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Table des matières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . III
Auteurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . VIII
Conclusion 27
Bibliographie 29
Bibliographie 43
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Question de la dégressivité/estime de soi
Informations sur le trouble 52
Formulation du cas 54
Définition de la ligne de base 56
Plan d’action de la thérapie 57
Bibliographie 73
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Chapitre 6 Panique en avion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109
Séances 1 et 2 : premiers contacts et evaluation 112
Séance 3 : reprise de rendez-vous 117
Séance 4 : évaluation psychométrique 119
Séance 5 : mieux comprendre le trouble au travers d’une analyse
fonctionnelle 120
Séance 6 : déterminer les exercices qui doivent être mis en place 125
Séance 7 : déterminer les exercices 126
Séance 8 : abords cognitif et comportemental 133
Séance 9 : poursuite des exercices 137
V
Séance 10 : faire le point sur les exercices comportementaux et sur
l’évolution cognitive 138
Séance 11 : poursuite des exercices comportementaux et cognitifs 141
Séance 12 : dernières préparations avant l’envol 142
Séance 13 : analyse de l’exposition à la situation cible 144
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Anamnèse 153
Démarche diagnostique 155
Analyse fonctionnelle 156
Évaluation en début de thérapie 159
Déroulement de la thérapie 161
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Évaluation en fin de thérapie 166
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Séance 10 : évaluation des résultats, amorce de la fin
de prise en charge 264
Bibliographie 265
VII
Auteurs
Rémy AMOUROUX : psychologue clinicien CHU de Brest, maître de conférences à l’université
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de Brest.
Abdel-Halim BOUDOUKHA : psychologue clinicien libéral. Maître de conférences (HDR) à
l’université de Nantes.
Frédéric CHAPELLE : psychiatre libéral, Toulouse, trésorier de l’AFTCC.
Philippe CORTÈSE : psychologue clinicien libéral, Lille.
Nicolas DUCHESNE : psychiatre libéral, Montpellier.
Nathalie GIRARD-DEPHANIX : psychologue clinicienne libérale, Paris.
Vanessa HARSCOET : psychologue clinicienne libérale, La Défense.
Jean-Louis MONESTÈS : psychologue clinicien, Dr en psychologie (HDR), La Réunion.
Hervé MONTÈS : psychiatre libéral, Orléans, vice-président de l’AFTCC.
Céline ROUSSEAU-SALVADOR : psychologue clinicienne, Paris.
Marie THOMAS : psychologue clinicienne, Saint Dié des Vosges.
Stéphane RUSINEK : professeur en psychologie à l’université de Lille 3, Villeneuve-d’Acsq,
président de l’AFTCC.
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Céline Rousseau-Salvador
Chapitre 1
Anxiété de séparation
et céphalées
Le cas de Léo
2
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SOMMAIRE
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Diagnostic . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
Analyse fonctionnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
Grille SECCA synchronique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
Grille SECCA diachronique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
Contrat thérapeutique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
Objectifs à atteindre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
Méthodes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
Évaluation de la thérapie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
Mesures à intervalles espacés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
Mesures à intervalles rapprochés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
3
Protocole thérapeutique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
Thérapie : les sessions thérapeutiques en groupe . . . . . . . . . . . . . . . . . 14
Séances 1 à 3 : alliance thérapeutique et évaluation des troubles 14
Séances 4 à 13 : phase thérapeutique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14
Phase de suivi : évaluation réalisée deux mois après la fin de la
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thérapie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19
Résultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19
Mesures à intervalles espacés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19
Mesures à intervalles rapprochés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
Léo est âgé de 13 ans. Il vient consulter dans un centre spécialisé sur les céphalées. Il
souffre de crises de migraine depuis trois ans. Ces crises se déclenchent essentiellement
le lundi matin et leur fréquence est de trois à quatre par mois. La durée varie de 6 à
24 heures. La note douleur est cotée à 7/10 à l’EVA (échelle visuelle analogique). Ces crises
paroxystiques s’accompagnent d’une à deux céphalées de tension par semaine, pouvant
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durer de 30 minutes à 5 heures (note douleur : 2/10 à l’EVA). Les examens complémentaires
se sont révélés normaux. Par ailleurs, Léo a consulté différents thérapeutes (orthoptiste,
acupuncteur, ostéopathe) et a bénéficié d’un traitement homéopathique sans qu’aucun
changement n’ait été observé.
Léo et sa mère qui l’accompagne adhèrent rapidement à la proposition d’un suivi psycholo-
gique faite par le médecin. Ce suivi est suggéré au vu des difficultés d’endormissement, des
symptômes anxieux qu’il a évoqués lors de l’entretien médical et du rôle que ceux-ci semblent
jouer dans le maintien et l’aggravation des céphalées. Un traitement pharmacologique de
crise est prescrit.
Lors du premier entretien, Léo se présente de manière infantile, la tête baissée avec une
intonation et un langage immatures. Il laisse sa mère répondre aux questions. Il est peu
prolixe.
4
Anamnèse
Léo est le troisième enfant d’une fratrie de trois. Ses deux sœurs sont âgées de 19 et 15 ans.
La grossesse dont il est issu a été difficile. Sa mère a contracté la toxoplasmose. Un mois
avant l’accouchement, elle s’est fracturé la jambe et a dû être opérée. Elle était très inquiète
pour son bébé. L’accouchement a été déclenché et s’est révélé long et anxiogène car les
battements du cœur du bébé n’étaient plus perceptibles. Léo « n’a pas fait ses nuits » durant
deux ans. Il a fait de nombreuses otites séreuses. Sa mère dit qu’il est très souvent malade.
Aujourd’hui, l’ambiance du foyer est décrite comme calme entre les enfants puisque Léo
cède souvent, évitant le conflit qui génère chez lui beaucoup d’anxiété. Il dort depuis huit
mois dans le même lit que sa sœur de 15 ans à la suite de difficultés d’endormissement et
de sa peur d’être kidnappé la nuit. Il ne peut dormir sans lumière, sans « doudou » et va
régulièrement réveiller sa mère. Il n’est jamais allé dormir en dehors de chez lui.
Son père est maçon. Il est décrit comme peu affectueux et ayant peu d’échanges avec ses
enfants. Il a présenté un état dépressif qui l’aurait amené à s’alcooliser. À la suite d’une
hospitalisation pour sevrage alcoolique, il y a cinq ans, tout serait « rentré dans l’ordre ».
1 • Anxiété de séparation et céphalées
Il n’y aurait pas eu de rechute. Lors du second entretien, le père de Léo sera présent mais à
aucun moment ne parlera de façon spontanée.
Sa mère travaille dans une compagnie d’assurance. Elle est fille unique et très attachée à
sa propre mère. Elle évoque le décès de son père, il y a trois ans, comme un fait dont elle
ne s’est pas remise. Ce grand-père a vécu chez eux pendant les trois derniers mois de sa
vie. Il était atteint d’un cancer. Depuis ce décès, la grand-mère maternelle vient deux jours
par semaine garder Léo qui refuse de rester seul au domicile. Pendant la consultation, la
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mère de Léo a des gestes tendres à son égard. Elle décrit leur relation comme très proche,
« peut-être trop » ajoute-elle, et de poursuivre avec une vive émotion : « Je ne le vois pas
grandir. » Elle est attentive et le laisse parler sans lui couper la parole. Elle parle facilement
des difficultés de son fils à gérer les situations nouvelles et de son refus d’aller en voyage
scolaire ou de dormir chez un copain. Léo anticipe des dangers potentiels et a très peur
que sa mère ait un accident. Elle le décrit comme « collant » avec elle, poli et obéissant.
Léo est en classe de 4e . Son niveau scolaire est moyen avec une chute des résultats depuis
septembre et un travail personnel irrégulier mis sur le compte des migraines qui l’empêchent
de se concentrer. Il dit ne pas aimer l’école et avoir des difficultés à y aller le lundi matin,
situation qui génère beaucoup d’angoisse. Il dit avoir un bon entourage amical et se lier
facilement, ce qui est confirmé par sa mère. Léo a manqué neuf jours d’école depuis trois
mois à cause des céphalées.
La demande actuelle
Léo souhaite une aide pour ses maux de tête qui sont plus fréquents que l’année passée.
Ceux-ci l’amènent à manquer les cours, l’empêchent de se concentrer d’où, selon lui, la
baisse de ses résultats scolaires. Il veut « être comme tout le monde ». Il dit faire un lien
entre ses maux de tête et le stress. Sa mère est inquiète des répercussions des céphalées
sur la scolarité. Elle minimise la symptomatologie anxieuse.
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DIAGNOSTIC
La prise en charge des troubles de ce patient sera effectuée en deux temps. Tout d’abord,
une analyse fonctionnelle des céphalées et des troubles émotionnels associés permettra
d’établir un contrat thérapeutique en vue d’une proposition de psychothérapie de groupe.
6
Puis, une analyse fonctionnelle ciblée sur les troubles anxieux permettra de proposer un
second contrat thérapeutique et une prise en charge en thérapie individuelle de l’anxiété
de séparation.
ANALYSE FONCTIONNELLE
! Situations
Le déclenchement des céphalées est souvent associé à un événement suscitant une forte
émotion :
• à la maison, le lundi matin avant d’aller au collège. Il s’inquiète dès le dimanche ;
• cours au collège : juste avant un contrôle ou pendant celui-ci ;
• avant que sa mère ne parte en avion et pendant qu’elle est en voyage ;
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• de façon anticipatoire, quand une sortie scolaire ou un voyage est proposé ;
• à la suite d’une dispute avec un membre de sa famille.
Le plus souvent, le déclenchement des crises est multifactoriel, mêlant des facteurs dits
psychologiques à des facteurs sensoriels.
! Émotions
Dimension psychologique
7
Anxiété importante : angoisses le matin avant d’aller au collège (surtout le lundi), lors des
contrôles, avant ceux-ci et quand un copain lui propose de venir chez lui.
Affects dépressifs : tristesse récurrente, pleurs dans certaines situations (à l’évocation de
son grand-père maternel, lorsque sa mère se déplace pour son travail). État de fatigue
permanent. Difficultés de concentration pendant les cours.
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Sensations
Vertiges, sensation de mains moites, douleurs abdominales et parfois difficultés à respirer
dans les situations anxiogènes.
! Signification personnelle
Léo pense qu’il n’a pas eu de chance que ça tombe sur lui et que c’est peut-être parce qu’il
est souvent malade ou plus fragile que les autres enfants.
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
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• « Des fois, je me dis que la douleur ne va jamais s’arrêter ».
De plus, il existe parfois une interprétation cognitive erronée des variations des constantes
physiologiques qu’il interprète comme des précurseurs d’une nouvelle crise de migraine.
! Imagerie
Cauchemars à thèmes récurrents : il est allongé, sa tête grossit et rougit, les gens le
regardent bizarrement et crient de peur. Le second type de cauchemars : un individu le
8 kidnappe sans que personne ne s’en aperçoive.
! Comportement ouvert
• Évitement de situation : demande à aller à l’infirmerie dès qu’il sent des modifications
physiques qui pourraient annoncer une migraine et veut qu’on appelle ses parents pour
qu’ils viennent le chercher, d’où un absentéisme scolaire d’environ un jour par semaine.
Il a diminué le nombre d’entraînements de handball et évite les conflits par peur de
déclencher une crise.
• Évitement cognitif : il trouve le handball moins intéressant qu’avant. Il dit que les autres
ne comprennent pas cette maladie donc il refuse d’en parler.
Léo est en retrait, passif lors d’un mal de tête. Sa mère décrit une attitude corporelle de
fermeture (se recroqueville dans son lit).
1 • Anxiété de séparation et céphalées
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le sujet.
4. Au collège : certains professeurs s’interrogent sur les absences de Léo et lui font des
remarques acerbes. Ces céphalées entraîneraient une baisse des résultats scolaires et
seraient à l’origine selon lui et sa mère de l’irrégularité de son travail scolaire.
5. Au handball : Léo a été relégué dans l’équipe 2, équipe de niveau inférieur, à cause de
ses absences répétées aux entraînements.
! Anticipations
• Anticipation anxieuse : peur qu’une crise survienne avant ou pendant les contrôles
entraînant une perte de ses moyens et donc des mauvaises notes.
• Pensées anticipatoires : chaque début de semaine, il est inquiet d’aller au collège et se
dit qu’il va avoir une crise. Il a peur qu’on ne le croie pas s’il dit avoir mal à la tête
pendant un cours ou un contrôle. Il pense que s’il fait trop de sport, s’il a mal dormi, s’il
9
y a du bruit dans la classe, il risque d’avoir une migraine.
• Réactions physiques : lorsque l’angoisse augmente par rapport au risque qu’une crise se
déclenche, il sent ses mains devenir moites, voire il a des douleurs abdominales.
• Père : Léo le décrit comme quelqu’un qui crie et râle constamment. Il s’occupe peu des
enfants. Il y a dix ans, il s’est mis à boire à cause d’une dépression. Il a été hospitalisé
pour un sevrage alcoolique. Depuis cinq, ans il serait abstinent. Il n’a aucun antécédent
de migraine.
• Sœur aînée (19 ans) est décrite comme une personne ayant un caractère fort. Elle impose
beaucoup de choses à son frère qui lui dit oui à tout.
• Sœur cadette (15 ans) est complice avec Léo. Ils dorment dans le même lit depuis huit
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mois.
Personnalité
Léo est décrit comme un enfant réservé, sensible, très anxieux, évitant le conflit. Il est
dans la désirabilité sociale. Il se confie souvent à sa mère. On lui reproche d’être irrégulier
dans son travail scolaire. Il dit ne pas aimer l’école. Il est très inquiet quand il doit partir
de la maison pour aller dans un endroit inconnu, quand sa mère part en déplacement et
quand il doit rester seul au domicile. Il s’inquiète pour la santé de sa mère. La seule sortie
avec des copains est au terrain de foot à côté de la maison. Il ne va jamais dormir chez
eux. Il a des difficultés pour s’endormir le soir et fait de nombreux cauchemars.
Antécédents personnels
Il est migraineux depuis ses dix ans. Il a eu de nombreuses otites séreuses durant ses deux
premières années de vie. Il présente un bruxisme et est souvent malade.
10
Les céphalées ont des conséquences positives pour Léo par deux types de renforcement :
• Positif : il peut rester à la maison si la crise débute le matin. Sa mère vient le chercher
s’il a une crise au collège, quittant ainsi les cours et retrouvant sa mère. Il peut reporter
ses devoirs s’il ne se sent pas bien et n’est pas obligé d’aller à l’entraînement de handball.
• Négatif : les conduites d’évitement ; de la situation scolaire, des entraînements de
handball.
1 • Anxiété de séparation et céphalées
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! Événements précipitant les troubles
• Les difficultés relationnelles entre Léo et son père depuis l’alcoolisme de celui-ci. Selon
sa mère, Léo ne lui aurait jamais pardonné.
• Une anxiété de séparation massive et invalidante.
• L’absentéisme scolaire.
• Les troubles du sommeil (difficultés d’endormissement, réveils fréquents, cauchemars,
manque de sommeil).
! Autres problèmes
Anxiété de séparation.
! Traitement actuel 11
CONTRAT THÉRAPEUTIQUE
La demande de changement concernait uniquement les céphalées qui, selon lui et sa mère
l’empêchaient de vivre « normalement » et risquaient à terme d’entraîner un redoublement
de classe. La mère reconnaît le rôle de l’anxiété dans la majoration de la fréquence des
céphalées. Cependant, Léo ne se sent pas prêt pour parler des événements douloureux qui
le fragilisent et nous proposons donc dans un premier temps de travailler sur les céphalées
et ses facteurs déclenchants et aggravants. Notre objectif sera dans un second temps de
pouvoir proposer un suivi thérapeutique individuel pour le trouble anxiété de séparation.
Après avoir exposé à Léo ce que sont les migraines et les céphalées de tension ainsi que
le rôle des facteurs déclenchants, un contrat thérapeutique lui est proposé en termes
d’objectifs à atteindre, de méthodes comportementales et cognitives à mettre en place et
de modalités de prise en charge. L’ensemble de ces éléments est expliqué et discuté et
reçoit l’approbation de Léo et de sa mère. Il est important pour la prise en charge d’un
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
adolescent d’avoir également créé une alliance thérapeutique avec un des parents ou les
deux afin qu’ils puissent avoir un rôle de renforcement dans le processus thérapeutique.
Objectifs à atteindre
• Devenir acteur dans la gestion de la crise céphalalgique et ne plus la subir de façon
passive.
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• Développer de nouvelles stratégies pour faire face à l’événement douloureux.
• Diminuer le nombre de crises, la durée et l’intensité douloureuse de celles-ci.
• Rendre Léo autonome par rapport à ses céphalées.
• Diminuer l’absentéisme scolaire.
Méthodes
Dix séances hebdomadaires, en groupe, d’une heure chacune sont proposées, ainsi qu’une
séance de bilan sur la prise en charge à la fin du traitement. Ce groupe est constitué de
huit patients avec un écart d’âge de 2 ans maximum.
Pour évaluer la motivation de Léo, il lui a été demandé de faire un auto-enregistrement
(agenda) de ses migraines et céphalées de tension ainsi que des informations concernant
celles-ci (durée, intensité, situation, facteur(s) déclenchant(s)).
12 • Travail comportemental :
– éducation et information du patient sur les céphalées (étiologie, symptômes, facteurs
déclenchants) ;
– apprentissage de différentes techniques de relaxation. Gestion des émotions à valence
positive et négative jouant comme facteurs déclenchants ;
– régulation et contrôle respiratoire. Explications auparavant des manifestations
corporelles que peuvent déclencher des émotions telles que la peur ou l’anxiété ;
– visualisation et apprentissage du lien entre une situation, une émotion et le
comportement qui en découle grâce à l’appareil de biofeedback.
• Travail émotionnel :
– définition et reconnaissance des six émotions de base, rôle de celles-ci en général et
dans les céphalées en particulier, identification et expression des émotions.
• Travail cognitif
– restructuration cognitive (mise en questions des pensées dysfonctionnelles, des
représentations). Résolution de problèmes ;
– techniques de visualisation (distraction, transformation imaginative du contexte).
• Prescription de tâches à domicile (agenda, exercices faits en séance...).
1 • Anxiété de séparation et céphalées
ÉVALUATION DE LA THÉRAPIE
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questionnaires et échelles utilisés sont les suivants :
• MDI-C : échelle composite de dépression pour enfant (Berndt, Kaiser et Castro, 1996) ;
• R-CMAS : échelle révisée d’anxiété manifeste pour enfant (Reynolds, Richmond et Castro,
1999) ;
• ISPE : inventaire des schémas précoces pour enfant (Rusinek et Hautekèete, 2000) ;
• PPCI-F : Pediatric Pain Coping Inventory (Varni et coll, 1996). C’est un auto-questionnaire
qui permet de mesurer les stratégies de faire face en douleur pédiatrique ;
• PCS-C : Pain Catastrophizing Scale for Children (Crombez et coll., 2003). Le PCS-C est un
auto-questionnaire portant sur le catastrophisme en lien avec la douleur.
Il est important d’évaluer les éléments dépressifs et anxieux car ils peuvent être associés aux
céphalées et être la conséquence ou la cause d’une augmentation de l’intensité douloureuse
et/ou de la fréquence des céphalées. Ils peuvent aussi entraîner une chronicisation de
celles-ci.
13
Mesures à intervalles rapprochés
Afin de suivre l’évolution des céphalées, des données sont enregistrées quotidiennement.
Léo doit noter sur un agenda différentes caractéristiques de chacun de ses maux de tête :
date, heure, durée de la crise, intensité de la douleur (EVA de 1 à 10), facteurs déclenchants
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(émotionnels ou autres), s’il a pris un médicament et, si oui, si celui-ci a été efficace. Ceci
permet de suivre l’évolution du comportement-problème durant le mois qui précède la mise
en place du traitement, durant le traitement, et deux mois après la fin de celui-ci.
Ce relevé a permis d’établir une ligne de base sur le nombre de maux de tête, leur durée et
leur intensité, par semaine, avant traitement.
Protocole thérapeutique
Le protocole expérimental est un protocole de cas individuel où le sujet est son propre
témoin et doit faire des mesures de façon répétée. Ce protocole de type A-B comporte trois
phases :
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
• phase A : concerne la ligne de base établie durant les cinq semaines avant le traitement ;
• phase B : séances 1 à 10, concerne la prise en charge thérapeutique et son effet sur les
variables mesurées ;
• la phase de suivi, deux mois après, permet d’évaluer l’évolution ou le maintien des
changements cognitivo-comportementaux obtenus.
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THÉRAPIE : LES SESSIONS THÉRAPEUTIQUES EN GROUPE
nouveau sa voix est enfantine. Par sa position figée et ses gestes maladroits il semble en
décalage au niveau comportemental par rapport aux autres adolescents.
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Les thérapeutes valorisent le comportement de participation active.
Le discours interne est interrogé et analysé ainsi que les croyances concernant les céphalées
grâce au dessin et à la technique socratique. L’objectif est d’arriver au postulat fondamental
du patient, première étape du travail de restructuration cognitive.
En premier lieu un dessin de la migraine est demandé. Chaque patient devra présenter son
dessin au groupe qui devra deviner ce qu’il a voulu signifier de sa maladie. Ces dessins
seront repris sur un mode éducatif et informatif sur les céphalées. Cette stratégie cognitive
permet au patient de reconceptualiser la douleur et les céphalées.
Léo représente un garçon avec à côté de sa tête un marteau signifiant le type de douleur
inhérent aux migraines (douleur pulsatile) et une pensée de cet enfant qui dit : « Aïe, j’ai
mal et le soleil me gêne. » Le soleil est souvent incriminé dans les céphalées car responsable
de deux facteurs déclenchants : la chaleur et la luminosité. Aucun facteur émotionnel n’est
mentionné.
En demi-groupe, grâce à la technique socratique, le monologue intérieur de Léo en rapport
15
avec les maux de tête est interrogé. Il se dit très inquiet de voir la fréquence de ses
céphalées augmenter et que les autres ne le croient plus quand il dit avoir mal à la tête.
Le postulat conditionnel mis en évidence est le suivant : « Si j’ai plus de céphalées et
qu’elles sont plus douloureuses, cela signifie que la maladie progresse, que mon état
s’aggrave et que j’ai autre chose... un cancer comme mon grand-père que les médecins
n’ont pas vu. Je risque de mourir et d’abandonner ma mère comme a fait mon grand-père. »
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L’autre conséquence implicite est qu’il serait séparé de sa mère. Le degré de croyance en ce
postulat était de 60 %.
Dans un deuxième temps, ce postulat fondamental a été discuté en faisant participer les
membres du groupe afin de le remettre en question. Après un questionnement sur les
arguments en faveur de sa croyance et ceux contre, il réévalue sa croyance dans le postulat
à 10 %.
La dernière étape de cette séance consistera à informer et éduquer les patients sur la
maladie migraineuse et à trouver grâce à ce travail, des pensées alternatives aux pensées
automatiques, ce que Léo a déjà commencé à faire en remettant en question le postulat,
en proposant une nouvelle hypothèse étiologique concernant l’aggravation de ses maux de
tête : le stress.
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participer au déclenchement de celle-ci. Léo rapporte une situation de conflit entre lui et sa
sœur qui a généré une migraine. Sa sœur avait refusé de lui laisser l’ordinateur et il devait
faire un exposé pour un cours d’histoire. Ils se disputent souvent à propos de l’ordinateur
mais la plupart du temps Léo va dans sa chambre et ne dit rien. Cette fois-ci, il s’est mis
en colère. Il dit qu’il a pleuré de colère et que la crise s’est installée rapidement. Il nomme
le stress comme émotion ressentie. Souvent les émotions sont difficiles à repérer et sont
confondues avec ce qui est observable, c’est-à-dire leurs répercussions corporelles.
Les différences entre le stress physiologique et les émotions sont alors expliquées. Après
avoir défini ce qu’est une émotion et cité les émotions primaires, il est proposé un jeu de
rôle sur ces dernières. Cela permet l’application immédiate des informations apprises et la
reconnaissance des émotions leur permettra de les repérer, de mettre des mots sur ce qu’ils
ressentent, de modifier leurs comportements et de trouver des solutions alternatives de
gestion de celles-ci.
Léo est passé en dernière position et s’est servi d’un objet qui avait été utilisé par le
16 patient précédent pour réaliser son mime. Il l’a lancé contre la porte à la surprise générale.
L’émotion mimée a immédiatement été reconnue et nous avons pu aborder en groupe ce
que l’on ressent, ce qui se passe physiquement et ce que l’on peut penser quand on éprouve
de la colère.
de façon empathique, vont l’encourager. En effet, il avancera peu dans le labyrinthe, mais
nous valoriserons le fait qu’il l’a fait devant les autres et qu’il a avancé. Il leur est expliqué
qu’ils vont apprendre à développer des stratégies permettant de mieux gérer les émotions
et de faire face à des situations stressantes.
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Les intérêts et objectifs de l’apprentissage de ces méthodes sont redéfinis. La relaxation
vise à diminuer un état de tension et d’anxiété en exerçant un contrôle actif sur celui-ci.
La première séance est centrée sur l’apprentissage du contrôle respiratoire (technique de
Valsalva). Il sera proposé comme tâche à domicile. Léo est peu réceptif à cet exercice.
Au début de la séance suivante, un des patients devra montrer comment il procède lorsqu’il
est chez lui pour contrôler sa respiration. Cela permet aux participants d’observer, de poser
des questions et aux thérapeutes de réexpliquer si nécessaire.
Les séances suivantes sont basées sur la relaxation comportementale (Jacobson). Léo dit
avoir essayé ces exercices lors d’une forte crise sans que cela ait eu d’effet sur cette
dernière. On va les informer sur la nécessité, au départ, de s’entraîner en dehors des
moments douloureux, et que ce n’est que lorsqu’ils maîtriseront la technique qu’ils pourront
l’utiliser au début des céphalées. De plus, si l’échec intervient trop tôt dans l’apprentissage,
il diminue les attentes d’efficacité personnelle et de maîtrise.
17
Lors des trois premières séances en position allongée, Léo n’a pu fermer les yeux, en nous
disant qu’il n’aimait pas ça. Il était très anxieux et avait besoin de conserver un contrôle
visuel. À la troisième séance, il pouvait de façon alternée fermer les yeux et les ouvrir.
Les tâches prescrites sont de refaire chez eux les exercices de relaxation. Chaque adolescent
nous indiquera dans un contrat le nombre de séances qu’il s’engage à effectuer. On le
responsabilise ainsi par rapport à son traitement.
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Léo, lors de la première séance, nous annonce qu’il pense pouvoir le faire dix fois. Ce chiffre
excessif s’inscrit probablement dans un mécanisme de désirabilité sociale. L’objectif est
redéfini, celui de remplir son contrat et pas de faire le plus de séances possibles, avec
toutefois l’obligation d’un minimum de deux séances dans la semaine. Ses objectifs au cours
des semaines suivantes seront plus « raisonnables ».
Léo était tendu et répétait qu’il n’y arriverait pas, en attribuant la raison de son éventuel
échec à une cause externe : il n’avait pas bien dormi la nuit passée. Après quelques
secondes, durant lesquelles il n’a pu se détendre, le thérapeute lui a demandé de s’installer
confortablement, de fermer les yeux et de reprendre un exercice de relaxation de son choix.
Assez rapidement, il a pu avancer dans le labyrinthe, observant ainsi les conséquences de
l’exercice qu’il venait d’effectuer. Arrivé à la fin du labyrinthe, il a accepté qu’on lui pose
des questions pour le distraire.
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Grâce à la technique de résolution de problèmes, des solutions alternatives ont pu être mises
en place lors du déclenchement des crises selon les situations et les émotions présentes.
L’objectif de cette technique est de valoriser un certain type de stratégies cognitives
amenant à des réponses comportementales utilisables et adaptées.
Chaque adolescent devait écrire une situation de céphalée qui lui avait posé problème.
Léo a choisi une crise qui s’est déclenchée pendant un cours de maths où il avait trop
chaud et la solution proposée était d’aller à l’infirmerie et d’appeler sa mère. Le groupe
a préféré la solution d’ouvrir la fenêtre et de faire un exercice de respiration après avoir
prévenu le professeur d’un début de crise. Après avoir discuté avec ses pairs des avantages
et des inconvénients, Léo s’est rangé à leur avis. Il lui a ensuite été demandé d’appliquer in
vivo cette solution qui semblait la meilleure et d’en raconter les conséquences la semaine
suivante si cette situation, ou une situation analogue, s’était présentée. Ces solutions
peuvent se généraliser à des situations similaires. Le sentiment d’estime de soi est renforcé
lorsque l’application de ces stratégies est un succès.
18
! Séance 13 : évaluations et bilan de fin de thérapie
Un bilan de la thérapie est réalisé au cours de la treizième séance. Les questionnaires
remplis en phase préthérapeutique sont à nouveau proposés.
Chaque participant du groupe est invité à conclure sur cette prise en charge. Léo évoque le
fait qu’il a plus de facilité à s’endormir et que lorsqu’il pratique la relaxation le soir dans
son lit, il s’endort parfois pendant l’exercice. Il se dit satisfait de ces séances mais est
content de reprendre l’entraînement de handball du mercredi. Il explique qu’il a encore des
céphalées bien leur fréquence ait diminué.
À la fin de la séance, un bilan est effectué avec Léo et sa mère. Cette dernière dit avoir
retrouvé un enfant plus joyeux, qui s’est remis à chanter et qui va seul au terrain de foot
rejoindre des copains qu’il a lui-même appelés. Elle indique que les difficultés de sommeil
ont diminué mais que le moment du coucher reste parfois conflictuel. Les maux de tête se
sont espacés et Léo semble mieux les gérer. Elle a remarqué que lorsqu’une grosse crise
se déclenche, il va s’allonger dans le noir et ne reste pas à se plaindre. Elle le trouve plus
autonome par rapport à ses maux de tête. Elle a également été moins appelée par le collège
durant le dernier mois.
1 • Anxiété de séparation et céphalées
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cours. La détente obtenue grâce aux différents exercices ainsi que la possibilité de contrôler
en partie la montée de l’angoisse ont favorisé son retour dans sa chambre le soir. Il dort à
nouveau dans son lit. Les difficultés de sommeil ont encore diminué. Il ne va plus réveiller
sa mère la nuit mais il a mis en place ses propres stratégies.
En conclusion, il apparaît que Léo est devenu plus autonome quant à la gestion des
céphalées, mais aussi par rapport aux difficultés de sommeil.
De surcroît, il peut repérer des émotions susceptibles de déclencher ses céphalées, gérer des
situations qui favorisent l’apparition d’une migraine en mettant en place un comportement
adapté. De ce fait, Léo a eu moins d’absentéisme scolaire dû aux maux de tête. Les céphalées
restent encore présentes mais sont plus brèves. Les crises de migraine restent le plus difficile
à supporter pour Léo, même si celles-ci sont plus sporadiques. Il dit se sentir impuissant
lorsqu’elles atteignent leur acmé. Toutefois, au vu de l’amélioration de la symptomatologie,
un nouveau traitement médicamenteux de crise sera proposé par le médecin.
19
RÉSULTATS
L’ensemble des résultats des questionnaires et des échelles est reporté dans le tableau 1.1.
(p. 21) Ces données ont été recueillies aux troisième, quatrième et treizième séances. Une
nouvelle évaluation a été effectuée deux mois après la fin de la thérapie en phase de suivi
en passation en groupe.
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
! MDI-C
En ce qui concerne l’évaluation de l’intensité de la dépression, le score initial (début de
traitement) de 62 (m = 50, σ = 10) indique une dépression modérée. En fin de thérapie,
cet état dépressif était sensiblement le même. Par contre, lors du suivi à deux mois nous
pouvons noter un score total de 48 qui indique une rémission de la symptomatologie
dépressive. (voir Figure 1.1, p. 23)
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! R-CMAS
Cette échelle met en exergue en préthérapie un score total pour l’anxiété de 78 (m = 50,
σ = 10), ce qui situe Léo dans le 1 % supérieur des enfants de sa classe d’âge et confirme
la présence de troubles anxieux sévères. (voir Figure 1.2, p 24)
L’évolution est très favorable à 2 mois. Notamment, l’anxiété physiologique qui était majeure
en préthérapie avec un score maximum de 18 (m = 10, σ = 3) et qui est revenue dans la
norme avec un score de 10. Cette résolution de l’anxiété physiologique peut s’expliquer
notamment par le travail d’information et de restructuration cognitive qui a permis à Léo
de comprendre, de « banaliser » ses céphalées et d’avoir une action sur celles-ci.
! ISPE
Il met en évidence les schémas cognitifs plus actifs chez Léo, principalement des schémas
20
en lien avec le trouble anxiété de séparation (abandon, attachement, vulnérabilité,
dépendance). Ces différents schémas sont moins activés lors de l’évaluation à deux mois.
(voir Figure 1.3, p. 25)
! PPCI-F
Une amélioration apparaît à l’inventaire des stratégies pour faire face à la douleur entre la
première évaluation et celle en fin de thérapie. Elle reste relativement stable à deux mois
contrairement aux autres questionnaires.
Léo a appris et a mis en œuvre différentes techniques afin de mieux gérer les émotions et par
conséquent les céphalées. Il a pu développer des stratégies cognitives et comportementales
pour faire face aux situations qui entraînent des céphalées. C’est ainsi qu’il a désormais
recours à l’auto-instruction cognitive lors des épisodes douloureux. Ses capacités de
recherche de distraction et d’efficacité se sont développées tout au long de la thérapie.
(voir Figure 1.4, p. 26)
1 • Anxiété de séparation et céphalées
Tableau 1.1. Scores obtenus aux questionnaires et échelles (MDI-C, R-CMAS, ISPE, PPCI-F, PCS-C)
avant, après la thérapie et à deux mois.
Échelle/ Avant la Après la Amélioration À 2 mois Amélioration
questionnaire thérapie thérapie (%) (%)
Score total de
62 60 3% 48 23 %
dépression
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Anxiété 70 70 0% 60 14 %
Estime de soi 54 54 0% 44 19 %
Humeur triste 56 45 20 % 45 20 %
Sentiment
50 50 0% 41 18 %
d’impuissance
Introversion
54 54 0% 44 19 %
sociale
Faible énergie 76 70 8% 49 36 %
Pessimisme 40 40 0% 40 0%
Provocation 59 59 0% 57 3%
Score total 21
78 71 9% 56 28 %
d’anxiété
Anxiété
18 19 –6% 10 44 %
physiologique
Inquiétude/
18 13 28 % 11 39 %
hypersensibilité
Concentration/
15 12 20 % 13 13 %
préoccupation
Mensonge 9 7 22 % 9 0%
Incompétence 2 2 0% 1 50 %
Carence
0 0 0% 0 0%
émotionnelle
Méfiance 1 1 0% 0 100 %
Sacrifice de soi 2 2 0% 2 0%
Sens moral
3 3 0% 3 0%
implacable
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Abandon 3 2 33 % 0 100 %
Attachement 4 4 0% 2 50 %
Vulnérabilité 3 3 0% 0 100 %
Dépendance 3 2 33 % 0 100 %
Inhibition
1 1 0% 1 0%
émotionnelle
Peur de perdre
3 1 67 % 4 – 33 %
le contrôle
Recherche de
1,2 1,4 – 17 % 0,4 67 %
support social
Recours à
22 l’auto- – 1,6 0 100 % 0,2 113 %
instruction
Recherche de
– 1,8 – 1,2 33 % – 0,8 56 %
distraction
Recherche
0,4 1 – 150 % 1 – 150 %
d’efficacité
Catastro-
phisme lié à la 37 39 –5% 19 49 %
douleur
Rumination liée
13 14 –8% 8 38 %
à la douleur
Exagération 6 10 – 67 % 6 0%
Impuissance 18 15 17 % 5 72 %
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23
Figure 1.1.
! PCS-C
Le score initial sur les pensées catastrophiques concernant la douleur est très élevé, soit
39 (score moyen : 16,8 ; σ = 8,8). Les pensées négatives les plus fréquentes portent sur
les thèmes de rumination et d’impuissance lors des épisodes douloureux. En fin de thérapie,
ces scores restent élevés. Cependant, ils chutent considérablement lors du bilan à deux
mois. (voir Figure 1.5, p. 27)
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TCC ADULTES EN
Figure 1.2.
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET
24
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1 • Anxiété de séparation et céphalées
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25
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
Figure 1.3.
! En conclusion
L’effet favorable de la thérapie est objectivé par l’amélioration notable des symptômes
surtout au niveau de la symptomatologie anxieuse et dépressive. L’entretien avec la mère
de Léo, qui souligne avoir retrouvé un garçon enjoué, plus dynamique, pleurant moins
souvent est corroboré par la rémission de la symptomatologie dépressive mesurée avec le
MDI-C. De plus, le développement de stratégies et de solutions alternatives pour faire face
à l’événement douloureux noté dans le PPCI-F est conjoint à l’amendement des symptômes
et à la diminution du sentiment d’impuissance observé dans le PCS-C et le MDI-C.
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
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Figure 1.4.
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© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
Figure 1.5.
CONCLUSION
L’évolution favorable a débuté à partir des dernières séances, durant lesquelles Léo a appris
à reconnaître les facteurs déclenchants de ses maux de tête, à développer des stratégies
comportementales et cognitives pour faire face à l’événement douloureux, parfois le juguler,
et ainsi à sortir du sentiment d’impuissance en devenant acteur et autonome dans la gestion
des crises. Lors de l’évaluation en phase de suivi (à deux mois), on observe une très nette
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28
Figure 1.6.
BIBLIOGRAPHIE
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enfant (MDI-C), ECPA. Children’s Manifest Anxiety Scale (R-CMAS)
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Abdel-Halim Boudoukha
Chapitre 2
Trouble de stress
post-traumatique
Le cas de Monsieur T.
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SOMMAIRE
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Événement traumatogène et trouble de stress post-traumatique . 37
Prise en charge du traumatisme psychologique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38
Psychoéducation : mieux comprendre sa souffrance . . . . . . . . . . . . . 38
L’abord cognitif de la psychothérapie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
L’abord comportemental de la psychothérapie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41
L’abord émotionnel de la psychothérapie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43
31
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
T
RAUMATISME PSYCHOLOGIQUE, trauma, état de stress post-traumatique, trouble de stress
post-traumatique, le jargon « psy » pour décrire les répercussions psychiques d’un
événement violent, soudain, extraordinaire dans son potentiel de destruction
et de mort, est particulièrement florissant. Lorsque l’on pense à la prise en
charge, débriefing est un terme qui revient systématiquement dans les médias. Or il ne
s’agit pas d’une psychothérapie. Il s’agit d’une intervention en groupe juste après un
événement traumatogène. Il vise à donner une information sur les répercussions possibles
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de l’événement et à apporter une forme de « réconfort ». Comme le rappelle Brillon (2005),
les études scientifiques mettent sérieusement en cause l’effet thérapeutique du débriefing.
En définitive, parmi les prises en charge psychothérapiques, la psychothérapie cognitive
comportementale émotionnelle (TCC) du trouble de stress post-traumatique (terme actuel de
l’ancienne appellation névrose traumatique) montre une efficacité thérapeutique reconnue
sur le plan scientifique (INSERM, 2004).
Nous allons donc illustrer par le biais d’un cas clinique la prise en charge d’inspiration TCC.
Pour des raisons de clarté, nous avons structuré ce cas clinique en deux parties. La première
s’intéresse à la singularité du sujet et de sa souffrance et est organisée en hypothèses
diagnostique et psychothérapeutique. La seconde, quant à elle, décrit les différents aspects
de la psychothérapie. Chacune de ces parties comporte des extraits d’entretiens avec les
patients. Sur le plan déontologique, les patients reçus en consultation sont informés lors
du premier entretien que dans le cadre de la diffusion des connaissances du psychologue
et la compréhension des souffrances psychiques, le contenu de la prise en charge peut
faire l’objet d’une communication. Pour des raisons d’ordre éthique et déontologique, les
32 caractéristiques et les informations personnelles des patients ont été modifiées, ce afin que
l’anonymat tel qu’il leur a été stipulé lors de nos rencontres, leur soit garanti. En définitive,
nous avons veillé à limiter, au maximum, toutes les informations qui permettraient aux
patients de se reconnaître.
« Je suis en arrêt maladie depuis huit mois. J’ai consulté un médecin psychiatre, cela fait
maintenant quatre mois, mais je suis toujours aussi mal. » Monsieur T. s’arrête, soupire, et
reprend : « Je travaille depuis cinq ans dans une prison. C’est la plus grande de France. Il y a des
personnes qui ont été condamnées pour des crimes. » Monsieur T. s’arrête à nouveau, la pause
est cette fois plus longue. Il cherche manifestement à gérer une émotion qui le submerge. Il
reprend son souffle et reprend : « Je n’ai pas choisi ce métier, mais avec le chômage... J’ai fait
des études jusqu’en licence, je voulais devenir enseignant. J’ai passé plusieurs fois le concours,
mais je ne l’ai pas obtenu. Alors, j’ai changé de voie. J’ai passé plein d’autres concours et j’ai
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réussi celui-ci (surveillant pénitentiaire). Au début, j’étais content. » Monsieur T. sourit pour la
première fois. « J’ai bien conscience que j’allais travailler avec des personnes dangereuses, mais
à l’époque, je ne me suis pas posé de question. » Monsieur. T prend à nouveau une pause. Ses
yeux deviennent vitreux, il tente de retenir ses larmes. Je l’invite alors à prendre tout le temps
qu’il souhaite, lui rappelle qu’il est en sécurité dans le cadre de cet entretien clinique. Je lui
indique qu’il est normal lorsque l’on ressent des émotions aussi fortes qu’elles s’expriment par
des pleurs. Au bout de quelques minutes, Monsieur T. reprend : « Avant, le danger ne me faisait
pas peur. J’étais pas casse-cou !... mais avec une ceinture noire de karaté, je me suis toujours
senti en sécurité. D’ailleurs avec mon mètre quatre-vingt-cinq, j’ai toujours imposé le respect ! »
Monsieur T. s’arrête de parler, me regarde : « Vous vous rendez compte, me dit-il, je n’arrête
pas de “chialer”. Depuis cette agression, tout a changé, avant j’étais un colosse, maintenant, le
moindre bruit me fait sauter en l’air ! » Monsieur T. reprend son souffle et parle de son agression.
Je viens vous voir parce qu’on m’a dit que vous étiez un psy spécialisé dans les agressions.
Depuis que j’ai été agressé par un condamné il y a huit mois, j’ai l’impression que je ne vis
plus. J’ai peur toute la journée, 24 heures sur 24. Je ne dors pas, je pense sans arrêt à cette
agression, je suis à cran, tendu, mal tous les jours. Ça ne peut plus durer. Les médicaments de
la psychiatre m’ont un peu aidé, ça m’aide à être moins tendu, mais j’ai toujours aussi peur et je
33
revois sans arrêt dans ma tête cette agression. »
Monsieur T. s’arrête. Je reprends les caractéristiques de sa demande. Plus spécifiquement, je
lui indique qu’en qualité de psychologue clinicien et de psychothérapeute formé aux thérapies
cognitives comportementales, j’ai été formé à la prise en charge des souffrances consécutives
d’événements traumatiques. Compte tenu des émotions suscitées à l’évocation de son parcours
et de l’agression, je décide de ne pas aborder directement l’événement traumatogène et de
réserver ce travail lors de la deuxième consultation. Néanmoins, l’état d’anxiété, manifeste sur
le plan clinique, nécessite un exercice de relaxation. La relaxation vise à amener un état de
détente sur le plan corporel qui viendra s’opposer à la tension provoquée par l’état d’anxiété.
Après avoir installé M. T. sur un fauteuil de relaxation, nous lui demandons de fermer les yeux
et de se concentrer sur sa respiration. Par le biais de suggestions apaisantes, relaxantes en
termes d’imagerie mentale, nous amenons progressivement Monsieur T., à détendre ses muscles
et à diminuer son hyper-réactivité corporelle. Ce dernier quart d’heure de la consultation est
donc dévolu à un exercice de relaxation inspirée de l’hypnose éricksonienne. Nous clôturons ce
premier entretien clinique, en reformulant la demande de Monsieur T. : il s’agit d’une prise en
charge psychologique de sa souffrance consécutive à une agression. Nous lui proposons de nous
rencontrer selon un rythme hebdomadaire. Nous l’informons que la prochaine séance abordera
l’agression dont il a été victime. Monsieur T. est d’accord avec ces propositions. Nous sentons
une collaboration positive se mettre en œuvre, l’alliance thérapeutique avec ce patient s’instaure
donc relativement facilement.
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
À retenir
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neutralité émotionnelle, un détachement ou une forme de froideur peuvent mettre
en difficulté le patient chez lequel le traumatisme psychologique modifie le ressenti
émotionnel et, en conséquence, entrave l’alliance thérapeutique.
Dans la majorité des cas, l’anxiété et la peur sont massives et au premier plan chez les
victimes. Ces émotions vont maintenir, auto-entretenir ou différer la symptomatologie.
Le travail sur le vécu subjectif des émotions est donc important, car le traumatisme
peut générer une modification de l’intensité des émotions et la « rigidification » de
certains patterns d’émotions, qui rendent pathogène le vécu émotionnel du patient.
Ce travail dont nous rendrons compte dans les entretiens suivants, sera articulé
autour de trois étapes. La première concerne l’évaluation de l’expression et du vécu
émotionnel postérieurs au traumatisme. La deuxième concerne la prise de conscience
chez le patient des caractéristiques et de la nature de ces émotions. Enfin, la dernière
phase se focalise sur la gestion des émotions.
« J’étais en surveillance des promenades. Deux fois par jour les détenus ont droit à une
promenade dans une cour qui leur est réservée. Ils sont systématiquement encadrés dans tous
leurs mouvements à l’intérieur de la prison par des surveillants. Dans la cour de promenade,
j’étais de surveillance : il faut voir tous les détenus, contrôler leurs mouvements, s’assurer qu’il
n’y a pas de problèmes et pouvoir réagir rapidement si une bagarre éclate ou s’il y a une tentative
d’évasion. » Monsieur T. s’arrête, puis reprend : « C’était l’après-midi, il faisait beau à l’extérieur,
J’étais dans le quartier D, celui des “criminels”, celui qu’on n’aime pas avoir en surveillance parce
qu’il faut faire attention avec “ces détenus”, ça peut vite partir “en vrille”. » Monsieur T. déglutit,
2 • Trouble de stress post-traumatique
bouge sur le sur le fauteuil, il semble mal à l’aise, la peur semble l’assaillir. Je lui demande
alors de situer sa peur entre 0 et 10. Pour l’aider, je lui indique que zéro signifie qu’il se sent
totalement détendu et que 10 correspond à un état de peur extrême. Il me dit être à 7/10. Je
lui propose donc de reprendre la description de l’événement à partir du moment où sa peur sera
descendue en dessous de cinq. Pour que son ressenti subjectif de peur descende sous la barre de
cinq, la technique de relaxation est convoquée. Il s’agit ici de fermer les yeux et d’imaginer être
dans un environnement calme, en sécurité et apaisant. C’est le cas du cadre de la consultation.
Monsieur T. reprend : « J’étais bien, je fais attention alors il ne m’arrive pas de problème... enfin,
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il m’arrivait pas de problème ». Il s’arrête, puis se concentre et reprend : « C’est arrivé très vite,
je parlais avec un détenu qui n’avait pas eu son parloir et qui était énervé, je maîtrisais la
situation, il s’était calmé. J’ai soudain entendu un cri derrière moi, je me rappelle plus très bien,
quelque chose comme “attention !”. Je me suis retourné et j’ai eu juste le temps de bouger un
peu la tête pour éviter le coup. J’ai reçu le coup dans l’épaule, j’ai vu son visage hargneux, je
me suis écrasé sur le sol et j’ai rampé comme un cafard pour éviter les autres coups, ça a duré
quelques secondes ! Je ne sais plus très bien ce qui s’est passé par la suite. » Monsieur T. semble
vidé. « J’ai eu l’impression que j’allais mourir ! Je suis certain que si je n’avais pas évité les
coups, il m’aurait achevé. Il voulait ma mort. De ça, j’en suis certain. » Je demande à Monsieur
T. comment il se sent, quelles sont les pensées qui lui viennent à l’esprit. « Je me sens mal, très
mal, j’ai les images qui tournent en boucle dans ma tête, je me pose plein de questions : est-ce
que d’autres détenus ont maintenu ce fou ? Est-ce que mes collègues sont venus ? Qu’est-ce qui
s’est passé ? Tout ce que je sais, c’est que je me suis jeté près de la grille ouverte et que j’ai
réussi à la refermer derrière moi. On m’a dit que des détenus l’avaient ceinturé, que les collègues
sont intervenus dès qu’il y a eu l’alarme et que c’est l’un d’entre eux qui a ouvert la porte. Moi
je ne me rappelle plus ! Tout ce que je sais, c’est que ça fait maintenant depuis huit mois que
je suis en arrêt, j’ai peur le jour, le soir, j’ai sans arrêt des images de l’agression, je fais des
35
cauchemars. Dès que j’entends parler de prison, j’ai un nœud à l’estomac, j’ai peur... je n’en
peux plus ! Je ne suis pas mort à l’extérieur, mais j’ai l’impression qu’à l’intérieur, je suis mort. »
Je lui demande alors de situer entre 0 et 10 sa peur. Monsieur T. se situe à 10. La fin de
la consultation est donc occupée par la relaxation sur la même base que celle du premier
entretien clinique. Nous invitons Monsieur T. à se mettre en situation de relaxation dès lors
qu’il sent la peur le submerger en dehors des consultations. Nous indiquons à Monsieur T. qu’au
regard de nos entretiens cliniques, nous posons l’hypothèse qu’il présente un trouble de stress
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post-traumatique. Nous lui remettons des questionnaires qui visent à mesurer objectivement
certaines caractéristiques psychologiques de cette souffrance psychique (inventaire de dépression
de Beck — BDI, inventaire révisé d’impact des événements de Brunet – IES-R). Nous lui indiquons
que les prochaines séances viseront à travailler plus spécifiquement sur les répercussions
traumatiques de l’agression qu’il a subie.
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36
BDI) et des symptômes psychotraumatiques intenses (total IES-R = 64). Plus spécifiquement,
l’IES-R permet de distinguer les trois ensembles de symptômes du TSPT, chez Monsieur T.
les symptômes de reviviscence sont très élevés (28), de même que ceux d’évitement (15)
et d’hyperréactivité (21). Au cours de ces deux premiers entretiens, nous percevons une
attente importante de Monsieur T. quant à l’efficacité de la thérapie. Il apparaît fragilisé
par son agression, très anxieux et coopérant. La collaboration aisée et l’adhésion à nos
propositions psychothérapiques nous semblent un élément très positif dans l’évolution de
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la psychothérapie.
Sur le plan symptomatologique, le TSPT est défini par la présence des symptômes
de reviviscence, des symptômes d’évitement ou d’indifférence et enfin des symptômes
d’hyperarousal ou d’hyperréactivité neurovégétative. Ces symptômes sont présents au moins
un mois après l’événement traumatogène et sont accompagnés par un affaiblissement
significatif du fonctionnement habituel. Les symptômes de reviviscence s’expriment
généralement par des pensées et des images intrusives de l’événement, des cauchemars
relatifs à l’événement, une détresse physiologique et/ou mentale exacerbée lorsque
l’événement est rappelé et des flash-back pendant lesquels les sujets ont l’impression
qu’ils revivent l’événement dans le présent. Les symptômes d’évitement se manifestent par
l’ensemble des actions visant à éviter les situations, les pensées ou les images associées à
l’événement et dans certains cas par une amnésie psychogène de l’événement. L’indifférence
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
se traduit par un détachement des autres, une gamme restreinte d’affects et une diminution
des intérêts pour les activités en général. Enfin, l’hyperréactivité apparaît à travers la
perturbation du sommeil, la diminution de la concentration, par une vigilance exacerbée
de l’attention aux signaux de danger, un accroissement de l’irritabilité et des réponses
exagérées, c’est-à-dire une nervosité excessive aux bruits retentissants ou soudains.
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PRISE EN CHARGE DU TRAUMATISME PSYCHOLOGIQUE
Nous n’allons pas présenter le compte rendu exhaustif de l’ensemble des séances
psychothérapiques en raison de la lourdeur que cela représente. Il nous semble par ailleurs
difficile d’adresser à chaque entretien un objectif unique. En effet, la psychothérapie
d’un sujet rapportant un trouble de stress post-traumatique repose sur un ensemble de
processus, mécanismes et techniques qui sont employés au cours des séances, en fonction
des élaborations du patient. Ils ne sont donc pas cloisonnés à un entretien particulier. Le
travail psychothérapique s’articule autour de trois phases qui ne sont pas disjointes et
peuvent être mises en œuvre de concert. Le lecteur retiendra que ces trois dimensions sont
travaillées conjointement durant les entretiens, mais que pour des besoins de clarté, nous
les avons traitées séparément. Il faut également noter qu’une part importante d’informations
sur le traumatisme psychologique, ses conséquences et son traitement est régulièrement
donnée aux patients. Cette phase, que l’on retrouve sous le terme « psychoéducation » est
38 une étape importante dans une TCC.
respectables. Cette conception du monde, de soi et des autres (que nous nommons en
psychologie clinique : schémas précoces inadaptés ou encore schémas cognitifs), qui est
inconsciente, a été battue en brèche, remise en cause violemment par l’agression. Cela
explique probablement pourquoi, son sentiment de mort, de peur de l’autre, de changement
du monde est aussi intense. Nous lui expliquons que dans le cadre de la psychothérapie TCC
nous allons travailler sur des aspects conscients et inconscients.
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L’abord cognitif de la psychothérapie
L’abord cognitif du travail psychothérapique se focalise sur les pensées et les schémas
de pensées. Il s’agit d’identifier et de permettre à Monsieur T. de pointer ses croyances
irrationnelles et ses pensées pathogènes. Les croyances irrationnelles sont des certitudes
auquel le patient adhère, sans critique et sans conscience, et qui par leur caractère absolu,
rendent douloureux le vécu subjectif. Elles se sont mises en place avec les relations précoces
(sujets significatifs de l’histoire de vie du sujet) et au cours des expériences actuelles.
Dans un second temps, par un travail de restructuration cognitive, Monsieur T. est amené à
prendre de la distance et critiquer ses pensées automatiques pathogènes.
Chez Monsieur T., l’expérience actuelle d’agression a généré, parmi d’autres, ces croyances
pathogènes : « Le détenu m’en voulait personnellement, c’est moi qu’il voulait agresser ! » ;
« Si je retourne en prison, je suis certain que je serai à nouveau agressé » ; « Il n’y a que moi,
qui aie été agressé » ; « Les détenus se passent le mot, je ne suis pas en sécurité » ; « Tous
mes collègues ne me feront plus confiance » ; « Tout le monde voit que j’ai été agressé » ; 39
« Je me suis laissé faire » ; « Je suis faible ». Ces pensées apparaissent spontanément
durant les entretiens et sont verbalisées de façon badine. Monsieur T. n’a pas conscience
de l’importance de ces pensées qui ravivent son sentiment d’insécurité et maintiennent sa
souffrance. Le travail psychique consiste donc dans un premier temps à aider Monsieur T.
à identifier ses pensées. Il s’agit juste de les regarder plus rationnellement, avec plus de
neutralité. Dans un second temps, le travail de restructuration cognitive peut démarrer. Il
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s’agit d’une méthode qui vise à permettre au patient d’identifier ses pensées autodéfaitistes
ou d’échec personnel et d’élaborer à leur place, des pensées alternatives plus rationnelles
qu’il pourra utiliser pour gérer les situations redoutées. Monsieur T. ne sortait presque plus
de chez lui, suite à l’agression perpétrée par une personne détenue. Il avait fini par penser
que s’il allait à l’extérieur, il rencontrerait un détenu, qu’il lui arriverait des catastrophes et
qu’il serait incapable de les gérer.
Nous utilisons donc le dialogue socratique pour amener Monsieur T. à pouvoir critiquer ses
pensées. Il s’agit à partir de situations réelles ou imaginées de questionner les pensées :
« Le détenu voulait-il personnellement vous agresser ? », « Êtes-vous systématiquement
en danger, quel que soit le lieu ? », « Êtes-vous certain de rencontrer un détenu si vous
sortez de votre domicile ? » ; de les remettre en cause : « Quels éléments vous ont-ils
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
permis d’arriver à la conclusion que le détenu voulait vous agresser, vous et pas un autre ?
Qu’est-ce qui vous permet d’affirmer que vous êtes toujours en danger ? » ; de demander
à Monsieur T. de trouver ou donner des preuves qui confirment ou infirment ses pensées :
« Est-il possible d’envisager que vous n’étiez pas personnellement visé ? Quels sont les
arguments qui vous permettraient de penser différemment cette agression ? »
L’objectif ici n’est pas tant de contre-argumenter ou trouver « coûte que coûte » un
contre-exemple ou convaincre. Il s’agit plutôt de prendre de la distance avec des certitudes
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qui, par leur rigidité, font souffrir Monsieur T. Cette prise de conscience et de distance
l’amène à se rendre compte que ces croyances n’ont, pour finir, pas d’assise dans la réalité. Il
s’agit également de l’encourager à déconstruire, à mettre en question in vivo ces croyances.
Par exemple, en ce qui concerne « tous mes collègues ne me feront plus confiance », nous
lui demandons d’une part de trouver des preuves infirmant que tous ses collègues ne lui
feraient plus confiance et d’autre part, ce qu’en pensaient réellement ses collègues, amis
et famille. C’est l’occasion pour lui d’une part de prendre de la distance avec la rigidité de
ses pensées, car la réalité de collègues soutenants, infirme l’absolutisme de ces pensées
pathogènes. D’autre part, Monsieur T. a pu à nouveau développer des compétences sociales
qui ont amélioré son efficacité interpersonnelle.
Les sentiments d’incontrôlabilité et d’insécurité sont particulièrement exacerbés chez
Monsieur T., comme il le résume : « Je ne suis en sécurité nulle part ! » Derrière ces
sentiments, se cache en définitive une impression vivace d’incapacité et de défaitisme. À
un niveau très inconscient, qui est le siège du schéma cognitif, cette agression a le sens
40 d’un « échec » personnel avec comme noyau central l’idée (répandue malheureusement)
« qu’un homme, ça n’a pas peur, ça ne pleure pas ! ». Monsieur T. ayant été agressé et
s’étant enfui sans « rendre les coups » a le sentiment de ne pas « être un homme ». Il a
perdu sa « virilité » au sens étymologique du terme, c’est-à-dire sa puissance.
C’est donc sur les pensées pathogènes que le travail cognitif a pris tout son sens. En effet,
le raisonnement de Monsieur T. donne à penser qu’il aurait dû réagir à l’agression : comme
s’il avait pu la prévoir et mettre en œuvre une défense, comme si la fuite n’en était pas une.
Par ailleurs, sa représentation de « l’homme » omnipotent maintenait la souffrance. L’abord
cognitif de la psychothérapie a ainsi permis d’identifier les liens rigides entre ses pensées,
d’assouplir le caractère catégorique de ces pensées par leur remise en question et d’élaborer
une autre approche de sa représentation de la virilité. Pour cela, nous avons orienté ce
patient vers ses collègues pour qu’il puisse en discuter et partager son expérience. Au cours
des discussions, il a pu entendre de ses collègues qu’ils ne pensaient pas qu’ils auraient pu
faire autre chose que lui dans cette situation.
2 • Trouble de stress post-traumatique
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l’absence d’événements désagréables ou aversifs.
Plus simplement, on peut dire que Monsieur T. est confronté à sa peur, mais qu’il est en
sécurité. Ainsi, il commence à percevoir à nouveau les situations antérieurement phobogènes
comme inoffensives et se sent capable de gérer ses situations plus efficacement. Dans un
premier temps, nous avons déterminé les différentes situations selon leur intensité, de
celle provoquant le moins de peur à celle provoquant le plus de peur (aller dans son jardin,
sortir devant chez soi, aller chez des amis, aller voir des collègues, se promener en ville
accompagné puis seul, aller à quelques kilomètres d’une prison, etc.). Les situations ont
été affrontées graduellement de la moins anxiogène à la plus anxiogène. Les premières
expositions, étaient en imaginaires (imagerie mentale) puis in vivo. Chaque situation était
préalablement travaillée durant une séance puis faisait l’objet d’une tâche à réaliser en
dehors des séances. Les supports directs étaient moins présents au fur et à mesure des
expositions afin qu’il apprenne à gérer par lui-même les situations. Au fur et à mesure des
séances, Monsieur T. s’est senti plus à l’aise pour réaliser les tâches d’exposition. Elles
41
étaient accompagnées d’un journal de bord, dans lequel Monsieur T. relevait ses émotions,
ses pensées et la difficulté perçue pour réaliser la tâche et qui faisait l’objet d’une discussion
durant les séances.
Le travail sur la gestion, l’expression et le vécu des émotions est nécessaire, car le
traumatisme génère une modification de l’intensité des émotions et la « rigidification »
de certains patterns d’émotions, qui rendent pathogène le vécu émotionnel du patient.
Ce travail peut être articulé autour de trois étapes. La première concerne l’évaluation de
l’expression et du vécu émotionnel postérieur au traumatisme. La deuxième concerne la
prise de conscience chez le patient des caractéristiques et de la nature de ces émotions.
Enfin, la dernière phase se focalise sur la gestion des émotions.
Les émotions correspondent à un vécu subjectif, consécutif du traitement de l’information
de notre environnement. Il s’agit donc d’une forme d’une construction mentale opérée à
partir de ce que nous percevons du monde extérieur ainsi que des sensations physiques
que nous ressentons. Malheureusement, le traumatisme psychologique va complètement
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émotionnel, peur dominante sur le tableau des émotions ; joie sous-activée.
La prise de conscience des états émotionnels est une phase importante, car elle vise à
faciliter l’identification et l’appropriation des émotions. Avec des reformulations, Monsieur
T. est amené à repérer ses émotions. Comme le préconise Brillon (2005), nous utilisons les
reflets émotionnels superficiels, que l’on peut définir comme une reformulation du message
du patient en lui faisant découvrir l’aspect émotionnel dont il n’avait pas pris conscience.
Ils sont dits superficiels par ce qu’ils vont s’attacher à décrire les comportements non
verbaux directement observables lorsque le patient évoque une anecdote.
Par exemple, lorsque le patient évoque le regard du « détenu » : « Lorsque vous parlez de
l’agression, votre visage devient pâle, vos yeux deviennent vitreux : que ressentez-vous à
ce moment précis ? »
Monsieur T. : « De la peur, une peur énorme, une peur de mourir ! »
Par-delà les séances de thérapie, pour rapprocher le patient de ses expériences émotionnelles,
il peut s’avérer utile de lui proposer des grilles d’auto-observation (voir Tableau 2.1). Il s’agit
42
d’une sorte de « journal de bord » qui permet au patient d’y inscrire ses états émotionnels,
ce qui permet, d’une part de relever de manière plus minutieuse les émotions ressenties au
cours d’une période de temps et d’autre part d’apprendre à mieux les repérer.
Tableau 2.1.
Description de la Qu’est-ce que je Quel nom je Quelle est son
situation ressens ? donne à ce que je intensité ? (échelle
ressens ? de 0 à 10)
Après le travail sur le repérage des émotions, l’une des étapes clés de la gestion des émotions
a trait à la prise de conscience que certaines émotions sont certes douloureuses, mais
elles ne sont pas dangereuses. En effet, Monsieur T. a tendance à réprimer ses émotions. Il
s’agit de ce que l’on appelle en psychologie, des processus d’inhibition et d’évitement des
émotions. Or les études sont formelles, l’évitement ou l’inhibition des émotions ne mène
pas à leur disparition (Philippot, 2007). En effet, l’évitement ou l’inhibition des émotions
empêchent la prise de conscience des difficultés qui en sont à l’origine et donne une tonalité
pathogène au ressenti de telles émotions. Par ailleurs, la tentative d’évitement des émotions
2 • Trouble de stress post-traumatique
rend les émotions encore plus vivaces : le simple fait d’éviter de ressentir une émotion
provoque un ensemble de souvenir et de sensation qui la déclenche. En conséquence, les
évitements, voire les tentatives de suppression des émotions mobilisent une telle énergie,
que le patient toujours sur le qui-vive, guette les signes avant-coureurs de l’émotion. Il
s’agit donc d’un véritable cercle vicieux qu’il faut progressivement casser.
L’acceptation des émotions est une autre étape du travail psychothérapique sur les émotions.
Il faut favoriser un positionnement moins cruel du patient vis-à-vis de lui-même. Il faut
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amener une prise de conscience qu’une attitude très négative vis-à-vis de soi, n’aide en
rien le patient. À Monsieur T. qui s’en voulait d’avoir « été agressé et de n’avoir pas réagi »
et était en colère contre lui parce qu’il se trouvait « nul et faible », nous lui demandons
en quoi une attitude cruelle vis-à-vis de lui-même peut être aidant ? Pourquoi se rajouter
une souffrance supplémentaire ? Est-il anormal d’avoir peur ? L’objectif de l’acceptation des
émotions est de permettre de développer une attitude lucide, raisonnable et indulgente
avec soi-même.
CONCLUSION
Monsieur T. a été suivi en psychothérapie durant un peu plus d’un an et demi. Les huit
premiers mois, les séances étaient hebdomadaires, puis elles se sont espacées. Nous avons
réévalué avec des questionnaires les symptômes post-traumatiques à six mois et un an. À 43
six mois, les symptômes avaient diminué significativement. À un an, la diminution était
plus massive. La thérapie du traumatisme psychologique, comme nous venons de le voir,
est une thérapie multimodale : comportementale, cognitive et émotionnelle. Elle va ainsi
permettre de reprendre le cours de sa vie après un trauma.
BIBLIOGRAPHIE
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SOMMAIRE
Histoire du sujet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46
Antécédents personnels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46
Antécédents familiaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47
Description clinique et sémiologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47
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Diagnostic . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50
Question de la dégressivité/estime de soi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
Informations sur le trouble . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
Informations que l’on doit communiquer sur le TOC . . . . . . . . . . . . . 52
Informations sur l’origine du TOC . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53
Informations sur les traitements possibles des TOC . . . . . . . . . . . . . . 53
Formulation du cas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54
Définition de la ligne de base . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
Tenir un agenda . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
Mesurer l’intensité des troubles par une échelle standardisée . . . . 57
Plan d’action de la thérapie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57 45
HISTOIRE DU SUJET
Laura est une jeune femme de 32 ans qui se présente à la consultation avec une demande
de psychothérapie cognitive et comportementale. Elle est mariée depuis huit ans, mère de
deux enfants (deux filles de 6 et 4 ans) et exerce des fonctions de secrétaire administrative
dans un cabinet comptable. Elle dit venir pour essayer de se débarrasser d’un problème
ancien, qui la fait de plus en plus souffrir, elle dira que cela lui « empoissonne la vie ».
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Laura va exprimer d’emblée des doutes sur la capacité du thérapeute à comprendre ce dont
elle souffre, voire à la croire, et ne pas la prendre pour une folle. Elle explique à quel
point cela a été difficile pour elle de faire une telle démarche, mais maintenant qu’elle a
l’impression que ses enfants peuvent à leur tour souffrir de la situation elle se dit décidée
à « tenter quelque chose ».
Elle est renforcée en cela par l’expérience positive qu’a obtenue en thérapie son jeune frère.
C’est elle-même qui a fait le diagnostic de TOC sur Internet (Wikipédia) pour son frère, et
elle nous décrit chez ce tout jeune homme des obsessions de souillure et de contamination
associées à des compulsions de lavage ainsi qu’à des conduites d’évitement.
Elle a, elle-même, accompagné son frère il y a un an chez un confrère pratiquant les TCC et
devant le résultat positif de la thérapie, elle a demandé à ce collègue qu’il l’oriente vers un
thérapeute pratiquant la même thérapie. C’est de cette façon qu’elle a pris rendez-vous au
cabinet.
46
Cependant, malgré le constat de l’amélioration très importante de la problématique de son
frère, elle émet des doutes importants sur l’efficacité de tout abord psychologique pour
elle-même.
Lors de la description de ces propres troubles elle ne fait à aucun moment le lien entre ses
difficultés et la possibilité de souffrir elle aussi de TOC.
Antécédents personnels
Laura est issue d’une fratrie de trois. Elle est la deuxième, a une sœur aînée qui est la
personne en qui elle a le plus confiance et à qui elle se confie volontiers et un frère cadet.
Vers 10 ans, Laura aurait présenté une courte période de refus scolaire, liée à la peur de
vomir en cours. Elle aurait vu deux ou trois fois une psychologue sans souvenir particulier
de ce qui avait été entrepris, elle garde surtout le souvenir de son médecin de famille
l’ayant « engueulée » et s’en était suivie une reprise rapide de la scolarité. Pendant quelque
temps cela l’avait conduit à aller en cours sans déjeuner le matin pour limiter les risques
de vomissement ; puis tout était rentré dans l’ordre progressivement.
3 • Peur de provoquer le malheur des siens
Antécédents familiaux
La mère est décrite comme souffrant d’un TOC invalidant depuis plus de trente ans. Ce TOC
est caractérisé par la peur de provoquer des catastrophes par une attitude inadaptée, pas
assez précautionneuse (cambriolage, incendie, inondation, ruine financière), associée à des
compulsions de vérification et de répétition.
Le frère souffre, comme nous l’avons vu, d’un TOC de souillure/contamination et présente des
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compulsions de lavage et des évitements.
Laura décrit sa famille comme religieuse, catholique peu pratiquante, mais surtout
superstitieuse. Elle rattache ces croyances à l’origine de ses parents qui viennent du sud de
l’Espagne. Il existe des croyances familiales concernant le mauvais œil, les malédictions,
les sorts jetés par des êtres malfaisants.
À la question de savoir comment elle fait pour limiter ou se débarrasser de ces peurs,
l’anxiété réapparaît et de nouveau les questions sur sa propre intégrité mentale.
Laura décrit à ce moment plusieurs comportements qui sont, pour elle, les choses qui
l’inquiètent. On relève :
• des rituels de lavage, des répétitions de geste dans le but d’annuler certains ressentis ;
• des gestes du quotidien fait par série de six ;
• des rituels qualifiés de superstitieux (embrasser matin et soir six fois la statue de la vierge
Marie, embrasser sa médaille de la Vierge Marie quand apparaissent certains ressentis
émotionnels).
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
Il existe également des conduites d’évitement. Laura évite de regarder le journal télévisé,
les conversations sur la maladie, les conversations sur les faits divers où il est question de
parents maltraitant.
On note des demandes de réassurance régulières en cours d’entretien, des périphrases
obligées, stéréotypées, à but conjuratoire quand elle évoque l’une ou l’autre de ses filles.
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À retenir du premier entretien clinique
Lors de l’apprentissage des TCC, il est classique de segmenter, à visée didactique, les
étapes de la mise en place d’une thérapie. On va ainsi étudier successivement : la
démarche diagnostic selon les critères du DSM et la conduite de l’entretien, l’alliance
thérapeutique, l’analyse fonctionnelle.
Dans la pratique, ces étapes sont étroitement interconnectées et, de fait, indisso-
ciables. Dès que notre patient pousse la porte de notre cabinet nous tentons par tout
ce que nous voyons, par tout ce qui nous est raconté, par tout ce que nous voyons
s’exprimer au cours de l’entretien (attitudes, émotions, résistance anxieuse, etc.)
d’établir le cadre diagnostic et de créer une hypothèse explicative des troubles dont
souffre le patient au regard des règles de l’apprentissage (ce qui est une bonne
définition de l’analyse fonctionnelle). Cela est d’autant plus vrai que dans les troubles
anxieux spécifiques l’analyse fonctionnelle peut se révéler d’une aide précieuse dans
l’avancée du diagnostic, en nous apportant la nature plus précise des cognitions et des
émotions (cf. « En session : développer l’empathie et valider l’émotion, renforcer »).
Tout cela ne peut se faire que dans un climat chaleureux, d’écoute, d’attention
48 particulière pour la personne qui est en face de nous (alliance thérapeutique). Ce
climat doit être installé de façon active par le thérapeute dès les premières minutes
d’entretiens et maintenu tout au long de celui-ci.
THÉRAPEUTE. – Je vous propose que nous nous concentrions sur la peur qu’un malheur arrive à vos
filles. J’ai bien compris que cela était difficile pour vous d’en parler, et c’est très courageux de
votre part d’accepter de le faire avec moi [renforcement]. Je suis sûr que cela va nous aider à y
voir plus clair.
PATIENTE. – OK, on peut essayer... C’est vrai que c’est difficile...
THÉRAPEUTE. – Vous souvenez-vous quand vous avez eu cette peur, cette pensée pour la dernière
fois ? Vous pouvez me le raconter ?
PATIENTE. – Et bien, je crois que c’était hier après-midi. Je parlais avec une amie des progrès de
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lecture d’Anna ma plus grande fille, et mes deux filles je les aime l’une autant que l’autre, j’aime
autant Anna que Maeva, et je ne ferais jamais de différence entre les deux, et en aucun cas je
ne voudrais qu’il arrive du mal à l’une ni à l’autre [rituel à valeur de conjuration]. Je me suis
dit que peut-être j’étais en train de dire qu’Anna était plus intelligente que Maeva, pourtant ce
n’est pas vrai, elles n’ont pas le même âge et on ne peut comparer [rationalisation a posteriori,
tentative d’annulation de la pensée]. Si j’ai pensé cela... alors il risque de leur arriver malheur
[idée obsédante], et cela sera de ma faute [culpabilité]... [anxiété visible]... et je vous jure que
mes deux filles je les aime l’une autant que l’autre, j’aime autant Anna que Maeva, et je ne ferais
jamais de différence entre les deux [rituel à valeur de conjuration].
THÉRAPEUTE. – Merci beaucoup pour cette description [renforcement], je vois bien que m’en parler
ici dans ce bureau fait revenir très fort l’émotion que vous avez eue hier après-midi... [validation].
Dans ces conditions que faites-vous pour essayer de vous rassurer ?
PATIENTE. – Et bien j’essaie de prendre sur moi... mais c’est très difficile...
THÉRAPEUTE. – Bien sûr, prendre sur soi quand on vit de telles émotions c’est vraiment très difficile
[empathie]... Faites aussi d’autres choses ?
PATIENTE. – Je me dis que ce n’est pas vrai, que j’aime autant mes deux filles l’une que l’autre
49
et je vous assure docteur, il faut me croire [demande de réassurance] j’aime autant Anna que
Maeva, et je ne ferais jamais de différence entre les deux [rituel à valeur de conjuration, troisième
utilisation en cours d’entretien]. Je fais parfois aussi d’autres choses...
THÉRAPEUTE. – Vous faites aussi d’autres choses... [reflet simple]
PATIENTE. – Oui j’embrasse six fois la médaille de la Sainte Vierge [compulsion] [la patiente montre
la médaille accrochée à une chaîne autour de son cou]... Si une telle pensée me vient quand je
suis en train de travailler au bureau ou à la maison, je dois refaire six fois le geste [compulsion
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
de répétition]... un peu comme pour annuler... Quand je prends ma douche, je dois ouvrir et
fermer l’eau six fois avant de commencer à me laver [compulsion de répétition]... Vous devez me
prendre pour une folle...
THÉRAPEUTE. – Ces gestes étonnants vous rassurent-ils ? Permettent-ils que vous soyez moins
anxieuse ?
PATIENTE. – C’est idiot... mais oui...
THÉRAPEUTE. – Et bien si ces gestes vous aident à vous sentir moins anxieuse, à moins souffrir je
comprends que vous les fassiez... Les choses passent-elles de la même façon pour l’autre peur ?
PATIENTE. – Oui et non, pour l’autre chose je dois être un peu égoïste... J’ai peur d’avoir une
maladie très grave... une tumeur du cerveau ou une sclérose en plaque...
THÉRAPEUTE. – À quels moments cette peur est-elle la plus forte ?
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
PATIENTE. – J’ai l’impression d’y penser tout le temps un peu... que c’est toujours là [idée
obsédante] ! Mais si j’ai un mal de tête qui dure plus longtemps que d’ordinaire, ou qui est plus
douloureux ; ou parfois j’ai des contractures... Alors je panique... je me dis que c’est le signe de
la maladie... Vous en pensez quoi vous ? Vous êtes médecin... C’est pas grave au fond d’avoir
des contractures parfois sans raison... non ? [demande de réassurance].
THÉRAPEUTE. – Je vois vraiment que cela vous inquiète, et qu’avoir toujours cette idée en tête
doit être épuisant [empathie]. Que faites-vous pour éviter cette anxiété ?
PATIENTE. – J’essaie de me rassurer mais c’est impossible, alors soit je vais voir sur le net, je pose
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des questions sur des forums, mais des fois les réponses me font encore plus peur. Des fois, aussi
je téléphone à mon médecin de famille en qui j’ai toute confiance... C’est idiot parce qu’au fond
je sais ce qu’il va me dire... mais je préfère l’entendre ça me rassure. D’autres fois j’en parle à
ma sœur, elle est de bons conseils et elle aussi sait me rassurer... elle me connaît bien.
THÉRAPEUTE. – C’est vraiment important pour vous d’être rassurée par des gens de confiance. Je
peux tout à fait comprendre cela [validation]. Mais ces gens ne peuvent-ils pas se tromper ?
PATIENTE. – Vous m’inquiétez en disant cela... mais j’y ai déjà pensé forcément, mais je ne pourrais
pas leur en vouloir ils auront fait cela en toute bonne foi [schéma de responsabilité]... Je leur
fais confiance de toute façon.
THÉRAPEUTE. – Une question idiote... si vous aviez une tumeur du cerveau..., pourquoi cela serait-il
grave ? Après tout il y a des tumeurs bénignes et qui se traitent bien... non ?
PATIENTE. – Si j’ai une tumeur, je vais devenir une sorte de zombie, incapable de faire quoique
soit, mon mari et mes filles passeront leur vie à s’occuper de moi... leur vie sera ruinée à cause
de moi... C’est affreux [scénario catastrophe] [anxiété de nouveau très visible] [on peut mesurer
que le thérapeute doit se méfier de ses propres cognitions qui en l’occurrence l’avaient orienté, à
tort, vers la peur de la mort].
50
THÉRAPEUTE. – Je constate que cette question vous a beaucoup remuée, je suis vraiment désolé
d’avoir provoqué de nouveau cette peur en vous demandant de me la raconter plus en détail
[validation de l’émotion]... Vous avez fait un bel effort [renforcement], je comprends maintenant
mieux comment tout cela fonctionne en vous. Maintenant j’en sais plus pour vous aider.
DIAGNOSTIC
La patiente ne présente pas d’EDM selon les critères du DSM-IV, et il n’y a pas d’élément
clinique ni de données de l’anamnèse personnelle et familiale permettant de faire craindre
un trouble bipolaire.
Au terme de la première évaluation le diagnostic le plus probable est celui de trouble
obsessionnel et compulsif :
• il existe des obsessions :
– déclencher une maladie neurologique qui causerait le malheur de sa famille ;
3 • Peur de provoquer le malheur des siens
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• il existe une souffrance objective ;
• il existe une perte de temps en pensées et comportements supérieurs à une heure par
jour.
Le trouble décrit répond aux critères du DSM-IV (cf. critères diagnostiques infra).
La patiente ne présente pas d’autres troubles anxieux spécifiques.
Il n’existe pas de d’autre trouble de l’axe 1. Le diagnostic différentiel d’hypochondrie aurait
pu être évoqué, ainsi que celui de phobie de la maladie. Cependant il nous paraît plus
logique de conserver celui de TOC. En effet la patiente n’a pas peur de la mort en elle-même,
ni de la maladie comme souffrance ou risque mortel, elle craint surtout que sa famille, son
mari et ses deux filles ne voient leur vie ruinée par sa maladie. Ils seraient dans l’obligation
de s’occuper d’elle et sombreraient dans la tristesse et le malheur, tout cela étant de sa
faute car elle n’aurait pas su agir de la bonne façon devant les signes d’alarme (douleurs,
signes physiques). L’existence de compulsions vient consolider le diagnostic différentiel.
51
Il n’existe pas de trouble de la personnalité.
La patiente ne présente pas de trouble somatique évolutif.
Les troubles de l’humeur, en particulier la dépression sous la forme d’un épisode dépressif
majeur (EDM – selon les critères diagnostiques du DSM-IV), représentent une comorbidité
régulièrement rencontrée chez les patients présentant un TOC (30 % à 50 % selon les études).
Il est donc important lors de la phase de diagnostic et d’évaluation globale d’être vigilant
et de les rechercher systématiquement, et ceci pour au moins deux raisons. Tout d’abord en
cas de comorbidité entre un EDM et un TOC, il faudra prendre en charge l’épisode thymique
avant de prendre en charge le TOC ; ensuite il est important de dépister un trouble bipolaire
dont l’association avec un TOC rend la prise en charge TCC plus aléatoire, et correspond
vraisemblablement à un sous-type de TOC assez particulier de par sa physiopathologie, son
histoire naturelle et son évolutivité.
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
En parallèle de la dépressivité, il n’est pas rare de rencontrer une estime de soi régulièrement
faible chez les sujets souffrants de TOC. La prise en charge thérapeutique devra en
tenir compte. En effet, il est probable qu’au décours de l’analyse fonctionnelle, nous
soyons amenés à proposer à la patiente un plan d’action incluant diverses techniques
de confrontation et d’exposition. Nous savons par expérience, il nous suffit d’observer
notre entourage et nous-même, que, pour se mettre en action, il est important d’avoir un
sentiment d’efficacité personnelle « fonctionnel ». Or nos patients souffrant de troubles
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anxieux sont souvent carencés à ce niveau de fonctionnement, et ce que nous allons les
encourager à faire est de fait difficile. Rappelons-nous que cela fait des mois et bien souvent
des années qu’ils se débattent contre l’anxiété, utilisant des méthodes, des modes de coping
inadaptés, entretenant et compliquant le trouble anxieux principal. La prise de conscience
latente du caractère vain et répétitif de cette lutte met à mal leur estime d’eux-mêmes et
leur sentiment d’efficacité personnelle.
Ceci représente une phase importante et à ne pas négliger avant d’engager la partie plus
« technique », de la thérapie.
On a tendance à dire que le patient doit devenir expert de son trouble, qu’il en comprenne
52 le déroulement et qu’il puisse avoir une théorie de son trouble en harmonie avec ses propres
représentations de lui-même.
• Vous essayez régulièrement d’éviter les situations qui pourraient déclencher en vous les
idées obsédantes afin d’échapper à l’anxiété.
• Parfois « à froid » vous vous dites que ces comportements sont illogiques, mais il existe
un doute, et tout se passe comme si le doute était le plus fort, et qu’« à chaud » il n’est
pas possible de contrôler ce comportement.
• Compte tenu de la nature de vos pensées obsédantes, ne rien faire, déclenche aussi un
sentiment de culpabilité qui vous encourage un peu plus à produire le comportement.
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• Il y a longtemps que vous souffrez de ce problème de TOC et les efforts que vous avez
faits pour le contrôler se sont avérés malheureusement peu efficaces.
• Il y a peu de chances que ce TOC disparaisse de lui-même.
FORMULATION DU CAS
À cette étape de la prise en charge, le thérapeute doit être capable d’avoir en tête une
représentation globale et cohérente de la problématique du sujet. On remarquera que
cette conceptualisation du cas est certes cadrée par le diagnostic, mais est établie avec
les éléments de l’analyse fonctionnelle (diachronique et synchronique) de Laura. Cette
formulation est établie au regard de la théorie cognitive.
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On peut la résumer comme sur la figure 3.1.
54
Figure 3.1.
Cette formulation de cas doit être présentée à la patiente, elle permet à la fois de donner
une cohérence au modèle thérapeutique, elle cible le fonctionnement de la patiente et
Laura doit être capable de se retrouver dans cette formulation. Ceci est d’autant plus vrai
que c’est à partir d’elle que nous pourrons bâtir notre plan d’action.
THÉRAPEUTE. – Voilà la façon dont je vois les choses. Tout d’abord dans votre famille plusieurs
personnes souffrent de TOC, votre risque de développer un tel trouble était donc plus important
que la moyenne. Le TOC dont vous souffrez a finalement deux thèmes principaux tout d’abord
la peur de développer une maladie neurologique grave comme une sclérose en plaques ou une
tumeur du cerveau, et ensuite la peur que vos filles ne décèdent brutalement. Ces peurs sont
déclenchées par des conversations ou des éléments de la vie quotidienne comme la vision de
la télévision, ou la lecture de magazine et parfois apparemment par rien de notable. Quand
ces peurs vous envahissent elles prennent la forme d’idées obsédantes, intrusives, que vous ne
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pouvez pas contrôler. Nous avons également vu ensemble que ces pensées intrusives sont aussi
le point de départ de scénarios plus compliqués, qui ressemblent à des films d’horreur qui se
déroulent automatiquement dans votre tête et qui sont eux-mêmes terrifiants. Est-ce bien cela
jusqu’à présent ?
PATIENTE. – Oui. C’est exactement comme cela que cela se passe.
THÉRAPEUTE. – Merci, je vois que nous nous sommes bien compris. Mais ce n’est pas tout. J’ai
aussi la nette impression que les deux scénarios ont un point commun.
PATIENTE. – Comment cela ?
THÉRAPEUTE. – J’ai vraiment le sentiment qu’en plus de l’anxiété, de la peur que tout cela arrive,
vous ressentez un énorme sentiment de culpabilité, plusieurs fois vous avez dit « c’est ma faute »
ou « c’est à cause de moi si tout cela arrive »...
PATIENTE. – Oui c’est vrai... C’est ce que je ressens...
THÉRAPEUTE. – En fait le sentiment de culpabilité, le sentiment d’être en bonne partie responsable
de tout ce qui pourrait arriver, fait pour moi partie intégrante du problème. On peut même dire
que les idées obsédantes sont d’autant plus envahissantes et douloureuses que vous vous sentez
responsable ou coupable.
55
PATIENTE. – Vous savez c’est difficile de contrôler tout cela... de penser à autre chose... de prendre
du recul comme dit ma sœur... C’est quand même de ma famille dont il s’agit [activation du
schéma de responsabilité].
THÉRAPEUTE. – Vous avez complètement raison, c’est difficile à admettre mais il est extrêmement
difficile de contrôler ses pensées et quasi impossible pour des pensées intrusives [validation].
C’est sans doute pour cela qu’intuitivement vous avez mis en place des rituels et des conduites
d’évitement qui arrivent mieux à faire baisser les émotions négatives : peur et culpabilité.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
Cependant les choses ne cessent pas pour autant, l’apaisement n’est que de courte durée ; et
bientôt vous êtes de nouveau contrainte d’utiliser les évitements et les rituels de compulsion
pour essayer de réduire au mieux vos difficultés. Au fil du temps j’ai l’impression que les
évitements sont de plus en plus nombreux et que les rituels se compliquent...
PATIENTE. – Vous décrivez bien ce que je ressens c’est exactement cela... je me sens prise au
piège de tout ce truc...
THÉRAPEUTE. – Le terme de piège est bien trouvé Laura, tout se passe comme si tous les éléments
que nous venons de voir fonctionnaient comme un cercle vicieux : Je parle d’une de mes filles...
J’ai des idées obsédantes... je me sens responsable de ce qui pourrait arriver... Je panique, je
suis anxieuse... Je fais des rituels... Je me sens mieux... Rien n’est arrivé « grâce aux rituels »...
Je suis donc bien responsable de tout cela... il faut que j’évite de parler de mes filles... j’ai des
idées obsédantes intrusives encore plus souvent...
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
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Tenir un agenda
Après avoir expliqué à Laura les principes de la TCC et avoir fait une session de
psychoéducation sur le TOC nous lui proposerons de commencer à avoir une part plus
active dans la mise en action de la thérapie. Cette première phase est une auto-observation,
mais non plus du ressenti émotionnel immédiat, mais au moyen d’une communication
commune autour de son problème. Cela a, de fait, deux fonctions. Tout d’abord cela
nous permet de définir une ligne de base qui sera pour le thérapeute un moyen de
quantifier plus objectivement l’importance du trouble, et de mesurer par la suite les progrès
réalisés (ou pas) en cours de thérapie en comparaison à cette ligne de base. D’autre
part, cette auto-observation va permettre à Laura d’expérimenter un minimum de contrôle
sur ses difficultés en dégageant par elle-même les règles sous-jacentes aux séquences
comportementales décrites. Ainsi Laura pourra nous dire : « Je comprends bien mieux que
56 finalement c’est toujours de la même chose dont il s’agit ».
Pour faciliter cette auto-observation nous décidons du code de description suivant. Les
obsessions dont souffre Laura sont de deux types, la peur d’avoir une tumeur cérébrale (TC)
et la peur qu’un malheur n’arrive à ses filles (F). Les compulsions ou les rituels mis en place
(cf. la première analyse fonctionnelle) sont des répétitions de geste (R), des demandes de
réassurance (DR), des rituels de conjuration (C).
Nous proposons à Laura de remplir le tableau 3.1 que nous regarderons ensemble à la
session suivante.
Tableau 3.1.
Date Temps Obsessions Anxiété Degré de Compulsions Difficultés Facteurs
perdu TC/E 0 – 10 croyance R/DR/C à différer déclenchants
0 – 10 0 – 10
3 • Peur de provoquer le malheur des siens
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L’outil de psychométrie est présenté en séance, un ou deux items sont remplis en cours de
séance par Laura avec l’aide éventuel du thérapeute dans un but didactique. L’ensemble du
questionnaire devra être fait au domicile.
L’évaluation peut être prescrite comme une tâche, sa répétition à intervalles réguliers,
permet de mesurer l’évolution du trouble au regard de la thérapie.
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a. Modification du rituel en introduisant un temps de latence entre l’apparition de
l’anxiété et la mise place du rituel : différer la réponse.
b. Modification du rituel en demandant à Laura de ne plus faire certaines parties
du rituel ou de faire baisser progressivement le nombre de répétition, ou de moins
chercher de réassurance.
c. Exposition progressive aux situations anxiogènes avec prévention de la réponse
(pas de rituels ou de compulsions et abandonner les demandes de réassurance).
3. Procédures cognitives visant l’évaluation des pensées intrusives et l’abord du scénario
catastrophe :
a. Discussion socratique sur le bien-fondé des pensées intrusives. Mise en rapport du
schéma de responsabilité dans les deux types d’obsessions. Développer le constat que
le fait de se sentir responsable au final de ces deux catastrophes, fait tout autant
souffrir (voir moins) que ces catastrophes en elles-mêmes. Développer l’idée qu’au
58 final les rituels sont là pour limiter le sentiment de culpabilité, pour se décharger de
la responsabilité.
b. Mise à jour du scénario catastrophe pour chacune des deux obsessions. Utilisation
de la technique de la flèche descendante. Choix dans un second temps d’exposer la
patiente à son scénario, utilisation de la technique du flooding. Cette technique n’a
finalement été utilisée que pour le thème de la peur de la maladie (cf. infra).
4. Prévention de la rechute.
5. Avoir en cours de suivi une vigilance constante concernant les demandes de réassurances
en session. Il existe toujours avec des patients comme Laura un risque d’envahissement
de la session, c’est-à-dire que Laura va mettre en place une procédure intuitive et
automatique de réassurance. Laura va prendre beaucoup de temps à détailler un rituel,
à essayer de décrire la situation la plus précise possible, ponctuant les séances par des
phrases : « C’est vraiment important, je veux que vous compreniez bien » ou : « C’est un
peu long, mais c’est important. » Ceci pourrait a priori passer pour un signe de rapport
collaboratif bien engagé. Le thérapeute doit cependant rester vigilant, car il s’agit
assez régulièrement pour Laura d’être sûr que le thérapeute a parfaitement compris son
problème, sous-entendu la gravité potentielle de tout cela, et de fait endosse lui-même
3 • Peur de provoquer le malheur des siens
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Les TOC peuvent être traités par des médicaments. On utilise le plus souvent des médicaments
antidépresseurs, même si on ne souffre pas de dépression. La posologie des médicaments
est différente que celle utilisée pour traiter une dépression, la dose prise au quotidien est
souvent plus importante.
Les TOC peuvent être traités par une psychothérapie. Dans l’ensemble de toutes les thérapies
qui existent, les thérapies cognitives et comportementales sont les plus efficaces, elles ont
été validées au plan international.
Il est possible d’associer traitement par médicaments et psychothérapie cognitive et
comportementale (TCC). Le choix du traitement se fait au cas par cas, c’est une décision
prise commune associant le prescripteur et le patient.
En tant que psychothérapeute, je suis formé aux TCC, j’appartiens à une association de
thérapeute qui est garant de ma formation.
Dans le cas de Laura, la patiente étant plutôt opposée à toute prise de traitement 59
psychotrope. Après information et discussion sur les traitements, un consensus est trouvé,
et nous convenons de ne pas avoir recours à la pharmacologie. Toutefois si des difficultés
nouvelles devaient apparaître ou si la thérapie ne donnait que très peu d’amélioration Laura
est d’accord pour que nous abordions de nouveau cette possibilité. Une évaluation des
progrès en thérapie est fixée après quinze séances.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
• les TCC peuvent être décrits comme un partenariat, entre deux spécialistes, le premier
expert de sa propre expérience de vie et le second expert de la psychologie, qui vont
œuvrer ensemble pour résoudre un problème décrit en commun ;
• les TCC privilégient la discussion, l’échange, le dialogue, la franchise et la confiance
entre thérapeute et patient ;
• en TCC, on part du constat que l’on connaît actuellement très peu de chose sur l’origine
des troubles psychologiques. Cependant, si l’on ne sait pas très bien pourquoi un trouble
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a commencé, on arrive souvent à comprendre pourquoi il se maintient, c’est-à-dire
pourquoi il n’a pas disparu malgré son caractère douloureux et invalidant ;
• il existe donc des facteurs de maintien aux troubles psychologiques qu’endurent nos
patients. Ces facteurs de maintien sont apparus à la suite d’apprentissages défectueux.
Ces facteurs de maintien peuvent être les comportements des patients eux-mêmes, les
comportements de l’entourage, la façon de traiter une information, la façon de penser
certaines choses, certaines croyances ou certaines certitudes ;
• nous avons tous des comportements intuitifs, des croyances fortes, des certitudes qui nous
aident le plus souvent à avancer dans la vie. Parfois ces mêmes choses (comportements,
pensées, croyances) nous font souffrir et nous pouvons tous mesurer à quel point il n’est
pas facile de les modifier ;
• une TCC se propose de nous aider à modifier ces trois dimensions, dans le but de faire
progressivement disparaître les facteurs de maintien du trouble ;
• les TCC utilisent des techniques cognitives axées sur l’entraînement à penser différemment
60 les situations problèmes, à changer son point de vue, à modifier certaines croyances
dysfonctionnelles ;
• les TCC utilisent des techniques comportementales et essentiellement des techniques de
confrontation progressive ;
• il existe un rationnel scientifique aux techniques de confrontation, le thérapeute explique
et rappel avant chaque exposition la marche de l’anxiété, le rôle des évitements dans
le maintien de la réponse anxieuse, et les processus d’habituation et d’extinction
progressive de la réponse anxieuse en réponse à un stimulus non modifié et présenté de
façon répétée ;
• au cours de la thérapie aucune confrontation ne sera réalisée sans une information sur
l’intérêt et la pertinence de l’exercice au préalable et sans votre accord ;
• les TCC utilisent des exercices prescrits (tâches) qui doivent être réalisés en dehors de la
présence du thérapeute.
3 • Peur de provoquer le malheur des siens
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and comitment therapy).
Nous allons proposer de remplir en session avec la patiente le tableau 3.2.
Tableau 3.2.
Mes problèmes Mes solutions Efficacité Efficacité
court terme long terme
Dans un premier temps, il s’agit de lister dans la première colonne tous les problèmes
rencontrés dans le quotidien, en utilisant les mots les plus simples, et dans un souci
descriptif.
Dans un deuxième temps, la patiente remplie la deuxième colonne avec l’ensemble des
solutions qu’elle a mise en place par elle-même pour se débarrasser du problème. Il s’agit à
cette étape de ne porter aucun jugement sur la qualité ou l’efficacité de la solution.
Dans un troisième temps, nous proposons à la patiente d’évaluer elle-même l’efficacité des
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stratégies utilisées d’abord sur le court terme, c’est-à-dire comment fait-elle avec l’angoisse
qui accompagne ses problèmes (sous-entendu, comment fait-elle pour s’en débarrasser) ;
puis sur le long terme, c’est-à-dire cela a-t-il permis qu’elle se débarrasse complètement de
son problème.
Pour cela nous lui proposons le barème de cotation suivant (tableau 3.3)
Tableau 3.3. Barème de cotation
+++ Très bonne efficacité sur l’anxiété
Avant de remplir les deux dernières colonnes du tableau, nous nous assurons de la bonne
compréhension par la patiente des notions de court terme et de long terme. Pour cela,
l’expérience nous montre qu’il est plus efficient d’utiliser une métaphore qui a priori peut
sembler banale, que faire un exposé. L’échange qui est donné en exemple permet une
communication dans les deux sens, répond aux règles de l’alliance thérapeutique et permet
de vérifier la bonne compréhension de ces concepts.
THÉRAPEUTE. – OK, pour cela je vais vous raconter une courte histoire, elle vous semblera peut-être
un peu idiote mais je trouve qu’elle explique bien les choses. Un jour mon voisin décide de
partir en vacances pour une semaine, et comme nous sommes amis, il me confie les clés de son
appartement afin que je nourrisse son chat et que je relève son courrier. Il se trouve que j’ai
chez moi deux énormes et immondes coussins orange datant d’une époque où sans doute cette
couleur était de mode. Maintenant leur simple vue m’insupporte. Je décide donc de les déposer
dans le salon de mon voisin et ami. Est-ce une solution à court terme ou à long terme ?
PATIENT. – Et bien vous êtes gonflé et pas gêné !
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THÉRAPEUTE. [rires]
PATIENT. – Je dirais que c’est une solution à court terme...
THÉRAPEUTE. – OK... Pourquoi ?
PATIENT. – Et bien quand votre ami rentrera... il risque de vous rendre les coussins illico presto et
vous vous retrouverez dans la même situation qu’au départ !
THÉRAPEUTE. – Exactement, je pense que cela se passerait comme cela ! Maintenant envisageons
une autre façon de faire. Ces coussins sont chez moi et ils me déplaisent toujours autant, je
décide donc de les apporter à la déchetterie. Pour cela, je cherche sur le web la localisation
exacte de la déchetterie, ses horaires d’ouverture, je planifie un moment dans la semaine pour
m’y rendre, le jour choisi je m’y rends, je fais la queue (il y a du monde le samedi matin !), puis
après avoir trouvé le bon bac, j’y dépose mes coussins. Est-ce une solution à court ou à long
terme ?
PATIENT. – Là, pour le coup c’est du long terme !
THÉRAPEUTE. – Et pourquoi ?
PATIENT. – Quand les coussins sont déposés dans le bon bac, ils vont sans doute être ensuite
incinérés et il n’y a aucune chance que vous les revoyez un jour ! 63
THÉRAPEUTE. – Encore une fois, je suis complètement d’accord avec vous, nous parlons de la même
chose quand nous disons « court terme » et « long terme ».
Quatrième temps, une fois le tableau rempli nous questionnons la patiente sur son analyse
du tableau, en engageant la discussion sur un mode « socratique » (personne n’a la vérité,
nous observons ensemble des phénomènes et nous essayons d’en tirer des connaissances sur
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du rituel : différer la réponse
Le relevé de session qui suit concerne la peur qu’il n’arrive malheur à ses enfants.
THÉRAPEUTE. – Comme nous l’avions évoqué la dernière fois nous allons choisir aujourd’hui le
premier exercice, êtes-vous toujours d’accord Laura ?
PATIENTE. – Oui, mais je ne vous cache pas que j’ai un peu peur...
THÉRAPEUTE. – Je comprends parfaitement cette peur, vous allez commencer à vous opposer au
TOC, et nous savons tous les deux que cela peut être effrayant, d’autant plus que se confronter
à ce qui nous fait peur est forcément anti intuitif... mais avant d’en arriver là, pourriez-vous me
rappeler ce que je vous avais expliqué lors de la dernière séance sur le déroulement de l’anxiété
quand on répète une confrontation régulièrement ? Je tiens à vérifier si j’ai été assez clair !
[.../... ici Laura nous explique le schéma d’expositions répétées, la courbe de l’anxiété, sans
évitement conduisant à l’habituation et l’extinction du signal anxieux. Le thérapeute vérifie ainsi
la bonne compréhension du processus d’habituation et manque pas de renforcer Laura tout au
long de l’explication à laquelle elle se livre.]
64 THÉRAPEUTE. – C’est exactement cela... Nous sommes sur la même longueur d’onde. Nous allons
examiner ensemble une situation que vous m’avez décrite auparavant (cf. analyse fonctionnelle).
Vous m’aviez expliqué que lorsque vous aviez évoqué avec une voisine les progrès en lecture
d’Anna, vous aviez été envahie par une idée intrusive qui était : « Je préfère Anna à Maeva. »
PATIENT coupant la parole et saisissant sa médaille de la vierge entre le pouce et l’index de la
gauche [début de rituel de conjuration]... – Oui, je me souviens très bien, et pourtant je vous
assure que j’aime les deux autant l’une que l’autre, je ne fais jamais aucune différence entre mes
deux filles. [Rituel de conjuration]...
THÉRAPEUTE. – Je vois effectivement que vous vous en souvenez parfaitement, nous avions vu
que de façon quasi automatique vous mettiez en place des comportements intuitifs, quasi
automatiques qui avaient pour fonction de faire baisser l’anxiété... il s’agissait d’embrasser six
fois la médaille de la vierge que vous portez au cou, et de dire une phrase conjuratoire, comme
celle que vous venez à l’instant de me dire.
PATIENT – Bien sûr... je m’en rends compte mais je ne peux rien y faire... Cela vient tout seul.
THÉRAPEUTE. – Je m’en rends bien compte Laura, je sais que cela est très difficile de résister.
Si je vous demande de ne plus embrasser la médaille de la vierge quand une telle situation se
présentera de nouveau quel serait le niveau de difficulté de l’exercice... En notant de 0 à 10 ?
PATIENT – Je pense que cela serait au moins... 8 sur 10.
3 • Peur de provoquer le malheur des siens
THÉRAPEUTE. – Merci pour votre franchise Laura, cela m’apporte une grande aide pour adapter au
mieux les exercices. 8 sur 10 me paraît être une note trop haute en difficulté et nous ferons cet
exercice ; mais plus tard, il faut que nous gravissions les marches les unes après les autres.
Si je vous demande d’attendre un peu avant de mettre en place le rituel concernant la médaille
de la vierge, est ce que cela serait possible ?
PATIENT – Si ce n’est pas trop long !
THÉRAPEUTE. – Attendre 30 secondes... Quel niveau de difficultés noteriez-vous ? de 0 à 10 ?
PATIENT – 7 sur 10.
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THÉRAPEUTE. – OK attendre 15 secondes... Quel niveau de difficultés noteriez-vous ? de 0 à 10 ?
PATIENT – 5 sur 10... Cela me paraît plus faisable.
THÉRAPEUTE. – OK attendre 5 secondes... Quel niveau de difficultés noteriez-vous ? de 0 à 10 ?
PATIENT – Là je dirais 3 sur 10, je pense pouvoir y arriver !
THÉRAPEUTE. – Très bien, cette note de 3 sur 10 me paraît un niveau de difficulté acceptable pour
commencer les exercices. Pour la prochaine fois, je vous demande donc d’attendre 5 secondes
avant de faire le rituel consistant à embrasser six fois la médaille de la vierge, je vous propose
de noter les résultats dans le tableau d’exercice que je vais vous donner et nous évaluerons les
résultats à la prochaine séance.
! Commentaire
Le choix de l’exercice est guidé par les données de l’analyse fonctionnelle du comportement
problème. Nous aurions pu prendre d’autres types d’exercices, comme par exemple diminuer
le nombre de fois où Laura embrasse la médaille, mais la symbolique du 6 qu’elle nous a 65
livré (la somme de sa fratrie d’origine multipliée par le nombre de ses enfants) correspond
à un second mécanisme conjuratoire, moins facile pour elle à abandonner qu’introduire une
période de latence.
Une fois le premier exercice réussi, nous allons revoir avec Laura la durée de la période de
latence, en l’augmentant progressivement et à son rythme, selon la logique d’une hiérarchie.
La finalité à obtenir est que la latence soit assez longue pour que la chute de l’anxiété ait
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lieu et que Laura se pose spontanément et in vivo la question « est ce que cela en vaut
encore la peine ».
Il est donc particulièrement important de ne pas confronter Laura à un échec au décours
d’un exercice trop difficile.
Retenir que souvent il est difficile et peu réaliste de cibler comme premier objectif la
disparition d’un rituel, il est plus adapté bien souvent de le modifier, car il perd du coup son
caractère impulsif et non contrôlable. Les rituels conjuratoires sont d’autant plus efficaces
qu’ils sont produits tout de suite. Reprendre le contrôle pour Laura passe une nouvelle fois
par un exercice anti-intuitif puisque dans un premier temps il s’agit d’augmenter le temps
perdu.
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
Pour l’autre aspect du TOC concernant la peur de développer une tumeur cérébrale ou une
sclérose en plaque, nous observerons la même logique d’action. Les comportements de
réassurance seront évalués en fonction de leur côté astreignant, une hiérarchie sera bâtie et
le choix de modification comportementale sera une fois encore de commencer par différer
la réponse du comportement de réassurance le moins astreignant :
• je vais sur Internet chercher des infos : 4/10 ;
• j’appelle mon généraliste : 6/10 ;
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• j’en parle à ma sœur : 8/10 ;
• je fais une prière six fois de suite : 8/10.
L’exercice est donc d’attendre (une minute) avant d’aller voir sur Internet les diagnostics
associés aux sensations physiques ressenties. On note que la période de latence est plus
longue d’emblée, que pour le premier exercice concernant l’autre thème obsédant. Il n’y a
pas de logique universelle, chaque sujet et chaque situation nécessitent une évaluation
(analyse fonctionnelle) particulière.
Les remarques précédentes sont aussi valables pour cet exercice.
La différence avec l’exercice précédent, et donc la difficulté supplémentaire, est que, dans
cet exercice, la patiente se propose de provoquer les situations à risque. Il ne s’agit plus
3 • Peur de provoquer le malheur des siens
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résistance apparaissant en thérapie il s’agit de ne jamais forcer les choses.
Durant cette phase de traitement, le thérapeute suit dans ses choix d’exercice une
démarche de difficulté croissante des expositions, il va s’appuyer sur les résultats obtenus
précédemment et la capacité qu’a eue Laura de réaliser les exercices d’exposition antérieurs.
Il utilisera régulièrement le renforcement des avancées en thérapie et n’hésitera pas à
refaire avec la patiente le déroulé du parcours effectué.
Nous reprenons donc l’analyse fonctionnelle de cette situation de blocage qui se présente
sous la forme suivante (SECCA) :
S : « Je dois dire que je préfère ma fille aînée à la cadette. »
E : Peur, anxiété
C : « Si je le dis je le pense – je suis une mauvaise mère – je suis quelqu’un de mauvais –
les gens mauvais sont punis – je pense du mal de ma cadette – je veux du mal à ma fille
– elle va mourir – cela sera à cause de moi. »
C : Évitement de l’exercice de confrontation. 67
A : « Je pense que, peut-être, il faudrait mieux arrêter la thérapie. »
Les blocages
Croyances
Les paroles sont comme les pensées.
Si je pense quelque chose d’injuste, je suis quelqu’un de mauvais.
Les gens mauvais sont toujours effroyablement punis.
Je peux provoquer des catastrophes par mes pensées.
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Schémas
Responsabilité.
Stratégies
1. Développer une discussion socratique.
a. Essayons de bien nous comprendre, de confronter nos idées et augmenter
nos connaissances.
b. Souci constant d’empathie
2. Examiner l’évidence, rechercher des preuves dans un sens ou l’autre, par exemple :
a. Si j’insulte quelqu’un au volant de ma voiture, suis-je alors forcément
mauvais ?
b. Des gens très charismatiques ne peuvent-ils jamais dire de choses fausses ?
c. Peut-on être condamné pour des pensées que l’on aurait eues ?
d. Aucune personne qui a fait quelque chose de mal une fois dans sa vie ne
68 peut être pardonnée ?
e. Certains religieux ne mettent-ils pas le pardon et le rachat au centre de leur
conviction ?
f. N’avez-vous jamais entendu une amie dire d’un de ses enfants, alors qu’elle
était très en colère : « Je ne sais pas ce que je vais lui faire » ou même : « Je
vais le tuer » ?
3. Rechercher des exemples de vision différente sous forme de brainstorming à
deux.
a. Condamneriez-vous quelqu’un à une peine effroyable pour avoir pensé une
chose terrible ?
b. Est-ce déjà arrivé ?
c. Votre mari (ou sœur, ou meilleure amie) pense-t-il comme vous, dans la
même situation ?
d. Est-il possible qu’un jour une de vos filles, arrivée à l’adolescence pense :
« Ma mère est trop nulle, quel dommage que je n’ai pas une mère cool comme
celle de ma copine Camille » ? Allez-vous mourir si elle pense cela ? Va-t-elle
en mourir ? Considérant le nombre d’adolescents qui pensent cela au moment
où nous parlons y a-t-il une épidémie mondiale de morts inexpliquées ?
☞
3 • Peur de provoquer le malheur des siens
☞
e. Vous-même, adolescente n’avez-vous jamais pensé : « Ma mère est trop
nulle, quel dommage que je n’ai pas une mère cool comme celle de ma copine
Isabelle ? » Êtes-vous morte ? Votre mère en est-elle morte ?
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dans la vie observable. Nous allons proposer à Laura un exercice à réaliser en session qui
consiste à écrire sous la dictée du thérapeute une lettre dans laquelle, de façon très forte
Laura exprime son souhait que quelque chose arrive « pour de vrai ».
Une fois encore nous proposerons une démarche de difficulté croissante.
La hiérarchie retenue est la suivante :
• écrire son désir très fort de voir mourir rapidement quelqu’un évalué comme étant très
mauvais par le plus grand nombre : dictateur, criminel de guerre ;
• écrire son désir très fort de voir mourir quelqu’un de plus neutre, mais peu sympathique
(collègue de bureau agaçant) ;
• écrire son désir très fort de voir mourir son psychothérapeute ;
• écrire son désir très fort de voir mourir, un membre de sa famille sauf ses filles ;
• écrire son désir très fort de voir mourir ses parents ;
• Écrire son désir très fort de voir mourir son mari. 69
! Bilan
Au terme de cet abord cognitif, le niveau de résistance a baissé de façon importante.
Laura se dit prête à mettre en place les exercices de provocation évoqués quelques séances
auparavant.
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On note que l’exercice du test dans la réalité n’a pas été mené jusqu’à son terme logique
qui eut été d’écrire le souhait de voir mourir sa fille cadette ; Laura évaluant ce niveau de
difficultés comme bien plus important que celui associé aux exercices d’exposition in vivo
avec prévention de la réponse (EPR).
Le premier exercice de ce type (EPR) est mené avec le thérapeute en session ; il s’agit
pour Laura de faire un bilan (positif) des résultats scolaires de sa fille aînée (Anna) ; sans
faire aucun rituel conjuratoire (embrasser la médaille de la Vierge, phrase conjuratoire
stéréotypée). La démarche de confrontation progressive a pu reprendre.
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
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dans une étape antérieure de l’analyse fonctionnelle initiale, ou de l’une de celles qui ont
suivi pour explorer l’ensemble des cognitions.
La description et l’apparition à la conscience de la patiente du scénario catastrophe sont
réalisées lors d’une session avec le thérapeute en utilisant la technique de la flèche
descendante.
THÉRAPEUTE. – Maintenant si vous êtes d’accord je vais vous proposer un exercice sans doute
difficile.
PATIENTE. – Bon...
THÉRAPEUTE. – Vous savez nous avons vu plusieurs fois ensemble que les émotions difficiles comme
la peur, l’anxiété sont secondaires à des pensées que nous avons, à des croyances. Parfois il
s’agit plus que des pensées, mais bel et bien d’un réel petit film que notre cerveau invente, et
qui nous fait très peur.
3 • Peur de provoquer le malheur des siens
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des douleurs habituelles... Qu’est ce qui peut se passer de pire ensuite ?
PATIENTE. – Oh, rien... J’imagine qu’avoir mal au crâne c’est assez banal ? [évitement]
THÉRAPEUTE. – Bien sûr Laura... mais je vais être un peu pénible... Essayer d’imaginer ce qui
pourrait arriver de pire...
PATIENTE. – En fait... je pense que cette douleur ce n’est pas la première fois que je l’aurais eu...
THÉRAPEUTE. – Le pire ce serait quoi ?
PATIENTE. – Il y a plusieurs semaines que j’aurais ce type de douleur... Le lendemain je vais voir
mon médecin... je lui raconte... et il me fait passer un scanner...
THÉRAPEUTE. – Je vous sens anxieuse... Donc vous passez le scanner et quelle est la pire suite
ensuite...
PATIENTE. – Le médecin me convoque avec mon mari... Je sens bien qu’il est nerveux et gêné...
C’est parce qu’il va m’annoncer une mauvaise nouvelle.
THÉRAPEUTE. – Ensuite que va-t-il se passer de pire... ?
PATIENTE. – Il va m’annoncer que c’est une tumeur du cerveau... je vois mon mari paniqué...
THÉRAPEUTE. – Quoi de pire ensuite pourrait arriver ?
71
PATIENTE. – Je suppose qu’il va m’envoyer voir le chirurgien et qu’il va m’opérer, la convalescence
sera longue mais avec du temps je reprendrais le cours de ma vie... [Évitement, tentative
d’échappement vers un scénario alternatif plus rassurant.]
THÉRAPEUTE. – Je comprends, Laura, que tout cela est difficile et douloureux à imaginer, mais
je ne pense pas que cette hypothèse réponde à la question « que pourrait-il se passer de pire
ensuite » ; essayer de reprendre... imaginer le pire...
PATIENTE. – Le médecin va m’annoncer que la tumeur est inopérable... qu’il ne comprend pas
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comment cela a pu se développer si vite et sans bruit... mais je serais effondrée car je saurais
que c’est ma faute... il y a longtemps que j’avais des signes et je les ai négligés par égoïsme...
THÉRAPEUTE. – Tout cela est vraiment terrible, et je comprends bien que cet exercice soit très
désagréable... mais ensuite que pourrait-il se passer de pire...
PATIENTE. – Je serais incurable, bloquée toute ma vie dans mon corps, comme un légume, je serais
enfermée à l’intérieur de moi, consciente sans pouvoir rien faire... [On voit ici, qu’il s’agit de
cognitions très personnelles, éloignées de celle du thérapeute qui lui aurait associé tumeur cérébrale
et mort. Laura ici nous livre une représentation très personnelle des maladies neurologique, base
du scénario catastrophe.]
THÉRAPEUTE. –... et ensuite que pourrait-il arriver de pire ?
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
PATIENTE. – Mon mari devrait s’occuper de moi toute la journée, il devra arrêter son travail pour
s’occuper de moi... tout faire à ma place... sa vie sera gâchée à jamais... il deviendra triste...
déprimé...
THÉRAPEUTE. – Ensuite... quoi de pire ?
PATIENTE. – Il aura envie de se tuer... mais il ne pourra pas le faire à cause de moi... mes filles se
rendront compte... Elles essaieront de l’aider à s’occuper de moi... elles deviendront tristes... Elles
perdront leurs copines... elles n’iront plus en classe... Moi je verrai tout cela... impuissante... et
tout ce gâchis sera de ma faute... [L’émotion de Laura est de plus en plus visible.]
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THÉRAPEUTE. –... et ensuite...
PATIENTE. – Leur vie sera foutue à jamais... Elles seront tristes et aigries toute leur vie... seules
et dépressives à cause de moi... [Laura va fondre en larmes.]
THÉRAPEUTE. –... et...
PATIENTE. – Rien j’ai cette image de mes deux filles tristes, tristes, tristes...
Précaution
• Ne pas se laisser entraîner par un évitement, qui vous fera sortir du scénario vers
une autre histoire plus rassurante, mais inventée par Laura pour se rassurer.
• Ne pas aller trop vite, donc ne pas être pris par le temps (le prévoir).
• Ne pas essayer de forcer le trait en dramatisant le scénario avec des détails ou des
! Bilan
Le scénario catastrophe a été isolé lors de la session par l’utilisation de la flèche descendante.
Après répétitions de l’exercice en session ; les étapes du scénario sont notées par le
thérapeute, cela nous permet de nous remémorer le déroulement et les points cruciaux du
scénario.
Lors d’une session suivante nous proposons à Laura d’écrire le scénario sous la dictée du
thérapeute, en prenant soin d’utiliser la première personne du singulier : « Je ressens une
douleur inhabituelle derrière la tête », d’utiliser le plus fidèlement possible les mots et
expressions propres à Laura, et de surveiller son expression émotionnelle tout au long de la
réalisation de l’exercice.
Dans un second temps, l’exercice est augmenté en fréquence, il est demandé à Laura d’écrire
elle-même le scénario tous les soirs, puis de le relire à haute voix.
3 • Peur de provoquer le malheur des siens
Prévention de la rechute
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4. Savoir répondre à la question « que faire si des symptômes revenaient ? »
5. Privilégier les solutions efficaces à long terme
6. Maintenir des sessions de contrôle. Pour Laura trois consultations annuelles
pendant deux ans après la fin de la thérapie.
7. Avoir une attention particulière en cours de suivi et pendant les consultations de
contrôle au sentiment d’efficacité personnelle.
BIBLIOGRAPHIE
Philippe Cortèse
Attaques de panique
chez une enfant
Le cas d’Émilie
74
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SOMMAIRE
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Séances 4 et 5 : suivi de l’apprentissage du contrôle respiratoire 91
Séances 6, 7 et 8 : diminution des symptômes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92
Séance 9 : retour sur les sources d’angoisse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92
Séance 10 : fin de prise en charge . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
75
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
– Allo ?
– Allo !
– Vous êtes le psychologue ?
– Oui
– Je vous appelle pour savoir si vous pourriez vous occuper du cas de ma fille. Cela fait trois
jours qu’elle ne va plus à l’école. Elle a une phobie scolaire. Elle fait des crises pour ne plus y
aller. Je ne sais plus quoi faire, je crie, je menace, je suis gentille, mais rien ne marche, je n’en
peux plus... même le docteur n’a rien pu faire...
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La voix est aiguë, parfois suraiguë. On peut percevoir la détresse, profonde détresse dans ces
quelques phrases. La souffrance des enfants fait cet effet sur les parents. Enfin, sur presque tous
les parents comme nous le verrons par la suite. Dans la demande de cette mère, j’entends une
supplique. Sa fille, de par son angoisse, est devenue totalement ingérable. Aucune des stratégies
ne semble fonctionner. Que peut-elle bien faire pour aider sa fille ? Qui peut l’aider et comment ?
La solution du psychologue semble être, au moins pour cette mère, la dernière des possibilités.
Comme pour beaucoup de parents, le parcours est long, voire pénible, jusqu’au cabinet du
« psy ».
J’ai un peu de temps, je me permets donc de poser une question à cette mère, question
quelconque qui sera une excuse à la laisser s’exprimer. Je ressens son envie de parler de ce
qu’elle vit et lui demande :
– Comment cela s’est passé aujourd’hui ?
– Horrible ! Elle m’a presque frappée. Vous vous rendez compte, une si gentille petite fille. Je ne
la reconnais plus. Elle m’a insultée et regardée avec beaucoup d’agressivité. Mais elle n’est pas
toujours comme ça vous savez. La semaine passée, elle a pleuré jusqu’à l’école.
76 – Je comprends, cela doit vraiment être difficile de voir son enfant dans cet état. Elle souffre
vraiment beaucoup il me semble.
– Oh oui ! Parfois, elle pleure déjà le dimanche matin au réveil. Elle dit qu’elle n’arrivera jamais
à aller à l’école. Qu’est-ce que je peux faire ? Je ne m’en sors plus.
Nous convenons d’un rendez-vous, qui est « nécessairement trop loin » dans le temps (quatre
semaines dans ce cas). Nous convenons qu’en attendant, elle continue à stimuler sa fille comme
elle peut pour l’amener à l’école mais qu’elle n’utilise pas de moyens de coercition. De plus, je
lui propose de faire un résumé de la situation, résumé qu’elle fera avec sa fille afin de l’amener
à collaborer.
Ce moment de dialogue a permis à cette mère de se calmer un peu et d’envisager l’avenir sur un
autre mode : collaborer avec sa fille pour l’aider à gérer son problème.
Un désistement d’un de mes patients me permet de proposer un créneau horaire seulement deux
semaines après l’appel. La maman, surprise par l’appel dans un premier temps, semble apprécier
cette opportunité et accepte. Malheureusement, m’explique-t-elle, cela ne s’est pas arrangé pour
sa fille, bien au contraire. La peur est plus présente que jamais et son refus de se rendre à l’école
est presque quotidien.
Je décide d’attendre le rendez-vous (le lendemain) pour savoir si une prise en charge plus lourde
(hospitalisation ou autre) sera nécessaire.
4 • Attaques de panique chez une enfant
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lors de l’appel téléphonique : phobie scolaire, angoisse +++, mère dépassée, agressivité de
la fille quand trop angoissée... mais rien sur le père. Quelques questions font jour dans
mon esprit à ce propos. Lorsqu’on travaille avec les enfants, ces questions apparaissent
presqu’automatiquement : père absent ou pas, place du père, relation avec son enfant,... je
sais qu’il faudra aborder ce sujet. Mais je sais aussi que l’entretien sera fortement empreint
d’émotion et de détresse. Guider l’entretien sans forcer son orientation est parfois très
difficile dans ce genre de cas. Une mère qui se sent incomprise ou un enfant non écouté et
l’avenir de la thérapie s’en trouve hypothéqué.
Je vais les chercher en salle d’attente. En chemin, j’entends les recommandations de la
maman : « N’hésite pas à parler, dit lui tout... Tu verras, il est gentil. » Cette dernière phrase
me fait sourire et j’ouvre la porte. Elles se retournent toutes les deux. La mère est tout
sourire mais sa fille affiche un visage fermé. Elle me regarde rapidement et baisse les yeux.
Ses épaules sont un peu tombantes, elle est assise au fond de sa chaise et garde les mains
l’une contre l’autre sur le haut de ses jambes. Le temps que je la regarde, sa mère s’est levée
et m’approche. Je lui tends une main qu’elle sert avec douceur. Elle enjoint ensuite sa fille 77
à faire de même. Ses encouragements trouvent un faible écho chez sa fille. Elle me tend une
main sans grande conviction et murmure un bonjour. Mes yeux ont de la difficulté à croiser
les siens qui préfèrent scruter le sol. Elles passent devant moi pour aller vers mon cabinet.
La mère pousse un peu sa fille qui se laisse faire. Dans mon cabinet, la mère désigne une
chaise pour sa fille. Il s’agit plutôt d’une tentative pour aider sa fille qu’un acte d’autorité.
On ressent dans tous les gestes de la mère une bienveillance et une retenue. Sa fille est
assise comme dans la salle d’attente. Sauf que cette fois, elle regarde non plus le plancher
mais mon tapis. Je commence l’entretien par une affirmation qui se veut question.
THÉRAPEUTE. – Vous venez parce que votre fille souffre de phobie scolaire m’avez-vous dit ?
MÈRE. – Oui, Émilie [prénom qu’elle prononce pour la première fois] ne veut plus aller à l’école.
THÉRAPEUTE. – D’accord. Et toi Émilie, c’est ce que tu penses, tu ne veux plus aller à l’école ?
ÉMILIE. – Ben,..., non, c’est pas vraiment ça. J’y arrive pas.
THÉRAPEUTE. – Bien. Tu n’y arrives pas.
ÉMILIE. – Non, j’ai trop peur, je me sens trop mal.
THÉRAPEUTE. – Tu te sens trop mal, tu peux m’expliquer un peu ?
ÉMILIE. – J’ai mal au ventre, j’ai peur, j’ai envie de partir, je ne veux pas y aller, j’y arrive pas.
THÉRAPEUTE. – Merci Émilie de m’avoir répondu [renforcement positif ].
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
Émilie commence à montrer des signes de peur et d’angoisse. De plus, quelques larmes
coulent le long de ses joues, larmes qu’elle ne prend pas la peine d’essuyer. Je décide de
calmer un peu les choses et passe à d’autres questions. Pour se faire, je préviens1 la mère
et sa fille de ce que je veux faire et pourquoi : poser quelques questions pour les connaître
et aborder les angoisses après, ceci afin qu’Émilie se familiarise et se calme2 . Je passe donc
à des questions d’ordre général ce qui me permet de comprendre certaines choses.
Émilie a 10 ans. Elle est en CM2 et n’a jamais eu de problème pour suivre sa scolarité. Elle
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est assez bonne, dans les premières sans n’avoir jamais été la première. Elle a toujours aimé
l’école. Elle n’a pas de problème avec son institutrice qui ne comprend pas ce qui se passe.
Elle a d’ailleurs confié à la mère d’Émilie « qu’elle se sentait dépassée, qu’elle n’avait jamais
vu ça, surtout chez une petite fille qui n’a aucun problème à l’école ». En effet, Émilie n’a
pas peur des contrôles, a des amis avec qui elle joue à la récréation, s’entend bien avec son
institutrice et ose poser des questions quand elle en a besoin. Cette phobie scolaire semble
tout à fait sortir de nulle part et sans raison objectives, du moins, du côté de l’école.
Elle pratique une activité extrascolaire depuis deux ans. La natation fait partie des activités
qui ne sont pas touchées par ses angoisses. Elle s’y rend en compagnie de sa mère deux
fois par semaine. L’idée de la natation est venue du médecin de famille qui avait proposé à
Émilie ce sport afin d’évacuer son stress de l’époque.
À ces mots, Émilie se renferme un peu plus encore. J’ai l’impression que si elle continue à
s’enfoncer dans le fauteuil, elle va disparaître. Son visage est totalement inaccessible. Ses
cheveux forment un rideau que rien, pas même la lumière, ne semble pouvoir traverser. Sa
mère, après avoir vu que j’observais sa fille, pousse un soupir et se penche vers elle. Mais
aucun mot ne pourra sortir sa fille de son retrait. Parfois, on entend qu’elle renifle. Ce qui
porte à croire qu’elle doit pleurer mais en silence.
1. Les objectifs de l’entretien doivent, dans la mesure du possible, être clairement explicités aux parents et à l’enfant
(Mirabel-Sarron et Vera, 2004).
2. La réussite d’une thérapie n’est pas seulement basée sur la qualité de la technique thérapeutique, mais aussi sur les
compétences empathiques du thérapeute (Greenberg, 2002, cité par Philippot, 2007). Ces compétences étaient déjà
relevées chez Wolpe dans une étude d’observation effectuée par Sloane et coll. (1975), cité par Mirabel-Saron et Vera
(2004).
4 • Attaques de panique chez une enfant
Après quelques essais infructueux pour calmer Émilie, je décide de lui parler ouvertement
de ce que je vois chez elle : sa tristesse, ses angoisses et son incapacité à répondre aux
questions pour l’instant. Je lui propose de se calmer tranquillement, de lire si elle le désire
(elle est venue avec une BD qu’elle aime beaucoup) et de parler quand elle le décidera. Pour
l’instant je m’entretiendrai avec sa mère. Émilie me regarde et prend son mouchoir. Un léger
sourire apparaît au moment où elle se penche pour sortir sa BD de son sac. Ses gestes sont
d’une lenteur impressionnante. Lenteur qui disparaît au fur et à mesure qu’elle feuillette
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sa BD.
Sa mère reprend et souligne ce que je viens d’observer. Émilie marche de façon ralentie
quand elle est dans cet état. Il lui arrive aussi de ne pas finir son repas dans les temps sans
que cela soit lié à un refus de manger. D’ailleurs, elle n’a pas maigri ni grossi. Elle apprécie
particulièrement quelques recettes que sa mère réalise le plus souvent possible. Le plaisir
est toujours au rendez-vous chez Émilie.
Le soir et les jours de congés, elle s’amuse seule le plus souvent, dans sa chambre. Seule,
alors qu’elle a une sœur de trois ans son aînée. Quelques années auparavant, les deux sœurs
jouaient ensemble. Mais depuis l’entrée au collège de la plus grande, une distance s’est
installée. La plus grande n’ayant plus les mêmes intérêts, la relation s’est distendue sans
toutefois devenir conflictuelle. Émilie ne s’en est jamais plainte. Parfois, tente-elle encore
de solliciter sa sœur pour des jeux de société. Elles partagent encore quelques goûts pour
ces jeux, pour le plus grand plaisir d’Émilie. Sa mère explique que dans ces moments-là,
elle peut entendre ses deux filles rire aux éclats. Émilie confirme ce constat par un sourire.
Ce sourire permet de revenir vers Émilie. Je lui demande si elle se sent prête à reprendre. 79
Elle répond par l’affirmative. Avant même que je puisse lui poser une question, elle oriente1
l’entretien et aborde ses angoisses. Elles sont apparues il y a au moins trois ans. Sa mère en
est interpellée. Émilie ressent un malaise dans son corps, surtout au niveau de sa poitrine
et de son ventre depuis cette époque. Cela a commencé par des douleurs abdominales
dans certaines situations. Émilie n’a pas voulu dire quelles étaient ces situations. Puis des
douleurs sont apparues dans la poitrine mais c’était supportable. Le problème, c’est que
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
maintenant ce n’est plus gérable, plus supportable : « J’ai peur et je pleure. Je ne veux pas
aller à l’école. Je ne sais pas pourquoi... Mais y a des jours où je peux. »
Sa maman confirme les dires d’Émilie. Mais elle est surprise de ne pas avoir repéré ce malaise
auparavant. En se penchant vers Émilie, elle lui demande pourquoi elle n’en avait jamais
parlé. Sa fille baisse la tête. Elle ne répond pas. Elle semble repartie dans une angoisse,
sans que nous comprenions pourquoi. Sa mère me regarde et semble chercher du secours. Je
demande à la mère si elle comprend pourquoi Émilie vient de se renfermer dans la tristesse.
1. Bien que le style du thérapeute doive être directif et rechercher activement l’information (Vera, 2009), le thérapeute
doit aussi laisser une marge de manœuvre pour la spontanéité chez l’enfant.
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
Sa mère répond qu’elle ne le sait pas vraiment, mais que cette attitude est apparue il y
a déjà quelques mois et Émilie semble y recourir de plus en plus. Au moment où sa mère
tente de la rassurer par un geste affectueux sur son épaule, Émilie éclate en sanglots. Il ne
fait pas de doute qu’Émilie garde quelque chose en elle qui semble avoir un impact énorme
sur son état général. Émilie n’est pas du tout prête à aborder ce sujet. Je lui propose de
réfléchir pour la prochaine séance pour savoir comment elle pourrait aborder ce sujet-là au
cabinet. Elle fait oui de la tête et semble s’apaiser.
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Je reviens vers la mère et lui demande si elle a eu le temps de préparer un résumé de la
situation comme nous en avions convenu au téléphone. Effectivement, elle avait un peu
parlé avec sa fille et préparé quelque chose. Il semble que l’essentiel ait été dit. Je continue
à lui poser quelques questions d’ordre général sur le développement de sa fille. La grossesse
s’est passée sans problème ainsi que l’accouchement. La maman a allaité Émilie pendant six
mois. Elle a marché vers 13 mois. Le développement du langage s’est fait de façon régulière
et dans les normes. La propreté a été acquise dans les temps que cela soit le jour comme
la nuit.
Émilie a été gardée par une nounou jusqu’à l’entrée en maternelle vers trois ans. La relation
à la nounou s’est très bien passée. D’ailleurs elle continue à avoir des relations ensemble
de temps à autre lorsque personne n’est là pour garder Émilie. L’entrée en maternelle n’a
pas mis en évidence une anxiété de séparation. Émilie s’est tout de suite bien intégrée à la
situation de groupe et de séparation. La participation aux activités et au travail a toujours
été excellente dès la maternelle. C’est d’ailleurs un point de fierté pour la mère.
80 D’un point de vue médical, la maman ne mentionne aucun élément flagrant. Émilie a eu
comme tous les enfants quelques petites maladies infantiles mais aucune hospitalisation.
De même, aucun membre de sa famille n’a vécu des difficultés médicales importantes. Par
contre, la maman raconte qu’elle-même souffre d’anxiété depuis toute petite sans que
ça soit trop perturbant pour elle. Elle explique que dans sa famille tout le monde est un
peu anxieux ou stressé. À sa connaissance, personne dans sa famille ou la famille de son
époux n’a souffert de troubles psychiatriques importants. Sa première fille est aussi un peu
anxieuse mais, aux dires de sa mère, le gère beaucoup mieux. Elle s’amuse plus, sort plus,
s’isole plus à la maison.
Le thème du papa est soigneusement évité. Mère et fille ressentent un malaise lorsque
j’aborde la question des relations à la maison et de l’ambiance qui y règne.
Je conclus cette première séance et demande à Émilie si elle souhaite revenir. Elle acquiesce
en regardant sa mère qui lui répond que c’est elle qui décide. Émilie me confirme donc sa
volonté de continuer. Au moment de partir, alors que je croyais lâcher la main de la mère,
elle s’arrête, me regarde et me dit : « Avec le papa, c’est très dur depuis quelques années. »
Émilie est déjà sortie et sa mère s’empresse de la rejoindre. C’est donc un thème qu’il va
falloir aborder avec beaucoup de précautions.
4 • Attaques de panique chez une enfant
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La littérature montre que la phobie scolaire peut se voir sous deux angles différents. Elle
peut être la conséquence d’une anxiété de séparation. L’enfant a peur de quitter son
parent de crainte d’un événement catastrophique concernant soit lui-même soit son parent.
Cette anxiété peut être présente dès la maternelle et s’observer dans d’autres situations
de séparation. La phobie scolaire peut aussi être l’expression d’une phobie sociale avec
difficultés soit avec les pairs, soit le monde enseignant, soit les deux. Les auteurs ne font
pas nécessairement la différence entre les deux, mais Vera (2009) préfère garder le nom de
phobie scolaire pour les enfants ne souffrant pas d’anxiété de séparation.
Si nous reprenons les critères du DSM-IV concernant la phobie scolaire : il ne reprend
pas la phobie scolaire sous forme d’entité spécifique mais plutôt rattaché soit à la
phobie sociale (catégorie : troubles anxieux), soit l’anxiété de séparation (catégorie :
troubles habituellement diagnostiqués pendant la petite enfance, la deuxième enfance ou
l’adolescence).
81
Définitions
situations de performance durant lesquelles le sujet est en contact avec des gens non
familiers ou bien peut être exposé à l’éventuelle observation attentive d’autrui. Le
sujet craint d’agir (ou de montrer des symptômes anxieux) de façon embarrassante
ou humiliante.
B. L’exposition à la situation sociale redoutée provoque de façon quasi systématique
une anxiété qui peut prendre la forme d’une Attaque de panique liée à la situation ou
bien facilitée par la situation.
Nous observons d’autres symptômes mais non rattachés à ce qui est présenté comme étant
une phobie scolaire. Ces symptômes peuvent être associés à la dépression : pleurs réguliers,
tristesse, grosses angoisses, ralentissement, inhibition forte, impression de ne pas pouvoir
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
recevoir de l’aide (pleure en silence)... Mais la persistance du plaisir et des envies contredit
ce diagnostic. Toutefois, c’est une piste à investiguer.
La relation parentale dans sa composante paternelle pose aussi question. Qu’en est-il de
leur relation ? Comment Émilie voit-elle ses parents ? Nous voyons donc une troisième piste
à explorer.
Cette première consultation est source de plusieurs hypothèses qui pourront trouver leur
validité grâce à différents questionnaires. De plus, un questionnement plus direct et plus
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orienté permettra de mettre en place ce qu’on appelle l’analyse fonctionnelle. L’ensemble
déterminera le diagnostic et la thérapeutique.
Pour les questionnaires, nous utiliserons le CDI pour la dépression, la MASC pour l’anxiété
et le EMBU-C pour les relations parentales.
Dès mon entrée en salle d’attente, je perçois qu’Émilie est toujours aussi angoissée et en
retrait. Elle se lève cependant spontanément et me tend une main sans me regarder. Sa
mère nous accompagne. Émilie prend place sur la même chaise que la dernière fois, dans
4 • Attaques de panique chez une enfant
la même position. D’emblée, je prends la parole et m’adresse à Émilie. Je lui explique que
je souhaiterais m’entretenir seul avec elle mais que d’abord je voudrais savoir si elle est
d’accord, si elle n’est pas trop angoissée. Elle me donne rapidement son assentiment et
regarde sa mère. Elle lui répond par un sourire. Sa mère cherche à me parler en me regardant
de façon insistante. Je lui adresse un « oui ? » et elle enchaîne :
MÈRE. – Émilie a beaucoup pleuré depuis la dernière fois. Je ne comprends pas. Elle dit qu’elle
ne peut s’en empêcher quand elle pense à certaines choses. Mais elle ne veut pas me dire ce que
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c’est... Elle a encore manqué l’école, même si je la stimule1 comme vous dites.
THÉRAPEUTE. – D’accord, j’entends que ça a encore été difficile pour toutes les deux. Et au niveau
de l’agressivité, était-elle aussi élevée ?
MÈRE. – Non, beaucoup moins parce que je n’ai absolument pas insisté. Mais elle était très
angoissée, la séance n’a servi à rien2 .
THÉRAPEUTE. – Je comprends, devant l’angoisse de votre fille, vous souhaiteriez avoir des résultats
rapides, c’est tout à fait normal. Effectivement, nous allons essayer d’apporter des réponses le
plus rapidement possible pour baisser son niveau d’angoisse.
MÈRE. – Oui, oui, elle en a vraiment besoin, et moi, je ne peux plus supporter de la voir dans cet
état. Elle pleure toujours, crie parfois... Rien ne marche. Qu’est-ce qu’on peut faire ?
THÉRAPEUTE. – Pour pouvoir apporter la bonne réponse thérapeutique, j’ai besoin de comprendre
un peu plus ce qui se passe. J’ai besoin de plus d’information et donc je vais prendre du temps
pour discuter avec votre fille. Émilie a aussi besoin de comprendre ce qui lui arrive et on passera
du temps pour en parler. Ensuite, quand on aura assez bien compris le problème, on passera à une
technique thérapeutique adaptée au problème afin de le diminuer, voire de le faire disparaître.
Émilie aura du travail à la maison mais tout sera expliqué. Petit à petit, Émilie reprendra le 83
contrôle de ses émotions, mais il va lui falloir du temps et un travail régulier. Ce que je vous
propose pour l’instant, c’est de rester avec Émilie pour lui poser des questions. Probablement
qu’après je lui demanderai de passer des questionnaires qui vont nous aider à mieux cerner le
problème. Finalement, dans une ou deux séances, nous devrions avoir une meilleure idée du
problème.
MÈRE. – Merci... je vous laisse alors ?
THÉRAPEUTE. – Ok, à tout à l’heure.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
1. Lorsqu’on est thérapeute, surtout quand on travaille avec les enfants et les parents où les émotions sont fortes, notre
vocabulaire et nos expressions sont très importants. Les patients peuvent les utiliser à bon ou mauvais escient. C’est
pourquoi il est toujours important d’être attentif à ce que l’on dit et de vérifier si les éléments essentiels sont compris
comme on l’entend. De plus, le vocabulaire employé peut faire l’objet de discussion. Dans ce cas, le psychologue
privilégiera le mot du patient. Nous accompagnons, nous collaborons et nous ne nous opposons pas.
2. Face à la douleur de leurs enfants, les parents souhaitent une prise en charge rapide donnant des résultats tout
aussi rapides. Le travail face à ce genre d’exigence tout à fait compréhensible, sera ni de tomber dans l’action rapide
pour répondre à cette demande sous peine d’aller à l’échec en cas de « précipitation », ni de nier la demande ou de
s’opposer. Le parent a besoin qu’on prenne en compte sa demande et sa douleur.
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
Pendant cet échange, Émilie était très attentive à tout ce que je disais. Il n’y avait plus
d’expression d’angoisse, mais pas encore de sérénité. J’avais envie qu’elle aille mieux le
plus rapidement possible. Cette idée m’est venue à l’esprit et montre que la pression des
parents et le regard anxieux d’une petite fille peuvent aussi avoir un impact sur le contenu
de pensée du psychologue1 .
Mon expérience clinique et un travail régulier d’observation sur soi m’ont permis de prendre
une distance avec ces pensées automatiques. Ces pensées s’imposent avec leur kyrielle
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d’émotions. Elles sont automatiques, arrivent sans effort conscient, s’étendent dans notre
esprit et peuvent conditionner notre action sans qu’on s’en rende compte. Nous avons
besoin de ces pensées automatiques la plupart du temps. Pourtant, parfois, elles ne sont
pas appropriées (pas adaptées) soit de par la situation, soit de par leurs exigences. Elles
peuvent alors être dysfonctionnelles et mener à la souffrance, pour soi ou les proches.
Dans ce cas-ci, la pensée n’a aucun caractère pathologique mais peut mener à des erreurs
d’évaluation si on n’en prend pas garde.
À peine sa mère sortie, Émilie prend la parole. Elle m’explique qu’elle comprend ce qu’elle a.
Elle est angoissée à cause de ce qui se passe chez elle, mais ne comprend pas pourquoi elle
n’arrive pas à aller à l’école.
Après quelques minutes, elle arrive à se calmer et je lui propose de passer le questionnaire.
La passation se fait sans difficulté apparente. Une fois qu’elle a terminé, je lui propose de
reprendre notre discussion.
Émilie accepte que je lui pose des questions sur l’ambiance à la maison. J’apprends que
depuis de nombreuses années, son père crie et réprimande tout le monde pour tout et
rien. Il ne la frappe pas mais lui fait peur. Il est souvent menaçant et puni régulièrement
de manière disproportionnée. Dans les propos du père reportés par Émilie, on ressent du
1. Greenberg (2002, cité par Philippot, 2007) met l’accent sur la conscience émotionnelle du thérapeute qui est une
condition essentielle pour la réussite thérapeutique et la qualité de la relation. Cette compétence sous-tend l’empathie
nécessaire au cadre thérapeutique.
4 • Attaques de panique chez une enfant
mépris. Il est très négatif et humiliant. Il n’a plus eu de relation affective réelle avec sa
famille et avec elle en particulier depuis très longtemps. En fait, elle ne se souvient pas
de la dernière démonstration affective paternelle. Sa mère semble vouloir compenser cette
violence verbale en étant la plus aimante et compréhensive possible. Mais cette attitude ne
permet pas d’effacer le comportement destructeur du père.
Émilie m’explique que parfois, elle est tellement angoissée quand elle est témoin de dispute,
qu’elle tremble et entend « son cœur qui bat très fort ». Il lui faut un long moment pour se
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calmer. Parfois, le calme n’arrive pas, elle continu à trembler surtout au moment du coucher.
Elle explique qu’elle n’arrive pas à s’empêcher de trembler. Elle ne comprend pas pourquoi.
Parfois, cela lui arrive spontanément, sans raison.
Ces symptômes me font penser à des paniques. Serait-il possible qu’Émilie redoute de faire
des paniques à l’école. Je décide d’orienter mes questions afin de tester cette hypothèse.
Pour ce faire, je questionne Émilie sur son refus d’aller à l’école. Il lui arrive de ne pas se
présenter à l’école depuis quelques mois, et cela s’est accentué ces dernières semaines. Elle
se souvient que cela a commencé par une grosse angoisse dès le matin. Elle ne se sentait
pas bien du tout et elle tremblait. Cet état s’est aggravé au petit-déjeuner. Sur le chemin
de l’école avec sa mère, Émilie n’a plus su gérer son angoisse et ses tremblements. Elle a
d’abord demandé à sa mère à ne pas aller à l’école. Ensuite elle s’est mise à pleurer et à
insister. Finalement, elle s’est mise à crier sur sa mère. Cette dernière, prise au dépourvu, a
fait demi-tour et a raccompagné Émilie chez elle. Cet incident, isolé au départ, n’a fait que
se répéter dans les semaines qui ont suivi jusqu’à ce qu’Émilie n’arrive plus du tout à aller
à l’école. Aux demandes de sa mère, Émilie explique qu’elle est angoissée, qu’elle a peur et 85
ne veut pas aller à l’école. Il semble qu’Émilie ne se soit pas confiée sur ses symptômes de
tremblements.
Dans la discussion, il ressort qu’Émilie a peur de trembler à l’école. Bien qu’elle sache que
cela ne se voit pas, elle a peur que cela finisse quand même par être perçu par ses camarades.
De plus elle explique que quand elle a « peur, c’est tellement fort, qu’elle ne pense qu’à ça ».
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Cette discussion a permis de comprendre qu’Émilie ne souffre pas de phobie scolaire mais
d’attaques de panique qui se sont multipliées. Cela fait déjà trois mois qu’Émilie est aux
prises avec ce problème jusqu’à devenir un trouble panique avec agoraphobie. Jusqu’à
présent, cette agoraphobie s’est cantonnée au domaine scolaire.
Il s’agit d’une période bien limitée (de quelques minutes à deux heures dans certains
cas) de crainte ou de malaise intense, dont les symptômes concernent la sphère
cardiorespiratoire, incluent des signes neurologiques, digestifs et vasomoteurs, avec
un paroxysme en moins de dix minutes.
☞
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
☞
Le trouble panique s’installe à partir du moment où la personne redoute l’arrivée de
nouvelles attaques de paniques lorsqu’elle a interprété de façon catastrophique ses
symptômes. Les pensées angoissantes (interprétations catastrophiques) peuvent être
la peur de mourir, de devenir fou ou de perdre le contrôle.
Toute personne, en fonction de la situation, peut ressentir des signes de stress,
d’anxiété. Ce sont des signes d’alarme (augmentation du rythme cardiaque, sueur,
respiration plus rapide...) qui généralement sont vécus de façon neutre (ne font pas
peur). Quelques personnes, pour des raisons multiples (hypersensibilité émotionnelle
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et organique), perçoivent ces signes comme étant dangereux (interprétations
catastrophiques vues plus haut). À leur tour, les interprétations catastrophiques
créent de l’anxiété qui augmente les signes de l’alarme. Ce qui crée une spirale de
panique où les symptômes deviennent très intenses.
Les études montrent que l’âge de survenue des attaques de panique se situe à
l’adolescence et le début de l’âge adulte, mais quelques études ont montré un accès
possible dès cinq ans (Burke et al., 1990, cité par Véra, 2009).
L’agoraphobie
C’est une complication potentielle du trouble panique. Le DSM définit l’agoraphobie
comme suit : « une crainte de se retrouver dans des endroits où des situations d’où il
pourrait être difficile ou gênant de s’échapper ou dans lesquels on pourrait ne pas
trouver de secours en cas d’attaque de panique. Cette crainte entraîne une restriction
des déplacements ou un besoin d’être accompagné en dehors du domicile ; ailleurs,
le sujet subit les situations génératrices d’agoraphobie bien qu’elle provoque en
lui une anxiété intense. Les situations génératrices d’agoraphobie correspondent
86 habituellement au fait de se trouver seul en dehors de son domicile, d’être dans une
foule ou dans une file d’attente, sur un pont ou dans un autobus, un train ou une
voiture. »
Il peut exister une autre complication consécutive au développement du trouble
panique avec ou sans agoraphobie. En effet, que cela soit chez l’enfant ou l’adulte, il
existe un risque de développer une dépression, avec des tentatives de suicide, ou de
suicide.
• Styles d’éducation perçus par l’enfant (EMBCU-C) de Markus et al. (2003) : les résultats
montrent une grande différence dans les styles d’éducation entre le père et la mère. Le
père est beaucoup plus froid que la mère. Il est aussi plus en rejet, ce qui est absent
chez la mère, qui est plus dans la surprotection. Par contre, aucun des deux ne montre à
Émilie qu’elle est leur fille préférée.
À partir des entretiens cliniques et des résultats au questionnaire nous allons pouvoir établir
une analyse fonctionnelle du trouble d’Émilie. Pour ce faire, nous allons utiliser une grille :
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la grille Secca.
Comportement : ! Refuse d'aller à l'école Cognition : « Je n'arrive pas à me contrôler quand je tremble. »
! Pleure, supplie sa mère « J'ai trop peur, je n'y arrive pas. »
! Crie, hurle
! Frappe et insulte sa mère
! Pleure parfois dès le dimanche matin
Figure 4.1.
Le trouble s’est formé et installé de la façon suivante : Émilie a développé de la peur suite
aux conflits et aux comportements destructeurs de son père. Bien que sa mère ait tenté de
la protéger, Émilie ne se sent pas en sécurité avec un père qui peut à tout moment être
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agressif, humiliant, voire harceleur dans certaines situations. Cette personnalité demande
des capacités d’adaptation continuelles. Émilie essaie comme elle peut de s’y adapter mais
parfois cela dépasse ses capacités. Elle en ressent de grandes anxiétés. Son cœur bat
anormalement fort mais elle ne s’en plaint pas. De même, il lui arrive très souvent de
trembler mais ne s’en inquiète pas1 . En effet, cela se passe généralement au sein de la
famille. Toutefois, ces signes d’anxiété sont devenus de plus en plus forts jusqu’à apparaître
même au matin. En allant à l’école, Émilie n’arrive toujours pas à se calmer. Ses symptômes
augmentent et la dépassent. Elle ne veut pas aller à l’école car elle se sent trop effrayée.
Elle retourne une première fois chez elle. Cet évitement est positif puisqu’il lui permet de
1. Ce sont des signes de la réaction d’alarme, réaction tout à fait normale en cas de situation de stress.
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
se sentir mieux dans un premier temps mais cela augmente sa sensation de manque de
contrôle. Cet épisode peut être lu comme un conditionnement opérant1 : les signes de la
réaction d’alarme (normalement stimulus neutre) deviennent des stimuli conditionnels de
déclenchement d’anxiété par les idées angoissantes (stimuli inconditionnels de l’anxiété),
c’est-à-dire : « Je n’arrive pas à arrêter, les autres vont le voir, c’est trop dur. » L’évitement
valide et renforce la transformation du stimulus neutre en stimulus conditionnel de la
réponse conditionnelle d’anxiété. Ce mécanisme se boucle et c’est la spirale vers la panique
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puisque les signes d’alarme créent la peur qui crée les signes d’alarme qui crée la peur...
Lorsque ces attaques de paniques perdurent (voir les conditions du DSM), se développe un
trouble panique, ici avec agoraphobie : Émilie va éviter d’aller à l’école.
Pour le trouble panique avec agoraphobie, les TCC ont montré leur efficacité. La démarche
thérapeutique sera d’aider la personne à comprendre comment fonctionne son organisme,
à lui redonner le contrôle de ces signaux d’alarme, et à l’aider à s’exposer aux situations
anxiogènes afin de retrouver son autonomie. Dans le cas d’Émilie, il est important pour elle
qu’elle puisse reprendre sa scolarité.
La suite se déroulera de la manière suivante :
• psychoéducation sur le fonctionnement du corps et des réactions d’alarme ;
• contrôle des signaux d’alarme par la technique de contrôle de la respiration afin de
supprimer les conséquences de l’hyperventilation (qui est responsable des différents
symptômes aigus de la panique) ;
• exposition à la situation de la scolarité.
88
L’axe de travail pour gérer les paniques est l’apprentissage d’une méthode de respiration
relaxante. Le travail sur les cognitions seules n’est pas suffisant pour supprimer les
symptômes liés à l’hyperventilation.
Cette séance aura deux objectifs. D’abord, il me faudra expliquer le diagnostic de trouble
panique avec agoraphobie. Ensuite, j’aborderai les sources d’angoisse d’Émilie. Il sera utile
que la mère soit présente. En effet, les sources d’angoisse concernent le climat familial,
les conflits, les disputes, le comportement agressif du père et la sensation d’insécurité qui
1. Emery, 2002.
4 • Attaques de panique chez une enfant
apparaît chez Émilie dans de telles conditions. Le travail sur le trouble panique ne sera
efficace à long terme que s’il y a un apaisement de ces différentes sources d’angoisse.
Explication du trouble
THÉRAPEUTE. – Après avoir discuté avec vous et Émilie et analyser les questionnaires, il apparaît
clairement qu’Émilie ne souffre pas de phobie scolaire mais de trouble panique avec agoraphobie.
Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire qu’Émilie n’a pas peur de l’école, mais peur de
ressentir de l’angoisse en étant à l’école. Elle a peur de trembler devant ses camarades et de
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sentir son cœur qui bat très très fort sans rien pouvoir contrôler. Plus elle a peur de ressentir
ses symptômes, plus ils deviennent grands et effrayants. Ce qui fait qu’Émilie a de plus en plus
peur jusqu’à être totalement paniquée, angoissée. Dans de telles conditions, il est impossible à
ce moment-là pour Émilie de lutter contre cette panique. C’est pourquoi elle perd le contrôle
et peut devenir agressive avec vous, sa maman, bien qu’Émilie soit une petite fille tout à fait
gentille et agréable. Émilie, est-ce que tu es d’accord et est-ce que tu as bien compris tout ce
que je viens de dire ?
ÉMILIE. – Oui
THÉRAPEUTE. – Et vous Madame est-ce que cela vous semble clair ?
MÈRE. – Je ne savais pas qu’Émilie tremblait et avait son cœur qui battait très fort. Qu’elle en
avait peur. Pourquoi tu ne l’as pas dit avant Émilie ?
ÉMILIE. – Euh... Je ne savais pas comment le dire. Si je te disais ça, tu m’aurais demandé pourquoi
je ne voulais pas te dire que je t’avais vu pleurer.
THÉRAPEUTE. – Émilie semble souffrir beaucoup du climat familial. La relation avec son père est
une grande source d’angoisse pour Émilie.
89
Le sujet sur le climat familial est amorcé. Nous décidons d’aborder cette partie-là lors d’une
autre séance et de nous consacrer aujourd’hui à l’angoisse d’Émilie. Je propose à la mère
et la fille de participer à la première partie de la thérapie qui sera de la psychoéducation.
Ce qui permettra non seulement à la fille mais aussi à la mère de comprendre l’origine et
l’évolution d’une panique afin de redonner du contrôle à Émilie.
Voici à peu près le discours que l’on peut tenir pour expliquer à un enfant ces réactions
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
physiques :
« Le corps est vivant. Il envoie sans arrêt des signes au cerveau. Ça peut être des sensations de
froid, des sensations de chaud, des sensations de faim, des sensations de nausées... On peut
se sentir à l’aise ou mal à l’aise. Il y a beaucoup de variations dans notre corps qui sont liées
à son fonctionnement. Notre corps passe par des états successifs différents. On ne s’en rend
pas toujours compte. Certaines situations vont provoquer des réponses corporelles un peu plus
fortes comme par exemple le rire qui nous fait vibrer, trembler, faire du bruit avec la bouche...
La colère qui fait qu’on serre la mâchoire... On peut sentir qu’à ce moment-là on transpire, on
peut avoir la bouche sèche, on peut devenir rouge, on peut sentir son cœur battre fort. Lorsque
nous avons peur, le corps envoie aussi des informations. Ces informations nous disent que le
corps est prêt à répondre à la situation. Ça veut dire que quand le cœur bat très fort et que
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
nous respirons un peu plus fort c’est pour permettre la fuite. Nos muscles sont prêts à faire des
efforts pour aider à la fuite. Tout notre corps se mobilise pour donner de l’énergie aux muscles
principaux qui aident à la fuite ou à l’attaque. Mais nous ne pouvons pas toujours soit nous
enfuir soit attaquer. Ce qui fait que notre corps est prêt, il attend, mais il ne se passe rien. Il
faudra donc attendre que le corps revienne à un niveau normal d’activité c’est-à-dire avec moins
d’excitation. Tout cela se passe très souvent chez tout le monde sans problème.
Mais parfois, lorsque la situation est très stressante ou lorsque nous avons accumulé des
situations difficiles, le corps va réagir encore plus fortement que d’habitude. Cela peut nous
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surprendre, mais ce n’est jamais dangereux. Malheureusement, parfois on ne comprend pas cette
réaction forte. Ce qui fait que nous pouvons développer de la peur par rapport à ses sensations.
Quoi qu’il en soit, ce ne sont que des réactions, et on appelle ça des réactions d’alarme. Ce sont
des réactions face à une situation que nous avons évaluée comme étant stressante, angoissante,
dangereuse.
Parmi les réactions fortes, nous pouvons avoir des sensations désagréables au niveau de la
respiration, au niveau du système digestif, au niveau du cœur, au niveau des muscles qui peuvent
trembler, au niveau de la tête qui peut donner des vertiges... En fait, toutes ces réactions
sont bénignes. Elles n’ont aucune conséquence sur le corps à long terme. On ne va pas mourir
d’une crise cardiaque. On ne va pas mourir étouffé. On ne va pas devenir fou. On ne va pas
perdre le contrôle. Toutes ces réactions sont normales et peuvent disparaître rapidement dès
que nous commençons à faire attention à l’intensité de ces réactions et à notre manière de
respirer. Parmi les réactions d’alarme, l’augmentation du rythme respiratoire mène à ce qu’on
appelle l’hyperventilation. L’hyperventilation augmente la quantité d’oxygène et la diminution
du gaz carbonique dans le sang. Ce déséquilibre entraîne des sensations dans tout notre corps
qui sont très désagréables. C’est pourquoi, il sera important d’appliquer rapidement une méthode
90 de contrôle de la respiration. Nous apprendrons cette méthode qui demande de l’entraînement. »
THÉRAPEUTE. – Nous allons apprendre maintenant à diminuer notre rythme respiratoire afin de ne
plus avoir toutes ces sensations désagréables. Est-ce que tu te sens prête Émilie ?
ÉMILIE. – Oui, mais qu’est-ce qu’on doit faire ?
THÉRAPEUTE. – Je vais te montrer la technique et nous allons ensuite la faire ensemble. Pour
commencer, regardons comment nous respirons. On peut respirer soit avec le ventre soit avec le
haut du corps. La meilleure des respirations n’est pas avec le haut du corps mais avec le ventre.
Nous allons essayer de respirer avec le ventre. Je vais d’abord poser ma main sur mon ventre et
l’autre main sur le haut du corps. Je vais faire attention de respirer avec mon ventre et sentir ma
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main qui est sur mon ventre se lever et ma main qui est sur mon thorax ne bouge pas. Veux-tu
essayer ?
ÉMILIE. – D’accord. Je mets ma main droite sur mon ventre et ma main gauche sur ma poitrine.
THÉRAPEUTE. – Tout à fait, tu as compris, bravo. [Renforcement positif ]. Et maintenant je gonfle
mon ventre en inspirant.
ÉMILIE. – J’inspire et je gonfle mon ventre. Ma main se lève.
THÉRAPEUTE. – Très bien. Maintenant tu vas souffler et sentir ton ventre qui se dégonfle.
ÉMILIE. – Oui, ma main s’abaisse.
THÉRAPEUTE. – Très bien. Tu vas recommencer à inspirer en gonflant ton ventre mais tu vas inspirer
par le nez et souffler par la bouche.
ÉMILIE. – C’est un peu difficile de toujours gonfler le ventre.
THÉRAPEUTE. – En effet, il faut un petit peu d’entraînement. Mais je vois que tu y arrives, c’est
très bien. À présent, nous allons ralentir le rythme de notre respiration et diminuer la quantité
d’oxygène dans le sang pour t’aider quand il y aura une montée d’angoisse. Pour pouvoir y arriver,
nous allons diminuer le temps d’inspiration et augmenter le temps d’expiration. Je te montre :
j’inspire et je compte dans ma tête jusqu’à trois, j’expire et je compte dans ma tête jusqu’à six. 91
Tu veux essayer ?
ÉMILIE. – Oui, j’inspire par le nez, je gonfle mon ventre, et je compte jusqu’à trois dans ma tête.
J’expire par ma bouche, je dégonfle mon ventre et je compte jusqu’à six.
THÉRAPEUTE. – Bravo, tu t’en sors très très très bien.
Cet apprentissage est primordial pour gérer les paniques. Il est important d’aider l’enfant à
réussir à maîtriser sa respiration dans le cabinet afin qu’il se sente capable de le faire chez
lui. Nous prescrirons comme tâche à domicile de tenir un agenda où il pourra noter tous les
jours, à des moments que nous aurons décidés ensemble dans le cabinet, des exercices de
respiration.
Ces séances ont servi à vérifier que l’apprentissage du contrôle de la respiration s’est déroulé
convenablement. Depuis qu’elle a appris à diminuer son rythme respiratoire, Émilie ressent
moins fort et moins longtemps ses pulsations cardiaques mais est toujours dérangée par
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
ses tremblements. Je rassure Émilie en lui expliquant qu’il lui faut un peu de temps pour
maîtriser sa respiration. Étant donné l’intensité des angoisses, le temps de six secondes
pour l’expiration est revu à la hausse. Émilie essaiera de tenir dix secondes.
Nous avons discuté aussi des pensées d’Émilie par rapport aux attaques de panique qui
pourrait survenir à l’école. Émilie a peur que ses camarades voient ses tremblements et
qu’ils ne comprennent pas pourquoi. À ce moment-là, elle se sentirait différente par rapport
aux autres. C’est cette différence qui lui pose problème, car elle a peur qu’ils la rejettent.
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Nous faisons un tableau où elle écrit les arguments pour et contre cette idée. Émilie se rend
compte que si ce sont ses vrais amis, ils s’inquiéteront pour elle et ne la rejetteront pas.
Les tâches à domicile pour les prochaines séances ne changeront pas beaucoup : exercice
de respiration, utilisation de la respiration dans des moments d’anxiété, de peur (quand
elle entend son père crier,...). Toutes ces situations provoquent des anxiétés mais pas de
paniques, c’est pourquoi il s’agit de bonnes situations d’exposition pour débuter. La seule
vraie situation « déclencheuse » de panique étant l’école.
Émilie a beaucoup travaillé sur sa respiration et arrive à contrôler presque toutes ses
angoisses. Elle n’a plus peur d’être rejetée par ses amis. Il est donc convenu qu’elle essaiera
92 d’aller à l’école et de contrôler sa respiration pour diminuer son hyperventilation, source de
ses paniques. Émilie ne semble pas s’en émouvoir et accepte.
Émilie est retournée à l’école toute la semaine. Elle a ressenti de l’angoisse sur la route une
seule fois mais a tenu. Elle se sent prête à en parler à ses amis. Cela faisait partie de ses
envies après la première discussion au sujet de ses pensées anxiogènes.
Cette neuvième séance est aussi une séance où il a été décidé de reparler des relations avec
le père et des conflits à la maison. La mère d’Émilie, présente pendant ce moment, s’est mise
à pleurer. Cette attitude a déconcerté Émilie qui s’est mise à s’angoisser. Spontanément,
elle a mis en pratique le contrôle respiratoire et a fait diminuer fortement les signes de
tremblements apparaissant.
4 • Attaques de panique chez une enfant
Émilie continue à aller à l’école sans trop d’anxiété. Elle garde une certaine angoisse liée
aux conflits et à l’ambiance à la maison.
Elle n’a plus eu d’attaque de panique mais ressent encore des tremblements le soir quand la
journée a été trop dure. Sa mère prend conscience des difficultés tant pour sa fille que pour
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elle-même. Il est temps de s’occuper de cette source intarissable d’angoisse. Mais s’est une
autre histoire, une autre thérapie.
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Nicolas Duchesne
Chapitre 5
décompensations
Trouble anxieux
complexe avec
et alcoolisme
dépressives
Le cas de Laure N.
94
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SOMMAIRE
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actions spécifiques sur chaque problème . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99
Deux cercles centrés sur le défaut d’affirmation de soi . . . . . . . . . . 100
L’analyse fonctionnelle retiendra les éléments diachroniques
suivants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101
Construction de notre programme de travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108
95
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
« Lors de notre entretien téléphonique, vous m’avez demandé de rédiger une lettre de motivation
pour le prochain groupe de travail d’affirmation de soi », m’écrit Madame Laure N., adressée à
cet effet par une consœur psychiatre hospitalière.
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« Suite à une tentative de suicide il y a un mois, j’ai été admise à l’hôpital, puis dans une clinique
en Bretagne, afin de me rapprocher de ma famille et de m’éloigner de mon mari. J’ai depuis
longtemps des difficultés de couple et des dépressions à répétition que j’ai tenté de “traiter”
par une alcoolisation croissante. Actuellement en sevrage, je sens le réel besoin de soutien
dans un travail d’affirmation, bien que j’aie déjà appris ces techniques lors d’une participation
antérieure en CMP. Je ne devrais donc éprouver aucune difficulté de cet ordre, d’autant que je
suis kinésithérapeute cadre de santé à l’hôpital, mère de trois enfants brillants, sans difficulté.
Ma position sociale est établie, je suis plutôt bien acceptée par les autres et entourée de gens
affectueux mais j’ai d’énormes difficultés à m’opposer, à faire valoir mes droits et surtout à m’offrir
un peu de liberté. J’ai l’impression d’être sous contrôle de ce qu’on peut penser de moi. Les
séances précédentes m’ont beaucoup aidée mais le travail semble inachevé. En espérant que vous
retiendrez ma candidature, je vous prie d’agréer l’expression de mes salutations distinguées. »
À la lecture du courrier de Mme N., je suis frappé que tant de culpabilité accompagne une si
forte motivation et une lucidité psychique avancée. Sa demande constructive et argumentée
m’a bien sûr incité à lui proposer un rendez-vous préparatoire, qu’elle accueille avec plaisir.
96
Aussi suis-je déconcerté qu’elle m’appelle la veille pour me demander : « Je voudrais laisser
ma place en consultation à mon fils... très anxieux, déboussolé par une rupture affective. »
J’entends cette abnégation maternelle comme une manifestation de sa difficulté à prendre
légitimement sa place. Donc... je refuse qu’elle cède son rendez-vous, tout en accueillant
le souci légitime pour son fils, jusqu’à lui proposer des noms de confrères avisés pour lui.
Certains temps forts relationnels patient-thérapeute sont, selon moi, les pierres angulaires
de l’édifice thérapeutique, bien plus que certaines longues séances de travail très élaborées.
Ils manifestent l’empathie, l’accueil inconditionnel et le respect non jugeant pour la
personne en souffrance et son problème. Le thérapeute y est souvent engagé dans sa
spontanéité, ce qui requière un temps de travail personnel sur sa manière subjective d’être
thérapeute, le plus souvent en supervision. Dans ces nœuds relationnels, la surprise ajoute à
la puissance. Ils sont souvent rappelés par les patients lors des synthèses de fin de thérapie.
Nous nous rencontrons donc enfin et j’écoute alors attentivement la présentation de ses
souffrances morales, délivrées en un exposé clair et argumenté. En synthèse, retenons les
points suivants, où s’expriment sa souffrance morale intense et son manque d’estime de soi :
• l’impossibilité de vivre tranquillement, étant en souci permanent de ce qu’on pourrait
penser de ses actes (crainte de mécontenter, de perdre l’affection), de si elle a suffisamment
5 • Trouble anxieux complexe avec décompensations dépressives et alcoolisme
bien fait (elle devrait être parfaite), au point de peser continuellement le pour et le
contre de chaque action. Elle semble néanmoins une collègue estimée, fiable et une
personne-ressource pour tout son entourage ;
• une oppression constante, jusqu’à ses nuits, agitées de productions oniriques cauche-
mardesques où elle court en vain après des trains... ;
• des pics de mal-être aigus lors des critiques et reproches subis principalement par son
mari. Ils induisent des excès d’alcool réguliers de fin de journée et, devenant crise
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intolérable, des ingestions massives de traitements psychotropes « pour se soulager »,
comme avant sa dernière hospitalisation.
interdépendants.
Oui, l’analyse fonctionnelle des problèmes actuels requiert la connaissance des éléments
antérieurs, d’autant plus que le trouble est complexe.
Oui, nous construisons ensemble la compréhension des engrenages de fonctionnement de
ses problèmes et décidons ensemble de l’ordre dans lequel nous abordons les situations-
problèmes.
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
Laure est l’aînée de six, d’un couple marié mais incomplètement séparé depuis qu’elle a
6 ans et demi : son père, sans que la séparation soit effective, délaissait leur famille la
majeure partie du temps pour une nouvelle union illégitime. Seule fille, Laure est investie
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par sa mère d’une mission d’assistance docile permanente très pesante et constitue son
souffre-douleur à la moindre contrariété. « À chaque problème, à tous propos, je me
prenais une claque ou une fessée ; pour avoir la paix, je me suis mise dans un coin en
retenant ce que je pensais. Brillante à l’école, j’y ai développé mon côté leader. Je sais
demander pour les autres, pas pour moi, jamais. » Quand à son père, préférant son autre
vie familiale sans l’expliquer aux enfants, il ne reparaissait que quelques heures au milieu
du dimanche, et ne lui offrait, en termes de valorisation, qu’un « elle est belle ma fille ! »
sans nuance. Effectuant avec finesse le lien avec son parcours personnel, elle identifie les
raisons psychologiques sous-jacentes au choix de ce mari, qui d’une part, plaisait à ses
parents et d’autre part, partageait des blessures d’enfance également considérables.
Ces éléments prendront place comme données structurales historiques familiales, associé
à sa sensibilité à la récompense et la tendance à l’évitement sur le plan personnel, dans
l’analyse du problème.
Notre travail débute au sortir de sa troisième hospitalisation, chacune espacée d’une dizaine
98 d’années. Sa première dépression suivait une rupture amoureuse (facteurs historiques
déclenchant initial invoqué), la seconde un déménagement imposé par son mari sans
considération pour la place professionnelle qu’elle s’était construite en Bretagne, celle-ci
enfin au sommet d’une crise de couple.
Laure se présente à ce stade comme une patiente principalement anxieuse, subissant les
rapports humains avec abnégation et dépendante de l’alcool. L’équipe hospitalière avait
porté les diagnostics psychiatriques suivants :
• trouble bipolaire de type 3 (selon la classification proposée par Akiskal en 2000 :
dépressions récurrentes et phase d’excitation survenue lors de la prise d’un antidépresseur)
en phase de dépression à l’entrée, achevée à la sortie ;
• abus d’alcool avec dépendance (elle boit en moyenne un litre et demi par jour et s’endort
souvent en ébriété partielle) ;
• trouble anxieux généralisé.
Malgré son manque extrême de prise en considération pour ses propres besoins, elle
contribua aux succès de son entourage par un dévouement, une abnégation au service
des autres où elle engagea ses riches qualités : elle guida vers le succès ses trois enfants,
5 • Trouble anxieux complexe avec décompensations dépressives et alcoolisme
maintenant étudiants à des niveaux élevés, leur offrant engagement maternel inconditionnel
tout en leur posant, à eux, des limites ; elle épaula son époux et s’effaça pour la carrière
de son mari, réduisant ses propres prétentions au profit de ses mutations pour promotions
successives et facilitant les relations sociales obligées qui en découlent. Pourtant, Laure
est également fort compétente et appréciée dans son métier, reconnue par son équipe
et a acquis une place sociale enviable. Pour son mari plus que pour elle, elle entretint
une forme physique étonnante quand on sait les accès psychiatriques traversés. Si ses
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engagements altruistes l’ont incontestablement portée jusqu’à ces dernières années, non
sans de précédentes décompensations, ils constituent au regard d’un épanouissement
plus respectueux d’elle-même des facteurs historiques de maintien. La prise progressive
d’autonomie de ses enfants, la survenue de la ménopause et l’augmentation des situations de
tensions tant conjugales que professionnelles apparaissent comme les éléments précipitant
son état dans la décompensation dépressive actuelle.
Les critères objectifs de personnalité dépendante ne sont pas validés, mais nous reviendrons
par l’étude des schémas cognitifs à ses traits de vulnérabilité psychologique. Comme nous
allons le voir de plus en plus clairement dans son cas, les diagnostics médicaux objectivent
la présence des symptômes mais pas le mode de fonctionnement de la personne dans ses
problèmes. La psychothérapie se construit sur l’analyse du fonctionnement des difficultés
de la personne dans le présent, en lien avec son histoire et son tempérament.
Intelligente, vive, appliquée, la relation avec elle est attrayante. Son ajustement à
l’interlocuteur traduit un besoin de reconnaissance et de sécurisation que je note d’emblée,
dans l’intention de moduler mon attitude progressivement, d’encourageant-soutenant à plus 99
indépendant, toujours bienveillant mais plus confrontatif afin de l’amener à faire face à ses
angoisses du désaccord relationnel et à construire peu à peu ses propres sécurités.
Bien que sa demande initiale ne soit que de participer à un groupe d’affirmation de soi,
sous la commande d’un confrère, nous avons effectué sur cinq consultations un bilan
fonctionnel complet : l’étude de ses problèmes, basée sur nos entretiens est complétée par
des questionnaires choisis pour élargir le bilan de parole (des résultats sont produits dans
les tableaux 5.1 et 5.2) et par des exercices d’auto-observation. Apparaissent plusieurs
engrenages en cercle vicieux actuels.
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Schémas :
Crainte d’abandon et personnalité atrophiée
assujettissement, abnégation et recherche d’approbation
exigences élevées
Conséquences ! mal dans sa peau, bonne pour toutes les tâches ingrates mais
appréciée des autres.
Figure 5.1.
Autre situation, pendant la soirée devant la télévision, son mari garde la main sur la
télécommande et zappe sans cesse, ce qui l’empêche de suivre le programme qu’elle
souhaite. (voir Figure 5.2, p. 101)
5 • Trouble anxieux complexe avec décompensations dépressives et alcoolisme
Schémas :
Crainte d’abandon et personnalité atrophiée
assujettissement, abnégation et recherche d’approbation
exigences élevées
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Contrariée, énervée J’aimerais tant voir Dr House
débat intérieur cornélien, Il a eu une journée fatigante,
inquiète ne pas le contrarier
Pas envie d’attiser une dispute
Figure 5.2.
101
L’analyse fonctionnelle retiendra les éléments
diachroniques suivants
• Données structurales possibles :
– absence d’antécédent familial psychiatrique notable ;
– personnalité anxieuse indéterminée ;
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sollicite un avis spécialisé en médecine interne : un trouble d’apnées du sommeil est
diagnostiqué et traité tandis que les autres désordres organiques possibles sont éliminés.
La progression en affirmation de soi semble l’objectif le plus motivant pour Laure, même
s’il me semble évident au regard de l’analyse fonctionnelle qu’un temps de travail cognitif
important sera nécessaire, sur les trois domaines clés de ses problèmes de vie : ses troubles
anxieux, les blessures de l’estime d’elle-même (auto-dévalorisation, attitude de soumission
aux autres, à son mari en particulier) et son problème d’alcool.
Le plan de la thérapie est présenté dans la figure 5.3.
102 Participation
Gestion Thérapie
Alliance thérapeutique au groupe Travail cognitif
des problèmes du problème
analyse fonctionnelle d’affirmation sur ses schémas
conjugaux avec l’alcool
de soi
Figure 5.3.
Sur cette base, nous convenons d’un premier contrat d’objectif : sa participation au groupe
d’entraînement à l’affirmation de soi, sur douze séances hebdomadaires, en sollicitant
spécifiquement l’écoute et le dévoilement de ses émotions, tant positives que négatives,
et en cherchant le plus d’applications personnelles dans sa vie extérieure : nous fixons
comme objectif des situations concrètes, en partant des interlocuteurs les plus bienveillants
(collègue de travail ou ses enfants par exemple) pour aller vers les relations les plus
délicates (son patron, son mari, son père...).
Au fil de ces trois mois, portée par la synergie de ses efforts avec la dynamique du
groupe, elle se détache du statut de « malade, handicapée » lié aux hospitalisations et aux
diagnostics lourds pour se « prendre en considération elle-même et s’atteler à modifier sa
manière de fonctionner » notamment de pouvoir exprimer son ressenti et défendre son avis
et ses choix en respectant les autres.
5 • Trouble anxieux complexe avec décompensations dépressives et alcoolisme
Pourtant, au décours du travail en groupe, ses tentatives d’application font ressurgir ses
troubles anxieux.
Durant une seconde période de neuf mois, au rythme de trois consultations par mois en
moyenne, nous engageons une seconde tranche de travail personnel : affronter ses angoisses
dans des objectifs progressifs, en reconsidérant les croyances personnelles issues de son
enfance. Ces « phrases sentencieuses », comme elle les nomme, reçues par éducation orale
sans l’exemplarité attendue, mais qu’elle a prises pour règles de conduite du fait de sa peur
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de l’abandon.
Ainsi, appuyé sur notre relation régulière bienveillante, elle fait face aux débats intérieurs
tumultueux (discussion cognitive de des pensées subjectives issues de ses schémas
en confrontation aux faits objectifs réels actuels) et entreprend différentes démarches
successives, amplement travaillées en consultation parfois avant, toujours après. Chaque
réalisation crée des niveaux de tension considérable, nécessitant le maintien d’un traitement
assez lourd.
Nous effectuons plusieurs séances de sophrologie, avec construction d’un espace de sérénité
qu’elle s’est entraînée à recontacter régulièrement. Pour certaines d’entre elles, nous
effectuons un pont émotionnel avec les correspondances dans l’enfance, en retrouvant
des scènes précises proches de la création des schémas dysfonctionnels. Nous jouons les
dialogues correctifs, pas à pas. Nous les mettons en mots, les discutons et Laure tente
d’énoncer pour elle-même de nouvelles règles personnelles.
Pour exemple, je rappellerai les trois situations suivantes, chacune chargée d’une valeur 103
symbolique considérable :
• une demande de progression hiérarchique amplement légitime, source de tension avec
son patron ; elle réussit sur plusieurs mois grâce à son insistance et aux techniques de
communication adéquate ;
• un refus délicat à son père, relatif à des services personnels installés de longue date et
qui lui pesaient ; il la boude quelques mois mais comme elle tient bon, il capitule ;
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
• une décision de voyage d’agrément avec un de ses frères, contre l’assentiment de son
mari et donc, l’affrontement à ses attaques ! Il lui objecte le coût (certes, la Polynésie,
ce n’est pas donné), d’autres priorités et manifeste sa plus mauvaise humeur, mais elle
part quand même et me ramène quelques coquillages magnifiques.
Laure commence à prendre les commandes de SA vie, prendre soins d’elle-même, non sans
quelques effrois et frictions d’ajustement avec ceux qui profitaient de sa docilité. Quand
progresse réellement l’affirmation de soi, il est obligatoire que des ajustements relationnels
surviennent. Selon les cas, certains conviennent du bien-fondé de soutenir davantage ses
positions avec respect de l’autre, d’autres ne supportent mal ou pas le changement et des
cassures peuvent survenir.
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
Le problème abordé ensuite en découle : faire face aux difficultés relationnelles dans son
couple.
Durant l’année suivante, Laure prit conscience avec douleur que, malgré ses efforts
d’affirmation et de dialogue, son mari restait sourd à toutes ses tentatives de changement ;
pire, que ses attitudes envers elle entretenaient son déséquilibre, par la perpétuation des
maltraitances subies depuis l’enfance : injures, critiques, irrespect.
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« Je me rendais bien compte qu’il y avait une difficulté de vie entre Marc et moi. Je râlais sur
lui, me défendais de ses attaques, je croyais que c’était moi qui n’arrivais pas à m’adapter à lui ;
j’avais tellement peur de l’abandon. Puis j’ai réalisé que quand je relevais la tête, c’est lui qui me
taclait ! Alors j’ai cherché une solution qui m’offre un espace de liberté sans vouloir vraiment
divorcer. »
• culpabilité ←→ je casse notre famille, je fais souffrir mes proches →je n’ai pas souhaité
en arriver là, je souffre depuis des années en vain, je sors du modèle souhaité mais dans
le respect de chacun, mes enfants comprennent ;
• au doute ←→ est-ce que je ne fais pas une erreur ? →je ne peux pas connaître l’avenir,
je fais pas à pas, ce qui me semble le plus adéquat ;
• à la terreur de l’abandon ←→ je vais finir seule et malheureuse →j’ai le soutien de
nombreux amis et de ma famille.
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Comme elle est ennuyée par une prise de poids importante et des sueurs excessives,
nous tentons (avec succès à maintenant deux années de distance) l’arrêt de Dépakote,
thymorégulateur qui avait ajouté à l’effet antidépresseur lors des grandes déprimes : il
est vrai que le diagnostic d’appartenance au spectre de vulnérabilité bipolaire (Ghaemi,
2002) n’était fondé que sur le minimum d’éléments probants, contre beaucoup de facteurs
explicatifs de ses dépressions récurrentes, voire même de ses phases d’excitation modérée.
Non, toute personne excitée ayant des antécédents d’accès dépressif ne doit pas être taxée
de bipolaire.
Dernière étape de notre thérapie telle que souhaitée par Laure : le contrôle de sa
consommation immodérée d’alcool.
Le problème d’alcool avait déjà été abordé lors de consultations spécialisées antérieures et
Laure avait sincèrement engagé des efforts de sevrage ou de restriction temporaires, vite
noyés par le flot de son mal-être émotionnel. Plus confiante en elle et en son aptitude
à changer, elle réalise un relevé précis de ses conduites addictives, modélisé en analyses 105
fonctionnelles ponctuelles partagées.
Un objectif de réduction de consommation est choisi.
Elle engage alors des changements dans les domaines de contrôle des stimuli déclencheurs,
cherchant pour chacun d’eux des alternatives relationnelles :
• apéritif avec des amies en fin de journée... une flûte de champagne plutôt que deux
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Nous portons l’attention sur les bénéfices renforçateurs positifs : voir son poids baisser +++
– elle perd effectivement 10 kg sur un an –, savourer en forme les lendemains de fête, et
en concevons d’autres : s’offrir une cure balnéaire, boire des alcools plus coûteux, mais en
moindre quantité. (voir Tableau 5.1, p. 106 et tableau 5.2, p. 107)
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Octobre 2009 13 12 2 5 5
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Janvier 2010 8 8 5 5 10
Mai 2012 5 6 4 3 14
Les scores sont globalement et nettement améliorés entre les évaluations de janvier 2011
et de janvier 2012. Le travail le plus constructif reprend dans le détail les assertions élevées
pour les discuter. Reste certaines adhésions à des valeurs d’abnégation, tandis que le travail
sur l’alcool a augmenté certaines prises de conscience des pertes de contrôle d’elle-même
par ivresse, quoique bien moindre en fréquences.
CONCLUSION
106 Laure s’est appropriée sa manière d’être nettement plus affirmée, dans l’ensemble des
compartiments de sa vie. Elle négocie nettement mieux ses angoisses et certains écarts
qu’elles peuvent l’amener à effectuer, mais les traite maintenant avec plus d’attention et de
bienveillance personnelles. Son attitude familiale est maintenant solide et fiable, et elle a
imposé des règles de respect à son mari, malgré ses récriminations et tentatives de reprise
de dominance, parce qu’elle y est très profondément attachée.
Quelle joie d’être accompagnateur sur « le chemin le moins fréquenté », celui du travail
psychothérapique engagé.
5 • Trouble anxieux complexe avec décompensations dépressives et alcoolisme
Tableau 5.2. Questionnaire des schémas de Young (YSQ-L3) : janvier 2010/janvier 2012.
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Abandon 10-26 17 4–1 4–1 2–0 3.82 – 2,3
Imperfection,
54-68 15 6–2 1–0 0–0 2.73 – 2,0
honte
Dépendance,
78-92 15 0–0 4–0 0–0 2.86 – 1,4
incompétence
Peur
93-104 12 0–0 0–0 0–0 1.91 – 1,5
danger/maladies
Personnalité 105-
11 1–1 3–5 3–0 4.27 – 2,5 107
atrophiée 115
Assujettissement 116-
10 0–1 1–3 9–0 5.9 – 3,8
125
Abnégation 126-
17 2–5 3–4 8–1 4.76 – 3,8
142
Inhibition 143-
9 2–0 5–0 0–0 4.11 – 1,7
émotionnelle 151
Négativité, 208-
11 0–0 1–0 0–0 1.72 – 1,5
pessimisme 218
Punition 219-
14 0–1 2–1 1–0 3.07 – 2,8
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232
BIBLIOGRAPHIE
108
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Chapitre 6
Frédéric Chapelle
Panique en avion
Le cas de Stéphane
110
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SOMMAIRE
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fonctionnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 120
Séance 6 : déterminer les exercices qui doivent être mis en place 125
Séance 7 : déterminer les exercices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 126
Séance 8 : abords cognitif et comportemental . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133
Sur le plan comportemental . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133
Sur le plan cognitif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135
Séance 9 : poursuite des exercices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 137
Séance 10 : faire le point sur les exercices comportementaux et
sur l’évolution cognitive . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 138
Séance 11 : poursuite des exercices comportementaux et cognitifs 141 111
Séance 12 : dernières préparations avant l’envol . . . . . . . . . . . . . . . . . . 142
Séance 13 : analyse de l’exposition à la situation cible . . . . . . . . . . . 144
Séance 14 : analyse de l’évolution des exercices sur la situation
cible . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 145
Séance 15 : réévaluation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 146
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L
A PEUR EN AVION est un trouble complexe qui peut correspondre à différentes
pathologies pouvant s’intriquer les unes aux autres. Si la peur est limitée
uniquement à l’avion nous pourrons avoir les critères d’une phobie spécifique.
Mais, la peur de l’avion peut être liée à l’appréhension de ressentir des sensations
particulières considérées comme désagréables (comme dans les manèges), ou la peur de la
hauteur, ou encore la peur d’avoir une attaque de panique en plein vol comme dans d’autres
lieux (et rentrer alors dans la catégorie d’une agoraphobie) ou encore de redouter que
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l’avion ne s’écrase et s’intégrer à une anxiété généralisée avec sa kyrielle de préoccupations
excessives qui se dévident quotidiennement.
Dans le cas clinique d’une peur en avion que nous présentons, l’intérêt sera de faire la part
des choses entre chacune de ces possibilités car si des bases communes de thérapies sont
possibles, certaines composantes de la thérapie comportementale et cognitive auront tout
leur intérêt dans certains cas et pas dans d’autres.
Afin de rester au plus près de la pratique clinique, nous avons pris le choix d’avancer
séance par séance. L’exemple clinique présenté prend en compte les aléas de la thérapie
qui dépendra tant de l’implication du patient que de celle du thérapeute. Avant chaque
déroulement de séance clinique nous présentons ce que l’on peut attendre de celle-ci et de
ses objectifs. À chaque fin de séance, nous présenterons une rapide synthèse générale. Le
cas présenté ne cherche pas à plaquer une histoire dans un cadre de perfection scientifique.
Non, il s’agit de clinique et de patients qui ne rentrent pas dans toutes les cases des
théories et thérapies. Les séances ne peuvent être un respect strict du déroulement idéal
112 d’une thérapie mais tiennent compte des mouvements de la vie.
Le patient, Stéphane, est venu lors des premiers rendez-vous toutes les semaines. Par
la suite, une fois l’anamnèse et les analyses fonctionnelles effectuées, le programme
thérapeutique est déterminé avec le patient qui est revu tous les quinze jours. Dans le cas
de Stéphane, la décision de ne le voir que tous les quinze jours est clairement définie par
rapport aux objectifs d’un maximum d’exercices entre les séances comme nous le verrons
dans la réalisation du programme thérapeutique.
Entretien d’évaluation
☞
Le second rendez-vous permet de reprendre les points qui ont paru pertinents, de
les approfondir et de compléter les informations sur le patient. Ne pas se précipiter
à poser un diagnostic dès le premier entretien permet aussi de prendre un recul
nécessaire devant des patients qui peuvent aussi présenter des symptômes fluctuants,
des éléments incertains ou qui n’ont pas encore pris conscience de leur trouble et
n’apportent donc pas les éléments symptomatiques nécessaires à la compréhension
du trouble.
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Quand Stéphane vient au rendez-vous c’est à la demande de son épouse qui pense qu’il
devrait tenter une thérapie comportementale et cognitive. Elle a lu un article dans un
magazine et pense que son mari pourrait en bénéficier. Stéphane est anxieux, et son anxiété
est palpable pendant l’entretien, il se tord les mains, se pince les lèvres de temps en temps,
bouge facilement sur son siège. Il a ce contact des anxieux qui semblent toujours prêts à
prendre la fuite au moindre bruit.
Il a déjà consulté des psychiatres ou psychologues dans le passé avec des prises en charges
en psychothérapie de différents types.
Depuis quatre ans, il est suivi par un psychiatre qui lui a appris à faire de la relaxation. Il
en a ressenti un effet bénéfique, mais reconnaît que son anxiété est toujours présente. Il
bénéficie d’un traitement par antidépresseur et anxiolytique. L’action des médicaments est
indéniable d’après lui, mais rapidement il a pris l’anxiolytique de type benzodiazépinique
comme un objet contraphobique et ne peut quitter son domicile sans en avoir avec lui.
Stéphane sait qu’il est anxieux, il l’a toujours été. Cette anxiété n’a pas toujours été intense, 113
elle fluctue selon les périodes. Il se décrit comme ayant été un enfant inquiet, très attentif
à tout ce qui pouvait se passer autour de lui. Mais c’est surtout à l’âge de 23 ans qu’il
connaît une crise d’angoisse qui va cristalliser ses peurs.
Il est originaire de Toulouse où il fait des études d’ingénieur. À 23 ans, il décide de
poursuivre une année d’étude sur Paris dans une école spécialisée dans un domaine de
physique appliquée. Il s’agit d’une situation nouvelle et donc stressante pour lui.
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Il vit jusque lors au domicile des parents, milieu vécu comme protecteur, et va donc devoir
pendant plus d’un an s’éloigner du milieu familial. Il effectue les trajets en avion toutes les
six semaines en moyenne. C’est lors d’un voyage en avion pour revenir à Paris qu’il déclenche
brutalement une violente crise d’angoisse où il a le sentiment qu’il pourrait mourir. Cette
crise survient au décollage de l’avion, elle est rapidement progressive en moins de 10
minutes. Il a parfaitement mémorisé ce qu’il a ressenti et peut en parler 20 ans plus tard
avec la même émotion : son cœur palpitait (1), il ressentait une oppression dans la poitrine
(6) avec l’impression d’étouffer (4), des frissons (13) parcouraient son dos alors que des
picotements (12) envahissaient ses mains, il ressentait des crampes abdominales (7), une
vague sensation de vertige (8) l’envahissait avec un sentiment que ce qui se passait autour
de lui ne devenait plus réel (9), son esprit se focalisait sur ce qu’il ressentait finissant par
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
le convaincre que cette crise allait être fatale et qu’il pourrait mourir (11) dans cet avion
sans même que quelqu’un ne puisse venir le secourir. C’est au bout d’une quarantaine de
minutes, quand l’avion a commencé sa descente sur Paris, que la crise s’est améliorée. Une
fois rentré dans son studio, il appelle ses parents qui lui disent de ne pas s’inquiéter, il se
calme et reprend son quotidien. Lors du vol de retour, un mois plus tard, il ressent une
certaine appréhension de repartir en avion, il reste tendu pendant le trajet mais ne refait
pas de crise de panique.
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Trois mois passent, et c’est en reprenant un avion pour repartir sur Paris qu’il fait une
nouvelle attaque de panique. Les symptômes sont les mêmes et sa peur de mourir d’un
trouble cardiaque est à son acmé. À son arrivée à Paris, il consulte en urgence un médecin
généraliste qui lui réalise un électrocardiogramme, l’ausculte et ne retrouve aucune anomalie
cardiologique. Le médecin parfaitement conscient de l’angoisse de Stéphane lui prescrit un
anxiolytique pour une durée d’un mois. Il repart rassuré, apaisé de savoir qu’il ne s’agit que
d’une angoisse qui ne va pas persister. Rapidement calmé par le traitement médicamenteux,
il reprend ses activités habituelles sur Paris et repart quelques semaines plus tard sur
Toulouse en avion sans présenter d’angoisse majeure. Il garde quand même une certaine
peur de refaire une crise sans que pour autant son voyage ne soit perturbé.
Après avoir stoppé son traitement, il est amené à se rendre sur Paris à plusieurs reprises
sans que cela ne déclenche d’angoisse majeure. Il reprend ses cours par la suite à Toulouse.
Quelques mois plus tard, il est amené à venir présenter ses travaux lors d’une conférence à
Marseille. C’est un moment important pour lui, il reconnaît que cette période est stressante
114 sur le plan universitaire, mais aussi familial car il devrait s’installer d’ici quelques semaines
avec sa petite amie. Se sentant tendu et ne voulant pas prendre le risque de refaire une
crise d’angoisse en avion, il décide de se rendre à Marseille en train (4 heures de trajet). Il
part seul, et au bout d’une heure de trajet il déclenche brutalement une nouvelle attaque
de panique. Son anxiété est telle qu’il descend de train à Montpellier. C’est finalement son
père qui viendra le rejoindre à Montpellier et partira avec lui sur Marseille en voiture.
À la suite de cet épisode, il développe une peur intense d’avoir de nouveau une crise
d’angoisse et de mourir d’un trouble cardiaque (b). Il retourne voir un généraliste, rencontre
un cardiologue. Pas de trouble cardiaque, pas d’anomalie physique, pas de prise de substances
toxicomaniaques (C), la prise de sang réalisée ne retrouve aucune anomalie et notamment
sa thyroïde est normale (C). Il est simplement anxieux. Son médecin propose un suivi
psychologique qu’il refuse, « je ne suis pas fou ». Un traitement est mis en place associant
cette fois un anxiolytique et un antidépresseur. Bien qu’ayant accepté l’ordonnance, il
ne débutera pas l’antidépresseur et ne prendra que l’anxiolytique. En effet, il ressent une
accalmie rapide de son angoisse quand il le prend et ne veut pas d’antidépresseur. Il
finit progressivement par le garder sur lui en permanence au cas où une crise surviendrait
brutalement. Et c’est ce qui va se passer quelques semaines plus tard, alors qu’il se rend à
un match de Handball à une heure de Toulouse. Alors qu’il est sur une route nationale à
6 • Panique en avion
quatre voies, il ressent de nouveau les mêmes symptômes d’attaque de panique. Après s’être
rapidement arrêté, il prend l’anxiolytique qui le calme au bout d’une dizaine de minutes.
Au fur et à mesure que le temps passe, il développe progressivement une peur de
l’éloignement de son domicile et se construit une limite d’une heure autour de son domicile
(lieu de sécurité) qu’il ne peut dépasser quand il est seul. Chaque fois qu’il le peut, il se
déplace accompagné de peur d’une nouvelle crise (a). Sa peur qui concernait initialement
les moyens de transport (voiture, autobus, avion) s’est étendue aux endroits fermés (salle
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de réunion, foule, cinéma) (A). Il évite ses situations ou alors les subies avec beaucoup
d’angoisse, redoutant la reprise d’une attaque de panique (B).
Il change progressivement de comportement (c) par rapport à des situations auxquelles il
pouvait se confronter sans difficulté.
Au bout d’un à deux ans, il finit par consulter un psychiatre qui pose un diagnostic clair :
trouble panique avec agoraphobie.
Un traitement par antidépresseur est de nouveau prescrit et cette fois suivi. Une accalmie
est apportée par le suivi de type psychothérapie de soutien et un traitement adapté.
Par la suite, il va alterner les périodes d’accalmie et de rechutes. Des tentatives d’arrêt de
traitement sont faites, mais entraînent le plus souvent en quelques semaines une reprise des
angoisses, parfois des attaques de panique et surtout un usage chronique d’anxiolytiques
de type benzodiazépinique. Les attaques de paniques sont récurrentes et inattendues.
Sur le plan psychologique, il va tenter plusieurs formes de psychothérapie, une thérapie
avec un psychologue de type plutôt analytique qui lui permet de faire quelques liens entre 115
son histoire personnelle et le développement de ses angoisses, le recours à des séances
d’hypnose sans grand succès mais sans grande implication de sa part non plus, et plus
récemment un suivi avec un psychiatre qui lui a appris à faire de la relaxation.
Sur le plan professionnel, il a trouvé un emploi fixe dans son domaine. Il a fini par épouser
sa petite amie de l’époque, ils ont un enfant de 12 ans. Leur situation est stable. Son
épouse est directrice d’une régie publicitaire, ce qui l’amène à se déplacer plusieurs fois
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Il se rend avec appréhension dans les salles de réunions et prend de façon systématique un
anxiolytique avant de s’y rendre.
Il continue de redouter de faire une crise de panique et évite chaque fois que possible les
lieux problématiques (métro, cinéma, foule...).
L’interrogatoire retrouve de façon claire que sa peur est centrée sur une crainte de faire
un malaise et de ne pas pouvoir s’échapper. Aucun lien n’est retrouvé avec une peur du
jugement des autres (D).
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Il a maintenu un rendez-vous trimestriel avec son psychiatre qui lui prescrit l’antidépresseur
et l’anxiolytique.
À la fin du second entretien, nous lui faisons part des constatations cliniques et du diagnostic
retenu de trouble panique avec agoraphobie. C’est à ce moment-là, que les explications sur
la thérapie comportementale et cognitive sont apportées. L’accent est mis sur la nécessité
d’un suivi régulier et la pratique régulière d’exercices d’expositions comportementales. Au
cours de ces deux premiers entretiens, ses attentes dans la thérapie ne sont pas apparues
clairement. Il reconnaît aisément qu’il ne se sent pas prêt à débuter ce type de thérapie, sa
peur réside surtout dans une appréhension de devoir ressentir son anxiété avec une peur
corollaire que l’exposition ne finisse pas par céder. En arrière-plan, il évoque sa peur de
mourir d’un problème cardiaque en s’exposant de la sorte. Il n’est visiblement pas prêt pour
débuter une TCC et d’un commun accord nous convenons qu’il peut reprendre contact quand
il se sentira prêt.
116
Critères de diagnostic clinique
Attaque de panique
Période bien délimitée de crainte ou de malaise intense, dans laquelle un minimum
de 4 symptômes suivants sont survenus de façon brutale et ont atteint leur acmé en
moins de 10 minutes : (1) palpitations, battements de cœur ou accélération du rythme
cardiaque, (2) transpiration, (3) tremblements ou secousses musculaires, (4) sensation
de « souffle coupé » ou impression d’étouffement, (5) sensation d’étranglement, (6)
douleur ou gêne thoracique, (7) nausée ou gêne abdominale, (8) sensation de
vertige, d’instabilité, de tête vide ou impression d’évanouissement, (9) déréalisation
(sentiment d’irréalité) ou de dépersonnalisation (être détaché de soi), (10) peur de
perdre le contrôle de soi ou de devenir fou, (11) peur de mourir, (12) paresthésies
(sensations d’engourdissement ou de picotements), (13) frissons ou bouffées de
chaleur.
☞
6 • Panique en avion
☞
Agoraphobie
(A) anxiété liée au fait de se retrouver dans des endroits ou des situations d’où il
pourrait être difficile (ou gênant) de s’échapper ou dans lesquelles on pourrait ne
pas trouver de secours en cas d’attaque de panique soit inattendue soit facilitée par
des situations spécifiques ou bien en cas de symptômes à type de panique. Les peurs
agoraphobiques regroupent typiquement un ensemble de situations caractéristiques
incluant le fait de se trouver seul en dehors de son domicile ; d’être dans une foule
ou dans une file d’attente ; sur un pont ou dans un autobus, un train ou une voiture.
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(B) Les situations sont soit évitées (par exemple, restriction des voyages), soit subies
avec une souffrance intense ou bien avec la crainte d’avoir une attaque de panique ou
des symptômes à type de panique ou bien nécessitent la présence d’un accompagnant.
(C) L’anxiété ou l’évitement phobique n’est pas mieux expliqué par un autre trouble
mental
Si les premiers entretiens permettent l’évaluation clinique, ils permettent aussi d’évaluer l’implication
du patient. En psychothérapie, l’implication est indispensable pour avancer. Dès lors qu’elle n’existe
pas, le fait d’insister risque de renforcer les défenses. Un entretien motivationnel peut être envisagé
mais si, à la fin de l’entretien, il est clair que la motivation n’est pas présente, la poursuite exposera
à l’insatisfaction mutuelle du patient et du thérapeute devant l’absence de résultat.
La reprise d’un rendez-vous après plusieurs mois d’un patient connu impose de
chercher la raison de la reprise de contact et de réévaluer la situation du patient que
cela soit sur les plans clinique, psychologique, social, familial que professionnel.
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
Les motivations de ce rendez-vous sont très clairement exprimées dès les premières minutes
de l’entretien, il va être nommé, dans deux mois, responsable de secteur et devra participer
une fois par mois à des réunions à Paris et parfois à Londres. Sa demande est claire, il
souhaite maintenant pouvoir prendre l’avion et la proximité de l’échéance des réunions à
Paris et Londres augmente son angoisse. Le souvenir douloureux de son dernier voyage
en avion avec une attaque de panique alors même qu’il avait un traitement de fond
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(antidépresseur) et bien que calmée après la prise d’un anxiolytique, le pousse à reprendre
rendez-vous.
Sa situation familiale est inchangée et son épouse le soutien dans sa démarche de soins.
Il n’y a pas eu de changement dans sa vie personnelle. Il poursuit ses relations amicales
antérieures, participe activement aux matchs de handball d’une équipe qu’il entraîne.
Les évitements sont les mêmes et il signale qu’il a refait une attaque de panique lors d’un
déplacement en voiture seul, quelques jours après avoir appris sa nomination... Il redoute
d’en refaire une.
Cet entretien complète les informations sur le plan familial. Les parents de Stéphane sont
118 décrits comme anxieux. Ils ont toujours été inquiets pour lui depuis la petite enfance, le
trouvant fragile. Il se souvient d’une attitude hyperprotectrice de sa mère dans l’enfance.
Cette attitude protectrice des parents se poursuit toujours. Il a souvent besoin de les
avoir au téléphone, d’avoir une réassurance habituelle de leur part. Toutes les décisions
importantes passent par des discussions avec eux ce qui irrite son épouse. Il reconnaît
être dépendant de ses parents pour beaucoup de choix. Il a du mal à les critiquer, ses
parents étant prêts à lui rendre service ce qui va lui éviter certains déplacements ou mise
en situation. Il a une sœur qu’il voit de temps en temps.
Sur le plan médical, il signale que son père est suivi sur le plan cardiaque et qu’un oncle
paternel est décédé d’un infarctus à 72 ans. Sa mère est en bonne santé.
Pour compléter la démarche de soins et que Stéphane dispose rapidement d’un outil qui
pourra lui apporter des informations complémentaires, il lui est conseillé de lire « Surmontez
vos peurs » (Emery, 2002).
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SÉANCE 4 : ÉVALUATION PSYCHOMÉTRIQUE
L’entretien démarre par un rapide retour sur la séance précédente en demandant à Stéphane
s’il a des questions à poser. Stéphane n’a pas de question et précise qu’il vient de débuter
le livre, mais qu’il n’a lu que les deux premiers chapitres.
Bien que les entretiens précédents n’évoquent pas d’autres troubles associés, nous effectuons
de façon systématique la passation d’un MINI. Celui-ci confirme la présence d’un trouble
panique avec agoraphobie sans autre trouble associé.
Le bilan psychométrique est complété par une échelle de dépression MADRS (hétéro- 119
questionnaire) et un ensemble d’auto-questionnaires (échelle des phobies de MARKS,
échelle de dépression de Beck...) que le patient complète seul (Bouvard et al., 2011). (voir
Tableau 6.1, p. 120)
En pratique
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La passation des bilans est un temps plus ou moins long selon les patients et les
questionnaires. Aussi, vous pouvez prévenir vos patients à l’avance que vous allez
leur faire passer des tests et qu’ils doivent prévoir un temps de consultation plus long
(ajouter trois quarts d’heure en moyenne). Pendant que votre patient les remplira,
organiser votre planning pour voir un autre patient.
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Questionnaire des Agoraphobie 29, phobie sang et blessure 11, phobie sociale 7,
peurs (Marks) anxiété dépression 7
Questionnaire Pour le FAS : anxiété insurmontable pour les items « les portes se
d’évaluation de la ferment », « le personnel vous informe des mesures de sûreté »,
peur en avion « le décollage est annoncé », « les moteurs sont à plein régime
avant le décollage »
Pour le FAM : cotation très intensément pour « je ressens une
douleur dans la poitrine », « je ressens des palpitations ou une
accélération de mon rythme cardiaque », « j’ai l’impression que je
vais étouffer ».
évaluation par l’échelle de Marks. La dimension spécifique de la peur en avion est retrouvée
sur les échelles FAS et FAM.
Un résumé de la séance est effectué.
120 La passation des questionnaires apporte une évaluation qualitative et objective dans différents
domaines psychologiques. Ils sont un point de départ qui permettra lors d’une passation ultérieure
de voir l’évolution du trouble et donc l’efficacité de la technique utilisée.
Celle-ci est réalisée en tenant compte des différentes informations apportées par le patient au
cours des différents entretiens. Plusieurs analyses fonctionnelles sont requises quand plusieurs
situations sont concernées.
Le début de cet entretien rappelle le but de cette séance qui est de faire un véritable
découpage de la situation problème. Il est demandé à Stéphane s’il a des questions par
rapport au dernier rendez-vous, si la lecture du livre lui a apporté des réponses et s’il
souhaite d’autres précisions. Il n’a pas encore terminé le livre, mais pense finir pour le
prochain rendez-vous.
6 • Panique en avion
Nous avons choisi la grille SECCA pour sa composante double : la partie diachronique qui
permet clairement de poser les éléments de l’histoire du patient et la partie synchronique
qui amène une clarification de la situation problématique type.
Il a été décidé que la thérapie serait principalement centrée sur les moyens à mettre en
œuvre pour traiter la peur en avion. L’analyse fonctionnelle est donc effectuée en prenant
en compte la dernière situation problème vécue dans ce contexte. Il s’agit du dernier vol
effectué en famille il y a quatre ans.
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Lors de cet entretien, il est demandé à Stéphane d’expliquer ce qu’il a ressenti et vécu lors
de cette situation.
Stéphane rapporte qu’avant même de se rendre à l’aéroport il avait pris des médicaments
sur lui pour en prendre en cas d’angoisse. Il gardait à l’esprit le souvenir de sa dernière
attaque de panique en avion. Il ne pouvait s’empêcher de penser qu’il pouvait faire de
nouveau une attaque de panique et peut-être en mourir. Rien qu’à cette pensée, il sentait
son cœur s’accélérer et des sueurs lui couler dans le dos. À plusieurs reprises il a fait part
à son épouse de ses inquiétudes sur le bon déroulement de ce voyage. Il exprimait son
angoisse de prendre l’avion. Sa femme le rassurait et cela l’apaisait transitoirement. Le fait
de partir en famille lui apportait une sécurité, il n’aurait jamais pris ce vol seul.
En arrivant à l’aéroport, il a ressenti un pic d’angoisse et pris un anxiolytique. Il s’est
senti mieux, mais sa tension nerveuse restait palpable et son épouse s’en apercevait.
Le temps de se garer, se rendre à l’aérogare, enregistrer les bagages, se rendre en salle
d’embarquement près d’une heure va s’écouler. Ils patientent une trentaine de minutes 121
en salle d’embarquement avant de se rendre à la passerelle. Alors que son anxiété était
redescendue, celle est revenue sans être majeure. En entrant dans l’avion, la vision de
la cabine, du monde qui s’y trouvait l’oppresse. Poussé par sa femme qui commençait à
s’énerver il finit par s’asseoir mais reste tendu. Sa femme tente de le rassurer, mais il
l’entend à peine, il a commencé à se centrer sur ce qu’il ressentait, à être à l’écoute de la
moindre sensation qui pourrait être le signal d’alarme d’une attaque de panique. Et c’est
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au moment où les portes se sont fermées et que l’avion commence à reculer que son cœur
s’est accéléré, qu’un vertige s’est installé, des sueurs sont survenues, il a ressenti des
picotements dans les mains, des douleurs abdominales, sa respiration est devenue difficile
alors qu’un sentiment de mort imminente l’a envahi. L’attaque de panique est survenue
brutalement en quelques minutes avec sa peur de la mort.
Ses pensées sont peu nombreuses : « Je vais mourir », il a d’ailleurs porté sa main sur son
cœur et se prend le pouls : « Je suis complètement inconscient », il voit surgir à ce moment
une image de lui allongé par terre agonisant : « Je n’aurais jamais dû prendre l’avion », il
se fait ce reproche d’avoir accepté de partir, et reproche à son épouse de l’avoir poussé à
prendre l’avion.
Il se cramponne à son siège, n’entend plus ce qui se passe autour de lui.
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
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! Données structurales possibles
• Génétique, familial : parents décrits comme anxieux, avec une attitude hyperprotectrice
de sa mère. Sa sœur cadette souffre d’une anxiété généralisée (information ultérieure
ajoutée par la suite).
• Personnalité : dépendant de ses parents.
! Autres problèmes
Pathologie cardiaque familiale : père suivi sur le plan cardiaque et un oncle paternel décédé
d’un infarctus à 72 ans.
6 • Panique en avion
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• Relaxation
! Maladies physiques
Aucune
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124
en avion est commune à d’autres situations plus faciles d’accès qu’un voyage en avion, il
est convenu qu’il y aura des exercices spécifiques à l’avion et d’autres plus généraux sur le
trouble panique et l’agoraphobie.
À la fin de cet entretien, un premier travail à réaliser pour le prochain rendez-vous est
demandé. Stéphane va devoir remplir une fiche sur laquelle il va noter de façon hiérarchisée
son évaluation des différentes étapes que comporte un voyage en avion (se rendre à
l’aéroport, enregistrement, salle d’embarquement...) en notant le degré d’anxiété que
cela pourrait générer à chaque étape. Cette anxiété est évaluée sur une échelle visuelle
analogique allant de 0 (pas d’angoisse) à 100 (anxiété maximale type attaque de panique).
Dans la mesure où sa peur en avion est une partie intégrante d’un trouble panique avec
agoraphobie plus large, il remplit une fiche similaire dans laquelle sont notées toutes les
situations qu’il peut redouter avec toujours une évaluation de son anxiété. Un troisième
6 • Panique en avion
document sera à remplir, il s’agit d’un tableau à 3 colonnes type Beck où il notera les
situations ayant généré une anxiété importante survenant entre cet entretien et le suivant.
Au-delà de la grille d’analyse fonctionnelle utilisée, que ce soit SORC, BASIC IDEA ou SECCA,
c’est surtout le repérage du fonctionnement mis en place avec les cognitions qui y sont attachées
que le thérapeute se doit de rechercher. L’analyse fonctionnelle, par l’aspect pointilleux qu’elle peut
avoir parfois, a pour but de s’assurer que l’on a bien compris ce qui se passe et permet l’orientation
des exercices à venir.
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Les documents à remplir ont plusieurs valeurs. La première est d’impliquer le patient, de voir s’il
coopère, de s’assurer qu’il a bien saisi les informations et consignes. Les fiches de situations
permettront de mettre en place les exercices comportementaux. Le tableau à colonnes permettra
de vérifier ce qui se passe en situation avec un repérage éventuel de cognitions chaudes.
Cette séance va tenir compte des documents que ramène le patient afin de permettre de réaliser
un exercice test et de mettre en place les premiers exercices.
Quand Stéphane arrive en entretien, son aspect laisse transparaître immédiatement qu’il
est inquiet. Il rapporte les documents demandés lors du précédent entretien mais il est 125
évident que quelque chose le préoccupe.
Avant de se lancer dans la réalisation de la séance type, la question simple : « Quelque
chose vous préoccupe-t-il actuellement en particulier ? » amène à reconsidérer la tournure
que va prendre la séance.
Stéphane est inquiet car son père a été hospitalisé il y a 48 heures pour des douleurs
thoraciques. Il redoute que son père ne fasse un infarctus ou ne meure d’un problème
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cardiaque comme son frère il y a cinq ans. Stéphane a visiblement besoin de faire part
de son angoisse, d’être écouté. Idéalement, il souhaiterait être rassuré et entendre le
thérapeute lui dire qu’il ne doit pas se faire de soucis et que tout ira bien.
L’entretien ne se passe pas comme programmé. Le thérapeute doit mettre de côté le désir
qu’il avait de mettre en place les premiers exercices et entrer enfin dans le vif du sujet. La
frustration peut être présente et il faut rapidement la gérer pour ne pas rester sur un cadre
trop strict de thérapie.
Le thérapeute prend alors la décision d’orienter l’entretien sur une séance de psychothérapie
de soutien. Cette séance est tournée sur l’écoute, la compréhension de l’inquiétude de
Stéphane. C’est aussi une possibilité de mieux intégrer les différentes composantes de
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la venue précipitée de celle-ci permettent de compléter l’analyse fonctionnelle.
La séance ne fait bien sûr pas mention des documents rapportés par Stéphane. En fin
d’entretien, il est convenu qu’ils seront repris lors de la séance suivante.
Cet entretien va permettre par l’attitude d’écoute, d’empathie du thérapeute de renforcer
l’alliance thérapeutique avec Stéphane. Mais aussi, de lui expliquer clairement que dans la
thérapie le rôle du thérapeute ne sera pas de le rassurer mais au contraire de l’accompagner
pour affronter ce qui peut être difficile.
Toute séance de thérapie apporte quelque chose, c’est au thérapeute de savoir l’utiliser.
La finalité est avant tout d’aider le patient à combattre ses peurs et il faut parfois accepter des
détours pour arriver à ses fins. En l’occurrence ne pas prendre en compte son état émotionnel du
moment conduirait à réduire le lien de confiance et démarrer sur des exercices que le patient n’est
pas prêt à mettre en place étant trop occupé par autre chose.
126
SÉANCE 7 : DÉTERMINER LES EXERCICES
La séance précédente ayant été centrée sur un événement intercurrent, cette séance reprend ce
qui était programmé, à savoir : déterminer les exercices qui doivent être mis en place. Elle va tenir
compte des documents que ramène le patient afin de permettre de réaliser un exercice test et de
mettre en place les premiers exercices.
Stéphane arrive plus détendu à cette séance. En effet, son père est sorti de clinique. Son
état n’est plus inquiétant, il a bénéficié d’une rapide intervention cardiologique avec la
pose d’un stent (sorte de petit tube qui permet de maintenir une artère coronaire du cœur
suffisamment ouverte). La thérapie va donc pouvoir se recentrer sur sa phobie.
Une reprise d’explications est faite concernant les thérapies comportementales et cognitives
au travers de l’ouvrage que Stéphane a lu. Notamment, il est expliqué que lors d’un
exercice, la mise en situation va déclencher une angoisse, que celle-ci doit être à un niveau
acceptable afin de pouvoir progressivement diminuer. L’exercice ne doit pas être arrêté
avant que l’anxiété ait au moins diminué de moitié. Un dessin explicatif avec l’évolution
des courbes est réalisé pour compléter les explications. (Chapelle et al., 2011).
6 • Panique en avion
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Situations : ce qui s’est Émotions : ce que j’ai Cognitions : ce que je me
passé ressenti suis dit
Dans ce tableau, Stéphane note deux situations types. Celles-ci ne sont pas majeures mais
laissent apparaître clairement sa peur de se trouver mal et aussi certains des symptômes
qu’il ressent. Il existe peu de cognitions.
Après discussion sur les symptômes ressentis par Stéphane lors des crises, il est convenu 127
d’observer comment il réagit à celles-ci, et si elles ne sont pas source d’angoisse elle-même.
Dans le cadre du traitement des phobies, il est important de prendre en considération la
double composante phobique, à savoir celle liée à un lieu, une situation... et celle liée aux
sensations.
Dans un premier temps, nous réalisons une évaluation des sensations qui sont prises comme
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de véritables signaux d’alarme par Stéphane. Pour chaque exercice, une évaluation du degré
de gêne ou d’angoisse que cela génère est effectuée par une échelle visuelle analogique
allant de 0 (pas de gêne) à 10 (gêne maximale ou attaque de panique).
Pour les sensations respiratoires, quatre exercices sont réalisés :
• expiration forcée (vider complètement ses poumons de l’air) et blocage en fin d’expiration
pendant une dizaine de secondes ;
• inspiration forcée (remplir les poumons d’air) et bloquer en fin d’inspiration pendant une
dizaine de secondes ;
• respirer par une paille en se bouchant le nez (si c’est trop difficile avec une seule paille,
utilisez-en deux ou trois) pendant 1 minute ;
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
• respirer au travers d’un mouchoir en papier appliqué sur le nez et la bouche pendant 1
minute.
Ces exercices ont pour finalité de repérer les sensations respiratoires qui sont mal tolérées
par le patient et qui, lorsqu’elles apparaissent, lui font redouter la survenue d’une attaque
de panique. Ce mécanisme favorisant la majoration anxieuse et donc l’augmentation des
symptômes eux-mêmes.
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Pour les sensations cardiaques, deux exercices possibles :
• effectuer des génuflexions, c’est-à-dire que debout, bras tendus en avant effectuer un
mouvement comme pour s’accroupir puis se relever pendant une dizaine de fois ;
• monter et descendre des escaliers afin d’obtenir une accélération du rythme cardiaque.
Dans ces deux cas, le but est d’obtenir une accélération du rythme cardiaque non majeure
mais suffisante pour que le patient la ressente et qu’il en est conscience.
Pour les sensations de vertiges, deux possibilités :
• faire asseoir le patient sur un fauteuil qui tourne et faire pivoter le siège pendant
quelques tours (à effectuer progressivement) ;
• debout, tourner sur soi (yeux ouverts ou si cela se passe bien yeux fermés) pendant deux
puis trois tours.
Ces résultats amènent ensuite à décider des exercices sensoriels à réaliser trois fois par jour
(cela ne prend que quelques minutes à chaque fois) avec nécessité d’inscrire l’évolution de
l’angoisse comme sur le modèle suivant :
6 • Panique en avion
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Date
Anxiété
maximale
Durée
Stéphane va devoir réaliser les exercices suivants (il reçoit une fiche pour chaque exercice
à faire, comme pour l’exercice n° 1) :
• expiration forcée 5 secondes
• respirer dans une paille pendant 1 minute
• mouchoir sur la bouche pendant 45 secondes
• nombre de génuflexions à 6
Les exercices ont été adaptés afin de partir d’un niveau d’anxiété plus acceptable pour 129
Stéphane. Le but étant toujours de faire en sorte que les exercices soient réalisables et ne
conduisent pas à un échec.
Dans un second temps de consultation, nous effectuons une analyse des différentes
situations redoutées. Dans le cas particulier de Stéphane, nous avons un objectif qui est de
pouvoir favoriser la reprise de l’avion rapidement. Mais, pour que cela puisse se faire dans
de bonnes conditions, nous allons à la fois travailler sur l’avion, mais aussi sur les autres
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Être en voiture avec un ami à plus d’une heure de route
60
du domicile
Métro seul 60
Métro accompagné 30
Cinéma seul 50
Cinéma accompagné 30
Parking souterrain 40
Bus seul 30
Train 80
Train accompagné 70
minutes. Cet exercice (voir Tableau 6.5) va lui permettre d’observer ce que nous lui avons
expliqué sur l’évolution de son anxiété dès lors que la situation choisie est à un niveau
acceptable. Cela permettra aussi de s’assurer que l’évaluation (subjective) de l’anxiété est
cohérente. Stéphane est informé que si l’anxiété est trop forte, il ne doit pas insister, mais
revenir au cabinet pour définir un nouvel exercice à un niveau d’anxiété plus acceptable.
Il est évident qu’il faut éviter de placer Stéphane dans une situation qui déclenche une
6 • Panique en avion
attaque de panique.
15 h 45 20/100
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15 h 50 0/100
15 h 50 50/100
15 h 55 50/100
16 heures 40/100
16 h 05 40/100
16 h 10 40/100
16 h 15 30/100
16 h 20 20/100
16 h 25 20/100
131
Stéphane a parfaitement respecté les consignes. Comme il s’est senti rapidement bien au
premier sous-sol, il a décidé de passer au niveau inférieur (plus angoissant pour lui). Il a
pu se rendre compte qu’effectivement son anxiété diminuait.
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En pratique
À ce stade de l’entretien, le choix que nous faisons est de débuter d’abord par la mise en
place d’exercices comportementaux pour plusieurs raisons : Stéphane comprend bien que
sa réaction de peur est excessive, un certain nombre de situations rapportées permettent
des expositions sans anxiété majeure, l’exercice test s’est bien déroulé avec une bonne
compréhension des consignes, il faudra accumuler beaucoup d’expositions pour qu’il puisse
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• Restez concentré sur la situation : ce que l’on pense et ressent
• Remplissez impérativement le relevé d’anxiété (entre 0 et 10)
• Arrêtez l’exercice lorsque l’anxiété a diminué au moins de moitié
Date
Anxiété
maximale
Durée
Salle d’embarquement 60
Décollage 100
Nous utilisons la réalisation de l’exercice test précédent et des consignes données pour la
réalisation d’exercices spécifiques à la peur en avion.
En regardant la liste spécifique qu’il apporte, nous convenons qu’un premier exercice à
envisager consiste à se rendre à l’aéroport.
Stéphane accepte l’idée de se rendre à l’aéroport et d’attendre dans sa voiture devant
celui-ci sans pour autant entrer dans l’aérogare. Une fiche d’exercice identique à celle du
parking est donnée.
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La réalisation de plusieurs exercices au cabinet permet de s’assurer de la bonne compréhension
des consignes et que les exercices demandés seront réalisables. Il est indispensable de noter les
exercices à faire et que le patient revienne avec une fiche sur laquelle l’évolution de son anxiété
sera notée.
Cette séance va s’assurer de la bonne compréhension et du bon déroulement des exercices mis
en place au rendez-vous précédent.
Un travail cognitif en parallèle va s’engager.
133
Sur le plan comportemental
Concernant les exercices sur les sensations :
Date 03/04 04/04 05/04 06/04 07/04 08/04 09/04 10/04 11/04
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évoluent de la même façon. Ces exercices seront poursuivis jusqu’à ce qu’ils ne lui posent
plus de problème. La fiche doit continuer à être remplie afin de s’assurer que les exercices
sont poursuivis de façon cohérente.
Concernant les exercices comportementaux généraux :
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Date 03/04 05/04 07/04 09/04 10/04 12/04
Anxiété 50 % 40 % 40 % 30 % 20 % 10 %
maximale
Décision : renforcer Stéphane sur sa réussite et poursuite du même exercice encore une fois
ou deux puis passage à l’étape suivante : troisième sous-sol.
134
Concernant les exercices comportementaux spécifiques à l’avion :
Anxiété 40 % 40 % 30 % 30 %
maximale
Commentaires : Stéphane a fait les exercices (le renforcer), mais il a visiblement plus de
mal, le niveau d’anxiété diminue plus lentement et la durée ne diminue pas trop.
Plusieurs raisons sont évoquées : l’aéroport est loin de chez lui ce qui entraîne une
contrainte supplémentaire, l’avion est vraiment le problème et il ressent une forte pression
professionnelle dessus. Ces résultats amènent à la nécessité d’un abord cognitif pour réduire
les appréhensions, et d’augmenter la fréquence de l’exercice.
Cet exercice doit être poursuivi et réglé avant de passer à un exercice plus difficile.
6 • Panique en avion
THÉRAPEUTE. – Nous allons reprendre étape par étape votre peur lors d’une situation comme
prendre l’avion. J’aimerais que vous me disiez ce que vous redoutez à chaque fois.
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STÉPHANE. – D’accord.
THÉRAPEUTE. – Qu’est-ce que vous vous dites si vous devez monter dans un avion ?
STÉPHANE. – Je me dis que je ne vais pas être bien.
THÉRAPEUTE. – Et alors, si vous n’étiez pas bien ?
STÉPHANE. – Et bien, je me dis que je vais faire un malaise ?
THÉRAPEUTE. – Et alors, si vous faisiez un malaise ?
STÉPHANE. – Je vais ressentir mon cœur battre très vite. Il va s’accélérer.
THÉRAPEUTE. – Et alors, si votre cœur se met à battre très vite, qu’il s’accélère ?
STÉPHANE. – Je me dis que mon cœur ne va pas supporter cela et que je vais faire un infarctus.
THÉRAPEUTE. – Et alors, si vous faisiez un infarctus ?
STÉPHANE. – Je pense que je vais en mourir et que personne ne pourra me secourir.
Au cours de cet entretien on ressent très bien l’anxiété de Stéphane (il se tord les mains,
s’agite un peu sur sa chaise, sa voix est plus hésitante...). La simple évocation génère une
émotionalité assez forte. 135
THÉRAPEUTE. – Je vois que cette évocation vous émeut. Vous avez l’air d’être convaincu que vous
pourriez mourir devant tous ces passagers sans que personne ne puisse rien faire.
STÉPHANE. – Oui, j’en suis convaincu.
THÉRAPEUTE. – Quel est votre degré de croyance entre 0 % et 100 % ?
STÉPHANE. – C’est du 100 %
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Cette première étape cognitive confirme bien la croyance de Stéphane qu’il peut mourir
d’une attaque de panique avec un fort degré de croyance (100 %).
Un premier travail de restructuration cognitive qui peut être réalisé est d’aider Stéphane à
remettre en question sa croyance.
Pour cela nous allons reprendre avec lui les arguments en pour et contre le risque de mourir
d’un infarctus si son cœur s’accélère. Nous lui demandons de nous donner tous les arguments
à mettre dans l’une ou l’autre des colonnes.
Classiquement, le patient ne va pas mettre tous les arguments possibles car il n’y pense
pas obligatoirement (parfois même si ceux-là sont importants), car son anxiété le parasite
pour réfléchir ou tout simplement car il a des biais cognitifs.
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J’ai déjà fait des attaques de panique et je
ne suis pas mort : 70 %
THÉRAPEUTE. – Si je regarde les arguments et la pondération que vous avez portés, il semble que
les « contre » l’emportent largement.
STÉPHANE. – Effectivement, quand on le regarde comme cela, il n’y a pas tant de risque que cela.
THÉRAPEUTE. – Si vous deviez réévaluer maintenant votre croyance dans le fait que vous pourriez
mourir d’un infarctus au cours d’une attaque de panique vous diriez que la probabilité est de
combien ?
STÉPHANE. – Si je suis honnête, je dirais 40 %, mais j’ai encore des doutes, j’y crois encore à 50 %.
Dans le cas présent, ce qui est intéressant c’est la capacité de remise en question de
Stéphane qui entend les arguments. Il demeure cependant encore sceptique et va avoir
besoin d’un complément répété d’abord cognitif.
La séance se termine en faisant une synthèse des exercices effectués et de ceux programmés.
Un rapide retour est fait sur la conclusion cognitive d’un risque de mourir beaucoup moins
important que ce qu’il a tendance à se dire.
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Ce type de séance doit s’attacher à s’assurer de la bonne réalisation des exercices et de
l’organisation de la suite des exercices. Il est important de renforcer le patient sur les exercices
réalisés, de montrer que les explications apportées sur l’évolution de l’anxiété sont valables pour
qu’il les intègre et se les rappelle utilement.
L’abord cognitif est souvent indispensable quel que soit le trouble pour venir compléter la démarche
comportementale, relever des erreurs de logique, les croyances et effectuer une restructuration
cognitive. Sur le plan cognitif, le but n’est pas de donner son opinion de thérapeute mais bien plus
d’amener le patient à apporter les arguments. Cela donne bien plus de portée, car le thérapeute
pourra toujours lui rappeler que c’est lui-même qui en a fait l’évaluation.
Cette séance fait le point sur les exercices comportementaux et sur l’évolution cognitive
137
jusqu’au dernier sous-sol sans soucis. Nous reprenons alors sa liste des situations redoutées
et convenons de passer à une autre situation. Nous nous fixons sur le métro car il aura la
possibilité de l’utiliser au retour de son travail. Cet exercice ne sera pas réalisé pour aller
au travail dans la mesure où nous ne savons pas au bout de combien de temps l’anxiété
diminuera et qu’il ne faut lui ajouter en plus le stress d’être en retard au travail. Il partira
donc le matin en voiture avec un voisin et rentrera en métro le soir. Nous avons évalué
avec lui que, idéalement, il faut éviter l’heure de pointe (car il évalue la situation à 60 %
de gêne). Il quittera un peu plus tard son bureau pour ne pas se sentir oppressé et avoir le
temps de le faire. Son évaluation de l’anxiété est de 40 % dans ce cas-là.
Au niveau de l’aéroport, il a poursuivi plus régulièrement les expositions et ne ressent
désormais plus de gêne en étant devant l’aérogare. Il lui est maintenant demandé de passer
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
à l’étape suivante qui est de se promener dans l’aérogare. Son évaluation est inchangée
avec une gêne évaluée à 50 %.
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THÉRAPEUTE. – Avez-vous réfléchi à cette croyance que vous aviez qui était de craindre de mourir
d’une attaque de panique ?
STÉPHANE. – Oui. Et je pense quand même qu’il y a un risque, même si celui-ci est peut-être moins
important que je ne l’avais imaginé. Je me dis que ce n’est pas normal que mon cœur s’accélère
comme cela et qu’il peut y avoir un risque.
Anxiété 40 % 40 % 30 % 30 % 30 % 20 % 20 % 10 %
maximale
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L’évolution est très favorable au niveau du métro avec une gêne qui s’atténue de plus en plus
vite. L’anxiété de Stéphane diminue même avant d’avoir terminé son temps de trajet normal
pour revenir du bureau qui est de 20 minutes. Il n’avait pas connu de période où il pouvait
être dans le métro sans anxiété pendant plusieurs minutes depuis de nombreuses années.
Concernant les exercices spécifiques, pour l’aérogare :
Anxiété 40 % 30 % 30 % 20 % 20 % 10 % 10 %
maximale
139
Là aussi, il y a une amélioration significative. Stéphane en est conscient et cela le rassure
pour la suite.
Les exercices demandés pour la séance suivante sont :
• poursuite du métro seul en changeant de ligne de métro
• nouvel exercice dans un grand ascenseur (ce qui est le cas à son travail) accompagné (il
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Le travail cognitif va consister à l’aider à remettre en question cette croyance. Pour cela,
le thérapeute demande à Stéphane de lui rapporter les commentaires que les uns et les
autres ont concernant la possibilité qu’il ait un problème cardiaque au cours d’une attaque
de panique. Une sorte de liste est établie avec les noms des personnes au courant de son
trouble. Pour chacun de ces individus il est demandé à Stéphane de préciser ce que pensent
ces personnes. Sur la liste nous retrouvons aussi bien son épouse, son père, son cardiologue,
l’avis du psychiatre, des autres personnes qui l’ont suivi depuis le début du trouble. À
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chaque fois, la réponse est la même. Ils considèrent tous qu’il n’a pas de risque particulier
et qu’il est normal que le cœur s’accélère (si Stéphane n’avait pas déjà connaissance des
réponses, l’exercice qui pourrait lui être demandé serait d’interroger son entourage sur ces
deux points et de rapporter l’information lors du rendez-vous suivant). Cette accumulation
de preuves qu’il amène lui-même est importante.
La question qui peut alors lui être posée est : « Pourquoi pourriez-vous savoir que ce n’est
pas normal, alors qu’entourage personnel et professionnels de la santé s’accordent pour dire
que vous ne risquez rien de plus qu’un autre homme ? » Il n’a bien sûr pas de réponse à
cela. Cet argument apporte un doute supplémentaire à sa croyance.
Il est maintenant demandé à Stéphane de revenir sur les situations où il a eu une attaque
de panique. Il précise qu’il a eu l’impression qu’il allait faire un infarctus. Combien de fois
a-t-il eu un infarctus ? Aucune. A-t-il lu ou vu, entendu d’autres personnes qui ont fait des
attaques de panique et sont mortes d’un infarctus à ce moment-là ? Aucune.
Stéphane apporte donc lui-même les preuves que sa croyance ne se fonde que sur une
140 impression. Une phrase peut résumer cela : l’impression ne fait pas la réalité.
Il finit par en convenir et s’approprie la phrase.
Au final, quand il est demandé à Stéphane quel est le principal risque d’avoir une attaque
de panique, il finit par reconnaître que c’est de passer un moment désagréable.
Il est donc passé de la peur de mourir à la réalité d’une sensation qui n’est certes pas
agréable mais qui ne va pas le conduire à la mort.
Quand on demande à combien il évalue maintenant sa croyance de pouvoir mourir lors d’une
attaque de panique il concède un 20 %.
Compte tenu de son évolution favorable tant sur le plan comportemental que cognitif, il
est envisagé qu’il réserve un billet d’avion d’ici un mois. L’option retenue pour l’instant est
que le premier voyage s’effectuera avec son épouse qu’il considère comme son meilleur allié.
Il considère que cela devient réaliste, son évaluation du niveau d’angoisse s’il prend l’avion
est passée à 70 %, ce qui reste encore élevé et entraîne la poursuite des exercices.
Les exercices comportementaux doivent être renforcés et maintenus. Il est important de maintenir
un rythme régulier et de ne pas oublier de les valider à chaque fois avec le patient. Sur le plan
6 • Panique en avion
cognitif la croyance est souvent ancienne et marquée, elle doit être régulièrement remise en
question de différentes façons.
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Cette séance vient renforcer les exercices précédents.
« Je vais prendre l’avion, c’est une situation qui ne me plaît pas spécialement et je sais pourquoi,
notamment car je garde un mauvais souvenir de voyages précédents. En entrant dans l’avion
je sais que mon cœur peut s’accélérer, ce sera normal car je serai stressé. Si mon cœur ne
s’accélérait pas dans une situation de stress, ce ne serait pas normal. Aussi bien mon entourage
que mes médecins m’ont dit que je ne risquais pas de mourir d’une attaque de panique. J’ai
d’ailleurs déjà eu des attaques de panique et je ne suis pas mort. Je connais aussi des personnes
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qui ont fait des attaques de panique et ils ne sont pas morts non plus. Quand les portes de l’avion
seront fermées et que l’avion va décoller, il est possible que je fasse une attaque de panique.
Cela m’est déjà arrivé. Je sais que c’est un moment désagréable et qu’avant je pensais pouvoir
en mourir, mais je sais aussi que l’impression ne fait pas la réalité. En faisant une attaque de
panique, je vais sans doute passer un moment désagréable, mais je sais aussi qu’ensuite cela
s’arrête, cela s’est d’ailleurs toujours passé comme cela dans le passé. Je sais aussi que je peux
ne pas faire d’attaque de panique car en ne me fixant pas sur ma peur je ne vais pas la majorer. »
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Le but de cet exercice n’est pas que Stéphane se rassure, nous ne sommes pas dans la
méthode Coué, mais qu’il revienne sur une situation réaliste sans avoir peur que ne survienne
l’attaque de panique. En arrivant à ne plus avoir peur de l’attaque de panique, Stéphane
évitera d’augmenter son niveau d’anxiété et donc de favoriser la survenue d’une crise.
Le vol avec son épouse est programmé pour dans quinze jours. Il s’agit d’un trajet
relativement court entre Toulouse et Lyon (50 minutes).
142 Dernière séance avant la confrontation à la situation problème cible. La séance s’assure que
l’exercice est réalisable dans de bonnes conditions. Une reprise cognitive et un ensemble de
conseils sont donnés.
Un ensemble de points sont ensuite évoqués dans la mesure où la situation reste encore
très anxiogène. Il faut tenir compte du fait que Stéphane risque encore de se centrer sur
lui-même et de favoriser ainsi la survenue d’une attaque de panique. Comme il est difficile
de mettre en place des situations intermédiaires (comme s’installer dans un avion vide sans
que celui-ci ne décolle), il est convenu que pour ce premier vol un ensemble de possibilités
pourront être utilisées. Il s’agit clairement d’évitements mais qui vont ici limiter le risque
anxieux avec l’idée qu’ils devront progressivement être retirés lors des vols suivants :
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• afin qu’il ne soit pas fatigué le jour du départ et éviter un trouble du sommeil, il est
convenu qu’il prendra un anxiolytique au coucher. Le matin du départ il aura la possibilité
de reprendre un cachet si besoin et un autre au cours du vol ;
• afin d’éviter qu’il ne se centre sur ses sensations, il lui est proposé de prendre avec lui :
de la lecture, des mots croisés, du sudoku, son MP3. Il y a clairement un évitement, mais
cela se fait dans la perspective de défocaliser son attention. Il pourra aussi faire de la
relaxation (technique qu’il connaît bien) ;
• afin de ne pas apporter d’autres stress, il n’est pas prévu qu’à son arrivée à Lyon, ils
voient de la famille (l’un de ses cousins y habite) ou qu’une activité spécifique soit
programmée. Ils verront une fois sur place (sa femme se charge de prévoir une activité
selon l’état de son mari à l’arrivée) ;
• pour qu’il soit moins gêné pendant le voyage, il est convenu qu’il informe dès son arrivée
dans l’avion l’hôtesse de l’air de sa peur en avion. C’est un côté rassurant qui permet
là encore de limiter le risque de faire monter l’anxiété. Le plus souvent les personnels
de bord sont attentifs aux personnes qui les informent de cette gêne et ils prennent 143
le temps de venir s’assurer que tout se passe bien. Cela permet ainsi au patient de se
rendre compte qu’il n’est pas le seul dans ce cas et qu’il pourrait être aidé si nécessaire.
Il faut prendre ces adaptations comme une étape intermédiaire sur l’échelle des situations
phobiques spécifiques à l’avion qui va permettre dans ces conditions que l’anxiété soit
moins forte. Comme pour les exercices comportementaux plus accessibles, une fois que
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l’exercice est réussi les sources d’évitement vont être progressivement retirées.
Stéphane va noter sur une fiche les différentes étapes de son voyage et le niveau d’anxiété
perçu, avec le cas échéant les stratégies misent en place.
Quand un patient est accompagné pour un exercice, il s’agit d’un évitement. Il n’affronte pas seul
la situation, mais cela permet une étape intermédiaire utile pour que l’anxiété ne se transforme pas
en attaque de panique. Dans le cas de l’avion, les évitements utilisés peuvent être l’accompagnant,
mais celui-ci peut ne pas être suffisant. D’autres étapes intermédiaires peuvent donc être utilisées
avec un recours médicamenteux ou des défocalisations cognitives. Dans le même ordre d’idée, le
recours à la relaxation ou à la cohérence cardiaque peut aussi se concevoir.
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
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Tableau de l’évolution de l’anxiété lors de l’exposition cible
Arrivée à l’aéroport 20 %
Passage sécurité 30 %
La veille du départ, Stéphane n’était pas spécialement anxieux, il y pensait, mais sans que
cela le perturbe ou gêne sa concentration. Son anticipation anxieuse était moins forte que
dans le passé. Alors que lors des exercices d’exposition le passage dans l’aérogare ne posait
plus de problème, la confrontation à la réalité de l’avion à prendre réactive l’angoisse.
Bien qu’un certain nombre de stratégies aient été mises en place, son niveau d’anxiété est
quand même monté à 60 %. Ce qui laisse penser que ces conditions étaient nécessaires en
étape préalable. Il a correctement su gérer les différentes étapes en utilisant différentes
techniques vues en thérapie, notamment la défocalisation cognitive et la relaxation.
6 • Panique en avion
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Comme dans toute thérapie comportementale, c’est par la multiplication des exercices que
le résultat s’obtient. Ce n’est pas évident pour l’aérophobie dans la mesure où le coût de
l’avion est élevé et le temps d’exercice long (plusieurs heures avec l’aller et le retour). Il
n’est malheureusement pas possible de le faire de façon quotidienne à l’inverse d’exercices
dans le métro !
Stéphane a cependant la chance que son épouse se déplace fréquemment. Celle-ci doit aller
sur Paris dans trois semaines et il est convenu qu’il l’accompagne. Les modalités de voyage
ne sont pas modifiées. Par contre, il doit poursuivre les exercices sur l’agoraphobie dans
l’ascenseur et envisager des déplacements en voiture à plus d’une heure de son domicile.
La satisfaction de la réussite de l’exercice ne doit surtout pas limiter les exercices. Il est impératif
de maintenir les exercices. Avec le temps les effets bénéfiques s’oublient et les croyances peuvent
revenir.
145
Stéphane est parti une deuxième fois en avion avec son épouse et cela s’est bien passé.
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Son anxiété maximale n’a été que de 40 %. Il ressent clairement une amélioration.
Progressivement au cours du vol, il a pu avoir des moments où il s’est senti calme. Ce qui
est un véritable changement pour lui. Il commence à concevoir qu’il pourra effectuer un
prochain vol avec un collègue de travail.
L’entretien se centre sur son travail et son nouveau poste afin d’évaluer le niveau de pression
qu’il a pour effectuer les déplacements. Quand le moment sera venu de prendre l’avion pour
le travail, plusieurs niveaux d’anxiété seront alors présents. Il y aura à la fois la composante
phobique, mais aussi le stress de la journée professionnelle. En effet, il faut tenir compte
de son appréhension d’être mal et de ne pas pouvoir faire correctement son travail avec les
conséquences que cela pourrait avoir. Nous convenons qu’une séance sera réservée à cette
mise en situation.
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prendra pas d’anxiolytique sauf en cas de besoin). En perspective, un voyage est envisagé
à la rentrée avec un collègue qui est au courant de sa peur en avion.
Un travail a été réalisé sur la phobie, mais en arrière-plan reste une certaine anxiété de fond qui
va demander une prise en charge plus spécifique.
SÉANCE 15 : RÉÉVALUATION
MADRS 2
BECK dépression 2
Échelle d’anxiété YA à 42 et YB à 48
de Spielberger
(STAI)
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Questionnaire des agoraphobie 17, phobie sang et blessure 9, phobie sociale 7,
peurs (Marks) anxiété dépression 4
Questionnaire pour le FAS : aucune situation liée à l’avion ne dépasse le
d’évaluation de la niveau « d’anxiété modérée ». Pour le FAM, l’anxiété ne dépasse
peur en avion pas « modérément ».
cependant encore la souffrance provoquée par quelque chose de désagréable. Il se dit prêt
plus facilement à accepter que cela arrive, mais cela reste encore fragile.
Sur le plan plus général, il reste un certain fond d’anxiété et une dépendance à l’entourage.
À ce stade de la thérapie, la question se pose de la suite de la prise en charge.
Stéphane reconnaît qu’il a atteint un point qu’il s’était fixé : reprendre l’avion. Ce qu’il a
fait à deux reprises. Il avoue avoir ni l’envie ni le temps, pour l’instant, de se lancer dans
de nouveaux exercices. Il doit reprendre l’avion dans trois semaines en famille et souhaite
attendre de voir ce que cela donne.
Il est donc convenu qu’il reprenne contact après ce vol.
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
Montrer les résultats des tests psychométriques permet de voir concrètement les changements.
C’est un peu la même chose quand un médecin montre l’amélioration d’un résultat biologique ou
la réduction d’une anomalie sur une radiographie.
La thérapie peut se heurter aux limites que fixe le patient.
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Appel téléphonique : Stéphane appelle quelques jours après son dernier vol. Celui-ci s’est
parfaitement bien passé. Il arrive à être nettement moins anxieux, alors même qu’il était
accompagné de son enfant et que cela pouvait générer une anxiété supplémentaire de
montrer son malaise à son enfant. Il doit effectuer un voyage professionnel dans un mois
sur Paris et informe qu’il reprendra contact par la suite.
Il est évident que Stéphane ne souhaite pas, pour l’instant aller plus loin dans la thérapie.
Cela peut être assez frustrant pour le thérapeute, mais cela fait aussi parti des règles du jeu.
Il y a un certain risque de rechute dans le cas présent. Mais, d’un autre côté, Stéphane sait
qu’il a pu avancer en thérapie sur sa phobie et qu’il existe donc une possibilité d’affronter
ses peurs. Il effectuera sans doute une démarche complémentaire plus tard. En tout cas il
faut le lui souhaiter.
148
BIBLIOGRAPHIE
une algodystrophie
Comportements
anxieux liés à
Le cas de Nicolas
150
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SOMMAIRE
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Démarche diagnostique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155
Éléments en faveur d’un trouble dépressif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155
Éléments en faveur d’un trouble anxieux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155
Éléments en faveur d’un trouble de l’adaptation . . . . . . . . . . . . . . . . . 155
Éléments en faveur d’un trouble douloureux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 156
Analyse fonctionnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 156
Données structurelles possibles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 157
Facteurs historiques de maintien possibles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 158
Facteurs déclenchants initiaux évoqués . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159
Événements précipitant les troubles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159
Traitements antérieurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159
151
Évaluation en début de thérapie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159
Le nombre de jours de scolarisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 160
Le Vécu et santé perçue de l’adolescent (VSP-A) . . . . . . . . . . . . . . . . 160
Le Pain Catastrophizing Scale for Children (PCS-C) . . . . . . . . . . . . . . . 161
Déroulement de la thérapie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 161
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MOTIF DE LA CONSULTATION
Nicolas vient, accompagné de ses deux parents, en consultation douleur chronique. Son père
travaille à la poste et sa mère garde des enfants à la maison. Il a 13 ans et est actuellement
au collège. Depuis deux ans, il a des douleurs au pied droit qui l’empêchent de marcher et qui
ont entrainé un absentéisme scolaire important. Plusieurs médecins ont qualifié ces douleurs
d’algoneurodystrophie que l’on nomme aussi syndrome régional complexe de type 1 (SDRC).
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Il a bénéficié de nombreux examens qui ont confirmé ce diagnostic. Les douleurs sont
apparues après une entorse qui s’est progressivement chronicisée. Les différents traitements
antalgiques se sont révélés inefficaces. Depuis cette année le tableau clinique a empiré.
Nicolas rate plusieurs jours de cours par mois, il a dû arrêter ses activités de loisir, et se
plaint d’avoir des douleurs insupportables. En l’absence de moyen de soulagement, il a
d’abord utilisé des béquilles de temps en temps, puis de manière continue et se déplace
maintenant généralement en fauteuil roulant à l’extérieur de chez lui. Après l’avoir examiné,
le médecin confirme le diagnostic de ses collègues. Dans le SDRC, on retrouve généralement
l’association d’une douleur spontanée, continue, intense et difficilement contrôlable, de
symptômes dysautonomiques (comme des œdèmes), sensitifs (comme des troubles de la
perception de la douleur), et moteurs (comme une diminution de l’amplitude articulaire)
(Harden, 2010). C’est une maladie complexe et méconnue chez l’enfant et l’adolescent
qui peut avoir de lourdes conséquences fonctionnelles. Il existe peu de travaux sur les
interventions psychologiques dans cette pathologie chez l’enfant et d’adolescent. On peut
152 cependant se référer à la dernière méta-analyse sur les approches psychothérapeutiques
dans la douleur chronique chez l’enfant qui souligne sans ambiguïté l’intérêt des TCC
(Palermo, 2010). Le médecin propose à Nicolas de rencontrer un psychologue du service
pour mettre en place une intervention psychothérapeutique d’orientation comportementale
et cognitive.
Lors de la consultation psychologique Nicolas apparaît comme un adolescent réservé et
attentif à son environnement. Il ne parle pas spontanément et il est nécessaire de le mettre
en confiance. Il est en conflit avec ses parents qui lui reprochent de ne pas faire d’effort
au collège. En réalité, ils sont surtout désemparés car ils constatent que les difficultés de
leur fils se chronicisent. Comme le raconte sa mère, elle a vu Nicolas passer d’une entorse,
consécutive à une mauvaise chute lors d’un match de foot, à une maladie qu’on connaît
mal et qui oblige son fils à se déplacer en béquille ou en fauteuil. Ces difficultés pour se
déplacer se sont accompagnées de difficultés scolaires liées à son absentéisme et d’un
isolement social progressif. Nicolas reconnaît qu’il n’arrive plus vraiment à suivre à l’école
et qu’il ne voit pas beaucoup de copains. Il voudrait ne plus avoir mal du tout car cela lui
permettrait de pouvoir mieux travailler et de revoir ses amis. Lors de ce premier entretien
psychologique, le thérapeute lui explique qu’il n’est pas possible de lui promettre que la
7 • Comportements anxieux liés à une algodystrophie
douleur va complètement disparaître mais que l’on va envisager ensemble des objectifs
réalistes.
ANAMNÈSE
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Histoire de vie
Nicolas est le cadet d’une fratrie de trois enfants. Son grand frère Tom, âgé 18 ans, est en
apprentissage, sa petite sœur Lucy, âgée de 7 ans, est en CE1. Il s’entend bien avec eux
même si la différence d’âge ne facilite pas leurs échanges. Ses parents sont présents et
disponibles pour leurs enfants. Il n’y a pas de problème de santé spécifique chez les parents
de Nicolas ni chez son frère et sa sœur.
La petite enfance de Nicolas s’est, semble-t-il, déroulée sans événement particulier sur le
plan somatique et psychologique. Sa mère le décrit comme un enfant tonique et blagueur.
À l’école primaire, il a rapidement appris à écrire et, bien que timide, a su se créer un
réseau d’amis. Dès le CP, il a commencé à faire du foot. Il a rapidement investi ce sport
que son père pratiquait aussi dans le même club local. Au cours de l’année de CM1, il
s’est fait plusieurs entorses plus ou moins sévères après lesquelles il reprenait rapidement
ses entraînements pour les compétitions. Le père de Nicolas a par la suite joué un rôle
important dans le club et tout semble indiquer que la vie de la famille était alors centrée 153
autour de la pratique de ce sport.
En primaire, il obtient des résultats scolaires corrects même si, selon ses professeurs, ses
intérêts sont ailleurs. Sa mère se rappelle qu’il pouvait lui arriver d’être très abattu après un
match perdu. Elle lui avait alors plusieurs fois fait la remarque qu’il était trop attentif aux
remarques de ses camarades, de son entraîneur et de son père sur ses compétences sportives.
Lorsqu’il a commencé à se faire des entorses à répétition à la fin de sa scolarisation en
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primaire, Nicolas a eu une période difficile pendant laquelle ses résultats scolaires ont chuté.
Il y a eu plusieurs disputes avec son entourage. Le médecin de famille avait cependant
réussi à discuter avec Nicolas et les choses s’étaient progressivement améliorées. La fin de
l’année de CM1 s’était bien finie à la fois au niveau scolaire et sportif. La dernière année
scolaire de primaire s’est, elle aussi, déroulée sans problème. Nicolas n’a pas fait d’entorse
et il a obtenu des résultats satisfaisants. La situation s’est compliquée lors de l’entrée au
collège. Nicolas est affecté dans un collège différent de celui de ses principaux amis. Il a du
mal à s’adapter au nouveau rythme de travail et ses résultats scolaires sont en baisse. Les
parents se rappellent avoir consulté leur médecin de famille à plusieurs reprises au sujet de
l’état de démotivation de Nicolas. Il a alors enchaîné plusieurs épisodes de fatigue qui ont
cessé après la mise en place d’un traitement homéopathique. Il a continué de voir ses amis
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
de primaire notamment au sein du club de foot qu’il fréquente assidûment avec quelques
rares épisodes d’entorses sans suite. Après ces débuts difficiles, il passe en 5e puis en 4e
sans difficultés majeures.
Histoire du trouble
Au cours du premier semestre de la 4e , lors d’un match de foot, Nicolas se tord la cheville. La
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douleur est importante et les organisateurs appellent les pompiers. Nicolas est transféré aux
urgences. Il a de nouveau une entorse. Outre la prise en charge médicamenteuse antalgique,
on lui prescrit une immobilisation avec un plâtre de marche et de la rééducation avec
un kinésithérapeute. Mais malgré ces mesures, la douleur ne fait qu’empirer. Sa cheville
présente les signes cliniques d’une algodystrophie : elle est gonflée, change de couleur et
est anormalement chaude. Au bout de quelques jours, Nicolas ne supporte plus de mettre
une chaussette. Le simple effleurement de sa cheville provoque une réaction anormalement
douloureuse. Il manque deux semaines d’école jusqu’aux vacances scolaires d’hiver. À la
rentrée, il reprend les cours mais ne se déplace qu’en béquille pendant plusieurs semaines.
Les principaux signes cliniques de l’algodystrophie disparaissent progressivement. Sa cheville
reprend une allure normale. Pourtant, elle continue d’être douloureuse et anormalement
sensible. Il se cote la plupart du temps à 10/10 pour sa douleur, sans diminution importante
mais avec des pics douloureux plus intenses. Il demande à ses parents de se déplacer en
fauteuil roulant parce qu’il est fatigué des déplacements avec ses béquilles. Son asthénie
croissante l’amène à manquer d’abord quelque fois une demie journée d’école puis de
154
manière plus régulière un, voire deux jours dans la semaine. Au moins de mars, son bulletin
est inquiétant : ses résultats scolaires sont en baisse et les professeurs lui signalent que ses
absences sont problématiques pour sa scolarisation. Nicolas, qui a arrêté le foot au moment
de son entorse, ne fait plus de sport. Ses entraînements de foot étaient très importants
pour lui car c’est là qu’il voyait ses anciens amis de primaire. Petit à petit, il perd contact
avec ses amis du sport et du collège. Selon ses parents, cela le rend triste et résigné. Ces
derniers ne savent plus comment s’y prendre. Nicolas a du mal à travailler et ne souhaite
pas sortir se promener avec eux car la fatigue augmente ses douleurs. Il passe une grande
partie de son temps dans sa chambre à jouer à la console de jeux vidéo, à chatter avec ses
amis, ou à dormir. Il est particulièrement angoissé de ses résultats scolaires, et a peur de
redoubler puis de se retrouver encore plus isolé auprès d’élèves qu’il ne connaît pas. Son
père pense qu’il ne fait pas assez d’efforts et qu’il devrait recommencer le sport ainsi que
se remettre à travailler. Sa mère s’inquiète de le voir à la maison parfois plusieurs jours
par semaine alors qu’il devrait être en cours. Elle compare son fils aux enfants en bas âge
dont elle s’occupe chez elle et qui accaparent toute l’attention des adultes. Les parents de
Nicolas tentent, sans réel succès, plusieurs approches comme l’ostéopathie ou de nouvelles
7 • Comportements anxieux liés à une algodystrophie
séances de kinésithérapie. Face à ce constat d’échec, leur médecin de famille leur propose
alors de consulter auprès d’un centre de la douleur.
DÉMARCHE DIAGNOSTIQUE
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Éléments en faveur d’un trouble dépressif
Le discours de Nicolas reflète une certaine tristesse sans signes de dévalorisation ou d’idées
noires. Il affirme être fatigué et rapporte un important sentiment d’impuissance vis-à-vis
de ses douleurs. Cependant, il ne présente pas plus d’irritabilité qu’un autre adolescent de
son âge et, malgré une indifférence de façade, semble avoir un intérêt important pour des
activités ludiques. Il n’a pas eu de perte de poids ni de réels troubles du sommeil même s’il
lui arrive de passer du temps derrière son écran d’ordinateur lors de soirées le week-end.
Ces différents éléments ne vont pas dans le sens d’un trouble dépressif.
sont accumulés sur plusieurs années et ne répondent donc pas aux critères d’un trouble de
l’adaptation.
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choses mais, lors de la consultation médicale, il précisera qu’il a d’autres douleurs qui sont
apparues secondairement (jambes, dos et nuque). Comme dans toute douleur chronique,
les facteurs psychologiques y jouent un rôle de renforçateur. Le diagnostic de trouble
douloureux pourrait donc légitiment être posé. Cependant le SDRC implique dans ses critères
la présence de douleur continue disproportionnée par rapport à l’événement déclencheur.
La pertinence du diagnostic de trouble douloureux n’est donc pas évidente, même si Nicolas
répond aux différents critères de ce trouble.
Selon la classification du DSM-IV, le diagnostic suivant peut être évoqué :
• Axe I (troubles cliniques) : trouble douloureux associé à la fois à des facteurs
psychologiques et à une affection médicale générale (F45.4 [307.89]) ;
• Axe II (troubles de la personnalité) : absence ;
• Axe III (affections médicales générales) : syndrome douloureux régional complexe de
type 1 ;
156 • Axe IV (problèmes psychosociaux et environnementaux) : absence.
ANALYSE FONCTIONNELLE
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157
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! Personnalité
Nicolas est décrit par ses parents comme un enfant attentif au regard d’autrui. Lorsqu’il
pratiquait le foot, il entretenait des rapports conflictuels avec son père et ne supportait
pas qu’il lui fasse des remarques sur ses qualités sportives. Il est relativement timide même
si, avant le début de l’algodystrophie, il avait un cercle d’amis importants. Depuis cet
épisode, il reste souvent seul dans sa chambre à jouer à la console de jeux et sort moins
souvent voir ses amis. Au cours de l’année de CM1, Nicolas a eu un épisode d’entorse à
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répétition. Parallèlement à ses douleurs à la cheville, il a alors eu des difficultés scolaires
et psychologiques. Ses notes ont brusquement chuté et il s’est disputé avec ses amis ainsi
qu’avec sa famille. Le médecin de famille avait réussi à calmer la situation en recevant
Nicolas à plusieurs reprises.
! Vie quotidienne
La chronicisation de l’épisode d’entorse de Nicolas en SDRC a eu un impact important
sur la vie familiale. Il utilise alternativement des béquilles ou un fauteuil roulant ce qui
complique les déplacements familiaux. Il manque l’école parfois plusieurs jours par semaine,
ce qui contraint sa mère à venir le chercher avec les enfants qu’elle garde chez elle. La
communication avec son père est aussi difficile car ce dernier ne comprend pas pourquoi le
trouble persiste sans signe clinique autre que la douleur. Il existe enfin une tension entre
Nicolas et son frère et sa sœur qui, eux aussi, s’impatientent de voir tourner la vie familiale
autour de Nicolas.
7 • Comportements anxieux liés à une algodystrophie
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Événements précipitant les troubles
Les difficultés de Nicolas à se faire un nouveau réseau d’amis depuis son entrée au
collège l’ont rendu particulièrement dépendant de son cercle d’amis du club de football. De
manière générale, ses difficultés dans l’adaptation au collège l’ont probablement fragilisé
psychologiquement en le rendant plus vulnérable aux aléas de l’adolescence.
Traitements antérieurs
Nicolas a bénéficié de séance de kinésithérapie et de divers antalgiques qui l’ont parfois
soulagé mais dont l’efficacité est actuellement médiocre. Il n’a pas rencontré jusqu’à présent
de psychologue ou de psychiatre.
159
Nicolas est actuellement en grande difficulté sociale. Ses douleurs ont un impact important
sur sa vie sociale et sur sa scolarité ce qui justifie l’utilisation d’un questionnaire de qualité
de vie pour l’évaluation de la thérapie. Il n’est pas déprimé mais sa manière de raisonner
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Le VSP-A (Simeoni, 2000 ; Sapin, 2005) est un questionnaire d’évaluation de la qualité
de vie pour les adolescents. Il est validé pour une utilisation auprès d’enfants de 10 à 17
ans. La version utilisée dans cette étude se compose de trente-sept items pour lesquels
l’adolescent doit répondre par « Jamais, pas du tout », « Rarement, un peu », « Parfois,
moyennement », « Souvent, beaucoup », ou « Toujours, énormément ». Il comprend un
score total et dix échelles. Le score total est compris entre 0 et 100. Lors de l’étude de
validation, le score moyen était de 58,7 (+/– 13,6) pour le score total, de 60,9 (+/– 25,8)
pour le score loisir, de 64,4 (+/– 23,3) pour les relations avec les amis, de 53,7 (+/– 26,9)
pour les relations avec les parents, de 64,0 (+/– 22,9) pour le bien-être psychologique,
de 61,1 (+/– 21,9) pour la vitalité, de 52,9 (+/– 23,7) pour le travail scolaire, de 42,9
(+/– 5,2) pour les relations avec les professeurs, de 65,8 (+/– 32,7) pour l’image de soi, de
64,3 (+/– 21,7) pour le bien-être physique, de 68,8 (+/– 13,6) pour les relations avec le
personnel soignant.
Nicolas a obtenu au VSP-A un score global de 44,18 qui le situe à un écart-type en dessous
160 de la moyenne de sa classe d’âge. Les sous-échelles de loisir, de relation avec les amis et
de travail scolaire sont significativement plus basses que la moyenne de sa classe d’âge.
Loisir 20
Amis 29
Parents 56,25
Vitalité 50
Travail scolaire 25
Professeurs 39,3
Image de soi 57
7 • Comportements anxieux liés à une algodystrophie
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Le Pain Catastrophizing Scale for Children (PCS-C)
Le PCS-C (Crombez, 2003 ; Tremblay, 2008) est l’adaptation pour l’enfant du Pain
Catastrophizing Scale de Sullivan (Sullivan, 1995). C’est un instrument pour la mesure
du catastrophisme. Il est étalonné pour les enfants de 8 à 16 ans. Il se compose de treize
items pour lesquels l’enfant peut répondre « pas du tout », « un peu », « moyennement »,
« beaucoup » et « énormément ». Il comprend un score total et trois échelles. Le score
total est compris entre 0 et 52. Lors de l’étude de validation, le score moyen était de 16,8
(+/– 8,8) pour le score total, 7,1 (+/– 3,6) pour l’échelle de rumination, 3,6 (+/– 2,6) pour
l’échelle de magnification et 6,1 (+/– 4,1) pour l’échelle de désespoir.
Nicolas a des scores très élevés par rapport à la population de référence pour le score total
de catastrophisme et pour les échelles de rumination et de désespoir. Il se situe en effet à
plus de deux écarts-types de la moyenne pour tous ces scores.
Catastrophisme 41
Rumination 15
Magnification 6
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Désespoir 20
DÉROULEMENT DE LA THÉRAPIE
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trois modules thérapeutiques (Rousseau-Salvador, 2010 ; Palermo, 2012) :
• l’apprentissage de la relaxation pour permettre de faire face aux situations émotionnelles
difficiles (notamment son anxiété vis-à-vis de l’école) et indirectement aux crises
douloureuses ;
• l’entraînement à l’auto-observation et à la restructuration cognitive. L’objectif est
de favoriser la prise de conscience du lien entre les émotions, les cognitions et les
comportements. Cet apprentissage à l’auto-observation doit permettre la mise en évidence
de pensées problématiques et de développer des pensées et des stratégies alternatives ;
• la guidance comportementale qui vise à aider l’entourage de l’enfant à savoir comment
réagir à la douleur. Ces séances se sont déroulées avec Nicolas et ses parents.
contracter les bras quelques secondes puis les relâcher. Afin d’éviter des attentes irréalistes,
le thérapeute prend le soin de rappeler que l’objectif n’est pas pour l’instant une diminution
de la douleur, mais que la relaxation doit permettre de faire des expériences de repos et de
bien-être. À chaque début de séance, le thérapeute s’assure que la séance précédente a bien
été comprise et pratiquée à la maison. La deuxième séance se déroule plus facilement. Après
avoir vérifié que la contraction des jambes ne provoquait pas de douleur supplémentaire
pour Nicolas, le thérapeute a intégré à la séance cette région musculaire. Nicolas reste agité
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mais se montre plus concentré. À la troisième séance, il a appris à relaxer l’ensemble du
corps. Il arrive à refaire des séances chez lui et apprécie de les faire même s’il précise que
cela n’a pas d’impact direct sur la douleur. Seules les trois premières séances de thérapie
sont consacrées essentiellement à la relaxation. Les six autres séances comprennent des
temps de relaxation ou d’échange autour de la relaxation afin de poursuivre l’apprentissage.
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à ce que l’on pourrait croire, l’expérience de la douleur ne permet généralement pas de
« s’endurcir » mais va au contraire nous sensibiliser aux stimuli nociceptifs. Nicolas demande
un soulagement important et rapide qu’il ne pourra pas obtenir. Le thérapeute lui explique
le principe des distorsions cognitives et notamment du raisonnement dichotomique où tout
est noir ou blanc sans intermédiaires possibles. Le reste de la séance porte sur la notion de
pensée alternative. Pour la séance suivante, le thérapeute propose à Nicolas d’imaginer ce
que pourrait penser un enfant qui ne voit pas tout en « noir ou blanc » ou qui n’a pas son
expérience de la douleur. Ce dernier propose plusieurs pensées alternatives comme « J’ai mal
mais ça va se calmer », « Je vais aller me reposer à l’infirmerie », « Je vais mettre du froid
sur ma cheville » ou encore « Je vais me reposer ce soir pour être en forme demain ». Une
partie de chaque séance suivante est consacrée à la tenue du journal de bord de Nicolas.
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leur enfant : que font-ils, que ressentent-ils et que pensent-ils ? Nicolas devait, quant
à lui, faire une synthèse des principales réactions de ses parents face à la douleur. Le
thérapeute a aussi proposé aux parents et à Nicolas d’évaluer, sur deux jours au choix
pendant une semaine, combien de fois ils parlaient ensemble de la douleur à la cheville
en prenant soin de noter le contexte de leurs échanges. Lors de la séance suivante, il est
apparu que les parents de Nicolas lui parlent plus de dix fois par jour de ses douleurs. Les
demandes ont comme objectifs de vérifier s’il se sent suffisamment bien pour faire une
tâche ou une activité, de s’assurer que la journée n’a pas été trop pénible ou bien qu’il avait
bien pris ses médicaments. Cela a pour effet de maintenir Nicolas et ses parents dans un
contexte d’attente anxieuse d’une nouvelle dégradation de son état. Nicolas est ambivalent
vis-à-vis de cette sollicitude parentale. Il apprécie le fait que ses parents soient attentifs à
sa santé, mais il pense que c’est parfois inutile et au mauvais moment. Après discussion,
le thérapeute propose aux parents de réduire au maximum les discussions au sujet de la
douleur et de réévaluer cela à la prochaine séance.
Une semaine plus tard, les parents de Nicolas reviennent avec des résultats encourageants. 165
Sur les deux jours choisis, ils ont parlé sept fois de douleur le premier jour et quatre fois le
deuxième. Nicolas s’est approprié la consigne et s’est amusé à reprendre ses parents lorsqu’ils
abordaient cette thématique en leur répétant « je gère seul... C’est mon affaire ». Au-delà
du simple fait de compter le nombre de fois où il évoque les douleurs de leur fils, cet exercice
a surtout permis de montrer aux parents de Nicolas l’impact de leur comportement sur celui
de leur fils. Lors de ces séances, ils ont expliqué qu’ils ne savaient pas toujours comment
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se comporter face aux plaintes de leur enfant. Cet exercice leur a donné la possibilité
d’envisager une nouvelle manière de faire face. Comme ils l’ont remarqué eux-mêmes, il ne
s’agit pas simplement d’ignorer les plaintes de leur enfant mais plutôt de parler d’autres
choses que de la douleur. Le père de Nicolas lui a ainsi proposé de venir l’accompagner de
manière plus systématique aux matchs de foot de l’équipe qu’il entraîne.
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
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la première évaluation où il a surtout manqué des journées complètes, il s’agissait de huit
journées et demie d’école.
Loisir 20 45
Amis 29 47
166
Parents 56,25 50
Vitalité 50 67
Travail scolaire 25 36
Professeurs 39,3 45
Image de soi 57 58
Bien-être physique 49 57
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Catastrophisme 41 30
Rumination 15 11
Magnification 6 8
Désespoir 20 11
CONCLUSION
Nicolas est un adolescent de 13 ans qui a consulté en unité douleur pour un syndrome
d’algodystrophie. Outre la douleur quotidienne qu’elle occasionne, cette pathologie a eu
un impact fonctionnel et émotionnel (anxiété) important. Au moment où il consulte, cet 167
adolescent est en cours de déscolarisation et d’isolement social. Sa prise en charge s’est
déroulée sur quatorze séances : trois pour l’évaluation et l’analyse fonctionnelle, neuf pour
la thérapie proprement dite, et deux pour le bilan de la prise en charge. À l’issue de la
thérapie, Nicolas a diminué le nombre de jours d’école manqués et a amélioré ses scores
de qualité de vie et de catastrophisme. Ces résultats encourageants ne sont cependant pas
totalement satisfaisants. En effet, il continue à être absent une à deux demi-journées par
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est un outil précieux. Il permet d’appréhender le rôle du contexte dans le maintien de
comportements qui induisent une souffrance à la fois au niveau individuel et familial.
BIBLIOGRAPHIE
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7 • Comportements anxieux liés à une algodystrophie
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169
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Nathalie Girard-Dephanix
Chapitre 8
Le cas de Monsieur M.
majeur 170
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SOMMAIRE
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Tableau clinique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 179
Première hypothèse étiopathogénique du comportement problème
« je ne sors pas » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181
Deuxième hypothèse étiopathogénique du comportement
problème « je ne sors pas » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 192
Deuxième entretien : suivi des exercices et exposition progressive 196
Retour sur les exercices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 196
Exposition progressive à la peur de sortir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 197
Exercices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 198
Troisième entretien : poursuite des exercices et de l’exposition . . 199
Retour sur les exercices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 199 171
Exposition progressive à la peur de conduire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 199
Exercices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 200
Quatrième entretien : résolution du problème . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 202
Retour sur les exercices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 202
Résolution de problème autour de la peur d’être agressé . . . . . . . . 202
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 208
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
Le suivi en TCC de ce patient, appelons-le Monsieur M., s’est effectué en juin 2011 sur
quelques séances réparties sur un mois, dans un centre médico-psychologique (CMP) de
l’Île-de-France.
J’ai choisi la prise en charge de ce patient car elle constitue un des suivis les plus brefs que
j’ai effectué et, qui plus est, réussi ; elle est donc « comme dans les livres » ! La plupart
des suivis sont beaucoup plus longs, peut-être car s’attachant à un fonctionnement général
et non à la « simple » résolution d’un trouble de l’axe 1. Cette prise en charge permet de
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plus de récapituler beaucoup d’aspects de la question phare en théorie comportementale,
l’étiopathogénie du trouble : « Comment apprend-on à développer un trouble anxieux ? »
Au CMP, M. M. a d’abord été reçu par une infirmière, puis suivi un mois par une psychiatre
avant que la TCC ne commence. Dès qu’il a pu surmonter sa peur et reprendre son travail, ce
qui était sa demande première, il n’a plus souhaité prendre de RDV, et son suivi auprès du
CMP s’est interrompu. Lors de ce court laps de temps, nous avons néanmoins pu soutenir,
grâce au travail pluridisciplinaire, son projet de vie : la reprise du travail et l’appui auprès
de son employeur d’un déménagement pour se rapprocher de sa famille. Ce chapitre sera
donc l’occasion d’évoquer, outre la prise en charge TCC de M. M., le travail interdisciplinaire
tel qu’il peut s’articuler en CMP.
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et M. M. n’est pas tenu informé de la gravité de sa blessure. Après avoir compris qu’il
l’a écrasé, il croit le pronostic vital engagé, puis entend parler d’un risque d’amputation
(critère A du DSM : le sujet a été exposé à un Evénement Traumatique (ET). A1. Le sujet a
vécu, a été témoin ou a été confronté à un ou des événements qui ont impliqué la mort
ou menace de mort, ou de blessures graves ou une menace à son intégrité physique ou
à celle d’autrui. A2. Le sujet a réagi par la peur intense, un sentiment d’impuissance ou
d’horreur). Un test d’alcoolémie effectué sur le moment se révèle négatif. La reconstitution
des circonstances de l’accident, effectuée dès le lendemain par la police, montre que sa
responsabilité n’est pas engagée.
Suite à cet événement, M. M. est mis en arrêt de travail dans le cadre d’un accident du
travail, jusqu’à la mi-mai. Il touche son salaire, dont il a grand besoin, étant financièrement
responsable de sa famille ici et au pays. Il refuse dans un premier temps tout suivi
psychologique, avant de voir son médecin traitant en mars. Il a en effet du mal à dormir
et à récupérer : il se réveille la nuit, fait des cauchemars, se sent fatigué au réveil. Il
souffre également de maux de tête. Les troubles du sommeil persistent malgré la prise
173
d’un somnifère. Il prend alors contact avec le CMP début avril 2011 sur les conseils de son
médecin traitant.
Il dit à l’infirmière avoir peur de reprendre son travail : « Maintenant, avec tout ce qui se
passe, les bus incendiés, les agressions de conducteurs, j’ai peur des représailles ». Les
médias parlent en effet beaucoup à cette époque de deux épisodes où des chauffeurs de
bus ou RER ont été attaqués et battus. Cette peur semble dans son cas justifiée : un soir
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après son service, un collègue pris pour lui a été agressé par plusieurs personnes près du
dépôt de bus, et s’est vu délivré une incapacité totale de travail de trois jours. M. M. ne
sait pas si les agresseurs ont appris leur erreur d’identification ; il craint également qu’il
réalise leur méprise s’ils le revoient.
Il annonce en outre : « Je veux reprendre mon travail, mais je me sens trop mal. »
Il n’a par ailleurs pas d’antécédent de trouble ou de suivi psychiatrique, ni d’habitude de
prise de toxiques.
Suite à cet entretien infirmier, sa situation est évoquée en synthèse pluridisciplinaire. Il
est décidé par l’équipe qu’il sera vu par une psychiatre dès que possible, c’est-à-dire à la
fin du mois, et orienté vers une prise en charge TCC. Il présente en effet des manifestations
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
post-traumatiques semblant directement liées à son accident, avec une demande « pour aller
mieux et reprendre son travail ».
Concernant la psychothérapie cognitivo-comportementale, nous avons eu un cas de
conscience. Les prises en charge des réactions post-traumatiques sont d’autant plus efficaces
qu’elles commencent tôt après l’événement traumatique (ET), car elles ont une action
bénéfique sur une des manifestations pathognomoniques de l’état de stress post-traumatique
(ESPT) : les reviviscences ou souvenirs intrusifs. Qu’est-ce donc ? Les études établissent
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que « les souvenirs intrusifs consistent principalement en de relativement brefs fragments
sensoriels de l’expérience traumatique » (Ehlers et al., 2004). Il s’agit d’images visuelles,
de perceptions olfactives, auditives, gustatives ou de sensations corporelles, ainsi que
d’intenses vagues d’émotions dites identiques à celles vécues au moment du trauma. Il est
possible que ces émotions envahissent seules le sujet, sans mode concomitant de rappel
conscient, dit « affect without recollection » (Ehlers et al., 2004). Ce qui caractérise avant
tout ces reviviscences est leur haut degré de détails perceptifs. Leur degré de vivacité,
i. e. de combinaison de clarté et d’aspect réel (Richardson, 1969, in Dovero, 1999), est
exceptionnel pour un souvenir. Ehlers, Hackman et Michael (2004) soulignent leur manque
d’interaction pathogène avec la mémoire autobiographique : les informations nouvelles
pouvant amener à des réévaluations des interprétations traumatogènes faites pendant
l’événement, n’y sont pas intégrées naturellement. Au contraire, un petit nombre de ces
souvenirs sont décrits comme stéréotypés, invariant au passage du temps et aux répétitions
multiples. Le mode de rappel des reviviscences est uniquement automatique. Cela les
rend plus occasionnels que les souvenirs traumatiques « ordinaires », mais également plus
174
spontanés et imprévisibles. Une fois déclenché, le rappel de ces souvenirs envahissants
est difficile à contrôler, même quand la personne est consciente d’être en train de se
souvenir (Hellawell et Brewin, 2002). Un certain contrôle sur le rappel peut être cherché
par l’évitement de ses déclencheurs, quand ils ont pu être repérés.
Durant une période de quelques semaines à quelques mois, les reviviscences sont considérées
comme faisant partie d’un processus d’intégration normale, quoique douloureux, de souvenirs
encodés dans des circonstances anormales. Elles sont ensuite comprises comme un échec de
cette tentative d’intégration, et la marque de l’installation dans une pathologie chronique
(McFarlane, 1988, in van der Kolk, 1996a). O’Kearney et Perrott (2006) font ainsi état d’une
corrélation significative, à un mois de l’ET, entre vivacité des souvenirs visuels traumatiques
et sévérité de l’ESPT développé. Shalev (1996) aboutit aux mêmes conclusions. Trois mois
après l’événement, si la fréquence et l’intensité des reviviscences sont identiques que lors
de l’état de stress traumatique aigu (immédiatement après les faits), elles risquent d’être
identiques cinq ans plus tard. C’est le cas pour 10 % à 20 % des personnes.
Ces travaux sur la chronicisation du trouble, passé ce délai de trois mois, ont amené à une
distinction diagnostique au sein du DSM, modélisé ainsi par C. Duret (2003).
8 • État de stress post-traumatique avec épisode dépressif majeur
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Figure 8.1.
Du fait du délai d’attente d’un mois et demi avant de pouvoir le recevoir à la consultation
TCC du CMP, soit plus de trois mois après l’accident, j’ai dans un premier temps tenté
d’orienter ce patient vers le centre de psychotraumatisme de Paris (CPIV), dans le XVIIe
175
arrondissement. J’ai contacté le patient pour lui expliquer notre démarche et lui donner les
coordonnées du CPIV, tout en lui proposant un RDV avec moi pour début juin, pour limiter
son sentiment d’insécurité. Il s’est néanmoins avéré que les délais d’attente du CPIV étaient
les mêmes... au soulagement du patient. Nous avons, à cette occasion, découvert que ses
évitements ne lui permettaient déjà plus de se rendre seul aussi loin de son domicile.
Voilà l’état de M. M. lorsqu’il rencontre la psychiatre fin avril.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
évitement des stimuli associés ; pensées, situations, amnésie, émoussement, perte des affects,
avenir bouché).
Ses cauchemars continuent, avec des réveils en sursaut (critère D). Il évoque un isolement assez
marqué : il ne voit pas beaucoup de monde. Il n’a pas parlé de son accident à sa famille, pour ne
pas les inquiéter. Il souffre enfin d’une certaine anhédonie, d’un ralentissement et d’hyperphagie,
sans avoir pour autant d’idée suicidaire.
Ces éléments sémiologiques, présents deux mois après les faits (critère E : la perturbation
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dure depuis plus d’un mois et entraîne une souffrance cliniquement significative ou une
altération du fonctionnement social) ont conduit la psychiatre à poser le diagnostic d’état de
stress post-traumatique associé à un épisode dépressif majeur. Cette comorbidité dépressive
est présente chez 50 % des personnes souffrant d’un ESPT (Kessler, 1995, in Lee et Young,
2001). De manière plus générale, un ESPT arrive rarement seul : entre 60 % et 100 % des
personnes présentent une comorbidité psychiatrique1 .
La psychiatre lui a prescrit un traitement anti-dépresseur et des anxiolytiques, confirmé
son orientation vers la TCC, et lui a donné rendez-vous deux semaines plus tard.
La rencontre avec la psychiatre a été la seconde occasion pour M. M. d’aborder son histoire,
mais aussi l’accident, de le décrire, ainsi que ses réactions. Cela peut être laborieux pour
les patients, mais ce récit, dans le cadre de liens thérapeutiques soutenants, fait partie
du processus qui permet à moyen terme l’intégration de l’événement traumatique dans la
mémoire autobiographique et l’histoire de vie. Nous y reviendrons.
176 Le deuxième rendez-vous avec la psychiatre a montré une amélioration des troubles du
sommeil, mais le maintien des reviviscences, des évitements et du repli social. Il a été
encouragé dans ses projets de visite de sa famille dans le nord. Lors du troisième rendez-vous,
un mois plus tard, il lui a appris qu’il n’y est pas allé, et que ses cauchemars étaient de
retour, d’où une modification du traitement. La TCC a commencé le même jour.
Les séances au CMP duraient 45 minutes ; celle-ci a duré plus d’une heure, mon agenda
s’allégeant à l’approche de l’été.
1. À titre informatif, outre l’EDM, les troubles comorbides principaux sont les troubles anxieux (phobie spécifique,
trouble panique, trouble obsessionnel, phobie sociale), les addictions, les dysfonctionnements sexuels, et les troubles
de l’axe II du DSM-IV-R.
8 • État de stress post-traumatique avec épisode dépressif majeur
Les premiers entretiens sont généralement semi-directifs, suivant une trame permettant de
repérer l’état du patient, les facteurs initiaux, de maintien et précipitant les troubles et
la consultation, les stratégies de coping actuelles du patient, ainsi que sa théorie de la
maladie, et sa représentation d’une TCC.
J’essaie également de penser systématiquement à poser la question de l’existence d’un
événement de vie « marquant » ou « traumatisant ». Sans être une adepte de la théorie du
« trauma originel », mes oublis sur cette question m’ont régulièrement amené à découvrir
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avec culpabilité, plusieurs mois ou années après, l’existence éclairante de tels événements...
Par exemple, des souvenirs d’humiliation adolescents encore très vifs dans le cas de phobie
sociale, et qui, restés tus et imprégnés de honte, peuvent favoriser les rechutes (Hackman
et Holmes, 2004). Autre illustration : une enquête nationale sur les violences envers les
femmes en France (2003) montre que 57 % des victimes de viols n’en ont jamais parlé à
personne avant l’enquête, qui était téléphonique ! Pourquoi ? On ne leur a jamais posé
directement la question avant... Cette donnée est d’autant plus choquante qu’étant donné
l’occurrence élevée d’ESPT suite à un viol, de l’ordre de 50 % (Foa et Rothbaum, 1998),
nous pouvons imaginer que ces femmes sont allées chez leur médecin traitant ou même
chez un thérapeute avant cette enquête, avec une plainte de mal-être.
Outre l’ignorance de ces chiffres, qu’est-ce qui peut amener un soignant à ne pas poser
la question de l’existence d’un événement de vie traumatisant ? Il peut y avoir l’idée que
« le patient en parlera quand il sera prêt ». Or l’évitement est un symptôme des réactions
de stress post-traumatique ; le patient n’est pas prêt à les évoquer de lui-même, d’autant
qu’ils vont le hanter pendant plusieurs jours ensuite. Par contre, une telle hypothèse de la 177
part du thérapeute peut amener pour le patient la reproduction du vécu de solitude absolue
traversé lors de l’ET. Le thérapeute peut par ailleurs considérer que c’est une question très
intime à poser pour une première rencontre. Soit. Nous pouvons alors la poser en deuxième
entretien, les patients venant en thérapie pour parler de leur intimité. Enfin, concernant
notre pudeur sur cette intimité à ne pas transgresser, comme le martèle G. Lopez, un
événement n’est plus de l’ordre privé du moment où il enfreint les lois. In fine, un patient
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
qui n’est pas prêt à évoquer un événement violent de son passé le dira, ou mentira, mais
il aura vu qu’il est possible d’en parler. Poser cette question ne m’a jamais semblé avoir
endommagé le lien thérapeutique. Si elle met la personne mal à l’aise, il est possible de
verbaliser avec empathie cette gêne, et de lui rendre le contrôle pour aborder plus avant
ce domaine : « Je vois que ma question vous met mal à l’aise, ce qui peut-être veut dire
que la réponse est “oui”, mais que cet événement reste très douloureux. Est-ce que c’est
le cas ? Est-ce que vous seriez d’accord pour m’en parler ?... Est-ce que vous préférez que
je pose des questions sur ce qui a pu vous arriver, et vous répondrez seulement “oui” ou
“non” ?... Ou vous préférez en parler plus tard, quand on se connaîtra un peu mieux, et pour
le moment vous préférez parler de ce qui vous arrive aujourd’hui ? »
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
Trame type
Pour revenir aux premiers entretiens, voici ma trame type :
1. Qu’est-ce qui vous amène à venir me voir ?
2. À quoi vous le voyez ? Comment cela se manifeste-t-il exactement ?
3. Comment cela a-t-il commencé ?
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4. Comment vous expliquez-vous ce problème ? Comment cela s’est-il développé
selon vous ?
5. Qu’est-ce qui vous amène à consulter maintenant pour votre problème ?
6. Autres problèmes ?
7. Comment faites-vous pour vous apaiser, vous calmer ?
8. Loisirs ?
9. Attentes par rapport à la psychothérapie ? Par rapport au psychothérapeute ?
10. Événements de vie marquants ?
Anamnèse
Cette trame type continue avec le recueil de données anamnestiques, qui dans le cas de
M. M. ont été évoquées lors des entretiens avec l’infirmière et la psychiatre.
178
Les voilà brièvement récapitulées :
• Naissance au Maroc, deuxième d’une fratrie de cinq.
• 1999 : immigration dans le nord de la France pour rejoindre sa compagne. Précarité de
sa situation professionnelle. Disputes dans le couple.
• 2003 : naissance de sa fille. Divorce du couple.
• 2008 : déménagement en Île-de-France pour un CDI comme conducteur de bus. Isolement,
même s’il se dit sociable. Soutien financier de sa mère veuve de 80 ans et de son frère
handicapé mental, qui vivent au pays, ainsi que de son ex-femme et de sa fille.
• Fin février 2011 : accident de travail, écrase le pied d’un jeune homme.
• Mars : prescription d’un somnifère pour cauchemars.
• Avril : consultation au CMP – début traitement antidépresseur.
• Juin : début TCC.
Le suivi de M. M. a été trop court, sa demande trop restreinte, pour une compréhension
plus riche de son parcours de vie et la constitution d’« une ligne de vie ». Je présenterai en
revanche une ébauche de théorie globale de M. M.
8 • État de stress post-traumatique avec épisode dépressif majeur
Le travail effectué en amont de la TCC a permis de se focaliser dès le premier entretien en TCC
sur l’ici et maintenant du patient, la compréhension de son état actuel et son soulagement.
Tableau clinique
Je me suis ainsi attachée à lui faire évoquer l’accident, pour commencer à l’exposer à
ses souvenirs et en évaluer l’intégration, ainsi que la présence d’un éventuel état de
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dissociation péri-traumatique. Cet élément de pronostic négatif est marqué par une réaction
très particulière de type paralysie ou freezing pendant l’événement, avec des altérations
sévères et involontaires de la conscience (Bourgault, 2008). Les patients ayant traversé l’ET
en état dissociatif présentent plus de reviviscences. Ils constituent la majeure partie des
sujets présentant ce que le DSM-IV-TR appelle un état de stress aigu (ESA) dans le mois
suivant l’ET, tableau clinique évoluant lui-même dans 60 % à 70 % des cas vers un ESPT.
C’est une tautologie de souligner que ces patients sont très évitants : ils présentent donc
un taux important d’arrêt de thérapie ou drop out. M. M. ne nous a pas semblé avoir vécu
cet épisode dans un état dissociatif, même s’il se décrit comme très choqué quand il a
réalisé avoir écrasé ce jeune homme : « J’étais tranquille, je n’ai pas compris tout de suite
ce qui venait d’arriver. » Il se sentait ensuite mal, tout en étant en mesure de suivre les
indications de la police avant de rentrer chez lui.
Nous avons également cherché à spécifier les autres éléments de psychopathologie, pour
déterminer ceux pertinents à travailler, ainsi que leur ordre.
179
Ma collègue psychiatre ayant décelé un état dépressif majeur, j’ai interrogé M. M. sur son
degré d’isolement et de soutien social. Il m’a dit aller voir sa fille de 6 ans, Aïcha, « de
temps en temps », et qu’elle lui manquait. Il n’avait pas trouvé de travail stable dans la
même région de résidence, et il devait donc vivre loin, sans la voir souvent car les trajets
coûtaient cher. Il n’avait pas de problème relationnel avec son ex-femme, même s’ils avaient
beaucoup de désaccords et de disputes quand ils vivaient ensemble.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
Depuis l’accident, il n’a plus vu ses collègues, sauf deux d’entre eux habitant la même
résidence, qu’il a croisés. Il a aussi vu des copains à la mosquée, mais ce ne sont pas des
amis. Il a de plus arrêté ses loisirs : le foot, la marche et la course, depuis février, à cause
de ses angoisses. Il regrettait de ne pas faire partie d’un groupe pour l’encourager. Quand je
lui ai demandé s’il était d‘un caractère solitaire, il m’a répondu être plutôt sociable, même
s’il ne parlait pas beaucoup de lui. Pour l’accident, il n’en a pas parlé à sa famille, pour ne
pas les inquiéter, ni à ses copains, sauf avec son ami Saïd.
Je lui ai alors demandé s’il dirait qu’il évitait d’en parler, et peut-être même d’y penser ; il a
acquiescé. Que se passait-il quand il y pensait (construction de l’analyse fonctionnelle, via
la recherche des conséquences) ? Il « faisait des images de l’accident ». J’ai alors exploré
le type d’images en cause : « Je vais me permettre de vous poser des questions sur les
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
images, même si je me rends compte que ça peut être dur pour vous, pour bien comprendre
ce qui vous arrive. Êtes-vous d’accord ? » Les souvenirs de M. M. étaient des images fixes,
sans son, ni bruit, ni odeur, sans sensation, ni « comme si », et ne s’enchaînaient pas
comme dans un vidéoclip ou un film, mais l’angoisse y était pareille à celle ressentie au
moment de l’accident. Ainsi la nature de ses reviviscences correspondait à la majorité de
celles recensées dans l’étude de Wenninger et Ehlers (in Ehlers et Steil, 1995), où 97 %
des sujets avaient des reviviscences visuelles, seules ou en combinaison ; dont 46 % des
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images simples, fixes. Ce type de question permet non seulement de faire évoquer le patient,
et donc de l’exposer aux souvenirs, mais aussi d’augmenter l’alliance thérapeutique et le
sentiment de contrôle du patient. En tant que thérapeute, nous montrons en effet notre
intérêt et notre compréhension de ce qu’il vit, ainsi que notre expertise, et notre capacité à
évoquer avec lui ce qu’il a traversé. En demandant au patient s’il est d’accord, en le laissant
en parler à son rythme, il peut progressivement retrouver un sentiment de contrôle sur ce
récit. D’autant que les caractéristiques les plus gênantes des images intrusives de l’ESPT sont
leur aspect involontaire et incontrôlable (Reynolds et Brewin, 1998), ainsi qu’inacceptable.
C’est d’ailleurs ce que nous a dit spontanément M. M. : « Je n’accepte pas cette situation,
je ne le méritais pas. Pourquoi il est venu sous le bus ? C’est pas juste. » Quand je lui ai
demandé si c’était important pour lui, que le monde soit juste, il m’a appris qu’il était le
seul soutien financier de sa famille en France et au pays. C’est pourquoi il voulait reprendre
le travail, avant de vivre une diminution de salaire à cause de l’arrêt maladie ; il avait des
responsabilités.
180 M. M. nous a donné là accès, via l’évocation du souvenir, au schéma cognitif qui semble le
plus abîmé par cet événement. Janoff-Bulman (in Brillon, 2005) postule en effet qu’un ET
provoquerait la violation des croyances fondamentales, qui seraient de quatre types et nous
permettraient de construire notre vie : « Je suis invulnérable », « Le monde est contrôlable,
prévisible, juste et ordonné », « La vie a un sens », « J’ai du mérite – et donc je ne mérite
pas le mauvais ». La violation de ces croyances, d’autant plus délétère que l’adhésion y
était rigide ou au contraire trop fragile, provoquerait un sentiment de perte (et donc de
tristesse) de la confiance en soi, en les autres, de liens avec les autres, du sentiment de
sécurité. Parfois, la simple évocation des souvenirs traumatiques et l’énonciation de ces
croyances, comme ici, permettent un retour progressif aux anciennes valeurs, alors que
leur remise en cause par l’expérience violente nécessite d’autres fois un long travail de
restructuration cognitive. À ce moment de l’entretien et de la thérapie, il ne semblait pas
opportun de discuter ces cognitions, mais juste de les reconnaître en hochant la tête.
J’ai ensuite demandé à M. M. si d’autres choses avaient changées depuis l’accident. Oui : il
avait peur d’être agressé par la famille du jeune homme ou par un groupe de jeunes, « avec
tout ce qu’on entend à la télé ». Est-ce qu’il évitait des choses en conséquence ? Il sortait
peu, seulement avec un copain. Pour venir au CMP, il portait une casquette et regardait le
sol quand il marchait, pour qu’on ne le reconnaisse pas.
8 • État de stress post-traumatique avec épisode dépressif majeur
D’autres choses qu’il évitait ? Oui : la route, les bus, les arrêts de bus, la ville de l’accident.
Se rappeler de l’accident de manière générale, et du choc. Qu’est-ce qui était dur quand il
pensait à l’accident (début de l’analyse fonctionnelle par la recherche des conséquences
auxquelles le patient veut échapper en évitant) ? « Penser au jeune homme de 19 ans qui
va être handicapé, même si j’y suis pour rien. » Que savait-il des suites de l’accident pour
le jeune homme ? Rien, si ce n’est qu’il n’avait finalement pas été amputé. Évitait-il le
journal télévisé (comme beaucoup de personnes ayant été acteur ou témoin direct d’un
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« fait divers ») ? Non.
Pouvait-il penser à d’autres choses qui auraient changé ? Son sommeil ?. Il avait eu une
nuit blanche, la première nuit suite à l’accident, puis, au début, des cauchemars fréquents
sur l’accident. Il lui arrivait encore d’en avoir, ainsi que des réveils en sursaut.
Arrêtons-nous maintenant sur la vision des comportements problèmes que nous pouvons
d’ores et déjà construire, dans un coin de notre tête, alors que nos questions révèlent
leur topographie. La suite de l’entretien, les préconisations que nous y ferons, découlent
directement de ces premières hypothèses sur les facteurs initiaux et de maintien de
ces comportements problèmes, encore dites « analyses fonctionnelles ». Ces analyses et
les théories qui les sous-tendent, sont autant d’outils de psychoéducation pouvant être
griffonnées en séance, à l’intention du patient.
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Figure 8.2. La mémoire émotionnelle
182
C’est sur cette base que Brewin, Dagleish et Joseh (1996, in Brewin, 2001) ont développé
le modèle cognitif de la représentation duelle : il existerait deux systèmes de mémoire,
affectés différemment par l’extrême niveau de stress, et produisant deux formes de souvenir :
VAM (mémoire verbalement accessible) et SAM (mémoire situationnellement accessible).
Décrivons leurs caractéristiques principales, et leur rôle dans les souvenirs d’un ET :
8 • État de stress post-traumatique avec épisode dépressif majeur
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Néanmoins, VAM serait sensible aux hormones du stress, i. e. désactivé dans la plupart des
situations traumatiques. Il serait donc le siège des souvenirs traumatiques « ordinaires »,
comprenant un contexte temporel et spatial, i. e. intégrés à la mémoire autobiographique
et verbalisables de manière adaptée à la situation de récupération. SAM serait le seul
fonctionnel en situation traumatique : les moments les plus durs de l’événement sont
donc encodés sous forme fragmentée, détaillée et sensorielle. Ces informations ne seraient
ensuite récupérables que via des souvenirs « spontanés » et relativement incontrôlables,
que nous appelons intrusions ou reviviscences.
Selon ce modèle, les reviviscences sont normales dans les suites immédiates d’un ET. Leur
fonction est de permettre le transfert de l’information excédante du système mnésique SAM
au VAM, grâce à une attention soutenue au contenu des reviviscences et à leur traitement
répété et détaillé. Il y aurait création d’un ESPT dans deux cas :
• de trop grands écarts entre les systèmes, à cause de la dissociation péri-traumatique ;
• des reviviscences trop aversives, qui amènent à une « phobie de la mémoire » selon les 183
termes de Janet (in van der Kolk, 1996b).
Ces modèles s’articulent parfaitement avec les théories de l’apprentissage concernant l’ESPT,
et amènent les mêmes préconisations thérapeutiques en termes d’exposition.
1. Une étude de Andrews et al. (2000), portant sur des victimes de crimes violents, montre la prédominance pendant
l’événement des émotions de peur, d’impuissance et, dans une moindre mesure, d’horreur, comme répertoriées
par le DSM-IV-TR. La présence d’autres émotions pendant les hot spots, et donc pendant les reviviscences, est sujet
à controverse. Les dernières recherches dévoilent la présence d’émotions pensées au départ « secondaires », i. e.
émergeant d’évaluations cognitives subséquentes. Il s’agit de la honte, la colère, la culpabilité, le dégoût, et la tristesse
(Hackman et Holmes, 2004). Ces émotions peuvent également être présentes lors des reviviscences en tant que
méta-émotions.
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
vont être associés à ces réactions inconditionnelles1 , provoquant à leur tour angoisse
et réactions d’évitement (réponses conditionnées). Ce mécanisme de conditionnement
classique expliquerait comment des éléments spécifiques non dangereux, mais présents
lors du traumatisme ou ressemblant à des éléments présents alors, acquièrent un statut de
signal d’alerte. Une fois activée, la perception d’un danger immédiat provoque les intrusions
et les phénomènes de reviviscence, l’hyper-activation neurovégétative, l’anxiété et autres
réponses anxieuses par association. Les exemples sont innombrables de ces stimuli neutres
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possibles : un moment de la journée, un lieu, un geste, une façon de respirer, une pensée,
une sensation comme la faim, ou une émotion (la peur), l’intimité... L’état d’activation
neurovégétative de certains stades du sommeil et de l’excitation sexuelle, en constituent une
autre illustration, d’où des cauchemars récurrents fréquents et des troubles de la sexualité.
Ces liens de conditionnement, on le voit, peuvent être inconscients, avec l’impression pour
le patient que la détresse vient de nulle part, une impuissance totale pour les comprendre
et les gérer.
Pour comprendre ce conditionnement classique, Foa propose l’existence en mémoire d’une
« structure de peur » de significations sur le monde, soi et les autres, enrichie par
apprentissage. Un ESPT serait dû à l’association indue dans ce schéma entre des éléments
non dangereux et le sentiment de danger (Foa et Rothbaum, 1998).
Voici des schémas construits en m’inspirant des structures de peur « normale » et
pathologique proposées par Foa (figures 8.4, p. 185 et 8.5, p. 185). Voilà à titre d’exemple
une structure de peur « normale » possible, suite à un viol commis à 18 heures par un grand
184 homme chauve armé d’un couteau.
Dans le cas d’une personne présentant un ESPT, ce réseau de compréhension est plus
complexe, i. e. plus d’associations se créent entre les différents éléments présents au moment
du danger. Ces associations sont autant de réponses conditionnées source d’émotions
intenses et douloureuses. Dans la figure 8.5, j’ai choisi d’appeler « réponses conditionnées »
celles se stockant autour de la représentation de danger seulement. Il est néanmoins
visible aux traits figurés que la représentation de soi de la victime se trouve également
« enrichie » de ses réactions au moment de l’agression. Elle se voit comme confuse,
vulnérable, incompétente, et associe sa réaction de stress avec ces adjectifs2 .
En termes diagnostiques, la patiente qui aurait une telle structure de peur souffrirait, en
plus d’un ESPT, d’un trouble panique avec agoraphobie et d’une phobie des couteaux.
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Figure 8.4. Conditionnement « normal »
185
Or, en termes d’analyse fonctionnelle, tous ses symptômes auraient la même fonction
(i. e. tendraient à la même conséquence) : échapper aux émotions associées aux souvenirs,
et seraient renforcés négativement par la même réponse, l’évitement. Mais nous anticipons
là sur le paragraphe suivant.
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Le sujet en évitant de se confronter à tout ce qui le ramène au trauma empêche l’exposition
au souvenir, qui pourrait seule permettre une extinction des symptômes angoissants
(conditionnement opérant). Selon Ehlers et Clark (2000), la menace perçue (apprise par
conditionnement classique) provoque une série de réponses comportementales et cognitives
qui ont pour but de réduire la menace ressentie et la détresse anticipée. Mais les stratégies
adoptées ont comme conséquences d’empêcher le changement cognitif et de rendre le
trouble chronique. Le risque de faire un ESPT existerait ainsi seulement si la personne
traite l’événement et/ou ses conséquences psychologiques de telle sorte que le sentiment
de danger reste toujours actuel. Nous revenons donc à la théorie des deux facteurs de
Mowrer (1960)1 , que nous allons formaliser dans une analyse fonctionnelle, en utilisant la
formulation SORKC (Stimulus — Organisme — Réaction — Contingences (K) – Conséquences)
de Kanfer et Saslow (1969). Comme le souligne de Vries (2010), cette grille « aide à situer
un comportement (problème ou pas) dans le contexte où il se produit... En fait cette
grille est un hybride didactique, intégrant le versant « pavlovien » de toute acquisition et
le versant « opérant », cause du maintien des troubles en intégrant les conséquences du
186 comportement-problème. (voir Figure 8.6, p. 187)
Justement, comment pouvons-nous résumer ce qui arrive à M. M., sous forme d’analyses
fonctionnelles reprenant ces modèles ?
1. D’autres modèles ont bien sûr été formulés pour intégrer les données historiques et la totalité des symptômes. Je
m’en tiendrai ici à ces quelques modèles, qui ont guidé ma démarche thérapeutique auprès de M. M., et sont très
facilement reproductibles en schéma de psycho éducation pour des patients qui ne comprennent pas ce qui leur
arrive, et en souffrent abominablement.
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187
8 • État de stress post-traumatique avec épisode dépressif majeur
et riche, comporte tous les éléments présents au moment de l’ET. Le moindre frôlement
d’un élément de la toile réactive tout, d’où sa réaction de peur ou ses flash-back face à un
simple bus. Rendre la toile moins sensible, assouplir le tissage, va nécessiter de reprendre
toute l’histoire, réexaminer tous les éléments qui la constituent.
Une fois l’analyse fonctionnelle répondante clarifiée, penchons-nous sur les analyses
fonctionnelles opérantes des comportements d’évitement de M. M.
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! Analyse fonctionnelle opérante « je ne sors pas »
Il dit éviter beaucoup de sortie dans le but de ne pas penser à l’accident. Nous pouvons
réfléchir à une première formalisation autour de cette hypothèse. Comme elle concerne
beaucoup de comportements problème, nous utilisons une AF résumée, i. e. regroupant
les comportements ayant la même fonction. Cette hypothèse autour des conséquences du
comportement problème nous amènera à certaines préconisations d’exercices.
Je vous propose, à partir du tableau clinique, de construire la SORKC de ce comportement
problème avant de la lire (figure 8.8).
188
Figure 8.8.
! Techniques en résultant
Cette SORKC, en soulignant les conséquences à long terme du comportement « je ne sors
pas » de M. M., éclaire l’articulation des différents troubles de M. M. Elle montre comment
ce comportement problème, associé à d’autres facteurs, a entraîné peu à peu son repli sur
soi et sa dépression. S’assemblent donc dans un coin de notre tête les premiers éléments de
8 • État de stress post-traumatique avec épisode dépressif majeur
l’analyse globale de M. M., outil d’analyse intégrant les différentes manifestations cliniques
dans un regard holistique et anamnestique, en insistant sur les mécanismes d’apprentissage
à l’œuvre. C’est le comportement-problème « je ne sors pas » qui a fait déprimer M. M.
Cette analyse fonctionnelle éclaire également les points à travailler :
• trouver des actions autres pour calmer les émotions : les techniques d’auto-régulation ;
• questionner ses pensées sur le schéma de justice, sur les pensées de responsabilité ;
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• l’aider à s’exposer aux situations déclenchant les souvenirs redoutés : sortir de chez lui,
conduire ;
• l’aider à s’exposer aux souvenirs redoutés.
Les TCC préconisent en effet d’exposer le patient à des souvenirs souvent abominables.
L’exposition est progressive, i. e. qu’on ne demande pas le récit détaillé dès le début,
au risque de ne jamais revoir le patient. Ce que la littérature internationale appelle les
hot spots, i. e. les moments du récit les plus durs, qui sont spontanément occultés de la
mémoire et/ou du récit par le patient, restent dans l’ombre assez longtemps, le temps de
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travailler à la reconstruction des ressources de la personne pour qu’elle puisse y faire face.
De même, nous veillons à questionner le projet de vie post-trauma, avant de demander
au patient de s’exposer que ce soit à des situations ou des souvenirs/sensations. Comme
toujours, il ne s’exposera pas pour s’exposer, mais seulement en lien avec un objectif ou
des valeurs qui lui tiennent à cœur. S’il estime qu’aller mieux veut dire retourner vers un
quartier/un travail/un couple qui le met de nouveau en danger, il sera « résistant ». Nous
gardons toujours en tête cette idée de théorie globale de la personne.
Constatant que cette évocation ne plongeait pas M. M. dans une détresse intense, je lui
ai posé des questions pour l’aider à la compléter. Partant de l’hypothèse, certes un peu
péremptoire (!), que la thérapeute est un modèle pour le patient (apprentissage vicariant),
j’ai pris soin de ne pas éviter moi-même les mots difficiles, tels qu’« écraser » : « Sur le
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
moment, Comment avez-vous compris que vous aviez écrasé quelqu’un ? Avez-vous senti
quelque chose de particulier en roulant sur lui ? Comment les autres passagers ont-ils
réagi ? La police ? Et après, vos collègues ? »
Une fois qu’il m’a eu expliqué, je lui ai demandé comment c’était d’en parler ici et maintenant.
Je souhaitais évaluer le degré d’intégration du souvenir, ainsi que vérifier mon impression
qu’il n’était pas trop éprouvé – tout en lui permettant de s’en rendre compte. Ressentait-il
les mêmes choses, la même perplexité, la même horreur, que lorsqu’il avait compris qu’il
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avait écrasé quelqu’un ?
À chaque entretien, nous nous efforçons de parler un peu de l’ET, de nous en approcher.
Lors de mes premières prises en charge, avant d’en discuter en supervision, je m’efforçais
de ne pas faire évoquer les patients en dehors du moment où le protocole préconisait
l’exposition, de peur de les plonger dans la détresse. En conséquent, en parler devenait
LE moment, source d’angoisse pour les deux parties. Je ne réalisais pas que ce faisant, je
reproduisais leur évitement, et leur tendance à s’exposer en tout ou rien, qui provoque tant
de sensibilisation justement.
Différentes techniques ou protocoles peuvent nous guider pour réaliser cette exposition plus
systématique aux souvenirs traumatiques : le protocole de Foa, de Resick, la perspective
narrative de Meichenbaum, le rescripting de Brewin et Hackmann, l’EMDR de Shapiro... Les
ouvrages Sabouraud Seguin (2001) ou de Brillon (2005) en développent certaines. Je n’en
parlerai pas davantage ici, puisque le patient a arrêté la thérapie avant cette étape.
190
! Questionnement socratique
Souvent, une partie de la restructuration cognitive se fait naturellement au fil de l’évocation
de l’accident. Elle permet d’en retrouver des aspects perdus et d’intégrer des informations
nouvelles qui remettent en cause les cognitions.
Dans le cas de M. M., comme je l’ai déjà écrit, je l’ai d’abord laissé parler de l’accident. À
un moment, il en est venu à dire : « Ce jeune homme a 19 ans et va être handicapé à vie,
même si je n’y suis pour rien. Je n’accepte pas la situation, je ne le méritais pas. Pourquoi
il est venu sous le bus ? C’est pas juste.». J’ai pris acte du sentiment d’injustice, i. e. de
tristesse et de colère, qu’il vivait. Il était, je pense, important de ne pas les questionner
dans un premier temps, de même que son sentiment de culpabilité. Il importe avant tout de
ne pas déculpabiliser à bas prix, avec des phrases toutes prêtes – d’autant que la culpabilité
peut être un levier pour un sentiment de contrôle mobilisateur. Je lui ai demandé s’il y
pensait souvent : oui, beaucoup. Et que faisait-il quand il y pensait ? Rien de particulier,
il essayait de ne plus y penser. Mais c’était dur, car il n’avait pas grand-chose à faire, ni
envie de grand-chose. Je notais là que M. M. avait peu de stratégies pour se défendre
face au tourment déclenché par l’accident, ce qui constituait une autre indication vers
l’apprentissage d’outils d’auto-régulation, que nous avons évoqués en fin d’entretien.
8 • État de stress post-traumatique avec épisode dépressif majeur
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demandé où il pouvait en trouver : à Paris, où il n’allait plus, puisqu’il ne sortait plus.
M. M. présentait un cas typique de dépression par « bas niveau de renforcement », tel que
décrit par Lewinhson, et qui peut être résumé ainsi au patient (de Vries, 2009) (figure 8.9).
Moins d’avtivités
Moins de plaisir
plaisantes
Moins d’envies
Moins d’activités
LA REMONTÉE
Difficile de faire
Clinophilie 191
Goût à rien Anhédonie
Aboulie
Apraxie
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EDM
Figure 8.9.
Dans un quotidien où les activités source de plaisir se raréfient, l’envie devient moins forte
de faire, de bouger. Les activités en pâtissent d’autant plus, le plaisir s’amenuise encore, et
s’enclenche un cercle vicieux où « j’ai pas envie » devient « je n’arrive plus à, je n’ai goût à
rien, je ne peux pas »... Le patient se retrouve avec un répertoire quotidien rétracté, un
vécu vidé, jusqu’à l’aboulie, l’anhédonie, l’apraxie de l‘état dépressif majeur.
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
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de la tête. » En vue des éléments présentés supra, ce commentaire était un élément de
pronostic favorable à la prise en charge. Il dénotait aussi de l’établissement d’une bonne
relation thérapeutique.
Nous avons alors convenu qu’il serait bien qu’il recommence à faire des choses qu’il aimait.
Peut-être aller voir sa fille, comme il l’avait prévu il y a quelque temps avec la psychiatre.
Demander des mots croisés à des copains, comme occasion de contact et possibilité de
se concentrer aussi sur autres choses que l’accident ? Je lui ai demandé d’y réfléchir, et
de recommencer quelques petites activités, pour la séance suivante. Souvent, l’activation
comprend une dimension physique, le fait de recommencer à marcher, etc. Ici, étant donné
les peurs de sortir de M. M., je ne l’ai pas préconisé dès la première séance. Nous avions
d’autres aspects à discuter auparavant, en lien avec l’hypothèse d’une deuxième fonction
au comportement « je ne sors pas ».
En revenant au récit de M. M., quelle serait la deuxième conséquence à laquelle M. M.
souhaitait échapper en ne sortant pas ?
192
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Figure 8.10.
autre côté, en étant moins tendus, la plupart des patients arrivent à mieux vivre et à
progressivement s’exposer davantage, aux situations comme aux émotions qu’elles suscitent.
Le sentiment de contrôle permet souvent de moins le chercher. Ma pratique est donc
d’apprendre tous ces outils à mes patients, et de voir ensuite ce qu’ils en font. S’ils en
profitent pour éviter les sensations et émotions, nous faisons alors de l’exposition plus
directe aux sensations/émotions.
Dans le cas de M. M., notre long premier entretien touchait à sa fin. Je n’ai pas pris le
temps de pratiquer avec lui en séance la respiration diaphragmatique ni la relaxation. Il
avait une demande claire et semblait m’avoir placée dans un rôle d’autorité qui lui inspirait
du respect... et probablement de l’observance ! Je lui ai donc demandé s’il était d’accord
pour apprendre des techniques pour être moins tendu, à pratiquer deux fois dans la journée,
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
dont une avant de dormir ; et éventuellement une fois supplémentaire après un cauchemar.
Auquel cas, je lui enverrais la séance à écouter par email, il pourrait la télécharger, l’écouter
sur un téléphone lecteur MP3 ou la graver sur un cédérom. Comme tout apprentissage, ça
marcherait parfois... et parfois ça ne marcherait pas. Nous verrions ensemble la prochaine
fois si ça lui avait plu, et si ça avait pu l’aider à se détendre. M. M. a accepté.
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Nous avons fini l’entretien en récapitulant ce que je lui proposais de mettre en place dans
son quotidien pour avancer vers un mieux-être : recommencer à faire des choses, aller voir
sa fille, voir un peu plus ses copains, et la relaxation. Je les ai notés dans mon dossier, et
lui ai demandé de les noter aussi.
Enfin, je l’ai interrogé : « Comment ce premier entretien s’était-il passé ? Qu’avez-vous
trouvé de positif ? Qu’avez-vous moins aimé ? » Il est toujours étonnant de voir qu’une
partie des patients livrent alors leur auto-évaluation, preuve d’une radio critique toujours
branchée : ils ont été assez clair, ont réussi à bien résumer... D’autres nous disent leur
surprise d’avoir beaucoup parlé, mais que ça fait du bien : « Au moment de parler de tel et
tel aspect, ça a été dur ; au début vous aviez l’air un peu jeune, mais finalement je vois que
vous savez ce que vous faites ; là ça va, mais bon, il n’y a que moi qui ai parlé... Je ne pourrai
savoir si vous êtes bien qu’après d’autres séances », etc. Outre le feedback permettant de
s’ajuster et l’éventuelle réassurance de mes schémas de performance et d’approbation (!),
194 ce bilan donne l’occasion de souligner l’importance de l’alliance thérapeutique. En effet,
selon les conclusions de méta-analyses sur l’efficacité des facteurs, (Wampond, 2001), elle
compterait pour 24 % à 45 % de la réussite d’une prise en charge, alors que les techniques
ne compteraient que pour 8 % — qu’en bons TCC-istes nous considérerons comme non
suffisants mais nécessaires ! La demande sur les attentes permet de même d’instaurer une
concordance d’objectifs, le deuxième pilier de cette alliance, selon la conception tripartite
de Bordin (1994)1 . J’ai ainsi ajouté : « C’est essentiel que vous sentiez que ça se passe
bien pour vous, que vous ayez le sentiment que vous pouvez me faire confiance. Les études
sur l’efficacité des psychothérapies montrent que la relation thérapeutique est LE facteur
prédictif de la réussite de votre thérapie. Donc, c’est vraiment important que vous me
disiez si quelque chose se passe mal. Je peux être maladroite, ne pas me rendre compte,
ou que sais-je. » Pour finir, cette question bilan initie deux apprentissages qui seront
souvent essentiels dans la thérapie : d’une part, il est possible d’exprimer des critiques,
sans que son interlocuteur ne se sente attaqué, et sans remettre d’emblée en cause la
1. Selon Bordin, les deux autres piliers de l’alliance thérapeutique sont la confiance et l’accord quant aux moyens
pour atteindre les objectifs communs. Cette conception a donné lieu à une échelle, la Working Alliance Inventory
(1994), utilisé pour mesurer cet effet non spécifique dans les études sur l’efficacité des thérapies.
8 • État de stress post-traumatique avec épisode dépressif majeur
relation. L’apprentissage vicariant permet, en outre, de voir que faire des erreurs est possible
pour tous, et n’est pas grave. Le thérapeute accessible permet l’appropriation progressive
d’une forme d’estime de soi où il n’y a pas (trop !) d’amalgame entre erreurs et valeurs
(professionnelle, personnelle).
M. M. m’avait alors confirmé mon impression que l’entretien s’était bien passé. « Parler
de tout ça » lui avait fait du bien, il se sentait à l’aise pour continuer avec moi. Rien de
particulier qui lui avait déplu, contrairement à ce qu’il avait craint en rencontrant une
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psychologue.
! Théorie globale
Voici comment de Vries définit la théorie globale1 : c’est « la compréhension psychologique
de l’ensemble des problèmes pour réfléchir sur et formaliser tout au long d’une thérapie,
cette histoire singulière d’expériences et d’apprentissages qu’est la personne unique en face
de nous. Il s’agit d’une construction progressive d’un cadre, basé sur des connaissances
psychologiques et de la psychopathologie (expérimentale), sur des mécanismes et processus,
où viennent s’intégrer les éléments d’une histoire personnelle d’apprentissages et qui donne
la logique des troubles. Il en découle des hypothèses de construction des troubles à explorer
par des analyses fonctionnelles ».
Après cette séance, j’ai commencé à construire une théorie globale articulant les éléments
recueillis au cours de cet entretien et par mes collègues, pour comprendre comment s’était
construit l’état actuel de M. M. 195
Pour cela, j’ai écrit sur une A4 ses comportements problèmes actuels et traits de personnalité
saillants, et commencé à tracer des flèches entre ces aspects de son état, pour marquer
les mécanismes et ordres chronologiques les reliant. Je vous invite, en vous reportant une
fois de plus au récit de notre entretien, à vous y entraîner. Voilà les hypothèses résultant
de mon analyse (les éléments en gris foncé sont ceux ne découlant pas des processus
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1. À ce sujet, et pour mieux cerner les différences avec les analyses fonctionnelles, il est également possible de lire
l’article de De Vries (2010).
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Figure 8.11.
Notre deuxième rendez-vous a eu lieu une semaine plus tard, et n’a duré que 30 minutes au
lieu des 45 habituelles, M. M. étant le dernier patient, et ma consultation ayant pris du
retard.
à terme être muté dans le nord par sa société de bus, qui y était implantée. Cela semblait
être un joli projet, pour lutter contre son isolement et le motiver à reprendre la conduite
du bus... dans la mesure où M. M. ne conditionnait pas sa reprise à cette mutation ! Si M.
M. avait refusé de reprendre son travail avant une mutation, ce projet aurait fait partie des
symptômes d’évitement du patient, et aurait été discuté1 . Je notais cette demande à l’ordre
du jour de la synthèse institutionnelle hebdomadaire à venir, pour un soutien éventuel de sa
demande par ma collègue psychiatre, en lien avec les soins suite à son accident du travail.
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Les « bénéfices secondaires » pouvaient jouer en faveur de la reprise de la conduite ! M.
M. prévoyait d’ailleurs de retourner voir sa fille à l’occasion de la fête de son école, quinze
jours plus tard, si ses finances le lui permettaient.
Là-bas, il s’était occupé d’elle normalement, avait pu sortir, mais ici, il était resté chez lui.
probabilité qu’ils le reconnaissent dans un autre contexte, avec d’autres vêtements, dans
la rue ? Avaient-ils souvent vu des passagers réguliers de sa ligne dans sa ville ? Si oui,
l’avaient-ils reconnu ? Ceux qui pourraient le reconnaître, qui le connaissaient bien, qui
étaient-ils ? Surtout des personnes âgées, des mères avec enfants, etc. Qu’est-ce qui lui
faisait penser qu’elles lui feraient du mal ou le « dénonceraient » ?
1. Il arrive par exemple que des personnes travaillant dans la banque et victimes de plusieurs braquages se sentent
incapables de se confronter de nouveau à ce risque. Si la personne estime que retourner au travail la met en danger
de mort, il peut être plus adéquat de l’aider à construire un nouveau projet de vie, autour d’un nouveau métier, et de
travailler les évitements généraux (guichets de banque, caisses de supermarché, pharmacie...), que d’insister pour une
reprise complète. Dans ce cas, l’ESPT développé amène pour la médecine du travail à l’établissement d’une inaptitude
à leur poste.
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avait rappelé les versets sur la protection divine qu’il connaissait, sous laquelle il pouvait
se placer. J’ai ainsi découvert que M. M. était très croyant, et que parmi ses stratégies
efficaces pour conjurer l’angoisse se trouvaient la lecture du Coran, les prières à la mosquée
et les discussions avec l’imam. Ce patient très discret et pudique n’avait pas partagé ces
informations avec moi, mais seulement avec ma collègue de même confession.
Une fois M. M. un peu moins certain qu’il se ferait agresser s’il sortait à découvert dans la rue,
nous avons établi une hiérarchie sommaire des expositions possibles, sans quantification et
en mélangeant les expositions concernant les sorties et la conduite. J’ai répété la nécessité,
pour aller mieux et reprendre son travail, de recommencer les actes de sa vie d’avant, mais
doucement, sinon il risquait d’avoir trop peur et de ne plus oser ensuite. Voilà ce qu’il en
reste dans son dossier :
1. De manière générale : exposition seule > avec moi > avec Saïd
2. Sortir à pied, Paris = C., ville des environs (̸= ville de l’accident) < ville de résidence
198 3. Sortir dans les transports : bus à Paris (pas de problème) < RER pour aller à Paris < bus
dans les environs
4. Conduire une voiture, ville de résidence > Paris (mais pas de problème pour être passager)
5. Conduire un bus
Exercices
Nous nous sommes arrêtés là pour cette séance, en réitérant la prescription des exercices
précédents : la relaxation, s’activer, peut-être sortir accompagné jusqu’à Paris pour acheter
des mots croisés en arabe ? Et réfléchir à des situations possibles pour recommencer
tranquillement à conduire.
8 • État de stress post-traumatique avec épisode dépressif majeur
J’ai noté comme « à voir la fois suivante » la possibilité d’écrire une lettre au jeune homme,
puisque M. M. avait évoqué en fin d’entretien souffrir de ne pas avoir de nouvelles et de ne
pas se manifester auprès de la famille de ce garçon. Le sujet était trop important pour être
discuté rapidement.
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ET DE L’EXPOSITION
La séance suivante, la troisième, a eu lieu quinze jours plus tard ; elle a duré 45 minutes.
Il avait réfléchi à des situations possibles suite à notre brève hiérarchie, et il lui semblait
possible de reprendre la voiture pour emmener Saïd au travail, dans sa ville de résidence
ou à l’aéroport, les deux lieux de travail de son ami. Pour lui, prendre sa ville de résidence
comme destination était plus simple, la distance étant plus courte. Il ne craignait pas de
faire seul le trajet du retour.
Je lui ai proposé de visualiser cette situation pendant notre séance pour s’y préparer, i. e.
se la représenter très concrètement, comme si elle arrivait, tout en utilisant les exercices
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de respiration et un discours de réassurance. Il devrait lever la main pour me signaler les
moments où sa tension monterait à 5 ou plus sur son échelle personnelle de tension. Je lui
demanderais alors de rester sur cette image, et de respirer doucement par le ventre comme
au début de l’exercice de relaxation, et nous trouverions un monologue pour le détendre.
Quand sa tension redescendrait, il lèverait de nouveau la main, et nous reprendrions le
déroulé de la situation. Il était d’accord pour essayer. M. M. m’a dans un premier temps
décrit la situation, l’heure à laquelle elle aurait lieu (le matin quand il y a peu de monde sur
les routes), son petit-déjeuner, le trajet pour aller jusqu’à sa voiture, la lumière du matin,
le type de voiture, son odeur, la musique qu’il aimait y écouter pour se détendre, le trajet
jusqu’à chez Saïd puis jusqu’à son travail, de 30 minutes aller-retour, avec le type de routes
empruntées.
Nous avons alors commencé l’exposition en imagination par une courte séance de relaxation
de Jacobson, et j’ai suivi la description donnée quelques instants plus tôt par le patient,
en y insérant un monologue d’apaisement.
200 À la fin de cet exercice, M. M. se sentait bien. Il estimait la visualisation réaliste (aspect
à évaluer systématiquement, de même que dans les suites immédiates d’un jeu de rôle),
n’avait pas eu de montée d’angoisse trop marquée, et, plus important, avait pu les gérer
avec la respiration et un discours type, que j’avais constitué à partir de ce qu’il m’avait dit :
« J’ai peur, mais ce n’est pas dangereux » ; « je suis tendu car je n’ai pas conduit depuis
longtemps ; la dernière fois, il est arrivé un accident, mais je n’étais pas responsable. Si je
suis prudent, comme je le suis habituellement, je suis en sécurité » ; « je suis tendu, je
vais essayer de me détendre » ; « C’est un souvenir terrible qui me revient, mais je ne peux
rien y faire, j’essaie de continuer à vivre ma vie. »
Exercices
Arrivant en fin d’entretien, je lui ai demandé s’il lui serait possible de refaire cette
visualisation seul à la maison. Quand les patients ont un téléphone avec dictaphone,
j’enregistre la séance, pour qu’ils puissent s’y exposer de nouveau ensuite, car c’est un
exercice difficile sans support. M. M. était d’accord. S’il sentait ensuite qu’il le pouvait,
je lui proposais d’essayer d’emmener effectivement Saïd au travail, si possible plusieurs
8 • État de stress post-traumatique avec épisode dépressif majeur
fois pour que prendre sa voiture soit de plus en plus naturel. Avec certains patients, il est
nécessaire de fixer les modalités d’un exercice, d’en définir ensemble l’heure, la date, le
nombre de fois, quand avec d’autres, ces directives sont infantilisantes, ou tout simplement
inutiles. J’estimais que c’était le cas avec M. M., qui se montrait impliqué dans sa thérapie.
Je lui rappelais également de se renseigner auprès de la caisse d’assurance-maladie sur
les délais avant le passage en demi-traitement. Pour finir, je l’informais que ma collègue
psychiatre approuvait son idée de demande de mutation dans le Nord. Je l’encourageais à
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lui en parler, et à se renseigner sur les villes où sa société était implantée.
« Spiritualité et résilience »
1. Du soignant.
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soutenu par le travail effectué en TCC.
Au début de cette séance d’une heure, qui a eu lieu une semaine après la précédente, M.
M. m’a appris avoir reconduit avec Saïd, comme prévu. L’aller comme le retour s’étaient
bien passés.
Comme je l’avais noté comme « élément à voir », je lui demandais où il en était dans sa
réflexion sur un contact éventuel avec le jeune homme ou sa famille. M. M. en était au
même point, qui peut être résumé ainsi : il aurait voulu prendre des nouvelles et manifester
de l’intérêt pour ce jeune homme qui pourrait rester estropié suite à cet accident, mais
avait très peur des représailles s’il se montrait ou se rappelait au souvenir de la famille. Ici,
et c’est l’une des particularités de cette prise en charge, mon rôle n’était pas de discuter la
réalité de ce danger : la banlieue en question a été le théâtre de manifestations de violence
lors des émeutes de 2005, et son collègue pris pour lui a été battu. Il était plutôt d’aider le
patient à mettre en place des stratégies de coping efficaces pour se protéger de ce danger,
dut-il se manifester.
202
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M. M. pensait être prêt à essayer de reconduire son bus, et nous avons établi une hiérarchie
pour le lui permettre :
1. Aller manger avec ses collègues. Moment toujours agréable, et l’expose à la peur d’être
reconnu, qui se confond avec celle de conduire.
2. S’asseoir au volant d’un bus à l’arrêt, au dépôt.
3. Être présent sur la ligne d’un collègue pendant un service, sans tenue de travail. Au
début, s’installer en tant que passager derrière le chauffeur, et vérifier son hypothèse :
« les usagers regardent le chauffeur » ; « les usagers reconnaissent le chauffeur ».
Noter le nombre de passagers répondant à ces critères sur leur nombre total, et les
caractéristiques des usagers en question.
4. Idem, en tenue de travail.
5. Être présent sur sa ligne pendant que son remplaçant conduit. Vérifier ses hypothèses.
203
6. Conduire sur une autre ligne.
Mais M. M. ne souhaitait pas changer de ligne, pour ne pas gêner ses collègues, chacun
ayant des jours et horaires réguliers.
Pourtant, il craignait d’être reconnu s’il reprenait, surtout le premier jour
L’établissement de cette hiérarchie a fait émerger deux contre-arguments à la reprise de la
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conduite, qui peuvent être résumés par le problème suivant : « Je souhaite reprendre la
conduite du bus, mais j’ai trop peur (sachant que le danger d’agression existe), et je ne
souhaite pas gêner mes collègues. »
Nous avons donc eu recours à l’outil « tableau de résolution de problème ». J’en notais les
éléments pour le patient au fur et à mesure que nous les trouvions.
Tableau 8.1.
Solutions Avantages Inconvénients
Aller chez eux pour Se sentir moins coupable en Danger : ils pourront
prendre des nouvelles montrant sa sollicitude. l’identifier. Peut-être
l’agression était-elle de leur
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→ Mais coupable de quoi ?
Êtes-vous responsable de fait. Si un seul des
l’accident ? Bien-fondé de la membres de la famille veut
démarche de réparation se venger, il pourra ensuite
Avoir des nouvelles, ne plus l’identifier ; ou les amis du
être dans l’incertitude JH peuvent forcer un petit
frère à l’identifier.
Peur qu’ils confondent
intérêt et responsabilité, et
qu’ils en concluent qu’il est
responsable de l’accident –
et cherchent à se venger.
Sentiment de danger
Ça peut être un peu brutal
pour eux, de le voir arriver
sur leur pas-de-porte. Peur
de leur réaction : qu’il se
sente coupable face à leur
colère ou réactivation de
leur désir de vengeance
Appeler pour prendre des Avoir des nouvelles Peur de confusion entre
nouvelles Montrer sa sollicitude sollicitude et responsabilité –
204 danger
Ça peut être un peu brutal
pour eux de recevoir sans
préavis un appel de lui.
Peur de leur réaction : qu’il
se sente coupable face à
leur colère ou réactivation
de leur désir de vengeance
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Attendre qu’ils prennent Ne le rappelle pas à leur Ils pourront l’identifier. Peur
contact via son travail et souvenir
leur parler alors Montrer sa sollicitude
Avoir des nouvelles
!Solution la moins pire : prendre des nouvelles via la société + discuter avec son chef
au cas où la famille se manifeste
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
Il est fréquent que ce type de tableau aboutisse à des jeux de rôle. Pour le tableau 8.2
(p. 206), j’ai de nouveau proposé à M. M. de jouer en jeu de rôle les demandes à son chef,
concernant le dispositif particulier qu’il souhaitait pour se sentir en sécurité le jour de sa
reprise. Il n’en avait pas besoin.
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
Tableau 8.2.
Solutions Avantages Inconvénients
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des horaires réguliers.
« Vous vous réveillez, et ça y est, c’est le matin de votre reprise. Vous ressentez de la sérénité,
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vous savez que vous êtes prêt, que vous et votre société avez tout fait pour que cette journée,
tant attendue, se passe bien. Vous enclenchez votre routine du matin, douche, habillage,
petit-déjeuner en écoutant la radio, et vous vous sentez serein. Vous allez jusqu’à votre voiture,
en prenant le trajet habituel, écoutez de la musique jusqu’au travail, et vous savez qu’à tout
moment, si vous sentez l’angoisse monter, vous pouvez respirer doucement par le ventre, jusqu’à
ce que vous vous sentiez mieux. Cette tension est l’expression d’une peur, pas d’un danger. »
Nous avons continué ainsi l’exposition en imagination. En fin d’exercice, le patient l’a
estimé réaliste et a confirmé se sentir mieux armé pour sa reprise, à laquelle il aspirait.
! Exercices
Pour la séance suivante, il avait pour tâche de continuer la relaxation, les sorties, aller
manger avec ses collègues et s’installer au volant d’un bus à l’arrêt au dépôt. Il ne pouvait
pas se rendre à la fête de l’école de sa fille, mais prévoyait d’y aller pour les vacances. Nous
n’avons pas fixé de RDV pour la suite, car M. M. ne savait pas quand il en rentrerait. 207
! Fin du suivi
Ce quatrième entretien s’est révélé être notre dernier. M. M. n’a pas repris de RDV. Le suivi
d’un ESPT peut donc être rapide, si la prise en charge débute rapidement après l’événement
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BIBLIOGRAPHIE
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Vanessa Harscoet
Chapitre 9
Anxiété sociale
Le cas de Thomas
210
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SOMMAIRE
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Dimension cognitive de l’anxiété sociale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 217
Dimension émotionnelle de l’anxiété sociale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 218
Conséquences du trouble d’anxiété sociale dans la vie des patients 219
Cas clinique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 220
Anamnèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 220
Objectifs de la thérapie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 222
Diagnostic et évaluations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 223
Analyse fonctionnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 224
Schéma thérapeutique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 227
Bénéfices de la thérapie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 237
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 240 211
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 241
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
ÉLÉMENTS THÉORIQUES
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Le trouble d’anxiété sociale est décrit comme une peur persistante et intense d’une ou
plusieurs situations sociales ou de performance, durant lesquelles un individu est exposé au
regard de personnes non familières ou à l’observation attentive d’autrui. L’individu craint
alors d’agir ou de montrer des signes d’anxiété de façon embarrassante ou humiliante. Ce
diagnostic n’est porté que s’il entraîne une détresse émotionnelle intense et une perturbation
importante des habitudes de vie de l’individu. Chez les enfants et les adolescents, ce trouble
n’est diagnostiqué qu’après six mois d’observation des symptômes.
La phobie sociale peut être décrite comme généralisée (si elle est étendue à l’ensemble
des situations sociales), non généralisée (si elle ne s’observe que dans quelques situations)
ou spécifique (si une seule situation sociale est redoutée). Dans la majorité des cas, le
diagnostic s’étend à l’ensemble des situations sociales.
Les individus souffrant d’anxiété sociale sont décrits généralement comme ayant une faible
confiance en eux, un sentiment d’infériorité vis-à-vis des autres, une hypersensibilité à la
critique et une peur d’être rejeté ou jugé négativement par l’autre. Les émotions de peur et
212 de honte sont donc au cœur du trouble d’anxiété sociale.
partie d’un « spectre d’anxiété sociale » laissant à penser qu’il est nécessaire d’affiner la
symptomatologie. Il n’existe pas d’instruments de mesure de l’anxiété sociale chez les enfants
de moins de six ans. Selon Bögels et Tarrier (2004), une anxiété sociale sévère pourrait
débuter chez le nourrisson par une peur intense de l’étranger. L’inhibition comportementale
serait un autre critère observable chez le très jeune enfant (Rapee et Spence, 2004).
L’âge précoce d’apparition des symptômes pourrait expliquer la forte chronicité du trouble
d’anxiété sociale (la durée médiane du trouble est de vingt-cinq ans). Des épisodes
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dépressifs ou la présence d’un autre trouble anxieux chez l’enfant peuvent s’associer
à la symptomatologie (Strauss et Last, 1993). À l’adolescence et à l’âge adulte, il peut
s’accompagner d’un trouble d’abus de substances (DeWit, 1999). Néanmoins, il apparaît dans
la plupart des cas que lorsqu’il y a coexistence avec un autre trouble, le trouble d’anxiété
sociale est présent en premier. Les signes précoces d’apparition pourraient expliquer cette
prééminence (Lewinsohn, 1997).
Des études menées chez des jumelles ont suggéré l’existence d’une composante héréditaire
de l’anxiété sociale (avec concordance de la phobie sociale de 24,4 % chez des jumelles
monozygotes, et de 15,3 % chez des jumelles dizygotes selon Kendler, 1992). En outre, le
risque de développer une phobie sociale est plus élevé chez les enfants dont les parents
de premier degré souffrent eux-mêmes de ce trouble, en particulier s’il s’agit d’une phobie
sociale généralisée (risque de transmission évalué à 26,4 % par Stein, 1998) (Mannuzza,
1995 ; Stein et Chavira, 1998 ; Perugi, 1990).
213
! L’anxiété sociale et la timidité
Des études ont cherché à identifier le lien entre timidité et anxiété sociale. La timidité
pourrait être décrite comme un trait de caractère ou un tempérament non pathologique
conduisant les individus à se positionner en retrait au sein d’un groupe (Carducci, 1999 ;
Stein, 1999). Les différences avec le trouble d’anxiété sociale se situeraient dans l’existence
chez les individus anxieux de mécanismes d’anticipation et d’évitement systématiques des
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situations anxiogènes. S’ils peuvent ressentir de la gêne, les individus timides, y compris les
enfants, n’adopteraient pas de comportements d’évitement et ne focaliseraient pas toute
leur attention sur eux-mêmes en situation sociale (Vera, 2009). Pour ces auteurs, la timidité
se distinguerait donc en termes qualitatifs.
D’autres auteurs évaluent plutôt les différences en termes de degrés. Chavira (2002) fait
ainsi le lien entre l’anxiété sociale et la timidité selon un continuum. Il propose de
définir la phobie sociale comme une timidité extrême, et décrit le caractère timide comme
un facteur de risque d’apparition du trouble d’anxiété sociale. Ce risque concernerait
particulièrement les individus souffrant d’un trouble d’anxiété sociale généralisée plutôt
que ceux souffrant d’un trouble d’anxiété sociale spécifique. Les résultats d’une étude de
Heiser (2009) cherchant à distinguer phobie sociale et timidité ont partiellement validé
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
cette hypothèse d’un continuum, tout en observant la possibilité chez certains individus
de combiner timidité extrême sans peurs sociales. Il suggère ainsi d’orienter les recherches
sur les éléments qui ont pu protéger ces individus du développement d’un trouble anxieux.
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s’est intéressé au milieu familial. Selon cet auteur, il est indispensable d’y porter attention
dans la mise en place du traitement thérapeutique étant donné la précocité d’apparition du
trouble. En outre, le milieu familial constitue le lieu principal où les enfants apprennent à
interagir socialement et où ils se construisent des modèles comportementaux d’interactions
sociales.
Parmi ces modèles comportementaux, on retrouverait fréquemment chez les familles à risque
de développement d’un trouble d’anxiété sociale la mise en place d’évitements de situations
sociales. Les parents ayant des difficultés à interagir socialement ne s’exposeraient pas
eux-mêmes et n’exposeraient pas suffisamment leurs enfants à des situations sociales
variées et nouvelles.
Un autre comportement à risque serait la présence importante d’une évaluation parentale
négative. Confronter les enfants à des feed-back négatifs développerait chez eux une
hypersensibilité aux évaluations négatives des autres.
entre parents et enfants avec un haut niveau d’anxiété sociale étaient évalués comme moins
nombreux et plus soumis à des commentaires négatifs que les échanges entre parents et
enfants non anxieux.
Quelques études ont cherché à distinguer les comportements maternels et paternels en
jeu dans l’émergence du trouble d’anxiété sociale. Coplan (2008) a montré qu’on pouvait
observer une présence plus importante de comportements d’inhibition comportementale
et de fragilité émotionnelle chez des enfants en maternelle dont la mère était elle-même
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confrontée à une fragilité émotionnelle. Des traits de personnalité de type « névrosisme »
ou « sensibilité à la menace » marqués qui peuvent conduire à une surprotection maternelle
ont également été évalués comme un facteur de risque.
Peu d’études portent spécifiquement sur la relation père-enfant. Lamb (1980) a néanmoins
montré qu’un attachement précoce sécure père-enfant pouvait avoir un impact positif
dans l’orientation future de l’enfant vers des situations sociales nouvelles. Dans une autre
étude, Lamb (1982) a montré que la relation père-enfant joue un rôle spécifique dans la
protection du très jeune enfant face à l’anxiété sociale et à la peur de l’étranger. Selon
cette étude, ce n’est pas l’attachement mère-enfant, mais l’attachement sécure père-enfant
qui semble avoir un impact positif sur la sociabilité des enfants d’un an avec les personnes
étrangères. Quelques années plus tard dans le développement de l’enfant, Parke (2004) a
montré que les comportements de jeu paternels, plus que les comportements maternels,
ont une influence dans le développement de la compétence sociale de l’enfant. Dans cette
étude américaine, ce sont les enfants qui passaient le plus de temps dans des activités
physiques et manuelles avec leur père qui étaient les plus appréciés par leurs camarades. 215
Les pères qui partagent des activités ludiques avec leurs enfants sembleraient favoriser
chez eux la curiosité, l’autonomie, l’activité et l’esprit de compétition.
Les échanges père-enfant auraient donc un impact positif et spécifique sur le développement
cognitif et social, et pourraient également compenser l’anxiété de séparation, la peur de
l’étranger et la peur de la nouveauté en jeu dans le développement de l’anxiété sociale
(Bögels et Phares, 2008).
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
susceptible d’être observé chez les enfants qui présentent une inhibition comportementale
que chez les autres. Les recherches mettent donc en évidence la spécificité du lien entre
inhibition comportementale et trouble d’anxiété sociale, d’autant plus qu’aucun autre lien
avec un trouble anxieux n’a pu être démontré. Certains auteurs ont même suggéré que
l’inhibition comportementale et l’anxiété sociale devraient être considérées comme faisant
partie d’un même continuum développemental (Rettew, 2000).
D’un point de vue physiologique, une étude de Kagan (1987) a par ailleurs révélé chez
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les jeunes enfants montrant des signes d’inhibition comportementale une plus grande
activation des axes sympathico-limbiques, également observée dans la neurophysiologie
des troubles anxieux chez l’adulte.
L’évitement du regard constitue un autre comportement fréquemment observé chez les
enfants et les adultes souffrant d’un trouble d’anxiété sociale. Ce processus s’installe
alors comme un comportement sécurisant pour eux. Or nous savons que le jugement
de compétence sociale est associé à un bon contact visuel, puisqu’il représente un des
signes sociaux de première importance adressé aux autres. Il semble donc particulièrement
important de porter attention à ce comportement en thérapie.
Mogg (1997) relie les comportements d’hypervigilance et d’évitement du regard. Selon cet
auteur, une personne souffrant d’anxiété sociale aura tendance à être particulièrement
attentive au fait de repérer une émotion négative sur le visage d’autrui ; immédiatement
après, elle aura tendance à éviter ce stimulus interprété comme menaçant pour elle. Le
comportement d’hypervigilance-évitement a donc une fonction défensive de protection de
216 la menace, mais il aura pour conséquence de ne pas permettre aux individus en faisant
usage de s’habituer à la variabilité des émotions ou d’apprendre à les réévaluer (par
exemple réévaluer le froncement d’un sourcil comme un signe de concentration et non plus
comme un signe de désaccord) (Bögels et Mansell, 2004). Horley (2003) a constaté que les
individus anxieux sociaux passent moins de temps que les autres à examiner les traits de
première importance du visage (les yeux) dans une tâche de présentation de photographies
d’expression faciale. Il a interprété ces résultats comme une tendance à l’évitement des
signaux faciaux d’évaluation sociale chez les anxieux sociaux.
Cette hypervigilance chez les individus souffrant d’un trouble d’anxiété sociale s’accompagne
également d’une attention hyper-focalisée sur soi (Fernandez, 2007). Higa et Daleiden
(2008) ont montré que comme chez les adultes, dans une tâche de présentation de soi à
autrui, les enfants qui souffrent d’anxiété sociale sont tellement à l’écoute d’eux-mêmes
qu’ils ignorent plus que les autres leur environnement. Ils ont tendance à ne pas repérer les
indices sociaux qui pourraient leur permettre d’ajuster leur comportement et à ignorer les
feed-back positifs qui pourraient réduire leur sentiment de menace.
Dans la thérapie, l’objectif sera donc de modifier ces comportements qui favorisent
l’émergence du trouble d’anxiété sociale et entretiennent sa chronicité. Les comportements
9 • Anxiété sociale
d’évitement des situations sociales constituant le principal mécanisme mis en œuvre dans le
développement de l’anxiété sociale chez l’enfant, les techniques d’exposition aux situations
évitées occupent une place privilégiée dans le processus de soin.
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assimiler des situations neutres ou non dangereuses à des situations conformes à leur
schéma de peurs. Chez les patients anxieux sociaux, ces biais cognitifs sont donc renforcés
par une mauvaise interprétation du regard et des émotions des autres.
Parmi ces biais cognitifs, il a été démontré que les enfants souffrant d’anxiété sociale
ont eux aussi une mauvaise interprétation de la menace (une situation neutre sera perçue
comme menaçante) et qu’ils ont tendance à prédire l’échec d’une situation sociale, alors
même qu’on met à leur disposition des données semblant indiquer le contraire. Ils ont par
exemple tendance à interpréter une interaction neutre avec un enfant de leur âge qu’ils ne
connaissent pas comme l’indication que ce pair les juge ennuyeux et qu’il ne veut pas être
leur ami (Higa et Daleiden, 2008).
Outre des biais cognitifs vis-à-vis des autres, les enfants anxieux sociaux commettraient
également des erreurs d’interprétation vis-à-vis d’eux-mêmes. De nombreuses études ont
montré un déficit de compétences sociales chez ces enfants (Segrin et Flora, 2000).
Toutefois, d’autres ont postulé qu’il s’agirait plutôt d’un déficit de confiance en leurs propres
217
compétences sociales, déficit qui augmenterait leur anxiété en situation sociale. Ainsi, une
étude de Cartwright-Hatton (2005) a comparé deux groupes d’enfants âgés de 10-11 ans
(faible niveau d’anxiété sociale versus haut niveau d’anxiété sociale) dans une tâche où ils
devaient participer à une conversation avec un adulte inconnu. Ils ont comparé l’évaluation
des compétences sociales effectuée par des observateurs indépendants à l’évaluation par
les enfants de leurs propres compétences sociales. Les observateurs indépendants n’ont pas
été capables de distinguer les enfants anxieux des enfants non anxieux. Par contre, les
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enfants anxieux ont estimé qu’ils avaient montré plus de comportements d’anxiété que les
autres (plus de rougissement, plus de bégaiement).
Si un système de croyances inadaptées a été repéré chez les adultes souffrant d’anxiété
sociale, ce mécanisme serait ainsi déjà actif chez l’enfant.
Intervenir en thérapie sur les distorsions cognitives des enfants concernant la perception
qu’ont les autres de leur nervosité en situation sociale semble donc être un axe indispensable
dans le traitement du trouble d’anxiété sociale. Hofmann (2004) a par ailleurs démontré
qu’une intervention thérapeutique sur les biais cognitifs d’interprétation des patients
phobiques sociaux est plus efficace pour maintenir à long terme les bénéfices du traitement
qu’une thérapie traditionnelle basée uniquement sur des expositions.
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
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Certains auteurs tendent à montrer que cette suractivation émotionnelle peut s’installer très
tôt chez l’enfant. Ils formulent l’hypothèse que les formes sévères d’anxiété sociale dans
l’enfance peuvent débuter avec une peur focalisée sur les personnes nouvelles qui persiste
au-delà de la petite enfance alors même que la peur de l’étranger est un phénomène normal
et adaptatif de la première année de vie de l’enfant (Thompson et Limber, 1990).
Gerull et Rapee (2002) ont étudié la transmission des émotions d’anxiété des parents envers
leur enfant. Ils ont montré que les enfants pouvaient ressentir des émotions anxieuses
par l’observation des expressions faciales de leurs parents confrontés à des situations
stressantes.
Une variabilité du ressenti et une instabilité émotionnelle chez les patients souffrant
d’anxiété sociale ont également été observées par Kashdan et Stenger (2006). Ils se sont
ainsi attachés à décrire l’impact des variations émotionnelles sur le ressenti des expériences
vécues chez les patients souffrant d’anxiété sociale. Ils ont montré que les individus évalués
218 comme ayant de l’anxiété sociale indiquaient éprouver plus d’émotions positives et de façon
plus intense les jours où ils ressentaient moins d’anxiété sociale et où ils se sentaient
plus en capacité d’accepter et d’exprimer leurs expériences émotionnelles. En dehors de la
fluctuation du niveau d’anxiété, la reconnaissance, l’expression et l’acceptation du vécu
émotionnel sembleraient donc jouer un rôle dans le ressenti des événements de vie chez
les patients anxieux sociaux. Les auteurs indiquent qu’au-delà des procédés thérapeutiques
classiques comme l’exposition dans le traitement de l’anxiété sociale, il apparaît nécessaire
d’entraîner les patients à accepter les émotions négatives, les images, les sensations
corporelles liées aux situations évitées comme étant simplement une composante naturelle
de l’être humain. Ainsi, accepter et exprimer un ressenti émotionnel négatif permettrait
également de pouvoir repérer, en retour, les événements émotionnellement positifs. À
ce titre, des études sur l’effet de la méditation pleine conscience dans le traitement de
l’anxiété sociale ont été menées. Bögels, Sijbers et Voncken (2006) ont notamment montré
un bénéfice des techniques de mindfulness chez des patients souffrant d’anxiété sociale,
en particulier sur leur peur de l’évaluation négative. Ces techniques pourraient également
jouer un rôle dans l’acceptation, l’expression et la gestion du vécu émotionnel des patients
souffrant d’anxiété sociale.
9 • Anxiété sociale
Au-delà des bénéfices apportés par l’exposition des patients phobiques sociaux aux
interactions sociales, Faytout et Swendsen (2009) ont également montré l’importance des
contacts sociaux sur le bien-être émotionnel des personnes souffrant d’anxiété sociale. Selon
eux, les adultes souffrant d’anxiété sociale ressentiraient plus de bénéfices émotionnels
des contacts sociaux que les adultes non anxieux. Cette hypersensibilité émotionnelle des
patients anxieux, bien gérée, pourrait donc accompagner de façon positive l’amélioration
du sentiment de bien-être des patients dans la thérapie en complément des phases
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comportementales et cognitives.
Durant leur scolarité, les enfants souffrant d’anxiété sociale peuvent rencontrer des
difficultés à répondre aux questions en classe, à lire à voix haute et à réciter devant
les autres. L’anxiété élevée et répétée ainsi que la focalisation excessive portée au regard
de l’autre peuvent avoir un impact sur leurs capacités d’attention et de concentration, et
les conduire dans les cas extrêmes à l’émergence d’un refus scolaire anxieux.
Plus tard, au niveau professionnel, les adultes souffrant d’anxiété sociale connaissent un
taux de chômage plus élevé que les autres. Ce trouble aurait également un impact sur leur
performance et leur assiduité au travail (Wittchen, 2000).
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
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semble particulièrement efficiente dans l’amélioration et la pérennisation des bénéfices de
la thérapie. Inclure les parents en tant que co-thérapeutes et agir sur ces trois dimensions
semble donc un chemin à suivre dans le traitement du trouble d’anxiété sociale chez l’enfant.
CAS CLINIQUE
Anamnèse
! Origine de la demande
Thomas M. a 9 ans. Il est en classe de CM1 et il a une sœur de trois ans, Emma. Madame
M., la mère de Thomas, a décidé d’emmener son fils consulter un thérapeute suite à un
220 entretien qu’elle a eu avec sa maîtresse. En effet, cette dernière a estimé que Thomas avait
des réactions émotionnelles de plus en plus fortes en situation sociale. Il tremble lorsqu’elle
l’appelle au tableau, rougit ; elle le sent bloqué lorsqu’il doit réciter une poésie et il s’isole
de plus en plus dans la cour de récréation. L’épisode de la poésie s’est accompagné de
moqueries des camarades de Thomas vis-à-vis de son rougissement qui l’ont beaucoup
affecté.
! Histoire du trouble
Selon Madame M., son fils est timide depuis tout petit. Elle indique l’avoir déjà emmené
consulter un psychologue pour ces raisons-là lorsqu’il avait cinq ans, ce qui lui avait permis
de s’extérioriser un peu. Elle a toutefois décidé d’arrêter le suivi au bout de trois ou quatre
séances. Malgré ses problèmes de timidité, Madame M. estime que son fils a connu un
développement normal. Thomas est un enfant très calme et sans problème. Concernant ses
activités extrascolaires, il a toujours préféré les jeux vidéo et regarder la télévision. Mme M.
indique que ça lui permet de ne pas s’inquiéter et de le savoir en sécurité.
9 • Anxiété sociale
Thomas a quelques amis, mais il a toujours été difficile pour lui de lier connaissance. Il
adopte souvent un comportement effacé avec ses pairs et il exprime de la gêne lorsque des
adultes s’adressent à lui. Il n’aime pas être le centre de l’attention d’autrui.
! Problématique familiale
De son côté, Madame M. dit avoir toujours été sensible au regard des autres. Elle a
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connu une scolarité difficile parce qu’elle était seule et avait peu d’amis. Elle a subi des
moqueries autour de son prénom qu’elle trouvait démodé. Elle a d’ailleurs fait des démarches
administratives afin de le changer. Elle a été très vigilante en ce qui concerne la nomination
de ses enfants. Elle a privilégié des prénoms modernes, doux mais non originaux afin d’éviter
les moqueries. Madame M. a occupé un emploi de bureau avant la naissance de ses enfants.
Elle est maintenant mère au foyer. Monsieur M. est quelqu’un de plutôt effacé et très investi
professionnellement. Il possède sa propre entreprise dont il est l’unique employé. Monsieur
M. est souvent absent de la maison et peu présent auprès de ses enfants.
Le couple a peu d’amis. Madame M. éprouve des difficultés à rencontrer des gens, et de
toute façon, elle pense que les gens sont méchants et qu’il faut s’en protéger. Elle dit
avoir perdu ses amis parce qu’elle ne parlait pas assez et qu’ils ne la comprenaient pas.
Elle préfère donc se consacrer à la maison et à ses enfants même si elle a pour projet de
retrouver prochainement du travail.
Concernant l’éducation de ses enfants, Madame M. dit qu’elle ne se sent pas à la hauteur.
Elle a peur de leur dire des choses et de leur faire du mal. Lorsqu’ils font des caprices, elle 221
a peur de les gronder et que ça les inhibe encore plus. Elle se sent particulièrement en
difficulté avec Emma qui a fréquemment des crises de colère. Pour y faire face, elle demande
à Thomas de jouer avec elle. Madame M. décrit Emma comme tyrannique et bavarde à la
maison, mais ayant des difficultés d’adaptation à l’école. Elle est en première année de
maternelle, et depuis la rentrée scolaire qui a eu lieu plusieurs mois auparavant, elle ne
parle pas et n’accepte pas de faire les activités qu’on lui demande en même temps que
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les autres. Madame M. incite fortement Thomas à aider sa sœur à parler à l’école et à la
protéger dans la cour de récréation. La maîtresse d’Emma a également convoqué Madame
M., s’inquiétant de son mutisme et de sa mauvaise intégration scolaire.
Madame M. éprouve un sentiment de honte vis-à-vis de la mauvaise intégration de ses
enfants. Chaque matin, en les emmenant à l’école, elle les incite à parler mais ça ne
fonctionne pas.
Thomas a vécu plusieurs situations de prise de parole en classe qui lui ont été difficiles. Il
s’est senti rougir, trembler, transpirer, avoir le cœur qui s’emballe et ne plus savoir quoi
dire. Il lui arrive même maintenant de perdre ses moyens lorsqu’il va faire un exercice
de mathématiques au tableau. Cette matière est pourtant son point fort et il y a encore
quelques mois, il levait souvent la main pour y aller. Désormais, il préfère éviter cette
situation par peur que les autres remarquent sa gêne et se moquent de lui.
Au début de l’année scolaire, Madame M. avait décidé que ses deux enfants resteraient pour
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le déjeuner à la cantine afin de lui laisser du temps pour faire ses recherches d’emploi.
Emma ne s’y est pas adaptée et refusait de manger. Thomas, lui, mangeait souvent seul.
Madame M. est revenue sur sa décision et ses enfants rentrent de nouveau à la maison pour
la pause de midi.
Madame M. indique également que Thomas allait jouer au football de temps en temps
avec ses copains en dehors de l’école. Il y va désormais de moins en moins, il passe plus
de temps devant les jeux vidéo et il s’isole de plus en plus à la maison. Madame M. a le
sentiment que le malaise de son fils est accentué lorsque des adultes s’adressent à lui ou
lorsqu’il croise des camarades dans la petite ville où ils habitent.
Enfin, un événement récent a également inquiété les parents de Thomas. Lors d’un repas
familial, Monsieur M. a ri d’une erreur de langage de Thomas qui a très mal réagi. Il s’est
mis à pleurer et s’est senti très affecté des moqueries de son père. Depuis cet épisode,
Monsieur et Madame M. n’osent plus rire par peur de vexer leurs enfants.
222
Objectifs de la thérapie
L’objectif de la thérapie est donc de prendre en charge le trouble d’anxiété sociale de Thomas.
Thomas dit souffrir particulièrement des relations difficiles avec ses camarades de classe. Il
aimerait pouvoir réciter une poésie, une leçon ou aller au tableau comme les autres sans que
l’on se moque de lui. Il aimerait aussi se sentir moins seul et réussir à aller vers les autres.
La prise en charge de Thomas va donc s’orienter vers un travail d’évaluation et d’entraînement
aux habiletés sociales, de transmission de techniques de gestion et de contrôle émotionnel,
et de modification des cognitions et croyances dysfonctionnelles en situation sociale. Ce
travail sera complété par des séances d’affirmation de soi.
Étant donné la problématique familiale autour du trouble d’anxiété sociale de Thomas,
l’implication des deux parents dans la thérapie est encouragée.
9 • Anxiété sociale
Diagnostic et évaluations
! Diagnostic à partir du DSM-IV (1994)
Thomas souffre d’un trouble d’anxiété sociale généralisé. Le diagnostic à partir du DSM-IV
n’inclut pas de critères spécifiques dans le tableau clinique de l’anxiété sociale chez l’enfant,
hormis une durée des symptômes phobiques qui doit être supérieure à six mois.
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Les critères suivants ont été retenus dans le diagnostic du trouble d’anxiété sociale de
Thomas :
! Évaluations
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Tests passés
• RCADS — Revised Child Anxiety and Depression Scale, Chorpita (2000) : cette échelle
évalue l’intensité de cinq sous-catégories d’anxiété (anxiété de séparation, phobie
sociale, TOC, trouble panique, trouble d’anxiété généralisé) et la présence de symptômes
dépressifs.
• MASC – Multidimensional Anxiety Scale for Children, March (1997) : cette échelle évalue
l’anxiété de séparation et l’anxiété sociale. Elle inclut également une mesure de
l’évitement du danger et des symptômes physiques d’anxiété.
• CDI — Children Depression Inventory de Kovacs et Beck (1977) : cet inventaire évalue
l’intensité de la dépression.
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
Résultats
Les passations des échelles d’anxiété multidimensionnelle pour enfants (MASC) et d’anxiété
et de dépression révisées (RCADS) ont confirmé la présence d’un trouble anxieux chez Thomas.
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Dans ces deux échelles, les scores d’anxiété sociale sont les plus élevés. La passation de
la MASC indique également une présence assez importante chez Thomas de symptômes
physiques d’anxiété. Toutefois, aucun autre trouble anxieux associé n’a été mis évidence.
La sous-échelle « dépression majeure » de la RCADS ne montre pas de symptômes dépressifs.
Des résultats conformes à la moyenne lors de la passation de l’inventaire de dépression de
l’enfant (CDI) confirment également l’absence d’une symptomatologie dépressive.
Concernant l’inventaire de tempérament EAS, l’échelle d’activité met en évidence la présence
d’un comportement inhibé chez Thomas avec une intensité et une fréquence des réponses
motrices évaluées comme faibles ainsi qu’une timidité très élevée (mesurée dans cet
inventaire à partir de la tension ressentie et du niveau d’inhibition face à des personnes
non familières, Bouvard, 2008).
Analyse fonctionnelle
224
! Analyse fonctionnelle à partir de la grille SECCA (Cottraux, 2011)
La situation cible est la prise de parole en classe. La symptomatologie anxieuse de Thomas
s’est particulièrement manifestée dans cette situation. Elle semble être à l’origine du
déclenchement des symptômes phobiques.
Synchronie
Voir Figure 9.1 page suivante.
Diachronie
Voir Tableau 9.1, page 226.
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bonne image de la famille
Facteurs historiques de • Surprotection maternelle : pas de développement de
maintien possibles l’autonomie
• Indifférence paternelle ressentie par Thomas
• Soumission de Thomas aux exigences de sa sœur
soutenue par les comportements parentaux
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227
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Figure 9.2. Schéma général de l’installation de la symptomatologie anxieuse (passage d’une timidité
à une anxiété sociale élevée chez Thomas)
Schéma thérapeutique
Durant tout le déroulement de la thérapie, les tâches systématiques assignées entre les
séances étaient : au moins deux exercices de relaxation/méditation par semaine, la tenue
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
du journal des expériences et au moins une exposition. Dès le premier entretien, un contrat
thérapeutique oral avec Thomas et ses parents a été formulé de façon à les sensibiliser au
fait que ces tâches étaient primordiales pour le bon déroulement de la thérapie.
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tissage par imitation.
Aller sonner chez son voisin pour lui proposer de jouer au foot 7
Répondre au téléphone 4
situations les moins anxiogènes de façon à faciliter leur réussite et à renforcer le sentiment
de compétence du patient à vaincre ses peurs. Il s’agit également d’épargner le patient d’un
risque de renforcement de l’évitement phobique en cas d’expositions non réussies. Dans
le cas de Thomas, une méthodologie comparable à la thérapie d’immersion a pourtant été
mise en place, puisque sa maîtresse n’a pas souhaité déroger à la règle d’interroger chaque
enfant très régulièrement. Elle lui a cependant permis de réciter sa leçon dos aux autres
élèves. Les expositions à la situation la plus redoutée par Thomas ont donc été travaillées
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dès la troisième séance par l’intermédiaire d’expositions en imagination puis de jeux de rôle.
Concernant les expositions en imagination, Thomas a été confronté au contenu anxiogène
de ses images mentales, lié au fait de réciter en public, tout en se relaxant jusqu’à obtenir
une baisse de l’anxiété.
Concernant les jeux de rôles en séance, les situations ont varié : réciter le dos tourné, réciter
en étant face à l’interlocuteur mais sans le regarder, réciter en regardant l’interlocuteur.
Le thérapeute a d’abord adopté un ton neutre, puis a introduit des commentaires. Dans
chacune des situations, Thomas était invité à arrêter l’exposition lorsque l’anxiété était
trop forte, et le thérapeute introduisait un exercice de relaxation jusqu’à ce que l’anxiété
ait diminué d’au moins deux points.
Afin de travailler sur la sensation « d’oublier ce qu’il a appris au moment de le réciter », des
exercices de relaxation ont accompagné la défocalisation de Thomas vis-à-vis de sa peur.
L’objectif était de rendre le contenu mnésique de nouveau accessible en désinhibant sa
mémoire d’évocation.
229
Le travail d’exposition a été expliqué à Madame M. et elle a été invitée à reproduire les
exercices à la maison avec son fils. Elle a été incitée à repérer ses propres mises en place
d’évitements dans le but de protéger Thomas, lesquels ont certainement joué un rôle dans
l’amplification de ses symptômes anxieux. Ainsi, il a par exemple été convenu que Thomas
retournait à la cantine.
Au bout de trois séances d’exercices de ce type et de deux expositions in vivo, Thomas a
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est venue à son aide. Thomas a été très vexé d’avoir perdu ses moyens alors qu’il avait réussi
peu de temps auparavant à aller au tableau en classe. Le travail effectué sur sa gestion
émotionnelle a été repris, et cette situation a été l’occasion d’évaluer les compétences
sociales de Thomas. Il a été observé que Thomas savait formuler une demande et adopter
un comportement adapté. Il a néanmoins été convenu que deux compétences nécessitaient
d’être travaillées : l’intonation de la voix et l’évitement de regard.
Des jeux de rôle en variant les intonations de voix ont été mis en place. Thomas était invité
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à donner son avis sur l’intensité et le débit vocal qui lui semblait adapté. Il avait tendance
à parler trop bas par peur de se faire remarquer, et trop vite pour être certain de pouvoir
dire ce qu’il avait à dire et s’échapper au plus vite de la situation. Les jeux de rôle ont été
reproduits jusqu’à atteindre une intensité et un débit adaptés, ainsi qu’un niveau de stress
faible. Les techniques d’apprentissage par imitation ont été utilisées afin de permettre à
Thomas, par l’observation, de se construire des représentations plus élaborées de la situation
sociale. Il s’agissait également pour lui de pouvoir reproduire des conduites plus adaptées
à l’interaction et d’augmenter ainsi son sentiment d’efficacité personnelle (Bandura, 2003).
Concernant l’évitement du regard, il était effectivement difficile d’avoir un bon contact
visuel avec Thomas. Il a été sensibilisé au fait que des informations pouvaient lui échapper
en ne regardant pas suffisamment les autres, et que les idées qu’il se faisait sur ce que les
autres pensent de lui étaient sûrement bien pires que ce qu’il aurait pu lire sur leur visage.
Des jeux ont donc été introduits entre les séances : soutenir le plus longtemps possible le
regard de quelqu’un, essayer de faire soi-même puis de reconnaître chez l’autre un regard
230 triste, gai, en colère, qui réfléchit... afin de comprendre, de s’habituer et de dédramatiser
ce qui peut être lu sur le visage de l’autre.
Outre ces exercices, en accord avec Thomas, la tâche assignée entre les séances a été de
retourner dans le magasin et de reformuler sa demande. Cette seconde exposition s’est bien
passée et Thomas a fini par apprécier d’aller de lui-même formuler des demandes en magasin.
L’évaluation des compétences sociales a également été l’occasion pour Thomas d’exprimer sa
difficulté à trouver des sujets de conversation, notamment avec ses pairs. La façon d’initier
des conversations avec un adulte ou avec un enfant a été abordée. Thomas a indiqué qu’il
ne trouvait jamais rien à dire et qu’il ne disait rien d’intéressant, comparé aux autres. Un
travail d’observation des conversations à la cantine et dans la cour de récréation lui a été
proposé. Cette expérience a été positive pour Thomas, il a eu la sensation de s’amuser et il
s’est rendu compte qu’il retrouvait souvent les mêmes sujets de conversation (jeux vidéo,
dessins animés, films, football, famille).
L’une des caractéristiques de l’anxiété sociale étant cette impression erronée d’être sans
cesse observé et évalué par l’autre, il s’agissait également dans cet exercice de placer
Thomas dans une position active d’observateur afin de le distancier de cette croyance. Après
9 • Anxiété sociale
ce recueil d’information, il s’est senti capable d’aborder ces sujets de lui-même, prenant
ainsi un peu de recul par rapport à sa peur du regard critique d’autrui.
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assouplissement des schémas de pensée.
Tableau 9.3. Extrait du journal des situations sociales vécues par Thomas
Situation Évaluation Émotions Comportements Cognitions
de la Ce que je Ce que je fais Ce que je pense
situation ressens
(+/–)
Thomas avait pour consigne de remplir le tableau 9.3 seul, ou avec l’aide de sa mère s’il le
souhaitait. La plupart du temps, le travail sur les cognitions était approfondi et complété
en séance.
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
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évaluées comme négatives afin d’essayer de faire émerger de plus en plus de situations
vécues comme positives en dehors des séances.
En complément des expositions, voir évoluer le nombre de situations positives au fil des
séances a permis de soutenir la motivation de Thomas et de travailler sa confiance en ses
compétences sociales à partir de résultats concrets.
À partir de ces outils, d’autres scénarios distanciés de ces biais cognitifs ont donc été
élaborés avec Thomas. Le but était de l’aider à se construire une représentation de la réalité
9 • Anxiété sociale
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L’activation de ces schémas avait par ailleurs été observée à travers la tenue du journal,
ainsi que lors du travail de recueil des pensées à partir des bandes dessinées et des dessins
animés. Systématiquement, apparaissaient des pensées de type : « Je suis/il est moins
drôle que les autres, moins fort que les autres... » ou : « Je n’aurai/il n’aura pas d’amis, il
ne sait pas comment faire pour avoir des amis et il se sent seul. »
Exemple illustrant l’activation de ces schémas à partir d’une image extraite d’une bande
dessinée : un garçon sur le bord d’un stade regarde d’autres garçons jouer au football.
L’objectif est de permettre à Thomas un déblocage des situations qui lui paraissent sans
issue lorsque ses schémas sont fortement activés. Il s’agit d’assouplir sa façon de penser
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afin de trouver des portes de sortie plus efficaces pour son développement cognitif et
relationnel que les stratégies d’évitement mises en place de façon automatique.
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siennes.
Guider Thomas dans son processus d’auto-construction cognitif vers une vision plus large
de la réalité avait pour but d’éviter une déformation cognitive durable et rigide validant ses
croyances anxieuses. D’autre part, afin de décentrer Thomas de ses cognitions et émotions de
honte à l’idée de rougir, il a été envisagé avec lui d’autres situations typiques du rougissement
(avoir chaud, avoir froid, être allergique, avoir une pigmentation particulière...).
Permettre au patient de prendre du recul par rapport à sa symptomatologie anxieuse est donc
une composante essentielle du traitement de l’anxiété sociale. Une mise à distance du vécu
des sensations désagréables, des émotions négatives et des pensées dysfonctionnelles est
nécessaire, pour que le patient retrouve sa spontanéité et puisse avoir accès aux éléments
positifs de l’interaction.
Enfin, dans un troisième temps, la technique de la « flèche descendante » a été utilisée de
façon à accéder au scénario catastrophe de Thomas concernant son éreutophobie.
Ils vont penser que je suis faible et que je ne sais pas me défendre
Je suis un garçon et je suis l’aîné, je dois me montrer fort dans la cour de récréation pour protéger
ma sœur.
Si je n’y arrive pas, ma mère, ma sœur et mon père seront déçus de moi et je me sentirai seul.
Figure 9.3.
9 • Anxiété sociale
À cette étape de la thérapie, inclure de nouveau les parents en tant que co-thérapeutes
semble donc nécessaire afin de permettre à Thomas de dépasser ce type de pensées
auto-défaitistes.
Les parents de Thomas ont ainsi été sensibilisés aux styles d’éducation favorisant un terrain
anxieux (rejet parental ; Rapee, 1997). Ils ont été encouragés à augmenter les échanges
valorisants et les comportements de chaleur affective encourageant la construction d’une
image positive de soi chez l’enfant.
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Cette étape a également permis d’aborder la relation de Thomas avec sa maman, et de
repositionner son rôle par rapport à sa sœur aussi bien à la maison qu’à l’école. Le père
de Thomas a été sensibilisé au fait qu’un partage d’expériences et d’activités avec son fils
pourrait aussi l’aider à trouver sa place et à reprendre confiance dans ses relations avec ses
pairs.
cognitive, afin d’apprendre à Thomas à défocaliser son attention des contenus anxiogènes.
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dire un compliment et exprimer ses émotions, savoir dire non.
Dire non
Ce comportement a tout d’abord été travaillé à la maison vis-à-vis de sa sœur. Il a semblé
important d’émanciper Thomas des réactions affectives d’Emma. En effet, Madame M. avait
tendance à demander à Thomas de jouer avec Emma afin qu’elle ne fasse pas de caprices. Avec
l’accord des parents, à qui il a été expliqué que cette injonction renforçait la non-affirmation
de Thomas en situation sociale, ce comportement a été modifié. Thomas a été incité à
refuser de jouer avec sa sœur lorsqu’il n’en avait pas envie.
9 • Anxiété sociale
Il en a été de même concernant les attentes de Madame M. sur le fait que Thomas devait
aider Emma à se sentir mieux à l’école et la protéger. Madame M. a été encouragée à être
plus précise dans sa demande (dans quelle situation elle pense qu’il devrait intervenir et de
quelle façon). Il a été également convenu que le mutisme sélectif d’Emma devait être géré
indépendamment de Thomas.
D’autre part, Thomas avait tendance à dire oui à tout ce que proposaient ses camarades
par peur de se retrouver seul. Au travers d’apprentissages de base des techniques de
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communication, Thomas a été sensibilisé au fait que dire non ne crée pas systématiquement
une attitude de rejet chez l’autre, si on le formule de façon adaptée.
Les séances d’affirmation de soi ont permis à Thomas d’être plus à l’écoute des autres en
étant moins centré sur ses cognitions anxieuses. Des modifications comportementales autour
des aspects verbaux (contenu) et non verbaux (posture, voix, yeux) ont été effectuées
afin d’éviter la passivité persistante de Thomas lors de ses interactions avec ses pairs. Plus
globalement, il s’agissait de développer chez lui un sentiment de sécurité, d’efficacité et
d’appartenance en situation sociale.
Bénéfices de la thérapie
! Résultats quantitatifs
À partir des tests d’anxiété (sous-échelles mesurant l’anxiété sociale)
237
Les bénéfices de la thérapie ont tout d’abord été évalués à partir de la passation des tests
d’anxiété. Une diminution des symptômes anxieux a été confirmée par la baisse des scores
aux sous-échelles « phobie sociale » de la RCADS et « anxiété sociale » de la MASC.
La première passation a été réalisée en début de prise en charge, la deuxième passation à
trois mois, la troisième passation à six mois. (voir Figure 9.4, p. 238)
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Dans ces deux échelles, une baisse des scores d’anxiété sociale a été observée. Pour chacune
de ces deux mesures, la diminution de l’anxiété sociale a été plus importante les trois
premiers mois.
Concernant les autres mesures, la sous-échelle « symptômes physiques » de la MASC a
confirmé une baisse des symptômes physiques d’anxiété. La dimension « timidité » du
questionnaire de tempérament EAS a très légèrement diminué.
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Figure 9.4. Scores de phobie sociale et d’anxiété sociale aux échelles RCADS et MASC
238
Thomas a été sensibilisé au fait que regarder l’autre est une compétence communicationnelle
importante et il a été incité à augmenter ses échanges de regards par des exercices en
séance et en dehors des séances. Lorsqu’ils ont été mis en place entre la quatrième et
9 • Anxiété sociale
la sixième séance, les exercices l’ont fait progresser très rapidement, jusqu’à ce que ses
échanges deviennent soutenus et naturels après de huitième séance.
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239
Figure 9.6. Recueil du nombre d’événements positifs et négatifs à partir du journal de Thomas
Cet exercice a débuté entre les séances 2 et 3. Une réelle amélioration du nombre de
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situations vécues comme positives n’a été observée qu’à partir des séances 8 et 9 (soit
après environ quatre à cinq mois de thérapie). Ce n’est qu’à l’issue de la combinaison des
phases de travail comportemental et des phases de travail cognitif qu’un mieux-être général
en situation sociale a été observé.
! Résultats qualitatifs
Les premières expositions réussies à la situation tant redoutée par Thomas de prise de
parole en classe ont eu un impact rapide sur son sentiment d’efficacité personnelle. Il a
fait l’expérience qu’il était capable d’avoir une action positive sur son environnement et
sur lui-même afin de faire face aux situations plutôt que de les éviter. La réussite de ces
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
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maison avant son exposition in vivo à l’école, a été primordiale.
Un changement global des attitudes de Thomas a également accompagné la baisse des
symptômes phobiques au fur à mesure des expositions et du travail cognitif. Des réactions
en chaîne ont ainsi suivi la modification des comportements travaillés en séance. Thomas a
fait preuve au fil du temps de plus de légèreté, il souriait davantage et il donnait l’impression
d’être plus spontané.
Si Thomas a pu s’appuyer sur de bonnes capacités mnésiques et intellectuelles pour les
situations de prises de parole en public à partir du moment où les symptômes phobiques
ont diminué, faire évoluer ses relations aux autres a demandé un temps plus long de
thérapie avec une adhésion parentale parfois délicate à obtenir. Les schémas familiaux
rigides de méfiance vis-à-vis des autres ont été compliqués à assouplir malgré des séances
thérapeutiques en famille.
Néanmoins, il a été possible d’agir sur certains facteurs familiaux de maintien tels que la
surprotection maternelle, l’évaluation négative des conduites sociales de Thomas et ses
240 attitudes de soumission vis-à-vis de sa sœur.
L’adhésion paternelle à la thérapie a permis un réel bénéfice dans le sentiment de mieux-être
de Thomas et dans sa confiance en lui, notamment lorsque Monsieur M. a accepté de partager
plus d’activités avec son fils.
Le développement de l’autonomie, la participation active aux tâches assignées entre
les séances et l’augmentation des feed-back positifs ont donc constitué les principaux
comportements parentaux qui ont accompagné le processus de changement de Thomas.
Après huit mois de thérapie, les symptômes phobiques ne sont pas réapparus. Le mieux-être
de Thomas est visible, mais une certaine passivité dans ses relations aux autres est toujours
perceptible.
CONCLUSION
Comme nous l’avons observé, le travail sur les dimensions comportementales et émotionnelles
permet la diminution puis l’extinction des réponses anxieuses invalidantes, ainsi que le
renforcement de l’acquisition des conduites efficaces en situation sociale.
Grâce à un ancrage corporel, les outils de gestion émotionnelle constituent pour l’enfant
une expérience sensitive compréhensible et assimilable.
L’objectif premier du traitement du trouble d’anxiété sociale chez l’enfant est d’empêcher
l’installation des évitements phobiques en créant un apprentissage différent, que ce soit par
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l’observation, l’imitation ou l’expérience. Ce nouvel apprentissage doit donc avoir un impact
favorable dans la construction de la confiance en soi de l’enfant avant que les conséquences
de la symptomatologie anxieuse n’altèrent durablement l’estime de soi, tel que cela peut
être observé chez les adultes souffrant d’anxiété sociale depuis de nombreuses années.
En ce qui concerne le travail sur la dimension cognitive, l’objectif est la mise en place de
constructions mentales mieux adaptées à l’environnement. Si le stade de développement
de l’enfant ne permet pas un travail métacognitif identique à celui de l’adulte, il est
possible d’adapter les outils et de guider les processus d’auto-construction cognitive
et d’auto-régulation émotionnelle afin de parvenir à l’élaboration d’un discours interne
protecteur et non plus fragilisant.
Enfin, la spécificité du traitement psychothérapeutique de l’anxiété sociale chez l’enfant
réside dans la nécessité d’une action sur l’environnement familial. Alliés thérapeutiques,
les parents doivent être accompagnés afin de créer pour l’enfant des expériences positives
et valorisantes. 241
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Jean-Louis Monestès
Rituels de comptage
Le cas de Jean
246
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SOMMAIRE
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Séance 2 : analyse fonctionnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 254
Séances 3 et 4 : instauration du désespoir créatif . . . . . . . . . . . . . . . . . 256
Séances 5 et 6 : entraînement au contact avec l’instant présent 260
Séances 7 et 8 : exploration des domaines de vie importants pour
le patient et initiation de l’engagement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 261
Séance 9 : poursuite de l’engagement dans des actions
importantes pour le patient . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 263
Séance 10 : évaluation des résultats, amorce de la fin
de prise en charge . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 264
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 265
247
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
L
ES COMPULSIONS SONT PRISES en charge avec efficacité par les thérapies comporte-
mentales et cognitives depuis plusieurs décennies (Abramowitz, Franklin et Foa,
2002). L’exposition avec prévention de la réponse constitue la méthodologie de
choix. Depuis une dizaine d’années, des évolutions des thérapies comportementales
et cognitives ont été proposées, notamment au travers de la thérapie d’acceptation et
d’engagement (ACT, Hayes, Strosahl et Wilson, 1999, 2011 ; Monestès et Villatte, 2011). Ses
résultats sont encourageants pour le traitement des troubles obsessionnels compulsifs et
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des rituels qui les caractérisent (Twohig, Hayes et Masuda, 2006). Au-delà de ces avancées
prometteuses, l’ACT permet également la prise en charge de cas particuliers de troubles
obsessionnels compulsifs, notamment lorsque les troubles sont chronicisés et que les rituels
ne semblent plus reliés à des obsessions idéatives.
Nous présentons ici le cas d’un patient souffrant de tels rituels. Au travers de l’analyse
de cas, ce chapitre est également l’occasion de présenter la méthodologie quantitative de
diagnostic fonctionnel. La thérapie d’acceptation et d’engagement se distingue en effet
des thérapies comportementales et cognitives « classiques » par l’utilisation d’échelles
de mesure des processus psychologiques impliqués, à fins de diagnostic, en lieu et place
du diagnostic catégoriel de la CIM-X (OMS, 1993) ou du DSM-IV (APA, 1994), ou encore
d’outils de mesure dimensionnels comme l’inventaire de dépression de Beck (BDI, Beck et
Beamesderfer, 1974) ou l’échelle d’obsessions-compulsions de Yale-Brown (YBOCS, Goodman
et al., 1989).
248
ÉLÉMENTS DE L’ANAMNÈSE
Jean est un homme de 59 ans, en arrêt de travail depuis deux ans en raison de troubles
psychologiques. Il occupait un poste de responsable d’équipe lorsqu’un épisode dépressif
majeur l’a contraint à arrêter son travail. Deux ans plus tôt, à l’âge de 55 ans, son employeur
lui a proposé, pour la première fois de sa carrière, des responsabilités managériales. Il a pris
en charge la responsabilité d’une petite équipe de quatre personnes. Salarié consciencieux
et expérimenté, il maîtrisait parfaitement son poste avant cette promotion, qu’il a acceptée
avec enthousiasme. Cependant, confronté à la gestion d’équipe, d’importantes difficultés
sont apparues : ses collaborateurs n’étaient pas aussi consciencieux que lui et avaient
tendance à bâcler le travail, du moins de son point de vue, et à prendre du retard dans
les tâches à accomplir. Jean ne se sentait pas à l’aise dans ces fonctions de direction et
ressentait de la gêne à commander les autres, ses derniers profitant de ses faiblesses. Après
avoir essayé plusieurs fois, en vain, de rappeler à l’ordre ses collaborateurs, il a fini par
renoncer à ses prérogatives de supérieur hiérarchique et a arrêté d’essayer de diriger les
membres de son équipe. Mais son perfectionnisme lui interdisait de rendre un travail bâclé
10 • Rituels de comptage
par les collaborateurs dont il avait la responsabilité. Il prenait alors en charge le travail
des autres, quitte à revenir sur son lieu de travail les samedis et dimanches. Il emportait
du travail à son domicile, se réveillait en pleine nuit pour prendre des notes ou relire des
dossiers. Il avait le sentiment de ne pas être respecté par les membres de son équipe, qui
ne lui obéissaient guère. Il redoutait de plus en plus d’être mal jugé par ses supérieurs, lui
qui se faisait un point d’honneur de ne jamais les décevoir et d’accomplir son travail le plus
parfaitement possible.
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À la même période, le souvenir du décès de son fils vingt-cinq ans plus tôt à l’âge de sept
ans est revenu de façon beaucoup plus vive à la mémoire de Jean. Son fils a été victime
d’un grave accident de la route. Renversé par un chauffard, il est décédé des suites de
ses blessures. Jean et son épouse l’ont accompagné jusqu’à la fin. Après une dépression
modérée d’une durée de quelques mois traitée, à l’époque par antidépresseur, Jean dit que
la tristesse de la perte de son enfant a toujours été plus ou moins présente au cours de
ces années, mais qu’elle s’est accentuée au moment de sa promotion dans l’entreprise. Elle
se manifestait par des pleurs fréquents sur son lieu de travail, une labilité émotionnelle
dès qu’un souci professionnel apparaissait, et des flash-back. Il revoyait, au moment de
l’endormissement, le visage de son fils souffrant sur son lit d’hôpital.
Un épuisement physique et psychologique est très vite apparu, ainsi que des manifestations
d’anxiété, un fort sentiment d’incompétence et une perte de confiance en soi. Cet épuisement
s’est accompagné de rituels de comptage de plus en plus envahissants. Au moment de notre
première rencontre, Jean sortait d’un séjour en maison de repos qui avait duré trois mois et
demi, suite à une hospitalisation de deux semaines dans un service de psychiatrie, en raison 249
d’un épisode dépressif majeur. Le diagnostic de deuil pathologique avait alors été posé
conjointement à celui de dépression majeure, sans que les rituels de comptage aient été
mis en avant par le patient comme centraux. Jean a, en effet, pris l’habitude de ne parler
de ses rituels à personne, pensant qu’il ne serait pas compris, qu’on le prendrait pour un
fou. Durant les trois mois et demi passés en maison de repos, Jean a commencé à parler de
ses rituels de comptage, et leur importance dans la symptomatologie avérée. Les rituels de
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comptage, présents « depuis toujours », s’étaient majorés au moment où les difficultés ont
commencé à apparaître au travail. Une fois son humeur stabilisée, les rituels de comptage
étaient toujours très présents et envahissants. Ils gênaient Jean dans son quotidien. Il ne
pouvait par exemple plus conduire car son attention était tout entière focalisée sur les
comptages. Son psychiatre lui a conseillé d’entamer une psychothérapie comportementale
et cognitive. Lors de notre première rencontre, Jean décrit un sentiment d’incompétence,
se trouve nul, coupé des autres car il ne parvient plus à se tenir informé des actualités, à
avoir une simple conversation avec un ami ou un voisin, à s’occuper de son petit-fils.
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de couleurs différentes, de personnes dans la rue, etc.). Après quelques minutes d’entretien,
il m’explique par exemple que, pendant que nous parlons, il a compté le nombre d’objets
posés sur le bureau, le nombre de vis apparentes de la fenêtre, de carreaux sur la feuille sur
laquelle je prends des notes. Dans une autre forme de comptage, un mot apparaît dans la
pensée de Jean (par exemple le mot « biscuit »), et des séquences complexes de comptage
s’engagent. Jean connaît l’ordre d’apparition de chaque lettre dans l’alphabet. Il additionne
la position des lettres qui composent le mot (par exemple « biscuit » = 2ème position dans
l’alphabet + 9ème + 19ème + 3ème + 21ème + 9ème + 20ème = 83). Puis il additionne les chiffres
qui composent le résultat (83 = 8 + 3 = 11). Il cherche alors à trouver le résultat obtenu
parmi les objets qui l’entourent, en comptant par exemple le nombre de carrelages au
sol, les œillets dans lesquels passent ses lacets de chaussures, le nombre de lamelles d’un
store vénitien, etc. Si rien ne correspond au nombre recherché, Jean fait alors appel à ses
souvenirs afin de trouver ce nombre. Il vérifie si les nom et prénom d’un des membres de
sa famille comptent un total de lettres identique au nombre recherché, ou encore, si tel
beau-frère a le même nombre d’oncles, etc. Jean n’arrête ces comptages que lorsqu’il a enfin
250 trouvé le résultat escompté. Il dit alors ressentir un soulagement de l’anxiété engendrée par
l’apparition du mot. Ces séquences peuvent durer plusieurs minutes et se répéter plusieurs
dizaines de fois au cours d’une journée.
Afin de limiter les rituels qui lui « prennent la tête », Jean a mis en place un grand nombre
de stratégies. Lorsqu’un mot arrive dans sa pensée, il essaie de s’en « débarrasser » le plus
vite possible, en utilisant des « méthodes de calcul ». S’il ne parvient pas, par exemple, à
trouver dans son environnement le nombre 11, il le transforme en 1 + 1 = 2. Son objectif
est de trouver quelque chose qui le satisfait, et ce, le plus rapidement possible, afin de
diminuer au plus vite l’anxiété ressentie, et de pouvoir reprendre l’activité en cours. Par
ailleurs, Jean essaie d’éviter de compter de façon automatique, en centrant son regard sur
un point précis de l’environnement dans lequel il se trouve, afin de ne pas voir les divers
objets qui l’entourent, qu’il se sent obligé de compter. De même, après avoir remarqué que
les comptages n’apparaissent pas lorsqu’il ne voit rien, il lui arrive fréquemment de fermer
les yeux, ou encore de s’isoler dans le noir. Lorsqu’il se lève la nuit pour se rendre aux
toilettes, il n’allume pas la lumière et garde les yeux fermés, afin de ne rien voir et de ne
pas compter. Il lui est arrivé en effet fréquemment de ne pas pouvoir se rendormir en raison
de l’apparition d’une séquence de comptage, déclenchée par la vue d’un objet, qu’il n’a
10 • Rituels de comptage
pu interrompre. Malgré l’importance des rituels, il n’existe stricto sensu apparemment pas
d’obsessions idéatives liées aux compulsions. L’ancienneté des troubles a pour conséquence
que le patient ne parvient pas à décrire d’éventuelles pensées catastrophiques qui se
concrétiseraient s’il parvenait à s’abstenir de compter. Les mots en eux-mêmes n’ont rien
de particulier aux yeux de Jean, et n’importe quel mot peut déclencher une séquence de
comptage, que ce mot soit ou non émotionnellement connoté.
Lorsqu’on demande à Jean ce qui se passerait s’il décidait d’arrêter de compter, sa réponse
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est qu’il serait contraint de compter davantage. Jean a des difficultés à envisager qu’il
pourrait ne pas compter, et conçoit simplement ce qui se passerait s’il ne parvenait pas
à trouver le nombre recherché. Il dit par exemple « Si je ne parvenais pas à trouver un
nombre, je serais angoissé et je compterais encore plus, jusqu’à ce que je trouve. » La
seule conséquence qu’il redoute est de ne plus pouvoir s’arrêter de compter si jamais il ne
comptait pas immédiatement après qu’un mot soit apparu dans sa pensée. En fait, l’anxiété
de Jean semble n’être liée qu’à l’idée que ne pas compter serait « anormal » pour lui,
inhabituel. Ce qui engendre de l’anxiété chez Jean est l’inconnu auquel il serait confronté
s’il décidait de ne pas compter. Il dit simplement « Je compte, sinon je suis anxieux, surtout
quand j’ai eu un mot qui est apparu ».
Jean dit avoir essayé à plusieurs reprises de s’empêcher de compter, mais l’anxiété qui est
immédiatement apparue a entraîné que ces tentatives ont été de très courte durée. De
même, Jean a essayé d’appliquer des « trucs », dont certains lui ont été conseillés par son
médecin généraliste ou son psychiatre. Ces techniques ont essentiellement correspondu à
des tentatives de distraction. Par exemple, lorsqu’un mot apparaît dans sa pensée, Jean 251
essaie de penser à autre chose, ou de chantonner une comptine comme Au clair de la lune.
L’idée sous-jacente est d’occuper l’attention afin que les rituels de comptage ne débutent
pas. Malheureusement, lorsque de telles méthodes ont pu fonctionner, les rituels refaisaient
leur apparition dès que Jean s’arrêtait de chanter. De plus, très rapidement, Jean comptait
les paroles de la chanson, ou ses syllabes, et finissait par fredonner n’importe quelle
comptine en remplaçant les paroles par des chiffres (Une souris verte devenait « 1, 2, 3, 4,
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sont supposés étiologiques des troubles. Ils constituent donc les critères diagnostiques et
permettent d’organiser la thérapie, en ciblant les processus les plus problématiques pour
chaque patient.
Le premier de ces processus va de l’acceptation à l’évitement expérientiel. L’évitement
expérientiel correspond à la tendance rigide à chercher à éviter les émotions, les pensées et
les souvenirs désagréables, et à persister dans ces comportements, même s’ils ne permettent
pas de résoudre durablement le problème ciblé, ou qu’ils interfèrent avec d’autres actions
importantes pour le patient. Ces évitements peuvent correspondre à des comportements
observables de l’extérieur ou à des comportements privés (par exemple une prière ou
des comptages, dans le cas d’un trouble obsessionnel compulsif). Le deuxième processus
psychologique, la fusion cognitive, correspond à un contrôle excessif du langage (en
incluant les pensées) sur les comportements. La fusion correspond à l’observation en
clinique des principes de l’apprentissage relationnel, base théorique et expérimentale de la
thérapie d’acceptation et d’engagement (pour une description de l’apprentissage relationnel
252 et de la théorie des cadres relationnels, voir Torneke, 2010 ; Villatte et Monestès, 2010).
Le principe de fusion permet de comprendre comment des événements psychologiques –
notamment des pensées incluant des mots, des sons et des images variées –, n’ayant jamais
été associés à une expérience douloureuse, peuvent acquérir des fonctions aversives, par un
mécanisme de dérivation. La qualité du contact avec l’instant présent constitue le troisième
processus psychologique. Lorsqu’elle est problématique, l’attention est fréquemment centrée,
intentionnellement ou non, sur des événements passés ou futurs. Le quatrième processus
psychologique est la capacité à changer de perspective, en particulier sur la manière de
se percevoir, par exemple en adoptant le point de vue de l’autre. Lorsque ce processus
psychologique pose problème, le patient est souvent en fusion avec les pensées à propos
de lui-même et parvient mal à adopter un point de vue plus distancié. Enfin, la capacité à
définir les domaines importants de son existence et à agir en direction de ces domaines
constitue les deux derniers processus psychologiques. Lorsqu’ils sont problématiques, le
patient peut ne pas savoir avec précision ce qui compte pour lui, ou encore ne pas parvenir
à s’engager dans des actions qui ont de l’importance à ses yeux.
10 • Rituels de comptage
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al., 2009) ;
• les items de la sous-échelle « Prise de perspective » de l’Interpersonal Reactivity Index
(IRI ; Davis, 1980, 1983) ;
• le Valued Living Questionnaire (VLQ, Wilson, Sandoz, Kitchens, et Roberts, 2010).
marquées. La fusion est un peu plus modérée, quoi que très présente. La définition des
domaines importants de l’existence n’est pas problématique, mais le manque d’engagement
dans des actions en lien avec les domaines importants de l’existence est assez élevé,
vraisemblablement parce que Jean consacre beaucoup de temps aux rituels, au détriment
d’autres actions. Enfin, la capacité de changement de perspective ne semble pas affectée.
Tous les processus psychologiques évalués sont liés entre eux, et aucun ne peut être travaillé
isolément. Mais ce qui pose le plus problème au patient peut être spécifiquement ciblé afin
de rendre la thérapie plus efficiente et plus rapidement encourageante pour le patient. Dans
le cas présent, la thérapie s’est davantage centrée sur l’évitement expérientiel et la perte de
1. Toutes les échelles utilisées sont rassemblées dans Monestès et Villatte (2011).
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Figure 10.1.
Résultats aux échelles fonctionnelles de Jean. À fins de comparaison entre
les différentes échelles, les valeurs sont exprimées en pourcentages, et leurs
scores inversés le cas échéant, afin de refléter la borne pathologique de chaque
processus. Un plus haut score sur une échelle indique un processus psychologique
problématique.
254
contact avec l’instant présent. Il n’a pas semblé utile de viser directement une augmentation
des compétences au changement de perspective, ni d’aider le patient à définir clairement
les domaines de son existence importants pour lui, car ces deux processus psychologiques
semblaient moins problématiques. Notamment, Jean avait une vision assez claire de ce qui
comptait pour lui au cours de nos rencontres, à distance de l’épisode dépressif. En plus
d’être peu utile, une mise en évidence des domaines importants chez un patient qui semble
posséder une représentation relativement précise de ces domaines peut souligner le manque
d’actions engagées, et risquer d’engendrer une forme de culpabilité.
Plusieurs fonctions ont été évaluées pour les rituels de comptage. Tout d’abord, j’ai exploré
avec Jean l’éventuelle présence de souvenirs du décès de son fils au moment de l’apparition
des rituels, afin d’évaluer une possible fonction d’évitement de la tristesse. Jean n’a pas
repéré de concomitance entre l’apparition de ces souvenirs et les rituels. Il ne décrit pas
non plus de besoin de compter lorsque ces souvenirs douloureux font leur apparition. De
même, nous avons évalué la présence d’un sentiment de culpabilité de ne pas avoir été à
la hauteur de la tâche qui lui a été confiée au travail, ou d’avoir arrêté son travail. Si une
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telle fonction a pu être présente juste avant l’arrêt de son travail, période durant laquelle
les rituels ont connu une forte augmentation, elle ne semble plus correspondre à ce que
Jean vit actuellement. Il ne repense en effet que très rarement à son ancien travail, et ces
pensées ne donnent pas lieu à une recrudescence des rituels de comptage. Comme il a été
signalé plus haut, il n’existe pas non plus d’obsessions idéatives de malheur clairement
établies. De façon secondaire, on repère que les rituels pourraient avoir comme fonction de
masquer des émotions vives, car Jean rapporte une forme d’émoussement des affects, qu’il
décrit comme une indifférence aux mauvaises nouvelles.
En revanche, Jean rapporte une forte anxiété au moment de l’apparition d’un mot, se
manifestant par une barre dans la poitrine, un sentiment de perte de contact avec ce qui
l’entoure (ne plus pouvoir se concentrer sur ce qu’il est occupé à faire, ne plus entendre
quand on lui parle) et un sentiment d’insécurité qu’il ne parvient pas à définir précisément.
Il décrit également un sentiment d’urgence à devoir trouver un chiffre qui corresponde
au mot arrivé à sa pensée. Les risques que le patient pense courir s’il ne compte pas
portent sur le fait de ne plus jamais pouvoir s’arrêter de compter et de devenir fou. Les
255
rituels de comptage semblent donc être soumis à un renforcement négatif dans le cadre
d’un apprentissage opérant. La probabilité d’apparition des rituels augmente par retrait
des stimuli aversifs que constituent les manifestations de l’anxiété et la peur de devenir
fou, en présence des stimuli discriminatifs que constituent les mots apparaissant dans la
pensée de Jean. C’est donc l’échappement des manifestations de l’anxiété et de la peur de
devenir fou qui semblent constituer les facteurs de renforcement des rituels de comptage.
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chiffre à trouver, ce sont les comptages eux-mêmes que Jean cherche à éviter, et l’agitation
psychique qui en découle, par exemple en fermant les yeux ou en se déplaçant dans le noir.
En revanche, lorsque les comptages constituent une séquence comportementale initiée
volontairement par Jean, il cherche à échapper aux manifestations de l’anxiété déclenchée
par l’apparition d’un mot. Nous avons d’ailleurs choisi ensemble de réserver le terme de
« rituels » à cette catégorie de comportements.
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SÉANCES 3 ET 4 : INSTAURATION DU DÉSESPOIR CRÉATIF
Aidé par les échelles quantitatives fonctionnelles, j’ai choisi de débuter la thérapie par un
travail de développement de l’acceptation de l’anxiété ressentie à l’apparition d’un mot dans
la pensée de Jean. Le désespoir créatif constitue la pierre angulaire du travail d’acceptation.
Il consiste en un prolongement de l’analyse fonctionnelle par l’évaluation de l’efficacité des
comportements mis en place de longue date par le patient, évaluation réalisée par le patient
lui-même. Le thérapeute aide le patient à faire le bilan de ces différents comportements et
de leur capacité à régler définitivement le problème rencontré. Les comportements de Jean
ont ici une fonction d’évitement expérientiel : les rituels de comptage visent à échapper
aux manifestations anxieuses ; le fait de fermer les yeux, de s’isoler ou de se déplacer dans
le noir a pour but d’éviter l’agitation psychique causée par les comptages automatiques.
256 Le plus souvent, les comportements visant l’évitement expérientiel n’ont qu’une efficacité
limitée en termes de régulation émotionnelle. Ils doivent généralement être renouvelés
fréquemment, ce qui met en évidence leur manque d’efficacité pour faire disparaître les
émotions problématiques. Généralement, ces comportements contribuent même à entretenir
ces émotions, et constituent la symptomatologie principale. Dans le cas de Jean, ce sont
bien les rituels de comptage qui l’amènent à consulter, alors que ces rituels constituent la
seule « solution » qu’il ait trouvée pour se débarrasser de son anxiété. Il est important que
le patient puisse faire lui-même le point sur l’efficacité des démarches qu’il a mises en place.
Le but n’est pas qu’il soit ainsi préparé à une nouvelle « technique » que le thérapeute
pourrait lui fournir pour atteindre le même but, mais qu’il trouve l’énergie nécessaire à
l’acceptation, c’est-à-dire qu’il parvienne à une autre manière de définir le problème qu’il
rencontre. Les difficultés du patient reposent en effet avant tout sur l’objectif même de
vouloir faire disparaître les émotions négatives, et non sur les méthodes qu’il a jusqu’alors
essayées pour y parvenir.
Jean repère que les évitements destinés à limiter les comptages « automatiques » sont
assez efficaces (« Quand je ferme les yeux, je suis tranquille, mon esprit s’apaise »). Il met
en avant cependant les effets délétères de ces « techniques », qui l’obligent à se couper du
monde et des autres, lui font perdre son autonomie et limitent ses activités. Jean passe en
10 • Rituels de comptage
effet beaucoup de temps dans le noir, ne conduit plus, refuse de participer à des réunions
de famille, etc. Les « effets secondaires » de ces évitements sont dramatiquement perçus
par Jean. Ils constituent un des motifs principaux de sa demande de psychothérapie. On
y trouve, en germe, les domaines importants de l’existence de Jean, dont l’abandon est à
l’origine d’une part importante de sa souffrance et de sa demande d’aide.
La fonction des rituels de comptage a ensuite été mise en évidence aux yeux de Jean. Dans
le cadre du travail de désespoir créatif, il est d’abord nécessaire que le patient observe
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lui-même la fonction de ses comportements. C’est en effet en repérant cette fonction,
donc l’objectif psychologique des comportements, que la pertinence de ces comportements
pourra être évaluée par le patient. Cette étape constitue le premier pas vers le désespoir
nécessaire pour engendrer un changement radical d’objectif psychologique, vers la fin de
la recherche effrénée de solutions pour faire disparaître les émotions problématiques. Afin
d’amener le patient à découvrir la fonction des rituels de comptage en présence d’un mot,
je lui demande de porter son attention sur les émotions ressenties au moment où un tel
mot apparaît. Il décrit alors l’anxiété qu’il ressent, le sentiment de vide et d’obnubilation
par la peur de ne pas parvenir à trouver le chiffre recherché, ou de ne plus pouvoir s’arrêter
de compter. Je lui demande ensuite d’essayer de décrire comment il se sent une fois qu’il
a trouvé le chiffre recherché. Il décrit alors une disparition des manifestations pénibles
auxquelles il était confronté, une détente musculaire, la possibilité de se concentrer de
nouveau sur la tâche en cours. Je lui demande également s’il pense qu’il continuerait à
compter si par hasard le fait de trouver le chiffre recherché ne parvenait plus à apaiser
toutes ces manifestations pénibles. Cette éventualité est particulièrement angoissante pour
257
Jean, qui a du mal à l’envisager. Il conclut cependant en indiquant qu’il ne supporterait pas
de rester dans l’état émotionnel dans lequel il se trouve au moment où un mot apparaît, mais
en supposant également qu’il ne perdrait plus de temps à compter si cela ne l’aidait plus.
Ces mouvements thérapeutiques aident le patient à repérer la fonction des rituels. Je
propose à Jean de concevoir ces rituels comme un anxiolytique qu’il aurait trouvé pour
se débarrasser de son anxiété, une sorte de « médicament personnel ». Je l’invite alors à
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évaluer l’efficacité de ce « médicament », en lui demandant si, après toutes ces années
passées à compter, il se sent, au bout du compte, moins anxieux, ou si cela lui a permis
de diminuer la fréquence d’apparition des mots qui déclenchent les rituels. Il m’explique
alors que compter l’aide à se débarrasser de son anxiété au quotidien, mais que cela n’a
pas définitivement solutionné son problème, et que des mots problématiques continuent
à apparaître. J’explore alors avec lui dans le détail dans quelle mesure les rituels l’aident
au quotidien. Pendant combien de temps se sent-il soulagé après avoir trouvé le chiffre
recherché ? Lui arrive-t-il de chercher de nouveau un chiffre pour un mot auquel il a déjà
été confronté ? Jean présente de bonnes capacités à adopter le point de vue de quelqu’un
d’autre. Je décide de m’en servir. Me conseille-t-il de proposer à d’autres patients anxieux
d’appliquer la même méthode de comptage pour se détendre ? Jean m’explique que son
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
répit n’est souvent que de courte durée, qu’il appréhende la survenue d’un nouveau mot, et
qu’il hésite à s’engager dans une activité afin de pouvoir être disponible si un nouveau mot
apparaît. À l’évidence, il ne conseillerait pas cette « méthode » à quelqu’un rencontrant les
mêmes problèmes d’anxiété, et finit par conclure que compter ne l’aide pas vraiment.
Je l’aide alors à percevoir que l’appréhension qu’il a de voir apparaître de nouveaux
mots contribue à augmenter son anxiété lorsqu’un mot apparaît. Je porte également à
son attention le fait qu’il redoute l’apparition d’un nouveau mot autant en raison des
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manifestations anxieuses qui l’accompagnent que parce que ce nouveau mot l’oblige à
débuter une séquence de comptage. En d’autres termes, je conduis le patient à se poser la
question de savoir si la « solution » qu’il a mise en place ne constitue pas finalement une
part importante du problème auquel il est confronté. Le plus souvent possible, j’exprime
mon désarroi lorsque le patient m’indique que l’anxiété ne disparaît que de façon provisoire,
ou que ses évitements l’obligent à sacrifier des choses importantes pour lui. Ce désarroi n’est
pas feint ni singé, mais fait appel aux compétences de prise de perspective du thérapeute.
Que ressentirais-je moi-même si je constatais que tout ce que j’ai essayé pour me débarrasser
de mon anxiété n’avait qu’une efficacité limitée ? Associé à mes questions explorant tout ce
qu’il a pu mettre en œuvre pour parvenir à contrôler ses émotions, ce partage émotionnel
conduit progressivement à faire prendre conscience à Jean que je n’aurais vraisemblablement
pas de solution à lui proposer pour faire disparaître son anxiété. L’émotion que j’aurais pu
moi-même ressentir et exprimer aurait été très différente si j’avais une solution clé en main
à proposer à Jean pour se débarrasser définitivement de son anxiété.
258 Progressivement, Jean parvient au constat que l’objectif même de faire disparaître son
anxiété est contre-productif. Bien que cette anxiété soit particulièrement pénible, il
semble que rien ne parvienne à la faire céder, et que tout ce qui est mis en place par
Jean pour la contenir tend à lui faire perdre son autonomie et à le rendre davantage
anxieux. Afin de lui attribuer l’expertise qu’il a acquise quant à l’impossibilité de faire céder
l’anxiété définitivement, je lui pose des questions comme : « Vous avez constaté que rien
ne fonctionne vraiment pour faire disparaître durablement votre anxiété ? » ou encore :
« Finalement, vous avez le sentiment d’avoir tout essayé ? » L’objectif ici est de conduire
progressivement le patient vers la démarche qu’il n’a pas encore essayée, à savoir, laisser
apparaître en lui les émotions qu’il redoute et contre lesquelles il se bat. C’est d’ailleurs
Jean qui amène cette conclusion en me demandant : « Ça veut dire que je vais continuer
à être anxieux ? » Je saisis cette occasion pour rappeler au patient l’objectif réel de la
thérapie, à savoir une augmentation de la part des comportements dont les conséquences
sont renforçantes positivement : « Je ne sais pas si vous allez continuer à ressentir cette
anxiété ou non, il semble que ce soit un objectif très complexe et très coûteux à atteindre.
Mais le travail que nous pourrions faire ensemble est de vous aider à réaliser des choses
importantes pour vous, comme passer davantage de temps avec votre petit-fils ou votre
famille. Les rituels vous ont contraints à sacrifier ce qui est important pour vous, et mon
10 • Rituels de comptage
travail de thérapeute consiste à vous aider à retrouver le chemin d’une vie qui ait du sens
pour vous, quelles que soient les émotions qui apparaîtraient. »
Parallèlement, maintenant que Jean a une connaissance plus pointue de ses rituels, de leurs
fonctions et de leur efficacité relative, je lui propose un choix fictif, qui prend la forme de
l’échange suivant.
THÉRAPEUTE. – Imaginez que vous puissiez avoir le choix entre, d’un côté, ne plus jamais vous
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sentir anxieux, mais pour cela devoir ne rien faire d’autre que rechercher en permanence des
chiffres, de passer tout votre temps à compter, ou, de l’autre, ne plus être contraint de compter,
mais ressentir parfois l’anxiété contre laquelle vous vous battez. Que choisiriez-vous ?
JEAN. – Je ne peux plus continuer à passer ma vie à compter, je me sens esclave. Je préférerais
que les rituels disparaissent... Mais quand les mots apparaissent, c’est insupportable. Je voudrais
me débarrasser de tout ça, être normal, pas devoir passer mon temps à ces bêtises.
THÉRAPEUTE. – Si vous faites ce choix, bien que la situation soit fictive, c’est que les rituels
vous font finalement davantage souffrir que l’anxiété ressentie quand un mot apparaît. Si nous
partons de l’hypothèse que les comptages sont davantage pénibles et invalidants que l’anxiété
qu’ils sont censés combattre, comment pourriez-vous faire autrement ?
JEAN. –... Il faudrait que j’arrête de compter... mais rester avec l’anxiété est insupportable.
THÉRAPEUTE. – Je comprends. Mais rappelez-vous que vous êtes arrivé à la conclusion que rien ne
la fait disparaître définitivement. Vous me dites aussi que la combattre est encore plus pénible...
Et s’il ne restait que l’anxiété, plutôt que cette anxiété, et tout le reste ? Ce que je vous propose,
c’est d’apprendre à vous réconcilier avec cette anxiété, de lui faire une place en vous. Pas parce
que vous l’aimez, mais parce que vous avez peut-être mieux à faire que de la combattre toute
votre vie ». 259
Les réponses de Jean à l’échelle d’attention et de pleine conscience mettent en évidence une
perte marquée de contact avec l’instant présent. Ce n’est qu’une fois les rituels engagés que
Jean en prend conscience. Il dit alors pouvoir difficilement les interrompre et explique qu’il
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a l’impression d’être en « pilote automatique ». Une telle description incarne le manque de
contact avec l’instant présent, qui contribue aux difficultés de ce patient. J’ai donc choisi
de proposer à Jean un entraînement à la pleine conscience, d’abord de façon formelle, puis
centrée sur l’anxiété déclenchée par les mots qui apparaissent dans sa pensée.
Pour la pratique formelle de l’entraînement au contact avec l’instant présent, j’ai choisi
l’exercice des « Feuilles sur la rivière », qui constitue aussi un exercice de défusion vis-à-vis
des pensées. Dans cet exercice, on propose au patient de visualiser, les yeux fermés, une
rivière qui coule devant lui. La rivière charrie des feuilles mortes.
Exercice
La consigne est de déposer en imagination chaque nouvelle pensée qui apparaît sur une de
ces feuilles, et de la regarder s’éloigner au gré du courant. Si le patient détecte que sa pensée
s’est échappée et qu’il ne visualise plus la rivière, il doit simplement et tranquillement revenir à
l’exercice. Dans le cas de Jean, j’ai ajouté une consigne concernant les comptages. Je prévoyais
en effet que ces comptages apparaîtraient, que ce soit à propos de sujets sans rapport avec
260 l’exercice, ou simplement parce que le patient compterait les feuilles passant sur la rivière. J’ai
donc demandé à Jean, chaque fois qu’il s’apercevrait qu’il compte, de déposer le dernier chiffre
apparu dans sa pensée sur une feuille, de les regarder s’éloigner, et de poursuivre l’exercice.
Nous avons réalisé cet exercice pendant une vingtaine de minutes en séance, puis j’ai
proposé à Jean de le pratiquer chaque soir pendant environ une vingtaine de minutes, jusqu’à
notre prochaine rencontre. Cette sixième séance a consisté à généraliser l’entraînement
de la pleine conscience à l’anxiété ressentie quand des mots apparaissent dans la pensée
de Jean. J’ai demandé à Jean d’observer attentivement les détails de l’émotion ressentie
lorsqu’un mot apparaît. À la fin de la sixième séance, j’ai proposé à Jean de réaliser cet
exercice chaque fois qu’un mot apparaîtrait, jusqu’à notre prochaine rencontre. Je lui ai
également demandé de choisir la durée pendant laquelle il décide d’observer toutes les
émotions qui apparaîtraient, sans chercher à les faire disparaître, en étant le plus conscient
possible de ce qui se passe en lui. Je lui ai expliqué qu’il pouvait, s’il le souhaitait, choisir
de compter à l’issue de cette observation, mais que l’important était que, durant la période
choisie, il donne son accord à tout ce qui viendrait, sans défense et sans comptage.
L’objectif d’observation attentive des manifestations de l’anxiété, qui naissent avec
l’apparition des mots, n’est pas la diminution de cette anxiété. Contrairement à une
10 • Rituels de comptage
thérapie comportementale et cognitive classique, le mécanisme visé ici n’est pas celui
de l’extinction de la réponse anxieuse au moyen de l’exposition. On cherche à ce que le
patient développe des compétences de présence attentive à l’émotion, quelle que soit son
évolution, à la hausse comme à la baisse. Il s’agit simplement d’être un observateur attentif
et curieux de ce qui se passe en soi, en donnant son accord à n’importe quelle émotion
qui apparaît, et en essayant de ne pas s’attacher aux éventuels jugements sur les émotions
ressenties. On invite donc le patient à observer l’évolution de l’émotion, qu’elle s’accentue
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ou qu’elle diminue. La prévention de la réponse ne constitue pas non plus un objectif
thérapeutique. On ne propose pas au patient de ne pas réaliser son rituel tel qu’on le ferait
dans un travail d’exposition avec prévention de la réponse. Dans un exercice de contact avec
l’instant présent, il ne s’agit en effet pas d’aider le patient à constater que ce qu’il redoute
n’apparaît pas, bien qu’il ne se soit pas engagé dans les rituels. En l’occurrence, dans le cas
de Jean, il ne semble pas exister de valeur « magique » attribuée aux rituels, uniquement
une fonction de diminution de l’anxiété hic et nunc, sans lien avec des obsessions idéatives
constituées, ce qui laisse envisager un manque de portée d’un exercice de prévention de la
réponse dans ce cas. On ne demande donc pas au patient de renoncer à son rituel une fois
l’exercice terminé. L’important n’est pas que le patient parvienne à se départir du rituel,
mais qu’il accorde du temps à l’observation des variations de l’émotion, à être spectateur
de l’émotion qui se déroule en lui. Enfin, au cours d’un tel exercice, on ne propose pas au
patient de gradation du degré d’émotion négative choisi pour réaliser l’exercice. L’objectif
étant l’observation attentive, n’importe quelle intensité d’émotion est observable, des
données récentes ayant d’ailleurs mis en évidence que la variété de l’intensité des émotions
expérimentées est d’une grande importance dans l’efficacité du traitement (Kircanski et al., 261
2011).
Au final, Jean a poursuivi les exercices formels quotidiennement et a appliqué la pleine
conscience en présence de l’anxiété. Au cours de ces exercices, il lui est arrivé à plusieurs
reprises de ne pas chercher de chiffre et de ne pas compter en réponse à l’apparition d’un
mot, en raison d’événements extérieurs (interrompu par une demande de son épouse ou un
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appel téléphonique).
Le travail d’acceptation des émotions négatives, que le patient cherche de longue date à
éviter, n’est pas une fin en soi. Il n’a de sens que parce qu’il permet de dégager le temps et
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
l’énergie, habituellement consacrés à éviter les émotions négatives, pour l’investir dans des
actions signifiantes pour le patient. En d’autres termes, l’acceptation est un moyen pour
parvenir à réaliser des actions que le patient considère comme signifiantes, qui donnent
sens à son existence, quels que soient les événements psychologiques qui les accompagnent.
La finalité de la thérapie est de parvenir à agir vers ce qui compte, en retrouvant une
flexibilité d’action lorsqu’il arrive que des événements psychologiques douloureux soient
présents. Le travail sur ces actions importantes pour le patient consiste à l’aider à mettre
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en évidence ce qui compte pour lui, et à définir comment il pourrait agir dans le sens de
ces domaines importants de son existence.
Jean a une représentation relativement claire de ce qui compte pour lui. C’est précisément
l’abandon des actions dans les domaines importants de son existence qui l’ont conduit à
demander de l’aide pour se débarrasser de ses rituels. Parmi les valeurs qui comptent pour
Jean, on trouve l’attention qu’il porte à son petit-fils. Il aime « l’aider à grandir », et lui
enseigner ce qu’il sait. Jean rapporte qu’il a particulièrement été heureux et fier le jour
où son petit-fils a su nouer seul ses lacets, comme il lui avait appris. Malheureusement,
lorsqu’il est avec son petit-fils, Jean est souvent perdu dans ses rituels, au point qu’il lui
arrive de ne plus se souvenir avec précision de ce qu’ils ont fait ensemble, ou de mettre
beaucoup de temps avant de répondre à une de ses questions. De plus, il arrive que Jean
demande à son petit-fils de ne pas venir lui rendre visite car il doit s’isoler dans le noir,
assailli par des comptages « automatiques ».
Je choisis d’utiliser l’importance que revêt le rôle de grand-père pour Jean afin de l’aider à
262 définir un engagement dans une action signifiante pour lui :
THÉRAPEUTE. – Peut-être. Nous sommes d’ailleurs arrivés ensemble à la conclusion que vous
comptez pour ne pas vous sentir mal. Donc si vous décidiez de ne plus compter en sa présence,
peut-être que vous vous sentirez anxieux si un mot arrive. Cependant, est-ce que ça en vaudrait
la peine ? Je veux dire, est-ce que vous seriez d’accord pour laisser venir l’anxiété, si elle
apparaissait, afin d’être pleinement présent pour votre petit-fils ?
JEAN. – Je pense, oui. Mais quand je suis anxieux, je ne suis pas complètement concentré non
plus.
THÉRAPEUTE. – C’est certain, vous êtes sûrement plus disponible lorsque vous ne ressentez pas
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cette anxiété. Mais le seriez-vous davantage si vous ne comptiez pas ?
JEAN. – Oui, même si je ne me sens pas bien, je serais quand même plus disponible si je ne suis
pas en train de chercher des chiffres.
THÉRAPEUTE. – Cela veut-il dire que vous seriez prêts à ressentir cette anxiété afin de pouvoir
continuer à transmettre ce que vous savez à votre petit-fils, à l’aider à grandir et à apprendre à
se débrouiller dans la vie ?
JEAN. – Je suppose, oui. C’est très important pour moi.
THÉRAPEUTE. – Donc, la prochaine fois que vous serez avec votre petit-fils, peut-être serez-vous
anxieux, mais vous serez totalement avec lui, et non dans vos rituels.
JEAN. – Oui. Ça en vaut la peine.
Rester en contact avec des émotions et des pensées négatives doit servir un objectif qui
dépasse la simple « résignation » face à un état de fait. Le but est que le patient donne
son accord à la présence d’événements psychologiques difficiles, non parce qu’il ne peut
faire autrement, mais parce que cela lui permet de réaliser quelque chose d’important pour
lui, une action qui transcende la douleur à laquelle il sera éventuellement confronté. 263
afin que les comptages automatiques n’apparaissent pas. Il m’explique que si ces comptages
apparaissent, il pourra toujours les observer, comme il a appris à le faire au cours des
exercices. Il a notamment remarqué que ces comptages automatiques sont maintenant moins
fréquents. Il lui arrive, par exemple, d’être capable de suivre une émission de télévision
sans compter.
Afin d’évaluer les avancées de la thérapie de Jean, je lui propose de remplir à nouveau les
échelles d’évaluation fonctionnelle et de me les remettre à notre prochaine rencontre.
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SÉANCE 10 : ÉVALUATION DES RÉSULTATS, AMORCE
DE LA FIN DE PRISE EN CHARGE
Jean a prolongé son engagement en présence de son petit-fils, avec qui il a de nouveau
passé le mercredi après-midi. Il décrit un moment tout aussi appréciable pour lui, même si
l’envie de réaliser les rituels est de nouveau apparue, tout comme l’anxiété. Par ailleurs,
Jean a accepté une invitation à déjeuner chez un beau-frère dans trois semaines.
Les résultats aux échelles d’évaluation fonctionnelle remplis entre la neuvième et la dixième
séance sont rassemblés dans la figure 10.2.
264
Figure 10.2.
Ces résultats montrent que Jean est moins sujet aux évitements expérientiels, qu’il s’engage
davantage dans des actions qu’il valorise, et qu’il est davantage en contact avec l’instant
10 • Rituels de comptage
présent. Il a retrouvé une flexibilité en présence des mots qui lui viennent à l’esprit, ou
en présence de comptages des objets de son environnement, et ne se sent plus contraint
de rechercher un chiffre pour faire disparaître son anxiété. On remarque également que la
fusion cognitive a, également diminué, alors qu’elle n’a été qu’indirectement travaillée. Le
travail d’acceptation des manifestations anxieuses a vraisemblablement contribué à ce que
le contrôle des comportements par le langage, en l’occurrence l’obligation de compter en
présence des mots, soit de plus faible ampleur.
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Nous convenons ensemble de commencer à espacer nos rencontres, à raison d’un rendez-vous
toutes les deux semaines. Je demande à Jean de poursuivre les exercices de contact avec
l’instant présent et de continuer à choisir des actions dans le sens de ce qui est important
pour lui. Si les résultats obtenus se maintiennent, une fin de thérapie est envisagée dans
quatre à cinq séances.
On note au passage que la thérapie se termine lorsque la flexibilité psychologique s’est
accrue, que le patient n’est plus poussé à agir dans le but de diminuer ou d’éviter les émotions
négatives qui lui sont désagréables, et qu’il a pu réinvestir les domaines importants de son
existence. Ces objectifs remplacent les buts thérapeutiques habituellement visés en thérapie.
Dans l’exemple présent, la fréquence d’apparition des rituels de comptage ou des mots dans
la pensée de Jean n’a pas été évaluée en début et en fin de thérapie. Si de tels critères sont
pris en compte dans les études d’efficacité de la thérapie d’acceptation et d’engagement,
ces manifestations ne constituent pas les cibles thérapeutiques de l’ACT. L’objectif d’une
thérapie ACT est d’aider le patient à retrouver une variabilité comportementale en présence
d’événements psychologiques difficiles, et à agir pour ce qui compte pour lui. C’est 265
précisément ce qui a été atteint avec Jean.
BIBLIOGRAPHIE
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Marie Thomas
Chapitre 11
avec agoraphobie
Trouble panique
Le cas de Mlle B.
268
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SOMMAIRE
Anamnèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 270
Motif de la consultation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 270
Histoire de la maladie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 270
Biographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 271
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Analyse fonctionnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 272
Synchronie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 272
Diachronie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 273
Protocole thérapeutique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 275
Description des séances . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 275
Résultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 286
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 287
269
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
ANAMNÈSE
Motif de la consultation
Mlle B., âgée de 26 ans, se présente sur les conseils de son médecin traitant pour des
attaques de panique régulières qui se manifestent depuis plusieurs années. Elle a effectué
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plusieurs bilans organiques depuis l’émergence du trouble qui se sont tous révélés négatifs.
Elle aurait consulté, il y a plusieurs années, un psychiatre pour comprendre l’origine de
son problème mais aurait rapidement cessé de se rendre aux rendez-vous. Elle demande
aujourd’hui à bénéficier d’une thérapie comportementale et cognitive qu’elle a découverte
suite à un reportage à la télévision.
Histoire de la maladie
Mlle B. décrit sa première attaque de panique à l’âge de 19 ans alors qu’elle était au
lycée. D’après ses souvenirs, elle se trouvait seule dans sa chambre d’internat et aurait
ressenti des sensations de vertige, d’étouffement et des palpitations cardiaques. Elle aurait
tout de suite pensé qu’elle allait mourir. Se sentant un peu mieux elle se serait rendue
à l’infirmerie du lycée. L’infirmière aurait appelé ses parents qui n’auraient pas pu venir
la rechercher. Mlle B. se rappelle très bien des pensées qui lui auraient traversé l’esprit à
270 ce moment-là : « Personne n’est là pour moi, si j’ai besoin d’aide je ne peux compter sur
personne, personne ne pourra m’aider. » Cet épisode se serait très vite généralisé au point
d’en faire régulièrement à l’école. Très rapidement, elle se serait sentie contrainte d’arrêter
sa scolarité avant de passer son baccalauréat. Elle voulait éviter que ne se déclenchent à
nouveau les malaises qu’elle redoutait et qui, à l’époque, se limitaient au lycée. Les attaques
de panique se seraient rapidement étendues à l’extérieur : lors de ses sorties au cinéma
puis au restaurant avec ses copines. Elle aurait donc préféré rester chez elle et limiter un
maximum ses sorties.
Aujourd’hui, elle évite toujours toute situation qu’elle considère « à risque » et sa vie se
limite à quelques sorties « contraintes », comme aller faire des courses ou se rendre chez
le médecin. Le plus souvent, elle sort de chez elle accompagnée de son petit ami qu’elle
fréquente depuis le lycée. L’anxiété est importante lorsqu’elle se rend seule à l’extérieur. Elle
vit dans la crainte persistante d’avoir une nouvelle attaque de panique si bien que toute
nouvelle activité est impossible pour elle. Elle n’a jamais travaillé et ne se sent pas capable
d’affronter cette situation. Elle est, à ce jour, complètement isolée sur le plan social.
Son anxiété a récemment augmenté. Alors qu’elle était habituée à ce que son compagnon
comprenne ses difficultés et l’en protège, il la pousserait, depuis peu, à essayer de trouver
11 • Trouble panique avec agoraphobie
un travail pour augmenter les revenus du foyer. Après avoir quitté l’école, elle a cherché
à travailler. Habitant à la campagne, elle était contrainte de prendre la voiture pour se
déplacer, ce qui était extrêmement anxiogène pour elle. Elle a abandonné l’idée. À ce jour,
elle n’a jamais exercé une activité rémunérée. Actuellement, la fréquence de ses attaques
de panique est de deux à trois crises par jour. Elles atteignent leur paroxysme en moins de
dix minutes. Le niveau d’anxiété semble réduire entre les crises mais ne disparaît jamais
complètement. Pendant ces crises, elle évoque la présence de distorsions perceptuelles
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diverses telles que dépersonnalisation et déréalisation et évoque également la présence
de manifestations cognitives subjectives comme des cognitions catastrophiques. Mlle B.
n’identifie pas de facteur déclenchant particulier.
Biographie
Mlle B. est la quatrième de six enfants. Elle décrit une mère violente qui aurait séjourné
plusieurs fois en hôpital psychiatrique. Elle ne connaît pas le diagnostic mais évoque la
présence d’hallucinations. Elle rapporte que la maladie et les hospitalisations répétées de
sa mère l’auraient énormément rapprochée de ses frères et sœurs. Son père possédait une
petite entreprise d’électricité. Il était, à ce titre, souvent absent. C’est la sœur aînée de
Mlle B. qui s’occupait de la gestion de la famille. Bien qu’elle se sente proche de ses frères
et sœurs, personne ne connaît l’existence de son trouble panique avec agoraphobie. Elle
dit avoir honte de son problème et craint d’être jugée négativement par eux.
Bonne élève jusqu’au lycée, sa scolarité s’est dégradée lors de son entrée à l’internat. 271
Elle aurait beaucoup souffert de l’éloignement familial. À cette période, elle a développé
quelques relations d’amitié que le temps a usées. C’est à cette époque qu’elle a rencontré
son compagnon actuel qui la soutient beaucoup dans ses difficultés. Elle ne se déplace
pour ainsi dire jamais sans lui. Elle souffre de lui imposer une vie sans aucune sortie, où
chaque épisode à l’extérieur est vécu comme une source d’anxiété importante. Ils ne sont
pas partis en vacances depuis cinq ans. Son compagnon vient de passer un concours qui
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risque de l’envoyer en formation dans le sud de la France toute une année. Mlle B. se refuse
d’envisager cette éventualité. Elle aimerait avoir un enfant avec lui mais ne s’imagine pas
être en capacité de gérer les situations liées à la grossesse et à l’arrivée d’un bébé.
Elle souhaite améliorer sa qualité de vie en suivant une thérapie.
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
ANALYSE FONCTIONNELLE
(GRILLE SECCA, COTTRAUX, 1985)
Synchronie
• Anticipation
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– « Je vais faire un malaise ».
– « Cette fois-ci ça va être plus grave, je vais probablement mourir ».
– « Que vont penser les gens, comment vont-ils réagir ? ».
– « Je vais passer pour une folle ».
• Situations
– Tous les lieux publics.
– La voiture.
• Émotions
– Stress.
– Anxiété.
– Peur.
• Signification personnelle
272
– « Je suis perdue ».
– « Je suis différente des autres ».
– « Ça doit être grave ».
• Cognitions
– « Je vais perdre le contrôle ».
– « Il ne faut pas que ça se voit »
– « Je vais m’évanouir ».
– « Je vais mourir ».
– « Je suis coincée, je ne peux plus fuir ».
• Imagerie
– Tomber et s’évanouir au milieu des gens.
– L’arrivée des pompiers.
• Comportements ouverts
– Besoin d’être accompagnée.
11 • Trouble panique avec agoraphobie
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– Il est très compréhensif.
Diachronie
• Données structurales possibles :
– génétiques : mère qui souffrirait d’un trouble psychiatrique. Ne l’aurait jamais soutenue,
décrite comme faisant preuve d’un comportement rejetant ;
– personnalité : traits de personnalité évitante.
• Facteurs historiques de maintien possible :
– facteurs passés : comportements déstabilisants de la mère, gestion de la famille par
la fratrie, père peu présent ;
– facteurs de stress actuel : départ probable de son compagnon pour une formation
dans le sud de la France ;
– facteurs de maintien actuel : évitement de la plupart des situations dans lesquelles 273
est susceptible de se déclencher une attaque de panique ; maintien du trouble par
l’assistance de son compagnon.
• Facteurs déclenchants initiaux invoqués :
– ne pas obtenir l’aide attendue par ses parents lors de sa première attaque de panique
au lycée.
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274
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11 • Trouble panique avec agoraphobie
PROTOCOLE THÉRAPEUTIQUE
Le protocole thérapeutique choisi est un plan expérimental à cas unique de type A-B-A.
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A. La phase d’évaluation
• Anamnèse.
• Recueil des informations nécessaires au diagnostic et à l’analyse fonctionnelle du
problème.
• Évaluation, par des échelles auto-rapportées, des difficultés et du niveau de base
du trouble.
• Informations sur le diagnostic et la thérapie comportementale et cognitive.
• Définition des objectifs à atteindre par la patiente.
• Description des moyens pour y parvenir.
• Rédaction du contrat thérapeutique.
B. La phase d’intervention
• Gestion des réactions physiologiques liées aux attaques de panique.
• Établissement d’une échelle des situations phobogènes.
• Exposition graduée en imaginaire et in vivo aux situations anxiogènes.
• Restructuration cognitive. 275
• Évaluation des résultats.
Chaque séance s’organise de la même façon : un bilan de la semaine passée suivi d’une
revue des tâches assignées, d’une désignation d’un thème de séance, de la prescription de
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anxiogène pour elle. Elle admet avoir besoin de l’aide d’un professionnel pour aller mieux et
dit être prête à se mettre en difficulté pour y parvenir. Sa démarche est renforcée. Elle parle
assez facilement de son problème et affiche une bonne connaissance de son fonctionnement
actuel.
Cette première séance est destinée au recueil des éléments anamnestiques et à l’ébauche
de l’analyse fonctionnelle du problème pour lequel elle consulte. En ce qui concerne
l’occurrence de ses attaques de panique, même si elle reconnaît qu’il existe des moments
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où elles émergent moins, la fréquence moyenne serait d’une quinzaine par semaine. Ses
difficultés seraient plus envahissantes aujourd’hui qu’il y a plusieurs années.
Aucune information précise sur le diagnostic n’est fournie à la patiente lors de cette
première séance. Il lui est simplement communiqué qu’elle souffre d’un trouble anxieux et
que les prochaines séances permettront d’en affiner le type. Elle accepte de revenir pour un
second entretien fixé à la semaine d’après. Avant de terminer la séance, plusieurs échelles
sont administrées à la patiente et serviront de ligne de base :
• le questionnaire des sensations corporelles de Chambless et al. (1984, cités par Bouvard
et Cottraux, 1996) Cette échelle évalue la peur des sensations physiques désagréables
associées à l’anxiété. Le score de Mlle B. à ce questionnaire est de 54 avec une moyenne
de 3. Les sensations les plus anxiogènes pour elle sont les pressions au niveau de la
poitrine, les étourdissements, la vision troublée ou déformée et les jambes molles. Elle a
rajouté être extrêmement effrayée lorsque des tâches noires lui apparaissent devant les
yeux ;
276 • le questionnaire des cognitions agoraphobiques de Chambless et al. (1984, cités par
Bouvard et Cottraux, 1996). Il évalue les pensées liées aux conséquences négatives
de l’anxiété ou de la panique. Il se compose de deux sous-échelles : les inquiétudes
sociales et comportementales dont le score de Mlle B. s’élève à 18 et les inquiétudes
physiques dont le score s’élève à 13. La cognition la plus fréquente est la peur de perdre
le contrôle de soi-même. Vient ensuite la peur d’agir de manière ridicule, de devenir folle
et d’être paralysée par la peur. Ces cognitions renvoient à des inquiétudes sociales et
comportementales ;
• l’échelle de dépression abrégée de Beck (1974, cités par Bouvard et Cottraux, 1996) : le
score total s’élève à 6. Ce score fait état d’une dépression légère probablement associée
à l’anxiété.
! Séance 2
Mlle B. dit être satisfaite de la première séance et attendre beaucoup de la thérapie bien
qu’elle estime ses capacités de changements à 40 %. Elle sort un petit cahier dans lequel
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elle a consigné ses tâches assignées. Ses colonnes rendent compte de l’émergence de 11
attaques de panique durant la semaine.
L’entretien permet d’affiner l’analyse fonctionnelle et de poser le diagnostic de trouble
panique avec agoraphobie selon les critères du DSM-IV (APA, 1994). Mlle B., qui participe
régulièrement à des forums de discussion sur le sujet, valide le trouble. Un modèle théorique
lui est expliqué. Nous reprenons ensemble une attaque de panique de la semaine pour
illustrer l’interaction qui existe entre situation-cognitions-émotions-comportements. Une
description rapide de la thérapie comportementale et cognitive lui est fournie et les
concepts d’habituation et d’extinction sont définis. Nous nous attardons sur les trois types
de contrôle que nous visons dans le traitement de ses difficultés :
• le contrôle de la réponse physiologique par l’apprentissage de la régulation respiratoire,
la régulation cardiaque et la relaxation ;
• le contrôle de la réponse comportementale d’évitement des situations anxiogènes par
l’exposition graduelle en imaginaire et in vivo ;
277
• le contrôle de la réponse cognitive par la restructuration des pensées et des croyances
dysfonctionnelles.
Le contrat thérapeutique est discuté. Nous fixons comme objectifs à l’intervention : contrôler
les attaques de panique et pouvoir à nouveau fréquenter les lieux publics sans être
accompagnée. Quinze séances de quarante-cinq minutes (la durée de la séance sera
augmentée à une heure lors des phases d’exposition en imaginaire) à raison d’une séance
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par semaine seront destinées à atteindre ces buts. Nous discutons des moyens à utiliser
pour y parvenir. L’entretien se termine par une courte séance de relaxation (type Schultz).
Mlle B. est émue, elle dit se sentir comprise. Suite à l’envahissement de sa problématique
ces derniers temps, elle n’imaginait pas de solution possible. Elle se dit impatiente de
commencer la thérapie. Pour le prochain rendez-vous Mlle B. doit continuer à remplir ses
fiches d’auto-observation.
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
! Séance 3
Mlle B. rapporte le contrat thérapeutique signé. Elle a fait douze attaques de panique depuis
la semaine dernière. Les fiches d’auto-observation sont vues ensemble. Elles confirment la
bonne capacité d’analyse de la patiente.
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Situation à l’origine de Émotion et intensité Pensées automatiques
l’attaque de panique
Dans un petit magasin avec Anxiété 8/8, tâches noires Ça y est, je me sens pas
ma sœur, les éclairages devant les yeux, bien, j’ai chaud, je vais
sont forts, je suis éblouie. palpitations cardiaques. m’évanouir.
278
Le travail de la séance vise la réponse physiologique des attaques de panique. Il est expliqué
à la patiente le cercle vicieux de l’attaque de panique et le rôle joué par l’hyperventilation.
Le contrôle respiratoire et le réflexe de Valsalva (exercer une pression abdominale pour faire
chuter rapidement le rythme cardiaque) sont enseignés à la patiente. Après s’être assuré de
sa bonne compréhension des exercices et de sa capacité à les mettre en place, une épreuve
d’hyperventilation est proposée afin d’induire des symptômes identiques à ceux ressentis
pendant les attaques de panique. Un des objectifs de cet exercice est de réattribuer les
symptômes à l’hyperventilation et non pas aux conséquences redoutées. Un document sur
l’hyperventilation qui explique le processus, ses conséquences et les moyens d’y remédier
est remis à la patiente.
Elle dit être rassurée de connaître le fonctionnement des attaques de panique et d’observer,
grâce aux exercices pratiqués, qu’elle est capable de contrôler les conséquences physiques
de l’anxiété. Toutefois, elle craint de ne pouvoir y parvenir seule. Ses capacités sont mises
en avant et elle est encouragée à essayer. La séance se termine par de la relaxation.
Mlle B. doit continuer à remplir ses fiches d’auto-observation. Elle doit s’entraîner à mettre
en place le contrôle respiratoire dans des situations non anxiogènes et réguler sa respiration
11 • Trouble panique avec agoraphobie
lorsqu’elle ressent les premiers signes d’anxiété. Elle doit établir une liste des situations
évitées et/ou redoutés et les organiser en fonction du niveau d’anxiété qu’elles suscitent.
! Séance 4
Mlle B. arrive souriante à l’entretien. Elle est parvenue à contrôler, à plusieurs reprises, les
manifestations physiologiques des attaques de panique, ce qui a désamorcé le cercle vicieux.
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Elle rapporte l’émergence de sept attaques de panique. Elle a évalué à 8/8 l’intensité de
quatre d’entre elles. La plupart du temps elle n’a pas pensé à mettre en place le contrôle
respiratoire. En ce qui concerne les quatre plus grosses attaques de panique, la cognition
de ne pas être capable de contrôler, malgré la mise en place des exercices, semble avoir
augmenté le niveau d’anxiété.
Le travail de séance commence par la reprise du contrôle respiratoire. L’importance de
l’entraînement est pointée. Nous reprenons ensemble le travail sur les situations anxiogènes.
! Séance 5
Mlle B s’entraîne quotidiennement au contrôle respiratoire et constate une nette diminution
de la fréquence des attaques de panique, elle en a fait cinq cette semaine. Elle évalue à
6/8 son niveau d’anxiété actuel. Elle redoute l’exposition en imaginaire prévue ce jour. Les
avantages et les inconvénients de cet exercice sont discutés. Elle accepte en constatant la
supériorité des avantages de cette pratique. Nous reprenons sa hiérarchie et la première
situation phobogène est choisie : faire le plein d’essence de sa voiture. Elle choisit d’imaginer
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se rendre au supermarché proche de chez elle.
Avant de commencer l’exposition, un état de relaxation est induit chez la patiente. Puis, à
son rythme, elle commence par s’imaginer, seule, se rendre à la station-service et attendre
derrière un conducteur qui vient de descendre de sa voiture pour faire le plein. Elle a choisi
le côté de la station dont le paiement s’effectue par carte bancaire ce qui lui évite de
patienter à la caisse. Elle évalue son anxiété à 7/8. La mise en place du contrôle respiratoire
lui permet de réduire l’hyperventilation et de reprendre le contrôle de la situation. Elle
parvient rapidement à faire chuter à 3/8 l’émotion déplaisante. Mlle B. est satisfaite de
cette séance, elle ne pensait pas être capable de maîtriser aussi rapidement son anxiété.
La situation est reprise en imaginaire mais cette fois Mlle B. s’engage dans la file où le
paiement s’effectue en caisse, ce qui permet de contrôler l’évitement mis en place par la
patiente lors de la première exposition. Elle évalue une première fois son anxiété à 5/8 qui
chute rapidement à 2/8.
La patiente s’engage à s’exposer in vivo à la situation travaillée en thérapie. Elle continue
280
également à remplir ses fiches d’auto-observation.
! Séance 6
Mlle B. est toute excitée de dire qu’elle est parvenue à refaire l’exposition travaillée ensemble
la semaine dernière. Elle est prête à travailler la situation d’après. Au cours de la semaine,
elle a fait six attaques de panique, principalement en raison d’anticipation de situations
qui développent habituellement de l’anxiété.
Sous relaxation, nous prenons la deuxième situation de sa hiérarchie. Elle s’imagine à la
mairie en train d’attendre derrière des gens pour obtenir les papiers pour refaire sa carte
nationale d’identité. Elle décrit parfaitement la situation. Elle évalue son anxiété à 8/8.
Il lui faut environ vingt minutes pour redescendre le niveau à 3/8. Mlle B. estime que la
séance a été éprouvante et se sent fatiguée.
Une fois de plus, le travail effectué en séance doit être reproduit à l’extérieur. Il est précisé
à Mlle B. qu’à partir de la semaine prochaine, les expositions prescrites en dehors des
séances seront différentes de celles travaillées ensemble pour favoriser la généralisation
des apprentissages. Les autres tâches assignées sont identiques à la semaine passée.
11 • Trouble panique avec agoraphobie
! Séance 7
Mlle B. a fait cinq attaques de panique cette semaine. Elle a essayé de reproduire l’exposition.
Face à un niveau d’anxiété trop important (8/8), elle a mis en place un comportement
d’évitement.
Nous décidons, au cours de cette séance de reprendre ensemble cette situation avant de
commencer une nouvelle exposition. Cet exercice montre une hyperfocalisation de l’attention
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de Mlle B. sur les stimuli anxiogènes et des distorsions cognitives (surgénéralisation et
inférence arbitraire). Nous définissons ensemble les distorsions cognitives et l’importance
d’apprendre à les repérer. Il lui est expliqué que son attention se fixe sur une partie,
seulement, des éléments et qu’il existe, à ce titre, un biais dans le traitement de l’information.
Cet épisode permet d’introduire une quatrième colonne dans ses fiches d’auto-observation
destinée à la recherche de pensées alternatives aux pensées dysfonctionnelles. Mlle B. doit
évaluer son taux de croyance en la pensée automatique puis l’évaluer à nouveau après avoir
cherché des pensées alternatives.
Je suis à la mairie, la Anxiété 8/8 Je vais faire un Ce que je ressens est lié
personne devant moi Sueur, malaise. (100 %) au fait que j’hyperventile 281
est au guichet depuis tâches noires Les gens me (mon niveau de dioxyde
plus de dix minutes, il devant les regardent, ils me de carbone dans le sang).
fait chaud, l’éclairage yeux, jambes trouvent bizarre. (30 %)
est important. molles. (80 %) Si les gens me regardent
Je n’y arriverai c’est peut-être pour me
jamais. (90 %) plaindre du fait que
j’attends depuis
longtemps. Moi aussi
d’ailleurs je les regarde
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
À la suite de cet exercice, Mlle B est exposée en imaginaire. Elle préfère passer à une autre
situation de sa hiérarchie et s’exposer à nouveau à la mairie pour le prochain rendez-vous.
L’exposition se passe bien. La patiente évalue son anxiété à 4/8 dans la salle d’attente d’un
dentiste.
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
Mlle B. s’engage à renouveler l’expérience de la mairie pour la prochaine fois. Elle continue
de remplir ses fiches d’auto-observation en ajoutant la recherche de pensées alternatives.
! Séance 8
Mlle B. est très fière d’elle. En plus d’être allée à la mairie chercher ses papiers, elle a invité
son compagnon au restaurant. Elle est parvenue à gérer le niveau d’anxiété dans les deux
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cas. Les principes de l’exposition sont repris avec la patiente. Elle ne rapporte aucune
attaque de panique depuis la semaine dernière. Elle a ressenti les premiers symptômes mais
elle est parvenue à désamorcer le cercle vicieux. Ses tâches assignées montrent qu’elle
a globalement bien compris la consigne qui concerne les pensées alternatives, toutefois,
des pensées de type réassurance, qui participent au maintien de ses difficultés, sont
pointées comme par exemple : « c’est pas très grave si je tombe dans les pommes » ou
alors « quelqu’un finira bien par appeler les pompiers. »
L’exposition de cette séance est choisie par la patiente. Elle imagine une salle de cinéma.
Les spectateurs sont nombreux. Elle prend la décision de s’installer en plein milieu. Elle
évalue son anxiété à 6/8 et la réévalue après quelques minutes à 2/8.
Les tâches assignées sont identiques aux semaines précédentes.
! Séance 9
282
Mlle B. a fait une attaque de panique cette semaine. Elle a continué à s’exposer durant la
semaine. Pour conduire sur les axes principaux, elle a commencé par prendre la voiture
seule, ce qu’elle faisait rarement. En constatant qu’aucune anxiété n’émergeait sur les axes
secondaires, elle a pris la décision de rendre visite à ses parents qui habitent à une trentaine
de kilomètres de chez elle. À mi-distance, elle a ressenti des symptômes anxieux. Elle a pris
la première sortie sur l’autoroute et s’est garée dès qu’elle a pu. Des pensées automatiques
dépréciogènes et catastrophiques ont émergé. Après un exercice de respiration contrôlée
elle a décidé de s’exposer à nouveau afin de ne pas céder à une conduite d’évitement qui
renforcerait le problème. Elle est parvenue, très satisfaite d’elle, chez ses parents. Nous
décidons de travailler les pensées automatiques rapportées dans son cahier par rapport à
cette situation et de chercher des alternatives.
Nous terminons la séance par de la relaxation. Mlle B. est satisfaite de la séance. Elle dit
devoir s’entraîner davantage à trouver une alternative à sa première façon de penser ce qui
ne lui semble pas évident.
Pour le prochain entretien, la patiente doit travailler ses pensées alternatives et continuer
à s’exposer aux situations redoutées.
11 • Trouble panique avec agoraphobie
Je conduis seule sur Anxiété 8/8 Je sais qu’il faut que Je ne suis pas nulle,
l’autoroute pour me tachycardie, je réduise le rythme je sais réguler ma
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rendre chez mes oppression de ma respiration respiration, je le fais
parents. thoracique, tâches pourtant je suis dans plein d’autres
devant les yeux. incapable de le faire, situations, c’est
je suis nulle. juste que cette
(100 %) situation est
normalement plus
difficile pour moi.
(40 %)
283
! Séance 10
Mlle B. ne rapporte aucune attaque de panique. Nous décidons de travailler une situation en
imaginaire : les courses en grande surface un samedi après-midi. Au cours de l’exposition,
la pensée automatique « je vais perdre le contrôle » émerge. Nous travaillons cette pensée
par questionnement socratique.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
PATIENTE. – Que les pompiers m’amènent à l’hôpital psychiatrique et que je finisse comme ma
mère.
Le postulat « je vais finir en hôpital psychiatrique comme ma mère » est mis au jour. Elle
évalue à 100 % son niveau d’adhésion. Les arguments en faveur et à l’encontre de cette
croyance sont relevés.
Tableau 11.5. Arguments pour et contre la croyance
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Arguments qui valident Arguments qui invalident le postulat
le postulat
Mlle B. est surprise de l’enchaînement de ses pensées et constate que cela participe à
l’émergence de son anxiété. Elle réévalue à 30 % son niveau d’adhésion. Elle pense que le
fait de chercher des arguments pour et contre ce qu’elle pense peut l’aider au quotidien.
284
Les tâches prescrites sont identiques : continuer le relevé des situations anxiogènes,
s’entraîner au contrôle respiratoire et s’exposer en respectant la hiérarchie.
! Séance 11
Mlle B est parvenue à s’exposer aux courses en grande surface. Elle a consciencieusement
relevé la situation dans son cahier. Les pensées alternatives trouvées ont permis de réduire
nettement l’impact des pensées dysfonctionnelles, elle a donc pu terminer ses courses sans
difficulté. Arrivée à la caisse du magasin, elle a laissé passer une personne devant elle. Elle
ne rapporte aucune attaque de panique.
Il est décidé, d’un commun accord, de réserver la séance prochaine au bilan de la thérapie.
En attendant, Mlle B. continue les tâches demandées habituellement.
! Séance 12
Aucune situation anxiogène à relever. Mlle B. est satisfaite du suivi et du confort de vie
récupéré. Cette séance est réservée à l’évaluation de la thérapie par la passation des échelles
11 • Trouble panique avec agoraphobie
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Long voyage en train 100 % 70 %
! Séance 13
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
Son ami est parti pour un an de formation dans le sud. Elle appréhendait son départ et
est étonnée de constater qu’elle se sent bien. Elle n’imagine pas ce que cela aurait été si
elle n’avait pas entrepris de thérapie. Elle s’adapte bien à sa nouvelle vie. Elle est allée à
la piscine et s’est surprise, une fois dans l’eau, de n’avoir eu aucune anticipation anxieuse
avant de s’y rendre. Aucune attaque de panique à relever. Le prochain entretien est fixé
deux mois après.
! Séance 14
Mlle B. arrive souriante à l’entretien. Elle s’amuse à se rendre dans des endroits qu’elle s’était
jusque-là interdits. Elle a fait l’aller-retour seule à Paris sur une journée pour aller visiter le
TRAITER L’ANXIÉTÉ. 11 CAS PRATIQUES ENFANTS ET ADULTES EN TCC
Louvre. Elle décrit cette journée comme l’une des plus belles de sa vie. Elle culpabilise un
peu d’avoir attendu tout ce temps avant d’avoir décidé de se faire aider. Elle sourit et dit :
« Je pourrais me trouver nulle mais je me dis simplement qu’il m’a fallu du temps et que
j’aurais très bien pu ne jamais prendre la décision de venir consulter ! » Nous décidons de
nous voir une dernière fois dans trois mois. Mlle B. remplit à nouveau les différentes échelles.
! Séance 15
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Mlle B. a fait une attaque de panique depuis le dernier rendez-vous alors qu’elle était en
vacances. Elle a su parfaitement gérer cette situation en mettant en place, « presque de
manière automatique » le contrôle respiratoire. Des pensées alternatives lui sont directement
apparues : « Si je me sens mal c’est uniquement parce que j’hyperventile. » Elle est fière
d’être allée en vacances à 800 km de chez elle. Elle remplit les échelles d’évaluation pour
contrôler le maintien des bénéfices engendrés depuis la thérapie.
Résultats
Les résultats de la thérapie mesurés à l’aide des différentes échelles sont consignés dans
les tableaux 11.7 et 11.8.
Tableau 11.7. Évolution des résultats aux échelles en cours de traitement
Le questionnaire des
sensations corporelles de 54 23 21 23
Chambless
Le questionnaire des
cognitions agoraphobiques 31 20 18 19
de Chambless
Sous-échelle inquiétudes
sociales et 18 12 10 9
comportementales
Sous-échelle inquiétudes
13 8 8 10
physiques
BDI 6 2 2 1
11 • Trouble panique avec agoraphobie
Nombre
15 11 12 7 5 6 5 0 1 0 0 0 0 0 1
d’AP
Les résultats aux échelles confirment l’atteinte des objectifs fixés avant l’intervention
thérapeutique. Mlle B. a récupéré l’autonomie qu’elle avait perdue depuis qu’elle souffrait
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d’un trouble panique avec agoraphobie et a appris à désamorcer les attaques de panique.
BIBLIOGRAPHIE
AMERICAN PSYCHIATRIC ASSOCIATION, (1994). CHAMBLESs, D.L., CAPUTO, G.C., BRIGHT, P.,
Manuel diagnostique et statistique des & GALLAGHER, R. (1984). « Assessment of
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BECK, A.T. (1976). Cognitive Therapy and Sensations Questionnaire and the Ago-
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