamer une réconciliation familiale dans le cas de
Marco, et pour construire une présence positive, soit symbolique soit via Skype, avec
la famille de Joanna.
Au cours des séances de couple exténuantes, Joanna fait état d’une amie, prénommée
Lina, partie de Lima à la même époque, comme étant la seule, selon ses dires, en
mesure de la comprendre. Marco, de son côté, parle de temps en temps d’un magistrat
avec qui il étudiait au lycée et en qui il avait une confiance aveugle, le seul à qui il s’est
confié à propos de sa situation de couple, lui demandant aussi des conseils concernant
l’éventuelle garde de l’enfant.
Même si les deux conjoints ne se fient aucunement l’un à l’autre, le thérapeute a le
sentiment d’avoir gagné une discrète confiance de la part de chacun, peut-être aussi
par le fait qu’il a réussi à maintenir une position de relative équidistance entre Joanna
et Marco, bien que la première cherche continuellement à solliciter sa compréhension
pour sa condition de victime, seule dans un pays étranger, et que le second tente de
le séduire en l’appelant souvent cher collègue.
Déclarant ouvertement sa difficulté à les aider dans un contexte aussi belliqueux, le
thérapeute leur propose une séance extraordinaire, une sorte de consultation spéciale,
en invitant leurs amis respectifs, les seules personnes à qui ils se fient, et en indiquant
clairement qu’il entend les rencontrer tous les deux en présence de Joanna et Marco.
Il réaffirme que cette convocation sera celle de deux témoins privilégiés, capables de
lui faire connaître beaucoup plus à fond les aspects de la personnalité de l’un et l’autre
partenaires, et les assure qu’on n’entrera nullement dans la guerre de couple.
L’arrivée des amis en séance est marquée par un climat convivial inespéré, et par la
curiosité de tous de voir comment allait se dérouler la rencontre, avec le vague espoir
que quelque chose réussisse à se débloquer. Après les premières civilités et les présen-
tations des nouveaux arrivés, le thérapeute clarifie encore le sens de la consultance et
remercie les amis pour leur disponibilité et leur contribution à la thérapie.
On commence par le Pérou ; le thérapeute demande donc à Lina de parler de son
amitié avec Joanna. Pendant que Lina parle avec une grande implication émotionnelle
de leur relation, pour la première fois, tant le thérapeute que Marco réussissent à voir
Joanna sous un autre jour. Cette dernière n’apparaît pas comme une femme désespérée
et seule ; au contraire, Lina met en lumière les aspects de femme courageuse qui a
réussi à quitter les membres de sa famille, ses amis, son pays, pour s’aventurer dans un
monde nouveau, lointain et très différent du sien.
Soutenue par son amie, Joanna sort de son rôle de victime et montre des éléments
de résilience et de vie jamais exprimés avant en séance. Elle revendique sa maternité,

Les amis comme consultants dans la thérapie de couple 139


affirmant que la croissance de son enfant est la chose qui lui tient le plus à cœur,
et qu’elle n’a jamais réussi à faire comprendre à Marco que sa façon d’exprimer de
l’affect et de l’attention est différente de celle du père, qui l’étouffe sous les attentions
en pensant que lui seul sait ce qu’il est juste de faire. Pour la première fois, on perçoit
en séance combien sa culture, ses valeurs, la langue espagnole sont fondamentales
dans son identité de femme ; et Lina semble une présence très positive à cet égard,
parce qu’elle peut la comprendre même sans parole. Les deux femmes sont assises très
près l’une de l’autre, et quand elles parlent de leur pays, elles sont émues.
En réalité, Marco était tombé amoureux de Joanna aussi pour sa capacité à exprimer
les émotions plus librement ; de plus, sa famille à elle était beaucoup plus unie que la
sienne, dont il s’était complètement détaché. Finalement, Marco comprend seulement
maintenant pourquoi Joanna voudrait parler espagnol avec leur fils : non pas pour le
lui enlever, mais plutôt pour se sentir plus reconnue.
Quand Alessandro, le magistrat, prend la parole pour décrire quelques aspects signifi-
catifs de son ami, le climat de la séance est résolument positif. Il commence en disant
que Marco ne lui avait jamais parlé de Joanna dans ces termes, et que ce qu’il est en
train d’entendre aujourd’hui est une surprise pour lui. Joanna lui a été décrite comme
dépourvue de sentiment et fragile, seulement prise par son travail social, et absente
pour le reste. Cette remarque le ramène loin en arrière, au temps du lycée, et à des
situations similaires : il affirme sans hésitation que, quand Marco ne se sentait pas
reconnu ni apprécié, il finissait par s’isoler et parler mal des autres. Malgré ces limites,
il le décrit comme une personne volontaire depuis qu’il est enfant, et comme un méde-
cin sérieux et scrupuleux. Dans le même temps, il indique de façon affectueuse que la
perte affective précoce de son père a rendu Marco méfiant vis-à-vis des autres, faisant
en sorte qu’il compense sa fragilité par un certain air de supériorité. Alessandro convient
avec le psychiatre de l’utilité pour Marco de rétablir un contact avec sa famille, en se
réconciliant avec ses deux sœurs, qu’il a bien connues, car lui aussi est d’origine toscane
et ils se fréquentaient quand ils étaient jeunes.
Il est intéressant de noter que, durant la séance, Marco, si sensible à la critique, surtout
quand elle vient de Joanna, semble capable d’accepter totalement la description que
donne de lui son ami magistrat. Joanna aussi semble capable de voir Marco sous un
autre jour, et de réfléchir sur ses fragilités derrière son air pédant et supérieur.
La séance avec les amis sera réellement un tournant de la thérapie et permettra tout
de suite après d’affronter les problèmes de couple, ceux relatifs à la parentalité et ceux
intergénérationnels, avec des ressources et des perspectives jusqu’alors inespérées.
Les amis, à compter de ce moment, deviendront deux présences positives dans le
dialogue avec le couple et seront à plusieurs reprises utilisés comme parrain et marraine
de Marco et Joanna.

Dans divers travaux, nous avons amplement décrit (Andolfi, Mascellani,


Santona, 2011 ; Andolfi, Mascellani, 2012) l’importance de rendre plus visible
en thérapie la culture et les valeurs de celui qui a émigré, laissant derrière lui
sa famille, ses amis et son pays. Cela permettra d’évaluer en même temps son
attachement plus ou moins grand à son nouveau monde et aux modalités avec
lesquelles il s’est senti accueilli dans le contexte culturel auquel son partenaire

140 Comment aider les couples en crise ?


appartient. Comme nous avons vu avec Joanna, « faire entrer le Pérou en
thérapie » a été une façon de découvrir des aspects d’elle, fondateurs de son
identité, et de faire réfléchir Marco sur la nécessité de les apprécier comme
valeur ajoutée dans la relation de couple, plutôt que de les craindre comme une
menace pour l’intégrité de la famille.

CAS CLINIQUE
L’infidélité : un mérite spécial aux amis !

Laurent est un brillant architecte qui a épousé il y a dix ans Céline, enseignante de
collège. Les deux conjoints ont deux petites filles et vivent dans une grande ville du
Nord du pays, pour favoriser sa carrière professionnelle à lui, même si tous les deux
proviennent d’une petite localité du Sud, où ils ont grandi dans leurs familles respectives
et où ils ont effectué leurs études.
Leur union est décrite comme un mariage d’amour, couronnée par l’arrivée de deux
belles fillettes, fortement désirées par tous les deux.
La demande de thérapie est liée à la découverte récente d’une relation extraconjugale
de Laurent, avec une collègue de son cabinet professionnel, relation qui au moment
de la thérapie est décrite comme interrompue. Un tel évènement a plongé Céline dans
un état d’angoisse totale, comme si son monde intérieur s’était effondré. Laurent est
en proie à un sentiment de culpabilité et ne sait pas s’expliquer comment tout cela a
pu arriver. Par ailleurs, la relation extraconjugale prend corps quand Céline est encore
en train d’allaiter leur seconde fille, ce qui la fait se sentir encore plus vulnérable et
trahie.
Les conjoints viennent ensemble en séance, et on perçoit le caractère dramatique de
la situation, dans laquelle les deux semblent paralysés, elle par sa douleur de la blessure
subie, lui par l’effroi d’avoir tout ruiné et d’être la cause d’un possible éclatement
familial.
Il faudra de nombreux mois de thérapie pour commencer à voir une possible récon-
ciliation. On parle beaucoup de leurs familles lointaines, surtout celle de Céline, dont
elle ressent fortement le manque. En parlant de ses parents, elle affirme : « Ils mourraient
s’ils savaient ce qui est arrivé. » Laurent a compris le grave dégât provoqué par son
comportement et se sent encore plus coupable parce que, selon lui, il s’est trouvé sous
la coupe des avances de sa collègue sans en comprendre les conséquences, lui qui
avait toujours pensé être lucide et rationnel dans la vie. Par ailleurs, aujourd’hui, bien
que la relation extraconjugale soit terminée, Laurent continue à travailler dans la même
étude d’architectes, et Céline est en proie à de vrais cauchemars, pensant que la menace
est encore présente.
Ayant appris l’existence de deux amis très proches et fiables de chacun des conjoints,
le thérapeute propose au couple de les inviter séparément, pour l’aider à comprendre
comment mieux avancer en thérapie. Il préfère faire deux séances distinctes, auxquelles
chacun des deux vient avec son ami, pour éviter toute forme d’embarras et de
formalisme.
Céline a une amie, Julie, avec laquelle elle a étudié à l’université. Elle a maintenu des
liens avec elle, même après avoir quitté sa ville d’origine. Céline s’est toujours confiée à

Les amis comme consultants dans la thérapie de couple 141


Julie à tout propos, depuis sa relation avec Laurent à celle avec ses enfants, à ses voyages,
et récemment à la relation de son mari avec sa collègue de bureau, y compris l’idée de
le quitter.
Laurent a joué au basket à un haut niveau dans sa jeunesse, abandonnant ensuite le
sport pour poursuivre ses études. Son entraîneur a été une figure très importante pour
lui dans ses jeunes années, et même s’il n’est pas beaucoup plus âgé que lui, il l’a
toujours considéré comme un guide et un soutien affectif, surtout après la séparation
de ses parents.
Les deux conjoints semblent très contents de la proposition et sont sûrs que leurs amis
seront disposés à les aider, même s’ils doivent faire un voyage en train assez long.
Accepter cette proposition est aussi une façon concrète de transmettre l’idée que tous
les deux sont motivés et disponibles pour travailler à une solution du problème. Nous
croyons qu’inviter les amis en séance est une ouverture de contexte, une ressource très
positive dans le cours de la thérapie. Si la confiance dans la relation de couple en est
venue à chuter, on peut au moins se fier aux amis les plus proches pour voir s’il est pos-
sible de refermer les plaies encore ouvertes.
Lors de la séance avec Julie, Céline est beaucoup plus déliée et décontractée. Et, avant
d’entrer dans le thème difficile de la relation extraconjugale de Laurent, les deux amies
parlent du développement de leur amitié, et de combien il a été douloureux pour
Céline de quitter sa famille, ses amis, les couleurs de sa terre, pour suivre la carrière
de son mari au Nord. Le choix d’avoir suivi son mari apparaît aujourd’hui aux yeux
de Céline encore plus mauvais, vu que c’est justement là que la trahison a eu lieu. Julie
lui conseille de ne pas prendre de décisions radicales et irréversibles, compte tenu aussi
du fait que Laurent s’est toujours montré un père affectueux et disponible, et qu’il
exprime sa confiance à l’égard de la thérapie, qui selon lui a déjà produit des résultats
utiles : le premier parmi tous étant que Céline et Laurent se sont parlé pendant ces
mois, cherchant une solution ensemble.
La rencontre de Laurent avec son ami Bruno, l’entraîneur de basket, est bien plus rude
et virile. Bruno utilise un langage très coloré, de vestiaire, pour souligner les consé-
quences de la trahison commise par Laurent, qui, par ailleurs, durant les années où il
avait pratiqué le basket, s’était toujours montré timide et introverti, justement le contraire
de quelqu’un en recherche d’aventures sexuelles. Bien que Bruno « frappe fort », Laurent
semble content de la leçon et dit qu’il fera tout pour reconquérir Céline, quitte à changer
sa vie. « Au fond, affirme-t-il, elle et mes filles sont les choses les plus précieuses et les
plus importantes pour moi, beaucoup plus que ma carrière. » La rencontre se conclut
par une phrase de Bruno qui rassure le thérapeute, qui la gardera dans un coin de
la tête désormais. Bruno affirme être certain que Laurent sera capable de reconquérir
la confiance de Céline. « Il a tellement souffert de la séparation de ses parents, qu’il fera
tout pour ne pas faire souffrir ses filles » sont les dernières paroles de Bruno en prenant
congé.
La thérapie avancera encore pendant quelques mois, entre hauts et bas, jusqu’à la
décision de Laurent de proposer à Céline de retourner dans leur ville d’origine. « Dans
tous les cas, affirme Laurent, vivre dans la même ville sera plus facile pour les filles,
même si Céline devait en arriver à une séparation. » Céline accepte de bonne grâce la
proposition, et la thérapie se conclut par leur déménagement.

142 Comment aider les couples en crise ?


Deux ans plus tard, le thérapeute reçoit un e-mail de Céline et Laurent, dans lequel
ils lui écrivent qu’ils se sentent plus unis et plus forts après une longue période de dif-
ficultés, durant laquelle Céline a plusieurs fois pensé à se séparer, et Laurent souffert
énormément de cette éventualité. Puis, petit à petit, Céline a remarqué que Laurent
était en train de changer, en lui démontrant de nombreuses manières qu’elle était plus
importante que tout le reste. « Mon objectif, conclut Laurent, était de la reconquérir
définitivement et totalement, en cherchant à la surprendre par de petites choses…
mais pleines d’amour. »

Les histoires de trahison ne se terminent pas toujours ainsi, mais si on


considère l’infidélité comme un accident évolutif, et si deux conjoints sont en
mesure de souffrir ensemble, d’affronter les conséquences du traumatisme et de
se transformer, il est possible qu’ils se retrouvent plus unis et plus forts.
Un mérite spécial revient aux amis, qui au fond ont ouvert le chemin du
changement avec leur présence et leur générosité.

Les amis comme consultants dans la thérapie de couple 143


CHAPITRE 10
Les séances individuelles
dans la thérapie de couple

Dans les années 1980, de retour des États-Unis, Andolfi a commencé à tra-
vailler avec les couples, sous l’influence de Bowen, qui peut être considéré
comme le premier thérapeute individuel systémique (son modèle était centré
sur l’individu et ses processus de différenciation), et de Framo, qui, à l’intérieur
de la thérapie de couple, avait développé les fameuses séances avec la famille
d’origine de chaque partenaire.
La première ébauche de thérapie de couple intergénérationnelle naquit de
l’intégration de ces deux modèles, dont les premiers résultats furent présentés
par le même Andolfi, lors du congrès historique consacré au couple en crise, qui
s’est tenu à Rome en 1987, avec la publication ultérieure d’un article dans le
livre qui en fut tiré (Andolfi, 1988).
De Bowen, il a surtout intégré le modèle évolutif de collecte des données
sur la croissance individuelle, grâce à l’utilisation dynamique du génogramme
familial, et de Framo, la conduite des séances avec la famille d’origine de
chaque partenaire.
Naquit ainsi l’idée originale de diagnostic précoce du fonctionnement du
couple, qui prévoyait d’emblée des séances individuelles avec chaque parte-
naire, en plus des séances avec les enfants et avec les familles d’origine res-
pectives. Tout cela était programmé dans les cinq ou six premières séances,
et était considéré comme un processus évaluatif propédeutique à la thérapie,
à l’instar de ce qui se passe dans le cadre médical, où, pour faire un diagnostic,
sont demandés, selon les cas, des examens radiologiques, des analyses de sang
ou d’urine. Par ailleurs, en procédant ainsi, il allait de soi que la thérapie de
couple était envisagée à l’intérieur d’un cadre familial, sans même la nécessité
de trop l’expliquer. Et ce programme était justement présenté avec ce langage
clinique au couple qui demandait une intervention.

Les séances individuelles dans la thérapie de couple 145


Au cours des années, nous avons surtout modifié les temporalités de ces
rencontres, comme nous venons de le décrire au sujet des rencontres élargies
à la famille d’origine et aux enfants, préférant construire d’abord une forte
motivation dans le couple, et en convoquant seulement ensuite les familles en
séance. Les rencontres individuelles aussi, prévues initialement de façon très
précise, se sont transformées dans le temps en séances plus occasionnelles, liées
à l’évolution du processus thérapeutique ou à des moments particuliers d’im-
passe, sauf sur demande précise de la part d’un ou des deux conjoints.
Peut-être que l’exigence de ces séances individuelles a décliné dans le temps
parce que, avec l’expérience, nous avons aussi appris que, dans le moment
même où nous observons ou activons le couple, nous sommes en même temps
en train de travailler avec chaque individu. De plus, l’idée d’être dépositaires
de connaissances parfois très approfondies sur les processus de développe-
ment d’un partenaire, en l’absence de l’autre, n’était pas en harmonie avec
un modèle de pensée qui, au fil du temps, voyait le thérapeute plus comme un
constructeur de liens en séance que comme un dépositaire de connaissances
confidentielles ou de vrais secrets familiaux.
Pour mieux comprendre cet aspect relatif aux informations confidentielles,
nous pouvons rapporter le cas d’une femme qui, dans la phase initiale de la thé-
rapie, convoquée seule pour un entretien, commença à parler d’abus sexuels
subis dans l’enfance de la part d’un ouvrier qui faisait des travaux chez elle.
Évidemment, si elle réussissait à parler d’une expérience aussi pénible pour
elle, gardée cachée pendant les années de sa croissance en famille, sans en
avoir même jamais parlé par la suite avec son mari, elle se sentait sûrement
dans un contexte sécure et avait confiance dans le thérapeute, qu’elle connais-
sait par ailleurs depuis très peu de temps.
Cette confidence aura sans doute été utile pour comprendre, dans la suite de la
thérapie, ses préoccupations sexuelles à l’égard de son mari – dont les approches
étaient perçues comme de vraies agressions – et le sentiment de désarroi de ce
dernier qui se sentait rejeté, quand il désirait seulement un rapport sexuel avec sa
compagne. Toutefois, son caractère de secret finissait justement par transformer
le thème de l’abus sexuel en un handicap thérapeutique, et risquait d’amener à
une vision biaisée de la relation de couple. Au fond, le thérapeute connaissait
des aspects du monde intime de la femme dont le mari n’était pas au courant, et
cela pouvait le mettre dans une situation déséquilibrée entre les deux.

Quand et pourquoi les voir seuls


Ces dernières années, les séances individuelles au cours de nos thérapies de
couple se sont raréfiées et ont perdu leur valeur diagnostique, mais cela n’en-
lève rien à leur utilité dans des situations particulières et dans des moments
thérapeutiques.

146 Comment aider les couples en crise ?


Dans la phase initiale de la thérapie
Dans la première phase de la thérapie, il peut être utile d’offrir une séance indi-
viduelle à chacun des deux partenaires quand le niveau de conflictualité et de
manque de respect entre les conjoints est très marqué, et que le thérapeute a du
mal à faciliter un consensus minimal en séance. Dans ces cas, il peut être plus
utile de contourner l’obstacle et de construire d’abord un rapport de confiance
avec chacun des deux partenaires séparément, en explorant des aspects des
évènements du développement personnel de chacun, tout en se gardant bien
d’entrer dans les thématiques brûlantes relatives au conflit de couple. Il est
possible qu’en faisant ainsi, et en entrant dans les histoires de vie de chacun,
on puisse réduire l’animosité dans les rencontres conjointes suivantes et réussir
à trouver des points d’accord.
Un bon exemple de ce que nous venons de dire est la situation d’Anne
et de David, décrite dans un chapitre précédent qui concernait la présence
en séance des enfants comme consultants, où l’on a parlé des cartons jaunes
et rouges.

CAS CLINIQUE
Besoins impérieux de visibilité

Anne et David demandent tous les deux une thérapie de couple, mais pour des motifs
très différents et avec un niveau incroyable de conflictualité verbale et de mépris réci-
proque, qui met aussi le thérapeute dans une position insoutenable, équivalente à celle
d’un gardien de la paix qui doit séparer deux adversaires. À la fin de la première séance,
deux rencontres individuelles sont programmées, qu’ils acceptent tous les deux avec plaisir,
peut-être avec le désir implicite pour chacun de dire du mal de l’autre en son absence.
En réalité, il est tout de suite stipulé que, dans la rencontre individuelle, il sera interdit de
parler du couple, parce que la séance portera sur des thèmes relatifs à la vie de chacun
avant qu’ils ne fassent connaissance. Ce type de précision du thérapeute fait désormais
partie de notre expérience, qui a fait ses preuves, même s’il est toujours surprenant d’ob-
server comment le contexte d’une rencontre individuelle peut changer, seulement en
posant des limites nettes quant à ce dont on peut parler et ce qui est interdit.
Les deux conjoints apparaissent comme deux adultes qui ont été blessés et négligés
quand ils étaient enfants et otages de leurs familles respectives. Anne parlera de son
enfance en Iran et de la fuite ultérieure de sa famille pour des raisons politiques, de leur
arrivée en Australie comme réfugiés, après avoir perdu tous leurs biens. Ses parents,
pour donner un nouveau cours à leur vie, négligèrent complètement ses besoins pri-
maires de croissance ; et surtout, sa mère l’impliquait lourdement dans son désespoir,
en l’utilisant comme soupape d’échappement à tous ses maux. Anne sera otage de sa
mère toute sa vie ; elle ne sera même pas libre de ses propres décisions quand elle aura
ses enfants, contrainte de suivre quand même le bon vouloir et les besoins de sa mère.
David vient d’une famille intellectuelle anglo-saxonne, où l’affection ne peut se montrer,
et où il a souffert d’une jalousie profonde à l’égard de son frère aîné, qui semblait jouir

Les séances individuelles dans la thérapie de couple 147


de toutes les faveurs paternelles. Il s’est réfugié dans les études, même si cela ne lui a
jamais permis d’être apprécié par son père ; et il méditait sa fugue de tout et de tous,
fugue qui aura lieu ensuite par amour quand il rencontrera Anne à l’université.
Ses enfants seront sa seule rédemption affective, mais son amour pour eux sera très
possessif et exclusif, car il est incapable de partager quoi que ce soit.
Les rencontres individuelles ont sûrement représenté une ouverture vers la thérapie et
un signal de confiance à l’égard du thérapeute, mais la voie pour transformer la haine
et la rancune en confiance et en respect réciproques sera très longue et complexe.

Toujours dans la phase initiale de la thérapie, il peut arriver que le partenaire


le moins motivé, ou qui semble sceptique sur l’utilité d’une thérapie de couple,
désire une rencontre individuelle pour comprendre de quoi il s’agit, ou bien qu’il
soit sollicité par le thérapeute lui-même pour une séance individuelle. Dans ce
cas aussi, l’objectif du thérapeute sera de gagner la confiance du partenaire résis-
tant, en évitant d’entrer dans les thématiques brûlantes du couple et en se mon-
trant curieux des aspects plus purement individuels de cette personne.
Enfin, comme nous le savons bien, la demande d’une thérapie de couple
n’est pas toujours formulée de façon conjointe. La requête peut en fait résulter
d’une ou plusieurs rencontres individuelles avec un patient qui va mal, et qui
amène son mal-être ou sa dépression en séance. À l’intérieur de ces rencontres,
on pourra suggérer le chemin d’une thérapie de couple, dans la mesure où les
deux partenaires sont ensuite disposés à l’entreprendre.

Au cours du processus thérapeutique


L’éventualité de rencontres individuelles dans le cours plus avancé du proces-
sus thérapeutique peut être encore plus significative. L’expérience clinique et
une relative flexibilité pour considérer en positif n’importe quelle dérogation
aux règles du setting nous ont amenés à accepter n’importe quelle proposition
de l’un ou de l’autre partenaire, de manière sereine, y compris dans les situa-
tions où nous pourrions avoir le sentiment d’être manipulés.

CAS CLINIQUE
L’institutrice et le gros bébé

Un cas emblématique et unique en son genre est celui d’un couple où Sara a toujours
joué le rôle de l’institutrice, et Roberto, celui de gros bébé. Dans le cours de la thérapie,
face à une situation d’impasse, et en tout cas d’une difficulté de l’homme à changer,
nous assistons par trois fois consécutives à la venue de Roberto sans Sara. Bien que
nous éprouvions des doutes sur l’utilité de consentir à ces rencontres individuelles,
nous les avons finalement acceptées, et nous avons continué la thérapie de couple

148 Comment aider les couples en crise ?


comme si tous les deux étaient présents. Quand une question était posée à Sara, le
mari devait répondre pour elle. Le même discours prévalait aussi pour ce qui concernait
le plan affectif avec Roberto, lequel devait se mettre dans la peau de Sara et répondre
à ce sujet. Dans le follow-up à distance réalisé avec le couple, tous les deux confirmeront
que le virage de la thérapie eut vraiment lieu à la suite de ces rencontres : « Je n’aurais
jamais pensé qu’il aurait eu le courage de venir en séance sans moi ! » dira Sara, pendant
que Roberto confirmera le tout en disant : « Venir seul a été un défi pour moi-même,
et pour ma tendance naturelle à rester en arrière. De plus, pour la première fois, j’ai
senti que je pouvais m’identifier aux sentiments de Sara en son absence. »

D’autres fois, la rencontre individuelle est demandée pour réfléchir sur une
situation d’impasse et sur le risque concret d’une séparation conjugale.

CAS CLINIQUE
Le thérapeute ingénieur

Durant une thérapie de couple, émerge la difficulté de Liz, de culture anglo-saxonne,


de continuer à vivre avec Tony, non pas tant pour leurs incompréhensions et leurs
critiques réciproques, que pour les intrusions pesantes de la famille d’origine du mari
dans leur vie familiale. En particulier, Liz ne supporte pas que son mari doive révérer
et se soumettre au bon vouloir de sa vieille mère Concetta, qui prétend, selon une
antique tradition italienne, accentuée après la migration de la famille en Australie, que
tous les dimanches sa famille se retrouve chez elle pour déguster le dîner, véritable
acte liturgique, auquel tous doivent participer. S’y ajoute le fait que Liz a le sentiment
de ne jamais avoir été acceptée dans le clan familial de son mari, justement pour sa
différence culturelle. Face à tout cela, Liz, qui à l’inverse a grandi dans un climat familial
où chacun est libre de suivre sa propre voie, risque de faire exploser la bombe de la
séparation, bien qu’elle déclare son amour et son lien profond à Tony. Ce dernier affronte
en thérapie la nécessité de construire une frontière entre sa famille d’origine et sa nou-
velle famille ; mais il a des difficultés à faire le pas définitif, par peur de blesser sa mère
et de transgresser le mythe de l’unité qui dure depuis trois générations.
C’est à ce point que Tony demande une rencontre individuelle, pour réfléchir sur une
situation de couple toujours plus critique, en ajoutant que peut-être le thérapeute
aurait pu mieux le comprendre, en tant qu’Italien. Le thérapeute s’assure que Liz est
d’accord, et rencontre Tony.
Tony est ingénieur en génie civil, et le thérapeute l’invite à parler avec lui, qui est un
profane en la matière, en se faisant raconter comment on procède dans la construction
d’une maison, à partir des fondations, et en poursuivant par le plan des différents étages,
et des pièces à chaque étage. Tony, intrigué par le thème, commence par montrer au
tableau un schéma simple de son travail. Une fois le schéma complété, le thérapeute
invite Tony à appliquer la même procédure d’ingénieur à sa maison (qu’il a par ailleurs
construite lui-même), à celle de sa mère et à celles de ses frères et sœurs, eux aussi
coincés avec leurs familles dans le mythe de Maman Concetta. En particulier, le théra-
peute s’attarde sur les frontières à tracer, pour qu’il soit clair que la maison de sa famille

Les séances individuelles dans la thérapie de couple 149


(lui, Liz et leurs deux fils adolescents) ne soit pas confondue avec les autres. Il l’invite à
réfléchir sur le véritable défi qui l’attend, à savoir choisir de se considérer comme un
adulte, et donc cela aurait un sens d’avoir construit sa maison, ou bien de rester enfant
à la maison avec maman, auquel cas Liz pourra élever leurs enfants toute seule et se
trouver une nouvelle maison. Le jeu des maisons, dans son apparente simplicité, a dû
produire un effet de choc chez Tony, qui se présente à la rencontre suivante avec Liz,
encore incrédule de ce qui est arrivé. Le dimanche suivant, face à sa mère sidérée, Tony
lui a annoncé qu’il décidait de ne plus participer désormais que sporadiquement aux
dîners de famille, parce qu’il a compris que sa priorité est maintenant d’établir des
frontières solides pour sa famille, qui autrement risque de se briser. À ce point, la thé-
rapie pourra finalement revenir vers le couple.

Dans la partie finale de la thérapie et dans le follow-up


Dans cette phase de la thérapie, des rencontres individuelles peuvent être pro-
grammées pour renforcer des changements personnels particulièrement signifi-
catifs, parfois consécutifs à des séances très intenses avec leur famille d’origine,
ou bien pour se préparer à une séparation conjugale inévitable, mais dénuée
d’animosité ou de ressentiment. Voyons-en un exemple.

CAS CLINIQUE
Mes larmes libres

Au cours d’une thérapie de couple, les enfants adultes de Vittorio sont invités en séance
en qualité de consultants. Leur présence permet à leur père d’affronter un nœud du couple
encore très complexe, relatif à la mort par cancer, après une longue maladie, de sa première
femme, dont le fantôme hante encore les murs de la maison. Et pourtant, plus de quinze
ans ont passé depuis que Vittorio et Adélaïde se sont mis ensemble. Malgré leur lien
profond, remplacer une épouse et une mère exceptionnelle n’a pas été facile, et souvent
aussi les conflits s’activent au sujet de ce tiers encore difficile à maintenir éloigné.
Les enfants permettront le virage, même si Vittorio ne voulait même pas les faire par-
ticiper, craignant que ne se rouvrent des blessures profondes pour eux. À sa grande
surprise, non seulement ses enfants ont été en mesure d’affronter les thèmes de la
perte du passé, mais ils ont été très doués pour libérer leur père de ce cauchemar, ce
qui, par voie de conséquence, a permis au couple une plus grande sérénité.
À la suite de la rencontre avec ses enfants, Vittorio demande une séance individuelle,
parce qu’il veut réfléchir encore sur la signification profonde de cette rencontre. Au cours
de la séance, Vittorio, qui avait toujours montré beaucoup de réticence à faire sortir ses
émotions les plus profondes, réussit à éclater dans des pleurs libérateurs longtemps
retenus, et à entrer en contact avec la partie la plus fragile et vitale de lui-même. Peut-
être la présence d’un thérapeute homme et d’un contexte duel a-t-elle permis à Vittorio
de réfléchir sur soi, sans rester coincé, comme toujours, dans un travail de médiation
entre les deux femmes de sa vie.

150 Comment aider les couples en crise ?


Les séances individuelles comme moment final d’une thérapie de couple
qui se conclut par une séparation sans animosité ni revendications particulières
sont différentes. Dans ce cas, les rencontres individuelles sont déjà une manière
concrète de scinder l’unité du couple et de s’apprêter à affronter les nouveaux
défis de la vie tout seuls, certes avec la conscience que les ex-conjoints devront
tout de même faire équipe comme parents. Toutefois, il s’agit de passages très
délicats, où chaque partenaire se sent plus fragile, et la présence accueillante
du thérapeute, qui a été témoin et participant de leur processus de séparation,
est très rassurante. De plus, le thérapeute peut déjà se déclarer disponible pour
organiser des rencontres ultérieures avec l’un ou l’autre partenaire à l’avenir,
pour le soutenir dans une phase difficile de changement.
Dans nos recherches sur le follow-up à distance dans la thérapie de couple,
(Andolfi, Angelo, D’Atena, 2001), nous avons souvent joint individuelle-
ment chaque membre du couple par e-mail ou par téléphone, en demandant
aux deux de nous raconter ce dont ils se souvenaient en particulier de la thé-
rapie entreprise par eux, de nous décrire les moments les plus saillants des
rencontres, y compris leurs changements individuels et de couple. Dans l’éva-
luation à distance, on accorde donc à nouveau une attention particulière aux
dynamiques relationnelles du couple ainsi qu’aux transformations plus pure-
ment individuelles. Nous nous permettons alors de conclure encore une fois
par une provocation en affirmant que la thérapie de couple est la forme la plus
efficace de thérapie individuelle.

Les séances individuelles dans la thérapie de couple 151


CHAPITRE 11
La dimension
horizontale du couple

Nous voudrions maintenant illustrer une autre partie de notre travail, non
moins importante, celle qui est menée sur la dimension horizontale du couple,
et qui est focalisée sur la relation à deux. C’est un travail qui se développe tout
au long du processus thérapeutique, dans ses différentes phases, et dont le set-
ting est constitué uniquement du thérapeute et du couple.
En imaginant à nouveau avoir entre les mains le Rubik’s cube, la position
des deux individus sur la face du Nous est le point de référence constant du
thérapeute pour évaluer la force interne du couple, cette énergie positive qui
lui permet de rester solide face aux différentes sollicitations auxquelles il est
exposé durant son cycle de vie, et de nourrir affectivement les partenaires, en
en promouvant la croissance.
Comme nous l’avons vu, dans le travail intergénérationnel, qui se passe
dans la dimension verticale du couple, le thérapeute pourra aider les parte-
naires à se repositionner, à l’intérieur de ces distances rigides qui remontent
à une époque qui les voyaient bloqués dans des rôles ou des fonctions inadé-
quats au moment évolutif présent. Le travail thérapeutique sur la dimension
horizontale, tout aussi important, sera en revanche focalisé sur les capacités
autonomes du couple de se nourrir lui-même, pour se fortifier et croître en
s’appuyant sur la force du Nous.

La force intérieure du couple


Dans les couples en crise, la force du Nous est généralement très affaiblie,
laissant prévaloir chez les deux partenaires des sentiments de solitude, ren-
forcée par des attentes idéalisées et par un abandon de l’espoir sur un plan
réaliste. Celui des couples que nous rencontrons est souvent un Nous

La dimension horizontale du couple 153


que nous pourrions qualifier d’effiloché : s’il n’a pas définitivement expiré,
il est toutefois agonisant, ou en tout cas souffrant ; et il a avant tout besoin
d’être aidé pour rester en vie. Avec des modalités plus ou moins explicites,
les deux membres du couple cherchent par tous les moyens à s’allier au thé-
rapeute, dans une relation duelle, pour sortir de l’impasse personnelle. Nous
avons vu comment, depuis la demande d’aide, chaque partenaire procède à
différentes tentatives, conscientes ou inconscientes, pour faire en sorte que
le thérapeute l’encourage, lui ou elle, dans la partie qu’il ou elle est en train
de jouer contre l’autre. Cet aspect en particulier, mais pas seulement, nous
a poussés à expérimenter chaque fois que cela est possible une innovation,
introduite par nous en 2004 dans le service de psychothérapie de couple de
l’académie : celle de suivre tous les couples en cothérapie mixte, c’est-à-dire
en présence de deux thérapeutes de sexe différent. Nous avons appris très tôt
que proposer un Nous thérapeutique au service du Nous de couple produit un
ensemble d’avantages non négligeables.
Tout d’abord, dans ce type de setting1, c’est au Nous d’avoir une fonction
thérapeutique, et non pas à l’individu (Whitaker, 1984). Les deux thérapeutes
ensemble, depuis la phase initiale de la thérapie, peuvent offrir au couple un
modèle de relation entre adultes en bonne alliance, parce qu’ils s’échangent
leurs sensations devant le couple. Ils sont libres de partager ouvertement leurs
sentiments, y compris ceux d’inutilité ou de désespoir, ou leur peur de l’échec.
Cette façon de faire équipe peut produire de l’angoisse chez le couple, mais en
même temps elle l’aide à se fier à la force commune des thérapeutes.
En second lieu, la cothérapie introduit le doute et la possibilité, car on ne
peut pas prévoir avec certitude les réponses émotionnelles du cothérapeute
dans le moment présent, ni davantage ses interventions dans l’instant suivant.
Le Nous thérapeutique peut donc être entendu comme le contenant des ten-
sions dérivant de cette incertitude, le point de référence des deux thérapeutes
à partir duquel se différencier en tant qu’individus. Le Nous thérapeutique, en
ce sens, offre un modèle de relation directe de couple. Et en même temps, c’est
une opportunité pour les thérapeutes de croître en tant que personnes : si le
thérapeute grandit, le couple aussi peut se développer. Dans le couple théra-
peutique, le Nous se construit dans le temps ; mais à la différence de celui des
couples conjugaux, il ne naît pas de l’attraction physique ni de la recherche de
l’intimité. Il est fondamental, toutefois, qu’il soit caractérisé par un sentiment
de complicité, de confidentialité et de confiance, incarnant une métaphore
pour le couple des patients, afin que la visibilité du Nous cothérapeutique
devienne un modèle pour leur Nous.
Enfin, le Nous entre deux cothérapeutes de sexe différent contient en soi les
deux fonctions parentales : la paternelle, qui a la fonction de défier et de pro-
voquer en thérapie, et la maternelle, qui a celle de protéger et de tranquilliser.
1. Setting : cadre ou modalités de déroulement d’une séance, N.d.T.

154 Comment aider les couples en crise ?


Ces caractéristiques représentent un instrument relationnel efficace dans le
contexte thérapeutique : la différence de genre peut être jouée par les théra-
peutes dans un travail d’équipe, dans les interventions de déconstruction et de
contenance, comme dans une partie de double mixte au tennis, dans laquelle si
l’une se risque au filet, l’autre reste au fond du court, ou vice versa, en fonction
du type de relation homme-femme expérimentée par chacun des partenaires
durant son processus de développement, et à l’intérieur de la relation de couple
actuelle.
Toutefois, indépendamment du setting utilisé, le travail avec le couple
dans sa dimension horizontale a comme objectif principal de réactiver dans
la relation cette saine dépendance (Andolfi, Mascellani, 2010), qui est poten-
tiellement en mesure de relancer le développement individuel des partenaires.
Comme nous l’avons déjà affirmé à plusieurs reprises, nous considérons aussi
la relation de couple, en tant que lien affectif, comme une relation potentiel-
lement évolutive d’un point de vue individuel. C’est un travail continu, qui se
développe durant tout le processus thérapeutique, qui voit le thérapeute (ou le
couple de thérapeutes) se placer comme tiers vis-à-vis de la relation de couple,
et qui se développe sur divers fronts.

Rétablir le respect
Avant tout, on devra s’occuper d’accueillir et de contenir la frustration qui
résulte de la quotidienneté d’une relation dysfonctionnelle, laissant émer-
ger en séance les sensations que chaque partenaire éprouve face au compor-
tement de l’autre, en en amplifiant la portée et en soutenant les deux pour
qu’ils s’écoutent plus, au travers d’un tiers. La capacité du thérapeute de ne pas
prendre parti pour l’un ou l’autre sera indispensable dans ces circonstances, afin
qu’il soit perçu par le couple comme un médiateur et un interprète, capable de
l’aider à faire émerger en séance des états émotionnels et de donner du sens
aux demandes implicites. L’accueil des vécus de chacun des deux, en présence
du partenaire, leur confère implicitement une dignité d’écoute ; et ce faisant,
le thérapeute pourra favoriser la restauration du respect, un des présupposés
fondamentaux de n’importe quel type de bonne relation. Plus le thérapeute
veillera au maintien d’un contexte basé sur l’écoute respectueuse à l’intérieur
des séances, plus le couple aura la possibilité de sentir que le respect est utile,
et donc qu’il est souhaitable de le rétablir en dehors. La première conséquence
naturelle sera une diminution du conflit, et une augmentation de la curiosité
entre les partenaires qui a, comme nous le savons bien, pratiquement disparu
dans les couples hautement conflictuels, laissant le champ libre au blâme.
Particulièrement dans un setting de cothérapie formé par deux thérapeutes de
sexe différent, ce que nous venons de décrire peut se réaliser encore plus facile-
ment peut-être : ce dispositif offrira aux partenaires la possibilité de se refléter
dans le couple thérapeutique, à l’intérieur duquel les deux personnes mettront

La dimension horizontale du couple 155


en œuvre un modèle relationnel capable d’accueillir et d’affronter les diver-
gences d’opinions dans le respect l’un de l’autre. Notre expérience commune
de cothérapie de couple nous a beaucoup appris en la matière.

Augmenter la confiance
La relation thérapeutique, qui se fonde sur la confiance, introduit dans le
contexte thérapeutique la possibilité pour les partenaires d’expérimenter
ensemble la confiance. Comme nous le savons, cette dernière est, à l’égal
du respect, un autre élément fondamental de la relation de couple. Ce sera
au thérapeute de faire en sorte que la confiance que les membres du couple
répandent dans la relation thérapeutique puisse s’étendre à l’intérieur de
leur relation : en réalisant des tâches à la maison ou en exécutant des pres-
criptions comportementales spécifiques, les partenaires seront accompagnés
dans la tentative timide d’augmenter les possibilités de se fier l’un à l’autre,
par le biais d’exercices d’apprentissage des capacités réelles du couple et de
déconstruction des préjugés désormais consolidés. La capacité des partenaires
de répondre de façon satisfaisante sera un premier petit pas sur le bon chemin,
lequel devra conduire à la reconstruction de la confiance relationnelle dans le
couple. Parfois, c’est une route hérissée d’obstacles, car totalement inconnue.
Cependant, ces petites perceptions qui donnent la sensation d’être apprécié et
accepté par l’autre pour ce que l’on est, produisent un sentiment de gratitude
et de complicité, ouvrant la porte de l’intimité, véritable force motrice de la
relation sentimentale.

CAS CLINIQUE
Le compte courant percé

Martine est une jeune travailleuse indépendante qui aime beaucoup se faire plaisir en
faisant du shopping chaque fois qu’elle est payée pour son travail. Elle se fiche pas mal
des dépenses qu’elle fait, souvent excessives, mais elle n’est pas au courant de l’évolution
de son compte bancaire. C’est Damien, son mari, qui tient la comptabilité du foyer et qui
gère les deux comptes courants du couple, le sien et celui au nom de Martine, parce
que, selon ses dires, elle ne serait pas en mesure de le faire. L’argent, et surtout la façon
dont il est dépensé, est souvent un motif de litige : elle, elle sent sa liberté personnelle
minée par celui qui établit un hypercontrôle, et lui, il craint quotidiennement pour la
stabilité économique de la famille, étant donné qu’il doit souvent transférer de l’argent
de son compte sur celui de son épouse, en soudaine chute libre. Leur couple est haute-
ment conflictuel. Ils se disputent sur presque tout, et leur relation ressemble beaucoup
à celle qu’il pourrait y avoir entre une adolescente transgressive et un père intègre, piégés
dans deux positions antagonistes, dans lesquelles l’un ne se fie pas à l’autre, et vice versa.
Déjà dans les premières séances, l’argument de l’argent fera irruption et sera très problé-
matique. Les thérapeutes proposeront ce qui semblait la solution la plus évidente, mais
à laquelle le couple n’avait jamais pensé : que Martine s’occupe directement de la gestion

156 Comment aider les couples en crise ?


de son propre compte courant, en autonomie aussi par rapport aux éventuels passifs. Et
éventuellement, s’il arrive de nouveau que son compte soit dans le rouge, elle devra
demander à son mari un prêt, qui devra être dûment remboursé à une date convenue.
À cette prescription, les thérapeutes en ajouteront une autre, peut-être encore plus impor-
tante : que le couple ouvre un troisième compte, sur lequel tous les deux verseront
mensuellement un montant établi pour pourvoir aux dépenses de la maison.
Dans la poursuite de la thérapie, ces prescriptions simples, acceptées et suivies par le
couple, se révéleront très utiles pour diminuer la conflictualité quotidienne, mais surtout
pour rouvrir cette porte qui semblait n’avoir jamais été ouverte par les deux : celle de la
confiance réciproque, dans laquelle chacun pourra et devra penser à soi-même et simul-
tanément à l’autre, vers une complémentarité non plus basée sur la compensation, mais
sur la réciprocité.

Redécouvrir l’intimité
Pendant longtemps, on a discuté sur le fait que les thérapeutes familiaux trai-
taient peu ou aucunement les aspects sexuels dans la relation conjugale. Il faut
admettre que leur travail avec les familles a souvent contribué à maintenir ces
aspects en dehors du setting, étant donné la présence constante des enfants en
séance. En revanche, quand un thérapeute familial travaille avec le couple,
la sexualité est un thème important et à ne pas sous-estimer, ne serait-ce que
parce que, comme cela a déjà été amplement décrit, c’est le miroir de la rela-
tion (Schnarch, 1997) et le dialogue préféré de l’intimité de couple. Dans notre
travail sur la dimension horizontale du couple, l’intimité et la sexualité sont
l’objet de prescriptions données dès le début de la thérapie. Proposer aux par-
tenaires de s’organiser pour augmenter les occasions de rencontre à deux et de
restaurer la dimension ludique dans le quotidien, en demandant par exemple
à chacun de faire quelque chose qui surprenne l’autre, permet de réactiver les
prodromes de la relation, ces sentiments initiaux qui les firent se choisir alors.
D’un point de vue structural, le couple est ainsi aidé à retracer les lignes de
frontière qui le distinguent de tout ce qui est en dehors de l’espace du Nous :
la dimension totalement privée, qui renferme en son sein la vraie puissance et
la vitalité du couple, est revigorée de cette façon, devenant plus résistante aux
chocs et une propulsion vers le développement.

CAS CLINIQUE
La fête magique

Caroline et Cédric sont mariés depuis moins de trois ans et ont un enfant de 2 ans. Ils
sont en train de penser sérieusement à se séparer, toutefois ils acceptent le conseil
d’une amie de Caroline d’essayer de faire une thérapie de couple. Ils viennent d’une autre
ville et mettent trois heures pour rejoindre notre centre en train. Dans la première

La dimension horizontale du couple 157


séance, il apparaît clairement combien désormais les deux se méprisent : elle parle de
lui comme de quelqu’un qui ne l’a jamais réellement épousée ; et lui dit d’elle qu’elle
l’a coincé en tombant enceinte sans son consentement. Les deux conjoints n’ont plus
de rapports sexuels depuis la naissance du bébé, et bien que les approches de Cédric
aient lieu occasionnellement, le refus de Caroline maintient l’intimité congelée. La situa-
tion paraît plutôt grave, toutefois, la sensation des thérapeutes est que tout n’est pas
perdu : s’ils sont disposés à faire trois heures de train pour venir chez nous, peut-être
y a-t-il encore de l’espoir !
La thérapie commencera en utilisant tout de suite des métaphores footballistiques
proposées par les thérapeutes : « Vous ressemblez au PSG et à l’OM en Ligue 1, armés
l’un contre l’autre, et chacun avec sa propre famille de supporters derrière ! » L’enfant,
convoqué dans les premières séances, nous aidera énormément à observer combien
il est aimé par ses deux parents, qui sont en fait très capables de prendre soin de lui.
On travaillera sur la dimension intergénérationnelle, en partageant les présupposés à
la base du pacte d’alliance. Et la relation thérapeutique se consolidera toujours plus sur
l’évidente nécessité désormais que les deux « équipes de foot » vendent leurs meilleurs
joueurs pour former une troisième équipe : la leur. Pour ce faire, il sera toutefois néces-
saire que les joueurs essaient de s’entraîner sur un nouveau terrain et avec de nouveaux
supporters. C’est ainsi que sera proposé au couple de saisir une occasion arrivée par
hasard : un ami de Cédric les a invités à une fête, dans un pays limitrophe, où ils ne
connaissent personne. « De cette façon, vous pourrez jouer sur un tout nouveau terrain,
et avec de nouveaux supporters ! » affirmeront les thérapeutes.
Cela peut sembler incroyable, mais cette prescription aura un effet magique. Les deux
conjoints, timidement, accepteront de laisser leur enfant aux grands-parents et de par-
ticiper à la fête. Après un embarras initial, et avec quelques verres, le contexte étranger
les fera se rapprocher, et ils commenceront à danser, pour décider ensuite de passer
la nuit à l’hôtel.
Lors la séance suivante, le climat sera complètement différent, et, peu de temps après,
la thérapie se terminera. À l’occasion de la rencontre de follow-up, survenue environ
un an plus tard, Caroline et Cédric se souviendront justement de cette fête comme un
des plus beaux moments de la thérapie.

La dimension profonde de la souffrance


Si la phase intermédiaire de la thérapie s’est concentrée sur la dimension inter-
générationnelle du couple, avec la participation active en qualité de consul-
tants des enfants, des familles d’origine et jusqu’à inclure d’autres témoins
privilégiés de la vie de chaque conjoint et du couple lui-même, la phase de
conclusion voit le travail thérapeutique se concentrer de nouveau sur la
dimension horizontale du couple, en favorisant la croissance individuelle de
chaque partenaire.
L’expression souffrir pour ne pas souffrir, inventée par Silvia Soccorsi il y a
de nombreuses années (Soccorsi, Lombardi, Paglia, 1987), décrit parfaitement

158 Comment aider les couples en crise ?


les situations pénibles dans lesquelles les personnes préfèrent rester parfois
pendant des années, voire pour toute la vie, plutôt que d’affronter cette dou-
leur plus profonde qui est à l’origine de leurs difficultés. Souvent, les patients
s’attendent à ce que le thérapeute soigne leur symptôme, correspondant aux
difficultés de couple qu’ils rencontrent actuellement, plutôt que de prendre
conscience et de modifier les distorsions de base qui ont influencé la construc-
tion de la personnalité et les modalités relationnelles de chacun. Ils sont tel-
lement ancrés à cette douleur profonde que, pour eux, c’est une souffrance
connue qu’ils ont peur de laisser partir, parce que, au moins, ils réussissent
à la contrôler ; alors que ce qui est en dehors reste un vide, qu’ils ne savent
pas comment gérer et qui leur fait peur. C’est la raison pour laquelle tant de
couples préfèrent rester mal ensemble pendant des années, entre disputes et
conflits, dans la peur secrète que la séparation corresponde à la perte totale de
leurs points de repère existentiels.
Les rencontres qui ont juste eu lieu avec les figures les plus importantes de
leur vie ont permis aux partenaires de revoir leur histoire avec des lunettes diffé-
rentes, en l’enrichissant de points de vue, ou en en bouleversant complètement
les significations. Tout cela a ouvert un nouvel espace à la compréhension du
sens des évènements, au pardon et à l’acceptation d’un passé désormais révolu.
Les récriminations, les accusations adressées depuis toujours aux membres de
leurs familles ou les intimidations intergénérationnelles, tout en représentant
une sorte de contenance, n’ont plus de raison d’être et peuvent rapidement se
dissoudre. Cette nouvelle conscience de soi amène en pratique à une rupture
de la symbiose du couple, et laisse les deux individus dans une sorte de nudité
psychologique et d’équilibre précaire. Au moment où l’on commence à se sen-
tir ainsi, la souffrance la plus aiguë commence une transformation ; et les deux
personnes peuvent abandonner leurs vieilles modalités relationnelles pour
contacter cette douleur ancienne, faite de peurs, d’abandons, d’invisibilité, qui
a trait à leur histoire de développement, quand l’autre partenaire n’existait pas
encore (Roustang, 2004).
Aider le couple à entrer en contact avec cette dimension plus profonde de
la souffrance amène à une nouvelle phase, de dépression individuelle, qui, si
elle réussit à être partagée, pourra permettre de construire un Nous de couple
libéré des aspects réciproquement protecteurs et indifférenciés. Le couple
pourra ainsi expérimenter une relation adulte, fondée sur le partage et sur la
réciprocité.
La tâche du thérapeute à ce moment de la thérapie est d’aider et de sou-
tenir les deux partenaires pour qu’ils contactent chacun leurs propres vides
personnels. La tristesse jusqu’à aujourd’hui enfouie sous la colère, le sentiment
de perte ou d’échec, une fois partagés avec l’autre dans un contexte protec-
teur, pourront finalement être élaborés et acceptés comme une partie de leur
passé. Le couple pourra désormais diriger son regard sur un présent différent,

La dimension horizontale du couple 159


qui vise à la construction d’un nouveau pacte intime, basé sur une vision plus
réaliste de la relation, finalement caractérisée par une mutualité authentique
et adulte, reposant sur la confiance, le respect et l’intimité. Chacun sera en
mesure de redécouvrir sa propre subjectivité et de communiquer avec l’autre
au moyen de Je ressens… plutôt que Tu me fais ressentir…

CAS CLINIQUE
La colère a disparu !

Mariés depuis plus de cinq ans, Tania et David demandent une thérapie de couple,
parce que leur relation est en train de dégénérer. Ils se disputent beaucoup pour la
moindre question, et tous les deux commencent à penser à la séparation. Ils n’ont pas
encore d’enfant, parce qu’ils ne sauraient pas comment s’organiser avec le travail. Lui est
un jeune manager plutôt intelligent, très apprécié dans son entreprise, en particulier
par ses proches employés, pour être une personne attentive et compréhensive à leur
égard. David, à son retour le soir, voudrait trouver de la légèreté et de la disponibilité
pour sortir et s’amuser avec son épouse. Cette dernière, en revanche, est toujours très
fatiguée, parce qu’elle a le sentiment de ne jamais pouvoir se décentrer du travail, dès
lors qu’à son bureau elle a différents ennemis qui, « jaloux de ses résultats », se débar-
rasseraient d’elle très volontiers.
Des histoires de vie des deux partenaires, nous apprendrons que David, dernier-né
de trois garçons, perdit sa mère d’un infarctus quand il avait environ 7 ans, et ses
frères s’occupèrent de lui, étant donné que leur père se remaria peu de temps après
et partit de la maison. Depuis toujours reconnaissant envers ses frères, David a grandi
en ayant le sentiment de devoir les rassurer sur lui-même, sur combien il allait bien,
reléguant sa douleur personnelle liée à la perte dans un grenier dont il a jeté la clé.
La tâche de représenter son génogramme à la maison, pour le revoir ensemble en
séance, aura déjà un premier effet déstabilisant sur le sourire enjoué constamment
gravé sur le visage de David, qui se retrouvera face à un graphique plein de deuils :
en plus de celui de sa mère, il en indiquera beaucoup d’autres, tous de parents jeunes.
Sa solitude d’enfant, avec la douleur profonde qui l’accompagnait, pourra finalement
être nommée. Mais si la mort est invincible, la solitude peut se modifier, en changeant
la direction à sa vie. Les frères de David seront des témoins précieux en thérapie, en
enrichissant leur triste histoire de nouveaux détails et en donnant la possibilité à la
fratrie entière de se retrouver dans le partage d’une douleur profonde, enfouie pen-
dant de nombreuses années, et de la colère jamais exprimée d’avoir été abandonnés
à eux-mêmes par leur père. Les larmes sur le visage de David pourront finalement
couler, le libérant de cette prison dorée dans laquelle il a toujours eu le sentiment
de devoir vivre.
L’histoire de Tania est en revanche complètement différente : première fille d’une
femme carriériste et d’un père violent, elle a grandi en combattant pour obtenir
justice à la maison, où les femmes comptaient peu ou pas. Les querelles furieuses
avec son père, qui dégénéraient souvent en violence physique, étaient le pain quo-
tidien de son adolescence, durant laquelle Tania commença une anorexie grave, qu’elle
n’a pas encore complètement surmontée aujourd’hui. Le conflit de couple entre ses
parents, totalement caché, ne s’est jamais résolu jusqu’à la mort de son père. Tania

160 Comment aider les couples en crise ?


racontera qu’après cette perte, le rapport avec sa mère a encore plus dégénéré. Même
si avant, elle ne s’était jamais sentie aimée par cette dernière, après la mort de son
père, elle l’a vue s’occuper toujours plus, et seulement, de sa sœur cadette, fille dépen-
dante et en manque. « Moi, je suis celle qui doit comprendre, celle qui peut renoncer,
parce que ma sœur est plus fragile. Ce n’est pas juste ! » affirmera-t-elle, découragée,
au cours des premières séances. La séance avec ce qu’il reste de sa famille sera fon-
damentale dans le dépassement du « syndrome d’indemnisation », qui afflige Tania
depuis toujours. En leur présence, elle pourra finalement exprimer, en hurlant, en
pleurant et en récriminant, toute sa colère pour avoir été une fille invisible, pour
n’avoir jamais été défendue par sa mère des raclées de son père. L’autre vérité ne
servira à rien, celle de sa mère Ivana, qui lui reprochera d’avoir toujours été colérique
à son encontre sans raison. C’est l’histoire de l’enfance de cette femme, et surtout le
récit de sa peur comme épouse et comme mère, qui amènera les deux femmes à
pouvoir se rapprocher. L’inaffectivité d’Ivana, sa distance, est la carapace qu’elle a dû
revêtir pour se nier elle-même et pour cacher à ses filles sa terreur face à la violence
imprévisible de son mari, malade psychiatrique. Elle se rendra compte seulement
alors avoir demandé silencieusement à sa fille aînée de prendre soin de toute la
famille, et elle s’en voudra, reconnaissant d’un autre côté que « Tania était la seule
qui savait combattre ».
À la séance suivante, Tania arrivera très différente. Elle racontera être sortie bouleversée
de la rencontre avec sa famille et s’être sentie endolorie pendant plusieurs jours. Mais
elle rapportera aussi avoir ensuite perçu des sensations inhabituelles et avoir réfléchi
au fait que c’était la première fois que sa mère et sa sœur faisaient quelque chose pour
elle, en lui démontrant de l’amour. De plus, elle nous dira que, après cette séance, sa
mère est restée quelques jours chez elle, repoussant son retour à son domicile pour
être près d’elle, faisant finalement la maman. Nous rapportons ci-après quelques
répliques éclairantes du dialogue thérapeutique :
THÉRAPEUTE : Et comment allez-vous aujourd’hui ?
TANIA : Je ne sais pas, mais je veux dire une chose… il y a quelques jours, il m’est
arrivé un incident désagréable au bureau, qui auparavant m’aurait fait enra-
ger ; et je me suis étonnée parce que… je ne me suis pas mise en colère ! Je
me suis vraiment surprise, et je me suis demandé où je l’avais mise. La colère
a disparu ! Ensuite… peut-être que, maintenant, il y a de la tristesse.
Dans les séances suivantes, le couple se présentera en thérapie avec une organisation
différente, souffrant mais en même temps plus calme et réfléchi par rapport à une
nouvelle réalité, peut-être depuis toujours ressentie, mais jamais perçue aussi clairement.
Les partenaires commenceront à regarder l’autre et eux-mêmes avec de nouvelles
lunettes : si, jusqu’à hier, elle dénigrait chez David son comportement défaitiste, frivole
et superficiel, et si elle dévalorisait son besoin excessif de se distraire dans son temps
libre, dans cette phase de la thérapie, Tania pourra finalement lire ces traits chez son
mari comme le résultat d’une noble intention, celle de protéger sa famille et lui-même
de l’angoisse de mort. D’un autre côté, aux yeux de David, les manières combatives et
colériques de Tania, perçues auparavant comme destructrices de chacune de ses ten-
tatives de maintenir un climat serein, prendront aujourd’hui une tout autre signification,
lui faisant entrevoir en elle cette tendre vulnérabilité d’un Don Quichotte
désespéré.

La dimension horizontale du couple 161


C’est vraiment le partage de ces moments profondément intimes qui per-
mettra la compassion réciproque dans une nouvelle dimension à deux, où les
compétences thérapeutiques naturelles du couple verront les partenaires s’ar-
rêter dans un silence respectueux de leur propre douleur et de celle de l’autre,
exprimées jusqu’à hier de façon réactive justement dans la relation de couple.
L’acceptation du passé, grâce au pardon pour elle et grâce à l’espoir retrouvé
de ne plus devoir s’anesthésier pour lui, ouvrira la voie aux mouvements de
rééquilibrage interne de chacun, qui nécessiteront sans doute du temps, mais
qu’il n’y aura plus besoin désormais de fuir.

162 Comment aider les couples en crise ?


CHAPITRE 12
La conclusion de la thérapie

Les temps de la thérapie


Le facteur temps de chaque thérapie est strictement relatif à l’évolution de
la relation thérapeutique : pour que le travail porte ses fruits, la synchronisa-
tion entre les temps du couple et ceux du thérapeute est fondamentale. Si en
revanche leurs temps sont déconnectés, un décrochage plus ou moins préma-
turé sera pratiquement inévitable. En substance, le temps thérapeutique suit le
rythme de la relation thérapeutique et son évolution naturelle.
Il est important de trouver un équilibre entre les exigences de contenance
du couple, en proie à la force disruptive de ses problèmes, et la nécessité d’éviter
un renforcement du statisme découlant de séances trop rapprochées. Ainsi, les
séances ont lieu tous les quinze jours dans la phase initiale, pour ensuite deve-
nir mensuelles dans la phase suivante, quand le couple commence à faire des
expériences de façon plus autonome, et avec l’acquisition de nouvelles compé-
tences relationnelles. L’intervalle entre les séances reflète l’entière philosophie
de la thérapie, qui vise à favoriser une reconstruction historique des évène-
ments familiaux, à mettre en lumière la transmission intergénérationnelle de
mythes, de processus d’immaturité, de coupures émotionnelles, etc. dont les
vrais protagonistes sont les générations et les témoins privilégiés, qui de temps
en temps seront convoqués en séance. Mais le vrai travail thérapeutique,
parfois guidé par les prescriptions, se fait à la maison ; alors qu’en séance, se
mettent au point ces plans de travail qui donnent un caractère opérationnel à
la recherche de nouveaux aménagements relationnels et à des transformations
personnelles profondes. Il est étonnant de constater combien il est normali-
sant et moteur d’introduire un projet thérapeutique dans lequel le couple peut
se sentir tout de suite protagoniste et poussé à rechercher ses propres lignes
de compréhension d’un problème donné et ses propres directives de change-
ment. En nous déplaçant d’un modèle de thérapie réparatrice, caractérisé par

La conclusion de la thérapie 163


une simple modification comportementale, vers une perspective de dévelop-
pement et de croissance personnelle et de couple, il est indispensable que le
temps thérapeutique entre dans le temps évolutif du couple, et non pas l’in-
verse (Andolfi, Angelo, D’Atena, 2001).

Quand finit une thérapie ?


La phase de conclusion de la thérapie de couple, qui s’ouvre avec la phase
dépressive partagée, nous amène à nous interroger sur les critères auxquels
nous nous fions pour considérer l’expérience thérapeutique comme conclue.
Qu’entend-on par conclusion, quand l’objectif principal de notre intervention
est d’aider les couples à se reprendre à vivre sereinement, en dépassant les blo-
cages à l’origine de la crise ?
Avec le jeu de mots d’une affirmation désormais historique : « La thé-
rapie finit quand elle commence ! » (Andolfi, Angelo, 1987), nous voulons
soutenir que les temps de réalisation d’un processus transformatif, que ce
soit de type individuel, familial ou encore de couple, sont toujours beaucoup
plus longs que ce qui est perceptible ou prévisible à l’intérieur du processus
thérapeutique. De notre expérience clinique, nous avons appris que ce qui
permet réellement de changer est ce qui se produit en dehors des relations
de dépendance, fussent-elles profondément significatives comme la relation
thérapeutique. En ce sens, la mission de la thérapie sera mieux définie comme
étant d’enclencher des processus transformatifs, plutôt que de réaliser des chan-
gements comportementaux accomplis. Et de tels processus transformatifs, une
fois engagés aux côtés du thérapeute, continueront à se développer à l’avenir,
indépendamment de la persistance de la relation thérapeutique. C’est vrai-
ment le sentiment de non-achèvement de la thérapie et de suspension de la
relation thérapeutique qui permettra au couple de se réapproprier son temps
évolutif et son histoire. Cette conscience des temps du changement n’est qua-
siment jamais présente au moment de la proposition de la part du thérapeute
de mettre fin aux rencontres. Toutefois, fixer un terme à la thérapie est cette
provocation nécessaire qui permet de pousser le couple à se réapproprier la
capacité de gérer ses propres affaires de façon autonome. C’est le vrai dernier
acte thérapeutique.
Naturellement, la manière avec laquelle est acceptée la clôture est stric-
tement liée à la capacité des deux membres du couple de trouver une direc-
tion pour eux-mêmes et pour leur avenir. Nous avons vu comment, dans notre
modèle d’intervention avec le couple, la thérapie équivalait à un voyage entre-
pris par la totalité des personnes impliquées, sans en connaître la destination
réelle, surtout après que les motifs à la base de la demande d’aide se sont modi-
fiés durant la thérapie, grâce à l’acquisition de nouvelles prises de conscience,
plus intimes et plus personnelles, de la part de chacun des deux individus.

164 Comment aider les couples en crise ?


La reconstruction du Nous de couple
À propos des issues possibles de la thérapie, l’évolution la plus souhaitable de
la relation de couple est celle qui peut être définie comme la reconstruction du
Nous de couple. Dans ce cas, les partenaires découvrent une nouvelle façon
d’être ensemble, en décidant de « s’épouser de nouveau » sur la base d’une
reconnaissance de l’autre comme une personne entière, avec ses besoins et ses
attentes. Nous sommes en présence d’une capacité renouvelée d’être curieux
de l’autre et de jouer ensemble. La capacité de jouer, la moquerie bienveillante
envers l’autre et surtout l’autodérision sont de très bons signes de bien-être
dans la vie de couple. Comme nous le savons bien, le langage non verbal,
celui du corps et de l’espace, représente un indicateur utile de la qualité des
relations entre les personnes ; et il fournit souvent, bien plus que les mots, des
informations qui permettent au thérapeute de saisir les liens et les dynamiques
relationnelles les plus proches de la réalité émotionnelle vécue par chaque
partenaire. Le contact physique et la proximité deviennent, en ce sens, des
indicateurs relationnels d’un bien-être. Toutefois, même dans ces cas où le
thérapeute note déjà des améliorations dans la relation durant la phase finale
de la thérapie, améliorations par ailleurs partagées avec le couple qui en pre-
mier en atteste la présence, sa proposition de mettre un terme à la thérapie
n’est quasiment jamais indolore : la peur d’une régression existe, quoiqu’à des
degrés différents chez chaque partenaire.

CAS CLINIQUE
Le mythe de la peur

Françoise et Xavier se sont adressés à nous en raison de la crise qu’ils traversent déjà
depuis quelques années et probablement commencée après la naissance de leur
second fils. Stéphane et Mathieu, de 8 et 5 ans, ont complètement bouleversé leur
routine, imposant des rythmes difficilement conciliables avec les engagements profes-
sionnels pressants des deux partenaires. Leur vie est devenue seulement un ensemble
d’obligations à accomplir du matin au soir, et le couple n’a pas réussi à préserver un
temps minimum pour lui-même. Même la sexualité en a souffert : « Je peux seulement
dire que nous avons des rapports sexuels, mais nous ne faisons plus l’amour ! » affirme
Françoise d’un air sombre durant les premières rencontres. En outre, Xavier passe de
plus en plus souvent ses soirées en compagnie de son ordinateur, et Françoise craint
une probable infidélité.
Le couple s’en remettra complètement à la thérapie, demande effectuée par les deux
partenaires pour se faire aider à retrouver ce climat du passé, dans lequel ils réussissaient
également à jouer. Le premier objectif des thérapeutes sera d’aller chercher quelle signi-
fication ont vraiment eue les obligations dans les deux familles d’origine du couple.
À partir du travail d’environ une année accompli avec eux, de nombreuses prises de
conscience seront obtenues, par exemple comment, depuis enfants, tous les deux ont

La conclusion de la thérapie 165


dû remplir des fonctions protectrices dans leurs familles respectives, en tant que dépo-
sitaires uniques de secrets jamais révélés. Lui fut le témoin du suicide d’une tante,
mystérieusement tombée d’une fenêtre, et elle, de l’infidélité de son père avec sa secré-
taire, quand à l’âge de 4 ans elle entra soudainement dans son bureau pour le saluer.
Deux enfants apeurés par quelque chose qui les dépasse, dont ils n’ont jamais pu parler
avec personne, dans la crainte de rompre le silence de leurs propres parents, perçus
depuis toujours comme extrêmement fragiles. Dans cette thérapie, la contribution des
familles d’origine pour retracer les histoires familiales sera extrêmement efficace, parce
que porteuse de nouvelles lectures d’une ancienne réalité. Le père de Xavier parlera
de sa propre enfance avec émotion, conscient d’avoir grandi dans la peur, dans une
famille qui n’a pas pu le protéger. Il affirmera que sa peur d’aujourd’hui est peut-être
seulement celle de ne pas avoir été à son tour un bon père, ayant implicitement
demandé à son fils de le protéger de toute forme de tension. La mère de Françoise, à
son tour, parlera de sa séparation d’avec son mari, certainement subie mais dans le
même temps acceptée, et de sa peur que ses enfants aient trop renoncé à une relation
authentique avec leur père. Et tout cela dans un climat de confidence ouverte, souriant
des paradoxes de la vie : ceux de se retrouver inconsciemment à parcourir ce chemin
qu’on voulait justement éviter.
La convocation des familles représentera un tournant décisif et très important de la
thérapie, ôtant des poids anciens des épaules des partenaires, qui se retrouveront
immédiatement plus légers et plus proches, libres d’établir un contrat différent pour
consacrer une nouvelle relation.
Le soutien thérapeutique sera suffisant dans la phase finale de la thérapie, en accom-
pagnant les partenaires dans la rencontre avec leur peur d’aujourd’hui : celle de se
laisser aller sans cette protection mieux connue d’eux, constituée par les lests qui pen-
dant des années les avaient empêchés de décoller, mais qui leur donnaient leur subs-
tance. Le nouvel équilibre, quoique précaire, est déjà à l’horizon ; et le couple acceptera,
tout en ayant peur, la proposition des thérapeutes de commencer à se remettre sur
pied, en se donnant la possibilité d’évaluer la réelle efficacité de sa musculature.

CAS CLINIQUE
Elle est encore entre nous, malgré tout !

Reprenons le cas de Pierre et Jenny décrit dans le quatrième chapitre, dans lequel
l’infidélité prolongée de Pierre durant des années, dès sa découverte par Jenny, a jeté
le couple dans une crise profonde et douloureuse. Comme nous l’avons déjà amplement
décrit précédemment, la crise de couple qui éclate à la suite d’une infidélité est une
des plus dangereuses, que ce soit par la blessure narcissique extrêmement douloureuse
pour le partenaire trahi ou par la rupture du pacte d’alliance en entier : la confiance,
qui en sort extrêmement mal en point, apparaît dans ces cas inexorablement
irrécupérable.
Le thérapeute attentif aura dédié tout le temps et l’espace nécessaires à la douleur et
à la culpabilité, ces sentiments prévalents, pour pouvoir en élaborer toutes les facettes,

166 Comment aider les couples en crise ?


véritables protagonistes de la réalité actuelle du couple. Aller trop vite sur les significa-
tions communicationnelles de la trahison à l’intérieur de la relation n’aidera pas le
partenaire trahi à se sentir dûment reconnu, entravant sa disponibilité pour s’impliquer.
Comme un deuil, la douleur de la trahison devra être tout d’abord élaborée pour être
enfin acceptée. Peu importe que le partenaire infidèle admette ses fautes et demande
pardon. C’est l’image d’elle-même qui laisse Jenny consternée : elle, qui dans l’équité
relationnelle avait investi toutes les énergies émotionnelles de sa vie, ne réussit pas à
trouver une place différente à côté de lui. Elle ne peut pas comprendre comment cela
a pu lui arriver justement à elle qui, avec son style typique loyal et réservé, avait donné
sa pleine confiance au comportement correct de Pierre, qui n’aurait jamais dû lui faire
du mal. Leur ménage était, selon ses dires, tranquille, extrêmement prévisible, les règles
partagées de bon voisinage y régissaient la relation. À certains moments de la thérapie,
des exclamations comme « Ça aurait été mieux de ne pas le savoir ! » révéleront combien
il aurait été plus facile pour Jenny de garder la tête dans le sable comme les autruches,
plutôt que d’écouter une demande de changement, fût-elle très mal présentée. La théra-
peute, profitant de ce qu’elle est une femme, l’accueillera souvent en s’arrêtant dans
son silence désolé, légitimant la douleur qui le remplissait, et laissant Pierre à lui-même,
le priant de s’occuper pendant ce temps de sa culpabilité.
D’un autre côté, c’est Jenny qui a eu la plus grande difficulté à faire confiance à la
thérapie : seulement une pleine reconnaissance de ses arguments pouvait faire en sorte
qu’elle accepte le déplacement de l’attention de l’infidélité pour avancer dans une
recherche de sens acceptable de ce qui était arrivé, à replacer à l’intérieur de la relation.
Séance après séance, réévoquant l’histoire évolutive des partenaires, ce sens prendra
toujours plus de corps : les éléments implicites à partir desquels était né le pacte intime
du couple seront partagés et acceptés, bien qu’avec quelques difficultés. La tendance
des deux à rationaliser les évènements, en évitant de se laisser aller aux émotions qui
les sous-tendent, confirmait toutefois qu’en thérapie aussi, ils cherchaient surtout à
maintenir un climat socialement acceptable. La faible confiance en eux-mêmes pour
pouvoir s’autolégitimer comme êtres humains imparfaits reportait le tout sur un plan
intellectuel, où les émotions négatives étaient rapidement recomposées par tous les
deux. La thérapie prendra toujours plus la forme d’une danse, à l’intérieur de laquelle
la thérapeute ratera parfois délibérément quelques pas, en en riant. Par ailleurs, l’humour
et la légèreté étaient totalement absents de la vie de ce couple depuis le début de
leur relation.
Des définitions métaphoriques, telles que la « maîtresse d’école » et l’« élève garne-
ment », entreront ironiquement dans le langage thérapeutique, laissant dans ce jeu
relationnel l’alliance thérapeutique se renforcer toujours plus, jusqu’à faire accepter au
couple, bien que péniblement, d’amener en séance leurs familles d’origine. C’est dans
ces séances qu’apparaîtra clairement à tous les présents comment, dans leur position
d’enfants, le « sang-froid relationnel », craintif pour lui et silencieusement pédant pour
elle, avait depuis toujours joué une fonction protectrice pour les deux équilibres fami-
liaux. Il y aura deux séances émotionnellement fortes, lors desquelles autant Pierre que
Jenny pourront vérifier combien leur contribution d’enfants parentifiés a été utile dans
des périodes déterminées de la vie familiale, et totalement inutile dans d’autres. Ils pour-
ront aussi vérifier, surtout aujourd’hui, que leurs familles n’ont plus besoin de tout cela,
mais qu’elles sont désireuses d’une proximité plus authentique, parce que justement
leur sang-froid représente aujourd’hui le symptôme d’un besoin de distance, pour ne pas

La conclusion de la thérapie 167


donner libre cours à la colère sous-jacente de ne pas s’être sentis visibles ou reconnus.
C’est une colère qui finalement pourra devenir explicite, et en même temps comprise
par les parents et par les frères et sœurs présents, qui trouveront la façon de s’excuser
de ne pas avoir compris. La mère de Jenny se rappellera les moments difficiles de sa
fille bébé, face à cette même Jenny qui en restera surprise, alors que la mère de Pierre
admettra avoir implicitement demandé à son fils de l’aider à prendre soin de son mari,
émotionnellement beaucoup plus fragile qu’elle.
Après ces séances, le couple apparaîtra très différent, plus uni et capable de se parler,
bien qu’avec beaucoup de prudence. On fera ensemble le point sur la situation : Pierre
a saisi l’origine de ses erreurs, comprenant qu’il devra chercher la légèreté à la maison,
et non en dehors, en s’activant pour la promouvoir ; mais surtout, il affirmera aimer sa
femme et vouloir vivre avec elle, même s’ils n’auront très probablement jamais d’enfant.
Depuis quelque temps, ils ont adopté un chien, qui a amené de l’affection et de la
bonne humeur à la maison. Jenny, bien qu’elle admette que les choses entre eux vont
bien mieux que jamais et que la sexualité est redevenue celle du début de leur relation,
c’est-à-dire de nombreuses années avant l’infidélité, est encore susceptible de hauts et
de bas, et ne réussit pas à se détacher du besoin de contrôler continuellement le profil
Facebook de l’ex-maîtresse de son mari. Elle a encore la sensation de ne pas connaître
toute la vérité, et de temps en temps, elle retombe dans son rôle de maîtresse d’école,
avec des effets castrateurs et humiliants pour lui.
C’est à ce moment que la thérapeute lancera la provocation comme ultime acte thé-
rapeutique : « Nous avons fait tout ce que nous pouvions ! Vous-mêmes, vous admettez
que la relation que vous avez aujourd’hui est bien meilleure qu’elle ne l’avait jamais
été. Vous pourriez archiver le passé, en brûlant toutes les pièces justificatives que vous
avez conservées. Mais parfois, tout cela ne suffit pas : vous devez peut-être vous quitter
pour comprendre vraiment ce que vous êtes disposés à perdre ! Je ne vous donne pas
d’autre rendez-vous. Appelez-moi, vous, si vous le voulez ! »
Pierre et Jenny rappelleront la thérapeute après un peu moins d’un mois, pour fixer ce
qu’ils définissent eux-mêmes comme le dernier rendez-vous, en lui disant déjà au télé-
phone que les choses ont pris un tournant décisif après cette séance, et qu’ils vont
maintenant définitivement beaucoup mieux. Dans cette dernière rencontre, ils racon-
teront s’être séparés le soir même, mais seulement pendant deux heures, à la suite
desquelles ils ont eu finalement une furieuse dispute, lors de laquelle ils ont sorti toute
leur colère, se faisant du mal sans plus aucune retenue, pour ensuite se pardonner et
se retrouver comme jamais auparavant.

La séparation consensuelle
Une seconde issue possible de la thérapie de couple est la séparation consensuelle,
en nous référant évidemment au niveau psychologique et non pas juridique.
Ce sont ces situations dans lesquelles la conscience partagée de l’impossibi-
lité de rester ensemble met les partenaires dans les conditions de pouvoir se
réapproprier chacun ces parties de soi investies dans la relation, en mettant
un terme au rapport intime tout en maintenant vivante et efficace la relation

168 Comment aider les couples en crise ?


parentale. En réalité, cela représente un des plus grands paradoxes évolutifs : se
séparer sur un niveau et rester ensemble sur un autre est une tâche très difficile,
parce qu’elle demande aux conjoints de distinguer les deux domaines, sans uti-
liser les enfants comme une arme contre l’autre. C’est une tâche qui peut être
accomplie efficacement seulement si a eu lieu une acceptation profonde de
l’inéluctabilité de la séparation de la part des deux. Il faut dire que les enfants
eux-mêmes ne renoncent pas facilement à la tentation de faire se réunir les
deux parents, et ils s’activent comme ils peuvent afin d’éviter la séparation.
Nous devons admettre qu’à ce jour, nous savons encore très peu de choses sur
ce que veut dire, pour un enfant, la fracture parentale ; et certainement chaque
thérapeute, en tant qu’être humain, voit dans la recomposition du conflit la
meilleure issue de son travail. Mais sa vraie mission professionnelle est de
faire émerger la réalité émotionnelle du lien de couple qu’il a en face de lui.
Et quand la dimension du Nous s’avère extrêmement dépourvue de ces éner-
gies nécessaires pour se revitaliser dans la réciprocité conjugale, il peut être
plus utile pour la santé de la famille entière que les personnes puissent se sentir
libres de reconstruire quelque chose pour elles-mêmes, en garantissant dans le
même temps l’engagement à se reconnaître dans le lien parental. Une bonne
séparation, en ce sens, peut être considérée comme un objectif thérapeutique
réalisé. Nous verrons mieux par la suite comment, à l’origine de beaucoup de
problèmes psychologiques, surtout des enfants, il y a des fractures conjugales
irrésolues.

CAS CLINIQUE
Les jeux sont faits !

Joan, quadragénaire étrangère, arrivée en France pour oublier la douleur de la fin de


son mariage précédent, et Pierre-Louis, originaire d’un petit village français et installé
à Paris, où il a fondé un cabinet comptable connu, se rencontrent durant une excursion
en bateau et se marient quelques mois plus tard. Presque immédiatement, Joan décide
d’essayer d’avoir un enfant par procréation médicalement assistée. Pierre-Louis la sou-
tient volontiers ; et à la troisième tentative, naît finalement Matt. Deux ans plus tard,
un second bébé, George, vient par les mêmes moyens compléter le projet commun
du couple. Pendant de nombreuses années, Joan se consacre exclusivement à ses
enfants, qu’elle suit soigneusement dans leurs activités scolaires et sportives, pendant
que Pierre-Louis passe tout son temps au travail.
Quand les enfants arrivent à l’adolescence, Joan demande une thérapie individuelle,
pour un profond mal-être qu’elle soutient avoir toujours eu. C’est une très belle femme,
ex-mannequin de haute couture, mais qui a le sentiment de n’avoir jamais été désirée
par son mari. Leur sexualité très tiède, presque absente, a depuis toujours caractérisé
la relation conjugale. « Je suis belle, j’ai une position sociale excellente, une très belle
famille, mais je suis très mal ! » affirme-t-elle durant le premier contact avec la théra-
peute, qui lui propose immédiatement de faire une thérapie de couple, à laquelle
Pierre-Louis accepte d’être présent, se pliant aussi aux suggestions de la thérapeute.

La conclusion de la thérapie 169


C’est justement l’attitude de cet homme, de ne jamais savoir dire non et de ne pas
pouvoir se définir individuellement, qui intriguera beaucoup la thérapeute, laquelle
jouera dès les premiers moments précisément sur de telles caractéristiques pour
construire une relation avec lui. Depuis toujours, ce sont des comportements récurrents
dans sa vie, et qui aujourd’hui commencent à lui coûter un peu trop.
La thérapie de couple démarrera, et nous travaillerons ensemble pendant environ une
année, découvrant que le pacte intime entre les partenaires était né quasiment exclu-
sivement du besoin partagé de faire famille : elle, pour réparer sa douleur d’enfant, à
la suite des divorces répétés survenus dans la vie de ses parents ; et lui, pour occulter
vingt ans de relation homosexuelle avec son associé. Un pacte intime qui, s’il a certai-
nement fonctionné alors, ne pourra être relancé d’aucune manière, ayant rempli sa
mission, et aujourd’hui que les enfants devenus adolescents sont en passe de laisser
le champ libre au couple.
La douleur énorme de ces deux personnes quand elles ont reconnu s’être automutilées
pendant trop longtemps sera le point central de tout le travail thérapeutique, qui
conduira à une réelle séparation concertée et sereine : si, déjà avant, ils étaient deux
parents attentifs et responsables, aujourd’hui, ils pourront peut-être aussi être deux
personnes heureuses. Et un parent qui s’occupe de son propre bonheur pèsera beau-
coup moins sur les épaules de ses enfants.

La séparation déséquilibrée
Une issue encore différente de la thérapie de couple est celle qui voit la
thérapie se terminer par une séparation déséquilibrée. C’est ce que le théra-
peute ne voudrait jamais voir arriver, parce que c’est une issue préjudi-
ciable, autant pour les adultes que pour les enfants. Il peut arriver que,
pour un des deux partenaires, sa conscience de vouloir se séparer augmente,
alors que l’autre ne se sépare pas, reste seul, vivant une situation d’abandon
et ne réussissant pas à accepter que le Nous de couple n’existe plus. Un des
deux clôt la relation, pendant que l’autre ne renonce pas à l’idée de rester
ensemble. En réalité, il se peut que la plus grande peur de ce dernier ne soit
pas celle de laisser partir le couple, mais plutôt celle de rester seul. Dans
de telles situations, les enfants sont à risque, surtout parce qu’il est très
difficile de construire un Nous parental suffisamment bon sur un insuccès
total du Nous de couple. C’est un parcours qui, sur le plan de la thérapie de
couple, peut probablement être considéré comme un échec, même si sur
un plan personnel, un des deux peut en avoir tiré profit pour sa croissance.
Toutefois, comme le montrent certaines recherches sur l’évaluation de la
thérapie (Andolfi, Angelo, D’Atena, 2001), même des expériences théra-
peutiques que nous définissons comme des insuccès, peuvent engager des
processus transformatifs, que les personnes récupèrent et utilisent même
très longtemps après la fin de la thérapie.

170 Comment aider les couples en crise ?


L’évaluation à distance
Le paradoxe la thérapie finit quand elle commence est celui de la situation dans
laquelle le couple n’a plus besoin d’un médiateur, d’un arbitre, et ramène chez
lui ses propres questions. Les changements, même s’ils sont survenus sur des
temps courts, nécessiteront un autre temps pour qu’ils puissent se consolider ;
mais, ce processus ultérieur peut être rendu à la capacité du couple de conti-
nuer en autonomie. La thérapie peut se dire conclue quand le couple, à travers
l’expérience thérapeutique, a appris et fait sienne une méthode de résolution
des difficultés, qui lui permet non seulement de se sentir compétent à l’égard
de ses problématiques actuelles, mais aussi d’être en mesure d’affronter les nou-
velles crises évolutives qui pourront se présenter à l’avenir, ayant découvert
une nouvelle clé de lecture pour donner une signification aux évènements de
la vie.
Un autre aspect pour lequel la thérapie de couple ne finit pas le dernier
jour de la thérapie concerne la relation thérapeutique. Si d’un côté, dans les
premières rencontres, durant la construction de l’alliance, il est important que
l’attention du thérapeute soit tournée vers la recherche et la valorisation de
ces éléments qui tendent à faire en sorte que les personnes se réapproprient
des ressources utiles à leur croissance, d’un autre côté, on doit considérer la
conclusion de la thérapie comme un processus qui demande un temps qui per-
mette au couple et au thérapeute de transformer leur relation dans une dimen-
sion plus égalitaire.
Conformément à ce qui a été affirmé, durant la dernière séance de thérapie,
on pourra proposer une rencontre de courte durée à distance : « Nous nous
reverrons dans six mois ; ainsi, il y a un temps suffisamment long pour que se
déroule quelque chose que vous pourrez venir me raconter ! » De cette façon,
il est possible au thérapeute d’envoyer un message de confiance sur l’intervalle
de temps dans lequel les partenaires « travailleront seuls », et dans le même
temps, un autre message d’intérêt authentique à leur égard, en proposant de les
revoir et en les rassurant vis-à-vis d’un sentiment d’abandon. Le rendez-vous de
follow-up devient ainsi une occasion qui permettra d’évaluer comment, et si, le
couple a appris à utiliser les changements survenus. Laisser un fil de connexion
est extrêmement rassurant pour le couple, et utile aussi pour le thérapeute,
afin que demeure une pensée suspendue sur le sens ultime du travail accompli
ensemble. C’est comme s’il s’agissait d’une rencontre conçue pour consolider
les changements déjà survenus en thérapie, qui prend souvent la signification
d’un rituel qui consacre les passages importants de la vie, favorisant une défi-
nition plus claire.
Le thème de l’évaluation à distance de la fin de la thérapie est un des aspects
les moins présents et les plus controversés dans les réflexions et dans les pra-
tiques du monde psychothérapique. Cela semblerait mettre en lumière une sorte

La conclusion de la thérapie 171


de résistance, imputable probablement à un ensemble de préjugés relatifs à la
relation avec les patients. Tout d’abord, en appelant les familles ou les couples
à distance, on pourrait se rendre compte qu’ils vont plus mal que quand nous
les avons laissés ; et cela pourrait remettre en cause notre compétence profes-
sionnelle. En second lieu, une certaine résistance à reprendre contact pour-
rait être due à la peur que notre appel risque de réactiver des demandes d’aide
ultérieures, ou au contraire, constituer l’occasion pour les patients de critiquer
ce que nous avons fait avec eux. Le préjugé que, toutefois, nous considérons
comme le plus important dans le choix de ne pas rappeler les patients à dis-
tance de la fin de la thérapie, concerne une certaine manière de concevoir le
rôle professionnel, qui ne prévoit pas la curiosité de nous informer sur la vie de
nos patients, une fois conclue une thérapie. Notre conviction sera désormais
claire pour le lecteur que si un thérapeute n’est pas en mesure d’amener tout
son être à l’intérieur de son travail, c’est-à-dire s’il utilise son professionnalisme
comme un costume qui cache et qui protège, il ne rend pas un bon service ni
aux patients qu’il rencontre, ni à lui-même. Cette attitude ne concerne pas
seulement la façon d’être avec eux en thérapie, mais aussi la manière de nous
informer sur leurs processus de développement à distance de temps.
Malheureusement, trop souvent, les recherches sur les issues se basent sur
la vérification d’une quantité d’hypothèses de travail, construites sur un bureau
ou dans les universités, par nous les professionnels, sur nos patients. C’est
comme si la compétence vis-à-vis de l’évaluation du travail thérapeutique
résidait seulement chez le thérapeute, et regardait exclusivement son monde
professionnel, et non pas aussi les usagers comme part active de ce processus.
Soutenus par une importante recherche sur l’évaluation à distance de la thé-
rapie, conduite auprès de l’académie de psychothérapie de la famille, et rappor-
tée dans le livre La thérapie racontée par les familles (Andolfi, Angelo, D’Atena,
2001), nous prévoyons depuis toujours dans notre pratique clinique des séances
d’évaluation, à effectuer entre trois et cinq ans après la fin de la thérapie, lors
desquelles nous revoyons nos anciens patients, en nous posant comme des
observateurs, et en nous faisant raconter par eux comment se déroule leur vie,
ce dont ils se souviennent de la thérapie, si et comment elle leur a été utile, en
substance ce qu’ils en ont fait. Pour le thérapeute, ce sont des séances extrême-
ment importantes, parce qu’elles lui permettent d’évaluer le coping system de
couple, la modalité avec laquelle le couple affronte aujourd’hui ses difficultés,
les stratégies organisationnelles en sa possession, non seulement par rapport
aux problèmes pour lesquels les partenaires sont venus en thérapie, mais aussi
à propos des étapes évolutives ultérieures et des vicissitudes existentielles nou-
velles après la fin de l’expérience thérapeutique, par exemple l’éventuelle perte
des parents ou le départ de la maison des enfants. Pour le thérapeute, de telles
rencontres sont une occasion extraordinaire pour vérifier l’efficacité de son
travail de vive voix, par ceux qui, avec lui, ont vécu cette expérience, et de
laquelle ils peuvent avoir tiré plus ou moins de bénéfices.

172 Comment aider les couples en crise ?


Ces rendez-vous à longue distance sont souvent des séances impliquant
considérablement ses participants, un peu comme des rencontres entre vieux
amis qui ont partagé des moments émotionnels de grande intensité, dans les-
quels les couples se rappellent les temps les plus saillants et les plus transfor-
mateurs de l’expérience thérapeutique. Il semble de plus que ces séances, bien
qu’elles aient lieu à distance de quelques années, aient elles aussi une valence
thérapeutique : les couples, acceptant volontiers d’y participer, se donnent
l’occasion de partager avec le thérapeute les changements réalisés en auto-
nomie, après la fin de la thérapie. De cette façon, ils peuvent régler leur dette
de reconnaissance, et dans le même temps ils se réapproprient définitivement
tout le travail fait ensemble, en retirant l’étiquette de patients, et en bouclant
la boucle. Enfin, ils sont heureux de nous rapporter leurs changements, comme
une forme de restitution sociale, en pensant que leur expérience, une fois
communiquée, pourra aussi être utile à d’autres couples qui font une demande
d’aide.

CAS CLINIQUE
Ne les mettons plus au milieu !

Le couple formé par Alexandre et Simone a demandé une thérapie il y a de nombreuses


années, quand leurs enfants étaient petits, pour des conflits continus qui ont débuté
dès les premières années de mariage. Alexandre était épuisé par les ingérences
constantes de sa belle-mère dans sa vie de couple, et, s’il avait pu, il aurait volontiers
arrêté de la fréquenter. Pour Simone, au fond, le problème était différent seulement en
apparence : elle ne s’était jamais sentie acceptée comme épouse d’Alexandre par la
famille de ce dernier, particulièrement par sa mère qui montrait, selon elle, très peu
d’intérêt pour ses petits-enfants aussi.
La métaphore du « chantier » pour définir leur maison fut introduite par les thérapeutes
dès la première séance, pour mettre en lumière le manque total de frontières de ce
couple par rapport aux générations précédentes : dans leur maison, c’était comme si
les portes et les volets aux fenêtres n’avaient encore jamais été installés, et quiconque
pouvait entrer y faire la pluie ou le beau temps !
La thérapie se déroula sur une période d’une année et demie environ, avec de bons
résultats. Les partenaires réussirent à délier ces liens personnels qui avaient jusqu’alors
empêché la construction de leur espace intime et complice de couple, et ils étaient
prêts à repartir sur des bases complètement différentes. Lors la dernière séance, nous
nous sommes quittés avec la prescription de la part des thérapeutes de planter un
jeune citronnier dans le jardin, symbole du couple naissant, avec le vœu qu’il produise
beaucoup de fruits dans les années à venir.
Environ trois ans après la fin de la thérapie, le couple acceptera notre proposition de nous
revoir pour une séance de follow-up à distance. Ce sera une rencontre plaisante, dans
laquelle les deux partenaires nous rapporteront généreusement leurs réflexions, réutilisant
les slogans et les métaphores, comme si tout ce temps n’avait pas passé depuis nos
rencontres. Ci-après, nous rapportons un bref extrait de la séance, plutôt significatif.

La conclusion de la thérapie 173


THÉRAPEUTE : Comment ça va entre vous ?
ALEXANDRE : Bien ! Chacun fait face à ses propres ascendants ! Moi, j’y ai réfléchi… je suis
venu ici avec un problème, le problème n’existe plus, donc je vais bien ! En
ce qui me concerne, c’est résolu !
THÉRAPEUTE : Si, aujourd’hui, nous devions faire le résumé de ces trois années après la
thérapie, que nous diriez-vous ?
ALEXANDRE : Je crois que la chose fondamentale est, pour moi et pour nous, de ne pas
nous être lancés à culpabiliser les belles-mères ni d’autres personnes, mais
d’avoir laissé chacun de nous gérer la relation avec ses propres ascendants,
en cherchant le soutien à l’intérieur du couple dans les moments de difficul-
tés, sans mettre au milieu l’autre personne.
SIMONE : Je sens que j’ai beaucoup plus de complicité avec Alexandre, plus de soutien,
et un peu moins de peur de… il me vient à l’esprit ma mère, mais ce n’est
pas exactement ça… Cela me fait très plaisir que, maintenant, ce soit un
fait qui me regarde, qu’il me soutienne, et qu’il ne se sente pas le besoin de
se mettre au milieu de la relation entre ma mère et moi ! Et dans le même
temps, je ne me sens plus lâchée par sa mère, moins oppressée par la pré-
sence des familles d’origine. Il y a des personnes qui me créent encore des
problèmes, mais je ne les mets plus au milieu. Du moins, il me semble que
nous ne le faisons plus. Donc, je me sens plus sereine.
THÉRAPEUTE [s’adressant à Simone] : Selon vous, qu’est-ce qui a changé au-dessus, qui
a permis de changer quelque chose ici ?
SIMONE : Mais, j’y ai beaucoup pensé, aussi parce que des choses se sont passées
récemment. Je crois être plus réaliste à l’égard de ma mère. Je me suis rendu
compte que, quand lui me rabaissait beaucoup, moi, de ce fait, j’idéalisais
ma mère. En revanche, du fait que lui soit reparti à sa place, moi je peux la
voir comme elle est ; et pour moi, c’est beaucoup plus simple d’entrer dans
une relation authentique, qui n’est pas nécessairement une relation positive ;
elle est ce qu’elle est !

CAS CLINIQUE
Le passé est passé !

Paul et Sara ont demandé une thérapie pour se faire aider à comprendre s’ils voulaient
vraiment se marier, bien qu’ils aient déjà deux enfants de 7 et 2 ans. La peur de s’engager,
malgré le fort sentiment qui les liait, maintenait particulièrement Paul dans une position
de doute et d’attente que quelque chose change magiquement entre eux. Sara, de son
côté, s’adaptait aux doutes de Paul comme si elle s’était habituée au fait de ne jamais
se sentir vue comme fille à l’intérieur de sa famille, écrasée qu’elle était par les attentes
que toutes les figures significatives de sa vie avaient depuis toujours placées en elle.
La thérapie dura environ une année et se termina par une issue positive. Voyons ci-après
ce que le couple choisira de raconter de l’expérience thérapeutique, un peu plus de
deux ans après la dernière rencontre.

174 Comment aider les couples en crise ?


THÉRAPEUTE : Selon vous, y a-t-il eu des moments particulièrement significatifs dans notre
voyage ensemble ?
PAUL : Pour moi, ça a sûrement été la journée où il y a eu toute la… toute la crèche !
Pour tant de choses… La disposition comme une photographie. Quel
moment fort ! Parce que des choses dures ont jailli ! Mon père… Ma mère,
qui semblait être là et à l’inverse ne pas être là… Ma sœur Fabienne, le
malheur incarné, l’autre qui hochait la tête. Ça a été un moment dur. Sans
la thérapie, je ne m’en serais sûrement pas sorti. Avec Francesca [sa plus jeune
sœur], je ne suis plus jamais entré dans le détail de la chose, parce qu’elle
n’arrive pas à revenir sur le thème de façon explicite.
THÉRAPEUTE : En vous, tout cela a travaillé beaucoup, à l’intérieur de vous…
PAUL : Et ça travaille encore !
THÉRAPEUTE : Donc, ensuite, vous vous êtes autorisé à reprendre vos relations avec votre
sœur, sans retourner demander l’indemnisation de « colonie de vacances »,
je me permets d’utiliser une dernière fois cette métaphore, en revenant sur
ce qui n’avait pas été dans le passé pour demander une sorte de paiement
impossible ?
PAUL : Oui, je suis d’accord. La « colonie de vacances » a fonctionné dans la direction
souhaitée : je ne lui ai plus fait payer cette note, c’est vrai.
THÉRAPEUTE : Et pour vous, Sara ?
SARA : Pour moi, la rencontre avec sa famille [à lui] m’a permis de le voir sous un
autre jour. Son comportement demandeur et compétitif avec moi m’avait
toujours mise très en colère ; mais ensuite, ici, je me suis rendu compte que
ça ne me concernait pas moi, mais ses rapports avec cette famille, où entre
les frères et sœurs se déroulait une guerre à la place de quelqu’un d’autre.
Là, Paul m’a beaucoup attendrie. Et ensuite, évidemment, les rencontres avec
les miens, en particulier celle avec mon père. D’abord, j’avais très peur ; je
pensais que, s’il avait refusé de venir, cela aurait été plus facile pour moi. À
l’inverse, lui, durant la séance, il a beaucoup fondu ; je pense que la rencontre
lui a fait du bien.
THÉRAPEUTE : Pourquoi ?
SARA : Je ne sais pas. Ça nous a sûrement fait du bien à tous les deux, parce que
j’ai découvert ici certaines choses.
THÉRAPEUTE : Du genre ?
SARA : Par exemple, qui était la mère de Véronique [sa demi-sœur, fille de son père],
qui ne voulait pas qu’il me voie, qui l’éloignait de moi. Je ne le savais pas. Le
soir même de la séance, quand je suis rentrée, je me suis jetée sur mon lit,
épuisée ; j’avais la sensation de ne plus avoir de force. Je me souviens que,
la nuit précédente, je n’avais pas réussi à dormir ; je sentais le poids de mes
40 ans sur le dos ; je sentais pleinement l’angoisse et la tension que j’avais
quand nous sommes arrivés ici… Et puis, je me suis dit : « Mais qu’est-ce que
je dois encore savoir ? Le passé est passé ! C’est inutile de continuer à rumi-
ner ! » On peut se dire qu’inconsciemment, j’avais décidé d’aller de l’avant.
Un peu comme si j’avais mis un point final. Je ne me souciais plus de
connaître le passé ; moi, je n’y étais pas ! Ce sera toujours sa version, la version

La conclusion de la thérapie 175


de ma grand-mère, la version de ma mère… Et ensuite, quand ma mère a
voulu savoir de moi si la mère de Véronique était là aussi, je lui ai répondu
que, dans la relation entre Véronique et moi, il n’y avait ni elle ni la mère de
ma sœur. C’était la première fois que je lui parlais comme ça !
THÉRAPEUTE : Et comment a réagi votre mère ?
SARA : Bien. Elle n’a pas mal réagi. Peut-être que c’était juste moi… peut-être aussi
le fait que désormais, je réussissais à répondre ainsi à ma mère était un
indicateur… je ne sais pas… mais le passé n’avait plus de sens, je voulais
aller de l’avant, et c’est tout. Mais la chose la plus belle est que, dans les jours
suivants, j’ai finalement pu dire à mon père : « Écoute papa, si nous nous
marions, tu me conduiras à l’autel ? » Il a ri, comme s’il ne s’attendait pas à
cette demande.
THÉRAPEUTE : Pourquoi est-ce que ça a été la chose la plus belle ?
SARA : C’est que moi, jusqu’à cette séance, pour ne pas faire souffrir ma mère, je
n’avais jamais pu demander à mon père de me conduire à l’autel. Et après,
à l’inverse, je l’ai fait, et beaucoup plus facilement que je ne l’aurais jamais
cru ! Moi, je voulais mon père à mon mariage, je voulais ma mère, ma grand-
mère, parce que c’était mon moment ! Le reste, c’étaient leurs affaires, ça ne
me regardait plus !

176 Comment aider les couples en crise ?


CHAPITRE 13
Le couple dans le divorce

Le travail thérapeutique avec le couple ne peut pas ne pas affronter un élé-


ment aussi important que celui du divorce, quand ce dernier constitue la réa-
lité déjà en cours que le couple doit affronter et dépasser, de la meilleure des
façons, pour le bien de tous : conjoints, enfants et familles d’origine. Bien que
ce soient désormais des expériences très répandues, la séparation conjugale
et le divorce ébranlent toujours, et profondément, le sens même de la vie.
Le divorce est cette tempête émotionnelle qui, si elle n’est pas accueillie et
traitée de façon efficace, peut laisser des morts et des blessés épars dans la
famille même après de nombreuses années ; et comme il arrive souvent, les
problèmes émotionnels irrésolus dans cette phase représenteront des obstacles
dans les relations ultérieures.
La séparation psychique manquée d’avec l’ex-conjoint est le facteur le
plus important parmi tous ceux en mesure d’empêcher les liens familiaux de
continuer à se développer avec succès à la suite du divorce (Bohannan, 1973 ;
Cigoli, Galimberti, Mombelli, 1988 ; Emery, 2004). Le temps évolutif s’arrête ;
la compétition et l’intrusion, souvent présentes entre les ex-conjoints, sont
la cause d’appauvrissement relationnel et d’instrumentalisation des enfants ;
conflits de loyauté, coalitions et sentiments de culpabilité se créent chez les
adultes et les enfants (Emery, 2004 ; Baker, 2007). En particulier, ces liens
conjugaux caractérisés par un excès absolu de couple, qui s’accompagne d’une
atrophie de l’autonomie individuelle et de l’identité familiale, une fois bri-
sés, sont fortement dysfonctionnels et conduisent à une situation bloquée de
divorce (Caillé, 1995).
En réalité, le divorce n’est pas à entendre simplement comme un évènement
déconcertant, mais plutôt comme un processus émotionnel de la famille fluctuant,
qui se déroule dans le temps familial et qui présente des pics de tension détec-
tables dans diverses circonstances : le moment de la décision de se séparer ou de
divorcer ; quand la décision vient à être annoncée à la famille et aux amis ; quand
sont discutés les accords relatifs à l’argent, à la garde des enfants et aux visites

Le couple dans le divorce 177


de l’autre parent ; le moment de la séparation physique ; quand a lieu le divorce
légal ; à l’émergence de problèmes concernant l’argent ou les enfants ; quand
les enfants sont diplômés, se marient, ont des enfants ou tombent malades ;
quand les conjoints se remarient, déménagent, tombent malades ou meurent.
Ces pics de tension émotionnelle sont relevés dans toutes les familles de divor-
cés, pas nécessairement dans l’ordre indiqué, et peuvent se répéter plusieurs fois,
pendant des mois ou des années (McGoldrick, Heiman, Carter, 1993 ; Amato,
2010). Les émotions qui jaillissent durant ce processus se rapportent principa-
lement à l’élaboration du divorce émotionnel (Bohannan, 1973), c’est-à-dire le
processus psychique d’éloignement du Soi de l’union matrimoniale. Pour qu’un
tel processus s’accomplisse, chaque partenaire doit pouvoir reprendre ses espé-
rances, ses rêves, ses projets et ses attentes qu’il avait investis dans le conjoint et
dans le mariage, en élaborant la perte. Tout cela comporte la confrontation avec
les sentiments de peur, de douleur, de colère, de condamnation, de culpabilité,
de honte. Le cycle d’élaboration du deuil (Emery, 2004) relatif au divorce est
long et difficile pour de nombreux couples, aussi parce que le divorce peut être
considéré comme un deuil ambigu (Andolfi, D’Elia, 2007), en d’autres termes
comme un évènement qui comporte pour les divers membres de la famille une
perte importante, mais pas nécessairement définitive, puisqu’il n’est pas irré-
versible comme la mort. Surtout face à d’éventuels problèmes survenus chez les
enfants à la suite de la séparation, il peut arriver que l’un ou les deux conjoints
vivent un sentiment de culpabilité profonde, qui pourrait leur faire envisager la
possibilité de retourner en arrière, malgré la fin du lien conjugal, prolongeant
ainsi les temps émotionnels d’élaboration pour tous.

Facteurs de risque et facteurs de protection


La recherche scientifique internationale sur le thème du divorce a produit
une littérature variée dans les quarante dernières années. Elle s’est attelée à
identifier les indicateurs d’une plus grande probabilité de divorce, pour ce qui
concerne les aspects sociodémographiques et économiques (Amato, James,
2010 ; Wagner, Weiss, 2006), les caractéristiques individuelles (Rodrigues,
Hall, Fincham, 2006), pour arriver à considérer les processus relationnels.
En particulier, parmi les facteurs associés à ces derniers, ont été individuali-
sés comme prédicteurs de la fracture conjugale un bas niveau d’engagement
à l’égard de la relation et la présence d’alternatives par rapport à la relation
actuelle, des niveaux élevés de violence domestique, une carence de soutien
et une haute conflictualité (Gottman, Levenson, 2000 ; Hall, Fincham, 2006).
De telles caractéristiques sont plutôt fréquentes dans les relations modernes de
couple, dans lesquelles l’investissement affectivo-romantique prévaut sur l’en-
gagement dans la relation. Nous les trouvons surtout chez les jeunes couples
que nous rencontrons en thérapie, constitués fréquemment par deux personnes
craintives de fusionner des parties de soi pour créer un Nous qui les contienne

178 Comment aider les couples en crise ?


et qui contienne la famille. Il émerge assez clairement de notre expérience que
le sous-système du couple, qui représente dans notre société actuelle l’élément
crucial pour le bon fonctionnement de la famille, en est dans le même temps
l’élément le plus fragile sur le plan de la résistance (Andolfi, Mascellani, 2012).
Puis, dans les dernières années, la recherche s’est concentrée sur l’indi-
vidualisation de ces facteurs positifs de la relation de couple en mesure d’at-
ténuer la portée des effets potentiellement délétères. Ainsi, émergent parmi
les aspects bénéfiques le soutien, l’engagement, le pardon et la capacité de
sacrifice (Bodenman et al., 2006 ; Bradbury, Karney, 2004 ; Fincham, Stanley,
Beach, 2007 ; Giuliani, Bertoni, Iafrate, 2007). Parmi les facteurs les plus en
mesure d’amortir le coup du divorce, émergent le soutien et l’aide de la famille
d’origine, associés à la présence d’un bon réseau social (Frisby et al., 2012 ;
Amato, Kane, James, 2011 ; Greif, Holtz Deal, 2012) : une manière de dire que
la meilleure espérance de vie est toujours placée dans la relation.

Le divorce et les enfants


Qu’arrive-t-il aux enfants quand l’espoir commence à mourir dans le couple de
leurs parents ? Essayons de nous mettre à leur place.
La séparation commence à la maison : dans la meilleure des hypothèses,
c’est-à-dire quand prévaut encore chez les partenaires le sentiment de respon-
sabilité envers les enfants, qui les aide à ne pas se disputer devant eux, les
parents se regardent toujours moins dans les yeux, préférant tourner le regard
ailleurs. L’énergie négative augmente, et petit à petit, le conflit souterrain
occupe tout l’espace vital de la famille. Et les enfants ? Trop souvent, avec
la noble intention de les protéger, ils sont en réalité oubliés, ignorés. Ils sont
effrayés et seuls. Quand les parents sont sur le point de se séparer, les enfants
vivent dans la peur d’une catastrophe imminente : dans les livres de contes,
le prince charmant et l’amour pour sa princesse promettaient des histoires de
sauvetage ; mais, aujourd’hui, ils découvrent que tout cela n’est qu’un gros
mensonge et que, surtout, ils ne peuvent le dire à personne. Peur et désil-
lusion, mais aussi honte et culpabilité, sont les sentiments qu’ils éprouvent
(Emery, 2004 ; Cummings, Davies, 2010). Les enfants voudraient disparaître.
Ils sont en train de perdre leurs deux parents, aveuglés par la colère et par la
douleur, pris par leurs problèmes et par la poursuite de leur bonheur ou de
leur vengeance. Ainsi, les enfants expérimentent le sentiment d’impuissance :
ils espèrent au début réussir à réunifier leurs parents, se heurtant très tôt à
une réalité différente. Ils se demandent alors où ils se sont trompés, parce que
la séparation des parents, pour les enfants, est toujours un échec personnel.
Ils n’ont aucune chance : si les parents n’en sont pas capables, ce sont eux jus-
tement qui deviendront des adultes plus rapidement, en étouffant leurs propres
besoins ; ou bien ils dissimuleront leur partie demandeuse dans un symptôme,

Le couple dans le divorce 179


arrêtant de croître. Ils pourront se laisser capturer par le partenaire « victime »,
pour fonctionner comme un objet consolateur et compensatoire. Ou encore
ils pourront se faire utiliser indistinctement par les parents l’un contre l’autre,
chacun pour sa vengeance personnelle.
Les adolescents, face au divorce de leurs parents, se retrouvent plutôt à
devoir affronter des difficultés encore plus accentuées. Les vécus d’incertitude
de l’adolescent face à ce qui est en train d’arriver sont différents de ceux d’un
enfant. Les jeunes comprennent très tôt la gravité des conflits, et ils ont sou-
vent des intuitions sur l’état de la relation parentale beaucoup plus nettes que
les adultes eux-mêmes. Toutefois, ils ne s’attribuent plus à eux-mêmes la res-
ponsabilité de la séparation, et ils ne vivent plus l’expérience comme abandon-
nique au sens strict.
Si, dans l’enfance, la parentalité a comme objectif de garantir le sentiment
de sécurité de l’enfant et sa confiance vis-à-vis du monde, avec l’adolescence,
elle assume des fonctions bien différentes : les questions liées au changement de
la relation avec les parents sont fondamentales dans le processus de croissance
et de définition du Soi des jeunes enfants. L’adolescence est le moment de la
métamorphose somatique, du changement émotionnel (Andolfi, Mascellani,
2010), et les jeunes commencent à regarder en dehors de la famille, à la
recherche d’autres appartenances qui les aideront à faire leurs premières ten-
tatives d’émancipation. Pour comprendre et intégrer le changement au centre
des thématiques adolescentes, l’adolescent a besoin que la famille lui renvoie
une image de stabilité et de continuité avec le passé, mais en même temps
qu’elle soit capable de valoriser le nouveau.
La séparation des parents implique une série de changements concrets
soudains, comme la maison, l’école, les moyens financiers, mais surtout rela-
tionnels, concernant soit la présence quotidienne du parent, soit la séparation
entre conjugalité et parentalité. Les parents, engagés à récupérer un état de
stabilité et de sérénité, risquent ainsi de demander à l’adolescent de ne pas les
déranger davantage. Le jeune peut répondre en adoptant un comportement de
suradaptation, pour éviter des surcharges chez l’un ou les deux parents, repous-
sant ou niant ainsi l’acceptation de nouvelles parties de soi, et développant
une symptomatologie dépressive. Mais, il peut aussi mettre en acte des com-
portements réactionnels, manifestant inconsciemment la colère, la peur et la
confusion qui circulent à la maison. Et ainsi peuvent s’instaurer des compor-
tements violents, dirigés contre soi ou contre les autres, qui ne sont autres en
réalité que le bras armé du conflit de couple.
Le divorce, à vrai dire, peut être à l’origine de différentes conséquences
pour les enfants durant tout le processus évolutif (Amato, 2000, 2010 ;
Arditti, Prouty, 1999 ; Laumann-Billings, Emery, 2000 ; Marquardt, 2005 ;
Wallerstein, Lewis, 2004), surtout quand il est caractérisé par la persistance
d’une haute conflictualité entre les ex-partenaires (Lebow, 2015).

180 Comment aider les couples en crise ?


En phase initiale, la douleur du partenaire « perdant » ainsi que la culpa-
bilité et le sentiment d’échec de l’autre peuvent faire en sorte que les parents
soient moins présents, et dans le même temps que leur besoin de sentir leurs
enfants alliés à eux augmente. C’est ainsi qu’un des parents ou les deux peuvent
adopter des comportements hyperprotecteurs ou hyperpermissifs, montrant au
monde et à eux-mêmes leur validité parentale, en opposition à l’incapacité de
l’autre. Ou bien il peut y avoir des comportements d’appropriation des enfants,
par de la séduction ou du chantage affectif. Il arrive que, à la demande d’un plus
grand soutien de la part de l’enfant, un ou les deux parents répondent en expri-
mant le même besoin pour lui ou pour elle, et donc, que ce soit à l’enfant de
soutenir affectivement ses parents ; ou encore que, dans l’intention de sauver ce
qu’il reste de la famille, le parent vivant avec l’enfant intensifie excessivement
ses liens avec lui, entravant de fait son processus évolutif. Toutes ces attitudes
plonge l’enfant dans la confusion, le lient dans des triangulations négatives, et
ses possibilités d’entrer en relation avec ses parents dans une dimension de réa-
lité diminuent notablement, rendant la période encore plus critique.
La conflictualité entre les deux ex-conjoints juste après la séparation phy-
sique peut compromettre la fonction parentale, et il arrive qu’un parent ne
réussisse pas à accepter que l’autre maintienne son rôle. Le parent chez qui vit
l’enfant a un rôle crucial pour favoriser, mais aussi pour entraver, la relation de
l’enfant avec l’autre parent et avec son histoire générationnelle. Et cela peut
se produire pour différentes raisons : le conjoint n’est pas considéré comme
capable, étant donné qu’il a montré qu’il n’était pas en mesure de maintenir
la promesse du mariage ; si le parent « entravant » a de grandes difficultés à
accepter l’échec de l’union conjugale et interprète la séparation comme un
abandon, l’interruption des relations de l’enfant avec l’autre parent serait une
manière de soutenir cette thèse. Toutes ces situations se produisent majoritai-
rement quand le parent renonce à projeter un avenir personnel et se réfugie
dans sa famille d’origine (Dell’Antonio, 1992).
La persistance d’une intense conflictualité entre les parents dans le temps
peut provoquer des troubles sérieux chez les enfants du point de vue physique
et psychique, relationnel et comportemental. Et c’est le motif pour lequel la
haute conflictualité parentale est considérée comme une violence psycho-
logique, qui peut déboucher sur une véritable conduite de harcèlement moral
parental (Najman et al., 1997).
Quand les membres de la famille considèrent les relations familiales comme
un choix, ils le font au détriment de leur propre sentiment d’identité et de la
richesse de leur contexte émotionnel et social. Bien que les partenaires aient
décidé de ne plus accepter de compromis pour maintenir un lien conjugal insa-
tisfaisant, ils devront cependant en accepter durant le divorce.
La capacité des parents de maintenir une relation collaborative, et de garan-
tir la continuité du soin même après le divorce, s’est avérée le facteur le plus

Le couple dans le divorce 181


important pour prédire le bien-être des enfants, même après la séparation
(McGoldrick, Heiman, Carter, 1993 ; Ahrons, 2007 ; Carter, 2011).
Nous sommes en train de parler de la désormais bien connue coparenta-
lité (McHale, 2007), qui apparaît ainsi comme l’élément décisif en mesure de
garantir un sentiment de continuité face à la perte que le divorce représente
pour les enfants. C’est sans doute une tâche difficile pour beaucoup de parte-
naires que de réussir à garder ses distances et, dans le même temps, à coopérer
quotidiennement, quand les frontières de leur propre lien sont ambiguës et
fluctuantes entre l’attachement confus et le conflit exaspéré.
Il n’est pas suffisant de maintenir une collaboration forcée pour le bien
des enfants : pour que le rôle parental soit efficace, il est nécessaire d’avoir
une coopération amicale et bien équilibrée entre les parents (Scabini, 1995).
Trop souvent, l’engagement des ex-partenaires, avec ses aspects irrésolus de
conflits, est de nature à compromettre l’exercice de la fonction parentale ; et
la division de la responsabilité comme parents implique l’acceptation difficile
des appartenances respectives à un même système familial, avec les contraintes
et les opportunités qu’elles portent en elles. Certaines recherches démontrent
qu’un facteur de protection important pour les enfants de familles divorcées est
l’engagement des grands-parents dans les relations quotidiennes, qui semblent
ainsi assurer une fonction de compensation quand les parents, anéantis dans
un état de tension et de détachement, parviennent difficilement à être pré-
sents et capables de répondre aux besoins de leurs enfants (Henderson et al.,
2009 ; King, 2003). Encore plus que les enfants de familles intactes, les enfants
de divorcés devront avoir accès à leur histoire générationnelle, valorisant la
continuité-fiabilité du contexte de croissance, surtout quand le conflit est for-
tement hostile entre les parents (Cigoli, 2017), pour qu’une telle possibilité
permette l’accomplissement de ces aspects de loyauté et de justice qui sont
fondamentaux dans les relations familiales.
En substance, la tâche difficile des parents séparés est d’engager un processus
de transformation du lien qui, même s’il est entaché par un divorce, a un carac-
tère permanent, parce qu’il transcende les générations futures. C’est sur cette
prémisse éthique que se fonde la nécessité de ne pas interrompre la chaîne qui
lie les enfants aux générations de sa famille. Le passé ne peut pas être effacé,
parce qu’il donne un sens à l’avenir ; ce qui doit être sauvegardé est le soin du
lien familial, fût-ce en présence d’une conjugalité scindée.
On pourra dire que la crise est affrontée et dépassée seulement si chacun des
partenaires parvient à accepter sa propre part de responsabilité dans l’échec du
mariage et récupère sa propre appartenance familiale. En particulier, l’objectif
fondamental que les ex-partenaires doivent atteindre est la compréhension et
l’acceptation de l’échec du lien. Les relations interrompues sont réorganisées,
les frontières redéfinies, et l’équilibre entre les nouvelles distances est recher-
ché et maintenu.

182 Comment aider les couples en crise ?


Les interventions d’aide dans le divorce
L’augmentation vertigineuse des cas de désagrégation familiale a donné nais-
sance à la mise au point d’un ensemble d’interventions d’aide, destinées au
couple dans sa fonction parentale, souvent de type interdisciplinaire. La res-
ponsabilité parentale est devenue ainsi le focus partagé par diverses sortes de
soin, pour faire face à la souffrance des enfants dans les familles divorcées.
Mais la famille n’est pas simplement une « architecture fonctionnelle » qui
doit honorer ses devoirs pour le bien des enfants. Regarder la famille seulement
à la lumière de ses responsabilités fait perdre de vue la valeur affective qu’elle
revêt toujours pour chacun de ses membres, enfants compris.
Le mariage, par ailleurs en chute libre, est désormais devenu un fait privé
dans la société moderne. Il importe peu à la société, pour reconnaître un père ou
une mère, qu’il y ait ou non mariage. C’est souvent un choix individuel opéré
sur une base émotionnelle, et la durée du lien est plus que toute autre déter-
minée par la qualité affective de la relation de couple ; donc, on est ensemble
parce que et aussi longtemps qu’on s’aime. Essayons d’imaginer ce qui se pro-
duit, quand le divorce arrive, dans un couple avec des enfants qui s’est uni sur
ces prémisses. Pour le partenaire abandonné, le divorce se fondera sur la logique
adulto-centrique du droit acquis : « J’avais droit à une affectivité que tu m’as
enlevée, donc je me sens lésé dans mon droit d’être aimé ! » Ce que nous ne
pouvons pas oublier est qu’en revanche, le divorce reste un fait social, qui voit
le lien de couple sur la base de la logique contractuelle, par rapport à l’engage-
ment pris de garantir aux enfants l’attention dont ils ont besoin. Si les parents
veulent sauvegarder le privé des relations familiales, ils peuvent négocier des
accords, qui devront seulement être homologués par le tribunal. Quand, à l’in-
verse, ils se laissent submerger par le conflit, la famille est portée sur l’autel de la
magistrature, et la séparation judiciaire pénalise le privé d’un processus évolutif
tourné vers le changement. Le divorce judiciaire est régi par les institutions, par
le biais de l’intervention du tribunal, d’avocats, d’assistants sociaux et d’autres
encore. Les institutions, comme nous le savons, adoptent la logique norma-
tive, du contrôle et de la directivité, suspendant de fait la compétence paren-
tale naturelle qui dérive de l’amour attentionné pour les enfants. La fracture
provoquée en soi par le divorce, en particulier dans les séparations judiciaires,
est ainsi amplifiée justement par l’implication de l’appareil judiciaire auquel
les partenaires se confient, chacun pour gagner sa partie, perdant toujours plus
de vue l’idée que, pour assumer une fonction parentale efficace, l’un a besoin de
l’autre, dans l’optique du partage de l’amour pour les enfants.
Nous avons vu que le divorce ne doit pas être considéré comme un évè-
nement, mais comme un lent processus de transformation du lien de couple,
caractérisé par la réapparition de pics de tension à de nombreux moments de
transition dans les années qui suivent. À notre avis, tout cela est très important

Le couple dans le divorce 183


pour évaluer la réelle faisabilité et l’efficacité de l’intervention d’aide à proposer
aux couples en phase de divorce. Le droit collaboratif, la négociation assistée
ou la médiation familiale sont des interventions techniques indubitablement
très utiles, qui, associées à des prises en charge de type psychoéducatif, peuvent
accompagner le couple dans la première phase de séparation, quand il est néces-
saire de trouver des accords sur le plan concret, en partageant des règles et des
modèles comportementaux. Mais, tout cela n’est seulement possible que moyen-
nant un niveau minimum de conscience et de disponibilité de la part des parte-
naires pour négocier, en abandonnant la logique du perdant et du gagnant, afin
de se mettre d’accord sur ce que chacun peut perdre, en faveur de la continuité
parentale, parce que, malheureusement, dans le divorce, personne ne gagne !
Dans les couples à haute conflictualité, plus terriblement hargneux et vindica-
tifs, tout cela peut difficilement avoir lieu. Dans certaines situations, on peut
atteindre des résultats assez satisfaisants, parce qu’on réussit au moins à transfor-
mer une séparation judiciaire en une consensuelle. Mais il faut reconnaître qu’il
y a de très nombreuses séparations consensuelles qui, même après de nombreuses
années, voient les partenaires encore coincés dans les rôles de « victime » et de
« bourreau », bloquant de cette manière l’élaboration psychique naturelle du
divorce. Une enquête approfondie a montré qu’en Italie, quand les séparations
légalement consensuelles s’élevaient, il y a plusieurs années, à 90 %, pas moins
de 78 % d’entre elles étaient marquées par des années de conflits psychologiques
et économiques très durs (Dini Martino, 1994).
Dépasser une situation de haute conflictualité présente dans le divorce
demande un travail considérable sur soi-même et sur son rôle de parent : tra-
verser la phase de douleur, l’accepter, l’élaborer et laisser partir sa souffrance,
en commençant à investir en soi et en ses propres ressources, est ce chemin
pénible qui peut être affronté à l’intérieur d’un parcours clinique. Mais nous
devons admettre que la demande d’une prise en charge thérapeutique de la
part d’un couple divorcé est un fait plutôt rare. La thérapie de couple n’a pas
de sens s’il n’y a plus de couple.
Une donnée particulièrement intéressante qui émerge de notre recherche
sur la psychopathologie du couple moderne (Andolfi, Mascellani, 2012)
concerne le déclencheur de la crise de couple. La parentalité, le passage du
noyau familial de deux à trois, semble constituer le nœud problématique de la
majorité des couples, qui situent le début de leurs problèmes à la suite de
la naissance de leur premier enfant. Un autre moment critique pour le couple
survient ensuite à l’arrivée de l’adolescence des enfants. Les données statis-
tiques italiennes sur les pics du nombre d’éclatements familiaux indiquent les
quinze premières années de mariage ou de vie commune comme la période
la plus critique dans l’absolu. Les tâches évolutives du couple, spécifiques de
cette période, concernent le renforcement du Nous parental, étant donné que
l’adolescence présente des défis importants pour les parents : depuis la théma-
tique éducative, y compris le choix de l’école et la valeur croissante du groupe

184 Comment aider les couples en crise ?


de pairs, à la manière différente de se comporter avec des enfants adolescents,
qui d’un côté demandent une plus grande liberté et une plus grande auto-
nomie, et de l’autre expriment également un besoin de dépendance et d’atten-
tion affective.
Évidemment, tous les couples en difficulté ne se tournent pas vers un théra-
peute pour demander de l’aide. Ils sont nombreux, ceux qui décident de vivre
la séparation comme la solution la plus rapide et la plus efficace à leurs pro-
blèmes. Toutefois, justement dans ces cas, la séparation risque d’être une solu-
tion paradoxale : si le couple a explosé parce que les conjoints n’ont pas réussi
à jouer un rôle parental valable, comment est-il possible qu’après la séparation,
ce même couple soit en mesure, tout d’un coup, de faire ce saut qualitatif ?
C’est ainsi qu’au service clinique de l’académie, arrivent de très nombreuses
demandes d’aide de la part de parents divorcés, pour leurs enfants, petits et
grands, qui sont en train de manifester des comportements symptomatiques.
Ce sont souvent des demandes sollicitées par l’école, par des professionnels des
services publics de santé mentale ou du privé. Là où la thérapie de couple n’a
pas eu lieu, le divorce conduira souvent à avoir besoin de la thérapie familiale.

La thérapie du divorce dans le modèle


intergénérationnel
Comme mentionné dans les chapitres précédents, la thérapie de couple camou-
flée (Andolfi et al., 2006) a lieu quand le couple des parents demande de l’aide
pour un problème d’un enfant. Dans ces cas, évidemment, la crise de couple
est délibérément maintenue enterrée par les partenaires, qui, pour des raisons
variées, n’ont aucune envie d’affronter ce qui ne va pas entre eux. Ce sont des
situations douloureuses pour tous les membres de la famille, qui vivent dans
une harmonie feinte, en s’employant comme ils peuvent à aller de l’avant.
Toutefois, au fil du temps, le stress auquel les enfants sont soumis, via des trian-
gulations intensives, produit en eux les symptomatologies les plus diverses,
depuis les troubles psychosomatiques des petits enfants jusqu’aux troubles
du comportement ou aux syndromes dépressifs des adolescents. Le théra-
peute familial accueillera la demande dans sa forme explicite, laissant pour le
moment à part la problématique de couple, et travaillera sur le trouble mani-
festé par l’enfant, à travers la participation du couple dans sa fonction paren-
tale. D’un autre côté, c’est l’unique disponibilité que le couple peut et veut
concéder. C’est seulement dans la suite de la thérapie, quand le symptôme de
l’enfant sera en rémission et que l’alliance thérapeutique avec la famille sera
consolidée, qu’on pourra proposer au couple de travailler sur ses probléma-
tiques conjugales. La thérapie, à ce stade, deviendra une thérapie de couple
proprement dite et se développera selon la méthodologie amplement décrite
dans les chapitres précédents.

Le couple dans le divorce 185


La demande d’aide pour un enfant de couple divorcé
Dans les couples divorcés, la demande d’aide pour un problème d’un enfant
présente des différences notables par rapport à celle qui peut venir d’une
famille intacte. Tout d’abord, la demande ne provient quasiment jamais des
deux parents, mais de l’un d’entre eux. Pour le thérapeute, comme toujours,
il sera important d’évaluer immédiatement le type d’envoi : en fonction de la
personne qui a conseillé la thérapie au requérant, on pourra déjà se faire une
idée des attentes qui tournent autour de la demande. En second lieu, justement
du fait qu’elle arrive par un seul parent, les attentes de ce dernier auront un
poids considérable, comme par ailleurs l’aura l’éventuelle dédramatisation du
problème de la part de l’autre parent : dans un couple à haute conflictualité,
qui dialogue désormais seulement au travers de tiers, le thérapeute sera certai-
nement impliqué dans ce type de dynamique. Le risque d’épouser la motiva-
tion partiale du parent demandeur sera donc très élevé. Avant même de fixer
un rendez-vous, on devra faire en sorte d’équilibrer la demande, en demandant
d’être aussi contacté par l’autre parent, pour l’associer dès le premier moment.
D’un autre côté, tout cela peut aussi être nécessaire pour se mettre dans une
situation licite légalement : en Italie, par exemple, sans le consentement des
deux parents, il n’est pas possible de rencontrer un mineur en thérapie.
Travailler sur un problème d’un enfant ou d’un adolescent, pour nous, signi-
fie toujours associer de quelque manière que ce soit sa famille, soit intacte, soit
divorcée. Les troubles psychosomatiques, de l’attention ou du comportement
que les enfants et les adolescents manifestent dans leurs différents contextes
d’appartenance sont de plus en plus fréquents. Il arrive aussi que les ensei-
gnants, qui se retrouvent à devoir affronter leurs difficultés en classe, signalent
le malaise aux familles respectives. À la suite de tels signalements, générale-
ment, commence un processus risqué : l’enfant problématique est coupé de
sa famille pour être observé individuellement ; il est soumis à des évaluations
spécialisées, effectuées à travers l’utilisation de nombreux tests, afin de pro-
duire un diagnostic, et donc d’identifier une psychopathologie. La souffrance
d’un enfant, qui souvent n’est autre qu’une difficulté évolutive, à reconnaître
et à traiter à l’intérieur de son contexte d’appartenance primaire, devient ainsi
une maladie à soigner, trop souvent avec des médicaments. De cette façon,
les enfants et les adolescents risquent de commencer une longue carrière de
« patients », suivis dans la durée par diverses figures professionnelles, selon le
type de symptômes qu’ils manifestent.
Notre approche thérapeutique avec les familles (Andolfi, 2015) se base sur
une certitude : quand un enfant a un problème, ce dernier est toujours un pro-
blème familial ; si le petit a un trouble, la famille souffre elle aussi. Elle cherche
à faire de son mieux pour améliorer les choses, mais si le trouble persiste, préci-
sément la famille dispensatrice de soins s’avilit et s’appauvrit, perdant aux yeux
des enfants son image de base sécure (Cummings, Davies, 2010). La seconde

186 Comment aider les couples en crise ?


certitude qui émerge de notre travail est qu’en présence d’un dysfonctionnement
familial irrésolu, un enfant manifeste souvent un symptôme. Aider un enfant
symptomatique, pour nous, ne signifie pas intervenir sur lui pour résoudre son
trouble, mais aider ses parents à retrouver leur propre fonctionnalité, en leur per-
mettant de nouveau de garantir à l’enfant l’amour, la sécurité et la continuité de
la confiance dans les personnes qui lui sont les plus chères : sa mère et son père.
Le divorce est une affaire de famille à part entière, et les enfants ont
besoin de se sentir rassurés et contenus, autant à la maison qu’en dehors, où ils
risquent la perte de la dignité sociale (ibidem) : il suffit de penser à la façon dont
les enfants de parents séparés sont considérés à l’école, où ils sont souvent vic-
times de préjugés ou, parfois, éprouvent de la honte du fait des comportements
désorganisés ou inadéquats de leurs parents avec leurs enseignants. Même dans
le divorce, les enfants désirent que leurs parents retrouvent leur compétence.
Aucun thérapeute ne devrait jamais se substituer aux parents.

De la convocation des deux parents


à la construction de la motivation conjointe
Si, dans toutes les demandes de thérapie relatives au trouble d’un enfant,
les aspects de délégation du problème à l’expert sont toujours présents, dans
les situations qui concernent les familles divorcées, ceux-ci sont encore plus
importants. Nous sommes convaincus qu’une mère ou un père qui est en train
de vivre une situation familiale difficile, comme celle d’un divorce hostile,
soupçonne que les problèmes des enfants sont liés à la réalité familiale dans
laquelle ils vivent ; toutefois, la distance acquise par la séparation physique
d’avec l’autre conjoint est souvent une distance de sécurité, qu’un des deux ou
les deux ne souhaitent pas compromettre, et ce, sous aucun prétexte. Le tra-
vail thérapeutique se présente en amont, pour ainsi dire, parce que le premier
objectif à atteindre sera d’accéder à la possibilité d’accueillir et de motiver la
famille biologique entière à collaborer le plus possible. Quand nous sommes
face à une famille éclatée, la disponibilité de la famille pour se mettre en jeu
n’est quasiment jamais présente, même si le motif de la demande d’aide est
plutôt préoccupant. Si le symptôme d’un enfant dans les familles intactes pro-
duit une participation naturelle de la famille à la thérapie, dans les familles
divorcées il assume souvent la fonction d’une séparation supplémentaire : cha-
cun des deux partenaires l’impute implicitement au comportement de l’autre
parent, jugé dysfonctionnel et coupable.
Ainsi, face à la probable insistance de la part d’un parent pour que nous
nous chargions du problème, à partir du moment où « la famille n’existe plus »,
la convocation des deux parents avec leurs enfants, au moins à la première
séance de consultation, sera la meilleure façon de réaffirmer non seulement
l’importance de la responsabilité parentale, mais aussi celle de la valeur affec-
tive que les deux parents continuent de représenter pour leurs enfants malgré

Le couple dans le divorce 187


le divorce. Même dans les couples hautement conflictuels, il s’agit d’un objectif
généralement atteignable.
La construction de la motivation conjointe sera le second objectif théra-
peutique à poursuivre, pour lancer le processus d’affiliation de la famille.
Le couple est figé dans le conflit, coincé sur lui-même, et ses ressources sont
bloquées. Les partenaires ne savent et ne veulent plus s’écouter ni dialoguer.
L’attitude bienveillante du thérapeute, qui apprend aux personnes à promou-
voir des comportements plus fonctionnels pour les aider, peut ne pas suffire
quand le conflit est fort.
Pour construire la motivation conjointe à la thérapie, la contribution des
enfants, petits ou adolescents, sera fondamentale. Les enfants amènent dans
le contexte thérapeutique leur double compétence : celle naturelle pour leur
âge, faite de jeu et de créativité, et celle qui s’est construite à la maison, sou-
vent plus proche de celle d’un « enfant-grand-parent », qui prend soin de ses
propres parents. À partir de l’analyse du symptôme, dès la première séance, le
thérapeute liera sa compétence professionnelle à celle naturelle de l’enfant, la
compétence ludique, pour faire émerger la seconde, celle relationnelle, bien
plus importante aux fins de la thérapie, que l’enfant s’est construite dans le
temps, pendant sa croissance au sein de la famille. À travers le jeu, les enfants
seront aidés à dire ce qu’ils ne peuvent jamais dire, au lieu de s’exprimer exac-
tement comme leurs parents l’attendent d’eux ou de rester dans un silence
souffrant. Leurs sentiments, leurs peurs et la frustration de leurs besoins trouve-
ront voix et visibilité, et les enfants pourront exprimer finalement leur opinion
sur la situation familiale.

CAS CLINIQUE
Mais quel âge as-tu ?

À titre d’exemple, voyons un court extrait de conversation avec Camille, une fille de
13 ans, convoquée en séance avec ses parents divorcés depuis peu :
THÉRAPEUTE : En résumé, ta famille n’est pas exactement la famille idéale… Qui souffre le
plus ?
CAMILLE : Maman… Peut-être que lui, il ne lui montre pas… parce qu’il sourit
toujours.
THÉRAPEUTE : S’il ne souriait pas, que pourrait-il faire ?
CAMILLE [en colère, se tournant vers son père] : Tu as dit que tu n’es plus amoureux, mais
qu’est-ce que ça veut dire ?
THÉRAPEUTE : Maman aurait pu faire la même chose ?
CAMILLE : Non.
THÉRAPEUTE : Elle est restée amoureuse ?
CAMILLE : Oui.

188 Comment aider les couples en crise ?


THÉRAPEUTE : Comment peut-on maintenir une bonne relation avec papa ? Qu’en penses-tu,
pouvons-nous les aider ?
CAMILLE : Oui.
THÉRAPEUTE : Toi aussi ? Quelle est ton opinion ? Comment ont-ils changé ?
CAMILLE : Lui, il a un peu de sentiment de culpabilité, du moins j’espère ! Moi, je lui
donnerais 10 ans, il se comporte comme un enfant…
THÉRAPEUTE : Il ne se comporte pas comme un papa ?
CAMILLE : Il se comporte aussi comme un papa, mais aussi comme un enfant avec
moi.
THÉRAPEUTE : Mais alors, quel est l’objectif thérapeutique selon toi : est-ce que nous aidons
maman à ne plus être amoureuse, ou bien… ?
CAMILLE : Ben ! Peut-être, ce serait bien…
THÉRAPEUTE : Et, écoute, une autre chose : quels sont les pièges qu’ils peuvent nous tendre ?
À quoi devons-nous être attentifs ?
CAMILLE : Ben… Il peut ne pas faire ce qu’il dit ici. Ici… il a honte, et peut-être, il accepte
ce que vous dites, puis à la maison…
THÉRAPEUTE : Et maman ?
CAMILLE : Hem… elle, à l’inverse, elle pourrait à nouveau facilement se faire des
illusions !
THÉRAPEUTE : Mais quel âge as-tu ?
CAMILLE : 13, presque 14.
THÉRAPEUTE : Tu n’as pas plus ? Si tu dis que papa a 10 ans, alors qu’il en a 49, et que tu
en as 4 de plus que lui, tu n’en as pas 53 ?

Le type de gestion du conflit entre partenaires pourra ainsi se manifester


dans toute son immaturité par rapport au besoin désespéré de parentalité des
enfants, qui deviendra ainsi le réel objectif thérapeutique partagé.
En favorisant une écoute active des enfants de la part de chaque parent,
la conflictualité du couple pourra rapidement se redimensionner, ouvrant à
la possibilité de convertir la symptomatologie de l’enfant, qui n’est autre que
l’expression d’une inversion relationnelle, depuis une triangulation négative
(l’enfant mis au milieu, entre deux feux) vers une triangulation positive (l’en-
fant comme ouverture possible de nouveaux canaux de communication).
Le système thérapeutique, transformé en un contexte créatif et léger,
ouvrira de cette façon la voie à la thérapie, dans laquelle la dimension inter-
générationnelle deviendra la vraie protagoniste du changement.

Le processus thérapeutique avec les familles divorcées


Après la première séance de consultation effectuée en présence de la famille
biologique entière, la définition du setting dans le travail thérapeutique avec

Le couple dans le divorce 189


les familles divorcées qui demandent de l’aide pour un enfant dépend d’un
ensemble de facteurs, qui concernent l’actualité du lien entre les ex-partenaires.
En premier lieu, ce qui doit être évalué est le stade d’élaboration psychique
de la fin du lien chez les deux. Si la séparation est survenue depuis peu de temps,
et qu’un des deux partenaires n’a pas encore accepté l’évènement comme défi-
nitif, il est probablement plus opportun de stipuler que le travail se déroulera à
l’aide de settings séparés, formés alternativement par l’un et l’autre parent avec
ses enfants. Dans ces cas, la « séparation confuse » perçue par au moins un des
deux conjoints le sera également par les enfants, qui continueront à alimenter
leurs espoirs de réconciliation. La décision du thérapeute de séparer aussi le
setting est sans aucun doute la plus utile afin de clarifier la réalité familiale,
pour tous les membres de la famille. Le travail alterné sur la dimension inter-
générationnelle sera le focus de la thérapie, qui associera les grands-parents et
les personnes significatives de chacune des deux familles à titre de ressources
précieuses pour tracer les lignes de confluence de deux histoires dans l’histoire
unique à laquelle les enfants appartiennent.
Quand, à l’inverse, la séparation est désormais définitive et que les ex-
partenaires ont réorganisé leur vie individuelle sur un plan vraiment concret et
clair, même si la conflictualité est encore très vive, on peut proposer, au moins
au début, un setting conjoint. Il est évident que, pour les enfants, voir les deux
parents travailler ensemble pour eux peut avoir des significations considérables,
à commencer par le fait de se sentir aimés et importants, mais surtout d’avoir
encore une famille malgré le divorce. Encore plus précieuse est l’opportunité
que le setting conjoint offre pour travailler sur le processus évolutif du couple
traumatisé par le divorce. Les enfants, en leur qualité de « médiateurs inter-
générationnels », peuvent beaucoup aider le thérapeute pour faire percevoir
aux conjoints certains nœuds problématiques, présents dans les histoires de
développement de chacun des deux parents. Cela peut déclencher la construc-
tion d’une motivation conjointe à une thérapie conjugale du divorce, laissant le
champ libre à un setting de couple, où les ex-partenaires pourront être aidés pour
renouer ces fils brisés par le divorce, grâce au partage du sens du choix de s’unir
et de celui de se séparer, en fonction de leur processus évolutif et de l’histoire du
couple à l’intérieur de la famille. Si tout cela est possible, évidemment, le travail
thérapeutique pourra être beaucoup plus profond et définitif, pour la santé de la
famille entière. Réussir à donner un sens à la douleur de la perte et aux échecs
de leur vie permettra aux ex-partenaires de les accepter et de croître, en acqué-
rant automatiquement une conscience adulte des tâches évolutives, qu’ils sont
appelés à accomplir ensemble aujourd’hui, pour leurs enfants.
Ultérieurement à cette phase, la thérapie pourra se développer en settings
alternés, ouvrant le champ à la phase de consolidation, non moins importante :
le travail sur la dimension intergénérationnelle avec les familles d’origine de
chacun des deux partenaires, reflétant dans le changement de setting l’histoire

190 Comment aider les couples en crise ?


de la famille nucléaire, pourra accompagner la scission d’une appartenance
unique en deux appartenances distinctes, mais bien intégrées, dans l’histoire
évolutive des enfants.
Dans tous les cas, nous pouvons affirmer qu’avec les familles divorcées, la
thérapie est comparable à la haute couture : elle procède comme une robe
taillée sur mesure pour ce qui concerne le setting. Séance par séance, on devra
évaluer la meilleure direction à prendre, selon les opportunités qui peuvent ou
non s’ouvrir, pour entamer un travail thérapeutique qui vise la croissance indi-
viduelle des deux parents. Avec le couple, ses enfants, et avec l’aide de toutes
les ressources disponibles, tant dans la dimension intergénérationnelle que
dans la dimension horizontale, l’objectif du thérapeute sera toujours le même :
reparcourir les processus de développement familial, pour partager l’histoire du
passé de tous, de façon à retrouver ce fil conducteur unique, capable de donner
un sens accompli au présent, et de relancer le chemin vers un meilleur avenir.

CAS CLINIQUE
Je ne le dessinerai pas !

Clara et Simon, 10 et 8 ans, sont les enfants de Roseline et Daniel, un couple séparé de
fait qui, depuis cinq ans, est dans une séparation judiciaire houleuse. Depuis des années,
les enfants assistent à de violentes disputes entre leurs parents chaque fois qu’ils sont
contraints de communiquer. Roseline a un travail précaire, elle vit seule avec les enfants,
et elle ne peut compter sur aucune sorte d’aide. Elle a presque cessé tout contact avec
sa famille d’origine, avec laquelle elle a une relation extrêmement conflictuelle. Lors du
premier appel, elle nous dit qu’elle est aussi très effrayée des fréquentes crises de colère
qui l’assaillent, y compris en présence de ses enfants. Elle a bénéficié de deux prises en
charge individuelles dans le passé, mais avec de médiocres résultats.
Daniel vit à l’étranger pour le travail, et il est perpétuellement aux quatre coins du
monde. Il voit ses enfants comme il peut, entre deux voyages, chez ses propres parents,
avec lesquels son ex-femme n’a plus de relation.
Roseline a demandé une thérapie familiale sur les conseils de l’école de Simon, parce
que l’enfant a des problèmes d’apprentissage : il ne suit pas, et surtout il se bloque
pendant des heures sans jamais mener à terme un devoir. À la suite de la passation de
divers tests psychologiques, on suspecte un retard cognitif.
Le père refuse l’invitation formulée par les thérapeutes à venir dès la première séance,
parce qu’il ne croit pas que ce soit utile. Roseline est d’accord, parce qu’elle n’a aucune
intention de rencontrer son ex-mari. Daniel nous donne son consentement, toutefois,
pour rencontrer ses enfants avec leur mère, et les thérapeutes acceptent de commencer
ainsi.
« Je ne le dessinerai pas ! » répond Clara quand les thérapeutes lui demandent où elle
voudrait placer son père sur le génogramme. Elle ne veut pas le dessiner, parce qu’elle
ne saurait pas où le mettre sans blesser sa mère. La loyauté de la fillette est un bon
point de départ pour les thérapeutes, afin de faire émerger, sous le regard attentif de
la mère, ses difficultés de fille, mais surtout son renoncement à une relation affective

Le couple dans le divorce 191


fondamentale. Dessiner ensemble le génogramme nous aide, et les aide, à se penser
comme une partie d’une famille plus grande que le petit noyau que nous avons en
face, dans laquelle on peut aller chercher des ressources. C’est une famille qui a un
besoin continu de carburant pour soutenir la maman, et malheureusement, ce carburant
ne vient que des enfants, et depuis déjà trop de temps.
Durant les dix premières rencontres, les thérapeutes alternent des séances en présence
de la mère et des enfants avec des séances individuelles avec la mère et une séance
avec la sœur de cette dernière, qui toutefois ne vit pas dans la même ville. Ils ne
renoncent jamais à appeler le père, à lui envoyer des messages par l’intermédiaire des
enfants, pour le convaincre de venir. Pendant ce temps, la mère écoute et réfléchit, et
cela s’avérera fondamental pour la thérapie.
À la onzième séance, le père se présente finalement. À peine tous entrés et assis, Simon
va au tableau et écrit en grandes lettres « SWEET FREEDOM ! » (« douce liberté ») avant
de commencer à dessiner.
THÉRAPEUTE : Bienvenue ! [Se tournant vers le père.] Nous sommes très contents que vous
soyez là !
DANIEL : Moi aussi…
CLARA : Nous aussi, nous sommes très contents d’être finalement tous ensemble !
THÉRAPEUTE [tournée vers les enfants] : Qu’enfin papa soit venu ! Lui avez-vous raconté
combien de fois nous avons fait cette demande ?
DANIEL [en riant] : Ils ne me parlent que de ça !
THÉRAPEUTE [tournée vers Simon] : Est-ce que ça a été pénible pour toi de parler ici ?
SIMON : Non !
DANIEL : Non, non, ils ont dit qu’ici, ils se trouvent bien ! En bref, je lui ai demandé :
« Mais vous, qu’allez-vous y faire ? Selon vous, est-ce que c’est utile ? », et ils
m’ont répondu : « Mais oui, c’est utile, parce que nous allons là-bas, nous
parlons de nos problèmes, et eux, ils nous donnent la solution ! »
THÉRAPEUTE : Et vous, quelle idée vous en êtes-vous faite ?
DANIEL : Ben, moi, en toute honnêteté, je pars d’un scepticisme de fond, parce que
chacun a ses problèmes ; moi, j’ai la mentalité que j’ai ; même si je suis ouvert
aux solutions, je dois me forcer à cette ouverture, parce que j’ai des préjugés
sur plein de choses. Donc, en théorie, je le sais, que je dois être ouvert ; mais
je dois faire un effort conscient. Ce n’est pas de l’hostilité, mais c’est un de
mes problèmes, je le reconnais !
THÉRAPEUTE : Mais, d’un autre côté, vous l’avez soutenu, ce parcours !
DANIEL : Mais certainement !
THÉRAPEUTE [tournée vers les enfants] : Est-ce que ça vous va, de raconter à papa des
moments qui vous ont touchés ?
CLARA : Tout d’abord, quand nous nous sommes connus, nous avons réussi en un
seul jour à nouer une relation entre ce lieu et nous. Nous savons que quand
nous sommes ici, nous réussissons à être calmes ; nous pouvons raconter ce
qui nous arrive ; et vous, en tout cas, vous n’êtes pas ici seulement pour écou-
ter, mais aussi pour nous donner…

192 Comment aider les couples en crise ?


SIMON : Des conseils !
CLARA : Des réponses, des conseils, et ça m’aide à savoir que, quand je viens ici, je
peux en tout cas faire confiance à ce que vous dites !
THÉRAPEUTE : Est-ce qu’on se fait aussi aider par maman pour raconter ce qui s’est passé
ici ?
ROSELINE : Ben, toutes les séances ont été importantes, selon moi ; il en est toujours
ressorti quelque chose… peut-être Simon le sait, et il veut répondre, lui…
SIMON : Arrête !
ROSELINE : Alors… les dessins ! Parce qu’ils sont bouleversants, selon moi !
THÉRAPEUTE [indiquant le tableau] : Comme celui-ci, en somme. L’inscription… mais cette
ligne rouge, c’est toi qui l’as dessinée, Simon ?
ROSELINE : Et il y a deux routes, Simon ? Ou il n’y en a qu’une ?
SIMON : Non, ce n’est pas une route !
ROSELINE : Qu’est-ce que c’est ?
SIMON : C’est un tunnel !
CLARA : Ah, il a pratiquement représenté une surface, avec nous dessus ; et ça, ici,
c’est le point où nous sommes, et ça, là, c’est le trou que nous
creusons…
THÉRAPEUTE : Mais, tu dis que le tunnel est souterrain ?
SIMON : Oui… avec la pelle, la pioche… ces instruments représentent… « Sweet
Freedom : le travail d’équipe pour avoir une douce liberté ! ».

Les appels symboliques de Simon à la force pour creuser, à l’énergie que ces enfants
emploient pour garantir la continuité d’une famille, sont certainement des stimuli de
réflexion, qui ne peuvent pas passer inaperçus des parents. Et les enfants, pendant qu’ils
peuvent finalement aussi manifester leur affection à leur père, en lui faisant percevoir
la valeur que leur relation avec lui a pour eux, peuvent aussi exprimer leurs peurs.

THÉRAPEUTE [tournée vers les enfants] : Mais vous êtes émus de la présence de papa ?
CLARA : Eh oui, quand papa vient, c’est…
SIMON : La fête !
CLARA : Oui, c’est aussi la fête, parce que c’est un beau moment, parce que lui, d’ha-
bitude, il est loin. Donc, quand il est ici, sa présence met de la joie. C’est bien
de voir aussi qu’il est toujours là !
ROSELINE : Et puis, est-ce que je peux dire mon opinion ? Étant donné qu’il n’y a pas
tant d’occasions où nous sommes tous ensemble, peut-être que la dernière
était l’année passée, quand nous sommes allés la chercher à l’école tous les
deux ensemble accidentellement… la première chose qu’a dite Clara, après
avoir écarquillé les yeux, a été : « Oh, mon Dieu, appelez la police, parce que
maintenant… ! »
SIMON : Ils vont se disputer !
ROSELINE : Ils vont s’égorger, en somme !
DANIEL [tourné vers son ex-femme] : Mais qui ? Toi et moi ?

Le couple dans le divorce 193


ROSELINE : Bien sûr, ils font référence à nous deux !
DANIEL [tourné vers Clara] : Ah, tu as dit ça ?
CLARA : Oui.
ROSELINE : Donc, peut-être, voici que je… étant donné que je les vois en effet un peu
plus… je pense qu’ils peuvent avoir peur aussi de ceci, voilà !
DANIEL [tourné vers son ex-femme] : Je n’ai pas compris !
ROSELINE : Eh non, peut-être qu’ils ont peur du fait que quelque chose puisse quand
même arriver !
THÉRAPEUTE : Ça, je ne le sais pas. Ils peuvent nous le dire, eux ! [Se tournant vers les
enfants.] S’il y a cette peur, vous pouvez le dire !
CLARA : Ben… oui, effectivement, j’ai un peu peur aussi, parce que, par exemple, dans
cette situation… maintenant, ils ne sont pas en train de se disputer…
SIMON : Parce qu’ils sont en public !
THÉRAPEUTE : Tu sais de source sûre, en revanche, qu’en privé…
[Ils rient tous.]
CLARA : Oui, peut-être par contre que, quand ils se retrouvent un peu plus seuls,
disons dans un moment un peu plus confidentiel, ils peuvent avoir quelques
discussions, selon moi !
Ces enfants qui parlent de leur papa et de leur maman les voient, les écoutent et pré-
voient leur comportement. Pour beaucoup d’adultes, cela est souvent impensable.
Daniel et Roseline se trouvent dans une situation terrible ; ils ne se parlent plus désor-
mais, si ce n’est par écrit ou par l’intermédiaire d’avocats. Il n’y a pas de doute que c’est
la relation avec son ex-femme que Daniel a le plus d’intérêt à modifier, parce que sa
qualité de père en dépend. Il vit à l’étranger, loin de ses enfants, et il sent qu’il ne peut
les voir ni les éduquer comme il le voudrait sans le soutien et la collaboration de son
ex-épouse.
Les thérapeutes accueillent ses espoirs et proposent que la rencontre suivante se fasse
seulement avec les parents. Daniel déplacera tous ses engagements pour y participer.
Ce sera une séance très différente des autres, au cours de laquelle, de façon pragmatique,
sera conclu un accord écrit à faire ratifier au tribunal, transformant la séparation judiciaire
en séparation à l’amiable. Le père acceptera généreusement les conditions économiques
établies ensemble, en échange du plein soutien de Roseline concernant les enfants,
autant d’un point de vue éducatif que des modalités des rencontres. Roseline, entre
autres, acceptera de les faire rejoindre leur père périodiquement dans le pays où il vit.
Le soir même de cette rencontre, les enfants pourront, après tant d’années, avoir le plaisir
de manger une pizza tous ensemble, avec leur mère et leur père.
La thérapie familiale pourrait en effet déjà être considérée comme conclue pour ce qui
concerne le conflit entre les ex-conjoints et leur collaboration retrouvée. Même le symp-
tôme de Simon, pour lequel la thérapie a été demandée, a désormais complètement
disparu : l’enfant n’a plus de problèmes à l’école ; il a d’ailleurs obtenu la note maximale
à certaines interrogations, avec la pleine satisfaction de ses maîtresses.
Toutefois, l’instabilité émotionnelle de Roseline est encore un problème ouvert. Depuis
très longtemps, Roseline a coupé les ponts avec sa famille d’origine. Elle est quasiment

194 Comment aider les couples en crise ?


seule, et privée d’une quelconque aide pour ses enfants, qu’elle est parfois contrainte
de laisser seuls à la maison pour aller travailler. De plus, Daniel, qui vit loin, est sérieu-
sement préoccupé par les crises de colère de son ex-femme, qui se déversent souvent
sur les enfants. C’est ainsi que, à la séance suivante, les thérapeutes saisissent au vol
une occasion : la famille arrive en séance avec un air triste, et Clara nous parle tout de
suite de la crise de larmes de sa mère, survenue le soir d’avant, à la suite d’une dispute
orageuse au téléphone avec sa propre mère. « D’un autre côté, avec les parents sévères
que maman a eus, c’est difficile pour elle ! Et puis, maman nous a raconté qu’elle n’était
pas une fille désirée ! » affirme Clara. Ainsi, avec l’aide des enfants, visiblement préoc-
cupés et apeurés, les thérapeutes réussissent à faire accepter à Roseline d’amener ses
parents pour une séance de consultance. Seule la mère viendra, mais ce sera une séance
fondamentale pour faire dépasser à Roseline ce « syndrome d’indemnisation » qui l’af-
flige depuis toujours, et lui donner finalement la possibilité d’entrer en contact avec sa
douleur la plus aiguë et la plus profonde. Elle est convaincue d’être une fille non désirée,
la plus méprisée par les siens, celle qui est à leurs yeux totalement incapable de faire
quelque chose de bien dans sa vie. En séance, hurlant et récriminant, elle exprimera
encore une fois toute sa rancœur envers sa mère. C’est l’histoire de cette dernière qui
fera en sorte que ces deux femmes puissent se rapprocher. Face à Roseline et à ses
enfants, Blanche racontera que la dureté qui lui est attribuée par sa fille a été malheu-
reusement l’armure dont elle a dû se munir pour faire face au sentiment d’exclusion
vécu dans sa famille d’abord et avec son mari ensuite, à cause de ses choix personnels,
parmi lesquels celui d’avoir voulu à tout prix avoir cette dernière fille, Roseline, arrivée
par accident et que personne ne voulait voir naître.
L’amour pour ses enfants, et en particulier pour Roseline, a été la bouée de sauvetage
dont Blanche ne peut encore aujourd’hui se séparer. Voyons un bref extrait de la séance :

THÉRAPEUTE [tournée vers Blanche] : Écoutez, Madame, que voudriez-vous aujourd’hui


de cette relation ? Pouvez-vous le dire ? Parce que ceci est peut-être un
moment important, vous êtes ensemble !
BLANCHE : Moi, je voudrais retrouver ma famille ! Je voudrais retrouver mes enfants,
comme nous étions avant ! Nous étions heureux ! Naturellement, ensuite ils
ont grandi et… quand vient l’âge où ils ont grandi suffisamment pour vouloir
se détacher, ça devient difficile de l’affronter seule.
THÉRAPEUTE : Écoutez, Roseline, qu’est-ce qui vous manque par contre de cette maman,
à part de l’aide ? Cette maman-là, pas une maman idéale !
ROSELINE [après un long silence] : Être appréciée !
THÉRAPEUTE [tournée vers Blanche] : Je vous avais d’abord demandé s’il n’y avait jamais
eu un moment où vous aviez senti que Roseline pouvait réussir dans sa vie.
Qu’y a-t-il de bien dans cette fille ? Pouvez-vous dire quelque chose de précis ?
Dites-le-lui, à elle [à Roseline] !
BLANCHE : Elle a une force de caractère énorme, un esprit de sacrifice qui ne finit jamais,
un amour envers ses enfants dont peu de gens font preuve ! Je ne sais pas
quelle autre chose lui dire…
THÉRAPEUTE : Vous lui en avez déjà dit trois plutôt importantes ! Vous avez dit trois choses
qui m’ont beaucoup fait penser à votre vie. Selon moi, c’est la fille qui vous
ressemble le plus !

Le couple dans le divorce 195


BLANCHE : Sûrement ! Sûrement ! C’est pour ça que ça me déplaît, que nous ne réus-
sissions pas à trouver ce point de rencontre… [Émue.] et croyez-moi, pour
moi, c’est vraiment lourd !
THÉRAPEUTE : J’imagine. Et donc, c’est aussi difficile de lui faire sentir qu’elle est devenue
grande. D’une certaine façon, inconsciemment, vous la gardez petite.
Ou non ?
BLANCHE : Ben, peut-être que oui, peut-être que oui…
THÉRAPEUTE : Mais, pour un enfant, ça peut aussi être…
BLANCHE : Lourd !
THÉRAPEUTE : Oui, lourd, parce qu’il ne se sent jamais reconnu comme adulte.
BLANCHE : Oui, là-dessus, je me suis trompée… je pensais que ça pouvait lui faire plaisir
d’être dorlotée ; au contraire, évidemment, je me trompais… je suis
désolée.
Quel meilleur moyen de ne pas perdre une fille ? Ne pas la faire grandir, niant ou
dévalorisant chaque progrès personnel, en ne lui reconnaissant pas la capacité de vivre
de façon autonome, dans le besoin désespéré d’arrêter le temps.
À la séance suivante, Roseline arrivera très changée. Elle nous racontera être sortie très
bouleversée de la rencontre avec sa famille et avoir été tout d’abord irritée contre nous
pour ne pas avoir compris le sens de cette rencontre. Mais elle nous dira aussi que,
depuis quelques jours, ses sentiments ont changé, et avoir réfléchi au fait que sa mère
avait accepté de venir : « Son geste a été un geste d’amour immense, et je l’ai beaucoup
apprécié ! » Elle nous racontera enfin que, depuis ce jour, Blanche est beaucoup plus
présente pour l’aider régulièrement avec ses enfants, en faisant finalement la
grand-mère.

Le soutien à la parentalité ordonné par le tribunal


Dans les nombreux cas de séparation judiciaire extrêmement conflictuelle, où
les partenaires remettent leur combat dans les mains des avocats, il est tou-
jours plus fréquent qu’à la suite de CTU1, le tribunal émette une ordonnance
qui invite les partenaires à effectuer des parcours de soutien à la parentalité.
Évidemment, nous sommes dans l’optique de la prescription, et non pas du
conseil. La sentence du juge est ainsi suspendue jusqu’au prochain rapport de
la CTU, qui devra évaluer l’efficacité du parcours effectué, sur la base du type
d’accord proposé dans l’intérêt des mineurs.
Nous voudrions exprimer ici quelques réflexions, à notre avis plutôt impor-
tantes, quant à l’impact d’une telle prescription sur des parents qui sont rappe-
lés au devoir, parce que, à la suite d’une évaluation psychologique, on atteste
1. Consulenze Tecniche di Ufficio : en Italie, il s’agit de consultances techniques ordonnées
par le juge pour évaluer la parentalité, N.d.T.

196 Comment aider les couples en crise ?


leur incapacité de prendre soin de leurs enfants et de leur donner ce dont ils
ont besoin.
Tout d’abord, en la cataloguant comme insuffisante, la compétence paren-
tale naturelle des deux partenaires est immédiatement réduite à sa plus simple
expression. Dans un moment comme celui de la séparation conjugale, qui,
pour les deux, implique de devoir faire les comptes, avec l’échec d’un projet de
vie, les partenaires se trouvent face à un second échec, peut-être encore plus
douloureux et surtout brutal, et auquel ils n’étaient pas préparés. Se faire aider
par un professionnel pour aimer ses propres enfants pourrait sembler absurde ;
et ça l’est en partie, si on pense que les personnes s’y refusent parce qu’elles
sont égoïstes et irresponsables. Ce serait en revanche différent d’aider deux
personnes non pas tant à se repentir, mais plutôt à comprendre quelles sont
les raisons pour lesquelles elles en sont arrivées là en se faisant du mal, et qui
les empêchent de vivre leur rôle de parents de la plus naturelle des manières.
Si des parents, quels qu’ils soient, n’arrivent pas à prendre soin de leurs enfants,
qu’ils aiment généralement plus que tout au monde, ce n’est pas parce qu’ils
ne le veulent pas, mais parce qu’ils ne le peuvent pas. Il est plutôt difficile de
croire que les parents puissent se repentir, en faisant un examen de conscience
face à l’ennemi (l’ex-partenaire), et mettre en pratique rationnellement un
comportement socialement adapté aux attentes d’un expert, qui devra les
« promouvoir » ou les « rejeter ». Là où il y a de l’amour, ou là où il y en a eu,
la rationalité compte peu, nous le savons tous.
Mais, il y a d’autres éléments, également importants, à considérer. La pres-
cription par le juge, indubitablement choisie pour de bonnes raisons, devien-
dra elle aussi une arme dans les mains des avocats, qui l’utiliseront dans leur
combat contre l’adversaire, à un moment où leur patient est perdu entre le
désir de jouer le jeu pour le bien de ses enfants et l’instinct naturel de négation
défensive face à une attaque narcissique subie. D’autres acteurs présents sur la
scène sont ensuite les CTP2, souvent des psychologues d’enfants et d’adoles-
cents spécialisés en psychologie légale, qui toutefois, comme le dit leur fonc-
tion, sont partiaux et trop souvent complaisants envers le conjoint représenté,
se montrant enclins à voir l’intérêt du mineur négligé en conséquence du
comportement inadéquat de l’autre conjoint. Il arrive souvent qu’apparaissent
dans les rapports des CTP des diagnostics de personnalité du conjoint « adver-
saire » qui en soutiennent le manque de fiabilité.
Tout cela accentue la fracture déjà existante entre les conjoints, qui ont
inconsciemment livré leur vie ainsi qu’eux-mêmes aux mains de leurs défen-
seurs, en s’appauvrissant toujours plus. Dans les pièces déposées au tribunal,
les textes rédigés par les avocats, par les CTP ou par les assistants sociaux
ne sont jamais lus par les ex-conjoints, qui risquent ainsi de se trouver face
2. Consulenti Tecnici di Parte : en Italie, il s’agit de consultants techniques de la partie repré-
sentée, dans une fonction d’experts, N.d.T.

Le couple dans le divorce 197


à des affirmations écrites qu’ils n’approuveraient peut-être pas au fond d’eux-
mêmes. Mais désormais, la dépendance est totale, et sur le champ de bataille,
ils sont quasiment inaudibles. Ils peuvent seulement devenir des supporters de
leurs défenseurs.
Diverses situations, comme celles que nous venons de décrire, arrivent à
notre service clinique, où les couples sont envoyés par ces professionnels qui
partagent nos réflexions, mais encore plus souvent par des ex-conjoints qui ont
effectué un parcours thérapeutique avec nous pour les mêmes raisons et qui
s’est bien passé.
Évidemment, ce ne sont pas des situations simples, parce que les forces
des acteurs sur le terrain ont une grande influence sur l’issue du travail théra-
peutique. Ce n’est pas tant la conflictualité du couple qui rend les choses
difficiles dans ces cas, mais plutôt la disponibilité de tous les professionnels
impliqués pour transformer les forces centrifuges en forces centripètes. Même
dans le cas où le couple veut se fier à un travail thérapeutique, si les avocats et
les CTP ne collaborent pas dans la direction souhaitée par le thérapeute, il est
difficile d’atteindre une séparation bonne et consensuelle.
Ce qui nous étonne avec ce type de couples, c’est que, dans de nombreux
cas, dès la première séance, à la simple demande de déposer les armes derrière
la porte, les ex-conjoints sont capables de nous montrer leur humanité, de
parler d’eux-mêmes, de rire et de pleurer ensemble. S’ils y sont sollicités, ils
nous surprennent, et surtout ils se surprennent l’un l’autre, à partager chacun
leur propre « diagnostic relationnel » de leur lien. Ils sont mutilés et blessés
par la guerre en cours, ils ont un extrême besoin de se retrouver dans leur vie,
et si quelqu’un leur montre qu’il est curieux de la connaître, ils se laissent aller
facilement. Peut-être, inconsciemment, sentent-ils que justement les armes
dont ils se sont munis les ont piégés dans une impasse. Et un contexte qui,
en revanche, reconnaît leurs sentiments et leurs compétences, et qui valorise
leur regard affectif sur leurs enfants, en faisant émerger leur douleur et leurs
peurs, les amène immédiatement à entrevoir dans l’autre non plus l’ennemi à
détruire, mais l’allié sur qui compter pour se sentir de meilleurs parents.

CAS CLINIQUE
Quand un enfant divise

Jean-Luc et Charlotte vivent dans deux villes différentes, elle à Marseille et lui à Paris.
Leur enfant de 4 ans, Frédéric, vit avec sa maman dans la maison de ses grands-parents,
qui s’occupent de lui pendant la journée, pendant que la mère est au travail. Il y a trois
ans, les deux parents ont décidé de se séparer, en se mettant d’accord de façon auto-
nome tant du point de vue économique que pour faire en sorte que le bambin puisse
voir son père le plus fréquemment possible. C’est ainsi que Charlotte, deux week-ends
par mois, accompagnait Frédéric en train à Paris, le confiant à son père, pour ensuite

198 Comment aider les couples en crise ?


le ramener à Marseille le dimanche soir. Un troisième week-end par mois, c’était au tour
du père de se rendre à Marseille chez son fils, et Charlotte l’accueillait chez ses parents,
où elle était retournée vivre. Même pour les vacances d’hiver et d’été, les deux parte-
naires avaient toujours trouvé des solutions partagées.
Après environ deux années de cette vie, soudainement, Charlotte fait envoyer une lettre
par son avocat à son ex-mari, en lui demandant de revoir son programme de rencontre
de leur enfant, donnant ainsi le coup d’envoi à une procédure judiciaire : outre les
avocats, entreront aussi en scène les CTU. En particulier, face au recours du père qui,
par l’intermédiaire de son avocat, invoquera la loi sur la garde partagée, en demandant
de passer exactement la moitié des jours de l’année avec son enfant, le conseiller de
Charlotte déposera un rapport dans lequel il demande la garde exclusive pour la mère,
en soutenant la thèse que l’enfant ne doit pas dormir hors de chez lui étant donné son
jeune âge, et surtout étant donné que le père a « des traits schizoïdes et une person-
nalité paranoïde ».
Quand ils arrivent chez nous, il s’est passé un peu plus d’un an depuis le début de la
procédure judiciaire, et la guerre est devenue acharnée : Jean-Luc défend inflexiblement
ses droits, et Charlotte, sa liberté. L’envoi nous a été fait par un collègue que nous
connaissons, à qui on peut faire confiance et qui a été CTU : les parents ont accepté
devant le conseiller de suivre un parcours thérapeutique, et le juge a inclus cette déci-
sion dans son arrêté après la CTU. Toutefois, nous devons tout d’abord évaluer si, et
comment, nous pouvons les aider, puisqu’ils ne sont pas ici totalement par choix.
À la première rencontre, les deux arrivent séparément. Ils se présentent sombres, silen-
cieux et hargneux entre eux. Après les premières politesses, la thérapeute stipule tout
de suite qu’elle ne veut rien imposer, mais que cette rencontre devra servir à se connaître
et à évaluer ensemble s’il y a le souhait de se revoir.
Ce sont les yeux tristes de la femme qui touchent immédiatement la thérapeute. Durant
le récit de leur histoire de séparation, elle se demande ce que doit expier Charlotte
pour avoir choisi de passer deux week-ends par mois, seule, dans un hôtel, en attendant
de reprendre son fils, et le troisième week-end à héberger chez ses parents son ex-mari,
pendant deux bonnes années. Et puis, que s’est-il passé qui l’a fait décider d’arrêter
soudainement de le faire ?
Déplaçant complètement le focus de la séance de la procédure judiciaire en cours à la
période précédente, quand la compétence parentale était encore aux mains du couple,
la thérapeute entre dans l’histoire des deux, au moyen de questions intergénération-
nelles, pour formuler des hypothèses sur les raisons qui ont conduit à la fin du lien, et
donc à la dissolution du pacte d’alliance.
En réalité, la relation est entrée en crise juste après la naissance de Frédéric. L’enfant
n’a pas été un choix. Arrivé par accident dans une relation vécue à distance, il a été
cependant accepté par les deux. Jean-Luc a changé de travail, en s’installant définiti-
vement à Marseille, chez elle, qui à l’époque vivait seule. Charlotte raconte avoir vécu,
pendant la grossesse et le début de la maternité, une « période magique », pendant
laquelle elle s’est retrouvée subitement au centre de l’attention de sa famille.
Jean-Luc est ingénieur, et aussi dans un sens métaphorique : rigide, planificateur, contrô-
leur, prévoyant, pointilleux jusqu’à l’invraisemblable. Charlotte est solaire, ouverte et
impulsive, parfois maladroite. Plutôt timide et réservé, Jean-Luc manifeste peu ses sen-
timents, et il se vexe en se fermant sur lui-même quand quelque chose le blesse. Ce sont

Le couple dans le divorce 199


des modalités relationnelles typiques de ses origines, mais ici peut-être plutôt impu-
tables à une coupure émotionnelle : dans la façon de manifester l’affection au sein de
la famille de Charlotte, beaucoup plus ouverte et engageante, Jean-Luc ne lit que
de l’intrusion et de l’enchevêtrement, et cela ne lui plaît pas. Sa famille, en revanche,
est très différente.
Ainsi, le sentiment d’étrangeté entre les deux partenaires prend toujours plus d’espace
entre eux : après à peine neuf mois de vie commune, il y a une première crise avérée,
et les deux se séparent pendant environ un mois, au terme duquel ils décident de
réessayer. Dans l’intervalle, un très bon travail s’offre à Jean-Luc à Paris, auquel il ne
voudrait pas renoncer. Il propose donc à Charlotte de tous déménager dans sa ville,
étant donné que le travail de profession libérale de Charlotte pourrait ne pas être affecté
par le déplacement. Mais Charlotte ne le sent pas. La crise encore fraîche entre eux ne
lui procure pas de sécurité, et le rapprochement en cours avec sa famille depuis qu’il
y a le bébé est trop important pour elle. Elle choisit donc de rester à Marseille, en
demandant à Jean-Luc de se séparer définitivement. Jean-Luc, profondément affligé et
déçu, retourne à Paris, où il va résider de nouveau dans la maison de ses parents, en
attendant de se trouver un logement propre. Il ne donne pas à voir sa colère, restant
conforme à son style, mais elle commence à agir de façon subliminale, instillant quo-
tidiennement des gouttes de sentiment de culpabilité chez Charlotte, qui l’a « séduit
et abandonné ». C’est ainsi que Charlotte a accepté les rencontres de son enfant avec
son père, comme si elle se mettait la corde au cou, pendant une longue période
d’environ deux ans. Sa faible différenciation et les frontières confuses ne lui permettent
pas d’avoir plus d’appartenances : ses relations sont toutes des rapports de dépendance,
aussi fonctionnelles qu’elles lui permettent d’être au centre de l’attention.
À une relation de couple, qui n’a probablement jamais existé, succède une séparation
confuse.
Mais, que s’est-il passé pour qu’elle se décide à recourir aux voies judiciaires ?
Certainement, le stress quotidien d’une vie de cette nature aura eu son poids, mais
peut-être y a-t-il d’autres raisons. Le suintement continu de la part de Jean-Luc, qui
prétend intervenir sur la moindre décision qui concerne leur enfant, réclamant chaque
fois ses droits, la maintient en « punition au coin » et dans une position de subordonnée.
De plus, le fait que ce même Jean-Luc, pendant ces deux années, ait cessé de souffrir
pour elle transforme cette responsabilité vis-à-vis de la fin du lien, que Charlotte s’at-
tribue à elle-même, dans un besoin de réparation pour avoir payé trop cher son choix.
Mais encore une fois, Charlotte ne sera pas capable de se faire confiance pour affronter
le problème, et sur le conseil de son amie la plus chère, elle entamera les démarches
judiciaires, passant ainsi d’une dépendance à une autre, conformément à son style.
Se lier aux yeux tristes de Charlotte pour les reconnecter à son histoire permettra à la
thérapeute d’accueillir et de faire émerger son désarroi et une préoccupation véritable
pour la vie de son fils. Depuis plus d’un an, c’est à Jean-Luc de venir à Marseille deux
week-ends par mois, logeant dans un hôtel avec son enfant, qui pour être avec lui doit
renoncer à un environnement qui lui est familier. L’attitude extrêmement rigide de
Jean-Luc, qui prend position avec la plus totale indisponibilité pour trouver des
compromis et avec la recherche d’une organisation de rencontres paritaires à la minute
près – et le premier à en payer le prix sera inévitablement son fils – sera en revanche
reliée d’abord à la déception profonde d’avoir été abandonné, et ensuite de ne pas

200 Comment aider les couples en crise ?


se sentir reconnu comme un père fiable maintenant. Déjà dans la première séance,
la motivation conjointe à faire un travail ensemble commence à se construire, en repar-
tant de cette compétence parentale qu’ils ont par contre démontrée dans le passé.
La thérapeute propose de travailler en laissant à la porte la Loi, en les ramenant à la
réalité actuelle, qui ne les voit plus protagonistes des choix qui concernent leur vie, ni
celle de leur enfant.
Tous les deux acceptent, et ils reviendront pour trois autres séances durant lesquelles
ils réussiront à se rapprocher, voulant se fier à ce lien commun qui les unit à leur fils,
toujours présent symboliquement dans la salle de thérapie, grâce à une petite chaise
blanche posée à côté des parents. D’un autre côté, c’est pour lui qu’on est en train de
travailler.
À la fin de la quatrième séance, les deux s’en iront dans la voiture de Charlotte, qui se
proposera de raccompagner Jean-Luc à l’hôtel, après avoir mangé une pizza ensemble.
Le couple, qui aurait dû appeler pour un autre rendez-vous, ne le fera malheureusement
pas.
Le travail thérapeutique avec les couples en séparation judiciaire ouverte se déroule
toujours en peu de temps, entre une audience et l’autre, et les décisions du tribunal
ainsi que le travail des professionnels impliqués ont une influence substantielle, dont
le contexte thérapeutique ne peut malheureusement pas s’occuper. C’est ainsi que,
parfois, il arrive que même un bon parcours de rapprochement comme celui-ci puisse
rapidement inverser la tendance. Quand cela survient, il nous reste toujours la curiosité
de savoir ce qui s’est passé. Ainsi, quelque temps plus tard, à l’occasion de Noël, la
thérapeute a voulu écrire un bref e-mail à Charlotte et Jean-Luc, en leur demandant
des nouvelles. Après quelques jours, elle a reçu les réponses suivantes :

Bonjour Docteur,
Je vous remercie pour votre sollicitude.
Le parcours judiciaire se poursuit, je me souhaite d’aller dans une direction souhaitable dans
l’intérêt premier de Frédéric.
Je vous retourne mes vœux pour un Noël serein, pour vous et votre famille.
Cordiales salutations,
Charlotte Leroy

Bonsoir Docteur,
Ça m’a fait très plaisir de recevoir votre e-mail, et de voir que vous vous souveniez de nous
trois.
Avant tout ; je vous envoie, bien qu’avec quelques jours de retard, et je m’en excuse, mes vœux
de joyeux Noël. J’espère que vous les accueillerez quand même.
La première instance s’est conclue à la fin de juin dernier, sensiblement avec l’acceptation en
totalité de la proposition de la CTU par le juge, à savoir une organisation de rencontres qui
garantit à Frédéric d’être avec moi 142 jours par an.
Mais, malheureusement, la situation ne s’est pas améliorée par rapport au moment où vous
l’avez vue, en fait. Quelques jours après la publication de la sentence, mon ex-compagne a

Le couple dans le divorce 201


déposé un recours en appel, demandant aussi la suspension immédiate de la décision de
première instance. Actuellement, le tribunal a planifié pour juin prochain la première audience
de seconde instance, mais il ne s’est pas encore prononcé sur la suspension.
De plus, je ne crois pas pouvoir vous en parler, parce que c’est l’objet d’une procédure juridique
en cours, même si elle n’est pas encore entrée dans le vif. Je ne voudrais créer aucun préjudice,
même en toute bonne foi.
Au-delà de tout ceci, Frédéric va bien, et c’est la chose la plus importante. Il vit avec sérénité,
du moins il me semble, la situation de séparation de ses parents et l’organisation des ren-
contres qui a été définie. Quand il me voit, il est content, et il vient toujours très volontiers à
Paris. Depuis quelques mois, j’ai acheté une maison avec une chambre de plus. Un sacrifice
économique qui néanmoins lui permettra d’avoir un espace pour jouer et dormir. Je la lui ai
fait voir dès le début des travaux de rénovation, de façon qu’il s’habitue ; et de temps en
temps, pour jouer, il m’a donné un coup de main pour faire quelques menus travaux pendant
que j’arrangeais la maison (j’ai fait directement une partie des travaux dès que j’ai eu un peu
de temps devant moi, pour limiter les coûts). Je voulais qu’ainsi il la sente un peu comme la
sienne, ou mieux qu’il la sente comme « la nôtre », plutôt que la « mienne ». Je dois dire,
cependant, qu’elle lui a plu tout de suite, et ça me rend heureux.
Je vous souhaite une splendide année 2019.
Cordiales salutations.
Jean-Luc Leblanc

En lisant cet e-mail, il nous reste quelques regrets : Charlotte n’a pas réussi à ne pas se
faire aspirer par les forces centrifuges du système judiciaire, trop fortes pour elle, bien
que Jean-Luc ait accepté un compromis valable au niveau des rencontres avec leur fils.
Toutefois, malgré tout, nous pouvons conclure en disant que notre temps n’a peut-être
pas été totalement perdu : ce père « aux traits schizoïdes et à la personnalité paranoïde »
semble être un père affectueux.

202 Comment aider les couples en crise ?


CHAPITRE 14
Le couple dans
la famille reconstituée

Si le premier mariage n’a pas fonctionné et s’est terminé par un divorce, il


n’est pas dit qu’il ne puisse pas valoir la peine de retenter. Avec un peu d’ex-
périence, une plus grande maturité et une meilleure conscience, on peut éviter
les erreurs du passé et investir de nouveau dans un projet de couple. Un projet
qui, toutefois, sera sans doute différent du premier, étant donné qu’il naît sur
les cendres des autres projets, et souvent avec l’existence d’enfants des précé-
dentes unions.
Dans le passé, quand il n’y avait pas de divorce, la reconstitution familiale
survenait généralement à la suite de la mort d’un conjoint, quand ce dernier
était remplacé par un parâtre ou une marâtre, stéréotypes négatifs, au sens
menaçant du terme, qui symbolisent encore aujourd’hui combien la déviance
par rapport à la normalité de la composition de la famille nucléaire préserve
le préjugé qu’un parent n’est jamais remplaçable. Encore aujourd’hui, dans
ces cas, comme nous l’avons vu dans le récit Déborah n’est plus là, le sou-
venir de la personne disparue, associé à tout ce qu’elle représentait pour la
famille, restera dans le cœur de tous. Combien ce souvenir pourra devenir
une richesse affective, ou au contraire combien il se cristallisera dans une
absence douloureuse, dans un fantôme qui flotte à l’intérieur de la future
famille, tout dépendra de la façon dont la souffrance due à la perte a pu circu-
ler, a été traversée et laissée s’en aller par les différents membres de la famille.
La confrontation avec un mort est toujours très difficile, surtout quand il est
encore présent parmi nous.
Les familles reconstituées d’aujourd’hui, dans la majorité des cas, naissent à
la suite de la fracture du divorce, qui a été vécue par un ou par les deux parte-
naires. Fondamentalement, elles naissent elles aussi d’un deuil : la séparation
d’au moins un couple précédent. Avoir fait la paix avec le passé, aussi houleux
qu’il ait pu être, est toujours crucial pour toute personne qui veut commencer

Le couple dans la famille reconstituée 203


une nouvelle expérience sentimentale. Le second mariage ne pourra fonction-
ner que si la fin du premier est acceptée et métabolisée. S’il ne reste aucun
regret, si ne réémergent pas de remords, et si on se libère des préjugés, l’histoire
qui est sur le point de démarrer sera complètement nouvelle, et on pourra lui
donner tout l’élan possible. La période entre la fin d’un amour et le début d’une
nouvelle relation devrait toujours servir à clôturer tous les comptes émotion-
nels en suspens, pour nous permettre de nous sentir vraiment libres. Comme
dans le cas de la mort d’un conjoint, dans la famille reconstituée à la suite d’un
divorce, la fracture de la séparation peut avoir été traitée et dépassée dans sa
douleur, mais peut aussi être entraînée dans la nouvelle relation, l’occupant et
la conditionnant lourdement.
Le deuil ambigu du divorce est différent de celui dû à la disparition d’un
conjoint ou d’un parent. Si ce dernier divise exactement le temps entre
un avant et un après, et prévoit une élaboration une fois pour toutes, le deuil
du divorce se représente dans le cours de la vie en même temps que des évè-
nements spécifiques et des sentiments afférents. Il s’agit toujours de deuil, c’est
vrai, mais dans le cas du divorce, l’autre partie du lien est vivante, et se déplace
dans la vie des sentiments partagés. L’élaboration du divorce n’est pas un pas-
sage individuel, mais un passage à deux, parce qu’il touche au couple séparé
avant tout ; et de la façon dont ce dernier a élaboré la souffrance de la sépara-
tion dépendra le type d’investissement de la seconde union, ainsi que l’accep-
tation sereine des changements que devront affronter les enfants, en se sentant
libérés des conflits de loyauté contraignants.
L’élaboration psychique du divorce est un des principaux facteurs de succès
ou de problématiques de la réorganisation des relations et du fonctionnement
parental dans la nouvelle famille (Visher, Visher, 1996).
Même s’ils sont nés avec les meilleures intentions, les statistiques révèlent
que les seconds mariages, ou les suivants, ont une plus grande probabilité de
finir par un divorce que les premiers (Van Eeden-Morefield, Pasley, 2008).
La majorité des couples qui décident de se remarier ont déjà des enfants, et cela
veut dire que, en même temps que la réalisation de rêves romantiques, devront
trouver une place tous ces aspects pratiques découlant de la gestion d’au moins
deux familles, si ce n’est trois. Si déjà la gestion de notre Rubik’s cube méta-
phorique est plutôt exigeante durant la vie de couple, imaginons combien doit
l’être la gestion de deux ou de trois cubes en même temps !
Le couple, dans ce type de famille, ne pourra pas utiliser les mêmes cartes
que les autres, mais il devra être très habile pour improviser dans une partie
complètement différente pour maintenir sa stabilité. Le mot « improviser »
n’est pas fortuit, parce que la complexité de chaque famille reconstituée est
toujours très spécifique, et se manifeste d’un côté dans sa structure et dans
son histoire évolutive, et d’un autre côté dans son cycle de vie tout à fait par-
ticulier, qui voit des points de transition (et donc critiques) très différents

204 Comment aider les couples en crise ?


de ceux de la famille traditionnelle (McGoldrick, Carter, 1982 ; Vetere,
2017). Ces derniers sont des moments critiques qui viendront s’entrecroiser,
à leur tour, avec des moments de pic de tension découlant de l’élaboration
psychique des précédents divorces qui, comme nous l’avons vu, se présentent
cycliquement dans toutes les familles de divorcés.
Le couple, dans ces familles, devra avoir des caractéristiques de maturité
individuelle supérieures à celles demandées dans une première expérience de
lien de couple, parce que donner vie à une famille reconstituée n’est pas spon-
tané, mais demande un engagement et des qualités spécifiques. Dans le cas
d’une relation où les deux partenaires sont déjà parents, le nouveau couple
ne pourra pas naître sur la base d’un sentiment romantique qui occupera plei-
nement l’espace du Nous qui, seulement ultérieurement, après un temps qui
sert au renforcement du lien, se transformera à l’intérieur, comme il arrive
pour les couples qui donnent vie à des familles traditionnelles. Faire couple,
dans ces cas, comporte la superposition simultanée de différentes tâches évo-
lutives plutôt complexes : se confronter quotidiennement avec une histoire
étrangère (Cigoli, 2017), à laquelle on n’a pris aucune part et qui concerne
les ex-conjoints de l’autre ; consolider la relation conjugale ; et partager des
modalités relationnelles et éducatives dans la parentalité qui est de fait immé-
diatement présente. L’extrême complexité de cette situation nous montre
comment le couple, dès sa création, est non seulement coincé comme en sand-
wich entre les devoirs de loyauté vis-à-vis de la génération précédente et ceux
de responsabilité vis-à-vis des enfants, mais encore s’avère plutôt comprimé
par les deux côtés de la dimension horizontale.
Tout cela est très pénible. La littérature met en évidence combien les temps
de consolidation de ce type de relation de couple sont plus longs, de deux à
quatre ans (Visher, Visher, 1999 ; Bray, Kelly, 1998 ; Papernow, 2015). Ce qui
a été appris du précédent échec sera alors très important pour réussir à mainte-
nir l’équilibre et ne pas tomber. Si, la première fois, on était à la recherche de
la princesse et du prince charmants, la seconde permettra d’investir dans une
relation plus mature, peut-être moins idéalisée, mais pas pour autant moins
solide ou romantique.

La famille reconstituée et ses défis


Les familles reconstituées sont en augmentation dans tous les pays occiden-
taux, sans compter les familles de fait, qui restent en dehors des enquêtes sta-
tistiques (Pew Research Center, 2011).
Selon une caractérisation générale de système ouvert, des années de
recherche confirment la famille reconstituée comme un système fragile
dans sa structure et dans ses dynamiques relationnelles (Francescato, 1994 ;
McGoldrick, Heiman, Carter, 1993) ; et malheureusement, l’accent mis dans

Le couple dans la famille reconstituée 205


la littérature sur ses problématiques a fait en sorte que les membres de ce type
de famille ont dû lutter contre le stéréotype de ne pas être considérés comme
des vraies familles (Ganong, Coleman, 1997).
Alors que la loi protège les relations de parenté, en en définissant précisé-
ment les droits et les devoirs, en revanche, sur les rapports d’affinité dérivant
de secondes unions de gens séparés, il existe beaucoup de lacunes ; et il n’est
prévu aucune reconnaissance juridique du lien entre les nouveaux partenaires
et les beaux-enfants. Il n’existe pas non plus de normes de droit en ce qui
concerne les liens entre les nouveaux partenaires de deux ex-conjoints, entre
les grands-parents biologiques et les beaux-grands-parents, entre les oncles
et tantes naturels et les « beaux-oncles » et « belles-tantes », tout comme il
n’existe pas d’appellations adéquates.
La famille traditionnelle est considérée comme la meilleure (Ganong,
Coleman, 1997, 2004) pour sa fonction d’éducation des enfants : la famille
idéale, avec les enfants et deux parents, semble ainsi investie de pouvoirs
magiques. Les droits des enfants avant tout. La stepfamily n’est pas bien vue
pour différentes raisons : le précédent divorce suggère que le divorcé est déjà un
mauvais parent, étant donné qu’il n’a pas mis en premier les droits des enfants ;
les beaux-enfants ont déjà été affectés par la perte, et donc la mission parentale
est plus difficile ; sans le lien de sang, il est encore plus difficile de mettre en
premier les besoins des enfants. D’un autre côté, dans sa représentation sociale,
la famille est considérée comme telle sur la base du lien de consanguinité.
Par l’utilisation de divers instruments (Francescato, 1994 ; Greco, 2006), il
apparaît que, quand les variables affinité, consanguinité et cohabitation sont
dissociées, l’interviewé manifeste une certaine hésitation quant à ceux qu’il
considère comme membres de sa propre famille. Cela produit de la gêne, par
exemple dans les présentations.
Les réactions sociales négatives, les insuffisances de système de soutien à
la famille et les manques d’acceptation sociale menacent ainsi de laisser les
familles reconstituées sans la validation ni l’acceptation dont elles ont besoin
pour s’épanouir avec succès (Visher, 1994).

L’ambiguïté des rôles


Un des défis les plus importants que la famille reconstituée doit affronter est
représenté par les fortes ambiguïtés liées aux pluralités de rôles que chaque
membre de la famille se retrouve à remplir. Un partenaire, par exemple, peut
être en même temps parent biologique de ses propres enfants et beau-parent
des enfants de son partenaire. Idem pour l’autre partenaire. Ou bien un garçon
peut être simultanément fils biologique et beau-fils, alors qu’un autre peut être
seulement fils biologique. Tout cela, évidemment, produit une forte ambiguïté
qui peut amener à vivre des sentiments de grande gêne et des conflits, influant
négativement sur le système familial et augmentant sa fragilité, en particulier

206 Comment aider les couples en crise ?


dans les premiers moments de sa formation (Coleman, Ganong, Weaver,
2001 ; Cigoli, 2017).
La délicate relation entre beaux-enfants et beaux-parents influence de
façon substantielle tant le fonctionnement familial que la durée et la stabilité
de la relation du nouveau couple (Ganong, Coleman, 2004).
Tout d’abord, il faut considérer les modalités et les temporalités selon les-
quelles la famille reconstituée naît, par rapport au précédent ou aux précé-
dents divorces. Il est facilement prévisible qu’un enfant puisse avoir du mal
à accepter le nouveau partenaire du parent quand il le tient pour responsable
de l’éclatement de sa propre famille biologique. Que cela soit vrai ou non,
il est fondamental de respecter un timing déterminé, en évitant d’accélérer
le processus, pour laisser aux enfants un temps raisonnable d’adaptation à la
séparation de ses parents (Emery, 2004).
En second lieu, la forte exposition des enfants à des conflits de loyauté est
souvent exacerbée par le comportement de ce parent biologique qui montre
de l’hostilité à l’encontre du beau-parent du même sexe. Ainsi, si un enfant
sent que se lier au nouveau ou à la nouvelle partenaire de l’autre parent signifie
trahir son propre parent naturel, il sera évidemment porté à refuser un tel lien.
La position la plus problématique de toutes à l’intérieur de la famille
reconstituée est donc celle du beau-parent, en particulier quand ce dernier est
une femme (Shapiro, Stewart, 2011 ; Ganong, Coleman, 2017), étant donné
les grandes attentes que notre culture fait reposer sur la maternité. La ten-
dance des femmes à assumer la culpabilité de ce qui ne va pas dans le bon sens
et leur conviction que, en s’engageant à fond, elles réussiront à faire fonc-
tionner les choses représentent les plus grandes difficultés des femmes dans les
familles reconstituées. La relation la plus complexe à développer et à main-
tenir est justement celle entre une belle-mère et ses belles-filles, particulière-
ment si elles sont adolescentes (Schrodt, 2008 ; Hetherington, Kelly, 2003) :
la nouvelle partenaire se trouve plus exposée à des actions de rejet et de non-
reconnaissance de la part des filles. Nous avons déjà mentionné des stéréotypes
négatifs au milieu desquels naît la famille reconstituée : les termes marâtre et
demi-sœurs nous ramènent au conte de Cendrillon, donc aux thèmes de la
perte, de la tromperie et de la maltraitance.
En revanche, en ce qui concerne les beaux-pères, les problèmes peuvent se
présenter quand ces derniers considèrent qu’il n’est pas approprié de se limiter
à un rapport amical avec les enfants de la nouvelle partenaire, et revêtent
immédiatement et exclusivement la fonction normative typique du rôle pater-
nel, sans permettre à la relation de se développer naturellement. Cela se pro-
duit surtout quand les beaux-pères se retrouvent à devoir se substituer à un
parent biologique absent ou indifférent (Ganong, Coleman, 2017).
À partir du moment où les enfants et les beaux-parents sont liés par une affec-
tion commune à l’égard d’une troisième personne, la contribution du parent

Le couple dans la famille reconstituée 207


biologique est d’une importance cruciale pour favoriser ou pour entraver la
relation entre leur propre enfant et le nouveau ou la nouvelle partenaire. Dans
une famille où il n’y a pas de loi qui légitime, l’espace du beau-parent ne peut
être reconnu que par le sentiment de sécurité que les enfants ressentent, et
qui est relatif à la perception d’une hiérarchie des liens (Cigoli, 2017). Même si
elle est vacillante et critique (c’est le cas des parents « évanescents », ou avec
des traits intrusifs ou obsessionnels), une telle hiérarchie doit cependant être
confirmée pour garantir l’enracinement de la personnalité de l’enfant à l’in-
térieur de son histoire de vie. Le soi-disant troisième parent (Oliverio Ferraris,
1999) est toujours un quart par rapport au triangle d’origine, qui, même s’il est
en mesure de corriger des carences et des pertes, ne se substitue pas à l’autre,
mais il peut et il doit collaborer dans la fonction éducative parentale. Le com-
portement du parent biologique influera notablement sur la construction et sur
le maintien de la « belle-relation », non seulement en légitimant le nouveau
partenaire comme nous venons de le décrire, mais aussi en autorisant l’en-
fant lui-même à jouir d’une autre relation significative, en plus de celle avec
lui-même.
Le beau-parent, de son côté, pourra contribuer à la consolidation de sa
relation avec les enfants du partenaire s’il sait rentrer dans la relation sur
la pointe des pieds, dans une position de stand-by (Andolfi, 1996 ; Ganong,
Coleman, 2004), en s’engageant à instaurer initialement un rapport amical et
affectueux, et en reportant dans un second temps, quand la relation sera plus
forte, la possibilité de s’occuper des aspects normatifs typiques de la fonction
parentale.

Le problème des frontières dans une structure complexe


La structure de la famille reconstituée est complexe : de nouveaux membres
s’ajoutent, et avec eux les interrelations entre nouveaux et anciens ; les
enfants ont deux groupes de figures d’autorité, deux groupes de règles et deux
différentes hiérarchies de statut et de prestige. Après le divorce, il peut arriver
que les tâches de celui qui s’en va soient toutes assumées par le partenaire qui
reste. La présence de frères et sœurs et de demi-frères et sœurs peut influencer
la hiérarchie de statut de l’enfant ou de l’adolescent dans les deux noyaux :
un dernier-né dans une famille peut être en même temps l’enfant du milieu
dans l’autre, où il ne jouit peut-être pas des mêmes privilèges. Le nombre de
parents, de grands-parents et de frères et sœurs augmente, de même que toute
la parentèle.
Il y a ensuite le problème de la nature des relations entre les adultes qui ne
cohabitent pas. La fréquentation de deux maisons par les enfants augmente la
perméabilité des frontières, car les informations circulent de l’une à l’autre des
habitations. Comme nous l’avons vu, les enfants peuvent ne pas vouloir faire
partie de la nouvelle famille quand ils sont encore triangulés dans un conflit

208 Comment aider les couples en crise ?


de loyauté par les parents biologiques ; s’ils ne peuvent pas le dire, ils peuvent
néanmoins rendre la vie difficile aux autres.
La totalité des individus dans la famille, nucléaire et élargie, plus le pattern
d’organisation constituent la structure familiale, et toutes les différentes posi-
tions occupées par les divers membres sont organisées hiérarchiquement,
conférant différents niveaux de pouvoir.
N’importe quelle tentative de reproduction de la structure de la famille
traditionnelle constituera un coup de force défensif, et entraînera diverses
conséquences négatives. Une frontière très rigide, fondée sur la loyauté, éri-
gée autour des membres de la nouvelle famille, exclut de fait les parents bio-
logiques qui ne cohabitent pas et les enfants du premier lit ; et tout cela est
désormais universellement reconnu comme injuste et irréaliste. Moins recon-
nus par les mêmes familles sont en revanche les risques créés par des frontières
internes confuses, dans l’idée se voulant salvatrice que devraient circuler dans
la nouvelle famille chaleur et affection pour tous, sans exception : dans ce
cas, fera justement défaut cette hiérarchie des liens nécessaire pour que les
appartenances de chaque membre soient reconnues et respectées. Le fait que le
lien parent-enfants soit né avant celui entre les conjoints, et souvent de nom-
breuses années avant, représente une difficulté structurale non négligeable dans
les familles reconstituées, parce qu’il tend à favoriser la labilité des frontières
internes, en accentuant ainsi la rivalité entre beau-parent et beaux-enfants,
comme si la relation appartenait au même niveau hiérarchique. Ce qui peut
créer ensuite une plus grande confusion est la modalité avec laquelle les nou-
veaux partenaires jouent les rôles sexués à l’intérieur de la nouvelle famille
(McGoldrick, Carter, 1982). De vieilles idées stéréotypées sur la répartition
des rôles fondée sur le genre, si elles ne sont pas opportunément revisitées,
risquent de créer un chaos ultérieur et de donner naissance à des problèmes
et des conflits. À titre d’exemple, voyons quelques-unes des nombreuses situa-
tions potentiellement explosives qui peuvent se créer.
Dans l’hypothèse où le nouveau couple penserait que c’est à la femme de
s’occuper des enfants (du partenaire), comme c’est la tâche des mères de le
faire, les enfants se révolteront, ainsi que la mère biologique.
Dans le cas où la relation entre père et enfants est distante ou conflictuelle,
et où la nouvelle partenaire intervient pour protéger ou aider son mari, elle
finira sûrement par être prise au milieu des conflits.
Quand le père veut s’occuper de ses propres enfants en personne, mais que
pour des raisons professionnelles, il n’en a pas le temps, la partenaire pourrait se
sentir obligée de le remplacer, mais elle sera rejetée et désavouée par les enfants.
Si, pour remédier à la conflictualité encore présente dans le rapport avec
son ex-épouse, le partenaire devait demander à sa seconde femme de traiter
avec la première « pour le bien des enfants », nous pourrions assister à un
affrontement désastreux.

Le couple dans la famille reconstituée 209


Quand le père s’occupe de ses propres enfants, mû par de grands sentiments
de culpabilité irrésolus, la nouvelle partenaire pourrait facilement entrer en
compétition avec ses beaux-enfants pour retrouver l’attention de son mari.

Beaucoup de changements en peu de temps


pour un couple fragile
Si, dans le cycle de vie naturel de chaque famille, les moments critiques liés
à la transition d’une phase à l’autre procèdent en séquence, en laissant aux
différents membres le temps naturel d’ajustement, dans la famille reconstituée,
tout est différent. Le lien de couple est fragile par définition, parce qu’il naît
sur la base d’au moins un échec précédent, qui, même s’il est dépassé, porte
avec lui une certaine dose de peur de se refaire du mal, et de refaire les mêmes
erreurs. En second lieu, cette seconde union, surtout quand elle s’établit entre
deux partenaires qui ont tous les deux leurs propres enfants, devra se confron-
ter à une série de changements très brusques, qui n’engagent pas seulement
le couple, mais tous les liens affectifs qui lui sont connectés. Au moment où
ils forment leur couple, les partenaires sont immédiatement une famille ; et
ils se retrouveront à devoir répondre en même temps à d’importants besoins
individuels des différentes composantes du réseau familial, risquant fortement
de perdre de vue leurs propres besoins ainsi qu’eux-mêmes. La fragilité du
couple semble être directement proportionnelle à la complexité structurale de
la famille (Barbagli, 1990), où l’implication parentale, qui précède par impor-
tance l’implication conjugale, met fortement en danger l’identité de couple
(Hartin, 1990).
Dans ces familles, les nombreux changements qui se produisent en peu de
temps peuvent être vécus comme des pertes, comme une menace contre le
sentiment de continuité nécessaire pour intégrer les expériences. Les consé-
quences émotionnelles des diverses composantes familiales s’additionnent, et
le couple devra s’en occuper, qu’il le veuille ou non.
Le chemin de l’intimité pour le nouveau couple se présente immédiatement
comme particulièrement accidenté. Et le second mariage, quand il a lieu entre
deux personnes qui ont déjà des enfants, devient une affaire très exigeante.
Soumis comme il est à des problèmes inédits, et étant moins institutionnalisé,
il ne fournit pas aux partenaires des modèles sociaux auxquels se référer pour
résoudre les tensions, et les solutions sont toutes à inventer.

Le revers de la médaille : les ressources


Observer la famille reconstituée selon l’orientation la plus commune de la
recherche, celle centrée sur les manques, peut nous faire risquer d’obtenir l’ef-
fet de la « prophétie autoréalisatrice » (Coleman, Ganong, Fine, 2000). Il vaut

210 Comment aider les couples en crise ?


la peine alors de revisiter, à l’inverse, ce qui émerge de la recherche en termes
positifs. Si les ressources sont identifiées dans le milieu naturel, les attentes
peuvent être meilleures et plus encourageantes.
Les familles reconstituées qui fonctionnent sont avant tout celles qui évitent
de forcer la structure du modèle biologique, qui ont des attentes moins idéali-
sées et donc plus réalistes (Visher, Visher, Pasley, 1997 ; Falke, Larson, 2007 ;
Papernow, 2008), et qui reconnaissent les divers rôles et relations que les nou-
veaux partenaires ont besoin de maintenir. Un élément fondamental consiste
à comprendre qu’il est nécessaire de se donner du temps pour développer un
pattern de fonctionnement optimal (Hetherington, Kelly, 2003 ; Papernow,
2008). Quand les attentes de rôles sont réalistes, et que les frontières sont clai-
rement définies, le consensus des deux partenaires sur la relation idéale avec les
ex-partenaires, et le degré élevé de contacts avec eux, est associé aux plus hauts
niveaux de satisfaction du nouveau couple (Weston, Macklin, 1990).
Au cours des années passées, différentes recherches ont mis en lumière les
facteurs qui promeuvent un bien-être dans ce type de familles, parce qu’ils per-
mettent aux enfants d’apprécier leur beau-parent, en le reconnaissant comme
source d’affection, de sérénité et d’harmonie pour toute la famille. Entre eux,
émerge l’expérience d’une relation de couple stable (Ganong, Coleman,
Jamison, 2011). Le couple justement se manifeste ainsi comme le seul vrai
pivot, autour duquel se développent et se maintiennent de façon cohérente
toutes les relations familiales dans leurs configurations triangulaires les plus
variées. Si le couple tient, la famille reconstituée pourra le faire.
En ce qui concerne l’adaptation des enfants, la recherche nous confirme
que les facteurs les plus significatifs du bien-être des adolescents varient selon
le sexe du beau-parent : quand celui-ci est un homme, le meilleur facteur pré-
dictif est la communication adolescents/beau-père ; quand, à l’inverse, c’est
une femme, le meilleur prédicteur est la communication adolescents/parent
avec qui ils habitent (Collins, Newman, McKenry, 1995).
D’importantes formes de soutien pour les adolescents de familles reconsti-
tuées avec succès sont les amis de leur âge, les adultes non parents (Stinson,
1991) et les grands-parents, avec lesquels ils maintiennent en général des rap-
ports étroits : ils les voient comme des modèles, et ces derniers sont pour eux
une source d’inspiration (Kennedy, Kennedy, 1993). Dans les familles recons-
tituées, les grands-parents deviennent une ressource spéciale.
Parmi les facteurs émergeant dans les familles reconstituées avec succès,
ressort enfin l’individualisation de rites familiaux (Siméon, 1995 ; Mazzoni,
2002). La nouvelle famille naît de la rencontre de deux histoires, parfois dou-
loureuses, de deux milieux, de deux éducations et de deux classes sociales ren-
forcés par de nombreuses années de vécu familial. Recréer un sens du Nous
(milieu, atmosphère, codes communs) demande un temps émotionnel long, et
encore plus long quand les enfants sont plus grands.

Le couple dans la famille reconstituée 211


En gardant à l’esprit ce qui a émergé dans ces pages, nous voudrions main-
tenant décrire comment justement à partir des vides, des trop-pleins et de la
confusion des sentiments caractéristiques de la famille reconstituée, quand les
fonctions symboliques des membres de la famille (Cigoli, 2017) sont cependant
assurées, des opportunités évolutives peuvent se créer pour le système entier,
enfants compris. Par exemple, un système ouvert comme celui en question est
plus flexible, et peut donc offrir plus de facilité d’intégration des changements,
étant donné qu’il a moins de contraintes qui le poussent vers l’homéostasie,
comme celles que l’on trouve dans le système, parfois trop fermé, de la famille
traditionnelle. Mais reprenons tranquillement une synthèse.

Les vides : l’ambiguïté de rôle


Nous avons vu comment le manque de législation et de modèles sociaux parta-
gés de la famille reconstituée peut être porteur d’une divergence notable entre
les attentes et la réalité chez tous les membres de la famille, et en particulier
chez le beau-parent, en ce qui concerne les rôles, surtout dans la première
période de formation de la famille, celle de la transition.
Dans le cas où, en particulier dans cette période, la famille réussit à s’oc-
troyer le temps nécessaire pour que les diverses relations se développent natu-
rellement, sans préjudice de l’exercice du rôle parental des parents biologiques
ni de la solidarité du nouveau couple, on peut supposer que les vides venant
des ambiguïtés de rôle représentent une opportunité de favoriser le découplage
des adultes des rôles sexués traditionnels, et donc d’intégrer la part intuitive et
cognitive (Satir, 1999) de leur personnalité, en croissant individuellement et
en favorisant un rapport de couple fondé sur la réciprocité et l’égalité. De plus,
le vide peut laisser la place à l’instauration de relations plus authentiques. Il y a
ainsi plus d’opportunités qu’avec le temps, le beau-parent joue un rôle complé-
mentaire de celui du parent biologique, en donnant aux enfants une affection
ultérieure, une disponibilité, une protection, des conseils.

Les trop-pleins : la structure familiale complexe


Nous faisons ici référence à la difficile gestion de la totalité des composantes
familiales et des divers sous-systèmes qui viennent à se créer.
Dans le cas où, à la suite du temps nécessaire à l’ajustement, se réalisent
une délimitation claire et perméable des frontières internes et externes ainsi
qu’une alliance parentale efficace entre les parents biologiques et les beaux-
parents, on peut supposer que les trop-pleins d’une structure complexe, comme
celle de la famille reconstituée, puissent représenter pour les enfants diffé-
rentes opportunités : avoir à disposition plus d’agents de socialisation ; se sen-
tir appartenir à une famille soudée, bien qu’ouverte ; avoir des parents plus
experts ; avoir à sa disposition plus de canaux d’écoulement de la tension ; tirer

212 Comment aider les couples en crise ?


profit du fait qu’un adulte puisse pallier les lacunes d’un autre, quand celles-ci
se produisent ; apprécier les différences ; acquérir de l’expérience dans la réso-
lution des conflits.

La confusion des sentiments : les changements


non progressifs
Nous avons vu comment la quantité et la typologie des changements qui sur-
viennent dans la phase de transition de la famille impliquent toutes les com-
posantes familiales, et génèrent le risque majeur d’échec. Il est fondamental
que les enfants ne se figent pas dans la peur de ce qu’ils ne peuvent accepter au
niveau affectif, ni expliquer au niveau rationnel.
Si tous les adultes œuvrent dans l’intention de communiquer aux enfants
le sentiment de stabilité et de continuité des liens familiaux indissolubles, en
démontrant une compréhension de leur peur, et en les soutenant affective-
ment, mais pas de manière intrusive, la confusion des sentiments provoquée par
les changements brusques pourra constituer une occasion non négligeable pour
que se produisent des effets positifs pour les enfants, certains tout de suite,
d’autres à long terme.
Les enfants peuvent apprendre des parents un modèle de gestion de la crise
non pas uniquement destiné à des fins adaptatives, mais plutôt en mesure de
proposer des solutions créatives, parce que basé sur l’intensification de la rela-
tion ; du dépassement de la crise, ils peuvent obtenir un accroissement de leur
compétence personnelle et sociale, et une mentalité plus ouverte ; enfin, ils
peuvent croître psychologiquement, apprenant à traiter productivement les
pertes et les changements, les intégrant et les acceptant comme une part his-
torique et formatrice de leur existence.
Certainement, tout aussi souhaitable que ce soit, il faut reconnaître que
cela peut ne pas être simple pour un couple qui se lance dans cette aven-
ture sans outils. Mais, d’un autre côté, la famille reconstituée n’est jamais un
modèle familial choisi par les personnes à la place du modèle traditionnel.
Nous devrions peut-être considérer la naissance de la famille reconstituée
comme un évènement déroutant de la famille nucléaire. Si celle-ci est en mesure
d’en absorber le coup, en activant dynamiquement ses ressources, la famille
reconstituée pourra représenter un progrès et non pas une perte pour la famille
divorcée. Il est utile de se rappeler que la famille traditionnelle malheureuse,
et qui avance vers le divorce, est une famille qui, souvent, a déjà atteint une
phase critique, et qui parfois peut se cristalliser sur des relations éternellement
conflictuelles et déstabilisantes. Nous savons bien que vivre dans des conflits
est le plus grand malheur pour tous, et surtout pour les enfants (Lebow, 2015).
La douleur, la peur, la culpabilité, la tristesse sont des sentiments qui
accompagnent toujours la construction du nouveau noyau, en impliquant

Le couple dans la famille reconstituée 213


chaque membre. Mais il est également vrai que la croissance psychologique de
la famille, et donc de ses composantes, peut se mesurer à la capacité de résister
à la douleur, de l’élaborer et d’en tirer un enseignement, en restant bien ancrés
à ses origines.

L’intervention clinique : couple ou famille


La fragilité du couple, déjà inhérente à la structure complexe de la nouvelle
configuration familiale, chargée ainsi de besoins et d’attentes de la part de
toutes ses composantes, peut facilement faire vaciller les partenaires face au
défi de fusionner deux familles précédentes en un unique ensemble. Quand
le couple ne réussit pas à maintenir sa stabilité interne, si nécessaire pour le
fonctionnement familial, la famille justement s’en ressentira immédiatement,
et des problèmes pourront facilement survenir chez les enfants, qui ne feront
qu’exacerber chez les partenaires ces sentiments souterrains de désillusion,
d’invisibilité et d’impuissance, qui préludent à un second échec. Le terrain
deviendra toujours plus glissant ; et souvent aussi, le second mariage pourra se
trouver au centre d’une crise très risquée.
Ayant déjà vécu une séparation, au moins un des deux partenaires peut en
avoir moins peur, et trouver ainsi la solution aux problèmes de couple, en met-
tant en acte un second divorce. Dans d’autres situations, en revanche, la peur
que cette union aussi puisse se dissoudre pourra pousser le couple à demander
de l’aide.
Penser faire une thérapie de couple dans ces situations, sans considérer le
contexte particulier dans lequel se trouvent les partenaires, peut être très ris-
qué. Ce sont des couples qui se forment et croissent dans un monde relationnel
très différent des autres, intriqués comme ils sont dans un réseau de relations
triangulaires. Nous devrons alors penser que, pour aider le couple, nous devons
aider la famille entière, et vice versa. L’un ne peut faire abstraction de l’autre.
Affronter les problèmes de la famille reconstituée en se référant au modèle
de la famille traditionnelle « revient à tourner dans les rues de New York en
utilisant un plan de Boston ! » affirme Patricia Papernow. Cette autrice a publié
des textes fondamentaux pour la compréhension et le traitement clinique des
familles reconstituées (Papernow, 1984, 1993, 2015), et elle a créé un modèle
en stades qui décrit le développement des familles reconstituées dans le temps.
En particulier, Papernow décrit cinq défis que les membres de ce type de
familles doivent souvent affronter : le rôle figé d’insider des parents biologiques,
constamment contestés entre le nouveau partenaire et leurs enfants, et le rôle
figé d’outsider joué par les beaux-parents, contraints à la position de specta-
teurs de la relation entre leur partenaire et ses enfants ; le sentiment de deuil,
les conflits de loyauté et trop de changements brusques, expérimentés par les
enfants ; le rôle des parents biologiques et des beaux-parents dans l’éducation

214 Comment aider les couples en crise ?


des enfants, qui les voit souvent se ranger sur des positions distantes, voire
opposées ; la construction d’une propre culture familiale, en présence d’au
moins deux cultures familiales déjà complètement formées et consolidées ; la
nécessité de créer une alliance parentale entre au moins trois adultes signifi-
catifs de la vie des enfants, puisqu’un autre parent qui ne cohabite pas avec
l’enfant fait partie de la famille.
Pour chacun de ces défis, Papernow propose une intervention avec le
couple structurée sur différents niveaux.
Certains auteurs soulignent que la création de frontières stables, mais per-
méables, autour du nouveau couple, est le premier objectif clinique à poursuivre
(Ganong, Coleman, 2017 ; Browning, 2017) si on veut aider la famille recons-
tituée, étant donné que la stabilité du couple est en mesure d’influencer celle de
la famille entière. L’intervention clinique s’adresse au couple, essentiellement,
pour lui restituer avant tout la capacité de retrouver un espace reconnaissable,
fût-il envahi par la parentalité. Le processus thérapeutique, toutefois, voit
entrer les différents sous-systèmes reliés au couple, qui seront renforcés l’un
après l’autre, pour se concentrer en second lieu sur la promotion de l’unité et
de la cohésion familiale (Browning, 2002 ; Browning, Artfelt, 2012).
Il y a différents types d’interventions cliniques mises au point pour ces
familles (Browning, Artfelt, 2012 ; Adler-Baeder, Robertson, Schramm,
2017 ; Papernow, 2015), ainsi que des techniques et des outils disponibles
(Greco, 2006 ; Papernow, 2015 ; Vetere, 2017). Une grande partie des auteurs
converge sur l’importance de structurer le processus thérapeutique, selon
diverses approches : de l’approche psychoéducative à l’interpersonnelle, pour
arriver à celle historique/générationnelle, à employer rigoureusement en
séquence selon Papernow (2015), ou en tout cas à utiliser en fonction de la
spécificité du cas.
Rouvrir à la confiance et à l’espoir, avec ce type de couples, signifie les
accompagner avant tout à connaître, à travers un parcours psychoéducatif, ces
informations de base sur les dynamiques typiques des familles reconstituées,
favorisant un processus de normalisation. Cela permettra aux partenaires de
démystifier les fausses légendes qui entourent la recomposition familiale, et
de créer des attentes plus réalistes.
Les interventions de type interpersonnel agissent en revanche sur la com-
munication, et sur ses patterns interactifs mis en acte par différentes compo-
santes de la famille. Grâce à l’utilisation de techniques particulières, on pourra
créer la possibilité de modeler des expériences positives et d’enseigner quelques
habiletés spécifiques.
Enfin, le troisième niveau d’aide est celui plus profond, orienté sur l’analyse
de l’histoire familiale. Quand les défis de la famille élargie touchent de vieilles
blessures, la vague de sentiments peut brouiller la capacité de répondre de
manière adéquate, et les approches décrites ci-dessus ne seront plus suffisantes.

Le couple dans la famille reconstituée 215


La thérapie devra déplacer son focus : guérir ces anciennes contusions, pour
réduire la réactivité émotionnelle et permettre aux membres de la famille d’af-
fronter leurs défis.
Face à une demande d’aide de la part de ces familles, la première décision
que nous devrons prendre pour projeter l’intervention est le choix de la pers-
pective de lecture du problème. On peut opter pour le regard des parents, des
grands-parents, des enfants ou de l’éventuelle nouvelle recomposition conju-
gale. Il est évident que le choix relatif à la façon de travailler avec ces situa-
tions complexes dépendra de celle dont arrive la demande d’aide, mais aussi de
la formation clinique du thérapeute et des outils en sa possession.
En tant que thérapeutes familiaux, nous considérons qu’avec les familles
reconstituées, il est presque toujours nécessaire d’assumer la perspective des
enfants, aussi parce que ce sont eux qui, le plus fréquemment, transforment en
un symptôme le problème de couple. D’un autre côté, les familles reconstituées
arrivent souvent en consultation en amenant des problématiques liées à la
parentalité.
Voyons maintenant trois cas cliniques aux types de demande et d’inter-
vention clinique utilisée très différents. Le premier est une consultation avec
le couple, le second, un cas compliqué de rupture de la famille reconstituée, et
le troisième, un processus thérapeutique articulé avec une famille reconstituée
complexe face à une demande de thérapie individuelle.

CAS CLINIQUE
Chacun à sa place

Lucie et Nicolas, de 40 et 43 ans, sont tous les deux séparés et parents. Elle, d’un garçon
de 11 ans, Marc, et lui, de Clarisse, 12 ans. La séparation de Lucie est survenue quand
Marc avait 3 ans, au terme d’une relation que Lucie qualifie d’« épuisée ». Son ex, qu’elle
a connu sur les bancs de l’école, la trompait depuis toujours, et elle, dans la crainte de
rester seule, a toujours toléré ses allers-retours. Elle l’a directement épousé, et ensuite,
une fois qu’elle a eu Marc, elle a décidé de mettre définitivement un terme à la relation,
par ailleurs avec soulagement chez son ex-mari. Ils sont restés en bons termes, même
si c’est elle qui a entièrement subvenu financièrement aux besoins de leur fils. Marc
définit son père comme « son meilleur ami » : il l’appelle par son prénom, et il va
s’amuser avec lui à chaque fois qu’ils se rencontrent.
Nicolas, de son côté, a quitté son ex-femme il y a trois ans avec une séparation consen-
suelle. En réalité, il connaissait déjà Lucie, et il avait commencé une relation extraconju-
gale avec elle.
Clarisse, qui est restée vivre avec sa mère, fréquente son père deux week-ends par mois
et deux jours durant la semaine, comme prévu par les accords de séparation. Les rela-
tions entre Nicolas et son ex-femme sont plutôt froides et occasionnelles ; toutefois,
son ex se montre disposée à collaborer pour leur fille, en lui concédant la possibilité
de fréquenter la nouvelle famille de son père.

216 Comment aider les couples en crise ?


Marc a assez bien accueilli Nicolas, qui l’a séduit tout de suite en partageant sa passion
pour la PlayStation.
Clarisse et Lucie se sont rencontrées tout de suite après le début de la vie commune
du nouveau couple, et la relation a commencé amicalement, sans forçage de la part
de Lucie, qui s’est montrée compréhensive envers la fillette, bien que cette dernière ait
toujours maintenu envers elle un comportement prudent.
Chez Lucie et Nicolas, ils s’appellent tous par leurs prénoms, adultes et enfants, comme
s’ils étaient un groupe d’amis qui a choisi de vivre ensemble parce qu’ils s’aiment bien.
Quand elle est chez eux durant la semaine, Clarisse dort dans la chambre de Marc, et
elle regarde la télé jusque tard, pendant que Lucie et Nicolas s’enferment dans leur
chambre à la fin du dîner. C’est Lucie qui accompagne les deux enfants à l’école, étant
donné que Nicolas doit partir très tôt le matin.
Depuis quelque temps, la fillette montre des signes d’agacement quand elle est à la
maison avec eux ; elle est méprisante avec Marc ; mais surtout, Lucie a découvert qu’elle
lui vole de l’argent dans son sac quand elle le laisse sans surveillance. La mère de
Clarisse n’est pas au courant de tout cela, et le couple ne voudrait pas le lui faire savoir,
étant donné qu’elle pourrait « prendre des mesures indésirables ».
Lucie et Nicolas nous demandent une consultation de couple, pour recevoir des conseils
sur la façon d’affronter l’affaire avant que la situation ne dégénère. Ils sont tous les deux
très préoccupés.
Par où commencer ? Peut-être par la bonne foi dans laquelle se trouvent ces deux
braves personnes, sociables et amicales, mais sans aucune perception de l’immaturité
parentale qui les rassemble. Ils veulent beaucoup de bien à leurs enfants, qu’ils câlinent
bien trop, sans toutefois leur donner aucune limite. S’appeler tous par leurs prénoms
fait penser à une absence totale de frontière générationnelle, tout comme laisser les
enfants (préadolescents !) à eux-mêmes le soir pendant que le couple a sa vie privée.
Marc nous semble très seul et nous fait penser à un animateur de village vacances
plus qu’à un enfant, tant à la maison qu’avec son père. Clarisse, quand elle devrait
être avec son père, est en réalité avec sa nouvelle famille, toujours tous ensemble,
ou bien avec Lucie quand elle l’accompagne à l’école. Dans la géographie de la
famille, il y a ensuite la mère de Clarisse, dont nous ne savons pas si, n’ayant pas de
relation avec Nicolas, elle maintient la fillette bloquée dans un conflit de loyauté.
C’est probable.
L’intervention consistera en peu de séances de consultation, au cours desquelles sera
essentiellement donnée une série de prescriptions que le couple s’efforcera d’exécuter.
Avant tout, Nicolas devra trouver du temps, et un espace différent, pour être seul avec
sa fille, pour faire des choses plaisantes ensemble, mais aussi pour suivre son évolution
scolaire. Si possible, il devra l’accompagner à l’école, et parfois lui faire la surprise d’aller
la chercher. Avec l’accord de Lucie, il sera utile que Nicolas parle avec son ex-épouse
pour avoir son avis sur la façon dont elle voit grandir leur enfant, en lui manifestant du
respect et un désir de collaborer.
En ce qui concerne Marc, Lucie devra demander quelque chose de plus à son fils, étant
donné qu’il étudie peu et mal, en faisant juste ce qu’il faut. Elle pourrait inviter quelques
camarades d’école pour faire leurs devoirs ensemble, quand elle est à la maison l’après-
midi, et définir des horaires pour la télé ou la PlayStation, qui peuvent s’élargir après

Le couple dans la famille reconstituée 217


quelques bonnes notes obtenues en plus. Étant donné qu’ils ont de très bons rapports,
elle devra ensuite demander à son ex-mari comment il pense pouvoir être plus présent
comme père pour son fils.
Au couple, il sera aussi demandé de trouver la façon d’héberger Clarisse dans une
chambre différente de celle de Marc, et surtout de vivre leur intimité seulement quand
les enfants dorment ou ne sont pas à la maison.
Dernière prescription : que Marc et Clarisse s’adressent chacun à leurs parents biolo-
giques en les appelant « papa » et « maman ».
Après quelque temps, le couple nous fera savoir que les choses à la maison vont
beaucoup mieux : Clarisse est plus tranquille, et il n’y a plus eu aucun vol ; Marc a
obtenu quelques bonnes notes à l’école ; et ils sentent que leurs ex-conjoints collaborent
mieux, ainsi que les grands-parents des enfants.
Les partenaires, de leur côté, nous informeront que la relation de couple s’est aussi
améliorée, et particulièrement dans la sphère intime et dans la complicité. La simple
restructuration des frontières internes, d’abord inexistantes, a ainsi permis à l’espace du
Nous d’émerger sous la forme d’un territoire privé, solide et légitime.

CAS CLINIQUE
Bibbidi bobbidi bou : qu’ils se sourient !

Marlène et Xavier sont tous les deux originaires du Gabon et sont deux conjoints en
cours de divorce.
Pour elle, c’est la seconde séparation. Marlène a déménagé en Italie très jeune pour
étudier la médecine, et elle y est tombée enceinte de Mélissa, qui a aujourd’hui 17 ans,
d’une relation avec un camarade de promotion. Pour terminer leurs études, les deux
jeunes décideront d’envoyer la fillette au Gabon, en la confiant à la famille maternelle.
En réalité, après peu de temps, les deux jeunes se quitteront, et Marlène cessera tota-
lement les relations avec le père de sa fille, qui ne verra plus cette dernière. Arrivée à
son doctorat, Marlène reprendra Mélissa avec elle, pour déménager en France, où elle
commencera sa spécialisation, en gagnant sa vie grâce à de petits boulots. Après peu
de temps, elle rencontrera Xavier.
Pour Xavier, c’est le troisième divorce. Des deux précédents mariages, il a eu quatre
enfants : du premier, Laurent, qui a aujourd’hui 18 ans, et du second, Esther, âgée de
16 ans, et des jumelles de 14 ans, Sophie et Isabelle. Xavier a aussi déménagé jeune
en Europe. En France, il a terminé brillamment ses études et entrepris une carrière dans
le champ de l’économie et de la finance dans différentes villes. Il s’y mariera deux fois,
et à la suite de ses divorces, ses enfants resteront vivre avec lui. Malgré tout, il main-
tiendra une bonne collaboration parentale avec ses ex-épouses.
Marlène et Xavier se sont connus il y a huit ans à Paris, et après à peine six mois, elle
tombe enceinte, et ils décident de se marier. C’est ainsi que Marlène et Mélissa démé-
nagent chez Xavier, où ils vivront tous ensemble avec ses quatre enfants. D’un seul
coup, au moment de leur mariage, la famille sera composée de sept personnes : deux

218 Comment aider les couples en crise ?


adultes, cinq enfants et une à venir, Mathilde, qui a aujourd’hui 7 ans. Après seulement
deux ans, il en arrivera une seconde : Alexia.
Juste après la naissance de la seconde fillette, la famille déménagera pour des raisons
professionnelles de Xavier en Italie, où elle vivra jusqu’à il y a un an, quand Marlène
demandera la séparation pour des raisons graves : elle accusera le premier fils de Xavier,
Laurent, d’agressions sexuelles sur Mathilde. Tout cela, semble-t-il, à la suite d’une confi-
dence de sa fille Mélissa, qui elle-même en aurait eu connaissance par Esther, une des
filles de Xavier. En même temps que la demande de séparation, Marlène et Mélissa
quitteront la maison familiale, en emmenant les deux petites.
La situation arrive chez nous, adressée par Le Conseiller Technique (CTU) du tribunal
qui, après les visites à domicile des deux conjoints et les entretiens avec les enfants,
rédige son rapport en confiant les deux fillettes à leur père ; mais dans le même temps,
il conseille au couple un parcours thérapeutique du fait de la forte hostilité entre les
partenaires. Marlène, soutenue par son avocat et par sa CTP, a l’intention de faire appel
de la décision, en demandant la garde des filles.
La première rencontre a donc lieu avec le couple, qui ne dialogue désormais plus si ce
n’est par voie judiciaire.
Comme pour tous les couples en phase de séparation judiciaire, l’incitation à suivre un
parcours thérapeutique devra être transformée en un intérêt à travailler pour eux-mêmes
et pour leurs enfants. La séance sera donc consacrée à nous connaître et à décider si
nous pouvons faire quelque chose d’utile ensemble.
Les deux partenaires sont tendus et gênés, chacun à une extrémité du même divan.
La thérapeute n’a aucune intention de parler du procès ouvert, ni encore moins d’abor-
der le sujet de l’abus sexuel : on tomberait dans une souricière dont il serait ensuite
très difficile de sortir. La première question en revanche sera posée à Xavier :
THÉRAPEUTE : Qu’est-ce qui vous a fait tomber amoureux de cette femme ?
XAVIER [après un long silence] : J’avais besoin d’elle ! Je l’ai compris seulement après, et je
suis désolé !
THÉRAPEUTE [tournée vers Marlène] : Vous le saviez, cela ?
MARLÈNE : Peut-être.
XAVIER : Je sortais d’un second divorce, survenu seulement six mois auparavant. Moi,
je ne l’avais pas souhaité. Ma femme avait un autre homme, et l’a choisi, lui.
Ça a été un traumatisme pour moi, et j’étais complètement déprimé. Une
longue période de dépression… Je pense que Marlène m’a apporté de la
protection. J’avais besoin de quelqu’un… comme une mère, une confidente.
Elle était la seule personne avec laquelle je pouvais parler. Si j’avais eu ma
famille là-bas avec moi ! Je n’avais pas d’amis. Si j’avais eu la lucidité ! Je n’ai
pas fait attention !
THÉRAPEUTE : À quoi ?
XAVIER : À la communication ! J’ai très tôt réalisé que, face à n’importe laquelle de mes
idées et de mes décisions, je trouvais toujours une porte close. Elle ne prenait
pas en compte les risques que je lui exposais. Mais son mode de communica-
tion… Elle criait, elle était impulsive ; moi, je ne connaissais pas cette façon de
faire. J’ai perdu mon père quand j’avais 10 ans, et lui ne parlait que très peu !

Le couple dans la famille reconstituée 219


THÉRAPEUTE : Vous aviez remarqué ses difficultés [à lui] ?
MARLÈNE [un peu surprise par le climat inattendu] : La communication était très difficile.
Non pas que nous ayons eu des points de vue différents, mais j’ai souvent
eu la sensation de ne pas être écoutée. Il avait déjà une vie, ses idées, ses
règles, ses projets, et il n’y avait pas de place pour les miens. Et quand j’en
discutais avec lui, il ne m’écoutait pas. […]
THÉRAPEUTE : Et vous ? Qu’avait cet homme pour vous faire perdre la tête, et pour vous
décider à prendre en charge quatre autres enfants, en plus de la vôtre ?
MARLÈNE : Il sortait d’un divorce et voulait une famille. Moi aussi, j’en voulais une ; mais
je voulais aussi d’autres choses… je voulais me réaliser. Je voulais me spé-
cialiser, mais je ne pouvais pas ; économiquement, ça ne le faisait pas. Et
puis, lui, il était aussi un homme fiable ; il avait des valeurs morales et des
principes sains. Peut-être naïvement… Je ne m’étais pas mise dans l’optique
d’une famille reconstituée… Naïvement, je pensais : « Nous nous sommes
mariés, nous avons des enfants, ce sont tous les nôtres ! » et parfois, quand
on pense comme ça, on peut être envahissant sans le vouloir. Quelquefois,
il me disait : « Stop ! Ceux-ci sont mes enfants ! »… moi, je ne le voyais pas
comme ça, c’étaient nos enfants…
THÉRAPEUTE : Quel âge aviez-vous quand vous vous êtes mariés ?
MARLÈNE : Trente-cinq, et donc… je venais d’une famille très nombreuse. Ma mère avait
dix frères, et moi, cinq sœurs, donc l’idée d’une grande famille ne m’effrayait
pas !
THÉRAPEUTE : Et comme ça, vous l’avez conquis !

Déjà, à partir de ces premières répliques, nous pouvons imaginer ce que les conjoints
cherchaient chacun chez l’autre. Effectivement, Xavier avait besoin d’une femme près
de lui qui l’aide à élever ses enfants, et qui lui redonne un peu de vie. C’est un homme
qui a des tendances dépressives, qui ressent fortement la responsabilité parentale, mais
qui a aussi beaucoup de lacunes à remplir : un père cryptique, et deux ex-épouses
étrangères qui l’ont abandonné.
Le mode de vie de Marlène, moins prudent que le sien, l’a sans doute fasciné ; et
cette femme, originaire du même pays, lui a probablement donné confiance. Mais
Marlène est aussi une femme très ambitieuse, projetée surtout vers son avenir pro-
fessionnel. Habituée qu’elle était à vivre dans une grande famille (avec tant de
femmes !), elle est entrée dans sa nouvelle famille un peu comme une des nombreuses
filles, tournée plus vers son avenir personnel que vers le présent d’une famille
complexe.
À la fin de la première séance, la thérapeute propose de rencontrer la famille avec tous
les enfants, un peu avec l’idée de se faire aider par eux, pour trouver les ressources
utiles pour une séparation consensuelle, mais aussi pour observer la relation entre les
frères et sœurs, et particulièrement entre Mathilde et Laurent. Nous devons dire en
préambule que, selon le rapport du CTU, l’histoire de l’abus apparaît infondée et comme
un prétexte ; toutefois, la dénonciation, dont les aînés ont certainement connaissance,
car ils y sont mêlés, doit avoir quand même provoqué une certaine inquiétude chez
les enfants.

220 Comment aider les couples en crise ?


Marlène n’arrive pas à accepter la rencontre avec tout le monde. Elle dit que c’est trop
douloureux pour elle. De plus, elle ne comprend pas le pourquoi d’une telle demande,
étant donné que ce n’est plus sa famille. Elle accepte en revanche d’être présente à la
prochaine rencontre avec leurs filles.
La rencontre avec les fillettes sera un entretien clé. On décidera de jouer avec des
feuilles et des crayons de couleur pour dessiner leur famille. Face à leurs parents, assis
à l’opposé l’un de l’autre, Mathilde et Alexia nommeront tous les membres de la famille,
en attribuant des sourires ou de la tristesse à tous ces petits visages. Seront dessinés
l’école dans la zone où ils habitent avec leur père, et que tous les frères et sœurs fré-
quentent (sauf Mélissa qui n’habite désormais plus avec eux, mais avec sa mère), l’uni-
forme qu’elles endossent et la nounou qui prend soin d’elles. Leur frère et leurs sœurs
seront dessinés chacun avec ses particularités, des chaussures à talons de Mélissa aux
bracelets des jumelles, en passant par les lunettes teintées de Laurent. Les parents
assisteront pensifs et attendris.

À un moment donné de ce joli jeu, on ira un peu plus en profondeur :


THÉRAPEUTE [tournée vers les filles] : Vous avez fait un magnifique dessin, et vous y avez
mis vraiment tout le monde ! Vous êtes douées ! Maintenant, faisons de la
magie ! Avec cette baguette magique, si on devait changer quelque chose
dans cette famille, que voudriez-vous changer ?
MATHILDE : Que la famille soit un cœur !
ALEXIA : Il faut dire la formule magique !
THÉRAPEUTE : Très juste ! Alors, prononce la formule magique !
MATHILDE : Bibbidi bobbidi bou ! [Puis, elle dessine un grand cœur sur la feuille, qui
englobe tous les personnages.]
THÉRAPEUTE : Mais toute cette famille est dans ton cœur ? Tout entière et pour
toujours ?
MATHILDE : Oui.
THÉRAPEUTE : Et dans vingt ans, quand peut-être tu te marieras, qui de ta famille inviteras-tu
à ton mariage ? Dis-moi les noms !
[Mathilde les énumère tous, un par un, parents compris.]
THÉRAPEUTE [tendant la baguette magique à Alexia] : Et toi alors ? Si tu pouvais changer
quelque chose, que ferais-tu ?
ALEXIA : Qu’ils touchent l’arc-en-ciel tous ensemble !
THÉRAPEUTE : Quel joli vœu ! Je veux te poser une autre question alors. Si tu pouvais faire
un autre tour de magie pour changer quelque chose maintenant, tout de
suite ?
ALEXIA : Que tous aillent bien, et que maman et papa revivent ensemble pour
toujours !
THÉRAPEUTE : C’est bien ! C’est toujours bien de dire la vérité ! Mais tu sais, des fois, il n’est
pas facile pour les grands de faire les choses bien, et ils peuvent se tromper.
Si ce n’est pas possible pour eux deux de vivre ensemble, que pourraient-ils
faire ?
ALEXIA : Qu’ils se sourient !

Le couple dans la famille reconstituée 221


THÉRAPEUTE : C’est un peu difficile peut-être pour toi, pas vrai ? Quand tu es avec papa, tu
penses à maman ; et quand tu es avec maman, tu penses à papa, n’est-ce
pas ?
ALEXIA : Oui. On peut être plus proche. Maman, quand elle vient me chercher, je la
vois par la fenêtre…
THÉRAPEUTE : Elle ne vient pas te chercher à la maison ?
ALEXIA : Non, elle n’entre pas ! Quelquefois, elle pourrait venir, et rester aussi ensemble.
On pourrait faire plein de choses !
THÉRAPEUTE : Écoute Alexia, dis-moi une chose : si Mélissa était ici aujourd’hui, et qu’elle
pouvait faire de la magie, que penses-tu qu’elle voudrait ?
ALEXIA : Être toujours avec nous ! [Puis, tournée vers la thérapeute et la regardant
dans les yeux.] Je me suis amusée aujourd’hui. Je voudrais que tu connaisses
mon frère et mes sœurs. Si tu veux, je leur dis de venir tous !
THÉRAPEUTE [parmi les rires de tous] : Tu es la plus petite, mais tu es la cheffe de famille !

La séance avec toute la famille sera fixée, mais malheureusement, quelques heures
avant la rencontre, Marlène téléphonera à la thérapeute en lui disant qu’elle ne sera
pas présente, ni Mélissa non plus. Elle dira qu’elle est vraiment désolée, mais qu’elle ne
se sent pas de le faire, au moins pour le moment. Mais, elle sera contente si la rencontre
entre les adolescents et les fillettes a lieu avec leur père.
La séance avec Xavier et tous ses enfants sera très utile pour restaurer l’harmonie entre
les frères et sœurs qui cohabitent. On abordera les divorces précédents, les différentes
mamans, comment était le passé pour les adolescents, comment ils vont aujourd’hui
et leurs projets futurs.
Xavier pourra toucher du doigt combien ses enfants ont toujours perçu ses difficultés
de père, et ont accepté pour lui des compromis, parfois en payant des prix personnels
dont lui-même ne s’était peut-être jamais rendu compte jusqu’au bout.
La grande absente, Mélissa, manquera un peu à tous, moins à certains, et le plus à
Esther, la sœur impliquée dans la scabreuse confidence sur Laurent, qui se sentait
peut-être coupable d’avoir contribué à créer un grand malentendu. Mais en laissant
un peu de temps au temps, elle pourra toujours lui téléphoner directement, et elles
pourront éventuellement se voir pour manger une glace.
Marlène suspendra toute action juridique, acceptant de fait la décision de droit de
garde des fillettes à leur père.

CAS CLINIQUE
Un transatlantique à la dérive

Une femme téléphone, sollicitant un rendez-vous pour une « thérapie individuelle systé-
mique ». Un peu surprise par la technicité inhérente dans ce premier appel, la thérapeute
demande quelques éclaircissements sur le type de problème pour lequel la dame voudrait
être aidée. « J’ai un compagnon depuis dix ans, qui a un fils de 18 ans, avec qui

222 Comment aider les couples en crise ?


malheureusement je n’ai pas une bonne relation. Il m’évite, et je ne réussis pas à me faire
intégrer », affirme la femme. La thérapeute lui propose une rencontre avec son compa-
gnon, imaginant devoir intervenir pour le couple, mais la dame refuse catégoriquement
et insiste sur la thérapie individuelle systémique, car le problème, selon elle, ne concerne
qu’elle : « Depuis quelque temps, je souffre d’attaques de panique et d’insomnie. Je me
sens étrange comme jamais dans ma vie. J’ai toujours été forte, mais maintenant, il me
semble que tout est en train de s’écrouler… et je me sens vulnérable ! »
La thérapeute, plutôt intriguée par cette demande singulière, accepte de la rencontrer
seule.

Les trois premières séances : la situation de Sveva


Sveva a 50 ans, c’est une belle femme, cultivée et raffinée. Née dans le Sud de la Suisse,
de langue allemande, elle parle un français parfait. Dans le passé, elle a fait un parcours
de psychanalyse pendant quelques années.
À l’âge de 23 ans, quand elle était encore étudiante à l’université, elle a rencontré John,
un entrepreneur d’origine anglaise beaucoup plus âgé qu’elle ; elle est tombée amou-
reuse et a quitté son pays, contre l’avis de sa famille, pour le suivre à Paris. Lui est divorcé
et a trois enfants adolescents, Marc de 18 ans, Laure, de 16 ans, et Carl de quatorze,
qui vivent avec lui dans une très belle maison au centre de Paris. Sveva se dépense
beaucoup pour les enfants de John, en se mettant en quatre pour eux, comme une
seconde maman. Après une brève cohabitation, John lui demande de l’épouser ; les
préparatifs de la noce seront somptueux, mais personne de la famille de Sveva n’y
participera. De leur union, naîtront deux autres enfants, Greta et Peter, qui ont aujourd’hui
respectivement 23 et 18 ans.
Sveva parle d’une vie heureuse, d’elle qui gérait si jeune une famille si grande et si
belle, de la façon dont elle a réussi à terminer ses études et à entamer une carrière en
s’occupant de tous ses enfants, en prenant soin de leurs amis et des amis du couple.
Elle allait voir ses parents seulement occasionnellement, surtout après la naissance de
ses enfants, mais son mariage ne sera jamais accepté et les grands-parents ne se ren-
dront jamais dans sa splendide maison.
Quand Greta a environ 10 ans et Peter, cinq, Sveva découvre par hasard que son mari
a depuis longtemps une relation avec la mère d’un camarade de classe de sa fille. Pour
Sveva, la trahison est « un éclair dans un ciel serein, un scandale, une humiliation inac-
ceptable », et sa réaction est immédiate : elle contraint John à s’en aller de la maison
avec ses trois premiers enfants, et elle s’en remet à l’un des plus importants cabinets
d’avocats du pays pour demander la séparation pour faute. John lui rend la monnaie
de sa pièce, en mandatant un cabinet d’avocats aussi réputé. La guerre a commencé
comme cela, en utilisant toutes les armes possibles : expertises et contre-expertises
pour obtenir la garde exclusive des enfants et l’attribution de la maison, missions à des
détectives privés, audition des enfants au tribunal. L’intervention de divers médiateurs
familiaux et de psychologues demandée par John n’aura aucun effet : Sveva est
inflexible. Par ailleurs, six mois à peine après le départ de la maison de John, Sveva se
lie à Stéphane, son compagnon actuel et son ex-collègue, lui aussi séparé avec un fils,
et elle l’invite à venir vivre dans la maison de John, où elle est restée avec ses enfants.
La guerre durera bien dix ans, et ce seront des années terribles : Greta développera
une anorexie grave autour de ses 13 ans, puis elle fuguera de la maison à plusieurs

Le couple dans la famille reconstituée 223


reprises, restant introuvable pendant des mois, et elle coupera complètement les liens
avec son père pendant environ trois ans. Peter, avec l’arrivée de l’adolescence, ne réussira
plus à avoir un niveau scolaire suffisant ; il deviendra toujours plus agressif et sera
expulsé de l’école plusieurs fois, puis définitivement.
Le verdict définitif du tribunal attribuera la garde des enfants à la mère, ainsi que la
maison, où elle vivait déjà depuis de nombreuses années avec Stéphane et ses enfants.
Actuellement, la guerre de dix ans, malgré la sentence définitive, est encore ouverte
et sanglante : John et Sveva se méprisent et n’ont aucune sorte de relation directe.
Depuis quelques mois, leur fille Greta est définitivement partie de la maison pour vivre
avec son petit ami. Les relations entre Greta et son père ont repris après trois années
de totale fermeture de la part de la jeune femme ; mais Greta est souvent en colère
contre lui, comme contre sa mère. Peter, actuellement à l’étranger pour terminer ses
études secondaires, a de bons rapports avec ses deux parents.
Les trois premiers enfants de John vivent dans diverses villes à l’étranger, et Sveva n’a
plus de relations avec eux depuis la séparation de fait. Greta parle fréquemment avec
tous ses frères et sœurs, alors que Peter a seulement des rapports occasionnels avec
quelques-uns. Stéphane a de bonnes relations avec Peter, et ambivalentes avec Greta.
Sveva et Stéphane vivent seuls dans la maison de John. John vit seul dans un appar-
tement près de celui de sa première épouse.
Pendant que Sveva raconte sa longue et triste histoire, la thérapeute l’écoute et réfléchit
à quoi faire. Ce qui émerge clairement de la vie relationnelle de cette femme est un
nombre considérable de fractures, de déchirures douloureuses qui l’ont beaucoup
marquée.
Comment procéder, alors ? La thérapeute est toujours plus convaincue qu’une thérapie
individuelle pourrait représenter le renoncement définitif à la possibilité de suturer ses
relations fondamentales. Elle décide de se donner encore un peu de temps pour vérifier
quelles sont les préoccupations les plus profondes de cette femme avant de projeter
l’intervention.
Lors des deux séances suivantes, les vraies préoccupations de Sveva émergent.
Son angoisse est liée à ses enfants : Greta, pour ses fréquentes ruptures avec ses deux
parents, ses fugues de la maison, sa période anorexique, ses crises de colère répétées,
son désespoir et son instabilité ; mais aussi Peter pour son faible rendement scolaire,
suivi par son abandon de l’école française pour se rattraper dans une école anglaise,
« loin des regards indiscrets et humiliants ».
Au terme de la troisième séance, Sveva introduira la métaphore du transatlantique pour
définir la grande famille dont elle a décidé de s’occuper, contre l’avis des siens et à
seulement 23 ans. « Ça me plaisait tellement, mais ensuite tout s’est brisé, et j’ai laissé
partir le transatlantique ! » affirmera-t-elle.

Le génogramme de Sveva
La quatrième séance sera dédiée au génogramme photographique et au récit de l’his-
toire de Sveva, avec l’objectif de découvrir comment, dans son processus de dévelop-
pement, elle a appris à jouer le rôle de timonier.
« Dans un village des Alpes suisses… j’étais la première fille d’une mère hypertrophique
et d’un père dont il fallait prendre soin… » synthétise Sveva en parlant de ses parents

224 Comment aider les couples en crise ?


et de l’endroit où elle est née. Sa mère, raconte-t-elle, n’a jamais aimé son père, parce
que son grand amour de jeunesse était un autre, mais elle l’épousa selon la volonté
de sa famille, étant donné que c’était un homme fiable et qu’il occupait une position
respectable dans le petit contexte où ils vivaient. Ainsi, après le mariage, la mère de
Sveva a vécu toute sa vie en se consacrant complètement à ses trois enfants, qui ont
fait écran entre elle et son mari. Sveva, qui a toujours senti la souffrance et la solitude
de son père, est devenue celle qui en prenait soin en se substituant à sa mère, en
l’aimant et en lui procurant de nombreuses satisfactions durant ses études et sa carrière,
à la différence de ses frères. Avec sa mère, en revanche, la relation est toujours restée
conflictuelle.
Encore aujourd’hui, bien que Sveva vive dans une autre ville, c’est elle qui s’occupe
quotidiennement de son père, désormais seul et très âgé, en donnant des directives
par téléphone à ses frères, restés vivre dans leur village d’origine, quant à la façon de
prendre soin de lui.
Du récit de l’histoire familiale, Sveva émerge comme une figure centrale dans sa
famille. En résumé, les défis individuels qui ont donné une direction à sa vie semblent
être : « La famille doit se fonder sur l’amour conjugal et sur la respectabilité sociale »,
« La relation de couple doit être cultivée et protégée » et « Les enfants doivent être
encouragés à grandir vite ». Les ressources de cette femme sont une intelligence
brillante et une bonne dose de courage et de détermination, alors que parmi ses
limites en apparaît une très importante : la rencontre impossible avec la fragilité
féminine.
Au terme de cette séance, les objectifs thérapeutiques deviennent toujours plus clairs
pour la thérapeute : une thérapie individuelle peut ne pas suffire, et surtout ne pas
résoudre les si nombreux problèmes relationnels ouverts de Sveva, qui ne peut pas
compter sur une parentalité partagée et collaborative avec le père de ses enfants,
méprisé par Sveva et Stéphane au point de l’avoir affublé du surnom d’« artichaut »,
ouvertement utilisé à la maison, même en présence des enfants de Sveva. D’un autre
côté, Sveva a fui deux tentatives de médiation familiale et n’a aucune intention de
rencontrer son ex-mari. Comment faire ?

L’alliance thérapeutique pour une « proposition indécente »


De la cinquième à la huitième séance, le travail avec Sveva aura comme objectif principal
de renforcer et de consolider l’alliance thérapeutique, pour donner la possibilité à la
thérapeute de s’approprier le gouvernail de la thérapie, et de changer de setting. Forcer
la main, pour sortir du cap imaginé par Sveva, peut être risqué avec une femme comme
elle, si déterminée et rigide. Il y a toutefois une question à laquelle il faudra donner
une réponse : « Mais, aujourd’hui, le transatlantique navigue-t-il à vue, ou quelqu’un le
guide-t-il ? »
L’objectif de ces séances sera justement d’amener Sveva sur cette longueur d’onde, en
l’aidant à réfléchir sur la façon dont le gouvernail, qu’elle a laissé aller en abandonnant
le transatlantique, a été probablement légué à l’un de ses enfants.
Finalement, dans la huitième séance, se présentera une ouverture importante pour que
la thérapeute puisse faire sa proposition « indécente ».
SVEVA : C’est ma fille qui a besoin d’aide ; elle voudrait faire des séances individuelles
avec vous.

Le couple dans la famille reconstituée 225


THÉRAPEUTE : Dites-lui de rester à la maison, pour l’instant. Dites-lui aussi que je suis déjà
en train de travailler pour elle. Et, pour le lui prouver, la prochaine fois, vous
devez m’amener votre ex-mari, parce que, pour l’aider, je dois monter avec
vous à bord du transatlantique !
La proposition est accueillie par Sveva avec une grande stupeur. Pour elle, il est toujours
impensable de s’asseoir dans la même pièce que John ; mais peut-être qu’inconsciem-
ment, elle s’est déjà rendu compte que c’est de là que nous devons repartir si nous
voulons aider ses enfants. De plus, le message pour Greta de la part de la thérapeute
aura une grande valeur pour évaluer combien, depuis la maison, la fille est disposée à
nous aider : si la thérapeute obtient son approbation, la rencontre avec ses parents
aura lieu, et la thérapie familiale pourra peut-être commencer.
Après quelques jours, Sveva confirmera la participation de John à la prochaine
rencontre.

« Mettons les documents sous le divan ! »


La rencontre fatidique a lieu à la neuvième séance. Sveva arrive légèrement en avance,
et est très nerveuse. John, qui arrive après quelques minutes, a avec lui une grande
sacoche pleine de documents sur la guerre tragique : expertises, lettres, témoignages,
et ainsi de suite.
La thérapeute s’appuie sur l’alliance thérapeutique consolidée avec Sveva pour la faire
patienter, alors qu’elle laisse le premier quart d’heure à la totale disposition de John
pour argumenter comme il le souhaite sur ses raisons d’être finalement face à son
ex-épouse. On peut facilement imaginer que ce que John voudrait obtenir d’elle est la
restitution de sa maison, vu qu’aujourd’hui, Sveva y vit exclusivement avec son com-
pagnon. Ses attentes à l’égard de cette rencontre sont probablement de se donner la
possibilité de décrire ce qui est arrivé entre eux au niveau judiciaire, pour obtenir les
réparations qu’il entend encore recevoir.
Peu après, toutefois, la thérapeute fera une proposition : « Dommage ! Aujourd’hui,
vous auriez en réalité une autre possibilité : celle de mettre les documents sous le divan,
et de vous dire tout ce que vous ne vous êtes jamais dit sur vos enfants, en particulier
votre préoccupation pour eux durant ces années. Je suis certaine que vous avez beau-
coup souffert pour eux, vous deux, et peut-être que vous auriez souhaité le partager,
à la recherche d’aide, mais cela n’a pas été possible ! Qu’en dites-vous, est-ce que nous
essayons ? »
L’objectif pour la thérapeute est de faire en sorte que ces deux parents, qui se méprisent
en tant que personnes, et ne se parlent pas directement depuis presque treize ans,
puissent finalement se confronter dans un contexte différent.
Ce sera une rencontre de plus de deux heures, au cours de laquelle Sveva et John
pourront raconter chacun les moments les plus durs de leur vie de parents. Émergeront
différents malentendus générés par des préjudices réciproques, instrumentalisés par
les nombreuses figures professionnelles impliquées, beaucoup de non-dits et de choses
dites non vraies, des faits survenus dont l’autre n’avait pas connaissance. Chacun devien-
dra moins « monstre » aux yeux de l’autre. À certains moments, ils seront émus, et ils
arriveront à sourire ensemble à propos de leurs enfants. En définitive, le contexte chan-
gera notablement, et ce sera une séance importante, au terme de laquelle la thérapeute
fera une seconde proposition aux ex-conjoints : se revoir pour une seconde rencontre,

226 Comment aider les couples en crise ?


afin de comprendre ensemble pourquoi ils se sont aimés, unis et quittés. Le souhait
de John de mieux comprendre la fin de leur relation, si brusquement et définitivement
interrompue par Sveva sans explication, est saisi par la thérapeute, qui agit pour les
faire revenir, en faisant à John une proposition intéressante pour lui. La relation théra-
peutique désormais bien consolidée avec Sveva lui permettra de défier sa patiente.
En effet, dans l’intervalle entre cette séance et la suivante, la thérapeute recevra un
appel téléphonique de Sveva : « C’est un effort titanesque ! Je ne sais pas si je réussirai
à faire une autre rencontre avec lui ! J’ai confiance en vous, mais dites-moi que ça ne
durera pas longtemps ! […] Je voulais ensuite vous dire que Greta est très contente de
ce que nous sommes en train de faire, et Peter m’a appelé d’Angleterre en me disant
qu’il a su qu’il y avait de bonnes nouvelles ! »
Les enfants, depuis chez eux, sont en train de nous aider.

La thérapie du divorce entre John et Sveva


Comme promis, à la séance suivante, la thérapeute demandera à John de raconter son
histoire de vie, afin de retracer et de mettre en lumière ces éléments clés qui feront
comprendre le sens de leur union, du début à la fin.
John est né d’une brève relation extraconjugale que son père, un militaire anglais, a eue
avec la fille d’un général français, âgée de 18 ans, pendant la guerre. Il sera reconnu, mais
son père retournera en Angleterre dans sa famille, laissant à eux-mêmes la jeune femme
et son bébé. À John, on dira de son père qu’il est mort pendant la guerre. Il grandira ainsi
dans la maison de ses grands-parents, avec une mère inaccessible, éternellement enfermée
dans sa chambre et « un peu folle ». Autour de ses 20 ans, sur le point d’épouser sa
première femme, John découvrira la tromperie en fouillant par hasard dans un tiroir, où
il trouvera l’adresse de son père. Il se présentera ainsi chez son père, où celui-ci vivait
avec sa famille, et lui demandera, pour une fois au moins, de s’asseoir à l’église, à côté de
sa mère, le jour de son mariage, comme une famille normale. Le père acceptera, pour
ensuite s’en retourner en Angleterre. Par la suite, leurs rapports continueront, mais toujours
à l’initiative de John, qui sera accueilli par la famille de son père, mais comme un invité
et un « fils gratuit » : à la mort de son père, il ne sera pas reconnu parmi les héritiers.
De l’histoire de John, émerge comment ses choix de vie se sont au fond basés sur
quelques-unes de ses convictions profondes : « Les enfants font la famille », « Le féminin
est inaccessible » et « Il n’y a que mes enfants qui ne me quitteront jamais ». Et ainsi,
pour John, avoir beaucoup d’enfants est devenu son objectif le plus important, parce
que, au-delà de lui garantir le soutien émotionnel, ses enfants constituent ce lien « pour
toujours » que la relation de couple ne garantit pas. D’ailleurs, à la fin de son premier
mariage, les enfants ont suivi leur père.
Si l’on reprend l’histoire de Sveva, nous voyons en revanche que, parmi les défis indi-
viduels qui ont donné une direction à sa vie, émergent quelques convictions : « C’est
le lien conjugal qui fait la famille, et qui donne une respectabilité sociale », « Le rapport
de couple doit être cultivé et protégé » et « Les enfants doivent être encouragés à une
autonomie précoce ».
Si, pour John, c’est la paternité qui lui garantit visibilité et sécurité, pour Sveva, c’est le
rôle d’une épouse mettant le couple au premier plan qui peut finalement lui donner
cette reconnaissance jamais reçue de sa mère, cette chose qui la fait encore souffrir.
Pour John, une trahison quelconque n’aurait jamais mis en danger sa famille, alors

Le couple dans la famille reconstituée 227


que pour Sveva, cela a représenté un affront intolérable pour son estime d’elle-même
ainsi que la catastrophe de son projet de vie.
Le climat de la séance entière est calme et réfléchi ; les ex-conjoints commencent à
s’écouter vraiment, à toucher leurs propres vides internes et à percevoir chacun leur
contribution personnelle à la fin du lien.
À la fin de cette séance, la thérapeute invitera les ex-conjoints à revenir, mais cette fois
en tant que parents de Greta, invitée elle aussi à participer à la prochaine rencontre.

Le timonier
La séance avec Greta et ses parents, ensemble sur le même divan, prendra pour la fille
une signification spéciale, dans laquelle elle pourra finalement apporter son vécu
d’« observatrice », particulièrement « durant la guerre ». Greta parlera de son anorexie,
de son extrême solitude, de son désir de mourir, de sa constante préoccupation pour
son frère plus jeune, et de ses nombreuses tentatives pour le protéger du tremblement
de terre qui démolissait les murs de la maison autour d’eux.
La déchirure soudaine de leurs certitudes, et surtout cette atmosphère d’imprévisibilité
dans laquelle les enfants ont vécu pendant très longtemps, ont fait grandir rapidement
Greta, qui a puisé dans toutes ses ressources pour naviguer dans la tempête sans sombrer.
Et tout bien considéré, elle y a réussi, mais le prix qu’elle a dû payer a été de saborder
son projet de vie : elle a interrompu ses études, et aujourd’hui, elle n’a rien construit
pour elle-même ; elle n’en a pas eu l’énergie. Elle parle cinq langues ; elle est extrêmement
intelligente, sensible ; elle a un sens pratique ; mais à l’intérieur, elle est désespérée.
Ses parents, assis à côté, écoutent et réfléchissent.
Autant Sveva que John accepteront de revenir seuls aux deux séances suivantes.
L’alliance parentale commence à se renforcer, et leur attention converge maintenant
sur le présent des enfants et sur l’avenir qu’ils peuvent contribuer à construire ensemble
pour eux. Ils parlent de leurs enfants de manière plus constructive, et ils s’accordent
sur la manière de procéder.
Au terme de la dernière rencontre, Sveva dira : « Je suis en train de chercher une maison
à louer pour mon compagnon et moi. »

Pendant ce temps, à la maison…


Peter informe ses parents qu’il a des doutes sur le fait de revenir en France, parce qu’il
se trouve très bien dans son école anglaise. Évidemment, l’internat anglo-saxon, aux
murs épais et aux règles strictes, a fourni à Peter ce sentiment de sécurité dont il avait
besoin pour reprendre sa vie de garçon brillant qu’il est. Son rendement scolaire a
rapidement grimpé en flèche, et la reconnaissance de la part de ses professeurs n’a
pas tardé à arriver.
Sveva et John, qui désormais communiquent régulièrement, se soutiennent dans le
fait de conseiller à Peter de rester en Angleterre jusqu’à la fin de ses études, s’il le
souhaite. Peter, au téléphone avec sa mère, laisse échapper : « C’est la première fois
que j’ai l’impression d’avoir deux parents ! » Il décide donc de rester et communique
qu’il viendra bientôt en France pour des vacances.
Ayant eu ces nouvelles, la thérapeute invite Peter à la prochaine séance avec toute sa
famille.

228 Comment aider les couples en crise ?


Quatre histoires pour une histoire
La quatorzième séance verra finalement toute la famille biologique ensemble. Les parents
de chaque côté du divan, Peter entre eux, et Greta sur un fauteuil près de celui de la
thérapeute. C’est justement Greta qui prendra la parole pour aider son frère à faire
confiance au contexte. En réalité, il sera facile à Peter d’exposer lui aussi sa vérité. Ce sera
une séance importante : quatre histoires en confrontation pour en construire une, issue
de toutes. Ils retrouveront les similitudes et les différences avec les parents, dénouant
lentement de nombreux petits nœuds.
De cette rencontre, émergera toutefois une fille encore très centrale et contrôleuse.
Le timonier, c’est clair pour tous désormais, c’est vraiment elle : la seule de la famille à
avoir toujours maintenu une relation avec tous ses frères et sœurs, la seule qui encore
aujourd’hui est en train de chercher désespérément à maintenir le cap d’un transat-
lantique à la dérive. C’est une position plutôt radicale que la sienne, de laquelle elle ne
peut pas encore se libérer, et les deux parents perçoivent que leur fille a besoin d’aide.
C’est à ce point que la thérapeute comprend qu’elle peut démarrer une nouvelle phase
du processus thérapeutique, qui verra des séances alternées avec Greta et sa mère et
avec Greta et son père. Peter rentrera en Angleterre et ne pourra pas participer à nos
rencontres pendant un certain temps.

La peur de Greta
Dans l’intervalle avec la rencontre suivante, déjà fixée avec Greta et sa mère, Greta
téléphonera à la thérapeute en lui demandant une « rencontre exceptionnelle où elle
viendrait seule ». Si cette demande représentait la difficulté d’un timonier à lâcher le
gouvernail, le comportement de cette fille ne serait pas ensuite aussi étrange. Toutefois,
à cette rencontre individuelle, Greta amènera autre chose, et peut-être pour la première
fois dans sa vie. Greta avait commencé différentes thérapies individuelles au fil du temps,
adressée par sa mère ou par son père, mais la vérité est qu’elle ne s’est jamais engagée
vraiment, quittant le terrain dès les premières séances.
Dans la rencontre individuelle, cette fois, elle débutera ainsi : « J’ai tellement peur, car
l’espoir est revenu ! Vous êtes sûre de ce que vous faites ? Parce que je ne pourrais pas
supporter une autre désillusion. »
Sûrs du résultat, nous le savons, nous ne le sommes jamais. Ce que toutefois nous
mettons de nous-mêmes dans notre travail, tant en matière personnelle que profes-
sionnelle, c’est l’unique vrai investissement de notre part. Généralement, quand notre
investissement est substantiel, fait de curiosité sincère, de respect et d’affection pour
la famille, cette dernière le sent ; et au moment de prendre des risques, si nous le
faisons, nous, la famille nous suivra.

Le travail trigénérationnel et la conclusion de la seconde phase de la thérapie


Le travail alterné avec Greta et ses parents se déroulera au cours des six séances sui-
vantes, et permettra de reconnecter et de consolider le lien de la jeune femme avec
chacun de ses parents, à l’intérieur de son histoire trigénérationnelle.
Dans les séances avec sa mère, on travaillera sur les rapports conflictuels qui caractérisent
la branche féminine trigénérationnelle. Seront confrontées les deux adolescences, celle
de Greta et celle de sa mère, presque semblables sous de nombreux aspects : Sveva

Le couple dans la famille reconstituée 229


aussi a dû grandir très vite et jouer un rôle adulte qui n’était pas le sien. En opérant une
coupure émotionnelle, elle a archivé tout cela, renonçant pour toujours à contacter sa
propre fragilité. La fragilité de Greta, que la jeune femme met en avant continuellement
à travers ses différents mal-être, est toujours pour Sveva comme une gifle qui l’oblige
d’un coup à se regarder à l’intérieur et à recontacter ce vide trop douloureux pour elle.
De là, la distance de sécurité dont Sveva a besoin, mais qui maintient Greta dans la peur
constante de la perdre. On parlera de la petite enfance de Greta, quand sa maman parlait
à la petite fille en allemand, et de la façon dont leur intimité s’est brusquement interrom-
pue avec l’arrivée de Stéphane dans la maison. Dans son besoin de cultiver et de protéger
la relation de couple, Sveva a malheureusement mis inconsciemment au second plan les
besoins de ses enfants, en particulier ceux de sa fille, qui, comme cela fut le cas pour elle,
aurait pu se sauver en grandissant rapidement.
Aujourd’hui seulement, Sveva comprend et s’arrête pour réfléchir. Greta, de son côté,
peut voir finalement la fragilité de sa mère ; elle éprouve de la tendresse pour elle et
a moins besoin de réparation. Ce seront des séances intenses, profondes, dans lesquelles
mère et fille retrouveront un fil commun qui les unit comme femmes.
Dans les séances avec son père, seront affrontés les thèmes de la peur et de la colère
de Greta, qui ont toujours caractérisé leur relation. La peur, si elle se rapproche trop de
lui, d’être submergée par les besoins paternels ; et la colère du fait de l’invisibilité res-
sentie comme fille. Ce seront des moments émotionnellement très forts, dans lesquels
Greta touchera des sommets de désespoir, et son père, ses propres limites.
GRETA : Papa, je ne veux pas te rassurer !
JOHN : Mais je ne sais pas t’aider !
Mais il y aura ensuite des moments d’intense tristesse, dans lesquels père et fille décou-
vriront avoir passé tous les deux une grande partie de leur vie à la recherche d’un père
perdu. Ce seront des moments de rapprochement profond.
JOHN : Peut-être que j’ai trop demandé à mes enfants…
GRETA : Papa, abaissons nos défenses !
Le travail sur la dimension trigénérationnelle se conclura par deux ultimes séances
auxquelles tous les quatre participeront : Sveva, John, Greta et Peter.
En résumé, cette phase du travail aura différentes retombées positives sur la vie de tous
les membres : la redéfinition des frontières générationnelles, et des frontières entre un
lien parental désormais solide et collaboratif et un lien conjugal définitivement clos,
permettra à Greta et Peter de se réapproprier leur rôle d’enfants. Sveva et John se
rendront ensemble en Angleterre retrouver Peter à l’occasion d’un prix spécial décerné
par son école, en lui faisant une agréable surprise. Mais il se produira encore quelque
chose : Sveva participera à certaines réunions familiales, dans lesquelles les enfants de
John seront aussi présents, reprenant un contact direct avec eux, et retirant définitive-
ment Greta de cette position « entravante » de timonier.

Les liens qui changent… au domicile de Sveva


Alors que le processus thérapeutique avec la famille de Sveva et de John est en train
de se conclure positivement, et que la thérapeute pense à passer à la troisième et
dernière phase, celle avec la branche de la famille reconstituée de Sveva et de Stéphane,

230 Comment aider les couples en crise ?


la thérapeute reçoit un appel téléphonique de Sveva, qui l’informe que maintenant tout
va très bien avec ses enfants et avec son ex-conjoint, et qu’elle est très contente des
résultats obtenus. Toutefois, les choses avec Stéphane sont un peu en train de changer :
« Peut-être qu’il ne comprend pas ce que je suis en train de faire », affirme Sveva.
La thérapeute s’attendait depuis longtemps à ce qu’une réaction se produise au domicile
de Sveva, où quelqu’un était en train d’observer de grands changements dans les rela-
tions significatives de sa compagne sans se sentir en faire partie. En réalité, à différentes
reprises, la thérapeute aurait voulu associer Stéphane ; toutefois, elle voulait attendre le
moment où cet homme aurait finalement réagi, réclamant sa place dans le puzzle. Des
premiers récits de Sveva, Stéphane apparaissait en fait comme un homme qui a été
convié à s’insérer dans sa famille rapidement, mais où il a occupé le moins d’espace
possible, comme s’il était un invité. Et il semble s’être comporté comme un invité en
tout point toutes ces années : sa brosse à dents n’a jamais cherché une place proche
de celle des autres, et sa valise était toujours visible dans un coin de la maison. Stéphane
a une histoire identique à celle de Sveva : il est dans une séparation judiciaire ouverte
depuis des années ; avec son ex-épouse, il n’a pas de relation, si ce n’est par l’intermédiaire
des avocats ; et son fils de 18 ans est au centre d’un conflit de loyauté pesant.
Maintenant, est arrivé le moment de mieux le connaître et de comprendre quelle
contribution il a apportée dans cette famille. De plus, la thérapeute n’a pas oublié que
la première demande d’aide de la part de Sveva concernait les problèmes existant
justement avec le fils de Stéphane.
Il y aura principalement deux rencontres : la première avec Sveva et Stéphane seulement,
et la seconde avec Stéphane, Sveva, Greta et Peter.

Finalement, il est arrivé !


L’intention de la thérapeute dans cette première rencontre sera d’accueillir Stéphane
non pas comme un invité, mais comme quelqu’un qui réclame de droit une place dans
la famille, ne serait-ce que comme partenaire de Sveva. Ce sera une rencontre, en
pratique, de légitimation, dans laquelle le comportement paradoxal d’attente de
Stéphane durant toute la thérapie sera accueilli comme symbolique d’une de ses carac-
téristiques personnelles, qui, si elle lui a toujours permis de rester avec un pied en
dehors, prêt à s’en aller si les choses n’allaient plus, ne lui a jamais donné la possibilité
de construire un sentiment sain d’appartenance au couple et à la famille reconstituée.
Il est évident que, dans tout cela, intervient la relation avec Sveva, mais nous en par-
lerons dans la suite.
Stéphane a vécu longtemps avec les enfants de Sveva, surtout quand les relations avec
leur père étaient vacillantes ou absentes. La proposition de la thérapeute de se ren-
contrer à nouveau avec les enfants sera bien accueillie par Stéphane, qui pour la pre-
mière fois se sentira faire partie des adultes impliqués. La rencontre avec tous, par
ailleurs, équilibrera les positions des deux branches de la famille reconstituée complexe
sur le même niveau.
Dans la rencontre avec les jeunes adultes et le couple, sera mis au centre de l’attention
l’autre morceau de l’histoire de Sveva et de ses enfants, celui vécu après l’arrivée de
Stéphane à la maison. La thérapeute invitera tous les présents à s’exprimer chacun son
tour sur le thème suivant : « Facile et difficile : les histoires en comparaison ».

Le couple dans la famille reconstituée 231


Greta et Peter reconnaîtront les choses positives que Stéphane a représentées pour
leur vie quotidienne et dans leur croissance. Mais Stéphane est un homme doux et dur
dans le même temps, et son comportement parfois rigide a été souvent déroutant
pour les enfants, qui malheureusement n’ont pas trouvé le soutien de leur mère,
« cachée derrière Stéphane ».
Sveva ne s’est jamais différenciée de son rôle de parent biologique, s’aplatissant sous
une solidarité parentale substitutive à la biologique, par ailleurs imposée aux enfants.
Au-delà des caractéristiques personnelles de Stéphane, qui ont fait collusion avec le
comportement de Sveva, un beau-parent ne pourra jamais être légitimé dans ses fonc-
tions réglementaires s’il n’est pas soutenu par une alliance parentale qui respecte la
hiérarchie des liens. De plus, le mépris pour John manifesté quotidiennement par le
couple a toujours poussé les enfants à devoir cacher l’affection pour leur père, en
maintenant actif un conflit de loyauté pendant des années. De son côté, Stéphane, qui
par ailleurs vivait une situation de rupture définitive avec son ex-épouse, aurait diffici-
lement pu faire autrement.
De la séance, émergera comment Stéphane a assumé une fonction de soutien des
enfants dans leur rapport à leur mère, servant de médiateur entre sa rigidité et leurs
besoins d’un côté, et renforçant le lien de couple parental de l’autre, dans une tentative
de compenser un père méprisé et nocif. Cela ne pouvait être accepté par les enfants,
qui ont certainement rendu la vie difficile à Stéphane au fil des années.
Après ces rencontres, survenues vers la fin de juillet, la thérapeute proposera à Sveva
et Stéphane de poursuivre un parcours de couple, qui, à ce point, sera finalement
accepté par tous les deux ; et le premier rendez-vous sera fixé pour septembre.

Avant de commencer…
Deux jours après la rencontre avec la famille reconstituée, la thérapeute recevra un
appel téléphonique de Stéphane : « Dans l’intervalle, je voudrais vous rencontrer avec
mon fils ! Est-ce possible ? », dira-t-il au téléphone.
Malgré notre expérience clinique pendant toutes ces années, il est toujours surprenant
de voir comment les patients réussissent à nous étonner. Stéphane, sûrement hostile
pendant longtemps envers la thérapeute, cette inconnue qui était en train de per-
turber si rapidement ses relations significatives dans son dos, est maintenant dans
une position différente. Les changements dans la vie des enfants de Sveva et dans
leurs relations avec leurs parents biologiques, bien que redoutés, ont évidemment
intrigué Stéphane, qui maintenant voudrait faire une tentative pour améliorer la rela-
tion avec son fils.
Cette rencontre aura lieu, et sera fructueuse. Fleuriront de nouvelles curiosités entre
père et fils, qui ouvriront la voie pour un dialogue différent, plus franc et moins lié à la
peur de se blesser qui les caractérise tous les deux.

La thérapie de couple : de la coalition à l’alliance


Aujourd’hui, Sveva a beaucoup changé, et elle a compris que la politique de la terre
brûlée avec le passé a été une erreur, car c’était le prélude à d’autres échecs. Ses attentes
de la thérapie de couple sont aujourd’hui de faire en sorte que Stéphane l’accepte
comme elle est devenue. Stéphane, quant à lui, est dans une position de retrait, vexé
de se rendre compte qu’il n’est plus traité comme « un invité d’honneur », celui à qui

232 Comment aider les couples en crise ?


on doit offrir la place dans le fauteuil. D’un autre côté, c’est ainsi qu’il est entré dans la
vie de Sveva.
Leur histoire d’amour naît sur la base d’une collaboration bien établie dans le champ
professionnel. Autant Sveva que Stéphane étaient en train de traverser leurs grandes
déceptions matrimoniales, et tous les deux avaient engagé au même moment leurs
séparations judiciaires. Leur alliance de toutes ces années a été un soutien affectif
important dans cette période difficile pour tous les deux, et a donné naissance à l’union
sentimentale, se transformant en une sorte de coalition qui venait ainsi constituer l’iden-
tité du nouveau couple. Ils étaient ensemble d’autant plus forts qu’ils avaient un ennemi
contre qui combattre.
Dans ce pacte « Toi et moi contre tous », les murs de leur maison étaient constitués de
parois érigées avec les maisons précédentes, qui devaient rester bien solides, sous peine
de dissolution du couple. « Les compartiments étanches sauvent la vie », dira Stéphane
lors de la thérapie.
Il apparaîtra que Sveva et Stéphane n’ont jamais rien construit qui identifie leur histoire
d’amour indépendamment de leurs histoires précédentes : Stéphane s’est installé dans
la maison de l’ex-mari de Sveva, alimentant le conflit entre les deux ex-conjoints ; Sveva
a retiré toute trace de sa vie d’avant, à commencer par les photos des enfants dans la
maison, jusqu’à ne plus parler allemand avec sa fille, faisant table rase du passé et exigeant
que le fils de Stéphane reste éloigné d’elle. En somme, pour maintenir l’identité du couple,
les deux se sont mutilés de tout autre lien affectif, en s’imposant de les gérer ensemble,
mais de les vivre chacun comme il le pouvait, pour ne pas trahir le partenaire.
L’histoire des deux, en réalité, révèle une crise commencée de nombreuses années
avant le parcours thérapeutique qui vient de se dérouler avec la famille biologique de
Sveva. C’est vrai que le timonier a laissé aller le transatlantique, mais pour prendre le
gouvernail d’un autre navire, où il a recommencé à suivre son cap avec un passager à
bord. En tant que passager, Stéphane est entré dans le couple avec un pied seulement.
Sans jamais prétendre prendre possession d’un navire tout à eux, il n’a jamais donné à
Sveva cette sécurité dont elle avait besoin : si elle avait arrêté de prendre soin de la
relation de couple, lui ne serait pas parti.
Après une brève période de lune de miel, durant laquelle les deux « étaient ensemble
à la proue, comme s’ils étaient sur le Titanic », les différents problèmes qui s’aggravaient
pour ses enfants absorbaient Sveva, en la plongeant dans un sentiment de culpabilité
paralysant. Sveva souffre depuis des années de très douloureuses cystites qui l’em-
pêchent d’avoir des rapports sexuels. Le très beau couple est devenu au fil du temps
un costume dont Sveva ne peut et ne veut pas se passer, mais qui la piège en
l’immobilisant.
Au fil de ces dix séances, nous verrons la température de la thérapie varier énormément.
Stéphane est inflexible sur sa position de renoncement, imputant la crise de couple au
comportement de Sveva, qui n’entend pas lui donner la juste visibilité dont il a besoin.
Stéphane est un homme au-dessus de tout, qui ne demande rien pour lui si les autres
ne veulent pas le lui octroyer.
Initialement, la position de Stéphane sera précisément au centre du travail thérapeu-
tique, qui se concentrera sur la transformation de son agressivité passive en authentique
colère active. Après la troisième séance de couple, Stéphane quittera Sveva, s’en allant
de la maison et interrompant la thérapie.

Le couple dans la famille reconstituée 233


Sveva informera la thérapeute, qui ne pourra faire autrement que de lui dire que c’est
un passage fondamental pour eux, s’ils veulent recommencer.
Elle lui dira aussi que sa porte reste ouverte pour en parler s’ils le souhaitent.
Stéphane et Sveva reviendront.
THÉRAPEUTE : Qu’est-il arrivé qui vous a décidé à vous en aller ?
STÉPHANE : Ce que je peux dire, c’est que j’ai réalisé avoir renoncé à ma personne pendant
douze ans, et que maintenant, je veux remettre ce monsieur sur ses jambes.
THÉRAPEUTE : Quand avez-vous renoncé pour la première fois dans votre vie ?
STÉPHANE : Je dirais quasiment toujours. Moi, j’ai tendance à me livrer pieds et poings
liés à un autre…
THÉRAPEUTE : Aujourd’hui, pourquoi êtes-vous là ?
STÉPHANE : Je suis ici, aujourd’hui et seulement aujourd’hui, parce que je pense que les
choses doivent être dites, mais que c’est mieux de parler dans un contexte
protégé.
THÉRAPEUTE : Je peux vous demander ce que vous perdez ?
STÉPHANE : Oh, je perds énormément ! Je perds tout ce qu’a été ma vie dans les douze
dernières années. J’aime beaucoup Sveva, mais certaines choses ont été trop
pour moi !
THÉRAPEUTE : Donc, vous êtes ici aujourd’hui pour arrêter. Durant cette période, vous avez
pensé que votre histoire est terminée définitivement. Il n’y a aucune
chance ?
STÉPHANE : Non. Je suis malheureusement ainsi fait : à un certain point, les choses
finissent et sont finies !
THÉRAPEUTE : Et comment allez-vous ?
STÉPHANE : Pas bien ! Mais il faut accepter les choses, non ?
THÉRAPEUTE : Vous vivez une histoire depuis de nombreuses années. On s’en débarrasse
complètement ou si c’est différent…
STÉPHANE : Moi, avec Sveva, je suis disponible pour n’importe quelle relation, mais pas
de couple, parce qu’entre elle et moi, ce n’est pas possible. Ça a été mal
configuré depuis le début. Par ma faute. C’est-à-dire que moi, je lui ai donné
carte blanche…
THÉRAPEUTE : Aujourd’hui, vous dites : « J’aime beaucoup Sveva », donc vous êtes en train
de donner un coup de pied à une belle partie de votre vie !
STÉPHANE : Oui.
THÉRAPEUTE : Je ne crois pas que ce soit indolore.
STÉPHANE : Non.
THÉRAPEUTE : Écoutez, vous êtes convaincu qu’arrêter a été une solution dans votre vie.
Comment sera l’avenir pour vous ?
STÉPHANE : Ah, je ne le sais pas ! L’unique chose que je crois nécessaire pour moi en ce
moment est de recoller des choses qui avant ne l’étaient pas.
THÉRAPEUTE : Lesquelles ? Le « recoller » m’intéresse.

234 Comment aider les couples en crise ?


STÉPHANE : Ben… recoller par exemple la relation avec mon fils, parce qu’elle a toujours
été inhibée !
[…]
THÉRAPEUTE : Donc, il y a un long moment que vous sentez une crise entre vous…
STÉPHANE : Depuis six ans. Depuis lors, j’ai été profondément gêné du fait que Sveva
mettait un mur avec mon fils.
THÉRAPEUTE : Vous avez d’abord dit que, maintenant, vous voulez reprendre la relation
avec votre fils, mais ce ne serait pas incompatible avec une relation de couple,
d’assumer votre fils ! Aujourd’hui, vous dites à Sveva : « Je te quitte, car c’est
toi qui m’imposes d’être coupé en deux, et moi je veux être entier. » Le pro-
blème est que, là, vous décidez de vivre l’autre moitié ! Pour vous permettre
d’être père avec votre fils, vous êtes en train de renoncer au couple !
STÉPHANE : Oui, mais les deux choses ne vont pas ensemble !
THÉRAPEUTE : Les deux choses peuvent aller ensemble, si vous changez de pacte : d’un
pacte de coalition à un pacte d’alliance !
La thérapie de couple se poursuivra pendant six autres séances, dans lesquelles on
travaillera sur la dimension intergénérationnelle des partenaires, et dans le même temps,
sur la dimension horizontale du couple au moyen de tâches et de prescriptions.
Au terme du travail, l’équilibre sera complètement différent. Les frontières rigides du
passé se seront transformées, devenant plus perméables, et permettant finalement à
Sveva et à Stéphane de vivre leur relation et, dans le même temps, leurs relations avec
leurs enfants biologiques et avec leurs beaux-enfants, dans un climat de complicité et
de solidarité, et en respectant la hiérarchie des liens.
Tout de suite après la fin de la thérapie, Stéphane devra déménager pour le travail dans
une autre ville, où il prendra une maison pour lui, qui deviendra le vrai nid du couple :
Sveva s’y rendra durant les week-ends et chaque fois qu’elle le pourra. Ils la décoreront,
et de nombreux souvenirs et objets symboliques de leur union y trouveront place.
Sveva prendra, elle aussi, une maison toute à elle dans la ville où elle travaille et où vit
sa fille.

De ce long récit, nous pouvons voir en quoi le profond mal-être qui a


poussé Sveva à demander une aide individuelle n’était autre que la pointe d’un
iceberg gigantesque, qui incluait la vie affective de tous les membres d’une
famille reconstituée complexe. Quand les seconds mariages, voire les suivants,
se forment sur des fondations vacillantes, toutes les relations associées s’en
ressentent fortement.
Il n’est pas si fréquent que les adultes d’une famille reconstituée demandent
de l’aide pour le nouveau couple, au moins selon notre expérience. Ils préfèrent
souvent chercher à se débrouiller pour avancer, ou trouver encore une fois
dans la séparation la solution à leurs problèmes, laissant le champ libre à une
suite d’échecs douloureux. Quand on ne demande pas d’aide pour les enfants,
les sentiments de perte et de culpabilité des adultes se traduisent souvent

Le couple dans la famille reconstituée 235


en symptomatologies individuelles, et peut-être seulement alors, trouve-t-on
la force de demander une thérapie pour soi-même.
Si le thérapeute ne se contente pas d’accueillir la demande comme elle
arrive et qu’il s’autorise à avancer un pas à la fois, se posant comme un construc-
teur de liens, les possibilités de donner lieu à des changements radicaux dans
les différentes relations significatives impliquées augmentent considérable-
ment. Construire des liens avec la famille est une grande occasion d’expé-
rience commune, qui permet à la thérapie d’entrer dans, et de faire partie de,
l’histoire familiale, et de sortir des bureaux professionnels pour se transférer à la
maison. Et une thérapie qui entre à la maison est une thérapie qui progressera
sûrement.

236 Comment aider les couples en crise ?


Liste des cas cliniques

Un épisode particulier 35
Un faux départ 38
Une adoption mal réussie 48
La fille avec la valise et l’ermite 49
Une étrange demande 51
Je ne veux pas m’en mêler ! 54
La complicité perdue 56
Une voix dans le silence 69
Une mère pour deux 72
Ma vie, ma joie ! 72
La fiancée de papa 73
Fais attention, tu vas le perdre ! 73
Dis-lui toi, s’il te plaît ! 80
La trottinette sur l’autoroute 84
Un cavalier parfait 89
Héros et malfaiteurs, honte et salut 91
Deux récits pour une histoire 93
Ont-ils quitté leurs maisons d’origine ? 95
Un arbre desséché dans le silence 96
Un arbre desséché dans le silence (suite) 97
Le citron pressé et la sainte femme 99
Le citron pressé et la sainte femme (suite) 101

Liste des cas cliniques 237


Un maudit malentendu 112
Le nœud à l’estomac 113
Déborah n’est plus là 115
Les cartons jaunes et rouges : Histoire d’un couple impossible 126
Pères absents et mariages de substitution 132
Se regarder sous un autre jour… 138
L’infidélité : un mérite spécial aux amis ! 141
Besoins impérieux de visibilité 147
L’institutrice et le gros bébé 148
Le thérapeute ingénieur 149
Mes larmes libres 150
Le compte courant percé 156
La fête magique 157
La colère a disparu ! 160
Le mythe de la peur 165
Elle est encore entre nous, malgré tout ! 166
Les jeux sont faits ! 169
Ne les mettons plus au milieu ! 173
Le passé est passé ! 174
Mais quel âge as-tu ? 188
Je ne le dessinerai pas ! 191
Quand un enfant divise 198
Chacun à sa place 216
Bibbidi bobbidi bou : qu’ils se sourient ! 218
Un transatlantique à la dérive 222

238 Comment aider les couples en crise ?


Glossaire

Alliance thérapeutique : relation théra- Coparentalité : capacité des parents de


peutique de confiance, fondée sur une par- maintenir une relation de collaboration, et
ticipation attentive de tous les participants de garantir la continuité des soins à l’égard
– y compris le thérapeute. C’est une condi- de leurs enfants, même après le divorce.
tion préalable pour que chaque sorte de thé- Coping system (système d’adaptation) :
rapie puisse démarrer. stratégies opératoires d’un groupe, mises
Appartenance : sentiment d’enracinement en œuvre afin d’activer les ressources
fort au corps et aux racines familiales, nécessaires pour dépasser des évènements
base sur laquelle se construit le processus stressants.
d’individuation. Couple conflictuel : couple déséquilibré,
Auto-trahison : sentiment de trahison dont un partenaire a vécu une coupure
envers soi-même, souvent camouflé dans des émotionnelle précoce alors que l’autre
situations relationnelles non authentiques. maintient encore une forte relation de
Autorité personnelle : conquête indivi- dépendance émotionnelle à sa famille d’ori-
duelle qui ne permet pas de compromis gine. Dans ce couple, il n’y a pas d’harmo-
entre les générations, mais qui produit la nie, et on retrouve des contrastes et des
parité entre elles. L’enfant doit atteindre désaccords à de nombreux niveaux.
une autorité implicite pour percevoir plei- Couple déséquilibré : couple dans lequel
nement qu’il est un être adulte, en assumant le lien est compromis par un ensemble
ses propres responsabilités dans le présent, de distorsions relationnelles ; par consé-
avec courage et confiance, et dépassant la quent, il n’est pas suffisamment équipé pour
dépendance émotionnelle à ses parents. accomplir les tâches de développement.
Circuit de la protection réciproque : L’équilibre entre appartenance et sépara-
modalité relationnelle de protection exces- tion est compromis, et les frontières géné-
sive et d’autocensure pour expliquer ce rationnelles sont confuses.
qu’on pense ou ce qu’on ressent, pour ne Couple harmonieux : couple formé par
pas menacer l’autre ou pour ne pas mettre deux partenaires avec un niveau d’indivi-
en danger la relation. duation satisfaisant par rapport aux familles
Coalitions : modalités relationnelles faussées, d’origine respectives, capables de partager
qui voient l’alliance entre deux personnes au les expériences de la vie et de se respecter
détriment d’une troisième, généralement un réciproquement dans une relation stable et
parent avec un enfant contre le partenaire. intime.

Glossaire 239
Couple instable : couple déséquilibré, chaque partenaire est impliqué dans une
composé de deux partenaires très insécures dynamique d’identification projective des
qui ont vécu des expériences analogues de relations objectales internes réciproques.
négligence ou de détachement dans leurs Emboîtement inédit : union de couple
familles d’origine. Les besoins affectifs et reposant sur la synthèse entre les diffé-
d’attention donnent lieu à une relation ins- rences profondes que chaque partenaire
trumentale qui ne conduit pas à une réelle apporte dans la rencontre avec l’autre : dif-
intimité de couple, mais à une constante et férences de genre, différences entre les his-
pressante demande de présence et de proxi- toires, différences dans les besoins et dans
mité affective. les manques.
Couple sandwich : métaphore pour dési- Famille équilibrée : système familial dans
gner un couple écrasé entre les demandes lequel les relations entre les membres sont
et les poids provenant de la génération pré- fluides, les frontières sont claires, et aucun de
cédente, celle des aînés, et de la génération ses membres ne doit assumer des fonctions
suivante, celle des enfants. non adaptées à son développement et à sa
Coupure émotionnelle : situation affective génération. Il existe un bon équilibre entre
dans laquelle s’est produite une interrup- appartenance et séparation, qui favorise une
tion brutale du lien parent-enfant, sans pro- individuation positive de ses composantes.
cessus graduel de séparation. Faux-self : processus de développement
Cycle de vie de la famille : processus évolu- dans lequel l’enfant confond soi-même
tif d’un groupe avec une histoire commune, avec les besoins plus ancrés de ses care-
subdivisé en stades de développement et en givers, et, niant l’existence de parties de
évènements critiques dans le devenir des soi, il les façonne par l’accueil de l’autre
générations. (Winnicott).
Différenciation du Soi : processus destiné Frontières familiales : métaphore destinée
à favoriser l’émancipation et l’acquisi- à indiquer le degré d’individuation, et donc
tion d’une position Je, grâce à une trans- le niveau d’autonomie atteint par un sujet,
formation progressive de la dépendance ou par un sous-système familial spécifique,
intergénérationnelle. par rapport à un autre, ou encore du groupe
Distorsions relationnelles : relations entre familial vis-à-vis du contexte social.
les membres de la famille liées à des rôles Génogramme : représentation graphique
rigides et non fonctionnels pour l’individua- de la structure familiale sur au moins trois
tion des personnes, et caractérisées par des générations, qui permet de visualiser des
frontières non claires entre les générations. évènements et des moments émotionnels
Divorce émotionnel : processus psychique de la famille dans le cours de son histoire.
d’éloignement du Soi (espoirs, rêves et pro- Identité de couple : processus par lequel
jets) de l’union matrimoniale. les partenaires construisent une identité
Dyade dominante : noyau fondamental d’ensemble. Chacun d’eux devra affronter
autour duquel s’articulent les relations dans des tâches évolutives spécifiques : dans une
la famille. Dans les cultures plus tradition- optique verticale comme enfants, en se dif-
nelles, la dyade dominante est celle parent- férenciant de la famille d’origine, et dans
enfant ; dans les pays à fort développement une optique horizontale comme individus
industriel, prédomine la dyade mari-épouse. appartenant à la même génération, dépas-
Comportements mimiques : gestes et sant l’autoréférence.
comportements symboliques que les parte- Intimidation intergénérationnelle : sen-
naires retrouvent tout de suite chez l’autre, timent d’inadéquation vis-à-vis de ses
parce qu’ils se lient à des modèles relation- parents, qui finit par empêcher le déliement
nels du passé, le mythe familial, matrice émotionnel susceptible de garantir sa crois-
fondatrice de notre identité. sance et son affirmation personnelle.
Emboîtement inconscient : modèle psy- Inversion générationnelle : assomp-
chanalytique ; dans la relation de couple, tion de rôles inappropriés au moment

240 Comment aider les couples en crise ?


évolutif, qui amène à une inversion des des orphelins, même si leurs parents peuvent
plans générationnels. être encore en vie, étant donné que ces
Loyauté familiale : déterminants de moti- derniers sont perçus au cours du dévelop-
vation qui expriment le sentiment indi- pement comme non disponibles pour satis-
viduel de forte appartenance aux valeurs faire leurs demandes. La conséquence est
transmises au travers des générations. que l’individu est à la recherche constante
de confirmation et de réassurance.
Mandat familial : processus de délégation
qui, de génération en génération, perpétue Pacte conjugal : enchevêtrement com-
la demande de satisfaction des besoins ori- plexe qui fonde et organise la relation de
ginaires de la famille. couple, et qui comprend tant la compo-
Mariage prudent : union basée sur l’ac- sante éthique que la composante affective
quisition d’un statut social avec un faible (Scabini et Cigoli).
engagement intériorisé émotionnellement. Pacte d’alliance : pacte fiduciaire qui vient
Dans ces unions, prévaut la logique du droit à se constituer quand deux partenaires
individuel par rapport à celle du partage des décident de consolider le lien sentimental
risques. en partageant un projet de vie ensemble,
Médiateurs intergénérationnels : capacité non nécessairement le rite matrimonial.
naturelle des enfants de faire communiquer Il comprend deux composantes : une
des générations différentes. C’est pourquoi consciente et socialement reconnaissable ;
la convocation des enfants dans la thérapie et une inconsciente, de matrice psycho-
de couple s’avère particulièrement efficace. logique, qui contient la grande partie de
l’investissement affectif.
Méthode invariable : méthode stratégique
et paradoxale pour combattre la symbiose Pacte fiduciaire : conception du projet de
de couple et débloquer des situations vie du couple que les deux partenaires ont
d’impasse. Elle prévoit la convocation des construit ensemble au fil du temps.
familles d’origine de chaque partenaire en Pacte intime : enchevêtrement profond et
l’absence de l’autre, dans une phase initiale inconscient à la base du choix réciproque
de la consultation (Canevaro). entre deux partenaires, composé par l’en-
Motivation conjointe : motivation de la semble des besoins, des désirs et des peurs
part de tous les présents en séance à par- liés aux histoires respectives antérieures,
ticiper, avec engagement, à l’expérience que les membres du couple s’attendent à
thérapeutique. traiter dans leur relation.
Mythe familial : grille de lecture de la réa- Pacte officiel : c’est l’aspect reconnaissable
lité dans laquelle coexistent des éléments par la communauté sociale de l’union de
réels et des éléments fantastiques, en partie couple. Il caractérise le projet de vie en
héritée de la famille d’origine et en partie commun dans ses valeurs concrètes ; il se
construite par la famille actuelle. manifeste dans la promesse de fidélité, et
Nid plein : situation fréquente, surtout à concerne les obligations réciproques de la
cause de la crise économique et de la crise part des partenaires, qui, dans le rite matri-
du travail, qui contribue à un départ tardif monial, sont témoignées publiquement.
des enfants du noyau familial d’origine. Parentification : situation affective d’in-
Nid vide : stade auquel les enfants, ayant version générationnelle qui amène à une
atteint l’âge adulte, partent de la maison, adultisation précoce d’un enfant.
laissant seul le couple parental. Position Je : situation de différenciation du
Nous de couple : identité de couple, venue Soi qui comporte la prise de responsabilités
à se former au travers de la consolidation autonomes à l’intérieur de sa propre famille.
du lien affectif et cognitif entre les deux Questions hypothétiques : questions visant
partenaires, de leur sentiment de confiance à étendre les plans de la réalité de la famille,
réciproque et de complicité. en l’invitant à penser de manière indirecte
Orphelins psychosociaux : situation dans et figurée, pour sortir de la logique formelle
laquelle les individus se comportent comme du langage.

Glossaire 241
Questions intergénérationnelles : instru- position fortement idéale et une position de
ment du thérapeute pour introduire du total mépris.
mouvement avec les « sauts temporels » Stade de la parentalité : stade du cycle de
qui connectent les évènements du passé vie, qui marque le passage du couple à la
aux relations actuelles et aux fantaisies sur famille avec l’arrivée des enfants. La tran-
l’avenir. Elles favorisent l’accès à l’histoire sition prévoit la construction d’une relation
du développement de chacun. responsable et d’une entente entre les par-
Relation de mauvaise foi : modalité de tenaires pour élever la progéniture en gran-
relation, dans laquelle le sentiment, la défi- dissant ensemble grâce à un tiers.
nition et donc les règles de la relation sont Syndrome d’indemnisation : métaphore
maintenus et, dans le même temps, minés qui indique la tendance d’un individu à
par la mauvaise foi de l’un ou des deux répercuter, dans sa vie d’adulte et dans ses
contractants de la relation. relations, la charge de douleur résultant des
Sceau du besoin : forme spécifique que manques et des besoins non satisfaits dans
vient à prendre, en chacun, l’absence de ses relations primaires au sein de sa famille
satisfaction de besoins particuliers de rela- d’origine. Ce sentiment de débit affectif
tion avec les figures familiales les plus signi- promeut une recherche continue de paie-
ficatives. Cela fait que la demande reste ment qui ne peut être satisfaite.
toujours actuelle, et qu’elle cherche conti- Système de l’orgueil : ensemble de facteurs
nuellement une réponse en forme de rela- qui concourent à constituer cette modalité
tion compensatoire. de détachement du Soi et des autres, fondée
Scénario familial : attentes partagées par sur une position d’évaluation exagérée et
les membres de la famille quant à la façon arrogante de ses propres mérites.
dont les rôles doivent être représentés. Thérapie de couple camouflée : situation
Séparation de couple déséquilibrée : situa- dans laquelle l’enfant, au travers d’une de
tion dans laquelle seulement un des par- ses problématiques, amène ses parents en
tenaires mûrit la conscience de vouloir se thérapie afin de permettre à ces derniers de
séparer, alors que l’autre vit une telle déci- se confronter à leurs difficultés.
sion comme une situation d’abandon, ne Triade perverse : configuration relation-
réussissant pas à accepter que le Nous de nelle distordue, qui voit l’enfant coalisé
couple n’existe plus. avec un parent contre l’autre, de façon
Séparation de la famille d’origine : proces- latente ou explicite (Haley).
sus qui inclut l’ensemble des changements Triangle primaire : triade formée par les
qui amènent les membres de la famille à parents et l’enfant, en tant qu’unité d’étude
développer une identité plus définie, avec des relations humaines.
un accroissement des espaces d’autonomie, Troisième planète : métaphore par laquelle
et une redéfinition du contenu des liens on veut désigner le système thérapeutique
relationnels et des attentes réciproques. comme produit de la rencontre entre la
Soi idéalisé / Soi méprisé : concepts car- famille et le thérapeute. Cela représente
dinaux de la théorie de Horney, où sont l’espace dans lequel se développe le nou-
décrites deux dimensions extrêmes du Soi veau système, scandé par un temps qui suit
qui, ne réussissant pas à se construire sur le le rythme des séances et l’évolution du pro-
plan de la réalité, peut osciller entre une cessus thérapeutique.

242 Comment aider les couples en crise ?


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250 Comment aider les couples en crise ?


Table des matières

Sommaire 5
Remerciements 7
Introduction 9

CHAPITRE 1. Les différentes approches de la thérapie familiale 21


L’approche cognitivo-comportementale 22
La thérapie psychanalytique de couple 23
La thérapie de couple centrée sur les émotions 24
La thérapie de couple intergénérationnelle 26
La métaphore du Rubik’s cube 28

CHAPITRE 2. Naissance et évolution de la relation de couple 33


Le choix du partenaire 33
Le pacte d’alliance 36
L’emboîtement affectif, profond et inconscient 36
L’engagement dans le lien 39
Le cycle de vie du couple 41

CHAPITRE 3. Une évaluation multidimensionnelle


de la relation de couple 43
Diagnostic intergénérationnel du fonctionnement de couple 43
Le couple harmonieux 45
Le couple déséquilibré 46
Diagnostic social du fonctionnement de couple 52
Le système des amis 52
Le soutien social du travail 55
Le psychothérapeute individuel 56

Table des matières 251


Évaluation des ressources internes du couple 57
La force du Nous 57
L’intimité 59
La sexualité dans l’intimité de couple 60
La confiance 61
Le respect 63

CHAPITRE 4. Le tiers dans la relation de couple 65


La trahison 67
L’amant ou la maîtresse comme blessure profonde
dans l’intimité de couple 68
La présence d’un enfant comme évènement bouleversant
dans la dynamique de couple 71
La famille d’origine comme intrus encombrant 73
Le travail comme liaison légitime 74
L’auto-trahison : l’aveuglement 75

CHAPITRE 5. La demande d’aide 77


La construction de la motivation conjointe 79
Motifs et motivation 79
Le processus d’affiliation 82
Les compétences relationnelles du thérapeute 84
La motivation du thérapeute 85

CHAPITRE 6. La présence symbolique des familles d’origine 87


Le génogramme comme porte d’entrée du monde familial
des deux partenaires 90
Un génogramme alternatif 92
Les questions intergénérationnelles 95
Les questions comme si et le jeu de rôle 97
Construire des métaphores en séance 99
Objets métaphoriques et photos en séance 100
L’utilisation de l’espace thérapeutique 101

CHAPITRE 7. La famille d’origine en séance 103


De la présence symbolique à la présence physique 103
Différents modèles de thérapie de couple intergénérationnelle 105
Quand inviter la famille d’origine en séance 106
Quels membres de la famille élargie convoquer 108
À quel titre convoquer la famille d’origine 109

252 Comment aider les couples en crise ?


Objectifs de la séance 110
La convocation des parents 110
La convocation des frères et sœurs 113
La convocation des enfants de l’union précédente 115
Les effets positifs sur les dynamiques de couple 117

CHAPITRE 8. Les enfants comme consultants dans la thérapie de couple 119


La présence symbolique des enfants 120
Les photos des enfants 120
Les questions comme si et l’utilisation de l’espace thérapeutique 121
L’enfant imaginaire 123
Pourquoi convoquer les enfants en thérapie de couple 124
Les résistances de couple et l’écoute active 124
Le jeu et la créativité 125
La définition de frontières plus harmonieuses entre les générations 126
Donner des notes aux parents 128
Inviter les enfants tout-petits en séance 129
Les enfants adolescents comme consultants dans la thérapie de couple 130

CHAPITRE 9. Les amis comme consultants dans la thérapie de couple 135


Comment et quand inviter les amis en séance 137
Les amis comme témoins privilégiés dans les crises
et les séparations de couple 138

CHAPITRE 10. Les séances individuelles dans la thérapie de couple 145


Quand et pourquoi les voir seuls 146
Dans la phase initiale de la thérapie 147
Au cours du processus thérapeutique 148
Dans la partie finale de la thérapie et dans le follow-up 150

CHAPITRE 11. La dimension horizontale du couple 153


La force intérieure du couple 153
Rétablir le respect 155
Augmenter la confiance 156
Redécouvrir l’intimité 157
La dimension profonde de la souffrance 158

CHAPITRE 12. La conclusion de la thérapie 163


Les temps de la thérapie 163
Quand finit une thérapie ? 164
La reconstruction du Nous de couple 165

Table des matières 253


La séparation consensuelle 168
La séparation déséquilibrée 170
L’évaluation à distance 171

CHAPITRE 13. Le couple dans le divorce 177


Facteurs de risque et facteurs de protection 178
Le divorce et les enfants 179
Les interventions d’aide dans le divorce 183
La thérapie du divorce dans le modèle intergénérationnel 185
La demande d’aide pour un enfant de couple divorcé 186
De la convocation des deux parents
à la construction de la motivation conjointe 187
Le processus thérapeutique avec les familles divorcées 189
Le soutien à la parentalité ordonné par le tribunal 196

CHAPITRE 14. Le couple dans la famille reconstituée 203


La famille reconstituée et ses défis 205
L’ambiguïté des rôles 206
Le problème des frontières dans une structure complexe 208
Beaucoup de changements en peu de temps pour un couple fragile 210
Le revers de la médaille : les ressources 210
Les vides : l’ambiguïté de rôle 212
Les trop-pleins : la structure familiale complexe 212
La confusion des sentiments : les changements non progressifs 213
L’intervention clinique : couple ou famille 214

Liste des cas cliniques 237


Glossaire 239
Bibliographie 243

254 Comment aider les couples en crise ?

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