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Cyrille Bouvet

grandes
18 notions
de la pratique
de l’entretien
clinique
3e édition
revue et actualisée

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Maquette de couverture :
www.atelier-du-livre.fr
(Caroline Joubert)

© Dunod, Malakoff, 2022


11 rue Paul Bert, 92240 Malakoff
www.dunod.com
ISBN 978-2-10-082528-8

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Table des matières

INTRODUCTION 1

CHAPITRE 1 DÉFINIR L’ENTRETIEN CLINIQUE 5

1. L’entretien en général 7
2. L’entretien dans la relation d’aide 10
3. L’entretien clinique 13
4. L’entretien clinique
ou les entretiens cliniques ? 16
4.1 Les pratiques
selon les référentiels théorico-cliniques 16
4.2 La compréhension de la vie psychique
selon les référentiels 18
5. Relativiser l’importance des courants
en pratique 21
6. Au-delà des différences, les facteurs communs 24
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

7. L’entretien clinique : définition des éléments


qui le composent 28
7.1 La demande 28
7.2 Les objectifs de l’entretien 29
7.3 Le cadre 29
7.4 Les usagers de l’entretien 30
7.5 L’engagement du clinicien 31
8. Réussites et échecs dans l’entretien clinique ? 32
8.1 Atteindre ses objectifs… avec le patient 33
8.2 Utiliser les problèmes et les erreurs 34

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IV 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

8.3 De l’ambiance au travail de fond 37


8.4 De l’idéalisation à la chute 38
8.5 Travailler à deux niveaux 39

PARTIE 1 – MENER UN ENTRETIEN CLINIQUE EN PRATIQUE

CHAPITRE 2 L’ATTITUDE DU CLINICIEN 45


1. Les attitudes à éviter 47
1.1 Les attitudes éthiquement condamnables
du clinicien 47
1.2 La peur, la sympathie et l’évitement 50
2. Les attitudes à favoriser 54
2.1 Mettre à l’aise 54
2.2 Créer une relation de confiance 57
2.3 Intervenir sur la vie psychique 65

CHAPITRE 3 CONSTRUIRE ET MAINTENIR


UNE BONNE ALLIANCE THÉRAPEUTIQUE 69

CHAPITRE 4 CONSTRUIRE LE CADRE DE LA RELATION CLINIQUE 77


1. Le cadre matériel 79
2. Le cadre immatériel 86
3. Le cadre imaginaire et symbolique 91
4. Comment débuter une intervention clinique ? 96
4.1 Avant le premier entretien 97
4.2 Pendant l’entretien 101
4.3 La démarche diagnostique 103
4.4 Résumé de la situation
et proposition d’intervention 105

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Table des matières V

4.5 Et si le résultat est négatif ? 106


4.6 Conclusion : quelques règles 107

CHAPITRE 5 COMMENCER UN ENTRETIEN CLINIQUE 109

CHAPITRE 6 TRAVAILLER LA DEMANDE ET DÉGAGER LES OBJECTIFS


DU TRAVAIL CLINIQUE 115

1. Travailler la demande 117


2. Déterminer les objectifs de l’intervention 121
2.1 Pour construire des objectifs,
il faut prendre en compte plusieurs éléments 123

CHAPITRE 7 MAINTENIR UNE INTERVENTION CLINIQUE


DANS LA DURÉE 127

1. Maintenir l’alliance thérapeutique 129


2. Maintenir le cadre de travail 131
3. Suivre un référentiel théorico-clinique 132
4. Avoir une compréhension multi-niveaux 133
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

CHAPITRE 8 CONCLURE UNE INTERVENTION CLINIQUE 137

1. Arrêter un entretien 139


2. Arrêter l’intervention clinique 143
2.1 Quand arrêter ? 144
2.2 Comment arrêter ? 146
2.3 S’assurer de l’amélioration 147
2.4 Arrêter et après ? Envisager la rechute possible 148

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VI 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

2.5 Et les arrêts quand le travail clinique


n’est pas efficace ? 150
2.6 Mais ne pas arrêter trop vite 152

PARTIE 2 – SURMONTER LES PROBLÈMES


DANS L’ENTRETIEN CLINIQUE

CHAPITRE 9 LE PLUS GRAND PROBLÈME À GÉRER… LE CLINICIEN ! 155

1. De la violence du travail clinique


pour le clinicien 157
2. La violence de l’institution 161
3. Perdre la position « méta » 163
4. De l’angoisse à l’ouverture à soi-même 163
5. Quelques conseils au clinicien
pour gérer au mieux ses réactions intérieures 165
6. Quand on n’est pas prêt pour mener
son entretien mais que le patient attend
(conseils pour se reconcentrer
et être plus disponible malgré tout) 169
7. Jeune psychologue, il faut bien débuter ! 174
7.1 Le sentiment d’incompétence et les erreurs 175
7.2 Que conclure de tout cela
pour les psychologues débutants
dans l’entretien clinique ? 178
7.3 La jeunesse 179
7.4 L’impatience 181
7.5 L’orgueil 181
7.6 La soumission et la dépendance 182

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Table des matières VII

CHAPITRE 10 GÉRER LES SOLLICITATIONS PERSONNELLES 185

1. Un principe de conduite 188


2. Comment réagir à une sollicitation
personnelle sans y répondre ? 189
2.1 Répondre par… le silence 189
2.2 Répondre par… une question 189
2.3 Expliquer en quoi la sollicitation
n’est pas adaptée 190
3. Dans quels cas répondre
aux sollicitations personnelles ? 192

CHAPITRE 11 LES ATTITUDES « ANTI-THÉRAPEUTIQUES » DU PATIENT 197

1. Repérer et gérer les réactions du clinicien 200


2. Compréhension multi-niveaux
de la situation 202
3. Le manque d’investissement 204
3.1 Que faire alors ? 205
3.2 Les problèmes cognitifs 208
3.3 Le poids des symptômes 208
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

4. La méfiance vis-à-vis de la thérapie 209


4.1 Le poids des répétitions
des relations intériorisées 210
4.2 Les répétitions relationnelles objets
du travail clinique 211
4.3 Quand l’amélioration fait peur… 213
4.4 Pouvoir arrêter l’intervention clinique 215
4.5 Conclusion 215

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VIII 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

5. Et si le patient perd sa motivation


pour l’intervention clinique ? 216
5.1 Importance de l’alliance 217
5.2 Des progrès qui tardent 218
5.3 Du retour décourageant des symptômes 219
5.4 Et les problèmes « extérieurs » à la thérapie ? 222

CHAPITRE 12 L’INTERVENTION EN PANNE 225

1. Continuer quand même ? 227


2. Réorienter le patient 229
3. Modifier l’intervention 229
4. Prévenir l’enlisement 231
5. Repenser la thérapie 232

CHAPITRE 13 L’ALLIANCE FRAGILE ET L’ALLIANCE FRAGILISÉE 233

1. Réparer une alliance fragilisée 235


2. Travailler dans le cadre d’une alliance fragile 238

CHAPITRE 14 QUAND LE SUJET EXPRIME DES ÉMOTIONS INTENSES


DANS L’ENTRETIEN CLINIQUE 243

1. Les émotions 246


2. Les effets miroir 249
3. Comment réagir en entretien face
aux réactions émotionnelles intenses
du patient ? 250
3.1 Accepter, voire encourager, et soutenir le sujet 251
3.2 Laisser du temps 252

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Table des matières IX

3.3 Nommer l’émotion 252


3.4 Comprendre 253
3.5 Travailler en direct sur l’émotion 254
4. Face à des émotions spécifiques 255
4.1 La tristesse, le patient qui pleure 255
4.2 Le patient qui fait une crise d’angoisse
en entretien 256
4.3 Quand le sujet est en colère, s’agite,
monte le ton 259
4.4 Le patient trop joyeux et excité 262

CHAPITRE 15 FAIRE FACE AUX ÉVÉNEMENTS DE VIE DRAMATIQUES 265

CHAPITRE 16 ABORDER DES THÈMES DÉLICATS


(SEXE, MORT, VIOLENCE, SUICIDE,
SYMPTÔMES PSYCHOTIQUES…) 273

1. Parler de sexualité 276


2. Parler de maltraitance 279
2.1 Les victimes de violence 279
2.2 Quand le statut de victime est injustifié 285
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

2.3 Les auteurs de maltraitance 288


2.4 Dans le cas où la violence du sujet est imaginaire 292
3. Parler de la mort 293
4. Parler du suicide 295
4.1 Évaluer le risque 296
4.2 Gérer le risque extrême 298
4.3 Risque faible ou modéré 299
4.4 Se suicider, une option légitime ? 301

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X 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

5. Parler des symptômes psychotiques 303


5.1 Explorer les manifestations psychotiques 305
5.2 Sont-elles ou non problématiques ? 305
5.3 Les mots pour en parler 306

CHAPITRE 17 L’ENTRETIEN AVEC LES ENFANTS 311

1. Voir les parents 314


2. Voir l’enfant seul 316
3. Revoir les parents 320
4. L’entretien avec les adolescents 321
4.1 La place des parents dans le suivi des adolescents 323
4.2 Réagir aux sollicitations des adolescents 323

CONCLUSION 325

BIBLIOGRAPHIE 327

INDEX DES NOTIONS 331

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Introduction

La situation d’entretien clinique, en psychologie, est parti-


culière. Une personne souffrant de difficultés psychiques
s’adresse à une autre personne, un psychologue clinicien, qui
prétend, par son attitude, son écoute, ses interventions et ses
propositions techniques, amener la première personne à livrer
son intimité psychique, afin de l’aider à changer pour du meil-
leur. Cette aide s’exerce durant les entretiens cliniques et passe
par des techniques d’entretien mais aussi, pour l’essentiel, par
la qualité de l’alliance thérapeutique, c’est-à-dire la qualité de
la relation entre le clinicien et la personne demandeuse.
Beaucoup a été dit et écrit sur l’entretien clinique. De
nombreux ouvrages et chapitres d’ouvrages traitent de ce
thème. Le plus souvent, en France, ils le font dans une pers-
pective psychanalytique, c’est-à-dire que s’ils mettent bien
l’accent sur la relation, ils insistent surtout sur ses dimensions
inconscientes telles qu’elles sont théorisées en psychanalyse
(transfert-contre-transfert, relations d’objet, intersubjectivité,
pulsions/défenses, etc.). Or la relation thérapeutique ne peut
se réduire à ces dimensions, d’autres caractéristiques y sont
impliquées comme les techniques utilisées, le cadre, les aspects
institutionnels, etc. Ainsi, les étudiants en psychologie et les
jeunes psychologues (les moins jeunes aussi) rencontrent
dans leur pratique des situations, parfois problématiques qui
ne se réduisent pas aux enjeux relationnels entre eux et le
patient. Des questions concrètes se posent à eux régulière-
ment : comment commencer un suivi ? Conduire un entretien ?
Conclure un entretien ? Comment se comporter dans telle ou
telle situation ? Dans la réalisation des entretiens cliniques, il
existe aussi des dimensions pratiques comme l’aménagement
du cadre, l’attitude du psychologue… Les ouvrages « psychana-
lytiques » sur l’entretien clinique n’apportent pas toujours de

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2 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

réponses claires et pratiques à ces problèmes concrets rencon-


trés par le psychologue.
D’un autre côté, il existe aussi des ouvrages plus techniques
et centrés sur ce que fait le psychothérapeute ou le psychologue,
par exemple des ouvrages de thérapies comportementales et
cognitives ou encore des ouvrages sur la passation des bilans
psychologiques. Or, si le psychologue clinicien doit être un bon
technicien (dans son champ théorico-clinique propre : TCC,
psychanalyse, systémie, etc.), il ne peut pas s’en contenter et
doit aussi prendre en compte l’ensemble des éléments qui parti-
cipent de l’entretien clinique, du plus pratique et technique
jusqu’à la qualité du lien qui le rattache à ses consultants. Cela
est particulièrement vrai quand les difficultés des patients se
manifestent, précisément, dans les relations, y compris dans la
relation thérapeutique, comme c’est le cas par exemple quand
il y a des troubles de la personnalité. Or ces aspects, pourtant
essentiels, sont rarement abordés dans les ouvrages techniques.
Le psychologue débutant, bien qu’il ne soit pas encore inscrit
dans un référentiel théorico-clinique précis, doit acquérir
quelques repères pour mener à bien ses entretiens, tant d’un
point de vue technique que relationnel. Or la relation clinique
repose sur un certain nombre d’éléments qui sont communs à
la plupart des référentiels théorico-cliniques et des situations
cliniques. Cette 3e édition, actualisée et augmentée, a pour
objectif d’apporter ces éléments de base de la pratique clinique
qui sont largement partagés par la plupart des psychologues
cliniciens, quel que soit leur référentiel théorico-clinique.
Ce livre n’est donc ni spécialement psychanalytique, ni
particulièrement cognitivo-comportemental, pas non plus
exclusivement systémique ou humaniste. Il ne traite pas de la
cure type psychanalytique, ni des stratégies et des techniques
TCC ou systémiques. Il est donc, de fait, centré sur les aspects
communs à la plupart des entretiens cliniques. Rappelons en
passant que les facteurs communs expliquent à eux seuls la

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Introduction 3

plus grande part de l’efficacité des psychothérapies, alors même


que les facteurs spécifiques (par lesquels les approches théorico-
cliniques se différencient) n’en expliquent qu’une faible part.
Et pour que les facteurs spécifiques soient efficaces il faut déjà
que l’alliance thérapeutique (la relation), base de l’entretien,
soit solide. Il s’agit donc ici de présenter les bases pratiques
nécessaires à la mise en place d’une relation clinique de qualité
lors des entretiens cliniques, bases qui créent les conditions
nécessaires, mais non suffisantes, à un travail clinique efficace.
Cet ouvrage s’adresse aussi aux cliniciens plus expérimentés
qui pourraient y trouver des suggestions et des points de vue
susceptibles de les aider dans des situations délicates.
Cependant, il ne faut pas compter sur un livre de recettes
cliniques, car l’approche clinique est plus proche de l’art et de
l’artisanat que de la production en série. Le clinicien ne peut
faire l’impasse ni sur l’imprévisibilité, ni sur l’irréductibilité, ni
sur la singularité des situations qu’il rencontre et doit traiter.
Sa personnalité et sa créativité sont régulièrement mises en
jeu et mises à l’épreuve. Le psychologue clinicien doit donc
concilier un engagement personnel authentique avec un cadre
et une attitude professionnels, ce qui n’est pas toujours simple
en pratique. Puisse ce livre y aider ses lecteurs.
Le premier chapitre définit l’entretien clinique et le situe
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

par rapport à d’autres pratiques d’entretien. Il en précise les


caractéristiques générales afin de poser un cadre clair pour la
suite du livre. Dans ce chapitre sont aussi discutés les objectifs
de l’entretien. Les notions d’efficacité, de réussite et d’échec
dans l’entretien y sont aussi abordées.
La première partie porte sur les conditions concrètes utiles
au bon déroulement d’une intervention clinique. Il y sera
question de l’attitude générale du psychologue, des cadres de
la relation, de la façon de débuter une intervention clinique
et chaque entretien qui la compose, de la façon de traiter la
demande, de déterminer les objectifs, de créer et de maintenir

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4 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

une bonne alliance thérapeutique, de conclure une interven-


tion psychologique, ainsi que chaque entretien…
La deuxième partie aborde les difficultés concrètes pouvant
se poser lors d’entretiens cliniques et tentera d’apporter, à
chaque fois, des conseils et des suggestions pratiques, utiles
dans la pratique clinique concrète.
Ce livre se fonde sur l’expérience clinique de l’auteur
(praticien dans divers cadres cliniques depuis trente ans et
superviseur), sur son ouverture à plusieurs référentiels cliniques
(TCC, psychanalyse, systémie, humanisme…), sur ses connais-
sances des travaux de recherche scientifiques en psychologie
clinique (professeur de psychologie clinique à l’université
Paris-Nanterre), ainsi que sur son expérience d’enseignant à
l’université des étudiants de psychologie clinique en licence,
master et doctorat, ainsi que, dans le cadre de la formation
professionnelle continue, de professionnels de la relation
dans des secteurs professionnels variés (soignants, formateurs,
psychologues…).

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Cha
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DÉFINIR
L’ENTRETIEN
CLINIQUE

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aire
m
So m

1. L’entretien en général ........................................... 7


2. L’entretien dans la relation d’aide ........................ 10
3. L’entretien clinique ................................................ 13
4. L’entretien clinique
ou les entretiens cliniques ? ................................... 16
5. Relativiser l’importance des courants
en pratique ............................................................. 21
6. Au-delà des différences, les facteurs communs ... 24
7. L’entretien clinique : définition des éléments
qui le composent .................................................... 28
8. Réussites et échecs dans l’entretien clinique ?..... 32

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Pa
1. L’entretien en général
rt
Un entretien clinique est avant tout un entretien. ie
Secondairement, il possède des caractéristiques spécifiques qui
le font qualifier de « clinique ». Donc pour définir l’entretien
clinique, il convient d’abord de définir l’entretien en général.
Il existe de très nombreuses formes d’entretien. Les entretiens
peuvent avoir lieu dans le monde du travail (recrutement, entre-
tien annuel d’évaluation, entretien de licenciement…), dans
l’orientation (entretien d’orientation, de conseils…), dans les
institutions éducatives, comme les écoles, les collèges, les lycées,
les universités (entretien avec les parents, entretien d’admission,
entretien disciplinaire) ; on peut s’entretenir avec son banquier,
ainsi qu’avec un assistant social… ou un psychologue clinicien.
Ce qui est commun à toutes ces situations, c’est qu’il s’agit à
chaque fois d’une relation directe entre deux (ou plus) êtres
humains et que cette relation s’effectue dans un cadre profes-
sionnel. C’est ce qui différencie l’entretien, par exemple, d’une
discussion amicale. On n’a pas un entretien avec ses amis ! Avec
eux, on converse, on discute, on plaisante, mais on ne fait pas
vraiment d’entretien… Le fait que les entretiens se déroulent
dans un cadre professionnel implique un certain nombre de
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

choses importantes qui concernent aussi l’entretien clinique :


– Quand les personnes se rencontrent pour un entretien,
leurs fonctions sociales sont déjà distribuées par le contexte
social et institutionnel. Par exemple, le psychologue clini-
cien a pour fonction d’aider psychologiquement la personne
qui le sollicite en tant que psychologue, et s’il accepte de
répondre à cette sollicitation, il doit alors exercer sa fonc-
tion de psychologue, il ne peut s’y soustraire. Il doit donc
tenir le rôle social de psychologue. Ne pas le faire le mettrait
en contradiction avec les attentes du demandeur, mais
aussi avec le Code de déontologie des psychologues et parfois

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8 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

même avec la loi (par exemple s’il exerce d’autres fonc-


tions sociales pour lesquelles il n’est pas autorisé, comme
médecin, banquier, etc.). Notons que pour exercer la fonc-
tion de psychologue en France, il faut aussi y être autorisé
légalement par l’obtention de certains diplômes (licence et
master de psychologie + un stage professionnel).
– La répartition de ces fonctions et des rôles implique que l’un
des participants a en charge de mener ou de diriger l’entre-
tien tandis que l’autre lui reconnaît ce pouvoir et attend
qu’il l’exerce ; la relation est donc dissymétrique.
– Celui qui mène l’entretien est le professionnel (employeur,
principal de collège, conseiller d’orientation, psycho-
logue…), l’autre participant peut être le subordonné, un
élève ou un étudiant, ou encore un sujet en demande d’aide
psychologique, un patient… Dans la plupart cas, on peut
considérer qu’il s’agit d’un « usager » au sens de « quelqu’un
qui utilise un service », service assuré par le professionnel
durant l’entretien. Cependant les spécificités de l’entretien
clinique font que le terme « sujet » est sans doute plus adapté
dans ce cas, pour marquer sa singularité et son activité.
– Pour les raisons ci-dessus, la relation d’entretien est une
relation empreinte de rapports de pouvoir, car le profes-
sionnel qui mène l’entretien a, de fait, un pouvoir sur
l’usager (l’évaluer, le licencier, l’embaucher, le conseiller,
l’aider, le soigner…) alors que l’usager, ou le sujet, est en
position de demande (il attend quelque chose du pouvoir du
professionnel). Bien sûr, il faut relativiser cette dissymétrie
des pouvoirs dans l’entretien, car un patient a du pouvoir
sur le psychologue, ou un client sur son banquier : il peut
remettre en cause ses compétences (et même le faire savoir
par les réseaux sociaux !), il peut se plaindre de lui (même
auprès d’un juge) s’il estime avoir été abusé… Pourtant,
globalement, le professionnel est tout de même dans une
situation sociale qui lui attribue un pouvoir sur l’usager. Au
professionnel d’en faire bon usage…

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Définir l’entretien clinique 9

– Plus encore, l’objectif même de l’entretien est prédéterminé


par le contexte social (on n’attend pas la même chose de
son banquier que de son psychologue !). Il n’appartient
pas aux protagonistes de déterminer l’objectif général de
leur rencontre, celui-ci est imposé par le contexte social :
le psychologue et le patient qui vient le voir ne peuvent
pas décider entre eux, dans ce cadre, que leur objectif sera
d’étudier les plans de la future maison du psychologue ! Ou
d’organiser leurs vacances à la mer ! Ni même de savoir quel
serait le meilleur traitement pour la bronchite du patient, ou
s’il ferait mieux de placer son argent sur un livret A ou en
achetant des actions… Non, l’objectif est contraint par leurs
fonctions et par leurs rôles sociaux : le psychologue clini-
cien ne peut intervenir qu’en direction d’objectifs inscrits
dans son champ de compétences qui sont rappelés dans le
Code de déontologie des psychologues (bilans psychologiques,
psychothérapies, conseils et soutien psychologiques… que
nous appelons dans ce livre : « interventions cliniques »).
– Enfin, le cadre de l’entretien est aussi prédéterminé avant la
rencontre : le lieu, la durée, les modalités financières, etc.,
préexistent à la rencontre elle-même et influencent forte-
ment le déroulement des entretiens.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

À retenir
Ainsi, un entretien peut être défini comme une rencontre entre au
moins deux sujets, dont l’un est un professionnel exerçant dans le
cadre de cette rencontre une de ses fonctions professionnelles et
dont l’autre reconnaît cette fonction et règle dans l’entretien son
attitude sur cette reconnaissance. Ainsi, l’entretien est une relation
sociale dont les fonctions et les rôles des participants, les objectifs
de la rencontre et les règles qui la régissent sont en grande partie
prédéterminés par sa fonction sociale.

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10 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

Il est tout à fait important que le psychologue clinicien soit


conscient de cette dimension sociale dans laquelle ses inter-
ventions s’inscrivent. D’une part pour l’assumer pleinement
de façon à être solide sur ses bases juridiques, éthiques et insti-
tutionnelles, mais aussi, d’autre part, pour ne pas en abuser
vis-à-vis du sujet et, enfin, pour pouvoir en jouer si nécessaire
durant ses interventions, soit en utilisant de diverses façons la
position d’autorité que lui confère de fait sa fonction, soit en
questionnant cette position d’autorité pour explorer avec le
patient son propre rapport à l’autorité, aux contraintes sociales
et aux jeux de pouvoir…

2. L’entretien dans la relation d’aide

Zoomons un peu plus sur l’entretien mené par le psycho-


logue clinicien. Parmi l’ensemble des entretiens existants, il
existe un sous-groupe spécifique qui est celui des entretiens
s’inscrivant dans le champ de la relation d’aide. Il s’agit de
tous les entretiens effectués dans l’objectif d’aider l’usager, que
ce soit aux niveaux sociaux, éducatifs ou thérapeutiques. Ces
entretiens visent une intervention sur la personne elle-même
(et pas sur son compte en banque, sa voiture ou les plans
de sa maison). Les professionnels assurant ces entretiens sont
donc, par exemple, des assistants sociaux, des éducateurs, ou
encore des psychologues cliniciens. Ces entretiens ont donc
pour fonction sociale d’aider l’usager qui le demande. Cela
implique à nouveau plusieurs éléments spécifiques à ces entre-
tiens que l’on retrouve aussi dans les entretiens cliniques :
– Tout d’abord cela implique qu’il y ait un usager demandeur
d’une aide sur sa situation personnelle et un professionnel
susceptible de répondre à cette demande ; et cela place le
demandeur en position d’attente par rapport au profes-
sionnel. Cela peut donc renforcer la dissymétrie dans les

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Définir l’entretien clinique 11

rapports de pouvoir, dissymétrie qui est déjà inhérente à


toute situation d’entretien.
– De plus, si l’usager demande de l’aide sociale ou psycho-
logique, c’est donc qu’il en a, en général, besoin, ce qui
indique qu’il est en situation de fragilité, de vulnérabilité,
voire de détresse. Cela renforce la possibilité d’une relation
de dépendance entre le demandeur et le professionnel.
– Ainsi, pour ces raisons, l’entretien dans la relation d’aide
contient un potentiel important de déséquilibre des pouvoirs
entre le demandeur et le professionnel. Il est important
de le reconnaître principalement pour empêcher les abus
de pouvoir de la part du professionnel et pour prendre en
compte, dans les échanges, l’état de vulnérabilité du deman-
deur (donc pour des considérations éthiques, mais aussi
juridiques : ne pas profiter de la vulnérabilité d’une personne
affaiblie, ce qui pourrait être un « abus de faiblesse », péna-
lement répréhensible1).
– Par ailleurs, le sujet exprime une demande à laquelle il s’at-
tend que le professionnel réponde. Pourtant la demande
elle-même peut nécessiter un retravail de la part du profes-
sionnel et du sujet, car elle n’est pas toujours adaptée à la
situation, ni même satisfaisable (« Je veux aller mieux totale-
ment et très vite… »). Cette reprise et cette modification de
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la demande par le professionnel peuvent être bien reçues par

1. « Il y a abus de faiblesse quand une personne profite de la vulnérabilité


d’une autre pour la conduire à faire un acte contraire à son intérêt. L’auteur
de l’infraction a connaissance de l’état de faiblesse et de l’ignorance de sa
victime. La vulnérabilité peut être due à son âge, sa maladie, son handicap
physique ou mental. Cela peut être par exemple un mineur, une personne
âgée ou handicapée, une femme enceinte. L’auteur des faits peut aussi exercer
des pressions graves et répétées pour manipuler la victime de manière à fausser
son jugement. » « L’abus de faiblesse peut être puni de 3 ans de prison et
d’une amende de 375 000 €. Cette peine peut être assortie d’une interdiction
d’exercer si l’infraction a eu lieu dans l’exercice d’une profession. » (https ://
www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F35140).

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12 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

le demandeur, mais il peut aussi en ressentir de la frustration


(« On ne répond pas à ma demande ! ») ;
– Plus profondément, le contexte de la relation d’aide tend à
favoriser, ou à réactiver, des modalités relationnelles spéci-
fiques, comme des relations de dépendance, de soumission/
domination, d’idéalisation du professionnel, ou encore des
mouvements affectifs intenses tant positifs (attachement,
amour) que négatifs (rejet, haine). C’est ainsi que la relation
peut aussi être marquée par des éléments de méfiance, de
frustration, d’agressivité, voire de persécution. De façon géné-
rale, le professionnel de la relation d’aide doit être capable de
reconnaître ces mouvements affectifs et les schémas relation-
nels dans lesquels ils s’expriment et qui se répètent, et une
fois ceux-ci reconnus il doit pouvoir les considérer comme
une matière psychique sur laquelle il peut intervenir. Ces
mouvements relationnels sont souvent considérés par les
jeunes professionnels comme une gêne. Cependant, nous
verrons plus loin que ces mouvements affectifs sont souvent
la matière même sur laquelle le psychologue clinicien va
orienter le travail avec son patient.

À retenir
Un entretien dans le cadre de la relation d’aide peut être défini
comme une rencontre entre une personne qui sollicite une aide
concernant sa situation personnelle (sociale, psychologique) et
un professionnel à qui cette demande est adressée et qui est
susceptible d’y répondre grâce à ses compétences et ses fonc-
tions sociales. Outre les mesures mises en œuvre pour atteindre
l’objectif d’aide dans les entretiens dans la relation d’aide, ceux-ci
sont marqués par la vulnérabilité du demandeur, la relation désé-
quilibrée entre le professionnel et le demandeur, ainsi que par la
spécificité des relations réactivées par ce déséquilibre et par l’état
de vulnérabilité de l’usager (dépendance, frustration, agressivité,
attachement, idéalisation…).

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Définir l’entretien clinique 13

3. L’entretien clinique

Après avoir vu les implications de la situation d’entretien en


général ainsi que les caractéristiques spécifiques à la relation
d’aide, voyons plus directement ce qu’il en est de l’entretien
clinique en psychologie.

Entretien

Relations d’aide

Entretiens cliniques

L’entretien clinique est donc un entretien qui s’inscrit dans


le champ de la relation d’aide. Plus précisément, il a pour
objectif l’aide psychologique, qu’il s’agisse de la réalisation
de bilans psychologiques, de soutien et de conseils psycholo-
giques ou encore de psychothérapies. Parfois, il est aussi utilisé
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

dans des recherches scientifiques en psychologie. L’entretien


clinique est effectué par un psychologue clinicien. D’autres
professionnels peuvent effectuer des entretiens cliniques,
comme les psychiatres (médecins spécialistes en psychiatrie)
ou parfois d’autres personnels soignants (infirmiers) sous la
supervision d’un psychologue ou d’un psychiatre.
L’adjectif « clinique » a un sens médical assez large et un
sens psychologique plus étroit. Au sens médical, « clinique »,
dont l’étymologie signifie « au lit du malade », correspond à
toutes les actions qui ont lieu avec un sujet malade (comme
une intervention clinique, un acte clinique…) ou à propos

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14 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

de la maladie (comme une recherche clinique biomédicale,


par exemple). Donc la psychologie clinique est, dans ce sens,
l’intervention psychologique auprès de patients souffrant de
troubles psychiques.
Au sens plus étroit où on l’entend en psychologie clinique,
comme dans l’entretien clinique, il s’agit des interventions que
l’on effectue pour comprendre et aider psychologiquement le
sujet qui le demande, qu’il souffre d’un trouble psychique ou
non (donc qu’il soit « malade » ou non). Il s’agit d’une approche
centrée sur la compréhension globale du fonctionnement
psychique d’un sujet. Dans ce sens, la plupart des sous-disci-
plines de la psychologie (développementale, du travail, etc.)
peuvent être « cliniques » dans leur approche.
En psychologie clinique, on cumule les deux acceptions : ce
sont généralement des entretiens visant à comprendre le fonc-
tionnement psychique global d’un sujet souffrant de troubles
psychiques dans l’objectif de favoriser un soulagement de ces
troubles. Nous sommes donc cliniques dans la population visée
et dans la méthode1.
La particularité de ces entretiens est que le psychologue vise
une modification de la vie psychique du sujet exclusivement
par des moyens psychologiques (et non pas, par exemple, par
des médicaments ou des aides sociales). Parmi ces moyens
psychologiques, la relation entre le psychologue et le sujet joue
un rôle très important. Or pour utiliser des moyens psycholo-
giques (c’est-à-dire des mots, des attitudes, des techniques…),
le psychologue doit s’appuyer sur la façon dont il comprend
et ressent les difficultés et le fonctionnement psychologique
du sujet. Pour saisir ce fonctionnement, qui est parfois masqué
par des processus psychiques défensifs du sujet, le psychologue

1. Notons que c’est aussi le cas pour la neuropsychologie qui se développe de


plus en plus et qui utilise des approches cliniques pour mieux comprendre
la vie psychique de personnes avec des troubles neurocognitifs ou neurodé-
veloppementaux afin d’améliorer ces troubles.

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Définir l’entretien clinique 15

peut utiliser des outils d’évaluation objectivants (comme des


questionnaires, des tests…), mais il doit aussi faire appel à
son empathie, à son intuition, à son « sens clinique », qui lui
permettent de déceler des éléments subtils de la vie psychique
du sujet puis de régler ses interventions selon cette compré-
hension et d’intervenir sur ces éléments psychiques. De ce fait,
en plus des instruments objectivants, le psychologue utilise sa
propre vie psychique, qu’il observe en position « méta » (c’est-
à-dire « au-dessus » ou « à côté »), comme un outil de travail
dans le cadre de la relation clinique.

À retenir
L’entretien clinique peut être défini en psychologie, comme l’entre-
tien par lequel le psychologue comprend la vie psychique et favorise
l’évolution psychique d’un sujet le plus souvent en difficulté psycho-
logique, dans le cadre d’une relation d’aide psychologique. Au sein
de cette relation, le psychologue est centré sur la dynamique de la
vie psychique du sujet qu’il cherche à saisir à travers des données
objectives ainsi qu’en utilisant sa propre subjectivité comme instru-
ment de compréhension en s’appuyant sur les phénomènes de
résonance, d’empathie et d’intuition. Il met aussi en œuvre des
interventions techniques spécifiques pour comprendre et agir sur
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

la vie psychique du sujet.

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16 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

4. L’entretien clinique
ou les entretiens cliniques ?

4.1 Les pratiques


selon les référentiels théorico-cliniques
Chaque entretien clinique est marqué par le courant théorico-
clinique du clinicien. Parmi les courants principaux, il y a le
courant psychanalytique, le courant cognitivo-comportemental
(TCC) et les approches familiales systémiques. Imaginons que
nous soyons dans le bureau d’un psychologue de chaque
courant en train d’effectuer un entretien clinique avec un
patient et que nous observons le psychologue au travail.
Le psychologue adepte du courant psychanalytique a
tendance à rester en retrait, à intervenir peu pour laisser la
place à l’expression de la parole du patient. C’est donc très
majoritairement ce dernier qui s’exprime avec les encourage-
ments discrets du psychologue psychanalytique. De temps en
temps, cependant, le psychologue pose une question (relance)
pour orienter le patient dans une direction ou une autre.
Parfois il suggère un lien entre deux parties de discours du
patient (interprétation) pour l’aider à prendre conscience de
son fonctionnement psychique (« ce que vous me dites là de
votre collègue, rappelle ce que vous disiez de votre père… »). Il
peut y avoir des silences assez longs, des digressions de la part
du patient, car le déroulé de l’entretien est globalement non
directif. Il y est question des préoccupations du patient, mais
aussi de leurs liens avec son histoire et son enfance. Il peut
aussi y être question de la relation actuelle entre le psycho-
logue et le patient (transfert-contre-transfert).
Passons dans le bureau du psychologue TCC. L’ambiance
y est tout autre, le psychologue est actif, il intervient et
dirige l’entretien. Il pose des questions souvent très précises

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Définir l’entretien clinique 17

au patient, il le sollicite souvent et lui demande son avis. Il


explique ses hypothèses de travail et propose des techniques
psychologiques qu’il met en œuvre avec le patient. Il utilise
des outils d’évaluation (questionnaires et autres). Parfois même
il va agir sous forme de jeux de rôle, d’exercices d’exposition
(à des photos, à des situations, à l’imaginaire du patient), de
relaxation… Il suit une stratégie thérapeutique assez précise
dans une relation de collaboration active avec le patient…
Les thèmes abordés concernent les problèmes du patient, leur
évolution et la mise en œuvre de la thérapie.
Qu’en est-il du psychologue familial systémicien en entre-
tien ? D’abord, il reçoit des familles, il interagit donc avec
plusieurs personnes. Son attitude est active, il questionne les
membres de la famille. En particulier, ses questions circulaires
amènent les membres de la famille à se positionner sur ce que
les autres disent (« Que pensez-vous du point de vue exprimé
par votre mère ? »), il est directif et il propose des hypothèses à
la famille ainsi que des actions à faire dans ou hors des séances.
Il y a un grand miroir dans le bureau qui donne dans une
autre pièce. En fait, il s’agit d’un miroir sans tain, et derrière
ce miroir se trouve un autre thérapeute qui observe la famille
et l’écoute grâce à un système de micro et de haut-parleurs. À
un moment donné, le clinicien qui est avec la famille quitte
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

la pièce et vient discuter avec le thérapeute qui est derrière le


miroir. La famille est au courant de ce dispositif thérapeutique.
Les thérapeutes construisent alors ensemble des hypothèses et
une stratégie thérapeutique ; le clinicien revient dans la pièce
pour faire part à la famille de ces hypothèses et proposer des
techniques thérapeutiques.
Ainsi, selon le courant auquel appartient le clinicien, ses
entretiens seront marqués par des attitudes, des techniques et
une ambiance assez différentes. Il est donc réducteur de décrire
l’entretien clinique comme s’il n’y avait pas de différence signi-
ficative entre les cliniciens, en particulier en fonction de leur
courant d’appartenance.

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18 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

Précisions : d’accord, il y a les courants et leurs spécifi-


cités. Mais en réalité, les bons thérapeutes, solides dans leur
approche, ne sont pas de simples exécutants sans créativité.
Ils savent prendre du recul, adapter leur approche et même
s’en éloigner quand c’est nécessaire, pour passer à une attitude
de soutien, voire à utiliser des techniques d’autres approches,
ponctuellement. Un bon thérapeute est centré sur les besoins
de son patient et s’y adapte, et non pas sur son approche érigée
en vérité absolue.

4.2 La compréhension de la vie psychique


selon les référentiels
La façon de comprendre la vie psychique des sujets est assez
différente selon les courants. Et cela détermine différentes atti-
tudes et stratégies d’intervention.
Le psychologue psychanalytique comprend la vie psychique
comme un « appareil psychique » complexe, qui est pour l’es-
sentiel le résultat du développement psychosexuel durant
l’enfance du patient. Son contenu est principalement la vie
inconsciente profonde constituée par des éléments refoulés,
comme des pulsions et des désirs (sexuels et agressifs). Ces
refoulés cherchent à se satisfaire, mais contrés par le surmoi ils
sont refoulés continuellement par les mécanismes de défense.
Les pulsions parviennent malgré tout à s’exprimer mais de
façon déformée en particulier sous forme de symptômes. Fort
de cette compréhension, le thérapeute psychanalytique aura
pour stratégie et pour technique de favoriser l’expression libre
de la vie psychique du sujet afin qu’il puisse progressivement
prendre conscience de sa vie psychique inconsciente, l’ac-
cepter, et ainsi rendre les mécanismes de défense pathogènes
inutiles.
Le clinicien partisan des TCC considère que les troubles
psychiques ont une origine multifactorielle (biopsychosociale),

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Définir l’entretien clinique 19

mais surtout que ce qui compte pour améliorer la situation


du patient n’est pas tant d’agir sur les causes lointaines que
de développer une stratégie thérapeutique qui va contrer les
spirales pathogènes actuelles qui mêlent les comportements,
les cognitions et les émotions. Ces spirales pathogènes sont en
quelque sorte apprises (ou conditionnées) tout au long de la vie
du sujet, il s’agit donc par des stratégies et des techniques qui
ont fait la preuve scientifique de leur efficacité de transformer
ces apprentissages inadaptés en nouveaux apprentissages plus
fonctionnels qui permettent d’améliorer la vie psychique du
sujet. C’est pour appliquer efficacement ces méthodes que le
thérapeute TCC adopte une attitude active, directive, créative
et de collaboration avec le patient.
Le clinicien systémicien considère que les troubles d’un
sujet ne peuvent se comprendre que dans le cadre du système
familial dans lequel évolue ce sujet. En effet ces troubles ont
une fonction dans le système, c’est-à-dire qu’ils participent
pleinement du système relationnel familial et de son équilibre.
Ainsi, par exemple, la phobie d’un enfant peut avoir pour
fonction de rapprocher ses parents. Pour modifier ce système
relationnel inadapté, les systémiciens cherchent à amener le
système à évoluer et à retrouver un équilibre différent, plus
salutaire. C’est pourquoi ces thérapeutes reçoivent les familles
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

et non chaque membre séparément. Cela explique aussi qu’ils


observent surtout les relations entre les membres de la famille
(d’où la glace sans tain et la présence de plusieurs théra-
peutes) et qu’ils agissent ensuite pour modifier ces relations
en amenant de façon stratégique la famille à expérimenter de
nouveaux modes relationnels.
Pour comprendre un entretien clinique et donc le rationnel
théorique qui détermine les attitudes du professionnel, il est
important de savoir quelle compréhension théorique il a de
la vie psychique et quelle stratégie il cherche à mettre en
place. Notons cependant que certaines situations ou certaines

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20 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

interventions peuvent atténuer ces différences. Par exemple,


les entretiens de soutien qui ne visent pas de changement
psychologique (contrairement aux psychothérapies) consistent
souvent en une attitude d’écoute, de conseils et de réassu-
rance qui peut être assez semblable d’un courant à l’autre.
Par ailleurs, il n’est pas rare que des cliniciens adoptent une
attitude assez indifférenciée ou floue quant à leur référentiel
théorico-clinique. Ainsi, quand on demande en tant qu’ensei-
gnant à des étudiants en stage de psychologie à quel courant
appartient leur référent psychologue, il n’est pas rare que la
réponse soit floue : « un peu à tous », « psychanalytique mais il
fait aussi un peu de comportemental », « il dit qu’il est intégratif
ou éclectique » (ce qui est parfois un moyen de masquer un
manque de repères clairs…). C’est dommage car un thérapeute
solide sur ses référentiels, bien formé, et suffisamment souple
pour s’ouvrir aux autres référentiels serait probablement plus
efficace pour les personnes qu’il veut aider.

À retenir
Un entretien clinique prend des formes diverses selon les référen-
tiels théoriques et cliniques du clinicien. Les référentiels principaux
sont psychanalytique, cognitivo-comportemental et systémique.
Ces référentiels proposent une théorisation de la vie psychique,
des troubles psychiques et de la démarche psychothérapeutique
qui permet d’agir sur ces troubles. Ils déterminent donc partielle-
ment les attitudes, les stratégies et les techniques utilisées par le
clinicien en entretien.

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Définir l’entretien clinique 21

5. Relativiser l’importance des courants


en pratique

Nous venons de montrer l’importance et l’influence sur les


entretiens cliniques des différences entre les référentiels (ou
courants, approches ou paradigmes) théorico-cliniques. Cela
peut paraître contradictoire avec ce qui précède, mais, pour
importantes que soient ces différences, il convient de relati-
viser cette importance. En effet, sur le terrain de la pratique
(dans les entretiens donc), les psychothérapeutes ont tendance
à adopter des attitudes et des stratégies utilisant des caractéris-
tiques de plusieurs référentiels, même s’ils ne se revendiquent
que de l’un d’entre eux. Ainsi, un psychologue psychanaly-
tique donnera ponctuellement des conseils à ses patients ou
leur suggérera des stratégies comportementales (comme de
l’exposition) ou encore, à travers certains échanges, il effec-
tuera un travail de restructuration cognitive (typique des TCC).
Il n’est cependant pas toujours conscient qu’en faisant cela,
il est sorti de son référentiel principal. Ailleurs, un thérapeute
cognitivo-comportemental quittera un temps la stratégie et
les techniques thérapeutiques prévues et validées scientifique-
ment pour prendre le temps d’écouter le patient évoquer son
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

passé ou ses difficultés présentes, ou encore pour parler avec


lui de ses relations familiales…
Ces cliniciens ont d’ailleurs raison d’adopter une attitude
ouverte car il semble que les thérapeutes efficaces soient ceux
qui se centrent sur les besoins exprimés par le patient, et donc
qui adaptent souplement leur pratique, plutôt que ceux qui
sont centrés de façon rigide sur leur théorie et qui s’efforcent
de l’appliquer en toute rigueur sans tenir compte de ses effets
sur le patient.
Cette position multi-référencée (parfois inconsciemment)
des cliniciens s’explique par la complexité des situations qu’ils

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22 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

rencontrent. Ainsi, dans une série d’entretiens, un même


patient pourra évoquer par moments ses préoccupations
présentes liées à la thérapie, puis les relier à son passé ou encore
à ses relations actuelles avec sa famille ou à son contexte de
travail qui peut produire des stress pathogènes ou encore à
des questions existentielles, ou même à un problème de santé
physique. Le thérapeute doit alors être suffisamment souple,
compétent et formé pour suivre ces différents mouvements
du patient. On considère parfois que les différents référen-
tiels éclairent chacun de son point de vue un même objet :
la vie psychique. L’approche psychanalytique serait centrée
sur le développement infantile (en particulier psychosexuel)
et la répétition de ses aléas dans le présent au travers de la
relation thérapeutique (transfert-contre-transfert). L’approche
TCC serait plutôt axée sur le présent, les problèmes actuels et
leur résolution. Et le courant systémique permettrait de mieux
comprendre le contexte relationnel familial actuel. Cette
vision qui situe les différents courants dans une perspective
complémentaire peut être séduisante au premier abord et elle
est partiellement exacte. Elle permet effectivement, parfois, de
trouver des réponses dans d’autres référentiels face à certaines
situations complexes, réponses qui peuvent manquer dans le
référentiel principal du clinicien. Elle est cependant, au fond,
simpliste car elle nie la complexité de chaque courant. Par
exemple les thérapies TCC se préoccupent, quand cela est
pertinent, de la vie passée des patients (voir la thérapie des
schémas par exemple), un psychanalyste s’intéresse aussi aux
problèmes actuels du patient. Tous peuvent s’intéresser à la vie
familiale actuelle du patient. Par ailleurs, penser que les diffé-
rents courants sont simplement des angles de vue également
valables sur le même objet, c’est nier les chevauchements entre
les courants ainsi que les différences de vues parfois radicale-
ment opposées qui existent entre eux (par exemple la notion
d’inconscient existe autant en psychanalyse que dans les
approches TCC, mais elle est comprise de façon très différente

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Définir l’entretien clinique 23

par chacun d’eux). Tout n’est pas conciliable, ni entre les théo-
ries, ni entre les pratiques.
Cependant, on peut comprendre l’aspiration de certains
professionnels (et de nombreux jeunes professionnels) à une
approche éclectique ou intégrative. Ce sont deux façons de
dépasser les courants, soit dans une logique très pragmatique,
en piochant dans l’un ou l’autre ce qui est utile à la thérapie
à ce moment-là (éclectisme) soit en créant une approche théra-
peutique qui en serait la synthèse (approche intégrative). Ces
deux positions ont leurs avantages (s’ouvrir, dépasser les luttes
stériles entre courants), mais aussi leurs inconvénients. Pour
l’approche éclectique, le risque est l’incohérence de la thérapie
ainsi que son morcellement en interventions disparates peu
coordonnées ; pour l’approche intégrative, si elle a le projet et
le mérite de vouloir laisser une place égale à chaque courant,
son principal défaut est de n’avoir pas encore réussi à en faire
une synthèse théorique convaincante – est-ce possible ? – et
donc de ne pas encore exister formellement ! Notons cepen-
dant que « les » TCC sont un ensemble de thérapies de courants
différents qui s’intègrent dans une stratégie thérapeutique
globale, et qu’en ce sens elles peuvent être qualifiées d’intégra-
tives, bien que n’intégrant pas les approches psychanalytiques
ni systémiques1.
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1. Cependant, des approches reconnues dans le mouvement TCC sont inté-


gratives au-delà des TCC et incluent des aspects cognitivo-comportementaux,
psychanalytiques, humanistes… C’est le cas de la thérapie comportementale
dialectique de Marsha M. Linehan, mais aussi de la thérapie des schémas
de Jeffrey Young. Il est notable que toutes deux s’adressent aux troubles
complexes que sont les troubles de la personnalité.

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24 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

À retenir
L’entretien clinique est marqué par le courant d’appartenance du
clinicien, comme nous l’avons vu mais, dans la pratique, les psycho-
thérapeutes efficaces sont centrés sur leurs patients plutôt que
sur leurs théories et ils adoptent plus ou moins volontairement et
consciemment une démarche intégrative ou teintée d’éclectisme.
Cela signe l’adaptabilité du thérapeute, adaptabilité utile tant que la
thérapie reste globalement cohérente en s’inscrivant pour l’essen-
tiel dans un cadre théorico-clinique clair.

Quoi qu’il en soit, pour un professionnel, l’important est


de se former correctement dans au moins un référentiel théo-
rico-clinique, d’y acquérir des repères solides et de progresser
grâce à la formation continue. En plus de cela, il est bien-
venu qu’il complète sa formation par d’autres approches ou,
au minimum, qu’il reste curieux et ouvert envers les autres
courants et leurs avancées.

6. Au-delà des différences,


les facteurs communs

Après avoir vu ce qui différencie les entretiens cliniques


selon les courants théorico-cliniques, nous pourrions être
tentés de ne plus parler des entretiens cliniques qu’au pluriel,
tant ils peuvent sembler différents les uns des autres. Pourtant
nous allons nous attacher maintenant à voir ce qui fait que l’on
peut en parler au singulier. Car en deçà des différences décrites,
la plupart des caractéristiques des entretiens cliniques leur sont
communes. De plus, il est démontré que les caractéristiques
communes (ce que l’on appelle « les facteurs communs ») des
psychothérapies, et donc des entretiens, sont plus importantes

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Définir l’entretien clinique 25

pour expliquer le succès d’une psychothérapie que leurs carac-


téristiques spécifiques (« les facteurs spécifiques »).
Les facteurs spécifiques se manifestent par exemple :
– dans les objectifs (en psychanalyse, rendre les processus et
les contenus inconscients conscients ; en TCC, produire de
nouveaux apprentissages cognitivo-comportementaux fonc-
tionnels ; en systémie, modifier les relations familiales) ;
– dans les théories (freudienne principalement en psycha-
nalyse ; de l’apprentissage et cognitives en TCC ; de
l’information, des systèmes et de la cybernétique en
systémie) ;
– dans le cadre formel (dispositif divan/fauteuil, ou en face-
à-face en psychanalyse ; essentiellement en face-à-face mais
aussi très variable selon les techniques utilisées en TCC ;
entretien familial et glace sans tain dans les approches
systémiques) ;
– dans l’attitude du clinicien (en retrait et non directif en
psychanalyse ; engagé, actif, collaboratif et parfois directif
en TCC ; actif et stratégique en systémie) ;
– dans les techniques utilisées (attention flottante-interpré-
tation-analyse du transfert dans la psychanalyse ; diverses
techniques comportementales, cognitives et émotion-
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nelles en TCC ; techniques stratégiques et relationnelles en


systémie) ;
– dans ce qui est demandé au patient (association libre en
psychanalyse ; collaboration active dans les TCC ; modifi-
cation des règles relationnelles en systémie).
Ces différences importantes ne doivent cependant pas
occulter l’importance des facteurs communs. Au fond, les
approches psychothérapiques et les entretiens cliniques se
ressemblent sans doute plus que les professionnels ne l’ad-
mettent en général. Les facteurs communs qui, en eux-mêmes,
ont des effets positifs sur les patients sont, par exemple :

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26 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

– La configuration globale de l’entretien et des interventions


psychothérapeutiques, à savoir une personne qui demande
de l’aide psychologique à un professionnel qui accepte de
délivrer cette aide. Le simple fait qu’un patient demande et
soit assuré de recevoir cette aide, ou qu’il soit sur une liste
d’attente a déjà un effet thérapeutique mesurable.
– Un sujet qui demande de l’aide est le point de départ de
toutes les psychothérapies. S’il demande de l’aide, c’est qu’il
reconnaît au moins partiellement en avoir besoin et donc
qu’il a identifié sa situation comme problématique et qu’il
souhaite la changer. Cela signifie qu’il porte un regard un
peu distancié sur ses difficultés. La demande s’accompagne
souvent de motivation au changement. Demande d’aide
et motivation, prérequis de toute psychothérapie, sont des
moteurs du changement, quelle que soit l’approche utilisée.
– La personnalité du patient, son aptitude à s’engager dans le
travail proposé lors des interventions psychothérapiques,
son ouverture au changement ainsi que sa croyance dans
l’efficacité de la thérapie utilisée (quelle qu’elle soit) sont
parmi les facteurs les plus importants qui vont déterminer
le devenir de l’intervention psychothérapique et la qualité
des entretiens.
– La personnalité du thérapeute, son professionnalisme, sa
référence à des théories et à des techniques, sa croyance
dans l’efficacité de son référentiel théorico-clinique sont des
éléments importants de la réussite du travail clinique.
– L’attitude positive et bienveillante du clinicien, l’absence de
jugement de sa part, son écoute compréhensive, le regard
extérieur qu’il porte sur la situation du patient, sa capacité
à exprimer un point de vue différent, son empathie et sa
chaleur, sont autant d’éléments qui favorisent l’efficacité
de la thérapie.
– Chaque clinicien a une attitude bienveillante de soutien,
mais aussi d’encouragement au changement. Tous les

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Définir l’entretien clinique 27

cliniciens se réfèrent aussi à une éthique, formalisée dans


le Code de déontologie des psychologues.
– Chaque thérapie et chaque intervention clinique sont
marquées par des règles et des rituels (régularité des
rendez-vous, techniques utilisées, payement, formalités
administratives…), un cadre (matériel, temporel, symbo-
lique, imaginaire…), une ambiance (compréhensive,
calme…).
– Enfin, le facteur commun sans doute le plus important réside
dans la qualité de la relation thérapeutique que l’on nomme
« alliance thérapeutique » ou encore « alliance de travail »
qui se manifeste dans plusieurs aspects, comme le fait de
s’accorder sur les objectifs de la thérapie et les moyens d’y
parvenir, de ressentir que l’autre s’engage dans le travail en
cours mais aussi sur la qualité perçue de la relation tant du
côté affectif (le thérapeute m’aime bien) que du côté profes-
sionnel (il travaille bien).
On peut aussi rajouter à ces facteurs communs, concourant
à l’efficacité des psychothérapies, les rémissions spontanées
(oui, certains troubles psychiques, par exemple anxio-dépres-
sifs, peuvent passer tout seuls avec le temps ; et si cela a cours
durant une intervention clinique, cela renforce les croyances
du patient et du thérapeute dans l’efficacité de la thérapie !).
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

À retenir
Ainsi, les entretiens cliniques, qui sont les principaux supports des
interventions cliniques comme les psychothérapies, sont consti-
tués d’un ensemble de caractéristiques qui leur sont communes
(facteurs communs) qui sont complétées par d’autres carac-
téristiques qui dépendent du référentiel théorico-clinique du
professionnel (facteurs spécifiques).

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28 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

7. L’entretien clinique : définition


des éléments qui le composent

Après avoir présenté les entretiens cliniques de façon globale


nous allons maintenant aborder plus précisément certaines
de leurs caractéristiques communes, à savoir : la demande du
patient, les objectifs, le cadre, les « usagers » de l’entretien et le
clinicien. Ces aspects de l’entretien clinique seront ici rapide-
ment définis et seront repris dans la deuxième partie de façon
plus développée et surtout plus pratique.

7.1 La demande
À l’origine de toute intervention clinique, il y a une demande
adressée au clinicien pour qu’il intervienne. En effet, le clinicien
n’initie pas de son propre chef ses interventions. La demande
d’aide psychologique peut provenir du sujet lui-même ou de
tiers (famille, parents, autre professionnel, la justice qui impose
une injonction de soins). La demande peut exprimer directe-
ment le problème du sujet, mais parfois la demande explicite
(la première demande) masque des demandes non exprimées,
que le sujet n’ose pas ou ne peut pas exprimer, faute d’en être
lui-même conscient.

À retenir
La demande est donc l’expression d’un besoin d’aide psychologique
adressée au clinicien par le sujet concerné ou par des tiers. Le clini-
cien doit bien étudier la pertinence de la demande avant d’engager
un travail clinique.

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Définir l’entretien clinique 29

7.2 Les objectifs de l’entretien


Chaque entretien clinique et, plus largement, chaque inter-
vention clinique vise des buts spécifiques bien identifiés par
le clinicien et autant que possible partagés avec le patient. Il
est nécessaire que le clinicien et le sujet soient d’accord sur les
objectifs. Ces objectifs peuvent être à plusieurs niveaux. Il y a
l’objectif général qui peut être, par exemple, d’améliorer la vie
psychique du sujet (réduire ses troubles) ou encore d’évaluer
sa vie psychique (par un bilan psychologique). Cet objectif
général peut se décliner en sous-objectifs (améliorer les rela-
tions, réduire le risque suicidaire, évaluer son fonctionnement
intellectuel), ou en objectifs ponctuels (par exemple, soutenir
le sujet qui fait face à un événement douloureux). De plus,
lors de chaque entretien clinique le professionnel a un objectif
permanent : construire et entretenir une bonne alliance théra-
peutique sans laquelle la plupart des interventions seraient
vouées à l’échec.

À retenir
Les entretiens cliniques sont dirigés vers des buts, sur lesquels le
clinicien et le sujet sont en général d’accord, articulant plusieurs
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

niveaux d’objectifs dont le clinicien garantit la mise en œuvre


souplement et en s’adaptant aux besoins du patient.

7.3 Le cadre
Tout entretien clinique a lieu dans un cadre qui détermine
partiellement son déroulé. Le cadre est composé d’éléments
matériels (le bâtiment, le bureau, les meubles, la disposition
spatiale des meubles dans le bureau…) ; temporels (la durée
de l’entretien, le rythme des rendez-vous) ; institutionnels
(objectif, organisation et dynamique institutionnelles) ; admi-
nistratif et financier (le mode de prise en charge, le tarif, les

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30 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

règles de paiement…) ; juridique (la législation pénale par


exemple sur le secret professionnel, l’information préoccu-
pante, l’abus de faiblesse, etc.), éthique (respect du Code de
déontologie du professionnel). À ces éléments de cadre objec-
tivables, il faut ajouter le cadre imaginaire (ce que chaque
protagoniste projette de son imaginaire sur la relation et le
travail en cours, par exemple une relation sauveur/sujet en
détresse, ou encore persécuteur/persécuté…) et symbolique
(ce que chaque élément du cadre produit comme résonance
symbolique, par exemple ce que peut symboliser pour les
protagonistes la place du clinicien, du patient, de la thérapie,
des locaux, de l’argent…).

À retenir
L’entretien clinique se déroule toujours dans un cadre qui le dépasse
et l’influence de multiples façons. Certains éléments du cadre
peuvent être contrôlés par le clinicien, d’autres, au contraire, le
dépassent et tendent à s’imposer à lui autant qu’au travail clinique.
Le clinicien doit être conscient des différents éléments du cadre
dans lequel il travaille et des enjeux multiples que ce cadre produit
sur lui-même, sur le sujet et sur le travail clinique.

7.4 Les usagers de l’entretien


Tout être humain peut potentiellement bénéficier d’entre-
tiens et d’interventions de la part d’un psychologue clinicien,
à partir du moment où il en a besoin et où une demande est
exprimée. Le clinicien peut donc recevoir des usagers aussi
divers que des enfants, des adolescents, des adultes ou des
personnes âgées. Mais aussi des nourrissons avec leurs parents,
des familles, des couples. Ou encore des personnes gravement
handicapées par leurs troubles psychiques ou, à l’inverse, des
personnes dont les difficultés ne relèvent pas d’un diagnostic

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Définir l’entretien clinique 31

clinique (par exemple, des personnes subissant un stress


professionnel). Il peut mener des entretiens avec des patients
hospitalisés en psychiatrie, des personnes âgées en maison
de retraite (parfois souffrant de troubles démentiels, parfois
de « simple » mal-être), des personnes incarcérées, des enfants
dans des foyers d’aide sociale ou dans des hôpitaux de jour,
des sujets dans des services de consultations spécialisées (pour
les jeunes, les étudiants, les personnes handicapées…), il peut
aussi mener des entretiens avec des personnes souffrant de
troubles somatiques, parfois les entretiens ont lieu avec des
sujets en fin de vie dans des services de soins palliatifs…
L’entretien et les interventions cliniques s’adressent à toute
personne gênée par des difficultés psychiques pour lesquelles
une demande d’aide psychologique a été formulée.

À retenir
Les personnes reçues en entretien clinique ainsi que les situations
dans lesquelles elles sont reçues sont extrêmement diverses. Le
clinicien doit faire preuve d’une souplesse et d’une adaptabilité
importantes pour envisager à chaque fois dans leur singularité,
leur globalité et leur complexité propres toutes les situations et
les personnes qu’il prétend faire évoluer positivement.
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7.5 L’engagement du clinicien


L’objet des interventions cliniques, c’est la vie psychique de
l’usager que le clinicien cherche à comprendre pour l’aider à
évoluer au mieux de ses aspirations. Pour ce faire, le clinicien
doit engager sa propre vie psychique dans son travail clinique
et ses entretiens. C’est une des particularités de l’entretien
clinique par rapport à d’autres types d’entretiens. Le clinicien
y utilise, de deux façons, sa propre vie psychique comme outil.
D’une part, son attitude et sa personnalité lui permettent de

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32 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

créer une relation suffisamment confiante et solide pour favo-


riser le travail clinique. Mais cela va plus loin car il est aussi
capable de s’auto-observer dans cette relation pour ajuster
autant que nécessaire ses interventions et ses attitudes en
fonction de ce qu’il perçoit des réactions du patient. D’autre
part, le clinicien doit pouvoir être suffisamment attentif à ses
réactions psychologiques personnelles (émotionnelles, cogni-
tives, comportementales) car elles peuvent l’informer sur la vie
psychique du sujet, par des processus de résonance, d’empathie
et d’identification. Cela impose au clinicien d’avoir une bonne
connaissance de lui-même et de ses réactions psychologiques.

À retenir
Le clinicien engage sa personnalité dans la relation avec le sujet
dans les entretiens cliniques. Il doit pouvoir observer et ajuster ses
attitudes et il peut aussi, par une bonne connaissance de lui-même,
utiliser sa sensibilité et ses réactions intérieures comme une sorte
d’instrument lui permettant de mieux saisir la vie psychique du sujet
avec lequel il interagit.

8. Réussites et échecs
dans l’entretien clinique ?

Peut-on affirmer à l’issue d’un entretien clinique qu’il


est réussi ou raté ? C’est une question qui est souvent sous-
jacente dans les supervisions de stage et les cours sur l’entretien
clinique avec des étudiants de master, ou encore dans les super-
visions avec de jeunes psychologues : ai-je réussi ou raté mon
intervention clinique ? Bien sûr, la question est plus subtile
et elle porte plutôt sur telle ou telle partie de l’entretien que
sur l’entretien complet. Quoi qu’il en soit c’est une question

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Définir l’entretien clinique 33

intéressante car y répondre n’est pas simple et oblige à bien


éclaircir ce que l’on vise dans les entretiens cliniques et par
quels moyens on peut y parvenir.
Une étudiante en master a rapporté un jour un entretien
qu’elle avait mené et dont elle considérait qu’il s’était bien
déroulé. Elle recevait un homme qui avait la réputation d’être
assez agressif en entretien. Elle n’était donc pas rassurée en le
recevant. Durant l’entretien, il lui raconte plusieurs situations
au cours desquelles il a par exemple donné un coup de pied
dans la canne d’une personne âgée, ou ce genre de choses
peu morales ou civiques. Elle-même l’écoute avec compré-
hension, le relance, et l’entretien se déroule ainsi sans heurt,
ni agressivité… C’est pourquoi elle avait l’impression d’avoir
mené un bon entretien. Pourtant, en analysant de façon plus
approfondie cet entretien, nous avons conclu que si, effecti-
vement, il ne s’était pas montré agressif avec elle, il ne s’était
finalement rien passé non plus qui aurait pu faire évoluer ce
monsieur vers une meilleure régulation de ses comportements
et de ses émotions. Pire encore, on pouvait conclure que par
son attitude empathique, bienveillante et compréhensive
face aux récits des comportements asociaux et agressifs de ce
monsieur, l’étudiante avait semblé les avoir validées comme
des attitudes non problématiques ! Ainsi, l’apparente réussite
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

de cet entretien s’était faite au prix d’un évitement de ce qui


posait problème (l’agressivité et les comportements asociaux).
Était-il alors réussi ?

8.1 Atteindre ses objectifs… avec le patient


À un premier niveau, nous pourrions considérer qu’un entre-
tien clinique réussi est celui au cours duquel le clinicien atteint
les objectifs prévus pour cet entretien (par exemple, faire une
évaluation psychologique, aborder tel problème, réaliser telle
technique, faire passer tel message…), tout en aidant le sujet

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34 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

à avancer vers l’objectif général de l’intervention (améliorer


son fonctionnement psychique). Cela implique que le cadre de
l’entretien soit clair, que les techniques utilisées soient solides
et s’inscrivent globalement dans le référentiel théorico-clinique
du clinicien et que les interventions du clinicien respectent les
règles éthiques et légales.
Pourtant, il faut aller plus loin que cette définition. En effet,
au fond, le critère de réussite ou d’échec ne se trouve pas seule-
ment dans ce que fait le psychologue, mais au moins tout
autant dans la façon dont l’usager va s’approprier ce qui se
passe en entretien. N’oublions pas qu’un des éléments parmi
les plus importants contribuant à l’efficacité des psychothé-
rapies, c’est le patient et la façon dont il va utiliser la thérapie
pour avancer ! Ce qu’il importe donc d’observer pour juger de
la réussite ou de l’échec d’une intervention clinique, ce n’est
pas tant le clinicien que la façon dont le patient va réagir
à ses interventions. Si l’on perd de vue que l’objectif des
psychothérapies est d’aider le sujet à changer son fonction-
nement psychique et que ce changement ne peut provenir,
au fond, que du sujet lui-même, alors on risque de passer à
côté de l’essentiel. Un bon entretien clinique n’est pas celui
où le psychologue fait bien son travail d’un point de vue tech-
nique, mais c’est celui qui va aider au mieux le sujet à avancer.
Souvent ces deux aspects vont ensemble : pour aider le sujet
à changer, il faut être un bon technicien et bien sûr réaliser
correctement ses interventions. Mais dans certains cas, cela
ne suffit pas.

8.2 Utiliser les problèmes et les erreurs


Il est des situations cliniques, pas si rares, dans lesquelles
toutes les caractéristiques techniques de la réussite semblent
réunies : une bonne alliance thérapeutique, des objectifs clairs,
un clinicien bien formé et compétent, un patient motivé, des

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Définir l’entretien clinique 35

techniques correctement exécutées, une ambiance de travail


et de confiance… et pourtant, rien n’évolue… Tout cela ne
permet pas au patient d’avancer, la situation stagne.
À l’inverse, il arrive que l’entretien ne se déroule pas de
façon a priori correcte, mais que cela fasse avancer le patient !
C’est le cas en particulier quand surviennent des tensions
relationnelles entre le patient et le thérapeute (« Vous ne me
comprenez pas, vous n’en avez rien à faire de ce que je dis… »)
qu’ils peuvent ensemble comprendre et dépasser. Ou encore
quand le thérapeute fait ce qui est en général considéré comme
une erreur mais qui est parfois repris d’une façon construc-
tive par le patient. Je me souviens d’un nouveau patient que
j’avais eu au téléphone quelques minutes à l’issue desquelles,
contrairement à mes principes et à mes habitudes, je lui avais
délivré un diagnostic. Cela est très maladroit, car un diagnostic
(en l’occurrence de trouble panique) ne se construit pas en
quelques minutes au téléphone et nécessite de prendre du
temps et de questionner longuement le patient. De plus, il
ne se transmet pas ainsi par téléphone avec un patient que
l’on ne connaît pas. Je ne sais pas pourquoi je l’ai fait avec
lui. Une fois le téléphone raccroché, je pensais avoir fait une
erreur, que ce nouveau patient me considérerait un peu léger et
qu’il ne viendrait pas à notre premier rendez-vous. Pourtant il
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était là, tout à fait confiant. Il s’était entre-temps renseigné sur


les troubles paniques, avait conclu à la justesse du diagnostic
(même si nous l’avons relativisé ensuite). Cette « erreur » avait
donc contribué à renforcer notre alliance thérapeutique avant
même notre première rencontre !
Avec les jeunes psychologues ou plus encore avec les
étudiants de licence et de master, il arrive assez souvent que se
pose la question des limites et de la distance qu’il faut instaurer
avec les patients. Quand de jeunes étudiants rencontrent
de jeunes patients, il est fréquent qu’il y ait des confusions
de rôles, les patients tutoyant les étudiants psychologues et

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36 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

instaurant avec eux des relations plus amicales que profes-


sionnelles. Les étudiants psychologues sont alors souvent en
peine de se dégager de cette confusion. Il leur faut un peu de
temps pour en parler avec leurs référents professionnels et/ou
universitaires, puis pour replacer la relation avec le patient à un
niveau professionnel. Il y a donc une période un peu floue et
confuse et l’on pourrait considérer que cela est dû à une erreur
de l’étudiant psychologue. C’est vrai, c’est une erreur que de
ne pas savoir poser d’emblée une relation clinique comme
étant professionnelle. Pourtant, là encore, cette « erreur » de
départ et la confusion qui s’ensuit ont parfois pour effet de
créer un contact spécifique entre le jeune patient et l’étudiant,
posant une marque de confiance et de proximité dans la rela-
tion professionnelle qui va faciliter l’alliance thérapeutique.
Nous pourrions démultiplier les exemples, d’« erreurs » qui
finalement se sont soldées par une avancée constructive dans
l’intervention thérapeutique. Attention cependant à ne pas
valoriser excessivement les « erreurs ».
Pour qu’une « erreur » soit finalement constructive,
certaines conditions doivent être remplies : le clinicien doit
être conscient de l’erreur qu’il vient de commettre, il doit être
capable de se remettre en cause, d’en parler avec des collègues
ou un superviseur, et il doit pouvoir en parler directement avec
le patient le cas échéant de façon qu’ensemble ils puissent
dépasser, voire réparer, l’erreur commise par le clinicien, et,
enfin, cela implique que le patient ait les capacités et la moti-
vation pour s’emparer de façon constructive de cet accroc dans
le travail clinique.

À retenir
Ainsi, un entretien réussi est celui qui va aider le patient à évoluer
vers l’objectif de l’intervention. Le plus souvent le patient évoluera
d’autant mieux que le clinicien aura une attitude professionnelle
solide à tous niveaux. Cependant, il arrive que cette attitude se

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Définir l’entretien clinique 37

fragilise du fait du clinicien ou qu’elle soit remise en cause par le


patient et que cela amène le clinicien à faire des « erreurs ». Ces
erreurs peuvent aussi devenir des éléments positifs dans le cours
de l’intervention si elles sont correctement reprises par le clinicien
et par le patient.

8.3 De l’ambiance au travail de fond


Un autre aspect dont les étudiants en master de psychologie
considèrent qu’il permet de juger de la réussite ou de l’échec
d’un entretien est l’ambiance de l’entretien. Un entretien réussi
serait celui qui se déroule dans une bonne ambiance de travail,
un entretien échoué serait traversé de tensions, d’émotions
intenses, de désaccords plus ou moins exprimés ou encore de
distance trop importante entre le patient et le clinicien… Le
réussi serait agréable, le raté serait désagréable. C’est souvent
vrai, mais là encore il faut nuancer. Nous avons vu qu’un entre-
tien qui se déroule apparemment bien, sans heurt, est sans
doute un entretien où il ne se passe rien, où le clinicien et le
patient sont implicitement d’accord pour ne pas toucher aux
sujets problématiques (violence, sexe, mort, angoisse, idées de
suicide, tensions dans la relation thérapeutique, etc.), bref un
entretien au cours duquel les protagonistes partagent la même
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

dynamique défensive, sans doute pour se protéger mutuelle-


ment de l’angoisse associée aux difficultés.
L’entretien clinique est pourtant fait pour aborder les
problèmes que rencontre le sujet, et non pour les éviter. Or les
problèmes qu’il rencontre sont toujours douloureux, plus ou
moins angoissants, parfois très effrayants, et il importe qu’ils
soient progressivement mis au jour, exprimés et traités. Et cela
ne va pas sans angoisse ni réaction dépressive, sans émotions
fortes, parfois fortement exprimées, sans mouvements défen-
sifs, sans questionnements existentiels ni doutes et remises
en cause… On retrouve tous ces mouvements psychiques et

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38 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

relationnels chez le patient, soit, mais aussi chez le clinicien,


surtout quand il débute et que cela le traverse de façon inat-
tendue et parfois violente… Bref, un entretien clinique peut être
assez rude et éprouvant, et je dirais même qu’il est nécessaire
que ces réactions psychiques parfois vives existent et s’expri-
ment par moments dans le cadre d’une intervention clinique.
Quand les entretiens se suivent et se ressemblent, toujours
sereins et paisibles, dans le cadre d’une relation sympathique
et sans tension, l’on peut se demander si un travail psychique
est réellement en cours. Le travail clinique « frotte », « crisse »,
remue… Ce n’est pas un long fleuve tranquille. Mais atten-
tion, ça ne ressemble pas non plus à une guéguerre constante
entre le thérapeute et le patient, ni une sorte de crise perma-
nente, mêlant séduction, agression, méfiance, provocation,
erreurs techniques et éthiques, comme cela émane de la série
En thérapie (In treatment) diffusée sur Arte. N’oublions pas
que l’alliance, la confiance, la collaboration unissent le plus
souvent patient et thérapeute. Cela n’empêche pas que le
problème traité soulève des tensions, des émotions, des prises
de conscience qui peuvent être intenses.

8.4 De l’idéalisation à la chute


Autre cas de figure où l’entretien apparaît faussement réussi,
piège fréquent pour les jeunes praticiens : il arrive que le
patient affirme de façon convaincante que le travail psychique
s’effectue correctement, que son état psychique s’améliore,
que l’intervention psychique est efficace et qu’il en remercie
le clinicien, qui, vraiment, travaille très bien, mieux d’ail-
leurs que les autres psychologues vus auparavant. D’ailleurs
le patient fait tout ce que demande le psychologue et en tire
apparemment bénéfice. Tout semble pour le mieux dans le
meilleur des mondes cliniques… Attention, quand le patient
amène le psychologue à penser qu’il travaille vraiment bien,
mieux que les autres, que ce patient est tout à fait bien, plus

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Définir l’entretien clinique 39

satisfaisant que les autres et que sans aucun doute la thérapie


avance au mieux, il y a sans doute à l’œuvre des processus
d’idéalisation de la thérapie et du clinicien. Si le clinicien
adhère sans distance au discours du patient il est alors pris
dans l’illusion narcissique dans laquelle le patient l’a placé.
Ainsi, tous ces entretiens semblent très réussis et pourtant ils
ne sont que l’expression de la répétition des schémas rela-
tionnels dysfonctionnels du patient (idéalisation, relation de
soumission, dépendance…). En général, d’ailleurs, ça se finit
mal, soit par des mouvements dépressifs chez le patient (plus
il idéalise le clinicien, plus il se dévalorise en retour), soit par
la chute du psychologue de son piédestal narcissique (après
l’idéalisation, la déception est quasi inévitable), qui mettra
aussi en échec l’alliance thérapeutique et le travail clinique
tout en laissant le psychologue dans l’incompréhension de ce
qui s’est passé… (« J’étais le meilleur et tout s’est écroulé… »).

À retenir
Ainsi, si les erreurs sont parfois sources d’évolutions positives, à
l’inverse, nombreuses sont les possibilités d’illusion de réussite
du travail clinique : tout a l’air de bien se passer, mais en réalité il
manque l’essentiel, à savoir une dynamique thérapeutique néces-
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saire à l’évolution du fonctionnement psychique du patient.

8.5 Travailler à deux niveaux


Dans ces situations complexes que sont les interventions
cliniques, quelle attitude le psychologue doit-il adopter et à
quoi doit-il veiller s’il veut s’assurer de travailler correctement
en direction des objectifs fixés avec le patient ?
La difficulté est que le psychologue en entretien clinique
doit fonctionner sur deux niveaux en même temps. D’une
part, il doit veiller à effectuer correctement la partie technique

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40 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

de son travail, c’est-à-dire qu’il doit proposer un cadre correct,


adopter une attitude neutre et bienveillante en accord avec les
règles éthiques, il doit poser des hypothèses de travail et viser
les objectifs prévus avec le patient, il lui faut aussi gérer correc-
tement l’entretien (durée, déroulement, fin, etc.), mettre en
place les techniques les plus pertinentes pour aider le patient,
favoriser et entretenir une bonne alliance thérapeutique…
Bref, le clinicien doit tout mettre en œuvre pour « réussir »
ses entretiens au mieux des règles de l’art. Mais ça ne suffit
pas, car, d’autre part, il doit aussi être attentif à la façon dont
le sujet réagit à tout cela et s’en empare ou non. Il doit donc
tenter de cerner les processus psychiques par lesquels le sujet
peut ou non évoluer. Pour ce faire, il peut tout simplement
le demander au sujet en fin d’entretien (« Qu’avez pensé du
travail que nous avons fait aujourd’hui ? Qu’est-ce qui vous a
aidé ? Y a-t-il des choses que nous avons faites qui vous ont
paru inutiles ou même gênantes ? »). Cependant, bien que l’avis
du sujet soit souvent essentiel, il ne suffit pas. Le clinicien
doit aussi être attentif à ce que le sujet ne dit pas, mais dont le
clinicien peut percevoir des signes en observant son compor-
tement non verbal. Le comportement non verbal est difficile
à masquer et il est souvent un bon indicateur de l’état d’esprit
du sujet en informant sur les émotions qui le traversent.
Mais en plus de cette observation directe du sujet, le clini-
cien peut aussi porter son regard à l’intérieur de lui-même en
utilisant sa sensibilité et son intuition. L’intuition est proba-
blement la capacité à être conscient du résultat du travail de
notre cerveau, qui perçoit automatiquement de nombreux
signes non verbaux discrets, en particulier émotionnels, qui ne
sont pas perceptibles consciemment (par exemple, des micro-
contractions musculaires des yeux, de la bouche…). Ce travail
perceptif s’effectue de façon automatique et non consciente.
Mais il laisse une impression plus ou moins précise et plus
ou moins consciente que l’on peut alors observer en soi et
analyser volontairement afin d’en déduire des informations

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Définir l’entretien clinique 41

sur le sujet que l’on cherche à comprendre. Cela demande


au clinicien une assez bonne conscience de lui-même pour
qu’il puisse faire la part des choses entre sa sensibilité person-
nelle et ce dont elle l’informe de la vie psychique du sujet.
Par exemple, si le clinicien ressent de la peur diffuse face à
un sujet non menaçant en entretien, il pourrait se dire dans
son monologue intérieur : « Tiens, je ressens de la peur en ce
moment face à lui… Qu’est-ce qui peut, chez lui, provoquer
cela chez moi ? Ah oui, ça fait plusieurs fois qu’il parle de la
thérapie. J’ai peur qu’il souhaite arrêter. Mais alors, sans doute
a-t-il l’intention de l’arrêter ? Peut-être y a-t-il quelque chose
qui le gêne dans la thérapie… Je vais diriger l’entretien sur ce
thème. » Ainsi, c’est par une sorte de phénomène psychique
de résonance émotionnelle et cognitive que le clinicien peut
s’utiliser comme instrument sensible dans la thérapie pour
mieux saisir, par cet intermédiaire, les mouvements psychiques
sous-jacents en œuvre chez le sujet. C’est un des éléments qui
permettent au clinicien de saisir la vie psychique profonde
du sujet. Et saisir cette vie psychique profonde est le second
niveau auquel le clinicien doit être attentif.
En travaillant sur ces deux niveaux (un niveau visible et
un niveau plus subtil, moins directement accessible, on pour-
rait dire aussi un niveau plus « processuel ») le clinicien peut
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jouer de leur complémentarité. Cependant ce qu’il vise au


fond se situe surtout au second niveau, à savoir l’évolution du
fonctionnement psychologique du patient. Ainsi, un entre-
tien réussi serait celui qui aurait permis de contribuer à cet
objectif. En général, l’entretien réussi au niveau visible favorise
l’évolution au niveau des processus profonds, mais comme
on l’a vu, ce n’est pas toujours le cas. Le psychologue, tout en
s’efforçant de travailler au mieux au niveau visible, doit rester
attentif aux évolutions profondes (ou processuelles) du sujet,
quitte parfois à déroger aux règles de l’art pour produire une
réelle évolution chez le sujet.

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42 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

Réussir un entretien clinique, c’est avoir pu mettre en


œuvre durant cet entretien des moyens qui permettent au
sujet de s’engager dans un travail de changement psychique
en accord avec les objectifs de l’intervention clinique. Ces
moyens et ces objectifs se situent à deux niveaux : un niveau
technique, formel et visible, que le clinicien doit mettre en
œuvre au mieux des règles de l’art pour atteindre les objectifs
techniques ; un niveau plus profond, moins visible, qui, par
l’intermédiaire de l’intuition et de la sensibilité du clinicien,
permet à ce dernier de ressentir une part des mouvements
psychiques sous-jacents chez le patient et d’agir en fonction de
l’analyse de ce ressenti pour atteindre les objectifs d’évolution
profonde du patient.

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1
Pa
rt
ie

MENER
UN ENTRETIEN
CLINIQUE
EN PRATIQUE

Où l’on reprend les éléments de l’entretien clinique


pour voir comment les mettre en place en pratique.

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2
Cha
p itre

L’ATTITUDE
DU CLINICIEN

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aire
m
So m

1. Les attitudes à éviter ............................................. 47


2. Les attitudes à favoriser ........................................ 54

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Comment doit se comporter le clinicien durant ses inter-

Pa
rt
ventions cliniques ? Quelle attitude doit-il adopter pendant les
entretiens ? Cette question est importante, car de nombreuses
études ont montré que la personnalité du thérapeute, la
façon dont elle était ressentie par le patient, était un facteur
important de l’efficacité de l’intervention clinique. Or, si de
ie
nombreux principes ont été mis en évidence par divers auteurs,
comme Rogers, Freud, ou encore des auteurs ayant travaillé
sur l’alliance thérapeutique, dans la pratique concrète, appli-
quer ces principes n’est pas sans poser un certain nombre de
problèmes et de questions.

1. Les attitudes à éviter

Voyons tout de suite les attitudes dont on sait qu’elles sont


inappropriées.

1.1 Les attitudes éthiquement condamnables


du clinicien
Citons d’emblée toutes les attitudes contraires aux règles
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éthiques de respect de la personne et de sa vie psychique, de


la confidentialité des informations transmises…

Code de déontologie des psychologues (version 2021)


Principe 1 : Respect des droits fondamentaux de la personne.
La·le psychologue réfère son exercice aux libertés et droits fonda-
mentaux garantis par la loi et la Constitution, par les principes
généraux du droit communautaire et par les conventions et traités

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48 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique


internationaux. Elle·il exerce dans le respect de la personne, de
sa dignité et de sa liberté.
La·le psychologue s’attache à respecter l’autonomie de la
personne et en particulier son droit à l’information, sa liberté
de jugement et de décision. Toute personne doit être informée
de la possibilité de consulter directement la·le psychologue de
son choix.

Donc, être agressif, méprisant, voire insultant avec le sujet,


le juger moralement comme une personne négative, l’humilier,
ne pas respecter ses croyances et ses opinions, ne pas travailler
dans l’objectif prévu avec lui, ne pas lui accorder les moyens
professionnels auquel il a droit (raccourcir les entretiens, les
espacer sans raison pertinente) sont autant d’attitudes ni
professionnelles ni éthiques qui sont à proscrire. Cela paraît
évident et l’on peut se demander pourquoi il faudrait rappeler
ces règles. Il y a deux raisons à cela. D’une part, bien qu’ils
soient rares, des professionnels ne respectent pas ces règles avec
certains patients et adoptent une attitude que l’on pourrait
qualifier de maltraitante, soit objectivement (nuire directement
en infligeant des souffrances), soit par défaut de soin (nuire en
retirant au patient une occasion de soin dont il devrait bénéfi-
cier). Outre les cas rares de collègues indélicats, cela se produit
surtout dans certaines institutions où les professionnels sont
confrontés à des patients parfois difficiles, dont les situations
n’évoluent que très difficilement, voire pas du tout (ce sont
aussi les patients les plus vulnérables qui se défendent peu ou
mal). À force de stress, de déception, d’épuisement, de manque
de moyens et de lassitude, les collègues peuvent être amenés à
adopter involontairement des attitudes inappropriées, parfois
jusqu’à la maltraitance psychologique, voire physique. Il ne
faut pas le nier, cela existe, même si c’est rare. Parfois des
étudiants en psychologie en stage nous rapportent lors des
supervisions de stage de telles situations qu’ils ont observées

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L’attitude du clinicien 49

avec effarement. Le plus souvent, ces situations concernent


des personnels en contact direct et quotidien avec des patients
difficiles (aides-soignants, infirmiers, éducateurs), mais on les
rencontre aussi auprès de professionnels plus éloignés de la vie
quotidienne des patients en institution comme des psycho-
logues ou des médecins. D’ailleurs la responsabilité de ces
derniers, en tant que cadres, est de prévenir, repérer et faire
cesser ces maltraitances, d’où qu’elles proviennent.
D’autre part, au-delà de ces cas clairement dysfonctionnels,
il peut arriver à tout professionnel, malgré lui, de tendre vers
ces dysfonctionnements et d’en présenter quelques aspects de
façon involontaire. Le stress, le manque de moyens chronique
de la plupart des structures d’aide, les effets parfois exaspé-
rants de certaines manifestations pathologiques, la pression
institutionnelle à la productivité quantitative toujours plus
accrue inadaptée à la relation d’aide, des moments de vulné-
rabilité personnelle font que nous pouvons par moments nous
conduire de façon incorrecte avec tel ou tel patient (négliger
un rendez-vous, adopter une attitude indifférente, transmettre
inutilement des informations confidentielles, être brutal ou
irrespectueux, etc.).
Dans les deux cas, il importe de les prévenir, les repérer
et d’agir pour qu’ils cessent. Si les dysfonctionnements dont
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on est témoin sont graves, selon son statut et sa place insti-


tutionnelle, il est possible soit d’agir auprès du professionnel
concerné pour lui signaler l’incorrection de son attitude, soit
de le signaler à un collègue ad hoc pour qu’il intervienne (chef
de service, supérieur hiérarchique…). Dans les cas les plus
graves, si le manquement s’apparente à un délit (maltraitance
de personne vulnérable, abus de faiblesse…) un signalement
judiciaire (au procureur de la République de sa juridiction)
doit être envisagé (du fait qu’il n’existe pas d’ordre des
psychologues auquel se référer), sous peine de se rendre soi-
même coupable de non-assistance à personne en danger ou
de non-signalement de délit ou de crime. Dans tous les cas,

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50 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

au-delà de ces interventions disciplinaires, il importe pour un


psychologue de comprendre ce qui a pu mener un collègue (ou
soi-même…) à se comporter ainsi afin d’agir sur le contexte,
sur soi-même, sur le collègue pour réduire ainsi le risque de
répétition de ces comportements.
Il est important de garder à l’esprit qu’à de très rares
exceptions près, les dysfonctionnements de collègues (ou de
soi-même) professionnels a priori bienveillants et motivés pour
réaliser un travail d’aide sont liés à des situations de malaise
entremêlant des dimensions personnelles, institutionnelles
et cliniques. Il importe au psychologue, une fois qu’il a agi
pour faire cesser le dysfonctionnement, de susciter une analyse
de la situation pour aider le collègue et l’institution à éviter
ce genre de dérives. Il importe aussi d’être conscient que de
faire cesser ces dysfonctionnements et donc ne pas les couvrir,
c’est souvent prendre le risque d’être celui par qui le « scan-
dale » est mis au jour dans l’institution, ce qui peut susciter de
l’hostilité de la part des collègues et de l’institution. Mettre au
jour ces dysfonctionnements pour les faire cesser, c’est donc
prendre un risque professionnel, mais un risque éthiquement
nécessaire.

1.2 La peur, la sympathie et l’évitement


Plus couramment, et sans que cela ne pose de problèmes
éthiques, certaines attitudes courantes du clinicien en entre-
tien nous paraissent régulièrement gêner le travail clinique,
en particulier chez les jeunes psychologues :
– Le clinicien « bon élève ». La première est liée à la peur
de rater son intervention. Cela entraîne de la part du
psychologue une centration excessive sur ses techniques au
détriment de la relation thérapeutique. Cela s’accompagne
souvent d’une précipitation dans la façon de mener l’entre-
tien, comme s’il fallait rapidement exécuter les techniques

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L’attitude du clinicien 51

et n’en oublier aucune. L’accent porté excessivement sur


la technique et la précipitation se conjuguent pour limiter
grandement ce que précisément l’on cherche à produire en
entretien clinique : le travail psychique du patient. Pour que
ce travail puisse se faire, il faut laisser du temps au patient
pour réfléchir, mais aussi pour intégrer ce qui se passe en
lui et laisser du temps aux processus psychiques cognitifs et
émotionnels de se dérouler. Il faut aussi que le psychologue
prenne le temps de réfléchir, d’observer et d’être à l’écoute
de lui-même. S’il est important de faire les techniques et de
bien les faire, il faut aussi savoir suspendre un peu le temps
de l’action, pour écouter, réfléchir et laisser aux change-
ments le temps de s’installer chez le patient.
Bref, si l’on sent que l’on est pris dans cette précipitation
technique, que l’on a peur de rater, il peut être utile tout
simplement de ralentir le rythme, de laisser des temps de
silence, en particulier après les relances (questions, reformu-
lations) que l’on a effectuées. Prendre le temps de respirer
durant l’entretien, de se poser, d’observer et de penser.
– Le « bon copain ». Une autre attitude assez fréquente
chez les jeunes psychologues est la sympathie excessive.
Celle-ci s’exprime souvent sous la forme d’une attitude très
tournée vers le patient, avec le désir souvent inconscient
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

d’être apprécié par lui. Cette gentillesse est parfois un moyen


pour le psychologue de contrer l’angoisse que le patient le
juge et au final le rejette comme incompétent. Le problème
est qu’à trop vouloir plaire au patient, le psychologue perd
de vue l’objectif de son intervention qui est au-delà d’être
apprécié par le patient. Il est secondaire que le patient aime
la personne du psychologue, mais, en revanche, il est impor-
tant qu’il apprécie le professionnel qui l’aide à avancer. Le
psychologue n’est pas là pour aller toujours dans le sens
de ce qu’exprime le patient, il est là pour l’aider à avancer
au fond, ce qui parfois conduit le travail sur des chemins
inconfortables. Si le psychologue sent qu’il est pris dans cette

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52 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

attitude de sympathie excessive, il peut se questionner sur


ce qui la motive. (Est-ce une peur propre au psychologue ?
Ou bien est-ce une réaction à un trait de personnalité sous-
jacent chez le patient, par exemple une peur de l’abandon,
de l’agressivité, une difficulté à supporter la contradic-
tion… ?). Si le psychologue fait l’hypothèse que son attitude
est personnelle et sans rapport avec ce patient-là, alors il lui
appartient de s’engager dans un travail personnel (super-
vision, psychothérapie) pour dépasser l’angoisse qui le
traverse.
Mais s’il fait l’hypothèse que son attitude est une réac-
tion au fonctionnement problématique du patient, alors
le psychologue pourra se centrer sur le patient en utilisant
son ressenti comme une information sur le fonctionnement
du patient. Quand l’occasion s’en présentera, le psychologue
pourra amener ce thème dans l’entretien (« Quand je vous
ai contredit à l’instant, j’ai eu l’impression que vous n’aviez
pas apprécié mon intervention, que ça pouvait susciter de
l’agacement en vous, je me trompe ? »). Cela permet ensuite
de voir s’il s’agit là d’un problème général chez le patient
(« Cette réaction de colère quand on vous contredit, vous
l’avez régulièrement dans d’autres situations, par exemple
dans votre famille, avec vos amis, au travail ? »). On revient
donc au cas où le psychologue s’utilise lui-même comme
instrument de travail.
– Le « sans problème ». Une troisième attitude régulièrement
rencontrée chez les jeunes psychologues est l’évitement des
thèmes difficiles. Il n’est facile ni pour le patient ni pour le
psychologue débutant de parler de sexe, de mort, de suicide,
de rejet, de violence, de traumatismes… Ce sont des thèmes
que l’on aborde rarement dans la vie courante et souvent
avec gêne car ils sont teintés de honte et d’angoisse. Il est
donc courant d’observer combien il est difficile pour des
psychologues débutants de les aborder lors des entretiens
cliniques. L’analyse de ces entretiens conduit souvent au

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L’attitude du clinicien 53

constat que, par ses attitudes, le psychologue n’a pas favo-


risé, voire a activement empêché, l’expression du patient
sur ces thématiques sensibles. Éviter un thème en entre-
tien clinique n’est pas très compliqué à faire, il suffit dans
un premier temps de ne pas questionner le patient sur ces
thèmes, donc de parler d’autres choses. Et quand le patient
tente d’aborder ces thèmes sensibles (« Dès fois je me dis
que j’en ai marre, qu’il faudrait tout arrêter », ce qui peut
évoquer des idées suicidaires), il est simple de le relancer sur
d’autres sujets (« Et vos enfants, comment vont-ils ? ») ou sur
des parties peu sensibles de ce thème-là (« Vous souhaiteriez
changer de travail ? ») ou encore sur un thème censé être
« positif » et rassurant (« Pourtant vous avez eu une promo-
tion récemment, c’est bien, ça ! »). Assez rapidement peut se
mettre en place une sorte de connivence entre le patient et
le clinicien pour ne plus aborder ces thèmes-là, parce qu’ils
sont naturellement angoissants et désagréables et parce que
le patient va sentir les réticences du psychologue sur ces
thèmes et ne trouvera pas en lui l’écoute solide et confiante
dont il a besoin pour les aborder. Il s’agit donc d’un évite-
ment en commun, qui à court terme arrange psychologue
et patient, mais qui à long terme ne permet évidemment
pas de résoudre les problèmes.
Pour éviter cela, il est toujours intéressant, avant de recevoir
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

un patient, de reprendre de temps en temps l’ensemble de ses


notes et des informations que l’on a à son propos, de façon à
se remettre en mémoire les problèmes qu’il a évoqués (ou qui
figurent dans le dossier psychologique) et que l’on aurait eu
tendance à exclure du champ de l’intervention clinique. Rien
n’interdit de revenir sur ces thèmes, même tardivement. Par
exemple de la façon suivante : « En relisant mes notes, j’ai vu
qu’il y a quelques semaines vous aviez laissé entendre que vous
aviez vécu des choses difficiles durant votre enfance. Nous
n’en avons pas reparlé depuis et je me demande s’il ne serait
pas intéressant que nous en discutions maintenant. Qu’en
pensez-vous ? ».

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54 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

Ces exemples d’attitudes potentiellement gênantes sont


assez fréquemment rencontrés chez les jeunes psychologues.
Les adopter par moments n’est pas en soi un problème, ce qui
est important, c’est de ne pas s’enferrer dans ces attitudes qui
mènent souvent à des impasses cliniques. Voyons maintenant
ce que pourraient être des attitudes plus constructives et favo-
rables à l’évolution du patient.

2. Les attitudes à favoriser

Mettre le sujet à l’aise afin de créer une relation de confiance


qui favorisera une relation propice aux changements psycho-
logiques est l’objectif relationnel qui détermine les attitudes
du clinicien dans l’entretien.

2.1 Mettre à l’aise


Mettre le sujet à l’aise implique pour le clinicien d’être
agréable, c’est-à-dire ouvert, chaleureux, souriant et accueil-
lant. En recevant le patient, le saluer (« bonjour »), se présenter
(nom et fonction, la première fois), l’appeler par son nom
(surtout la première fois pour ne pas se tromper de personne !),
le regarder dans les yeux, montrer du plaisir à le recevoir, lui
serrer la main (s’il n’est pas contre), lui indiquer le chemin
vers le bureau et adopter une attitude polie et respectueuse
(le laisser passer devant ou le précéder selon ce qui est le plus
adapté), l’inviter à entrer dans le bureau, à s’asseoir, se « mettre
à l’aise ». On peut aussi échanger quelques banalités de façon à
créer une prise de contact neutre avant d’entrer dans la dyna-
mique propre de l’entretien (« Avez-vous trouvé facilement ? »,
« Comment êtes-vous venu comment ? », etc.). Cette attitude
agréable du clinicien se poursuivra tout au long de l’entretien

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L’attitude du clinicien 55

de manière discrète et sous-jacente, pour favoriser des atti-


tudes propices au travail clinique que l’on verra par la suite.
Cette attitude agréable doit cependant être mesurée et rester
assez authentique. Si elle est trop marquée elle paraîtra artifi-
cielle et fausse, mais si elle est trop retenue, le clinicien pourra
apparaître froid et distant. Il importe aussi que cette attitude
agréable s’accorde avec la personnalité authentique du clini-
cien. Un psychologue naturellement retenu sonnerait faux s’il
sautait de joie à chaque patient qu’il reçoit ; et un psychologue
d’un naturel enjoué, apparaîtrait coincé s’il copiait la caricature
du psy neutre, froid et silencieux. Il convient de trouver son
soi professionnel et l’assumer…
Cependant, conjuguer authenticité et attitude agréable n’est
pas toujours aisé, tant il est vrai que la fatigue, le stress, les
attitudes désagréables de certains patients, ne favorisent pas la
détente du clinicien ! Dans les cas où l’authenticité amènerait
le clinicien à n’être pas agréable, sa conscience professionnelle
doit prendre le relais, quitte à ce qu’il force son agréabilité.
Cependant, s’il lui est vraiment désagréable de recevoir parfois
certains patients, il doit se questionner sur ce qui produit
cette situation et la résoudre sous peine de voir son effica-
cité clinique se réduire. Notons enfin que le clinicien devra
adapter cette attitude en fonction de chaque patient, car tous
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n’ont pas la même sensibilité ni le même sens de ce qui est


correct et agréable et de ce qui les met à l’aise. Il faudra donc
observer le sujet et ses réactions de façon à moduler cette atti-
tude. L’objectif du clinicien n’est pas d’adopter une attitude
« agréable » systématique de façon rigide mais de mettre aussi
à l’aise que possible le sujet avec qui il va entamer un travail
clinique.

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56 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

Prendre des notes ou pas ?


Chaque clinicien a son avis sur la question. Ce qui est sûr, c’est
qu’il importe de garder la trace du travail effectué lors de
chaque entretien. Non pas un compte rendu exhaustif, mais au
moins noter les éléments essentiels, les événements de vie, les
problèmes rencontrés, les avancées, les techniques effectuées,
leurs effets et éventuellement ce qui est prévu pour l’entretien
suivant. Faut-il prendre des notes durant l’entretien lui-même ?
Ou bien après l’entretien ?
Prendre quelques notes durant l’entretien paraît une bonne solu-
tion à condition que le clinicien n’utilise pas la prise de notes pour
échapper à la relation ! Sinon, prendre quelques notes permet
d’une part de ne pas oublier les éléments importants qui appa-
raissent, d’autre part cela favorise le maintien de l’écoute active
et enfin cela permet au clinicien de prendre du recul et de penser
ce qui est dit, de le situer dans une perspective professionnelle.
Certains cliniciens préfèrent ne rien noter durant l’entretien de
façon à être le plus disponible possible pour le sujet. Ils prennent
des notes après l’entretien ; cependant, le risque est d’oublier de
noter des informations importantes.
On peut aussi adopter une attitude souple et variable selon les
sujets et les situations : prendre des notes durant l’entretien
quand la situation s’y prête et/ou compléter ses notes après l’en-
tretien si cela n’a pas été pertinent de le faire pendant (si l’état du
sujet nécessite une forte présence du clinicien ou si les techniques
explorées ne permettaient pas la prise de notes, par exemple).
Et ne rien noter pour garder « pure » la relation clinique ? À moins
d’être doté d’une mémoire exceptionnelle, le risque est alors
d’oublier les éléments factuels et de fond importants, ce qui
fragilisera la confiance du patient. Un souvenir : dans une salle
d’attente, un couple et un ado assis à côté d’eux. Le thérapeute
de couple vient les chercher et demande au couple qu’il connaît
depuis plusieurs entretiens : « C’est votre fils ? – Non, nous n’avons
pas d’enfant », lui répondent-ils perplexes sur la capacité du psy,
qui n’a même pas retenu cette information de base, à comprendre
leur situation de couple…

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L’attitude du clinicien 57


Ou encore, dans les thérapies actives, le patient confirme : « Donc
j’ai fait l’exercice que vous m’aviez demandé. – Ah ? C’était
lequel ? » demande le psy qui n’a rien noté…
Bref, garder des traces du travail en cours et le suivre précisément
est important. La relation clinique n’est ni « pure » ni à sacraliser.
C’est une relation de travail visant des objectifs et, dans ce cadre,
il est nécessaire que le professionnel sache ce qu’il fait et qu’il en
garde des traces.
Que deviennent ces notes ? Qui y a accès ?
Le patient a accès à son dossier médical. Mais les notes du psycho-
logue en font-elles partie ? Oui et non. Quand le psychologue
travaille dans une institution où il y a des dossiers médicaux,
tout ce qu’il y indiquera sera possiblement visible par le reste
de l’équipe, le patient, et les parents du patient s’il est mineur
(sauf s’il s’y oppose). Le psychologue sera donc très prudent
dans ces écrits-là et tiendra compte de leurs effets sur l’équipe,
le patient, les parents… En revanche, les notes de travail du
psychologue ne font pas partie du dossier médical (et n’y figurent
donc pas). Le psychologue peut être plus libre d’y indiquer ce
qu’il veut. Cependant, il prendra garde à ce que tous ses écrits
restent prudents et professionnels, car il pourrait être contraint
de les transmettre dans un cadre judiciaire et, comme l’on dit,
« les écrits restent » et on ne sait jamais dans quelles mains ils
peuvent tomber. Le minimum est qu’ils soient conservés sous
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

clé s’ils sont en papier ou sous mot de passe s’ils sont numérisés.
Tous ces écrits sont soumis à la confidentialité et doivent être
protégés comme tels.

2.2 Créer une relation de confiance


2.2.1 Favoriser l’expression de l’intimité psychique
Bien qu’elle soit utile pour favoriser la confiance du sujet
et son engagement dans le travail clinique, l’attitude agréable

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58 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

ne suffit pas à elle seule à entraîner le travail psychique. J’ai


aussi une relation agréable avec mon garagiste et plein d’autres
personnes. Mais je n’irais pas leur parler de ma vie psychique
intime. Le clinicien doit rapidement faire évoluer l’attitude
agréable vers une attitude clinique professionnelle qui sera
favorable à une relation de confiance pour un travail clinique.
L’objet du travail clinique en psychologie, c’est la vie psychique
du sujet, celle dont il a conscience et celle qu’il ignore en lui.
Celle-ci est composée de ses cognitions (ses pensées ration-
nelles mais surtout irrationnelles, ses idées bizarres, celles
dont il a honte ou qui l’angoissent, les pensées qu’il accepte –
egosyntoniques – ou qu’il refuse – egodystoniques, mais aussi
les images, les souvenirs, parfois douloureux…), ses émotions
(des plus angoissantes aux plus tristes, en passant par la colère,
mais aussi le plaisir accompagné de honte et de culpabilité…)
et ses comportements (adaptés et constructifs ou désadaptés
et morbides, parfois honteux…). L’objet du travail clinique
est donc l’intimité psychique du sujet, celle qu’il n’évoque que
rarement, voire jamais, en dehors des entretiens cliniques, celle
que parfois lui-même ignore et dont il prendra conscience
au fil des entretiens. Pour accéder à cette intimité psychique,
une seule voie : le sujet lui-même, sa motivation et sa capacité
à l’exprimer. Mais les obstacles sont nombreux et puissants
pour en limiter l’expression : les obstacles internes que sont la
méconnaissance, la honte et l’angoisse associées à ces contenus
psychiques ; les obstacles externes, comme des tabous sociaux,
la peur du jugement, la peur de gêner, de mettre mal à l’aise. La
peur que dire rende encore plus réel ce qu’il s’efforce de garder
sous le tapis. Il est donc nécessaire que le clinicien adopte une
attitude qui permette une relation de confiance au sein de
laquelle le sujet ait la possibilité, progressivement, de s’ouvrir
et d’exprimer son intimité psychique.
Cette attitude est faite avant tout d’écoute active, c’est-
à-dire d’une écoute qui est activement dirigée vers un effort de
compréhension de ce qu’exprime le patient, donc une écoute

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L’attitude du clinicien 59

qui montre de l’empathie, de l’intérêt, de l’attention et un


travail de réflexion de la part du clinicien. L’intérêt et l’empa-
thie se manifestent concrètement par des signes non verbaux
(hochements de tête, regards, ponctuations orales – le fameux
« hum hum » du psychologue), mais aussi par des questions, des
demandes de précisions, des relances ou encore par des refor-
mulations (« donc si j’ai bien compris ce que vous voulez dire,
c’est que… ») qui permettent de montrer sa compréhension
empathique et d’en vérifier la pertinence auprès du patient.
Ensuite cette écoute doit être ouverte, c’est-à-dire que le
clinicien doit montrer qu’il est prêt à tout entendre. Le clini-
cien peut exprimer cela directement quand il sent chez le
sujet des réticences à aborder un thème (« Vous savez ici nous
pouvons aborder tous les thèmes, qu’il s’agisse de sexualité ou
de toutes sortes de pensées qui peuvent vous traverser l’esprit,
comme des pensées agressives, sexuelles, ou autre… Cela fait
partie de la vie psychique, donc n’hésitez pas à en parler si cela
vous paraît pertinent… »). Mais il peut aussi amener le sujet à
en parler tout simplement en lui posant des questions directes,
quand c’est pertinent et avec tact : « Et sexuellement, comment
ça se passe pour vous ? » ; « Vous-même, vous avez parfois des
pensées ou des comportements agressifs ? » ; « Vous arrive-t-il
d’avoir des pensées suicidaires ? ». En amenant dans l’entretien
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ce type de thèmes de façon naturelle et spontanée, le psycho-


logue indique dans le même temps au sujet que l’on peut
parler de cela durant l’entretien. C’est ce que Rogers nomme
l’acceptation inconditionnelle.

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60 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

Entendre et accepter que l’autre soit différent de soi


Tout le monde a une tendance marquée à « voir midi à sa porte » et
à se prendre, plus ou moins consciemment, comme la référence
de ce qui est « normal ». De façon automatique (inconsciente),
on évalue les autres en fonction de ce que l’on est : plus ils s’en
rapprochent, plus on se sent confortable et dans une familiarité
rassurante, mais plus ils s’en éloignent, plus on aura tendance
à les juger comme « spéciaux », « anormaux » ou « bizarres ».
Pourtant, il y a de nombreuses façons d’être normal et la variabi-
lité individuelle des comportements, des pensées et des réactions
émotionnelles est grande. Sexuellement par exemple, un sujet
peut n’avoir qu’un ou deux rapports par an alors qu’un autre en
aura trois par jour, sans que cela soit forcément un problème
en soi dans aucun de ces deux cas. Des familles peuvent être
très proches, d’autres très éloignées et être toutes, pourtant,
des familles « normales ». L’attitude ouverte du psychologue le
confronte régulièrement à l’altérité et à la prise de conscience que
l’autre se comporte, pense et ressent différemment de lui, tout en
étant normal ou, en tout cas, légitime, et qu’il doit l’accepter s’il
veut effectuer un travail clinique. Il s’agit donc d’une ouverture
vers l’altérité.

Le clinicien doit être assez à l’aise avec tous ces sujets


morbides et angoissants, il doit donc se familiariser avec eux
par des lectures, des échanges, des discussions avec ses collè-
gues et… par son expérience. Son leitmotiv : ne pas éviter ces
sujets quand ils se présentent, rester ouvert. S’ils sont malgré
tout trop difficiles à entendre pour le clinicien, alors un travail
psychologique personnel, ou au moins de supervision ou de
formation, s’impose.
Le clinicien doit être patient, trouver le bon rythme et
accepter des changements de rythme. Le bon rythme est celui
des processus psychiques du patient. Trop vite, celui-ci pourra
se sentir mal à l’aise, angoissé, incompris, pas capable d’intégrer

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L’attitude du clinicien 61

tout ce qu’il exprime et ce qu’il ressent. Il sera dans la réactance


(c’est-à-dire qu’il risque de se braquer). Trop lentement, il ne
se passera pas grand-chose et le patient aura l’impression de ne
pas avancer. Il convient donc d’être attentif à régulièrement
faire progresser le patient vers le changement, mais un change-
ment qu’il peut supporter, accepter, intégrer. Le rythme n’est
pas non plus linéaire. Il peut y avoir des accélérations et des
ralentissements… Bref, observer, être patient et saisir chaque
occasion pour favoriser le changement, pas à pas.
Rester ouvert et professionnel n’est pas toujours simple en
pratique. Ainsi il convient d’être prêt à écouter, quand ils se
présentent, un discours raciste ou sexiste, le snobisme ou la
grossièreté, parfois la bêtise, la méchanceté et les comporte-
ments inadaptés, mais aussi, à l’inverse, l’intelligence parfois
fascinante, la séduction et le charme qui, bien que positifs,
peuvent tout autant gêner le clinicien dans son professionna-
lisme. Tout cela étant à comprendre pour le clinicien comme
des manifestations de la vie psychique du sujet.

2.2.2 Suspendre les jugements moraux

Quid de la bienveillance dans la neutralité ?


© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

La neutralité du clinicien n’est pas absolue. D’ailleurs, dans le


célèbre concept freudien de « neutralité bienveillante », la bien-
veillance n’est pas neutre. Le clinicien est neutre moralement, il
n’est pas là pour juger le patient. Cependant il n’est pas neutre en
tant que clinicien, il est bienveillant. Il n’est donc pas indifférent à
l’évolution de la personne qu’il aide, il souhaite qu’elle aille mieux
et que ses problèmes s’améliorent. Il peut exprimer de la satisfac-
tion quand les problèmes se résolvent et de l’empathie quand le
sujet souffre ou qu’il rechute. Le regard que le clinicien porte sur
le patient et son évolution est donc bienveillant et positif. Il est
tendu vers l’objectif d’améliorer la situation du sujet. Cependant

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62 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique


le clinicien doit prendre garde à ne pas s’attacher sans distance
à l’amélioration du patient, car tant que l’évolution est positive,
tout va bien, mais quand elle est négative (aggravation, rechute,
stagnation…), le risque est grand que le clinicien soit déçu et que
le patient le ressente et se vive comme un mauvais patient. Une
attitude bienveillante, soit, mais avant tout d’acceptation et il
ne faut pas réduire le sujet à ses troubles, ni à leur amélioration !

L’intimité psychique implique aussi de lutter contre la


honte et la gêne ressenties par le sujet et donc nécessite pour
le clinicien de suspendre toute expression de jugement moral
à propos des contenus psychiques exprimés par le
sujet. C’est ce que l’on appelle la neutralité du psychologue.
La moindre expression d’un jugement moral portant sur les
expressions de l’intimité psychique du sujet aura de fortes
chances de bloquer celle-ci et de l’empêcher. L’expression d’un
jugement moral peut être directe (le patient : « parfois j’ima-
gine que je frappe mes enfants et que j’y prends plaisir… », le
psychologue : « Mais ce n’est pas bien ce que vous me dites
là ! »), mais surtout indirecte (changement de sujet, silence)
et/ou non verbale (froncement de sourcils, intonation de la
voix, hésitations…). Les expressions de la vie psychique du
sujet, aussi difficiles soient-elles à entendre, ne sont, pour
le psychologue, ni bien ni mal, elles sont des éléments du
problème du sujet dont il convient d’évaluer la place dans sa
dynamique psychique afin de pouvoir, si cela est nécessaire, les
modifier. Donc, le clinicien doit entendre toute expression de
la vie psychique du sujet comme des éléments du problème à
traiter. Ces éléments peuvent lui apparaître pertinents ou non
(en rapport ou non avec le problème), adaptés ou inadaptés,
mais il ne les envisage pas moralement en termes de bien ou
de mal. Il aide ainsi le sujet à dépasser la honte et la culpabilité
de façon à l’aider à exprimer son intimité psychique problé-
matique, ce qui est indispensable pour la rendre accessible à
un travail thérapeutique.

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L’attitude du clinicien 63

Les limites de la neutralité morale


Apportons une nuance cependant. L’absence de jugement moral
porte sur les productions psychiques du sujet qui, en elles-mêmes,
sont neutres moralement (un sujet peut s’imaginer violeur, il
ne l’est pas pour autant, c’est juste une production psychique
imaginaire), mais non sur les comportements du sujet. En effet
quand ces derniers consistent à infliger des souffrances volon-
taires à autrui (harcèlements, maltraitances, violences, abus
sexuel, etc.), le psychologue ne peut pas rester neutre. Dans ces
cas, neutralité = validation morale. Le psychologue peut écouter
avec respect l’expression verbale de ces comportements immo-
raux et illégaux, mais il doit aussi ensuite en pointer la dimension
« problématique ». Dans ce cas, le jugement du psychologue ne
porte pas sur la personne (« Vous êtes vraiment méchant ») mais
sur son comportement destructeur (« Quand vous agissez ainsi,
cela produit de la souffrance chez autrui. Il est donc important
de modifier ce comportement »). Parfois, ce peut être plus direct
quand il y a une maltraitance volontaire et que le sujet est sensible
à la parole de l’autorité que peut représenter pour lui le clinicien
(« Vous savez, ce que vous me décrivez, c’est ce que la justice
considère comme de la maltraitance à enfant, c’est totalement
interdit et, en le faisant, vous lui faites beaucoup de mal. De plus,
c’est puni par la loi et vous risquez la prison si vous continuez.
Il faut arrêter ça maintenant. Et nous verrons ensemble pour-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

quoi vous faisiez ça et comment vous pourriez faire autrement


avec vos enfants pour avoir de meilleures relations »). Dans les
cas graves, le psychologue est non seulement tenu de porter un
jugement sur le comportement mais en plus de le signaler à la
justice, sous peine de « non-assistance à personne en danger » et
de « non-dénonciation de crime ».

L’attitude empathique, chaleureuse, compréhensive,


agréable, ouverte et de non-jugement du clinicien favorise une
relation de confiance dans laquelle le sujet pourra progres-
sivement livrer son intimité psychique tout en en prenant

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64 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

conscience. Mais cette expression et cette prise de conscience,


aussi nécessaires soient-elles, aussi libératrices et apaisantes
puissent-elles être, ne suffisent pas à épuiser le potentiel théra-
peutique de l’intervention clinique (notons cependant que cela
suffit dans le cadre d’un bilan psychologique). Il convient alors
que le clinicien puisse adopter une attitude plus active et direc-
tive par laquelle il va intervenir sur la vie psychique du sujet.

Être positif ?
En France, pays de la raison critique et du scepticisme, nous
avons tendance à porter un regard critique sur les événements,
en particulier quand ils sont positifs. Quand quelque chose de
positif se produit (par exemple un patient qui ose s’exposer à
une angoisse pour la dépasser), nous considérons souvent cela
avec recul et scepticisme (« D’accord, mais la prochaine fois, vous
pourriez aussi le faire autrement, par exemple… »). Pourquoi ne
pas tout simplement dire : « Très bien, bravo. Ce n’est pas facile
ce que vous avez fait. Vous êtes courageux… » Pourquoi n’être
pas spontanément « positif » ? Les patients en psychothérapie
sont très souvent marqués par la honte, le découragement et
une mésestime d’eux-mêmes (du fait d’avoir des « problèmes
psy »). Dans ce contexte, être positif permet de lutter contre ces
tendances morbides et dépressiogènes. Cela redonne du courage
et du narcissisme (ou de l’estime de soi), cela renforce l’engage-
ment du sujet dans la thérapie et le renforce dans ses tentatives
de changement. Bien sûr, cela ne suffit pas à produire ces chan-
gements et tous les sujets ne sont pas réceptifs à cette attitude,
ou pour certains, le sont trop (dépendance…). Être positif quand
même, mais avec justesse.

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L’attitude du clinicien 65

2.3 Intervenir sur la vie psychique


Le clinicien, en psychothérapie, ne peut agir sur la vie
psychique du sujet que par des moyens psychiques qui s’ins-
crivent dans la relation thérapeutique. Il importe donc que
celle-ci le permette et que le sujet accorde à la parole du
thérapeute une valeur importante. Deux conditions semblent
nécessaires pour que cela soit possible :
– La première : que le psychologue adopte une attitude
professionnelle (et pas seulement amicale, respectueuse et
ouverte), c’est-à-dire que son attitude montre qu’il sait ce
qu’il fait, qu’il a en vue des objectifs thérapeutiques, qu’il
met en œuvre des moyens pour atteindre ces objectifs et
donc qu’il a une pensée « méta » sur le travail clinique, c’est-
à-dire qu’il met la situation clinique en perspective selon son
référentiel théorique propre. Dit d’une autre façon : dans le
même temps qu’il gère l’actualité de l’entretien, le clinicien
observe la situation, construit des hypothèses de travail et
oriente le travail clinique en fonction de ces hypothèses.
Ses interventions, ses questions, ses relances et ses propo-
sitions (qu’il s’agisse d’une interprétation en psychanalyse,
d’une technique comportementale en TCC ou encore d’une
injonction paradoxale en systémie) montrent au sujet une
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cohérence dans la démarche du clinicien.


– La seconde : que les interventions effectives du psycho-
logue soient pertinentes et efficaces, c’est-à-dire qu’elles
aident effectivement le sujet à avancer dans le travail de
changement psychique. Ce sera, pour le sujet, le meilleur
indicateur du professionnalisme du clinicien. Être efficace
dans ses interventions implique que le thérapeute analyse
bien la situation et prenne le temps de la réflexion avant
de s’engager dans une intervention. Il doit le faire avec
pertinence. Il doit donc s’empêcher de tomber dans le désir
d’aide immédiate et l’avalanche de conseils de bon sens. Les
réactions d’aide spontanées (« Ça va aller mieux, tout n’est

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66 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

pas si noir, ce n’est pas si dangereux, un de perdu dix de


retrouvés ! ») sont généralement inutiles. Elles ne relèvent
pas du travail du psychologue. L’entourage a déjà proba-
blement formulé ces conseils mille fois, visiblement sans
succès (sinon le patient ne serait pas devant le psychologue).
Il faut donc inhiber les tentatives de réassurance immédiate.
Le professionnel doit voir plus loin. Ses interventions et
conseils n’ont pas pour objectif un évitement rassurant
du problème, comme le font les conseils habituels, mais
une modification durable du fonctionnement psychique
du sujet. Ses interventions sont donc stratégiques et théo-
riquement justifiées. Elles portent plutôt sur les processus
psychiques à l’œuvre (évitement, biais cognitifs, régula-
tion émotionnelle, mécanismes de défense…) que sur leurs
productions visibles (angoisse, culpabilité…). Cela implique
concrètement que le clinicien n’intervienne qu’après avoir
construit des hypothèses sur le problème et les processus en
jeu. Ces hypothèses ne peuvent prendre sens que dans un
cadre théorique bien identifié et cohérent. Donc il intervient
de façon réfléchie, mesurée, coordonnée et technique, c’est-
à-dire professionnelle. Par ailleurs ses interventions doivent
apparaître comme des propositions faites au sujet et non
comme des formulations autoritaires ou des conseils impé-
ratifs. Non pas : « Votre problème, c’est la peur des autres et
vous allez donc vous y confronter », mais : « D’après ce que
vous dites, il semble ressortir que ce qui vous angoisse, ce
serait les autres, ce qu’ils peuvent penser. C’est cela ? Ce qui
pourrait alors être intéressant, ce serait que vous alliez vers
les autres, mais d’une façon précise, dont on va discuter,
si vous en êtes d’accord. » En bref, l’attitude intervention-
niste du psychologue doit être pertinente dans son cadre
théorico-clinique.

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L’attitude du clinicien 67

À retenir
L’attitude du clinicien peut être comprise sous deux aspects :
l’attitude visible, comportementale et relationnelle qui permet de
créer une relation de confiance au sein de laquelle le sujet se sente
suffisamment bien pour pouvoir livrer et découvrir son intimité
psychique et une attitude plutôt intérieure, une attitude mentale,
intellectuelle, qui fait du psychologue un professionnel qui pense
la situation clinique construit des hypothèses cohérentes dans son
référentiel théorico-clinique, et à partir de là, intervient par des
propositions cliniques techniques qui ont pour objectif d’aider le
sujet à modifier son fonctionnement mental (cognitif, émotionnel,
comportemental).
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3
Cha
pitre

CONSTRUIRE
ET MAINTENIR
UNE BONNE
ALLIANCE
THÉRAPEUTIQUE

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Comme on l’a vu, l’alliance thérapeutique est le principal
facteur commun prédicteur de l’efficacité thérapeutique. Il est
donc nécessaire pour le clinicien de la créer et de l’entretenir
tout au long de son intervention thérapeutique. Les attitudes
du clinicien que l’on a détaillées ci-dessus contribuent bien sûr
à une bonne alliance thérapeutique. Il n’est donc pas utile de
les répéter ici. Notons qu’en plus des éléments déjà évoqués,
une bonne alliance thérapeutique repose aussi sur l’accord
entre le clinicien et le sujet à propos des buts de la thérapie
et des tâches effectuées pour atteindre ces buts. L’alliance
thérapeutique implique donc que le clinicien et le sujet se
mettent d’accord sur la définition du problème, sur ce qu’il
conviendrait de faire évoluer et sur les moyens d’y parvenir.
Cela implique une certaine collaboration entre eux, au moins
un accord implicite qui laisse chez l’un et l’autre la conviction
qu’ils travaillent dans le même sens.
En général, le moyen le plus direct et le plus efficace pour
s’assurer de cette collaboration consiste pour le clinicien à
abandonner la position de l’expert autoritaire et directif et à
adopter une attitude d’écoute et de collaboration. Que son
approche soit plus ou moins directive (par exemple dans
les TCC ou les approches systémiques) ou non directive (en
psychanalyse ou dans les approches humanistes), le clinicien
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augmentera l’adhésion du patient s’il prend soin, à chaque


étape de l’intervention clinique, de s’assurer de l’accord et de
la compréhension du patient. Ainsi, après avoir décrit le cadre
de travail, il est bienvenu de solliciter l’avis du sujet (« Cela
vous convient-il ainsi ? Vous avez des questions ? Ou vous
voyez sans doute des problèmes dans cette proposition ? ») et
de l’entendre (« Oui, je comprends bien que les horaires ne
vous arrangent pas trop »), sans forcément remettre en cause
le cadre (« Pour le moment, je n’ai pas d’autres possibilités.
Mais quand ce sera possible, nous changerons l’horaire »). De
même, quand un diagnostic psychopathologique est posé, ou
encore quand un problème est repéré, il est utile de solliciter

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72 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

l’avis du sujet (« Donc, d’après ce que l’on a vu, il semblerait


que vous souffriez d’un trouble dépressif. Qu’en pensez-vous ?
Êtes-vous d’accord avec ce diagnostic, avez-vous l’impression
qu’il correspond à ce que vous vivez ? »). Il est utile aussi de
tenir compte de son avis quand on détermine les objectifs du
travail clinique (« Il y a donc un certain nombre de problèmes
que nous pourrions aborder. Qu’est-ce qui vous paraît le plus
important, pour vous, à aborder d’abord ?… Nous pourrions
commencer par cela, qu’en pensez-vous ? »). Il en est de
même pour les moyens projetés pour atteindre les objectifs
(« Voici comment nous pourrions faire pour avancer – après
des explications – qu’en pensez-vous ? Êtes-vous d’accord pour
commencer comme cela ? »). Et cette attitude de collabora-
tion sera bienvenue tout au long de l’intervention : après des
entretiens (« Qu’avez-vous pensé de la séance d’aujourd’hui ?
Y a-t-il des choses qui vous ont aidé ? Des choses qui vous ont
gêné ? »), pendant la thérapie elle-même (« Cela fait trois mois
que nous nous voyons, avez-vous l’impression que le problème
pour lequel vous êtes venu a évolué ? De quelle façon ? »). Enfin
la même logique peut présider à la fin de la thérapie (« Si vous
deviez faire le bilan de la thérapie, que diriez-vous ? Est-ce
que vous considérez que notre travail vous a aidé ou non ?
En quoi ? Qu’est-ce qui vous a aidé ? Qu’est-ce qui ne vous a
pas aidé ? »).
Il s’agit donc d’avancer avec le patient, de l’impliquer dans
les choix effectués en sollicitant régulièrement son avis sur le
travail clinique en cours et d’en tenir compte. N’oublions pas
que le moteur et l’acteur principaux du changement thérapeu-
tique, c’est le sujet lui-même et non le psychologue. Ainsi, plus
le sujet sera acteur de l’intervention clinique, plus l’interven-
tion aura des chances d’être efficace. Le psychologue ne change
pas un patient, au mieux il crée les conditions relationnelles et
psychologiques favorables pour l’amener à changer. Il l’aide à
changer, mais il ne le change pas. Cette attitude de collabora-
tion (plus nette dans les TCC, plus implicite en psychanalyse)

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Construire et maintenir une bonne alliance thérapeutique 73

favorise l’engagement du patient et renforce généralement


l’alliance thérapeutique.
D’ailleurs, quand le clinicien doute de ses interventions ou
de la qualité du travail effectué ou encore de la qualité de la
relation, le mieux est souvent d’en parler avec le patient. Cela
peut se faire, par exemple, sous la forme : « La dernière fois je
vous ai dit ceci ou cela, qu’en avez-vous pensé ? Vous pensez
que c’était pertinent ? » Autre exemple : « Depuis l’entretien où
nous avons abordé tel thème, j’ai l’impression que vous êtes
moins engagé dans la thérapie, plus distant… Je me trompe ? ».
Solliciter l’avis du sujet régulièrement ne risque-t-il pas de
faire passer le psychologue pour un professionnel peu sûr
de lui ? Tout dépend de la façon dont le psychologue utilise
ces sollicitations. Il peut le faire d’une façon qui indique un
manque d’assurance. C’est le cas si ces sollicitations sont sans
cesse répétées et donnent au sujet l’impression que le psycho-
logue ne sait pas ce qu’il doit faire (« Alors on a vu que vous
aviez tel problème, comment peut-on faire pour l’améliorer ?
Vous savez, vous ? » ; « Alors, pour la durée des séances, c’est un
peu comme vous voulez, vous préférez quoi ? » ; « Vous croyez
que cette technique-là, ça irait pour vous ? Sinon vous en voyez
une autre ? », etc.). En revanche, si le psychologue sait où il va,
mais qu’il vérifie que le sujet est bien d’accord avec le chemin
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

proposé, c’est différent, et cela montre au contraire une assu-


rance suffisamment solide chez le psychologue pour qu’il
puisse discuter de ses choix avec le sujet (« Voici ce qui ressort
du bilan que vous avez passé. Pensez-vous que ça correspond
à ce que vous vivez ? » ; « Je pense que nous pourrions utiliser
telle approche pour régler tel problème. Êtes-vous d’accord ? »).
La différence entre les deux façons de questionner le patient
est que, dans la seconde, le psychologue exprime d’abord une
position professionnelle (« Voici tel résultat, voilà telle propo-
sition thérapeutique, voici le cadre que je propose… »), puis
sollicite l’avis du sujet et vérifie son degré d’adhésion. Alors
que dans la première façon, le psychologue ne fait aucune

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74 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

proposition solide et semble laisser le sujet mener l’interven-


tion thérapeutique.
Ainsi le psychologue est un expert qui sait comment mener
à bien le travail clinique, construire un cadre et une relation de
travail, il connaît les troubles psychiques et le fonctionnement
de la vie psychique, il maîtrise des stratégies et des techniques
cliniques, il est au clair sur les conditions légales et éthiques
de ses interventions, mais un expert qui sait aussi que pour
que ce travail soit efficace, il doit s’accomplir avec l’adhésion
du patient. Il se place donc dans une position d’expert ouvert
et collaboratif qui tient compte de l’avis du sujet (lui-même
expert de sa propre situation). Il n’est donc pas en position
d’expert autoritaire et directif. Ainsi le psychologue doit être
constamment attentif à ne pas avancer tout seul dans le travail
clinique. Il doit avancer avec le sujet. La collaboration, qui
s’exprime par l’accord sur les buts et les méthodes de l’inter-
vention clinique, renforce l’alliance thérapeutique et donc
l’efficacité clinique.

L’alliance de travail
Je trouve très intéressante la notion d’alliance de travail qui est
parfois un synonyme de l’alliance thérapeutique, mais qui insiste
sur le travail clinique qui doit se faire et dont l’alliance n’est qu’un
moyen. La bonne relation clinique est celle qui permet au travail
clinique de se faire, donc celle qui permet au patient de changer
d’une façon qui le libère de ses automatismes pathologiques et
qui favorise son mieux-être et son accomplissement. Le clinicien,
au-delà de l’alliance qu’il doit favoriser, doit surtout garder le cap
du travail clinique. Celui-ci se fait-il ? Des évolutions sont-elles
en cours ? Dans quelle direction ? Patient et thérapeute sont-ils
ensemble au travail ?

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Construire et maintenir une bonne alliance thérapeutique 75


Le thérapeute dit à son patient : « C’est de vous que viendra la
guérison, la solution est en vous. » Est-ce si juste ? Il est clair que
l’on ne peut pas vraiment changer quelqu’un de l’extérieur (sauf à
le maltraiter…) et donc c’est de ce que le patient fera des propo-
sitions du thérapeute que viendront des changements positifs en
lui. Dans ce sens, oui, les portes à ouvrir sont chez le patient et
l’action de les ouvrir ne peut venir que de lui. Mais cela dédouane-
t-il le thérapeute de sa responsabilité de professionnel ? N’a-t-il
donc aucun autre rôle que de faire advenir chez le patient les
voies de l’amélioration ? Non, c’est là aussi une affaire d’alliance et
de collaboration. Pour suivre la métaphore, le thérapeute a pour
rôle d’aider le patient à repérer les portes à ouvrir (les problèmes
qui se posent, les processus pathogènes), mais aussi de lui donner
les clés (les techniques) pour les ouvrir. À charge pour le patient
ensuite d’utiliser ces clés et d’ouvrir ces portes. L’amélioration
est donc le fruit de la collaboration et de l’alliance…

À retenir
La relation de collaboration qui s’exprime par l’implication active
du sujet dans les choix cliniques effectués est utile pour maintenir
l’alliance thérapeutique tout au long d’une intervention clinique.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Quand le clinicien sollicite l’avis du sujet et en tient compte, sans


pour autant se départir d’une attitude et d’un positionnement de
professionnel sachant ce qu’il fait dans son cadre théorico-clinique
propre, cela permet de renforcer la motivation et l’engagement
du sujet dans l’intervention clinique tout en consolidant l’alliance
thérapeutique.

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4
Cha
pitre

CONSTRUIRE
LE CADRE
DE LA RELATION
CLINIQUE

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aire
m
So m

1. Le cadre matériel ................................................... 79


2. Le cadre immatériel ............................................... 86
3. Le cadre imaginaire et symbolique ....................... 91
4. Comment débuter une intervention clinique ? .... 96

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Le cadre est l’ensemble des éléments qui entourent

Pa
rt
(encadrent) l’entretien clinique. Sans cadre, pas d’entretien
clinique. Le cadre peut être autant matériel, social qu’imma-
tériel (imaginaire, symbolique). Voyons un à un les éléments
qui composent le cadre et comment ils peuvent favoriser le
travail clinique.
ie
1. Le cadre matériel

Le cadre matériel consiste dans les aspects spatio-temporels


de l’entretien. Autant que possible le cadre matériel doit mettre
à l’aise le sujet, il doit donc être agréable (propre, quelques
décorations sont bienvenues), normalement confortable (bien
éclairé, les chaises ou fauteuils suffisamment corrects pour y
rester assis une heure sans gêne), favorable à la confidentialité
(bien isolé, des rideaux aux fenêtres), calme. Cela implique
une pièce fermée (on ne fait pas d’entretiens cliniques dans les
couloirs de l’hôpital – ou alors à l’écart des autres personnes et
faute de mieux). Le psychologue, quand c’est possible (il n’est
pas non plus déménageur !), ne doit pas hésiter à modifier le
bureau et la place des meubles (fauteuils et bureau) afin de
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

créer un espace de travail où il se sente à l’aise (première condi-


tion pour que le patient puisse à son tour se sentir à l’aise). De
plus, il est utile de temps en temps, avant que le sujet ne rentre
dans le bureau, que le clinicien s’assoie dans le fauteuil du
sujet pour le tester en termes de confort, de vue, de distance…
Plusieurs configurations sont possibles pour les entretiens
en face-à-face. Classiquement, il y a deux possibilités : avec
ou sans bureau entre le clinicien et le sujet. Dans le premier
cas, cela met une distance physique et symbolique qui peut
être rassurante pour le psychologue, mais aussi pour certains
patients. Dans le second cas, sans bureau entre les protago-
nistes assis dans les fauteuils face à face, les distances physique

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80 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

et psychique sont réduites, ce qui peut favoriser la relation de


confiance. Quoi qu’il en soit, c’est au psychologue de décider
du type de configuration qu’il propose, c’est-à-dire celle dans
laquelle il se sent le plus à l’aise lui-même. Néanmoins, si
cette configuration met un patient trop mal à l’aise, il peut
éventuellement l’adapter.
Si le psychologue reçoit plusieurs sujets (couple, famille),
il faut bien sûr prévoir de l’espace et des fauteuils en consé-
quence. Enfin, s’il y a un ou des enfants jeunes, préscolaires,
ou souffrant de retard de développement, il faut prévoir des
jouets, des crayons, du papier ainsi que du mobilier à leur
hauteur.
Pour effectuer un bilan psychologique qui demande du
matériel, il vaut mieux prévoir une table ou un bureau pour
poser le matériel et que le sujet puisse confortablement remplir
les questionnaires ou répondre aux tests. Pour une passation
de tests projectifs (TAT, Rorschach), la configuration de trois
quarts autour d’une table est intéressante (le sujet n’a pas le
psychologue face à lui, il peut se concentrer sur la consigne et
les images, mais il peut aussi le voir facilement si besoin, et le
psychologue peut observer le sujet sans être intrusif).
Le cadre matériel n’est cependant pas rigide et il peut être
souplement adapté en cours d’entretien, soit que le sujet ou le
psychologue ne sont finalement pas à l’aise (le soleil produisant
un soudain contre-jour, par exemple), ou que les techniques
utilisées par le psychologue le nécessitent (exposition, jeux de
rôles, relaxation…).
Le cadre temporel consiste dans la durée des entretiens,
dans leur rythme et dans leurs horaires. Le plus souvent un
entretien clinique dure entre 30 et 60 minutes et la durée
est relativement fixe d’un entretien à l’autre. Dans un cadre
psychothérapique, il est important, pour des raisons symbo-
liques (solidité du cadre) et organisationnelles, que le cadre
soit clair et bien tenu par le professionnel et que le sujet en

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Construire le cadre de la relation clinique 81

soit informé au départ (« Les entretiens durent 45 minutes et


nous nous verrons une fois par semaine. Je vous propose le
mardi, à 16 heures. Cela vous convient-il ? »). À charge pour le
professionnel de respecter et de faire respecter le cadre : assurer
ses rendez-vous, commencer et finir à l’heure… Là encore, un
peu de souplesse est bienvenue : on peut avoir un peu de retard
(on s’en excuse), on peut parfois déborder sur le temps prévu
(on demande au patient si ça ne lui pose pas problème), avec
certains patients on peut aussi fonctionner sur des entretiens à
la demande (donc sur un emplacement variable dans l’emploi
du temps, selon leurs disponibilités et celles du psychologue).

Rythme des entretiens ?


Selon les approches et les situations le rythme des séances peut
être très variable.
Pour un bilan, un rendez-vous préalable pour faire connaissance,
étudier la demande, informer, puis un (ou deux) rendez-vous
pour le bilan à proprement parler, suivi par un dernier entretien
quelques semaines plus tard pour restituer les résultats.
Pour un suivi, en général, il y a un rythme régulier qui va de plusieurs
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séances par semaine (trois au plus en principe, pour des suivis de


type psychanalytique) à une par semaine ou tous les quinze jours
dans les autres approches (TCC, humaniste…), à une par mois
dans les approches systémiques… D’autres configurations sont
possibles tant qu’elles sont justifiées par la demande et l’état du
patient, mais aussi par la dynamique de travail qu’elles permettent.
Ces rythmes peuvent varier pour s’adapter à la situation du
patient. Par exemple, en TCC, on peut faire un travail thérapeu-
tique intense une fois par semaine pendant un an, puis quand
le patient est mieux, poursuivre ce travail mais tous les quinze
jours l’année suivante. Quand on arrive à la fin de la thérapie,

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82 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique


on peut revoir le patient après trois mois. Pour certains d’entre
eux, un rendez-vous de bilan et de prévention tous les trois mois
peut être pertinent…

Pour savoir si la façon dont le psychologue gère le cadre est


correcte, on peut se demander de temps à autre : « Si j’étais un
patient, aimerais-je le cadre proposé ? M’y sentirais-je bien ?
Comment prendrais-je ces retards ? Ce bureau sombre et en
désordre ? Le psy qui mange un sandwich pendant l’entretien ?
La porte ouverte durant l’entretien ? Les photos de la famille
du psychologue ? » (autant de situations déjà rencontrées…)
Cela apporte souvent des indications de base pour construire
un cadre adapté.
Le cadre est de la responsabilité du psychologue, le bureau et
la gestion du temps sont de son ressort. D’une certaine façon,
le sujet entre sur le territoire du psychologue, c’est ainsi, et le
psychologue doit assumer ce pouvoir et en faire bon usage.
C’est d’ailleurs ce à quoi s’attend le sujet. La tenue du cadre est
déjà un indicateur du professionnalisme assumé du clinicien.
Tout entretien s’inscrit dans un cadre administratif et
financier. Le psychologue doit être payé pour son travail ; les
actes effectués et l’argent échangé doivent s’inscrire dans des
procédures sociales et administratives. Ce sont des questions
importantes pour le sujet qui est en droit de savoir combien
coûtent les séances et si c’est à lui de les payer ou d’avancer
l’argent. Le psychologue, avant le début de son intervention,
doit donc en informer le sujet de façon simple (« Les séances
durent 45 minutes et sont à 60 euros » et/ou « et sont prises en
charge par la Sécurité sociale », ou… autre selon les circons-
tances…). S’il y a des règles spécifiques, le psychologue doit
aussi les annoncer avant de les appliquer (par exemple, le paie-
ment des séances ratées et non décommandées).

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Construire le cadre de la relation clinique 83

Et le projet de remboursement des psychothérapies


par la Sécurité sociale ?
Une bonne idée gâchée par la volonté de contrôle médical, par
le peu de moyens engagés et par un taux de remboursement
irréaliste.
Ce projet doit prochainement voir le jour (à ce jour (début 2022),
il n’est pas encore finalisé). Qu’en penser ?
D’un côté, on ne peut que se réjouir que, enfin, les psychothé-
rapies réalisées par des psychologues soient reconnues par ce
remboursement (celles effectuées par les médecins le sont depuis
longtemps…). Pour autant, le projet, tel qu’il est conçu, comporte
de multiples problèmes qui le rendent peu praticable pour les
patients et les professionnels.
Un premier problème est que le patient, pour être remboursé,
doit passer par un médecin généraliste et cela chaque année (si
la thérapie est renouvelée). Beaucoup de patients seront réti-
cents à cette médicalisation de leurs problèmes psychologiques.
Par ailleurs, les psychologues sont mieux formés que les méde-
cins généralistes aux problèmes psychiques et ils sont à même
d’évaluer la pertinence d’un suivi. Passer obligatoirement par un
médecin renforce le contrôle médical, ce qui est potentiellement
nuisible à un travail psychothérapeutique de qualité (qui peut
aussi passer par une collaboration avec des médecins, mais pas
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

par le contrôle des médecins, c’est très différent).


Un autre problème est de constater que finalement le rembour-
sement est très limité et ne concerne que huit séances par an
(sachant qu’une psychothérapie à une séance par semaine, c’est
au moins quarante séances par an !). Ces séances de 40 minutes
à une heure seront remboursées de 40 € (la première) à 30 € (les
sept suivantes) soit 250 € remboursés par an ! Sachant que le tarif
habituel pour ces durées est autour de 60 € (70 € à Paris), en réalité
une psychothérapie (une séance par semaine sur un an) coûte au
patient : 60 € × 40 séances = 2 400 €. Avec 250 € remboursés, on est
loin du compte ! Par comparaison, pour un psychiatre, il n’y a pas

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84 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique


de limite de séances par an et, en secteur 1, 46 € sont remboursés,
mais les séances peuvent être très courtes (10 minutes pour un
renouvellement de traitement par exemple), et pour les séances
plus longues, les psychiatres peuvent passer en secteur 2 où les
tarifs sont libres, le patient restant remboursé sur la base du
secteur 1. Cette possibilité n’existe pas pour le psychologue qui
ne touchera que 30 € brut pour une séance de 45 à 60 minutes.
Dans le projet, les psychologues n’ont pas le droit de dépasser la
somme remboursée (par exemple, le patient payerait 70 € mais
serait remboursé 30 €. Le projet exclut cela). Donc un psycho-
logue en libéral, qui prendrait habituellement 70 € par séance,
devrait accepter de faire le même travail, pour moitié moins de
revenus ! Il faut aussi être conscient que quand le psychologue
en libéral reçoit 70 €, il s’agit de chiffre d’affaires et une fois reti-
rées de cette somme les charges (impôts, Urssaf, assurance,
loyer, formation, supervisions, etc.), il ne lui en reste que 50 %,
soit 35 € nets. Donc, avec une consultation à 30 €, il ne lui restera
que 15 €. Si, en plus du temps de la séance, on ajoute les autres
temps impliqués par ce suivi (tenir le dossier clinique, remplir les
documents administratifs de la Sécurité sociale, communiquer
avec le médecin envoyeur, formation, supervision, etc.), on peut
considérer que le psychologue rentrant dans ce dispositif sera
réellement, et au mieux, payé net au SMIC horaire.
Pour toutes ces raisons, plusieurs organisations professionnelles
(dont l’AFTCC) se sont prononcées contre ce projet tel qu’il est,
sans être entendues par les pouvoirs publics. Finalement ce projet
ressemble plus à un effet d’annonce politique à moindre coût,
qu’à une réelle volonté de permettre à la population la plus large
d’accéder aux psychothérapies. Espérons qu’il puisse évoluer à
l’avenir vers un montage plus réaliste…

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Construire le cadre de la relation clinique 85

Sortir du cadre classique


Certaines situations ne se prêtent pas au respect du cadre tel
qu’il est décrit ici. Par exemple, avec des personnes hospitalisées
et alitées en soins somatiques ou en maison de retraite médica-
lisée et que le psychologue rencontre dans leur chambre, parfois
partagée par d’autres patients. Le psychologue doit alors autant
que possible faire en sorte de favoriser le travail clinique et de
préserver la confidentialité des échanges. D’autres fois, le psycho-
logue peut choisir de sortir du cadre formel habituel pour faire ses
entretiens avec tel ou tel patient (par exemple faire l’entretien
dans le parc de l’hôpital ou en marchant ou encore à la cafétéria).
Cela est possible quand le patient supporte mal le cadre du bureau
fermé ou ce qu’il peut représenter (une relation de pouvoir, par
exemple). Mais si le psychologue peut avoir une attitude souple
vis-à-vis du cadre, il doit néanmoins veiller à proposer un cadre
favorable au travail clinique et à la confidentialité.

Le cadre est aussi institutionnel. Autant que possible (et


ce n’est pas toujours facile pour les psychologues de faire
reconnaître la pertinence de leur travail psychologique), le
psychologue doit favoriser un contexte institutionnel propice
au travail clinique. Cela concerne surtout les psychologues
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

travaillant en institution (hôpitaux, services psychiatriques,


foyers, etc.). Avoir un statut professionnel normal garant de
bonnes conditions de travail et de stabilité, un bureau correct,
avoir le temps de faire son travail, n’être pas dérangé durant
les entretiens, être respecté dans ses interventions, décider
de la pertinence ou non d’une intervention clinique et, le
cas échéant, décider quelle intervention est pertinente, être
entendu par les collègues dans ses avis et suggestions, etc., sont
autant de conditions institutionnelles d’un travail clinique
correct. Avant même ses entretiens cliniques, le psychologue
doit donc agir vers l’institution, ses collègues, la hiérarchie
pour non seulement exiger de bonnes conditions d’exercice

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86 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

de son travail, mais aussi et surtout, montrer par ses atti-


tudes, sa façon de travailler et d’en faire part, l’importance
et la pertinence de son travail clinique dans l’institution. Un
psychologue en retrait, sur la défensive, se réfugiant dans son
bureau, évitant une certaine convivialité institutionnelle, refu-
sant de communiquer clairement avec les collègues infirmiers,
éducateurs, médecins… ne répondant pas à leurs demandes
et à leurs suggestions, n’expliquant pas son travail ou alors
seulement dans un jargon inaccessible, ce psychologue-là
aura du mal à faire respecter son travail par ses collègues. En
institution, le psychologue doit s’engager un minimum dans
le travail d’équipe et dans une dynamique de collaboration
avec ses collègues, s’il veut être compris et reconnu. Il est vrai
aussi que, dans certaines institutions, le travail du psychologue
et, plus largement, la place du psychologique ont du mal à
être reconnus, tant la partie médicale et/ou les contraintes du
quotidien ont pris le dessus, au détriment hélas, du bien-être
psychique des patients.
Nous avons vu les éléments matériels, visibles du cadre,
mais celui-ci est aussi composé d’éléments immatériels, tout
aussi importants, bien que non visibles et sous-jacents dans
l’entretien.

2. Le cadre immatériel

Le premier d’entre eux est le cadre juridique et éthique de la


pratique de l’entretien. Le psychologue est tenu de respecter
les lois communes et les principes du Code de déontologie des
psychologues, dont le premier principe est de ne pas nuire au
sujet. Mais il est aussi concerné par les questions de respect de
la vie psychique, de la confidentialité, de respect du but de l’in-
tervention décidé avec le patient, de la pertinence des moyens
mis en œuvre, du respect de la personne, de ses croyances et de

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Construire le cadre de la relation clinique 87

ses opinions, de la nécessité d’assister des personnes en danger


(risque suicidaire, d’accidents…), de signaler les situations
de mise en danger d’autrui (maltraitance, négligence…), de
dénoncer des crimes dont il peut avoir connaissance lors de sa
pratique… La pratique de l’entretien clinique est donc cadrée
par un certain nombre de lois et de principes éthiques qui
contraignent le psychologue à certaines attitudes et actions.
Il peut d’ailleurs rappeler ces règles au sujet, par exemple au
premier entretien : « Je vous rappelle que nos échanges sont
confidentiels, c’est une obligation légale et éthique que je dois
respecter. Les seules circonstances où je pourrais rompre cette
confidentialité c’est dans le cas où j’estimerais que vous seriez
en danger, je pourrais alors prévenir par exemple vos proches
ou votre médecin, ou si vous m’informiez d’un crime, je serais
alors dans l’obligation de le signaler à la justice. » Cependant
le psychologue transmet ces informations de façon adaptée à
chaque situation et à chaque sujet. Il peut le faire aussi au fur
et à mesure des entretiens quand le problème est abordé par
le sujet.

La confidentialité, le secret professionnel


Bien que le Code de déontologie (version 2021) affirme :
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« Article 7 : Les obligations concernant le respect du secret


professionnel s’imposent quel que soit le cadre d’exercice »,
cela n’est pas, légalement, totalement exact. Le psychologue
n’est pas soumis au secret professionnel « par profession »
(https://secretpro.fr/secret-professionnel/fiches-par-theme/
secret-professionnel-psychologues).
Contrairement, par exemple, aux médecins ou aux assistants
sociaux, nul texte juridique n’indique que le psychologue est, en
tant que tel, soumis au secret professionnel. En revanche, il peut
l’être par « mission » ou « fonction ». Ainsi, un psychologue travail-
lant à l’hôpital est soumis au secret, de par sa fonction, comme le

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88 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique


sont tous les professionnels de l’hôpital concernant les activités
médicales. Concrètement, un psychologue travaillant à l’hôpital
peut revendiquer le secret professionnel pour ne pas transmettre
d’information dans un cadre judiciaire. Mais un psychologue en
libéral ne le peut pas et devra, comme tout citoyen, transmettre
les informations dont il dispose si un juge les lui demande. Pour
autant, la relation clinique implique de la confiance qui nécessite
de la confidentialité. L’obligation du secret pour le psychologue en
libéral s’appuie seulement, légalement, sur le fait que nul ne peut
nuire à autrui. Donc si diffuser des informations confidentielles
nuit au patient, il pourrait porter plainte contre le psychologue.
Cela dit, le secret professionnel du psychologue est un principe
déontologique important qu’il faut respecter autant que possible.
Mais il est important aussi de rappeler au patient que ce secret
a des limites.
Donc, de par l’institution où il travaille, pour ne pas lui nuire,
par déontologie et pour favoriser la confiance du patient qui le
consulte, le psychologue est donc, globalement, tenu au secret
professionnel, c’est-à-dire qu’il ne peut pas divulguer à des tiers
les informations qu’il obtient sur ses patients durant son exercice
professionnel.
Pour autant, cette règle connaît des exceptions. Par exemple,
comme on l’a vu, s’il travaille en libéral et qu’un juge exige des
informations, il sera en difficulté pour refuser cette demande. Par
ailleurs, le secret professionnel peut s’éclipser devant d’autres
exigences légales, comme l’obligation de dénoncer un crime
(si un patient annonce qu’il va commettre un attentat ou un
meurtre…), l’obligation de signaler toute situation mettant en
danger d’autres personnes (« information préoccupante » pour de
la maltraitance) ou d’intervenir en appelant les pompiers dans le
cas où un patient est en danger grave et imminent, par exemple
s’il veut sauter par la fenêtre du cabinet de consultation.
Par ailleurs, le psychologue peut aussi échanger informations et
réflexions à propos d’un patient qu’il suit avec d’autres profes-
sionnels dans la mesure où cela est fait pour mieux coordonner

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Construire le cadre de la relation clinique 89


ses prises en charge. En institutions (de soins, éducatives…), cela
s’appelle « le secret partagé » entre les professionnels de l’insti-
tution. En libéral, ce partage d’information n’est pas légalement
encadré et il est bien non seulement d’informer le patient de
ces échanges, mais aussi de lui demander son autorisation. Les
informations transmises doivent être seulement celles qui sont
pertinentes à une meilleure coordination des prises en charge, il
n’est donc pas nécessaire de tout dire.
De plus, il peut arriver qu’il soit pertinent de transmettre des
informations aux proches du patient, par exemple s’il est mineur,
ou s’il a confiance dans des proches qui l’aident dans ses diffi-
cultés. Pour autant, le psychologue doit bien évaluer la situation
à chaque fois, car il ne peut pas simplement se libérer (légalement
et/ou déontologiquement) de son obligation de secret. Donc,
avant de communiquer quoi que ce soit à un tiers, il doit, avec le
patient, réfléchir sur ce qu’il convient ou non de transmettre et
sur la façon de le faire.
Faut-il encourager le patient à transmettre lui-même ces informa-
tions (lui n’est pas soumis au secret) ? Faut-il mieux transmettre
ces informations pendant un entretien où patient et proche sont
présents ensemble ? Est-il préférable qu’il y ait une communica-
tion directe entre le proche et le psychologue sans le patient
(avec des proches destructeurs, c’est parfois plus prudent…) ?
Dans tous les cas, cela doit être discuté avec le patient. Et ce
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dernier doit être informé de ces échanges, même après coup.


En conclusion, on peut considérer que le psychologue est soumis
au secret professionnel, même si la loi n’est pas univoque sur ce
point. Donc par principe, le psychologue respecte une confidentia-
lité très forte sur ce que ses patients lui transmettent. Cependant,
l’intérêt du patient peut amener parfois le psychologue à commu-
niquer des informations à des tiers (autres professionnels,
proches…), avec l’accord éclairé du patient autant que possible.
D’autres fois, c’est l’intérêt de la société ou d’autres personnes qui
obligeront le psychologue à lever le secret (information préoccu-
pante, dénonciation de crime, assistance à personne en danger…).

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90 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique


Que dire au patient, quand on aborde cette question en posant
le cadre ? Dans ma pratique libérale, je leur dis à peu près cela
(adapté à chaque cas) : « Ce que vous me direz restera entre nous,
je ne le communiquerai à personne d’autre, je respecte le secret
professionnel. Cependant, dans les cas où j’estimerais que vous
courrez un danger grave ou que vous ferez courir à d’autres un
danger grave, la loi m’impose alors de le communiquer à des
tiers ».
Si le patient est mineur (un adolescent par exemple) : « Je ne
communiquerai pas avec vos parents sur ce que vous me direz
(et je le dis aux parents quand je les vois), sauf dans le cas où je
pense que vous seriez en danger grave. Je serais alors obligé de
le leur signaler. De plus, vos parents souhaitent être informés des
avancées de ce que l’on fait, c’est légitime en tant que parents.
Je vous propose que nous fassions ensemble un point avec eux
tous les 3 mois et, avant de les voir, nous nous mettrons d’accord
tous les deux sur ce que nous pourrons leur dire ou non à cette
occasion. Si entre temps, ils m’appellent pour avoir des informa-
tions, je ne leur en donnerai pas sans votre accord et je vous en
parlerai lors de notre entretien suivant. Qu’en pensez-vous ? Cela
vous convient-il ? ».
Si le patient, même mineur, est contre cette transmission d’infor-
mation à ses parents et qu’il me paraît légitime de le suivre dans
son refus, j’en parle avec les parents pour qu’ils comprennent
l’importance d’accepter cette confidentialité (qui s’arrête si le
mineur se met en danger grave).
Bref, rigueur et justesse sont nécessaires dans l’application du
secret professionnel du psychologue.

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Construire le cadre de la relation clinique 91

3. Le cadre imaginaire et symbolique

En plus des éléments de cadre vus plus haut qui sont socia-
lement identifiés et structurés, il y a une autre dimension du
cadre : le cadre imaginaire et symbolique.
Chaque protagoniste de l’entretien se représente la situation
en y projetant nécessairement une partie de son imaginaire.
Nous ne percevons pas la réalité directement, mais nous en
avons une interprétation. Les éléments de la réalité sont perçus
de façon partielle par notre système perceptif, puis analysés
et interprétés en partie de façon inconsciente en fonction des
schémas intériorisés, principalement relationnels, qui struc-
turent notre vie psychique. La situation d’entretien clinique
n’échappe pas à ce traitement en grande partie inconscient.
Ainsi, chaque protagoniste va comprendre la relation clinique
en fonction de ses schémas relationnels inconscients (« rela-
tions d’objet » dans la théorie psychanalytique). L’entretien va
donc prendre place dans un cadre imaginaire propre à chacun
des protagonistes.
Ainsi, pour tel sujet, la relation clinique sera prise dans
des schémas d’abandon, pour tel autre, de persécution et de
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

menace, pour un troisième, de domination/soumission et


pour un quatrième, de relation de séduction. De plus, chaque
élément de l’entretien pourra symboliser diverses caractéris-
tiques relationnelles : le bureau imposant symbolisera le pouvoir
du psychologue, les fauteuils proches pourront symboliser une
relation amicale, etc. Ces symboles peuvent activer l’imaginaire
du sujet, mais aussi celui du psychologue. En effet, ce dernier
aussi voit ses rapports au monde structurés par ses propres
schémas et il peut donc les reproduire dans ses entretiens
(dominer, être aimé, sauver…). Le psychologue doit être au clair
(être conscient) des schémas qui structurent son fonctionne-
ment relationnel et professionnel. Cette conscience devrait lui

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92 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

permettre de repérer ses schémas à l’œuvre et d’en neutraliser


une partie des effets (se retenir d’être trop gentil ou trop auto-
ritaire…). Notons que les schémas, bien que présents chez tout
un chacun, peuvent être actifs et produire des effets concrets,
ou inactifs et n’avoir pas d’effet, mais ils peuvent aussi être
dysfonctionnels – et dans ce cas, ils vont gêner le travail clinique
– ou fonctionnels – et alors ils vont être un moteur du travail
psychique. Un exemple de schéma fonctionnel : « Si je m’ap-
puie sur les autres, je peux être aidé, je peux faire confiance. »
Exemple d’un schéma dysfonctionnel : « Si je m’appuie sur un
autre, il va m’abandonner, je ne peux pas lui faire confiance ».

Les schémas intériorisés du psychologue clinicien


Curieux, non, cet engouement pour la psychologie clinique ?
Qu’est-ce qui peut bien motiver tant de jeunes à vouloir consa-
crer l’essentiel de leur temps à écouter la souffrance psychique
des autres ? À se frotter à l’angoisse, aux peurs, aux envies de
mourir, à la souffrance dépressive, aux délires, aux troubles des
comportements… ?
Il y a probablement une envie d’aider à surmonter la souffrance,
donc des schémas intériorisés prédisposant à cela. Et cela peut
donc activer une zone intérieure qui peut aller de l’aidant au
« sauveur ». Des glissements peuvent aussi se produire entre l’aide
à l’autre et l’aide à soi-même. Des questions surgissent : aider
l’autre, mais quel autre représente le patient dans l’imaginaire du
psychologue ? Et pourquoi aider ? Par culpabilité ? Par recherche
d’approbation et d’amour ? Pour soulager ses propres difficultés ?
Il est important que le psychologue connaisse les ressorts de
son attirance vers la vie psychique en souffrance. Sinon, il est en
risque de confondre les problèmes du patient avec ses problé-
matiques personnelles. En d’autres termes, il risque d’être sous
l’empire de son cadre imaginaire et de passer à côté du sujet qui
est face à lui et qui n’est pas un personnage de son imaginaire.

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Construire le cadre de la relation clinique 93

Le psychologue doit être attentif aux manifestations


éventuelles des cadres imaginaires et symboliques qui sont
à l’œuvre lors de ses entretiens cliniques. Même si avec un
certain nombre de patients, ces éléments ne posent pas de
problème car les schémas à l’œuvre sont peu actifs ou, s’ils le
sont, ils favorisent le travail psychique ; avec d’autres patients,
l’intensité des schémas dysfonctionnels crée un cadre imagi-
naire qui perturbe la thérapie et peut la mettre en échec
(abandon, persécution, impuissance, perfectionnisme…). Dans
ces derniers cas, le psychologue doit changer de point de vue :
les schémas dysfonctionnels du patient qui semblent gêner la
thérapie doivent être compris comme une part du problème du
patient qu’il faudra aborder et travailler en tant que tel. Ainsi,
une part parfois très importante du travail thérapeutique sera
consacrée à mettre en évidence les schémas dysfonctionnels
au cœur même de la relation thérapeutique, de façon à aider
le patient à mieux les gérer et à les rendre inactifs, non seule-
ment pour que la thérapie avance, mais aussi et surtout parce
que ces schémas dysfonctionnels gênent le patient et le font
souffrir dans sa vie courante. Les schémas dysfonctionnels sont
souvent la matière du travail thérapeutique dans les troubles
de la personnalité.

À retenir
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

L’entretien clinique se déroule dans un cadre qui est composé


de plusieurs éléments, certains matériels (les locaux, le temps),
d’autres sociaux (institutionnels, juridiques, éthiques) et d’autres
imaginaires et symboliques. Le clinicien doit prendre en compte
ces éléments du cadre de façon à favoriser le travail clinique. Il
doit pouvoir aussi adapter le cadre avec souplesse et parfois même
utiliser le rapport du sujet au cadre comme matière du travail
clinique.

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94 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

Internet, Covid, masques et téléconsultation :


un nouveau cadre
La crise sanitaire liée au Covid a imposé aux cliniciens et aux
patients de revoir leur cadre de travail en s’orientant plus régu-
lièrement (voire systématiquement en période de confinement)
vers des téléconsultations. Cette pratique existait avant le Covid
(pour les patients éloignés ou dans l’incapacité de se déplacer),
mais, par la force des choses, elle s’est généralisée. Concrètement
il s’agit de faire une consultation via des plateformes Internet soit
généralistes (Skype, WhatsApp…), soit spécialisées (Doctolib ou
d’autres…).
Quelques conditions techniques pour que cela soit pertinent clini-
quement et éthiquement :
– Il faut que patient et thérapeute aient tous les deux le matériel
adéquat (ordinateur, voire tablette ou smartphone, avec l’audio
et la vidéo) et une connexion suffisante (pour un entretien
vidéo, c’est environ 1 méga/s de débit au minimum ; davan-
tage, c’est mieux). On peut tester facilement sa connexion
sur Internet avec des « tests de débit Internet ». Le mieux est
de faire un entretien d’essai pour voir si ça fonctionne bien.
Notons que si l’entretien vidéo ne marche pas bien, on peut
alors couper la vidéo pour garder le son, ou faire passer le son
par le téléphone (appel normal avec son téléphone) et garder
la vidéo. On peut aussi basculer sur une autre plateforme
ou encore passer simplement au téléphone. Bref, en cas de
difficultés, on peut trouver d’autres moyens (dégradés mais
faisables) pour poursuivre l’entretien.
– Tout cela implique que patient et thérapeute soient un
minimum à l’aise avec ces technologies et d’accord pour les
utiliser pour ces entretiens.
– Il faut que patient et thérapeute puissent, là où ils sont, assurer
la tranquillité et la confidentialité de l’entretien. Un casque
audio peut être utile pour préserver la confidentialité des
échanges.

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Construire le cadre de la relation clinique 95


– le thérapeute doit veiller à l’impression que donne son image
filmée. Avec un ordinateur portable, il peut sembler regarder de
haut le patient ; avec une webcam mal réglée, il peut sembler
regarder à côté, etc. Le thérapeute veillera aussi à ce qui se
trouve derrière lui (le fond d’écran). Il fera en sorte que ce soit
neutre et, au besoin, il utilisera les filtres proposés par la plate-
forme. Il importe de faire des tests avant de voir des patients
par ce biais.
Tout cela étant en place, l’entretien obéit aux mêmes règles que
les entretiens en présentiel (les problèmes techniques en plus).
Beaucoup de choses peuvent se faire dans ces conditions mais
pas tout. Les entretiens avec les jeunes enfants sont difficiles
à envisager ainsi. Certains exercices sont peu faisables en télé-
consultation (par exemple, des expositions sensorimotrices en
TCC). Il est plus délicat d’y aborder des thèmes très sensibles (des
traumatismes « chauds »), car le thérapeute sera sans doute moins
contenant, moins « présent ». On évitera d’activer trop d’angoisse,
car le patient risque ensuite d’être seul chez lui pour les gérer. Si
certains patients tiennent absolument à avoir des entretiens en
présentiel, on ne leur imposera pas des entretiens via Internet.
Mais au-delà de ces difficultés, la plupart des dimensions du travail
clinique peuvent se faire en téléconsultation totale.
Les avantages sont bien sûr la praticité de ce média pour effacer
la distance géographique. C’est aussi un moyen de remédier ponc-
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tuellement à un empêchement du patient pour un entretien en


présentiel, on peut alors « faire une visio ». En période d’épidémie,
cela permet aussi de faire des entretiens sans masque, voire de
mener des entretiens tout court.
Les désavantages, outre ceux évoqués plus haut, sont qu’il y a
un risque d’évitement (de sortir, des transports, de la présence
physique…), de banalisation du travail clinique (que l’on peut
faire entre deux réunions professionnelles, ou entre la douche et
le départ au travail…), que le travail clinique (et les angoisses et
autres douleurs qui vont avec) envahisse le domicile du patient
(mais ses angoisses ne l’envahissent-elles pas déjà ?)…

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96 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique


Personnellement, je trouve très intéressante cette possibilité tech-
nique de faire des consultations à distance (visio, téléphone…).
Je n’ai pas remarqué que cela nuisait au travail clinique. À charge
pour le thérapeute de faire que cela se passe le mieux possible
en tenant compte des points précédents et en restant rigoureux
dans ses objectifs et souple sur les moyens de les atteindre.
Deux précisions : la pratique peut être mixte (des entretiens en
présentiel par moments, et en distanciel à d’autres moments
avec un même patient) ; pour le paiement, en libéral, il suffit de
communiquer son RIB au patient qui fait alors un virement pour
payer la séance.

4. Comment débuter
une intervention clinique ?

En moyenne, tous cadres cliniques confondus, deux patients


sur trois arrêtent leur psychothérapie après les deux ou trois
premiers entretiens. Avec les thérapeutes que je connais, ce
chiffre est beaucoup plus bas : la grande majorité des patients
poursuivent leur thérapie au-delà de quelques séances. Mais
cela nous rappelle qu’il est très important de bien débuter ses
interventions cliniques. Les premières impressions du sujet
sont tout à fait essentielles car c’est à partir d’elles que celui-ci
va décider ou non de s’engager dans le travail clinique proposé.
Appliquer quelques règles de base peut aider à bien débuter
son intervention.

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Construire le cadre de la relation clinique 97

4.1 Avant le premier entretien


La première chose est, avant de fixer un rendez-vous, de
vérifier qu’il n’y a pas d’incompatibilité préalable flagrante (âge
du patient, coût, distance, approche utilisée, etc.). Quelques
minutes au téléphone sont utiles pour vérifier cela et éviter des
déceptions évidentes dès le premier rendez-vous : « Ah, mais
je ne pourrai jamais payer tout cela » ; « C’est trop loin, je ne
pourrai pas venir » ; « Ah bon, vous ne travaillez pas avec les
enfants ? Vous auriez pu le dire au téléphone ! », etc.
Ensuite arrivent le jour et l’heure du rendez-vous, le patient
attend en salle d’attente. Tout d’abord, avant d’aller le cher-
cher pour le conduire vers le bureau du psychologue, il faut
que ce dernier soit prêt. Matériellement d’abord : le bureau
est-il en état pour faire un entretien ? Le mobilier est-il installé
comme il convient ? Le matériel est-il prêt (dossier, papier,
stylo, éventuellement support d’entretien standardisé…) ? Le
professionnel est-il disponible intérieurement pour réaliser ce
travail ? Mieux vaut prendre 5 ou 10 minutes, quitte à être
un peu en retard, pour se décontracter si l’on est stressé ou se
reconcentrer si l’on est préoccupé, plutôt que de recevoir le
sujet à l’heure mais précipitamment.
Une fois que tout est prêt, le psychologue va chercher le
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patient. Le premier contact doit être naturel, agréable, person-


nalisé et en accord avec les rituels sociaux en vigueur, ni plus
ni moins. Pourquoi rappeler ces rituels sociaux ? Parce que de
nombreux étudiants de psychologie ont l’idée que la relation
entre le psychologue et son patient est « spéciale ». Mais ce
n’est pas le cas pour les premiers contacts qui se doivent d’être
normalement cordiaux. Une autre raison est que de nombreux
psychologues travaillent dans des services hospitaliers et que
malheureusement, dans certains de ces services, les contacts
avec les sujets ne sont ni normaux ni cordiaux, le sujet et
sa sensibilité étant laissés pour compte (« Au suivant ! »). Le
psychologue doit se garder de ces rapports déshumanisés, très

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98 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

peu propices à la création d’une bonne alliance thérapeutique.


Ainsi, s’il voit le patient pour la première fois, le psychologue
l’appelle par son nom (« Mme François ? » – si besoin, il se
renseigne au préalable pour être sûr du nom et de sa prononcia-
tion), il se présente en se nommant (« Bonjour, je suis Mr. Jean,
nous avons rendez-vous »), ils échangent une poignée de mains
(sauf en période d’épidémie !), puis le psychologue indique la
direction de son bureau où ils se dirigent au rythme du patient.
À l’entrée du bureau, il met le patient à l’aise (« C’est ici, entrez,
vous pouvez vous asseoir là, mettre vos affaires ici si vous le
souhaitez, mettez-vous à l’aise… »).
Certains patients se comportent parfois d’une manière parti-
culière (par exemple, ils ne serrent pas la main, se précipitent
presqu’en courant vers le bureau, ou au contraire si lentement
que le professionnel doit faire un effort pour rester à leur
rythme, certains ne regardent jamais dans les yeux, d’autres
fixent le regard de façon excessive, d’autres souhaiteront aller
aux toilettes pendant le trajet vers le bureau…). Le psychologue
doit alors être suffisamment rigoureux pour ne pas perdre de
vue ses objectifs (créer une bonne alliance de travail, créer les
conditions d’un travail clinique sérieux) et être suffisamment
souple pour s’adapter au fonctionnement propre du patient,
aussi curieux et déstabilisant puisse-t-il être parfois.

Des patients manipulateurs ?


Il n’est pas si rare chez les professionnels et les étudiants
psychologues d’entendre dire que tel patient, par son compor-
tement curieux (ses retards, ses petites manies, ses larmes, son
agressivité…), est « manipulateur ». Cela signifie que certains
comportements des patients qui déstabilisent le psychologue
seraient en quelque sorte volontaires et auraient comme objectif
de mettre en échec le professionnel ou de produire chez lui telle ou
telle réaction (de compassion, de peur, d’agressivité, d’angoisse…).

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Construire le cadre de la relation clinique 99


Cette vision des choses semble ne considérer la situation d’entretien
que comme un rapport de force dans lequel le patient chercherait
par ses manipulations à prendre le pouvoir sur le psychologue et en
retirerait de la satisfaction (ça ressemble aux relations globalement
irréalistes dans la série En thérapie (In treatment)).
Dans l’immense majorité des cas, cette vision n’est pas construc-
tive. Très rares sont les patients réellement manipulateurs (plus
ou moins sociopathes) dont l’unique objectif serait de contrôler
le psychologue… En revanche, une bonne partie des patients,
malgré eux et involontairement, répètent dans la relation
clinique des schémas relationnels intériorisés. Ces schémas se
manifestent dans la relation avec le psychologue et celui-ci peut
être secoué par le « jeu » relationnel proposé (soumission/domi-
nation, persécution, abandon, séduction, mise en échec, « mise
en inquiétude », chantage affectif, etc.). S’il le prend au premier
degré, alors oui, il peut se sentir manipulé. Mais en réalité, il ne
l’est pas par la partie consciente et volontaire du patient, mais
par les schémas inconscients du patient. D’ailleurs, le patient
est tout autant manipulé de l’intérieur, il est le premier à souf-
frir de la répétition active de ses schémas inconscients. Quand
le psychologue ressent cette impression de manipulation, c’est
qu’il est probablement pris dans un des schémas inconscients
du sujet. Plutôt que de réagir de façon défensive (« Il me mani-
pule, je ne vais pas me laisser faire »), il est plus constructif de
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laisser cette impression prendre place en lui, donc de l’accepter,


pour ensuite l’analyser et bien en comprendre les enjeux. Cette
impression est, par résonance et empathie, un des éléments du
problème du patient. Et il faudra probablement, à un moment ou
à un autre de l’intervention clinique, la prendre comme objet du
travail clinique. Ainsi, le psychologue doit-il se placer à nouveau
en position « méta », au-delà de ses réactions spontanées.
Cette dynamique, même si nous l’exprimons dans des concepts
cognitifs (schémas) ou émotionnels (résonance émotionnelle), est
au cœur de la technique psychanalytique dans ce que l’on appelle
la dynamique transférentielle, avec les notions de transfert

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100 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique


(la répétition du schéma pendant la thérapie) et de contre-trans-
fert (la résonance vers le thérapeute et ses réactions à cette
résonance). S’il le prend au premier degré, le psychologue ne
fera que participer à la répétition active du schéma, alors que son
but est d’aider le patient à se dégager de ces schémas inadaptés.
Notons aussi que, sans même parler de schémas, l’évitement de
l’angoisse ou d’autres émotions désagréables par le patient,
peuvent produire chez le psychologue l’impression d’être mani-
pulé. Par exemple, dans le cas de TOC de contamination, un
patient pourra s’arranger pour rester à distance du psychologue,
ou orienter l’entretien sur des sujets insignifiants pour éviter l’an-
goisse des sujets importants. Le psychologue peut alors avoir
l’impression d’être contrôlé ou manipulé et mal le vivre. Mais il
est essentiel qu’il comprenne ce qui se passe : le patient est en
train de contrôler ses angoisses (et pas le psychologue). Bref,
dans tous les cas, le professionnel ne doit pas prendre person-
nellement les réactions du patient, mais les comprendre comme
des éléments du fonctionnement psychique du patient. Il doit les
saisir dans la rationalité qu’elles ont pour le patient.

S’il y a une situation exceptionnelle, par exemple la présence


de plusieurs thérapeutes ou la présence d’un stagiaire, il faut
prévenir le patient au préalable. Si c’est une situation facul-
tative (stagiaire par exemple), il faut demander l’autorisation
au patient, hors de la présence du stagiaire, pour qu’il puisse
se prononcer librement.
Durant tous ces rituels sociaux, le psychologue observe le
sujet, sa façon d’être et de réagir de façon à ajuster son attitude
mais aussi à déjà entrer dans une dynamique de compréhen-
sion empathique.

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Construire le cadre de la relation clinique 101

4.2 Pendant l’entretien


Durant toute la durée de l’entretien, le psychologue se
consacre entièrement à son travail clinique. Donc, dans la
mesure du possible, il ne répond ni aux appels ni aux messages
téléphoniques qu’il reçoit.
Sans précipitation, le psychologue et le sujet s’installent dans
leur fauteuil. Le psychologue ne se précipite pas sur son dossier
ou sur les questions qu’il a préparées, le cas échéant, mais il
prend le temps (quelques secondes ?) de ressentir la situation
qui s’installe. Un échange de regards peut être bienvenu avant
d’ouvrir l’entretien à proprement parler.
En principe c’est au psychologue d’ouvrir le premier entre-
tien en se présentant plus précisément (« Donc je suis Mr. Jean,
je suis psychologue dans ce service »), en présentant le cadre
(« Quelques informations avant de commencer, les entretiens
que j’effectue durent environ 40 minutes, toujours dans ce
bureau. Si nous entamons ensuite un travail régulier, ce sera
soit toutes les semaines, soit, dans certains cas, tous les quinze
jours, en fonction des situations. Le tarif est de « x euros »
ou, selon les cas, « Vous n’avez rien à payer, ces entretiens
sont pris en charge par la Sécurité sociale » »). Le psychologue
peut ensuite présenter sa façon de travailler ainsi que son
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

référentiel théorique et technique en apportant les préci-


sions pertinentes et en répondant aux éventuelles questions
du sujet. Rappelons que la transmission de ces informations,
outre qu’elle concourt à l’alliance thérapeutique, permet aussi
de répondre aux exigences du Code de déontologie des psycho-
logues. Le patient est une personne qui a un droit légitime à
l’information de la part du psychologue et de tout profes-
sionnel qui agit pour elle.

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102 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

Information des personnes


– Code de déontologie des psychologues (2021)
Article 9 : La·le psychologue recherche systématiquement le
consentement libre et éclairé de ceux qui la·le consultent ou qui
participent à une évaluation ou une expertise. Elle·il les informe
de façon claire et intelligible des objectifs, des modalités, du coût
éventuel et des limites de son intervention. Le cas échéant, elle·il
leur indique la possibilité de consulter un·e autre praticien·ne.

Il est important ensuite de dire en quoi va consister le début


de l’intervention clinique, en particulier ce premier entre-
tien. Il y a plusieurs façons de commencer le travail clinique :
certaines sont plus structurées (en TCC), d’autres sont non
directives (en psychanalyse) mais, dans tous les cas, le clini-
cien doit obtenir un ensemble d’informations concernant le
contexte et la vie du patient (éventuellement des informa-
tions d’état civil – âge, adresse, e-mail, téléphone – l’envoyeur
qui l’a adressé au psychologue, ses activités professionnelles,
d’études, de loisirs, sa situation familiale, conjugale, ses rela-
tions sociales, ses antécédents psychologiques, les traitements
psychothérapiques antérieurs, la présence de maladies soma-
tiques, les éventuels traitements médicamenteux…). Toutes ces
informations permettent de mieux connaître le sujet que l’on
ne réduit pas à ses problèmes. Cela permet aussi de comprendre
le contexte dans lequel il évolue et aussi de voir ce qui, dans ce
contexte, peut avoir des effets de stress (par exemple des diffi-
cultés conjugales) ou au contraire de soutien (avoir une relation
de couple solide). Cela permet aussi de repérer quelles sont les
répercussions sur la vie du patient du problème pour lequel il
consulte (« Je ne travaille plus depuis 6 mois, je ne peux plus,
àcause de mon angoisse… »). Enfin, à travers la façon dont le
sujet répond à ces questions ou dont il fait le récit de lui-même,
le psychologue se fait une première idée de certains traits de
personnalité du sujet (par exemple, la régulation des émotions,

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Construire le cadre de la relation clinique 103

les capacités intellectuelles, les problématiques saillantes, les


processus d’évitement ou au contraire de dramatisation, etc.).
Ces informations étant recueillies, il importe d’aborder, dès
le premier entretien, le motif de la consultation ou, en d’autres
termes, le ou les problème(s) pour le(s) quel(s) le sujet est
venu voir un psychologue. Le psychologue doit être à l’aise et
aborder directement le problème en aidant le sujet à l’exprimer
le plus complètement possible de son point de vue (du patient).
Pendant toute cette exploration, le psychologue essaie surtout
de comprendre ce qui fait problème pour le patient et il se
garde bien de donner une opinion qui serait de toute façon, à
ce stade, trop mal informée pour être pertinente. Nous verrons
dans la partie suivante comment aborder la demande et donc
le motif de la consultation.

4.3 La démarche diagnostique


Il est aussi important, avant d’engager une stratégie
psychothérapeutique, d’avoir une idée précise du contexte
psychopathologique du problème (le diagnostic). Dans des
institutions de soins, c’est au médecin psychiatre qu’appar-
tient la responsabilité de poser un diagnostic, éventuellement
avec l’aide du psychologue. Mais parfois, c’est au psychologue
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

de suivre cette démarche diagnostique (si le médecin le lui


demande ou s’il travaille seul). La démarche diagnostique peut
se faire dans le même temps que l’exploration du contexte et
du problème, le psychologue est alors particulièrement attentif
aux symptômes psychopathologiques qui apparaissent dans
le discours du patient. Mais il est plus efficace de consacrer
un temps spécifique à une démarche diagnostique structurée.
Celle-ci peut s’appuyer sur un entretien diagnostic au cours
duquel le clinicien questionne de façon systématique le sujet
sur d’éventuels symptômes psychopathologiques. Néanmoins,
même si le clinicien est expérimenté (et, qui plus est, s’il ne
l’est pas), les risques dans ce cas sont tout simplement d’oublier

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104 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

d’explorer certains troubles et de n’avoir pas de repères fiables


pour déterminer si ce que décrit le sujet correspond à un trouble
ou à un trait de personnalité ou à un symptôme isolé ou encore
à rien de tout cela… Pour éviter ces risques, le clinicien peut
utiliser des instruments d’évaluation de la psychopathologie,
comme des questionnaires (voir par exemple les questionnaires
de niveaux 1 et 2 du DSM-5, section 3), des tests ou des entre-
tiens standardisés se référant à un système diagnostic précis
(par exemple, le MINI ou le SCID pour explorer la majorité des
diagnostics du DSM). Ces outils permettent, d’une part, d’aider
le psychologue dans ce travail en guidant son attention sur
des diagnostics qu’il aurait pu délaisser pour diverses raisons,
d’autre part de travailler avec des repères diagnostics précis
et, enfin, de gagner du temps dans la démarche diagnostique.
Ces outils diagnostics ne remplacent ni l’expérience ni le
jugement clinique du psychologue, qui reste le seul respon-
sable, en dernier ressort, de son hypothèse diagnostique. En
effet les diagnostics psychopathologiques sont souvent plus
fragiles, incertains et complexes que la plupart des diagnostics
de troubles somatiques. Le psychologue doit donc être solide
sur ses repères psychopathologiques et sur son expérience
clinique pour pouvoir élaborer des hypothèses diagnostiques
fiables.
Rappelons qu’il est possible qu’un sujet souffre de plusieurs
troubles psychologiques (on dira que ses troubles sont « comor-
bides »). Mais à l’inverse, il peut aussi ne souffrir d’aucun
trouble répertorié, ce qui n’empêche pas qu’il ait des problèmes
et qu’il puisse être aidé par un psychologue clinicien. C’est le
cas de sujets qui ont par exemple des problèmes conjugaux ou
existentiels, ou qui souffrent de stress professionnel…

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Construire le cadre de la relation clinique 105

4.4 Résumé de la situation


et proposition d’intervention
À ce stade, après un, deux ou trois entretiens, le psychologue
et le patient ont abordé en entretien : la présentation du théra-
peute, le cadre de la thérapie, le contexte de vie du patient, sa
demande et le diagnostic psychopathologique. Le psychologue
est donc en mesure de donner son point de vue sur la situa-
tion, ainsi que sur la pertinence de l’intervention clinique.
Il peut être utile à ce moment que le psychologue fasse un
résumé au patient de ce qu’il a compris de la situation, de
façon à vérifier que ce qu’il a compris est correct aux yeux du
patient, mais aussi, dans le cas contraire, d’ajuster sa compré-
hension (« Donc si je comprends bien, le problème que vous
souhaiteriez que nous travaillions ensemble, c’est ce problème
de sommeil, les insomnies que vous avez depuis plusieurs mois
et qui suscitent beaucoup d’inquiétudes en vous. Le manque
de sommeil crée chez vous une fatigue quasi permanente qui
vous gêne dans votre travail et votre vie sociale. Vous dormez
un peu mieux avec les somnifères, mais pas suffisamment
bien malgré tout et en plus votre médecin vous a dit que
vous ne pouviez pas les prendre trop longtemps. Donc vous
cherchez d’autres méthodes pour retrouver le sommeil sans
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

médicament. Et en plus vous souhaiteriez être accompagné


pour que l’arrêt des somnifères se passe au mieux. C’est bien
cela ? »). Le clinicien peut alors se prononcer sur la pertinence
de l’orientation (« Il est tout à fait possible que la psychothé-
rapie puisse vous aider. Donc si vous en êtes d’accord, nous
pouvons commencer »).

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106 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

Et si le patient ne semble pas très motivé ?


Il est important que le patient soit motivé pour s’engager dans
le travail clinique. Mais il arrive que la motivation soit minimale,
mais que ce soit le maximum que le patient puisse donner à ce
moment-là. Le patient a aussi parfois des réticences qu’il n’ose
pas exprimer (des questions qu’il garde pour lui, une difficulté
particulière dont il n’ose pas parler). Deux questions peuvent
l’aider à exprimer ces réticences et donc à prévenir leurs effets
futurs potentiellement négatifs sur la thérapie.
« Pourquoi souhaitez-vous effectuer ce travail psychothérapique
maintenant ? » Cette question aide à mettre en évidence la moti-
vation du sujet (ou l’absence de motivation spécifique). Les
réponses peuvent être très variables : « Parce que c’est vraiment
devenu insupportable », « Parce que je me sens prêt à aborder ces
problèmes » ; « Je veux dépasser cette phobie de l’avion parce que
je vais me marier » ; parfois les motivations sont moins solides :
« Ce sont mes parents qui m’ont poussé » ; « Je ne sais pas, on
verra bien si ça marche »…
« Quels pourraient être les obstacles à la thérapie ? » Cette ques-
tion directe permet de mettre en évidence ce qui pourrait gêner
la thérapie, comme des problèmes financiers, de temps ou de
difficultés à s’engager… (« Je me décourage très vite… », « Je ne
fais pas facilement confiance »). Cela donne l’occasion d’en parler
et de prévenir les effets de ces difficultés.

Si patient et thérapeute sont suffisamment informés de la


situation et d’accord pour travailler ensemble, alors l’interven-
tion peut vraiment commencer.

4.5 Et si le résultat est négatif ?


À l’issue de ces premiers entretiens dits « préalables », le
psychologue et le patient peuvent aussi conclure que l’orienta-
tion n’est pas la bonne et que le travail ne peut pas commencer.

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Construire le cadre de la relation clinique 107

Du côté du patient, le cadre peut ne pas lui convenir (trop


cher, trop loin, horaires inadaptés ; « J’ai bien réfléchi et fina-
lement, je préférerais travailler ces questions avec un homme/
une femme »), la méthode peut n’être pas celle qu’il souhaite
(« Je préfère voir ça avec quelqu’un de vraiment spécialiste de
ce problème » ; « Je préfère une méthode plus structurée/plus
libre ») ou il peut tout simplement ne pas « le sentir » mainte-
nant (« Écoutez, j’ai décidé de reporter ce travail, je sais qu’il
faut que je le fasse, mais là, je ne me sens pas prêt. Je vous
rappellerai quand ce sera le cas, si vous êtes d’accord »). Ça peut
être aussi du côté du thérapeute (« Je pense qu’il faudrait que
vous voyiez d’abord un médecin psychiatre qui pourra vous
prescrire un traitement, car je crois que vos angoisses sont trop
fortes pour que l’on puisse les aborder directement » ; « Votre
problème est très spécifique et je connais mal ces situations, je
préfère vous adresser à un collègue plus spécialisé »…).

4.6 Conclusion : quelques règles


Pour conclure cette partie, quelques règles peuvent être
précisées pour mener à bien ces premiers entretiens, règles
qui découlent de ce que l’on vient de voir mais aussi des
travers souvent perçus chez des psychologues en formation
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ou débutants :
– On pose un cadre de travail pour le long terme, il faut voir
au-delà des enjeux relationnels immédiats et au-delà de la
souffrance manifeste.
– Ne pas se précipiter sur les problèmes. Le sujet ne se réduit
pas à ses problèmes (même s’il est envahi par eux). Ne pas
oublier de parler de la vie du sujet et même… de ce qui va.
Prendre le temps de faire connaissance avec le sujet et de
bien connaître le contexte des problèmes pour lesquels il
consulte. Les problèmes ne prennent sens que dans leur
contexte.

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108 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

– Ne pas se prononcer trop rapidement ; le psychologue doit


être assez sûr de son avis quand il l’émet, celui-ci doit donc
être informé et argumenté, cela prend du temps. Le psycho-
logue peut aussi ne pas savoir, ne pas être sûr, et le dire.
– Ne pas se jeter dans des propositions d’aide rapides, éviter
le piège de l’activisme ; le psychologue vise le changement à
long terme, pas le conseil immédiat souvent de peu d’effet.
D’abord connaître la situation, puis construire des hypo-
thèses, puis élaborer des stratégies thérapeutiques solides.
– Avancer avec le sujet ; c’est son travail à lui qui compte, le
psychologue est là pour l’aider à faire ce travail, pas pour le
faire à sa place.
– Se laisser « envahir » par le fonctionnement psychique du
sujet, par son monde, laisser du temps et de l’espace à
l’empathie pour se mettre en place. Mais garder la position
« méta » (d’auto-observation et d’observation du patient et
de la relation).
– On peut se tromper, oublier des questions, avoir quelques
maladresses, l’important, c’est de le repérer, de se remettre
en cause et de réparer l’erreur.
– Privilégier l’alliance thérapeutique, pas seulement la relation
agréable et sympathique, mais l’alliance de travail qui sera
favorable à un travail clinique solide dans le long terme.
– Les premiers entretiens, ou entretiens préalables, déter-
minent en grande partie la suite de l’intervention clinique.
Ils ont plusieurs objectifs : créer une alliance thérapeutique
solide, poser un cadre propice au travail clinique, explorer
les problèmes et les demandes du sujet, explorer le contexte
de vie du sujet, suivre une démarche diagnostique. À partir
de ces informations, le clinicien et le sujet, dans une relation
de travail clinique, déterminent si un travail commun est
pertinent et lequel.

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5
Cha
pitre

COMMENCER
UN ENTRETIEN
CLINIQUE

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Nous avons vu comment mettre en place une intervention
clinique. Voyons plus rapidement comment commencer chaque
entretien, dont la succession constitue l’intervention clinique.
Une fois que l’on a été chercher le sujet et qu’on l’a fait
s’installer de façon chaleureuse dans le bureau en le mettant
à l’aise, l’entretien peut débuter.
Il y a plusieurs façons de commencer un entretien clinique.
Cela dépend de la personnalité du patient, de la personnalité
du thérapeute et de son référentiel théorique, mais aussi des
us et coutumes de l’institution.

Commencer l’entretien en silence ?


Pour la plupart des patients, il n’est pas sûr que le classique
silence du clinicien en retrait invitant implicitement le sujet à
prendre la parole soit le plus adapté. Il est adapté dans la cure
type psychanalytique et a comme intérêt de renvoyer d’emblée
le sujet à lui-même, mais il a comme limite d’être assez rude et
d’être, à ce titre, mal vécu par de nombreux sujets qui sollicitent
des psychologues (et non des psychanalystes) et qui ont besoin
de relations plus ordinaires et soutenantes.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

De façon générale, avant de démarrer l’entretien à propre-


ment parler, il peut être intéressant d’échanger quelques
banalités (sur le temps par exemple), pour prendre contact :
« Il fait beau aujourd’hui, c’est agréable, non ? Vous appréciez
le soleil ? » Cela prend quelques secondes et peut permettre une
prise de contact progressive. Certains patients n’apprécient
cependant pas ce type d’introduction qui peut leur sembler
décalé par rapport à leurs difficultés (« Ah, oui, y a du soleil,
et alors ? Pour ce que ça change pour moi… »), il faut donc
s’adapter à chacun. Le psychologue peut ensuite, s’il est plutôt
non directif, commencer l’entretien de façon volontairement
ouverte (« Alors ? » ; « Je vous écoute »…).

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112 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

Dans un cadre plus directif, il structurera les étapes de l’en-


tretien. Il peut par exemple commencer par s’enquérir de l’état
du patient au moment présent (« Comment allez-vous en ce
moment ? »), il peut ensuite orienter le questionnement vers
la période passée depuis la dernière rencontre (« Comment
s’est passée cette semaine ? Y a-t-il eu des événements particu-
liers ? »). À la suite de cela, il peut préciser cette question en la
faisant porter sur les objectifs de l’intervention : « Et par rapport
à ce que nous travaillons en ce moment, vos difficultés agora-
phobiques, il y a eu des événements ? Avez-vous remarqué des
évolutions cette semaine ? » Ces quelques échanges d’introduc-
tion peuvent être très courts (si le sujet n’a rien de particulier
à apporter) ou très longs en fonction des événements relatés
par le sujet et si le clinicien estime nécessaire de s’y attarder
(par exemple si le sujet rapporte un événement important de
sa vie : « Ma copine m’a laissé tomber cette semaine, je ne sais
pas quoi faire… » ; ou qui peut être lié à ses difficultés : « Ça
a été une semaine horrible, j’étais au fond du trou… »). Ces
échanges introductifs permettent de créer le lien, d’évaluer
l’état du sujet, son évolution et de suivre les événements de
sa vie. Puis le clinicien conduit l’entretien sur les objectifs
de l’intervention et de cet entretien. Par exemple, dans un
cadre TCC : « Très bien, nous allons donc revenir à ce que nous
avions prévu pour aujourd’hui. Donc, en ce moment nous
travaillons sur votre agoraphobie. Lors des derniers entretiens,
nous avions repéré ensemble les situations qui vous posaient
problème. Aujourd’hui, ce qu’il serait bien que nous fassions,
c’est de voir quelle stratégie nous allons mettre en place pour
réduire ces angoisses. C’est bien ça ? Vous êtes d’accord ? » ;
ou dans le cadre d’entretiens d’anamnèse : « Nous avons pour
objectif de retracer ensemble la façon dont vos difficultés sont
apparues et comment elles ont évolué. La dernière fois nous
avions parlé surtout de votre enfance et de votre adolescence.
Nous avions prévu de continuer aujourd’hui en reprenant là où
nous nous étions arrêtés. C’est bien ça ? ». À la suite de cela, le

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Commencer un entretien clinique 113

travail de la séance peut s’effectuer en fonction du référentiel


théorico-clinique du professionnel.

À retenir
Il existe plusieurs façons de commencer un entretien clinique,
mais toutes suivent plusieurs étapes : salutations, prise de contact,
évaluation de l’état du sujet et de son évolution, transition vers le
travail de la séance.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

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6
Cha
pitre

TRAVAILLER
LA DEMANDE
ET DÉGAGER
LES OBJECTIFS
DU TRAVAIL
CLINIQUE

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aire
m
So m

1. Travailler la demande ............................................ 117


2. Déterminer les objectifs de l’intervention ........... 121

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Pa
1. Travailler la demande
rt
La demande est la demande d’aide psychologique formulée
au professionnel. Dans la situation la plus courante, la
ie
demande d’aide émane de la personne qui sera le sujet de
l’intervention et qui demande de l’aide pour elle-même. Dans
certains cas cependant, la demande peut émaner d’un tiers (les
parents qui demandent pour leur enfant ; un professionnel –
psychiatre, psychologue scolaire… – qui demande pour un
sujet qu’il connaît ; un juge qui impose à un mis en examen ou
un condamné de se soigner – injonction de soins – etc.). Quand
la demande émane d’un tiers, il est très important d’en parler
avec le sujet concerné pour voir dans quelle mesure lui-même
s’approprie cette démarche et y adhère. En d’autres termes, il
s’agit de faire évoluer autant que possible la demande du tiers
vers une demande personnelle, quitte à adapter les termes de
la demande et ses objectifs (un parent peut demander une
intervention pour que son adolescent ait de meilleurs résultats
à l’école ; mais en discutant avec l’adolescent qui ne partage pas
cet objectif, on pourrait se mettre d’accord pour aborder des
difficultés qui sont importantes pour lui et qui le font souffrir,
par exemple une faible estime de soi, des difficultés relation-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

nelles, des idées suicidaires…). Il s’agit donc de travailler sur la


motivation du sujet en transformant la motivation extrinsèque
(« Mon médecin m’a dit de venir vous voir ») en motivation
intrinsèque (« J’ai besoin que l’on travaille sur mes difficultés
relationnelles »).
La question de la demande doit être travaillée durant les
premiers entretiens. Elle peut être abordée de plusieurs façons.
Parfois le sujet aborde directement ce point (« Je suis venu
parce que… »), d’autres fois c’est au psychologue de prendre
l’initiative pour aborder ce thème (« Qu’est-ce qui vous a
conduit à prendre rendez-vous avec un psychologue ? » ; « Que

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118 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

souhaitez-vous que nous travaillions ensemble ? » ; « Pourquoi


êtes-vous là ? », etc.). Dans tous les cas, le psychologue a un
travail à effectuer autour de la demande. Il ne peut, en général,
se contenter de la première demande formulée.
– Tout d’abord, il est fréquent que la demande formulée ne soit pas
très claire (« Je veux que vous m’aidiez à régler tout ça… Tout
ça ? Ben tout ce qui va pas, quoi… ») ; le psychologue doit
donc aider le sujet à préciser sa demande (« Qu’entendez-
vous par « tout ça » plus précisément ? » ; « Qu’est-ce qui
serait le plus important à changer pour vous, pour que ça
aille mieux ? »). Le psychologue peut donc aider le sujet à
y voir plus clair dans ses problèmes. Il peut aussi estimer
que le sujet n’est pas en situation d’exprimer une demande
claire et décider de démarrer l’intervention clinique malgré
tout dans ces conditions (« Pour le moment, je vois qu’il
vous est difficile d’y voir clair dans vos difficultés et je le
comprends, celles-ci sont très pénibles. Je vous propose que
l’on en discute ensemble lors des prochains entretiens pour
y voir plus clair. Ensuite nous verrons comment nous pour-
rons améliorer les choses »).
– Le sujet peut aussi avoir une demande irréaliste (« Je voudrais
que vous me débarrassiez de mes angoisses d’ici la fin de la
semaine, car j’ai un avion à prendre… »). Le psychologue
doit donc l’amener à percevoir le caractère impossible de sa
demande (« Vous savez, ce type d’angoisses que vous avez
depuis plusieurs années, ça ne part pas comme ça, il faut du
temps »).
– Le sujet peut aussi ne pas avoir de demande et l’affirmer, ce qui
n’est pas rare chez les adolescents (« moi ça va, je n’ai pas
de problème, ce sont mes parents qui m’envoient ici, c’est
eux que vous devriez recevoir »). Si le sujet se braque dans
cette posture, un travail clinique sera impossible à mener.
Mais il est souvent possible de se mettre d’accord sur un
objectif minimal pour démarrer le travail et créer les condi-
tions favorables à l’émergence d’une demande personnelle

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Travailler la demande et dégager les objectifs du travail clinique 119

par la suite (« Je comprends bien que ce sont vos parents qui


vous ont obligé à venir à ce rendez-vous. S’ils l’ont fait, c’est
parce qu’ils sont inquiets pour vous et sans doute ont-ils des
raisons, peut-être perçoivent-ils des difficultés chez vous. Il
est possible aussi qu’ils se fassent du souci pour rien. Quoi
qu’il en soit, mon travail c’est de vous aider, vous, et nous
ne pouvons travailler ensemble que si vous êtes d’accord,
je ne peux pas et ne veux pas vous y contraindre. Ce que
je vous propose, c’est que l’on fasse le point ensemble sur
votre situation, pendant deux entretiens, pour voir s’il y a
des choses dans votre vie qui vous posent problème et que
l’on pourrait améliorer, pour que votre vie soit plus agréable.
Je vous donnerai mon avis après ces premiers entretiens.
S’il me semble qu’il y a des choses problématiques, je vous
le dirai. Sinon, s’il apparaît qu’il n’y a pas de problèmes sur
lesquels nous pourrions travailler, alors nous en parlerons
avec vos parents et nous nous arrêterons là. Êtes-vous d’ac-
cord avec cette proposition ? »). Il est rare que le sujet refuse
à ce stade, parce que le simple fait que ses parents aient pris
ce rendez-vous est signe qu’il y a un problème, soit chez
lui, soit dans leurs relations et cela, le jeune le sait bien et
probablement en souffre d’une façon ou d’une autre.
– La demande mise en avant par le sujet n’est pas forcément la
demande principale. Il est donc important de vérifier qu’il n’y
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

ait pas d’autres problèmes que le sujet voudrait traiter mais


n’ose pas évoquer : « Vous souhaitez que nous travaillions
sur vos difficultés relationnelles. D’accord. Y a-t-il d’autres
choses que vous souhaitez que nous travaillions ? Vous disiez
tout à l’heure que vous aviez un problème avec l’alcool.
Souhaitez-vous que nous en parlions aussi ? » Donc le psycho-
logue peut, systématiquement, vérifier s’il n’y a pas « d’autres
choses » que le sujet souhaiterait travailler. Cependant, le
psychologue peut pressentir qu’il y a des problèmes que le
sujet ne souhaite pas aborder à ce moment-là, et le respecter.
Ces problèmes tus pourront, le cas échéant, être abordés par
la suite.

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120 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

– Il arrive que la demande formulée masque un problème dont


le sujet n’est pas encore conscient mais que l’on peut pres-
sentir ou observer lors des premiers entretiens (par exemple
une timidité importante que le sujet ne perçoit pas comme
problématique, ou des schémas relationnels actifs et
dysfonctionnels qui transparaissent dans son discours ou
dans son attitude, par exemple l’agressivité, et dont le sujet
n’est pas conscient). Dans ces cas-là, il est souvent préfé-
rable de démarrer le travail sur la demande explicite du sujet
en laissant de côté ce problème sous-jacent, pour l’aborder
plus tard quand ce problème se manifestera avec intensité
au cours du suivi. Le sujet sera plus à même alors d’en-
tendre qu’il y a là un problème, même s’il ne le percevait
pas comme tel auparavant. Il faut donc avancer progressi-
vement en respectant l’organisation défensive du sujet.
– Parfois le sujet peut exprimer tellement de demandes en même
temps qu’il peut être difficile de s’y retrouver. Dans ce cas, il
peut être utile de leur donner un ordre de priorité (« Nous
avons vu qu’il y avait un certain nombre de choses dans
votre vie que vous souhaiteriez changer. Mais comme nous
ne pouvons pas tout aborder en même temps, qu’est-ce qui
vous paraît le plus important à aborder d’abord ? »).
– Il arrive aussi que la demande soit contradictoire avec les infor-
mations sur les problèmes tels qu’ils apparaissaient lors des
échanges précédents. Par exemple, le sujet peut avoir exprimé
un vécu dépressif et des addictions multiples, mais avoir une
demande qui porte sur un questionnement professionnel…
Le psychologue est alors pris dans une tension entre le
respect de la demande du sujet et son expérience profes-
sionnelle qui lui apprend qu’il sera difficile de se lancer dans
une réorientation professionnelle avec un sujet dépressif
et addictif. Dans ces cas-là, le mieux est d’en parler direc-
tement avec le sujet et de donner son avis sur la situation :
« Je comprends bien votre désir de questionner votre travail.
Mais en même temps nous avons vu que vous souffriez de

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Travailler la demande et dégager les objectifs du travail clinique 121

troubles dépressifs et de plusieurs addictions. J’ai peur que


ces troubles, si nous ne les traitons pas d’abord, mettent
en échec votre questionnement professionnel. Qu’en
pensez-vous ? ».

À retenir
Une demande peut s’exprimer de multiples façons. Il est important
que le psychologue ne prenne pas au pied de la lettre la première
demande exprimée mais qu’il la questionne, la fasse préciser, aide
le sujet à mieux l’exprimer, etc. Il faut donc travailler la demande.
Ce travail de la demande a un double objectif : d’abord de créer un
accord entre la demande du sujet et la compréhension qu’en a le
psychologue et de rendre ainsi la demande du sujet accessible à
un travail psychothérapeutique. Il est risqué (pour la réussite du
travail clinique) de s’engager avec le patient dans un travail pour
lequel la demande n’est pas compatible avec la réalité des possi-
bilités du psychologue. La déception et l’échec risquent d’être au
rendez-vous.

2. Déterminer les objectifs


de l’intervention
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Il est souvent plus efficace de déterminer des objectifs précis


avant de débuter une intervention, cela permet de centrer
le travail à venir et de suivre son évolution et ses effets. De
plus, c’est une exigence éthique que de travailler en direction
d’objectifs dont le patient est informé, et avec lesquels il est
d’accord.

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122 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

Extraits du principe 1 du Code de déontologie


des psychologues (2021)
La·le psychologue s’attache à respecter l’autonomie de la
personne et en particulier son droit à l’information, sa liberté de
jugement et de décision.
Principe 6 : Rigueur et respect du cadre d’intervention
Les dispositifs méthodologiques mis en place par la·le psycho-
logue répondent aux objectifs de ses interventions, et à eux
seulement.

Cependant travailler en direction d’objectifs précis et iden-


tifiés n’impose pas au psychologue de s’y tenir rigidement. Il
ne faut pas que ces objectifs deviennent des couloirs étroits
qui enferment le travail clinique. Ainsi, il est possible, quand
un objectif est atteint, de passer à un autre objectif ou, quand
on vise un objectif, d’en changer, ponctuellement ou défini-
tivement, en cours de route. Par exemple, on peut travailler
en vue de réduire des problèmes professionnels et s’apercevoir
pendant le travail clinique que ces problèmes sont finalement
secondaires à une phobie sociale non identifiée jusque-là
et réorienter le travail dans cette direction. On peut aussi
suspendre un objectif en cours (par exemple travailler sur une
phobie sociale) et faire un travail sur le passé traumatique du
sujet, qui peut être en rapport avec ses difficultés relationnelles.
Il est donc utile d’adopter une attitude rigoureuse et souple
vis-à-vis des objectifs de l’intervention. Rigoureuse, car il est
important de savoir où l’on va durant les entretiens et ce que
l’on est en train de travailler. Souple, car il est nécessaire aussi
de suivre le patient dans ses besoins et son évolution. Ce qui
importe, c’est que le psychologue soit clair sur ce qu’il travaille,
mais aussi que le patient soit informé que l’objectif a changé
et pourquoi.

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Travailler la demande et dégager les objectifs du travail clinique 123

2.1 Pour construire des objectifs,


il faut prendre en compte
plusieurs éléments
Les objectifs doivent correspondre aux fonctions du psycho-
logue (bilan psychologique, psychothérapie, soutien, conseil…).
Ils doivent aussi correspondre aux missions et aux moyens
de l’institution dans laquelle le psychologue travaille : on ne
propose pas d’objectif de psychothérapie à long terme dans
des services d’hospitalisation à court terme, on n’engage pas
de psychothérapie individuelle avec les proches de la personne
âgée que l’on soutient en maison de retraite, etc.
Les objectifs doivent aussi correspondre aux compétences du
psychologue et à ses moyens. Il doit être formé et compétent
dans les domaines visés. S’il n’est pas encore formé dans des
approches psychothérapiques précises, comme c’est le cas des
étudiants de master en psychologie ou des jeunes diplômés,
il doit alors orienter ses objectifs d’entretiens vers de l’écoute,
du soutien, du bilan, des entretiens d’anamnèse, ou alors vers
l’application de techniques thérapeutique qu’il aura vues
avec son psychologue référent. Mais en aucun cas il ne doit se
lancer dans des objectifs impliquant l’utilisation de techniques
auxquelles il n’est pas formé ! Les objectifs doivent aussi corres-
pondre à la demande du sujet une fois qu’elle a été retravaillée avec
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

le psychologue. En effet, il est très important que le psychologue


et le patient soient d’accord sur les objectifs de l’intervention.

Quelques exemples d’objectifs d’intervention clinique


– Évaluer le fonctionnement psychique du sujet (intelligence,
psychopathologie, personnalité, troubles neuropsycholo-
giques…) à l’aide d’un bilan psychologique.
– Apporter un soutien au sujet qui traverse une situa-
tion difficile (séparation, licenciement, maladie, décès,
institutionnalisation…).

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124 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique


– Apporter un soutien et des conseils à un sujet qui, sans rencon-
trer de situation difficile particulière, a du mal à gérer sa vie
quotidienne en raison de ses troubles psychiatriques (dépres-
sion chronique, schizophrénie, troubles bipolaires, borderline,
déficiences intellectuelles…).
– Aider et soutenir un sujet à mieux vivre une période d’insti-
tutionnalisation (hospitalisation, foyer…), l’aider à exprimer
les difficultés qu’il y rencontre pour prévenir des difficultés
psychiques et institutionnelles.
– Aborder un problème spécifique qui se serait produit en insti-
tution (conflit, désaccord, désinvestissement, colère…).
– Déterminer précisément les pathologies dont souffre le sujet
à l’aide d’entretiens diagnostiques.
– Enrichir le diagnostic et aider le sujet à faire le point sur ses diffi-
cultés à l’aide d’entretiens d’anamnèse (histoire des troubles).
– Traiter telle ou telle pathologie (dépression, anxiété, addic-
tion, comportements, etc.), ou améliorer tel ou tel problème
(relationnel, professionnel, affectif…) : il s’agit donc d’objectifs
psychothérapiques.
– Aider un sujet handicapé par ses troubles psychiques à
retrouver une place socioprofessionnelle satisfaisante : objectif
de réhabilitation psychosociale visant le rétablissement.
– Etc.

Une fois les objectifs fixés pour l’intervention en général


(« Donc, ce sur quoi nous allons travailler, ce sont vos idées
suicidaires, pour mieux comprendre ce qui les amène et pouvoir
ensuite les réduire »), il peut être intéressant d’y revenir régu-
lièrement au cours de l’intervention (donc au fil des entretiens
qui se succèdent : « Nous avions comme objectif de travailler
sur vos idées suicidaires, pouvez-vous me dire si elles sont
toujours présentes en vous ? Si elles ont évolué ? De quelle
façon ? Avez-vous l’impression que le travail que nous faisons
vous aide sur ce problème ? Etc. »).

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Travailler la demande et dégager les objectifs du travail clinique 125

Selon que le référentiel théorico-clinique du psychologue


est plus ou moins structuré et directif, il peut être intéressant
de préciser en début de chaque entretien quel est son objectif.
Cela peut se faire en sollicitant le sujet : « Que souhaitez-vous
que nous travaillions aujourd’hui ? » ou, si le psychologue suit
une stratégie précise préétablie, il peut la rappeler au sujet :
« Donc aujourd’hui nous avons prévu de travailler sur vos diffi-
cultés à exprimer vos émotions à vos proches. Nous avions
évoqué cela lors du dernier entretien. Êtes-vous d’accord avec
cet objectif ? ».
Annoncer un objectif au départ de chaque entretien permet,
si cela paraît pertinent, d’évaluer si cet objectif a été atteint lors
de l’entretien (« Nous avions prévu aujourd’hui de travailler sur
vos angoisses relationnelles au travail. Avez-vous le sentiment
que ce que nous avons fait peut vous aider ? »). Cela est très
instructif à faire pour le clinicien, au moins de temps à autre.
Sans objectif, le risque est grand que les rencontres
cliniques soient déconnectées d’une direction déterminée
et que, progressivement, la dynamique nécessaire au travail
clinique se réduise comme une peau de chagrin. Dans ces cas,
les entretiens deviennent des sortes de rituels, plus motivés
par l’habitude (ou pire par la dépendance du sujet – et du
clinicien ? – à ces rituels) que par une dynamique de travail.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Ces suivis peuvent durer de longues années (10, 20…), où,


entretien après entretien, se tisse une relation dont l’aspect
naturellement provisoire s’estompe avec le temps. Et aucun des
protagonistes n’ose plus soulever la question de la pertinence
de cette relation. Poser des objectifs, en parler et y revenir
régulièrement permet à chacun des protagonistes de donner
du sens à sa présence et à son travail, de prendre du recul
par rapport aux entretiens qui apparaissent alors comme les
moyens d’avancer vers quelque chose et non pas comme un
but en eux-mêmes.

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126 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

À retenir
Les interventions cliniques se déroulent et suivant des objectifs
propres à chaque intervention clinique mais aussi à chaque entre-
tien. Les objectifs gagnent à être explicites et clairs. Le sujet sait
pourquoi il vient et le psychologue sait dans quelle direction il
travaille avec ce patient-là, à ce moment-là. Patient et clinicien
doivent être d’accord sur les objectifs fixés. Cependant, du fait
de l’évolution du patient et de la relative imprévisibilité de la vie
du sujet et de la relation clinique, le clinicien doit être souple vis-
à-vis des objectifs. Il peut donc, en concertation avec le patient, en
changer, ponctuellement ou définitivement.

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7
Cha
pitre

MAINTENIR
UNE INTERVENTION
CLINIQUE
DANS LA DURÉE

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aire
m
So m

1. Maintenir l’alliance thérapeutique ....................... 129


2. Maintenir le cadre de travail ................................. 131
3. Suivre un référentiel théorico-clinique ................ 132
4. Avoir une compréhension multi-niveaux ............. 133

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Une intervention clinique peut être de durée variable, elle

Pa
rt
peut aller d’un entretien (orientation, conseil, diagnostic)
à plusieurs entretiens (bilans psychologiques complets), à
plusieurs dizaines, voire centaines, d’entretiens (psychothé-
rapie, soutien). L’intervention peut donc durer d’une heure ie
à plusieurs années. Cette variabilité de la durée est liée d’une
part à l’objectif de l’intervention, d’autre part à la complexité
ou à la chronicité du problème du sujet, mais aussi, enfin, au
référentiel théorico-clinique du clinicien. Il est possible cepen-
dant de dégager quelques règles générales pouvant présider à
toutes les interventions cliniques.

1. Maintenir l’alliance thérapeutique

Il est très important de maintenir l’alliance thérapeutique tout


au long de l’intervention clinique. C’est-à-dire de maintenir
une relation clinique permettant à la dynamique du travail
clinique d’être effective. Ce point a déjà été évoqué dans les
parties précédentes. Cela dit, il est important d’être conscient
que l’alliance thérapeutique peut être très labile est qu’elle est
à entretenir à chaque entretien. Elle n’est pas acquise une fois
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

pour toutes, loin de là. Par exemple, le sujet peut ressentir un


éventuel désintérêt ou une déception (après une rechute par
exemple), ou encore une hostilité du clinicien à son égard,
même masquée, ce qui peut affaiblir l’alliance thérapeutique.
Il est donc important, tout au long de l’intervention clinique,
quelle que soit sa durée, que le clinicien soit attentif aux aléas
de l’alliance, qu’il prévienne son affaiblissement (et qu’il la
répare si elle a été fragilisée ; voir le chapitre 23, 1. « Réparer
une alliance fragilisée »).
Pour prévenir une fragilisation de l’alliance, outre qu’il
importe de maintenir une relation de qualité (chaleur, respect,
acceptation, etc.), il faut veiller à maintenir l’implication du

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130 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

sujet dans le travail. Donc le solliciter de temps à autre, en


particulier quand on ressent un affaiblissement de l’alliance,
sur les objectifs comme on l’a vu plus haut (« Pensez-vous
que les objectifs que nous avions déterminés sont toujours
pertinents ? » ; « Selon vous, ce que l’on fait vous aide-t-il à
atteindre les objectifs que vous souhaitiez ? »…) ; ainsi que sur le
cadre (« Le rythme d’un entretien par semaine vous convient-
il toujours ? » ; « Avez-vous des difficultés pour venir ? Pour
payer ? »…) ; mais aussi sur les moyens mis en œuvre (« Ce que
l’on a fait la dernière fois vous a-t-il aidé ? » ; « Dans le travail
que l’on fait depuis quelques mois, y a-t-il des choses dont
vous diriez qu’elles vous ont plus aidé que d’autres ? Y a-t-il
des choses qui ne vous ont pas aidé ? Des choses qui ont pu
vous gêner ? ») ; et aussi, enfin, sur la relation (« Comment vous
sentez-vous dans la relation de travail que nous avons ? Y a-t-il
des choses qui peuvent vous gêner dans mes attitudes ? Sans
doute parfois vais-je trop vite ? Ou trop lentement ? Il est tout
à fait possible que je réagisse parfois d’une façon qui puisse
vous gêner sans que je m’en rende compte, donc n’hésitez pas
à m’en parler si cela arrivait. Est-ce le cas ? »…).
Le mieux est sans doute de se fixer des délais (2, 3 ou 6 mois,
au maximum un an) au terme desquels on consacre tout ou
partie d’une séance à un bilan partagé (patient et thérapeute
donnent chacun leur avis) du travail effectué : ce qui a été fait,
ce qui a évolué, ce qui n’a pas bougé, ce qui s’est dégradé le
cas échéant, ce qui a aidé ou pas. Tout cela permet alors de
redéfinir les objectifs pour la période suivante.
Toutes ces sollicitations sur l’avis du sujet sur le travail en
cours permettent de maintenir une relation de collaboration
où sujet et clinicien œuvrent ensemble vers un même objectif
qui est d’aider le sujet au mieux. Cela a tendance à renforcer
l’alliance thérapeutique.

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Maintenir une intervention clinique dans la durée 131

2. Maintenir le cadre de travail

Il est important aussi que le clinicien maintienne le cadre


de travail de façon solide et rigoureuse (rythme et durée des
séances, dissymétrie des rôles – le professionnel est garant du
cadre ; qualité d’une relation de travail, respect du but assigné,
respects des personnes, des locaux, etc.). Le professionnel doit
donc être ponctuel, régulier et assidu d’une façon stricte tout
au long de la prise en charge. Il doit honorer au mieux chacun
de ses rendez-vous.
Le cadre, qui dépasse chacun des protagonistes, est là pour
« cadrer » leur relation vers le travail à faire et empêcher qu’elle
ne dérive trop vers d’autres enjeux. Cependant, le cadre peut
évoluer dans tous ses aspects. Le clinicien doit adopter une
attitude souple à cet égard. Le cadre peut évoluer à condition
que ses évolutions soient pensées par le clinicien et discutées
avec le sujet. Il faut éviter que le cadre ne dérive sans contrôle.
Si cela se produit quand même, il est toujours possible d’en
parler avec le sujet (« J’ai remarqué que nos entretiens étaient
de plus en plus courts. Au début, nous avions prévu des entre-
tiens de 50 minutes, mais depuis quelques semaines nous
arrêtons souvent avant, après 30 à 40 minutes. Aviez-vous
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

remarqué cela ? Qu’en pensez-vous ?… J’ai remarqué que cela


avait commencé à se produire à partir du moment où nous
avions abordé tel problème. Pensez-vous qu’il puisse y avoir
un lien entre ce problème et le fait que les entretiens se soient
raccourcis ? » Etc.). Ce qui importe est que le cadre soit réfléchi
et qu’il permette d’aller vers les objectifs cliniques prévus. Cela
n’implique pas qu’il soit rigide et sacralisé. Au contraire, il doit
s’adapter aux évolutions de la situation.

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132 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

3. Suivre un référentiel théorico-clinique

Il est important que le clinicien travaille dans un référentiel


théorico-clinique précis, c’est-à-dire qu’il pense la situation
clinique dans un cadre théorique particulier et qu’il agisse
sur la situation en suivant des techniques cohérentes avec ce
cadre théorique. Sans cela, il lui serait difficile de garder une
distance intérieure réflexive sur la situation et il perdrait la
position « méta » nécessaire à la qualité de ses interventions.
Cependant, là encore, il lui faut concilier rigueur et souplesse.
Rigueur sur son référentiel théorique principal qu’il doit bien
connaître et auquel il doit être formé, mais souplesse aussi
pour, quand cela est nécessaire, s’appuyer sur d’autres cadres
théoriques que le sien afin de comprendre tel ou tel aspect de
la situation qui n’est pas correctement pris en compte dans
son référentiel principal. Le référentiel théorique est là pour
aider le clinicien à mieux comprendre la vie psychique du
sujet (ou les relations entre les sujets), un peu comme une
carte géographique aide à mieux se diriger sur le terrain que
l’on veut explorer. Cependant, la priorité du clinicien n’est
pas d’appliquer aveuglément sa théorie de référence à toutes
les situations, mais de comprendre au mieux la situation qui
se présente. Parfois il lui faudra donc changer de carte pour
mieux ajuster sa compréhension. Par exemple, si les enjeux
relationnels familiaux paraissent dominer, il est utile alors de
penser la situation en termes systémiques. S’il s’agit d’aider
le sujet à s’exposer à ses angoisses, autant le faire en réflé-
chissant de façon comportementale (thérapie d’exposition)
et si les enjeux relationnels au sein de la relation clinique
dominent, se référer aux théories psychanalytiques du trans-
fert et du contre-transfert peut l’aider à s’y retrouver. L’idée
est donc de penser globalement l’intervention clinique dans
un référentiel théorico-clinique que l’on maîtrise bien, mais

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Maintenir une intervention clinique dans la durée 133

de pouvoir, ponctuellement et de façon secondaire, se référer


à d’autres référentiels si cela apparaît pertinent.
Notons que certaines interventions peuvent être effectuées
sans cadre théorique et technique absolument maîtrisé. Un
bon sens clinique et relationnel, ainsi que des connaissances
de base en psychopathologie, peuvent au départ suffire à les
mener à bien correctement. Ces interventions (et donc ces
entretiens) sont accessibles aux étudiants de master de psycho-
logie clinique sous la supervision de leur référent ainsi qu’aux
psychologues débutants. Il s’agit soit des interventions où l’on
recueille ou donne des informations (entretien d’anamnèse,
entretien de bilan, entretien de restitution), soit de celles où
l’on apporte un soutien à un sujet (entretien de soutien et
de conseil).

4. Avoir une compréhension


multi-niveaux

Enfin, il est important que le clinicien garde tout au long


de l’intervention une compréhension complexe, à plusieurs
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

niveaux, de la situation clinique sur laquelle il intervient. Il


doit au moins garder à l’esprit régulièrement qu’au-delà de la
situation clinique explicite, visible (ce que dit le patient de sa
vie psychique et de sa vie tout court, la réalité des interactions
entre le sujet et le clinicien), la vie psychique du sujet est faite
d’une bonne part de processus automatiques, hors conscience,
involontaires, sur lesquels porte, au fond, l’essentiel de l’inter-
vention clinique quel que soit le référentiel du psychologue.
Ces processus sont théorisés par la psychanalyse au travers des
mécanismes de défense et des devenirs de la pulsion. Dans les
approches TCC, ils sont théorisés par les théories de l’appren-
tissage, par les théories de la régulation émotionnelle ainsi que

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134 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

par les théories cognitives (schémas, processus et événements


cognitifs). Les systémiciens cherchent à modifier stratégi-
quement les fonctions relationnelles qui échappent le plus
souvent à la conscience des membres du système. À chaque
fois, l’intervention clinique vise une compréhension (pour les
bilans) ainsi qu’une modification (pour les psychothérapies)
du fonctionnement psychique à ce niveau-là, automatique et
inconscient. Pourquoi ? Tout simplement parce que ces chan-
gements profonds sont plus efficaces et plus durables que les
changements superficiels. Dans l’idéal psychothérapeutique le
patient est lui-même surpris des changements qui s’opèrent en
lui et qu’il constate parfois avec étonnement car ils échappent
à sa volonté.
Par exemple, une amélioration superficielle ou provisoire
serait qu’il exprime « Je vois bien mes pensées dépressives et je
sais qu’elles ne sont pas la réalité, ça me rassure. » Alors qu’une
amélioration profonde serait qu’il n’ait tout simplement plus
de pensées dépressives et il pourrait alors dire : « Cette semaine ?
je me suis trouvé plusieurs fois dans des situations qui avant
provoquaient de très fortes angoisses dépressives chez moi et
là, bizarrement, rien, elles ne sont pas venues… ». Comme si
les processus générant ces pensées s’étaient modifiés.
Ainsi, le psychologue ne doit pas perdre de vue ce niveau
processuel sous-jacent. C’est pourquoi il doit garder réguliè-
rement une position « méta », d’observation et de réflexion
vis-à-vis de la situation clinique. En travaillant au premier
niveau, visible, ce qu’il vise c’est le second niveau, processuel,
où la vie psychique s’automatise pour le meilleur, en général,
et parfois pour le pire. Pour comprendre plus finement ce
travail, il faut se référer aux différents référentiels théoriques
qui, chacun à sa façon, le théorisent et proposent des moda-
lités techniques d’interventions différentes pour le saisir et le
modifier. Quoi qu’il en soit, le clinicien doit développer un
regard et une compréhension complexes multi-niveaux tout
au long de l’intervention clinique.

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Maintenir une intervention clinique dans la durée 135

À retenir
Afin de maintenir dans le long terme une dynamique clinique effi-
cace et professionnelle, il est important de faire tenir dans la durée
plusieurs conditions : travailler avec des objectifs, dans un cadre
solide, avec de bons repères quant à ses référentiels théorico-
cliniques et en maintenant continuellement une bonne alliance
thérapeutique. De plus, le clinicien adoptera une compréhension
complexe à plusieurs niveaux sur les problèmes et la relation
cliniques ainsi que sur leur évolution.
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8
Cha
pitre

CONCLURE
UNE INTERVENTION
CLINIQUE

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aire
m
So m

1. Arrêter un entretien .............................................. 139


2. Arrêter l’intervention clinique .............................. 143

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Un entretien et une intervention clinique ne sont pas faits

Pa
rt
pour durer éternellement. À un moment donné, ils s’arrêtent.
Mais comment arrêter un entretien ? Comment mettre fin à
une intervention clinique ?
ie
1. Arrêter un entretien

Un entretien s’arrête quand le temps imparti pour l’entretien


est écoulé. Donc s’il est censé durer une heure, il s’arrête au
bout d’une heure. Pour mettre fin à l’entretien, le professionnel
qui est garant du cadre, y compris temporel, doit donc garder
un œil sur le temps ou, plus prosaïquement, sur une petite
horloge qu’il aura eu la bonne idée de poser, visible, sur son
bureau de telle façon qu’il puisse facilement contrôler l’heure
d’un coup d’œil. Pourquoi une horloge et pas une montre
à son poignet ou un portable ? Parce que ces deux derniers
outils imposent une action flagrante au psychologue pour voir
l’heure, ce qui risque d’être interprété par le sujet comme une
marque d’impatience ou d’ennui.
De façon générale, il est bien d’arrêter les entretiens à l’heure
et donc de respecter le cadre prévu. La qualité du travail du
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

psychologue n’est pas liée à ses dépassements horaires ! Et


encore moins à sa capacité à arrêter ses entretiens plus tôt
que prévu. Les dépassements peuvent indiquer un défaut de
maîtrise du temps de la part du professionnel, un irrespect
pour les autres obligations du sujet (qui a sans doute autre
chose de prévu après l’entretien) et d’être en retard pour ses
autres obligations professionnelles, ce qui n’est pas correct
et nuit à l’alliance thérapeutique de ses autres patients qui
l’attendent. Si le psychologue finit chacun de ses entretiens
avec 10 minutes de retard, cela implique qu’il commencera
son cinquième entretien avec 40 minutes de retard !

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140 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

À l’inverse, finir ses entretiens en avance peut être l’indice


soit que le cadre prévu au départ n’est pas adapté et qu’il faut
le revoir, ou que le travail clinique ne se fait pas, ou peut être
interprété par le patient comme un désintérêt du professionnel
à son égard. C’est donc à éviter aussi. Bref, respecter le cadre
temporel est important.
Concrètement, pour arrêter un entretien, il faut en avoir géré
correctement le temps pendant toute sa durée. Afin d’arrêter
l’entretien à l’heure dite, il importe de s’y prendre quelques
minutes avant pour tenir compte du délai de l’arrêt (annonce
de la fin, conclure, éventuellement payer, se lever, se saluer,
raccompagner…). Il importe qu’au moment de l’arrêt, le sujet
ne soit pas dans un état de vulnérabilité trop important. Le
psychologue doit donc orienter le déroulement de l’entretien
de telle façon que les thèmes les plus sensibles et fragilisants
soient abordés assez rapidement dans l’entretien. Ainsi, la
phase « sensible » de l’entretien s’effectue en présence du
professionnel qui peut accompagner le sujet dans ce travail
parfois douloureux, puis il peut l’aider à s’en dégager, pour
ensuite conclure et finir l’entretien au moment où le patient
est suffisamment solide pour reprendre le cours de sa journée.

Les différentes phases de l’entretien clinique


On pourrait repérer six phases différentes dans un entretien
clinique d’une heure :
– la phase de prise de contact (salutations, échanges banals, instal-
lation dans le bureau du psychologue ; durée : 2-3 minutes) ;
– la phase de bilan depuis la séance passée et concernant l’état
actuel du sujet (durée : 2-3 minutes) ;
– la phase du rappel des objectifs du jour ou du travail en cours
(durée : 1 à 2 minutes) ;
– la phase principale où le travail clinique s’effectue contenant
potentiellement des moments émotionnels intenses, des phases

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Conclure une intervention clinique 141


de fragilisation et de prise de conscience (l’essentiel de l’entre-
tien, durée : 15 à 45 minutes) ;
– la phase de récupération (durée : variable selon l’état du sujet,
de 1 à 10 minutes ou plus) ;
– la phase de fin d’entretien (annonce de la fin de l’entretien,
conclusion et fin effective, salutations… durée : 2 à 5 minutes).
(Toutes les durées sont indicatives et peuvent grandement varier
d’une situation à l’autre.)

Le psychologue envisage la fin de l’entretien quand l’heure


prévue approche et quand le patient lui paraît suffisamment
bien pour conclure la séance. Il peut alors l’annoncer simple-
ment (« Bien, nous allons arrêter là pour aujourd’hui » ou :
« Le temps de l’entretien touche à sa fin, nous allons donc
arrêter »…). Il est bien aussi de conclure d’une façon ou d’une
autre sur le travail qui a été effectué lors de cet entretien.
Le clinicien peut alors solliciter le patient (« Qu’avez-vous
pensé de ce que l’on a vu aujourd’hui ? » ou encore « Ça va ?
Comment s’est passée la séance pour vous ? »…) ou conclure
de lui-même (« On a bien avancé aujourd’hui, c’est bien » ou :
« On a touché des choses difficiles aujourd’hui, il faudra que
l’on y revienne » ou encore : « Nous n’avons pas eu le temps
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

de finir ce que l’on avait prévu. En tout cas c’était important


de l’aborder. Nous pourrons y revenir la prochaine fois si vous
êtes d’accord » ; « On a bien travaillé, nous avons pu finir le
bilan. C’était un peu fatigant sans doute ? », etc.). Il est souvent
important de faire ce point en fin d’entretien pour conclure
ce travail ensemble et solliciter l’avis du sujet.
Puis le psychologue doit gérer les questions organisation-
nelles (paiement, prise du rendez-vous suivant, etc.). Enfin,
dans le même esprit « normalement chaleureux » avec lequel
il avait accueilli le patient, il le salue.
Les étudiants stagiaires psychologues et parfois les jeunes
psychologues peuvent avoir des difficultés à gérer le temps et

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142 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

le cadre. En général, ils ont du mal à conclure leurs entretiens


dans les temps et quand ils le font, ils ressentent de la culpa-
bilité ou un mal-être particulier. Ainsi quand l’heure arrive,
ni le psychologue ni le patient ne sont prêts à arrêter. Parfois,
c’est la culpabilité du psychologue, son désir d’aider le plus
possible, ici et maintenant, qui le pousse à ne pas respecter
ses horaires. Comme si le temps donné le rachetait de son
impuissance à aider totalement ce patient-là. Il arrive aussi que
ce soit le patient qui ait du mal à se séparer du professionnel
et qui, deux minutes avant l’heure de fin, annonce « Ah oui,
il faut que je vous dise quelque chose qui m’a bouleversé ! » ou
qui montre une détresse intense au moment de conclure ou
encore qui demande conseils et réassurance à ce moment-là :
« Juste une minute, j’ai vraiment besoin que vous m’aidiez,
vous croyez que je dois divorcer et changer de métier ? Qu’en
pensez-vous ? Ça m’aiderait, vraiment ! ».
La façon dont se passe la fin de l’entretien doit être observée
à plusieurs niveaux par le professionnel, et analysée. S’il a du
mal à finir ses entretiens dans les temps, le professionnel se
penchera sur ce point et selon les hypothèses qu’il déduira de
ses observations (Gère-t-il mal son temps ? Pourquoi ? Est-il
angoissé de laisser ses patients partir ? Ce patient-là a-t-il du
mal à se séparer ?…), il agira en conséquence (sur son propre
fonctionnement et sur son organisation, ou sur le patient et
ses difficultés de séparation).
Il est donc important que le clinicien respecte avec rigueur
le cadre. Cependant, là encore, il importe aussi que le profes-
sionnel fasse parfois preuve de souplesse. D’abord le cadre
prévu peut évoluer (sur le rythme et la durée des entretiens
par exemple) en accord entre le clinicien et le sujet. Il est
aussi possible d’avoir un cadre variable selon les patients,
leurs difficultés, leurs problèmes, leurs disponibilités et leurs
moyens (d’un ou plusieurs rendez-vous hebdomadaires à un
rendez-vous tous les quinze jours, voire à la demande pour
des suivis post-thérapies). Le cadre peut aussi être modifié

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Conclure une intervention clinique 143

ponctuellement en fonction des besoins de la thérapie. Enfin,


il arrive qu’il soit nécessaire de modifier le cadre de façon
impromptue, par exemple si l’on reçoit un patient en grande
détresse qu’il convient d’aider plus longtemps que ce qu’on
avait prévu. Il est donc parfois nécessaire de prolonger l’entre-
tien et de finir en retard. À l’inverse, il peut arriver que l’on
arrête un entretien précocement, par exemple quand le patient
n’est pas en état de faire l’entretien (s’il est sous l’emprise
d’alcool ou de drogues), ou trop agressif… Il vaut mieux alors,
la plupart du temps, marquer l’impossibilité d’effectuer l’entre-
tien prévu et fixer un autre rendez-vous.
Arrêter un entretien est un acte clinique du professionnel.
Ce dernier doit correctement gérer son temps de façon à
mettre fin à l’entretien en respectant le cadre prévu tout en
tenant compte de l’état du patient. Ainsi, c’est l’ensemble du
déroulement de l’entretien, du début à la fin, qui permettra
que le sujet, après avoir parfois travaillé des choses difficiles
et douloureuses, puisse repartir de l’entretien suffisamment
apaisé. Le respect du cadre temporel, s’il est une marque de
professionnalisme et un élément de l’action clinique, ne doit
cependant pas être rigide, certaines circonstances nécessitent
parfois de modifier les horaires ou les durées prévus.
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2. Arrêter l’intervention clinique

La question de l’arrêt se pose aussi concernant l’intervention


clinique (le bilan psychologique, la psychothérapie…). L’arrêt
de l’intervention dépend de plusieurs variables qui permettent
de déterminer d’une part, à quel moment il convient de mettre
fin à une intervention clinique et, d’autre part, comment cet
arrêt peut se faire.

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144 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

2.1 Quand arrêter ?


Tout d’abord, le plus évident, c’est quand l’arrêt est déter-
miné par des circonstances extérieures à l’intervention, en
particulier les circonstances institutionnelles. Certaines prises
en charge sont prévues dès le départ pour durer un certain
nombre de séances. Cette limite s’impose au professionnel
et au sujet. Il appartient donc au professionnel, d’une part,
d’en informer clairement le sujet au début de l’intervention et,
d’autre part, d’ajuster les objectifs de l’intervention à la durée
prédéterminée (on n’engage pas un travail de fond si l’on ne
dispose que de cinq entretiens pour le mener, on fera plutôt
un travail d’exploration, de soutien et d’orientation vers un
autre psychothérapeute).
De la même façon, l’arrêt peut être imposé pour des raisons
extérieures à l’intervention, par le départ du patient (pour une
autre ville ou un autre pays), du psychologue (vers un autre
service ou emploi) ou encore, cas fréquent, du stagiaire psycho-
logue dont la date de fin du stage est connue. Il importe là
encore de prévenir clairement le sujet de la situation : « Nous
allons commencer ensemble un travail psychologique, mais
je dois vous dire que mon stage se finit dans trois mois et que
je ne pourrai pas poursuivre ce travail au-delà. Comme notre
temps est limité, je vous propose que nous travaillions surtout
sur… ». Quelle que soit la situation, quand la durée restante du
suivi est connue, il est aussi nécessaire d’adapter les objectifs
au temps restant (« Nous avions prévu de travailler ensemble
pour réduire vos difficultés dépressives. Mais en raison de mon
départ, je vous propose de centrer notre travail sur xxx en
particulier et en même temps de voir avec quel collègue vous
pourriez poursuivre ce travail »). Puis, quand la date approche
(un mois avant par exemple), il peut être utile de la rappeler au
sujet pour qu’il s’y prépare. Cependant il serait peu pertinent
et certainement anxiogène ou décourageant de le rappeler à
chaque rencontre !

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Conclure une intervention clinique 145

La plupart du temps, l’intervention s’arrête quand les


objectifs sont atteints. Par exemple, une fois que le bilan
psychologique est effectué et que l’entretien de restitution a
eu lieu ou quand le problème du sujet est résolu, quand son
trouble est guéri ou suffisamment amélioré, etc. C’est aussi
pourquoi il est intéressant de travailler avec des objectifs.
Cependant, une fois un objectif atteint (par exemple, améliorer
un état dépressif), un autre objectif peut le remplacer (accom-
pagner le sujet dans l’arrêt de son traitement antidépresseur),
puis un autre (travailler sur des difficultés sexuelles), etc. Cela
dépend des demandes et des problèmes que le patient souhaite
travailler. Une fois qu’il n’a plus de demande, qu’il estime
que sa situation globale est suffisamment améliorée, alors
l’intervention n’a plus lieu d’être et il faut donc préparer son
arrêt. Pour en arriver à cette conclusion, le psychologue, avant
d’amener en entretien la question de l’arrêt, doit vérifier que
son impression est la bonne en s’appuyant d’une part sur ses
observations, d’autre part sur les éléments qui figurent dans
le dossier du patient et enfin, éventuellement, en utilisant
des outils d’évaluation standardisés (questionnaires, entre-
tiens standardisés…). C’est seulement quand il a des éléments
solides pour affirmer que l’intervention a atteint ses objectifs,
et qu’il est sans doute temps d’arrêter, qu’il prépare cet arrêt.
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(Parfois les arrêts se passent plus difficilement ; voir « Et les


arrêts quand le travail clinique n’est pas efficace » à la fin de
ce chapitre.)

À retenir
La fin d’une intervention clinique peut être déterminée par des
circonstances extérieures à la dynamique du travail clinique ou par
la réussite de ce travail qui en rend la poursuite inutile. Dans tous
les cas, il importe que la date de l’arrêt soit anticipée et discutée
clairement entre le clinicien et le sujet.

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146 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

2.2 Comment arrêter ?


L’arrêt de l’intervention fait partie de l’intervention. Cela
veut dire que l’arrêt partage les mêmes objectifs que l’interven-
tion, à savoir aider le sujet à vivre mieux et plus librement. Il
est donc nécessaire que l’arrêt conforte les progrès du sujet et
lui permette d’éviter autant que possible des rechutes.
Tout d’abord, il faut en parler avec lui préalablement
afin de vérifier s’il est bien d’accord que le travail clinique
n’est plus utile : « Il me semble qu’il serait intéressant, là où
nous en sommes, de faire le point. Car nous avions prévu de
travailler sur les angoisses qui vous paralysaient régulièrement
et d’après ce que nous constatons depuis quelques semaines,
votre situation s’est bien améliorée. Vous êtes d’accord ?
Oui. J’ai donc l’impression que nous avons répondu à votre
demande de départ. Il faudrait donc que nous nous posions
la question de savoir s’il est utile de continuer notre travail.
Si oui, il faut déterminer ensemble dans quelle direction nous
pouvons travailler dorénavant. Si non, il faut alors que l’on
voie ensemble comment arrêter au mieux ce travail. Qu’en
pensez-vous ? ».
Avant d’arrêter, il est utile de faire un bilan de l’ensemble
du travail effectué jusque-là avec le sujet. On peut demander
au sujet de le faire : « Que pensez-vous du travail que nous
avons fait jusque-là ? Pouvez-vous me dire en quoi il a pu vous
aider ? » Et on peut aussi, ensuite, donner son propre avis sur ce
travail. L’avis du professionnel peut être très important pour
le sujet. Certaines phrases ont parfois des effets durables sur
l’équilibre psychique du sujet, pour le meilleur mais aussi pour
le pire. Le professionnel doit donc trouver un équilibre juste,
entre l’expression d’un avis objectif qui n’est pas nécessaire-
ment totalement positif et l’émission de messages positifs qui
vont aider le sujet à avancer après l’intervention. Les progrès
effectués doivent être notés et valorisés, les fragilités résiduelles
doivent être pointées et les problèmes, s’il y en a, ne doivent

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Conclure une intervention clinique 147

pas être esquivés. Mais les informations doivent être exprimées


de telle façon que le sujet pourra s’en emparer pour progresser.
Ce qui peut donner, par exemple : « Le bilan que nous avons
fait montre que vous avez beaucoup progressé sur vos diffi-
cultés relationnelles, c’est bien, c’est très encourageant, ça
montre que vous avez les moyens d’améliorer les choses et
que vous l’avez fait en grande partie. Cela dit, on voit qu’il
reste quelques aspects encore un peu fragiles, par exemple
vous avez tendance à vous déprimer facilement quand vous
vous trouvez en conflit. Ça veut dire qu’il faut que vous soyez
attentif à cela et que si ça devenait un problème vraiment
gênant, il pourrait être utile que vous le travailliez avec un
psychologue. Cela dit, il est aussi possible que ça s’atténue
spontanément avec le temps, grâce aux progrès relationnels
que vous avez déjà faits… ».
Il se peut aussi qu’il n’y ait objectivement plus de problème
relevant d’une aide professionnelle, le bilan sera alors simple-
ment positif (et plus agréable pour le sujet et le professionnel).

2.3 S’assurer de l’amélioration


Les évolutions psychologiques pouvant être assez labiles
et imprévisibles, il est nécessaire, pour constater une réelle
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amélioration, de vérifier qu’elle tienne dans le temps. Un sujet


dépressif peut ne plus l’être lors d’un entretien, mais cela ne
dit rien de ce qui se passera la semaine suivante. Il faut donc
en général plusieurs semaines consécutives (voire plusieurs
mois) au cours desquelles l’amélioration est manifeste, pour
conclure à une amélioration durable menant à l’arrêt de l’in-
tervention. Cela signifie que l’arrêt ne doit pas être précipité.
L’intervention peut se poursuivre plusieurs entretiens après
que l’arrêt a semblé pertinent, ne serait-ce que pour vérifier
que l’amélioration est solide. On peut alors espacer progressi-
vement les entretiens. Passer d’un entretien hebdomadaire à
un tous les quinze jours, puis une fois par mois. On peut aussi

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148 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

fixer un rendez-vous plusieurs mois après l’arrêt pour voir si


tout se passe bien.
Il est souvent utile de « laisser la porte ouverte » en cas de
besoin et en fonction des pratiques institutionnelles : « Si vous
le souhaitez et si ça vous apparaît utile, vous pouvez me (nous)
recontacter bien sûr ». Cela permet d’une part de montrer que,
malgré l’arrêt, des aides sont toujours possibles et, d’autre part,
cela peut avoir un effet de réassurance qui consolide psycho-
logiquement le sujet.

2.4 Arrêter et après ?


Envisager la rechute possible
Quel que soit le problème pour lequel le patient a consulté,
le fait qu’il ait consulté indique qu’il n’a pas pu s’en sortir sans
aide professionnelle. Quelle qu’ait été la forme des difficultés
psychologiques qu’il a rencontrées, cela a montré une voie de
vulnérabilité, une zone de fragilité. L’intervention clinique a
certes aidé à identifier cette fragilité et à la surmonter, mais
il reste possible qu’à l’avenir, cette fragilité se manifeste à
nouveau. Avoir rencontré un problème psychologique est un
facteur de risque pour en rencontrer un à nouveau, donc pour
rechuter. Cela dit, pour contrebalancer ce risque, le fait d’avoir
réussi à surmonter ce problème indique aussi des voies de
résolution et de l’optimisme pour l’avenir. Le fait d’envisager
ces différents aspects avec le sujet (risque de rechutes et solu-
tions possibles) diminue probablement le risque de rechute.
Il peut donc être utile d’envisager cela très concrètement avec
le sujet, sans optimisme ni pessimisme excessifs, de façon à
anticiper, pour les prévenir, les risques de rechutes. Cela peut
être associé au bilan du travail effectué. Ce bilan a permis
de resituer les difficultés (« Vous aviez souhaité au départ que
nous travaillions sur vos difficultés sexuelles »), puis de rappeler
les moyens mis en œuvre (« Nous avons alors pendant tant

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Conclure une intervention clinique 149

de temps travaillé de telle façon sur tel problème, puis nous


avons ensuite travaillé sur… », etc.) et leurs effets (« On a vu
que ce qui avait bien marché, ça avait été…, en revanche,
quand on a abordé cela, ça ne semblait pas être en rapport avec
ce problème »). On peut aussi pointer des facteurs de risque
(« Nous avons constaté que le problème était plus important
dans telle et telle circonstance ou quand vous envisagiez les
choses de telle ou telle façon ou quand vous étiez stressé (ou
fatigué)… »). À partir de là, il peut être assez naturel d’envisager
l’après-thérapie en termes de facteurs de risque et de préven-
tion, en pointant avec le sujet ce qui pourrait favoriser une
rechute et, le cas échéant, ce qu’il pourrait mettre en place
pour gérer le problème par lui-même, dans un premier temps
(et si ça ne fonctionne pas, de se faire à nouveau aider par un
professionnel).

Faire un « guide de survie et de prévention » sur mesure ?


Il peut être intéressant de formaliser le travail de prévention post-
thérapie dans ce que l’on peut appeler un « guide de survie ».
Avant d’arrêter la thérapie, un ou deux entretiens peuvent être
consacrés à la construction de ce document qui est souvent
apprécié des patients. Cela peut prendre la forme d’un document
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

court (une page au maximum), attractif, que le patient met en


forme et rédige lui-même, avec l’aide et les conseils du théra-
peute. Ce document reprend, en fonction de la situation précise
du patient et de sa personnalité :
– des éléments d’hygiène de vie qui concourront à réduire le
risque de rechute ;
– les signes avant-coureurs du problème, les signaux d’alerte ;
– ce sur quoi il peut agir dans le contexte pour réduire les facteurs
de risque (le plus souvent une bonne hygiène de vie psycholo-
gique pour limiter les causes de stress ; cf. le point 1 ci-dessus) ;

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150 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique


– comment il peut gérer le problème débutant puis si ça
s’aggrave ;
– à quel moment il doit contacter un professionnel.
Le tout devrait tenir sur une page, être très accessible et simple
et correspondre à des choses faciles à faire pour ce sujet-là quand
il va mal. Il s’agit en quelque sorte de formaliser les conseils que
le sujet « qui va bien » s’adresserait à lui-même pour le cas où il
irait mal. Il peut aussi y mettre des images réconfortantes pour
lui ou des phrases types qui le rassurent.

Arrêter une intervention clinique doit s’inscrire dans la


logique et les objectifs de l’intervention elle-même. Cela doit
se faire dans de bonnes conditions psychologiques pour le
sujet, tout en préservant l’alliance de travail et un cadre de
travail solide pour un éventuel travail futur et en favorisant
la consolidation des résultats de l’intervention. Ainsi, avant
d’arrêter, la durabilité de l’amélioration doit être éprouvée,
un bilan du travail effectué peut être accompli, les risques de
rechutes peuvent être envisagés de façon constructive. L’arrêt
se fait donc progressivement, en collaboration entre le sujet
et le clinicien.

2.5 Et les arrêts quand le travail clinique


n’est pas efficace ?
Nous venons d’évoquer les arrêts les plus courants, où patient
et thérapeute sont d’accord pour mettre fin à la thérapie après
que celle-ci a porté ses fruits. Mais parfois les circonstances de
l’arrêt sont moins positives. Plusieurs cas peuvent se présenter.
Rappelons que deux patients sur trois interrompent d’eux-
mêmes la thérapie dans les trois premières séances (c’est une
moyenne, ce n’est pas partout le cas et ça dépend du type
de patients ainsi que des professionnels). Dans ces cas-là, on

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Conclure une intervention clinique 151

peut dire que l’intervention n’a pas vraiment commencé. Si le


sujet prévient de sa décision d’arrêter, le psychologue discute
généralement des raisons invoquées, voit dans quelle mesure il
peut en tenir compte pour poursuivre le travail avec ce patient
ou, si elles sont impératives, il en prend acte et il peut laisser
alors la porte ouverte pour un travail futur. Si le sujet « dispa-
raît » (ne vient pas au rendez-vous prévu) sans en informer le
clinicien, deux attitudes sont possibles pour le professionnel. Il
peut… ne rien faire et considérer qu’il en est simplement de la
responsabilité du patient de s’engager ou non dans la thérapie,
mais il peut aussi contacter, ou faire contacter par le secrétariat,
le patient de façon à comprendre pourquoi celui-ci n’est pas
venu et à discuter d’une suite possible. Cette seconde attitude
a plusieurs avantages : lever d’éventuels malentendus matériels
(par exemple, le patient avait bien prévenu le professionnel de
son absence et souhaitait un nouveau rendez-vous, mais son
message n’est pas parvenu jusqu’au professionnel…) ; aborder
des points problématiques liés à l’intervention thérapeu-
tique que le patient n’avait pas osé évoquer lors de l’entretien
précédent (par exemple sur le prix, ou sur les objectifs ou les
méthodes), échanger avec lui est l’occasion de rediscuter de
ces points. Le choix de ne pas contacter au moins une fois
les patients qui ratent un rendez-vous sans prévenir, c’est
passer à côté de ces occasions d’aide. Il ne s’agit pas non plus
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

d’insister lourdement auprès du patient : un message ou un


contact suffit.
Il arrive aussi que la thérapie, bien qu’engagée depuis un
certain temps, n’ait pas les effets escomptés, le sujet n’avance
pas, ses difficultés ne régressent pas. Le professionnel doit en
discuter avec le sujet afin d’essayer de comprendre pourquoi le
travail clinique n’est pas efficace, il peut alors envisager un arrêt
et proposer une orientation thérapeutique plus pertinente.
Il peut aussi survenir une problématique que le thérapeute
estime ne pas pouvoir assumer (par exemple un patient qui
vient pour un épisode dépressif et qui souhaite ensuite parler

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152 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

de ses tendances pédophiles…). Dans ces cas-là, il peut être


important d’arrêter la thérapie et de réorienter le sujet vers un
autre thérapeute plus adéquat.
Autant que possible, ces changements de thérapeute devront
être effectués et discutés de telle sorte que le sujet ne le vive
pas comme un échec personnel ou comme un signe inquiétant
vis-à-vis de ses troubles.

2.6 Mais ne pas arrêter trop vite


Cependant, si savoir arrêter une intervention qui ne fonc-
tionne pas est important, il est aussi important de ne pas
arrêter trop tôt une intervention qui ne fonctionne pas. Il
est utile dans ces cas-là de prendre le temps de réfléchir à la
situation, de l’analyser et de comprendre pourquoi le travail
n’avance pas. Les objectifs fixés sont-ils les bons ? N’y a-t-il
pas un autre problème qui gêne le travail (problème familial ?
sexuel ? professionnel ?) ? Le psychologue a-t-il les bonnes atti-
tudes ? Le patient n’est-il pas en train de répéter des schémas
d’échec ? Faut-il une aide complémentaire (par exemple un
traitement psychotrope) ? Ou tout simplement, la thérapie
est-elle adaptée au problème ? Le patient est-il trop détaché
et démotivé ? En fonction des hypothèses que le thérapeute
jugera pertinentes pour répondre à ces questions, il pourra
alors décider de réorienter le travail au sein de la thérapie, ou
de se faire aider pour la poursuivre (supervision) ou encore de
l’interrompre. Arrêter trop rapidement une intervention parce
qu’elle rencontre des difficultés, c’est courir le risque de passer
à côté d’un problème important chez le sujet ou de l’ancrer
dans la répétition de ses schémas d’échec (« Même avec un
professionnel, je ne m’en sors pas »). Mais à l’inverse, pour-
suivre une thérapie sans espoir d’amélioration, c’est enlever au
sujet la possibilité d’un autre soin plus adapté… C’est au clini-
cien de prendre la décision après en avoir parlé avec le patient
concerné, mais aussi avec ses collègues et son superviseur.

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2
Pa
rt
ie

SURMONTER
LES PROBLÈMES
DANS L’ENTRETIEN
CLINIQUE

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Le premier chapitre et la partie 1 ont permis d’exposer et de
discuter des aspects principaux des entretiens et des interven-
tions cliniques quand ceux-ci se déroulent de façon courante.
Cependant s’engager dans des entretiens et des interventions
cliniques n’est pas s’engager sur un long fleuve tranquille ! Il y
a une bonne part d’imprévisibilité dans le cours de ce travail.
En effet, les sujets reçus en entretien sont, par définition, en
difficulté psychologique plus ou moins marquée, ce qui n’est
pas sans poser un certain nombre de difficultés au clinicien, en
particulier au clinicien en formation et au clinicien débutant
qui ne savent pas toujours comment gérer ces situations et s’en
dégager. D’autant que l’objectif n’est pas seulement de s’en
sortir au mieux mais aussi de faire en sorte que ces moments
difficiles et déstabilisants soient transformés en moments
de crises salutaires contribuant à aider le sujet à repérer et à
surmonter ses difficultés psychologiques. Cette partie a pour
objectif de repérer les différentes difficultés qui peuvent se
poser au clinicien durant ses interventions cliniques, d’en
discuter et de proposer quelques repères d’actions possibles.

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9
Cha
p itre

LE PLUS GRAND
PROBLÈME
À GÉRER…
LE CLINICIEN !

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aire
m
So m

1. De la violence du travail clinique


pour le clinicien ...................................................... 157
2. La violence de l’institution .................................... 161
3. Perdre la position « méta »..................................... 163
4. De l’angoisse à l’ouverture à soi-même................ 163
5. Quelques conseils au clinicien
pour gérer au mieux ses réactions intérieures .... 165
6. Quand on n’est pas prêt pour mener
son entretien mais que le patient attend
(conseils pour se reconcentrer
et être plus disponible malgré tout)..................... 169
7. Jeune psychologue, il faut bien débuter !............. 174

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Quand les étudiants psychologues en formation ou les jeunes

Pa
rt
psychologues rapportent leurs difficultés dans tel ou tel suivi,
il est fréquent, après discussion et réflexion, que l’on constate
que le problème provient d’une réaction psychologique qui
ie
leur est propre, qu’ils n’ont pas identifiée, qu’ils subissent de
l’intérieur et maîtrisent mal.

Et moi, dans mes problèmes ?


Ce que l’on pointe là est en fait très banal. La plupart des
problèmes que l’on rencontre dans notre vie, dont on suppose
qu’ils viennent d’une cause externe, sont liés à nos propres atti-
tudes sans que l’on en ait conscience. Toujours la paille dans
l’œil du voisin sur laquelle on se concentre sans voir la poutre
dans notre œil à nous ! C’est le chauffard qui roule trop vite et
se plaint de la lenteur des autres conducteurs, c’est la personne
désagréable qui en veut aux autres de leur agressivité, c’est la
personne qui a tellement peur d’être abandonnée qu’elle ne
s’engage pas dans les relations et souffre amèrement de son isole-
ment affectif, c’est le psychologue qui, n’ayant pas conscience de
sa propre angoisse sur la question de la mort (ou de l’angoisse, du
sexe, etc.), s’étonne que ses patients ne soient pas à l’aise pour
parler de cela avec lui…
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

1. De la violence du travail clinique


pour le clinicien

Cette réactivité qui fait violence de l’intérieur peut être le


produit de trois éléments :
– Les thèmes abordés durant les entretiens cliniques. On y
parle de dépression, de mort, d’angoisse, de détresse, d’idées

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158 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

suicidaires, de troubles parfois graves du comportement


(alimentaire, sexuel, agressif…), de violence, de destruc-
tivité, d’amour blessé, d’image de soi dégradée, de corps
attaqué volontairement, de maltraitance, de traumatismes,
de délires, de vies brisées, de haine… Il y a quand même
plus gai et léger. Or c’est à cette réalité psychique doulou-
reuse, parfois mortelle, que sont confrontés directement les
psychologues. Il est donc normal qu’au départ, cela soit assez
perturbant et déstabilisant.
– Et non seulement, les cliniciens reçoivent en direct cette
lourde charge cognitive et émotionnelle mais, en plus, ils
n’ont pas la possibilité de la gérer comme dans la vie sociale
courante. Habituellement, quand un proche fait part de ses
difficultés psychologiques (ce qui n’est déjà pas si fréquent),
on peut toujours changer de sujet, le rassurer (« Ça va passer,
ne t’inquiète pas… ») ou le distraire (« Viens, on va se faire
un ciné, ça va te changer les idées »). Mais dans la situation
d’entretien clinique, ces issues sont impossibles, car le sujet
est là précisément pour évoquer ses difficultés et sa détresse
et le clinicien a pour rôle de les recevoir, de les entendre
pleinement et de les partager psychiquement. Il ne peut pas
les éviter (ou ce serait une erreur clinique et éthique…). Les
phénomènes de résonance, d’empathie et d’identification
font partie intégrante de la situation clinique et exposent
le clinicien à des réactions internes, cognitives et émotion-
nelles, parfois très intenses auxquelles il n’est pas forcément
préparé. Ajoutons à cela que non content de recevoir cette
détresse, il a aussi la responsabilité professionnelle d’agir
sur elle pour la diminuer, ce qui l’oblige à encore plus
d’attention et donc d’exposition à des réactions intérieures
potentiellement fortes.
– Enfin, le troisième élément qui concoure à ces phénomènes
est l’inexpérience des jeunes professionnels. Non pas tant
leur inexpérience professionnelle que leur inexpérience
d’eux-mêmes. Chaque sujet rencontré dans le cadre d’une

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Le plus grand problème à gérer… le clinicien ! 159

intervention clinique, chaque situation, chaque angoisse


ou problème psychique vient résonner avec des parties
plus ou moins sensibles du clinicien. En d’autres termes, les
relations cliniques, par résonance, activent de nombreuses
zones psychiques chez le clinicien, produisant toutes sortes
de réactions intérieures qui souvent le surprennent, soit par
leur présence en lui, soit par leur intensité. Ainsi, en allant à
la rencontre des patients, le clinicien découvre rapidement
qu’il va aussi à la rencontre de lui-même. Et que ce ne sont
pas forcément les parties les plus agréables de lui-même qu’il
découvre alors. Cela peut être assez perturbant au départ,
mais c’est très courant et normal. C’est aussi ce qui fait du
métier de psychologue clinicien un métier très intéressant
et très engageant.
– Cependant, le jeune psychologue doit bien faire quelque
chose de ses réactions émotionnelles et cognitives pertur-
bantes. Au début, comme tout le monde, pour ne pas en
souffrir, il va tenter de les éviter, soit en évitant leurs sources
(donc certains thèmes, ou certains patients), soit en évitant
leur prise de conscience (au risque qu’elles agissent alors en
lui hors de son contrôle). Parfois aussi, le jeune psychologue
va subir ses réactions intérieures et en souffrir.
Ces réactions intérieures gênantes du psychologue sont
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

probablement le principal problème auquel il a à faire face


au départ.
Au-delà de la violence des thèmes parfois abordés en entre-
tien, la « normalité » des sujets peut aussi être perturbante ! En
effet, les sujets aidés par les cliniciens ont aussi, pour la plupart
d’entre eux, en plus de leurs difficultés, une vie normale, c’est-
à-dire qu’ils ont une famille, des amis, un travail, des désirs et
des peurs, des opinions, des croyances… Autant d’éléments de
vie qui, eux aussi, bien que banals, viennent activer ces mêmes
problématiques chez le clinicien. Si le clinicien est un acharné
de travail, comment peut-il entendre un patient stressé par

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160 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

une surcharge de travail ? Si le clinicien a des rapports compli-


qués avec sa famille, comment reçoit-il le discours du patient
vantant son bonheur familial ? Si le professionnel n’a pas d’en-
fant, quelles peuvent être ses réactions intérieures quand il
aide un sujet à assumer son rôle de parent ? Et si le clinicien est
engagé politiquement quelles réactions intérieures peut-il avoir
face à un patient qui a des opinions politiques très opposées
mais qu’il doit aider et avec qui il partage de forts moments
d’empathie ?

De l’idéalisation à la réalité
Les jeunes psychologues, portés par leur désir d’aider, suresti-
ment souvent l’efficacité des moyens d’action du psychologue. Ils
imaginent, plus ou moins consciemment, qu’avec un peu de bonne
volonté, d’empathie et de sympathie, de volonté soignante, un
bon relationnel et quelques techniques, ils pourront soulager
la souffrance psychique de patients qui ne demanderaient que
cela… Pourtant, la réalité est très différente. L’efficacité théra-
peutique n’est pas toujours au rendez-vous, les troubles sont
résistants, les relations sont parfois difficiles à mettre en place,
les patients ne sont pas toujours les meilleurs alliés de la stratégie
thérapeutique, les institutions n’œuvrent pas forcément dans le
sens d’une plus grande efficacité… Bref, le jeune psychologue
voit son idéal (teinté de toute-puissance soignante) rapidement
déconstruit face à une réalité plus complexe, difficile et parfois
décevante. L’écart entre les attentes et la réalité peut être rude,
le choc et la déception importants. Il lui faut donc réajuster ses
perspectives dans un sens plus réaliste. Ce qui ne se fait pas sans
douleur.

À chaque fois, le clinicien est bousculé dans ses propres


choix, ses croyances et ses habitudes. Et cela peut le conduire
à des attitudes inappropriées vis-à-vis des personnes qu’il doit
aider.

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Le plus grand problème à gérer… le clinicien ! 161

2. La violence de l’institution

De plus, pour les psychologues (et des personnels soignants)


qui travaillent dans des institutions, les conditions de travail
tendent à se dégrader, faute de moyens suffisants et par
l’accroissement de la charge de travail (entre autres par une
surcharge de contraintes administratives peu en rapport avec
le travail réel des soignants). Ainsi, non seulement les psycho-
logues sont de par leurs fonctions cliniques confrontés à des
situations de détresse parfois très lourdes mais, en plus, ils le
sont dans des conditions de travail de plus en plus difficiles,
les institutions n’apportant pas les aides nécessaires, voire, pire
encore, produisant des situations qui aggravent les problèmes.
Difficultés liées au travail clinique plus conditions de travail
dégradées, autant de conditions qui amplifient le risque de
burn-out ou d’épuisement professionnel qui peut toucher les
psychologues (et les soignants en général).

Le traumatisme vicariant chez les psychologues


(et les aidants en général)
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Le syndrome de stress post-traumatique correspond à un


ensemble de signes cliniques qui peuvent avoir des consé-
quences très lourdes pour le sujet. Ce syndrome se manifeste le
plus souvent après un événement traumatique unique et brutal
(agression, torture, accident…) dans lequel le sujet s’est senti
gravement menacé dans son intégrité physique et psychique. Ce
syndrome peut aussi se manifester après une succession d’évé-
nements de violence physique ou psychique de moindre intensité
mais répétés (maltraitance, harcèlement…). Ce que l’on connaît
moins, c’est que ce syndrome peut aussi se manifester chez les
professionnels qui écoutent de façon répétée des personnes leur
raconter les événements traumatiques qu’elles ont vécus (guerre,

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162 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique


viol, tentative de meurtre, agression, torture, catastrophes
naturelles…). C’est ce que l’on appelle le traumatisme vicariant.
D’une certaine façon, l’effet traumatique peut être contagieux
pour les professionnels qui y sont confrontés quotidiennement.
Il faut donc que le psychologue veille à cela et prenne soin de
lui aussi1 !

Stress professionnel et burn-out chez les psychologues


Les professionnels des métiers d’aide sont particulièrement
exposés au stress et à l’épuisement professionnel. Les psycho-
logues peuvent être particulièrement stressés par les situations
douloureuses auxquelles ils ont à faire face, les contraintes insti-
tutionnelles, les incertitudes sur les stratégies thérapeutiques
à utiliser et leur efficacité, des conditions de travail dégradées.
Une grande majorité de psychologues jugent que leur souffrance
professionnelle a un impact négatif sur leur travail clinique auprès
des patients. Ce constat négatif devrait imposer une améliora-
tion des conditions de travail des psychologues, mais aussi une
plus grande prise en compte par les psychologues eux-mêmes
de cette situation et des solutions existantes (supervision, inter-
vision, psychothérapie…)2.

1. M. Kédia, J. Vanderlinden, G. Lopez, I. Saillot et al. (2012). Dissociation et


mémoire traumatique, Paris, Dunod.
2. L. Veron et T. Saïas (2013). « La gestion de la souffrance par le psychologue
clinicien. Étude des impacts et des stratégies de coping », Pratiques psycholo-
giques, 19 (4), 233-244.

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Le plus grand problème à gérer… le clinicien ! 163

3. Perdre la position « méta »

Le principal problème posé par toutes ces réactivations


intérieures chez le professionnel, c’est que son psychisme, à
ce moment-là, est préoccupé et envahi par sa problématique
personnelle. De ce fait, il perd sa capacité à penser la situa-
tion clinique, en particulier il perd sa position « méta ». Or,
si le clinicien perd sa capacité à penser la situation clinique à
plusieurs niveaux, il perd son outil de travail principal et ne
peut donc plus maintenir une position professionnelle. C’est
d’ailleurs ce que rapportent les cliniciens qui évoquent ces
situations : ils sentent qu’ils ont perdu alors leur posture profes-
sionnelle ainsi que leur capacité d’empathie. Et ce constat ne
fait que renforcer leur désarroi.

4. De l’angoisse à l’ouverture à soi-même

Cette réactivité intérieure peut apparaître essentiellement


négative et, de fait, elle gêne le jeune psychologue dans son
travail. Cela dit, une première bonne nouvelle, c’est qu’en
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

principe, à force de se découvrir soi-même à travers les relations


avec les patients, le psychologue se connaît de mieux en mieux
et se familiarise avec lui-même, en particulier avec ses zones
d’ombre que les situations cliniques ne manqueront pas de
réveiller un jour ou l’autre. Bref, ces phénomènes, gênants au
départ, passent avec l’expérience et même, ils produisent une
maturation très intéressante. Pour que cela se produise dans de
bonnes conditions, il est important que le psychologue reste
ouvert sur lui-même, échange sur ce qu’il vit, éventuellement
dans un cadre psychothérapique personnel, sinon dans un
cadre de supervision ou d’intervision (entre collègues). Il faut
aussi, de sa part, de bonnes capacités d’introspection, de remise

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164 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

en cause et d’acceptation. Cela dit, même si ces phénomènes


s’atténuent avec l’expérience, ils sont toujours présents, mais
moins déstabilisants et plus enrichissants.
La deuxième bonne nouvelle, c’est que, par cette meilleure
connaissance de lui-même, il va pouvoir s’utiliser comme
instrument clinique dans son travail, de façon plus efficace.
Connaissant mieux ses réactions intimes dans la plupart des
situations psychiques et relationnelles rencontrées, il saura les
interpréter de façon à mieux comprendre le sujet qui produit
chez lui cette réaction.

Faut-il que le clinicien fasse une psychothérapie personnelle ?


Pendant longtemps, il était explicitement ou implicitement
exigé des futurs psychologues cliniciens qu’ils fassent un travail
thérapeutique personnel en complément de leur formation de
base. Ce travail était alors nécessairement une psychanalyse.
Mais aujourd’hui cette exigence est plus nuancée. Tout dépend
de l’orientation théorico-clinique du psychologue et des fonc-
tions qu’il va assurer. S’il veut être psychanalyste, alors oui, il
doit faire une analyse personnelle, puis didactique, en fonction
des exigences des différentes écoles de psychanalyse. Mais s’il
s’oriente vers d’autres types de pratiques (TCC, systémie, etc.),
il doit s’engager dans les formations des écoles concernées et
suivre leurs exigences. En TCC, par exemple, il est demandé au
clinicien de suivre la formation et d’être ensuite supervisé par
un collègue plus expérimenté. Il n’est pas exigé que le psycho-
logue fasse une psychothérapie personnelle. Pourtant, cela lui
serait certainement enrichissant et formateur. Cela dit, s’il a des
problèmes personnels à résoudre, faire une psychothérapie, dans
le cadre du référentiel théorique qui l’intéresse, lui sera extrême-
ment éclairant. Si le futur psychologue ne vise pas des fonctions
de psychothérapeute, mais des fonctions d’évaluation, de bilans,
d’orientation, de soutien, il n’est alors pas nécessaire qu’il suive
une psychothérapie, s’il ne rencontre pas de difficulté personnelle.

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Le plus grand problème à gérer… le clinicien ! 165

5. Quelques conseils au clinicien


pour gérer au mieux
ses réactions intérieures

– Au moment où cela se produit, il ne faut pas avoir peur de ses


réactions émotionnelles ; elles sont naturelles et elles vont
passer. Il est inutile de rajouter de la peur à l’angoisse, de la
honte à la tristesse, etc. On peut se dire que c’est une bonne
occasion de mieux se connaître et de progresser personnel-
lement et professionnellement. C’est bien sûr déstabilisant
et désagréable dans l’immédiat mais c’est une source indé-
niable de progrès à moyen terme. Donc pas de panique,
respirer tranquillement, observer ce qui se passe intérieure-
ment, le noter mentalement pour y revenir après l’entretien
et se reconcentrer sur la suite de l’entretien.
– Et si ces réactions gênent le déroulement de l’entretien ? Il
faut déjà être conscient que ce que l’on vit émotionnelle-
ment est, en réalité, souvent assez peu perçu par l’extérieur.
Donc même si on en a l’impression, il n’est pas sûr que notre
réaction soit vraiment perçue pour ce qu’elle est. Cela dit,
si elle gêne objectivement l’entretien (silence, hésitations,
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

rupture dans l’entretien), on peut simplement passer outre


et inviter le sujet à poursuivre (« Excusez-moi, vous disiez ? » ;
« Désolé, j’ai perdu un peu le fil, pourriez-vous me rappeler
ce que vous disiez à l’instant ? »). On peut aussi, face à des
évocations de situations particulièrement difficiles, exprimer
ses émotions (« Ce que vous avez vécu est vraiment très dur
et très triste, et ça me touche. Mais reprenons… »). Bien
qu’il ne faille pas en abuser, l’évocation de ses émotions
peut permettre au psychologue de montrer son empathie,
sa capacité à partager des émotions difficiles mais aussi sa
capacité à se dégager de ces émotions en les nommant et en
les supportant.

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166 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

– Ainsi, il ne faut pas avoir peur de ses émotions et de ses


cognitions, ni chercher à les éviter. Ponctuellement, on
peut les réprimer pour garder la face et une apparente atti-
tude professionnelle, ce qui peut être efficace et utile dans
l’immédiat mais, à moyen terme, ce n’est bon ni pour les
entretiens en cours, ni pour la formation du clinicien, ni
pour sa santé mentale. Il vaut mieux adopter une attitude
intérieure de prise de conscience et d’acceptation, puis de
dépassement. Ces phénomènes réactifs, émotionnels et
cognitifs sont normaux et ne font pas de celui qui les subit
un mauvais professionnel, au contraire, c’est souvent signe
d’une voie de progression très intéressante, s’il les supporte
et peut les travailler pour les intégrer à son fonctionnement
personnel et professionnel.
– Il est donc intéressant de leur accorder un peu de temps et
d’attention et de ne pas s’isoler, de ne pas succomber à la
honte et à la gêne. On peut en discuter avec des collègues,
avec un superviseur, voire un psychothérapeute. On peut
en parler, un peu, avec les proches, si ça les intéresse mais
attention au secret professionnel – parler de soi, pas des
patients ! Attention aussi à ne pas lasser ses proches, ce ne
sont pas des superviseurs. On peut aussi, seul, écrire sur ses
émotions et ses cognitions, sur son ressenti émotionnel, sur
les pensées présentes, sur les liens personnels (souvenirs,
peurs, schémas…) qui y sont rattachés. Cela peut se faire
après les entretiens où ces réactions se sont manifestées. Si
un même patient produit régulièrement ces réactions chez
le clinicien, il peut être bien d’écrire sur ces réactions avant
l’entretien suivant : quelle réaction risque de se produire ?
Pourquoi ? Quel est son sens ? Quelles sont ses conséquences ?
Comment la gérer ? Écrire sur tout cela avant l’entretien
angoissant peut être très enrichissant pour le professionnel.
– Cela dit, si certaines situations produisent de façon répétitive
une réaction forte et gênante chez le psychologue et qui
ne s’atténue ni avec le temps (pas d’habituation), ni avec

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Le plus grand problème à gérer… le clinicien ! 167

un travail sur cette réaction (échanges, écrits, supervision),


alors il peut être pertinent que le psychologue envisage un
travail psychothérapique personnel, ou bien qu’il oriente
son travail vers d’autres populations cliniques (passer des
enfants aux adultes, des suicidants aux anxieux, des sujets
psychotiques aux personnes âgées – non psychotiques… ; de
la psychiatrie lourde à des consultations « tout-venant »). En
effet, il ne serait pas tenable personnellement et profession-
nellement de réaliser un travail clinique qui produise trop
de malaise personnel.

Comment écrire sur ses réactions personnelles ?


Un papier, un crayon et un peu de temps suffisent. On peut
écrire de façon libre sur la situation, ses réactions et ce que l’on
souhaite. On peut aussi structurer ce travail en s’inspirant de tech-
niques TCC (l’analyse fonctionnelle). Pour ce faire, on dessine un
tableau avec plusieurs colonnes :
Situation – cognitions – émotions – comportements
– conséquences.
Ce qui pourrait donner, par exemple :
– Situation : entretien avec Mme X. quand elle aborde ses idées
suicidaires (« J’en peux plus, faut m’aider, je vais me tuer
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

sinon… »).
– Cognitions : « Non, pas encore ça » ; « Elle va se tuer » ; « Ça va
être de ma faute » ; « Je suis un mauvais psychologue » ; « Je ne
suis pas à la hauteur »…
– Émotions : peur, sentiment de ne pas y arriver, culpabilité (et ça
me serre la gorge, et une boule dans le ventre, et j’ai l’impres-
sion de ne plus pouvoir réfléchir, tête dans le coton).
– Comportement : je me tais ou je la rassure artificiellement,
changement de sujet. Envie d’éviter l’entretien…
– Conséquences : je suis mal. Je ne réfléchis pas correctement.
Je ne suis pas vraiment avec elle dans l’entretien.

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168 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique


– Remplir ce tableau impose déjà un premier travail d’introspec-
tion et de mise à distance de son vécu. Cela aide à retrouver une
attitude « méta » de réflexion multi-niveaux. Le niveau envisagé
ici étant celui de la vie psychique du psychologue engagé dans
le travail clinique. Souvent, cela permet de mieux comprendre
la situation, son attitude propre et donc de mieux envisager le
travail à faire pour se dégager de cette difficulté.

Le jeune psychologue qui commence à travailler doit


prendre en compte ce type de difficultés dans l’organisation
de son travail. Ainsi, s’il travaille dans des services particu-
lièrement éprouvants (soins palliatifs enfants et adultes,
psychiatrie lourde, service de suicidants, accueil aux victimes
de traumatismes…), il pourrait envisager de n’y travailler
qu’à temps partiel, en complétant son temps de travail par
d’autres activités cliniques moins éprouvantes. Il devrait aussi
prévoir de maintenir une dynamique de formation continue
qui contribue efficacement à prendre du recul par rapport au
terrain et à donner sens et efficacité à la pratique. Il devrait
aussi envisager une supervision professionnelle. Enfin, comme
il le conseille à ses patients, il doit aussi prendre soin de lui
psychiquement.

Prendre soin de soi en tant que psychologue


Pourquoi ? La première raison est que le psychologue, comme
tout le monde, a le droit d’avoir une vie satisfaisante et agréable.
La deuxième est que si cet objectif est celui qu’il vise pour ses
patients, autant qu’il y tende déjà pour lui-même de façon à mieux
y aider les autres. Enfin, un psychologue mal dans sa peau, mal
dans son travail, ne sera pas disponible pour effectuer de façon
efficace un travail clinique de qualité.

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Le plus grand problème à gérer… le clinicien ! 169


Quand s’alerter ? Les signes de stress professionnel peuvent se
manifester sous diverses formes (dépression, anxiété, addic-
tions…). On peut cependant pointer quelques signes spécifiques :
perte d’empathie et de compassion pour ses patients, l’impres-
sion d’être débordé par les tâches à accomplir, de ne pas s’en
sortir, de ne pas y arriver ; et une perte de plaisir et de satisfac-
tion dans les activités professionnelles. Dans ces cas-là, inutile
d’attendre, ça ne va pas s’arranger tout seul, il faut agir.
Comment ? Si les symptômes sont vraiment forts, par une
psychothérapie personnelle. Mais il importe aussi d’agir sur
les conditions de travail (réduire le travail, savoir dire non aux
sollicitations non prioritaires, poser des limites, réfléchir sur ses
priorités…). Enfin, il est aussi important d’agir sur son hygiène de
vie en retrouvant des temps de repos et de détente (relaxation,
sport, culture…), en développant sa vie personnelle, ses rela-
tions affectives, familiales, amicales, ses loisirs, en retrouvant un
rythme salutaire (sommeil, repas…), en limitant les facteurs de
risque sanitaire (tabac, alcool, manque de sommeil, sédentarité,
surpoids…).
Avec ces différentes actions, le psychologue surmené peut
retrouver un meilleur équilibre personnel qui le rendra plus
épanoui et plus efficace dans son travail.
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6. Quand on n’est pas prêt pour mener


son entretien mais que le patient
attend (conseils pour se reconcentrer
et être plus disponible malgré tout)

Parmi les problèmes que peut rencontrer un psychologue


clinicien, il y a celui de ne pas se sentir prêt à recevoir un
patient alors même que l’entretien est imminent.

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170 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

Avant de recevoir un patient en entretien, le psychologue


doit être disponible psychiquement. S’il ne l’est pas, il risque
de ne pas travailler correctement, faute de pouvoir réfléchir en
maintenant une attitude professionnelle. On ne « fait » pas le
psychologue, en entretien, comme on engage une conversa-
tion avec un ami. L’attitude intérieure professionnelle décrite
précédemment (position méta, réflexion multi-niveaux) est
spécifique et demande un effort particulier. Le psychologue
doit donc être prêt quand il s’engage dans une situation
clinique. Mais parfois il ne l’est pas, et le patient attend en
salle d’attente pour le rendez-vous qui a lieu dans 2 minutes…
On peut ne pas être prêt, parce que :
– le patient précédent a bouleversé le psychologue ;
– des problèmes personnels parasitent le psychologue ;
– ce patient précisément lui pose des problèmes ;
– trop de stress et de fatigue minent les capacités du
psychologue ;
– des tensions institutionnelles créent des stress importants ;
– le psychologue, jeune, manque de confiance en lui et dans
sa pratique…
Comment gérer ces situations qui sont fréquentes chez les
jeunes psychologues et pas si rares chez les plus expérimentés ?
Le principe de base à respecter est qu’il faut être autant
que possible prêt pour accueillir le patient prévu. C’est une
exigence éthique (chaque patient a droit à une prise en charge
de qualité) et professionnelle (il faut se donner les moyens de
travailler au mieux à chaque instant). Mais à l’impossible nul
n’est tenu, et on ne peut pas être toujours au maximum de
ses capacités.
Voici une ligne de conduite possible dans ces situations.
Première étape : tout d’abord, avant d’aller chercher le
patient pour initier la rencontre clinique, il est bien que le
professionnel vérifie rapidement, par un insight (« regarder

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Le plus grand problème à gérer… le clinicien ! 171

dedans ») rapide, s’il est disponible pour commencer l’entretien.


Il suffit donc de prendre quelques dizaines de secondes avant
l’entretien pour se demander (en s’inspirant des approches
mindfulness) :
– Comment je me sens, là, tout de suite ?
– Comment est mon corps (dynamique, nerveux, fatigué,
détendu… ?) ?
– Quelles émotions me traversent en cet instant ?
– Quelles sont les pensées qui sont en moi ?
D’autres questions sont bien sûr possibles selon celles
qui paraissent pertinentes à chacun et à chaque situation.
L’important est de prendre le temps de jeter un regard sur
soi-même, regard aussi lucide et congruent que possible. En
quelques secondes, avec un peu d’expérience, il est possible
d’avoir une idée un peu précise de l’état dans lequel on se
trouve. Quelles que soient les informations qui remontent ainsi
à la conscience du psychologue, ce dernier doit les accepter et
les retenir comme des informations sur son état psychique du
moment (et non les juger comme des problèmes encombrants
et les repousser de sa conscience).
En fonction de ce qu’il remarque, alors il peut agir de
plusieurs façons. S’il se sent dans un état propice à effectuer
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

son travail clinique, alors il peut s’engager dans ce travail sans


attendre. Si à l’inverse, il perçoit que pour diverses raisons,
il n’est pas suffisamment disponible, plusieurs possibilités
s’offrent à lui en fonction de ce qui produit cette indispo-
nibilité. Déjà, il est bien qu’il soit conscient de son état et
l’accepte sans angoisse, ni gêne, ni honte superflue. Inutile
d’en rajouter.
Deuxième étape : ensuite, s’il pense ne pas être prêt
pour cet entretien, il est bon de prendre un peu de temps,
5-10 minutes par exemple, quitte à commencer en retard
l’entretien, pour essayer de retrouver un peu de tranquillité
d’esprit.

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172 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

On peut aller discuter, avec un collègue de confiance et


disponible, de ce qui nous préoccupe, ce qui peut permettre de
faire retomber la pression. On peut aussi, seul dans son bureau,
utiliser des techniques dont le professionnel sait qu’elles
l’aident à se détendre habituellement (relaxation, respiration
tranquille, mouvements de yoga, mouvements d’étirement…),
ou tout autre comportement qui peut aider le professionnel à
se recentrer (pour certains, ce sera fumer une cigarette, boire
un café, taper dans un punching-ball…).

Se recentrer par l’acceptation


Une technique très intéressante pour dépasser rapidement des
mouvements émotionnels ou cognitifs envahissants consiste
à se laisser… envahir par eux ! Mais pas n’importe comment.
En commençant par l’exercice consistant à faire le point sur
soi-même, décrit plus haut, il suffit ensuite de le prolonger en
observant les éléments qui remontent ainsi à la conscience.
Émotions, pensées, images, fantaisies personnelles, désirs, etc.,
tout ce qui remonte à l’intérieur de lui est alors observé par le
professionnel. Pour que cela fonctionne, il doit observer tous ces
éléments avec curiosité, neutralité, ouverture et sans jugement.
Un peu comme s’il était en train de contempler le spectacle de
sa vie intérieure. Il se laisse donc envahir par ces éléments, mais
en les accueillant sans réticence. Il observe son corps fatigué, son
esprit chahuté, ses angoisses ou ses tristesses, sa colère et ses
désirs violents, son stress et sa frustration… Tout cela sans juge-
ment, comme de simples phénomènes psychiques et physiques
qui le traversent, là, maintenant. Il les observe et les accepte
comme il le ferait d’une vague qui le traverse, qui monte… et
redescend. C’est un moyen de réduire sinon le malaise, du moins
ses effets secondaires néfastes.

Le professionnel peut aussi écrire sur ce qui le met mal à


l’aise. Il peut le faire librement ou il peut, par exemple, faire

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Le plus grand problème à gérer… le clinicien ! 173

la liste de ce qui lui pose problème à ce moment-là. C’est une


méthode souvent intéressante pour faire la part des choses
concernant tous les stresseurs qui peuvent l’envahir. Il convient
de faire la liste la plus large possible et d’envisager les différents
aspects des problèmes, des plus professionnels au plus person-
nels (familiaux, couple, santé…).
Cela pourrait donner, par exemple :
« Je me sens fatigué et stressé avant de recevoir tel patient,
pourquoi ? »
– La fatigue, sans doute parce que j’ai mal dormi cette nuit et
qu’on arrive en fin de semaine.
– Le stress vient de : j’ai peur d’être en retard pour la réunion
qui suit l’entretien ; cette réunion m’angoisse parce que je
dois y parler de ceci ou de cela ; je me suis accroché avec tel
collègue juste avant ; et en plus, comme je ne me sens pas
très bien (fatigue), ça me stresse (le stress du stress). Enfin,
j’ai peur de ne pas y arriver avec ce patient, la dernière fois
il a critiqué la thérapie… Je ne suis pas très sûr de moi.
En principe cela aide à y voir plus clair et à transformer le
vécu global et indifférencié de malaise et de gêne en un vécu
plus précis et rationnel. De ce fait, ça le réduit. De plus, il est
utile de garder trace de ce qui a pu nous gêner à tel ou tel
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

moment, de façon à le travailler par la suite, soit seul, soit en


supervision ou en psychothérapie.
Troisième étape : commencer l’entretien. Parfois, malgré
tout, ces techniques ne suffisent pas à rendre le psychologue
suffisamment disponible. Mais au moins elles lui auront permis
de prendre conscience de ce qui lui posait problème. Cette
conscience devrait l’aider, pendant l’intervention clinique,
à faire la part des choses entre ses réactions qui relèvent du
travail clinique en cours et celles qui relèvent d’éléments anté-
rieurs et extérieurs à ce travail. Il est donc possible, malgré tout,
de commencer une activité clinique alors que l’on n’est pas
tout à fait disponible intérieurement. Il convient cependant

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174 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

d’être conscient de son état et, autant que possible, de ce


qui le détermine. On peut aussi compter dans ces cas-là sur
l’effet « captant » de l’activité clinique elle-même (la relation,
le travail en cours de réalisation…), qui permet pendant ce
temps de sortir le psychologue de ses préoccupations. Il arrive
fréquemment que l’on se sente mieux, plus professionnel, plus
efficace lors d’une activité clinique, qu’on ne l’anticipait avant
de s’y engager.
Dernier cas de figure, il arrive que, vraiment, le professionnel
ait le sentiment de ne pas pouvoir du tout travailler. Il peut
être malade par exemple (40 ° de fièvre) ou avoir appris une
nouvelle grave qui le bouleverse (décès d’un proche ou autre)…
Dans ces cas, il faut aussi savoir se retirer et annoncer (ou faire
annoncer) au patient que l’on ne peut pas le recevoir. Le mieux
étant en général de l’informer de façon générale sur les raisons
qui amènent le professionnel à reporter le rendez-vous (« Je suis
malade, je ne suis pas en état de mener cet entretien, je préfère
que nous le reportions » ; « En raison d’événements personnels
imprévus, je dois absolument m’absenter. Je ne pourrai donc
pas assurer le rendez-vous que nous avions. Je vous propose de
le reporter. Nous vous recontacterons pour fixer un nouveau
rendez-vous »).

7. Jeune psychologue,
il faut bien débuter !

Pour les jeunes psychologues se posent régulièrement


plusieurs problèmes, comme le sentiment d’incompétence,
leur jeunesse, leur impatience, pour certains leur orgueil, pour
d’autres leur dépendance aux « anciens ».

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Le plus grand problème à gérer… le clinicien ! 175

7.1 Le sentiment d’incompétence


et les erreurs
Deux séries de souvenirs viennent à mon esprit quand je
pense aux psychologues débutants : d’une part, des échanges
avec les étudiants de master2 qui comprennent qu’avoir réussi
leurs études de psychologie les confronte à une nouvelle
angoisse : comment réussir maintenant à être un bon psycho-
logue ? D’autre part, des souvenirs plus anciens, de moi
débutant dans le métier, souvenirs qui m’amusent avec le recul
ou qui, pour certains, me font encore honte…
Je me vois, lors de mes premières expériences d’entretiens,
guetter dans le couloir les patients en retard ou absents. Ma
tête remplie de pensées anxieuses tournant autour du thème
de mon incompétence. Forcément, s’il ne vient pas, c’est que
j’ai fait une erreur, ou qu’il ne m’apprécie pas, ou que je suis
nul… Ça me mettait dans des états d’anxiété assez pénibles. Je
n’imaginais pas qu’il puisse être en retard parce que sa voiture
n’avait pas démarré, ou que le métro traînait dans les tunnels,
ni qu’il puisse être absent parce que ses enfants étaient malades
ou qu’il avait mal noté le rendez-vous, ou pire : que je l’avais
mal noté !
Je me sentais forcément incompétent et, bien sûr, l’autre
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

idée sous-jacente était que le monde du patient tournait essen-


tiellement autour de moi… 2 postulats qui me traversaient et
que je retrouve aussi souvent chez les jeunes diplômés.
Commençons par remettre en cause le deuxième postulat,
car il est facile à démonter : non, le monde du patient ne se
réduit pas à ses relations avec son psychologue, aussi compétent
ou incompétent soit ce dernier, et heureusement ! Imagine-t-on
les patients chaque matin en se rasant ou en se maquillant,
se dire : « Qu’est-ce que je pourrais bien faire aujourd’hui pour
plaire à mon cher psychologue ? », ou : « Je vais bien trouver
un prétexte pour rater mon rendez-vous avec ce psychologue

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176 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

vraiment trop mauvais » … et de penser à cela jusqu’au jour


de l’entretien ? Il faut rabattre notre orgueil, les patients ont
d’autres préoccupations que leur relation avec leur psy. Et
c’est tant mieux, le contraire serait assez malsain et évoquerait
plus une relation de dépendance ou d’emprise qu’une relation
thérapeutique visant la désaliénation. Les aléas de leurs vies
interfèrent avec le travail qu’ils font avec nous ; parfois leurs
relations amoureuses, leur travail, leurs enfants et même leurs
moyens de transport sont plus puissants que le fait qu’ils aient,
par exemple, rendez-vous avec nous tel jour à telle heure ou
qu’ils doivent suivre tel ou tel conseil que nous leur avons
donné. Donc, il ne faut pas accorder une importance déme-
surée à ce qui se passe dans le travail clinique, qu’il soit positif
ou négatif. Relativisons et ne personnalisons pas à outrance !
Le premier postulat est un peu plus complexe parce qu’il
contient une part de réalité : un débutant est moins compé-
tent qu’un professionnel expérimenté. Oui, un psychologue,
comme n’importe quel professionnel commence sa carrière
avec peu d’expérience et de recul. Il va donc être moins effi-
cace, il va commettre des erreurs et, de façon générale, il vaut
mieux avoir affaire à un professionnel expérimenté qu’à un
débutant.
Ce problème pourrait être atténué en France si, à l’issue du
master, existait pour les psychologues l’équivalent d’une année
d’internat pendant laquelle, à temps plein et rémunéré, les
jeunes psychologues engrangeaient de l’expérience clinique
dans des institutions sous la double supervision de collè-
gues plus expérimentés et de l’université. Mais cela n’existe
pas, pas encore, tant pis pour les patients et pour les jeunes
psychologues.
Fort de mon inexpérience dans mes premiers pas de
psychologue, je me souviens de deux erreurs que j’ai faites,
quand je débutais, mais j’en ai certainement fait plus, sans
compter toutes celles dont je n’ai pas conscience ! Je recevais
pour la première fois, dans un hôpital de jour, une patiente,

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Le plus grand problème à gérer… le clinicien ! 177

probablement dépressive. Au cours de l’entretien, elle évoquait


le fait qu’elle était née après le décès d’un enfant dans sa
famille. Je suggérai ou demandai si cela avait un rapport avec
ses difficultés. Mais elle le nia avec force : non, rien à voir.
Pourtant je m’accrochai à mon idée et ce fut là ma première
erreur : chercher à imposer mon hypothèse malgré les résis-
tances manifestes du sujet. Pour argumenter ; je m’emparai
de son prénom, « Sylvie », et montrai qu’il pouvait aussi se lire
« s’il vit » ! Deuxième erreur : je jouais à l’apprenti lacanien !
Faire reposer et imposer un sens aussi profond (qu’elle serait
en gros le remplaçant imaginaire de son frère mort et que
cela expliquerait sa dépression) sur un jeu de mots dans un
premier entretien, c’était vraiment grossier et imprudent. Cette
femme l’a pris comme tel, a montré son agacement et n’est
jamais revenue pour l’entretien suivant, ce que je comprends.
J’ai été pour le moins très maladroit et je suis gêné quand je
repense à cet épisode. Si elle me lit, j’espère qu’elle excusera
cette erreur de débutant et que cela n’aura pas eu d’effets trop
négatifs… Depuis je ne cherche plus à avoir raison, ni à faire
le malin face aux patients, j’ai compris que ce n’était pas pour
ça que j’étais payé…
Une autre erreur, dans le même hôpital de jour, a été de
répondre à la demande transgressive d’une patiente que je
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

voyais en entretien préalable à son admission et qui souhai-


tait rentrer en urgence dans ce service, sans suivre toute la
procédure d’admission (assez longue, il est vrai…). Elle m’était
sympathique et, avec l’accord du psychiatre qui ne l’avait
pas vue mais me faisait confiance, je lui ai permis d’intégrer
ainsi quelques activités. Très vite, il apparut que ce n’était pas
adapté, car elle délirait un peu trop et sortait du cadre réguliè-
rement (elle m’a dragué assez vite, m’obligeant à la recadrer en
déclinant ses invitations : je n’ai tout de même pas fait toutes
les erreurs possibles !).
Il a fallu que je fasse intervenir le psychiatre du service.
Celui-ci l’a reçue pour requestionner la pertinence de son

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178 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

intégration « spéciale » dans l’hôpital de jour, ce qu’elle a très


mal pris. Elle s’est alors énervée, l’a insulté et a cherché à le
frapper. J’ai pu mesurer alors les réflexes du médecin qui a
adroitement évité un coup de pied dans les parties alors qu’elle
prenait la porte…
Mon erreur (et celle du psychiatre qui l’a acceptée) a été
de court-circuiter le cadre pour répondre en urgence à une
patiente qui m’avait ému.
Je pourrais, si j’étais un peu plus masochiste que je ne le
suis déjà, raconter d’autres erreurs, sans doute moins spectacu-
laires, mais tout aussi négatives. Je suppose (je ne dois pas être
le seul !) que tout psychologue pourrait retrouver le souvenir
d’erreurs commises à cause de son inexpérience.
Ce n’est d’ailleurs pas lié qu’à l’âge. À chaque fois que l’on
débute dans une fonction que l’on ne connaît pas, ou dans une
approche nouvelle, on est plus en risque de faire des erreurs dans
les entretiens cliniques. Je m’en suis aperçu quand j’ai débuté en
TCC malgré mes 20 ans d’expérience dans d’autres approches
(mais il s’agissait plutôt d’erreurs techniques que de fond).

7.2 Que conclure de tout cela


pour les psychologues débutants
dans l’entretien clinique ?
Vous n’y couperez pas, vous ferez des erreurs, plus que quand
vous serez expérimentés. Mais, bonne nouvelle, l’inexpérience
passe avec le temps, comme la jeunesse…
En attendant, il serait dommage d’être paralysé par la peur
de commettre des erreurs ce qui serait une grande source
d’erreurs ! Donc prenez en compte l’erreur possible dans votre
travail, errare humanum est, l’erreur est humaine, et l’on peut
aussi ajouter : l’erreur est professionnelle et elle est même
utile pour progresser, à condition d’en faire quelque chose de
constructif. Comment ?

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Le plus grand problème à gérer… le clinicien ! 179

D’abord en être conscient, accepter la possibilité de s’être


trompé. En discuter avec des collègues ou en supervision,
analyser ce qui s’est passé. Voir comment vous auriez pu agir
autrement (ou non). Utiliser l’erreur comme source de progrès
et de formation. Faire une erreur une fois, c’est excusable, mais
la répéter sans chercher à la corriger, c’est un problème.
Puis utilisez les moyens à votre disposition pour vous
améliorer (ne plus faire cette erreur) : supervision, intervision,
formation, échanges avec des collègues… Et l’erreur devient
alors source de progrès.
N’oubliez pas que vous pouvez aussi en parler avec le premier
concerné, le patient. Par exemple sous la forme : « Je viens de
vous dire ceci ou cela mais je me demande si j’ai eu raison ou
si j’ai fait une erreur, qu’en pensez-vous ? Est-ce que cela vous
aide ou non ? » ou « Je vois à votre réaction que j’ai sans doute
fait une erreur. C’est exact ? ».
Le psychologue ne doit pas apparaître infaillible aux yeux
de ses patients, il ne doit pas tendre vers une image (imagi-
naire) imprégnée de perfectionnisme, alors même qu’il aide
les personnes qu’il suit à changer, soit, mais aussi à s’accepter
comme elles sont, avec leurs limites et leurs imperfections.
Partant de ce principe de faillibilité, il peut attendre du patient
qu’il l’aide à l’aider !
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

« Il est important que vous m’aidiez à vous aider, car je peux


me tromper et faire des erreurs et si ça arrive, vous êtes la
personne la mieux placée pour le voir et pour me le dire… ».

7.3 La jeunesse
Un autre problème souvent évoqué par les jeunes psycholo-
gues : « Je suis trop jeune, je ne suis pas crédible, surtout face à
une personne plus âgée ». Je ne crois pas que la compétence soit
totalement corrélée à l’âge. On peut être jeune et compétent
ou plus âgé et, disons… perfectible. La jeunesse n’est pas une

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180 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

raison pour ne pas être un bon psychologue (avec la réserve


de l’inexpérience qui passera rapidement). Par ailleurs, faut-il
être dans la même situation que la personne que l’on prétend
aider ? Un jeune ne pourrait-il pas aider un vieux ? Ne peut-on
aider que des personnes de même sexe, âge, culture, classe
sociale, statut marital, etc., que soi-même ? Faut-il être le clone
du patient pour le comprendre ? Non bien sûr. On pourrait
même dire que pour apporter une écoute et un regard diffé-
rent, il vaut mieux ne pas être trop proche. À charge pour le
clinicien, cependant, pour bien comprendre le point de vue
du sujet, de s’informer suffisamment sur les spécificités de sa
situation qu’il pourrait ne pas comprendre. Ce n’est pas spéci-
fique de la jeunesse mais de toute situation rencontrée par les
consultants éloignée de l’expérience du clinicien. Je demande
régulièrement à mes jeunes patients de m’expliquer des pans
de la vie des « jeunes d’aujourd’hui » que je ne connais pas
forcément, comme je demande à des plus âgés de le faire aussi
ou à des consultants de culture différente ou d’un environne-
ment professionnel que je ne connais pas…
En réponse à la remarque : « Vous êtes bien jeune pour un
psychologue… Est-ce que vous pourrez comprendre ma situa-
tion, moi qui suis bien plus âgé ? », une réponse possible est :
« Je ne crois pas que mon âge soit très important, ce qui compte
c’est si je peux vous aider ou non. Et s’il y a des choses qui
m’échappent dans votre situation du fait de notre différence
d’âge, je compte sur vous pour m’aider à bien les comprendre
pour que je puisse mieux vous aider. Si vous en êtes d’accord,
le mieux est de commencer à travailler ensemble et si vous
percevez des difficultés dans notre travail, n’hésitez pas à en
parler ».

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Le plus grand problème à gérer… le clinicien ! 181

7.4 L’impatience
Beaucoup de jeunes cliniciens veulent aller plus vite que
la musique psychique. Sans doute est-ce l’angoisse de ne pas
réussir qui les pousse à vouloir réussir vite, le plus vite possible,
sans perdre de temps ? Peut-être est-ce lié à l’enseignement
universitaire qui est parfois trop théorique, idéal et détaché de
la réalité du terrain ? Ou peut-être cela provient-il de cette pres-
sion permanente à la productivité, signature de notre société
moderne ? À moins que ça ne soit dû à la pression du patient
qui souhaite que son problème soit résolu le plus vite possible ?
Quoi qu’il en soit, la bonne vitesse en psychothérapie est celle
qui permet à chaque patient d’avancer de façon profonde et
durable au rythme de ses processus psychiques. C’est donc la
vitesse de changement des processus psychiques profonds qui
compte et qui est plus lente que celle de la compréhension
intellectuelle. Quelques minutes peuvent suffire pour prendre
conscience que d’avoir une peur intense des ascenseurs est
irrationnel, mais il faudra plusieurs semaines, ou mois, pour
que l’organisme du sujet ne réponde plus automatiquement
par de la peur en face d’un ascenseur…
Dans ce sens, on peut dire qu’il n’y a pas de bonnes thérapies
brèves ou longues, mais seulement des thérapies qui prennent
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

le temps qu’il faut pour aider au mieux chaque consultant.


Pour certains, ce sera rapide et bref, pour d’autres, ce sera plus
lent et long. Le thérapeute doit trouver le rythme juste pour
chacun de ses patients. Et de façon générale, à ce que j’en ai
vu, pour les jeunes, un conseil : ralentissez…

7.5 L’orgueil
J’ai rencontré certains jeunes psychologues qui avaient en
tête de révolutionner le milieu de la psychologie clinique. Ils
pensaient avoir trouvé le Graal de l’efficacité thérapeutique.
Ils fourmillaient d’idées nouvelles, de points de vue originaux,

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182 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

du moins le croyaient-ils… Le plus souvent, leurs idées étaient


naïves ou déjà en œuvre depuis des décennies ou encore
impraticables. Bien sûr, il faut laisser place à la créativité et
à l’innovation. Il y a une grande marge de progression dans
notre domaine et il faut sans cesse des neurones neufs pour
améliorer nos pratiques. Mais il ne faut pas croire non plus
que rien de valeur n’a été fait par les collègues qui nous ont
précédé depuis un siècle et demi. Le défi est de concilier une
très bonne connaissance de ce qui existe à la capacité de créer
des améliorations ou des approches nouvelles et plus efficaces.
Il s’agit de monter sur les épaules des géants pour voir plus
loin. Encore faut-il connaître les travaux des géants et trouver
le chemin de leurs épaules… Sinon le risque est grand d’appa-
raître plus orgueilleux et inefficace que créatif et constructif.

7.6 La soumission et la dépendance


La jeunesse est souvent associée à la volonté d’indépendance,
de liberté et d’insoumission. Sans doute, mais ce que je constate
avec certains jeunes psychologues, c’est que cette indépendance
est largement entravée dans notre milieu par des réflexes de
soumission et d’obéissance ou d’imitation aux plus anciens,
aux cadres, aux médecins. Sûrement un moyen de trouver des
repères chez autrui qui manquent en soi quand on débute.
Sans doute aussi le fruit d’un enseignement universitaire trop
scolaire ? Cela me rappelle un autre souvenir. Je ne sais plus
de quoi il s’agissait, mais avec une autre jeune collègue d’un
hôpital de jour, nous avions agi d’une certaine façon conforme
à ce qu’attendaient habituellement nos collègues psy plus âgés.
Mais cette fois-là ils avaient critiqué ce que nous avions fait.
Vexés, nous leur avions répondu : « Mais c’est vous qui nous
aviez dit qu’il fallait faire comme ça ! » Ce à quoi ils rétor-
quèrent : « Il ne faut pas écouter tout ce que l’on vous dit ! ».
Nous étions estomaqués face à cette mauvaise foi flagrante
(on vous dit ce que vous devez faire, mais on vous critique

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Le plus grand problème à gérer… le clinicien ! 183

si vous le faites – et aussi si vous ne le faites pas !). Mais avec


le recul et maintenant que je suis dans le camp des « vieux »
sollicités par des « jeunes », je comprends leur réaction… Le
problème est de ne pas attendre toujours des autres, fussent-ils
« plus expérimentés », qu’ils soient responsables de ce que l’on
a fait. Il faut certes demander des conseils et des avis mais, au
final, nous sommes toujours responsables de ce que l’on fait en
tant que psychologues. L’argument « Vous m’avez dit de faire
comme ça » ne devrait pas être un argument professionnel ;
le psychologue doit assumer ce qu’il fait… ou ne pas le faire !
Bref, les choix du psychologue, qu’ils soient bons ou
mauvais, lui appartiennent. C’est un travail que doivent faire
les jeunes psychologues que de construire leur propre style,
leur pratique, en s’enrichissant des apports extérieurs, mais
sans y être soumis. C’est un travail progressif de détachement
et d’autonomisation.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

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10
Cha
pitre

GÉRER
LES SOLLICITATIONS
PERSONNELLES

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aire
m
So m

1. Un principe de conduite ........................................ 188


2. Comment réagir à une sollicitation personnelle
sans y répondre ? .................................................... 189
3. Dans quels cas répondre
aux sollicitations personnelles ? ............................ 192

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Un des problèmes le plus souvent évoqués par les étudiants

Pa
rt
en psychologie clinique qui commencent à effectuer des entre-
tiens cliniques est : « Comment répondre aux sollicitations

des questions personnelles au psychologue. Celles-ci peuvent


être de divers ordres :
ie
personnelles ? » En effet, il arrive que certains patients posent

– Le sujet peut tenter de créer une relation personnelle, qui


peut être de séduction (« Vous êtes libre après votre travail
pour boire un verre ? Vous êtes très séduisante pour une
psychologue ») ou d’amitié (« On peut se tutoyer ? On a le
même âge. Qu’est-ce que tu regardes comme séries, toi ? »).
– Il arrive que les sollicitations personnelles soient utilisées
pour gêner le psychologue (ou reprendre du pouvoir sur
lui). Par exemple : « Vous n’êtes pas un peu jeune pour être
psychologue ? » ; « Mais vous avez une expérience suffisante ?
Je veux dire, vous savez ce que c’est que d’avoir des enfants ?
Ou des problèmes dans son travail ? ».
– Il est possible aussi qu’il s’agisse de tentatives de déstabi-
lisation du professionnel en sollicitant son avis personnel
sur des thèmes abordés par le patient : « Mais vous, vous
en pensez quoi de la politique ? OK, moi je vous dis que
je supporte mal l’autorité, mais vous, comment vous la
supportez ? » ; « Il y a plusieurs semaines, vous m’avez dit que
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

c’était bien que je sois plus affirmé et là vous me dites que


je suis trop agressif, faudrait savoir ce que vous voulez… ».
– Il peut aussi s’agir de questions factuelles sur la vie du
psychologue : « Vous avez des enfants ? Vous êtes marié(e) ?
Vous habitez où ? Vous aimez le cinéma ? Etc. ».
La façon dont le psychologue doit réagir à ce type de solli-
citation dépend d’un certain nombre d’éléments. Cependant,
quelques principes généraux peuvent guider son attitude.

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188 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

1. Un principe de conduite

Habituellement, le psychologue ne doit pas répondre direc-


tement aux sollicitations personnelles. Celles-ci ont souvent
pour effet de fragiliser le cadre de la relation professionnelle.
Le sujet et le psychologue ont pour objectif de comprendre et
de faire évoluer la vie psychique du sujet. Ils ne sont donc pas
centrés sur la vie psychique du psychologue ! Que le psycho-
logue ait ou non des enfants, qu’il aime ou non le cinéma,
qu’il soit de gauche ou de droite… n’a aucun intérêt pour
aider le sujet. Certains jeunes psychologues sont gênés par
le fait de demander au patient de livrer sa vie personnelle
intime alors même que le psychologue ne livre rien de lui-
même en échange. Cela créerait une relation très déséquilibrée
peu propice à l’alliance thérapeutique et à la collaboration. En
réalité, c’est l’inverse. Le psychologue doit assumer la dissymé-
trie de la relation. Il doit assumer sa curiosité nécessaire envers
la vie psychique de l’autre. Comment l’aider sans connaître sa
vie psychique intime ? Il doit assumer une attitude qui dépasse
les us et coutumes en matière d’intimité psychique. Oui, le
psychologue est indiscret, oui, il pose des questions intimes,
oui, il veut aller au cœur de la vie psychique de l’autre…
sans pour autant dévoiler la sienne. La relation clinique est
dissymétrique, il faut l’assumer. Elle n’est pas une relation
réciproque et égale de ce point de vue, ce n’est pas une rela-
tion amicale. D’ailleurs, quand un médecin demande à son
patient de se déshabiller pour l’ausculter, le patient n’attend
pas en retour que le médecin se déshabille aussi ! Ni que le
dentiste lui montre ses caries ou que son banquier lui montre
ses comptes personnels !
Donc, le psychologue au travail n’est là ni pour parler de
sa vie personnelle, ni pour engager une relation personnelle
avec le patient. Il est là pour comprendre la vie psychique du
sujet et l’aider à la changer dans le sens que le sujet souhaite.

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Gérer les sollicitations personnelles 189

Tel est le repère et le guide principal : ne pas répondre direc-


tement aux sollicitations personnelles et assumer la dissymétrie
et le professionnalisme de la relation clinique. L’enjeu est de
préserver une relation permettant un travail clinique efficace.

2. Comment réagir à une sollicitation


personnelle sans y répondre ?

Le psychologue peut s’y prendre de trois façons, selon ce qui


lui paraît le plus pertinent.

2.1 Répondre par… le silence


Avec certains sujets, cela peut être un moyen d’indiquer
clairement que leur sollicitation est hors cadre : « Vous avez
un copain, vous ? » (Silence du thérapeute)… Le silence permet
de laisser « flotter » la question et d’amener le sujet à perce-
voir l’inadéquation de sa demande. Il est possible aussi de ne
pas répondre et d’enchaîner immédiatement sur un thème
en rapport avec le travail en cours : « Vous avez un copain ? »
Donc vous me disiez que vous étiez en difficulté dans vos relations
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

avec les filles ? Cela permet de compléter l’effet précédent et de


ramener le sujet sur le travail clinique. Si cela est fait de façon
fluide, le psychologue semble même n’avoir pas entendu la
question, ce qui produit un évitement utile permettant de
ne pas répondre, sans gêner le sujet et sans laisser la relation
clinique être parasitée par cette demande hors cadre.

2.2 Répondre par… une question


Parfois la sollicitation personnelle peut avoir un intérêt
clinique en ce qu’elle montre un trait problématique du

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190 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

fonctionnement psychique du sujet. Le sujet peut, par exemple,


avoir une forte tendance à la dépendance qui se manifeste dans
la relation au psychologue : « Mais vous, comment vous faites
quand vous êtes angoissé ? Et vous, avec vos enfants, vous
réagissez comment ? Et vous, avec votre femme, comment ça
se passe ? » Le psychologue peut alors demander : « Pourquoi
est-ce important pour vous de savoir comment moi je gère ces
situations ? ». Cela permet de renvoyer le sujet à la fonction
sous-jacente de sa question (obtenir des autres des réponses à
des questions qu’il devrait construire lui-même). En général
ça ouvre sur un travail clinique. Cela peut se faire aussi quand
le sujet cherche à transformer la relation clinique en relation
personnelle : « Vous êtes libre après le travail ? – Pourquoi
cherchez-vous à transformer notre relation de travail en une
relation personnelle ? » Ou encore, plus incisif : « C’est quelque
chose que vous faites souvent de transformer les relations
professionnelles en relations de séduction ? ». Là encore, ça peut
amener à un thème de travail clinique. Le psychologue doit
moduler ce type de réactions en fonction de ce qu’il ressent
de la relation et il ne doit surtout pas le faire dans un esprit
défensif ou pour écraser le patient, voire l’humilier. Sa façon
de faire doit exprimer un réel questionnement constructif sur
le fonctionnement du patient.

2.3 Expliquer en quoi la sollicitation


n’est pas adaptée
Dans certains cas, il pourra être utile d’expliquer au patient
pourquoi le psychologue ne répond pas à sa demande. Par
exemple : « Vous êtes libre après le travail pour boire un café
avec moi ? — Notre relation est professionnelle. Pour que je
puisse vous aider, il est essentiel que notre relation reste profes-
sionnelle ; si elle devenait personnelle, je ne pourrais plus vous
aider. D’accord ? Donc, nous ne nous verrons pas en dehors de
ce cadre professionnel. Revenons au travail que nous faisions ».

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Gérer les sollicitations personnelles 191

Ce peut aussi être plus cadrant, avec certains patients insis-


tants : « Nous ne sommes pas ici pour cela, mais pour effectuer
un travail précis. Donc revenons à ce travail ».
Cela dit, l’explication peut aussi porter sur le fonctionne-
ment psychique du sujet : « Mais vous comment vous faites avec
vos enfants ? — Je préfère ne pas répondre à votre demande, car
vous pourriez prendre à tort ce que je fais comme un modèle,
or ce qui compte, c’est la façon dont vous, vous allez faire les
choses en fonction de votre situation à vous… ». Ou encore :
« Vous me demandez régulièrement ce que vous devez faire
dans telle ou telle situation. Mais je ne crois pas que ça serait
bien que je réponde, c’est pour ça que je ne le fais pas, car en
réalité, je crois surtout qu’en faisant ça vous exprimez votre
anxiété et vous attendez de la réassurance plutôt que des
réponses pratiques. Qu’est-ce que vous en pensez ? ».
L’objectif de ces non-réponses est de préserver un cadre de
travail efficient. Bien sûr, dans un premier temps, cela peut
paraître frustrant pour le patient, mais c’est nécessaire pour
pouvoir l’aider au mieux à moyen et à long termes. Quand la
relation clinique devient réciproque, égale et personnelle, le
clinicien perd de fait la distance affective qui lui permettait
de penser la situation en position « méta ». Y étant lui-même
affectivement impliqué, il ne peut plus prétendre parler d’une
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

position réflexive, il n’est plus un observateur neutre et profes-


sionnel. Il devient une sorte de pseudo-ami (mais payé…),
soutenant sans doute, mais avec un impact clinique très limité.
Le psychologue doit garantir que le cadre relationnel reste
professionnel en ne répondant pas directement aux sollicita-
tions personnelles des patients.
Cependant, toute règle générale connaît quelques excep-
tions et doit être appliquée avec souplesse. Il est des cas où le
psychologue peut répondre aux sollicitations personnelles ou
apporter des informations sur sa vie personnelle. Le choix de
le faire ou non sera variable selon la personnalité du clinicien,

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192 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

ses référentiels théoriques, les situations cliniques, les patients


rencontrés et surtout le sens sous-jacent de la sollicitation
personnelle et de la réponse que le psychologue y apporte.

3. Dans quels cas répondre


aux sollicitations personnelles ?

Dans tous les cas, quand le psychologue choisit de le faire,


cela ne peut être que pour alimenter le travail clinique, donc
aider le patient à avancer, par exemple pour renforcer l’alliance
thérapeutique, pour apporter une information utile au sujet
ou dans le cadre de techniques spécifiques.
Mais il ne doit pas le faire juste pour le plaisir de parler de
soi ou pour son propre bien-être ou par manque de rigueur
dans la gestion du cadre relationnel ou encore pour se poser
comme modèle de ce qui est « normal » !
Le psychologue, s’il l’estime pertinent, peut dévoiler des
éléments de sa vie personnelle dans les situations suivantes :
– Si les questions portent sur la formation du psychologue,
ses diplômes, ses orientations théoriques, il est tenu d’y
répondre, car ce sont des questions légitimes : le patient est
en droit de savoir quelles sont les méthodes du professionnel
qui va s’occuper de lui (« Vous faites des études de psycho-
logie ? Et c’est quoi votre théorie, la psychanalyse ? Quelles
méthodes vous utilisez ? »). Finalement, ces questions sont
des questions professionnelles et pas vraiment personnelles.
– Il arrive, face à des événements graves (pandémie, attentats,
catastrophes naturelles, accidents graves…) qui touchent
la société dans son ensemble, que patient et thérapeute se
retrouvent en tant que citoyens partageant un vécu similaire
(« C’est terrible ce qui s’est passé, oui, ça peut faire peur, on
se sent vulnérables… ») ; alors le psychologue peut exprimer

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Gérer les sollicitations personnelles 193

son sentiment et le partager avec le patient. En quelque


sorte, l’événement dépasse la relation clinique. Cela dit, ce
partage est rapide et succinct et le psychologue reprendra
son rôle professionnel pour évoquer les effets probléma-
tiques sur le sujet de l’événement en question.
– Parfois les patients racontent des histoires très dures qu’ils ont
vécues et qui suscitent des émotions intenses, en particulier
des situations où les patients ont été victimes (de maltrai-
tance, d’accidents, de violence…). Il est alors difficile pour
le psychologue de rester neutre et impassible sans risquer de
sembler indifférent. Il peut être important qu’il reconnaisse,
d’une part, la violence de la situation, d’autre part le statut de
victime du sujet dans ces circonstances et donc qu’il donne
son avis personnel sur ce qui est évoqué : « Ce que vous avez
vécu est très dur, c’est très triste, vous avez subi des choses
vraiment difficiles » ; ou dans certains cas : « Ce que vous
décrivez, c’est du harcèlement moral (ou de la maltraitance),
ceux qui ont fait ça vous ont fait du mal, ça met vraiment en
colère, ce sont des délinquants et vous en avez été victime ».
Donc, dans ces cas-là, le psychologue donne un point de vue
et peut exprimer son ressenti. Cela est important pour que le
sujet victime puisse être reconnu comme tel afin de mieux
intégrer ce qu’il a subi (et limiter sa culpabilité, sa honte…).
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

– Il arrive que certains patients posent des questions sur la


vie personnelle du psychologue et qu’il soit pertinent que
celui-ci y réponde. Cela est rare, mais parfois la relation
clinique est suffisamment solide et saine pour que la ques-
tion et la réponse apportent à la relation plutôt qu’elles ne
la fragilisent. Dans ces cas, en apportant une information
personnelle (« Oui, je suis marié ; ou j’ai trois enfants ; ou
j’ai habité en province ; ou j’adore le foot ; ou je pratique tel
sport… »), le psychologue montre qu’en plus d’être profes-
sionnel, il a une vie personnelle qu’il assume et qui peut
éclairer le patient sur les interventions du psychologue. Cette
information indique parfois l’expertise du psychologue dans

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194 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

un domaine ou dans un autre. Dans ces cas, cela permet de


légitimer sa parole aux yeux du sujet. Il faut cependant que
ce soit utilisé avec prudence et parcimonie.
– Certains patients, en particulier déficients intellectuels
ou gravement handicapés par leurs troubles psychiques,
ou encore ayant besoin d’une aide permanente, vivent au
quotidien dans des institutions dans lesquelles le psycho-
logue travaille (par exemple dans les maisons d’accueil
spécialisées ou les maisons de retraite). Ils voient donc le
psychologue régulièrement et celui-ci participe de fait à leur
vie quotidienne. Une certaine familiarité s’instaure alors, au
fil du temps, et cette familiarité peut imposer que le psycho-
logue donne des informations personnelles pour préserver
une bonne relation avec ces sujets qui auraient du mal à
supporter une trop grande distance (« Oui, c’est ma voiture.
Pourquoi il y a un siège enfant ? C’est parce que j’ai un
petit garçon. Si je viens de loin ? Oui, assez, etc. »). On peut
retrouver cette familiarité dans le travail avec les personnes
âgées ou avec les enfants (« Tu as des enfants, toi ? »).
– Certaines techniques cliniques, en individuel ou en groupe,
peuvent impliquer l’engagement personnel du clinicien. De
nombreuses techniques TCC sont dans ce cas (relaxation,
mindfulness, exposition…). Cela concerne aussi d’autres
techniques non spécifiquement TCC, très courantes, par
exemple les groupes de parole ou encore les techniques de
jeux de rôles… À chaque fois, le clinicien est pris dans la
même situation clinique que les patients (bien que pas à
la même place) et il participe aux échanges d’expériences
systématiques qui suivent la technique (débriefing). Il lui est
donc difficile d’adopter une attitude extérieure à l’activité et
de ne pas faire partager son expérience. Donc, comme le font
le ou les patient(s) avec qui il a effectué ce travail, il pourra
faire part de son vécu durant l’activité ou de son opinion sur
tel ou tel thème qui est abordé, par exemple dans un groupe
de parole. Cependant, même si le clinicien peut faire part

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Gérer les sollicitations personnelles 195

de son expérience ou de son opinion (« Personnellement,


j’ai vécu cette situation comme assez difficile parce qu’à un
moment donné, ça fait peur et on ne sait plus comment le
gérer… »), il ne le fera pas dans le même but que le patient.
La nuance peut apparaître subtile mais elle est bien réelle.
Le clinicien apporte des éléments personnels non pas pour
bénéficier personnellement de la démarche thérapeutique,
ni pour se poser comme modèle à suivre, mais bien pour
partager ce qui, dans son expérience, peut enrichir l’expé-
rience du patient. Cela peut lui montrer d’abord que le
clinicien est aussi un être humain sensible, qui ressent des
émotions et n’a pas toujours des pensées rationnelles, ce
qui est normal (il n’est justement pas un modèle idéal) ;
ensuite, cela peut lui montrer que l’on peut ressentir des
émotions ou avoir en tête des idées effrayantes sans pour
autant en être débordé ni paniqué ; cela peut aussi apporter
au patient un point de comparaison pour mieux situer son
expérience propre en tant qu’elle peut être identique ou
différente de celle d’une autre personne (en l’occurrence le
clinicien), donc cela peut aider le sujet à prendre du recul
par rapport à son vécu personnel ; et, enfin, cela peut faciliter
l’expression difficile du vécu du patient, car il peut suivre
l’exemple du thérapeute qui vient de le faire lui-même et qui
y a « survécu ». Dans ces cas, le clinicien peut donc utiliser
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

l’expression de soi comme une technique thérapeutique


pour aider le patient de diverses façons.
Il est donc des cas où le travail clinique peut gagner au
dévoilement personnel du clinicien. Cependant cela ne doit
se faire, à chaque fois, qu’avec parcimonie et dans l’intérêt
du travail clinique en cours. Le clinicien empruntera cette
voie avec prudence, car les sirènes narcissiques ont un chant
puissant et agréable qui risque toujours de retentir quand on
donne une trop grande place à son ego, soit pour la satisfaction
personnelle de parler de soi à un patient captif, soit pour se
poser en modèle de normalité, face à un patient vulnérable.

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11
Cha
pitre

LES ATTITUDES
« ANTI-
THÉRAPEUTIQUES »
DU PATIENT

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aire
m
So m

1. Repérer et gérer les réactions du clinicien .......... 200


2. Compréhension multi-niveaux de la situation ..... 202
3. Le manque d’investissement................................. 204
4. La méfiance vis-à-vis de la thérapie ...................... 209
5. Et si le patient perd sa motivation
pour l’intervention clinique ?................................. 216

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Durant ses interventions et ses entretiens, le psychologue est

Pa
rt
naturellement tourné vers ses objectifs et il s’attend à ce que
le patient collabore, qu’il suive les techniques proposées, qu’il

ie
vienne aux rendez-vous, qu’il soit ponctuel, bref, qu’il agisse
en direction de l’objectif de l’amélioration de sa vie psychique
et de son mieux-être. De fait, ces attentes du psychologue sont
assez souvent comblées. Cependant fréquents sont les cas où
des obstacles surviennent du côté du patient. On peut alors
penser qu’il a des attitudes « négatives », qu’il agit contre son
propre intérêt ou qu’il ne respecte pas le contrat thérapeutique.
Nombreuses sont les façons dont le patient peut exprimer
des attitudes contraires à la dynamique de la thérapie :
– Tout d’abord il peut ne pas respecter le cadre : absences régu-
lières, retards chroniques, exigence de raccourcir l’entretien,
entretien interrompu régulièrement (téléphone portable par
exemple).
– Le patient peut aussi montrer une certaine passivité qui nuit
à l’intervention : il parle peu, ne collabore pas, ne donne
pas son avis, il ne fait pas les exercices demandés, ne suit
pas les suggestions du clinicien… Parfois il semble ne pas
comprendre l’intervention clinique, les remarques du théra-
peute, ses conseils. Il peut alors répondre à côté et ne pas
suivre le clinicien dans sa logique thérapeutique.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

– Le patient peut aussi montrer une certaine méfiance, voire de


l’agressivité vis-à-vis de l’action clinique en cours, remettre
en cause les suggestions du clinicien. Il arrive aussi que le
patient ne donne pas toutes les informations nécessaires au
travail clinique, voire qu’il mente au clinicien.
– Enfin, le sujet peut ne jamais sembler s’en sortir, un problème
remplaçant l’autre en permanence, réduisant les efforts du
thérapeute à néant car, finalement, « ça ne va jamais… ».
C’est aussi le cas des patients dont les troubles n’évoluent
pas malgré la thérapie ou même qui régressent, parfois après
une phase d’amélioration prometteuse. Certains patients

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200 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

semblent se complaire dans des troubles qu’ils entretiennent


plus ou moins activement.
Ces situations où le patient semble d’une façon ou d’une
autre bloquer ou ralentir la thérapie, sont très différentes les
unes des autres mais elles ont en commun de se présenter
comme des obstacles à l’intervention clinique. Et ces obstacles
ont souvent pour effet de produire, chez le clinicien, de la
frustration, de l’agacement, du doute, voire de l’angoisse sur
ses capacités. Et il n’est pas rare alors qu’il en veuille plus ou
moins au patient, le rendant, au moins partiellement, respon-
sable (voire coupable) de cette situation de blocage…
Ce sont souvent des moments clés de l’intervention clinique.
Les réactions du clinicien seront alors décisives pour surmonter
ou non la difficulté, pour maintenir de bonnes conditions de
travail ou, au contraire, mener à l’interruption de ce travail. Il
est donc important de bien comprendre ce qui se passe dans
ces situations de façon à adopter les attitudes les plus propices
à un bon travail clinique.

1. Repérer et gérer les réactions


du clinicien

Ces situations sont repérables par les éléments décrits


ci-dessus, mais aussi par ce qu’ils provoquent souvent chez le
clinicien : frustration, agacement, énervement portant sur le
patient, parfois doutes et craintes de ne pas être à la hauteur
pour aider ce patient-là, ou de l’ennui et l’envie d’interrompre
le suivi, ou encore de se réjouir quand ce patient ne vient pas
au rendez-vous…
La première des choses à faire est de repérer ces réactions
intérieures de façon lucide et honnête sans en rajouter avec des
sentiments de honte, de gêne ou de culpabilité. Les réactions du

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Les attitudes « anti-thérapeutiques » du patient 201

psychologue participent du travail clinique. Que le patient ait


des attitudes entravant le travail clinique et que cela produise
des réactions négatives, voire agressives, a priori peu éthiques
et professionnelles, chez le clinicien, ne doit pas occasionner
des émotions et des cognitions surajoutées du type : « Je ne
devrais pas ressentir ça » ; « Je suis un mauvais psychologue si
je n’apprécie pas tous mes patients » ; « Je ne suis pas capable
de créer une bonne alliance », etc. Ces pensées sont fréquentes
chez les jeunes psychologues, mais elles ne font que compli-
quer la situation. À partir du moment où il constate ces pensées
« négatives » en lui, le psychologue ne doit se tourner ni vers la
culpabilité, ni vers l’angoisse, mais vers leur compréhension et
leur analyse dans le cadre du travail clinique en cours.
Donc, la deuxième chose à faire est d’analyser ces réac-
tions. Qu’est-ce qui, chez ce patient, produit chez moi ces
réactions d’agacement ? Pourquoi n’ai-je pas envie de le rece-
voir ? Pourquoi suis-je angoissé avant les entretiens avec lui ?
Qu’est-ce qui fait que je me réjouis à la pensée qu’il puisse
arrêter ce suivi avec moi ? En prenant le temps de relire le
dossier du patient, d’en parler avec des collègues ou en super-
vision, le psychologue cherche des réponses précises à ces
questions. Ainsi il repère ce qui, chez ce patient, produit sa
réaction « négative ». Est-ce une attitude critique subtile ? Le
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

fait qu’il ne suive pas les conseils ou ne fasse pas les exer-
cices proposés ? Une plainte permanente associée ou non à
l’immobilité de la situation ? Ou des retards permanents et
des absences qui semblent irrespectueux du travail en cours
et du psychologue ? Etc. Cela permet de dépasser une attitude
de rejet global « du patient » et d’aller vers une compréhension
plus fine de la situation et de ce qui y pose problème.
La troisième chose que peut faire le psychologue est d’es-
sayer de comprendre pourquoi le sujet agit ainsi. Il lui faut
alors envisager les différents niveaux pouvant être impliqués
dans cette attitude du patient. Cette réflexion doit être menée
en prenant en compte quelques principes de base :

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202 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

– L’attitude « négative » du patient fait partie du problème et


n’est pas juste un obstacle à la résolution du problème. Par
exemple la phobie, qui semblait le problème principal à
traiter, semble être comorbide d’un trouble de la personna-
lité qui s’exprime par de la méfiance et qu’il va falloir inclure
dans la stratégie thérapeutique.
– L’attitude négative du patient n’est pas une remise en cause
personnelle du psychologue (même s’il peut la ressentir comme
telle), mais un élément du problème à traiter.
– L’attitude négative du patient obéit à une rationalité, donc à
des raisons, qui sont propres au patient, qu’il peut ignorer lui-
même, et qu’il convient de comprendre. Il faut comprendre
la situation du point de vue du patient et donc se départir
du ressenti spontané du psychologue.
Pour comprendre ces situations le psychologue doit réfléchir
en prenant en compte plusieurs niveaux et en formulant des
hypothèses qui orienteront ensuite ses actions.

2. Compréhension multi-niveaux
de la situation

Les niveaux de compréhension des attitudes négatives du


patient sont tous les niveaux impliqués dans l’intervention
clinique.
Tout d’abord, il peut y avoir des problèmes dans l’alliance théra-
peutique qui pourraient expliquer que le patient soit méfiant
ou en difficulté pour s’engager. Le psychologue doit se ques-
tionner sur ce qui, dans son attitude avec ce patient-là, pourrait
produire ses réticences. Le clinicien est-il trop distant (ou trop
proche), ironique, trop léger ou encore pessimiste et méfiant ?
Ou bien agit-il sans tenir compte de l’avis du patient ? Y a-t-il
dans la personnalité du patient des éléments qui gênent le

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Les attitudes « anti-thérapeutiques » du patient 203

clinicien ? En dehors des attitudes négatives du patient, le clini-


cien aime-t-il bien ce patient ? Sinon, pourquoi ? À l’aide de ce
type de questionnements, le clinicien peut progressivement
déterminer si oui ou non, son attitude à l’égard du patient a
pu déclencher chez ce dernier une réaction négative.
Si la réponse est oui, il serait intéressant que le clinicien
modifie son attitude, ce qui lui permettra, d’une part, de
vérifier si son hypothèse est la bonne (si le patient change
lui-même ses attitudes négatives) et, d’autre part, d’améliorer
la situation.
Il peut aussi y avoir des problèmes dans le cadre et/ou les objectifs
de l’intervention. Le mieux, pour le vérifier, est de le demander
directement au patient (« Est-ce que, dans la façon dont nous
travaillons, il y a des choses qui vous posent problème, que
vous préféreriez que nous fassions autrement ? Par exemple,
la régularité des rendez-vous, le fait que nous nous voyions
à l’hôpital, la façon dont nous abordons vos problèmes… ?
Etc. » ; « Y a-t-il dans l’institution quelque chose qui vous
pose problème ? » ; « Nous avions décidé de travailler sur tel
problème, est-ce que cela vous paraît toujours pertinent ? »).
Bien sûr, si le patient soulève un problème, le psychologue se
doit de l’entendre et d’adapter le cadre et/ou les objectifs, dans
la mesure du possible, selon ce qu’il estime pertinent. Et quand
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

le cadre ou les objectifs ne sont pas adaptables, il convient


d’expliquer pourquoi au patient.
Enfin, il peut, dans la vie du patient, se produire des événe-
ments qui le perturbent et gênent son investissement dans
la thérapie. Il sera bon d’interroger le patient à ce propos :
« Comment cela se passe-t-il pour vous en ce moment (au
travail, dans votre couple, avec vos amis, votre santé… etc.) ?
Est-ce qu’il y a des événements particuliers dans votre vie en
ce moment, des choses difficiles ? ».
Donc, dans un premier temps, le psychologue doit pouvoir
se remettre en cause dans ses attitudes et remettre en cause

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204 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

le cadre et les objectifs du travail clinique en cours. Il ne doit


cependant pas tomber dans une remise en cause permanente,
ni une culpabilité déplacée à chaque fois qu’un problème se
pose dans l’intervention clinique.
Il arrive aussi que les attitudes « anti-thérapeutiques » du
patient soient des indices de difficultés plus générales chez
lui qui se manifestent lors de l’intervention clinique comme
elles se manifestent en dehors de l’intervention. On peut envi-
sager deux types de difficultés : le manque d’investissement du
patient d’une part, et son hostilité vis-à-vis de l’intervention
d’autre part.

3. Le manque d’investissement

Le manque d’investissement, comme on l’a vu, peut se


manifester de nombreuses façons (absences, retards, manque
d’engagement, etc.). On parle là de comportements hors
cadre, réguliers de la part du patient et non d’une absence
ou d’un retard occasionnel et compréhensible pour lequel on
peut montrer de la souplesse et être arrangeant. Mais quand le
patient est régulièrement absent ou en retard, le psychologue
peut avoir l’impression d’un manque de motivation de sa part,
d’une attitude négligente vis-à-vis de la thérapie ou, pire, de
lui-même. La tentation est alors forte de montrer son mécon-
tentement au patient, de vouloir en quelque sorte le « forcer »
à s’engager en adoptant une posture autoritaire (« Il faut que
vous fassiez plus d’efforts » ; « Il faut vous motiver » ; « On ne
pourra pas continuer comme ça »). Cette posture autoritaire, si
elle n’est pas réfléchie, sied mal à l’alliance thérapeutique et à
la collaboration, ainsi qu’à la possibilité de réflexion « méta »,
il vaut mieux l’éviter en général, bien que l’on puisse, après
réflexion, choisir de l’adopter stratégiquement.

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Les attitudes « anti-thérapeutiques » du patient 205

3.1 Que faire alors ?


Concernant les écarts au cadre, le psychologue peut, simple-
ment et de façon systématique, pointer, sans agressivité ni
agacement, ce qui peut apparaître comme des « manquements »
du patient (« Vous êtes en retard… » ; « Vous étiez absent la
semaine passée, que s’est-il passé ? » ; « Ah, vous n’avez pas pu
faire ce dont nous étions convenus ? »). Il peut aussi indiquer
en quoi cela est gênant pour le travail en cours (« Il nous reste
peu de temps alors, pour la séance d’aujourd’hui » ; « C’est
dommage que vous ne soyez pas venu car nous aurions pu
faire ceci ou cela, nous allons devoir le faire aujourd’hui » ;
« C’est embêtant car cela va nous obliger à faire ici, durant cette
séance, ce que vous deviez faire chez vous »). Cela permet de ne
pas passer sous silence, de ne pas banaliser ces « manquements »
du patient, sans pour autant les lui reprocher directement.
On constate leur existence et leurs conséquences négatives
sur l’intervention clinique. Après tout, la psychothérapie est
celle du patient, à lui de faire ce qu’il peut/veut pour la faire
avancer ou non. Au psychologue la fonction de constater et
de formuler les conséquences de ces manquements à l’inves-
tissement du patient.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Et le respect excessif du cadre ?


Certains patients sont toujours à l’heure, font scrupuleusement
tous les exercices demandés et suivent tous les conseils du
clinicien. Parfois ils prennent attentivement des notes durant
l’entretien pour être sûrs « de ne rien rater ». Ils attachent une
grande importance au respect du cadre et supportent mal les
manquements au cadre. D’un certain point de vue, ils peuvent
sembler des patients parfaits ! Mais être trop respectueux du
cadre peut refléter des traits de personnalité problématiques.
Le sujet dépendant respecte le cadre parce qu’il est soumis à la

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206 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique


parole et aux actes du clinicien. C’est loin d’aller vers l’objectif
d’autonomie et de liberté que vise la thérapie ! Le patient avec
une personnalité anankastique (obsessionnelle) s’attache au
cadre de façon rigide, au détriment d’un travail plus profond et
émotionnel. Son rapport rigide au cadre le rassure mais bloque
le travail de fond, c’est en fait une sorte d’évitement. Ainsi, l’in-
vestissement « parfait » du cadre est en réalité dans ce cas un
symptôme !
Le clinicien doit être attentif aux dynamiques sous-jacentes
qui déterminent les comportements des patients vis-à-vis de la
thérapie. Des comportements apparemment positifs peuvent être
des expressions symptomatologiques, alors que des attitudes
vécues négativement par le clinicien peuvent être des signes de
bonne santé mentale ou de progrès de la part du patient…

Il est important que le thérapeute, malgré ces manquements,


maintienne le cadre clinique. Cela signifie concrètement que
si le patient est en retard, on le reçoit, mais seulement sur le
temps prévu restant (si cela a un sens, ce qui n’est pas le cas
s’il reste seulement 5 minutes qui seront consacrées à pointer
le problème et à fixer le rendez-vous suivant, si cela a du sens).
Si le patient est absent à un rendez-vous, il sera bien que le
rendez-vous suivant ne soit pas automatiquement fixé, mais
que le patient le confirme activement. En libéral, quand le
patient paye lui-même ses séances, on peut lui faire payer les
séances qu’il rate sans avoir prévenu dans un certain délai (24
ou 48 heures, le plus souvent). Avec certains sujets, ces actions
du psychologue peuvent suffire à les faire revenir à un respect
du cadre et du travail en cours. Pour d’autres, cela ne change
rien et les « manquements » continuent.
Plusieurs attitudes sont alors possibles de la part du
psychologue.
– Il peut… ne rien faire et simplement accepter ces écarts au
cadre (tout en les pointant, en montrant leurs conséquences

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Les attitudes « anti-thérapeutiques » du patient 207

et en respectant lui-même le cadre, comme on l’a vu plus


haut). Cela est possible dans les cas où, malgré ces écarts, le
psychologue perçoit que le travail avance (n’oublions pas
que c’est le patient qui fait l’essentiel du travail et qu’il peut
le faire en dehors des séances. Le fait d’« être en thérapie »,
même de façon irrégulière, peut suffire à créer une dyna-
mique qui fasse avancer ce travail). Bien que cela puisse
être désagréable et bancal pour le psychologue, tant que le
patient avance vers l’objectif fixé, le clinicien peut tolérer les
écarts au cadre. Le cadre est un moyen de l’action clinique,
pas son objectif. Mais souvent, l’irrespect régulier du cadre
s’accompagne d’une inefficacité thérapeutique. Il faut donc
amener le patient à revenir dans le cadre clinique qui a été
négocié ensemble.
– Jouer d’autorité : pour ce faire, le clinicien peut jouer d’une
position autoritaire de façon réfléchie, en rappelant l’impor-
tance du respect du cadre (« Il faut venir à l’heure » ; « Il faut
que vous respectiez le contrat passé, sinon on ne va pas
y arriver », etc.). Le clinicien peut aussi poser comme un
ultimatum : « Si vous avez encore des retards, je serai dans
l’impossibilité de continuer ce travail avec vous ». Avec des
patients sensibles à l’autorité, cela peut suffire à réduire leurs
écarts au cadre et à reprendre le cours « normal » de l’inter-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

vention clinique. Cependant avec de nombreux patients,


cela peut aussi avoir l’effet inverse, en particulier avec les
patients hostiles dans la thérapie dont nous parlerons plus
bas.
– Une autre façon d’aborder ces non-respects du cadre est
d’en parler directement avec le patient pour essayer de
comprendre ce qui l’empêche de respecter le cadre.

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208 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

3.2 Les problèmes cognitifs


Outre qu’il peut y avoir des problèmes organisationnels
concrets (problèmes d’emploi du temps, de transport, ou
de temps ou de lieu pour faire convenablement ce qui est
demandé – remplir des questionnaires, faire des exercices,
suivre un conseil…), la plupart du temps, ce qui fait problème
dans la thérapie, ce sont simplement les expressions des symp-
tômes pour lesquels le patient consulte. Pourquoi le cadre
thérapeutique devrait-il être exempt de ces manifestations
pathologiques ?
Le patient peut, par exemple, avoir des difficultés cogni-
tives de compréhension, d’attention, d’organisation qui
l’empêchent d’agir d’une façon correctement structurée. Sans
doute ne comprend-il pas les demandes du thérapeute ? Peut-
être a-t-il des problèmes d’orientation temporo-spatiale ou
d’organisation ? Dans ces cas-là, il est pertinent que le clini-
cien aide le sujet à surmonter ce problème. Soit en palliant
partiellement les effets du problème (si le patient oublie les
rendez-vous, rien n’interdit de les lui rappeler la veille avec
un SMS, de même s’il est en retard régulièrement) ; on peut
aussi déplacer le rendez-vous à un horaire plus « facile » pour
le patient. Soit en formalisant de façon plus compréhensible
les demandes du clinicien (les écrire, vérifier qu’elles ont été
bien comprises, ralentir le rythme de l’intervention, faire des
pauses…).

3.3 Le poids des symptômes


Il faut aussi tenir compte du fait que les symptômes psycho-
pathologiques de certains patients peuvent avoir des effets
sur la prise en charge et le respect des contraintes qu’elle
impose : fatigue, angoisse, phobie des transports, perte de
dynamisme, d’envie, apragmatisme… Les traitements psycho-
tropes ont aussi des effets secondaires qui peuvent gêner le

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Les attitudes « anti-thérapeutiques » du patient 209

travail clinique, comme l’indifférence affective, l’augmenta-


tion des temps de réaction… Il convient donc que le clinicien
soit compréhensif et ouvert dans ces situations. Les attitudes
« négatives » du patient ne sont sans doute que l’expression
de ses symptômes, symptômes que la thérapie a pour objectif
de réduire. Le clinicien ne peut alors pas se plaindre de leur
présence !
Les troubles du patient se manifestent aussi dans leurs
aspects relationnels qui peuvent gêner la dynamique théra-
peutique. Par exemple, les sujets souffrant d’anxiété sociale
massive seront souvent en peine pour s’engager dans la relation
thérapeutique, donner leur avis, faire des suggestions, raconter
leurs difficultés… Le clinicien peut alors avoir l’impression
que le sujet est indifférent à la thérapie, qu’il est passif et peu
motivé… Mais en réalité, ses silences sont l’expression de ses
angoisses relationnelles que la thérapie s’efforce de traiter.
Bref, les difficultés du patient à s’engager dans la thérapie
peuvent devenir des objectifs de la thérapie.

4. La méfiance vis-à-vis de la thérapie


© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Le patient exprime parfois, sous diverses formes, de l’hosti-


lité vis-à-vis de la thérapie. Il peut montrer des mouvements
passifs-agressifs (par ses absences, ses retards, une attitude de
retrait volontaire dans la relation…), il peut aussi montrer de
la méfiance et du doute sur le bien-fondé de l’intervention
ou des attitudes du clinicien (« M’ouais, peut être… si vous
le dites… »). Il peut aussi sembler directement hostile (« Moi,
je n’y crois pas, mais bon, on va essayer quand même »). Il
peut aussi se plaindre régulièrement (« Ça n’avance pas, j’en ai
marre, à quoi ça sert tout ça… Je souffre, personne ne s’occupe
de moi, ni ne m’aide… ») … Autant de situations qui sont
désagréables et déstabilisantes pour le psychologue.

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210 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

4.1 Le poids des répétitions


des relations intériorisées
Après qu’il a éliminé la possibilité que les remises en cause du
patient soient justifiées et rationnelles, le clinicien peut consi-
dérer ces expressions comme des éléments de la vie psychique
du patient, par exemple des schémas relationnels profonds
(ou des relations d’objet) qui se répètent dans la thérapie. Les
patients souffrant de troubles de la personnalité dépendante
peuvent avoir tendance à déborder le cadre, à trop solliciter le
clinicien, car ils attendent que l’autre leur indique comment
agir et comment régler leurs problèmes. Les sujets souffrant
de trouble de la personnalité paranoïaque peuvent montrer de
la méfiance et retenir leur engagement, car ils ont en eux le
schéma que les autres sont potentiellement hostiles et qu’on
ne peut donc pas leur faire confiance. Les sujets souffrant de
troubles de la personnalité borderline ont des difficultés parti-
culières à s’engager dans le cadre et la relation thérapeutique,
car ils ont souvent en eux une tendance à la dépendance et à
la peur de l’abandon et en même temps une crainte d’une trop
forte proximité. Ainsi, il leur est très difficile d’entretenir des
relations stables et régulières. Trop loin, ils se sentent aban-
donnés, donc ils se rapprochent (en thérapie, ils font part de
leur intimité psychique et s’engagent dans le travail) mais,
une fois proches, ils craignent une possible confusion avec
l’autre, voire son hostilité, alors ils s’éloignent (donc ils ratent
un rendez-vous, expriment de la méfiance, se referment).
Mais une fois loin, ils se sentent abandonnés… On voit bien
comment ces mouvements relationnels peuvent perturber le
travail clinique. Pour chaque schéma dysfonctionnel (TCC),
ou chaque relation d’objet problématique (psychanalyse), ou
encore pour chaque mythe familial pathogène (systémie),
on en retrouve l’expression spécifique dans l’intervention
clinique.

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Les attitudes « anti-thérapeutiques » du patient 211

4.2 Les répétitions relationnelles objets


du travail clinique
Dans ces cas-là, le clinicien devrait en parler avec le patient.
Cela doit se faire avec beaucoup de tact. Ce qui rend délicat
cet abord est que, généralement, ces attitudes négatives ou
hostiles du patient ont pour fonction de l’aider à réguler ses
angoisses et que cela se fait au travers de la relation clinique. En
en parlant ouvertement, le clinicien remet donc en cause cette
stratégie défensive et donc la distance relationnelle imposée
par ce fonctionnement du patient. Il s’agit de passer du « Je
ne suis pas d’accord avec vous » du patient, à un « Ce « pas
d’accord » est une partie de vous qui s’exprime dans la relation
et sur laquelle on peut être d’accord de travailler ensemble ».
En fonction de chaque situation, de la personnalité du patient,
du contexte psychopathologique, de l’état de la relation, de
la personnalité du clinicien, ce dernier, avec tact et empathie,
peut introduire ce questionnement de diverses façons. Voici
quelques exemples d’interventions possibles :
« J’aimerais aborder un point dont on n’a pas encore parlé
jusqu’ici. C’est vraiment un questionnement que je vous
soumets. Nous avons remarqué que vous étiez régulièrement
en retard à nos rendez-vous. Et comme je ressens aussi par
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

ailleurs une certaine distance de votre part dans notre relation,


je me demandais si tout cela n’était pas une façon de garder
vos distances dans la relation, de garder le contrôle, peut-être
comme s’il y avait pour vous quelque chose de gênant dans
la relation. Et je me demandais si cela ne concernait pas aussi
la plupart des relations que vous avez. Car nous parlions, la
dernière fois, de votre relation à vos collègues et il me semble
que vous exprimiez ce même souci de garder un certain
contrôle et une distance… Qu’est-ce que vous en pensez ? »
« Cela fait plusieurs fois que malgré votre accord préalable,
au final, vous ne faites pas ce que j’avais proposé. Comment

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212 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

ça se fait ? Je me demande si ce n’est pas pour vous une façon


en quelque sorte de « désobéir », c’est-à-dire de ne pas risquer
de vous trouver sous ma dépendance en faisant ce que je dis…
Cela pourrait correspondre à une crainte que vous avez, dans
d’autres circonstances, d’être sous la dépendance de quelqu’un
d’autre ? »
« Bien que notre travail se passe bien et que vous soyez tout à
fait investi dedans, je ressens quand même comme une certaine
méfiance de votre part dans notre relation. Vous semblez très
prudente, assez réactive quand j’exprime certaines choses. Un
peu comme si vous aviez l’idée que je pourrais dire des choses
désagréables ou que je pourrais vous être hostile, sans doute
vous juger mal. C’est quelque chose que vous avez remarqué
chez vous dans d’autres relations ? »
Ou, dans les cas où le sujet surinvestit le cadre : « Je remarque
que vous êtes très attentif à respecter le travail que nous
faisons. C’est bien, vous êtes très sérieux. En même temps,
aujourd’hui vous êtes arrivé avec un peu de retard, vous vous
en êtes excusé, il n’y a pas de problème, mais j’ai ressenti que
cela vous gênait vraiment beaucoup, et même que ça vous
angoissait. Je me trompe ? — Non, c’est vrai, je ne supporte
pas d’être en retard. — En même temps, il ne s’agissait là que
de quelques minutes de retard. Pourquoi cela vous angoisse-
t-il à ce point ? »

Et quand ça se passe trop bien ?


Et quand le patient est présent à chaque séance, à l’heure, qu’il
s’engage avec force dans la thérapie, qu’il en est satisfait et
qu’il trouve son thérapeute très bon et qu’il le lui dit ? Quand
cela s’accompagne d’un sentiment de fierté du thérapeute lié à
des pensées positives (« Je suis quand même bon, qu’est-ce que
j’apprécie ce patient… ! »), faut-il s’inquiéter ? Sans doute. Il est
des schémas dysfonctionnels qui produisent ce type de situations.

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Les attitudes « anti-thérapeutiques » du patient 213


Le patient dépendant qui attend tout de l’autre peut idéaliser le
clinicien et la thérapie ! Aussi agréable, flatteur et narcissisant que
cela soit pour le clinicien, il n’en reste pas moins que ce type de
relations est dysfonctionnel. D’ailleurs, l’idéalisation du clinicien
est souvent le pendant de la dévalorisation du patient. Donc plus
le clinicien se sent flatté, plus il peut en déduire que l’estime de
soi du patient s’effondre. De plus, être l’idéal de quelqu’un, ça
n’a qu’un temps. L’idéal est toujours décevant, forcément. Donc
ce type de relations, agréables au départ, repose sur une illusion
qui ne manquera pas de s’effondrer à un moment ou à un autre.
Il appartient au clinicien de ne pas céder aux sirènes de son ego et
de préserver sa capacité à penser la situation clinique à plusieurs
niveaux.

4.3 Quand l’amélioration fait peur…


Une thérapie qui avance bien produit toutes sortes de chan-
gements. Or, entre la situation antérieure que l’on veut changer
et la situation à venir que l’on espère, il y a une période de
flottement, de crise, d’incertitude : on sait ce que l’on perd,
mais on ne sait pas ce que l’on va devenir ! Et cette incertitude
peut être anxiogène, et cette anxiété susciter des réticences vis-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

à-vis de la thérapie. Par ailleurs, une thérapie qui avance bien


suscite des prises de conscience dont le patient se serait parfois
bien passé. Ce peut être sur sa vie imaginaire, plus violente et
immorale qu’il ne le pensait et qui heurte son image de lui
ainsi que ses valeurs… Les prises de conscience peuvent aussi
porter sur des liens affectifs concernant des personnes réelles
de son entourage (amour, désamour, jalousie, haine…) dont
le sujet n’avait pas conscience. Une thérapie efficace peut être
vécue comme l’ouverture de sa boîte de Pandore personnelle…
Pour pallier ces réactions de répulsion face à une thérapie
qui avance bien, le thérapeute devrait en parler avec le patient

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214 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

et bien entendre ses craintes. Dans un deuxième temps, il peut


resituer les événements anxiogènes dans la dynamique posi-
tive de la thérapie en expliquant les processus en jeu et leur
intérêt pour l’amélioration à venir. Expliquer aussi qu’une vie
psychique « normale » constituée d’un imaginaire riche, en
partie inconscient, qui se soucie peu de morale et de conve-
nances, peut être nécessaire. Préciser qu’il ne faut pas confondre
cet imaginaire (qu’il n’est pas pertinent de juger moralement)
avec les comportements effectifs de la personne. En bref, la
valeur d’une personne s’évalue sur ses valeurs morales et sur la
façon dont elle règle ses comportements sur ces valeurs, et non
sur son imaginaire, qui est pour tous naturellement amoral.
Tout cela pour dire que l’amélioration peut poser des
problèmes qui peuvent gêner le patient. Et qu’il est bien, si
l’on voit que cela se produit, d’en parler avec lui : « Si votre
situation (problème) s’améliore, quels problèmes cela pourrait-
il poser dans votre vie ? » Le patient est souvent étonné de cette
question, mais à la réflexion plusieurs réponses peuvent fuser
comme : « J’ai passé ma vie à penser à l’angoisse et comment
l’éviter, mais si elle est moins forte, à quoi je vais pouvoir
penser ? » ; « Maintenant que je ne me cache plus à moi-même,
je me sens plus à l’aise pour aller vers les autres, je me demande
quelle personne je vais être finalement, ça m’inquiète » ; « À la
maison comme j’étais anxieux, j’anticipais tous les problèmes,
maintenant je ne le fais plus et ça inquiète mon mari, qui me
l’a reproché… » ; « Depuis que j’ai dit à ma mère que je pouvais
gérer mes affaires moi-même, elle n’est plus pareil, elle est
distante, déprimée… » ; etc.
Autant en parler ouvertement pour aider le patient (et son
entourage le cas échéant) à mieux s’adapter à ces changements.

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Les attitudes « anti-thérapeutiques » du patient 215

4.4 Pouvoir arrêter l’intervention clinique


Dans les cas extrêmes, l’attitude du patient peut empêcher
toute progression dans la thérapie sans que le clinicien ait de
prise sur cela. Le clinicien peut alors mettre fin à l’intervention :
« Nous ne pouvons pas continuer comme cela. Tant que vous
aurez cette attitude, nous ne pourrons pas avancer. Donc nous
allons arrêter là ce travail ». On peut aussi faire une pause (par
exemple un mois) et dire au patient de réfléchir sur les possibi-
lités qu’il a de s’engager vraiment dans la thérapie. Et qu’alors,
s’il conclut qu’il est prêt, il peut recontacter le clinicien pour
une nouvelle tentative. Il est toujours difficile de renvoyer un
patient et d’interrompre une relation d’aide, mais parfois, il
serait pire de continuer une pseudo-relation thérapeutique qui
ne fait qu’enfermer le patient dans ses difficultés. Puisque le
travail clinique ne fonctionne pas, par son acte d’interruption,
le psychologue envoie un message clair qui pourra sans doute
être utile au patient pour une thérapie future.

4.5 Conclusion
En conclusion, pour gérer ces situations délicates, le clini-
cien doit garder en vue l’objectif de la thérapie et, autant que
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

possible, il doit intégrer ces difficultés comme des éléments du


travail clinique en cours. À ce titre il doit s’efforcer d’observer
et de comprendre ces difficultés en construisant des hypo-
thèses prenant en compte la diversité des niveaux engagés
dans cette situation clinique. Par ailleurs, le fait que le patient
maintienne un lien, même fragile, même désagréable, avec le
thérapeute, dans la très grande majorité des cas, indique que,
d’une façon ou d’une autre, l’alliance est toujours possible et
que le travail clinique a encore une chance de s’effectuer.

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216 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

Que faire quand le patient a des attitudes


« anti-thérapeutiques » vis-à-vis de la thérapie ?
1. Si le clinicien a des réactions négatives vis-à-vis des attitudes
du patient, les repérer (émotions, pensées, comportements).
2. Les analyser et déterminer leurs liens avec les attitudes « néga-
tives » du patient.
3. Observer et décrire précisément les attitudes négatives du
patient, leur forme d’expression, leur moment d’apparition,
leur évolution.
4. Construire des hypothèses multi-niveaux pour expliquer les
attitudes du patient.
5. En parler avec le patient.
6. Agir avec le patient en fonction de ces hypothèses.

5. Et si le patient perd sa motivation


pour l’intervention clinique ?

La motivation est le moteur de l’engagement et du change-


ment et cela est particulièrement vrai pour les interventions
cliniques. Sans motivation intrinsèque (donc qui provient du
sujet lui-même), l’intervention clinique sera très difficile, voire
impossible et le premier travail du clinicien sera de la faire
émerger dans la mesure du possible. Parfois, bien que motivé
au départ, le patient perd sa motivation durant l’intervention
elle-même. Le clinicien en principe le ressent assez nettement
et il peut se demander d’où vient ce découragement subit.
Les raisons peuvent être variées :
– un problème dans l’alliance thérapeutique qui fait que le
patient se désengage de la relation et donc de la thérapie ;
– un retour des symptômes après une période d’amélioration ;

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Les attitudes « anti-thérapeutiques » du patient 217

– une accumulation de problèmes extérieurs à la thérapie qui


fait que le patient a l’impression que ses efforts n’améliorent
pas sa situation ;
– des progrès qui tardent à venir.

5.1 Importance de l’alliance


Des problèmes dans l’alliance thérapeutique peuvent atté-
nuer la motivation thérapeutique au changement. De fait, bien
que la motivation soit intrinsèque, elle n’en repose pas moins
sur l’alliance thérapeutique. Pour une part, le sujet avance avec
et pour le clinicien. La relation clinique n’est pas seulement la
relation réelle, mais aussi la relation imaginaire intériorisée par
le patient. En quelque sorte, en ce qui concerne son évolution
psychologique, le patient s’appuie sur ce qu’il a intériorisé du
thérapeute, de ses paroles et de ses réactions. C’est ainsi qu’il
rapporte qu’en dehors des séances, par exemple : « J’ai pensé
à vous, à ce que vous diriez à ce moment-là ». Et ce clinicien
intériorisé doit être identifié à une dynamique de changement.
Cette dernière contribue, parmi d’autres facteurs, à la moti-
vation du sujet à changer. Ainsi, si l’alliance thérapeutique
tourne à la défiance, le clinicien intériorisé chez le patient
perdra de son pouvoir dynamisant, ce qui réduira fortement
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

la motivation du sujet.
Quand le sujet montre ou exprime un manque de motiva-
tion, il est donc utile de s’interroger sur la qualité de l’alliance
thérapeutique. Il est alors possible d’en parler avec le patient :
« Y a-t-il quelque chose dans notre relation qui vous pose
problème ? » ; « Pensez-vous que la façon dont nous abordons
vos difficultés est la bonne ? » …

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218 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

5.2 Des progrès qui tardent


Il arrive aussi que le patient perde sa motivation et se
décourage du fait de progrès qui sont très lents à se mani-
fester. L’efficacité des psychothérapies est relative. Cela
signifie qu’elle est variable suivant les situations, les troubles
et les sujets : parfois très efficace au point de se conclure par
la guérison rapide du sujet, d’autres fois, malheureusement
inefficace. Le plus souvent, elles sont relativement efficaces, ce
qui signifie que la situation du patient s’est améliorée, mais de
façon partielle et progressive. Les patients s’attendent souvent
à une amélioration assez rapide et linéaire. Le fait qu’ils aient
le sentiment qu’elle ne survient pas peut avoir un effet décou-
rageant (« Ça n’avance pas, j’ai l’impression de ne pas m’en
sortir… »). Cela peut être désagréable à entendre pour le clini-
cien, qui peut se sentir remis en cause dans ses compétences.
Mais il est important que le clinicien entende ce décourage-
ment, voire aide le patient à l’exprimer ouvertement et qu’ils
en discutent sans fard.
Le clinicien doit ensuite vérifier si le vécu de stagnation ou
de régression du patient correspond bien à la réalité. En effet, il
arrive que le sujet ait progressé, alors même qu’il a le sentiment
que ce n’est pas le cas. Le clinicien doit donc identifier des
indicateurs assez objectifs d’évolution, positive ou négative,
et en faire part au patient. Cela peut concerner, par exemple,
les comportements du patient (travaille-t-il ? A-t-il repris des
loisirs, des relations, des choses agréables pour lui ?), sa vie
affective qui peut être plus satisfaisante, ou encore son ressenti
intérieur plus tranquille. Ses symptômes peuvent aussi avoir
diminué nettement. Son entourage peut le trouver mieux.
L’avis du thérapeute est aussi important s’il est réaliste et argu-
menté (« Je trouve que vous allez mieux, pour telle et telle
raison »), etc. Dans le cas où le problème du sujet s’est amélioré
mais où celui-ci ne le perçoit pas, il peut être pertinent de
l’aider à le percevoir afin de relancer sa motivation. Dans ce

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Les attitudes « anti-thérapeutiques » du patient 219

cas, il peut être aussi utile de comprendre pourquoi le sujet,


malgré son amélioration, a le sentiment qu’il va toujours mal
(Y a-t-il une autre source de malaise ? Craint-il, s’il s’améliore,
que le clinicien n’arrête la thérapie et ne l’« abandonne » ?).
Dans le cas d’une évolution négative, il faut aussi le constater
à partir d’indicateurs suffisamment objectifs pour être crédibles
et en faire part au patient : « Il est vrai que l’on constate depuis
deux entretiens que vous êtes plus déprimé et anxieux. Au point
que vous avez dû prendre un arrêt maladie de quelques jours.
Les problèmes semblent s’être intensifiés ces derniers temps ».
S’il ne s’est pas amélioré, il est important d’en parler et d’es-
sayer de comprendre pourquoi sa situation n’évolue pas, voire
se dégrade. Sans doute y a-t-il dans le contexte des éléments
qui gênent son évolution (dynamique familiale, problème de
travail… ?). La stratégie thérapeutique est-elle la bonne ? Faut-il
l’ajuster ? Revoir les objectifs ou les méthodes ? Le cadre doit-il
être revu ? Il est aussi possible d’envisager une aide complé-
mentaire (par exemple un traitement psychotrope, un groupe
thérapeutique, des entretiens familiaux…). Dans certains cas,
il peut être pertinent de demander l’avis de l’entourage (à un
proche avec l’accord du sujet) : « Nous constatons que nous ne
parvenons pas à améliorer le problème. Sans doute y a-t-il des
informations ou des suggestions que vous pourriez apporter
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

et qui nous aideraient à voir les choses autrement et à avancer


mieux ? Peut-être y a-t-il des éléments qui nous échappent ? ».

5.3 Du retour décourageant des symptômes


D’autres fois, le manque de motivation peut provenir
d’une régression (retour des symptômes) après une phase de
progression. C’est une situation très régulière. De fait, autant
la plupart des sujets, quand ils s’améliorent, s’attendent à ce
que l’amélioration qu’ils constatent soit rapide et linéaire,
autant sont-ils déçus quand survient une recrudescence des

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220 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

symptômes. Pourtant, cette régression ponctuelle est tout à


fait normale et attendue, elle ne remet pas en cause l’évolu-
tion positive globale. Mais cela peut être très décourageant et
effrayant pour le sujet qui pensait être sorti de son problème et
qui craint une rechute massive et un retour au point de départ
(voir le schéma ci-après).
Pour les patients, les progrès devraient être comme ça
(rapides et réguliers) :
Progrès

Temps

Mais en réalité, l’évolution est plutôt comme ça :


Progrès

Phases de régression

Temps

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Les attitudes « anti-thérapeutiques » du patient 221

Il ne faut pas hésiter, en cas de besoin, à en rediscuter avec


le patient qui se décourage du fait d’une régression ponctuelle.
Le problème de cette réaction de découragement est qu’elle
peut à elle seule suffire à accentuer la régression et à augmenter
le risque d’une rechute importante. Ainsi, le patient peut se
dire : « Ça recommence, je ne m’en sortirai donc jamais ; malgré
les progrès, les problèmes reviennent, la thérapie ne sert donc à
rien, etc. ». Il est donc important, quand un patient commence
à aller mieux, de le prévenir du fait que « les évolutions posi-
tives ne sont pas linéaires et contiennent normalement des
moments de recrudescence des symptômes, de régression, et
que cela est normal, qu’il n’y a pas lieu de s’en inquiéter, ces
difficultés sont ponctuelles et vont passer ». Ce qui importe,
c’est d’observer l’évolution globale sur un temps suffisamment
long (au moins quelques semaines, voire quelques mois ou
années, selon les troubles). On peut pour cela s’appuyer sur les
schémas ci-dessus et ci-dessous. Cela peut aider le sujet à anti-
ciper ces phases délicates et à limiter leur potentiel pathogène.
Ce qui est aussi une façon de relancer la motivation du sujet.

Progrès C'est passager, ça va passer,


c'est normal, je suis sur la bonne voie,
la thérapie semble efficace,
il faut voir sur le long terme…
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Ça recommence,
je ne vais jamais m’en sortir,
la thérapie ne marche pas…

Temps

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222 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

5.4 Et les problèmes « extérieurs »


à la thérapie ?
D’autres fois, le patient perd sa motivation, non pas en
raison de difficultés propres à la thérapie, mais en raison
d’un cumul de problèmes extérieurs. Ainsi, un sujet qui s’est
engagé dans un travail clinique pour surmonter un trouble
dépressif peut, dans le temps de la thérapie, vivre un licencie-
ment, des problèmes affectifs (tensions, séparation, divorce),
amicaux (conflits), de santé (chez lui ou chez un proche) ou
autre. Parfois ces problèmes se cumulent durant la thérapie
et viennent décourager le sujet, qui croule sous le poids des
problèmes qui lui « tombent dessus » en plus de ses difficultés
psychologiques. Il peut alors être proche de baisser les bras et
parfois d’arrêter la thérapie. Là encore, il convient d’en parler
ouvertement avec lui. En général, celui-ci vit sa situation
problématique comme un tout qui l’écrase et le submerge.
Une façon de l’aider à s’en dégager peut être de décomposer
ce « tout » si pesant en parties concrètes, accessibles à des solu-
tions spécifiques (stratégie de résolution de problèmes). Une
façon de faire consiste à lister tous les problèmes actuels qui
pèsent sur le sujet, y compris ses difficultés psychologiques.
Cette simple liste, loin d’accentuer le poids de la situation,
permet au sujet de voir sa situation d’une façon plus réaliste et
éventuellement d’agir sur elle. On peut compléter ce travail en
ajoutant en face de chaque problème là où il en est et ce qu’il
peut faire (ou ne pas faire) pour l’améliorer. Le plus souvent,
cela permet de faire retomber la pression en redonnant au
sujet les moyens d’agir sur ses difficultés plutôt que de les subir
comme un tout abstrait.

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Les attitudes « anti-thérapeutiques » du patient 223

Lister les problèmes


Exemple de la liste des problèmes et de ce que je peux faire :
– Le traitement de ma dépression est en cours, il se passe bien.
Poursuivre.
– Les problèmes au travail (tensions avec le patron). Ce n’est
pas la première fois, ça va sûrement passer et je n’ai pas fait
d’erreur de toute façon. Donc attendre et voir. Si besoin, aller
lui parler pour calmer le jeu.
– Mes enfants (le petit est très difficile en ce moment). Ça arrive
avec tous les enfants. Sans doute un problème à l’école ?
Demander l’avis de la maîtresse.
– Les problèmes de santé (la grippe). Ça va passer, continuer le
traitement.
– L’inquiétude de ma femme. C’est normal, elle s’inquiète pour
tout ça. Parler ensemble des problèmes et de ce que l’on peut
faire pour les régler. Sans dramatiser.
– Les travaux à faire dans la maison. On en parle depuis long-
temps, pas d’urgence. Attendre et les faire plus tard quand on
sera plus tranquille.

Cette façon de procéder permet de relancer la motivation du


sujet en lui redonnant du courage, de la mise en perspective
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

et du pouvoir d’agir (empowerment) sur son environnement


problématique.
Dans tous les cas où le patient perd sa motivation pour le
travail clinique, le clinicien doit surmonter le déplaisir lié à
cela afin d’en parler ouvertement et directement avec lui. En
fonction des difficultés rencontrées, de la situation clinique et
de la personnalité du patient, le clinicien s’efforcera de relancer
la motivation du patient sans laquelle atteindre les objectifs
cliniques visés risque d’être très difficile. Cela dit, il faut tout
de même noter que la motivation, comme les progrès, ne se
maintiennent pas en permanence à un niveau constant. Il est

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224 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

donc normal qu’elle fluctue et qu’il y ait dans toute interven-


tion clinique des hauts et des bas concernant l’engagement du
sujet. Et du clinicien aussi, d’ailleurs !

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12
Cha
pitre

L’INTERVENTION
EN PANNE

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aire
m
So m

1. Continuer quand même ? ....................................... 227


2. Réorienter le patient ............................................. 229
3. Modifier l’intervention .......................................... 229
4. Prévenir l’enlisement............................................. 231
5. Repenser la thérapie .............................................. 232

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Comme on l’a vu dans le chapitre précédent, les inter-

Pa
rt
ventions cliniques ne sont pas toujours efficaces. Parfois, les
interventions sont « en panne ». La situation n’évolue plus,
malgré l’engagement et la motivation du patient. Malgré aussi
les tentatives du clinicien pour redonner une dynamique à
l’intervention. Les entretiens se succèdent, les mois passent,
ie
mais il n’y a pas ou plus d’évolution. Les objectifs sont toujours
à la même distance, non atteints. Le patient peut s’en plaindre
ou non. Il appartient au clinicien de poser régulièrement un
regard sur l’évolution de la thérapie. Le fait que le patient soit
régulier dans ses entretiens et que ceux-ci se passent agréable-
ment ne suffit pas à indiquer que le travail se fait et qu’il y a
une dynamique psychothérapique en cours. Le clinicien doit
vérifier de temps à autre que le travail avance en fonction des
indicateurs propres à son référentiel théorique, mais aussi en
tenant compte de l’avis du patient.

1. Continuer quand même ?

Dans les cas où le psychologue constate que le travail ne se


fait plus, il peut bien sûr poursuivre tel quel ce travail, tant que
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

le patient vient aux rendez-vous, en supposant que la simple


tenue des entretiens garantit qu’il se passe tout de même
quelque chose. C’est ne pas tenir compte que d’autres possi-
bilités peuvent expliquer que le patient soit régulier malgré
l’absence d’avancées. D’abord, le poids des habitudes fait
que le patient est pris dans un rythme de rendez-vous dont il
peut supposer que la remise en cause ne peut provenir que du
professionnel. Le fait que ce dernier n’en dise rien lui indique-
rait qu’il faut continuer. Ce phénomène est renforcé avec des
patients dépendants et soumis à l’autorité. De plus, le clinicien
comme le patient peuvent être pris dans des croyances (« La
méthode est forcément bonne ») qui stimulent l’espoir qu’un

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228 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

jour, forcément, ça ira mieux. Enfin, le biais de confirmation


rend compliqué de remettre en cause une activité qui a coûté
du temps, de l’argent et de l’énergie. Plus elle dure, plus il est
difficile de s’en défaire sur le constat que tous ces efforts n’ont
pas payé et que l’on s’est donc trompé. Donc, le fait qu’une
intervention qui ne marche pas se poursuive n’est pas forcé-
ment signe qu’il s’y passe « quand même » quelque chose. La
plupart du temps, continuer dans ces conditions a pour effet
d’empêcher le patient de bénéficier de soins plus adaptés et
efficaces.
Il est donc possible, dans ces cas-là, d’arrêter l’intervention.
Le clinicien pourrait par exemple dire : « Nous constatons
depuis plusieurs mois que votre situation n’évolue pas et donc
les méthodes que nous utilisons ne semblent pas avoir d’effet.
Sans doute serait-il préférable que vous puissiez être suivi
différemment ? Qu’en pensez-vous ? ». Cependant, la décision
d’arrêter, si elle vient du professionnel, doit être mûrement
réfléchie. D’une part, parce qu’il s’agit d’un thème sensible,
le patient est engagé dans la relation et il peut être difficile de
savoir avec quelle intensité il a investi cette relation. De plus,
l’arrêt peut être vécu comme un échec angoissant, signant
la gravité, voire l’incurabilité, de ses problèmes. D’autre part,
parce que le sujet peut avoir l’impression d’avancer, malgré
l’avis du clinicien. Il faut donc le vérifier et en tenir compte.
Et enfin, parce que l’absence d’avancées peut être le signe d’un
problème qui serait évité plutôt que traité si la thérapie s’arrê-
tait là. L’arrêt aurait donc pour effet d’encourager la répétition
du problème plutôt que d’être une ouverture vers son dépas-
sement. Pour toutes ces raisons, il vaut mieux discuter de tout
cela avec le sujet, en abordant ce problème progressivement, en
prenant le temps de la réflexion et de la discussion, avant de
mettre fin au suivi. Il est nécessaire aussi que, dans la mesure
du possible, cette fin de suivi, si elle a lieu, soit accompagnée
d’une orientation vers une autre possibilité thérapeutique.

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L’intervention en panne 229

2. Réorienter le patient

Face au constat de la stagnation du travail en cours, le clini-


cien peut choisir de passer la main en dirigeant le patient
vers un collègue plus à même d’aider ce patient-là, du fait
de sa personnalité, de son expérience, de son expertise ou de
son référentiel théorico-clinique. À ce moment-là, les précau-
tions évoquées dans le paragraphe précédent s’appliquent de
la même façon.
Il est aussi possible de proposer au patient d’aller voir un
autre professionnel pour compléter l’intervention en cours par
d’autres approches (un psychiatre pour prescrire un traitement
psychotrope, une thérapie de groupe, ou une thérapie familiale
ou de couple, etc.), en fonction des problèmes rencontrés. Cela
peut avoir pour effet de « dégager » le terrain de la psycho-
thérapie d’autres problèmes qui empêchaient l’intervention
de progresser. Cependant, certains patients acceptent mal de
devoir consulter plusieurs professionnels, du fait du temps et
du coût qu’implique cette multiplication des consultations. Par
ailleurs, il est important de bien articuler le travail de chaque
professionnel de façon à ce qu’ils ne se gênent pas mutuelle-
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ment dans le travail en cours.

3. Modifier l’intervention

Cependant, avant d’envisager soit d’arrêter l’intervention,


soit de diriger le patient vers d’autres professionnels, il est
préférable de voir ce qui dans l’intervention elle-même peut
être modifié pour relancer sa dynamique. Comme on l’a vu
précédemment, il importe d’abord que le professionnel réflé-
chisse à ce qui peut expliquer la stagnation des difficultés

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230 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

du patient. Puis qu’il construise des hypothèses prenant en


compte les différents niveaux impliqués dans la situation
clinique et enfin qu’il agisse en fonction de ces hypothèses.
Tout au long de cette démarche, il ne manquera pas d’évoquer
ce problème avec le patient, de le solliciter et de prendre en
compte son avis.
Le clinicien peut modifier la relation en modifiant son
attitude. Il peut être plus ferme ou plus souple, plus chaleu-
reux et compréhensif ou plus froid et technique… En d’autres
termes, le clinicien peut devenir stratégique dans la relation.
Il peut aussi jouer sur le cadre de façon là encore stratégique,
par exemple en faisant les entretiens ailleurs (autre bureau
ou à l’extérieur des bâtiments). Il peut introduire un collègue
lors des entretiens. Ou modifier le rythme, voire la durée des
rendez-vous. Il peut aussi suggérer des changements d’objectifs
(« Nous avions décidé de travailler sur tel problème, mais l’on
voit que ça ne fonctionne pas bien. Donc je vous propose que
nous laissions ce problème de côté pour le moment et que
nous abordions tel autre problème… » ; « Nous avions décidé
de travailler sur un problème précis, mais nous constatons que
nous n’avançons pas. Je vous propose alors que nous prenions
une approche plus globale. Nous pourrions par exemple
revoir ensemble l’histoire de votre vie pour bien comprendre
comment vos problèmes sont apparus… »). Il est souvent perti-
nent de changer de techniques thérapeutiques si celles utilisées
ne semblent pas avoir d’effet. Si l’approche utilisée est plutôt
axée sur la parole, il pourrait être pertinent d’utiliser des tech-
niques plus actives et comportementales, et réciproquement.
Si la thérapie est centrée sur l’expression émotionnelle, alors
un changement pour un travail cognitif, comportemental ou
encore familial ou sur l’histoire du sujet pourra être envisagé.
Si le travail en cours consiste (sans succès) dans l’aide à la réso-
lution des problèmes de la vie quotidienne alors pourquoi ne
pas se diriger vers l’exploration de la vie psychique profonde
du sujet ? Etc. Le clinicien, face à une situation qui s’enlise, doit

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L’intervention en panne 231

pouvoir changer radicalement de point de vue. Cela implique


en même temps une grande capacité de remise en cause et une
créativité importante, dans la mesure de ses compétences et
de ses formations. Ces changements techniques doivent être
discutés avec le patient qui, sans cela, risque de n’y plus rien
comprendre. Et pour savoir si la nouvelle approche choisie a
permis de retrouver une dynamique, le mieux est encore de le
demander au patient.

4. Prévenir l’enlisement

De façon générale, pour prévenir un enlisement de la dyna-


mique clinique, ou pour vérifier si les modifications de la prise
en charge atteignent leurs objectifs, il peut être utile de faire
régulièrement des bilans de l’intervention avec le patient. A-t-il
le sentiment que l’intervention l’aide ? Qu’est-ce qui l’aide ?
Y a-t-il des choses qui le gênent ? Qu’est-ce qu’il pense le plus
utile pour lui ? A-t-il une idée de ce qui pourrait l’aider et qui
n’a pas encore été fait ?

À retenir
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

En conclusion, quand la situation clinique se fige, semble en


panne et que ni le patient ni le clinicien n’ont l’impression que
les problèmes sont inscrits dans une dynamique de progression
et le sujet dans une perspective d’accomplissement, il importe de
changer quelque chose à la prise en charge et de vérifier si ce chan-
gement produit ses effets. Il arrive que des psychothérapies durent
très longtemps sans pour autant permettre au sujet d’améliorer ses
difficultés. Il faut éviter ces situations, car c’est peut-être enlever
au patient une chance de bénéficier d’une thérapie plus adaptée.

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232 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

5. Repenser la thérapie

Dans tous les cas, si l’inertie persiste, le thérapeute prendra


soin de reprendre l’ensemble de la thérapie (donc de relire
ses notes et le dossier de façon active), de façon à la repenser,
c’est-à-dire à repérer s’il n’y a pas d’éléments qu’il aurait laissés
de côté et qui expliqueraient cette inertie. Une erreur dans le
diagnostic ? Dans les méthodes utilisées (ou non utilisées…) ?
Un problème dans la compréhension globale du cas ?
Ce travail peut se faire seul dans un premier temps, mais
il gagnera grandement à être repris en supervision avec un
thérapeute expérimenté qui pourra apporter un regard neuf
et différent sur la situation.

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13
Cha
pitre

L’ALLIANCE FRAGILE
ET L’ALLIANCE
FRAGILISÉE

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aire
m
So m

1. Réparer une alliance fragilisée ............................. 235


2. Travailler dans le cadre d’une alliance fragile ...... 238

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Comme nous l’avons déjà vu, l’alliance thérapeutique est

Pa
rt
essentielle à l’efficacité de la thérapie. L’alliance idéale pourrait
être définie par une relation de confiance entre sujet et clini-
cien, tournés vers des objectifs décidés en commun et étant
d’accord sur les moyens d’y parvenir. Le sujet serait engagé ie
dans la thérapie à laquelle il croirait, il se sentirait apprécié
par le clinicien qu’il trouverait chaleureux et authentique. Il
suivrait ses conseils et, le cas échéant, appliquerait les tech-
niques proposées. Cette alliance idéale se rencontre parfois.
Cependant, en réalité, elle est plus ou moins intense selon les
patients et elle est fluctuante. Elle peut se fragiliser en fonc-
tion des aléas de l’intervention clinique. D’autres fois, elle est
d’emblée difficile à établir et l’intervention se poursuit malgré
une alliance fragile. Cela pose deux sortes de problèmes au
clinicien : comment réparer une alliance fragilisée d’une part
et, d’autre part, comment travailler avec un patient qui a du
mal à s’engager dans une alliance solide ?

1. Réparer une alliance fragilisée

L’alliance est fluctuante, elle est sensible aux aléas du suivi


© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

clinique. Quand une alliance est bonne au départ, il est tout à


fait possible qu’elle se dégrade, puis se reconstruise durant le
travail clinique. Le clinicien doit donc régulièrement porter son
attention sur cette évolution. L’alliance peut se dégrader pour
de nombreuses raisons, certaines étant propres à la thérapie,
d’autres y étant extérieures.
Au sein de la thérapie, les facteurs pouvant influencer l’al-
liance peuvent être liés aux attitudes du clinicien (un mot
malheureux, un manque de tact, un manque d’écoute, des
erreurs techniques, un évitement du problème…), à la non-
évolution de la situation qui décourage le sujet (comme on l’a
vu plus haut), ou encore aux fluctuations parfois défensives de

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236 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

la vie psychique du patient (évitement d’un problème, peur de


changer, prise de conscience d’autres besoins thérapeutiques…).
À l’extérieur de la thérapie, certains événements peuvent nuire
à l’alliance thérapeutique. Ce peuvent être des interventions de
proches (famille, amis) qui, par leurs remarques, remettent en
cause le travail thérapeutique : « Voir un psy ça ne sert vraiment
à rien, faut s’en sortir par soi-même ! ». Malheureusement, il
arrive aussi que des collègues ne partageant pas le référentiel
théorique du clinicien le critiquent ouvertement auprès du
patient en lui déconseillant ce type de travail : « Comment ?
Vous faites des TCC (ou quoi que ce soit d’autre) ? Ah, mais ça
ne sert à rien, vous feriez mieux de changer ! ». Cette attitude
entre collègues n’est ni respectueuse du collègue et des choix
du patient, ni éthique car elle fragilise un travail en cours. De
plus, un clinicien n’a pas à imposer ses propres choix théo-
riques et cliniques aux patients qu’il rencontre. Il est là pour
les aider, pas pour les endoctriner !
Quoi qu’il en soit des causes de la fragilisation de l’alliance,
il est souvent très utile d’en parler directement avec le patient.
Cela sera d’autant plus pertinent que l’alliance était solide
avant de se fragiliser. Il faut tenter de ramener la relation sur
les bases de confiance antérieures. Dans ces situations, il est
souvent préférable de réagir sans attendre, une fois que le clini-
cien a constaté avec certitude que la confiance du patient s’est
réduite : « Dites-moi, il me semble que vous êtes moins attentif,
moins présent que d’habitude. Y a-t-il quelque chose qui vous
préoccupe ? » ou encore : « Je vous sens un peu distant, peut-être
même un peu méfiant aujourd’hui. Vous n’êtes pas comme
ça habituellement, qu’est-ce qui se passe ? ». Le clinicien doit
ensuite être très à l’écoute du sujet et donner priorité à la remise
en place de l’alliance. Cela dit, le clinicien n’a pas à convaincre
le sujet qu’il doit lui faire confiance, ni croire dans la tech-
nique utilisée. Mais il peut, par son écoute, son ouverture et
son objectivité, montrer au sujet qu’il peut lui faire confiance.
Donc, il ne s’agit pas de réparer l’alliance par des injonctions

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L’alliance fragile et l’alliance fragilisée 237

du type : « Nous avons commencé ce travail ensemble, vous


devez me faire confiance, on doit finir ensemble. Donc il faut
vous engager plus et laisser de côté vos doutes ». Cette atti-
tude autoritaire risque de produire de la réactance (refuser, se
braquer) de la part du patient. Il faut aussi éviter les réactions
au premier degré : « Vous savez, telle personne vous dit que ce
que nous faisons ne vaut rien, mais en réalité, c’est ce qu’ils
font eux qui ne vaut rien. Je vous déconseille de l’écouter ».
Cela placerait le patient entre les deux parties et l’obligerait
à se positionner pour ou contre l’un ou l’autre. De plus, cette
attitude n’est pas éthique (on ne dénigre pas le travail de ses
collègues). À éviter aussi diverses formes de chantage affectif :
« Vous savez, ce travail se fait à deux, il faut aussi tenir compte
de l’autre dans vos décisions », ou plus direct « Ça me ferait de
la peine que vous arrêtiez, je trouvais que l’on travaillait bien
ensemble ». Le sujet risque de se sentir manipulé (ce qui est le
cas) et de s’éloigner (ou, s’il continue, ce serait sur une base
de culpabilité plutôt malsaine et peu propice à son évolution
vers de l’autonomie et de la désaliénation).
Le mieux est que le clinicien garde une attitude éthique
et professionnelle irréprochable. Cela pourrait par exemple
s’exprimer de la façon suivante : « Si je comprends bien, depuis
que X vous a dit cela, vous doutez un peu du fait que le travail
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

que l’on fait pourrait vraiment vous aider. Je comprends,


c’est une question tout à fait légitime et importante. C’est
sûr que si ce travail n’est pas utile, il vaut mieux trouver
d’autres solutions. L’objectif est de vous aider. Vous-même,
qu’en pensez-vous ? Trouvez-vous que depuis que nous avons
commencé votre situation s’est améliorée, ou non ?… Si vous
le souhaitez je peux vous donner mon avis sur la question…
De toute façon, c’est vous qui décidez si vous souhaitez ou
non poursuivre ce travail. Nous pouvons prendre le temps
d’en parler si vous le désirez ». Il est donc important que le
clinicien ne s’accroche pas à son patient et le laisse libre de
décider de ce qu’il veut faire, tout en l’informant des enjeux,

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238 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

en lui donnant son propre avis fondé sur des faits objectifs et
en prenant le temps d’en parler.
Ainsi quand l’alliance est fragilisée, le clinicien peut adopter
une attitude assez directe (parler du problème), ouverte (être
prêt à tout entendre et à se remettre en cause), engagée (il
peut donner son avis clairement) et constructive (comment
adapter la situation pour que l’alliance se renforce). L’attitude
du clinicien fait que le sujet doit se sentir – et être – libre de
s’exprimer sur ce problème et libre aussi de faire les choix qu’il
veut. C’est en acceptant que le patient doute de la thérapie,
voire du clinicien, en essayant de comprendre son point de
vue que le clinicien donne une chance à l’investissement du
patient de se redéployer dans la thérapie.

2. Travailler dans le cadre


d’une alliance fragile

Certains patients présentent des traits de personnalité qui


leur rendent compliqué, voire impossible, de s’engager dans
une relation de confiance et/ou de proximité telle que le
suppose une bonne alliance thérapeutique. Par exemple les
sujets souffrant de troubles de la personnalité peuvent ressentir
spontanément dans presque toutes leurs relations des gênes
telle que de la peur ou de la méfiance ou encore des senti-
ments d’abandon ou de dépendance excessifs. Ils peuvent aussi
avoir beaucoup de mal à supporter les relations d’intimité et
de proximité comme souvent les patients souffrant de troubles
de la personnalité état limite ou encore des patients présentant
des traits psychotiques. D’autres, comme les sujets à la person-
nalité obsessionnelle ou présentant une pensée opératoire ou
encore parfois des personnes souffrant de troubles alimentaires
anorexiques, auront du mal à évoquer leur vie émotionnelle
et parleront d’eux-mêmes d’une façon intellectualisée, ce qui

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L’alliance fragile et l’alliance fragilisée 239

ne favorise pas la mise en œuvre d’une relation chaleureuse,


authentique et empathique. Enfin, les patients présentant une
forte anxiété sociale peuvent se montrer très timides et en
apparence peu engagés dans la relation… Ainsi, du fait de leur
personnalité et/ou de leurs troubles, une bonne partie des sujets
qui demandent et qui ont besoin d’une aide psychologique
n’ont pas au départ les caractéristiques qui leur permettraient
d’instaurer une alliance thérapeutique solide.
Le clinicien doit donc s’adapter à ces situations et faire avec
ce que chaque patient peut donner de lui en termes d’engage-
ment relationnel, de dévoilement de soi et de compréhension
du travail clinique.
Démarrer et poursuivre un travail clinique avec un patient
présentant dans la thérapie des problèmes relationnels qui
gênent l’alliance thérapeutique n’est pas toujours facile pour
le clinicien. Ce dernier doit évaluer, pour chaque situation, si
l’intensité de l’alliance proposée par le patient, aussi basse soit-
elle, n’est pas le maximum qu’il puisse donner à ce moment-là.
Le clinicien ne doit pas juger l’engagement du patient dans
l’alliance à l’aune de l’alliance idéale (ou théorique), qui n’est
pas si fréquente, il doit la juger à l’aune des capacités relation-
nelles, émotionnelles et intellectuelles de chaque patient.
Cela implique pour le thérapeute d’être très souple et respec-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

tueux. Concrètement, c’est attendre de longues secondes que


le patient timide réponde à une question, c’est s’adapter à
un déficit de paroles, c’est accepter des remarques désobli-
geantes régulières mais involontaires, c’est supporter les doutes
permanents exprimés par le patient, s’accompagnant parfois
de mauvaise foi flagrante, c’est écouter avec tact une plainte
répétitive lassante, c’est répéter plusieurs fois des consignes
pourtant simples, c’est accepter des retards ou des absences en
restant un professionnel bienveillant, c’est entendre le sujet
narcissique vanter ses mérites de façon irréaliste…
Dans ces cas-là, le psychologue ne doit pas prendre « pour
lui » les aléas de ces relations, mais les laisser s’exprimer, les

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240 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

subir pour mieux les repérer et les comprendre ainsi que


leurs effets relationnels. En quelque sorte, dans la mesure du
supportable, il se laisse faire en acceptant ce qui, dans des
circonstances sociales normales, ne serait pas accepté. Il peut
aussi parfois laisser le patient imposer certains éléments du
cadre dans la mesure où cela lui est supportable et ne remet
pas en cause l’avancée vers les objectifs visés. Même si ce n’est
pas une règle absolue comme cela a été évoqué plus haut, un
signe souvent encourageant dans ces situations décourageantes
est le fait que le patient parvienne malgré tout à maintenir
un lien avec le clinicien, certes parfois fragile, mais un lien
quand même.
Dans le même temps qu’il subit ces difficultés relationnelles,
le psychologue les observe, non comme des défauts du sujet,
mais comme des indicateurs des problèmes psychologiques
du sujet. Il peut les noter. Ainsi, il pourra y revenir plus tard
avec le patient, quand celui-ci lui semblera prêt à aborder ces
traits de personnalité problématiques. Aborder cela doit se faire
avec beaucoup de tact, car le sujet en est souvent inconscient.
Il ne se rend pas toujours compte de son propre fonction-
nement et de ses effets sur les autres. Il pourrait être gêné et
prendre comme un reproche (et non comme une invitation à
le comprendre et à le travailler) le fait que le clinicien pointe
ces particularités relationnelles. Or, du fait de ces particularités,
l’alliance peut avoir du mal à s’installer, il ne faudrait pas que
le peu d’alliance en place se dégrade parce que le patient a
l’impression que le clinicien lui « reproche » sa manière d’être.
Pour éviter cela, le psychologue pourrait, par exemple, dire :
« Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais parfois, comme ça
vient juste de se produire à l’instant, vous avez un ton un peu
agressif. Vous le voyez ? On vous l’a peut-être déjà dit ? ». Cela
permet de diriger la discussion sur ce point. Le psychologue
peut aussi aider le patient à se rendre compte des effets de ce
trait de personnalité sur les autres en se prenant lui-même
comme « autre ». Ainsi, il pourrait poursuivre : « Je le signale

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L’alliance fragile et l’alliance fragilisée 241

parce que cela peut être mal vécu par les autres. Par exemple,
là, quand vous m’avez parlé avec agressivité, ça m’a braqué.
Sur le coup j’ai eu le réflexe de rejeter ce que vous me disiez.
Vous percevez ça ? Qu’en pensez-vous ? ».
Le psychologue prendra soin de choisir le bon moment
pour aborder ce type de problème. Il est impératif que le sujet
soit prêt à cela et que la relation s’y prête. Si ces conditions
sont réunies et que le clinicien et le patient parviennent à
travailler ce point, il est probable que cela accentuera, à terme,
l’alliance thérapeutique. Car cette relation se sera enrichie du
fait que le sujet aura pu constater qu’ils peuvent aborder et
dépasser, ensemble, avec le clinicien, des questions sensibles
sans tensions ni blessures excessives.
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Cha
p itre

QUAND LE SUJET
EXPRIME
DES ÉMOTIONS
INTENSES
DANS L’ENTRETIEN
CLINIQUE1
1. Pour aller plus loin sur la compréhension des émotions et de leur régula-
tion psychique et sociale : B. Rimé, Le Partage social des émotions, PUF, 2009 ;
P. Philippot, Émotions et psychothérapie, Mardaga, 2011 ; A. Damasio, L’Erreur
de Descartes, Odile Jacob, rééd. 2010.

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aire
m
So m

1. Les émotions .......................................................... 246


2. Les effets miroir ..................................................... 249
3. Comment réagir en entretien face
aux réactions émotionnelles intenses
du patient ?.............................................................. 250
4. Face à des émotions spécifiques ........................... 255

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Les psychologues cliniciens ont choisi un métier qui les

Pa
rt
confronte, d’une part, à la souffrance psychique et, d’autre
part, à des sujets dont la vie psychique dysfonctionne d’une

ie
façon ou d’une autre. Les émotions sont la partie sensible et
« chaude » de la vie psychique. Elles sont totalement naturelles
et normales. Leur intensité peut être très variable, allant de
leur absence apparente à leur expression la plus bruyante sous
forme de crises. La souffrance psychique est pour l’essentiel
le ressenti de la présence d’émotions désagréables et envahis-
santes telles que la peur (angoisse) ou la tristesse (dépression).
Les dysfonctionnements psychologiques concernent souvent
la vie émotionnelle, le sujet qui consulte ayant souvent du mal
à réguler ses émotions, ce qui peut provoquer des ressentis très
douloureux, mais aussi, en conséquence, des comportements
problématiques ou des pensées pathogènes. Il est donc tout
à fait cohérent que la vie émotionnelle ait une place impor-
tante lors des interventions cliniques. Elle s’y exprime parfois
avec force et bruyamment. Ce peuvent être des expressions de
tristesse, d’angoisse ou de colère. Parfois, même la joie exces-
sive peut être problématique (état maniaque, excitation…).
Alors, en entretien, le patient éclate en sanglots, subit une
crise d’angoisse, se met en colère ou part dans des digressions
joyeuses décalées et envahissantes. Face à cela, le clinicien
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

peut être déstabilisé.


Il peut l’être pour au moins quatre raisons :
– Tout d’abord, bien que l’expression émotionnelle soit
soi-disant valorisée socialement (« Exprime tes émotions,
lâche-toi, lâche prise… »), en réalité la norme sociale dans
nos sociétés est plutôt de contrôler ses émotions et de les
maintenir à un niveau assez bas (à l’exception de la joie dans
les circonstances qui s’y prêtent). Personne n’est vraiment à
l’aise face à quelqu’un qui est débordé par ses émotions. Il
est donc logique que le clinicien soit décontenancé quand
des émotions fortes s’expriment.

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246 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

– Par ailleurs, les émotions étant en quelque sorte contagieuses


(par empathie, résonance émotionnelle, identification,
neurones miroirs…), le clinicien partage malgré lui, partiel-
lement, l’état émotionnel de ses patients. Qui a envie de
rire face à une personne qui éclate en sanglots ? Ainsi, le
clinicien doit faire face à l’émotion du sujet mais aussi à une
activation automatique de ses propres émotions.
– Ensuite, le psychologue se retrouve face à la souffrance d’une
personne qu’il a pour objectif d’aider à vivre de manière plus
heureuse. Il pense donc qu’il devrait réduire la souffrance
de cette personne et, de ce fait, il voudrait gérer rapidement
l’expression émotionnelle de souffrance qui se déploie en
elle devant lui. Mais ce n’est pas si simple à faire (ni souhai-
table le plus souvent) et le clinicien pourrait se sentir en
difficulté. De plus la montée émotionnelle place la relation
clinique à un niveau beaucoup plus sensible et émotionnel
plutôt qu’aux niveaux intellectuel, technique et rationnel
dans lesquels le psychologue est souvent plus à l’aise, surtout
quand il débute.
– Le psychologue peut avoir l’impression, dans ces moments-
là, que le cadre professionnel est remis en cause. Car
comment réfléchir avec le patient si celui-ci est sous l’em-
prise d’émotions fortes ? Si sa détresse l’envahit ? Si sa colère
l’empêche de raisonner ? Certains jeunes psychologues ont
alors le désir spontané que cesse dès que possible l’émotion
présente de façon à retrouver un cadre de travail technique
qui leur est plus familier.

1. Les émotions

Pour proposer quelques pistes d’attitudes et d’actions


possibles, il est important de rappeler ce que sont les émotions.
Ce sont des phénomènes psycho-physiologiques naturels,

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Quand le sujet exprime des émotions intenses… 247

nécessaires et adaptatifs qui, parfois, dysfonctionnent et


posent problème au sujet. Les émotions peuvent être déclen-
chées par des situations extérieures (une agression déclenche
de la peur ou de la colère), des phénomènes psychiques inté-
rieurs (des pensées, des sensations physiques déclenchent des
émotions, etc.) et par… des émotions (la tristesse peut être
angoissante, la colère peut déclencher de la culpabilité ou du
plaisir, etc.). Quand plusieurs émotions s’expriment au même
moment, l’intensité émotionnelle se cumule et s’exprime
sous la forme de l’émotion dominante (c’est le cumul d’acti-
vation physiologique : si un sujet est triste puis que de la colère
s’y ajoute, l’intensité de sa colère sera égale à la somme de
l’intensité de sa tristesse + celle de sa colère). Les émotions
ont plusieurs facettes : psychiques (le ressenti émotionnel,
par exemple agréable ou désagréable) ; non verbales et corpo-
relles (elles s’expriment essentiellement par le corps : attitude,
prosodie…) ; physiologiques (activation physiologique du
cœur, de la tension artérielle, des muscles, etc.) ; cognitives
(les émotions sont déclenchées par des pensées spécifiques,
mais elles induisent aussi des pensées particulières qui ont la
qualité d’apparaître comme vraies au sujet, par exemple : « Je
suis triste donc je suis faible ») ; comportementales (la tendance
à l’action fait partie de l’émotion, la tristesse s’accompagne
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

de repli physique, la joie d’ouverture, la peur de fuite et la


colère de confrontation, etc.). Les chercheurs ont identifié cinq
émotions de base (la peur, l’anxiété, la tristesse, la colère et la
joie) auxquelles s’ajoutent éventuellement d’autres émotions
plus spécifiques (la surprise, le dégoût, la honte, la culpabi-
lité, la fierté…). Les émotions peuvent être conscientes (elles
sont alors ressenties) ou inconscientes (elles traversent le
sujet, produisent une réaction physiologique, voire cognitive
et comportementale, mais il n’en n’a pas conscience). Elles
ont un temps de manifestation limité (environ 45 minutes,
le plus souvent) et peuvent être plus ou moins intenses. Elles
sont régulées par un ensemble de processus psychiques (selon

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248 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

la psychanalyse : les processus primaires et secondaires ; selon


les approches cognitives par la régulation et l’intelligence
émotionnelle et les processus de coping), corporels (respiration,
détente ou dépense musculaire, douleur, addiction compor-
tementale…) et sociaux (partage social des émotions). Les
émotions peuvent être partiellement régulées par des moyens
chimiques (drogues, médicaments). Certains sujets ont une
aisance manifeste avec leur vie émotionnelle (ils savent l’iden-
tifier, la nommer, l’accepter, la réguler et donc la contrôler
globalement), d’autres sont en difficulté de ce point de vue.
Les émotions ont aussi, à l’inverse, des fonctions régulatrices
au sein de la vie psychique (elles ne sont pas que régulées).
Ainsi, elles participent, par exemple, aux processus de décision
et de motivation ; elles contribuent aux choix du sujet et à son
sens de l’anticipation ; elles sont la matière du sentiment de
soi – je me ressens donc je suis –, elles sont essentielles à la vie
sociale et relationnelle, à l’altruisme et à la conscience morale
du fait de l’empathie (je souffre en voyant autrui souffrir) ; et
elles participent à l’adaptation et à la survie du sujet : la peur
peut être bonne conseillère, la colère aide parfois à changer les
choses et surmonter les problèmes.
Cependant la vie émotionnelle peut dysfonctionner et c’est
le cas dans la plupart des troubles psychiques, soit que le sujet
est envahi par des émotions trop intenses ou inadaptées, soit
qu’il ne parvienne pas à réguler souplement ses émotions. Par
exemple, dans les troubles anxieux et dépressifs, on peut consi-
dérer que le sujet est envahi excessivement par la peur ou la
tristesse (et souvent par les deux en même temps). On parle
parfois à leur égard de « troubles émotionnels ». Concernant
le trouble de personnalité état limite, aussi nommé « trouble
émotionnellement labile » dans la CIM-10, on peut le décrire
comme une difficulté à stabiliser la vie émotionnelle qui, par
bouffées intenses, envahit le sujet. Dans l’état maniaque, la
joie est excessive et très intense au point de mettre le sujet en
danger.

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Quand le sujet exprime des émotions intenses… 249

Ainsi, quand des émotions intenses s’expriment lors d’un


entretien clinique, le professionnel doit les considérer comme
des phénomènes qui participent de la vie psychique du sujet
et qui sont donc une facette essentielle de la situation clinique
sur laquelle il travaille. Il ne faut donc pas les envisager comme
un événement parasite gênant le travail clinique. Ou comme
un élément extérieur qui s’inviterait malheureusement dans ce
travail. Elles font partie intégrante de la vie psychique du sujet
et participent donc à la matière du travail clinique.

2. Les effets miroir

La façon dont le clinicien peut recevoir et gérer sa propre vie


psychique et émotionnelle a été abordée plus haut, il n’en sera
donc pas question ici. Il faut cependant être bien conscient que
les vies psychiques (et donc émotionnelles) du sujet et du clini-
cien sont partiellement entremêlées lors d’un entretien, elles
sont interdépendantes, elles sont en résonance. C’est ce que
l’on appelle l’intersubjectivité. Il y a une dynamique mutuelle
entre les deux, avec des effets de miroir. Les émotions du sujet
activent les émotions du clinicien (et réciproquement). Cela est
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

très intéressant et permet au clinicien de mieux comprendre


la vie psychique et émotionnelle du sujet par les effets qu’elle
produit sur sa propre vie psychique. Cependant, cela pose
aussi des problèmes potentiels si le clinicien n’est pas au clair
avec sa propre vie émotionnelle. Ainsi, la façon dont le clini-
cien gère ses propres émotions tend à se retrouver dans la
façon dont il va vouloir aborder les émotions du sujet. Par
exemple, si ses émotions de tristesse l’angoissent, le clinicien
peut les éviter (suppression, évitement, inhibition…). Mais ce
faisant, il aura tendance à éviter ou à décourager l’expression
des émotions de tristesse du patient… À l’inverse, le clinicien
peut avoir du mal à contrôler, par exemple, son anxiété. Il

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250 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

pourra alors s’intéresser excessivement à l’anxiété du sujet au


point d’activer celle-là de façon inutile, voire pathogène ! Le
clinicien utilise alors le sujet (inconsciemment) comme un
prolongement de sa propre vie psychique pour exprimer par
procuration les émotions qui le gênent. Ce qui ne va pas dans
le sens des objectifs cliniques consistant à libérer le sujet de ses
problèmes et non d’y rajouter ceux du clinicien !

3. Comment réagir en entretien


face aux réactions émotionnelles
intenses du patient ?

Pour définir une « réaction émotionnelle intense », on peut


commencer par dire ce qu’elle n’est pas. D’un côté se trouvent
les émotions de faible intensité ou qui sont bien contrôlées par
le sujet. Celles-là (un peu d’angoisse, une tristesse mesurée…)
ne posent en général pas de problème et n’ont pas d’effet
direct sur le déroulé de l’entretien. Notons quand même que
l’absence d’expression émotionnelle peut être un problème
clinique, mais c’est un autre sujet. De l’autre côté, se trouvent
les émotions tellement intenses qu’elles sont hors du contrôle
du sujet et… du clinicien (la colère qui pousse au passage à
l’acte ; la tristesse-dépression si intense que le sujet en est tota-
lement effondré physiquement ; la peur si forte que le sujet
fait des malaises à répétition ou encore une joie si intense
que le sujet ne peut tenir de discours cohérent ni respecter un
minimum la situation clinique…). Ces expressions émotion-
nelles extrêmes dépassent en général le cadre de l’entretien
psychologique et impliquent parfois l’intervention d’autres
professionnels (police, pompiers, médecins, infirmiers) ou de
l’entourage (par exemple pour accompagner le sujet à l’hôpital
ou le ramener à la maison).

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Quand le sujet exprime des émotions intenses… 251

Les émotions intenses dont nous parlons se trouvent


entre ces deux extrêmes. On pourrait les définir, de façon
pragmatique, comme des émotions dont l’expression influe
directement sur l’entretien clinique sans pour autant l’empê-
cher, qui s’expriment de façon explicite (pleurs, tremblements,
figement, agitation…) et face auxquelles le clinicien doit se
positionner et ne peut rester indifférent.

3.1 Accepter, voire encourager,


et soutenir le sujet
De façon générale, quand le sujet exprime une telle émotion,
quelle qu’elle soit, le clinicien doit rester calme en contrôlant
sa propre réactivité émotionnelle. Il est tout à fait normal, et
même souvent positif, que le sujet exprime de telles émotions
dans l’entretien. Donc c’est bien. Ce n’est ni grave ni un
problème en soi. Le clinicien, dans un premier temps, peut
donc accepter simplement cette expression émotionnelle.
Cela implique, le cas échéant, qu’il inhibe d’éventuelles inter-
ventions qui auraient pour effet d’empêcher le déploiement
de l’émotion (comme de dire « Ne pleurez pas… » ; « Restez
calme » ; « La colère ne mène à rien » ou de continuer à poser
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

des questions comme s’il n’y avait pas d’émotion envahis-


sante). De plus, il peut même, le plus souvent, l’encourager
(« Il n’y a pas de problème, c’est normal de pleurer quand on
est triste » ; « Vous savez, ici vous pouvez exprimer librement ce
que vous ressentez » ; « Vous pouvez exprimer votre colère, je
comprends »…). Le plus souvent c’est par les pleurs que s’expri-
ment ces émotions et le clinicien aura pris soin de préparer
une boîte de mouchoirs qu’il peut proposer simplement et
avec empathie au sujet qui pleure (« Tenez, voulez-vous un
mouchoir ? »). Il peut aussi, dans certains cas, y mettre une
touche d’humour (« Ne vous inquiétez pas, vous voyez, on
a même prévu des mouchoirs ! »). Le psychologue peut aussi

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252 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

proposer un verre d’eau ou toute autre chose simple qui pour-


rait aider le patient à vivre cette émotion.
Acceptation, respect, encouragement, accompagnement
peuvent être les premiers réflexes du clinicien.

3.2 Laisser du temps


Il faut ensuite, pour accepter l’émotion, lui laisser du temps.
Une émotion peut se voir comme une vague (émotionnelle) qui
traverse le sujet, qui a une acmé (point le plus haut) puis qui,
progressivement, perd en intensité. Quand l’émotion est dans sa
phase haute, le sujet ne peut pas l’arrêter par sa simple volonté ni
par celle du clinicien, le sujet est alors submergé par son émotion,
il ne réfléchit plus vraiment, il est envahi par le vécu émotionnel.
Il est donc inutile de continuer les échanges comme si de rien
n’était, le sujet n’en n’est plus capable. Il faut donc attendre que
l’émotion s’apaise d’elle-même et marquer une pause dans les
échanges verbaux. Le clinicien peut alors se taire et adopter une
attitude bienveillante et pudique (ne pas fixer le sujet, respecter
son intimité et tenir compte de sa gêne éventuelle). Bien sûr
cela dépendra de chaque sujet et des spécificités de la situation
clinique, ainsi que du type de relation instaurée.

3.3 Nommer l’émotion


Le clinicien peut ensuite indiquer verbalement qu’il a perçu
le mouvement émotionnel en nommant l’émotion : soit de
façon très générale « Cela vous émeut ? » ; « C’est un sujet
sensible… » ; « Je vois que c’est difficile pour vous » ; ou, de
façon plus précise, « Vous semblez en colère » ; « Vous ressentez
de l’angoisse maintenant, c’est ça ? ». Le fait de nommer l’émo-
tion a plusieurs effets :
– Tout d’abord, cela montre clairement au sujet que le clini-
cien voit cette émotion et qu’il en valide l’expression comme

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Quand le sujet exprime des émotions intenses… 253

légitime (ce qui ne serait pas le cas s’il disait par exemple :
« Vous ne devriez pas vous mettre en colère comme ça » ;
ou : « Ne pleurez pas, la vie est belle quand même ! »). En la
nommant simplement, il en autorise l’expression.
– Ensuite, cela indique l’empathie du clinicien qui voit, iden-
tifie et nomme l’émotion du sujet. Cela montre aussi que
le clinicien peut supporter sans dommage les expressions
émotionnelles, donc que les émotions de façon générale ne
sont ni honteuses ni dangereuses.
– Enfin, en identifiant et en nommant l’émotion, en passant
du ressenti aux mots, le clinicien ramène la vie psychique
du sujet à un fonctionnement plus cognitif ou en processus
secondaires, ce qui lui permet de prendre une certaine
distance avec sa vie émotionnelle, et qui sera utile pour la
suite du travail sur l’émotion. Cela contribue à l’identifi-
cation et au partage social des émotions. Le clinicien peut
compléter le fait de nommer l’émotion en exprimant sa
compréhension par des phrases simples : « Vous êtes triste, je
comprends, votre situation est difficile » ; « Je vois que vous
êtes en colère, ce n’est pas étonnant après ce que vous avez
vécu » … Ce faisant il montre qu’il est du côté du sujet de
façon bienveillante et compréhensive.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

3.4 Comprendre
Le clinicien peut ensuite, quand l’acmé émotionnelle est
passée, discuter avec le sujet pour comprendre ce qui a pu
déclencher cette émotion : « Vous étiez très affecté… Vous
savez ce qui a déclenché une telle émotion chez vous ? » ; « Là,
vous avez montré beaucoup de colère. Pourquoi ? Que s’est-
il passé ? ». Pour le clinicien, la place des émotions dans la
vie psychique du sujet est très importante, elle participe acti-
vement à la dynamique psychique, il est donc important de
repérer à quoi elle est associée (à quelles pensées ? à quelles

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254 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

images ?), ce qui la déclenche, ce qui l’apaise… D’où l’intérêt


de reprendre ensuite avec le sujet les enjeux de cette expression
émotionnelle.

Les réactions à ses émotions


Quand une émotion forte traverse le sujet, cela peut enclencher
chez lui des réactions, en particulier des pensées, vis-à-vis de lui-
même. Pour des raisons éducatives propres à notre société ou
pour des raisons liées au fonctionnement psychique du sujet, ses
réactions internes à ses émotions peuvent être variées. Il peut
être utile d’explorer cette dimension. « Là, vous avez montré une
émotion intense… Quand cela se produit, comment vous voyez-
vous vous-même ? Quel regard portez-vous sur vous-même ? » À
travers ces questions, le clinicien va rechercher la présence de
réaction de gêne ou de honte : « Je pense vraiment que je suis nul,
de me montrer comme ça devant vous… ». Une émotion de tris-
tesse, par exemple, peut déclencher une réaction de honte, qui à
son tour va intensifier le malaise. En repérant ces métacognitions,
le clinicien peut agir dessus pour en limiter les effets douloureux.

3.5 Travailler en direct sur l’émotion


Certains sujets vivent mal leurs émotions et entretiennent
avec elles des relations d’évitement, de refus, de honte ou d’an-
goisse. Ils sont gênés. La présence, dans l’entretien lui-même,
d’une émotion intense avec son cortège de réactions doulou-
reuses peut être l’occasion de travailler sur cela en direct. Si
l’alliance thérapeutique est suffisamment bonne et si le travail
clinique est suffisamment avancé, le clinicien peut, avec déli-
catesse, « profiter » de l’expression d’une émotion pour amener
le patient à faire un travail psychologique sur l’émotion. En
général, ce travail aura pour objectif d’amener le patient à

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Quand le sujet exprime des émotions intenses… 255

mieux accepter ses émotions, plus sereinement et librement.


Le clinicien pourrait alors encourager le sujet à ressentir plei-
nement l’émotion qui le traverse et à s’y laisser aller sans
chercher à la réduire ou à la contrôler : « J’ai l’impression que
cela vous gêne de ressentir cette émotion. Nous en avons déjà
parlé. Vous pouvez sans doute vivre pleinement cette émotion
qui vous traverse. Il n’y a pas de honte à cela, ni de risque ».
Ainsi, le sujet peut expérimenter le fait qu’une émotion est un
phénomène naturel et normal et qu’il peut non seulement la
supporter mais la vivre avec intérêt et soulagement. Si le sujet
suit les conseils du clinicien, ce dernier peut ensuite, quand
l’émotion est passée, faire le point avec lui : « Alors, le fait de
ne pas résister à l’émotion, comment cela s’est-il passé pour
vous, de l’intérieur ? Qu’avez-vous constaté ? ».

4. Face à des émotions spécifiques

Certaines situations émotionnelles spécifiques sont


fréquentes en entretien et peuvent déstabiliser le jeune psycho-
logue. Passons-les en revue.
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4.1 La tristesse, le patient qui pleure


Le clinicien doit se garder d’avoir une attitude qui refuserait
la tristesse (« Faut pas pleurer » ; « Allez, ça va aller » ; « Il y a pire
vous savez » ; etc.) Il doit en même temps montrer son empa-
thie et son attention tout en restant assez neutre et discret.
C’est donc une posture délicate. Il peut aussi prendre soin du
sujet en lui proposant mouchoirs, verre d’eau ou autre. Mais
cela doit se faire avec tact. Sinon il risque de produire de la
gêne. Il lui faut aussi éviter de favoriser des bénéfices secon-
daires (ou des renforcements positifs) qui peuvent encourager
les pleurs comme moyen d’attirer sa bienveillance. Le clinicien

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256 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

doit donc être suffisamment proche pour montrer son respect


et son empathie, tout en restant suffisamment professionnel
pour garder en vue les objectifs de l’intervention. Il faut donc
qu’il se garde de consoler le patient. Les gestes de consolation
(prendre dans ses bras par exemple) ne peuvent se faire que
dans des situations thérapeutiques très précises, mais pas de
façon habituelle dans les entretiens cliniques. En résumé, le
clinicien se montre empathique et bienveillant, mais il garde
un quant à soi professionnel à partir duquel il observe la situa-
tion, l’analyse de façon objective et y intervient dans le sens
des objectifs de l’intervention.

4.2 Le patient qui fait une crise d’angoisse


en entretien
Il peut arriver qu’un patient ressente une angoisse intense,
voire une crise d’angoisse (une attaque de panique) lors d’un
entretien et que la situation soit telle que le clinicien doive
intervenir. Premier réflexe du clinicien : du calme ! Attention,
l’angoisse peut être contagieuse, la panique du patient peut
paniquer le clinicien. Tout cela peut faire monter la tension
alors même que l’objectif est de la faire redescendre. Les crises
d’angoisse peuvent se manifester de façon impressionnante,
mais ce n’est pas pour cela que c’est grave, de même que toute
douleur intense n’est pas le plus souvent signe de quelque
chose de grave. La crise d’angoisse se manifeste souvent par
des sensations physiques qui inquiètent le patient au point
qu’il peut croire qu’il va mourir (vertiges, tremblements,
douleurs diverses y compris dans la poitrine, sueurs, contrac-
tions et tensions, sensation de devenir fou…). En principe,
par sa connaissance du patient lors des entretiens précédents
ou par les questions qu’il lui pose, le clinicien peut identifier
une crise d’angoisse et éliminer une éventuelle crise cardiaque
ou d’autres problèmes somatiques graves. Dans le doute (par
défaut d’informations préalables ou par incapacité du patient

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Quand le sujet exprime des émotions intenses… 257

à fournir ces informations assez rapidement, par exemple


s’il n’a pas fait d’examen médical à ce propos), si le patient
présente des symptômes physiques inquiétants (douleurs dans
la poitrine, vertiges intenses, difficulté à parler, paralysie d’une
partie du corps…), le clinicien doit faire intervenir un médecin
(un collègue s’il y en a un à proximité, sinon en appelant le
« 15 » ou le « 112 » avec un portable et en expliquant la situa-
tion). Il ne peut pas prendre le risque de confondre une attaque
de panique s’accompagnant de douleurs dans la poitrine avec
une crise cardiaque produisant de l’angoisse !
Une fois que le psychologue est sûr qu’il s’agit d’une crise
d’angoisse, il peut intervenir de la manière suivante : tout
d’abord nommer ce qui se passe, ou le confirmer si le patient
le nomme. S’il y a du monde dans la pièce, il isole la personne
dans un endroit calme, éventuellement avec une personne
de confiance en plus du thérapeute, il invite la personne à
se mettre physiquement à l’aise. Si besoin, il peut ouvrir la
fenêtre, apporter un verre d’eau, suggérer au sujet de desserrer
les habits qui le gênent (ceinture, chemise, cravate, écharpe)
ou, au contraire, de se couvrir s’il a froid… Puis il rassure le
patient avec des informations précises et vraies : « Ne vous
inquiétez pas, une crise d’angoisse est très désagréable, mais
ça n’est pas dangereux et ça va passer. Une crise d’angoisse, ça
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

s’arrête toujours. C’est juste un mauvais moment à passer, sans


conséquence grave. Je vais vous aider ». Puis il peut lui donner
quelques conseils, dont le premier est de respirer doucement,
de ralentir son rythme respiratoire, de faire rentrer moins
d’air dans ses poumons. Cela a deux effets : le principal qui
est d’éviter les symptômes d’hyperventilation (impression
d’étouffer, vertiges, tremblements…), très anxiogènes dans
ces cas-là, le second est de capter l’attention du sujet qui va
se focaliser sur sa respiration (et non plus sur les symptômes
angoissants, physiques et psychiques). Il est important d’em-
pêcher le sujet d’être emporté par les processus de la crise.
Pour cela, le clinicien peut saisir son attention et maintenir la

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258 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

relation en insistant sur la nécessité de contrôler sa respiration


ou en captant son attention d’autres manières non anxiogènes.
Et le clinicien ne perd pas de vue l’état d’angoisse massif qui
traverse le patient et qui l’empêche de fait d’être « raisonnable »
et de se contrôler. Qui a dit que gérer une crise d’angoisse
était facile ? Le patient pourra ne pas écouter, être agressif,
désagréable, irrationnel et le psychologue l’acceptera et fera
preuve de la plus grande patience et du tact clinique le plus
subtil pour aider quand même le patient très apeuré à traverser
ce moment difficile.
Cette crise peut aussi être l’occasion d’utiliser des stratégies
qui auraient été vues auparavant lors de la thérapie selon le
référentiel théorico-clinique du psychologue. Ainsi, en agissant
de cette façon, le clinicien aide non seulement le sujet à gérer
cette crise-là mais, de plus, il lui montre comment une telle
crise peut être gérée de façon générale. C’est en quelque sorte
une mise en pratique qui peut s’avérer très utile pour la suite…
si ça aide effectivement le sujet. Parfois le déclenchement du
symptôme durant l’entretien lui-même est finalement une
crise salutaire, une chance pour la thérapie et le sujet.
Mais si la crise d’angoisse ne passe pas (mais que le temps,
lui, passe, les autres rendez-vous attendent, le statu quo ne
peut durer éternellement), alors le clinicien doit organiser la
suite hors de l’entretien. Si le patient prend un traitement
anxiolytique, il peut bien sûr lui suggérer de le prendre après
avoir constaté que les techniques psychologiques ne suffisent
pas à juguler cette crise. Si malgré tout le patient reste trop
angoissé, le clinicien peut faire appeler un proche qui pourrait
le raccompagner chez lui. Si cela n’est pas non plus possible, un
taxi pourrait aussi être une solution. Si le sujet est très angoissé,
le clinicien peut envisager que le patient aille consulter un
médecin ou qu’il aille aux urgences hospitalières. Cela peut se
faire en taxi ou accompagné par un collègue ou, dans certains
cas, par le clinicien lui-même ou, en dernier recours, par les
pompiers. L’intérêt d’aller aux urgences est que cela permet

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Quand le sujet exprime des émotions intenses… 259

de vérifier qu’il n’y a pas de problème somatique grave (ce qui


rassure le patient) et de proposer un traitement anxiolytique
efficace. Cela permet au patient de pouvoir ensuite rentrer
chez lui dans de bonnes conditions. Pour choisir parmi toutes
ces possibilités, il convient d’échanger avec le patient, de lui
demander son avis et de le suivre autant que possible. Après
tout, il est le premier concerné et, surtout, il connaît assez bien
ses difficultés, face auxquelles il a appris à réagir par le passé.
Mais comme rien n’est simple dans notre domaine, le clini-
cien veillera aussi à agir et à aider sans pour autant favoriser
de renforcements positifs (du type : quand je fais une crise
d’angoisse, tout le monde est extrêmement aidant et rassu-
rant, plus que si je n’en fais pas !) qui pourraient conditionner
(association) certains patients, malgré eux, à rechercher cette
attention par le biais de leurs crises d’angoisse… ce qui favori-
serait d’autres crises d’angoisse. Ce n’est pas le but !

4.3 Quand le sujet est en colère,


s’agite, monte le ton
La colère, aussi impressionnante soit elle, est très souvent
une expression de malaise de la part du sujet, une réaction à un
manque de respect, des conflits, un sentiment d’impuissance,
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

de la déception, de la maltraitance, une humiliation, de la


détresse, un sentiment d’insécurité… Tout cela peut produire
des réactions de colère et d’agressivité. Le psychologue doit
voir au-delà de l’agressivité qui se manifeste devant lui lors
de l’entretien (à condition bien sûr que le sujet n’attaque pas
l’intégrité psychique du clinicien par des insultes par exemple,
encore moins son intégrité physique et pas non plus l’intégrité
du cadre – en cassant des objets par exemple). Dans les situa-
tions d’agressivité modérées, là encore, le premier réflexe du
clinicien doit être : rester calme. La colère, comme les autres
émotions, est contagieuse et peut produire des effets intenses
sur le clinicien, en particulier de l’agressivité (« Ne me parlez

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260 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

pas comme ça, il faut vous calmer ») ou de la peur (alors le


clinicien est figé, sur la défensive…). Donc le clinicien doit
parvenir à contrôler en lui ces émotions, d’abord en les iden-
tifiant, en les acceptant, puis en préservant en lui-même un
espace de pensée. Ensuite, comme toute émotion, la colère
n’a qu’un temps, elle passe. Donc il convient de laisser le
sujet exprimer sa colère durant plusieurs minutes au moins. Il
convient de l’écouter avec respect et empathie tout en essayant
de comprendre les ressorts de sa colère. Une fois que l’expres-
sion de colère est stabilisée (et que le clinicien a retrouvé son
calme si c’était nécessaire), il est utile de nommer la colère :
« Vous êtes en colère aujourd’hui » ; « Je vois que vous êtes bien
remonté ». C’est une façon de poser la colère comme objet
potentiel du travail clinique tout en vérifiant le degré d’ac-
cessibilité du sujet aux remarques du clinicien. Le clinicien
peut ensuite amener la discussion sur les causes de la colère :
« Qu’est-ce qui vous met en colère comme cela ? » ou : « Que
s’est-il passé qui vous a énervé ainsi ? ». Il importe alors que
le clinicien s’efforce de bien comprendre les motivations du
sujet et les respecte, même si sa réaction lui apparaît dispropor-
tionnée ou si les raisons qu’il invoque semblent peu plausibles.
Il est fréquent que le sujet mette d’abord en avant des raisons
superficielles qui masquent les vraies raisons du malaise. Par
exemple, un enfant pourra justifier la colère qui l’a poussé à
frapper un camarade par le fait que ce dernier lui a mal parlé,
mais en creusant, le clinicien met au jour que le matin même,
cet enfant a assisté à un conflit grave entre ses parents, qui l’a
bouleversé. Dans ces cas-là, le clinicien doit bien différencier
l’événement déclencheur de l’expression de colère de l’événe-
ment qui a produit la colère. L’important est qu’il parvienne à
une compréhension assez claire de la motivation de la colère,
au point que la colère, dans cette configuration-là, apparaisse
parfois légitime. Le clinicien peut alors résumer la situation :
« Si j’ai bien compris, ce matin, tu as vu tes parents se disputer
et ça t’a rendu très triste. Quand tu es arrivé ici, tu étais mal et

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Quand le sujet exprime des émotions intenses… 261

tu pensais à ça. Alors quand X a traité ta mère, ça t’a énervé et


tout ton malaise et ta colère sont sortis d’un coup. Et en arri-
vant à l’entretien tu étais encore énervé, la colère était toujours
là. C’est pour ça que tu criais. C’est bien ça qui s’est passé ? ».
Ce résumé permet au clinicien de vérifier s’il a bien compris la
situation et, le cas échéant, de montrer au sujet son empathie
et sa compréhension tout en l’amenant à voir de façon plus
objective le déroulement de ses processus internes. Cela a en
général pour effet d’apaiser le sujet. Pour autant, le travail du
clinicien sur cette séquence n’est pas fini. Car l’expression
intense et inadaptée de colère, pour respectable qu’elle soit
lors d’un entretien clinique, n’en reste pas moins probléma-
tique pour le sujet et son entourage. Le sujet est alors en risque
de voir ses relations se rompre, ses amis s’éloigner, les insti-
tutions (scolaire, professionnelles, hospitalières…) le rejeter.
Son rapport à lui-même peut en être affecté (« Je suis une
mauvaise personne, violente et incapable de se contrôler »).
Sa colère peut conduire à des conflits physiquement dange-
reux… Sans compter que son agressivité peut aussi nuire à
d’autres personnes et cela ne doit pas être nié par le clinicien
(comprendre oui, mais valider comme acceptable, non). Bref, la
colère trop intense et répétée a souvent des effets négatifs pour
le sujet et pour l’entourage. C’est donc un problème qui peut
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

faire l’objet du travail du clinicien. Outre la compréhension


des mécanismes sous-jacents de la colère (qui peuvent parfois
suffire à la désamorcer durablement), le clinicien peut travailler
en direct, après l’expression de colère, sur ses conséquences
immédiates (dans l’exemple évoqué plus haut : conflit avec
son camarade, blessure du camarade ou de lui-même, conflit
avec l’institution, tension avec les parents, etc.). Cela permet
d’aider le sujet à en prendre conscience pour qu’il soit motivé
à changer les modalités d’expression de sa colère. Ensuite,
selon son référentiel théorico-clinique, le clinicien proposera
au sujet des façons de la gérer autrement (techniques compor-
tementales, cognitives, échanges avec son thérapeute, parler

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262 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

rapidement à un proche ou à un professionnel de confiance,


techniques psychologiques ou de relaxation, écrire ou dessiner
sa colère, faire un tour, faire du sport, etc.).

4.4 Le patient trop joyeux et excité


Certains patients se présentent en entretien dans un état
d’excitation tel que le clinicien ne peut pas ne pas en tenir
compte. Le patient parle beaucoup, rapidement, il s’agite,
change de sujets rapidement, il a du mal à rester centré sur un
thème ou, à l’inverse, il parle à l’infini de la même chose sans
interruption. Le tout de façon dynamique et éventuellement
joyeuse. Le clinicien peut se sentir débordé, il peut avoir l’im-
pression d’être sans prise sur la situation qui lui échappe. Ses
tentatives habituelles d’intervention ont peu d’effet, le patient
ne semble pas se rendre compte de l’effet qu’il produit. Le clini-
cien peut aussi se sentir en dehors de la relation, comme exclu
par l’énergie du patient. Comment peut-il reprendre la main ?
Le mieux dans un premier temps est d’écouter et d’observer
la situation et le fonctionnement du patient, sans se précipiter
dans un contact direct et un rapport de forces. Le clinicien
peut alors se mettre dans une position de retrait de façon à
bien saisir la situation, mais aussi à laisser passer en lui les
sensations parfois déstabilisantes d’avoir perdu le contrôle,
de n’être pas pris en compte et d’être submergé par l’attitude
du patient. Il écoute aussi le contenu du discours du patient,
non dans le détail (car il y en a trop et trop rapidement), mais
dans les thèmes qui reviennent, les mouvements de fond, s’il
y en a. Puis s’il estime qu’il doit intervenir pour diriger l’entre-
tien dans une direction ou une autre, alors il tente de rentrer
dans l’entretien, la première fois d’une façon habituelle : « Oui,
oui, je comprends. Et alors concernant le travail que nous
faisions… ».
Si cela produit ses effets, tant mieux. Mais si ce n’est pas le
cas, le clinicien devra alors intervenir de façon plus rigoureuse

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Quand le sujet exprime des émotions intenses… 263

et ferme, tout en restant respectueux : « Excusez-moi – il peut


aussi lever la main en signe de silence – j’ai bien entendu ce
que vous disiez, je comprends. Cela dit, je souhaiterais… vous
demander… ou revenir au travail que nous avions prévu » ; ou
autre souhait selon les situations.
Si cela ne suffit pas, il convient que le clinicien accentue sa
reprise de contrôle de l’entretien : « Excusez-moi, je suis désolé
de vous couper la parole, mais je voudrais que vous m’écoutiez.
Sinon nous ne pourrons pas avancer. Si, si, j’insiste. Bon, voilà
ce que je souhaiterais… Je vous écoute, mais il faut que vous
m’écoutiez aussi, sinon on ne peut pas travailler ensemble… ».
Si l’excitation du sujet apparaît au psychologue comme un
indicateur d’un élément psychique sous-jacent pertinent à
travailler cliniquement, il peut l’aborder directement : « Je vois
que vous avez souvent beaucoup de choses à dire et qu’il y a
beaucoup d’énergie en vous aujourd’hui, au point que je doive
vous couper la parole pour intervenir. Il arrive que l’on ait
besoin de parler ainsi pour des raisons profondes, parfois liées à
des angoisses ou à d’autres choses. Sans doute est-ce le cas chez
vous ? ». Le clinicien peut aussi proposer un exercice ponctuel :
« Pour le vérifier et pour que l’on explore ça ensemble, je vous
propose la chose suivante : pendant une minute, nous restons
mutuellement totalement silencieux. Pendant ce temps, vous
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

observez ce qui se passe en vous. Et nous en parlons ensemble


juste après. Vous êtes d’accord ? ». Cela permet d’atteindre
plusieurs objectifs : d’une part, pour le clinicien, de reprendre
la main et de redonner un rythme constructif à l’entretien.
D’autre part, il permet au sujet d’expérimenter une présence
sans paroles, ce qui peut être pour lui très instructif. Enfin, cela
permet parfois de faire émerger des éléments psychiques qui
sous-tendent la logorrhée et l’excitation du patient, comme de
l’angoisse, de la détresse, de la gêne relationnelle ou autre. À
partir de là, il peut être possible de travailler ces éléments et de
les apaiser pour donner au sujet des possibilités d’instaurer des
relations plus tranquilles. Mais s’il apparaît que le sujet est en

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264 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

phase hypomaniaque, ces stratégies ne devraient pas suffire à


l’apaiser. En revanche, ce sera l’occasion de poser le problème
et d’ajuster, en renvoyant au psychiatre, pour les psychologues,
la stratégie médicale et éventuellement le traitement.

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15
Cha
pitre

FAIRE FACE
AUX ÉVÉNEMENTS
DE VIE DRAMATIQUES

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Une intervention thérapeutique peut durer de quelques
semaines à plusieurs années. Durant ce temps, le sujet est
engagé dans la vie comme tout un chacun. La psychothérapie
n’interrompt pas le cours de sa vie ! Or toutes sortes d’événe-
ments peuvent se produire dans la vie du patient. Certains
seront positifs (rencontres, réussite, amélioration, etc.),
d’autres négatifs (décès, séparation, découverte de maladie,
problèmes familiaux, de travail, ou problème qui touche un
proche…). Ainsi, un sujet qui consulte un psychologue pour
un trouble anxieux apprend, durant la thérapie de ce trouble,
que sa compagne souffre de sclérose en plaques. Le père d’une
patiente phobique sociale décède d’un cancer foudroyant
durant la thérapie. Tel autre, qui consulte pour des problèmes
de couple, découvre lors d’un examen médical qu’il a des
problèmes cardiaques importants. Ou encore cette patiente
qui consulte, pour y voir plus clair dans son rapport au travail,
et qui apprend durant la thérapie que son mari la trompe et,
dans la foulée, la quitte. Ou cette mère de famille qui apprend
en cours de thérapie qu’un de ses enfants souffre d’autisme.
Ou bien ce patient anxieux, dont la femme décompense un
trouble bipolaire après le début de la thérapie du mari, ce qui
la conduira à faire plusieurs tentatives de suicide. Ou encore
le patient souffrant de dépression qui apprend pendant la
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

thérapie qu’il va être licencié…


Ainsi, le cours de la thérapie, visant des objectifs précis, se
trouve soudainement détourné par l’émergence d’événements
de vie pénibles ou dramatiques. La force de ces événements
empêche l’intervention psychologique de se poursuivre telle
qu’elle était prévue et oblige le psychologue à s’adapter à cette
nouvelle situation. Cela est rendu nécessaire pour plusieurs
raisons :
– Des raisons d’empathie naturelle qui amènent le psycho-
logue à compatir à la souffrance d’autrui et à vouloir la
soulager.

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268 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

– Dans ces situations, le sujet est de toute façon beaucoup


moins disponible, voire plus du tout disponible, pour pour-
suivre le travail prévu.
– Le psychologue doit s’efforcer de limiter autant que possible
les effets traumatogènes des situations dramatiques rencon-
trées par le sujet pour ne pas laisser s’installer un contexte
propice à l’aggravation des problèmes pour lesquels il
consulte. Il faut donc aborder le nouveau problème pour
en neutraliser le potentiel effet pathogène.
« Il m’est arrivé un truc, il faut que je vous dise, ça n’a rien
à voir avec notre travail… mon père a été hospitalisé hier, en
urgence… »
La première chose que le psychologue doit faire est, bien sûr,
de prendre le temps d’écouter le sujet raconter le problème qui
est survenu. Empathie, chaleur, compréhension et profession-
nalisme sont nécessaires lors de cette écoute. Le psychologue
doit faire preuve de souplesse afin de changer l’ordre de
ses priorités. S’il avait prévu tel exercice thérapeutique ou
d’aborder tel thème avec le sujet, il doit dans l’instant mettre
cela au second plan et donner la priorité au nouveau problème.
Ses objectifs sont alors multiples (il travaille toujours dans
une logique multiniveaux) :
– Partager l’émotion du sujet pour l’accompagner dans la
tension et la souffrance qu’il ressent.
– Comprendre clairement le problème car, dorénavant, il fait
partie de la situation clinique.
– Saisir de quelle façon ce problème peut interférer sur la vie
psychique du sujet (traumatisme ? Recrudescence des symp-
tômes du sujet – anxiété, dépression, troubles alimentaires,
addictifs… ?) ainsi que sur la situation qui était en cours de
traitement clinique.
– Repérer les réactions protectrices du sujet à ce problème : a
priori (car c’est encore très tôt), le prend-il de façon salutaire

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Faire face aux événements de vie dramatiques 269

(en parler, agir, analyser, vivre ses émotions…) ou au


contraire pathogène (boire, évitement, déni, dépression…).
Sans perdre de vue que les premières réactions sont impor-
tantes mais peuvent évoluer rapidement.
À partir de ces éléments et en en discutant avec le sujet, le
clinicien déterminera s’il est nécessaire de travailler sur cet
événement ou s’il est possible de le laisser au second plan pour
rester sur les objectifs fixés préalablement à cet événement.
Si, après discussion avec le sujet, il est décidé de laisser cet
événement au second plan et de poursuivre le travail clinique
prévu, il sera bien que le psychologue se tienne malgré tout
informé, à chaque entretien, de l’évolution du problème de
façon directe et simple (« La situation de votre père a-t-elle
évolué ? » ; « Vous avez eu les résultats de vos examens médi-
caux ? » ; « Et au fait, pour votre fils, c’en est où ? »). Puis, cela
fait, il peut passer au travail en cours.
Mais il est possible aussi de considérer que cet événement
est suffisamment marquant pour le sujet pour qu’il faille
lui donner priorité. Ce sera le cas si le sujet en est tellement
perturbé que le travail prévu n’est tout simplement plus envisa-
geable, ou parce que l’événement provoque une telle réaction
de souffrance ou de détresse qu’il semble évident que le sujet
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

a besoin d’être aidé pour le vivre moins dramatiquement. Il


est bien alors d’expliciter ce changement d’objectif : « Je vous
propose, pour les entretiens à venir, que nous travaillions
surtout sur ce qui vient de vous arriver pour vous aider à le
surmonter. Nous reviendrons ensuite sur l’objectif que nous
suivions auparavant. D’accord ? ».
Le travail clinique s’oriente alors provisoirement vers du
soutien spécifique. Au besoin, le psychologue proposera d’amé-
nager le cadre (en fonction des contraintes d’organisation du
sujet, mais aussi de ses nouveaux besoins d’aide psychologique).
Ce soutien consistera en une écoute bienveillante mais aussi,
éventuellement, en des conseils pratiques (selon les problèmes

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270 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

et les connaissances du psychologue sur le type de problème


rencontré par le sujet) ainsi que des conseils psychologiques
pour aider le sujet à traiter au mieux ses réactions psycholo-
giques (les identifier, les accepter mais ne pas s’y enfermer,
maintenir des activités dans d’autres champs : travail, loisirs,
vie sociale…). Ce pourra être l’occasion d’apprendre au patient
des techniques spécifiques de régulation émotionnelle (relaxa-
tion, écriture, acceptation, résolution de problèmes ou autre
selon le référentiel théorico-clinique du psychologue) ou de
les exercer si elles avaient déjà été abordées en thérapie. Enfin,
en repérant attentivement l’émergence d’éventuels symptômes
psychopathologiques intenses, le psychologue pourra alerter le
patient de façon préventive en lui conseillant, le cas échéant,
d’aller consulter un médecin (ou psychiatre) pour envisager
avec lui la pertinence d’une prescription médicamenteuse ou
de l’adaptation d’un traitement en cours. Et cela sans attendre
une dégradation importante de l’état psychique du sujet.
Le psychologue, malgré tout, doit garder à l’esprit les objec-
tifs premiers de l’intervention (ceux qui ont été laissés de côté
provisoirement) de façon à envisager de les reprendre quand
cela s’avérera pertinent. Il peut être utile de rappeler de temps
à autre au sujet la situation au regard de ces objectifs multiples.

Quand la survenue de problèmes multiples est…


le problème
Certains patients semblent submergés de problèmes qui leur
tombent dessus les uns après les autres : au travail, dans leur
vie de couple, avec leurs amis ou encore dans leurs obligations
sociales. Un problème semble chasser l’autre et l’intervention
thérapeutique est sans cesse « suralimentée » par ces « coups du
sort » subis par le patient. Certaines personnes, effectivement
n’ont pas de chance ou se trouvent prises dans des cercles vicieux
où les problèmes psychiques, sociaux et affectifs se déclenchent

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Faire face aux événements de vie dramatiques 271


les uns les autres sans que la personne y soit pour grand-
chose… Dans ces cas-là, le soutien est l’objectif du psychologue.
Cependant, dans certains autres cas, le psychologue doit prendre
du recul et se demander dans quelle mesure cette accumulation
de problèmes ne participerait pas du fonctionnement personnel
du patient. Celui-ci, du fait de ses actions, bien qu’à son insu,
peut produire sans cesse des situations problématiques. Cette
succession de problèmes serait alors une conséquence de la
problématique du sujet sur lequel le travail clinique doit porter.
Par exemple des conduites d’échec, des relations inadaptées…
Sans perdre de vue que, même dans ce cas, le sujet est victime…
non du sort, mais de son propre fonctionnement.
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16
Cha
pitre

ABORDER
DES THÈMES
DÉLICATS (SEXE,
MORT, VIOLENCE,
SUICIDE, SYMPTÔMES
PSYCHOTIQUES…)

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aire
m
So m

1. Parler de sexualité ................................................. 276


2. Parler de maltraitance ........................................... 279
3. Parler de la mort .................................................... 293
4. Parler du suicide ..................................................... 295
5. Parler des symptômes psychotiques .................... 303

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Certains thèmes sont particulièrement délicats à aborder

Pa
dans la vie sociale courante, mais aussi lors des entretiens
rt
cliniques. La différence est que, dans la vie courante, il n’est
souvent ni bien vu, ni nécessaire de les aborder alors qu’ils
peuvent être l’objet même du travail clinique. Ces thèmes sont ie
pour l’essentiel, la vie sexuelle, la violence, les questions liées à
la mort et/ou au suicide ainsi que les symptômes psychotiques
(délires, hallucinations…).
Le psychologue, comme tout membre de la société, partage
des tabous, des gênes et des peurs qui vont se manifester quand
ces sujets apparaîtront dans l’entretien. Il devra donc gérer ces
mouvements parasites en lui pour être le plus ouvert, neutre
et compréhensif possible.

Quelques principes généraux sur les thèmes


que l’on aimerait bien éviter…
– En clinique, il ne peut pas y avoir de thème tabou. Tout ce qui
potentiellement pose problème au sujet ou contribue à expli-
quer ses problèmes doit pouvoir être abordé.
– Aborder un thème, quel qu’il soit, se fait de façon directe et
ouverte, avec respect, tact et empathie.
– Parler d’un thème de façon aidante et compréhensive ne crée
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

pas les comportements craints (parler de rapports sexuels non


protégés ne crée pas ce comportement ; parler de suicide ne
pousse pas au suicide ; évoquer les hallucinations ne crée pas
les hallucinations…).
– Ne pas parler de certains thèmes problématiques revient à les
laisser dans l’ombre, et sans possibilité d’influer sur leurs effets
négatifs.

Le plus souvent, les questions sexuelles heurtent la pudeur


et produisent de la gêne ; les questions sur la mort activent
les angoisses existentielles ; celles sur le suicide aussi, qui, en

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276 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

plus, produisent une tension liée à la responsabilité du psycho-


logue ; le thème de la violence produit souvent de la peur ou
de l’agressivité et, enfin, les symptômes psychotiques posi-
tifs (délires, hallucinations…) suscitent souvent un mélange
d’angoisse et d’étrangeté très perturbant. La difficulté pour le
clinicien est d’aborder ces thèmes difficiles pour lui-même et
pour le patient de la façon la plus naturelle possible sans dénier
leur caractère particulier.

1. Parler de sexualité

Il y a plusieurs raisons de parler de sexualité lors d’une inter-


vention clinique. Tout d’abord le patient peut consulter pour
un problème sexuel (impuissance, frigidité, vaginisme…) ou ce
dernier peut être comorbide d’un problème principal (dépres-
sion, anxiété ou autre) ; il est donc indispensable dans ces cas
de parler des questions sexuelles. Si le sujet consulte pour un
problème de couple, il va être difficile d’éviter de parler des
relations sexuelles au sein du couple. Les relations sexuelles,
l’orientation sexuelle, la masturbation font partie de la vie de
tous les êtres humains, il est donc nécessaire que le psycho-
logue puisse les aborder facilement. Par ailleurs, de nombreux
sujets consultants prennent des traitements psychotropes
(antidépresseurs, antipsychotiques…) qui peuvent produire des
effets secondaires contrariant la vie sexuelle qui pourraient les
conduire à remettre en cause le traitement. Donc, nombreuses
sont les raisons d’aborder les questions liées à la sexualité.
Quand le psychologue aborde ces sujets, il doit savoir dans
quel objectif clinique il le fait. Ce peut être pour un diagnostic,
l’exploration d’un problème, comprendre la vie du sujet, son
couple, ses difficultés face à un traitement médicamenteux…
Mais en aucun cas par curiosité personnelle. Ce peut être le
sujet qui amène lui-même le thème sexuel : « Je voulais vous

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Aborder des thèmes délicats… 277

parler d’autre chose aussi. J’ai un problème d’éjaculation


précoce… ». Le clinicien peut aussi aborder le sujet direc-
tement (lors d’échanges sur la vie de couple d’un patient) :
« Et au niveau sexuel, comment ça se passe entre vous ? » ;
« Concernant votre vie sexuelle, comment ça se passe pour
vous ? ».
Ce sujet est délicat à aborder à plus d’un titre. Il est souvent
en lui-même source de gêne et de honte (on ne parle pas habi-
tuellement de sexualité, ou pas sérieusement). Il est porteur
d’enjeux très importants, identitaires (« Quelle est mon
orientation sexuelle ? ») ou encore d’estime de soi (« Suis-je
performant ? Est-ce que je plais ? Suis-je normal ? »). Il est pris
dans un imaginaire puissant autorisant toutes les représen-
tations anxiogènes et déprimantes. Le clinicien devra donc
aborder ce thème sans fausse pudeur et avec tact, en respectant
la gêne du sujet le cas échéant. Il emploiera les mots justes
et précis qui conviennent a situation (sexe, pénis, testicules,
vagin, lèvres, clitoris, éjaculation, fellation, sodomie, rapport
anal ou oral, orgasme, plaisir, douleurs, échangisme, traves-
tisme, etc.) en utilisant un vocabulaire correct et courant,
et en s’adaptant aux connaissances du sujet. Le clinicien
doit donc avoir une bonne connaissance physiologique des
organes et des pratiques sexuelles les plus diverses. S’il ignore
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

ce dont lui parle le sujet, il peut lui demander des explications


(« Vous dites que vous avez des pratiques échangistes, c’est-
à-dire, concrètement comment ça se passe ? » ; « Vous vivez
en trouple, donc comment ça se passe sexuellement entre
vous ? »). Quand le psychologue ne connaît pas ce dont lui
parle le sujet, comme pour tout thème, il le questionne (« J’ai
besoin de bien comprendre. Pouvez-vous m’expliquer ce qu’il
en est de la vie sexuelle dans votre religion ? »). Là plus qu’ail-
leurs, il doit se garder de juger et il prendra garde de laisser
sa morale et ses modèles personnels de côté. Il doit être très
ouvert et respectueux des pratiques et des difficultés du sujet.
Le plus délicat est de parvenir à créer la possibilité d’échanges

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278 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

directs et simples sur ces questions de façon à ce que, pour la


suite de l’intervention, les questions sexuelles puissent être
abordées comme n’importe quel autre thème qui concerne la
vie du sujet.

Sexe et morale dans l’entretien clinique


Les pratiques sexuelles sont toujours particulièrement « enca-
drées » par des conceptions morales (qui tendent à les limiter)
et des principes culturels qui parfois tendent à les valoriser (libé-
ration sexuelle des sociétés occidentales). Chaque sujet de nos
sociétés doit faire avec ces principes parfois contradictoires
ainsi qu’avec ses propres modèles, besoins et désirs sexuels. Les
psychologues ont des pratiques sexuelles ainsi que des valeurs
morales personnelles. Celles-ci, cependant, quelles que soient
leurs motivations (hédoniques, morales, religieuses, hygiénistes,
culturelles…) ne peuvent servir de repère pour décider qu’un
comportement sexuel d’un patient est « bon » ou « mauvais » et
doive être changé. Les seuls repères qui permettent à un psycho-
logue d’évaluer les comportements sexuels du patient (et donc
de l’encourager ou non à les changer) sont :
– la loi pénale française (en France, les relations sexuelles doivent
être consenties et, globalement, ne doivent pas avoir lieu entre
majeur et mineur) ;
– le fait qu’elles n’aient pas d’effets négatifs évidents sur autrui
(rapports non protégés, violences sexuelles, pédophilie…) ;
– enfin, le fait que sa sexualité ne pose pas problème au sujet
(qu’elle soit egosyntonique).
À moins qu’elle ne remplisse ces conditions, le psychologue n’a
pas à chercher à modifier la vie sexuelle du sujet. La règle est que,
entre adultes consentants, tout est permis (sauf les violences
excessives et le meurtre…).

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Aborder des thèmes délicats… 279

Une fois le thème de la sexualité abordé dans l’entretien, il


sera traité comme n’importe quel autre thème cliniquement
pertinent : démarche diagnostique, demande, objectifs théra-
peutiques, mise en œuvre de la thérapie, évaluation…

2. Parler de maltraitance

La violence, en entretien clinique, peut se poser comme


problème soit quand le sujet a été victime de violences, soit
quand il est auteur de violences. Selon le cas, l’attitude du
psychologue diffère. Nous traiterons d’abord de la question
de l’entretien avec des sujets victimes, puis de celui avec les
sujets auteurs. Il arrive cependant qu’un même sujet soit en
même temps victime (ou l’ait été) et auteur.

2.1 Les victimes de violence


Les formes de la violence sont multiples. Une personne
peut ou a pu être victime de violences par un membre de
sa famille (toutes les configurations sont alors possibles, bien
qu’en général, ce soient les parents qui violentent les enfants et
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

les hommes qui violentent les femmes), par un pair au travail


ou à l’école (les phénomènes de harcèlement, de racket, de
bizutage violent, de harcèlement par Internet sont fréquents
et très destructeurs pour la victime), par un ami (agression,
viol…), ou, plus rarement, par un inconnu (vol, violences
multiples), par un État (pour les sujets ayant subi des violences
politiques, policières, militaires) ou encore par des institutions
(malheureusement, les institutions où travaillent les psycholo-
gues, comme la psychiatrie ou les maisons de retraite, ne sont
pas exemptes de violences à l’égard des résidents. Violences
peu fréquentes, mais destructrices. On peut aussi évoquer
la violence du milieu carcéral, par exemple, ou encore des

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280 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

situations comme l’exil (les réfugiés qui se déplacent pour cher-


cher un asile protecteur sont victimes de graves et nombreuses
violences durant leur périple). Les violences peuvent avoir eu
lieu dans le passé ou être actuelles. Elles peuvent être répé-
tées (comme la maltraitance quotidienne, le harcèlement…)
ou uniques (viol, agression). Elles peuvent avoir été intenses
et actives (maltraitance) ou discrètes et passives (négligence).
Nombreux sont les sujets en consultation dont l’histoire ou
le présent comportent des expériences violentes et doulou-
reuses. Certains sujets font un lien direct entre leurs difficultés
et des événements violents subis, et c’est ce qui les amène à
consulter. Pour d’autres, les violences qu’ils ont subies appa-
raissent progressivement lors des entretiens sans qu’il y ait de
demande initiale de la part du sujet pour les traiter.
Les violences, quelles qu’elles soient, pour peu qu’elles
soient intenses et/ou répétées et que le sujet en ait été marqué,
peuvent avoir des effets destructeurs massifs et produisent
fréquemment des troubles de stress post-traumatiques. Il est
donc très courant en entretien clinique de s’attarder sur ces
situations de façon à en réduire les effets douloureux et patho-
gènes. Le travail clinique peut d’emblée s’orienter vers cet
objectif, si telle est la demande du sujet mais, dans les cas où
le sujet amène cette thématique en cours de suivi, le clinicien
n’hésitera pas à la prendre en compte et même à proposer au
sujet de la prendre comme nouvel objectif du travail clinique,
en laissant de côté provisoirement l’objectif en cours.
Aborder les thèmes de violences dont ont pu être victimes
les patients est délicat. D’une part, il est important de ne pas
éviter le sujet et d’aller vers ces récits douloureux et, d’autre
part, ces questions sont souvent très sensibles pour le sujet,
et il convient donc d’y aller prudemment, au rythme que le
sujet peut supporter. Il faut tenir compte de sa sensibilité vis-
à-vis de ces expériences et de sa capacité à les aborder et donc
de les revivre psychiquement. Il faudrait éviter que le sujet
ne s’expose trop brutalement aux émotions douloureuses

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Aborder des thèmes délicats… 281

associées à ces situations, au risque que cela aggrave les consé-


quences psychiques des violences subies (on parle alors de
« retraumatisme »).
Pour évaluer cela en entretien, le psychologue s’en fait
une idée par l’observation du sujet : quelles émotions s’ex-
priment quand il évoque cette violence ? Comment gère-t-il
ces émotions ? Cela paraît-il supportable pour lui ? Un autre
moyen de l’évaluer est tout simplement de le lui demander :
« Vous avez fait allusion à des événements douloureux que
vous avez vécus. Il pourrait être important que nous y reve-
nions à un moment ou à un autre, car ces événements ont
pu contribuer à vos difficultés présentes. Cela dit, il peut être
difficile d’aborder ces souvenirs douloureux. Donc nous n’y
reviendrons que si vous vous sentez prêt à le faire. Qu’en
pensez-vous ? Vous pensez que nous pouvons en parler main-
tenant ou vous préférez que nous fassions cela plus tard, voire
pas du tout ? Dans tous les cas, je suis disponible pour les
aborder quand vous le souhaiterez, n’hésitez pas à me le dire
le moment venu. » Ainsi l’abord de ces questions peut être
reporté et peut se faire de façon très progressive.
Le psychologue, en particulier s’il est inexpérimenté, a
tendance à « se jeter » sur les souvenirs sensibles du sujet, car
ils paraissent la cause et la solution de ses problèmes. Mais
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

sur ces thèmes, il vaut souvent mieux suivre le sujet et non


pas le précéder dans son expression. L’important est le travail
psychique que fait le sujet en racontant ces expériences
douloureuses et non le fait qu’il les raconte. Car ce récit peut
être pathogène s’il est forcé et prématuré.
Quand les sujets abordent ces événements ils sont souvent
dans un état d’esprit inconfortable qui mêle la souffrance asso-
ciée aux souvenirs, la honte (d’être victime et « faible »), la
culpabilité (et si c’était de leur faute ?), la gêne de dénoncer des
proches (parents, collègues) qui se sont mal comportés, et l’an-
goisse de n’être pas cru (est-ce que c’est bien vrai tout cela ?).
Parfois, cela s’accompagne de difficultés cognitives (attention,

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282 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

mémoire, concentration, cohérence des souvenirs…) en raison


de l’impact traumatique des violences.
Pour aider le sujet à s’exprimer dans de bonnes conditions,
le clinicien a intérêt à adopter une attitude qui suit plusieurs
principes :
– Comme toujours, mais encore plus accentués dans ce cas :
une écoute compréhensive et du tact clinique dans un
rythme que le patient peut suivre émotionnellement (n’être
pas pressé sur ces situations possiblement traumatiques).
– L’intention de se faire une idée assez précise des faits pour
bien comprendre la situation (récit factuel) : « Quand vous
dites qu’il vous battait, c’est-à-dire ? Il vous frappait ? Avec
des objets ? Il est arrivé que vous soyez blessé à la suite de
ces coups ? Cela était fréquent ? ».
– Dans un deuxième temps et si cela n’est pas trop pénible
pour le sujet, la volonté de comprendre le point de vue du
sujet, de comprendre son expérience intérieure : « Mais à ce
moment-là, que ressentiez-vous ? Et comment compreniez-
vous cela ? ».
– Une empathie importante, une validation des émotions
vécues : « Je comprends, cela a dû être très angoissant pour
vous ? » ; « Oui, c’est vraiment triste comme situation ».
– Un a priori en faveur de la reconnaissance du statut de
victime du sujet. Donc le clinicien écoute le sujet comme
une victime a priori et non comme un sujet dont le statut
de victime serait à prouver. Il est donc nécessaire d’éviter ce
qui met en doute le statut de victime du sujet (« Vous êtes
bien sûr que vous n’étiez pas consentante… ? ») Ce n’est pas
le rôle du psychologue d’établir la vérité des faits. Il vaut
mieux se tromper dans un premier temps en écoutant une
« pseudo-victime » comme si elle était une victime (ce qui ne
produit pas de réels dommages chez le sujet), que de prendre
le risque de douter du récit (aussi décousu ou incohérent
soit-il) d’une vraie victime (ce qui est très destructeur et
douloureux pour le sujet).

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Aborder des thèmes délicats… 283

Une fois que le récit des événements est achevé et que le


psychologue n’a pas d’élément solide pour douter du statut de
victime du sujet, il est important de le reconnaître explicite-
ment et d’exprimer que le sujet a subi des violences injustes :
« Ce que vous avez subi, ce n’est pas normal » ; « Vous avez été
victime de violences qu’un enfant ne doit pas subir » ; « Ce
que vous avez vécu, c’est une agression psychologique. C’est
même un délit qui peut être puni par la loi (en cas de harcè-
lement) » … Cela permet déjà de montrer au sujet qu’après
l’avoir écouté attentivement, on le croit et on accorde foi à son
récit. C’est aussi une façon d’alléger le poids de la honte et de la
culpabilité : « Ce n’est pas de votre faute, vous étiez un enfant,
vous ne pouviez pas empêcher vos parents d’agir ainsi ». C’est
aussi porter un regard moral et légal sur la situation qui replace
les événements dans un contexte de justice favorable mora-
lement au sujet qui a subi une injustice (la maltraitance est
injuste).
Sur cette base-là, les événements douloureux peuvent ensuite
être traités dans le cadre d’une bonne alliance thérapeutique
selon les référentiels théorico-cliniques du psychologue.

Et quand les violences sont actuelles ?


© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Les sujets suivis par des psychologues sont parfois actuellement


victimes de violences. Ces dernières exercent dans le présent
leurs effets destructeurs sur le sujet. Si ces effets sont flagrants
et que la maltraitance est destructive (si elle dépasse les capa-
cités de « faire face » du sujet), le clinicien doit agir en priorité
pour que le sujet ne soit plus exposé à cette violence. L’idéal
serait de l’amener à se dégager par lui-même de ces situations (se
défendre, partir, dénoncer…). Mais il n’est pas toujours en état ni
en situation pour le faire. Le clinicien peut alors l’aider activement
à trouver des aides concrètes (des syndicats à la police en passant
par les enseignants et des associations d’aide aux victimes, selon

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284 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique


les situations), voire l’aider à construire une issue immédiate à ces
violences (trouver un autre lieu où aller : ami, foyer). La priorité est
de développer une stratégie pour protéger le sujet de la violence
qu’il subit. Dans les cas où la violence correspond à un délit ou
à un crime, le clinicien peut encourager le sujet à la signaler à la
police. Cependant, il est souvent préférable d’inviter la victime à
aller vers des associations de victimes ou des interlocuteurs (délé-
gués du personnel au travail, CPE ou infirmier au lycée, etc.) qui
sauront mieux le conseiller pour les démarches à suivre au niveau
judiciaire et social, le psychologue se consacrant aux répercussions
psychiques de la maltraitance. Bien sûr, le clinicien agit avec mesure
et tient compte de la spécificité du contexte, des rapports de forces
et de la dangerosité des acteurs de la situation. Il ne faudrait pas
que les conséquences des solutions mises en place soient encore
plus destructrices pour le sujet. Le clinicien peut aussi être amené
à faire lui-même un signalement dans les cas graves.

Faire un signalement
Rappelons que, dans le cas où la violence est actuelle et porte
sur des personnes vulnérables (maltraitance), en particulier des
enfants, le psychologue, comme tout citoyen, a une obligation
de signalement aux services compétents. Sinon, il serait sous le
coup de la loi sur la non-assistance à personne en danger.
« Lorsqu’une personne a connaissance de la situation d’un enfant
en danger ou en risque de l’être, la loi lui impose d’en informer
les professionnels (assistantes sociales, médecins…).
La personne peut saisir les professionnels :
– par courrier : en précisant ses coordonnées et celles de la
personne qu’elle signale, sa situation (profession ou service) ;
– ou par téléphone : en contactant le service compétent ou le 119.
S’il s’agit d’une personne âgée ou handicapée : appelez le 3977.
S’il s’agit d’une femme battue : appelez le 3919 ».

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Aborder des thèmes délicats… 285

2.2 Quand le statut de victime est injustifié


Certains sujets se vivent comme des victimes de violences
alors même que les faits qu’ils relatent ne semblent pas corres-
pondre à cette situation. Par exemple, un sujet qui supporte
mal les conflits professionnels peut se sentir victime de harcèle-
ment de la part de ses collègues, sans qu’il y ait pour autant de
harcèlement objectif. Le psychologue ne peut pas dans ce cas
lui reconnaître le statut de victime de harcèlement (là s’arrête
l’a priori en faveur du statut de victime) car ce serait placer le
problème qu’elle subit sur un plan peu constructif (et de facto,
ce serait reconnaître le statut de coupables aux collègues et ce
serait ouvrir la voie éventuellement à des actions en justice
injustifiées). C’est pourquoi le clinicien, tout en ayant un a
priori favorable sur le statut que s’attribue le sujet, doit quand
même se faire une idée assez précise des faits relatés par le
patient avant de se positionner sur cette situation (sachant
qu’en cas de doute, il est préférable d’abonder dans le sens du
discours du sujet. Voir plus haut).
Dans les cas où il n’a pas suffisamment d’éléments pour se
positionner, il peut reconnaître le vécu douloureux du sujet
sans pour autant valider son statut de victime : « Je vois que
cette situation vous a profondément affecté. Il est important
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que nous en reparlions ».

Victime… de son fonctionnement


Par exemple, le sujet peut montrer de la froideur et/ou de l’agres-
sivité vis-à-vis des autres (en raison de troubles de la personnalité
dont il n’a pas conscience). Alors, en réaction, les autres se
braquent et réagissent avec agressivité/éloignement. Face à cela,
le sujet réagit à son tour comme s’il était victime de cette agres-
sivité/éloignement. Finalement, le sujet ne perçoit que la fin de
la séquence (« Les autres sont agressifs/distants avec moi, je suis

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286 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique


victime de leur comportement ») et n’a pas conscience de
son comportement initial qui a initié cette séquence. Il est
victime quand même, pas des autres, mais de ses schémas
dysfonctionnels.

Parfois, il paraît évident au clinicien que le sujet se met


activement (bien qu’involontairement) dans des situations
relationnelles produisant des violences qu’il subit ensuite, dont
il se plaint et qu’il vit comme s’il était une victime de ses inter-
locuteurs. C’est souvent le cas de sujets ayant des troubles de
la personnalité dépendante ou borderline (qui peuvent se placer
dans des situations à risque du fait de leurs fréquentations ou
des états de vulnérabilité dans lesquels ils peuvent se trouver
en raison de leurs comportements ou encore de l’alcool ou
des drogues qu’ils prennent) ou des sujets dépressifs (parfois
convaincus que personne ne peut les aimer, ils adoptent une
attitude froide et hautaine à laquelle leurs interlocuteurs
réagissent avec agressivité… ce qui vient confirmer leur convic-
tion de départ). Le clinicien peut constater l’évidence de ces
mécanismes, il voit la séquence complète au cours de laquelle
le sujet met en place les éléments de son propre malheur. Le
clinicien peut être étonné que le sujet ne les voit pas lui-même
et qu’il répète sans cesse ces comportements qui lui nuisent.
Le sujet, lui, n’a pas conscience de ses comportements et il fixe
son attention sur la seule fin de la séquence quand l’agressivité
des autres lui revient et qu’il se vit comme une victime.
Dans ces cas, le clinicien doit, en entretien, se garder de faire
part au sujet directement de sa compréhension de la situa-
tion (même si elle est juste). S’il le faisait, cela donnerait par
exemple : « On voit bien que dans cette situation c’est ce que
vous avez mis en place au départ qui a produit ce résultat
dont vous vous plaignez. Finalement, vous en êtes respon-
sable plutôt que victime ». Cela a toutes les chances de heurter
le sujet en lui donnant le rôle de « fautif » (donc le mauvais

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Aborder des thèmes délicats… 287

rôle), alors même que son imaginaire lui donnait le bon rôle
(la victime de la méchanceté des autres). D’un autre côté, si
le clinicien se contente de valider le statut de pseudo-victime,
alors il ferme la porte à un travail clinique nécessaire sur la
façon problématique dont le sujet mène ses relations.
Dans un premier temps, le mieux est sans doute de rester
sur une position un peu floue qui reconnaît la souffrance du
sujet dans ces situations sans pour autant se positionner sur
son statut de victime du comportement des autres. À la limite,
le psychologue peut dire au sujet qu’il est « victime de ces
situations », ce qui est vrai mais qui est différent de lui dire
qu’il serait victime du comportement des autres. Quand le sujet
semble reconnaître une part de responsabilité du fait de son
fonctionnement dans ces situations, on peut aussi lui dire qu’il
est « victime de son fonctionnement psychique et relationnel
inconscient qu’il ne contrôle pas ». Si le sujet insiste et met
un point d’honneur à être reconnu comme victime (« Mais
alors, vous croyez ce que je vous dis ou non ? Vous voyez
bien que ce qu’ils font n’est pas normal ! »), le psychologue
peut être acculé à se prononcer. Dans ces cas, il peut tenir
un discours assez subtil en allant globalement dans le sens
attendu par le sujet (pour ne pas briser l’alliance), tout en lais-
sant une ouverture sur un autre point de vue (pour permettre
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

le travail clinique ultérieur, source de changements possibles).


Cela pourrait donner : « Je pense que ces situations sont très
pénibles et douloureuses pour vous. Effectivement, tel que
vous le décrivez, le comportement de vos collègues apparaît
violent et injustifié. Mais ces situations sont complexes et il est
important de bien comprendre ce qui se passe et de prendre en
compte tout ce qui peut contribuer à ces situations anormales
dont vous êtes victime. C’est ce que je vous propose que nous
fassions lors de nos prochains entretiens ».
Ainsi le sujet est globalement conforté dans sa façon de se
situer dans le problème, mais le clinicien a ouvert une voie
d’exploration qui pourra permettre de mettre en évidence la

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288 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

part de responsabilité du sujet dans les situations dont il se


plaint.

2.3 Les auteurs de maltraitance


Le thème de la violence exercée par le sujet, qu’elle soit
psychologique (harcèlement, crises de colère verbale…),
sexuelle (viol…) ou physique (coups…) peut apparaître de
plusieurs façons dans une intervention clinique. Tout d’abord
le sujet peut être contraint de suivre une psychothérapie en
raison de sa violence et après une obligation de soin prononcée
par un juge. Mais même hors d’une obligation judiciaire, des
sujets consultent des psychologues pour stopper leurs compor-
tements agressifs qu’ils ne contrôlent ni ne supportent en eux
(s’ils le supportent, ils ne vont pas consulter spontanément
pour changer !).
Certains sujets peuvent présenter des comportements
violents en raison d’un trouble psychopathologique (dépres-
sion, troubles du comportement, épuisement professionnel,
stress, addiction…). D’autres sujets ont un imaginaire violent
qui leur fait peur (« Des fois, j’ai envie de poignarder mon
enfant, c’est horrible, je suis un monstre… »). Ces diverses
situations où émerge le thème de la violence doivent être envi-
sagées différemment par le psychologue. Cependant, comme
pour chaque thème abordé lors d’entretiens cliniques, le
psychologue doit adopter une attitude d’écoute compréhensive
et bienveillante, même face à un sujet rapportant ses pensées
ou ses comportements destructeurs et choquants. Le psycho-
logue doit aborder le thème de la violence comme n’importe
quel autre thème, en cherchant à le comprendre au mieux
et en le situant dans la dynamique psychique du sujet. Sans
cette compréhension et cette bienveillance, il ne pourra pas
agir sur ce comportement pour l’empêcher. Il y a cependant
quelques spécificités imposées par ce thème. De fait, la violence
est destructrice et peut être directement le moyen d’infliger

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Aborder des thèmes délicats… 289

de grandes souffrances à autrui (ses enfants, sa conjointe, un


collègue harcelé…). Le psychologue ne peut être indifférent à
ce risque. Œuvrer pour la santé mentale du sujet qui le consulte
est un objectif évident, mais agir pour que ce sujet ne détruise
pas la santé mentale d’autrui est tout aussi important.
Notons que, face à un sujet qui est violent dans certaines
circonstances où la violence est partagée et volontaire chez
les deux parties (guerre, supporters, bagarres de bar, de rue,
réponse à la violence d’un milieu violent, manifestations…),
nous ne sommes pas dans un cadre de maltraitance. La
violence est parfois un comportement socialement structuré,
voire utile (légitime défense), auquel le sujet peut se prêter…
Dans ces cas, le psychologue peut montrer au sujet les risques
liés à ce comportement et tenter de le comprendre pour voir si
cette violence est réellement adaptée. Cependant elle n’est pas
nécessairement problématique en soi et, malgré ses convictions
personnelles, le psychologue pourrait être amené à accepter
que le sujet ait parfois des comportements violents (en parti-
culier de protection et de légitime défense) …
Mais face à un sujet violent maltraitant et qui ne reconnaît
pas la dimension destructrice pour autrui de sa violence (qu’elle
soit physique ou psychique), le psychologue doit être clair sur
son positionnement clinique et éthique. Au-delà de la répul-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

sion ou de la peur que peuvent produire les récits violents du


sujet, le psychologue doit s’efforcer de construire une relation
de confiance et d’alliance, sans laquelle aucun changement
ne sera possible pour le sujet. Mais confiance et alliance ne
veulent pas dire que le psychologue doive abonder dans le sens
du sujet quand il minimise les effets de sa violence ou qu’il en
réduit l’importance (« Une petite claque, des fois, ça fait pas de
mal » ; « Elle exagère, je l’ai pas frappée si fort… » ; « Mais c’était
pour rire, avec les collègues, c’était pas sérieux, ah la la si on
peut même plus se charrier un peu » …), voire s’il s’en vante
(« Ce que je lui ai mis dans la tronche… »). Montrer une atti-
tude exclusivement de compréhension serait en quelque sorte

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290 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

légitimer le discours du sujet et indirectement l’encourager


dans ses comportements violents. D’un autre côté, adopter
uniquement une attitude morale autoritaire (« Ça ne se fait
pas, il faut arrêter immédiatement ») a toutes les chances de
produire un repli du sujet (réactance), défavorable à l’alliance
thérapeutique et donc à un changement possible.
Une issue à ce dilemme est de maintenir une attitude de
compréhension, de respect et de bienveillance pour le sujet
en lui-même (support de l’alliance), tout en gardant la liberté
de pointer que les comportements violents sont probléma-
tiques (voire condamnables moralement et/ou pénalement).
Ce n’est donc pas le sujet qui est marqué de la désapprobation,
mais certains de ses comportements que le psychologue peut
réprouver. Et cela non pas pour des considérations morales
impersonnelles (« Il ne faut pas le faire parce que c’est mal »),
à moins que le sujet n’y soit sensible, mais plutôt par l’étude
rationnelle des conséquences de la violence sur le sujet lui-
même (problèmes avec la justice, risque de perdre ses enfants,
par exemple) et sur autrui (dépression, traumatisme, souf-
france, blessures…). Sur cette base-là, il pourrait être possible
de susciter suffisamment de motivation chez le sujet pour
effectuer un travail clinique afin de modifier les mécanismes
qui le mènent à la violence et à la maltraitance. Cela pourrait
se faire ainsi : « Si j’ai bien compris ce que vous m’avez dit,
quand vous avez des problèmes au travail, cela vous stresse
et quand vous êtes stressé et tendu, vous êtes vite en colère.
Alors quand vous rentrez chez vous et que votre femme dit ou
fait quelque chose qui ne vous plaît pas, cela vous énerve au
point que vous pouvez en arriver à la bousculer. Et les choses
s’enveniment alors assez vite et c’est là que vous la frappez,
parfois violemment. Mais une fois que cette colère est passée,
alors vous le regrettez car vous aimez votre femme et vous avez
honte de ce que vous avez fait. C’est bien cela ? Alors je crois
que je comprends bien la logique intérieure qui vous mène à
la frapper et je vois aussi que vous l’aimez. Cependant, on voit

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Aborder des thèmes délicats… 291

bien que ce comportement violent pose plusieurs problèmes.


D’abord, il est sûrement très douloureux pour votre femme
qui en souffre énormément. En plus, cela met en danger votre
couple et votre famille, car elle ne va sans doute pas supporter
cela très longtemps. Et vous, ça vous met mal finalement, car
vous n’aimez pas ce comportement chez vous. Et enfin, ça
vous amène à avoir des problèmes avec la police et la justice
et vous êtes maintenant obligé de voir un psychologue. C’est
pourquoi je vous propose que l’on travaille ensemble pour voir
comment nous pourrions vous aider à arrêter ces comporte-
ments de violence et sans doute à mieux gérer votre colère.
Vous êtes d’accord ? ».
Ce type d’intervention permet de dissocier le sujet de son
comportement, afin de s’allier avec le premier pour modifier le
second. En quelque sorte, on s’appuie sur la partie « saine » du
sujet, pour lutter contre la partie « malade ». Il s’agit finalement
de rendre encore plus « egodystonique » la violence du sujet.

Psychologue, juge et policier ?


Dans les affaires de violences, il n’appartient pas au psychologue
de juger et de punir (c’est le rôle du juge) ni d’enquêter pour
établir la réalité des faits (c’est le rôle de la police). Le rôle du
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

psychologue est double : comprendre la dynamique psychique


qui pousse le sujet à la violence de façon à réduire ses passages
à l’acte et à l’amener à un fonctionnement plus adapté pour lui-
même et pour les autres. Cela n’empêche pas le psychologue
de travailler psychologiquement les questions liées à la loi, à la
morale, à la culpabilité et à la sanction non pas pour les exercer
mais pour permettre au sujet de les intégrer psychiquement, d’en
comprendre le sens et autant que possible de les intérioriser.

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292 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

2.4 Dans le cas où la violence du sujet est


imaginaire
Certains sujets sont emplis d’une intense violence imaginaire,
qui s’exprime sous forme de fantaisies imaginaires, de désirs.
Parfois cela va jusqu’à la phobie d’impulsion (un patient avait
très peur de sauter des balcons sur lesquels il se trouvait, sans
pour autant être suicidaire ; un autre était terrifié par l’idée qu’il
pourrait frapper violemment ses enfants, sans pour autant être
un père maltraitant…). Imaginer la violence et passer à l’acte sont
deux choses très différentes. Autant le passage à l’acte violent est
destructeur pour les autres et doit être empêché, autant l’ima-
ginaire violent ne l’est souvent que pour le sujet lui-même qui
en ressent une intense culpabilité. La violence imaginaire peut
être une soupape psychique qui peut précisément limiter les
risques de passage à l’acte. En entretien, le psychologue aura
intérêt à écouter avec compréhension cette violence psychique
ainsi que les réactions qu’elle provoque chez le sujet. Elle est
souvent accompagnée de honte et de gêne (« Quand même, je
ne devrais pas penser tout ça, je suis vraiment horrible »). Or ces
réactions de gêne face à la violence imaginaire sont susceptibles
d’en entraver la fonction de soupape. Le psychologue peut alors
déculpabiliser le sujet et faire la part des choses à propos de la
violence : « Vous savez la violence, l’agressivité, ce sont des réac-
tions humaines très naturelles. Il est normal d’avoir des pensées
violentes ou agressives, y compris quand elles sont immorales.
Ce qui importe bien sûr, c’est de ne pas passer à l’acte, c’est le
comportement violent qui pose problème et que l’on peut juger
moralement et pénalement. Mais, sinon, on peut imaginer ce
que l’on veut, il n’y a pas de honte à cela, chacun a toutes sortes
de pensées immorales en tête, qu’elles soient sexuelles ou agres-
sives ou encore égoïstes… ». Il peut ensuite orienter l’entretien
pour comprendre les ressorts de cette violence imaginaire de
façon à l’apaiser si nécessaire, en suivant les stratégies propres
à son référentiel théorico-clinique.

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Aborder des thèmes délicats… 293

3. Parler de la mort

Tout être vivant meurt, c’est inéluctable. L’être humain en


est conscient et en souffre souvent. La mort est une question
existentielle banale, très répandue. Comme tout le monde, les
patients suivis par des psychologues peuvent se questionner
sur la mort, la leur ou celle de leurs proches. Ces questionne-
ments existent dès l’enfance où la mort est souvent associée à
la séparation et à l’absence ; ils sont fréquents à l’adolescence
comme un questionnement existentiel abyssal, parfois fasci-
nant ; à l’âge adulte, bien que l’on s’efforce de ne pas trop y
penser, la question peut être toujours active et angoissante.
Chez les personnes proches de la mort, du fait de leur âge ou
de maladie, la perspective de la mort est alors plus concrète,
elle approche et il faudrait s’y préparer. Sa propre mort est
difficilement envisageable. Elle peut apparaître comme très
angoissante mais aussi comme mystérieuse. Se passe-t-il
quelque chose ensuite ? L’« âme » survit-elle à la mort du corps ?
Ne restera-t-il vraiment rien de moi ?
Cela dit, malgré cette angoisse et cette fascination, la plupart
des gens peuvent anticiper leur mort en pensant à la vie de
leur entourage après leur mort, en préparant leur succession,
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

en pensant à ce qu’ils voudraient laisser comme message…


Bref, on peut apprendre à mourir et s’y préparer. Quoi qu’il en
soit, en entretien clinique, le psychologue doit pouvoir aborder
cette question, si elle se présente, sans tabou ni peur, de façon
rationnelle et sensible, dans le respect des croyances du sujet.
Cela implique que le clinicien soit lui-même familiarisé avec
cette question et qu’il n’en ait pas (trop) peur. Il lui faut donc
éviter d’éviter le sujet, par exemple avec des interventions
comme : « Oh, ce n’est pas très gai tout ça » ; « Oui, mais bon,
on n’y peut rien alors autant parler de choses de la vie… ». Au
contraire, il doit pouvoir s’engager dans des échanges sur cette
question : « Vous me disiez que vous étiez assez angoissé par

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294 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

la mort ? C’est-à-dire, vous pouvez m’en dire plus ? » ; « Vous


avez le sentiment qu’il ne vous reste pas beaucoup de temps et
vous souhaitez en profiter pour bien préparer les choses pour
vos enfants… ». Il peut aussi questionner le sujet : « Mais pour
vous, la mort, c’est quoi ? Comment voyez-vous ça ? ».
Malgré son caractère angoissant, le thème de la mort n’est
pas nécessairement morbide ni inquiétant. Il fait partie de
la vie et chaque être humain a affaire avec cette perspective.
Ainsi, l’on peut parler de la mort sans être pour autant anxieux,
ni dépressif, ni suicidaire. Évoquer la mort, y penser, en parler
peut être normal et sain, ce n’est pas en soi un signe patho-
logique. C’est un questionnement existentiel, philosophique
ou spirituel, qui s’efforce de donner sens à la vie. La mort est
au cœur de nombreuses philosophies (Montaigne disait que
« philosopher, c’est apprendre à mourir ») et de toutes les reli-
gions qui proposent leurs réponses à ce qu’elles considèrent
comme un passage vers une autre vie. Parler de la mort, c’est
aussi parler du sens de la vie. Or la santé mentale a besoin de
sens, de valeurs et de directions. Le clinicien ne doit donc pas
s’alarmer parce qu’un patient (quel que soit son âge) souhaite
parler de la mort en entretien.
Cependant, si le psychologue a ses propres convictions,
croyances ou ses propres doutes sur la mort, il n’a pas à les
imposer au sujet. C’est à chacun de se faire son idée ou de
cultiver ses doutes. Donc, comme pour les autres sujets abordés
en clinique : écoute, compréhension, échanges, voire conseils
sur le thème de la mort sont possibles en entretien clinique.
Il arrive aussi que le thème de la mort soit pris dans une
dynamique pathologique. Ainsi, l’angoisse associée à la mort
peut devenir obsessionnelle ou être un symptôme d’une
anxiété généralisée, voire le thème de délires. Alors le clini-
cien doit les aborder en prenant en compte leur double aspect,
existentiel et pathologique (par exemple : « C’est vrai que la
mort est une question qui concerne tous les êtres humains et
qu’il est normal d’y penser. Cependant dans votre cas, on voit

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Aborder des thèmes délicats… 295

que vous y pensez trop et avec trop d’angoisse, au point que


ça vous gêne dans votre vie. C’est pourquoi il est important
que l’on puisse réduire cette gêne pour n’en faire plus qu’une
question existentielle… »).

4. Parler du suicide

La question du suicide est complexe. Elle concerne bien sûr


la mort, mais aussi le désir du sujet de se tuer lui-même. La
question du suicide peut être envisagée à deux niveaux : un
niveau non pathologique, où le sujet se questionne sur l’hypo-
thèse de se tuer ; un niveau pathologique où le désir de mourir
provient d’une souffrance insupportable ou d’un trouble
psychique (dépression, schizophrénie, troubles bipolaires…).
On peut penser au suicide sans que cela relève d’un trouble
psychique. On peut y penser comme d’une possibilité exis-
tentielle, d’une hypothèse philosophique. C’est le cas de
nombreux adolescents. Vivre ou mourir ? Quel est le sens
de la vie ? Si je me tuais, que se passerait-il ? Rien n’empêche
d’aborder cette question sous cet angle en entretien. Le sujet
réfléchit à cette hypothèse qui a fonction de « vue de l’esprit »
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

et ne s’accompagne pas de désir de mourir.


Une autre possibilité, non pathologique, est que le sujet ait
envie de mourir pour de bonnes raisons. Une minorité des
suicides appartiennent à cette catégorie. Des personnes âgées
malades ou des malades dont le pronostic vital est engagé
et qui souffrent choisissent de mettre fin dignement à leurs
jours pour ne pas sombrer dans la déchéance. Certains pays
(Suisse, Pays-Bas et trois États aux États-Unis) reconnaissent
légalement cette possibilité et ont organisé des procédures de
« suicide assisté » où les personnes souhaitant mettre fin à leurs
jours peuvent être autorisées à le faire, aidées par des médecins
et entourées par leurs proches, pour que cela se fasse le plus

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296 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

sereinement possible. Cela dit, en France, ces lois n’existent


pas, seule l’euthanasie passive, très encadrée, est possible. Donc
selon la législation du pays, le psychologue peut ou non s’en-
gager dans un travail clinique visant la perspective d’un suicide
assisté. Le faire en France reviendrait à courir le risque, pour
le psychologue, d’être coupable de non-assistance à personne
en danger, voire de complicité d’assassinat. La position légale
du psychologue français, sur le territoire français, est donc de
promouvoir la vie et de lutter contre toute forme de suicide
quelles qu’en soient les motivations. Il ne peut ouvertement
reconnaître au patient évoquant des projets de suicide la légi-
timité de son projet, sans risquer des poursuites pénales (et
quoi qu’il pense de la frilosité de la France sur ces questions…).
Cela dit, la grande majorité des cas de suicides ou de tenta-
tives de suicide sont des conséquences directes de troubles
psychiques (en particulier les troubles dépressifs). Il s’agit de
l’expression symptomatique d’un trouble et non de l’expres-
sion des désirs d’un sujet en pleine capacité de jugement.
D’ailleurs, dans ces cas, il suffit que le trouble s’atténue pour
que le désir de mourir passe lui aussi. Ce n’est donc pas un
choix existentiel mais bien le résultat d’une aliénation patho-
logique, dans ce cas, potentiellement mortelle.
Comment le psychologue peut-il intégrer la question du
suicide dans ses entretiens ?

4.1 Évaluer le risque


Comme pour les autres thèmes, en parler directement avec
tact et compréhension est certainement la meilleure des choses
à faire.
Si le psychologue effectue un bilan psychologique et psycho-
pathologique au début de ses interventions, le mieux est d’y
inclure l’évaluation du risque suicidaire par quelques questions
simples et directes, comme : « Avez-vous des idées de suicide ? » ;

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Aborder des thèmes délicats… 297

« Avez-vous pensé à comment vous pourriez vous suicider ?


(questionner selon le projet prévu, attention à ne pas donner
d’idée de moyens de suicide). « Chez vous, avez-vous une arme,
une corde, des médicaments… » ; « Avez-vous prévu une date
pour réaliser votre suicide ? » …

Évaluer le risque suicidaire


Plus le sujet correspond aux caractéristiques suivantes, plus le
risque suicidaire augmente :
– Pense parfois au suicide et qu’il serait mieux qu’il meure.
– Pense à un projet de suicide (se suicider de telle façon, à telle
date, à tel endroit…).
– Pense aux moyens d’exécuter son projet (une corde, une arme,
des médicaments…) et plus encore s’il a ces moyens à sa dispo-
sition immédiate.
– A déjà fait, par le passé, une ou plusieurs tentatives de suicide.
– A des antécédents familiaux de suicide.
– Use de substances psychotropes désinhibitrices (alcool,
drogues).
– A tendance à l’impulsivité et au passage à l’acte.
(Critères tirés en partie du DSM-IV-R et du MINI.)
Attention, comme tout critère statistique, ceux-ci n’indiquent
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

qu’une probabilité de passage à l’acte et non une certitude. Un


sujet présentant tous ces critères peut très bien ne pas passer à
l’acte alors qu’un sujet peut se suicider de façon tout à fait inat-
tendue sans signe précurseur.
Le sujet peut aussi en parler de lui-même très directement (« De
toute façon, j’en ai ras le bol, la seule solution, c’est de me foutre
en l’air »), auquel cas le psychologue ne doit pas éviter le sujet
mais au contraire encourager le sujet à s’exprimer à son propos :
« Vous avez le sentiment que la seule solution ce serait de vous
« foutre en l’air » ? C’est-à-dire ? Pouvez-vous m’expliquer ? ».

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298 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

Mais parfois le sujet n’ose pas aborder directement ce sujet


et ce n’est que par des signes indirects qu’il va l’exprimer. Par
exemple : « De toute façon, tout ça, ça va s’arrêter bientôt » ;
« Bientôt ils seront libérés, je ne les embêterai plus » : « Vraiment,
est-ce que ça vaut le coup de vivre dans ces conditions ? » …
Le clinicien doit alors avoir une sorte d’alerte qui s’éveille en
lui et il doit alors aborder ce sujet : « Qu’est-ce que vous voulez
dire par là ? … Vous arrive-t-il de penser à la mort ? ».
Il est aussi certains cas où c’est une amélioration impor-
tante, subite et inattendue qui éveille la suspicion du clinicien,
en particulier chez les sujets dépressifs suicidaires. En effet,
parfois, quand un sujet a décidé de se suicider, il ressent du
soulagement (« Enfin, tout ça va bientôt s’arrêter ») et une
amélioration visible de son état. Dans ces cas, sans attendre le
passage à l’acte, le clinicien peut décider de lui-même d’aller
explorer le devenir des idées suicidaires antérieures : « Vous
semblez particulièrement bien en ce moment. Tant mieux.
Mais la semaine passée, vous exprimiez beaucoup de souffrance
et vous aviez des idées suicidaires. Comment expliquez-vous ce
changement soudain ? Que sont devenues vos idées dépressives
et suicidaires ? ».
Cela permet de parler du projet suicidaire, s’il y en a un, et
donc de le prévenir. Le risque de réactiver ainsi les idées suici-
daires est minime et si cela se produit, c’est que ces idées sont
« à fleur de psychisme » et autant le savoir.

4.2 Gérer le risque extrême


Si le risque est extrême (le sujet menace de se jeter sous le
train en rentrant chez lui et la menace est crédible), le psycho-
logue doit assurer la sécurité du sujet, autant que possible. Il
peut alors appeler l’entourage pour qu’un proche de confiance
vienne chercher le sujet et l’emmène dans un lieu protégé. Il
peut aussi faire hospitaliser le sujet qui y consent en appelant

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Aborder des thèmes délicats… 299

un service médical ou les pompiers ou en amenant le sujet


aux urgences.

L’hospitalisation à la demande d’un tiers (HDT)


Si le sujet suicidaire présentant un risque extrême ne consent
pas à son hospitalisation, il est possible qu’il soit hospitalisé sous
contrainte, soit d’office (par le préfet en cas de trouble à l’ordre
public) soit « à la demande d’un tiers ». Le tiers (un voisin, un
proche, un professionnel ne travaillant pas dans l’hôpital d’ac-
cueil…) remplit une demande d’HDT, manuscrite (avec ses nom,
prénom, profession, lien avec la personne, la demande d’hospi-
talisation, le nom de la personne, son adresse…), qui doit être
validée par deux médecins indépendants (un seul dans le cas
d’une « HDT péril imminent »).

Si le sujet rentre au domicile avec un proche, il faut que ce


dernier soit informé du risque suicidaire et prenne des dispo-
sitions (cacher les médicaments, les armes, surveiller le sujet,
assurer une visite médicale, etc.). C’est un cas où le secret
médical s’efface devant le risque de non-assistance à personne
en danger. Une fois que le psychologue est assuré qu’à la fin
de l’entretien, le sujet sera protégé de ses désirs de mort et s’il
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

lui reste du temps, il peut alors aborder, selon ses référentiels


théorico-cliniques, les enjeux sous-jacents aux idées suicidaires
pour les limiter.

4.3 Risque faible ou modéré


Mais dans la plupart des cas, le risque n’est pas extrême, il
est faible ou modéré et il paraît peu probable que le sujet passe
à l’acte prochainement. Il est important alors que le thème du
suicide soit exploré et discuté directement avec lui : « Donc
on voit que vous avez des idées suicidaires et même que vous

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300 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

avez parfois pensé à comment vous pourriez vous suicider.


Mais actuellement vous trouvez que ces pensées ne sont pas
très fortes. Il est important que l’on prenne ça en compte ».
Si le thème ne paraît plus d’actualité (mais l’a été), le psycho-
logue peut faire part de sa disponibilité : « Actuellement, vous
ne semblez pas être envahi par ces idées de suicide mais, si
cela arrivait comme par le passé, n’hésitez pas à m’en parler.
D’ailleurs je vous questionnerai là-dessus de temps à autre ».
Les idées suicidaires doivent pouvoir être travaillées en entre-
tien, comme les autres questions, ouvertement et librement.
Face à un sujet qui minimiserait à tort (si le risque est objecti-
vement élevé) la portée de ses idées suicidaires, le psychologue
peut aussi faire part de son inquiétude professionnelle : « Vous
savez, vous avez exprimé des idées suicidaires et vous avez déjà
fait par le passé des tentatives de suicide. Vous me dites que ce
n’est pas grave, qu’il ne faut pas s’en inquiéter mais en réalité,
moi ça m’inquiète et j’ai besoin, pour travailler convenable-
ment avec vous, d’être rassuré sur ce point. C’est pour ça que je
souhaite que l’on en parle ensemble et que vous vous engagiez,
si ces idées devenaient trop fortes ou si vous aviez un projet
de suicide, à m’en parler dès que ça arrive ». Cela permet non
seulement de montrer l’intérêt du psychologue pour le sujet
(sa souffrance et sa mort ne lui sont pas indifférentes), mais
aussi qu’il peut aborder ce problème sans peur ni réticence.
Une fois que le psychologue a montré sa capacité à parler
de ce problème au patient et qu’il a le sentiment que cette
question est en quelque sorte « prise » dans le travail clinique,
il peut alors choisir soit de la traiter directement (selon son
référentiel théorico-clinique), soit de la laisser de côté (mais
sous surveillance régulière) pour faire porter le travail clinique
sur d’autres points (qui en général seront considérés comme
les causes des idées suicidaires : par exemple, l’état dépressif,
une séparation…).

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Aborder des thèmes délicats… 301

4.4 Se suicider, une option légitime ?


Outre les cas de suicide non pathologiques évoqués plus
haut, il est des patients dépressifs qui, de par leurs diffi-
cultés, leur détresse et leur personnalité, peuvent convaincre
le psychologue de la légitimité de leurs idées de suicide. Le
psychologue peut alors être amené à penser que oui, le suicide
serait une bonne solution pour ces patients, leur existence
ressemblant à un enfer. Mais attention, le plus souvent, cela
est signe que la dépression du sujet est tellement envahissante
qu’elle a même envahi le clinicien, qui se trouve pris dans la
résonance dépressive du sujet. Un symptôme de la dépression
est que le sujet vit dans un présent insupportable et ne se
voit plus aucun avenir. Le psychologue doit résister à cette
pensée (qui est une impasse clinique, éthique et légale) et, par
principe, par éthique, il doit aller dans le sens de la vie et de
l’espoir. Alors il pourrait dire au patient : « Je comprends bien
que vous viviez les choses comme s’il n’y avait aucun espoir et
que pour vous, la seule solution serait de mourir. Mais c’est la
dépression qui vous fait avoir ce type de pensée. S’il n’y avait
plus de dépression, vous retrouveriez le goût de vivre. Il faut
donc nous laisser le temps de combattre cette dépression ».
Dans la plupart des cas, le risque suicidaire est minime. Le
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

psychologue doit donc l’accepter de façon à travailler sur la


situation globale sans se préoccuper particulièrement de ce
thème. Il ne faudrait pas que la question du suicide, quand elle
est secondaire dans la problématique du sujet, soit sans cesse
mise en avant par le clinicien qui gérerait mal les angoisses liées
à ce risque. À trop parler du thème du suicide, cela risquerait
d’inquiéter le patient et surtout de faire que le travail clinique
se trompe d’objectif en ne traitant pas la problématique prin-
cipale, cause des idées suicidaires.

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302 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

Quelques arguments pour ne pas se tuer


(à utiliser avec tact et pertinence…)
– « Le problème, si vous vous tuez, c’est que, certes vous ne
souffrirez plus, mais parce que vous n’existerez plus, vous ne
sentirez plus rien de façon irréversible. C’est une façon de tout
arrêter qui ne laisse aucune possibilité de remonter la pente et
de retrouver le plaisir de vivre. »
– « Il y a des moyens de vous aider à sortir de cette dépression
qui vous fait avoir des idées suicidaires. Laissez-nous un peu
de temps, pour que l’on puisse vous aider. C’est vrai que votre
souffrance est forte et que cela prend du temps, mais on va
trouver le moyen d’améliorer votre situation. »
– « Si vous n’étiez pas autant déprimé/angoissé, est-ce que vous
auriez envie de vivre ? Oui ? Cela montre que vos idées de suicide
sont des symptômes et non pas un désir personnel. »
– « Vous pensez que si vous n’étiez plus là, vous enlèveriez un
poids à vos proches et à vos enfants. Mais en général, c’est
exactement le contraire qui se produit. C’est très difficile pour
les proches de voir quelqu’un qu’ils aiment se suicider, c’est un
traumatisme important qui peut avoir des effets à long terme.
Vous êtes important pour eux et ils tiennent à vous. C’est la
dépression qui est lourde à porter, ce n’est pas vous. »
– Dans les cas extrêmes, avec un rationalisme un peu cynique :
« Vous voulez mourir mais, de toute façon, comme tout le
monde, vous mourrez un jour. Pourquoi précipiter les choses ?
Autant profiter du fait que vous soyez pour le moment vivant
pour essayer d’améliorer votre situation. » Un patient suicidaire
me disait un jour : « J’ai décidé de ne plus me suicider, car de
toute façon la vie s’en chargera bien elle-même, j’attends ». Et
en attendant, il ne se suicidait plus et son état s’améliorait (en
attendant, autant s’occuper et reprendre plaisir à la vie !).
– On peut aussi insister, dans certains cas, sur le risque de faire
une tentative de suicide qui ne marche pas et qui peut laisser
la personne tout aussi dépressive et, en plus, handicapée par
les séquelles de sa TS.

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Aborder des thèmes délicats… 303

5. Parler des symptômes psychotiques

Aborder en entretien clinique des phénomènes comme les


délires et les hallucinations est souvent difficile pour les clini-
ciens qui n’ont pas l’expérience de ce type de symptômes.
Cela est d’autant plus difficile que, souvent, le sujet porteur de
ces symptômes peut aussi avoir un contact bizarre et étrange,
assez déstabilisant pour son interlocuteur. En général, mais
pas toujours, ces sujets souffrent de troubles schizophré-
niques. Cependant il faut garder à l’esprit que d’autres troubles
peuvent mener le sujet à des expériences qui semblent hors
réalité, comme les interprétations persécutives sensitives des
sujets borderline, les expériences de déréalisation ou de déper-
sonnalisation des sujets en proie à de fortes crises anxieuses,
à quoi l’on peut ajouter l’étrangeté des états dissociatifs (les
voyages ou les amnésies dissociatives, par exemple) ainsi que
les états délirants et hallucinatoires provoqués par les drogues
et l’alcool. Le deuil peut produire des phénomènes de ce type.
De plus, des sujets sans troubles psychiques peuvent aussi vivre
des expériences étranges et les rapporter au psychologue. Ce
sont souvent des expériences « surnaturelles », avec des appa-
ritions (fantômes, présences…) ou encore des idées bizarres
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

sur le monde (réincarnation, transmigration des âmes, vie


extraterrestre, théorie du complot généralisée…). La dimen-
sion culturelle est aussi à prendre en compte : comment ces
symptômes sont-ils compris dans la culture du sujet ?
Toutes ces idées, croyances et perceptions étranges sont
déstabilisantes car si elles sont culturellement inadaptées, elles
remettent en cause le rapport à la réalité, ainsi que l’identité
même du sujet et, en miroir, celle du clinicien. Le rapport à la
réalité repose sur notre perception du monde, soit, mais aussi
en grande partie sur le fait que cette perception est partagée.
Cela est encore plus criant pour la compréhension que l’on a
du monde, le sens que nous lui donnons, qui repose en grande

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304 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

partie sur des croyances communes. Or, quand un sujet délire


et qu’il explique être en rapport direct avec Dieu qui lui parle
tous les jours ou qu’il est suivi par des gens hostiles qui le
persécutent, cela indique au psychologue, d’une part, qu’il y
a une rupture entre le sujet et lui-même dans la façon de voir
et de comprendre le monde et, d’autre part, que les discours
du sujet sont hors réalité, donc que le sujet ne partage pas,
sur ce thème, un même espace de réalité que le psychologue,
ce qui peut être angoissant pour ce dernier : le sentiment de
la réalité perd alors de sa solidité. Il en est de même quand le
sujet explique percevoir des choses qu’il ne peut pas percevoir
« normalement », des hallucinations : des voix intérieures, des
visions, des sensations physiques ou olfactives… La notion de
normalité si ancrée chez le clinicien (en principe !) en est alors
fragilisée, ce qui est perturbant.
Ainsi, ces symptômes ont ceci de fondamentalement
perturbant qu’ils remettent en cause le rapport du sujet et du
clinicien à la réalité, à la normalité et à leur identité. De plus,
le sujet semblant avoir perdu le contrôle de son rapport à la
perception et à la compréhension de la réalité, il est à craindre
que ses comportements guidés par ces perceptions fausses ne
soient eux-mêmes irrationnels et incontrôlables. Tout cela peut
créer un sentiment d’angoisse et d’étrangeté chez le clinicien,
qui aura alors tendance à éviter ces thèmes et à en empêcher
l’expression chez le sujet ou alors à les aborder avec beaucoup
de gêne et d’angoisse.
Or, comme cela a déjà été dit, il ne devrait pas y avoir de
thème tabou en entretien clinique. Tous les thèmes abordés
par le sujet participent de sa vie psychique, de ses contenus
comme de ses processus. Il est donc important que le clinicien
n’esquive pas ces thèmes.

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Aborder des thèmes délicats… 305

5.1 Explorer les manifestations psychotiques


Comment considérer, dans une approche clinique, ces mani-
festations psychiques étranges ? On peut les voir simplement
comme l’expression de phénomènes psychiques patholo-
giques et dysfonctionnels, mais ni surnaturels ni dangereux.
Ils participent de l’expérience du sujet et le clinicien doit les
aborder dans ce sens sans se laisser impressionner par leur
caractère bizarre. D’ailleurs, ils sont souvent connectés aux
stresseurs de la vie quotidienne du sujet (qui peuvent accen-
tuer ces phénomènes, voire les déclencher). Ils sont souvent,
en quelque sorte, des réactions psychiques désorganisées à des
stresseurs du quotidien.
La première étape, pour le clinicien, consiste à écouter le
sujet afin d’explorer son point de vue : « Vous disiez que Dieu
vous parlait ? Cela fait combien de temps ? Que vous dit-il ? » ;
« Mais ce que vous avez vu et qui vous a tant angoissé, c’était
quoi précisément ? » ; « Les voix qui vous parlent dans votre tête,
combien sont-elles ? Pouvez-vous les identifier ? Et que vous
disent-elles ? » ; « Quand cela se produit, comment vous sentez-
vous ? ». Il s’agit là de comprendre l’expérience du sujet, sans
la juger ni l’inhiber. Dans cette exploration, le clinicien doit
montrer beaucoup de tact et de respect. D’autant que le sujet
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

est souvent lui-même perturbé par ces expériences angoissantes


et qu’il a probablement l’expérience d’avoir été stigmatisé et
rejeté quand il a essayé d’en faire part à son entourage.

5.2 Sont-elles ou non problématiques ?


La seconde étape peut consister pour le clinicien à évaluer
le caractère problématique de ces symptômes ou de ces expé-
riences. Font-elles souffrir le sujet ? Ou son entourage ? Ont-elles
des effets négatifs sur sa vie quotidienne ? Sur ses relations ?
Sur son travail ? Ou au contraire, ces croyances délirantes sont-
elles soutenantes pour le sujet (« Quand je vais mal, ma voix

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306 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

me console… » ; « Ces apparitions me font du bien, elles me


rassurent ») ? Si la conclusion de cette exploration est que ces
phénomènes, malgré leur étrangeté, ne produisent ni souf-
france, ni problème, il n’y a pas lieu d’intervenir pour tenter
de les changer. Et encore moins si ces phénomènes sont soute-
nants (« J’ai un double, il vient la nuit, on se parle, ça me fait
du bien… », un patient que je recevais avait entendu des voix
alors qu’il projetait de se suicider, ces voix l’en ont dissuadé…).
Après tout, chacun est libre de se construire les représentations
du monde qu’il souhaite ou qu’il peut, d’avoir des croyances
et des pensées irrationnelles, de croire dans l’existence d’ex-
traterrestres ou d’être convaincu d’être en contact avec une
divinité. Le psychologue n’a pas à « rationaliser » le rapport du
sujet au monde tant que ce rapport ne pose pas de problème.
Les pensées irrationnelles et étranges ne sont pas toujours à
combattre, ni même les délires et les hallucinations. Mais il
arrive aussi que ces phénomènes posent des problèmes. Le
plus souvent, ils sont angoissants pour le sujet. Et parfois ils
contribuent à ses comportements problématiques (du retrait
à l’agressivité en passant par des difficultés relationnelles…).
De façon générale, le traitement de ces symptômes, quand
ils sont présents dans le cadre d’un trouble psychotique, passe
par une approche pluridisciplinaire mêlant médicaments
neuroleptiques, prise en charge institutionnelle et suivi psycho-
thérapeutique. Cela pour dire que l’entretien clinique, dans ces
cas-là, ne suffit pas à une prise en charge. Cette dernière se fait
forcément en partenariat. Le contrôle des symptômes psycho-
tiques, s’ils sont intenses et gênants, ne saurait provenir des
entretiens psychologiques seuls.

5.3 Les mots pour en parler


Cependant, durant les entretiens cliniques, le psychologue
a tout intérêt à faire en sorte que les symptômes psychotiques
soient un thème courant de l’entretien, ni évité, ni dramatisé :

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Aborder des thèmes délicats… 307

« Et cette semaine, les voix vous ont beaucoup dérangé ? ». Il


est même bien que ces thèmes puissent être abordés avec
les termes médicaux ou psychologiques adaptés, à partir du
moment où le patient l’accepte : « Vous avez eu des hallucina-
tions cette semaine ? » ; « Et après ce conflit dans votre famille,
vous avez déliré à nouveau ? ». Bien sûr, cela implique que
le patient soit au clair sur le fait que ces phénomènes sont
les symptômes d’une pathologie qu’il porte (donc qu’il ait de
l’insight). Sinon, il vaut mieux en parler en utilisant les mots
du patient : « Vous avez encore eu l’impression d’être suivi ? » ;
« Vous avez revu ces choses colorées dont vous m’aviez parlé
la dernière fois ? ».
Les sujets peuvent être réticents à aborder ces thèmes, car
l’expérience leur a appris que les autres les supportaient mal.
Ce sont des expériences difficiles à partager. Aussi étrange que
soit l’expérience du sujet, le clinicien doit l’aborder avec tact et
respect pour le sujet et son expérience. Cependant le psycho-
logue doit trouver un positionnement clair concernant la façon
dont le sujet définit la réalité à travers ses expériences. Il ne
faut ni dénigrer cette expérience (par des formules du type :
« Oui, d’accord, mais enfin tout cela, c’est impossible, vous le
savez bien ! » ; « Ces voix sont fausses, on sait bien que ce n’est
pas possible »), ni en valider la réalité (« Et la Sainte Vierge, la
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prochaine fois, vous pourrez lui parler de moi ? » ; « J’ai toujours


su qu’il y avait des extraterrestres ! Vous le confirmez ! »). En
fait, une autre position, plus nuancée, est possible. Il s’agit
d’une part de reconnaître la réalité psychique de l’expérience du
sujet (« Je suis convaincu que vous vivez ces choses-là, que vous
entendez des voix et que pour vous cette expérience est réelle » ;
« Je vois bien que vous êtes absolument certain que le Président
de la République vous fait suivre et que cela vous angoisse ») ;
mais sans pour autant valider la réalité dans le monde de ce qu’il
affirme (« Je suis convaincu que, pour vous, tout cela est bien
réel et je comprends bien ce que vous me dites. D’un autre
côté, j’ai du mal à partager cette idée » ; « Il m’est difficile de

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308 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

penser que ce soit Dieu qui vous parle »). Et cela, le clinicien
peut le justifier par une position rationnelle (« Vous savez,
d’un point de vue rationnel et en fonction de ce que l’on
sait scientifiquement à ce jour, cela semble très improbable,
voire impossible, mais j’entends bien que vous le vivez comme
une réalité »), et plus encore par un raisonnement psycholo-
gique rationnel (« Je pense que ces phénomènes que vous vivez
sont en fait des manifestations qui proviennent de votre vie
psychique »). Ainsi, le clinicien peut comprendre l’expérience
psychotique du sujet en tant que vécu réel (il croit réellement
que son délire est la vérité), sans pour autant adhérer et croire à
ce contenu. Et cela, il peut le dire au sujet : « Je comprends bien
que pour vous, c’est une réalité que des gens vous en veulent
et complotent contre vous et je le respecte et je vois que ça
vous fait souffrir. Mais j’en ai une compréhension différente
de la vôtre : pour moi, ces idées sont une façon dont votre vie
psychique exprime des angoisses liées à vos relations. Cela dit,
je reconnais pleinement votre vécu et votre sentiment et nous
ne sommes pas obligés d’être d’accord là-dessus, nous n’avons
pas forcément les mêmes points de vue ».
Le psychologue peut soutenir son point de vue par des
arguments liés au fait que les manifestations délirantes ou
hallucinatoires sont souvent en rapport indirect avec l’état
psychique du sujet (qui se sentira plus persécuté après un
conflit réel ; ou qui aura des crises d’hallucinations dans des
périodes d’angoisse, par exemple). Cela dit, il est préférable de
ne pas se heurter de front aux idées délirantes, mais plutôt,
avec la démarche indiquée ci-dessus, de semer un doute, de
montrer qu’une autre interprétation est possible.
Ensuite, le psychologue intervient selon son référentiel
théorico-clinique pour accompagner le sujet vers un meilleur
rapport à la réalité et à un mieux-être.

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Aborder des thèmes délicats… 309

Qui a raison ? De la vérité au sentiment de vérité…


« Des voix parlent dans ma tête, mon chien me parle la nuit, les
services secrets me suivent dans la rue, ils envoient des ondes
pour contrôler mes pensées, je suis le fils de Dieu » … Autant
d’affirmations auxquelles peuvent croire avec force des sujets
délirants. D’un point de vue rationnel, ces affirmations sont
fausses et le clinicien a « raison » de ne pas y adhérer. Doit-il pour
autant chercher à convaincre le sujet de ses erreurs ? Entrer en
confrontation avec le sujet sur des croyances délirantes aura le
plus souvent pour effet de le braquer et de provoquer soit un
conflit, soit un repli de la part du sujet et une fragilisation de
l’alliance thérapeutique. Il faut respecter le sentiment de vérité
qu’a le patient à propos de ses croyances délirantes. Pour lui,
c’est vrai, il a raison de penser ainsi. Le reconnaître et le respecter
n’empêche pas le psychologue d’avoir aussi sa « raison » et sa
compréhension de ces phénomènes qui sont aussi respectables
et doivent être affirmées. Si le sujet délirant accepte qu’il puisse y
avoir deux points de vue différents sur ses affirmations délirantes,
le sien, qui les considère comme participant de la réalité externe
et celui du psychologue, qui les situe dans sa réalité interne, c’est
déjà un pas très important vers un meilleur rapport à la réalité.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

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17
Cha
pitre

L’ENTRETIEN
AVEC LES ENFANTS

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aire
m
So m

1. Voir les parents ...................................................... 314


2. Voir l’enfant seul .................................................... 316
3. Revoir les parents .................................................. 320
4. L’entretien avec les adolescents ........................... 321

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L’entretien clinique avec les enfants, par rapport à ceux avec

Pa
rt
les adultes, est particulier pour plusieurs raisons. Tout d’abord,
la relation dissymétrique entre le clinicien et le sujet est accen-
tuée par la différence de statut adulte/enfant. L’attitude du
psychologue doit donc le placer comme un adulte (ayant, du ie
fait de son rôle social, autorité, savoir et pouvoir sur l’enfant)
mais un adulte particulier (compréhensif, aidant, ne jugeant
pas ni ne punissant, avec qui on peut parler librement de
tout…). Ensuite, l’enfant dépend juridiquement de ses parents
ou de son tuteur légal. Ainsi, tout travail psychologique doit
obligatoirement obtenir leur autorisation avant de s’engager,
il est donc impossible de faire l’impasse sur un travail avec
les parents. De plus, l’enfant est dépendant affectivement de
son environnement, en particulier familial. Ainsi, son état
psychique est en grande partie lié aux problèmes qui peuvent
se poser dans son environnement (conflit, violences, divorce,
décès, maladie…). Ce qui justifie aussi la prise en compte de
l’entourage, en particulier des parents. Enfin, en général la
demande de consultation n’émane pas de l’enfant lui-même
mais de l’institution scolaire, ou du médecin de famille et
parfois des parents eux-mêmes. Le clinicien devra donc en tenir
compte. Par ailleurs, l’enfant est en développement, il grandit
et change autant physiquement que psychiquement. Ainsi,
le psychologue devra s’adapter à l’âge de l’enfant qu’il reçoit
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pour créer les conditions d’un travail clinique constructif,


par exemple des moyens de communication pertinents ainsi
qu’une bonne alliance thérapeutique. De plus, les objectifs de
l’intervention clinique devront contribuer d’une part, comme
pour les adultes, au mieux-être de l’enfant mais aussi, d’autre
part, à favoriser au mieux son développement.

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314 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

1. Voir les parents

Quand le clinicien voit l’enfant pour la première fois, celui-ci


est généralement accompagné d’un de ses parents ou des deux.
Les possibilités sont alors diverses pour le clinicien. Il peut voir
les parents seuls sans l’enfant, puis voir l’enfant seul. Il peut
aussi décider de voir les parents et l’enfant en même temps.
Ou de voir l’enfant seul puis les parents… Toutes les configu-
rations sont possibles. Cependant, il est important de voir les
parents, de voir l’enfant seul quand c’est possible, et de voir les
parents avec l’enfant. Si les problèmes abordés ou la façon dont
les parents les abordent paraissent trop violents pour l’enfant
(« C’est vraiment un incapable, nous sommes très déçus… »),
ou ne concernent que les adultes (relations de couple, maladie
grave, détresse d’un parent…), le psychologue n’hésitera pas à
faire l’entretien avec les parents seuls dans un premier temps
pour préserver l’enfant de la violence des échanges (mais par la
suite, il sera certainement important de parler à l’enfant de ces
thématiques qui peuvent avoir un effet sur lui, mais il faudra
lui en parler de façon progressive et adaptée).
Voir les parents est important d’abord pour se présenter à
eux, ensuite pour obtenir d’eux des informations et des avis
sur les difficultés de l’enfant et, enfin, pour créer une relation
de collaboration ou, en tout cas, de confiance, pour qu’ils
puissent accompagner le travail clinique ou qu’au moins ils
ne l’empêchent pas. Le clinicien, autant que possible, gagne à
considérer les parents comme des alliés plutôt que comme des
concurrents dans les soins à apporter à leur enfant. Il est vrai
que pour les parents, il peut être mal vécu de devoir faire appel
à un professionnel pour aider leur enfant là où eux-mêmes se
vivent en échec. De ce fait, ils peuvent montrer une hostilité
plus ou moins explicite à l’égard du travail clinique en cours.
Vu la force des liens d’attachement entre un enfant et ses

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L’entretien avec les enfants 315

parents, le lien au clinicien ne pèsera pas lourd si les parents


veulent empêcher le travail clinique. De toute façon, légale-
ment, ce travail nécessite l’accord des parents (s’ils ont toujours
la garde de leur enfant). Le clinicien a donc tout intérêt à
construire une alliance confiante avec eux.
Pour cela, il peut commencer par se présenter à eux, indiquer
son nom, ses fonctions, ses objectifs (« de bien comprendre
les difficultés que rencontre votre enfant pour l’aider à se
sentir mieux et à ce qu’il s’intègre mieux à l’école » – si tel
est le problème). Il répond à leurs questions avec respect. Il
explique comment il va procéder : « Donc aujourd’hui, nous
allons discuter ensemble des difficultés de votre enfant. Vous
me direz comment vous voyez et comprenez ces difficultés.
Ensuite, je verrai votre enfant seul pour que l’on échange et
que l’on fasse connaissance et que je me fasse une idée de
qui il est et de ce qui peut lui poser des difficultés. Puis nous
nous verrons à nouveau et je vous expliquerai comment je
pense que je pourrais travailler avec lui pour la suite ». Pendant
ces explications, le psychologue s’efforce de s’adresser à tous
les membres présents de la famille, y compris à l’enfant s’il
est là, qu’il observe et dont il montre qu’il prend en compte
la présence au moins par son comportement non verbal (se
tourner vers lui, lui tendre un jouet, l’observer…).
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Ensuite il peut solliciter les parents : « Pourriez-vous me


dire ce qui vous fait penser que votre enfant a des difficultés ?
Ce que vous avez perçu ? ». Il s’adresse indifféremment aux
deux parents, s’ils sont là tous les deux. Si l’un reste silen-
cieux pendant l’entretien, le psychologue n’hésitera pas à
lui demander son avis : « Et vous Monsieur, vous partagez le
point de vue de votre femme ? Comment voyez-vous cela ? ».
Il s’agit de ne laisser personne de côté. Si l’enfant est présent,
le psychologue le prend en compte par ses regards, en l’obser-
vant et, si cela paraît pertinent, en le sollicitant : « Et toi, que
penses-tu de ce que dit ta maman ? ». Si l’enfant est inhibé et
silencieux durant cette phase de l’entretien avec les parents, le

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316 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

psychologue n’insiste pas pour qu’il s’exprime verbalement :


« Ce n’est pas grave, il a le temps, nous ne sommes pas pressés,
il faut que l’on fasse connaissance d’abord… ».
Pendant que les parents racontent les difficultés de leur
enfant, le clinicien, en plus de chercher à comprendre la
situation familiale, celle de l’enfant et leurs interactions,
s’efforce de créer une relation de confiance. Pour cela, il doit
commencer par les écouter avec intérêt et respect, quelle que
soit la façon dont ils présentent les difficultés de leur enfant. Il
doit solliciter et comprendre le point de vue de chaque parent.
Ensuite, il doit se garder de les culpabiliser, même par des sous-
entendus (« Ah, vous lui avez laissé la tétine si longtemps ? » ;
« Et même là, vous n’avez rien dit ? »). Il est mieux dans un
premier temps d’explorer la situation de façon approfondie :
« Combien de temps a-t-il gardé la tétine ? Jusqu’à 5 ans ? Vous
aviez pensé à la lui enlever parfois ? Comment ça se passait à
l’école ? Souvent en maternelle, ils ne peuvent plus la garder
à cet âge-là… Pour vous, c’était un problème qu’il l’ait gardée
jusqu’à cet âge ? ». Ensuite, éventuellement, le clinicien peut
pointer un problème, mais sans culpabiliser les parents : « C’est
vrai que l’on considère souvent qu’il est préférable que l’enfant
laisse sa tétine vers 3-4 ans. Mais parfois ce n’est pas si facile ».

2. Voir l’enfant seul

L’objectif de ces échanges est à plusieurs niveaux :


– faire connaissance avec l’enfant et créer une relation clinique
de confiance ;
– évaluer son fonctionnement psychique (verbalisation,
intelligence, compréhension, relation, développement,
psychopathologie…) ;
– comprendre comment lui-même vit les difficultés évoquées
(son point de vue, son expérience…) ;

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L’entretien avec les enfants 317

– obtenir des informations de sa part (à prendre avec sérieux) ;


– l’aider à commencer à travailler psychiquement ses difficultés
(verbaliser, partager, exprimer, recadrer les représentations,
déculpabiliser…).
Si l’âge et la personnalité de l’enfant le permettent, le clini-
cien voit l’enfant seul, sans ses parents. Jusqu’à l’âge du collège,
le clinicien tutoie généralement l’enfant. Mais une fois qu’il
est rentré au collège, le clinicien peut aussi le vouvoyer (ce
que font les adultes du collège avec les collégiens). Avant de
voir l’enfant seul, le clinicien explique aux parents et surtout
à l’enfant ce qui va se passer : « Maintenant que j’ai parlé avec
tes parents, nous allons nous voir tous les deux, tes parents
vont sortir et ils vont attendre dans la salle d’attente qui est
là. Et quand nous aurons fini, nous irons les chercher ». Pour
les petits, il peut être difficile de se séparer de ses parents pour
rester seul avec un inconnu, le clinicien n’hésitera pas alors à
proposer à l’enfant des choses attrayantes pour qu’il accepte de
rester seul, comme de faire un jeu, un dessin ou de prendre un
jouet. Il peut aussi proposer à un parent de rester. Quoi qu’il
en soit, le clinicien observera comment se passe la séparation,
tant du côté des parents que de l’enfant. Si la séparation appa-
raît vraiment difficile, alors un parent peut rester avec l’enfant
durant toute la séance. Un travail s’effectuera par la suite lors
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

des entretiens suivants pour amener progressivement l’enfant


à supporter cette séparation.
Seul avec l’enfant, le clinicien peut lui rappeler pourquoi ils
se voient et les conditions de cette rencontre : « Tu sais, moi
je suis ici pour t’aider et pour que les choses se passent mieux
pour toi et pour tes parents. Je ne suis pas là pour te gronder
ou te punir mais pour t’aider. Ici, tu peux dire tout ce que tu
veux. On peut parler de tout. Et ce que tu me dis, je le garde
pour moi si tu le souhaites, ça sera entre nous, je ne le dirai pas
à tes parents, ou à l’école ou à d’autres personnes ».
Le clinicien n’hésitera pas à adapter ses attitudes à l’âge et à
la personnalité de l’enfant. Son premier objectif sera de créer

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318 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

un contact confiant avec l’enfant. Il devra faire preuve de créa-


tivité et de souplesse. Avec certains enfants, cela peut passer
essentiellement par la parole (« Tu sais, Jean, nous allons parler
ensemble, pour voir tous les deux comment ça se passe pour
toi à l’école et s’il y a des choses qui te font du mal ou que tu
n’aimes pas… »), mais aussi par des dessins (« Tu veux dessiner ?
Voilà des crayons et une feuille… »), des jeux (« Tu veux que
l’on fasse de la pâte à modeler ? ») ou des jouets (« Tiens regarde
ce bonhomme, là, tu l’aimes bien celui-là ? »). Le psychologue
pourra rester assis sur son fauteuil, l’enfant installé face à lui,
mais souvent, surtout avec les plus petits, le psychologue quit-
tera son fauteuil pour s’asseoir près de l’enfant (à une petite
table, par terre…) et entrer en contact à son niveau, voire jouer
avec lui. La première prise de contact déterminera un cadre
et un support de communication qui sont nécessaires, mais
qui ne sont pas une fin en soi. Le psychologue n’a pas pour
objectif de jouer avec l’enfant ou de le faire dessiner ! Il s’agit
de moyens pour permettre à l’enfant d’exprimer des éléments
de sa vie quotidienne, de sa vie psychique et de ses difficultés.
Le clinicien, de façon plus ou moins directe selon l’enfant,
amènera leurs échanges sur ces thèmes-là, à travers le support
de communication mis en place.
Si ce support est la parole et que l’enfant peut avoir une
discussion complète, alors le clinicien utilisera des phrases
simples et claires, directes, adaptées à l’âge de l’enfant. Il abor-
dera les thèmes choisis de façon progressive : « Et tu aimes bien
l’école ? Qu’est-ce que tu préfères à l’école ? Qu’est-ce que tu
n’aimes pas à l’école ? Ta maîtresse, comment elle s’appelle ?
Elle est gentille ? Tu l’aimes bien ? Tu as des copains et des
copines à l’école ? Tu aimes jouer avec eux ? Des fois, ils sont
méchants avec toi ? Et toi, des fois tu es méchant avec eux ?
Pourquoi ? Et comment tu te sens dans ces moments-là ? ».
Quand il abordera le thème de la famille, le psychologue
devra garder à l’esprit que quelles que soient les relations fami-
liales (même de maltraitance), les enfants sont a priori loyaux

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L’entretien avec les enfants 319

vis-à-vis de leurs parents, qui restent leurs principales figures


d’attachement. Le psychologue se gardera bien d’attaquer les
parents ou, pire encore, de tenter d’amener l’enfant à le faire
lui-même. Il faudra toujours garder un discours respectueux à
propos des parents : « C’est comment dans ta maison ? Tu peux
me la dessiner ? Et c’est là que vous mangez tous ensemble ? Et
c’est comment les repas ? Tu aimes bien aller manger le soir ?
Tu dis que maman elle pleure des fois le soir ? Tu sais pourquoi
elle pleure ? Et quand tu la vois pleurer, toi, comment tu te
sens dans ta tête ? ».
Cela n’implique pas, si les parents ont des problèmes ou
s’ils sont maltraitants, de légitimer les actes qui font souffrir
leurs enfants : [à un petit] « Tes parents ils t’aiment beaucoup
et ta sœur aussi. Mais des fois ils se fâchent entre eux et ils se
disputent devant vous, et peut-être qu’ils ne se rendent pas
compte que ça vous rend tristes ? » ; « Ton papa des fois il t’a
tapé et ça t’a fait mal et tu as eu peur. Ce n’est pas bien quand
il fait ça, parce qu’un papa ne doit pas taper ses enfants, c’est
interdit. Parce que ça fait du mal aux enfants, ça leur fait peur
et ils sont tristes après. C’est pour ça que l’on se voit tous les
deux, pour que ton papa ne fasse plus ça et que tu ne sois plus
triste à cause de ça. Il ne faut plus que ton papa te tape, il n’a
pas le droit. Mais ça, ce sont les adultes qui vont l’aider pour
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

qu’il ne le fasse plus. Toi tu n’y peux rien, ce n’est pas de ta


faute. Et même si ton papa fait des choses qui te font peur
des fois, et il ne faut plus qu’il le fasse, il t’aime et il voudrait
s’occuper bien de toi ».
Si l’enfant préfère communiquer à travers des supports
non verbaux (dessins, jeux…) alors le clinicien utilisera ces
supports pour aborder les thèmes pertinents : « C’est quoi
ce que tu dessines ? C’est une famille ? Tu peux me dire qui
sont les personnages ? Et qu’est-ce qu’ils font ensemble ? Ils
sont amis ? Pourquoi ils se fâchent ? Et qu’est-ce qu’ils vont
faire après ? C’est lui qui a tué tous les autres ? Pourquoi il
a fait ça ? » Le clinicien utilise le support médiateur comme

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320 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

un moyen d’expression de la vie psychique de l’enfant. Il est


important alors que le clinicien ne confonde pas la vie imagi-
naire de l’enfant qui s’exprime au travers de ces supports avec
sa vie quotidienne réelle. Mais il peut aussi à partir de la vie
imaginaire questionner l’enfant sur sa vie quotidienne : « Et
ta maman à toi, elle est comme la dame, là, des fois ? Dans ta
maison, ton papa et ta maman à toi ils se disputent ? Et dans
ta famille à toi, il y a des gens qui ont une maladie ? ».

3. Revoir les parents

À travers ces échanges, le psychologue se fait une idée plus


précise de la situation de l’enfant et de ses difficultés. Ensuite,
il peut être bien de revoir les parents avec l’enfant pour faire le
point sur cette première rencontre. Auparavant, le psychologue
aura expliqué à l’enfant seul ce qu’il allait faire en conciliant
l’information nécessaire aux parents et la confidentialité qu’il
a pu promettre à l’enfant : « Maintenant on va aller chercher
tes parents pour leur dire comment on va travailler ensemble
quand on va se revoir ».
Aux parents, dans cet entretien, le psychologue devrait
donner ses impressions (ou leur signifier qu’il est trop tôt pour
se prononcer). Il peut dire quelques mots agréables sur leur
enfant, car les parents sont très sensibles aux jugements portés
sur leur enfant. Le silence peut être mal vécu sur cette question.
Il peut aussi informer les parents de la suite de l’intervention :
« Donc j’ai vu Jean, qui est timide c’est vrai, mais en même
temps agréable et on sent qu’il souhaite s’exprimer plus. Pour
le moment, je ne peux pas vous en dire plus. Il est nécessaire
que je fasse avec lui un bilan psychologique plus complet.
Donc je vous propose de le faire la prochaine fois. Et je pourrai
ensuite vous dire plus précisément ce qu’il en est de ses diffi-
cultés et de ce que l’on peut faire pour l’aider ».

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L’entretien avec les enfants 321

Puis l’intervention se poursuit lors des entretiens suivants,


selon le référentiel du psychologue. Cependant, il sera bien que
le psychologue rencontre les parents de temps à autre pour les
informer de l’évolution de leur enfant et du travail en cours. Il
pourra aussi à cette occasion discuter de leurs points de vue sur
l’évolution de l’enfant, en particulier à la maison et à l’école,
ce seront des informations très utiles pour le psychologue.
Lors de ces rencontres, le psychologue pourra discuter avec les
parents d’éventuelles difficultés familiales qui pourraient avoir
un effet sur leur enfant. Cependant, si des problèmes fami-
liaux importants apparaissaient, le psychologue de l’enfant
ne pourrait les traiter lui-même et il dirigerait la famille vers
un thérapeute familial.

4. L’entretien avec les adolescents

Pour une part, l’entretien avec les adolescents mineurs


ressemble à celui avec les enfants (dissymétrie accrue dans la
relation par rapport à l’adulte), dépendance légale (et écono-
mique) aux parents, niveau variable de développement de
l’adolescent. Cependant, concernant la dépendance affective,
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

l’adolescent diffère de l’enfant en ce qu’il est dans une phase


de son développement où, précisément, il est très ambivalent
vis-à-vis de cette dépendance : il s’efforce de s’en libérer mais
il est encore très attaché à ses parents.
Ces entretiens ressemblent aussi à ceux avec les adultes, en ce
que les sujets dans l’adolescence aspirent souvent à être traités
comme des adultes responsables, autonomes et indépendants de
leurs parents (sans l’être totalement pour autant). Ils sont ainsi
dans une phase de transition entre l’enfance et l’âge adulte. Ce
qui oblige le clinicien à entendre ces deux aspects (dépendance
et indépendance, enfant et adulte) et à les prendre en compte
dans ses attitudes et ses interventions. Concrètement, cela peut

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322 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

se traduire par une attitude explicite qui est de reconnaître au


sujet la capacité et la légitimité à diriger sa propre vie, indé-
pendamment de ses parents (même si parfois cela est exprimé
naïvement par l’adolescent) : « Donc vous, vous souhaitez vous
orienter dans telle direction, alors que vos parents ne sont pas
d’accord. Je comprends, après tout c’est de votre vie future dont
il s’agit, il est normal que votre avis l’emporte ». Mais aussi par
la prise en compte de la situation de dépendance réelle (affec-
tive, légale, économique) : « Cependant vos parents ne sont pas
d’accord, et le fait est que ce sont vos parents et, même si vous
êtes en désaccord, vous êtes très attachés les uns aux autres et
c’est normal. Donc il serait bien que vous puissiez dépasser
ce désaccord sans vous faire mutuellement de mal. En plus,
vous dépendez d’eux légalement et économiquement, pour
le moment. Donc il faut aussi trouver les meilleures solutions
possibles en tenant compte de ce qu’ils disent ».
Par ailleurs, dans ces cas-là, le clinicien devrait systémati-
quement rappeler au sujet le cadre de l’intervention clinique,
en particulier ce qui concerne les objectifs (l’aider lui et non
pas être le relais des exigences des parents ou du collège par
exemple) et la confidentialité (totale sauf si le sujet est en
danger ou met autrui en danger et sauf pour ce qu’il est d’ac-
cord de transmettre à ses parents).
Il est aussi très important que le clinicien respecte le point
de vue de l’adolescent et qu’il l’exprime : « Je comprends bien
ce que vous pensez et je le respecte ». Les sujets dans l’ado-
lescence sont souvent, au fond, peu sûrs d’eux-mêmes et de
leurs choix, ce qui peut se traduire par une pseudo-assurance
affichée ainsi qu’une très forte susceptibilité pour tout ce qui
les concerne. Le clinicien devra se montrer très ouvert, curieux
et respectueux de leur vie, plus complexe et torturée qu’ils ne
le montrent parfois au départ.
Cela permet de créer une relation clinique prenant en
compte la complexité de la situation, qui pourra ensuite être
abordée selon le référentiel du clinicien.

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L’entretien avec les enfants 323

4.1 La place des parents


dans le suivi des adolescents
Selon les situations, les souhaits de l’adolescent et l’impli-
cation des parents, ces derniers pourront être reçus par le
clinicien, par exemple au début de l’intervention pour se
présenter et expliquer ce qui va se passer ensuite. Des rendez-
vous ponctuels peuvent ensuite être pris pour faire le point
sur les avancées de l’intervention et recueillir leur avis. Ce
dernier peut être important, d’autant plus que nombre d’ado-
lescents ne rapportent pas exactement (et certains mentent) au
clinicien les événements de leur vie, qui sont pourtant impor-
tants pour saisir leur évolution. Cependant, dans certains cas,
les rencontres avec les parents apparaîtront non pertinentes
et le clinicien ne les imposera pas, après en avoir parlé avec
l’adolescent.

4.2 Réagir aux sollicitations des adolescents


Les adolescents sont parfois très directs et incisifs, certains
n’hésitent pas à remettre en cause l’autorité, dont celle du
psychologue, tout en étant attachés à cette autorité à laquelle
ils peuvent s’identifier. Le clinicien doit alors faire preuve de
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

patience, de recul et d’humour pour maintenir une alliance


thérapeutique qui ne repose pas sur un rapport d’autorité et sur
des rôles sociaux rigides. Le psychologue pourra aussi être solli-
cité personnellement et il devra parfois s’engager à cette place
dans la relation : « Mais vous, vous en pensez quoi de l’école ? » ;
« Et vous, comment vous réagissiez quand vos parents… » ; « La
mort, c’est pas grand-chose, non ? ».
Face à ce type de questions, le clinicien peut renvoyer la
question au sujet : « Et pour vous, c’est quoi la mort ? ». Mais il
gagnera parfois à apporter aussi des réponses directes au sujet
du fait de son expérience d’adulte et de psychologue.

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Conclusion

Il n’y a pas deux entretiens cliniques identiques. Les entre-


tiens cliniques sont une voie d’accès à la complexité de la
vie psychique. Leur diversité et le monde qu’ils permettent
d’explorer en font des outils très intéressants et souvent
passionnants pour celui qui les pratique. Aller à la découverte
des processus psychiques profonds, de la complexité des
phénomènes psychiques, en particulier quand ils sont patho-
logiques, est tout à fait stimulant pour le psychologue clinicien
qui a la particularité d’être attiré par ces phénomènes. De plus,
l’aide au sujet souffrant que permettent les entretiens cliniques
rajoute un intérêt essentiel à cette pratique. Comprendre et
aider sont les objectifs principaux des entretiens cliniques.
Mais la bonne volonté et un peu de « psychologie » n’y suffisent
pas. Une formation théorique et pratique solide en psycho-
pathologie et en psychologie clinique de niveau bac + 5 est
un minimum nécessaire (c’est plus dans d’autres pays). Le
psychologue qui veut devenir psychothérapeute devra en
plus se former plusieurs années dans un référentiel psycho-
thérapeutique théorico-clinique spécifique en plus de ses
études de psychologie. Durant toutes ces années de forma-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

tion, il apprendra les ressorts de la vie psychique normale et


pathologique, les modalités d’intervention et d’évaluation,
les règles éthiques et légales, la façon de poser un cadre et
d’initier un travail clinique… Mais aussi bien formé soit-il,
l’expérience de nombreux entretiens cliniques sera nécessaire
pour lui permettre de construire réellement ses compétences
cliniques, de développer la « compréhension multi-niveaux »,
la position « méta », le tact clinique, la compréhension des
processus psychiques en action, la connaissance de soi comme
instrument clinique… En pratique, faire ses premières expé-
riences d’entretien clinique est souvent déroutant et parfois

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326 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

perturbant. Si ce livre a pu aider des psychologues débutants


à faire leurs premiers pas dans cette pratique difficile mais
passionnante, son objectif est atteint.

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Index des notions

A B
abus de pouvoir 11 bilan psychologique 80
acceptation 166, 172 buts 71
adhésion 73
– du patient 71 C
adolescents 321, 323
alliance fragilisée 235 cadre 9, 29, 79, 131, 139,
alliance thérapeutique 34, 199, 203, 206, 219, 230,
35, 47, 71, 75, 101, 108, 246, 250, 269, 318
129, 202, 216, 235, 239, – administratif et financier
290, 323 82
amélioration 147 – de travail 191
analyse fonctionnelle 167 – directif 112
angoisse 37, 159, 256, 293 – imaginaire 30, 91
approche – institutionnel 85
– directive 71 – juridique et éthique 86
– éclectique 23 – matériel 79, 80
– intégrative 23 – non directif 111
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– non directive 71 – temporel 80


approches familiales changement thérapeutique
systémiques 16 72
arrêt de l’intervention 143, clinicien intériorisé 217
146 Code de déontologie des
arrêter un entretien 139, psychologues 47, 86, 101
143 colère 259
attitude 47, 54, 67, 75, 230, collaboration 71, 72
317, 321 compréhension complexe
– professionnelle 65 multi-niveaux 134
authenticité 55 compréhension multi-
niveaux 133, 202, 325

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332 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

conseils 269 – d’anamèse 112, 133


contre-transfert 100 – de bilan 133
courant – de restitution 133
– cognitivo- – de soutien 133
comportemental 16 – diagnostic 103
– psychanalytique 16 – réussi 36
entretiens
D – standardisés 104
erreur 35, 36
débuter son intervention 96 éthique 34, 47, 201, 237,
débuter un entretien 111 301, 325
découragement 221
être 279
définition du problème 71
événements de vie 267
demande 8, 10, 28, 117, 313
évitement des thèmes
dévoilement personnel 195
difficiles 52
diagnostic 103
exigence éthique 170
différentes 154
expert autoritaire 71, 74
distance 35, 79
durée 129
dynamique défensive 37
F
facteurs
E – communs 24, 25
– spécifiques 25
échec 98
famille 315
écoute
fin d’entretien 141
– bienveillante 269
fonctions sociales 7
écrire 172
formation 325
efficacité 34, 65, 235
– continue 168
– des psychothérapies 218
émotions 245, 246, 248,
254 G
empathie 15, 32, 108, 158, gérer le temps 141
160, 165, 253, 255 groupes de paroles 194
enfants 313
guide de survie 149
entretien 7
– clinique 1, 7, 13

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Index des notions 333

H manque
– d’assurance 73
handicapés 194 – d’investissement 204
harcèlement moral 193 méfiance 199
honte 62 mort 293
hostilité 209 motif de la consultation 103
hypothèses 66, 108, 142 motivation 75, 117, 204,
216, 248, 290
I
N
idéaliser le clinicien 213
impact traumatique 282 neutralité bienveillante 61
informations 102 neutralité morale 63
instruments d’évaluation non-assistance à personne
104 en danger 49, 63
intersubjectivité 249 non verbal 40
intervention qui ne marche
pas 228 O
intimité psychique 57, 58,
objectifs 9, 29, 33, 34, 112,
67
118, 121, 124, 144, 146,
intuition 40
203, 230, 268, 276, 313
obligation de soin 288
J obstacles 199, 200, 202
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jeux de rôles 194 orientation 228


jugement 62
– clinique 104 P
passivité 199
L peur de rater 50
logique multiniveaux 268 phases de l’entretien
clinique 140
M plaire au patient 51
position méta 15, 132, 134,
maltraitance 48, 193 163, 170
manipulateur 98 pouvoir 8

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334 18 grandes notions de la pratique de l’entretien clinique

précipitation technique 51 – de confiance 57, 67, 80


précipiter 107 – d’objet 210
premier entretien 102 résonance émotionnelle 41
prendre des notes 56 respect du cadre 205
prévention 149 résumé 105
problèmes 1 réussir un entretien clinique
– extérieurs 222 42
– organisationnels 208 risque suicidaire 296, 301
professionnalisme 65, 82
progrès 218 S
psychanalytique 1
schémas
Q – dysfonctionnels 93, 212
– relationnels 210
questions 189 – relationnels inconscients
– circulaires 17 91
– directes 59 – relationnels intériorisés
99
R secret professionnel 88
sens clinique 15
réactions
sentiment de vérité 309
– émotionnelles 165
sexualité 276
– intérieures 200
silence 189
rechutes 146, 148
situation familiale 316
recrudescence des
sollicitation personnelle
symptômes 219
187, 189
référentiel 21
stress professionnel 162,
– psychothérapeutique 325
– théorico-clinique 132
169
– théorique 236 suicide 295
réflexion sujets morbides 60
– méta 204 sympathie excessive 51
– multi-niveaux 170 symptômes psychotiques
relation 303
– d’aide 10
– de collaboration 75, 130

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Index des notions 335

T troubles
– de la personnalité 238,
tâches 71 248, 286
tact clinique 325 – schizophréniques 303
téléconsultation 94, 95
thèmes difficiles 276 V
thérapies comportementales
et cognitives 2 victimes 193, 282, 285
transfert 99 violence 157, 279, 288, 314
– et contre transfert 132 – imaginaire 292
trouble psychotique 306
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

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Dépôt légal : juin 2022
Imprimé en France par la Nouvelle Imprimerie Laballery

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