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45 commentaires
de textes fondamentaux
en psychopathologie
psychanalytique
Sous la direction de
Jean-Yves Chagnon
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Jacques Hochmann
Illustration de couverture : Franco Novati
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Avec la collaboration de :
INTRODUCTION 1
PARTIE 1
ADULTES
1 SIGMUND FREUD,
« LES NÉVROPSYCHOSES DE DÉFENSE » (1894)
« NOUVELLES REMARQUES SUR LES NÉVROPSYCHOSES DE DÉFENSE » (1896),
ŒUVRES COMPLÈTES, PSYCHANALYSE, VOL. III, PARIS, PUF, 1-18 ET 121-146 17
2 SIGMUND FREUD,
« LE PRÉSIDENT SCHREBER », IN REMARQUES PSYCHANALYTIQUES SUR UN CAS
DE PARANOÏA (DEMENTIA PARANOÏDES) DÉCRIT SOUS FORME AUTOBIOGRAPHIQUE
(1911), PUF, COLL. « QUADRIGE », 1995, 3e ÉD. 2004 25
3 SIGMUND FREUD,
« DEUIL ET MÉLANCOLIE » (1917), ŒUVRES COMPLÈTES, PSYCHANALYSE,
VOL. XIII (1914-1915), PARIS, PUF, 3e ÉD. CORRIGÉE, 2005, 261-280 35
4 KARL ABRAHAM,
« LES ÉTATS MANIACO-DÉPRESSIFS ET LES ÉTAPES PRÉGÉNITALES D’ORGANISATION
DE LA LIBIDO » (1924), IN DÉVELOPPEMENTS DE LA LIBIDO, ŒUVRES COMPLÈTES II,
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5 SÁNDOR FERENCZI,
« CONFUSION DE LANGUE ENTRE LES ADULTES ET L’ENFANT.
LE LANGAGE DE LA TENDRESSE ET DE LA PASSION (1933) », IN PSYCHANALYSE
4 ŒUVRES COMPLÈTES, T. IV : 1927-1933, PAYOT, 1982, 125-135 55
6 JACQUES LACAN,
« D’UNE QUESTION PRÉLIMINAIRE À TOUT TRAITEMENT DE LA PSYCHOSE » (1958),
IN ÉCRITS, LE SEUIL, 1966, 531-583 65
7 WILFRED R. BION,
« DIFFÉRENCIATION DES PERSONNALITÉS PSYCHOTIQUE ET NON PSYCHOTIQUE »
(1957) ; « ATTAQUES CONTRE LA LIAISON » (1959), IN RÉFLEXION FAITE,
PUF, 1983, 51-73 ET 105-123 75
8 PIERRE MARTY,
« LA “PENSÉE OPÉRATOIRE” », EN COLL. AVEC M. DE M’UZAN,
REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE, 1963, T. XXII, N° SPÉCIAL, 345-356
VIII 45 commentaires de textes fondamentaux en psychopathologie…
9 JEAN BERGERET,
« LES ÉTATS LIMITES. RÉFLEXIONS ET HYPOTHÈSES SUR LA THÉORIE DE LA CLINIQUE
ANALYTIQUE », REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE, 1970, 4, 601-633 95
11 PAUL-CLAUDE RACAMIER,
« LES PARADOXES DES SCHIZOPHRÈNES » (1978), RFP, N° 5-6, P. 877-969
LES SCHIZOPHRÈNES, PAYOT ET RIVAGES, 2001 111
12 ANDRÉ GREEN,
« LA MÈRE MORTE » (1980), IN NARCISSISME DE VIE, NARCISSISME DE MORT
(1983), PARIS, ÉDITIONS DE MINUIT, 222-253 119
13 JOYCE MC DOUGALL,
« LA NÉO-SEXUALITÉ EN SCÈNE », « SCÉNARIOS SUSPENDUS : ENTRE FANTASME,
DÉLIRE ET MORT » (1980), IN THÉÂTRE DU JE, GALLIMARD, 1982,
209-224 ET 225-240 129
14 ROGER DOREY,
« LA RELATION D’EMPRISE » (1981), NOUVELLE REVUE DE PSYCHANALYSE,
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15 RENÉ ROUSSILLON,
« TRAUMATISME PRIMAIRE, CLIVAGE ET LIAISON PRIMAIRES NON SYMBOLIQUES »
(1999), IN AGONIE, CLIVAGE ET SYMBOLISATION, PARIS, PUF, 1999, 9-34 147
PARTIE 2
ENFANTS
16 SIGMUND FREUD,
« ANALYSE DE LA PHOBIE D’UN GARÇON DE CINQ ANS (LE PETIT HANS) » (1909),
IN ŒUVRES COMPLÈTES. PSYCHANALYSE, T. IX, 1-130 159
17 MÉLANIE KLEIN,
« CONTRIBUTION À L’ÉTUDE DE LA PSYCHOGÉNÈSE DES ÉTATS MANIACO-DÉPRESSIFS »
(1934), IN ESSAIS DE PSYCHANALYSE, PAYOT, 1982, 311-340. « NOTES SUR
Table des matières IX
18 RENÉ A. SPITZ,
« MALADIES DE CARENCE AFFECTIVE CHEZ LE NOURRISSON » (1965),
« LES EFFETS DE LA PERTE DE L’OBJET : CONSIDÉRATIONS PSYCHOLOGIQUES »
(1965), IN DE LA NAISSANCE À LA PAROLE, PARIS, PUF, 1979, CHAP. XIV
ET XV, 206-225 179
19 MARGARET MAHLER,
« ON CHILD PSYCHOSIS AND SCHIZOPHRENIA : AUTISTIC AND SYMBIOTIC INFANTILE
PSYCHOSES », THE PSYCHOANALYTIC STUDY OF THE CHILD, 1952, VII, 286-305,
« LA THÉORIE SYMBIOTIQUE DE LA PSYCHOSE INFANTILE » (CHAP. 2, P. 41-70),
« NOTES DIAGNOSTIQUES » (CHAP. 3, P. 71-84), IN PSYCHOSE INFANTILE, PARIS,
PAYOT, COLL. « PETITE BIBLIOTHÈQUE », 1973 187
21 ANNA FREUD,
« ÉVALUATION DU DÉVELOPPEMENT NORMAL DURANT L’ENFANCE » (CHAP. III,
P. 42-85), « ÉVALUATION DU PATHOLOGIQUE (I) CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES »
(CHAP. IV, P. 86-118), IN LE NORMAL ET LE PATHOLOGIQUE CHEZ L’ENFANT,
1965, PARIS, GALLIMARD, 1968 205
22 RENÉ DIATKINE,
« DU NORMAL ET DU PATHOLOGIQUE DANS L’ÉVOLUTION MENTALE DE L’ENFANT
(OU DES LIMITES DE LA PSYCHIATRIE INFANTILE) », LA PSYCHIATRIE DE L’ENFANT,
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24 RENÉ DIATKINE,
« L’ENFANT PRÉPSYCHOTIQUE », LA PSYCHIATRIE DE L’ENFANT, 1969,
VOL. XII, 2, 413-446 235
25 MICHEL FAIN,
« PRÉLUDE À LA VIE FANTASMATIQUE », REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE,
XXXV, 2-3, 1971, 291-364 243
26 DONALD MELTZER,
« LA PSYCHOLOGIE DES ÉTATS AUTISTIQUES ET DE L’ÉTAT MENTAL
POST-AUTISTIQUE » (1975), IN EXPLORATIONS DANS LE MONDE DE L’AUTISME
(1980, 2002), PAYOT, CHAP. II, 23-51 253
X 45 commentaires de textes fondamentaux en psychopathologie…
27 ROGER MISÈS,
« RÉVISION DES CONCEPTS D’ARRIÉRATION ET DE DÉBILITÉ MENTALE » (CHAP. 4,
129-167), IN CINQ ÉTUDES DE PSYCHOPATHOLOGIE DE L’ENFANT, TOULOUSE,
PRIVAT, 1981 263
28 FRANCES TUSTIN,
« LES OBJETS AUTISTIQUES » (1980),« LES FORMES AUTISTIQUES » (1984),
LIEUX DE L’ENFANCE (APPROCHE PSYCHANALYTIQUE DE L’AUTISME INFANTILE),
N° 3, 1985, 199-220 ; 221-246 273
29 ROGER MISÈS,
« REPÈRES CLINIQUES ET PSYCHOPATHOLOGIQUES » (CHAP. 1, 11-44),
« ESQUISSE DES RISQUES ÉVOLUTIFS » (CHAP. 2, 45-63), IN LES PATHOLOGIES
LIMITES DE L’ENFANCE, PUF, 1990 283
30 PAUL DENIS,
« LA DÉPRESSION CHEZ L’ENFANT : RÉACTION INNÉE OU ÉLABORATION ? »,
LA PSYCHIATRIE DE L’ENFANT, 1987, XXX, 2, 301-328 291
PARTIE 3
ADOLESCENTS
31 SIGMUND FREUD,
« LES RECONFIGURATIONS DE LA PUBERTÉ » (1905), TROIS ESSAIS SUR LA THÉORIE
SEXUELLE, IN ŒUVRES COMPLÈTES, VI, PARIS, PUF, 2006, 145-181 303
32 ANNA FREUD,
« ON ADOLESCENCE », THE PSYCHOANALYTIC STUDY OF THE CHILD, 13, 1958,
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33 ÉVELYNE KESTEMBERG,
« L’IDENTITÉ ET L’IDENTIFICATION CHEZ LES ADOLESCENTS. PROBLÈMES THÉORIQUES
ET TECHNIQUES », LA PSYCHIATRIE DE L’ENFANT, VOL. 5, N° 2, 1962, 441-522 323
34 PETER BLOS,
« THE SECOND INDIVIDUATION PROCESS », THE PSYCHOANALYTIC STUDY
OF THE CHILD, 22, 1967, 162-186 ; « ADOLESCENCE ET SECOND PROCESSUS
D’INDIVIDUATION », IN PERRET-CATIPOVIC M., LADAME F. (ÉD.) (1997),
ADOLESCENCE ET PSYCHANALYSE : UNE HISTOIRE DELACHAUX ET NIESTLÉ,
LAUSANNE, 113-150 333
35 PIERRE MÂLE,
« QUELQUES ASPECTS DE LA PSYCHOPATHOLOGIE ET DE LA PSYCHOTHÉRAPIE
À L’ADOLESCENCE » (1971), IN LA CRISE JUVÉNILE, ŒUVRES COMPLÈTES, PARIS,
PAYOT, T. I, 1982 343
Table des matières XI
36 MOSES LAUFER,
« THE BREAKDOWN » (1983), ADOLESCENCE, 1983, I, 1, 63-70 353
37 BERNARD BRUSSET,
« ANOREXIE ET TOXICOMANIE » (1984), ADOLESCENCE, 1984, 2, 2,
285-314 363
38 JEAN GUILLAUMIN,
« BESOIN DE TRAUMATISME ET ADOLESCENCE. HYPOTHÈSE PSYCHANALYTIQUE
SUR UNE DIMENSION CACHÉE DE L’INSTINCT DE VIE », ADOLESCENCE, 1985,
3, 1, 127-137 373
39 RAYMOND CAHN,
« LES DÉLIAISONS DANGEREUSES : DU RISQUE PSYCHOTIQUE À L’ADOLESCENCE »
(1985), TOPIQUE, 35-36, 1985, 15-205 383
40 ALAIN BRACONNIER,
« LA DÉPRESSION À L’ADOLESCENCE : UN AVATAR DE LA TRANSFORMATION
DE L’OBJET D’AMOUR », ADOLESCENCE, 1986, 4, 2, 263-273 391
41 PHILIPPE GUTTON,
« L’ÉPROUVÉ ORIGINAIRE PUBERTAIRE ET SES REPRÉSENTATIONS », ADOLESCENCE,
1990, 2, 355-367 ;« LA SCÈNE PUBERTAIRE AURA-T-ELLE LIEU ? »,
ADOLESCENCE, 1991, 1, 61-81 399
42 PHILIPPE JEAMMET,
« DYSRÉGULATIONS NARCISSIQUES ET OBJECTALES DANS LA BOULIMIE » (1991),
IN LA BOULIMIE, MONOGRAPHIES DE LA REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE,
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43 ANNIE BIRRAUX,
« L’ÉLABORATION PHOBIQUE » (CHAP. 4, P. 121-165), « LES PHOBIES
ORDINAIRES » (CHAP. 5, P. 167-225), IN ÉLOGE DE LA PHOBIE, PARIS,
PUF, 1994 419
44 PHILIPPE JEAMMET,
« LA VIOLENCE À L’ADOLESCENCE. DÉFENSE IDENTITAIRE ET PROCESSUS
DE FIGURATION », ADOLESCENCE, 1997, 15, 2, 1-26 429
45 CATHERINE CHABERT,
« FÉMININ MÉLANCOLIQUE » (1997), ADOLESCENCE, 1997, 15, 2, 47-55 439
Préface1
Après avoir été portée au pinacle, d’abord aux États-Unis puis, dans les années
soixante, en Europe occidentale, la psychopathologie psychanalytique fait
aujourd’hui l’objet d’attaques violentes, souvent haineuses, qui sortent du cadre
d’un débat d’idées pour prendre l’aspect d’un véritable règlement de comptes.
On n’insistera pas ici sur les causes de ce revirement, sur la responsabilité de
l’arrogance et du dogmatisme d’un certain nombre de psychanalystes, sur la pré-
tention d’autres, formés trop rapidement ou ne s’autorisant que d’eux-mêmes,
à trancher de l’étiologie des troubles mentaux en les attribuant abusivement à
une transmission transgénérationnelle et en tenant aux familles, exclues du soin
de leurs proches, un discours obscur et culpabilisateur, qui s’accompagne sou-
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vent d’un manque de disponibilité à la souffrance d’autrui et d’une absence de
solutions pratiques. On a mis de plus, si l’on peut dire, la psychanalyse à toutes
les sauces et rangé sous sa bannière des pratiques empiriques peu ou mal théori-
sées. Parallèlement, comme le rappelle opportunément J.-Y. Chagnon, le modèle
néolibéral qui a envahi l’économie, la prééminence quasi compulsive du souci
d’évaluer les procédures thérapeutiques et donc la protocolisation de ces pro-
cédures pour faciliter leur mesure ont contribué à l’effacement des références à
l’intériorité du sujet, au sens de ses comportements, aux conflits qui l’habitent.
L’image dominante de l’homme normal comme un auto-entrepreneur rationnel
exclusivement centré sur la maximisation de son profit, le pouvoir reconnu aux
usagers de choisir consciemment leurs modalités de traitement sur un marché
où s’affrontent des approches concurrentielles ne sont guère favorables à une
réflexion sur soi et sur la valeur défensive de ses symptômes. Quand les mêmes
usagers entendent imposer leurs vues jusque dans les organismes de formation
avec des « socles de connaissances théoriques » validés par les pouvoirs publics,
quand une pensée unique, étroitement encadrée par un seul objectif de norma-
lisation, risque de s’établir en caricaturant et en rejetant ce qui l’a précédé, il est
important d’offrir à l’étudiant ce florilège de textes fondateurs, replacés dans
leur contexte et dans leur développement historique. Le lecteur va trouver ici,
clairement résumés, commentés, reliés les uns aux autres et divisés en trois cha-
pitres : l’enfant, l’adolescent et l’adulte, quelques traces marquantes laissées par
l’évolution des idées psychopathologiques depuis Freud et ses premiers élèves à
nos jours. Ce parcours, à soi seul, montre la vitalité d’une élaboration théorico-
pratique, accompagnée de modifications techniques et d’une diversification des
dispositifs, qui n’a cessé de s’étendre du champ d’abord circonscrit aux névroses
de l’adulte à celui des troubles narcissiques, des états et pathologies limites, des
psychoses, des perversions, des troubles du comportement alimentaires, des
addictions, de la médecine psychosomatique… Il doit inciter l’étudiant à pour-
suivre : d’une part en complétant son information (ce à quoi l’invite les sources
bibliographiques proposées) et d’autre part en se mettant lui-même au travail, là
où le sort voudra l’engager.
L’essence de ce travail, par-delà les différences dans les théories, est la clinique
relationnelle. C’est elle qui est en péril aujourd’hui, c’est elle qu’il faut défendre
par un véritable engagement militant.
Comme Michel Foucault l’a bien montré, la clinique s’est d’abord construite
sur le regard. Le symptôme clinique comme la lésion qui le détermine furent
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d’abord du registre du visuel. Même s’il palpait, percutait ou auscultait, le clini-
cien contemporain de Bichat et de Laënnec, cherchait à prévoir ce que l’autop-
sie révélerait à ses yeux. Aujourd’hui, les moyens modernes d’imagerie ne font
que prolonger cette démarche optique inaugurale. Cette « naissance de la cli-
nique » a très vite orienté la psychiatrie, elle aussi naissante. Si Pinel et Esquirol
en France ou Crichton en Angleterre, en attribuant la folie à un excès des pas-
sions, ont tenté brièvement une écoute à la recherche du sens, leur enseigne-
ment a vite été submergé par une démarche descriptive placée sous le signe
prévalent de la vision. La théorie de la dégénérescence, qui fut, dans la seconde
moitié du XIXe siècle, la grande théorie psychiatrique, rattachait l’ensemble des
troubles mentaux à une tare héréditaire transmise et aggravée tout au long de la
chaîne des générations, qui se manifestait d’abord par des stigmates physiques.
On y adjoignit ensuite des désordres comportementaux (les différentes manies et
phobies) pour constituer une sémiologie minutieuse, mais presque tout entière
transcrite, elle aussi, en termes perceptifs.
La psychopathologie, c’est-à-dire le fait de chercher à comprendre et à expli-
quer psychologiquement ces troubles, de reconnaître en eux une logique, un
enchaînement causal où chaque symptôme s’explique par un lien de filiation
avec une inquiétude et représente une tentative interne pour se protéger d’une
angoisse ou pour résoudre un conflit, s’est établie en réaction contre ce modèle
de la dégénérescence et contre les pratiques ségrégatrices et eugéniques qu’il
avait induites. Si Freud a joué le rôle que l’on sait dans cette réaction (on lui doit
en particulier un remarquable article critique publié en français sur « l’hérédité
dans les névroses »), il a, comme le remarque J.-Y. Chagnon, hésité entre « un
pôle naturaliste » et un « penchant herméneutique ». C’est ce dernier qui l’a
emporté, plus chez Ferenczi que chez Freud, peut-être sous d’autres influences
que le modèle positiviste alors prévalent en médecine et dans les sciences de la
nature. Au même moment, la phénoménologie prenait, en effet, son essor. On
Préface XV
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prendre conscience de l’existence d’une pensée chez autrui et de comprendre les
états mentaux de l’autre (en étant affecté par lui et en l’imitant intérieurement).
Lorsque la psychopathologie s’est développée, que ce soit dans un cadre de réfé-
rence psychanalytique, que ce soit en dehors ou à côté de ce cadre (qui ne saurait
rester unique), elle a explicitement ou implicitement eu recours à l’empathie.
Les grands psychopathologues, freudiens ou non freudiens (comme Minkowski
ou Jaspers), ont tous utilisé une démarche empathique, c’est-à-dire une tentative
pour voir le monde et soi-même en adoptant la perspective de l’interlocuteur,
en se laissant toucher par l’interlocuteur et en utilisant son ressenti en face de
lui pour le comprendre. En rupture avec le primat visuel objectivant, la clinique
psychopathologique s’est ainsi construite à partir du début du xxe siècle sur
l’intersubjectivité. C’est une clinique du lien. Certains ont préféré utiliser la ter-
minologie psychanalytique du transfert et du contre-transfert. D’autres, comme
Sullivan aux États-Unis, ont voulu ériger la psychiatrie en science des relations
interpersonnelles ou, comme Angelo Hesnard en France, promouvoir une « psy-
chanalyse du lien interhumain ». Le psychologue américain d’inspiration phéno-
ménologique, Carl Rogers, a proposé de centrer la démarche psychothérapique
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fourre-tout sans saveur ni odeur.
D’où l’importance de cet ouvrage. En revenant aux sources, en montrant
ensuite la multiplicité, la diversité et la fécondité des recherches, il apporte un
démenti à ceux qui ne voient dans la psychanalyse qu’un agrégat obsolète de
vieilles rengaines répétitives issues, il y a cent ans, de l’esprit malade d’un obsédé
sexuel viennois, ou qui décrivent la psychanalyse sous les traits d’une secte into-
lérante, refusant le dialogue et centrée sur la seule quête du profit matériel de ses
membres. Il ne faut pas maintenant s’arrêter là. La psychopathologie, comme le
soutient fortement Daniel Widlöcher, cité ici dans l’introduction, est devenue
plurielle. Comme un premier bornage, le livre que j’ai l’honneur de préfacer
s’est limité à des travaux issus du champ de recherche psychanalytique. Cepen-
dant les sciences cognitives d’une part et, d’autre part, ces grands courants phi-
losophiques que sont la phénoménologie et la philosophie analytique ont aussi
leur partition à tenir. De leur dialogue, de leur rapprochement, sans sombrer
dans un éclectisme désossé, des progrès sont à attendre grâce auxquels une nou-
velle étape pourra s’engager.
1
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SIGMUND FREUD,
« Les névropsychoses de défense »
(1894) « Nouvelles remarques
sur les névropsychoses
de défense » (1896)1, Œuvres
complètes, Psychanalyse, vol. III,
Paris, PUF, 1-18 et 121-146
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1. L’auteur
Né en 1956 à Freiberg (Moravie), Sigmund Freud est le premier des six enfants
d’une famille juive recomposée qui dut émigrer à Vienne, où il fait des études de
médecine et de zoologie pour devenir chercheur. Soucieux cependant de mieux
gagner sa vie pour fonder un foyer avec Martha Bernays, il travaille en clinique
psychiatrique et neurologique. Il fait alors un stage en 1885 auprès de Charcot
à l’hôpital de la Salpêtrière à Paris et est très impressionné par la clinique de la
névrose hystérique qui mobilise en lui des questions sur l’étiologie psychique
potentielle de ces troubles, considérés jusque-là comme liés aux défaillances du
système nerveux. Intéressé par la méthode cathartique de Breuer, la suggestion
hypnotique de Bernheim, Freud en éprouve vite les limites et préfère approfondir
une autre méthode de Breuer, la « cure par la parole ». Il favorise chez ses patients
des associations libres de pensées et de souvenirs, permettant ainsi l’accès à des
contenus psychiques en apparence oubliés, en fait refoulés de façon défensive, et
qui trouvent leur expression déguisée dans les symptômes. Sa conviction crois-
sante de l’existence d’une dynamique psychique inconsciente et de la possibilité
de son exploration, le conduit à s’intéresser à son propre mode de fonctionne-
ment psychique, à être attentif à ses rêves et à ses fantasmes, à ses lapsus et à ses
actes manqués, analysant également ce que des événements de vie mobilisent en
lui (comme la mort de son père en 1896). Cette attention à soi est un mouvement
majeur de la démarche freudienne : d’une part, elle remet en question l’idée de
limites étanches entre normalité et pathologie, d’autre part, elle pose les bases de
l’importance de l’implication du clinicien et du chercheur dans la rencontre avec
un patient, et de l’analyse de ses propres mouvements psychiques afin de se rendre
disponible aux problématiques du patient sans se laisser parasiter par les siennes
propres. Peu à peu naît la psychanalyse, comme méthode d’investigation de la vie
psychique, théorie du fonctionnement mental, et méthode thérapeutique.
Sigmund Freud 17
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Freud approfondit sa réflexion et modifie certains aspects de sa théorie ; il
s’intéresse à la clinique des psychoses, aux névroses de guerre, aux mouvements
de foule, à la mort, au masochisme, et articule ses découvertes à ses connaissances
déjà anciennes en anthropologie, histoire, religion et art. Ses publications sont
régulières et fréquentes, ses idées de plus en plus (re)connues. Conjointement,
il affronte des événements personnels très douloureux : l’une de ses filles et l’un
de ses petits-fils décèdent, lui-même est atteint d’un cancer de la mâchoire et il
subit de nombreuses opérations, ce qui accentue un vécu difficile de la vieillesse.
Plus encore, la montée du nazisme le menace gravement : ses livres sont brûlés
en place publique dès 1933 ; ses sœurs sont déportées dans les camps nazis où
elles mourront. Grâce au soutien de la princesse Marie Bonaparte, il émigre en
1938, avec son épouse et sa fille Anna, à Londres où il meurt en 1939.
Des critiques les plus acerbes, voire calomnieuses, aux louanges les plus idolâtres,
la personne et l’œuvre de Freud sont devenues incontournables pour quiconque
s’intéresse aux mouvements des idées sur la vie psychique et la santé mentale,
la culture, les faits sociaux. Plusieurs biographies lui ont été consacrées (Jones,
1953-1957 ; Schur, 1972 ; Gay, 1988 ; de Mijolla, 2003) ; lui-même écrivit Ma vie
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et la psychanalyse (1925). Pour faire connaissance avec son œuvre, nous pouvons
recommander les quatre volumes qui lui sont consacrés dans la collection « Psy-
chanalystes d’aujourd’hui » (PUF), et Lire Freud de Quinodoz (2004).
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explicatif rigoureux et pertinent. Freud se révèle particulièrement attentif aux
différences et aux points communs entre les divers troubles. Mais contrairement
à ses prédécesseurs qui, pour la plupart, s’inscrivaient dans une perspective essen-
tiellement taxinomique et nosographique, il s’intéresse aux processus à l’œuvre
et à la dynamique complexe de leurs agencements. Il procède non seulement
à une remise en question de la seule valeur objectivante des symptômes pour
soutenir un diagnostic, mais propose une compréhension psychodynamique de
l’étiologie en jeu. Et surtout, conformément à la méthode des associations libres
qu’il privilégie, Freud écoute ses patients, ce qu’ils peuvent dire de leurs symp-
tômes, mais aussi de leur histoire, de leurs rêves. Ainsi, chaque patient est investi
comme personne unique avec une vie psychique singulière mue par des proces-
sus partagés potentiellement par tout un chacun.
Le terme « névropsychose », traduction choisie pour les Œuvres complètes,
regroupe les deux grands types de troubles mentaux dont on commence à bien
connaître et identifier les différences symptomatiques, les névroses et les psy-
choses. En les rapprochant, Freud met en exergue, non pas l’incompatibilité des
processus qui les animeraient, mais au contraire leur similarité potentielle, une
« connexion intelligible », à savoir la mobilisation d’un processus psychique
défensif. Non seulement ces modes de fonctionnement mental partagent en par-
tie des mécanismes similaires, mais on peut observer chez une même personne
l’expression d’un mécanisme névrotique ou psychotique dont l’unité potentielle
en termes de motivation psychique vise à se défendre de. Cette position forte,
dynamique, se révèle très opposée au pessimisme thérapeutique des aliénistes de
l’époque qui défendent une théorie de la dégénérescence alors en vogue ou une
causalité organique exclusive.
Le premier texte est écrit en 1894, quelques mois après la mort de Charcot,
dans un contexte de publications personnelles en neurologie et communes avec
Breuer (Études sur l’hystérie, 1895). Le second texte approfondit les idées de 1894
Sigmund Freud 19
mais amplifie la distance d’avec Breuer qui peinait à partager pleinement les
idées de Freud. Si Freud évoque les « beaux travaux » de Janet et Breuer, c’est pour
mieux s’en démarquer : il avance de nouvelles idées, originales et dissidentes :
il propose un « essai d’explication » des mécanismes psychologiques à l’œuvre
dans les névroses et les psychoses, et il n’hésite pas à souligner le « bonheur »
que fut cette compréhension. Freud est audacieux tout en demeurant nuancé
et fin dans ses analyses : il ne revendique pas une théorie qui se voudrait toute-
puissante, explicative de tout sans discrimination. Les termes qui composent le
sous-titre de l’article de 1894, « Essai d’une théorie psychologique de l’hystérie
acquise, de nombreuses phobies et représentations de contrainte et de certaines
psychoses hallucinatoires », témoignent de cette prudence et rendent compte
de son souci d’expliquer des mécanismes qui se retrouvent beaucoup, ou seule-
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ment parfois, selon les organisations psychopathologiques, et ce, tant dans une
perspective diagnostique que thérapeutique.
3. Résumé
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mobilisant alors délires et hallucinations.
Dans le texte de 1896, Freud poursuit sa réflexion en approfondissant la source
sexuelle des conflits psychiques dont il a présenté la dynamique en 1894. Il sou-
tient que ce qui motive le désaccord interne chez ses patients prend racine dans
une tension entre des représentations inconciliables, l’une portée par le désir
sexuel, l’autre s’opposant à toute satisfaction. Mais les processus à l’œuvre ne
se contentent pas de refouler ce qui est indésirable, ils le transforment de telle
façon qu’il puisse ressurgir sous une forme supportable car désexualisée, mais
cependant invalidante, un « parasite » pénible car potentiellement source de
souffrance psychique (limitations, auto-reproches, rituels, doute, scrupulosité,
honte, angoisse) : le symptôme. Celui-ci se fixe, inhibe, restreint et conduit jus-
qu’à une « existence d’original ».
En 1894, Freud se questionne sur les causes susceptibles de traumatiser ainsi le
sujet au plan sexuel, et qui font de la sexualité quelque chose qui suscite répro-
bation et dégoût plutôt que du plaisir. Il évoque des expériences de sexualité
authentiquement pénibles, mais aussi des expériences, en apparence anodine,
qui donnent une « impression de la même espèce ». En 1896, il va plus loin. À
l’appui d’un « fondement clinique » qu’il n’avait pas en 1894, Freud évoque non
seulement la possibilité d’une expérience de séduction sexuelle traumatique pré-
coce (prépubertaire), mais surtout, ce qui s’avère une hypothèse psychogénétique
complexe, majeure et spécifique, le fait d’un phénomène d’après-coup où une
trace mnésique d’un premier trauma « oublié » est réveillée par un « deuxième »
trauma. Ainsi, la représentation intolérable n’est pas forcément celle que l’on croit :
ce n’est pas forcément celle qui est bruyante, actuelle et manifeste, elle est souvent
beaucoup plus ancienne dans la vie psychique mais ne devient pénible que parce
qu’elle est réactualisée par une expérience récente. « Les traumas d’enfant agissent
après-coup comme des expériences vécues toutes fraîches, mais alors inconsciem-
ment. » Cette découverte est absolument nodale : on peut être angoissé par une
Sigmund Freud 21
représentation pénible autrefois refoulée et qui, sans que l’on s’en rende compte,
est réveillée par une situation contemporaine, sans que le lien en soit évident,
voire même compréhensible pour le patient. De fait, Freud saisit combien seule
la méthode des associations libres permet l’accès à ces représentations évacuées
de la conscience et dont la trace « n’est jamais décelable dans la remémoration
consciente, mais seulement dans les symptômes de maladie » qu’il importe alors
de décrypter.
4. Concepts fondamentaux
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• Conflit psychique et mécanisme de défense : si le substantif « refoulement »
n’est créé et utilisé qu’en 1896, l’action de refouler est évoquée dès le texte
de 1894 pour rendre compte de la lutte intrapsychique et du statut du symp-
tôme comme compromis entre un désir de satisfaction et une censure qui s’y
oppose. Cela annonce la conceptualisation des points de vue topique, dyna-
mique et économique, qui théorisent les rapports de force entre instances
psychiques (le ça, le moi, le surmoi, l’idéal du moi) et entre pulsions.
• La sexualité ne saurait être réduite à la façon dont elle s’incarne dans les
relations sexuelles : elle est aussi et surtout l’ensemble des impressions psy-
chiques de la chose sexuelle (ce qu’on en entend dire, ce qu’on en fan-
tasme, ce qu’on en vit à travers des expériences qui semblent très éloignées
de l’acte sexuel). La sexualité est une psychosexualité complexe, pétrie de
réalité externe et de réalité interne, proposant potentiellement des satis-
factions plurielles quant aux objets (relationnels et identificatoires) et aux
sources qui la mobilisent.
• La dialectique entre le normal et le pathologique : les mêmes processus animent
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Dès 1897, dans une célèbre lettre à Wilhelm Fliess, Freud revient sur l’idée
des traumatismes susceptibles d’occasionner un affect et une représentation
pénibles de la sexualité, et met courageusement en doute sa conception étio-
logique de l’hystérie énoncée en 1894 et 1896. Les agressions sexuelles dont se
« souviennent » les patients ne sont pas tous des faits réels au plan événementiel.
Freud reconnaît avoir pris pour une réalité ce qui, en fait, est construit par une
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fiction porteuse de désir, et comprend ainsi combien le fantasme inconscient
d’avoir été séduit peut s’avérer tout autant traumatique, voire pathogène.
L’œuvre de Freud et, partant, la psychanalyse, offrent ainsi une littérature
remarquable sur la compréhension des organisations psychopathologiques.
Freud va ainsi différencier les névroses de défense des névroses actuelles, pré-
senter de façon très détaillée sa compréhension des mécanismes en jeu dans de
nombreux textes qui allient pratique clinique et réflexion théorique. Il travaillera
également à approfondir sa réflexion sur les liens complexes entre névroses et
psychoses, affinant sa compréhension des processus singuliers selon les organi-
sations psychopathologiques, différenciant par exemple le rôle de la projection
dans une organisation névrotique comme la phobie et dans une organisation
psychotique comme la paranoïa, différenciant l’isolation et le clivage, repérant
des altérations et des modifications du moi lui permettant notamment de théo-
riser le narcissisme.
Les mécanismes psychiques repérés dans les états pathologiques étant égale-
ment mobilisés dans le fonctionnement psychique « normal », Freud décrypte
par exemple ces mécanismes à l’œuvre dans le rêve, les symptômes mineurs de
la vie quotidienne, les produits de la culture.
Enfin, ce qu’il comprend du rôle que joue la sexualité dans le fonctionnement
psychique normal et pathologique donne également lieu à de nombreux tra-
vaux sur les perversions sexuelles, la sexualité infantile, l’adolescence, la sexua-
lité féminine. Sa réflexion sur la sexualité, indissociable de celle sur la névrose,
articulée dès 1896 à la question de l’agressivité et de la rivalité, sera reprise dans
divers textes à propos du complexe d’Œdipe.
La conviction majeure de ces deux textes, qui consiste à interroger les moda-
lités de fonctionnement psychique sous-jacentes aux symptômes, surplombant
leur seule dimension objective et observable, et qui argumente donc en faveur
Sigmund Freud 23
d’une causalité psychique, fut remise en question par la troisième édition du Diag-
nostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM) en 1980, lequel désavoua
jusqu’au mot même de névrose. Mais il n’en demeure pas moins que le para-
digme névrotique construit par Freud et incessamment remis sur le métier par ses
successeurs jusqu’aux analystes contemporains, demeure d’une grande actualité,
le point d’orgue, si ce n’est de résistance, d’une psychopathologie humaniste qui
se refuse à une conception simpliste de la vie psychique.
Pour approfondir
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André J. (2010). Les désordres du temps, Paris, PUF.
Brusset B. (1994). « Théorie du développement et paradigme de la névrose », in
D. Widlöcher (dir.) Traité de psychopathologie, Paris, PUF, 653-686.
Chabert C. et coll. (2008). Traité de psychopathologie de l’adulte. Les névroses, Paris,
Dunod.
Chabert C. et Verdon B. (2008). Psychologie clinique et psychopathologie, Paris, PUF.
Freud S. (1894). « Les névropsychoses de défense », Œuvres complètes, III, Paris, PUF,
1-18.
Freud S. (1896). « Nouvelles remarques sur les névropsychoses de défense », Œuvres
complètes, III, Paris, PUF, 121-146.
Freud S. (1898). « La sexualité dans l’étiologie des névroses », Œuvres complètes, III,
Paris, PUF, 215-240.
Freud S. (1905). « Mes vues sur le rôle de la sexualité dans l’étiologie des névroses »,
Œuvres Complètes, VI, Paris, PUF, 307-318.
Freud S. (1917). « Doctrine générale des névroses, in Leçons d’introduction à la psycha-
nalyse », Œuvres complètes, XIV, Paris, PUF, 248-480.
Freud S. (1923). « Le moi et le ça », Œuvres complètes, XVI, Paris, PUF, 255-301.
Freud S. et Breuer J. (1895). « Études sur l’hystérie », Œuvres complètes, II, Paris, PUF,
9-332.
Gay P. (1988). Freud. A Life For our Time, Londres, Melbourne, Dent ; trad. fr. Freud, une
vie, Paris, Hachette.
Jones E. (1953-1957). Sigmund Freud. Life and Work, London Hogarth ; trad. fr. La Vie et
l’Œuvre de Sigmund Freud, Paris, PUF, 1958-1969.
De Mijolla A. (2003). Freud. Fragments d’une histoire, Paris, PUF.
Quinodoz J.-M. (2004). Lire Freud. Découverte chronologique de l’œuvre de Freud, Paris,
PUF.
Schur M. (1972). La Mort dans la vie de Freud, Paris, Gallimard, trad. fr. 1975.
Verdon B. (2009). « Une organisation névrotique à l’épreuve du vieillissement », in Marty
F. (dir.), Psychopathologie de l’adulte : dix cas cliniques, Paris, In Press, 31-51.
2
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SIGMUND FREUD,
« Le président Schreber »,
in Remarques psychanalytiques
sur un cas de paranoïa
(dementia paranoïdes) décrit sous
forme autobiographique (1911),
PUF, coll. « Quadrige », 1995,
3e éd. 20041
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1. Présentation du texte dans l’œuvre de Freud
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laissa entendre que le docteur Schreber était complètement fou, mais que son
système du monde était remarquable, et qu’il ne présentait plus aucun danger
pour lui-même ou pour autrui. Il fut pourtant réhospitalisé à Lepzig en 1907 où
il mourut en 1911, l’année même de la parution de la célèbre étude de Freud,
qui fit du « cas Schreber » le malade le plus célèbre de l’histoire, à défaut d’avoir
été l’élu de Dieu !
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théologico-psychologique complexe de Schreber en montrant l’ambivalence de
celui-ci tant à l’égard de la religion qu’à l’égard de Dieu lui-même, à la fois
vénéré et détesté.
Dans la deuxième partie intitulée « Tentatives d’interprétation » Freud part
à la recherche du « noyau de la formation délirante » en s’appuyant sur les
associations de Schreber et sur les éléments historiques que celui-ci a lui-même
communiqués dans son récit. L’essentiel tient pour Freud dans le rapport de
Schreber à Flechsig qui ne devient son persécuteur que pour autant que celui-ci
fut auparavant aimé. Les sentiments d’amour sont renversés en leur contraire,
la haine, et projetés à l’extérieur : « L’être à présent haï et redouté à cause de sa
persécution est un être qui fut autrefois aimé et vénéré. La persécution postulée
par le délire sert avant tout à justifier la transformation de sentiments chez le
malade » (p. 39). Pour divers motifs historiques étudiés en détail (frustrations
dans la réalité dont l’absence d’enfants) la poussée de libido homosexuelle et dans
ce cadre la position féminine de Schreber s’adresse à Flechsig. Celui-ci recueille
l’héritage transférentiel du frère et du père que Freud devine décédés, position écar-
tée par la protestation virile, la psychose naissant de ce conflit. Flechsig est bien-
tôt remplacé par Dieu comme substitut du père aimé et détesté quand il vient
prohiber la masturbation et menacer de castration. Celle-ci fournit le matériau
de la fantaisie de transformation en femme, redoutée dans le délire de persécu-
tion, acceptée dans le délire de rédemption plus grandiose.
La troisième section intitulée « Du mécanisme paranoïaque » est capitale et
chaque ligne compte. Nous en extrayons quatre idées fortes.
La spécificité de la paranoïa ne réside pas dans le complexe paternel et les fan-
tasmes homosexuels, communs à tous, mais dans la forme prise par les symp-
tômes, soit le délire de persécution.
L’étiologie sexuelle dans la paranoïa n’étant pas évidente au profit de vexa-
tions et rebuffades sociales, Freud remanie sa conception du développement libi-
Sigmund Freud 29
dinal telle que développée dans les Trois essais sur la théorie sexuelle (1905). Entre
l’auto-érotisme et l’amour d’objet, il intercale le stade du narcissisme où le sujet
se prend d’abord soi, son propre corps, comme objet d’amour. L’homosexua-
lité s’intercale entre le narcissisme et l’hétérosexualité. Dans le développement
normal les tendances homosexuelles sont sublimées et elles donnent lieu aux
« pulsions sociales » comme l’amitié, la camaraderie, l’esprit de corps, l’amour
de l’humanité. Les paranoïaques restent fixés au stade du narcissisme et en cas
de « refusement » (frustration) par la réalité sociale, les pulsions homosexuelles
sont resexualisées, « désublimées » et elles donnent lieu au délire de persécution
et des grandeurs.
Les formules de la paranoïa viennent ainsi toutes contredire la proposition
« moi [un homme], je l’aime [lui un homme] ». Dans le délire de persécution la
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perception interne, le sentiment inconscient amoureux est transformé en son
contraire (amour en haine) et remplacé par une perception externe consciente
par projection : « Je ne l’aime pas – je le hais – parce qu’il me persécute. » Le sen-
timent inconscient apparaît ainsi comme une conséquence d’une perception
externe. Dans l’érotomanie la formule devient : « Ce n’est pas lui que j’aime,
c’est elle que j’aime, parce qu’elle m’aime. » Dans le délire de jalousie il existe
deux formes : le délire de jalousie de l’alcoolique (« Ce n’est pas moi qui aime
l’homme, c’est elle qui l’aime ») et la paranoïa jalouse des femmes (« Ce n’est
pas moi qui aime les femmes, c’est lui qui les aime »). « Le délire de jalousie
contredit le sujet, le délire de persécution le verbe, l’érotomanie l’objet » (p. 63).
Une quatrième contradiction récuse toute proposition : « Je n’aime absolument
pas et personne » ce qui revient à dire « je n’aime que moi » qui sous-tend le
délire des grandeurs qui s’ajoute à la plupart des autres formes paranoïaques déli-
rantes.
Dans le délire de Schreber s’inscrit l’idée qu’il y aurait eu une grande catas-
trophe, une fin du monde. Freud rend compte de ce vécu par le retrait d’inves-
tissement libidinal porté habituellement vers l’entourage et le monde extérieur.
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psychose chez Freud, l’un n’annulant pas l’autre :
le modèle de la défense (1894, 1896), avec, en parallèle un rapprochement
entre rêve et psychose (1900, 1907). Dans la névrose et la psychose les
symptômes reposent sur le refoulement : des représentations gênantes
dans la névrose, de la réalité dans la psychose hallucinatoire où le sujet
détache sa libido du monde objectal (ainsi désinvesti) et remplace la réalité
frustrante par une réalisation de désir. Après 1920, il s’agira moins d’affir-
mer un désir que de dénier la douleur (d’une perte). La perte de la réalité
répète un traumatisme qui n’est plus sexuel mais précoce, originaire, nous
disons aujourd’hui narcissique ;
le modèle du narcissisme (1911, 1914, 1917, 1923), qui débute avec Schreber,
s’affirme dans Pour introduire le narcissisme et surtout Deuil et mélancolie.
Il interroge la constitution du moi, ses altérations, et les mécanismes de
désinvestissement de la réalité, doublés du désinvestissement des repré-
sentations de choses dans l’inconscient, prolongés par le réinvestissement
délirant, « tentative de guérison, reconstruction », solution défensive
génialement décrite par Freud. Deuil et mélancolie introduit le conflit entre
le surmoi et le moi, la notion d’identification narcissique, et permet une
différenciation entre névrose narcissique (dépression mélancolique) et
psychoses ;
le modèle du déni-clivage apparaît après la seconde théorie des pulsions
et la seconde topique (1924, 1927, 1937, 1938). Freud décrit une défor-
mation plus ou moins importante du moi ayant une valeur défensive de
protection contre l’angoisse de castration (perversion) puis contre une
réalité traumatique qui, déniée perceptivement, ne peut donc être signi-
fiée : abolie au dedans, elle fait retour au/du dehors en infiltrant le délire.
Freud prend également en compte, envers du narcissisme, la question
Sigmund Freud 31
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précoces, apporta des contributions théoriques qui permettront de développer
la psychanalyse des psychoses. Elle oppose les mécanismes de défense primitifs
(ou psychotiques), retrouvés chez les jeunes enfants et les psychotiques, et les
mécanismes secondaires (ou névrotiques) qu’elle relie à sa découverte des posi-
tions schizo-paranoïde et dépressive. Elle fait l’hypothèse que le fonctionnement
psychotique repose sur une fixation à la position schizo-paranoïde et sur une
utilisation excessive de l’identification projective. À sa suite Rosenfeld (1967), Segal
et Bion prendront des schizophrènes en analyse et en montreront les particula-
rités du transfert et du contre-transfert en différenciant des formes normales et
pathologiques de la position schizo-paranoïde et de l’identification projective.
La traduction en anglais dans les années cinquante des Mémoires de Schreber
amena une série de contributions et de révisions d’auteurs anglophones. Elles
furent résumées par Racamier et Chasseguet-Smirgel (1966) et réunies en français
par Prado De Oliveira (1979). Dans l’ensemble la thèse freudienne fut discutée
comme mettant trop l’accent au niveau des contenus sur la dimension homo-
sexuelle, et donc sur la sexualité infantile, au détriment de la destructivité, alors
qu’au niveau des mécanismes elle « névrotise » et « œdipianise » trop ceux-ci.
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Schreber luttait moins contre des fantasmes de désir féminins passifs que contre
une angoisse de fragmentation et de destruction identitaire de son « être » (la catas-
trophe psychotique) que la sexualisation délirante visait à contrer et reconstruire
(Racamier, 1966). De même il est noté que la mère est la grande absente des
Mémoires ainsi que du commentaire freudien, d’où la critique d’une hypertro-
phie du complexe paternel au détriment du complexe maternel.
Mais si la mère n’est jamais mentionnée c’est probablement en raison du fait
que la personnalité psychotique du père prit totalement la place d’une mère
qui s’est laissée absorber par celui-ci. En effet différents auteurs, en premier
lieu Niederland (in Le Cas Schreber), firent des recherches historiques sur l’enfance
de D. P. Schreber et sa famille et découvrirent que le père de Schreber était un
32 45 commentaires de textes fondamentaux en psychopathologie…
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psychose procède d’un rejet primordial (la forclusion) d’un signifiant fondamen-
tal (le Nom-du-Père) hors du champ du symbolique qui fait retour au sein du réel
sous forme hallucinatoire. Aujourd’hui des psychanalystes non inféodés à l’idéa-
lisation de la parole du maître questionnent les apports de Lacan à la théorie de
la psychose, qui, si elle peut sembler défectologique, a certainement stimulé les
travaux actuels sur la subjectivation et ses avatars (Duparc, 2010). P. Aulagnier,
partie de ce mouvement, livrera des contributions essentielles sur la violence de
l’interprétation de la mère porte-parole et sur la potentialité psychotique qui augu-
reront d’un renouveau de la théorie de la représentation (De Mijolla-Mellor,
1998). Dans une optique différente, Racamier (1980, 1992) étudiera le mode de
fonctionnement du moi et la relation d’objet des schizophrènes. On lui doit les
notions contemporaines de paradoxalité des schizophrènes, de séduction narcis-
sique, d’Antœdipe, d’incestualité et de perversion narcissique.
discutée au profit d’une logique des processus ou des positions (Roussillon et coll.,
2007). L’étude « économico-dynamique » du moi, de ses altérations, de sa syn-
thèse plus ou moins définitive, de la mouvance de ses mécanismes de défense, de
ses affects, y prend toute son importance, selon les vœux de Freud dans l’Abrégé,
car enfin sortie de l’accusation fallacieuse d’assujettissement à l’Ego Psychology
(Chabert, 2010).
Ces considérations ouvrent également vers des perspectives thérapeutiques
plus optimistes, tant sur le plan de l’analysabilité des psychotiques, démontrée
par les post-kleiniens, que sur les possibilités modificatrices de la psychothérapie
psychanalytique ou des divers dispositifs thérapeutiques individuels, groupaux et ins-
titutionnels pensés par des psychanalystes (Chambrier, 1999, III).
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Pour approfondir
André J. (2004). « Préface » in Freud S. (1911), Le Président Schreber, Paris, PUF, coll.
« Quadrige », 3e éd. 2004.
Chabert C. et coll. (2010). Traité de psychopathologie de l’adulte. Les psychoses, Paris,
Dunod.
Chambrier J., Perron R., Souffir V. (1999). Psychoses I (Théories et histoire des idées) ;
Psychoses II (Aux frontières de la clinique et de la théorie) ; Psychoses III (Pratiques), Mono-
graphies de la RFP, Paris, PUF.
Collectif (1979). Le Cas Schreber. Contributions psychanalytiques de langue anglaise, Paris,
PUF.
De Mijolla Mellor S. (1998). Penser la psychose. Une lecture de l’œuvre de P. Aulagnier,
Paris, Dunod.
Duparc F. et coll. (2010). Jacques Lacan. Une œuvre au fil du miroir, Paris, Éd. In Press.
Freud S. Œuvres complètes. Psychanalyse, Paris, PUF.
Lacan J. (1958). « D’une question préliminaire à tout traitement de la psychose », in Écrits
II, Paris, Le Seuil, 1971, 43-102.
Racamier P.-C., Chasseguet-Smirgel J. (1966). « La révision du cas Schreber : revue », RFP,
n° 1-1966, 3-25.
Racamier P.-C. (1966). « Esquisse d’une clinique psychanalytique de la paranoïa », RFP,
n° 1-1966, 145-172.
Racamier P.-C. (1980). Les Schizophrènes, Paris, Petite Bibliothèque Payot.
Racamier P. C. (1992). Le Génie des origines. Psychanalyse et psychoses, Paris, Payot.
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Roussillon R. et coll. (2007). Manuel de psychologie et de psychopathologie clinique géné-
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Schreber D.P. (1903). Mémoires d’un névropathe, Paris, Le Seuil, 1975.
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SIGMUND FREUD,
« Deuil et mélancolie » (1917),
Œuvres complètes, Psychanalyse,
vol. XIII (1914-1915), Paris, PUF,
3e éd. corrigée, 2005, 261-2801
« Après que le rêve nous a servi de prototype normal des troubles d’âme
narcissiques, nous allons tenter d’éclairer l’essence de la mélancolie en la
comparant avec l’affect normal du deuil. […] L’ombre de l’objet tomba ainsi
sur le moi qui pu alors être jugé par une instance particulière comme un
objet, comme l’objet délaissé. […] Nous ne sommes pas sans savoir déjà que
l’interrelation des problèmes animiques embrouillés nous oblige à interrompre
chaque investigation sans qu’elle soit achevée, jusqu’à ce que les résultats
d’une autre puissent lui venir en aide. »
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Si ce texte écrit en 1915, publié en 1917, est le point d’orgue des considérations
de Freud sur le deuil et la mélancolie, il n’apparaît pas ex nihilo dans l’œuvre
de l’homme, du citoyen et du penseur. La maturation métapsychologique freu-
dienne est indissociable des crises traversées, à l’échelle individuelle ou de
nations entières.
Freud a vécu d’intenses moments de dépression qu’il confie à son ami Fliess,
comme en mars 1900 où il dit traverser une « crise intérieure profonde » le lais-
sant « intérieurement très appauvri ». En cette période tourmentée, agitée par la
guerre, le penseur rejoint le simple « citoyen du monde de la culture » (1915).
Ses écrits se font poétiques pour tenter de sublimer une désillusion nourrie par
la nostalgie d’une époque à jamais révolue.
C’est dans ce contexte qu’en mars 1915, Freud entreprend l’écriture d’un
recueil d’articles destiné à clarifier et approfondir « les hypothèses théoriques
sur lesquelles un système psychanalytique pourrait être fondé » (lettre Freud
276F, 4 mai 1915, p. 384). Dans cette lettre, Freud annonce l’achèvement de cinq
traités, dont celui sur la mélancolie, que l’on regroupe habituellement sous le
nom de « Métapsychologie ». La modélisation de Freud du deuil et de la mélan-
colie est indissociable des avancées de son plus fidèle disciple, K. Abraham, qui
ouvre la voie avec son étude de la folie maniaco-dépressive et des états voisins,
présentée le 11 septembre 1911 au IIIe Congrès de psychanalyse. Les échanges
entre Abraham et Freud vont constituer les plus grandes avancées sur la question
maniaco-dépressive, la correspondance entre les deux hommes attestant ce que
le maître doit à l’élève. La lecture des Manuscrits témoigne cependant de l’inté-
rêt précoce de Freud pour la question, écrits portant en gésines les découvertes
de Deuil et mélancolie. Le Manuscrit G est entièrement consacré à la mélancolie,
on y trouve les termes majeurs de deuil, de perte et de douleur, qui constitue-
ront l’armature conceptuelle soutenant l’édifice théorique de 1915. L’accent y
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est mis sur la dimension économique, la mélancolie étant assimilée à une perte
de libido, préfigurant les développements de 1914 avec l’introduction du nar-
cissisme.
Le modèle s’enrichit en 1915 des points de vue dynamique et économique,
celui topique, relégué au second plan, porte néanmoins les germes prometteurs
d’une topique en devenir, avec le futur surmoi.
2. Résumé du texte
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incontestablement sa place. Le titre est évocateur, le deuil et la mélancolie
seront mis en perspective, dans une démarche analogique dont Freud est cou-
tumier. Il le précise d’emblée, c’est la communauté du tableau clinique – ne
différant que par l’absence d’auto-reproches dans le deuil – qui autorise le rap-
prochement, ainsi que les circonstances présidant à leur apparition : « la perte
d’une personne aimée ou d’une abstraction venue à sa place, comme la patrie,
la liberté, un idéal, etc. » (p. 263-264). Pourtant, si les points de rencontres sont
incontestables, au processus normal du deuil se substitue celui pathologique de
la mélancolie.
Le deuil sert d’étalon pour mesurer le « travail » engagé suite à la perte. Travail
lent et douloureux, opérant un détachement progressif de la libido de l’objet
perdu vers un objet substitutif. Détachement et déplacement sont les tâches
ordonnées par le principe de réalité en dépit des résistances, car « l’homme
n’abandonne pas volontiers une position libidinale, pas même lorsqu’un subs-
titut lui fait déjà signe » (p. 265). Après un temps de rébellion qui maintient
l’existence psychique de l’objet perdu, parfois jusqu’à la psychose hallucinatoire
de désir, le moi se trouve de nouveau libre et sans inhibition. Il n’en va pas de
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C’est une fois de plus l’énigme clinique qui transcende le génie freudien :
si d’incapacités en auto-accusations le mélancolique se confond en indignité,
manquent les accords de la honte à la proclamer ! Le paradoxe se dissipe si l’on
considère que les reproches ne sont en fait pas adressés au moi propre, mais à
l’objet perdu. L’aversion morale à l’égard du moi du mélancolique dissimule des
plaintes « portées contre » l’objet déceptif (p. 269).
Le processus est le suivant : à l’origine, une déception de la part d’un objet qui
va ébranler la relation et entraver l’issue normale du deuil. Alors que le détache-
ment s’opère, la libido n’est pas déplacée sur un objet substitutif, mais se retire
dans le moi. Les secousses viennent mettre au jour la fragilité de l’investissement,
que dévoile la célérité avec laquelle la libido libre est ramenée sur le moi, libido
utilisée pour instaurer une identification du moi à l’objet abandonné, « l’ombre
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de l’objet tomba ainsi sur le moi qui put alors être jugé par une instance particu-
lière comme un objet, comme l’objet délaissé » (p. 270). L’identification narcis-
sique à l’objet – aimé, décevant et haï –, s’est ainsi substituée à l’investissement
d’amour, faisant faire l’économie d’un renoncement à l’objet dont l’abandon
n’a pu être consenti. Freud rappelle dans ces lignes le caractère ambivalentiel
de l’identification, stade préliminaire à tout choix d’objet, le sujet « voudrait
s’incorporer cet objet et cela, conformément à la phase orale ou cannibalique du
développement de la libido, par la voie de la dévoration » (p. 270), propositions
qui font écho à celles de son plus fidèle ami, Abraham.
Le rôle accordé à l’ambivalence conduit à considérer les points de rencontres
avec la névrose obsessionnelle ; dans cette dernière, la litanie des auto-accu-
sations à la disparition d’un être cher masque des vœux coupables, illustrant
le conflit d’ambivalence lorsqu’il ne s’accompagne pas de régression. Chez le
mélancolique, alors que l’amour pour l’objet doit perdurer, il trouve refuge dans
l’identification narcissique, la haine se déchaînant désormais contre l’objet subs-
titutif. L’investissement libidinal a ainsi subi une double transformation « sous
l’influence du conflit d’ambivalence » en régressant à l’identification et en étant
« reporté au stade du sadisme » (p. 272).
Sur le devant de la scène, la mélancolie, subie, est torture de l’âme, sa souf-
france, son étendard ; dans les coulisses, la torture se décline en une forme
active, toute nourrie du sadisme « indubitablement riche en jouissance », et de
la haine du sujet à l’encontre de l’objet déceptif (p. 272). De honte il ne peut
être question, les tourmenteurs ne sont pas là où on les croyait ! La haine peut se
déchaîner au grand jour, la vengeance prenant le masque de l’autopunition. De
régression (à l’identification) en régression (au stade sadique), l’investissement
d’amour du mélancolique révèle les dérives d’un érotisme anal « arraché à ses
liaisons et régressivement transformé » (ibid., p. 273), permettant de comprendre
le recours si fréquent au suicide.
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engagées pour surmonter la perte de l’objet. Le travail du deuil est ordonné par
le respect d’un commandement, celui de la réalité – l’objet n’est plus –, le moi
se trouvant dans l’impérieuse nécessité de décider s’il veut rester en vie et jouir
de ses gratifications narcissiques, ou partager le sort de l’objet et le suivre dans
la tombe. La rupture avec l’objet n’est consommée qu’au prix d’un lent travail,
l’énergie se trouve alors dissipée.
Le deuil et la mélancolie se retrouvent autour du point de vue économique,
à savoir la nécessité de procéder en détail à un laborieux travail de détache-
ment de la libido de l’objet perdu ; mais dans la mélancolie, l’ambivalence vient
compliquer l’opération de détachement. Celle-ci doit s’exercer sur chaque point
d’attache à l’objet en de multiples combats singuliers opposant à l’amour, la
haine. Si le lieu du combat est l’inconscient dans le deuil comme dans la mélan-
colie, chez le mélancolique la voie vers la conscience est barrée, les représen-
tations étant condamnées à demeurer dans les limbes du « royaume des traces
mnésiques de chose », lieu de leur geôle (p. 278). Les combats, livrés dans
l’inconscient, ne se dévoileront qu’à l’issue de la mélancolie alors que la libido se
retire dans le moi, sauvegardant mais à quel prix, l’amour pour l’objet ; le conflit
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peut apparaître au grand jour, travesti sous les traits d’un combat entre le moi et
l’instance critique qui déchaîne sa haine sur un moi avili. La multitude des luttes
menées dans l’inconscient, une à une « relâche la fixation de la libido à l’objet,
en dévalorisant celui-ci, en l’abaissant, et même, pour ainsi dire, en l’abattant »
(p. 279). L’épuisement de la fureur, ou l’abandon de l’objet désormais dépourvu
de toute valeur, offrent une issue au moi, qui se glorifie de sa supériorité sur
l’objet. Mais alors que Freud pensait pouvoir attribuer à l’ambivalence la condi-
tion économique à l’éclosion de toute manie, il se voit contraint d’y renoncer.
Des trois conditions favorisant la mélancolie – la perte d’objet, l’ambivalence, la
régression de la libido dans le moi –, seule la dernière peut offrir les conditions
d’un triomphe maniaque. L’accumulation de l’investissement, libre à l’issue de
40 45 commentaires de textes fondamentaux en psychopathologie…
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• L’action déterminante de la conscience morale, cette partie du moi qui
s’oppose à une autre et la critique en la prenant pour objet, est le précur-
seur de ce qui deviendra, avec la seconde topique, le surmoi.
• La scission entre la critique du moi et le moi modifié par identification,
venant remplacer dans la mélancolie le conflit entre le moi et la personne
aimée, préfigure la notion de clivage, qui prendra, après le tournant des
années vingt, l’importance que l’on sait.
• Freud accorde à l’identification narcissique un rôle essentiel dans la mélanco-
lie, insistant sur sa composante orale, cannibalique, et son caractère émi-
nemment ambivalent.
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temporaire contre une des grandes institutions du moi, l’idéal du moi.
En 1923, la révolte maniaque prend les atours d’une lutte contre la cruauté
d’un surmoi « pure culture de la pulsion de mort », pouvant mener le moi à
trépas s’il ne parvient pas à se défendre de son tyran (1923, p. 296) ; le virage
maniaque constitue l’ultime défense face à la pulsion de mort, elle est un hymne
à la vie, même si elle peut parfois conduire à la mort. Dans la lignée de Freud,
A. Green voit en la réduction à néant du surmoi omnipotent, une possible
réponse aux questions économiques. Suivons-le : dans la mélancolie, le surmoi
maltraite le moi comme lui-même aurait aimé maltraiter l’objet. Le moi et le sur-
moi y trouvant tous deux satisfaction. Dans sa boulimie, le maniaque a absorbé
l’omnipotence attribuée à l’objet et avalé le surmoi « né de l’introjection de
l’objet », le surmoi est ainsi « réduit à néant par le moi omnipotent » (Green,
1973, p. 165).
Freud reprendra dans « Le moi et le ça » les raisons du revirement dans la
manie comme échappatoire face à la destruction retranchée dans le surmoi fai-
sant « rage contre le moi » (1923, p. 293, p. 298). C’est dans l’« Addenda », au
chapitre consacré l’angoisse au deuil et la douleur, que Freud annonce la réso-
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objets » (p. 329). C’est donc un leurre qui rassure le moi du maniaque, qui, dans
sa boulimie d’objets, ne craint ainsi plus de les perdre, il y en a tant d’autres !
L’omnipotence et le sadisme, mobilisés par une telle réussite, se paient cepen-
dant au prix fort, alors que les objets qui devaient être restaurés se transforment
de nouveau en persécuteurs, mobilisant inlassablement les défenses paranoïdes
et maniaques. Les positions kleiniennes s’écartent ainsi de celles de Freud qui ne
donne à la manie qu’une seule fonction, celle de lutter contre la mélancolie.
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Alors que les derniers écrits traitant la question, semblent avoir découvert les
ressorts du processus mélancolique, éclairé à la lumière de la seconde topique
et de l’action sadique du surmoi, mais aussi de l’économie de la douleur, Freud
formule pourtant une nouvelle fois en 1933 la non-résolution de l’énigme ! C’est
la fin du processus lui-même, qu’il soit de deuil ou de mélancolie, qui conserve
une part de mystère ; car si Freud évoque l’idée d’un épuisement pulsionnel, on
comprend au fond assez mal ce qui détermine l’issue de l’une et l’autre, et encore
moins ce qui fait que pour certains seulement, l’état de manie succède à la stu-
peur mélancolique ! On ne peut éviter alors d’interroger la composante organique
d’une telle affection, qui ne dispense d’ailleurs pas d’interroger conjointement
ses incidences sur les modalités de distribution libidinale ! L’introduction du
narcissisme est un apport considérable pour la compréhension du processus, il
permet à Freud de séparer la mélancolie qu’il désigne comme « psychonévrose
narcissique », la distinguant dès lors des autres psychoses ; alors que les pre-
mières résultent d’un conflit entre le surmoi et le moi, les secondes sont issues
du conflit entre le moi et le monde extérieur ; voilà de quoi alimenter le débat
encore très actuel sur la nature psychotique ou non d’une affection qui a perdu
son patronyme de psychose, pour prendre celui de trouble bipolaire !
Pour approfondir
Chabert C. et al. (2005). Figures de la dépression, Paris, Dunod.
Ebtinger R. (1976). « Le dialogue Abraham-Freud sur la mélancolie », Confrontations psy-
chiatriques, n° 14, 159-204.
Freud S., Abraham K. Correspondance complète 1907-1925, Gallimard, coll. « Connaissance
de l’inconscient », 2006.
Sigmund Freud 43
Freud S. (1914). « Pour introduire le narcissisme », in trad. fr. Œuvres complètes. Psycha-
nalyse, vol. XI (1911-1913). Paris, PUF, 3e éd. corrigée 2005, 214-245.
Freud S. (1915). « Actuelles sur la guerre et la mort », in trad. fr. Œuvres complètes. Psy-
chanalyse, vol. XIII (1914-1915), Paris, PUF, 3e éd. corrigée, 2005, 127-157.
Freud S. (1921). « Psychologie des masses et analyse du moi », in trad. fr. Œuvres
complètes. Psychanalyse, vol. XVI (1921-1923), Paris, PUF, 2e éd. 2003, 1-83.
Green A. (1973). Le Discours vivant, Paris, PUF, 3e éd. 2001.
Klein M. (1934). « Contribution à l’étude de la psychogenèse des états maniaco-
dépressifs », in Essais de psychanalyse (1921-1945), Paris, Payot, 1968, 311-340.
Klein M. (1940). « Le deuil et ses rapports avec les états maniaco-dépressifs », in Essais de
psychanalyse, Paris, Payot, 1968, 341-369.
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KARL ABRAHAM,
« Les états maniaco-dépressifs
et les étapes prégénitales
d’organisation de la libido » (1924),
in Développements de la libido,
Œuvres complètes II, Payot,
1965, 170-2101
1. Présentation de l’auteur
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K. Abraham, né le 3 mai 1877 à Brème, décédera prématurément à l’âge de
48 ans, le 25 décembre 1925. Fils d’instituteur, il est issu d’une vieille famille juive
hanséatique. Polyglotte, il entreprend simultanément à sa formation médicale,
des études de philologie et de linguistique. Avant de devenir le disciple de Freud,
de vingt et un ans son aîné, Abraham avait été, à la clinique de Burghölzli, l’élève
de Bleuler, dont il devient l’assistant en 1904. Il effectue sa première contribu-
tion psychanalytique au sein de la Société Freud fin 1907 et prend la tête de l’Ins-
titut de psychanalyse de Berlin l’année suivante. Son nom est particulièrement
associé à la folie maniaco-dépressive, mais également aux troubles sexuels et à
l’élaboration de la caractérologie psychanalytique.
Son œuvre témoigne d’une volonté d’offrir à la clinique une place majeure,
dans le souci de contribuer à l’approfondissement de la théorie freudienne – on
peut se référer au petit livre de B. Lemaigre, K. Abraham (2003). Elle se caractérise
par la richesse d’un matériel linguistique qui donne la part principale à la voie de
l’analyse signifiante. Son dialogue avec Freud fut constant, ce dont témoigne la
correspondance qui débutera dès 1907, pour ne s’achever qu’avec sa mort.
2. Présentation du texte
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Le présent article constitue donc la troisième contribution à la résolution de
l’énigme maniaco-dépressive. Contribution d’importance, en ce qu’elle présente
une théorisation relativement aboutie de la théorie psychanalytique, et propose
le schéma d’une histoire du développement de la libido, à la fois quant à son but
et à son objet.
3. Résumé du texte
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tal dans la folie circulaire. L’introjection dans la mélancolie n’est néfaste que du
fait de la gravité du conflit ambivalentiel, la haine conduisant irrémédiablement
à l’abandon de l’objet.
Le troisième chapitre lie développement psychosexuel et processus d’introjec-
tion dans la mélancolie. Abraham y insiste, après l’expulsion et la destruction
(anales) de l’objet d’amour, sa restitution procède de sa dévoration cannibalique,
proposant une forme archaïque du deuil. Mais à côté d’une oralité sadique, per-
sistent des fantasmes non destructeurs qui imposent de subdiviser le stade oral
en deux : la première étape, de succion, est préambivalente, la seconde, ambi-
valente, est dominée par l’impulsion de morsure, forme primitive du sadisme.
L’auteur conclut sur la nécessité de distinguer deux niveaux dans la phase géni-
tale – le sujet devenant post-ambivalent après le stade phallique –, tout comme
dans les phases prégénitales.
Dans le chapitre suivant, Abraham s’attache aux conditions d’apparition spé-
cifiques de la mélancolie, s’ajoutant à celles déjà connues de l’ambivalence et
d’un narcissisme exacerbé. L’auteur expose une série de facteurs ne devant être
considérés isolément : la prédisposition à un érotisme oral démesuré, une fixa-
tion libidinale orale, une déception grave du narcissisme infantile avant la maî-
trise des vœux œdipiens et le dépassement du stade du narcissisme – mêlant
ainsi Œdipe et fantasmes cannibaliques –, la répétition de la déception primaire
au décours de la vie venant réactiver la colère à l’encontre de l’objet déceptif pri-
mitif, la mère. La tendance compulsive à répéter l’expérience première constitue
pour Abraham une condition caractéristique de la maladie maniaco-dépressive.
Ainsi, après une intolérable déception, « l’objet d’amour subit pour ainsi dire
le métabolisme psychosexuel du patient » (p. 201). D’abord détruit, l’objet est
ensuite introjecté, dévoré, en une forme spécifique d’identification narcissique.
Après épuisement des pulsions sadiques, l’objet, délogé du moi sur le mode de
l’expulsion anale, peut retrouver sa place dans le monde extérieur.
Karl Abraham 49
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Le moi du maniaque, ce boulimique d’objets, avale et rejette à plus soif l’objet,
reproduisant ainsi le trajet du « métabolisme psychosexuel » (p. 205). S’écar-
tant des vues freudiennes, Abraham découvre l’homologie entre le renversement
maniaque et certaines manifestations du deuil normal où le sujet parvient à
détacher sa libido de l’objet perdu, lui faisant éprouver un désir sexuel accru,
sublimé, en de nouvelles appétences intellectuelles. L’apparition d’une manie
pure est comprise comme le rejet d’un état de dysphorie originelle, liée à certains
traumatismes psychiques de l’enfance, sans qu’Abraham puisse en expliquer les
motifs. Il conclut sur la divergence des liens objectaux : si le maniaco-dépressif
réalise périodiquement l’expulsion de l’objet d’amour, l’obsessionnel tente de le
retenir, réalisant deux attitudes psychiques « à l’égard du meurtre originel non
accompli » (p. 207), en référence aux vues de Freud et de Róheim.
Le dernier chapitre clôt cette première partie et questionne l’action théra-
peutique, il réaffirme les capacités transférentielles des patients mélancoliques
pouvant s’établir après l’épisode morbide, à l’entrée dans l’intervalle libre.
L’apparition de nouveaux symptômes, hystériques, peut être considérée comme
favorable, tout comme la jeunesse des malades. Abraham fait appel aux réussites
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cliniques de Freud pour souligner les effets positifs durables de la cure, la diffi-
culté d’une telle entreprise avec de tels patients parant, dit-il, à un optimisme
thérapeutique démesuré !
4. Concepts fondamentaux
• La subdivision du stade anal en deux étapes : la première est relative aux pul-
sions hostiles, destructrices et à la tendance au rejet ; la seconde est celle de
la conservation, de la rétention et de la domination.
50 45 commentaires de textes fondamentaux en psychopathologie…
• Le concept d’introjection occupe une place centrale. Il est assimilé à une incor-
poration orale, cannibalique, permettant la récupération dans le moi de
l’objet perdu, expulsé et détruit ; sa fonction est centrale dans la mélanco-
lie. L’introjection n’est pas différenciée par Abraham de l’incorporation.
• Le caractère problématique de l’introjection mélancolique est lié à l’impor-
tance du conflit ambivalentiel dans lequel les sentiments positifs succombent
à la haine, entraînant de ce fait l’abandon de l’objet.
• Deux étapes de la phase orale : un stade oral pré-ambivalent de succion, lié
à l’auto-érotisme ; un stade ambivalent de morsure, forme primitive du
sadisme, qui se traduit par des fantasmes cannibaliques et qui est contem-
porain des capacités d’incorporation totale de l’objet et de la constitution
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du narcissisme. L’ambivalence débute au stade oral de morsure, l’objet
étant à la fois incorporé et détruit.
• Le double traumatisme lié à une double déception vis-à-vis des figures œdi-
piennes, maternelle et paternelle.
5. Préalables et prolongements
cées. Si Freud revient sur l’étude des relations entre investissement objectal et
identification, il élargit l’investigation amorcée avec la découverte de l’introjec-
tion mélancolique à une interrogation plus générale, dans la perspective de for-
muler un modèle général de la structure de la psyché. Le mécanisme d’introjection
y est repris, associé au travail du moi, et reconnu dans sa fonction processuelle
comme favorisant la possibilité de renoncer à l’objet. Cette opération de transfor-
mation de la libido objectale en libido narcissique peut engendrer des processus
de désintrication, par les modifications du moi qu’elle implique. Ces modifica-
tions du moi conservent une position à part, qui s’oppose au reste du moi comme
idéal du moi ou surmoi. Ce dernier terme, nouvellement introduit, constitue une
instance critique qui s’instaure à partir du jeu complexe des identifications et est
corrélative du déclin de l’œdipe. La référence à la bisexualité et au double aspect
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des identifications œdipiennes est alors avancée. Cette élaboration du surmoi et
de ses liens avec les processus d’introjection, constitue un pas supplémentaire
dans la théorie des psychoses, reprise dans deux textes publiés la même année,
en 1924. Si Freud y conserve l’idée d’une étiologie commune aux névroses et aux
psychoses, relative à un manquement extérieur traumatique, il reconnaît le motif
des divergences dans le jeu des topiques. Ainsi, la névrose est le résultat d’un
conflit entre le moi et le ça, la psychose, celui d’un rapport inadapté du moi à la
réalité extérieure. La mélancolie occupe quant à elle une place tout à fait particu-
lière, le conflit entre le moi et le surmoi étant sur le devant de la scène. C’est ce
qui conduit Freud à parler de psychonévrose narcissique, le statut nosographique
de la mélancolie occupant dès lors d’une position intermédiaire.
L’apport d’Abraham reste une somme considérable, inscrite dans une perspec-
tive fidèle à la pensée freudienne. Ses découvertes concernant l’analyse très fine de
la problématique de l’oralité, de l’introjection orale, de la régression, des enjeux
de perte de l’objet et du narcissisme, continuent de constituer des références
incontournables dans la compréhension des troubles psychotiques et mélanco-
liques. On peut, par ailleurs, souligner son attachement à la référence œdipienne
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ces lignes, c’est bien celle de la structure, interne, des pathologies maniaques et
dépressives ; interrogation qu’éludent les classifications internationales contem-
poraines en s’attachant aux troubles, externes cette fois, puisque les troubles
bipolaires ont supplanté la psychose maniaco-dépressive ! Si Abraham range la
maniaco-dépression du côté des psychoses, il est à noter l’emploi privilégié d’une
terminologie qui ne fait pas référence à la structure dans son texte de 1924. Ainsi
parle-t-il d’affections, d’états maniaco-dépressifs ou cycliques ou encore de folie
circulaire, alors même qu’en 1912, il les désignait clairement comme « psychoses
dépressives ». Comment expliquer ce changement ? Doit-on y voir l’influence
du maître qui en 1923 assigne à la mélancolie une place singulière ? Rappelons
que dans « Le moi et le ça » la mélancolie est désignée comme « psychonévrose
narcissique », en ce que le conflit se déroule entre le moi et le surmoi, alors qu’il
se joue entre le moi et l’extérieur dans la psychose. Si les structuralistes main-
tiennent clairement la mélancolie-manie du côté des psychoses, la question
demeure entière alors que la clinique nous confronte régulièrement à l’absence
de caractéristiques psychotiques chez de nombreux patients dans l’intervalle
libre…
Pour approfondir
Abraham K. (1912). « Préliminaires à l’investigation et au traitement psychanalytique de
la folie maniaco-dépressive et des états voisins », in Œuvres complètes, t. I, (1907-1914),
Paris, Payot, 1965, 212-226.
Abraham K. (1916). « Examen de l’étape prégénitale la plus précoce du développement
de la libido », in Œuvres complètes, t. II (1915-1925), Paris, Payot, 1965, 11-34.
Ebtinger R. (1976). « Le dialogue Abraham-Freud sur la mélancolie », in Confrontations
psychiatriques n° 14, 1976.
Karl Abraham 53
Freud S. (1917). « Deuil et mélancolie », in trad. fr. Œuvres complètes. Psychanalyse, vol.
XIII (1914-1915), Paris, PUF, 3e éd. corrigée, 2005, 261-280.
Freud S. (1921). « Psychologie des masses et analyse du moi », in trad. fr. Œuvres complètes.
Psychanalyse, vol. XVI (1921-1923), Paris, PUF, 2e éd. 2003, 1-83.
Freud S. (1923). « Le moi et le ça », in trad. fr. Œuvres complètes. Psychanalyse, vol. XVI
(1921-1923), Paris, PUF, 2e éd. 2003, 255-302.
Freud S. (1924). « Névrose et psychose », in trad. fr. Œuvres complètes. Psychanalyse, vol.
XVII (1923-1925), Paris, PUF, 1re éd. 1992, 1-7.
Freud S. (1924). « La perte de la réalité dans la névrose et la psychose », in trad. fr. Œuvres
complètes. Psychanalyse, vol. XVII (1923-1925), Paris, PUF, 1re éd. 1992, 35-41.
Freud S., Abraham K. (2006). Correspondance complète 1907-1926, Paris, Gallimard.
Lemaigre B. (2003). Karl Abraham, Paris, PUF.
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5
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SÁNDOR FERENCZI,
« Confusion de langue entre
les adultes et l’enfant. Le langage
de la tendresse et de la passion
(1933) », in Psychanalyse 4 Œuvres
complètes, t. IV : 1927-1933, Payot,
1982, 125-1351
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1. Présentation de l’auteur
Ces découvertes ont pour la plupart été mal comprises au départ et mises
de côté après sa mort. Le docteur Sabourin qui préface le tome IV des œuvres
complètes de l’auteur dénonce ainsi « tous les conformismes post-freudiens »
qui ont emprunté le chemin de Jones en mettant au banc un auteur tel que
Ferenczi. Son œuvre a été réhabilitée dans les années 1980, d’abord par Balint
qui s’est lancé dans l’édition de ses écrits incluant son fameux Journal clinique,
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écrit unique en son genre, aujourd’hui mondialement connu. Depuis de nom-
breux auteurs français ayant revisité la clinique contemporaine des trauma-
tismes (Brette et coll., 2005) s’appuient sur ses travaux novateurs. Pour prendre
connaissance avec ceux-ci on peut se référer à Sándor Ferenczi par T. Bokanovski
(1997).
plus tard), mais il joue en outre sa réputation en soutenant des idées totalement
nouvelles devant un public devenu méfiant voire, hostile. En effet, son propos
montre quelques dissidences entre Freud et lui, sous un jour bien plus clément
et ouvert aux critiques selon nous que ce qui en a été dit plus tard…
Le titre initial de l’article est : « Les passions des adultes et leur influence sur
le développement du caractère et de la sexualité de l’enfant ». Le changement
de titre peut être lié à l’évolution de ses positions sur le traumatisme mais il
peut aussi être mis en perspectives avec ses ambitions, revues à la baisse, de
vouloir « faire entrer de force […] un thème trop vaste » sur la formation du
caractère et de la névrose et notamment leurs rapports avec une « origine exté-
rieure ». Plutôt qu’un retour à la neurotica abandonnée par Freud, il s’agit de
58 45 commentaires de textes fondamentaux en psychopathologie…
3. Résumé du texte
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En introduction de sa conférence, dans une perspective d’autocritique mani-
festement énoncée au public, Ferenczi part humblement des difficultés qu’il
a rencontrées avec des patients aux manifestations traumatiques bruyantes et
résistantes qu’il qualifie d’« échecs ou de résultats thérapeutiques incomplets ».
Il dénonce alors la négligence des facteurs extérieurs dans la théorie psychana-
lytique sur la construction des névroses au profit d’« explications hâtives […]
invoquant la prédisposition et la constitution », puis il met au cœur du débat
l’analyse « didactique » de l’analyste qui, à cette époque, durait nécessairement
moins longtemps que l’analyse des patients.
Rapidement, son propos se centre sur la relation entre l’analyste et ses patients
(fil conducteur de l’ensemble de ses écrits). Dans sa critique de l’état « d’extrême
soumission » des patients à l’analyste, on retrouve les traces de ses principes
d’analyse mutuelle dans laquelle il s’agît de soumettre au patient ses propres mou-
vements contre-transférentiels afin de délier « la langue du patient » et d’augmen-
ter la confiance de ce dernier. L’auteur dénonce « la froide réserve, l’hypocrisie
professionnelle » du médecin, il met en garde son auditoire contre la reproduc-
tion d’une indifférence maternelle qui aurait elle-même conduit le patient à un
clivage psychique pour s’en protéger, ainsi qu’à une répétition de ses symptômes
invalidants et souligne l’importance d’une « authentique sympathie ».
Ferenczi insiste ensuite sur l’importance de l’événement traumatique et « en
particulier du traumatisme sexuel comme facteur pathogène », en dévoilant
la présence de réelles violences et abus faits aux enfants, notamment dans des
familles bourgeoises et puritaines, perpétués par des parents ou des proches
(famille élargie, personnel de maison). Pour cela, il s’appuie sur les révélations de
patients adultes qui avouent avec souffrance leurs propres abus sur des enfants,
ce qui le conduit à « contrer » d’une certaine manière la théorie du fantasme
hystérique mis en avant dans la théorie freudienne.
Sándor Ferenczi 59
Son propos, devenu célèbre, se centre sur la confusion des langues qu’il place
au cœur de la relation incestueuse : « un adulte et un enfant s’aiment », cepen-
dant le niveau de maturité sexuelle diffère et les attentes ne sont en aucun cas
les mêmes d’un côté et de l’autre. L’enfant, dans une dimension ludique, a des
élans de tendresse pouvant prendre des formes érotiques dont il méconnaît la
portée sexuelle. L’adulte quant à lui peut éprouver du désir et en venir à impo-
ser à l’enfant des actes sexuels, de nature hétéro ou homosexuelle, sans mesu-
rer les conséquences désastreuses pour ce dernier. Jeux, tendresse, fantasmes et
sexualité viennent ainsi se conjuguer, plongeant les fillettes et jeunes garçons
dans la plus grande confusion. Du côté de l’agresseur, le passage à l’acte est bien
entendu facilité par des prédispositions psychopathologiques, potentialisées par
des contextes événementiels. Si la réaction initiale de l’enfant peut se situer du
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côté de la peur, du refus, du dégoût, voire de la haine, elle se transforme rapide-
ment en position de soumission passive à un âge qualifié par l’auteur d’immature
en termes de résistance et de défenses face à un agresseur incarnant la force et
l’autorité. Plus encore, l’enfant, dans un élan identificatoire défensif lui permet-
tant de s’oublier lui-même et de nier la réalité trop violente, en vient à introjecter
l’agresseur, plaçant l’acte dans la sphère intrapsychique et non plus externe, aux
prises avec ce que Ferenczi nomme la « transe traumatique ». Par ce procédé,
l’enfant parvient à maintenir la situation de tendresse antérieure. Cependant,
en s’identifiant de la sorte à son agresseur, l’enfant en vient à introjecter le sen-
timent de culpabilité de l’adulte, et à placer le « jeu » initial sous le joug de la
punition (identification à l’agresseur). C’est ainsi qu’innocence et culpabilité se
mettent à coexister, de manière clivée, dans la psyché enfantine.
Les conséquences sont majeures : blocage de la vie sexuelle, perversions,
névroses ou encore psychoses, développement de personnalités incapables de
s’affirmer en cas de déplaisir ; autant de destins que l’auteur compare à ceux des
enfants privés d’amour et de tendresse maternelle. Fidèle à ses parallèles entre
principes éducatifs, pédagogiques et procédés analytiques, Ferenczi conclut
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métaphore : « On pense aux fruits qui deviennent trop vite mûrs et savoureux,
quand le bec d’un oiseau les a meurtris, et à la maturité hâtive d’un fruit véreux. »
L’auteur associe avec le rêve typique du « nourrisson savant » qu’il a décrit pré-
cédemment dans ses travaux (1931), pour désigner les facultés et connaissances
qu’un enfant développe au contact de parents fous, à partir d’une identification
première à ces derniers (pour se protéger du danger que représente leur folie). C’est
ainsi que l’adversité peut devenir source d’apprentissage et de savoir. Cependant,
le soignant nous met en garde : une succession de chocs au cours du développe-
ment multiplie les risques de « fragmentation » et d’« atomisation » psychique,
fragments clivés qu’il devient de plus de plus en plus difficile de relier entre eux.
Peu après, Ferenczi cite en exemple une troisième manière « de s’attacher un
enfant » en dénonçant le « terrorisme de la souffrance » pour décrire le procédé
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d’aliénation à l’œuvre notamment dans les familles conflictuelles. En effet, un
enfant peut être amené à se positionner comme soignant de l’un de ses parents,
dans l’espoir de retrouver une relation de tendresse avec lui que la souffrance
a rendu impossible. Le procédé d’identification continue d’être ici à l’œuvre :
s’identifier – porter la souffrance de l’autre pour tenter de la supprimer.
Pour terminer, Ferenczi reprend sa remise en cause de certains pans de la théo-
rie sexuelle et génitale, au regard de ses développements sur les conséquences de
facteurs exogènes à l’enfant, mettant en avant l’importance de la différenciation
du langage propre à l’enfant (du côté de la tendresse dans l’érotisme infantile)
et du langage propre à l’adulte (du côté de la passion dans l’érotisme adulte). Il
engage à poursuivre et à vérifier ses dires pour continuer de faire progresser le
débat visant à déterminer ce qui est issu du dehors (conditionné par la culture)
et ce qui vient du dedans (organisation propre), invitant le public à mieux écou-
ter enfants, patients et élèves porteurs de savoirs encore mal connus.
Un post-scriptum s’ajoute à la conférence pour préciser qu’il n’a procédé qu’à
des descriptions des différents niveaux de langage entre l’adulte et l’enfant sans
proposer d’éclairer encore la nature même de ces différences, laissant entendre
que la souffrance peut engendrer la passion, amour-haine, mais que la tendresse
comporte aussi sa part de sadomasochisme. Il ouvre ainsi la voie à des recherches
ultérieures sur ce sujet.
4. Concepts fondamentaux
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confondre et se mettre à la place de l’adulte.
• Identification à l’agresseur : alors que le moi de l’enfant est encore peu struc-
turé, celui-ci s’abandonne à l’adulte abuseur, s’identifie à lui, se sacrifiant
pour garder une relation de tendresse avec lui. L’agresseur devient intra-
psychique.
• Introjection du sentiment de culpabilité de l’adulte : prolongeant l’identifi-
cation à l’agresseur, l’enfant s’attribue la part de culpabilité non assumée
par l’adulte et se rend coupable des violences perpétuées contre lui.
• Atomisation, fragmentation : désigne un cas particulier de clivage qui peut
conduire au morcellement de la personnalité.
5. Devenir et prolongements
Ferenczi sur la confusion des langues occupe une place fondatrice dans l’his-
toire de la psychanalyse, en complexifiant le débat entre réalité et fantasme
traumatiques dans le développement normal et pathologique. Le psychanalyste
hongrois y introduit des concepts majeurs autour du traumatisme psychique,
prolongés et repris par de très nombreux illustres auteurs.
Son concept « d’identification à l’agresseur » par exemple, est d’abord repris
par A. Freud en 1936 (qui lui en donne un sens différent, lui permettant sans
doute ne pas citer Ferenczi non publié à l’époque), avant d’être retravaillé dans
des contextes différents par Lagache, Spitz, puis d’être repris aussi par Bettelheim,
et décliné enfin par Balier (1996, 2005) sur l’extrême de la violence et Racamier
(1995) au niveau des problématiques incestuelles. Ses idées sur les facultés déve-
62 45 commentaires de textes fondamentaux en psychopathologie…
loppées par l’enfant en situation traumatique ne sont pas sans nous rappeler
non plus les développements récents sur la résilience.
L’enjeu scientifique est majeur, d’abord parce que le traumatisme est au cœur
de la psychanalyse, mais aussi parce que Ferenczi inaugure dans ses travaux des
thèmes fondamentaux pour la clinique de l’enfant repris et développés, entre
autres, par Klein et Winnicott (importance de la différence des générations dans
les rapports parents-enfants ; remise en cause radicale du consentement supposé
de l’enfant ; dénonciation des positions parentales quand elles nient les abus, à
propos du désaveu des mères ; manières de s’attacher et de terroriser un enfant,
etc.). Dans un autre domaine, on peut soutenir aussi que Ferenczi préfigure
les travaux de Pankow sur l’image du corps dans les psychoses. Et surtout, son
influence reste majeure sur les travaux et pratiques de Klein, Balint, Hermann,
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Granoff, N. Abraham et M. Torok.
Enfin, comme le montre précisément Bokanowski (1997), les avancées de
Ferenczi sur le traumatisme et notamment cette fameuse dernière conférence
auront profondément marqué les écrits psychanalytiques, en particulier ceux
de Freud (1939) qui développe, à la fin de sa vie dans Moïse et le Monothéisme,
de nouvelles conceptions sur le trauma en lien avec les problématiques narcis-
siques, et parle des effets positifs comme négatifs du traumatisme.
Pour approfondir
Balier C. (1996). Psychanalyse des comportements sexuels violents, Paris, PUF.
Balier C. (dir.) (2005). La Violence en abyme, Paris, PUF.
Bokanowski T. (1988). « Entre Freud et Ferenczi : le traumatisme », Revue française de
psychanalyse, LII, 6, 1285-1304.
Bokanowski T. (1997). Sándor Ferenczi, Paris, PUF.
Brette F., Emmanuelli M., Pragier G. (dir.) (2005). Le Traumatisme psychique. Organisa-
tion et désorganisation, Paris, PUF.
Brabant-Gerö E. (2002). « Ferenczi », in De Mijola A. (dir.), Dictionnaire international de
psychanalyse, (2002), Paris, Calmann-Lévy, 603-604.
Ferenczi, S. (1933). « Confusion de langue entre les adultes et l’enfant », Ferenczi S., Psy-
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chanalyse IV, Œuvres complètes, 1927-1933, (125-135), Paris, Payot, 1982.
Ferenczi S. (1934). « Réflexions sur le traumatisme », Psychanalyse IV, Œuvres complètes,
1927-1933, (139-147), Paris, Payot, 1982.
Ferenczi S. (1927-1933). Le Traumatisme, Paris, Payot, coll. « Petite Bibliothèque Payot »,
2006.
Freud A. (1936). Le Moi et les Mécanismes de défense, Paris, PUF, 1969.
Freud S. (1939). Moïse et le Monothéisme, Paris, Gallimard, 1948.
L’identification à l’agresseur, Revue française de psychanalyse, n° 1-2009.
Racamier P.-C. (1995). L’Inceste et l’Incestuel, Paris, Les Éditions du Collège.
6
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JACQUES LACAN,
« D’une question préliminaire
à tout traitement de la psychose »
(1958), in Écrits, Le Seuil, 1966,
531-5831
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1. Présentation de l’auteur
de Paris (fondée en 1926), et d’être évincé de celle mise en place par Freud
lui-même (1910 : l’IPA), en novembre 1963 – qui fut la date de la première
et dernière séance du Séminaire de cette année, ayant pour titre « Le Nom-
du-Père ». Là s’amorcera la nouvelle direction de son enseignement qui passe
par la fondation de sa propre école en juin 1964 : l’École freudienne de Paris. Sa
dissolution, en janvier 1980, dans un contexte d’étiolement de la personnalité
de Lacan et d’enjeux générationnels et théoriques des héritiers de son œuvre,
a ouvert ce qui s’observe depuis sa disparition : un éclatement des écoles dites
lacaniennes en autant de groupes que de personnalités ayant pu souhaiter
maintenir l’authenticité de son enseignement (cf. bibliographie pour appro-
fondir ces points).
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2. Présentation du texte dans l’œuvre de l’auteur
3. Résumé du texte
et concepts fondamentaux introduits
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le mettait en position de sujet unifiant les effets du sensorium (sensations). La
démonstration en est faite par un exemple clinique repris du séminaire 3 sur les
psychoses, où il apparaît que l’hallucination s’inscrit dans un discours qui « vint
à réaliser son intention de rejet dans l’hallucination. Au lieu où l’objet indicible
est rejeté dans le réel, un mot se fait entendre » (p. 535).
Et Lacan explore, dans la continuité de Freud, le texte du président Schreber
comme « introduction à la phénoménologie de la psychose » (p. 536). Après un
long exposé de son contenu, et après avoir observé que des phénomènes de code
et de message s’y retrouvent, Lacan avance : « N’est-on pas frappé par la prédo-
minance de la fonction du signifiant dans ces deux ordres de phénomènes ? »
(p. 540). Il souligne que sa lecture du délire est celle que Freud a initiée. Mais
qu’elle est-elle ?
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« saisis dans leur fonction à l’état pur au point à la fois le plus invraisem-
blable et le plus vraisemblable : le plus invraisemblable, puisque leur chaîne
se trouve subsister dans une altérité par rapport au sujet, aussi radicale que
celle des hiéroglyphes encore indéchiffrables dans la solitude du désert ; le
plus vraisemblable, parce que là seul peut apparaître sans ambiguïté leur fonc-
tion d’induire dans le signifié la signification en lui imposant leur structure »
(p. 550).
Dans le schéma suivant, le schéma R, Lacan redouble la portée du précédent
en y intégrant les enjeux œdipiens et l’articulation du spéculaire de la relation
mère-enfant au signifiant du phallus. Comment l’enfant « s’identifie à l’objet
imaginaire de ce désir (le désir de la mère), en tant que la mère elle-même le
symbolise dans le phallus » (p. 554), s’interroge Lacan. Et c’est ainsi qu’il fait un
pas décisif, déjà esquissé (mais non formalisé) par Freud, en situant le phallo-
centrisme dans une structure de langage : « Le phallocentrisme produit par cette
dialectique est tout ce que nous avons à retenir ici. Il est bien entendu entière-
ment conditionné par l’intrusion du signifiant dans le psychisme de l’homme »
(p. 555). Mais cette signification du phallus n’est évoquée « dans l’économie sub-
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jective, telle que nous la voyons commandée par l’inconscient […], que par ce
que nous appelons une métaphore, précisément la métaphore paternelle » (ibid.).
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l’on retrouve tel quel dans les propos de Schreber : « Qu’il serait beau d’être une
femme en train de subir l’accouplement » (ibid.). Son attente de transformation
en femme sera l’étape précédente de sa fécondation divine, d’où émergera une
nouvelle humanité rédemptrice.
Lacan propose une figuration des effets de la structure psychotique dans le
schéma I, qui « démontre que l’état terminal de la psychose ne représente pas
le chaos figé où aboutit la retombée d’un séisme, mais bien plutôt cette mise
au jour de lignes d’efficience qui fait parler quand il s’agit d’un problème de
solution élégante […]. Ramassées dans la forme de ce schéma, les relations se
dégagent par où les effets d’induction du signifiant, portant sur l’imaginaire,
déterminent ce bouleversement du sujet que la clinique désigne sous les aspects
du crépuscule du monde, nécessitant pour y répondre de nouveaux effets de
signifiant » (p. 572).
3.5 Post-scriptum
À la question concernant l’inconscient laissée ouverte par Freud, Lacan
répond :
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induit » (p. 577).
Et Lacan réinscrit ses avancées théoriques dans l’axe le plus pur de la théorie
freudienne, théorie « qu’il n’est pas question de dépasser […], quand la psycha-
nalyse d’après Freud en est revenue, comme nous l’avons dit, à l’étape d’avant.
Du moins est-ce ce qui nous écarte de tout autre objet que de restaurer l’accès de
l’expérience que Freud a découverte. Car user de la technique qu’il a instituée,
hors de l’expérience à laquelle elle s’applique, est aussi stupide que d’ahaner à la
rame quand le navire est sur le sable » (p. 583).
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
fait différence dans le corps et dans le langage s’opère, ouvrant ce dernier à être
support d’une Loi qui tienne, condition de la conjonction du désir et de la Loi.
L’enfant se trouve en conséquence déchargé du souci de satisfaire au désir de
la mère, le père détenant la clef de son énigme par le fait d’être porteur de ce qui
peut le symboliser. Cette énigme reste néanmoins ouverte : elle est celle d’un
savoir, celui que l’on peut assimiler au savoir de l’inconscient.
Lorsque fait défaut cette opération signifiante – que Lacan retrouve dans les
textes de Freud sous le terme de Verwerfung –, alors le signifiant du Nom-du-Père
est forclos ; soit, le père n’a pas d’existence symbolique pour le sujet (le terme
de forclusion apparaît pour la première fois le 4 juillet 1956, lors de la dernière
séance du Séminaire de cette année). La différence des sexes n’est pas inscrite
dans la structure (en termes de présence/absence), l’identification imaginaire au
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parent du même sexe impossible. D’où l’effet de féminisation que Lacan retrouve
chez Schreber, en tant que tentative d’identification psychotique au phallus qui
manque à la mère, et son martyr, d’être l’objet de la jouissance de Dieu.
Ce sont ces préalables que Lacan considère comme la « question préliminaire à
tout traitement de la psychose ».
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fond de son traumatisme et de la constitution de son symptôme (effraction d’un
processus primaire).
Lacan reprend ce principe, mais avec les apports épistémiques depuis collec-
tés par le mouvement de l’histoire des idées, et pour en permettre une systéma-
tisation et une formalisation qui retrouvent ce qui, à défaut de cela, devenait
perdu : à savoir ce qui constitue le tranchant de la découverte freudienne, soit
l’hétéronomie radicale de l’inconscient.
Cette radicalité se retrouve dans la forme même du propos de Lacan, exigent et
très dense, condensé et baroque, pédagogue et elliptique, élogieux et assassin…
mais toujours éclairant. Elle invite ceux qui souhaitent se mesurer à la dimen-
sion de l’inconscient au travail, lent et prudent, toujours enrichissant et grati-
fiant, jamais vain surtout, comme la lecture de ce texte de Lacan le démontre.
Pour approfondir
Diatkine G. (1997). Jacques Lacan, Paris, PUF.
Faladé S. (2003). Clinique des névroses, Paris, Economica.
Faladé S. (2008). Le moi et la question du sujet, Paris, Economica, coll. « Anthropos psy-
chanalyse ».
Julien Ph. (1990). Pour lire Jacques Lacan, Paris, Le Seuil, coll. « Points/Essais ».
Lacan J. (1966). Écrits, Paris, Le, Seuil.
Lacan J., Séminaires, Paris, Le Seuil, 1973, 1975, 1981, 1986, 1991, 1994, 1998, 2001, 2004,
2005, 2006, 2007.
Roudinesco E. (1993). Jacques Lacan, Esquisse d’une vie, histoire d’un système de pensée,
Paris, Fayard.
Vanier A. (2003). Lacan, Paris, Éd. Belles Lettres.
7
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WILFRED R. BION,
« Différenciation des personnalités
psychotique et non psychotique »
(1957) ; « Attaques contre
la liaison » (1959), in Réflexion faite,
PUF, 1983, 51-73 et 105-1231
1.
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Présentation de l’auteur
Wilfred Ruprecht Bion (1897-1979) est né aux Indes britanniques, dans une
famille d’administrateurs coloniaux. Il fréquente les public schools anglaises
et finit sa formation au début de la Première Guerre mondiale. Il sert alors
comme officier dans le corps des blindés. Il reste très marqué par cette expé-
rience, comme tous les hommes de sa génération. Après la guerre, il étudie
l’histoire moderne à Oxford, puis la médecine. Il travaille ensuite comme
assistant à la Tavistock Clinic dans les années trente et débute, à la même
époque, une analyse avec John Rickman. Lors de la Seconde Guerre mondiale,
il est chargé de sélectionner des officiers pour l’armée, puis il s’occupe des sol-
dats victimes de psychotraumatismes. C’est à cette époque que commence
son travail sur les petits groupes. Après la guerre, il entame une analyse avec
Mélanie Klein qui dure jusqu’en 1953. De 1962 à 1965, il préside la Société
britannique de psychanalyse puis le Melanie Klein Trust. En 1968, il s’ins-
talle en Californie et, à partir de 1973, donne régulièrement des conférences
dans le monde jusqu’à ce qu’il rentre en Angleterre en 1979 où il décède la
même année, à la veille d’un voyage de retour en Inde. Son œuvre traite du
fonctionnement des petits groupes, de la psychose, du fonctionnement de la
psyché et de la technique ainsi que de l’épistémologie du processus psycha-
nalytique. Pour faire sa connaissance ou approfondir on peut se référer à
G. Bléandonu (1990) ou encore E. Schmid-Kitsikis (1999).
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avec d’autre textes de Bion qui vont de 1950 à 1962 et qui traitent tous de la
psychose. Le titre anglais renvoie au dernier chapitre de l’ouvrage, « Commen-
taire », où Bion reprend après plusieurs années ses articles en les critiquant et en
prolongeant sa réflexion.
Bion publie ces deux articles, dans l’après-coup des « Grandes Controverses »
opposant kleiniens et anna-freudiens, alors qu’il vient de finir son analyse avec
M. Klein et qu’il participe à ses séminaires. Il se situe clairement dans le groupe
kleinien avec H. Segal et H. Rosenfeld. Il reçoit en cure, à la même époque, de
nombreux patients limites et psychotiques. Les concepts qu’il utilise sont ceux
de M. Klein. Historiquement, on peut replacer ces écrits comme une réponse du
groupe des kleiniens au pessimisme freudien sur la thérapeutique des psychoses,
mais aussi aux conceptions d’une insuffisance libidinale du moi de P. Federn. Il
s’agit aussi de répliquer aux modifications et aménagements de la cure type pour
les patients psychotiques promus par les Américains. Ainsi H. Segal, suivie peu
après par H. Rosenfeld, avait publié en 1950, le récit d’une cure de schizophrène
avec guérison sans modification du dispositif classique et en analysant le double
aspect, positif et négatif, du transfert.
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Il s’agit de deux textes très riches et très denses. Bion y propose une conception
nouvelle de la schizophrénie, celle-ci étant ici prise comme le paradigme de la
psychose.
Dans « Différenciation des personnalités psychotique et non psychotique »,
le terme de personnalité psychotique qu’il emploie ne renvoie pas à un diagnostic
psychiatrique mais définit un mode de fonctionnement psychique marqué par
78 45 commentaires de textes fondamentaux en psychopathologie…
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définit Freud en 1911 (jugement, mémoire, attention, perception) et particuliè-
rement les impressions sensorielles, qui sont attaquées et détruites. La psychose,
est donc un processus actif d’attaque de la réalité. Pourtant, le contact avec la
réalité n’est jamais totalement absent. On retrouve chez le patient schizophrène
des processus psychiques liés à la névrose dans la partie non psychotique de sa
personnalité.
Pour Bion, la personnalité se divise alors entre une partie non psychotique
et une partie psychotique constituée de pulsions de destruction transformant
l’amour en sadisme, d’une haine de la réalité interne et externe, d’une terreur
d’anéantissement et d’une intolérance à la frustration. Les relations d’objet y
sont fragiles, prématurément constituées, mais pourtant tenaces et marquées
par une dépendance dont le transfert psychotique est l’exemple type. Ces qua-
lités rendent le passage de la position schizo-paranoïde à la position dépressive
différent pour la personnalité psychotique et pour la personnalité non psy-
chotique. Ce passage implique la reconnaissance de l’objet et de sa perte, mais
également des angoisses dépressives et de la culpabilité liée aux attaques contre
cet objet dans la phase antérieure. Pour éviter cette reconnaissance, le patient
psychotique clive la partie de la personnalité qui permettrait de les reconnaître
et fragmente en minuscules particules ces éléments d’angoisse, de dépression,
d’émotion et de haine dont il ne veut rien savoir. Il les expulse, à l’extérieur
du moi dans des objets externes qui les contiennent, et que Bion nomme des
« objets bizarres ». Ces objets, pour le patient schizophrène, constituent un
morceau de sa personnalité, non reconnaissable pour lui, mais qui continuent
pourtant à avoir une vie propre et autonome. Les particules de la personnalité,
expulsées dans ces « objets bizarres » ne perdent pas pour autant leurs carac-
tères persécuteurs. La réalité devient peuplée d’objets menaçants, porteurs
des parties mauvaises du sujet qui ne peuvent être réintégrés dans le moi. Ils
deviennent le noyau des délires et hallucinations. La nature de l’objet bizarre
Wilfred R. Bion 79
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ser ; pensées et objets bizarres se confondent. Ainsi le psychotique emploie les
objets bizarres là où le non psychotique emploie la pensée. Il traite alors les
choses réelles selon les lois de son propre fonctionnement psychique. L’excès
d’identification projective est dommageable à la pensée car le but de la pensée
est d’établir des liens entre les objets. En attaquant ces liens, le psychotique
attaque la réalité de façon moins coûteuse en termes économiques. Le clivage
attaque les liens à l’intérieur même des processus de pensées. Le psychotique
ne peut donc pas établir de liens entre les objets, il ne peut qu’agglomérer les
objets, ce qui interdit l’utilisation du symbole. Bion se réfère ici à la concep-
tion freudienne des représentations de chose et de mot dans la schizophrénie,
et surtout au concept d’équation symbolique d’H. Segal (1981). Pour reprendre
une conception moderne, il n’y a pas accès à des capacités de symbolisation
primaire. Ainsi, pour Bion, le schizophrène n’arrive jamais à résoudre le conflit
entre pulsions de vie et pulsions de mort. Le clivage entre partie psychotique et
partie non psychotique de la personnalité ne fait alors que se creuser.
Dans « Attaques contre la liaison », Bion approfondit l’étude de la partie
psychotique de la personnalité en se centrant sur l’usage spécifique que fait le
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perceptions – et la réalité interne – les émotions. Pour faire face, le patient schi-
zophrène a un recours excessif à l’identification projective. Cela lui permet
d’évacuer la haine en attaquant l’appareil psychique et en particulier les pensées
visuelles et les émotions qui lient les perceptions à la conscience, entravant par
là toute possibilité d’établir une causalité logique. Les émotions, pour Bion, ont
une fonction de liaison des objets entre eux, c’est pourquoi elles sont particuliè-
rement attaquées par le patient schizophrène. Ceci explique le clivage des affects
que l’on retrouve sur le plan clinique. La partie psychotique apparaît saturée de
liens apparemment logiques mais qui ne le sont pas sur le plan émotionnel.
Dans ses écrits ultérieurs, Bion développe ses premières idées élaborées et
construit sa propre théorie de la schizophrénie. Dans « Au sources de l’expé-
rience » (1962) et « Éléments de la psychanalyse » (1963), il développe ses
propres conceptions du fonctionnement psychique et de la formation de la
psyché à partir de l’exemple de la psychose et de l’identification projective,
non plus conçue comme un mécanisme de défense, mais comme un élément
de constitution de l’appareil psychique.
Il propose une nouvelle métapsychologie en termes de fonction alpha (α) et
de fonction bêta (β). Cette terminologie neutre a pour but de rendre compte de
faits cliniques non observables dans la pratique. La fonction alpha (fonction
d’élaboration) traduit, transforme, les « éléments bêta », c’est-à-dire les impres-
sions sensorielles brutes et les contenus émotionnels archaïques en « éléments
alpha » c’est-à-dire les pensées en images qui servent de matrice à la pensée
inconsciente, comme par exemple dans le rêve. Ainsi, dans les premiers temps
Wilfred R. Bion 81
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de contenir en lui et de modifier ces éléments. Ces éléments bêta se transforment
alors en une « terreur sans nom ». Au lieu d’être un appareil à produire des pen-
sées, la psyché devient alors un simple appareil à décharger.
Dépassant l’idée kleinienne originelle, Bion fait de l’identification projective
excessive, pathologique, le mécanisme central de la psychose, comme le refoule-
ment l’est dans la névrose. Mais au-delà d’un mécanisme pathogène, elle devient
dans sa conception, l’instrument même par laquelle la psyché se constitue. Bion
propose ainsi une hypothèse sur la formation de l’appareil psychique et une
théorie de la formation de la pensée.
Ces deux articles posent des questions et soulèvent des enjeux encore actuels de
la schizophrénie.
Bion est le premier à aborder la schizophrénie en termes de troubles de la pen-
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névrotiques en tout psychotique. Ainsi tout un courant de la psychopathologie
actuelle tend à se détacher d’une théorie structurale rigide divisée entre névrose
et psychose pour privilégier la conception d’une psyché plurielle marquée par la
coexistence de différents modes de fonctionnement psychique.
Freud était parti de la névrose hystérique pour construire son modèle de
l’appareil psychique. Bion prend appui sur la schizophrénie pour proposer une
nouvelle modélisation du fonctionnement psychique qui mêle intrapsychique
et intersubjectif, fondée sur deux fonctions mentales : la fonction alpha et bêta.
L’indentification projective constitue, alors, la base du développement psy-
chique
Enfin, la conception de Bion amène des possibilités thérapeutiques dyna-
miques d’évolution de la schizophrénie. La technique analytique avec ces
patients – du moins ceux qui peuvent suivre une analyse –, tout en gardant un
cadre strictement classique, se recentre sur l’analyse de l’identification projective
et particulièrement de son effet dans le contre-transfert. L’analyste doit en pre-
mier lieu contenir les éléments bêta projetés en lui et prêter son appareil à pen-
ser les pensées au patient. Le travail analytique se centre alors sur la capacité de
comprendre ce qui est attaqué chez l’analyste.
Pour approfondir
Bion W. R. (1967). Réflexion faite, Paris, PUF, 1983.
Bion W. R. (1963). Éléments de la psychanalyse, Paris, PUF, 2011.
Bion W. R. (1962). Aux sources de l’expérience, Paris, PUF, 2007.
Bléandonu G. (1990). Wilfred R. Bion. La vie et l’œuvre. 1897-1979, Paris, Dunod.
Wilfred R. Bion 83
Freud S. (1909). « Formulation sur les deux principes du cours des événements psy-
chiques », Œuvres Complètes, XI, 1911-1913, 11-21.
Grotstein J. S. (2006). La « transidentification projective » : une extension du concept
d’identification projective, L’Année psychanalytique internationale, Paris, Éditions In
Press.
Rosenfeld H. (1965). États psychotiques, Paris, PUF, 1976.
Schmid-Kitsikis E. (1999). Wilfred R. Bion, Paris, PUF.
Ségal H. (1981). Délire et créativité, Paris, Des femmes, 1987.
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PIERRE MARTY,
« La “pensée opératoire” »,
en coll. avec M. de M’Uzan,
Revue française de psychanalyse,
1963, t. XXII, n° spécial, 345-356
« La dépression essentielle »,
Revue française de psychanalyse,
1968, t. XXXII, n° 3, 595-5981
1. Présentation de l’auteur
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Internationalement connu pour ses recherches théorico-cliniques auprès de
patients somatiques, Pierre Marty (1918-1993) passe ses jeunes années dans la
banlieue nord de Paris. Une scolarité sans histoire, des études de médecine puis de
psychiatrie, pour comprendre les maladies dont pouvaient souffrir ses proches, et
qui autrefois l’angoissaient tant, une psychanalyse personnelle, font de lui, selon
ses propres termes : « un psychanalyste classique toujours hanté par la psycho-
somatique » (1984). Attaché dans divers services hospitaliers, il rencontre là des
malades adressés par leur médecin ou leur chirurgien, mais qui n’ont eux aucune
demande psychologique. Ses premiers travaux, sur les céphalalgies (1951), les
rachialgies en collaboration avec M. Fain (1952), posent d’emblée la question de
l’écoulement de l’énergie instinctuelle vitale : l’accent porte d’ores et déjà sur la
dimension économique. Devenu membre titulaire de la Société Psychanalytique
de Paris (S.P.P.), il noue des relations fortes avec M. Fain, M. de M’Uzan et
C. David. Ils ouvrent ensemble à Paris, en 1968, le premier centre de consultations
et de traitements psychosomatiques qui deviendra, en 1972, l’Institut de psycho-
somatique (IPSO). En 1978, est créé l’hôpital de jour de la Poterne-des-Peupliers,
comprenant une unité de soins pour adultes, une pour enfants, ainsi qu’une unité
de recherche et d’enseignement. P. Marty en devient le directeur ; l’hôpital porte
aujourd’hui son nom. Remarquable clinicien, passionné dans les échanges avec
ses collègues et amis, et ayant à cœur de transmettre son cheminement, Pierre
Marty élabore alors, dans un va-et-vient constant entre les données cliniques et
les références théoriques psychanalytiques, une conception d’ensemble du fonc-
tionnement humain. Ses ouvrages de 1976 Les Mouvements individuels de vie et de
mort. Essai d’économie psychosomatique et de 1980 L’Ordre psychosomatique rendent
compte de sa compréhension novatrice des rapports entre psyché et soma et en
font, selon R. Debray (1998), qui lui consacra un ouvrage, « le fondateur de la
psychosomatique moderne ».
Pierre Marty 87
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cine, elle lie son destin à celui de la psychanalyse. Dans son approche du fait
psychosomatique, la référence relationnelle, en d’autres termes la référence au
transfert et au contre-transfert, devient dès lors la référence essentielle, loin des
repères sémiologiques et nosographiques médicaux.
L’année 1963 est ainsi marquée de deux publications fondatrices. La première,
L’Investigation psychosomatique. Sept observations cliniques est écrite par P. Marty,
en collaboration avec M. de M’Uzan et C. David. Outre les entretiens, retrans-
crits mot à mot et suivis chacun d’un commentaire, avec sept patients atteints de
symptômes somatiques, une introduction et une conclusion générales ouvrent
des perspectives. Les auteurs précisent :
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spécifique traduisant la nécessité pour le sujet de voir dans l’autre un double
de lui-même, ils vont avec « la pensée opératoire », centrer leur propos sur la
pensée de ces patients. Cette pensée, où la vie mentale consciente semble cou-
pée des sources vives de l’inconscient, traduit pour les auteurs un blocage des
investissements libidinaux et agressifs limitant la valeur fonctionnelle de l’acti-
vité mentale. Dès lors, l’accent sera mis sur l’aspect économique, notamment
en référence à la première topique freudienne, et en particulier à la qualité fonc-
tionnelle du préconscient.
Les années suivantes voient les recherches se développer et conduisent à
une nouvelle communication de première importance. Le 30 janvier 1966,
P. Marty, dans l’Introduction au 8e séminaire de perfectionnement de l’Institut
de psychanalyse, présente « la dépression essentielle », autre notion capitale
pour la suite de son œuvre. Cette brève communication a, elle aussi, été publiée
dans la Revue française de psychanalyse, en 1968, et comme « la pensée opéra-
toire », elle s’enracine dans les observations cliniques. Ici, c’est celle de Gisèle
W. (observation n° 2) qui a attiré l’attention sur une modalité particulière de
dépression. À propos de la « dépression nerveuse » de cette patiente, les auteurs
commentent :
Étaient ainsi jetés les premiers ponts entre deux aspects fondamentaux d’un
même phénomène, peut-être d’une même organisation mentale, deux lignes de
travail dont l’articulation traversera toute l’œuvre de P. Marty.
Dans le premier texte, les auteurs posent l’hypothèse qu’à l’instar du processus
onirique, « l’activité phantasmatique protégerait l’organisme en liant des forces
qui risqueraient de provoquer des perturbations profondes dans le soma ». Pour
argumenter leur propos, ils décrivent alors en contrepoint, la pensée opératoire,
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forme de pensée liée électivement aux « psychosomatoses » et qui s’inscrit dans
une modalité relationnelle spécifique.
Cliniquement, il s’agit d’un malade apparemment bien adapté socialement,
venu consulter pour des symptômes somatiques quelconques et qui dans sa ren-
contre avec l’investigateur se révèle « présent mais vide ». Le patient livre ses symp-
tômes somatiques comme autant de faits isolés, apparemment sans en envisager
la portée relationnelle, sans engagement affectif, dans « une relation blanche ».
Et malgré les sollicitations du clinicien, il ne formule « aucune association qui ne
soit liée à la matérialité la plus étroite des faits, comprise dans le champ temporel
le plus limité ». Sa pensée, comme l’illustre une vignette clinique, « ne tend pas
à signifier l’action mais à la doubler : le verbe, ici, ne fait rien d’autre que ce que
la main a fait en travaillant. […] Il lui manque toujours la référence à un objet
intérieur, réellement vivant ». Aussi, cette pensée apparaît-elle comme particu-
lièrement conformiste. Démunie de valeur libidinale, elle ne permet guère non
plus l’extériorisation de l’agressivité. Contre-transférentiellement l’ensemble de
ces caractéristiques met l’investigateur en difficulté d’identification au patient,
voire le met en désarroi.
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Après la présentation de « la pensée opératoire », Pierre Marty réalise quelques
années plus tard, celle de la dépression essentielle. En germe et identifiée sous le
vocable de « dépression sans objet » dans L’Investigation psychosomatique, elle
devient, à partir de l’exposé de 1966, « dépression essentielle » puisqu’« elle
constitue l’essence même de la dépression, à savoir l’abaissement du tonus libi-
dinal, sans contrepartie économique positive quelconque ».
Son diagnostic repose sur un ensemble d’éléments sémiologiques négatifs,
en creux, sans psychopathologie expressive hormis peut-être quelques épisodes
d’angoisse témoignant encore de l’instabilité provisoire de cette dépression. C’est
cette inexpressivité qui la différencie des autres formes de dépression névro-
tiques ou psychotiques. Et pourtant, la dépression à l’évidence est bien là : deux
autres aspects cliniques vont permettre de la reconnaître et de la qualifier. Le pre-
mier concerne la relation, le patient « présent mais vide », soumet son cas sans
émotion, presque comme s’il s’agissait de quelqu’un d’autre et malgré un entre-
tien tout en souplesse, la situation n’évolue pas au cours de la consultation. Le
psychanalyste a l’impression qu’il n’entre même pas dans le monde du malade.
Le second consiste en ce que P. Marty appelle « le morcellement fonctionnel »,
à savoir « l’effacement sur toute l’échelle de la dynamique mentale des fonc-
tions capitales […] l’identification, l’introjection, la projection, le déplacement,
la condensation, l’association des idées et, plus loin, l’effacement probant des
vies onirique et fantasmatique ». Ainsi, la dépression essentielle, témoigne d’une
disparition plus ou moins importante de la libido tant narcissique qu’objectale,
avec pour seule conséquence économique la désorganisation des fonctions men-
tales. Elle constitue pour P. Marty « l’une des manifestations cliniques majeures
de la préséance de l’instinct de mort ». Pour conclure sa présentation, l’auteur en
invitant les analystes à la prudence face à ce type de patients, prodigue quelques
conseils thérapeutiques.
Pierre Marty 91
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celle de l’élaboration psychique, celle du comportement et celle du corps. Dès
lors, la maladie peut être « solution » à la décharge des excitations. Ce sont aussi
la pensée opératoire et la dépression essentielle qui ont amené P. Marty à déga-
ger la ligne maîtresse de la mentalisation, cette aptitude de l’appareil psychique
à traiter et à élaborer les énergies pulsionnelles, et qui a abouti à la classification
psychosomatique (1987). Ce sont encore la pensée opératoire et la dépression
essentielle qui ont conduit P. Marty à reconnaître deux grands mouvements,
de vie et de mort, sous-tendant les processus de somatisation et à proposer une
nosographie économique en termes de régression et de désorganisation progres-
sive. À partir de 1967, dépression essentielle et désorganisation progressive ont
d’ailleurs « leur destin lié par leur appartenance au même cadre instinctuel, celui
de l’instinct de mort » (Smadja, 1998). En 1980, dans L’Ordre psychosomatique,
P. Marty se ressaisit de la pensée opératoire et de la dépression essentielle en en
faisant deux versants du même phénomène : « la désorganisation la plus large
des principes vivants de l’appareil mental ». Dans cet ouvrage, il regroupe encore
pensée opératoire, dépression essentielle et conduites opératoires dans une nou-
velle entité qu’il nomme « vie opératoire ». Le patient retrouve ainsi la place
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son intégrité, utilise pour ramener le calme à travers une recherche répétitive
de l’excitation. Ces travaux articulés notamment à ceux sur la démentalisation
ont permis la mise à jour d’une nouvelle entité clinique décrite de façon très
proche sous les termes de manie blanche (Duparc, 1996) ou de manie essentielle
(Press, 1997). En se ressaisissant des premières découvertes et avec la volonté
délibérée de leur donner toute leur envergure, C. Smadja centre, quant à lui,
ses recherches sur le fonctionnement opératoire. Dans son rapport de 1998, il pro-
pose, au-delà de la dimension économique, des hypothèses métapsychologiques
des plus stimulantes. Le fonctionnement opératoire y est conçu comme entrant
dans le cadre d’une maladie du moi, 2e topique où « le moi est touché dans ses
assises constitutives, celles-là même qui le fondent » (p. 1445). L’auteur défi-
nit alors la maladie opératoire, s’installant en deux temps. Au premier corres-
pondrait le désinvestissement du moi en tant qu’objet psychique, la dépression
essentielle en serait le seul témoin. Au second, correspondrait la récupération
d’un sentiment d’estime, un temps de guérison dont témoigneraient « la pensée
opératoire, les comportements auto-calmants, la conformité aux idéaux collec-
tifs et à la réalité du socius » (p. 1446).
En conclusion de ce bref panorama, il paraît encore important de souligner le
dialogue soutenu avec d’autres courants de pensée, en particulier les nombreux
travaux d’A. Green, sur le négatif et avec d’autres références psychopathologiques,
notamment les états, les fonctionnements, les personnalités limites.
Au regard du destin de ces deux textes, sans doute est-il possible d’identifier
deux mouvements antagonistes, peut-être à l’image des mouvements de vie et
de mort. En effet, il est indéniable que pensée opératoire et dépression essentielle
Pierre Marty 93
ont ouvert des champs cliniques et théoriques nouveaux et en cela, elles ont
transformé la pratique de nombreux analystes. S’il était d’ailleurs besoin d’un
indice à même de mesurer le retentissement de ces deux textes fondateurs, il suf-
firait de se pencher sur l’utilisation du vocable « opératoire ». Depuis sa première
utilisation en 1962, il ne cesse d’être repris et mis au travail par de nombreux
auteurs pour qualifier : fonctionnement, état(s), organisation, destin, maladie,
tableau, réel, réalité, patient, ou encore pensoir, faux-self… tandis que d’autres
comme M. Fain l’ont promu au rang de substantif. « L’opératoire » est désormais
un concept, prometteur de nouvelles articulations, comme par exemple avec
« l’opérativité » que J. Guillaumin (1998) distingue de l’opératoire.
Cependant, simultanément à cette dynamique créatrice, un mouvement
contraire a pu réduire ces premières découvertes à une clinique de la carence,
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du déficit, et ne sembler retenir du point de vue psychosomatique que la seule
dimension économique, dans un schéma simplificateur à l’extrême : carence fan-
tasmatique, pensée opératoire, désorganisation somatique. C’est méconnaître là,
l’attachement premier à la singularité du patient, respecté au mot près, au geste
près, c’est méconnaître la complexité du modèle psychosomatique et négliger
aussi les apports ultérieurs issus non plus des seules investigations mais des cures
analytiques de patients somatisants, une nouvelle clinique porteuse de perspec-
tives novatrices, nées aussi de la conversation, de l’échange avec la communauté
psychanalytique. Dialoguer, un des enjeux majeurs pour une pensée féconde,
tant pour la psychanalyse que pour la psychosomatique.
Pour approfondir
Debray R. (1998). Pierre Marty, Paris, PUF.
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9
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JEAN BERGERET,
« Les états limites. Réflexions
et hypothèses sur la théorie
de la clinique analytique »,
Revue française de psychanalyse,
1970, 4, 601-6331
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1. Présentation de l’auteur
Ce texte, qui correspond à une conférence faite à la SPP en 1970, publié dans la
RFP la même année, est important dans l’œuvre de Bergeret car il constitue la
première de ses conceptualisations relative à L’État limite. Ce terme va prendre
ensuite une importance croissante non seulement dans les théorisations suc-
cessives de l’auteur (1974, 1975, 1986) mais aussi à l’intérieur du champ de la
clinique psychanalytique et psychopathologique française et anglo-saxonne, en
Jean Bergeret 97
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mais fondamentalement différentes que sont les structures névrotiques et psy-
chotiques.
Le terme d’orientation génético-structurale mérite d’être explicité pour sai-
sir toute l’originalité de la pensée de Bergeret. La dimension génétique suppose
une référence à une perspective temporelle et développementale pour rendre
compte des avatars de la construction de la personnalité et des points d’arrêt
de l’évolution libidinale en fonction des conflictualités et problématiques ren-
contrées à chaque stade de la croissance. À ce titre, les organisations se pré-
structurant sur un mode psychotique rencontrent des carences importantes dès
le stade oral avec une réalité qui ne vient nullement satisfaire leurs désirs, et un
lieu de conflictualité qui oppose les pulsions à la réalité invalidant tout dévelop-
pement libidinal ultérieur. Les aménagements limites traversent quant à eux le
stade oral sans dommage majeur mais voient leur développement libidinal ulté-
rieur bloqué par la survenue d’un traumatisme désorganisateur précoce survenu au
stade anal. Cette causalité, responsable du blocage du développement libidinal
invoqué par Bergeret pour pré-organiser un état limite, n’est pas la seule pos-
sible si on regarde les élaborations fournies à la fois par la psychanalyse structu-
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de l’état limite est encore différent, même si tous les auteurs s’accordent sur la
nécessité d’adopter une perspective ontogénétique pour comprendre cette pré-
organisation « borderline ». Scharbach met en avant la probabilité soit d’un vécu
singulier précoce non élaborable de perte d’objet, soit l’accumulation précoce
également de microtraumatismes de perte.
Bergeret définit de manière précise et féconde la structure de personnalité par
quatre constantes servant à l’identifier :
la nature de l’angoisse dominante : angoisse dépressive de perte d’objet chez
l’état limite par opposition à l’angoisse de castration propre aux organisa-
tions névrotiques et à l’angoisse de morcellement-destruction inhérente
aux structures psychotiques ;
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la nature de la relation d’objet dominante : toujours de registre anaclitique
chez l’état limite et non génitale comme dans la lignée névrotique ou
fusionnelle comme dans la lignée psychotique ;
la nature des défenses dominantes : polymorphes, oscillant entre proces-
sus secondaires et processus primaire, chez l’état limite, contrairement aux
organisations névrotiques dominées par les processus secondaires et aux
organisations psychotiques dominées par les processus primaires. Bergeret
souligne l’importance dans le fonctionnement limite du clivage des objets
et d’un déni d’une partie limitée du réel : le sexe de la femme en tant que réa-
lité positive.
enfin : l’accent mis sur des lieux de conflictualité foncièrement différents
dans chacune de ces lignées. Si les structures psychotiques s’organisent
autour d’un conflit entre les pulsions et une réalité qui se refuse au désir
et si les structures névrotiques s’organisent toutes autour du confit œdi-
pien et des avatars entre désirs et interdits surmoïques, les états limites
sont quant à eux marqués par un conflit permanent entre leur idéal du
moi (construit peu ou prou de manière mégalomaniaque pour tenter
de restaurer un narcissisme vulnérabilisé) et la réalité d’une part et de
l’autre leurs désirs. C’est l’écart permanent entre ces deux pôles associé
aux risques de perte jalonnant inévitablement toute trajectoire existen-
tielle qui explique la lutte antidépressive constante à laquelle ils ont à faire
face avec leur corollaire : le risque majeur de décompensation dépres-
sive. Ce qui conduit Bergeret à bien différencier cette lignée de la lignée
névrotique : « La lignée névrotique classique : pulsion-surmoi-conflit
surmoïque-menace de castration-symptôme se trouve assez trop forte-
ment désinvestie au profit de la lignée narcissique : narcissisme-blessure
narcissique-idéal du moi-dépression ».
Jean Bergeret 99
Cette perspective est originale parce que Bergeret est le premier auteur à se ris-
quer un peu plus tard (1974) à une nouvelle conceptualisation du normal et du
pathologique qui à notre connaissance n’a pas d’équivalent en clinique psycha-
nalytique. Elle revient à poser une indépendance entre structure de personnalité
et le couple normalité-pathologie. Chaque individu peut rester normal, quel
que soit son mode d’organisation structurale, même psychotique (même si les
bases relationnelles et possibilités de réalisation de soi sont probablement plus
problématiques et réduites dans le registre psychotique). La normalité se définit
à partir de la structure par le mode d’expression stable du caractère correspon-
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dant à celle-ci. Dès lors c’est la décompensation de la structure qui correspond à
la pathologie : la décompensation d’une structure paranoïaque aboutirait à une
psychose paranoïaque alors que la décompensation d’une structure hystérique
aboutirait à une névrose hystérique.
La définition du terme même de décompensation est dans ce contexte impor-
tante bien qu’absente de la plupart des dictionnaires de notre champ. Bergeret
la définit « comme une rupture d’équilibre entre investissements narcissiques et
investissement objectaux » (associée une situation de perte dans le champ de la
dépression). La rupture d’équilibre au niveau des investissements narcissiques
est à entendre comme la perte du sentiment de l’unité, de la cohérence exis-
tentielle et de la valeur personnelle. La rupture au niveau des investissements
objectaux est à entendre comme la disparition des sources d’étayages habituelle-
ment disponibles et nécessaires pour confirmer l’individu dans le sentiment de
sa valeur personnelle.
Les distinctions que nous venons d’opérer prennent une valeur particulière
lorsqu’on les applique au mode d’organisation limite pour lequel Bergeret a tou-
jours récusé le terme de structure en raison de l’instabilité (lutte permanente
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Bergeret a aussi renouvelé notre regard sur la prise en charge thérapeutique
psychodynamique des sujets présentant un mode d’organisation limite. L’indi-
cation de psychothérapie lorsque les possibilités d’élaboration mentale sont
invalidées par un contexte traumatique ou déficitaire trop important peut s’avé-
rer au départ meilleure que le choix du divan. De ce point de vue l’ouvrage
de 1975 développe magistralement l’ensemble des questions cliniques et
psychopathologiques évoquées dans ce premier article et modélise à travers de
très nombreux exemples de psychothérapies et de cures un mode de traitement
en deux temps (prégénital et narcissique puis œdipien) tenant compte des fragi-
lités de ces sujets.
Bergeret se distingue, dans le modèle qu’il nous fournit des états limites, à la fois
des psychanalystes structuraux américains comme Kernberg et des psychiatres
américains
En effet le DSM-IV décrit non pas une personnalité borderline mais le « trouble
de la personnalité borderline » à partir d’un tableau mélangeant des manifesta-
tions comportementales (efforts effrénés pour éviter les abandons réels ou ima-
ginés, impulsivité, colères intenses ou inappropriées…) et des caractéristiques
semblant télescoper des dimensions comportementales et certains aspects du
fonctionnement psychique (perturbation de l’identité définie comme une insta-
bilité marquée et persistante de l’image de soi et de la notion de soi).
Kernberg rejette lui aussi toute possibilité de normalité pour le fonctionne-
ment « borderline ». Il introduit même une hiérarchisation dans les niveaux de
pathologie de la personnalité borderline en fonction de l’importance du trouble
Jean Bergeret 101
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« Ce sont des sujets assez adaptables, assez séduisants, assez énergiques.
Leur moi n’est pas morcelé comme celui des psychotiques en fragments épars
difficiles à relier entre eux dans une économie mal adaptée aux réalités objec-
tives. Le moi des états limites se trouve simplement divisé en deux secteurs
inégalement constitués et non désunis. La notion même de “limite” marque la
défaillance de certains investissements narcissiques au niveau de la séparation
entre “l’intérieur” et “l’extérieur” » (1970, p. 624-625).
serait établi une fois pour toutes. Ferrant et Ciccone étendent même cette
critique au devenir des aménagements limites. Nous ne partageons pas
cette lecture pour deux raisons. La première est d’avancer que pour les
structures névrotiques et psychotiques il subsiste toujours une grande pos-
sibilité de changement liée non à un changement possible de structure
mais à des modalités d’aménagements très différentes de cette structure
qui ne s’exprimera pas du tout sur le plan clinique de la même façon selon
qu’elle est stable, instable ou décompensée ;
la seconde consiste à avancer qu’un changement complet de mode d’orga-
nisation demeure possible pour la majorité de la population tout venant
et psychiatrique dont nous avons avancé plus haut l’hypothèse qu’elle
102 45 commentaires de textes fondamentaux en psychopathologie…
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des rencontres objectales, principalement thérapeutiques. L’objet conserve dans
cette perspective un pouvoir de réorganisation important. B. Cyrulnik (2006) va,
quant à lui, plus loin encore en posant que l’objet amoureux a un pouvoir de
réorganisation aussi important que l’objet thérapeute.
Il faut par ailleurs relever que même les adversaires les plus virulents du
modèle structural (Ferrant et Ciccone) reconnaissent avec honnêteté (p. 256)
que « le développement de la vie psychique est une visée indiscutable du cli-
nicien… même si dans la réalité de la position praticienne, la transformation
se révèle très difficile ou quasi impossible ». Notre propre expérience clinique
dans le champ de la dépression chronique et l’examen objectif du pourcentage
assez constant d’individus qui développent, quelles que soient leur pathologie
et leur prise en charge, une évolution vers la chronicité, suggèrent l’existence
de sujets pour lesquels le changement se révèle impossible, d’autant plus sou-
vent qu’ils présentent des carences structurées ou non de leur fonctionnement
mental associées à des défenses rigides et à des possibilités d’étayage environ-
nemental très réduites ou même inexistantes. Cette réalité-là, pour dérangeante
qu’elle soit, ne saurait être niée. Elle nous montre que dans un certain nombre
de cas, c’est même l’aménagement à l’intérieur d’une structure qui se révèle
impossible. Ce qui donne à notre avis un argument supplémentaire pour fon-
der la pertinence du modèle structural de Bergeret. En fin de compte seule une
étude longitudinale de l’adolescence à la vieillesse avec test-retest répété sur un
groupe de sujets dont le mode d’organisation psychologique serait réévalué à
chaque temps de la recherche, permettrait d’apporter une réponse définitive à
cette épineuse question.
Jean Bergeret 103
Pour approfondir
Bergeret J. (1974). La Personnalité normale et pathologique, Paris, Dunod.
Bergeret J. (1975). La Dépression et les états limites, Paris, Payot.
Bergeret J. (1984). La Violence fondamentale, Paris, Dunod.
Bergeret J. et coll. (1996). La Pathologie narcissique, Paris, Dunod.
Bergeret J. et Houser M. (2004). Le Fœtus dans notre inconscient, Paris, Dunod.
Chabert C. (1994). « Les approches structurales », in Widlöcher D. (dir.), Traité de psycho-
pathologie, Paris, PUF, 105-157.
Cyrulnik B. (2006). Parler d’amour au bord du gouffre, Paris, Odile Jacob.
Estellon V. (2009). Les États limites, Paris, PUF.
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Ferrant A. et Ciccone A. (2007). « Modèle structural, processus représentatif, pôles
d’organisation », in Roussillon R. (dir.), Manuel de psychologie et de psychopathologie
clinique générale, Paris, Masson, 251-260.
Husain O., Merceron C., Rossel F. (2001). Psychopathologie et polysémie, Lausanne,
Payot.
Kernberg O. (1979). Les Troubles limites de la personnalité, Toulouse, Privat.
Scharbach H. (1983). Les États Limites chez l’adulte et chez l’enfant, Paris, Masson.
Tychey (de) C. (1994). L’Approche des dépressions à travers le test de Rorschach :
point de vue théorique, diagnostique et thérapeutique, Paris, Éditions et Applications
psychologiques.
Marcelli D. (1979). Les États limites, Paris, PUF.
Vermorel H., Genthialon B. et Vittet D. (1999). L’œuvre de Jean Bergeret : d’une pratique
à une théorie de la clinique, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé.
10
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DONALD WOODS
WINNICOTT,
« La crainte de l’effondrement »
(non daté), in La Crainte
de l’effondrement et autres
situations cliniques (1989), Paris,
Gallimard, 2000, 205-2161
1. Présentation de l’auteur
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Donald Woods Winnicott est né à Plymouth en Angleterre le 7 avril 1896 et
décédé à Londres le 25 janvier 1971. Médecin puis pédiatre, il entame en 1923,
avec James Strachey, une analyse qui durera dix ans, puis effectuera une seconde
tranche avec Joan Rivière – une psychanalyste proche de Mélanie Klein – de
1933 à 1938. Il fera d’ailleurs un contrôle avec Mélanie Klein, de 1935 à 1941.
Admis à la British Psycho-Analytical Society en 1927, il y termine sa forma-
tion d’analyste d’adulte en 1934 et d’analyste d’enfant en 1935. Pendant la
Seconde Guerre mondiale, il tient le rôle de consultant pour les plans d’évacua-
tion de Londres. Cette expérience, jointe à celle de directeur de foyer éducatif
et à celle de pédiatre, lui permettra de prendre la mesure du rôle de l’environne-
ment dans la construction psychique. Dans la controverse entre Anna Freud et
Mélanie Klein, il partagera la position médiane du middle group. Tout en occu-
pant d’importantes responsabilités tant à la Société britannique qu’à l’Associa-
tion psychanalytique internationale, il fera montre tout au long de son parcours
d’une irréductible indépendance, assumant, voire revendiquant la solitude. Pour
approfondir l’œuvre, on peut se référer à : Denys Ribas, Donald Woods Winnicott
(2000), André Green, Jouer avec Winnicott (2005), Adam Phillips, Winnicott ou le
Choix de la solitude (2008).
2. Résumé du texte
Ce texte posthume, écrit de fin de vie, énonce à la fois le cœur de tout le parcours
de pensée de Winnicott et une ultime reformulation métapsychologique. Peut-
être plus radicalement que tout autre de ses textes, il montre à l’œuvre la perspec-
tive transnosographique de Winnicott dans son articulation à l’exploration de
l’univers psychique des états-limites, pour l’essentiel ouverte par lui. La crainte
de l’effondrement, qui a trait à « l’expérience du passé » et « aux caprices de
Donald Woods Winnicott 107
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recevoir l’héritage, d’un « environnement facilitateur », lequel est par nature
évolutif dans sa capacité d’adaptation à l’évolution du processus de matura-
tion : holding évoluant en handling « auquel s’ajoute la présentation de l’objet »,
correspondant du côté du développement de l’individu à « l’intégration »,
puis à « l’installation (complicité psychosomatique) » et enfin à « la relation
d’objet ». Lorsque la défaillance de l’environnement intervient dans la période
de dépendance absolue, soit avant la différenciation et la dissociation moi/non-
moi, lorsque la mère fait encore fonction de moi auxiliaire, l’infans peut éprou-
ver des angoisses disséquantes primitives (ou agonies primitives), qui vont activer
des défenses archaïques : « 1. retour à un stade de non-intégration (défense :
désintégration) ; 2. tomber à jamais (défense : self-holding) ; 3. […] échec de
l’installation dans le soma (défense : dépersonnalisation) ; 4. perte du sens du
réel (défense : recours au narcissisme primaire, etc.) ; Perte de la capacité d’être
en relation avec les objets (défense : états autistiques, relation exclusive avec
des auto-phénomènes) ; et ainsi de suite ». Dans cette perspective, Winnicott
critique l’approche de la psychose en termes d’effondrement : la psychose est
« une organisation défensive dirigée contre une angoisse disséquante primi-
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dien), du fait d’un moi alors trop immature pour « rassembler l’ensemble des
phénomènes dans l’aire de l’omnipotence personnelle ». Cela implique – il
s’agit de l’un de ces paradoxes au cœur de la pensée de Winnicott – que le passé
déjà éprouvé reste toujours à éprouver au présent, puisqu’il n’est pas intégré
et qu’il n’existe psychiquement pour le patient seulement dans le futur, sous
la forme donc de la crainte d’un effondrement à venir. « […] cette chose du
passé n’a pas encore eu lieu, parce que le patient n’était pas là pour que ça ait
lieu en lui. » L’effondrement éprouvé avant la constitution du moi est impen-
sable, indissociablement parce qu’il n’a pas de ce fait un lieu pour s’inscrire et
parce qu’il est l’éprouvé de l’impensable défaillance d’un environnement dont
l’infans dépend vitalement. Éprouvé sans moi, il est en attente d’être éprouvé
par le moi et ne pourra l’être qu’avec sa réactivation dans et par la relation trans-
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férentielle, en tant qu’elle met le patient en contact avec l’état de dépendance
originel. La réactivation procède de la défaillance de l’analyste (ses faillites et
erreurs techniques), si elle reste « raisonnable » et intégrable comme contenu
contre-transférentiel, va permettre au patient d’éprouver au présent (progressi-
vement et douloureusement), en l’intégrant dans le moi, l’effondrement passé.
Mais cela suppose que l’analysant et l’analyste renoncent à rester dans l’analyse
(mutuellement gratifiante) de la névrose et acceptent, dans le présent transfé-
rentiel, de « faire l’épreuve de la chose redoutée ».
La crainte de l’effondrement est proposée comme un modèle métapsycholo-
gique pertinent pour aborder la crainte de la mort, le vide et la non-existence.
Ainsi la crainte de la mort est-elle pensable comme la crainte d’un anéantis-
sement « qui est arrivé au patient alors qu’il était trop immature pour en faire
l’expérience ». Le vide ne relève pas d’un traumatisme, mais d’une expérience
précoce du « fait que là où quelque chose aurait pu être bénéfique, rien ne
s’est produit ». Cette expérience est là encore antérieure à la distinction moi/
non-moi, à l’établissement du self, comme « la tendance personnelle à la non-
existence qui fait partie d’une défense organisée ». Il reste que ce dernier élé-
ment peut comporter un aspect non défensif, dans la mesure où « il n’y a qu’à
partir de la non-existence que l’existence peut commencer ».
3. Un concept fondamental
L’idée que la catastrophe projetée dans l’avenir a déjà eu lieu constitue un concept
fondamental et inédit, qui précise de façon décisive l’apport winnicottien,
indissociablement métapsychologique et psychopathologique. Winnicott pro-
pose une approche permettant de penser la construction psychique de l’infans
avant même la constitution du self (voire avant la naissance), dans un état de
Donald Woods Winnicott 109
4. Prolongements et filiations
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La crainte de l’effondrement fournit un modèle pour théoriser, en deçà du champ
de refoulement pour l’essentiel exploré par Freud, les modalités de défense anté-
rieures à la distinction moi/non-moi. Là où Freud invente la psychanalyse avec
les névrosés, Winnicott, après Ferenczi, la réinvente avec les patients limites.
Winnicott reprend ou prolonge, dans les concepts novateurs qu’il propose
pour penser la construction psychique de l’infans (la préoccupation maternelle
primaire, la mère suffisamment bonne, le passage de la dépendance absolue
puis relative à l’indépendance, le self et le faux-self, la défaillance de l’envi-
ronnement…), nombre d’idées venant de Ferenczi. Surtout, il s’inscrit fonda-
mentalement dans ses perspectives métapsychologiques, prolongeant la notion
freudienne d’Hilflosigkeit (état de désaide) sous l’angle de l’état de dépendance
vitale du nourrisson, en théorisant l’environnement à partir du renversement
férenczien (adaptation de l’environnement au nourrisson et non l’inverse).
À l’origine de l’importance accordée aujourd’hui aux problématiques limites,
référence incontournable pour l’approche psychanalytique de la périnata-
lité comme pour le renouvellement de la psychopathologie de l’adolescent,
Winnicott est l’une des grandes figures de la psychanalyse contemporaine,
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même s’il n’est pas à l’origine d’un mouvement ou d’un groupe. Dans la géné-
ration actuelle, d’éminents psychanalystes s’inspirent de son œuvre : dans la
sphère anglo-saxonne, il faudrait notamment citer Adam Phillips et en France,
René Roussillon ou antérieurement, André Green.
Pour approfondir
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Ferenczi S. (1932). Confusion de langue entre les adultes et l’enfant. Le langage de la ten-
dresse et de la passion, Paris, Payot, 2004.
Green A. (2005). Jouer avec Winnicott, Paris, PUF.
Phillips A. (2008). Winnicott ou le choix de la solitude, Paris, Éditions de l’Olivier.
Ribas D. (2000). Donald Woods Winnicott, Paris, PUF.
Roussillon R. (1995). « La métapsychologie des processus et la transitionnalité », Revue
française de psychanalyse, LIX, 1351-1519.
Roussillon R. (1999). Agonie, clivage et symbolisation, Paris, PUF.
Roussillon R. (2008). Le Jeu et l’Entre-je(u), Paris, PUF.
Winnicott D. W. (1947). « La haine dans le contre-transfert », in De la pédiatrie à la psycha-
nalyse, Paris, Payot, 1969, 72-82.
Winnicott D. W. (1956). « La préoccupation maternelle primaire », in De la pédiatrie à la
psychanalyse, Paris, Payot, 1969, 168-174.
Winnicott D. W. (1963). « Le passage de la dépendance à l’indépendance dans le déve-
loppement de l’individu », in Processus de maturation chez l’enfant, Paris, Payot, 1983,
43-54.
Winnicott D. W. (1971). Jeu et réalité, Paris, Gallimard.
Winnicott D. W. (1988). La Nature humaine, Paris, Gallimard, 1990.
Sur les traces de Winnicott, Le Coq-Héron, n° 173, 2003.
11
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PAUL CLAUDE
RACAMIER,
« Les paradoxes
des schizophrènes » (1978),
RFP, n° 5-6, p. 877-969
Les Schizophrènes, Payot
et Rivages, 20011
« Vingt ans : c’est le souvenir. Il y a tout juste vingt ans, en 1958, avec
Sacha Nacht, dans l’un de nos congrès de nos langues Romanes, à Bruxelles,
nous présentions un rapport, déjà sur les psychoses, consacré à la théorie psy-
chanalytique du délire […] En ce qui concerne les délires quelques analyses
nous ont appris que la folie y est employée comme une pièce qu’on colle là
où initialement s’était produite une faille dans la relation du moi au monde
extérieur. Si la solution du conflit avec le monde extérieur ne nous apparaît
pas encore avec plus de netteté qu’elle ne le fait maintenant, c’est que dans le
tableau clinique de la psychose les manifestations du processus pathogène sont
souvent recouvertes par celles d’une tentative de guérison ou de reconstruction
[…] N’ai-je cependant pas rappelé en préambule que les schizophrènes vivent ?
Mieux vaudrait dire qu’ils survivent. Survivent à la catastrophe ? Certes. Mais
surtout vivent par-dessus la vie, matant la monture de leur vie comme des
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cavaliers sans merci, héros harassés d’un triste triomphe sur Éros… »
1. Présentation de l’auteur
2. Présentation du texte
En 1958, Racamier présentait avec Sacha Nacht un rapport sur la théorie psycha-
nalytique du délire au congrès des langues romanes. À l’époque les psychana-
lystes s’intéressaient peu à la psychose, sans doute désarmés dans la clinique face
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au délire et à la non-constitution d’une névrose de transfert interprétable. Mais,
comme le dit Racamier, « s’il fallait brièvement comparer les travaux de 1958 et
ceux de 1978, je dirais qu’à Bruxelles était montrée la faiblesse des psychotiques,
et qu’à Florence c’est la force des schizophrènes » (2001, p. 13).
En 1978 en effet, Racamier présentait – seul cette fois – un rapport intitulé « Les
paradoxes des schizophrènes », publié dans la Revue française de psychanalyse.
Racamier reprit les points de son rapport dans le livre Les Schizophrènes (1980-
2001) présenté ici. Son travail s’appuie sur une expérience clinique solide avec
les patients et les institutions, et dégage une compréhension de la vie psychique
s’appliquant à tout un chacun. Beaucoup de notions dans cet ouvrage serviront
de bases à des théorisations ultérieures.
Outre « Les paradoxes des schizophrènes », l’ouvrage Les Schizophrènes
comporte une première partie intitulée « Prélude et divertimento » (2001,
p. 11-41). Racamier y laisse aller son style fluide, associatif, métaphorique et par-
fois très condensé. Il ne dédaigne pas les néologismes, les formules et les « pas de
côté » tant qu’ils soutiennent la figurabilité. Il passe avec aisance de la clinique
à la mythologie :
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Après une bibliographie, trop peu développée à son goût, Racamier nous pro-
pose ses schizogrammes (p. 185-206). Il les accompagne d’un certain nombre
de dessins, plutôt de traits, lui qui était un grand amateur d’art et d’images. Cet
inventaire à la Prévert, classé par ordre alphabétique, fait ressortir toute son ima-
gination et sa créativité. Je retiendrai deux définitions :
114 45 commentaires de textes fondamentaux en psychopathologie…
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notamment référence à l’antœdipe, notion qu’il développera par la suite.
3. Résumé du texte
« Les paradoxes des schizophrènes » est un texte assez long (p. 43-165). Racamier
nous met en garde sur les lacunes et les raccourcis de son écrit. C’est un texte
condensé, et l’on imagine aisément la difficulté d’en faire un résumé fidèle.
Racamier montre d’emblée son humanité par l’intérêt, et même l’admiration,
qu’il porte aux schizophrènes. Il leur reconnaît en même temps une souffrance
psychique catastrophique, une puissance et une habilité insoupçonnées. Il évo-
quera même une souffrance très personnelle : « Le fait est qu’en dépit de mes airs
braves, tous « mes » schizophrènes ont été plus ardents à me réanimer après la
mort d’un de mes fils » (p. 96).
Il ne propose pas une vision radicalement nouvelle de la schizophrénie, mais
en transmet son vécu personnel et vivant. Il s’appuie souvent sur des concep-
tions kleiniennes, fait référence à Searles, à Donnet et à Green – par rapport à la
psychose blanche – à Pasche – avec le concept d’anti-narcissisme – et à Anzieu
à propos des paradoxes. Comme d’autres auteurs avant lui, il fait référence au
travail du moi. « Le moi travaille envers et contre la conflictualité. » Plus loin,
il ajoute : « La stratégie du moi psychotique est avant tout anti-ambivalente »
(p. 61). Il tente de concilier les vues de Freud qui évoque un surinvestissement
du moi, et celles de Federn qui au contraire souligne la vacuité narcissique
du moi schizophrénique. Pour Racamier « le moi schizophrénique se dessine
comme une très puissante machine à faire le vide dans le moi, dépensant ainsi
d’énormes quantités d’énergie, dont bien peu resteront disponibles pour des
tâches à la fois plus modestes et plus rémunératives » (p. 94-95).
Paul-Claude Racamier 115
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s’appuie sur d’autres auteurs – avance des positions plus personnelles qui seront
le prélude à ses travaux ultérieurs. « La procréation est bien au centre des fan-
tasmes des schizophrènes : c’est la procréation non seulement de l’objet, mais
d’eux-mêmes » (p. 98). Il cherche toujours l’ouverture et évite les pièges d’une
causalité linéaire. Il ne prend pas parti. « Était-ce [la mère] qui envenima le conflit
originaire ? Ou bien l’enfant était-il doué dès la naissance d’une hypersensitivité
qui lui rendait intolérable toute aspiration antinarcissique par et vers le monde et
l’objet ? » (p. 100). Et à propos de la séduction narcissique, il précise : « Aussi bien
ne peut-on pas décréter qui commence à séduire qui, ce qui peut rendre indéci-
dable toute question relative aux origines de la psychose » (p. 125).
Les psychotiques combattent le réel. Dans ce combat, pas d’alliance ni d’intri-
cation possibles. Pas non plus de zone intermédiaire, d’objet transitionnel,
d’espace interstitiel… du même coup pas de jeu ni d’illusion. Et pas de véri-
table altérité non plus avec la séduction narcissique. La séduction narcissique
peut mener à l’inceste comme une lutte radicale contre le complexe d’Œdipe.
Racamier propose le concept d’antœdipe pour désigner une organisation à la
fois ante-œdipienne – en deçà de l’œdipe – et anti-œdipienne, c’est-à-dire qui s’y
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surtout une reconnaissance de base. Cela se traduira dans la cure par un trans-
fert paradoxal, le patient projetant sur l’analyste la disqualification. L’inter-
prétation ne peut alors – au moins dans un premier temps – être entendue que
comme disqualifiante.
La paradoxalité est un système de défense contre l’ambivalence et le conflit.
Nous retrouvons ici le lien avec la psychose. Si les schizophrènes usent du para-
doxe, c’est donc pour se protéger, mais c’est aussi pour bénéficier d’une forme
de jouissance. Il y a un plaisir à « emmêler » l’autre dans des paradoxes dont
il ne peut sortir. Comme le souligne Racamier « L’érotisation paradoxale est
un des facteurs importants de la résistance thérapeutique des schizophrènes »
(p. 159).
Racamier conclut son travail par l’utilisation des paradoxes dans l’humour,
soulignant à nouveau les liens entre la pathologie psychotique et la folie ordi-
naire. Et de conclure ainsi avec Woody Allen : « Ce n’est pas que j’ai peur de
mourir, mais quand ça viendra, je préfère ne pas y être » (p. 164)
4. Prolongements et enjeux
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par ce deuil même, qui fonde ses propres origines, opère la découverte de
l’objet comme de soi, et l’invention de l’intériorité » (1992, p. 29).
Pour approfondir
Anzieu D. (1975). « Le transfert paradoxal », Nouvelle Revue de psychanalyse, n° 12.
Bayle G. (1997). Paul-Claude Racamier, Paris, PUF.
Donnet J.-L., Green A. (1973). L’Enfant de ça. La psychose blanche, Paris, Éditions de
Minuit.
Freud S. (1924). Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF, 1981.
Nacht S., Racamier P.-C. (1958). « La théorie psychanalytique du délire », RFP, t. XXII,
n° 45, 417-532, in Nacht S. (1971). Guérir avec Freud, Paris, Payot, coll. « Petite Biblio-
thèque Payot ».
Racamier P.-C. (1970). Le Psychanalyste sans divan, avec Diatkine R., Lebovici S., Paumelle
P. et coll., Paris, Payot, 1993.
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Racamier P.-C. (1978). « Les paradoxes des schizophrènes », Revue française de
psychanalyse, 5-6, PUF.
Racamier P.-C. (1979). De psychanalyse en psychiatrie, Paris, Payot.
Racamier P.-C. (1980). Les Schizophrènes, Paris, Payot, 2001
Racamier P.-C. (1989). Antœdipe et ses destins, Paris, Apsygée.
Racamier P.-C. (1992). Le Génie des origines : psychanalyse et psychoses, Paris, Payot.
Racamier P.-C. (1993). Cortège conceptuel, Paris, Apsygée.
Racamier P.-C. (1995). L’Inceste et l’Incestuel, Paris, Les Éditions du Collège.
Searles H. (1975). « L’effort pour rendre l’autre fou », Nouvelle Revue de psychanalyse,
n° 12.
12
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ANDRÉ GRE EN,
« La mère morte » (1980),
in Narcissisme de vie, narcissisme
de mort (1983), Paris, Éditions
de Minuit, 222-2531
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1. Présentation de l’auteur
André Green (1927-2012) est sans aucun doute l’un des plus grands psycha-
nalystes de son temps. Né le 12 mars 1927 au Caire (Égypte), il arrive en
France en 1945 pour se former à la médecine. Très vite, il souhaite approfon-
dir ses connaissances dans le champ de la psychiatrie et de la psychanalyse.
Interne et assistant à Henri-Rousselle, il devient chef de clinique à Sainte-
Anne où il suit les enseignements d’Henri Ey et de Julian de Ajuriaguerra.
Il rencontre D.W. Winnicott en 1957 et W. Bion en 1976 qui influencent
grandement ses conceptions sur les états limites et sur la technique psychana-
lytique. De 1961 à 1966, il suit les séminaires de Lacan, tout en entretenant
des échanges étroits avec l’école britannique de psychanalyse ce qui donne
à sa pensée une ouverture féconde, un intérêt particulier accordé à la pra-
tique analytique, à l’importance du contre-transfert et à la place de l’affect
dans la métapsychologie. En 1967, Green rompt avec Lacan, après la formu-
lation de ce dernier concernant l’inconscient structuré comme un langage.
Pour Green, si le discours analytique s’intéresse à l’autre du langage, la pul-
sion ne saurait se réduire à ce que le langage en dit. De 1970 à 1977, il dirige
l’institut de psychanalyse de la Société psychanalytique de Paris dont il fut le
président et l’un des membres les plus influents au plan international. Il est
l’auteur de travaux innombrables dont l’essentiel est cité en bibliographie.
Pour faire connaissance avec son œuvre on peut consulter André Green par
F. Duparc (1996), Autour de l’œuvre d’André Green sous la direction de F. Richard et
F. Urribari (2005), ou encore Essais sur « la mère morte » et l’œuvre d’André Green
sous la direction de G. Kohon (2009).
André Green 121
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sement) s’oppose ce qu’il appelle la fonction désobjectalisante, activité sous la
domination de la pulsion de mort. L’œuvre entière de Green peut être considé-
rée comme l’investigation de son champ d’action : soma, comportement, psy-
chisme, relations, culture, histoire.
Écrit en 1980 et paru en 1983 dans le recueil intitulé Narcissisme de vie, nar-
cissisme de mort, « La mère morte » est l’un des articles phare d’A. Green. Ce
texte puise beaucoup de références à Winnicott et notamment à « l’intuition
du négatif », chapitre de Jeu et réalité (1971). On trouve dans Fragments d’un
discours amoureux (R. Barthes, 1977) une des origines probables de ce texte. Il
approfondit et complète également certaines pistes développées dans L’Enfant
de ça (1973), co-écrit avec J.-L. Donnet. Les auteurs décrivaient une organisa-
tion œdipienne contemporaine soumise à une mutation profonde : le schéma
selon lequel l’enfant s’identifie de façon dominante au parent du même sexe et
peut s’identifier régressivement au parent du sexe opposé ne tient plus comme
avant. L’identification prenant moins en compte la différence des sexes, l’enfant
sera amené à s’identifier au parent le plus valorisé, le plus désiré. Soumise au cli-
vage, la relation d’objet ne peut plus fonctionner sur le mode de l’ambivalence.
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Elle évoluera plutôt sous le signe de l’alternance bon/mauvais. S’en suivent des
difficultés pour distinguer désir et identification et pour aménager un espace
interne. Ceci court-circuite une grande part de l’activité psychique créant des
blancs pour la pensée. Le blanc, le vide, comme le rien, rappellent l’absence qui
hante les angoisses narcissiques. On retrouve dans « La mère morte » cette cou-
leur blanche : car la mère morte est une mère blanche, une mère pouvant garder
un visage de cire lorsque l’enfant est tordu par la souffrance.
Enfin, par la définition d’un « complexe de la mère morte » (différent du
complexe de castration paradigmatique des structures névrotiques), Green
122 45 commentaires de textes fondamentaux en psychopathologie…
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introduits
Pour Green, l’enfant après avoir tenté de réanimer ce lien par diverses conduites
de désespoir (agitation, insomnie, terreurs nocturnes, etc.) va bien souvent déve-
lopper deux types de réponses défensives :
la plus courante développe un mouvement unique à deux versants : le
désinvestissement de l’objet maternel et l’identification inconsciente à la mère
morte. Dans ce désinvestissement, assimilable à un meurtre psychique,
l’objet est désinvesti sans haine. La destruction de cet objet fera place à
un « trou psychique ». Là est un pas très important inspiré par la pensée
de Winnicott : la destruction ne se réduit pas toujours à une destruction de
l’objet, elle peut prendre la forme de négation de l’existence de l’objet. On a
ici affaire à un meurtre par néantisation de la présence en personne de
l’autre. Le second versant de ce mouvement consiste en une identification
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(inconsciente) à la mère morte : l’enfant mime en miroir – comme sur un
mode empathique – cette mère morte. Il pourra développer ce potentiel
de s’abstraire de la réalité affective ambiante de façon soudaine et inexpli-
quée. Ces deux mouvements peuvent paraître superficiellement de nature
contradictoire : comment ou pourquoi s’identifier à un objet que l’on
désinvestit ? Green montre habilement que cette identification est large-
ment inconsciente. La mère morte devient un objet incorporé. Grâce à
cette incorporation le sujet fait exister un lien vivant en lui avec cet objet
morbide ;
la seconde solution touche à « la perte du sens » ouvrant toutefois sur des
contraintes à imaginer et/ou à penser qui développeront parfois de manière
très précoce les potentialités à créer et/ou à intellectualiser. Le surinvestis-
sement de la créativité peut s’entendre comme une manière d’éviter la ren-
contre et le partage avec l’objet. Pour Green, certains artistes choisissent
la créativité par-delà la relation amoureuse, et même pour s’affranchir de
l’objet. L’objet est variable, incontrôlable, soumis à une activité désirante
propre : il peut apparaître et disparaître à sa guise, aimer et ne plus aimer,
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préoccupé par l’état de la mère sans porter secours à l’enfant, soit qu’il laisse le
couple mère-enfant sortir seul de cette situation » (p. 257). Dans ce cas, du point
de vue relationnel, plus rien ne tient. Une triangulation œdipienne vécue trop
précocement est à l’origine d’effets désorganisateurs dramatiques.
Cette perte du sens est susceptible d’entraîner trois mouvements défensifs
régressifs :
le déclenchement d’une haine secondaire sous-tendant des désirs d’incorpo-
ration régressive, des positions sadiques anales maniaques visant à souiller
et dominer l’objet et tirer vengeance de lui ;
l’emballement pervers de l’excitation auto-érotique dissociant le courant
tendre et le courant sensuel, induisant un blocage de l’amour : « Arrêtés
dans leur capacité d’aimer, les sujets qui sont sous l’emprise d’une mère
morte ne peuvent plus aspirer qu’à l’autonomie. Le partage leur demeure
interdit. Alors la solitude, qui était une situation angoissante change de
signe. De négative, elle devient positive. Elle était fuie, elle devient recher-
chée. Le sujet se nide. Il devient sa propre mère, mais demeure prisonnier
de son économie de survie. Il pense avoir congédié sa mère morte. En fait,
celle-ci ne le laisse en paix que dans la mesure où elle est elle-même lais-
sée en paix. Tant qu’il n’y a pas de candidat à la succession, elle peut bien
laisser son enfant survivre, certaine d’être la seule à détenir l’amour inac-
cessible » (p. 264) ;
le développement précoce des capacités fantasmatiques et intellectuelles du
moi : « Performance et auto-réparation se donnent la main pour concourir
le même but : la préservation d’une capacité à surmonter le désarroi de la
perte du sein par la création d’un sein rapporté, morceau d’étoffe cogni-
tive destiné à masquer le trou du désinvestissement, tandis que la haine
secondaire et l’excitation érotique fourmillent au bord du gouffre vide »
André Green 125
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Green, sans l’évoquer en ces termes, montre comment, peu à peu, l’enfant se
construit en faux-self, projetant, apprenant à deviner les désirs de sa mère, à
les anticiper pour mieux tenter de les maîtriser. L’énergie que pourra dépenser
un sujet à s’accrocher désespérément à son objet de dépendance est à la mesure
du vide intérieur que laisserait la perte de cet objet et de la blessure hémorra-
gique qu’elle ouvrirait dans un moi peu assuré de sa consistance. Winnicott
(1971) relevait que les mères déprimées n’ont plus la possibilité d’offrir à leurs
enfants de se voir dans leurs yeux. Les yeux de la mère, considérés comme pre-
mier miroir pour les yeux de l’enfant, sont devenus ternes ; ils ne disposent
plus du pouvoir de refléter – et de contenir narcissiquement – l’appel au contact
émotionnel émanant de l’enfant. Dans ces yeux fermés au partage, l’enfant ne
perçoit plus son propre reflet mais plutôt l’humeur sinistre de la mère qui fait
intrusion dans son espace et sa temporalité narcissique. Ces expériences répétées
blessent la construction d’un narcissisme de vie, car pour bien se construire, le
narcissisme vivant a besoin d’illusion. Or Winnicott montre que pour accepter
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la désillusion encore faut-il avoir été illusionné ! Dans cet article, il met en rela-
tion la capacité d’illusion et l’internalisation de l’objet maternel. Les bébés qui
n’ont pu s’illusionner sont toujours en train de chercher dans le regard maternel
des réactions leur indiquant si elle approuve ou désapprouve leur intention. On
trouve ici sans doute un lien à ce trait caractéristique du cas limite bien souvent
« scotché » à la réalité externe.
Si Green repère ce complexe de la mère morte chez nombre d’artistes, il montre
que même si les sublimations participent d’un sentiment d’autonomie et d’une
créativité certaine, elles ne parviennent pas à jouer un rôle équilibrant dans une
économie psychique marquée par l’extrême difficulté à aimer et à être aimé. Ce
fol investissement dans cette capacité créative de « jouer », « manipuler », « défor-
126 45 commentaires de textes fondamentaux en psychopathologie…
mer » ou « produire » les objets inanimés peut être également entendu comme
une tentative d’attirer l’attention de la mère pour la distraire ou la consoler.
Ce « jouer-créer » se situerait plus du côté d’une attente de reconnaissance par
l’autre que d’une possibilité de s’accomplir et de s’oublier dans la création. Cette
stylisation de Green s’éloigne ainsi de l’optique kleinienne qui voit la « créati-
vité » comme une réparation.
Dans le livre Illusions et désillusions du travail psychanalytique (2010b), consacré
aux limites et aux échecs de la cure, Green introduit son propos par une réflexion
sur la cure analytique de Marylin Monroe avec Ralph Greenson, s’appuyant sur
l’analyse fictionnelle fine et magistrale qu’en donne Michel Schneider (2006).
On sait que Marylin connut des traumatismes précoces et qu’elle se consuma
dans des amours toujours insatisfaisants. Si Green ne revient pas formellement
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sur ce point, on retrouve pourtant dans le personnage de M. Monroe telle qu’il
est présenté par Schneider le complexe de la mère morte. Marilyn porte l’objet
inconnu du deuil de la mère morte, comme le laissent à penser ces propos qu’elle
tint à son analyste :
« Ma mère, je ne sais pas ce qu’elle voulait faire de moi. Une morte ? C’est
étrange, il n’y a qu’à vous que je peux le dire. Je dis toujours aux journalistes
que ma mère est morte. Elle vit toujours, mais je dis vrai quand je dis qu’elle
est morte. Quand on m’a mise à l’orphelinat d’El Centro Avenue, je criais :
Non je ne suis pas orpheline. J’ai une mère. Elle a des cheveux rouges et des
mains douces. Je disais vrai sauf qu’elle ne posait jamais ses mains sur moi. »
Pour approfondir
Barthes R. (1977). Fragments d’un discours amoureux, chapitre « Fading », Paris, Le
Seuil.
Donnet J.-L., Green A. (1973). L’Enfant de ça, Paris, Éditions de Minuit.
Duparc F. (1996). André Green, Paris, PUF.
Green A. (1973, 2004). Le Discours vivant, Paris, PUF.
Green A. (1983). Narcissisme de vie, narcissisme de mort, Paris, Éditions de Minuit.
Green A. (1990). La Folie privée. Psychanalyse des cas limites, Paris, Gallimard.
Green A. (1993). Le Travail du négatif, Paris, Éditions de Minuit.
Green A. (2002a). La Pensée clinique, Paris, Éditions Odile Jacob.
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Green A. (2002b). Idées directrices pour une psychanalyse contemporaine, Paris, PUF.
Green A. (dir.) (2006). Les Voies nouvelles de la thérapeutique psychanalytique, Paris,
PUF.
Green A. (2010a). Pourquoi les pulsions de destruction ou de mort ? Paris, Éditions
d’Ithaque.
Green A. (2010b). Illusions et désillusions du travail psychanalytique, Paris, Odile Jacob.
Kohon G. (dir.) (2009). Essais sur « la mère morte » et l’œuvre d’André Green, Paris, Édi-
tions d’Ithaque.
Richard F. et Urribari F. (dir.) (2005). Autour de l’œuvre d’André Green. Enjeux pour une
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Schneider M. (2006). Marilyn, dernières séances, Paris, Grasset et Fasquelle.
Winnicott D. W. (1971). Jeu et réalité, Paris, Gallimard.
Au cinéma
Daldry S. (2002). The Hours, adapté du roman éponyme de Michael Cunningham,
Paramount Pictures, Miramax.
13
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JOYCE MC DOUGALL,
« La néo-sexualité en scène »,
« Scénarios suspendus :
entre fantasme, délire et mort »
(1980), in Théâtre du je, Gallimard,
1982, 209-224 et 225-2401
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1. Présentation de l’auteur
Deux ans après son Plaidoyer pour une certaine anormalité (Gallimard, 1978),
J. Mac Dougall s’attache dans les textes présentés ici à définir la place et la fonc-
tion qu’occupe dans l’économie psychique la sexualité dite perverse – un terme
dont elle récuse la dimension péjorative, qui décrit ici des pratiques sexuelles
peu courantes mais auxquelles le ou la partenaire, si partenaire il y a, est toujours
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consentant, et à même de consentir.
Cet essai sur la perversion en deux parties paraît d’abord dans le volume col-
lectif Les Perversions (Tchou, 1980). Ces textes ont été repris tels quels dans les
deux derniers chapitres du Théâtre du Je (Gallimard, 1982), sous un titre qui les
résume, « La néo-sexualité en scène » et « Scénarios suspendus : entre fantasme,
délire et mort ».
Après un premier livre en 1960, l’étude d’une cure d’enfant psychotique
publiée avec son superviseur, Serge Lebovici, réédité avec le titre et la préface
donnés par Winnicott à l’édition anglaise, Dialogue avec Sammy (Payot, 1984),
J. Mac Dougall engage à partir de certaines cures un questionnement sur la per-
version, pour interroger plus largement la créativité psychique en jeu dans les
scénarios sexuels pervers, indispensable dans la lutte pour la survie psychique,
mais aussi les conditions de possibilité de cette créativité, et ses limites face aux
angoisses archaïques.
Dans Théâtre du Je (1982), puis Théâtre du corps (1989), la métaphore théâtrale
est déterminante : le Je, un concept emprunté à Piera Aulagnier pour désigner le
trajet identificatoire, ainsi que le corps, sont autant d’acteurs et de metteurs en
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scène de scénarios psychiques dont les formes symptomatiques, des agirs pervers
aux addictions et à certaines maladies somatiques, sont autant de tentatives de
guérison et de solutions pour assurer le triomphe d’Éros sur la mort – avec ou
parfois sans succès.
réalité externe mais en grande misère psychique qu’elle a évoqués dans Plaidoyer
pour une certaine anormalité : le sujet qui pratique une sexualité perverse « innove
en matière de sexualité ». J. Mac Dougall récuse donc le terme de « pervers »,
réducteur, normatif et simpliste, pour s’intéresser aux rôles de tels agirs sexuels
dans les économies libidinale et narcissique du sujet. Elle fait l’hypothèse que ce
« novateur sexuel » recrée la sexualité, crée une nouvelle scène primitive pour
se protéger de la douleur psychique et de la dépression sous-jacentes non élabo-
rées.
Après avoir évoqué la conception de Freud, selon elle trop centrée sur la sexua-
lité œdipienne au détriment de la sexualité archaïque, J. Mac Dougall s’attache
dans le premier article à repérer le scénario pervers mis en scène dans la néo-
sexualité, et le type de relation à l’autre qui s’y trouve engagée. Elle montre
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ensuite, dans le second, comment, dans la perversion, le « théâtre érotique per-
sonnel » construit des barrières contre des angoisses psychotiques et permet de
maintenir un sentiment d’identité menacé d’effritement.
Dans les premières formulations de Freud, notamment les Trois essais sur la
théorie sexuelle infantile (1905), la perversion consistait en une régression et une
fixation de la pulsion sexuelle à un stade libidinal antérieur qui aurait échappé
au refoulement, ce qui ferait de la perversion le « positif » de la névrose puis-
qu’elle met en actes des désirs devenus inconscients dans la névrose. Même si
cette première théorisation se transforme avec la deuxième topique, pour Freud
la perversion comme la névrose s’édifient à partir de l’impossibilité de résoudre
la problématique œdipienne : l’une et l’autre sont des tentatives de contour-
ner l’angoisse de castration et de maintenir les premiers liens incestueux. Mais
Freud, qui dans la problématique œdipienne privilégie le rôle du père et idéa-
lise la maternité, n’interroge pas la « sexualité archaïque », qui se joue dans les
relations précoces à la mère, décrites par J. Mac Dougall en termes kleiniens. Or,
selon l’auteur, ce sont ces deux problématiques, celle de la sexualité œdipienne
et celle de la sexualité archaïque, que la perversion contient et contourne, en
maintenant de précaires homéostasies libidinale et narcissique. Plus l’économie
psychique sera fragile, plus l’agir pervers sera compulsif et indispensable à la vie
érotique et psychique du « novateur sexuel ».
L’observation clinique amène J. Mac Dougall à privilégier les liens primitifs de
la perversion avec l’auto-érotisme génital : l’enfant futur pervers aurait été, selon
elle, détourné de la masturbation génitale précoce et de son but – la recherche
du plaisir génital –, et conduit, voire acculé, à « inventer d’autres façons de
faire vivre érotiquement son corps » qu’avec l’activation du circuit main-sexe.
Une néo-sexualité précoce remplace le jeu avec les organes génitaux (balance-
ments du corps, jeux avec les excréments, coups violents de la tête) chez l’enfant
qui peut surinvestir aussi des parties de corps, internes ou externes, ou la peau,
Joyce Mc Dougall 133
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Les scénarios érotiques agis dans le rituel pervers, joués et rejoués compulsive-
ment, répètent selon J. Mac Dougall des fragments d’un théâtre infantile dont le
metteur en scène d’aujourd’hui, qui en fut hier le protagoniste, a perdu le sens
originel. Ainsi, tel homme qui ne peut jouir qu’en se fouettant devant la glace,
habillé en femme, avec le fantasme d’une fillette fouettée et humiliée publique-
ment, fut un garçonnet longtemps habillé et coiffé en fille par sa mère. À tel
autre, qui trouve son plaisir seulement quand son pénis porte des traces fécales
de son partenaire, enfant la mère lui imposa des lavements, qui le rendirent
encoprétique, et du coup humilié, contraint par la nourrice et les autres enfants
à se montrer dans le square coiffé de sa culotte souillée… Répéter la violence
maternelle en la rendant ludique et en l’érotisant dans le scénario pervers est
alors la seule solution pour contenir à la fois l’angoisse de castration, la mortifi-
cation narcissique et la rage inépuisable de l’enfant contre sa mère, mais aussi les
angoisses plus primitives d’avoir attaqué ou détruit les objets internes, et l’état
de mort psychique interne par lequel le moi se protège des affects archaïques
destructeurs.
Dans le scénario pervers, où la solution du conflit intrapsychique est recher-
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une mythologie privée, à son seul usage. Seule à même de donner un sens au
discours lacunaire, contradictoire et a-sensé des parents, cette création lui per-
met d’exister sexuellement, éventuellement d’avoir des relations érotiques avec
autrui, sans pour autant faire disparaître au plan fantasmatique l’image endom-
magée du phallus symbolique ou l’image de la mère abîmée par les relations
sexuelles.
Ni la division fantasmatique du pénis en un pénis dangereux et un pénis idéa-
lisé, fétichisé mais jamais suffisamment bon, ni la compulsion à rester auprès de
la mère réelle pour la protéger de toute attaque ou réparer les dommages causés
par les pulsions destructrices, ne permettent à l’enfant de sortir de l’impasse
identificatoire et d’échapper aux angoisses incontrôlables. Seule peut le faire
« la création de sa néo-sexualité », à condition que cette néo-sexualité mette en
scène tous les conflits pulsionnels, toutes les réparations narcissiques et objec-
tales.
C’est la relation de l’infans (avant l’acquisition de la parole) à son vécu corpo-
rel et à ses investissements libidinaux étayés sur l’autre, qui permet selon Joyce
Mac Dougall de mieux comprendre le pôle psychotisant de la sexualité perverse
et de ses racines précoces : le désir de la mère tel qu’il s’exprime à l’égard du
corps de l’enfant permet ou non le passage du corps biologique de l’infans à un
corps érogène, de l’auto-érotisme précoce et de ses substituts (comme la mastur-
bation) au narcissisme.
Superposable à la clinique des perversions, la clinique psychosomatique de la
première enfance témoigne des vicissitudes de ce passage et de cette empreinte
maternelle : ainsi chez les nourrissons insomniaques qui ne peuvent dormir
que dans les bras de la mère, laquelle ne supporte aucun substitut d’elle-même
auprès de son enfant, ainsi chez l’enfant auquel la mère exigeante à l’excès sur le
contrôle de ses matières, administrait très fréquemment des lavements – d’où la
réponse encoprétique de l’enfant.
Joyce Mc Dougall 135
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comanes, la drogue, la « mère-drogue » dit J. Mac Dougall, représente dans les
organisations addictives la mère archaïque, qui n’a pas pu être intériorisée de
façon stable, ou sans être endommagée, dans le monde interne de l’enfant.
Situé entre névrose et psychose, l’agir pervers est aussi situé entre fantasme
et délire : là où la création fantasmatique impose pour survivre face aux pul-
sions destructrices la mise en acte du scénario pervers, la répétition compulsive
et nécessaire de cette mise en acte peut venir pétrifier l’activité psychique elle-
même : la « sexualité drogue », utilisée comme tentative d’auto-guérison pour
assurer le triomphe d’Éros sur la mort, peut échouer dans la tâche pour laquelle
elle a été créée : combler les trous dans le sentiment d’identité.
4. Concepts fondamentaux
Dans Théâtre du corps (1989), J. Mac Dougall reprend ses intuitions sur la psy-
chose en la rapprochant des troubles psychosomatiques. Elle généralise à tous
les formes symptomatologiques et les différentes catégories nosographiques le
poids qu’elle accorde aux premiers éprouvés corporels (affects et représentations)
induits dans les premiers liens à la mère, et que le transfert analytique remet en
scène dans la cure.
L’auteur revient aux problématiques de la perversion dans Éros aux mille et
un visages (1996), mais c’est pour les dégager des pratiques sexuelles extrêmes :
elle insiste sur les composantes bisexuelles en chacun, et généralise la notion de
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néo-sexualité aux mille et un visages d’Éros, y compris les plus communs, cha-
cun devant mettre en scène dans sa sexualité une part traumatique indicible de
son histoire : ainsi nous serions tous plus ou moins des néo-sexuels, comme dit
Marciane Blévis (Joyce aux mille et un visages, 1999).
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tomatique, dont l’acte-symptôme n’est qu’une variante, J. Mac Dougall ne perd-
elle pas de vue la finesse et la spécificité de la psychopathologie ? Sa pratique et
sa conception de la cure comme re-création à deux rendent moins nécessaire
son repérage.
Pour approfondir
Balier C. (1996). Psychanalyse des comportements sexuels violents, Paris, PUF.
Duparc F. (dir.) (1999). Joyce aux mille et un visages : l’œuvre de Joyce Mac Dougall,
Delachaux-Niestlé.
Mac Dougall J. (1978). Plaidoyer pour une certaine anormalité, Paris, Gallimard.
Mac Dougall J. (1982). Théâtre du Je, Paris, Gallimard.
Mac Dougall J. (1989). Théâtre du corps. Le psychosoma en psychanalyse, Paris,
Gallimard.
Mac Dougall J. (1996). Éros aux mille et un visages. La sexualité humaine en quête de solu-
tions, Gallimard.
Menahem R. (1997). Joyce Mac Dougall, Paris, PUF.
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Porret P. (2005). Joyce Mac Dougall, une écoute lumineuse, Campagne Première.
14
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ROGER DOREY,
« La relation d’emprise » (1981),
Nouvelle Revue de psychanalyse,
n° 24, 1981, 117-1401
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être en mesure de rendre compte de la spécificité de chacune d’entre elles. »
1. Présentation de l’auteur
2. Résumé du texte
cice d’un pouvoir, par lequel l’autre est maintenu dans un état de soumission et
de dépendance. Enfin, l’emprise inscrit une empreinte sur l’autre.
L’hypothèse qui organise l’ensemble du texte est la suivante : la relation
d’emprise, porte toujours une atteinte à l’autre en tant que sujet désirant. Ce qui
est visé, c’est la singularité et la spécificité du désir de l’autre, échappant toujours
fondamentalement à toute saisie possible. L’emprise traduit donc une tendance
à neutraliser le désir d’autrui, c’est-à-dire à réduire toute altérité, toute différence
et toute spécificité. La visée étant de ramener l’autre à la fonction et au statut
d’objet entièrement assimilable. Roger Dorey distingue deux voies principales de
déploiement de la relation d’emprise : la problématique perverse et la probléma-
tique obsessionnelle.
Dans la perversion, la relation transite essentiellement par Éros ; l’emprise
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du pervers s’exerce par la séduction et s’adresse à son partenaire sexuel. L’autre
consent à l’aliénation qui lui est imposée car il y trouve lui aussi une certaine
satisfaction, celle d’être délogé de son désir. Dans la plupart des scénarios pervers,
l’asservissement du partenaire va s’accompagner de la nécessité d’inscrire une
trace, une marque, sur le corps du partenaire attestant d’un consentement à la
soumission. Le destin de l’héroïne d’Histoire d’O, apparaît pour Roger Dorey tout
à fait exemplaire de cet assujettissement total d’un être qui est ainsi dépouillé
de lui-même, son désir se trouvant sous le joug du désir de l’autre. La relation
d’emprise perverse tente ainsi de reconstituer une forme d’unité originaire, une
indistinction entre le sujet et son image qui présente une forte proximité avec
la perversion narcissique (Racamier, 1992). Roger Dorey en est conduit à formuler
l’hypothèse selon laquelle la perversion narcissique peut être considérée comme
le prototype de toute relation perverse.
La séduction, dimension majeure de l’emprise, trouve son origine dans une
modalité singulière de liens à la mère ou à son substitut qui comporte d’une
part, l’existence de conduites séductrices subies par l’enfant et d’autre part,
une destructivité faite de rejet, de condamnation ou d’abandon, surgissant de
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laquelle la séduction a subi un refoulement drastique. La conduite maternelle
est essentiellement régie par la froideur, l’austérité, la rigueur morale et le sens
du devoir. En réprimant drastiquement tout mouvement érotique, la mère barre
chez son enfant tout accès au désir. L’agressivité va subir le même sort que les
pulsions libidinales : l’extrême sollicitude maternelle témoignant d’un contre-
investissement portant spécifiquement sur les affects de haine. Autrement dit,
comme dans la relation perverse, l’emprise obsessionnelle résulte essentielle-
ment d’un mécanisme d’identification à l’agresseur maternel : la relation étant
fondée dans les deux configurations sur l’annulation du désir de l’autre.
Prolongeant l’analyse, Roger Dorey souligne que dans ces deux types d’éco-
nomie, la visée essentielle est celle de réduire toute différence. Le surgissement
du désir de l’autre, révélateur du manque d’objet, source de toute angoisse, réac-
tive l’expérience originaire de détresse. La relation d’emprise, quelle qu’en soit
la modalité, constitue une défense contre cette réactivation. En examinant les
sources de cette impérieuse défense, chez le pervers comme chez l’obsessionnel,
il relève que dans ces deux configurations, le père est constamment mis à l’écart
de la relation exclusive établie entre la mère et l’enfant. Le désir de l’enfant,
demeurera captif d’une relation spéculaire, enclose sur elle-même et vouée à une
répétition sans fin.
Roger Dorey va ensuite considérer le statut de trois objets différents dans
leurs rapports à l’emprise : l’objet transitionnel, le fétiche et l’objet de collec-
tion. L’objet transitionnel, constitue une forme de défense contre l’angoisse de
perte de l’objet. Première possession selon Winnicott, l’objet transitionnel prend
une dimension de moment normal du développement psychique, mais recèle
simultanément une fonction d’occultation de l’absence, à la différence du jeu
et des activités culturelles. En cela, l’objet transitionnel peut s’inscrire dans la
série des expériences qui constituent, chez l’adulte, une modalité défensive à
signification pathologique. Le fétichisme s’inscrirait dans cette lignée, dans sa
Roger Dorey 143
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Roger Dorey s’attache à préciser la différence entre les registres pervers et
obsessionnel, au plan de la dynamique pulsionnelle. Dans la problématique
perverse, le jeu pulsionnel privilégie les tendances libidinales, conjointement
aux pulsions destructrices en une intrication qui prévaut sur la désintrication.
Dans le registre obsessionnel, la destructivité et la désintrication prévalent dans
une finalité de déliaison. Ces deux modalités de relation d’emprise sont à saisir
comme une reprise par l’enfant du fonctionnement psychique maternel. Mère
séductrice d’une part, où l’enfant est la source quasiment unique de satisfaction
érotique, mère destructrice d’autre part, qui assujettit l’enfant par son action
mortifère.
Pour Roger Dorey, la notion de pulsion d’emprise est difficilement utilisable.
En effet, dans « La disposition à la névrose obsessionnelle » Freud (1913) inscrit
une forme d’ambiguïté en indiquant que la pulsion de savoir n’est que le reje-
ton de la pulsion d’emprise. Cette dernière, considérée elle-même comme une
émanation de la pulsion de mort engendre ainsi, logiquement, un lien entre
sublimation et Thanatos. Afin de se déprendre de cette difficulté, Roger Dorey
nous propose deux modalités de dégagement. D’une part, en considérant que
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l’emprise résulte aussi bien du processus de liaison associé aux pulsions de vie
qu’à l’action déliante de la pulsion de mort. D’autre part, en différenciant de
manière plus ferme, deux termes que Freud a employé dans une certaine proxi-
mité porteuse d’équivocité, à savoir les notions d’emprise (Bemächtigung) et de
maîtrise (Bewaltigung). La notion de maîtrise, qui recèle tout comme l’emprise
une connotation de domination, ne comporte cependant ni la signification
d’appropriation ni celle d’empreinte. De plus, la domination est ici exercée à
l’égard de soi-même, et non d’un autre. La Reizbemächtigung à laquelle Freud fait
fréquemment référence vise à juguler l’excitation afin de parer au risque d’un
débordement traumatique. Il s’agit d’une opération psychique de liaison dont
le modèle est le jeu du Fort-Da. L’activité ludique permet à l’enfant de tolérer
144 45 commentaires de textes fondamentaux en psychopathologie…
l’absence maternelle sans qu’il soit envahi par l’angoisse. La production du jeu
résulte d’un travail psychique et ouvre à la maîtrise d’une situation potentielle-
ment traumatique. Ce processus est à différencier des phénomènes transition-
nels en ce qu’il témoigne d’une reconnaissance et d’une acceptation de l’absence
et du manque qui en découle. Roger Dorey nous propose de constituer l’emprise
et la maîtrise comme un couple d’opposés, au même titre que l’activité et la pas-
sivité, le plaisir et le déplaisir, l’amour et la haine. Ainsi, les deux processus psy-
chiques que sont l’emprise et la maîtrise vont-ils coexister tout au long de la vie,
chez tout un chacun, en des rapports variables selon les sujets et les moments
de la vie.
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3. Concepts fondamentaux introduits
alors que la maîtrise réfère à une modalité ouverte et porteuse d’un travail
de différenciation. La relation d’emprise survient lorsque le travail de la
maîtrise est barré ou excessivement coûteuse pour le sujet.
Les recherches de Bernard Gibello (1989) procèdent pour une part du travail
de Roger Dorey dans sa théorisation de l’objet épistémique comme produit de
l’emprise. Cependant, il situe l’emprise dans un registre pulsionnel, celui de la
pulsion de mort, et en cela il se démarque de la position de Roger Dorey qui sou-
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tient la nécessité de récuser d’associer pulsion de mort et emprise.
La question de la pathologie de la relation d’emprise sera reprise et dévelop-
pée d’une manière originale par Françoise Couchard (1991) dans le champ de la
maternité et de la féminité.
Lors du 52e Congrès des psychanalystes de langue française des pays romans,
Roger Dorey (1992) va discuter de manière serrée le rapport proposé par Paul
Denis dont les principaux éléments sont présentés dans son ouvrage intitulé
Emprise et satisfaction (1997).
Enfin les travaux d’Alain Ferrant (2001), qui développent notamment la
notion de liens d’emprise, viennent prolonger la question du point de vue de
l’intersubjectivité.
L’article de Roger Dorey nous invite à considérer que le concept d’emprise est
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Pour approfondir
Couchard F. (1991). Emprise et violence maternelle, Paris, Dunod.
Denis P. (2004). Emprise et satisfaction. Les deux formants de la pulsion. Paris, PUF.
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Dorey R. (1988). Le Désir de savoir. Nature et destins de la curiosité en psychanalyse, Paris,
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Dorey R. (1992). « Le désir d’emprise », Revue française de psychanalyse, LVI, n° spécial
congrès, 1423-1432.
Ferrant A. (2001). Pulsion et liens d’emprise, Paris, Dunod.
Ferrant A. (2011). « Emprise et lien tyrannique », Connexions (Soumission ou résistance
aux systèmes d’emprise), n° 95, Toulouse, Érès, 15-28.
Freud S. (1905). Trois essais sur la théorie sexuelle, Paris, Gallimard, 1987.
Freud S. (1913). « La prédisposition à la névrose obsessionnelle », in Névrose, Psychose et
Perversion, Paris, PUF, 1973.
Racamier P.-C. (1992). Le Génie des origines, Paris, Payot.
15
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RENÉ ROUSSILLON,
« Traumatisme primaire,
clivage et liaison primaires
non symboliques » (1999),
in Agonie, clivage et symbolisation,
Paris, PUF, 1999, 9-341
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1. Présentation de l’auteur
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Les apports conceptuels de R. Roussillon occupent une place centrale dans la
modélisation des processus de subjectivation liés aux premières rencontres sujet-
objet. Il s’est employé à construire un modèle des formes limites de l’expérience
subjective, « traces » présymboliques de la subjectivité comme on parlerait de
« restes » auxquels R. Roussillon donne relief en les conviant et les rassemblant
à partir des différentes étapes des logiques de « la symbolisation primaire » et de
la « symbolisation secondaire ».
Nous pouvons regrouper ses contributions scientifiques selon trois axes
s’imbriquant :
une modélisation des « souffrances narcissiques identitaires ». C’est à partir
de l’émergence de mouvements transférentiels symptomatiques (colora-
tion passionnelle et/ou narcissique du transfert, « transfert par retourne-
ment ») que R. Roussillon spécifie les processus psychiques à l’œuvre dans
les formes cliniques « extrêmes » de la subjectivité se jouant sur les bordures
de l’histoire du sujet. Sa préoccupation pour la pluralité des probléma-
tiques narcissiques identitaires (autisme, sujet SDF, toxicomanies, adoles-
cence, etc.) a contribué à en faciliter la compréhension processuelle ;
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Les perspectives qu’il a ouvertes s’inscrivent dans cette pliure, entre dedans
et dehors, entre intrapsychique et intersubjectif, qu’il a d’abord saisie à partir
des figures du paradoxe, objet de son premier ouvrage personnel (1991) issu de
son travail de thèse. Il propose par la suite une épistémologie des paradoxes psy-
chiques en lien avec le concept de transitionnalité développé par Winnicott. La
problématique de l’utilisation de l’objet, le médium-malléable, pose les premiers
jalons de la modélisation métapsychologique des « souffrances narcissiques
identitaires ».
« Traumatisme primaire, clivage et liaisons primaires non symboliques » est
le chapitre d’ouverture de son cinquième ouvrage écrit à titre de seul auteur.
R. Roussillon organise les étapes du travail de la symbolisation : les caractéris-
tiques du rapport primaire à l’objet ou à « l’autre-sujet », les conditions de possi-
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bilité de l’activité représentative, et le rapport crucial du sujet à la symbolisation
elle-même. L’ouvrage propose un modèle unitaire de la logique des processus
caractérisant les « souffrances narcissiques identitaires ». Sa réflexion clinique
s’appuie en outre sur une expérience de supervisions de soixante-dix cures de
patients mettant en échec l’approche psychanalytique « traditionnelle ».
3. Résumé du texte
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l’objet » plus que par une réelle « relation d’objet » ; d’un point de vue dyna-
mique et économique, le principe de plaisir est supplanté par la « contrainte
de répétition » et dans ce prolongement la « logique du choix » attaché aux
traitements du conflit interne (refoulement, solution de compromis) cède
le pas aux « formations paradoxales » où se rejouent les modalités relation-
nelles primaires prises en étau entre « contrainte » (de se plier à l’objet) et
« sacrifice » (d’une part de la subjectivité).
3) Le modèle avancé du « traumatisme primaire » (tel que Freud l’amorce
à partir de 1920) est complété par une relecture de Winnicott (1971) qui
confère au temps une valeur fondamentale dans les expériences de priva-
tion qui sont de véritables « cassures » de et dans la subjectivité. En rapport
aux trois temps « X + Y + Z » winnicottien, R. Roussillon présente les modes
d’alliances pathologiques qui se nouent avec l’objet quand « la réponse de
l’objet » n’est pas adéquate, c’est-à-dire quand le « contrat narcissique »
avec l’objet se détériore : l’état de manque, voire de détresse, dégénère en un
« état traumatique primaire » produisant un état d’agonie (Winnicott) qui
n’est ni assimilable ni représentable (du fait de l’immaturité du moi) mais
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qui s’imprime comme une trace non utilisable. Ces états traumatiques pri-
maires sont des « situations extrêmes de la subjectivité » en ce qu’elles se
situent aux confins du psychisme provoquant un désespoir existentiel et un
sentiment inconscient de « culpabilité primaire ».
4) Cette blessure de et dans la subjectivité conduit à une solution défensive de
nature paradoxale dans la mesure où il s’agit de se retirer de sa subjectivité
pour survivre : l’issue du traumatisme primaire conduit inévitablement à
un processus de clivage de la subjectivité dans lequel la partie non repré-
sentée (mais néanmoins psychique) est « coupée » du moi alors amputé :
« Le moi se clive d’une expérience à la fois éprouvée et en même temps non
constituée comme une expérience du moi. » Si la défense obéit au principe
152 45 commentaires de textes fondamentaux en psychopathologie…
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sement notoire du moi (dont une partie est « sacrifiée » pour assurer des
contre-investissements défensifs) dont l’asphyxie donne l’impression d’une
subjectivité en « survie ». Utilisée en solution défensive principale ou en
supplément, la « neutralisation énergétique » tente ainsi d’« assécher » ou
de « geler » les investissements puisque ceux-ci risqueraient de réactiver
la zone traumatique primaire. La « neutralisation énergétique » peut être
accompagnée d’autres procédés parmi lesquels on peut évoquer :
la coexcitation libidinale : qui tente d’inscrire l’expérience traumatique
non élaborée sous le primat du principe de plaisir. Cette sexualisation
après-coup œuvre dans certaines de formes de perversions (masochisme,
fétichisme) pour tenter de suturer le clivage par le sexuel ;
la « solution somatique » dans laquelle deux tableaux sont envisageables :
soit la maladie est investie comme suppléance psychique, soit l’affection
somatique permet de contenir et d’éponger les traces perceptives non inté-
grées ;
l’investissement de groupes ou d’institutions fonctionnant comme des
fétiches collectifs ;
le délire qui cicatrise une expérience traumatique non symbolisée
primairement en utilisant la « symbolisation secondaire » à sa rescousse.
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• Symbolisation primaire : c’est le temps de la transformation des traces
perceptivo-motrices en représentations de choses. Ce processus apparie
hallucination et perception. Il fait intervenir toute une série de saisies de
l’expérience perceptive/sensorielle.
• Liaison primaire non symbolique : les traces inconscientes laissées par le trau-
matisme primaire ne sont pas symbolisées et elles vont avoir tendance à
être réactivées. L’appareil psychique va devoir trouver des solutions alter-
natives pour à la fois contenir ces expériences en les liant et lutter contre
le retour de l’état traumatique.
• Culpabilité primaire : le « traumatisme primaire » fait naître un état d’impuis-
sance radicale produisant une « blessure identitaire narcissique » vis-à-vis
de laquelle le sujet se sent responsable/coupable. Cette culpabilité n’est pas
de nature œdipienne.
• Paradoxe : pierre angulaire des réflexions et concepts développés par
R. Roussillon. Voir à ce titre ses différentes théories qui caractérisent en
particulier le fonctionnement de l’espace transitionnel (1991, 1995).
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5. Devenir et prolongements
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poursuit ce travail en cernant les différentes fonctions symbolisantes de l’objet
primaire (1997) permettant une possible activité représentative. Il a redéployé
les enjeux de la réflexivité impliquée dans la construction de l’organisation sub-
jective (2004), en la reliant par la suite aux activités du transitionnel (2008b).
Au fil de mes lectures et de mes rencontres avec R. Roussillon, j’ajouterais
que la créativité de sa pensée, issue de son laboratoire personnel, s’appuie sur le
terreau fertile de rencontres formelles ou informelles auxquelles il accorde une
place essentielle pour soutenir la pensée qui naît toujours de rencontres. Le lec-
teur pourra à ce titre partager un cycle de rencontres/conférences centrées sur
l’œuvre de R. Roussillon, ouvrage publié en 2010 sous le titre La Psychanalyse :
une remise en jeu.
Pour approfondir
Freud S. (1920). « Au-delà du principe de plaisir », Essais de Psychanalyse, Paris, Payot,
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1951.
Golse B. et Roussillon R. (2010). La Naissance de l’objet, Paris, PUF.
Green A. (1983). Narcissisme de vie, narcissisme de mort, Paris, Éd. de Minuit.
Matot J.-P. et Roussillon R. (2010). La Psychanalyse : une remise en jeu, Paris, PUF.
Roussillon R. (1991). Paradoxes et situations limites de la psychanalyse, Paris, PUF.
Roussillon R. (1995). « La métapsychologie des processus et la transitionnalité », Revue
française de psychanalyse, LIX, n ° spécial congrès, 1351-1519.
Roussillon R. (1997). « La fonction symbolisante de l’objet », Revue française de
psychanalyse, n° 2, 399-413.
Roussillon R. (2007) (dir.). Manuel de psychologie et de psychopathologie clinique géné-
rale, Paris, Masson.
Roussillon R. (2004). « La dépendance primitive et l’homosexualité primaire “en
double” », Revue française de psychanalyse, n° 2, 421-439.
Roussillon R. (2008a). « Pour une analyse transitionnelle », Le Transitionnel, le sexuel et
la réflexivité, Paris, Dunod, 13-36.
Roussillon R. (2008b). « L’objet médium-malléable et la réflexivité », Le Transitionnel, le
sexuel et la réflexivité, Paris, Dunod, 37-50.
Roussillon R. (2009). « La destructivité et les formes complexes de la survivance de
l’objet », Revue française de psychanalyse, 4, 1005-1022.
Winnicott D.-W. (1971). Jeu et réalité. L’espace potentiel, Paris, Gallimard, 1975.
16
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SIGMUND FREUD,
« Analyse de la phobie d’un garçon
de cinq ans (Le petit Hans) »
(1909), in Œuvres complètes.
Psychanalyse, t. IX, 1-1301
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1. Présentation du texte dans l’œuvre de Freud
son ralliement aux idées d’Adler. La mère du petit Hans, Olga König, elle-même
musicienne, fut une patiente de Freud et ce fut par l’intermédiaire de celle-ci que
Max Graf rencontra Freud et en devint l’ami. Herbert Graf, après avoir soutenu
une thèse sur la scénographie wagnérienne, devint un metteur en scène d’opéra
renommé.
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fait trois ans, le père se met à prendre notes de ses observations et des mots de
son fils touchant à la sexualité, suivant en ce sens les conseils de Freud qui inci-
tait ses disciples à observer la sexualité des enfants. Dans la partie introductive,
Freud reproduit les notes du père telles qu’elles lui furent transmises : c’est ainsi
que la parole de l’enfant dans sa relation au père et à la mère est reproduite dans
sa forme originelle dialoguée. Hans manifeste une vive curiosité pour une par-
tie du corps, « le fait pipi » (Wiwimacher), se demandant si sa mère en possède
un. Son intérêt le pousse également à toucher son membre. Surpris par sa mère
à cette occasion, il reçoit la menace maternelle d’en être puni. Il semble réagir
à cette menace sans culpabilité mais acquiert, nous dit Freud, « le complexe de
castration » si souvent inféré des analyses des névrosés. La naissance de sa petite
sœur Anna en octobre 1906 et dont il se montre d’emblée jaloux, représentera
« le grand événement » de sa vie. Il lui faudra six mois pour surmonter sa jalou-
sie, lorsqu’il se convaincra de sa supériorité sur Anna au regard du « fait-pipi » de
celle-ci qu’il juge plus petit. En commentaires, Freud relève tout à la fois les traits
auto-érotiques du petit Hans et « l’existence d’un choix de l’objet tout comme
chez l’adulte ». Soulignant également des traits d’homosexualité, Freud présente
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le matériel phobique dont il est difficile de connaître la réelle origine. À ce stade
Freud conseille au père de Hans de dire à son fils que « cette histoire de chevaux
était une bêtise et rien de plus ». Mais ensuite la phobie du petit Hans se ren-
force dans le même temps où les amygdales lui sont coupées. La phobie s’étend à
nombre de grands animaux : les girafes, les éléphants, les pélicans qui renvoient,
selon Freud, le petit Hans à la dimension infériorisante de son pénis. L’angoisse
semble absorber tous les autres sentiments. Une remarque du petit Hans expri-
mant que son fait-pipi est bien « enraciné » renvoie à la menace de castration
auparavant proférée par la mère qui ne doit son effet qu’au terme d’une période
d’incubation liée au travail du complexe de castration.
Peu après, alors que Hans fit la surprise à ses parents de venir les rejoindre
une nuit dans leur lit, il eut le lendemain cette étonnante remarque : « Il y avait
dans la chambre une grande girafe et une girafe chiffonnée, et la grande a crié
que je lui avais enlevé la chiffonnée. Alors elle a cessé de crier, et alors je me suis
assis sur la girafe chiffonnée. » Freud interprète que le « s’asseoir dessus » est un
fantasme de « prise de possession » de la mère et exprime un défi, celui d’avoir
triomphé de la résistance paternelle.
C’est le 30 mars 1908 que le père fit une courte visite à Freud accompagné de
son fils. Ce dernier ayant exprimé sa gêne du noir que les chevaux ont autour
de la bouche, Freud lui demande avec ironie si les chevaux portent des binocles,
comme son père. Contre toute évidence, la réponse de l’enfant fut négative.
Freud met à jour l’hostilité de l’enfant à l’endroit du père mêlée à l’amour pour
celui-ci. C’est ici que Hans pourra dire : « Le professeur parle-t-il avec le bon
Dieu pour qu’il puisse savoir tout cela d’avance ? » Une première amélioration
de l’état anxieux se fait sentir, à partir de la possibilité donnée à l’enfant de
nommer ses productions inconscientes. Les chevaux d’angoisse du petit Hans se
décrivent autrement et « sa phobie, écrit Freud, a acquis plus de courage et ose
se montrer. » Les chevaux qui lui font le plus peur ont quelque chose de noir
Sigmund Freud 163
sur la bouche, mais ils peuvent aussi tomber, mordre et faire du « charivari », ou
encore tirer une voiture de déménagement. Toutes ces productions phobiques
concentrent crainte et désir de voir le père mort (tombé), cependant que l’enfant
semble davantage jouer de ses représentations en imitant le cheval, courant,
tombant, donnant des coups de pieds en tous sens, sur un mode joyeux.
La mère, peu présente jusqu’ici dans le commentaire, vient au-devant de la
scène à partir d’un ensemble de fantasmes excrémentiels (le loumf) et de réac-
tions anxieuses en lien avec la vue de culottes jaunes ou noires. Deux fantasmes
liés au thème de la baignoire doivent nous retenir : Hans est dans la baignoire,
le plombier arrive et la dévisse. Il prend alors un grand perçoir et l’enfonce dans
son ventre. Hans est dans une grande baignoire et a peur d’y tomber. La pensée
d’Anna, la petite sœur, vient ici au premier plan ravivant le thème de la nais-
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sance et ses énigmes. Les fantasmes excrémentiels (les loumf représentent tous
objets venant à tomber et donc aussi les chevaux) répondent à des pensées rela-
tives à la naissance de celle-ci, traduite dans les « théories sexuelles » infantiles
excrémentielles par une défécation. Un dernier fantasme vient conclure cette
partie qui marque la fin de la « bêtise » du petit Hans. « Le plombier est venu
et m’a d’abord enlevé le derrière, avec des tenailles, et alors il m’en a donné un
autre, et puis la même chose avec mon fait-pipi. » Freud commente que dans ce
dernier fantasme, « l’angoisse émanée du complexe de castration est surmontée,
l’attente anxieuse mutée en attente joyeuse ». Si le « docteur-plombier » enlève à
l’enfant son pénis, c’est pour lui en donner un plus grand à la place.
La partie « Commentaire » est consacrée à la synthèse théorique et trois ques-
tions la structurent : en quoi l’analyse du petit Hans vient appuyer les hypothèses
avancées dans les Trois Essais ? qu’apporte cette analyse à la compréhension de la
phobie ? en quoi sommes-nous avancés dans l’élucidation de la vie psychique de
l’enfant et quelle critique est alors possible en matière d’éducation.
Pour Freud le tableau de la vie sexuelle infantile dégagé de l’observation du
petit Hans est en « harmonie parfaite » avec la description qu’il en a donnée dans
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l’enfance. La névrose infantile se retrouvera comme un point d’appel des mani-
festions névrotiques de l’adulte, de sorte que lorsqu’apparaît une psychonévrose à
l’âge adulte, celle-ci est une continuation du trouble infantile.
Le dernier point concerne l’apport de l’analyse du cas à « la vie et l’éducation
des enfants ». La précocité sexuelle de l’enfant, loin de pouvoir être rattachée à
une quelconque hérédité morbide, « est dans une corrélation rarement en défaut
avec la précocité intellectuelle, et (qu’) on la rencontre par conséquent, plus
souvent qu’on ne s’y attendrait chez les enfants les plus doués. » Aussi Hans n’a
peut-être pas été plus malade qu’un autre et son angoisse ne s’est manifestée avec
netteté que pour autant qu’il bénéficiait d’une éducation délivrée de toute inti-
midation. Si Freud ne nie pas l’influence de l’éducation dans le devenir « en bien
ou en mal » de l’enfant, il lui est bien difficile de définir une direction éducative
prophylactique : « À quoi l’éducation doit viser et en quoi elle doit intervenir,
voilà qui semble encore très difficile à dire. »
Le texte de Freud se termine par un épilogue ajouté en 1922 après avoir reçu
la même année la visite d’un jeune homme qui se présente comme étant le petit
Hans. Celui-ci lui dit que lorsqu’il vint à lire son histoire, « le tout lui sembla
quelque chose d’étranger ». Freud exprime sa satisfaction de constater la bonne
santé du jeune homme, ce qui venait contredire les funestes prévisions sur le
devenir de l’enfant qui avaient été formulées à la suite de la publication du cas.
Freud se réjouit enfin de constater que le jeune homme put surmonter sans
dommage le divorce et le remariage de ses parents.
Le petit Hans ne cessa de cheminer tout au long de l’œuvre freudienne. S’il est
présent dans des textes précédant et suivant sa publication à travers des notes ou
Sigmund Freud 165
des allusions, c’est surtout dans Inhibition, symptôme et angoisse (1926) où Freud
révise sa théorie de l’angoisse, qu’on retrouve une réinterprétation du cas centré
sur les rapports entre l’angoisse, le refoulement et la production du symptôme
phobique.
Si le cas du petit Hans constitue la scène originaire de l’analyse d’enfant, il vit
à sa suite tout un courant de recherche qui en fera fructifier l’héritage : H. von
Hug-Hellmuth, M. Klein, A. Freud, Winnicott, F. Dolto, S. Lebovici et son école
(Geismann C. et P., 1992).
Dès 1932 M. Klein montre l’existence chez le jeune enfant de « situations
anxiogènes de caractère psychotique » soit des craintes paranoïdes et dépres-
sives qui sous-tendent l’angoisse de castration et la névrose de l’enfant. Elle
réinterprète les phobies infantiles en effectuant un parallèle entre le petit Hans
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et l’Homme aux loups, le premier ayant mieux intégré dans l’œdipe positif et
la génitalité les craintes de dévoration par le surmoi primitif proportionnel au
sadisme originaire projeté sur les imagos parentales que le second.
Lacan consacra la deuxième partie de son séminaire sur « La relation d’objet »
(1956-1957) à une relecture du petit Hans, la plus importante qu’il ait jamais
réservé à un cas freudien. Il développe ainsi sa théorie de l’ordre symbolique
et de la fonction paternelle comme permettant de surmonter l’imaginaire du
complexe de castration, le renoncement à être l’objet phallique de la mère. La
voie de sortie de l’œdipe passe par l’assomption du phallus, « signifiant des signi-
fiants », instrument de l’ordre symbolique des échanges et constitutif des lignées
(Fine, 1997).
J. Bergeret (1987) mettra en correspondance les troubles phobiques de Hans
avec les difficultés que Freud avait lui-même rencontrées dans son enfance, en
sorte que le cas du petit Hans traduit et masque à la fois l’implication affec-
tive particulière de Freud dans son travail de recherche théorique et clinique.
Pointant le peu d’attachement de Freud à la dimension essentiellement vio-
lente du mythe d’Œdipe, Bergeret défend l’idée que l’analyse du petit Hans a été
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qui permettent une certaine relecture du petit Hans à partir d’éléments non pris
en compte par Freud.
Dès le début du récit Freud pose (et ne cessera d’y revenir comme dans l’Homme
aux loups) la question si présente aujourd’hui du statut de la preuve clinique.
Le souci freudien de l’application de la preuve aux hypothèses théoriques sur
la sexualité infantile prend ici toute sa valeur : Freud cherche à donner à sa
démarche et à ses constructions le statut de vérité scientifique. Il est ici essentiel
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de porter attention au style du récit clinique freudien et donc à la problématique
ainsi inaugurée de l’écriture du cas, car « le texte freudien ouvre beaucoup plus
de pistes qu’il n’en suit » (André, 2006). L’observation est, sous une apparence
de confusion (que Freud reconnaît au fil du texte) d’une complexité qui donne
précisément toute la réalité des méandres dont nul cas clinique ne peut se passer,
sauf à réduire le récit à une traduction satisfaisant certes la logique mais sacri-
fiant les « tournoiements » des productions de l’enfant qui seules permettent de
toucher au vif de sa vérité. Ce serait en outre une erreur de tenir le petit Hans
pour une seule description d’une névrose infantile. L’observation a montré pour
la première fois le foisonnement des productions fantasmatiques de l’enfant aux
prises avec la situation œdipienne.
À l’heure où l’enfant tend à être l’objet de mesure, d’évaluation prédictive ou
visé par des mesures thérapeutiques à court terme centrées sur le comportement,
la relecture du petit Hans par sa richesse toujours vive prend aujourd’hui une
valeur renouvelée. Cette observation ne peut être une introduction datée à la
question de l’analyse d’enfant mais s’affirme dans les multiples résonances du
texte freudien comme une voix qui résiste à l’affadissement d’un discours actuel
qui tendrait, à partir d’un certain gommage de la notion sexualité infantile, à la
mise à distance du paradigme psychanalytique.
Pour approfondir
André J. (2006) Préface, in Freud S. (1909). Analyse de la phobie d’un garçon de cinq ans,
Paris, PUF, 2006.
Bédère S. (2009). En passant par Hans, la trajectoire d’Herbert : panorama sur la phobie,
Figures de la psychanalyse, 18, 133-151.
Bergeret J. (1987). Le petit Hans et la réalité ou Freud face à son passé, Paris, Payot.
Sigmund Freud 167
Blum H.P. (2007) « Le petit Hans : une critique et remise en cause centenaire », Topique
1/2007 (n° 98), 135-148.
Dachet F. (1993). « De la sensibilité artistique du professeur Freud », L’Unebevue, 3, 1993,
7-38.
Denis P. (2006). Les phobies, Paris, PUF.
Fine A. (1997). « L’observation du petit Hans “revisitée” par Jacques Lacan », in Fine A.
et coll. (1997), Peurs et phobies, Paris, PUF, 67-89.
Freud S. (1905). Trois essais sur la théorie sexuelle, Œuvres complètes. Psychanalyse, t. VI,
trad. fr. P. Koeppel, Paris, Gallimard, 1987.
Freud S. (1926). Inhibition, symptôme et angoisse, Paris, PUF, 1993.
Geismann C. et Geismann P. (1992). Histoire de la psychanalyse de l’enfant et de l’adoles-
cent, Paris, Bayard.
Klein M. (1932). La Psychanalyse des enfants, Paris, PUF, 1959.
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Lacan J. (1956-1957). Le Séminaire, livre IV, La relation d’objet, Paris, Le Seuil, 1994.
17
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MÉLANIE KLEIN,
« Contribution à l’étude
de la psychogénèse des états
maniaco-dépressifs » (1934), in Essais
de psychanalyse, Payot, 1982,
311-340. « Notes sur quelques
mécanismes schizoïdes » (1946),
in Développements
de la psychanalyse, PUF,
1980, 274-3001
« Dans mes écrits antérieurs, j’ai rendu compte d’une phase de sadisme
maximal par laquelle passent les enfants au cours de leur première année […]
J’ai souligné dans cet article qu’à mon avis, la position dépressive infantile est
la position centrale du développement de l’enfant. Le développement normal de
l’enfant et son aptitude à aimer semblent dépendre, dans une large mesure, de
l’élaboration de cette position décisive […] L’une de mes idées essentielles était
que, dans les tout premiers mois de la vie, l’angoisse est surtout vécue comme
une peur de persécution, et que cela contribue à certains mécanismes de défense
qui sont caractéristiques de la position schizoparanoïde. Parmi ces défenses, le
mécanisme de clivage des objets internes et externes, des émotions et du moi,
a une importance particulière. Ces mécanismes de défense font partie du déve-
loppement normal, et constituent en même temps la base de la schizophrénie
ultérieure […] J’ai aussi formulé l’idée qu’il existe une relation étroite entre les
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troubles maniaques-dépressifs et les troubles schizoïdes, relation fondée sur les
positions schizoparanoïde et dépressive dans l’enfance. »
1. Présentation de l’auteur
Mélanie Klein (1882-1960) est une des grandes dames de la psychanalyse. Avec
Anna Freud, sa grande rivale, elles sont les deux femmes psychanalystes les plus
célèbres après Freud. M. Klein s’inscrit dans l’histoire du mouvement comme
une pionnière de la psychanalyse d’enfant et une théoricienne hors pair. La
meilleure preuve de l’originalité de l’apport de la « géniale tripière de Londres »,
selon l’expression de Jacques Lacan, c’est la vivacité et la récurrence des débats
qu’elle a induits de son vivant dans la communauté psychanalytique et qui,
aujourd’hui, n’ont rien perdu de leur dynamisme.
M. Klein (née Reizes) voit le jour à Vienne en 1882 et meurt à Londres en 1960.
Elle est la quatrième enfant de Moriz Reizes qui épouse en secondes noces à 40
ans passés Libussa Deutch âgée de vingt-cinq ans. Son père issu d’un milieu juif
orthodoxe s’est d’abord consacré à des études religieuses pour devenir rabbin
mais à trente-sept ans, il rompt avec sa famille et débute des études médicales
avec une opiniâtreté dont M. Klein fera aussi preuve tout au long de sa vie.
La biographie de M. Klein est ponctuée d’une fréquence exceptionnelle de
deuils véritablement dramatiques. À quatre ans, c’est d’abord sa sœur aînée
Émilie qui meurt après l’avoir, dit-on, initiée à l’écriture et au calcul. À dix-huit
ans, son père disparaît laissant le foyer démuni et la contraignant d’abandonner
son projet chéri d’études médicales, faute de moyens financiers. Puis son frère
aîné adoré Emanuel, qui l’avait aidée pour mener à bien sa scolarité, meurt deux
Mélanie Klein 171
ans plus tard (1902). M. Klein perd ensuite son premier enfant. Vient alors le tour
de son deuxième analyste, Karl Abraham, qui meurt en 1924 après une année de
cure. Enfin, son fils Hans décède dans un accident de montagne en 1933.
L’année 1914 est emblématique de la résonance intime entre cette récurrence
tragique et sa créativité : sur fond de guerre mondiale, elle entame sa première
analyse avec Sandor Ferenczi, perd sa mère, est enceinte de son troisième enfant
vivant et voit son mari partir appelé sous les drapeaux !
M. Klein s’est mariée en 1903 avec Arthur Stephen Klein, un ingénieur avec
qui elle a eu trois enfants : Mélitta (1904), Hans (1907) et Erich (1914). Pour des
motifs professionnels paternels, la famille Klein s’installe à Budapest en 1910.
L’intérêt de M. Klein pour la psychanalyse s’affirme durant l’année 1913 et
elle commence une cure avec Ferenczi l’année suivante. Sa formation psycha-
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nalytique est assez informelle et sa cure discontinue, Ferenczi devant quitter
Budapest pour des périodes militaires. Ce dernier l’encourage à s’intéresser à la
psychanalyse des enfants : « Il fit tout ce qui était en son pouvoir pour soutenir
mes premiers efforts dans cette voie. C’est à lui que je dois mes débuts dans le
métier de psychanalyste » (1932, p. 2).
En 1919, elle fait sa première communication à la Société hongroise de psy-
chanalyse : « Le développement d’un enfant ». Sa conférence est vivement
saluée et elle devient rapidement membre. Elle décrit le développement sexuel
d’un enfant nommé « Fritz » qui n’est autre que son fils Erich âgé alors de 5 ans.
Cette même année, son mari part travailler en Suède alors que leur couple est
en crise.
À cause de l’antisémitisme, de complications politiques et du divorce en
cours, M. Klein quitte avec ses enfants Budapest pour Berlin (1921). Elle y débute
une deuxième cure avec Karl Abraham (1924) l’année de son divorce avec son
mari. Son analyste meurt un an plus tard après avoir prononcé ces paroles inou-
bliables après sa communication sur une cure d’enfant au premier congrès des
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Pour faire connaissance avec son œuvre nous conseillons Introduction à l’œuvre
de Mélanie Klein (1964) et Mélanie Klein : développement d’une pensée (1979) par
sa disciple Hanna Segal, livres qui constituent une exégèse aussi didactique que
rigoureuse. On y retrouve une description très fidèle et éclairante des concepts
fondamentaux de la pensée kleinienne. Nous recommandons également la lec-
ture de Mélanie Klein par Dominique Arnoux (1997). Pour une exploration plus
approfondie, deux références s’imposent. Le profond et précieux Dictionnaire de
la pensée kleinienne de Robert Hinshelwood (1989) qui va plus loin en proposant
des éclaircissements de toutes les pièces du vaste puzzle de la trajectoire de M.
Klein et de ses héritiers. De leur côté, les deux remarquables ouvrages de Jean-
Michel Petot (1979, 1982) permettent au lecteur de suivre au plus près le déve-
loppement et les enjeux épistémologiques de l’œuvre de M. Klein. Enfin, pour les
internautes anglophones, le site Web The Melanie Klein Trust, www.melanie-klein-
trust.org.uk, regorge de pépites photographiques, sonores, historiques, bibliogra-
phiques qui raviront les amateurs éclairés comme les exégètes exigeants.
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sions orales et anales tout autant que des pulsions génitales ;
l’activité d’un surmoi qui ne succède pas mais précède le conflit œdipien :
le bébé dirige ses tendances sadiques contre le sein maternel mais aussi
contre l’intérieur de son corps.
M. Klein reprend en ouverture de ces deux textes l’essentiel des thèses de son
ouvrage de 1932. Dès le début de la vie, il existe chez le bébé une relation d’objet
partielle avec le premier objet qu’est le sein clivé en bon sein gratifiant et mau-
vais sein frustrant. Ce premier objet partiel clivé est à la fois introjecté et source
de projections. L’interaction entre introjection et projection modèle la relation
objectale entre les objets et les situations internes et externes. Ce processus par-
ticipe à la cohésion et l’intégration progressive du moi et du surmoi.
Dans l’article de 1934, M. Klein se focalise sur les états dépressifs dans leurs
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première « position schizoparanoïde » puis une seconde « position dépressive »
qui font partie du développement « normal » de l’enfant mais dont les avatars
psychopathologiques constituent les soubassements de la schizophrénie et des
états dépressifs.
La position schizoparanoïde réunit désormais sans ambiguïté relations d’objet
narcissique et partiel, angoisses d’anéantissement prenant la forme de persécu-
tion et de morcellement et les mécanismes de défense, d’abord et surtout, du
clivage mais aussi, du déni omnipotent de la réalité intérieure ou extérieure,
de l’idéalisation du bon objet (sein gratifiant) et de son introjection, de son
contrôle tout-puissant, de l’identification projective où « une grande propor-
tion de la haine contre les parties de la personne propre est alors dirigée contre
la mère » sucée entièrement, dévorée ou pénétrée à l’intérieur. En complément,
M. Klein met aussi l’accent ici sur « l’étouffement des émotions » et sur l’angoisse
« latente » des patients adultes schizoïdes.
La position dépressive est, avant tout, contemporaine de l’introjection de l’objet
total « à peu près au second quart de la première année ». Les aspects aimés et haïs
de la mère ne sont plus sentis comme radicalement séparés ce qui entraîne une
peur de perdre la mère et « des états voisins du deuil et un sentiment violent de
culpabilité ». Le désir de réparer signe « un plus grand insight de la réalité psy-
chique », une meilleure intégration du moi. Pendant la seconde moitié de la
première année, le bébé accomplit des progrès fondamentaux dans l’accès à la
position dépressive. « Le désir de réparer ou de protéger l’objet endommagé pré-
pare le chemin à des relations objectales et à des sublimations plus satisfaisantes. »
La réparation ne constitue pas une position distincte. C’est une modification pro-
gressive de l’angoisse dépressive précise R. D. Hinshelwood (1989).
Pour que le développement de l’enfant suive cette trajectoire favorable une
condition s’impose. Il doit surmonter les angoisses dépressives en présence :
Mélanie Klein 175
crainte que la mère aimée ait été tuée ou détruite. S’il ne le peut, « cela l’oblige
à une régression à la position schizoparanoïde, et renforce les premières craintes
de persécution et les premiers mécanismes schizoïdes ». Ces mécanismes sont les
défenses paranoïdes, maniaques, obsessionnelles. Ainsi, s’établit pour M. Klein
la base de diverses formes de schizophrénie et d’états dépressifs pour la vie ulté-
rieure.
À partir d’une clinique d’adultes et d’enfants, elle refuse une ligne de partage
tranchée entre ces deux positions. Tout au contraire, elle insiste dans cet article
de 1946 sur les « fluctuations » entre les deux, tant dans le registre « normal »
que psychopathologique. « L’éveil » de la position dépressive est « graduel ».
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4. Concepts fondamentaux
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Bien au-delà de la filière des psychanalystes post-kleiniens, le succès des posi-
tions schizoparanoïde et dépressive est immense dans deux directions complé-
mentaires : d’une part, la compréhension métapsychologique des conflits de
séparation, de perte, du deuil dans les variations psychologiques du devenir
humain ; d’autre part, dans une perspective psychothérapeutique, en psycho-
pathologie psychanalytique des autismes, des psychoses, des états limites et des
états dépressifs du bébé, de l’enfant (Bégoin, Guignard-Bégoin, 1995), de l’ado-
lescent, de l’adulte et du sujet âgé.
La modernité de M. Klein s’enracine dans sa défense d’une relation d’objet
partiel du nouveau-né et de sa réalité psychique archaïque, une option en har-
monie avec les recherches cliniques récentes. Elle a réussi à mettre en perspective
ces conflits inconscients internes de la réalité psychique avec les « expériences
extérieures » de la réalité matérielle que, contrairement aux critiques de certains
détracteurs, elle n’ignore pas.
Pour approfondir
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Arnoux D. (1997). Mélanie Klein, Paris, PUF.
Bégoin J., Guignard-Bégoin F. (1995), « Psychoses et névroses dans l’œuvre de Mélanie
Klein », in Lebovici S., Diatkine R., Soulé M. (dir.) (1995), Nouveau traité de psychiatrie de
l’enfant et de l’adolescent, Paris, PUF, t. II, chap. 59, 973-993.
Freud A. (1927). « Introduction à la psychanalyse de l’enfant » in Le traitement psychana-
lytique des enfants, Paris, PUF, 1951.
Hinshelwood R.D. (1989). Dictionnaire de la pensée kleinienne, Paris, PUF, 2000.
Klein M. (1932). La Psychanalyse des enfants, Paris, PUF, 1959.
Klein M. (1947). Essais de Psychanalyse (1921-1945), Paris, Payot, 1982.
Klein M. et coll. (1952). Développements de la psychanalyse, PUF, 1980.
Klein M. (1968). Envie et gratitude et autres essais, Paris, Gallimard.
Missonnier S. (2009). Devenir parent, naître humain. La diagonale du virtuel, Paris, PUF.
Petot J.-M. (1979). Mélanie Klein. Premières découvertes et premier système 1919-1932,
Paris, Dunod.
Petot J.-M. (1979). Mélanie Klein. Le moi et le bon objet 1932-1960, Paris, Dunod.
Segal H. (1964). Introduction à l’œuvre de Mélanie Klein, Paris, PUF, 1969.
Segal H. (1979). Mélanie Klein : développement d’une pensée, Paris, PUF, 1982.
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RENÉ A. SPITZ,
« Maladies de carence affective
chez le nourrisson » (1965),
« Les effets de la perte de l’objet :
considérations psychologiques »
(1965), in De la naissance
à la parole, Paris, PUF, 1979,
chap. XIV et XV, 206-2251
« J’ai indiqué dans le chapitre XII que c’est un facteur quantitatif qui est
principalement responsable des maladies de carence affective alors que pour
les maladies psychotoxiques, il s’agit d’un facteur qualitatif […]. La dépres-
sion anaclitique et l’hospitalisme démontrent qu’une déficience grossière dans
les relations objectales conduit à l’arrêt du développement dans tous les sec-
teurs de la personnalité […]. Ainsi la neutralisation peut être ajoutée à la
liste des mécanismes de défense ; le principe de réalité en tant que fonction de
détour et moyen d’adaptation en serait le précurseur. »
1. Présentation de l’auteur
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René Arpad Spitz est un psychiatre-psychanalyste né à Vienne en 1887 et mort à
Denver (Colorado) en 1974. Il fait ses études de médecine à Budapest, Lausanne
et Berlin. Ses travaux en psychologie infantile débutent à Vienne, dans le service
de psychologie expérimentale de Charlotte Bühler. Rapidement, il se pose en
précurseur des recherches en psychologie psychanalytique de la petite enfance
en procédant à des études et des observations directes de nourrissons et de
jeunes enfants de 0 à 2 ans, hospitalisés dans diverses institutions. En 1919, sur
les conseils de S. Ferenczi, il entreprend une analyse didactique avec S. Freud.
En 1938, fuyant la montée du nazisme, il émigre aux États-Unis. Dès lors, sa
vie professionnelle se déroule principalement outre-Atlantique, d’abord comme
professeur de psychiatrie à la Graduate Faculty College de New York (1956), puis
à l’université de Denver (1957), où il termine sa carrière et sa vie.
Dans l’avant-propos de De la naissance à la parole (1965), ouvrage de synthèse
d’un travail de trente ans d’où sont extraits les deux chapitres présentés, R. Spitz
explique qu’il a mené son étude « en appliquant la méthode de l’observation
directe au travail de (son) maître Sigmund Freud ». Il précise ainsi lui-même le
caractère intégratif de sa démarche, à la croisée des chemins entre la psychologie
expérimentale et la psychanalyse. Dans cette perspective son premier ouvrage
traduit en français, Le Non et le Oui (1957) traite de la genèse de la communica-
tion humaine.
R. Spitz est d’insister sur le fait que ce n’est pas tant la personnalité des mères que
leur absence physique réelle – et la privation de soins et d’échanges associée –
qui est à l’origine de la carence affective et des tableaux dépressifs spécifiques
qui en sont le corollaire. La sévérité de la symptomatologie est ainsi tributaire
d’un facteur quantitatif : les préjudices subis par l’enfant sont proportionnels à la
durée de l’absence. C’est cette durée qui permet de distinguer les carences affec-
tives partielles susceptibles de provoquer une dépression anaclitique et les carences
affectives totales à l’origine des états d’hospitalisme. La description fine de ces
deux tableaux cliniques, qui se distinguent notamment par leur degré de sévé-
rité, constitue le cœur de ces chapitres.
Le premier tableau, celui de la dépression anaclitique, concerne les enfants qui
ont connu une séparation d’environ trois mois entre le sixième et le huitième mois
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après une première période de présence maternelle. Ces enfants présentent des
symptômes similaires : comportement pleurnicheur, retrait, pleurs à l’approche
de l’adulte, insomnies, désorganisation somatique, rigidité de l’expression,
regard vague, immobilité, refus du contact ou au contraire attachement déses-
péré à l’adulte. Cette forme particulière de dépression est d’autant plus intense
que la relation avec la mère a été de bonne qualité. Sans quoi l’enfant s’appuie
plus facilement sur les substituts maternels qui le prennent en charge : il est
plus difficile, nous dit l’auteur, de remplacer un objet d’amour satisfaisant qu’un
objet insatisfaisant. En cas de retour de la mère dans les cinq mois, une améliora-
tion, voire une rémission peut se produire, même si la question des traces laissées
dans la psyché se pose.
Mais le dépassement du seuil des cinq mois entraîne l’enfant vers une dégrada-
tion inéluctable et définitive, indépendamment de la qualité de la relation mère-
enfant qui a précédé. L’enfant est alors en état de carence affective totale, et glisse
vers un tableau d’hospitalisme. Ce second tableau est dramatique : aggravation
du retrait, désorganisation somatique, léthargie, visage vide d’expression, défaut
de coordination oculaire, mouvements bizarres des doigts, quotient de dévelop-
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pement qui continue de chuter malgré la réunion avec la mère, etc. Le taux de
mortalité augmente de manière spectaculaire au cours des deux premières années.
Les recherches de R. Spitz mettent en évidence que l’institution ne parvient pas à
suppléer la présence maternelle du fait du nombre excessif d’enfants à la charge
d’une seule personne. Si les besoins physiologiques sont assurés, il n’en est pas de
même des besoins affectifs. En étudiant l’arrêt du développement dû à la priva-
tion de relations objectales, R. Spitz met en évidence leur fonction capitale pour
le nourrisson.
R. Spitz ne se limite pas à une description clinique symptomatique mais
s’intéresse également aux processus qui sous-tendent les troubles. Les aspects
plus théoriques qui viennent compléter le propos visent d’une part à saisir la
182 45 commentaires de textes fondamentaux en psychopathologie…
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sadique alors que chez l’enfant les précurseurs du surmoi ne peuvent encore être
discernés.
R. Spitz tente de dégager un modèle dynamique du processus à l’origine de la
dépression anaclitique et de l’hospitalisme. Dans une perspective freudienne, il
s’appuie sur la théorie développée dans les Trois essais (1905) suivant laquelle le
choix d’objet est d’abord un choix par étayage. La pulsion sexuelle, qui s’étaye
sur la pulsion d’autoconservation, se déploie donc anaclitiquement ; la perte de
l’objet anaclitique donne lieu à cette forme spécifique de dépression.
Pour saisir les particularités du travail pulsionnel dans la dépression anaclitique
et l’hospitalisme, l’auteur part d’une constatation clinique : les enfants carencés
ne présentent plus de manifestations agressives (frapper, mordre, mâcher, etc.)
mais seulement des manifestations auto-agressives. Il en déduit que la compo-
sante pulsionnelle agressive est désintriquée et retournée par l’enfant contre lui-
même, du fait de l’absence d’objet libidinal. Dans ce cas, les pulsions agressives
et libidinales, qui, une fois atteint le stade de l’ambivalence, devraient se mani-
fester envers un même objet, sont privées de leur but. Le sort de la pulsion
agressive est alors de se retourner « contre le seul objet qui lui reste » : sa propre
personne (p. 220). La désintrication de la pulsion libidinale entraîne quant à
elle l’arrêt de tous les auto-érotismes. L’enfant régresse au stade du narcissisme
primaire, il ne peut plus, après un temps, prendre son corps comme objet des
pulsions libidinales.
R. Spitz articule également le tableau clinique en question à des modèles
issus de l’Ego-Psychology, notamment à la notion de neutralisation élaborée par
H. Hartmann. Ce dernier décrit un moi autonome, dont le rôle est de neutraliser les
pulsions sexuelles et agressives et de renforcer les mécanismes de défense mis en
œuvre par le moi défensif, moi conflictuel qui lutte contre les pulsions libidinales.
La neutralisation permet d’éviter la désintrication en venant pallier ses effets.
Cependant cette neutralisation ne peut s’opérer que lorsque l’enfant a atteint
René A. Spitz 183
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3. Devenir et prolongements du texte
Les travaux de R. Spitz ont eu un impact historique : ils ont amorcé la recherche
militante concernant les facteurs de carence et leurs effets sur le fonctionnement
psychique de l’enfant. Une importance est dès lors accordée non plus seulement
à l’hygiénisme et aux aspects matériels dans la puériculture, mais aussi et surtout
aux aspects affectifs d’un point de vue à la fois qualitatif et quantitatif. Cette
nouvelle approche émerge dans le contexte de la seconde guerre mondiale qui
généra son lot d’expériences traumatiques.
Quelques figures pionnières se détachent, parmi lesquelles : A. Freud et
D. Burlingham (1942, 1943), J. Bowlby (1954), M. Ainsworth (1961) et D.W.
Winnicott (1969) en Angleterre ; J. Aubry (1955), M. David et G. Appell (1964), S.
Lebovici et M. Soulé (1970) en France. Pour l’essentiel ces travaux sont résumés
par Mille et Henniaux (2007).
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domicile telle qu’elle se pratique dans les groupes dits « Esther Bick », ou bien
de l’observation telle qu’elle peut s’exercer et se développer dans certaines insti-
tutions d’enfants.
Les enjeux du texte de Spitz sont multiples et la réflexion peut se prolonger sui-
vant plusieurs axes.
D’un point de vue théorique, l’ouvrage amène à saisir, du fait qu’il se situe à
la croisée entre la psychanalyse freudienne et l’Ego-Psychology, les enjeux liés à
ces deux modèles, dont le second, bien qu’issu de la psychanalyse, se démarque
considérablement. Pour approfondir, nous renvoyons le lecteur aux travaux de
H. Hartmann (1968). Une discussion critique du courant dit de la psychanalyse
génétique a été effectuée par E. et J. Kestemberg (1966). Les liens et les diffé-
rences avec les théories de l’attachement peuvent quant à eux être appréhen-
dés à partir des textes fondamentaux de J. Bowlby (1978) ou bien à l’aide de
l’ouvrage pédagogique de N. et A. Guédeney (2006). En insistant sur l’impact du
trauma réel (ici la séparation réelle avec la mère), R. Spitz active le débat sur le
rôle de l’environnement dans la symptomatologie et nous renvoie notamment
à la lecture des travaux de Winnicott dont Spitz fut presque exactement contem-
porain. D’un point de vue technique voire thérapeutique, il actualise la réflexion
autour de la valeur psychanalytique de l’observation directe, question discutée
sur le plan épistémologique, par A. Green (1979).
Outre les pistes de réflexion qui viennent d’être énoncées, nous retiendrons de
ce texte qu’il interroge les mécanismes en jeu dans le traitement de la perte d’objet
à un âge précoce, c’est-à-dire lorsque le moi n’est pas encore constitué. Comment
René A. Spitz 185
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organise des défenses contre l’effondrement de l’organisation du moi, et c’est
l’organisation du moi qui est menacée » (2000, p. 207).
Dans la lignée des travaux de Winnicott les travaux contemporains sur les
traumatismes primaires et la symbolisation se sont attachés à étudier les effets
de ces pertes précoces (Roussillon, 2008). D’un point de vue thérapeutique, c’est
notamment à travers les actes et les manifestations corporelles que les traces
des traumas pourront être appréhendées. M. Little (1966) écrivait déjà : « Plus
l’angoisse est primitive, et plus l’acting peut, en dernière analyse, être considéré
comme une forme primitive de souvenir de l’environnement précoce, souvenir
exact et précis jusque dans ses moindres détails. »
Pour approfondir
Bowlby J. (1978). Attachement et perte, t. I, II, III, Paris, PUF.
David M., Appell G. (1964). « Étude des facteurs de carence affective dans une poupon-
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Winnicott D.W. (non daté). « La crainte de l’effondrement », in La Crainte de l’effondre-
ment et Autres Situations cliniques, Paris, Gallimard, 2000, 205-217.
19
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MARGARET MAHLER,
« On child psychosis and schizo-
phrenia : autistic and symbiotic
infantile psychoses », The Psycho-
analytic Study of the child, 1952, VII,
286-305, « La théorie symbiotique
de la psychose infantile » (chap. 2,
p. 41-70), « Notes diagnostiques »
(chap. 3, p. 71-84), in Psychose
infantile, Paris, Payot, coll. « Petite
Bibliothèque », 19731
1. Par Alberto Konichekis.
188 45 commentaires de textes fondamentaux en psychopathologie…
« Ainsi donc […] la perception des soins du « bon » objet partiel comme
satisfaisant de façon “fiable” une faim interne croissante (tension de besoin)
ouvre la voie, chez le petit de l’homme, à l’état socio-biologique de symbiose
avec la mère. Dans la psychose infantile, cette phase de l’évolution extra-
utérine que constitue la relation symbiotique est soit gravement perturbée, soit
manquante ; c’est là à mon avis, le trouble qui constitue le noyau de la psy-
chose de l’enfant aussi bien que de l’adolescent ou de l’adulte […] En général,
cependant, elle dérive d’une théorie génétique des relations objectales, ou plu-
tôt devrait-on dire des “relations préobjectales”. »
1. Présentation de l’auteur
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Margaret Mahler (1897-1985) est née dans une famille juive de Sopron, une
ville qui, à l’époque, appartenait à l’Empire austro-hongrois. Elle termine ses
études secondaires à Budapest. Elle y rencontre Sandor Férenczi et commence
à s’intéresser aux travaux de Freud et à la psychanalyse. Après ses études médi-
cales en Allemagne, elle s’installe, d’abord, comme pédiatre et, ensuite, comme
psychiatre à Vienne. Elle y fait la connaissance d’Anna Freud qui l’encourage à
suivre la formation de l’Institut de psychanalyse de Vienne. Elle y sera admise en
1933 après son analyse avec H. Deutsch.
Avec la montée du nazisme, en 1938, M. Mahler quitte Vienne. Après quelques
mois à Londres, elle s’installe aux États-Unis et recommence son activité de psy-
chiatre à New York. Elle apprend alors le décès de son père et la déportation de sa
mère à Auschwitz d’où elle ne reviendra pas. Elle commence une nouvelle ana-
lyse avec E. Jacobson. Cette rencontre a une grande importance pour les travaux
de M. Mahler. Dès 1948, M. Mahler s’intéresse en particulier aux pathologies
graves des enfants. Après avoir travaillé sur les tics (Mahler, 1949), elle publie
une étude clinique sur des cas de schizophrénie (Mahler, Ross, Defries, 1949).
Cette étude inaugure la série de recherches qui aboutit à ses principaux apports
sur la psychose de l’enfant (Mahler, 1952).
En 1957, en collaboration avec M. Furer, F. Pine et A. Bergman, M. Mahler
fonde le Master Children Center, à New York. Dans un premier temps, y sont
accueillis des enfants présentant des symptômes psychotiques accompagnés
de leurs mères. Dans un deuxième temps, des enfants qui ne présentent pas
de pathologie avérée et leurs mères y sont aussi accueillis. Les observations et
recherches réalisées dans le Master Children Center comportent l’essentiel du
matériel présenté et élaboré dans l’important ouvrage : La naissance psycholo-
Margaret Mahler 189
gique de l’être humain (Mahler, Pine, Bergman, 1975). Elle est décédée à New
York le 2 octobre 1985.
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cliniciens de la périnatalité qui ont effectué des observations fines et rigou-
reuses des bébés. À l’autisme normal succède la phase que M. Mahler appelle
de symbiose normale, où l’enfant commence à avoir une vague conscience de
l’existence d’un objet extérieur à lui. M. Mahler émet l’hypothèse que, dans
certaines conditions, la séparation au cours de la symbiose primitive risque
de déclencher chez l’enfant un retrait psychotique de la réalité. Elle s’est alors
attachée à différencier le syndrome de psychose symbiotique de l’autisme infan-
tile précoce (Kanner, 1944).
Dans les premières phases du développement, l’enfant se sent indifférencié
par rapport à l’objet maternel. M. Mahler s’interroge sur la façon dont il par-
vient à éprouver un sentiment personnel d’identité. Pour en rendre compte, elle
envisage le processus de séparation-individuation. Dans un premier temps, l’inves-
tissement de l’enfant se déplace de son monde interne vers le monde extérieur et
reste en relation avec des perceptions liées à la mère. Si dans cette extension de
l’espace initial l’enfant éprouve un plaisir subjectivement acceptable, il s’éloigne
peu à peu de la sphère symbiotique.
D’après M. Mahler, les représentations du self n’y sont pas encore tout à fait
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d’un principe ou agent maternant, sorte de « bon » objet capable d’apaiser les
besoins internes. Pour diminuer les tensions, le nouveau-né possède des capa-
cités somatiques limitées. La mère les complète en lui procurant des soins
indispensables pour sa survie. Dans la première période de la vie extra-utérine,
le nouveau-né ne différencie pas son self des objets qui lui procurent un apai-
sement des tensions. Le passage de la phase autistique à la phase symbiotique
suppose l’investissement du principe maternant. M. Mahler envisage cette
matrice de relation comme un état sociobiologique de symbiose. Sur le plan
psychique, cette unité, métaphore de la réalité biologique, apporte à l’enfant
la sensation de former un système tout puissant, d’unité duelle, à l’intérieur
d’une frontière commune.
La psychose infantile suppose des difficultés majeures dans le processus d’indi-
viduation. Le sentiment de posséder une identité individuelle est médiatisé par
les sensations corporelles. Dans un premier temps, les perceptions proximales,
comme notamment celles du contact cutané ainsi que des sensations thermiques
et kinesthésiques de la situation du nourrissage contribuent à la formation
d’un schéma corporel (Schilder, 1968), différencié des objets extérieurs. Dans
un temps ultérieur, les perceptions auditives et visuelles, plus distales, viennent
compléter la perception des processus internes rattachés au contact et à la nour-
riture. Ensemble, les impressions distales et proximales forment le noyau d’un
Je. Les impressions proximales jouent un rôle important dans la découverte du
self, alors que celles distales contribuent à la découverte de l’objet.
La vie psychique du nourrisson s’achemine à travers les sensations bonnes-
agréables ou mauvaises-désagréables. Elles forment des îlots mnésiques senso-
riels où le self et le non-self ne sont pas tout à fait différenciés. Les tendances
à l’éjection alternent avec celles d’engloutissement. Le sentiment d’identité
s’établit par un processus de va-et-vient entre les investissements et les contre-
investissements, centripètes et centrifuges, de ces sensations. En l’absence
Margaret Mahler 191
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atteints par des traumatismes externes ou internes lors des premières phases
autistiques ou symbiotiques. Ils peuvent apparaître aussi chez des bébés, ayant
bénéficié d’agents maternants de qualité, mais hypersensibles et vulnérables.
Pour approfondir ses propositions, M. Mahler étudie des enfants souffrant de
dépressions anaclitiques, des nourrissons mis en institution et des enfants ayant
grandi dans des camps de concentration, lesquels ont tous été séparés de leurs
mères. Elle étudie alors les possibilités rencontrées par ces enfants de trouver, à
un moment ou à un autre, un objet symbiotique qui laisse des traces mnésiques
d’attente confiante et leur permet d’intégrer les soins de type maternel dispo-
nibles dans l’environnement. M. Mahler révèle que des enfants présentant des
symptômes autistiques ou psychotiques n’ont pas subi des séparations réelles
prolongées avec leurs mères. Elle parvient à la conclusion que la perte réelle de
l’objet maternel n’est pas un facteur étiologique du symptôme autistique ou
psychotique.
À propos d’enfants au syndrome psychotique, M. Mahler ne se réfère pas aux
mécanismes de défense, trop liés selon elle à des problématiques névrotiques.
Elle envisage plutôt ce qu’elle appelle des mécanismes de maintien, car ce dont
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il s’agit pour ces enfants c’est de se sentir maintenus en vie. À des dosages et
combinaisons différents, elle en décèle principalement deux : celui de la perte de
la dimension animée et celui de la fusion/défusion. Pour le premier, M. Mahler
cite Winnicott (1953), lorsqu’il considère qu’une substitution trop rigide des
objets transitionnels aux relations humaines présage de perturbations sévères.
M. Mahler remarque également que dans les pathologies psychotiques la perte
de la dimension animée des relations humaines s’accompagne souvent d’une
animation exacerbée de l’environnement inanimé. Pour le deuxième des méca-
nismes de maintien, celui de fusion/défusion, M. Mahler se réfère au processus
de régression. Elle remet en question l’idée répandue chez certains psychana-
lystes d’après laquelle les pathologies psychotiques comportent des régressions
192 45 commentaires de textes fondamentaux en psychopathologie…
à des phases précédentes, normales, du développement. Elle estime que les for-
mations autistiques et psychotiques elles-mêmes distordent sérieusement les
processus originaux. L’enfant produit un remaniement des représentations de
la mère et de son self dans le but de créer le sentiment d’une unité duelle toute
puissante. Si régression il y a, elle est au service d’un mouvement de nature psy-
chotique, où l’enfant s’attend à ce que l’objet maternel se présente comme une
extension auxiliaire, non individualisée, de sa propre personne. Cette formation
régressive, d’allure psychotique, ne correspond à aucune phase précédente du
développement. Le chapitre se termine par la présentation de fragments de cures
qui illustrent les processus exposés dans les pages précédentes.
Dans le texte suivant intitulé « Notes diagnostiques » M. Mahler cherche à
différencier le syndrome de l’« autisme infantile » décrit par Kanner (1944) du
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syndrome symbiotique qu’elle a décrit précédemment. Le syndrome autistique
se caractérise principalement par le fait que l’enfant ne perçoit pas sa mère
comme représentant du monde extérieur. Il retire massivement l’investissement
des perceptions à distance. Il fait comme s’il n’entendait ni ne voyait rien. Il
lutte contre toute demande et contact relationnels. Par leurs signes et gestes, ils
intiment les adultes de leur servir d’extension mécanique, comme s’ils étaient
des interrupteurs électriques. L’enfant présentant un syndrome autistique, se
montre intolérable à tout changement dans son environnement. Il se contente
de lui-même et demande qu’on le laisse seul. Il semble avoir réussi à construire
et à maintenir une barrière qui le protège de toute irritation extérieure. Loin
d’être auto-érotique, cette barrière s’avère être plutôt autodestructrice et muti-
lante.
M. Mahler s’interroge de savoir à quel moment et dans quelles conditions s’ins-
taure une telle hallucination massive et négative à l’égard de la mère. Sans pro-
poser une réponse définitive, elle constate que, bébés, les enfants qui présentent
ultérieurement des symptômes autistiques, se montrent totalement insensibles
à leur environnement. Ils ne parviennent pas à l’utiliser dans ses fonctions de
moi auxiliaire. Ils ne semblent pas non plus différencier leur self des autres ni les
objets animés des objets inanimés.
M. Mahler suppose chez l’enfant au syndrome de psychose symbiotique
une grande vulnérabilité face aux frustrations. Il a tendance à développer des
attitudes extrêmes en réaction au moindre échec. Contrairement à l’enfant
au syndrome autistique, il montre des débuts de différenciation en termes de
séparation-individuation. Il a une certaine représentation de la mère, même si,
fantasmatiquement, elle est fusionnée à son self et donc pas tout à fait séparée
de lui. Chaque séparation risque d’augmenter chez lui la menace d’une perte
d’une sensation de toute puissance rassurante. Il présente alors des manifesta-
tions de panique et d’angoisses profondes.
Margaret Mahler 193
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poursuivis par la mise en place de modalités thérapeutiques qui utilisent la
réalité matérielle afin de permettre à l’enfant de vivre les phases du développe-
ment dans lesquelles il aurait rencontré des difficultés. Le thérapeute consent
à devenir un moi auxiliaire aux fonctions déficientes chez l’enfant. M. Mahler
appelle cette technique d’expérience symbiotique correctrice. Elle propose égale-
ment des psychothérapies tripartites, avec la participation et l’accompagne-
ment des mères.
Les travaux sur la psychose symbiotique ont été également poursuivis par la
mise en place d’un programme spécifique d’observation d’enfants d’un à trois ans
avec leurs mères (Mahler, Pine, Bergman, 1975) où M. Mahler a cherché à déceler
comment, contrairement aux enfants présentant des symptômes de symbiose
psychotique, des enfants tout-venants parviennent à éprouver un sentiment
d’identité personnelle. M. Mahler précise davantage le processus de séparation-
individuation en approfondissant l’étude de quatre sous-phases : différenciation,
essais, rapprochement et consolidation de l’individualité. Aussi, elle explore de nou-
velles facettes de ces sous-phases, comme les provisions libidinales, les diffé-
rences entre séparation et individuation, l’importance des jeux symboliques et
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4. Enjeux scientifiques
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psychotiques de celui des bébés. Elles les éclairent mutuellement. À ce propos,
on gagnerait à se référer à la symbiose plus comme à un fantasme que comme à
une phase inéluctable du développement. Enfin, ses considérations sur la réalité
somatopsychique dans la constitution du sentiment d’identité s’avèrent parti-
culièrement bénéfiques pour l’abord des psychopathologies addictives tel qu’on
les rencontre dans la clinique actuelle.
Ajoutons que son concept de psychose symbiotique fut retenu, même si dis-
cuté, par les auteurs français dans leurs synthèses successives sur les psychoses
infantiles (Misès et Moniot, 1970 ; Diatkine, 1995) et qu’il figure toujours dans
la CFTMEA. On trouvera à ce sujet une étude de la place des apports mahlériens
dans le remarquable Histoire de l’autisme de J. Hochmann (2009).
Pour approfondir
Cramer B. (1995). « Les psychoses infantiles et les étapes du développement de la sépa-
ration et de l’individuation chez Margaret Mahler », in Lebovici S., Diatkine R. et Soulé M.
Nouveau Traité de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, Paris, PUF, Ch. 62, 1011-1037.
Diatkine R., (1995). « Les psychoses infantiles, en dehors de l’autisme infantile précoce »,
in Lebovici S., Diatkine R. et Soulé M., Nouveau Traité de psychiatrie de l’enfant et de
l’adolescent, Paris, PUF, Ch. 75, 1297-1313.
Hochmann J. (2009). Histoire de l’autisme, Paris, Odile Jacob.
Kannner L. (1944). « Early Infantile Autism », J. Pediat., 25, 211-217.
Mahler M. (1949). « A Psychoanalytic Evaluation of Tic in Psychopathology of Children :
Symptomatic Tic and Tic Syndrome », Psychoanalytic Study of the Child, n° 3-4, 279-310.
Mahler M. (1968). On Human Symbiosis and the Vicissitudes of Individuation, New York,
International Universities Press, trad. fr., Psychose Infantile, Paris, Payot, 1973.
Margaret Mahler 195
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20
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DONALD WOODS
WINNICOTT,
« La tendance antisociale » (1956),
in De la pédiatrie à la psychanalyse,
Paris, Payot, 1969, 145-1581
1. Résumé du texte
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L’exploration de la tendance antisociale est au cœur de cet article, articulée avec
l’intérêt pour la cure psychanalytique de l’enfant. Si les difficultés thérapeutiques
sont connues depuis le travail d’Aichhorn (1925) auprès de jeunes délinquants,
Winnicott insiste sur le caractère normal de ces tendances antisociales dans la
croissance psychique de l’enfant. Il se réfère d’abord à son premier patient, un
enfant délinquant suivi en dispensaire. Après que l’enfant a mis à mal l’équilibre
institutionnel (et celui de l’auteur, mordu aux fesses), celui-ci a été placé en foyer
éducatif ; Winnicott prend position en faveur d’une prise en charge des sujets
souffrant de psychopathie par la société, dans une institution spécialisée davan-
tage que dans le contexte d’une cure psychanalytique. Dans le second exemple,
le fils d’une amie, il prodigue, comme Freud le fit avec le petit Hans, des conseils
aux parents en indiquant une des hypothèses centrales de cet article : ce n’est
pas l’objet du vol que l’enfant convoite, mais quelque chose auquel il a droit,
un amour qu’il a connu puis dont il s’est senti privé. Il conclut cet exemple par
l’idée selon laquelle quand nous aidons les parents à aider leur enfant, en fait
nous les aidons à propos d’eux-mêmes et de ce qu’ils ont connu, ici les propres
tendances antisociales de la mère pendant son adolescence.
La tendance antisociale est transnosographique et ne peut donner lieu à un
diagnostic. Le complexe de déprivation provoque une carence affective chez
l’enfant. Le patient cherche inconsciemment à obliger quelqu’un à le prendre
en charge, poussant le thérapeute à se montrer tolérant et compréhensif dans
un cadre aménagé. Ce lien est également caractérisé par le maintien d’un espoir,
celui que l’environnement répondra de façon suffisamment bonne à sa souf-
france. L’environnement doit prendre en compte cet espoir, le devancer et s’y
ajuster.
S’appuyant sur les travaux de J. Bowlby, l’auteur articule la tendance anti-
sociale à la déprivation affective à la fin de la première année et au cours de la
deuxième année. La déprivation n’est pas simplement une privation, elle porte
Donald Woods Winnicott 199
sur quelque chose de bon connu par l’enfant dans le lien avec ses parents et
dont il a été privé. Ce qui lui a été retiré a duré trop longtemps pour que l’enfant
puisse en garder le souvenir vivant, créant une situation traumatique sur le coup
et dans la durée. La perte d’espoir dans le lien est assimilée à la mort de l’objet
interne, remettant en cause l’introjection de l’objet.
Deux aspects cliniques fondamentaux résultent de la tendance antisociale : le
penchant à détruire et le vol. L’enfant en quête d’un environnement perdu tente
de trouver un cadre contenant en provoquant les réactions de son environne-
ment. Par déplacement successif, l’enfant passe des bras de sa mère aux relations
familiales puis à ses proches et enfin à la société et à ses lois.
Winnicott associe la tendance antisociale à la désunion potentielle des pul-
sions libidinales et agressives. La déprivation primitive intervient au moment
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où l’enfant est sur le point de lier les pulsions libidinales et agressives/motrices.
Cette désintrication pulsionnelle laisse apparaître la compulsion à détruire, le
vol, les heurts, l’incontinence, ou encore le mensonge et les souillures, autant
de symptômes qui partagent leur caractère « incommode ». Par ce type de symp-
tômes, la tendance antisociale représente une tentative d’auto-guérison par la
provocation, largement inconsciente, d’une réaction. Celle-ci peut permettre à
l’enfant de retrouver l’intrication des traits agressifs avec les pulsions libidinales
perdues ou clivées. Par exemple, un nourrisson au sein urine sur les genoux de sa
mère, puis dans son sommeil ; dans le rêve associé à l’incontinence, la tendance
antisociale prend la forme du fantasme d’uriner sur le corps de la mère. Ce n’est
que si la situation est prononcée, exagérée, que ce type de symptômes relève de
la tendance antisociale.
Dans ses liens précoces avec la tendance antisociale, la gloutonnerie appar-
tient au complexe de déprivation : elle est une quête compulsive d’une théra-
pie par l’environnement ; l’enfant cherche à se guérir de sa mère qui a causé la
déprivation. La gloutonnerie constitue le précurseur du vol et une mère capable
de répondre aux besoins du moi de l’enfant répare la déprivation dont elle est à
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2. Concepts fondamentaux
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• La tendance antisociale et le complexe de déprivation s’insèrent dans les
enjeux de construction du moi de l’enfant et de son sevrage. Au moment
où l’enfant lie la haine et l’amour, la perte de l’objet suffisamment bon
menace son intériorisation. L’environnement primaire (les bras de la mère)
puis ses extensions successives sont sollicitées par les conduites agressives
de l’enfant qui a conservé l’espoir d’une réponse réparatrice de l’objet,
passant par la reliaison de la haine à l’amour, l’accès à l’ambivalence par
l’union des pulsions.
• L’environnement thérapeutique, pour les enfants déprivés, passe par l’exten-
sion des retrouvailles avec les bras de la mère jusqu’à l’objet trouvé dans le
champ social, un éducateur et l’équipe qui l’accompagne notamment.
3. Prolongements et filiations
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4. Questions et enjeux scientifiques
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vaillant avec les enfants évacués, et à partir de ses consultations familiales,
Winnicott considère qu’il est décisif que le nouvel environnement dans lequel
évolue l’enfant ou l’adolescent tolère la haine provoquée par l’enfant carencé,
qui en réalité est en train de montrer son espoir inconscient. Après un certain
temps, l’enfant adopté commence à espérer et à tester l’environnement qu’il
a trouvé. Il cherche la preuve que son tuteur a la capacité de le haïr objective-
ment. Il semble qu’il ne puisse croire qu’il est aimé qu’après avoir senti qu’il
a été haï. Winnicott (1947) replace ce processus dans le contexte inconscient
des attentes déçues de l’enfant en remontant aux origines de la relation mère-
bébé : comme la mère hait le bébé avant que le bébé haïsse sa mère, et avant que
le bébé ne puisse savoir que sa mère le hait, l’adolescent recherche d’abord à
vérifier la haine de son environnement avant que de pouvoir l’investir comme
un objet suffisamment bon, c’est-à-dire à même de tolérer et transformer sa
destructivité.
La finalité du comportement délinquant est de trouver une cohérence du
cadre familial que celui-ci ne peut lui procurer ; lorsque le cadre de sa vie est
brisé, s’il conserve un espoir, il cherche un cadre ailleurs, au dehors, auprès de
l’entourage familial ou de l’école. Il cherche une stabilité externe sans laquelle il
deviendrait fou. Il cherche la stabilité dont il a besoin pour dépasser les premiers
stades essentiels de son développement affectif. L’activité antisociale précède la
délinquance, qui signe que le message d’espoir n’a pas été entendu par l’envi-
ronnement.
L’utilisation de la violence comme moyen de continuer à se sentir réel indique
le risque encouru lorsque l’appel de détresse n’a pas été entendu ni la déprivation
reprise et réparée. L’enfant ou l’adolescent peut alors être envahi par une excita-
tion déliée, soit coûteuse en termes d’énergie pour la contrer – inhibition, repli,
dépersonnalisation –, soit amenant à une régression plus franche à travers le
passage à l’acte.
Donald Woods Winnicott 203
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traiter les problèmes de délinquance, phase indispensable pour favoriser l’iden-
tification et la possibilité d’une psychothérapie ultérieure, une fois les enjeux de
la destructivité suffisamment intégrés pour que l’intérêt pour la vie psychique
ne soit pas vécu comme une menace dans le contexte d’une relation duelle.
C’est la limite contenante constituée par l’environnement qui va être thérapeu-
tique, et non seulement la relation avec la figure paternelle de référence. Cela
indique l’importance de l’organisation de cet environnement et des outils qui
permettent de le penser comme une enveloppe psychique trouée, à la fois par les
vicissitudes de la vie infantile et comme une source de protection qui se substi-
tue à la défaillance du pare-excitation, propre au vécu carentiel.
Le sujet cherche à revivre le moment de souffrance consécutif à la déprivation
avec quelqu’un qui lui servira de thérapeute, même s’il ne se situe pas dans une
psychothérapie. Au sein d’une psychothérapie, l’acting-out doit être toléré avec
des patients qui ne sont pas encore en mesure de symboliser ; le besoin d’agir est
le seul moyen de revivre ce qui a besoin d’être revécu. Si l’acting-out est surpre-
nant pour l’analyste comme pour le patient, il doit être suivi d’une verbalisation
du peu que l’analyste a compris. Et ce n’est pas tant trouver que chercher et se
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poser une question qui est à l’origine d’une prise de conscience. Cependant cette
recherche et cette découverte doivent avoir lieu à l’intérieur d’une relation suffi-
samment bonne, à même d’engendrer une réflexion (Winnicott, 1971).
Dans une telle perspective, Winnicott confirme ce qu’Aichhorn avait mon-
tré : pour les enfants asociaux, la pédagogie passant par l’apprentissage de la
morale et de la contrainte n’a aucune vertu éducative ou curative. A contrario,
la punition et la force ne mènent qu’à la soumission et à une existence en faux-
self. Ce propos s’articule avec celui de Freud pour lequel la punition est recher-
chée inconsciemment pour satisfaire le masochisme et atténuer le sentiment
de culpabilité d’origine inconsciente que le délit vient seulement représenter, à
la surface de l’appareil psychique, par le comportement et la conscience de ce
204 45 commentaires de textes fondamentaux en psychopathologie…
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Pour approfondir
Abraham J. (1996). Le Langage de Winnicott, Paris, É Éditions Popesco, 2001.
Aichhorn A. (1925). Jeunes en souffrances, Lecques, Éditions Champ Social, 2000.
Houssier F. (2008). « Transgression et recours à l’acte à l’adolescence : une forme agie
d’appel à l’objet », in Annales médico-psychologiques, 166, 9, 2008, 711-716.
Ribas D. (2000). Donald Woods Winnicott, Paris, PUF.
Roussillon R. (1999). Agonie, clivage et symbolisation, Paris, PUF.
Roussillon R. (2008). Le Jeu et l’Entre-je(u), Paris, PUF.
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Gallimard, 2000.
21
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AN NA FREUD,
« Évaluation du développement
normal durant l’enfance »
(chap. III, p. 42-85), « Évaluation
du pathologique (I) Considérations
générales » (chap. IV, P. 86-118),
in Le Normal et le Pathologique
chez l’enfant, 1965, Paris,
Gallimard, 19681
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de l’enfant, à savoir en un tableau qui comprend les données dynamiques,
génétiques, économiques, structurales et adaptatives […] Il y a des processus
destructeurs à l’œuvre (d’origine organique, toxique ou psychique, connue ou
inconnue) qui ont réalisé ou sont sur le point de réaliser une rupture du déve-
loppement mental. »
1. Présentation de l’auteur
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approfondir l’un de ces aménagements, la régression, qui est aussi un processus
de développement, dans son ouvrage Le Normal et le Pathologique chez l’enfant,
paru en 1965. Elle y développe les notions de « ligne de développement » et de
« dysharmonie » contributions majeures pour une perspective préventive, diag-
nostique, pronostique et thérapeutique.
s’ils s’en tiennent à des descriptions des comportements de l’enfant. Pour abor-
der la dynamique sous-jacente, l’analyste devra considérer les lignes de développe-
ment, concept fondamental qui définit les différentes combinaisons et séquences
du développement sur deux axes, et toujours en interaction avec l’entourage :
l’axe libidinal et de celui de l’agressivité ;
l’axe des fonctions du moi, dans différents domaines de la personnalité.
Elle donne un exemple prototypique « de l’état de dépendance à l’autono-
mie affective et aux relations d’objet de type adulte », pour lequel elle établit un
schéma séquentiel évolutif. Cette démarche séquentielle est appliquée aux lignes
de développement qui concernent l’indépendance corporelle – alimentation,
208 45 commentaires de textes fondamentaux en psychopathologie…
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conditions, les dysharmonies modérées constituent des profils intra-individuels et
rendent également compte des différences interindividuelles qui composent les
variantes de la normalité.
Elle conclura ce chapitre en examinant le concept de régression sous l’angle
inhabituel de la normalité : elle distingue la croissance innée qui est exclusive du
développement somatique, tandis qu’au plan mental il existe des forces opposées
qui tendent à la régression et à la fixation. À cet égard, les points de fixation sont
rapportés à des expériences traumatiques par excès ou par défaut, gratifications
ou frustrations excessives. Si les points de fixation du développement pulsionnel
ont été bien étudiés par la psychanalyse, il n’en va pas de même pour le déve-
loppement du système moi-surmoi. A. Freud va apporter des éléments inédits
concernant les régressions qui touchent le moi, car elle considère qu’elles sont
régies par des principes différents. C’est dans ce domaine que progrès et reculs,
essais et erreurs, participent au développement normal et participent à l’activité
défensive sous forme de déni, refoulement, ou formations réactionnelles.
A. Freud ajoute alors une nouvelle dimension à l’hétérogénéité des lignes de
développement, la variabilité des régressions et fixations propres à chaque enfant.
Les interactions complexes entre progressions et régressions, à l’instar de celles
qui régissent les lignes de développement, viennent démultiplier les variantes de
la normale. Ces régressions peuvent devenir permanentes et prennent alors un
caractère pathogène, ce qui fait l’objet du chapitre suivant.
Le chapitre IV intitulé « Évaluation du pathologique (I). Considérations géné-
rales » peut être divisé en deux parties : la première constate l’inadéquation de l’éva-
luation descriptive et oppose à la terminologie « statique » qui l’accompagne, une
« terminologie en termes de développement ». Cette démarche comparative ques-
tionne également les indicateurs de gravité des troubles chez l’enfant. La seconde
partie propose différents modes d’évaluation de la pathologie infantile : en fonction
du développement, en fonction du type d’angoisse et de conflit, en fonction de
Anna Freud 209
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développement lui-même, et non pas l’altération inévitable et ponctuelle d’une
des lignes du développement. Les psychanalystes d’enfant doivent s’en tenir à la
position occupée par l’enfant dans une échelle de développement qui embrasse
le point de vue pulsionnel et dynamique, celui de la différenciation moi/surmoi,
et les modes de fonctionnement de l’appareil psychique au niveau économique,
des processus primaires aux processus secondaires, et du principe de plaisir au
principe de réalité.
troubles névrotiques ;
la seconde voit à l’inverse le développement pulsionnel prendre le dessus
sur le développement du moi qui demeure immature. A. Freud emploie le
terme de manifestations borderline.
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pour A. Freud, non seulement la gravité des troubles, mais surtout les modalités
du traitement en termes de durée et d’intensité.
À la suite de son père, mais avec une originalité qui lui est propre, A. Freud a tenté
de construire une genèse des processus de développement, selon une méthode à
la fois dogmatique pour poser les éléments basaux de la conception, et génétique
pour proposer les hypothèses permettant de saisir les lignes de développement
Anna Freud 211
chez l’enfant. Ce point de vue génétique en psychanalyse a été revisité par des
auteurs contemporains comme B. Brusset (1997) et A. Green (2000). Les travaux
d’A Freud seront une référence pour le mouvement de « la psychologie du moi »
constitué dans les années cinquante aux États-Unis par H. Hartmann, E. Kris
et R.M. Lowenstein. Après la Seconde Guerre mondiale, des analystes comme
S. Lebovici, R. Diatkine, J.-L. Lang, M. Soulé, et R. Misès ont été largement inspirés
par ce point de vue génétique de la métapsychologie, tout en s’en démarquant
pour s’inscrire dans une « perspective historico-structurale et génétique » (Ledoux,
1984). L’observation psychanalytique participante est issue en partie de ses tra-
vaux, approfondis par D.W. Winnicott et E. Bick. Les apports d’Anna Freud ont
ainsi inspiré les débuts de la psychiatrie de l’enfant et ont modifié les prises en
charges institutionnelles à la faveur de l’éclairage psychanalytique. Les réunions
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« de synthèse » en institution et les comptes rendus d’évaluation psychologique
sont encore très imprégnés de cette vision plurimodale, globale, et complexe, à
l’instar du développement psychique. Enfin, on peut supposer que les catégories
nosographiques dites « troubles du développement » sont largement inspirées
– à leur corps défendant – par cette construction diachronique et métapsycho-
logique, sans en avoir intégré les subtilités et la profondeur. Il reste à souhaiter
prospérité et longévité au Anna Freud Center de Londres, et nous renvoyons le
lecteur à la contribution de sa directrice actuelle, Viviane Green (2003).
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sation perverse ou délinquante de cette intelligence dysharmonique. De notre
point de vue, ces éléments critiques prennent tout leur sens avec la clinique des
enfants à haut potentiel : la clinique descriptive, qui fait état d’une immaturité
affective de l’enfant intellectuellement précoce opposée à une hypermaturité
intellectuelle, n’aborde pas la question de l’articulation entre dynamique pul-
sionnelle, organisation psychique défensive et investissements identificatoires
et libidinaux (Weismann-Arcache, 2009).
L’hétérogénéité des lignes de développement conceptualisée par A. Freud fait
partie, selon Green (2000), des modèles développementaux les plus féconds de
la psychanalyse. Le lecteur d’Anna Freud appréciera dès lors le caractère précur-
seur et nuancé de son cheminement vers une nosographie psychanalytique de
l’enfant.
Pour approfondir
Brusset B. (1997). Le Développement libidinal de l’enfant, Paris, PUF.
Freud A. (1926). Le Traitement psychanalytique des enfants, Paris, PUF, 1951.
Freud A. (1936). Le Moi et les Mécanismes de défense, Paris, PUF, 1967.
Freud A. (1965). Le Normal et le Pathologique, Paris, Gallimard, 1968.
Freud A. (1976). L’Enfant dans la psychanalyse, Paris, Gallimard.
Freud A. (1978). Dans l’intérêt de l’enfant. Vers un nouveau statut de l’enfance, en collabo-
ration avec J. Goldstein et A. J. Solnit, Paris, ESF.
Green A. (2000). Le Temps éclaté, Paris, Les Éditions de Minuit.
Green V. (2003). « Objet de transfert, objet de développement dans la cure psychanaly-
tique de l’enfant », in Sacco F., Schmid-Kitsikis E. (dir.), Psychanalyse de l’enfant et crois-
sance psychique, Paris, Éditions In Press, 11-30.
Anna Freud 213
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Speranza M. Ouss L. (2010) « La psychologie du développement et les théories psycha-
nalytiques du développement : problème de l’inférence et de la cohérence épistémolo-
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Yorke C. (1997). Anna Freud, Paris, PUF.
22
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RENÉ DIATKINE,
« Du normal et du pathologique
dans l’évolution mentale
de l’enfant (ou des limites
de la psychiatrie infantile) »,
La Psychiatrie de l’enfant,
1967, vol. X, 1, 1-421
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1. Présentation de l’auteur
Centre Alfred-Binet intitulé Autour de l’œuvre de René Diatkine. Les enjeux de la psy-
chanalyse d’enfants (2001).
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cinquante-soixante au travail de défrichage de la nosographie pédopsychiatrique
(étude des névroses obsessionnelles et phobiques, des psychoses infantiles et de
l’autisme, des troubles instrumentaux) (Kamel, 2011).
Au milieu des années soixante il s’agit de faire une halte pour « s’interroger
sur le choix des interventions du pédopsychiatre et de son équipe » et définir les
rapports entre le normal et le pathologique, l’offre de soins étant nécessairement
limitée par rapport à la demande. S’il s’agit de définir les limites de la psychiatrie
infantile, il s’agit également de fonder théoriquement la position des psychiatres
psychanalystes français à une époque où, d’un côté l’antipsychiatrie remettait
totalement en cause la notion de psychopathologie, alors que de l’autre côté
la psychiatrie à orientation psychanalytique venait tout juste de s’émanciper
de l’approche psychiatrique (médicale) classique (néo-kraepelinienne), et ce, en
particulier grâce au travail d’H. Ey qui avait fait dialoguer psychiatres et psycha-
nalystes de toutes obédiences.
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ses propres conceptions théoriques les groupes de sujets qu’il considère comme
pathologiques, avec le risque d’une normativité conformiste s’il ne s’appuie pas
sur une théorie scientifique cohérente.
La psychiatrie de l’enfant eut du mal à trouver sa voie propre et son origi-
nalité, prise entre la psychiatrie de l’adulte et la pédiatrie. Comme les modèles
anatomo-cliniques et constitutionnels n’étaient justifiés ni par impossibilité de
vérification anatomique ni par une analyse sérieuse de la sémiologie, de l’évo-
lution et des facteurs étiologiques incriminés, certains, pour mettre de l’ordre
dans une clinique incertaine et mouvante où tout était devenir, tentèrent alors
des recherches en secteur portant sur des activités particulières comme le lan-
gage ou la psychomotricité. Il faut lire, au moment où la psychopathologie est
submergée par le règne du « spécifique », les lignes magistrales que Diatkine
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consacre alors aux troubles instrumentaux. D’une part ni le langage, ni l’activité
psychomotrice, ne sont des activités élémentaires indépendantes des relations,
des identifications, des inter-investissements pulsionnels et donc du fonction-
nement mental global qui obéit au principe de plaisir/déplaisir. D’autre part
l’étude des difficultés de rééducation des troubles instrumentaux montre qu’il
s’agit souvent plus de blocages ou d’inhibitions de fonctions complexes que de
déficits maturatifs primaires à combler. Le trouble instrumental apparaît alors
comme un mode d’expression momentané d’une structure globale et il ne peut
être considéré comme autonome.
La psychanalyse va donner une orientation nouvelle à la psychiatrie de l’enfant
en montrant que les symptômes ont du sens (compromis entre le désir et la
défense) sans pour autant résoudre facilement la question du normal et du patho-
logique dans la mesure où les découvertes concernant la pathogénie des névroses
et des psychoses éclairent également le fonctionnement psychique général. La
grande leçon Freudienne sera de montrer que l’homme « normal » ne se différen-
cie pas facilement du névrosé ou du psychotique puisqu’ils traversent les mêmes
conflits, angoisses et problématiques mais les résolvent autrement, la différence
étant davantage quantitative (économique) que qualitative (dynamique).
Le constat selon lequel la névrose de transfert de l’adulte recouvre une névrose
infantile universelle (le Petit Hans) éclaira de façon nouvelle une série de faits
qu’une description empirique ne parvenait pas à classer ni à expliquer. Mais si les
symptômes névrotiques et psychotiques de l’enfant ont du sens par rapport aux
conflits internes inhérents à l’évolution de la sexualité infantile, conflits eux-
mêmes modulés par les contre attitudes parentales, ceux-ci ne sont pas l’apanage
d’un groupe d’enfants perturbés ou traumatisés. Comment, dès lors, reconnaître
les symptômes de bon aloi, comme des phobies, des rituels, des inhibitions,
constitutifs de la névrose infantile, et les différencier d’une névrose de l’enfant
plus grave ou risquant de déboucher à l’âge adulte sur une névrose grave ? Leur
René Diatkine 219
intensité, dépendante des réactions des parents, n’est pas un critère discrimi-
nant, certains enfants pouvant les garder secrets, alors que leur absence peut
signer une défaillance grave dans le développement, éventuellement masquée
par une hyper-adaptation conformiste à l’environnement. L’auteur cite alors les
positions de M. Klein et A. Freud qui, l’une par sa centration sur la dualité innée
des pulsions organisatrices des positions psychotiques précoces, l’autre par sa
centration sur le développement et l’opposition entre mouvements progressifs
et régressifs, recèlent selon Diatkine, leurs propres limitations, ce qui lui permet
d’avancer des propositions personnelles.
La seconde partie commence par une série de précisions capitales. « L’examen en
psychiatrie infantile doit répondre à deux ordres de questions, les premières por-
tant sur l’état actuel de l’enfant et l’appréciation des tensions internes et externes
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dont il est l’objet, les secondes concernant les prévisions de l’évolution ultérieure »
(p. 20). Un examen comporte donc toujours une partie diagnostique « actuelle » et
une partie pronostique visant à « imaginer comment l’enfant dont on vient d’étu-
dier la structure, pourra affronter les obligations nouvelles qui se présenteront
nécessairement, aussi bien du fait de l’évolution de ses conflits internalisés, que
des exigences sociales de toute nature. C’est donc finalement la capacité d’organi-
ser de nouvelles opérations, ou au contraire la mise en œuvre de processus inhibi-
teurs, tendant à restreindre l’activité mentale du sujet, qui devront être appréciées.
Les symptômes au fur et à mesure de leur apparition ou de leur effacement, ne
prennent leur sens qu’en fonction de ces processus » (p. 21).
Pour rendre concrètes ces propositions, il est nécessaire de se doter d’une théo-
rie de l’évolution de l’enfant qui tienne compte de la continuité et de l’hétérogé-
néité structurale des différents stades de celle-ci. Cette théorie du développement
psychique et de ses aléas psychopathologiques, tout en empruntant tant à
S. Freud qu’à M. Klein et au courant dit de la psychanalyse génétique (A. Freud,
R. Spitz), revêt une incontestable originalité et elle sera progressivement déve-
loppée dans La Psychanalyse précoce (1972) puis dans le chapitre « Introduction
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le désir de connaître au-delà du monde sensible et visible, soit l’épistémophilie.
Des avatars de l’organisation de ces différents processus dépendent les prin-
cipales formes psychopathologiques précoces : autisme par défaut d’investisse-
ment objectal, psychoses infantiles par impossibilité de rééquilibrage autre que
selon les processus primaires, prépsychoses, dysharmonies évolutives. Ces évo-
lutions pathologiques peuvent être compensées, voire récupérées, par l’inves-
tissement parental ou se « névrotiser » ou encore évoluer vers des organisations
dites de caractère où les investissements narcissiques prédominent sur les inves-
tissements objectaux. Dans les bons cas l’enfant peut déplacer ses investisse-
ments primitifs et « cette mobilité d’investissements, jouant surtout à travers
le langage, lui procurera une certaine liberté dans l’organisation de fantasmes
dont la fonction sera à la fois la protection contre les frustrations et en même
temps la possibilité de trouver du plaisir dans l’attente et dans l’appétition du
plaisir. Le plaisir de désirer devient chez l’enfant à l’apogée du complexe d’Œdipe
le meilleur signe d’évolution non psychotique, il permet de renoncer aux pre-
miers buts libidinaux sans trop de dommage et de fantasmer l’avenir avec suf-
fisamment de plaisir pour que la situation soit momentanément équilibrée »
(p. 30) (cf. Chagnon, 1999).
Mais une telle évolution, aussi satisfaisante soit-elle, n’est pas indemne de
symptômes provoqués par les inévitables contradictions inhérentes aux iden-
tifications œdipiennes. Il faut donc s’interroger sur l’effet du symptôme sur
l’organisation générale du psychisme de l’enfant. Dans les cas où les symptômes
n’entraînent qu’une gêne minime dans l’activité du sujet il convient d’évaluer la
mobilité des investissements, la capacité à trouver du plaisir dans le fonctionne-
ment des opérations mentales conditionnant l’équilibre entre investissements
objectaux et narcissiques, la possibilité de s’attacher à des tâches nouvelles, de
transférer sur des personnages substitutifs les désirs œdipiens, le goût pour les
histoires (fantaisies, lectures), l’intensité du désir de connaître, de comprendre,
René Diatkine 221
l’appétence pour l’abstraction. En bref il s’agit d’évaluer l’équilibre entre les pro-
cessus primaires et les processus secondaires. Une mention particulière est apportée
à la distinction – difficile – entre sublimations et formations réactionnelles, ces
dernières ne permettant pas aux investissements de se libérer des conflits.
Quand l’organisation mentale de l’enfant entraîne une restriction de son acti-
vité, les symptômes ne permettent pas de compromis favorables à l’autonomie
mais rendent dépendants des parents. Il faut alors apprécier le caractère irré-
versible de la structure (impliquant les réactions parentales) qui s’organise, ce
qui ne permettra pas au sujet, en particulier à l’adolescence, d’affronter sans
réorganisation pathologique les exigences internes (modifications des pulsions
et des instances) et externes (sociales). L’examen à la période de latence et/ou
à la préadolescence doit apprécier l’infiltration des fantasmes prégénitaux des-
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tructeurs qui donnent à la génitalité un caractère angoissant et empêchent les
identifications post-œdipiennes de se stabiliser et les processus de latence de
s’installer ; l’ensemble de ce système ouvert ou fermé étant in fine mis à l’épreuve
de l’adolescence et l’entrée dans l’âge adulte.
La troisième partie synthétise la conception de l’auteur.
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psychiatrie de l’enfant (psychothérapie analytique, pédagogiques, rééducations)
ont dès lors un point commun : elles visent à provoquer du nouveau et à mobili-
ser le moi de l’enfant pour de nouvelles élaborations secondaires. Ne pas donner
la réplique inconsciemment attendue et habituellement donnée par les parents
ou les enseignants permet de ne pas enfermer l’enfant dans son cercle vicieux
habituel, de lui procurer de nouvelles identifications et de lui faire découvrir de
nouveaux plaisirs de fonctionnement là où il ne vit que des expériences pénibles
l’immobilisant dans des positions figées. Il s’agit d’empêcher l’installation de ces
mesures restrictives qui limitent les investissements objectaux et le plaisir de dési-
rer et éliminent tout ce qui n’est pas défense contre l’angoisse ou la dépression.
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normativité (Canguilhem, 1966) désignant la capacité à faire preuve de créati-
vité et à développer de nouvelles formes de fonctionnement et d’adaptation en
fonction des exigences internes et externes.
Pour approfondir
Autour de l’œuvre de René Diatkine « Les enjeux de la psychanalyse de l’enfant », Les
Textes du Centre Alfred Binet, n° 30, Éd. In Press.
Chagnon J.-Y. (1999). « À propos d’un apport original de René Diatkine : le plaisir de dési-
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psychanalyse, n° 1-1954, 108-155.
Diatkine R., Simon J. (1972). La Psychanalyse précoce, Paris, PUF.
Diatkine R. (1995). « Introduction à la théorie psychanalytique de la psychopathologie de
l’enfant et de l’adolescent », in Nouveau Traité de Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent,
t. II, chap. 63, 1039-1087.
Kamel F. (2011). « Psychanalyse et nosographie de l’enfant », in Bouhsira J., Danon-
Boileau L. (dir.), Nosographie psychanalytique, Paris, PUF, Monographies et débats de
psychanalyse.
La « normalité », Revue française de psychanalyse, n° 3-1972.
Mc Dougall J. (1978). Plaidoyer pour une certaine anormalité, Paris, Gallimard.
Quartier-Frings F. (1997). René Diatkine, Paris, PUF.
Vermorel M., Schmid-Kitsikis E. (dir.) (2001). René Diatkine. Psychanalyste de l’enfant,
Lausanne, Delachaux et Niestlé.
23
SERGE LEBOVICI
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ET DENISE
BRAUNSCHWEIG,
« À propos de la névrose infantile »,
La Psychiatrie de l’enfant, 1967,
vol. X, 1, 43-1221
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dents ; à ce point de vue on pourrait dire que seule la reconstruction psycha-
nalytique à travers la névrose de transfert remet en valeur la continuité de la
pathologie de l’enfant et de l’adulte. »
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Ce texte témoigne de la fécondité d’une période de l’histoire de la psychopatho-
logie de l’enfant et de l’adolescent en France à partir des années cinquante : les
avancées dans le champ de la psychanalyse fécondent la psychiatrie de l’enfant,
et inversement. Dans l’article, le recouvrement entre les notions de névrose
infantile et de névrose de l’enfant reflète ce mouvement de réunion des deux
disciplines.
Le concept de névrose infantile sera décondensé plus tardivement par
S. Lebovici. Il trouvera une forme aboutie dans le rapport présenté en 1979 lors
du XXXIXe congrès des psychanalystes de langue française, consacré à « L’expé-
rience du psychanalyste chez l’enfant et chez l’adulte devant le modèle de la
névrose infantile et de la névrose de transfert » (RFP, 1980). S. Lebovici y effectue
une distinction nette entre la névrose infantile d’un part, relevant des conflits
organisateurs du développement et la névrose de l’enfant d’autre part, correspon-
dant à la réalité d’un tableau clinique pathologique. Quant à la névrose de trans-
fert, elle est la répétition de la névrose infantile lors d’une cure analytique, aussi
bien chez les enfants que chez les adultes. S. Lebovici poursuivra cette élabora-
tion dans des publications ultérieures.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
Rappelons que le présent article est rédigé dans les suites des controverses
anglo-saxonnes relatives aux techniques psychanalytiques utilisées dans le
traitement des enfants, qui opposent l’école d’Anna Freud à celle de Mélanie
Klein. Les auteurs s’y réfèrent, sans pour autant entrer dans le débat. Ils éla-
borent leurs propres conceptions du traitement psychanalytique des enfants. Ils
se désolidarisent de l’« anna-freudisme » qui propose une approche trop pure-
ment développementale, sans pour autant minimiser l’influence du milieu. Ils
postulent par ailleurs l’existence de véritables névroses chez l’enfant et jugent
l’enfant capable de transfert sur la personne de l’analyste, contrairement à
M. Klein. La volonté d’articuler données psychanalytiques et données neuro-
biologiques du développement est retrouvée chez S. Lebovici dès 1961 dans son
228 45 commentaires de textes fondamentaux en psychopathologie…
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des auteurs : confronter le modèle psychanalytique de la névrose, tel qu’il a été
conceptualisé par Freud à travers ses cures d’adultes, aux données de la psychia-
trie infantile, afin de donner à la névrose de l’enfant un statut conceptuel singu-
lier. Pour cela, ils s’appuient sur un matériel clinique foisonnant et proposent un
catalogue très complet de la symptomatologie névrotique telle qu’elle apparaît
dans leur pratique.
À partir de ce texte, les différents écrits cliniques de S. Lebovici et de ses colla-
borateurs portant sur l’obsession, l’hystérie ou les phobies scolaires, seront tou-
jours sous-tendus par une nette démarcation entre la névrose constituée d’une
part et les symptômes névrotiques passagers d’autre part, inscrits dans le déve-
loppement normal de l’enfant. L’ensemble des formulations sur la névrose infan-
tile participe d’un mouvement de recherche très actif, engagé dès 1962, visant
à établir une classification nosographique pertinente chez l’enfant. Les travaux
relatifs aux évaluations diagnostiques et pronostiques des diverses entités cli-
niques donneront lieu à des propositions de classifications soumises à l’OMS
en 1967. Elles seront pour la plupart acceptées, contribuant en cela à l’essor
considérable de la psychiatrie de l’enfant en France. Ces travaux préfigurent la
création en 1985 de la classification française des troubles mentaux (CFTMEA),
mêlant approche psychanalytique et démarche psychiatrique.
3. Résumé du texte
Les auteurs livrent dans ce texte une étude de la notion de névrose infantile,
entendue ici comme synonyme de la névrose de l’enfant. En guise d’introduc-
tion, ils rappellent les conceptions freudiennes de la névrose de l’adulte et de
l’enfant, dans le prolongement desquelles ils s’inscrivent fermement. Le texte se
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traumatiques. Celles-ci apparaissent lorsque le moi est faible : dans le premier
cas le comportement constitue le seul recours au traitement de l’excitation, et
dans le second, l’angoisse apparaît de manière libre et envahissante car l’excès
pulsionnel n’a pu être traité. Chez l’enfant comme chez l’adulte, on retrouve
aussi un continuum entre fonctionnement normal et pathologique : les névro-
sés répriment au prix d’une symptomatologie coûteuse ce que les individus sains
parviennent à maîtriser. Afin d’accéder à la genèse d’une névrose infantile sur le
vif, sans passer par la reconstruction qui peut en être faite après-coup, les auteurs
reprennent de manière détaillée le récit de l’analyse du petit Hans, âgé de 5 ans,
publiée par S. Freud dans son ouvrage Cinq psychanalyses (1909). Elle rend
compte de la complexité du processus pathologique à l’œuvre dans la genèse
d’une névrose phobique infantile. Ce degré de complexité est comparable à celui
du processus névrotique adulte.
À travers le passage en revue des différentes formes cliniques empruntées par
la névrose infantile, considérée comme prototypique de la névrose de l’adulte,
les auteurs formulent plusieurs constats. Si nous retenons l’exemple des symp-
tômes obsessionnels, ils remarquent tout d’abord qu’il n’est pas aisé de les distin-
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guer des symptômes phobiques, car les formes retrouvées sont souvent hybrides,
comme dans le cas des phobies alimentaires compliquées de rituels obsession-
nels. Ils estiment important de repérer la différence entre de véritables obses-
sions et des petites manifestations obsessionnelles observées dans le cadre des
variations du développement normal. Lorsqu’un enfant fait tomber de manière
répétitive un objet par terre, objet ramassé ensuite par la mère, il s’agit d’un rite
significatif de son évolution (maîtrise de la relation à l’objet) et non pas d’une
manifestation pathologique. Il en est de même pour les rituels autour du cou-
cher, très fréquents chez les enfants de trois ans, témoins de l’organisation œdi-
pienne de la personnalité. L’enfant obtient par ce biais des bénéfices secondaires
déculpabilisés. En revanche, certains symptômes d’allure névrotique peuvent
230 45 commentaires de textes fondamentaux en psychopathologie…
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tionnelle n’a pas réussi à maintenir le refoulement ». Le symptôme correspond à
la régression du moi, au réenvahissement par la pulsion d’abord refoulée et dépla-
cée. Par exemple l’obsession de la propreté, accompagnée du lavage compulsif des
mains, est un véritable symptôme, contrairement à de simples préoccupations
autour de l’hygiène. Les obsessions peuvent aussi être retrouvées sous la forme de
traits de caractère obsessionnels chez l’enfant : perfectionnisme dans les devoirs,
méticulosité, souci de l’ordre, etc. Si ces manifestations s’installent durablement
parmi les mécanismes de défense du sujet, elles participent de la mise en place de
névroses de caractère asymptomatiques, susceptibles de se décompenser et d’être
à l’origine de névroses symptomatiques à l’âge adulte.
Au cours du texte, de nombreuses références sont faites à ce que les auteurs
nomment névroses de comportement, au sein desquelles les conflits semblent
névrotiques, mais ne s’accompagnent pas d’angoisse : l’enfant agit sans culpabi-
lité. Ils constatent que ces modes de fonctionnement peu mentalisés ne relèvent
pas toujours d’une « formule névrotique ». La pauvreté de la fantasmatisation qui
accompagne ces troubles représente un critère de mauvais pronostic. On assiste
alors à la comportementalisation de certains états névrotiques. Au contraire, la
névrotisation de troubles du comportement de type passage à l’acte, fait figure
d’évolution heureuse.
Les auteurs, qui tentent de caractériser l’organisation névrotique infantile,
posent le constat suivant : une formule névrotique identique au départ peut
conduire à des évolutions contrastées. Des comportements impulsifs par exemple,
pourront se révéler transitoires et relever d’une compulsion névrotique obses-
sionnelle, ou alors ils persisteront et seront à l’origine de troubles antisociaux.
Ces évolutions ne sont pas strictement déterminées par la structure du sujet,
précisent-ils : les réactions de l’environnement face aux troubles de l’enfant vont
jouer un rôle majeur dans l’amendement, le maintien, ou même l’aggravation
de certaines difficultés. Ceci est particulièrement vrai dans le cas des pathologies
Serge Lebovici et Denise Braunschweig 231
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de son expression clinique. Une même formule névrotique initiale peut conduire
à l’amendement spontané des symptômes, ou bien évoluer vers une névrose de
caractère ou encore constituer le préliminaire d’une névrose adulte. Déceler le
potentiel évolutif des symptômes est essentiel pour envisager les modalités théra-
peutiques les plus appropriées. Pour cela, il est important de replacer les accidents
névrotiques dans le cadre du fonctionnement familial (la névrose infantile peut
participer de son équilibre névrotique, ou alors exprimer la névrose de caractère
des parents), ainsi que dans le cadre des aléas normaux du développement.
l’enfant, à l’état d’ébauche dans cet article, sera particulièrement développée par
S. Lebovici lui-même, notamment dans son rapport présenté au Congrès des psy-
chanalystes de langue française en 1979. Ses travaux aboutiront à la définition
de la névrose infantile comme un modèle métapsychologique du fonctionne-
ment psychique (source de la névrose de transfert) et un fait de développement :
elle est issue de la réorganisation de l’histoire infantile du sujet au moment de
l’assomption de la phase phallique et de l’élaboration du conflit œdipien. Pour
Lebovici, la névrose de l’enfant s’ancre dans une névrose infantile insuffisam-
ment structurée : lorsque les contre-investissements et le refoulement échouent
dans le traitement des motions œdipiennes. Ces concepts sont devenus des préa-
lables indispensables aux travaux en psychanalyse de l’enfant.
232 45 commentaires de textes fondamentaux en psychopathologie…
S. Lebovici ira encore plus loin dans ses théorisations. Il propose un en deçà
de la névrose infantile et oriente son intérêt vers l’observation des interactions
précoces. Selon lui, la névrose infantile est constituée de toute l’histoire interac-
tive précoce du sujet, qu’elle réorganise après-coup au profit de la structuration
œdipienne. La cure analytique, par le biais de la névrose de transfert, permet
donc un accès non seulement à la névrose infantile mais aussi à son substrat
précoce. Ces nouveaux apports annoncent la direction que prendront les futurs
travaux de S. Lebovici : l’observation du nourrisson et de ses interactions avec
l’environnement. Cette perspective provoque des critiques provenant du milieu
psychanalytique. On lui reproche une orientation trop développementaliste
aux dépens de l’approche psychanalytique axée sur la temporalité psychique de
l’après-coup, reproches largement repris et argumentés aujourd’hui par B. Golse
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qui peut être considéré comme l’un de ses successeurs (Golse, 2001, 2006).
Un autre champ conceptuel se dessine dans l’article de 1967 sur la névrose
infantile : celui des pathologies limites de l’enfance, théorisées plus tard par
R. Misès (1990). S. Lebovici opère ici un regroupement de certains troubles
« non mentalisés ». Il s’agit de névroses de comportement et de troubles inter-
médiaires, ni névrotiques, ni psychotiques (désordres psychosomatiques, dés-
équilibres psychopathiques). Il pressent entre eux des similitudes : conflits
pseudo-névrotiques, absence d’anxiété, recours privilégié au comportement ou
à la somatisation. La tentative de caractérisation de ces troubles pose les jalons
de leur future réunion sous une même terminologie.
Pour approfondir
Braunschweig D., Lebovici S., Van Thiel-Godfrind J. (1969). « La psychopathie de
l’enfant », La Psychiatrie de l’enfant, XII-1, 5-106.
Coblence F. (1996). Serge Lebovici, Paris, PUF, 1997.
Freud S. (1926). Inhibition, symptôme et angoisse, Paris, PUF, 1993.
Freud S. (1909). « Analyse d’une phobie chez un petit garçon de 5 ans (le petit Hans) »,
Cinq psychanalyses, Paris, PUF, 1970.
Freud A. (1965). Le Normal et le Pathologique chez l’enfant, Paris, Gallimard, 1968.
Golse B. (2001). « Réflexions sur l’œuvre de S. Lebovici », La Psychiatrie de l’enfant, 1, 44,
5-25.
Golse B. (2006). L’Être bébé, Paris, PUF.
Lebovici S. (1961). « La genèse de la relation d’objet », La Psychiatrie de l’enfant, 1, 147-
222.
Serge Lebovici et Denise Braunschweig 233
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RENÉ DIATKINE,
« L’enfant prépsychotique »,
La Psychiatrie de l’enfant, 1969,
vol. XII, 2, 413-4461
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1. Présentation du texte dans l’œuvre de l’auteur
Ce texte, l’un des plus souvent cités de R. Diatkine, se situe dans la continuité
de celui sur le Normal et le Pathologique chez l’enfant, commenté plus haut. Il en
constitue le prolongement appliqué, au niveau du diagnostic à la question des
organisations dysharmoniques ou intermédiaires entre névroses et psychoses, et,
au niveau pronostic, à la question des risques de réorganisation psychotique.
En effet les pédopsychiatres français, dans leur effort de défrichage nosogra-
phique s’intéressent dans les années 1960 aux structures psychiques qui ne se
laissent pas facilement intégrer dans l’opposition névroses/psychoses. D’autre
part la question des manifestations prémorbides de la schizophrénie interroge
les psychiatres depuis Kraepelin : s’agit-il de la décompensation d’une maladie
déjà présente à l’état latent où d’un « coup de tonnerre dans un ciel serein » ?
Diatkine y répond de façon originale et avant-gardiste pour l’époque en se
démarquant des modèles structuralistes alors en vigueur qui ne rendaient pas
justice à la mouvance du fonctionnement psychique : « l’apparition d’un état
pathologique (névrotique ou psychotique, par exemple) n’est pas la libération
d’une structure sous-jacente, mais la réorganisation du moi sous la contrainte
des multiples contradictions déterminées par les fantasmes inconscients » (1967,
p. 8).
Il faut ajouter que si Diatkine propose jusque-là une théorisation personnelle
du développement et de ses avatars pathologiques intégrant les travaux freu-
diens, kleiniens et du courant de la psychanalyse dite « génétique » (A. Freud,
R. Spitz), on voit dans ce texte apparaître l’influence de Winnicott qui ne cessera
ensuite de s’imposer dans le paysage psychanalytique français.
René Diatkine 237
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« La capacité de diminuer le déplaisir lié à la non-réalisation immé-
diate du désir et de supporter sans dépression la remise à plus tard de
la satisfaction, est liée à deux activités mentales. La première est la
production de fantaisies (ou de jeux chez l’enfant) au cours desquelles
la représentation mentale du désir satisfait est clairement reconnue
comme produite par le sujet, mais est suffisamment investie pour consti-
tuer “la réalité psychique” et une source de plaisir, authentique bien
que secondaire. La seconde est un plaisir, ressenti par le moi à planifier
l’action et à préparer ainsi la satisfaction » (1969, p. 413).
1. Exemple de régulation en processus primaires : délirer être un super-héros aux capacités de transpor-
tation surnaturelles permet d’éviter la frustration liée à l’apprentissage progressif du permis de conduire,
mais laisse démuni le jour où il faut se rendre à son travail ou véhiculer une petite amie… Exemple de
régulation secondaire : pour un enfant, préparer deux mois avant Noël la liste de cadeaux est parfois aussi
plaisant que la réception des cadeaux eux-mêmes.
238 45 commentaires de textes fondamentaux en psychopathologie…
Une troisième voie est cependant possible, dont le « faux self » winnicottien
est une illustration. Souvent lié au déni des objets internes, caractéristique des
défenses maniaques, il témoigne de ce que certains enfants « paraissent organi-
ser des processus secondaires, répondre aux exigences du moment, sans que leur
relation d’objet soit le moins du monde transformée, sans que leurs fantasmes
inconscients perdent la moindre part de leur effet inhibiteur […] Les activités
du moi, apparemment normales ou névrotiques, mais plaquées et faiblement
investies, sont balayées par la résurgence de l’angoisse, au moment où apparaît
“l’expérience délirante primaire” » (ibid., p. 419).
Du point de vue du développement, c’est l’établissement de la relation objec-
tale, ou en d’autres termes de la position dépressive, confrontant à l’investis-
sement ambivalent et donc à l’angoisse dépressive de perte d’objet (et de la
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continuité psychique) qui constitue une étape fondamentalement douloureuse
et nécessaire pour la mise en place de la générativité psychique (capacité à orga-
niser des formes nouvelles). Cette étape a cependant été conditionnée par ce
qui précède et en particulier par la continuité de l’investissement maternel qui
a permis à l’enfant de « guérir » des angoisses d’annihilation du self décrites par
Winnicott et qui menacent de rompre la continuité psychique. C’est la perma-
nence de l’attitude maternelle réparatrice qui prépare le moi de l’enfant à se
substituer à l’objet frustrant ou défaillant, l’investissement narcissique devenant
alors le processus antidépresseur essentiel.
Quels sont les déterminismes qui prédisposent à la psychose ? Parmi les fac-
teurs étiologiques des événements précoces toujours susceptibles d’être réacti-
vés après coup, comme des discontinuités relationnelles et/ou affectives, des
ruptures, des traumatismes divers, tiennent une place importante mais c’est
la défaillance du moi à élaborer la relation d’objet naissante qui détermine le
risque d’évolution psychotique. L’adolescence, qui voit une réélaboration de la
position dépressive, est un moment critique par ses exigences de changement
sous les contraintes pulsionnelles internes (intégration de l’identité sexuée) et
sociales (nécessité de mise en œuvre des projets, la réalisation de l’idéal ne pou-
vant être remise à plus tard).
La deuxième partie traite des aspects cliniques des états prépsychotiques. Ce qui
précède a permis « de prévoir qualitativement les possibilités d’évolution psycho-
tique : ce danger existe chaque fois que l’investissement primitif des objets internalisés
n’est ni équilibré, ni tempéré par d’autres sources de plaisir, de nature secondaire,
ni par des contre-investissements névrotiques suffisamment efficaces, c’est-
à-dire chaque fois que l’élaboration par le moi de la relation objectale est défaillante
que cette insuffisance soit manifeste ou non » (p. 422). Le désir devient alors une
plaie ouverte du fait de l’impossibilité à être totalement satisfait et seule la réali-
sation hallucinatoire ou le délire permet d’échapper à la dépression et de main-
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constituent des états pré-schizophréniques. L’évolution des psychoses
infantiles s’effectue habituellement dans trois directions : l’état déficitaire
plus ou moins irréversible ; la psychose chronique plus souvent hébéphré-
nique que schizophrénique ; une organisation pseudo-névrotique peu
mobilisable et fragile vis-à-vis des décompensations.
La pseudo-« arriération affective » est souvent l’expression clinique d’une
structure psychotique aux altérations symptomatiques discrètes (inhibi-
tions, maladresses, dyspraxies). Leur comportement social est souvent sans
nuance, car ils se conforment aux désirs des parents et évitent les conflits.
Niais, ingénus, sans curiosité ils sont « l’objet idéal » de leurs parents
qui ne perçoivent pas leur bizarrerie. Ou alors, quand l’accord ne se réa-
lise pas, ils sont massivement opposants et colériques, répondant sur un
mode « agi ». Des traits de caractère très investis narcissiquement contre-
investissent les pulsions prégénitales sans évolution possible de la position
dépressive sous-jacente. Ces structures peuvent alors « casser » face aux
contraintes de l’adolescence et évoluer vers une schizophrénie délirante
ou se protéger des remaniements par le retrait d’investissement dans une
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« fausse débilité » ;
d’autres états prépsychotiques comprennent des enfants au fonctionne-
ment mental apparemment voisin des structures névrotiques ou des orga-
nisations défensives de type caractériel, mais dans certains cas l’échec des
mécanismes de défense laisse l’angoisse envahir la conscience et l’inhi-
bition dominer le tableau clinique, alors que dans d’autres cas l’angoisse
peut être absente mais le sujet se dérobe à tout intérêt réel (faux-self) d’où
l’échec de certains apprentissages faussement attribués à des insuffisances
instrumentales. Ce deuxième groupe se caractérise ainsi par le polymor-
phisme de l’activité du moi mais surtout son inefficacité. Le moi et les
mécanismes de défense échouent dans leurs tâches antidépressives ; la
240 45 commentaires de textes fondamentaux en psychopathologie…
Mais Diatkine insiste sur le fait que cette classification « ne doit pas suggé-
rer une typologie structurale » (p. 423). Le terme de prépsychose désigne une
éventualité pronostique en fonction d’une théorie « économico-dynamique »
du fonctionnement mental centrée sur l’équilibre processus primaires/processus
secondaires et non une catégorie nosologique autonome opposable à d’autres.
Parmi les processus psychotiques précoces, les défenses maniaques décrites par
M. Klein (Segal, 1967) doivent faire l’objet d’une appréciation particulière : non
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pathognomonique en elles-mêmes, elles s’opposent toutefois aux processus de
réparation et bloquent les affects dépressifs, tout en laissant intact le noyau
dépressif. Elles englobent les mécanismes défensifs les plus primitifs (déni, cli-
vage, identification projective) et aboutissent au déni de la dépendance à l’égard
des objets externes et finalement au déni de la réalité psychique interne. Comme
elles existent chez tout sujet il faut en évaluer soigneusement l’équilibre avec
les autres procédés défensifs car elles ne permettent aucune évolution du moi et
laissent inchangés l’investissement des objets internes d’où des fixations redou-
tables.
Divers exemples d’enfants phobiques ou présentant d’apparents troubles
instrumentaux anecdotiques illustrent ces états prépsychotiques. Notons parmi
ces cas la présence de la petite Carine (3 ans ½ au moment de la première consul-
tation) qui, prise en traitement, fit l’objet du livre La Psychanalyse précoce coécrit
avec Janine Simon (1972) et dont on eut par hasard des nouvelles près de trente
ans plus tard (Simon, 2001).
3. Devenir et prolongements
Diatkine (1979, 1985, 1991, 1995a, 1995b) reviendra souvent sur cette notion
de prépsychose et, au fur et à mesure de son expérience avec les psychotiques
adultes, il n’aura de cesse d’en montrer les risques évolutifs. Les troubles des
apprentissages du langage oral et écrit prennent parfois une signification péjora-
tive dans certains cas d’enfants devenus psychotiques ou borderline : la lecture
et l’écriture, et d’une façon générale les processus de symbolisation, ne sont
pas investis comme des sources de plaisir secondaire alimentant la rêverie du
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tique, cette éventualité non négligeable n’apparaissant cependant pas comme la
plus fréquente par rapport à des évolutions pseudo-névrotiques dites de carac-
tère, psychopathiques, psychosomatiques et surtout franchement borderline
(troubles de la personnalité, états limites).
Pour approfondir
Chagnon J.-Y., Durand M.-L. (2007). « La prépsychose : un concept toujours actuel en
psychopathologie de l’enfant ? », Psychologie clinique et projective, vol. 13, 123-171.
Diatkine R., Simon J. (1972). La psychanalyse précoce, Paris, PUF.
Diatkine R. (1979). « Les états limites ou les limites de la classification nosologique en
psychiatrie », Études psychothérapiques, vol. 38, n° 4-1979, 253-259.
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Diatkine R., Quartier-Frings F., Andréoli A. (1991). Psychose et changement, Paris, PUF.
Diatkine R. (1995a). « Introduction à la théorie psychanalytique de la psychopatho-
logie de l’enfant et de l’adolescent », in Nouveau Traité de psychiatrie de l’enfant et de
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l’adolescent, t. II, chap. 63, 1039-1087.
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Lang J L. (1978). Aux frontières de la psychose infantile, Paris, PUF.
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de neuropsychiatrie infantile, 1973, 21 (12), 735-744.
25
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MICHEL FA IN,
« Prélude à la vie fantasmatique »,
Revue française de psychanalyse,
XXXV, 2-3, 1971, 291-3641
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1. Présentation de l’auteur
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de la communauté psychanalytique, se trouve « aggravé » en psychosomatique
du fait de la nature du symptôme. Le fantasme, en tant que possibilité don-
née par l’appareil psychique de donner une « forme » aux excitations, pose la
question de la tolérance du corps aux excitations. Dans la clinique des troubles
somatiques, l’accrochage au factuel et le surinvestissement perceptif dominent
au détriment des productions psychiques comme les fantasmes ou les rêves.
Cependant, M. Fain se montre critique à propos de l’utilisation d’analogies
concernant le fonctionnement psychique et les régulations physiologiques. Il
se réfère ici à la définition du fantasme proposée par M. Klein et S. Isaacs, selon
laquelle l’activité fantasmatique est envisagée sur le modèle de l’expérience cor-
porelle : le psychisme de l’enfant introjecte les qualités de l’objet-sein, comme
l’enfant incorpore le lait. Par conséquent, il propose de situer sa contribution à
la compréhension de la vie fantasmatique à partir de l’analyse de la place dévo-
lue à l’instinct de mort et de la répartition économique des forces en jeu dans le
fonctionnement psychique. L’instinct de mort vise à réduire au niveau zéro les
excitations et s’oppose de ce fait à la pulsion et au sexuel, qui visent toujours la
recherche de l’excitation. Cette conception lui permet de mener la discussion en
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l’impossibilité dans laquelle se trouve le bébé de se constituer un système pare-
excitation autonome. Dans cette situation, le maintien du sommeil n’est pos-
sible que par le recours à un bercement actif, qui, en tant que forme spécifique
d’excitation, a une vertu calmante et non satisfaisante. Le retour au calme ne
peut se trouver que par l’épuisement des excitations, ce qui signe l’intervention
de l’instinct de mort et s’oppose à la réalisation hallucinatoire du désir. Sur ce
point, M. Fain s’appuie sur les réflexions d’A. Green, pour lequel l’action spéci-
fique de la pulsion de mort ne se manifeste pas seulement à travers des mani-
festations agressives et destructrices, mais œuvre essentiellement de manière
silencieuse, sur le mode du négatif. L’échec de la mise en forme de l’excitation,
du fait d’une médiation insuffisante de la mère, et qui se traduit cliniquement
par une tendance à agir plutôt qu’à se représenter, résulterait d’un réinvestis-
sement primitif de la sensorialité en vue de contre-investir le défaut de consti-
tution d’un pare-excitation. L’échec de ce mode de défense confronte le sujet à
des impressions sensorielles brutes issues de ce que M. Fain désigne comme une
« réalité primaire », qui se caractérise par une brutale invasion d’excitations et
représente une menace traumatique de débordement par les excitations.
Afin de comprendre les aléas de la constitution de la vie fantasmatique, M. Fain
pose l’hypothèse d’un système de fétichisation primaire, permettant de dénier les
« effets désintégrants de l’absence » de l’objet. Le fétichisme primaire désigne un
mécanisme primitif de déni face à l’afflux indifférencié de stimulations condui-
sant à une prématurité du moi. Ce mode de défense qui contribue à protéger la
topique psychique de la menace traumatique, à partir de l’élaboration prématurée
d’un pare-excitation autonome, constitue en réalité une impasse par rapport au
travail de symbolisation. Les « solutions fétichiques », résultant de l’incapacité
à lier l’excitation par les auto-érotismes, aboutissent au développement de sys-
tèmes s’édifiant aux dépens de la représentation et privilégiant la motricité.
Michel Fain 247
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tème génital primaire », du fait de l’obstacle introduit par le désir sexuel de la
mère pour le père. Cette description proposée par M. Fain situe les conditions
nécessaires au déploiement de la fonction représentative, rendue possible à la
faveur de l’endormissement et du sommeil de l’enfant, alors que l’investisse-
ment continu de l’enfant par la mère empêche le refoulement primaire et le
développement des auto-érotismes. De la censure de l’amante découle le pro-
cessus d’hystérie primaire qui constitue les bases de la représentation du manque
et ouvre la voie au tiers. La forme symbolique du « vagin-plein » est « le repré-
sentant, d’une part du plaisir total du couple, d’autre part du désinvestissement
maximal de l’enfant. Celui-ci se retrouve, zones érogènes découvertes par ce
désinvestissement, mû vers l’auto-érotisme » (p. 341). Ici encore, les vicissitudes
de la constitution des auto-érotismes sont analysées à la lumière de la clinique
psychosomatique de l’enfant à partir de l’exemple du mérycisme, qui constitue
pour M. Fain un système pare-excitant prématuré alimentant un plaisir lié à la
seule décharge des excitations et érigé pour lutter contre l’absence de l’objet.
Le système génital primaire introduit l’enfant dans une triangulation précoce
dont l’angoisse devant la figure de l’étranger serait un des témoins majeurs de
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en évidence que celui-ci peut être utilisé par la censure de l’amante, à des fins
d’atténuation des incitations pulsionnelles et de celles venues du monde exté-
rieur au titre de « mesures conservatoires de l’individu » (p. 361). Ceci lui permet
de rappeler que l’excès, comme le défaut d’excitations, provoquent des altéra-
tions de la vie psychique.
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observations cliniques des bébés insomniaques et de leur bercement continu par
la mère, conduisant à l’effacement de l’activité psychique par le biais des excita-
tions, il ouvrira la voie à l’analyse métapsychologique des procédés auto-calmants
résultant d’un processus de développement prématuré du moi.
Par ailleurs, les conceptions sur la mise en forme de l’excitation par le système
sommeil-rêve, qui contribue à la régulation des excitations venues du corps phy-
siologique, seront approfondies à la lumière du processus de somatisation dans
des réflexions portant sur les voies de passage entre corps malade et corps éro-
tique.
Les études métapsychologiques menées par M. Fain sur la vie opératoire, le sur-
investissement de la perception au détriment de la représentation, ou encore
la sensibilité au traumatisme dégagées à partir de la clinique psychosomatique,
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D’autres auteurs (Dejours, 1989 ; Press, 1999 ; Rosé, 1997) insistent égale-
ment sur le mode de « satisfaction » spécifique réalisé par le recours aux percep-
tions résultant du défaut de constitution du masochisme primaire érogène, en
tant qu’il conditionne le développement de l’activité psychique. Ces réflexions
reprennent à la lumière de la clinique contemporaine, la question du destin des
perceptions dans l’appareil psychique, déjà amorcé par les travaux de Ferenczi sur
le traumatisme et ses hypothèses concernant l’élaboration de modes de défense
précoces aboutissant à un clivage dans l’organisation psychique de l’enfant. La
confrontation, au cours du travail clinique, à des angoisses spécifiques de « non-
existence », de « vides », de zones « blanches » ou « froides », ou encore à des
« enclaves » dans la topique psychique ramène au premier plan la question de
l’irreprésentabilité et des entraves au travail de la pensée dans ses rapports avec
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le corps.
Enfin, l’identification, par M. Fain, de la vertu calmante des excitations a
contribué à enrichir de manière significative la controverse portant sur les figures
et destins de la pulsion de mort dans les configurations psychopathologiques.
Pour approfondir
Aisenstein M. (2000). Michel Fain, Paris, PUF.
Braunschweig D., Fain M. (1971). Éros et Antéros, Paris, PUF.
Braunschweig D., Fain M. (1975). La Nuit, le jour. Essai psychanalytique sur le fonctionne-
ment mental, Paris, PUF.
Dejours C., Fain M. (dir.) (1984). Corps malade, corps érotique, Paris, Masson.
Duparc F. (dir.) (1999). La Censure de l’amante et autres préludes à l’œuvre de Michel Fain,
Lausanne, Delachaux et Niestlé.
Fain M. (1981). « Vers une conception psychosomatique de l’inconscient », Revue française
de psychanalyse, XLV, 2, p. 281-292.
Fain M. (1984). Le Désir de l’interprète, Paris, Aubier-Montaigne.
Fain M. (1985). « Le statut de la représentation : représentation dans la théorie psy-
chanalytique en 1984 », Revue française de psychanalyse, XLIX, 3, p. 789-796.
Fain M. (1990). « Virilité et antihystérie. Les rouleurs de mécaniques », Revue française de
psychanalyse, XLIV, 5, p. 1283-1291.
Fain M. (1991). « Préambule à une étude métapsychologique de la vie opératoire », Revue
française de psychosomatique, 1, p. 59-79.
Fain M. (1993). « Spéculations métapsychologiques hasardeuses à partir de l’étude des
procédés auto-calmants », Revue française de psychosomatique, 4, 59-67.
Fain M., Marty P. (1964). « Perspective psychosomatique sur la fonction des fantasmes »,
Revue française de psychanalyse, XXVIII, 4, 609-622.
Michel Fain 251
Kreisler L., Fain M., Soulé M. (1974). L’Enfant et son corps, Paris, PUF.
Marty P., Fain M. (1955). « Importance du rôle de la motricité dans la relation d’objet »,
Revue française de psychanalyse, XIX, 1-2, 205-284.
Marty P., Fain M., David C., de M’Uzan M. (1968). « Le cas Dora et le point de vue psycho-
somatique », Revue française de psychanalyse, XXXII, 4, 679-714.
Numéro spécial de la Revue française de psychosomatique (2010). « Michel Fain », 37, 1.
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DONALD MELTZER,
« La psychologie des états
autistiques et de l’état mental
post-autistique » (1975),
in Explorations dans le monde
de l’autisme (1980, 2002), Payot,
chap. II, 23-511
« Nous voulons formuler dans ce chapitre les grandes lignes des découvertes
qui seront décrites ensuite en détail par chacun des psychothérapeutes […] Le
principal aspect de cette complexité réside dans la séparation que nous essayons
de faire entre l’état mental autistique proprement dit et les qualités mentales
en général qui apparaissent chez ces enfants dans le cours de leur développe-
ment et qui sont en un sens en dehors de l’autisme proprement dit – ce que nous
considérons comme les séquelles de l’autisme […] Nous suggérons que cela se
fait par la suspension de la fonction d’attention et nous avons fait quelques
suggestions sur la qualité de l’objet qui serait requise pour contrer ou prévenir
cette tendance au démantèlement. »
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1. Présentation de l’auteur
2. Présentation de l’ouvrage
Durant les années soixante, D. Meltzer reçoit pour des supervisions des collègues
thérapeutes, John Bremner, Shirley Hoxter, Doreen Weddell et Isca Wittenberg
qui ont été formés à la méthode psychanalytique de thérapie d’enfants selon les
axes développés par Mélanie Klein. Ce groupe de recherche sur l’évolution de
l’état autistique s’est réuni pendant trois ans, à un rythme bihebdomadaire.
Ces rencontres ont donné lieu à l’édition du livre qui est organisé en trois
parties : une première partie qui rassemble des aspects théoriques en relations
avec la clinique, une deuxième partie qui contient les découvertes cliniques à
partir des différents récits des quatre cas cliniques : Timmy (J. B.), John (I. W.),
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Barry (D. W.), Piffie (S. H.). Les enfants suivis le sont à des stades différents de
leur traitement, ce qui permet l’approfondissement des transformations du
transfert/contre-transfert, de ses effets sur l’évolution des patients. Une troi-
sième partie où D. Meltzer développe au cours de trois chapitres ses points de
vue, à partir des implications des découvertes cliniques sur le mutisme, les états
obsessionnels et la construction des espaces psychiques dans l’état autistique.
Dans sa présentation de l’édition française, Geneviève Haag, qui a traduit
l’ouvrage avec la collaboration de M. Haag, L. Iselin, A. Maufras du Chatellier,
G. Nagler, fait référence aux stéréotypies dites « auto-érotiques » des enfants
autistes et aux types de relations aux objets qui lui sont apparues comme la tra-
duction d’une dissociation des divers modes de la sensorialité, dissociation la
plus primitive, à distinguer des dissociations schizophréniques. Ainsi le terme
dissociation était réservé à la schizophrénie, basé sur des mécanismes de clivage
actifs où le sadisme primaire est plus actif. G. Haag salue la force clinique de la
mise au jour par D. Meltzer et ses collègues des phénomènes autistiques, dont le
démantèlement des sensorialités qui en est un des puissants agents, clivage passif
qui consiste à démonter le self, sous un mode réversible et non sadique signant
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en cause dans l’état autistique où « le présent serait comme non existant, écrasé,
entre le passé et le futur, trouvant à peine une précaire réalité psychique dans
l’organisation du souvenir » (p. 25). D. Meltzer propose de recourir à l’analyse
des facteurs économiques, structuraux, dynamiques et génétiques.
Les facteurs économiques : les cas cliniques étudiés montrent des processus
mentaux qui opèrent à toute vitesse malgré la domination de la répétition dans
le déploiement de nouvelles combinaisons et permutations sur une même confi-
guration fantasmatique. Leur hypersensibilité sensorielle donne l’impression
« d’un organisme nu exposé à tous vents » (p. 27). D. Meltzer en perçoit une des
conséquences : une remarquable et impressionnante discrimination des détails
et de leurs variations dans l’environnement. La proximité des états mentaux
de l’autre avec qui une intimité s’est liée, leur permet de développer un « souci
dépressif » pour l’autre, que D. Meltzer définit comme différent d’une identifi-
cation, il s’agit plus « d’une perméabilité primitive aux émotions des autres »
(p. 27), autre aspect de l’hypersensibilité, voire nudité psychique. Cette perméa-
bilité entraîne, de la même façon, des ressentis de « bombardement » internes
lorsque l’objet externe est indisponible. La sensualité, la relation à la surface, la
recherche du peau à peau sont reconnues comme « insatiables », hors toute tem-
poralité, elles sont davantage sources de compulsion de répétition que d’attaques
d’angoisses persécutrices. D. Meltzer rejoint ce que développera F. Tustin dans
ses conceptualisations de l’autosensualité.
Meltzer récapitule, au terme de ce paragraphe, les dispositions contribuant
aux facteurs économiques de la personnalité : « grande intelligence, sensibilité à
l’état émotionnel, disposition à ressentir massivement la souffrance dépressive,
sadisme minimal, et en conséquence persécution minimale, jalousie possessive,
ces enfants sont très sensuels dans leur amour et portés à répéter indéfiniment,
en suspendant le temps, la joie et le triomphe de la possession » (p. 28).
Donald Meltzer 257
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que de façon secondaire un clivage du moi, du self. Le démantèlement provient
d’une processualité différente, c’est un mouvement passif dans le sens où il pro-
cède d’une façon active au démontage de la consensualité, laissant « les sens
variés, spéciaux et généraux, internes et externes, s’attacher à l’objet le plus sti-
mulant de l’instant » (p. 30). C’est la suspension de l’attention qui permet aux
sens cette dispersion, produisant le « démantèlement du self en tant qu’appa-
reil mental mais d’une manière très passive, comme s’il tombait en morceaux »
(p. 31).
D. Meltzer revient sur la conception de « l’attention : comme les ficelles qui
tiennent ensemble les sens en consensualité » (p. 31). La référence au concept
« d’attention » qui est suspendue, laissant l’organisation mentale tomber pas-
sivement en morceaux, permet de comprendre l’absence d’angoisses persécu-
trices, de désespoir lié au retrait du monde, aucune violence destructrice n’étant
véhiculée contre aucun objet.
D. Meltzer reprend les aspects du démantèlement qui sont entrevus sous l’angle
de la compulsion de répétition avec ses aspects primitifs qui sont difficilement
retrouvés dans d’autres structures. Il ajoute une nouvelle définition du déman-
tèlement :
taux et ils ne peuvent être expérimentés d’aucune manière qui permette de les
intégrer dans le continuum de la mémorisation, ni de les utiliser comme base
pour l’anticipation » (p. 33).
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chez l’enfant autistique
Deux dimensions caractérisent la structure de la personnalité, elles sont, au-
delà de la division ça, moi, surmoi décrite par Freud. D. Meltzer fait référence
à une seconde division fonctionnelle : celle entre le self et les objets. Il dis-
tingue un second ordre de structuration relatif à l’organisation de l’espace de
vie, à savoir la géographie de la personnalité qui compte quatre régions spé-
cifiques : le dedans et le dehors du self, l’inté rieur et l’extérieur des objets, le
cinquième espace « le nulle part » de l’espace délirant ne concernant pas l’état
post-autistique.
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« d’utiliser le corps maternel (ou l’objet de transfert maternel) comme une exten-
sion du self pour l’accomplissement des fonctions du moi » (p. 41). La question
posée est celle de ce type de dépendance à l’omnipotence et au contrôle des
objets. Les deux processus semblent très différents, on peut les voir en action de
façons distinctes, le premier comme un type spécial de dépendance, le deuxième
comme un aspect de l’obsessionalité.
D. Meltzer rapproche la qualité de la dépendance dans l’état post-autistique
avec celle du nouveau-né, dépendant de l’objet pour les soins et pour les fonc-
tions du moi. Ce lien narcissique qui prolonge le corps de l’enfant dans celui de
l’objet, est proche de ce que Freud décrit de l’identification comme élément du
narcissisme primaire.
L’obsessionalité dépend de deux facteurs principaux en relation avec le self
et les objets : le premier est celui qui rend compte du contrôle omnipotent sur
les objets, le second est à relier aux attaques sur les liens afin de séparer les
objets pour mieux les contrôler. D. Meltzer s’avance vers la conclusion de ce cha-
pitre en revenant dans un premier temps sur des considérations qui sont celles
concernant un large champ de troubles obsessionnels où un spectre du sadisme
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Ce texte très riche qui introduit l’étude du post-autisme proprement dit à partir
de l’expérience exceptionnelle du groupe de recherche a ouvert un champ qui
reste à explorer dans ses dimensions métapsychologiques. Par ailleurs, on peut
retenir deux définitions : celles du post-autisme et celle du démantèlement des
sensorialités qui représentent des points de départ de réflexion pour la recherche
de la nature des intégrations en jeu dans le post-autisme. D. Meltzer disait de
l’état autistique qu’il est « un temps perdu pour la maturation ». Une meilleure
connaissance des mécanismes de démantèlement ne peut que soutenir les avan-
cées dans les traitements chez les très jeunes enfants et les traces persistantes
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dans les différents destins identificatoires.
Les travaux de Esther Bick (1967) et ceux de Didier Anzieu (1985) qui ont donné
naissance au concept de « peau psychique » et de « moi-peau » apporteront
d’autres perspectives de compréhension de ces niveaux primitifs de construction
du moi corporel que D. Meltzer a mis au jour dans ses recherches en y trouvant
le démantèlement des sensorialités.
L’échec de la formation de cette peau psychique primaire a apporté des éléments
de compréhension de la non-intégration du moi dans l’état autistique où l’intro-
jection est si gravement endommagée qu’il n’y a pas d’intérieur, pas d’espace
psychique interne. L’identification adhésive est réservée à la bi-dimensionnalité
et n’est pas à confondre avec les termes « fusionnel » ou « collé » qui sont du
registre des identifications projectives massives et pathologiques, que l’on trouve
dans un espace tridimensionnel comme dans la psychose symbiotique. Ainsi,
ces phénomènes autistiques pourraient être plus décelables dans les personnali-
tés ayant des noyaux autistiques, comme les personnalités as if ou en faux self,
mais aussi les états limites et les pathologies psychosomatiques. Ainsi ce texte si
riche, si peu exploité dans sa profondeur, continue d’être porteur d’un avenir
d’entrecroisements féconds avec d’autres psychopathologies comme celles des
états limites ou de la psychosomatique pour une meilleure connaissance des
processus de changement.
Notons que les idées de D. Meltzer et F. Tustin donnèrent lieu à des débats
importants en France, dont un célèbre colloque de Monaco (1985) où se retrou-
vèrent l’essentiel des psychanalystes d’enfants, les travaux de ces pionniers
Donald Meltzer 261
étant discutés et prolongés dans un débat d’une rare fécondité par P. Aulagnier,
R. Diatkine, F. Guignard, G. Haag, D. Houzel, S. Lebovici, R. Misès.
Pour approfondir
Haag G. (2006) « Clinique psychanalytique de l’autisme et formation de la contenance »,
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Lieux de l’enfance (Approche psychanalytique de l’autisme infantile), n° 3, juillet 1985.
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Meltzer D. (1967). Le Processus analytique, Payot, Paris, 1971.
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Meltzer D. (1986). Études pour une métapsychologie élargie. Applications cliniques des
idées de Wilfred R. Bion, Larmor-Plage, Éd du Hublot, 2006.
Meltzer D. (1992). Le Claustrum : Une exploration des phénomènes claustrophobiques, Éd
du Hublot, Larmor-Plage, 1999.
Suarez Labat H. (2011). Des barrières aux limites : états autistiques et processus de
changement, thèse de doctorat sous la dir. de B. Golse, Institut de psychologie, Paris-
Descartes.
27
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ROGER MISÈS,
« Révision des concepts
d’arriération et de débilité
mentale » (chap. 4, 129-167),
in Cinq Études de psychopathologie
de l’enfant, Toulouse, Privat, 19811
1. Présentation de l’auteur
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Le professeur Roger Misès a contribué à l’émergence de la pédopsychiatrie
psychanalytique dans la seconde moitié du xxe siècle. En 1952 il est nommé
à l’internat des Hôpitaux de la Seine et s’engage dans un cursus à la Société
psychanalytique de Paris. Il découvre la pédopsychiatrie avec P. Mâle, S. Lebovici
et R. Diatkine, J. de Ajuriaguerra. Il est nommé à la Fondation Vallée en 1957
et rénove cet établissement à l’abandon. Il en devient médecin-directeur en
1962, y développant la psychothérapie institutionnelle et le travail en réseau.
Il réorganise les prises en charges pluridisciplinaires et de proximité, en créant
les CMP et le premier hôpital de jour en 1960. Enfin il devient professeur
des Universités en 1972. La Fondation Vallée et l’ASM-13, avec S. Lebovici et
R. Diatkine, ont posé les fondations d’une nouvelle politique dans le champ de
la psychiatrie de l’enfant, malheureusement en perte de moyens aujourd’hui.
R. Misès est toujours très impliqué dans différentes sociétés scientifiques de
pédopsychiatrie et il continue de militer pour la défense de la psychopatho-
logie psychanalytique ; ses prises de position nuancées sur des problématiques
d’actualité (autisme, troubles spécifiques, hyperactivité, handicap) sont tou-
jours très écoutées.
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Ce texte fait partie d’un ensemble d’études cliniques et psychopathologiques
regroupées dans le livre Cinq études de psychopathologie de l’enfant. Enfin il est
important de citer, parmi les travaux de R. Misès, sa participation engagée à
l’élaboration de la CFTMEA (Classification française des troubles mentaux de
l’enfant et de l’adolescent, 1984), toujours utilisée par les cliniciens français
d’aujourd’hui.
3. Résumé du texte :
concepts fondamentaux
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morbides pour une même altération, fût-elle chromosomique ou lésionnelle, ou
de nature épileptique. Il s’agit de maintenir un écart organoclinique qui permet
une mise en perspective du dysfonctionnement cérébral et des troubles relation-
nels et de la personnalité. Cet axe synchronique est complété par un axe dia-
chronique qui envisage l’évolutivité des troubles. Cette réciprocité mène R. Misès
au concept de dysharmonie évolutive : l‘écart entre démence et arriération, termes
de l’époque, se réduit, et la causalité s’en trouve profondément modifiée : ainsi
des personnalités à la fois cicatricielles et déficitaires sont la résultante de remanie-
ments successifs, et non l’origine fixée comme on le pensait jusque-là.
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• L’examen des modes de rapport entre processus primaires et secondaires : Chez
le déficient mental, la mobilité des investissements objectaux et des pro-
cessus de liaison est entravée par la focalisation sur un objet externe non
négociable. R. Misès s’inscrit en faux contre une conception en termes de
carence : au contraire, les aspects dysharmoniques des déficiences intellec-
tuelles témoignent de distorsions et non pas de lacunes qui seraient datables
dans le développement. L’abrasion pulsionnelle et associative bloque ce
que l’on appelle aujourd’hui le processus de subjectivation, exprimé par
R. Misès comme une impossibilité à se situer comme sujet.
• La répartition classique des troubles en fonction de la gravité du déficit,
s’avère alors insuffisante pour définir les troubles : les déficiences mentales
profondes, les déficiences légères, et une troisième catégorie située entre ces
deux pôles déjà flous selon R. Misès, nécessitent d’être revisitées à la lumière
de critères structuraux et multidimensionnels. Nous voici au cœur de son
élaboration théorico-clinique et de ses avancées fondamentales concernant
les déficiences harmoniques, et surtout dysharmoniques qui font l’objet
d’un long développement.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
Misès insiste sur la signification des troubles instrumentaux dans la structure évo-
lutive du sujet. Ces positions face au désir sont conditionnées par la place attri-
buée au sujet déficient harmonique au sein de sa famille, et par la problématique
œdipienne universelle qui traverse toutes les organisations mentales. Cependant,
à mesure que le tableau devient plus harmonique, il se fige et s’appauvrit.
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le noyau déficitaire participe constamment à ces structures, sans préjuger
d’un état de base, ou des remaniements successifs articulés aux facteurs
internes et externes ;
les troubles instrumentaux sont particulièrement décalés et hétérogènes :
dysphasie, dyspraxie et dysgnosie rendent compte des modes d’investisse-
ment, de désinvestissement ou de surinvestissement des fonctions instru-
mentales, et pèsent elles-mêmes sur les relations d’objet, les réponses de
l’entourage et l’évolution de la personnalité ;
les aspects précoces des déficiences dysharmoniques varient selon que les
éléments de la série déficitaire sont au premier plan et peuvent coexister
avec des éléments de précocité dans certains domaines, ou que les per-
turbations affectives et symptomatiques dominent le tableau. À partir de
2-3 ans, il est possible d’isoler l’axe bipolaire des formes à versant psy-
chotique et névrotique, ainsi que des déficiences à versant dépressif ou
psychopathique, qui sont détaillés dans le chapitre.
Enfin, une catégorie échappe à ces deux axes bipolaires, il s’agit de la préva-
lence des troubles instrumentaux complexes. Les aspects positifs de la dyshar-
monie s’y trouvent réunis dans la dimension vivante, riche, et peu conformiste
qui autorise parfois des reprises évolutives. Ainsi les difficultés instrumentales
peuvent-elles côtoyer de bonnes possibilités intellectuelles en secteur. La prise
en charge des échecs scolaires doit être abordée de manière individualisée en
mesurant l’impact des troubles instrumentaux sur les possibilités de remanie-
ment. L’évaluation globale du fonctionnement intellectuel est peu significative
en raison de l’hétérogénéité des résultats obtenus aux différentes échelles.
R. Misès conclut par une observation illustrant la pesée des troubles du lan-
gage et de l’hétérogénéité des résultats au test qui révèle le caractère intact de
certaines aptitudes intellectuelles. Notons que le test utilisé, les EDEI (Échelles
Roger Misès 269
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4. Devenir et prolongements du texte
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infantile, le fonctionnement cognitif constitue souvent la pierre angulaire des
théorisations et des investigations. Cela se conçoit aisément dans la mesure
où on pourrait définir comme pathologiques des symptômes ou des modalités
défensives qui viendraient entraver le développement cognitif. Le concept sim-
plificateur de comorbidité est utilisé pour juxtaposer des troubles et les addi-
tionner, créant des démultiplications diagnostiques fondées sur des critères
descriptifs. Le caractère pathologique peut également être discuté car l’extrême
hétérogénéité du développement est propice à la créativité (Weismann-Arcache,
2009).
Le terme dysharmonie tend aujourd’hui à se réduire uniquement à la dys-
praxie, renvoyée vers le handicap. Les troubles instrumentaux disparaissent ainsi
au profit des troubles dits spécifiques, ce qui constitue une régression nosogra-
phique qui entraîne dans son sillage la disparition progressive d’une approche
pluridisciplinaire, et la réduction du système pulsion-défense-symptôme à un
triptyque déficit-handicap-suppléance : l’usage extensif de l’ordinateur à l’école
pour enfants dyspraxiques, est une réponse prothétique qui ne répond en rien
à la problématique psychique exprimée et dénie l’évolutivité, traitant l’enfant
comme un adulte. Les travaux de R. Misès ont permis de réaménager les cadres
cliniques au-delà de la psychométrie, des débilités endogènes aux troubles
instrumentaux qui supposent la relation à soi et au monde. Il est regrettable
que l’extension du concept de handicap favorise un retour vers des classifica-
tions dont l’irréversibilité diagnostique gomme les effets du développement de
l’enfant.
Roger Misès 271
Pour approfondir
Blanchard B. (2010). « Entretien avec Roger Misès », Enfances et Psy, 2010/3, n° 48, 144-
156.
Birraux A. (2001). Psychopathologie de l’enfant, Paris, Éditions In Press.
Gibello B. (1984). L’Enfant à l’intelligence troublée, Paris, Païdos Le Centurion, Dunod,
2009
Gibello B. (2010). « Les dysharmonies cognitives pathologiques chez les enfants et ado-
lescents présentant des “inconduites” », Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adoles-
cence 58 (2010) 201-207
Lang J.-L. (1978). Aux frontières de la psychose infantile, Paris, PUF.
Misès R., Quemada N. (1993). Classification française des troubles mentaux de l’enfant et
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de l’adolescent. Classification internationale des troubles mentaux et du comportement
(chapitre V de la CIM 10-OMS), CTNERHI Éd.
Misès R. (2011). « Un élève handicapé peut-il encore relever de mesures thérapeutiques :
les MDPH », Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 59 (2011) 197-199.
Misès R., Peron-Borelli M. Bréon S. (1971). « Essai d’approche psychopathologique de
la déficience intellectuelle, les déficits dysharmoniques », Psychiatrie de l’enfant, XIV, 2,
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Misès R. Perron R. (1985). « Étude psychopathologique des déficiences intellectuelles de
l’enfant », in Lebovici S., Soulé M., Diatkine R., Nouveau Traité de psychiatrie de l’enfant et
de l’adolescent, Paris PUF, 2e éd., coll. « Quadrige », 2004, vol. 2, 1536-1570.
Weismann-Arcache C. (2006). « Hétérogénéité ou dysharmonie, approche clinique du
fonctionnement mental des enfants à haut potentiel », n° spécial Bulletin de psychologie,
t. 59, 481-489.
Weismann-Arcache C. (2009). « “La dysharmonie de Mélodie”. Regards cliniques sur les
troubles dits instrumentaux », Carnet Psy, n° 138, 23-49.
28
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FRANCES TUSTIN,
« Les objets autistiques » (1980),
« Les formes autistiques » (1984),
Lieux de l’enfance (Approche
psychanalytique de l’autisme
infantile), n° 3, 1985,
199-220 ; 221-2461
1. Présentation de l’auteur
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Frances Tustin (1913-1994) connut une histoire personnelle et familiale diffi-
cile et complexe sur fond de guerres mondiales, expériences qui modelèrent
une attention empathique extrême aux souffrances des jeunes enfants confron-
tés aux bouleversements de leur univers. Destinée à être biologiste elle entama
une carrière d’enseignante. Suivant après-guerre des cours de développement de
l’enfant, elle s’y trouva profondément marquée par l’approche psychanalytique
et devint thérapeute d’enfant après la mort d’un premier bébé. Elle se forma à la
Tavistock Clinic de Londres (auprès d’E. Bick et de J. Bowlby) et elle entama une
longue analyse auprès de W. R. Bion. Lors d’un stage aux États-Unis au Putnam
Center elle commença à prendre en thérapie des jeunes enfants autistes, en
étant, dès sa première confrontation clinique, extrêmement sensible d’une part
aux particularités de fonctionnement de ces enfants étranges, et d’autre part aux
grandes souffrances parentales, singulièrement au désarroi des mères. De retour
à Londres, F. Tustin orientera son travail de psychothérapeute avec ces enfants.
Un de ses premiers petits patients suivi durablement (John) l’amena à un grand
nombre d’hypothèses et d’élaborations cliniques et théoriques qui fournirent la
matière à son premier livre : Autism and Childhood Psychosis (1972). Elle ensei-
gna ensuite à la Tavistock Clinic et elle laissa de nombreux ouvrages et articles
théoriques et techniques modifiant considérablement la technique kleinienne
classique (interprétations, soutien plus impliqué, plus interactif et plus limi-
tant), ce qu’une de ses élèves, A. Alvarez (1997), traduira judicieusement par une
« présence bien vivante ». Soulignons que Tustin s’est peu à peu démarquée des
rigueurs et du conformisme, voire des rigidités de l’école kleinienne, pour déga-
ger et soutenir une pensée personnelle authentique d’une grande qualité ; plus
exceptionnel encore elle fut capable de se remettre en question et de réviser ses
propres théories jusqu’à son dernier souffle (1991). Enfin, tous ceux qui l’ont
approchée ont dit l’immense chaleur, la sensorialité à fleur de peau, la joie de
vivre et la très grande empathie de cette personnalité hors du commun.
Frances Tustin 275
Les deux articles princeps de F. Tustin sur « les objets autistiques » et « les formes
autistiques » (publiés dans l’International Review of Psychoanalysis au début des
années 1980) sont des publications de la maturité élaborative théorico-clinique
de l’auteur. L’observation très fine et le suivi au long cours de nombreux petits
patients conduisirent Tustin à décrire les spécificités de fonctionnement de
l’enfant avec autisme. Au sein de celui-ci la coquille autistique (carapace d’évi-
tement et d’étrangeté radicale dans la rencontre) lui paraissait en partie faite
d’une conjonction serrée d’objets et de formes autistiques qui ne permettaient pas
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à l’enfant « au dehors » la saisie et la transformation symbolique des liens aux
autres et au monde, et interdisaient « au-dedans » l’appropriation subjective et
psychique des diverses expériences. De fait, ce type d’objets ou de formes devait
être constamment recherché comme prothèses de continuité et de percepts auto-
centrés, sans jamais accéder à un vrai et plein statut d’expérience et sans jamais
fabriquer d’authentiques éléments psychiques.
Les « formes (ou contours) autistiques » (autistics shapes) sont des impressions-
sensations que l’autiste se procure avec ses propres sécrétions corporelles (salive,
urines, fèces), mais aussi avec des perceptions toniques, posturales motrices ou
labyrinthiques (stéréotypies motrices, balancements, sensations proprioceptives)
qui semblent avoir un effet de « baume calmant » pour apaiser la souffrance, les
angoisses et terreurs autistiques. Leurs particularités sont d’être des impressions
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tenant et ne peuvent être retenues ou transformées. En les contemplant avec
extase l’enfant autiste ne fait pas semblant, il ne joue pas, il n’évoque pas une
altérité absente ; il est plutôt joué par la nécessité de convoquer à l’identique la
présence perceptive et l’éprouvé toujours vérifié de cette forme.
F. Tustin désigne comme objets autistiques des objets concrets que les enfants
autistes manipulent très souvent, non pour leur usage pratique habituel ou
ludique et symbolique (ou métaphorique), mais seulement pour les sensations
qu’ils procurent sur leur peau, leurs muqueuses ou dans leur corps. Ces objets
envahissants, a-symboliques et tellement peu partageables paraissent avoir
(comme les formes) une double fonction protectrice : en fabriquant des sensa-
tions autistiques très évitantes, isolantes et autocentrées et en entretenant dans
le même temps une espèce d’illusion de non-séparation entre soi et le monde
environnant. Dans la manipulation autistique lancinante, l’enfant « se sent »,
via le percept, en continuité avec un monde qu’il croit maîtriser. Chacun
connaît dans le quotidien auprès de ces enfants les crises extrêmes (de rage et de
désespoir absolus) lorsque l’on interrompt certaines de leurs manipulations ou
que l’objet autistique vient à disparaître. Une véritable dépendance addictive se
crée ainsi autour de ces objets.
L’objet autistique est généralement un objet dur investi pour les satisfactions
que donne sa manipulation. En le tapotant, en le faisant vibrer ou tournoyer,
en le serrant dans sa main ou en l’appliquant fortement contre lui tout en se
raidissant, l’enfant autiste s’accroche, s’arrime au percept, et de manière ultra-
dépendante à cet objet dé-symbolisé, il s’enferme dans une identité auto-
suffisante. Cet objet autistique à la différence de l’objet transitionnel n’est pas
un objet distinct, juste une conjonction de sensations. Il ne représente pas une
étape dans la découverte et dans le maniement du monde extérieur ; il est au
contraire au service d’une sorte de négation de la réalité. Tustin pensait qu’il
succédait chez l’enfant autiste aux sensations éprouvées par la manipulation de
Frances Tustin 277
substances corporelles durcies comme les excréments, alors que les substances
molles ou liquides comme la bave, la morve, les régurgitations donnaient nais-
sance aux formes autistiques.
Selon Tustin, il existe chez tout nouveau né une disposition innée à produire
des formes normales, formes primaires renvoyant à de « vagues formations de
sensations » qui « servent de tremplin au flux de sensations éparses qui constitue
le sentiment d’être primitif du nourrisson » (p. 223). Dans ces états où les sensa-
tions prédominent et à ces stades où l’enfant fait encore peu de distinction entre
son corps et le monde extérieur, on pourrait facilement décrire des manœuvres
assez similaires aux particularités autistiques. Mais dans le développement nor-
mal cette propension à produire des formes et à utiliser des objets s’associe rapi-
dement aux formes réelles appartenant à des objets du monde ; ces objets et ces
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formes peuvent être partagés avec les autres et se trouver co-investis dans une
boucle psychisante ludique et symbolisante. Ce double processus aboutit à la
formation de percepts, de représentations et de concepts qui facilitent une rela-
tion de travail (cognitive, instrumentale et pragmatique) et d’élaboration avec
les objets et le monde extérieur. Ces formes et ces objets primitifs normaux vont
constituer alors les éléments de base à partir desquels s’élaboreront les fonctions
émotionnelle et cognitive.
A contrario dans les destins autistiques (pour des raisons multiples, pluri-
dimensionnelles, donc aussi d’ordre équipemental, génétique et neurocognitive)
l’évolution atypique de ces enfants fait que leurs formes et objets ne peuvent
être partagés avec d’autres et restent entièrement personnels et singuliers. Leur
surconsommation en circuit fermé fabrique alors une addiction comportemen-
tale qui ne débouche pas (ou avec des freins et retards développementaux) sur
une articulation symbolisante autant qu’instrumentale avec le monde raison
pour laquelle ces formes et ces objets autistiques apparaissent dans leur spé-
cificité envahissante si handicapante. Dans ces manœuvres, et quelles que
soient les particularités d’équipement initiales, les processus de symbolisation se
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lancinante et sécurisante de ces objets. Tandis que la douceur des formes auto-
sensuelles évanescentes calme et réconforte l’enfant. Elles sont « comme un bain
chaud toujours prêt afin que l’enfant puisse s’y plonger à volonté […] L’enfant
ressent que l’existence de ces formes – et de ces objets – est dépendante de ses
propres activités et qu’il dépend lui-même de leur présence « magique » pour lui
donner l’impression d’être (a sense of being) » (p. 227).
Les découvertes cliniques de F. Tustin n’ont pas seulement profondément
renouvelé notre compréhension psychopathologique de l’autisme, elles ont
aussi dégagé des perspectives thérapeutiques efficaces et originales. Très loin
des caricatures anti-analytiques, F. Tustin s’inscrit en faux contre les attitudes
complaisantes de certains qui pensent qu’il faut tout accepter de l’enfant pour
le laisser régresser à des supposés stades précoces et idéalisés de son développe-
ment, comme si cette régression allait réparer ce qui se serait mal passé dans son
histoire. Ces thérapeutes ont alors inévitablement tendance à « charger » les
parents et notamment les mères d’erreurs ou de fautes qui seraient à l’origine
de l’autisme de leur enfant. Tustin plaide pour une attitude certes attentive et
bienveillante vis-à-vis de l’enfant, mais suffisamment ferme ; une fermeté néces-
saire pour déjouer les manœuvres autistiques de l’enfant qui empêchent toute
croissance psychique et toute communication. Certains analystes devraient « se
montrer plus actifs et rigoureux pour décourager et même stopper ces activi-
tés pathologiques ». À cette précision près que toute action de ce genre doit
être associée à des interprétations qui avec empathie montreront une compré-
hension partagée, et désigneront une autre issue psychique et relationnelle au
traitement de ces états émotionnels extrêmes. Au final, il s’agit d’accompagner
l’enfant avec autisme vers un autre commerce avec lui-même et avec les autres
dans l’investissement transformateur de sa vie psychique.
Frances Tustin 279
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potentialisation thérapeutique.
Didier Houzel a prolongé ses apports dans la compréhension des angoisses
propres au monde « tourbillonnaire » de l’autisme et aux états très archaïques
de la vie psychique (notamment les angoisses de précipitations) et il a approfondi
les aspects techniques de la cure de ces enfants. Il a aussi montré la prégnance
de barrières ou d’enclaves autistiques chez des patients qui présentent des réac-
tions autistiques partielles et comme encapsulées au sein d‘une personnalité plus
banale ; des mécanismes éminemment corporels, moteurs et sensoriels d’absorp-
tions évitantes, un manque de régulation psychique de leurs pulsions et de leurs
émotions.
On peut encore citer les travaux de S. Maiello sur l’objet sonore ; de A. Alvarez
et M. Rhodes sur l’approche psychanalytique de l’autisme y compris dans ses
formes les plus déficitaires ; d’A. Bullinger sur le développement psychomoteur,
montrant les avatars de la sensorimotricité, l’attachement pathologique à des
flux sensoriels, la fixation à des prothèses de rassemblement sur des conduites et des
schèmes moteurs ou sensoriels, et leurs conséquences sur l’instrumentation très
singulière de l’enfant autiste tout au long de son développement.
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résistera dans l’hypothèse d’un vécu traumatique initial autour d’un certain
type d’angoisses dans les vécus précoces et l’hypersensibilité à la « séparabilité »
vécue comme un arrachement de soi-même (cf. John et son « trou noir avec un
méchant piquant »). Dès lors le recours à des objets et des formes autistiques
est entendu comme une défense, une réponse en enfermement et en évitement
actifs, là où on peut plutôt penser qu’il s’agit de conduites bien moins élaborées
et systématisées dans le développement singulier de l’autisme. Je défendrais aussi
que les angoisses spécifiques sont moins des événements originaires à la source
de l’autisme, que des témoins des registres originaires de la vie psychique ; par-
fois même déjà des indicateurs sinon de sorties de l’autisme, du moins de qua-
lifications psychiques a posteriori de formes et de vécus au préalable non encore
mentalisés. Retirer aux formes et aux objets autistiques leur valeur de défense et
de lutte contre des angoisses précoces n’enlève d’ailleurs rien à la justesse de leur
prégnance clinique dans ces états ni à la nécessité de les comprendre et de les
traiter (Diatkine, 1985).
Je me sentirais au final assez proche de la pensée de J. Hochmann (2010) quand
il rappelle que « la psychanalyse n’a aucune légitimité pour déterminer les fac-
teurs, vraisemblablement multiples et intriqués, d’une pathologie qui représente
probablement une voie finale commune, un mode de réaction globale de l’enfant
à des perturbations diverses en grande partie organique voire génétique ». La psy-
chanalyse donne sens à la clinique du sujet ; elle entend les processus complexes
des émotions, des investissements et du développement ; soutient les appropria-
tions subjectives ; nourrit les processus de symbolisation, de jeu, de rêve, de rela-
tion, d’historicisation, et globalement d’auto-érotisme mental ; et mieux encore la
psychanalyse se propose comme un traitement, assez unique au demeurant, pour
commercer un peu moins mal avec l’autre et avec soi-même. À tous ces endroits,
Frances Tustin a été une psychanalyste d’une rare acuité, et a apporté comme
peu d’autres une aide incommensurable à la compréhension de l’autisme, une
Frances Tustin 281
Pour approfondir
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Alvarez A. (1997). Une présence bien vivante, Larmor Plage, Éd. du Hublot.
Collectif (2006). « Frances Tustin », Le Journal de la psychanalyse de l’enfant n° 38.
Diatkine R. (1985). « Le psychanalyste devant l’autisme infantile précoce », Topique,
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psychopathologie, n° 3, 51-63
Haag G. (1994). « Rencontres avec Frances Tustin », in coll. (1994), Autismes de l’enfance,
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Hochmann J. (2010). Histoire de l’autisme, Paris Éd. O. Jacob.
Houzel D. (1991). « Pensée et stabilité structurelle. À propos des théories post-kleiniennes
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Houzel D. (1995). Frances Tustin (1913-1994), Journal de psychanalyse de l’enfant, n° 17,
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en psychopathologie fondamentale (université Paris VII), Villeneuve-d’Asq, Éd. du Sep-
tentrion.
Joly F. (2000). « Hello Mrs Tustin !, conférence inédite » (document dactylographié
consultable à la bibliothèque du Centre Alfred-Binet – Paris ASM XIIIe)
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29
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ROGER MISÈS,
« Repères cliniques et
psychopathologiques » (chap. 1,
11-44), « Esquisse des risques
évolutifs » (chap. 2, 45-63),
in Les Pathologies limites
de l’enfance, PUF, 19901
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1. Présentation du texte dans l’œuvre de l’auteur
R. Misès fait partie d’une génération de cliniciens qui a posé les fondements de
la psychiatrie de l’enfant en France, à travers un engagement articulant toujours
la clinique de terrain, l’apport de recherches et de conceptions théoriques nova-
trices, et les modifications institutionnelles et thérapeutiques qui en découlent.
Ses travaux antérieurs sur les déficiences intellectuelles et les dysharmonies d’évo-
lution démontraient que ces enfants étaient sensibles aux actions réintégratives
et appartenaient à d’autres cadres cliniques que ceux proposés à l’époque. C’est
dans ce contexte d’une nécessité d’un remaniement nosographique, en lien avec
le travail en milieu ouvert permis par la sectorisation et par une conception
différente de la pathologie mentale, sous-tendue par les perspectives psychana-
lytiques, tenant compte de l’évolutivité des troubles à ces âges, qu’il va publier
« Les pathologies limites de l’enfant », tout d’abord en 1989 dans L’Information
psychiatrique, texte repris dans son livre éponyme (1990), puis dans le Nouveau
Traité de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (1995).
La première édition fait suite à la création en 1988, sous l’impulsion de
R. Misès, de la Classification Française des Troubles Mentaux de l’Enfant et
de l’Adolescent qui constituait déjà à l’époque un contrepoint aux classifi-
cations symptomatiques et au retour en force des théories organicistes. Les
pédopsychiatres français privilégiaient une approche structurale d’orientation
psychodynamique tenant compte des critères cliniques et psychopathologiques
qui permettent de différencier le cadre où les symptômes prennent place.
Seul le recours à ces critères permet la discussion sur la gravité des troubles
et les limitations que cela entraîne pour l’enfant, ainsi que sur le pronos-
Roger Misès 285
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autre modèle de classification et un outil de résistance.
ments intégratifs.
Le rôle de pare-excitation maternel n’a pu être pleinement assumé et l’enfant
échoue à son tour partiellement dans les essais d’intériorisation, d’où des défauts
d’élaboration de la fonction de contenance. Il reste soumis aux risques de déborde-
ment par des excès de tension interne qui vont altérer les ébauches d’organisa-
tion de sa vie mentale. Un appareil psychique hiérarchisé émerge cependant à
travers un processus dysharmonique. Le préconscient n’assure pas pleinement
les liaisons habituelles entre affect et représentation à travers le langage, pou-
vant entraîner des expressions par le corps et par l’agir. Les processus secondaires
sont orientés vers la maîtrise des objets externes, au détriment de leur rôle de
liaison, renforçant leur fonction défensive.
286 45 commentaires de textes fondamentaux en psychopathologie…
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fonction signifiante et ne vient pas offrir la possibilité d’un plaisir autonome.
L’enfant ne parvient pas à faire évoluer sa dépendance anaclitique et fusionnelle,
entraînant des blessures narcissiques qui pèsent du côté d’un retrait libidinal et
maintiennent la relation spéculaire soutenue par l’environnement.
Les défauts d’élaboration de la position dépressive sont notables, bien que l’accès
à l’objet total et la différenciation entre soi et non-soi soient acquis, même si,
dans certaines circonstances, projection et confusion viennent les altérer. L’accès
de l’enfant à une autonomie propre fait peser une menace sur l’économie nar-
cissique de la mère et accentue la défaillance d’étayage. La vulnérabilité à la perte
d’objet devient de part et d’autre un élément essentiel de la problématique.
L’enfant ne parvient pas à intégrer les angoisses dépressives et de séparation
ni à dépasser le conflit d’ambivalence. L’écart entre réalité psychique et réalité
externe reste fluctuant et s’établit en secteur, à travers les clivages. Ces condi-
tions ne permettent pas la pleine résolution des conflits internes et le contrôle
de l’agressivité, d’où des mesures de répression pulsionnelle qui ne relèvent
pas de l’inquiétude dépressive et ne permettent pas l’accès à des sentiments de
culpabilité.
Les fixations précoces et les failles dans les investissements narcissiques et libi-
dinaux ne permettent pas le plein affrontement à l’angoisse de castration, mal-
gré l’ouverture à une relation triangulaire œdipienne qui s’organise, elle aussi,
en secteur et de façon partielle, aboutissant à une pseudo-œdipification, une
bi-triangulation. Cette configuration œdipienne a des effets sur la pensée et la
formation des représentations internes. La menace d’une confrontation au vide
domine et une relation avec le mauvais objet est maintenue à titre défensif.
La pathologie narcissique occupe une place centrale. Les assises narcissiques sont
altérées très tôt et la fonction de miroir de la mère est dévoyée. L’emprise narcis-
sique se maintient de part et d’autre, interdisant l’accès de l’enfant à une identité
propre et à des aspirations nouvelles, susceptibles de le détacher du pouvoir alié-
Roger Misès 287
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est efficace et permet des ouvertures adaptatives, l’hétérogénéité structurale qui
en découle entretient des défauts d’articulation entre les aspects différenciés du
fonctionnement mental et le risque d’une perte toujours croissante de la mobilité
psychique. « Les limitations dépendant de l’hétérogénéité structurale se relient à
d’autres défaillances, portant sur la liberté du jeu symbolique, le déploiement du
fantasme ; en découle l’impossibilité de procéder à des incursions aux frontières
du réel et de l’imaginaire, dans les espaces intermédiaires » (p. 29). Le renfor-
cement des clivages et des défenses archaïques, ainsi que le rejet et le déni des
motions pulsionnelles, font le lit d’une possible instauration d’une bilogique,
« le sujet adhère à son discours et il n’y croit pas en même temps » (p. 29). Les
troubles de la pensée et de la représentation sont ainsi tôt inscrits.
Divers troubles spécifiques vont prendre forme à partir de ces processus, dont
les troubles instrumentaux et cognitifs, entraînant des fantasmes d’objet endom-
magé, à réparer, qui ravivent les blessures narcissiques. Les difficultés d’appren-
tissage souvent au premier plan sont généralement accentuées par les réponses
inopportunes des parents, des enseignants, voire des spécialistes et par une foca-
lisation sur la rééducation. On assiste à un renforcement des composantes maso-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
chistes, avec une aggravation des affrontements stériles ou une accentuation des
retraits d’investissement. Il existe parfois des insuffisances intellectuelles, mais
il peut être difficile de départager un processus de structuration déficitaire et
ce qui relève d’inhibitions, de carences d’investissement et plus largement de
mécanismes inscrits dans le processus psychopathologique de base. Les clivages
et l’hétérogénéité structurale aident dans certains cas au maintien de capacités
adaptatives et cognitives satisfaisantes.
Dans le second chapitre, R. Misès aborde les risques évolutifs des pathologies
limites de l’enfance vers une gamme étendue de troubles mentaux chez l’adulte.
En premier lieu, les pathologies graves de la personnalité sont envisagées et tout
particulièrement les états limites dont le concept générique a bien été circonscrit
288 45 commentaires de textes fondamentaux en psychopathologie…
par A. Green (1990), ainsi que les risques d’évolution psychopathique. Les travaux
concernant l’enfance des futurs psychopathes ont montré que nombre d’entre eux
relevait des pathologies limites ; les traits d’une personnalité dénommée inaffec-
tive, délinquante, psychopathique peuvent se consolider au cours de l’adolescence.
La seconde éventualité est la structuration déficitaire. Les effets sur la pensée des
aspects psychopathologiques décrits précédemment pèsent sur les aspects cogni-
tifs du fonctionnement et contribuent aux risques d’évolution déficitaire. Enfin,
le passage vers une psychose de l’adulte constitue une éventualité rare, mais il est
important de repérer l’impact de l’adolescence sur les organisations préexistantes.
Les formes latentes ou pauvres en symptômes peuvent voir leur équilibre fragile
remis en cause, l’adolescence agissant alors comme un traumatisme. Ceci permet
de réexaminer la question des décompensations schizophréniques faisant suite à
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une enfance considérée comme « normale ».
Pour conclure, R. Misès insiste sur les potentialités évolutives, ni fatales, ni
exclusives, mais qui dans les formes latentes peuvent continuer d’évoluer à
bas bruit même à l’âge adulte, sous forme de somatisations, de crises existen-
tielles tardives, ou que l’on va retrouver chez des parents consultants pour leurs
enfants.
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tations thérapeutiques, en particulier à travers la création de centres d’accueil
thérapeutique à temps partiel (CATTP). Si le recours à des institutions à temps
plein (hospitalisation, ITEP) est nécessaire face aux situations très lourdes,
l’accueil à temps partiel semble souvent plus approprié dans de nombreux cas.
Le travail de réseau est nécessaire, créant une dynamique collective de soin qui
ne se réduit pas à des interventions rééducatives multiples juxtaposées ou suc-
cessives, mais offre un véritable tissage de liens entre l’enfant et ses différents
partenaires, parents, école et divers intervenants soignants ou autres. Ce travail
d’équipe est tout à fait fondamental face à ces pathologies où les clivages sont à
l’œuvre et où la reconnaissance de l’altérité est mise à mal entraînant des risques
de désocialisation en particulier à l’adolescence. L’auteur a rendu compte de ces
ouvertures dans la préface d’un ouvrage récent consacré aux SESAD (2012).
L’un des enjeux mobilisé par ce texte est lié à des questions de diagnostic et de
nosographie, dont les bases sont ici clairement structurelles, même si le terme de
structure limite n’est jamais utilisé. Cette perspective structurelle peut sembler
aujourd’hui datée : elle est fortement remise cause en partie du fait des risques de
fixité contenus dans la notion de structure, tout particulièrement chez l’enfant.
Sur ce point, les travaux psychanalytiques actuels s’orientent désormais vers
l’étude des processus à l’œuvre dans ces formes psychopathologiques plus que
sur la dimension de structuration ou d’organisation. Les éclairages et les repères
psychopathologiques introduits restent pourtant d’une extrême actualité même
si d’autres travaux complètent ces tableaux. Les recherches portant sur les inter-
actions précoces, sur l’accès à la transitionnalité dans la continuation de l’œuvre
290 45 commentaires de textes fondamentaux en psychopathologie…
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R. Misès constituent des outils de résistance et des modèles à suivre sur le terrain
de la clinique, quelles que soient les critiques toujours source de remaniements
novateurs.
Pour approfondir
Botella C. et S. (2001) La Figurabilité psychique, Lausanne-Paris, Delachaux et Niestlé.
Cohen de Lara A. (2010). « Diagnostics et classifications : discussion autour de la notion
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Misès R. (1981). Cinq études de psychopathologie de l’enfant, Toulouse, Privat.
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cent, t. II, Paris, PUF, 1347-1362.
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nomade, Ramonville-St Agne, Érès.
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victime de la folie des liens », Empan, n° 49, Paris, Érès, 67-71.
Roussillon R. et Matot J.-P. (2010). La Psychanalyse : une remise en jeu, Paris, PUF.
Winnicott D.W. (1971). Jeu et réalité, Paris, Gallimard, trad. fr. 1975.
30
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PAUL DENIS,
« La dépression chez l’enfant :
réaction innée ou élaboration ? »,
La Psychiatrie de l’enfant, 1987,
XXX, 2, 301-3281
1. Présentation de l’auteur
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Paul Denis, ancien pédopsychiatre au Centre Alfred-Binet, psychanalyste, est
membre titulaire de la Société psychanalytique de Paris (SPP). Il a été directeur
de la Revue française de psychanalyse de 1996 à 2004, il est actuellement directeur
de diverses collections aux PUF dont « Psychanalystes d’aujourd’hui » et « Le Fil
Rouge ».
Ses centres d’intérêts apparaissent variés mais s’orientent et gravitent en parti-
culier autour de l’enfant de la latence au sujet duquel P. Denis a publié de nom-
breux articles. Avant son article princeps de 1979, repris en 1995, cette période
de « l’entre-deux », était délaissée par les psychanalystes au niveau des réflexions
théorico-cliniques.
De son œuvre prolifique, dont une petite partie est listée à la fin de ce cha-
pitre, nous extrairons deux références clés qui peuvent nous guider à travers
son élaboration théorique. En premier lieu la publication du rapport Emprise et
théorie des pulsions, présenté dans le cadre du LIIe Congrès des psychanalystes
de langue française (1992, 1997). L’auteur livre des propositions métapsycholo-
giques fécondes autour de ce qu’il nomme les « deux formants de la pulsion »,
l’emprise et la satisfaction. En second lieu Éloge de la bêtise (2001), ouvrage qui
regroupe des textes d’époques diverses, traitant de l’enfant et de l’adolescent,
l’ensemble s’avérant particulièrement cohérent et heuristique à travers la pré-
sentation de la relation dialectique qu’entretiennent période de latence et ado-
lescence.
Ses autres articles et ouvrages nous permettent de recueillir tout au long de ces
élaborations originales et stimulantes la façon dont P. Denis offre à chaque fois
toute son attention, sa rigueur et sa sensibilité de psychanalyste au service de la
vie psychique de ses patients, enfants ou adultes.
Paul Denis 293
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liables au plan théorique et en conséquence au plan clinique et thérapeutique.
Il s’agit pour partie d’une approche neurophysiologique et cognitive mise en
contraste avec l’approche psychodynamique privilégiée par l’auteur. La discus-
sion de ces points de vue est d’autant plus importante que ceux-ci justifient une
compréhension des dépressions soit en termes d’attachement programmé soit
en termes de perte d’un objet interne, intrapsychique, élaborée et construite
dans les relations du sujet à autrui et à son environnement.
P. Denis développe ensuite sa propre conception de la dépression chez l’enfant
en la replaçant en tant qu’axe central dans l’organisation intrapsychique de ce
dernier et en soulignant, ce qui à première vue peut paraître paradoxal, la valeur
organisatrice et la complexité de l’économie dépressive, rejoignant ainsi d’autres
auteurs comme Lebovici, Green, Bergeret.
Le texte s’organise en sept sections.
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mique et économique, et qui situe les phénomènes dépressifs au cœur même
de la constitution de la psyché » (p. 309).
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interlocuteur convenable » (p. 315).
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interrompue » (p. 321).
Ce texte s’inscrit dans les travaux entrepris par P. Denis sur l’enfant de la latence,
celle-ci faisant figure, dans cet espace entre une enfance (pré-)œdipienne et une
adolescence éclosive, d’une étape forte et féconde tout à la fois de recentration
narcissique, et de redéploiement libidinal au sein du socius, de remaniements
préparant aux aléas ultérieurs.
L’auteur reprendra ultérieurement certaines différences importantes entre
séparation et deuil. Peut-on dire, en particulier, qu’une séparation soit équiva-
lente à un deuil ou qu’un abandon le soit d’une séparation ? Sans doute pas,
Paul Denis 297
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plein d’excitation qui ne trouve plus sa voie ordinaire de détente » (p. 74).
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libérée d’un ancrage temporel rigide, la question étant alors de sérier certaines
spécificités de ce champ, en fonction notamment du développement psycho-
affectif et de remaniements particuliers (latence, adolescence).
Pour approfondir
Croas J. (2008). Approche psychodynamique de troubles dépressifs chez l’enfant de la
latence à travers deux versants contrastés, l’inhibition et l’agitation, thèse de doctorat,
sous la dir. de C. Chabert, Université Paris-Descartes
Denis P. (1992). « Emprise et théorie des pulsions », Revue française de psychanalyse,
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Denis P. (1994). « Nostalgie : entre deuil et dépression », in Le Deuil, Monographies de la
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Denis P. (2003b). « Quelle latence pour les enfants d’aujourd’hui ? », Neuropsychiatrie de
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Denis P. (2011b). Les Phobies, Paris, PUF
Golse B. (1999). « La continuité dépressive à travers les âges », Neuropsychiatrie Enfance
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Marcelli D. (1995). « La dépression chez l’enfant », in Lebovici S., Diatkine R., Soulé
M. (dir.) (1995), Nouveau Traité de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, t. II, Paris,
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31
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SIGMUND FREUD,
« Les reconfigurations
de la puberté » (1905), Trois Essais
sur la théorie sexuelle, in Œuvres
complètes, VI, Paris, PUF,
2006, 145-1811
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Les Trois Essais sur la théorie sexuelle appartiennent à la première partie des
œuvres psychanalytiques de S. Freud. On peut faire l’hypothèse qu’ils consti-
tuent, au moins pour le premier essai, une réponse à l’œuvre de R. von Krafft-
Ebing (1840-1902), professeur de psychiatrie à Vienne, et notamment sa
Psychopathia sexualis : Étude médico-légale à l’usage des médecins et des juristes
(1886) – traité descriptif du sadisme, du masochisme, du fétichisme, de l’exhi-
bitionnisme, des anomalies sexuelles, et finalement de toutes les perversions.
Ils répondent aussi aux travaux de H. Havelock Ellis (1859-1939) qui, avec ses
Études de psychologie sexuelle (1903), propose des thèmes de travail (le narcis-
sisme, l’auto-érotisme, les rêves érotiques, l’inversion sexuelle, les caractères
sexuels psychiques) qui ne sont pas sans faire penser à ceux développés au sein
même de la théorie psychanalytique. Empruntant d’ailleurs à Havelock Ellis les
notions d’auto-érotisme et de narcissisme, Freud prolonge et dépasse les thèses
de ces contemporains en proposant une compréhension dynamique entière-
ment nouvelle de la psychopathologie qui s’inscrit dans la suite des travaux
déjà publiés sur l’hystérie, la théorie de la séduction et son « abandon » avec la
théorie du fantasme.
En effet, les Trois essais rassemblent les éléments découverts par Freud au cours
des quinze années précédentes et représentent une tentative de systématisation
de son intuition majeure sur le rôle que jouent l’inconscient, le refoulement,
le conflit et la sexualité – tout particulièrement la sexualité infantile – dans
l’apparition des troubles psychiques à l’âge adulte, mais aussi dans le fonc-
tionnement psychique tout entier, avec la formation de symptômes. Après
L’Interprétation des rêves, il s’agit de son ouvrage majeur et sans doute le plus
original, qui redéfinit de façon renversante la sexualité, entendue non plus
seulement dans sa dimension génitale et liée à la reproduction, mais appa-
Sigmund Freud 305
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tions psychiques au cours de la maturation ». Ce n’est que peu à peu que les pul-
sions, d’abord partielles, et en lien avec les zones érogènes du corps, s’unissent
pour former une tendance dirigée vers un seul but. Ce premier essai sera donc
consacré à l’étude des déviations de la libido relative à l’objet sexuel (la personne
qui exerce un attrait sur le sujet) et au but (l’acte auquel pousse la pulsion), la
pulsion sexuelle existant d’abord indépendamment de son objet, objet qui n’en
constituerait pas l’élément essentiel. Ce dernier point de vue sera nuancé ensuite
dans une note de 1920 sur la théorie de la libido, pour préciser que ce n’est pas
l’origine de l’excitation (interne ou externe), mais la relation à l’objet qui est
l’élément essentiel. L’essai se termine sur le constat de la présence généralisée
depuis l’enfance de prédispositions à la perversion qui peuvent jouer un rôle
déterminant dans l’évolution de la sexualité. Pour Freud, les névrosés seraient
restés à l’état infantile de la sexualité ou retombés dans cet état, ce qui le conduit
à étudier l’évolution de la sexualité infantile jusqu’à son aboutissement dans ses
différents destins, névrosés, pervers ou normaux.
Le second essai sur l’étude de la sexualité infantile prolonge ainsi le premier
pour démontrer que la pulsion sexuelle est présente dans l’enfance et qu’elle
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2. Résumé du texte
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L’une des grandes originalités des Trois essais tient à la théorisation du biphasage
de la sexualité humaine. Le choix sexuel de l’objet se fait en deux temps, par
deux poussées. L’une commence dans l’enfance, s’arrête pendant la latence et
se caractérise par la nature infantile des buts sexuels. L’autre commence avec la
puberté et détermine la forme définitive que prendra la sexualité à l’âge adulte.
La sexualité infantile préfigure ce qui va advenir (« trouver l’objet sexuel n’est
en somme que le retrouver »). À la puberté, en effet, l’objet est trouvé sur le
modèle des choix effectués dans l’enfance, mais l’investissement libidinal se
détourne des objets parentaux, désormais rendus obsolètes par les barrières qui
se sont dressées entre-temps pendant la latence contre le risque de l’inceste.
Néanmoins, malgré la prégnance du sexuel infantile, de profonds changements
se produisent avec la survenue de la puberté. Toutes les excitations sexuelles sont
alors soumises au primat des zones génitales. Freud est amené ainsi à distinguer
le plaisir préliminaire, survivance du plaisir prégénital dans lequel la fonction
scopique joue un rôle essentiel, et le plaisir terminal ou plaisir de satisfaction de
l’activité sexuelle qui est lié à la nouvelle capacité orgasmique apportée par la
puberté.
Dans un chapitre ajouté en 1920, Freud propose sa théorie de la libido dans
laquelle il distingue libido du moi (ou libido narcissique) et libido d’objet. Freud
spécifie sa définition de la libido en la limitant aux pulsions sexuelles pour ne
pas la diluer et risquer de l’identifier, comme le fait C.G. Jung, à l’énergie psy-
chique en général. Pour Freud, c’est seulement à la puberté qu’apparaît une dis-
tinction nette entre le caractère masculin et féminin, même si les dispositions mâle
et femelle se manifestent déjà dans l’enfance. Mais quoi qu’il en soit, et si l’on
prend en considération les manifestations d’auto-érotisme et de masturbation, la
libido est pour Freud de façon constante et régulière d’essence mâle. La puberté
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rance renouvelée de l’adolescent vis-à-vis de ses parents, selon le principe de
la reviviscence de l’œdipe infantile au moment de la puberté, va connaître un
intense travail de refoulement et favoriser l’apparition d’une forme contraire, à
savoir l’opposition (la confrontation, voire le fantasme de meurtre) à la géné-
ration précédente. Malgré cette mise à distance des motions incestueuses, les
choix d’objet sont guidés à la puberté par les expériences infantiles et l’amour
porté aux parents de l’enfance.
Le troisième essai se termine par un chapitre consacré à la prévention de l’inver-
sion. Les considérations de Freud sur cette question semblent davantage marquées
par la prise en compte de facteurs externes, environnementaux que par des méca-
nismes internes, le choix d’objet paraissant dans ces cas-là être lié aux conditions
de vie des enfants et adolescents qui s’orientent vers l’homosexualité.
3. Prolongements et filiation
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Les Trois essais constituent la base sur laquelle s’est édifiée l’approche psychana-
lytique de l’adolescence, depuis H. Von Hug Hellmuth, la pionnière, et surtout
A. Freud avec son séminaire de psychanalyse d’enfant, le « Kinderseminar »,
auquel participent W. Hoffer, S. Bernfeld, A. Aichhorn et, de façon plus marginale,
H. Deutch. Car S. Freud, dès l’admission de sa fille à la Société psychanalytique
de Vienne en 1924, laisse à Anna le soin de développer l’approche psychanaly-
tique auprès des enfants et des adolescents. Dans son article de 1958, constatant
le peu de publications consacrées à l’adolescence depuis les Trois essais, A. Freud
appelle les psychanalystes à prolonger les travaux de son père, considérant que
l’adolescence a été quelque peu délaissée et qu’elle est devenue le parent pauvre,
« la cendrillon de la psychanalyse ». Cet appel sera entendu et de nombreux
308 45 commentaires de textes fondamentaux en psychopathologie…
ouvrages verront le jour, animés par des auteurs plus proches de nous, voire
contemporains comme P. Blos (1962), E. Erikson (1968) qui tous deux feront
partie du cercle d’A. Freud autour de la Petite École qu’elle avait fondée à Vienne
(avec D. Burlingham et E. Rosenfeld), D.W. Winnicott (1968), E. Kestemberg
(1962), Ph. Jeammet (1980, 1985), R. Cahn (1998), M. et E. Laufer (1993),
Ph. Gutton (1991, 2004), F. Ladame (1981), A. Birraux (1990), pour n’en citer
que quelques-uns.
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S. Freud est revenu à plus de soixante-dix reprises sur le texte des Trois essais,
à l’occasion des rééditions successives de l’ouvrage (1910, 1915, 1920, 1922
et 1924), souvent pour réaffirmer le rôle fondamental de la sexualité infan-
tile dans le développement de la vie psychique et l’apparition de troubles
psychopathologiques névrotiques et pervers à l’âge adulte. Ses ajouts et correc-
tions incessants montrent l’importance qu’il a accordé toute sa vie aux Trois
essais et combien cet ouvrage constitue un véritable socle pour la théorie psycha-
nalytique, même si c’est au prix de certaines contradictions.
Ainsi, dans une note ajoutée en 1915, Freud apporte une précision impor-
tante. « L’exposé schématique que nous donnons ici est destiné avant tout, à
faire ressortir les différences. Nous avons montré plus haut dans quelle mesure la
sexualité infantile se rapproche de l’organisation sexuelle définitive par le choix
de l’objet et par le développement de la phase phallique. » Cette note est une
façon, une fois de plus, de mettre l’accent sur le rôle fondamental de la sexua-
lité infantile, au détriment de la puberté, comme temps de découverte de l’objet
sexuel (génital). Cette insistance sur le sexuel infantile, clé de voûte de l’édifice
psychanalytique, contribue du coup à l’effacement de la spécificité de l’adoles-
cence, à sa mise dans l’ombre, alors même que le troisième essai la portait dans
la version de 1905 en pleine lumière. Cette question sera reprise et réaffirmée en
1924 avec « L’organisation génitale infantile », texte dans lequel S. Freud situe
l’organisation génitale, la phase phallique, dans l’enfance. L’enjeu du relatif
changement de perspective qu’opère Freud en donnant ou pas de l’importance
à la puberté dans le développement de la sexualité humaine a une incidence sur
notre façon de comprendre comment se construit ce que nous appelons mainte-
nant la génitalité (Marty, 2009).
Si Freud n’a finalement pas proposé une théorie de l’adolescence – il aurait
plutôt renforcé le rôle de la sexualité infantile dans l’édifice psychanalytique –,
les psychanalystes qui se sont penchés sur la spécificité de la clinique, de la psy-
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tuées dans l’enfance. À ce titre, si l’on peut parler de nouveauté pubertaire, il faut
aussitôt ajouter que ce changement s’inscrit dans une certaine continuité. Et
d’ailleurs, c’est bien là l’un des enjeux de l’adolescence, défini maintenant non
plus comme une crise entre les générations mais comme un processus, notam-
ment celui d’assurer cette transformation sans pour autant rompre avec le senti-
ment de continuité d’existence.
Le troisième essai a ouvert la voie à de nombreux travaux psychanalytiques
qui ont permis de mettre en évidence l’importance de la fragilité narcissique et
identitaire des adolescents (Kestemberg, 1962), la nécessité d’un soutien pour
les plus vulnérables afin d’éviter le risque de la survenue d’une rupture dans leur
développement (Laufer, 1984). La reviviscence de l’œdipe infantile au moment
de l’entrée en puberté conduit à des transformations somato-psychiques extrê-
mement importantes dans lesquelles les fantasmes pubertaires jouent un rôle
majeur. La violence de l’activité pulsionnelle peut conduire à des agirs, contri-
buant ainsi à trouver des « solutions » à l’impossible conflictualité interne par
projections de parties clivées (haineuses) du moi sur les objets externes. L’expres-
sion de la violence au moment de l’adolescence est à mettre en rapport avec la
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Avant Freud, la puberté est identifiée comme étant le début de la vie sexuelle ;
avec Freud et les Trois Essais, la sexualité commence dès l’enfance et se trans-
forme avec l’apparition de la puberté ; après Freud, la sexualité infantile est
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remaniée avec l’adolescence : le sexuel infantile est transformé par la sexua-
lité génitale. Les Trois Essais portent la marque de ces mouvements, mettant en
avant l’importance du sexuel infantile, puis rendant nécessaire le déplacement
de l’éclairage sur le rôle de l’adolescence comme processus. Vient enfin le temps
de reconsidérer l’ensemble de la problématique en jetant un pont entre ces deux
rives de la sexualité pour penser ce qui serait le troisième temps de la sexualité
humaine, celui des transformations et de l’intégration de la sexualité infantile
dans le pubertaire (Givre, Tassel, 2007).
Mais précisément, c’est à cet endroit que se situe la difficulté : l’infantile est-il
soluble dans le pubertaire ? L’instinct pubertaire ne trouve-t-il pas la place occupée
par le pulsionnel du sexuel infantile, comme le propose J. Laplanche (2000) ? Les
Trois essais sur la théorie sexuelle n’ont pas fini de nous surprendre et de nous déran-
ger par ce double mouvement qu’ils nous offrent : fondamentalement la sexualité
humaine est une histoire sexuelle infantile nourrie de fantasmes. Mais l’effraction
du sexuel pubertaire vient dynamiter ce bel édifice en y introduisant sa part sau-
vage et instinctuelle. Il appartiendrait à la créativité humaine de tenter de rendre
compatible ces deux mondes, l’entreprise de toute une vie.
Pour approfondir
André J. (1994). La Sexualité féminine, Paris, PUF.
Birraux A. (1990). L’Adolescent face à son corps, Paris, Éditions universitaires.
Blos P. (1962). Les Adolescents. Essai de psychanalyse, Paris, Stock, 1967.
Cahn R. (1998). L’Adolescence dans la psychanalyse. L’aventure de la subjectivation, Paris,
PUF.
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Jeammet P. (1980). « Réalité externe et réalité interne. Importance et spécificité de leur
articulation à l’adolescence », RFP, 1980, n° 3-4, 481-525.
Jeammet P. (1985). « L’actualité de l’agir. À propos de l’adolescence », NRP, 1985, 31,
201-222
Kestemberg E. (1962). « L’identité et l’identification chez les adolescents », La Psychiatrie
de l’enfant, vol. 5, n° 2, 1962, 441-522.
Krafft-Ebbing R. (1886). Psychopathia sexualis, Paris, Payot, 1950.
Ladame F. (1980). Adolescence et suicide, Éditions sociales françaises (ESF).
Laplanche J. (2000). « Pulsion et instinct », Adolescence, 2000, 18, 2, 649-668.
Laufer M. et E. (1984). Adolescence et rupture du développement. Une perspective psy-
chanalytique, Paris, PUF, 1989.
Marty F. (dir.) (2003). L’Adolescence dans l’histoire de la psychanalyse, Paris, In Press.
Marty F. (2009). « Le dévoilement du génital. Le génital et la puberté dans l’œuvre de
S. Freud », in Y. Morhain et R. Roussillon (dir.), Actualités psychopathologiques de l’ado-
lescence, De Boeck, Bruxelles, 31-44.
Winnicott D. W. (1968). « Concepts actuels du développement de l’adolescent : leurs
conséquences quant à l’éducation », Jeu et réalité, Paris, Gallimard, 1975, 190-207.
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AN NA FREUD,
« On adolescence »,
The Psychoanalytic Study
of the Child, 13, 1958, 255-278
« L’adolescence », in L’Enfant
dans l’adolescence, Paris,
Gallimard, 1976, 244-2661
« C’est après un intervalle de vingt ans que je reviens sur le thème de l’ado-
lescence […] Pour mieux expliquer cette affirmation, j’admets qu’il est normal
pour un adolescent d’avoir pendant très longtemps un comportement incohé-
rent et imprévisible, de combattre ses pulsions et de les accepter, de les main-
tenir à distance et d’être débordé par elles, d’aimer ses parents et de les haïr,
de se révolter contre eux et de dépendre d’eux, d’être profondément honteux de
sa mère devant d’autres, et, de façon inattendue, de désirer lui parler à cœur
ouvert ; de se complaire à imiter les autres et à s’identifier à eux et, pourtant,
d’être en quête incessante d’identité ; d’être plus idéaliste, artiste, généreux et
désintéressé qu’il ne le sera jamais, mais aussi le contraire : centré sur
lui-même, égoïste, calculateur […] Il y a peu de situations dans la vie
qui soient aussi difficiles à affronter que celle d’un adolescent,
fille ou garçon, qui tente de s’affranchir. »
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1. Présentation du texte dans l’œuvre de l’auteur
Cet article condense les principaux travaux d’Anna Freud sur l’adolescence tout
en étant significatif du rôle joué par celle-ci au sein du mouvement psychanaly-
tique. Paru en 1958 dans The Psychoanalytic Study of the Child, ce texte résonne
en effet comme un appel historique pour investiguer plus en profondeur l’ado-
lescence sous l’angle psychanalytique et sortir ce domaine de la relative ornière
dans laquelle les difficultés techniques l’ont laissé.
2. Résumé du texte
A. Freud débute son article par un constat : depuis qu’elle s’est intéressée à
l’adolescence, vingt-deux ans auparavant, l’étude de ce sujet n’est pas très heu-
reuse. L’étude de la vie psychique infantile et son traitement se sont développés
plus favorablement. Les éducateurs et les parents sont déçus de l’apport de la
psychanalyse, car les analystes restent hésitants sur le sujet, qui est encore un
thème négligé, soit le parent pauvre de la psychanalyse toutes problématiques
confondues. L’adolescence est selon elle encore considérée dans la commu-
nauté analytique comme une étape de la vie infantile. Pourtant, « le moi […]
part en bataille pour sa survie », ou encore « à l’adolescence, le danger vient de
partout » sont des phrases qui témoignent de la préoccupation de l’auteur pour
la vie psychique des adolescents, radicalisant un point de vue sur leurs « conflits
spécifiques ». Ces derniers impliquent une défiance envers la psychothérapie
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prendre avec ce type particulier de comportement, la rupture du traitement.
Cet enjeu clinique s’articule avec les effets de la mise à distance des premiers
objets d’amour. Le retour de la libido d’objet sur le moi entraîne cette pro-
position de prime abord : de par sa position narcissique, l’adolescent ne peut
s’engager dans la psychothérapie car il manque de libido dirigée vers l’objet, le
thérapeute. L’adolescent est centré sur son moi, la libido étant alors essentielle-
ment de nature auto-érotique ; les résistances de l’adolescent seraient liées à ce
défaut d’investissement.
Cette idée ouvre sur une double comparaison de l’adolescence au deuil et à
la déception amoureuse. Ces deux états ont pour point commun la nécessité de
désinvestir la libido attachée à un objet et le renoncement à une satisfaction.
Notons que si elle compare l’adolescence avec le travail de deuil, elle n’en fait
pourtant pas un équivalent, comme cela a pu être repris puis critiqué par la
suite. Elle évoque en revanche la crise adolescente comme un temps de remanie-
ments internes conditionnant l’existence même du processus, souvent nommé
« crise » ici.
L’ouverture de pensée d’A. Freud porte notamment sur son intérêt pour les
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lement, l’expression des motions hostiles permet de se préserver d’un rapproché
avec l’objet d’amour. Cette attaque de l’objet devient cependant intolérable pour
le moi, poussant le sujet à adopter un autre mode de défense, plus archaïque : la
projection. Grâce à ce mécanisme, l’agressivité n’est plus une source de déplai-
sir pour le moi, elle est expulsée au dehors et attribuée aux parents. Ce sont
eux qui persécutent le sujet ; ils sont persécutants pour l’adolescent de par
leur existence même. Le glissement de l’hostilité et de la méfiance à une posi-
tion paranoïaque adolescente est alors engagé. Le retournement de l’agressivité
contre soi a pour effet de conduire aux passages à l’acte, aux idées suicidaires
ou encore à la dépression.
La projection participe ici d’un processus dynamique, certes pour lutter
contre le conflit, mais qui donne également un sens métapsychologique aux
manifestations phénoménologiques de l’adolescence. Si le processus reste
encadré par une succession d’étapes, il s’inscrit dans un mouvement interne
dès lors que la compréhension du comportement n’est pas résumée par la
seule poussée pulsionnelle pubertaire.
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ments suicidaires, autodépréciation) sont fréquentes. Là encore, le traitement
proposé est rarement accepté par l’adolescent qui ne souhaite pas retrouver ces
tumultes dans le lien transférentiel. Pour échapper à ce vécu, les adolescents qui
ont commencé une psychothérapie fuient par la rupture du traitement, l’amour
caché sous la haine étant insupportable.
La défense par la régression intervient lorsque l’angoisse est trop intense et pro-
voque une identification primaire aux objets, par élargissement des frontières
du moi. La confusion entre soi et l’objet auquel il s’est identifié est un obstacle
au désinvestissement des objets primaires, créant des troubles de la distinction
entre mondes intérieur et extérieur. La peur d’une reddition affective n’est pas
sans rappeler ici la crainte de l’effondrement telle que définie par Winnicott
(2000).
Ces défenses s’inscrivent dans le contexte de la remobilisation du lien aux
objets d’amour infantiles et de la lutte contre les émois œdipiens et préœdipiens
dans le contexte post-pubère ; la dimension phobique, non seulement vis-à-vis
des objets mais plus encore de la vie psychique, y apparaît centrale.
A. Freud ajoute à ce tableau la description de défenses contre les pulsions. Elle
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4. Prolongements et filiations
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Par son évocation de la « reddition affective » qui opère lors de l’indistinction
entre monde interne et monde externe, entraînant une perte d’identité, elle
propose un terme qui sera abondamment repris par E. et M. Laufer pour définir
la rupture psychotique sur fond d’impossibilité à intégrer le corps sexué génital.
La fin des années cinquante marque un tournant dans l’élaboration de la théo-
rie de l’adolescence (Lampl-de Groot, 1960 ; Blos, 1962). La préoccupation pour
définir ce qu’est l’adolescence, au-delà de la psychopathologie ou du développe-
ment de l’enfant, s’y trouve affirmée. Hormis le travail de Winnicott il ne semble
pas exister d’auteur situé en dehors de la mouvance anna-freudienne dans les
principaux pionniers de la psychanalyse de l’adolescence. C’est à la seconde
génération d’analystes qu’échoit le rôle de reprise et d’élaboration du processus
d’adolescence, en réponse à l’appel impulsé par A. Freud dans cet article. Il s’agira
de P. Mâle et E. Kestemberg en France, P. Blos, E. Erikson, K. Eissler et E. Jacobson
aux États-Unis, J. Lampl-de-Groot en Hollande et M. Laufer en Angleterre, pour
ne citer que les principaux auteurs.
Sur le plan thérapeutique, le modèle de cure de l’adolescent prôné par A. Freud
impose de prendre en charge non seulement les aspects quotidiens de la vie de
l’enfant – une des positions qui fera l’objet de nombreux débats critiques avec
M. Klein –, mais aussi l’entourage personnel de l’enfant, ses parents ou leurs
substituts.
Ce modèle s’est étendu aujourd’hui à nombre de CMPP et institutions dont
l’énoncé même renvoie à cette alliance, renforcée par la psychiatrie, entre la
psychanalyse et la pédagogie. Un de ses pivots est la consultation familiale ou
parentale ; cette ouverture d’un espace familial prend en compte le narcissisme
parental, si engagé dans la psyché de l’adolescent et de ses symptômes. Un pré-
supposé sous-tend la mise en place de cette consultation : protéger la psychothé-
rapie analytique et le psychothérapeute des interférences parentales, pour rendre
le travail possible. L’expérience clinique continue de l’illustrer : dans le sens de
Anna Freud 319
la conclusion de cet article, les parents sont confrontés à de dures épreuves lors-
qu’ils ressentent que leur enfant est en train de changer, ce qui influe à la fois sur
la relation à chacun des parents, mais aussi sur l’ensemble du groupe familial et
des fantasmes qui l’animent. Outre sa fonction de « caisse de résonance », le tra-
vail de consultation familiale ouvre aussi la possibilité de faire bouger les lignes
de positions parentales parfois inélaborées, réactualisées par la psychothérapie
de leur enfant.
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Le point de vue d’A. Freud sur l’adolescence s’articule autour d’une triple perspec-
tive : économique, défensive et développementale. L’adolescence est considérée
comme une maladie normale du développement. Quelles que soient les critiques
qui peuvent accompagner la lecture de son texte, celui ci joue un rôle essentiel
pour que se développe une théorisation approfondie de l’adolescence. Elle alerte
les psychanalystes de sa génération sur l’insuccès concernant cette période de la
vie, sur le défi à relever tant sur le plan d’une approche théorique unifiée et spé-
cifique que celui d’une approche thérapeutique plus opérante. Elle introduit, en
tant que membre pivot du mouvement psychanalytique international depuis la
disparition de son père, une dimension de recherche en faveur de la reconnais-
sance de la particularité de l’adolescence.
Le lien à l’objet d’amour infantile et les conséquences des modifications pul-
sionnelles pubertaires, qu’elle cite dans son travail, demeurent aujourd’hui les
deux paradigmes de l’adolescence ; non pas séparés comme elle nous le présente
mais intriqués et impliqués dans le travail psychique de désengagement des ima-
gos parentales. Le lien aux objets met en tension la place des objets internes.
Dans ce contexte, la lutte contre la pulsion et contre le corps sexué provoque
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une lutte contre les fantasmes de fécondation orale ravivés et réactualisés par la
potentialité nouvelle de maternité due à la maturation génitale. L’identification
à la mère est ainsi repoussée, accentuant l’angoisse liée à l’élimination des objets
infantiles, à savoir la rupture de leurs liens. Elle positionne ici un des enjeux fon-
damentaux de l’adolescence : le devenir du lien infantile dans la confrontation
de l’adolescent à la possible réalisation des fantasmes incestueux. Cette menace
trouve une illustration à travers l’anorexie, sous la forme d’une possible perte
identitaire lorsque l’identification au parent de même sexe est compromise ou
barrée.
Le risque de collusion entre fantasme et réalité est d’importance dans l’imagi-
naire qui se déploie dans la relation duelle entre la psychanalyste et son patient,
rendant la parole source de déplaisir ou de crainte fantasmatique poussant à
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l’acting-out de rupture. Pourtant, l’analyse des difficultés techniques paraît ici
plus datée ; lorsqu’elle suppose que l’adolescent n’est pas analysable avant la
névrotisation ou la mise en ordre de ses conflits, elle semble raisonner par rap-
port au seul modèle de la cure type.
Aujourd’hui, nous mesurons le parcours accompli. D’une part, l’acte, fût-il de
rupture, n’est plus banni de l’axe thérapeutique. D’autre part, le défaut d’inves-
tissement est aujourd’hui considéré comme un trop plein d’excitation suscité par
la massivité et l’immédiateté du transfert opéré par l’adolescent (Marty, 2007). La
proposition visant à limiter le traitement sans chercher à atteindre des modifica-
tions importantes à partir de l’analyse du matériel inconscient est en revanche
toujours d’actualité. Elle a pour principal intérêt historique d’ouvrir la nécessité
d’un réaménagement du cadre de la cure et de la technique thérapeutique, en se
référant à la spécificité adolescente, aujourd’hui reconnue après soixante ans de
tâtonnements théorico-cliniques. La position d’A. Freud passe par conséquent
par les difficultés liées à la pratique pour faire émerger cette spécificité.
Pour approfondir
Freud A. (1926). Introduction à la psychanalyse d’enfants, Alençon, Les Éditions
psychanalytiques, 1952.
Freud A. (1936). Le Moi et les Mécanismes de défense, Paris, PUF, 1949.
Freud A. (1966). « Adolescence as a developmental disturbance », in The Writings of
Anna Freud, vol. 7, New York, International Universities Press, 1971.
Freud A. (1930). Initiation à la psychanalyse pour éducateur, Paris, Privat, 1969.
Freud A. (1965). Le Normal et le Pathologique chez l’enfant, Paris, Gallimard, 1968.
Anna Freud 321
Freud A. (1968). « Acting-out », in The Writings of Anna Freud, vol. 7, New York, Interna-
tional Universities Press, 1971.
Houssier F. (2010). L’École d’Anna Freud. Créativité et controverses, Paris, Éditions Cam-
pagne Première.
Marty F. (2007). « Anna Freud : des pulsions trop puissantes », in Givre P., Tassel A. (dir.),
Le Tourment adolescent, 1, Paris, PUF, 177-214
Marty F., Houssier F. (dir.) (2007). Éduquer l’adolescent ? Pour une pédagogie psychanaly-
tique, Nîmes, Champ Social Éditions.
Peters U.H. (1987). Anna Freud, Paris, Balland.
Winnicott D. W. (2000). La Crainte de l’effondrement et autres situations cliniques, Paris,
Gallimard.
Young-Bruehl E. (1991). Anna Freud, Paris, Payot.
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ÉVELYNE
KESTEMBERG,
« L’identité et l’identification
chez les adolescents. Problèmes
théoriques et techniques »,
La Psychiatrie de l’enfant,
vol. 5, n° 2, 1962, 441-5221
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1. Présentation de l’auteur
Clinicienne géniale pour ceux qui l’ont approchée, forte de sa déjà longue expé-
rience thérapeutique, en particulier par le biais du psychodrame psychanalytique
avec des enfants, des adolescents et des psychotiques, É. Kestemberg s’attache,
dans ce long article de 1962, repris dans L’Adolescence à vif (1999), à dégager une
« unité spécifique » de fonctionnement derrière la diversité des symptômes et
des comportements des adolescents. L’essentiel de son propos vise à montrer
que les difficultés relationnelles des adolescents avec les autres, les adultes, sont
liées au besoin de rejeter brutalement les imagos et les personnes des parents,
rejet induisant dès lors de profondes difficultés relationnelles avec eux-mêmes
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exprimées dans une interrogation anxieuse concernant leur personne, c’est-
à-dire leur identité.
La première partie de l’article peut être considérée comme une élaboration
métapsychologique de l’adolescence, centrée sur la question des remaniements
identitaires-identificatoires. L’adolescence qu’elle conceptualise comme un
« organisateur psychique » naît de la nécessité de réajuster la structure du moi
bouleversée après les modifications de la puberté amenant à la maturité génitale.
L’adolescent doit intégrer cette maturation physique dans son système relation-
nel libidinal. Il doit aussi pouvoir s’investir narcissiquement de façon suffisante
après les transformations de son image du corps. Or la génitalisation du corps
induit la reviviscence des conflits œdipiens et archaïques, mis en latence précé-
demment. L’adolescent pour se protéger de ces conflits est alors mû par un désir
conscient de rejeter ses imagos pour pouvoir s’affirmer et par un besoin de replier
sa libido, devenue narcissique, sur lui-même. Cela ne l’empêche pas d’éprouver
dans ce rejet une angoisse identitaire concernant la cohésion de sa personne : « Il se
veut étranger aux autres et il se trouve étranger à lui-même » (1999, p. 61). En
résulte un intense sentiment de solitude et le repli narcissique ne protège pas,
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
sur l’identité, une inquiétude sur la cohésion interne de la personne (la conti-
nuité narcissique) et un sentiment d’inadéquation ou d’étrangeté devant la
nouvelle image du corps. Pour l’auteure, « identité et identification sont alors
pratiquement un seul et même mouvement » (ibid., p. 15), la conflictualisation
de celles-ci, trop liées aux imagos parentales, ébranle le sentiment d’identité dont
le comportement exprime le trouble, celui-ci pouvant aller jusqu’au rejet de soi
en tant qu’être sexué. Une solution va consister dans la quête d’un idéal du moi
provisoire à travers le groupe, la bande, recherche d’une image satisfaisante de
nature à apporter une réassurance narcissique ; encore que le peu de nuance de
ces idéaux, leur aspect rigide et inatteignable du fait des besoins d’idéalisation
extrême puisse à nouveau porter atteinte à l’estime de soi.
L’adolescence, de par ses modifications corporelles, comporte ainsi le risque
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d’une rupture de l’équilibre entre investissements objectaux et investissements nar-
cissiques par « fusion [nous dirions aujourd’hui conflictualisation] entre la libido
objectale et la libido narcissique, tout conflit concernant la première retentis-
sant en profondeur sur la seconde » (ibid., p. 62). Ainsi sont repris les conflits
œdipiens mais aussi ceux liés aux relations objectales archaïques, réactivant
l’angoisse de castration et de morcellement qui la sous-tend, vecteurs de
l’inquiétude identitaire. « Les difficultés de l’adolescent sont donc essentiel-
lement relationnelles » (ibid., p. 62), que ce soit avec autrui ou avec soi, son
corps propre : la difficulté à s’appréhender intègre en face d’imagos intègres est
centrale.
Les défenses peuvent être alors extrêmement variées, mais rigides, entraînant
une symptomatologie riche et mouvante, non significative en elle-même, les
comportements parfois étranges des adolescents ne devant pas être pris au pied
de la lettre mais comme des positions momentanément utiles pour répondre à
l’anxiété qui les sous-tend. Le besoin conscient essentiel concerne le besoin de
s’affirmer en dehors de toute relation avec les adultes, besoin de prestance cachant
la blessure narcissique : le credo thérapeutique de tout thérapeute d’adolescent
visera dès lors la restauration narcissique.
Forte de ces avancées théoriques, la seconde partie du texte traite de « l’aven-
ture thérapeutique » et de ses difficultés. De la spécificité du fonctionnement
psychique de l’adolescent découle une spécificité des modalités techniques uti-
lisées en psychothérapie.
La situation thérapeutique est en effet marquée par l’attitude de prestance
face à la blessure narcissique qu’implique le fait de consulter. L’adolescent mani-
feste envers le thérapeute la même attitude d’opposition active ou passive qu’il
manifeste envers ses parents, ses éducateurs ou patrons et celui-ci est englobé
dans une imago confuse au pouvoir coercitif. Le premier entretien est fonda-
mental pour engager la partie : toute l’attention doit être portée sur le respect du
Évelyne Kestemberg 327
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entretiens uniques ou à la demande ont un succès surprenant car ils reposent
sur les capacités identificatoires confiantes de l’analyste, sur sa liberté et sécu-
rité intérieures, ce qui permet à l’adolescent de satisfaire en miroir son besoin
identificatoire refoulé. Ce qui rejoint cet aphorisme célèbre de l’auteure : « Les
adolescents sont et se considèrent en fonction de ce que sont les adultes et de
la façon dont ils les considèrent » (ibid., p. 15). Mais cette rencontre identificatoire
heureuse est une condition nécessaire mais non suffisante et « le but de l’action
thérapeutique doit être fondamentalement la revalorisation de leur personne
tout entière, y compris les pulsions libidinales qu’ils tentent de refouler, l’accep-
tation justifiée de leur autonomisation » (ibid., p. 69).
Pour parer à ces difficultés l’outil thérapeutique de choix, que l’auteure a
contribué à développer, est donc le psychodrame psychanalytique, technique
dérivée du psychodrame morénien qui garde toutefois intacte la référence
à l’inconscient, à l’interprétation du transfert, ainsi qu’au développement de
l’insight comme facteur de changement thérapeutique. Mais l’interprétation
passera ici par les voies du jeu et de l’utilisation du corps en relation dans un
groupe.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
L’auteure en recense alors les avantages. Le jeu dramatique permet une distan-
ciation par rapport aux affects tant envers le thérapeute principal qu’envers les
co-thérapeutes. La fiction dramatique apporte un nouveau mécanisme de défense
« assouplissant » le moi alors que l’hédonisme du jeu et l’expression mimique
et motrice favorisent le redéploiement libidinal. La répartition des fonctions
entre le thérapeute principal, directeur de jeu, « témoin du moi » et les autres
psychodramatistes, « représentants des pulsions » rend possible la conservation
d’une distance tolérable entre les désirs conscients et les pulsions inconscientes.
La possibilité offerte par le choix des rôles, assumés, refusés ou inversés permet
l’assomption ou le rejet identificatoire aux imagos parentales. Le jeu des diffé-
rents protagonistes dans leur alternance de répétition et de nouveauté autorise
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3. Devenir et prolongements du texte :
concepts fondamentaux
Selon Ph. Jeammet qui fut l’élève et le continuateur d’É. Kestemberg « tous les
thèmes majeurs sur l’adolescence développés ces deux dernières décades sont
inclus dans ce texte : l’impact de la puberté, la réactualisation des relations
archaïques, la place centrale du corps et les attaques dont il peut être l’objet, la
sexualisation de la pensée, l’importance des échanges avec autrui et du regard
des adultes, la place du groupe et de ses idéaux et bien sûr l’intrication entre
libido objectale et narcissique et le retentissement des conflits d’identification
sur l’identité » (1999, p. 2). Mais l’essentiel du travail d’É. Kestemberg porte sur
« cette corrélation profonde entre identité et identification », telle que trouvée dans
la petite enfance quand se constitue l’objet, et actualisée à l’adolescence du fait
de la fusion entre la libido objectale et la libido narcissique qui fait que chaque
conflit portant sur l’une retentit sur l’autre. Il s’agit, toujours selon Ph. Jeammet,
de la problématique centrale de l’adolescence qu’il contribuera à développer
à travers la thèse d’un antagonisme spécifique entre investissements objectaux, la
« faim d’objets » pour reprendre une expression de P. Blos, et investissements nar-
cissiques, la sauvegarde narcissique, fondement des cassures de développement
qui font le lit des grandes pathologies de l’adolescent et du jeune adulte. Dans les
bons cas les remaniements identificatoires fonderont l’identité adulte mature, ce
que subsume aujourd’hui le concept de « processus de subjectivation » (Cahn,
2002 ; Marty et Chagnon, 2006).
Le seul aspect « daté » de cet article de 1962 concerne « la sexualité des ado-
lescents », à l’époque encore inutilisable comme voie d’affirmation de soi et
d’assomption de la personne avec un autre dans le vrai « cogito » qu’est l’orgasme
Évelyne Kestemberg 329
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fabrique » du XIIIe, le plaisir de fonctionnement mental, proche du « plaisir
de désirer » diatkinien, ou encore du « plaisir de pensée » selon S. de Mijolla,
peut être considéré comme un objectif de la cure : l’identification, non pas
à l’analyste, mais au plaisir de fonctionnement de celui-ci est le garant de la
perlaboration.
Dans un article postérieur (1984, repris in 1999) intitulé « Astrid ou homo-
sexualité, identité, adolescence, quelques propositions hypothétiques »,
E. Kestemberg reviendra sur cette articulation entre investissements narcissiques
et objectaux en montrant comment l’investissement homosexuel et l’idéalisa-
tion de l’objet apaisent l’excitation issue de la sexualisation des relations et
infléchissent celles-ci vers le registre de la tendresse, le lien à l’autre ainsi rendu
tolérable pouvant dès lors retrouver un aspect narcissisant. L’auteure se réfère
ici à l’homosexualité primaire, réactivée à l’adolescence, située au voisinage de
l’identification primaire dont elle constituerait le versant objectal : « Tout le
travail psychique de l’homosexualité est d’organiser l’altérité pour à travers
elle conserver l’identité […] Dans l’identification primaire, la relation est au
même, à l’identique, même s’il a été autre ; dans l’homosexualité primaire, au
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
contraire, la relation est à l’autre, peut être au semblable mais non à l’iden-
tique, à travers le même » (1999, p. 257). L’homosexualité primaire constitue
l’aboutissement de l’identification primaire, elle dialectise l’identification (être
comme l’objet aimé) et l’investissement objectal (aimer l’objet qui peut être
différent ou semblable à soi). À l’adolescence, féminine essentiellement, l’inves-
tissement homosexuel fantasmé ou agi permet de s’aimer soi, en passant par
le détour d’un autre, avec sa part d’incomplétude et de finitude inéluctable.
L’homosexualité primaire illustre ainsi la valeur structurante du nécessaire pas-
sage par l’objet externe pour reconstituer les objets internes, se réconcilier avec
son propre corps et in fine se sortir heureusement de la crise identificatoire et
identitaire de l’adolescence.
330 45 commentaires de textes fondamentaux en psychopathologie…
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du processus psychanalytique alors qu’une approche classique n’est pas indi-
quée » (1999, p. 169). Quand la sexualisation des relations et du transfert, non
médiatisé par « un personnage tiers », risque d’aboutir à une rupture, alors des
aménagements sont nécessaires. Ils permettent par le respect des défenses du
sujet, la limitation de la régression, la diffraction du transfert, la médiation de la
figuration par le jeu et le corps là où la pensée est en surchauffe, de poursuivre
le travail thérapeutique. Ce sont ces mêmes aménagements qui sous-tendent
aujourd’hui le travail bifocal, à plusieurs ou encore institutionnel. Il s’agit moins
d’interpréter des contenus que de redonner son efficacité processuelle (et son
plaisir) au fonctionnement du psychisme, appareil à symboliser l’excitation pul-
sionnelle avant de lui donner satisfaction.
Pour approfondir
Abensour L. (1999). Évelyne Kestemberg, Paris, PUF.
Cahn R. (2002). « Les identifications à l’adolescence », in Monographies de Psychanalyse
de la RFP, « Identifications », Paris, PUF.
Chauvet É. et J.-L. (1994). D’un certain commerce avec l’objet. À propos des travaux psy-
chanalytiques d’É. et J. Kestemberg, Monographie n° 4 du Centre de psychanalyse É. et
J. Kestemberg.
Jeammet P. (1999). « Préface » à Kestemberg É. (1999), L’Adolescence à vif, Paris, PUF.
Jeammet P. (2010). « Évelyne Kestemberg : la métapsychologie à l’épreuve de la clinique
adolescente », in Givre P., Tassel A. (dir.) (2010), Le tourment adolescent, t. II : Diver-
gences et confluences, Paris, PUF.
Kestemberg É et J. (1965). « Contribution à la perspective génétique en psychanalyse »,
Revue française de psychanalyse, n° 5-6-1966, 580-713.
Évelyne Kestemberg 331
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PETER BLOS,
« The Second Individuation
Process », The Psychoanalytic Study
of the Child, 22, 1967, 162-186 ;
« Adolescence et second processus
d’individuation », in Perret-
Catipovic M., Ladame F. (éd.) (1997),
Adolescence et psychanalyse :
une histoire, Delachaux et Niestlé,
Lausanne, 113-1501
1. Présentation de l’auteur
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Né le 2 février 1904 à Karlsruhe (Allemagne) et décédé le 12 juin 1997 à Holderness
(États-Unis), P. Blos partage avec les psychanalystes qui ont eu la plus grande
influence sur ses travaux, à savoir A. Aichhorn, S. Bernfeld et A. Freud, d’avoir
été pédagogue avant de venir à la psychanalyse. Il obtient d’abord un diplôme
d’enseignant avant de venir à Vienne pour faire une thèse de biologie. La ren-
contre avec A. Freud est décisive, car il investigue le champ de l’adolescence à
partir de l’expérience psychopédagogique de l’Hietzing Schule, école créée par
A. Freud à la fin des années vingt dans la perspective d’une psychopédagogie
influencée par la psychanalyse. Au début des années trente, il suit le conseil d’A.
Aichhorn, son superviseur, et entreprend une analyse qu’il achève à New York à
la fin des années quarante. Il devient membre de la société psychanalytique de
New York en 1965, puis superviseur et formateur.
P. Blos est repéré dans le courant psychanalytique génétique centré sur le
développement psychique de l’enfant, mouvance inspirée d’A. Freud qui a pris
de l’essor aux États-Unis à partir de l’immigration consécutive à la montée du
nazisme en Europe. En plus des auteurs déjà cités, il s’est appuyé sur les écrits
fondateurs de S. Freud, puis les idées d’H. Hartmann ou de R. Spitz.
2. Résumé du texte
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ments libidinaux.
Ainsi, la fin d’adolescence se caractérise notamment par une moindre
intransigeance du surmoi, alors que l’adolescence est traversée par la résur-
gence d’un surmoi archaïque lié aux identifications primaires, préœdipiennes ;
conjointement, l’idéal du moi va progressivement jouer un rôle plus impor-
tant. Lorsque le surmoi est entravé dans sa réorganisation, l’individuation
est mise en échec. Le passage d’une position narcissique prévalente, incluant
l’idolâtrie et la retrouvaille avec le parent idéalisé de la petite enfance, à un
investissement d’objet extra-familial, est perceptible lorsque les murs de la
chambre sont brusquement dépouillés des posters de l’idole. L’idolâtrie per-
met cependant à l’adolescent d’avoir le sentiment d’appartenir à une même
famille, de substitution, mêlant la résurgence d’une figure infantile à la nou-
veauté des investissements sociaux extra-familiaux. Ces états du moi quasi
fusionnels avec l’objet, comme on les retrouve dans les idéaux politiques,
philosophiques ou esthétiques, mais aussi dans la consommation de drogues
ou dans les conversions religieuses, maintiennent un lien avec des représen-
tations symboliques et servent de point d’appui pour lutter contre une fusion
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
3. Concepts fondamentaux
Le second processus d’individuation est le concept qui fera connaître P. Blos dans le
monde entier. Son approche théorico-clinique du développement progressif de
la personnalité, de la délinquance et des problématiques du moi (surmoi, idéal
du moi, capacités intégratives) constituent également un apport important pour
la compréhension de l’adolescence.
Le développement des principales étapes de l’adolescence, préparées par le
travail de la latence, est traversé par le second processus d’individuation. P. Blos
reprend une terminologie issue des travaux de M. Mahler (1980) sur la psychose
infantile et le développement psychique de l’enfant pour mieux s’en distan-
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cier. Le premier temps d’individuation s’achève à la fin de la troisième année au
moment où s’acquiert la permanence de l’objet, par l’internalisation des figures
parentales qui permet l’autonomisation psychique de l’enfant. À l’adolescence,
c’est le désengagement libidinal vis-à-vis des objets d’amour infantiles qui est
en œuvre, initiant une transformation des objets internes et une modification
des modalités relationnelles avec les parents « réels », ouvrant sur un proces-
sus de subjectivation. Ce relâchement des liens objectaux ouvre sur le renon-
cement à des modes de satisfaction trop ancrés dans le mode de gratification
pulsionnelle infantile. Le concept d’individuation, comme celui de la régres-
sion, traverse l’œuvre de P. Blos et lui donne une dimension horizontale qui
coupe la verticalité de la perspective développementale. Ce mouvement insiste
sur les enjeux psychiques de différenciation et d’individuation davantage que
sur celui de séparation ; ce dernier terme est pourtant souvent accolé à l’expres-
sion blossienne alors qu’il n’apparaît pas dans cet article, et relève donc d’une
interprétation après-coup erronée de la perspective ouverte par P. Blos. Une indi-
viduation subjectivante n’est rendue possible qu’à être éprouvée à travers les
expérimentations régressives mettant en jeu les relations d’objet préœdipiennes.
L’attraction régressive à la mère omnipotente, à travers les apories du désengage-
ment de la libido incestueuse envers les premiers objets d’amour, est une notion
qui complète et illustre le second processus d’individuation en pointant sa prin-
cipale source de conflits.
L’adolescence représente une période d’individuation qui, en dernier lieu,
aboutit au sens de l’identité. L’échec de ce processus, fondé sur le désengage-
ment du lien aux objets infantiles, se constate à travers les troubles de l’appren-
tissage, la morosité, le négativisme ou encore des acting-out (fugues, vols,
consommation de drogues, promiscuité sexuelle). Pour beaucoup d’adolescents,
ces troubles constituent une position d’attente, de répit vis-à-vis de l’attraction
régressive envers non seulement la mère incestueuse mais aussi la mère de la non-
Peter Blos 337
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tionnel avec les passions de la petite enfance, vécu qui conditionne la possibi-
lité de les désinvestir. Alors s’engage une individuation plus sûre, dont le choix
d’un métier représente une des issues. Une adolescence « sans histoire » serait à
l’inverse un raté du processus ; l’histoire subjective de l’adolescent se fige alors,
sans confrontation de l’infantile au processus d’adolescence.
L’accès à la régression à l’adolescence prend notamment la forme du langage
d’action. L’acte, en dépit de son contenu manifeste d’ordre psychopathologique,
s’affirme dans sa visée de restauration régulatrice du passé infantile. P. Blos opère
ici un renversement de perspective par rapport à la psychopathologie de l’acte à
l’adolescence ; l’acte est une des voies de l’auto-solution trouvée-créée par l’ado-
lescent pour reprendre les conflits infantiles et les exposer dans l’environnement,
conçu comme un espace intermédiaire entre le sujet et les figures parentales. Il
n’est pas question de l’acte comme moyen de résistance mais plutôt comme
matériel lisible de la vie infantile sur lequel le psychanalyste peut s’appuyer pour
faire travailler les représentations.
Le résidu traumatique est un après-coup de l’histoire infantile, moment de
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régulation rendant visible au sujet ses tensions internes. Leur actualité apparaît
comme une nouveauté de par le déplacement qui opère en direction de l’envi-
ronnement. C’est là une des qualités essentielles de l’acting-out, présenté comme
un recours au langage de l’action, d’offrir une seconde chance de liquidation de
menaces internes qui ont persisté au-delà de l’enfance. Ce langage d’action est
différent du langage verbal ou corporel (dans le sens de la conversion). L’expé-
rimentation spécifique de l’adolescence passe par ce langage de l’action autre-
fois investi comme une réponse motrice sécurisante face au danger interne.
Ici, le traumatisme peut être associé à une blessure narcissique, davantage qu’à
une désorganisation de l’appareil psychique ou encore une effraction du pare-
excitation. Le traumatisme s’apparente alors à un conflit infantile refoulé ou un
secret familial resté enkysté dans la psyché infantile.
338 45 commentaires de textes fondamentaux en psychopathologie…
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ences infantiles nocives restées en attente d’élaboration ou de dissolution.
4. Prolongements et filiation
P. Blos a pour particularité d’avoir traversé le xxe siècle, étant à la fois un auteur
ancien et moderne, ses derniers travaux sur l’adolescence paraissent encore
après sa disparition en 1997. Influencé par les psychanalystes viennois comme
par ceux de sa génération ou de celle qui suit, ses travaux sont par conséquent
au carrefour de l’histoire de la psychanalyse de l’adolescence et des perspectives
de pensée actuelle.
Ses travaux, qui courent sur soixante ans de publications consacrées pour la
plupart à l’adolescence, ont connu un retentissement international, en particu-
lier en Amérique du Nord. Son ouvrage de référence (Blos, 1962) a été traduit
en espagnol pour être enseigné à l’université comme une référence sur l’adoles-
cence, notamment en Argentine, au Brésil et au Pérou. En Allemagne, son pays
d’origine, la prochaine réédition de cet ouvrage semble indiquer que sa pensée
reste également diffusée en Europe, même si la France semble parfois réticente
vis-à-vis d’un auteur atypique, marqué par le caractère développemental de ses
travaux (Birraux, 1986).
L’influence qui nous paraît cependant la plus décisive reste celle d’A. Freud,
dans l’investigation du moi et du développement à l’adolescence. Pourtant,
résumer ses travaux en les rattachant à une émanation anna-freudienne serait
réducteur. En effet, ce qui trouble dans la lecture des travaux de P. Blos, c’est
l’apparente simplicité de son propos dans une première lecture, et son évidente
complexité dès l’instant où on s’y attarde, de par la multitude d’influences qui
traversent son œuvre. S’il n’existe pas d’auteur se référant à une école de pensée
Peter Blos 339
inspirée par P. Blos, ses travaux sont restés une référence pour définir le proces-
sus intrapsychique et les étapes essentielles de l’adolescence (Tyson P. et R.L.,
1990).
Enfin, son parcours apparaît exemplaire d’un certain devenir d’une généra-
tion (la seconde) de psychanalystes qui ont connu la période viennoise puis
l’exil et ont continué ou forgé leur carrière dans leur pays d’adoption. Il est
considéré aux États-Unis comme un éminent spécialiste précurseur de l’analyse
des enfants et des adolescents, ayant formé plusieurs générations d’analystes à la
psychothérapie psychanalytique de l’adolescent.
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Le travail de P. Blos s’inscrit aujourd’hui dans une perspective historique. Il est
le premier psychanalyste à proposer une approche systématisée et spécifique
du processus d’adolescence. Il est considéré comme l’auteur de publications
fondatrices sur l’adolescence dès les années cinquante, par exemple lorsqu’il
envisage l’idéal du moi comme une instance qui favorise le désengagement des
figures parentales et atténue la domination du surmoi. En dépit des critiques
portant sur l’influence développementale qui infiltre son travail et du manque
de débat interne dans sa théorisation, P. Blos privilégie la dimension interne de
la conflictualité du sujet. Alors que jusqu’ici, les travaux sur l’adolescence insis-
taient davantage sur le fait que les objets d’amour infantile, d’œdipiens deve-
naient incestueux, P. Blos donne priorité, dans le cadre d’une étude complète sur
l’adolescence, aux pulsions prégénitales et à leur destin, préalable pour accéder
à une position œdipienne à l’adolescence.
La recension des étapes qui jalonnent l’adolescence marque l’émergence de
l’idée d’un processus : l’adolescence n’est plus seulement un temps de crise mar-
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l’adulte provient des impasses du traitement des conflits internes par le pro-
cessus d’adolescence, c’est l’influence même de l’infantile qui est remise en
question ; en effet, si P. Blos s’appuie toujours sur les relations d’objet infan-
tile pour comprendre les positions adolescentes, il pose ici l’idée d’une adoles-
cence comme organisant dans la continuité de l’enfance les enjeux de la névrose
de l’adulte. Toute psychopathologie adulte, au-delà de la névrose, étant pour
M. Laufer (1984) le résultat de l’intégration d’une cassure à la puberté, le propos
de P. Blos complète celui-ci pour considérer que dans le cas de la névrose, c’est
plus précisément les impasses élaboratives de fin d’adolescence qui ouvrent sur
la névrose du sujet adulte.
Pour approfondir
Birraux A. (1986). « Quelques remarques sur la notion de séparation-individuation et ses
liens à la dépression », in Adolescence, 4, 2, 327-334.
Blos P. (1962). Les Adolescents. Essai de psychanalyse, Paris, Stock, 1967.
Blos P. (1963). « Le concept d’acting-out en relation avec le processus d’adolescence »,
in Marty F. (dir.), Le Jeune Délinquant, Paris, Payot, 2002, 307-334. Commentaire de ce
texte : Houssier, F., in Marty F. (dir.), Le Jeune Délinquant, Paris, Payot, 2002, 335-359.
Blos P. (1985). « Fils de son père », Adolescence, 3, 1, 21-42.
Blos P. (1988). « L’insoumission au père ou l’effort adolescent pour être masculin », Ado-
lescence, 6, 1, 19-30.
Blos P. (1993). « La fonction de l’idéal du moi à l’adolescence », Adolescence, Paris, 11, 1,
167-171.
Cahn R. (2002). L’Adolescent dans la psychanalyse, l’aventure de la subjectivation, Paris,
PUF.
Peter Blos 341
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PIERRE MÂLE,
« Quelques aspects
de la psychopathologie
et de la psychothérapie
à l’adolescence » (1971), in La Crise
juvénile, Œuvres complètes, Paris,
Payot, t. I, 19821
1. Présentation de l’auteur
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Pierre Mâle (1900-1976), fils du grand historien du Moyen Âge, Émile Mâle, fut le
référent de ce que Ph. Gutton (2003) nomme « l’École française de psychanalyse
de l’adolescent ». Médecin psychiatre, il fut interne en 1926, puis chef de cli-
nique (service du professeur G. Heuyer). Il fit partie du mouvement de réforme
en profondeur de la pédopsychiatrie, s’ouvrant aux autres aspects que le consti-
tutionalisme et le cadre nosographique. Proche des membres de L’Évolution psy-
chiatrique, il fut inspiré par les travaux d’Henri Wallon et de Jean Piaget, et,
également, de Pierre Janet, Maurice Debesse, Pierre Mendousse. Excellent cli-
nicien, il a beaucoup œuvré à la promotion de la pédopsychiatrie auprès de ses
élèves, dont nombre sont devenus des praticiens connus.
Parallèlement, il entreprit une analyse (R. Lœwenstein, puis Marie Bonaparte).
Il est admis en 1932 à la Société psychanalytique de Paris. Il en sera son pré-
sident en 1954, et inaugurera l’Institut de psychanalyse, rue Saint-Jacques.
En 1948, à l’hôpital Henri-Rousselle (Paris), il crée le service de guidance infan-
tile, premier véritable lieu d’accueil des adolescents en France. Il y mettra en
place une recherche en clinique et en psychothérapie spécifique à l’adolescence
qui contribuera à créer un statut original de « psychanalyste d’adolescents ».
L’adolescence y est conçue comme mettant en crise les organisations infantiles,
que seule l’approche psychopathologique peut permettre d’intégrer et de démê-
ler. Il reprend le point de vue de Jones selon lequel « l’adolescent est plus près du
premier âge que de la seconde enfance ». Enfin, il affirme que la psychanalyse est
pertinente pour les adolescents, propos qui, venant d’un psychanalyste reconnu
dans l’expérience de la cure type, fut historiquement fondamental.
Ph. Gutton souligne que P. Mâle a développé « une clinique du moi et de
ses idéaux », notions qui se rapprochent de celles retrouvées « dans les travaux
d’Hartmann, de Kris et Loewenstein », auxquels l’auteur se réfère.
Pierre Mâle 345
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cente, sur le plan clinique, et donc thérapeutique. Résultant de la rencontre « des
situations conflictuelles de l’enfant […] et les tensions de la crise amenant à une
nouvelle individuation » (p. 201), une grande incertitude s’observe. Ainsi, il faut
éviter de « “pathologiser” des comportements qui paraissent parfois aberrants
pour l’entourage » (p. 202). Mais cette phase de remaniement (corps, génitalité,
sources de dysharmonies entre les évolutions intellectuelle et affective) est égale-
ment extrêmement féconde, et donne une chance particulière à la psychothéra-
pie active. Les psychothérapies sont notamment indiquées dans les « cas où l’on
sent l’importance, la permanence, la force des obstacles opposés par les pertur-
bations de la personnalité à cette maturation évolutive juvénile » (ibid.).
2.3 Nosographie
La singularité de la clinique adolescente n’exclut pas, pour P. Mâle, la prise
en compte de la nosographie psychiatrique classique, pourtant « difficile ou
insuffisante » (p. 204). Les avantages en sont sa participation à une approche
346 45 commentaires de textes fondamentaux en psychopathologie…
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2.4 Névrose d’inhibition et névrose d’échec
P. Mâle qualifie la première comme une « attitude qui semble bloquer la relation
avec le sexe opposé, “l’objet” étant comme interdit ou comme “introuvable”, et
qui finit par s’étendre en tache d’huile sur beaucoup d’activités sociales ou intel-
lectuelles et sur les possibilités de sublimation (p. 207). L’auteur rapporte ces
troubles aux temps œdipiens (angoisse de castration chez les garçons, « frustration
phallique non reconnue, “jamais compensée” mais secondairement culpabilisée »
(ibid.) chez les filles).
Ces mêmes mécanismes se retrouvent dans les névroses d’échec, caractérisées
par « des difficultés scolaires ou professionnelles répétées, associés d’ailleurs à
des difficultés affectives […]. Il s’agit, en somme, d’“actes manqués” qui éclatent
et apparaissent sous la forme d’erreurs, de lapsus au cours de compétitions, dès
qu’il y a enjeu » (p. 207-208). Pour la fille, précise P. Mâle, « le problème est sou-
vent celui d’une revendication phallique “compensatrice” avec un essai de subli-
mation vers un “pénis intellectuel” » (p. 209).
2.5 La morosité
La morosité constitue un autre aspect phénoménologique que P. Mâle souhaite
« séparer de la nosographie traditionnelle en raison de sa fréquence et de ses
développements. […] Nous n’avons pas trouvé d’autre mot pour définir cet état
particulier à certains adolescents, qui n’est pas la dépression […], qui n’est pas
la psychose […], qui est plus près peut-être de l’ennui infantile : “Je ne sais pas
quoi faire, à quoi jouer, etc.” […]. C’est un état qui manifeste plutôt un refus
d’investir le monde, les objets, les êtres. Les choses sont sans intérêts, glissent.
L’accrochage à une certaine réalité gratifiante est difficile ; les projets d’avenir, les
motivations même de la vie sont souvent refusés : “Rien ne sert à rien, le monde
est vide” » (ibid.).
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dienne, c’est un besoin insatiable de changement, de nouveauté, de prise de dis-
tance vis-à-vis de l’enclos familial » (ibid.). L’hypothèse psychopathologique de
P. Mâle est celle d’une désexualisation de la pensée, du fait d’un tarissement de
« l’instinct comme recours. Les voies sont coupées, le “ravitaillement instinctif”
est impossible […] Ce qui explique que] souvent ces sujets sont des immatures
qui n’ont pas abandonné l’enfance, qui sont en position souvent régressive et
qui refusent d’être adulte » (ibid.).
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3. Questions et enjeux scientifiques
P. Mâle décrit les effets de la nouveauté pubertaire comme une crise. Féconde
potentiellement, elle peut néanmoins butter sur des perturbations de la per-
sonnalité résultant de l’enfance. Cet entrecroisement de deux dynamiques
(celle infantile et celle pubertaire) rend complexe l’exploration nosologique des
troubles des adolescents, et donne à la psychanalyse et la psychothérapie tout
leur intérêt.
Celle-ci, de fait, ajoute une dimension développementale « qui permet de
reconnaître les points d’impact », parfois actuels, d’autre fois plus anciens, voire
archaïques datant du début de la vie, qui constituent des « lignes de forces [qui]
sont le point d’application de notre action psychothérapeutique » (p. 205).
Conséquemment, elle permet la description d’« ensembles phénoménolo-
giques », composites sémiologiques de manifestations actuelles et de blocage
résultant de l’enfance, que P. Mâle recense alors.
Dans leur description, l’auteur précise incidemment sa technique de soin
que nous retrouvons à travers les citations suivantes : « Tout ceci […] contient
un matériel accessible qui, quand l’adolescent est mis en confiance, permet
de lui faire reconnaître les conflits qu’il a traversés et qu’il traverse encore.
Compréhension, libre action, identification jouent dans notre psychothéra-
pie » (p. 209-210). Le rythme des séances ne doit pas trop être soutenu, car
l’adolescent a besoin de « digérer le dialogue ». « Dans un certain nombre
de cas, notre politique consiste à maturer le sujet pour lui faire trouver des
sources d’investissement nouvelles et pour remettre en jeu une libido écrasée »
(p. 213). Page 215, P. Mâle décrit des psychothérapies : « Beaucoup plus prêt
du dialogue que de la cure analytique type. Simplement, il s’agit de montrer au
Pierre Mâle 349
sujet les obstacles conflictuels qui se répètent et de l’aider à les résoudre. Dans
beaucoup de cas, notre action n’a pas été autre chose. »
On retrouve un caractère volontariste et directif dans ses interventions, qui
peut surprendre. À partir de sa compréhension de la crise juvénile, il cherche à faire
reconnaître les conflits à son patient par un dialogue, en jouant sur les identifi-
cations. Il s’agit de montrer au sujet les obstacles conflictuels, à le faire maturer et lui
faire trouver des nouveaux investissements et, s’il y a impossibilité, de saisir une
technique réparatrice et opportuniste.
Cette approche interventionniste, pas aisée à rapporter à une position analy-
tique selon nous, se redouble d’appréciations que nous mettons sur le registre du
jugement. Plusieurs citations en attestent : « Souvent ces sujets sont des imma-
tures qui n’ont pas abandonné l’enfance, qui sont en position souvent régressive et
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qui refusent d’être adulte » (p. 212) ; car « il est évident que, chez un délinquant,
le problème sera très différent si nous sentons chez lui l’absence d’organisation
des valeurs morales, une affectivité bloquée et quelquefois une note perverse »
(p. 213) ; « l’immaturité, le refus de grandir et d’atteindre une position existen-
tielle qui n’est pas acceptée et contre laquelle il vient buter en refusant le monde
extérieur » (p. 214) ; ou : « une relation favorable destinée à lutter contre le refus
du contact, en réparant des identifications jusque-là impossibles » (p. 214) ; « le
refus tenace d’accepter, d’“introjecter” la scolarité » (p. 216).
Entre les divers refus, l’immaturité, l’absence d’abandon de l’enfance, l’absence
de morale et une position existentielle non acceptée, P. Mâle nous donne le sen-
timent de décrire des sujets actifs dans leur symptôme – symptôme nourri d’une
volonté caractérielle venant faire butée aux entreprises thérapeutiques du psy-
chiatre.
Ces deux points articulés entre eux – technique interventionniste, appréciations
psychopathologiques non exempt de jugement – laissent entrevoir les limites de ce
texte. Nous les rapportons aux problèmes posés par la clinique adolescente à un psy-
chiatre institutionnel. La mission de psychiatre (diagnostic, traitement, pronostic)
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s’appuie sur un savoir qui fonde un pouvoir (le « pouvoir médical »). Or l’adolescent
est particulièrement habile à interroger ou déjouer tout pouvoir. Tant que l’action
psychothérapeutique est opérante, l’outil analytique semble sollicité. Au-delà, inter-
vient, en suppléance, un autre discours, plus formaliste et conventionnel, dont on
trouve la trace dans ce que nous venons de relever.
Cette limite relève, en fait, d’une question de fond : les points de vue du
psychiatre institutionnel et de l’analyste sont-ils compatibles ? Ou, la position
analytique (sujet supposé savoir) ne suppose-t-elle pas une radicalité qui la rend
incompatible avec celle emprunte de pouvoir, articulé au savoir, du psychiatre
institutionnel ?
350 45 commentaires de textes fondamentaux en psychopathologie…
Sur un plan plus théorique, P. Mâle avance des hypothèses. Nous rassemblons
ce qui nous a paru significatif. À propos de la morosité, il souligne la reprise « des
difficultés du premier âge, comme si l’adolescent refaisant son corps, retrou-
vait les perturbations qu’il a reconnues dans la rencontre avec l’environnement,
et des frustrations, des retraits, des isolations dans l’issue de la relation mère-
enfant » (p. 211). « La morosité, l’ennui semblent ne pouvoir plus faire appel à
l’instinct comme recours. Les voies sont coupées, le “ravitaillement instinctif”
est impossible » (p. 212). Page 216, on retrouve : « Contrairement à la période
ultérieure, la levée de l’amnésie est impossible […], aboutissant souvent à des
conduites perturbées du caractère ou à un déséquilibre grave. Tout ce qui a été
vécu initialement continue donc à s’exprimer. » P. Mâle parle « des échecs des
mécanismes d’introjection, de projection du début de la vie, et de l’incapacité
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d’établir en soi “un bon objet” » (p. 216-217). « L’adolescence ramène et parfois
dramatise tous ces premiers mouvements latents du début de la vie, profondé-
ment insérés dans la personne, “biologisés” » (p. 216-217).
L’hypothèse initiale de P. Mâle est que les transformations pubertaires inau-
gurent un néo-corps. Cette expérience de découverte renvoie alors à celle, inau-
gurale, où un éprouvé similaire peut être supposé ; celui de la naissance et de la
découverte de son corps par le nouveau-né. Ce temps a été marqué par la rela-
tion à la mère. Ainsi, tous les aléas dans la relation à celle-ci se retrouvent-ils à
l’adolescence.
L’« équipement », le « ravitaillement affectif » en sont affectés, et « profondé-
ment inséré dans la personne », « biologisé », dira Pierre Mâle. Ainsi, « tout ce
qui a été vécu initialement continue donc à s’exprimer ». Souvent non mani-
feste pendant la phase de latence, ce déficit d’équipement, inatteignable puisque
biologisé, explique les échecs de l’entreprise psychothérapeutique à l’adoles-
cence. La prise en charge de telles difficultés revient ainsi à la prophylaxie.
L’intervention de la biologie (et, en filigrane, de la génétique), fait écho aux
thèses sur la dégénérescence de Morel et Magnan, de la fin du XIXe siècle – comme
elle fait écho à tout un courant de recherches actuelles en psychiatrie et en psy-
chologie. Ici, elle intervient comme facteur explicatif de ce qui paraît inamo-
vible à l’action psychothérapeutique. Mais plus prosaïquement, la question de
ce qui relève, d’un côté, des limites d’une approche psychopathologique du fait
de facteurs intangibles, tels la génétique ou le « biologisé », et, de l’autre, des
limites théoriques de l’auteur en question, se pose de nouveau. Nous retrou-
vons ici ce que nous avons rapporté aux effets de la position institutionnelle
de P. Mâle. Doit s’y ajouter, selon nous, le contexte historique dans lequel cet
auteur se trouvait. Alourdis par les hypothèses explicatives héréditaristes, les
psychiatres clairvoyants ont pu trouver à cette époque dans la psychanalyse
une ouverture salvatrice et dynamique. Celle-ci s’est ainsi trouvée propulsée au
Pierre Mâle 351
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Pour approfondir
De Mijolla A. (2010). Freud et la France, 1885-1945, Paris, PUF.
Gutton Ph. (2003). « L’école française de psychanalyse de l’adolescent », in Marty F.
(éd.), L’Histoire de la psychanalyse. Paris, In Press, 243-256.
Gutton Ph. (2010). « Pierre Mâle », in Givre P. et Tassel A. (dir.), Le Tourment adolescent,
Divergences et confluences, tome II, Paris, PUF, 175-217
Mâle P. (1964). Psychopathologie de l’adolescence, Paris, PUF, coll. « Quadrige », 1999.
Mâle P. (1975). Psychothérapie du premier âge, PUF.
Mâle P. (1982). La Crise juvénile, Paris, Payot.
Mâle P. (1984). De l’enfant à l’adulte, Paris, Payot.
36
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MOSES LAUFER,
« The Breakdown » (1983),
Adolescence, 1983, I, 1, 63-701
1. Par Férodja Hocini. Nos remerciements à Nicole Vacher-Neill pour la subtilité de ses réflexions
éclairantes.
354 45 commentaires de textes fondamentaux en psychopathologie…
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1. Présentation de l’auteur
Après des études sociales au Canada, Moses Laufer (1928-2006) part travailler
en Israël puis s’installe à Londres pour devenir psychanalyste. Il poursuit sa for-
mation de psychanalyste d’adulte à la Société britannique de psychanalyse et
sa formation de psychanalyste d’enfant à la Hampstead Clinic (Centre Anna-
Freud). Il travaille d’abord dans un centre de l’est londonien auprès de jeunes
d’un quartier défavorisé. C’est sa rencontre avec A. Freud qui donne à la carrière
de M. Laufer une orientation décisive. Jusqu’à la fin de sa vie en 1982, A. Freud
soutiendra très activement les diverses activités de son ami Laufer, œuvrant pour
la création d’une consultation entièrement dédiée aux adolescents en dehors
de la Hampstead Clinic. Ainsi s’ouvre au début des années soixante, Le Young
People Consultation Center qui deviendra, une dizaine d’années plus tard, la
Brent Consultation for Young People (BCYP, aujourd’hui connue sous le nom de
« Laufer House » à Londres). Ce centre constituait alors une référence unique en
Europe, permettant à des patients de 14 à 21 ans de bénéficier de consultations
et de psychothérapies analytiques sans qu’il soit tenu compte de leurs ressources
financières. Anna Freud, consciente de l’intérêt de ces cures menées par Laufer
et son équipe auprès d’adolescents très malades, trouve les fonds nécessaires à la
création du Centre for Research into Adolescent Breakdown.
À la fois théoricien et clinicien engagé, M. Laufer était attaché à l’idée de
la transmission, soutenant le projet que les sociétés psychanalytiques puissent
proposer des formations spécifiques dans le domaine de l’adolescence et que les
psychanalystes d’adolescents puissent disposer de forum pour échanger leurs
expériences. C’est ainsi qu’il fonda en 1993, l’European Association for Adoles-
cent Psychoanalysis (EAAP), dissoute quand la fédération européenne de psycha-
nalyse (FEP) créa en son sein un groupe spécifiquement consacré à l’adolescence.
Moses Laufer 355
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théorisation psychanalytique originale de la psychopathologie de l’adolescence.
Dans le modèle lauférien, la pathologie s’exprime préférentiellement par le biais
du corps, cible privilégiée des attaques destructrices, d’où une relative mise à
l’abri de la pensée. La psychopathologie n’est plus modélisée en référence à la
nosographie psychiatrique traditionnelle qui a cours chez l’adulte mais en termes
de cassure dans le développement, d’impasse ou d’arrêt prématuré. Les travaux
de Laufer et son équipe portent sur l’intégration du corps sexué et ses incidences
sur la vie psychique et la psychopathologie à l’adolescence, la haine de ce nou-
veau corps vécu comme ennemi intérieur et ses avatars d’autodestructions et
de conduites suicidaires. Dès la création de la revue Adolescence en 1983, Moses
Laufer participa au comité de rédaction et aux premiers échanges donnant lieu à
la publication de textes fondamentaux dont le « breakdown » fait partie.
tation de soi comme individu sexué. Le breakdown est une rupture du dévelop-
pement définie comme le rejet inconscient du corps sexué et le sentiment d’être
passif face aux exigences de son propre corps. Sans négliger les possibilités de
réaménagements à l’âge adulte, l’auteur insiste sur l’idée que le breakdown peut
se manifester par différents troubles ou symptômes qu’il distingue de la psycho-
pathologie. La référence freudienne axiale est explicitement pour Laufer les Trois
Essais sur la théorie sexuelle (et sans doute aussi la première topique). Dans tous
les cas, le problème clé est l’accession à un corps physiquement et sexuellement
adulte, capable d’engendrement, confronté à l’irréductible d’être (ou de n’être
qu’) un homme ou une femme. Si tout adolescent s’en trouve perturbé, certains
en sont littéralement persécutés, ce corps sexué d’adulte devenant l’ennemi à
dénier, au point dans certains cas de dénier la réalité tout entière comme dans la
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fuite délirante. Laufer conclut dès lors que la psychopathologie grave de l’adulte
« est le résultat de l’intégration de cette “cassure” comme moyen de défense à
l’adolescence devant la réalité ».
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Pour Laufer, l’enjeu central à l’adolescence est résolument le conflit œdipien
remis en activité par la puberté, les symptômes de défenses « psychotiques »
en étant l’expression, ainsi que la parade régressive, opposée de façon plus ou
moins massive à cette problématique œdipienne. Dans cette position théo-
rique, le corps sexué et les fantasmes de l’adolescent deviennent l’élément
décisif dans les aménagements défensifs qui visent à gérer l’angoisse de cas-
tration. La rupture, « cassure ou break-down » s’origine donc dans ce double
registre complémentaire du possible du fantasme incestueux et de l’impossible
d’un corps narcissique idéal. Mais Laufer (1968) va plus loin en affirmant que
le déni de la réalité du corps sexué (totalement ou dans sa dimension génitale)
risque d’être partagé par le psychanalyste, qui en devient complice de diverses
façons : soit en banalisant la gravité de la pathologie, soit en évitant d’aborder
ce registre, fondamental pour lui, de l’Œdipe et du corps, via l’élaboration du
fantasme masturbatoire central dans le transfert. Le fantasme masturbatoire
central condense, pour Laufer, sur le mode du rêve ou de l’hystérie, les théo-
ries sexuelles infantiles et les positions fantasmatiques du sujet, et cela dès
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l’enfance préœdipienne.
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Nous proposons d’aborder les enjeux cruciaux de ce texte selon deux axes : d’une
part le lien entre breakdown et effondrement psychotique et d’autre part les inci-
dences théorico-cliniques sur les psychothérapies analytiques à l’adolescence.
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5.2 Psychothérapies analytiques à l’adolescence
5.2.1 Adolescence et psychanalyse
Laufer soutient des positions paradoxales en apparence : celle, bien qu’étant
analyste, de ne pas prendre en considération l’histoire du développement avant
la puberté et d’affirmer simultanément que certaines pathologies graves « inter-
disent » le mouvement de l’adolescence, du seul fait d’une fixation irréductible
lors de la résolution (liquidation) du complexe d’Œdipe. Dans tous les cas, il
s’agit de contribuer à l’élargissement de l’espace psychique des adolescents en
accompagnant l’élaboration de leur relation à leurs objets parentaux internes
grâce au transfert.
L’existence d’un antagonisme apparent entre les buts de l’adolescence et la
psychanalyse est un problème qui ne peut être esquivé et qu’on retrouve dans
les écrits sur l’adolescence à travers les façons de tenter de saisir un objet qui
sans cesse se dérobe (André, Chabert, 2010). Il est fréquent de constater une
contradiction potentielle entre le mouvement d’autonomisation de l’adolescent
et la position du psychanalyste. La demande de l’adolescent n’est souvent ni
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peute à revenir aux séances « Revenez, nous devons parler demain. Vous savez
que vous avez besoin d’aide ».
Ces difficultés, étroitement liées à l’afflux pulsionnel, exposent le thérapeute à
apparaître, et cela dès le premier regard porté sur un corps trop érogène, comme
l’intolérable séducteur, voire l’intrus le plus inacceptable. Mais l’absence de
réponse ou le retrait de la part de l’adulte est ce qui, sans doute, donnerait le plus
libre cours, pour l’adolescent, au fantasme plus qu’inquiétant d’une absence de
limites. C’est cette tension entre le pulsionnel et le narcissique qui nécessite une
nouvelle élaboration du complexe œdipien. Ces éléments impliquent la néces-
sité d’une tiercéité pour permettre la régression nécessaire et pour en sortir. Cette
position est délicate, entre séduction et intrusion, parentalisation et copinage,
rupture indispensable avec une sexualité infantile et continuité nécessaire avec
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la subjectivation.
Laufer et son équipe sont très clairs et rigoureux sur la nécessité d’un traitement
intensif plurihebdomadaire, en face à face ou sur le divan. Si cette position a
l’intérêt d’une certaine « pureté » analytique, elle pose pourtant question si on
la réfère aux conceptions psychodynamiques de bon nombre de psychanalystes
français s’occupant d’adolescents, qui misent notamment sur l’imprévisibilité et
les facteurs d’autoguérison de la crise, alliant l’intensité dans la rencontre théra-
peutique elle-même et la retenue, voire le suspens ou l’utilisation des variables
du cadre thérapeutique, plutôt que sur l’imposition à l’adolescent d’un cadre
trop précis, du moins dans un temps initial. Cette position prendrait plus en
compte, semble-t-il, « l’hyperesthésie relationnelle » de l’adolescent. Quand
un patient a pu accepter l’intérêt d’un rythme de séances plus soutenu, ou sa
présence aux séances plutôt qu’à des rendez-vous plus ou moins espacés, on
peut supposer qu’un certain travail psychique s’est fait. Cela semble plus per-
tinent que d’imposer d’emblée un programme trop préétabli et précis. On peut
craindre en effet de ces positions qui ont par ailleurs leur cohérence, qu’elles
n’obèrent ce temps fécond de hasard et d’ouverture dans un souci d’intégration
conformiste.
On ne peut en revanche qu’être d’accord avec Laufer sur sa façon de placer la
dynamique transféro-contre-transférentielle au centre des enjeux des états psy-
chotiques de l’adolescence ; seule l’expérience du transfert permet ou non, selon
les cas, de « mettre en doute les solutions originales » du patient et de remanier
son histoire antérieure en lui permettant d’entrer en contact avec l’expérience
de la rupture. S’en déduit une technique ne désespérant pas de l’accessibilité
du patient à l’interprétation, mais misant surtout sur une resensibilisation aux
Moses Laufer 361
affects par un travail portant sur la fragilité du lien thérapeutique dans le trans-
fert (Richard, 2002).
Pour approfondir
André J., Chabert C. (dir) (2010). La psychanalyse de l’adolescent existe-t-elle ?, Paris,
PUF.
Baranès J.-J. (1991). La Question psychotique à l’adolescence, Paris, Dunod.
Donnet J.-L., (1983). « Un mouvement psychotique à l’adolescence : la tentation déli-
rante », Psychiatrie française, 3.
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Green A. (1990). La Folie privée. Psychanalyse des cas-limites, Paris, Gallimard.
Gutton Ph., (1991). Le Pubertaire, Paris, PUF, coll. « Le fil rouge ».
Ladame F. (2011). « Anna Freud et Moses Laufer, partenaires indissociables ? », Topique,
2011/2 (n° 115), 121-125.
Laufer M. (1968). « The body image, the function of masturbation, and adolescence :
problems of the ownership of the body », Psychoanalytic Study Child, 23, 114-137.
Laufer M. (1979). Les Troubles psychiques chez les adolescents, Paris, Le Centurion.
Laufer Egle, Laufer M. (1984). Adolescence et rupture du développement, Paris, PUF,
1989.
Richard F. (2002). Le Travail du psychanalyste en psychothérapie, Paris, Dunod.
37
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BERNARD BRUSSET,
« Anorexie et toxicomanie » (1984),
Adolescence, t. II, n° 2,
1984, 285-3141
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du sujet tandis que l’inhibition et le désinvestissement sont parallèlement
des visées permanentes d’une économie narcissique dans laquelle tend
à prévaloir la pulsion de mort – non pas l’agressivité, mais la destructivité
du “narcissisme primaire absolu”. »
1. Présentation de l’auteur
Ce texte est fondamental dans les travaux sur les troubles des conduites alimen-
taires à l’adolescence car il est un des premiers à poser les bases d’une conception
psychopathologique de l’anorexie et de la toxicomanie fondée sur la probléma-
tique de l’addiction. B. Brusset s’attache à spécifier l’anorexie mentale en tant
que « toxicomanie sans drogue ». Il développera dans ses articles ultérieurs les
liens entre anorexie mentale et addiction en tant que processus et disposition
addictive. La défaillance des régulations narcissiques caractéristique du fonc-
tionnement psychique dans ces pathologies pose la question du statut de l’objet
et de la relation thérapeutique. Ces notions ont été développées également par
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d’autres psychanalystes spécialistes des troubles alimentaires à l’adolescence
comme Ph. Jeammet. B. Brusset s’intéressera par la suite aux rapports entre ano-
rexie et boulimie, toxicomanies sans drogue donc, et il développera une méta-
psychologie de l’auto-érotisme et de l’agir. Ce texte constitue la base princeps de
sa théorisation sur la spécificité des pathologies alimentaires à l’adolescence.
3. Résumé du texte
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La question des liens avec les pathologies de l’adolescence est posée en tant qu’évi-
tement des tâches spécifiques de cette période et surtout en tant que source de
bénéfices primaires ou secondaires des conduites symptomatiques dont le risque
est d’attribuer au sujet des comportements délibérés alors qu’ils sont d’ordre
inconscient. L’adolescence est une condition nécessaire mais non suffisante de
l’anorexie ou de la toxicomanie. L’exemple de la mort recherchée dans l’effet,
sans l’être dans l’intention, illustre particulièrement ce propos. Entre la mort
par cachexie et l’overdose toxicomaniaque, le jeu avec la mort et sa signification
ordalique seraient comparables. Cependant, celle-ci est caractéristique de la pro-
blématique adolescente plus que de l’anorexie mentale ou de la toxicomanie.
Ce qui parait plus spécifique dans ces deux conduites, c’est « la lune de miel »,
la phase d’optimisme en tant que négation des risques, exaltation en rapport
avec les sensations produites sur le corps, les manipulations de l’entourage. La
réaction des parents est bien décrite par P. Angel et coll. (1983) réaction « de
cécité ou de négation, de déni du risque de mort, de dramatisation anxieuse ou
de complicité directe ou indirecte, voire d’effet inverse… renforçant le senti-
ment de puissance de l’adolescent dont le moi se constitue dans l’opposition ».
Le sentiment d’identité se définit alors en négatif : ne plus être l’enfant soumis
aux désirs des parents. Une nouvelle identité se fonde sur l’investissement nar-
cissique de la conduite symptomatique. Comme le souligne B. Brusset : « Être le
toxicomane, être l’anorexique, à défaut d’être soi, pour n’être plus l’enfant de ses
parents mais d’une manière qui est, à son insu, une manière de le rester. »
B. Brusset va ensuite décrire la relation existant entre le corps de l’anorexique et
celui du toxicomane en tant qu’élément fondamental de différenciation. « Les
toxicomanes n’investissent leur corps qu’en tant qu’instrument d’action, la per-
turbation de la relation avec le corps – l’intérieur et l’apparence – est spécifique
de l’anorexie mentale. » Spécificité du caractère menaçant d’un corps grossissant
dont la maigreur n’est jamais tout à fait suffisante pour assurer la sécurité du sujet.
Bernard Brusset 367
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les garçons.
La défaillance des régulations narcissiques se traduit dans la toxicomanie par une
dépendance anaclitique vis-à-vis des objets (individu, groupe ou institution).
Cette disposition addictive commune aux anorexies et aux toxicomanies peut
être rapprochée de la psychopathologie des états limites, des structures narcis-
siques et de la psychopathie ainsi que de certaines structures psychosomatiques
en tant que carence d’intériorisation. B. Brusset note le fait que le modèle freu-
dien de la deuxième topique trouve sa limite dans les pathologies addictives car
il suppose des instances intra-psychiques différenciées ce qui a justifié les théo-
ries de la relation d’objet comme modèle de remplacement. Cependant, tout en
montrant l’intérêt de ces modèles, il en souligne le risque d’une dérive phéno-
ménologique et rééducative. Ces modèles anglo-saxons ont suscité un nouvel
intérêt en France pour la première topique (P. Marty et coll.), pour la théorie de
l’étayage (J. Laplanche), pour la constitution de l’objet (R. Diatkine) et pour le
rôle de l’objet à partir des travaux de Winnicott et de Bion (A. Green).
Cependant, B. Brusset précise que dans la pathologie addictive, « la régres-
sion pulsionnelle relègue au second plan la problématique sexuelle génitale…
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le désir est perçu comme besoin essentiel ». Dans le modèle freudien, l’ordre
du besoin est opposé à l’ordre du désir, « le besoin vise l’ingestion du lait, le
désir vise l’incorporation du sein et de la mère ». Ce modèle théorique, repris
par J. Lacan, permet de rattacher le besoin à la relation duelle de la mère et de
l’enfant, à l’imaginaire, et le désir à la métaphore paternelle dans sa fonction
d’interdit et de médiateur. « La régression du désir au besoin serait caractéris-
tique de l’anorexie mentale, comme des toxicomanies, l’avidité incorporante
étant caractéristique de l’imaginaire et de la relation duelle à la mère. » Pour
B. Brusset ce modèle lacanien paraît trop général pour rendre compte du vide
corporel des anorexiques mis en place pour conjurer le vide mental. Le surinves-
tissement du corps se situe dans un lien étroit entre fantasme et action corporelle
368 45 commentaires de textes fondamentaux en psychopathologie…
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cause d’extinction du désir et de disparition de l’objet, comme vide.
B. Brusset nous rappelle que cette problématique du vide est commune aux ano-
rexies et aux toxicomanies mais que les déterminismes sont différents. Plusieurs
mécanismes témoins de l’épuisement économique du moi peuvent être ainsi
décrits : l’importance du refoulement, de la dépression, l’impossibilité des intro-
jections et la prévalence des processus d’extériorisation, ceux qui, telle l’identifi-
cation projective excessive, ont une fonction directement expulsive, les attaques
contre les liens, la déliaison, effet de la pulsion de mort et du désinvestissement
de l’activité de penser, la répétition d’actes consommatoires ayant valeur de réa-
lisation hallucinatoire de la satisfaction ou le pouvoir d’en relancer l’attente illu-
soire en raison de l’inversion de leur effet qui est d’accroître la frustration. Cette
logique de la toxicomanie, dont l’aboutissement conduit à l’auto-destruction, est
directement liée à celle de l’anorexie qui nie la mort dans un fantasme d’omni-
potence et une illusion d’invulnérabilité.
L’importance accordée à l’acte alimentaire comme pouvant être inducteur
d’une toxicomanie potentielle et la dépendance que constitue la hantise de gros-
sir témoignent également des liens avec la boulimie et de la tentative de res-
triction de l’acte. Cependant, la clinique nous montre que certaines anorexies
ressemblent plus que d’autres aux toxicomanies. La pertinence de la compa-
raison est donc interrogée en fonction de la gravité des cas et de leur degré
de chronicisation. La présence du vide et l’abandon du symptôme peuvent
être considérés comme des critères signifiants. Dans l’ordre de l’addiction, la
contrainte qui s’exerce à l’intérieur est perçue comme venant de l’extérieur,
signifiant un objet extérieur tyrannique, la perte de contrôle. Comme le rappelle
B. Brusset « le fait de s’adonner à… comme de se donner à… est une jouissance
qui est assumée comme telle dans l’hyperactivité de l’anorexique et dans cer-
taines formes de toxicomanie. L’objet réel est fascinant et sa présence et sa pos-
session sont surinvesties aux dépens de l’économie de sa représentation et du
Bernard Brusset 369
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suscite la limitation de l’investissement et la mise à l’épreuve
du thérapeute qui ne manque jamais. »
Le risque de réaction négative ou de fuite est toujours présent ainsi que celui
d’une recrudescence du symptôme (amaigrissement, hyperactivité) pendant la
psychothérapie. À l’inverse l’autre risque est celui d’un cadre investi comme
« holding » utilisé en tant que garant de la continuité de soi et vidé de ses conte-
nus.
Le psychanalyste ne doit donc pas interpréter trop rapidement et tenir compte
de l’introjection de la fonction apaisante du cadre dont font partie les attitudes et
la présence de l’analyste. Il ne doit cependant pas rester silencieux, mais se situer
dans une place de soutien de la verbalisation des affects notamment, sans oublier
que lorsque le matériel s’enrichit, le travail psychanalytique se heurte aux méca-
nismes de défense archaïques de type déni, clivage, identification projective, en
tant que « travail du négatif » selon l’expression d’A. Green. Comme le rappelle
l’auteur « l’introjection de la fonction interprétante de l’analyste n’est possible
que secondairement ». Les indices d’un bon pronostic thérapeutique sont le
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tique inclut les modes d’utilisation des objets externes dans un questionnement
de la pratique psychanalytique.
4. Concepts fondamentaux
et enjeux scientifiques
Ce texte met en évidence les rapports entre l’anorexie mentale et les toxico-
manies de l’adolescence dans une perspective théorique centrée sur la notion
d’addiction. Il permet d’éclairer cette notion du point de vue psychanalytique,
par le statut de l’objet externe dans ses rapports avec les défaillances des « bons
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objets internes », défaillances des régulations narcissiques en tant qu’investisse-
ment par le sujet des opérations intrapsychiques fondant son sentiment d’iden-
tité, d’intégrité et d’autonomie.
B. Brusset pointe également les différences entre anorexie et toxicomanie, dif-
férence entre la recherche du plaisir et la recherche de l’objet et même antago-
nisme entre les deux. Pour lui, la fixation toxicomaniaque se fait aux dépens de
l’amour d’objet, les enjeux narcissiques secondaires étant court-circuités et le
sujet étant assujetti à la perception des intervalles entre besoin et satisfaction.
Dans l’anorexie, l’addiction est à la sensation de vide corporel, l’objet est vécu
comme un introject persécuteur pour le sujet, la persécution par le corps gros
étant en rapport avec la persécution par l’imago maternelle. La symptomato-
logie des anorexiques se situe entre hypocondrie et paranoïa. Faire la différence
entre l’anorexie, qu’il considère comme une contre-toxicomanie, et la toxico-
manie du point de vue de la représentation de l’acte permet de préciser que les
toxicomanes ne ressentent pas les mêmes effets du symptôme. L’importance du
maintien de la sensation de faim qui permet une continuité et une efficacité
du symptôme dans l’anorexie, souligne par contraste la dépendance à la prise
du toxique et ses effets de discontinuité mortifère. Cet article permet de poser
la question fondamentale de l’évolution de ces deux comportements de signi-
fication à la fois semblable et différente sur le plan psychopathologique. Cette
clinique interroge les pathologies de l’adolescence, leurs rapports avec le corps
et le statut de l’objet.
La question des dysrelations narcissiques a été également abordée par
Ph. Jeammet à propos de l’anorexie dans le lien entre anorexie et structure per-
verse tel qu’E. Kestemberg l’avait développé dès 1972 en termes de « relation
d’objet fétichique » et à propos de la notion de carence d’intériorisation. Les
perspectives ouvertes par cet article sont multiples d’une part pour la compréhen-
sion de l’adolescence féminine, et d’autre part pour celle des liens entre névroses
Bernard Brusset 371
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Pour approfondir
Abraham N. et Torok M. (1978). L’Écorce
É et le Noyau, Paris, Aubier-Flammarion.
Angel P., Geberowicz B., Sternschuss-Angel S. (1983). Le Toxicomane et sa famille, Paris,
Éd. Universitaires.
Brusset B. (1991). « Psychopathologie et métapsychologie de l’addiction boulimique »,
La Boulimie, Monographies de la Revue française de psychanalyse, Paris, PUF, 105-132.
Brusset B., (1998). Psychopathologie de l’anorexie mentale, Paris, Dunod.
Brusset B., Chabert C., Brelet-Foulard F. (1999). Névroses et fonctionnements limites,
Paris, Dunod.
Brusset B. (2004). « Dépendance addictive et dépendance affective », Revue française de
psychanalyse, 2, 405-420.
Brusset B. (2005). « La figure de l’anorexique dans l’adolescence », Adolescence, 53, 3,
575-586.
Brusset B. (2006). « Métapsychologie des liens et troisième topique », Revue française de
psychanalyse, LXX, 5, 1213-1282.
Brusset B. (2007). Psychanalyse du lien, Paris, PUF.
Kestemberg E., Kestemberg J., Decobert S. (1972). La Faim et le Corps, Paris, PUF.
Marinov V. et coll. (2010). Anorexie, addictions et fragilités narcissiques, Paris, PUF.
Selvini-Palazzoli M. (1963). L’anoressia mentale, Biblioteca de psichiatrica i de psicologia
Clinica, Milan, Feltini.
38
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JEAN GUILLAUMIN,
« Besoin de traumatisme
et adolescence. Hypothèse
psychanalytique sur une dimension
cachée de l’instinct de vie »,
Adolescence, 1985, 3, 1, 127-1371
« Je fais, dans ces pages, l’hypothèse que les particularités et difficultés que
présentent l’abord et le traitement psychanalytique des adolescents et de cer-
tains post-adolescents renvoient à l’existence – au moins chez ces patients
et peut être de manière générale chez tous les êtres humains – d’une sorte
d’appétence ou besoin traumatophilique, ou traumatotropique, impliquant
une recherche des limites de l’excitation […] L’homme a besoin de la violence
du réel pour vivre, et si le processus analysant aide ou accomplit la vie, en en
ordonnant les impacts par la pensée, ce processus lui-même ne peut rien sans
l’irrationnelle volonté d’être, signifiée par la priorité, à lui-même douloureuse,
accordée par l’adolescence au vivre sur le comprendre. »
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1. Présentation de l’auteur
Après des études de lettres, Jean Guillaumin est devenu psychologue, puis psy-
chanalyste. Membre de la Société psychanalytique de Paris, il a enseigné et exercé
à Paris avec D. Anzieu puis à Lyon avec, entre autres, J. Bergeret comme profes-
seur de psychopathologie clinique à l’université de Lyon II. Il a animé le groupe
lyonnais de la SPP et est l’auteur ou le co-auteur de nombreuses publications et
ouvrages depuis 1965. En parallèle avec ses réflexions sur le temps, le transfert/
contre-transfert, l’objet dans la pensée de Freud, la création et une grande impli-
cation dans la pratique analytique auprès d’adolescents, d’adultes ou de super-
vision d’équipes, J. Guillaumin avance dans cet article et, par la suite dans un
ouvrage Adolescence et désenchantement. Essai psychanalytique (2001), l’hypothèse
chez l’adolescent d’une appétence traumatophilique qu’il propose de considérer
comme une dimension cachée du masochisme de vie.
2. Résumé du texte
lence du réel était seule susceptible dans le présent de donner du poids au sen-
timent d’existence. Cet appel au choc du réel sollicite et combine deux voies
qui peuvent apparaître comme antagonistes. D’un côté, il y a retour sur soi et,
à nouveau, accès à la potentialité de retourner le masochisme primaire, une
manière de se rendre maître de sa demeure. L’appel à la réalité dans l’acte, en
rencontrant l’objet et en faisant jouer les mécanismes de projection et d’intro-
jection, étaie les fonctions du masochisme primaire : le renforcement de la
constitution du moi, l’expérimentation de la limite et surtout une intrication
pulsionnelle relative mais suffisante pour se protéger de la destructivité interne.
D’un autre côté, il insiste sur l’importance pour l’analyste ou les interlocuteurs
de l’adolescent, de pouvoir accepter la valeur structurante de ces mises en acte
ou à distance. Dans la recherche du choc, est invoquée une figure référentielle,
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la figure paternelle.
Dans la filiation aux travaux de Freud sur l’objet ou plutôt l’objet de la perte
et dans une perspective proche de celle de Green (1993) sur le narcissisme et
le négatif, le choc traumatique est perçu comme un organisateur d’une forme
de mise en suspens des conflits liés à la séparation et à l’individuation avec les
premiers objets. La nécessité pour l’adolescent d’exister en dehors d’une rela-
tion anaclitique avec les objets de l’enfance correspondrait donc à une quête
traumatotropique du réel. Le choc traumatique a ici valeur d’acting-out mettant
en jeu une problématique de séparation par rapport à un vécu indifférencié.
Face au risque de la régression, il s’agit de relancer le processus d’individua-
tion afin que la vie psychique ait un lieu pour advenir. Bien que s’appuyant sur
l’expérience de certaines ruptures dans la cure psychanalytique avec l’adolescent
ou le jeune adulte, J. Guillaumin pense ce besoin de traumatisme comme une
expérience propre à l’adolescence. Il compare celle-ci à un processus initiatique
ouvrant sur une forme nouvelle de désengagement par rapport aux investisse-
ments de l’enfance et sur une plus grande diversité des idéaux qui viennent sou-
tenir l’adultisation.
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3. Concepts fondamentaux
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scène traumatique forme alors une sorte d’expérience écran, à la fois crainte et
attendue car l’abréaction de l’excitation ne peut fonctionner du fait que la nou-
velle expérience traumatique augmente à chaque fois la disposition à la psycho-
névrose. J. Guillaumin hésite à parler d’appétence traumatotropique de préférence
à la traumatophilie. Ces tendances renvoient selon le cas, à des modalités de
recherche active d’un choc traumatique, à d’autres moments, au contraire à des
conduites d’évitement de la source traumatique présumée.
Aussi, « il s’agit de se débarrasser d’une vieille peau devenue gênante et morte,
cela au prix d’un certain effort et d’un minimum, là aussi de violence » (1985,
p. 132). La violence du réel doit pouvoir venir en renfort « de la constitution
du moi et de ses frontières internes et externes » (ibid., p. 134). La construc-
tion du sujet viendrait alors s’étayer sur le monde externe, y compris en le reje-
tant pour renforcer la voie du masochisme érogène primaire défaillant. Ce dernier
est perçu en référence à la qualité des intrications pulsionnelles de base et, en
même temps, à la potentialité pour le sujet de supporter une certaine frustration
par rapport à la tension d’excitation. Les intrications pulsionnelles s’élaborent
d’abord de façon primaire dans le cadre de la dyade mère-enfant mais aussi dans
le traitement en soi d’une certaine dose d’excitation, expérience essentielle de
l’inscription du génital à l’adolescence. Cette défense contre la pulsion de mort
du sujet par lui-même à travers l’expérience du masochisme primaire est, en
quelque sorte, reprise dans un après-coup à l’adolescence. C’est donc tout le tra-
vail de « détachabilité » mis en place dans la petite enfance du sujet, qui se
trouve réactivé mais aussi transformé de façon nouvelle pendant l’adolescence
à travers la résolution de l’Œdipe négatif, la construction du féminin, la mise
en place des identifications secondaires qui se trouve étayée par le « travail de
latence » (Guillaumin, 2001).
Dans le besoin d’un choc traumatique en fin de cure comme en fin d’adoles-
cence, l’auteur met en avant une vision économique du trauma, les « syndromes
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tionnent comme si rien ne se passait à la puberté. Le trauma s’il est ressenti ne
doit pas être vécu, encore moins élaboré car il ne peut pas y avoir de « renoncia-
tion aux objets parentaux » du fait d’un investissement narcissique important
entre parent et enfant (Guillaumin, 1986). Nous avons à faire à un manque
d’expériences structurant la différenciation entre l’environnement des soins
maternels et l’enfant et, finalement, d’un excès de présence de l’objet maternel
qui empêche l’enfant de se constituer comme sujet à l’adolescence.
Aussi, dans la traumatophilie à l’adolescence, nous sommes plus confrontés
alternativement à la confrontation et à l’évitement vis-à-vis des enjeux trauma-
tiques. Cette alternance et la possibilité qu’elle débouche sur une représentation
du traumatique en soi sont sans doute liées à l’expérience qu’a faite l’enfant
dans le temps des premiers processus de subjectivation/différenciation mais aussi
dans la capacité du sujet à affronter ce besoin de traumatisme à l’adolescence,
ce temps de subjectivation suscité par la nouveauté pubertaire mais également
par les nouveaux objets. Dans les cas des adolescents décrits par J. Guillaumin
qui n’ont pas connu d’apport traumatique de l’expérience de la castration, nous
pouvons être renvoyés aux mêmes désastres que là où il y a eu excès de trauma.
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Dans une approche très approfondie des textes de Freud, J. Guillaumin a insisté
sur l’importance de la perte dans ce qui fonde les relations objectales, l’objet ne
se donnant en représentation que par son absence. Cette approche se distingue
sensiblement de celle de Winnicott pour qui l’objet ne peut se représenter que
dans sa présence/absence et une illusion suffisamment bonne permettant par
exemple à l’adolescent de retrouver ses premiers objets dans la nouveauté des
liens pubertaires. Bien que très freudien, il n’est pas sans prendre en compte
l’importance de la pensée de Winnicott. Ainsi, pour les adolescents, si les ten-
dances traumatophiliques mettent en jeu la rupture, elles tendent aussi à réin-
vestir l’épreuve de réalité. C’est pourquoi l’effet de choc dont parle J. Guillaumin
peut être rapporté à l’épreuve du « détruit-créé » qui permet que se joue la dif-
férenciation entre le sujet et l’objet et la reconnaissance de l’autre en tant que
personne bien distincte de soi (Winnicott, 1971). Là, le principe de réalité prime
sur le principe de plaisir ou son au-delà. Le recours à l’acte permet de réélaborer
le lien à l’objet, de réinterroger l’alliance originaire et de participer à sa créa-
tion permanente. Il s’agit non seulement de convoquer l’objet dans le but de
ré-expérimenter les limites avec lui mais bien plus de faire l’expérience de sa
survie dans son rôle déflecteur vis-à-vis de la destructivité (Roussillon, 1991).
Au-delà, à travers la reprise de l’expérience du détruit-créé et des fantasmes des
origines entre sujet et objet, il y a la nécessité de soutenir le procès des identifi-
cations. À l’adolescence, cette expérience de l’utilisation de l’objet se joue sur-
tout à travers le rapport à l’origine, à la scène primitive. Il s’agit de retrouver sous
la forme d’une représentation par le traumatisme un espace psychique suffisant
pour opérer les transformations de l’adolescence mais également un lien avec
ce qui apparaît comme l’expérience même des « préconditions/conditions de
la symbolisation » (ibid.). À travers cette dramatisation, l’adolescent tente non
seulement de remettre en jeu ce rapport au « détruit-créé » mais aussi, par des
indices perceptifs, de mobiliser chez ses parents, chez l’autre, une représentation
Jean Guillaumin 379
des points d’effraction. Nous voyons bien qu’il suscite davantage un éprouvé
qu’une réelle représentation de l’originaire traumatique. Cependant, cette expé-
rience est susceptible de se muter en une nouvelle émotion correctrice en lien
avec les « jeux de cadre » et en appui avec la dynamique « transféro-contre-
transférentielle » (ibid.).
Depuis ce texte de Guillaumin sur le besoin de traumatisme à l’adolescence,
la notion de traumatophilie s’est trouvée réélaborée avec les apports des théories
sur le transgénérationnel et de la psychanalyse groupale. Au-delà de la problé-
matique psychique, le besoin de traumatisme à l’adolescence peut renvoyer à un
« complexe traumatique de filiation », suscité par une transmission de trauma-
tismes non élaborés par les générations précédentes (Drieu, 2004). Par ses ten-
dances traumatophiliques, l’adolescent cherche le compromis pour reconstruire
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l’étayage narcissique parental nécessaire aux constructions adolescentes tout en
essayant de rejouer dans le nouveau contexte pubertaire, les épreuves de diffé-
renciation avec l’objet.
Sans ignorer ces apports puisqu’il a travaillé avec Anzieu et Racamier,
Guillaumin s’est davantage intéressé à la dimension métapsychologique de ce
besoin de traumatisme à l’adolescence, en en faisant un opérateur spécifique de
la fin d’adolescence, celui-ci intervenant principalement dans la lutte contre le
désenchantement. La post-adolescence est perçue comme un processus se révé-
lant surtout avec les changements des métacadres socio-anthropologiques, prin-
cipalement les modes de transmission et les transformations du modèle adulte
plus marqué par son inachèvement. Dans un monde aux limites assez floues,
marqué par l’individualisme et face au manque d’étayage des objets culturels,
ces « post-adolescents », selon Guillaumin, n’auraient « aucun moyen cohérent
et collectif de ré-enchanter leur âme, endeuillée en secret par la perte des objets
merveilleux d’autrefois » (2001, p. 128). Aussi, l’économie post-adolescente
serait particulièrement aux prises avec une lutte contre le désenchantement, la
mise en suspens des deuils et donc « l’utilisation de mécanismes de contrôle et
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Peu abordés dans les approches analytiques sur l’adolescence, les travaux de
J. Guillaumin sont pourtant originaux et majeurs. Dans la même perspective que
les travaux sur la subjectivation de Cahn (1998), il nous alerte sur les difficultés
des adolescents dans notre environnement à surmonter la perte, la dépressivité
380 45 commentaires de textes fondamentaux en psychopathologie…
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aujourd’hui bien élaborée, la question de la traumatophilie que nous trouvons
derrière de nombreuses conduites psychopathologiques, gagnerait aujourd’hui à
être davantage problématisée au regard des exigences du devenir adulte.
Quant aux traitements, la proposition de Jean Guillaumin de travailler sur les
différents états de l’absence chez le patient à partir des contre-transferts de l’ana-
lyste peut être aujourd’hui élargie à l’ensemble des soins psychothérapeutiques.
Face aux impasses dans la subjectivation, l’existence d’autrui, la naissance de
sa subjectivité réside dans l’attention désintéressée et, pour le dire autrement,
dans le désintéressement du psychanalyste. Toutefois, cette attitude, ou plutôt ses
empêchements ne seront symbolisés bien souvent que dans les ratés du disposi-
tif thérapeutique, dans les interstices des rencontres.
Pour approfondir
Abraham K. (1907). « Traumatismes sexuels comme forme d’activité sexuelle infantile »,
trad. fr., Œuvres complètes, Paris, Payot, t. I, 1989, 24-35.
Cahn R. (1998). L’Adolescent dans la psychanalyse. L’aventure de la subjectivation, Paris,
PUF.
Drieu D. (2004). « Automutilations, traumatophilie et enjeux transgénérationnels à
l’adolescence », Adolescence, 22, 2, 311-323.
Fénichel O. (1945). La Théorie psychanalytique des névroses, trad. fr., Paris, PUF, 3e éd.,
1979.
Green A. (1983). Narcissisme de vie, narcissisme de mort, Paris, Éd. de Minuit.
Guillaumin J. (1982). Quinze études psychanalytiques sur le temps. Traumatisme et après-
coup, Toulouse, Privat.
Jean Guillaumin 381
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RAYMOND CAHN,
« Les déliaisons dangereuses :
du risque psychotique
à l’adolescence » (1985),
Topique, 35-36, 1985, 15-2051
1. Présentation de l’auteur
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Raymond Cahn est psychiatre et psychanalyste. Il est aussi titulaire et membre
honoraire de la Société psychanalytique de Paris. En 1971, il fonde l’hôpital
de jour pour adolescent du Cerep-Montsouris, institution qu’il dirigea jusqu’en
1987. R. Cahn a beaucoup travaillé sur l’adolescence, principalement sur la psy-
chopathologie et la métapsychologie de l’adolescence. Son œuvre et ses apports
théoriques se sont toujours appuyés sur sa vaste expérience clinique auprès des
adolescents et leurs familles. Il laisse dans son sillage quelques-uns des textes
fondamentaux dont celui-ci, « Les déliaisons dangereuses ». Ces textes ont servi
de base à son livre Adolescence et folie : les déliaisons dangereuses paru en 1991.
Ouvrage qui marquera un tournant dans la compréhension de la psychopa-
thologie de l’adolescent. S’il ne l’a pas créé, Raymond Cahn est à l’origine de
l’élaboration théorico-clinique du concept de « subjectivation » à l’adolescence
et l’article que nous présentons lance les bases de cette élaboration, toujours
actuelle (2006). Pour faire connaissance avec l’auteur ou approfondir ses travaux
on peut lire Autour de l’œuvre de Raymond Cahn Vermorel, Dufour, Bal (2009).
Cet article publié en 1985 peut être considéré dans le même temps comme
l’aboutissement d’une réflexion clinique et comme le levier de toute une élabo-
ration en devenir. Cette réflexion mènera à une construction théorique autour
de la psychose à l’adolescence et de la subjectivation et ses vicissitudes.
C’est donc ici que Raymond Cahn lance les bases de ce qu’il considère comme
étant un des grands risques de l’adolescence, le risque psychotique. Il lance des
Raymond Cahn 385
pistes de réflexion sur les causes possibles de ce risque. Il fonde son élaboration
sur les notions de narcissisme primaire, de déni, et sur la fonction du travail de
déliaison et de liaison entre les représentations et les pulsions, sans omettre la
question de l’environnement familial. Il place également le « corps » au centre
de la problématique identitaire de l’adolescent, des processus de changement
et de l’équilibre entre les relations narcissiques et objectales à l’adolescence.
R. Cahn va ainsi jusqu’à parler d’un moi qui est aussi de chair. Toutefois, ce qui
sera le moteur de ces processus est la puberté et les remaniements qu’elle induit.
Autrement dit, le besoin essentiel pour l’adolescent est de maintenir la conti-
nuité et la stabilité des processus psychiques dans un moment de remaniement
d’un « corps » dont les changements doivent être intégrés et élaborés dans un
processus de construction identitaire.
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L’auteur s’inscrit profondément dans la lignée freudienne, tout en citant ses
autres sources d’inspiration et de réflexion : V. Tausk, F. Pasche, D. Winnicott et
P. Aulagnier. Et c’est aussi en cela que ce texte devient remarquable dans l’après-
coup. Car dès sa sortie en 1985, cet article paru dans la revue Topique devient en
quelque sorte un maillon important dans l’œuvre de R. Cahn. Ici l’auteur nous
expose sa « filiation » théorique, ses origines, pour très vite, en quelques années,
construire les fondamentaux de son œuvre. Avec en 1989 sa participation au
désormais fameux colloque de Monaco sur le thème « Le narcissisme à l’adoles-
cence » et en 1991 son rapport au XXXIe Congrès des psychanalystes de langue
française, « Du sujet », rapport important s’il en est, car c’est à cette occasion que
R. Cahn a présenté son élaboration du concept de subjectivation. Ainsi, dès cet
article de 1985 sont lancées les bases de toutes les réflexions postérieures d’un
paradigme majeur de la psychopathologie contemporaine et qui a influencé tant
d’autres auteurs, comme François Richard et surtout Bernard Penot, son succes-
seur à la direction de l’hôpital de jour pour adolescents du Cerep-Montsouris.
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Il s’agit d’un texte complexe, prolixe, profond et en même temps d’une appa-
rente simplicité. R. Cahn commence par une vignette clinique : Pauline et son
histoire. Une histoire « exemplaire par sa banalité même » (p. 188) qui va lui ser-
vir de fil conducteur. Pauline a été admise à l’hôpital de jour pour adolescents du
Cerep-Montsouris après une longue hospitalisation pour un état dissociatif déli-
rant. La décompensation psychotique avait eu lieu un an auparavant et depuis
Pauline oscillait entre différentes phases où alternaient des moments d’excita-
tion et des moments de calme. Ce sont des moments de crise où l’apaisement
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justement cette apparente absence de sens qui questionne. Pauline ne comprend
pas, les parents non plus, et les symptômes délirants, une fois l’apaisement sur-
venu, apparaissent comme étant dépourvus de sens pour quiconque les observe.
Or le travail thérapeutique de la (re)construction de sens est essentiel pour per-
mettre la mise en place de l’identité du sujet et lui permettre de se situer en tant
qu’homme ou femme en devenir. La prise en charge de Pauline est difficile, avec
une équipe soignante parfois dépassée par les événements. La prise en charge de
Pauline a commencé par une lente reconstitution de sa vie, une mise en sens de
son vécu.
Ainsi, suivant ce fil d’Ariane, l’auteur propose un raisonnement ancré dans
la clinique et il fait ressortir les principaux symptômes qui serviront de base
à sa démonstration théorique. C’est une anamnèse qui révèle une histoire de
vie construite autour du déni, des angoisses précoces, des délires, des moments
d’authenticité de la patiente contrebalancés par des manifestations plaquées
et une expression de la sexualité d’une grande crudité ainsi que des tentatives
de dégagement de l’emprise tant maternelle que paternelle. Mais pour l’auteur
l’élément déclenchant de la décompensation psychotique a manifestement été la
survenue de la puberté. Ainsi, R. Cahn pose les jalons et déploie les concepts fon-
damentaux de son texte, en faisant l’hypothèse clinique que c’est la puberté qui
fait que la survenue précoce du délire et de l’ébranlement des assises identitaires
advienne et qu’elle soit aussi forte. En effet l’auteur place la puberté, ce moment
de bouleversement pulsionnel, narcissique et objectal, au centre de la problé-
matique du processus de l’adolescence en général et de la problématique psy-
chotique adolescente en particulier. Puisqu’elle surviendrait quand un travail de
liaison entre les remaniements psychiques et corporels s’avère impossible. Pour
Pauline la puberté a été le moment de la décompensation psychotique, de la
déliaison pulsionnelle, de la confusion entre dedans et dehors, quand le monde
interne du sujet bascule et que le travail de la psyché ne se fait plus, quand,
Raymond Cahn 387
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siques. Il s’agit d’une tentative désespérée du sujet de préserver l’espace psychique,
de se dégager de la répétition compulsive de l’insupportable, d’ouvrir d’autres pos-
sibilités de liaison, même si c’est au prix de défenses psychotiques. Donc, pour
R. Cahn, l’entrée dans la psychose permet au sujet de se construire un dernier
rempart contre l’effondrement de l’identité et contre la confusion entre le dedans et
le dehors.
Puis R. Cahn nous guide à travers sa lecture des travaux de P. Aulagnier, de
V. Tausk et de D. Winnicott, auteurs au centre de sa réflexion sur le narcissisme
primaire et sur l’indistinction entre le sujet et l’objet. C’est à partir de cette
réflexion métapsychologique qu’il va faire l’hypothèse que la sexualité adoles-
cente persécutrice ne fait qu’augmenter les excitations pulsionnelles, « ébran-
lant et remaniant dans un travail ininterrompu de délaisons-reliaisons les liens
entre les représentations » (p. 191), et sur ce qui jusqu’alors constituait les assises
narcissiques et objectales du sujet adolescent.
Or, ici se pose la question : si ce travail est commun à tous les adolescents,
pourquoi donne-t-il lieu à une décompensation psychotique pour certains. Pour
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R. Cahn il faut une conjonction de facteurs pour que cela se produise. Mais,
essentiellement à l’adolescence, le sujet doit pouvoir se construire un passé, se
donner à soi-même un passé d’enfant : en quelque sorte, il faut que l’adolescent
puisse transformer son enfance en passé, il faut qu’il puisse devenir sujet de son
propre récit.
C’est ici que les fondements de la pensée de l’auteur émergent : pour lui le sujet
est présent en permanence. Il est en partie constitué de l’objet primaire et de ce
qui s’est passé entre le sujet et cet objet, sans qu’il puisse y avoir dissociation
entre eux. Le sujet ressent d’abord les affects avant les représentations, la pulsion
avant d’être une réalisation du devenir pulsionnel. Mais, en même temps que ce
sujet est permanence il est également en émergence. Le sujet est ainsi le produit,
388 45 commentaires de textes fondamentaux en psychopathologie…
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et enjeux scientifiques
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déliaison-reliaison qui permet à l’adolescent de « garder ce qui du passé ne doit
pas changer, ce qu’il ne doit pas abandonner et ce qui doit se modifier en lui ou
rester modifiable » (p. 45).
Pour R. Cahn l’approche thérapeutique la mieux adaptée pour l’adolescent
psychotique et son milieu est le placement en hôpital de jour, avec mise en place
d’une psychothérapie individuelle conjointement au bénéfice tiré de l’environ-
nement des soignants. Ici encore est privilégiée l’élucidation des attitudes contre-
transférentielles des soignants. Toute adolescence, virtuellement au moins, offre
au sujet une possibilité d’advenir. Quand la psychose a été la dernière défense
contre l’effondrement total, il va de soi que cette possibilité a besoin d’un étayage
très adapté à la massivité du danger. Le travail institutionnel permet la construc-
tion d’un espace psychique individuel pour que l’adolescent en difficulté puisse
prendre appui sur cet « appareil psychique institutionnel », afin d’élaborer autre-
ment sa problématique. En revanche, ce travail ne peut pas s’avérer suffisant en
lui-même mais il peut être apte à ouvrir un espace thérapeutique au sens de la
thérapie individuelle analytique. Cet espace institutionnel peut avoir un rôle
d’étayage et d’accompagnement de la relance de la dynamique psychique pour
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Pour approfondir
Aulagnier, P. (1975). La Violence de l’interprétation. Du pictogramme à l’énoncé, Paris,
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PUF.
Aulagnier, P. (1989). « Se construire un passé », Journal de la psychanalyse de l’enfant,
n° 7, « Le narcissisme à l’adolescence », colloque de Monaco, Paris, Le Centurion.
Baranès J.-J. et coll. (1986). Psychanalyse de l’adolescence et psychose, Paris, Payot.
Cahn R. (1987). « Thérapie des actes – actes de thérapie », in Adolescence, 1987, 5, 2,
235-252.
Cahn R. (1990). « Pour une théorie psychanalytique de la psychose à l’adolescence »,
in Ladame F., Gutton Ph., Kalogérakis M. (dir.) (1990), Adolescence et psychose, Paris,
Masson, 11-26.
Cahn R. (1991). Adolescence et folie. Les déliaisons dangereuses, Paris, PUF.
Cahn R. (1998). L’Adolescent dans la psychanalyse, Paris, PUF, 2e éd., 2002.
Cahn R. (2002). « Les identifications à l’adolescence », in Monographies de psychanalyse
de la RFP, « Identifications », Paris, PUF
Cahn R. (2006). « Origines et destins de la subjectivation », in Richard F., Wainrib S. et
coll., (2006) La Subjectivation, Paris, Dunod, 7-18.
Penot B. (2001). La Passion du sujet freudien, Toulouse, Érès.
Penot B. (2003). Figures du déni, Toulouse, Érès.
Penot B. (2006). « Travailler psychanalytiquement à plusieurs, la reprise d’une condition
première de la subjectivation », in Richard F., Wainrib S. et coll. (2006) La Subjectivation,
Paris, Dunod, 179-191.
Richard F. (2001). Le Processus de subjectivation à l’adolescence, Paris, Dunod.
Richard F., Wainrib S. et coll. (2006). La Subjectivation, Paris, Dunod.
Vermorel M., Dufour J., Bal M.-C. (dir.) (2009). Autour de l’œuvre de Raymond Cahn. Vers
un nouvel espace psychique, Paris, In Press.
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ALAIN BRACONNIER,
« La dépression à l’adolescence :
un avatar de la transformation
de l’objet d’amour », Adolescence,
1986, 4, 2, 263-2731
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1. Présentation de l’auteur
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amène l’auteur à formuler cette question importante, basée sur son expérience
de la clinique du transfert : « En quoi l’adolescence nous permet-elle de mieux
comprendre un certain type de dépression que nous assimilons pour notre part
à un “avatar de la transformation de l’objet d’amour” ? »
En corollaire, l’hypothèse centrale est la suivante : l’échec du travail de trans-
formation des investissements objectaux – ou déplacement des liens d’attache-
ment originel sur de nouveaux objets – plonge le sujet dans un certain type
de dépression où la rupture du transfert (qui est la meilleure façon de garder
l’objet) l’emporte sur la séparation dans le transfert, où la répétition dans l’agir
l’emporte sur la remémoration dans la pensée, où une désarticulation entre la
constance des nécessités narcissiques et les nouveaux investissements objec-
taux prédominent, où en définitive la transformation de l’objet d’amour est
obérée par le dialogue d’amour originel dont la transformation renvoie le sujet
à un véritable matricide et métapsychologiquement à un deuil impossible.
À partir de cette hypothèse, fil rouge de l’article, A. Braconnier va donner un
nouvel éclairage aux concepts d’adolescence, de crise dépressive à l’adolescence et
de dépression à l’adolescence.
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lescence ? Si ni la dépression, ni la crise, ne sont des états spécifiques de l’adoles-
cence, en quoi l’adolescence permettrait-elle une meilleure compréhension de
ces deux états et surtout de leurs relations ? À l’adolescence, l’intensité des trans-
formations psychiques et de l’idée que se fait le sujet de sa capacité à réaliser des
désirs sans se reposer sur la toute-puissance protectrice parentale représente un
traumatisme. Surtout, la capacité d’aimer et de réaliser ses désirs amoureux peut
générer chez l’adolescent une angoisse extrême et, dès lors, des attitudes de fuite
dans l’agir ou la somatisation aboutissant à un profond sentiment d’impuissance.
Ainsi, la lutte pour réaliser des désirs, à la mesure de l’érotisation des relations (y
compris lorsqu’elles sont ambivalentes), s’épuise et laisse place à des manifesta-
tions dépressives majeures. Ce processus amène A. Braconnier à proposer cette
nouvelle entité psychopathologique propre à cette période : la crise dépressive à
l’adolescence. Cet état clinique, qui n’est ni la crise d’adolescence, ni la dépression
à l’adolescence, voit s’articuler de façon successive des symptômes anxieux et des
symptômes dépressifs. Les deux facteurs associés à cette crise dépressive sont les
représentations d’une séparation d’avec les objets parentaux, et les représenta-
tions d’un lien sexuel avec un « objet grand amour » renvoyant souvent au pre-
mier amour d’adolescent, représentations tout autant angoissantes, douloureuses
et conflictuelles. L’évolution de cette crise dépressive dépend d’une part du deve-
nir de ces représentations et des affects qui y sont liés, d’autre part des représenta-
tions des séparations antérieures. La gravité de la crise dépressive à l’adolescence
dépend en effet en grande partie du traitement des angoisses de séparation infan-
tiles. Cette crise dépressive, se caractérisant par la conflictualité de deux modes de
relations objectales – d’une part l’objet à perdre, d’autre part l’objet à investir –,
maintient l’adolescent dans une possibilité d’évolution et de changement vers un
nouvel équilibre.
A contrario, la dépression proprement dite est susceptible d’entraver gravement
le processus d’adolescence : il ne s’agit pas d’une conflictualité entre deux modes
Alain Braconnier 395
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3. Devenir et prolongements du texte
lution conforte les assises narcissiques et les introjects objectaux et donc l’iden-
tité grâce à une identification réussie au modèle parental. Dès lors, au sein de
l’espace-temps pubertaire, homosexualité et hétérosexualité se mêlent pour se
répartir à nouveau, afin de parvenir au primat du génital. Ph. Jeammet et E. Birot
(1994) ont a contrario mis en exergue la difficulté d’élaboration de l’homosexua-
lité psychique chez des adolescents suicidants. Cette difficulté révèle le caractère
excitant, voire désorganisant de l’investissement d’objet et pousse l’adolescent
à l’agir, comme tentative de se dégager d’une identification maternelle massive
et non négociable.
Constatant que la crise dépressive à l’adolescence résulte d’une défaillance des
aménagements contenants, A. Braconnier propose un autre prolongement vers
396 45 commentaires de textes fondamentaux en psychopathologie…
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internes fait effraction dans la psyché et met le sujet dans un état de détresse.
Comme le formule Ferenczi (1932b) à propos du geste suicidaire – l’une des
conduites autodestructrices les plus répandues à l’adolescence –, « se punir soi-
même (se tuer) est plus supportable que d’être tué […] Si je me tue moi-même, je
sais ce qui va arriver. Le suicide est moins traumatique (il n’est pas imprévu) ».
Ces réflexions renvoient à l’archaïque, aux objets primordiaux et à l’intériori-
sation des objets durant l’enfance, qui vont avoir un retentissement majeur au
moment de l’adolescence. A. Braconnier insiste d’ailleurs à la fin de son article
sur les liens entre la dépression à l’adolescence, sous-tendue par l’impossibilité
de supporter le coût de la qualité transformationnelle de l’objet, et l’importance
des angoisses de séparation durant la petite enfance où l’objet n’est pas unique-
ment identifié comme un objet mais également comme un processus de trans-
formation dans lequel le mode d’utilisation et la nature de l’objet se confondent.
Ceci doit nous inciter à être attentif à l’effet d’écho entre le jeune enfant et
l’adolescent A. Braconnier met à présent cette question en débat à travers les
colloques « BB/Ado » qu’il organise avec B. Golse. (Braconnier et Golse, 2008a,
b, 2010). Il reconnaît la contribution développementale essentielle du processus
de séparation individuation au cours de la petite enfance et au cours de l’ado-
lescence. Fondamental à ces deux périodes de la croissance et de la maturation
psychiques, ce processus confirme l’importance des liens qui existent entre la
petite enfance et l’adolescence. À chacun de ces moments, l’identité ne peut se
construire qu’au prix du deuil du fantasme de fusion avec l’autre, ou de protec-
tion de la part de l’autre. L’infans qui se réveille brutalement chez l’adolescent
nous semble mériter une attention particulière. C’est peut-être justement cet
enfant en l’adolescent qui demande à être entendu par le thérapeute. Une ado-
lescence réussie est celle qui permet à l’adolescent de conserver vivant l’enfant
en lui (Marty, 2005).
Alain Braconnier 397
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dépressive résulterait de la crise dépressive, ayant pour origines les angoisses
de séparation infantiles. Cette crise dépressive et la menace dépressive associée
peuvent se retrouver aussi à d’autres âges de la vie, tout en ayant été précédées
d’une crise du même type passée plus ou moins inaperçue au cours de l’adoles-
cence. Le plus souvent, cet état est bref en raison de l’établissement de relations
nouvelles ou du développement de nouveaux intérêts. Mais lorsqu’aucun traite-
ment est engagé, ce syndrome de menace dépressive peut se transformer en état
dépressif véritable (Marcelli et Berthau, 2001).
Pour approfondir
Blos P. (1985). « Fils de son père, Adolescence, 3, 1, 21-42.
Braconnier A. (1988). « La menace dépressive. Une transformation à l’adolescence de
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l’angoisse de séparation ? », Confrontations psychiatriques, 29, 141-159.
Braconnier A. et Golse B. (2008). Nos bébés, nos ados, Paris, Odile Jacob.
Braconnier A. et Golse B. (2008b). « Introduction », in Braconnier A. et Golse B., Bébés-
ados : à corps et à cri, Le Carnet psy, 7-13.
Braconnier A. et Golse B. (2010). « Avant-propos », in Braconnier A. et Golse B., Dépres-
sion du bébé, dépression de l’adolescent, Le Carnet psy, 7-11.
Chabert C. (2002). « Les parents intérieurs », La Psychiatrie de l’enfant, XLV, 2, 2002, 379-
392.
Chabert C. (2003). Féminin mélancolique, Paris, PUF.
Diatkine R. (1985). « Devenir adolescent, rester adolescent », in Coll., Adolescence termi-
née, adolescence interminable, Paris, PUF, 57-68.
Ferenczi S. (1932a). « Le langage de la tendresse et de la passion dans le Journal Cli-
nique », in Confusion de langues entre les adultes et l’enfant, trad. fr. Paris, Payot, coll.
« Petite Bibliothèque Payot », éd. 2004, 61-73.
Ferenczi S. (1932b). « Stratégies de survie », in Le Traumatisme, trad. fr. Paris, Payot, coll.
« Petite Bibliothèque Payot », éd. 2006, 59-171.
Gutton P. (1991). Le Pubertaire, Paris, PUF.
Jeammet P. et Birot E. (1994). Étude psychopathologique des tentatives de suicide chez
l’adolescent et le jeune adulte, Paris, PUF.
Kestemberg E. (1984). « “Astrid” ou l’homosexualité, identité, adolescence. Quelques
propositions hypothétiques », in L’Adolescence à vif, Paris, PUF, 1999, 239-265.
Marcelli, D. et Berthau E. (2001). « Menace dépressive et crise anxio-dépressive », in
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Marcelli D. et Braconnier A. (1983). « Approche psychopathologique : les différents types
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Marty F. (2005). « Grandir, mûrir, vieillir : initiation à la temporalité psychique. Que serait
la temporalité psychique sans l’adolescence ? », Psychologie clinique et projective, 11, 231-
256.
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PHILIPPE GUTTON,
« L’éprouvé originaire pubertaire
et ses représentations »,
Adolescence, 1990, 2, 355-367 ;
« La scène pubertaire aura-t-elle
lieu ? », Adolescence, 1991, 1, 61-811
1. Présentation de l’auteur
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poste à Paris-Diderot puis à Aix-Marseille I. Il a fondé en 1983 la revue Adolescence
et en 2003 le centre de pratiques familiales d’Aix-en-Provence qu’il dirige. Il est
l’auteur de très nombreux articles et ouvrages sur l’adolescence parmi lesquels
nous retenons Le Pubertaire (1991), Adolescens (1996), Psychothérapie et adoles-
cence (2000), Violence et adolescence (2002), Le Génie adolescent (2008). Opposant
le pubertaire, renforcement pulsionnel issu de la puberté, à l’adolescens, travail
élaboratif concomitant ou retardé dont le but est la désexualisation des repré-
sentations incestueuses menant au choix d’objet adéquat, Ph. Gutton a tou-
jours cherché à travers une théorisation du processus adolescent, parfois difficile
d’accès mais fourmillante d’idées nouvelles, à éclairer la psychopathologie grave
de l’adolescence.
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le modèle infantile, l’auto-séduction, voire l’identification au séducteur, l’ado-
lescent devenant amoureux de son image plus jeune qu’il n’est, en même temps
qu’il se trouve désormais en capacité de provoquer un désir sexuel comme un
adulte. La complémentarité des sexes « restitue une problématique d’espoir,
comparable à l’appropriation du corps maternel et secondairement phallique
pour l’enfant, […] et recompose le manque de l’objet perdu car retrouvable »
(ibid., p. 362). Ce concept se définit « comme un éprouvé originaire au plus près
du sensori-moteur […] et constitue la base d’un auto-engendrement visant à la
certitude pour l’enfant pubère d’être masculin ou féminin » (ibid., p. 364).
Dans le second texte intitulé « La scène pubertaire aura-t-elle lieu ? » on
voit que les travaux de Ph. Gutton s’inscrivent dans la lignée de P. Mâle et d’E.
Kestemberg pour tout ce qui concerne la sexualisation de la pensée pubertaire.
Dans ce texte, l’auteur cherche à définir les scènes pubertaires dont « souffre »
l’enfant pubère. La topologie de la scène pubertaire est primaire et la sexuali-
sation des représentations parentales donne la mesure de la violence qui s’y
joue. Les scènes pubertaires se développent grâce à une double méconnaissance :
méconnaissance non seulement entre les figurations qu’elles animent mais aussi
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par rapport à l’infantile. Elles sont rapportées comme des souvenirs. Pour expo-
ser les reconstructions fantasmatiques qui y sont travaillées, Ph. Gutton pré-
sente l’adolescent comme un historien actif venant exposer en psychothérapie
ses constructions et reconstructions à deux ou à plusieurs, les scénarios fantas-
matiques relatés et explicités ayant pour point d’origine la conviction complé-
mentaire.
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dimension homosexuelle masochiste.
La seconde partie du texte constitue un approfondissement métapsycholo-
gique de la pensée des Laufer sur la maladie grave. L’auteur s’intéresse au proces-
sus de neutralisation du pubertaire quand il y a extériorisation du corps pubère
réel ou impossibilité de la scène pubertaire à se jouer, étant entendu plus généra-
lement, que si les étayages narcissiques ne sont pas suffisamment bons, la scène
pubertaire ne peut se jouer. « Réalité et pubertaire sont d’interminables enne-
mis » souligne Ph. Gutton, l’enfant pubère développant naturellement une résis-
tance au pubertaire susceptible parfois d’aller jusqu’à sa neutralisation. Dans le
pubertaire ordinaire une dialectique s’opère entre renoncement à la réalité infan-
tile et une acceptation de l’identité sexuée. Dans la pathologie les pulsions sont
récusées et se met en place « une stratégie de terre brûlée ». Ce qui aurait dû être
mis en représentation interne comme drame œdipien se présente comme per-
ceptions, actes d’un modèle masturbatoire.
L’effacement de l’éprouvé pubertaire, effet et cause d’une blessure narcissique,
peut être dû à la violence et au degré de réalité de scènes incestueuses, à certaines
scènes antipubertaires, voire à une fixation homo-érotique infantile empêchant
le mouvement hétérosexuel. Elle aboutit soit à la dépression, soit à la projec-
tion.
Dans le premier cas apparaît un travail de deuil sur l’objet pubertaire. Dans le
second cas apparaît soit le sort du corps comme objet externe, soit la relation au
rival, au parent phallique. Tout ce qui vient du delà des frontières est considéré
comme ennemi. Il peut donc en résulter soit une hypocondrie génitale – l’espace
psychique est rétréci par le débordement corporel – soit une allégeance à un
parent grandiose, un séducteur par inversion de l’affect – quand toute la scène
de l’homosexualité infantile a échappé au travail du pubertaire.
L’auteur rappelle à cet égard les travaux des Kestemberg sur la psychose
blanche et la problématique narcissique existant dans tout système projectif,
Philippe Gutton 403
estimant qu’ils sont complémentaires de ceux qu’il développe dans la lignée des
Laufer, rappelant pour finir que ces derniers ont distingué dans le breakdown une
fonction défensive dominante dans le cadre d’un acte psychotique – la tenta-
tive de suicide en faisant partie –, une possible rupture transitoire donnant lieu
à un fonctionnement psychotique, et enfin l’arrêt du développement propre-
ment dit mettant à l’écart le pubertaire, donnant lieu à un véritable processus
psychotique.
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À partir de la notion de complémentarité des sexes qu’il discutait avec les Laufer
dans les années 1980, Ph. Gutton a posé le problème théorique de l’originaire
en s’inspirant des travaux de P. Aulagnier, ce qui lui permit de développer la
notion de « scènes pubertaires ». Il a ainsi proposé une véritable construction
métapsychologique permettant de penser le corps souffrant à l’adolescence à
travers la mise en tension de la maturation génitale et le développement de la
représentation de l’appareil génital opposé. Lorsque l’organisation de la névrose
infantile est battue en brèche et les principes de la latence violemment ques-
tionnés, tout bascule dans le remaniement pubertaire. C’est l’ouverture vers la
relation d’inconnu (inconnu de l’autre porteur de l’autre sexe), l’acceptation de
l’inachèvement fondamental de l’être humain, la clôture définitive de la scène
primitive.
Pour Ph. Gutton les processus d’adolescence sont classés suivant trois aspects :
le Pubertaire et l’Adolescens, deux volets de l’ordre du processus, au cours desquels
se confrontent courant sensuel et mouvement de désexualisation des représen-
tations incestueuses, mouvement d’inhibition du précédant en somme, et le
Référent quand « le transfert des représentations des objets parentaux aux objets
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un travail de deuil. Ph. Gutton est de ceux qui, comme F. Ladame, considèrent
que les manifestations et symptômes des sujets adolescents ont une signification
spécifique par rapport au processus de développement lui-même et ne sauraient
être interprétés de la même façon que pendant l’enfance ou à l’âge adulte.
On note à la puberté la grande proximité entre représentation et sensorialité,
l’auto-érotisme se trouvant au centre de l’expérience pubertaire. La puberté
n’est pas une réalité mais un réel – inspiré du réel lacanien – à savoir la chose
advenue qui ne saurait se trouver refusée. La cassure d’histoire de l’adolescent
n’est pas, pour Ph. Gutton, irréversible, comme semblent le penser les Laufer.
L’adolescent camoufle sa difficulté à penser par le langage du corps à travers
la sensorialité et les actes tandis que dans le processus psychotique il y a véri-
tablement construction d’une néoréalité, le corps génital pubère étant engagé
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dans un système incestueux. Les fonctionnements psychotiques constituent un
avatar de la subjectivation adolescente, comme a pu le faire remarquer R. Cahn
(1990), et Ph. Gutton insiste tout particulièrement sur la question du clivage
historique à la puberté, concept clé selon lui des fonctionnements pubertaires,
le clivage du moi étant en même temps un concept clé dans la psychose et le
fétichisme mais aussi nécessaire dans certaines situations extrêmes. Le clivage
historique du moi ouvre ainsi tout autant sur le système grandiose figuré par le
groupe d’entraînement sportif par exemple que sur les pathologies des grandes
dépendances, voire les aménagements pervers.
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sexuelle est l’indice de la scène pubertaire même si c’est la rencontre de l’autre,
quel que soit son sexe, qui est théoriquement en jeu dans la fantasmatique de la
complémentarité des sexes. À cet égard la question se pose de savoir dans quelle
mesure la fantasmatique d’un adolescent dont le choix d’objet sexuel s’organise-
rait du côté de l’homosexualité présenterait inévitablement une scène pubertaire
à figuration hétérosexuelle.
La scène pubertaire permet enfin d’appréhender non seulement la clinique
du processus adolescent mais aussi la psychopathologie adolescente. « Pensée
en acte et en figure (qui) marque la réussite de la représentativité de l’éprouvé
originaire interprété, préformé à jamais par les images parentales infantiles », la
scène pubertaire a été conceptualisée comme la scène primitive. À ceci prêt que
l’adolescent se situe en position d’acteur et non de tiers.
À cet égard, on pense aux moments psychotiques survenant à l’adolescence.
P. Aulagnier évoquait en rapport direct avec l’adolescence, la notion de « réintro-
jection causale » (2002, p. 11) d’une part, dans un passé plus ou moins proche
de ce qu’on vit, de ce qu’on espère du point de vue affectif et libidinal, la conso-
lidation de la mise en ordre des repères symboliques d’autre part dès lors que la
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mise en ordre de ces repères a pris fin au moment du déclin de la vie infantile
(ibid., p. 16). L’adolescence est ce « moment-tournant » au cours duquel le sujet
demande des comptes, « à ce temps passé de sa vie et encore plus aux partenaires
qui l’ont accompagné pendant son trajet » pour « donner sa forme stabilisée,
bien que modifiable, au récit historique de son temps et de son vécu infantile ».
« L’irruption d’un moment psychotique signe la rencontre du Je avec un évé-
nement psychique qui lui dévoile une catastrophe identificatoire qui a déjà eu
lieu » (ibid., p. 14).
On pense aussi à la psychopathie adolescente qui, comme le souligne F. Marty
(2001), peut être entendue comme une pré-organisation. La notion de perver-
sion adolescente peut en effet se révéler contradictoire avec la mouvance qui
406 45 commentaires de textes fondamentaux en psychopathologie…
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leur fonctionnement depuis la puberté, consentent alors à problématiser les
images parentales de leur préadolescence et trouvent une nouvelle dynamique
en analyse, qui les conduisent à découvrir les éléments structurels de leur per-
sonnalité.
Pour approfondir
Aulagnier P. (2002) « Telle une zone sinistrée », in Psychoses, Monographie de la revue
Adolescence, Paris, GREUPP, 9-21
Cahn R. (1990). Adolescence et folie. Les déliaisons dangereuses, Paris, PUF.
Delaroche P., (2000). L’Adolescence. Enjeux cliniques et thérapeutiques, Paris Nathan Uni-
versité.
Givre P. (2002). « Voies nouvelles et inflexions cliniques pour un traitement psychanaly-
tique des scènes pubertaires », in Adolescence, n° 39, 189-207.
Gutton P. (1990). « Essai de métapsychologie du corps souffrant pubertaire », in Cliniques
méditerranéennes 37/38, 111-119.
Gutton P. (1991). Le Pubertaire, Paris, PUF.
Gutton P. (1996). Adolescens, Paris PUF.
Gutton P. (2008). Le Génie adolescent, Paris, Odile Jacob.
Gutton P. (2002). Violence et adolescence, Paris, In Press.
Gutton P. (2010). « Pierre Mâle », in Givre P. et Tassel A. (dir.), Le Tourment adolescent,
Divergences et confluences, tome II, Paris, PUF, 175-217.
Gutton P. et Ouvry O. (1999). « Le pubertaire et la complémentarité des sexes », in Ner-
vure, t. XII, n°8, 34-38.
Laufer M., Laufer E. (1989). Adolescence et rupture de développement. Une perspective
psychanalytique, Paris, PUF.
Philippe Gutton 407
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PHILIPPE JEAMMET,
« Dysrégulations narcissiques
et objectales dans la boulimie »
(1991), in La Boulimie,
Monographies de la Revue française
de psychanalyse, PUF, 1991, 81-1041
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précédent et plus encore dans les aménagements de cette régression […]
Il s’agit d’une conduite pathogène par ses effets à la fois dénarcissisants
et désobjectalisants qui ont tendance à se renforcer mutuellement.
Ce trouble apparaît comme un compromis entre deux échecs : celui
de l’intériorisation de l’objet, et celui des défenses narcissiques. »
1. Présentation de l’auteur
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Cet article est paru dans une monographie de la Revue française de psychanalyse
sur la boulimie parue en 1991 qui réunit les principaux auteurs spécialistes des
problématiques alimentaires : Bernard Brusset, Catherine Couvreur, Alain Fine,
Joyce Mc Dougall et Christine Vindreau. Ce travail est né de la longue expé-
rience analytique de l’auteur avec des patientes boulimiques ainsi qu’avec celle
des patientes hospitalisées pour des troubles des conduites alimentaires graves
dans le service de psychiatrie de l’adolescent et du jeune adulte qu’il dirigeait.
Ce texte lui permet de redéfinir les conduites boulimiques en les inscrivant dans
une perspective théorique psychanalytique qui s’articule constamment à la cli-
nique, ce qui est le souci permanent de ses travaux.
3. Résumé du texte
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agies comme levier d’un travail psychothérapique et non avec les organisations
« mentalisées » hystériques, phobiques, obsessionnelles, persécutives ou dépres-
sives. Cela implique de se confronter aux formes qui mettent en échec le travail
psychanalytique.
Ph. Jeammet va donc tenter dans cet article de cerner la spécificité de ces
conduites boulimiques. Pour cela il en propose une définition en tant que
contrainte à manger de manière jugée excessive par le sujet, évoluant par accès
ou crises, définition large qui inclut la contrainte à l’agir et la forme boulimique
de la réponse. L’important pour l’auteur étant la position transnosographique
et trans-structurale de ces conduites rendant compte de la diversité clinique des
formes de boulimie. Un lien est ainsi proposé avec la toxicomanie en référence
à Bergeret (1982) :
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« N’importe quelle structure mentale peut conduire à des comportements
d’addiction (visibles ou latents) dans certaines conditions affectives et rela-
tionnelles… l’addiction serait une tentative de défense et de régulation contre
les déficiences ou les failles occasionnelles de la structure profonde en cause. »
l’interlocuteur. Pour Ph. Jeammet les sujets boulimiques témoignent d’une fragi-
lité des limites et des assises narcissiques :
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tonalité incestueuse est fréquente. Cet aspect associé à la fragilisation narcissique
a un effet de déliaison pulsionnelle et de régression de la génitalité à l’analité. La
confrontation œdipienne devient alors un facteur désorganisant laissant appa-
raître toute l’attente vis-à-vis de la figure maternelle, l’Œdipe négatif n’étant pas
plus structurant que son versant positif. Piera Aulagnier parle de ruptures bru-
tales du « contrat narcissique ». L’ambivalence de l’investissement maternel s’est
le plus souvent nourrie du fond dépressif maternel et de son image négative de la
féminité ou d’une discontinuité liée aux sautes d’humeur de la mère (alternance
de surinvestissement anxieux et de retrait) rappelant les oscillations d’humeur
et les crises de la boulimique. Les affects et les représentations suscitées ne sont
pas l’objet d’un travail de liaison et de perlaboration et sont occultés par le lien
aux objets externes à l’origine des traumatismes de l’enfance. De plus, l’image du
corps représente un point de fixation important, comme dans l’anorexie men-
tale, avec défaillance de la fonction de miroir de la mère et accrochage à celle-ci
dans une quête de l’image idéale. L’importance du regard souligne la défaillance
de l’intériorité et la prévalence de l’extériorité, du perceptif sur le vécu.
L’apport essentiel de Ph. Jeammet à la métapsychologie de l’agir boulimique tient
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totalitaire sans pause, ni représentation du désir d’objet vécu comme trauma-
tique. Il ne s’agit pas de fusion mais d’une problématique maniaque avec déni
de la séparation et de la différence, craintes paranoïdes. La crise s’installe le plus
souvent dans un va-et-vient répétitif de boulimie-vomissements qui peut évo-
quer un mouvement masturbatoire, laissant la place à un auto-érotisme négatif
dans une « fonction désobjectalisante » (Green, 1983) ou comme le précise Ph.
Jeammet (1989) « la fonction anti-pensée et anti-introjective du comportement ».
La crise boulimique peut être regardée comme une modalité d’externalisation de
contenus internes. « Le recours à la pratique boulimique détourne et pervertit
le champ même de la pulsion et du désir. » L’après-crise s’inscrit dans la dés-
illusion, dans le dégoût de soi et dans la honte. L’auteur fait également référence
à la dimension masochiste présente dans la boulimie, dans son rôle de liaison
pulsionnelle et de préservation du lien à l’objet. Le rapprochement fait avec le
concept de « néo-objet » sans statut de sujet désirant décrit par Braunschweig
et Fain (1975) permet de comprendre le moyen d’apaisement et de contrôle des
pulsions que représente la conduite boulimique. Le comportement symptôme
aurait ainsi une double valeur narcissique et objectale conférée par son carac-
tère indifférencié. Ce qui compte dans la crise boulimique c’est la prolongation
interne du contact sensoriel avec la nourriture par le moyen de la sensation de la
réplétion. Ph. Jeammet parle d’une fonction de collage à ce néo-objet extériorisé
ainsi que d’une dialectique contenant-contenu.
Se pose alors la question du statut métapsychologique de cet objet-symptôme bou-
limique. Ph. Jeammet le situe à l’opposé de l’objet transitionnel, il s’agirait plu-
tôt d’un objet sous emprise, objet fétichique qui peut faire penser la conduite
boulimique en termes d’aménagement pervers. Les travaux sur les spécificités de
la relation perverse insistent en effet sur la relation d’emprise, le mouvement de
délibidinisation et de déliaison, la place essentielle des sensations au détriment
des émotions (Barande I. et R., 1982 ; Chasseguet-Smirgel, 1984). L’aménagement
Philippe Jeammet 415
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particulièrement instable, maintenant l’objet dans un statut d’extériorité, dans
laquelle la problématique dépressive est toujours présente dans une alternance
d’un vécu de perte de l’objet et de l’estime de soi et de retrouvailles momenta-
nées. La quête objectale est centrale dans un lien à composante sadomasochiste.
Si la cure se maintient suffisamment longtemps, les aménagements défensifs
hystériques, obsessionnels ou phobiques peuvent être opérants surtout la dimen-
sion hystérique, en gardant à l’esprit qu’il s’agit plus d’un leurre que d’une réa-
lité qui renvoie à une dimension abandonnique.
Pour conclure, Ph. Jeammet fait de la boulimie, non pas une organisation ou
une structure stable mais un aménagement pervers d’une vulnérabilité liée au
maintien d’une dépendance excessive aux objets externes par échec partiel des
intériorisations notamment des auto-érotismes.
4. Concepts fondamentaux
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Ce texte a permis à Ph. Jeammet de poser les bases d’une approche métapsy-
chologique de la boulimie à partir de trois concepts fondamentaux : le narcis-
sisme, la relation d’objet et la régression. Il propose une métapsychologie de
l’agir boulimique dans laquelle les conduites boulimiques auraient une spéci-
ficité à un double niveau, le premier dans les particularités du conflit d’articu-
lation entre narcissisme et relation d’objet et le second dans les aménagements
de la régression qui accompagne ce conflit. Le lien peut être fait avec la crise
boulimique elle-même, qui caractérise l’aménagement de la régression. La ques-
tion de l’aménagement pervers de cette régression avait déjà été posée par E. et
J. Kestemberg dans leur ouvrage sur l’anorexie mentale dès 1972 La Faim et le
Corps. Ph. Jeammet apporte un éclairage nouveau sur ce concept en l’élargissant
416 45 commentaires de textes fondamentaux en psychopathologie…
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Ph. Jeammet permet à partir de ce texte l’ouverture d’un champ de réflexion sur
le lien entre les « névroses narcissiques », les « névroses actuelles » et le statut de
l’objet. Ce débat va se poursuivre tout au long de ses travaux avec des prolon-
gements cliniques majeurs sur la prise en charge des patientes boulimiques, les
aménagements du cadre nécessaires (thérapies bifocales), la place de l’interpré-
tation. Au-delà des problématiques boulimiques ces écrits vont permettre une
réflexion plus large sur le travail thérapeutique dans les conduites de l’agir, la
place de l’objet-symptôme et la « fonction anti-pensée » du comportement. Il
insistera également sur la dimension d’autosabotage qui rassemble nombre de
conduites symptomatiques contemporaines. La composante sadomasochiste de
celles-ci sera ensuite particulièrement approfondie par C. Chabert dans ses tra-
vaux sur le féminin mélancolique (2003).
Pour approfondir
Barande I. et R. (1983). « Antinomie du concept de perversion et épigénèse de l’appétit
d’excitation », Revue française de psychanalyse, n° 1-1983, 143-282.
Bergeret J. (1982). Toxicomanie et personnalité, Paris, PUF.
Birot E., Chabert C., Jeammet P. (2007). Soigner l’anorexie et la boulimie. Des psychana-
lystes à l’hôpital, Paris, PUF.
Braunschweig D., Fain M. (1975). La Nuit et le Jour. Essai psychanalytique sur le fonction-
nement mental, Paris, PUF.
Chabert C. (2003). Féminin mélancolique, Paris, PUF.
Chasseguet-Smirgel J. (1984). Éthique et esthétique de la perversion, Champ-Vallon.
Philippe Jeammet 417
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AN NIE BIRRAUX,
« L’élaboration phobique »
(chap. 4, p. 121-165), « Les phobies
ordinaires » (chap. 5, p. 167-225),
in Éloge de la phobie, Paris,
PUF, 19941
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1. Présentation de l’auteur
Connue pour ses qualités de psychiatre et son intérêt critique pour la pédagogie,
ayant fondé avec son mari Marc Birraux en 1963 une institution éducative des-
tinée aux adolescents en difficulté, le Cours des Petits-Champs, Annie Birraux
consacre sa première publication parue en 1980, Le Psychiatre face à l’école, aux
impasses qui semblent enfermer l’école entre le ghetto des marginaux et la coer-
cition exclusive des adaptés du système scolaire. Approfondissant les raisons
d’une résistance adolescente commune à l’apprentissage scolaire, elle élargit ses
recherches en remettant en cause les conceptions nosographiques et psychana-
lytiques classiques de la phobie qu’elle réunit dans une thèse d’État intitulée La
Phobie, dont elle extrait un livre majeur intitulé, L’Éloge de la phobie (1994).
Professeur honoraire des universités à Paris VII Denis-Diderot, elle centre son
enseignement sur la nouveauté radicale qu’opère la transformation pubertaire
dans le rapport du sujet inconscient à son corps : après avoir dirigé entre 1990
et 2000 l’unité de recherches sur l’adolescent (URA) avec Philippe Gutton, elle
poursuit activement en tant que présidente honoraire, ses activités au sein
du Collège international de l’adolescence (CILA) qu’elle avait créé avec lui en
1985, dans la continuité des travaux d’Évelyne Kestemberg, de Pierre Mâle et
de Raymond Cahn. Elle initie et participe ainsi à des échanges internationaux
au centre desquels se posent, outre les modalités irruptives de la génitalité dans
la sexualité infantile, la pertinence de ce que l’on entend par « objet culturel »
(1996) ou la nature de l’épreuve de la symbolisation dans les prises de risque à
l’adolescence (2010).
Son expérience institutionnelle en tant que médecin directeur du centre
Étienne-Marcel, à la suite de Jean-Luc Donnet, l’a conduite à se confronter aux
pathologies narcissiques et de l’inhibition dont on saisit l’âpre acuité dans son
Annie Birraux 421
2. Résumé du texte
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Soustrayant la phobie aux névroses de transfert, A. Birraux considère, dans L’Éloge
de la phobie (1994), le symptôme phobique comme une formation substitutive,
capable de restaurer les objets narcissiques défaillants du sujet adolescent, en
réduisant le clivage qu’instaure l’avènement du corps sexué. Dans une perspec-
tive développementale, l’auteur éclaire « le mécanisme obscur » des phobies
d’adolescence, qui, plus qu’un simple mécanisme de défense comme le refou-
lement, s’avère être utile au sujet pour la gestion de ses affects primaires et
l’appropriation de sa propre pensée. L’élargissement de ce symptôme à toute
mutation psychique liée à l’incidence de la puberté, nous invite à saisir ce que
l’auteur entend par « l’élaboration phobique », premier chapitre théorique que
commentent les figures cliniques du second chapitre « Les phobies ordinaires »,
tous deux signant la nécessaire aventure (ou ouverture) phobique qu’impose
l’adolescence.
L’élaboration phobique : symptôme ou structure, peur ou angoisse, « la phobie
n’a jamais eu de place bien définie dans la nosographie préscientifique, scienti-
fique ou psychanalytique […] au cœur d’un double débat nosographique, (entre
symptôme et structure), et philosophique, (entre peur et angoisse) » (1994,
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objets fonde le fait phobique parce qu’elle autorise l’être humain à trouver une
cause à sa détresse » (ibid., p. 21). Ainsi se trouvent justifiées l’utilité et la perti-
nence du symptôme phobique puisque sa présence à l’adolescence « crédite le
sujet d’un désir de penser au moment où le narcissisme est mis à mal par la pous-
sée pulsionnelle pubertaire ». Aussi A. Birraux nous invite-t-elle à soustraire la
phobie du cadre inadéquat des névroses de transfert pour en redéfinir la nature
psychique structurante et originaire que révèle le processus spécifique de son
élaboration à l’adolescence.
Dans ce chapitre, elle fait état de la nature coercitive de la phobie, dont le
seul but est d’assurer le maintien de la cohésion du moi et celui du sentiment
d’existence, menacés par l’irruption somatique de la puberté, propre à relancer
l’investissement primaire de l’excitation. Devenu massif et asymbolique, cet
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investissement restreint l’espace de la pensée jusqu’à son inhibition et engage
le sujet à un investissement érotisé de ses défenses, au service du narcissisme
et propre au masochisme érogène. Si les modalités de gestion de la libido oscil-
lent toujours entre la satisfaction pulsionnelle et le maintien de l’éprouvé nar-
cissique, la pensée demeure un risque pour le moi car elle est « de l’intérieur,
preuve insistante de l’existence de l’autre et menace contre le sentiment de
cohésion et d’unité » (ibid., p. 125). Aussi, la mise à distance de l’objet par la
défense phobique permet l’apaisement de l’inhibition et provoque au travail
de la pensée, l’imbrication entre puberté psychique et phobie les faisant appa-
raître comme constitutives l’une de l’autre.
Dans une seconde partie, l’auteur distingue trois types de fonctionnement
de l’élaboration phobique, aptes à traduire les négociations phobique/contra-
phobique de la pensée : le recours à l’objet contra phobique de la pensée for-
melle comme évitement phobique des pensées incestueuses, l’aptitude au trait
d’esprit comme passage à l’acte contra phobique et créateur d’une pensée par-
tagée avec d’autres, et enfin la fuite dans l’intellectualisation comme recours à
l’idéal (ou idéologie), objet contra-phobique qui efface la vie libidinale au profit
d’une alimentation constante du narcissisme.
Obstacle à toute infiltration œdipienne, la pensée formelle et ses formes
combinatoires témoignent en effet d’une incapacité à se déprendre de l’objet,
le support sensoriel intériorisé étant la mère, « cet entre-deux » entre le moi et
le non-moi de l’enfant. Résistant à ce moment princeps de différenciation, pro-
gressivement constitutif de l’espace de symbolisation, l’adolescent utilise la part
de jeu de la pensée abstraite pour se nourrir de la conviction que l’objet ne peut
disparaître, n’étant plus représenté si ce n’est par ses relations combinatoires à
d’autres objets. Défense sophistiquée, « la structure de la pensée joue comme
objet contra phobique » (ibid., p. 143).
Annie Birraux 423
Prenant appui sur le texte de Freud « Le mot d’esprit et ses rapports avec
l’inconscient » (1905), A. Birraux fait du trait d’esprit le télescopage de l’objet
phobique et de l’objet contra-phobique. Mystère des origines, jouissance, jeux
de langage, dans une communication qui condense les processus primaires et
déjoue les processus secondaires, le mot d’esprit réunit « les fonctions du symp-
tôme, du rêve et de l’acte manqué » (ibid., p. 147). Il rapproche le symptôme
de l’effraction, la création du sens du non-sens, en forçant au compromis entre
la réalisation d’un désir et la censure. Moment d’irreprésentable et source d’un
« plaisir primitif absolu » (ibid., p. 149), il est aussi l’objet d’un partage consenti,
témoignant de la sexualisation des représentations dans leur moment orgastique
« où le moi s’éprouve dans sa toute-puissance archaïque et sexuée en face de
l’objet » (ibid., p. 153) Pouvoir ruser avec le code sans être puni témoigne de
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la capacité du trait d’esprit à tenir à distance l’objet incestueux sans qu’il soit
menaçant.
A contrario, l’intellectualisation exhibe cette menace, le sujet ne se soumet-
tant à l’objet idéal que par refus de la castration originaire. La fuite dans la
spéculation idéique, qu’elle soit religieuse, politique ou philosophique, met en
son centre cet objet contra phobique qui légitime le besoin de dépendance à
un objet narcissique tout-puissant, bon et rassurant par ce qu’idéal. S’opposant
à toute aventure pubertaire et passant sous silence la certitude de la finitude
et de la sexuation, l’objet idéal s’évertue à maintenir l’illusion du sentiment
d’existence mis à mal par la mère archaïque, fondatrice des mythes et des
dogmes, à la fois protectrice et exigeante, persécutrice en même temps que
sécurisante.
Par la déconstruction de ces trois objets de pensée que sont l’intellectualisation,
la pensée formelle et le trait d’esprit, Annie Birraux éclaire les stratégies discur-
sives ou agies d’une élaboration qui diminue l’excitation interne du moi, impli-
quée dans les phobies ordinaires.
Par l’analyse clinique des phobies ordinaires, qu’il s’agisse de l’état phobique,
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qui tend à se dissoudre dans un objet interne hostile et que le symptôme pho-
bique tente de restaurer en y condensant les symbolisations à venir.
Différemment, le cas de Bella expose le souci d’un corps persécuteur, dissi-
mulé à l’ombre d’un large manteau, lequel, bientôt fétichisé, masque l’absence
d’étayage narcissique. Au croisement de l’investissement de l’objet et de l’inves-
tissement du moi, où dedans et dehors, passé et présent se confondent, l’objet
fétiche fait obstacle à l’accession à la génitalité tout en laissant la fonction nar-
cissique de l’objet venir étayer de l’extérieur la satisfaction auto-érotique, le thé-
rapeute étant utilisé comme objet d’étai et contenant.
A contrario, les phobies scolaires font de ce contenant qu’est l’école un objet
de contrainte et d’obligation interne qui interdit à la pensée de se déployer,
plongeant le moi dans une situation de danger permanent, au risque que l’ado-
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lescent ne perde pied, ayant à céder sa place de leader ou à succomber à l’attrait
de l’action excitante. Cette « psychophobie » représente un choix de fonction-
nement auto-érotique de la pensée dont les acting impulsifs, s’ils en apaisent la
tension interne, marquent la faillite de l’élaboration, ne satisfaisant plus qu’à
la pulsion d’emprise et au vide de l’objet. En deçà de la réassurance que pro-
cure l’objet transitionnel, cher à Winnicott, et au-delà de la problématique de
l’attachement inspiré par Bowlby, le court-circuit psychique de l’acting montre
combien la tension dans le cas de Franck exige une « désomatisation » préven-
tive à la constitution d’un possible espace d’élaboration : « La phobie scolaire
témoigne d’une faillite de l’élaboration, et plus causalement d’une carence de
la dynamique de l’espace de symbolisation qui nous semble indifférencié du
corps » (ibid., p. 219).
Une topologie conclusive des différents espaces investis par l’objet persécuteur
fait apparaître qu’en fonction de la différenciation des espaces interne-externe,
organisée par le sujet, l’objet contra-phobique dépendra de la qualité de perma-
nence de l’objet « subjectif », organisateur précoce de l’espace interne du sujet.
3. Concepts fondamentaux
moi corporel souvent méconnu par le sujet comme lui appartenant en propre,
alors que l’objet narcissique est un éprouvé d’existence, permettant la régula-
tion des affects primaires par la satisfaction du besoin qui vient de l’extérieur.
Or cet objet narcissique est lui-même issu d’un objet phobogène, d’affect
d’aversion « en quête d’une forme figurative qui donnera sens à l’éprouvé de
l’adolescent, la fonction supplétive de l’objet contra-phobique pourra ainsi
être objectivée dès lors que le sujet sera en mesure d’user de la projection, de
poser une limite entre monde interne et monde externe, entre soi et autrui »
(ibid., p. 168).
La valeur créative de l’objet contra-phobique atteste de l’importance des
relations entre les différents espaces constitués et investis par l’objet pho-
bique : soit celui-ci est rabattu dans l’espace peu différencié moi/monde
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externe (dysmorphophobies), soit il est projeté sur un objet nommé, en lieu et
place de l’objet subjectif (phobies d’animaux ou d’objets, voire de situations),
soit il est déployé sur l’espace externe et apte à parasiter la pensée (inhibitions
scolaires, agoraphobies, ou psychophobies), soit encore, il demeure interne et
se confronte à l’objet narcissique qui assure au moi sa cohésion et son unité.
Selon le degré de différenciation des espaces interne-externe du moi, l’objet
phobique, parfois persécuteur, se distingue ou se confond avec l’objet narcis-
sique à l’origine de la subjectivation du sujet : « Ce qui fait la subjectivation, c’est
la mise en tension interne permanente de la structure œdipienne et des résidus
infantiles qu’elle vient organiser » (ibid., p. 228).
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(Marty, 2004).
5. Enjeux scientifiques
Pour approfondir
Birraux A. (1994). L’Éloge de la phobie, Paris, PUF.
Birraux A. (1997). « La phobie structure originaire de la pensée », in Fine A., Le Guen,
Oppenheimer A. (dir.). Peurs et phobies, Paris, PUF, 135-157.
Birraux A. (1999). Les Phobies, Paris PUF.
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Birraux A. (2003). « De la crise au processus » in Marty F. (dir). L’Adolescence dans l’his-
toire de la psychanalyse, Paris, In Press, 223-242.
Birraux A. (2003). « L’entretien et sa dynamique à l’adolescence », in Cyssau C. (dir.).
L’Entretien en clinique, Paris, In Press, 2003, 289-301.
Birraux A. (2004). Le Corps adolescent, Paris, Bayard.
Cahn R. (1998). L’Adolescent dans la psychanalyse. L’aventure de la subjectivation, Paris,
PUF.
Givre P. (1996). « Le domptage de la pulsion comme enjeu du travail de l’adolescens »,
Adolescence, 28, XIV, n° 2, 191-220.
Gutton P. (1991). Le Pubertaire, Paris, PUF.
Jeammet Ph. (1980). « Réalité interne, réalité externe. Importance et spécificité de leur
articulation à l’adolescence », RPF, XLIV, 3-4, 1980.
Marty F. (2004). « Vers une troisième anamorphose dans la théorie de la sexualité », in
La Naissance pubertaire, Paris, Dunod, 189-197.
44
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PHILIPPE JEAMMET,
« La violence à l’adolescence.
Défense identitaire et processus
de figuration », Adolescence,
1997, 15, 2, 1-261
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1. Présentation du texte dans l’œuvre de l’auteur
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moins satisfaisantes et en particulier à l’adolescence, cet antagonisme pourra être
sérieusement majoré puisque l’adolescent cherchera à la fois à achever ses iden-
tifications via sa relation aux objets, tout en étant contraint dans le même temps
de prendre ses distances avec ses objets d’attachement antérieurs dont les liens
ont été sexualisés par la puberté.
L’accent porté sur cette mise en tension narcissico-objectale est essentiel puis-
qu’en soulignant que la violence est préférentiellement déclenchée par « un rap-
proché relationnel », Ph. Jeammet met bien en exergue le paradoxe adolescent
qui se trouve à la fois en proie à une forte « appétence objectale » et à la crainte
que ces nouveaux investissements objectaux, pourtant attendus, ne mettent à
mal ses assises narcissiques. Ainsi « la psychanalyse montre que le développe-
ment de la personnalité semble toujours pris dans le dilemme suivant : pour être
soi il faut se nourrir des autres et, dans le même temps, il faut s’en différencier.
Il y a là une contradiction potentielle » (ibid., p. 9). Aussi, pour que cette faim
d’objets ne soit pas ressentie par le sujet comme « antinarcissique » (Pasche,
1975), il faudra que les assises narcissiques aient pu être solidement établies et
que la qualité des intériorisations ait pu être satisfaisante.
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2. Résumé du texte
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provenait pour l’essentiel de la lutte du moi pour sa conservation et son affir-
mation. De la même manière, il conteste la valeur heuristique de la pulsion
de mort pour penser la clinique de la violence, et notamment la clinique de la
violence à l’adolescence. Il plaide davantage pour l’idée qu’à l’adolescence les
menaces qui pèsent sur le moi auraient avant tout pour fondement les atteintes
des représentations de soi, c’est-à-dire l’ensemble des blessures narcissiques qui
auront émaillé le développement de l’enfant. Le surgissement de la violence
s’expliquerait ainsi préférentiellement par une mise à mal ou un défaut dans la
construction des assises narcissiques du sujet, au point de fragiliser grandement
le sentiment identitaire.
Il s’en suit que la thèse centrale de cet article s’exprime en ces termes :
ces patients la problématique centrale n’est plus celle du conflit psychique mais
d’abord celle de la sauvegarde de l’identité.
Dans la même perspective, Ph. Jeammet opère également une différenciation
nette entre agressivité et violence. Pour asseoir cette différence, il insiste sur
l’idée que l’agressivité témoigne encore d’un lien avec l’objet qu’elle attaque,
du fait de sa liaison avec la libido, alors que la violence traduit de son côté un
mouvement de désobjectalisation, donc une perte du lien à l’objet dans le but
de protéger l’identité du sujet. Du coup, cela l’amène à penser que « la violence
est un comportement narcissique de défense de l’identité, à finalité fondamen-
talement anti-objectale » (ibid., p. 7). En effet, pour le sujet potentiellement
violent, son besoin des autres devient synonyme d’un envahissement poten-
tiel, devient synonyme d’une dépendance intolérable, devient donc synonyme
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d’une « passivité affolante ». Dans ces circonstances, on serait alors au plus près
du syndrome d’influence que le passage à l’acte violent cherchera à conjurer.
De ce point de vue, la banalité du recours à l’acte à l’adolescence est assez
unanimement reconnue. Ce constat pourrait ainsi rendre compte de l’assimi-
lation fréquente entre violence et adolescence, la violence n’étant pourtant pas
l’apanage exclusif de l’adolescence. Il n’en demeure pas moins que l’adoles-
cence représente un moment privilégié pour le déploiement des comportements
hétéro ou auto-agressifs. Aussi, pour cerner les particularités de cette émergence
de la violence à cette période de l’existence, il est nécessaire de rappeler cer-
tains enjeux psychiques fondamentaux de cette phase développementale située
entre vie infantile et vie d’adulte. Temps de confrontation à l’ananké (la des-
tinée, mais aussi la contrainte physique ou légale), l’adolescence est ce moment
où il est difficile pour le sujet de ne pas ressentir les transformations de la
puberté comme une sorte de violence faite par la nature à sa psyché, ces chan-
gements subits le renvoyant à une forme d’impuissance et de soumission infan-
tile. Les difficultés de l’adolescent pourront ainsi être fréquemment reliées aux
transformations imposées par la puberté. Ce sont notamment les transforma-
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conflictualité internes intolérables, la finalité du processus adolescent reste bien
d’accéder à une temporalité progressive, lui octroyant la possibilité d’assurer
une réelle temporalisation psychique. Mais avant d’y parvenir, la réalité externe
jouera donc un rôle très important d’auxiliaire de l’appareil psychique.
Sur ce point précis, Ph. Jeammet montre bien comment l’appareil psychique
du jeune pubère est supposé prendre progressivement le relais de l’étayage paren-
tal pour jouer un rôle de tampon entre les exigences internes et les contraintes
de l’environnement. La pathologie interviendra lorsque ce rôle de l’appareil psy-
chique se révélera défaillant, condamnant le sujet à utiliser de façon dominante
la réalité externe pour contre-investir la réalité interne qui ne présente aucune
qualité suffisamment sécurisante.
« Dans cette optique, le point de mire du soin peut être vu comme la restau-
ration de la capacité de l’appareil psychique à assurer ses fonctions de protection
de l’individu, c’est-à-dire à gérer les conflits intrapsychiques et à ne pas se lais-
ser trop entraver par le poids des contraintes internes et externes » (ibid., p. 26).
Dans le cas contraire, lorsque les sujets vont utiliser de façon dominante et
contraignante la réalité externe, c’est-à-dire qu’ils vont investir le monde perceptivo-
moteur pour contre-investir la réalité interne, alors l’utilisation de l’espace, le
recours à l’acte, voire le recours à la violence vont se substituer à l’impossibilité de
s’appuyer sur une temporalisation psychique suffisamment pérenne.
3. Concepts fondamentaux
tenu dans les pathologies de l’agir. Ce lien est avant tout un lien d’emprise
avec l’objet, l’altérité de ce dernier étant totalement déniée. « L’aménage-
ment pervers sauvegarde en effet le lien objectal mais en le réduisant à un
lien de contact, en surface, qui évite les dangers de l’intériorisation comme
ceux de la perte, offrant par l’emprise qu’il autorise un contrepoids efficace
à la destructivité » (ibid., p. 19). Cette propension à nier l’altérité ou la diffé-
rence se retrouve bien dans la définition donnée par A. Green de l’archaïque.
En effet, celle-ci ne renvoie pas à l’origine ou à l’originaire mais à un processus
de dédifférenciation des instances, des imagos et des structures internes « où
le désir, son objet et le moi se confondent » (ibid., p. 19). Dès lors, ce qui fon-
dait le moi comme instance fonctionnelle n’est plus en mesure d’opérer, de
par la perte de ces différences qu’il avait progressivement acquises. De fait, la
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puberté est en elle-même un facteur de dédifférenciation qui tend à générer
un travail de condensation du monde interne en lien avec ses effets d’exci-
tation dédifférenciantes. Ce phénomène de condensation se retrouve à tous
les niveaux : entre l’infantile et le pubertaire, entre les imagos paternelle et
maternelle, entre les différentes instances psychiques, entre les problématiques
œdipiennes et prégénitales, et enfin entre problématiques narcissique et objec-
tale. Tout l’enjeu du processus adolescent, on l’aura compris, visera à permettre
(à rebours de ces dédifférenciations) une réappropriation et une différenciation
subjective.
4. Devenir et prolongements
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ici engagée. En effet, les risques d’un « inceste entre appareils psychiques »
(Pontalis, 1981) s’avèrent cruciaux dans le cadre d’une relation transférentielle
avec l’adolescent où des effets paradoxaux peuvent être induits par le fait que
« plus le thérapeute interprète le transfert, plus il montre son importance, plus
il piège le sujet » (1997, p. 25). S’il ne s’agit pas d’une condamnation pure et
simple de la psychothérapie individuelle, il s’agit à tout le moins d’une vive
incitation à penser le moment qui se révélera opportun pour entamer un travail
thérapeutique individuel qui ne sera pas synonyme de violence ou d’effraction
psychique.
Dans ce texte, comme dans la plupart de ses écrits, la force et l’aisance de la
pensée de Ph. Jeammet qui se traduisent d’abord par la grande limpidité et le
caractère très plaisant de son écriture, parviennent à nous faire sentir à quel
point l’affirmation de notre différence subjective, notamment dans le temps de
l’adolescence, se révèle périlleuse, tellement « cette différence, il faut la vérifier
en permanence, tant elle est menacée », quitte d’ailleurs à recourir à quelques
violences pour parvenir à la sauvegarder.
Pour approfondir
Gutton P. (2002). Violence et adolescence, Paris, In Press.
Jeammet P. (1980). « Réalité externe et réalité interne », Revue française de psychanalyse,
1980, 3-4, 481-521.
Jeammet P. (1995). « Psychopathologie des conduites de dépendance et d’addictions à
l’adolescence », Cliniques Méditerranéennes, 47-48, 1995, 155-175.
Jeammet P. (2004). Anorexie-Boulimie. Les paradoxes de l’adolescence, Paris, Hachette.
Philippe Jeammet 437
Jeammet P. (2008). Pour nos ados, soyons adultes, Paris, Odile Jacob.
Jeammet P., Kestemberg E. (1983). « Le psychodrame psychanalytique à l’adolescence »,
Adolescence, 1983, 1,1, 147-163.
Kestemberg J., Kestemberg É., Decobert S. (1972). La Faim et le Corps, Paris, PUF.
Pontalis J.-B. (1981). « Non, deux fois non », Nouvelle Revue de Psychanalyse, 1981, 24,
53-73.
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45
CATHERINE CHABERT,
« Féminin mélancolique » (1997),
Adolescence, t. 15, n° 2, 47-551
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la tentative de désexualisation avait emporté avec elle les alternances du
désir, la dialectique de la présence et de l’absence, et les “éprouvés” – pour
reprendre le terme de P. Aulagnier – qui leur étaient associés, qui ont été
perdus et qui attendent d’être (re)trouvés. »
1. Présentation de l’auteur
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ces troubles –, le complexe œdipien est actif et doit pouvoir être également pris
en compte dans le traitement analytique de ces sujets. Ce texte constitue la base
princeps de la théorisation du concept de féminin mélancolique, lié à la mise au
jour d’une version singulière du fantasme originaire de séduction, qui trouvera
ses déploiements métapsychologiques dans différentes contributions ultérieures,
en particulier en 2003 au sein de l’ouvrage qui en porte le nom.
3. Résumé du texte
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décevant. Du fait d’un investissement d’objet peu résistant car fondé sur une
base narcissique, l’investissement, au lieu d’opérer un déplacement libidinal sur
un nouvel objet, est ramené dans le moi et participe à la mise en place de l’iden-
tification avec l’objet abandonné. C’est donc le moi qui est jugé, et la perte de
l’objet se transforme en perte du moi. L’autopunition permet alors l’accomplis-
sement de la vengeance sur les objets originaires et l’état de maladie constitue
pour le sujet le moyen de tourmenter ceux qui lui sont le plus chers.
L’absence de construction de fantasmes de séduction sur un mode hystérique
constitue pour l’auteure un des indices les plus manifestes du travail de déliaison
opéré par les effets délétères du masochisme moral. Dans le travail thérapeutique,
l’analyste devra donc mobiliser les traces libidinales subsistantes, notamment en
favorisant la prise de contact avec les affects, afin de soutenir les mouvements de
vie du sujet, à la fois dans une perspective de reconstruction narcissique mini-
male et d’étayage de la vie fantasmatique.
4. Concept fondamental
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sujet et l’équilibre économique de sa bisexualité psychique seront dépendants
de la qualité de ce qui s’éprouve, s’expérimente et s’organise dans cet espace-
temps du féminin, au cours duquel l’altérité et l’identité sexuée s’investissent et
où s’ébauche la différenciation des courants tendre, érotique, hostile. L’altérité
est ainsi mise en jeu simultanément sur le terrain de la différence moi/objet
et sur celui de la différence des sexes, qui se découvre progressivement dans le
maillage sophistiqué du complexe d’œdipe. Dès lors, les formes de confusion se
répondent, jouant de la condensation, entre celle du masculin/féminin et celle
susceptible de défaire les limites différenciatrices moi/objet.
Prélude aux identifications ultérieures, le « destin » de ce féminin, dont
l’intégration est liée au travail de deuil de l’objet maternel, se révélera à l’occa-
sion des remaniements de la traversée pubertaire. En fonction des modalités
identificatoires privilégiées, la construction du moi se trouvera alors différem-
ment affectée, à l’instar du surmoi. Rappelons que le surmoi se constitue par
introjection des objets d’amour œdipiens et par intériorisation des exigences et
des interdits qui constituent une instance de surveillance et d’autocritique. Le
travail identificatoire s’opère dans un contexte de perte, lié au renoncement,
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même s’il est partiel, à l’une ou l’autre des figures œdipiennes. La constitution
du surmoi s’accompagne de ce fait d’une désintrication pulsionnelle : quand la
composante libidinale érotique ne parvient plus à lier la totalité des pulsions
destructrices, la part cruelle et tyrannique prend le dessus. Pour parvenir à sup-
porter le poids de la culpabilité générée, certains sujets se trouvent alors dans
l’obligation de l’investir masochiquement afin de l’apaiser. L’angoisse de perte
de l’amour de la part de l’objet est particulièrement activée chez les filles car
l’invitation à se tourner vers leur père par détournement déceptif de la mère est
appréhendée comme identification à l’être aimé perdu. C. Chabert souligne que
dans certaines organisations fantasmatiques, la conviction incestueuse (soit la
croyance qu’avec leur nouveau corps de femmes elles exercent une source d’exci-
444 45 commentaires de textes fondamentaux en psychopathologie…
tation extrême chez l’autre) détermine une angoisse majeure de perte d’amour et
un retournement haineux, contre le moi, des attaques destructrices visant l’objet.
Ce retournement de l’agressivité contre soi s’opère au nom d’une culpabilité
inconsciente importante et relève d’une tentative de soulagement constituée par
le recours au masochisme moral. La perte de force du surmoi s’explique ainsi plu-
tôt par l’insuffisance ou l’inefficacité de sa part protectrice, sa nature tyrannique
et intransigeante appelant des conduites sacrificielles. C’est cette dépendance du
moi à la sévérité du surmoi « mal-différencié », lié à la force des enjeux de perte
mobilisés, nommé autrement par C. Chabert « surmoi au féminin », ainsi que le
retournement du sadisme contre le moi et l’impossible accès à la position passive,
qui amènent l’auteure à envisager un lien de similarité entre la problématique
mélancolique et le masochisme moral.
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Soulignons la référence à la mélancolie sous forme d’adjectif qui dégage le
terme de ses limites psychopathologiques pour en souligner la valeur dyna-
mique, processuelle. La relation à l’objet se trouve ramenée à un système nar-
cissique, où la souffrance est recherchée pour elle-même, la haine contre l’objet
s’exerçant contre son substitut (le moi), maintenant ainsi paradoxalement le
lien avec les objets d’amour.
La version du fantasme de séduction se découvre ainsi dans une dynamique
inversée, au sein de laquelle le sujet, au lieu d’être passif, occupe une place dou-
blement active. Active tant dans la séduction qu’il opère et qui génère une exci-
tation majeure chez l’autre, que dans la punition qu’il doit ensuite s’infliger
comme forme de dédommagement d’une culpabilité massive, liée à un surmoi
tyrannique qui appelle des conduites d’attaques de son propre corps, objet du
délit d’attraction sexuelle, qu’il faut abîmer ou détruire. Version mélancolique du
fantasme de séduction, c’est ce que C. Chabert nomme le féminin mélancolique.
5. Prolongements du texte
chique qu’il engage est mis à l’épreuve : si la position passive occupe toujours
une place maîtresse, elle n’est pas tenue selon les mêmes modalités dans d’autres
configurations psychopathologiques. La référence au fantasme « un enfant est
battu » est alors proposée comme constituant un modèle paradigmatique pour
appréhender plus spécifiquement le fantasme originaire de séduction. L’auteure
souligne que le sujet, qu’il soit spectateur (première phase du fantasme) ou vic-
time (seconde phase), occupe toujours une place passive. La troisième phase
témoignant du refoulement réussi du fantasme incestueux. Or l’expérience ana-
lytique avec des jeunes femmes présentant des troubles compulsifs à valence
autodestructrice souligne une double occurrence : le défaut de construction du
fantasme hystérique s’accompagne d’un défaut de refoulement de la seconde
phase du fantasme de l’enfant battu.
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S’ouvre alors tout un champ de réflexion sur l’implication du masochisme
moral et ses dérives mélancoliques, du fait des modalités de traitement singulières
de la perte d’objet. Rivé à la resexualisation des liens aux figures œdipiennes, le
masochisme moral se caractérise par le fait que le moi réclame activement puni-
tion au surmoi, la difficulté étant que cette réclamation reste inconsciente et ne
trouve de voie de traduction qu’à travers les actes compulsifs. Cette dimension
de culpabilité inconsciente, prise dans les rets du principe de plaisir/déplaisir,
constitue une résistance massive au processus de changement. La réaction théra-
peutique négative est ainsi questionnée en contrepoint de la passivité inhérente
et nécessaire au processus de l’analyse. La passivité constitue un moteur dans
la cure par ce qu’elle permet d’acceptation des effets de l’autre en soi, mais elle
mobilise aussi une résistance majeure, à la fois par les éléments de séduction
qu’elle implique mais aussi par les représentations mortifères qu’elle induit. Le
« combat » mélancolique constitue alors « l’une des voies de détournement de
la passivité, contre l’être-aimé, l’être-excité, contre l’objet et finalement contre
le sujet lui-même » (2003, p. 155). Ses armes privilégient la recherche active de
confusion, d’indifférenciation ; la différence imposant inévitablement le renon-
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part, les transformations corporelles imposées, entrent en résonance avec les
conflits de passivité, cette dernière étant fréquemment associée à la reviviscence
d’identifications régressives d’autant plus difficiles à tolérer que les adolescents,
dans leur recherche d’individuation cherchent à s’en déprendre. Tous les ingré-
dients sont donc réunis pour favoriser à l’adolescence le recours à des solutions
masochistes avec le risque de dérive mélancolique qu’elles comportent.
L’intérêt de cette élaboration conceptuelle déborde cependant largement le
champ de l’adolescence et couvre notamment celui de la clinique psychanaly-
tique actuelle, des « nouvelles pathologies » dites de l’intériorité. Bien souvent
dans les cures adultes en souffrance de limites, ce n’est pas tant la pauvreté de
la vie fantasmatique qui se donne à entendre, que ses débordements, difficile-
ment canalisables du fait de la charge pulsionnelle mobilisée. La trace retrouvée
d’organisation de scénarios fantasmatiques spécifiques nous invite à réinterroger
les modalités de construction d’un espace psychique interne, où la voie inté-
rieure de la passivité, qui traverse la complexité des modalités identificatoires,
constitue un chemin d’élaboration d’une puissante fécondité.
Pour approfondir
André J. (dir.) (2000). L’Énigme du masochisme, Paris, PUF.
Chabert C. (2003). Féminin mélancolique, Paris, PUF.
Chabert C. (2011). L’amour de la différence, Paris, PUF.
Freud S. (1915). « Deuil et Mélancolie », in Œuvres complètes, XIII, 1988, Paris, PUF, 261-
278.
Freud S. (1919). « Un enfant est battu. Contribution à la connaissance de la genèse des
perversions sexuelles », in Œuvres complètes, XV, Paris, PUF, 1996, 115-146.
Catherine Chabert 447
Freud S. (1920). « Au-delà du principe de plaisir », in Œuvres complètes, XV, Paris, PUF, 2e
éd. 2002, 273-338.
Freud (1924). « Le problème économique du masochisme », in Œuvres complètes, XVII,
Paris, PUF, 1992, 11-23.
Freud S. (1931). « De la sexualité féminine », in Œuvres complètes, XIX, Paris, PUF, 1995,
7-28
Dargent F. et Matha C. (2011). Blessures de l’adolescence, Paris, PUF.
Rosenberg B. (1991). Masochisme mortifère et masochisme gardien de la vie, Monogra-
phie de la Revue française de psychanalyse, Paris, PUF.
Winnicott D.W. (1974). « La crainte de l’effondrement », Nouvelle Revue de psychanalyse,
11, 1975, 35-44.
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